HOMÉLIE LXXXIII.« APRÈS CELA JÉSUS SEN VINT EN UN LIEU APPELÉ GETHSEMANI, ET DIT A SES DISCIPLES: ASSEYEZ-VOUS ICI PENDANT QUE JIRAI LA POUR PRIER. PUIS PRENANT AVEC LUI PIERRE ET LES DEUX FILS DE ZÉBÉDÉE, IL COMMENÇA DÊTRE DANS LA TRISTESSE ET DANS LABATTEMENT; ET ALORS IL LEUR DIT : MON ÂME EST TRISTE JUSQUÀ LA MORT, DEMEUREZ ICI ET VEILLEZ AVEC MOI ». (CHAP. XXVI, 36, 37, 38, JUSQUAU VERSET 51.) ANA LYSE. 1. Jardin de Gethsemani, prière, agonie du Sauveur. Sommeil des disciples. 2. Judas accomplit son crime. 3 et 4. Contre les avares À quels excès de cruauté lavarice porte les âmes quelle possède. Que cest inutilement que les riches cherchent de beaux ameublements. Combien les maisons des pauvres sont préférables à celles des grands. Que nous devons imiter Jésus-Christ dans lamour quil a témoigné de la pauvreté.
1.Comme ces trois disciples étaient plus attachés à Jésus-Christ que tous les autres, il les prend avec lui, et il leur dit : « Asseyez-vous ici pendant que jirai là pour prier ». Cétait son habitude de se retirer à lécart pour prier: il le faisait pour nous apprendre à chercher, par son exemple, le repos et la tranquillité, lorsque nous nous appliquons à la prière. li choisit donc ces trois disciples pour être près de lui, et il leur dit: « Mon âme est triste (40) «jusquà la mort ». Pourquoi ne mène-t-il pas aussi tous les autres? Cest parce quil craignait quils ne tombassent dans labattement en le voyant dans une si grande tristesse. Il ne voulut en rendre témoins que ceux qui avaient vu sa gloire sur la montagne , et alors même il les laissa un peu loin de lui. « Et sen allant un peu plus loin, il se prosterna le visage contre terre, priant et disant: Mon Père, sil est possible que ce calice passe «loin de moi; toutefois, non ma volonté, mais la vôtre (39). Ensuite étant venu vers ses disciples, et les ayant trouvés qui dormaient, il dit à Pierre : Quoi! vous navez pu veiller une heure avec moi (40)? Veillez et priez, afIn que vous ne tombiez point dans la tentation : lesprit est prompt, mais la chair est faible (44) ». Ce nest pas sans sujet quil sadresse particulièrement à saint Pierre, quoique les autres fussent aussi endormis que lui. Il voulut le piquer ainsi par la raison que nous avons déjà rapportée, et lui reprocher sa tiédeur après tant de protestations quil avait faites de mourir pour lui. Mais comme tous les autres disciples avaient dit aussi bien que saint Pierre quils mourraient plutôt que de le renoncer : « Tous ses disciples », dit lEvangile, « dirent la même chose »; après avoir fait ce reproche en particulier à saint Pierre, il leur parle à tous pour leur représenter leur faiblesse, à eux qui, après avoir promis de mourir même avec lui, ne peuvent pas veiller durant une heure pour prendre part à la profonde tristesse de leur maître. Ils se laissent abattre de sommeil pendant que Jésus-Christ était dans une agonie qui faisait sortir une sueur de sang de tout son corps. Le Fils de Dieu, mes frères, permit cette sueur si extraordinaire, afin quon reconnût visiblement que cette tristesse nétait point une fiction , et que les hérétiques ne pussent dire quil nétait triste quen apparence. Ce fut pour la même raison quun ange lui apparut pour le fortifier, et quil donna dautres preuves si convaincantes de la crainte dont il était saisi, quil ny a point de personne raisonnable qui les puisse faire passer pour un jeu et pour une feinte. Sa prière sexplique encore par les mêmes principes. Cette parole : « Que ce calice, sil se peut, séloigne de moi », montre lhumanité; mais celle-ci : « Néanmoins, non ma volonté, mais la vôtre », fait voir la résignation dune âme forte et vertueuse et nous apprend à obéir à Dieu en dépit des répugnances de la nature. Comme il neût pas suffi pour instruire des esprits peu intelligents, de leur montrer seulement un visage empreint de tristesse, Jésus-Christ y joint des paroles. Dun autre côté, comme une démonstration en paroles eût été insuffisante aussi, si elle neût été appuyée dune démonstration par les faits, Jésus-Christ unit les faits aux paroles afin de convaincre les plus opiniâtres quil sest fait homme et quil est mort réellement. Si, malgré tant de preuves convaincantes, lincrédulité de quelques-uns subsiste encore sur ce point, quelle nest pas été cette incrédulité en labsence de ces preuves ! Ainsi remarquez, mes frères, en combien de manières Jésus-Christ prouve, et par ses paroles et par ses actions, la vérité de la chair et de lhumanité quil a prise. « Il vient donc à Pierre », et lui dit: « Quoi! vous navez pu veiller une heure avec moi»? Ils dormaient tous, et il ne reprend que Pierre, pour lui reprocher sans doute cette présomption avec laquelle il venait de protester quil mourrait plutôt que de le renoncer jamais. Ce mot «avec moi » nest pas mis non plus au hasard et il a bien aussi sa portée. Cest comme si le Sauveur disait: Vous navez pu veiller une heure avec moi, et vous pourriez mourir pour moi? On trouve encore la même intention et la même allusion dans ce qui suit : « Veillez et priez afin que vous ne tombiez point dans « la tentation ». Il sefforce par cet avis de les délivrer de la vanité, et de leur ôter cette enflure dune vaine présomption pour leur inspirer lhumilité et la contrition du coeur, en leur apprenant quils doivent rendre grâces à Dieu de tout, et lui attribuer le bien quils font. Cet avertissement, tantôt il ladresse à saint Pierre, tantôt aux autres en général. Il dit à saint Pierre: « Simon, Simon, Satan a demandé à vous cribler tous comme on crible le froment, mais jai prié pour vous ». Et il dit en général aux autres : « Priez afin que vous « nentriez point dans la tentation ». Ainsi il a soin partout de réprimer leur orgueil, et de les tenir dans la crainte. Mais afin quil ne parût pas trop sévère, il adoucit ce quil avait dit par cette parole quil ajoute : « Lesprit est prompt, mais la chair est faible». Car, encore une vous désiriez mépriser la mort, la (41) chair néanmoins en a tant dhorreur, que vous ne le pourrez faire , si Dieu ne vous assiste de son Saint-Esprit. La même pensée se retrouve encore exprimée plus loin. « Il sen alla donc prier encore une seconde fois en disant : « Mon Père , si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que votre volonté soit faite(42) ». Il fait voir, dans cette prière, combien il était attaché à la volonté de Dieu, et combien nous devions travailler à nous y rendre conformes. «Il retourna ensuite vers eux, et il les trouva dormant (43) ». Car, outre quils étaient en pleine nuit, « leurs yeux étaient encore appesantis par la tristesse ». « Et les quittant, il sen alla encore prier pour la troisième fois, usant des mêmes paroles (44)». Il prie par deux ou trois fois pour prouver quil était homme par cette triple prière; car dans lusage de 1Ecriture, ces sortes de répétitions sont une marque de vérité. Cest ainsi que Joseph dit à Pharaon : « Pour cet autre second songe qui vous est apparu, ce nest que pour vous confirmer la vérité du premier ». (Gen, XLI, 32.) Dieu na permis cela quafin quil ne vous restât plus aucun doute. Cest pour cette raison que Jésus-Christ fait ici deux et trois fois la même prière, afin quon ne pût douter de la vérité de sa chair. Mais pourquoi retourne-t-il encore la seconde fois à ses disciples? Pour les reprendre de ce quils étaient tellement plongés dans la tristesse quils ne sapercevaient même plus de sa présence. Il ne leur fait plus néanmoins de reproche, mais il se retire un peu; montrant quelle était leur faiblesse, puisque même après la réprimande quil leur avait faite, ils nen étaient pas plus vigilants. Et il est à remarquer quà la troisième fois il ne les réveille point, et quil ne les reprend plus, de peur de les troubler encore davantage : il se retire sans leur parler, et va prier encore, puis retournant à eux, il leur dit : « Dormez maintenant et reposez-vous (45) ». Quoiquils eussent alors plus besoin de veiller que jamais, il leur commande néanmoins de dormir pour leur témoigner quils navaient pas même la force denvisager les maux, et quils fuyaient aussitôt quils en sentaient les approches. Il leur marque encore, en leur ordonnant de dormir alors , quil navait aucun besoin de leurs secours, pour se délivrer des Juifs, et que de toute nécessité il devait être livré. « Dormez maintenant et reposez-vous. Voici lheure qui est proche, et le Fils de lhomme va être livré entre les mains des pécheurs ». Il montre encore par ces paroles quil ne lui arrivait rien dans cette rencontre que par une conduite admirable de sa sagesse. Car en disant « quil sera livré entre les mains des pécheurs », il montre que sa mort nétait que leffet de leurs crimes; et quainsi cétait son Père même qui labandonnait à la fureur des méchants, quoiquil fût linnocence même. 2. « Levez-vous, allons : Celui qui me doit trahir est bien près dici (46) ». Toutes ses paroles ne tendent quà faire comprendre à ses disciples que sa passion, sa croix et sa mort ne seraient point un effet de sa faiblesse ou de quelque nécessité dont il ne se pouvait dispenser sil leût voulu; mais seulement laccomplissement dun ordre établi de son Père par une providence admirable et auquel il sétait volontairement soumis. Car sachant que celui qui le devait trahir était proche, non-seulement il ne fuit pas, mais il va même au devant de lui. « Il parlait encore, lorsque Judas, un des douze, arriva, et avec lui une grande troupe de gens armés dépées et de bâtons, qui avaient été envoyés par les princes des prêtres, et par les sénateurs du peuple juif (47) ». Les honorables instruments pour des prêtres! vous lentendez, ils viennent avec des épées et des bâtons. Et avec eux, dit lévangéliste, se trouvait Judas, lun des douze. Il lappelle encore une fois lun des douze, la honte ne peut lempêcher de lappeler ainsi. « Or, celui qui le trahissait leur avait donné ce signal. Celui que je baiserai est celui que vous cherchez : Saisissez-vous-en (48) ». Considérez, mes frères, combien ce disciple devait avoir lâme noire et corrompue pour agir de la sorte. De quels yeux put-il alors regarder son maître? ou de quelle bouche losa-t-il baiser? Disciples malheureux, quels sont vos desseins? quelles sont vos pensées? quosez-vous entreprendre? Et, quel signal donnez-vous pour livrer votre maître? « Or, celui qui le trahit leur avait donné ce signal : Celui que « je baiserai », dit- il, « est celui que vous cherchez : Saisissez-vous-en (48). Aussitôt, venant à Jésus, il lui dit: Je vous salue, mon maître, et il le baisa (49) ». Il se fiait en la douceur de Jésus-Christ, et il prenait pour marque de sa trahison un signal qui suffisait (42) lui seul pour le confondre et pour le rendre indigne de tout pardon, puisquil trahissait un maître quil savait lui-même être si bon et si doux. Mais pourquoi donnait-il ce signal aux Juifs? Parce quil avait souvent vu que Jésus- Christ était passé sans être reconnu au milieu de ceux qui venaient pour le prendre. Ce qui néanmoins serait encore arrivé cette fois, sil neut voulu se laisser prendre. Cest pour faire comprendre ceci à Judas, quil frappa daveuglement tous ces hommes. « Qui cherchez-vous » ? leur demanda-t-il; ils ne le connaissaient pas, et cependant ils avaient des lanternes et des flambeaux, et Judas avec eux. Lorsquils eurent répondu « Jésus », il leur dit : « Je suis celui que vous cherchez ». Mais il dit à Judas: « Mon ami, quêtes-vous venu faire ici (50)? » Après quil a fait voir quelle était sa force et sa puissance, il permet alors quon le prenne. Mais saint Luc marque que jusquau moment même où Judas commettait une action si noire, Jésus-Christ ne cessait point de lavertir: « Judas », lui dit-il, « vous trahissez le Fils de lhomme par un baiser »? Et vous ne rougissez point de vous servir de ce signal pour accomplir votre perfidie? Cependant ce reproche si modéré ne peut retenir ce coeur de pierre. Il le baise, et Jésus-Christ de son côté souffre ce baiser parricide, pour sabandonner lui-même entre les mains des pécheurs. « En même temps ils savancèrent, ils mirent la main sur Jésus, et se saisirent de lui (50) ». Ils le prirent la nuit même où ils avaient mangé la Pâque, tant ils étaient bouillants dimpatience et de fureur. Toute cette rage néanmoins eût été inutile et sans aucun effet, si Jésus-Christ neût permis quelle agît sur sa personne : mais cette condescendance du Sauveur nexcuse point la perfidie de Judas. Elle laugmente au contraire et la redouble, puisque ce traître, ayant tant de preuves de la bonté de son maître, ne laissait pas de le traiter avec une dureté si inhumaine. Que cet exemple, mes frères, nous inspire de lhorreur pour lavarice, puisquelle inspire cette fureur à Judas, et quelle rend cruelles et impitoyables toutes les âmes quelle possède. Si lavare népargne pas sa propre vie, comment pourrait-il épargner celle des autres? On le voit tous les jours, cette passion est si furieuse, quelle va même au delà de cette rage que lamour brutal inspire aux âmes dont il se rend maître. Rougissons, mes frères, lorsque nous voyons que tant de gens renoncent aux plaisirs infâmes plutôt par le mouvement de leur avarice, que par lamour de Jésus-Christ, et par le désir dêtre chastes. Je ne cesserai jamais de parler contre ce vice. Car enfin dans quel dessein amassez-vous tant de richesses? Pourquoi voulez-vous ainsi appesantir votre fardeau? Pourquoi voulez-vous vous rétrécir vos liens, et vous resserrer vos chaînes? Pourquoi voulez-vous vous accabler de nouveaux soins? Croyez si vous voulez que lor de toutes les mines du monde, et que tout largent qui est dans le sein de la terre est à vous. Regardez tout ce quil y a dans les trésors publics comme sil vous appartenait; si tout cela était à vous, quen auriez-vous autre chose que linquiétude de le garder? Si vous craignez de telle sorte de toucher à ce que vous possédez déjà; si vous le conservez aussi religieusement que sil appartenait à des étrangers, combien seriez-vous plus avare si vous étiez encore plus riche? Car plus un avare a de bien, plus il le ménage. Mais je sais, me direz-vous, que je suis riche, et que tous ces biens sont à moi. Vous ne cherchez donc les richesses que pour satisfaire votre esprit, et non pour en user? Les hommes, me direz-vous, men honorent davantage, et jen suis plus craint. Dites plutôt que vous en êtes plus en butte aux riches et aux pauvres, aux voleurs et aux calomniateurs. Voulez-vous véritablement quon vous craigne, et quon tremble devant vous? Retranchez dabord tout ce qui peut donner prise aux hommes sur vous, et dont ceux qui sefforcent de vous nuire peuvent se servir pour vous faire tort. 3. Navez-vous jamais entendu ce proverbe: Que cent hommes ensemble ne peuvent dépouiller un seul homme nu? Sa pauvreté est comme un rempart qui le défend contre toutes leurs violences; et il ny a point de roi, ni dempereur qui le puisse vaincre. Tout le monde, au contraire, peut aisément nuire à lavare, et non-seulement les hommes, mais les vers. Que dis-je, les vers? le temps seul lui enlève ses trésors, et les consume par la rouille. Après cela, où est le plaisir et le repos desprit quon trouve dans les richesses? Pour moi, je vous avoue que je ny vois que des sujets daffliction et de misère, des soins, des divisions, (43) des querelles, des piéges, des haines, des craintes, une avidité continuelle et insatiable, et un chagrin qui ne donne point de relâche. Un avare au milieu des richesses est, selon lexpression de lEcriture, comme un eunuque auprès dune vierge, il brûle dun feu quil ne peut éteindre. (Eccl. XX, 2.) Qui pourrait dire tous les maux que ce vice entraîne, et qui sont comme sa suite inséparable? Combien lavare est-il à charge à tout le monde? Combien ses domestiques le haïssent-ils? Combien ses voisins en ont-ils dhorreur? Combien les magistrats, combien les ministres, combien les riches et les pauvres, combien les fermiers et les laboureurs, combien sa femme même et ses enfants quil traite comme des esclaves, enfin combien tout le monde ensemble le déteste-t-il? Il se rend le jouet et la fable de tous les hommes. Il est le sujet de lentretien et du divertissement de toutes les compagnies. On le raille et on le déchire partout. Voilà létat où se jette un avare; ou plutôt voilà un faible crayon et une ombre du véritable malheur dans lequel il se précipite, puisquil ny a point de paroles qui le puissent égaler. Comparez avec cela les déplorables satisfactions quil retire de ses richesses. Je passe, dit-il, pour riche dans lesprit du monde. Quel est ce misérable plaisir de passer pour riche, et de devenir en même temps lobjet de lenvie? Cette réputation nest-elle pas un nom vain et une pure chimère qui na rien de, réel et de véritable? Vous me direz peut-être quil suffit que lavare se contente, et quil se satisfasse dans cette pensée. Et moi je vous demande sil lui est avantageux de se réjouir de ce qui le devrait faire pleurer, puisque ses richesses ne servent quà le rendre lâche, efféminé, et inutile à toute chose. Il nose entreprendre un voyage, il craint la mort infiniment plus que tous les autres. Il aime plus largent que la vie; il ne se plait pas même à voir la lumière du soleil, ni la beauté de cet astre, parce quil ne devient pas plus riche en le regardant, et que ses rayons ne sont pas de lor quil puisse serrer dans ses coffres. Mais vous mobjecterez quon ne peut pas nier quil ny en ait au moins plusieurs qui jouissent fort longtemps de leurs richesses, qui en usent avec plaisir, qui sont toujours dans les délices et dans les festins, et qui tâchent de satisfaire leur sensualité en toute chose. Ce sont certainement ceux quon doit regarder comme les plus misérables, et je les plains encore plus que ces avares qui se contentent de posséder leurs richesses sans en user. Ces derniers sabstiennent au moins de tous les autres vices, et ils ne sattachent quau seul amour de largent qui les dominent, au lieu que les autres, outre cet amour insatiable pour largent dont ils brûlent, sont encore les esclaves de beaucoup de vices qui sont autant de tyrans auxquels ils sont forcés dobéir. « Ils servent leur ventre », comme dit saint Paul, et ils sen font un Dieu; ils se plongent dans les plaisirs, et ils sabandonnent à toutes sortes dexcès. Ils donnent leur bien à des infâmes et à des prostituées. Le soin davoir une table magnifique est la plus grande de leurs affaires. Ils se font suivre partout dune troupe de flatteurs. Ils sabandonnent à toutes sortes de passions, dont le déréglement ruine la nature et remplit leur corps et leur âme dune infinité de maladies. Ils ne se servent jamais des choses pour la seule nécessité, ils en passent toujours les bornes, et ils ne travaillent par ce luxe et par ces superfluités quà se perdre sans ressource, et pour ce monde et pour lautre. Ils tombent par cette recherche si raffinée de leurs délices dont ils croient ne pouvoir se passer, dans la même erreur où tombent ces personnes qui font de grandes dépenses pour sembellir, et qui croient que ces profusions sont nécessaires. Mais celui-là seul, mes frères, est véritablement dans le plaisir et est véritablement riche, qui est le maître de ses richesses, et qui en sait user sagement. Les autres ne sont que les esclaves de leurs biens, et ils ne sen servent que pour nourrir leurs passions, et pour multiplier leurs maux et leurs maladies. Où sera donc la paix et le repos dans cette âme toujours troublée, toujours tourmentée de ses passions? Si les richesses trouvent un homme peu sensé et peu solide, elles lui gâtent tout à fait lesprit; et si elles le trouvent un peu déréglé, elles le rendent entièrement vicieux. Vous me direz peut-être : A quoi sert la sagesse, lorsquon na rien? Que sert au pauvre dêtre prudent puisquil est pauvre? Je ne métonne pas de cette demande. Je sais que ceux qui nont point dyeux ne peuvent voir la beauté de la lumière. Salomon dit que « le Sage a autant davantage sur linsensé que (44) la lumière en a sur les ténèbres ». (Ecclé. II, 43.) Comment peut-on instruire quelquun qui est dans un si profond aveuglement? Car lavarice est une sorte de nuit qui obscurcit toutes choses, ou plutôt qui les fait voir autrement quelles ne sont en elles-mêmes. Un. homme qui serait dans des ténèbres épaisses, ne pourrait discerner .la beauté dun vase très-précieux, ou le prix des diamants ou des étoffes de pourpre quon lui montrerait. Lavare de même ne peut comprendre la beauté des choses spirituelles. Renoncez donc à cette passion, et vous commencerez alors à juger équitablement des choses ,et selon ce quelles sont en elles-mêmes. Cest ce quon ne peut bien faire que lorsquon est pauvre. Ce qui paraît être quelque chose et nest rien en effet, ne trahira son néant en aucun autre état aussi bien que dans celui dune vertueuse pauvreté. 4. Mais quelle est cette frénésie qui fait que vous avez horreur des pauvres, et qui vous fait dire que leur pauvreté est la honte et de leur vie et de leur maison? Dites-nous donc, je vous prie, quelle est cette infamie que la pauvreté apporte avec elle, et en quoi la maison du pauvre est déshonorée. Ses lits à la vérité ne sont pas divoire , ses vases ne sont pas dargent ni dune matière précieuse. Tout y est de terre ou de bois. Mais cest en cela même que consiste la gloire de sa maison. Le mépris de tout cet ornement extérieur fait que lâme sapplique tout entière à elle-même, et quelle met tous ses soins à devenir belle et précieuse aux yeux de Dieu. Lorsquun homme au contraire est tout occupé des choses de ce monde, il témoigne dès-là une bassesse dont tout homme sage devrait rougir. Cest au contraire dans les maisons des riches quon ne voit rien de beau ni rien dhonnête aux yeux de la foi. Car, à quoi ressemblent ces tapisseries relevées dor et de soie, ces lits dargent et ces autres ornements si précieux, sinon à la magnificence et aux décorations des théâtres? Quy a-t-il donc de plus indigne dun chrétien, que de rendre sa maison semblable à une salle de bal et de comédie? Ainsi, les maisons des riches ressemblent à des théâtres, et celles des pauvres sont semblables à celle de lapôtre Paul ou du patriarche Abraham. Après cela, peut-on douter lesquelles de ces maisons nous doivent paraître plus belles et mieux parées? Pour mieux comprendre ceci, je vous prie dentrer en esprit, et par la pensée dans la maison de Zachée, et de considérer de quelle manière il lorna lorsque Jésus-Christ y devait entrer. Il nalla point emprunter de ses voisins leurs plus magnifiques meubles. Il ne sempressa point de tirer de ses coffres de riches tapisseries. Il ne voulut point dautres ornements pour recevoir Jésus-Christ, que ceux qui plaisent à Jésus-Christ: « Je donne», dit-il, « la moitié de mes biens aux pauvres; et je rends au quadruple tout ce que jai pris ». (Luc, XIX, 7.) Parons de cette manière nos maisons, mes frères, pour mériter dy recevoir le Sauveur. Nous ne pouvons lui rien préparer qui lui plaise davantage. Ces ornements, dont je vous parle, ne se font que dans le ciel. Cest de là quils descendent sur la terre; et partout où ils se trouvent, là se trouve aussi le Roi du ciel. Si vous pensez à quelque autre magnificence, et à ce luxe qui ne satisfait que les yeux, cest le démon et ses anges que vous recevez dans votre coeur. Lorsque le même Sauveur alla chez Matthieu, qui était encore publicain, que fit celui-ci pour se préparer à le recevoir, sinon de commencer à sorner au dedans de lui-même par une charité ardente, qui le porta à quitter tout pour suivre le divin Maître? (Matth. IX, 10.) Ainsi, Corneille le Centenier orna sa maison, non par les pierres précieuses, mais par les prières et par les aumônes: et ces ornements lui ont mérité un palais dans le ciel, où il habite éternellement. (Act. X, 4.) Une maison nest point méprisable parce quon y voit des vases pauvres, des meubles mal arrangés, des lits en désordre, des murailles nues et toutes noircies de fumée. Mais ce qui la déshonore véritablement, cest le déréglement de ceux qui lhabitent. Jésus-Christ nous a assez persuadés de cette vérité, lorsquil na pas dédaigné dentrer dans de pauvres cabanes, et dans des maisons de boue, quand ceux qui y demeuraient étaient riches en vertus; au lieu quil fuit les maisons des méchants et des impies, quand elles seraient toutes pleines dor. Peut-on nier donc que le lieu où Dieu même habite ne soit préférable à tous les palais du monde? et que les maisons des méchants, quelque magnifiques quelles soient, sont au contraire devant Dieu comme des amas de boue et des lieux dordure et dinfection? Je dis ceci, mes frères, non pas des riches qui usent bien de leurs richesses, mais de ces (45) riches avares qui volent et qui pillent tout le monde. On ne travaille jamais dans ces maisons à satisfaire simplement le nécessaire. On donne tout au luxe et aux plaisirs. Mais ceux dentre les riches qui sont sages ne font point ces dépenses superflues. Cest pour ce sujet, mes frères, quil nest point marqué que Jésus-Christ soit entré dans les palais des princes. Il a fui ces maisons superbes des rois de la terre, et il a été chercher des maisons de publicains, et des cabanes de pécheurs. Si vous voulez donc attirer Jésus-Christ chez vous, travaillez à orner votre maison par laumône, par la prière, par les supplications, et par les veilles. Ce sont là les ornements qui plaisent au Roi que nous servons. Les autres ne plaisent quau démon qui est lennemi de Jésus-Christ. Ainsi, que les chrétiens ne rougissent plus de voir leurs murailles nues, puisque lorsque leurs maisons sont sans ces ornements extérieurs , ils les parent beaucoup mieux lar la sainteté de leur vie. Que les riches au contraire ne se glorifient point de leurs meubles somptueux, mais quils en rougissent plutôt, et quils préfèrent à leurs bâtiments magnifiques une petite cabane, puisque cest là quils mériteront de recevoir Jésus-Christ en cette vie, et dêtre reçus de lui dans lautre, par la grâce et par la miséricorde du même Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui est la gloire et tempire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (46) |