Matthieu 7,21-28

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HOMÉLIE XXIV

« TOUS CEUX QUI ME DISENT : SEIGNEUR, SEIGNEUR, N’ENTRERONT PAS DANS LE ROYAUME DES CIEUX, MAIS CELUI-LA SEUL Y ENTRERA QUI FAIT LA VOLONTÉ DE MON PÈRE QUI EST DANS LE CIEL. » (CHAP. VII, 21, JUSQU’AU VERSET 28)

ANALYSE

1. La volonté du Fils n’est pas autre que celle du Père. — L’opération des miracles ne sert de rien sans la vertu à celui qui les fait.

2. Prérogative de la vertu.

3. Nul ne peut nuire à l’homme vertueux. Les méchants endurent beaucoup de maux.

4. Que la malice est toujours faible et timide, et la vertu forte et courageuse. Que ceux qui persécutent les bons les rendent illustres et se perdent eux-mêmes.

 

1. Pourquoi Jésus-Christ n’a-t-il pas dit : Celui qui fait ma Volonté ? Parce qu’il fallait d’abord se contenter de faire admettre la volonté du Père. C’était déjà même beaucoup, vu la faiblesse des hommes. Au reste, qui dit la volonté du Père dit la volonté du Fils, puisque la volonté du Fils n’est jamais différente de celle du Père. Il me semble que Jésus-Christ attaque ici particulièrement les Juifs, qui mettaient toute leur religion dans la spéculation et dans la doctrine, sans se mettre en peine de purifier leurs moeurs. C’est pourquoi saint Paul leur fait ce reproche: « Vous portez le nom de juif, vous vous reposez sur la loi; vous vous glorifiez des faveurs que Dieu vous a faites, vous connaissez sa volonté. »(Rom. II, 17.) Mais cette connaissance de la volonté de Dieu ne vous sert de rien, si vous n’y joignez la pratique des bonnes oeuvres, et le règlement de votre vie. Jésus-Christ ne s’arrête pas là, et il dit quelque chose de plus fort.

« Plusieurs me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé en votre nom? n’avons-nous pas chassé les démons en votre nom? et n’avons-nous pas fait plusieurs miracles en votre nom (22) ? Non-seulement, dit-il, celui qui ayant la foi néglige les moeurs, sera chassé du royaume : mais quand même un homme, avec une telle foi, ferait de grands miracles, si en même temps sa vie n’est pure, il sera exclu du ciel. « Car plusieurs me diront en ce jour-là: Seigneur, Seigneur, n’avons-nous pas e prophétisé en votre nom ? » Remarquez qu’il commence, quoique d’une manière couverte, à parler en Dieu, et qu’après avoir achevé ce long discours, il déclare enfin qu’il est juge. Il avait déjà montré que les pécheurs seraient infailliblement punis; mais il fait voir ici quel serait Celui qui les punirait. Il ne dit pas néanmoins absolument: C’est moi, mais « plusieurs en ce jour-là me diront: Seigneur, Seigneur, » ce qui est en effet la même chose. Car s’il n’était pas le juge, comment leur dirait-il : « Et alors je leur dirai hautement je ne vous ai jamais connus : retirez-vous de moi? » «  Je ne vous ai jamais connus, » non seulement à ce moment que je vous juge, mais lors même que vous faisiez des miracles, C’est pourquoi il disait à ses disciples: « Ne vous réjouissez pas de ce que les démons «vous sont assujétis; mais de ce que vos noms sont écrits dans le ciel. » (Luc, X, 20.) Et il ne les exhorte partout qu’à régler leurs moeurs. Car lorsqu’un homme vit bien et dans l’éloignement du vice, il est impossible qu’il soit rejeté de Dieu. Quand même il serait dans quelque erreur, Dieu lui fera bientôt connaître sa vérité.

Quelques-uns croient que ceux qui diront alors à Jésus-Christ : « Qu’ils auront fait plusieurs miracles en son nom, » le diront faussement, et qu’ils mentiront, et que c’est (202) pour ce mensonge même que le Sauveur les condamnera. Mais ce sens n’est point vrai, il est entièrement contraire à ce que Jésus-Christ veut prouver en cet endroit. Car son dessein est de faire voir que la foi n’est rien sans les oeuvres. Enchérissant donc sur ce qu’il vient de dire, il ajoute les miracles à la foi, et il déclare que la foi avec tout l’éclat de ces miracles, serait encore inutile, si elle n’était soutenue par la piété et par la vertu. Si donc ces personnes n’avaient fait de véritables miracles, comment le raisonnement de Jésus-Christ subsisterait-il? Est-il croyable d’ailleurs qu’ils eussent assez de hardiesse pour mentir devant un Juge si redoutable?

De plus la manière dont il parle à Jésus-Christ, et dont il leur répond , fait voir qu’ils avaient fait véritablement ces miracles. Car, surpris de trouver dans l’autre vie toute autre chose que ce qu’ils avaient attendu, et, au lieu qu’ils étaient ici admirés de tout le monde, se voyant condamnés par le juste Juge, ils s’écrient avec étonnement : « Seigneur, Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé en votre nom? » Comment donc nous rejetez-vous maintenant? comment l’arrêt que vous prononcez contre nous est-il si contraire à nos espérances et à nos pensées? Mais si ces personnes s’étonnent de se voir punies après avoir fait des miracles, pour vous, mes frères, ne vous en étonnez pas .Toutes les grâces viennent de Dieu et de la bonté de Celui qui les donne. Ceux-ci en avaient été favorisés, sans y avoir en rien contribué de leur part. Il est donc bien juste qu’ils en soient punis alors, puisqu’ils auront été si ingrats envers Celui qui les avait honorés de tant de grâces, lorsqu’ils en étaient si indignes.

« Et alors je leur dirai hautement : Je ne vous ai jamais connus; retirez-vous de moi vous tous qui vivez dans l’iniquité (23) .» Vous me direz peut-être : Comment des hommes qui vivaient si mat pouvaient-ils faire des miracles? Quelques-uns répondent qu’ils ne vivaient pas mal lorsqu’ils faisaient des miracles, et qu’ils se sont corrompus ensuite, et sont tombés dans l’iniquité. Mais si cela était vrai, le raisonnement de Jésus-Christ ne subsisterait pas encore. Car son but est de montrer que ni la foi, ni les miracles ne sont rien sans la bonne vie, comme saint Paul disait: «Quand j’aurais une foi à transporter les montagnes: quand je pénétrerais tous les mystères, et que j’aurais une pleine connaissance des choses divines; si je n’ai point la charité, je ne suis rien. » (I Cor. XIII, 2.) Vous me demandez quelles sont donc ces personnes. Il y en a plusieurs. (Marc, VI, 43.) Plusieurs de ceux qui croyaient en Jésus-Christ avaient reçu ce don de faire des miracles, comme celui dont il est parlé dans l’Evangile, qui chassait les démons, et qui, néanmoins, ne suivait pas Jésus-Christ; ou comme Judas, qui ne laissa pas, quelque corrompu qu’il fût dans l’âme, de recevoir, comme les autres apôtres, la puissance de faire des miracles,

2. On voit aussi dans l’Ancien Testament que des personnes indignes ont souvent reçu ces grâces pour le bien des autres. Et la raison de cette conduite de Dieu, mes frères, c’est que tous alors n’étaient pas parfaits en tout. Les uns excellaient par la pureté de leur vie, mais ils n’avaient pas une foi si vive; les autres au contraire, étaient fermes dans la foi, mais ils étaient faibles dans la vertu. Jésus-Christ donc voulait exhorter les uns par les autres. Il voulait que ceux qui avaient plus de vertu et moins de foi, en voyant faire aux autres de si grands miracles, et que ceux qui les faisaient et avaient beaucoup de foi, fussent excités par ce don ineffable, à rendre leur vie plus pure et plus sainte. C’est pour cette raison qu’il leur communiquait si libéralement un si grand don : « Nous avons, » disent-ils eux-mêmes, « fait beaucoup de miracles: mais je leur dirai hautement: Je ne vous ai jamais connus. » Ils croient maintenant être mes amis; mais ils reconnaîtront alors que ces grâces que je leur donnais n’étaient pas un effet de mon amour.

Et vous vous étonnez, mes frères, que Jésus-Christ ait communiqué ces dons à des personnes qui croyaient en lui, mais dont la vie ne répondait pas à leur foi, lorsqu’il se trouve qu’il les a faits même à ceux qui n’avaient ni l’un ni l’autre? Car Balaam n’avait ni la foi ni la pureté de la vie, et, néanmoins, il reçut ce don pour l’édification des autres. Pharaon, du temps de Joseph, n’avait aussi ni l’un ni l’autre, et néanmoins Dieu par des songes lui découvrit l’avenir. Nabuchodonosor était très-méchant , et Dieu lui fit savoir aussi ce qui devait arriver longtemps après. Dieu fit encore la même faveur au fils de ce roi, quoiqu’il fût plus méchant que son père, et lui découvrit plusieurs choses, pour exécuter les grands desseins de sa providence et de sa justice. (203)

Lorsque la prédication de l’Evangile ne faisait alors que commencer, comme il fallait beaucoup de miracles pour l’appuyer, Dieu faisait ces grâces à des hommes qui en étaient très indignes. Mais elles ne leur ont servi qu’à les rendre plus criminels, et à les faire encore punir davantage. C’est pourquoi il leur dit cette parole redoutable : « Je ne vous ai jamais connus. » Car il y a bien des personnes qu’il hait même dès cette vie, et qu’il a en horreur avant même qu’il les juge. Tremblons donc, mes chers frères! et veillons avec soin sur notre vie, et ne nous croyons pas moins heureux, parce que nous ne faisons point de miracles. Comme ils ne nous serviront de rien alors si nous avons mal vécu; si nous vivons bien au contraire, nous ne serons pas moins récompensés de Dieu pour n’en avoir pas fait. Nous ne sommes point redevables à Dieu pour n’avoir point fait d’actions extraordinaires et miraculeuses: mais Dieu lui-même sera notre débiteur pour les bonnes actions que nous aurons faites.

Après donc que Jésus-Christ a complété son enseignement sur la morale, qu’il a parlé de la vertu en descendant aux plus petits détails, et qu’il a fait voir que les hypocrites contrefont la vertu en diverses manières, les uns en priant et jeûnant par vanité; les autres en n’ayant que l’apparence- et la peau de brebis; les autres, qu’il appelle « chiens » et « pourceaux, » en ruinant autant qu’ils peuvent la vérité; pour montrer ensuite quel avantage nous retirons dès ce monde de la bonne vie, et quel désavantage nous recevons de la mauvaise, il ajoute: « Ainsi quiconque entend ces paroles que je vous dis, et les pratique, est semblable à un homme sage, qui a bâti sa maison sur la pierre. » Ceux qui ne pratiquent pas mes instructions né laisseront pas, quand ils feraient des miracles, de tomber dans le malheur que vous venez d’entendre; mais ceux qui les pratiqueront jouiront des biens que je leur ai promis, non seulement en l’autre monde, mais encore en celui-ci: «Quiconque, » dit-il, « entend ces paroles que je vous dis, et les pratique, est semblable à un homme sage. » Considérez cette admirable sagesse avec laquelle il tempère et diversifie son discours. Tantôt il se découvre en disant: « Tous ceux qui me diront: Seigneur, Seigneur, » etc. Tantôt il se cache en disant «Celui qui fera la volonté de mon Père, » Puis il fait voir qu’il est le souverain Juge en disant : « Je leur dirai hautement alors: Je ne « vous connais pas. » Et il déclare encore par ces dernières paroles qu’il a une souveraine puissance sur toutes choses : « Celui qui entend ces paroles que je dis. » Comme il ne leur avait encore promis que des biens futurs, leur faisant espérer un royaume éternel, une récompense infinie, et des consolations ineffables, il veut leur montrer encore ce qu’ils doivent attendre dès cette vie, et quel avantage ils y peuvent retirer de leur vertu. Quel est donc l’avantage de la vertu? C’est de vivre dans la sécurité et sans rien craindre; de ne pouvoir être abattu par tous les maux de cette vie, et de s’élever au-dessus de tous les événements fâcheux qui s’y peuvent rencontrer. Que peut-on trouver qui égale ce bonheur? Les rois même, avec tout l’éclat de leur couronne, ne peuvent se le procurer. Il est uniquement réservé au juste. Lui seul lé possède surabondamment, et seul il jouit, dans ce flux et reflux perpétuel des affaires du monde présent, d’un calme, inaltérable. Car c’est ce qu’on ne peut assez admirer, qu’au milieu des tempêtes il conserve le calme dans son coeur, et qu’il jouisse d’une paix profonde parmi les troubles et les agitations de cette vie.

« La pluie est tombée, les fleuves se sont débordés, les vents ont soufflé et sont venus fondre sur cette maison, et elle n’est point tombée parce qu’elle était fondée sur la pierre (25). » Jésus-Christ, par ces mots de « vents, » de « fleuves » et de « pluie, » marque ici les maux et les afflictions de ce monde, comme les calomnies et les médisances, les piéges qu’on tend aux bons, la douleur, la perte de nos proches, les insultes des étrangers, et les autres maux semblables, et il assure que l’âme du juste ne cède à aucune de ces épreuves, parce qu’elle est fondée sur la « pierre, » entendant par cette « pierre » la fermeté et l’immobilité de sa parole. Car ses préceptes sont plus inébranlables qu’un rocher. Ils élèvent ceux qui les gardent au-dessus de tous les flots de ce monde. Celui qui leur obéit avec une fidélité inviolable demeurera inaccessible, non seulement à toutes les attaques des hommes, mais encore à tous les piéges des démons.

3. Et pour vous faire voir qu’il y a dans ces paroles tout autre chose qu’une déclaration pompeuse et vaine, je n’ai qu’à vous citer (204) l’exemple du bienheureux Job, qui reçut dans sa chair tous les coups dont le démon le voulut frapper, sans que son âme en reçût aucune atteinte. Considérez aussi les apôtres qui, assaillis par les flots déchaînés de toutes les colères de ce monde, par les tyrans et les nations barbares, par les Juifs et les Gentils, par leurs proches et par les étrangers, enfin par le démon même, qui épuisa contre eux tout ce que sa rage et son adresse peut inventer, furent toujours fermes parmi ces tempêtes comme les rochers au milieu de la mer, et non seulement ne cédèrent point à tous ces assauts, mais en demeurèrent victorieux.

Qu’y a-t-il de plus heureux que cet état? Ni les richesses, ni la puissance, ni la gloire, ni la force du corps, ni les autres avantages de cette nature, ne peuvent établir l’homme dans cette fermeté intérieure. La vertu seule peut le faire. C’est elle seule qui peut mettre l’homme dans cet état heureux, qui le rend libre et exempt de tous les maux. Je vous prends à témoin de la vérité de mes paroles, vous qui savez combien la cour des princes est pleine de piéges et de périls, vous qui savez combien les maisons des grands et des riches sont remplies de tumultes, d’intrigues et de brouilleries. Les apôtres n’ont rien éprouvé de semblable.

Mais les apôtres, me direz-vous, n’ont-ils point été agités durant leur vie? N’ont-ils pas souffert de grands travaux? Voilà précisément ce qu’on ne peut assez admirer, qu’ayant passé leur vie dans une si grande agitation, ils aient pu conserver une paix profonde au milieu de ces tempêtes; que ces flots soient venus se briser contre eux sans altérer la joie de leur coeur; qu’ils ne se soient jamais laissé abattre, et qu’entrant nus dans la carrière, ils aient surmonté tous leurs ennemis. Si vous voulez suivre leur exemple, vous vous rirez de même de tous les maux de cette vie; si vous savez vous revêtir de ces conseils comme d’une puissante armure, vous pouvez braver tous les traits de la douleur.

Car quel mal pourra vous faire celui qui vous dresse des piéges pour vous perdre? Vous ravira-t-il votre bien? Mais vous êtes obligé, même avant qu’il vous le ravisse, de le mépriser de telle sorte, qu’il ne vous est pas même permis d’en demander à Dieu dans vos prières. Vous mettra-t-il en prison? Mais Jésus-Christ vous commande, avant même la prison, de vivre comme si vous étiez crucifié au monde. Vous noircira-t-il par ses médisances? Mais Jésus-Christ vous délivre encore de toute appréhension à ce sujet, lui qui vous promet qu’après avoir enduré ces calomnies sans beaucoup de peine, vous en recevrez une grande récompense; lui qui veut que, harcelés par les langues menteuses, vous restiez néanmoins exempts de colère et d’indignation jusqu’à prier pour vos ennemis. Que fera-t-il donc? vous persécutera-t-il cruellement? vous fera-t-il souffrir mille maux? Mais ces persécutions ne feront qu’augmenter l’éclat de votre couronne. Vous tourmentera-t-il dans votre corps? ira-t-il jusqu’à vous tuer, vous égorger? C’est le plus grand bien qu’il puisse vous faire, puisqu’il vous procurera la couronne des martyrs. Son crime hâtera votre bonheur, et sa fureur sera comme un vent favorable qui vous fera plus tôt arriver au port, et ne servira qu’à vous donner confiance en ce jour où tous les hommes rendront compte de leurs actions devant Celui qui doit les juger. Ainsi ceux qui attaquent les justes, bien loin de leur nuire, ne servent qu’à les rendre plus illustres. Tant il est vrai que rien n’est égal à la vie vertueuse, qui peut seule établir les hommes dans un état si heureux !

Comme Jésus-Christ avait dit que « sa voie » était « étroite, » il veut consoler ceux qui y marchent, en montrant que si elle est étroite, elle est sûre et même agréable; comme au contraire celle qui lui est opposée est, quoique large et spacieuse, remplie de piéges et de travaux. Comme il a montré les avantages que l’on reçoit de la vertu même en ce monde, il fait voir aussi les maux qui accompagnent l’iniquité. Partout, je répète ici ce que j’ai déjà dit souvent, Jésus-Christ porte les hommes au soin de leur salut, par l’amour qu’il leur inspire pour la vertu et par l’aversion qu’il leur donne pour le vice. Et parce qu’il prévoyait qu’il y aurait des hommes qui admireraient ses paroles sans les pratiquer, il veut les effrayer ici par avance en leur disant que quelque saints que soient ses discours, il ne suffit pas de les entendre, mais qu’il faut encore les mettre en pratique par les bonnes oeuvres, puisque c’est en cela que consiste toute la vertu. C’est par là qu’il termine son discours, laissant dans les coeurs une salutaire et vite impression de crainte. De même qu’il venait d’exciter à la vertu, non-seulement par la (205) promesse des récompenses à venir et de ces consolations ineffables dont nous jouirons dans le ciel, mais encore par des avantages présents, comme par cette fermeté solide et cette constance inébranlable dont il a parlé; de même encore il détourne du vice non seulement par les supplices futurs, en disant « que le mauvais arbre sera coupé et jeté au feu; » et par ces paroles redoutables: « Je ne vous connais pas ; » mais encore par les malheurs présents qu’il exprime par cette ruine et ce renversement d’une maison. Ces comparaisons dont il se sert donnent à sa parole une grande puissance d’expression. Son discours n’aurait jamais eu tant de force s’il avait dit simplement que le juste sera ferme et inébranlable et que l’injuste sera ruiné, que lorsqu’il exprime ces mêmes vérités par les termes figurés de «pierre, de sable, de maisons, de fleuves, de vents et de pluie. Mais quiconque entend ces paroles que je vous dis et ne les pratique point, est semblable à un insensé qui a bâti sa maison sur le sable (26). » « La pluie est tombée, les fleuves se sont débordés, les vents ont soufflé et sont venus fondre sur cette maison, et elle est tombée, et la ruine en a été grande (27). »

C’est avec grande raison, mes frères, que Jésus-Christ appelle « insensé, » cet homme qui bâtit sur le sable. Car quelle plus grande folie que d’avoir toute la peine d’un bâtiment, pour ne retirer ensuite aucun fruit de ses travaux, loin de là, pour n’y trouver que son supplice I On sait assez ce que souffrent ceux qui s’abandonnent au péché. Combien un calomniateur, combien un adultère et combien un voleur souffre-t-il pour réussir dans ses détestables entreprises? Cependant tous ces travaux, au lieu de leur être utiles, ne leur causent que des maux. C’est ce que saint Paul donne à entendre lorsqu’il dit : «Celui qui sème dans sa  chair, recueillera de sa chair la corruption et la mort (Gal. VI, 8). » A celui-là ressemblent bien ceux qui bâtissent sur le sable; c’est-à-dire sur la fornication, sur la luxure et la débauche, sur la colère et sur les autres crimes semblables.

4. Achab était de ce nombre, mais Elie au contraire n’en était pas. J’oppose à dessein ces deux personnages l’un à l’autre, parce que nous verrons bien mieux la différence du vice, en le comparant avec la vertu. Car l’on peul dire avec vérité qu’Elie bâtit sur la pierre ferme et Achab sur le sablé. C’est pourquoi tout roi qu’il était, il tremblait devant ce prophète, qui n’était vêtu que d’une peau de brebis. Les Juifs aussi ont bâti sur le sable, et les apôtres sur la pierre ferme. C’est pourquoi ceux-ci, bien qu’en si petit nombre et chargés de fers, se montrèrent aussi immobiles que des rochers; et les Juifs au contraire qui étaient si nombreux et qui avaient avec eux des gens armés, étaient plus faibles que le sable. Ils se voyaient forcés de céder à la fermeté des apôtres. C’est ce qui leur faisait dire en tremblant: « Que ferons-nous à -ces hommes-là? » (Act, IV, 46.)

Admirez, mes frères, ce prodige. Voyez dans le trouble et l’agitation, non pas ceux que l’on a pris et que l’on a mis en prison, mais ceux qui les ont fait prendre, et qui les ont chargés de fers. Les Juifs ont enchaîné les apôtres; et ils paraissent eux-mêmes accablés de chaînes. Mais ils souffraient la juste peine de leur folie, puisque n’ayant bâti que- sur le sable, ils devaient être les plus faibles de tous les hommes: « Que faites-vous, » disaient-ils, «pourquoi voulez-vous attirer sur nous le sang de cet homme? » (Act. V, 28.) Quoi! vous maltraitez les autres et vous craignez? Vous persécutez, et vous avez peur ? Vous jugez, et vous tremblez? Tant il y a de faiblesse dans la malice! Mais les apôtres sont dans une disposition bien différente. Ils disent hautement : « Nous ne pouvons pas, nous autres , ne point dire ce que nous avons vu, et ce que nous avons entendu. » (Ibid. IV, 20.) Qui n’admirera cette grandeur de courage? Qui n’admirera ces fermes rochers qui se moquent des flots et de la tempête, et cet édifice si solide qui résiste à toute la violence des vents?

Ce qui m’étonne davantage, c’est que non seulement ils ne sont point ébranlés des maul dont on les menace, mais qu’ils en tirent au contraire une hardiesse et une vigueur toute nouvelle, et qu’ils jettent l’épouvante dans l’âme de leurs persécuteurs. Celui qui frappe sur un diamant se blesse au lieu de le rompre. Celui qui regimbe contre l’éperon se perce lui-même et reçoit des blessures dangereuses, et celui qui attaque les gens de bien, au lieu de leur nuire, se perd lui-même. Plus la malice attaque la vertu, plus elle découvre et augmente sa propre faiblesse. Et comme celui qui lie des charbons ardents dans ses habits brûle ses habits sans éteindre les charbons, de même (206) ceux qui persécutent les saints, qui les emprisonnent et qui les chargent de chaînes, les rendent plus illustres et se perdent pour jamais. Plus vous souffrirez étant innocent et juste, plus vous deviendrez fort et courageux; car plus nous nous appliquerons à la vertu, moins nous aurons besoin de tout le reste, et cette indépendance de toutes choses nous rendra invincibles, et nous élèvera au-dessus de tout.

Tel a été saint Jean-Baptiste. Rien n’était capable de l’étonner et il faisait trembler Hérode même. Il n’a rien, il est nu, et il s’élève contre un prince, et ce prince au contraire, orné de la pourpre et du diadème, est saisi de crainte devant un homme nu. Cette tête même qu’il a coupée, il ne peut la regarder sans épouvante. Le seul souvenir de Jean, comme on le  voit dans l’Evangile, troublait son esprit et le remplissait de crainte. « C’est là Jean que j’ai tué (Matth. XIV, 2),» dit-il. Ce n’est pas par vanité qu’il dit : «J’ai tué,» mais pour se consoler et se rassurer en quelque sorte, en voyant revivre celui qu’il était effrayé d’avoir fait mourir, tant est grande la force de la vertu, qui rend les morts même redoutables aux vivants.

Lorsque le même saint Jean était encore en vie, on voyait des riches courir à lui de toutes parts, qui lui disaient : « Maître, que ferons-nous? » Quoi ! vous avez tant de biens, et vous venez apprendre, de moi qui n’ai rien, le moyen de vous rendre heureux? Vous voulez qu’étant pauvre, j’enseigne aux riches où est le véritable bonheur; qu’un homme qui n’a pas où reposer sa tête instruise ceux qui commandent les armées ?

Telle était aussi la générosité du prophète Elie dont saint Jean fit revivre l’esprit et le zèle. Il témoigna la même fermeté dans les reproches qu’il faisait à tout le peuple. Saint Jean les appelait : « Race de vipère,» et Elie leur disait: « Jusqu’à quand clocherez-vous ainsi des deux côtés? » (III Rois, 19.) Elie disait hautement à Achab: « Vous avez tué et « vous avez possédé (III Rois, 18), » comme saint Jean disait à Hérode : « Il ne vous est pas permis d’avoir la femme de Philippe, votre « frère. » Considérez donc dans les uns la solidité de la pierre et dans les autres l’instabilité du sable. Admirez comme la malice est faible, comme elle cède aux moindres maux et comme elle tombe d’elle-même, quoiqu’elle soit soutenue de toute la puissance royale et d’une multitude d’hommes armés. Elle rend stupides et insensées les âmes qu’elle domine, et elle ne les précipite pas seulement, mais elle les brise dans leur chute, selon la parole du Fils de Dieu: « Et la ruine en a été grande. » Il ne s’agit pas ici, mes frères, d’un péril médiocre, il s’agit du salut de l’âme, du royaume de Dieu et de la perte de biens ineffables et éternels, ou plutôt il s’agit de commencer dès cette vie ces tourments qui ne finiront jamais, puisque la vie des méchants est une anticipation de l’enfer, par les passions, par les frayeurs, par les ennuis et par les inquiétudes qui leur déchirent sans cesse l’esprit et le coeur. Le Sage a exprimé cette vérité lorsqu’il a dit: « L’impie s’enfuit sans que personne le poursuive (Prov. XXVIII, 4); » car ces hommes tremblent toujours. Ils ont pour suspects amis et ennemis, domestiques et étrangers; ceux qui les connaissent et qui ne les connaissent pas. Ils appréhendent leur ombre même, et ils anticipent suries tourments qui leur sont réservés, par les peines dont ils s’accablent dès cette vie. C’est ce que Jésus-Christ veut dire par cette parole: « La ruine en a été grande. »

Il ne pouvait mieux finir tant d’instructions si saintes que par ces paroles, par lesquelles il fait trembler ceux qui ne craignent pas assez l’avenir, et les détourne du vice par l’appréhension des maux mêmes de cette vie. Car si la considération des maux éternels est beau-coup plus grande en elle-même, la crainte néanmoins des maux présents agit plus puissamment sur les âmes basses et charnelles, pour les retirer de l’enchantement du vice. C’est pourquoi il finit son discours en frappant leur âme de la salutaire impression de cette crainte.

Puis donc, mes très chers frères, que nous n’ignorons rien des maux dont nous sommes menacés et en ce monde et en l’autre, fuyons le vice et embrassons la vertu, afin que nos travaux ne nous soient pas inutiles, et qu’après avoir rendu notre édifice ferme et solide, nous jouissions d’une profonde paix en cette vie, et de la gloire dans l’autre, où je prie Dieu de nous conduire, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (207)

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Capturé par MemoWeb à partir de http://membres.lycos.fr/abbayestbenoit/Matthieu/024.htm  le 6/06/2003