Matthieu 13,24-34

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HOMÉLIE XLVI.

« JÉSUS LEUR PROPOSA UNE AUTRE PARABOLE EN DISANT : LE ROYAUME DES CIEUX EST SEMBLABLE A UN HOMME QUI AVAITSEMÉ DU BON GRAIN DANS SON CHAMP. MAIS PENDANT QUE LES HOMMES DORMAIENT, SON ENNEMI VINT ET SEMA DE L’IVRAIE PARMI LE BLÉ ET S’EN ALLA. » (CHAP. XIII, 24, 25, JUSQU’AU VERSET 34.)

ANALYSE

1. Combien la vigilance est nécessaire.

2. Il ne faut pas tuer les hérétiques. — Les prédicateurs de l’Evangile ne doivent point redouter les maux de cette vie.

3 et 4. En quoi consistait ta grandeur des apôtres. — Que ce ne sont point les miracles, mais la bonté qui rend les hommes recommandables. — Que la vertu est plus puissante pour convertir les hommes que les miracles. — Que c’est une plus grande chose de bannir le péché de notre âme que de chasser le démon d’un possédé.

 

1. Quelle différence y a-t-il entre cette parabole et la précédente? Dans la précédente Jésus-Christ a en vue les inattentifs, les négligents, ceux qui ne reçoivent même pas la semence de la parole sainte : dans celle-ci, il marque les erreurs et les assemblées des hérétiques. Il veut prévenir le trouble où ses disciples pourraient tomber à l’apparition des hérésies, et il leur prédit qu’il en arriverait, après qu’il leur a appris pourquoi il leur parlait en paraboles. Il leur montre dans la parabole précédente que les Juifs ne recevaient pas sa parole; et dans celle-ci qu’ils recevraient même les séducteurs et les corrupteurs de sa vérité.

C’est l’artifice ordinaire du démon de mêler le mensonge avec la vérité, afin que sous le masque de la vraisemblance, l’erreur passe pour la vérité même, et qu’elle trompe ceux qui sont faciles à séduire. C’est pourquoi Jésus-Christ ne marque point dans cette semence de l’ennemi, d’autre mauvais grain que l’ivraie qui est fort semblable au froment. Jésus-Christ nous apprend ensuite l’occasion que le démon prend pour surprendre les âmes.

« Pendant que les hommes dormaient, son ennemi vint, sema de l’ivraie parmi le bon grain, et s’en alla (25). » Ces paroles font voir à quel danger sont exposés les prélats, à qui l’on a particulièrement confié la garde du champ de l’Eglise, et non-seulement les prélats, mais tous les fidèles.

Jésus-Christ marque encore ici que l’erreur, ne paraît qu’après l’établissement de la vérité; comme l’expérience nous l’a fait assez connaître. Les faux prophètes n’ont paru qu’après les vrais prophètes, les faux apôtres qu’après les apôtres véritables, et l’Antéchrist ne doit paraître qu’après Jésus-Christ. Car si le démon ne voyait, ou ce qu’il doit imiter, ou à qui il doit dresser des piéges, il ne saurait pas même par quelle voie il nous pourrait nuire. Mais quand une fois il a vu que cette semence divine de Jésus-Christ fructifiait dans les âmes, que les uns rendaient « cent » pour un les autres « soixante, » et les autres « trente; » qu’il ne pouvait ni arracher ce qui était enraciné trop profondément, ni l’étouffer, ni le brûler, il tente ‘une autre voie, et il mêle le mauvais grain avec le bon, pour confondre ainsi l’un avec l’autre.

Quelle différence, me direz-vous, y a-t-il entre ceux « qui dorment » et ceux qui sont figurés « par le chemin » dans la parabole précédente? Il y a cette différence que dans les autres la semence est enlevée tout d’abord avant même que le démon lui ait laissé prendre racine; au lieu qu’il a besoin dans ceux-ci d’un artifice particulier, pour rendre le grain inutile, après même qu’il a pris racine, et qu’il a poussé. Jésus-Christ nous avertit ainsi de veiller sur nous, et de nous tenir sur nos gardes: Quand vous auriez, nous dit-il, (360) évité tous les malheurs qui sont marqués dans la première parabole, vous ne seriez pas encore en sûreté. Comme vous y voyez la semence se perdre, ou par « le chemin », ou par « les pierres », ou par les « épines ; elle se perd ici « par le sommeil. » C’est ce qui nous oblige à vivre dans une vigilance continuelle. C’est pourquoi Jésus-Christ dit ailleurs : « Celui-là sera sauvé qui persévérera jusqu’à la fin. » (Matth. X, 22.)

Ce malheur que Jésus-Christ prédit ici est arrivé dès le commencement de l’Eglise. Plusieurs de ceux qui étaient alors dans les charges ecclésiastiques introduisaient dans l’Eglise des hommes corrompus, et des hérésiarques cachés, et donnaient par là une grande facilité au démon pour surprendre les fidèles. Car une fois qu’il a semé ce mauvais grain dans le champ de l’Eglise, le démon a beau jeu pour tout perdre.

Mais vous me direz: Comment peut-on s’empêcher de dormir? On ne le peut pas s’il s’agit du sommeil du corps; mais on peut s’empêcher de tomber dans celui de l’âme. C’est pourquoi saint Paul disait : « Veillez, demeurez fermes dans la foi. » (I Cor. XVI, 13.)

Jésus-Christ nous représente ce travail du démon non-seulement comme une oeuvre de malice, mais encore comme une superfétation. Car après que le champ a été bien cultivé, et qu’on y a mis de bonne semence, lorsqu’il n’y manque plus rien, c’est alors qu’il y vient sursemer l’ivraie. C’est proprement ce pie font les hérétiques , qui en répandant leur poison n’ont point d’autre but que la vaine gloire. Jésus-Christ marque encore mieux par ce qui suit, toutes les intrigues et tous les artifices de ces hommes dangereux.

« L’herbe donc ayant poussé et étant montée si en épi, l’ivraie commença aussi à paraître (26). » C’est la conduite que gardent les hérétiques. Ils se cachent avec soin au commencement; mais après qu’ils sont devenus plus hardis, et que quelqu’un les appuie et leur donne du crédit, ils publient alors leurs dogmes impies.

« Alors les serviteurs du père de famille lui vinrent dire : Seigneur n’avez-vous pas semé

si de bon grain dans votre champ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie (27)? Il leur répondit: c’est mon ennemi qui a fait cela. Ses serviteurs lui dirent : voulez-vous que nous allions l’arracher (28)? Non, leur répondit-il, de peur qu’en cueillant l’ivraie vous ne « déraciniez aussi tout ensemble le bon grain (29). » Pourquoi Jésus-Christ nous marque-t-il que ces serviteurs font ce rapport à leur maître, sinon pour nous apprendre par la réponse de ce père de famille qu’il ne faut point tuer les hérétiques? Il appelle le démon « un homme ennemi, » à cause du mal qu’il fait aux hommes. C’est nous qu’il attaque par tous ses efforts, et néanmoins l’origine de cette guerre irréconciliable qu’il nous fait, n’est pas tant l’aversion qu’il a pour nous, que la haine qu’il a conçue contre Dieu. Et nous voyons, mes frères, par le soin que Dieu prend de nous défendre d’un tel ennemi, que Dieu nous aime plus que nous ne nous aimons nous-mêmes. Mais considérez encore la malice du démon. Il ne sème point cette semence de mort avant la semence de la vie, parce qu’il n’aurait rien eu à perdre. Mais aussitôt que le champ a été semé, il s’efforce de ruiner en un moment tous les travaux du divin laboureur, tant il se déclare en toutes choses l’ennemi de Dieu! Considérez aussi l’affection de ces serviteurs envers leur maître. Aussitôt qu’ils aperçoivent cette ivraie, ils pensent à l’arracher. Leur zèle, quoi’qu’un peu trop indiscret, témoigne le grand soin qu’ils avaient de la bonne semence, et montre que leur unique but était non de faire punir l’ennemi, mais de prévenir la perte du bon grain. Ils ne cherchent que les moyens de remédier à un si grand mal.

Ils ne s’appuient pas même sur leur propre sentiment. Ils consultent la sagesse de leur maître : « Voulez-vous? » lui disent-ils; mais il le leur défend et leur dit: « Non, de peur qu’en cueillant l’ivraie, vous ne déraciniez «aussi tout ensemble le bon grain. » II leur parle de la sorte pour empêcher ainsi les guerres, les meurtres et l’effusion de sang. Car il ne faut point tuer les hérétiques, puisque ce serait remplir toute la terre de guerres et de meurtres. Il leur défend ces violences pour deux raisons; la première, parce qu’en voulant arracher l’ivraie on pourrait aussi nuire au froment; et l’autre parce que tôt ou tard les hérétiques seront punis, s’ils ne se convertissent de leur erreur. Si vous voulez donc qu’ils soient châtiés sans qu’ils nuisent au bon grain, attendez le temps que Dieu a marqué pour en faire justice.

2. Considérons encore cette parole : « De peur qu’en cueillant l’ivraie, vous ne déraciniez (361) aussi tout ensemble le bon grain. » Il semble qu’il dise par là : Si vous prenez les armes contre les hérétiques; si vous voulez répandre leur sang et les tuer, vous envelopperez nécessairement dans ce meurtre beaucoup de justes et d’innocents. De plus il y en a beaucoup qui sortant de l’hérésie, d’ivraie qu’ils étaient pourraient se changer en bon grain. Que si on prévenait ce temps, en croyant arracher de l’ivraie on détruirait le froment qui en devait naître. Ainsi il donne du temps aux hérétiques pour se convertir, et pour rentrer en eux-mêmes. Il n’empêche pas néanmoins qu’on ne réprime les hérétiques, qu’on ne leur interdise toute assemblée, qu’on ne leur ferme la bouche, et qu’on ne leur ôte toute liberté de répandre leurs erreurs; mais il ne veut pas qu’on les tue, et qu’on répande leur sang. Et considérez, je vous prie, la douceur de Jésus-Christ. Il ne défend pas seulement d’arracher l’ivraie; mais il donne la raison de sa défense, et il répond à ceux qui lui pourraient dire que cette ivraie peut-être demeurerait toujours ce qu’elle est :

«Laissez croître, » dit-il, « l’un et l’autre jusqu’à la moisson, et au temps de la moisson je dirai aux moissonneurs. Cueillez premièrement l’ivraie, et liez-la en bottes pour la brûler; mais amassez le blé dans mon grenier (30). » Il les fait souvenir ici des paroles de saint Jean, lorsqu’il parlait du Sauveur comme du Juge de l’univers. Il leur ordonne d’épargner l’ivraie tant qu’elle sera mêlée parmi le froment, pour lui donner lieu de se changer, et de devenir froment elle-même. Que si ces hommes, représentés par l’ivraie, ne font aucun usage de la bonté et de la patience du maître du champ, ils tomberont alors nécessairement dans les mains de l’inévitable justice:

« Je dirai aux moissonneurs: Cueillez premièrement l’ivraie. Pourquoi cueillez premièrement l’ivraie? » Afin de ménager les auditeurs qui se seraient effrayés si le bon grain eût été indifféremment cueilli avec le mauvais: « Liez-la en bottes pour la brûler; mais amassez le blé dans mon grenier. »

« Il leur proposa une autre parabole en disant: Le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé (31). » Comme Jésus-Christ leur avait déjà dit que les trois quarts de la semence s’étaient perdus, et que la quatrième partie restante avait encore souffert un grand dommage, ils devaient être portés à s’effrayer et à dire: Qui seront donc ceux qui croiront, et combien y en aura-t-il peu qui seront sauvés? C’est à cette crainte que Jésus-Christ veut remédier par la parabole du grain de sénevé à l’aide de laquelle il raffermit leur foi et leur fait voir l’Evangile s’étendant sur toute la terre. Il choisit pour cela la comparaison de cette semence qui représente parfaitement cette vérité.

« Elle est la plus petite de toutes les semences; mais lorsqu’elle a cru cité est plus grande que toutes les autres, et devient un arbre, en sorte que les oiseaux du ciel viennent se reposer sur ses branches (32). »Cette dernière circonstance est un indice de grandeur. Or, telle sera la prédication de l’Evangile. Et en effet, ceux qui l’ont prêché étaient bien les plus humbles des hommes, mais comme il y avait en eux une grande vertu, leur prédication s’est étendue sur toute la terre.

Après cette parabole, il leur propose celle du levain:

« Le royaume des cieux est semblable au levain qu’une femme prend et met dans trois mesures de farine, jusqu’à ce que la pâte soit toute levée (33). » Comme ce levain répand sa force invisible dans toute cette pâte, vous de même, mes disciples, vous changerez et vous convertirez le monde entier. Mais considérez ici la sagesse du Sauveur. Il tire toutes ses comparaisons des choses ordinaires et naturelles, pour marquer que si la nature dans ses ouvrages agit certainement et infailliblement, lui qui est le maître de la nature agira de même.

Et ne dites point: Que pourrons-nous faire n’étant que douze, lorsque nous serons mêlés avec tout un monde? Car c’est en cela même qu’éclatera votre force, qu’étant mêlés avec le monde, vous vaincrez le monde. Comme le levain ne montre sa force que lorsqu’on l’approche de la pâte, et que non-seulement on l’en approche, mais qu’on l’y mêle et qu’on l’y confond, puisque non-seulement cette femme l’y met, mais qu’elle « l’y cache, » de même, lorsque vous serez au milieu des peuples et qu’ils vous environneront de toutes parts pour vous perdre, ce sera alors que vous en serez les vainqueurs. Et comme le levain se répand dans toute la pâte sans rien perdre de sa force, mais que peu à peu, il la change toute en lui-même, votre prédication aussi changera tous (362) les peuples et les rendra semblables à vous, Ne craignez donc point tous les maux que je vous prédis. Tous ces obstacles seront votre gloire et vous surmonterez tous vos ennemis.

Dans ces mesures de farine, le nombre de « trois » est mis pour un grand nombre comme c’est l’ordinaire dans l’Ecriture.

Ne vous étonnez point, mes frères, que Jésus-Christ, découvrant aux hommes les plus grands mystères de son royaume, leur parle si « de sénevé et de levain. » Il parlait à des personnes grossières et ignorantes, qui avaient besoin de ces sortes de comparaisons. Ils étaient si peu éclairés, qu’après même des paraboles si simples, ils avaient encore besoin qu’on leur en donnât l’éclaircissement.

Où sont maintenant les Grecs? Qu’ils reconnaissent enfin la puissance de Jésus-Christ, en voyant que l’événement a justifié ses prophéties. Qu’ils le reconnaissent enfin et qu’ils l’adorent en voyant ce double miracle; le premier qu’il a prévu et qu’il a prédit une chose si incroyable; et le second qu’il l’a accomplie de la même manière qu’il l’avait prédite. C’est lui qui donne à ce levain cette force secrète et invisible. C’est lui qui veut encore aujourd’hui, que ceux qui lui sont fidèles, soient mêlés avec la multitude des hommes du siècle, afin qu’ils soient comme un levain sacré qui leur communique la vertu et la sagesse. Qu’on ne se plaigne donc point du petit nombre des apôtres, puisque la vertu de leur parole a eu tant de force.

Ce qui a été une fois pénétré par le levain se change en levain. La prédication est comme une étincelle de feu qui s’attache à un bois sec. Elle l’enflamme premièrement et fait qu’il brûle ensuite le bois le plus vert. Jésus-Christ néanmoins ne se sert pas de cette comparaison du feu, mais de celle du levain, parce que lorsqu’un bois sec est embrasé, sa sécheresse est cause en partie de ce qu’il brûle, au lieu que c’est le levain qu,i fait tout dans le changement qu’il cause dans la pâte.

Que si douze hommes autrefois ont été le levain qui a changé et sanctifié toute la terre; jugez, mues frères, quelle doit être notre corruption et notre lâcheté, si maintenant que nous sommes un si grand nombre de chrétiens, nous ne pouvons servir de levain pour convertir ce qui reste, nous qui devrions être assez saints pour servir à la conversion de dix mille mondes !

3. Mais ces douze hommes, dites-vous, étaient des apôtres. Il est vrai! Mais n’étaient-ils pas hommes comme vous? n’avaient-ils pas été élevés au milieu des villes? n’avaient- ils pas usé des mêmes biens? n’avaient-ils pas été engagés dans les mêmes arts? Etait-ce des auges descendus du ciel? Vous me direz qu’ils faisaient des miracles, Et moi je vous réponds que les miracles n’ont pas été ce qu’il y a eu de plus admirable dans eux,

Jusqu’à quand, mes frères, chercherons-nous dans ces miracles un prétexte à notre mollesse? Que ne regardez-vous ce grand nombre de saints qui n’ont jamais fait aucun miracle? Ne savez-vous pas que plusieurs de ceux mêmes qui ont chassé les démons, sont ensuite tombés dans le péché et, qu’au lieu de s’attirer l’admiration des hommes, ils n’ont attiré sur eux que la colère de Dieu? Qu’y a-t-il donc eu dans les apôtres, me direz-vous, qui les a si fort relevés au-dessus des hommes? C’est le mépris qu’ils ont fait de l’argent. C’est l’éloignement qu’ils ont eu de la gloire; c’est le retranchement de tous les soins et de toutes les affaires du monde. Si, au lieu d’avoir de telles dispositions, ils eussent été assujétis aux mêmes passions que nous, quand ils auraient ressuscité mille morts, bien loin d’en tirer quelque avantage ils n’auraient passé que pour des fourbes et pour des séducteurs.

C’est donc par la sainteté de la vie, que l’homme brille et éclate véritablement : c’est par la sainteté de la vie qu’il attire la grâce du Saint-Esprit. Quel miracle a fait saint Jean qui a instruit tant de villes? L’Evangile ne dit-il pas clairement: « Que Jean n’a fait aucun miracle? » (Jean, X, 41.) Qui a rendu Elie si admirable , sinon cette liberté qu’il a fait paraître en parlant aux rois? ce zèle qu’il a eu pour Dieu? ce renoncement à toute chose? ces habits austères, ces peaux de bêtes dont il se couvrait et ces lieux sauvages où il demeurait? Tous les miracles qu’il a faits depuis sont beaucoup moindres que sa vie, puisqu’ils n’en ont été qu’une suite.

Quel miracle le démon a-t-il vu dans le bienheureux Job qui l’ait irrité contre ce saint homme? Il n’a point été frappé d’aucun prodige qu’il eût fait; mais il a été surpris de voir en lui une vie si sainte et un coeur aussi ferme que le diamant. Quel miracle avait fait David, étant encore tout jeune, pour obliger Dieu de dire : « J’ai trouvé David, fils de Jessé, un (363) homme selon mon coeur? » (Paralip. XIII, 22.) Quel mort ont ressuscité Abraham, Isaac et Jacob? Quel lépreux ont-ils guéri?

Ne savez-vous pas que souvent les miracles nous nuisent, si nous ne veillons sur nous? Qu’est-ce qui a divisé les Corinthiens les uns d’avec les autres, sinon les miracles? Qu’est-ce qui a été cause que beaucoup d’entre les Romains sont tombés dans l’égarement sinon les miracles? N’est-ce pas ce qui a perdu Simon le Magicien, aussi bien que ce disciple qui voulait suivre Jésus-Christ et à qui le Sauveur dit cette parole : «Les renards ont des tanières « et les oiseaux du ciel ont des nids? » (Matth. VIII, 13.) Car l’un de ces deux était avare et l’autre ambitieux, et, en voulant satisfaire leur passion par les miracles, ils tombèrent dans le malheur qui les a perdus. La vertu au contraire et la sainteté de la vie, non-seulement ne fait point naître en nous ce désir; mais elle nous l’ôte même, lorsque nous l’avons.

Quand Jésus-Christ instruisait ses disciples, leur disait-il : Faites des miracles, afin que les hommes les voient? Nullement. Mais : « Que votre lumière luise devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes oeuvres, et qu’ils en glorifient votre Père qui est dans les cieux.» (Matth. V, 17.) Il ne dit pas non plus à saint Pierre : « Si vous m’aimez, » faites des miracles; mais « paissez mes agneaux. » (Jean, XXI, 15.) Et, lorsqu’il le préférait, avec saint Jacques et saint Jean, à tous les autres apôtres, était-ce à cause de ses miracles? Ne guérissaient-ils pas tous également les lépreux? ne ressuscitaient-ils pas également les morts? n’avaient-ils pas tous reçu la même puissance? Pourquoi donc préférait-il ces trois disciples aux autres, sinon à cause de la grandeur de leur vertu et de leur courage?

4. Il est donc clair que ce que Dieu cherche en nous, c’est la bonne vie et les actions saintes: « Vous les connaîtrez, » dit Jésus-Christ, « par leurs oeuvres. » (Matth. VII, 15.) Et qu’est-ce qui rend nos actions saintes? Sont-ce les miracles ou les vertus qui en sont la source et qui se terminent enfin à ce don? Car la sainteté de la vie attire cette grâce de faire des choses miraculeuses, et celui qui la reçoit ne la reçoit que pour édifier les autres et les convertir.

Pourquoi Jésus-Christ a-t-il fait tant de miracles, sinon afin qu’en se rendant digne d’être cru, il attirât les hommes à la foi, et les fît entrer ainsi dans une vie pure? C’est là la fin qu’il s’est proposée. C’est pour cela qu’il a fait tant de prodiges, qu’il a joint à ses miracles les menaces de l’enfer, et la promesse d’un royaume éternel; qu’il nous a prescrit des lois si pures et si inconnues au monde; et tout ce qu’il a fait sur la terre a eu pour but de rendre les hommes non-seulement saints, mais égaux aux anges.

Telle a été l’unique fin du Sauveur dans tout ce qu’il a fait. Mais que dis-je, du Sauveur? Vous-même, si Dieu voulait vous donner le pouvoir ou de ressusciter les morts au nom de Jésus-Christ, ou de mourir pour lui, laquelle de ces deux grâces choisiriez-vous? Ce serait sans doute la seconde, parce que la première ne serait qu’une action extérieure que Dieu ferait par vous, au lieu que la seconde serait une action qui sanctifierait et couronnerait votre vie. Si l’on vous offrait de même, ou la puissance de changer tout le foin du monde en or, ou la grâce de mépriser tout l’or du monde comme du foin, ne préféreriez-vous pas ce second avantage au premier? Et certes ce serait avec grande raison, puisqu’il n’y aurait point de miracle qui pût faire autant d’impression sur les hommes pour les attirer à Dieu, que ce mépris des richesses. S’ils vous voyaient changer le foin en or, ils en seraient encore plus avares, et ils désireraient en même temps d’avoir cette puissance, comme il arriva à Simon le Magicien; mais s’ils voyaient au contraire tout le monde fouler aux pieds l’argent comme du foin, ils seraient bientôt guéris de leur avarice.

Vous voyez donc, mes frères, que rien ne sert tant aux hommes, que rien ne les rend si illustres que la bonne vie. J’appelle une bonne vie, non pas de, jeûner ou de coucher sur la cendre, ou de vous revêtir d’un sac, mais d’avoir un mépris de la richesse aussi sincère et aussi effectif qu’on le doit avoir, d’aimer tout le monde avec une charité tendre et véritable, de partager notre pain avec les pauvres, de vaincre la colère, de fouler aux pieds la vanité et l’orgueil, et d’étouffer tous les mouvements de l’envie.

Ce sont là les instructions que Jésus-Christ lui-même nous a données: « Apprenez de moi,» dit-il, « que je suis doux et humble de coeur.» (Matth. XI, 27.) Il ne dit pas : Apprenez de moi que j’ai jeûné; quoi qu’il pût nous proposer son jeûne de quarante jours; mais ce n’est pas ce (364) qu’il veut principalement que nous imitions en lui: «Apprenez de moi, » nous dit-il, «que je si suis doux et humble de cœur. » Et lorsqu’il envoie ses apôtres prêcher l’Evangile dans tout le monde, il ne leur dit pas : Jeûnez, mais si mangez de ce qu’on vous présentera. » Mais pour l’argent, il leur défend très-expressément d’en avoir sur eux: « Ne possédez, leur dit-il, ni or, ni argent, ni d’autre monnaie dans si votre bourse. » (Luc, X, 4.)

Je vous dis ceci, mes frères, non que je blâme le jeûne; à Dieu ne plaise! au contraire, je le loue et l’estime de tout mon coeur. Mais ma douleur est de voir que vous méprisiez toutes les autres vertus, et que vous croyiez que c’est assez de jeûner pour être sauvé, quoique le jeûne entre les vertus tienne le dernier rang. Les ver tus principales et essentielles sont la charité, l’humilité, la douceur, l’amour des pauvres; et ces vertus surpassent même la virginité. C’est pourquoi si vous voulez devenir égal aux apôtres, rien ne vous en peut empêcher. Travaillez à monter au comble de ces vertus, et vous ne leur serez pas inférieur en mérite.

Qu’on ne s’excuse donc plus sur ce qu’on n’a pas le don des miracles comme les apôtres. fi est vrai qu’on ne peut chasser comme eux les démons des corps, mais on peut les chasser de son âme et de celle des autres; et ce second miracle afflige plus le démon que le premier, parce que le péché est sa grande force. C’est pour le détruire que Jésus-Christ ‘est mort sur la croix. C’est le péché qui a introduit la mort dans le monde, et une confusion générale et universelle parmi les hommes. Si donc vous étouffez le péché en vous, vous étoufferez en même temps la plus grande force du diable; vous lui briserez la tête; vous ren~ verserez tout ce qui peut affermir sa tyrannie, vous mettrez en fuite toutes ses légions infernales, et enfin vous ferez le plus grand de tous les miracles.

Ce n’est pas moi qui vous dis ceci de moi-même. C’est le bienheureux saint Paul qui ayant dit: si Aspirez aux dons les plus parfaits, et je vous enseignerai une voie encore « beaucoup plus excellente (I Cor. I, 31), » ne parle point ensuite des miracles ni des prodiges; mais seulement de la charité qui est le principe et la racine de tous les biens. Si donc nous embrassons cette charité avec toutes les branches saintes dont elle est la tige, nous n’aurons point besoin du don des miracles, comme au contraire si nous la négligeons, tous les miracles ne nous serviront de rien.

Pensons à ces vérités, mes frères, et aspirons à ce qui a rendu les apôtres si grands devant Dieu et devant les hommes. Voulez-vous savoir ce qui les a rendus si illustres? Saint Pierre vous le dit lui-même : « Seigneur, nous avons tout quitté et nous vous avons suivi, quelle récompense donc en recevrons-nous? » (Matth. XIX, 26.) Ecoutez aussi la réponse de Jésus-Christ : « Vous serez un jour assis sur douze trônes; et quiconque quittera pour moi sa maison, ses frères, son père et sa mère, recevra le centuple en ce monde et la vie éternelle en l’autre. »

Renonçons donc, mes frères, à toutes les choses de la terre, et abandonnons-nous à Jésus-Christ, afin que selon sa parole, nous soyons égaux aux apôtres et que nous jouissions de cette vie éternelle que je vous souhaite, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (365)

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Capturé par MemoWeb à partir de http://membres.lycos.fr/abbayestbenoit/Matthieu/046.htm  le 6/06/2003