HOMÉLIE XLVI.« JÉSUS LEUR PROPOSA UNE AUTRE PARABOLE EN DISANT : LE ROYAUME DES CIEUX EST SEMBLABLE A UN HOMME QUI AVAITSEMÉ DU BON GRAIN DANS SON CHAMP. MAIS PENDANT QUE LES HOMMES DORMAIENT, SON ENNEMI VINT ET SEMA DE LIVRAIE PARMI LE BLÉ ET SEN ALLA. » (CHAP. XIII, 24, 25, JUSQUAU VERSET 34.) ANALYSE 1. Combien la vigilance est nécessaire. 2. Il ne faut pas tuer les hérétiques. Les prédicateurs de lEvangile ne doivent point redouter les maux de cette vie. 3 et 4. En quoi consistait ta grandeur des apôtres. Que ce ne sont point les miracles, mais la bonté qui rend les hommes recommandables. Que la vertu est plus puissante pour convertir les hommes que les miracles. Que cest une plus grande chose de bannir le péché de notre âme que de chasser le démon dun possédé.
1. Quelle différence y a-t-il entre cette parabole et la précédente? Dans la précédente Jésus-Christ a en vue les inattentifs, les négligents, ceux qui ne reçoivent même pas la semence de la parole sainte : dans celle-ci, il marque les erreurs et les assemblées des hérétiques. Il veut prévenir le trouble où ses disciples pourraient tomber à lapparition des hérésies, et il leur prédit quil en arriverait, après quil leur a appris pourquoi il leur parlait en paraboles. Il leur montre dans la parabole précédente que les Juifs ne recevaient pas sa parole; et dans celle-ci quils recevraient même les séducteurs et les corrupteurs de sa vérité. Cest lartifice ordinaire du démon de mêler le mensonge avec la vérité, afin que sous le masque de la vraisemblance, lerreur passe pour la vérité même, et quelle trompe ceux qui sont faciles à séduire. Cest pourquoi Jésus-Christ ne marque point dans cette semence de lennemi, dautre mauvais grain que livraie qui est fort semblable au froment. Jésus-Christ nous apprend ensuite loccasion que le démon prend pour surprendre les âmes. « Pendant que les hommes dormaient, son ennemi vint, sema de livraie parmi le bon grain, et sen alla (25). » Ces paroles font voir à quel danger sont exposés les prélats, à qui lon a particulièrement confié la garde du champ de lEglise, et non-seulement les prélats, mais tous les fidèles. Jésus-Christ marque encore ici que lerreur, ne paraît quaprès létablissement de la vérité; comme lexpérience nous la fait assez connaître. Les faux prophètes nont paru quaprès les vrais prophètes, les faux apôtres quaprès les apôtres véritables, et lAntéchrist ne doit paraître quaprès Jésus-Christ. Car si le démon ne voyait, ou ce quil doit imiter, ou à qui il doit dresser des piéges, il ne saurait pas même par quelle voie il nous pourrait nuire. Mais quand une fois il a vu que cette semence divine de Jésus-Christ fructifiait dans les âmes, que les uns rendaient « cent » pour un les autres « soixante, » et les autres « trente; » quil ne pouvait ni arracher ce qui était enraciné trop profondément, ni létouffer, ni le brûler, il tente une autre voie, et il mêle le mauvais grain avec le bon, pour confondre ainsi lun avec lautre. Quelle différence, me direz-vous, y a-t-il entre ceux « qui dorment » et ceux qui sont figurés « par le chemin » dans la parabole précédente? Il y a cette différence que dans les autres la semence est enlevée tout dabord avant même que le démon lui ait laissé prendre racine; au lieu quil a besoin dans ceux-ci dun artifice particulier, pour rendre le grain inutile, après même quil a pris racine, et quil a poussé. Jésus-Christ nous avertit ainsi de veiller sur nous, et de nous tenir sur nos gardes: Quand vous auriez, nous dit-il, (360) évité tous les malheurs qui sont marqués dans la première parabole, vous ne seriez pas encore en sûreté. Comme vous y voyez la semence se perdre, ou par « le chemin », ou par « les pierres », ou par les « épines ; elle se perd ici « par le sommeil. » Cest ce qui nous oblige à vivre dans une vigilance continuelle. Cest pourquoi Jésus-Christ dit ailleurs : « Celui-là sera sauvé qui persévérera jusquà la fin. » (Matth. X, 22.) Ce malheur que Jésus-Christ prédit ici est arrivé dès le commencement de lEglise. Plusieurs de ceux qui étaient alors dans les charges ecclésiastiques introduisaient dans lEglise des hommes corrompus, et des hérésiarques cachés, et donnaient par là une grande facilité au démon pour surprendre les fidèles. Car une fois quil a semé ce mauvais grain dans le champ de lEglise, le démon a beau jeu pour tout perdre. Mais vous me direz: Comment peut-on sempêcher de dormir? On ne le peut pas sil sagit du sommeil du corps; mais on peut sempêcher de tomber dans celui de lâme. Cest pourquoi saint Paul disait : « Veillez, demeurez fermes dans la foi. » (I Cor. XVI, 13.) Jésus-Christ nous représente ce travail du démon non-seulement comme une oeuvre de malice, mais encore comme une superfétation. Car après que le champ a été bien cultivé, et quon y a mis de bonne semence, lorsquil ny manque plus rien, cest alors quil y vient sursemer livraie. Cest proprement ce pie font les hérétiques , qui en répandant leur poison nont point dautre but que la vaine gloire. Jésus-Christ marque encore mieux par ce qui suit, toutes les intrigues et tous les artifices de ces hommes dangereux. « Lherbe donc ayant poussé et étant montée si en épi, livraie commença aussi à paraître (26). » Cest la conduite que gardent les hérétiques. Ils se cachent avec soin au commencement; mais après quils sont devenus plus hardis, et que quelquun les appuie et leur donne du crédit, ils publient alors leurs dogmes impies. « Alors les serviteurs du père de famille lui vinrent dire : Seigneur navez-vous pas semé si de bon grain dans votre champ? Doù vient donc quil y a de livraie (27)? Il leur répondit: cest mon ennemi qui a fait cela. Ses serviteurs lui dirent : voulez-vous que nous allions larracher (28)? Non, leur répondit-il, de peur quen cueillant livraie vous ne « déraciniez aussi tout ensemble le bon grain (29). » Pourquoi Jésus-Christ nous marque-t-il que ces serviteurs font ce rapport à leur maître, sinon pour nous apprendre par la réponse de ce père de famille quil ne faut point tuer les hérétiques? Il appelle le démon « un homme ennemi, » à cause du mal quil fait aux hommes. Cest nous quil attaque par tous ses efforts, et néanmoins lorigine de cette guerre irréconciliable quil nous fait, nest pas tant laversion quil a pour nous, que la haine quil a conçue contre Dieu. Et nous voyons, mes frères, par le soin que Dieu prend de nous défendre dun tel ennemi, que Dieu nous aime plus que nous ne nous aimons nous-mêmes. Mais considérez encore la malice du démon. Il ne sème point cette semence de mort avant la semence de la vie, parce quil naurait rien eu à perdre. Mais aussitôt que le champ a été semé, il sefforce de ruiner en un moment tous les travaux du divin laboureur, tant il se déclare en toutes choses lennemi de Dieu! Considérez aussi laffection de ces serviteurs envers leur maître. Aussitôt quils aperçoivent cette ivraie, ils pensent à larracher. Leur zèle, quoiquun peu trop indiscret, témoigne le grand soin quils avaient de la bonne semence, et montre que leur unique but était non de faire punir lennemi, mais de prévenir la perte du bon grain. Ils ne cherchent que les moyens de remédier à un si grand mal. Ils ne sappuient pas même sur leur propre sentiment. Ils consultent la sagesse de leur maître : « Voulez-vous? » lui disent-ils; mais il le leur défend et leur dit: « Non, de peur quen cueillant livraie, vous ne déraciniez «aussi tout ensemble le bon grain. » II leur parle de la sorte pour empêcher ainsi les guerres, les meurtres et leffusion de sang. Car il ne faut point tuer les hérétiques, puisque ce serait remplir toute la terre de guerres et de meurtres. Il leur défend ces violences pour deux raisons; la première, parce quen voulant arracher livraie on pourrait aussi nuire au froment; et lautre parce que tôt ou tard les hérétiques seront punis, sils ne se convertissent de leur erreur. Si vous voulez donc quils soient châtiés sans quils nuisent au bon grain, attendez le temps que Dieu a marqué pour en faire justice. 2. Considérons encore cette parole : « De peur quen cueillant livraie, vous ne déraciniez (361) aussi tout ensemble le bon grain. » Il semble quil dise par là : Si vous prenez les armes contre les hérétiques; si vous voulez répandre leur sang et les tuer, vous envelopperez nécessairement dans ce meurtre beaucoup de justes et dinnocents. De plus il y en a beaucoup qui sortant de lhérésie, divraie quils étaient pourraient se changer en bon grain. Que si on prévenait ce temps, en croyant arracher de livraie on détruirait le froment qui en devait naître. Ainsi il donne du temps aux hérétiques pour se convertir, et pour rentrer en eux-mêmes. Il nempêche pas néanmoins quon ne réprime les hérétiques, quon ne leur interdise toute assemblée, quon ne leur ferme la bouche, et quon ne leur ôte toute liberté de répandre leurs erreurs; mais il ne veut pas quon les tue, et quon répande leur sang. Et considérez, je vous prie, la douceur de Jésus-Christ. Il ne défend pas seulement darracher livraie; mais il donne la raison de sa défense, et il répond à ceux qui lui pourraient dire que cette ivraie peut-être demeurerait toujours ce quelle est : «Laissez croître, » dit-il, « lun et lautre jusquà la moisson, et au temps de la moisson je dirai aux moissonneurs. Cueillez premièrement livraie, et liez-la en bottes pour la brûler; mais amassez le blé dans mon grenier (30). » Il les fait souvenir ici des paroles de saint Jean, lorsquil parlait du Sauveur comme du Juge de lunivers. Il leur ordonne dépargner livraie tant quelle sera mêlée parmi le froment, pour lui donner lieu de se changer, et de devenir froment elle-même. Que si ces hommes, représentés par livraie, ne font aucun usage de la bonté et de la patience du maître du champ, ils tomberont alors nécessairement dans les mains de linévitable justice: « Je dirai aux moissonneurs: Cueillez premièrement livraie. Pourquoi cueillez premièrement livraie? » Afin de ménager les auditeurs qui se seraient effrayés si le bon grain eût été indifféremment cueilli avec le mauvais: « Liez-la en bottes pour la brûler; mais amassez le blé dans mon grenier. » « Il leur proposa une autre parabole en disant: Le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé (31). » Comme Jésus-Christ leur avait déjà dit que les trois quarts de la semence sétaient perdus, et que la quatrième partie restante avait encore souffert un grand dommage, ils devaient être portés à seffrayer et à dire: Qui seront donc ceux qui croiront, et combien y en aura-t-il peu qui seront sauvés? Cest à cette crainte que Jésus-Christ veut remédier par la parabole du grain de sénevé à laide de laquelle il raffermit leur foi et leur fait voir lEvangile sétendant sur toute la terre. Il choisit pour cela la comparaison de cette semence qui représente parfaitement cette vérité. « Elle est la plus petite de toutes les semences; mais lorsquelle a cru cité est plus grande que toutes les autres, et devient un arbre, en sorte que les oiseaux du ciel viennent se reposer sur ses branches (32). »Cette dernière circonstance est un indice de grandeur. Or, telle sera la prédication de lEvangile. Et en effet, ceux qui lont prêché étaient bien les plus humbles des hommes, mais comme il y avait en eux une grande vertu, leur prédication sest étendue sur toute la terre. Après cette parabole, il leur propose celle du levain: « Le royaume des cieux est semblable au levain quune femme prend et met dans trois mesures de farine, jusquà ce que la pâte soit toute levée (33). » Comme ce levain répand sa force invisible dans toute cette pâte, vous de même, mes disciples, vous changerez et vous convertirez le monde entier. Mais considérez ici la sagesse du Sauveur. Il tire toutes ses comparaisons des choses ordinaires et naturelles, pour marquer que si la nature dans ses ouvrages agit certainement et infailliblement, lui qui est le maître de la nature agira de même. Et ne dites point: Que pourrons-nous faire nétant que douze, lorsque nous serons mêlés avec tout un monde? Car cest en cela même quéclatera votre force, quétant mêlés avec le monde, vous vaincrez le monde. Comme le levain ne montre sa force que lorsquon lapproche de la pâte, et que non-seulement on len approche, mais quon ly mêle et quon ly confond, puisque non-seulement cette femme ly met, mais quelle « ly cache, » de même, lorsque vous serez au milieu des peuples et quils vous environneront de toutes parts pour vous perdre, ce sera alors que vous en serez les vainqueurs. Et comme le levain se répand dans toute la pâte sans rien perdre de sa force, mais que peu à peu, il la change toute en lui-même, votre prédication aussi changera tous (362) les peuples et les rendra semblables à vous, Ne craignez donc point tous les maux que je vous prédis. Tous ces obstacles seront votre gloire et vous surmonterez tous vos ennemis. Dans ces mesures de farine, le nombre de « trois » est mis pour un grand nombre comme cest lordinaire dans lEcriture. Ne vous étonnez point, mes frères, que Jésus-Christ, découvrant aux hommes les plus grands mystères de son royaume, leur parle si « de sénevé et de levain. » Il parlait à des personnes grossières et ignorantes, qui avaient besoin de ces sortes de comparaisons. Ils étaient si peu éclairés, quaprès même des paraboles si simples, ils avaient encore besoin quon leur en donnât léclaircissement. Où sont maintenant les Grecs? Quils reconnaissent enfin la puissance de Jésus-Christ, en voyant que lévénement a justifié ses prophéties. Quils le reconnaissent enfin et quils ladorent en voyant ce double miracle; le premier quil a prévu et quil a prédit une chose si incroyable; et le second quil la accomplie de la même manière quil lavait prédite. Cest lui qui donne à ce levain cette force secrète et invisible. Cest lui qui veut encore aujourdhui, que ceux qui lui sont fidèles, soient mêlés avec la multitude des hommes du siècle, afin quils soient comme un levain sacré qui leur communique la vertu et la sagesse. Quon ne se plaigne donc point du petit nombre des apôtres, puisque la vertu de leur parole a eu tant de force. Ce qui a été une fois pénétré par le levain se change en levain. La prédication est comme une étincelle de feu qui sattache à un bois sec. Elle lenflamme premièrement et fait quil brûle ensuite le bois le plus vert. Jésus-Christ néanmoins ne se sert pas de cette comparaison du feu, mais de celle du levain, parce que lorsquun bois sec est embrasé, sa sécheresse est cause en partie de ce quil brûle, au lieu que cest le levain qu,i fait tout dans le changement quil cause dans la pâte. Que si douze hommes autrefois ont été le levain qui a changé et sanctifié toute la terre; jugez, mues frères, quelle doit être notre corruption et notre lâcheté, si maintenant que nous sommes un si grand nombre de chrétiens, nous ne pouvons servir de levain pour convertir ce qui reste, nous qui devrions être assez saints pour servir à la conversion de dix mille mondes ! 3. Mais ces douze hommes, dites-vous, étaient des apôtres. Il est vrai! Mais nétaient-ils pas hommes comme vous? navaient-ils pas été élevés au milieu des villes? navaient- ils pas usé des mêmes biens? navaient-ils pas été engagés dans les mêmes arts? Etait-ce des auges descendus du ciel? Vous me direz quils faisaient des miracles, Et moi je vous réponds que les miracles nont pas été ce quil y a eu de plus admirable dans eux, Jusquà quand, mes frères, chercherons-nous dans ces miracles un prétexte à notre mollesse? Que ne regardez-vous ce grand nombre de saints qui nont jamais fait aucun miracle? Ne savez-vous pas que plusieurs de ceux mêmes qui ont chassé les démons, sont ensuite tombés dans le péché et, quau lieu de sattirer ladmiration des hommes, ils nont attiré sur eux que la colère de Dieu? Quy a-t-il donc eu dans les apôtres, me direz-vous, qui les a si fort relevés au-dessus des hommes? Cest le mépris quils ont fait de largent. Cest léloignement quils ont eu de la gloire; cest le retranchement de tous les soins et de toutes les affaires du monde. Si, au lieu davoir de telles dispositions, ils eussent été assujétis aux mêmes passions que nous, quand ils auraient ressuscité mille morts, bien loin den tirer quelque avantage ils nauraient passé que pour des fourbes et pour des séducteurs. Cest donc par la sainteté de la vie, que lhomme brille et éclate véritablement : cest par la sainteté de la vie quil attire la grâce du Saint-Esprit. Quel miracle a fait saint Jean qui a instruit tant de villes? LEvangile ne dit-il pas clairement: « Que Jean na fait aucun miracle? » (Jean, X, 41.) Qui a rendu Elie si admirable , sinon cette liberté quil a fait paraître en parlant aux rois? ce zèle quil a eu pour Dieu? ce renoncement à toute chose? ces habits austères, ces peaux de bêtes dont il se couvrait et ces lieux sauvages où il demeurait? Tous les miracles quil a faits depuis sont beaucoup moindres que sa vie, puisquils nen ont été quune suite. Quel miracle le démon a-t-il vu dans le bienheureux Job qui lait irrité contre ce saint homme? Il na point été frappé daucun prodige quil eût fait; mais il a été surpris de voir en lui une vie si sainte et un coeur aussi ferme que le diamant. Quel miracle avait fait David, étant encore tout jeune, pour obliger Dieu de dire : « Jai trouvé David, fils de Jessé, un (363) homme selon mon coeur? » (Paralip. XIII, 22.) Quel mort ont ressuscité Abraham, Isaac et Jacob? Quel lépreux ont-ils guéri? Ne savez-vous pas que souvent les miracles nous nuisent, si nous ne veillons sur nous? Quest-ce qui a divisé les Corinthiens les uns davec les autres, sinon les miracles? Quest-ce qui a été cause que beaucoup dentre les Romains sont tombés dans légarement sinon les miracles? Nest-ce pas ce qui a perdu Simon le Magicien, aussi bien que ce disciple qui voulait suivre Jésus-Christ et à qui le Sauveur dit cette parole : «Les renards ont des tanières « et les oiseaux du ciel ont des nids? » (Matth. VIII, 13.) Car lun de ces deux était avare et lautre ambitieux, et, en voulant satisfaire leur passion par les miracles, ils tombèrent dans le malheur qui les a perdus. La vertu au contraire et la sainteté de la vie, non-seulement ne fait point naître en nous ce désir; mais elle nous lôte même, lorsque nous lavons. Quand Jésus-Christ instruisait ses disciples, leur disait-il : Faites des miracles, afin que les hommes les voient? Nullement. Mais : « Que votre lumière luise devant les hommes, afin quils voient vos bonnes oeuvres, et quils en glorifient votre Père qui est dans les cieux.» (Matth. V, 17.) Il ne dit pas non plus à saint Pierre : « Si vous maimez, » faites des miracles; mais « paissez mes agneaux. » (Jean, XXI, 15.) Et, lorsquil le préférait, avec saint Jacques et saint Jean, à tous les autres apôtres, était-ce à cause de ses miracles? Ne guérissaient-ils pas tous également les lépreux? ne ressuscitaient-ils pas également les morts? navaient-ils pas tous reçu la même puissance? Pourquoi donc préférait-il ces trois disciples aux autres, sinon à cause de la grandeur de leur vertu et de leur courage? 4. Il est donc clair que ce que Dieu cherche en nous, cest la bonne vie et les actions saintes: « Vous les connaîtrez, » dit Jésus-Christ, « par leurs oeuvres. » (Matth. VII, 15.) Et quest-ce qui rend nos actions saintes? Sont-ce les miracles ou les vertus qui en sont la source et qui se terminent enfin à ce don? Car la sainteté de la vie attire cette grâce de faire des choses miraculeuses, et celui qui la reçoit ne la reçoit que pour édifier les autres et les convertir. Pourquoi Jésus-Christ a-t-il fait tant de miracles, sinon afin quen se rendant digne dêtre cru, il attirât les hommes à la foi, et les fît entrer ainsi dans une vie pure? Cest là la fin quil sest proposée. Cest pour cela quil a fait tant de prodiges, quil a joint à ses miracles les menaces de lenfer, et la promesse dun royaume éternel; quil nous a prescrit des lois si pures et si inconnues au monde; et tout ce quil a fait sur la terre a eu pour but de rendre les hommes non-seulement saints, mais égaux aux anges. Telle a été lunique fin du Sauveur dans tout ce quil a fait. Mais que dis-je, du Sauveur? Vous-même, si Dieu voulait vous donner le pouvoir ou de ressusciter les morts au nom de Jésus-Christ, ou de mourir pour lui, laquelle de ces deux grâces choisiriez-vous? Ce serait sans doute la seconde, parce que la première ne serait quune action extérieure que Dieu ferait par vous, au lieu que la seconde serait une action qui sanctifierait et couronnerait votre vie. Si lon vous offrait de même, ou la puissance de changer tout le foin du monde en or, ou la grâce de mépriser tout lor du monde comme du foin, ne préféreriez-vous pas ce second avantage au premier? Et certes ce serait avec grande raison, puisquil ny aurait point de miracle qui pût faire autant dimpression sur les hommes pour les attirer à Dieu, que ce mépris des richesses. Sils vous voyaient changer le foin en or, ils en seraient encore plus avares, et ils désireraient en même temps davoir cette puissance, comme il arriva à Simon le Magicien; mais sils voyaient au contraire tout le monde fouler aux pieds largent comme du foin, ils seraient bientôt guéris de leur avarice. Vous voyez donc, mes frères, que rien ne sert tant aux hommes, que rien ne les rend si illustres que la bonne vie. Jappelle une bonne vie, non pas de, jeûner ou de coucher sur la cendre, ou de vous revêtir dun sac, mais davoir un mépris de la richesse aussi sincère et aussi effectif quon le doit avoir, daimer tout le monde avec une charité tendre et véritable, de partager notre pain avec les pauvres, de vaincre la colère, de fouler aux pieds la vanité et lorgueil, et détouffer tous les mouvements de lenvie. Ce sont là les instructions que Jésus-Christ lui-même nous a données: « Apprenez de moi,» dit-il, « que je suis doux et humble de coeur.» (Matth. XI, 27.) Il ne dit pas : Apprenez de moi que jai jeûné; quoi quil pût nous proposer son jeûne de quarante jours; mais ce nest pas ce (364) quil veut principalement que nous imitions en lui: «Apprenez de moi, » nous dit-il, «que je si suis doux et humble de cur. » Et lorsquil envoie ses apôtres prêcher lEvangile dans tout le monde, il ne leur dit pas : Jeûnez, mais si mangez de ce quon vous présentera. » Mais pour largent, il leur défend très-expressément den avoir sur eux: « Ne possédez, leur dit-il, ni or, ni argent, ni dautre monnaie dans si votre bourse. » (Luc, X, 4.) Je vous dis ceci, mes frères, non que je blâme le jeûne; à Dieu ne plaise! au contraire, je le loue et lestime de tout mon coeur. Mais ma douleur est de voir que vous méprisiez toutes les autres vertus, et que vous croyiez que cest assez de jeûner pour être sauvé, quoique le jeûne entre les vertus tienne le dernier rang. Les ver tus principales et essentielles sont la charité, lhumilité, la douceur, lamour des pauvres; et ces vertus surpassent même la virginité. Cest pourquoi si vous voulez devenir égal aux apôtres, rien ne vous en peut empêcher. Travaillez à monter au comble de ces vertus, et vous ne leur serez pas inférieur en mérite. Quon ne sexcuse donc plus sur ce quon na pas le don des miracles comme les apôtres. fi est vrai quon ne peut chasser comme eux les démons des corps, mais on peut les chasser de son âme et de celle des autres; et ce second miracle afflige plus le démon que le premier, parce que le péché est sa grande force. Cest pour le détruire que Jésus-Christ est mort sur la croix. Cest le péché qui a introduit la mort dans le monde, et une confusion générale et universelle parmi les hommes. Si donc vous étouffez le péché en vous, vous étoufferez en même temps la plus grande force du diable; vous lui briserez la tête; vous ren~ verserez tout ce qui peut affermir sa tyrannie, vous mettrez en fuite toutes ses légions infernales, et enfin vous ferez le plus grand de tous les miracles. Ce nest pas moi qui vous dis ceci de moi-même. Cest le bienheureux saint Paul qui ayant dit: si Aspirez aux dons les plus parfaits, et je vous enseignerai une voie encore « beaucoup plus excellente (I Cor. I, 31), » ne parle point ensuite des miracles ni des prodiges; mais seulement de la charité qui est le principe et la racine de tous les biens. Si donc nous embrassons cette charité avec toutes les branches saintes dont elle est la tige, nous naurons point besoin du don des miracles, comme au contraire si nous la négligeons, tous les miracles ne nous serviront de rien. Pensons à ces vérités, mes frères, et aspirons à ce qui a rendu les apôtres si grands devant Dieu et devant les hommes. Voulez-vous savoir ce qui les a rendus si illustres? Saint Pierre vous le dit lui-même : « Seigneur, nous avons tout quitté et nous vous avons suivi, quelle récompense donc en recevrons-nous? » (Matth. XIX, 26.) Ecoutez aussi la réponse de Jésus-Christ : « Vous serez un jour assis sur douze trônes; et quiconque quittera pour moi sa maison, ses frères, son père et sa mère, recevra le centuple en ce monde et la vie éternelle en lautre. » Renonçons donc, mes frères, à toutes les choses de la terre, et abandonnons-nous à Jésus-Christ, afin que selon sa parole, nous soyons égaux aux apôtres et que nous jouissions de cette vie éternelle que je vous souhaite, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et lempire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (365) |