Matthieu 6,24-28

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HOMÉLIE XXI

« NUL NE PEUT SERVIR DEUX MAÎTRES, CAR OU IL HAIRA L’UN, ET AIMERA L’AUTRE; OU IL S’ATTACHERA À L’UN, ET MÉPRISERA L’AUTRE » CHAP. VI, 24, JUSQU’AU VERSET 28.)

ANALYSE

1. Le Christ nous est utile en supprimant ce qui nous nuit.

2. Des maux qu’enfantent les richesses.

3. Le Nouveau comme l’Ancien Testament emprunte des exemples à l’histoire de la Nature.

4. Que les imparfaits ne doivent pas croire que la perfection soit impossible ; qu’ils doivent s’encourager par l’exemple des autre.

 

 

1. Jésus-Christ dégage peu à peu ses disciples de l’amour du monde. Il diversifie les raisons par lesquelles il tâche de les retirer de l’affection des richesses, et de réprimer en eux cette passion si violente. Il ne se contente pas de ce qu’il leur en a déjà dit, quoiqu’il en ait parlé longuement et fortement. Il y ajoute encore d’autres considérations plus puissantes et plus terribles. Car y a-t-il rien qui nous doive plus effrayer que ce qu’il nous dit ici, que si nous sommes esclaves des richesses, nous cesserons d’être serviteurs de Jésus-Christ? Et qu’y a-t-il au contraire qui nous puisse consoler davantage, que de pouvoir devenir ses véritables amis, en méprisant les richesses au lieu de les aimer?

Remarquez encore ici ce que je vous fais voir si souvent: que Jésus-Christ porte ses disciples à lui obéir par deux raisons différentes, par l’utilité qu’ils y trouvent, et par le mal qu’ils souffriraient s’ils ne lui obéissaient pas. Il nous avertit, comme un sage médecin, des maladies où nous tomberons si nous négligeons ses ordonnances ; et de la santé dont nous (176) jouirons si nous pratiquons ce qu’il nous commande.

Et considérez quel avantage Jésus-Christ nous promet ici, et combien ses préceptes nous sont utiles, puisqu’ils nous délivrent de si grands maux. Le mal que vous causent les richesses, dit-il, n’est pas seulement d’armer contre vous les voleurs, et de remplir votre esprit d’épaisses ténèbres. La plus grande plaie qu’elles vous font, c’est qu’elles vous arracherait de la bienheureuse servitude de Jésus-Christ, pour vous rendre esclaves d’un métal insensible et inanimé. Ainsi elle vous cause le double mal, et de vous rendre esclaves d’une chose dont vous devriez être les maîtres, et de vous retirer de l’assujétissement à Dieu, auquel il vous est très avantageux et très nécessaire d’être soumis. Comme Jésus-Christ avait déjà fait voir la double perte que nous faisons lorsque nous mettons notre argent où la rouille le corrompt, et que nous ne le mettons pas où il demeure incorruptible; il fait voir de même ici dans l’avarice un double mal, qui consiste en ce qu’elle sépare de Dieu et qu’elle nous asservit au démon de l’argent.

Il ne dit pas même d’abord cette vérité à ses disciples. Il les y dispose peu à peu par cette maxime générale: « Nul ne peut servir deux maîtres (24); » c’est-à-dire, deux maîtres qui commandent des choses toutes contraires. Car s’ils ne commandent que la même chose, ils ne sont qu’un maître, comme autrefois « toute la multitude de ceux qui croyaient n’était qu’un coeur et qu’une âme » (Act. IV, 32.) Il y avait plusieurs personnes, et néanmoins la parfaite union des coeurs faisait que plusieurs n’étaient qu’un. Mais Jésus-Christ, insistant sur cette pensée, l’accuse plus fortement, et dit que l’homme non seulement ne servira pas l’un de ces deux maîtres, mais que même il le haïra et détestera. « Car ou il haïra l’un et aimera e l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre (24). »

Il semble que ce dernier membre soit une redite. Cependant ce n’est pas sans raison que la chose est ainsi présentée; le Seigneur veut faire voir qu’il est aisé de passer de l’un de ces deux maîtres à celui qui est le meilleur. Afin que vous ne veniez pas dire: je suis déjà engagé, je suis déjà l’esclave de l’argent, il montre que l’on peut s’en délivrer, et revenir du tyran au roi véritable, comme on l’avait quitté pour s’assujétir au tyran. Il commence donc par dire en général qu’on ne peut servir deux maîtres, pour être plus sûr de trouver dans l’auditeur un juge impartial de ce qu’il avance, un juge qui ne se prononcera que d’après la nature des choses, et ce principe accordé, il se découvre aussitôt, en disant: « Vous ne pouvez servir tout ensemble Dieu et l’argent  (24). » Tremblons, mes frères, quand nous pensons à ce que nous forçons Jésus-Christ de nous dire, lorsqu’il parle de l’argent comme d’une divinité opposée à Dieu. Si cela est horrible à dire, combien l’est-il plus de le faire, et de préférer le joug de fer des richesses au joug doux et agréable de Jésus-Christ? Mais quoi! me direz-vous, les anciens patriarches n’ont-ils pas trouvé le moyen de servir tout ensemble Dieu et l’argent? — Nullement. — Mais comment donc Abraham, comment Job, ont-ils jeté tant d’éclat par leur vertu? Je vous réponds qu’il ne faut point alléguer ici ceux qui ont possédé les richesses, mais ceux qui en ont été possédés. Job était riche; il se servait de l’argent, mais « il ne servait pas l’argent.» Il en était le maître et non l’idolâtre. Il considérait son bien comme s’il eût été à un autre; il s’en regardait comme le dispensateur et non le propriétaire. Il était si éloigné de ravir le bien d’autrui, qu’il donnait le sien aux pauvres: et, ce qui est encore plus grand, il ne se réjouissait pas même d’être riche; il le dit lui-même : « Vous savez si je me suis réjoui de mes grandes richesses. » (Job, III, 25.) C’est pourquoi il ne s’affligea point lorsqu’il les perdit.

Mais les riches de ce temps sont bien éloignés de cet esprit. L’argent est leur maître et leur tyran . Il leur fait payer avec une extrême rigueur le tribut qu’il leur impose, et ils le servent comme les plus lâches et les plus malheureux de tous les esclaves. Cet amour de l’or possède leur coeur, et il s’y retranche comme dans une place forte, d’où il leur impose tous les jours de nouvelles lois, pleines d’injustice et de violence, sans qu’aucun d’eux ose résister. N’opposez donc point de vains raisonnements à la voix de Dieu. Puisque Jésus-Christ a prononcé cet oracle, et qu’il a dit qu’il est impossible de servir deux maîtres, ne dites point que cela se peut. L’un de ces maîtres vous commande de voler le bien d’autrui, l’autre de donner ce qui est à vous. L’un veut que vous soyez chastes, et l’autre que vous soyez impurs. L’un vous porte (177) à la bonne chère, et l’autre vous recommande l’abstinence. L’un vous persuade d’aimer te monde, l’autre vous commande de le mépriser. L’un veut que vous admiriez le luxe et la magnificence des bâtiments, et l’autre que, pleins de mépris pour ces vanités, vous n’aimiez que la beauté de la vertu et de la sagesse. Comment donc pouvez-vous servir tout ensemble ces deux maîtres, puisqu’ils vous commandent des choses toutes contraires?

2. Jésus-Christ donne à l’argent le nom de « maître, » non qu’il soit tel par sa nature, niais parce qu’il le devient par l’esclavage volontaire de ceux qui lui sont assujétis. C’est ainsi que saint Paul appelle le ventre un « Dieu   (Phil. III, 49),» pour marquer, non la dignité du tyran, mais la bassesse de ceux qui le servent: service pire que tout supplice, et bleu capable, même avant tout supplice, de châtier celui qui s’y livre. Qu’y a-t-il donc au monde de plus misérable que ceux qui, ayant Dieu pour maître, quittent son joug si doux, pour s’asservir volontairement à ce tyran si cruel, dont l’esclavage leur est si pernicieux, même en cette vie? Car c’est de cet amour et de cette idolâtrie de l’argent que naissent une infinité de pertes, de procès, de querelles, de médisances, de guerres, de travaux, et de ténèbres intérieures et spirituelles; et, ce qui est encore plus à déplorer, c’est que cette servitude Si malheureuse nous ravit encore tous les biens du ciel.

Après que Jésus-Christ a montré par tout ce qu’il vient de dire combien il est avantageux en toute manière de mépriser les richesses, qu’en les méprisant on les conserve, et que cette disposition nous donne la paix du coeur, nous élève à la plus haute vertu, et nous rend fermes et inébranlables dans la piété, il montre maintenant que ce qu’il commande n’est point difficile. Car un sage législateur ne doit pas seulement ordonner des choses utiles, mais tâcher encore de les rendre aisées. Ainsi il ajoute: « C’est pourquoi je vous le dis, ne vous mettez point en peine pour votre âme, où vous trouverez de quoi boire et de quoi manger, ni d’où vous aurez des vêtements pour couvrir votre corps (25). »

Pour empêcher qu’on ne dise : Mais si nous quittons tout, comment pourrons-nous vivre? il prévient admirablement cette objection. S’il eût dit tout d’abord: « Ne vous mettez point u en peine de la nourriture, » cela eût pu paraître dur. Mais en faisant voir ce que produit l’avarice, il a disposé les esprits à recevoir cet avis. Il ne vient donc pas simplement et sans aucune précaution nous dire: « Ne vous mettez pas en peine. ». Il commence par émettre la raison, puis il énonce le précepte comme une conséquence qui en découle. « Vous ne pouvez, » dit-il, « servir Dieu et l’argent; c’est pourquoi, » ajoute-t-il, « je vous le dis, ne vous mettez point en peine » Qu’est-ce à dire « c’est pourquoi?» de quoi s’agit-il? D’une perte irréparable, non pas seulement d’un dommage d’argent, niais d’un coup mortel à tout ce qu’il y a de plus précieux en vous, je veux dire la perte du salut éternel; puisque ces soucis de l’argent vous séparent du Dieu qui vous a créé, qui prend soin de vous et qui vous aime.

« C’est pourquoi je vous dis: Ne vous mettez point en peine pour votre âme où vous trouverez de quoi boire et de quoi manger. » Il propose hardiment le précepte dans toute sa force, après qu’il a montré ce que l’on perdait à ne pas le suivre. Il veut que non seulement nous renoncions à notre bien, mais que nous ne nous mettions pas même en peine pour la nourriture la plus nécessaire: « Ne vous mettez point en peine pour votre âme, où vous trouverez de quoi boire et de quoi manger » Ce qu’il dit, non que l’âme ait besoin de nourriture, puisqu’elle est spirituelle, mais c’est une manière ordinaire dé parler dont il se sert. D’ailleurs, encore qu’elle n’ait pas besoin de nourriture, elle ne pourrait néanmoins demeurer dans un corps qui en manquerait.

Mais lorsque Jésus-Christ interdit ces soins, il ne le fait pas d’une autorité absolue. Il sa sert pour nous le persuader, d’une raison qu’il tire de ce qui se passe en nous-mêmes, et d’autres comparaisons sensibles. « L’âme n’est-elle pas plus que la nourriture; et le corps plus que le vêtement (45)? » Comment donc Celui qui donne ce qui est plus considérable ne donnera-t-il pas aussi ce qui l’est moins? Comment Celui qui a formé la chair dans cette nécessité d’être nourrie, ne lui donnera-t-il pas cette nourriture dont il a voulu qu’elle eût besoin? C’est pourquoi il ne dit pas simplement: « Ne soyez point en peine où vous trouverez de quoi vivre; » mais il ajoute: « pour votre âme et pour votre corps, » parce qu’il voulait appuyer son discours par la comparaison de l’une et de l’autre de ces deux parties (178) qui composent l’homme. Car une fois que Dieu a donné l’âme, elle demeure ce qu’elle est: mais le corps croît tous les jours. Après avoir ainsi fait voir l’immortalité de l’âme et la fragilité du corps il ajoute : « qui d’entre vous peut ajouter à sa taille naturelle la hauteur d’une coudée? » Il ne parle point ici de l’âme parce qu’elle est incapable d’accroissement, mais seulement du corps, qui selon cette parole reçoit son accroissement non de la nourriture, mais de la providence de Dieu; pensée que saint Paul exprime différemment en disant: « Celui qui plante n’est rien, celui qui tu arrose n’est rien, mais tout est de Dieu qui s donne l’accroissement. » (I Cor. III, 7.) Voilà donc les raisons qu’il tire de ce qui se passe dans nous; puis il a recours à des comparaisons tirées d’ailleurs: «Considérez » dit-il « les oiseaux du ciel; ils ne sèment, ni ne moissonnent, ni n’amassent rien dans des greniers; mais votre Père céleste les nourrit. N’êtes- vous pas sans comparaison plus grands «qu’eux? (26) Pour nous empêcher de croire que ces soins que Jésus-Christ nous défend, puissent nous être fort avantageux, il nous en fait voir clairement l’inutilité dans les plus grandes comme dans les plus petites créatures: dans les plus grandes, comme sont notre âme et notre corps; et dans les plus petites, comme sont les oiseaux du ciel. Si sa providence, nous dit-il, témoigne tant de soin pour des êtres qui sont beaucoup moins que vous, comment vous manquera-t-elle? C’est ainsi qu’il parle au peuple assemblé; mais il ne traite pas ainsi le démon. Il repousse sa tentation par une raison bien plus relevée. « L’homme, » lui dit-il, « ne vit pas seulement de pain, mais de toute s parole qui sort de la bouche de Dieu. »(Matth. IV.) Il se contente ici de parler des « oiseaux du ciel » à ce peuple, manière excellente d’exhorter et d’avertir, et qui ne pouvait qu’agir fortement sur ces esprits.

3. Mais quelques impies en sont venus à ce degré de démence, que d’oser trouver à redire dans ces paroles du Sauveur. Il ne devait pas, disent-ils, proposer aux hommes l’exempte des oiseaux, puisqu’il voulait porter les hommes à agir librement et volontairement, au lieu que les oiseaux n’agissent que par l’instinct et le mouvement de la nature. Que répondre à cela sinon que nous pouvons acquérir par la volonté ce que la nature a donné aux oiseaux? Aussi Jésus-Christ, ne dit pas : Considérez que les oiseaux du ciel volent, parce que nous ne pouvons pas les imiter en cela, mais qu’ils n’ont point de soin de leur nourriture, ce que nous pouvons faire aisément si nous le voulons.

L’exemple des saints qui ont vécu selon ce précepte, en est une preuve. Admirable sagesse du divin Législateur qui pouvant nous proposer l’exemple de tant d’excellents hommes, comme de Moïse, d’Elie, de saint Jean, et de tant d’autres, qui ne se sont mis nullement en peine de trouver de quoi se nourrir, aime mieux se servir de celui des oiseaux, comme plus capable de frapper l’esprit de ses auditeurs et de ses disciples. Car s’il leur eût donné ces hommes de Dieu pour modèle, ils lui eussent peut-être répondu qu’ils n’étaient pas encore arrivés comme ces saints, au comble de la vertu. Mais en ne leur proposant que l’exemple des oiseaux, ils ne pouvaient pas s’excuser, et ils devaient plutôt rougir de ne pouvoir pas les imiter.

Il imite encore en ce point l’ancienne loi, qui renvoie quelquefois les hommes à l’exemple de l’abeille, de la fourmi, de la tourterelle, et de l’hirondelle. Et ce n’est pas une petite preuve de la gloire, et de la grandeur de l’homme, de pouvoir imiter par le choix libre de sa volonté, ce que ces animaux font par la nécessité de l’instinct de la nature. Si donc Dieu prend tant de soin des choses qu’il a crées pour nous, combien en prendra-t-il plus de nous-mêmes? S’il veille tant sur les serviteurs, combien veillera-t-il plus sur le maître? C’est pourquoi après avoir dit: « Regardez les oiseaux du ciel, » il n’ajoute point: que ces oiseaux ne s’occupent point à des commerces et à des trafics injustes parce qu’il semblerait n’avoir eu en vue que les hommes les plus méchants et les plus avares ; mais seulement « qu’ils ne sèment et qu’ils ne moissonnent point. »

Quoi donc! me direz-vous, voulez-vous nous empêcher de semer? Jésus-Christ ne défend point de semer; mais il défend d’avoir trop de soin de ce qui est même le plus nécessaire. Il ne défend point de travailler, mais il ne veut pas qu’on travaille avec défiance, et avec inquiétude Il vous promet donc, et il vous commande même de vous nourrir; mais il ne veut pas que ce soin vous tourmente, et vous embarrasse l’esprit. David avait longtemps auparavant marqué cette vérité obscurément (179) « Vous ouvrez votre main, et vous remplissez de bénédiction tout ce qui a vie. » (Psal. CXLIV, V. 16.) Et ailleurs: « Dieu donne aux animaux et aux petits des corbeaux, la nourriture qu’ils lui demandent. » (Ps. CXLVI, 16.)

Vous me direz, peut-être, quel est l’homme qui puisse s’exempter de ces soins? Ne vous souvenez-vous point de tant de justes que je viens de vous nommer? Ne savez-votas pas encore que le patriarche Jacob sortit nu de son pays et qu’il dit: « Si le Seigneur me donne du pain pour manger et des habits pour une « couvrir, » etc. (Gen. XXVIII, 20.) Ce qui marque assez qu’il n’attendait point sa nourriture de ses soins, mais de Dieu seul. C’est ce que les apôtres ont fait depuis en quittant tout et ne s’inquiétant de rien. On a vu ces cinq mille personnes ensuite, et ces trois mille autres pratiquer la même chose. Si après toutes ces raisons et tous ces exemples, vous ne pouvez vous résoudre à vous décharger de ces soins qui sont comme des chaînes qui vous accablent; reconnaissez au moins combien ils vous sont inutiles, et que cette inutilité vous porte à vous en dégager. « Car qui est celui d’entre vous qui puisse avec tous ses soins ajouter à sa taille naturelle la hauteur d’une coudée (27)?» Il se sert de la comparaison d’une chose claire, pour en faire comprendre une qui est obscure et cachée. Comme avec tous vos soins, dit-il, vous ne pouvez faire croître votre corps, vous ne pouvez de même avec toutes vos inquiétudes, quelque nécessaire que vous les croyiez, vous assurer votre nourriture. Ceci nous fait donc voir que ce ne sont point nos soins particuliers, mais la seule providence de Dieu qui fait tout dans les choses mêmes où nous paraissons avoir plus de part : que si Dieu nous abandonnait, rien ne nous pourrait soutenir; et que nous péririons avec tous nos soins, toutes nos inquiétudes, et tous nos travaux.

4. Ne disons donc point, mes frères, que ces commandements de Dieu sont au-dessus de nos forces, et impraticables. Il y a encore aujourd’hui, par la miséricorde de Dieu, plusieurs personnes qui les accomplissent. Si vous l’ignorez, je ne m’en étonne pas, puisque Eue croyait être seul, lorsque Dieu lui dit : «Je me suis réservé sept mille hommes, qui n’ont point fléchi le genou devant Baal. » (III Rois, VIII, 13.) Cet exemple doit nous convaincre qu’il y en a encore aujourd’hui qui mènent une vie apostolique, et qui imitent les premiers chrétiens, dont il est parlé dans les Actes. Si nous ne le croyons pas, ce n’est pas que cette vertu si excellente ne se trouve encore en plusieurs; mais c’est qu’elle est trop disproportionnée à notre faiblesse et à notre esprit. Nous sommes semblables en cela à un homme sujet au vin, qui ne. peut croire qu’il y en ait qui non-seulement n’en boivent point, mais qui ne boivent même de l’eau qu’avec réserve et avec mesure, comme tant d’excellents solitaires dans les déserts; ou bien nous ressemblons à un impudique qui ne peut croire qu’on puisse vivre dans le célibat, et demeurer toujours vierge; ou à un voleur qui accoutumé à ravir le bien d’autrui, ne peut comprendre comment on peut donner aux autres le sien propre. C’est ainsi que ceux qui sont déchirés tous les jours de mille soins, ne peuvent croire qu’il y en ait plusieurs qui en soient exempts, et qui vivent dans une profonde paix.

Il nous serait donc aisé de faire voir, par l’exemple de ceux dont la vie est encore aujourd’hui conforme à cette règle qui nous est prescrite dans l’Evangile, combien de chrétiens ont suivi autrefois cet excellent précepte de Jésus-Christ. Mais pour vous, mes frères, il vous suffit d’abord d’apprendre à n’être point avares, de savoir que l’aumône est une vertu très agréable à Dieu, et que vous devez faire part de vos biens aux pauvres. Ces premières pratiques de piété vous conduiront peu à peu à un plus haut degré de vertu. Commençons donc par retrancher ces magnificences superflues; contentons-nous d’une juste médiocrité, et ne pensons à acquérir du bien, que par un travail et un emploi légitime.

Nous voyons que saint Jean ne recommandait d’abord aux publicains et aux soldats, que de se contenter de leurs gages. Son zèle eût bien voulu passer plus loin, et les élever à une plus haute perfection; mais comme ces hommes n’en étaient pas encore capables, il use de condescendance et se contente de leur proposer ces avis pour ainsi dire tout élémentaires; s’il avait voulu leur donner les enseignements les plus hauts, ils n’auraient pas même tenté de suivre ceux-ci, et ils auraient peut-être encore manqué à ceux-là. C’est ainsi que nous tâchons de vous faire entrer d’abord dans les exercices les plus bas et les plus faciles de la vertu. Nous savons que l’état des parfaits qui renoncent à tout et qui ne possèdent rien, est au-dessus de (180) vos forces, et que cette haute vertu est aussi éloignée de vous, que le ciel l’est de la terre. Exerçons-nous donc au moins à pratiquer les commandements les plus faciles, et nous y trouverons la consolation et le salut de nos âmes.

Il s’est trouvé même. des philosophes grecs, qui ont fait ce que je vous dis, et qui ont quitté tout leur bien, quoique par un mouvement qui n’était pas celui qu’il fallait. Mais pour vous, je me contenterai que vous fassiez de grandes aumônes; nous arriverons bientôt à la perfection de la vertu, si nous y montons par ces degrés. Que si nous ne faisons pas même ces premiers pas, quelle excuse nous restera-t-il si, étant obligés d’être plus justes que les justes de l’ancienne loi, nous le sommes moins que les philosophes païens? Que serait-ce si, devant être des anges et des enfants de Dieu, nous ne nous conservons pas même la qualité d’hommes? Car ce n’est plus garder la douceur d’un homme, que de ravir le bien d’autrui. C’est imiter la cruauté des bêtes les plus farouches, et la passer même en quelque sorte. Les bêtes ne suivent que l’instinct que la:nature leur donne. Mais nous, après avoir été honorés de la raison, nous violons la nature même, et nous dégénérons de l’excellence de l’homme dans la bassesse des bêtes.

Considérons sérieusement, mes frères, quelle est cette haute vertu que Jésus-Christ nous propose en cet Evangile; et si nous ne pouvons pas y atteindre, efforçons-nous au moins d’y faire quelque progrès. C’est ainsi que nous nous délivrerons des supplices à venir, et que nous avançant de degré en degré, nous monterons jusqu’au comble de tous les biens que je vous souhaite, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire et l’empire, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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Capturé par MemoWeb à partir de http://membres.lycos.fr/abbayestbenoit/Matthieu/021.htm  le 6/06/2003