Matthieu 16, 24-28

Matthieu 16,24-28
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HOMÉLIE LV.

« ALORS JÉSUS DIT A SES DISCIPLES SI QUELQU’UN VEUT VENIR APRÈS MOI, QU’IL RENONCE À SOI-MÊME, QU’IL SE CHARGE DE SA CROIX, ET QU’IL ME SUIVE. » (CHAP. XVI, 24, JUSQU’AU VERSET 28.)

ANALYSE

1. Précepte du renoncement à soi-même; en quoi il consiste.

2 et 3. Porter sa croix et suivre Jésus-Christ pour arriver au salut, à la vie, aux récompenses éternelles.

4. A quoi sert la santé du corps si l’âme est malade? — Le Père et le Fils ont la même substance comme la même gloire.

5 et 6. Eloge des solitaires et de leur genre de vie. — Leur formule de prière. — Les gens du monde pourraient et devraient imiter les solitaires.

1. « Jésus dit alors à ses disciples, » c’est-à-dire lorsque saint Pierre lui eut dit: « A Dieu ne plaise, Seigneur, cela ne vous arrivera pas, » et que Jésus-Christ eut répondu:

« Retirez-vous de moi, Satan; » car le Fils de Dieu ne se contenta pas d’une réprimande si sévère. Il voulut faire voir quelle était la vanité des paroles de cet apôtre, et quel serait le fruit, au contraire, que tout le monde tirerait de sa passion. Vous m’exhortez, lui dit-il, à avoir pitié de moi-même et vous désirez que ces souffrances ne m’arrivent pas; et moi je vous dis au contraire que non-seulement il vous serait très-dangereux de vous opposer à ma croix et d’empêcher que je ne meure pour vous, mais que vous périrez très-certainement et que vous ne pourrez prétendre aucune part au salut, si vous n’êtes disposé vous-même aux souffrances et toujours prêt à la mort. Il veut que ses disciples reconnaissent qu’il n’était pas indigne de lui de mourir en croix et de mourir non-seulement pour les raisons qu’il leur avait déjà dites, mais encore pour les grands avantages que sa mort produirait pour toute la terre. Il dit dans l’Evangile de saint Jean « Que si le grain de froment ne meurt lorsqu’il est en terre, il demeure seul, mais qu’après qu’il est mort il rapporte beaucoup de fruit. (Jean, XIX, 24.)

Et pour étendre encore cette vérité plus loin, dans cet endroit de saint Matthieu, il montre que non-seulement il faut qu’il meure lui-même, mais que tous ses véritables disciples s’y doivent aussi préparer. Il y a, leur dit-il, tant de biens renfermés dans ces souffrances passagères, qu’un de vos plus grands malheurs c’est de ne les vouloir pas accepter et de craindre de mourir; comme votre plus grand bonheur, c’est d’être toujours prêts à faire ce sacrifice. C’est ce qu’il montre clairement par toute la suite, quoique jusque-là il n’eût voulu découvrir cette vérité qu’en partie.

Et remarquez, mes frères, la sagesse avec laquelle Jésus-Christ parle en cet endroit. Il n’engage et ne force personne. Il ne dit point:

Quoique vous le vouliez, ou que vous ne le vouliez pas, il faut nécessairement que vous enduriez des maux. Il dit seulement : « Si « quelqu’un veut venir après moi. » Je ne contrains et ne violente personne. Je laisse tout le monde à soi et libre de faire ce qu’il voudra. C’est pourquoi je dis: « Si quelqu’un veut. »Car c’est à des biens que je vous invite et non à des maux. Je ne vous appelle point à un état de misères ni aux rigueurs d’un supplice pour user envers vous de contrainte. Les biens que je vous propose sont assez grands pour vous attirer d’eux-mêmes à écouter ce que je vous dis. Mais ces paroles formaient l’exhortation la plus puissante qu’il pût employer. Celui qui violente et qui force quelqu’un, lui donne souvent de l’éloignement et augmente son aversion, Lorsqu’au contraire on laisse celui à (428) qui l’on propose une chose, libre de la faire ou de ne la faire pas, c’est un moyen bien plus puissant pour l’attirer à ce qu’on désire de lui. Car les paroles douces et obligeantes font plus d’effet sur nos esprits que la force et la contrainte.

C’est pour cette raison que Jésus-Christ dit sans user de violence : « Si quelqu’un veut, »etc. Les biens que je vous offre, dit-il, sont si grands et si considérables, qu’ils méritent assez que vous y couriez de vous-mêmes et que vous les désiriez de votre propre mouvement. Si quelqu’un vous proposait de grandes sommes d’argent, il ne vous ferait aucune violence en vous invitant à les recevoir. Si donc vous ne croyez point que l’on vous force dans ces rencontres, combien le devez-vous moins croire lorsqu’on vous offre tous les biens du ciel? Si la seule grandeur de ces biens inestimables qu’on vous propose ne vous attire par elle-même et ne vous entraîne à tâcher de les acquérir, vous êtes indignes de les recevoir; et quand vous les auriez reçus, vous n’en comprendriez pas le prix. C’est pourquoi Jésus-Christ ne contraint ici personne. Il nous laisse à nous et il se contente de nous exhorter à nous y porter de nous-mêmes.

Comme les apôtres paraissaient surpris de cette parole, il semble que Jésus-Christ leur dise : Il n’est point nécessaire que vous vous troubliez de la sorte. Si vous ne croyez point que ce que je vous propose vous soit une source de biens et le plus grand bonheur qui puisse vous arriver, je ne vous y forcerai pas. Je ne prétends contraindre personne. Je n’appelle à moi que celui « qui me veut suivre. » Et ne croyez pas, mes disciples, que j’appelle « me suivre », ce que vous avez fait jusqu’ici en m’accompagnant dans mes voyages, il faudra que vous enduriez bien d’autres travaux, et que vous passiez par des afflictions bien plus sensibles, si vous êtes résolus de me suivre de la manière que je l’entends. Et vous, Pierre, qui venez de confesser que je suis le Fils de Dieu, ne prétendez pas que pour cette confession, vous deviez attendre la couronne de la gloire. Ne vous imaginez pas que ce soit assez pour le salut et que vous n’ayez plus qu’à vivre dans une pleine assurance comme ayant satisfait à tout. Je pourrais assez, étant le Fils de Dieu, vous empêcher de tomber dans ces malheurs, et prévenir par ma puissance tous les périls qui vous pourront arriver, mais je ne le veux pas faire à cause de vous-même et pour votre propre bien, afin que vous contribuiez de votre part à votre bonheur, et que vos souffrances redoublent un jour votre gloire. Si quelqu’un aimait un athlète, il ne voudrait pas qu’on le couronnât, seulement parce qu’il est son ami. Il veut qu’il travaille et qu’il mérite sa couronne; et plus il l’aime, plus il désire qu’il s’efforce de s’en rendre digne. C’est ainsi que Jésus-Christ nous traite. Plus il chérit une âme, plus il veut qu’elle contribue pour sa part à son bonheur et à sa gloire. Il ne peut souffrir que sa grâce fasse tout en elle et qu’elle n’y réponde point par ses travaux.

Mais admirez comment il tâche de leur rendre moins odieux ce qu’il leur dit. Il ne l’adresse pas à eux seuls en particulier, mais il le propose comme une maxime générale pour tout le monde. « Si quelqu’un veut : » homme ou femme, roi ou sujet, « Si quelqu’un veut venir après moi, » il faut que ce soit par cette voie. Il semble, mes frères, que Jésus-Christ ne dise qu’une seule chose, et il en dit trois. Il commande à l’homme de « se renoncer lui-même, de porter sa croix et de le suivre. » Ces deux premiers commandements, « se renoncer soi-même et porter sa croix, » sont joints ensemble; mais le dernier qu’il ajoute, « de le suivre », est proposé séparément.

Examinons d’abord ce que c’est que « se « renoncer soi-même. » Pour le bien comprendre, il faut voir ce que c’est que renoncer un autre homme. Celui qui renonce quelqu’un, frère, parent, domestique ou quelqu’autre que ce puisse être, a pour lui une haine irréconciliable. Quand il le verrait outragé, fouetté cruellement, ou chargé de rudes chaînes, il ne le secourrait pas; il ne compatirait pas à ses maux et ne serait point touché de toutes ses peines, parce qu’il n’a pour lui qu’une extrême aversion et une haine mortelle. C’est ainsi que Jésus-Christ nous commande d’abandonner notre corps. Il veut que nous l’épargnions si peu que, quand on le déchirerait par les fouets, qu’on le tourmenterait sur les chevalets, qu’on le livrerait aux flammes, ou qu’on lui ferait souffrir quelque autre tourment semblable, nous soyons prêts à souffrir tout sans avoir compassion de ses maux. Car c’est proprement par cette cruauté apparente que nous avons pitié de lui. (429)

Les pères ne témoignent jamais mieux combien ils aiment leurs enfants, que lorsqu’ils les abandonnent à des maîtres sévères, et qu’ils leur commandent de ne point les épargner. C’est ainsi que Jésus-Christ nous commande de traiter notre propre corps. Il ne nous dit pas simplement que nous ne l’épargnions pas; mais que nous « le renoncions, » c’est-à-dire que nous l’abandonnions aux périls et aux souffrances, et que nous ayons moins de compassion de lui que d’un étranger ou d’un ennemi. Et il ne dit pas arnesasto, mais aparnesasto, terme beaucoup plus fort.

2. « Qu’il porte sa croix. » C’était une suite du renoncement que Jésus-Christ vient de nous commander. Car afin que vous ne croyiez pas que œ renoncement de vous-mêmes ne devait aller qu’à souffrir simplement des paroles, des injures et des outrages, Jésus-Christ marque jusqu’à quel point vous devez vous renoncer, c’est-à-dire, jusqu’à mourir, et à mourir d’une mort infâme comme celle de la croix, et à la porter non une ou deux fois, mais durant toute votre vie. Portez, dit-il, continuellement votre croix; ayez la mort toujours présente devant les yeux, et soyez toujours prêts à vous laisser égorger comme un agneau que l’on conduit à la boucherie. Il se voit assez de personnes qui ont la force de mépriser les biens, les plaisirs et la gloire, et qui ne peuvent mépriser la mort, Ils ne peuvent se mettre au-dessus de tous les périls, dont la seule vue les fait pâlir. Mais moi je veux que celui qui veut être mon disciple se prépare aux maux, qu’il soit prêt à répandre jusqu’à la dernière goutte de son sang, qu’il passe gaiement des injures aux outrages, et des outrages à la mort, qu’il embrasse généreusement la mort la plus honteuse, et que plus elle est infâme, plus il s’en réjouisse.

« Et qu’il me suive. » Jésus-Christ ajoute ces paroles avec grande raison. Il y a bien des personnes qui souffrent mais qui ne « suivent » pas le Sauveur, parce qu’elles ne souffrent pas pour lui. Les voleurs, les sorciers, les meurtriers, les violateurs des tombeaux souffrent tous les jours de cruelles peines; mais ils se les sont attirées eux-mêmes. Ainsi ce n’est pas assez de souffrir en général, Jésus. Christ marque en particulier quel doit être le sujet de nos souffrances, lorsqu’il veut que nous le suivions, que nous endurions tout pour lui, et que nos souffrances soient accompagnées de toutes les autres vertus. Car c’est ce que marque ce mot, « et qu’il me suive. »C’est-à-dire, qu’il témoigne non-seulement du courage dans les souffrances, mais de l’humilité, de la douceur, de la modestie, et tout ce qui est nécessaire pour souffrir en vrai chrétien.

Suivre Jésus-Christ comme on le doit suivre, c’est avoir soin, lors même qu’on souffre, de pratiquer toutes les autres vertus, et de souffrir seulement pour Jésus-Christ. Car le démon a aussi des disciples qui le suivent, qui souffrent les mêmes maux pour lui, que nous souffrons pour le Sauveur; qui lui sacrifient misérablement leur vie, et qui n’ont aucune crainte de la mort la plus sanglante. Pour nous, nies frères, nous souffrons, non pour le démon, mais pour Jésus-Christ. Nous souffrons pour nous-mêmes et pour nous sauver, au lieu que ceux-là ne souffrent que pour se perdre, et dans ce monde et dans l’autre. Nous souffrons pour acheter par nos souffrances une double vie, et ils souffrent pour passer de leurs souffrances dans une double mort. Ne serait-ce pas être lâche que de ne pas témoigner autant de courage pour nous sauver, que ces malheureux en témoignent pour se perdre; de ne pas endurer des maux qui nous produisent tant de gloire, surtout lorsque Jésus-Christ est présent pour nous assister, pendant que ceux-là souffrent sans trouver aucun appui dans leurs souffrances?

Jésus-Christ avait déjà presque donné ce même commandement à ses apôtres, lorsqu’en les envoyant il leur dit : « N’allez point dans la voie des Gentils. Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups, et vous serez conduits devant les princes et les rois. »(Matth. X, 5; Luc, X, 3.) Mais il marque ici la même chose en des termes bien plus forts et, bien plus terribles. Il ne parlait alors que de la mort; mais il parle ici de la « croix», et d’une croix continuelle : « Qu’il porte sa « croix», dit-il, c’est-à-dire, qu’il la porte en tout temps et dans tous les lieux. C’est la coutume que le Sauveur garde partout. Il ne commande point tout d’abord les choses les plus parfaites et les plus relevées. Il nous y porte insensiblement et comme par degrés, afin que nous n’en soyons point frappés d’abord, et que nous devenions plus disposés à les recevoir.

Mais, comme ces commandements (430) paraissaient extrêmement durs, admirez comment le Sauveur les adoucit. Il relève le courage de ses apôtres, en leur proposant le prix inestimable dont il les récompenserait. Il ne se contente pas de leur faire voir seulement les biens qu’ils mériteraient par ces souffrances il leur montre encore les maux qu’ils éviteraient, sur lesquels même il s’arrête davantage que sur les biens, parce qu’il savait que les hommes sont moins touchés des promesses des récompenses, que des menaces des supplices. Voyez donc comment, après avoir commencé son discours par là, il le termine de même.

« Car celui qui voudra sauver son âme la perdra, et celui qui la perdra pour l’amour de moi, la sauvera (25). » C’est comme s’il leur disait : Il semble que je ne vous épargne point, en vous ordonnant de souffrir ces maux. Cependant, je ne le fais que pour vous épargner davantage. Le père qui épargne son fils, le perd. Celui qui ne l’épargne point, le sauve. Le Sage a dit: « Si vous frappez votre fils de verges, il ne mourra pas, et vous sauverez son âme de la mort. » Et ailleurs : « Celui qui aime son fils fermera ses plaies, et bandera ses blessures. » (Prov. XXIII, 13; Eccli. XXX, 7.) C’est ainsi que les généraux d’armée agissent envers leurs soldats. Si, pour les épargner, ils leur commandaient de ne point sortir du camp, ils les perdraient sans ressource. Afin donc, mes disciples, que vous ne tombiez pas dans ce malheur, je vous commande de vous tenir toujours préparés à la mort. Vous allez être en butte à une cruelle et sanglante guerre. Ne vous tenez donc pas à l’ombre. Ne vivez pas d’une vie lâche et molle, mais sortez du camp, et témoignez votre courage en combattant vos ennemis. Si vous mourez dans cette guerre, c’est alors que vous trouverez la vie.

3. On voit ici que, dans les armées, le soldat le plus résolu à la mort, est aussi celui qui se fait le plus remarquer, qui est le plus invincible, et qui donne plus de terreur à ses ennemis. Cependant, s’il mourait alors, le prince pour qui il combat ne lui redonnerait pas la vie, et ne lui pourrait témoigner sa reconnaissance. Combien donc, dans cette guerre toute sainte, où nous sommes animés d’une espérance si ferme de la résurrection, devons-nous être prêts à donner une vie que nous retrouverons un jour? Nous le devons, premièrement, parce que sacrifier sa vie est quelquefois le plus sûr moyen de la sauver; ensuite, parce que si nous la perdons, nous en retrouverons une autre infiniment plus heureuse. Mais, comme Jésus-Christ avait dit: « Celui qui veut sauver son âme la perdra, » il explique dans la suite ce qu’il entend par ce mot de « sauver », afin qu’on ne confondît pas ce faux salut avec le salut qu’il donne.

« Que servirait-il à un homme de gagner le monde entier et de perdre son âme? Et que donnera l’homme en échange de son âme (26)? » Vous voyez donc, mes frères, que ce faux salut est une véritable « perte », pire que toutes les pertes d’ici-bas, puisqu’elle est sans remède, et qu’elle ne se peut réparer. Ne me dites point, dit Jésus-Christ, que celui qui, par sa lâcheté, éviterait tous les maux que je vous prédis, aurait sauvé son âme. Comparez son âme, si vous voulez, avec le monde entier, et jugez quel avantage il trouverait de le posséder tout entier, s’il perdait enfin son âme. Si vos domestiques vivaient dans toutes sortes de délices, pendant que vous, qui êtes leur maître, seriez accablé de maux, quel avantage auriez-vous d’être le maître de ces personnes heureuses, étant si misérable vous-même? C’est ainsi que vous devez regarder votre âme. Elle gémit pendant que le corps est dans la joie; et lorsque l’un est plein de force et de vigueur, l’autre est toute languissante et sans force: « Car, que donnera l’homme en échange de son âme ? »A-t-il une autre âme qu’il puisse donner pour la racheter?

Si vous avez perdu de l’argent, vous le pouvez remplacer par d’autre argent. Si vous avez perdu une maison ou des esclaves, ou quelque autre chose semblable, vous pouvez les racheter. Mais si vous perdez votre âme, vous n’en avez point d’autre que vous puissiez donner en échange pour la recouvrer. Quand vous seriez roi de tout l’univers, vous ne pourriez, en donnant tout ce que vous y possédez, trouver de quoi racheter votre âme. Et faut-il s’étonner que cela vous arrive à l’égard de votre âme, puisque cela n’est que trop vrai à l’égard de la vie du corps? Quand vous auriez cent’ royaumes, pourriez-vous en les donnant guérir une maladie mortelle? Pourriez-vous par toutes vos richesses vous rétablir en santé, et vous arracher d’entre les bras de la mort? Jugez par là de votre âme, et croyez que ce (431) que je vous dis est encore bien plus vrai d’elle qu’il ne l’est du corps.

C’est pourquoi je vous conjure, mes frères, de renoncer à tout autre soin, et de ne veiller à l’avenir qu’à la garde de votre âme. Appliquez sur elle toute votre vigilance. Ne soyez pas si malheureux que de vous embarrasser pour des choses superflues, et qui vous sont étrangères, pendant que vous négligez ce qui vous doit être le plus cher. Cependant c’est le malheur où nous voyons tomber aujourd’hui presque tous les hommes. Ils sont semblables à ceux qui travaillent aux mines. Ces mines d’or et d’argent ne les enrichissent point; et au lieu de trouver quelque avantage pour eux au milieu de tant de trésors, ils n’y trouvent que leur perte. Ils souffrent des travaux horribles, et les autres en ont le fruit. Ils passent une vie misérable dans une longue suite de périls, et leurs périls ne servent que pour établir le repos des autres. Leurs sueurs leur sont stériles pour eux-mêmes; et ils n’en tirent d’autre avantage que leur propre mort.

4. Il y a bien des hommes aujourd’hui qui imitent ces malheureux, et qui ne travaillent que pour amasser du bien aux autres. Je trouve ces gens encore même plus misérables que ceux qui travaillent aux métaux; puisque ces travaux, quoique pénibles, sont moins terribles que l’enfer, qui est la malheureuse fin de tous les travaux des avares. Ceux-là trouvent au moins dans la mort la fin de leurs sueurs et de leurs peines; au lieu qu’elle devient pour les avares le renouvellement de leurs maux. Si vous me répondez que vous jouirez vous-même du fruit de vos travaux lorsque vous serez bien riche, montrez-moi comment votre âme en sera plus dans la joie, et alors je vous croirai. Car vous savez que notre âme est ce que nous avons de plus précieux. Mais si ce n’est que le corps qui s’engraisse, lorsque l’âme sèche de jour en jour, que vous sert cette abondance de biens que vous possédez? Que sert le plaisir de la servante lorsque la maîtresse se meurt ? Que sert le vêtement magnifique, lorsque le corps est près -de mourir? C’est pourquoi Jésus-Christ insiste beaucoup sur ce point, et il redit encore a Que donnera l’homme en échange de son « âme? » voulant par toutes sortes de moyens nous rappeler au soin de notre âme , et nous apprendre à n’estimer qu’elle. Jésus-Christ donc, après avoir étonné ses apôtres par ces paroles de terreur, les console dans la suite.

« Le Fils de l’homme doit venir dans la « gloire de son Père avec ses anges, et alors il rendra à chacun selon ses oeuvres (27). »Vous voyez par ces paroles que la gloire du Père et du Fils est la même gloire. Que s’ils n’ont que la même gloire, il est clair aussi qu’ils n’ont que la même substance. Car si, selon saint Paul, il se trouve dans une même substance, une inégalité de gloire: « La gloire du soleil, » dit-il, « est autre que celle de la lune, et celle de la lune est différente de celle des étoiles, et une étoile est différente d’une autre étoile en clarté (I Cor. XV, 41),» quoique tous ces astres ne soient que d’une même substance; comment lorsque la gloire est la même, la substance pourrait-elle être différente? Car Jésus-Christ ne dit pas qu’il viendra dans une gloire pareille à celle de son Père, ce qui nous eût laissé lieu de douter; mais il marque précisément qu’il viendra « dans la gloire de son Père, » pour faire voir que la gloire de l’un est la gloire même de l’autre. Pourquoi donc, dit Jésus-Christ à son apôtre, pourquoi, ô Pierre, tremblez-vous, lorsque je vous parle de ma mort, puisque c’est alors que vous me verrez dans la gloire de mon Père; et que si je suis dans la gloire, vous y serez aussi vous-même? Les biens que je vous destine ne se termineront pas sur la terre. Vous ne sortirez de cette vie que pour entrer dans une autre qui vous comblera d’une éternité de bonheur.

Mais lorsque Jésus-Christ a parlé des biens, il ne s’arrête pas là, Il ne veut pas terminer ce discours par des paroles si consolantes. Il y mêle encore la terreur de son jugement, la crainte de son tribunal, l’appréhension de ce compte exact qu’il nous redemandera, la frayeur de cet arrêt irrévocable, de ces yeux qui perceront jusqu’au fond des coeurs; de cette lumière à qui rien ne se pourra cacher, et de cette vérité qui ne pourra être surprise par aucun déguisement. Il tempère encore néanmoins ce discours terrible, et il mêle à des paroles si étonnantes, d’autres considérations qui relèvent notre courage. Car il ne dit pas qu’il punira alors les pécheurs ; mais « qu’il rendra à chacun selon ses oeuvres. » Il use à dessein de cette expression, afin que, représentant d’un côté aux pécheurs ce qu’ils doivent attendre, il assure de l’autre ceux qui (432) vivront selon ses règles de la récompense qui leur est promise.

Il est vrai, mes frères, que Jésus-Christ promettait de rendre à chacun selon ses oeuvres pour relever le courage des apôtres, et pour les consoler dans leur maux. Mais je vous avoue pour moi que je tremble en entendant ces paroles. Je reconnais que je ne suis point du nombre de ces saintes âmes qui attendent des couronnes. Je suis au contraire saisi de frayeur, quand je me regarde, et je crois qu’il y en a dans cette assemblée qui partagent avec moi mes appréhensions et mes craintes. Car qui de nous ne sera point frappé de ces paroles de Jésus-Christ, lorsqu’il rentrera sérieusement en lui-même? Qui de nous ne frémira d’horreur, qui ne se couvrira de sac et de cendre, et qui ne jeûnera plus que n’ont fait autrefois les Ninivites? Car il ne s’agit pas ici du renversement d’une ville ou d’une mort passagère, mais d’un supplice éternel, et d’un feu qui ne s’éteindra jamais.

5. c’est pourquoi j’admire ces bienheureux solitaires qui se sont retirés du milieu des villes pour aller vivre au fond des déserts. Je les estime heureux pour une infinité de raisons. Mais leur bonheur me touche encore davantage quand je sens mon coeur pénétré de crainte en pensant à ces paroles étonnantes. Tout le monde sait ce que ces hommes admirables disent tous les jours en sortant de table après le dîner ou plutôt après le souper; car ils ne dînent jamais, et ils sont trop persuadés que cette vie est un temps de jeûne et de tristesse. Lors donc qu’ils tendent leurs actions de grâces, ils se représentent chaque jour cette parole par laquelle Jésus-Christ vient de finir ce discours. Trouvez bon, mes frères, que je rapporte ici cette prière. tout entière ; afin qu’à l’imitation de ces saintes âmes, vous la puissiez avoir toujours dans la bouche et dans le coeurs, « Soyez béni, ô mon Dieu », disent-ils, « vous qui me nourrissez dès mon enfance, qui donnez à toute chair la nourriture dont elle a besoin, et qui remplissez nos coeurs de consolation et de joie, afin qu’ayant chaque jour ce qui est nécessaire à la nature, nous soyons riches en toutes sortes de bonnes oeuvres par Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui vous est due la gloire, l’honneur et l’empire avec le Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-i1. Gloire à vous, ô Seigneur ; Gloire à vous, ô Saint; Gloire à vous, ô Roi, qui nous avez donné de quoi nous nourrir. Remplissez-nous du Saint-Esprit, afin que nous puissions paraître agréables à vos yeux, et que nous ne soyons point couverts de confusion lorsque vous viendrez rendre à chacun selon ses oeuvres ».

Il n’y a rien dans cette action de grâces qui ne soit admirable; mais rien ne m’en paraît plus beau que les dernières paroles. Car, comme le temps du repas a coutume de dissiper l’âme et de la rendre pesante, ces bienheureux solitaires se servent alors de ces paroles comme d’un frein pour la retenir dans le devoir. ils la forcent, dans ce temps de relâche, de se souvenir du jour redoutable du jugement. Ils n’ignorent pas dans quel malheur les délices de la table et la bonne chère jetèrent autrefois les Israélites : « Mon bien-aimé », dit l’Ecriture, « a mangé et s’est engraissé, et il m’est devenu rebelle » .(Deut. XXII, 15.) C’est pourquoi Moïse dit: « Quand vous aurez bu et mangé, et que vous serez rassasiés, souvenez-vous alors du Seigneur votre Dieu » (Deut. VI, 11); parce que c’était alors que les Israélites avaient offensé Dieu par une honteuse idolâtrie. Prenez donc garde qu’il ne vous arrive alors un malheur semblable Vous ne sacrifiez point des brebis et d’autres animaux aux idoles de pierre et d’argent; mais craignez de sacrifier votre propre âme à la colère, et de l’immoler à la fornication et aux autres passions semblables.

C’est le malheur que craignent ces saints solitaires. Lorsqu’ils ont cessé de manger, ou, pour mieux dire, lorsqu’ils n’ont point cessé de jeûner, puisque leur repas même est un jeûne, ils rentrent dans le souvenir de ce jour terrible, et du jugement rigoureux de Jésus-Christ. Que si des personnages si saints, qui s’affligent sans cesse, qui passent leur vie dans le jeûne et dans les veilles; et qui ne couchent que sur la terre, ont encore besoin de se représenter la mémoire de ce jour; comment pouvons-nous espérer, nous autres, de vivre dans la modération chrétienne, nous qui sommes tous les jours à des tables où la tempérance est exposée à tant de périls, et qui n’adressons à Dieu nos prières, ni lorsque nous y entrons, ni lorsque nous en sortons?

Pour prévenir ces malheurs à l’avenir, usons de la même prière que ces bienheureux solitaires, et expliquons-la en passant; afin qu’en (433) reconnaissant les grands avantages qu’elle renferme, nous l’ayons continuellement dans le coeur, lorsque nous serons à table. Réprimons ainsi les désirs déréglés de notre concupiscence. Imitons la conduite de ces anges visibles, et réglons nos maisons d’après le modèle qu’ils nous tracent sur leurs montagnes. Vous devriez aller de vous-mêmes dans ces bienheureuses solitudes voir ces grands exemples de piété, et vous édifier par vous-mêmes de leurs excellentes vertus. Mais puisque vous ne le voulez pas faire ; écoutez-nous au moins, lorsque nous vous en parlons, et lorsque nous vous rapportons ces hymnes admirables, et ces divins cantiques qu’ils offrent à Dieu tous les jours en sortant de table. Que chacun de vous, mes frères, use à l’avenir de ces mêmes actions de grâces. Je vous redis encore une fois cette prière.

« Soyez béni, mon Dieu ». Ils obéissent d’abord à cette loi de l’Apôtre qui nous fait ce commandement: « Quoi que vous fassiez, faites tout au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, rendant grâces par lui à Dieu le Père». (Coloss. III, 17.)

Ils ne rendent pas grâces à Dieu seulement pour le jour présent, ils le font pour toute la vie : « Qui me nourrissez dès mon enfance ». Ces paroles renferment encore une grande instruction; car, puisque c’est Dieu qui nous nourrit lui-même, tous nos soins ne sont-ils pas superflus? Si le roi vous avait promis de vous donner tous les jours un plat de sa table, vous mettriez-vous encore en peine de la nourriture? Combien devez-vous donc bannir de vous tous ces soins, puisque Dieu même se charge de vous donner à manger? Aussi le dessein de ces saintes âmes, en faisant à Dieu cette prière, est de se persuader à elles-mêmes, et à tous ceux qui veulent se former sur leur manière de vie, qu’ils doivent se décharger entièrement de tous les soins de la nourriture.

Et afin qu’on ne crût pas qu’ils ne rendaient grâces à Dieu que pour leurs personnes seules, ils ajoutent : « Qui donnez à toute chair la nourriture dont elle a besoin ». Ils offrent à Dieu leur reconnaissance pour les grâces qu’il fait à toute la terre. Ils sont comme les pères communs de toute la terre. Ils remercient Dieu des biens qu’il fait en général à tous les hommes. Ils s’accoutument ainsi à les regarder tous comme leurs frères, et à avoir pour eux une charité très-sincère. Car comment pourraient-ils haïr ceux pour qui ils rendent à Dieu de très humbles actions de grâces ?Ainsi ces hymnes sacrés qu’ils récitent en sortant de table, les avertissent de se tenir unis de charité et d’affection avec tous les hommes, et de bannir tout le soin de la nourriture du corps. Car si Dieu « nourrit toute chair », s’il ne refuse. pas la nourriture aux plus méchants des hommes, la refuserait-il à ceux qui quittent tout pour s’attacher si étroitement à lui? s’il ne manque pas à ceux qui craignent toujours que ces secours ne leur manquent, manquera-t-il à ceux qui se sont déchargés sur lui de ces soins? N’est-ce pas ce que Jésus-Christ tâchait de nous persuader, lorsqu’il disait « que nous étions beaucoup plus considérables que les oiseaux » ? Ne voulait-il pas nous apprendre par ces paroles à ne point mettre notre confiance dans nos richesses et dans les biens de la terre ; puisque ce n’est point là proprement ce qui nous nourrit, mais la parole de Dieu? On peut voir en passant combien ces saints solitaires ferment la bouche aux Manichéens et aux Valentiniens, puisqu’un Dieu qui « nourrit toute chair», et qui offre si libéralement ses grâces à ceux même qui le blasphèment, ne peut certainement être mauvais.

« Remplissez nos coeurs de consolation et de joie». Croyez-vous, mes frères, que ces saints anachorètes demandent à Dieu par ces paroles qu’il les remplisse d’une joie charnelle et mondaine? Dieu nous garde de cette pensée! S’ils aimaient cette joie, ils ne la chercheraient pas dans la solitude des déserts les plus affreux, ni dans les montagnes les plus reculées; ils ne se seraient pas revêtus d’un sac, et ils ne mèneraient pas là vie que tout le monde sait qu’ils mènent. Ils ne cherchent que cette joie divine qui n’a rien de commun avec celle de la terre; cette joie des anges, et dont toute la céleste Jérusalem est comblée. Ils ne se contentent pas de la demander simplement, mais ils désirent même d’en jouir avec abondance. Car ils ne disent pas : donnez-nous cette joie; mais « remplissez-nous de cette joie »; ou plutôt ils ne disent pas : remplissez-nous-en, mais, « remplissez-en nos coeurs ». Car la principale joie de l’homme est celle qui réjouit son cœur. « Les fruits de l’Esprit », dit saint Paul, « sont la charité, la joie et la paix »: (Gal. V, 22.) Et comme c’est le péché qui a fait entrer la tristesse dans le monde, ils prient Dieu que, par (434) cette joie qu’ils lui demandent, il répande dans leur coeur cette justice sans laquelle il ne faut point espérer de joie.

« Afin qu’étant contents de ce que nous « avons, nous soyons remplis de bonnes «oeuvres ». Voyez combien ces saintes âmes accomplissent à la lettre cette parole de l’Evangile: «Donnez-nous aujourd’hui notre pain « de chaque jour». Et ils ne demandent même ce pain que par le rapport qu’il a avec les choses spirituelles, « afin », disent-ils, « que nous soyons remplis de toutes sortes de bonnes oeuvres. » C’est-à-dire, que nous ne fassions pas seulement ce que nous devons, mais que nous passions même au delà de ce qui nous est ordonné. C’est ce que marque ce mot : « Nous soyons remplis de toutes sortes de bonnes oeuvres. » Ainsi, ne demandant à Dieu que ce qui leur est précisément nécessaire pour la vie, ils souhaitent au contraire, non-seulement de lui obéir dans ce qui est absolument nécessaire pour le salut, mais encore de lui témoigner leur amour par une obéissance sans bornes et sans mesure. C’est là la marque des vrais serviteurs de Dieu; c’est là la marque des hommes généreux et des âmes vertueuses de se tenir toujours prêtes à toutes sortes de biens.

6. Mais pour s’humilier dans la vue et dans la connaissance de leur faiblesse, et pour protester que si la grâce de Dieu ne les soutient, ils sont incapables par eux-mêmes de former aucun bon dessein; après que ces saints solitaires ont dit: « Afin que nous soyons remplis « de toutes sortes de bonnes oeuvres», ils ajoutent aussitôt: « En Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui vous appartient l’honneur, la gloire « et l’empire avec le Saint-Esprit, dans tous les « siècles des siècles. Ainsi soit-il», ils finissent cette prière, comme ils l’avaient commencée, c’est-à-dire par l’action de grâces. Et ils semblent recommencer aussitôt une nouvelle prière, quoique ce ne soit que la suite de la précédente. C’est ainsi qu’a fait saint Paul dans ses épîtres. Il rompt souvent dès le commencement de sa lettre la suite de son discours pour donner des louanges à Dieu; comme lorsqu’ayant dit: « Selon la volonté de Dieu et du Père, à qui est la gloire dans tous les siècles. Ainsi soit-il (Gal. I, 4.) »; il reprend aussitôt la suite qu’il avait interrompue, et le sujet sur lequel il écrivait; ou comme lorsqu’il dit ailleurs : « Ils ont adoré et servi la créature plutôt que le Créateur qui est, béni dans tous les siècles. Ainsi soit-il».(Rom. I, 25.) Il ne finit pas là son discours, mais il le reprend aussitôt. Que personne donc ne condamne ces anges visibles, comme confondant leurs discours et ne gardant aucun ordre dans leurs prières, parce qu’après en avoir rompu la suite pour bénir Dieu, ils la reprennent aussitôt pour continuer leur saint cantique. Ils suivent en cela les règles et la pratique des apôtres; ils commencent et finissent toujours leurs discours par les louanges de Dieu.

« Gloire à vous, Seigneur; gloire à vous, ô Saint; gloire à vous, ô Roi, de ce que vous nous avez donné de quoi nous nourrir ». Ils nous apprennent par là à ne pas rendre seulement grâces à Dieu pour les plus grandes choses, mais encore pour les plus petites. Ils bénissent Dieu pour cette nourriture temporelle et confondent par leur humble reconnaissance, l’orgueil des manichéens et de tous ceux qui rejettent cette vie comme étant mauvaise. Car, de peur que leur éminente vertu et que ce mépris qu’ils font des aliments ne donnât lieu aux hommes de croire qu’ils les rejetaient avec horreur, et qu’ils s’en séparaient comme d’une chose qui était impure, ils font voir par cette prière que ce n’est -point par cette considération qu’ils s’abstiennent d’en user, mais seulement parce qu’ils désirent de pratiquer l’abstinence et le jeûne avec une sévérité plus exacte.

Il est très-remarquable qu’en rendant grâces à Dieu des dons qu’ils en ont déjà reçus, ils viennent aussitôt à lui en demander de plus grands, et que, sans s’arrêter à ce qui ne regarde que cette vie, ils s’élèvent aux choses célestes en disant: « Remplissez-nous du Saint-Esprit ». Car nous ne pouvons faire aucune bonne action comme il faut, si nous ne sommes remplis de cette grâce, comme nous ne pouvons rien entreprendre de généreux ni de grand, si nous ne sommes soutenus de la force de Jésus-Christ. Comme donc nous venons de voir, que lorsqu’ils ont dit : « Afin « que nous soyons remplis de toutes sortes « de bonnes oeuvres », ils ajoutent aussitôt: « En Jésus-Christ Notre-Seigneur » ; ils disent de même ici : «Remplissez-nous du Saint-Esprit »

« Afin que nous soyons agréables devant « vos yeux, et que nous ne soyons point couverts de confusion en votre présence». Comme (435) s’ils disaient : Nous sommes fort indifférents et fort insensibles à cette confusion qui nous vient de la part des hommes. Tout ce qu’ils peuvent dire de nous dans leurs plus sanglantes railleries et dans leurs outrages les plus atroces, n’est pas capable de faire que nous nous y arrêtions. Toute notre crainte, Seigneur, et toute notre appréhension est de tomber alors dans cette confusion dont tous les pécheurs de la terre seront couverte en votre présence. Et en disant ceci, ils se souviennent en même temps des flammes éternelles de l’enfer et de ce fleuve de feu, comme aussi des récompenses du ciel et de ces couronnes de gloire, qu’ils y attendent. Et ils ne disent pas: Afin que nous ne soyons point punis; mais « que nous ne soyons point couverts de confusion »; parce que ce leur serait une confusion plus in supportable que l’enfer même, de voir alors qu’ils auraient offensé Dieu. Mais comme les plus faibles et les plus grossiers ne sont pas assez frappés du malheur de cette honte, ils ajoutent :

« Quand vous rendrez à chacun selon ses oeuvres ». Reconnaissez donc, mes frères, quels services nous ont rendus aujourd’hui ces bienheureux solitaires ; combien nous avons appris de choses très-importantes de ces pauvres étrangers, éloignés de tout commerce avec le monde; de ces habitants des déserts, ou plutôt de ces citoyens du ciel. Car, au lieu que nous sommes étrangers à l’égard du ciel, et citoyens de la terre, ces bienheureux solitaires sont au contraire étrangers à notre égard et sont les compagnons des anges.

Ces saints hommes, après ces. actions de grâces, ayant le coeur touché de componction et les yeux trempés de larmes, vont chercher dans le sommeil quelque relâche à leur travail, et dorment seulement autant qu’il est nécessaire pour prendre un léger repos. Ils se relèvent presque aussitôt après, et font de toute la nuit, comme un jour qu’ils passent dans la psalmodie, dans les louanges, et dans les actions de grâces.

Ce ne sont pas seulement les hommes qui vivent de cette sorte. On y voit aussi des femmes embrasser avec courage cette vie angélique, et vaincre la faiblesse de leur sexe par la ferveur de leur foi. Rougissons, mes frères, rougissons. nous autres qui sommes hommes, en nous comparant avec ces âmes si généreuses. Cessons enfin d’être toujours plongés dans l’amour de cette vie, et d’avoir l’esprit rempli d’ombres, de songes et de fumée. La plus grande partie de notre vie se passe dans l’insensibilité. Nos premières années ne sont pleines que de puérilités et de folies. Celles qui approchent de la vieillesse commencent à éteindre en nous la vigueur de tous nos sens. Il ne nous reste entre les unes et les autres qu’un petit nombre d’années, pour goûter les plaisirs et jouir des délices de la vie, et l’on doit même reconnaître que cet intervalle si court ne peut goûter à son aise ces vains divertissements, parce que nous y sommes déchirés d’une infinité de travaux et de mille inquiétudes. Cherchons donc, mes frères, d’autres plaisirs, je vous en conjure. Attachons-nous à des biens qui sont immuables et éternels, et désirons une vie qui ne passera jamais.

Il ne vous est pas impossible d’imiter dans vos villes la vie de ces admirables solitaires. Vous pouvez étant mariés, et vivant dans votre famille, prier et jeûner comme eux, et entrer dans les sentiments d’une véritable componction. Les premiers chrétiens qui vivaient du temps des apôtres, demeuraient au milieu des villes, et y pratiquaient la vie des plus parfaits anachorètes. Il y en avait entre eux qui étaient occupés à des métiers et à des arts, comme Priscille et Aquila. Tous les prophètes autrefois comme Isaïe, Ezéchiel et le grand Moïse, avaient des femmes et des enfants, sans qu’ils leur fussent un obstacle à la vertu.

Imitons donc, mes frères, ces grands modèles. Rendons continuellement grâces à Dieu,, chantons-lui toujours des hymnes : embrassons la tempérance, la continence et toutes les autres vertus. Faisons refleurir dans les villes la vie des déserts, afin que nous soyons agréables devant Dieu et devant les hommes, et que nous méritions d’acquérir un jour ces biens éternels, que je vous souhaite par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui on rend au Père, la gloire, l’honneur et la force, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (436)

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Capturé par MemoWeb à partir de http://membres.lycos.fr/abbayestbenoit/Matthieu/055.htm  le 6/06/2003