HOMÉLIE LIX.« MALHEUR AU MONDE A CAUSE DES SCANDALES! CAR IL EST NÉCESSAIRE QUIL ARRIVE DES SCANDALES. MAIS MALHEUR A LHOMME PAR QUI LE SCANDALE ARRIVE ! QUE SI VOTRE MAIN OU VOTRE PIED VOUS SCANDALISE COUPEZ-LE ET JETEZ-LE LOIN DE VOUS ». (CHAP. XVIII, 7, 8, JUSQUAU VERSET 15.) ANALYSE 1. Sil est dit dans lEvangile : Il faut quil y ait des hérésies, il nen faut rien conclure contre la liberté. 2. Cest par lui-même que lhomme devient mauvais, par sa propre faute. 3. Par lui-même le mal nexiste pas, il nest pas ; cest notre volonté qui le produit. 4. Ce quajoute Jésus-Christ aux paroles citées plus haut montre bien que les maux ne viennent pas de la nécessité. 5. Combien Dieu prend le salut des hommes à coeur. 6 et 7. De la charité quon doit avoir pour ses frères. Quil faut travailler à ramener à la douceur les plus intraitables, sans se ralentir. Extravagance de lhomme asservi à ses passion . Quil vaut mieux marier les jeunes gens de bonne heure pour prévenir les excès de la jeunesse. Avec combien de soin un père doit choisir un précepteur pour ses enfants . Importance de cet exemple.
1. Sil est nécessaire quil arrive des scandales, dira peut-être quelque ennemi de Jésus-Christ, pourquoi le Sauveur se contente-t-il de pleurer le malheur du monde, au lieu, de laider et de lui tendre la main pour le secourir? Car cest ce que devait faire un sage prince et un excellent médecin: mais pleurer purement et simplement, le premier venu en ferait autant. Il est facile de répondre à ces langues impudentes. En effet, que pouvait faire davantage Jésus-Christ pour le bien du monde? Etant Dieu, il sest fait homme pour vous sauver. Il a pris la forme dun esclave. Il a souffert pour vous les derniers opprobres, et il na rien omis de tout ce quil pouvait faire pour votre salut. Mais voyant que lindifférence des hommes ne tirait aucun avantage de tous ces secours, et quaprès tant de remèdes ils demeuraient toujours dans leur infirmité, il déplore leur malheur par ces paroles que nous avons rapportées. Il se conduit en cette rencontre comme un sage médecin qui, après avoir donné tous ses soins à son malade, voyant quil refuse de se soumettre à tout ce quil lui peut ordonner se-ion les règles de son art, dirait de lui en pleurant: Malheur à cet homme dans létat où il est, parce quil augmente tous les jours la violence de son mal par le déréglement de sa conduite. Mais il y a cette différence que la plainte de ce médecin ne servira de rien à son malade, au lieu quil nous est très-avantageux que Jésus-Christ nous prédise ainsi nos maux, et quil déplore notre misère. Car on en a souvent vu qui nécoutaient pas les avis quon leur donnaient, et qui sont enfin rentrés en eux-mêmes, lorsquils ont vu les autres pleurer leur malheur. Cest dans ce but que Jésus-Christ dit ici: « Malheur au monde » ! Il tâche ainsi dexciter les hommes et de les faire sortir de leur profond assoupissement. Il leur témoigne sa tendresse extrême. Il est touché de ce quils sopposent à ses avis salutaires. Il voit cet endurcissement de leur coeur; et il tâche de le guérir, soit en déplorant leur état présent, soit en leur prédisant ce quils doivent craindre. Mais comment pouvez-vous allier ces deux choses, me direz-vous? Sil est nécessaire quil arrive des scandales, comment les peut-on éviter? Je vous réponds quil est nécessaire qui1 arrive des scandales, mais quil nest pas nécessaire que ces scandales soient pour une occasion de chute et de mort. Cest la même chose que si un médecin disait: Il est nécessaire que vous tombiez dans telle maladie, mais il nest pas nécessaire que vous en mouriez. Si vous prenez bien garde à vous, vous en guérirez. (463) Jésus-Christ dit encore ces paroles pour réveiller ses apôtres et pour les rendre plus vigilants. Car, de peur quils ne se relâchassent, comme sil les eût envoyés pour mener une vie paisible et tranquille, il leur prédit quils auront de grands combats au dedans et au dehors. Cest ce que saint Paul exprime en ces termes: « Des guerres au dehors, des craintes au dedans, et des dangers dans les faux frères». (II Cor. VII, 5) Et parlant aux Milésiens, il leur dit: « Il sélèvera dentre vous des hommes qui publieront des dogmes corrompus n. (Act. XX.) Et cest aussi ce qui faisait dire à Jésus-Christ: « Les ennemis de lhomme sont ses propres domestiques». (Matth. X, 25.) Quand Jésus-Christ dit: « Il est nécessaire quil arrive des scandales », cette nécessité ne détruit point le libre arbitre et ne force point la volonté. Ce nest point une violence qui se fasse à lesprit de lhomme, ce nest quune prédiction de ce qui devait arriver. Ainsi saint Luc exprime la même chose durne autre manière : « Il est impossible », dit-il, « quil narrive des scandales » : et si vous me demandez ce que signifie ce mot « de scandales », ce sont proprement les obstacles quon met devant les hommes pour les empêcher dentrer et de marcher dans la voie droite. Ce nest donc point la prédiction de Jésus-Christ qui fait naître les scandales. Ils narrivent pas parce quil les a prédits, mais il les a prédits parce quils devaient arriver. Les scandales narriveraient point si ceux qui en sont la cause avaient voulu agir autrement. Et sils navaient point dû arriver, ils nauraient point été prédits. Mais parce que Jésus-Christ savait quil y aurait des esprits corrompus, dont la malice serait incurable, il a prévenu les scandales quils causeraient dans le monde, et il a prédit ce quils devaient faire. Vous me direz peut-être: si ceux-là se fussent convertis, il ne sen serait plus trouvé qui eussent scandalisé le monde, et ainsi cette parole de Jésus-Christ naurait plus été véritable. Je vous réponds quil ne pouvait en être ainsi, parce que sils avaient dû se convertir, Jésus-Christ naurait pas dit quil est nécessaire que les scandales arrivent. Mais parce quil prévoyait quils ne devaient point se convertir, il a prédit ce quil savait devoir certainement arriver. Pourquoi donc dira quelquun, na-t-il pas prévenu et arrêté ces scandales quil avait prédits? Mais pourquoi les aurait-il prévenus? Est-ce pour le salut de ceux à qui ces scanda les sont une occasion de chute? Mais cest par leur propre faute et par leur seule négligence quils se perdent, puisque ces mêmes scandales, bien loin de nuire, servent plutôt à ceux qui craignent Dieu véritablement. Le bienheureux Job, le patriarche Joseph, tous les justes de lancienne et de la nouvelle loi, sont des preuves de ce que je dis: Que sil y en a dautres qui se sont perdus par les scandales, cest parce quils étaient tièdes et lâches. Car si le scandale était par lui-même mortel aux âmes, tous devraient se scandaliser et se perdre. Puis donc que plusieurs échappent à ce péril, ceux qui y périssent en sont eux-mêmes la première cause. Car les scandales, comme je lai déjà dit, réveillent les hommes. Ils les rendent plus circonspects et plus vigilants. Non-seulement ils empêchent de tomber celui qui veillait déjà sur lui-même, mais ils servent même à celui qui était déjà tombé pour se relever et pour marcher ensuite plus sûrement, en se conduisent avec plus de circonspection et de sagesse. Si donc nous. sommes du nombre de ceux qui sont attentifs à leur salut, nous tirerons un grand avantage des scandales, parce quils nous obligeront de redoubler notre vigilance et notre ferveur. Que si lorsque lennemi nous assiége, et que les tentations nous attaquent de. toutes parts, nous demeurons néanmoins dans un si grand assoupissement, dans quelle langueur ne tomberions-nous pas si nous étions dans une parfaite paix? Nous pouvons juger de ce que je dis par lexemple du premier homme. Si nayant vécu que très peu de temps, et peut-être moins dun jour entier, dans la paix et dans les délices du paradis terrestre, il est tombé dans un si étrange aveuglement, quil sest imaginé quil pouvait devenir semblable à Dieu, quil a pris celui qui le trompait pour Son bienfaiteur, et quil na pu obéir à lunique commandement quil avait reçu de Dieu, que naurait-il point fait sil eût été ensuite exempt des peines et des misères de cette vie? 2. Mais lorsque nous parlons de la sorte, ils nous font cette objection: pourquoi, disent-ils, Dieu a-t-il fait lhomme si misérable? A quoi je réponds, que Dieu na point fait lhomme dans létat malheureux où nous le voyons. Sil (464) lavait fait tel, il ne len punirait pas. Car si nous nimputons point à nos serviteurs des choses que nous avons faites nous - mêmes, Dieu, qui est infiniment juste, gardera bien plus exactement que nous cette règle de léquité naturelle. Comment donc, ajoutent-ils, lhomme est-il tombé dans cette misère? Cest par sa négligence et par sa propre faute. Mais comment, disent-ils, par sa propre faute ? Consultez-vous vous-même, et vous le comprendrez aisément. Car si les. méchants ne sont pas méchants par leur propre faute, pourquoi frappez-vous quelquefois votre serviteur ? Pourquoi faites-vous des reproches à votre femme? Pourquoi châtiez-vous votre fils ? Pourquoi accusez-vous votre ami ? Pourquoi haïssez-vous celui qui vous fait une. injustice ? Si ces personnes sont innocentes dans le mal quelles font, et si elles ne sont pas elles-mêmes cause du mal quelles commettent, vous devez plutôt les plaindre que les punir. Cest que je ne suis pas conséquent, direz-vous, et que je sais mal raisonner. Et cependant lorsque vous êtes bien convaincu quil ny a point de la faute de vos domestiques, quel que soit le fait, vous savez très bien raisonner et pardonner. Quand votre serviteur par exemple ne fait pas ce que vous lui avez commandé, parce quil est malade, vous ne vous plaignez pas de lui, mais vous le plaignez lui-même. Vous reconnaissez donc alors que, sil ne vous obéit pas; ce nest que par une cause étrangère qui est la faiblesse de son corps, et non un dérèglement volontaire quon puisse lui imputer légitimement. Il en est de même du premier homme. Si vous étiez convaincu quil eût été créé dans le péché, bien loin de le blâmer de sa chute, vous le plaindriez dans son malheur. Car il ne serait pas raisonnable dexcuser votre serviteur lorsquil ne vous obéit point parce quil est malade, et de nexcuser pas le premier homme davoir désobéi à Dieu, sil avait été créé dans une impuissance naturelle de lui obéir. Mais nous pouvons encore, dune autre manière, fermer la bouche à nos contradicteurs. La vérité nest jamais au dépourvu. Car doù vient, par exemple, quils naccusent point leurs serviteurs de ce quils nont pas la mine ou la taille assez avantageuse ou de ce quils nont pas dailes; sinon parce quils savent que le défaut de ces qualités vient de la nature et non de la volonté, et quainsi on ne peut justement accuser ceux qui ne les ont point? Il ny a personne qui ne demeure daccord de cette vérité. Lors donc que vous accusez un homme, il est visible dès lors que ce que vous reprenez en lui, vient du choix de la volonté et non de la nécessité de la nature. Car si nous ne pouvons, blâmer comme une faute ce qui est purement naturel , il est clair que ce que nous croyons avoir droit de condamner, ne vient pas de la nature, mais du choix libre de la volonté. Ne mopposez donc plus ce raisonnement si faux, et ces subtilités sophistiques, qui nont rien de plus solide que les toiles daraignée. Répondez-moi seulement à ce que je vous demande. Dieu na-t-il pas créé tous les hommes? Je crois que, personne nen doute. Pourquoi donc ayant tous été également créés de Dieu, ne sont-ils pas tous également ou bons ou méchants? Doù vient que les uns sont vicieux et les autres vertueux ? Si ces choses dépendent seulement de la nature et non de la volonté, pourquoi les uns sappliqueraient-ils au bien et les autres au mal? Si, les hommes étaient naturellement méchants, qui dentre eux pourrait être bon? et sils étaient, naturellement bons, qui dentre eux pourrait être méchant? Car si la nature est une dans tous les hommes, toutes leurs inclinations auraient dû être les mêmes, et non pas innocentes dans, les uns et criminelles dans les autres. Que si lon dit que les uns sont naturellement bons et les autres naturellement méchants, il est visible que cette pensée est contraire à la raison. Car il sen suivrait que les hommes seraient immuables dans le bien et dans le mal, comme nous voyons que les choses naturelles sont immuables. Ainsi, parce que lhomme dans létat où il est, est naturellement passible et mortel, il ne sen trouve aucun qui soit impassible et immortel. Disputez et raisonnez tant que vous voudrez, vous ne changerez point ce qui est devenu naturel à lhomme. Nous voyons au contraire tous les jours que plusieurs passent du vice à la vertu, et de la vertu au vice, que les uns, de lâches quils étaient deviennent fervents, et que les autres de fervents deviennent lâches. Il est donc visible que ces qualités ne sont point naturelles, puisque ce qui est naturel ne peut ni sacquérir ni être changé par le soin des hommes. Comme lhomme na besoin daucun effort pour voir et pour entendre, (465) parce quil voit et quil entend naturellement: ainsi il embrasserait la vertu sans aucun effort, sil était naturellement vertueux, Mais pourquoi Dieu a-t-il fait les hommes mauvais, lorsquil pouvait les faire tous bons? Mais il ne les a pas fait mauvais. Quelle est donc, dites-vous, la cause du mal ?.Répondez-vous à vous-même sur ce que vous me demandez; pour moi, il me suffit de montrer quil ne vient ni de Dieu ni de la nature. Il est donc arrivé par hasard, me direz-vous? Nullement. Il na donc point de principe? Dieu nous garde dune pensée si déraisonnable et si aveugle qui nous fait rendre au péché le plus grand honneur que nous puissions rendre à Dieu. Si le mal était, comme est Dieu, sans principe et sans cause, il serait si puissant que rien ne le pourrait détruire et il ne pourrait cesser dêtre mal, puisque ce qui na point de principe nest sujet ni à la corruption ni au changement. Que si le mal était si puissant, comment y aurait-il tant de personnes vertueuses? Comment la fragilité humaine pourrait-elle sélever au-dessus dun être incréé et immortel? 3. Vous me direz peut-être que cest Dieu même qui affaiblit dans nous la force du mal. Mais comment, daprès votre supposition, le pourrait-il faire? comment pourrait-il détruire un être éternel comme lui et une puissance aussi grande et aussi forte que la sienne? O malice effroyable du démon ! Il a déshonoré Dieu sous prétexte de lhonorer et il a couvert une impiété détestable sous le voile de la piété. Dire que le péché vient de Dieu, ce serait un blasphème. Pour détourner donc les hommes de cet abîme, il les précipite dans un autre, en leur enseignant que le mal est un être sans principe et incréé comme Dieu. Mais doù vient donc le péché, dites-vous? Il vient de ce quon veut ou de ce quon ne veut pas. Et si vous demandez encore doù vient quon veut ou quon ne veut pas, je vous réponds que cela vient tout de nous. Vous faites la même chose par toutes vos questions, que si après mavoir demandé pourquoi nous voyons ou nous ne voyons pas, et après que je vous aurais répondu que cest parce que nous ouvrons, ou que nous fermons les yeux; vous me demandiez encore doù vient que nous ouvrons ou que nous fermons les yeux; et quaprès que je vous aurais dit que cela vient de ce que nous voulons ou nous ne voulons pas faire ces actions, vous men demandiez encore une autre cause. Il ny a point dautre mal au monde que de ne vouloir pas obéir à Dieu. Où les hommes, me direz-vous, ont-ils pu trouver ce mal? Croyez-vous quil ait été fort difficile à trouver? Non, me direz-vous. Mais doù vient que lhomme na pas voulu obéir à Dieu? Parce quil a été lâche et négligent. Car, étant libre de vouloir ou de ne vouloir pas obéir, il â mieux aimé nobéir point. Que si cette réponse ne vous satisfait pas encore et vous laisse quelque obscurité, je ne vous ferai plus quune demande. Elle ne sera pas même fort embrouillée, comme toutes celles que vous me faites: elle sera simple et claire. Navez-vous jamais éprouvé en vous du changement en bien et en mal? Peut-être que vous avez vaincu dabord une passion, et quensuite vous y avez succombé. Peut-être au contraire que vous avez été dabord sujet au vin, et que depuis vous ny avez plus été sujet. Vous avez été colère, et vous avez cessé de lêtre. Vous avez méprisé le pauvre, et depuis vous ne lavez plus méprisé. Vous avez été sujet à des vices honteux, et depuis vous êtes devenu chaste. Je vous demande comment ces changements se sont faits en vous? Si vous ne me répondez point, je le fais pour vous, et je vous dirai que vous êtes passé du vice à la vertu, parce que vous vous êtes fait à vous-même une sainte violence, et que vous êtes après retombé de la vertu dans le vice, parce que vous vous êtes laissé abattre par la paresse. Je ne parle point ici à ces pécheurs désespérés qui se sont plongés tout entiers dans le vice, qui sont devenus comme insensibles par un long endurcissement, et qui ne veulent pas même entendre parler des moyens de se retirer dun état si malheureux. Je ne parle quà ceux qui, ayant autrefois vécu dans le crime, vivent maintenant dans la piété. Cest à ces personnes que je prendrai plaisir de parler ici. Vous avez donc autrefois ravi le bien de vos frères, mais vous vous êtes convertis ensuite, et vous avez donné même votre bien aux pauvres. Comment sest fait en vous ce grand changement? Nest-ce pas par vous-même et par votre propre volonté? Achevez donc, je vous en conjure, ce que vous avez si bien commencé. Appliquez-vous fermement à faire le bien, et vous ne vous mettrez plus en peine de toutes ces questions inutiles. Si. nous voulons, le mal ne sera quun nom (466) pour nous et naura point de réalité. Ne vous mettez donc point en peine de savoir doù il vient, ni quel en est le principe. Reconnaissez seulement que vous ny tombez que par votre faute, et fuyez-le de toutes vos- forces. Si quelquun vous dit que le mal ne vient pas de nous, répondez-lui : Pourquoi donc vous vois-je si souvent en colère contre votre serviteur, contre votre femme, contre vos enfants, contre ceux qui vous font quelque injustice? Si le mal ne vient pas de ces personnes, pourquoi les en accusez-vous? Pressez-le encore, et dites-lui : Est-ce de vous-même et de votre propre volonté que vous .vous mettez en colère? Car, si cela ne vient pas de vous, il nest pas raisonnable quon vous en blâme. Que, si votre colère vient de vous-même, il est donc clair que ce mal na point dautre principe que votre lâcheté et votre paresse. Je vous demande encore si vous croyez quil y ait des gens de bien dans le monde. Car, sil ny en a point, comment en avez-vous inventé le nom? Pourquoi leur donnez-vous tant de louanges? Sil est très-certain quil y en a, il est indubitable aussi quils sélèveront contre les méchants, et quils les condamneront pour leur négligence. Si personne nétait volontairement méchant, ces reproches que les bons leur feraient, seraient injustes, et dès lors ils deviendraient eux-mêmes méchants. Car, nest-ce pas une grande méchanceté que de traiter comme coupable celui qui est innocent? Que, si les bons reprennent les méchants sans cesser dêtre bons, et si cest, au contraire, une des plus grandes marques de leur vertu que de les reprendre, il suit de là clairement que nul nest méchant par une nécessité forcée, mais seulement parce quil veut lêtre. Si, après tout ce que je viens de dire, vous me demandez encore doù viennent les maux, je vous réponds encore une foi quils viennent de votre lâcheté, quils viennent de votre négligence, quils viennent de ce que vous vivez avec ceux qui sont plongés dans le vice, et de ce que vous méprisez la vertu. Cest là la source de tous les maux: cest là ce qui donne lieu à demander si inutilement doù vient le mal. On ne voit point ceux qui vivent chrétiennement, et qui sont dans une piété solide, faire ces demandes vaines et curieuses. Il ny a que les lâches et les vicieux qui, semblables à des araignées, tirent de leur coeur ces raisons frivoles pour chercher, dans des subtilités sophistiques, de quoi justifier le déréglement de leur vie. Ainsi, ne raisonnons pas seulement avec eux, mais vivons mieux queux, et répondons-leur plutôt par nos actions que par nos paroles. Le mal ne vient point dune nécessité involontaire. Si cela était, Jésus-Christ naurait point dit: « Malheur à lhomme par qui vient le scandale». Car il ne plaint que ceux qui se rendent méchants eux-mêmes. Et ne vous étonnez pas quil dise. Malheur à lhomme « par qui vient le scandale », car il nentend point par là que ce soit un autre qui agisse par lorgane du méchant; mais que le méchant seul est lauteur de tout le mal quil fait. LEcriture, en effet, a coutume demployer la locution « Di ou » dans le sens de « Uph ou » ; par exemple, elle dit (Gen. IV, 1): « Extesaren anthropon dia tou theou », « Jai acquis un homme par Dieu», exprimant ainsi, non pas la cause seconde, mais la cause première. Elle dit encore (Genès. XL, 8): « Ouxi dia tou Theou e diasaphesis auton estin » « Nest-ce point par Dieu que leur manifestation a lieu »? Et encore (I Cor. I, 9.) : « Pistos oTheos, di ou exletete eis xoinovian tou Uiou autou » « Il est fidèle Dieu par qui vous avez été appelés à partager lhéritage de son Fils». 4. Mais pour voir encore plus clairement que ce nest pas de la nécessité que vient le mal écoutez la suite. Après avoir dit malheur à ces hommes, le Sauveur ajoute: « Que si votre main ou votre pied vous est un sujet de scandale, coupez-le et jetez-le loin de vous. Il vaut bien-mieux pour vous que vous entriez dans la vie nayant quun pied ou quune main, que davoir deux pieds et deux mains, et dêtre précipité dans le feu éternel (8). Et si votre oeil vous est un sujet de scandale, arrachez-le et jetez-le loin de vous. Il vaut bien mieux pour vous que vous entriez dans la vie nayant quun oeil, que davoir deux yeux et dêtre précipité dans le feu de lenfer « 9) » Ce nest point des membres du corps dont Jésus-Christ parle en ce lieu, mais des amis et des personnes qui nous sont unies de telle sorte, que nous les regardons comme nous étant aussi nécessaires que les membres de notre corps. Quoiquil ait déjà dit cela plus haut, il ne laisse pas de le redire ici encore. Car il ny a rien de plus dangereux que la compagnie des personnes corrompues. Lamitié quelquefois a plus de pouvoir sur nous pour nous inspirer le bien ou le mal, que la (467) nécessité même. Cest pourquoi Jésus-Christ nous commande déloigner de nous nos plus intimes amis lorsquils nous nuisent, marquant ainsi clairement que cétait ceux quil avait dans lesprit, lorsquil parlait des auteurs de ces scandales. Considérez donc, mes frères, avec quel soin le Sauveur écarte davance les maux que ces scandales pourraient causer, premièrement en les prédisant, en avertissant les lâches de sy tenir préparés et de veiller sur eux-mêmes, et en marquant que de tous les maux il ny en avait point qui fût plus à craindre. Car il ne dit pas seulement: « Malheur au monde à cause des scandales » ; mais, pour montrer davantage la grandeur de ce mal, il prononce un double malheur contre celui qui en aurait été lauteur, car en disant: « Mais malheur à cet homme », et le reste, il nous fait assez juger quelle sera la sévérité de la punition quil en doit tirer. Il ne se contente pas même de cela. Il augmente encore notre terreur. par des comparaisons étonnantes , par lesquelles il nous apprend en même temps le moyen, de fuir les scandales. Ce moyen, mes frères, est de retrancher de notre amitié tous les méchants, quels que soient les liens qui les unissent à nous. Il en apporte une raison convaincante. Car si vous continuez de les regarder comme vos amis pendant quils sont en cet état, vous ne pourrez les gagner et vous vous perdrez vous-même; mais si vous les retranchez de votre amitié, et que vous les traitiez en ennemis, vous sauverez au moins votre âme. Si vous reconnaissez donc que lamitié dune personne vous soit dangereuse, retranchez-la impitoyablement. Si nous coupons souvent nos propres membres, lorsquils sont pourris, de peur quils ne gâtent les autres, combien moins devons-nous épargner nos amis lorsquils nous corrompent? Si le mal était naturel à lhomme, il lui serait inévitable quoi quil pût faire, et ainsi cet avis de Jésus-Christ serait inutile. Mais, comme il |