HOMÉLIE LXXIII.« MALHEUR A VOUS, DOCTEURS DE LA LOI ET PHARISIENS HYPOCRITES, QUI DÉVOREZ LES MAISONS DES VEUVES SOUS PRÉTEXTE QUE VOUS FAITES DE LONGUES PRIÈRES, CEST POUR CELA QUE VOUS RECEVREZ UNE CONDAMNATION PLUS RIGOUREUSE ». (CHAP. XXIII, 14, JUSQUAU VERSET 29.) ANALYSE 1 et 2. Attaque directe et très-forte contre les pharisiens. Quil faut tenir surtout à la pureté intérieure. 3 et 4. Que cest être pharisien que de ne travailler quà régler le dehors et ne se pas mettre en peine du dedans de lâme. Que ces sortes de personnes sont des sépulcres selon la parole du Fils de Dieu. De la mauvaise odeur que les méchants portent dans lEglise par leurs déréglements. Contre ceux qui violent la sainteté de lEglise par des regards et des desseins criminels. Combien la manière dont les femmes se conduisent aujourdhui est différente de celle des femmes chrétiennes des premiers siècles de lEglise. Contre ceux qui recherchent les bonnes tables.
1. Jésus-Christ sen prend maintenant à lintempérance des pharisiens. Le premier crime quil leur reproche sur ce point, et qui en effet était insupportable, cest quils ne tiraient pas de quoi satisfaire ces excès de bouche du superflu des riches, mais du nécessaire des veuves; surchargeant ainsi des personnes pauvres quils devaient plutôt soulager. Car Jésus- Christ ne dit pas simplement quils mangeaient, mais quils « dévoraient » les maisons des veuves. La manière dont ils commettaient ce crime les rendait encore plus détestables « Sous prétexte, dit-il, que vous faites de longues prières ». Tout homme qui fait une action criminelle mérite den être puni; mais celui qui se voile alors dun prétexte de piété, et qui colore sa malice dune apparence de vertu, mérite den être encore beaucoup plus puni. Vous me demanderez peut-être pourquoi, puisque ces pharisiens étaient si corrompus, Jésus-Christ ne leur ôtait pas un ministère quils usurpaient si injustement? Il ne le fait (566) pas, mes frères, parce que le temps ne le permettait pas encore. Il les laisse cependant dans leur charge, et se contente davertir le peuple afin quil ne se laisse pas surprendre, et que. la dignité de ces hommes ne le porte pas à les imiter. Après quil a donné en. général cette règle : « Faites tout ce quils vous disent », il montre ici comment elle se doit entendre, et comment il faut borner ce mot de « tout » à ce qui est exempt de péché, afin que les moins sages ne prissent pas de là sujet de croire quils pouvaient leur obéir indifféremment en toutes choses. « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui fermez aux hommes le royaume des cieux, ny entrant point vous-mêmes, et en empêchant lentrée à ceux qui y entrent (13) ». Si cest déjà un crime que de nêtre utile à personne, que doit-on attendre lorsquon nuit même aux autres, et quon leur empêche lentrée du ciel? Ce mot, « ceux qui y entrent », ne veut marquer autre chose que ceux qui étaient près dy entrer. Lorsque les pharisiens avaient à diriger les autres, ils leur faisaient des commandements insupportables. Et lorsquil sagissait pour eux-mêmes de remplir leurs devoirs, au lieu de porter les hommes à la vertu par le bon exemple, ils ne servaient quà les induire dans le mal et quà les corrompre. Ces sortes de gens sont véritablement les fléaux des moeurs et la perte du monde. Ils ninstruisent les âmes que pour leur apprendre à se perdre, et ils sont opposés aux vrais pasteurs comme les ténèbres le sont à la lumière. Car, comme cest le propre dun pasteur et dun docteur de lEglise de sauver celui qui allait se perdre, cest le propre aussi dun corrupteur et dun empoisonneur des âmes de perdre celui quil devait sauver. Voici une autre accusation que Jésus-Christ exprime avec beaucoup de force: « Vous courez la mer et la terre pour rendre un seul prosélyte, et quand il lest devenu, vous le rendez digne de lenfer deux fois plus que vous (15) ». Cela veut dire: Ces grandes peines et ces longs travaux que vous endurez pour gagner une âme ne peuvent vous porter à lépargner et à la ménager ensuite, quoique nous voyions tous les jours que nous conservons avec plus de soin ce que nous avons acquis avec plus de peine. Cependant cette considération ne fait point d"impression sur vous, et ne vous rend point plus compatissants envers ceux que vous gagnez. Jésus-Christ reprend donc ici les pharisiens de deux grands désordres : le premier, de ce quils se sont rendus inutiles pour le salut des hommes, et de ce quils ont bien de la peine à en pouvoir convertir un seul; et le second, de ce quils sont si indifférents et si lâches ensuite pour conserver ceux quils ont gagnés, ou plutôt de ce quils les perdent au lieu de les convertir, en leur apprenant à se corrompre par leur exemple, et en étant cause que leurs disciples deviennent encore plus méchants queux. Car si le maître est méchant, le disciple le devient encore davantage, et il dépasse le mauvais exemple qui lui a été donné. Lorsque nous avons dexcellents maîtres, cest tout ce que nous pouvons faire que de les imiter et dégaler leur vertu; mais lorsque nous en avons de méchants, nous passons aisément au delà de leur méchanceté, parce que la nature a une facilité et une pente effroyable qui la porte au mal : « Vous le rendez », dit Jésus-Christ, « digne de lenfer deux fois plus que vous ». Il veut par cette parole effrayer le peuple qui écoutait les pharisiens, et en même temps châtier sévèrement les pharisiens eux. mêmes, ces docteurs diniquité, qui ne se bornaient pas à faire leurs disciples aussi méchants queux-mêmes, mais qui les poussaient encore à un plus bas degré de perversité : ce qui est lextrême limite du mal. « Malheur à vous, conducteurs aveugles qui dites : Si un homme jure par le temple, cela nest rien; mais sil jure par lor du temple, il est obligé à son serment (16). Insensés et aveugles que vous êtes! Lequel est le plus à estimer, ou lor, ou le temple qui sanctifie lor (17)? Et si un homme, dites-vous, jure par lautel, cela nest rien; mais sil jure par le don qui est sur lautel, il est obligé à son serment (18). Aveugles que vous êtes, lequel est le plus grand, ou le don, ou lautel qui sanctifie le don (19)? Celui donc qui jure par lautel, jure par lautel et par tout ce qui est dessus (20). Et celui qui jure par le temple, jure par le temple et par celui qui y habite (21). Et celui qui jure par le ciel, jure par le trône de Dieu et par celui qui y est assis (22) ». Jésus-Christ attaque ici laveuglement et la folie des pharisiens qui portaient les hommes à mépriser les plus importants commandements de la Loi. Il semble néanmoins que le Fils de Dieu se contredise, car il (567) a dit le contraire un peu plus haut, lorsquil leur « reprochait de mettre des fardeaux insupportables sur les épaules des hommes ». Mais ce quon doit dire ici, mes frères, cest que les pharisiens tombaient en effet dans lun et lautre de ces deux excès contraires. Il semble quils affectaient dans leur conduite tout ce qui pouvait perdre ceux qui leur étaient soumis. Ils leur faisaient mépriser les plus grands commandements, et ils les traitaient en même temps avec une rigueur et une dureté insupportable dans les plus petits. « Malheur à vous, docteurs de la loi et pharisiens hypocrites, qui payez la dîme de la menthe, de laneth et du cumin, pendant que vous négligez ce quil y a de plus important dans la Loi, la justice, la miséricorde et la foi. Cest là ce quil fallait pratiquer, sans omettre néanmoins ces autres choses (23) ». Cest avec grande raison que Jésus-Christ ajoute ces paroles, « sans omettre néanmoins ces autres choses », cest-à-dire la dîme de la menthe et du reste dont il parle, parce que la dîme est une espèce de miséricorde et daumône, et entre en quelque sorte dans le rang de ces choses importantes dont il parle. Il faut la payer, dit-il; car, à qui a-t-il jamais nui de faire laumône? Mais il ne faut pas croire quen payant ces dîmes on garde par là toute la loi. Jésus-Christ témoigne le contraire en disant: « Il faut faire cela, sans omettre néanmoins ces autres choses ». Il najoute pas cette dernière parole lorsquil leur parle de leurs purifications extérieures. Il fait une séparation exacte de ce qui était pur davec ce qui ne létait pas, et il montre que la pureté du dehors nest que leffet et la suite de la pureté du dedans, et que la pureté du corps nallait point jusquà se communiquer à lâme. Comme il ne sagissait dans cette exactitude à payer les dîmes que dune chose qui était bonne en elle-même et qui était une espèce daumône, Jésus-Christ passe cela sans le condamner, parce quil nétait pas encore temps de rien faire contre la Loi. Mais il détruit plus clairement ce qui ne regardait que la purification extérieure des corps. Cest pourquoi, en parlant ici des dîmes, il ajoute aussitôt : « Il fallait pratiquer cela sans omettre néanmoins ces autres choses »; mais lorsquil parle de ces vaines purifications, il leur dit: « Vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat, pendant que le dedans demeure plein de rapine et dimpureté. Pharisien aveugle, nettoyez premièrement le dedans de la coupe et du plat, afin que le dehors en soit net aussi». Il se sert ici de cette comparaison familière et commune dun « plat » et dune « coupe ». Mais, pour montrer ensuite quon ne perd rien en négligeant la purification extérieure des corps, et quon perdrait tout au contraire en négligeant la pureté intérieure des âmes, dans laquelle consiste toute la vertu, il compare lune à un « moucheron » à cause de sa petitesse, et lautre à un « chameau » à cause de sa grandeur et de son extrême importance. 2. « Conducteurs aveugles que vous êtes, qui passez ce que vous buvez de peur davaler un moucheron, et qui avalez un chameau (24) ». Dieu, leur dit-il, na ordonné ces petites choses quen les rapportant aux grandes, cest-à-dire à la « miséricorde » et au « jugement ». Lors donc que ces petites observances sont séparées des grandes, pour lesquelles elles ont été établies, elles ne servent plus à ceux qui les pratiquent, parce qualors se trouve rompu ce rapport et cette liaison nécessaire quelles ont avec ces règles importantes et essentielles de la loi. Ces règlements capitaux pouvaient subsister sans ces préceptes moins considérables; mais ces petits préceptes ne pouvaient servir de rien sans ces autres beaucoup plus importants. Jésus-Christ montre par là quavant même le temps de la grâce et de lEvangile, ces observances nétaient pas ce quil désirait le plus, mais quil demandait des hommes dautres observances bien plus considérables et un culte plus spirituel. Cest pourquoi, après que la nouvelle loi de Jésus-Christ nous a donné dautres lois plus saintes et des commandements plus divins, ces autres sont devenus superflus, et il est inutile de les observer. Mais quoique la malice soit toujours en horreur aux yeux de Dieu, elle ne lest jamais davantage que lorsque ceux qui en sont possédés, bien loin de croire quils aient besoin de changer de vie, simaginent au contraire être capables déclairer et de conduire les autres. Lest ce que Jésus-Christ veut nous marquer, lorsquil appelle les pharisiens « des conducteurs aveugles ». Si le plus grand malheur pour un aveugle cest de croire quil na point besoin de guide, que dirons-nous de celui qui, étant aveugle lui-même, veut être néanmoins le guide des autres? Jésus-Christ (568) leur reproche dune manière couverte par ces paroles la passion furieuse quils avaient pour lambition et pour la vaine gloire, source de tous leurs maux, parce quils faisaient toutes leurs actions dans le désir dêtre vus des hommes. Cest cet orgueil inflexible qui les a empêchés dembrasser la foi, et qui les a portés à détruire toute véritable vertu, et à renfermer toute leur religion dans quelques purifications extérieures qui ne regardaient que le corps, sans se mettre en peine de la pureté de lâme. « Malheur à vous, docteurs de la loi et pharisiens hypocrites, qui nettoyez le dehors de u la coupe et du plat, pendant que le dedans demeure plein de rapine et dimpureté (25). Pharisien aveugle, nettoyez premièrement le dedans de la coupe et du plat, afin que le dehors en soit net aussi (26) ». Jésus-Christ voulant rappeler les pharisiens à la véritable piété quils méprisaient, et les faire passer de ce soin de lextérieur au soin du dedans de lâme, leur parle de la « miséricorde», de la «justice » et de la « foi ». Car ce sont là les choses qui renferment toute la vie et toute la sanctification de nos âmes. La « miséricorde »nous rend doux et compatissants envers nos frères. Elle nous porte à leur pardonner aisément leurs fautes, et à ne pas témoigner trop de dureté envers les pécheurs. Nous trouvons en elle ce double avantage, quelle attire la miséricorde de Dieu sur nous, et quen nous attendrissant le coeur, elle nous rend plus prompts à assister ceux que lon outrage et à compatir à tout ce quils souffrent. La «justice » et la « foi » nous empêchent dêtre hypocrites et trompeurs, et nous rendent purs et sincères. Mais quand Jésus-Christ dit : « Il fallait faire ces choses et ne pas omettre les autres », il ne prétend pas nous engager à toutes les observances de lancienne loi; comme lorsquil dit « quil faut purifier le dedans du vase afin que le dehors soit aussi pur», il ne veut pas nous ramener à toutes ces purifications légales. Il nous montre au contraire quelles sont vaines et inutiles. Car il ne dit pas : « Et purifiez ensuite le dehors », mais, « purifiez le dedans, et le dehors sera pur et net ». Par cette «coupe» et par ce « plat », il marque lhomme. Le «dedans» de la coupe en marque lâme, et le « dehors » en marque le corps. Si cest donc un désordre de ne se mettre pas en peine quun plat soit net au dedans pour en tenir le dehors propre, combien serait-il plus dangereux de négliger la pureté du dedans de lâme? Mais vous, ô pharisiens, vous faites tout le contraire. Vous gardez avec soin les petites choses qui ne sont quextérieures, pendant que vous négligez les importantes qui regardent le coeur. Cest de cette source que vient ce mal si dangereux, et comme cette plaie mortelle qui vous fait croire que vous avez accompli toute la loi, et quil ne vous reste plus rien à faire, et quainsi vous ne devez point penser à corriger et à purifier votre vie. « Malheur à vous, docteurs de la loi et pharisiens hypocrites, qui êtes semblables à des sépulcres blanchis, qui au dehors paraissent beaux, mais qui au dedans sont pleins dossements de morts et de toute sorte de pourriture (27). Ainsi au dehors vous paraissez justes aux yeux des hommes, mais au dedans vous êtes pleins dhypocrisie et diniquité (28) ». Jésus-Christ leur reproche encore ici leur passion pour la vaine gloire en les appelant des « sépulcres blanchis ». Il condamne par là leur hypocrisie, qui était la source de tous leurs crimes et la cause de leur perte. Il ne se contente pas de dire quils sont seulement semblables à des « sépulcres blanchis », mais il ajoute : « qui sont au dedans pleins dossements de morts et de toute sorte de pourriture », cest-à-dire, comme il lexplique aussitôt, « quils sont pleins au dedans deux-mêmes dhypocrisie et diniquité », marquant par là que leur hypocrisie était leur plus grand obstacle à la foi. Les crimes que Jésus-Christ reproche ici aux Juifs ne leur ont pas été représentés seulement par le Fils de Dieu. Tous les prophètes les en ont souvent accusés, et leur ont fait voir quils étaient avares et voleurs, et que leurs princes ne rendaient point la justice. On voit partout quils négligeaient le plus solide et le plus essentiel de la loi, et quils sarrêtaient à des choses mutiles. Cest pourquoi il ny avait rien ni dans ces avis, ni dans ces reproches, ni dans cette comparaison du sépulcre, qui leur dût paraître nouveau, puisque David compare leur « bouche» non-seulement à un « sépulcre », mais à « un sépulcre toujours ouvert ». (Ps. LI, 10.) 3. Il a encore aujourdhui, mes frères, plusieurs de ces « pharisiens qui ont grand soin de paraître purs au dehors», mais «qui ne sont pleins au dedans que de corruption (569) et diniquité ». Nous voyons de nos jours quon travaille beaucoup à régler lextérieur, et quon le réforme avec beaucoup de soin, pendant quon néglige entièrement de régler le dedans de lâme, et de létablir dans la solide piété. Si lon ouvrait maintenant les consciences de chacun de nous, on les verrait pleines de vers, de puanteur et de pourriture : je veux dire quon les verrait pleines de passions et de désirs déréglés, qui déchirent plus les âmes, que les vers ne rongent les corps. Cétait sans doute un grand malheur devoir les pharisiens dans cet état déplorable. Mais cen est un bien plus grand, quétant comme nous sommes les membres du Fils de Dieu, nous devenions « des sépulcres pleins de toute sorte de pourriture ». Ce mal, mes frères, est au-dessus de tout ce quon en peut dire. Car, quy a-t-il de plus effroyable que de voir une âme qui était le temple de Jésus-Christ, et lorgane de son Esprit-Saint, où tant de mystères sétaient accomplis, et saccomplissaient tous les jours, devenir tout dun coup dun ciel vivant et animé, un sépulcre infâme? Quelle source de larmes pourrait suffire pour pleurer dignement un si grand malheur? Souvenez-vous de votre divine renaissance. Rappelez en votre mémoire le titre auguste dont vous avez été honoré en votre baptême; quelle robe vous y avez reçue, comment vous y êtes devenu un palais céleste, fondé sur limmobilité de la pierre, enrichi, non de marbre et de jaspe, ni dor et de diamants, mais des dons de lEsprit de Dieu, et de toute la magnificence de sa grâce. Considérez quon ne souffre point les sépulcres dans les villes, et quainsi étant vous-même «un sépulcre » , vous ne devez point prétendre avoir part à cette cité éternellement heureuse. On vous en rejettera avec encore plus dhorreur quon ne rejette les tombeaux du milieu des villes. Et comment vous y pourrait-on souffrir, puisque vous êtes devenu sur la terre même lopprobre de tous les hommes, qui vous voient avec horreur porter une âme morte dans un corps vivant? Si lon voyait dans cette ville un homme porter de rue en rue un corps mort plein de puanteur, qui ne le fuirait avec dégoût? Vous êtes vous-même cet homme, et cest ainsi que vous portez partout une âme morte, rongée de vers, et « pleine de pourriture ». Qui pourra avoir quelque compassion de vous, puisque vous êtes si cruel envers vous-même, et que vous vous traitez avec tant de dureté? Que feriez-vous si on allait enterrer un corps mort au lieu où vous mangez, et où vous dormez? Cependant vous ensevelissez votre âme morte, non pas au lieu où vous mangez et où vous dormez, mais entre les membres mêmes de Jésus- Christ, et vous ne craignez point quil ne lance sur vous tous ses foudres? Comment osez-vous, étant rempli de tant dordures et de corruption, entrer dans lEglise de Dieu, et vous présenter dans son saint temple? On punirait du dernier supplice celui qui ferait à la majesté impériale linjure daller enterrer un mort dans son palais. Que ne devez-vous donc point attendre, vous qui pouvez sans rougir aller infecter ce temple sacré de Jésus-Christ, par vos puanteurs insupportables? Que nimitez-vous cette sainte pécheresse qui parfuma les pieds du Sauveur dune «huile précieuse, dont lodeur excellente remplit toute la maison»?Vous faites tout le contraire en vous présentant à Jésus-Christ, étant plein de puanteur. Il est vrai que vous ne la sentez pas. Mais cest en cela même que votre maI est plus incurable, et presque désespéré. Car, lorsque le corps dun homme se corrompt, il le sent lui-même, ainsi que ceux qui lapprochent. Ainsi, il est plus aisé de le guérir, et tout le monde le plaint, parce que cette corruption est involontaire. Mais la vôtre est dautant plus incurable quelle ne tombe pas sous les sens, et dautant plus digne de haine, que vous vous y plaisez, et que vous lentretenez volontairement. Puis donc que votre maladie est si dangereuse, et que vous navez pas le moindre sentiment de cette odeur de mort que vous répandez partout, faites au moins un effort sur vous-même, et appliquez-vous à ce que je vais vous dire pour vous représenter létat où vous êtes, et pour vous faire voir quelle est cette peste effroyable qui tue votre âme invisiblement. Mais souvenez-vous auparavant de ce que vous dites dans vos prières: « Que ma prière sélève à vous, mon Dieu, comme lencens sélève en votre présence». (Ps. CXL, 2.) Si, au lieu de cet encens, vous faites monter vers Dieu une fumée noire et puante, qui ne voit que vous ferez descendre, non la (570) miséricorde, mais la colère de Dieu sur vous? Et qui sont ceux, me direz-vous, qui font monter cette fumée vers Dieu dans lEglise? Ce sont ceux qui ne craignent pas dy venir, pour y satisfaire leurs regards impudiques, qui ont le démon dans le coeur, et ladultère dans les yeux. Et lon ne sétonne point après cela que tous les foudres du ciel ne tombent sur la terre pour la réduire en cendre, puisque ces crimes devraient attirer également les feux du ciel et ceux de lenfer. Cependant, comme Dieu est bon et plein de miséricorde, il suspend sa colère, et il vous invite à la pénitence. Quoi, vous osez donc venir à léglise pour voir une femme, et vous ne tremblez pas de déshonorer la sainteté du temple de Dieu ? Regardez-vous léglise comme un lieu de divertissement, et la traitez-vous avec moins de respect que les rues et les places publiques? Vous rougiriez peut-être dans ces lieux publics quon vous vît aller après une femme; et vous ne rougissez point dans léglise, doccuper vos yeux de ce qui empoisonne votre coeur, et de vous entretenir de pensées infâmes, au même temps que Dieu par la voix de ses ministres vous menace de vous perdre, si vous navez en horreur cette passion? Cest là le fruit de ces spectacles dont vous êtes si passionnés. Cest là ce que vous enseigne le théâtre. Voilà ce que produit cette peste si contagieuse; ces objets qui corrompent et qui enchantent les yeux qui les voient, et cette source publique dimpureté dont les eaux empoisonnées et délicieuses tout ensemble, enivrent ceux qui en boivent dun plaisir funeste, et les perdent agréablement. Cest ce que le prophète Jérémie accusait par ces paroles : « Votre oeil», dit-il, « est mauvais aussi bien que votre coeur». (Jérém. XXXIV.) Combien vaudrait-il mieux être aveugle ou être malade dune fièvre ardente que dabuser ainsi de ses yeux? Il serait à souhaiter aujourdhui, à voir létat des choses, quil y eût au dedans de cette église un mur qui vous séparât davec tes femmes; mais puisque vous ne le voulez pas souffrir, nos pères ont cru quil fallait au moins faire une séparation avec cette clôture de bois. Jai su, néanmoins, des personnes les plus avancées en âge, que cette séparation navait pas été toujours en usage, « parce quen Jésus-Christ », comme. dit lapôtre, « il ny a ni mâle ni femelle». (Gal. III, 25.) Les hommes et les femmes, du temps des apôtres, priaient indifféremment ensemble, parce que les chrétiens alors, soit hommes ou femmes, étaient véritablement ce quon croyait quils étaient, Mais aujourdhui les femmes chrétiennes paraissent des courtisanes , et les hommes vivent plutôt en bêtes quen hommes. Ne voyons-nous pas dans les actes, que les hommes et les femmes étaient dans une même chambre, lorsque saint Paul leur parlait? et cette assemblée néanmoins était tout angélique et digne du ciel; parce que les femmes avaient un coeur mâle et une vertu dhommes, et que les hommes avaient une modestie et une pureté digne des plus chastes dentre les femmes. Voyez ce quune femme et une vendeuse de pourpre, dit aux apôtres : « Si vous me jugez digne du Seigneur, je vous prie de venir chez moi, et dy demeurer». (Act. XVI, 15) Considérez encore ces premiers disciples qui accompagnaient les apôtres, et qui parcouraient avec eux toute la terre. Voyez ces femmes généreuses : Priscille, Perside et tant dautres, dont les femmes daujourdhui sont aussi éloignées que les hommes, de notre temps, le sont des hommes des premiers siècles. 4, Quoique ces femmes passassent leur vie à aller de ville en ville en suivant les disciples, jamais néanmoins on ne conçut delles les moindres soupçons; au lieu quaujourdhui celles qui demeurent toujours chez elles, et qui ne sortent jamais de leur chambre, nen sont pas exemptes, à cause de ce soin excessif quelles prennent pour se parer, et pour vivre dans les divertissements et dans les délices. Les femmes alors navaient point dautre soin ni dautre désir que de voir lEvangile sétendre par toute la terre; et les femmes daujourdhui nont point dautres désirs que de sembellir le visage, et de paraître. agréables aux yeux des hommes. Elles mettent en cela toute leur gloire et tout leur bonheur. Pour ce qui regarde cet amour de lEglise et ce zèle pour Dieu et pour le prochain, il ne leur en vient pas seulement la moindre pensée. Quelle femme aujourdhui sefforce de retirer son mari de ses excès, et de le rendre un véritable chrétien ? Quel est lhomme qui cherche à rendre sa femme aussi réglée et aussi vertueuse quelle le doit être? Ces soins et ces empressements de charité sont aujourdhui inconnus au inonde, Les femmes (571) soccupent de leurs ameublements, de leurs habits, et de tout ce qui contribue aux délices et au luxe, et elles souhaitent pour cela dêtre plus riches. Les hommes soccupent aussi de ces mêmes bagatelles et de mille choses semblables, qui ne regardent toutes que laccroissement de leur bien et les commodités de la vie. Quel est maintenant le jeune homme qui, devant se marier, se met en peine de savoir quelle est la femme quil va prendre; comment elle a été élevée, si ses moeurs sont réglées, si sa vie est sans reproches? Tous ses soins se terminent à savoir ce quelle a de biens; combien elle a en fonds de terre ou en meubles, II semble quil achète une femme, et on donne même au mariage le nom « de contrat». Jen vois plusieurs aujourdhui qui disent: Un tel a contracté avec une telle, pour dire quil la épousée. On déshonore ainsi le nom de Dieu, et on traite un sacrement si saint, comme un trafic où lon se vend et où lon sachète. Il faut même, dans ces contrats, être extrêmement sur ses gardes, parce que lon tâche encore plus dy tromper que dans les autres. Mais voici, mes frères, comment on se mariait autrefois parmi les chrétiens. Se vous le dis, non-seulement afin que vous le sachiez, mais aussi afin que vous limitiez. On navait point dégard au bien, ni aux avantages temporels. On cherchait une fille qui eût été bien élevée, qui eût de la sagesse et de la vertu, dont la vie fût réglée et honnête. Quand on lavait trouvée, le mariage était conclu : on navait besoin, ni de contrat, ni darticles, ni de notaires. On ne dépendait ni de lencre, ni des écritures. On ne voulait point dautre sûreté que la vertu et la piété de lun et de lautre. Cest pourquoi je vous conjure, mes frères, de ne point vous arrêter à ces vues si basses, lorsque vous vous marierez; mais de ne vous mettre en peine que de trouver des filles sages, réglées, honnêtes, et vertueuses, et elles vous seront plus précieuses que tous les trésors du monde. Si vous ne cherchez que Dieu dans le mariage, il aura soin de vous y taire trouver avantageusement tout le reste. Mais si vous ny cherchez que des qualités du monde, sans vous mettre en peine de celles qui doivent être les plus chères à un chrétien, vous ny trouverez enfin ni les unes ni les autres. Vous me direz peut-être : Jen vois plusieurs qui se sont enrichis du bien de leurs femmes. Ne rougissez-vous point davoir ces pensées? Jai entendu dire moi-même à plusieurs hommes du monde, quils aimeraient mieux mille fois être pauvres, que de devenir riches par leurs femmes. Car, hélas! quy a-t-il de plus malheureux que dêtre riche de cette manière? Quy a-t-il de plus cher que ce quon achète à si haut prix? Quy a-t-il de plus honteux pour un homme que de sexposer à entendre dire de lui, quil nest rien par lui-même, et quil na de bien que ce quil a de sa femme. Je ne parle point du renversement qui a lieu dans un ménage de cette sorte, où lon voit une femme hautaine et impérieuse, un mari esclave et timide, des serviteurs hardis et insolents, qui diront quelquefois de leur maître Quétait cet homme-ci, avant quil se soit marié? Un homme sans naissance, sans bien, sans honneur : et qua-t-il maintenant, sinon ce quil a reçu de notre maîtresse? Vous me direz peut-être que vous ne vous souciez guère de ces discours. Il est vrai, parce que vous avez un coeur desclave. Tous ces flatteurs et tous ces hommes lâches, qui cherchent un dîner aux bonnes tables, entendent tous les jours ces insultes sans en rougir. Ils se glorifient même de ce qui devrait être leur confusion; et lorsque nous leur parlons de la sorte, ils disent en eux-mêmes ce proverbe: « Quon me donne un bon morceau, quand il me devrait étrangler». O parole du démon, qui na été répandue dans le monde quafin de le perdre Que dites-vous, mes frères, quand vous osez parler de la sorte? Vous déclarez que jamais vous naurez nul égard à la justice; que vous renoncez à la raison; que vous ne cherchez que le plaisir; que vous laimerez toujours quand il vous devrait coûter la vie, quand tout le monde vous devrait déshonorer, quand on vous cracherait au visage, quand on vous couvrirait de boue, et quon vous traiterait comme un chien. Que diraient autre chose les chiens et les pourceaux sils pouvaient parler? Ou plutôt, cette parole serait indigne même dun chien et dune bête, et elle nest digne que dun homme qui a le démon sur la langue et dans le coeur. Reconnaissez donc, mes frères, limpiété de cette parole, et bannissez-la éternellement de votre bouche. Opposez à ces proverbes diaboliques les sentiments et les oracles de lEcriture, et gravez-les dans votre mémoire. Ecoutez (572) cette parole: « Ne suivez point les mauvais désirs de votre coeur, et ne soyez point lesclave de votre concupiscence». (Eccl., XVIII, 30.) Voyez ce quelle vous dit aussi des courtisanes et des femmes débauchées, et combien elle est en cela contraire au proverbe qui règne aujourdhui dans le monde: « Narrêtez point», dit-elle., « vos yeux sur une femme corrompue. Car le miel sort de ses lèvres, et il plaît pour un temps à votre bouche; mais vous le trouverez ensuite plus amer que le fiel, et il pénétrera plus avant quune épée à deux tranchants». (Prov., V, 3, 4.) Etouffez par ces paroles saintes ces paroles exécrables dont le démon est lauteur, qui inspirent aux hommes un coeur de bêtes et des pensées desclaves, et qui leur persuadent de considérer un plaisir honteux et méprisable comme le bien suprême, quils doivent préférer à toutes choses. Car que vous apportera ce plaisir brutal? Que gagnerez-vous quand vous vous en serez enivré selon votre désir? Vous, ny gagnerez que de linfamie en ce monde et lenfer en lautre. Cessons donc dacheter, par un plaisir qui dure si peu, des tourments qui ne finiront jamais. Méprisons le monde qui passe, et pensons à cette gloire qui doit arriver un jour. Parons notre âme de chasteté et de piété, afin quétant pure en ce monde elle devienne glorieuse en lautre, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (573) |