HOMÉLIE XXXII« COMME JÉSUS SORTAIT DE CE LIEU, DEUX AVEUGLES LE SUIVIRENT, CRIANT APRES LUI ET DISANT : FILS DE DAVID, AYEZ PITIE DE NOUS. » (CHAP. IX, 27. JUSQUAU VERSET 16 DU CHAP. X) ANALYSE. 1. Quil faut fuir lostentation. 2. Il faut répondre aux calomnies, non par des calomnies, mais par des bienfaits. 3. Liste des noms des apôtres. 4. Les miracles, sans les bonnes oeuvres, ne servent de rien. 5. Les apôtres ont été plus remarquables par leurs vertus morales que par leur puissance de faire des miracles. 6. De la paix qui se donnait dans léglise pendant loffice divin. Malades guéris par lonction faite avec lhuile de la lampe des églises. 7 et 8. De la sainteté de léglise et de la parole de Dieu. Avec quel respect on doit entendre les prédicateurs. Charité de saint Chrysostome pour son peuple. Quon ne doit pas désirer maintenant des miracles que de bien régler sa vie.
1. Pourquoi. Jésus-Christ tire-t-il ces aveugles du milieu du peuple doù ils criaient, sinon pour nous apprendre encore avec quel soin nous devons fuir la gloire des hommes? Comme la maison était proche, il les y conduit pour les guérir plus en secret. Et ce désir dêtre caché dans cette action paraît en ce quil défend à ces aveugles de ne parler de ce miracle à personne. Mais certes ces deux aveugles sont le sujet dun grand reproche aux Juifs. Le seul bruit des miracles de Jésus-Christ les fait croire en Celui quils ne pouvaient voir; et les Juifs, qui voyaient tous les jours de leurs propres yeux tant de miracles de Jésus-Christ, font le contraire de ces aveugles. Jugez de lardeur de leur foi, et par les cris quils poussent, et par la demande quils font. Car ils ne sapprochèrent pas froidement de Jésus-Christ, mais en criant beaucoup, et demandant seulement miséricorde: « ayez pitié de nous. » Ils lappelèrent « Fils de David, » parce que ce nom paraissait alors glorieux: et lorsque les prophètes mêmes voulaient parler dun roi avec honneur, ils lappelaient fils de David. « Et lorsquil fut entré dans la maison ces aveugles sapprochèrent de lui, et Jésus leur dit: Croyez-vous que je puisse faire ce que vous me demandez? Ils lui répondirent: « Oui, Seigneur (28). » Ainsi lorsque les aveugles venus avec lui sont arrivés dans la maison, .Jésus-Christ leur fait encore une seconde demande: «Croyez-vous, » leur dit-il, «que je puisse faire ce que vous me demandez? » Il sétudiait partout à ne guérir que ceux qui len priaient, de peur quon ne crût quil cherchât sa gloire dans ces miracles, et quil les lit par vanité; outre quil voulait montrer encore que ces hommes étaient dignes de cette grâce, pour prévenir laccusation de quelques impies qui eussent pu dire : sil ne sauve et guérit les hommes que par miséricorde, pourquoi ne les sauve-t-il pas tous? Car la miséricorde que Dieu témoigne pour les hommes, a sans doute quelque rapport à la foi de ceux quil sauve. Il avait encore une raison particulière pour exiger la foi de ces aveugles. Comme ils lappelaient « Fils de David,» il voulait les élever plus haut, et leur faire avoir des sentiments plus dignes de lui. Cest pourquoi il leur dit: « Croyez-vous que je puisse faire ce que vous me demandez? » il ne dit pas : croyez-vous que je puisse par mes prières obtenir ce miracle de mon Père; mais « que je puisse, moi, faire ce que vous demandez? » Que répondent ces aveugles? « Oui, Seigneur. » Ils ne lappellent plus de Fils de David; » mais élevant leur foi plus haut ils reconnaissent la souveraine puissance de Celui à qui ils parlent. (259) « Alors il leur toucha les yeux en disant quil vous soit fait selon votre foi ! Et aussitôt leurs yeux furent ouverts (29). » Jésus-Christ alors étend sa main sur eux pour les guérir, et leur dit: « Quil vous soit fait selon votre foi. » Le Fils de Dieu fait trois choses par ces paroles. Il affermit la foi de ces aveugles, il montre que leur volonté avait eu aussi quelque part à leur guérison, et il tait voir que la manière dont il leur avait parlé, ne pouvait être suspecte de flatterie. Car il ne leur dit pas: que vos yeux soient ouverts; mais: « quil vous soit fait selon votre foi. » Cétait ce quil observait presque envers tous ceux quil guérissait, voulant que tout le monde reconnût quelle était la foi de leur âme, avant que dêtre témoin de la guérison de leur corps; pour rendre en même temps ceux qui étaient guéris encore plus fervents dans la foi, et les autres qui les voyaient plus disposés à la recevoir. Ce fut ainsi quavant que de guérir le paralytique, il guérit son âme par ces paroles: « Mon fils, ayez confiance, vos péchés vous « sont remis; » quayant ressuscité la jeune fille, il demeura là, et commanda quon lui apportât à manger, afin quelle connût Celui qui lavait ressuscitée; quil fit voir, dans la guérison du serviteur du centenier, que cétait la foi avec laquelle le centenier la lui avait demandée, qui avait tout fait; et quavant que de délivrer ses disciples de la tempête, il les délivra auparavant de leur manqué de foi. II fait donc encore ici la même chose. Quoiquil sût parfaitement le fond du cur de ces deux aveugles, il les interroge néanmoins devant tout le monde, pour exciter les autres par leur exemple, et pour faire connaître leur vive foi, cest-à-dire la cause secrète de leur guérison. Après les avoir guéris il leur défend aussitôt den rien dire à personne, et par un commandement quil accompagne de beaucoup de sévérité. « Jésus leur dit avec des paroles fortes et pressantes: Prenez bien garde que personne ne le sache (30). Mais eux sen étant allés répandirent sa réputation dans tout ce pays-là (3l). » Ils ne purent donc se retenir, ils se firent prédicateurs et évangélistes, et malgré lordre formel quils avaient reçu de tenir caché ce qui leur était arrivé, ils ne purent résister au désir de le répandra. Nous voyons dans lEvangile que le Sauveur a dit à un autre malade quil guérit: «Allez et racontez la gloire de Dieu. » Mais cette parole, bien loin dêtre contraire à ce que nous voyons ici, sy accorde parfaitement. Jésus-Christ nous apprend dune part à cacher toujours ce qui nous peut être avantageux, et à ne pas même souffrir que dautres nous louent. Mais lorsque toute la gloire dune action retourne à Dieu seul, non-seulement il ne nous empêche point mais il nous commande même de faire en sorte quon le loue. « Et lorsquils furent sortis, voici quon lui présenta un homme muet, possédé du démon (32). » Linfirmité de cet homme nétait point un effet de la nature, mais de la seule malice du démons Cest pourquoi il fallait quil fût amené à Jésus-Christ par dautres, puisquétant muet il ne le pouvait prier par lui-même, ni- prier les autres de ly mener, parce que son âme était liée par le démon aussi bien que sa langue. Jésus-Christ donc, sans exiger de lui la foi, le guérit aussitôt. « Et le démon ayant été chassé, le muet parla, et tout le peuple en fut dans ladmiration, et ils disaient: on na jamais vu rien de semblable en Israël (33). » Ces paroles perçaient les pharisiens parce que le peuple témoignait publiquement préférer Jésus-Christ à tout, et lestimer incomparablement plus que ceux qui non-seulement étaient dans la Judée, mais qui y furent jamais; non-seulement parce quil guérissait les malades, mais parce quil les guérissait en un moment, et avec une facilité admirable, quoique leurs maladies fussent inconnues et incurables à tout le reste des hommes. Mais pendant que le peuple est dans une disposition si raisonnable, les pharisiens entrent dans des sentiments bien différents; et ne se contentant pas de calomnier ces miracles de Jésus-Christ, ils ne rougissent point de se couper dans leurs propres paroles et de se combattre eux-mêmes. Cest ce qui arrive dordinaire à la méchanceté envieuse. 2. « Mais les pharisiens disaient au con traire : Il chasse les démons par le prince des démons (34).» Y a-t-il rien de plus extravagant que cette pensée, comme Jésus-Christ le leur reproche ensuite? Il est impossible que le démon chasse le démon. Cet esprit de malice ne détruit pas ses propres desseins, mais il ne tend et ne travaille au contraire quà les affermir. Dailleurs Jésus-Christ ne faisait pas seulement paraître sa puissance en chassant les démons; mais encore en guérissant les (260) lépreux, en ressuscitant les morts, en calmant la mer, en pardonnant les péchés; en prêchant le royaume du ciel, et en conduisant les hommes à Dieu son Père : merveilles dautant plus impossibles au démon, que nen ayant point le pouvoir il nen a pas même la volonté. Les démons détournent les hommes du culte de Dieu, et ils les portent à adorer les. idoles. ils les attachent à cette vie, et ils leur ôtent la foi de lautre. De plus, si lon offense le démon, il na garde de faire du bien au lieu de se venger, puisquil nuit même à ceux qui le servent le mieux, et qui lhonorent davantage. Mais Jésus-Christ se conduit dune manière bien différente, puisquaprès ces médisances, ces outrages et ces blasphèmes; lEvangile ne laisse pas dajouter : « Et Jésus allait de tous côtés dans les villes et dans les villages enseignant dans leurs synagogues, et prêchant lévangile du royaume, et guérissant toutes sortes de maladies et de langueurs (35). » Bien loin de punir leur ingratitude, il ne veut pas même les en reprendre. Il leur témoigne son extrême douceur, et en même temps il réfute leurs calomnies. Car il veut les convaincre dabord de la fausseté de leurs accusations par une grande multitude de miracles, et les confondre ensuite par ses paroles et par ses raisons. Après donc avoir été ainsi outragé, il ne laisse pas daller dans les villes, dans les villages et dans les synagogues des Juifs, pour nous apprendre à riposter à nos calomniateurs, non en leur répondant injure pour injure, mais en redoublant notre affection envers eux. Car si vous ne regardez que Dieu et non pas les hommes, dans la charité que vous leur faites, vous ne cesserez jamais de leur faire du bien, quelque ingrats quils puissent être envers vous, sachant que leur ingratitude augmentera votre récompense. Celui qui se lasse de faire la charité, parce quon médit de lui, et quon le décrie, témoigne assez quil a été plutôt charitable pour être loué des hommes que pour plaire à Dieu. Jésus-Christ au contraire nous voulant apprendre quil ne suivait dans ces guérisons que le mouvement de sa bonté nattend pas, même après toutes ces médisances, que les malades le viennent trouver. Il va les trouver jusque dans leur pays et dans leurs villes, Il leur fait deux grâces très-considérables en même temps: lune quil leur prêche lEvangile, et lautre quil les guérit de toutes leurs maladies. Il ne passait aucune ville, il ne négligeait aucun village, mais il allait indifféremment en toutes sortes de lieux. Il narrêtait pas encore là lexcès et la tendresse de sa charité. « Car voyant la multitude du peuple, ses entrailles furent émues de compassion, parce quils étaient languissants et dispersés çà et là, comme des brebis qui nont point de pasteur (36). » Considérez encore ici, mes frères, combien Jésus-Christ est éloigné de la vaine gloire. Pour ne pas attirer à lui tout le monde, il aime mieux envoyer ses disciples. Il veut que dabord la Judée soit comme le lieu où ils sexercent, pour les rendre ensuite capables de combattre et de lui assujétir toute la terre. Il les met dabord dans des épreuves assez fortes, si lon considère que leur vertu était encore bien faible, afin que sétant fortifiés de plus en plus ils puissent entreprendre une guerre plus pénible. Cest un aigle qui tire du nid ses aiglons pour leur apprendre à voler. Il leur donne dabord de pouvoir de guérir les corps pour les rendre ensuite les médecins et les conducteurs des âmes. Et remarquez comment il leur fait voir en même temps la nécessité et la facilité de ce quil leur ordonne. « La moisson est grande, » dit-il, « et il y a peu douvriers. » Je ne vous envoie pas pour semer, mais pour recueillir une moisson toute préparée. Cest ce quil dit dans saint Jean : « Les autres ont travaillé et u vous êtes entrés dans leurs travaux. » (Jean, IV, 59.) Il leur parlait de la sorte pour les empêcher de senorgueillir et pour leur donner en même temps de la confiance en leur faisant voir que le plus grand travail était déjà fait. Il est remarquable encore que ce quil fait en cette rencontre nest point louvrage dune justice qui rende ce qui est dû, mais dune miséricorde toute pure et toute gratuite. « Voyant la multitude du peuple, ses entrailles furent émues de compassion, parce quils « étaient languissants et dispersés çà et là comme des brebis qui nont point de pasteur. » Ces paroles sans doute retombent comme une accusation grave sur la tête des Juifs, puisquau lieu dêtre les pasteurs des peuples ils en étaient devenus les loups. Car non-seulement ils ne les redressaient point de (261) leurs égarements, mais ils sopposaient même au progrès quils auraient pu faire dans la vertu. Aussi nous voyons que lorsque le peuple, ravi des miracles de Jésus-Christ, publie hautement « quon na jamais rien vu de semblable dans Israël,» les pharisiens crient au contraire : « Il chasse les démons par le prince des démons. » 3. « Alors il dit à ses disciples : Il est vrai que la moisson est grande, mais il y a peu douvriers (37). Priez donc le maître de la moisson quil fasse aller les ouvriers à sa moisson (38). » Qui sont « ces ouvriers » dont Jésus-Christ parle en ce lieu, sinon ses douze disciples? il dit « quils sont peu, et néanmoins il ny en ajoute point dautres, et il les envoie sans en accroître le nombre. Pourquoi dit-il donc : « Priez le maître de la moisson quil fasse aller les ouvriers dans sa moisson, » puisquil ny en ajoute pas un seul lui-même? Cest parce que, bien quils ne fussent que douze, il sut les multiplier, non pas en augmentant leur nombre, mais en leur communiquant sa puissance et sa grâce. « Priez, » dit-il, «le maître de la moisson. » Il leur apprend par ces paroles quelle est la grandeur du don quil leur doit faire, et il marque aussi obscurément quil est lui-même « le maître de cette moisson. » Puisquaussitôt quil leur a donné cet avis, sans quils eussent prié personne, il les fait apôtres et les envoie prêcher, les faisant souvenir en même temps de ces paroles de saint Jean, de «laire», du « van », de « la paille », et du « bon grain. » Ce qui montre clairement que cest lui qui est le véritable laboureur, et quil est le maître de la moisson et des prophètes qui lont semée. Car en voyant ses apôtres recueillir la moisson, il est hors de doute quil ne les envoie pas recueillir la moisson dun autre, mais celle qui était à lui, comme layant lui-même semée par la prédication des prophètes. Mais il nencourage pas seulement ses disciples, en leur représentant que leur travail est une moisson, mais en leur rendant encore ce travail facile. « Jésus ayant appelé ses douze disciples, leur donna puissance sur les esprits impurs pour les chasser et pour guérir toutes sortes de maladies et de langueurs (X, 1.) » Cependant le Saint-Esprit navait pas encore été donné; saint Jean le dit clairement : « Le Saint-Esprit nétait pas encore donné, parce que Jésus nétait pas encore glorifié. » (Jean, VII, 39.) Comment donc les apôtres pouvaient-ils chasser les démons, sinon par la puissance de Jésus-Christ, et par la vertu de la mission quil leur avait donnée? Considérez aussi, mes frères, comme il ne les envoie que lorsquil est temps. Il ne les envoie point dabord lorsquils ne commençaient que de le suivre, mais après quils ont été longtemps en sa compagnie, après, quils lont vu ressusciter les morts, chasser les démons, commander à la mer, guérir les paralytiques et les lépreux, remettre les péchés; enfin après les avoir suffisamment convaincus de sa toute-puissance par ses actions et par ses paroles, il leur dit alors: « Allez, je vous envoie. » Il ne les expose pas dabord à de grands périls, puisquil ny avait encore rien à craindre pour eux dans la Palestine, et quils navaient quà se fortifier contre les injures et les médisances. Cependant il leur prédit de grands maux pour lavenir, et il leur en parle sans cesse, afin quils sy préparent de bonne heure, et quils soient plus fermes et plus courageux dans le péril. Mais comme lévangéliste ,navait encore parlé que de quatre apôtres, saint Pierre, saint André, saint Jacques, et saint Jean, et de saint Matthieu ensuite, sans avoir rien dit ni de la vocation, ni du nom même des autres, il rapporte ici leurs noms et leurs nombres. « Voici les noms des douze apôtres. Le premier, Simon, qui est appelé Pierre, et André son frère (2). » Il marque avec soin les noms et le pays des apôtres, parce quil y en avait deux qui sappelaient Simon; lun Simon Pierre, et lautre Simon le Chananéen; comme il y en avait deux appelés Judas, dont lun était le traître, et lautre le frère de Jacques; comme il y en avait aussi deux nommés Jacques, lun qui était fils dAlphée, et lautre, de Zébédée. Saint Marc en les nommant observe le rang et la dignité. Car après avoir nommé les deux chefs, il nomme en troisième lieu saint André. Mais notre évangéliste nomine saint Thomas avant de se nommer lui-même, quoique saint Thomas lui fût de beaucoup inférieur. Mais voyons cette liste jusquau bout. « Le premier est Simon, qui est appelé Pierre, et André, son frère. » Ce nest pas là un petit éloge de saint Pierre, de le placer le premier à cause de sa vertu, et de lui joindre André, (262) son frère, à cause du rapport de vertu et de moeurs qui était entre eux. « Jacques, fils de Zébédée, et Jean, son frère; Philippe et Barthelemi; Thomas et Matthieu le Publicain; Jacques , fils dAlphée; et Lebbée, surnommé Thaddée (3). » Il est visible que lévangéliste ne prend pas garde au rang et à la dignité, puisquil me semble que saint Jean était plus grand non-seulement que les autres, mais encore que son frère même. De même, après avoir nommé « Philippe et Barthelemi, » il parle de « Thomas et de Matthieu le Publicain. » Mais au lieu que saint Matthieu met saint Thomas avant lui, saint Luc met saint Matthieu avant saint Thomas. Il appelle « Jacques, fils dAlphée, » parce quil y avait, comme jai déjà marqué, un autre Jacques, fils de Zébédée, après lequel il émet «Lebbée, surnommé Thaddée; Simon le Chananéen, et Judas Iscariote, celui qui le trahit. » Il met Judas le dernier de tous, et il en parle non comme un ennemi et avec passion, mais comme un historien fidèle qui dit les choses dans leur ordre. Il ne dit point, le méchant, le détestable Judas, mais il lappelle seulement comme les autres, du nom de la ville doù il était, « Judas Iscariote, » parce quil y avait un autre Judas, Judas Lebbée, surnommé Thaddée, que saint Luc dit être fils de Jacques. « Judas Iscariote, celui qui le trahit. » Il ne rougit point de rapporter cette parole : « Qui fut celui qui le trahit, » parce quil a soin de ne rien cacher de ce qui paraît mêlé de honte. Ainsi on voit assez, par son Evangile, que saint Pierre, le premier de tous, était un homme du peuple sans lettres et sans science. Mais voyons où Jésus-Christ envoie ses disciples, et vers qui il les envoie. « Jésus envoya ces douze après leur avoir s donné ces instructions et leur avoir dit (5) : Quels sont ces douze? » Ce sont des pêcheurs et des publicains, puisquil y en avait parmi eux quatre qui étaient pêcheurs et deux qui étaient publicains, saint Matthieu et saint Jacques. Et lun de ces douze encore devait être le traître de Celui qui lenvoyait. Mais voyons quels sont les ordres et les instructions que Jésus-Christ leur donne. « Nallez point vers les Gentils, et nentrez point dans les villes des samaritains (6). Mais allez plutôt aux tribus de la maison dIsraël qui sont perdues (6). » Ne croyez pas, leur dit-il, que jaie quelque aversion pour les Juifs qui moutragent et mappellent démoniaque. Ce sont au contraire les premiers que je tâche de convertir, et je vous défends daller prêcher à dautres quà eux, parce que je veux que vous soyez leurs maîtres et leurs médecins. Non-seulement je vous défends de prêcher aux autres avant eux, mais je ne vous permets pas de faire un pas dans la voie qui conduit aux autres peuples, ni dentrer dans une seule de leurs villes, pas même dans celles des samaritains qui étaient toujours opposés aux Juifs. 4. Et quoique ce peuple fût beaucoup plus aisé à convertir que les Juifs, et quil fût plus susceptible de la foi, Jésus envoie néanmoins ses apôtres plutôt aux Juifs quà ceux-ci, pour faire mieux voir le zèle et le soin quil avait de leur salut, Son dessein était de fermer ainsi la bouche aux Juifs, de les disposer à la prédication des apôtres, de prévenir les calomnies quils publiaient contre eux de ce quils iraient prêcher aux incirconcis, et dempêcher que la haine quils devaient leur porter un jour ne parût avoir quelque fondement. Il les appelle des «brebis perdues. » Il ne dit point quelles se soient volontairement égarées. Il leur témoigne partout quil est prêt à leur pardonner, et il tâche toujours de les attirer à lui. « Et dans les lieux où vous irez, prêchez en disant: le royaume des cieux est proche (7).» Admirez ici la grandeur des apôtres et. la dignité de leur ministère! Jésus-Christ ne leur commande point de prêcher rien de sensible, ou de semblable à ce que Moïse et les prophètes avaient annoncé avant eux. Ils proposent des choses nouvelles et inouïes jusqualors. Les prophètes ne promettaient que la terre et les biens terrestres; mais les apôtres annonçaient le royaume du ciel, et promettaient des biens éternels. Ce nest pas néanmoins cette seule excellence des promesses de lEvangile qui rend les apôtres supérieurs aux prophètes, mais encore cette obéissance si prompte quils témoignent à Jésus-Christ. Ils ne sexcusent point, ils ne résistent point comme quelques-uns des prophètes. De quelques périls, de quelques maux, de quelques combats quon les menace, ils ne laissent pas dembrasser avec une parfaite soumission tout ce quon leur commande, comme de véritables prédicateurs dun royaume céleste et divin. Et quoi détonnant, direz-vous, si , nayant rien à publier de pénible et de fâcheux, ils (263) obéissent sans difficulté? . Que dites-vous? est-ce quils navaient à exécuter aucune mission difficile? est-ce que vous nentendez pas parler de prisons, de supplices, de guerres civiles, de haine universelle et de tant dautres maux qui les attendent? Il les rend pour les autres des sources de biens et de grâces, mais il ne leur promet à eux-mêmes que des afflictions et des maux. Pour les rendre ensuite dignes de toute créance il leur dit.: « Guérissez les infirmes, purifiez les lépreux, ressuscitez les morts, chassez les démons. Vous «avez reçu ces dons gratuitement, dispensez-les gratuitement (8). » Considérez, mes frères, comme Jésus-Christ a souci des moeurs non moins que des miracles, et comme il montre que les miracles même ne sont rien sans la bonne vie : « Vous « avez, » dit-il, « reçu ces dons gratuitement, dispensez-les gratuitement. » Il les détourne par ces paroles de deux grandes passions premièrement de lavarice, puisquil est bien juste quils dispensent ses dons aussi gratuitement quils les ont reçus. Secondement de lorgueil, afin quils ne simaginent pas que les miracles que Dieu fait par eux, soient leur propre ouvrage et quils ne sen glorifient pas: « Vous les avez reçus gratuitement, » leur dit-il : vous ne donnez rien du vôtre à ceux qui les reçoivent ; et ces effets miraculeux ne sont point la récompense de vos travaux, Ma grâce est à moi. Vous lavez reçue de moi gratuitement , dispensez-la aux autres gratuitement. Nattendez point de prix de ce qui na point de prix. Et, pour arracher dabord la racine de tous les maux, il dit: « Ne possédez ni or, ni argent, ni aucune monnaie dans vos ceintures (9). Ne préparez, pour le chemin, ni sac, ni deux habits, ni souliers, ni bâton (10). » Il ne leur dit pas seulement : Ne prenez point dor avec vous; mais quand on vous en offrirait, rejetez-le, fuyez la maladie si dangereuse de lavarice. Jésus - Christ remédie par ce seul précepte à beaucoup de maux. Il empêche premièrement que lon ne puisse soupçonner ses apôtres davarice. Secondement , il les dégage de toute sorte de soins, afin quils soient plus libres pour la prédication de lEvangile. En troisième lieu, il leur montre sa souveraine puissance, ainsi quil leur fait remarquer ensuite: « Quand je vous ai envoyés sans habits et sans . souliers, avez-vous manqué de quelque chose? » Il ne leur dit pas tout dabord: « Nayez ni or ni argent.» Il leur donne premièrement le pouvoir de guérir les lépreux et de chasser les démons, et il leur dit ensuite : «Ne possédez rien. Vous avez reçu ces dons gratuitement, donnez-les aussi gratuitement, » se réservant de leur faire connaître par leur propre expérience quil ne leur donnait que des ordres très-saints en soi, très-utiles pour eux-mêmes et très-faciles à exécuter. Vous me direz peut-être que toutes ces ordonnances sont très-justes, mais que vous ne pouvez comprendre pourquoi il leur défend davoir « une bourse, deux habits, des souliers, » et de porter même « un bâton. » Je vous réponds que cétait pour exercer les disciples dans la pauvreté la plus exacte. Cest ainsi que nous avons déjà vu quil leur a défendu de se mettre en peine du lendemain. Comme il les envoyait pour être les docteurs des nations, il en fait en quelque sorte des anges en les détachant de tous les soins de cette vie, pour les attacher uniquement à leur ministère. Il ne veut pas même quils se mettent en peine sur ce point: « Ne vous mettez point en peine, » leur dit-il, « comment vous leur parlerez. » Ainsi il leur rend très-aisé ce qui paraissait le plus pénible. Car rien ne donne tant de joie à lâme que cette absence de tout soin, lors principalement que sans nous mettre aucunement en peine, nous sommes assurés de ne manquer jamais de rien, Dieu pourvoyant à tous nos besoins et nous tenant seul lieu de toutes choses. 5. Mais parce que ses disciples auraient pu dire en eux-mêmes: Doù aurons-nous donc ce qui nous est nécessaire pour la vie? il prévient cette pensée et il ne leur propose plus ce quil avait dit ailleurs : « Considérez les oiseaux du ciel. » Ils nétaient pas encore en état de pratiquer ce conseil; mais il les fortifie contre cette appréhension, par une considération moins haute : e Celui qui travaille mérite quon le nourrisse (10). » Il montre par là que ceux quils instruiraient les devaient nourrir,- afin-que dune part les maîtres ne sélevassent point au-dessus de leurs disciples, comme leur donnant tout et ne recevant rien deux, et que les disciples de lautre neussent point la douleur de voir que- ceux qui les instruisaient ne voulussent point souffrir quils leur rendissent aucune assistance. Ensuite, pour que les apôtres ne disent pas quil les (264) oblige donc à mendier pour vivre, il leur fait comprendre que ce quils recevront sera moins un don quune dette; il leur fait comprendre cela par cette qualité « douvriers » quil leur donne et en appelant salaire ce qui leur sera offert. Car encore que tout ce que vous faites, leur dit-il, ne consiste quà parler et à instruire; néanmoins votre ministère sera très-avantageux aux peuples et à vous très-laborieux; et ainsi ce que vous en recevrez sera moins une grâce quune récompense très-juste et très-légitime : « Car celui qui travaille mérite quon le récompense. » Ce quil ne dit pas pour nous faire croire que les travaux des ses apôtres fussent dignement payés de ce prix ; Dieu nous garde de cette pensée; mais pour persuader à ces docteurs des peuples de ne rien exiger de plus et pour apprendre aux disciples que, lorsquils assistent ceux qui les instruisent, ils ne font pas un acte de libéralité, mais quils sacquittent dune dette. « En quelque ville, ou en quelque village que vous entriez, informez-vous du plus digne, et demeurez chez lui jusquà ce que « vous vous en alliez (11).» Ne croyez pas, leur dit-il, que par ces paroles: «Un ouvrier mérite quon le nourrisse, » jaie prétendu vous ouvrir les maisons de tout le monde. Je veux quen ce point vous ayez beaucoup de réserve, puisque cette réserve même vous fera plus respecter et portera les hommes à contribuer à votre subsistance avec plus de joie. Si vous ne vous retirez que chez des personnes qui le méritent, ils vous donneront sans doute tous vos besoins, principalement lorsque vous ne leur demanderez que le nécessaire. Et il ne se contente pas de commander à ses apôtres de naller que chez des personnes qui en soient digues, il leur défend même de passer de maison en maison, pour ne point faire de peine à celui qui les aurait reçus dabord et pour empêcher quils ne passassent pour légers et amis de la bonne chère. Cest ce quil veut faire entendre par ces mots : « Demeurez-là jusquà ce que vous vous en alliez.» Et ce point est aussi mis en lumière par les autres évangélistes. (Marc. VI; Luc. X.) Vous voyez donc combien Jésus-Christ recommande dune part la gravité à ses apôtres; et de lautre lempressement à ceux qui , les reçoivent, leur représentant que ce sont eux qui reçoivent dans ces visites tout lhonneur et tout lavantage. Et pour confirmer davantage ce quil venait de dire, il ajoute: « Entrant dans la maison saluez-la en disant: la paix soit à cette maison (12)! Que si cette maison en est digne, votre paix viendra sur elle; et si elle nen est pas digne, votre paix retournera à vous.(13). » Considérez, mes frères , jusquà quelles particularités Jésus-Christ veut bien descendre. Et cest avec raison. Car puisquil formait les athlètes de la piété et les prédicateurs de lunivers, il convenait den faire des hommes que leur modération ferait rechercher et aimer de tout le monde. « Lorsque quelquun ne voudra point vous recevoir ni écouter vos paroles, en sortant de cette maison ou de cette ville, secouez la poussière de vos pieds (14). Je vous dis en vérité quau jour du jugement Sodome et Gomorrhe seront traitées moins rigoureusement que cette ville (15). » Ne prétendez point, parce que vous êtes les maîtres dont la mission est denseigner le monde, que les hommes vous doivent saluer les premiers, mais prévenez-les vous-mêmes en les saluant. Et montrant ensuite que cette salutation ne doit point être seulement une civilité humaine et stérile, mais une source de bénédictions: « Si cette maison en est digne, » dit-il, « votre paix viendra sur elle. » Que si elle vous traite indignement, sa première punition sera de ne point jouir de votre paix, et la seconde sera dêtre traitée avec plus de rigueur que nont été Sodome et Gomorrhe. Mais comme si ses apôtres lui disaient: de quoi nous servira à nous ce terrible châtiment? Vous aurez, leur répond-il, pour vous recevoir les maisons de ceux qui en seront dignes. Et que signifie ceci: Secouez la poussière de vos pieds? Cest ou pour signifier quils nont rien à eux, pas même la poussière de la terre ; ou pour témoigner de la longueur du chemin parcouru pour ces ingrats qui les repoussent. Remarquez ici que le Fils de Dieu ne donne pas tout ce quil pouvait donner à ses apôtres, puisquil ne leur donne pas lesprit de discernement et de prévoyance, pour distinguer ceux qui seraient dignes de les recevoir davec ceux qui ne le seraient pas. Il veut quils en fassent lessai eux-mêmes, et quils sexposent à cette épreuve. Pourquoi donc Jésus-Christ logea-t-il lui-même chez un publicain ? parce que le changement de vie de ce publicain le rendit digne de cette visite. (265) Mais qui nadmirera en ce point la conduite du Sauveur? Il dépouille ses disciples de tout, et en même temps il leur donne tout, leur permettant dentrer et de demeurer dans la maison de ceux quils auraient instruits. Ainsi par ce seul précepte du Fils de Dieu, les apôtres se trouvaient délivrés de tous les embarras de la terre, et ils faisaient voir clairement à ceux qui les recevaient, que ce nétait que pour leur salut quils les venaient visiter, puisquils ne portaient point dargent avec eux, et quils ne voulaient rien deux que le nécessaire, et quils nentraient pas indifféremment chez toutes sortes de personnes, mais avec réserve et avec choix. Jésus-Christ ne voulait pas que ses disciples se signalassent seulement par les miracles. Il leur commandait de se rendre encore plus illustres par leurs vertus que par ces prodiges. Car il ny a point de caractère et de marque plus propre dune vertu vraiment chrétienne que daimer à navoir rien de superflu, et de se passer de tout ce qui nest pas absolument nécessaire. Les faux apôtres même savaient et pratiquaient cette vérité, et saint Paul, en faisant voir son désintéressement, disait deux: « Afin quen cela même dont ils « se glorifient tant, ils soient trouvés semblables à nous. » (I Cor. II, 12.) Que si ceux même qui vont dans des pays étrangers et chez des inconnus, nen doivent rien rechercher que la nourriture de chaque jour, combien sont plus obligés à cela ceux qui demeurent toujours chez eux? 6. Ecoutons ceci, mes frères; mais écoutons-le pour le pratiquer. Jésus-Christ na pas dit ces paroles seulement pour ses apôtres. Il les a dites pour tous ceux qui voudraient se sanctifier dans la suite de tous les siècles. Rendons-nous donc dignes nous autres de recevoir chez nous de si divins hôtes, puisque cest par la disposition intérieure de ceux qui les reçoivent, que cette paix ou descend sur eux, ou se retire deux. Elle ne dépend pas seulement de la vertu des prédicateurs qui la donnent, mais encore de la sainteté des disciples qui la reçoivent. Que personne ne regarde comme une perte légère la privation de cette paix. Le Prophète lavait prédite autrefois en disant: « Que les pieds de ceux qui annoncent la paix sont beaux ! » (Nahum, I, 15.) Et pour en marquer davantage lexcellence, il ajoute: « de « ceux qui annoncent les biens. » Jésus-Christ montre assez quelle elle est, lorsquil dit: « Je vous laisse la paix: je vous donne ma paix. m (Jean, XIV, 13.) Il faut, mes frères, faire toutes choses pour jouir dune paix si précieuse, et dans vos maisons, et dans nos églises. Car celui qui préside ici et qui tient la première place dans léglise, donne comme vous savez la paix à tout le peuple; et cette paix est la figure de celle que Jésus-Christ a donnée à ses apôtres. Cest pourquoi il faut la recevoir de tout son coeur avant que de se présenter à la sainte table. Si cest un si grand mal de ne point participer à cette table, quel mal serait-ce de chasser et doutrager celui même qui la bénit? Cest pour vous que le prêtre se tient assis dans léglise, et que le diacre est debout avec beaucoup de peine quelle excuse donc vous restera-t-il de ne pas recevoir le ministre de Dieu, au moins en écoutant sa parole? Cette église est la maison commune de tous. Vous y entrez les premiers, et nous y venons ensuite, et nous pratiquons en y entrant, ce que Jésus-Christ ordonne ici à ses apôtres. Nous vous y bénissons tous en général, et nous vous y donnons dabord cette paix que Jésus-Christ commande à ses disciples de donner lorsquils entrent dans une maison. Que personne donc ne soit lâche et paresseux, que personne ne sabandonne à légarement de ses pensées, lorsque les ministres de Dieu entrent et parlent dans ce lieu saint, Car cette négligence sera terriblement punie. Pour moi jaimerais cent fois mieux être maltraité de vous, lorsque je vais vous voir dans vos maisons, que de nêtre pas écouté ici lorsque je vous parle de la part de Dieu. Ce dernier mépris est dautant plus grand, que cette maison est sans comparaison plus sainte et plus excellente que les vôtres. Car cest ici, mes frères, que sont renfermées nos plus précieuses richesses; cest ici quest lobjet de toutes nos espérances. Quy a-t-il ici qui ne soit grand et terrible? Notre table est plus sainte et plus délicieuse que les vôtres. Notre huile est plus précieuse; et tout le monde sait combien de personnes recevant avec foi cette divine onction dans leurs maladies, se sont trouvées guéries de leurs maux. Cette armoire où lon garde lEucharistie est aussi bien plus estimable que ne sont les vôtres. Car elle ne renferme pas de riches habits, mais elle contient la miséricorde même, quoiquil y ait peu de personnes ici qui en jouissent (266) et qui la possèdent. Le lit aussi où lon se repose ici est bien plus doux que les vôtres, puisque la lecture et la méditation de lEcriture est un repos plus agréable que celui que vous prenez chez vous. Si nous étions tous dans une parfaite union, nous naurions point besoin dautre maison que de celle-ci. Ces trois mille hommes dautrefois, et ces cinq autres mille ensuite montrent la vérité de ce que je dis, puisquils navaient tous quune même maison, quune même table, et quune même âme. « La multitude des fidèles, » disent les Actes, « navaient tous quune âme, et quun coeur. »(Act. IV, 32.) Mais puisque nous sommes trop éloignés de cette haute vertu, et que nous sommes dispersés en plusieurs maisons différentes, au moins lorsque nous nous rassemblons ici, rentrons le plus que nous pourrons dans cet esprit et cette charité de lEglise à sa naissance. Quand nous serions pauvres dans tout le reste, soyons riches en ce point. Je vous conjure donc, mes frères, de nous recevoir avec affection lorsque nous entrons ici. Quand nous vous disons: « Que la paix « soit avec vous , » répondez-nous: « Et quelle soit avec votre esprit; » mais du coeur plus que de la bouche, et plus par un véritable désir que par le son extérieur de la parole. Que si après mavoir dit ici avec tout le peuple: « Que la paix soit avec votre esprit, » lorsque vous êtes revenus chez vous, vous me faites une guerre sanglante par vos médisances, par vos injures, et par toute sorte doutrages, que doit-on dire de cette paix que vous maurez donnée dans léglise? Pour moi je vous assure que quand vous diriez de moi tout le mal imaginable, je ne laisserai pas de vous donner et de vous souhaiter toujours très-sincèrement la paix. Je naurai jamais pour vous quune affection très-pure. Car je sens que jai pour vous tous les entrailles dun vrai père. Si je vous fais quelquefois des réprimandes un peu fortes, ce nest que par le zèle que jai de votre salut. Mais lorsque je vois que vous me décriez en secret et que dans la maison même du Seigneur, vous ne me recevez pas, et que vous ne mécoutez pas avec un esprit de paix, je crains fort que vous rie redoubliez ma tristesse, non parce que vous tâchez de me noircir par vos injures, mais parce que vous rejetez de vous la paix que je vous donnais, et que vous attirez sur vous ces supplices effroyables dont Dieu menace ceux qui méprisent les prédicateurs de sa parole. Quoique «je ne secoue point contre vous la poussière de mes pieds, » quoique je ne me retire point dauprès de vous; larrêt néanmoins que Jésus-Christ a prononcé contre vous subsiste. Pour ce qui est de moi je ne cesserai point de vous souhaiter la paix, et je dirai continuellement: « Que la paix soit avec vous! » Si vous la rejetez avec mépris, je ne secouerai point contre vous la poussière de mes pieds, non que je veuille en ce point désobéir à mon Sauveur, mais parce que la charité quil ma donnée pour vous mempêcherait de le faire. Il est vrai que jai peut-être tort de mattribuer ce que Jésus-Christ dit ici à ses apôtres puisque je nai rien souffert pour vous, que je ne vous suis point venu chercher de loin pour vous annoncer lEvangile, et que je ne vous ai point paru dans cet extérieur pauvre que Jésus-Christ a commandé à ses disciples, ni sans chaussures, ni sans une double tunique. Je veux bien être le premier à maccuser moi-même, mais je suis obligé de vous dire que cela ne suffit pas pour vous justifier devant Dieu. Jen serai peut-être plus condamné, mais vous ne serez pas excusés. 7. Les maisons particulières étaient autrefois des églises, et les églises aujourdhui ne sont plus que comme des maisons particulières. Les chrétiens alors ne parlaient que des choses du ciel dans leurs maisons, et aujourdhui ils ne parlent plus dans les églises que des choses de la terre. Vous introduisez le siècle dans nos temples, et vous faites entrer le tumulte du palais jusque dans le sanctuaire. Quand Dieu parle, et que Son Evangile frappe votre oreille, au lieu de lécouter dans le silence, vous ne vous entretenez que de vos affaires, et plût à Dieu que vous ne parlassiez alors que de vos affaires ! mais vous parlez alors, et vous entendez parler de choses encore plus vaines et plus inutiles. Je vous avoue, mes frères, que cest là le sujet de ma douleur. Cest pour cela que je pleure, et que je ne cesserai jamais de pleurer. Je ne suis plus libre de quitter cette église pour passer dans une autre. Il faut nécessairement que je demeure et que je souffre ici jusquà la fin de ma vie. « Recevez nous donc, » comme saint Paul disait à un peuple, quil conjurait par ces paroles de lui (267) donner entrée non à leur table, mais dans leur coeur. Cest ce que nous vous demandons, mes frères. Nous ne désirons de vous que cette charité qui a de lardeur, et cette amitié sincère et véritable. Que si vous refusez de nous aimer, au moins aimez-vous vous-mêmes, en renonçant à cette tiédeur malheureuse dont vous êtes possédés. Il nous suffira pour nous consoler de voir que vous devenez meilleurs, et que vous avancez dans la voie de Dieu. Cest en cela même que mon affection paraîtra plus grande, si, lorsque jen ai beaucoup pour vous, vous en avez peu pour moi. Car il y a bien des liens qui nous unissent ensemble, et qui nous obligent de nous entraimer. Un même père nous a engendrés; une même mère nous a enfantés avec les mêmes douleurs: nous mangeons à la même table, et non-seulement nous recevons un même breuvage, mais nous buvons même à la même coupe. Cest un artifice de la sagesse et de la bonté de notre Père qui est dans le ciel, davoir voulu que nous bussions ainsi du même calice, ce qui est le fait de la plus parfaite charité. Vous me direz peut-être que je suis bien éloigné du mérite et de la dignité des apôtres: je le reconnais de tout mon coeur, et je ne le désavouerai jamais. Bien loin de mégaler à eux , je confesse que je ne suis pas digne dêtre comparé, je ne dis pas avec eux, mais avec leur ombre. Si vous faites néanmoins ce que vous devez, non-seulement mes défauts ne vous nuiront point, mais ils vous pourront même beaucoup servir. Car vous serez dautant plus récompensés de Dieu, que vous témoignerez plus daffection et dobéissance envers des ministres qui par eux-mêmes en auraient été indignes. Nous ne vous parlons point ici de nous-mêmes, et nous ne vous disons point nos propres pensées. Nous navons point de maître sur la terre, selon la parole de Jésus-Christ, nous nen avons quun qui est dans le ciel. Nous vous donnons ce que nous avons reçu, et en vous le donnant nous ne vous redemandons autre chose que votre amour. Que si nous en sommes indignes, aimez-nous néanmoins, et peut-être que votre charité nous en rendra dignes. Ce n |