HOMÉLIE L« ET JÉSUS AYANT RENVOYÉ LE PEUPLE, MONTA TOUT SEUL SUR LA MONTAGNE POUR PRIER, ET LE SOIR ÉTANT VENU, IL ÉTAIT LA SEUL. CEPENDANT LA BARQUE ÉTAIT FORT BATTUE DES FLOTS AU MILIEU DE LA MER, PARCE QUE LE VENT ÉTAIT CONTRAIRE. (CHAP. XIV, 23, JUSQUA LA FIN DU CHAPITRE.) ANALYSE 1. Que Jésus aimait ta solitude; que la solitude est la mère de la tranquillité. 2. Pierre avait parmi les apôtres une primauté incontestée. Ce nest pas seulement la frange du vêtement de Jésus-Christ que, nous autres chrétiens, nous pouvons toucher, cest son corps même que noms sommes appelés à manger. 3 et 4. Avec quel respect nous devons approcher de la sainte communion; combien les présents que nous faisons à lEglise doivent être exempts davarice. Quil faut préférer de faire laumône aux pauvres, plutôt que doffrir de magnifiques dons à Dieu.
1. Jésus-Christ monte sur une montagne pour nous apprendre que la solitude et le désert sont très-convenables pour sentretenir avec Dieu. Cest pour ce sujet quil allait souvent dans les déserts, et quil y passait les nuits en prières, pour nous exciter par son exemple à choisir les temps elles lieux les plus tranquilles pour prier sans distraction. Car la solitude est la mère du repos. Elle est comme un port qui nous met à couvert de toutes les agitations de lesprit. Cest donc pour cette raison que Jésus-Christ monte ici sur une montagne. Mais ses disciples cependant sont agités au milieu des flots, et subissent une nouvelle tempête aussi rude que la première. (Matth. VIII.) Cette seconde est différente de la précédente, en ce que dans lautre ils avaient Jésus-Christ avec eux dans la barque, tandis quici ils sont seuls et séparés de leur maître. Il les instruisait ainsi peu à peu à se former et comme à sendurcir aux maux, à devenir courageux dans les accidents, et à souffrir généreusement toutes choses. Cest pourquoi dans le premier péril, il resta auprès deux, quoiquil dormît, afin quils pussent trouver une prompte consolation dans la frayeur dont ils allaient être frappés. Mais ici, pour les accoutumer à une plus grande patience, il les laisse seuls, et souffre quil sélève une tempête dans son absence, afin quil ne leur reste aucune espérance de se sauver. Il les laisse durant toute une nuit dans cet état, et il veut que ce long péril ouvre les yeux de leur coeur aveugle, et quil les fasse sortir de leur assoupissement. Le temps et lobscurité de la nuit, qui se joignait encore à la tempête, redoublait leur crainte. Jésus-Christ voulait que cette double terreur fît quils le désirassent plus ardemment, et que ce péril demeurât mieux imprimé dans leur mémoire. Cest pour cette raison quil ne se presse point de les aller secourir, et quil les laisse longtemps agiter par les flots. « Mais à la quatrième veille de la nuit, Jésus vint à eux marchant sur la mer (25). »Il voulait ainsi leur apprendre à souffrir les maux avec patience et à ne point demander den être si tôt délivrés. Lors donc quils (389) croyaient être déjà sortis de ce danger, ils tombent dans une appréhension nouvelle. « Car le voyant ainsi marcher sur la mer, ils furent troublés, et ils disaient : Cest un fantôme, et ils crièrent de frayeur (26). » Cest la conduite ordinaire de Dieu. Lorsquil est près de nous délivrer de nos maux, il en fait naître dautres encore plus terribles. Cest ce qui arrive ici. Après une tempête si effrayante ils sont encore troublés par le fantôme quils croient voir. Cependant Jésus-Christ ne se hâte point de dissiper leurs ténèbres, et de se montrer à eux, parce quil voulait que cette longue suite dépreuves qui se succédaient les unes aux autres les accoutumât à souffrir, et à être courageux dans les accidents. Cest ainsi quil traita Job. Ce fut lorsquil sapprêtait à le délivrer de ses souffrances, quil permit quil lui en arrivât de plus sensibles, non plus par la mort de ses enfants, ni par les plaintes de sa femme, mais par les reproches de ses domestiques et de ses plus intimes amis. Lorsquil se résolut de tirer Jacob dune pénible servitude dans un pays étranger, il permit quil eût à craindre son beau-père qui le poursuivait, et qui menaçait de le tuer. Lorsquil fut délivré de cette appréhension, il tomba dans une autre encore plus grande, que lui causa son propre frère par les honneurs quil voulut lui rendre. Comme les épreuves ne peuvent être tout ensemble et longues et violentes, quand Dieu voit que les justes sont sur le point de sortir victorieux du combat, cest alors quil permet quil leur arrive un exercice plus pénible, afin quils en reçoivent une plus grande récompense. Il traita de même Abraham et il réserva, pour la dernière épreuve de sa foi, le commandement de lui sacrifier son fils. Car cest ainsi, mes frères, que les maux les plus insupportables nous deviennent aisés à supporter, lorsque nous en voyons presque aussitôt la fin que nous en ressentons Je poids. Cest de cette manière que Jésus-Christ se conduit ici envers ses apôtres. Il ne se découvre à eux quaprès que leur grande peur leur eut fait jeter un grand cri. Car plus la crainte qui les saisissait était forte, plus la joie quils devaient recevoir de sa présence allait être douce. « En même temps donc Jésus leur parla et leur dit: rassurez-vous : cest moi, ne craignez point (27). » Qui peut dire combien cette parole dissipa leur crainte, combien elle leur donna de confiance? Comme ils ne le pouvaient connaître des yeux à cause de la nuit et de cette manière si surprenante de marcher, il se fait reconnaître par sa parole. Mais que fait ici saint Pierre qui témoigne partout plus de zèle que les autres? « Pierre lui répondit: Seigneur, si cest vous, «commandez que jaille à vous en marchant sur leau (28). » Il ne dit pas : priez et invoquez Dieu, mais « commandez». Admirez son zèle, et la ferveur de sa foi. On voit souvent que ce disciple tombe en quelque danger considérable pour avoir osé demander des choses qui étaient au-dessus de ses forces. Sil en demande ici une si grande, ce nest que par la violence de son amour, et non par un mouvement de vanité. Cest pourquoi une dit pas: « Commandez » que je marche sur les eaux; mais « que jaille à vous. » Car personne naimait autant Jésus-Christ que lui. Il fit la même chose après la résurrection du Sauveur. Ce fut une voie trop lente pour son amour daller trouver Jésus-Christ dans une barque avec les autres; il se jeta promptement dans leau pour aller plus vite retrouver son Maître. Il signala en cette rencontre, non-seulement sa charité, mais sa foi. Il crut que Jésus-Christ pouvait non-seulement marcher lui-même sur les eaux, mais y faire aussi marcher les autres, et comme il souhaitait avec passion de sapprocher de Jésus, « Jésus lui dit : venez. Et Pierre descendant de la barque marchait sur leau pour venir à Jésus (29). Mais voyant le grand vent il eut peur. Et comme il commençait à enfoncer dans leau, il sécria en disant : Seigneur, sauvez-moi (30). Et aussitôt Jésus étendant la main le prit et lui dit: «Homme de peu de foi, pourquoi avez-vous « douté (34)? » Ce miracle, mes frères, est plus grand que celui de la première tempête, et cest pour ce sujet que Dieu le fait le dernier. Il avait montré dans la première quil commandait à la mer; mais il fait voir ici un prodige bien plus surprenant. Il sétait contenté alors de se faire obéir des vents, mais il marche ici sur les eaux et il y fait marcher les autres. Sil eût dabord engagé saint Pierre à marcher ainsi sur la mer, il eût refusé de le faire, parce que sa foi nétait pas encore assez grand. 2. Mais pourquoi Jésus-Christ lui accorde-t-il cette permission? Parce que sil lui eût dit : non, tu ne le peux, ce disciple qui était (390) très-ardent, aurait peut-être persisté à le vouloir. Il aime mieux lui laisser apprendre par sa propre expérience que cela était au-dessus de lui, afin quà lavenir il apprît à être plus sage. Il ne peut donc se tenir. Il se jette la barque dans leau; mais il est bientôt en danger dêtre submergé. Car « il eut peur, »et cette peur qui venait de la violence du vent fut la cause de son naufrage. Saint Jean marque quils « le voulurent prendre dans leur barque, et que la barque se trouva aussitôt au lieu où ils allaient. » Descendu de la barque, Pierre vint à Jésus, plus joyeux de retrouver son Maître que de marcher sur leau. Après avoir fait ce qui était plus difficile, il sarrête à ce qui était plus aisé. La mer ne létonnait pas, lorsquil marchait sur elle, et un peu de vent lépouvante. Tel est lhomme. Souvent après avoir surmonté les plus grandes tentations, il tombe dans les plus petites. Témoin Elie à légard de Jézabel, Moïse à légard de lEgyptien, et David à légard de Bethsabée. On peut y joindre aussi saint Pierre. Lorsquil a lesprit encore saisi de frayeur à cause de la tempête, il ne craint point de se jeter à la mer, et il ne peut ensuite résister à la crainte que lui cause un peu de vent, et cela lorsquil était déjà si proche de Jésus-Christ. Ainsi il ne nous sert de rien dêtre proches du Sauveur, si la foi ne nous approche de lui. Cet accident montra enfin la différence du Maître et du disciple qui semblaient marcher tous deux également sur les eaux, et donna quelque consolation aux autres apôtres qui en pouvaient être jaloux. Car il ne faut pas douter que sils témoignèrent de laigreur contre les deux frères, ils nen ressentissent ici beaucoup plus contre saint Pierre. Comme ils nétaient pas encore fortifiés par le Saint-Esprit, ils étaient assez susceptibles de ces mouvements. Mais après quils eurent reçu cette grâce, on ne vit plus rien de semblable en eux. On voit au contraire partout quils cèdent volontairement la primauté à saint Pierre, et quils lui donnent toujours le premier rang dans leurs assemblées, quoiquil parût être plus grossier que les autres. Doù vient quen cette rencontre Jésus-Christ ne commanda pas aux vents de ne plus souffler, niais quil étendit la main pour prendre saint Pierre? Cest à cause du peu de foi de cet apôtre. Quand nous cessons de faire ce qui dépend de nous, Dieu cesse aussi de nous aider. Jésus-Christ donc voulant montrer que ce nétait point limpétuosité du vent, mais le peu de foi de cet apôtre qui lui causait cet accident, lui dit: « Homme de peu de foi, pourquoi avez-vous douté? » Si la foi ne se fût point affaiblie, il eût aisément résisté au vent. Cest pourquoi Jésus-Christ en le prenant par la main, laissa encore souffler le vent dans toute sa violence, pour lui faire mieux reconnaître que tous les vents ne lui pourraient nuire, lorsque sa foi serait terme. Tel quun jeune oiseau qui, pour être sorti du nid avant le temps, est en danger de tomber, et que sa mère rapporte au nid sur ses ailes, tel saint Pierre est ramassé dans la barque par Jésus-Christ, son divin Maître. « Et étant monté dans la barque le vent cessa (32). » Ils dirent après le calme de la première tempête: « Quel est cet homme-ci à qui les vents et la mer obéissent? » (Matth. VIII, 27.) Mais il nen est pas de même ici. « Alors ceux qui étaient dans la barque sapprochant de lui ladorèrent en lui disant: « Vous êtes vraiment le Fils de Dieu (33). »Vous voyez, mes frères, comment Jésus-Christ élève insensiblement ses disciples, et les fait croître en vertu. Car leur foi sétait beaucoup augmentée lorsquils virent Jésus-Christ marcher sur les eaux, commander à saint Pierre dy marcher lui-même, et le sauver du danger où il se trouva. Il commanda avec empire à la mer de se calmer dans la première tempête; il ne le fait pas ici; mais il agit bien plus divinement, en faisant sentir à cet élément une puissance invisible. Cest pourquoi ils lui dirent : « Vous êtes vraiment le Fils de Dieu. »Que fait Jésus-Christ à cette parole, mes frères? Reprend-il ses apôtres de lavoir dite? Il fait tout le contraire, et confirme ce que ses disciples venaient de dire par une multitude innombrable de guérisons miraculeuses quil fit sur tous les malades qui se présentèrent à lui. « Et ayant passé leau, ils vinrent en la terre de Génésareth (34). Ce que les hommes de ce lieu ayant su, ils envoyèrent dans tout le pays dalentour et lui présentèrent tous les malades (35). Et ils le priaient de les laisser seulement toucher le bord de sa robe. Et tous ceux qui le touchèrent furent guéris (36). » La foi de ce peuple croît visiblement. Ils ne sempressent plus comme auparavant de faire venir Jésus-Christ dans leurs maisons, ou de (391) toucher leurs malades de sa main, ou de commander de sa bouche aux maladies de se dissiper. Ils commençaient à sélever au-dessus de ces basses pensées, et à témoigner plus de foi dans les guérisons quils demandaient. Cest sans doute la femme malade dune perte de sang qui les avaient excités par lexemple dune foi si ferme. Lévangéliste, pour montrer quil y avait longtemps quil était absent de ces contrées, dit « que les hommes de ce lieu ayant su quil était venu, envoyèrent dans tout le pays dalentour et lui présentèrent tous les malades. » Cependant cette longue absence de Jésus-Christ, non-seulement navait point affaibli la foi de ces peuples, mais lavait même augmentée et rendue plus vigoureuse. Allons donc, mes frères, toucher aussi nous-mêmes la frange du vêtement de Jésus-Christ, ou plutôt; si nous le voulons, allons posséder Jésus-Christ tout entier. Car nous avons maintenant son corps entre nos mains. Ce nest plus son seul vêtement. Cest son propre corps quil nous donne, non pour le toucher seulement, niais pour le manger et pour en nourrir nos âmes. Approchons-nous-en donc avec une foi fervente, nous tous qui sommes malades. Si ceux qui touchèrent alors la frange de son vêtement en ressentirent un si merveilleux effet, que doivent attendre ceux qui le reçoivent tout entier? Mais pour sapprocher de Jésus-Christ avec foi, il ne suffit pas de le recevoir extérieurement. Il faut encore le toucher avec un coeur pur, et savoir, lorsquon sen approche, quon sapproche de Jésus-Christ même. Encore que vous nentendiez pas sa voix, ne le voyez-vous pas qui repose sur le saint autel, ou plutôt ne lentendez-vous pas parler lui-même, par la bouche des évangélistes? Croyez donc que cest encore ici cette cène où Jésus-Christ était assis avec ses apôtres. Il ny a nulle différence entre ces deux cènes. On ne peut dire que ce soit un homme qui fasse celle-ci, au lieu que Jésus-Christ a fait celle-là, cest le même Jésus-Christ qui fait lune et lautre. 3. Quand donc vous voyez le prêtre vous présenter cette nourriture sacrée, ne pensez pas que ce soit la main du prêtre qui vous la donne. Croyez que cest Jésus-Christ même qui vous tend la main pour vous la donner. Car comme, dans votre baptême, ce nest point le prêtre qui vous lave, mais Jésus-Christ lui même qui tient, et qui purifie votre tête par son invisible puissance, sans quaucun ange ou archange, ou quelque autre que ce soit ose sapprocher de vous et vous toucher, vous devez croire de même que cest Jésus-Christ qui vous communie de sa propre main. Car lorsque Dieu nous engendre pour être du nombre de ses enfants, il le fait par lui seul, et cette génération est un don qui vient tout de lui. Ne voyez-vous pas quen ce monde ceux qui adoptent des enfants ne sen rapportent pas à leurs serviteurs pour cette affaire; mais quils se présentent en personne devant les juges, et quils font cette importante action par eux-mêmes? Cest ainsi que Jésus-Christ na pas voulu commettre les anges pour accomplir ce mystère, et quil se trouve présent lui-même pour lopérer par son commandement et par sa puissance. Aussi lorsquil vous dit: « Nappelez personne votre père sur la terre (Matth. XXV, 9), » il ne vous parle pas de la sorte pour vous porter à manquer de respect à celui qui vous a mis au monde, mais pour vous apprendre que vous devez préférer à tout autre, Celui qui vous a créé et qui vous a honoré dune adoption divine. Car comment Celui qui a tant fait pour yods en se livrant lui-même à la mort pour lexpiation de vos péchés, comment dis-je, ne ferait-il pas ce qui est moindre en vous donnant son corps dans ce sacrement? Ecoutons donc ceci, nous tous prêtres et laïques. Reconnaissons quelle est la nourriture dont il plaît à Dieu de nous nourrir, et à quel honneur il nous élève; et que cette vue nous frappé détonnement. Il nous fait lhonneur de mous rassasier de sa chair sacrée. Il se donne à nous lui-même comme une victime qui a été immolée pour lamour de nous. Quelle excuse nous restera-t-il si, recevant une si auguste nourriture, nous ne laissons pas de commettre de si grands péchés? si en mangeant lAgneau nous devenons des loups, et si en nous nourrissant de la chair de cette brebis sacrée, nous ne laissons pas dêtre aussi furieux et aussi avides que les lions? Ce mystère exige de ceux qui sen approchent quils soient entièrement purs, je ne dis pas des grands excès et des plus grandes injustices, mais des moindres inimitiés. Car ce mystère est un mystère de paix. Ce mystère sacré ne peut souffrir que nous ayons encore de lattachement pour les richesses. Si Jésus-Christ ne sépargne pas lui-même, sil donne sa propre vie pour nous, quelle excuse pouvons-nous avoir dépargner notre bien, et (392) de négliger notre âme, pour laquelle Jésus-Christ na pas épargné la sienne? Dieu avait ordonné aux Juifs de célébrer certaines fêtes, afin que ces cérémonies revenant tous les ans, rappelassent à leur mémoire le souvenir des grâces quils avaient reçues de Dieu, grâces dont le Seigneur avait voulu que ces fêtes leur fussent un monument éternel. Mais Dieu renouvelle tous les jours le souvenir de ses dons par la célébration de nos saints mystères. Ne rougissez donc point de la croix. Cest la croix qui fait toute notre gloire. Cest delle que viennent aujourdhui nos plus redoutables mystères. Cest ce don auguste qui nous honore infiniment. Cest cette table sacrée qui nous relève. Quand je dirais que Dieu a étendu le ciel, quil a créé la terre et les mers, quil a envoyé ses anges et ses prophètes, je ne dirais rien dégal à ce quil a fait pour nous dans ce sacrement. Le plus grand de tous nos biens et celui qui est la source des autres, cest que Dieu nait point épargné son propre Fils pour sauver des serviteurs et des esclaves. Que nul Judas, que nul Simon ne sapproche donc de cette table, puisque lun et lautre de ces misérables ont péri par leur avarice. Cest pourquoi évitons ce crime, et ne nous imaginons pas que lorsque nous avons dépouillé les veuves et les orphelins par nos rapines et nos violences, ce soit assez pour être sauvés de donner à cet autel un calice dor enrichi de pierreries. Si vous voulez honorer ce sacrifice, offrez-y votre âme pour laquelle Jésus-Christ a été sacrifié. Faites quelle devienne toute dor. Mais si elle demeure plus pesante que le plomb et que la terre, à quoi vous serviront ces vases que vous offrez? Ne pensons pas tant, mes frères, à offrir à Dieu de magnifiques présents, quà prendre garde que que nous lui offrons ne soit le fruit que de nos justes travaux. Les vases qui ne sont point souillés par lavarice, sont plus précieux que sils étaient dor. LEglise nest point un magasin dorfèvrerie, mais une sainte assemblée danges. Ce sont nos âmes que nous devons rendre pures et brillantes comme lor, puisque cest cette pureté de nos âmes qui fait que Dieu reçoit de nous ces autres vases. La table sur laquelle Jésus-Christ fit la cène avec ses disciples nétait pas dargent, et le calice dans lequel il leur donna son sang divin; nétait pas dor. Cependant tout y était précieux et digne dun profond respect, parce que tout y était plein du Saint-Esprit. Voulez-vous donc honorer le corps de Jésus-Christ? Ne le méprisez pas, lorsquil est nu et pendant quen cette Eglise vous le couvrez détoffes de soie, ne lui laissez pas souffrir ailleurs le froid et la nudité. Car Celui qui a dit « Ceci est mon corps, » et qui a produit cet effet par la vertu de sa parole, a dit aussi : « Vous mavez vu souffrir la faim, et vous ne « mavez pas donné à manger. Car quand vous « lavez refusé à quelquun de ces petits, cest « à moi-même que vous lavez refusé. » (Matth. XXV.) Le corps de Jésus-Christ qui est sur lautel, na pas besoin dhabits précieux qui le couvrent, mais dâmes pures qui le reçoivent, au lieu que cet autre corps de Jésus-Christ formé des pauvres qui sont ses membres, a besoin de notre assistance et de tous nos soins. Apprenons donc, mes frères, à traiter sagement de si grands mystères, et honorons Jésus-Christ comme il veut être honoré de nous. Le culte le plus agréable que nous puis~ions rendre à celui que nous voulons honorer, cest le culte quil choisit lui-même et quil aime, et non celui que nous choisissons. Saint Pierre prétendait autrefois honorer Jésus-Christ en lempêchant de lui laver les pieds; mais il le déshonorait plus quil ne lhonorait par sa résistance. Honorez-le donc aussi de la manière quil le désire, cest-à-dire en lui donnant laumône dans la personne des pauvres. Dieu, comme je vous lai déjà dit, ne cherche point des vases dargent, mais des âmes dor. 4. Ce nest pas que je vous défende de faire ces présents à léglise; mais je vous conjure seulement quaprès ces offrandes, ou plutôt quavant de les faire, vous ayez soin dassister les pauvres. Dieu reçoit ces présents que vous faites à léglise: mais il agrée bien davantage ceux que vous faites aux pauvres : puisquà légard des premiers il ny a que celui qui les fait qui en tire de lavantage, au lieu que dans les autres, celui même qui les reçoit en tire aussi du secours. On peut croire dans les premiers que nous recherchons notre gloire, mais les seconds ne sont que le fruit de notre compassion et de notre amour. Quel avantage peut recevoir Jésus-Christ, de voir ici sa table couverte de vases dor, pendant quil meurt de faim dans la personne des pauvres ? Commencez par le soulager dans sa faim, et sil vous reste quelque (393) argent, ornez ensuite son autel. Vous lui faites présent dune coupe dor, et vous lui refusez un verre deau froide? Que lui sert davoir ici de magnifiques voiles, et de navoir pas les vêtements les plus nécessaires dans ses membres? Croyez-vous que lorsque vous négligez un pauvre qui meurt de faim, et que vous allez couvrir lautel de Jésus-Christ dor et dargent, il vous ait obligation de cet or, et que plutôt il ne sen irrite pas? Croyez-vous que lorsque vous ne vous mettez pas en peine de revêtir un pauvre qui meurt de froid, et que vous apportez ici des colonnes dor, en disant que vous le faites pour sa gloire, il regarde ces richesses comme un honneur que vous lui rendez et non pas plutôt comme une sanglante raillerie, et comme le dernier de tous les outrages? Croyez donc que cest là le jugement que Jésus-Christ porte de vous, lorsque vous parez son autel, et que vous négligez dassister les pauvres. Il est pauvre et étranger. Il va de porte en porte demander de quoi vivre, et vous le méprisez dans cet état pour orner le pavé dune église et dune chapelle, pour en revêtir richement les murailles, pour en dorer des pilastres et des colonnes, pour faire briller des lampes dargent! A quoi lui sert toute cette magnificence, lorsque vous le laissez gémir dans une prison, sans même aller le visiter? Je vous prie encore une fois de croire que je ne vous dis point ceci pour vous défendre ces présents que vous faites à léglise. Je ne vous le dis que pour vous exhorter de les accompagner de vos aumônes, ou plutôt de ne les faire quaprès vos aumônes. Dieu na condamné personne pour navoir pas enrichi nos temples de ces ornements superbes; mais il menace ceux qui ne feront point laumône des supplices de lenfer. Lors donc que vous ornez vos temples, ne méprisez pas les pauvres, qui sont des temples bien plus excellents. Les rois et les princes infidèles, les tyrans et les voleurs peuvent piller ces premiers; mais le diable même ne vous peut faire perdre ce que vous donnez au pauvre. Cet argent est pour vous en sûreté, et il est en dépôt dans un lieu où rien ne lui pourra nuire. Que, dit Jésus-Christ lui-même? « Vous aurez toujours des « pauvres avec vous; mais vous ne maurez « pas toujours. » (Matth. XXVI, 12.) Cest ce qui me porte à vous dire que nous devons avoir un soin particulier de faire ici laumône à Jésus-Christ, parce que nous ne laurons pas toujours en cette qualité de pauvre, mais seulement pendant cette vie. Si vous voulez en passant savoir le sens de cette parole, le voici. Il nadresse pas ces paroles à ses disciples, quoiquil semble le faire, mais il les dit à cause de la faiblesse de cette femme qui venait de répandre un parfum sur sa tête. Comme elle était encore imparfaite, et quelle voyait les disciples murmurer contre elle, Jésus-Christ dit cette parole pour lempêcher de se troubler, et comme pour la consoler. Cest pourquoi il dit: « Pourquoi inquiétez-vous cette femme?» Il montre assez dans un autre endroit que nous laurons toujours avec nous, lorsquil dit : « Je serai avec vous jusquà la consommation du siècle. » (Matth. XXVIII.) Ce qui fait tous les jours voir que si Jésus-Christ parlait ici autrement, cétait pour empêcher que la foi naissante de cette femme ne fût traitée trop rudement par les apôtres, et quelle ne séchât presque aussitôt quelle commençait à germer. Nabusons donc point de cette parole qui fut dite pour le sujet que je vous indique. Lisons plutôt lun et lautre Testament: voyons ce qui est ordonné à toutes les pages touchant laumône , et faisons-la à lavenir avec autant de soin que lEcriture nous y exhorte. Ce sera ainsi que nous nous purifierons de nos péchés : « Donnez laumône, » dit Jésus-Christ, « et tout vous sera pur. » (Luc, XIII.) Laumône est plus grande même que le sacrifice. Dieu le dit lui-même : « Je veux laumône et non le sacrifice. » (Matt. IX.) Laumône nous ouvre les cieux: « Vos prières et vos aumônes, » dit lange à Corneille, « sont montées en la présence de Dieu. » (Act. X.) Laumône est une vertu plus nécessaire que la virginité. Nous en voyons une preuve dans les dix vierges, dont les unes furent bannies de la chambre de lépoux, parce quelles navaient pas fait laumône, et les autres y entrèrent parce que lhuile de la compassion et de la miséricorde navait point manqué dans leur cur. Considérons ceci, mes frères, et semons nos biens sur les pauvres avec abondance, afin de moissonner avec fruit les biens éternels qui nous sont promis, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui est la gloire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. 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