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OPUSCULES.
QUESTIONS ET RÉPONSES (a).
I.
II.
III.
SUR LES VISITES DU SEIGNEUR, L'ATTENTION A LUI PLAIRE, L'EFFICACE DE LA PAROLE
DE DIEU.
PENSÉES DÉTACHÉES.
RÉFLEXIONS SUR QUELQUES PAROLES DE JÉSUS-CHRIST.
SUR LA PRIÈRE.
SUR LA PRIÈRE AU NOM DE JÉSUS-CHRIST.
PRIÈRE.
DE LA MEILLEURE MANIÈRE DE FAIRE L'ORAISON.
SUR LA RETRAITE EN SILENCE, EN SIMPLICITÉ ET AVEC ABANDON (a).
MÉTHODE POUR PASSER LA JOURNÉE DANS L'ORAISON, EN ESPRIT DE FOI ET DE
SIMPLICITE DEVANT DIEU.
EXERCICE JOURNALIER POUR FAIRE EN ESPRIT DE FOI TOUTES SES ACTIONS, PENDANT LE
NOVICIAT.
POUR LE DIMANCHE.
POUR LE LUNDI.
POUR LE MARDI.
POUR LE MERCREDI.
POUR LE JEUDI.
POUR LE VENDREDI.
POUR LE SAMEDI.
Demande. — Comment
peuvent s'accorder ces paroles : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés,
» avec le mystère de la prédestination ?
Réponse. — La bonté
générale et paternelle de Dieu pour tous les hommes, n'empêche pas le choix
particulier et spécial qu'il fait de certains au-dessus des autres, pour les
appeler à son royaume et en faire les membres vivants et inséparables de
Jésus-Christ.
Demande. — De quoi
sert-il de demander dans ses prières d'être du nombre des élus, puisque si nous
n'en sommes pas de toute éternité, nous ne pouvons changer notre sort ?
Réponse. — Quand nous
demandons à Dieu ce qu'il veut de toute éternité, ce n'est pas pour le changer,
mais pour nous y conformer : autrement il ne faudrait jamais prier, puisque Dieu
sait bien ce qu'il veut faire pour toutes choses, et qu'il ne le sait et ne le
veut pas d'aujourd'hui, mais de toute éternité.
Demande. — Comment
s'accordent ces paroles de Notre-Seigneur
(a) Les Visitandines de Meaux et les autres religieuses du
diocèse adressaient à Bossuet, eu toute confiance et toute liberté, les
difficultés qu'elles rencontraient, soit dans la doctrine Chrétienne, soit dans
la vie spirituelle. Lorsque le saint évêque ne pouvait résoudre de vive voix ces
difficultés dans les conférences qu'il donnait fréquemment au parloir des
monastères, il répondait « à ses chères filles en Jésus-Christ » dans
d'admirables écrits, qui respirent la foi la plus vive et la plus ardente piété.
De là les questions et les réponses qu'on va lire. Nous appelons l'attention sur
les principes du docte et saint prélat concernant la communion fréquente.
Les trois premiers opuscules de notre recueil furent
publiés en 1774, chez Jacques Barois, à Paris. Us ne se trouvent pas dans
l'édition de Déforis, ni par conséquent dans les éditions suivantes.
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en saint Matthieu et en saint Marc : « Ceci est mon sang,
le sang du Nouveau Testament qui est répandu pour plusieurs, » avec celles de
saint Paul aux Romains, chapitre V : « Comme c'est par le péché d'un seul
que tous les hommes sont tombés dans la condamnation, ainsi c'est par la justice
d'un seul que tous les hommes reçoivent la justification de la vie ; » et ces
autres de saint Jean, chapitre II : « C'est lui qui est la victime de
propitiation pour nos péchés, et non-seulement pour les nôtres, mais pour ceux
de tout le monde ? »
Réponse. — Saint Paul
nous apprend que Dieu est le Sauveur de tous, mais principalement des fidèles, I
Tim., IV, 10; et on peut ajouter par d'autres passages, principalement
des élus. Jésus-Christ est donc le prix de tous, parce qu'il n'a exclu personne
du bénéfice de la rédemption ; mais il y en a plusieurs pour qui il s'ofFre par
une prédilection particulière et avec effet, et ce sont ceux-là qu'il appelle
«plusieurs. » En un mot, il s'offre pour tous, mais principalement pour ceux qui
par une foi sincère reçoivent le fruit de sa mort ; et cette foi, c'est lui qui
la donne.
Demande. — Si
Jésus-Christ n'a répandu son sang efficacement que pour les élus, personne
n'étant assuré d'être de ce fortuné nombre, comment peut-on croire et dire qu'il
est mort pour soi en particulier ?
Réponse. — Tous ceux qui
sont baptisés, tous ceux qui reçoivent les sacrements, et qui tâchent de les
bien recevoir, sont assurés dès là que Jésus-Christ est mort pour eux, puisque
tout cela n'est qu'un effet et une application de sa mort ; mais la vraie marque
qu'on a en soi-même que Jésus-Christ est mort pour soi en particulier, est de
faire ce qui lui plaît, attendre tout de sa grâce et s'abandonner entièrement à
son infinie bonté.
Demande. — Les
raisonnements que j'ai faits malgré moi, ont produit un très-grand trouble dans
mon esprit : car sur les premières marques ci-dessus je me suis trouvée dans
l'impossibilité de m'occuper d'aucun mystère à cause des réflexions qui me
viennent ; et même je me suis trouvée insensible à tous les mystères par ce
principe, que si je n'étais pas du nombre heureux des élus, Jésus-Christ ne les
a voit pas opérés pour moi : vous voyez que
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tout cela conduit à de grandes inquiétudes, et empêche
entièrement les sentiments de reconnaissance et d'amour ?
Réponse. — Ces pensées,
quand elles viennent dans l'esprit et qu'on ne fait que de vains efforts pour
les dissiper, doivent se terminer à un abandon total de soi-même à Dieu, assuré
que notre salut est infiniment mieux entre ses mains qu'entre les nôtres, et
c'est là seulement qu'on trouve la paix : c'est là que doit aboutir toute la
doctrine de la prédestination, et le secret du souverain Maître qu'il faut
adorer, et non pas le sonder. Il faut se perdre dans cette hauteur et dans cette
profondeur impénétrable de la sagesse de Dieu, et se jeter comme à corps perdu
dans son immense bonté en attendant tout de lui, sans néanmoins se décharger du
soin qu'il nous demande pour notre salut.
Demande. — Il y a
longtemps que je suis tourmentée de ces réflexions, que j'ai tâché de dissiper
en croyant en général tout ce que l'Eglise croit; mais je trouve que cela me
cause tant de peine dans le temps où je devrais être tout occupée de Dieu, que
je me suis crue obligée de vous exposer toutes mes difficultés, et de vous
supplier de me les résoudre comme les suivantes.
Réponse. —La fin de ce
tourment doit être de vous abandonner à Dieu, qui par ce moyen sera obligé par
sa bonté et par ses promesses de veiller sur vous. Voilà le vrai dévouement pour
vous durant le temps de cette vie, de toutes pensées qui viennent sur la
prédestination; après cela il se faut reposer, non sur soi, mais uniquement sur
Dieu et sur sa bonté paternelle.
Demande. — Comment
s'accordent ces paroles de saint Paul aux Humains: «Je trouve en moi la volonté
de faire le bien, mais je ne trouve pas le moyen de l'accomplir, » avec ces
autres : « C'est Dieu qui inspire le vouloir et le faire? »
Réponse. — On trouve dans
la grâce de Dieu le moyen d'accomplir le bien, mais non pas dans toute la
perfection, parce qu'on ne l'accomplit qu'imparfaitement dans cette vie, où l'on
est toujours combattu et où l'on a par conséquent toujours à combattre; mais il
faut espérer en celui qui seul nous donne la victoire. Ainsi lorsqu'on trouve le
bien en soi, quelque petit qu'il soit, on doit croire que ce commencement tel
quel vient de Dieu; et il faut le
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prier d'achever son œuvre, en se donnant à lui de tout son
cœur et à l'opération de sa grâce.
Demande. — Comment une
personne qui ne connaît point en elle de grands crimes, peut-elle se dire et se
croire la plus méchante des créatures, et demander à Dieu dans ses prières qu'il
la retire de l'état de mort où elle est, qu'il lui rende la vie, et le reste de
cette nature ?
Réponse. — Nous portons
dans notre fond le principe, la source et la disposition à tous les péchés,
auxquels nous serions livrés et précipités de l'un à l'autre, si Dieu ne nous en
préservait malgré notre pente naturelle. Ceux donc que Dieu en a préservés, ont
reçu un grand don, mais qui les rend plus ingrats, plus infidèles et plus
coupables que les autres qui n'en ont pas reçu de si grands ; en ce sens ils se
doivent regarder comme les plus grands pécheurs, parce que Dieu juge de
l'ingratitude d'une âme par les grâces qu'elle a reçues. On se doit aussi
regarder comme coupable devant Dieu, de tous les péchés dans lesquels nous
tomberions si nous n'étions soutenus : on se doit regarder comme mort devant
lui, parce que s'il nous laissait un moment à nous-mêmes, notre perte serait
inévitable. Mais il est bon, et il ne nous abandonne point que nous ne
l'abandonnions les premiers. Enfin le salut est dans la confiance en la bonté de
Dieu; qui espère en lui n'est point confondu, et on ne saurait trop y espérer,
pourvu qu'en même temps on tâche de travailler avec sa grâce qui nous est donnée
abondamment.
Demande. — Que faut-il
faire, quand à la lecture des pieux auteurs ou d'un écrit, ou à l'occasion d'un
sermon, on se sent touché et pénétré, et qu'on craint de n'en pas profiter ?
Réponse. — Pleurer à un
sermon ou dans la lecture des pieux auteurs ou de quelque écrit, c'est une grâce
qu'il ne faut pas rejeter quand elle vient, ni aussi l'estimer trop pour s'y
appuyer ou pour s'affliger quand elle ne vient pas. C'est là que je permets une
espèce d'indifférence, pourvu qu'on ait toujours la résolution dans le cœur
d'être fidèle à Dieu de tout son pouvoir.
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Demande. — Quand un
évoque ou d'autres personnes éclairées conseillent contre la pratique de
quelques confesseurs, à des religieuses , l'usage fréquent de la sainte
communion ; et que les confesseurs rapportent tous les passages les plus forts
des écrivains célèbres et des Pères, pour autoriser leur conduite, ce qui
détourne insensiblement les âmes faibles et timides de la fréquente communion,
que doit-on faire ?
Réponse. — Je remédierai
autant que je pourrai de mon côté à ce désordre, et je ne permettrai pas qu'on
établisse là-dessus de fausses maximes et d'excessives rigueurs. Ceux qui
ramassent avec tant de soin les sentences des Pères seraient bien étonnés en
voyant celles où ils disent que la multitude des péchés, ce qui s'entend des
véniels, loin d'être un obstacle à la communion, est une raison pour s'en
approcher ; et que quiconque peut communier une fois l'an, peut communier tous
les jours. Si ces passages ont leurs correctifs, les autres plus rigoureux en
ont aussi; et moi, sans entrer dans les règles qu'on peut donner aux gens du
monde à cause de la multiplicité des occupations et des disparitions de la vie
séculière, j'assurerai bien que dans la vie religieuse c'est presque une règle
de faire communier souvent, même celles qui craignent de le faire.
Demande. — Est-ce mal de
croire qu'on n'a pas la grâce pour avancer plus dans la vertu, et que Dieu
peut-être ne nous veut pas plus saintes que nous ne sommes?
Réponse. — C'est très-mal
fait d'attribuer notre peu d'avancement au défaut de la grâce, et d'ailleurs
c'est trop sonder le secret de Dieu ; il n'y a toujours qu'à marcher devant soi
sans s'arrêter.
Demande. — Quand les
consolations sont sensibles et que l'on craint qu'il ne s'y mêle du naturel,
est-on obligé d'y renoncer et de faire quelques actes pour cela, afin de se
rassurer?
Réponse. —Il faut tâcher
de prendre le pur et le spirituel en tout, et de laisser là le naturel qui s'y
voudrait mêler : une pure intention fait ce discernement.
Demande. — Doit-on suivre
l'avis du P. Toquet, de demander à Dieu, quand on est plus avancé, d'être privé
des douceurs et des consolations spirituelles, parce qu'elles sont des
récompenses données
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en ce monde, qui tiennent lieu de plus grandes dans l'autre
: est-ce manquer de courage de ne le pas faire ?
Réponse. — Je ne vois
point dans l'Ecriture, ni dans les anciens Pères ces sortes de prières. Quand le
P. Toquet les conseille, un si saint homme a ses raisons. Pour moi, je ne veux
point que les âmes humbles fassent ainsi les dédaigneuses et les dégoûtées, en
rejetant les petits dons pour en obtenir de plus grands. Laissons faire Dieu ;
alors, bon d'être soumise et sans attache.
Demande. — Demeurer aussi
pleine de défauts et ne profiter pas des larmes et des grâces de Dieu, est-ce
une marque qu'elles sont naturelles, quoiqu'elles arrivent en entendant la
parole de Dieu?
Réponse. — La règle pour
toutes les grâces est en effet d'en profiter, mais qui sait quel est ce profit ?
Demande. — Est-il permis,
Monseigneur, de se dissiper au dehors pour faire passer de certaines touches de
Dieu, quand on craint d'être aperçue. On sent en se dissipant que tout s'en va,
et on est fâché après d'avoir tout perdu ?
Réponse. — C'est bien
fait de cacher le don de Dieu par la crainte d'être aperçue, mais sans trop de
violence.
Demande. — Les personnes
qui ont commis de grands péchés, dont il ne reste aucun vestige si ce n'est par
tentation, doivent-elles communier aussi souvent que celles qui ont mené une vie
innocente? Quand elles croient y être attirées, n'est-ce pas une tentation?
Réponse. — Cela dépend
des dispositions présentes, sans trop s'inquiéter du passé ; et la fréquente
communion est un remède qu'on peut appliquer contre les restes du mal, quand on
le voit diminuer.
Demande. — Si ces
personnes sont religieuses, peuvent-elles suivre les règles établies dans leur
communauté pour la fréquente communion, si c'est depuis leur profession qu'elles
ont fait de grandes fautes ?
Réponse. — Non-seulement
elles le peuvent, mais encore régulièrement elles le doivent; et après avoir
expié leurs fautes par une sincère pénitence, elles peuvent rentrer dans l'ordre
commun. La rédemption est abondante du côté de Dieu ; que la fidélité à la
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recevoir soit égale de notre côté. Interposons souvent dans
nos prières le nom adorable de notre Sauveur, à l'exemple de l'Eglise qui
conclut toutes ses prières par ces paroles : Per Dominum, etc.
Demande. — Comment se
défaire de soi-même puisque nous sommes toujours avec nous ?
Réponse. — Saint François
de Sales dit « que l'amour-propre ne meurt jamais qu'avec nous, » c'est-à-dire
avec nos corps; il faut toujours que nous sentions ses attaques sensibles et ses
pratiques secrètes ; mais nous devons nous beaucoup humilier, nous défier de
nous-mêmes; et sans nous décourager, nous confier pleinement à Dieu en tâchant
de rendre involontaires ces mouvements qui nous sont si propres et si naturels
durant cette misérable vie.
Demande. — Qu'est-ce que
porter devant Dieu à l'oraison non-seulement un fond soumis, mais un
laisser-faire? Qu'est-ce que ce laisser-faire ?
Réponse. — Ce mot
signifie deux choses : le faire de Dieu et le laisser-faire de la créature.
Quand l’âme cesse d'opérer par elle-même et qu'elle s'offre à Dieu par des
dispositions à recevoir l'opération de sa grâce, alors elle est dans l'état que
Dieu désire d'elle.
Demande. — N'est-ce point
une oisiveté que de demeurer sans rien faire, sous prétexte de laisser faire
Dieu?
Réponse. — Ce n'est pas
ne rien faire que d'être soumise à Dieu, au contraire c'est alors que l'on fait
davantage ce qu'il veut de nous. Un arbre l'hiver ne produit rien, il est
couvert de neige ; tant mieux ! La gelée, les vents, les frimas le couvrent tout
; pensez-vous donc qu'il ne fasse rien pendant qu'il est ainsi tout sec au
dehors? Sa racine s'étend et se fortifie et s'échauffe par la neige même : et
quand il est étendu dans ses racines, il est en état de produire de plus
excellents fruits dans la saison. L’âme sèche, désolée, aride et en angoisse
devant Dieu, croit ne rien faire ; mais elle se fond en humilité et elle s'abîme
dans son néant : alors elle jette de profondes racines pour porter les fruits
des vertus et toutes sortes de bonnes œuvres au goût de Dieu.
492
Demande. — Quel est le
moyen le plus court et le plus sur pour parvenir à la vraie humilité, si
difficile à acquérir ?
Réponse.—Saint Bernard y
répond admirablement, lorsqu'il dit que le chemin à l'humilité c'est
l'humiliation ; quand on se sert de tout ce qu'il y a dans la vie chrétienne de
contraire à l'orgueil de l'homme pour avancer dans la vertu, c'est assurément le
chemin le plus court : porter le fardeau de la loi de Dieu, le poids de sa
divine conduite et tout ce qu'il lui plaît de nous envoyer par sa providence,
s'anéantir sous sa main puissante, marcher et avancer toujours ainsi dans le
chemin de la vertu et ne s'arrêter jamais.
Demande. — L'Ecriture dit
dans un endroit : « Je ferai que vous fassiez ce qui est de mes ordonnances. »
Réponse. — Il faut
demander à Dieu qu'il fasse que nous marchions toujours dans ses voies par
l'opération de son Esprit, avec la plus humble dépendance des mouvements de sa
grâce, et de marcher ainsi sans discontinuer un seul moment.
Demande. — Il est dit
encore ailleurs : « Soutenez les attentes du Seigneur. »
Réponse. — C'est qu'il y
a des temps où Dieu veut envoyer des secours particuliers ; mais il en faut
attendre les moments, et l’âme doit être ferme, constante et patiente, pour
soutenir cette longue attente avec la soumission et l'abandon qu'il demande
d'elle.
I. Il y a un jour que Dieu seul
sait, après lequel il n'y a plus pour l’âme aucune ressource ; c'est parce que
Jésus-Christ a dit : « Tu n'as pas connu, ô Jérusalem, le temps où Dieu te
visitait (1) ; » espère encore, il est encore temps ; et si jusqu'ici tu as été
insensible
1 Luc., XIX, 44.
493
à ta propre perte, pleure aujourd'hui et tu vivras : car
c'est le grand signe de la miséricorde divine, de reconnaître sa misère et d'en
gémir sincèrement.
II. Nous devrions tellement
nous occuper de Dieu en nous tenant en sa divine présence, que nuit et jour rien
ne nous revienne tant dans l'esprit que le soin et le désir de le contenter en
tout, de l'aimer et de lui plaire. Certainement c'est un grand don de Dieu que
de l'aimer, et d'être toujours pressé d'un ardent désir d'augmenter dans son
amour.
III. La médecine des âmes
malades, c'est la parole de Jésus-Christ. Prendre cette médecine, c'est la lire
avec respect et attention, y réfléchir et la méditer en esprit de prière. Le
fondement du salut, c'est de croire et de s'unir non-seulement à la vérité en
général, mais encore à chaque vérité particulière qu'on lit, par un acte de foi
qu'on fait dessus. Le commencement du salut, c'est lorsque ces vérités
reviennent comme d'elles-mêmes dans la mémoire, et y ramènent l'attention à Dieu
et au salut ; le fruit, c'est de vaincre ses passions, et de devenir plus fort
et plus courageux par cette victoire; l'effet accompli de ce remède céleste,
c'est de rendre l’âme parfaitement saine : elle le serait d'abord, si elle le
voulait. Car comme sa maladie est le dérèglement de sa volonté, sa santé serait
parfaite par un seul acte parfait de sa volonté pour plaire en tout à Dieu. La
force ne manque pas au remède. La parole de Jésus-Christ est vive et efficace ;
elle pénètre jusqu'à la moelle, jusque dans l'intérieur de l’âme : une vertu
divine l'accompagne, et Jésus-Christ ne manque jamais de parler au dedans à ceux
qui s'affectionnent au dehors à sa sainte parole. Le respect que lui portent ces
âmes fidèles, est même une marque qu'il leur a déjà parlé.
494
Et moi je vous dis : Ne
résistez point à celui qui vous traite mal. Matth., V, 39.
Ne point résister au prochain
qui nous traite mal, c'est ne se point mettre en danger de perdre la patience,
la charité, la douceur, la modération ; car ce sont des biens que nous devons
avoir principalement soin de conserver. Ne point résister, c'est vaincre en
vertu celui qui nous veut attaquer, et c'est ainsi qu'il faut être plus fort que
lui : ne point résister, c'est ôter au feu le moyen de s'allumer, ne répondant
rien et adoucissant tout.
Bienheureux sont les doux,
parce qu'ils posséderont la terre. Matth., V, 4.
Apprenez de moi que je suis
doux et humble de cœur. Matth., XI, 29.
Pour entretenir le bon ordre et
la paix dans votre communauté, pour gagner peu à peu tous les cœurs, pour
persuader sans difficulté et sans disputer, pour entraîner les autres sans
effort, pour attirer les personnes les plus éloignées de suivre le bon chemin,
il n'y a qu'à pratiquer envers elles la douceur, mais la pratiquer comme
Jésus-Christ : car il ne suffit pas d'être doux, si on ne l'est comme lui. Il
est vrai que pour y parvenir il faut beaucoup prendre sur soi. Il faut compatir,
excuser, supporter, condescendre, se soumettre, s'humilier, et j'avoue que cela
est très-difficile. Mais souvenons-nous que la grande vertu, la grande sévérité
du christianisme consiste dans la pratique de la charité, de l'humilité et de la
douceur, dans la patience et le pardon de toutes les offenses les plus
sensibles; et que c'est une grande illusion
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que de vouloir chercher la perfection hors de là, ou de
prétendre la trouver sans cela.
Saint François de Sales s'est
adonné à un continuel exercice de douceur pour l'intérêt de la foi, et nous
devons nous y attacher pour l'intérêt de la charité. Car la charité ne nous doit
pas être moins précieuse que la foi, et nous ne devons pas faire moins pour
l'une que pour l'autre. La miséricorde veut qu'on fasse du bien à son prochain
en toutes rencontres, qu'on ne le juge jamais, qu'on ne le condamne point, et
que dans ses peines et afflictions on l'assiste et le console.
Si le grain de froment,
dit Jésus-Christ, ne tombe en terre et ne meurt, il demeure seul; mais s'il
meurt, il se multiplie et porte beaucoup de fruit. Joan., XII,24, 25.
Nous sommes ce grain de froment,
et nous avons un germe de vie caché en nous-mêmes : c'est par là que nous
pouvons porter beaucoup de fruit, et du fruit pour la vie éternelle ; mais il
faut pour cela que tout meure en nous ; il faut que le germe de vie se di gage,
et se débarrasse de tout ce qui l'enveloppe. La fécondité de ce grain ne paraît
qu'à ce prix. Tombons donc et ca. lions-nous en terre; humilions-nous; laissons
périr tout l'homme extérieur, la vie des sens, la vie du plaisir, la vie de
l'honneur, la vie du corps. Entendons bien la force de ce mot : « Se haïr
soi-même (1). » Si les choses de la terre n'étaient que viles et de nul prix, il
suffirait de les mépriser ; si elles n'étaient qu'inutiles, il suffirait de les
laisser là ; s'il suffisait de donner la préférence au Sauveur, il se serait
contenté de dire comme ailleurs : «Si on aime ces choses plus que moi, on n'est
pas digne de moi (2). » Mais pour nous montrer qu'elles sont nuisibles, il se
sert du mot de haine. Entendons par là le courage que demande le christianisme :
tout perdre, tout sacrifier. Cette vie est une tempête; il faut soulager le
vaisseau, quoi qu'il en coûte : car que servirait-il de tout sauver, si soi-même
il faut périr?
Périsse donc pour nous tout ce
qui nous plaît ; qu'il s'en aille en pure perte pour nous. Haïr son âme, c'est
haïr tous les talents et
1 Luc., XIV, 26. — 2 Matth., X, 37.
496
tous les avantages naturels, comme étante nous; et peut-on
s'en glorifier quand on les hait? Mais peut-on ne les pas haïr, quand on
considère qu'ils ne nous servent qu'à nous perdre dans L'état d'aveuglement et
de faiblesse où nous sommes, toujours en danger de tout rapporter à nous, au
lieu de tendre à Dieu par ses dons? Gloire, fortune, réputation, santé, beauté,
esprit, savoir, adresse, habileté, tout nous perd : le goût même de notre vertu
nous perd plus que tout le reste. Il n'y a rien que Jésus-Christ ait tant répété
et tant inculqué que ce précepte : « Si on veut être mon disciple , il faut,
dit-il, haïr son père, sa mère, ses frères et sœurs, femme et enfants, et sa
propre âme, » et tout le sensible en nous ; alors cette fécondité intérieure
développera toute sa vertu, et nous porterons beaucoup de fruit.
Notre-Seigneur ajoute encore : «
Qui aime son âme, la perdra. » C'est la perdre que de chercher à la satisfaire ;
il faut qu'elle perde tout, et qu'elle se perde elle-même, qu'elle se haïsse,
qu'elle se refuse tout, si elle veut se garder pour la vie éternelle.
Toutes les fois que quelque
chose de flatteur se présente à nous, songeons à ces paroles : « Qui aime son
âme, la perd. » Toutes les fois que quelque chose de dur et de pesant se
présente, songeons aussitôt : Haïr son âme, c'est la sauver. Ainsi nous vivrons
de la foi, et nous serons de vrais justes dans l'esprit et les maximes de
l'Evangile.
Prier Dieu véritablement, c'est
lui exposer avec humilité nos misères, et lui demander d'en avoir compassion
selon la grandeur de sa miséricorde et des mérites de Jésus-Christ. « Demandez,
et vous recevrez ; frappez, et on vous ouvrira ; cherchez, et vous trouverez
(1). » Ce sont trois degrés et comme trois instances qu'il faut faire
persévéramment, et coup sur coup. Mais que faut-il demander à Dieu? Saint
Jacques nous le dit : « Si quelqu'un manque de sagesse, qu'il la demande à Dieu,
qui donne abondamment
1 Matth., VII, 7, 8.
497
dominent à tous sans jamais reprocher ses bienfaits (1). »
Mais il faut demander la sagesse d'en haut avec confiance et sans hésiter dans
son cœur. C'est ce que Notre-Seigneur nous apprend lui-même : « En vérité , en
vérité, je vous le dis, que si vous aviez de la foi et que vous n'hésitiez pas,
vous obtiendriez tout, jusqu'à précipiter les montagnes dans la mer; et je vous
le dis encore un coup, tout ce que vous demanderez dans votre prière, croyez que
vous le recevrez et il vous arrivera (2). »
Regardons donc où nous en sommes
par nos péchés, et demandons à Dieu notre conversion avec foi, et ne disons pas
qu'il est impossible : car quand nos péchés seraient d'un poids aussi accablant
qu'une montagne, prions et il cédera à la prière; croyons que nous obtiendrons
ce que nous demandons. Jésus-Christ se sert exprès de cette comparaison
familière, pour nous montrer que tout est possible à celui qui prie et à celui
qui croit. Animons donc notre courage, ô chrétiens, et jamais ne désespérons de
notre salut.
Apprenons maintenant ce que
c'est que de frapper, et qu'il faut persévérer à frapper jusqu'à nous rendre
importuns si cela se pouvait : car il y a une manière de forcer Dieu, et de lui
arracher pour ainsi dire ses grâces ; et cette manière, c'est de demander et de
crier sans relâche à son secours avec une ferme foi et une humble et haute
confiance. D'où il faut conclure avec l'Evangile: «Demandez, et on vous donnera;
cherchez, et vous trouverez ; frappez, et on vous ouvrira. » Ce que Jésus répète
encore une fois en disant : « Car quiconque demande, reçoit ; quiconque cherche,
trouve; et on ouvre à celui qui frappe.»
Il faut donc prier pendant le
jour, prier pendant la nuit autant de fois qu'on s'éveille; et quoique Dieu
semble ne pas écouter ou même nous rebuter, frappons toujours, attendons tout de
Dieu, et cependant agissons aussi : car il ne faut pas seulement demander comme
si Dieu devait tout faire tout seul, mais encore chercher de notre côté et faire
agir notre volonté avec la grâce ; car tout se fait par ce concours : mais il ne
faut jamais oublier que c'est toujours Dieu qui nous prévient, et c'est là le
fondement de l'humilité.
1 Jacob., I, 5. — 2 Matth., XXI, 21, 22.
498
Jésus-Christ dit
encore « qu'il faut toujours prier, et ne cesser jamais (1). » Cette prière
perpétuelle ne consiste pas dans une continuelle contention d'esprit, qui ne
ferait qu'épuiser les forces, et dont on ne viendrait peut-être pas à bout. Cet
le prière perpétuelle se fait lorsque, ayant prié aux heures réglées, on
recueille de sa prière ou de sa lecture quelques vérités que l'on conserve dans
son cœur et que l'on rappelle sans effort, en se tenant le plus qu'on peut dans
l'état d'une humble dépendance envers Dieu, en lui exposant ses besoins,
c'est-à-dire les lui remettant devant les yeux sans rien dire. Alors comme la
terre entr'ouverte et desséchée semble demander la pluie, seulement en exposant
au ciel sa sécheresse; ainsi l’âme, en exposant ses besoins à Dieu, le prie
véritablement. C'est ce que dit David : « Mon âme, Seigneur, est devant vous
comme une terre desséchée et sans eau (2). » Ah ! Seigneur, je n'ai pas besoin
de vous prier; mon besoin vous prie, ma nécessité vous prie, toutes mes misères
et toutes mes foi blesses vous prient : tant que cette disposition dure, on prie
sans prier; tant qu'on demeure attentif à éviter ce qui met en danger de
déplaire à Dieu et qu'on tâche de faire en tout sa volonté, on prie, et Dieu
entend ce langage.
O Seigneur, devant qui je suis
et à qui ma misère paraît tout entière, ayez-en pitié ; et toutes les fois
qu'elle paraîtra à vos yeux, ô Dieu infiniment bon, qu'elle sollicite pour moi
vos miséricordes. Voilà une manière de prier toujours, et peut-être la
meilleure.
Apprenons encore à demander par
Jésus-Christ, par Jésus-Christ , c'est demander sa gloire , c'est interposer le
sacré nom du Sauveur, c'est mettre sa confiance en ses bontés et aux mérites
infinis de son sang. Ce qu'on demande par le Sauveur doit être principalement le
salut, le reste est comme l'accessoire; on est assuré d'obtenir quand on demande
en un tel nom, auquel le Père ne peut rien refuser. Si donc on n'obtient pas,
c'est qu'on demande mal, ou qu'on ne demande pas ce qu'il faut demander.
Demander mal, c'est demander sans foi : si vous demandez avec foi et
persévérance , vous l'obtiendrez : demandons notre conversion , et nous
l'obtiendrons.
1 Luc., XVIII, 1. — 2 Psal. CXLII, 6.
499
Le fruit de la doctrine de
Jésus-Christ sur la prière, doit être de s'v rendre fidèle aux heures qu'on y a
consacrées. Fût-on distrait au dedans, si on gémit de l'être , si on souhaite
seulement de ne l'être pas et qu'on demeure humble et recueilli au dehors,
l'obéissance qu'on rend à Dieu et à l'Eglise , à la règle de son état,
l'attention à observer les cérémonies et tout ce qui est de l'extérieur, de la
piété, prononçant bien les paroles, etc., on prie alors par état et par
disposition, par volonté, mais surtout si on s'humilie de ses sécheresses, de
ses distractions. O que la prière est agréable à Dieu, quand elle mortifie le
corps et l’âme ! Qu'elle obtient de grâces et qu'elle expie de péchés !
Toutes les fois que nous disons
: Per Dominum nostrum Jesum Christum, et nous devons le dire toutes les
fois que nous prions, ou en effet, ou en désir et en intention, n'y ayant point
d'autre nom par lequel nous devions être sauvés : toutes les fois donc que nous
le disons, nous devons croire et connaître que nous sommes sauvés par grâce,
uniquement par Jésus-Christ et par ses mérites infinis ; non que nous soyons
sans mérites , mais à cause que nos mérites sont ses dons, et que ceux de
Jésus-Christ en font tout le prix, parce que ce sont les mérites d'un Dieu.
C'est ainsi qu'il faut prier par Notre-Seigneur Jésus-Christ; et l'Eglise qui le
fait toujours, reçoit par là tout l'effet de la divine prière qu'il fit pour
nous à la veille de sa passion. Si elle célèbre la grâce et la gloire des saints
apôtres, qui sont les chefs du troupeau, elle reconnaît l'effet «le la prière
que Jésus-Christ a faite distinctement pour eux. Mais les saints, qui sont
consommés dans la gloire , n'ont pas moins été compris dans la vue et dans
l'intention de Jésus-Christ , encore qu'il ne l'ait pas exprimé. Qui doute qu'il
n'y vît tous ceux (pie son Père lui avait donnés dans la suite des siècles, et
pour lesquels il alloit s'immoler avec un amour particulier? Entrons donc avec
Jésus-Christ et en Jésus-Christ dans la
500
construction de tout le corps de l'Eglise ; et rendant
grâces avec elle par Jésus-Christ pour tous ceux qui sont déjà consommés en lui,
demandons l'accomplissement de tout le corps mystique de ce divin Chef et de
toute la société des saints. Demandons en même temps, avec confiance, que nous
nous trouvions rangés dans ce nombre bienheureux et fortuné. Ne doutons point
que cette grâce ne nous soit donnée, si nous persévérons à la demander par pure
miséricorde et par grâce , c'est-à-dire par les mérites infinis du sang précieux
de Jésus-Christ, qui a été versé pour nous et dont nous avons le gage sacré dans
l'Eucharistie.
O mon Sauveur , mon Médiateur
et mon Avocat, je n'ai rien à espérer que par vous : j'entre dans vos voies pour
obéir à vos préceptes ; ainsi je justifie ce que vous dites : « Je suis la voie
(1). » C'est par vous qu'il faut aller ; c'est par vous qu'il faut demander;
c'est par vous qu'il faut demander vos grâces.
Tant de vérités sont renfermées
dans ces paroles : Per Dominum nostrum Jesum Christum. Toutes les fois
qu'elles retentissent à nos oreilles ou que nous les prononçons, rappelons ces
vérités dans notre esprit et conformons-y notre cœur. Les vœux montent par
Jésus-Christ; les grâces viennent par lui; pour l'invoquer , il faut l'aimer et
l'imiter; c'est l'abrégé du christianisme.
Tout ce qui unit à Dieu, tout ce
qui fait qu'on le goûte, qu'on se plait en lui, qu'on se réjouit de sa gloire,
et qu'on l'aime si purement qu'on fait sa félicité de la sienne ; et que, non
content des discours, des pensées, des affections et des résolutions, on en
vient solidement à la pratique du détachement de soi-même et des créatures :
tout cela est bon, tout cela est la vraie oraison. Il faut
1 Joan., XIV, 6.
501
observer de ne pas tourmenter sa tête, ni même trop exciter
son cœur ; mais prendre ce qui se présente à la vue de l’âme avec humilité et
simplicité, sans ces efforts violents qui sont plus imaginaires que véritables
et fonciers ; se laisser doucement attirer à Dieu, s'abandonnant à son Esprit.
S'il reste quelque goût sensible, on le peut prendre en passant sans s'en
repaître, et aussi sans le rejeter avec effort; mais se laisser couler soi-même
en Dieu et en éternelle vérité par le fond de l’âme, aimant Dieu et non pas le
goût de Dieu, sa vérité et non le plaisir qu'elle donne. Ne souhaitez pas un
plus haut degré d'oraison pour être plus aimé de Dieu ; mais désirez d'être
toujours de plus en plus uni à Dieu, afin qu'il vous possède. La meilleure
oraison est celle où l'on s'étudie, avec plus de simplicité et d'humilité, à se
conformer à la volonté de Dieu et aux exemples de Jésus-Christ, et celle où l'on
s'abandonne le plus aux dispositions et aux mouvements que Dieu met dans l’âme
par sa grâce et par son Esprit.
Dieu bénisse votre retraite, ma
chère fille ; entrez dans le cellier avec l'Epoux : que sa gauche soit votre
soutien ; et que sa droite, sa divinité, vous couvre et vous protège. Menez
l'Epoux à la campagne et au fond du désert, dans le plus intime cabinet de votre
cœur : dans la maison de votre Mère, qui est l'Eglise, où son amour le rend
toujours présent nuit et jour. Attendez là la consolation du bien-aimé, non
selon votre volonté, mais selon la sienne, et donnez à l'aimer tout le temps que
vous avez ; ce qui ne se fera pas en cette vie se fera en l'autre , et c'est là
que s'accompliront les jouissances éternelles et spirituelles des noces de
l'Agneau, où Dieu sera tout en tous. Cependant tenez bien le cher Epoux;
l'obéissance et l'humilité sont les chers liens qui
(a) Cet opuscule ne se trouve pas dans l'édition de Déforis,
ni par conséquent dans les éditions suivantes. Il parut en 1748, chez Jacques
Barois, à Paris.
502
l'enserrent, et dont il se laisse volontiers enserrer. Vous
ne sauriez pousser trop loin votre amour pour la pauvreté; car plus vous serez
dépouillée, plus vous serez riche. Dieu lui-même se donne à ce prix. Il est le
trésor du cœur pauvre; il en fait son trône et le lieu de ses délices.
Au lieu de se tant effrayer de
ses infidélités et de ses faiblesses. je voudrais qu'on dise au cher Epoux : Il
est vrai, je suis une ingrate et une infidèle ; mais vous avez dit par vos
prophètes : « O âmes infidèles et perfides, revenez pourtant à moi, et je vous
recevrai dans ma couche nuptiale et entre mes bras. » A quelque heure et à
quelque moment qu'on revienne à Dieu de bonne foi, il est prêt.
Il ne faut pas tant chercher à
faire tant de choses, mais livrer tout son cœur en proie à l'amour par une bonne
volonté. Songez à ces paroles : « Les vrais adorateurs doivent adorer en esprit
et en vérité. »
Lisez attentivement l'évangile
de la Samaritaine, saint Jean, chapitre IV ; et apprenez à vous détacher de tout
l'extérieur, pour vous attacher à Dieu en esprit et en vérité par le fond. Dites
souvent : « Parlez , Seigneur, votre servante vous écoute. » Promettez au saint
Epoux de faire par sa grâce tout ce que vous pourrez selon vous, et il sera
content. Mettez sérieusement la main à l'œuvre de votre perfection par le
renoncement à vous-même , par l'humilité et par l'obéissance. La perfection se
peut trouver dans une maison moins austère, comme dans celles où l'on observe de
plus grandes règles. A chaque jour suffit son mal. Allez au jour la journée,
heureuse de faire à chaque moment ce que veut le céleste Epoux. Quoi qu'il
arrive, allez votre train.
Allez devant vous en paix, en
confiance et en abandon. Celui qui est assis sur le trône a dit : « Voici que je
fais toutes choses nouvelles. » Il faut se contenter de suivre l'attrait que
Dieu donne par les seuls moyens qu'il nous offre , et ainsi il ne reste que la
dépendance et la soumission. Regardez-vous libre de tous, en vous soumettant à
tous ; sauvez-vous par l'obéissance : elle sera d'autant plus pure qu'elle ne
s'attachera point à la créature ; vous
503
n'en ferez que mieux votre salut, quand vous vivrez dégagée
de tout. Dieu vous relèvera et vous soutiendra. Si on vous permet de faire le
bien où vous serez portée, vous jouirez avec action de grâces de votre travail ;
sinon, vous ferez toujours celui que vous pourrez : vos bons désirs vous
tiendront lieu de tout devant Dieu, et Dieu prendra ces efforts sincères pour
accomplissement de sa volonté. Allez cependant par où la porte vous est ouverte
: dilatez votre cœur partout où vous trouverez Dieu et son sacrifice : ne vous
embarrassez pas de vos peines avec cette condition. Dites le Psaume LXI. En
espérance contre l'espérance : ne vous poussez point vous-même à bout par trop
de violence ; le saint Epoux se contente de médiocres et de raisonnables
efforts.
Humiliez-vous, et passez outre
sur ces défauts de tempérament : il est rare qu'on les déracine tout à fait ;
ils restent pour nous humilier et pour nous exercer. Combattez cependant
toujours sans vous rebuter, mais ne comptez jamais sur une pleine victoire ; il
faut cela, afin que toujours sous la main de Dieu, nous fassions notre soutien
de notre besoin de son secours et de notre dépendance de sa grâce.
Votre oraison doit être en foi,
en humilité , en simplicité, en silence, en patience et en abandon, dans une
confiance entière en la bonté de Dieu, sans vous troubler de vos impuissances et
distractions non consenties.
Jésus-Christ dit qu'il est venu
apporter le glaive : expirez sous sa main et sous son tranchant ; ne songez plus
si on vous estime, ou si on vous méprise , si on pense à vous, ce qu'on en
pense, ou si on n'y pense pas du tout.
Dites : Mon Dieu et mon tout;
mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui. O sainte volonté de l'Epoux, vous
êtes la paix du cœur, et toute sanctification est à vous accomplir. Laissons les
créatures être ce qu'elles sont; c'est assez pour nous que l'Epoux céleste soit
toujours le même, et qu'il nous tienne inébranlables dans nos bonnes
résolutions. Sa pure grâce fait tout en nous, et il nous suffit. Amen.
504
I. Il faut s'accoutumer à
nourrir son aine d'un simple et amoureux regard en Dieu et en Jésus-Christ
Notre-Seigneur ; et pour cet effet il faut la séparer doucement du raisonnement,
du discours et de la multitude d'affections pour la tenir en simplicité, respect
et attention, et l'approcher ainsi de plus en plus de Dieu, son unique souverain
bien, son premier principe et sa dernière fin.
II. La perfection de cette vie
consiste en l'union avec notre souverain bien, et tant plus la simplicité est
grande, l'union est aussi plus parfaite. C'est pourquoi la grâce sollicite
intérieurement ceux qui veulent être parfaits, à se simplifier pour être enfin
rendus capables de la jouissance de l'un nécessaire, c'est-à-dire de l'unité
éternelle ; disons donc souvent du fond du cœur : O unum necessarium, unum
volo, unum quœro, unum desidero, unum mihi est necessarium, Deus meus et omnia.
O un nécessaire! c'est vous seul que je veux, que je cherche et que je désire !
vous êtes mon un nécessaire, ô mon Dieu et mon tout !
III. La méditation est fort
bonne en son temps, et fort utile au commencement de la vie spirituelle ; mais
il ne faut pas s'y arrêter, puisque l’âme par sa fidélité à se mortifier et à se
recueillir reçoit pour l'ordinaire une oraison plus pure et plus intime, que
l'on peut nommer de simplicité, qui consiste dans une simple vue, regard ou
attention amoureuse en soi vers quelque objet divin, soit Dieu en lui-même ou
quelqu'une de ses perfections, soit Jésus-Christ ou quelqu'un de ses mystères,
ou quelques autres vérités chrétiennes. L’âme quittant donc le raisonnement, se
sert d'une douce contemplation qui la tient paisible, attentive et susceptible
des opérations et impressions divines, que le Saint-Esprit lui communique : elle
fait peu et reçoit beaucoup : son travail est doux, et néanmoins plus fructueux
: et comme elle approche de plus près de la source de toute lumière, de toute
grâce et de toute vertu, on lui en élargit aussi davantage.
505
IV. La pratique de cette
oraison doit commencer dès le réveil, en faisant un acte de foi de la présence
de Dieu, qui est partout, et de Jésus-Christ, les regards duquel, quand nous
serions abîmés au centre de la terre, ne nous quittent point. Cet acte est
produit ou d'une manière sensible et ordinaire, comme qui dirait intérieurement
: Je crois que mon Dieu est présent; ou c'est un simple souvenir de foi, qui se
passe d'une façon plus pure et spirituelle de Dieu présent.
V. Ensuite il ne faut pas se
multiplier à produire plusieurs autres actes ou dispositions différentes, mais
demeurer simplement attentif à cette présence de Dieu, exposé à ses divins
regards, continuant ainsi cette dévote attention ou exposition tant que
Notre-Seigneur nous en fera la grâce, sans s'empresser à faire d'autres choses
que ce qui nous arrive, puisque cette oraison est une oraison avec Dieu seul, et
une union qui contient en éminence toutes les autres dispositions particulières
et qui dispose l’âme à la passiveté, c'est-à-dire que Dieu devient le seul
maître de son intérieur et qu'il y opère plus particulièrement qu'à l'ordinaire
: tant moins la créature travaille, tant plus Dieu opère puissamment ; et
puisque l'opération de Dieu est un repos, l’âme lui devient donc en quelque
manière semblable en cette oraison, et y reçoit aussi des effets merveilleux ;
et comme les rayons du soleil font croître, fleurir et fructifier les plantes,
ainsi l’âme qui est attentive et exposée en tranquillité aux rayons du divin
Soleil de justice, en reçoit mieux les divines influences qui l'enrichissent de
toute sorte de vertus.
VI. La continuation de cette
attention en foi, lui servira pour remercier Dieu des grâces reçues pendant la
nuit, et en toute sa vie d'offrande de soi-même et de toutes ses actions, de
direction d'intention et autres, etc.
VII. L’âme s'imaginera de perdre
beaucoup par l'omission de tous ces actes, mais l'expérience lui fera connaître
qu'au contraire elle y gagne beaucoup, puisque plus la connaissance qu'elle aura
de Dieu sera plus grande, son amour sera aussi plus pur, ses intentions plus
droites, son aversion pour le péché plus forte, sou recueillement, sa
mortification et son humilité plus continuelles.
606
VIII. Cela n'empêchera pas
qu'elle ne produise quelques actes de vertus, intérieurs ou extérieurs, quand
elle s'y sentira portée par le mouvement de la grâce ; mais le fond et
l'ordinaire de son intérieur doit être son attention susdite en foi, ou l'union
avec Dieu, qui la tiendra abandonnée entre ses mains et livrée à son amour, pour
faire en elle toutes ses volontés.
IX. Le temps de l'oraison venu,
il faut la commencer en grand respect par le simple souvenir de Dieu, invoquant
son esprit et s'unissant intimement à Jésus-Christ, puis la continuer en cette
même façon; comme aussi les prières vocales, le chant du chœur, la sainte messe
dite ou entendue, et même l'examen de conscience, puisque cette même lumière de
la foi, qui nous tient attentifs à Dieu, nous fera découvrir nos moindres
imperfections et en concevoir un grand déplaisir et regret. Il faut aussi aller
au repas avec le même esprit de simplicité, qui tiendra plus attentif à Dieu
qu'an manger, et qui laissera la liberté d'entendre mieux la lecture qui s'y
fait. Cette pratique ne nous attache à rien qu'à tenir notre aine détachée de
toutes imperfections et attachée seulement à Dieu, et unie intimement à lui, en
quoi consiste tout notre bien.
X. Il faut se récréer dans la
même disposition, pour donner au corps et à L'esprit quelques soulagements, sans
se dissiper par des nouvelles curieuses, des ris immodérés, ni aucune parole
indiscrète, etc.; mais se conserver pur et libre dans l'intérieur, sans gêner
les autres, s'unissant à Dieu fréquemment par des retours simples et amoureux,
se souvenant qu'on est en sa présence, et qu'il ne veut pas qu'on se sépare en
aucun temps de lui et de sa sainte volonté; c'est la règle la plus ordinaire de
cet état de simplicité, c'est la disposition souveraine de l’âme, qu'il faut
faire la volonté de Dieu en toutes choses. Voir tout venir de Dieu et aller de
tout à Dieu, c'est ce qui soutient et fortifie l’âme en toutes sortes
d'événements et d'occupations, et ce qui nous maintient même en possession de la
simplicité. Suivez donc toujours la volonté de Dieu, à l'exemple de Jésus-Christ
et uni à lui comme à notre chef; c'est un excellent moyen d'augmenter cette
manière d'oraison, pour tendre par elle à la plus solide vertu et à la plus
parfaite sainteté.
507
XI. On doit se comporter de la
même façon et avec le même esprit , et se conserver dans cette simple et intime
union avec Dieu dans toutes ses actions et sa conduite, au parloir, à la
cellule, au souper, à la récréation ; sur quoi il faut ajouter que dans tous les
entretiens on doit tâcher d'édifier le prochain, en profitant de toutes les
occasions de s'entreporter à la piété, à l'amour de Dieu, à la pratique des
bonnes œuvres, pour être la bonne odeur de Jésus-Christ. « Si quelqu'un parle,
dit saint Pierre, que ce soit de paroles de Dieu, » et comme si Dieu même
parlait par lui ; il suffit pour cela de se donner simplement à son esprit : il
vous dictera en toutes rencontres tout ce qui convient sans affectation. Enfin
on finira la journée avec cette sainte présence, l'examen, la prière du soir, le
coucher; et on s'endormira avec cette attention amoureuse, entrecoupant son
repos de quelques paroles ferventes et pleines d'onction, quand on se réveille
pendant la nuit, comme autant de traits et de cris du cœur vers Dieu. Par
exemple : Mon Dieu, soyez-moi toutes choses; je ne veux que vous pour le temps
et pour l'éternité; Seigneur, qui est semblable à vous? Mon Seigneur et mon
Dieu, mon Dieu et rien plus.
XII. Il faut remarquer que
cette vraie simplicité nous fait vivre dans une continuelle mort et dans un
parfait détachement, parce qu'elle nous fait aller à Dieu avec une parfaite
droiture et sans nous arrêter en aucune créature ; mais ce n'est pas par
spéculation qu'on obtient cette grâce de simplicité , c'est par une grande
pureté de cœur et par la vraie mortification et mépris de soi même ; et
quiconque fuit de souffrir et de s'humilier, et de mourir à soi, n'y aura jamais
d'entrée : et c'est aussi d'où vient qu'il y en a si peu qui s'y avancent, parce
que presque personne ne se veut quitter soi-même, faute de quoi on fait des
pertes immenses et on se prive des biens incompréhensibles. O heureuses sont les
âmes fidèles, qui n'épargnent rien pour être pleinement à Dieu! heureuses les
personnes religieuses qui pratiquent fidèlement toutes leurs observances selon
leur institut! Cette fidélité les fait mourir constamment à elles-mêmes, à leur
propre jugement, à leur propre volonté, inclinations et répugnances naturelles ;
et les dispose ainsi d'une manière admirable, mais inconnue, à cette excellente
508
sorte d'oraison ; car qu'y a-t-il de plus caché qu'un
religieux et une religieuse, qui ne suit en tout que ses observances et les
exercices communs de la religion, n'y ayant en cela rien d'extraordinaire, et
qui néanmoins consiste dans une mort totale et continuelle? Par cette voie le
royaume de Dieu s'établit en nous, et tout le reste nous est donné libéralement.
XIII. Il ne faut pas négliger
la lecture des livres spirituels; mais il faut lire en simplicité et en esprit
d'oraison, et non pas par une recherche curieuse : on appelle lire de cette
façon, quand on laisse imprimer dans son âme les lumières et les sentiments que
la lecture nous découvre, et que cette impression se fait plutôt par la présence
de Dieu que par notre industrie.
XIV. Il faut au reste être
prévenu de deux ou trois maximes : la première, qu'une personne dévote sans
oraison est un corps sans ame; la seconde, qu'on ne peut avoir d'oraison solide
et vraie sans mortification, sans recueillement et sans humilité ; la troisième,
qu'il faut de la persévérance pour ne se rebuter jamais dans les difficultés qui
s'y rencontrent.
XV. Il ne faut pas oublier
qu'un des plus grands secrets de la vie spirituelle est que le Saint-Esprit nous
y conduit non-seulement par les lumières, douceurs, consolations, tendresses et
facilités, mais encore par les obscurités, aveuglements, insensibilités,
chagrins, angoisses, tristesses, révoltes des passions et des humeurs ; je dis,
bien plus, que cette voie crucifiée est nécessaire, qu'elle est bonne, qu'elle
est la meilleure, la plus assurée et qu'elle nous fait arriver beaucoup plus tôt
à la perfection. L’âme éclairée estime chèrement la conduite de Dieu, qui permet
qu'elle soit exercée des créatures et accablée de tentations et de délaissements
; et elle comprend fort bien que ce sont des faveurs plutôt que des disgrâces,
aimant mieux mourir dans les croix sur le Calvaire que de vivre dans les
douceurs sur le Thabor. L'expérience lui fera connaître avec le temps la vérité
de ces belles paroles : Et nox illuminatio mea in deliciis meis, et mea nox
obscurum non habet, sed omnia in luce clarescunt. Après la purgation de
l’âme dans le purgatoire des souffrances, où il faut nécessairement passer,
viendra l'illumination, le repos, la joie, par l'union intime avec Dieu,
509
qui lui rendra ce monde, tout exil qu'il est, comme un
petit paradis. La meilleure oraison est celle où l'on s'abandonne le plus aux
sentiments et aux dispositions que Dieu même met dans l’âme et où l'on s'étudie
avec plus de simplicité, d'humilité et de fidélité à se conformer à sa volonté
et aux exemples de Jésus-Christ.
Grand Dieu qui, par un
assemblage merveilleux de circonstances très-particulières, avez ménagé de toute
éternité la composition de ce petit ouvrage, ne permettez pas que certains
esprits, dont les uns se rangent parmi les savants, les autres parmi les
spirituels, puissent jamais être accusés à votre redoutable tribunal d'avoir
contribué en aucune sorte à vous fermer l'entrée de je ne sais combien de cœurs,
parce que vous vouliez y entrer d'une façon dont la seule simplicité les
choquait, et par une porte qui, toute ouverte qu'elle est par les saints depuis
les premiers siècles de l'Eglise, ne leur était peut-être pas encore assez
connue : faites plutôt que devenant tous aussi petits que des enfants, comme
Jésus-Christ l'ordonne, nous puissions entrer une fois par cette petite porte,
afin de pouvoir ensuite la montrer aux autres plus sûrement et plus
efficacement. Ainsi soit-il.
Pour bien commencer votre
journée, dès le moment que vous serez éveillée, faites le signe de la croix.
Adorez la majesté de Dieu par un acte de retour sur tout ce que vous êtes ;
rendez grâces à Dieu de toutes ses miséricordes sur vous, et vous donnez toute à
lui.
Lorsque vous serez levée,
mettez-vous à genoux et faites votre exercice du matin en cette manière.
Très-sainte Trinité, je vous
adore de toutes les puissances de mon âme : je vous remercie de ce que vous
m'avez préservée de tant de périls et de dangers, que d'autres meilleures que
moi n'ont pas évités. Je me donne toute à vous, et vous remercie
510
très-humblement de ce que vous m'avez créée à votre image
et ressemblance. Rachetée de votre sang précieux , appelée à la foi et à la
vocation religieuse , je vous supplie de me faire la grâce de reconnaître toutes
ces miséricordes et de vous être fidèle tout le temps de ma vie. Père de toute
bonté, je m'offre à vous et vous adore comme votre fille, voulant vous obéir en
toutes choses. Remplissez mon entendement de vos connaissances et de vos
grandeurs , et mon cœur de votre amour , afin que je vous serve comme je dois.
Verbe divin, je vous honore et
adore avec tous les respects que je dois , et je m'offre à vous comme esclave ;
mais esclave de votre amour, voulant m'assujettir à la vraie vie de l'esprit,
que vous avez enseignée venant au monde. Mais comme je ne peux rien de moi-même
que le péché, donnez-moi, s'il vous plait, la grâce pour enflammer mon cœur dans
la pratique des vertus. Présentez à ma mémoire le souvenir de ce que vous avez
l'ait pendant que vous conversiez parmi les hommes et de tout ce que vous avez
souffert pour me racheter : c'est la miséricorde que je vous demande, ô mon
Jésus , et que j'en fasse l'usage conforme à vos desseins.
Divin Esprit, je vous adore de
toutes les forces de mon âme et je m'offre à vous comme écolière et disciple,
pour être instruite de ce que j'ai à faire pour posséder votre amour, vous
suppliant que mon cœur en soit enflammé et qu'il soit détaché de l'affection des
créatures , auxquelles je renonce pour adhérer à vous seul. Je vous demande la
lumière pour connaître ce que je dois faire pour ma perfection, vous demandant
pardon de la négligence que j'ai apportée à suivre les inspirations que vous
m'avez données tant de ibis pour mon salut.
Très-sainte et adorable Trinité,
prosternée à vos pieds , je vous adore de toutes les forces de mon âme ; et vous
supplie d'agréer que je vous offre tout ce que je ferai aujourd'hui,
intérieurement et extérieurement, en l'honneur des mérites de Jésus-Christ et
pour honorer toutes ses actions, lui demandant la grâce que les miennes soient
sanctifiées par les siennes, désirant de les unir à ses mérites.
511
Mon Dieu, ayant uni toutes mes
actions intérieures et extérieures à celles de mon Jésus, je vous les offre
aussi pour vous remercier de ce que vous avez donné l'infaillibilité à la sainte
Eglise pour nous enseigner, comme elle l'apprend à ses enfana par ce qu'elle
leur commande de croire ; je me rends de tout mon cœur à ses lois amoureuses.
Mon Dieu, je vous supplie que
toutes les actions de ce jour soient à l'intention et pour le repos des âmes du
purgatoire, particulièrement pour celles qui sont le plus délaissées, vous
conjurant que , par les douleurs et l'effusion du plus précieux sang de mon
Sauveur, il vous plaise les délivrer et les faire jouir de votre gloire , vous
demandant la foi, l'humilité et le mépris de tout ce qui n'est point vous.
Mon souverain Seigneur, je vous
offre toutes mes pensées, mes paroles et mes actions, intérieures et extérieures
, pour honorer toutes celles de mon Jésus lorsqu'il était sur la terre , et pour
vous remercier des grâces et prérogatives que vous avez accordées à tous les
saints et saintes , et particulièrement à ceux et à celles que l'Eglise honore
en ce jour, vous demandant par leur intercession ma conversion parfaite.
Mon Dieu, je vous offre tout ce
que je ferai en ce jour pour vous remercier de ce que vous m'avez fait naître de
parents catholiques, qui m'ont élevée dans la foi, vous suppliant de me faire la
grâce d'y vivre et mourir, de daigner convertir tous les hérétiques et de donner
votre Esprit au Pape et à tous ceux qui conduisent visiblement l'Eglise, pour en
bannir toutes les erreurs.
Mon Dieu, agréez que je fasse
aujourd'hui toutes mes actions
512
intérieures et extérieures, pour honorer la demeure de mon
Jésus d.ius le très-saint Sacrement de l'autel, et que j'adore son humilité et
son amour, vous suppliant par cet anéantissement où il s'est réduit pour moi que
je sois humble , et que je me conforme aux états de mon Jésus dans ce sacrement
auguste, que je révère de tout mon cœur.
Je vous consacre en ce jour ,
mon Dieu, tout ce que je ferai intérieurement et extérieurement pour honorer la
passion et les souffrances de mon Jésus, et pour imprimer sa croix dans mon
cœur, vous suppliant que par sa mort et ses douleurs j'aie la force pour
supporter toutes les croix qu'il lui plaira m'envoyer, auxquelles je me soumets
de tout mon cœur.
Je vous présente, ô mon
souverain Seigneur, tout ce que j'ai dessein de faire aujourd'hui pour votre
plus grande gloire, et pour honorer en la sainte Vierge sa virginité et sa
maternité tout ensemble , vous suppliant, mon Dieu, de me donner la pureté de
corps et d'âme, la grâce que je vous sois fidèle et que je ne m'éloigne point de
vos desseins sur moi.
Sainte Vierge, je vous supplie
de me prendre en votre protection, et de m'obtenir de votre Fils la grâce que je
lui sois constamment unie, et que je m'étudie toujours à suivre ses volontés
saintes.
Sub tuum praesidium, etc.
Saint Ange , qui m'avez été
donné de la bonté divine pour gardien de mon corps et de mon âme , je vous
supplie de me préserver en ce jour des périls spirituels et corporels et que
vous m'empêchiez d'offenser la majesté de mon Dieu, me portant à faire le bien
et à m'éloigner du mal et détournant de moi les occasions du péché ;
assistez-moi en tous les moments de ma vie, mais surtout à celui de ma mort.
Finissez après avoir adoré
encore la très-sainte Trinité, disant :
Sainte Trinité , je vous adore de toutes les forces de mon
âme ;
513
et je vous demande votre sainte bénédiction, et qu'il vous
plaise remplir les puissances de mon âme de votre connaissance , de votre amour
et de votre souvenir.
Puis tachez, en vous habillant,
de vous entretenir l'esprit en la présence de Dieu, le suppliant de vous revêtir
de sa grâce en vous couvrant des habits de la sainte religion, que vous baiserez
par respect en les mettant, et demandant avec instance à Notre-Seigneur qu'il
vous donne le vrai esprit de votre Père saint Benoit , qui est dans le silence
et dans l'obéissance.
Vous irez à Prime, et tâcherez
d'assister à ce premier office avec le plus de ferveur que vous pourrez, et vous
chanterez les louanges de Dieu avec respect et avec application d'esprit, vous
souvenant que vous faites en terre ce que les anges font au ciel ; et si cela ne
suffit pas , vous offrirez cette heure en l'honneur de Jésus cruellement
flagellé. Pénétrez profondément ce mystère; et abîmez-vous, voyant un Dieu de
majesté traité en esclave, qui depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la
tête n'a aucune partie saine en lui. Que cet état de Jésus vous excite à l'aimer
de tout votre cœur, et à souffrir pour lui tout ce que la Providence permettra
qu'il vous arrive.
Pour l'oraison, tâchez d'avoir
un grand désir de converser avec Dieu. Vous commencerez votre oraison par un
acte de foi et d'une profonde humilité, dans la vue de la grandeur de Dieu et de
votre bassesse.
Après cela entrez doucement en
votre sujet avec beaucoup de dépendance de Dieu, pour recevoir ce qu'il lui
plaira vous donner, sans empressement de votre part, n'y apportant rien de vous
que l'anéantissement et l'abaissement; car bien souvent, faute de laisser agir
la grâce, on la perd. Si vous avez quelque sécheresse, impuissance ou
distraction , faites ce que vous pourrez pour rejeter les dernières, afin qu'il
n'y ait point de votre faute ; et pour les dérélictions, acceptez-les avec
humilité, croyant que c'est ce que vous méritez ; et dites à votre bon Dieu,
dans le silence, par un simple regard ou parlant intérieurement : Ah ! mon Dieu,
j'avoue que j'ai mérité ce traitement par mes infidélités ; mais je vous supplie
que je n'y commette point de fautes, et que je fasse
514
bon usage de ce qu'il vous plaît que je souffre. Je vous
aime de tout mon cœur, et en cet état de privation, sachant bien que vous êtes
ta bonté même et que vous ne faites rien que pour votre gloire et pour mon
salut. D'autres fois, vous lui pourrez dire : Mon Dieu, je suis bien aise de
vous servir à mes dépens ; puisque vous le voulez ainsi, je m'y soumets de
toutes les forces de mon esprit, et je renonce à tout ce qui vous pourrait
déplaire.
Au commencement de la messe,
excitez-vous à une grande douleur de vos péchés, et offrez le grand sacrifice de
la messe pour honorer celui que Jésus a consommé sur la croix pour nos péchés;
remerciez-le de cet adorable mystère, lui demandant la grâce de vous rendre
digne d'une si copieuse rédemption. Offrez-le aussi pour remercier Dieu des
grâces infinies qu'il a départies à la sainte Vierge sa Mère, pour honorer Dieu
en ses saints et pour les âmes du purgatoire. Si cela ne suffit pas ,
servez-vous de l'Exercice de la messe et de la communion, quand vous
communierez.
Après la basse messe, vous
souvenant que vous venez de converser avec Dieu, faites l'offrande de toutes vos
actions dans cet esprit de recueillement, avec beaucoup de respect et
d'attention à sa présence.
Après cette offrande, vous vous occuperez aux emplois de
votre charge avec soin et diligence, travaillant autant que vous pourrez à être
fidèle à la grâce; carde cette fidélité dépend votre avancement à la perfection.
Dieu a tant de pente à se communiquer à nous , qu'il ne cherche que des âmes
préparées à s'unir à lui. Disposez-vous pour recevoir ses dons. La meilleure
disposition est de faire bon usage des grâces qu'il vous donne pour vous
avancer; et c'est pour cela qu'il dit : « Celui qui est fidèle en peu, je
l'établirai en beaucoup (1). » Soyez donc soigneuse et courageuse à mortifier
vos passions et vos cinq sens, mais particulièrement lorsque vous en avez le
mouvement.
Le ressouvenir de ces choses
vous aidera à retourner à Dieu, et à rentrer en vous-même pendant votre travail
manuel, pour vous donner toute à Dieu qui vous a créée pour lui, et. pour vous
1 Matth., XXV, 21.
515
engager à l'aimer. Comment le ferez-vous, sinon en
détruisant en vous, par la mortification, l'Adam terrestre, pour vous revêtir du
céleste qui est Jésus-Christ? Je vous conjure en son nom de vous rendre exacte
en ces points par la pratique de ce qui suit.
Le premier point, être fidèle
aux obligations de votre condition, et qu'il n'y ait jamais que l'obéissance qui
vous en dispense; et que vous ne fassiez rien de ce que vous devez faire que
pour Dieu, donnant une âme à tout ce que vous devez faire, parce qu'il n'y a
rien de petit quand on fait avec esprit et obéissance les actions religieuses.
Le deuxième, être fidèle aux
traits de Dieu dans votre intérieur, obéissant à sa voix, quelque répugnance que
vous y ayez : rendez cette fidélité à sa grâce , et il vous en donnera de
nouvelles. C'est ce qui fait avancer les âmes, parce qu'elles reçoivent de plus
en plus de nouvelles grâces par le bon usage des premières.
Le troisième est d'être
inviolablement fidèle à la mortification de vos passions et des cinq sens, vous
assurant que vous ne pouvez tendre à la perfection , ni devenir fille d'oraison
que par cette voie.
Il y a encore trois autres
principes sur lesquels je suis bien aise de vous instruire, qui bien pratiqués,
remédient aux trois occasions par lesquelles les chrétiens et les religieuses
reculent au lieu d'avancer, et qui, lorsqu'elles ne sont pas encore dans le
chemin, les empêchent d'y entrer.
Le premier, sont les tentations,
sécheresses, dérélictions, impuissances, pauvreté, aveuglement, soit pour
l'oraison mentale ou autres prières. Et afin que ces peines ne vous empêchent
pas de servir Dieu, priez-le par foi, par fidélité, par obéissance, vous
imprimant bien cela en l'esprit pour vous engager avec courage au service que
vous lui devez. Il est mon Sauveur, lui direz-vous, ma force, mon commencement
et ma fin ; cela étant, je dois le servir également au milieu de ces tentations,
de ces impuissances, etc.
Produisez en ces commencements
des actes de foi de ces vérités, pour vous en donner l'habitude.
516
Le deuxième, sont les maladies,
infirmités, assujettissements du corps, qui souvent, si l'on n'est fidèle,
relâchent l'esprit et l'entretiennent dans les soins de ce corps, dans la
mollesse et dans la lâcheté. Il faut, pour y remédier et l'empêcher, accepter
delà main de Dieu et de sa très-sainte volonté l'état de la maladie ; et vous
persuader par réflexion et par acte de foi ce qui est dit dans le premier
empêchement, qui est que dans l'état de la maladie vous devez rendre à Dieu
service, fidélité, adoration, tendre à votre perfection par ces voies et
conserver toujours la mortification : si elle ne peut être exercée sur le corps
par les austérités, il faut qu'elle soit dans l'esprit, les passions et les cinq
sens. Qu'il y a de sujets de grande pénitence dans les maladies, quand on les
sait prendre comme l'on doit !
Le troisième empêchement sont
les occupations, obédiences , contradictions et embarras que vous devez éviter ;
mais quand l'obéissance vous y emploie, il s'y faut soumettre, et vous souvenir
que vous devez être fidèle , et que Dieu est votre Dieu, que vous êtes sa
créature et par conséquent obligée de l'aimer et servir : faire usage de ces
embarras étant inviolablement fidèle à ce Dieu de bonté ; et lui demander par
aspiration, ou par la foi en sa présence , la grâce de lui rendre ce que vous
lui devez comme à votre Créateur. C'est en cette manière que l'on pratique la
vertu et que l'on tend à la perfection ; et ce qu'on acquiert dans ces
oppositions est bien plus solide que lorsque nous avons des goûts, des facilités
à prier et à agir, de la santé, et bien du temps pour la retraite. C'est
pourquoi pendant que vous êtes dans la force et dans la vigueur de la grâce de
votre vocation, imprimez-vous ces pratiques qui font toute la perfection des
âmes religieuses, ou dont le défaut cause leur entière infidélité et relâchement
au service de Dieu, que vous devez préférer à tout, disant : C'est cette
souveraine bonté qui m'a donné l'être et qui m'a faite pour lui, et ainsi du
reste : et lorsque vous y aurez commis quelques fautes, vous pratiquerez trois
choses.
La première, de rentrer dans
votre intérieur pour vous en humilier, et en porter le poids devant la majesté
divine.
La deuxième est de vous confier
en sa miséricorde, et lui
517
demander la grâce de vous en amender, lui promettant que
vous le ferez par la force de sa grâce.
La troisième est de vous en
humilier devant votre directeur, en lui découvrant l'état de votre intérieur. Je
vous puis assurer que si vous voulez, avec la grâce de votre vocation, vous
rendre fidèle à ces principes dans toutes les rencontres, en peu de temps vous y
aurez une telle habitude, que vous n'aurez plus de peine dans la pratique de ces
choses, comme dit votre sainte règle ; et pour vous aider à les retenir plus
facilement, je les mettrai en abrégé.
La première, être inviolablement
fidèle à tous les devoirs de votre condition, les faisant pour Dieu, donnant une
âme à toutes les actions extérieures.
La deuxième est la fidélité aux
inspirations intimes que vous ressentirez de quitter le mal et de faire le bien.
Si l'on consultait bien ce fonds, l'on ne ferait pas tant de fautes, et l'on
adhérerait plus qu'on ne fait aux saintes inspirations.
La troisième est la fidèle
pratique de la mortification des passions, des cinq sens et de tout le grossier.
La quatrième est de porter les
peines et privations dans l'esprit de soumission et de fidélité, et d'en faire
un saint usage par un acte de foi.
La cinquième est la maladie
qu'il faut souffrir et accepter de la main de Dieu, pour être fidèle à ne se
point relâcher de la pratique intérieure de la mortification.
La sixième est d'être soigneuse
dans l'obédience et dans les emplois que l'obéissance vous donne, de vous y
conserver dans un esprit intérieur et une attention à la présence de Dieu en
vous.
Sachez que si vous voulez tendre
à la perfection et à la sanctification de votre âme, vous devez durant les
années de votre noviciat vous engager dans une entière pratique de tout ceci,
afin d'en prendre les habitudes : cela étant, vous pouvez en peu acquérir cet
esprit d'oraison, qui est si avantageux pour les âmes religieuses, et qui les
fait parvenir à cette union divine qui leur fait aimer Dieu de tout leur cœur.
Mais comment pouvez-vous garder ce premier commandement que Dieu nous a fait, si
par
518
toutes ces pratiques de mortification vous ne détruisez
tout ce qui est opposé à ce Dieu d'amour?
Je vous conseille de ne point
quitter ces petites pratiques, que votre direction vous donne, si ce n'est que
Dieu vous accorde quelques grâces surnaturelles, qui n'arrivent pour l'ordinaire
qu'après la purgation et la pratique d'une sérieuse mortification en toutes (qui
dit toutes n'excepte rien) les voies de votre sanctification, faisant tout ce
que je viens de vous marquer avec une obéissance entière; car je désire que vous
ne fassiez rien sans une actuelle obéissance, et que vous vous accoutumiez à la
demander pour tout ce que vous avez à faire, soit pour votre intérieur ou
extérieur, du moins une fois la semaine : et quand vous rendrez compte de votre
intérieur, premièrement vous commencerez toujours, disant : Je vous supplie de
me donner le mérite de l'obéissance pour dire ma coulpe et pour rendre compte de
mon intérieur; secondement vous direz : Depuis que je suis sortie de ma
direction, je me suis trouvée, en tous mes exercices et à l'oraison, de telle et
telle manière; troisièmement vous direz comment vous avez travaillé à détruire
le vice qu'on vous aura donné à combattre, et à acquérir la vertu opposée que
vous deviez pratiquer; quatrièmement vous déclarerez si vous avez été soigneuse
de mortifier vos sens, et particulièrement celui que vous aurez eu la semaine a
combattre ; cinquièmement quelles impressions vos lectures vous ont faites,
quel fruit vous en avez retiré pour l'accomplissement de vos devoirs ;
sixièmement, si vous avez quelque avis à demander ou quelque peine à exposer,
vous le ferez; septièmement , vous en allant, vous tâcherez de vous souvenir des
instructions qu'on vous aura données, avec une forte résolution d'en venir à la
pratique.
Quand on sonnera le deuxième
office, rentrez dans votre intérieur, et vous réjouissez de ce que vous allez
chanter les louanges de Dieu ; et vous lui direz avec un saint transport : Mon
Seigneur, préparez mon cœur et ma langue, afin que l'un et l'autre vous louent.
Et tâchez d'être à l'office avec grande modestie et recueillement, ne pensant
qu'à la majesté de Dieu : ou si cela ne suffit, honorez les ignominies et
douleurs que les Juifs firent souffrir à
519
Jésus, lui mettant sur la tête une couronne d'épines, que
l'on enfonçait dans son sacré Chef. Adorez-le profondément pour réparer les
outrages que lui firent souffrir les Juifs, qui se moquaient de cet innocent
Agneau, se mettant à genoux et le saluant par dérision. Quel spectacle de voir
un Dieu abandonné à la raillerie de ses ennemis! Excitez votre âme à connaître
la grandeur de votre ingratitude par les excessives douleurs de ce divin
Sauveur.
Vous irez ensuite faire votre
examen, vous mettant en la présence de Dieu, l'adorant avec le plus
d'application que vous pourrez ; et rentrant dans votre intérieur, vous
connaîtrez ce que vous avez fait contre Dieu, contre l'obéissance, votre
prochain et vous-même, demandant à Notre-Seigneur qu'il vous fasse connaître
toutes les fautes tpie vous avez commises ; et qu'en les connaissant, il vous en
donne le regret, la douleur et la volonté de ne les plus commettre; car tout
bien vient de Dieu, Père des lumières. C'est pourquoi, il faut que vous
demandiez avec confiance à Notre-Seigneur tout ce qui est pour votre
sanctification; il vous invite à demander tout à son Père en son nom.
Vous irez au réfectoire, vous
humiliant de voir à quel assujettissement nous sommes obligés ; et pendant que
vous donnerez la nourriture à votre corps, priez Notre-Seigneur qu'il sustente
votre âme : de temps en temps renouvelez votre attention pour entendre la
lecture ; et ne laissez jamais passer aucun repas sans vous mortifier, en vous
privant de quelque chose de ce que vous mangez avec trop d'appétit, ou en
mangeant ce que vous n'aimez pas: mais que ce soit en peu de chose, parce qu'il
faut estimer davantage l'esprit général que la singularité, prenant en esprit de
simplicité et de pauvreté ce que la religion vous donne.
Après le réfectoire, vous
monterez au dortoir pour garder le silence, ce que vous ferez en union avec
celui que Jésus-Christ a gardé dans l'état d’abaissement de son enfance; et vous
vous occuperez à quelque petit ouvrage, si vous en avez à faire, ou à quelque
lecture peu appliquante.
Quand on dira Noue à midi, vous
adorerez Jésus-Christ portant sa croix. Pénétrez-vous intérieurement de l'excès
des douleurs qu'il souffrait, pendant que l'on clouait ses mains et ses pieds,
que
520
vous adorerez profondément, en offrant au Père éternel
toutes ces souffrances de Jésus pour le salut des hommes, mais en particulier
pour votre âme criminelle.
Quand on sonnera le silence,
vous ferez de même que j'ai dit au matin, vous souvenant pendant vos occupations
que les dispositions éloignées pour l'oraison sont la fidélité aux inspirations
de Notre-Seigneur, la mortification de vos passions et des cinq sens, et de
faire vos actions pendant la journée en la présence de Dieu : et de temps en
temps vous vous entretiendrez avec Notre-Seigneur, selon l'attrait que vous en
aurez, tantôt par adoration, par consécration et par des actes d'humilité ;
considérant la grandeur de Dieu et votre bassesse, sa charité pour vous et votre
indignité, ce qui vous doit bien engager à l'aimer de tout votre cœur. D'autres
fois, confiez-vous en lui et lui demandez miséricorde avec protestation de
fidélité, le priant de vous accorder le pardon de vos fautes. Vous pourrez, de
toutes ces pensées, prendre celle pour laquelle vous aurez plus d'attrait et de
pente selon vos besoins. Si vous voulez, vous vous contenterez de celle de la
présence de Dieu, comme il est en vous et dans votre intime, et y adhérerez par
la foi.
Sitôt que l'on sonnera
l'oraison, vous serez diligente à y aller, et tâcherez de vous consacrer toute à
Notre-Seigneur, le priant qu'il remplisse les puissances de votre âme de sa
connaissance et de son amour, et qu'il vous donne sa grâce pour converser avec
lui par l'exercice de l'oraison, que vous ferez comme on vous l'a appris, ou de
cette façon. Vous vous soumettrez pleinement au domaine de Dieu, que vous
adorerez, et à qui vous offrirez le temps que vous allez passer en sa sainte
présence en union des oraisons de Jésus-Christ, le suppliant amoureusement qu'il
sanctifie la vôtre par les siennes. Renoncez à toutes les pensées étrangères, et
faites un désaveu de toutes les inutilités qui vous viendront, et appliquez-vous
paisiblement sous les yeux de Dieu au sujet de votre oraison.
S'il arrive que vous ne le
puissiez par tentation ou distraction causée par votre infidélité, humiliez-vous
devant la majesté souveraine de Dieu; et après deux ou trois actes, si vous
voyez que
521
vous ne puissiez rien, souffrez cette peine, impuissance et
pauvreté : renoncez à toute la coulpe, et acceptez-en la peine. Parlez à Dieu
par quelque acte de confiance, d'abandon et de soumission à sa volonté ; et
demeurez avec respect en sa présence, supportant humblement les sécheresses que
vous éprouvez. Ne sortez jamais de l'oraison sans en tirer quelque fruit,
demandant à Notre-Seigneur la grâce de pratiquer tout ce que vous voyez qu'il
demande de vous, prenant des résolutions d'être obéissante, assujettissant votre
jugement et toutes vos raisons à celle qui vous gouverne ; et protestant que
quelque difficulté que vous y trouviez, vous en voulez venir à la pratique, à
l'imitation de Jésus-Christ, duquel l'Apôtre dit : « Il a été obéissant jusqu'à
la mort de la croix, et pour cet effet il a été exalté (1). »
Les Vêpres se disant ensuite,
vous tâcherez de les chanter dans l'esprit que votre oraison vous aura laissé,
ou bien dans la considération de Jésus-Christ sur la croix, mourant par amour
pour vous. Voyez la plaie de son côté ; et le priez que vous puissiez être toute
recueillie en elle, considérant l'excès de son amour.
Après Vêpres, vous irez en votre
cellule, où étant vous vous mettrez à genoux ; et rentrant dans votre intérieur,
vous y adorerez la majesté de Dieu, et lui offrirez ce temps en union de la
retraite de Jésus-Christ, le suppliant qu'il sanctifie cette heure et qu'il vous
donne son Esprit et l'intelligence pour concevoir votre lecture, et être
instruite de ce qu'il veut de vous pour sa gloire et votre plus grande
perfection. Cette lecture se doit plutôt appeler une méditation ou étude de
toutes les vertus : et quand quelque vérité vous aura touchée, recueillie et
éclairée, fermez votre livre et la pénétrez à loisir : laissez agir la grâce en
vous selon toute son étendue ; et lorsque ce mouvement sera passé, relisez et
employez ainsi cette heure de temps, qui vous sera fort utile si vous la
pratiquez en cette manière.
Vous irez au réfectoire et
observerez les mêmes choses que le matin, après lequel vous irez faire une
visite au saint Sacrement, que vous adorerez avec respect, rentrant dans votre
intérieur : offrez par obéissance votre heure de récréation , suppliant
Jésus-Christ
1 Philip., II, 8, 9.
522
qu'il lui plaise vous donner sa bénédiction, et vous faire
la grâce de ne rien dire qui lui puisse déplaire. Pendant votre conversation,
rappelez-vous de temps en temps que Dieu vous regarde, et qu'ainsi il ne faut
rien dire ni rien foire qui soit indigne de sa présence.
Lorsque la cloche sonnera pour
aller à Compiles, tâchez d'élever votre cœur à Dieu avec une nouvelle ferveur,
pour suppléer à toutes les négligences de ce jour. Honorez durant cette dernière
heure de l'office la descente de Jésus-Christ de la croix ; et reconnaissant par
quelque acte d'amour celui qu'il vous a porté en achevant de consommer son
sacrifice, demandez-lui que par sa mort il vous fasse mourir au péché pour ne
vivre qu'en lui.
A la fin vous ferez votre examen
avec le plus d'application que vous pourrez, en cette manière.
Mon Seigneur, je vous adore du
profond de mon aine : prosternée à vos pieds, je vous rends grâces de ce que
vous m'avez créée à votre image et ressemblance, rachetée de votre précieux
sang, fait naître eu la foi catholique, appelée à la sainte religion et
préservée de tant de périls et dangers, auxquels beaucoup d'autres, qui vous ont
été plus fidèles que moi, ont été exposés, et surtout en ce jour, dans lequel
vous m'avez tant fait de miséricordes. Béni soyez-vous, mon Dieu. Esprits
bienheureux, aidez-moi à le remercier «le toutes les grâces qu'il me fait; et
lui demandez pour moi celle de connaître les péchés que j'ai commis contre sa
bonté, et qu'en les connaissant j'en aie le véritable regret que je dois.
Je vous adore,
mon Sauveur Jésus, comme mon souverain juge; je me soumets de tout mon cœur à la
puissance que vous avez de me juger : je suis très-aise que vous ayez ce pouvoir
sur moi ; et je vous supplie de me faire participante de la lumière par laquelle
vous me ferez voir mes péchés à l'heure de la mort, lorsque je comparaîtrai
devant votre tribunal. Faites-moi aussi participante du zèle de votre justice,
afin que je haïsse mes péchés comme vous les haïssez.
Veni, sancte Spiritus,
etc.
Mon Seigneur, voilà un grand
nombre de péchés que j'ai
523
commis contre votre bonté infinie ; mais j'en ai regret et
je m'en accuse à vos pieds, non-seulement de ceux que je connais, mais aussi de
ceux dont je n'ai pas la connaissance et que vous voyez en moi : je vous en
demande pardon, espérant s'il vous plaît en vos divines miséricordes.
Miserere mei, Deus, etc.
Oui, mon Dieu, je crie vers
vous, pour obtenir miséricorde de votre infinie bonté : je vous supplie de me
pardonner par votre infinie clémence, par les mérites du sang de mon Sauveur,
ayant un vif regret de vous avoir offensé, non point pour la crainte de l'enfer
ni pour quelque motif temporel, mais uniquement pour l'amour de vous-même; et
c'est pour cela que je suis par votre grâce dans la volonté de n'y retomber
jamais, et de vous être fidèle jusqu'à la mort : je voudrais avoir toute la
douleur dont un cœur humain est capable, par le secours de votre grâce.
Confiteor, etc.
Mon Dieu, je vous donne mon
cœur; et je vous aime avec une telle complaisance, que de toute ma volonté
j'aime, j'accepte et embrasse tout ce qu'il vous plaira qui m'arrive, tant à moi
qu'à toutes les personnes qui me regardent, pour lesquelles je vous demande,
comme pour moi, l'accomplissement des desseins de miséricorde que vous avez sur
nous de toute éternité.
Je vous offre, mon Seigneur, le
sommeil que je vais prendre, en union de celui que mon Jésus a pris lorsqu'il
était en cette vie mortelle, vous suppliant d'animer mon cœur si puissamment,
que tous ses mouvements se portent vers vous, et qu'il s'unisse par ses désirs à
tous les bienheureux pour vous aimer, vous louer, vous bénir et vous adorer dans
leur société.
In manus tuas, Domine,
commendo spiritum meum.
In te, Domine, speravi; non
confundar, etc.
Suscipe me, Domine, etc.
J'espère et j'espérerai toute ma
vie, ô mon Dieu, en vos grandes miséricordes, où je mets toutes mes espérances.
Venez, ô mon Dieu, posséder mon
cœur; qu’il n’aime que vous dans l'éternité.
Veni, Domine Jesu.
524
Je veux, ô mon Dieu, faire en
tout votre sainte volonté, et m'y soumets de toute la mienne.
Non mea, sed tua voluntas
fiat.
Je me soumets de tout mon cœur à
la mort, et je l'accepte humblement , parce c'est votre volonté que je meure :
je veux toutes les circonstances qui la doivent accompagner, comme pour le temps
et l'heure, vous suppliant de m'assister en ce moment, et que je meure en votre
sainte grâce ; adorant dès maintenant et pour cette heure ce que je ne pourrai
peut-être pas faire alors, le jugement que vous porterez de mon âme, m'y
soumettant de toute ma volonté, vous suppliant de me traiter non selon mes
mérites, mais selon toute l'étendue de vos miséricordes et de la charité de
Jésus-Christ pour moi.
Sainte Vierge, je vous prie de
me prendre sous votre protection particulière; et demandez pour moi à votre Fils
que je ne m'éloigne jamais de lui tant soit peu, mais que mon âme veille avec
lui pendant le sommeil. Assistez-moi en tous les moments de ma vie, et surtout
en celui de ma mort.
Saint Ange, à qui la bonté de
Dieu a donné charge de mon âme et de mon corps, je vous supplie d'en prendre un
soin singulier et de me préserver de tout danger, des illusions et tentations,
et de m'obtenir que je n'offense point mon Dieu, mais que mon âme soit toujours
unie à lui par amour.
Je vous adore, très-sainte
Trinité ; c'est de tout mon cœur que je vous révère, vous suppliant de me donner
votre sainte bénédiction, de me garder de tout péché et de remplir les
puissances de mon âme de votre connaissance, de votre amour et de votre
souvenir. Ainsi soit-il.
Après l'examen, on monte au
dortoir, où se commence le silence souverain, jusqu'au lendemain, que vous
observerez avec toute l'exactitude possible. Vous vous déshabillerez en
diligence pour être couchée à huit heures; et vous ne vous occuperez à rien du
tout, sinon à lire votre sainte oraison auparavant.
Quand on vous éveillera pour
Matines, levez-vous en diligence et avec une nouvelle ferveur ; remerciant Dieu
de vous avoir appelée à une vocation où vous avez le moyen de le louer, durant
525
que le monde n'y pense pas. Allez à l'église faire votre
préparation, et offrez ce moment en l'honneur du moment de la naissance de
Jésus-Christ : honorez toutes les circonstances de ses abaissements dans la
crèche, vous unissant à tous les bienheureux, qui donnent gloire au Seigneur de
ce que le Rédempteur est né.
Consacrez-vous toute à lui et le
priez de sanctifier toutes les actions de votre journée ou, si vous aimez mieux,
consacrez-la à Jésus agonisant.
Quel spectacle de voir un Dieu
de majesté prosterné en terre sur sa face, priant et disant : « Mon Dieu, s'il
est possible, que ce calice s'éloigne de moi; mais votre volonté soit faite, et
non la mienne (1) ! » Que cet exemple vous apprenne à prier avec humilité et
soumission aux volontés de Dieu», et qu'il sanctifie toutes les petites
angoisses et abandons que la Providence permettra vous arriver.
Avant que de finir cet Exercice,
il faut que je vous dise que je ne l'ai fait que pour les âmes qui ne sont pas
encore dans la pratique des vertus, et qui n'ont point d'habitude à la
mortification et rien de bien surnaturel. S'il se trou voit des âmes à qui
Notre-Seigneur fit quelque grâce extraordinaire, elles ne se doivent servir de
ces petits moyens que dépendamment de la même grâce : car ce ne sont là que de
faibles moyens pour aider et suppléer aux impuissances et défaut d'habitude :
néanmoins, si l'on est exact à les suivre, ils peuvent beaucoup aider, pourvu
qu'on les embrasse avec esprit et de cœur, sans se violenter ni aller contre le
trait intérieur, à quoi l'on doit se rendre très-fidèle : cela étant,
Notre-Seigneur bénira tout : je le supplie qu'il vous fasse cette grâce. Ainsi
soit-il.
1 Luc, XXII, 42.
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