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XXe SEMAINE. LA VIE CACHÉE DE JÉSUS JUSQU'A SON BAPTÊME.
PREMIÈRE ÉLÉVATION. L'accroissement de l'enfant, sa sagesse et sa grâce.
IIe ÉLÉVATION. Jésus suit ses parents à Jérusalem et y célèbre la Pâque.
IIIe ÉLÉVATION. Le saint enfant échappe à saint Joseph et à la sainte Vierge.
IVe ÉLÉVATION. Jésus trouvé dans le temple parmi les docteurs, et ce qu'il y
faisait.
Ve ÉLÉVATION. Plainte des parents de Jésus et sa réponse.
VIe ÉLÉVATION. Réflexions sur ta réponse du Sauveur.
VIIe ÉLÉVATION. La réponse de Jésus n’est pas entendue.
VIIIe ÉLÉVATION. Retour de Jésus à Nazareth : son obéissance et sa vie cachée
avec ses parents.
IXe ÉLÉVATION. La vie de Marie.
Xe ÉLÉVATION. Comment nous devons imiter Jésus et Marie dans leur vie obscure.
XIe ÉLÉVATION. L'avancement de Jésus est le modèle du nôtre.
XIIe ÉLÉVATION. Recueil des mystères de l’enfance de Jésus.
« L'enfant croissait et se
fortifiait rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était en lui (1). » Il y en a
qui voudraient que tout se fit en Jésus-Christ par des coups extraordinaires et
miraculeux. Mais par là Dieu aurait détruit son propre ouvrage; et, comme dit
saint Augustin, « s'il faisait tout par miracle, il effaceroit ce qu'il a fait
par miséricorde : » Dum omnia mirabiliter facit, deleret quod misericorditer
fecit. Ainsi il fallait que comme les autres enfants, il sentît le progrès
de l'âge : la sagesse même dont il était plein, se déclaroit par degrés, comme
l'évangéliste nous le dira bientôt. Cependant dès le berceau et dès le sein de
sa mère, il était rempli de sagesse. Sa sainte aine dès sa conception unie à la
sagesse éternelle en unité de personne, en était intimement dirigée ; et en
reçut d'abord un don de sagesse éminent au-dessus de tout, comme étant l’âme du
Verbe divin, une âme qu'il s'était rendue propre : en sorte que, selon
l'humanité même, « tous les trésors de sagesse et de science étaient cachés en
lui (2). » Ils y étaient donc mais cachés pour se déclarer dans leur temps. « Et
la grâce de Dieu était en lui. » Qui en doute, puisqu'il était si étroitement
uni à la source de la sainteté et de la grâce? Mais le saint évangéliste veut
dire qu'à mesure que l'Enfant croissait et commençait à agir par lui-même, il
reluisait dans tout son extérieur je ne sais quoi qui faisait rentrer en
soi-même et qui attirait les âmes à Dieu : tant tout était simple, mesuré, réglé
dans ses actions et dans ses paroles.
1 Luc., II, 40. — 2 Coloss., II, 3.
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Aimable Enfant, heureux ceux qui
vous ont vu hors de vos langes développer vos bras, étendre vos petites mains,
caresser votre sainte Mère et le saint vieillard qui vous avait adopté, ou à qui
plutôt vous vous étiez donné pour Fils; faire, soutenu, vos premiers pas;
dénouer votre langue et bégayer les louanges de Dieu votre Père! Je vous adore,
cher Enfant, dans tous les progrès de votre âge, soit que vous suciez la
mamelle, soit que par vos cris enfantins vous appeliez celle qui vous
nourrissait, soit que vous vous reposiez sur son sein et entre ses bras. J'adore
votre silence : mais commencez, il est temps, à faire entendre votre voix. Qui
me donnera la grâce de recueillir votre première parole? Tout était en vous
plein de grâce ; et n'eussiez-vous fait que demander votre nourriture, j'adore
les nécessités où vous vous mettez pour nous : la grâce de Dieu est en vous; et
je la veux ramasser de toutes vos actions. Encore un coup, faites-moi enfant en
simplicité et en innocence.
Jésus-Christ en venant au monde,
sans se mettre en peine de naître dans une maison opulente, ni de se choisir des
parents illustres pur leurs richesses ou par leur savoir, se contente de leur
piété. Réjouissons-nous à son exemple, non point de l'éclat de notre famille,
mais qu'elle ail été pleine d'édification et de bons exemples, et enfin une
vraie école de religion, où l'on apprit à servir Dieu et à vivre dans sa
crainte.
Joseph et Marie, selon le
précepte de la loi, ne manquaient pas tous les ans « d'aller célébrer la Pâque
dans le temple de Jérusalem (1) : » ils y menaient leur cher Fils, qui se
laissait avertir de cette sainte observance, et peut-être instruire du mystère
de cette fête. Il y était avant que d'y être : il en faisait le fond, puisqu'il
était le vrai agneau qui devait être immolé et mangé en mémoire de notre passage
à la vie future. Mais Jésus, toujours soumis à
1 Luc., II, 41.
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ses parents mortels durant son enfance, fit connaître un
jour que sa soumission ne venait pas de l'infirmité et de l'incapacité d'un âge
ignorant, mais d'un ordre plus profond.
Il choisit, pour accomplir ce
mystère, l'âge de douze ans, où l'on commence à être capable de raisonnement et
de réflexions plus solides, afin de ne point paraître vouloir forcer la nature,
mais plutôt en suivre le cours et les progrès.
Jésus a divers moyens de nous
échapper. L'un est quand il retire sa grâce dans le fond, ce qu'il ne fait
jamais que par punition et pour quelque péché précédent ; l'autre, quand il
retire non pas le fond de la grâce, mais quelques grâces singulières, ou qu'il
en retire le sentiment pour nous exercer et accroître en nous ses faveurs par le
soin que nous prendrons à le rechercher.
La soustraction de Jésus, qui
échappe à sa sainte Mère et à saint Joseph, n'est pas une punition, mais un
exercice. On ne lit point qu'ils soient accusés de l'avoir perdu par négligence
ou par quelque faute : c'est donc une humiliation et un exercice. Jésus
s'échappe quand il lui plait : son « esprit » va et vient : et « l'on ne sait ni
d'où il vient, ni où il va (1) : il passe, » quand il lui plaît, « au milieu de
ceux qui le cherchent (2) » sans qu'ils l'aperçoivent : apparemment il n'eut pas
besoin de se servir de cette puissance pour échapper à Marie et à Joseph. Quoi
qu'il en soit, le saint Enfant disparut; et les voilà premièrement dans
l'inquiétude, et ensuite dans la douleur, parce « qu'ils ne le trouvèrent pas
parmi leurs parents et leurs amis, avec lesquels ils le crurent (3). » Combien
de fois, s'il est permis de conjecturer, combien de fois le saint vieillard se
reprocha-t-il à lui-même le peu de soin qu'il avait eu du dépôt céleste? Qui ne
s'affligerait avec lui et avec la plus tendre mère, comme la meilleure épouse
qui fût jamais?
Les charmes du saint Enfant
étaient merveilleux : il est à croire que tout le monde le voulait avoir, et ni
Marie ni Joseph n'eurent
1 Joan., III, 8. — 2 Luc.,
IV, 30. — 3 Ibid., II, 43, 44.
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peine à croire qu'il fût dans quelque troupe des voyageurs.
Car les gens de même contrée allant à Jérusalem dans les jours de fête,
faisaient des troupes pour aller de compagnie. Ainsi Jésus échappa facilement :
« et ses parents marchèrent un jour» sans s'apercevoir de leur perte.
Retournez à Jérusalem : ce n'est
point dans la parenté ni parmi les hommes qu'on doit retrouver Jésus-Christ;
c'est dans la sainte cité, c'est dans le temple qu'on le trouvera occupé des
affaires de son Père. En effet «après trois jours» de recherche laborieuse,
quand il eut été assez pleuré, assez recherché, le saint Enfant se laissa enfin
«trouver dans le temple (1). »
Il était « assis au milieu des
docteurs : il les écoutait, et il les interrogeait, et tous ceux qui
l'écoutaient étaient étonnés de sa prudence et de ses réponses (2). » Le voilà
donc d'un côté assis avec les docteurs, comme étant docteur lui-même et né pour
les enseigner ; et de l'autre, nous ne voyons pas qu'il y fasse comme dans la
suite des leçons expresses : il écoutait, il interrogeait ceux qui étaient
reconnus pour maîtres en Israël, non pas juridiquement, pour ainsi parler, ni de
cette manière authentique dont il usa lorsqu'il disait : « De qui est cette
image et cette inscription (3) ? » ou : « De qui était le baptême de Jean (4) ?»
ou : « Si David est le père du Christ, comment l'appelle-t-il son Seigneur (5)?
» Ce n'était point en cette manière qu'il interrogeait; mais, si je l'ose dire,
c’était un enfant et comme s'il eût voulu être instruit. C'est pour cria qu'il
est dit qu'il écoutait, et répondait à son tour aux docteurs qui
l'interrogeaient; «et on admirait ses réponses» comme d'un enfant modeste, doux
et bien instruit ; en y ressentant pourtant . comme il était juste, quelque
chose de supérieur, en sorte qu'on lui laissait prendre sa place parmi les
maîtres.
1 Luc., II, 44-46. — 2 Ibid.,
46, 47. — 3 Matth., XXII, 20. — 4 Ibid., XXI . — 5 Ibid.,
XXII, 42, 43.
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Admirons comme Jésus, par une
sage économie, sait ménager toutes choses, et comme il laisse éclater quelque
chose de ce qu'il était sans vouloir perdre entièrement le caractère de
l'enfance. Allez au temple, enfants chrétiens; allez consulter les docteurs;
interrogez-les; répondez-leur; reconnaissez dans ce mystère le commencement du
catéchisme et de l'Ecole chrétienne. Et vous, parents chrétiens, pendant que
l'Enfant Jésus ne dédaigne pas d'interroger, de répondre et d'écouter, comment
pouvez-vous soustraire vos enfants au catéchisme et à l'instruction pastorale?
Admirons aussi avec tous les
autres la prudence de Jésus : une prudence non-seulement au-dessus de son âge,
mais encore tout à fait au-dessus de l'homme, au-dessus de la chair et du sang :
une prudence de l'esprit. Nous pourrions ici regretter quelques-unes de ces
réponses de Jésus, qui firent admirer sa prudence : mais en voici une qui nous
fera assez connaître la nature et la hauteur de toutes les autres.
Ses parents « furent étonnés de
le trouver parmi les docteurs (1), » dont il faisait l'admiration : ce qui
marque qu'ils ne voyaient rien en lui d'extraordinaire dans le commun de la vie
; car tout était comme enveloppé sous le voile de l'enfance; et Marie, qui était
la première à sentir la perte d'un si cher fds, fut aussi la première à se
plaindre de son absence. Et, « mon fils, dit elle, pourquoi nous avez-vous fait
ce traitement? Votre père et moi affligés vous cherchions (2). » Remarquez : «
Votre père et moi : » elle l'appelle son père; car il l'était, comme on a vu, à
sa manière : père, non-seulement par l'adoption du saint Enfant ; mais encore
vraiment père par le sentiment, par le soin, par la douleur : ce qui fait dire à
Marie : « votre père et moi affligés : » pareils dans l'affliction puisque sans
avoir part dans votre naissance, il n'en partage pas moins avec moi la joie de
vous posséder et la douleur de vous
1 Luc., V, 48. — 2 Ibid.
339
perdre. Cependant, femme obéissante et respectueuse, elle
nomme Joseph le premier : « votre père et moi, » et lui fait le même honneur que
s'il était père comme les autres. O Jésus, que tout est réglé dans votre famille
! Comme chacun, sans avoir égard à sa dignité, y fait ce que demande
l'édification et le bon exemple! Bénite famille, c'est la sagesse éternelle qui
vous règle.
«Pourquoi me cherchiez-vous? Ne
saviez-vous pas qu'il faut que je sois occupé de ce qui regarde mon Père (1) ? »
Voici donc cette réponse sublime de l'Enfant, que nous avions à considérer :
mais elle mérite bien une attention distincte et particulière.
«Pourquoi me cherchiez-vous? »
Et quoi? Ne vouliez-vous pas qu'ils vous cherchassent? Et pourquoi vous
retiriez-vous, sinon pour vous faire chercher? Est-ce peut-être qu'ils vous
cherchaient, du moins Joseph, avec un empressement trop humain? Ne jugeons pas;
mais concevons que Jésus parle pour notre instruction. Et en effet, il veut
exclure ce qu'il y peut avoir de trop empressé dans la recherche qu'on fait de
lui. Qui ne sait que ses apôtres, quand il les quitta, étaient attachés à sa
personne d'une manière qui n'était pas autant épurée qu'il le souhaitait? Ames
saintes et spirituelles, quand il vous échappe, quand il retire ses suavités,
modérez un empressement souvent trop sensible : quelquefois il veut revenir tout
seul; et s'il le faut chercher, ce doit être doucement et sans des mouvements
inquiets.
« Ne saviez-vous pas que je dois
être occupé des affaires de mon Père? » Est-ce qu'il désavoue Marie, qui avait
appelé Joseph son père? Non sans doute; mais il leur rappelle le doux souvenir
de son vrai Père qui est Dieu, dont la volonté, qui est l'affairé dont il leur
veut parler, doit faire son occupation. Croyons donc avec une ferme foi que Dieu
est le père de Jésus-Christ; et que sa volonté seule est sa règle en toutes
choses, soit qu'il se montre,
1 Luc., II, 49.
340
soit qu'il se cache, soit qu'il s'absente ou qu'il
revienne, qu'il
nous échappe ou qu'il nous console par un retour consolant.
La volonté de son Père était
qu'il donnât alors un essai de la sagesse dont il était plein et qu'il venait
déclarer, et tout ensemble de la supériorité avec laquelle il devait regarder
ses parents mortels, sans suivre la chair et le sang, leur maître de droit,
soumis à eux par dispensation.
«Et ils ne conçurent pas ce
qu'il leur disait (1). » Ne raffinons point mal à propos sur le texte de
l'Evangile. On dit non-seulement de Joseph, mais encore de Marie même, qu'ils ne
conçurent pas ce que voulait dire Jésus. Marie concevait sans doute ce qu'il
disait de Dieu son Père, puisque l'ange lui en avait appris le mystère : ce
qu'elle ne conçut pas aussi profondément qu'il le méritait, c'était ces affaires
de son Père dont il fallait qu'il fut occupé. Apprenons que ce n'est pas dans la
science, mais dans la soumission que consiste la perfection. Pour nous empêcher
d'en douter, Marie même nous est représentée comme ignorant le mystère dont lui
parlait ce cher Fils. Elle ne fut point curieuse : elle demeura soumise : c'est
ce qui vaut mieux que la science. Laissons Jésus-Christ agir en Dieu, faire et
dire des choses hautes et impénétrables : regardons-les comme fit Marie avec un
saint étonnement et conservons-les dans notre cœur pour les méditer et les
tourner de tous côtés en nous-mêmes, et les entendre, quand Dieu le voudra,
autant qu'il voudra.
Jésus préparait la voie dans
l'esprit des Juifs à la sagesse dont il devait être le docteur : il posait de
loin les fondements de ce qu'il devait prêcher , et accoutumait le monde à lui
entendre dire qu'il avait un Père dont les ordres le réglaient et dont les
affaires étaient son emploi. Quelles étaient en particulier ces affaires ? Il ne
le dit pas, et il nous le faut ignorer jusqu'à ce qu'il nous le
1 Luc., II, 50.
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révèle selon la dispensation dont il use dans la
distribution des vérités éternelles et des secrets du ciel. Plongeons-nous
humblement dans notre ignorance ; reposons-nous-y ; et faisons-en un rempart à
l'humilité. O Jésus, je lirai votre Ecriture : j'écouterai vos paroles, aussi
content de ce qui me sera caché que de ce que vous voudrez que j'y entende.
Tournons tout à la pratique, et ne recherchons l'intelligence qu'autant qu'il le
faut pour pratiquer et agir. « Crains Dieu et observe ses commandements, c'est
là tout l'homme (1). Celui qui fera la volonté de celui qui m'a envoyé,
connaîtra si ma doctrine vient de Dieu (2). »
« Et il partit avec eux , et
alla à Nazareth (3). » Ne perdons rien de la sainte lecture : le mot de
l'évangéliste est « qu'il descendit avec eux à Nazareth. » Après s'être un peu
échappé pour faire l'ouvrage et le service de son Père, il rentre dans sa
conduite ordinaire , dans celle de ses parents, dans l'obéissance. C'est
peut-être mystiquement ce qu'il appelle « descendre : » mais quoi qu'il en soit,
il est vrai que remis entre leurs mains jusqu'à son baptême, c'est-à-dire
jusqu'à l'âge d'environ trente ans, il ne fit plus autre chose que leur obéir.
Je me pâme d'étonnement à cette
parole : est-ce là donc tout l'emploi d'un Jésus-Christ, du Fils de Dieu? Tout
son emploi, tout son exercice est d'obéir à deux de ses créatures. Et en quoi
leur obéir? dans les plus bas exercices, dans la pratique d'un art mécanique. Où
sont ceux qui se plaignent, qui murmurent, lorsque leurs emplois ne répondent
pas à leur capacité, disons mieux à leur orgueil? Qu'ils viennent dans la maison
de Joseph et de Marie, et qu'ils y voient travailler Jésus-Christ. Nous ne
lisons point que ses parents aient jamais eu de domestiques, semblables aux
pauvres gens dont les enfants sont les serviteurs. Jésus a dit
1 Eccle. XII, 23. — 2 Joan., VII, 17.— 3
Luc., II, 51.
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de lui-même qu'il « était venu pour servir (1) : » les
anges furent obligés pour ainsi dire à le venir servir eux-mêmes dans le désert
(2), et l'on ne voit nulle part qu'il eût de serviteurs à sa suite. Ce qui est
certain, c'est qu'il travaillait lui-même à la boutique de son père (3). Le
dirai-je? Il y a beaucoup d'apparence qu'il le perdit avant le temps de son
ministère. A sa passion il laisse sa mère en garde à son disciple bien-aimé, qui
la reçut dans sa maison (4) ; ce qu'il n'aurait pas fait, si Joseph son chaste
époux eût été en vie. Dès le commencement de son ministère, on voit Marie
conviée avec Jésus aux noces de Cana (5) : on ne parle point de Joseph. Un peu
après on le voit aller à Capharnaüm , lui, sa mère, ses frères et ses disciples
(6) : Joseph ne paraît pas dans un dénombrement si exact. Marie paraît souvent
ailleurs ; mais depuis ce qui est écrit de son éducation sous saint Joseph, on
n'entend plus parler de ce saint homme. Et c'est pourquoi au commencement du
ministère de Jésus-Christ, lorsqu'il vint prêcher dans sa patrie, on disait : «
N'est-ce pas là ce charpentier, fils de Marie (7) : » comme celui, n'en
rougissons pas, qu'on avait vu, pour ainsi parler, tenir la boutique , soutenir
par son travail une mère veuve et entretenir le petit commerce d'un métier qui
les faisait subsister tous deux? « Sa mère ne s'appelle-t-elle pas Marie?
N’avons-nous pas parmi nous ses frères Jacques et Joseph, et Simon et Jude, et
ses sœurs (8) ? » On ne parle point de son père ; apparemment donc qu'il l'a
voit perdu : Jésus-Christ l'avait servi dans sa dernière maladie : heureux père,
à qui un tel fils a fermé les yeux ! Vraiment il est mort entre les bras et
comme dans le baiser du Seigneur. Jésus resta à sa mère pour la conserver, pour
la servir ; et ce fut là encore un coup son exercice.
O Dieu! je me pâme, encore un
coup! Orgueil! viens crever à ce spectacle ! Jésus, fils d'un charpentier,
charpentier lui-même, connu par cet exercice sans qu'on parle d'aucun autre
emploi, ni d'aucune autre action. On se souvenait dans son Eglise naissante des
charrues qu'il avait faites, et la tradition s'en est conservée dans les plus
anciens auteurs. Que ceux qui vivent d'un art
1 Matth., XX, 28. — 2 Ibid., IV, 11. — 3
Ibid., XIII, 55 ; Marc., VI, 3. — 4 Joan., XIX, 26, 27.— 5 Ib.,
II, 1. — 6 Ib., 12. — 7 Marc., VI, 3.— 8 Matth., XIII, 55,
57.
343
mécanique se consolent et se réjouissent : Jésus-Christ est
de leur corps : qu'ils apprennent en travaillant à louer Dieu et à chanter des
psaumes et de saints cantiques : Dieu bénira leur travail, et ils seront devant
lui comme d'autres Jésus-Christs.
Il y en a eu qui ont eu honte
pour le Sauveur de le voir dans cet exercice, et dès son enfance ils le font se
jouer avec des miracles. Une ne dit-on point des merveilles qu'il fit en Egypte
? Mais tout cela n'est écrit que dans des livres apocryphes. L'Evangile renferme
durant trente ans toute la vie de Jésus-Christ dans ces paroles : « Il leur
était soumis (1) ; » et encore : « C'est ici ce charpentier, fils de Marie (2).
» Il y a dans l'obscurité de saint Jean-Baptiste quelque chose apparemment de
plus grand : il ne parut point parmi les hommes, et « le désert fut sa demeure
(3). » Mais Jésus dans une vie si vulgaire, connu à la vérité mais par un vil
exercice, pouvait-il mieux cacher ce qu'il était? Que dirons-nous, que
ferons-nous pour le louer? il n'y a en vérité qu'à demeurer dans l'admiration et
dans le silence.
Ceux qui s'ennuient pour
Jésus-Christ et rougissent de lui faire passer sa vie dans une si étrange
obscurité, s'ennuient aussi pour la sainte Vierge et voudraient lui attribuer de
continuels miracles. Mais écoutons l'Evangile : « Marie conservait toutes ces
choses en son cœur (4). » L'emploi de Jésus était de s'occuper de son métier :
et remploi de Marie, de méditer nuit et jour le secret de Dieu.
Mais quand elle eut perdu son
fils, changea-t-elle d'occupation? Où la voit-on paraître dans les Actes, ou
dans la tradition de l'Eglise? On la nomme parmi ceux qui entrèrent dans le
cénacle et reculent le Saint-Esprit (5) : et c'est tout ce qu'on en rapporte.
N'est-ce pas un assez digne emploi que celui de conserver dans son cœur tout ce
qu'elle avait vu de ce cher Fils, et si les mystères
1 Luc., II, 52. — 2 Matth.
XIII, 5. — 3 Luc. I, 80. — 4 Luc., II, 51. — 5 Act. I, 13,
14; II,
1,2.
344
de son enfance lui furent un si doux entretien, combien
trouva-t-elle à s'occuper de tout le reste de sa vie? Marie méditait Jésus :
Marie avec saint Jean , qui est la figure de la vie contemplative , demeurait en
perpétuelle contemplation, se fondant, se liquéfiant, pour ainsi parler, en
amour et en désir. Que lit l'Eglise au jour de son Assomption glorieuse?
L'Evangile de Marie sœur de Lazare, assise aux pieds du Sauveur et écoutant sa
parole (1). Depuis l'absence du Sauveur, l'Eglise ne trouve plus rien pour Marie
mère de Dieu dans le trésor de ses Ecritures, et elle emprunte pour ainsi dire
d'une autre Marie l'Evangile de la divine contemplation. Que dirons-nous donc à
ceux qui inventent tant de belles choses pour la sainte Vierge ? Que
dirons-nous, si ce n'est que l'humble et parfaite contemplation ne leur suffit
pas ? Mais si elle a suffi à Marie, à Jésus même durant trente ans, n'est-ce pas
assez à la sainte Vierge de continuer cet exercice ? Le silence de l'Ecriture
sur cette divine mère est plus grand et plus éloquent que tous les discours. O
homme, trop actif et inquiet par ta propre activité, apprends à te contenter, en
te souvenant de Jésus, en l'écoutant au dedans, et en repassant ses paroles.
Voici donc quel est mon partage
: « Marie conservait ces choses dans son cœur (2) : Marie a choisi la meilleure
part, qui ne lui sera point ôtée ; » et : « Il n'y a qu'une seule chose qui soit
nécessaire (3). » Orgueil humain, de quoi te plains-tu avec tes inquiétudes? de
n'être de rien dans le monde? Quel personnage y faisait Jésus? Quelle figure y
faisait Marie? C'était la merveille du monde, le spectacle de Dieu et des anges
: et que faisaient-ils? De quoi étaient-ils? Quel nom avaient-ils sur la terre ?
Et tu veux avoir un nom et une action qui éclate ! Tu ne connais pas Marie, ni
Jésus. — Je veux un emploi pour faire connaître mes talents qu'il ne faut pas
enfouir. —Je l'avoue, quand Jésus
1 Luc., X, 39, 41. — 2 Ibid.,
II, 51. — 3 Luc., X, 39, 42.
345
t’emploie et te donne de ces utiles talents, dont il te
déclare qu'il te redemande compte. Mais ce talent enfoui avec Jésus-Christ et
caché en lui, n'est-il pas assez beau à ses yeux? Va, tu es un homme rempli de
vanité, et tu cherches dans ton action, que tu crois pieuse et utile, une pâture
à ton amour-propre. — Je sèche, je n'ai rien à faire; ou mes emplois trop bas me
déplaisent : je m'en veux tirer et en tirer ma famille. — Et Marie et Jésus
songent-ils à s'élever? Regarde ce divin charpentier avec la scie, avec le
rabot, durcissant ses tendres mains dans le maniement d'instru-mens si grossiers
et si rudes. Ce n'est point un docte pinceau qu'il manie : il aime mieux
l'exercice d'un métier plus humble et plus nécessaire à la vie : ce n'est point
une docte plume qu'il exerce par de beaux écrits : il s'occupe , il gagne sa
vie, il accomplit, il loue , il bénit la volonté de Dieu dans son humiliation.
Et qu'a-t-il fait au seul moment
où il s'échappa d'entre les mains de ses parents pour les affaires de son Père
céleste? Quelle œuvre fit-il alors, si ce n'est l'œuvre du salut des hommes? Et
tu dis : Je n'ai rien à faire, quand l'ouvrage du salut des hommes est en partie
entre tes mains. N'y a-t-il point d'ennemis à réconcilier, de différends à
pacifier, de querelles à finir , où le Sauveur dit : « Vous aurez sauvé votre
frère (1) ? » N'y a-t-il point de misérable qu'il faille empêcher de se livrer
au murmure, au blasphème , au désespoir ? Et quand tout cela te serait ôté,
n'as-tu pas l'affaire de ton salut, qui est pour chacun de nous la véritable
œuvre de Dieu ? Va au temple : échappe-toi, s'il le faut, à ton père et à ta
mère: re nonce à la chair et au sang, et dis avec Jésus: « Ne faut-il pas que
nous travaillions à l'œuvre que Dieu notre Père nous a confiée (2) ? »
Tremblons, humilions-nous de ne trouver rien dans nos emplois qui soit digne de
nous occuper.
Peut-on dire d'un Jésus, du Fils
de Dieu, d'un Homme-Dieu, à
1 Matth., XVIII, 15. — 2 Joan., IX, 4.
346
qui la sagesse même était unie en personne, « qu'il
croissait en sagesse et en grâce comme en âge devant Dieu et devant les hommes
(1) ? » N’avons-nous pas vu qu'en entrant au monde, il se dévoua lui-même à Dieu
pour accomplir sa volonté, en prenant la place des sacrifices de toutes les
sortes (2)? N'est-il pas appelé dès sa naissance « le Sage, le conseil, l'auteur
de la paix (3)?» N'a voit-il pas la sagesse dès le ventre de sa mère ? et
n'est-ce pas en vue de cette sagesse accomplie que le prophète avait prédit,
comme une merveille, «qu'une femme environnerait un homme (4) : » Virum :
enfermerait dans ses lianes un homme fait ? Entendons donc que la sagesse et la
grâce , qui était en lui dans sa plénitude, par une sage dispensation se
déclarait avec le temps, et de plus en plus, par des œuvres et par des paroles
plus excellentes devant Dieu et devant les hommes.
Parlons donc, non par impatience
, ni par faiblesse, ni par vanité et pour nous faire paraître, mais quand Dieu
le veut : car Jésus dans son berceau n'a parlé ni aux bergers, ni aux mages qui
étaient venus de si loin pour le voir. La sagesse humaine apprend beaucoup, si
elle apprend à se taire. Aimons donc à demeurer dans le silence , quand Jésus
est encore enfant en nous. Car s'il s'y formait tout d'un coup en son entier,
son apôtre n'au-roit pas dit : « Mes petits enfants, que j'enfante encore
jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en vous (5). » Jusqu'à ce qu'il y soit
formé, fortifions-nous avec Jésus : allons au temple interroger les docteurs :
supprimons une sagesse encore trop enfantine : apprenons de Jésus, la Sagesse
même, que c'est souvent la sagesse qui fait cacher la sagesse.
Mais quel docteur pouvons-nous
interroger, sinon Jésus, la sagesse même ? En toutes choses, en toute affaire,
en toute action, consultons la sagesse de Jésus , la lumière de sa vérité, la
doctrine de son Evangile.
Le plaisir me trompe, et me fait
croire innocent ce qui m'agrée : nous croyons en être quittes, pour dire avec
Eve trop ignorante : « Le serpent m'a déçu (6). » Mais si nous consultons la
1 Luc., II, 52. — 2 Hebr., X, 5-7. — 3 Isa.,
IX, 6. — 4 Jerem., XXXI, 22. — 5 Galat., IV, 19. — 6 Genes.,
III, 13.
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sagesse et la raison éternelle, nous verrons qu'elle maudit
ce serpent qui se glisse sous les fleurs, et nous en fait connaître le poison.
Les grands du monde nous flattent par leurs vaines et artificieuses paroles :
vous croyez être quelque chose ; et tout rempli de leur faveur, votre cœur
s'enfle : ouvrez Les yeux : consultez Jésus qui vous fera regarder et ouvrir vos
mains vides. Où est cette imaginaire grandeur et cette enflure d'un cœur
aveuglé? C'est Jésus qui vous répond : écoutez-le avec ces docteurs, et admirez
ses réponses.
Vous vous mêlez dans les grandes
choses : vous croyez que tout le monde vous admire, et vous pensez devenir
l'oracle de l'Eglise : consultez Jésus et la sagesse éternelle : examinez-vous
sur ces grandes œuvres, que vous aimez comme éclatantes, plutôt que comme
solides et utiles : vous travaillez peut-être pour votre ambition, sous prétexte
de travailler pour la vérité. Eh bien donc, je quitterai tout, et j'irai me
cacher dans le désert. Arrêtez-vous, consultez Jésus : la vanité mène
quelquefois au désert aussi bien que la vérité : on aime mieux mépriser le monde
que de n'y pas être comme on veut et au gré de son orgueil. Que ferai-je donc?
Eaites taire toutes vos pensées : consultez Jésus : écoutez la voix qui éclate
sur la montagne : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le; » et: « Ils ne
trouvèrent que Jésus seul (1).» Quand Jésus reste seul et que renonçant à
vous-même , vous n'écoutez que sa voix, c'est lui qui répond, et sa réponse vous
édifie.
En ramassant dans son esprit
avec Marie ce qu'on vient devoir de l'enfance de Jésus-Christ, on y voit Les
profondeurs d'une sagesse cachée et d'autant plus admirable, que renfermée en
elle-même elle n'éclate en Jésus-Christ par aucun endroit. Il se déclare avec
mesure ; il suit les progrès de l'âge ; il parait comme un autre enfant. S'il a
fallu une fois marquer ce qu'il était, ce n'est
1 Luc., IX 35, 36.
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que pour un moment : un intervalle de trois jours n'est pas
une interruption de l'obscurité de Jésus : au contraire, une si courte
illumination ne fait que mieux marquer le dessein précis de se cacher.
Si Jésus s'abaisse lui-même en se plongeant dans l'humilité
d'un art mécanique, en même temps il révèle le travail des hommes, et change en
remède l'ancienne malédiction de manger son pain dans la sueur de son corps.
Pendant que Jésus, en se soumettant à cette loi, prend le personnage de pécheur,
il montre aux pécheurs à se sanctifier par cette voie.
Pendant que la sagesse divine
prend un si grand soin de se cacher, toutes les conditions, tous les âges et
enfin toute la nature se réunit pour publier ses louanges : une étoile paraît au
ciel : les anges y font retentir leur musique : les mages apportent au saint
Enfant la dépouille de l'Orient et tous les trésors de la nature , ce qu'elle a
de plus riche dans l'or, ce qu'elle a de plus doux dans les parfums. Les sages
du monde et les riches viennent l'adorer en leur personne : les simples et les
ignorants en celle des bergers. Un prêtre, aussi vénérable par sa vertu que par
sa dignité, prévient la lumière qui s'allait lever et le reconnaît sous le nom
de l'Orient : sa femme se joint à une mère vierge pour le célébrer : un enfant
le sent dans le sein de sa mère : d'autres enfants depuis l'âge de deux ans lui
sont immolés, et ces victimes innocentes vont prévenir la troupe de ses martyrs.
Si une vierge, si une femme l'ont honoré , une veuve prophétise avec elles, et
une vieillesse consumée dans le service de Dieu veut s'exhaler : Siméon à qui
l'Evangile ne donne point de caractère que celui d'un commun fidèle qui attend
l'espérance d'Israël, se joint aux sacrificateurs et aux docteurs de la loi,
pour reconnaître Jésus-Christ dans son saint temple : il prophétise les
contradictions qui commencent à paraître. La manière d'honorer ces vérités nous
est montrée dans une profonde considération, qui nous les fait repasser en
silence dans notre cœur. Que désirons-nous davantage , et qu'attendons-nous pour
célébrer les mystères de la sainte enfance et de la vie obscure du Sauveur?
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