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IIIe SEMAINE. ÉLÉVATIONS SUR LA CRÉATION DE L'UNIVERS.
PREMIÈRE ÉLÉVATION. Dieu n'en est pas plus grand ni plus heureux, pour avoir
créé L'univers.
IIe ÉLÉVATION. Avant La création, rien n'était que Dieu.
IIIe ÉLÉVATION. Dieu n'a eu besoin de trouver ni un lieu pour placer le monde,
ni un temps pour y assigner le commencement de toutes choses.
IVe ÉLÉVATION. Efficace et liberté du commandement divin.
Ve ÉLÉVATION. Les six jours.
VIe ÉLÉVATION. Actes de foi et d'amour sur toutes ces choses.
VIIe ÉLÉVATION. L’ordre des ouvrages de Dieu.
VIIIe ÉLÉVATION. L'assistance de la divine sagesse dans la création de
l'univers.
Recueilli en moi-même, ne voyant
en moi que péché, imperfection et néant, je vois en même temps au-dessus de moi
une nature heureuse et parfaite; et je lui dis en moi-même avec le Psalmiste : «
Vous êtes mon Dieu ; vous n'avez pas besoin de mes biens (1) : » vous n'avez
besoin d'aucuns biens : « que me sert la multitude de vos victimes (2)? » Tout
est à moi : mais je n'ai pas besoin de tout ce qui est à moi : il me suffit
d'être, et je trouve en moi toutes choses : je n'ai pas besoin de vos louanges :
les louanges que vous me donnez vous rendent heureux, mais ne me le rendent pas,
et je n'en ai pas besoin : mes « œuvres » me « louent (3): » mais encore n'ai-je
pas besoin de la louange que nie donnent mes œuvres : tout me loue
imparfaitement, et nulle louange n'est digne de moi que celle que je me donne
moi-même en jouissant de moi-même et de ma perfection.
« Je suis celui qui suis (4). »
C'est assez que je sois : tout le reste m'est inutile. Oui, Seigneur, tout le
reste vous est inutile et ne peut faire aucune partie de votre grandeur : vous
n'êtes pas plus grand avec tout le monde, avec mille millions de mondes, que
vous l'êtes seul. Quand vous avez l'ait le monde, c'est par bonté et non par
besoin. Il vous convient de pouvoir créer tout ce qui vous plaît : car il est de
la perfection de votre être et de l'efficace de
1 Psal. XV, 2. — 2 Isa.,
I, 11. — 3 Psal. XVIII, i. — 4 Exod., III, 14.
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votre volonté, non-seulement que vous soyez, mais que tout
et; que vous voulez soit : qu'il soit dès que vous le voulez, autant que vous le
voulez, quand vous le voulez. Et quand vous le voulez, vous ne commencez pas à
le vouloir : de toute éternité vous voulez ce que vous voulez, sans jamais
changer : rien ne commence en vous, et tout commence hors de vous par votre
ordre éternel. Vous manque-t-il quelque chose, parce que vous ne faites pas tant
de choses que vous pouvez faire ? Tout cet univers que vous avez fait n'est
qu'une petite partie de ce que vous pouviez faire, et après tout n'est rien
devant vous. Si vous n'aviez rien fait, l'être manquerait aux choses que vous
n'auriez pas voulu faire : mais rien ne vous manquerait, parce qu'indépendamment
de toutes choses vous êtes celui qui est, et qui est tout ce qu'il faut être
pour être heureux et parfait.
O Père, éternellement et
indépendamment de toute autre chose, votre Fils et votre Esprit-Saint sont avec
vous : vous n'avez pas besoin de société : en voilà une en vous-même, éternelle
et inséparable de vous. Content de cette infinie et éternelle communication de
votre parfaite et bienheureuse essence, à ces deux personnes qui vous sont
égales, qui ne sont point votre ouvrage, mais vos coopérateurs, ou pour mieux
dire avec vous un seul et même créateur de tous vos ouvrages ; qui sont comme
vous, non par votre commandement ou par un effet de votre toute-puissance, mais
par la seule perfection et plénitude de votre être : toute autre communication
est incapable de rien ajouter à votre grandeur, à votre perfection, à votre
félicité.
« Puisque j'ai commencé, je
continuerai de parler à mon Seigneur, quoique je ne sois que poussière et cendre
(1). » Et de quoi
1 Genes., XVIII, 27.
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vous parlerai-je, Seigneur? Par où puis-je mieux commencera
vous parler que par où vous avez vous-même commencé à parler aux hommes? J’ouvre
votre Ecriture, et j'y trouve d'abord ces paroles : « Au commencement Dieu a
créé le ciel et la terre (1). » Je ne trouve point que Dieu qui a créé toutes
choses, ait eu besoin comme un ouvrier vulgaire de trouver une matière préparée
sur laquelle il travaillât et de laquelle il fit son ouvrage. Mais n'ayant
besoin pour agir que de lui-même et de sa propre puissance, il a fait tout son
ouvrage : il n'est point un simple faiseur de formes et de figures dans une
matière préexistante : il a fait et la matière et la forme, c'est-à-dire son
ouvrage dans son tout : autrement son ouvrage ne lui doit pas tout, et dans son
fond il est indépendamment de son ouvrier. Mais il n'en est pas ainsi d'un
ouvrier aussi parfait que Dieu : lui qui est la forme des formes et l'acte des
actes, il a fait tout ce qui est selon ce qu'il est et autant qu'il est ;
c'est-à-dire que comme il a fait la forme, il a fait aussi ce qui était capable
d'être formé, parce que cela même c'est quelque chose qui ne pouvant avoir de
soi-même d'être formé, ne peut non plus avoir de soi-même d'être formable.
C'est pourquoi je lis ainsi dans
votre Ecriture toujours véritable : « Au commencement Dieu a créé le ciel et la
terre. Et la terre était inutile, » informe, « vide, » invisible, confuse : « et
les ténèbres couvraient la face de l'abîme, » qui était la mer. « Et l'esprit de
Dieu, » le Saint-Esprit en figure, selon la première signification de la lettre,
un vent, un air que Dieu agitait, « était porté sur les eaux (2), » ou, posait
sur elles. Voilà cette matière confuse, sans ordre, sans arrangement, sans forme
distincte. Voilà ce chaos, cette confusion, dont la tradition s'est conservée
dans le genre humain et se voit encore dans les poètes les plus anciens. Car
c'est ce que veulent dire ces ténèbres, cet abîme immense dont la terre était
couverte, ce mélange confus de toutes choses, cette informée, si l'on peut
parler de cette sorte, de la terre vide et stérile. Mais en même temps tout cela
n'est pas sans commencement, tout cela est créé de Dieu : « Au commencement Dieu
a créé le ciel et la terre : » cet « esprit, » cet air ténébreux qui « se
portait sur les
1 Genes., I, 1. — 2 Ibid., I, 1, 2.
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eaux, » venait « de Dieu » et n'était fait ni agité que de
sa main : en un mot toute cette masse, quoiqu'informe, était néanmoins sa
créature, le commencement et l'ébauche, mais toujours de la même main, de son
grand ouvrage.
O Dieu, quelle a été l'ignorance
des sages du monde, qu'on a appelés philosophes, d'avoir cru que vous, parfait
architecte et absolu formateur de tout ce qui est, vous aviez trouvé sous vos
mains une matière qui vous était coéternelle, informe néanmoins et qui attendait
de vous sa perfection! Aveugles! qui n'entendaient pas que d'être capable de
forme, c'est déjà quelque forme, c'est quelque perfection que d'être capable de
perfection : et si la matière avait d'elle-même ce commencement de perfection et
de forme, elle en pourrait aussitôt avoir d'elle-même l'entier accomplissement.
« Aveugles, conducteurs
d'aveugles, qui tombez dans le précipice et y jetez ceux qui vous suivent (1), »
dites-moi qui a assujetti à Dieu ce qu'il n'a pas fait, ce qui est de soi aussi
bien que Dieu, ce qui est indépendamment de Dieu même? Par où a-t-il trouvé
prise sur ce qui lui est étranger et indépendant de sa puissance, et par quel
art ou par quel pouvoir se l'est-il soumis? Comment s'y prendra-t-il pour le
mouvoir? Ou s'il se meut de lui-même, quoiqu'encore confusément et
irrégulièrement, comme on veut se l'imaginer dans ce chaos, comment donnera la
règle à ces mouvements celui qui ne donne pas la force mouvante? Cette nature
indomptable échapperait à ses mains; et ne s'y prêtant jamais tout entière, elle
ne pourrait être formée tout entière selon l'art et la puissance de son ouvrier.
Mais qu'est-ce après tout que cette matière, si parfaite qu'elle ait d'elle-même
ce fond de son être, et si imparfaite qu'elle attende sa perfection d'un autre?
Son ornement et sa perfection ne sera que son accident, puisqu'elle est
éternellement informe. Dieu aura fait l'accident, et n'aura pas fait la
substance ! Dieu aura fait l'arrangement des lettres qui composent les mots, et
n'aura pas fait dans les lettres la capacité d'être arrangées! O chaos et
confusion dans les esprits plus encore que dans cette matière et ces mouvements
qu'on imagine éternellement
1 Matth., XV, 14.
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irréguliers et confus ! Ce chaos, cette erreur, cet
aveuglement était pourtant dans tous les esprits, et il n'a été dissipé que par
ces paroles : « Au commencement Dieu a créé le ciel et la terre (1); » et par
celles-ci : « Dieu a vu toutes les choses qu'il avait faites, et elles étaient
très-bonnes (2), parce que lui seul en avait fait toute la bonté : toute la
bonté, encore un coup, et non-seulement la perfection et la fin, mais encore le
commencement.
Faible et imbécile que je suis,
qui ne vois que des artisans mortels dont les ouvrages sont soumis au temps et
qui désignent par certains momens le commencement et la fin de leur travail, qui
aussi ont besoin d'être en quelque lieu pour agir, et de trouver une place pour
y fabriquer et poser leur ouvrage, je veux imaginer la même chose ou quelque
chose de semblable dans ce tout-puissant ouvrier qui a fait le ciel et la terre,
sans songer que s il a tout fait, il a fait le temps et le lieu ; et que ces
deux choses que tout autre ouvrier que lui doit trouver faites, font elles-mêmes
partie de son ouvrage !
Cependant je veux m'imaginer il
y a six ou sept mille ans. et avant que le monde fût, comme une succession
infinie de révolutions et de moments entre-suivis, dont le créateur en ait
choisi un pour y fixer le commencement du monde : et je ne veux pas comprendre
que Dieu qui fait tout, ne trouve rien de fait dans son ouvrage avant qu'il
agisse : qu'ainsi avant le commencement du monde il n'y avait rien du tout que
Dieu seul : et que dans le rien il n'y a ni succession, ni durée, ni rien qui
soit, ni rien qui demeure, ni rien qui passe, parce que le rien est toujours
rien, et qu'il n'y a rien hors de Dieu que ce que Dieu fait.
1 Gen., I. 1.— 2 Ibid. 31.
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Elevez donc ma pensée au-dessus
de toute image des sens et de la coutume, pour me faire entendre dans votre
éternelle vérité que vous, qui êtes celui qui est, êtes toujours le même sans
succession ni changement; et que vous faites le changement et la succession
partout où elle est. Vous faites par conséquent tous les mouvements et toutes
les circulations dont le temps peut être la mesure. Vous voyez dans votre
éternelle intelligence toutes les circulations différentes que vous pouvez faire
; et les nommant pour ainsi dire toutes par leur nom, vous avez choisi celles
qu'il vous a plu pour les faire aller les unes après les autres. Ainsi la
première révolution que vous avez faite du cours du soleil, a été la première
année; et le premier mouvement que vous avez fait dans la matière, a été le
premier jour. Le temps a commencé selon ce qu'il vous a plu ; et vous en avez
fait le commencement tel qu'il vous a plu ; comme vous en avez fait la suite et
la succession, que vous ne cessez de développer du centre immuable de votre
éternité.
Vous avez fait le lieu de la
même sorte que vous avez fait le temps. Pour vous, ô Dieu de gloire et de
majesté, vous n'avez besoin d'aucun lieu : vous habitez en vous-même tout
entier. Sans autre étendue que celle de vos connaissances, vous savez tout; ou
celle de votre puissance, vous pouvez tout; ou celle de votre être, de toute
éternité vous êtes tout. Vous êtes tout ce qui est nécessairement ; et ce qui
peut ne pas être, et qui n'est pas éternellement comme vous, n'ajoute rien à la
perfection et à la plénitude de l'être que vous possédez seul. Qu'ajouterait à
votre science, à votre puissance, à votre grandeur, quelque espèce d'étendue
locale que ce soit? Rien du tout. Vous êtes dans vos ouvrages par votre vertu,
qui les forme et qui les soutient ; et votre vertu c'est vous-même, c'est votre
substance. Quand vous cesseriez d'agir, vous n'en seriez pas moins tout ce que
vous êtes, sans avoir besoin ni de vous étendre, ni d'être dans vos créatures,
ni dans quelque lieu ou espace que ce soit. Car le lieu ou l'espace est une
étendue : et un espace et une étendue, des proportions, des distances, des
égalités, ne sont pas un rien : et si on veut que vous trouviez toutes faites
ces distances, ces étendues, ces proportions, sans les avoir faites vous-même,
on retombe dans l'erreur de ceux
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qui mettent quelque chose hors de vous, qui vous soit
nécessairement coéternel et ne soit pas votre ouvrage.
O Dieu, dissipez ces fausses
idées de l'esprit de vos serviteurs : faites-leur entendre que, sans avoir
besoin d'être nulle part, ou de vous faire une demeure, vous vous étiez tout à
vous-même; el que lorsqu'il vous a plu sans aucune nécessité de faire le monde,
vous avez fait avec le monde, et le temps et le lieu, toute étendue, toute
succession, toute distance : et enfin que de toute éternité et avant le
commencement, il n'y avait rien du tout que vous seul ; vous seul encore une
fois, vous seul n'ayant besoin que de vous-même. Tout le reste n'était pas : il
n'y avait ni temps ni lieu, puisque le temps et le lieu sont quelque chose : il
n'y avait qu'une pure possibilité de la créature que vous vouliez faire, et
cette possibilité ne subsistait que dans votre toute-puissance.
Vous êtes donc éternellement :
et parce que vous êtes parfait, vous pouvez tout ce que vous voulez : et parce
que vous pouvez tout ce que vous voulez, tout vous est possible : et il n'est
possible radicalement et originairement, que parce que vous le pouvez.
Je vous adore, ô celui qui
pouvez tout, et je me soumets à votre toute-puissance pour ne vouloir
éternellement que ce que vous voulez de moi, et ne me réserver de puissance que
pour l'accomplir.
« Dieu dit : Que la lumière
soit, et la lumière fut (1). » Le roi dit : Qu'on marche, et l'armée marche :
qu'on fasse telle évolution, et elle se fait : toute une année se remue au seul
commandement d'un prince, c'est-à-dire à un seul petit mouvement de lèvres.
C’est parmi les choses humaines l'image la plus excellente de la puissance de
Dieu : mais au fond que cette image est
1 Genes., I, 3.
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défectueuse ! Dieu n'a point de lèvres à remuer : Dieu ne
frappe point l'air avec une langue pour en tirer quelque son : Dieu n'a qu'à
vouloir en lui-même ; et tout ce qu'il veut éternellement s'accomplit comme il
l'a voulu, et au temps qu'il a marqué.
Il dit donc : « Que la lumière
soit, et elle fut : Qu'il y ait un firmament, et il y en eut un : Que les eaux
s'assemblent, et elles furent assemblées : Qu'il s'allume deux grands
luminaires, et ils s'allumèrent : Qu'il sorte des animaux, et il en sortit (1) :
» et ainsi du reste : « Il a dit, et les choses ont été faites : il a commandé,
et elles ont été créées (2) : Rien ne résiste à sa voix (3), » et l'ombre ne
suit pas plus vite le corps que tout suit au commandement du Tout-Puissant.
Mais les corps jettent leur
ombre nécessairement, le soleil envoie de même ses rayons; les eaux bouillonnent
d'une source comme d'elles-mêmes, sans que la source les puisse retenir ; la
chaleur, pour ainsi parler, force le feu à la produire; car tout cela est soumis
à une loi et à une cause qui les domine. Mais vous, ô loi suprême, ô cause des
causes, supérieur à vos ouvrages, maître de votre action, vous n'agissez hors de
vous qu'autant qu'il vous plaît : tout est également rien devant vos yeux : vous
ne devez rien à personne : vous n'avez besoin de personne : vous ne produisez
nécessairement que ce qui vous est égal : vous produisez tout le reste par pure
bonté, par un commandement libre ; non de cette liberté changeante et irrésolue
qui est le partage de vos créatures ; mais par une éternelle supériorité que
vous exercez sur les ouvrages qui ne vous font ni plus grand ni plus heureux, et
dont aucun, ni tous ensemble, n'ont droit à l'être que vous leur donnez.
Ainsi, mon Dieu, je vous dois
tout : je devrais moins à votre bonté, si vous me deviez quelque chose : si
votre libéralité était nécessaire. Je veux vous devoir tout, je veux être à vous
de la manière la plus absolue et la plus entière : car c'est celle qui convient
mieux à votre suprême perfection, à votre domination absolue. Je consacre à
votre empire libre et souverain tout ce que vous m'avez donné de liberté.
1 Genes., I, 3, 6, 9, 14, 20, 24.
— 2 Psal. XXXII, 9. — 3 Judith., XVI, 17.
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Le dessein de Dieu dans la
création et dans la description que son Saint-Esprit en a dictée à Moïse (1),
est de se faire connaître d'abord comme le tout-puissant et très-libre créateur
de toutes choses; qui, sans être astreint à une autre loi qu'à celle de sa
volonté , avait tout fait sans besoin et sans contrainte, par sa seule et pure
bonté. C'est donc pourquoi lui qui pouvait tout ; qui pouvait par un seul décret
de sa volonté créer et arranger toutes choses, et par un seul trait de sa main,
pour ainsi parler, mettre l'ébauche et le fini dans son tableau et tout ensemble
le tracer, le dessiner et le parfaire, il a voulu néanmoins suspendre avec ordre
l'efficace de son action, et faire en six jours ce qu'il pouvait faire en un
instant.
Mais la création du ciel et delà
terre et de toute cette masse informe que nous avons vue dans les premières
paroles de Moïse, a précédé les six jours qui ne commencent qu'à la création de
la lumière. Dieu a voulu faire et marquer l'ébauche de son ouvrage, avant que
d'en montrer la perfection ; et après avoir fait d'abord comme le fond du monde,
il en a voulu faire l'ornement avec six différents progrès, qu'il a voulu
appeler six jours. Et il faisait ces six jours l'un après l'autre, comme il
faisait toutes choses, pour faire voir qu'il donne aux choses l'être, la forme,
la perfection, comme il lui plaît, autant qu'il lui plaît, avec une entière et
parfaite liberté.
Ainsi, il a fait la lumière
avant que de faire les grands luminaires où il a voulu la ramasser : et il a
fait la distinction des jours, avant que d'avoir créé les astres dont il s'est
servi pour les régler parfaitement : et le soir et le matin ont été distingués,
avant que leur distinction et la division parfaite du jour et de la nuit fût
bien marquée : et les arbres, et les arbustes, et les herbes ont germé
1 Genes., I.
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sur la terre par ordre de Dieu, avant qu'il eût fait le
soleil qui de-voit être le père de toutes les plantes : et il a détaché exprès
les effets d'avec leurs causes naturelles, pour montrer que tout naturellement
ne tient qu'à lui seul et ne dépend que de sa seule volonté : et il ne se
contente pas d'approuver tout son ouvrage après l'avoir achevé, en disant «
qu'il était » très-beau et « très-bon ; » mais il distingue chaque ouvrage en
particulier, en remarquant que chacun est beau et bon en soi-même : il nous
montre donc que chaque chose « est bonne » en particulier, et que l'assemblage
en est « très-bon (1). » Car c'est ainsi qu'il distingue la beauté du tout
d'avec celle des êtres particuliers, pour nous faire entendre que si toutes
choses sont bonnes en elles-mêmes, elles reçoivent une beauté et bonté nouvelle
par leur ordre, par leur assemblage, par leur parfait assortiment et ajustement
les unes avec les autres, et le secours admirable qu'elles s'entredonnent.
Ainsi la création de l'univers,
comme Dieu l'a voulu faire et comme il en a inspiré le récit à Moïse, le plus
excellent et le premier de ses prophètes, nous donne les vraies idées de sa
puissance, et nous fait voir que s'il a astreint la nature à certaines lois, il
ne s’y astreint lui-même qu'autant qu'il lui plaît, se réservant le pouvoir
suprême de détacher les effets qu'il voudra des causes qu'il leur a données dans
l'ordre commun; et de produire ces ouvrages extraordinaires que nous appelons
miracles, selon qu'il plaira à sa sagesse éternelle de les dispenser.
Vous êtes tout-puissant, ô Dieu
de gloire : j'adore votre immense et volontaire libéralité. Je passe tous les
siècles et toutes les évolutions et révolutions de la nature : je vous regarde
comme
1 Genes., I, 31; Ibid., 4
et seqq.
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vous étiez avant tout commencement et de toute éternité,
c'est-à-dire que je vous regarde comme vous êtes : car vous êtes ce que vous
étiez : la créature a changé : mais vous, Seigneur, vous êtes toujours ce que
vous êtes. Je laisse donc toute créature, et je vous regarde comme étant seul
avant tous les siècles : ô la belle et riche aumône que vous avez faite en
créant le monde ! Que la terre était pauvre sous les eaux, et qu'elle était vide
dans sa sécheresse, avant que vous en eussiez fait germer les plantes, avec tant
de fruits et de vertus différentes; avant la naissance des forêts; avant que
vous l'eussiez comme tapissée d'herbes et de fleurs ; et avant encore que vous
l'eussiez couverte rie tant d'animaux ! Que la mer était pauvre dans la vaste
amplitude de son sein, avant qu'elle eût été faite la retraite de tant de
poissons! Et qu'y avait-il de moins animé et de plus vide que l'air, avant que
vous y eussiez répandu tant de volatiles? Mais combien le ciel même était-il
pauvre, avant que vous l'eussiez semé d'étoiles et que vous y eussiez allumé le
soleil pour présider au jour, et la lune pour présider à la nuit! Que toute la
masse de l'univers était informe, et que le chaos en était affreux et pauvre,
lorsque la lumière lui manquait! Avant tout cela, que le néant était pauvre,
puisque ce n'était qu'un pur néant! Mais vous, Seigneur, qui étiez et qui
portiez tout en votre toute-puissance, «Vous » n'avez fait « qu'ouvrir votre
main, et vous avez rempli de bénédiction (1) » le ciel et la terre.
O Dieu, que mon âme est pauvre !
C'est un vrai néant d'où vous tirez peu à peu le bien que vous voulez y répandre
: ce n'est qu'un chaos, avant que vous ayez commencé à en débrouiller toutes les
pensées. Quand vous commencez par la foi à y faire poindre la lumière ; qu'elle
est encore imparfaite, jusqu'à ce que vous l'ayez formée par la charité ; et que
vous qui êtes le vrai soleil de justice, aussi ardent que lumineux, vous m'avez
embrasé de votre amour ! O Dieu, soyez loué à jamais par vos propres œuvres ! Ce
n'est pas assez de m'avoir illuminé une fois : sans votre secours je retombe
dans mes premières ténèbres. Car le soleil même est toujours nécessaire à l'air
qu'il éclaire, afin qu'il
1 Psal. CXLIV, 16.
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demeure éclairé : combien plus ai-je besoin que vous ne
cessiez de m'illuminer, et que vous disiez toujours : «Que la lumière soit faite
! »
Dieu a fait le fond de son
ouvrage, Dieu l'a orné, Dieu y a mis la dernière main ; Dieu s'est reposé.
Quand il a fait le fond de son
ouvrage, c'est-à-dire en confusion le ciel et la terre, l'air et les eaux, il
n'est point dit qu'il ait parlé. Quand il a commencé à orner le monde, et à
mettre l'ordre, la distinction et la beauté dans son ouvrage, c'est alors qu'il
a fait paraître sa parole. « Dieu a dit : Que la lumière soit, et la lumière fut
(1). » Et ainsi du reste.
La parole de Dieu, c'est sa sagesse ; et la sagesse
commence à paraître avec l'ordre, la distinction et la beauté : la création du
fond appartenait plutôt à la puissance.
Et cette sagesse, par où
devait-elle commencer, si ce n'était par la lumière, qui de toutes les natures
corporelles est la première qui porte son impression ? La sagesse est la lumière
des esprits ; l'ignorance est comparée aux ténèbres : sans la lumière tout est
difforme, tout est confus; c'est elle qui la première embellit et distingue les
objets par l'éclat qu'elle y répand, et dont pour ainsi dire elle les peint et
les dore. Paraissez donc, lumière, la plus belle des créatures matérielles et
celle qui embellissez toutes les autres; et faites voir que votre auteur est
tout lumière en lui-même : que « la lumière est le vêtement dont il se pare : »
Amictus lumine sicut vestimento (2) : que « la lumière qu'il habite est
inaccessible (3) » en elle-même : mais
qu'elle s'étend, quand il lui plaît, sur les natures intelligentes, et se
tempère pour s'accommoder à de faibles yeux : qu'il est beau et embellissant ;
qu'il est éclatant et
1 Genes., I, 3. — 2 Psal.
CIII, 2. — 3 I Timoth., VI, 16.
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éblouissant ; lumineux, et par sa lumière obscur et
impénétrable, connu et inconnu tout ensemble. Paraissez, encore une fois, belle
lumière, et faites voir que la lumière de l'intelligence prévient et dirige tous
les ouvrages de Dieu. Lumière éternelle, je vous adore : j'ouvre à vos rayons
mes yeux aveugles ; je les ouvre et les baisse tout ensemble, n'osant ni
éloigner mes regards de vous, de peur de tomber dans l'erreur et dans les
ténèbres ; ni aussi les arrêter trop sur cet éclat infini, de peur que «
scrutateur » téméraire « de la majesté, » je ne sois « ébloui par la gloire (1).
»
C'est à la faveur de votre
lumière que je vois naître la lumière dans le monde; et que suivant vos
ouvrages, j'en vois croître peu à peu la perfection, jusqu'à ce que vous y
mettiez une fin heureuse et digne de vous en créant l'homme, le spectateur et
l'admirateur de tous vos ouvrages, et le seul qui peut profiter de tant de
merveilles. Après cela que vous restait-il que le repos , pour montrer que votre
ouvrage était parfait et qu'il n'y avait plus rien à y ajouter.
Béni soyez-vous, ô Seigneur,
dans le premier jour de lumière, où parut la création de la lumière ; et tout
ensemble le symbole du jour que vous deviez sanctifier dans le Nouveau
Testament, qui est le Dimanche, où reluit tout ensemble et la lumière corporelle
dans cette parole : « Que la lumière soit faite (2) : » et la lumière
spirituelle, dans la résurrection du Sauveur et dans la descente du
Saint-Esprit, qui a commencé à faire naître dans le monde la lumière de la
prédication apostolique.
Que ce soit donc là notre
premier jour : que ce jour nous comble de joie : que ce soit pour nous un jour
d'allégresse et de sanctification , où nous dirons avec David : « C'est ici le
jour que le Seigneur a fait : réjouissons-nous et tressaillons d'aise en ce jour
(3). » C'est le jour de la Trinité adorable : le Père y paraît par la création
de la lumière, le Fils par sa résurrection, et le Saint-Esprit par sa descente.
O saint jour ! ô jour heureux ! Puisses-tu être toujours le vrai dimanche, le
vrai jour du Seigneur, par notre fidèle observance, comme tu l'es par la
sainteté de ton institution.
Voilà quel est notre premier
jour. Mais n'oublions pas le sixième,
1 Prov., XXV, 27. — 2 Genes.,
I, 3. — 3 Psal. CXVII, 24.
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où l'homme a été créé. Ne nous réjouirons-nous pas en ce
jour de notre création? Elle nous est devenue bientôt malheureuse : et peut-être
a-ce été celui de notre chute; du moins est-il bien certain que celui de notre
chute l'a suivi de près. Mais admirons le mystère; le jour où le premier homme,
le premier Adam a été créé, est le même où le nouvel homme, le nouvel Adam est
mort sur la croix. C'est donc pour l'Eglise un jour de jeune et de deuil dans
toutes les générations suivantes : jour qui est suivi du triste repos de
Jésus-Christ dans le sépulcre, et qui pourtant est plein de consolation par
l'espérance de la résurrection future.
O homme, vois dans ce sixième
jour ta perte heureusement réparée par la mort de ton Sauveur. Renouvelle donc
en ce jour la mémoire de ta création et la figure admirable de la formation de
l'Eglise par celle d'Eve, notre mère et la mère de tous les vivants.
O Seigneur, donnez-moi la grâce
en célébrant la mémoire des six jours de votre travail, de parvenir à celui de
votre repos dans un parfait acquiescement à vos volontés; et par ce repos de
retourner à mon origine, en ressuscitant avec vous et me revêtant de votre
lumière et de votre gloire.
Il n'y a ici qu'à lire ce bel
endroit des Proverbes (1), où la Sagesse incréée parle ainsi : « Le
Seigneur m'a possédée, » m'a engendrée « au commencement de ses voies : » je
suis moi-même ce commencement, étant l'idée ouvrière de ce grand artisan et le
modèle primitif de toute son architecture : il m'a engendrée dès le commencement
et avant qu'il eût rien fait : avant donc tous ces ouvrages j'étais, et j'étais
par conséquent de toute éternité, puisqu'il n'y a que l'éternité avant tous les
siècles. « De toute éternité,
1 Prov., VIII, 22, 24, etc.
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j'ai été ordonnée, » selon la Vulgate : j'ai été le
commandement et l'ordre même de Dieu qui ordonne tout. « J'ai été fondée, »
disent les Septante : j'ai été l'appui et le soutien de tous les êtres, et la
parole par laquelle Dieu porte le monde. «J'ai eu la primauté, la principauté,
la souveraineté sur toutes choses, » selon l'original hébreu. « J'ai été dès le
commencement, et avant que la terre fût. Les abîmes n'étaient pas encore, et moi
j'étais déjà conçue, » déjà formée dans le sein de Dieu, et toujours parfaite. «
Devant qu'il eût fondé les montagnes avec leur masse pesante, et devant les
collines et les coteaux j'étais enfantée : il n'avait point fait la terre ni les
lieux habitables et inhabitables, » selon les Septante; ni « ce qui tient la
terre en état et ce qui l'empêche de se dissiper en poudre, » selon l'hébreu :
selon la Vulgate, « les gonds et les soutiens » de ce lourd et sec élément. «
J'étais avec lui, » non pas seulement quand il formait, mais encore «quand il
préparait les cieux : quand il tenait les eaux en état, et les formait en
cercle» avec son compas : « quand il élevait les cieux : quand il affermissait
la source des eaux, » pour couler éternellement et arroser la terre : « quand il
faisait la loi à la mer, et la renfermait dans ses bornes : quand il
affermissait la terre sur ses fondements, » et la « tenait balancée » par un
contre-poids : « j'étais en lui et avec lui, composant, » nourrissant, réglant
et gouvernant toutes choses; « me réjouissant tous les jours, » et disant à
chaque jour avec Dieu, que tout était bon, « et me jouant » en tout temps : me
jouant dans l'univers par la facilité, la variété et l'agrément des ouvrages que
je produisais : magnifique dans les grandes choses, industrieuse dans les
petites, et encore riche dans les petites et inventrice dans les grandes. « Et
mes délices étaient de converser avec les enfants des hommes : » formant l'homme
d'une manière plus familière et plus tendre, comme la suite le fera paraître ;
car l'homme mérite bien sa méditation particulière, que nous ferons dans les
jours suivants.
Cependant admirons l'ouvrage de
la sagesse de Dieu assistante et coopérante avec sa puissance. Louons-le avec le
Sage, et mettons en abrégé toutes ses louanges en disant encore avec lui : « Le
Seigneur a fondé la terre avec sa sagesse : son intelligence a
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a établi les cieux : les abîmes sont sortis sous sa
conduite; et c'est
par elle que la rosée s'épaissit en nuages (1). »
Concluons : Dieu a orné et
ordonné le monde par sa parole : c'est dans l'ornement et dans l'ordre que
l'opération de sa parole et de sa sagesse commence à paraître, lorsqu'il a mis
la distinction et la beauté dans l'univers. Ce n'est pas que Dieu n'en ait fait
le fond, comme l'ordre et l'ornement, par sa sagesse. Car, comme nous avons vu,
si la sagesse seule pouvait ordonner et former le monde, elle seule pouvait
aussi le rendre capable d'ordre et de forme. On attribue donc principalement à
la parole et à la sagesse l'ordre et l'ornement de l'univers, parce que c'est où
son opération paraît plus distincte et plus propre. Mais au reste il faut dire
avec saint Jean : « Le Verbe était au commencement : par lui tout a été fait :
et rien n'a été fait sans lui (2). Par lui » donc « ont été faits le ciel et la
terre avec tout leur ornement (3) : » tout l'ouvrage de Dieu est plein de
sagesse, et la sagesse nous en doit apprendre le bon usage.
Le premier bon usage qu'on en
doit faire, c'est de louer Dieu par ses œuvres. Chantons-lui donc ici en action
de grâces le cantique des trois enfants; et invitant tous les ouvrages de Dieu à
le Itenir, finissons en nous y invitant nous-mêmes et en disant par-dessus tout
: « O enfants des hommes, bénissez le Seigneur! Qu'Israël bénisse le Seigneur :
bénissez-le, vous qui êtes ses ministres et ses sacrificateurs : bénissez-le,
serviteurs du Seigneur : âmes des justes, bénissez-le : bénissez-le, ô vous tous
qui êtes saints et humbles de cœur : louez-le et l'exaltez aux siècles des
siècles. Amen (4). »
1 Prov., III, 19, 20. — 2 Joan. I, 1, 3.— 3
Genes., II, 1.— 4 Dan., III, 82, 87.
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