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XVIe
SEMAINE. LA NATIVITÉ DE JÉSUS-CHRIST.
PREMIÈRE ÉLÉVATION. Songe de saint Joseph.
IIe ÉLÉVATION. Sur la prédiction de la virginité de la sainte Mère de Dieu.
IIIe ÉLÉVATION. Encore sur la perpétuelle virginité de Marie.
IVe ÉLÉVATION. Sur ces paroles d'Isaïe rapportées par l'Evangéliste : Son nom
sera appelé Emmanuel.
Ve ÉLÉVATION. Joseph prend soin de Marie et de l’Enfant : voyage de Bethléem.
VIe ÉLÉVATION. L’étable et la crèche de Jésus-Christ.
VIIe ÉLÉVATION. L'ange annonce Jésus aux bergers.
VIIIe ÉLÉVATION. Les marques pour connaître Jésus.
IXe ÉLÉVATION. Le cantique des anges.
Xe ÉLÉVATION. Commencement de L'Evangile.
XIe ÉLÉVATION. Les bergers à la crèche de Jésus-Christ.
XIIe ÉLÉVATION. Le silence et l'admiration de Marie et de Joseph.
A quelle épreuve Dieu ne met-il
pas les âmes saintes ! Joseph se voit obligé à abandonner comme une épouse
infidèle, celle qu'il avait prise comme la plus pure de toutes les vierges (1) ;
et il était prêt à exécuter une chose si funeste à la pureté de la mère et à la
vie de l'enfant. Car, ne pouvant être longtemps sans découvrir la grossesse de
la sainte Vierge, que pouvait-il faire l'ayant aperçue, sinon de la croire une
grossesse naturelle? Car de soupçonner seulement ce qui était arrivé par
l'opération du Saint-Esprit, c'était un miracle dont Dieu n'avait point encore
donné d'exemple, et qui ne pouvait tomber dans l'esprit humain.
« Il était juste (2), » et sa
justice ne lui permettait pas de demeurer dans la compagnie de celle qu'il ne
pouvait croire innocente. Tout ce qu'on pouvait espérer de plus doux de la bonne
opinion qu'il avait conçue avec raison de sa chaste épouse, était, comme il le
méditait, « sans la diffamer, de la renvoyer secrètement. » C'était, dis-je, ce
qu'on pouvait espérer de plus doux; car pour peu qu'il se fût livré à la
jalousie, qui est «dure comme l'enfer (3), » à quel excès ne se fût-il pas
laissé emporter? Sa justice même l'aurait flatté dans sa passion, et sous une
loi toute de rigueur il n'y a rien qu'il n'eût pu entreprendre pour se venger.
Mais Jésus commençait à répandre dans le monde l'esprit de douceur, et il en fit
part à celui qu'il avait choisi pour lui servir de père.
Joseph le plus modéré comme le
plus juste de tous les hommes,
1 Matth., I, 18. — 2 Ibid.,
19. — 3 Cant., VIII, 6.
261
ne songea seulement pas à prendre ce parti extrême ; et
voulait seulement quitter en secret celle qu'il ne pouvait garder sans crime.
Cependant quelle douleur de se voir trompé dans l'opinion qu'il avait de sa
chasteté et de sa vertu ! de perdre celle qu'il aimait, et de la laisser sans
secours en proie à la calomnie et à la vengeance publique! Dieu lui aurait pu
éviter toutes ces peines, en lui révélant plus tôt le mystère de la grossesse de
sa chaste épouse ; mais sa vertu n'aurait pas été mise à l'épreuve qui lui était
préparée : nous n'eussions pas vu la victoire de Joseph sur la plus indomptable
de toutes les passions : et la plus juste jalousie qui fût jamais, n'eût pas été
renversée aux pieds de la vertu.
Nous voyons par même moyen la foi de Marie. Elle voyait la
peine qu'aurait son époux, et tous les inconvénients de sa sainte grossesse ;
mais sans en paraître inquiétée, sans songer à prévenir ce cher époux, ni à lui
découvrir le secret du ciel au hasard de se voir, non-seulement soupçonnée et
abandonnée, mais encore perdue et condamnée, elle abandonne tout à Dieu et
demeure dans sa paix.
Dans cet état, « l'ange du
Seigneur fut envoyé à Joseph : Joseph, fils de David, ne craignez pas de prendre
avec vous Marie votre épouse; car ce qui est né en elle est du Saint-Esprit (1).
» Quel calme à ces paroles ! quel ravissement! quelle humilité dans Joseph !
Laissons-le concevoir à ceux à qui Dieu daigne en donner la connaissance.
« Elle enfantera un Fils, et
vous lui donnerez le nom de Jésus (2). » Pourquoi, vous? Vous n'en êtes pas le
père; il n'a de père que Dieu ; mais Dieu vous a transmis ses droits : vous
tiendrez lieu de père à Jésus-Christ : vous serez son père en effet d'une
certaine manière, puisque formé par le Saint-Esprit dans celle qui était à vous,
il est aussi à vous par ce titre. Prenez donc avec l'autorité et les droits de
père un cœur paternel pour Jésus. Dieu « qui fait en particulier tous les cœurs
des hommes (3),» fait aujourd'hui en vous un cœur de père : heureux, puisqu'on
même temps il donne pour vous à Jésus un cœur de fils ! Vous êtes le vrai époux
de sa sainte Mère : vous partagez avec elle ce Fils bien-aimé et
1 Matth., I. 20. — 2 Ibid.,
21. — 3 Psal. XXXII, 15.
262
les grâces qui sont attachées à son amour. Allez donc à la
bonne heure : nommez cet enfant : donnez-lui le nom de Jésus pour vous et pour
nous, afin qu'il soit notre Sauveur comme le vôtre.
« Tout ceci a été fait pour
accomplir ce que le Seigneur avait dit par Isaïe : Voici qu'une vierge concevra
dans son sein et enfantera un fils; et vous nommerez son nom Emmanuel,
c'est-à-dire , Dieu avec nous (1). »
C'est la gloire de l'Eglise
chrétienne. Quelle autre société a seulement osé se vanter d'avoir pour
instituteur le fils d'une vierge ? Un si beau titre n'était jamais tombé dans
l'esprit humain, et cette gloire était réservée au christianisme. Aussi est-ce
la seule religion où la perpétuelle virginité a été en honneur, où elle a été
consacrée à Dieu, où l'on a souffert toutes sortes de persécutions et la mort
même plutôt que de consentir à un mariage humain. Jésus-Christ s'est déclaré
l'époux des vierges ; c'est lui qui a fait connaître au monde ces « eunuques
spirituels, » autrefois prédits par les prophètes (2), mais qui n'ont paru que
dans la religion chrétienne. Il a inspiré à son apôtre que la sainte virginité
est la seule qui peut consacrer parfaitement à Dieu un cœur incapable de se
partager (3). Fils d'une Vierge, vierge lui-même ; qui a pris pour son
précurseur Jean-Baptiste vierge, et pour son disciple bien-aimé saint Jean
vierge aussi, selon toute la tradition chrétienne ; dont les apôtres, qui ont
tout quitté, ont quitté principalement leurs femmes (ceux qui en avaient) pour
le suivre ; toujours par conséquent dans la compagnie et pour ainsi dire entre
les mains de la continence ; où il ne faut pas s'étonner si, comme la foi, la
sainte virginité a eu ses martyrs. Aussi les persécuteurs même ont reconnu la
pudeur des vierges chrétiennes (4): « On les
1 Matth., I, 22-24; Isa.,
VII, II. — 2 Isa., LVI, 3-5; Matth., XIX, 12. — 3 Cor.. VII,
32-35.
263
voyait, dit saint Ambroise, affronter les supplices et
craindre les regards : » Impavidas ad cruciatus, erubescentes ad aspectus
(1) : au milieu des tourmens et livrées aux bêtes farouches et à des taureaux
furieux qui les jetoient en l'air, soigneuses de la pudeur, méprisant les
tourments et la vie, et n'ayant pour ainsi parler que le front tendre dans un
corps de fer ; dignes témoins, dignes martyres de celui qui est tout ensemble
Fils de Dieu, et fils d'une vierge.
Fils de Dieu et fils d'une
vierge : ces deux choses devaient aller ensemble, afin qu'on put dire en tous
sens : « Qui comprendra sa génération (2) » toujours virginale, et dans le sein
de son père, et dans celui de sa mère? O Jésus, nous la croyons, si nous ne
pouvons pas la comprendre. Elle nous apprend qu'il n'y a rien de plus
incompatible que l'impureté et la religion chrétienne. Elevé parmi des mystères
si chastes, qui peut souffrir de la corruption dans sa chair ? Le seul nom de
Jésus n'inspire-t-il pas la pureté ? Qui peut seulement le prononcer avec des
lèvres souillées ? Mais qui peut approcher de son saint corps, l'unique fruit
d'une mère vierge, si pur qu'il n'a pu souffrir ni en lui-même ni en sa Mère
même la sainteté nuptiale : qui peut, dis-je, approcher de ce sacré corps avec
des sentimens impurs, ou ne pas consacrer son corps chacun selon son état à la
pureté après l'avoir reçu? Ministres sacrés de ses autels, soyez donc purs comme
le soleil : Chrétiens en général, détestez toute impureté : Vierges consacrées à
Jésus-Christ, ses chères épouses, soyez jalouses pour lui ; et ne laissez en
vous aucun reste d'un vice qui a tant de secrètes branches. Mais si vous voulez
êtes vierges de corps et d'esprit, humiliez-vous : n'aimez ni les regards ni les
louanges des hommes : cachez-vous à vous-mêmes, comme une vierge pudique, qui,
loin de se faire voir, n'ose pas seulement se regarder, quoique seule : un
regard sur vous-même, une complaisance, non-seulement pour cette fragile beauté
qui pare la superficie du corps, mais encore pour la beauté intérieure, est une
espèce d'abandonnement. Femmes chrétiennes, vierges chrétiennes, et vous dont le
célibat doit être l'honneur de l'Eglise, soyez soigneux d'une réputation
1 Ambr., De Virg. — 2 Isa., LIII, 8.
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qui fait l'édification publique. Considérez Jésus-Christ
notre pontife : parmi tous les opprobres qu'il a soufferts, jusqu'à être accusé
comme « un homme qui aimait le vin et la bonne chère (1), » il n'a pas voulu que
sa pudeur ait jamais eu la moindre atteinte : on « s'étonnait de le voir parler
en particulier à une femme (2), » qu'il convertissait et avec elle sa patrie :
et il agissait en tout d'une manière si épurée et si sérieuse, que, malgré la
malignité de ses ennemis, son intégrité de ce côté-là est demeurée sans soupçon.
Pourquoi l'a-t-il voulu de cette sorte, si ce n'est pour nous, afin de nous
faire voir combien nous devons être soigneux, autant qu'il nous est possible, de
n'être pas seulement soupçonnés dans une matière si délicate, où le genre humain
est si emporté, si malin, et si curieux ?
Pourquoi, saint Evangéliste,
avez-vous dit ces paroles : Et non cognoscebat eam donec peperit: « Et il
ne l'avait pas connue, quand elle enfanta son premier-né (3)? » Que ne
disiez-vous plutôt qu'il ne la connut jamais, et qu'elle fut vierge perpétuelle?
Les évangélistes disent ce que Dieu leur met à la bouche ; et saint Matthieu
avait ordre d'expliquer précisément ce qui regardait l'enfantement virginal, et
l'accomplissement de la prophétie d'Isaïe, qui portait « qu'une vierge
concevrait et enfanterait un fils (4). »
Au reste on ne peut penser sans
horreur que ce sein virginal, où le Saint-Esprit avait opéré, dont Jésus-Christ
avait fait son temple, ait jamais pu être souillé ; ni que Joseph, ni que Marie
même aient pu cesser de le respecter. Avant sa conception et son enfantement,
elle avait dit en général : « Je ne connais point d'homme (5) : » saint Joseph
était entré dans ce dessein ; et y avoir
1 Matth., XI, 19. — 2 Joan.,
IV, 27. — 3 Matth., I, 25. — 4 Isa., VII, 14. — 5 Luc., I,
34.
265
manqué après un enfantement si miraculeux, c'eût été un
sacrilège indigne d'eux et une profanation indigne de Jésus-Christ même. Les
frères de Jésus mentionnés dans l'Evangile, et saint Jacques qu'on appela frère
du Seigneur, constamment ne l'étaient que par la parenté, comme on parloit en ce
temps, et la sainte tradition ne l'a jamais entendu d'une autre sorte. Qui a
jamais seulement pensé parmi les chrétiens que Jésus ne fût pas le fils unique
de Marie, comme de Dieu? Si, ce qui est abominable à penser, il n'eût pas été
son fils unique, lui aurait-il en la quittant donné un fils d'adoption? Et quand
il dit à saint Jean : « Voilà votre mère ; » et à elle : « Voilà votre fils (1),
» ne montre-t-il pas qu'il suppléait par une espèce d'adoption ce qui allait
manquer à la nature? Loin donc de la pensée des chrétiens le blasphème de
Jovinien, qui a été l'exécration de toute l'Eglise ! Dieu a marqué aux
évangélistes ce qu'ils devaient précisément écrire, et ce qu'il voulait qu'on
réservât à la tradition de son Eglise pour l'expliquer davantage. Apprenons de
là qu'il faut penser de Marie tout ce qu'il y a de plus digne et d'elle et de
Jésus-Christ, quand même l'Ecriture ne l'aurait pas toujours voulu exprimer avec
la dernière précision et netteté, et qu'il aurait plu à Dieu le laisser
expliquer à fond à la tradition de son Eglise, qui a fait un article de foi de
la perpétuelle virginité de Marie.
Quand est-ce qu'il a plu à Dieu
de manifester au monde la merveille de l'enfantement virginal ? Constamment ce
n'a pas été durant la vie du Sauveur, puisqu'il lui a plu de naître et de vivre
sous le voile du mariage : en quoi il a confirmé que le mariage était saint,
puisqu'il a voulu paroitre au monde sous sa couverture. On a donc prêché la
gloire de l'enfantement virginal, quand on a prêché toute la gloire du Fils de
Dieu : et en attendant, Dieu préparait à la pureté de Marie, en la personne de
saint Joseph son cher époux, le témoin le moins suspect et le plus certain qu'on
pût jamais penser.
Dieu fait tout convenablement :
admirons sa sagesse, et laissons-lui conduire toute notre vie.
1 Joan., XIX, 26, 27.
266
« Son nom sera Emmanuel : Dieu
avec nous (1). » Ce sont de ces noms mystiques que les prophètes donnent en
esprit pour exprimer certains effets de la puissance divine, sans qu'il soit
besoin pour cela qu'on les porte dans l'usage. Si nous comprenons la force de ce
nom « Emmanuel, » nous y trouverons celui de Sauveur. Car qu'est-ce qu'être
Sauveur, si ce n'est d'ôter les péchés, comme l'ange l'a interprété? Mais les
péchés étant ôtés et n'y ayant plus de séparation entre Dieu et nous, que
reste-t-il autre chose, sinon d'être unis à Dieu, et que Dieu soit avec nous
parfaitement ? Nous sommes donc parfaitement et éternellement sauvés, et nous
reconnaissons en Jésus qui nous sauve un vrai « Emmanuel. » Il est Sauveur,
parce qu'en lui Dieu est avec nous : c'est un Dieu qui s'unit notre nature :
étant donc réconciliés avec Dieu, nous sommes élevés par la grâce jusqu'à n'être
plus qu'un même esprit avec lui.
C'est ce qu'opère celui qui est
à la fois ce que Dieu est et ce que nous sommes : Dieu et homme tout ensemble :
« Dieu était en Jésus-Christ se réconciliant le monde, ne leur imputant plus
leurs péchés (2) » et les effaçant dans ses saints. Ainsi Dieu est avec eux,
parce qu'ils n'ont plus leurs péchés.
Mais ce n'était rien , si en
même temps Dieu n'eût été avec eux pour les empêcher d'en commettre de nouveaux.
Dieu est avec vous dans le style de l'Ecriture , c'est-à-dire que Dieu vous
protège ; Dieu vous aide, et encore avec un secours si puissant que vos ennemis
ne prévaudront pas contre vous. « Ils combattront, disait le prophète, et ils ne
prévaudront pas, parce que je suis avec vous (3). » Soyez donc avec nous, ô
Emmanuel, afin que si après le pardon de nos péchés, nous avons encore à
combattre ses
1 Matth., VII, 19; Matth.,
I, 23. — 2 II Cor., V, 19. — 3 Jerem., I, 19.
267
pernicieuses douceurs, ses attraits, ses tentations, nous
en demeurions victorieux.
Est-ce là toute la grâce de
notre Emmanuel ? Non sans doute : en voici une bien plus haute, qui aussi est la
dernière de toutes : c'est qu'il sera avec nous dans l'éternité, « où Dieu sera
tout en tous (1) : » avec nous, pour nous purifier de nos péchés : avec nous,
pour n'en plus commettre : avec nous, pour nous conduire à la vie où nous ne
pourrons plus en commettre aucun. Voilà, dit saint Augustin (2), trois degrés
par où nous passons, pour arriver au salut (3) ne nous promet le nom de Jésus,
et à la grâce parfaite delà divine union par notre Emmanuel : heureux, quand
non-seulement nous n'aurons plus de péchés sous le joug de qui nous succombions;
mais quand encore nous n'en aurons plus contre qui il faille combattre, et qui
mettent en péril notre délivrance !
O Jésus ! ô Emmanuel ! ô Sauveur
! ô Dieu avec nous ! ô vainqueur du péché ! ô lien de la divine union !
J'attends avec foi ce bienheureux jour, où vous recevrez pour moi le nom de
Jésus , où vous serez mon Emmanuel, toujours avec moi, parmi tant de tentations
et de périls. Prévenez-moi de votre grâce, unissez-moi à vous; et que tout ce
qui est en moi soit soumis à vos volontés.
Après le songe de Joseph et la
parole de l'ange, ce saint homme fut changé : il devint père : il devint époux
par le cœur. Les autres adoptent des enfants : Jésus a adopté un père. L'effet
de son mariage fut le tendre soin qu'il eut de Marie, et du divin enfant. Il
commence ce bienheureux ministère par le voyage de Bethléem, et nous en verrons
toute la suite.
Que faites-vous, princes du
monde, en mettant tout l'univers en mouvement, afin qu'on vous dresse un rôle de
tous les sujets
1 I Cor., XV, 28. — 2 S. August.,
passim.
268
de votre empire? Vous en voulez connaître la force , les
tributs, les soldats futurs, et vous commencez pour ainsi dire à les enrôler.
C'est cela ou quelque chose de semblable que vous pensez faire : mais Dieu a
d'autres desseins que vous exécutez sans y penser par vos vues humaines. Son
Fils doit naître dans Bethléem, humble patrie de David : il l'a fait ainsi
prédire par son prophète (1), il y a plus de sept cents ans ; et voilà que tout
l'univers se remue pour accomplir cette prophétie.
Quand ils furent à Bethléem, au
dehors pour obéir au prince qui leur ordonnait de s'y faire inscrire dans le
registre public, et en effet pour obéir à l'ordre de Dieu dont le secret
instinct les menait à l'accomplissement de ses desseins, « le temps d'enfanter
de Marie arriva (2) : » et Jésus, fils de David, « naquit dans la ville où David
avait pris naissance (3) : » son origine fut attestée par les registres publics
: l'empire romain rendit témoignage à la royale descendance de Jésus-Christ ; et
César, qui n'y pensait pas, exécuta l'ordre de Dieu.
Allons aussi nous faire inscrire
à Bethléem ; Bethléem, c'est-à-dire maison du pain : allons y goûter le pain
céleste : le pain des anges devenu la nourriture de l'homme : regardons toutes
les églises comme étant le vrai Bethléem et la vraie maison du pain de vie.
C'est ce pain que Dieu donne aux pauvres dans la nativité de Jésus ; s'ils
aiment avec lui la pauvreté, s'ils connaissent les véritables richesses :
Edent pauperes, et saturabantur: «Les pauvres mangeront et seront rassasiés
(4) » s'ils imitent la pauvreté de leur Seigneur et le viennent adorer dans la
crèche.
Dieu préparait au monde un
grand et nouveau spectacle, quand il y fit naître un roi pauvre ; et il fallut
lui préparer un palais, et un berceau convenable. « Il est venu dans son bien :
et les siens
1 Mich.,
X, 2. — 2 Luc., II, 2, 4. — 3 Joan., VII, 42. — 4 Psal.
XXI, 27.
269
ne l'ont pas reçu (1) : Il ne s'est point trouvé de place
(2) » pour lui, quand il est venu. La foule et les riches de la terre avaient
rempli les hôtelleries : il n'y a plus pour Jésus qu'une étable abandonnée et
déserte, et une crèche pour le coucher. Digne retraite pour celui qui dans le
progrès de son âge devait dire : « Les renards ont leurs trous; et les oiseaux
du ciel, » qui sont les familles les plus vagabondes du monde, « ont leurs nids;
mais le Pila de l'homme n'a pas où reposer sa tête (3). » Il ne le dit pas par
plainte : il était accoutumé à ce délaissement : et à la lettre, dès sa
naissance , il n'eut pas où reposer sa tête.
C’est lui-même qui le voulut de
cette sorte. Laissons les lieux habités par les hommes : laissons les
hôtelleries où règnent le tumulte et l'intérêt : cherchez pour moi parmi les
animaux une retraite plus simple et plus innocente. On a enfin trouvé un lieu
digne du « délaissé. » Sortez, divin enfant ; tout est prêt pour signaler votre
pauvreté. Il sort comme un trait de lumière , comme un rayon du soleil : sa mère
est tout étonnée de le voir paraître tout à coup : cet enfantement est exempt de
cris, comme de douleur et de violence. Miraculeusement conçu, il nait encore
plus miraculeusement : et les saints ont trouvé encore plus étonnant d'être né
que d'être conçu d'une vierge.
Entrez en possession du trône de
votre pauvreté. Les anges vous y viennent adorer. Quand Dieu vous introduisit
dans le monde, ce commandement partit du haut du trône de sa majesté: « Que tous
les anges de Dieu l'adorent (4). » Qui peut douter que sa mère, que son père
d'adoption ne l'aient adoré en même temps? C'est en figure de Jésus que l'ancien
Joseph fut « adoré de son père et de sa mère (5) ; » mais l'adoration que reçoit
Jésus est bien d'un autre ordre, puisqu'il est « béni et adoré comme Dieu
au-dessus de tout, aux siècles des siècles (6). »
Ne pensez pas approcher de ce
trône de pauvreté avec l'amour des richesses et des grandeurs. Détrompez-vous,
désabusez-vous, dépouillez-vous, du moins en esprit, vous qui venez à la crèche
du Sauveur. Que n'avons-nous le courage de tout quitter en effet,
1 Joan., I, 11. — 2 Luc.,
II, 7. — 3 Ibid., IX, 58.— 4 Hebr., I, 6; Psal.
XCVI, 7. — 5 Genes., XXXVII, 9-10. — 6 Rom., IX, 5.
270
pour suivre pauvres le Roi des pauvres ! Quittons du moins
tout en esprit ; et au lieu de nous glorifier du riche appareil qui nous
environne, rougissons d'être parés où Jésus-Christ est nu et délaissé.
Toutefois il n'est pas nu : « sa
mère l'enveloppe de langes (1) » avec ses chastes mains. Il faut couvrir le
nouvel Adam, qui porte le caractère du péché, que l'air dévorerait, et que la
pudeur doit habiller autant que la nécessité. Couvrez donc , Marie, ce tendre
corps : portez-le à cette mamelle virginale : concevez-vous votre enfantement?
N'avez-vous point quelque pudeur de vous voir mère? Osez-vous découvrir ce sein
maternel, et quel enfant ose en approcher ses divines mains ? Adorez-le en
l'allaitant, pendant que les anges lui vont amener d'autres adorateurs.
« Les bergers,» les imitateurs
des saints patriarches et la troupe la plus innocente et la plus simple qui fût
dans le monde, « veillaient la nuit » parmi les champs « à la garde de leurs
troupeaux (2). » Anges saints accoutumés à converser avec ces anciens bergers,
avec Abraham, avec Isaac, avec Jacob, annoncez à ceux de la contrée que le grand
pasteur est venu ; que la terre va voir encore un roi berger, qui est le fils de
David, «l'ange du Seigneur. » Ne lui demandons pas son nom, comme Manué ; il
nous répondrait peut-être : « Pourquoi demandez-vous mon nom qui est admirable
(3) ? » Si ce n'est qu'il faille entendre que c'est le même ange qui vient
d'apparaître à Zacharie et à la sainte Vierge. Quoi qu'il en soit, sans rien
présumer où l'Evangile ne dit mot, « l'ange du Seigneur se présenta tout à coup
à eux : une lumière céleste les environna, et ils furent saisis d'une grande
crainte (4). » Tout ce qui est divin étonne d'abord la nature humaine pécheresse
et bannie du ciel. Mais l'ange les rassura, en leur disant : « Ne craignez pas :
je vous annonce une grande joie. C'est que
1 Luc., II, 7. — 2 Ibid.,
8, 9. — 3 Judic., XIII, 17, 18. — 4 Luc., II, 9-12.
271
dans la ville de David » (retenez ce lieu qui de si
longtemps vous est marqué par la prophétie), « aujourd'hui vous est né le
Sauveur du monde, le Christ, le Seigneur. Et voici le signe que je vous donne
pour le reconnaître : vous trouverez un enfant enveloppé de langes, couché dans
une crèche. » A cette marque singulière d'un enfant couché dans une crèche, vous
reconnaîtrez celui qui est le Christ, le Seigneur : « Petit enfant qui est né
pour nous : Fils qui nous est donné : » qui en même temps « est nommé
l'Admirable, le Dieu fort, le Père de l’éternité, le Prince de paix (1). » Aussi
« au même instant se joignit à l'ange une grande troupe de l'armée céleste, qui
louait Dieu et disait : Gloire à Dieu, et paix sur la terre (2). »
Remarquons ici un nouveau
Seigneur à qui nous appartenons : un Seigneur qui reçoit de nouveau ce nom
suprême et divin avec celui de Christ : c'est le Dieu qui est oint de Dieu, à
qui David a chanté : « Votre Dieu, ô Dieu, vous a oint ; vous êtes Dieu
éternellement (3) : » mais vous êtes de nouveau le Christ, Dieu et homme à la
fois : et le nom du Seigneur vous est affecté, pour exprimer que vous êtes Dieu
à même titre que votre Père : dorénavant à l'exemple de l'ange, on vous
appellera le Seigneur en toute souveraineté et hauteur. Commandez donc à votre
peuple nouveau : vous ne parlez point encore ; mais vous commandez par votre
exemple : et quoi ? l'estime du moins et l'amour de la pauvreté; le mépris des
pompes du monde; la simplicité : l'ose-rai-je dire? une sainte rusticité dans
ces nouveaux adorateurs que l'ange vous amène et qui font toute votre cour,
agréable à Joseph, à Marie et de même parure qu'eux, puisqu'ils sont également
revêtus de la livrée de la pauvreté.
Repassons sur ces paroles de
l'ange : « Vous trouverez un enfant dans les langes, sur une crèche (4) : » vous
connaîtrez à ce
1 Isa., IX, 6. — 2 Luc., II, 13, 14.— 3
Psal. XLIV, 8. — 4 Luc., II, 12.
272
signe que c'est le Seigneur. Allez dans la cour des rois :
vous reconnaîtrez le prince nouveau-né par ses couvertures rehaussées d'or et
par un superbe berceau dont on voudrait bien faire un trône : mais pour
connaître le Christ qui vous est né, ce Seigneur si haut, que David son père,
tout roi qu'il est, appelle son Seigneur (1), on ne vous donne pour
signal que la crèche où il est couché et les pauvres langes où est enveloppée sa
faible enfance : c'est-à-dire qu'on ne vous donne qu'une nature semblable à la
vôtre, des infirmités comme les vôtres, une pauvreté au-dessous de la vôtre. Qui
de vous est né dans une étable? Qui de vous, pour pauvre qu'il soit, donne à ses
enfants une crèche pour berceau? Jésus est le seul qu'on voit délaissé jusqu'à
cette extrémité, et c'est à cette marque qu'il veut être reconnu.
S'il voulait se servir de sa
puissance , quel or couronnerait sa tête ! Quelle pourpre éclaterait sur ses
épaules ! Quelles pierreries enrichiraient ses habits! « Mais, poursuit
Tertullien, il a jugé tout ce faux éclat, toute cette gloire empruntée, indigne
de lui et des siens : ainsi en la refusant, il l'a méprisée ; en la méprisant,
il l'a proscrite; en la proscrivant, il l'a rangée avec les pompes du démon et
du siècle (2). »
C'est ainsi que partaient nos
pères les premiers chrétiens : mais nous, malheureux ! nous ne respirons que
l'ambition et la mollesse.
« Gloire à Dieu au plus haut des
deux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (3) » La paix se publie
par toute la terre : la paix de l'homme avec Dieu par la rémission des péchés :
la paix des hommes entre eux : la paix de l'homme avec lui-même par le concours
de tous ses désirs à vouloir ce que Dieu veut. Voilà la paix que les anges
chantent et qu'ils annoncent à tout l'univers.
Cette paix est le sujet de la
gloire de Dieu. Ne nous réjouissons
1 Psal. CIX, 1.— 2 Tertull., De patientià,
cap. VI. — 3 Luc., II, 14.
273
pas de cette paix, à cause qu'elle se fait sentir à nous
dans nos cœurs ; mais à cause qu'elle glorifie Dieu dans le haut trône de sa
gloire : élevons-nous aux lieux hauts, à la plus grande hauteur du trône de
Dieu, pour le glorifier en lui-même et n'aimer ce qu'il fait en nous que par
rapport à lui.
Chantons dans cet esprit avec
toute l'Eglise : Gloria in excelsis Deo. Toutes les fois qu'on entonne ce
cantique angélique, entrons dans la musique des anges par le concert et l'accord
de tous nos désirs : souvenons-nous de la naissance de Notre-Seigneur qui a fait
naître ce chant : disons de cœur toutes les paroles que l'Eglise ajoute pour
interpréter le cantique des anges : Nous vous louons : nous vous adorons :
Laudamus te : adoramus te; et surtout : Gratias agimus tibi propter
magnam gloriam tuam : Nous vous rendrons grâces à cause de votre grande
gloire : nous aimons vos bienfaits à cause qu'ils vous glorifient, et les biens
que vous nous faites à cause que votre bonté en est honorée.
« Paix sur la terre aux hommes
de bonne volonté. » Le mot de l'original qu'on explique par la bonne volonté,
signifie la bonne volonté de Dieu pour nous, et nous marque que la paix est
donnée aux hommes chéris de Dieu.
L'original porte mot à mot : «
Gloire à Dieu dans les lieux hauts : paix sur la terre : bonne volonté du côté
de Dieu dans les hommes. » C'est ainsi qu'ont lu de tout temps les Eglises
d'Orient. Celles d'Occident y reviennent en chantant la paix aux hommes de bonne
volonté, c'est-à-dire premièrement à ceux à qui Dieu veut du bien ; et en second
lieu à ceux qui ont eux-mêmes une bonne volonté, puisque le premier effet de la
bonne volonté que Dieu a pour nous, est de nous inspirer une bonne volonté
envers lui.
La bonne volonté est celle qui
est conforme à la volonté de Dieu : comme elle est bonne par essence et par
elle-même, celle qui lui est conforme est bonne par ce rapport. Réglons donc
notre volonté par celle de Dieu, et nous serons des hommes de bonne volonté,
pourvu que ce ne soit pas par insensibilité, par indolence, par négligence, et
pour éviter le travail, mais par la foi que « nous rejetions tout sur Dieu (1).
» Les âmes molles et paresseuses ont plus
1 I Petr., V, 7.
274
tôt fait en disant tout à coup : Que Dieu fasse ce qu'il
voudra, et ne se soucient que de fuir la peine et l'inquiétude. Mais pour être
véritablement conforme à la volonté de Dieu, il faut savoir lui faire un
sacrifice de ce qu'on a de plus cher, et avec un cœur déchiré lui dire : Tout
est à vous : faites ce qu'il vous plaira. Comme le saint homme Job, qui ayant
perdu en un jour tous ses biens et tousses enfants, comme on venait coup sur
coup lui en rapporter la nouvelle, se jetant à terre, adora Dieu et dit : « Le
Seigneur m'a-voit donné tout ce que j'avais, le Seigneur me l'a ôté : il en est
arrivé ainsi qu'il a plu au Seigneur : le nom du Seigneur soit béni (1). » Celui
qui adore en cette sorte est le vrai homme de bonne volonté ; et élevé au-dessus
des sens et de sa volonté propre, il glorifie Dieu dans les lieux hauts. C'est
ainsi qu'il a la paix et il tâche de calmer le trouble de son cœur, non point à
cause qu'il le peine, mais parce qu'il empêche la perfection du sacrifice qu'il
veut faire à Dieu : autrement il ne chercherait qu'un faux repos, et voilà ce
que c'est que la bonne volonté.
La bonne volonté, c'est le
sincère amour de Dieu; et comme parle saint Paul, « c'est la charité d'un cœur
pur, d'une conscience droite et d'une foi qui ne soit pas feinte (2). » La foi
est feinte en ceux où elle n'est pas soutenue par les bonnes œuvres; et les
bonnes œuvres sont celles où l'on cherche à contenter Dieu , et non pas son
humeur, son inclination, son propre désir. Alors quand on cherche Dieu avec une
intention pure, les œuvres sont pleines : sinon l'on reçoit de Jésus-Christ ce
reproche : « Je ne trouve pas vos œuvres pleines devant mon Dieu (3). »
Le commencement de l'Evangile
est dans ces paroles de l'ange aux bergers : « Je vous annonce; » de mot à mot,
« Je vous évangélise , je vous apporte la bonne nouvelle qui sera le sujet d'une
1 Job., I, 21, 22. — 2 II
Timoth., I, 5. — 3 Apoc., II, 2.
275
grande joie; » et c'est celle « de la naissance du Sauveur
du monde (1). » Quelle plus heureuse nouvelle que celle d'avoir un Sauveur ?
Lui-même dans la première prédication qu'il fit dans la synagogue au sortir du
désert, nous explique ce sujet de joie par les paroles d'Isaïe , qu'il trouva à
l'ouverture du livre : « L'esprit de Dieu est sur moi : c'est pourquoi le
Seigneur m'a consacré par son onction : il m'a envoyé annoncer l'Evangile aux
pauvres, et leur porter la bonne nouvelle de leur délivrance, pour guérir ceux
qui ont le cœur affligé ; pour annoncer aux captifs qu'ils vont être mis en
liberté , et aux aveugles qu'ils vont recevoir la vue; renvoyer en paix ceux qui
sont accablés de maux ; publier l'année de miséricorde et le pardon du Seigneur,
et le jour où il rendra » aux gens de bien « leur récompense (2), » comme le
châtiment aux autres.
Quelle joie pareille pouvait-on
donner aux hommes de bonne volonté, et quel plus grand sujet de joie? Mais
n'est-ce pas en même temps le plus grand sujet de glorifier Dieu? Et que peuvent
désirer les gens de bien, que de voir Dieu exalté par tant de merveilles? Voilà
donc ce que c'est que l'Evangile : c'est en apprenant l'heureuse nouvelle de la
délivrance de l'homme , se réjouir d'y avoir la plus grande gloire de Dieu.
Elevons-nous aux lieux hauts, à la plus sublime partie de nous-mêmes :
élevons-nous au-dessus de nous, et cherchons Dieu en lui-même pour nous réjouir
avec les anges de sa grande gloire.
Après le cantique des anges, «
les bergers se disaient les uns aux autres : Allons à Bethléem. Et s'étant hâtés
de partir, ils trouvèrent Marie et Joseph, et l'enfant couché dans la crèche
(3). » — Le voilà donc ce Sauveur qu'on nous a annoncé! Hélas ! à quelle marque
nous le fait-on connaitre ! A la marque d'une pauvreté
1 Luc., II, 10. — 2 Ibid.,
IV, 18, 19; Isa., LXI, 1, 2. — 3 Luc., II, 15, 16.
276
qui n'eut jamais sa semblable. Non, jamais nous ne nous
plaindrons de notre misère. Nous préférerons nos cabanes aux palais des rois.
Nous vivrons heureux sous notre chaume, et trop glorieux de porter le caractère
du Roi des rois. Allons répandre partout cette bienheureuse nouvelle : allons
partout consoler les pauvres, en leur disant les merveilles que nous avons vues.
Comme Dieu prépare la voie à son
Evangile ! Chacun était étonné d'entendre ce beau témoignage de ces bouches
aussi innocentes que rustiques. Si c'étaient des hommes célèbres, des pharisiens
ou des docteurs de la loi, qui racontassent ces merveilles , le monde croirait
aisément qu'ils voudraient se faire un nom par leurs sublimes visions. Mais qui
songe à contredire de simples bergers dans leur récit naïf et sincère? La
plénitude de leur joie éclate naturellement, et leur discours est sans artifice.
Il fallait de tels témoins à celui qui devait choisir des pêcheurs pour être ses
premiers disciples et les docteurs futurs de son Eglise. Tout est, pour ainsi
parler, de même parure dans les mystères de Jésus-Christ. Tâchons de sauver les
pauvres, et de leur faire goûter la grâce de leur état. Humilions les riches du
siècle, et confondons leur orgueil. Si quelque chose nous manque, et à qui ne
manque-t-il pas quelque chose? aimons, adorons , baisons ce caractère de
Jésus-Christ. Ne souhaitons point d'être riches : car qu'y gagnons-nous ?
puisqu'après tout, quand nous aurons entassé dignités sur dignités, terres sur
terres, trésors sur trésors, il faut nous en détacher, il en faut perdre le
goût, il faut être prêt à tout perdre, si nous voulons être chrétiens.
Nous avons vu les bergers s'en
retourner, glorifiant Dieu et le faisant glorifier à tous ceux qui les
écoutaient: mais voici quelque chose encore de plus merveilleux et de plus
édifiant : « Marie conservait toutes ces choses, les repassant dans son cœur. »
Et
277
dans la suite : « Le père et la mère de Jésus étaient dans
l'admiration des choses qu'on disait de lui (1). » Je ne sais s'il ne vaudrait
pas peut-être mieux s'unir au silence de Marie, que d'en expliquer le mérite par
nos paroles. Car qu'y a-t-il de plus admirable, après ce qui lui a été annoncé
par l'ange, après ce qui s'est passé en elle-même, que d'écouter parler tout le
monde et demeurer cependant la bouche fermée ? Elle a porté dans son sein le
Fils du Très-Haut : elle l'en a vu sortir comme un rayon de soleil, d'une nuée,
pour ainsi parler, pure et lumineuse. Que n'a-t-elle pas senti par sa présence?
Et si pour en avoir approché , Jean dans le sein de sa mère a ressenti un
tressaillement si miraculeux, quelle paix, quelle joie divine n'aura pas sentie
la sainte Vierge à la conception du Verbe que le Saint-Esprit formait en elle !
Que ne pourrait-elle donc pas dire elle-même de son cher fils? Cependant elle le
laisse louer par tout le monde : elle entend les bergers ; elle ne dit mot aux
mages qui viennent adorer son fils : elle écoute Siméon et Anne la prophétesse,
elle ne s'épanche qu'avec sainte Elisabeth, dont la visite avait fait une
prophétesse ; et sans ouvrir seulement la bouche avec tous les autres, elle fait
l'étonnée et l'ignorante : Erant mirantes. Joseph entre en part de son
silence comme de son secret, lui à qui l'ange avait dit de si grandes choses, et
qui avait vu le miracle de l'enfantement virginal. Ni l'un ni l'autre ne parlent
de ce qu'ils voient tous les jours dans leur maison, et ne tirent aucun avantage
de tant de merveilles. Aussi humble que sage, Marie se laisse considérer comme
une mère vulgaire, et son Fils comme le fruit d'un mariage ordinaire.
Les grandes choses que Dieu fait
au dedans de ses créatures, opèrent naturellement le silence, le saisissement,
je ne sais quoi de divin qui supprime toute expression. Car que dirait-on, et
que pourrait dire Marie, qui pût égaler ce qu'elle sentait? Ainsi on tient sous
le sceau le secret de Dieu, si ce n'est que lui-même anime la langue et la
pousse à parler. Les avantages humains ne sont rien, s'ils ne sont connus et que
le monde ne les prise. Ce que Dieu fait a par soi-même son prix inestimable, que
l'on ne veut goûter qu'entre Dieu et soi. Hommes, que vous êtes vains, et que
1 Luc., II, 10, 33.
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vaine est l'ostentation qui vous presse à faire valoir aux
yeux des hommes, aussi vains que vous, tous vos faibles avantages ! « Enfants
des hommes, jusques à quand aurez-vous un cœur pesant » et charnel? «jusques à
quand aimerez-vous la vanité et vous plairez-vous dans le mensonge (1)? » Tous
les biens dont on fait parade sont faux en eux-mêmes : l'opinion seule y met le
prix, et il n'y a de bien véritable que ce qu'on goûte seul à seul dans le
silence avec Dieu. « Mettez-vous dans un saint loisir pour connaître que je suis
Dieu: goûtez et voyez combien le Seigneur est doux (2). » Aimez la retraite et
le silence : retirez-vous des conversations tumultueuses du monde : taisez-vous,
ma bouche, n'étourdissez pas mon cœur qui écoute Dieu, et cessez d'interrompre
ou de troubler une attention si douce : » Vacate et videte : gustate et
videte quoniam suavis est Dominus. Gustate et videte.
1 Psal. IV, 3. — 2 Psal. XLV, 11, et XXXIII,
9.
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