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XIIIe SEMAINE. ONCTION DE JÉSUS-CHRIST : SA ROYAUTÉ : SA GÉNÉALOGIE : SON
SACERDOCE.
PREMIÈRE ÉLÉVATION. L'onction de Jésus-Christ et le nom de Christ.
IIe ÉLÉVATION. Comment le Saint-Esprit est en Jésus-Christ.
IIIe ÉLÉVATION. Quel est l'effet de celte onction en Jésus-Christ et en nous.
IVe ÉLÉVATION. Sur deux vertus principales que nous doit inspirer fonction de
Jésus-Christ.
Ve ÉLÉVATION. La généalogie royale de Jésus-Christ.
VIe ÉLÉVATION. Le sacerdoce de Jésus-Christ.
VIIe ÉLÉVATION. Quelle a été l'oblation de Jésus-Christ et le premier acte
qu'il a produit en entrant dans le monde.
VIIIe ÉLÉVATION. Jésus-Christ est le sacrifice pour le pèche : excellence de
son oblation.
O Christ! ô Messie! ô vous qui
êtes attendu et donné sous ce nom sacré, qui signifie l'oint du Seigneur !
apprenez-moi dans l'excellence de votre onction l'origine et le fondement du
christianisme. Et puisqu'il est écrit que «l'onction nous apprend tout,» et
encore que « nous avons l'onction et » que «nous savons toutes choses (1), »
quand est-ce que cette onction nous doit enseigner, sinon lorsqu'il s'agit
d'expliquer l'onction qui, vous faisant Christ, nous fait aussi chrétiens par la
communication d'un si beau nom?
O Christ ! vous êtes connu de
tout temps sous ce beau nom. Le Prophète vous a vu sous ce nom, lorsqu'il a
chanté : « Votre trône, ô Dieu ! est éternel : et votre Dieu vous a oint d'une
huile ravissante (2) : » c'est vous que Salomon a célébré, en disant dans son
divin cantique : « Votre nom est une huile, un baume répandu (3). » Quand l'ange
saint Gabriel a annoncé le temps précis de votre venue, il s'en est expliqué, en
disant: Que « le Saint des saints serait oint, et» que « l'Oint ou le Christ
serait immolé (4). » Et vous-même qu'avez-vous prêché dans la synagogue, lorsque
vous expliquâtes votre mission? Qu'avez-vous, dis-je , prêché , que ce beau
texte d'Isaïe : « L'Esprit du Seigneur m'a envoyé, et c'est pour cela qu'il m'a
oint (5). » Vous avez paru vouloir
1 I Joan., II, 20, 27. — 2 Psal. XLIV, 1, 8.
— 3 Cant., I, 2. — 4 Dan., IX, 21, 24-26. — 6 Isa., LXI, 1
; Luc., IV, 18.
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expliquer par ce texte d'Isaïe , que vous êtes oint par le
Saint-Esprit; et n'est-ce pas aussi ce qu'a enseigné votre apôtre saint Pierre
au saint centurion Cornélius, lorsqu'il lui prêcha Jésus de Nazareth, « et
comment Dieu l'avait oint du Saint-Esprit et de puissance pour opérer des
prodiges, et remplir toute la Judée de ses bienfaits (1). »
O Christ ! encore un coup,
faites-moi connaître comme fit saint Pierre au saint Centenier, comment votre
Dieu vous a oint du Saint-Esprit, et rendez-moi participant de cette onction.
Le Saint-Esprit est en nous
comme y venant du dehors, comme reçu par emprunt ; il n'est point notre propre
esprit ; mais il est le propre esprit de Jésus-Christ : « Il prend du sien : »
le Verbe divin le produit avec son Père ; et quand il a été fait homme, il a
produit ce Saint-Esprit, comme un esprit qui lui était propre, dans l'homme
qu'il s'est uni (2).
Ainsi quand les hommes font des miracles par le
Saint-Esprit, c'est en eux un esprit qui vient du dehors et par emprunt; mais,
dit doctement et excellemment saint Cyrille d'Alexandrie : «Quand Jésus-Christ
chasse le démon et fait d'autres miracles par le Saint-Esprit, comme il l'assure
lui-même , il agit par un esprit qui lui est propre et qui est en lui comme dans
sa source. »
De là vient qu'il l'a reçu avec
une entière plénitude : « L'esprit ne lui est pas donné avec mesure (3), » mais
sans mesure et en plénitude parfaite, pour être répandu sur nous, et afin « que
nous tous reçussions ce que nous avons de sa plénitude (4). » Ce qui a fait dire
à Isaïe : « Le Saint-Esprit se reposera sur lui (5) ; » et selon une ancienne
version : « Toute la source, toute la fontaine du Saint-Esprit descendra sur
lui. »
1 Act., X, 28. — 2 Joan.,
XVI, 14; Luc., XXIV, 49; Joan., XV, 26. — 3 Joan., III, 34.
— 4 Ibid., 1, 16. — 5 Isa., XI, 2, 3.
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Jésus est donc oint par le
Saint-Esprit comme l'ayant en lui par sa divinité , comme ayant reçu du Père qui
est en lui la vertu de le produire, comme le donnant en propre à l'homme qu'il
s'est uni en unité de personne. Ce qui a fait dire aux saints qu'il a été oint
de la divinité ; et c'était ce que voyait ce prophète, lorsqu'en disant « qu'il
a été oint par son Dieu (1), » en même temps lui-même il l'appelle Dieu.
Telle est donc l'onction qui a
fait le Christ. Ce n'est pas d'une huile matérielle qu'il a été oint, comme
Elisée et les prophètes, comme David et les rois, comme Aaron et les pontifes.
Quoique roi, prophète et pontife, il n'a pas été oint de cette onction qui
n'était qu'une ombre de la sienne. Aussi David a-t-il dit « qu'il était oint
d'une huile excellente, au-dessus de tous ceux qui sont nommés oints (2) » en
figure de son onction, parce qu'il est oint de divinité et du Saint-Esprit.
C'est ainsi que Dieu l'a fait Christ. Et quand il nous a faits chrétiens, de
quel autre esprit a-t-il rempli son Eglise naissante, et par quel autre esprit
a-t-il répandu le nom chrétien par toute la terre? Mais ne nous arrêtons pas à
cette doctrine quoique divine et nécessaire, et faisons-en l'application que
Dieu nous commande.
Par cette onction divine
Jésus-Christ est roi, pontife et prophète : voilà ce qu'il est comme Christ ; et
il nous apprend aussi que comme chrétiens et par l'épanchement de son onction,
nous sommes faits rois et sacrificateurs : « un sacerdoce royal, » comme dit
saint Pierre (3). Et saint Jean dans l'Apocalypse ; « Vous nous avez faits rois
et sacrificateurs à notre Dieu (4) »
Ayons donc un courage royal : ne
nous laissons point assujettir par nos passions : n'ayons que de grandes pensées
: ne nous rendons point esclaves de celles des hommes.
1 Psal. XLIV, 8. — 2 Ibid. — 3 I
Petr., II, 9. — 4 Apoc., I, 6.
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Comme rois, soyons magnanimes,
magnifiques : aspirons à ce qu'il y a de plus haut : mais aspirons comme prêtres
et sacrificateurs spirituels à ce qu'il y a de plus saint. Chrétiens, nous ne
sommes plus des hommes profanes : nous sommes ceux à qui il est dit : « Soyez
saints parce que je suis saint, dit le Seigneur (1). »
Comment sommes-nous prophètes?
Agissons par un céleste instinct : sortons de l'enceinte des choses présentes :
remplissons-nous des choses futures : ne respirons que l'éternité. Quoi ! vous
vous faites un établissement sur la terre : vous voulez vous y élever; songez au
pays où vous serez rois : « Réjouissez-vous, petit troupeau, parce qu'il a plu à
votre Père céleste de vous donner son royaume (2). »
Un des effets principaux de la
foi chrétienne et de la sainte onction des enfants de Dieu, est la douceur : «
Apprenez de moi, dit Jésus lui-même, que je suis doux et humble de cœur (3). »
Isaïe avait prédit sa douceur par ces paroles, que saint Matthieu lui a
appliquées : « Voici mon serviteur que j'ai élu ; mon bien-aimé, où je me suis
plu et en qui j'ai mis mon affection : je ferai reposer sur lui mon esprit : et
il annoncera la justice aux nations (4). » Voilà un ministère bien éclatant;
mais qu'il est doux en même temps et qu'il est humble, puisque le prophète
ajoute, et après lui l'Evangéliste : « Il ne disputera point, ni il ne criera
point, et on n'entendra point sa voix dans les rues, » comme les esprits
contentieux et disputeurs la font éclater au dehors : « Il ne brisera point le
roseau cassé, et il n'achèvera point d'éteindre la mèche qui fume encore : » il
n'ajoutera point, comme on fait ordinairement parmi les hommes, l'affliction à
l'oppressé par des reproches amers. Voilà l'esprit de Jésus-Christ et le vrai
Esprit de Dieu,
1 I Petr., I, 16. — 2 Luc,
XII, 32. — 3 Matth., XI, 29. — 4 Isa., XLII, 1 et seq.
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qui « n'habite pas dans un tourbillon, ni dans le souffle
d'un vent violent qui renverse les rochers et les montagnes, «comme Elie
semblait le penser en voulant tout exterminer et tout perdre : «il n'habite pas
dans la commotion et l'ébranlement, ni dans le feu qui le suit, mais dans le
doux souffle d'un air léger et rafraîchissant (1).»
Tel est l'Esprit du Seigneur
Jésus. Et c'est pourquoi, lorsque ses disciples voulaient dans l'esprit d'Elie
et d'Elisée faire descendre le feu du ciel sur les villes qui leur refusaient le
passage, il leur disait avec sa douceur ineffable : « Vous ne savez pas de quel
esprit vous êtes (2) : » vous ne savez pas quel est l'esprit de votre religion
et de la doctrine du Christ. Quelle fut sa douceur, lorsqu'il dit à celui qui le
frappait : « Si j'ai mal dit, faites connaître le mal que j'ai fait; et si j'ai
bien dit, pourquoi me frappez-vous (3)?» Et ailleurs : « Race incrédule et
maudite, jusqu'à quand serai-je contraint d'être parmi vous et de souffrir vos
injustes contradictions? Toutefois amenez-moi votre fils (4), » afin que je le
guérisse. Et encore : « Femme, où sont vos accusateurs? Personne ne vous
condamne : Je ne vous condamnerai pas non plus : allez et ne péchez plus (5).»
Prenons donc l'esprit de
douceur, comme le vrai esprit du christianisme : que l'onction du Saint-Esprit
adoucisse notre aigreur et notre fierté : ne prenons pas ces tons superbes et
avantageux : c'est faiblesse que de s'animer de celte sorte: la force est dans
la raison tranquillement exposée: cette force manque quand on a recours à cette
force hautaine et contentieuse qu'on fait venir à son secours. Quand vous avez à
combattre pour la vérité, songez que ce n'est point par d'aigres disputes que
L'Evangile s'est établi, mais par la douceur et la patience, en imitant
Jésus-Christ «qui s'est laissé non-seulement tondre (6), » mais encore écorcher
sans se plaindre. Ecoutez, dans les Actes, les prédicateurs de son
Evangile, qui condamnés par Les Juifs : « Jugez vous-mêmes, leur disaient-ils,
s'il faut vous écouter plutôt que Dieu : car pour nous, nous ne pouvons pas
dissimuler ce que nous avons vu et ce que
1 III Reg., XIX, 11, 12. — 2
Luc., IX, 55. — 3 Joan., XVIII, 23. — 4 Marc., IX, 18; Luc.,
IX, 51. — 5 Joan., VIII, 10, 11.— 6 Isa., LIII, 7; I Petr.,
II, 21, 23, 29.
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nous avons ouï (1). » C'est dans cet esprit qu'il faut
parler à ceux à qui la vérité nous oblige à nous opposer : c'est ainsi que sans
disputer et sans se troubler, on les met visiblement dans leur tort. Voilà de
vrais chrétiens et de vrais imitateurs du Christ. Et que fait son innocent
troupeau si injustement maltraité : « Seigneur, qui avez fait le ciel et la
terre, regardez les menaces de nos ennemis , et donnez à vos serviteurs
d'annoncer votre parole en toute confiance , puisqu'il vous plaît d'étendre
votre bras pour faire de si grands prodiges par le nom de votre saint fils Jésus
(2). » C'est ainsi qu'ils veulent parler « avec confiance » seulement, mais non
pas avec amertume ni avec aigreur. Qui met sa confiance en Dieu , ne la met pas
dans la violence d'un ton aigre et impérieux : la victoire appartient à la
douceur et à la patience ; et Isaïe, après avoir fait Jésus-Christ si humble ,
si patient et si doux, conclut enfin en disant : « qu'il remportera la
victoire : « qu'il gagnera sa cause en jugement, et » que « les gentils
mettront en lui leur espérance (3).» Traitez donc avec douceur l'affaire de Dieu
: soyez de vrais chrétiens, c'est-à-dire de vrais agneaux ; et sans murmure ,
sans bruit, sans avoir aucune teinture de l'esprit de contradiction, montrez
autant de tranquillité que d'innocence : ayez la douceur et la patience sa fille
: ces deux vertus sont les deux caractères propres de la piété chrétienne, et
les deux fruits de l'onction de Jésus-Christ répandue sur nous.
Ce titre ne m'engage pas à
traiter les difficultés ni les contradictions apparentes des deux généalogies de
Jésus-Christ rapportées dans saint Matthieu et dans saint Luc (4). La lecture
que je fais ici de l'Evangile a un autre objet, et je remarquerai seulement :
En premier lieu, qu'il était
notoire que Jésus-Christ sortait de
1 Act., IV, 19, 20.— 2 Ibid.,
V, 24, 29, 30. — 3 Matth., XII, 20, 21; Isa., XLII, 1 et seq. — 4
Matth., I; Luc., III, 23.
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la race de David : tout le monde l'appelait hautement et
sans contradiction, « le fils de David (1). » Sa généalogie était bien connue, «
et il était manifeste » aux Hébreux mêmes « qu'il était de la tribu de Juda (2).
» Il n'était pas moins constant qu'il en sortoit par David : saint Paul avance
et répète comme un fait qui n'était pas contredit, « qu'il est sorti du sang de
David (3). »
Si donc les évangélistes se sont
attachés à marquer la descendance de Joseph plutôt que celle de Marie, c'est
qu'on savait qu'ils étaient de même race et si proches parents, que tout le
monde connaissait leur parenté. Aussi dans l'ordre qui fut donné sous Auguste de
faire écrire son nom dans le lieu de son origine, «Joseph fut à Bethléem avec
Marie son épouse, pour se faire inscrire avec elle (4) : » c'en est assez pour
fermer la bouche aux esprits contentieux et contredisants, qui voudraient qu'on
nous eût donné la généalogie de la sainte Vierge plutôt que celle de Joseph.
C'était assez que tout le monde sût qu'ils étaient parents et de même race. En
second lieu, il est inutile de se tourmenter à concilier les deux généalogies de
saint Matthieu et de saint Luc. La loi qui ordonnait au cadet d'épouser
la veuve de son aîné mort sans enfants, pour en faire revivre la tige et lui
donner une postérité (5), introduisait par nécessité parmi les Juifs deux sortes
de généalogies, l'une naturelle et l'autre légale. Il y a beaucoup de raison de
croire que saint Matthieu, qui se sert partout du mot « d'engendrer (6), » l'a
choisi pour marquer plus expressément la généalogie naturelle, plus propre à la
désigner, que le terme plus vague et plus général dont s'est servi saint Luc
(7). Quoi qu'il en soit, le Saint-Esprit a voulu que nous sussions qu'en quelque
sorte qu'on voulût compter la race de Jésus-Christ, il venoit toujours de Juda
et de David, et de la famille royale.
En troisième lieu, il fallait à
la vérité que Jésus-Christ eût pour aïeux tous les rois de Juda sortis de David,
afin de marquer au peuple que vrai roi des Juifs, ce titre lui était comme
héréditaire : mais toutefois l'humble Jésus, à qui Dieu avait destiné une
1 Matth., I, 20; IX, 21 ; XIX.
23; XV, 22 ; XX, 30, 31; XVI, 9, 15; Marc., XI, 9, 10.— 2 Hebr.,
VII, 24. — 3 Rom., I,
3; II Timoth., II, 8. — 4 Luc., II, 1, 3-5.— 5 Deut., XXV,
5, 6. — 6 Matth., I, 12, 13 et seq. — 7 Luc., III, 23, 24.
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noblesse royale, ne sort point de cette maison dans son
grand éclat, nui is dans le temps de sa décadence, où déchue de la royauté, elle
subsistait dans les plus vils artisans, par où aussi il devait paraître que son
trône était d'une autre nature et d'une autre élévation que celui de ses
ancêtres.
En quatrième lieu, il fallait
aussi qu'il naquît de la tribu de Juda; de laquelle, comme le remarque saint
Paul (1), «Moïse n'a rien prononcé sur le sacerdoce. » Car le sacerdoce de
Jésus-Christ devant être d'un autre ordre que celui d'Aaron, si Jésus-Christ
était de son sang, on aurait cru qu'il aurait tiré son sacerdoce comme
héréditaire de la famille d'Aaron, au lieu que, comme on va voir, il le devait
tirer d'une autre origine.
En cinquième lieu, quoique
Jésus-Christ dût descendre de Juda, et non de Lévi ni d'Aaron, il convenait
qu'il y eût quelque parenté entre sa famille et celle d'Aaron : ce qui fait que
la sainte Vierge était cousine d'Elisabeth, et que ces deux saintes parentes ont
eu des ancêtres communs : par où il paroit qu'encore que le sacerdoce d'Aaron ne
put être celui de Jésus-Christ, il ne devait pas lui être entièrement étranger,
et qu'il devait y avoir de l'alliance entre les deux.
En sixième lieu, pour en revenir
à la famille royale qui était proprement celle du Sauveur, il faut observer
qu'encore qu'il fût le Saint des saints, non-seulement il est sorti de rois
pécheurs et méchants, mais encore que les seules femmes qu'on marque comme ses
aïeules sont une Thamar, une Ruth Moabite et sortie d'une race infidèle; et
enfin une Bethsabée, une adultère (2) : tout cela se fait pour l'espérance des
pécheurs, dont Jésus-Christ ne veut pas être éloigné et ne dédaigne pas le sang;
mais il s'en montre le Rédempteur.
Apprenons à mépriser les hommes
du monde, si enflés de l'antiquité souvent imaginaire de leur race, dont ils
cachent avec tant de soin les endroits faibles. Ne mettons point notre gloire
dans nos ancêtres, dont le plus grand nombre, et peut-être les plus renommés,
augmente depuis si longtemps celui des damnés; et ne songeant point à nous
illustrer par leurs noms maudits de Dieu,
1 Hebr., VII, 14. — 2 Matth., I, 3-5.
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glorifions-nous d'être ses enfants : unissons-nous au Fils,
et en disant avec saint Paul, «qu'il est le Sauveur des pécheurs (1) » ajoutons
toujours avec cet Apôtre : « Desquels je suis le premier, » puisque chacun d'un
certain côté est le plus grand et le premier, comme le plus ingrat de tous les
pécheurs.
La race dont Jésus-Christ est
sorti était vraiment la race royale, et il y a remis le trône d'une manière plus
haute qu'il n'y avait jamais été. Mais en Jésus-Christ, il n'y a point de race
sacerdotale : il n'a ni prédécesseur ni successeur : il a seulement des figures
dont Melchisédech est la plus illustre et la seule qui paroisse digne de lui. Il
n'y a qu'à lire l’Epitre aux Hébreux; et il n'y faut point de commentaire. On
nous y montre tout d'un coup dans la Genèse, « Melchisédech sans père, sans
mère, sans généalogie, sans commencement de ses jours et sans qu'on en voie la
fin (2) : ce n'est pas qu'il n'eût tout cela, ni qu'il faille donner dans
l'erreur de ceux qui ont voulu que ce fût un ange : c'est assez pour être figure
de Jésus-Christ que tout cela ne soit point marqué, et qu'il paroisse seulement
comme « sacrificateur du Dieu très-haut pour offrir à Dieu du pain et du vin, et
ensuite le présenter à Abraham pour le bénir, » et en sa personne bénir comme
supérieur tout le sacerdoce lévitique, « en recevoir la dîme (3) » comme un
hommage qui était dû à l'excellence de son sacerdoce, et la recevoir en même
temps de Lévi et d'Aaron lui-même et de toute la race sacerdotale, puisqu'elle
était en Abraham comme dans sa tige ; et cette dîme n'est autre chose que la
dépouille des rois vaincus, dont la défaite paraît n’être accordée à Abraham que
pour honorer «Melchisédech, ce grand pontife, ce roi de justice, roi de paix,
qui est l'interprétation de son nom et de la ville où il règne. » Dans toute la
suite
1 I Timoth., I, 15. — 2 Hebr.,
VII, 3. — 3 Genes., XIV, 18-20; Hebr., VII, 1, 2, 4 et seq.
232
de l'histoire on ne dit plus un seul mot de Melchisédech :
il n'y est marqué que pour cette divine fonction : et tout d'un coup neuf cents
ans après, David en voyant le Christ qu'il appelle « son Seigneur à la droite de
Dieu » en grande majesté et puissance, «engendré du sein de Dieu devant
l'aurore, » vainqueur de ses « ennemis » qui sont « à ses pieds, » vainqueur des
« rois, » à qui Dieu adresse ces mots avec serment : « Vous êtes prêtre
éternellement selon l'ordre de Melchisédech (1) ; » vous n'avez point de
devancier ni de successeur : votre sacerdoce est éternel : il ne dépend point de
la promesse adressée à Lévi ni à Aaron et à ses enfants. « Et voici, conclut
saint Paul, dans un nouveau sacerdoce » un nouveau service « et une nouvelle loi
(2). »
Venez, Jésus, Fils éternel de
Dieu, sans mère dans le ciel, et sans père sur la terre ; en qui nous voyons et
reconnaissons une descendance royale ; mais pour ce qui est du sacerdoce, vous
ne le tenez que de celui qui vous a dit : « Vous êtes mon Fils : je vous ai
aujourd'hui engendré (3). Pour ce divin sacerdoce, il ne faut être né que de
Dieu, et vous avez votre vocation « par votre éternelle naissance (4). » Vous
venez aussi « d'une tribu à laquelle Dieu n'a rien ordonné sur la sacrificature
: « la vôtre a ce privilège « d'être établie par serment, » immobile, sans
repentance et sans changement : le Seigneur, dit-il, « a juré, et ne s'en
repentira jamais. La loi de ce sacerdoce est éternelle et inviolable (5) : »
vous êtes seul : vous laissez pourtant après vous des prêtres, mais qui ne sont
que vos vicaires, sans pouvoir offrir d'autres victimes que celle que vous avez
une fois offerte à la croix et que vous offrez éternellement à la droite de
votre Père.
Ecoutons notre loi en la
personne de Jésus-Christ, tant que nous sommes de prêtres du Seigneur. S'il a
été dit à Lévi, à raison de son ministère sacré : Vous êtes mon « homme saint, à
qui » j'ai « donné la perfection et la doctrine (6) ; » et que pour cela il doit
« dire à son père et à sa mère : Je ne vous connais pas ; et à ses frères : Je
ne sais qui vous êtes ; et il n'a d'enfants » que ceux de Dieu : si c'est là,
dis-je, la loi de Lévi et du sacerdoce mosaïque,
1 Psal. CIX, 1-5.— 2 Hebr.,
VII, 22 et seq. — 3 Psal. II, 7.— 4 Hebr., VII, 16. — 6 Hebr.,
VII, 13,14, 20, 21, 24.— 6 Deuter., XXXIII, 8, 9.
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combien pur, combien détaché de la chair et du sang doit
être le sacerdoce chrétien, qui a Jésus-Christ pour auteur et Melchisédech pour
modèle! Non; nous ne devons connaître d'autre emploi, d'autre fonction, ni avoir
d'autre intérêt que celui de Dieu : enseignant sa loi et ses jugements, et lui
offrant continuellement des parfums pour l'apaiser. Si nous gardions cette loi
de notre saint ministère, on ne verrait pas tous les jours envahir les droits et
l'autorité du sacerdoce, qui sont ceux de Jésus-Christ. Dieu se rendrait notre
vengeur ; et cette prière de Moïse aurait son effet : « Seigneur, » aidez vos
ministres : « soutenez leur force : protégez l'œuvre de leurs mains : frappez le
dos de leurs ennemis fugitifs ; et ceux qui les haïssent ne se relèveront jamais
(1), » Mais parce que plus charnels que les enfants du siècle, nous ne songeons
qu'à nous engraisser, vivre à notre aise, nous faire des successeurs, nous
établir un nom et une maison, tout le monde entreprend sur nous, et l'honneur du
sacerdoce est foulé aux pieds.
« Il a paru, dit saint Paul, en
s'offrant lui-même pour victime (2). » C'est lui-même, c'est son propre corps,
c'est son propre sang qu'il a offert à la croix : c'est encore son propre corps
et son propre sang qu'il offre dans le sacrifice de tous les jours : et ce n'est
pas sans raison que David voyant en esprit le premier acte qu'il produirait en
se faisant homme (3), et saint Paul en interprétant cette prophétie (4) le font
parler en cette sorte au moment qu'il entra dans le monde : « Vous n'avez point
voulu d'hostie et d'oblation, mais vous m'avez formé un corps ; » l'original
porte : « Vous me l'avez approprié : les holocaustes et les sacrifices pour le
péché ne vous ont pas plu ; alors j'ai dit : Me voici : je viens pour accomplir
1 Deuter., XXXIII, 11. — 2
Hebr., IX, 25, 26. —3 Psal. XXXIX, 7-9. — 4 Hebr., X,
5-7.
234
votre volonté, ô mon Dieu, et ce qui a été écrit de moi à
la tête de votre livre. » Par cette parole, Jésus-Christ se met à la place de
toutes les victimes anciennes : et n'ayant rien dans sa divinité qui put être
immolé à Dieu, Dieu lui donne un corps propre à souffrir et accommodé à l'état
de victime où il se met.
Dès qu'il eut commencé ce grand
acte, il ne le discontinua jamais, et demeura dès son enfance et dès le sein de
sa mère dans l'état de victime, abandonné aux ordres de Dieu pour souffrir et
faire ce qu'il voudrait. « Je viens, dit-il, pour faire votre volonté , comme il
a été écrit au commencement du livre , » in capite libri.
Il y a un livre éternel, où est
écrit ce que Dieu veut de tous ses élus ; et à la tète, ce qu'il veut en
particulier de Jésus-Christ, qui en est le chef. Le premier article de ce livre
est que Jésus-Christ sera mis à la place de toutes les victimes, en faisant la
volonté de Dieu avec une entière obéissance. C'est à quoi il se soumet ; et
David lui fait ajouter : « Mon Dieu, je l'ai voulu, et votre loi est au milieu
de mon cœur (1). »
Soyons donc à l'exemple de
Jésus-Christ en esprit de victime , abandonnés à la volonté de Dieu : autrement
nous n'aurons point de part à son sacrifice. Fallût-il être un holocauste et une
victime entièrement consumée par le feu, laissons-nous réduire en cendres plutôt
que de nous opposer à ce que Dieu veut.
C'est dans la sainte volonté de
Dieu que se trouve l'égalité et le repos. Dans la vie des passions et de la
volonté propre, on pense aujourd'hui une chose et demain une autre ; une chose
durant la nuit et une autre durant le jour ; une chose quand on est triste,
autre chose quand on est en bonne humeur ; une chose quand l'espérance rit à nos
désirs, autre chose quand elle se retire de nous. Le seul remède à ces
altérations journalières et à ces inégalités de notre vie, c'est la soumission à
la sainte volonté de Dieu. Comme Dieu est toujours le même dans tous les
changements qu'il opère au dehors , l'homme soumis à sa volonté est toujours le
même. On n'a pas besoin de chercher des raisons particulières pour se calmer :
c'est l'amour-propre ordinairement qui les fournit.
1 Psal. XXXIX, 9.
235
La souveraine raison, c'est ce que Dieu veut. La volonté de
Dieu sainte en elle-même, est elle seule sa raison.
Prenons garde néanmoins que ce
ne soit pas par paresse ou par une espèce de désespoir, et pour nous donner un
faux repos, que nous ayons recours à la volonté de Dieu. Elle nous fait reposer,
mais en agissant et en faisant ce qu'il faut : elle nous fait reposer dans la
douleur comme dans la joie, selon qu'il plait à celui qui sait ce qui nous est
bon. Elle nous fait reposer, non dans notre propre contentement, mais en celui
de Dieu : le priant de se contenter et de faire toujours de nous ce qu'il lui
plaira. Qu'importe de ce que nous devenions sur la terre ? « Il n'y a qu'une
chose à vouloir : c'est, Seigneur, d'habiter dans votre maison pour y voir la
volupté du Seigneur (1) » et le louer aux siècles des siècles.
Commençons dès cette vie et chantons avec David, ou plutôt
avec Jésus-Christ l'hymne de la sainte volonté : « Me voici, Seigneur, et je
viens pour accomplir votre volonté (2). »
Mon Sauveur! dans ce verset de
David que vous prononçâtes en entrant au monde (3), vous nous déclarâtes que
vous vous mettiez par la volonté de Dieu à la place de toutes les victimes de
l'ancienne loi. Vous n'êtes donc pas seulement un holocauste entièrement consumé
par le feu de l'amour divin qui absorbe tout en lui-même; mais vous êtes encore
«la victime pour le péché (4), » sur laquelle on prononce tous les crimes : ou
l'en charge : on les lui met sur la tête : on envoie après cette victime dans le
désert : on la sépare de la société humaine : on l'excommunie. Ainsi a-t-on mis
sur vous l'iniquité de nous tous : « Vraiment vous avez porté nos péchés (5) : »
il a fallu vous mener hors de la ville
1 Psal. XXVI, 4. — 2 Psal.
XXIX, 8, 9. — 3 Psal., XXXIX, 7-9. — 4 Levit., XVI, 5, 6,20, 21.
—5 Isa., LIII, 4-6.
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pour vous attacher à votre croix (1), et vous avez pris sur
vous « la malédiction qui porte : Maudit est celui qui pend sur un bois » infâme
(2).
Allons avec larmes confesser nos péchés sur Jésus-Christ :
mettons-les sur lui, afin qu'il les expie: pleurons, pleurons les peines qu'ils
lui ont causées : tâchons en même temps de le décharger d'un si pesant fardeau,
en nous repentant de nos crimes pour l'amour de lui. O Jésus, que je vous
soulage : faites que je ne pèche plus, et que j'efface par la repentance mes
péchés qui vous ont couvert de tant de plaies.
Brûlez-moi de ce « feu » que
vous a êtes venu allumer sur la terre (3) : » consumez toutes mes inclinations
par votre amour, et que je devienne cette pure flamme qui n'a que vous pour
pâture : «Je viens, mon Dieu, » avec Jésus-Christ, « pour faire votre volonté
(4). » Heureux qui finit sa vie par un tel acte ! Nous la devions commencer par
là comme Jésus-Christ. Finissons-la du moins en nous consommant dans la volonté
de Dieu. « Mon Dieu, je remets mon esprit entre vos mains (5). »
1 Hebr., XIII, 11. — 2 Deuter., XXI, 23 ;
Galat. III, 13. — 3 Luc., XII, 49. — 4 Psal.
XXXII, 7-9. — 5 Psal., XXX, 6; Luc., XXIII, 46.
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