Accueil Remonter Remarques Elévations Elév. Semaine I Elév. Semaine II Elév. Semaine III Elév. Semaine IV Elév. Semaine V Elév. Semaine VI Elév. Semaine VII Élév. Semaine VIII Elév. Semaine IX Elév. Semaine X Elév. Semaine XI Elév. Semaine XII Elév. Semaine XIII Elév. Semaine XIV Elév. Semaine XV Elév. Semaine XVI Elév. Semaine XVII Elév. Semaine XVIII Elév. Semaine XIX Elév. Semaine XX Elév. Semaine XXI Elév. Semaine XXII Elév. Semaine XXIII Elév. Semaine XXIV Elév. Semaine XXV Vie cachée Concupiscence Opuscules I Opuscules II Opuscules III
| |
XVIIe
SEMAINE. SUITE DES MYSTÈRES DE L'ENFANCE DE JÉSUS-CHRIST.
PREMIÈRE ÉLÉVATION. La circoncision : le nom de Jésus.
IIe ÉLÉVATION. L'etoile des Mages.
IIIe ÉLÉVATION. Qui sont les Mages ?
IVe ÉLÉVATION. D'où viennent les Mages?
Ve ÉLÉVATION. Quel fut le nombre des Mages?
VIe ÉLÉVATION. L'étoile disparaît.
VIIe ÉLÉVATION. Les docteurs indiquent Bethléem aux Mages.
VIIIe ÉLÉVATION. La jalousie et l'hypocrisie d'Hérode : sa politique trompée.
IXe ÉLÉVATION. Les Mages adorent l'enfant, et lui font leurs présents.
Xe ÉLÉVATION. Les Mages retournent par une autre voie.
Jésus souffre d'être mis au rang
des pécheurs : il va comme un vil esclave porter sur sa chair un caractère
servile et la marque du péché de notre origine. Le voilà donc en apparence fils
d'Adam comme les autres : pécheur et banni par sa naissance : il fallait qu'il
portât la marque du péché, comme il en devait porter la peine.
Cependant au lieu d'être impur
comme nous tous par son origine, par son origine il était saint, conçu du
Saint-Esprit qui sanctifie tout, et uni en personne au Fils de Dieu, qui est le
Saint des saints par essence. L'esprit qui nous sanctifie dans notre
régénération est celui dont Jésus-Christ est conçu, dont sa sainte chair a été
formée, et qui est infus naturellement dans son âme sainte : de sorte qu'il n'a
pas besoin d'être circoncis : et il ne se soumet à cette loi que pour accomplir
toute justice, en donnant au monde l'exemple d'une parfaite obéissance.
Cependant en recevant la
circoncision, « il se rend, comme dit saint Paul, débiteur de toute la loi (1) »
et s'y oblige, mais pour nous, afin de nous affranchir de ce pesant joug. Nous
voilà donc libres par l'esclavage de Jésus : marchons en la liberté des enfants
de Dieu, non plus dans l'esprit de crainte et de terreur, mais dans l'esprit
d'amour et de confiance.
Le nom de Sauveur nous en est un
gage : Jésus nous sauve du péché, ainsi qu'il a été dit ; et en remettant ceux
qu'on avait
1 Galat., X, 1-3 et seq.
280
mis, et en nous aidant à n'en plus commettre, et en nous
conduisant à la vie où l'on ne peut plus en commettre aucun.
C'est « par son sang qu'il doit
être notre Sauveur (1) : » il faut qu'il lui en coûte du sang pour en recevoir
le nom : ce peu de sang qu'il répand oblige à Dieu tout le reste, et c'est le
commencement de la rédemption. Je vois, ô Jésus, toutes vos veines rompues,
toutes vos chairs déchirées, votre tête et votre côté percés : votre sang
voudrait couler tout entier à gros bouillons : vous le retenez, et le réservez
pour la croix. Recevez donc le nom de Jésus ; vous en êtes digne, et vous
commencez à l'acheter par votre sang. Recevez ce nom, « auquel seul tout genou
fléchit dans le ciel, dans la terre et dans les enfers (2) : L'Agneau qui répand
son sang est digne de recevoir toute adoration, tout culte, toute louange, toute
action de grâces (3) : et j'ai entendu toute créature et dans le ciel, et sur la
terre, et sous la terre, qui criaient d'une grande voix : Salut à notre Dieu
(4). »
Le salut vient de lui, puisqu'il
nous envoie le Sauveur : salut à l'Agneau, qui est le Sauveur lui-même : salut à
nous, qui participons à son nom : s'il est le Sauveur, nous sommes les sauvés,
et nous portons ce glorieux nom devant qui tout l'univers fléchit, et les démons
tremblent. Ne craignons rien : tout est à nos pieds : songeons seulement à nous
surmonter nous-mêmes : il faut tout vaincre, puisque déjà nous portons le nom du
vainqueur : « Prenez courage, dit-il, j'ai vaincu le monde (5) : » et « je
mettrai dans mon trône celui qui remportera la victoire (6). »
Voici les premiers fruits du
sang de Jésus parmi les gentils. « Nous avons vu son étoile (7). » Qu'a voit
cette étoile au-dessus des autres, qui annoncent dans le ciel la gloire de Dieu?
qu'avait-
1 Hebr., IX, 12, 14 et seq. — 2 Philip., II, 10 — 3
Apoc., V, 12. — 4 Ibid., VII, 10. — 5 Joan., XVI, 33. — 6
Apoc., III, 21. — 7 Matth., II, 1, 2.
281
elle plus que les autres, pour mériter d'être appelée
l'étoile du Roi des rois, du Christ qui venait de naître, et d'y amener les
mages? Balaam, prophète parmi les gentils, dans Moab, et en Arabie, avait vu
Jésus-Christ comme une étoile ; et il avait dit : « Il se lèvera une étoile de
Jacob (1). » Cette étoile qui paraît aux mages, était la figure de celle que
Balaam avait vue : et qui sait si la prophétie de Balaam ne s'était pas répandue
en Orient et dans l'Arabie, et si le bruit n'en était pas venu jusqu'aux mages?
Quoiqu'il en soit, une étoile qui ne paraissait qu'aux yeux, n'était pas capable
d'attirer les mages au Roi nouveau-né : il fallait que l'étoile de Jacob et « la
lumière du Christ (2) » se fût levée dans leur cœur. A la présence du signe
qu'il leur donnait au dehors, Dieu les toucha au dedans par cette inspiration
dont Jésus a dit : « Nul ne vient à moi, si mon Père ne le tire (3). »
L'étoile des mages est donc
l'inspiration dans les cœurs. Je ne sais quoi vous luit au dedans : vous êtes
dans les ténèbres et dans les amusements, ou peut-être dans la corruption du
monde : tournez vers l'Orient, où se lèvent les astres ; tournez-vous à
Jésus-Christ qui est l'Orient, où se lève comme un bel astre l'amour de la
vérité et de la vertu : vous ne savez encore ce que c'est, non plus que les
mages, et vous savez seulement en confusion que cette nouvelle étoile vous mène
au roi des Juifs, des vrais enfants de Juda et de Jacob : allez, marchez, imitez
les mages. « Nous avons vu son étoile, et nous sommes venus (4) : » nous avons
vu, et nous sommes partis à l'instant. Pour aller où ? nous ne le savons pas
encore ; nous commençons par quitter notre patrie. Quittez le monde de même ; le
monde pour lequel la nouvelle étoile, la chaste inspiration qui vous ébranle le
cœur, commence à vous insinuer un secret dégoût. Allez à Jérusalem : recevez les
lumières de l'Eglise : vous y trouverez les docteurs qui vous interpréteront les
prophéties, qui vous feront entendre les desseins de Dieu : et vous marcherez
sûrement sous cette conduite.
Chrétien, qui que vous soyez qui
lisez ceci ; peut-être, car qui peut prévoir les desseins de Dieu? peut-être
qu'à ce moment l'étoile se va lever dans votre cœur : allez : sortez de votre
patrie,
1 Num., XXIV, 17. — 2 Luc.,
II, 32. — 3 Joan., VI, 44. — 4 Matth., II, 2.
282
ou plutôt sortez du lieu de votre bannissement que vous
prenez pour votre patrie, parce que c'est dans cette corruption que vous avez
pris naissance : dès le ventre de votre mère, accoutumé à la vie des sens,
passez à une autre région : apprenez à connaître Jérusalem, et la crèche de
votre Sauveur, et le pain qu'il vous prépare à Bethléem.
Les mages, sont-ce des rois
absolus ou dépendants d'un plus grand empire ? Ou sont-ce seulement de grands
seigneurs, ce qui leur faisait donner le nom de rois selon la coutume de leur
pays? Ou sont-ce seulement des sages, des philosophes, les arbitres de la
religion dans l'empire des Perses, ou, comme on l'appelait alors, dans celui des
Parthes, ou dans quelque partie de cet empire qui s'étendait par tout l'Orient?
Vous croyez que j'aille résoudre ces doutes et contenter vos désirs curieux ;
vous vous trompez : je n'ai pas pris la plume à la main pour vous apprendre les
pensées des hommes : je vous dirai seulement que c'étaient les savants de leur
pays, observateurs des astres, que Dieu prend par leur attrait, riches et
puissants, comme leurs présents le font paraître. S'ils étaient de ceux qui
présidaient à la religion, Dieu s'était fait connaître à eux, et ils avaient
renoncé au culte de leur pays.
C'est à quoi doivent mener les
hautes sciences. Philosophes de nos jours, de quelque rang que vous soyez, ou
observateurs des astres, ou contemplateurs de la nature inférieure, et attachés
à ce qu'on appelle physique, ou occupés des sciences abstraites qu'on appelle
mathématiques, où la vérité semble présider plus que dans les autres : je ne
veux pas dire que vous n'ayez de dignes objets de vos pensées : car de vérité en
vérité vous pouvez aller jusqu'à Dieu, qui est la vérité des vérités, la source
de la vérité, la vérité même, où subsistent les vérités que vous appelez
éternelles, les vérités immuables et invariables qui ne peuvent pas ne
283
pas être vérités, et que tous ceux qui ouvrent les yeux
voient en eux-mêmes, et néanmoins au-dessus d'eux-mêmes, puisqu'elles règlent
leurs raisonnements comme ceux des autres, et président aux connaissances de
tout ce qui voit et qui entend, soit hommes, soit anges. C'est cette vérité que
vous devez chercher dans vos sciences. Cultivez donc ces sciences ; mais ne vous
y laissez point absorber : ne présumez pas, et ne croyez pas être quelque chose
plus que les autres, parce que vous savez les propriétés et les raisons des
grandeurs et des petitesses : vaine pâture des esprits curieux et faibles, qui
après tout ne mène à rien qui existe, et qui n'a rien de solide qu'autant que,
par l'amour de la vérité et l'habitude de la connaître dans des objets certains,
elle fait chercher la véritable et utile certitude en Dieu seul.
Et vous, observateurs des
astres, je vous propose une admirable manière de les observer. Que David était
un sage observateur des astres, lorsqu'il disait : « Je verrai vos cieux,
l'œuvre de vos mains, la lune et les étoiles que vous avez fondées (1) ! »
Figurez-vous une nuit tranquille et belle, qui dans un ciel net et pur étale
tous ses feux. C'était pendant une telle nuit que David regardait les astres,
car il ne parle point du soleil : la lune et l'armée du ciel qui la suit faisait
l'objet de sa contemplation. Ailleurs il dit encore : « Les cieux racontent la
gloire de Dieu, » mais dans la suite il s'arrête sur le soleil : « Dieu a
établi, dit-il, sa demeure dans le soleil, qui sort richement paré comme fait un
nouvel époux du lieu de son repos (2), » et le reste : de là il s'élève à la
lumière plus belle et plus vive de la loi. Voilà ce qu'opère dans l'esprit de
David la beauté du jour. Mais dans l'autre psaume, où il ne voit que celle de la
nuit, il jouit d'un sacré silence ; et dans une belle obscurité il contemple la
douce lumière que lui présente la nuit, pour de là s'élever à celui qui luit
seul parmi les ténèbres. Vous qui vous relevez pendant la nuit, et qui élevez à
Dieu des mains innocentes dans l'obscurité et dans le silence, solitaires, et
vous, chrétiens, qui louez Dieu durant les ténèbres, dignes observateurs des
beautés du ciel, vous verrez l'étoile qui vous mènera au grand Roi qui vient de
naître.
1 Psal. VIII, 4. — 2 Psal. XVIII, 2, 6, 8, 9
et seq.
284
D'où ils viennent ? De loin ou
de près ? Sont-ils venus en ce peu de jours qui s'écoulent entre la Nativité et
l'Epiphanie, comme l'ancienne tradition de l'Eglise semble l'insinuer ? ou y
a-t-il ici quelqu'autre secret ? Sont-ils venus de plus loin, avertis peut-être
avant la nativité du grand Roi, pour arriver au temps convenable ? Qui le pourra
dire, et que sert aussi que nous le disions? N'est-ce pas assez de savoir qu'ils
viennent du pays de l'ignorance du milieu de la gentilité où Dieu n'était pas
connu, ni le Christ attendu et promis? Et néanmoins guidés d'en haut, ils
viennent à Dieu et à son Christ, comme les prémices sacrées de l'Eglise des
gentils.
A la venue du Christ, le monde
s'ébranle pour venir reconnaître le Dieu véritable oublié depuis tant de
siècles. « Les rois d'Arabie et de Tharsis, les Sabéens, » les Egyptiens, les
Chaldéens, « les habitons des îles les plus éloignées, viendront » à leur tour «
pour adorer Dieu et faire leurs présents (1) » au roi des Juifs. Apportez,
provinces des gentils : « Venez rendre au Seigneur honneur et gloire :
apportez-lui, » comme le seul présent digne de lui, « la glorification de son
nom (2). »
Pourquoi Dieu appelle-t-il
aujourd'hui des sages et des philosophes ? « Il n'y a pas plusieurs sages, ni
plusieurs savants : il n'y a pas plusieurs riches, ni plusieurs nobles parmi
vous, disait saint Paul, parce que Dieu veut confondre les savants et les
puissants de la terre par les faibles et par ceux qu'on estime fols, et ce qui
est par ce qui n'est pas (3). » Il veut pourtant commencer parle petit nombre
des sages gentils qui viennent adorer Jésus, parce que ces sages et ces savants,
dès qu'ils voient paraître l'étoile, et à sa première clarté renoncent à leurs
lumières pour venir à Jérusalem et aux docteurs de l'Eglise, par où il faut
arriver à ce que Dieu leur
1 Psal. LXXI, 9-11. — 2 Psal.
XXVIII, 2. — 3 I Cor., I, 26-28.
285
inspire de chercher. Soumettez, sages du monde, toutes vos
lumières, et celles-là mêmes qui vous sont données d'en haut, à la doctrine de
l'Eglise, parce que Dieu qui vous éclaire, vous veut faire humbles encore plus
qu'éclairés.
On croit vulgairement qu'ils
étaient trois, à cause des trois présents qu'ils ont offerts. L'Eglise ne le dit
pas, et que nous importe de le savoir ? C'est assez que nous sachions qu'ils
étaient « de ce nombre connu de Dieu, du petit nombre, du petit troupeau que
Dieu choisit (1). » Regardez la vaste étendue de l'Orient et celle de tout
l'univers : Dieu n'appelle d'abord que ce petit nombre ; et quand le nombre de
ceux qui le servent sera augmenté, ce nombre, quoique grand en soi, sera petit
en comparaison du nombre infini de ceux qui périssent. Pourquoi ? « O homme !
qui êtes-vous pour interroger Dieu (2), » et lui demander raison de ses conseils
? Profitez de la grâce qui vous est offerte, et laissez à Dieu la science de ses
conseils et des causes de ses jugements. Vous êtes tenté d'incrédulité à la vue
du petit nombre des sauvés, et peu s'en faut que vous ne rejetiez le remède
qu'on vous présente : comme un malade insensé, qui dans un grand hôpital, où un
médecin viendrait à lui avec un remède infaillible, au lieu de s'abandonner à
lui, regarderait à droite et à gauche ce qu'il ferait des autres. Malheureux,
songe à ton salut, sans promener sur le reste des malades ta folle et superbe
curiosité. Les mages ont-ils dit dans leur cœur : N'allons pas : car pourquoi
aussi Dieu n'appelle-t-il pas tous les hommes? Ils allèrent, ils virent, ils
adorèrent, ils offrirent leurs présents : ils furent sauvés.
1 Matth., VII, 14, 23; XX, 10;
Luc., XII, 32. — 2 Rom.,
IX, 20.
286
Soit que Dieu voulût faire
connaître qu'il allait punir les Juifs ingrats par la soustraction de ses
lumières; soit que l'étoile qui conduisent au roi pauvre, et l'ange qui la
guidait, ne voulût point se montrer où paraissait la pompe d'une cour royale et
maligne; soit que l'on n'eût pas besoin de lumière extraordinaire où luisait
comme dans son lieu celle de la loi et des prophètes, l'étoile que les mages
avaient vue en Orient se cacha dans Jérusalem (1), et ne reparut aux mages qu'au
sortir de cette ville, qui tue les prophètes et qui ne connut pas le jour où
Dieu venait la visiter.
C'est ici encore une figure de
l'inspiration. Elle se cache souvent : la lumière qui nous avait paru d'abord ,
se cache tout d'un coup dans les ténèbres : l’âme éperdue ne sait plus où elle
en est, après avoir perdu son guide. Que faire alors? Consultez et écoulez les
docteurs qui vous conduiront par la lumière des Ecritures. L'étoile reparaîtra
avec un nouvel éclat. Vous la verrez marcher devant vous plus claire que jamais
: et comme les mages vous serez transportés de joie. Mais durant le temps
d'obscurité, suivons les guides spirituels et les ministres ordinaires que Dieu
a mis sur le chandelier de la cité sainte.
La lumière ne s'éteint jamais
dans l'Eglise. Les Juifs commençaient à se corrompre ; et le Fils de Dieu sera
bientôt obligé de dire : « Gardez-vous bien de la doctrine des pharisiens et des
docteurs de la loi (2). » Cependant dans cet état de corruption et à
1 Matth., II, 9. 10. — 2 Ibid., XVI, 11, 12.
287
la veille de sa ruine, la lumière de la vérité devait luire
dans la synagogue; et il devait être toujours véritable jusqu'à la fin, comme
dit le même Sauveur : « Les docteurs de la loi et les pharisiens sont assis sur
la chaire de Moïse, faites donc ce qu'ils enseignent » tous ensemble et en
corps, « mais ne faites pas ce qu'ils font (1) : » tant il était véritable que
la lumière subsistait toujours dans le corps de la synagogue qui allait périr.
C'est ce qui parut à Jérusalem
sur l'interrogation des mages. Les pontifes et les docteurs de la loi allèrent
d'abord au but sans hésiter : le roi, c'était Hérode, les assembla pour les
consulter : il faut répondre alors. Quand les rois qui interrogent seraient des
Hérodes, on leur doit la vérité quand ils la demandent, et le témoignage en est
nécessaire.
« Le roi des Juifs, disent-ils
(2), doit naître dans Bethléem : car c'est ainsi qu'il est écrit dans le
prophète Michée : Et toi, Bethléem, tu n'es pas la dernière entre les villes de
Juda : car de toi sortira le chef qui conduira mon peuple d'Israël. (3)» Il
fallait avoir de la force pour oser dire à un roi si jaloux de la puissance
souveraine, qu'il y avait un roi prédit au peuple, et que c'était lui qu'on
cherchait ; de sorte qu'il était au monde : mais il fallait que la synagogue,
quelque tremblante qu'elle fût sous la tyrannie d'Hérode, rendit ce témoignage.
Voici encore une autre merveille
: c'est à la poursuite d'Hérode que se fait cette authentique déclaration de
toute la synagogue : Hérode ne fut poussé à la consulter que par la jalouse
fureur qu'il va bientôt déclarer ; mais Dieu se sert des méchants et de leurs
aveugles passions pour la manifestation de ses vérités.
Il y a encore ici un autre
secret. Dieu cache souvent ses mystères d'une manière étonnante. C'était un des
embarras de ceux qui avaient de la peine à reconnaître Jésus-Christ, qu'il
paraissait Galiléen , et que Nazareth était sa patrie. « Le Christ doit-il venir
de Galilée? Ne savons-nous pas, disent-ils, qu'il doit naître du sang de David,
et même de la bourgade de Bethléem, où David demeurait (4)?» Et Nathanaël, cet
homme «sans fard et fraude, ce vrai Israélite,» ne fut-il pas lui-même dans cet
embarras,
1 Matth., XXIII, 2,3. — 2 Ibid.,
II, 2, 5, 6. — 3 Mich.,
V, 2 — 4 Joan., VII, 41, 42.
quand on lui dit : « Nous avons trouvé le Messie : c'est
Jésus de Nazareth, fils de Joseph. Quoi, répliqua-t-il, peut-il venir quelque
chose de bon de Nazareth (1) ? » N'est-ce pas Bethléem, la tribu de Juda, qui
nous doit donner ce Christ que vous m'annoncez? Quoique Jésus-Christ put dès
lors leur découvrir le lieu de sa naissance, nous ne lisons pas qu'il l'ait
fait. Dieu veut que ses mystères soient cherchés.
Approfondissez humblement : ne
vous opiniâtrez pas à rejeter Jésus-Christ, sous prétexte qu'un des caractères
de sa naissance n'est pas encore éclairci : si vous cherchez bien, vous
trouverez que ce Jésus conçu à Nazareth et nourri dans cette ville comme dans
son pays, par une secrète conduite de la divine sagesse est venu naître à
Bethléem. Ainsi ce qui faisait la difficulté se tourne en preuve pour les
humbles : et Dieu avait préparé cette solution de l'énigme, premièrement par le
témoignage des bergers, mais dans la suite d'une manière plus éclatante à
l'avènement des mages dans Jérusalem.
La demande qu'ils y firent
hautement du lieu où devait naître le Christ, fut connue de tout le monde, « et
tout Jérusalem en fut troublé aussi bien qu'Hérode. (2) » La réponse de
l'assemblée des pontifes et des docteurs consultés par ce roi, ne fut pas moins
célèbre : et le meurtre des innocens dans les environs de Bethléem , fit encore
éclater cette vérité. Accoutumons-nous aux dénouements de Dieu. Quelle admirable
consolation à ceux qui ne savaient pas que Jésus était né à Bethléem, quand ils
virent cet admirable accomplissement de la prophétie ! Avec quelle joie
s'écrièrent-ils : «Vraiment, ô Bethléem, tu n'es» plus comme auparavant «la plus
petite des villes, puisque » tu seras illustrée « par la naissance de celui qui
doit conduire Israël (3). » La postérité montrera la spélonque, comme on
l'appelait, où était né le Sauveur, et les païens le remarqueront eux-mêmes (4).
Cette petite bourgade demeurera éternellement mémorable ; on se souviendra à
jamais de la prophétie de Michée, qui tant de siècles auparavant a prédit
qu'elle verrait naître dans le temps celui dont la naissance est éternelle dans
le sein
1 Joan., I, 45-47. — 2 Matth.,
II, 2-5. — 3 Ibid., II, 6. — 4 Orig., Cont. Cels.,
lib. I, n. 51.
289
de Dieu : et, comme parle ce prophète, « celui dont la
sortie » et la production « est de toute éternité (1). »
Admirons comme Dieu sait
troubler les hommes par de terribles difficultés, et en même temps les calmer
d'une manière ravissante. Mais il faut être attentif à tout, et ne rien oublier
: car tout est digne d'attention dans l'œuvre de Dieu ; et l'œuvre de Dieu se
trouve en tout, parce que Dieu répand partout des épreuves de la foi et de
l'espérance. Commençons par croire malgré les difficultés: car c'est ainsi que
fit le bon et sincère Nathanaël, qui, sans attendre l'éclaircissement de la
difficulté sur Nazareth, touché des autres motifs qui l'attiraient, dit à Jésus
: «Vous êtes le Fils de Dieu : Vous êtes le roi d'Israël. Et Jésus lui dit :
Vous verrez de plus grandes choses (2). » Parce que vous avez cru d'abord, dès
la première étincelle d'une lumière quoique faible et petite encore, de bien
plus grands secrets vous seront révélés.
Siméon nous dira bientôt que
Jésus est venu au monde, « afin que le secret caché dans le cœur de plusieurs
fût révélé. (3) » Quel secret doit être ici révélé ? Le secret des politiques du
monde, le secret des grands de la terre, la jalousie secrète des mauvais rois,
leurs vains ombrages, leurs fausses délicatesses, leur hypocrisie, leur cruauté
: tout cela va paraître dans Hérode.
Au nom du roi qui était venu et
à qui il voyait déjà occuper son trône, touché par l'endroit le plus sensible de
son cœur, il ne s'emporta point contre les pontifes qui avaient annoncé ce roi
aux Juifs, ni contre les mages qui avaient fait la demande : en habile politique
il va à la source, et conclut la mort de ce nouveau roi. « Allez, dit-il aux
mages, informez-vous avec soin de cet enfant; et quand vous l'aurez trouvé,
faites-le-moi savoir, afin que j'aille aussi l'adorer à votre exemple (4). » Le
cruel ! il ne songeait
1 Mich., V, 2. — 2 Joan., I, 49, 50. — 3
Luc., II, 35. — 4 Matth., II, 8.
290
qu'à lui enfoncer un poignard dans le sein, mais il feint
une
adoration pour couvrir son crime.
Quoi donc, Hérode était-il un
homme sans religion ? Ce n'est pas là son caractère : il reconnaît la vérité des
prophéties et sait de qui il en faut attendre l'intelligence ; mais l'hypocrite
superstitieux se sert de ses connaissances pour sacrifier le Christ du Seigneur
à sa jalousie.
Que de secrètes terreurs Dieu
envoie aux âmes ambitieuses ! Hérode n'avait rien à craindre de ce nouveau roi,
dont « le royaume n'est pas de ce monde (1): » et lui qui donne le royaume du
ciel, il ne désire point ceux de la terre. Mais c'est ainsi qu'il effraie les
grands de la terre si jaloux de leur puissance, et il faut que leur ambition
soit leur supplice.
Mais en même temps Dieu se rit
du plus haut des cieux de leurs ambitieux projets. Hérode avait poussé jusqu'au
dernier point les raffinements politiques : « Allez , informez-vous
soigneusement de cet enfant (2). » Voyez comme il les engage à une exacte
recherche et à un fidèle rapport : mais Dieu souffle sur les desseins des
politiques, et il les renverse. Jésus dit à un autre Hérode, fils de celui-ci,
et qui comme lui craignait que le Sauveur ne voulût régner à sa place : « Allez,
dites à ce renard, » à ce malheureux politique « qu'il faut, » malgré lui « que
je fasse ce que j'ai à faire aujourd'hui et demain, et que ce n'est qu'au
troisième jour » et à la troisième année de ma prédication, « que je dois être
consommé (3) » par ma mort. Il est dit de même à son père : Il faut, malgré vos
finesses et votre profonde hypocrisie, que cet enfant que vous voulez perdre par
des moyens qui vous paraissent si bien concertés : il faut qu'il vive et qu'il
croisse , et qu'il « fasse l'œuvre de son Père pour lequel » il est « envoyé
(4). » Quand vous aurez trompé les hommes, tromperez-vous Dieu? Votre jalousie
ne fera que se tourmenter davantage, quand elle verra hors de ses mains celui
qui l'effraie. Que craignons-nous dans l'œuvre de Dieu ? Les obstacles que nous
suscitent les grands de la terre et leur fausse politique? Quand le monde sera
plus fort que
1 Joan., XVIII, 36. — 2 Matth., II, 8. — 3
Luc., XIII, 32, 33. — 4 Joan., IV, 34.
291
Dieu, nous devons tout craindre : tant que Dieu sera comme
il est « le seul puissant (1), » nous n'avons qu'à marcher la tête levée.
Après que les mages se furent
soumis aux prêtres et aux docteurs , et se furent mis en chemin selon leur
précepte, « l'étoile paraît de nouveau et les mène où était l'enfant (2). »
Fut-ce à l'étable ou à la crèche? Joseph et Marie y laissèrent-ils l'enfant, et
ne songèrent-ils point, ou bien ne purent-ils point pourvoir à un logement plus
commode? Contentons-nous des paroles de l'Evangile : « L'étoile s'arrêta sur le
lieu où était l'enfant. » Sans doute, ou dans le lieu de sa naissance, ou
auprès, puisque c'était là qu'on les avait adressés : et on doit croire que ce
fut à Bethléem même, afin que ces pieux adorateurs vissent l'accomplissement de
la prophétie qu'on leur avait enseignée. Quoi qu'il en soit, « ils l'adorèrent
et lui firent leurs présents (3). »
Faisons les nôtres à leur
exemple, et que ces présents soient magnifiques. Les mages offrirent avec
abondance, et de l'or, et les parfums les plus exquis, c'est-à-dire l'encens et
la myrrhe.
Recevons l'interprétation des saints docteurs et que
l'Eglise approuve : on lui donne de l'or comme à un roi; l'encens honore sa
divinité, et la myrrhe son humanité et sa sépulture , parce que c'était le
parfum dont on embaumait les morts.
L'or que nous devons offrir à
Jésus-Christ, c'est un amour pur : une ardente charité qui est cet or appelé
dans l'Apocalypse « l'or purifié par le feu » qu'il faut « acheter de »
Jésus-Christ (4).
Comment est-ce qu'on achète
l'amour? par l'amour même : en aimant on apprend à mieux aimer : en aimant le
prochain et en lui faisant du bien , on apprend à aimer Dieu , et c'est à ce
prix qu'on achète son amour. Mais c'est lui qui commence en nous cet amour, qui
va sans cesse s'épurant au feu des afflictions par la patience.
1 I Timoth., VI, 15. — 2
Matth., II, 9. — 3 Ibid., 11. — 4 Apoc., III, 18.
292
« Je vous conseille, dit
Jésus-Christ, d'acheter de moi cet or (1) : » obtenez-le par vos prières :
n'épargnez aucun travail pour l'acquérir : joignez-y l'encens. Qu'est-ce que
l'encens du chrétien? L'encens est quelque chose qui s'exhale, qui n'a son effet
qu'en se perdant : exhalons-nous devant Dieu en pure perte de nous-mêmes ,
puisque « celui qui perd son âme la gagne (2) : » celui qui renonce à soi-même,
celui qui s'oublie, qui se consume lui-même devant Dieu, est celui qui lui offre
de l'encens : épanchons nos cœurs devant lui : offrons-lui de saintes prières
qui montent au ciel, tout ensemble qui se dilatent dans l'air, et qui édifient
toute l'Eglise. Disons avec David : « J'ai on moi mon oraison au Dieu de ma vie
(3) : » j'ai en moi l'encens que je lui offrirai et l'agréable parfum qui
pénétrera jusqu'à lui. Ce n'est rien, si nous n'y ajoutons encore la myrrhe,
c'est-à-dire un doux souvenir de la passion et de la sépulture du Sauveur, «
ensevelis avec lui (4), » comme dit saint Paul. Car sans sa mort il n'y a point
d'oblation sainte : il n'y a point de vertu ni de bon exemple.
Après avoir offert ces présents
à Dieu, croirons-nous être quittes envers lui? non, puisqu'au contraire, en lui
donnant ce que nous lui devons, nous contractons une nouvelle dette (5) : « Nous
vous donnons, disait David, parmi ces riches offrandes, ce que nous avons reçu
de votre main (6). » Combien plus avons-nous reçu de sa main cet or de la
charité, cet encens intérieur de notre cœur épanché dans la prière, cette pieuse
et tendre méditation de la passion et de la mort de Jésus-Christ! Je le
reconnais, ô Sauveur; plus je vous offre, plus je vous suis redevable : tout mon
bien est à vous, et sans en avoir besoin, vous agréez ce que je vous donne, à
cause que c'est vous-même qui me l'avez premièrement donné, et que rien n'est
agréable à vos yeux que ce qui porte votre marque et qui vient de vous.
Mais que donnerons-nous encore à
Jésus-Christ? le mépris des biens de la terre. Que les mages sortirent contents
de trouver le Roi des Juifs, qu'ils étaient venus chercher de si loin, que
l'étoile
1 Apoc., III, — 2 Matth.,
XVI, 25 ; Luc., XIV, 33. — 3 Psal. XLI, 9. — 4
Rom., VI, 4. — 5 S. August.,
serm. 299, De Nat. Apostol. Petr. et Paul., n. 3.— 5 I Paral.,
XXIX, 14.
293
que la prophétie leur avait montré ; de le trouver, dis-je,
ou dans son étable , ou dans un lieu toujours pauvre, sans faste , sans
appareil: qu'ils retournèrent contents de l'usage qu'ils avaient fait de leurs
richesses en les lui offrant ! Offrons-lui tout dans ses pauvres : la partie que
nous leur donnons de nos biens, est la seule qui nous demeure ; et par celle-là
que nous quittons, nous devons apprendre à nous dégoûter , à nous détacher de
l'autre.
« Après avoir adoré l'enfant,
avertis en songe » par un oracle du ciel « de ne retourner plus à Hérode, ils
retournèrent en leur pays par un autre chemin (1). » Ainsi fut trompée la
politique d'Hérode : mais Dieu veut en même temps nous apprendre à corriger nos
premières voies, et après avoir connu Jésus-Christ, de ne marcher plus par le
même chemin. Ne nous imaginons pas qu'un changement médiocre nous suffise, pour
changer les voies du monde dans les voies de Dieu. « Mes pensées ne sont pas vos
pensées, et mes voies ne sont pas vos voies, dit le Seigneur. » Et voyez quel en
est l'éloignement : « Autant que le levant est éloigné du couchant, autant mes
pensées sont éloignées de vos pensées, et mes voies de vos voies (2). » Ainsi
pour aller par une autre voie, pour quitter la région des sens, et s'avancer par
les voies de Dieu, il faut être bien éloigné de soi-même, et la conversion n'est
pas un petit ouvrage.
Nous avons, comme les mages, à
retourner dans notre patrie. Notre patrie, comme la leur, est en Orient : c'est
vers l'Orient que Dieu avait planté son paradis : il nous y faut retourner :
dans quelle sainteté, dans quelle grâce, dans quelle simplicité l'homme avait-il
été créé ? « Dieu l'avait fait droit et simple , et il s'est lui-même jeté dans
des disputes infinies (3). » Pourquoi tant contester contre Dieu? « Crains Dieu
et observe ses commandements :
1 Matth., II, 12. — 2 Isa.,
LV, 8, 9. — 3 Eccle., VII, 30.
294
c'est là tout l'homme (1). » Homme, ne dispute plus sur la
nature de ton âme, sur les conditions de ta vie : et craindre Dieu et lui obéir,
c'est tout l'homme : que cela est clair ! que cette voie est droite! que cette
doctrine est simple! On doit l'apercevoir d'abord et dès le premier regard se
jeter dans cette voie. Pourquoi tant de laborieuses recherches ? C'est que
l'homme, à qui Dieu avait d'abord montré son salut et sa vie dans son saint
commandement, s'est laissé trahir par ses sens, et la trompeuse beauté du fruit
défendu a été le piège que l'ennemi lui a tendu : de là il s'est engagé dans un
labyrinthe d'erreurs où il ne voit plus d'issue. « Revenez, enfants d'Israël, à
votre cœur (2) : » connaissez votre égarement : changez votre voie : si
jusqu'ici vous avez cru vos sens, songez à présent que « le juste vit de la foi
(3) : » si jusqu'ici vous avez voulu plaire aux hommes et ménager une fausse
gloire, songez maintenant à glorifier Dieu à qui seul la gloire appartient : si
jusqu'ici vous avez aimé ce qu'on appelle les aises et les plaisirs,
accoutumez-vous à goûter dans les maladies, dans les contradictions , dans
toutes sortes d'incommodités , l'amertume qui vient troubler en vous la joie des
sens et y réveiller le goût de Dieu.
1 Eccle., XII, 13. — 2 Isa.,
XLVI, 8. — 3 Habac., II, 4; Rom.,
I, 17.
|