Accueil Remonter Remarques Elévations Elév. Semaine I Elév. Semaine II Elév. Semaine III Elév. Semaine IV Elév. Semaine V Elév. Semaine VI Elév. Semaine VII Élév. Semaine VIII Elév. Semaine IX Elév. Semaine X Elév. Semaine XI Elév. Semaine XII Elév. Semaine XIII Elév. Semaine XIV Elév. Semaine XV Elév. Semaine XVI Elév. Semaine XVII Elév. Semaine XVIII Elév. Semaine XIX Elév. Semaine XX Elév. Semaine XXI Elév. Semaine XXII Elév. Semaine XXIII Elév. Semaine XXIV Elév. Semaine XXV Vie cachée Concupiscence Opuscules I Opuscules II Opuscules III
| |
VIIIe
SEMAINE. LA DÉLIVRANCE PROMISE DEPUIS ADAM JUSQU'A LA LOI.
PREMIÈRE ÉLÉVATION. La promesse du libérateur dès le jour de la perte.
IIe ÉLÉVATION. La délivrance future marquée même avant le crime, et dans la
formation de l'Eglise en la personne d'Eve.
IIIe ÉLÉVATION. Adam et Eve figures de Jésus-Christ et de Marie : L'image du
salut dans la chute même.
IVe ÉLÉVATION. Autre figure de notre salut dans Abel.
Ve ELEVATION. La bonté de Dieu dans le déluge universel.
VIe ÉLÉVATION. Dieu promet de ne plus envoyer de déluge.
VIIe ÉLÉVATION. La tour de Babel : Sem et Abraham.
VIIIe ÉLÉVATION. Jésus-Christ plus expressément prédit aux patriarches.
IXe ÉLÉVATION. La circoncision.
Xe ÉLÉVATION. La victoire d'Abraham, et le sacrifice de Melchisédech.
XIe ÉLÉVATION. La terre promise
XIIe ÉLÉVATION. Le sabbat.
Ce fut le jour même de notre
chute, que Dieu dit au serpent notre corrupteur : « Je mettrai une inimitié
éternelle entre toi et la femme, entre ta race et la sienne : elle brisera ta
tête (1). »
Premièrement on ne peut pas
croire que Dieu ait voulu effectivement juger ou punir le serpent visible, qui
était un animal sans connaissance : c'est donc une allégorie où le serpent est
jugé en figure du diable dont il avait été l'instrument. Secondement, il faut
entendre par la race du serpent les menteurs dont il est le père, selon cette
parole du Sauveur : « Lorsqu'il dit des mensonges , il parle de son propre
fonds, parce qu'il est menteur et père du mensonge (2). » En troisième lieu, par
« la race de la femme » il faut entendre l'un de sa race, un fruit sorti d'elle
qui brisera la tête du serpent. Car on ne peut pas penser que toute la race de
la femme soit victorieuse du serpent, puisqu'il y en a un si grand nombre qui ne
se relèvent jamais de leur chute. La race de la femme est victorieuse, en tant
qu'il y a quelqu'un des enfants de la femme par qui le démon et tous ses enfants
seront défaits.
Il n'importe que dans une
ancienne version, cette victoire sur le serpent soit attribuée à la femme et que
ce soit elle qui en doive écraser la tête : ipsa conteret. Car il faut
entendre que la femme remportera cette victoire, parce qu'elle mettra au monde
le
1 Genes., III, 15.— 2 Joan., VIII, 44.
137
vainqueur : on concilie par ce moyen les deux leçons ;
celle qu'on trouve à présent dans l'original. qui attribue la victoire au fils
de la femme, et celle de notre version, qui l'attribue à la femme même. Et en
quelque manière qu'on l'entende, on voit sortir de la femme un fruit qui
écrasera la tête du serpent, et en détruira l'empire.
Si Dieu s'était contenté de dire
qu'il y aurait une inimitié éternelle entre le serpent et la femme ou avec le
fruit qu'elle produirait, et que le serpent lui préparerait par derrière et à «
son talon » de secrètes embûches, on ne verrait point la victoire future de la
femme ou de son fruit : mais puisqu'on voit que son fruit et elle briseraient la
tête du serpent, la victoire devait demeurer à notre race. Or ce que veut dire
cette race, ce fruit, pour traduire de mot à mot, cette semence bénie de la
femme, il faut écouter saint Paul sur cette promesse faite à Abraham : « En »
l'un de « ta race, » en ton fils, « seront bénies » et sanctifiées « toutes les
nations de la terre (1) : » où le saint Apôtre remarque qu'il ne dit pas : «
Dans les fruits que tu produiras » et dans tes enfants, « comme étant plusieurs;
mais en ton fils, comme dans un seul, » et dans « le Christ. » Non dicit : Et
seminibus, quasi in multis; sed quasi in uno : Et semini tuo, qui est Christus
(2).
C'est donc en lui que toutes les
nations seront bénies, toutes en un seul. Ainsi dans cette parole adressée au
serpent : « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta race et son
fruit, » on doit entendre que Dieu avait en vue un seul fils et un seul fruit
qui est Jésus-Christ. Et Dieu qui pouvait dire également, et devait dire plutôt
qu'il mettroit cette inimitié entre le dragon et l'homme, ou le fruit de
l'homme, a mieux aimé dire qu'il la mettrait entre la femme et le fruit de la
femme, pour mieux marquer ce fruit béni qui étant né d'une vierge, n'était le
fruit que d'une femme : dont aussi sainte Elisabeth disait : « Vous êtes bénie
entre toutes les femmes, et béni le fruit de vos entrailles (3). » Vous êtes
donc, ô Marie, cette femme qui par votre fruit devez écraser la tête du serpent
: Vous êtes, ô Jésus, ce fruit béni en qui la victoire nous est assurée. Je vous
rends grâces, mon Dieu, d'avoir ainsi relevé
1 Genes., XXII, 18. — 2 Galat., III, 16. — 3
Luc., I, 42.
138
mes espérances; et je vous chanterai avec David : « O mon
Dieu, ma miséricorde (1) ; » et encore : « Est-ce que Dieu retirera sa
miséricorde à jamais? Dieu oubliera-t-il la pitié, ou dans sa colère
tiendra-t-il ses miséricordes renfermées (2) ? » Non Seigneur miséricordieux et
bon, vous n'avez pu, si on l'ose dire, les retenir, puisqu'au jour de votre
colère, et lorsque vous prononciez leur sentence à nos premiers parents et à
toute leur postérité, il a fallu que vos miséricordes éclatassent et que vous
fissiez paraître un libérateur. Dès lors vous nous promettiez la victoire ; et
pour nous la faciliter, vous nous avez découvert la malice de notre ennemi , en
lui disant : « Vous attaquerez par le talon (3) ; » c'est-à-dire vous attaquerez
le genre humain par l'endroit où il touche à la terre, par les sens : vous
l'attaquerez par les pieds, c'est-à-dire par l'endroit qui le soutient : vous
l'attaquerez, non point en face, mais par derrière et par adresse plutôt que par
force.
Ce malheureux esprit nous
attaque par les sens par où nous tenons à la terre, lorsqu'il nous en propose
les douceurs, et il prend l'homme par la partie faible. Défions-nous donc de nos
sens ; et dès qu'ils commencent à nous inspirer quelque désir flatteur ,
songeons au serpent qui les suscite contre nous.
Mais voici encore une autre
attaque : nous croyons être fermes sur nos pieds, et que l'ennemi ne nous peut
abattre : « J'ai dit en moi-même, dans l'abondance » de mon cœur, « je ne serai
point ébranlé,» et je ne vacillerai «jamais (4) ! » C'est alors que l'ennemi me
surprend, et qu'il m'abat : c'est alors qu'il faut que je dise avec David que «
le pied de l'orgueil ne vienne pas jusqu'à moi (5) : » que je ne m'appuie jamais
sur ma présomptueuse confiance, qui me fait croire que j'ai le pied ferme et
qu'il ne me glissera jamais. Mettez, chrétien, mettez votre force dans
l'humilité : ne la mettez pas dans vos victoires passées : lorsque vous croirez
vous être affermi dans la vertu et pouvoir vous soutenir de vous-même , il vous
renverse comme un autre saint Pierre, par ce où vous mettez votre force, qui
vous fait dire comme à cet apôtre : Moi, vous renoncer ! « Je donnerai ma vie
pour vous (6). » Au lieu
1 Psal. LVIII, 18. — 2 Psal.
LXXVI, 1, 8, 9, 10. — 3 Genes., III, 15. — 4 Psal.
XXIX, 7. — 5 Psal., XXXV, 12. — 6 Joan., XIII, 37.
139
d'écouter un courage présomptueux, reconnaissez votre
faiblesse ; et l'ennemi vous attaquera en vain.
Mais voici le plus dangereux de
tous ses artifices. Il ne vous attaquera pas en face, mais subtilement par
derrière : il vous cachera ses tentations : il vous inspirera comme au Pharisien
une fausse action de grâces: « Seigneur, » dit-il, « je vous rends grâces (1); »
mais c'est ensuite pour vous occuper de vos jeûnes, de vos pieuses libéralités,
de votre exactitude à payer la dime, de votre justice qui vous met au-dessus des
autres hommes : il vous attaque par derrière, et vous présentant en face
l'action de grâces, en elle il vous insinue le plus fin orgueil. Il a bien
d'autres artifices : ce n'est qu'un doux entretien qu'il vous propose : Dieu
est-il assez rigoureux pour défendre si sévèrement ces innocentes douceurs ? Je
saurai me retenir, et je ne laisserai pas aller mes désirs. Il vous attaque par
derrière, comme un habile ennemi; il tâche de vous dérober sa marche et ses
desseins : vous périrez, et de l'un à l'autre vous avalerez le venin.
Lorsque vous le sentez approcher
avec de telles insinuations, et qu'il tortille, pour ainsi parler, par derrière
et autour de vous, alors sans regarder trop les appas trompeurs dont il fait un
piège à votre cœur; car c'est peut-être d'abord ce qu'il veut de vous pour
ensuite vous pousser plus loin : jetez-vous entre les bras de celui qui en
écrase la tête : regardez sa croix : car c'est là que dans la douleur et dans la
mort, il a renversé l'empire du diable et rendu ses tentations inutiles.
Dieu n'avait point ordonné la
chute d'Adam, à Dieu ne plaise ! mais il l'avait prévue et avait trouvé bon de
la permettre, dès
1 Luc., XVIII, 11, 12.
140
qu'il le créa dans l'innocence. Il ne faut donc pas
s'étonner qu'il ait figuré dès lors Jésus-Christ en Adam, et l'Eglise dans Eve,
lorsque pendant son sommeil il tira la femme de cette espèce de plaie qui fut
faite dans son côté, de même que l'Eglise fut tirée du côté ouvert de
Jésus-Christ pendant qu'il dormait dans le repos d'une courte mort dont il
devait être bientôt réveillé, conformément à cette parole que l'Eglise chante à
la résurrection de Notre-Seigneur : « Je me suis endormi, et j'ai été dans le
sommeil : et je me suis levé, parce que le Seigneur m'a pris en sa protection
(1). »
Ainsi la chute d'Adam n'était
pas sans espérance , puisqu'avec les yeux de la foi il pouvait voir dans celle
qui avait donné occasion à sa perte son espérance renaissante, et dans la plaie
du sacré côté de Jésus-Christ la formation de l'Eglise et la source de toutes
les grâces. C'est pourquoi saint Paul applique à Jésus-Christ et à l'Eglise ce
qu'Adam dit alors à Eve : « Tu es l'os de mes os et la chair de ma chair (2), »
et le reste que nous avons observé ailleurs.
O Dieu, quelle abondance de
miséricorde, et que les sujets d'espérance se multiplient devant nous !
puisqu'en même temps qu'un homme et une femme perdaient le genre humain, Dieu
qui avait daigné prédestiner un autre homme et une autre femme pour les relever,
a désigné cet homme et cette femme jusque dans ceux qui nous donnaient la mort.
Jésus-Christ est le nouvel Adam : Marie est la nouvelle Eve. Eve est appelée «
mère des vivants (4), » même après sa chute, comme l'ont remarqué les saints
docteurs , et lorsqu'à dire le vrai, elle devait plutôt être appelée
1 Psal. III, 6. — 2 Ephes.,
V. 29, 30, 31 ; Genes., II, 23, 24. — 3 Genes., III, 20.
141
la mère des morts. Mais elle reçoit ce nom dans la figure
de la sainte Vierge, qui n'est pas moins la nouvelle Eve que Jésus-Christ le
nouvel Adam. Tout convient à ce grand dessein de la bonté divine. Un ange de
ténèbres intervient dans notre chute : Dieu prédestine un ange de lumière, qui
devait intervenir dans notre réparation. L'ange de ténèbres parle à Eve encore
vierge : l'ange de lumière parle à Marie qui le demeure toujours. Eve écouta le
tentateur et lui obéit : Marie écouta aussi l'ange du salut et lui obéit. La
perte du genre humain qui se devait consommer en Adam, commença par Eve : en
Marie commence aussi notre délivrance ; elle y a la même part qu'Eve a eue à
notre malheur , comme Jésus-Christ y a la même part qu'Adam avait eue à notre
perte. Tout ce qui nous a perdu se change en mieux : je vois paraître un nouvel
Adam, une nouvelle Eve, un nouvel ange : il y a aussi un nouvel arbre, qui sera
celui de la croix, et un nouveau fruit sur cet arbre, qui détruira tout le mal
que le fruit défendu avait causé. Ainsi l'ordre de notre réparation est tracé
dans celui de notre chute : tous les noms malheureux sont changés en bien pour
nous ; et tout ce qui avait été employé pour nous perdre, par un retour
admirable de la divine miséricorde, se tourne en notre faveur.
« Dieu tourna ses yeux sur Abel
et sur ses présents, et ne regarda pas les présents de Caïn (1). » Dieu commence
à écouter les hommes, et à recevoir leurs présents : il est apaisé sur le genre
humain, et les enfants d'Adam ne lui sont plus odieux. Abel le juste est par sa
justice une figure de Jésus-Christ, qui seul a offert pour nous une oblation que
le ciel agrée, et apaise son Père sur nous.
1 Genes., IV, 4, 5.
442
Mais Abel fut tué par Gain, il
est vrai ; et c'est par cet endroit-là qu'il devint principalement la figure de
Jésus-Christ, qui plus juste et plus innocent qu'Abel, puisqu'il était la
justice même, est livré à la jalousie des Juifs, comme Abel à celle de Caïn. Car
pourquoi est-ce, disait saint Jean , que Caïn haïssait son frère, et « pourquoi
le fit-il mourir? » sinon « parce » qu'il était mauvais, malin et jaloux, et «
que ses œuvres étaient mauvaises, comme celles de son frère étaient justes (1) ?
» De même les Juifs haïrent Jésus et le firent mourir, comme il dit lui-même,
parce qu'ils étaient mauvais et qu'il était bon (2). Ce fut « par envie » qu'ils
« le livrèrent » à Pilate, ainsi que Pilate le reconnait lui-même (3) : le
diable, cet esprit superbe et jaloux de l'homme, fut l'instigateur des Juifs,
comme il l'a voit été de Caïn; et leur ayant inspiré sa malignité, ils firent
mourir celui qui avait daigné se faire leur frère, comme Gain fit mourir le
sien.
La mort d'Abel est donc pour
nous un renouvellement d'espérance, parce qu'il est la figure de Jésus : le sang
d'Abel versé sur la terre cria vengeance au ciel contre Caïn : et quoique « le
sang de Jésus-Christ jette un cri plus favorable (4), » comme dit saint Paul,
puisqu'il crie miséricorde, toutefois par l'ingratitude et l'impénitence des
Juifs « le sang de Jésus fut sur eux et sur leurs enfants (5), » comme ils
l'avaient demandé. Abel le juste est le premier des enfants d'Adam, qui subit
l'arrêt de mort prononcé contre eux : la mort faite pour les pécheurs commença
par un innocent à exercer son empire ; et Dieu le permit ainsi, afin qu'elle eût
un plus faible fondement : le diable perdit les coupables, en attaquant Jésus,
en qui il ne trouvait rien qui lui appartînt : c'est ce que figure Abel; et
injustement tué, il fit voir, pour ainsi parler, que la mort commençait mal et
que son empire devait être anéanti.
Prenons donc garde que « tout le
sang innocent ne vienne sur nous, depuis le sang d'Abel le juste jusqu'au sang
de Zacharie qui fut tué entre le temple et l'autel (6). » Nous prenons un esprit
meurtrier quand nous prenons un esprit de haine et de jalousie
1 I Joan., III, 12. — 2 Ibid.,
VIII, 40, 44; XV, 23, 24, 25.— 3 Matth., XXVII, 18. — 4 Hebr.,
XII, 24. — 5 Matth., XXVII, 25. — 6 Ibid., XXIII, 35.
143
contre nos frères innocents, et notre part est avec celui
qui est « homicide dès le commencement (1), » non-seulement parce qu'il tua d'un
seul coup tout le genre humain; mais encore parée que, pour assouvir sa haine
contre les hommes, il voulut d'abord verser du sang et que la première mort fût
violente, et montrer, pour ainsi parler, par ce moyen que nul n'échapperait à la
mort, puisqu'Abel le juste y succombait. Mais Dieu tourna sa fureur en espérance
pour nous, puisqu'il voulut que le juste Abel, injustement tué par Caïn, fût la
figure de Jésus-Christ qui est le juste par excellence, et dont l'injuste
supplice devait être la délivrance de tous les criminels.
Nous avons vu que les hommes une
fois corrompus par le péché s'enfoncèrent dans leur corruption, jusqu'à forcer
Dieu par leurs crimes à se repentir de les avoir faits, et à résoudre leur perte
entière par le déluge universel. L'expression de l'Ecriture est étonnante : «
Dieu pénétré de douleur jusqu'au fond du cœur : Je perdrai, dit-il, l'homme que
j'ai créé (2) ; » c'est-à-dire que la malice des hommes était si outrée, qu'elle
eût altéré, s'il eût été possible, la félicité et la joie d'une nature immuable.
Quoique la justice divine fût irritée jusqu'au point que marque une expression
si puissante, Dieu néanmoins suspendait l'effet d'une si juste vengeance, et ne
pouvait se résoudre à frapper. Noé fabriquoit lentement l'arche que Dieu avait
commandée ; et ne cessait d'avertir les hommes durant tout ce temps de l'usage
auquel elle était destinée. « Ils furent incrédules, » dit saint Pierre (3), et
en présumant toujours, sans se convertir, « de la patience de Dieu qu'ils
attendaient , ils mangeaient et buvaient jusqu'au jour que Noé entra dans
l'arche (4). » Dieu différa encore sept jours le déluge tout
1 Joan., VIII, 44. — 2 Genes., VI, 6, 7. — 3
I Petr., III, 20. — 4 Matth., XXIV, 38; Luc., XVII, 26, 27;
Genes., VII, 4, 10.
144
prêt à fondre sur la terre, et donna encore aux hommes ce
dernier délai pour se reconnaître.
Nous avons vu que la prophétie
d'Hénoch, bisaïeul de Noé, avait précédé : Dieu ne pouvait pour ainsi parler se
résoudre à punir les hommes, et il fit durer les avertissements de ses
serviteurs près de mille ans.
A la fin le déluge vint, et l'on
vit alors un terrible effet de la colère de Dieu ; mais il voulut en même temps
y faire éclater sa miséricorde et la figure du salut futur du genre humain. Le
déluge lava le monde, le renouvela et fut l'image du baptême : « En figure de ce
sacrement qui nous devait délivrer, huit personnes furent sauvées (1). » Noé fut
une figure de Jésus-Christ, en qui toute la race humaine devait être renouvelée
: en cette vue il fut appelé Noé; c'est-à-dire consolation, repos: et lorsqu'il
vint au monde, son père Lamech dit prophétiquement : « Celui-ci nous consolera
de tous les travaux de nos mains et de toutes les peines que nous donne la terre
que Dieu a maudite (2). » Dieu n'envoie point de maux qu'il n'envoie des
consolations ; et résolu malgré sa colère à la fin de sauver les hommes, sa
bonté reluit toujours parmi ses vengeances.
Mettons-nous à la place de Noé,
lorsqu'il sortit de l'arche avec sa famille : toute la terre n'était qu'une
solitude : les maisons et les villes étaient renversées : il n'y avait d'animaux
que ce qu'il en avait conservé : des autres il n'en voyait que les cadavres : sa
famille subsistait seule; et l'eau avait ravagé tout le reste. En cet état
figurons-nous quelle fut sa reconnaissance : son premier soin fut de « dresser
un autel à Dieu, » qui l'avait délivré, et tout le genre humain en sa personne :
il le chargea « de toutes sortes d'animaux purs, oiseaux et autres ; et il
offrit à Dieu son
1 I Petr., III, 20, 21. — 2
Genes., V, 29.
145
holocauste (1) » pour lui et pour sa famille, et pour tout
le genre humain qui en devait renaître. Il ne dit pas en son cœur par une fausse
prudence : Il nous reste peu d'animaux : il en faut ménager la race : il savait
bien qu'on ne perdait pas ce que l'on consacrait à Dieu, et que c'était au
contraire attirer sa bénédiction sur le reste. « Son holocauste fut en bonne
odeur devant Dieu, qui lui parla en cette sorte : Je ne maudirai plus la terre à
cause des hommes (2). » Et peu après : « Je ferai un pacte avec vous et avec
tous les animaux : je ne les perdrai plus par les eaux, et jamais il n'y aura de
déluge (3). » L'arc-en-ciel parut dans les nues avec de douces couleurs : et
soit qu'il parût alors pour la première fois, et que le ciel auparavant sans
nuage eût commencé à s'en charger par les vapeurs que fournirent les eaux du
déluge; soit qu'il eût déjà été vu, et que Dieu en fît seulement un nouveau
signal de sa clémence, Dieu voulut qu'il fût dans le ciel un sacrement éternel
de son alliance et de sa promesse. Au lieu de ces nuages menaçants qui faisaient
craindre un nouveau déluge , Dieu choisit dans le ciel un nuage lumineux et
doux, qui, tempérant et modifiant la lumière en couleurs bénignes, fût aux
hommes un agréable signal pour leur ôter toute crainte. Depuis ce temps
l'arc-en-ciel a été un signe de la clémence de Dieu. Lorsqu'on voit dans l'Apocalypse
son trône dressé (4), l'iris fait un cercle autour de ses pieds, et étale
principalement la plus douce des couleurs qui est un vert d'émeraude. C'était
quelque chose de semblable qui parut aux soixante et dix vieillards d'Israël. Et
lorsqu'il se montra à eux dans le trône de sa gloire, « on vit à ses pieds une
couleur de saphir , comme lorsque le ciel est serein (5). » Quoi qu'il en soit,
ce beau vert et ce bleu céleste sont le beau signal d'un Dieu apaisé, qui ne
veut plus envoyer de déluge sur la terre. Le sacrifice de Noé , qui est celui de
tout le genre humain , avait précédé en figure du sacrifice de Jésus-Christ, qui
était pareillement l'oblation de toute la nature humaine : la promesse de la
clémence suivit, et ce fut le présage heureux d'une nouvelle race qui devait
naître sous un visage bénin de son créateur et sous des promesses favorables.
1 Genes., VIII, 20. — 2 Ibid.,
21. — 3 Ibid., IX, 9-13. — 4 Apoc., IV, I, 31.— 5 Exod.,
XXIV, 10.
146
O Dieu, j'adore vos bontés :
accoutumez-moi à voir dans le ciel et dans toute la nature vos divins attributs
: qu'un ciel obscurci de nuages, comme courroucé, me soit une image de cette
juste colère qui envoya le déluge ; et qu'au contraire la sérénité, ou un reste
léger de nuages, me fasse voir dans l'arc-en-ciel quelque chose de plus clément,
et plutôt de douces rosées que de ces pluies orageuses qui pourraient encore
ravager la terre, si Dieu pour ainsi parler n'en arrêtait la fureur.
Dieu ne veut que pardonner :
c'est un bon père qui, contraint de châtier ses enfants à cause de l'excès de
leur crime, s'attendrit lui-même sur eux par la rigueur de leur supplice, et
leur promet de ne leur plus envoyer de semblables peines. O Dieu miséricordieux
et bon, comment peut-on vous offenser ! Craignons toutefois, et n'abusons pas de
cette bonté paternelle. Pour nous avoir mis à couvert des eaux, sa justice n'est
pas désarmée; et il a encore les feux en sa main, pour venger à la fin du monde
des crimes encore plus énormes que ceux qui attirèrent le déluge d'eau.
Voici une suite de la promesse
divine. Le genre humain fut ravagé , mais non pas humilié par le déluge. La tour
de Babel fut un ouvrage d'orgueil : les hommes à leur tour semblèrent vouloir
menacer le ciel qui s'était vengé par le déluge et se préparer un asile contre
les inondations, dans la hauteur de ce superbe édifice. Il entra dans ce dessein
un autre sentiment d'orgueil : « Signalons-nous,» disaient-ils, par un ouvrage
immortel, «avant que de nous séparer par toutes les terres (1). » Au lieu de
s'humilier pendant que la mémoire d'un si grand supplice était encore récente,
plus prêts à exalter leur nom que celui de Dieu, ils provoquèrent de nouveau sa
colère. Dieu les punit, mais non pas par le
1 Genes., XI, 4 et seq.
147
déluge ; et malgré leur ingratitude, il fut fidèle à sa
promesse. La division des langues les força à se disperser ; et en punition de
l'union que l'orgueil avait fait entre eux dans le commun dessein de se signaler
par un ouvrage superbe, les langues se multiplièrent et ils devinrent étrangers
les uns aux autres.
Au milieu de votre colère,
Seigneur, vous les regardiez en pitié; et touché de leur division, vous vous
réserviez une semence bénie, où les nations divisées se devaient un jour
rassembler. Incontinent après le déluge, vous aviez daigné bénir Sem , en disant
: « Que le Dieu de Sem soit béni ; et que Chanaan en soit l'esclave (1) ! »
Ainsi, dans la division des nations, la trace de la vraie foi se conserva dans
la race de ce patriarche, qui vit naître de cette bénie postérité Abraham, dont
vous avez dit « qu'en sa semence toutes les nations seraient bénies (2). » Les
voilà donc de nouveau bénies, et heureusement réunies dans cette promesse.
Toutes les nations qui se formèrent et se séparèrent à Babel, doivent un jour
redevenir un même peuple : vous prépariez un remède à la division des langues
dans la prédication apostolique qui les devait réunir dans la profession de
notre foi et dans l'exaltation de votre saint nom. Ainsi dans l'élévation de la
tour et de la ville de Babel, l'orgueil divisa les langages : et dans
l'édification de votre Eglise naissante, l'humilité les rassembla tous. « Et
chacun entendait son langage (3) » dans la bouche de vos saints apôtres.
Unissons-nous donc, et parlons
tous en Jésus-Christ un même langage : n'ayons qu'une bouche et qu'un cœur, sans
fraude, sans dissimulation, sans déguisement, sans mensonges : éteignons en nous
tous les restes de la division de Babel : prions pour la concorde des nations
chrétiennes et pour la conversion des nations infidèles : O Dieu qu'il « n'y ait
plus ni Juif, ni Grec, ni Barbare, ni Scythe ; mais en tous un seul Jésus-Christ
(4), » Dieu béni aux siècles des siècles.
1 Genes., IX, 26. — 2 Ibid.,
XII. 3.— 3 Act., II, 6. — 4 Colos., III, 11.
148
Tout le genre humain se
corrompait : « Dieu laissa toutes les nations aller dans leurs voies, » comme
dit saint Paul dans les Actes (1) : chacune voulait avoir son Dieu et le faire à
sa fantaisie : le vrai Dieu qui avait tout fait était devenu le « Dieu inconnu
(2); et quoiqu'il fût si près de nous » par son opération et par ses dons, de
tous les objets que nous pouvions nous proposer, c'était le plus éloigné de
notre pensée. Un si grand mal gagnait et allait devenir universel. Mais pour
l'empêcher, Dieu suscita Abraham, en qui il voulait faire un nouveau peuple, et
rappeler à la fin tous les peuples du monde pour être en Dieu un seul peuple.
C'est le sens de ces paroles : « Sors de ta terre et de ta parenté , et de la
maison de ton père, et viens en la terre-que je te montrerai : et je ferai
sortir de toi un grand peuple, et en toi seront bénies toutes les nations de la
terre (3). » Voilà donc deux choses : premièrement, « Je ferai sortir de toi un
grand peuple, » qui sera le peuple hébreu ; mais ma bénédiction ne se terminera
pas à ce peuple : « Je bénirai, » je sanctifierai « en toi tous les peuples de
la terre, » qui, participant à ta grâce comme à ta foi, seront tous ensemble un
seul peuple retourné à son créateur, après l'avoir oublié durant tant de
siècles.
Voilà le sens manifeste de ces
paroles : « En toi seront bénies toutes les nations de la terre. » Dieu, seul
interprète de soi-même, a expliqué ces paroles : In te benedicentur : «
en toi seront bénis tous les peuples de la terre ; » par celles-ci : In
semine tuo : « dans ta semence (4) ; » c'est-à-dire comme l'explique
doctement et divinement l'apôtre saint Paul : « dans un de ta race ; dans un
fruit sorti de toi (5) : » au nombre singulier ; en sorte qu'il y devait avoir
un seul fruit, un seul germe, un seul fils sorti d'Abraham, en
1 Act., XIV, 15. — 2 Ibid.,
XVII, 23, 27. — 3 Genes., XII, 1-3. — 4 Ibid., 3. — 5 Galat.,
III, 16.
149
qui et par qui serait répandue sur toutes les nations de la
terre la bénédiction qui leur était promise en Abraham. Ce fruit, ce germe béni,
cette semence sacrée, ce fils d'Abraham, « c'était le Christ,» qui devait venir
de sa race. C'est pourquoi, comme remarque saint Paul, l'Ecriture parle toujours
en singulier : Non in seminibus, sed in semine : « Non en plusieurs, mais
dans un seul de ta race (1) : » et c'était aussi cette semence bénie, promise à
la femme dès le commencement de nos malheurs, par qui la tête du serpent serait
écrasée et son empire détruit.
La même promesse a été réitérée
à Isaac et à Jacob : c'est pourquoi après cela, Dieu a voulu être caractérisé
par ce titre : « Le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob (2) : » comme qui
dirait, le Dieu des promesses, le Dieu sanctificateur de tous les peuples du
monde, et non-seulement des Juifs qui sont la race charnelle de ces patriarches,
mais encore, de tous les fidèles qui en sont la race spirituelle, et les vrais
enfants d'Abraham « qui suivent les vestiges de sa foi (3). » Et tout cela ne
s'est accompli qu'en Jésus-Christ, par qui seul le Dieu véritable, auparavant
oublié parmi tous les peuples du monde , sans que personne le servît si ce
n'était les seuls enfants d'Abraham, a été prêché aux gentils qu'il a ramenés à
lui après tant de siècles.
C'est pourquoi, dans tous les
prophètes, la vocation des gentils est toujours marquée comme le propre
caractère du Christ qui devait venir pour sanctifier tous les peuples : et voilà
cette promesse faite à Abraham, qui fait tout le fondement de notre salut.
Entrons donc dans cette divine alliance faite avec Abraham, Isaac et Jacob ; et
soyons les véritables enfants de la promesse.
Entendons toute la force de
cette parole : « Etre enfants de la promesse, c'est être les enfants promis à
Abraham. » Dieu nous a promis à ce patriarche : s'il nous a promis, il nous a
donnés : s'il nous a promis, il nous a faits : car, comme dit l'apôtre saint
Paul : « Il est puissant pour faire ce qu'il a promis : » non pour le prédire ,
mais pour l'accomplir, pour le faire. Nous sommes donc la race qu'il a faite
d'une manière particulière : enfants de promesse, enfants de grâces, enfants de
bénédiction, peuple nouveau et particulier
1 Galat., III, 16. — 2 Exod.,
III, 6. —3 Rom., IV,
12.
150
que Dieu a créé pour le servir : non pour seulement porter
son nom , mais pour être un vrai peuple, agréable à Dieu, sectateur des bonnes
œuvres; et comme enfants de miséricorde, choisis et bien-aimés, aimant Dieu de
tout notre cœur et notre prochain comme nous-mêmes ; et étendant notre amour à
toutes les nations et à tous les peuples, comme à ceux qui sont comme nous dans
la destination de Dieu « enfants d'Abraham et héritiers des promesses (1). »
Voilà les richesses qui sont renfermées dans ce peu de mots : « En toi, dans un
de ta race, seront bénies toutes les nations de la terre. »
On ne peut nier que la
circoncision donnée à Abraham ne soit une grande grâce (2) : » puisque c'est,
comme dit saint Paul, « le sceau de la justice (3) » dans ce patriarche, le
gage, et le sacrement de l'alliance de Dieu avec lui et toute sa race. Mais
regardons toutefois ce que c'est que cette circoncision. C'est après tout une
flétrissure, une marque dans la chair, telle qu'on la ferait à des esclaves. On
ne marque pas ses enfants sur le corps : on n'y marque que les esclaves, comme
une espèce d'animaux nés pour servir. « Vous porterez mon alliance dans votre
chair (4), » disait Dieu à Abraham. Ecoutons : « dans votre chair : » c'est une
marque servile et charnelle, plus capable de faire un peuple d'esclaves que de
faire un peuple d'enfants, ou pour parler plus simplement, une famille. Sans
doute Dieu destinait le genre humain à une plus haute alliance : et c'est
pourquoi aussi il la commence avec Abraham avant la circoncision , quand il le
tire de sa terre, et qu'il lui fait ses promesses : Abraham encore incirconcis
«crut, et il lui fut imputé à justice (5). » Il n'était pas encore circoncis,
1 Galat., 29.
— 2 Rom., III, 2. — 3 Ibid., IV 11. — 4 Genes. XVII, 13. 5
Ibid., XV, 6.
151
et cependant il crut à Dieu, et il fut justifié par cette
foi, et la circoncision lui fut donnée « comme le sceau de la justice de la foi
qu'il avait reçue incirconcis (1). » Les enfants de la promesse lui sont aussi
donnés en cet état : « Je multiplierai ta postérité : en toi seront bénies
toutes les nations, » ou si l'on veut, « toutes les familles de la terre (2); »
en prenant les nations pour des familles, puisqu'elles ne sont en effet que la
propagation d'un même sang. Nous voilà donc tous ensemble et tant que nous
sommes de fidèles, bénis dans Abraham incirconcis. Pourquoi? sinon pour montrer
qu'Abraham justifié avant sa circoncision, « est le père » dans ce même état «
de tous ceux qui chercheront, » comme dit saint Paul, « dans notre père Abraham
les vestiges de la foi qui l'a justifié, lorsqu'il était encore incirconcis : »
vestigia fidei, quœ est in prœputio patris nostri Abrahœ (3), comme
raisonne l'Apôtre.
Mais dans l'établissement de la
circoncision que veut dire cette parole : « Si un enfant n'est pas circoncis au
huitième jour, son âme périra et sera effacée du milieu de son peuple (4) ? »
Qu'a fait cet enfant de huit jours? et périrait-il sous un Dieu juste, si son
âme était innocente ? Race damnée et maudite, nous ne saurions recevoir aucune
grâce du ciel, ni aucune espérance du salut, qui ne marque et ne présuppose
notre perte. Nous recevons maintenant une meilleure et plus sainte circoncision,
nous qui sommes régénérés par le baptême. Mais la promesse est accompagnée de
malédiction contre ceux qui n'en seront point participants : « Si vous ne
renaissez de l'eau et du Saint-Esprit, vous n'entrerez point dans le royaume des
cieux (5). » Confessons donc humblement que nous en étions naturellement exclus,
et qu'il n'y a que la grâce qui nous y rétablisse. Reconnaissons notre perte, si
nous voulons avoir part à la bénédiction du fils d'Abraham : soyons, comme dit
saint Paul, «la véritable circoncision, en servant Dieu selon l'esprit (6), » et
en retranchant non «la chair, » mais les cupidités charnelles, c'est-à-dire la
sensualité en quelque endroit de notre âme et de notre corps qu'elle se
rassemble. Car il nous est défendu « de vivre selon la chair. En la suivant nous
mourrons :
1 Rom., IV, 11.— 2 Genes., XII, 3— 3 Rom.,
IV, 10-12.— 4 Genes., XVII, 14.— 5 Joan., III,
5. — 6 Philip., III, 2, 3.
152
mais si nous en mortifions les désirs et les actes, nous
vivrons (1) » Il faut donc non pas seulement les retrancher, mais les arracher
et les déraciner à fond autant qu'il nous est possible : autrement, avec un cœur
partagé entre les sens et l'esprit, nous ne pouvons aimer Dieu « de toute notre
puissance, de toute notre pensée , de tout notre cœur (2). »
La figure de notre baptême a été
donnée à Abraham : n'aura-t-il point celle de notre sacrifice ? Il revient
victorieux d'une bataille, où il a défait quatre grands rois qui avaient enlevé
Lot et tout son bien (3) : et au retour du combat il trouve Melchisédech dont
l'Ecriture, contre sa coutume, n'explique point « l'origine, » ni « la
naissance, » ni « la mort : sans père et sans mère, et rendu semblable au Fils
de Dieu (4), » qui est sans mère dans le ciel, et sans père sur la terre : sans
naître ni sans mourir, il paraît éternel comme Jésus-Christ ; il est roi et
pontife tout ensemble du Dieu très-haut en figure du sacerdoce royal de la
nouvelle alliance : son nom est Melchisédech, «roi de justice : » il est « roi
de Salem, c'est-à-dire roi de paix : » et ce sont des titres de Jésus-Christ.
Abraham lui paie la dîme de toute sa dépouille , et il reconnait l'éminence de
son sacerdoce : lui qui portait en lui-même Lévi et Aaron qui devaient sortir de
son sang, il humilie devant ce grand sacrificateur le sacerdoce de la loi : et
toute la race de Lévi, où celle d'Aaron était renfermée, paie la dîme en Abraham
à cet admirable pontife. Abraham qui se fait bénir par ses mains, se montre par
là son inférieur : car « c'est une vérité sans contestation, que le moindre est
béni par le supérieur (5), » et lui soumet en même temps tout le sacerdoce de la
loi.
1 Rom., VIII, 4, 12,13.— 2 Luc., X, 27. — 3
Genes., XIV, 14, 15 et seq. — 4 Hebr., VII, 1, 2, 3 et seq. — 5
Ibid., 7.
153
Mais quelle est la simplicité du
sacrifice de ce pontife! « Du pain et du vin font son oblation (1) : » matière
pure et sans aucun sang, dans lesquelles Jésus-Christ devait cacher la chair et
le sang de son nouveau sacrifice. Abraham y participe avant que d'être Abraham
et sans être encore circoncis. Ainsi c'est le sacrifice du peuple non circoncis,
dont l'excellence est plus grande que des sacrifices de la circoncision. Allons
donc avec la foi d'Abraham à ce nouveau sacrifice qu'Abraham a vu en esprit et
dont il s'est réjoui, comme « il s'est réjoui de voir le Sauveur (2) » qui
devait naître de sa race.
Mais n'est-ce point là une
vérité contraire à celle qu'on vient de voir ? Si Jésus-Christ sort d'Abraham
comme Lévi, il était en lui lorsqu'il s'humilia devant Melchisédech, et il lui
soumet Jésus-Christ même. Ce serait le soumettre à sa figure , à celui qui n'est
que pour lui, et dont tout l'honneur est d'en être l'image. Mais de plus, qui ne
sait pas que Jésus-Christ n'est pas dans Abraham comme dans les autres? Fils
d'une vierge et conçu du Saint-Esprit, quoique d'un côté il sorte véritablement
d'Abraham , de l'autre il est au-dessus des enfantements ordinaires et seul
au-dessus de tous les hommes, il n'est soumis qu'à Dieu seul.
Mettons-nous tous en Abraham :
soumettons-nous avec lui au véritable Melchisédech : au véritable roi de justice
et de paix : au « véritable pontife selon l'ordre de Melchisédech (3), » qui a
été nommé tel par celui qui « l'a engendré de toute éternité. » Désirons avec
ardeur de participer à son sacrifice : offrons-nous en lui dans ce pain et dans
ce vin de son oblation, dont sans rien changer au dehors, il fait sa chair et
son sang : simples, humbles, obéissants, purs et chastes, mangeons en simplicité
«ce pain » des anges et cuivrons-nous « de ce vin qui produit les vierges (4) »
1 Genes., XIV, 18. — 2 Joan.,
VIII, 56. — 3 Psal., CIX, 3, 4. — 4 Zachar., IX, 17.
154
La terre de Chanaan promise à
Abraham (1), n'était pas un digne objet de son attente, ni une digne récompense
de sa foi. Aussi Dieu le tient-il dans ce pays-là, comme un étranger, sans «
qu'il y eût un pied de terre, toujours sous des tentes (2) » et sans aucune
demeure fixe (3). Ainsi vécurent les autres patriarches ses enfants, « en se
confessant étrangers et voyageurs sur la terre, et soupirant sans cesse après
leur patrie. Mais si c'eût été une patrie » mortelle , « ils eussent songé à y
retourner » et y établir leur domicile : « mais » on voit « qu'ils avaient
toujours dans l'esprit le ciel » où tendait leur pèlerinage : « et Dieu » qui
les y avait appelés « se disait leur Dieu , parce qu'il leur avait destiné une
cité » permanente (4) non point sur la terre, mais dans le siècle futur. La
terre que Dieu leur promit en figure de ce céleste héritage , fut promise à
Abraham avant la circoncision : par conséquent ce n'est point la terre que les
Juifs charnels occupèrent, mais une autre qui était marquée pour tous les
peuples du monde.
Marchons donc dans un esprit de
pèlerinage dans la terre où nous habitons. Notre cœur se prend aisément à tout
ce qu'il voit : mais dès que nous sentons qu'il commence à s'attacher et comme à
s'établir quelque part, passons outre; « car nous n'avons point en ce lieu de
cité permanente, mais nous en cherchons une à venir dont Dieu est le fondateur
et l'architecte (5). » Il n'y a point ici d'appui, ni de fondement, ni
d'établissement pour nous. « Le temps est court, dit saint Paul : il ne nous
reste plus autre chose à faire, sinon à ceux qui vivent dans le mariage, d'y
vivre comme n'y vivant pas (6), » et de n'être point attachés à une femme,
1 Genes., XIII, 7. — 2 Act.,
VII, 5. — 3 Hebr., XI, 9. — 4 Ibid., 13-16.— 5 Ibid.,
XIII, 13, 14; XI, 10. — 6 I Cor., VII, 29.
155
encore qu'elle nous soit chère : c'est par les personnes
chéries que doit commencer le détachement : « Que ceux qui pleurent » vivent
aussi « comme ne pleurant pas, et ceux qui se réjouissent comme ne se
réjouissant pas (1) : » car ni la douleur, ni la joie n'ont rien de fixe sur la
terre : de même « que ceux qui achètent» ne croient pas avoir acquis la
possession d'une chose, sous prétexte qu'ils en auront fait une acquisition
légitime : car on ne possède rien : et ce mot de possession n'a rien de solide :
enfin « que ceux qui usent de ce monde et de ses biens soient comme n'en usant
pas, parce que la figure de ce monde passe (2). » Premièrement le monde, pour
ainsi parler n'est rien de réel; c'est une figure creuse; et secondement c'est
une figure qui passe, une ombre qui se dissipe. Je ne courrai plus après vous,
honneurs fugitifs, biens que je vais perdre, plaisirs où il n'y a que de
l'illusion : « Vanité des vanités, et tout est vanité. Craignez Dieu et observez
ses commandements : car c'est là tout l'homme (3). »
Après le péché, il ne devait
plus y avoir de sabbat, ni de jour de repos pour l'homme : nuit et jour, hiver
et été, dans la semaine et dans la moisson, dans le chaud et dans le froid, il
devait être accablé de travail. Cependant Dieu laissa au genre humain
l'observance du sabbat établi dès l'origine du monde, en mémoire de la création
de l'univers : et nous le voyons observé à l'occasion de la manne (4), comme une
chose connue du peuple, avant que la loi fût donnée, où l'observance en est
instituée plus expressément. Car dès lors on connaissait la distinction du jour,
ou les semaines établies : le sixième jour était marqué : le septième l'était
aussi comme le jour du repos : et tout cela paraît comme une pratique connue, et
non pas nouvellement établie : ce qui montre
1 I Cor., VII, 30. — 2 Ibid.,
31. — 3 Eccle., XII, 8, 13. — 4 Exod., XVI, 23, 26.
156
qu'elle venait de plus haut et dès l'origine du monde. Dieu
donc eut pitié dès lors du genre humain ; et en lui donnant un jour de relâche,
il montre en quelque façon que touché de compassion, il modérait la sentence du
perpétuel travail qu'il nous avait imposé. Mais il ne faut pas se persuader que
ce soit là tout le mystère du sabbat : Dieu y figurait le repos futur qu'il
préparait dans le ciel à ses serviteurs. Car, comme Dieu, qui n'a point besoin
de repos, avait voulu néanmoins célébrer lui-même un repos mystérieux au
septième jour, il est clair qu'il le faisait de la sorte pour annoncer de même à
ses serviteurs qu'un jour, et dans un repos éternel, il ferait cesser tous les
ouvrages. C'est la doctrine de saint Paul, qui nous fait voir dans l'ancien
peuple , et dès l'origine du monde, dans une excellente figure , la promesse
d'un bienheureux repos (1). L'Apôtre appelle David en confirmation de cette
vérité, lorsqu'il remarque que ce grand prophète promet aux enfants de Dieu un
nouveau repos, où « Dieu jure que les rebelles n'entreront pas (2) : » Si
introibunt in requiem meam : et en même temps un jour d'épreuve où nous
apprendrons à obéir à sa voix, selon ce qui est dit dans le même psaume : «
Aujourd'hui, si vous écoutez sa voix, n'endurcissez pas vos cœurs (3) : »
autrement il n'y aura point de repos pour vous. Voilà donc deux jours
mystérieusement marqués par le Seigneur, l'un pour obéir à sa voix , et l'autre
pour se reposer éternellement avec lui : et c'est là « le vrai sabbat, » et le
vrai repos qui « est laissé au peuple de Dieu (4). »
Célébrons donc en foi et en
espérance le jour du repos : remontons à l'origine du monde et aux anciens
hommes qui le célébraient en mémoire de la création : et encore que dorénavant
et dans la nouvelle alliance ce jour soit changé, parce qu'il y faut célébrer
avec la résurrection de Notre-Seigneur, et dans le renouvellement du genre
humain, une création plus excellente que la première; apprenons que ce repos
n'en est que plus saint. Car nous y voyons le vrai repos de Notre-Seigneur
ressuscité qui est entré dans sa gloire par les travaux de sa vie et de sa
douloureuse passion, et en même temps le nôtre, par la vertu de sa vivifiante
1 Hebr., III et IV. — 2 Ibid.,
IV, 3, 7 ; Psal. XCIV, 11. — 3 Psal. XCIV., 8.— 4 Hebr.,
IV, 9.
157
résurrection, où nos corps seront conformés au sien
glorieux. Passons donc en espérance et en paix les jours du travail : souffrons
et travaillons avec Jésus-Christ, pour régner aussi avec lui et nous asseoir
dans son trône, où il nous appelle. « Ces jours de travaux » sont « courts ; et
la gloire » qui nous en revient « sera éternelle (1). » Nous pouvons même par
avance goûter ce repos par le moyen de l'espérance : « laquelle, » dit saint
Paul, « sert à notre âme » et à notre foi, « comme d'une ancre ferme et assurée
(2). » Et de même qu'au milieu des eaux et dans la navigation, l'ancre soutient
un vaisseau, et lui fait trouver une espèce de sûreté et de port : ainsi parmi
les agitations de cette vie , « assurés sur la promesse de Dieu confirmée par
son inviolable serment (3), » nous goûtons le vrai repos de nos âmes. Soutenons
donc avec foi et avec courage les troubles de cette vie : jouissons en espérance
du sacré repos qui nous attend : reposons-nous cependant en la sainte volonté de
Dieu et attachés à ce rocher immuable, disons hardiment avec saint Paul : « Qui
pourra nous séparer de l'amour de Jésus-Christ?... Je suis assuré » avec sa
grâce « que ni la mort, ni la vie , ni les anges, ni les principautés , ni les
puissances , ni les choses présentes, ni les futures, ni la violence, ni tout ce
qu'il y a ou de plus haut dans les cieux ou de plus profond dans les enfers, ni
aucune autre créature quelle qu'elle soit, ne sera capable de nous séparer de
l'amour de Dieu en Jésus-Christ Notre-Seigneur (4). »
N'est-ce pas là ce repos que le même Apôtre nous a promis,
et ne le goûtons-nous pas dès cette vie? Livrons-nous à Dieu en Jésus-Christ ;
et par une sainte soumission à celui qui seul nous peut tirer de tous nos maux,
vivons en paix et en joie par le Saint-Esprit.
1 II Cor., IV, 17, etc.— 2 Hebr., III, 19 — 3
Ibid., 17.— 3 Rom., VIII, 35, 38, 39.
|