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SERMON
POUR UNE PROFESSION,
SUR LA VIRGINITÉ (a).
Aemulor vos Dei aemulatione ; despondi enim vos uni viro,
virginem castum exhibere Christo.
J'ai pour vous un amour de jalousie, et d'une jalousie de
Dieu, parce que je vous ai fiancés à cet unique Epoux, qui est Jésus-Christ,
pour vous présenter à lui comme une vierge toute pure. II Cor., XI, 2.
Puisque la sainte cérémonie par
laquelle vous vous consacrez au Sauveur avec la bénédiction de l'Eglise, vous
met au nombre des vierges sacrées et vous joint à la troupe innocente de ces
filles choisies et bien-aimées qui doivent être conduites au Roi selon la
prophétie du Psalmiste (1), pour vous faire connaître avec évidence quelle est
la profession que vous faites, il est nécessaire que vous pénétriez ce que c'est
que la virginité chrétienne, dont les anciens docteurs nous ont fait de si
grands éloges. C'est aussi ce que vous enseigne le divin Apôtre, en vous
assurant qu'il vous a unie, comme une vierge chaste et pudique, à un seul homme
qui est Jésus-Christ ; et il vous montre par ces paroles que la sainte virginité
consiste principalement en deux choses. Mais
1 Psal. XLIV, 15.
(a) Ou a dit souvent que, de 1670 à 1080, pendant qu'il fut
précepteur du Dauphin, Bossuet ne prononça, sans compter les Oraisons funèbres,
que trois serinons, le quatrième pour le jour de Pâques, le troisième pour la
Pentecôte et celui de la profession de Madame de la Vallière. Cependant
n'aurait-il pu, sans que l'histoire en conservât le souvenir, prêcher des vœux
dans un monastère retiré loin du monde, devant un auditoire restreint, pour une
religieuse peu connue ?
A notre avis, le sermon qu'on va lire présente, dans le
style, des traits frappants de ressemblance avec les Oraisons funèbres ;
d'ailleurs il suppose dans un curieux commentaire de saint Paul, les études
anatomiques que fit l'auteur pour la composition de l'ouvrage intitulé : De
la connaissance de Dieu et de soi-même. Bossuet a donc prêché ce sermon
pendant qu'il était précepteur du Dauphin. Au reste, ne trouvant ni
renseignement dans l'histoire qui se tait, ni données dans le discours qui ne
désigne pas les personnes, ni indications dans le manuscrit qui s'est dérobé à
toutes nos recherches, nous sommes réduit à des conjectures.
526
pour entendre un si grand mystère, remontons jusqu'au
principe et supposons avant toutes choses que cet Epoux immortel, que votre
virginité vous prépare , a deux qualités admirables. Il est infiniment séparé de
tout par la pureté de son être : il est infiniment communicatif par un effet de
sa bonté.
Quand j'entends le Seigneur
Jésus qui enseigne à Marthe empressée qu'il n'y a qu'une chose qui soit
nécessaire (1), je remarque en cette parole la condamnation infaillible de la
vanité des enfants des hommes. Car si le Fils de Dieu nous apprend que nous
n'avons tous qu'une même affaire , ne s'ensuit-il pas clairement que nous nous
consumons de soins superflus, que nous ne concevons que de vains desseins , et
que nous ne repaissons nos esprits que de creuses imaginations, nous qui sommes
si étrangement partagés parmi tant d'occupations différentes ? Tellement que ce
divin Maître nous rappelant à l'unité seule, condamne la folie et l'illusion de
nos désirs inconsidérés et de nos prétentions infinies : d'où il est aisé de
conclure que la solitude que les hommes fuient, et les cloîtres qu'ils estiment
autant de prisons, sont les écoles de la véritable sagesse, puisque tous les
soins du monde en étant exclus avec leur empressante multiplicité, on n'y
cherche que l'unité nécessaire, qui seule est capable d'établir les cœurs dans
une tranquillité immuable.
C'est, Madame, à cette unité que
vous invite le divin Apôtre, quand il vous assure aujourd'hui qu'il vous a unie
pour toujours, comme une vierge chaste et pudique, à un seul homme qui est
Jésus-Christ, uni viro. C'est en effet à cet unique Epoux que votre
profession vous consacre ; et la sainte virginité, que vous lui offrez en ce
jour, vous sépare de toutes choses pour vous attacher à lui seul. Mais avant que
de traiter un si grand mystère, recourons tous d'une même voix à la Mère et au
modèle des vierges, et implorons sa bienheureuse assistance en la saluant avec
l'ange et disant : Ave, Maria.
Il importe infiniment au salut
des âmes de considérer sérieusement un endroit admirable du divin Apôtre (2), où
cet excellent
1 Luc., X, 42. — 2 Rom., XII, 4 et seq.
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maître des gentils nous représente l'économie de l'Eglise
dans la diversité des opérations qui font l'harmonie de ce corps mystique. Use
fait, dit-il, en l'Eglise une certaine distribution de grâces; et comme nous
voyons que le corps humain se conserve par les fonctions différentes de chacun
des membres qui le composent, ainsi en est-il du corps de l'Eglise, dont tous
les membres ont des dons divers selon que l'Esprit de Dieu les anime. C'est de
là que nous apprenons cette belle et importante leçon , que la perfection du
christianisme consiste à nous acquitter de la fonction à laquelle le
Saint-Esprit nous destine. Car comme le corps humain est parfait lorsque l'œil
discerne bien les objets, et l'ouïe la différence des sons ; lorsque l'estomac
prépare au reste du corps la nourriture qui lui est propre, que le poumon
rafraîchit le cœur, et que le cœur fomente le corps par cette chaleur douce et
vivifiante qui réside en lui comme dans sa source ; et enfin lorsque les organes
exécutent fidèlement ce que la nature leur a commis : ainsi la perfection du
corps de l'Eglise, c'est que tous les membres de Jésus-Christ exercent
constamment l'action qui leur est particulièrement destinée, et que chacun
rapporte son opération à la fin du divin Esprit qui nous meut et qui nous
gouverne. C'est sans doute pour cette raison, mes très-chères Sœurs, que vous
avez désiré de moi que je vous entretinsse aujourd'hui de la sainte profession à
laquelle le Saint-Esprit vous a appelées ; et pour contenter ce pieux désir,
considérons avant toutes choses pourquoi vous vous êtes retirées du monde, à
quoi vous avez été destinées, quel est votre nom, quel est votre titre, quelle
est votre fonction dans l'Eglise.
Vous êtes, mes Sœurs, ces filles
choisies qui devez être conduites au Roi selon la prophétie du Psalmiste; vous
êtes les vierges de Jésus-Christ et les chastes épouses du Sauveur des âmes : de
sorte que, pour connaître avec évidence quelle est la profession que vous
faites, ils est nécessaire que vous pénétriez ce que c'est que la virginité
chrétienne, à laquelle vous avez été consacrées. C'est aussi ce que vous
enseignera le divin Apôtre, en vous assurant qu'il vous a unies, comme une
vierge chaste et pudique, à un seul homme qui est Jésus-Christ. Mais pour
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entendre le sens de ce beau passage, disons que la
virginité chrétienne consiste en une sainte séparation et en une chaste union.
Cette séparation fait sa pureté, cette chaste et divine union est la cause des
délices spirituelles que la grâce fait abonder dans les âmes vraiment
virginales.
Que le principe de la pureté
soit une séparation salutaire, vous le comprendrez aisément, si vous remarquez
que nous appelons impur ce qui est mêlé, et que nous estimons pur et net ce qui
étant uni en soi-même, n'est gâté ni corrompu par aucun mélange. Par exemple,
tant qu'une fontaine se conserve dans son canal telle qu'elle est sortie de la
roche qui lui a donné sa naissance, elle est nette, elle est pure, elle ne
paraît point corrompue. Que si par l'impétuosité de son cours elle agite trop
violemment la terre sur laquelle elle passe, et qu'elle en détache quelque
partie qu'elle entraîne avec elle parmi ses eaux, aussitôt vous lui voyez perdre
toute sa netteté naturelle ; elle cesse visiblement d'être pure, sitôt qu'elle
commence d'être mêlée.
Mais élevons plus haut nos
pensées, et considérons en Dieu même la preuve de la vérité que j'avance. La
théologie nous enseigne que Dieu est un Etre infiniment pur; elle dit qu'il est
la pureté même. En quoi est-ce que nous remarquons cette pureté incompréhensible
de l'Etre divin, sinon en ce que Dieu est d'une nature entièrement dégagée,
libre de toute altération étrangère, sans mélange, sans changement, sans
corruption? Et s'il nous est permis de parler en bégayant de si grands mystères,
nous pouvons dire que son essence n'est qu'une indivisible unité qui ne reçoit
rien de dehors, parce qu'elle est infiniment riche et qu'elle enferme toutes
choses en elle-même, dans sa vaste et immense simplicité. C'est pour cette
raison, mes très-chères Sœurs, autant que notre faiblesse le peut comprendre,
que l'Etre de notre Dieu est si pur, parce qu'il est infiniment séparé et qu'il
ne souffre rien en lui-même que ses propres perfections, qui ne sont autre chose
que son essence. Cette première pureté, de laquelle toute pureté prend son
origine, se répandant par degrés sur les créatures, ne trouve rien de plus
proche d'elle que les intelligences célestes, qui sans doute sont d'autant plus
pures qu'elles sont plus éloignées
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du mélange, étant séparées de toute matière; et de là vient
que nous les appelons esprits purs.
Selon ces principes, mes
très-chères Sœurs, il faut que vous soyez séparées; et quoique vos âmes se
trouvent liées à un corps mortel par leur condition naturelle, il faut
nécessairement vous en détacher en purifiant vos affections. C'est pourquoi le
prophète Isaïe voulant exhorter à la pureté les enfants de la nouvelle alliance,
il les invite à une sainte séparation : « Retirez-vous, retirez-vous, leur
dit-il, sortez de là, ne touchez point aux choses souillées, soyez purs (1). »
Par où vous voyez sans difficulté que c'est le détachement qui nous purifie : de
sorte que la virginité chrétienne étant la perfection de la pureté, il s'ensuit
que pour être vierge selon la discipline de l'Evangile, il faut une séparation
très-entière et un détachement sans réserve.
Mais faudra-t-il donc,
direz-vous, que les vierges, pour être pures, demeurent éternellement séparées,
sans attacher leur affection à aucun objet? Nullement, ce n'est pas là ma
pensée. Si nous étions faits pour nous-mêmes, nous pourrions ne vivre aussi
qu'en nous-mêmes; mais puisqu'il n'y a que notre grand Dieu qui puisse être
lui-même sa félicité, il faut que nos mouvements tendent hors de nous, si nous
voulons jouir de quelque repos. Donc la vierge vraiment chrétienne, crainte que
sa pureté perde son éclat, s'attache uniquement à celui dans lequel nous vous
avons dit que la pureté prend son origine. Regardez, mes très-chères Sœurs,
regardez le Verbe divin votre Epoux; c'est à lui que vous devez vous unir, après
vous être purifiées par le mépris général des biens de la terre : si bien que
j'ai eu raison de vous dire que la virginité chrétienne, c'est une sainte
séparation et une bienheureuse union. De là vient que l'apôtre saint Jean
voulant décrire la gloire des vierges, les représente sur une montagne avec
l'Agneau (2). D'où vient qu'elles sont sur une montagne élevée bien haut
au-dessus du monde, si ce n'est que la virginité les sépare? Et d'où vient
qu'elles sont avec l'Agneau, si ce n'est que la virginité les unit? C'est aussi
ce que nous enseigne l'Apôtre dans le passage que nous expliquons: «Je vous ai
promises, dit-il,
1 Isa., LII, 11. — 2 Apoc., XIV, 1 et seq.
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à un seul. » Qui ne voit la séparation dans cette unité,
puisque le propre de l'unité est d'exclure? Mais, ajoute le même saint Paul, «je
vous ai promises à un seul mari. » Qui ne voit, dans ce mariage divin et
spirituel, la chaste union que je vous propose? Parlons donc de cette séparation
salutaire qui établit votre pureté, et de cette mystérieuse union qui vous fera
goûter les plaisirs célestes dans les chastes embrassements du Sauveur. Chères
Sœurs, c'est en ces deux choses que consiste la virginité chrétienne, et ce sont
aussi ces deux choses que je traiterai aujourd'hui avec le secours de la grâce.
PREMIER POINT.
Si nous entendons bien ce que
c'est que l'homme, nous trouverons que nous sommes comme suspendus entre le ciel
et la terre, sans qu'on puisse bien décider auquel des deux nous appartenons. Il
n'y a point au monde une si étrange composition que la nôtre : une partie de
nous est tellement brute, qu'elle n'a rien au-dessus des bêtes; l'autre est si
haute et si relevée, qu'elle semble nous égaler aux intelligences. Qui pourrait
lire, sans s'étonner, de quelle sorte Dieu forme l'homme? Premièrement il prend
de la boue : est-il une matière plus vile? Après il y inspire un souffle de vie,
il y grave son image et sa ressemblance : est-il rien de plus admirable? C'est
pourquoi je vous disais, chrétiens, que nous sommes entre le ciel et la terre,
et qu'il semble que l'un et l'autre puissent disputer à qui nous appartenons à
plus juste titre. Notre mortalité nous donne à la terre, l'image de Dieu nous
adjuge au ciel ; et nous sommes tellement partagés, qu'il semble qu'on ne puisse
faire justice sur ce différend, sans nous ruiner et sans nous détruire par une
distraction violente : toutefois il n'en est pas de la sorte. La sage Providence
de Dieu ne laisse pas notre condition si fort incertaine, que cette importante
difficulté ne puisse être facilement terminée.
Mais qui jugera donc un si grand
procès? Qui décidera cette question, qui met toute la nature en dispute?
Chrétien, n'en doute pas, ce sera toi-même. L'homme est la matière de tout le
procès, et il en est lui-même le juge. Oui, nous pouvons prononcer
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souverainement si nous sommes de la terre ou du ciel :
selon que nous tournerons nos inclinations, ou nous serons des animaux bruts, ou
nous serons des anges célestes. C'est pourquoi, dit saint Augustin, a Dieu a
formé l'homme avec l'usage de son libre arbitre: animal terrestre, mais digne du
ciel, s'il sait s'attacher à son Créateur : » Terrenum animal, sed cœlo
dignum, si suo cohœreret Auctori (1). Ne nous plaignons pas, chrétiens, si
cet esprit d'une nature immortelle est lié à une chair corruptible. Dieu, qui
par un très-sage conseil a trouvé bon de le mêler à cette matière, lui a inspiré
une secrète vertu par laquelle il s'en peut aussi détacher avec le secours de sa
grâce ; et si nous conservons à l'image de Dieu, c'est-à-dire à la raison qu'il
nous a donnée, la prééminence qui lui est due, ce corps même, (qui n'en serait
étonné?) oui ce corps, tout pesant, tout mortel qu'il est, passera au rang des
choses célestes, parce que l’âme, qui est la partie principale, à laquelle
appartient le domaine, attirera son corps avec elle, non-seulement comme un
serviteur très-obéissant, mais encore comme un compagnon très-fidèle.
Ainsi je vous exhorte, mes
Frères, par les paroles du saint Apôtre (2), que vous vous dépouilliez de
l'homme animal. Défaites-vous de l'homme terrestre (3), qui n'a que des désirs
corrompus : déclarez-vous par une juste sentence venus du ciel et faits pour le
ciel, en rejetant les affections corporelles qui vous tiennent attaches à la
terre. « Retirez-vous, retirez-vous, soyez purs, ne touchez point aux choses
immondes; et je vous recevrai, dit le Seigneur (4). » Mais c'est à vous, ô
vierges sacrées, chastes épouses du Sauveur des âmes, c'est à vous que cette
séparation salutaire est particulièrement commandée : car s'il est vrai que la
pureté n’est autre chose qu'un détachement, comme nous l'avons très-bien établi,
considérez sérieusement en vous-mêmes combien vous devez être détachées, puisque
la profession que vous faites de la sainte virginité vous oblige à la pureté la
plus éminente.
L’Ange de l'Ecole m'apprend une
belle et solide doctrine, qui confirme bien cette vérité. Nous voyons que parmi
les vertus morales
1 De Civit. Dei, lib. XXII, cap.
I. — 2 Ephes., IV, 22. — 3 I Cor., XV, 49. — II Cor., VI,
17.
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il y en a, si je le puis dire, de moins vigoureuses, qui se
contiennent en certaines bornes : mais il y a des vertus généreuses qui ne sont
jamais satisfaites, jusqu'à ce qu'elles soient parvenues à ce qu'il y a de plus
relevé. Par exemple, le courageux est assuré contre les périls dans les
entreprises considérables; mais le magnanime va plus loin encore : car à peine
peut-il trouver ni des entreprises assez hardies, ni aucun péril assez grand qui
mérite d'exercer toute sa vertu. Le libéral use de ses biens et sait les
employer honorablement, selon que la droite raison l'ordonne; mais il y a une
certaine libéralité plus étendue et plus généreuse, qui affecte, ce semble, la
profusion, et c'est ce que nous appelons la magnificence. Le grand saint
Thomas nous enseigne (1) que cette belle et admirable vertu que la philosophie
n'a jamais connue, je veux dire la virginité chrétienne, est à l'égard de la
tempérance ce qu'est la magnificence à l'égard des libéralités ordinaires. La
tempérance modère les plaisirs du corps; la virginité les méprise : la
tempérance, en les goûtant, se met au-dessus à la vérité; mais la virginité plus
mâle et plus forte ne daigne pas même y tourner (a) les yeux : la
tempérance porte ses liens d'un courage ferme; la virginité les rompt d'une main
hardie : la tempérance se contente de la liberté; la virginité veut l'empire et
la souveraineté absolue : ou plutôt, la tempérance gouverne le corps; vous
diriez que la virginité s'en sépare, elle s'élève jusqu'au ciel presque
entièrement dégagée; et bien qu'elle soit dans un corps mortel, elle ne laisse
pas de prendre sa place parmi les esprits bienheureux, parce qu'elle ne se
nourrit, non plus qu'eux, que de délices spirituelles. De là vient que saint
Augustin parle ainsi des vierges : Habent aliquid jam non carnis in carne
(2) : « Elles ont, dit-il, en la chair quelque chose qui n'est point de la
chair, quelque chose qui tient de l'ange plutôt que de l'homme. » Et c'est
encore ce qui fait dire au grand saint Basile (3) que la virginité n'est pas
dans le corps, mais qu'elle établit son
siège dans l’âme.
Mais d'autant que cette vérité
importante doit servir de fondement
1 II II quœst. CLII, art. 3. — 2
De S. Virginit., n. 12. — 3 Lib. De Virg., n. 2.
(a) Var. : Jeter.
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à votre conduite, il faut que je vous la fasse comprendre
par une raison évidente. Et certes nous ne vous prêchons pas , mes très-chères
Sœurs, une virginité de vestale; nous ne regardons pas la virginité comme ferait
un médecin ou un philosophe, qui s'arrêterait simplement au corps. Nous parlons
de la virginité chrétienne et religieuse ; et il est clair que tout ce qui est
chrétien doit être entendu en esprit, parce que par la grâce du christianisme
nous sommes en la nouvelle alliance, où les vrais adorateurs adorent le Père en
esprit et en vérité (1). En effet nous avons fait voir (a) que la sainte
virginité est un détachement général de toutes les affections corporelles,
autant que la faiblesse humaine le peut souffrir, parce que c'est une pureté
éminente qui se retire, qui se sépare, qui selon le précepte du saint Apôtre ne
regarde que l'unité, uni viro, et exclut toute multitude. Or ce
détachement général, cette généreuse séparation doit être nécessairement un
effort de l’âme. Car une action si divine ne peut naître que d'une raison
très-bien affermie, et par conséquent il est clair que la virginité est dans
l’âme. Ce n'est rien (b) de garder seulement le corps, c'est l’âme que
vous devez tenir séparée si vous désirez la conserver pure. Si quelque bien
mortel se présente à vous, s'il vous flatte, s'il vous attire, s'il tâche de
gagner votre cœur, retirez-vous, ne vous mêlez pas ; votre pureté en serait
ternie, et ensuite votre virginité corrompue. Car la vraie virginité est dans
l’âme, et ce n'est autre chose qu'un détachement, une affection épurée, un cœur
entièrement dégoûté (c) des plaisirs du siècle.
Mais, mes Sœurs, cette belle
lumière de virginité établit tellement son siège dans l’âme, qu'elle rejaillit
aussi sur le corps et le sanctifie. Et de quelle sorte? C'est, dit l'admirable
saint Basile, que cette virginité spirituelle et intérieure se peint elle-même
sur le corps comme le soleil dans une nuée, et par cette chaste peinture elle
consacre cette chair mortelle. De là vient qu'elle se doit répandre par tout le
corps, parce qu'elle remplit tout le cœur; et c’est ce qui fait dire au même
Saint que « tous les sens d'une
1 Joan., IV, 23.
(a) Var. : Nous vous avons dit. — (b)
C'est peu de chose. — (c) Dégagé.
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vierge doivent être vierges : » Virgines esse sensus
virginis oportet (1). En effet ne voyez-vous pas qu'il se fait comme un
mariage entre les objets et les sens ? Notre vue , notre ouïe , tous nos sens
s'unissent en quelque sorte avec les objets, ils contractent une certaine
alliance : de sorte que si les objets ne sont purs , la virginité de nos sens se
gâte. Les exemples feront mieux entendre ce que je veux dire. Notre vue n'est
pas vierge si elle ne se repaît que de vanités ; les discours immodestes et les
inutiles corrompent la virginité de l'ouïe ; notre bouche, pour être vierge,
doit être fermée par la modestie du silence.
Donc, ô vierges de Jésus-Christ,
gardez soigneusement tous vos sens, si vous désirez être vraiment vierges.
Songez que ce vieil homme qui est en nous, avec lequel nous devons combattre
durant tout le cours de la vie, ne cesse de faire effort pour supplanter l'homme
nouveau : cette convoitise indocile et impatiente, quoiqu'on tâche de la retenir
par la discipline, elle frappe , elle s'avance de toutes parts comme un
prisonnier inquiet qui tache de sortir ; elle se présente par tous les sens,
pour se jeter sur les objets qui lui plaisent. Elle fait la modeste au
commencement, il semble qu'elle se contente de peu, ce n'est qu'un désir
imparfait, ce n'est qu'une curiosité, ce n'est presque rien : mais si vous
satisfaites ce premier désir, bientôt vous verrez qu'il en attirera beaucoup
d'autres ; et enfin toute l’âme sera ébranlée. Comme si vous jetez une pierre
dans un étang, vous ne touchez qu'une partie de ses eaux ; mais celle-là, en
poussant les autres, les agite en rond, et enfin toute l'eau en est remuée.
Ainsi les passions de notre âme s'excitent peu à peu les unes les autres par un
mouvement enchaîné. Si donc vous êtes détachée du monde , craignez d'y rengager
vos affections : si vous êtes unie à un seul Epoux , craignez de partager votre
cœur ; démêlez-vous de la multitude, puisque vous êtes vouée à un seul. Préparez
au Fils de Dieu un cœur net par un détachement général, et il le remplira de
lui-même (a) par ses chastes embrassements : c'est par où je m'en vais
conclure en peu de paroles.
1 Lib. De Virginit., n. 7, 15, 20.
(a) Var. : De délices.
535
SECOND POINT.
Il n'est rien de plus assuré que
Jésus ne s'unit jamais aux âmes qui sont remplies de l'amour du monde, et qui
sont captives des plaisirs des sens. Je vois dans la Genèse que nos premiers
pères se présentaient au commencement devant Dieu avec une sainte familiarité :
mais sitôt qu'ils eurent suivi les dangereuses persuasions du serpent trompeur,
aussitôt ils fuient, nous dit l'Ecriture (1), et se cachent devant la face de
Dieu. Ce serpent, si nous l'entendons , c'est l'amour des plaisirs du inonde,
qui rampe perpétuellement, sur la terre, et qui se glisse insensiblement dans
nos cœurs par un mouvement tortueux, pour les empoisonner d'un venin mortel. Et
c'est sans doute pour cette raison qu'Eve confesse tout simplement que ce rusé
serpent l'a déçue ; ce qui convient merveilleusement à l'amour du monde. Car
demandez aux insensés amateurs du siècle si leurs folles et téméraires amours
leur ont jamais donné la félicité qu'elles leur avaient tant de fois promise,
sans doute s'ils ne veulent trahir les secrets reproches de leurs consciences,
ils vous répondront franchement que ce serpent les a toujours abusés :
Serpens decepit me (2) ; d'où je conclus que l'amour du monde est semblable
au serpent artificieux qui trompa, dans le paradis, la trop grande crédulité de
nos premiers pères. Et comme, après l'avoir entendu, ils sont contraints de fuir
devant Dieu, vous devez apprendre, fidèles, que Dieu ne fera pas sa demeure en
vous jusqu'à ce que vous vous dépouilliez de l'amour du monde.
D’où passant plus outre, je dis
que ce qui attire plus fortement Jésus en nos aines, c'est la pureté virginale.
Car si les âmes les plus détachées des choses mortelles sont les plus dignes des
embrassements de la chaste et immortelle beauté, qui ne se montre qu’aux esprits
purs ; si d'ailleurs la virginité chrétienne, comme nous l'avons déjà dit, est
tellement dégoûtée des plaisirs du siècle qu’il n’y a aucune des joies mondaines
qui n'offense sa pudeur et sa modestie : n'est-il pas plus clair que le jour que
c'est à la pureté virginale qu'appartient la bienheureuse union de l'Epoux
infiniment désirable?
536
En effet quelle éloquence
pourrait exprimer quel est l'amour du Sauveur Jésus pour la sainte virginité ?
C'est lui qui a été engendré dans l'éternité par une génération virginale :
c'est lui qui naissant dans le temps, ne veut point de Mère qui ne soit vierge :
c'est lui qui célébrant la dernière pâque , met sur sa poitrine un disciple
vierge et l'enivre de plaisirs célestes : c'est lui qui mourant à la croix,
n'honore de ses derniers discours que les vierges : c'est lui qui régnant en sa
gloire, veut avoir les vierges en sa compagnie. « Ce sont les vierges, dit saint
Jean dans l’Apocalypse (1), qui suivent l'Agneau partout où il va, »
accompagnant ses pas de pieux cantiques. Jésus n'a point de temples plus beaux
que ceux que la virginité lui consacre ; c'est là qu'il se plaît à se reposer.
Il y avait dans le tabernacle, dont Dieu prescrivit la forme à Moïse, un lieu
dont l'accès était libre au peuple, un autre où les sacrificateurs exerçaient
les fonctions de leur sacerdoce : mais il y avait outre cela, chrétiens, la
partie secrète et inaccessible, que l'on appelait le Sanctuaire et le
Saint des saints. L'entrée de ce lieu était interdite, nul n'en approchait
que le grand pontife ; et c'était là que Dieu reposait assis sur les chérubins,
selon la phrase des Lettres sacrées. C'est la sainte virginité qui nous est
représentée par cette figure : c'est elle qui se démêle de la multitude des
objets sensibles qui nous environnent, et ne donne d'accès qu'au seul grand
Pontife. Voulez-vous entendre comment, écoutez le divin Apôtre : « Celles,
dit-il, qui sont mariées, sont contraintes de s'occuper dans les soins du monde
: » Sollicita est quœ sunt mundi (2). Voyez que la multitude y aborde :
mais la sainte virginité que fait-elle? Ah! vous dit l'apôtre saint Paul, elle
songe à plaire à Dieu seul : Quomodò placeat Deo (3). C'est là que la
multitude est exclue, c'est là qu'on ne vaque qu'à l'unique nécessaire , c'est
là que l'on n'a d'Epoux que Jésus tout seul : de sorte qu'on n'ouvre la porte
qu'au seul grand Pontife, c'est-à-dire, si nous l'entendons, à l'amour de Dieu,
qui est la seule des affections de nos cœurs qui est capable de les consacrer ,
et qui a droit d'offrir devant Dieu des victimes spirituelles, agréables par
Jésus-Christ, comme parle l'apôtre saint Pierre (4). Aussi est-ce là
1 Apoc., XIV, 4. — 2 I Cor.,
VII, 34. — 3 Ibid., 32. — 4 I Petr., II, 5.
537
le lieu du repos : c'est là que Jésus se plaît d'habiter,
parce que rien n'y entre que son saint amour, parce qu'il aime d'autant plus à
remplir les âmes, qu'il les trouve plus vides de l'amour du monde.
Mais, mes Sœurs, voulez-vous
entendre les ravissements des vierges sacrées dans les chastes embrassements du
Seigneur Jésus, écoutez parler la pudique Epouse dès le commencement du divin
Cantique : Osculetur me osculo oris sui (1): « Qu'il me baise du baiser
de sa bouche. » O amour impétueux de l'Epouse ! « Elle ne demande ni l'héritage,
ni la récompense ; elle ne demande pas même la doctrine , nous dit le dévot
saint Bernard (2) ; elle ne demande que le baiser du divin Jésus, à la façon
d'une chaste amante qui respire un amour sacré, et qui ne veut pas dissimuler
l'ardeur qui la presse. » Ah ! ne soupçonnons rien ici de mortel; tout est divin
et spirituel. Elle court après le Sauveur Jésus ; elle veut aller recueillir
toutes ses paroles, et alors elle croira baiser sa divine bouche. Elle veut
l'embrasser par la charité, et elle croit que cet embrassement la rendra
heureuse ; c'est pourquoi elle le demande avec tant d'ardeur. Mais quel autre
peut demander à plus juste titre les saints embrassements de l'Epoux des
vierges, que la pureté virginale ? C'est à elle qu'il appartient d'embrasser
Jésus, parce qu'elle n'a point d'autre époux que lui ; et c'est ce qui fait dire
à l'Apôtre que ce sont les vierges chastes et pudiques qu'il destine à l'unique
Epoux , qui est le Sauveur, uni viro.
Quelle doit être votre joie, ô
vierges sacrées, dans cette mystérieuse union? C'est là, dit le pieux saint
Bernard (3), que les amertumes contentent, parce que la charité les change en
douceur. Le monde ne comprend pas ces délices; la sainte pureté les entend,
parce qu'elle les goûte dans la source même. Expliquez-les-nous, ô disciple
vierge ; disciple bien-aimé du Sauveur, dites-nous les chastes délices des
vierges en la compagnie de l'Agneau. Ecoutez comme il parle dans l’Apocalypse
: « J'ai entendu, dit-il, une voix du ciel, comme le bruit de plusieurs eaux, et
comme le bruit d'un grand tonnerre, et comme le bruit d'instruments de musique :
et ils chantaient un nouveau cantique devant le trône, et nul
1 Cant., I, 1. — 2 In
Cant., serm. VII, n. 2. — 3 De divers.,
serm XCV, n. 2.
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autre qu'eux ne pouvait l'apprendre (1); » Quel est donc ce
nouveau cantique, qui se chante avec tant de bruit qu'il est semblable à un
grand tonnerre, et avec une si juste harmonie qu'on le compare à une musique?
Cantique éclatant qui éclate ainsi qu'un tonnerre, qui est si secret néanmoins
et si rare, que personne ne l'entend ni ne le sait que ceux qui le chantent. Qui
nous développera ces mystères? Ce sera le disciple bien-aimé lui-même : « Ce
sont ceux-ci, dit-il, qui sont vierges, et ils suivent l'Agneau partout où il va
(2). » Si les vierges suivent l'Agneau, je ne m'étonne plus de leur chant, parce
que je vois le principe de leur joie. C'est aux vierges qu'appartient le nouveau
cantique, puisque la virginité est une vertu qui est propre à la nouvelle
alliance : aucun n'apprend ce cantique que ceux qui le chantent, parce que c'est
de la virginité que le Sauveur dit : « Tout le monde n'entend pas cette parole;
mais ceux à qui appartient ce don (3). » Au reste si le cantique des vierges
éclate avec bruit, c'est qu'il vient d'une joie abondante; s'il résonne avec
justesse, c'est qu'il naît d'une joie réglée, qui n'a rien du débordement ni de
la dissolution de la joie mondaine.
Courage donc, mes très-chères
Sœurs, joignez-vous à cette troupe innocente, apprenez ce nouveau cantique.
Voyez cette sainte compagnie qui vous tend les bras : Venez, disent-elles, venez
avec nous pour chanter les louanges de l'Agneau sans tache, qui a purgé par son
sang les péchés du monde : là les Agnès, les Agathes, les Céciles, les Ursules,
les Luces vous montrent déjà la place qui vous est marquée, si vous gardez la
foi à l'Epoux céleste, auquel l'Apôtre vous a promises. Ah ! souvenez-vous,
chères Sœurs, que vous êtes fiancées à ce seul Epoux, et ainsi que vous devez
être généreusement séparées. Si vous voulez lui être saintement unies, réglez
les passions de votre âme; et apprenez de saint Augustin « qu'il vous est plus
aisé de les modérer qu'aux amateurs du monde de les contenter : » Faciliùs
resecantur in eis qui Deum diligunt cupiditates istœ, quàm in eis qui mundum
diligunt aliquandò satiantur (4). Conservez votre
1 Apoc., XIV, 2, 3. — 2 Ibid.,
4.— 3 Matth., XIX, 11.— 4 Ad Bonif., epist. CCXX, n. 6.
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ouïe; c'est par là qu'Eve a été séduite : gardez
soigneusement votre vue; car ce n'est pas en vain qu'on vous donne un voile
comme un rempart de votre pudeur, dit le grave Tertullien, qui retient vos yeux
et exclut ceux des autres : Vallum verecundiœ, quod nec tuos emittat oculos,
nec admittat alienos (1). Que votre âme ne s'épanche pas en des discours
inconsidérés, parce que si vous ne demeurez unies en vous-mêmes, vos forces
aussitôt seront dissipées. Ne dédaignez pas les petits désordres, parce que
c'est par là que les grands commencent : craignez où il n'y a rien à
appréhender, et vous trouverez la sûreté dans le péril même. Vous devez croire
qu'il est bienséant à des vierges d'être timides, puisque vous voyez la
très-sainte Vierge être même troublée à l'aspect d'un ange (2) : et ce qui doit
vous obliger à craindre toujours, c'est que l'Epoux que vous donne le saint
Apôtre n'a pas moins de jalousie que d'amour pour vous.
Voulez-vous voir qu'il a de
l'amour, écoutez le divin Psalmiste : « Le roi, dit-il, désirera votre beauté
(3). » Voulez-vous voir qu'il a de la jalousie : « Je suis jaloux de vous, dit
l'Apôtre, de la jalousie de Dieu (4). » Voyez que cet excellent Maître des
Gentils, vous montrant l'amour de Jésus pour exciter votre confiance, vous parle
en même temps de sa jalousie pour vous retenir toujours dans la crainte. De là
vient qu'en lisant le sacré Cantique, nous remarquons deux regards du divin
Epoux : il y a un regard qui admire, et c'est le regard de l'amant; il y a un
regard qui observe, et c'est celui de la jalousie. « Que vous êtes belle, ô
fille du prince, » dit l'Epoux à la chaste Epouse (5) ! Cette ardente
exclamation ne vient-elle pas d'un regard qui admire? C'est ce que j'appelle le
regard de l'amant. Voulez-vous voir le regard du jaloux? « Mon bien-aimé est
venu, dit l'Epouse, regardant par les fenêtres, guettant par le treillis (6). »
Ne voyez-vous pas le regard qui observe? C'est le regard de la jalousie. Aimez
le regard de l'amant ; craignez le regard de la jalousie, qui vous veille et qui
vous observe.
Chères Sœurs, votre bien-aimé
est jaloux de la jalousie la plus
1 De Virg. Veland.
n. 16. — 2 Luc, I, 29. — 3 Psal., XLIV, 12. — 4 II Cor.,
XI, 2. — 3 Cant., VII, 1, 6. — 6 Cant., II, 9.
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délicate : s'il voit que votre cœur se partage, il se pique
et il se retire; il veut vous posséder tout seul. C'est pourquoi en le
choisissant pour Epoux, vous vous êtes entièrement dépouillées : vous avez joint
à la sainte virginité une pauvreté désintéressée, qui ne laisse rien sur la
terre que vous puissiez justement estimer à vous. Vous abandonnez même votre
volonté; et quittant ce qui est le plus en votre pouvoir, ne déclarez-vous pas
devant Dieu que vous ne vous retenez aucun bien au monde? Vous confirmez par la
religion de nos veaux ces généreuses résolutions; et ces vœux ne sont-ce pas des
contrats sacrés par lesquels vous cédez à Dieu, et lui transportez en fonds tout
ce que vous êtes? Votre profession est un sacrifice, et les vœux que vous
prononcez sont un glaive spirituel qui vous immole au Sauveur des âmes.
Vivez donc, mes très-chères
Sœurs, comme des victimes volontairement consacrées : humiliez-vous sous la main
de Dieu, et ne souffrez pas que l'orgueil prostitue votre virginité à Satan, qui
est le prince des esprits superbes. Ah! sans doute vous n'ignorez pas jusqu'à
quel point l'orgueil est à craindre, et que c'est le plus dangereux de nos
ennemis. C'est celui qui lâche le dernier prise, et qui sait même profiter de la
déroute de tous les autres. Que dis-je, de la déroute de tous les autres? il
profite de sa propre défaite. C'est le seul de nos ennemis de la défaite duquel
il est dangereux de se réjouir, parce qu'en se réjouissant de l'avoir vaincu on
le rétablit dans ses droits, et souvent même on lui augmente ses forces. Lorsque
nous pensons quelquefois avoir si bien réglé notre vie, que nous avons surmonté
jusqu'à l'orgueil même, c'est là, dit saint Augustin, qu'il lève la tête : « Et
de quoi triomphes-tu, nous dit-il? Je vis encore, et c'est ton triomphe qui me
donne la vie : » Ecce ego vivo, quid triumphas? Et ideo vivo, quia triumphas
(1); ou plutôt ton triomphe, c'est moi-même.
Munissez-vous, mes Sœurs, contre
ce poison qui a gâté les plus grandes âmes, et ruiné les vertus les plus
éminentes. Etudiez la science de l'humilité, qui est la vraie science des
enfants de Dieu. C'est elle qui vous ouvrira les secrets célestes; c'est par
elle que les grandeurs de Jésus vous sont accessibles ; c'est elle qui
1 De Nat. et Grat., n. 35.
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mérite d'obtenir de Dieu ce qu'elle ne peut jamais exprimer
assez : c’est elle qui vous bâtira sur la terre un édifice spirituel, dont le
faite s'élèvera jusqu'aux cieux ; où les vierges saintement soumises étant
associées avec les saints anges, chanteront avec eux aux siècles des siècles,
devant le trône de l'Agneau sans tache, la gloire éternelle et indivisible du
Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen.
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