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TROISIÈME SERMON
POUR LA
FÊTE DE LA PURIFICATION
DE LA SAINTE VIERGE (a).
Postquàm impleti sunt dies purgationis ejus secundùm
legem Moysi, tulerunt illum in Jerusalem, ut sisterent eum Domino, sicut
scriptum est in lege Domini, et ut offerrent secundùm consuetudinem legis pro eo
par turturum aut duos pullos columbarum.
Le temps de sa purification étant accompli selon la loi de
Moïse, ils le portèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon qu'il
est écrit dans la loi du Seigneur;... et pour donner ce qui devait être offert
en sacrifice selon la loi du Seigneur, deux tourterelles ou deux petits de
colombes. Luc, II, 22, 24.
Ce que nous appelons la
purification de la sainte Vierge enferme sous un nom commun trois cérémonies
différentes de la loi ancienne, que le Fils de Dieu a voulu subir aujourd'hui ou
en sa personne ou en celle de sa sainte Mère, non sans quelque profond conseil
de la Providence divine. Elles sont toutes trois très-manifestement distinguées
dans notre évangile, comme vous l'aurez pu observer dans le texte que j'ai
rapporté exprès tout entier. Or afin de vous dire en quoi consistaient ces
cérémonies, il faut remarquer que selon la loi toutes les femmes accouchées
étaient réputées immondes : d'où vient que Dieu leur ordonnait deux choses.
Premièrement il les obligeait de se tenir quelque temps retirées et du
sanctuaire et même de la conversation des hommes. Puis ce temps étant expiré,
elles se venaient présenter à la porte du tabernacle, afin d'être purgées par un
certain genre de sacrifice ordonné spécialement pour cela. Cette retraite et ce
sacrifice sont les deux
(a) Prêché vers 1658, à Metz, dans la maison des
Nouvelles Converties. Plusieurs indications montrent dans ce sermon l'époque
de Metz : la prolixité des détails, les longues explications des cérémonies
mosaïques, le récit, qui rappelle le P. Lingende, des aigles et des essaims
d'abeilles; ensuite plusieurs locutions telles que celles-ci : « Etre purgé par
un certain genre de sacrifice, le loi est couchée en ces termes, ses membres
cassés, ce bon bomme, est-ce point? »
291
premières cérémonies, ou plutôt ce sont deux parties de la
même cérémonie, lesquelles l'une et l'autre ne regardaient principalement que la
mère et se faisaient pour tous les enfants nouvellement nés, de quelque sexe et
condition qu'ils pussent être, ainsi qu'il est écrit dans le XIIe chapitre du
Lévitique. Quant à la troisième cérémonie, elle ne s'observait que pour les
mâles, et parmi les mâles n'était que pour les aînés, que les parents étaient
obligés de venir présenter à Dieu devant ses autels, et ensuite les rachetaient
par quelque somme d'argent, témoignant par là que tous leurs aînés étaient
singulièrement du domaine de Dieu et qu'ils ne les rete-noient que par une
espèce d'engagement. C'est ce que Dieu commande à son peuple en l’Exode,
chapitre XIIe. Dans ces trois cérémonies consiste à mon avis tout le mystère de
cette fête ; ce qui m'a fait résoudre de vous les expliquer (a)
familièrement dans le même ordre que je les ai rapportées. J'espère que le récit
d'une histoire si mémorable, telle qu'est celle qui nous est aujourd'hui
représentée dans notre évangile, jointe à quelques brièves réflexions que je
tâcherai d'y ajouter avec l'assistance divine, fournira un pieux entretien à vos
dévotions ; et je pense en vérité, mes très-chères Sœurs, qu'il serait difficile
de proposer à votre foi un plus beau spectacle.
PREMIER POINT.
Et pour commencer, j'avance deux
choses très-assurées. La première que la loi de la purification présupposait que
la femme eût conçu à la façon ordinaire, parce qu'elle est couchée en ces
termes: Mulier si suscepto semine pepererit masculum (1) : où il est
clair que le législateur a voulu toucher la source de la corruption qui se
trouve dans les enfantements ordinaires; autrement ce mot, suscepto semine,
serait inutile et ne rendrait aucun sens. La loi donc de la purification parlait
de celles qui enfantent selon les ordres communs de la nature. Je dis en second
lieu que la raison de la loi étant telle que nous la venons de dire après les
saints Pères, elle ne regardait en aucune façon la très-heureuse Marie, ne
s'étant
1 Levit., XII, 2.
(a) Var. : Exposer.
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rien passé en elle dont son intégrité put rougir. Vous le
savez, mes très-chères Sœurs, que son Fils bien-aimé étant descendu dans ses
entrailles très-chastes tout ainsi qu'une douce rosée, il en était sorti comme
une fleur de sa tige, sans laisser de façon ni d'autre aucun vestige de son
passage. D'où je conclus que si elle était obligée à la loi de la purification,
c'était seulement à cause de la coutume et de l'ordre qui ne doit point être
changé pour une rencontre particulière. Et en effet le cas était si fort
extraordinaire, qu'il semblait n'être pas suffisant pour apporter une exception
à une loi générale.
Or ce n'est pas mon dessein
d'examiner ici cette question, mais seulement de vous faire admirer la vertu de
la sainte Vierge, en ce que sachant très-bien l'opinion que Ton aurait d'elle,
et qu'il n'y aurait personne qui s'imaginât qu'elle eût ni conçu ni enfanté
autrement que les autres mères, elle ne s'est point avisée de découvrir à
personne le secret mystère de sa grossesse; au contraire elle a bien le courage
de confirmer un sentiment si préjudiciable à sa virginité, subissant sans se
déclarer une loi qui, comme nous l'avons dit, en présupposait la perte. Et je
prétends que ce silence est une marque certaine d'une retenue extraordinaire et
d'une modestie incomparable. Qu'ainsi ne soit, vous savez que celles de son sexe
qui sont soigneuses de garder leur virginité, mettent leur point d'honneur à
faire connaître qu'elle est entière et sans tache ; et quelquefois c'est la
seule chose en laquelle elles avoueront franchement qu'elles recherchent la
réputation. Cela étant ainsi, je vous prie de considérer que vous ne persuaderez
jamais à un gentilhomme qui se pique d'honneur, de faire quelque action dont on
puisse soupçonner en lui de la lâcheté. Or il est certain qu'une vierge est
touchée beaucoup plus au vif, lorsque quelque rencontre l'oblige à donner sujet
de croire qu'elle ait perdu sa virginité, pour laquelle elle a un sentiment
délicat au dernier point. Ce qui me fait admirer la vertu de la sainte Vierge,
qui ne craint pas d'observer une cérémonie qui semblait si injurieuse à sa
très-pure virginité ; qui ayant moins besoin d'être purifiée que les rayons du
soleil, obéit comme les autres à la loi de la purification, et offre avec tant
de simplicité le
293
sacrifice pour le péché, c'est-à-dire pour les immondices
légales qu'elle n'avait nullement contractées ; et qui par cette obéissance
confirme la créance commune qu'elle avait conçu comme les autres femmes, bien
loin de désabuser le monde dans une rencontre qui semblait si pressante , et de
faire connaître aux hommes ce qui s'était accompli en elle par l'opération de
l'Esprit de Dieu.
Certes il faut l'avouer, mes
très-chères Sœurs, cela est du tout admirable ; surtout la très-heureuse Vierge
ayant de son côté, si elle eût voulu se découvrir, premièrement la vérité qui
est si forte, et après l'innocence de ses mœurs qui n'appréhendait aucune
recherche ; puis sa grande sincérité à laquelle les gens de bien eussent eu
peine de refuser leur créance, et enfin un témoignage irréprochable en la
personne de son mari, qui avec sa bonté et naïveté ordinaire eût dit qu'il était
vrai que sa femme était très-chaste et qu'il en avait été averti de la part de
Dieu. Et cependant nous ne lisons pas qu'elle en ait jamais parlé ; au contraire
nous voyons son grand silence expressément remarqué dans les saintes Lettres.
Une seule fois seulement sa joie éclata, lorsque sollicitée par la prophétie de
la bonne Elisabeth sa cousine qui la proclamait bienheureuse, elle lui déchargea
son cœur et se sentant obligée de rendre hautement ses actions de grâces à la
divine bonté, elle chante dans l'épanchement de son âme que « le Tout-Puissant a
fait en elle des choses très-grandes (1). » Partout ailleurs die écoute, elle
remarque, elle médite, elle repasse en son cœur, mais elle ne parle jamais.
Ce qui me surprend davantage,
c'est qu'elle seule garde le silence , pendant que tous les autres s'occupent à
parler de son Fils. Que ne dit pas aujourd'hui le bon Siméon, et à qui ne
donnerait-il pas envie d'exprimer toutes ses pensées touchant cet aimable
enfant, qui fait aujourd'hui toute sa joie, toute son espérance, tout son
entretien? Marie se contente d'admirer à part soi les choses extraordinaires qui
se disaient de son Fils, ainsi que l'Evangéliste le remarque fort expressément.
Non pas qu'elle en fût surprise, comme si elle eût ignoré quel il devait être,
elle à qui l'ange
1 Luc., I, 49.
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avait dit si nettement qu'il serait appelé le Fils du
Très-Haut et qu'il siégerait à jamais sur le trône de David son père. Et certes
vous jugez bien qu'il n'est pas croyable qu'elle ait oublié les paroles de
l'ange, elle dont il est écrit qu'elle retenait si soigneusement celles des
bergers. Et quand il n'y aurait eu que la manière admirable par laquelle elle
l'a voit conçu, car du moins ne lui peut-on pas dénier cette connaissance , le
moyen de s'en taire à moins que d'avoir la vertu et la retenue de Marie?
Mais certes il fallait qu'elle
se fit voir par ses actions si soumises , la Mère de celui qui après sa
glorieuse transfiguration dit à ses disciples : « Gardez-vous bien de parler de
ce que vous venez de voir, jusqu'à ce que le Fils de l'homme soit ressuscité
(1). » Et il y a dans son Evangile beaucoup d'autres paroles qui sont dites en
ce même sens, par lesquelles nous connaissons que le Fils de Dieu, qui a daigné
témoigner quelque sorte d'impatience pour l'ignominie de sa croix : « J'ai, dit
il, à être baptisé d'un baptême , et comment suis-je pressé en moi-même jusqu'à
ce qu'il soit accompli (2). ! Lui donc qui a témoigné quelque sorte d'impatience
pour l'ignominie de sa croix, n'a jamais fait le moindre désir de la
manifestation de son nom, attendant le temps préfix marqué précisément par la
Providence divine. C'était lui, c'était lui, chères Sœurs, qui donnait ce
sentiment à sa sainte Mère, afin de faire voir qu'elle était animée de son même
Esprit. Ainsi elle jouit seule avec Dieu d'une si grande joie, sans la partager
qu'avec ceux à qui il plaît au Saint-Esprit de la révéler. Elle attend que Dieu
découvre cette merveille lorsqu'il sera expédient pour la gloire de son saint
nom. Elle est vierge, Dieu le sait, Jésus son cher Fils le sait, ce lui est
assez. O silence ! ô retenue ! ô âme parfaitement satisfaite de Dieu seul et du
témoignage de sa conscience ! Une mère si éclairée , se contenter d'être au
nombre des écoutants au sujet de son Fils unique, ne parler pas même des. choses
où sa virginité qui lui est si chère semble intéressée, laisser croire au monde tout ce qu'il voudra et tout ce que Dieu permettra qu'il croie, cacher une si
grande gloire et modérer ses paroles dans une joie qui devait être si excessive
! Sauveur Jésus, Dieu caché, qui
1 Matth., XVII, 9. — 2 Luc., XII, 50.
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ne faites paraître à nos yeux que votre faiblesse, qui avez
inspiré cette humilité si profonde à la bienheureuse Marie votre Mère,
faites-nous goûter vos douceurs en simplicité ; vous seul contentez nos désirs,
vous seul soyez suffisant à nos âmes.
SECOND POINT.
La seconde cérémonie consistait
en un certain genre de sacrifice , comme je vous le rapportais au commencement
de ce discours. O Dieu avait ordonné en cette rencontre différentes sortes de
victimes, qui pouvaient être offertes légitimement. « On offrira, dit-il, un
agneau d'un an avec une tourterelle ou un pigeonneau. Que si vous ne pouvez
offrir un agneau, ajoute le Seigneur, si vous n'en avez pas le moyen, vous
offrirez deux pigeonneaux ou une paire de tourterelles (1). » Par où vous voyez
que l'on pouvait suppléer au défaut de l'agneau par les pigeonneaux ou la
tourterelle; et cela se faisait ordinairement par les pauvres, pour lesquels la
loi semble avoir donné ce choix des victimes. Les pigeonneaux et les
tourterelles, c'était le sacrifice des pauvres. Maintenant souffrez que je vous
demande quelle victime vous pensez que l'on ait offerte pour le Roi du ciel.
Ecoutez, je vous prie, l'évangéliste saint Luc : « Ils offrirent pour lui,
dit-il, une paire de tourterelles, ou deux pigeonneaux.» Une paire de
tourterelles, ou deux pigeonneaux : mais lequel des deux, saint Evangéliste?
Pourquoi cette alternative? Est-ce ainsi que vous racontez une chose faite?
Pénétrons, s'il vous plaît, son dessein. Tout ceci n'est pas sans mystère.
Certes l'intention de l'Evangéliste n'est pas de nous rapporter précisément
laquelle victime en particulier a été offerte, puisqu'il nous donne cette
alternative : deux pigeonneaux ou une paire de tourterelles. Ce n'est pas aussi
son dessein de faire une énumération de toutes les choses qui pou-voient être
offertes en cette cérémonie selon les termes de la loi de Dieu, puisqu'il ne
parle point de l'agneau. Quelle peut donc être sa pensée ? Est-ce point qu'il
nous veut faire entendre que c'eût été hors de propos que l'on eût offert un
agneau en ce même temps où l'on apportait dans le temple le vrai Agneau de Dieu
1 Levit., XII, 6, 8.
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qui venait effacer les péchés du monde? Ou bien n'est-ce
pas plutôt que l'Evangéliste nous fait entendre, qu'il n'est pas nécessaire que
nous sachions quelle a été précisément la victime offerte pour notre Sauveur,
pourvu que nous connaissions que le sacrifice, quel qu'il ait été, était le
sacrifice des pauvres : Par turturum, aut duos pullos columbarum (1) ?
Chères Sœurs, qui poussées de
l'Esprit de Dieu avez généreusement renoncé à tous les biens et même à toutes
les espérances du monde , réjouissez-vous en Notre-Seigneur. Jamais y eut-il
homme plus pauvre que le Sauveur? Son père gagnait sa vie par le travail de ses
mains et par l'exercice d'un art mécanique. Lui-même il n'avait rien en ce
monde, pas même une pauvre retraite, ni de quoi appuyer sa tête. Certes les
historiens remarquent que souvent, à la nativité des grands personnages, il
s'est vu des choses qui ont servi de présages de ce qu'ils devaient être pendant
la vie. Ne nous rapporte-t-on pas qu'on a vu fondre des aigles ou sur la chambre
ou sur le berceau de ceux qui devaient être un jour empereurs ? Et on raconte de
saint Ambroise et de quelques autres qu'un essaim d'abeilles s'était reposé
innocemment sur leurs lèvres , pour signifier la douceur de leur éloquence. O
épouses de Jésus-Christ, dans ces dernières fêtes que nous avons célébrées, que
nous avons vu de présages de l'extrême pauvreté dans laquelle Jésus devait vivre
! Quel est l'enfant si misérable dont les parents n'aient pas du moins quelque
chétive demeure , où ils puissent le mettre à couvert des injures de l'air au
moment qu'il vient au monde? Jésus rebuté de tout le monde , est plutôt, ce
semble, exposé que né dans une étable. Ainsi il naquit, ainsi il vécut, ainsi il
mourut. Il a choisi le genre de mort où on est le plus dépouillé , et nu qu'il
était à la croix il voyait ces avares et impitoyables soldats qui partageaient
ses vêtements et jouaient à trois dés jusqu'à sa tunique mystérieuse. Ne fut-il
pas enterré dans un sépulcre emprunté? Et les draps dans lesquels son saint
corps fut enseveli, les parfums desquels il fut embaumé, furent les dernières
aumônes de ses amis. De sorte que pour ne se point démentir dans cette action,
qui était comme vous le verrez tout
1 Luc., II, 24.
297
à l'heure une représentation de sa mort, il veut que l'on
offre pour lui le sacrifice des pauvres, une paire de pigeonneaux ou deux
tourterelles. O Roi de gloire, « qui étant si riche par la condition de votre
nature, vous êtes fait pauvre pour l'amour de nous afin de nous enrichir par
votre abondance (1), » inspirez dans nos cœurs un généreux mépris de toutes ces
choses que les mortels aveugles appellent des biens, et faites-nous trouver dans
le ciel cet unique et inépuisable trésor que vous nous avez acquis au prix de
votre sang par votre ineffable miséricorde.
Nous lisons deux raisons dans l’Exode,
pour lesquelles Dieu ordonnait que les premiers-nés lui fussent offerts. De ces
deux raisons je prendrai seulement celle qui sera la plus convenable au mystère
que nous traitons, à laquelle-je vous prie de vous rendre un peu attentifs. Dieu
pour faire voir qu'il était le maître de toutes choses, avait accoutumé d'en
exiger les prémices comme une espèce de tribut et de redevance. Ainsi
voyons-nous que les prémices des fruits lui sont offertes en témoignage que nous
ne les avons que de sa seule munificence. Pour cela il demandait tout ce qui
naissait le premier, tant parmi les hommes que parmi les animaux, se déclarant
maître de tout. D'où vient qu'après ces mots par lesquels il ordonne, en l'Exode,
chapitre XIII, que tous les premiers-nés lui soient consacrés : Sanctifica
mihi omne primogenitum,... tam in hominibus quàm in jumentis (2), il ajoute
incontinent la raison : Car tout est à moi. « Sanctifiez-moi, dit-il, tous les
premiers-nés tant parmi les hommes que parmi les animaux ; car tout est à moi, »
mea sunt enim omnia. Et il exigeait ce tribut particulièrement à l'égard
des hommes, pour se faire reconnaître le chef de toutes les familles d'Israël et
afin qu'en la personne des aînés qui représentent la tige de la maison, tous les
autres enfants fussent dévoués à son service. De sorte que par cette offrande
les aînés étaient séparés des choses communes et profanes , et passaient au rang
des saintes et des consacrées. C'est pourquoi la loi est prononcée en ces termes
: Separabis omne primogenitum Domino (3) : « Vous séparerez tous les
premiers-nés au Seigneur. »
1 II Cor., VIII, 9. — 2 Exod.,
XIII, 2. — 3 Ibid., 12.
298
Et c'est en ce lieu où je puis me servir des paroles du
grave Tertullien, et appeler avec lui le Sauveur Jésus l’Illuminateur des
antiquités (1), qui n'ont été établies que pour signifier ses mystères. Car quel
autre est plus sanctifié au Seigneur que le Fils de Dieu, dont la Mère a été
remplie de la vertu du Très-Haut? D'où l’ange concluait que « ce qui naîtrait
d'elle serait saint (2). » Et voici qu'étant « le premier-né de toutes les
créatures, » ainsi que l'appelle saint Paul (3) et étant de plus les prémices du
genre humain, on le vient aujourd'hui offrir à Dieu devant ses autels, pour
protester qu'en lui seul nous sommes tous sanctifiés et renouvelés, et que par
lui seul nous appartenons au Père éternel, et avons accès à l'autel de sa
miséricorde. Ce qui lui fait dire à lui-même : Ego pro eis sanctifico meipsum
(4) : « Mon Père, je me consacre pour eux, » afin d'accomplir cette prophétie
qui avait promis à nos pères, que a en lui toutes les nations seraient bénites
(5), » c'est-à-dire sanctifiées et consacrées à la Majesté divine. Telles sont
les prérogatives de son droit d'aînesse, telles sont les obligations que nous
avons à ce pieux aîné, c'est-à-dire au Sauveur Jésus, qui s'est immolé pour
l'amour de nous.
Et à ce propos je vous prie de
.considérer les paroles que l'Apôtre fait dire à Notre-Seigneur aux Hébreux,
chapitre X; elles sont tirées du psaume XXXIX, dont voici les propres termes
cités par l'Apôtre: Holocautomata pro peccato non tibi placuerunt; tunc dixi
: Ecce venio (6). « Les holocaustes et les sacrifices pour le péché ne vous
ont pas plu, ô mon Père; alors je me suis offert, j'ai dit : J'irai moi-même,
afin d'exécuter votre volonté; » c'est-à-dire, comme l'entend l'Apôtre,
l'ouvrage de notre salut. Ne vous semble-t-il pas, chères Sœurs, que ces paroles
ne sont faites que pour cette cérémonie? Saint Paul les fait dire à
Notre-Seigneur en entrant au monde : Ingrediens mundum dixit (7). Or le
Fils de Dieu n'avait que six semaines, lorsqu'on le vint offrir à Dieu dans son
temple, de sorte qu'il ne faisait à proprement parler que d'entrer au monde. Et
selon cette doctrine, je me représente aujourd'hui le Sauveur Jésus, à même
temps qu'on l'offre au
1 Adv. Marcion., lib. IV, n. 40.
— 2 Luc, I, 35. — 3 Colos., I, 15. — 4 Joan., XVII, 19. — 5
Genes., XXII, 18. — 6 Hebr., X, 6, 7. — 7 Ibid., 5.
299
Père éternel, prendre déjà la place de toutes les victimes
anciennes, afin de nous consommer à jamais par l'unité de son sacrifice.
Tellement que cette cérémonie était comme un préparatif de sa passion.
Jésus-Christ dans sa tendre enfance méditait le dessein laborieux de notre
rédemption, et déjà par avance se destinait à la croix. Si je me suis bien fait
entendre, mes très-chères Sœurs, vous avez vu un rapport merveilleux des
anciennes cérémonies que le Fils de Dieu subit aujourd'hui avec les mystères de
notre salut.
Mais après avoir vu les
sentiments de notre Sauveur dans cette mystérieuse journée, si vous aviez
peut-être une sainte curiosité de savoir de quoi s'entretenait la bienheureuse
Marie, je tâcherai de vous en donner quelque éclaircissement par une
considération très-solide. Toutes les cérémonies des Juifs leur étaient données
en figures de ce qui se devait accomplir en Notre-Seigneur; et bien qu'elles
fussent différentes les unes des autres, toutefois elles ne contenaient qu'un
seul Jésus-Christ. Ceux qui étaient grossiers et charnels n'en considéraient que
l'extérieur sans en pénétrer le sens. Mais les spirituels et les éclairés, au
travers des ombres et des figures externes, contemplaient intérieurement par une
lumière céleste les mystères du Sauveur Jésus. Par exemple dans la manne ils se
nourrissaient de la parole éternelle du Père, faite chair pour l'amour de nous,
vrai pain des anges et des hommes; et leur foi leur faisait voir dans leurs
sacrifices sanglants la mort violente du Fils de Dieu pour l'expiation de nos
crimes. Que si les Juifs éclairés entendaient en un sens spirituel ce qu'ils
célébraient corporellement, à plus forte raison la très-heureuse Marie avant le
Sauveur entre ses bras et l'offrant de ses propres mains au Père éternel,
faisait cette cérémonie en esprit, c'est-à-dire joignait son intention à ce que
représentait la figure externe, c'est-à-dire l'oblation sainte du Sauveur pour
tout le genre humain racheté miséricordieusement par sa mort, ainsi que je vous
le représentais tout à l'heure. Ce qui me fait dire, et ce n'est point une
méditation creuse et imaginaire, que de même que la sainte Vierge au jour de
l'Annonciation donna son consentement à l'incarnation du Messie, qui était le
sujet de l'ambassade de l'ange, de
300
même elle ratifia pour ainsi dire en ce jour le traité de
sa passion, puisque ce jour en était une figure et comme un premier préparatif.
Et ce qui confirme cette pensée, ce sont les paroles de Siméon. Car comme en
cette sainte journée son esprit devait être occupé de la passion de son Fils,
pour cela il est arrivé non sans un ordre secret de la Providence, que Siméon,
après avoir dit en fort peu de mots tant de choses de Notre-Seigneur, adressant
la parole à sa sainte Mère, ne l'entretient que des étranges contradictions dont
son Fils sera traversé et des douleurs amères dont son âme sera percée à cause
de lui. « Celui-ci, dit-il (1), est établi comme un signe auquel on contredira
et votre âme, ô Mère, sera percée d'un glaive. » Où vous devez remarquer la
résignation la plus parfaite à la volonté divine, dont jamais vous ayez ouï
parler. Car la sainte Vierge entendant une prophétie si lugubre et en cela plus
terrible que n'énonçant rien en particulier, elle laissait appréhender toutes
choses, elle ne s'informe point quels seront donc ces accidents si étranges que
ce bon vieillard lui prédit; mais s'étant une bonne fois abandonnée entre les
mains de Dieu, elle se soumet de bon cœur sans s'en enquérir, à ce qu'il lui
plaira ordonner de son Fils et d'elle. Voilà comme la sainte Vierge unissant son
intention à celle de son cher Fils, se dévouait avec lui à la Majesté divine.
C'est ici, c'est ici, chrétiens,
à propos de cette offrande parfaite, que je vous veux sommer de votre parole et
vous faire souvenir de ce que vous avez fait devant ces autels. Lorsque vous
avez été agrégés à la confrérie, n'avez-vous pas protesté solennellement que
vous réformeriez votre vie ? Or en vain faisons-nous de si magnifiques
promesses, en vain nous mettons-nous sous la protection de Marie, en vain la
prenons-nous pour notre exemplaire, en vain nous assemblons-nous pour écouter la
parole de Dieu, si on voit toujours les mêmes dérèglements dans nos mœurs. C'est
pourquoi aujourd'hui que la très-innocente Marie présente son Fils à Dieu,
qu'elle se dédie elle-même à sa Majesté, servons-nous d'une occasion si
favorable ; et renouvelant tout ce que nous avons jamais fait de bonnes,
résolutions, dévouons-nous pour toujours
1 Luc., II, 34.
301
au service de Dieu notre Père. Mais je ne m'aperçois pas
que ce discours est trop long, et que je dois quelques paroles d'exhortation à
ceux qui, invités par la solennité de demain, désirent participer à nos
redoutables mystères.
Chrétiens, si vous désirez faire
une sainte communion, tel qu'était Siméon lorsqu'il embrassa Notre-Seigneur
dans le temple, tels devez-vous être approchant de la sainte table. Ce bon homme
avait une telle passion pour notre Sauveur, qu'il ne pensait jour et nuit à
autre chose qu'à lui; et bien qu'il ne fût pas encore venu au monde, comme sa
foi le lui montrait dans les prophéties, il attachait toutes ses affections à ce
doux objet. Ce violent amour produisait en lui deux mouvements très-puissants.
L'un était un ardent désir de voir bientôt luire au monde la consolation
d'Israël; et l'autre, une ferme espérance que toutes choses seraient rétablies
par son arrivée : Expectabat redemptionem Israël (1). Le saint vieillard
soupirait donc sans cesse après le Sauveur; et parmi la véhémence de ses désirs,
l'Esprit de Dieu, qui les lui avait inspirés, lui fit concevoir en son âme une
certaine créance qu'il ne mourrait point sans le voir. Depuis ce temps-là chaque
jour re-doubloit ses saintes ardeurs; et peut-être n'y avait-il plus que son
amour et son espérance qui soutînt ses membres cassés et qui animât sa décrépite
vieillesse. Tels devez-vous être, si vous voulez dignement recevoir le sacrement
adorable. Soyez embrasés d'un tendre et ardent amour pour le Fils de Dieu, qui
vous fasse établir en lui toute l'espérance de votre cœur ; que votre âme soit
enflammée d'une sainte avidité de vous rassasier de cette viande céleste, que le
Père éternel nous a préparée en son Fils. Car y a-t-il chose au monde plus
désirable que de jouir du corps et du sang de Notre-Seigneur et du prix de notre
salut, que de communiquer à sa passion, que de tirer de sa sainte chair
autrefois pour nous déchirée une nourriture solide par la méditation de sa mort,
que de recevoir par l'attouchement de cette chair vivifiante et l'abondance du
Saint-Esprit et les semences d'immortalité, que d'être transformés en lui par un
miracle d'amour? Poussés de cet aimable désir, venez en esprit dans le temple
ainsi que le
1 Luc., II, 25.
302
bon Siméon : Et venit in Spiritu in templum (1). Que
ce ne soit ni par coutume, ni pour tromper le monde par quelques froides
grimaces; mais venez comme le malade au remède, comme le mort à la vie, comme un
amant passionné à l'objet de ses affections; venez boire à longs traits et avec
une soif ardente cette eau admirable qui jaillit à la vie éternelle. Et
lorsqu'on vous présentera ce pain céleste, goûtez à part vous combien le Sauveur
est doux ; qu'un extrême transport d'amour vous faisant oublier de vous-même,
vous attache et vous colle au Seigneur Jésus. C'est là où il faut savourer cette
viande délicieuse en silence et en repos. Regardez le bon Siméon; comme
l'Evangéliste nous distingue ses actions, et comme il sait saintement ménager sa
joie. Il le prend entre ses bras, dit saint Luc; il bénit Dieu, et enfin il
éclate en action de grâces : Suscepit eum in ulnas suas, et benedixit Deum,
et ait (2). Mais devant que de parler, que de regards amoureux ! que
d'ardents baisers! quelle abondance de larmes! Il faut donc, avant toutes choses
(a), que votre âme se fonde en joie; jouissez du baiser du Sauveur, c'est
le même que Siméon embrassa; et s'il se cache à vos yeux, il se montre à votre
foi. Et le même qui a dit à ses disciples : Bienheureux les yeux qui voient ce
que vous voyez (3)! a dit aussi pour notre consolation : Bienheureux ceux qui
croient et qui ne voient point (4) ! Après, que votre âme s'épanouisse et se
décharge à la bonne heure en hymnes et en cantiques, que tous vos sens disent :
O Seigneur, qui est semblable à vous (5)? et que ce sentiment pénètre jusqu'à la
moelle de vos os. Ensuite, entrez à l'exemple de, notre vieillard dans un dégoût
de la vie et de ses plaisirs, épris des charmes incompréhensibles d'une parfaite
beauté : Envoyez-moi maintenant en paix, ô Seigneur ! Nunc dimittis servum
tuum in pace (6).
Que vous dirai-je de cette
divine, paix que le monde ne peut entendre, et qui est le propre effet de ce
sacrement? Qui ne voit que la paix est le fruit de la charité, qui lie et
tempère, et adoucit les esprits? Or n'est-ce pas ici le mystère de charité? Car
par le
1 Luc., II, 27. — 2 Ibid.,
28. — 3 Luc., X, 23. — 4 Joan., XX, 29. — 5 Psal.
XXXIV, 10. — 6 Luc., II, 29.
(a) Var. : Auparavant.
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moyen de la sainte chair de Jésus nous nous unissons à la
divinité qui en est inséparable, et notre société est avec Dieu et avec son Fils
dans l'unité de l'Esprit (1). Ayant donc la paix avec Dieu, quel calme et quelle
aimable tranquillité dans nos aines! C'est pourquoi songeons, chrétiens, en
quelle société nous avons été appelés. Pensons que nos corps sont devenus et les
membres de Jésus-Christ et les temples du Saint-Esprit. Ne les abandonnons point
à nos passions brutales, qui comme des soldats aveugles et téméraires profanent
les choses sacrées; mais conservons en pureté ces vaisseaux fragiles dans
lesquels nous avons notre trésor (2). Ne parlons désormais que Jésus, ne
songeons que Jésus, ne méditons que Jésus; Jésus soit notre joie, nos délices,
notre nourriture, notre amour, notre conseil, notre espérance en ce monde et
notre couronne en l'autre. Sauveur Jésus, en qui nous sommes bénis de toutes
sortes de bénédictions spirituelles, lorsque vous verrez demain vos enfants,
surtout ceux qui sont associés à cette confrérie pour la gloire de votre nom,
lors, dis-je, que vous les verrez rangés devant votre table (a) attendant
la nourriture céleste à laquelle vous les invitez, daignez leur donner votre
sainte bénédiction par l'intercession de la bienheureuse vierge Marie.
Amen.
I I Joan., I, 3. — 2 I Thess.,
IV, 4; II Cor., IV, 7.
(a) Var. : A votre table.
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