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SERMON
POUR UNE PROFESSION,
PRÊCHÉ
LE JOUR DE L'EXALTATION DE LA SAINTE CROIX (a).
Venerunt nuptiae Agni, et uxor ejus praeparavit se.
Les noces de l'Agneau sont venues, et son Epouse s'est
préparée. Apoc., XIX, 7.
Le mystère de notre salut nous
est proposé dans les saintes Lettres sous des figures diverses, dont la plus
fréquente, mes Sœurs, c'est de nous représenter cet ouvrage comme l'effet de
plusieurs actes publics, passés authentiquement parle Fils de Dieu en faveur de
notre nature. Nous y voyons premièrement l'acte d'amnistie et d'abolition
générale par lequel il nous remet nos péchés ; ensuite nous y lisons le traité
de paix par lequel il pacifie le ciel et la terre, et le rachat qu'il a fait de
nous pour nous retirer des mains de Satan. Nous y lisons aussi en plus d'un
endroit le Testament mystique et spirituel par lequel il nous donna la vie
éternelle, et nous fait ses cohéritiers dans le royaume de Dieu son Père. Enfin
il y a le sacré contrat par lequel il épouse sa sainte Eglise, et la fait entrer
avec lui dans une bienheureuse communauté. De ces actes et de quelques autres
qu'il serait trop long de vous rapporter, découlent toutes les grâces de la
nouvelle alliance; et ce que j'y trouve de plus remarquable, c'est que notre
aimable et divin Sauveur les a tous ratifiés par son sang. Dans la rémission de
nos crimes, il est notre propitiateur par son sang, « Dieu l'ayant proposé pour
être la victime de réconciliation par la foi que les hommes auraient en son sang
: » Propitiationem per fidem in sanguine ipsius (1). S'il a pacifié le
ciel et la terre, c'est par le sang de sa croix :
1 Rom., III, 25.
(a) Vers 1668. — Ce sermon renferme plusieurs
passages modifiés, abrégés, corrigés, du sermon précédent; il a donc été fait
plus tard. D'une autre part, il appartient manifestement à la grande époque. De
là notre date approximative.
509
Pacificans per sanguinem crucis ejus (1). S'il nous
a rachetés des mains de Satan comme un bien aliéné de son domaine, les
vieillards lui chantent dans l'Apocalypse que son sang a fait cet ouvrage : «
Vous nous avez rachetés par votre sang, » lui disent-ils : Redemisti nos in
sanguine tuo (2) ; et pour ce qui regarde son Testament, c'est lui-même qui
a prononcé dans sa sainte cène : « Buvez; ceci est mon sang, le sang du Nouveau
Testament, versé pour la rémission des péchés (3). »
Ne croyez pas, âmes chrétiennes,
que le contrat de son mariage, par lequel il s'unit à l'Eglise, lui ait moins
coûté que le reste. C'est à lui que convient proprement ce mot : « Vous m'êtes
un époux de sang : » Sponsus sanguinum tu es mihi (4) : et ce n'est pas
sans sujet que dans le passage de l'Apocalypse que j'ai choisi pour mon texte,
il est épousé comme un Agneau, c'est-à-dire en qualité de victime : Venerunt
nuptiœ Agni. Ainsi quoique la fête de sa croix, qui comprend un mystère de
douleurs, semble être fort éloignée de la solennité de son mariage, qui est une
cérémonie de joie, il y a néanmoins beaucoup de rapport; et nous pouvons
aisément traiter l'une et l'autre dans la suite de ce discours, après avoir
imploré le secours d'en haut par l'intercession de la sainte Vierge. Ave.
Dans cette cérémonie, vous
parler d'autre chose, ma très-chère Sœur, que de votre Epoux, ce serait offenser
votre amour. Parlons donc aujourd'hui du divin Jésus ; qu'il fisse tout le sujet
de cet entretien. Considérons attentivement quel est cet Epoux qu'on vous donne
; et pour joindre votre fête particulière avec celle de toute l'Eglise, tâchons
de connaître ses qualités par le mystère de cette journée. Vous y verrez
premièrement qu'il est roi, et vous lirez le titre de sa royauté gravé en trois
langues au haut de sa croix : « Jésus de Nazareth, roi des Juifs (5). » Vous y
apprendrez en second lieu que c'est un amant passionné; et son sang, que le seul
amour tire de ses veines, en sera la marque évidente. Enfin vous découvrirez que
c'est un amant jaloux ; et il me sera aisé de vous
1 Col.,
I, 20. — 2 Apoc., V, 9. — 3 Matth., XXVI, 23. — 4 Exod.,
IV, 25. — 5 Joan., XIX, 19.
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faire voir par les Ecritures divines que ce grand ouvrage
de notre salut, accompli heureusement sur la croix, a été un effet de sa
jalousie (a).
PREMIER POINT.
Quand je considère, mes Sœurs,
cette qualité de Roi des Juifs que Pilate donne à Jésus-Christ, et qu'il fait
paraître au haut de sa croix malgré les oppositions des pontifes, j'admire
profondément la conduite de la Providence qui lui met cette pensée dans
l'esprit, et je me demande à moi-même : D'où vient que notre Sauveur, qui a
refusé si constamment le titre de roi durant les jours de sa gloire,
c'est-à-dire quand il se montrait un Dieu tout-puissant par la grandeur de ses
miracles, commence à le recevoir dans le jour de ses abaissements, et lorsqu'il
paraît le dernier des hommes par la honte de son supplice. Où est l'éclat et la
majesté qui doivent suivre ce grand nom de roi, et qu'a de commun la
grandeur royale avec cet appareil d'ignominie? C'est ce qu'il faut vous
expliquer en peu de paroles; et pour cela remarquez, mes Sœurs, que Jésus-Christ
a deux royautés, dont l'une lui convient
(a) Dans la célébration de la noce spirituelle le
jour de la Croix, elle verra les trois qualités de son Epoux : 1° le titre de sa
royauté ; 2° l'ardeur de son amour; 3° la délicatesse de sa jalousie. Eu
apprenant qu'il est Roi, elle verra qu'il faut soutenir la qualité d'Epouse; en
apprenant qu'il aime, le soin qu'elle doit avoir de se rendre toujours agréable
pour conserver son affection ; en apprenant qu'il est jaloux, les précautions
qu'elle doit garder pour lui justifier toute sa conduite. C'est un roi pauvre,
dont le trône est une croix, le sceptre un roseau, la couronne composée d'épines
: il veut qu'on soutienne sa dignité par la pauvreté. Il aime les âmes pures, et
l'agrément qu'il demande, c'est la chasteté. Il est délicat et jaloux; et la
précaution qu'il veut, c'est l'obéissance. La jalousie du Fils de Dieu paraît à
la croix. Car c'est là que « par une émulation digne de lui, il recouvre sur le
diable son image dont cet usurpateur s'était emparé : » Deus imaginent suam
à diabolo captant œmulâ operatione recuperavit. (Tertull., De resurr.
carn., n. 17). Il était jaloux de ce que sou image s'éloit prostituée à son
ennemi, après qu'il l'avait formée avec tant de soin. « Dans le dessein de
l'honorer, il l'avait voulu façonner pour ainsi dire de ses propres mains; et
avec quelle application ne s'était-il pas étudié à lui imprimer les traits de sa
ressemblance ? » Toties honoratur, quoties manus Dei patitur; recogita totum
illi Deum occupatum ac deditum (Tertull., De resurr. carn. n. 6.) C
pendant elle s'abandonne à son ennemi : de là la jalousie de sou Dieu De
crainte qu'elle ne partageât encore son cœur, il la veut sauver lui-même : il ne
veut pas que personne s'en mêle que lui: Ego feci, ego salvabo ( Isai.,
XLVI , 4 ); ni les anges ni les archanges n'ont été employés à ce ministère : «
Le zèle du Seigneur des armées fera lui-même cette œuvre : Zelus Domini
exercituum faciet hoc ( Isai., IX, 7).
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comme Dieu, et l'autre lui appartient en qualité d'homme.
Comme Dieu il est le Roi et le Souverain de toutes les créatures, qui ont été
faites par lui : Omnia per ipsum facta sunt (1) ; et outre cela, en
qualité d'homme, il est Roi en particulier de tout le peuple qu'il a racheté,
sur lequel il s'est acquis un droit absolu par le prix (a) qu'il a donné
pour sa délivrance. Voilà donc deux royautés dans le Fils de Dieu : la première
lui est naturelle, et lui appartient par sa naissance; la seconde est acquise,
et il l'a méritée par ses travaux. La première de ces royautés, qui lui
appartient par la création, n'a rien que de grand et d'auguste, parce que c'est
un apanage de sa grandeur naturelle, et qu'elle suit nécessairement son
indépendance : mais il ne doit pas en être de même de celle qu'il s'est acquise
par la rédemption; et en voici la raison solide que j'ai tirée de saint
Augustin.
Puisque le Fils de Dieu était né
avec une telle puissance qu'il était de droit naturel Maître absolu de tout
l'univers, lorsqu'il a voulu s'acquérir les hommes par un titre particulier,
nous devons entendre, mes Frères, qu'il ne le fait pas de la sorte dans le
dessein de s'agrandir, mais dans celui de les obliger. En effet, dit saint
Augustin, que sert-il au Roi des anges de se faire le roi des hommes; au Dieu de
toute la nature de vouloir s'en acquérir une partie, sur laquelle il a déjà un
droit souverain? Il n'accroît point par là son empire, il n'étend pas plus loin
sa puissance, puisqu'en s'acquérant les fidèles, il ne s'acquiert que son propre
bien, et ne se donne que des sujets qui lui appartiennent déjà par le titre de
la création. Tellement que s'il recherche cette royauté, il faut conclure, dit
ce saint évêque, que ce n'est pas dans un dessein (b) d'élévation, mais
par un sentiment de condescendance; ni pour augmenter son pouvoir, mais pour
exercer sa miséricorde : Dignatio est, non promotio; miserationis indicium,
non potestatis augmentum (2).
Ainsi nous ne devons chercher en
ce nouveau Roi aucune marque extérieure de grandeur royale. C'est ici une
royauté extraordinaire. Jésus-Christ n'est pas Roi pour s'agrandir, c'est
1 Joan., I, 3. — 2 In
Joan., tract. LI, n. 5.
(a) Var. : Par le sang.— (b) Dans une
pensée.
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pourquoi il ne cherche rien de ce qui l'élève aux yeux des
hommes : il est Roi pour nous obliger; c'est pourquoi il recherche ce qui nous
oblige, c'est-à-dire des blessures qui nous guérissent, une honte qui fait notre
gloire et une mort qui nous sauve. Telles sont les marques de sa royauté : elles
sont dignes d'un Roi qui ne vient pas pour s'élever au-dessus des hommes par
l'éclat d'une vaine pompe, mais plutôt pour fouler aux pieds les grandeurs
humaines; et qui veut que les sceptres rejetés, l'honneur méprisé, la gloire du
monde anéantie, fassent tout l'ornement de son triomphe.
Voilà le Roi, ma très-chère
Sœur, que vous choisissez pour Epoux. S'il est pauvre, abandonné, destitué
entièrement des honneurs du siècle et de tous les biens de la terre, au nom de
Dieu n'en rougissez pas. Ce n'est point par impuissance, mais par dédain; ce
n'est point par nécessité, mais par abondance. Il ne méprise les avantages du
monde qu'à cause de Ja plénitude des trésors célestes; et ce qui rend sa royauté
plus auguste, c'est qu'elle ne vent rien de mortel. C'est pourquoi dans ce
bienheureux mariage dans lequel ce divin Epoux vous associe à son trône, il
demande pour dot votre pauvreté. Nouveau mariage, mes Sœurs, où le premier
article que l'Epoux propose, c'est que l'Epouse qu'il a choisie renonce à son
héritage; où il l'oblige par son contrat à se dépouiller de tous ses droits; où
il appelle ses parents, non pour recevoir d'eux leurs biens temporels, mais pour
leur quitter à jamais ce qu'elle peut espérer par sa succession. C'est à cette
condition que ce Roi crucifié vous épouse. Car si son royaume était de ce monde,
il en pourrait peut-être demander les biens ; mais son royaume n'étant pas du
monde, il a raison d'exiger cette condition nécessaire : c'est que vous
renonciez tout à fait au monde par la sainte profession de la pauvreté
volontaire, dont il vous a donné l'exemple.
Le contrat qu'il vous propose,
ma Sœur, les articles qu'il vous présente à signer sont compris en ces paroles
du divin Apôtre : Mihi mundus crucifixus est, et ego mundo (1) : « Le
monde m'est crucifié, et je suis crucifié au monde. » Où vous devez remarquer,
1 Gal., VI, 14.
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avec le docte saint Jean Chrysostome (1), que a ce n'est
pas assez à l’Apôtre que le monde soit mort pour le chrétien ; mais qu'il veut
encore, dit ce saint évêque, que le chrétien soit mort pour le monde : » et cela
pour nous faire entendre que le commerce est rompu des deux côtés, et qu'il n'y
a plus aucune alliance. « Car, poursuit ce docte interprète, l'Apôtre
considérait que, non-seulement les vivants ont quelque sentiment les uns pour
les autres, mais qu'il leur reste encore quelque affection pour les morts : ils
en conservent le souvenir ; ils leur rendent quelques honneurs, ne seraient-ce
que ceux de la sépulture. C'est pourquoi l'apôtre saint Paul ayant entrepris de
nous faire entendre jusqu'à quelle extrémité le fidèle doit se dégager de
l'amour du monde : Ce n'est pas assez, nous dit-il, que le commerce soit rompu
entre le monde et le chrétien, comme il l'est entre les vivants et les morts;
car il reste assez ordinairement quelque affection en ceux qui survivent, qui va
chercher les morts dans le tombeau même : mais tel qu'est un mort à l'égard d'un
mort, tels doivent être le monde et le chrétien. » Grande et admirable rupture!
Mais donnons-en une idée plus particulière (a).
Ce qui nous fait vivre au monde,
c'est l'inclination pour les biens du monde; ce qui fait vivre le monde pour
nous, c'est un certain éclat qui nous éblouit. La mort éteint les inclinations;
cette chaleur tempérée qui les entretient s'est entièrement exhalée ; la mort
ternit dans les plus beaux corps toute cette fleur de beauté, et fait évanouir
cette bonne grâce. Ainsi le monde est mort pour le chrétien, en tant qu'il n'a
plus d'attrait pour son cœur; et le chrétien est mort pour le monde, en tant
qu'il n'a plus d'amour pour les biens qu'il donne. C'est ce qui s'appelle dans
l'Ecriture être crucifié avec Jésus-Christ. C'est le traité qu'il nous fait
signer en nous recevant (b) au baptême; c'est le même qu'il vous propose
dans ces noces spirituelles, ainsi qu'un sacré contrat, pour être observé par
vous dans la dernière rigueur et dans la perfection la plus éminente : contrat
digne de vous être lu dans
1 Lib. II, De Compunct., n. 2.
(a) Var. : Que veut dire cette rupture, et où
nous conduit ce raisonnement? — (b) C'est le pacte qu'il fait avec nous
en nous recevant...
514
la fête de la sainte Croix, digne de vous être offert par
un Roi crucifié, digne d'être accepté humblement dans une profession (a)
solennelle, où l'on voue devant Dieu et devant ses anges un renoncement éternel
au monde.
Méditez ce sacré contrat sous
lequel Jésus-Christ vous prend pour Epouse; dites hautement avec le divin Apôtre
: Mihi mundus crucifixus est, et ego mundo. En effet le monde ne vous est
plus rien, et vous n'êtes plus rien au monde. Le monde ne vous est plus rien,
puisque vous renoncez à ses espérances; et vous n'êtes plus rien au monde,
puisqu'il ne vous comptera plus parmi les vivants. Votre famille vous perd, vous
allez entrer dans un autre monde, vous ne tenez plus par aucun lien à la Société
civile, et cette clôture vous est un tombeau dans lequel vous allez être comme
ensevelie. Que vos proches ne pleurent pas dans cette mort bienheureuse, qui
vous fera vivre avec Jésus-Christ. Son affection vous est assurée, puisque
l'ayant acquise parla pauvreté, vous avez le moyen de gagner son cœur par la
pureté virginale : c'est ma seconde partie.
SECOND POINT.
Pendant que Jésus-Christ
crucifié vous parle lui-même de son affection par autant de bouches qu'il a de
blessures, et que son amour s'épanche sur vous avec tout son sang par ses veines
cruellement déchirées, il me semble peu nécessaire de vous dire combien il vous
aime; et vos yeux attachés sur la croix vous en apprendront plus que tous mes
discours. Je remarquerai seulement, ma Sœur, que cet ardent amour qu'il
témoigne, n'est pas seulement l'amour d'un Sauveur, mais encore l'amour d'un
Epoux; et je l'ai appris de l'Apôtre, qui voulant donner aux chrétiens un modèle
de l'amitié conjugale, leur propose l'amour infini que Jésus-Christ montre à son
Eglise en se livrant pour elle à la croix. « Maris, dit-il, aimez vos femmes
comme Jésus-Christ a aimé l'Eglise, et s'est donné lui-même pour elle : »
Viri, diligite uxoTesvestras,sicut et Christiis dilexit Ecclesiam, et tradidit
(a) Var. : Au jour d'une profession.
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semetipsum pro eà (1) ». Ainsi dans cet amour du
Sauveur vous y trouverez l'amour d'un époux.
Il est bon de remarquer en
passant, qu'ainsi le Fils de Dieu a aimé les hommes en toutes sortes de qualités
qui peuvent donner de l'amour. Il les a aimés comme un père; il les a aimés
comme un sauveur, comme un ami, comme un frère, comme un époux : et il nous aime
sous ces titres, afin que nous connaissions que l'amour qui le fait mourir pour
nous en la croix, a toutes les qualités d'un amour parfait. Il est fort comme
l'amour d'un père, tendre comme l'amour d'une mère, bienfaisant comme l'amour
d'un sauveur, cordial comme l'amour d'un bon frère, sincère (a) comme
l'amour d'un fidèle ami, mais ardent comme l'amour d'un époux. Mais cet amour de
Jésus-Christ, dont parle l'Apôtre, regarde généralement toute son Eglise : il
faut montrer aux vierges sacrées leurs avantages particuliers, et les droits
extraordinaires que leur donne leur chasteté sur le cœur de l'Epoux céleste.
Un mot de l’Apocalypse nous
découvrira ce secret, et je vous prie de le bien entendre. Hi sunt qui cum
mulieribus non sunt coinquinati, virgines enim sunt; hi sequuntur Agnum
quocumque ierit (2) : « Ceux-là, dit-il, sont les vierges qui suivent
l'Agneau partout où il va. » Telle est la prérogative des vierges dont le grand
et admirable saint Augustin nous expliquera le mystère. Pour cela, il remarque
avant toutes choses que suivre Jésus-Christ c'est l'imiter autant qu'il est
permis à des hommes : Hunc in eo quisque sequitur in quo imitatur (3);
tellement que le suivre partout où il va, c'est l'imiter en tout ce qu'il fait.
Ce fondement étant supposé, il est bien aisé de conclure que suivre l'Agneau
partout où il va, c'est le privilège des vierges. Car si Jésus est doux et
humble de cœur, si Jésus est simple et pauvre d'esprit, si Jésus est soumis et
obéissant, s'il est miséricordieux et charitable : et les vierges et les mariés
peuvent le suivre dans toutes ces voies. Quoiqu'ils ne puissent pas y marcher de
la même force, ils peuvent néanmoins, dit saint Augustin (4), s'attacher
diligemment à
1 Ephes., V, 25 .— 2 Apoc., XIV, 4.— 3 De
sanct. Virgin., n. 27.— 4
Ibid. n. 28
(a) Var. :
Courant.
516
tous ses pas, et insister fidèlement à tous ses vestiges :
ils ne peuvent pas les remplir, mais ils peuvent y mettre le pied ; ils peuvent
même le suivre jusqu'à cette noble épreuve de la charité de laquelle lui-même a
dit qu'il n'y en a point de plus grande (1), c'est-à-dire, jusqu'à mourir pour
signaler son amour.
Jusqu'ici, ô divin Sauveur, vous
pouvez être suivi de tous vos fidèles : mais après il se présente un nouveau
sentier, où tous ne peuvent pas vous accompagner. Car, mes Frères, « cet Agneau
sans tache marche par un chemin virginal; » ce sont les mots de saint Augustin :
Ecce ille Agnus graditur itinere virginali (2). Ce Fils de vierge est
demeuré vierge ; et trouvant au-dessous de lui-même la sainteté nuptiale, il ne
lui a voulu donner aucun rang, ni dans sa naissance, ni dans sa vie. Que de
saints ne le peuvent suivre dans cette route sacrée ! Non omnes capiunt
verbum istud (3) : toutefois il ne veut pas y demeurer seul.
Accourez, ô troupe des vierges,
et suivez partout ce grand Conducteur. Que les autres le suivent partout où ils
peuvent; vous seules le pouvez suivre partout où il va, et entrer par ce moyen
avec lui dans la plus intime familiarité. C'est la belle et heureuse suite de ce
privilège incomparable : ces âmes pures et virginales s'étant constamment
attachées à suivre Jésus-Christ partout, cette preuve inviolable de leur amitié
fait que Jésus s'attache réciproquement à les avoir toujours dans sa compagnie.
Il fait toujours éclater sur elles un rayon de faveur particulière : il se met
en leurs mains dans sa naissance, il les pose sur sa poitrine dans sa sainte
cène, il ne les oublie pas à sa croix; et les ayant tendrement aimées, il les
aime jusqu'à la fin : In finem dilexit eos (4). Une mère vierge, un
disciple vierge y reçoivent les dernières preuves de son amitié ; et ne voulant
pas sortir de ce monde sans les honorer de quelque présent, comme il ne voit
rien de plus grand que ce que consacre la virginité, il les laisse mutuellement
l'un à l'autre : « Femme, lui dit-il, voilà votre fils; » et : « Fils, voilà
votre Mère (5). » Il n'est pas jusqu'à son sépulcre qu'il veut trouver vierge,
tant il a d'amour pour la virginité.
1 Joan., XV, 13. — 2 Ubi suprà, n. 29. — 3 Matth.,
XIX, 11. — 4 Joan., XIII, 1. — 5 Joan., XIX, 26, 27.
517
Recherchons encore, mes Sœurs,
pour épuiser cette matière importante, d'où vient que le Fils de Dieu fait ses
plus chères délices d'un cœur virginal, et ne trouve rien de plus digne de ses
chastes embrassements. C'est à cause qu'un cœur virginal se donne à lui sans
aucun partage, qu'il ne brûle point d'autres flammes, et qu'il n'est point
occupé par d'autres affections. Qui pourrait assez exprimer quelle grande place
y tient un époux, et combien il attire d'amour après soi? Ensuite naissent les
enfants, dont chacun emporte sa part, qui lui est mieux due et plus assurée que
celle de son héritage. Parmi tant de désirs divers, à combien de sortes d'objets
le cœur est-il contraint de s'ouvrir? L'esprit, dit l'Apôtre, en est divisé :
Sollicitus et divisus est (1) ; et dans ce fâcheux partage, nous pouvons
dire avec le Psalmiste : Sicut aqua effusus sum (2) : « Je suis répandu
comme de l'eau; » et cette vive source d'amour, qui devait tendre toute entière
au ciel, multipliée et divisée en tant de ruisseaux, se va perdre deçà et delà
dans la terre. Pour empêcher ce partage, la sainte virginité vient fermer le
cœur : Ut signaculum super cor tuum (3) : elle y appose comme un sceau
sacré qui empêche d'en ouvrir l'entrée, si bien que Jésus-Christ y règne tout
seul : et c'est pourquoi il aime ce cœur virginal, parce qu'il possède en repos,
sans distraction, toute l'intégrité de son amour.
C'est ainsi, ô pudique Epouse,
que vous devez aimer Jésus-Christ : tout l'amour que vous auriez pour un cher
époux, vous le devez, dit saint Augustin, au Sauveur des âmes. Mais que dis-je?
vous lui en devez beaucoup davantage. Car cette femme que vous voyez, qui chérit
si tendrement son mari, ordinairement ne le choisit pas, mais plutôt il lui est
échu en partage par des conjonctures imprévues. Elle aime celui qu'on lui a
donné ; mais avant qu'on le lui donnât, son cœur a erré longtemps sur la
multitude par un vague désir de plaire : s'il ne s'est donné qu'à un seul, il
s'est du moins offert à plusieurs ; et ne discernant pas ans la troupe cet
unique qui lui était destiné, son amour est demeuré longtemps suspendu, tout
prêt à tomber sur quelque autre. Il n’en est pas de la sorte de l'Epoux que vous
embrassez :
1 I Cor., VII, 33.— 2 Psal. XXI, 15. — 3
Cant., VIII, C.
518
jamais vous n'avez balancé dans un si beau choix, et il a
emporté d'abord vos premières inclinations. Comme donc vous le voyez attaché en
croix, attachez-le fortement à tout votre cœur : Toto vobis figatur in corde,
qui pro vobis fixus est in cruce. « Cédez-lui dans votre esprit toute
l'étendue que vous n'avez pas voulu laisser occuper par le mariage : » Totum
teneat in animo vestro quidquid noluistis occupari connubio (1). Cédez, vous
lui en devez même beaucoup davantage, parce que vous devez chérir bien plus
qu'un époux celui qui vous fait résoudre à ne vous donner jamais à aucun époux;
et il ne vous est pas permis de l'aimer d'une affection médiocre, puisque vous
renoncez pour l'amour de lui aux affections les plus grandes et tout ensemble
les plus légitimes.
Courez donc après cet Amant
céleste ; joignez-vous à cette troupe innocente qui le suit partout où il va,
accompagnant ses pas de pieux cantiques. Les Agathes et les Céciles, les Agnès
et les Luces vous tendent les bras, et vous montrent la place qui vous est
marquée. Pour entrer dans cette assemblée, soyez vierge d'esprit et de corps;
que cet amour de la pureté, qui se forme dans votre cœur, se répande sur tous
vos sens. Conservez votre ouïe; c'est par là qu'Eve a été séduite : gardez
soigneusement votre vue; et songez que ce n'est pas en vain qu'on vous donne «
un voile comme un rempart de votre pudeur, qui empêche, vos yeux de s'égarer, et
qui ne permette pas, dit le grave Tertullien, à ceux des autres de se porter sur
vous : » Vallum verecundiœ, quod nec tuos emittat oculos, nec admittat
alienos (2). Surtout gardez votre cœur, et ne dédaignez pas les petits
désordres, parce que c'est par là que les grands commencent, et que
l'embrasement qui consume tout est excité souvent par une étincelle. Ainsi un
chaste agrément vous conservera ce que la grâce de votre Epoux vous a accordé :
ainsi vous posséderez toujours son affection, et jamais vous n'offenserez sa
jalousie. Il faut encore vous dire un mot de la jalousie de votre Epoux, et
c'est par où je m'en vais conclure.
1 De sanctâ Virginit., n. 56. — 2 De Virg. veland.,
n. 16.
519
TROISIÈME POINT.
Que Dieu soit jaloux, chrétiens,
il s'en vante si souvent dans son Ecriture, qu'il ne nous permet pas de
l'ignorer. C'est une des qualités qu'il se donne dans le Décalogue : « Je suis,
dit-il, le Seigneur ton Dieu, fort et jaloux, » Fortis, zelotes (1) ; et
cette qualité de jaloux lui est si propre et si naturelle, qu'elle fait un de
ses noms, comme il est écrit dans l'Exode : Dominus, zelotes nomen ejus
(2). Il paraît donc assez que Dieu est jaloux, et peu de personnes l'ignorent :
mais que l'ouvrage de notre salut et la mort du Fils de Dieu à la croix soient
un effet de sa jalousie; c'est ce que vous n'avez pas peut-être encore entendu
et ce qu'il est nécessaire que je vous explique, puisque mon sujet m'y conduit.
A la vérité, chrétiens, il n'est
pas aisé de comprendre de quelle sorte s'accomplit un si grand mystère. Car que
la jalousie du Dieu des armées le porte à châtier ceux qui le méprisent, je le
conçois sans difficulté ; c'est l'effet ordinaire de la jalousie ; et je
remarque aussi dans les saintes Lettres que Dieu n'y parle guère de sa jalousie,
qu'il ne nous fasse en même temps craindre ses vengeances, a Je suis un Dieu
jaloux, dit le Seigneur : » Deus zelotes; et il ajoute aussitôt après : «
Visitant les iniquités des pères sur les enfants : » Visitans iniquitates
patrum infilios (3). Dieu est jaloux, dit Moïse : il dit dans le même lieu «
que le feu de sa jalousie brûle les pécheurs : » Dominus Deus tuus ignis
consuments est, Deus œmulalor (4). Et le prophète Nahum a joint ces deux
choses : « Le Seigneur est un Dieu jaloux, et le Seigneur est un Dieu vengeur, »
Deus œmulator et ulciscens Dominus (5) ; tant ces deux qualités sont
inséparables.
Que s'il est ainsi, chrétiens,
se peut-il faire que nous rencontrions le principe de notre salut dans la
jalousie, qui semble être la source des vengeances; et après que le prophète a
uni le Dieu jaloux et le Dieu vengeur, oserons-nous espérer de trouver ensemble
un Dieu jaloux et un Dieu sauveur? Peut-être aurions-nous peine à le croire, si
nous n'en avions appris le secret de la
1 Exod., XX, 5. — 2 Exod.,
XXXIV, 14. — 3 Exod., XX, 5. — 4 Deut., IV, 24.— 5 Nah.,
I, 2.
520
bouche d'un autre prophète. C'est le prophète Isaïe, dont
voici des paroles remarquables : De Jerusalem exihunt reliquiœ, et salvatio
de monte Sion: zelus Domini exercituum faciet istud (1) : « Dans les ruines
de Jérusalem il restera un grand peuple que Dieu délivrera de la mort, et le
salut paraîtra en la montagne de Sion : la jalousie du Dieu des armées fera cet
ouvrage. » Après un oracle si clair, il n'est plus permis de douter que ce ne
soit la jalousie du Dieu des armées qui ait sauvé le peuple fidèle.
Mais pour pénétrer un si grand mystère, reprenons les
choses d'un plus haut principe ; et rappelons à notre mémoire la témérité de cet
ange qui, par une audace inouïe, voulut s'égaler à Dieu et se placer jusque dans
son trône. Vous savez qu'étant repoussé de sa main puissante et précipité dans
l'abîme, il ne peut encore quitter le premier dessein de son audace démesurée.
Il se déclare hautement le rival de Dieu ; c'est ainsi que le nomme Tertullien :
Aemulus Dei (2) : « le rival, le jaloux de Dieu ; » il se veut faire adorer en
sa place; et s'il n'a pu occuper son trône, il lui veut du moins enlever son
bien. Il entre dans le paradis terrestre, furieux et désespéré : il y trouve
l'image de Dieu, c'est-à-dire l'homme ; image chérie et bien-aimée, que Dieu
avait établie dans son paradis de délices, qu'il avait formée de sa main et
animée de son souffle. Ce n'était qu'une créature; mais enfin elle était aimée
par. son Créateur : il ne l'avait pétrie que d'un peu de boue ; mais cette boue
avait été formée de sa main. Ce vieux serpent la séduit, il la corrompt.
Surprise par ses flatteries, elle s'abandonne à lui : la parjure qu'elle est,
l'ingrate et l'infidèle qu'elle est, au milieu des bienfaits de son Epoux, dans
le lit même de son Epoux, pardonnez-moi la hardiesse de cette parole que je ne
trouve pas encore assez forte pour exprimer l'indignité de cette action; dans le
lit même de son Epoux elle se prostitue à son rival.
O insigne infidélité ! ô lâcheté
sans exemple ! Fallait-il quelque chose de plus que cette honteuse prostitution
faite à la face de Dieu, pour l'exciter à jalousie? Il s'y excite en effet d'une
étrange sorte. Quoi! mon Epouse s'est fait enlever; mon image s'est laissé
corrompre, elle que j'avais faite avec tant d'amour, dont j'avais
1 Isa., XXXVII, 32. — 2 De Spect., n. 2.
521
moi-même formé tous les traits, que j'avais animée d'un
souffle de vie sorti de ma propre bouche !
Que fera, mes Frères, ce Dieu
fort et jaloux, irrité d'un abandonnement si infâme? Que fera-t-il à cette
Epouse infidèle, qui a méprisé un si grand amour? Certainement il pouvait la
perdre; mais, ô jalousie miséricordieuse ! il a mieux aimé la sauver. O rival,
il ne veut point qu'elle soit ta proie; il ne la peut souffrir en tes mains. Cet
indigne spectacle irritant son cœur, il court après pour la retirer, et descend
du ciel en la terre pour chercher son Epouse qui s'y est perdue : Venit
quœrere quod perierat (1). La manière dont il se sert pour nous délivrer
montre assez, si nous l'entendons, que c'est la jalousie qui le fait agir : car
il n'envoie ni ses anges, ni ses archanges, qui sont les ministres ordinaires de
ses volontés. Il a peur que son Epouse volage, devant sa liberté à d'autres qu'à
lui, ne partage encore son cœur, au lieu de le conserver tout entier à son Epoux
légitime ; c'est pourquoi il vient lui-même en personne : Deus ipse veniet et
salvabit nos (2). S'il faut des supplices, c'est lui qui les souffre : s'il
faut du sang, c'est lui qui le donne , afin que nous comprenions que c'est à lui
que nous devons tout, et que nous lui consacrions tout notre amour, comme nous
tenons de lui seul tout notre salut.
De là vient que nous lisons dans
son Ecriture qu'il n'est pas moins jaloux de sa qualité de Sauveur, que de celle
de Seigneur et de Dieu. Ecoutez de quelle sorte il en parle : Ego Dominus, et
non est ultra Deus absque me : Deus justus, et salvans non est prœter me
(3). Ne vous semble-t-il pas, chrétiens, que ce Dieu jaloux adresse sa voix à la
nature humaine infidèle, ainsi qu'un amant passionné, mais dont on a méprisé
l'amour? O volage, ô prostituée, qui m'as quitté pour mon ennemi, regarde que
c'est moi qui suis le Seigneur, et il n'y a point de Dieu que moi : mais
considère encore, ô parjure, infidèle, qu'il n'y a que moi qui te sauve; et si
tu m'as oublié après t'avoir créée, reviens du moins à moi quand je te délivre.
Voyez comme il est jaloux de sa qualité de Sauveur. Et ailleurs, se glorifiant
de l'ouvrage de notre salut : « C'est moi, c'est moi, dit-il, qui l'ai fait; ce
ne sont ni mes anges,
1 Matth., XVIII, 11 ; Luc.
XIX, 10. — 2 Isa., XXXV, 4. — 3 Isa., XLV, 21.
522
ni mes archanges, ni aucune des vertus célestes : c'est moi
seul qui l'ai fait, c'est moi seul qui vous porterai sur mes épaules, enfin
c'est moi seul qui vous sauverai : » Ego feci, ego feram, ego portabo, ego
salvabo (1) : tant il est jaloux de cette gloire ; et c'est, mes Sœurs,
cette jalousie qui l'attache sur cette croix, dont nous célébrons aujourd'hui la
fête.
Car, dit excellemment saint Jean
Chrysostome (2), comme un amant passionné voyant celle qu'il recherche avec tant
de soin gagnée par les présents de quelque autre, qui prétend à ses bonnes
grâces, multiplie aussi sans mesure les marques de son amitié pour emporter le
dessus : de même en est-il du Sauveur des âmes. Il voit que nous recevons à
pleines mains les présents de son rival, qui nous amuse par une pomme, qui nous
gagne par des biens trompeurs qui n'ont qu'une légère apparence : pour détourner
nos yeux et nos cœurs de ses libéralités pernicieuses, il redouble ses dons
jusqu'à l'infini ; et son amour excessif voulant faire un dernier effort, le
fait enfin monter sur la croix, où il nous donne non-seulement sa gloire et son
trône, mais encore son corps et son sang, et sa personne et sa vie : enfin, se
donnant lui-même, que ne nous donne-t-il pas? Et nous faisant un si grand
présent, il me semble qu'il nous dit à tous : Voyez si ce prétendant que vous
écoutez pourra jamais égaler un tel amour et une telle munificence. C'est ainsi
qu'il parle, c'est ainsi qu'il fait ; et nous pourrions nous défendre d'une
jalousie si obligeante !
Mais, ma Sœur, si l'Epoux
céleste a l'ardeur et les transports des jaloux, il en a les regards et la
vigilance. Il a des yeux de jaloux toujours ouverts, toujours appliqués pour
veiller sur vous, pour étudier tous vos pas, pour observer toutes vos démarches.
J'ai remarqué dans le saint Cantique deux regards de l'Epoux céleste : il y a un
regard qui admire, et c'est le regard de l'amant ; il y a un regard qui observe,
et c'est le regard du jaloux. « Que vous êtes belle, ô fille de prince ! » dit
l'Epoux à la chaste Epouse (3). Cette ardente exclamation vient d'un regard qui
admire ; et il n'est pas indigne du divin Epoux, dont il est dit dans son
Evangile qu'il
1 Isa., XLVI, 4. — 2 In
Epist. 1 ad Cor., homil. XXIV, n. 2.
— 3 Cant., VII, 1, 6.
523
admira la foi du Centenier (1). Mais voulez-vous voir
maintenant quel est le regard du jaloux? « Il est venu, dit l'Epouse, le
bien-aimé de mon cœur, regardant par les fenêtres, guettant par les treillis : »
Dilectus meus venit; respiciens per fenestras, prospiciens per cancellos
(2). Il vient en cette sorte pour vous observer, et c'est le regard de la
jalousie : de là naissent et ces grilles et cette clôture. Il vous renferme
soigneusement, il rend de toutes parts l'abord difficile; il compte tous vos
pas, il règle votre conduite jusqu'aux moindres choses : ne sont-ce pas des
actions d'un amant jaloux? Il n'en fait pas ainsi au commun des hommes : mais
c'est que s'il est jaloux des autres fidèles, il l'est beaucoup plus de ses
Epouses. Etant donc ainsi observée de près, pour vous garantir des effets d'une
jalousie si délicate , il ne vous reste, ma Sœur, qu'une obéissance toujours
ponctuelle et un entier abandonnement de vos volontés. C'est ce que je vous
recommande en finissant ce discours; et afin que vous compreniez combien cette
obéissance vous est nécessaire, je vous dirai la raison pour laquelle elle vous
défend de la jalousie de votre Epoux.
Ce qui excite Dieu à jalousie,
c'est lorsque l'homme se veut faire Dieu et entreprend de lui ressembler ; mais
il ne s'offense pas de toute sorte de ressemblance. Car il nous a faits à son
image, et il y a de ses attributs dans lesquels il n'est pas jaloux que nous
tâchions de lui ressembler ; au contraire il nous le commande. Par exemple,
voyez sa miséricorde, combien riche, combien éclatante ; il vous est ordonné de
vous conformer à cet admirable modèle : Estote miséricordes, sicut et Pater
tester misericors est (3) : « Soyez miséricordieux, comme l'est votre Père
céleste. » Ainsi, comme il est véritable, vous pouvez l'imiter dans sa vérité :
il est juste, vous pouvez le suivre dans sa justice : il est saint ; et encore
que sa sainteté semble être entièrement incommunicable, il ne se fâche pas
toutefois que vous osiez porter vos prétentions jusqu'à l'honneur de lui
ressembler dans ce merveilleux attribut ; lui-même vous y exhorte : « Soyez
saints, parce que je suis saint : » Sancti estote, quoniam ego sanctus sum
(4).
Quelle est donc cette
ressemblance qui lui cause tant de
1 Matth., VIII, 10.— 2
Cant., II, 9. — 3 Luc., VI, 36. — 4 Levit., XI, 44.
524
jalousie ? C'est lorsque nous lui voulons ressembler dans
l'autorité souveraine ; lorsque nous voulons l'imiter dans l'honneur et
l'indépendance, et prendre pour loi notre volonté, comme lui-même n'a point
d'autre loi que sa volonté absolue. C'est là le point chatouilleux, c'est là
l'endroit délicat; c'est alors que sa jalousie repousse avec violence tous ceux
qui veulent s'approcher ainsi de sa majesté souveraine. Par conséquent, si sa
jalousie s'irrite seulement contre notre orgueil, qui ne voit que la soumission
est l'unique moyen pour nous en défendre? Il est jaloux quand vous prenez pour
loi votre volonté. Pour empêcher les effets de sa jalousie, abandonnez votre
volonté. Soyons des dieux, il nous est permis, par l'imitation de sa justice, de
sa bonté, de sa sainteté, de sa miséricorde toujours bienfaisante. Quand il
s'agira de puissance et d'autorité, tenons-nous dans les bornes d'une créature,
et ne portons pas nos désirs à une ressemblance si dangereuse.
Mais si nous ne pouvons
ressembler à Dieu dans cette souveraine indépendance, admirons, mes Sœurs, sa
bonté suprême qui a voulu nous ressembler dans la soumission. Jetez les yeux de
la foi sur ce Dieu obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix. A la vue
d'un abaissement si profond, qui pourrait refuser de se soumettre ? Vous vivez,
ma Sœur, dans un monastère où la sage abbesse qui vous gouverne vous doit faire
trouver la soumission non-seulement fructueuse, mais encore douce et désirable.
Mais quand vous auriez à souffrir une autre conduite , de quelle obéissance vous
pourriez-vous plaindre, en voyant celle du Sauveur des âmes, et à la volonté de
quels hommes l'a livré et abandonné son Père céleste ? C'a été à la volonté de
Judas , à celle de Pilate et des pontifes, à celle des soldats inhumains, qui ne
gardant avec lui aucune mesure, ont fait de lui tout ce qu'ils ont voulu :
Fecerunt in eo quœcumque voluerunt (1). Après cet exemple de soumission,
vous ne sauriez descendre assez bas; et vous devez chérir les dernières places ,
qui depuis l'abaissement du Dieu-Homme sont devenues désormais les plus
honorables....
1 Matth., XVII, 12.
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