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SERMON
POUR UNE PROFESSION,
PRÊCHÉ LE JOUR DE L'EPIPHANIE (a).
Venerunt nuptiae Agni, et uxor ejus praeparavit se.
Les noces de l'Agneau se vont célébrer, et son Epouse s'est
préparée. Apoc., XIX, 7.
Il est écrit, mes Sœurs, dans le
livre de la Genèse, que « l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à
son épouse (1) ; » et
1 Genes., n, 21.
(a) Vers 1664. — On verra par le style que ce sermon
appartient à la grande époque, et le jour est désigné par les indications les
plus précises.
Jusqu'ici les éditeurs ont uns l'exorde après le sermon : «
Il ne pourrait, disent-ils à la suite et dans le langage de Déforis, il ne
pourrait être mis en tête du discours, sans en déranger l'ordre et la suite, et
sans y faire pour cette raison des changements. » Ne voyant point la justesse de
cette remarque, nous avons mis le commencement au commencement, l'exorde à la
place de l'exorde.
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saint Augustin nous enseigne qu'on ne peut jamais bien
entendre le sens véritable de ce passage, si l'on ne l'applique au Fils de Dieu
(1), En effet, dit ce saint évêque, selon l'usage des choses humaines, il
fallait dire que c'était l'Epouse qui quitte la maison paternelle pour
s'attacher à son Epoux; et il n'y a, ce semble, que Jésus-Christ seul dont l'on
puisse parler en un sens contraire. Car il est cet Epoux céleste qui a en
quelque sorte quitté Dieu son Père qui l'engendre dans l'éternité, et sa mère la
Synagogue qui l'a engendré dans le temps, pour s'attacher à son Eglise, que son
sang et son esprit lui ont ramassée de toutes les nations de la terre. Si je
vous disais de moi-même que c'est en cette journée que l'Eglise célèbre ces
noces avec son cher et divin Epoux, vous croiriez peut-être, Messieurs, que
c'est une invention que j'aurais trouvée pour joindre le mystère de cette fête
avec la cérémonie que nous allons faire, que tous les saints Pères appellent des
noces. Mais il n'en est pas de la sorte ; c'est l'Eglise elle-même qui chante
dans l'office de cette journée : Hodie cœlestî Sponso juncta est Ecclesia
: « Aujourd'hui l'Eglise a été unie avec son Epoux ; » elle célèbre en ce
mystère le jour de son mariage. Tellement, ma très-chère Sœur, que vos noces
spirituelles avec Jésus-Christ se rencontrant si heureusement avec celles de la
sainte Eglise dans une même solennité, il ne me sera pas malaisé d'accommoder le
sujet que vous me donnez de parler avec celui de la fête que nous célébrons
aujourd'hui; et j'espère traiter l'un et l'autre, pourvu qu'il plaise à l'Epoux
céleste, dont je dois raconter les louanges, de m'accorder le secours de son
Esprit par l'intercession de sa sainte Mère. Ave.
Enfin, ma Sœur, elle est arrivée
cette heure désirée depuis si longtemps, en laquelle vous serez unie avec
Jésus-Christ par des noces spirituelles. Certainement il n'était pas juste de
vous donner d'abord ce divin Epoux, encore que votre cœur languît après lui : il
fallait auparavant embellir votre âme par une pratique plus exacte de la vertu,
et éprouver votre foi par une longue suite des
1 De Genes., cont. Manich., lib. II, n. 37.
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saints exercices. Maintenant que vous vous êtes ornée d'une
manière digne de lui, et que votre noviciat vous a préparée à ce bienheureux
mariage, il n'est pas juste de le retarder, et nous allons en commencer la
cérémonie : Venerunt nuptiœ Agni, et uxor ejus prœparavit se. En cet
état, ma très-chère Sœur, vous parler d'autre chose que de votre Epoux, ce
serait offenser votre amour, et je n'ai garde de commettre une telle faute.
Parlons donc aujourd'hui du divin Jésus; qu'il fasse tout le sujet de cet
entretien. Considérons attentivement quel est cet Epoux qu'on vous donne; et
pour joindre votre fête particulière avec celle de toute l'Eglise, tâchons de
connaître ses qualités par le mystère de cette journée. Vous y apprendrez sa
grandeur, vous y découvrirez son amour, et vous y verrez aussi sa jalousie.
Il est grand, n'en doutez pas,
puisque c'est un roi. Les Mages le publient hautement : « Où est né, disent-ils,
le roi des Juifs (1) ? » et c'est pour honorer sa royauté qu'ils viennent de si
loin lui rendre leurs hommages. Ce roi vous aime d'un amour ardent, et il vous
montre assez son amour par la bonté qu'il a eue de vous prévenir. Les Mages ne
le connaissaient pas, et il leur envoie son étoile pour les attirer. Il vous a
été rechercher par la même miséricorde; et il a fait luire sur vous, ainsi qu'un
astre bénin, une inspiration particulière qui vous a retirée du monde, pour vous
unir à lui de plus près. Votre Epoux est donc un grand roi ; votre Epoux vous
aime avec tendresse ; mais il faut encore vous dire qu'il vous aime avec
jalousie.
Il appelle les Mages à lui ;
mais il ne veut pas qu'ils retournent par la même voie, ni qu'ils aiment ce
qu'ils aimaient auparavant. Ainsi en lui donnant votre cœur, détachez-vous
aujourd'hui de toutes choses. S'il vous chérit comme un amant, il vous observe
comme un jaloux ; et le soin qu'il a pris d'avertir les Mages du chemin qu'ils
devaient tenir, peut vous faire entendre, ma Sœur, qu'il veille bien exactement
sur votre conduite. Apprenez de là quel est cet Epoux qui vous donne aujourd'hui
la main. Vous voyez sa royauté par les hommages qu'on lui rend (a) ; vous
voyez
1 Matth., II, 2.
(a) Var. : Qu'il reçoit.
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son amour par l'ardeur de sa recherche; vous voyez sa
jalousie par le soin qu'il prend de veiller sur vous, et de marquer si
exactement toutes vos démarches.
O épouse de Jésus-Christ,
profitez de la connaissance particulière qu'on vous donne de l'Epoux céleste
auquel vous engagez votre foi. Il est roi: apprenez, ma Sœur, qu'il faut
soutenir magnifiquement (a) cette haute dignité de son Epouse. Il vous
aime; prenez donc grand soin de vous rendre toujours agréable pour conserver son
affection. Il est jaloux; apprenez de là quelle précaution vous devez garder
pour lui justifier votre conduite. Voilà trois avis importants que j'ai à vous
donner en peu de paroles: mais pour les rendre plus particuliers, et ensuite
plus fructueux, il faut en faire l'application à la vie que vous embrassez, et
aux trois vœux que vous allez faire.
Je vous ai dit qu'il faut
prendre soin de soutenir la dignité dont il vous honore, de conserver l'amour
dont il vous prévient, et de n'offenser pas la jalousie par laquelle il vous
observe. Qu'il vous sera aisé d'accomplir ces choses par le secours de vos
vœux ! C'est un roi ; mais c'est un roi pauvre, qui a pour palais une étable,
dont le trône est une croix ; pour soutenir la dignité d'Epouse (b), il
ne veut que l'amour de la pauvreté. Il aime, et ce qu'il aime ce sont les âmes
pures (c) : pour conserver son affection (d), l'agrément qu'il
recherche c'est la chasteté. Il est délicat et jaloux, et il veille de près sur
vos actions: mais comme il aime la soumission et chérit les âmes soumises, pour
se défendre de sa jalousie, la souveraine précaution c'est l'obéissance (e).
Dieu soit loué, mes Sœurs, de m'avoir inspiré ces pensées, et de m'avoir donné
le moyen de joindre, ainsi que je l'ai promis, l'action que vous allez faire
avec le mystère que l'Eglise honore.
(a) Var. : Vigoureusement. — (b) A sa
mode la grandeur royale. — (c) Il aime, il est passionné pour les âmes
pures. — (d) Son amour. — (e) Il veille de près sur vos actions :
l'unique précaution qu'il vous demande, c'est la fidélité de l'obéissance.
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PREMIER POINT.
Il est bien vrai, mes Sœurs, ce
que Dieu nous dit avec tant de force par la bouche de son prophète Isaïe (1),
que ses pensées ne sont pas les pensées des hommes, et que ses voies sont
infiniment éloignées des nôtres. Le ciel n'est pas plus élevé par-dessus la
terre, que les conseils de la sagesse divine le sont par-dessus les opinions et
les maximes de notre prudence. Le mystère du Verbe fait chair (a), où
nous voyons un renversement de toutes les maximes du monde, est une preuve
invincible de cette vérité. Et sans vous raconter maintenant toutes les
particularités de ce grand mystère, ce que j'ai à vous prêcher aujourd'hui
suffira pour vous faire voir cet éloignement infini des pensées de Dieu et des
nôtres. Car, mes Sœurs, je prêche un roi pauvre, un roi que ses sujets ne
connaissent pas : Sui eum non receperunt (2) ; qui n'a par conséquent ni
provinces qui lui obéissent, ni armées qui combattent sous ses étendards. Son
trône, c'est une crèche et son palais une étable : c'est un monarque dans
l'indigence, et un souverain dans l'opprobre. O ciel, ô terre, ô anges et
hommes, étonnez-vous des abaissements du monarque que nous adorons.
Mais nous voyons, Messieurs,
ordinairement que les pauvres s'associent des riches pour chercher du secours à
leur indigence. Il est dans l'usage des choses humaines qu'un pauvre qui se
marie tâche de subvenir à sa pauvreté, en prenant une femme riche dont la dot le
mette à son aise. Et voici mon Sauveur Jésus, le plus pauvre de tous les
pauvres, qui ne veut que des pauvres en sa compagnie ; qui se choisissant une
épouse, ne veut pour dot que sa pauvreté, et l'oblige à renoncer hautement à
l'espérance de son héritage. Entendons ces deux vérités, et voyons quel est ce
mystère.
Quoiqu'il soit assez
extraordinaire de venir de la misère à la royauté et qu'il le soit beaucoup plus
d'être pauvre et roi, toutefois il est véritable que nous avons des exemples de
l'un et de l'autre, et que Dieu se plaît quelquefois à confondre l'arrogance
1 Isa., LV, 8. — 2 Joan., I, 11.
(a) Var. ; De l'Incarnation.
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humaine par de telles vicissitudes. Mais que, pour établir
une royauté, il soit nécessaire de se faire pauvre; que la nécessité et
l'indigence soient le premier degré pour monter au trône, c'est ce qui est
entièrement inouï dans toutes les nations de la terre, et mon Sauveur s'était
réservé de nous faire voir ce miracle. Car, mes Frères, vous le savez, ou vous
êtes fort peu informés des vérités de notre croyance ; vous savez que le Fils de
Dieu, pour s'acquérir le titre de roi, a été obligé de se faire pauvre. Son Père
lui promet que toutes les nations de la terre reconnaitront son autorité, et
qu'il les lui donnera pour son héritage (1). Mais qui ne sait, parmi les
fidèles, que pour monter sur ce trône qui lui est promis sur la terre, il a
fallu qu'il descendît de celui où il régnait dans le ciel ; que pour acquérir ce
nouvel héritage, il a fallu quitter celui qui lui appartenait par sa naissance,
et venir parmi les hommes, faible et indigent, exposé à toute sorte de misères?
Vous le savez, chrétiens, et les
mystères que nous célébrons durait ces saints jours ne vous permettent pas
d'ignorer ce fondement du christianisme. Mais pour en savoir le secret et
pénétrer les causes d'un si grand mystère sous la conduite de l'Ecriture, nous
remarquerons, s'il vous plaît, deux royautés en notre Sauveur. Comme Dieu, il
est le Roi et le Souverain de toutes les créatures qui ont été faites par lui :
Omnia per ipsum (2) ; et outre cela, en qualité d'homme, il est Roi en
particulier de tout le peuple qu'il a racheté, sur lequel il s'est acquis un
droit absolu par le prix qu'il a donné pour sa délivrance. Voilà donc deux
royautés dans le Fils de Dieu : la première lui est naturelle, et lui appartient
par sa naissance ; la seconde est acquise, et il l'a méritée par ses travaux. La
première de ces royautés, qui lui appartient par la création, n'a rien que de
grand et d'auguste, parce que c'est un apanage de sa naturelle grandeur, et
qu'elle suit nécessairement son indépendance. Et pourquoi n'en est-il pas de
même de celle qui est née par la rédemption? Saint Augustin vous le dira mieux
que je ne suis capable de vous l'expliquer. Voici la raison que j'en ai conçue
par les principes de ce grand évêque. Puisque le Sauveur était né avec une telle
puissance qu'il était de droit
1 Psal. II, 8.— 2 Joan., I, 3.
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naturel maître absolu de tout l'univers, lorsqu'il a voulu
s'acquérir les hommes par un titre particulier, nous devons entendre, Messieurs,
qu'il ne le fait pas de la sorte dans le dessein de s'agrandir, mais dans celui
de les obliger.
En effet, dit saint Augustin,
que sert-il au roi des anges de se faire roi des hommes ; au Dieu de toute la
nature de vouloir s'en acquérir une partie, sur laquelle il a déjà un droit
absolu? Il n'augmente pas (a) par là son empire, puisqu'en s'acquérant
les fidèles, il ne s'acquiert que son propre bien, et ne se donne que des sujets
qui lui appartiennent déjà : tellement que s'il recherche cette royauté, il faut
conclure, dit ce saint évêque, que ce n'est pas dans une pensée d'élévation,
mais par un dessein de condescendance ; ni pour augmenter son pouvoir, mais pour
exercer sa miséricorde : Dignatio est, non promolio; miserationis indicium
est, non potestatis augmentum (1). Ainsi ne vous étonnez pas aujourd'hui, ô
Mages qui venez l'adorer, si vous ne voyez en ce nouveau roi aucune marque de
grandeur royale. C'est ici une royauté extraordinaire. Ce Roi n'est pas roi pour
s'élever, c'est pourquoi il ne cherche rien de ce qui élève : il est roi pour
nous obliger, et c'est pourquoi il recherche ce qui nous oblige.
Et, mes Frères, vous savez assez
combien sa pauvreté y est nécessaire, puisque tous les oracles divins nous
enseignent que nous ne devons être sauvés que par ses souffrances. Mais poussons
encore plus loin cette vérité chrétienne, et prouvons invinciblement que c'est
par le degré de la pauvreté que notre Roi doit monter au trône. Vous le
comprendrez sans difficulté, si vous considérez attentivement quel est le trône
que l'on lui destine. Cherchons-le dans l'histoire de son Evangile: jetons les
yeux sur toute sa vie ; ne verrons-nous point quelque part le titre de sa
royauté? Sera-ce peut-être dans les synagogues, où il enseigne avec tant
d'autorité ? ou ne sera-ce point plutôt au Thabor, où il paraît avec tant
d'éclat ; au Jourdain, où le ciel s'ouvre sur lui? Où verrons-nous écrit : «
Jésus de Nazareth, roi des Juifs (2)? » Ah! mes Frères, c'est sur sa croix ; et
ce titre nous doit faire entendre
1 In Joan., tract. LI, n. 4. — 2 Jean., XIX,
19.
(a) Var. : Il n'accroit pas.
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que la croix est le trône de ce nouveau roi. Elle n'est pas
seulement son trône, elle est la source de sa royauté. Car comme nous sommes un
peuple racheté, il est notre roi par la croix qui a porté le prix de notre salut
; comme nous sommes un peuple conquis, Populus acquisitionis (1), il est
notre roi par la croix qui a été l'instrument de sa conquête. Il se confesse roi
dans sa passion : Ergo rex es tu (2)? Et ce qu'il n'a jamais avoué, quand
il a paru comme tout-puissant par la grandeur de ses miracles, il commence à le
publier, lorsqu'il paraît le plus méprisable par sa qualité de criminel. Et
pourquoi cela, je vous prie, si ce n'est afin que nous entendions que c'est sa
croix et sa mort ignominieuse qui font l'établissement de sa royauté?
S'il est ainsi, s'il est ainsi,
si tel est le dessein de Dieu, que mon maître doive régner par son supplice,
ah ! pauvreté, viens à son secours, pauvreté, prête-lui la main. Il ne peut être
roi sans son entremise : car considérez, âmes saintes, ce bel ordre des conseils
de Dieu. Afin que Jésus-Christ fût notre roi en qualité de Sauveur, il fallait
qu'il nous acquît; et pour nous acquérir, il fallait qu'il nous achetât; et pour
nous acheter, il devait donner notre prix; pour donner notre prix, il fallait
qu'il fût mis en croix ; pour être mis en croix, il fallait qu'il fût méprisé ;
et afin qu'il fût méprisé, ne fallait-il pas qu'il fût pauvre, qu'il fût faible,
qu'il lût impuissant, abandonné aux injures, exposé à l'oppression et à
l'injustice par sa condition misérable? Ut daret pretium, pro nobis
crucifixus est ; ut crucifigeretur, contemptus est ; ut contemneretur, humilis
apparuit (3). S'il eût paru aux hommes avec un appareil redoutable, qui
aurait osé mettre la main sur sa personne? Ses gardes, ses satellites, comme il
dit lui-même (4), ne l'auraient-ils pas délivré? S'il eût eu quelque crédit dans
le monde, l'aurait-on traité si indignement? Mais comme il devait être crucifié,
il a voulu être méprisé; et pour s'abandonner au mépris, il lui a plu d'être
pauvre.
Regardez les degrés, mes Sœurs,
par où votre Epoux monte dans son trône, ou plutôt par où votre Epoux descend à
son trône, à la royauté par la croix, à la croix par l'oppression, à
l'oppression
1 I Petr., II, 9. — 2 Joan.,
XVIII, 37. — 3 S. August., in Joan., tract. IV, n. 2, — 4
Matth.,XXVI, 53.
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par le mépris, au mépris par la pauvreté. O pauvreté de
Jésus, que je t'adore aujourd'hui avec les Mages ! tu es le sacré marchepied par
où mon Roi est allé au trône ; c'est toi qui l'as conduit à la royauté, parce
que c'est toi qui l'as mené jusque sur la croix. Et vous, ô Jésus, mon Roi et
mon Maître, ah ! que je comprends aujourd'hui tous les mystères de votre vie par
la royauté dont je parle ! Je m'étonnais de vous voir dans une étable, sur de la
paille et dans une crèche,: mon esprit éperdu ne pou-voit comprendre tant de
bassesse. Mais que tout cela vous sied bien ! Il faut un tel palais à un roi
pauvre, un tel berceau à un roi pauvre, un tel appareil à un roi pauvre. Que
cette couronne d'épines vous est convenable ! Que ce sceptre fragile est bien
dans vos mains ! Tout cela est digne d'un roi qui vient régner par la pauvreté.
Et lorsque faisant votre entrée dans la ville de Jérusalem , vous êtes monté sur
une ânesse, ah ! mes Frères, qui ne rougirait d'un si ridicule équipage, si l'on
n'était convaincu d'ailleurs qu'il est digne de ce roi pauvre, qui ne se fait
pas roi pour s'agrandir, mais pour fouler aux pieds la grandeur mondaine?
Chère Sœur, voilà votre Epoux,
voilà le roi que nous vous donnons. N'ayez pas de honte de sa pauvreté ; elle
abonde en biens infinis. Il ne méprise les biens de la terre qu'à cause de la
plénitude des biens du ciel; et sa royauté est d'autant plus grande, qu'elle ne
veut rien de mortel. Ce n'est pas par impuissance, mais par dédain; ce n'est pas
par nécessité, mais par plénitude. « Il n'a pas besoin de nos biens : »
Bonorum meorum non eges (1) ; et il ne lui convient pas, en sa dispensation
selon la chair. « Car, étant riche, il s'est fait pauvre pour l'amour de nous :
» Cùm dives esset, propter nos egenus factus est (2). C'est pourquoi je
vous ai dit au commencement qu'il demande pour dot votre pauvreté. Pourquoi
cela, âmes chrétiennes, si ce n'est, comme il nous a dit, que « son royaume
n'est pas de ce monde (3)? » Si son royaume était de ce monde, il demanderait
pour dot les biens de ce monde ; mais son royaume n'étant pas du monde, il ne
vous estimera riche qu'en perdant tous les biens que le monde donne. C'est
1 Psal. XV, 2. — 2 II Cor.,
VIII, 9. — 3 Joan., XVIII, 36.
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par cette dot de la pauvreté que vous achetez son royaume.
Ce n'est pas sans raison qu'il ne donne la félicité en qualité de royaume qu'aux
pauvres et à ceux qui souffrent. O Evangile, que tes mystères sont liés, et que
ta doctrine est suivie ! Le trône de Jésus-Christ, c'est la croix; le premier
degré, c'est la pauvreté. Il ne parle de royaume qu'à ceux qui sont ou sur le
trône de sa croix par les souffrances, ou sur le premier degré par la pauvreté.
Venez donc donner la main à ce Roi. Et vous, recevez-la, ô Jésus, recevez-la
comme votre épouse, puisqu'elle consent d'être pauvre : donnez-lui part à votre
royaume, puisqu'elle le mérite par son indigence. Nouveau mariage, mes Sœurs, où
le premier article que l'Epoux demande, c'est que l'Epouse qu'il a choisie
renonce à son héritage ; où il l'oblige par son contrat à se dépouiller de tous
ses biens; où il appelle ses parents, non point pour recevoir d'eux leurs biens
temporels, mais pour leur quitter à jamais ce qu'elle pouvait espérer par sa
succession. C'est ainsi que Jésus-Christ se marie , parce qu'il est si grand par
lui-même, que c'est se rendre indigne de lui que de ne se contenter pas de ses
biens et de désirer autre chose quand on le possède. « Oubliez votre peuple et
la maison de votre père : » Obliviscere populum tuum et domum patris tui
(1). Vous voyez la condition sous laquelle Jésus-Christ vous reçoit; voyez
maintenant les moyens de vous conserver son amour : c'est ma seconde partie.
SECOND POINT.
Il est temps, ma Sœur, de vous
faire voir l'amour qu'a pour vous votre Epoux céleste ; et comme l'amour d'un
époux se fait paraître principalement dans l'ardeur de la recherche, il faut
vous montrer en peu de paroles de quelle sorte Jésus-Christ vous a recherchée.
Vous découvrirez cette vérité dans l'étoile mystérieuse qui paraît dans notre
mystère; et à la faveur de sa lumière, vous verrez des marques sensibles de
l'amour du divin Sauveur et du désir qu'il a eu de vous posséder. Il y a trois
choses dans cette étoile qui me paraissent fort considérables, et qui font
merveilleusement pour notre sujet.
1 Psal. XLIV, 11.
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Premièrement, je remarque que
cet astre ne jette pas indifféremment sa lumière, et semble faire un choix des
personnes sur lesquelles il répand ses rayons. Il ne luit pas par toute la terre
: on ne le voit qu'en Orient, nous dit l'Evangile ; encore n'y paraît-il qu'aux
trois Mages. Et ce qui nous fait voir manifestement que cette étoile éclaire
avec choix et avec discernement des personnes , c'est qu'elle se cache sur
Jérusalem et qu'elle retire ses rayons de dessus cette ville ingrate.
Secondement cette belle étoile ne choisit pas seulement ceux qu'elle illumine,
mais encore elle les attire. Elle montre aux Mages un éclat si doux et je ne
sais quelle lueur si bénigne, que leurs yeux en étant charmés, à peine se
peuvent-ils empêcher de la suivre : Vidimus stellam ejus et venimus (1) :
« Nous l'avons vue, disent-ils, et aussitôt nous sommes venus. » Enfin,
non-seulement elle les attire, mais encore elle les précède : Stellam quam
viderant Magi, antecedebat eos (2). Elle marche devant eux pour les conduire
; et afin de leur faire porter plus facilement les fatigues et les ennuis du
voyage, elle remplit leurs cœurs dune sainte joie : Videntes autem stellam
gavisi sunt gaudio magno (3).
Voilà, ma Sœur, les trois
qualités de l'étoile qui nous apparaît : elle choisit, elle attire et elle
précède. Et vous reconnaissez à ces trois marques l'inspiration favorable par
laquelle Jésus-Christ vous a appelée à l'heureuse dignité d'Epouse. Cette
inspiration , c'est votre étoile : elle s'est levée sur votre orient,
c'est-à-dire dès vos premières années; mais elle vous a paru par un choix
exprès. Cette grâce, que Dieu vous a faite, n'a pas été donnée à tout le monde.
Le Fils de Dieu nous a dit lui-même (4) que « tous n'entendent pas cette parole
: » Non omnes capiunt verbum istud. Qui est donc celui qui la peut
entendre ? « C'est celui, dit-il, à qui Dieu le donne : » Sed quibus datum
est. Par conséquent il vous a choisie ; il vous a choisie entre mille.
Combien a-t-il laissé de vos compagnes ? Combien en a-t-on voulu appeler qui
n'ont pas écouté cette voix? Combien s'en est-il présenté, qu'il ne lui a pas
plu de recevoir? Non hos elegit Dominus (5) : « Le Seigneur ne les
1 Matth., II, 2. — 2 Ibid.,
9. — 3 Ibid., 10. — 4 Matth., XIX, 11. — 5 Baruch, III,
27.
497
a pas choisies. » Ses yeux ont daigné s'arrêter sur vous :
pouvez-vous douter de son amour après le bonheur de cette préférence?
Ce serait peu de vous avoir
choisie : jamais vous n'eussiez suivi ce choix bienheureux, s'il ne vous avait
attirée. Nul ne vient à lui qu'il ne lui donne; nul ne peut venir qu'il ne
l'attire (1). Tâchez de rappeler en votre mémoire le moment auquel il vous a
touchée. Quelle lumière vous parut tout à coup? Quel attrait inopiné du bien
éternel arracha de votre cœur l'amour du monde, et vous le fit regarder avec
mépris ? C'est l'étoile qui vous paraît, c'est l'inspiration qui vous attire.
Que si peut-être il est arrivé que vous n'ayez pas senti si distinctement tous
ces mouvements admirables, mais, ma Sœur, connaissez votre Epoux, et sachez
qu'il agit en nous d'une manière si délicate, que souvent le cœur est gagné
avant même qu'il s'en aperçoive. Et s'il ne vous avait attirée de cette manière
forte et puissante à laquelle, dit saint Augustin (2), nulle dureté ne résiste,
par combien de vaines délices le monde vous aurait-il amollie ? par combien
d'erreurs dangereuses se serait-il efforcé de vous séduire? par combien de
fausses lumières aurait-il tâché de vous éblouir? Mais l'étoile de Jésus-Christ,
je veux dire son inspiration et sa grâce, a eu un éclat plus fort et une lumière
plus attirante. Vous l'avez vue; elle vous a charmée; vous êtes venue aussitôt :
Vidimus et venimus; et Jésus est prêt à vous recevoir. Heureuse d'avoir
été si soigneusement recherchée, et si fortement attirée !
Toutefois l'amour du divin Epoux
a fait quelque chose de plus en votre faveur. En vain sa lumière et sa grâce
vous eût excitée avenir; vous n'eussiez pu continuer un si grand voyage, si le
même astre qui vous l'a fait entreprendre ne vous eût précédée durant votre
course. Laissez les raisonnements éloignés, et jugez-en par l'expérience de
votre noviciat. Autant de pas que vous avez faits, la grâce a toujours marché
devant vous, et votre volonté n'a fait que la suivre : Pedissequâ, non prœviâ
voluntate, dit saint Augustin (3). Autrement, ma très-chère Sœur, parmi tant
de tentations qui vous environnent, votre volonté chancelante
1 Joan., VI, 44. — 2 De
Prœdest. Sanct., cap. VIII, n. 13. — 3 Ad Paulin., epist.
CLXXXVI, n. 10.
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serait tombée à chaque moment ; le bruit et le tumulte du
monde vous eût empêchée de prêter l'oreille aux caresses de votre Epoux, qui
parle en secret ; l'éclat et la pompe du monde, qui frappe les sens et les
éblouit de près, aurait effacé à vos yeux la lumière modeste et tempérée de la
simplicité religieuse; la mollesse et les délices du monde vous auraient rendue
trop insupportable votre vie pénitente et mortifiée. Votre Epoux ne l'a pas
permis : son étoile qui vous avait excitée, non-seulement a voulu vous
accompagner, mais encore marcher devant vous, afin que vous ne pussiez la perdre
de vue : Antecedebat eos; et la joie dont elle a rempli votre cœur s'est
répandue si abondamment dans toutes les puissances de votre âme, qu'elle a noyé
et abîmé la joie de ce monde qui s'efforçait à tout moment de lever la tête.
Ainsi, ma Sœur, ayant surmonté
les difficultés du voyage, je veux dire les peines du noviciat, la conduite de
cette étoile vous a enfin amenée où était l'enfant : Staret suprà ubi erat
puer (1). C'est là, c'est là qu'elle vous arrête. Entrez, et vous trouverez
le divin Jésus prêt à recevoir vos présents et à vous donner les siens,
c'est-à-dire à vous donner sa foi et à recevoir la vôtre, et à s'unir avec vous
par un éternel mariage. Qui vit jamais un amour pareil, ni une recherche si
ardente ? Il vous a choisie entre mille : de peur que vous manquassiez à le
suivre, il a pris soin de vous attirer. Qui pourrait assez admirer son assiduité
infatigable? Il ne vous a pas quittée un moment ; et dans tous les pas que vous
avez faits, il a toujours marché devant pour vous ouvrir le chemin plus libre,
marquant le sentier que vous deviez suivre par un trait d'une lumière céleste.
Combien devez-vous faire d'efforts, combien rechercher d'agréments pour vous
conserver à jamais une affection si ardente ?
C'est ici qu'il faut vous dire
un secret de la grâce que je vous prêche, et de l'amour du Fils de Dieu que je
vous annonce. C'est que son amour ne continue pas ainsi qu'il commence; et la
différence consiste en ce point, que pour commencer à nous aimer, il ne nous
demande point de mérites; mais pour le continuer, il nous en demande. Saint
Augustin vous le dira mieux : « Il a aimé
1 Matth., II, 19.
499
notre âme, dit ce saint évêque, toute laide qu'elle était
par ses crimes- mais il l'a aimée, poursuit-il, afin de l'embellir par les
bonnes œuvres : » Fœdos dilexit, ut pulchros faceret (1). Et ailleurs,
plus élégamment : « Il nous a aimés, nous dit-il, dans le temps que nous lui
déplaisions, mais c'était afin de produire en nous ce qui est capable de lui
plaire : » Displicentes amati sumus, ut esset in nobis undè placeremus
(2). Il vous a choisie, ma très-chère Sœur, par un amour gratuit, par une bonté
prévenante, par un pur effet de miséricorde. Comme il a voulu venir de lui-même
, il n'a point fallu d'agrément pour l'attirer; mais il en faut nécessairement
pour le retenir. Mais quelles grâces, quels agréments pourront vous conserver
cet Epoux céleste, qui est lui-même si accompli et le plus beau des enfants des
hommes (3)? Il faut vous dire encore en un mot que vous ne manquerez jamais
d'agrément pour lui, tant que vous aurez soin de conserver pure la virginité
chrétienne que vous lui vouez aujourd'hui. Si vous voulez entendre, mes Sœurs,
combien la virginité lui est agréable, vous n'avez qu'à méditer attentivement
les mystères que nous honorons durant ces saints jours. Quel est le sujet de ces
fêtes ? qu'est-ce que l'Eglise nous y représente? Un Dieu qui descend sur la
terre : c'est la sainte virginité qui a eu la force de l'attirer. Un Dieu qui
naît d'une femme, ex muliere (4) ; mais la sainte virginité l'a purifiée,
afin que le Saint-Esprit opérât sur elle. Un Dieu qui prend une chair humaine ;
mais il ne l'aurait pas revêtue si cette chair n'eût été ornée de toute la
pureté d'un sang virginal. Et de peur que vous ne croyiez que c'est trop flatter
la virginité que de lui attribuer un si grand ouvrage , tâchons d'éclaircir
cette vérité par un beau principe tiré de la doctrine des Pères.
Ils nous représentent la
virginité comme une espèce de milieu entre les esprits et les corps; et saint
Augustin l'entend de la sorte, lorsqu'il parle en ces termes des vierges sacrées
: « Elles ont, dit-il, en la chair quelque chose qui n'est pas de la chair, » et
qui tient de l’ange plutôt que de l'homme : Habent aliquid jam non carnis
1 In
Joan., tract. X, n. 18. — 2 Ibid., tract.
CII, n. 5. — 3 Psal. XLIV, 3. — 4 Galat., IV,
4. '
500
in carne (1). Les esprits et les corps, voilà les
extrémités opposées; la virginité, voilà le milieu qui participe de l'une et de
l'autre. Elle est en la chair, dit saint Augustin ; c'est par là qu'elle tient
aux hommes : mais elle a, dit-il, dans la chair quelque chose qui n'est pas de
la chair, c'est par là qu'elle touche aux anges : tellement qu'elle est le
milieu entre les esprits et les corps. C'est une perfection des hommes; mais
c'est un écoulement de la vie des anges. Et ce beau principe étant supposé, je
ne m'étonne pas, chrétiens, si la sainte virginité est intervenue pour unir,
dans le mystère de l'Incarnation, la divinité à la chair. Il y avait trop de
disproportion entre la corruption de nos corps et la beauté immortelle de cet
esprit pur : tellement que, pour mettre ensemble deux natures si éloignées, il
fallait auparavant trouver un milieu dans, lequel elles s'approchassent.
Il est tout trouvé, chrétiens,
et la sainte virginité peut faire ce grand effet par son entremise. Et s'il
m'est permis aujourd'hui d'expliquer un si grand mystère par l'exemple des
choses sensibles, j'en trouve quelque crayon imparfait dans la lumière qui nous
éclaire. Il n'est rien de plus opposé que la lumière et les corps opaques. La
lumière tombant dessus ne les peut jamais pénétrer, parce, que leur obscurité la
repousse : il semble au contraire qu'elle s'en retire en réfléchissant ses
rayons. Mais lorsqu'elle rencontre un corps transparent, elle y entre, elle s'y
unit, parce qu'elle y trouve l'éclat et la transparence qui approche de sa
nature et a quelque chose de sa clarté. Ainsi nous pouvons dire, Messieurs , que
la divinité du Fils de Dieu voulant s'unir à un corps mortel, demandait en
quelque façon que la virginité se mît entre deux, parce qu'ayant quelque chose
de spirituel, elle a pu préparer la chair à être unie à cet esprit pur.
Je ne le dis pas de moi-même :
c'est un saint évêque d'Orient qui m'a donné ouverture à cette pensée ; et voici
ses propres paroles tirées fidèlement de son texte : « C'est, dit-il, la
virginité qui fait que Dieu ne refuse pas de venir vivre avec les hommes : c’est
elle qui donne aux hommes des ailes pour prendre leur vol du côté du ciel ; et
étant le lien sacré de la familiarité de l'homme
1 De sanctâ Virginit., n.
12
501
avec Dieu, elle accorde par son entremise des choses si
éloignées par nature (1). » S'il est ainsi, et n'en doutons pas , puisque de si
grands hommes le disent, puisque nous le voyons par tant de raisons ne croyez
pas, ma très-chère Sœur, que vous puissiez jamais manquer d'agrément pour Jésus
votre Epoux céleste, tant que vous porterez en vous-même ce qui l'a attiré du
ciel en la terre. La bonté de Dieu est sans repentance : ce qu'il aime, il
l'aime toujours ; et ayant cherché une fois avec tant d'ardeur la pureté
virginale, il a toujours pour elle le même transport. Et aussi voyons-nous dans
son Ecriture qu'il la veut toujours avoir en sa compagnie : « Car les vierges
suivent l'Agneau partout : » Sequuntur Agnum quocumquè ierit (2). Soyez
donc vierge d'esprit et de corps. Ainsi un chaste agrément vous conservera ce
que la grâce de votre Epoux vous a accordé : vous aurez toujours son affection,
et vous n'offenserez pas sa jalousie. Il faut encore parler en un mot de cette
jalousie de l'Epoux céleste , et c'est par où je m'en vais conclure.
TROISIÈME POINT.
Que Dieu soit jaloux, chrétiens,
il s'en vante si souvent dans son Ecriture, qu'il ne nous permet pas de
l'ignorer. C'est une des qualités qu'il se donne dans le Décalogue : « Je suis,
dit-il, le Seigneur ton Dieu, Dieu fort et jaloux : » Deus tuus, fortis et
zelotes (3). Et cette qualité de jaloux est si naturelle à Dieu, qu'elle
fait un de ses noms, comme il est écrit en l'Exode : Dominus zelotes, nomen
ejus (4) : « Son nom est le Seigneur jaloux. » Il paraît donc assez que Dieu
est jaloux , et peu de personnes l'ignorent : mais que l'ouvrage de notre salut,
que le mystère de Rédemption, que nous honorons durant ces saints jours, soit un
effet de sa jalousie , c'est ce que vous n'avez pas peut-être encore entendu et
qu'il est nécessaire que je vous explique, puisque mon sujet m'y conduit.
Ce n'est pas moi qui le dis ;
c'est Dieu qui nous en assure en termes exprès par la bouche de son prophète
Isaïe : De Jerusalem
1 S. Greg. Nyss., Orat. de Virg., cap. II. — 2
Apoc., XIV, 4.— 3 Exod., XX, 5. — 4 Exod.,
XXXIV, 14.
502
exibunt reliquiœ, et salvatio de monte Sion : zelus
Domini exercituum faciet istud (1) : « Dans les ruines de Jérusalem il
restera un grand peuple que Dieu délivrera de la mort ; le salut paraîtra en la
montagne de Sion : la jalousie du Dieu des armées fera cet ouvrage. » Après des
paroles si claires, il n'est pas permis de douter que le mystère de notre salut
ne soit un effet de jalousie : mais de quelle sorte cela s'accomplit, il n'est
pas fort aisé de le comprendre. Car, mes Sœurs, que la jalousie du Dieu des
armées le porte à châtier ceux qui le méprisent, je le conçois sans difficulté ;
c'est le propre de la jalousie. Et je remarque aussi dans les saintes Lettres
que Dieu n'y parle guère de sa jalousie, qu'il ne nous fasse en même temps
craindre ses vengeances. « Je suis un Dieu jaloux, dit le Seigneur : » Deus
fortis, zelotes ; et il ajoute aussitôt après : « Vengeant les iniquités des
pères sur les enfants : » Visitans iniquitates patrum in filios (2). «
Dieu est jaloux, » dit Moïse; et il dit dans le même lieu que « Dieu est un feu
consumant; l'ardeur de sa jalousie brûle les pécheurs : » Dominus Deus tuus
ignis consumens est, Deus œmulator (3). Et le prophète Nahum a joint ces
deux choses : « Le Seigneur est un Dieu jaloux, et le Seigneur est un Dieu
vengeur : » Deus œmulator et ulciscens Dominus (4) ; tant ces deux
qualités sont inséparables.
Que s'il est ainsi, chrétiens ,
se peut-il faire que nous rencontrions le principe de notre salut dans la
jalousie, qui semble être la source des vengeances? Et après que le prophète a
uni un Dieu jaloux et un Dieu vengeur, oserons-nous espérer de trouver ensemble
un Dieu jaloux et un Dieu sauveur? Néanmoins il est véritable : ce qui a sauvé
le peuple fidèle, c'est la jalousie du Dieu des armées ; vous l'avez ouï de sa
propre bouche : Zelus Domini exercituum faciet istud (5). Mais il ne vous
faut plus tenir en suspens ; il est temps d'expliquer un si grand mystère. Un
excellent auteur de l'antiquité nous en va donner l'ouverture : ce grand homme,
c'est Tertullien. Il dit que Dieu a recouvré (a) son image, que «le
diable avait enlevée, par une opération de jalousie : »
1 Isa., XXXVII, 32. — 2 Exod.,
XX, 5. — 3 Deut., IV, 24. — 4 Nahum., I, 2. — 5 Isa.,
XXXVII, 32.
(a) Var. ; Délivré.
503
Deus imaginem suam à diabolo captam œmulà operatione
recuperavit (1). Voilà peu de paroles, Messieurs ; mais elles renferment un
sens admirable qu'il faut tâcher de développer.
Pour cela il est nécessaire de
reprendre les choses d'un plus haut principe, et de rappeler en votre mémoire la
témérité de cet ange, qui par une audace inouïe a voulu s'égaler à Dieu et se
placer jusque dans son trône. Repoussé de sa main puissante et précipité dans
l'abîme, il ne peut quitter le premier dessein de son audace démesurée ; il se
déclare hautement le rival de Dieu. C'est ainsi que Tertullien l'appelle (2)
Aemulus Dei, « le jaloux, le rival de Dieu. » Il se veut faire adorer en sa
place : il n'a pu occuper son trône, il lui veut enlever son bien. Il entre dans
le paradis terrestre, furieux et désespéré : il y trouve l'image de Dieu,
c'est-à-dire l'homme, image chérie et bien-aimée, que Dieu avait faite de sa
propre main ; il la séduit, il la corrompt. Surprise par ses flatteries, elle
s'abandonne à lui. La parjure qu'elle est, l'ingrate et l'infidèle qu'elle est,
au milieu des bienfaits de son Epoux, dans le lit même de son Epoux (
pardonnez-moi la hardiesse de cette parole, que je ne trouve pas encore assez
forte pour exprimer l'indignité de cette action), dans le lit même de son Epoux
, elle se prostitue à son rival. O insigne infidélité ! ô lâcheté sans pareille
! Fallait-il quelque chose de plus que cette honteuse prostitution faite à la
face de Dieu, pour l'excitera jalousie? Il s'y excite en effet. Mon Epouse s'est
fait enlever ; mon image s'est laissé corrompre, elle que j'avais faite avec
tant d'amour, dont j'avais moi-même formé tous les traits, que j'avais animée
d'un souffle de vie sorti de ma propre bouche.
Que fera, mes Frères, ce Dieu
fort et jaloux, irrité d'un si infâme abandonnement? Que fera-t-il à cette
Epouse, qui a méprisé un si grand amour et offensé si fortement sa jalousie?
Certainement il pouvait la perdre. Mais, ô jalousie miséricordieuse ! il a mieux
aimé la sauver. O rival, je ne veux point qu'elle soit ta proie ; je ne la puis
souffrir en tes mains : ce spectacle indigne irrite mon cœur, et le provoque à
jalousie. Piqué de ce sentiment, il court après pour la retirer : il descend du
ciel en la terre, pour
1 De carne Christi, n. 17. — 2 De Spect., n.
2.
504
chercher son Epouse qui s'y est perdue. Il vient nous
sauver des mains de Satan, jaloux de nous voir en sa puissance. Vous l'avez vu
ces jours passés naître en Bethléem ; il vous a fait annoncer par ses anges
qu'il était votre Sauveur : la jalousie du Dieu des armées a fait cet ouvrage.
Certes cette manière admirable dont il se sert pour nous retirer montre assez ,
si nous l'entendons, que c'est la jalousie qui le fait agir. Car considérez, je
vous prie, qu'il n'envoie pas ses anges pour nous délivrer; il y vient lui-même
en personne : Deus ipse veniet et salvabit vos (1). Et cela pour quelle
raison, si ce n'est afin que nous comprenions que c'est à lui que nous devons
tout ; et que nous lui consacrions tout notre amour, comme nous tenons de lui
seul tout notre salut?
C'est pourquoi nous voyons dans
son Ecriture qu'il n'est pas moins jaloux de sa qualité de Sauveur, que de celle
de Seigneur et de Dieu. Ecoutez comme il en parle, Messieurs : Ego Dominus,
et non est ultra Deus absque me : Deus justus et salvans, non est prœter me
(2) : « Je suis le Seigneur, et il n'y a point d'autre Dieu que moi : je suis le
Dieu juste, et personne ne vous sauvera que moi. » Il me semble que ce Dieu
jaloux adresse sa voix , comme un amant passionné, à la nature humaine infidèle
: O volage , ô prostituée, qui m'as quitté pour mon ennemi ! n'est-ce pas moi
qui suis le Seigneur? et il n'y a point de Dieu que moi. Regarde qu'il n'y a que
moi qui te sauve ; et si tu m'as oublié après t'avoir créée, reviens du moins
quand je te délivre. Voyez, mes Frères, comme il est jaloux de la qualité de
Sauveur. Et ailleurs, se glorifiant de l'ouvrage de notre salut : C'est moi,
c'est moi, dit-il, qui l'ai fait : ce ne sont ni mes anges, ni mes archanges, ni
aucune des vertus célestes : « C'est moi seul qui l'ai fait, c'est moi seul qui
vous porterai sur mes épaules, c'est moi seul qui vous sauverai : » Ego feci,
ego feram, ego portabo, ego salvabo (3). Tant il est jaloux de cette gloire,
tant notre délivrance lui tient au cœur, tant il craint que nos affections ne se
partagent.
Et c'est pour cette même raison
qu'il nous fait, dit saint Chrysostome (4), des présents si riches. Il voit que
nous recevons à pleines
1 Isa., XXXV, 4. — 2 Isa., XLV, 21. — 3
Isa., XLVI, 4. — 4 In epist. I ad Cor., hom. XXIV, n. 2.
505
mains les présents de son rival qui nous séduit : il nous
amuse par une pomme, il nous gagne par des biens trompeurs qui n’ont qu'une
légère apparence. Chrétiens, il en est jaloux. Quoi! l'on préfère des présents
si vains à tant de bienfaits si considérables ! Que fera-t-il, dit saint
Chrysostome? Il fera comme un amant passionné, qui voyant celle qu'il recherche
gagnée par les présents des autres prétendants , multiplierait aussi les siens
sans mesure pour emporter le dessus et la dégoûter des présents des autres :
ainsi fait le Sauveur Jésus. Pour détourner nos yeux et nos cœurs des
libéralités trompeuses de notre ennemi, il redouble ses dons jusqu'à l'infini,
il nous donne son Esprit et sa grâce, il nous donne son trône et sa gloire, il
nous donne son royaume et son héritage, il nous donne sa personne et sa vie, il
nous donne son corps et son sang. Et que ne nous donne-t-il pas? Voyez , voyez,
dit-il, si cet autre prétendant que vous écoutez ; voyez s'il pourra égaler une
telle munificence. A quelque prix que ce soit, il est résolu de gagner nos
cœurs; et nous voudrions nous défendre d'une jalousie si obligeante l J'en ai
dit assez pour vous faire voir que le Dieu Sauveur est jaloux, et qu'il nous
sauve par sa jalousie , œmulà operatione. Mais s'il en a l'ardeur et les
transports, il en a aussi les regards et la vigilance.
Il a, ma Sœur, des yeux de
jaloux toujours ouverts pour veiller sur vous, pour étudier tous vos pas, pour
observer toutes vos démarches ; et sans m'engager dans de longues preuves d'une
vérité si constante, considérez seulement l’état où vous êtes. Et ces grilles,
et cette clôture, et tant de contraintes différentes, n'est-ce pas assez pour
vous faire comprendre combien sa jalousie est délicate? Il vous renferme
soigneusement, il rend de toutes parts l'abord difficile, il observe jusqu'à vos
regards; et ce voile, qu'il met sur votre tête, montre assez qu'il est jaloux et
de ceux qu'on jette sur vous, et de ceux que vous jetez sur les autres. Il
compte tous vos pas, il règle votre conduite jusqu'aux moindres choses : ne
sont-ce pas des actions d'un amant jaloux ? Il n'en fait pas ainsi à tous les
fidèles ; mais c'est que s'il est jaloux de tous les autres, il l'est beaucoup
plus de ses Epouses. Etant donc ainsi observée de près, pour vous garantir des
effets d'une jalousie si délicate, il
506
ne vous reste, ma chère Sœur, qu'une obéissance toujours
ponctuelle et un entier abandonnement de vos volontés. Marchez par la voie qu'il
vous prescrit, par la règle qu'il vous a donnée : écoutez son ange qui vous
avertit ; ce sont vos supérieurs qui tiennent sa place. Vivant de la sorte, ma
Sœur, espérez tout de son amour, et n'appréhendez rien de sa jalousie. Il serait
trop long de parler de l'obéissance; ce mot suffira. Il faut finir par une
réflexion sur la jalousie.
Sachez donc que ce Dieu jaloux
veut que ses fidèles le soient aussi, et qu'une sainte jalousie nous soit comme
un aiguillon pour nous exciter à son service. Ecce venio citò ; tene quod
habes, ut nemo accipiat coronam tuam (1) : « Je viendrai bientôt; tenez
fortement ce qui a été mis en vos mains, de peur que votre couronne ne soit
donnée à un autre. » Pourquoi parle-t-il de la sorte? pourquoi nous destiner une
couronne qui doit briller sur une autre tête? Que ne la destinait-il tout
d'abord à celui qui la devait enfin obtenir? Pour nous exciter à jalousie? C'est
ainsi qu'il a fait à l'égard des Juifs. Dieu a appelé les Gentils pour exciter
les Juifs à jalousie, de peur qu'ils ne perdissent la place que tant d'oracles
divins leur avaient promise. « Leur chute est devenue une occasion de salut aux
Gentils, afin que l'exemple des Gentils leur donnât de l'émulation pour les
suivre : » Illorum delicto salus est Gentibus, ut illos œmulentur. « Tant
que je serai l'apôtre des Gentils, dit saint Paul, je travaillerai à rendre
illustre mon ministère, pour tâcher d'exciter de l'émulation dans l'esprit des
Juifs qui me sont unis selon la chair et d'en sauver quelques-uns : » Quamdiù
ego sum Gentium apostolus, ministerium meum honorificabo : si quomodo ad
œmulandum provocem carnem meam, et salvos faciam aliquos ex illis (2). Comme
un père, dit saint Chrysostome (3), qui appelle son fils pour le caresser, ce
fils mutin et opiniâtre refuse ses embrassements, il en fait approcher un autre,
et il attire par la jalousie celui que l'amour n'avait pas gagné. Que tel ait
été le dessein de Dieu, il nous le déclare lui-même formellement par la bouche
de Moïse : « Ils m'ont, dit-il, piqué de jalousie, en adorant
1 Apoc., III, 11. — 2
Rom., XI, 11, 13, 14. — 3 In
Epist. ad Rom., hom. XVIII, n.3.
507
ceux qui n'étaient point dieux , et ils m'ont irrité par
leurs vanités sacrilèges; et moi je les piquerai aussi de jalousie, en aimant
ceux qui ne forment pas un peuple, et je les irriterai en substituant à leur
place une nation insensée : » Ipsi me provocaverunt in eo qui non erat Deus,
et irritaverunt in vanitatibus suis; et ego provocabo eos in eo qui non est
populus, et in gente stultà irritabo illos (1).
Cet innocent artifice de sa
bonté paternelle a été inutile aux Juifs. Dieu leur a voulu donner de la
jalousie pour les enflammer à le suivre,; ils l'ont refusé. Vive Dieu, dit le
Seigneur; cette jalousie fera leur supplice. « Ce sera alors, leur dit
Jésus-Christ, qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents, » quand vous
verrez qu'Abraham, Isaac, Jacob et tous les prophètes seront dans le royaume de
Dieu, et que vous autres vous serez chassés dehors : Ibi erit fletus et
stridor dentium. « Il en viendra d'Orient et d'Occident, du Septentrion et
du Midi, qui auront place au festin dans le royaume de Dieu : alors ceux qui
sont les derniers seront les premiers, et ceux qui sont les premiers seront les
derniers : » Et venient ab Oriente et Occidente, et Aquilone et Austro, et
accumbent in regno Dei : et ecce sunt novissimi qui erant primi, et sunt primi
qui erant novissimi (2). « Les enfants du royaume seront jetés dans les
ténèbres extérieures : » Filii autem regni ejicientur in tenebras exteriores
(3). La jalousie, et ensuite la rage et le désespoir : Ibi erit fletus et
stridor dentium. L'un des grands supplices des damnés sera de voir la place
qui était destinée pour eux : — Que ce trône est auguste! que cette couronne est
brillante! Elle était préparée pour moi, et je l'ai perdue parce misérable
plaisir d'un moment. — Chrétien, où est ton courage?
« Tenez donc, ma Sœur, fortement
ce qui a été mis entre vos mains, de peur que votre couronne ne soit donnée à un
autre : » Tene quod habes, ut nemo accipiat coronam tuam. La couronne de
l'Epoux appartient en quelque sorte à l'Epouse ; ne la perdez pas : songez au
mépris que l'on a pour une Epouse répudiée....
1 Deut., XXXII, 21. — 2 Luc., XIII, 28-30. —
3 Matth., VIII, 11.
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