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QUATRIÈME SERMON
POUR
LE DIMANCHE DES RAMEAUX,
SUR LA JUSTICE (a).
Exulta satis, filia Sion ; jubila, filia Jerusalem :
ecce Rex tuus venit tibi justus et salvator.
Réjouissez-vous, ô Jérusalem : votre roi juste et sauveur
vient à vous. Zachar. IX, 9.
La prophétie que j'ai récitée se rapporte manifestement à
l'entrée que fait aujourd'hui le Sauveur des âmes dans la ville de
1 III Reg., XII, I.
(a) Var. : Faites qu'il la trouve; et quand
il saura la vérité, vous lui avez fait...
(b) Prêché en 1666, à Saint-Germain-en-Laye, devant
le roi.
Nous savons que le troisième sermon pour le dimanche des
Rameaux a été prêché en 1662; le quatrième l'a donc été en 1666, puisque Bossuet
n'a prêché que deux Carêmes devant la Cour.
Il demandait la réforme de la justice en 1662; voici
comment il en parle en 1666 : « O sainte réformation de l'état de la justice...,
puisses-tu être aussi heureusement accomplie que tu as été sagement entreprise!
» Pareillement en 1662 il dit au roi : « Sire, vous savez les besoins de vos
peuples, le fardeau excédant ses forces dont il est chargé; » en 1666 il lui
adresse ces paroles : « Sire vous qui êtes sur la terre l'image vivante de la
Majesté suprême, imitez sa justice et sa bonté, afin que l'univers admire en
votre personne sacrée un roi juste et un roi sauveur, à l'exemple de
Jésus-Christ; un roi juste qui rétablisse les lois, un roi sauveur qui soulage
les misères. »
Dans un autre endroit, l'orateur loue « l'invincible
fermeté » qui a détruit une coutume barbare, le duel; et tous les éditeurs
remarquent dans une note, après Déforis, qu'il s'agit là d'un édit porté par
Louis XIV en 1679 : ignoraient-ils donc que Bossuet, précepteur du Dauphin, ne
paraissait plus dans la chaire à cette époque, el que le Carême de 1666 est le
dernier qu'il a prêché?
Disons encore que le grand orateur a écrit deux fois le
premier et le troisième point, et que les mêmes éditeurs avaient mêlé ces deux
rédactions.
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Jérusalem. Le prophète, pour célébrer dignement le triomphe
de ce Roi de gloire, lui donne ces deux grands éloges, qu'il est juste et qu'il
est sauveur ; c'est-à-dire qu'il unit ensemble, pour l'éternelle félicité du
genre humain, ces deux qualités vraiment royales ou plutôt vraiment divines, la
justice et la bonté. Au bruit des acclamations que fait retentir le peuple juif
en l'honneur de ce Roi juste et sauveur, je me sens invité, Messieurs, à vous
parler en ce jour (a) de ce puissant appui des choses humaines, je veux
dire la justice, et de vous la faire voir comme elle doit être, avec le
nécessaire tempérament de la bonté et de la clémence (b).
De tous les sujets que j'ai
traités, celui-ci me paraît le plus profitable , mais je ne puis vous dissimuler
qu'il m'étonne par son importance et m'accable presque de son poids. Car encore
que la justice soit nécessaire à tous les hommes dont elle doit faire la loi
immuable, il est vrai qu'elle enferme en particulier les principales obligations
(c) des personnes les plus importantes. Et, Messieurs, je n'ignore pas
avec quelle considération (d) et quelle crainte on doit non-seulement
traiter, mais encore regarder tout ce qui les touche, même de loin et en
général. Mais, Sire, votre présence (e), qui devrait m'étonner dans ce
discours, me rassure et m'encourage. Pendant que toute l'Europe admire votre
justice et qu'elle est le plus ferme fondement sur lequel le monde se repose (f),
vos sujets ne connaîtraient pas le bonheur qu'ils ont d'être nés sous votre
empire, s'ils appréhendaient de parler devant leur monarque d'une vertu qui fait
sa gloire, aussi bien que sa plus puissante inclination. Je confesserai
toutefois que si j'étais dans une place en laquelle il me fût permis de régler
mes paroles suivant
(a) Var. : Aujourd'hui. — (b) De la
clémence et de la bonté. — (c) Qu'elle enferme principalement les plus
étroites obligations. — (d) Quel respect. — (e) La majesté de
votre présence. — (f) Et se repose sur votre équité et sur votre foi de
«es plus grands intérêts.
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mes désirs, je me satisferais beaucoup davantage en faisant
des panégyriques qu'en proposant des instructions. Mais comme le lieu où je suis
m'avertit que je dois ma voix tout entière au Saint-Esprit qui m'ouvre la
bouche, j'exposerai (a) aujourd'hui non point mes pensées, mais ses
préceptes, avec cette secrète satisfaction qu'en récitant ses divins oracles en
qualité de prédicateur, je ne laisserai pas de rendre en mon cœur un hommage
profond à votre justice en qualité de sujet. Mais je m'arrête déjà trop
longtemps : affermi par cette pensée, je cours où cet Esprit tout-puissant
m'appelle; et je cours premièrement à lui-même, pour lui demander ses lumières
par les saintes intercessions de la bienheureuse Vierge. Ave, Maria.
Quand je nomme la justice, je
nomme en même temps le lien sacré de la société humaine, le frein nécessaire de
la licence, l'unique fondement du repos, l'équitable tempérament de l'autorité
et le soutien favorable de la sujétion. Quand la justice règne, la foi se trouve
dans les traités, la sûreté dans le commerce, la netteté dans les affaires,
l'ordre dans la police ; la terre est en repos, et le ciel même pour ainsi dire
nous luit plus agréablement et nous envoie de plus douces influences. La justice
est la vertu principale et le commun ornement des personnes publiques et
particulières; elle Commande dans les uns, elle obéit dans les autres ; elle
renferme chacun dans ses limites ; elle oppose une barrière invincible aux
violences et aux entreprises ; et ce n'est pas sans raison que le Sage lui donne
la gloire de soutenir les trônes et d'affermir les empires, puisqu'en effet elle
affermit non-seulement celui des princes sur leurs sujets, mais encore celui de
la raison sur les passions et celui de Dieu sur la raison même : Justitia
firmatur solium (1). Faisons paraître aujourd'hui cette reine des vertus
dans cette chaire royale ou plutôt dans cette chaire évangélique et divine où
Jésus-Christ, qui est appelé par le prophète Joël « le Docteur de la justice, »
en enseigne les maximes à tout le monde : Dedit vobis Doctorem justitiœ
(2).
1 Prov., XVI, 12. — 2 Joël., 11, 23.
(a) Je rapporterai.
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Mais si la justice est la reine
des vertus morales, elle ne doit point paraître seule : aussi la verrez-vous
dans son trône servie et environnée de trois excellentes vertus, que nous
pouvons appeler ses principales ministres, la constance, la prudence et la honte
(a). La justice doit être attachée aux règles, autrement elle est inégale
dans sa conduite; elle doit connaître le vrai et le faux dans les faits qu'on
lui expose, autrement elle est aveugle dans son application ; enfin elle doit se
relâcher quelquefois et donner quelque lieu à l'indulgence, autrement elle est
excessive et insupportable dans ses rigueurs. La constance l'affermit dans les
règles (b), la prudence l'éclairé dans les faits, la bonté (c) lui
fait supporter les misères et les faiblesses. Ainsi la première la soutient, la
seconde l'applique, la troisième la tempère (d) ; toutes trois la rendent
parfaite et accomplie par leur concours. C'est ce que j'espère de vous faire
voir dans les trois parties de ce discours.
PREMIER POINT.
Si je voulais remonter jusqu'au
principe, il faudrait vous dire, Messieurs, que c'est en Dieu premièrement que
se trouve la justice, et que c'est de cette haute origine qu'elle se répand
parmi les hommes. Là il me serait aisé de vous faire voir que Dieu étant
souverainement juste, il gouverne et le monde en général, et le genre humain en
particulier par une justice éternelle ; et que c'est cette attache immuable
qu'il a à ses propres lois, qui fait remarquer dans l'univers un esprit
d'uniformité et d'égalité qui se soutient de soi-même au milieu des agitations
et des changement (e) infinis de la nature muable. Ensuite nous verrions,
Messieurs, comme la justice découle sur nous de cette source céleste (f),
pour faire en nos âmes l'un des plus beaux traits de la divine ressemblance; et
de là nous conclurions que nous devons imiter par un amour ferme et inviolable
de l'équité et des lois, dette constante uniformité (g) de la justice
divine. Ainsi il n'y
(a) Var. : Et la clémence. — (b) Les
maximes. — (c) Le clémence. — (d) Ainsi la constance a soutient,
la prudence l'applique, la clémence la tempère. — (e) Variétés.— (f)
De cette divine source.— (g) L'immuable uniformité.....
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aurait pas lieu de douter que la justice ne dût être
constante (a).
Mais comme je me propose de
descendre par des principes connus à des vérités de pratique, je laisse toutes
ces hautes spéculations pour vous dire, chrétiens, que la justice étant définie,
comme tout le monde sait, « une volonté constante et perpétuelle de donner à
chacun ce qui lui appartient : » Constans et perpetua voluntas jus suum
cuique tribuendi (1) ; il est aisé de connaître que l'homme juste doit être
ferme, puisque même la fermeté est comprise dans la définition de la justice.
Et certainement, chrétiens,
comme par le nom de vertu nous prétendons désigner non quelque acte passager, ou
quelque disposition changeante, mais quelque chose de fixe et de permanent,
c'est-à-dire une habitude formée, il est aisé de juger que quelque inclination
que nous ayons pour le bien, elle ne mérite pas le nom de vertu, jusqu'à ce
qu'elle se soit affermie (b) constamment dans notre cœur et qu'elle ait
pris, pour ainsi parler, tout à fait racine. Mais outre cette fermeté que doit
tirer la justice du génie commun de la vertu, elle y est encore obligée par son
caractère particulier, à cause qu'elle consiste dans une certaine égalité envers
tous, qui demande pour se soutenir, un esprit ferme et vigoureux , qui ne puisse
être ébranlé par la complaisance, ni par l'intérêt, ni par aucune autre
faiblesse humaine (c).
En effet il est remarquable (d)
que si l'on ne marche d'un pas égal dans le chemin de la justice, ce qu'on fait
même justement devient odieux. Par exemple, si un magistrat n'exagère la rigueur
des ordonnances que contre ceux qui lui déplaisent ; si un bon droit (e)
lui paraît toujours embrouillé, jusqu'à ce que le riche parle; si le pauvre,
quelque effort qu'il fasse, ne peut jamais se faire entendre (f) et se
voit malheureusement distingué d'avec le puissant dans un intérêt qu'ils ont
commun, c'est en vain que ce magistrat se vante quelquefois d'avoir bien jugé :
l'inégalité de sa conduite fait que la justice n'avoue pas pour sien même ce
1 Instit., lib. I, titul. 1.
(a) Var. : Sans quoi nous ne pourrions
soutenir le nom et la dignité de la justice.— (b) Etablie. — (c)
Un esprit ferme et vigoureux, et une résolution arrêtée de ne s'écarter jamais
des maximes justement posées — (d) Il est véritable. — (e) Une
bonne affaire. — (f) Se bien expliquer.
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qu'il fait selon les règles; elle a honte de ne lui servir
que de prétexte (a); et jusqu'à ce qu'il devienne égal à tous, la justice
qu'il refuse à l'un (b) convainc d'une manifeste partialité celle qu'il
se glorifie de rendre à l'autre.
Mais il y a encore une autre
raison qui a obligé les jurisconsultes à faire entrer la fermeté dans la
définition de la justice, c'est pour l'opposer davantage à son ennemi capital,
qui est l'intérêt. L'intérêt, comme vous savez, n'a point de maximes fixes; il
suit les inclinations, il change avec les temps, il s'accommode aux affaires,
tantôt ferme, tantôt relâché, et ainsi toujours variable. Au contraire l'esprit
de justice est un esprit de fermeté, parce que pour devenir juste, il faut
entrer dans l'esprit qui a fait les lois; c'est-à-dire dans un esprit immortel,
qui s'élevant au-dessus des temps et des affections particulières, subsiste
toujours égal malgré le changement des affaires.
Concluons donc, chrétiens, que
la justice doit être ferme et inébranlable; mais pour descendre au détail de ses
obligations, disons que le genre humain étant partagé en deux conditions
différentes, je veux dire entre les personnes publiques et les personnes
particulières, c'est le devoir commun des uns et des autres de garder
inviolablement la justice ; mais que ceux qui ont en main ou le tout, ou quelque
partie de l'autorité publique, ont cela de plus, qu'ils sont obligés d'être
fermes non-seulement à la garder, mais encore à la protéger et à la rendre.
Parlons premièrement à tous les
hommes, et disons-leur à tous de la part de Dieu (c) : O hommes, quels
que vous soyez et quelque sort qui vous soit échu par l'ordre de Dieu dans le
grand partage qu'il a fait du monde, soit que sa providence vous ait laissés
dans le repos (d) d'une vie privée, soit que vous tirant du pair, elle
ait mis sur vos épaules (e) avec de grandes charges de grands périls et
de grands comptes à rendre ; puisque vous vivez tous en société sous l'empire
suprême de Dieu, n'entreprenez rien les uns sur les autres et écoutez les belles
paroles que vous adresse à tous
(a) Var. : De lui servir de prétexte. — (b)
Qu’il refuse au faible et à celui qui lui est indifférent convainc... — (c)
Je parle premièrement à tous les hommes, et je leur dis a tous... — (d)
Dans l'état. — (e) Elle vous ait imposé.
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le divin Psalmiste : Si verè utique justitiam
loquimini, recta judicate, filii hominum (1) : « Si c'est véritablement que
vous parlez de la justice, jugez donc droitement, ô enfants des hommes. »
Permettez-moi, chrétiens, de paraphraser ces paroles sans me départir toutefois
du sens littéral (a), et de vous dire avec David : O hommes, vous avez
toujours à la bouche l'équité et la justice (b) ; dans vos affaires, dans
vos assemblées, dans vos entretiens , on entend partout retentir ce nom sacré ;
et si peu qu'on vous blesse dans vos intérêts (c), vous ne cessez
d'appeler la justice à votre secours : mais si c'est sincèrement et de bonne foi
que vous parlez de la sorte, si vous regardez la justice comme l'unique asile (d)
de la vie humaine, et que vous croyiez avoir raison de recourir (e),
quand on vous fait tort, à ce refuge commun du bon droit et de l'innocence,
jugez-vous donc vous-mêmes équitablement, contenez-vous dans les limites (f)
qui vous sont données , et ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas
qu'on vous fasse. Car en effet, chrétiens, qu'y a-t-il de plus violent et de
plus inique que de crier à l'injustice et d'appeler toutes les lois à notre
secours, si peu qu'on nous touche (g), pendant que nous ne craignons pas
d'attenter (h) hautement sur le droit d'autrui ; comme si ces lois que
nous implorons ne servaient qu'à nous protéger et non pas à nous instruire de
nos obligations envers les autres, et que la justice n'eût été donnée que comme
un rempart pour nous couvrir, et non comme une borne posée pour nous arrêter et
comme une barrière pour nous renfermer dans nos devoirs réciproques (i) ?
Fuyons un si grand excès ;
gardons-nous bien d'introduire dans ce commerce des choses humaines (j)
cet abus tant réprouvé par les saintes Lettres : deux mesures, deux balances,
deux poids inégaux; une grande mesure pour exiger ce qui nous est dû, une petite
mesure pour rendre ce que nous devons. Car, comme dit
1 Psal. LVII, 2.
(a) Var. : En m'attachant au sens littéral. —
(b) Le nom sacré de la justice. — (c) Dans les moindres choses. —
(d) Règle. — (e) Si vous recourez avec raison. — (f) Dans
les bornes. — (g) Qu'on nous blesse. — (h) D'entreprendre. — (i)
Comme si le nom de justice n'était qu'un rempart pour nous défendre, et non une
barrière pour nous arrêter et nous renfermer dans les devoirs mutuels de la
charité et de la justice. — (j) De la société.
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le prophète, « c'est une chose abominable devant le
Seigneur (1). » Servons-nous de cette mesure commune qui enferme le prochain
avec nous dans la même règle de justice; je veux dire, « faisons, chrétiens,
comme nous voulons qu'on nous fasse : c'est la loi et les prophètes!. » Gardons
l'égalité envers tous, et que le pauvre soit assuré par son bon droit autant que
le riche par son crédit et le grand par sa puissance. Gardons-la en toutes
choses, et embrassons par un soin égal tout ce que la justice ordonne.
Je ne puis ici m'empêcher de
reprendre en passant cet abus commun d'acquitter (a) fidèlement certaines
sortes de dettes , et d'oublier tout à fait les autres. Au lieu de savoir
connaître ce que doit fournir notre source, et ensuite de dispenser sagement ses
eaux par tous les canaux qu'il faut remplir, on les fait couler sans ordre
toutes d'un côté, et on laisse le reste à sec. Par exemple, les dettes du jeu
sont privilégiées; et comme si ses lois étaient les plus saintes et les plus
inviolables de toutes, on se pique d'honneur d'y être fidèle, (b) pendant
qu'on ne craint pas de faire misérablement languir des marchands et des
ouvriers, dont la famille éplorée, que votre vanité réduit à la faim, crie
vengeance devant Dieu (c) contre votre luxe. Ou bien si l'on est soigneux
de conserver du crédit en certaines choses, de peur de faire tarir les ruisseaux
(d) qui entretiennent notre vanité, on néglige les vieilles dettes, on
ruine impitoyablement les anciens amis ; amis malheureux et infortunés, devenus
ennemis par leurs bons offices, qu'on ne regarde plus désormais que comme des
importuns qu'on veut réduire en les fatiguant à des accommodements
déraisonnables, ou à qui l'on croit faire assez de justice, quand on leur laisse
après sa mort les débris d'une maison (e) ruinée et les restes d'un
naufrage que les flots emportent. O droit ! ô bonne foi ! ô sainte équité ! je
vous appelle à témoin contre l'injustice des hommes; mais je vous appelle en
vain ; vous n'êtes presque plus que
1 Prov., XX, 23.— 2 Matth., VII, 12.
(a) C'est de ce même esprit d'inégalité que procède
cet abus commun d'acquitter... — (b) Note marg. : Non point pour
ne tromper pas; car au contraire on ne rougit pas de prendre tous les jours des
avantages frauduleux, mais du moins pour payer exactement, pendant qu'on... (c)
Var. : Crie contre vous devant Bien.— (d) Les fontaines. — (e)
D'une fortune.
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des noms pompeux, et l'intérêt est devenu notre seule règle
de justice.
Intérêt (a), dieu du
monde et de la Cour, le plus ancien, le plus décrié et le plus inévitable de
tous les trompeurs, tu trompes dès l'origine du monde; on a fait des livres
entiers de tes tromperies, tant elles sont découvertes. Qui ne devient pas
éloquent à parler de tes artifices ? Qui ne fait pas gloire de s'en défier ?
Mais tout en parlant contre toi, qui ne tombe pas dans tes pièges ? « Parcourez,
dit le prophète Jérémie, toutes les rues de Jérusalem , considérez
attentivement, et cherchez si vous trouverez un homme droit et de bonne foi : »
Circuit vias Jerusalem, et aspicite, et considerate, et quœrite an inveniatis
virum facientem justitiam, et quœrentem fidem... Quod si etiam: Vivit Dominus,
dixerint, et hoc falsò jurabunt (1). On ne voit plus, on n'écoute plus, on
ne garde plus aucune mesure, quand il s'agit du moindre intérêt. La bonne foi
n'est qu'une vertu de commerce, qu'on garde par bienséance dans les petites
affaires pour établir son crédit, mais qui ne gêne point la conscience quand il
s'agit d'un coup de partie. Cependant on jure, on affirme, on prend à témoin le
ciel et la terre; on mêle partout le saint nom de Dieu, sans aucune distinction
du vrai et du faux : « Comme si le parjure, disait Salvien, n'était plus un
genre de crime (b), mais une façon de parler : » Perjurium ipsum
sermonis genus putat esse, non criminis (2). Au reste on ne songe plus à
restituer le bien qu'on a usurpé contre les lois ; on s'imagine qu'on se le rend
propre par l'habitude d'en user, et on cherche de tous côtés non point un fonds
pour le rendre, mais quelque détour de conscience pour le retenir : on trouve le
moyen d'engager (c) tant de monde dans son parti, et on sait lier
ensemble tant d'intérêts différents, que la justice (d) repoussée par un
si grand concours et par cet enchaînement d'intérêts contraires (e), si
je puis parler de la sorte, « est contrainte de se retirer, comme dit le
prophète Isaïe : la vérité tombe par terre et ne peut plus percer de si grands
obstacles, ni trouver aucune place
1 Jerem., V, 1, 2. — 2 Salvian.,
lib. IV De Gubern. Dei, n. 14, p. 87.
(a) Var. : Mais, ô dangereux intérêt, dieu...
— (b) «Une espèce de crime. »— (c) On engage. — (d) La
vérité. — (e) Cachés.
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parmi les hommes (a) : » Et conversumn est
retrorsùm judicium, et justitia longé stetit, quia corruit in plateà veritas, et
œquitas non potuit ingredi (1).
Dans cette corruption presque
universelle que l'intérêt a faite dans le monde, si ceux que Dieu a mis dans les
grandes places n'appliquent toute leur puissance à soutenir la justice, la terre
sera désolée et les fraudes seront infinies. O sainte réformation de l'état de
la justice, ouvrage digne du grand génie du Monarque qui nous honore de son
audience, puisses-tu être aussi heureusement accomplie que tu as été sagement
entreprise ! Il n'y a rien, Messieurs , de plus nécessaire au monde que de
protéger hautement, chacun autant qu'on le peut, l'intérêt de la justice. Car il
faut ici confesser que la vertu est obligée de marcher dans des voies bien
difficiles, et que c'est une espèce de martyre que de se tenir régulièrement
dans les termes du droit et de l'équité. Celui qui est résolu de se renfermer
dans ces bornes, se met si fort à l'étroit (b) qu'à peine se peut-il
aider ; et il ne faut pas s'étonner s'il demeure court ordinairement dans ses
entreprises, lui qui se retranche tout d'un coup plus de la moitié des moyens,
en s'ôtant ceux qui sont mauvais, et c'est-à-dire assez souvent les plus
efficaces.
Car qui ne sait, chrétiens, que
les hommes pleins d'intérêts et de passions veulent qu'on entre dans leurs
sentiments ? Que fera ici cet homme si droit, qui ne parle que de son devoir ?
que fera-t-il, chrétiens, avec sa froide et impuissante régularité (c) ?
Il n'est ni assez souple, ni assez flexible pour ménager la faveur des hommes ;
il y a tant de choses qu'il ne peut pas faire, qu'à la fin il est regardé comme
un homme qui n'est bon à rien et qui est entièrement inutile. En effet, écoutez,
Messieurs, comme en parlent les hommes du monde dans le livre de la Sapience :
Circumveniamus hominem justum, quoniam inutilis est nobis (2) : «
Trompons, disent-ils, l'homme juste (remarquez cette raison), parce qu'il nous
est inutile : » il n'entre point dans nos négoces, il
1 Isa., LIX, 14. — 2 Sap., II, 12.
(a) Var. : « La justice tombe dans des pièges
impénétrables, on ne peut plus percer, les juges veulent donner la justice comme
une grâce. » — (b) Se réduit. — (c) Médiocrité.
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s’éloigne de nos détours, il ne nous est d'aucun usage.
Ainsi, comme vous voyez, à cause qu'il est inutile, on se résout facilement à le
mépriser, ensuite à le laisser périr sans en faire bruit, et même à le sacrifier
à l'intérêt du plus fort et aux pressantes sollicitations de cet homme de grand
secours, qui n'épargne rien, ni le saint ni le profane, pour nous servir. Mais
pourquoi nous arrêter davantage sur une chose si claire? Il est aisé de
comprendre que l'homme injuste, qui met tout en œuvre, qui entre dans tous les
desseins, qui fait jouer les passions et les intérêts, ces deux grands ressorts
de la vie humaine, est plus actif, plus pressant, plus prompt ; et ensuite, pour
l'ordinaire, qu'il réussit mieux que le juste qui ne sort point de ses règles,
qui ne marche qu'à pas comptés, qui ne s'avance que par mesure.
Levez-vous, puissances du monde
; voyez comme la justice est contrainte de marcher par des voies serrées;
secourez-la, tendez-lui la main, faites-vous honneur ; c'est trop peu dire,
déchargez votre âme et délivrez votre conscience en la protégeant. La vertu a
toujours assez d'affaires pour se maintenir au dedans contre tant de vices qui
l'attaquent ; défendez-la du moins contre les insultes du dehors. « C'est pour
cela, dit le grand pape saint Grégoire, que la puissance a été donnée à nos
maîtres, afin que ceux qui veulent le bien soient aidés, et que les voies du
ciel soient dilatées (a) : » Ad hoc enim potestas super omnes homines
dominorum meorum pietati cœlitùs data est, ut qui bona appetunt adjuventur, ut
cœlorum via largiùs pateat (1). Ainsi leur conscience les oblige à soutenir
hautement le bon droit et la justice. Car il est vrai que c'est la trahir que de
travailler faiblement pour elle, et l'expérience nous fait assez voir qu'une
résistance trop molle ne fait qu'affermir le vice et le rendre plus audacieux.
Les méchants n'ignorent pas que leurs entreprises hardies leur attirent
nécessairement quelques embarras : mais après qu'ils ont essuyé une légère (b)
tempête que la clameur publique a fait élever contre eux, ils pensent avoir payé
tout ce qu'ils doivent à la justice ; ils défient après cela le ciel et la
terre, et ne profitent de cette disgrâce que
1 Epist. LXV ad Maurit. August.
(a) Var. : « Etendues. » — (b) Quelque
légère.
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pour mieux prendre dorénavant leurs précautions. Ainsi il
faut résister à l'iniquité avec une force invincible; et nous pouvons bien le
publier devant un roi si juste et si ferme, que c'est dans cette vigueur à
maintenir la justice que réside la grandeur et la majesté.
J'ai remarqué deux éloges que
l'Ecriture donne au roi Salomon. Au commencement de son règne elle dit ces mots
: « Salomon s'assit dans le trône du Seigneur en la place de David son père, et
il plut à tous : » Sedit Salomon in solio Domini, pro David patre suo, et
placuit omnibus (1). Remarquons ici en passant, Messieurs, que le trône
royal appartient à Dieu, et que les rois ne le remplissent qu'en son nom. C’est
une chose bien magnifique pour les rois et qui nous oblige à les révérer avec
une espèce de religion, mais par laquelle aussi Dieu les avertit d'exercer
saintement et divinement une autorité divine et sacrée. Mais revenons à Salomon.
« Il s'assit donc, dit l'Ecriture, dans le trône du Seigneur en la place de
David son père, et il plut à tous : » c'est la première peinture que nous fait
le Saint-Esprit de ce grand prince. Mais après qu'il eut commencé de gouverner
ses affaires et qu'on le vit appliqué à faire justice à tout le monde avec
grande connaissance, la même Ecriture relève son style et parle de lui en ces
termes : « Tout Israël entendit que le roi jugeait droitement, et ils
craignirent le roi, voyant que la sagesse de Dieu était en lui : » Audivit
itaque omnis Israël judicium quod rex judicasset, et timuerunt regem, videntes
sapientiam Dei esse in illo ad faciendum judicium (1). Sa mine haute et
relevée le faisait aimer; sa justice le fait craindre de cette crainte de
respect qui ne détruit pas l'amour, mais qui le rend plus retenu et plus
circonspect. Les bons respiraient sous sa protection, et les méchants
appréhendaient son bras et ses yeux, qu'ils voyaient si éclairés et si appliqués
tout ensemble à connaître la vérité. La sagesse de Dieu était en lui, et l'amour
qu'il avait pour la justice lui faisait trouver les moyens de la bien connaître
(a) : c'est la seconde qualité que la justice demande, et j'ai promis
aussi de la traiter dans ma seconde partie.
1 I Paralip., XXIX, 23. — 2 III
Reg., III, 28.
(a) Var. : Faisait qu'il s’attachait à la
bien connaître.
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SECOND POINT.
Avant que Dieu consumât par le
feu du ciel ces villes abominables dont le nom même fait horreur, nous lisons
dans la Genèse qu'il parla en cette sorte : « Le cri contre l'iniquité de Sodome
(a) et de Gomorrhe s'est augmenté, et leurs crimes se sont aggravés
jusqu'à l'excès : je descendrai et je verrai s'ils ont fait selon la clameur qui
est venue contre eux jusqu'à moi (b), ou si leurs œuvres sont contraires,
afin que je le sache au vrai : » Clamor Sodomorum et Gomorrhœ multiplicatus
est, et peccatum eorum aggravatum est nimis : descendant et videbo utrùm
clamorem qui venit ad me, opère compleverint, an non est ita, ut sciam (1).
Saint Isidore de Damiette, et après lui le grand pape saint Grégoire, ont fait
cette belle observation sur ces paroles (2) : Encore qu'il soit certain que
Dieu, du haut de son trône, non-seulement découvre tout ce qui se fait sur la
terre, mais encore prévoie dès l'éternité tout ce qui se développe par la
révolution des siècles, toutefois, disent ces grands saints, voulant obliger les
hommes de s'instruire par eux-mêmes de la vérité et de n'en croire ni les
rapports, ni même la clameur publique, cette Sagesse infinie se rabaisse jusqu'à
dire : « Je descendrai et je verrai, » afin que nous comprenions quelle
exactitude nous est commandée pour nous informer des choses au milieu de nos
ignorances, puisque celui qui sait tout fait une si soigneuse perquisition et
vient en personne pour voir. C'est, Messieurs, en cette sorte que le Très-Haut
se rabaisse pour nous enseigner, et il donne par ces paroles deux instructions
importantes à ceux qui sont en autorité. Premièrement en disant : « Le cri est
venu à moi, » il leur montre que leur oreille doit être toujours ouverte,
toujours attentive à tout. Mais en ajoutant après : « Je descendrai et je
verrai, » il leur apprend qu'à la vérité ils doivent tout écouter ; mais qu'ils
doivent rendre ce respect à l'autorité que Dieu a attachée à leur jugement, de
ne l'arrêter jamais qu'après une exacte information et un sérieux examen.
1 Genes., XVIII, 20, 21. — 2
Isidor., Epist., lib. I, Epist. CCCX; S. Greg., Moral., lib.
XIX. cap. XXV.
(a) Var.: « Le cri de l'iniquité de Sodome »
— (b) « Et je verrai si cette clameur qui s'est élevée contre eux est
bien fondée. »
648
Ajoutons, s'il vous plaît, Messieurs, qu'encore ne
suffit-il pas de recevoir ce qui se présente ; il faut chercher de soi-même et
aller au-devant de la vérité, si nous voulons la connaître et la découvrir. Car
les hommes et surtout les grands ne sont pas si heureux que la vérité aille à
eux d'elle-même, ni de droit fil, ni d'un seul endroit. Il ne faut pas qu'ils se
persuadent qu'elle perce tous les obstacles qui les environnent, pour monter à
cette hauteur où ils sont placés; mais plutôt il faut qu'ils descendent pour la
chercher elle-même. C'est pourquoi le Seigneur a dit : « Je descendrai et je
verrai ; » c'est-à-dire qu'il faut que les grands du monde descendent en quelque
façon de ce haut faite où rien n'approche qu'avec crainte, pour reconnaître les
choses de près et recueillir deçà et delà les traces dispersées de la vérité ;
et c'est en cela que consiste la véritable prudence. C'est pourquoi il est écrit
du roi Salomon « qu'il avait le cœur étendu comme le sable de la mer : »
Dedit Deus Salomoni latitudinem cordis quasi arenam quœ est in littore maris
(1) ; c'est-à-dire qu'il était capable d'entrer dans un détail infini, de
ramasser avec soin les moindres particularités, de poser les circonstances les
plus menues, pour former un jugement droit et éviter les surprises.
Il est certain, chrétiens, que
les personnes publiques chargent terriblement leurs consciences et se rendent
responsables devant Dieu de tous les désordres du monde, s'ils n'ont cette
attention pour s'instruire exactement de la vérité. Et c'est pourquoi le roi
David pénétré de cette pensée (a) et de cette pesante obligation, sentant
approcher son heure dernière, fait venir (b) son fils et son successeur;
et parmi plusieurs graves avertissements, il lui donne celui-ci
très-considérable : « Prenez garde, lui dit-il, mon fils, que vous entendiez
tout ce que vous faites et de quel côté vous vous tournerez : » Ut intelligas
universa quœ facis et quocumque te verteris (2). De même que s'il eût dit :
Mon fils, que nul ne soit si osé que de vouloir tourner votre esprit ni vous
donner des impressions contraires à la vérité. Entendez distinctement tout ce
que vous faites, et connaissez tous les ressorts de la grande
1 III Reg., IV, 20. — 2 Ibid.,
II, 3.
(a) Var. : Plein de cette pensée. — (b)
Appelle.
649
chine que vous conduisez; » afin, dit-il, que le Seigneur
soit avec vous et confirme toutes ses promesses touchant la félicité de votre
règne : » Ut confirmet Dominus universos sermones suos (1).
C'est ce que dit le sage David
au sage Salomon son successeur, et il sera beau de voir de quelle sorte ce jeune
prince profite de cet avis. Aussitôt qu'il eut pris en main les rênes de son
empire, il se mit à considérer profondément que cette haute élévation (a)
où il se voyait avait ce malheur attaché, que dans cette multitude infinie qui
l'environnait (b), il n'y en avait presque aucun qui ne put avoir quelque
intérêt de le surprendre. Il vit donc combien il est dangereux de s'abandonner
tout entier à une aveugle confiance; et il vit aussi que la défiance jetoit
l'esprit dans l'incertitude et fermait d'une autre manière la porte à la vérité.
Dans cette perplexité et pour tenir le milieu entre ces deux périls également
grands, il connut qu'il n'y avait rien de plus nécessaire que de se jeter
humblement entre les bras de celui auquel seul on ne peut jamais s'abandonner
trop, et il fit à Dieu cette prière : « Seigneur Dieu, vous avez fait régner
votre serviteur en la place de David mon père ; et moi, je suis un petit enfant,
qui ne sais ni par où il faut commencer, ni par où il faut sortir des affaires :
» Ego autem sum puer parvidus, et ignorants egressum et introitum meum
(2). Ne croyez pas, chrétiens, qu'il parlât ainsi par faiblesse. Il parlait et
il agissait dans ses conseils avec la plus haute fermeté, et il avait déjà fait
sentir aux plus grands de son Etat qu'il était le maître; mais tout sage et tout
absolu qu'il était, il voyait qu'en la présence de Dieu toute cette force
n'était que faiblesse et que toute cette sagesse n'était qu'une enfance : Ego
autem sum puer parvulus; et il n'attend que du Saint-Esprit l'ouverture et
la sortie de ses entreprises. Après quoi le désir immense de rendre justice lui
met cette parole à la bouche : « Vous donnerez, ô Dieu, à votre serviteur un
cœur docile, afin qu'il puisse juger votre peuple et discerner entre le bien et
le mal. Car autrement qui pourrait conduire (c) cette multitude infinie?
» Dabis ergo servo tuo cor docile, ut populum tuum judicare possit et
discernere inter bonum
1 III Reg., II, 4. — 2 Ibid.,
III, 7.
(a) Var. : Fortune. — (b) Qu'il voyait
s'empresser autour de lui. — (c) Juger.
650
et malum. Quis enim poterit judicare populum istum,
populum tuum hunc multum (1) ?
Vous voyez bien, chrétiens,
qu'il sent le poids de sa dignité et la charge épouvantable de sa conscience,
s'il se laisse prévenir contre la justice. C'est pourquoi il demande à Dieu ce
discernement et ce cœur docile, par où nous devons entendre non un cœur
incertain et irrésolu ; car la véritable prudence n'est pas seulement
considérée, mais encore tranchante et résolutive. C'est donc qu'il considérait
que c'est un vice de l'esprit humain, non-seulement d'être susceptible des
impressions étrangères, mais encore de s'embarrasser dans ses propres
imaginations; et que ce n'est pas toujours la faiblesse du génie, mais souvent
même sa force qui fait que l'homme s'attache plus qu'il ne faut à soutenir ses
opinions, sans vouloir jamais revenir. Non recipit stultits verba prudentiœ,
nisi ea dixeris quœ versantur in corde ejus (2). De là vient que regardant
avec tremblement les excès où ces violentes préoccupations engagent souvent les
meilleurs esprits, il demande à Dieu un cœur docile; c'est-à-dire, si nous
l'entendons, un cœur si grand et si relevé qu'il ne cède jamais qu'à la vérité,
mais qu'il lui cède toujours en quelque temps qu'elle vienne, de quelque côté
qu'elle aborde, sous quelque forme qu'elle se présente.
C'est pour cela, chrétiens,
qu'il n'y a rien de plus beau dans les personnes publiques qu'une oreille
toujours ouverte et une audience facile. C'est une des principales parties de la
félicité du monde ; et l’Ecclésiastique l'avait bien compris, lorsqu'il a
dit ces paroles : « Heureux celui qui a trouvé un ami fidèle, et qui raconte son
droit (a) à une oreille attentive : » Beatus qui invenit amicum verum,
et qui enarrat justitiam auri audienti (2). Ce grand homme a joint ensemble
dans ce seul verset deux des plus sensibles consolations de la vie humaine :
l'une, de trouver dans ses embarras un ami fidèle à qui l'on puisse demander un
bon conseil ; l'autre, de trouver dans ses affaires une oreille patiente à qui
on puisse déduire toutes ses raisons. Aurem audientem et oculum
1 III Reg., III, 9. — 2 Prov.,
XVIII, 2. — 3 Eccli., XXV, 12.
(a) Var. : Ses raisons
651
videntem, Dominus fecit utrumque (1). Il n'y a rien
de plus doux ni de plus efficace pour gagner les cœurs (a) ; et les
personnes d'autorité doivent avoir de la joie de pouvoir faire ce bien à tous.
La dernière décision des affaires les oblige à prendre parti, et ensuite
ordinairement à fâcher quelqu'un; mais il semble que la justice voulant les
récompenser de cette importune nécessité où elle les engage, leur ait mis en
main un plaisir qu'ils peuvent faire à tous également, qui est celui de prêter
l'oreille avec patience et de peser sérieusement toutes les raisons (b).
Mais après avoir exposé de
quelle importance il est que les personnes publiques recherchent la vérité, avec
quelle force et de quelle voix (c) ne faudrait-il pas nous élever contre
ceux qui entreprendraient de l'obscurcir par leurs faux rapports!
Qu'attentez-vous, malheureux, et quelle entreprise est la vôtre? Quoi! vous
voulez ôter la lumière au monde et envelopper de ténèbres ceux qui doivent
éclairer la terre ! Vous concevez de mauvais desseins, vous fabriquez des
tromperies, vous machinez des fraudes les uns contre les autres ; et non
contents de les méditer dans votre cœur, vous ne craignez point de les porter
jusqu'aux oreilles importantes ; vous osez même les porter jusqu'aux oreilles du
prince (d). Ah! songez qu'elles sont sacrées, et que c'est les profaner
trop indignement que d'y porter, comme vous faites, ou les injustes préventions
d'une haine aveugle, ou les pernicieux raffinements d'un zèle affecté , ou les
inventions artificieuses d'une jalousie cachée (e). Infecter les oreilles
du prince, c'est quelque chose de plus criminel que d'empoisonner les fontaines
publiques et que de voler les trésors publics. Car le vrai trésor d'un Etat,
c'est la vérité dans l'esprit du prince. Prenez donc garde, Messieurs, comme
vous parlez surtout dans la Cour, où tout est si délicat et si important. C'est
là que s'accomplit ce que dit le Sage : « Les paroles
1 Prov., XX, 12.
(a) Var. : Il n'y a rien de plus doux ni qui
gagne davantage un coeur. — (b) Qui est celui d'écouter et de décharger
un cœur angoissé de cette peine cruelle de n'être pas entendu. — (c) Avec
quelle force de paroles. — (a Voua voulez ôter la lumière au monde, et vous
entreprenez d'envelopper de ténèbres ceux qui doivent éclairer la terre ! Vous
tâchez de les envelopper par de faux rapports et par vos déguisements ; vous ne
craignez point de les porter.... — (e) D'un intérêt qui se cache.
652
obscures ne se perdent pas en l'air : » Sermo obscurus
in vacuum non ibit (1). Chacun écoute et chacun commente ; cette raillerie
maligne, ce trait que vous lancez en passant, cette parole malicieuse, ce
demi-mot qui donne tant à penser par son obscurité affectée, peut avoir des
suites terribles; et il n'y a rien de plus criminel que de vouloir couvrir de
nuages le siège de la lumière, ou altérer tant soit peu la source de la bonté et
de la clémence.
TROISIÈME POINT.
La justice n'a pas toujours
l'épée à la main (a), ni ne montre pas toujours son visage austère; la
droite raison qui est sa guide lui prescrit de se relâcher quelquefois, et il
m'est aisé de vous faire voir que la clémence qui tempère sa rigueur extrême,
est une de ses parties principales.
En effet il est manifeste que la
justice est établie pour entretenir la société parmi les hommes. Or est-il que
la condition la plus nécessaire pour conserver parmi nous la société, c'est de
nous supporter mutuellement dans nos défauts ; autrement notre nature ayant tant
de faible, si nous entrions dans le commerce de la vie humaine avec cette
austérité invincible qui ne veuille jamais rien pardonner aux autres, il
faudrait et que tout le monde rompît avec nous, et que nous rompissions avec
tout le monde. Par conséquent la même justice qui nous fait entrer en société,
nous oblige en faveur de cette union à nous supporter en beaucoup de choses (2)
; la faiblesse commune de l'humanité ne nous permet pas, chrétiens, de nous
traiter les uns les autres en toute rigueur ; et il n'est rien de plus juste que
cette loi de saint Paul : « Supportez-vous mutuellement (3) et portez le fardeau
les uns des autres : » Alter alterius onera portate (4) ; et cette
charité et facilité qui s'appelle condescendance dans les particuliers, c'est ce
qui s'appelle clémence dans les grands et dans les princes. Ceux qui sont dans
les hautes places et qui ont en main quelque partie de l'autorité publique, ne
doivent pas se persuader qu'ils soient exempts de cette loi : au contraire, et
il le faut dire, leur propre élévation leur
1 Sap., I, 11. — 2 Ephes.,
IV, 2. — 3 Coloss., III, 13. — 4 Galat., VI, 2.
(a) Var. : N'est pas toujours inflexible.
653
impose cette obligation nécessaire de donner bien moins que
les autres à leurs ressentiments et à leurs humeurs ; et dans ce faite où ils
sont, la justice leur ordonne de considérer qu'étant établis de Dieu pour porter
ce noble fardeau du genre humain, les faiblesses inséparables de notre nature
font une partie de leur charge, et ainsi que rien ne leur est plus nécessaire
que d'user quelquefois de condescendance.
J'ai dit quelquefois,
Messieurs, et en certaines rencontres. Car qui ne sait qu'il y a des fautes que
l'on ne peut pardonner sans se rendre complice des abus et des scandales
publics, et que cette différence doit être réglée par les conséquences et par
les circonstances particulières. Ainsi ne nous mêlons pas de faire ici des
leçons aux princes sur des choses qui ne dépendent que de leur prudence ; mais
contentons-nous de remarquer, autant que le peut souffrir la modestie de cette
chaire, les merveilles de nos jours. S'il s'agit de déraciner une coutume
barbare qui prodigue malheureusement le plus beau sang d'un grand royaume , et
sacrifie (a) à un faux honneur tant d'âmes que Jésus-Christ a rachetées ,
peut-on être chrétien et ne pas louer hautement l'invincible fermeté du prince
que la grandeur de l'entreprise, tant de fois vainement tentée, n'a pas arrêté,
qu'aucune considération n'a fait fléchir, et dont le temps même qui change tout
n'est pas capable d'affaiblir les résolutions ? Je ne puis presque plus retenir
mon cœur; et si je ne songeais où je suis, je me laisserais épancher aux plus
justes louanges du monde, pour célébrer la gloire d'un règne qui soutient avec
tant de force l'autorité des lois divines et humaines, et ne veut ôter aux
sujets que la liberté de se perdre. Dieu, qui est le père et le protecteur de la
société humaine, comblera de ses célestes bénédictions un roi qui sait si bien
ménager les hommes, et qui sait ouvrir à la vertu la véritable carrière en
laquelle il est glorieux de ne se plus ménager. En de telles occasions, où il
s'agit de réprimer la licence qui entreprend de fouler aux pieds les lois les
plus saintes, la pitié est une faiblesse; mais dans les fautes particulières, le
prince fait admirer sa grande sagesse et sa magnanimité, quand quelquefois il
oublie,
(a) Var. : Immole.
654
et quelquefois il néglige; quand il se contente de marquer
les fautes, et ne pousse pas la rigueur à l'extrémité. C'est en de semblables
rencontres (a) que Théodose le Grand se tenait obligé, dit saint
Ambroise, quand on le priait de pardonner; cet empereur tant de fois victorieux
et illustre par ses conquêtes, non moins que par sa piété, jugeait avec Salomon
« qu'il était plus beau et plus glorieux de surmonter sa colère, que de prendre
des villes et de défaire des armées (1) ; et c'est alors, dit le même Père,
qu'il était plus porté à la clémence, quand il se sentait ému par un plus vif
ressentiment : » Beneficium se putabat accepisse augustœ memoriœ Theodosius,
cùm rogaretur ignoscere ; et tunc propior erat veniae, cùm fuisset commotio
major iracundiœ (2).
Que si les personnes publiques,
contre lesquelles les moindres injures sont des attentats, doivent néanmoins
user de tant de bonté envers les hommes, à plus forte raison les particuliers
doivent-ils sacrifier à Dieu leurs ressentiments. La justice chrétienne le
demande d'eux et ne donne point de bornes à leur indulgence. « Pardonne, dit le
Fils de Dieu (3), je ne dis pas jusqu'à sept fois, mais jusqu'à septante-sept
fois ; » c'est-à-dire pardonne sans fin, et ne donne point de limites à ce que
tu dois faire pour l'amour de Dieu. Je sais que ce précepte évangélique n'est
guère écouté à la Cour; c'est là que les vengeances sont infinies; et quand on
ne les pousserait pas par ressentiment, on se sentirait obligé de le faire par
politique. On croit qu'il est utile de se faire craindre, et on pense qu'on
s'expose trop quand on est d'humeur à souffrir. Je n'ai pas le temps de
combattre sur la fin de ce discours cette maxime antichrétienne, que je pourrais
peut-être souffrir, si nous n'avions à ménager que les intérêts du inonde. Mais,
mes frères , notre grande affaire, c'est de savoir nous concilier la miséricorde
divine, c'est de ménager qu'un Dieu nous pardonne, et de faire que sa clémence
arrête le cours de sa colère que nous avons trop méritée. Et comme il ne
pardonne qu'à ceux qui pardonnent, et qu'il n'accorde jamais sa miséricorde qu'à
ce prix, notre aveuglement est extrême, si nous ne pensons à
1 Prov., XVI, 32. — 2 Orat. de Obit. Theod.,
n. 13. — 3 Matth., XVIII, 22.
(a) Var : Sujets.
655
gagner cette bonté dont nous avons si grand besoin, et si
nous ne sacrifions de bon cœur à cet intérêt éternel nos intérêts périssables.
Pardonnons donc, chrétiens. Apprenons à nous relâcher de nos intérêts en faveur
de la charité chrétienne ; et quand nous pardonnons les injures, ne nous
persuadons pas que nous fassions une grâce. Car si c'est peut-être une grâce à
l'égard de l'homme, c'est toujours une justice à l'égard de Dieu, qui a mérité
ce pardon qu'il nous demande pour nos ennemis par celui qu'il nous a donné de
toutes nos fautes; et qui non content de l'avoir si bien acheté, promet de le
récompenser éternellement par la participation de la gloire où nous conduise le
Père, le Fils et le Saint-Esprit.
PREMIER POINT DU SERMON PRÉCÉDENT.
AUTREMENT TRAITÉ.
Si je voulais remonter jusqu'au
principe, il faudrait vous dire, Messieurs, que c'est en Dieu premièrement que
se trouve la justice , et que c'est de cette haute origine qu'elle se répand
parmi les hommes. C'est là que j'aurais à vous exposer, avec le grave
Tertullien, que « la divine bonté ayant fait tant de créatures , la justice
divine les a ordonnées et rangées chacune en sa place : » Bonitas operata est
mundum, justitia modulata est...; omnia ut bonitas concepit, sic justitia
distinxit (1). C'est donc elle qui ayant partagé proportionnément ces vastes
espaces du inonde, y a aussi assigné le lieu convenable aux astres, à la terre,
aux éléments, pour s'y reposer ou pour s'y mouvoir, suivant qu'il est ordonné
par la loi de l'univers, c'est-à-dire par la sage volonté de Dieu. C'est cette
même justice qui a aussi donné à la créature raisonnable ses lois particulières,
dont les unes sont naturelles, et les autres, que nous appelons positives, sont
faites ou pour confirmer, ou pour expliquer, ou enfin pour perfectionner les
lumières de la nature.
Ainsi Dieu étant souverainement
juste , il gouverne et le monde en général, et le genre humain en particulier
par une
1 Advers. Marcion., lib. II, Q. 12.
656
justice éternelle; c'est ce qui fait remarquer dans
l'univers un esprit d'uniformité et d'égalité qui se soutient de soi-même au
milieu des agitations et des variétés infinies de la nature muable. Ces grandes
et admirables vérités nous font conclure, Messieurs, que Dieu est la source de
la justice, que de là elle s'est répandue en nous pour faire en nos âmes l'un
des plus beaux traits de la divine ressemblance; et qu'ainsi nous devons imiter
par une attache constante aux lois l'immuable uniformité de la justice divine :
d'où il s'ensuit que tout homme juste doit être constant; mais que ceux-là le
doivent être plus que tous les autres, qui sont les juges du monde, et qui étant
pour cette raison appelés dans l'Ecriture « les dieux de la terre, » doivent
faire reluire dans leur fermeté une image de l'immutabilité de ce premier Etre
dont ils représentent parmi les hommes la grandeur et la majesté (a).
J'irais à l'infini, si je me
jetais dans ces hautes spéculations; et comme j'ai dessein de descendre par des
principes connus à des vérités de pratique , je vous dirai, chrétiens, que la
justice étant définie par l'empereur Justinien, comme tout le monde sait, « une
volonté constante et perpétuelle de rendre à chacun ce qui lui appartient, »
constans et perpetua voluntas jus suum cuique tribuendi (1), il est aisé de
connaître que l'homme juste doit être constant , puisque la constance est
renfermée dans la définition de la justice.
Il est vrai (b),
Messieurs, que non-seulement la justice, mais encore toutes les autres vertus
doivent avoir de la fermeté. Car par le nom de vertu nous prétendons désigner
non quelque acte passager ou quelque disposition changeante, mais une habitude
formée. Or qui ne sait que l'habitude dit quelque chose de fixe ; et quelque
inclination que nous ayons pour le bien, elle ne mérite pas le nom de vertu,
jusqu'à ce qu'elle soit affermie. Il est donc déjà très-assuré que la justice
doit tirer un esprit de fermeté du génie commun de la vertu; et il reste à
considérer si, outre cette
1 Institut., lib. I, titul. 1.
(a) Var : Dont ils représentent la grandeur et la
majesté parmi les hommes. — (b) Il est certain.
657
raison générale, la constance lui est attribuée
spécialement à cause de quelque caractère qui lui soit propre. Mais sans perdre
le temps à subtiliser sur la différence des vertus, il me paraît, chrétiens, que
la justice emporte avec elle, plus que les autres vertus, une fermeté
invincible, à cause qu'elle consiste dans une certaine égalité envers tous ; et
il est clair que pour soutenir cette égalité, il faut quelque chose de ferme;
autrement on déclinera tantôt à droite, tantôt à gauche : on regardera les
visages contre le précepte de la loi (1), c'est-à-dire qu'on opprimera le faible
qui est sans défense et qu'on ne craindra d'entreprendre que contre celui qui a
du crédit; ainsi on introduira cette pernicieuse inégalité et cette double
mesure tant de fois repoussée dans les saintes Lettres (a), qui est la
perte infaillible du droit et de la justice.
Et certes il est véritable que
si l'on ne marche d'un pas égal dans le chemin de la justice, ce qu'on fait même
justement devient odieux. Par exemple, si un magistrat n'exagère la rigueur des
ordonnances que contre ceux qui lui déplaisent; si une bonne affaire lui paraît
toujours embrouillée, jusqu'à ce que le riche parle ; si le pauvre ne peut
jamais se faire entendre et se voit malheureusement distingué d'avec le puissant
dans un intérêt qu'ils ont commun, c'est en vain que ce magistrat se vante
quelquefois d'avoir bien jugé : l'inégalité de sa conduite fait que la justice
n'avoue pas pour sien même ce qu'il fait selon les règles ; elle a honte de ne
lui servir que de prétexte; et jusqu'à ce qu'il devienne égal à tous, sans
acception de personnes, la justice qu'il refuse à l'un convainc d'une criminelle
partialité celle qu'il se glorifie de rendre à l'autre. Au lieu de savoir
connaître ce que peut fournir la source, et ensuite de dispenser sagement ses
eaux par tous les canaux qu'il faut remplir, on les fait couler sans ordre,
toutes d'un côté, et on laisse le reste à sec.
C'est de ce même esprit
d'inégalité que procède cet abus commun d'acquitter fidèlement certaines dettes,
et d'oublier tout à fait les autres. Par exemple, les dettes du jeu sont
privilégiées ; et comme si ses lois étaient les plus saintes et les plus
1 Levit., XIX. 15.
(a) Var, : Et cette double balance tant de fois
détestée dans les Ecritures.
658
inviolables, on se pique d'honneur d'y être fidèle ,
pendant qu'on ne rougit pas de faire languir misérablement des marchands et de
misérables ouvriers, qui seuls soutiennent depuis longtemps cet éclat que je
puis bien appeler doublement trompeur et doublement emprunté, puisque vous ne le
tirez ni de votre vertu, ni même de votre bourse (a). Ou bien si l'on est
soigneux de conserver du crédit en certaines choses, de peur de faire tarir les
sources (b) qui entretiennent le luxe, on néglige les vieilles dettes, on
ruine impitoyablement les anciens amis ; amis malheureux et infortunés, devenus
ennemis par leurs bons offices, qu'on ne regarde plus désormais que comme des
importuns qu'on veut réduire en les fatiguant à des accommodements
déraisonnables, à qui l'on croit faire assez de justice quand on leur laisse
après sa mort les débris d'une fortune ruinée et les restes d'un naufrage que
les flots emportent. O droit ! ô bonne foi ! ô sainte équité! je vous appelle en
vain; vous n'êtes presque plus parmi nous que des noms pompeux, et l'intérêt est
devenu notre seule règle de justice.
C'est encore pour cette raison
qu'il a été nécessaire de faire entrer la fermeté dans la définition de la
justice, pour l'opposer davantage à son ennemi capital qui est l'intérêt.
L'intérêt, comme vous savez, n'a point de maximes fixes; il suit les
inclinations, il change avec les temps, il s'accommode aux affaires ; tantôt
ferme, tantôt relâché, et ainsi toujours variable. Au contraire, l'esprit de
justice est un esprit de fermeté, parce que pour devenir juste, il faut entrer
dans l'esprit qui a fait les lois; c'est-à-dire dans un esprit immortel, qui
s'élevant au-dessus des temps et des affections particulières, subsiste toujours
égal, malgré le changement des affaires.
Qui pourrait maintenant vous
dire de quelle sorte, par quels artifices l'intérêt attaque l'intégrité de la
justice, tente sa pudeur, affaiblit sa force et corrompt enfin sa pureté? Ce
n'est pas un ouvrage fort pénible que de connaître et de condamner les
injustices des autres ; nous les voyons détestées par une clameur universelle.
Mais se détacher de soi-même pour juger droitement de
1 Var. : Vous ne le tirez ni du fond de voire vertu,
ni de celui Je votre fortune.— (b) Les ruisseaux, — les fontaines.
659
ses actions, c'est là véritablement le grand effort de la
raison et de la justice. Qui nous donnera, chrétiens , non ce point appuyé hors
de la terre, que demandait ce grand géomètre (a) pour la remuer hors de
son centre , mais un point hors de nous-mêmes, pour nous regarder d'un même œil
que nous regardons les autres, et arrêter dans notre cœur tant de mouvements
déréglés (b) que l'intérêt y fait naitre? Quelle horreur aurions-nous de
nos injustices, de nos usurpations, de nos tromperies? Mais, hélas! où
trouverons-nous ce point de détachement pour sortir nous-mêmes hors de
nous-mêmes et nous voir d'un œil équitable et d'un regard désintéressé? La
nature ne le donne pas, nous n'écoutons pas la grâce ; c'est pourquoi c'est en
vain que la raison dicte, que la loi publie, que l'Evangile confirme cette loi
si naturelle et si divine tout ensemble : « Ne faites point à autrui ce que vous
ne voulez pas qui vous soit fait (1). » Nul ne veut sortir de soi-même pour
entrer dans cette mesure commune du genre humain. Celui-là , ébloui de sa
fortune, ne peut se résoudre à descendre de sa superbe hauteur, pour se mesurer
avec personne. Mais pourquoi parler ici de la grandeur? Chacun se fait grand à
ses yeux , chacun se tire du pair , chacun a des raisons particulières par
lesquelles il se distingue des autres (c).
Au lieu de cette grande mesure
qui enferme notre prochain avec nous dans les mêmes règles de justice, nous
introduisons dans ce commerce de la société le plus détestable de tous les abus.
Deux mesures, deux balances, deux poids inégaux : une grande mesure pour
recevoir, une petite mesure pour rendre. Nous voulons que l'on nous fasse
justice, nous ne voulons pas la faire aux autres; nous crions à l'injustice
quand on nous blesse , nous ne craignons pas d'entreprendre sur le droit
d'autrui : comme si le nom de justice n'était qu'un rempart pour nous
défendre, et non une borne posée pour nous arrêter et une barrière pour nous
enfermer dans nos devoirs réciproques de la société et de la justice (d).
Si verè utique justitiam loquimini, recta judicate, filii
1 Tob., IV, 16; Luc., VI, 31.
(a) Archimède. — (b) Var. :
Irréguliers. — (c) Se sépare. — (d) Dans les devoirs mutuels de la
charité et de la justice ; — dans les devoirs communs de la société et de la
justice.
660
hominum (1): O hommes, dit le Prophète, si ce n'est
pas en vain que vous avez toujours en la bouche le nom sacré de justice ; si
vous recourez avec raison, quand on vous fait tort, à ce refuge commun du bon
droit et de l'innocence, jugez-vous donc vous-mêmes droitement et ne vous
laissez pas aveugler par votre intérêt. Mais, ô dangereux intérêt, le plus
ancien, le plus décrié et le plus inévitable de tous les trompeurs, tu trompes
dès l'origine du monde; on fait des livres entiers de tes tromperies, tant elles
sont découvertes. Qui ne devient pas éloquent à parler de tes artifices? Qui ne
fait pas gloire de s'en défier? Mais tout en parlant contre toi, qui ne tombe
pas en tes pièges? a Parcourez, dit le prophète Jérémie, toutes les rues et
toutes les places de Jérusalem, considérez attentivement et cherchez si vous
trouverez un homme droit et équitable (a) : » Circuite vias Jerusalem,
considerate et quœrite an inveniatis virum facientem judicium et quœrentem fidem
(2). On ne voit plus, on n'écoute plus, on ne garde plus aucune mesure, quand il
s'agit du moindre intérêt : la bonne foi n'est qu'une vertu de commerce, qu'on
observe par bienséance dans les petites affaires pour établir son crédit, mais
qui ne gêne point la conscience quand il s'agit d'un coup de partie.
Cependant on jure, on affirme,
on prend à témoin le ciel et la terre ; on mêle partout le saint nom de Dieu
sans aucune distinction du vrai et du faux : « Comme si le parjure, disait
Salvien, n'était plus un genre de crime, mais une façon de parler : »
Perjurium ipsum genus putat esse, non criminis, sed sermonis (3). Au reste
on ne songe plus à restituer le bien qu'on a usurpé contre les lois; on
s'imagine qu'on se le rend propre par l'habitude d'en user, et on cherche de
tous côtés non point un fonds pour le rendre, mais un détour pour le retenir (b).
On fatigue les casuistes par des consultations infinies ; et à quoi est-ce, dit
saint Augustin, qu'on travaille par tant d'enquêtes, sinon à ne trouver pas ce
qu'on cherche? Hi homines nihil laborant nisi non invenire quod quœrunt
(1) . C'est pourquoi nous prouvons
1 Psal. LVII, 1. — 2 Jerem.,
V, 1,2. — 3 Salvian., lib. IV De Gubern. Dei, n. 14. — 4 De
Genes., contra Manich., lib. II, cap. XI.
(a) Var. : « Droit et de bonne foi. » — (b)
Mais quelque moyen de conscience pour le retenir.
661
tous les jours qu'on nous embarrasse la règle des mœurs par
tant de questions et tant de chicanes, qu'il n'y en a pas davantage dans les
procès les plus embrouillés ; et si Dieu n'arrête le cours des pernicieuses
subtilités que l'intérêt nous suggère, les lois de la bonne foi et de l'équité
ne seront bientôt qu'un problème.
Je ne rougirai pas, chrétiens,
de vous rapporter en ce lieu les paroles d'un auteur profane, et de confondre
par la droiture de ses sentiments nos détours et nos artifices : Bene
praecipiunt, dit Cicéron, qui vetant quidquam agere quod dubites œquum
sit an iniquum (1) : « Ceux-là nous enseignent bien, qui nous défendent de
faire les choses de la justice desquelles nous avons raison de douter. Car
l'équité, poursuit-il, reluit assez d'elle-même, et le doute semble envelopper
quelque secret dessein d'injustice : » Aequitas enim lucet ipsa per se,
dubietas autem cogitationem significat injuriae (2).
En effet nous trouvons
ordinairement que ce qui a besoin de consultation a quelque chose d'inique. Le
chemin de la justice n'est pas de ces chemins tortueux qui ressemblent à des
labyrinthes, où on craint toujours de se perdre. C'est une route toute droite,
dit le prophète Isaïe; c'est un sentier étroit, à la vérité , mais qui n'a point
de détour : Semita justi recta est, rectus calli justi ad ambulandum (3).
Voulez-vous savoir, chrétiens, le chemin de la justice, marchez dans le pays
découvert, allez où vous conduit votre vue ; la justice ne se, cache pas, et sa
lumière (a) vous la manifeste. Allez donc par cette voie droite et
lumineuse. Si vous trouvez à côté quelque endroit obscur ou quelque passage (b)
embarrassé, c'est là que la fraude se réfugie, c'est là que l'injustice se met à
couvert, c'est là que l'intérêt dresse ses embûches. Ainsi ces consultations
empressées nous cachent bien souvent quelque tromperie; et encore qu'il soit
véritable que la complication des faits fasse naître quelquefois des difficultés
qui obligent à interroger ceux à qui Dieu a confié le dépôt de la doctrine, je
ne crains point de vous assurer que pour régler votre conscience sur la plupart
des devoirs de la justice chrétienne, la
1 De Offic., lib. I, n. 29. — 2
Ibid. — 3 Isa., XXVI, 7.
(a) Var. : Sa simplicité. — (b)
Quelque pas.
662
bonne foi est un grand docteur qui laisse peu de questions
indécises.
Mais l'intérêt est trop raffiné pour nous laisser entendre
un docteur si simple; et c'est pourquoi la justice est une espèce de martyre (a),.....
TROISIÈME POINT DU SERMON PRÉCÉDENT,
AUTREMENT TRAITÉ.
Ce serait ici, chrétiens, qu'il
faudrait vous faire voir que la justice doit être exercée avec quelque
tempérament, qu'elle devient inique et insupportable quand elle use de tous ses
droits : Summum jus, summa injuria (1), et que la bonté qui modère sa
rigueur extrême est une de ses parties principales. Mais comme le temps me
presse, je supposerai, s'il vous plaît, la vérité assez connue de cette
doctrine, et je dirai en peu de paroles à quoi elle doit être appliquée.
Premièrement, chrétiens, comme
la faiblesse commune de l'humanité ne nous permet pas de nous traiter les uns
les autres en toute rigueur, il n'y a rien de plus juste que cette loi de
l'Apôtre : « Supportez-vous mutuellement en charité (2); » et cette charité et
facilité qui s'appelle condescendance dans les particuliers, c'est ce qui
s'appelle clémence dans les grands et dans les princes.
L'histoire n'a rien de plus
éclatant que les actions de clémence ; et je ne vois rien de plus beau que cet
éloge que recevaient les rois d'Israël de la bouche de leurs ennemis :
Audivimus quòd reges domùs Israël clementes sint (3) : « Les rois de la
maison d'Israël ont la réputation d'être déments. » Au seul nom de clémence, le
genre humain semble respirer plus à son aise, et je ne puis taire en ce lieu ce
qu'en a dit un grand roi : In hilarilate vultùs régis vita, et clementia ejus
quasi imber serotinus (4), dit le sage Salomon ;
1 Terent., Heautontimorum, act. IV,
scen. IV. — 2 Galat., VI, 2. — 3 III Reg., XX, 31. — 4
Prov., XVI, 15.
(a) Note marg. : Les enchaînement des
intérêt? cachés. La justice tombe dans des pièges impénétrables. On ne peut
percer. Les juges veulent donner la justice comme une grâce. La vertu a assez à
combattre en nous-mêmes. Dilatez les voies du ciel.
663
c'est-à-dire « la sérénité du visage du prince, c'est la
vie de ses sujets, et sa clémence est semblable à la pluie du soir. » A la
lettre, il faut entendre que la clémence est autant agréable aux hommes, qu'une
pluie qui vient sur le soir tempérer la chaleur du jour et rafraîchir la terre
que l'ardeur du soleil avait desséchée (a). Mais ne me sera-t-il pas
permis d'ajouter que comme le matin nous désigne la vertu, qui seule peut
illuminer la vie humaine, le soir nous représente au contraire l'état où nous
tombons par nos fautes, puisque c'est là en effet que le jour décline et que la
raison n'éclaire plus ? Selon cette explication, la rosée du matin ce serait la
récompense de la vertu, de même que la pluie du soir serait le pardon accordé
aux fautes. Ainsi Salomon nous ferait entendre que pour réjouir la terre et pour
produire les fruits agréables de la bienveillance publique, le prince doit faire
tomber sur le genre humain et l'une et l'autre rosée, en récompensant toujours
ceux qui font bien et pardonnant quelquefois généreusement à ceux qui manquent,
pourvu que le bien public et la sainte autorité des lois n'y soient point trop
intéressés.
Telle est la première obligation
de cette justice tempérée par la bonté, c'est de supporter les faiblesses et de
pardonner quelquefois les fautes. La seconde est beaucoup plus grande, c'est
d'épargner la misère ; je veux dire que l'homme juste ne doit pas toujours
demander ni ce qu'il peut, ni ce qu'il a droit d'exiger des autres. Il y a des
temps malheureux où c'est une cruauté et une espèce de vexation que d'exiger une
dette; et la justice veut qu'on ait égard non-seulement à l'obligation, mais
encore à l'état de celui qui doit. Le sage Néhémias avait bien compris cette
vérité , lorsqu'ayant été envoyé par le roi Artaxercès pour être le gouverneur
du peuple juif, il se mit à considérer non-seulement quels étaient les droits de
sa charge, mais encore quelles étaient les forces du peuple. « Il vit que les
capitaines généraux qui l'avaient précédé dans cet emploi, avaient trop foulé ce
pauvre peuple : » Duces gravaverunt populum ; « mais surtout, comme il
est assez ordinaire, que leurs ministres insolents l'avaient
(a) Var. : Et humecter la terre que l'ardeur
du soleil avait brûlée.
664
entièrement épuisé : » Sed et ministri eorum
depresserunt populum (1). Voyant donc ce peuple qui n'en pouvait plus, il se
crut obligé en conscience de chercher tous les moyens de le soulager ; et bien
loin d'imposer de nouvelles charges, comme avaient fait les généraux ses
prédécesseurs, il crut qu'il devait remettre, comme porte le texte sacré (2),
beaucoup des droits qui lui étaient dus légitimement. Et après, plein de
confiance en la divine bonté qui regarde d'un œil paternel ceux qui se plaisent
à imiter ses miséricordes, il lui adresse du fond de son cœur cette humble
prière : « Mon Dieu, souvenez-vous de moi en bien, à proportion des grands
avantages que j'ai causés à ce peuple : » Memento mel, Deus meus, in bonum,
secundùm omnia quœ feci populo huic (3). C'est l'unique moyen d'approcher de
Dieu avec une pleine confiance, c'est la gloire solide et véritable que nous
pouvons porter hautement jusque devant ses autels; et ce Dieu si délicat et si
jaloux, qui défend à toute chair de se glorifier devant sa face (a), a
néanmoins agréable que Néhémias et tous ses imitateurs se glorifient à ses yeux
du bien qu'ils font à son peuple. N'en disons pas davantage ; et croyons que les
princes qui ont le cœur grand sont plus pressés par leur gloire, par leur bonté,
par leur conscience, à soulager les misères publiques et particulières, qu'ils
ne peuvent l'être par nos paroles. Mais Dieu seul est tout-puissant pour faire
le bien.
Si de cette haute contemplation
je commence à jeter les yeux sur la puissance des hommes, je découvre
visiblement la pauvreté essentielle à la créature, et je vois dans tout le
pouvoir humain je ne sais quoi de très-resserré, en ce que, si grand qu'il soit,
il ne peut pas faire beaucoup d'heureux et se croit souvent obligé de faire
beaucoup de misérables. Je vois enfin que c'est le malheur et la condition
essentielle des choses humaines, qu'il est toujours trop aisé de faire beaucoup
de mal et infiniment difficile de faire beaucoup de bien. Car comme nous sommes
ici au milieu des maux, il est aisé, chrétiens, de leur donner un grand cours et
de leur faire une ouverture large et spacieuse; mais comme les biens
1 II Esdr., V, 11, 15. — 2 Ibid.,
10, 18 — 3 Ibid., 19.
(a) Var. : Qui ne veut pas qu'aucune chair se
glorifie.
665
n'abondent pas en ce lieu de pauvreté et de misère, il ne
faut pas s'étonner que la source des bienfaits soit si tôt tarie. Aussi le
monde, stérile en biens et pauvre en effets, est contraint de débiter beaucoup
d'espérances, qui ne laissent pas néanmoins d'amuser les hommes. C'est en quoi
nous devons reconnaître l'indigence inséparable de la créature, et apprendre à
ne pas tout exiger des grands de la terre. Les rois mêmes ne peuvent pas faire
tout le bien qu'ils veulent; il suffit qu'ils n'ignorent pas qu'ils rendront
compte à Dieu de ce qu'ils peuvent. Mais nous qui voyons ordinairement parmi les
hommes et la puissance et la volonté tellement bornées, chrétiens, mettons plus
haut notre confiance. « En Dieu seul est la bonté véritable : » Nemo bonus,
nisi unus Deus (1). En lui seul abonde le bien, lui seul le peut et le veut
répandre sans bornes; et s'il retient quelquefois le cours de sa munificence à
l'égard de certains biens, c'est qu'il voit que nous ne pouvons pas en porter
l'abondance entière. Regardons-le donc comme le seul bon. Ce qui fait que nous
n'éprouvons pas sa bonté, c'est que nous ne la mettons pas à des épreuves dignes
de lui. Nous n'estimons que les biens du monde, nous n'admirons que les
grandeurs de la fortune; et nous ne voulons pas entendre que ce qu'il réserve à
ses enfants est, sans aucune comparaison, plus riche et plus précieux que ce
qu'il abandonne à ses ennemis.
Ainsi nous ne devons pas nous
persuader que les sceptres mêmes, ni les couronnes, soient les plus illustres
présents du Ciel. Car jetez les yeux sur tout l'univers et sur tous les siècles
; voyez avec quelle facilité Dieu a prodigué de tels présents indifféremment à
ses ennemis et à ses amis. Regardez les superbes monarchies des Orientaux
infidèles; voyez que Jésus-Christ regarde du plus haut des cieux l'ennemi le
plus déclaré du christianisme, assis en la place (a) du grand Constantin,
d'où il menace si impunément les restes de la chrétienté qu'il a si cruellement
ravagée. Que si Dieu fait si peu d'état de ce que le inonde admire le plus,
apprenons donc, chrétiens, à ne lui demander rien de mortel ; demandons-lui des
choses qu'il soit digne de ses enfants de demander à un tel
1 Marc., X, 18.
(a) Var. : Assis sur le trône.
666
père, et digne d'un tel père de les donner à ses enfants.
C'est insulter à la misère que de demander aux petits de grandes choses; c'est
ravilir la majesté que de demander au Très-Grand de petites choses. C'est son
trône, c'est sa grandeur, c'est sa propre félicité qu'il veut nous donner ; et
nous soupirons encore après des biens périssables ! Non, mes frères, ne
demandons à Dieu rien de médiocre; ne lui demandons rien moins que lui-même.
Nous éprouverons qu'il est bon autant qu'il est juste, et qu'il est infiniment
l'un et l'autre.
Mais vous, Sire, qui êtes sur la
terre l'image vivante de cette Majesté suprême, imitez sa justice et sa bonté,
afin que l'univers admire en votre personne sacrée un roi juste et un roi
sauveur, à l'exemple de Jésus-Christ ; un roi juste qui rétablisse les lois, un
roi sauveur qui soulage les misères. C'est ce que je souhaite à Votre Majesté,
avec la grâce du Père, du Fils, et du Saint-Esprit. Amen.
FIN DU NEUVIÈME
VOLUME.
(deuxième des
sermons.)
Achevé de
numériser en la fête du glorieux et saint Apôtre André.
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