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TROISIÈME SERMON
POUR LE DIMANCHE DES RAMEAUX,
SUR LES DEVOIRS DES ROIS (a).
Dicite fliliae Sion : Ecce Rex tuus venit tibi
mansuetus, sedens super asinam.
Dites à la fille de Sion : Voici ton Roi qui fait son
entrée, plein de bonté et de douceur, assis sur une ânesse. (Paroles du prophète
Zacharie, rapportées en l'évangile de ce jour, Matth., XXI, 5.)
Parmi toutes les grandeurs du
monde, il n'y a rien de si éclatant qu'un jour de triomphe ; et j'ai appris de
Tertullien que ces illustres triomphateurs de l'ancienne Rome marchaient avec
tant de pompe, que de peur qu'étant éblouis d'une telle magnificence, ils ne
s'élevassent enfin au-dessus de la condition humaine, un esclave qui les suivait
avait charge de les avertir qu'ils étaient hommes : Respice post te, hominem
mémento te (1).
Le triomphe de mon Sauveur est
bien éloigné de cette gloire ; et au lieu de l'avertir qu'il est homme, je me
sens bien plutôt pressé de le faire souvenir qu'il est Dieu. Il semble en effet
qu'il l'a oublié ; le prophète et l'évangéliste concourent à nous montrer
1 Apolog., n. 33.
(a) Prêché en 1662, dans le Carême du Louvre, en
présence de Louis XIV et de toute la Cour.
Que ce sermon ait été prêché devant le roi, on en trouvera
la preuve dans vingt passages. Or il n'a pas été prêché en 1666. En effet
l'orateur loue, dans le deuxième point, « le zèle ardent et infatigable » que la
reine déployait pour le bien de l'Eglise, et la reine était morte le 20 janvier
1666; il demande la réforme de la justice, et cette réforme avait été poursuivie
pendant plusieurs années jusqu’en 1666; enfin il donne des conseils et manifeste
des espérances qui auraient été déplacés devant l'auguste auditoire, lorsque le
monarque avait accompli déjà de si grandes choses en 1666. Mais si notre sermon
n'a pas été prêché en 1666, il a été en 1662, puisque Bossuet n'a prêché le
Carême à la Cour que ces années-là.
Ce discours emprunte à l'avant-dernier, dans l'exorde, de
longs passages. Si l’on se donne la satisfaction de les comparer, on verra
qu'ici, comme partout, le grand écrivain est plus court dans la dernière
rédaction que dans la première.
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ce Roi d'Israël « monté, disent-ils, sur une ânesse : »
Sedens super asinam. Chrétiens, qui n'en rougirait? Est-ce là une entrée
royale? est-ce là un appareil de triomphe? est-ce ainsi, ô Fils de David, que
vous montez au trône de vos ancêtres et prenez possession de leur couronne (a)
? Toutefois arrêtons, mes frères, et ne précipitons pas notre jugement. Ce Roi,
que tout le peuple honore aujourd'hui par ses cris de réjouissance, ne vient pas
pour s'élever au-dessus des hommes par l'éclat d'une vaine pompe, mais plutôt
pour fouler aux pieds les grandeurs humaines ; et les sceptres rejetés,
l'honneur méprisé, toute la gloire du monde anéantie, font le plus grand
ornement de son triomphe. Donc pour admirer cette entrée, apprenons avant toutes
choses à nous dépouiller de l'ambition et à mépriser les grandeurs du monde. Ce
n'est pas une entreprise médiocre de prêcher cette vérité à la Cour, et nous
avons besoin plus que jamais d'implorer le secours d'en haut par les prières de
la sainte Vierge. Ave.
Jésus-Christ est roi par
naissance, il est roi par droit de conquête , il est roi encore par élection. Il
est roi par naissance, Fils de Dieu dans l'éternité, fils de David dans le temps
; il est roi par droit de conquête, et outre cet empire universel que lui donne
sa toute-puissance, il a conquis par son sang, et rassemblé par sa foi, et
policé par son Evangile un peuple particulier, recueilli de tous les autres
peuples du monde; enfin il est roi par élection; nous l'avons choisi par le
saint baptême, et nous ratifions tous les jours un si digne choix par la
profession publique du christianisme (b). Un si grand Roi doit régner;
sans doute qu'une royauté si réelle et fondée sur tant de titres augustes, ne
peut pas être sans quelque empire. Il règne en effet par sa puissance dans toute
l'étendue de l'univers, mais il a établi les rois chrétiens pour être les
principaux instruments de cette puissance ; c'est à eux qu'appartient la gloire
de faire régner Jésus-Christ : ils doivent le faire régner sur eux-mêmes, ils
doivent le faire régner sur leurs peuples.
(a) Var. : De leur royaume. — (b) Et
nous avons ratifié ce choix par tous les actes que nous avons faits pour
professer l'Evangile.
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Dans le dessein que je me
propose de traiter aujourd'hui ces deux vérités, je me garderai plus que jamais
de rien avancer de mon propre sens. Que serait-ce qu'un particulier qui se
mêlerait d'enseigner les rois? Je suis bien éloigné de cette pensée ; aussi on
n'entendra de ma bouche que les oracles de l'Ecriture, les sages avertissements
des papes, les sentences des saints évêques, dont les rois et les empereurs ont
révéré la sainteté et la doctrine. Et d'abord pour établir mon sujet, j'ouvre
l'Histoire sainte pour y lire le sacre du roi Joas (1), fils du roi Joram. Une
mère dénaturée et bien éloignée de celle dont la constance infatigable n'a eu de
soin ni d'application que pour rendre à un fils illustre son autorité aussi
entière qu'elle lui avait été déposée, avait dépouillé ce jeune prince et usurpé
sa couronne durant son bas âge ; mais le pontife et les grands ayant fait une
sainte ligue pour le rétablir dans son trône, voici mot à mot, chrétiens, ce que
dit le texte sacré : Imposuerunt ei diadema et testimonium, dederuntque in
manu ejus tenendam legem : « Ils produisirent le fils du roi devant tout le
peuple, ils mirent sur sa tête le diadème et le témoignage, ils lui donnèrent la
loi en sa main, et ils l'établirent roi. » Joiada, souverain pontife, fit la
cérémonie de l'onction ; toute l'assistance fit des vœux pour le nouveau prince,
et on fit retentir le temple du cri : « Vive le Roi ! » Imprecatique sunt ei
et dixerunt : Vivat Rex (2)!
Quoique tout cet appareil soit
merveilleux, j'admire sur toutes choses cette belle cérémonie de mettre la loi
sur la tête et la loi dans la main du nouveau monarque. Car ce témoignage que
l'on met sur lui avec son diadème, n'est autre chose que la loi de Dieu, qui est
un témoignage au prince pour le convaincre et le soumettre (a) dans sa
conscience ; mais qui doit trouver dans ses mains une force qui exécute, se
fasse craindre et qui fléchisse les peuples par le respect de l'autorité.
Sire, je supplie Votre Majesté
de se représenter aujourd'hui que Jésus-Christ Roi des rois, et Jésus-Christ
souverain Pontife, pour accomplir ces figures, met son Evangile sur votre tête
et son
1 II Paralip., XXII, 10. — 2
Ibid., XXIII, 11.
(a) Var. : Pour le convaincre.
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Evangile en vos mains ; ornement auguste et royal, digne
d'un roi très-chrétien et du fils aîné de l'Eglise. (a) Mais l'Evangile sur
votre tête, c'est pour vous inspirer l'obéissance ; l'Evangile en vos mains,
c'est pour L'imprimer dans tous vos sujets. Et par là Votre Majesté voit assez,
premièrement que Jésus-Christ veut régner sur vous, c'est ce que je montrerai
dans mon premier point; et que par vous il veut régner sur vos peuples, mon
second point le fera connaître, et c'est tout le sujet de ce discours.
PREMIER POINT.
« Les rois règnent par moi, »
dit la Sagesse éternelle : Per me reges regnant (1) ; et de là nous
devons conclure non-seulement que les droits de la royauté sont établis par ses
lois, mais que le choix des personnes est un effet de sa providence. Et certes
il ne faut pas croire que le Monarque du monde, si persuadé de sa puissance et
si jaloux de son autorité, endure dans son empire qu'aucun y ait le commandement
sans sa commission particulière. Par lui, tous les rois règnent : et ceux que la
naissance établit , parce qu'il est le maître de la nature ; et ceux qui
viennent par choix , parce qu'il préside à tous les conseils; « et il n'y a sur
la terre aucune puissance qu'il n'ait ordonnée : » Non est potestas nisi à
Deo (2), dit l'oracle de l'Ecriture.
Quand il veut faire des
conquérants, il fait marcher devant eux son esprit de terreur, pour effrayer les
peuples qu'il leur veut soumettre : il les prend par la main, » dit le prophète
Isaïe. « Voici ce qu'a dit le Seigneur à Cyrus mon oint : Je marcherai devant
toi et je tournerai devant ta face le dos des rois ennemis ; je romprai les
barres de fer, je briserai les portes d'airain , j'humilierai à tes pieds toutes
les grandeurs de la terre : » Hœc dicit Dominus christo meo Cyro, cujus
apprehendi dexteram... : Ego ante te ibo, dorsa regum vertam et gloriosos
terrœ humiliabo; portas œreas conteram, et vectes ferreos confringam (3).
Quand le temps fatal est venu, qu'il a marqué dès l'éternité à la durée des
1 Prov., VIII, 15. — 2
Rom., XIII, 1. — 3 Isa.,
XLV, 1, 2.
(a) Note marg. ; L'Evangile sur votre tête
vous donne plus d'éclat que votre couronne,! Evangile en vos mains vous donne
plus d'autorité que votre sceptre.
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empires, ou il les renverse par la force : « Je frapperai,
dit-il, tout le royaume d'Israël, je l'arracherai jusqu'à la racine, je le
jetterai où il me plaira, comme un roseau que les vents emportent (a) : »
Percutiet Dominus Deus Israël, sicut moveri soletarundo in aquâ, et evellet
Israël..., et ventilabit eos trans flumen (1) ; « ou il mêle dans les
conseils un esprit de vertige qui fait errer l'Egypte incertaine comme un homme
enivré : » Miscuit in medio ejus spiritum vertiginis, et errare fecerunt
Aegyptum...., sicut errat ebrius et vomens (2) : en sorte qu'elle
s'égare, tantôt en des conseils extrêmes qui désespèrent, tantôt en des conseils
lâches qui détruisent toute la force de la majesté. Et même lorsque les conseils
sont modérés (b) et vigoureux, Dieu les réduit en fumée par une conduite
cachée et supérieure, parce qu'il est « profond en pensées (3), terrible en ses
conseils par-dessus les enfants des hommes (4); » parce que « ses conseils étant
éternels, » consilium Domini in œternum manet (5), et embrassant dans
leur ordre toute l'universalité des causes, « ils dissipent avec une facilité
toute-puissante les conseils toujours incertains des nations et des princes: »
Dominus dissipât consilia gentium, reprobat autem cogitationes populorum et
reprobat consilia principum (6). C'est pourquoi un roi sage, un roi
capitaine, victorieux, intrépide, expérimenté, confesse à Dieu humblement que
c'est « lui qui soumet ses peuples sous sa puissance : » Qui subdit populum
meum sub me (7). Il regarde cette multitude infinie comme un abîme immense
d'où s'élèvent quelquefois des flots qui étonnent les pilotes les plus hardis.
Mais comme il sait que c'est le Seigneur qui domine à la puissance de la mer et
qui adoucit ses vagues irritées, voyant son Etat si calme qu'il n'y a pas le
moindre souffle qui en trouble la tranquillité : « O mon Dieu, vous êtes mon
protecteur ; c’est vous qui faites fléchir sous mes lois ce peuple innombrable :
» Protector meus, et in ipso speravi, qui subdit populum meum sub me.
Pour établir cette puissance qui
représente la sienne, Dieu met
1 III Reg., XIV, 15. — 2 Isa.,
XIX, 14. — 3 Psal. XCI, 6. — 4 Psal. LXV, 5. —5 Psal.
XXXII, 11.— 6 Ibid., 10. — 7 Psal. CXLIII, 2.
(a) Var. : Je le
transporterai où il me plaira, comme on ferait un roseau... — (b) Sages.
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sur le front des souverains et sur leur visage une marque
de divinité. C'est pourquoi le patriarche Joseph ne craint point de jurer par la
tête et par le salut de Pharaon comme par une chose sacrée (1) ; et il ne croit
pas outrager celui qui a dit : « Vous jurerez seulement au nom du Seigneur (2),
» parce qu'il a fait dans le prince une image mortelle de son immortelle
autorité. « Vous êtes des dieux (3), dit David, et vous êtes tous enfants du
Très-Haut ; » mais, ô dieux de chair et de sang ! ô dieux de terre et de
poussière ! vous mourrez comme des hommes. N'importe, vous êtes des dieux,
encore que vous mouriez, et votre autorité ne meurt pas; cet esprit de royauté
passe tout entier à vos successeurs et imprime partout la même crainte, le même
respect, la même vénération. L'homme meurt, il est vrai ; mais le roi,
disons-nous , ne meurt jamais. L'image de Dieu est immortelle.
Il est donc aisé de comprendre
que de tous les hommes vivants, aucuns ne doivent avoir dans l'esprit la majesté
de Dieu plus imprimée que les rois. Car comment pourraient-ils oublier Celui
dont ils portent toujours en eux-mêmes une image si vive, si expresse, si
présente? Le prince sent en son cœur cette vigueur, cette fermeté, cette noble
confiance de commander; il voit qu'il ne fait que mouvoir les lèvres, et
aussitôt que tout se remue d'une extrémité du royaume à l'autre ; et combien
donc doit-il penser que la puissance de Dieu est active! Il pénètre les
intrigues, les trames les plus secrètes ; « les oiseaux du ciel lui rapportent
tout (4) ; il a même reçu de Dieu par l'usage des affaires une expérience , une
certaine pénétration qui fait penser qu'il devine : Divinatio in labiis regis
(5). Et quand il a pénétré les trames les plus secrètes, avec ses mains longues
et étendues il va prendre ses ennemis aux extrémités du monde et les déterre
pour ainsi dire du fond des abîmes, où ils cherchaient un vain asile. Combien
donc lui est-il facile de s'imaginer que les mains et les regards (a) de
Dieu sont inévitables ! Mais quand il voit les peuples soumis, « obligés, dit
l'Apôtre (6), à lui obéir non-seulement pour la crainte,
1 Genes., XLIII, 15. — 2
Deuter., X, 20. — 3 Psal. LXXXI, 6. — 4
Eccle., X, 20. — (5) Prov., XVI, 10. — 6
Rom., XIII, 5.
(a) Var. : La vue.
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mais encore pour la conscience, » peut-il jamais oublier ce
qui est dû au Dieu vivant et éternel, à qui tous les cœurs parlent, pour qui (a)
toutes les consciences n'ont plus de secret? C'est là , c'est là sans doute que
tout ce qu'inspire le devoir, tout ce qu'exécute la fidélité , tout ce que feint
la flatterie, tout ce que le prince exige lui-même de l'amour, de l'obéissance,
de la gratitude de ses sujets, lui est une leçon perpétuelle de ce qu'il doit à
son Dieu, à son Souverain. C'est pourquoi saint Grégoire de Nazianze prêchant à
Constantinople, en présence des empereurs, les invite par ces beaux mots à
réfléchir sur eux-mêmes pour contempler la grandeur de la Majesté divine (b)
: « O monarques, respectez votre pourpre, révérez votre propre autorité qui est
un rayon de celle de Dieu; connaissez le grand mystère de Dieu en vos personnes
; les choses hautes sont à lui seul; il partage avec vous les inférieures; soyez
donc les sujets de Dieu, comme vous en êtes les images (1). »
Tant de fortes considérations
doivent presser vivement les rois de mettre l'Evangile sur leurs têtes, d'avoir
toujours les yeux attachés à cette loi supérieure, de ne se permettre rien de ce
que Dieu ne leur permet pas, de ne souffrir jamais que leur puissance s'égare
hors des bornes de la justice chrétienne. Certes ils donneraient au Dieu vivant
un trop juste sujet de reproche, si parmi tant de biens qu'il leur fait, ils en
allaient encore chercher dans les plaisirs qu'il leur défend (c), s'ils
employaient contre lui la puissance qu'il leur accorde, s'ils violaient
eux-mêmes les lois dont ils sont établis les exécuteurs, les protecteurs. C'est
ici le grand péril des grands de la terre (d). Comme les autres hommes
ils ont à combattre leurs passions ; par-dessus les autres hommes ils ont à
combattre leur propre puissance. Car comme il est absolument nécessaire à
l'homme d'avoir quelque chose qui le
1 S. Greg. Nazianz., Orot. XXVII, tom. 1, p. 471.
(a) Var. : Devant qui. — (b) Prêchant
un jour à Constantinople, devant les empereurs, leur adresse ces belles paroles
: « Respectez, ô rois, respectez votre pourpre; respectez votre propre autorité
qui est un rayon de celle de Dieu, et voyez Soigneusement à quoi elle est
employée. Contemplez le grand mystère de Dieu en vos personnes ; les choses
sublimes sont à lui seul ; il partage avec vous... » — (c) Ils en
voulaient encore chercher dans les choses qu’il leur défend. — (d) Des
rois chrétiens.
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retienne, les puissances, sous qui tout fléchit (a),
doivent elles-mêmes se servir de bornes : Tanto sub majore mentis disciplina
se redigunt, quanta sibiper impatientiam potestatis madère illicita quasi
licentiàs sciunt. C'est là, disait un grand pape (1), toute la science (b)
de la royauté; et voici dans une sentence de saint Grégoire la vérité la plus
nécessaire (c) que puisse jamais entendre un roi chrétien. « Nul ne sait
user de la puissance que celui qui la sait contraindre; » celui-là sait
maintenir (d) son autorité comme il faut, qui ne souffre ni aux autres de
la diminuer, ni à elle-même de s'étendre trop; qui la soutient au dehors, et qui
la réprime au dedans; enfin qui se résistant à lui-même, fait par un sentiment
dé justice ce qu'aucun autre ne pourrait entreprendre sans attentat : Bene
potestatem exercet, qui et retinere illam noverit et impugnare (2). Mais que
cette épreuve est difficile! que ce combat est dangereux ! qu'il est malaisé à
l'homme, pendant que tout le monde lui accorde tout, de se refuser quelque
chose! qu'il est malaisé à l'homme de se retenir, quand il n'a d'obstacle que de
lui-même ! N'est-ce point peut-être le sentiment d'une épreuve si délicate (e)
qui fait dire à un grand roi pénitent : « Je me suis répandu comme de l'eau (3)
? » Cette grande puissance semblable à l'eau, n'ayant point trouvé
d'empêchement, s'est laissée aller à son poids et n'a pas pu se retenir. Vous
qui arrêtez les flots de la mer, ô Dieu, donnez des bornes à cette eau coulante,
par la crainte de vos jugements et par l'autorité de votre Evangile. Régnez, ô
Jésus-Christ, sur tous ceux qui règnent ; qu'ils vous craignent du moins,
puisqu'ils n'ont que vous seul à craindre; et ravis de ne dépendre que de vous,
qu'ils soient du moins toujours ravis d'en dépendre (f).
SECOND POINT.
Le royaume de Jésus-Christ,
c'est son Eglise catholique; et j'entends ici par l'Eglise toute la société du
peuple de Dieu. Jésus-
1 S. Greg., lib. V Moral., cap. XI. — 2 Idem., lib.
XXVI, cap. XXVI.— 3 Psal. XXI, 15.
(a) Var.: A qui tout cède. — (b) La
plus grande science. — (c) La plus importante. — (d) Sait se
servir de son autorité. — (e) Si périlleuse. — (f) Qu'ils
s'estiment au moins heureux d'en dépendre.
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Christ règne dans les Etats, lorsque l'Eglise y fleurit; et
voici en peu de paroles, selon les oracles des prophètes, la grande et mémorable
destinée de cette Eglise catholique (a). Elle a dû être établie malgré
les rois de la terre ; et dans la suite des temps elle a du les avoir pour
protecteurs.
Un même psaume de David prédit
en termes formels ces deux états de l'Eglise : Quare fremuerunt gentes :
« Pourquoi les peuples se sont-ils émus et ont-ils médité des choses vaines? Les
rois de la terre se sont assemblés (b), et les princes ont fait une ligue
contre le Seigneur et contre son Christ (1). » Ne voyez-vous pas, chrétiens, les
empereurs et les rois frémissants contre l'Eglise naissante, qui cependant
toujours humble et toujours soumise, ne défendait que sa conscience ? Dieu
voulait paraître tout seul dans l'établissement, de son Eglise. Car écoutez ce
qu'ajoute le même Psalmiste : « Celui qui habite au ciel se moquera d'eux, et
l'Eternel se rira de leurs entreprises : » Qui habitat in cœlis, irridebit
eos (2). O rois qui voulez tout faire, il ne plaît pas au Seigneur que vous
ayez nulle part dans l'établissement de son grand ouvrage. Il lui plaît que des
pêcheurs fondent son Eglise et qu'ils l'emportent sur les empereurs. Mais quand
leur victoire sera bien constante et que le monde ne doutera plus que l'Eglise
dans sa faiblesse n'ait été plus forte que lui avec toutes ses puissances qui la
combattaient (c), vous viendrez à votre tour, ô empereurs, au temps qu'il
a destiné; et on vous verra baisser humblement la tête devant les tombeaux de
ces pêcheurs. Alors l'état de l'Eglise sera changé. Pendant que l'Eglise prenait
racine par ses croix et par ses souffrances, les empereurs, disait Tertullien
(3) ne pouvaient pas être chrétiens, parce que le monde qui la tourmentait
devait les avoir à sa tête. « Mais maintenant, » dit le saint Psalmiste : Et
nunc, reges, intelligite (4); maintenant qu'elle est établie et que la main
de Dieu s'est assez montrée, il est temps que vous veniez, ô rois du monde;
commencez à ouvrir les yeux à la vérité; apprenez la véritable justice, qui est
la justice de l'Evangile. « O vous qui
1 Psal. II, 1-2 — 2 Ibid.,
4. — 3 Apolog., n. 21. — 4 Psal. II, 10.
(a) Var. : Le royaume de Jésus-Christ, c'est
son Eglise Catholique, dont voici en peu de paroles la grande et mémorable
destinée.— (b) Unis. — (c) Plus forte que les puissances qui la
combattaient.
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jugez la terre, servez le Seigneur en crainte : »
Servite Domino in timore (1) ; dilatez maintenant son règne. Servez le
Seigneur : de quelle sorte le servirez-vous ? Saint Augustin vous le va dire : «
Servez-le comme des hommes particuliers, en obéissant à son Evangile, comme nous
avons déjà dit ; mais servez-le aussi comme rois, en faisant pour son Eglise ce
qu'aucuns ne peuvent faire, sinon les rois : » In hoc serviunt Domino reges,
in quantum sunt reges, cùm ea faciunt ad serviendum illi, quœ non possunt facere
nisi reges (2). Et quels sont ces services si considérables que l'Eglise
exige des rois? De se rendre (a) les défenseurs de sa foi, les
protecteurs de son autorité, les gardiens et les fauteurs de sa discipline.
La foi, c'est le dépôt, c'est le
grand trésor, c'est le fondement de l'Eglise. De tous les miracles visibles que
Dieu a faits pour cet empire , le plus grand, le plus mémorable et qui nous doit
attacher le plus fortement aux rois qu'il nous a donnés, c'est la pureté de leur
foi. Le trône que remplit notre grand monarque est le seul de tout l'univers où,
depuis la première conversion, jamais il ne s'est assis que des princes enfants
de l'Eglise. L'attachement de nos rois pour le Saint-Siège apostolique semble
leur avoir communiqué quelque chose de la fermeté inébranlable (b) de
cette première pierre sur laquelle l'Eglise est appuyée; et c'est pourquoi un
grand pape (c'est saint Grégoire) a donné dès les premiers siècles cet éloge
incomparable à la couronne de France, « qu'elle est autant au-dessus des autres
couronnes du monde, que la dignité royale surpasse les fortunes particulières :
» Quanta cœteros homines regia dignitas antecedit, tantù cœterarum gentium
régna regni vestri profectù culmen excellit (3). Un si saint homme regardait
sans doute plus encore la pureté de la foi que la majesté du trône. Mais
qu'aurait-il dit, chrétiens, s'il avait vu durant douze siècles cette suite non
interrompue de rois catholiques? S'il a élevé si haut la race de Pharamond ,
combien aurait-il célébré la postérité de saint Louis? Et s'il en a tant écrit à
Childebert, qu'aurait-il dit de Louis-Auguste?
1 Psal. II, 11. — 2 Epist,
CXXXXV, n. 19. — 3 Epist., lib. VI, Epist. VI ad Child. reg.
(a) Var. : D'être. — (b) immobile.
628
Sire, Votre Majesté saura bien
soutenir de tout son pouvoir ce sacré dépôt de la foi, le plus précieux et le
plus grand qu'elle ait reçu des rois ses ancêtres, (a) Elle éteindra dans
tous ses Etats les nouvelles partialités. Et quel serait votre bonheur, quelle
la gloire de vos jouis, si vous pouviez encore guérir toutes les blessures
anciennes (b) ! Sire, après ces dons extraordinaires que Dieu vous a
départis si abondamment, et pour lesquels Votre Majesté lui doit des actions de
grâces immenses (c), elle ne doit désespérer d'aucun avantage qui soit
capable de signaler la félicité de son règne; et peut-être (car qui sait les
secrets de Dieu?), peut-être qu'il a permis que Louis le Juste de triomphante
mémoire se soit rendu mémorable éternellement, en renversant le parti qu'avait
formé l'hérésie, pour laisser à son successeur la gloire de l'étouffer tout
entière par un sage tempérament, de sévérité et de patience. Sire, quoi qu'il en
soit et laissant à Dieu l'avenir, nous supplions Votre Majesté qu'elle ne se
lasse jamais de faire rendre aux oracles du Saint-Esprit et aux décisions de
l'Eglise une obéissance non feinte, afin que toute l'Eglise catholique puisse
dire d'un si grand roi, après saint Grégoire : « Nous devons prier sans cesse
pour notre monarque très-religieux et très-chrétien, et pour la reine sa
très-digne épouse, qui est un miracle de douceur et de piété, et pour son fils
sérénissime notre prince, notre espérance : » Pro vità piissimi et
christianissimi domini nostri, et tranquillissimà ejus conjuge, et mansuetissimà
ejus sobole semper orandum est (1). Et s'il vivait en nos jours, qui doute
qu'il n'eût dit encore avec joie : Pour la reine son auguste mère (d),
dont le zèle ardent et infatigable aurait bien dû. être consacré par les
louanges d'un si grand pape? Nous devons donc prier sans relâche pour toutes ces
personnes augustes, « pendant le temps desquelles (voici un éloge admirable) les
bouches des hérétiques sont fermées, » et leur malice, leurs nouveautés n'osent
se produire : Quorum temporibus haereticorum ora conticescunt (2). Mais
reprenons le fil de notre discours.
1 S. Greg., Epist., lib.
IX, Epist. XLIX. — 2 Idem, Epist., lib. IX, Epist. XLIX.
(a) Note marg.: Elle saura bien faire rendre
aux oracles du Saint-Esprit et aux décisions de l'Eglise une obéissance non
feinte. — (b) Var. : Toutes les anciennes blessures. — (c)
Immortelles. — (d) Sa mère très-auguste.
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L'Eglise a tant travaillé pour
l'autorité des rois, qu'elle a sans doute bien mérité qu'ils se rendent les
protecteurs de la sienne. Ils régnaient sur les corps par la crainte, et tout au
plus sur les cœurs par l'inclination; l'Eglise leur a ouvert une place plus
vénérable ; elle les a fait régner dans la conscience, c'est là qu'elle les a
fait asseoir dans un trône, en présence et sous les yeux de Dieu même : quelle
merveilleuse dignité ! Elle a fait un des articles de sa foi de la sûreté de
leur personne sacrée, un devoir de sa religion (a) de l'obéissance qui
leur est due. C'est elle qui va arracher jusqu'au fond du cœur, non-seulement
les premières pensées de rébellion (b), mais encore et les plaintes et
les murmures; et pour ôter tout prétexte de soulèvement contre les puissances (c)
légitimes , elle a enseigné constamment et par sa doctrine et par son exemple
qu'il en faut tout souffrir, jusqu'à l'injustice, par laquelle s'exerce
invisiblement la justice même de Dieu.
Après des services si
importants, une juste reconnaissance obligeait les princes chrétiens à maintenir
l'autorité de l'Eglise, qui est celle de Jésus-Christ même. Non, Jésus-Christ ne
règne pas, si son Eglise n'est autorisée. Les monarques pieux l'ont bien
reconnu; et leur propre autorité, je l'ose dire, ne leur a pas été plus chère
que l'autorité de l'Eglise. Ils ont fait quelque chose de plus : cette puissance
souveraine, qui doit donner le branle dans les autres choses (d), n'a pas
jugé indigne d'elle de ne faire que seconder dans toutes les affaires
ecclésiastiques (e) ; et un roi de France, empereur, n'a pas cru se
rabaisser trop, lorsqu'il promet son assistance aux prélats, qu'A les assure de
son appui dans les fonctions de leur ministère : « afin , dit ce grand roi (1),
que notre puissance royale servant, comme il est convenable, à ce que demande
votre autorité, vous puissiez exécuter vos décrets : » Ut nostro auxilio
suffulti, quod vestra auctoritas exposcit, famulante, ut decet, potestate
nostrâ, perficere valeatis (2).
Mais, ô sainte autorité de
l'Eglise, frein nécessaire de la licence
1 Ludovic. Pius. — 2 Capit., an. 823, cap. IV.
(a) Var. : Elle a l'ait un des articles de sa
créance de la sûreté de leur personne sacrée, une partie de sa religion de... —
(b) Les mouvements les plus cachés de sédition. — (c) Les princes.
— (d) En toute autre chose. — (e) Toutes les affaires de l'Eglise.
630
et unique appui de la discipline, qu'es-tu maintenant
devenue? Abandonnée par les uns et usurpée par les autres, ou elle est
entièrement abolie, ou elle est dans des mains étrangères. Mais il faudrait un
trop long discours pour exposer ici toutes ses plaies : Sire, le temps en
éclaircira Votre Majesté; (a) et dans la réformation générale de tous les
abus de l'Etat que l'on attend de votre haute sagesse (b), l'Eglise et
son autorité (c) tant de fois blessées recevront leur soulagement de vos
mains royales. Et comme cette autorité de l'Eglise n'est pas faite pour l'éclat
d'une vaine pompe, mais pour l'établissement des bonnes mœurs et de la véritable
piété, c'est ici principalement que les monarques chrétiens doivent faire régner
Jésus-Christ sur les peuples qui leur obéissent; et voici en peu de mots quels
sont leurs devoirs, comme le Saint-Esprit nous les représente.
Le premier et le plus connu,
c'est d'exterminer les blasphèmes. Jésus-Christ est un grand roi ; et le moindre
respect que l'on doive aux rois, c'est de parler d'eux avec honneur. Un roi ne
permet pas dans ses Etats qu'on parle irrévéremment même d'un roi étranger, même
d'un roi ennemi; tant le nom de roi est vénérable partout où il se rencontre. Eh
quoi donc! ô Jésus-Christ, Roi des rois, souffrira-t-on qu'on vous méprise et
qu'on vous blasphème, même au milieu de votre empire ! Quelle serait cette
indignité! Ah! jamais un tel reproche ne ternira la réputation de mon Roi !
Sire, un regard de votre face sur ces blasphémateurs et sur ces impies, afin
qu'ils n'osent paraître et qu'on voie s'accomplir en votre règne ce qu'a prédit
le prophète Amos, « que la cabale des libertins sera renversée : »
Auferetur factio lascivientium (1) ; et ce mot du roi Salomon : « Un roi
sage dissipe les impies, et les voûtes des prisons sont leurs demeures : »
Dissipat impios rex sapiens, et incurva super eos fornicem (2), sans égard
ni aux conditions, ni aux personnes; car il faut un châtiment rigoureux à une
telle insolence.
Non-seulement les blasphèmes,
mais tous les crimes publics et
1 Amos, VI, 7.— 2 Prov.,
XX, 26.
(a) Note marg., : Cette affaire est digne que
Votre Majesté s'y applique.__
(b) Var. : Qui est due à la gloire de votre
règne. — (c) Et ses lois.
631
scandaleux doivent être le juste objet de l'indignation du
prince. « Le roi, dit le même Salomon, assis dans le trône de son jugement,
dissipe tout le mal par sa présence : » Rex qui sedet in solio judicii,
dissipat omne malum intuitu suo (1). Voyez qu'aucun mal ne doit échapper à
la justice du prince. Mais si le prince entreprend d'exterminer tous les
pécheurs, la terre sera déserte et son empire désolé. Remarquez aussi,
chrétiens, les paroles de Salomon : il ne veut pas que le prince prenne son
glaive contre tous les crimes; mais il n'y en a toutefois aucun qui doive
demeurer impuni, parce qu'ils doivent être confondus par la présence d'un prince
vertueux et innocent. Voici quelque chose de merveilleux et bien digne de la
majesté des rois : leur vie chrétienne et religieuse doit être le juste supplice
de tous les pécheurs scandaleux, qui sont confondus et réprimés par l'autorité
de leur exemple, par leurs vertus. Qu'ils fassent donc régner Jésus-Christ par
l'exemple de leur vie, qui soit une loi vivante de probité. Rien de plus grand
dans les grands, que cette noble obligation de vivre mieux que les autres. Car
ce qu'ils feront de bien ou de mal dans une place si haute, étant exposé à la
vue de tous, sert de règle à tout leur empire. Et c'est pourquoi, dit saint
Ambroise, « le prince doit bien méditer qu'il n'est pas dispensé des lois, mais
que lorsqu'il cesse de leur obéir, il semble en dispenser tout le monde par
l'autorité de son exemple : » Nec legibus rex solutus est, sed leges suo
solvit exemplo (2).
Enfin le dernier devoir des
princes pieux et chrétiens, et le plus important de tous pour faire régner
Jésus-Christ dans leurs Etats, c'est qu'après avoir dissipé les vices à la
manière que nous avons dite, ils doivent élever, défendre, favoriser la vertu;
et je ne puis mieux exprimer cette vérité que par ces beaux mots de saint
Grégoire, dans une lettre qu'il écrit à l'empereur Maurice : c'est à Votre
Majesté qu'il parle. « C'est pour cela, lui dit-il, que la puissance souveraine
vous a été accordée d'en haut sur tous les hommes, afin que la vertu soit aidée,
afin que la voie du ciel soit élargie et que l'empire terrestre serve à l'empire
du ciel : » Ad hoc enim potestas super omnes homines dominorum meorum
1 Prov., XX, 8. — 2 Apolog. David.,
lib. II, cap. III.
632
pietati cœlitùs data est, ut qui bona appetunt
adjuventur, ut cœlorum via largiùs pateat, ut terrestre regnum cœlesti regno
famuletur (1).
N'avez-vous pas remarqué cette
noble obligation que ce grand pape impose aux rois, d'élargir les voies du ciel?
Il faut expliquer sa pensée en peu de paroles. Ce qui rend la voie du ciel si
étroite, c'est que la vertu véritable est ordinairement méprisée. Car comme elle
se tient toujours dans ses règles, elle n'est ni assez souple ni assez flexible
pour s'accommoder aux humeurs, ni aux passions, ni aux intérêts des hommes.
C'est pourquoi elle semble inutile au monde ; et le vice paraît bien plutôt,
parce qu'il est plus entreprenant. Car écoutez parler les hommes du monde dans
le livre de la Sapience : « Le juste, disent-ils, nous est inutile : »
Inutilis est nobis (2); il n'est pas propre à notre commerce, il n'est pas
commode à nos négoces, il est trop attaché à son droit chemin pour entrer dans
nos voies détournées. Comme donc il est inutile, on se résout facilement à le
laisser là, et ensuite à l'opprimer. C'est pourquoi ils disent : « Trompons le
juste, parce qu'il nous est inutile : » Circumveniamus justum, quoniam
inutilis est nobis. Elevez-vous, puissances suprêmes; voici un emploi digne
de vous. Voyez comme la vertu est contrainte de marcher dans des voies serrées;
on la méprise, on l'accable; protégez-la, tendez-lui la main, faites-vous
honneur en la cherchant, élargissez les voies du ciel, rétablissez ce grand
chemin et rendez-le plus facile. Pour cela aimez la justice; qu'aucuns ne
craignent sous votre empire, sinon les méchants; qu'aucuns n'espèrent, sinon les
bons.
Ah! chrétiens, la justice, c'est
la véritable vertu des monarques et l'unique appui de la majesté. Car qu'est-ce
que la majesté? Ce n'est pas une certaine prestance qui est sur le visage du
prince et sur tout son extérieur; c'est un éclat plus pénétrant, qui porte dans
le fond des cœurs une crainte respectueuse. Cet éclat vient de la justice, et
nous en voyons un bel exemple dans l'histoire du roi Salomon. « Ce prince, dit
l'Ecriture (3), s'assit dans le trône
1 Epist., lib. III, Epist. LXV
ad Maurit. August. — 2 Sap., II, 12. — 3 I Paralip., XXIX, 23.
633
de son père, et il plut à tous : » Sedit Salomon super
solium... pro patre, suo, et placuit omnibus. Voilà un prince
aimable, qui gagne les cœurs par sa bonne grâce. Il faut quelque chose de plus
fort pour établir la majesté; et c'est la justice qui le donne. Car après ce
jugement mémorable de Salomon, écoutez le texte sacré : « Tout Israël, dit
l'Ecriture, apprit que le roi avait jugé, et ils craignirent le roi, voyant que
la sagesse de Dieu était en lui : » Audivit Israël judicium quod judicasset
rex, et timuerunt regem, videntes sapientiam Dei esse in eo (1). Sa mine
relevée le faisait aimer; mais sa justice le fait craindre de cette crainte de
respect qui ne détruit pas l'amour, mais qui le rend plus sérieux et plus
circonspect. C'est cet amour mêlé de crainte que la justice fait naître, et avec
lui le caractère véritable de la majesté.
Donc, ô rois, dit l'Ecriture, «
aimez la justice (2), » et sachez que c'est pour cela que vous êtes rois. Mais
pour pratiquer la justice, connaissez la vérité; et pour connaître la vérité,
mettez-vous en état de l'apprendre. Salomon possédé d'un désir immense de rendre
la justice à son peuple, fait à Dieu cette prière : « Je suis, dit-il, ô
Seigneur, un jeune prince qui n'ai point encore l'expérience, qui est la
maîtresse des rois : » Ego autem sum puer parvulus, ignorants egressum et
introitum meum (3). En passant, ne croyez pas qu'il parle ainsi par
faiblesse de courage. Il paraissait devant ses juges avec la plus haute fermeté,
et il avait déjà fait sentir aux plus grands de son Etat qu'il était le maître.
Mais quand il parle à Dieu, il ne rougit point de trembler devant une telle
majesté, ni de confesser son ignorance, compagne nécessaire de l'humanité. Après
quoi le désir de rendre justice lui met cette parole en la bouche : « Donnez
donc à votre serviteur un cœur docile, afin qu'il puisse juger votre peuple et
discerner entre le bien et le mal : » Dabis ergo servo tuo cor docile, ut
populum tuum judicare possit, et discernere inter bonum et malum (4). Ce
cœur docile qu'il demande, n'est point un cœur incertain et irrésolu. Car la
justice est résolutive, et ensuite elle est inflexible (a). Mais elle ne
se fixe jamais qu'après qu'elle est informée, et c'est pour
1 III Reg., III, 28. — 2 Sap.,
I, 1. — 3 III Reg., III, 7. — 4 Ibid., 9.
(a) Var. : Car la justice est inflexible.
634
l'instruction qu'elle demande un cœur docile. Telle est la
prière de Salomon.
Mais voyons ce que Dieu lui
donne en exauçant sa prière. « Dieu donna, dit l'Ecriture, à Salomon une sagesse
merveilleuse et une prudence très-exacte : » Dedit quoque Deus sapientiam
Salomoni, et prudentiam multam nimis (1). Remarquez :« la sagesse et la
prudence : » la prudence, pour bien pénétrer les faits ; la sagesse, pour
posséder les règles de la justice. Et pour obtenir ces deux choses, voici le mot
important : « Dieu lui donna, dit l'Histoire sainte, une étendue de cœur comme
le sable de la mer : » Latitudinem cordis quasi arenam quœ est in littore
maris (2). Sans cette merveilleuse étendue de cœur, on ne connaît jamais la
vérité. Car les hommes et particulièrement les princes ne sont pas si heureux
que la vérité vienne à eux de droit fil pour ainsi dire et d'un seul endroit.
Chacun la trouve dans son intérêt, dans ses soupçons, dans ses passions, et la
porte, comme il l'entend, aux oreilles du souverain. Il faut donc un cœur étendu
pour recueillir la vérité deçà et delà, partout où l'on en découvre quelque
vestige. Et c'est pourquoi il ajoute : « Un cœur étendu comme le sable de la
mer; » c'est-à-dire capable d'un détail infini, des moindres particularités, de
toutes les circonstances les plus menues, pour former un jugement droit et
assuré. Tel était le roi Salomon. Ne disons pas, chrétiens, ce que nous pensons
de Louis-Auguste ; et retenant en nos cœurs les louanges que nous donnons à sa
conduite, faisons quelque chose qui soit plus digne de ce lieu; tournons-nous au
Dieu des armées et faisons une prière pour notre roi.
O Dieu, donnez à ce prince
cette sagesse, cette étendue, cette docilité modeste, mais pénétrante, que
désirait Salomon. Ce serait trop vous demander pour un homme que de vous prier,
ô Dieu vivant, que le roi ne fût jamais surpris ; c'est le privilège de votre
science de n'être pas exposée à la tromperie. Mais faites que la surprise ne
l'emporte pas, et que ce grand cœur ne change jamais que pour céder à la vérité.
O Dieu, faites qu'il la cherche ; ô Dieu, faites qu'il la trouve. Car pourvu
qu'il sache la vérité, vous lui avez
1 III Reg., IV, 29. — 2 Ibid.
635
fait (a) le cœur si droit que nous ne craignons rien
pour la justice.
Sire, vous savez les besoins de
vos peuples, le fardeau excédant ses forces dont il est chargé (1). Il se remue
pour Votre Majesté quelque chose d'illustre et de grand, et qui passe la
destinée des rois vos prédécesseurs; soyez fidèle à Dieu, et ne mettez point
d'obstacle par vos péchés aux choses qui se couvent ; portez la gloire de votre
nom et celle du nom français à une telle hauteur, qu'il n'y ait plus rien à vous
souhaiter que la félicité éternelle.
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