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SERMON INCOMPLET
POUR
LE LUNDI DE LA PREMIÈRE SEMAINE DE CARÊME,
SUR L'AUMONE (a).
Quamdiù non fecistis uni de minoribus his, nec mihi
fecistis.
Quand vous n'avez pas secouru les moindres personnes qui
soufflaient (b), c'est à moi que vous avez refusé ce secours. Matth.,
XXV, 45.
Quand le Fils de Dieu s'est fait
homme, quand il s'est revêtu de nos faiblesses et « qu'il a passé, comme dit
l'Apôtre (1), par toutes sortes d'épreuves, à l'exception du péché, » il est
entré avec nous dans des liaisons si étroites et il a pris pour tous les mortels
des sentiments si tendres et si fraternels (c), que nos maux sont ses
maux, nos infirmités ses infirmités, nos douleurs enfin ses douleurs propres.
C'est ce que l'apôtre saint Paul a exprimé en ces paroles dans la divine
Epître aux Hébreux : « Nous n'avons pas un pontife qui soit insensible h nos
maux, ayant lui-même passé par toutes sortes d'épreuves, à l'exception du péché
(d), à cause de sa ressemblance avec nous (2). » Et ailleurs, dans la
même Epitre : « Il a voulu, dit l'Apôtre (3), être en tout semblable à ses
frères, pour être pontife compatissant : » Ut misericors fieret et fidelis
pontifex apud Deum. Cela veut dire, Messieurs, qu'il ne nous plaint pas
seulement comme ceux qui sont dans le port plaignent les autres qu'ils voient
sur la mer agités d'une furieuse tempête ; mais qu'il nous plaint, si je l'ose
dire, comme ses compagnons de fortune, comme ayant eu à souffrir les mêmes
misères que nous, ayant eu aussi bien que nous une chair sensible aux douleurs,
et un sang capable de s'altérer, et une température de corps sujette
1 Hebr., IV, 15. — 2 Ibid.
— 3 Ibid., II, 17.
(a) Prêché vers 1660.
Ce sermon donne une nouvelle preuve de la charité de
Bossuet pour les pauvres. (b) Var. : Que vous voyiez dans les
souffrances. — (c) Paternels. — (d) Ayant lui-même éprouvé toutes
nos misères, à la réserve du péché.
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comme la nôtre à toutes les incommodités de la vie et à la
nécessité de la mort. Il a eu faim sur la terre; et il nous déclare (a)
dans notre évangile qu'il a faim encore dans tous les nécessiteux ; il a été lié
cruellement, et il se sent encore lié dans tous les captifs; il a souffert, il a
langui, et il souffre et il languit (b) encore dans tous les infirmes :
de sorte, dit Salvien, que chacun n'endure que ses propres maux; il n'y a que
Jésus-Christ, seul qui s'étant fait le père de tous, le frère de tous, l'ami
tendre et cordial, et pour dire tout en un mot, le Sauveur de tous, souffre
aussi dans tous les affligés, et mendie généralement dans tous les pauvres :
Solus tantummodo Christus est, qui in omnium pauperum universitate mendicet
(1).
Il ne se contente pas,
chrétiens, d'être tendre et compatissant pour les misérables. Il veut que nous
entrions dans ses sentiments et que nous prenions aussi ce cœur de Sauveur pour
nos frères affligés. C'est pourquoi nous ne lisons rien dans son Ecriture qu'il
nous recommande avec tant de force que la charité et l'aumône ; et nous ne
pouvons nous mieux acquitter du ministère qu'il nous a commis, d'annoncer ses
divins oracles, qu'en excitant ses fidèles à la compassion par toute l'efficace
de son Saint-Esprit et par toute l'autorité de sa parole.
C'est pourquoi je me suis
proposé, Messieurs, de vous entretenir aujourd'hui de cette matière importante;
et ayant pesé attentivement tant ce que nous en lisons dans notre évangile que
ce qu'il a plu à Dieu de nous en révéler dans les autres parties de son
Ecriture, j'ai réduit tout ce grand sujet à trois chefs. Nous avons à considérer
la loi de la charité, l'esprit de la charité, l'effet de la charité. La loi,
c'est l'obligation de la faire; l'esprit, c'est la manière de la pratiquer;
l'effet, c'est le secours actuel du pauvre (c). J'ai donc dessein de vous
exposer dans quel ordre le Fils de Dieu a pourvu à toutes ces choses ; et vous
verrez, chrétiens, que de peur
1 Salv., lib. IV Advers. Avarit.,
p. 304.
(a) Var. : Proteste. — (b) Et vous
voyoz qu'il déclare qu'il souffre ci qu'il languit encore dans tous les
infirmés. — (c) Nous avons à considérer dans l'aumône la loi de la
charité qui nous oblige à la faire, l’esprit de la charité qui nous eu prescrit
la manière, l'effet la fin de la charité qui est le secours actuel du pauvre. Il
faut connaître l'obligation, il en faut savoir la manière, il en faut venir à
l'effet
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qu'on ne s'imagine que cet office de charité soit peu
nécessaire, il en a fait une obligation ; que de peur qu'on ne s'en acquitte
avec des sentiments opposés aux siens, il en a réglé la manière; et que de peur
qu'on ne s'en excuse sur le manquement des moyens, il a lui-même assigné un
fonds.
PREMIER POINT.
L'obligation d'assister les
pauvres est marquée si précisément dans notre évangile, qu'il n'en faut point
après cela rechercher de preuves ; et tout le monde entend assez que le refus de
faire l'aumône est un crime capital, puisqu'il est puni du dernier supplice. «
Allez, maudits, au feu éternel, parce que j'ai eu faim dans les pauvres, et vous
ne m'avez point donné à manger ; j'ai eu soif, et vous m'avez refusé à boire
(1), » et le reste que vous savez. C'est donc une chose claire et qui n'a pas de
difficulté, que le refus de l'aumône est une cause de damnation ; mais on
pourrait demander d'où vient que le Fils de Dieu dissimulant pour ainsi dire
tous les autres crimes des hommes dans son dernier jugement, ne rapporte que
celui-ci pour motiver sa sentence. Est-ce qu'il ne couronne ou qu'il ne punit
que l'aumône qu'on lui accorde ou qu'on lui dénie? Et s'il y a, comme il est
certain, d'autres œuvres qui nous damnent et qui nous sauvent, pourquoi est-ce
que le Sauveur ne parle que de celle-ci? C'est, Messieurs, une question qu'il
sera peut-être agréable, mais certainement très-utile d'examiner en ce lieu,
parce que nous en tirerons des lumières très-nécessaires.
Je pourrais répondre en un mot
que le Sauveur a voulu nous rendre attentifs à la loi de la charité et de
l'aumône. Car comme plusieurs n'eussent pas compris que nous pussions être
condamnas au dernier supplice, non pour avoir dépouillé notre prochain, mais
pour avoir manqué de le secourir dans ses extrêmes nécessites, il a plu à notre
Sauveur de marquer expressément cette vérité dans le récit qu'il nous fait de sa
dernière sentence. De même, comme la pitié qui nous porte à soulager les
misérables est si naturelle à l'homme, plusieurs ne penseraient pas qu'une vertu
qui
1 Matth., XXV, 41, 42.
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devrait nous coûter si peu, fût d'un si grand prix devant
notre juge. C'est pourquoi entre toutes les pratiques de piété, Jésus-Christ a
voulu choisir les œuvres de miséricorde pour les célébrer hautement à la face de
tout le monde; et afin que nous entendions que rien ne décide tant notre
éternité que les égards que nous aurons pour les affligés, il nous enseigne dans
notre évangile qu'il ne fera retentir dans son jugement que la charité des uns
et la dureté des autres. Cette raison est très-suffisante ; mais je découvre, si
je ne me trompe, dans le dessein de notre Sauveur quelque mystère plus haut
qu'il faut que je vous expose.
Je ne vous le ferai pas attendre
longtemps et je vous dirai, chrétiens, en un mot que la miséricorde exercée par
nous (a) ou la charité négligée ont un rapport si visible avec ce qui se
passe dans le jugement, qu'il ne faut pas s'étonner si le Sauveur n'y fait
paraître autre chose. Car qu'est-ce que le jugement, sinon miséricorde envers
les uns et rigueur extrême envers les autres ? et qui est plus digne de
miséricorde que celui qui a exercé la miséricorde? au contraire, qui mérite
mieux d'être traité à toute rigueur, que celui qui a été dur et impitoyable?
Je m'engage insensiblement dans
une grande profondeur, et je me sens obligé de vous expliquer de quelle sorte
nous devons entendre que la même vie éternelle qui nous est donnée par justice,
nous est aussi accordée par une infinie miséricorde. C'est une doctrine étrange
et inconcevable que Dieu, en nous accordant la vie éternelle, n'a point égard à
nos œuvres. Comment n'a-t-il point d'égard à nos œuvres, puisque nous lisons en
termes formels « qu'il rend à chacun selon ses œuvres (1) ? » Que s'il est
ainsi, chrétiens, il faut avouer nécessairement qu'il entre quelque justice dans
le couronnement des élus. Car qui ne voit clairement que rendre à chacun selon
ses œuvres, c'est traiter chacun selon qu'il mérite (b) ? Or est-il que
traiter les hommes selon leur mérite, c'est un acte de la justice qu'on appelle
distributive; et si l'apôtre saint Paul n'avait pas reconnu cette vérité,
1 Apoc., XXII, 12.
(a) Var.: Pratiquée par nous. — (b)
C'est-à-dire, en d'autres termes, traiter chacun selon qu'il mérite.
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il n'aurait pas dit ces paroles : « J'ai combattu un bon
combat, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi ; au reste la couronne de
justice m'est réservée que le Seigneur, ce juste juge, me rendra en ce jour (1).
» Il paraît manifestement qu'il ne parle de la couronne qu'après avoir raconté
ses œuvres (a) ; c'est une couronne de justice, et non simplement de
grâce ; elle ne lui sera pas seulement donnée, mais rendue; il l'attend de Dieu
parce qu'il est juste, et non pas simplement parce qu'il est bon. C'est
enseigner nettement que la gloire éternelle est donnée aux mérites des bonnes
œuvres, (b) ainsi que l'Eglise catholique l'a cru et entendu dès les
premiers siècles.
Mais cette même Eglise
catholique, également éloignée de tous les sentiments extrêmes, nous apprend
aussi après cet Apôtre que la vie éternelle, qui nous est rendue comme
récompense par un acte de justice, nous est aussi donnée comme grâce par un
effet de miséricorde : Gratia autem Dei vita aeterna 2) ; et il nous faut
un peu démêler cette belle théologie.
Oui, Messieurs, la vie éternelle
est donnée aux œuvres ; et néanmoins il est certain que c'est une grâce, parce
qu'elle nous est promise par grâce; elle nous est préparée dès l'éternité par la
grâce de celui qui nous a élus en Jésus-Christ, afin que nous fussions saints ;
et que les bonnes œuvres qui nous l'acquièrent ne sont pas en nous « comme de
nous-mêmes, » tanquam ex nobismetipsis (c) (3), mais que « nous y
sommes créés » par la grâce, comme dit le divin Apôtre : Creati in Christo
Jesu in operibus bonis (4); et si nous y persistons jusqu'à la fin, c'est
par ce don spécial de persévérance, qui est le plus grand bienfait de la grâce :
si bien qu'il ne reste plus autre chose à l'homme (d) que de se glorifier
en Notre-Seigneur, qui donne la vie éternelle aux
1 II Tim., IV, 7, 8.— 2 Rom., VI, 23;
Ephes., II, 5.— 3 II Cor., III, 5.— 4 Ephes., II, 10.
(a) Var. : Qu'après qu'il a raconté ses
œuvres. — (b) Note marg. : C'est enseigner nettement que les
bonnes œuvres sont de grand prix, de grande valeur, de grand mérite devant Dieu;
car tout cela c'est la même chose, et que c'est à ce mérite que la vie éternelle
est donnée. — (c) La Vulgate dit : Quasi ex nobis. — (d) Var.
: Ainsi si la justice nous reçoit au ciel, où la couronne d'immortalité nous est
préparée, c'est la miséricorde qui nous y conduit, et il ne reste plus autre
chose à l'homme, etc.
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mérites, mais qui donne gratuitement les mérites, selon ce
que dit le saint concile de Trente, « que les mérites sont les dons de Dieu : »
Ut eorum velit esse merita, quœ sunt ipsius dona (1).
C'est, Messieurs, pour cette
raison que l'admirable saint Augustin contemplant les œuvres de Dieu et en
regardant la sage distribution, les rapporte à ces trois choses : ou Dieu rend
aux hommes le mal pour le mal, ou il rend le bien pour le mal, ou il leur rend
le bien pour le bien : Reddet omnino Deus et mala pro malis, quoniam justus
est ; et bona pro malis, quoniam bonus est; et bona pro bonis, quoniam bonus et
justus est (2) : Il rend le mal pour le mal, le supplice pour le péché,
quand il punit les pécheurs impénitents, parce qu'il est juste; il rend le bien
pour le mal, la grâce et le pardon pour l'iniquité, quand il pardonne l'iniquité
aux pécheurs, parce qu'il est bon ; enfin il rend le bien pour le bien, la vie
éternelle pour les bonnes œuvres, quand il couronne les justes, parce qu'il est
juste et bon tout ensemble. C'est pourquoi nous disons avec le Psalmiste : « O
Seigneur, je vous chanterai miséricorde et jugement, » parce que tous les
ouvrages de Dieu sont compris sous la miséricorde et sous la justice :
Misericordiam et judicium cantabo tibi, Domine (3). La damnation des méchants
est une pure justice; la justification des pécheurs, une pure miséricorde; enfin
le couronnement des justes, une miséricorde mêlée de justice, parce que si la
justice nous reçoit au ciel où la couronne d'immortalité nous est préparée,
c'est la miséricorde qui nous y conduit, en nous remettant nos péchés et en nous
donnant la persévérance.
D'où il faut conclure, en
passant plus outre, que la miséricorde l'emporte. Car n'est-ce pas par un pur
effet de miséricorde que Dieu nous aime gratuitement dès l'éternité, qu'il nous
prévient de sa grâce dans le temps, qu'il nous attend tous les jours avec
patience et supporte non-seulement nos faiblesses, mais encore nos ingratitudes?
O grâce, je vous dois tout; ô bonté, je suis votre ouvrage ! sans vous, ô
miséricorde, je ne découvre de toutes parts alentour de moi que damnation et
perte assurée ! C'est vous seule qui me rappelez quand je m'éloigne , vous seule
qui me pardonnez
1 Sess. VI, cap. XVI.— 2 De Grat. et lib. arb.,
cap. XXIII, n. 45.— 3 Psal. C, 1.
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quand je reviens, vous seule qui me soutenez quand je
persévère. Mais c'est peu, chrétiens, de le reconnaître. La manière la plus
efficace d'honorer la bonté divine, c'est de l'imiter. Si vous êtes vraiment
touchés des bienfaits de Dieu et de cette miséricorde infinie par laquelle « il
vous a tirés des ténèbres à son admirable lumière (1), soyez miséricordieux et
bienfaisants comme votre Père céleste (2). » Rendez à Jésus-Christ son sang et
sa mort; faites du bien à ceux qu'il vous recommande. Quand vous nourrissez les
pauvres, il est nourri ; quand vous les vêtissez, il est vêtu, quand vous les
visitez, il est consolé. Exercez donc la miséricorde comme vous l'avez reçue.
C'est la grande reconnaissance que Dieu attend de vous pour tant de bienfaits,
c'est le sacrifice agréable que vous demande sa miséricorde : Talibus enim
hostiis promeretur Deus (3).
Je remarque dans les Ecritures
deux sortes de sacrifices : il y a un sacrifice qui tue et un sacrifice qui
donne la vie. Le sacrifice qui tue est assez connu, témoin le sang de tant de
victimes et le massacre de tant d'animaux. Mais outre le sacrifice qui détruit,
je vois dans les saintes Lettres un sacrifice qui sauve; car, comme dit
l’Ecclésiastique, « celui-là offre un sacrifice, qui exerce la miséricorde : »
Qui facit misericordiam, offert sacrificium (4). D'où vient cette
différence, sinon que l'un de ces sacrifices a été divinement établi pour
honorer la bonté de Dieu, et l'autre pour apaiser sa justice? La justice divine
poursuit les pécheurs à main armée, elle lave ses mains dans leur sang, elle les
perd et les extermine : Pereant peccatores à facie Dei (5). Au contraire
la miséricorde toujours douce, toujours bienfaisante, ne veut pas que personne
périsse et « pense toujours, dit l'Ecriture, des pensées de paix, et non pas des
pensées d'affliction : » Ego cogito cogitationes pacis, et non afflictionis
(6). C'est pourquoi cette justice qui tonne, qui fulmine, qui renverse les
montagnes et déracine (a) les cèdres du Liban, c'est-à-dire qui extermine
les pécheurs superbes et lave ses mains dans leur sang, exigeait des sacrifices
sanglants
1 I Petr., II, 9. — 2 Luc.,
VI, 36. — 3 Hebr., XIII, 16. — 4 Eccli., XXXV, 4. — 5 Psal.
LXVII, 2. — 6 Jerem., XXIX, 11.
(a) Var. : Arrache.
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et des victimes égorgées pour marquer la peine qui est due
aux crimes des hommes. Donnez un couteau, allumez du feu ; il faut que tout
l'autel nage dans le sang et que cette victime soit consumée. Mais pour cette
miséricorde toujours bienfaisante qui guérit ce qui est blessé, qui affermit ce
qui est faible, qui vivifie ce qui est mort, il faut présenter en sacrifice, non
des victimes détruites, mais des victimes conservées, c'est-à-dire des pauvres
nourris, des infirmes soutenus, des misérables soulagés.
Aussi dans la
nouvelle alliance, qui est une alliance de grâce et de miséricorde infinie ,
Dieu n'exige rien tant de nous que de semblables hosties. « Ne fallait-il pas,
dit le père de famille, que vous eussiez pitié de vos conserviteurs comme j'ai
eu pitié de vous (1) ? » Il veut que la bonté qu'il a exercée soit l'exemple et
la loi de ses enfants. C'est par là qu'on s'acquitte envers sa clémence, c'est
par là qu'on obtient de lui de nouvelles grâces : faites miséricorde , parce que
vous l'avez reçue; faites miséricorde, afin que vous la receviez : Beati
misericordes, quoniam ipsi misericordiam consequentur (2). C'est donc pour
cette raison qu'il ne parlera en ce dernier jour que de ceux qui auront soulagé
les pauvres. « Venez, les bénis de mon Père (3) ; » venez, enfants de grâce,
enfants d'adoption et de miséricorde éternelle ; vous avez honoré ma miséricorde
, puisque vous l'avez imitée. Vous avez reconnu véritablement que vous ne
subsistiez que par mes aumônes, puisque vous en avez fait largement à vos frères
mes enfants que je vous avais recommandés. C'est moi que vous avez soulagé en
eux, et vous m'avez rendu en leur personne les bienfaits que vous avez reçus de
ma grâce. Venez donc, ô fidèles imitateurs de mon infinie miséricorde , venez en
recevoir le comble, et « possédez à jamais le royaume qui vous a été préparé
avant l'établissement du monde : » Venite, possidete paratum vobis regnum a
constitutione mundi (4).
Par la raison contraire (a),
il est aisé de comprendre qu'il n'y a point de plus juste cause de l'éternelle
damnation des hommes, que la dureté de leur cœur sur les misères des autres. Car
il faut remarquer, Messieurs, que Dieu toujours indulgent et toujours
1 Matth., XVIII, 33. — 3 Ibid.,
V, 7. — 4 Ibid., XXV, 34. — 5 Ibid.
(a) Var. : Par une raison opposée.
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prêt à nous pardonner, ne punit pas tant nos péchés que le
mépris des remèdes qu'il nous a donnés pour les expier. Or le plus efficace de
tous les remèdes, c'est la charité et l'aumône. C'est de la charité qu'il est
écrit « qu'elle couvre non-seulement les péchés, mais la multitude des péchés
(1). » C'est de l'aumône qu'il est prononcé que « comme l'eau éteint le feu,
ainsi l'aumône éteint le péché (2). » Puis donc que vous avez méprisé ce remède
si nécessaire, ah ! tous vos péchés seront sur vous ; malheureux, toutes vos
fautes vous seront comptées. « Jugement sans miséricorde à celui qui ne fait
point de miséricorde (3). » Cruel, vous n'en faites pas, et jamais vous n'en
recevrez aucune. Une vengeance implacable vous poursuivra dans la vie et à la
mort, dans le temps et dans l'éternité. Vous refusez tout à Jésus-Christ dans
ses pauvres; il comptera avec vous, et il exigera de vous jusqu'au dernier sou
par des supplices cruels ce que vous devez à sa justice. « Allez donc, maudits,
au feu éternel (4); » allez, inhumains et dénaturés, au lieu où il n'y aura
jamais de miséricorde. Vous avez eu un cœur de fer, et le ciel sera de fer sur
votre tète; jamais il ne fera distiller sur vous la moindre rosée de
consolation. Riche cruel et impitoyable, vous demanderez éternellement une
goutte d'eau , qui vous sera éternellement refusée. Vous vous plaignez en vain
de cette rigueur : elle est juste, elle est très-juste. Jésus-Christ vous rend
selon vos œuvres et vous fait comme vous lui avez fait. Il a langui dans les
pauvres, il a cherché des consolateurs, et il n'en a pas trouvé ; et bien loin
de le soulager dans ses maux extrêmes, vous avez imité le crime des Juifs ; vous
ne lui avez donné que du vinaigre dans sa soif, c'est-à-dire des rebuts dans son
indigence (a). Vous souffrirez à votre tour, et il rira de vos maux, et
il verra d'un regard tranquille cette flamme qui vous dévore, ce désespoir
furieux, ces pleurs éternels, cet horrible grincement de dents. O justice ! ô
grande justice! mais ô justice terrible pour ceux qui mériteront par leur dureté
ses insupportables rigueurs (b) !
1 Prov., X, 12; I Petr.,
IV, 8. — 2 Eccli., III, 33. — 3 Jacob., II, 13. — 4 Matth.,
XXV, 41.
(a) Var. : C'est-à-dire du mépris. — (b)
Rigueurs intolérables.
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