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SECOND SERMON
POUR
LE DIMANCHE DE LA PASSION,
SUR LA SOUMISSION ET LE RESPECT DU A LA VÉRITÉ (a).
Si veritatem dico robis, quare non creditis mihi ?
Si je vous dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas?
Joan., VIII, 46.
On a dit il y a longtemps qu'il
n'y a rien de plus fort que la vérité, et cela se doit entendre particulièrement
de la vérité de l'Evangile. Cette vérité, chrétiens, que la foi nous propose en
énigme, comme parle l'apôtre saint Paul, paraît dans le ciel à découvert,
révérée de tous les esprits bienheureux; elle étend son empire jusqu'aux enfers,
et quoiqu'elle n'y trouve que ses ennemis, elle les force néanmoins de la
reconnaître. « Les démons la croient, dit saint Jacques (1) ; non-seulement ils
croient, mais ils tremblent. » Ainsi la vérité est respectée dans le ciel et
dans les enfers. La terre est au milieu, et c'est là seulement qu'elle est
méprisée. Les anges la voient, et ils l'adorent; les démons la haïssent, mais
ils ne la méprisent pas, puisqu'ils tremblent sous sa puissance. C'est nous
seuls, ô mortels, qui la méprisons, lorsque nous l'écoutons froidement et comme
une chose indifférente que
1 Jacob., II, 19.
(a) Prêché en 1663, dans le Carême du Val-de-Grace, devant
les religieuses de l'abbaye, la reine mère et plusieurs courtisans.
On lit dans l'exorde de ce sermon : « En effet, âmes
saintes, ces lois immuables de la société, sur lesquelles notre conduite doit
être réglée...., crient toujours contre les pécheurs. » Et dans le troisième
point : « Où sont ceux qui ne craignent pas les embûches de la flatterie? Mais
celle de la Cour est si délicate qu'on ne peut presque en éviter les pièges. »
On voit par ces deux passades que notre sermon a été prêché tout ensemble et
devant des religieuses et devant des personnes de la Cour. Or le Val-de-Grâce
nous montre seul, autour de la chaire du grand prédicateur, un auditoire composé
de ces deux classes de la société.
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nous voulons bien avoir dans l'esprit, mais à laquelle il
ne nous plaît pas de donner aucune place dans notre vie. Et ce qui rend notre
audace plus inexcusable (a), c'est que cette vérité éternelle n'a pas
fait comme le soleil, qui demeurant toujours dans sa sphère, se contente
d'envoyer ses rayons aux hommes; elle, dont le ciel est le lieu natal, a voulu
aussi naître sur la terre : Veritas de terra orta est (1). Elle n'a pas
envoyé de loin ses lumières, elle-même est venue nous les apporter, et les
hommes toujours obstinés ont fermé les yeux ; ils ont haï sa clarté à cause que
leurs œuvres étaient mauvaises, et ont contraint le Fils de Dieu de leur faire
aujourd'hui ce juste reproche : Si veritatem dico vobis, quare non creditis
mihi? Puisqu'il nous ordonne, Messieurs, de vous faire aujourd'hui ses
plaintes touchant cette haine de la vérité, qu'il nous accorde aussi son secours
pour plaider fortement sa cause la plus juste qui fut jamais. C'est ce que nous
lui demandons par les prières de la sainte Vierge. Ave (b), etc.
La vérité est une reine qui a
dans le ciel son trône éternel et le siège de son empire dans le sein de Dieu.
Il n'y a rien de plus noble que son domaine, puisque tout ce qui est capable
d'entendre en relève et qu'elle doit régner sur la raison même, qui a été
destinée pour régir et gouverner toutes choses. Il pourrait sembler, chrétiens,
qu'une reine si adorable ne pourrait perdre son autorité que par l'ignorance;
mais, comme le Fils de Dieu nous le reproche , que la malice des hommes lui
refuse son obéissance lors même qu'elle leur est le mieux annoncée, c'est
véritablement ce qui m'étonne, et je prétends aujourd'hui rechercher la cause
d'un dérèglement si étrange. Il est bien aisé de comprendre que c'est une haine
secrète que nous avons pour la vérité, qui nous fait secouer le joug dune
puissance si légitime. Mais d'où nous vient cette haine, et quels en sont les
motifs? C'est ce qui mérite une grande considération et ce que je tâcherai de
vous expliquer par
1 Psal. LXXXIV, 12.
(a) Var. : Et ce qui nous rend plus
inexcusables.— (b) Bienheureux Marie, voua êtes la première qui l'avez
reçue; mais il fallait, pour la recevoir, que le Saint-Esprit vous ouvrit le
coeur : obtenez-nous par vos prières cet Esprit qui survint en vous après que
l'ange vous eut salade, en disant : Ave.
400
les principes, suivant la doctrine de saint Thomas, qui
traite expressément cette question ». Pour cela il faut entendre avant toutes
choses que le principe de la haine, c'est la contrariété et la répugnance; et en
ce regard (a), chrétiens, il ne tombe pas sous le sens qu'on puisse haïr
la vérité prise en elle-même et dans cette idée générale (b), « parce
que, dit très-bien le grand saint Thomas, ce qui est vague de cette sorte et
universel ne répugne jamais à personne, et ne peut être par conséquent un objet
de haine. » Ainsi les hommes ne sont pas capables d'avoir de l'aversion pour la
vérité, sinon autant qu'ils (c) la considèrent dans quelque sujet
particulier où elle combat leurs inclinations, où elle contredit leurs
sentiments ; et en cette vue, chrétiens, il me sera facile de vous convaincre (d)
que nous pouvons haïr la vérité en trois sortes, par rapport à trois sujets où
elle se trouve et dans lesquels elle contrarie nos mauvais désirs. Car nous la
pouvons regarder ou en tant qu'elle réside en Dieu, ou en tant qu'elle nous
paraît dans les autres hommes, ou en tant que nous la sentons en nous-mêmes ; et
il est certain qu'en ces trois états toujours elle contrarie les mauvais désirs,
et toujours elle donne aussi un sujet de haine aux hommes déréglés et mal
vivants.
Et en effet, âmes saintes, ces
lois immuables de la vérité, sur lesquelles notre conduite doit être réglée (g),
soit que nous les regardions en leur source, c'est-à-dire en Dieu, soit qu'elles
nous soient montrées dans les autres hommes, soit que nous les écoutions parler
en nous-mêmes, crient toujours contre les pécheurs, quoiqu'en des manières
différentes. En Dieu qui est le juge suprême , elles les condamnent ; dans les
hommes qui sont des témoins présents, elles les reprennent et les convainquent ;
en eux-mêmes et dans le secret de leur conscience, elles les troublent et les
inquiètent : et c'est pourquoi partout elles leur déplaisent. Car ni l'orgueil
de l'esprit humain ne peut permettre (f ) qu'on le condamne, ni
l'opiniâtreté des pécheurs ne peut souffrir qu'on la
1 IIa IIae, Quœst. XXIX, art. 5.
(a) Var. : Selon ce regard, — selon cette
idée. — (b) Et dans cette vue générale.— (c) En tant qu’ils.— (d)
Nous serons facilement convaincus; — il nous est aisé de comprendre. — (e)
Qui doivent régler notre vie. — (f) Ne peut endurer.
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convainque, et l'amour aveugle qu'ils ont pour leurs vices
peut encore moins consentir qu'on l'inquiète. C'est pourquoi ils haïssent la
vérité ; d'où vous pouvez comprendre combien ils sont éloignes de lui obéir.
Mais si vous ne l'avez pas encore entendu, la conduite des Juifs envers
Jésus-Christ (a) vous le fera aisément connaître. Il leur prêche les
vérités qu'il dit avoir vues dans le sein du Père (b); ces vérités les
condamnent, et ils haïssent son Père où elles résident : Oderunt et me et
Patrem meum (1).
Il les reprend en vérité de
leurs vices; et pendant que ses discours les convainquent, la haine de la vérité
leur fait haïr celui qui l'annonce (c) ; ils s'irritent contre lui-même,
ils l'appellent samaritain et démoniaque; ils courent aux pierres pour le
lapider, comme il se voit dans notre évangile. Il les presse encore de plus
près, il leur porte jusqu'au fond du cœur la lumière de la vérité, conformément
à cette parole : « La lumière est en vous pour un peu de temps (d) : » Adhuc
modicùm lumen in vobis est (2); et ils la haïssent si fort cette vérité
adorable, qu'ils en éteignent encore ce faible rayon, parce qu'ils cherchent (g)
la nuit entière pour couvrir leurs mauvaises œuvres. Dans cette aversion
furieuse (f) qu'ils témoignent à la vérité, et parmi tant d'outrages
qu'ils lui font souffrir, n'a-t-il pas raison, chrétiens, de leur faire
aujourd'hui ce juste reproche : « Si je vous dis la vérité, pourquoi
refusez-vous de la croire? » Pourquoi une haine aveugle vous empêche-t-elle de
lui obéir ?
Mais il ne parle pas seulement
aux Juifs ses ennemis déclarés, et son dessein principal est d'apprendre à ses
serviteurs à aimer et respecter sa vérité sainte, en quelque endroit qu'elle
leur paraisse. Quand ils la regardent en leur juge, qu'ils permettent, qu'elle
les règle ; quand elle les reprend par les autres hommes, qu'ils souffrent
qu'elle les corrige; quand elle leur parle dans leurs consciences, qu'ils
consentent non-seulement qu'elle les éclaire, mais encore qu'elle les change et
les convertisse. Trois parties de ce discours.
1 Joan., XV, 24. — 2 Ibid.,
XII, 35.
(a) Var. : Envers le Sauveur. — (b) Au
sein de son Père. — (c) Celui qui la prêche. — (d) « Il y a encore
en vous un peu de lumière. » — (e) Parce qu'ils veulent — (f) Dans
cette haine invétérée et opiniâtre.
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PREMIER POINT.
Comme ces lois primitives et
invariables de vérité et de justice, qui sont dans l'intelligence divine,
condamnent (a) directement la vie des pécheurs, il est très-certain
qu'ils les haïssent et qu'ils voudraient par conséquent les pouvoir détruire. La
raison solide, c'est le naturel de la haine de vouloir détruire son objet, comme
de l'amour de le conserver. Sans que vous donniez la mort à votre ennemi, vous
le tuez déjà par votre haine, qui porte toujours dans l’âme une disposition
d'homicide. C'est pourquoi l'Apôtre dit : Omnis qui odit fratrem suum
homicida est (1). Il le compare à Caïn. Il ne dit pas : Celui qui trempe les
mains dans son sang ou qui enfonce un couteau dans son sein, mais celui qui le
hait est homicide. C'est que le Saint-Esprit qui le guide n'arrête pas sa pensée
à ce qui se fait au dehors : il va approfondissant les causes cachées, et c'est
ce qui lui fait toujours trouver dans la haine une secrète intention de meurtre.
Car si vous savez observer toutes les démarches de la haine (b), vous
verrez qu'elle voudrait détruire partout ce qu'elle a déjà détruit dans nos
cœurs, et les effets le font bien connaître. Si vous haïssez quelqu'un, aussitôt
sa présence blesse votre vue, tout ce qui vient de sa part vous fait soulever le
cœur ; se trouver avec lui dans le même lieu vous paraît une rencontre funeste.
Au milieu de ces mouvements, si vous ne réprimez votre cœur, il vous dira (c),
chrétiens, que ce qu'il n'a pu souffrir en soi-même, il ne le peut non plus
souffrir nulle part ; qu'il n'y a bien qu'il ne lui ôtât après lui avoir ôté son
affection, qu'il voudrait être défait sans réserve aucune de cet objet odieux :
c'est l'intention secrète de la haine. C'est pourquoi l'apôtre saint Jean a
raison de dire (d) qu'elle est toujours homicide.
Mais appliquons ceci maintenant
à la conduite des pécheurs. Ils haïssent la loi de Dieu et sa vérité : qui doute
qu'ils ne la haïssent, puisqu'ils ne lui veulent donner aucune place dans leurs
mœurs? Mais l'ayant ainsi détruite en eux-mêmes, ils voudraient la
1 I Joan., III, 5.
(a) Var. : Contrarient. — (b) Si vous
observez tout ce que fait la haine par elle-même. — (c) Si vous laissez
votre cœur s'expliquer avec sa liberté tout entière, il vous dira... — (d)
Dit.
403
pouvoir détruire jusque dans sa source : Dùm esse volunt
mali, nolunt esse veritatem quà damnantur mali (1) : « Comme ils ne veulent
point être justes, ils voudraient que la vérité ne fût pas, parce qu'elle
condamne les injustes. » Et ensuite on ne peut douter qu'ils ne veuillent,
autant qu'ils peuvent, abolir la loi dont l'autorité les menace et dont la
vérité les condamne.
C'est ce que Moïse nous fit
connaître par une excellente figure, lorsqu'il descendait de la montagne où Dieu
lui avait parlé face à face. Il avait en ses mains les tables sacrées où la loi
de Dieu était gravée ; tables vraiment vénérables et sur lesquelles la main de
Dieu et les caractères de son doigt tout-puissant se voyaient tout récents
encore. Toutefois entendant les cris et voyant les danses des Israélites qui
couraient après (a) le veau d'or, il les jette à terre et les brise :
Vidit vitulum et choros, iratusque valde projecit de manu tabulas et confregit
eas (2) : une sainte indignation lui fait jeter et rompre les tables. Que
veut dire ce grand législateur (b)? Je ne m'étonne pas, chrétiens, que sa
juste colère se soit élevée contre ce peuple idolâtre pour le faire périr par le
glaive ; mais qu'avaient mérité ces tables augustes, gravées de la main de Dieu,
pour obliger Moïse à les mettre en pièces ? Tout ceci se fait en figure et
s'accomplit pour notre instruction. Il a voulu nous représenter ce que ce peuple
faisait alors : il brise les tables de la loi de Dieu, pour montrer que dans
l'intention des pécheurs la loi est détruite et anéantie. Quoique le peuple ne
pèche que contre un chef de la loi, qui défendait d'adorer les idoles, il casse
ensemble toutes les deux tables, parce que nous apprenons de l'oracle que «
quiconque pèche en un seul article, viole l'autorité de tous les autres (3) » et
abolit autant qu'il peut la loi tout entière. Evangile de même. Unité du corps
de Jésus-Christ et de toute sa doctrine.
Mais l'audace du pécheur
n'entreprend pas seulement de détruire les tables inanimées, qui sont comme des
extraits de la loi divine ; il en veut à l'original, je veux dire à cette équité
et à cette vérité primitive qui réside dans le sein de Dieu et qui est la règle
immuable et éternelle de tout ce qui se meut dans le temps ; c'est-
1 S. August., Tract. XC in Joan.
— 2 Exod., XXXII, 19. — 3 Jacob., II, 10.
(a) Var. ; Qui adoraient. — (b)
Prophète.
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à-dire qu'il en veut à Dieu, qui est lui-même sa vérité et
sa justice. « L'insensé a dit dans son cœur : Il n'y a point de Dieu (1). » Il
l'a dit en son cœur, dit le saint prophète ; il a dit non ce qu'il pense, mais
ce qu'il désire : il n'a pas démenti sa connaissance, mais il a confessé son
crime, son attentat. Il voudrait qu'il n'y eût point de Dieu, parce qu'il
voudrait qu'il n'y eût point de loi ni de vérité. Et afin que nous comprenions
que tel est son secret désir, Dieu a permis qu'il se soit enfin découvert sur la
personne de son Fils. Les méchants l'ont crucifié, et si vous voulez savoir pour
quelle raison , qu'il vous le dise lui-même : « Vous voulez me tuer, dit-il (a),
parce que mon discours ne prend point en vous (2) ; » c'est-à-dire, si nous
l'entendons, parce que vous haïssez ma vérité sainte; parce que la rejetant de
vos mœurs, partout où elle vous paraît elle vous choque, et partout où elle vous
choque vous voudriez pouvoir la détruire.
Pensons-nous bien, ô pécheurs,
sur qui nous mettons la main lorsque nous chassons de notre âme et que nous
bannissons de notre vie la règle de la vérité? Nous crucifions Jésus-Christ
encore une fois. Il nous dit aussi bien qu'aux Juifs : Quaeritis me
interficere. Car quiconque hait la vérité et les lois immuables qu'elle nous
donne, il tue spirituellement la justice et la sagesse éternelle qui est venue
nous les apprendre ; et ainsi se revêtant d'un esprit de juif, il doit penser
avec tremblement que son coeur n'est pas éloigné de se laisser aller à la cabale
sacrilège qui l'a mis en croix (b). Folle et téméraire entreprise du
pécheur, qui entreprend sur l'être de son Auteur même par l'aversion qu'il a
pour la vérité ! Gladius eorum intret in corda ipsorum, et arcus eorum
confringatur (3) : « Que son glaive lui perce le cœur, et que son arc soit
brisé ! » Deux sortes d'armes dans les mains du pécheur : un arc pour tirer de
loin, un glaive pour frapper de près. La première arme se rompt, et est inutile
; la seconde a son effet, mais contre lui-même. Il tire de loin, chrétiens, il
tire contre Dieu; et non-seulement les coups n'y arrivent pas, mais encore l'arc
se rompt
1 Psal. LII, 1. — 2 Joan.,
VIII, 37. — 3 Psal. XXXVI, 15.
(a) Var.: «Vous voulez, dit-il, me donner la
mort. » — (b) Qu’il se serait facilement laissé emporter à la cabale
sacrilège qui l'a fait mourir.
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au premier effort. Mais ce n'est pas assez que son arc se
brise, que son entreprise demeure inutile ; il faut que son glaive lui perce le
cœur, et que pour avoir tiré de loin contre Dieu, il se donne lui-même un coup
sans remède. Ainsi son entreprise retombe sur lui ; il met son âme en pièces (a)
par l'effort téméraire qu'il fait contre Dieu ; et pendant qu'il pense détruire
la loi, il se trouve qu'il n'a de force que contre son âme (b). Mais
revenons à notre sujet, et continuons de suivre la piste de l'aversion (c)
que nous avons pour la vérité et pour ses règles invariables.
Vous avez vu, chrétiens, que le
pécheur les détruit tout autant qu'il peut (d), non-seulement dans la loi
et dans l'Evangile qui en sont, vous avons-nous dit, de fidèles copies (e),
mais encore dans le sein de Dieu où elles sont écrites en original. Il voit
qu'il est impossible : « Je suis Dieu, dit le Seigneur, et ne change point (1).
» Quoi que l'homme puisse attenter, ce qu'a prononcé sa divine bouche est fixe
et invariable ; ni le temps ni la coutume ne prescrivent point contre l'Evangile
: Jesus Christus heri et hodie, ipse et in sœcula (2). Il ne faut donc
pas espérer que la loi de Dieu se puisse détruire. Que feront ici les pécheurs
toujours poussés secrètement de cette haine secrète de la vérité qui les
condamne? Ce qu'ils ne peuvent corrompre, ils l'altèrent; ce qu'ils ne peuvent
abolir, ils le détournent, ils le mêlent, ils le falsifient, ils tâchent de
l'éluder par de vaines subtilités. Et de quelle sorte, Messieurs? En formant des
doutes et des incidents, en réduisant l'Evangile à des questions artificieuses
qui ne servent qu'à faire perdre parmi des détours infinis la trace toute droite
de la vérité. Car ces pécheurs subtils et ingénieux, qui tournent de tous côtés
l'Evangile, qui trouvent des raisons de douter sur l'exécution de tous ses
préceptes, qui fatiguent les casuistes par leurs consultations infinies, ne
travaillent qu'à envelopper la règle des mœurs. Ce sont des hommes, dit saint
Augustin, « qui se tourmentent beaucoup pour ne trouver pas ce qu'ils cherchent
: » Nihil laborant, nisi non invenire quod quœrunt (3); ou plutôt ce sont
ceux
1 Malach., III, 6. — 2 Hebr.,
XIII, 8. — 3 De Genes., contra Manich., lib. II, cap. II, tom. I.
(a) Var.: Il se met en pièces lui-même. — (b)
Soi-même. — (c) De la haine. — (d) Les veut détruire. — (e)
Les véritables copies.
406
dont parle l'Apôtre, qui n'ont jamais de maximes fixes ni
de conduite certaine, « qui apprennent toujours, et qui n'arrivent jamais à la
science de la vérité : » Semper discentes, et nunquam ad scientiam veritatis
pervenientes (1).
Ce n'est pas ainsi, chrétiens,
que doivent être les enfants de Dieu. A Dieu ne plaise que nous croyions que la
doctrine chrétienne soit toute en doutes et en questions! L'Evangile nous adonné
quelques principes, Jésus-Christ nous a appris quelque chose ; qu'il puisse se
rencontrer quelquefois des difficultés extraordinaires, je ne m'y veux pas
opposer ; mais je ne crains point d'assurer que pour bien régler notre
conscience sur la plupart des devoirs du christianisme, la simplicité et la
bonne foi sont de grands docteurs ; ils laissent peu de choses indécises. Par la
grâce de Dieu, Messieurs, la vie pieuse et chrétienne ne dépend pas des
subtilités ni des belles inventions de l'esprit humain. Pour savoir vivre (a)
selon Dieu en simplicité, le chrétien n'a pas besoin d'une grande étude ni d'un
grand appareil de littérature; peu de choses lui suffisent, dit Tertullien, pour
connaître de la vérité autant qu'il lui en faut pour se conduire : Christiano
paucis ad scientiam veritatis opus est (2). Qui nous a donc produit tant de
doutes, tant de fausses subtilités, tant de dangereux adoucissements sur la
doctrine des mœurs, si ce n'est que nous voulons tromper ou être trompés ? Ces
deux excellents docteurs auxquels je vous renvoyais, la simplicité et la bonne
foi, donnent des décisions trop formelles pour notre conduite. Ainsi nous
pouvons dire avec certitude que la vérité est en nous ; mais si nous ne l'avons
pas épargnée en Dieu qui en est l'original (b), il ne faut pas s'étonner
que nous la violions (c) en nos cœurs, ni que nous tâchions d'effacer les
extraits que Dieu même en a imprimés au fond de nos consciences.
Or il faut ici remarquer (d)
qu'il y a cette différence entre ces deux attentats, que dans l'effort que nous
faisons contre Dieu et contre sa vérité considérée en elle-même, nous nous
perdons tous seuls, et que cette vérité primitive et originale demeure toujours
1 II Timoth., III, 7. — 2 Tertull.,
De Anim., n. 2.
(a) Var. : Pour vivre. — (b) Le
premier principe. — (c) La combattions.— (d) Remarquer
attentivement.
407
ce qu'elle est, toujours entière et inviolable (a).
Mais il n'en est pas de la sorte de la vérité (b) qui est inhérente en
nous, laquelle étant à notre portée et pour ainsi dire sous nos mains, nous
pouvons aussi pour notre malheur la corrompre et l'obscurcir (c), et même
l'éteindre tout à fait. Alors qui pourrait penser dans quelles ténèbres et dans
quelle horreur nous vivons ! Non, le soleil éteint tout à coup ne jetterait pas
la nature étonnée dans un état plus horrible qu'est celui d'une âme malheureuse
où la vérité est éteinte. Mais, mes frères, il nous faut entendre par quels
degrés nous tombons dans cet abîme, et quel est le progrès d'un si grand mal.
SECOND POINT.
La première atteinte que nous
donnons à la vérité résidant en nous, c'est que nous ne rentrons point en
nous-mêmes pour faire réflexion sur la connaissance qu'elle nous inspire ; d'où
s'ensuit ce malheur extrême, qu'elle n'éclaire non plus notre esprit (d) que si
nous l'ignorions tout à fait, (e) Certes il est véritable que notre âme
n'est illuminée que par la réflexion : (f) nous l'éprouvons tous les
jours. Ce n'est pas assez de savoir les choses et de les avoir cachées dans la
mémoire ; si elles ne sont pas présentes à l'esprit, nous n'en demeurons pas
moins dans les ténèbres, et cette connaissance ne les dissipe point (g).
Si les vérités de pratique ne sont souvent remuées, souvent amenées à notre vue,
elles perdent l'habitude de se présenter et cessent par conséquent d'éclairer;
nous marchons également dans l'obscurité, soit que la lumière disparaisse, soit
que nous fermions les yeux. Ainsi, comme enchantés par nos plaisirs ou détournés
par nos affaires, nous négligeons de rappeler en notre mémoire les vérités du
salut, et la foi
(a) Var.: Incorruptible, — (b) De
cette vérité. — (c) La mutiler et la corrompre, la falsilier et
l'obscurcir. — (d) C'est que nous ne faisons pas de réflexion sur la
connaissance qu'elle nous donne, de sorte qu'elle n'éclaire non plus notre
esprit... — (e) Note marg. : Et non rogavimus faciem tuam,
Domine Deus noster, ut reverteremur ab iniquitatibus nostris et cogitaremus
veritatem tuum. (Dan., IX, 13). — (f) Nous plaignons, et avec
raison, tant de peuples infidèles qui ne connaissent pas la vérité; mais nous
n'en sommes pas plus avances pour en avoir la connaissance; car il est
très-indubitable que notre âme n'est illuminée que par la réflexion. — (g)
Var. : Il faut qu'elles se présentent, autrement la connaissance en est
inutile.
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est en nous inutilement : toutes ses lumières se perdent,
parce qu'elles ne trouvent pas les yeux ouverts ni les esprits attentifs : (a)
Nous périssons tous, dit le saint prophète; et « toute la terre est désolée à
cause qu'il n'y a personne qui pense ni qui réfléchisse : » Desolatione
desolata est omnis terra, quia nemo est qui recogitet corde (1).
En effet, chrétiens, que peut-on
jamais penser de plus funeste (b) ! Les gentils, qui ne connaissent pas
Dieu, périssent dans leur ignorance ; les chrétiens, qui le connaissent,
périssent faute d'y penser : les uns n'ont pas la lumière ; ceux qui l'ont
détournent les yeux et se perdent d'autant plus misérablement, qu'ils
s'enveloppent eux-mêmes dans des ténèbres volontaires. Mais de là il arrive un
second malheur, que pendant que nous tournons le dos à la vérité et que nous
tâchons, dit saint Augustin (2), de nous cacher dans notre ombre en éloignant de
notre vue les maximes de la foi, peu à peu nous nous accoutumons (c) aies
méconnaître. Ces saintes vérités du ciel sont trop graves et trop sérieuses pour
ceux « qui estiment, comme dit le Sage, que toute notre vie n'est qu'un jeu : »
Aestimaverunt lusum esse vitam nostram (3) : elles se présentent
importunément et mal à propos parmi nos plaisirs, elles sont trop incompatibles
et condamnent trop sévèrement ce que nous aimons (d) ; c'est pourquoi
nous en éloignons la triste et importune pensée. Mais comme quelque effort que
nous fassions pour détourner nos visages de peur que la vérité ne nous éclaire
de front, elle nous environne par trop d'endroits pour nous permettre d'éviter
tous ces rayons incommodes qui nous troublent, à moins que nous ne l'éteignions
entièrement (e); nous en venons ordinairement par nos passions insensées
à l'un de ces deux excès, ou de supprimer tout à fait en nous les vérités de la
foi, ou bien
1 Jerem., XII, 11. — 2 De Libr. arbitr., lib.
II, cap. XVI. — 3 Sap., XV, 12.
(a) Note marg. : Lumen oculorum meorum , et ipsum
non est mecum ( Psal. XXXVII, 11). Ce n'est pas une lumière étrangère, c'est
la lumière de ses yeux qui l'a tout a fait abandonné, parce qu'il n'y faisait
pas de réflexion, parce qu'il ne sait pas même ce qu'il doit penser, parce que
faute de penser à ce qu'il sait, il est dans le même état que s'il ne le savait
pas.— (b) Var. : Quelle étrange désolation! — (c) Nous
commençons. — (d) Ce qui nous plaît. — (e) Elle nous environne par
tant d'endroits, que nous ne pouvons éviter tous ses rayons, à moins de
l'éteindre entièrement.
409
de les falsifier et de les corrompre par des maximes
erronées.
Je n'entreprends pas, chrétiens,
de réfuter en ce lieu ceux qui détruisent la foi dans leurs cœurs, et je leur
dirai seulement que si leur esprit emporté refuse de céder (a) humblement
à l'autorité de Jésus-Christ et de son Eglise, ils doivent craindre enfin la
dernière preuve que Dieu réserve aux incrédules. Ceux qui ne veulent pas déférer
à Jésus-Christ et à son Eglise, qui sont les maîtres des sages, par un juste
jugement de Dieu sont renvoyés à l'expérience, qui est appelée si élégamment par
saint Grégoire de Nazianze (1) «la maîtresse des téméraires et des insensés; »
c'est le dernier argument sur lequel Dieu les convaincra. Car écoutez comme Dieu
parle à ceux qui ne voulaient pas se persuader de la rigueur de ses jugements ni
de la vérité de ses menaces : « Et moi, répond le Seigneur, j'épancherai sur
vous ma colère, et je n'aurai point de pitié, » et vous sentirez ma main de
près; « et alors vous saurez, » dit-il, vous qui n'avez pas voulu le croire,
vous saurez par expérience, et vous aurez tout loisir d'apprendre dans
l'éternité de votre supplice, « que je suis le Seigneur qui frappe : » Et
scietis quia ego sum Dominus percutiens (2). Ainsi seront instruits, car ils
en sont dignes, ceux qui ne veulent pas se laisser instruire par Jésus-Christ et
par l'Evangile.
Mais plusieurs qui ne méprisent
pas si ouvertement une autorité si vénérable, ne laissent pas toutefois de
corrompre la vérité dans leurs consciences par des maximes trompeuses. L'intérêt
et les passions nous ont fait un Evangile nouveau que Jésus-Christ ne connaît
plus. Nul ne pardonne une injure de bonne foi, et nous trouvons toujours de
bonnes raisons pour ne voir jamais un ennemi, si ce n'est que la mort nous
presse. Mais ni à la vie, ni à la mort, nous ne songeons à restituer le bien
d'autrui que nous avons usurpé; on s'imagine qu'on se le rend propre par
l'habitude d'en user, et on cherche de tous côtés non point un fonds pour le
rendre, mais quelque détour de conscience pour le retenir. On fatigue les
casuistes par des consultations infinies; et «à quoi est-ce, dit saint Augustin,
qu'on travaille par tant
1 Orat. XII, tom. 1, p. 202. — 2
Ezech., VII., 9.
(a) Var. : Ne veut
pas céder.
410
d'enquêtes, sinon à ne trouver pas ce qu'on cherche? »
Hi homines nihil laborant nisi non invenire quod quœrunt. C'est pourquoi
nous éprouvons tous les jours qu'on nous embarrasse la règle des mœurs par tant
de questions et tant de chicanes, qu'il n'y en a pas davantage dans les procès
les plus embrouillés ; et si Dieu n'arrête le cours des pernicieuses subtilités
que l'intérêt nous suggère, les lois de la bonne foi et de l'équité ne seront
bientôt qu'un problème. La chair qui est condamnée cherche des détours et des
embarras : de là tant de questions et tant de chicanes. C'est pourquoi saint
Augustin a raison de dire que ceux qui les forment « soufflent sur de la
poussière et jettent de la terre dans leurs yeux : » Sufflantes in pulverem
et excitantes terram in oculos suos (1). Ils étaient dans le grand chemin,
et la voie de la justice chrétienne leur paraissait toute droite ; ils ont
soufflé sur la terre ; de vaines contentions, des questions de néant (a)
qu'ils ont excitées ont troublé leur vue comme une poussière importune, et ils
ne peuvent plus se conduire. Sans faire ici la guerre à personne, si ce n'est à
nous-mêmes et à nos vices, nous pouvons dire hautement que notre attachement à
la terre et l'affaiblissement de la discipline ont fait naitre plus que jamais
en nos jours ces vaines et pernicieuses subtilités.
Règle pour s'examiner. Les uns
cherchent Jésus-Christ comme les Mages pour adorer sa vérité ; les autres le
cherchent dans l'esprit d'Hérode pour faire outrage à sa vérité. Quiconque
cherche est inquiet et veut se mettre en repos : Ubi est qui natus est rex
Judaeorum (2)? Voyez Hérode, quelle est cette inquiétude et de quelle veine
elle vient; par là vous pouvez connaître votre disposition véritable. Mais si
vous voulez ne vous tromper pas à connaître quelle est cette inquiétude et de
quelle veine elle vient, examinez attentivement ce que vous craignez. Ou vous
craignez de mal faire, ou vous craignez qu'on vous dise que vous faites mal :
l'une est la crainte des enfants de Dieu, l'autre est la crainte des enfants du
siècle. Si vous craignez de mal faire, vous cherchez Jésus-Christ dans l'esprit
des Mages pour rendre honneur à sa vérité ; sinon,
1 Confess., lib. XII, cap. XVI. —
2 Matth., II, 2.
(a) Var. : De nul
poids.
411
vous cherchez Jésus-Christ dans l'esprit d'Hérode pour lui
faire outrage. Je ne rougirai pas, chrétiens, de vous rapporter en ce lieu les
paroles d'un auteur profane, et de confondre par la droiture de ses sentiments
nos détours et nos artifices. « Quand nous doutons, disait l'orateur romain, de
la justice de nos entreprises, c'est une bonne maxime de s'en désister tout à
fait. Car l'équité, poursuit-il, reluit assez d'elle-même, et le doute semble
envelopper dans son obscurité quelque dessein d'injustice : » Bene prœcipiunt
qui vetant quidquam agere, quod dubites œquum sit an iniquum; œquitas enim lucet
ipsa per se, dubitatio cogitationem significat injuriae (1).
Et en effet, chrétiens, nous
trouvons ordinairement que ce qui a tant besoin de consultation a quelque chose
d'inique; le chemin de la justice n'est pas de ces chemins tortueux qui
ressemblent à des labyrinthes où on craint toujours de se perdre. « C'est une
route toute droite, dit le prophète Isaïe; c'est un sentier étroit à la vérité,
mais qui n'a point de détours : » Semita justi recta est, rectus callis justi
ad ambulandum (2). Voulez-vous savoir, chrétiens, le chemin de la justice?
Marchez dans le pays découvert, allez où vous conduit votre vue : la justice ne
se cache pas, et sa propre lumière nous la manifeste. Si vous trouvez à côté
quelque passage (a) obscur et embarrassé, c'est là que la fraude se
réfugie, c'est là que l'injustice se met à couvert, c'est là que l'intérêt
dresse ses embûches. Toutefois je ne veux pas dire qu'il ne se rencontre
quelquefois des obscurités même dans les voies de la justice. La variété des
faits, les changements de la discipline, le mélange des lois positives, font
naître assez souvent des difficultés qui obligent de consulter ceux à qui Dieu a
confié le dépôt de la science. Mais il ne laisse pas d'être véritable, et nous
le voyons tous les jours par expérience, que les consultations empressées nous
cachent ordinairement quelque tromperie; et je ne crains point de vous assurer
que pour régler notre conscience sur la plupart des devoirs de la justice
chrétienne, la bonne foi est un grand docteur qui laisse peu d'embarras et de
questions indécises.
1 Cicer., De Offic., lib. I, n. 29. — 2 Isa.,
XXVI, 7.
(a) Var. : Quelque endroit.
412
Mais notre corruption ne nous
permet pas de marcher par des voies si droites; nous formons notre conscience au
gré de nos passions, et nous croyons avoir tout gagné, pourvu que nous puissions
nous tromper nous-mêmes. Cette sainte violence, ces maximes vigoureuses du
christianisme qui nous apprennent à combattre en nous la nature trop dépravée,
sont abolies parmi nous. Nous faisons régner (a) en leur place un mélange
monstrueux de Jésus-Christ et du monde, des maximes moitié saintes et moitié
profanes, moitié chrétiennes et moitié mondaines, ou plutôt toutes mondaines,
toutes profanes, parce qu'elles ne sont qu'à demi chrétiennes et à demi saintes.
C'est pourquoi nous ne voyons presque plus de piété véritable; tout est corrompu
et falsifié ; et si Jésus-Christ revenait au monde, il ne connaîtrait plus ses
disciples et ne verrait rien dans leurs mœurs (b) qui ne démentit
hautement la sainteté de sa doctrine (c).
TROISIÈME POINT.
Parmi ces désordres infinis, et
pendant que nos passions et nos intérêts nous séduisent de telle sorte que nous
éteignons dans nos consciences les lumières de la vérité, nous aurions besoin,
chrétiens, que de puissants avertissements pénétrassent vivement notre
conscience et la rappelassent à elle-même (d), comme disait ce prophète :
Redite, praevaricatores, ad cor (1). Mais, ô malheur des malheurs! au
lieu de ces charitables avertissements, la flatterie nous obsède et nous
environne; je dis les grands et les petits; car les hommes sont si faibles,
qu'ils ont une condescendance presque universelle et qu'ils répandent les
flatteries sur toutes les têtes. Nous achevons de nous perdre parmi les
complaisances que l'on a pour nous, les flatteurs nous donnent le dernier coup;
et comme dit saint Paulin, « ils mettent le comble à l'iniquité par leurs
1 Isa., XLVI, 8.
(a) Var. : Nous voyons régner.— (b) Il
ne verrait rien dans nos mœurs.....
— (c) Note marg. : Attendi et auscultavi ;
nemo quod bonum est loquitur, nullus est qui agat paenitentiam super peccato suo,
dicens : Quid feci? Omnes conversi sunt ad cursum tuum, quari equus impetu
vadens ad proelium (Jerem., VIII, 6). — (d) Var.: Nous
pénétrassent le cœur et le rappelassent à lui-même.
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louanges injustes et artificieuses (a) : » Sarcinam
peccatorum pondere indebitœ laudis accumulant ».
Que dirai-je ici, chrétiens, et
quel remède pourrai-je trouver à un poison si subtil et si dangereux? Il ne
suffit pas d'avertir les hommes de se tenir sur leurs gardes. Car qui ne se
tient pas pour tout averti? où sont ceux qui ne craignent pas les embûches de la
flatterie? Mais celle de la Cour est si délicate, qu'on ne peut presque éviter
ses pièges. Elle imite tout de l'ami, jusqu'à sa franchise et sa liberté ; elle
sait non-seulement applaudir, mais encore résister et contredire pour céder plus
agréablement en d'autres rencontres; et nous voyons tous les jours que pendant
que nous triomphons d'être sortis des mains d'un flatteur, un autre nous engage
insensiblement que nous ne croyons plus flatteur, parce qu'il flatte d'une autre
manière : tant la séduction est puissante, tant l'appât est délicat et
imperceptible.
Donc pour arracher la racine
d'un mal si pernicieux, allons, Messieurs, au principe. Ne parlons plus des
flatteurs qui nous environnent au dehors; parlons d'un flatteur qui est au
dedans, par lequel tous les autres sont autorisés. Toutes nos passions sont des
flatteuses, nos plaisirs sont des flatteurs, surtout notre amour-propre est un
grand flatteur qui ne cesse de nous applaudir; et tant que nous écouterons ce
flatteur caché, jamais nous ne manquerons d'écouter les autres. Car les
flatteurs du dehors, âmes vénales et prostituées, savent bien connaître la force
de cette flatterie intérieure. C'est pourquoi ils s'accordent avec elle; ils
agissent de concert et d'intelligence; ils s'insinuent si adroitement dans ce
commerce de nos passions, dans cette complaisance de notre amour-propre, dans
cette secrète intrigue de notre cœur, que nous ne pouvons nous tirer de leurs
mains ni reconnaître leur tromperie. Que si nous voulons les déconcerter et
rompre cette intelligence, voici l'unique remède : un amour généreux de la
vérité, un désir de nous connaître nous-mêmes tels que nous sommes, à quelque
prix que ce soit. Quelle honte et quelle faiblesse que nous voulions tout
connaître excepté nous-mêmes; que
1 Epist. XXIV ad Sever., n. 1.
(a) Var. : « Par leurs injustes louanges. »
414
les autres sachent nos défauts, qu'ils soient la fable du
monde, et que nous seuls ne les sachions pas! Nous ne lisons pas sans pitié
cotte réponse d'Achab, roi de Samarie, à qui Josaphat, roi de Judée, ayant
demandé s'il n'y avait point dans sa ville et dans son royaume quelque prophète
du Seigneur : « Il y en a un, répondit Achab, qu'on nomme Michée; mais je ne le
puis souffrir, parce qu'il ne me prédit que des malheurs. » (a) C'était
un homme de bien qui lui représentait naïvement de la part de Dieu ses fautes et
le mauvais état de ses affaires (b), que ce prince n'avait pas la force
de vouloir apprendre; et il voulait que Michée, c'est ainsi que s'appelait ce
prophète, lui contât avec ses flatteurs des triomphes imaginaires.
Loin de nous, loin de nous,
Messieurs, cette honteuse faiblesse ! « Il vaut mieux, dit saint Augustin (1),
savoir nos défauts que de pénétrer tous les secrets de la nature et tous ceux
des Etats et des empires; » cette connaissance est si nécessaire, que sans elle
notre santé est désespérée. Ouvrez donc les yeux, chrétiens, et envisagez vos
défauts. Aimez ceux qui vous les découvrent, et croyez avec saint Grégoire « que
ceux-là sont véritables amis, par le secours desquels vous pouvez effacer les
taches de votre conscience : » Hunc solum mihi amicum reputo, per cujus
unquam ante apparitionem districti judicii meœ maculas mentis tergo (2). Il
importe de bien connaître ses fautes, quand même vous ne voudriez pas encore
vous en corriger. Car quand vos maux vous plairaient encore, il ne faudrait pas
pour cela les rendre incurables ; et si le malade ne presse pas sa guérison, du
moins ne doit-il pas assurer sa perte. Du moins apprenons à connaître nos
défauts de la bouche des prédicateurs : car Jésus-Christ n'est-il pas dans cette
chaire et ne rend-il pas encore témoignage au monde que ses œuvres sont
mauvaises? Et s'il faut des avertissements plus particuliers, voici les jours
salutaires où l'Eglise nous invite à la pénitence. Il n'est rien de plus
malheureux que de vouloir être flatté où nous-mêmes
1 De Trinit., lib. IV, n. 1. — 2
S. Greg., Epist., lit. II, Epist. LII.
(a) Note marg. : Remansit vir unus, per
quem possumus interrogare Dominum ; sed ego odi eum, quia non prophetat mihi
bonum, sed malum, Michœas filius Jermla ( III Reg., XXII, 8). — (b)
Var. : Qui lui disait de la part de Dieu la vérité de ses fautes et de
ses affaires.
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nous nous rendons nos accusateurs. Si veritatem dico
vobis..... Loin de nous..... Choisissons un homme d'une vigueur apostolique,
qui nous fasse rentrer en nous-mêmes.
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