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PREMIER SERMON
POUR
LE JEUDI DE LA IIe SEMAINE DE CARÊME,
SUR LA PROVIDENCE (a).
Fili, recordare quia recopisti bona in vitâ tuâ, Lazarus
similiter mala; nunc autem hic consolalur, tu verò cruciaris. Luc,
XVI, 25.
Nous lisons dans l'histoire sainte (1) que le roi de
Samarie ayant voulu bâtir une place forte qui tenait en crainte et en alarme
toutes les places du roi de Judée, ce prince assembla son peuple et fit un tel
effort contre l'ennemi, que non-seulement il ruina cette forteresse, mais qu'il
en fit servir les matériaux pour construire deux grands châteaux (b) par
lesquels il fortifia sa frontière. Je médite aujourd'hui, Messieurs, de faire
quelque chose de semblable, et dans cet exercice pacifique je me propose
l'exemple de cette entreprise militaire. Les libertins déclarent la guerre à la
Providence divine, et ils ne trouvent rien de plus fort contre elle que la
distribution des biens et des maux, qui paraît injuste,
1 III Reg., XV, 17-22.
(a) Prêché dans le Carême de 1666, à
Saint-Germain-en-Laye, devant le roi et toute la Cour.
Que ce sermon ait été prononcé devant le roi, nous le
voyons par ces paroles du deuxième point : « Je n'oublie pas combien grand et
combien auguste est le monarque qui nous honore de son audience. » D'un autre
coté, Bossuet a prêché deux fois le Carême devant le roi, en 1662 et en 1666; et
nous avons pareillement ici deux sermons pour le même jour de la sainte
quarantaine, celui qu'on va lire tout à l’heure et celui qui le suit
immédiatement. Or on verra que le dernier a été prêché en 1662; le premier l'a
donc été en 1666.
A cette dernière époque , bien que vaincus par les
gentilshommes français dans les journées de Raab, de Kermen , du Saint-Gothard,
les Turcs continuaient d'assiéger Candie, d'inquiéter Venise et de menacer
l'Europe. Voilà pourquoi le prédicateur parle, aussi dans le deuxième point, de
cet ennemi du nom chrétien qu'on voit « soutenir avec tant d'armées les
blasphèmes de Mahomet contre l'Evangile, abattre sous son croissant la croix de
Jésus-Christ notre Sauveur et diminuer tous les jours la chrétienté par des
armes si fortunées. »
(b) Var. : Deux citadelles.
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irrégulière, sans aucune distinction entre les bons et les
méchants. C'est là que les impies se retranchent comme dans leur forteresse
imprenable, c'est de là qu'ils jettent hardiment des traits contre la sagesse (a)
qui régit le monde, se persuadant faussement que le désordre apparent des choses
humaines rend témoignage contre elle. Assemblons-nous, chrétiens, pour combattre
les ennemis du Dieu vivant ; renversons les remparts superbes de ces nouveaux
Samaritains (b). Non contents de leur faire voir que cette inégale
dispensation des biens et des maux du monde ne nuit en rien à la Providence,
montrons au contraire qu'elle l'établit. Prouvons par le désordre même qu'il y a
un ordre supérieur qui rappelle tout à soi par une loi (c) immuable; et
bâtissons les forteresses de Juda des débris et des ruines ((d) de celle
de Samarie. C'est le dessein de ce discours que j'expliquerai plus à fond après
que nous aurons imploré, etc.
Le théologien d'Orient, saint
Grégoire de Nazianze, contemplant la beauté du monde dans la structure duquel
Dieu s'est montré si sage et si magnifique, l'appelle élégamment en sa langue,
le plaisir et les délices de son Créateur, Theou truphen (1). Il avait
appris de Moïse que ce divin Architecte, à mesure qu'il bâtissait ce grand
édifice, en admirait lui-même toutes les parties: Vidit Deus lucem quòd esset
bona (2) ; qu'en ayant composé le tout, il avait encore enchéri et l'avait
trouvé « parfaitement beau : » Et erant valdè bona (3) , enfin qu'il
avait paru tout saisi de joie dans le spectacle de son propre ouvrage. Où il ne
faut pas s'imaginer que Dieu ressemble aux ouvriers mortels, lesquels comme ils
peinent beaucoup dans leurs entreprises et craignent toujours pour l'événement,
sont ravis que l'exécution les décharge du travail et les assure du succès. Mais
Moïse regardant les choses dans une pensée plus sublime, et prévoyant en esprit
qu'un jour les hommes ingrats nieraient la Providence qui régit le monde, il
nous montre dès l'origine combien Dieu est satisfait de ce chef-d'œuvre
1 Orat. XXXLV. — 2 Genes., I, 4.— 3 Ibid.,
31.
(a) Var. : Des traits pour combattre la
sagesse, — des traits pour détruire la sagesse. — (b) Détruisons leurs
remparts superbes.— (c) Une conduite. — (d) Des démolitions.
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de ses mains, afin que le plaisir de le former nous étant
un gage certain du soin qu'il devait prendre à le conduire, il ne fût jamais
permis de douter qu'il n'aimât à gouverner ce qu'il avait tant aimé à faire et
ce qu'il avait lui-même jugé si digne de sa sagesse.
Ainsi nous devons entendre que
cet univers et particulièrement le genre humain est le royaume de Dieu, que
lui-même règle et gouverne selon des lois immuables; et nous nous appliquerons
aujourd'hui à méditer les secrets de cette céleste politique qui régit, toute la
nature, et qui enfermant dans son ordre l'instabilité des choses humaines, ne
dispose pas avec moins d'égards les accidents inégaux qui mêlent (a) la
vie des particuliers, que ces grands et mémorables événements qui décident de la
fortune des empires.
Grand et admirable sujet, et
digne de l'attention de la Cour la plus auguste du monde! Prêtez l'oreille, o
mortels, et apprenez de votre Dieu même les secrets par lesquels il vous
gouverne. Car c'est lui qui vous enseignera dans cette chaire; et je
n'entreprends aujourd'hui d'expliquer ses conseils profonds, qu'autant que je
serai éclairé par ses oracles infaillibles.
Mais il nous importe peu,
chrétiens, de connaître par quelle sagesse nous sommes régis, si nous
n'apprenons aussi à nous conformer à l'ordre de ses conseils. S'il y a de l'art
à bien gouverner, il y en a aussi à bien obéir. Dieu donne son esprit de sagesse
aux princes (1) pour savoir conduire les peuples, et il donne aux peuples
l'intelligence pour être capables d'être dirigés par ordre (b);
c'est-à-dire qu'outre la science maîtresse par laquelle le prince commande, il y
a une autre science subalterne qui enseigne aussi aux sujets à se rendre dignes
instruments de la conduite supérieure; et c'est le rapport de ces deux sciences
qui entretient le corps d'un Etat par la correspondance du chef et des membres.
Pour établir ce rapport dans
l'empire de notre Dieu, tâchons de faire aujourd'hui deux choses. Premièrement,
chrétiens, quelque étrange confusion, quelque désordre même ou quelque injustice
1 Deuter., XXXIV, 9.
(a) Var. : Troublent. — (b) Pour être
conduits et dirigés, — pour se laisser conduire par ordre.
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qui paraisse dans les affaires humaines, quoique tout y
semble emporté par l'aveugle rapidité de la fortune (a), mettons bien
avant dans notre esprit que tout s'y conduit par ordre, que tout s'y gouverne
par maximes, et qu'un conseil éternel et immuable se cache parmi tous ces
événements que le temps semble déployer avec une si prodigieuse incertitude.
Secondement venons à nous-mêmes, et après avoir bien compris quelle puissance
nous meut et quelle sagesse nous gouverne, voyons quels sont les sentiments qui
nous rendent dignes d'une conduite si relevée. Ainsi nous découvrirons, suivant
la médiocrité de l'esprit humain (b), en premier lieu les ressorts et les
mouvements, et ensuite l'usage et l'application de cette sublime politique qui
régit le monde, et c'est tout le sujet de ce discours.
PREMIER POINT.
Quand je considère en moi-même
la disposition des choses humaines, confuse, inégale, irrégulière, je la compare
souvent à certains tableaux que l'on montre assez ordinairement dans les
bibliothèques des curieux comme un jeu de la perspective. La première vue ne
vous montre que des traits informes et un mélange confus de couleurs, qui semble
être ou l'essai de quelque apprenti, ou le jeu de quelque enfant plutôt que
l'ouvrage d'une main savante. Mais aussitôt que celui qui sait le secret vous
les fait regarder par un certain endroit (c), aussitôt toutes les lignes
inégales venant à se ramasser d'une certaine façon dans votre vue, toute la
confusion se démêle et vous voyez paraître un visage avec ses linéaments et ses
proportions, où il n'y avait auparavant aucune apparence de forme humaine (d).
C'est, ce me semble, Messieurs, une image assez naturelle du monde, de sa
confusion apparente et de sa justesse cachée, que nous ne pouvons jamais
remarquer qu'en le regardant par un certain point que la foi en Jésus-Christ
nous découvre.
J'ai vu, dit l'Ecclésiaste, un
désordre étrange sous le soleil; « j'ai
(a) Var. : Quoique la dispensation des biens
et des maux semble s'y faire au hasard et à l'aventure. — (b) Suivant
notre médiocrité. — (c) Par un certain point.— (d) De figure
humaine.
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vu que l'on ne commet pas ordinairement, ni la course aux
plus vites, ni les affaires aux plus sages (a), ni la guerre aux plus
courageux; mais que c'est le hasard et l'occasion qui donne tous les emplois,
qui règle tous les prétendants. » (b) J'ai vu, dit le même Ecclésiaste,
que « toutes choses arrivent également à l'homme de bien et au méchant, à celui
qui sacrifie et à celui qui blasphème. » (c) Presque tous les siècles se
sont plaints d'avoir vu l'iniquité triomphante et l'innocence affligée; mais de
peur qu'il n'y ait rien d'assuré (d), quelquefois on voit au contraire
l'innocence dans le trône et l'iniquité dans le supplice. Quelle est la
confusion de ce tableau, et ne semble-t-il pas que ces couleurs aient été jetées
au hasard, seulement pour brouiller la toile ou le papier, si je puis parler de
la sorte ?
Le libertin inconsidéré s'écrie
aussitôt qu'il n'y a point d'ordre ; « il dit en son cœur : Il n'y a point de
Dieu, » ou ce Dieu abandonne la vie humaine aux caprices de la fortune :
Dixit insipiens in corde suo : Non est Deus (1). Mais arrêtez, malheureux!
et ne précipitez pas votre jugement dans une affaire si importante. Peut-être
que vous trouverez que ce qui semble confusion est un art caché ; et si vous
savez rencontrer le point par où il faut regarder les choses, toutes les
inégalités se rectifieront, et vous ne verrez que sagesse où vous n'imaginiez
que désordre.
Oui, oui, ce tableau a son point, n'en doutez pas ; et le
même Ecclésiaste qui nous a découvert la confusion, nous mènera aussi à
l'endroit par où nous contemplerons l'ordre du monde. « J'ai vu, dit-il, sous le
soleil l'impiété en la place du jugement, et l'iniquité dans le rang (e)
que devait tenir la justice. » (f) C'est-à-dire, si nous l'entendons,
l'iniquité sur le tribunal, ou même l'iniquité dans le trône où la seule justice
doit être placée. Elle ne pou voit pas monter plus haut ni occuper une place qui
lui fût moins due. Que
1 Psal. LII, 1.
(a) Var.: Ni ia course aux plus diligens, ni
les affaires aux plus avisés.—
(b) Note marg. : Nec velocium esse cursum,
nec fortium bellum....., sed tempus casumque in omnibus ( Eccle., IX, 11 ).
— (c) Quod universa aequè éveniant justo et impio..., immolanti
victimas et sacrificia contemnenti..... eadem cunctis eveniunt (Eccle., IX,
2 et 3). — (d) Var. : De bien assuré. — (d) En la place. —
(e) Note marg : Vidi sub sole in loco judicii impietatem, et in
loco justitiœ iniquitatem (Eccle., III,
16).
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pouvait penser Salomon en considérant un si grand désordre?
Quoi? que Dieu abandonnent les choses humaines sans conduite et sans jugement (a)?
Au contraire, dit ce sage prince, en voyant ce renversement, « aussitôt j'ai dit
en mon cœur : Dieu jugera le juste et l'impie, et alors ce sera le temps de
toutes choses (b) : » Et dixi in corde meo : Justum et impium
judicabit Deus, et tempus omnis rei tunc erit (1).
Voici, Messieurs, un
raisonnement digne du plus sage des hommes. Il découvre dans le genre humain une
extrême confusion; il voit dans le reste du monde un ordre qui le ravit (c).
Il voit bien qu'il n'est pas possible que notre nature qui est la seule que Dieu
a faite à sa ressemblance, soit la seule qu'il abandonne au hasard. Ainsi
convaincu par raison qu'il doit y avoir de l'ordre parmi les hommes, et voyant
par expérience qu'il n'est pas encore établi, il conclut nécessairement que
l'homme a quelque chose à attendre; et c'est ici, chrétiens, tout le mystère du
conseil de Dieu, c'est la grande maxime d'Etat de la politique du Ciel. Dieu
veut que nous vivions au milieu du temps dans une attente perpétuelle de
l'éternité; il nous introduit dans le monde, où il nous fait paraître un ordre
admirable pour montrer que son ouvrage est conduit avec sagesse, où il laisse de
dessein formé quelque désordre apparent pour montrer qu'il n'y a pas mis encore
la dernière main. Pourquoi? Pour nous tenir toujours en attente du grand jour de
l'éternité, où toutes choses seront démêlées par une décision dernière et
irrévocable, où Dieu séparant encore une fois la lumière d'avec les ténèbres,
mettra par un dernier jugement la justice et l'impiété dans les places qui leur
sont dues, « et alors, dit Salomon, ce sera le temps de chaque chose : » Et
tempus omnis rei tunc erit.
Ouvrez donc les yeux, ô mortels;
contemplez le ciel et la terre, et la sage économie de cet univers : c'est
Jésus-Christ qui vous y
1 Eccle., III, 17.
(a) Var.: Quoi? que Dieu laissait errer les
choses humaines au hasard et a la fortune? — (b) L'ordre que nous y
voyons, il faut l'admirer; celui que nous ne voyons pas, il faut l'attendre et
nous écrier avec le Sape, ce que je ne nie lasse point de vous dire, ce que vous
ne devez pas vous lasser d'entendre : « Donc Dieu jugera le juste et l'impie, et
alors ce sera le temps de chaque chose : » Et tempus omnis rei tunc erit.—
(c) Qu'il admire.
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exhorte dans cet admirable discours qu'il a fait en saint
Matthieu, chapitre sixième, et en saint Luc, chapitre douzième, dont je vais
vous donner une paraphrase. Est-il rien de mieux entendu que cet édifice? est-il
rien de mieux pourvu que cette famille? est-il rien de mieux gouverné que cet
empire ? Cette puissance suprême qui a construit le monde, et qui n'y a rien
fait qui ne soit très-bon, a fait néanmoins des créatures meilleures les unes
que les autres. Elle a fait les corps célestes qui sont immortels; elle a fait
les terrestres qui sont périssables. Elle a fait des animaux admirables par leur
grandeur; elle a fait les insectes et les oiseaux qui semblent méprisables par
leur petitesse. Elle a fait ces grands arbres des forêts qui subsistent des
siècles entiers ; elle a fait les fleurs des champs qui se passent du matin au
soir. Il y a de l'inégalité dans ses créatures, parce que cette même bonté qui a
donné l'être aux plus nobles ne l'a pas voulu envier aux moindres; mais depuis
les plus grandes jusqu'aux plus petites , sa providence se répand partout. Elle
nourrit les petits oiseaux qui l'invoquent dès le matin par la mélodie de leurs
chants; et ces fleurs dont la beauté est si tôt flétrie, elle les habille si
superbement durant ce petit moment de leur être, que Salomon dans toute sa
gloire n'a rien de comparable à cet ornement. Vous hommes, qu'il a faits à son
image, qu'il a éclairés de sa connaissance, qu'il a appelés à son royaume,
pouvez-vous croire qu'il vous oublie et que vous soyez les seules de ses
créatures sur lesquelles les yeux toujours vigilants de sa providence paternelle
ne soient pas ouverts? Nonne vos magis pluris est is illis (1)? Que s'il
vous paraît quelque désordre, s'il vous semble que la récompense court trop
lentement à la vertu, et que la peine ne poursuive pas d'assez (a) près
le vice, songez à l'éternité de ce premier Etre : ses desseins formés et conçus
dans le sein immense de cette immuable éternité, ne dépendent ni des années ni
des siècles qu'il voit passer devant lui comme des moments; et il faut la durée
entière du monde pour développer tout à fait les ordres d'une sagesse si
profonde (b). Et nous, mortels misérables, nous voudrions eu nos jours
qui passent
1 Matth., VI, 26.
(a) Var. : Ne suit, — ne serre pas d'assez...
— (b) Les ordres de sa sagesse.
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si vite voir toutes les œuvres de Dieu accomplies; parce
que nous et nos conseils sommes limités dans un temps si court, nous voudrions
que l'infini se renfermât aussi dans les mêmes bornes, et qu'il déployât en si
peu d'espace tout ce que sa miséricorde prépare aux bons et tout ce que sa
justice destine (a) aux méchants. (b) Il ne serait pas raisonnable;
laissons agir l'Eternel suivant les lois de son éternité; et bien loin de la
réduire à notre mesure, tâchons d'entrer plutôt dans son étendue : Jungere
œternitati Dei, et cum illo œternus esto (1).
Si nous entrons, chrétiens, dans
cette bienheureuse liberté d'esprit, si nous mesurons les conseils de Dieu selon
la règle de l'éternité, nous regarderons sans impatience ce mélange confus des
choses humaines. Il est vrai, Dieu ne fait pas encore de discernement entre les
bons et les méchants ; mais c'est qu'il a choisi son jour arrêté, où il le fera
paraître tout entier à la face de tout l'univers, quand le nombre des uns et des
autres sera complet. C'est ce qui a fait dire à Tertullien ces excellentes
paroles : « Dieu, dit-il, ayant remis le jugement à la fin des siècles, il ne
précipite pas le discernement qui en est une condition nécessaire : » Qui
enim semel œternum judicium destinavit post sœculi finem, non prœcipitat
discretionem : « Il se montre presque égal sur toute la nature humaine ; et
les biens et les maux qu'il envoie en attendant sur la terre, sont communs à ses
ennemis et à ses enfants : » Aequalis est interim super omne hominum genus,
et indulgens, et increpans, communia voluit esse et commoda profanis, et
incommoda suis (2). Oui, c'est la vérité elle-même qui lui a dicté cette
pensée. Car n'avez-vous pas remarqué cette parole admirable : « Dieu ne
précipite pas le discernement ? » Précipiter les affaires, c'est le propre de la
faiblesse, qui est contrainte de s'empresser dans l'exécution de ses desseins,
parce qu'elle dépend des occasions et que ces occasions sont certains moments
dont la fuite soudaine cause une nécessaire précipitation à ceux qui sont
obligés de s'y attacher. Mais Dieu, qui est l'arbitre de tous les temps, qui
1 S. August., In Psal. XCI, n. 8.
— 2 Tertull., Apolog., n. 41.
(a) Var. : Destine aux criminels.— (b)
Note marg. : Attendis dies tuos paucos, et diebus tuis paucis vis
impleri omnia, ut damnentur omnes impii et coronentur boni (S. August.,
In Psal. XCI, n. 8;.
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du centre de son éternité développe tout l'ordre des
siècles, qui connaît sa toute-puissance et qui sait que rien ne peut échapper
ses mains souveraines, ah! il ne précipite pas ses conseils. Il sait que la
sagesse ne consiste pas à faire toujours les choses promptement, mais à les
faire dans le temps qu'il faut. Il laisse censurer ses desseins aux fols et aux
téméraires ; mais il ne trouve pas à propos d'en avancer l'exécution pour les
murmures des hommes. Ce lui est assez, chrétiens, que ses amis et ses serviteurs
regardent de loin venir son jour avec humilité et tremblement ; pour les autres,
il sait où il les attend, et le jour est marqué pour les punir (a) ; il
ne s'émeut pas de leurs reproches : Quoniam prospicit quod veniet dies ejus
(1).
Mais cependant, direz-vous, Dieu
fait souvent du bien aux méchants, il laisse souffrir de grands maux aux justes ;
et quand un tel désordre ne durerait qu'un moment, c'est toujours quelque chose
contre la justice. — Désabusons-nous, chrétiens, et entendons aujourd'hui la
différence des biens et des maux. Il y en a de deux sortes. Il y a les biens et
les maux mêlés, qui dépendent de l'usage que nous en faisons. Par exemple la
maladie est un mal ; mais qu'elle sera un grand bien, si vous la sanctifiez par
la patience ! La santé est un bien ; mais qu'elle deviendra un mal dangereux en
favorisant la débauche ! Voilà les biens et les maux mêlés, qui participent (b)
de la nature du bien et du mal, et qui touchent à l'un ou à l'autre, suivant
l'usage où on les applique. Mais entendez, chrétiens, qu'un Dieu tout-puissant a
dans les trésors de sa bonté un souverain bien qui ne peut jamais être mal,
c'est la félicité éternelle ; et qu'il a dans les trésors de sa justice certains
maux extrêmes qui ne peuvent tourner en bien à ceux qui les souffrent, tels que
sont les supplices des réprouvés. La règle de sa justice ne permet pas que les
méchants goûtent jamais ce bien souverain, ni que les bons soient tourmentés par
ces maux extrêmes. C'est pourquoi il fera un jour le discernement ; mais pour ce
qui regarde les biens et les maux mêlés, il les donne indifféremment aux uns et
aux autres.
1 Psal. XXXVI, 13.
(a) Var. : Confondre. — (b) Tiennent.
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Cette distinction étant supposée
, il est bien aisé de comprendre que ces biens et ces maux suprêmes
appartiennent au temps du discernement général, où les bons seront séparés pour
jamais de la société des impies, et que ces biens et ces maux mêlés sont
distribués avec équité dans le mélange où nous sommes. Car il fallait
certainement, dit saint Augustin (1), que la justice divine prédestinât (a)
certains biens aux justes auxquels les méchants n'eussent point de part, et de
même qu'elle préparât aux méchants des peines dont les bons ne fussent jamais
tourmentés : c'est ce qui fera dans le dernier jour un discernement éternel.
Mais en attendant ce temps limité, dans ce siècle de confusion où les bons et
les méchants sont mêlés ensemble, il fallait que les biens et les maux fussent
communs aux uns et aux autres , afin que le désordre même tint les hommes
toujours suspendus dans l'attente de la décision dernière et irrévocable.
Ah ! que le saint et divin
Psalmiste a célébré (b) divinement cette belle distinction de biens et de
maux ! J'ai vu, dit-il, dans la main de Dieu une coupe remplie de trois liqueurs
: Calix in manu Domini vini meri plenus mixto. Il y a premièrement le vin
pur : vini meri; il y a secondement le vin mêlé : plenus mixto ;
enfin il y a la lie : Verumtamen fœx ejus non est exinanita (2). Que
signifie ce vin pur? la joie de l'éternité, joie qui n'est altérée par aucun
mal. Que signifie cette lie? sinon le supplice des réprouvés, supplice qui n'est
jamais tempéré d'aucune douceur (c). Et que représente ce vin mêlé? sinon
ces biens et ces maux (pie l'usage peut faire changer de nature, tels que nous
les éprouvons dans la vie présente. O la belle distinction des biens et des maux
que le Prophète a chantée ! mais la sage dispensation que la Providence en a
faite ! Voici les temps de mélange, voici les temps de mérite, où il faut
exercer les bons pour les éprouver, et supporter les méchants (d) pour les
attendre. Qu'on répande dans ce mélange ces biens et ces maux mêlés dont les
sages savent profiter, pendant que les insensés en abusent; mais ces temps de
mélange finiront,
1 In
Psal. LV,n. 16. — 2 Psal., LXXIV, 9.
(a) Var. : Préparât. — (b) Chanté.— (c)
Que veut dire cette lie? sinon le supplice des réprouvés, qui n'est jamais
tempéré d'aucune douceur. — (d) Les pécheurs.
171
Venez, esprits purs, esprits innocents; venez boire le vin
pur de Dieu, sa félicité sans mélange. Et vous, ô méchants endurcis, méchants
éternellement séparés des justes, il n'y a plus pour vous de félicité, plus de
danses, plus de banquets, plus de jeux ; venez boire toute l'amertume de la
vengeance divine : Bibent omnes peccatores terrœ (1). Voilà, Messieurs,
ce discernement qui démêlera toutes choses par une sentence dernière et
irrévocable.
« O que vos œuvres sont grandes!
que vos voies sont justes et véritables, ô Seigneur, Dieu tout-puissant! Qui ne
vous louerait, qui ne vous bénirait, ô Roi des siècles (2)? » Qui n'admirerait
votre providence, qui ne craindrait vos jugements? Ah! vraiment « l'homme
insensé n'entend pas ces choses et le fol ne les connaît pas : » Vir
insipiens non cognoscet, et stultus non intelliget hœc (3). « Il ne regarde
que ce qu'il voit, et il se trompe : » Haec cogitaverunt, et erraverunt
(4). Car il vous a plu, ô grand Architecte, qu'on ne vit la beauté de votre
édifice qu'après que vous y aurez mis la dernière main ; et votre Prophète a
prédit que «ce serait seulement au dernier jour qu'on entendrait le mystère de
votre conseil : » In novissimis diebus intelligetis consilium ejus (5).
Mais alors, il sera trop tard (a) pour profiter
d'une connaissance si nécessaire : prévenons, Messieurs, l'heure destinée;
assistons en esprit au dernier jour, et du marche pied (b) de ce tribunal
devant lequel nous comparaîtrons, contemplons les choses humaines. Dans cette
crainte, dans cette épouvante, dans ce silence universel de toute la nature,
avec quelle dérision sera entendu le raisonnement des impies, qui
s'affermissaient dans le crime en voyant d'autres crimes impunis ! Eux-mêmes au
contraire s'étonneront comment ils ne voyaient pas que cette publique impunité
les avertissait hautement de l'extrême rigueur de ce dernier jour. Oui,
j'atteste le Dieu vivant, qui donne dans tous les siècles des marques de sa
vengeance : les châtiments exemplaires qu'il exerce sur quelques-uns ne me
semblent pas si terribles que l'impunité de tous les autres. S'il punissait ici
tous les
1 Psal. LXXIV, 9. — 2 Apoc.,
XV, 3, 4. — 3 Psal. XCI. 6. — 4 Sap., II, 21. — 4 Jerem.,
XXIII, 20.
(a) Var. : Bien tard. — (b) Et du
pied.
171
criminels, je croirais toute sa justice épuisée, et je ne
vivrais pas en attente d'un discernement plus redoutable. Maintenant sa douceur
même et sa patience ne me permettent pas de douter qu'il ne faille attendre un
grand changement, (a) Non, les choses ne sont pas encore en leur place
fixe, elles n'ont pas encore leur temps arrêté. Lazare souffre encore, quoique
innocent ; le mauvais riche, quoique coupable, jouit encore de quelque repos.
Ainsi ni la peine ni le repos ne sont pas encore où ils doivent être : cet état
est violent et ne peut pas durer toujours. Ne vous y fiez pas, ô hommes du monde
; il faut que les choses changent. Et en effet admirez la suite : « Mon fils, tu
as reçu des biens en ta vie, et Lazare aussi a reçu des maux. » Ce désordre se
pouvait souffrir durant les temps de mélange, où Dieu préparait un plus grand
ouvrage ; mais sous un Dieu bon et sous un Dieu juste une telle confusion ne
pouvait pas être éternelle. C'est pourquoi, poursuit Abraham , maintenant que
vous êtes arrivés tous deux au lieu de votre éternité, nunc autem, une
autre disposition se va commencer ; chaque chose sera en sa place ; la peine ne
sera plus séparée du coupable à qui elle est due, ni la consolation refusée au
juste qui l'a espérée : Nunc autem hic consolatur, tu verô cruciaris (b).
(a) Note marg.: Si Dieu n'avait épargné aucun
criminel, leur erreur aurait quelque excuse, de n'avoir pas attendu un autre
discernement plus terrible. Maintenant que nous sommes instruits par sa parole,
et de plus avertis par sa patience, convaincus par les choses mêmes et par
l'ordre de tous ses desseins, quel sera notre aveuglement, si nous ne demeurons
pas persuadés qu'un conseil suprême et éternel préside aux affaires humaines!
que s'il nous paraît quelque désordre dans la vie présente, c'est afin de nous
tenir en attente de la vie future ; et qu'enfin, puisque nous sommes si bien
gouvernés par la sagesse divine, ce doit être notre unique application de
prendre des sentiments dignes d'une si haute conduite. — (b) Var.
: Lazare souffre encore, quoique innocent; le mauvais riche, quoique criminel,
jouit encore de quelque repos. Cet état est violent et ne peut durai longtemps.
Ni la peine ni le repos ne sont pas encore où ils doivent être à jamais ; mais
attendez encore un moment, et les choses se démêleront d'elles-mêmes ; Lazare et
le mauvais riche iront tous deux à la maison de leur éternité, et alors quel
étrange changement et quel nouvel ordre de choses! «Mon fils, tu as reçu des
biens en ta vie, et Lazare aussi a reçu des maux. » Sous un Dieu bon et sous un
Dieu juste, une telle confusion ne pouvait pas être éternelle ; mais Dieu avait
ses raisons tirées d'une sagesse profonde. C'était encore le temps de souffrir
les criminels pour les inviter à se repentir, c'était le temps d'éprouver les
justes et de les exercer par la souffrance. Mais maintenant, poursuit Abraham,
nunc autem; maintenant, dans ce grand jour de l'éternité; maintenant que
la mort vous ayant tirés de la loi des changements et des temps, vous êtes enfin
arrivés tous deux à l'état de la consistance, nunc autem ; une autre
disposition se
173
Voilà, Messieurs, le conseil de Dieu exposé fidèlement par
son Ecriture : voyons maintenant en peu de paroles quel usage nous en devons
faire; c'est par où je m'en vais conclure.
SECOND POINT.
Quiconque est persuadé qu'une
sagesse divine le gouverne et qu'un conseil immuable le conduit à une fin
éternelle, rien ne lui paraît ni grand ni terrible que ce qui a relation à
l'éternité : c'est pourquoi les deux sentiments que lui inspire la foi de la
Providence, c'est premièrement de n'admirer rien, et ensuite de ne rien craindre
de tout ce qui se termine en la vie présente.
Il ne doit rien admirer, et en
voici la raison. Cette sage et éternelle Providence qui a fait, comme nous avons
dit, deux sortes de biens, qui dispense des biens mêlés dans la vie présente,
qui réserve les biens tout purs à la vie future, a établi cette loi, qu'aucun
n'aurait de part aux biens suprêmes, qui aurait trop admiré les biens médiocres.
Car Dieu veut, dit saint Augustin, que nous sachions distinguer entre les biens
qu'il répand dans la vie présente pour servir de consolation aux captifs, et
ceux qu'il réserve au siècle à venir pour faire la félicité de ses enfants ; (a)
ou pour dire quelque chose de plus fort, Dieu veut que nous sachions distinguer
entre les biens vraiment méprisables qu'il donne si souvent à ses ennemis, et
ceux qu'il garde précieusement pour ne les communiquer qu'à ses serviteurs :
Hœc omnia tribuit etiam malis, ne magni pendantur à bonis, dit saint
Augustin (1).
Et certainement, chrétiens,
quand rappelant en mon esprit la mémoire de tous les siècles, je vois si souvent
les grandeurs du monde entre les mains des impies ; quand je vois les enfants
d'Abraham et le seul peuple qui adore Dieu relégué en la Palestine (b),
en un petit coin de l'Asie, environné des superbes monarchies des Orientaux
infidèles ; et pour dire quelque chose qui
1 In Psal. LXII, n. 14.
va commencer, et la peine ne sera plus séparée du coupable
qui l'a méritée, ni la consolation refusée au juste qui l'a si fidèlement
attendue: Nunc autem hic consolatur, tu verà cruciaris (Luc, XVI,
25).— (a) Note marg. : Aliud est solatium captivorum, aliud gaudium
liberorum (S. August., In Psal. CXXXVI, n. 5). — (b) Var.:
En Judée.
174
nous touche de plus près, quand je vois cet ennemi déclaré
du nom chrétien (a) soutenir avec tant d'armées les blasphèmes de Mahomet
contre l'Evangile, abattre sous son croissant la croix de Jésus-Christ notre
Sauveur, diminuer tous les jours la chrétienté par des armes si fortunées; et
que je considère d'ailleurs que tout déclaré (b) qu'il est contre
Jésus-Christ, ce sage distributeur des couronnes le voit du plus haut des cieux
assis sur le trône du grand Constantin, et ne craint pas de lui abandonner un si
grand empire comme un présent de peu d'importance : ah! qu'il m'est, aisé de
comprendre qu'il fait peu d'état de telles faveurs et de tous les biens qu'il
donne pour la vie présente (c) ! Et toi, ô vanité et grandeur humaine,
triomphe d'un jour, superbe néant, que tu parois peu à ma vue, quand je te
regarde par cet endroit !
Mais peut-être que je m'oublie
et que je ne songe pas où je parle, quand j'appelle les empires et les
monarchies un présent de peu d'importance. Non, non, Messieurs, je ne m'oublie
pas; non, non, je n'ignore pas combien grand et combien auguste est le monarque
qui nous honore de son audience, et je sais assez remarquer combien Dieu est
bienfaisant en son endroit, de confier à sa conduite (d) une si grande et
si noble partie du genre humain, pour la protéger par sa puissance. Mais je sais
aussi, chrétiens, que les souverains pieux, quoique dans l'ordre des choses
humaines ils ne voient rien ce plus grand que leur sceptre, rien de plus sacré
que leur personne, rien de plus inviolable que leur majesté, doivent néanmoins
mépriser le royaume qu'ils possèdent seuls, au prix d'un autre royaume dans
lequel ils ne craignent point d'avoir des égaux, et qu'ils désirent même, s'ils
sont chrétiens, de partager un jour avec leurs sujets que la grâce de
Jésus-Christ et la vision bienheureuse aura rendus leurs compagnons : Plus
amant illud regnum in quo non timent habere consortes (1). Ainsi la foi de
la Providence, en mettant toujours en vue aux enfants de Dieu la dernière
décision, leur ôte l'admiration de toute autre chose ; mais elle fait encore un
plus grand effet, c'est de les
1 S. August., De Civit. Dei, lib. V, cap. XXIV.
(a) Var. : De Jésus-Christ et de son Eglise.
— (b) Tout frémissant, — tout furieux. — (c) Qu'il m'est aisé de
comprendre qu'en vérité il fait peu d'état de toute cette pompe qui nous éblouit
! — (d) A ses soins.
175
délivrer de la crainte. Que craindraient-ils, chrétiens?
Rien ne les choque, rien ne les offense, rien ne leur répugne.
Il y a cette différence
remarquable (a) entre les causes particulières et la cause universelle du
monde, que les causes particulières se choquent les unes les autres : le froid
combat le chaud, et le chaud attaque le froid. Mais la cause première et
universelle qui enferme dans un même ordre et les parties et le tout, ne trouve
rien qui la combatte, parce que si les parties se choquent entre elles, c'est
sans préjudice du tout; elles s'accordent avec le tout, dont elles font
l'assemblage par leur discordance et leur contrariété (b). Il serait
long, chrétiens, de démêler ce raisonnement. Mais pour en faire l'application,
quiconque a des desseins particuliers, quiconque s'attache aux causes
particulières ; disons encore plus clairement, qui veut obtenir ce bienfait du
prince, ou qui veut faire sa fortune par la voie détournée (c), il trouve
d'autres prétendants qui le contrarient, des rencontres inopinées qui le
traversent; un ressort ne joue pas à temps, et la machine s'arrête; l'intrigue
n'a pas son effet, ses espérances s'en vont en fumée. Mais celui qui s'attache
immuablement au tout et non aux parties, non aux causes prochaines, aux
puissances, à la faveur, à l'intrigue, mais à la cause première et fondamentale,
à Dieu, à sa volonté, à sa providence, il ne trouve rien qui s'oppose à lui ni
qui trouble (d) ses desseins; au contraire tout concourt et tout coopère
à l'exécution de ses desseins, parce que tout concourt et tout coopère, dit le
saint Apôtre, à l'accomplissement de son salut; et son salut est sa grande
affaire ; c'est là que se réduisent toutes ses pensées (e) :
Diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum (1). S'appliquant de cette
sorte à la Providence si vaste, si étendue, qui enferme dans ses desseins toutes
les causes et tous les effets, il s'étend et se dilate lui-même, et il apprend à
s'appliquer en bien toutes choses. Si Dieu lui envoie des prospérités, il reçoit
le présent du ciel avec soumission, et il honore la miséricorde qui lui fait du
bien en le répandant sur les misérables. S'il est dans
1 Rom. VIII, 28.
(a) Var. : Mémorable. — (b) Par leur
contrariété et leur discordance— (c) Par le moyeu de te ministre. — (d)
Contrarie. — (c) Et son salut est sa grande affaire , à laquelle se
dirigent toutes ses pensées.
176
l’adversité, il songe que «l'épreuve produit l'espérance
(1), » que la guerre se fait pour la paix, et que si sa vertu combat, elle sera
un jour couronnée. Jamais il ne désespère, parce qu'il n'est jamais sans
ressource. Il croit toujours entendre le Sauveur Jésus qui lui grave dans le
fond du cœur ces belles paroles : « Ne craignez point, petit troupeau, parce
qu'il a plu à votre Père de vous donner un royaume (2). » Ainsi à quelque
extrémité qu'il soit réduit, jamais on n'entendra de sa bouche ces paroles
infidèles, qu'il a perdu tout son bien. Car peut-il désespérer de sa fortune,
lui à qui il reste encore un royaume entier, et un royaume qui n'est autre que
celui de Dieu? Quelle force le peut abattre, étant toujours soutenu par une si
belle espérance ?
Voilà quel il est en lui-même.
Il ne sait pas moins profiter de ce qui se passe dans les autres; tout le
confond et tout l'édifie ; tout l'étonné et tout l'encourage ; tout le fait
rentrer en lui-même, autant les coups de grâce que les coups de rigueur et de
justice, autant la chute des uns que la persévérance des autres, autant les
exemples de faiblesse que les exemples de force, autant la patience de Dieu que
sa justice exemplaire. Car s'il lance son tonnerre sur les criminels, le juste,
dit saint Augustin (3), vient laver ses mains dans leur sang; c'est-à-dire,
qu'il se purifie par la crainte d'un pareil supplice. S'ils prospèrent
visiblement, et que leur bonne fortune semble faire rougir sur la terre
l'espérance d'un homme de bien, il regarde le revers de la main de Dieu, et il
entend avec foi comme une voix céleste qui dit aux méchants fortunés qui
méprisent le juste opprimé : O herbe terrestre, ô herbe rampante, oses-tu bien
te comparer à l'arbre fruitier pendant la rigueur de l'hiver, sous prétexte
qu'il a perdu sa verdure et que tu conserves la tienne durant cette froide
saison? Viendra le temps de l'été, viendra l'ardeur du grand jugement, qui te
desséchera jusqu'à la racine et fera germer les fruits immortels des arbres que
la patience aura cultivés. Telles sont les saintes pensées qu'inspire la foi de
la Providence.
Chrétiens, méditons ces choses,
et certes elles méritent d'être méditées. Ne nous arrêtons pas à la fortune ni à
ses pompes
1 Rom.,
V, 4. — 2 Luc, XII, 32. — 3 In Psal.
LVII, n. 21.
177
trompeuses. Cet état que nous voyons aura son retour, tout
cet ordre que nous admirons sera renversé. Que servira, chrétiens, d'avoir vécu
dans l'autorité, dans les délices, dans l'abondance, si cependant Abraham nous
dit : Mon fils, tu as reçu du bien en ta vie, maintenant les choses vont être
changées. Nulles marques de cette? grandeur, nul reste de cette puissance. Je me
trompe, j'en vois de grands restes et des vestiges sensibles; et quels? C'est le
Saint-Esprit qui le dit : «Les puissants, dit l'oracle de la Sagesse, seront
tourmentés puissamment : » Potentes potenter tormenta patientur (1).
C'est-à-dire qu'ils conserveront, s'ils n'y prennent garde. une malheureuse
primauté de peine à laquelle ils seront précipités par la primauté de leur
gloire. Confidimus autem de vobis meliora (2). Ah! encore que je parle
ainsi, «j'espère de vous de meilleures choses. » Il y a des puissances saintes.
Abraham qui condamne le mauvais riche, a lui-même été riche et puissant ; mai;
il a sanctifié sa puissance en la rendant humble, modérée, soumis»? à Dieu,
secourable aux pauvres. Si vous profitez de cet exemple, vous éviterez le
supplice du riche cruel dont nous parle l'Evangile, et vous irez avec le pauvre
Lazare vous reposer dans le sein du riche Abraham et posséder avec lui les
richesses éternelles.
1 Sap., VI, 7. — 2 Hebr.,
VI, 9.
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