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PROPRE DES SAINTSLE XXIII AOUT. SAINT PHILIPPE BENIZI. CONFESSEUR.Notre-Dame règne maintenant dans les cieux. Son triomphe sur la mort a été sans labeur; comme Jésus pourtant, c'est parla souffrance qu'elle a mérité d'entrer dans sa gloire (1). Nous n'arriverons pas autrement que le Fils et la Mère au bonheur sans fin. Ayons souvenir des joies si douces goûtées durant ces huit jours; mais n'oublions pas que le chemin n'est point achevé pour nous encore. Que restez-vous à regarder le ciel ? disaient aux disciples les Anges de l'Ascension, delà part du Seigneur monté dans la nue (2); car les disciples, devant qui s'étaient révélés un instant les horizons de la patrie, ne se résignaient pas à reporter leurs yeux vers la vallée des larmes. Comme le Seigneur, Marie, aujourd'hui, nous envoie son message des hauteurs radieuses où nous la suivrons, mais plus tard, où nous l'entourerons, mais après avoir dans les peines de l'exil mérité de former sa cour; sans distraire d'elle notre âme, l'apôtre de ses douleurs, 1. Luc. XXIV, 26.— 2. Act. I, 11. 62 Philippe Benizi, nous rappelle au vrai sentiment de notre situation d'étrangers et de pèlerins sur la terre (1). Luttes au dehors, au dedans
craintes (2) :
pour une large part, ce
fut la vie de Philippe, comme l'histoire
de sa patrie,
Florence, l'histoire de l'Italie
et du monde au XIII° siècle. Né à
l'heure où une admirable efflorescence de sainteté conspirait à faire de la
cité des fleurs un
paradis nouveau (3), il
trouvait au même temps sa ville natale en butte aux factions sanglantes, aux assauts de l'hérésie, à tout l'excès des misères qui montrent que
Jérusalem et Babylone se pénètrent partout ici-bas. Nulle part l'enfer n'est si
près, que là où le ciel se manifeste avec une intensité plus grande; par l'assistance de
Marie, on le vit bien dans ce siècle où se rencontrèrent en voisinage plus immédiat que jamais la tête
du serpent et le talon de la femme. L'ancien ennemi, multipliant les sectes, avait ébranlé la foi au centre même
des provinces enserrant la Ville éternelle. Tandis qu'en Orient l'Islam
refoulait les derniers croisés, en Occident la papauté se débattait contre
l'empire, devenu comme un fief de Satan aux mains de Frédéric II. Partout, dans
la chrétienté dont l'unité sociale apparaissait dissoute, se révélait, à
l'affaiblissement des croyances, au refroidissement de l'amour, le progrès du
poison dont l'humanité doit mourir.
Mais le prince du mal allait
connaître la vertu des réactifs que le ciel tenait en réserve pour soutenir la sénilité du monde. C'est alors que Notre-Dame présente à son
Fils irrité Dominique et 1. Heb. XI, 13. — 2. II Cor. VII, 5. — 3. Le Temps après la Pentecôte, T. III, p. 228. 63 réduire, par l'accord de la science et de tous les renoncements, les ignorances et les cupidités de la terre: alors aussi que Philippe Benizi, le Servite de la Mère de Dieu, reçoit d'elle la mission de prêcher par l'Italie, la France et la Germanie, les indicibles souffrances qui firent d'elle la corédemptrice du genre humain. Déjà les fêtes des Sept saints fondateurs et de Julienne Falconiéri nous ont dit les origines, le but du pieux Ordre des Servites, la part prépondérante qu'eurent dans sa propagation les travaux, les épreuves, la foi du Saint de ce jour. La notice où l'Eglise raconte sa vie complétera ces lignes, que le défaut d'espace nous contraint d'abréger grandement. Philippe, ne à Florence de la
noble famille des Benizi, donna dès le berceau
l'indice de sa future sainteté. Il n'avait pas encore achevé son cinquième
mois, qu'en effet sa langue se délia miraculeusement pour exhorter sa mère a faire l'aumône aux Serviteurs de la Mère de Dieu. Paris le
vit, jeune homme, joindre une piété ardente à l'étude des lettres, et embraser
ses compagnons du désir de la céleste patrie. Il fut, de retour dans son pays,
favorisé d'une vision merveilleuse où la bienheureuse Vierge l'appelait à
entrer dans la famille récemment instituée de ses Serviteurs. Retiré dans une grotte
du mont Senario, il y mena une vie dure au
corps par ses continuelles macérations, mais que rendait douce la méditation
des souffrances de notre Seigneur. Plus tard, dans presque toute l'Europe et
une grande partie de l'Asie, qu'il parcourut en prêchant, il établit des confréries
des Sept Douleurs de la Mère de Dieu, et propagea son Ordre par l'admirable
exemple de ses vertus. Elu Général de cet Ordre
malgré ses refus et résistances, il sentit se
développer en lui l'ardeur de la divine
charité. Dans son zèle d'étendre la foi catholique, il
envoya de ses Frères évangéliser les Tartares. Lui-même se
multipliant dans les villes d'Italie, s'employait à apaiser les
discordes civiles; plus d'une cité fut ramenée par lui à l'obéissance au
Pontife romain; des hommes consommés
en scélératesse durent à son zèle universel pour le salut du prochain, de
revenir à la pénitence et à l'amour de Jésus-Christ. L'oraison faisait ses
délices ; il y parut souvent ravi en extase.
La virginité lui
fut chère; il sut la garder sans tache jusqu'au dernier soupir, au prix
des plus extrêmes rigueurs. Il se distingua par une
miséricorde spéciale envers les pauvres. On cite surtout de lui le trait du
lépreux qui lui demandait l'aumône prés du bourg de Camigliano,
au territoire de Sienne, et qui, avant reçu du Saint son propre vêtement pour
couvrir sa nudité, fui aussitôt guéri de sa lèpre qu'il s'en fut revêtu. La
renommée de ce miracle s'étant répandue, plusieurs des cardinaux réunis à
Viterbe pour l'élection du successeur de Clément IV jetèrent leurs yeux sur
Philippe, dont ils connaissaient par ailleurs la prudence toute céleste. A
cette nouvelle, l'homme de Dieu, fuyant la charge du pastorat suprême, alla se
cacher à Montamiata jusqu'à ce que l'on eût appris l’élévation
de Grégoire X. au souverain pontificat; là, ses prières obtinrent la vertu de
guérir les maladies aux bains qui portent encore aujourd'hui le nom de saint
Philippe. Enfin à Todi, l'an mil deux cent
quatre-vingt-cinq, il quitta saintement cette vie dans le baiser du Seigneur . Christ en croix, qu'il appelait son livre. A son
tombeau, les aveugles recouvrèrent la vue, les boiteux marchèrent, les morts
revinrent à la vie. En suite de ces miracles et de beaucoup d'autres éclatants
prodiges, le Souverain Pontife Clément X l'inscrivit au nombre des Saints. Approche, Philippe, et monte sur ce char (1). Vous l'entendîtes, cette parole, dans les jours où le monde souriait à votre jeunesse et vous offrait sa renommée ou ses plaisirs; c'était l'invitation que vous faisait Marie, alors qu'assise sur le char d'or figurant la vie religieuse à laquelle vous étiez convié, elle était vers vous descendue : un manteau de deuil enveloppait de ses plis la souveraine des cieux; une colombe voltigeait autour de sa tête; un lion et une brebis traînaient son char, entre des précipices d'où montaient les sifflements de l'abîme. C'était l'avenir qui se dévoilait: vous deviez parcourir la terre en la compagnie de la Mère des douleurs, et ce monde que déjà l'enfer avait miné de toutes parts n'aurait pour vous nul péril; car la douceur et la force y seraient vos guides, la simplicité votre inspiratrice. Heureux les doux, car ils posséderont la terre (2) ! Mais c'est contre le ciel surtout que devait vous servir l'aimable vertu qui a cette promesse d'empire; contre le ciel qui lutte lui-même avec les forts, et vous réservait l'épreuve du suprême abandon devant lequel avait tremblé l'Homme-Dieu: après des années de prières, de travaux, d'héroïque dévouement, pour récompense vous connûtes le rejet apparent du Seigneur, le désaveu de son Eglise, l'imminence d'une ruine menaçant par delà votre tête tous ceux que Marie vous avait confiés. Contre l'existence de vos fils les Servîtes, nonobstant les paroles de la Mère de Dieu, ne se dressait rien moins que l'autorité de deux conciles 1. Act. VIII, 29. — 2. Matth. V, 4. 67 généraux, dont le Vicaire du Christ avait arrêté de laisser les résolutions suivre leur cours. Notre-Dame vous donnait de puiser au calice de ses souffrances. Vous ne vîtes point le triomphe d'une cause qui était la sienne autant que la vôtre; mais comme les patriarches saluant de loin l'accomplissement des promesses, la mort ne put ébranler votre confiance sereine et soumise : vous laissiez à votre fille Julienne Falconieri le soin d'obtenir, par ses prières devant la face du Seigneur, ce que n'avaient pu gagner vos démarches auprès des puissants. La puissance suprême ici-bas, un jour l'Esprit-Saint parut la mettre à vos pieds : comme le demande l'Eglise au souvenir de l'humilité qui vous fit redouter la tiare, obtenez-nous de mépriser les faveurs du temps pour ne rechercher que le ciel (1). Les fidèles cependant n'ont point oublié que vous fûtes le médecin des corps, avant d'être celui des âmes ; leur confiance est grande dans l'eau et les pains que vos fils bénissent en cette fête, et qui rappellent les faveurs miraculeuses dont fut illustrée la vie de leur père : ayez égard toujours à la foi des peuples; répondez au culte spécial dont les médecins chrétiens vous honorent. Aujourd'hui enfin que le char mystérieux de la première heure est devenu le char de triomphe où Notre-Dame vous associe à la félicité de son entrée dans les cieux, apprenez-nous à compatir comme vous de telle sorte à ses douleurs, que nous méritions d'être avec vous dans l'éternité participants de sa gloire. 1. Collecta diei. |