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LE XIX OCTOBRE. SAINT PIERRE D'ALCANTARA, CONFESSEUR.« Bienheureuse pénitence, qui m'a mérité une telle gloire ! » C'était la parole du Saint de ce jour, en abordant les cieux ; tandis que Thérèse de Jésus s'écriait sur la terre : « Ah ! quel parfait imitateur de Jésus-Christ Dieu vient de nous ravir, en appelant à la gloire ce religieux béni, Frère Pierre d'Alcantara ! Le monde, dit-on, n'est plus capable d'une perfection si haute ; les santés sont plus faibles, et nous ne sommes plus aux temps passés. Ce saint était de ce temps, sa mâle ferveur égalait néanmoins celle des siècles passés, et il avait en souverain mépris toutes les choses de la terre. Mais sans aller nu-pieds comme lui, sans faire une aussi âpre pénitence, il est une foule d'actes par lesquels nous pouvons pratiquer le mépris du monde, et que notre Seigneur nous fait connaître dès qu'il voit en nous du courage. Qu'il dut être grand celui que reçut de Dieu le saint dont je parle, pour soutenir pendant quarante-sept ans cette pénitence si austère que tous connaissent aujourd'hui ! « De toutes ses mortifications, celle qui lui avait le plus coûté dans les commencements, c'était de vaincre le sommeil ; dans ce dessein, il se tenait toujours à genoux ou debout. Le peu de repos qu'il accordait à la nature, il le prenait assis, la tête appuyée contre un morceau de bois 494 fixé dans le mur; eût-il voulu se coucher, il ne l'aurait pu, parce que sa cellule n'avait que quatre pieds et demi de long. Durant le cours de toutes ces années, jamais il ne se couvrit de son capuce, quelque ardent que fût le soleil, quelque forte que fût la pluie. Jamais il ne se servit d'aucune chaussure. Il ne portait qu'un habit de grosse bure, sans autre chose sur la chair ; j'ai appris toutefois qu'il avait porté pendant vingt années un cilice en lames de fer-blanc, sans jamais le quitter. Son habit était aussi étroit que possible ; par-dessus il mettait un petit manteau de même étoffe ; dans les grands froids il le quittait, et laissait quelque temps ouvertes la porte et la petite fenêtre de sa cellule ; il les fermait ensuite, il reprenait son mantelet, et c'était là, nous disait-il, sa manière de se chauffer et de faire sentir à son corps une meilleure température. Il lui était fort ordinaire de ne manger que de trois en trois jours ; et comme j'en paraissais surprise, il me dit que c'était très facile à quiconque en avait pris la coutume. Sa pauvreté était extrême, et sa mortification telle qu'il m'a avoué qu'en sa jeunesse il avait passé trois ans dans une maison de son Ordre sans connaître aucun des Religieux, si ce n'est au son de la voix, parce qu'il ne levait jamais les yeux, de sorte qu'il n'aurait pu se rendre aux endroits où l'appelait la règle, s'il n'avait suivi les autres. Il gardait cette même modestie par les chemins. Quand je vins aie connaître, son corps était tellement exténué, qu'il semblait n'être formé que de racines d'arbres (1). » Au portrait du réformateur franciscain par la 1. Ste Thérèse, Vie, ch. XXVII, XXX, traduction Bouix. 495 réformatrice du Carmel, l'Eglise
ajoutera l'histoire de sa vie On sait que trois familles illustres et
méritantes composent aujourd'hui le premier Ordre de saint 1.Constit apost. Felicitate quadam. Pierre naquit à Alcantara, en
Espagne, de nobles parents. Il fit présager dès ses plus tendres années sa
sainteté future. Entré à seize ans dans l'Ordre des Mineurs, il s'y montra un
modèle de toutes les vertus. Chargé par l'obéissance de l'office de
prédicateur, innombrables furent les pécheurs qu'il amena à sincère pénitence.
Mais son désir était de ramener la vie franciscaine à la rigueur primitive ; soutenu
donc par Dieu et l'autorité apostolique, il fonda heureusement le très étroit
et très pauvre couvent du Pedroso, premier de
la très stricte observance qui se répandit merveilleusement par la suite dans
les diverses provinces de l'Espagne et jusqu'aux Indes. Sainte Thérèse, dont il
avait approuvé l'esprit, fut aidée par lui dans son œuvre de la réforme du
Carmel. Elle avait appris de Dieu que toute demande faite au nom de Pierre
était sûre d'être aussitôt exaucée; aussi prit-elle la coutume de se
recommander à ses prières, et de l'appeler Saint de son vivant. Les princes le consultaient
comme un oracle ; mais sa grande humilité lui faisait décliner leurs hommages,
et il refusa d'être le confesseur de l'empereur Charles-Quint. Rigide
observateur de la pauvreté, il ne portait qu'une tunique, et la plus mauvaise
qui se pût trouver. Tel était son délicat amour de la pureté, qu'il ne souffrit
pas même d'être touché légèrement dans sa dernière maladie par le Frère qui le
servait. Convenu avec son corps de ne lui accorder aucun repos dans cette vie,
il l'avait réduit en servitude, n'ayant pour lui que veilles, jeûnes,
flagellations, froid, nudité, duretés de toutes sortes. L'amour de Dieu et du
prochain qui remplissait son cœur, y allumait parfois un tel incendie, qu'on le
voyait contraint de s'élancer de sa pauvre cellule en plein air, pour tempérer
ainsi les ardeurs qui le consumaient. Son don de contemplation
était admirable; l'esprit sans cesse rassasié
du céleste aliment, il lui arrivait de passer
plusieurs jours sans boire ni manger. Souvent élevé au-dessus du sol,il rayonnait de merveilleuses splendeurs. Il passa à pied
sec des fleuves impétueux. Dans une disette extrême, il nourrit ses
Frères d'aliments procurés par le
ciel. Enfonçant son bâton en
terre, il en fit soudain un figuier verdoyant. Une nuit
que, voyageant sous une neige épaisse, il était
entré dans une masure où le toit n'existait plus, la neige,
suspendue en l'air, fit l'office de toit pour éviter qu'il n'en fût étouffé. Sainte Thérèse rend
témoignage au don de prophétie et de discernement des esprits qui brillait en lui. Enfin, dans sa
soixante-troisième année, à l'heure
qu'il avait prédite, il passa au Seigneur, conforté par une
vision merveilleuse et la présence des
Saints. Sainte Thérèse, qui était loin
de là, le vit au même moment porté au ciel; et, dans une apparition qui suivit,
elle l'entendit lui dire: O heureuse pénitence, qui m'a valu si grande gloire!
Beaucoup de miracles suivirent sa mort, et Clément IX le mit au nombre des Saints. « Le voilà donc le terme de cette vie si austère, une éternité de gloire (1) ! » Combien furent suaves ces derniers mots de vos lèvres expirantes : Je me suis réjoui de ce qui m'a été dit: Nous irons-dans la maison du Seigneur (2). L'heure de la rétribution n'était pas venue pour ce corps auquel vous étiez convenu de ne donner nulle trêve en cette vie, lui réservant l'autre ; mais déjà la lumière et les parfums d'outre-tombe, dont l'âme en le quittant le laissait investi, signifiaient à tous que le contrat, fidèlement tenu dans sa première partie, le serait aussi dans la seconde. Tandis que, vouée pour de fausses délices à d'effroyables tourments, la chair du pécheur rugira sans fin contre l'âme qui l'aura perdue ; vos membres, entrés dans la félicité de l'âme bienheureuse et complétant sa gloire de leur splendeur, rediront dans les siècles éternels à quel point votre apparente dureté d'un moment fut pour eux sagesse et amour. Et faut-il donc attendre la résurrection pour reconnaître que, dès ce monde, la part de votre choix fut sans conteste la meilleure ? Qui oserait comparer, non seulement les plaisirs illicites, mais les jouissances permises de la terre, aux délices saintes que la divine contemplation tient en réserve dès ce monde pour quiconque se met en mesure de les goûter ? Si elles demeurent au 1. Ste Thérèse, Vie, XXVII. — 2. Psalm. CXXI, 1. 499 prix de la mortification de la chair, c'est qu'en ce monde la chair et l'esprit sont en lutte pour l'empire (1) ; mais la lutte a ses attraits pour une âme généreuse, et la chair même, honorée par elle, échappe aussi par elle à mille dangers. Vous qu'on ne saurait invoquer en
vain, selon la parole du Seigneur, si vous daignez vous-même lui présenter nos
prières, obtenez-nous ce rassasiement du ciel qui dégoûte des mets d'ici-bas.
C'est la demande qu'en votre nom nous adressons, avec l'Eglise, au Dieu qui
rendit admirable votre pénitence et sublime votre contemplation (2). La grande
famille des Frères Mineurs garde chèrement le trésor de vos exemples et de vos
enseignements ; pour l'honneur de votre Père saint 1. Gal. V, 17. — 2. Collecte de la fête. |