LE XXV JUILLET. SAINT JACQUES LE MAJEUR, APOTRE.
Saluons l'astre brillant qui se
lève sur l'Eglise. Compostelle jadis resplendit par lui de l'éclat de tels feux
que, pendant mille années, l'univers subit l'attraction de la ville obscure
devenue, avec Jérusalem et Rome, l'un des foyers puissants de la piété des
peuples. Tant que dura la chrétienté, Jacques le Grand le disputa, pour la
gloire de sa tombe, à celle du sépulcre où Pierre repose soutenant l'Eglise.
Parmi les Saints de Dieu, il n'en
est pas qui manifeste mieux la mystérieuse survivance des élus à leur carrière
mortelle, dans la poursuite des intérêts que leur confia le Seigneur. La vie de
Jacques fut courte après l'appel qui le faisait Apôtre; le résultat de son
apostolat apparut presque nul en cette Espagne qui lui était donnée. A peine
l'avait-on vu comme prendre possession du sol de l'Ibérie dans sa course rapide
; et empressé à boire le calice qui devait satisfaire sa persévérante ambition
d'être près du Seigneur (1), le premier des douze il ouvrait dans l'arène la
marche glorieuse que l'autre fils de Zébédée devait
clore. O Salomé, qui les mîtes au monde et fûtes près de Jésus l'interprète de leurs prétentions (2), tressaillez d'une
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double allégresse (1) : vous n'êtes point rebutée ; vous avez pour complice celui qui
fit le cœur des mères. N'est-ce pas lui qui déjà dès ce monde, à l'exclusion de tous autres et en la
compagnie du seul Simon son vicaire, appelait les enfants
que vous lui aviez donnés au spectacle des plus profondes œuvres de sa
puissance (2), à la contemplation de sa
gloire au Thabor (3), à la divine confidence de son trouble mortel au jardin de
l'agonie (4) ? Or voici qu'aujourd'hui l'aîné de votre sein devient le
premier-né du collège sacré dans la mort ; protomartyr
apostolique, ainsi quant à lui reconnut-il l'amour spécial du Seigneur Christ.
Comment pourtant sera-t il le messager
de la foi, celui dont le glaive d'Hérode Agrippa (5) vient d'arrêter subitement
la mission ? comment justifiera-t-il son nom de fils
du tonnerre (6), l'Apôtre dont quelques disciples au plus entendirent la voix
dans le désert de l'infidélité? Ce nom nouveau (7) qui mettait à part encore
une fois les deux frères, Jean le réalisa en déchirant la nue par les éclairs
sublimes qui révélèrent au monde dans ses écrits les profondeurs de Dieu (8) ;
pour lui, comme pour Simon nommé Pierre par le Christ (9) et devenu à jamais le
fondement du temple, l'appellation reçue de l'Homme-Dieu
fut prophétie et non vain titre ; pour Jacques aussi bien que pour Jean,
l'éternelle Sagesse ne peut s'être trompée.
Ne croyons pas que le glaive d'un
Hérode quelconque puisse déconcerter le Très-Haut dans les appels qu'il fait
entendre aux hommes de sa droite. La vie des Saints n'est jamais tronquée; leur
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mort, toujours précieuse (1), l'est
plus encore quand c'est pour Dieu qu'elle semble arriver avant l'heure. C'est
alors doublement qu'on peut dire en toute vérité que leurs œuvres les suivent (2),
Dieu même étant tenu d'honneur et pour eux et pour lui à ce que rien ne manque
à leur plénitude. « Il les a reçus comme une hostie d'holocauste, dit l'Esprit-Saint
; mais ils reparaîtront dans leur temps. On les verra scintiller comme la
flamme qui court parmi les roseaux. Ils jugeront les nations, dompteront les
peuples ; et le « Seigneur régnera par eux éternellement (3). » Oh ! combien littéral devait, en ce qui touche notre Saint, se
montrer l'oracle !
A l'extrémité nord de la
péninsule ibérique, sur le tombeau où la piété de deux disciples avait jadis
comme à la dérobée ramené son corps, près de huit siècles avaient passé, qui
pour les habitants des cieux sont moins qu'un jour (4). Durant ce temps, la
terre de son héritage, si rapidement parcourue naguère, avait vu les Barbares
ariens succéder aux Romains idolâtres, puis le Croissant ramener plus profonde
la nuit un moment dissipée. Un jour, au-dessus des ronces recouvrant le
monument oublié, ont étincelé des lueurs, appelant l'attention sur ce lieu qui
ne sera plus connu désormais que sous le nom de champ des étoiles. Mais soudain
quelles clameurs retentissent, descendant des montagnes, ébranlant les échos
des vallées profondes ? Quel est le chef inconnu ramenant au combat, contre une
armée immense, la petite troupe épuisée que le plus vaillant héroïsme n'a pu la veille sauver
d'une
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défaite ? Prompt comme l'éclair,
brandissant d'une main son blanc étendard à la croix rouge, il fond haut l'épée
sur l'ennemi éperdu, dont soixante-dix
mille cadavres teignent de leur sang les pieds de son
cheval de bataille. Salut au chef de la guerre sainte dont tant de fois
cette Année liturgique a rappelé le souvenir! Saint Jacques! Saint Jacques!
Espagne, en avant ! C'est la rentrée en scène du pêcheur galiléen, que l'Homme-Dieu appela
autrefois de la barque où il raccommodait ses filets (1) ; c'est la réapparition de l'aîné des fils du
tonnerre, libre enfin de lancer la foudre sur les Samaritains nouveaux
(2) qui prétendent honorer l'unité de Dieu en ne voyant qu'un prophète dans son
Christ (3). Désormais Jacques sera pour l'Espagne chrétienne la torche ardente
qu'avait vue le Prophète, le feu qui dévore à droite et à gauche les nations
enserrant la cité sainte, jusqu'à ce qu'elle ait retrouvé ses anciennes
limites, et soit habitée au même lieu qu’ autrefois par ses fils (4).
Et quand, après six siècles et
demi que la mémorable lutte doit durer
encore, ses porte-enseigne, les
rois Catholiques, auront
rejeté par delà les flots les restes
de la tourbe infidèle qui n'aurait jamais dû les franchir, le vaillant
chef des armées des Espagnes déposera
sa brillante armure, le tueur
de Maures redeviendra le messager de la foi. Montant sur sa barque de
pêcheur d'hommes et groupant autour d'elle les flottes intrépides des Christophe
Colomb, des Vasco de Gama, des
Albuquerque, il les guidera sur les mers inconnues à la recherche de
rivages où
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jusque-là n'ait point été porté le
nom du Seigneur. Pour sa part de contribution aux travaux des douze, Jacques
amènera de l'Occident, de l'Orient, du Midi,
des mondes nouveaux qui renouvelleront la stupeur de Pierre à la vue de telles
prises (1). Et celui dont on avait pu croire, au temps du troisième Hérode,
l'apostolat brisé dans sa fleur avant d'avoir donné ses fruits, pourra dire lui
aussi : « Je ne m'estime point inférieur aux plus grands des Apôtres (2) ; car, par la
grâce de Dieu, j'ai travaillé plus
qu'eux tous (3). »
Lisons le récit consacré par
l'Eglise à son honneur.
Jacques fils de Zébédée, frère germain de Jean l'Apôtre, était Galiléen.
Appelé des premiers à l'apostolat comme son frère, il laissa ainsi que lui son
père et ses filets pour suivre le Seigneur. Tous deux furent appelés par Jésus
même Boanergès, c'est-à-dire enfants du tonnerre.
Jacques fut un des trois Apôtres que le Sauveur aima davantage, et qu'il voulut
avoir pour témoins de sa transfiguration et du miracle qu'il fit en
ressuscitant la fille du prince de la synagogue ; lorsqu'il se retira sur la
montagne des Oliviers pour prier son Père, avant d être saisi par les Juifs,
c'est eux encore qu'il prit avec lui.
Cependant Jacques, après
l'Ascension de Jésus-Christ au ciel,
prêcha sa divinité dans la Judée et la Samarie,
où il amena à la foi beaucoup de gens. Parti bientôt pour l'Espagne, il
y convertit quelques hommes I au Christ; de ce nombre furent les sept évêques
que saint Pierre ordonna dans la suite,
et envoya les premiers dans ce pays. Jacques, revenu à Jérusalem, y gagna entre
autres à la vérité le magicien Hermogène; ce fut l'occasion pour Hérode Agrippa, devenu roi sous l'empereur Claude, et qui
voulait plaire aux Juifs, de porter une sentence capitale contre l'Apôtre qui
proclamait sans crainte Jésus-Christ comme Dieu. Celui qui l'avait amené au
tribunal, voyant le courage avec lequel il allait au martyre, se déclara
lui-même aussitôt chrétien.
Comme on les entraînait au
supplice, il implora le pardon de l'Apôtre. « La paix soit à toi ! » dit
Jacques, en lui donnant le baiser. Tous deux furent donc frappés de la hache.
Peu avant, Jacques avait guéri un paralytique. Son corps fut ensuite transporté
à Compostelle, où la renommée souveraine de son culte attire de l'univers
entier les pèlerins qui viennent y satisfaire leur dévotion ou accomplir leurs
vœux. La mémoire de sa naissance au ciel est célébrée par l'Eglise en ce jour,
qui est celui de sa translation; ce fut aux environs de la fête de Pâques, à
Jérusalem, que, le premier des Apôtres, il rendit témoignage par l'effusion du
sang à Jésus-Christ.
Patron des Espagnes,
n'oubliez pas l'illustre peuple qui vous dut à la fois sa noblesse dans les
cieux et sa prospérité de ce monde ; protégez-le contre l'amoindrissement des
vérités qui firent de lui en ses beaux jours le sel de la terre; qu'il pense à
la terrible sentence portant que, si le sel s'affadit, il n'est plus bon
qu'à être foulé aux pieds (1). Mais en même temps souvenez-vous, ô Apôtre,
du culte spécial dont vous honore l'Eglise entière. Aujourd'hui encore, ne
garde-t-elle pas sous la protection immédiate du Pontife romain et votre corps
sacré si heureusement retrouvé dans nos temps (2), et le vœu d'aller en pèlerin
vénérer ces restes précieux?
Que sont devenus les siècles où, si grande que se manifestât
votre force d'expansion au dehors, elle était dépassée par la merveilleuse
puissance d'attirer tout à vous, que vous avait communiquée le Seigneur (3)
? Qui donc, sinon Celui qui compte les astres du firmament (4), pourrait nombrer
les Saints, les pénitents, les rois, les guerriers, les inconnus de tout ordre, multitude
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infinie, renouvelée
sans cesse, gravitant autour de vos reliques saintes comme sous l'empire
de ces immuables lois qui règlent au-dessus de nos têtes les mouvements des
cieux ; armée alors sans cesse en marche vers ce champ de l’étoile d'où
s'exerçait votre rayonnement sur le monde ? Et n'était-ce donc pas le sens de
la vision mystérieuse prêtée, dans nos antiques légendes, au grand empereur par
qui l'Europe chrétienne était fondée, lorsqu'au soir d'une journée de labeur,
des bords de la mer de Frise, il contemplait
la longue zone étoilée qui, partageant le ciel, semblait
passer entre les Gaules, l'Allemagne et l'Italie, pour de là, traversant
Gascogne, pays Basque et Navarre, gagner
les terres de la lointaine Galice ? On raconte que vous-même apparûtes alors à
Charles, et lui dîtes: « Ce chemin d'étoiles marque la route qui s'offre à toi
pour délivrer ma tombe, et que suivront après toi tous les peuples (1). »
Et Charlemagne, passant les monts, donna le
signal pour la chrétienté de cette marche en avant sur
les terres Sarrasines qu'on
appela la Croisade ; ébranlement immense, qui fut le salut aussi bien que la
gloire des races latines, en rejetant la peste musulmane sur le foyer où elle
avait pris naissance.
Mais quand nous venons à
considérer que deux tombeaux furent, aux deux points extrêmes, les pôles voulus
par Dieu de ce mouvement absolument incomparable dans l'histoire des nations :
l'un qui fut celui où Dieu même se coucha dans la mort, et l'autre, ô fils deZébédée, qui garde vos cendres ; comment ne point nous
écrier, dans la stupéfaction du Psalmiste : Vos amis sont honorés jusqu'à
l'excès, ô Dieu (2) ! Et du Fils de l'homme
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à son humble Apôtre, quelles
recherches de l'amitié n'agréant d'honneurs que ceux qu'elle partage, jusque
dans l'établissement de ces Ordres hospitaliers et militaires qui, de part et
d'autre, devenus la terreur du Croissant, n'eurent d'autre but à l'origine que
de recueillir et de protéger les pèlerins dans leur route vers l'un ou l'autre
des saints tombeaux ! Puisse l'impulsion d'en haut, dont le retour aux grands
pèlerinages catholiques est un des signes les plus heureux de nos temps,
ramener aussi vers Compostelle les fils de vos clients d'autrefois ! Pour nous
du moins, avec notre saint Louis balbutiant encore de ses lèvres mourantes en
face de Tunis la Collecte de votre fête, nous redirons en finissant : « Soyez,
Seigneur, pour votre peuple, sanctificateur et gardien ; fortifié du secours de
votre Apôtre Jacques, qu'il vous plaise dans ses mœurs et vous serve d'un cœur
tranquille. »
Le nom de Christophe, dont la
mémoire vient relever la solennité du fils du tonnerre, signifie porte-Christ. Christine rappelait hier aux chrétiens
qu'ils doivent être la bonne odeur du Christ en tous lieux (1) ; Christophe
nous fait souvenir que le Christ habite en effet par la foi dans nos cœurs (2).
On connaît le récit gracieux qui se rattache à son nom. Comme d'autres devaient
se sanctifier plus tard sur la terre des Espagnes, en
construisant les routes et les ponts destinés à faciliter l'accès du tombeau de
saint Jacques aux pèlerins, Christophe,
en Lycie, s'était voué pour
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l'amour du Christ à transporter les
voyageurs sur ses fortes épaules du bord à l'autre d'un torrent redouté. « Ce
que vous avez fait pour le plus petit de mes frères, c'est pour moi que vous
l'avez fait, » doit dire le
Seigneur au jour du jugement (1). Or donc, une nuit qu'éveillé par la voix d'un enfant
demandant à passer, Christophe s'était mis en devoir d'accomplir sa charité
accoutumée, voilà qu'au milieu des flots qui s'agitent et semblent trembler, le
géant qu'aucun poids n'avait jamais courbé, fléchit sous son fardeau devenu
soudain plus pesant que le monde même : « Ne sois pas étonné, dit l'enfant
mystérieux : tu portes Celui qui porte le monde ! » Et il disparaît, bénissant son
porteur, qu'il laisse rempli
de sa force divine.
Christophe fut, sous Dèce,
couronné du martyre. Le secours que nos pères savaient obtenir de lui contre
les orages, les démons, la peste, les accidents de toutes sortes, l'a fait
ranger parmi les Saints auxiliateurs. On plaçait à ce jour dans
plusieurs lieux, sous le commun auspice de saint Christophe et de saint
Jacques, la bénédiction des fruits du pommier.
ORAISON.
Accordez à notre prière, Dieu
tout-puissant, que nous, qui célébrons la naissance au ciel du bienheureux
Christophe votre Martyr, soyons par son intercession fortifiés dans l'amour de
votre Nom. Par Jésus-Christ notre Seigneur.