N-D du CARMEL

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LE XVI JUILLET. NOTRE DAME DU MONT-CARMEL.

 

Couronné de puissance et de grâce, le Carmel élève sa tête parfumée au-dessus des flots qui baignent le rivage de la terre où se sont accomplis les mystères du salut. Les montagnes de Galilée descendant du Nord, celles de Judée venant du Midi, se joignent en Samarie sur la chaîne assez courte qui tire de lui son nom : elles semblent ainsi faire converger vers lui tous leurs grands souvenirs ; et l'on dirait que par la situation dominante de son promontoire au centre même du littoral sacré, il a pour mission d'annoncer au loin sur la mer d'Occident l'Orient divin qui s'est levé du sein des ténèbres (1).

« Au jour de mon amour, je t'ai introduite de l'Egypte en la terre du Carmel (2) », dit le Seigneur à la fille de Sion, comme si ce seul nom résumait à ses yeux tous les biens de la terre des promesses ; et quand les crimes du peuple élu menacent d'amener la ruine sur la Judée : « J'ai vu le Carmel désert, s'écrie le Prophète, et toutes ses villes détruites au souffle de la fureur de Dieu (3). » Mais voici qu'au sein de la gentilité une Sion plus aimée succède à la première ; huit siècles à l'avance, Isaïe la reconnaît à la gloire du Liban devenue sienne, à la beauté du Carmel et de Saron qui lui

 

1. Luc. I, 78-79. — 2. Jerem. II, 2-7. — 3. Ibid. IV, 26.

 

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est donnée (1) ; et dans le Cantique sacré les suivantes de l'Epouse, célébrant pour l'Epoux celle qui sans retour a ravi son cœur, chantent que « sa tête est comme le Carmel, et sa chevelure comme les fils précieux de la pourpre du roi tressés avec soin dans les eaux colorantes (2). »

La pêche des coquillages fournissant la royale couleur était, en effet, abondante au cap Carmel. Près de là également, et affleurant les pentes de la noble montagne, coulait le Cison, fameux par la victoire de Debbora sur les Chananéens dont il avait roulé  les cadavres (3), en attendant que Madian succombât à son tour dans la même plaine où Sisara avait senti la puissance de celle qu'on appelait la Mère en Israël (4). Présage redoutable pour le funeste serpent de l'Eden : contre Madian Gédéon  aussi n'avait marché qu'au nom de la femme terrible comme une armée rangée en bataille (5), et dont le signe avait été pour lui la douce toison rafraîchie par la céleste rosée dans la sécheresse de la terre  entière (6).  Et comme si cette plaine glorieuse d'Esdrelon, qui vient mourir au pied du Carmel, ne devait offrir aux horizons de ses divers sommets, aux échos de ses multiples vallées,  que les prophétiques figures et les titres variés de la triomphatrice annoncée dès le premier jour du monde : non loin d'Esdrelon quelques défilés conduisent à Béthulie, terreur des Assyriens, qu'illustra Judith, la joie d'Israël et l'honneur de son peuple (7) ; tandis que dans  les  hauteurs  du septentrion se cache Nazareth, blanche cité, fleur de la Galilée (8),

 

1. Isai. XXXV, 2. — 2. Cant. VII, 5. — 3. Judic. V, 21. — 4. Ibid. 7. — 5. Cant. VI, 3, 9. — 6. Judic. VII, 36-40. — 7. Judith, XV, 10. — 8. Hieron. Epist. XLVI, Paulae et Eustochii ad Marcellam.

 

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Quand son amour se jouait dans l'affermissement des collines et des monts (1), l'éternelle Sagesse avait en effet choisi le Carmel pour être, aux siècles des figures, l'apanage anticipé de la fille d'Eve qui briserait la tête de l'ancien ennemi. Aussi lorsque le dernier des longs millénaires de l'attente eut commencé de dérouler ses interminables anneaux, quand l'aspiration des nations (2) devenue plus instante obtint du Seigneur l'épanouissement de l'esprit prophétique dont cette époque parut marquée, ce fut au sommet de la montagne prédestinée qu'on vit le père des Prophètes venir dresser sa tente et observer l'horizon.

Les triomphes de David, les gloires de Salomon n'étaient plus ; le sceptre de Juda, brisé par le schisme des dix tribus, menaçait  prématurément d'échapper à ses mains ; Baal régnait en Israël. Image de l'aridité des âmes, une sécheresse persistante épuisait partout les sources de la vie. Hommes et animaux près de leurs citernes vides attendaient la mort, lorsque Elie de Thesbé, convoquant tout le peuple sur le Carmel et l'arrachant à ses docteurs de mensonge, rassembla en lui les vœux de cette foule qui représentait le genre humain. Prosterné au faîte du mont le front dans la poussière, raconte l'Ecriture même, il dit à son serviteur : « Va, et vois du côté de la mer. » Lui donc étant  allé, et  ayant regardé, revint dire : « Il n'y a rien. » Elie lui dit : «  Retourne. » Et jusqu'à sept fois il fut fait ainsi. Or à la septième fois, voici qu'un petit nuage comme le pied d'un homme s'élevait de la mer (3).

 

1. Prov. VIII, 22-31. — 2. Gen. XLIX, 10. —  3. III Reg. XVIII.

 

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Nuée bénie, sortie de l'amertume des flots et toute de douceur, elle monte, docile au moindre souffle venu du ciel, légère et humble au-dessus du lourd et immense océan ; elle tempère les feux qui brûlaient la terre, enferme en soi le soleil, et rend au monde agonisant la vie, la grâce et la fécondité. Déjà l'envoyé promis, le Fils de l'homme marque en elle son empreinte, et cette empreinte rappelle par sa forme au serpent maudit le talon qui doit l'écraser. Le Prophète, en qui se personnifie l'humanité, sent à cette vue la main de Dieu renouveler sa jeunesse (1) ; sous la  bienheureuse pluie qui déjà inonde les vallées, il s'élance au-devant du char portant le roi d'Israël (2). Il traverse en courant la grande plaine d'Esdrelon, et le terme de sa course  est Jezrahel, la ville au nom plein de mystère ; car c'est là, dit Osée, que les enfants d'Israël et de Juda retrouveront un seul chef au grand jour des fils de Dieu (3) qui verra les noces éternelles du Seigneur avec un peuple nouveau (4). Mais le mystère continue de s'affirmer dans sa divine ampleur. Bientôt Sunam, cité voisine de Jezrahel et  patrie de  l'Epouse (5), nous  montre la Mère dont l'enfant était mort,  traverser dans un sens opposé à celui d'Elie la plaine qu'il avait parcourue triomphant sous l'impulsion de l'Esprit-Saint, et derechef monter au Carmel  pour implorer la  résurrection de ce fils qui là encore nous figurait tous (6).

Déjà cependant le char de feu avait enlevé Elie de cette terre; aux derniers jours, avant de goûter la mort, il reparaîtra, pour joindre en compagnie d'Hénoch le témoignage des Patriarches et des

 

1. Psalm. CII, 5. — 2. III Reg. XVIII, 46. — 3. Ose. I, 11. — 4, Ibid. 11, 14-24. — 5. Cant. VI, 12 ; III Reg. 1, 3. — 6. IV Reg. IV, 8-37.

 

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Prophètes à celui de l'Eglise, touchant l'Epoux né de celle que signifiait la nuée (1). En attendant, son disciple Elisée, investi du manteau et de l'esprit du père sur les bords du Jourdain, avait aussitôt pris lui-même possession de l'auguste montagne (2) devenue comme la principauté, le titre domanial des enfants des Prophètes, depuis que la Reine des Prophètes s'y était manifestée.

Désormais le Carmel fut sacré pour tous ceux dont les espérances de l'humanité tenaient le regard au-dessus de la terre. Gentils aussi bien que descendants d'Israël, philosophes (3) et princes (4), y vinrent en pèlerins adorer le Dieu sans idole et méditer sur les destinées du monde. Les âmes d'élite de l'Eglise de l'attente, qui jusque-là erraient déjà nombreuses par les montagnes et dans les solitudes (5), aimèrent à choisir leur lieu de prière et de repos dans les mille grottes que leur ouvraient ses flancs ; car les antiques traditions y remplissaient plus qu'ailleurs de leur majesté le silence des forêts, et la Vierge qui devait enfanter s'y annonçait à ses parfums. Le culte de la douce souveraine de la terre et des cieux fut véritablement à tout jamais fondé dès lors ; et la tribu de ses dévots clients, les ascètes du Carmel, pouvait s'appliquer la parole qui fut dite par Dieu plus tard aux pieux descendants de Réchab : « Il ne manquera point d'homme de cette race pour se tenir devant moi tous les jours (6). »

Lorsqu'enfin les réalités succédèrent aux figures, lorsque le ciel eut répandu sa rosée et que le Juste fut sorti de la nuée (7), bientôt on le vit, son œuvre achevée, remonter vers le Père ; mais il laissait au monde

 

1. Apoc. XI, 7. — 2. IV Reg. II, 25. — 3. Jamblic. Vita Pythagor. III. — 4. Tacit. Hist. II, LXXVIII. — 5. Heb. XI, 38. — 6. Jerem. XXXV, 19. — 7. Isai. XLV, 8.

 

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la divine Mère, et il envoyait l'Esprit-Saint à l'Eglise : et le moindre triomphe de cet Esprit d'amour, qui parlait par les Prophètes autrefois (1), n'était point de révéler Marie aux nouveau-nés de la glorieuse Pentecôte. « Quel ne fut pas, disions-nous  alors, le bonheur de ceux des néophytes auxquels il fut donné, en cette heureuse journée, d'approcher d'une si auguste reine, de la Vierge-Mère, à qui il avait été donné de porter dans ses chastes flancs celui qui était l'espérance d'Israël ! Ils contemplèrent les traits de la nouvelle Eve, ils entendirent sa voix, ils éprouvèrent le sentiment filial qu'elle inspire à tous les disciples de Jésus. Dans une  autre saison, la sainte Liturgie nous parlera de ces hommes fortunés (2). »  Or c'est aujourd'hui que cette annonce est réalisée. Dans les Leçons de la fête, l'Eglise tout à l'heure nous dira qu'entre  tous, les disciples d'Elie et d'Elisée, devenus chrétiens à la première prédication des Apôtres, sentirent croître leur vénération pour la Vierge bénie dont il leur fut  loisible de recueillir les paroles si suaves, de goûter l'ineffable intimité. Plus que jamais affectionnés  à la montagne où, moins  fortunés qu'eux pourtant, leurs pères avaient vécu d'espérance, ils y construisirent, au lieu même d'où Elie avait vu la nuée monter de la mer, un oratoire qui fut dédié dès lors à la très pure Vierge, et leur valut le nom de Frères de la bienheureuse Marie du Mont-Carmel (3).

Au douzième siècle, à la suite de l'établissement du royaume latin de Jérusalem, beaucoup de pèlerins d'Europe venant augmenter le nombre des solitaires de la sainte montagne, il parut bon de

 

1. Symbol. Constantinop. — 2. Le Temps pascal, t. III, p. 3o5. — 3. I.ectiones IIi Nocturni.

 

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donner à leur vie, jusque-là plus érémitique que conventuelle, une forme mieux en rapport avec les habitudes des Occidentaux ; ce fut alors que le légat Aimeric Malafaida,  patriarche d'Antioche, les réunit en communauté sous l'autorité de saint Berthold qui, le premier, reçut à cette occasion le titre de Prieur général. Le Bienheureux  Albert, patriarche de Jérusalem et également légat apostolique, acheva dans les  premières années  du siècle suivant l'œuvre d'Aimeric, en donnant une Règle fixe à l'Ordre qui commença de se répandre en Chypre, en  Sicile et dans  les pays d'au delà delà mer, favorisé par les princes et les chevaliers revenus de Terre Sainte. Bientôt même, Dieu abandonnant les chrétiens d'Orient au châtiment mérité par leurs fautes, les représailles des Sarrasins victorieux devinrent telles en ce siècle de malheur pour la Palestine, qu'une assemblée plénière, tenue au  Carmel  sous Alain le Breton, décréta l'émigration  totale, ne laissant à la garde du berceau de l'Ordre que quelques affamés du martyre. L'année même où elle se consommait (1245), Simon Stock fut élu général dans le premier Chapitre d'Occident, réuni à Aylesford en Angleterre.

Simon était désigné à ce choix par les luttes heureuses qu'il avait précédemment soutenues pour la reconnaissance de l'Ordre, que nombre de prélats, s'appuyant des récentes décisions du concile de Latran, rejetaient comme nouveau en Europe. Notre-Dame même avait alors pris en mains la cause des Frères, et obtenu d'Honorius III le décret de confirmation qui fut l'origine première de la fête de ce jour. Or, ce n'était là ni le commencement, ni la fin des faveurs de la très douce Vierge pour la famille qui si longtemps avait vécu

 

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comme à l'ombre de la nuée mystérieuse, obscure comme elle dans son humilité, sans vautre lien ni prétention que l'imitation de ses œuvres cachées et la commune contemplation de sa gloire. Elle-même avait voulu sa sortie du milieu d'un peuple infidèle, comme avant la fin de ce même siècle treizième, elle donnera ordre à ses Anges de transporter en terre catholique sa bénie maison de Nazareth. Que les hommes d'alors, que les historiens de nos temps à vue toujours si courte en aient eu ou non la pensée : les deux translations s'appelaient, comme elles se complètent et s'expliquent mutuellement, comme l'une et l'autre vont être pour notre Europe le point de départ des plus insignes faveurs du ciel.

Dans la nuit du 15 au 16 juillet de l'année 1251, la gracieuse souveraine du Carmel confirmait à ses fils par un signe extérieur le droit de cité qu'elle leur avait obtenu en ces régions nouvelles où les amenait leur exode ; maîtresse et mère de tout l'Ordre religieux, elle leur conférait de ses augustes mains le scapulaire, vêtement distinctif jusque-là de la plus grande et de la plus ancienne des familles religieuses de l'Occident. Saint Simon Stock qui recevait de la Mère de Dieu cet insigne, ennobli encore par le contact de ses doigts sacrés, l'entendait en même temps lui dire : « Quiconque mourra dans cet habit, ne souffrira point les flammes éternelles. »

Mais ce n'était point seulement contre le feu sans fin de l'abîme, que devait s'exercer en faveur de ceux qui porteraient le pieux habit la toute-puissance suppliante de la divine Mère. En 1316, lorsque de toutes les âmes saintes s'élevaient au ciel d'ardentes prières pour obtenir à l'Eglise la cessation du veuvage  désastreux et prolongé qui

 

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avait suivi la mort de Clément V, la Reine des Saints se montrait à Jacques d'Euze que le monde allait saluer bientôt du nom de Jean XXII ; elle lui annonçait sa prochaine élévation au pontificat suprême, et en même temps lui recommandait de publier le privilège d'une prompte délivrance du purgatoire qu'elle avait obtenu de son Fils divin pour ses enfants du Carmel. « Moi leur Mère, je descendrai par grâce vers eux le samedi qui suivra leur mort, et tous ceux que je trouverai dans le purgatoire je les délivrerai et les emmènerai à la montagne de l'éternelle vie. » Ce sont les propres paroles de Notre-Dame, citées par Jean XXII dans la bulle où il en rend témoignage, et qui fut dite sabbatine en raison du jour désigné par la glorieuse libératrice comme celui où s'exercerait le miséricordieux privilège.

Nous n'ignorons point les tentatives faites dans le but d'ébranler l'authenticité de ces concessions du ciel ; mais le temps, qui nous est si étroitement mesuré, ne nous permet pas de suivre dans leurs détails infinis ces luttes stériles. L'attaque du principal des adversaires, le trop renommé Launoy, fut condamnée par le Siège apostolique ; et après comme avant ces contradictions, les Pontifes romains confirmèrent maintes fois de leur autorité suprême, autant qu'il en pouvait être besoin, la substance et la lettre même des précieuses promesses. On trouvera dans les ouvrages spéciaux l'énumération des nombreuses indulgences par lesquelles ils voulurent enrichir toujours plus la famille du Carmel, et faire écho de cette terre à la faveur dont elle jouit au ciel.

La munificence de Marie, la pieuse gratitude de ses fils pour l'hospitalité que leur donnait l'Occident, l'autorité  enfin des successeurs de

 

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Pierre, rendirent bientôt ces richesses spirituelles accessibles au peuple entier des  chrétiens, par l'institution de la Confrérie du saint Scapulaire qui fait entrer ses membres en participation des mérites et privilèges de tout l'Ordre des Carmes. Qui dira les grâces, souvent merveilleuses, obtenues par l'humble vêtement ? Qui pourrait compter aujourd'hui les fidèles enrôlés dans la milice sainte ?  Lorsque Benoît XIII, au XVIII° siècle, étendit la fête du 16 juillet à l'Eglise entière, il ne fit pour ainsi  dire que consacrer  officiellement l'universalité de fait que le culte de la Reine du Carmel avait conquise presque partout dès lors.

 

Voici l'exposé de la sainte Liturgie sur l'historique et l'objet de cette fête.

 

Lorsque au saint jour de la Pentecôte les Apôtres, inspirés d'en haut, parlaient diverses langues et faisaient de nombreux miracles en invoquant le très  auguste nom de Jésus, on rapporte que de  nombreux disciples des saints  prophètes Elie et  Elisée,  préparés  par  la prédication de Jean-Baptiste à l'arrivée du Christ, ayant vu  et reconnu la vérité, embrassèrent aussitôt la foi de l'Evangile. Or la bienheureuse Vierge, dont il leur fut loisible de goûter les entretiens et la familiarité, devint pour eux en ces heures  fortunées   l'objet d'un amour si spécial  et d'une vénération si profonde, que les premiers de tous, à l'endroit de la montagne du Carmel où Elie autrefois avait vu monter la nuée figure de la Vierge, ils construisirent une chapelle à cette même Vierge très pure.

 

Tous les jours ils se réunissaient souvent dans le nouvel oratoire, honorant par de pieuses cérémonies, des prières et des louanges la bienheureuse Vierge comme singulière protectrice de leur Ordre. Aussi, de divers côtés, commencèrent-ils à être appelés par tout le monde Frères de la bienheureuse Marie du mont Carmel. Les Souverains Pontifes confirmèrent cette appellation, et même accordèrent des indulgences particulières à ceux qui la donneraient soit à l’Ordre, soit à chacun des Frères. Mais ce ne fut pas seulement le nom et la protection que leur donna la très magnifique Vierge : l'insigne du saint Scapulaire fut remis par elle au bienheureux Simon d'Angleterre, pour que ce vêtement du ciel fît reconnaître le saint Ordre et le gardât contre les maux suspendus sur sa tête. Cet Ordre étant autrefois inconnu en Europe, beaucoup faisaient instance auprès d'Honorius III pour sa suppression ; mais la très pieuse Vierge Marie  s'apparut de nuit à Honorius, et lui fit savoir qu'il eût à couvrir de sa bienveillance l'institut et ses membres.

 

Ce  n'est pas seulement dans  le siècle présent que la bienheureuse Vierge voulut signaler par des privilèges nombreux un Ordre qui lui est si cher  partout trouvent crédit sa miséricorde et sa puissance ; et c'est  une pieuse croyance que, dans le siècle futur, la faveur de  son maternel amour console au milieu des flammes du purgatoire, et conduit au plus vite à la céleste patrie ses fils de la confrérie du Scapulaire, qui ont observé la légère abstinence   et   les   quelques prières à eux marquées,  en gardant la chasteté  selon leur état. En reconnaissance donc de tant et de si grands bienfaits,  l'Ordre  a établi pour être célébrée à perpétuité tous les ans  en son honneur cette  solennelle commémoration de la bienheureuse Vierge.

 

Reine du Carmel, agréez les vœux de l'Eglise de la terre qui aujourd'hui vous dédie ses chants. Quand le monde gémissait dans l'angoisse d'une attente sans fin, vous étiez déjà son espoir. Bien impuissant encore à pénétrer vos grandeurs, il aimait pourtant, sous ce règne des figures, à vous parer des plus nobles symboles ; la reconnaissance anticipée aidait en lui l'admiration à vous former comme une auréole surhumaine de toutes

 

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les notions de beauté, de force et de grâce que lui suggérait la vue des sites les plus enchanteurs, des plaines en rieurs, des cimes boisées, des vallées fertiles, de ce Carmel principalement dont le nom signifie plantation du Seigneur. Sur son sommet, nos pères, qui savaient que la Sagesse a son trône dans la nue (1), hâtèrent de leurs désirs ardents l'arrivée du signe sauveur (2); c'est là qu'à leurs prières fut enfin donné ce que l'Ecriture nomme la science parfaite, ce qu'elle désigne comme la connaissance des grandes routes des nuées (3). Et quand Celui qui fait son char (4) et son palais (5) de l'obscurité de la nue, se fut dans un avenir moins éloigné manifesté par elle à l'œil exercé du père des Prophètes, on vit les plus saints personnages de l'humanité se réunir en troupe d'élite dans les solitudes de la montagne bénie, comme autrefois Israël au désert, pour observer les moindres mouvements de la nuée mystérieuse (6), recevoir d'elle leur unique direction dans les sentiers de cette vie, leur seule lumière dans la longue nuit de l'attente (7).

O Marie, qui dès lors présidiez ainsi aux veilles des armées du Seigneur, qui jamais ne leur fîtes un seul jour défaut (8) : depuis qu'en toute vérité Dieu est par vous descendu (9), ce n'est plus seulement le pays de Judée, mais toute la terre, que vous couvrez comme une nuée répandant l'abondance et les bénédictions (10). Vos antiques clients, les fils des Prophètes, en firent l'heureuse expérience, lorsque, la terre des promesses devenue infidèle, ils durent songer un jour à transplanter

 

1. Eccli. XXIV, 7. — 2. Ibid. XLIII, 24. — 3. Job. XXXVII, 16. — 4. Psalm. CIII, 3. — 5. III Reg. VIII, 12. — 6. Num. IX, 15-23. — 7. Psalm. CIV, 39. — 8. Exod. XIII, 22. — 9. Ibid. XXXIV, 5. — 10. Eccli. XXIV, 6.

 

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sous d'autres cieux leurs coutumes et leurs traditions; ils constatèrent alors que jusqu'en notre extrême Occident la nuée du Carmel avait versé sa rosée fécondante, que partout aussi sa protection leur restait acquise. Cette fête, ô Mère divine, est l'authentique monument de leur reconnaissance, accrue encore par les bienfaits nouveaux dont votre munificence accompagna cet autre exode des derniers restes d'Israël. Et nous les fils de la vieille Europe, c'est à bon droit que nous faisons écho à l'expression de leur pieuse allégresse; car depuis que leurs tentes se sont posées autour des collines où sur Pierre est bâtie la nouvelle Sion, la nuée s'est épanchée de toutes parts en pluies plus que jamais précieuses (1) , refoulant à l'abîme les flammes éternelles, éteignant les feux du séjour de l'expiation.

En même temps donc que nous joignons pour vous notre reconnaissance à la leur, daignez, Mère de la divine grâce, acquitter envers eux la dette de notre gratitude. Protégez-les toujours. Gardez-les dans nos temps malheureux où les sévices du Sarrasin sont dépassés, en résultats de mort, par l'hypocrisie calculée des modernes persécuteurs. Que non seulement la vieille tige garde la vie dans ses racines profondes, mais que ses vénérables rameaux saluent sans cesse l'accession de nouvelles branches portant comme leurs aînées, ô Marie, les fleurs et les fruits qui vous plaisent. Maintenez au cœur des fils l'esprit de retraite et de divine contemplation qui fut celui de leurs pères à l'ombre de la nue ; faites que leurs sœurs aussi restent fidèles aux traditions de tant de nobles  devancières, sous tous les cieux

 

1. Ezech. XXXIV, 26.

 

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l'Esprit les a multipliées pour en même temps conjurer l'orage et attirer les bénédictions qui descendent de la nuée mystérieuse. Puissent les austères parfums de la sainte montagne continuer d'assainir autour d'elle l'air que tant de miasmes corrompent ; puisse le Carmel offrir toujours à l'Epoux le type des beautés qu'il aime à trouver en sa bien-aimée !

 

 

 

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