BERNARD

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LE XX AOUT. SAINT BERNARD, ABBE ET DOCTEUR DE L'EGLISE.

 

Le val d'absinthe a perdu ses poisons. Devenu Clairvaux, la claire vallée, il illumine le monde; de tous les points de l'horizon, les abeilles vigilantes y sont attirées par le miel du rocher (1) qui déborde en sa solitude. Le regard de Marie s'est abaissé sur ces collines sauvages; avec son sourire, la lumière et la grâce y sont descendues. Une voix harmonieuse, celle de Bernard, l'élu de son amour, s'est élevée du désert; elle disait :

« Connais, ô homme, le conseil de Dieu ; admire les vues de la Sagesse, le dessein de l'amour. Avant que d'arroser toute l'aire, il inonde la toison (2) ; voulant racheter le genre humain, il amasse en Marie la rançon entière. O Adam, ne dis plus : La femme que vous m'avez donnée m'a présenté du fruit défendu (3) ; dis plutôt : La femme que vous m’avez donnée m'a nourri d'un fruit de bénédiction. De quelle ardeur faut-il que nous honorions Marie, en qui la plénitude de tout bien fut déposée ! S'il est en nous quelque espérance, quelque grâce de salut, sachons qu'elle déborde de celle qui aujourd'hui s'élève inondée d'amour :

 

1. Deut. XXXII,  13. — 2. Judic. VI, 37-40. — 3. Gen. III, 12.

 

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jardin de délices, que le divin Auster n'effleure pas seulement d'un souffle rapide, mais sur lequel il fond des hauteurs et qu'il agite sans fin de la céleste brise, pour qu'en tous lieux s'en répandent les parfums (1), qui sont les dons des diverses grâces. Otez ce soleil matériel qui éclaire le monde : où sera le jour ? Otez Marie, l'étoile de la vaste mer : que restera-t-il, qu'obscurité enveloppant tout, nuit de mort, glaciales ténèbres ? Donc, par toutes les fibres de nos cœurs, par tous les amours de notre âme, par tout l'élan de nos aspirations, vénérons Marie; car c'est la volonté de Celui qui a voulu que nous eussions tout par elle (2). »

Ainsi parlait ce moine dont l'éloquence, nourrie, comme il le disait, parmi les hêtres et les chênes des forêts (3), ne savait que répandre sur les plaies de son temps le vin et l'huile des Ecritures. En 1113, âgé de vingt-deux ans, Bernard abordait Cîteaux dans la beauté de son adolescence mûrie déjà pour les grands combats. Quinze ans s'étaient écoulés depuis le 21 mars 1098, où Robert de Molesmes avait créé entre Dijon et Beaune le désert nouveau. Issue du passé en la fête même du patriarche des moines, la fondation récente ne se réclamait que de l'observance littérale de la Règle précieuse donnée par lui au monde. Pourtant l'infirmité du siècle se refusait à reconnaître, dans l'effrayante austérité des derniers venus de la grande famille, l'inspiration du très saint code où la discrétion règne en souveraine (4), le caractère de l'école accessible à tous, où Benoît « espérait ne rien établir de rigoureux ni de trop pénible au

 

1. Cant. IV, 16. — 2. Bernard. Sermo in Nativ. B. M. — 3. Vita Bernardi, I, IV, 23. — 4. Greg. Dialog. II, XXXVI.

 

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service du Seigneur (1). » Sous le gouvernement d'Etienne Harding, successeur d'Albéric qui lui-même avait remplacé Robert, la petite communauté partie de Molesmes allait s'éteignant, sans espoir humain de remplir ses vides, quand l'arrivée du descendant des seigneurs de Fontaines, entouré des trente compagnons sa première conquête, fit éclater la vie où déjà s'étendait la mort.

Réjouis-toi, stérile qui n'enfantais pas ; voilà que vont se multiplier les fils de la délaissée (2). La Ferté, fondée cette année même dans le Châlonnais, voit après elle Pontigny s'établir près d'Auxerre, en attendant qu'au diocèse de Langres Clairvaux et Morimond viennent compléter, dans l'année 1115, le quaternaire glorieux des filles de Cîteaux qui, avec leur mère, produiront partout des rejetons sans nombre. Bientôt (1119) la Charte de charité va consacrer l'existence de l'Ordre Cistercien dans l'Eglise ; l'arbre planté six siècles plus tôt au sommet du Cassin, montre une fois de plus au monde qu'à tous les âges il sait s'orner de nouvelles branches qui, sans être la tige, vivent de sa sève et sont la gloire de l'arbre entier.

Durant les mois de son noviciat cependant, Bernard a tellement dompté la nature, que l'homme intérieur vit seul en lui; les sens de son propre corps lui demeurent comme étrangers. Par un excès toutefois qu'il se reprochera (3), la rigueur déployée dans le but d'obtenir un résultat si désirable a ruiné ce corps, indispensable auxiliaire de tout mortel dans le service de ses frères

 

1. S. P. Benedict. in Reg. Prolog. — 2. Isai. LIV, 1. — 3. Vita, I, VIII, 41.

 

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et de Dieu. Heureux coupable, que le ciel se chargera d'excuser lui-même magnifiquement! Mais le miracle, sur lequel tous ne peuvent ni ne doivent compter, pourra seul le soutenir désormais dans l'accomplissement de la mission qui l'attend.

Bernard est ardent pour Dieu comme d'autres le sont pour leurs passions. «  Vous voulez apprendre de moi, s'écrie-t-il dans un de ses premiers ouvrages, pourquoi  et comment  il faut aimer Dieu. Et moi, je vous réponds : La raison d'aimer Dieu, c'est Dieu même; la mesure de l'aimer, c'est de l'aimer sans mesure (1). » Quelles délices furent les siennes à Cîteaux, dans le secret de la face du Seigneur (2)!  Lorsque, après deux ans, il  quitta ce séjour béni pour fonder Clairvaux, ce fut la sortie du paradis. Moins fait pour converser avec les hommes qu'avec les Anges, il commença, nous dit son historien, par être l'épreuve de ceux qu'il devait conduire :  tant  son langage était d'en haut, tant ses exigences de perfection  dépassaient la force  même de  ces forts d'Israël, tant son étonnement se manifestait douloureux à la révélation des infirmités qui sont la part de toute chair (3).

Outrance de l'amour, eussent dit nos anciens, qui lui réservait d'autres surprises. Mais l'Esprit-Saint veillait sur le vase d'élection appelé à porter devant les peuples et les rois le nom du Seigneur (4); la divine charité qui consumait cette âme, lui fit comprendre, avec leurs durs contrastes, les deux objets inséparables de l'amour : Dieu, dont la bonté en fournit le motif, l'homme,

 

1. De diligendo Deo, I, 1.  — 2. Psalm. XXX, 13.  — 3. Vita, I, VI, 27 3o. — 4. Act. IX, 15.

 

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dont la misère en est l'exercice éprouvant. Selon la remarque naïve de Guillaume de Saint-Thierry, son disciple et ami, Bernard réapprit l'art de vivre avec les humains (1) ; il se pénétra des admirables recommandations du législateur des moines, quand il dit de l'Abbé établi sur ses frères : « Dans les corrections même, qu'il agisse avec prudence et sans excès, de crainte qu'en voulant trop racler la rouille, le vase ne se brise. En imposant les travaux, qu'il use de discernement et de modération, se rappelant la discrétion du saint patriarche Jacob, qui disait : Si je fatigue mes troupeaux en les faisant trop marcher, ils périront tous en un jour (2). Faisant donc son profit de cet exemple et autres semblables sur la discrétion, qui est la mère des vertus, qu'il tempère tellement toutes choses que les forts désirent faire davantage, et que les faibles ne se découragent pas (3). »

En recevant ce que le Psalmiste appelle l'intelligence de la misère du pauvre (4), Bernard sentit son cœur déborder de la tendresse de Dieu pour les rachetés du sang divin. Il n'effraya plus les humbles. Près des petits qu'attirait la grâce de ses discours, vinrent se ranger les sages, les puissants, les riches du siècle, abandonnant leurs vanités, devenus eux-mêmes petits et pauvres à l'école de celui qui savait les conduire tous des premiers éléments de l'amour à ses sommets. Au milieu des sept cents moines recevant de lui chaque jour la doctrine du salut, l'Abbé de Clairvaux pouvait s'écrier avec la noble fierté des saints : « Celui qui est puissant a fait en nous de grandes

 

1. Vita, I, VI, 3o. — 2. Gen. XXXIII, 13. — 3. S. P. Benedict.  Reg. LXIV. — 4. Psalm. XL, 2.

 

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choses, et c'est à bon droit que notre âme magnifie le Seigneur. Voici que nous avons tout quitté pour vous suivre (1) : grande résolution, gloire des grands Apôtres; mais nous aussi, par sa grande grâce, nous l'avons prise magnifiquement. Et peut-être même qu'en cela encore, si je veux me glorifier, ce ne sera pas folie ; car je dirai la vérité : il y en a ici qui ont laissé plus qu'une barque et des filets (2). »

Et dans une autre circonstance : « Quoi de plus admirable, disait-il, que de voir celui qui autrefois pouvait deux jours à peine s'abstenir du péché,  s'en garder des années et sa vie entière ? Quel  plus grand miracle que  celui de tant de jeunes hommes, d'adolescents, de nobles personnages, de tous ceux enfin que j'aperçois ici, retenus sans liens dans une prison ouverte, captifs de la seule crainte de Dieu, et qui persévèrent dans les macérations d'une pénitence au delà des forces humaines, au-dessus de la nature, contraire à la coutume ? Que  de merveilles nous  pourrions trouver, vous le savez bien, s'il nous était permis de rechercher  par le détail ce que furent pour chacun la sortie de l'Egypte, la route au désert, l'entrée au monastère, la vie dans ses murs (3) ! »

Mais d'autres merveilles que celles dont le cloître garde le secret au Roi des siècles, éclataient déjà de toutes parts. La voix qui peuplait les solitudes, avait par delà d'incomparables échos. Le monde, pour l'écouter, s'arrêta sur la pente qui conduit aux abîmes. Assourdie des mille bruits discordants de l'erreur, du schisme et des passions, on vit l'humanité se taire une heure aux

 

1. Matth. XIX, 27.— 2. Bern. De Diversis, Sermo XXXVII, 7, — 3. In Dedicat. Eccl. Sermo 1, 2.

 

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accents nouveaux dont la mystérieuse puissance l'enlevait à son égoïsme, et lui rendait pour les combats de Dieu l'unité des beaux jours. Suivrons-nous dans ses triomphes le vengeur du sanctuaire, l'arbitre des rois, le thaumaturge acclamé des peuples? Mais c'est ailleurs que Bernard a placé son ambition et son trésor (1) ; c'est au dedans qu'est la vraie gloire (2). Ni la sainteté, ni le mérite, ne se mesurent devant Dieu au succès ; et cent miracles ne valent pas, pour la récompense, un seul acte d'amour. Tous les sceptres inclinés devant lui, l'enivrement des foules, la confiance illimitée des Pontifes, il n'est rien, dans ces années de son historique grandeur, qui captive la pensée de Bernard, bien plutôt qui n'irrite la blessure profonde de sa vie, celle qu'il reçut au plus intime de l'âme, quand il lui fallut quitter cette solitude à laquelle il avait donné son cœur.

A l'apogée de cet éclat inouï éclipsant toute grandeur d'alors, quand, docile à ses pieds, une première fois soumis par lui au Christ en son vicaire, l'Occident tout entier est jeté par Bernard sur l'infidèle Orient dans une lutte suprême, entendons ce qu'il dit : « Il est bien temps que je ne m'oublie pas moi-même. Ayez pitié de ma conscience angoissée : quelle vie monstrueuse que la mienne ! Chimère de mon siècle, ni clerc ni laïque, je porte l'habit d'un moine et n'en ai plus les observances. Dans les périls qui m'assiègent, au bord des précipices qui m'attirent, secourez-moi de vos conseils, priez pour moi (3). »

Absent de Clairvaux, il écrit à ses moines : « Mon âme est triste; elle ne sera point consolée qu'elle ne vous retrouve. Faut-il, hélas! que mon

 

1. Matth. VI, 21. — 2. Psalm. XLIV, 14 — 3. Epist. CCL.

 

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exil d'ici-bas,  si  longtemps  prolongé,  s'aggrave encore ? Véritablement ils ont ajouté douleur sur douleur à mes maux, ceux qui nous ont séparés. Ils m'ont enlevé le seul remède qui me fit supporter d'être sans le Christ; en attendant de contempler sa face  glorieuse,  il m'était donné du moins de vous voir, vous son saint temple De ce temple, le passage me semblait facile à l'éternelle patrie. Combien souvent cette consolation m'est ôtée! c'est la troisième fois, si je ne me trompe, qu'on m'arrache mes entrailles. Mes enfants sont sevrés avant le temps ; je les avais engendrés par l'Evangile, et je ne puis les nourrir. Contraint de négliger ce qui m'est cher, de m'occuper d'intérêts étrangers, je ne sais presque ce qui m'est le plus dur, ou d'être enlevé aux uns, ou d'être mêlé aux autres. Jésus, ma vie doit-elle donc tout entière s'écouler dans les gémissements ? Il m'est meilleur de mourir que de vivre; mais je voudrais ne mourir  qu'au milieu des miens ;  j'y  trouverais plus de douceur, plus de sûreté. Plaise à mon Seigneur que les yeux d'un père, si indigne qu'il se reconnaisse de porter ce nom, soient fermés de la main de ses fils; qu'ils l'assistent dans le dernier passage : que leurs désirs, si vous l'en jugez digne, élèvent son âme au séjour bienheureux ; qu'ils ensevelissent le corps d'un pauvre avec les corps de ceux qui furent pauvres comme lui. Par la prière, par le mérite de mes frères, si j'ai trouvé grâce devant vous,  accordez-moi ce vœu ardent de mon  cœur. Et pourtant, que votre volonté se fasse, et non la mienne ; car je ne veux ni vivre ni mourir pour moi (1). »

Plus grand dans son abbaye qu'au milieu des

 

1. Epist. CXLI.

 

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plus nobles cours, saint Bernard en effet devait y mourir à l'heure voulue de Dieu, non sans avoir vu l'épreuve publique (1)  et privée (2) préparer son âme à la purification suprême. Une dernière fois il reprit sans les achever ses entretiens de dix-huit années sur le Cantique, conférences familières recueillies pieusement par la plume de ses fils, et où se révèlent d'une manière si touchante le zèle des enfants pour la divine science, le cœur du père et sa sainteté,  les incidents de la vie de chaque  jour à Clairvaux (3). Arrivé au premier verset du troisième chapitre,  il décrivait la recherche du Verbe par l'âme dans l'infirmité de cette vie, dans la nuit de ce monde (4), quand son discours interrompu le laissa dans l'éternel face à face, où cessent toute énigme, toute figure et toute ombre.

 

1. De Consideratione, II, I, 1-4. — 2. Epist. CCXCVIII, etc. — 3. In Cantica, Sermon. I, 1; III, 6; XXVI, 3-14; XXXVI, 7; XLIV, 8; LXXIV, 1-7; etc. — 4. Ibid. Sermo LXXXVI, 4.

 

Voici la notice consacrée par l'Eglise à ce grand serviteur.

 

Bernard, né à Fontaines en Bourgogne, était de noble famille. Adolescent, sa grande beauté l'exposa à de périlleuses poursuites ; mais on ne put jamais ébranler la résolution qu'il avait prise de rester chaste. Pour échapper à ces tentations du diable, âgé de vingt-deux ans, il se détermina à entrer au monastère de Cîteaux, berceau des Cisterciens, où la  sainteté était alors florissante. Quand le dessein de Bernard fut connu, ses frères rirent pour l'en détourner les plus grands efforts ; mais lui, plus éloquent et plus heureux, les amena si bien, comme beaucoup d'autres, à son sentiment, que trente jeunes gens entrèrent avec lui dans l'Ordre. Moine, il faisait ses délices du jeûne à tel point que, toutes les fois qu'il fallait manger, on eût dit qu'autant de fois il subissait la torture. Il s'exerçait aussi merveilleusement dans les veilles et les prières ; et, client de la pauvreté chrétienne, étranger au souci, au désir de tout ce qui est périssable, il menait sur la terre une vie toute céleste.

 

On voyait briller en lui l'humilité, la miséricorde, la bonté. La contemplation l'absorbait tellement que, sauf pour les offices de la piété où sa prudence était singulière, c'est à peine si on eût dit qu'il avait des sens. Prévenu de cet amour, il refusa les évêchés de Gênes, de Milan, et d'autres qu'on lui offrait, se déclarant indigne d'une si grande charge. Abbé de Clairvaux, il bâtit des monastères en beaucoup de lieux, et la vie sainte, la discipline qu'il avait établies, y demeurèrent longtemps en vigueur. A Rome, le monastère des saints Vincent et Anastase ayant été relevé par le Pape Innocent II, Bernard mita sa tête pour abbé celui qui fut plus tard le Souverain Pontife Eugène III, auquel il envoya son livre de la Considération.

 

Il écrivit  beaucoup d'autres ouvrages encore, où il  apparaît  bien que  sa science était plutôt un don de Dieu que le fruit du travail.  Si  grande  était la renommée de ses vertus, que les plus hauts princes le priaient de prononcer dans leurs différends ; il dut aussi s'employer  dans les affaires de l'Eglise, et faire plusieurs fois  le voyage d'Italie.  Ainsi fut-il d'un grand secours au Souverain Pontife Innocent II pour détruire  le  schisme   de Pierre de Léon, tant auprès de l'empereur et de Henri d'Angleterre, qu'au concile assemblé à Pise. Il s'endormit enfin dans le Seigneur, âgé de  soixante-trois ans ; illustre par ses miracles, le Pape Alexandre III  le mit au nombre des Saints. Depuis, le Souverain Pontife Pie VIII, ayant pris l'avis de  la  Congrégation  des rites sacrés,  a déclaré et confirmé  saint  Bernard Docteur de  l'Eglise universelle, enjoignant à tous de réciter la Messe et l'Office des Docteurs au jour de sa fête, et accordant pour chaque année une indulgence plénière perpétuelle à ceux qui visiteraient audit jour les églises des Cisterciens.

 

Offrons à saint Bernard cette Hymne aux naïves allusions, bien digne de lui pour la suavité gracieuse avec laquelle elle chante ses grandeurs.

 

HYMNE.

 

Monts qui jadis laissiez le lait s'échapper des rochers, disparaissez au loin ; disparaissez, collines dont les pentes autrefois répandaient le miel en ruisseaux; Israël, cesse de vanter l'antique manne par le monde.

 

Voici quelqu'un de qui le cœur verse des flots plus doux que le lait, de qui la bouche épand des ondes rivales du miel : nulle manne plus suave que cette noble bouche, que ce grand coeur.

 

Vous demandez d'où prend sa source un lait de si grande abondance, d'où provient le rayon d'où se distille un miel de telle suavité, d'où pareille manne a pris naissance, d'où coulent enfin tant de douceurs,

 

La pluie de lait, c'est la Vierge Mère qui du ciel l'a répandue ; les flots de miel ont leur origine dans la gueule d'un lion mort ; les forêts, la solitude voisine des deux, ont produit la manne.

 

O Bernard, ô Docteur enrichi d'en haut de tels dons, versez sur nous la rosée de ce lait, de ce miel ; versez les gouttes, maintenant que leur plénitude, maintenant que la mer est à vous.

 

Soit louange souveraine au Père souverain, souveraine à son Fils ; pareille à vous, Esprit-Saint qui procédez de l'un et de l'autre : comme il était, et maintenant, et toujours, gloire égale à jamais.

Amen.

 

Il convenait que l'on vît le héraut de la Mère de Dieu suivre de près son char de triomphe; et c'est avec délices qu'entrant au ciel en l'Octave radieuse, vous vous perdez dans la gloire de celle dont vous proclamiez ici-bas les grandeurs. Protégez-nous à sa cour; inclinez vers Cîteaux ses yeux maternels; en son nom, sauvez encore l'Eglise et défendez le Vicaire de l'Epoux.

Mais en ce jour, vous nous conviez, plutôt que

 

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de vous implorer vous-même, à la chanter, à la prier avec vous; l'hommage que vous agréez le plus volontiers, ô Bernard, est de nous voir mettre à profit vos écrits sublimes pour admirer « celle qui monte aujourd'hui glorieuse, et porte au comble le bonheur des habitants des cieux. Si brillant déjà, le ciel resplendit d'un éclat nouveau à la lumière du flambeau virginal. Aussi, dans les hauteurs, retentissent l'action de grâces et la louange. Ne faut-il pas faire nôtres, en notre exil, ces allégresses de la patrie ? Sans demeure permanente, nous cherchons la cité où la Vierge bénie parvient à cette heure. Citoyens de Jérusalem, il est bien juste que, de la rive des fleuves de Baby-lone, nous en ayons souvenir et dilations nos cœurs au débordement du fleuve de félicité dont les gouttelettes rejaillissent aujourd'hui jusqu'à la terre. Notre Reine a pris les devants ; la réception qui lui est faite nous donne confiance à nous sa suite et ses serviteurs. Notre caravane, précédée de la Mère de miséricorde, à titre d'avocate près du Juge son Fils, aura bon accueil dans l'affaire du salut (1).

« Qu'il taise votre miséricorde, Vierge bienheureuse, celui qui se rappelle vous avoir invoquée en vain dans ses nécessités! Pour nous, vos petits serviteurs, nous applaudissons à vos autres vertus; mais de celle-ci, c'est nous que nous félicitons. Nous louons en vous la virginité, nous admirons votre humilité; mais la miséricorde a pour les malheureux plus de douceur, nous l'embrassons plus chèrement, nous la rappelons plus fréquemment, nous l'invoquons sans trêve. Qui dira, ô bénie, la longueur, la largeur, la hauteur,

 

1. Bernard. In Assumpt B. V. M. Sermo 1.

 

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la profondeur de la vôtre ? Sa longueur, elle s'étend jusqu'au dernier jour; sa largeur, elle couvre la terre ; sa hauteur et sa profondeur, elle a rempli le ciel et vidé l'enfer. Aussi puissante que miséricordieuse, ayant maintenant recouvré votre Fils, manifestez au monde la grâce que vous avez trouvée devant Dieu : obtenez le pardon au pécheur, la santé à l'infirme, force pour les pusillanimes, consolation pour les affligés, secours et délivrance pour ceux que menace un péril quelconque (1) clémente, ô miséricordieuse, ô douce Vierge Marie (2) ! »

 

1. Bernard. In Assumpt. B. M. V. Sermo iv. — 2. On sait que la tradition de la cathédrale de Spire attribue à saint Bernard l'addition de ces trois cris du cœur au Salve Regina.

 

 

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