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PROJET DOCTEUR ANGÉLIQUE
TRADUCTION ET PUBLICATION DE L’ŒUVRE DE SAINT THOMAS D’AQUIN
En 2 pages, recoupé par Arnaud Dumouch, 2004.
II. Histoire de saint Thomas d’Aquin de l’Ordre des frères prêcheurs
Par son contemporain Guillaume de Tocco (écrite en 1323). Traduction Guy Delaporte sur Le grand Portail saint Thomas d’Aquin.
Par le R. P. Charles-Anatole Joyau O. P. (écrite en 1895, Merci au site JesusMarie.free.fr).
IV. Saint Thomas, le bœuf muet
Biographie de saint Thomas par G. K. Chesterton, brillante, amusante, pleine d’anecdotes et de profondeur.
Par A. D. Sertillanges O.P.
Ce que notre soif d’idéal réclame avec une presque égale exigence : tantôt de l’intelligence et tantôt de la sainteté, un seul homme nous l’apporte. Bien mieux, il nous l’apporte étroitement conjoint, et c’est une harmonie nouvelle. En lui, la sainteté est une requête du savoir et le savoir un appel du saint. Il est l’homme lumière. Aujourd’hui que par l’excès des lumières anarchiques et la poussée d’instincts indisciplinés notre monde est en désarroi, c’est bien le moment de lui mettre sous les yeux un tel modèle. Qu’il médite sur l’image d’un penseur raccordé à l’universel et d’une âme toute donnée aux valeurs suprêmes ; c’est à quoi voudrait aider pour sa part ce rapide travail…
Par Martin Blais.
Une grotesque caricature… Voilà comment Martin Blais qualifie le portrait que tracent de Thomas d’Aquin les manuels prétendument thomistes, les professeurs soi-disant tels, les traducteurs toujours un peu traîtres, les commentateurs qui frelatent sa pensée, voire l’Église, qui a occulté les pages compromettantes de son penseur officiel. Martin Blais se propose de retracer le visage authentique de cet auteur méconnu de ceux-là mêmes qui s’en réclament. À cette fin, il exhume les passages les plus percutants de son anthropologie, de sa morale et de sa pensée politique…
Son enfance
Thomas d’Aquin (Tommaso d’Aquino) est né en 1224 ou 1225, au château de Rocca-Secca, près de la petite ville d’Aquino, dans le royaume de Naples. À titre de point de repère, on se rappellera que 1225 est l’année de la mort de saint François d’Assise et de la montée sur le trône de France de saint Louis. Thomas d’Aquin apparaît au sein d’une famille noble relativement modeste, qui n’en cherche pas moins pour autant à élargir l’assiette de son pouvoir et de son influence au sein du monde laïc comme du monde ecclésiastique.
Son biographe tardif, Guillaume de Tocco, rapporte une anecdote de l’enfance de Thomas d’Aquin, où l’on s’était plu à lire un signe de ce qu’il devait devenir. Il était encore au berceau, quand un jour sa nourrice voulut lui ôter un papier qu’il tenait à la main. Mais l’enfant se mit à protester en criant. Sa mère survient, elle arrache de force le papier des mains de son fils, malgré ses cris et ses larmes, et elle voit alors avec admiration qu’il ne contient que ces deux mots: Ave Maria…
Les études
Thomas est élevé comme oblat au monastère du Mont-Cassin, non loin du château familial, dans la célèbre école des Bénédictins. Sa famille souhaitait sans doute l’y voir un jour comme prieur ou abbé afin d’asseoir son influence dans la région. Forcé de quitter le monastère du Mont-Cassin par suite de l’expulsion des moines en 1239, Thomas poursuit alors ses études à l’université de Naples, où il prend un premier contact avec les nouveaux textes et les nouvelles méthodes qui commencent à pénétrer le milieu des écoles. En 1244, à l’âge de dix-huit ou dix-neuf ans, malgré le désaccord de ses parents, il entre à Naples dans l’ordre des Frères prêcheurs fondé par Dominique de Guzman (saint Dominique) en 1216, pour lutter contre l’hérésie albigeoise par la pauvreté volontaire et la prédication.
Alors que les Dominicains cherchent à l’envoyer à Paris, sans doute pour le mettre à l’abri des interventions intempestives de sa famille, celle-ci s’empare de lui alors qu’il est en route. Il est séquestré dans une tour du château familial. Guillaume de Tocco raconte avec une certaine verve certaines péripéties de la résistance de Thomas d’Aquin. Tous les moyens sont bons pour tenter de le faire plier ! Mais, imperturbable, Thomas consacre ses loisirs forcés à lecture de l’Écriture… La force ayant échoué, on recourt aux séductions d’une courtisane. Mais Thomas saisit dans le foyer un tison enflammé et la met en fuite. Il se jette ensuite à genoux, puis s’endort. Pendant son sommeil, il voit des anges descendre du ciel pour le féliciter et lui ceindre les reins, en lui disant: « Reçois de la part de Dieu le don de la chasteté perpétuelle. » Son confesseur déclarera après sa mort que Thomas était mort aussi pur qu’un enfant de cinq ans.
Grâce à sa ténacité et à la complicité des frères dominicains, il peut enfin poursuivre sa vocation. Envoyé à Paris en 1245, il y fait la rencontre d’Albert le Grand (v. 1193-1280), qui se l’attachera et l’amènera avec lui à Cologne en 1248, où il poursuivra ses études jusqu’en 1252. Guillaume de Tocco a attiré l’attention sur un épisode de cette période qu’il juge significatif. Taciturne au milieu d’étudiants plutôt turbulents, « ne conversant qu’avec Dieu », on l’appelait, avec une pointe de dérision, le « bœuf muet ». Mais son maître aurait dit un jour de lui, en public: « Vous voyez ce boeuf que vous appelez muet. Eh bien ! il fera retentir bientôt tout l’univers de ses mugissements. » L’avenir devait confirmer cette prédiction.
Le maître
Entre 1252 et 1259, Thomas d’Aquin se trouve de nouveau à l’Université de Paris. Il y franchit les premières étapes de sa carrière d’enseignant universitaire, d’abord comme « bachelier biblique » (le commentaire de l’Écriture étant la première tâche du théologien), de 1252 à 1254, puis comme « bachelier sententiaire » (autorisé à commenter les Sentences de Pierre Lombard), de 1254 à 1256. En 1256, à un âge d’une précocité exceptionnelle et grâce à une exemption particulière, il commence à exercer la fonction de maître en théologie, qui le retiendra à Paris jusqu’en 1259.
Il continuera d’exercer cette fonction jusqu’à la fin de sa vie dans divers milieux. Sa réputation est maintenant établie. De 1259 à 1268, il retourne en Italie, où il est œuvre principalement à la curie pontificale et au couvent dominicain de Sainte-Sabine. Puis, il est de retour à Paris de 1269 à 1272, où il est mêlé à deux conflits particulièrement virulents avec les tenants d’un augustinisme radical et les partisans des clercs séculiers, qui s’élèvent contre les privilèges des ordres mendiants.
Entre 1272, Thomas d’Aquin doit revenir à Naples afin d’y établir une maison d’études pour les dominicains. Selon certains témoins, à partir du début de décembre 1273, Thomas d’Aquin aurait été plongé dans ce qui paraissait une abstraction totale par rapport à son entourage. Même sa sœur la plus proche ne réussissait plus à communiquer avec lui. Interrogé, son secrétaire et ami, frère Réginald aurait affirmé à celle-ci que Thomas était dans cet « état d’abstraction » depuis la fête de saint Nicolas (6 décembre 1273). Pressé par Réginald de s’expliquer, Thomas, en poussant un profond soupir comme un homme arraché à un profond sommeil, lui aurait répondu : « Réginald, mon fils, je vais vous apprendre un secret; mais je vous adjure, au nom du Dieu tout-puissant, par votre attachement à notre ordre et l’affection que vous me portez, de ne le révéler à personne, tant que je vivrai. Le terme de mes travaux est venu ; tout ce que j’ai écrit et enseigné me semble de la paille auprès de ce que j’ai vu et de ce qui m’a été dévoilé. Désormais j’espère de la bonté de mon Dieu que la fin de ma vie suivra de près celle de mes travaux. » En janvier 1274, Thomas reçoit pourtant une invitation personnelle du pape Grégoire X à participer au concile général qui doit se tenir à Lyon (1274). Mais, en cours de route, il doit s’arrêter, malade, à l’abbaye de Fossa Nova, où il meurt le 7 mars 1274.
Sa véritable carrière ne faisait que commencer… Ce n’est qu’après bien des soubresauts, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’ordre des Frères prêcheurs, que son enseignement et son œuvre seront réhabilités et deviendront une référence obligée de l’enseignement de la théologie. Quant à sa sainteté, elle fera l’objet d’un laborieux procès de canonisation amorcé en 1317, qui aboutira à sa canonisation effective le 18 juillet 1323 (Claire Le Brun-Gouanvic, Ystoria sancti Thomae de Aquino de Guillaume de Tocco (1323). Édition critique, introduction et notes, coll. « Studies and Texts », 127, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1996. Une traduction française en sera publiée aux Éditions du Cerf, Paris).
À moins de cinquante ans, Thomas d’Aquin laissait derrière lui une œuvre immense. Il aura sans conteste été celui qui, grâce à un labeur colossal, à une audace dont on mesure à peine la portée et à une lucidité exceptionnelle, aura réussi à réaliser une synthèse acceptable entre les positions classiques de la pensée chrétienne et les nouvelles orientations proposées par la pensée aristotélicienne, telle qu’elle venait à la connaissance des maîtres du XIIIe siècle au moment où Thomas d’Aquin entrait en scène. Thomas d’Aquin releva un défi que bien peu furent en mesure d’affronter.
Son titre de « Docteur angélique » lui vient de ses nombreux traités des anges.
Le saint
Il entend un jour Jésus-Christ lui adresser, du fond du Tabernacle, cette parole célèbre: « Tu as bien écrit de Moi, Thomas. Quelle récompense désires-tu recevoir? » Et le saint, pénétré d’amour, s’écria: « Pas d’autre que Vous, Seigneur! »
Sa mort
Le 6 décembre 1273, fête de saint Nicolas, célébrant la messe dans la chapelle dédiée à ce saint au couvent de Naples, il a une révélation qui le change tellement, que dès lors il ne lui est plus possible ni d’écrire ni de dicter. « Ou plutôt, dit un auteur ancien, le Docteur brisa sa plume; » il en était à la troisième partie de sa Somme, dans le traité de la Pénitence.
Frère Réginald, son secrétaire, voyant son maître cesser d’écrire, lui dit: « Père, comment laissez-vous inachevée une oeuvre si grande entreprise, par vous pour la gloire de Dieu et l’illumination du monde? — Je ne peux continuer, » répondit le Saint. Réginald, qui craignait que l’excès du travail n’eût émoussé l’intelligence du grand Docteur, insistait toujours, pour qu’il écrivît ou dictât, et Thomas lui répondait: « En vérité, mon fils, je ne puis plus; tout ce que j’ai écrit me paraît un brin de paille ».
Sur le conseil de ses supérieurs, qui pensèrent qu’une absence de Naples le reposerait, Thomas se rendit chez la comtesse de San-Severino, sa soeur, pour laquelle il avait une vive affection: Il n’y arriva qu’avec une extrême difficulté, et lorsque la comtesse vint à sa rencontre, c’est à peine s’il lui parla. Elle en fut effrayée, et dit au compagnon du Bienheureux: « Qu’est-il donc survenu à mon frère, qu’il soit comme étranger à tout, et qu’il ne m’ait presque rien dit? — Depuis la fête de saint Nicolas, répondit Réginald, il est fréquemment dans des abstractions de ce genre, et il n’a plus écrit. Cependant je ne l’avais pas vu encore si complètement absorbé. » Et, après une ou deux heures, s’approchant du Maître, il le tira vivement par sa chape, pour le faire revenir à lui. Thomas poussa un soupir, comme un homme arraché aux douceurs d’un profond sommeil, et dit: « Réginald, mon fils, je vais vous apprendre un secret; mais je vous adjure, au nom du Dieu tout-puissant, par votre attachement à notre Ordre et l’affection que vous me portez, de ne le révéler à personne, tant que je vivrai. Le terme de mes travaux est venu; tout ce que j’ai écrit et enseigné me semble un brin de paille auprès de ce que j’ai vu et de ce qui m’a été dévoilé. Désormais j’espère de la bonté de mon Dieu que la fin de ma vie suivra de près celle de mes travaux ».
Et effectivement, saint Thomas mourut quelques temps après, le 2 mars 1274. Sans doute a-t-il eu, ce jour-là, la révélation brûlante et expérimentale, l’apparition du Messie dans sa gloire venu lui prêcher l’évangile pour l’heure de sa mort. Ce sermon n’est-il pas la trace d’un de ses derniers essais de prédication?
L’histoire de Guillaume de Tocco dit que, juste avant sa mort, saint Thomas, se rendit à Lyon pour un Concile. Sur la pression des moines d’un monastère où ils s’était arrêté pour l’étape, il voulut commencer un commentaire du Cantique des cantiques. Il n’en reste pas de trace, sauf peut-être un extrait qui dit tout….
« Mon âme s’est liquéfiée quand mon bien-aimé a parlé ».
Ces paroles sont inscrites dans le Cantique (5, 6) à l’endroit où l’époux reconnaît le double bienfait de Dieu…
Sa canonisation
Peu de temps après sa mort en 1277, par une habile cabale des professeurs séculiers, certains articles de la synthèse doctrinale de Thomas furent condamnées par la Sorbonne. Juste retour des choses, Thomas d’Aquin salué dès 1317 comme « docteur commun ». Il fut canonisé le 18 juillet 1323 à Naples. Sur l’ordre du pape Urbain V, son corps fut transféré à Toulouse en 1368. A partir du XV° siècle, il fut de plus en plus appelé « docteur angélique » à cause de ses nombreux traités des anges. Saint Pie V, le 11 avril 1567, le proclama docteur de l’Eglise. Le pape Léon XIII, au XIX° siècle le déclara patron des écoles et universités catholiques. C’est ce génie extraordinaire qui a fait de saint Thomas un penseur, qui maintenant encore, a une grande autorité dans l’Eglise. Et le Pape Jean-Paul II a rappelé que c’est un auteur moderne. Il ne pourra être absent du renouveau de la théologie catholique.
Chapitre 1 — L’Ordre des Dominicains et de sa mission
Chapitre 2 — L’origine de saint Thomas est prophétique
Chapitre 3 — Les signes dans l’enfance
Chapitre 4 — Le petit texte de la salutation à la Vierge
Chapitre 5 — Les parents offrent le saint à la garde du monastère du Mont Cassin
Chapitre 7 — L’Ordre des prêcheurs.
Chapitre 8 — Confirmation du choix
Chapitre 9 — Enlèvement de Thomas
Chapitre 10 — De la victoire au combat et de sa croissance en prison.
CHAPITRE 1
L’ORDRE DES DOMINICAINS ET DE SA MISSION
Dieu, qui dit à la Lumière de resplendir dans les ténèbres, voyant en ces temps modernes qui sont comme le crépuscule du monde, la lumière de Sa connaissance s’obscurcir entre Ses mains, illumine, dans Sa miséricorde, son Eglise d’un nouveau rayon. Il instruit à neuf ses fidèles par autant de docteurs que les astres dont il éclaire si magnifiquement l’Univers. En effet lorsque la sagesse de Dieu, le Verbe du Père, se manifeste dans la chair, afin d’illuminer tout homme dans l’esprit, Elle se met à luire dès que commence la première évangélisation des apôtres. Tels les tailleurs des pierres de toute l’Eglise, ils posent les premiers fondements de la foi, venus comme de la bouche du Seigneur. Les docteurs de l’Eglise, ainsi que des boucliers d’or étincelants de la seule justice, renouvellent l’expansion du Verbe de Dieu, et resplendissent comme les monts divins des spéculations les plus élevées. Devant les exigences des erreurs nombreuses et sur les conseils de la vérité inspirée par la foi, ils vont de l’intelligence voilée des deux Testaments à leur connaissance ouverte. Les livres qu’ils écrivent sous la motion de l’Esprit sont autant de tours dressées pour combattre les stratagèmes des hérétiques. Imitant la prévoyance de Joseph, ils tirent des moissons de l’Ancien et du Nouveau Testament, le grain de la parole de Dieu et l’engrangent dans leurs livres comme en des greniers. Mais ceux-ci ne sont pas suffisamment adaptés aux fidèles pour que les semeurs sortent aisément le germe divin de ces resserres et le répandent dans le champ du Seigneur. Aussi Dieu prévoit-il de diffuser une troisième fois Sa parole par l’entremise de l’Ordre des frères prêcheurs. Celui-ci, divine providence, apparaît chez son bienheureux père Dominique qui le fonde lui-même en Espagne, à l’occident du monde, où la lumière solaire se couche. Il est donné aux frères, sous la conduite de l’Esprit, d’extraire, des rayons fermés de l’Ecriture Sacrée, le miel de l’éloquence divine si utile aux fidèles et d’ouvrir la coque dure des écrits les plus difficiles pour en montrer le fruit de la pleine intelligence. Ils sortent le froment finement tamisé, des réserves des œuvres des docteurs où il est entassé, et le réengrangent plus utilement en d’autres livres où la clarté de la doctrine pourvoit avec aisance à l’utilité des fidèles. Tel est l’Ordre des étoiles, fermes dans le vœux d’obéissance à leur profession, qui combattent l’adversaire Sysara et l’armée des hérétiques, qui, appelés, répondent « nous voici » au moindre signe de demande de l’Eglise pour éliminer la perversion hérétique et diffuser la doctrine avec clarté et précision. Parce qu’ils ont reçu la promesse de perdurer jusqu’à la fin des siècles, une prophétie dit d’eux et de leur Père qui les a institués : « mon esprit est sur toi et les paroles que j’ai posées sur ta bouche ne la quitteront pas et ta bouche est ta semence dès aujourd’hui et pour les siècles des siècles », car l’œuvre de prédication, bien qu’elle cesse en cette vie à la fin du monde, traversera le futur dans la proclamation des louanges. C’est justice de comparer cet Ordre aux étoiles du matin comme à celles du soir, car dès le début de cette nouvelle illumination, il apparaît le premier parmi les Ordres mendiants, comme institution et dans la prédication, et il demeurera le dernier à prêcher le témoignage de la foi.
CHAPITRE 2
L’ORIGINE DE SAINT THOMAS EST PROPHÉTIQUE
Parmi les étoiles de l’Ordre des prêcheurs, une entre toutes doit étinceler d’une doctrine divinement éblouissante. Un docteur, plus brillant que les autres, luit dans l’Eglise comme un astre matutinal, resplendissant à l’aube de cette clarté et scintillant tard le soir jusqu’à la fin des siècles, il illumine le monde de ses livres pour éclairer les fidèles. Nous voulons parler de frère Thomas d’Aquin, des Prêcheurs, né de la noble famille comtale de la maison d’Aquin, en royaume de Sicile. Homme d’une conduite majestueuse, plus remarquable par l’éclat de sa vie et de sa science qu’illustre par la noblesse de sa naissance. Alors que ce docteur au futur admirable n’a pas encore vu le jour - et pour prédire divinement combien cette naissance répandrait une lumière éclatante sur le monde - sa mère, à peine enceinte, reçoit la révélation de ce que serait véritablement le fruit de son sein. Dona Théodora, notable par la qualité de ses mœurs comme de sa naissance, demeure au château de « Rocca Seca », aux confins du royaume et de la Campanie, lorsque lui apparaît en esprit un frère nommé Bonus et meilleur encore par sa vie et sa piété. Il a mené, il y a longtemps, une existence érémitique avec plusieurs compagnons en ce mont Rocca. Sa réputation de saint s’est répandue auprès des gens de la région. « Réjouis-toi Dona », lui dit-il, « car tu es enceinte et tu mettras au monde un fils que tu appelleras Thomas. Toi et ton mari voudrez faire de lui un moine au monastère du Mont Cassin, où repose le corps du bienheureux Benoît, avec l’espoir d’accomplir votre retour parmi les grands de ce monastère, grâce à la mitre de prélat pour votre fils. Mais Dieu en disposera autrement car Il en fera, dans l’Ordre des prêcheurs, un frère si éblouissant de science et de sainteté de vie, qu’à son époque, on ne saura trouver son semblable dans le monde entier ». À quoi Théodora répond : « je ne suis pas digne de mettre au monde un tel fils. Que Dieu accomplisse sa volonté selon son bon plaisir ». Afin que ces paroles soient prophéties, tout se réalise en vérité. Aussitôt en effet, la grossesse de la mère devient visible, l’enfant naît dans la joie et reçoit le nom demandé par les visions. Tout cela pour que les parents n’hésitent pas à réaliser pleinement dans l’enfant, les prévisions de la promesse.
CHAPITRE 3
LES SIGNES DANS L’ENFANCE
Son poing fermé
Je pense digne de conserver à la mémoire et de rédiger d’une écriture indélébile les actes notoires qui paraissent, par la grâce divine, des présages du futur de l’enfant. Un jour, la mère, accompagnée de son fils dans les bras de sa nourrice, se rend, avec d’autres dames, aux bains de Naples [ville dont elle est originaire]. Tandis que sa gardienne l’assied en un endroit habituel du bassin, l’enfant repère providentiellement un morceau de papier et s’en saisit sans détour. Comme la nourrice va pour le prendre et veut lui ouvrir la main qui tient le papier, l’enfant se met à crier avec force. Compatissante, elle baigne le petit, l’essuie et l’emmaillote tout en lui laissant son poing fermé, et le ramène, main close, à la maison avec sa mère. Celle-ci, voyant cette menotte crispée, ôte de la main de l’enfant, malgré ses cris, le billet qui ne contient que le Je vous salue Marie. Il plaît à la divine providence de manifester par avance dans le garçonnet ce qui adviendra plus tard chez le maître; et pour faire pressentir combien sera salutaire la doctrine proférée par l’adulte, l’esprit divin conduit l’enfant à découvrir cette feuille contenant le commencement de notre salut.
CHAPITRE 4
LE PETIT TEXTE DE LA SALUTATION À LA VIERGE
S’enracine alors en l’enfant cette admirable habitude, donnée par Dieu sans être acquise à force de répétitions : chaque fois qu’il se met à pleurer pour une raison ou une autre, il demeure inconsolable tant que la nourrice ne tend pas à l’enfant gémissant une feuille écrite. Il la pose aussitôt sur sa bouche, et laisse ainsi mystiquement entendre quelle rumination aiguë des Ecritures préside aux réflexions qu’il rédige, combien est savoureux l’enseignement de ce docteur et combien de délices restent encore à goûter dans ses écrits. Comme une admirable abeille volant prestement de fleur en fleur, instruite par Dieu, il collecte dans ses livres comme en des rayons, le miel des paroles de la science divine parmi les Ecritures et il les scelle dans sa ruche pour les exprimer à toute l’Eglise, de sa bouche très savante. Comme à Ezéchiel, il lui est demandé, en vertu de son discernement méditatif, d’assimiler en le mastiquant, le Livre présenté de la main de l’ange et de le comprendre grâce à la vélocité de son esprit, comme dans l’Apocalypse de Jean on dit le dévorer. Car dans l’Ancien Testament, il faut distinguer par manducation, le sens d’avec la lettre, tandis que dans le Nouveau, les Sacrements divins de la foi sont si manifestes qu’on les dirait immédiatement portés à la bouche de l’âme, ouverte pour dévorer. Notre
Même sa gardienne reçoit des présages divins concernant l’enfant afin d’avoir toujours sa sauvegarde à l’esprit. Et je ne veux pas omettre ce qu’on a écrit de l’intervention divine au début de sa vie. Une tempête effrayante éclate subitement et la foudre frappe une tour du château, où dort une sœur de l’enfant. Elle périt avec les chevaux de l’étable. La mère, plus inquiète de l’enfant que de sa fille, se précipite en tremblant vers le lit où repose la nourrice avec l’enfant. Elle les trouve sains et saufs et rend grâce à Dieu qui commence à accomplir progressivement ce qu’il a promis.
L’enfant n’est pas bavard. Il commence à méditer silencieusement en lui même, sans se perdre en discours décousus et vagues, mais toujours avec le calme léger de son âge, et autant qu’il paraît, dévot en prière. La jeunesse dévoile en lui déjà ce que la maturité manifestera par la suite. Sa mère nous le dit pour la joie; elle s’émerveille de l’enfant et porte en son cœur l’espoir de remplir la prophétie annoncée par l’esprit divin concernant son fils. docteur, instruit d’une lumière miraculeusement infuse, sait décrypter l’ancien offert à manger et manifester le nouveau donné à dévorer.
CHAPITRE 5
LES PARENTS OFFRENT LE SAINT À LA GARDE
DU MONASTÈRE DU MONT CASSIN
Le père et la mère poursuivent leur éducation avec la diligence qui convient à de tels parents ainsi qu’à un fils admirable, comme le promit la prophétie et comme la grâce s’empresse de le montrer. Ils offrent enfin de grand cœur l’enfant à Dieu et le confient dès ses cinq ans au monastère du Mont Cassin où, en société choisie, il s’instruit des mœurs saintes le préparant aux illuminations divines. Ainsi en dispose la Providence afin qu’une lumière tant utile à l’Eglise ne soit pas entretenue dans les ténèbres ni qu’une si admirable sainteté ne soit modelée aux mœurs nocives du monde. Tout cela, nous le savons par la narration fidèle de sa mère, qui brille, elle aussi, d’une illustre sainteté et achève par une mort heureuse, une vie digne d’éloges. Soumis à la discipline du maître, le petit enfant accueille avec empressement l’éducation donnée au monastère et, indice certain du futur, en un âge si tendre et si ignorant, alors qu’il ne peut encore apprendre par lui-même, il cherche avec un instinct divin et admirable à découvrir ce qu’il ne connaît pas. Concernant le futur, voici : il s’interroge sur Dieu et le cherche avec une maturité et une perspicacité tellement supérieure à son âge qu’il écrira avoir plus tard la science de ce qu’il aborde très tôt avec grande studiosité. L’enfant s’abstrait fréquemment de la compagnie des autres fils de nobles, eux aussi éduqués en ce lieu afin d’être dignes de leur lignée; il tient en main une feuille contenant par écrit les premiers rudiments de son apprentissage juvénile.
CHAPITRE 6
ÉTUDES À NAPLES
L’abbé du monastère repère dans l’assurance et la maturité de l’enfant, les indices d’une perfection future et les prémices évidentes d’une moisson d’Ecriture à venir. Il fait appeler messire Landolf, son père, et lui conseille opportunément d’envoyer son fils étudier à Naples. Il pourra approfondir dans l’étude ce que Dieu commence à lui montrer par tant d’indices. D’un commun accord, ses parents l’envoient à Naples, où il est instruit de la grammaire par maître Martin et des sciences naturelles par maître Pierre d’Irlande. Il s’y montre un étudiant d’une intelligence éclatante de génie et de perspicacité et assimile les leçons des professeurs plus hautement, plus profondément et plus clairement que ses condisciples. Il plait à la divine providence d’entretenir les présages de la future maîtrise du jeune élu. Elle ne cesse de manifester les effusions de grâce à son sujet. Un jour, un frère de l’Ordre des prêcheurs admire la science étonnante du jeune. Lui apparaît alors en vision la face de Thomas, resplendissante comme les rayons du soleil, qui éclaire très loin à l’entour. Il est par trois fois sujet de ce même phénomène, ce qui augure avec certitude d’événements futurs.
CHAPITRE 7
L’ORDRE DES PRÊCHEURS
L’admirable jeune homme progresse si rapidement dans les sciences que cela paraît lui venir de Dieu plutôt que des hommes; maîtres et étudiants sont forcés à l’admiration, et l’éloge de sa réputation vole parmi les écoles. On raconte qu’encore enfant, chargé de l’entretien des lieux où se déroule habituellement une dispute réunissant maîtres et écoliers, il brille au milieu de l’assemblée d’une science inspirée, tel un cierge dressé sur un candélabre, et que tous sont frappés de la sagacité de ses réponses. Ayant grandi en sagesse, en âge et en grâce auprès de Dieu et des hommes, l’adolescent médite déjà de l’esprit d’adulte qui lui a été prophétiquement annoncé à la naissance. Il prend pour faute personnelle d’enterrer au tombeau d’une vie négligente, ce talent d’un génie naturel enrichi du don de grâce de l’Esprit, alors qu’il peut le faire fructifier dans le cadre d’une communauté. Il s’oriente alors vers l’Ordre des frères prêcheurs, animé d’un ardent désir et conduit en esprit par ce que dit la vision prophétique. Frère Jean de saint Julien, homme de mœurs et de jugement illustres, est fait l’exécuteur divin de cette vocation divine. Il avertit le jeune homme que Dieu le destine à Lui-même. Il le dispose en esprit à entrer dans l’Ordre dominicain, afin d’établir l’adolescent dans la dignité annoncée par la promesse divine. Thomas de Lentino, célèbre pour sa réputation et sa sagesse, alors prieur à Naples et habitué à ce titre à recevoir les impétrants, lui remet l’habit de l’Ordre.
CHAPITRE 8
CONFIRMATION DU CHOIX
La mère de Thomas, à la nouvelle de l’entrée de son fil dans l’Ordre cité par sa prophétie, se rend à Naples pour le confirmer dans son choix.
Les nobles de la ville s’étonnent qu’un tel héritier quitte la maison parentale et que d’aussi riches prémices, indices révélateurs d’une future ascension, soient enfouies sous l’habit d’un Ordre mendiant. Mais les frères de l’Ordre louent Dieu de leur avoir accordé un novice aussi noble et admirable, et déjà des signes certains leur font espérer de le voir servir plus tard au sommet de la science. Cependant, lorsque les vassaux de Rocca apprennent la nouvelle, ils la communiquent avec désolation à la mère. Elle, voyant se réaliser en son fils la prophétie dont elle a gardé la promesse en mémoire, se rend aussitôt à Naples avec joie, accompagnée des ses nobles suivantes. Elle entend s’entretenir maternellement avec Thomas pour le confirmer dans un choix voulu de Dieu. Mais les frères ignorent ces bonnes dispositions et croient Théodora troublée par ses sentiments. Soucieux de la garde d’un dépôt si précieux, ils envoient leur novice de Terracene à Ananie et jusqu’au couvent Sainte Sabine de Rome, en compagnie de frères choisis. Pressée par l’affection maternelle et privée de la vue de son fils, le fruit de tant de peines, Théodora se rend jusqu’à Rome et proclame auprès de tous qu’elle tient à le rencontrer pour le conforter dans son choix. Cependant les frères ne l’imaginent pas capable d’une force d’âme dominant son instinct maternel. Ils montent autour du jeune Thomas une garde vigilante dans la peur de le voir capturé, et le font fuir, solidement entouré, vers Paris.
CHAPITRE 9
ENLÈVEMENT DE THOMAS
Théodora, émue de ne pouvoir rencontrer son fils et troublée par l’incrédulité des frères devant ses multiples protestations de bonnes dispositions, laisse son affection charnelle l’emporter en son esprit sur la foi en la promesse. Elle envoie un messager spécial auprès de ses fils qui accompagnent l’empereur en plaine d’Aquapendente, en Toscane, et leur mande, avec sa bénédiction maternelle, de se saisir de Thomas, son fils et leur frère, que les Prêcheurs ont revêtu de leur habit et font fuir hors du royaume, et de le lui envoyer sous bonne escorte. Eux, désireux par affection de satisfaire la requête maternelle, exposent cet ordre à l’empereur et obtiennent de lui l’autorisation. Ils envoient des gardes par les rues et les places et découvrent leur frère reposant près d’une fontaine, avec quatre membres de l’Ordre. Ils surgissent alors non comme des frères mais comme des ennemis. Ils ne peuvent cependant lui ôter l’habit auquel le novice s’agrippe avec force. Ils chassent donc les autres frères et font reconduire Thomas chez sa mère, tel qu’il est vêtu pour ne pas lui faire encourir le risque d’une blessure. Celle-ci le voit avec joie mais ne peut l’amener à déposer son habit. Elle le fait garder à Montesangiovanni puis à Rocca, jusqu’au retour de ses fils. Elle le fait admonester dans l’intervalle par diverses personnes, afin d’éprouver la solidité de la vérité de la promesse prophétique devant la tentation humaine. Les frères, cependant, à qui des mains profanes ont ôté un trésor si précieux, sont autant troublés que de la perte de Joseph. Ils se tournent en larmes vers le Souverain Vicaire du Christ, Innocent IV, alors présent en Toscane, comme vers un autre patriarche Jacob et lui présentent leur différend. Un abus contre l’Ordre a été commis. Par passion, ses frères de sang, tels de féroces bêtes sauvages, ont dévoré Joseph. Le Souverain Pontife, outré qu’un tel excès ait été perpétré quasiment en sa présence dans la région, demande à l’empereur d’infliger une juste punition à titre de réparation. Celui-ci, craignant d’encourir la fureur du Souverain Pontife s’il néglige de compenser l’abus avec justice, fait passer les frères de Thomas pour des allemands. Les frères, craignant alors de mettre en danger la réputation de leur Ordre et de scandaliser leur conscience s’ils poursuivent leur contentieux, se désistent entièrement, d’autant qu’ils apprennent que le jeune Thomas conserve l’habit avec constance, même enfermé
CHAPITRE 10
DE LA VICTOIRE AU COMBAT ET DE SA CROISSANCE EN PRISON
Enfermé sous haute surveillance, privé de la lumière du jour et d’autonomie de mouvements, il met sa liberté dans ses liens et sa lumière dans les ténèbres. Opprimé physiquement, il se délie spirituellement. Dieu l’illumine de tant de rayons surnaturels que dans sa prison, il lit intégralement la Bible, apprend les Sentences, commente, à ce qu’on dit, le Traité des Sophismes d’Aristote et instruit ses sœurs dans les Ecritures Saintes. Autant de présages de sa future maîtrise. Déjà son enseignement porte ses fruits chez sa sœur que ses parents avaient envoyée pour l’amadouer. Par ses leçons et ses exemples, il la conduit à l’amour de Dieu et au mépris du monde. Elle prendra l’habit religieux de Saint Benoît. Sa probité et les mérites de sa vie, lui vaudront d’être élue et confirmée abbesse du monastère Saint Marie de Capoue. Afin d’authentifier la grâce de sa vocation par les œuvres, Thomas se donne entièrement à l’oraison, à la lecture et à la contemplation. Aucune persuasion, aucune tentation, aucune menace, aucune crainte ni rien de ce qui entame habituellement le courage d’une personne aguerrie, rien de tout cela ne détourne le jeune homme. Bien au contraire, chaque blessure reçue au combat augmente ses forces. De retour, ses frères aggravent encore leurs agressions. Tentant l’insulte là où la crainte n’a pu le soumettre ni la séduction l’amollir. Ils lacèrent son habit dominicain, dans l’espoir qu’il le dépose par amour propre pour endosser un autre de son choix. Mais lui endure l’injure avec une infinie patience. Comme le Christ aurait lui-même porté cet habit, il s’enroule dans ces lambeaux et se sent non moins revêtu par eux du moment qu’il conserve intègre la dévotion en son âme.
L’élève de saint Albert le Grand
Thomas commence alors des études théologiques à Paris. Son maître est Albert le Grand, dominicain depuis plus de 20 ans. Thomas mène au couvent Saint-Jacques une existence ordonnée et priant. Il parle peu, étudie beaucoup, prie sans cesse. Ses camarades le surnomment malicieusement le grand bœuf muet de Sicile. Maître Albert s’avoue déçu: on lui a tant vanté l’intelligence de jeune homme qu’il s’attendait à mieux.
Lors d’une leçon particulièrement ardue, un élève qui croit Thomas en difficulté s’offre à lui expliquer le cours, s’embrouille, se trompe. Thomas lui propose humblement son aide et éclaircit le passage obscur avec une lucidité si parfaite que le jeune homme, saisi d’admiration, court en référer à Maître Albert. Celui-ci soumet l’étudiant à une séance publique et lui oppose quatre arguments qu’il doit réfuter. Thomas le fait si clairement, si aisément qu’Albert le Grand se tourne vers les élèves stupéfait: « Ah! Vous l’appelez le boeuf muet! Je vous le dis, quand ce boeuf mugira, se mugissements s’entendront d’une extrémité de la terre à l’autre ».
Le maître en théologie
Thomas commence à enseigner en 1252 – il a 30 ans. On ignore sa date d’ordination sacerdotale, mais il se distingue par sa dévotion et son amour de l’Eucharistie. Toute sa vie sera consacrée a exhorter, stimuler, éclairer, combattre les hérésies. Il mène de front ses cours, ses prédications, ses traités, ses sommes, des lettres. Il écrit une Messe du Saint-Sacrement et chante le merveilleux Pange Lingua le mystère sublime de l’Eucharistie. Il dicte à 2 ou 3 secrétaires en même temps.
Il passe une grande partie de la nuit dans l’église, puis rentre dans sa cellule avant les matines, afin que nul ne s’en aperçoive. Jamais il ne manque les offices, bien qu’il en ait la dispense à cause de son travail considérable et des nombreuses visites qu’il doit recevoir. Son esprit ne se laisse jamais distraire de Dieu: Quand il célèbre l’Eucharistie, des larmes coulent sur ses joues. Plusieurs fois ravi hors de lui-même. Un jour, on sert des olives tellement salées que nul ne peut les manger. Thomas seul, recueilli en Dieu, achève sa portion sans s’apercevoir de rien.
Un autre jour, invité avec son prieur à la table du roi Saint Louis, il s’écrie tout à coup en tapant du poing sur la table: Je tiens l’argument contre les Manichéens – Hérésie qui nie le Dieu unique. Son prieur tout confus le tire par la manche. Thomas s’excuse humblement. Mais le Roi, séduit, et plein d’admiration, fait appeler un secrétaire pour noter sur-le-champ l’intuition du maître.
Il souffre terriblement des jambes. Quand on doit lui cautériser la jambe, il entre en extase et, insensible à toute douleur, laisse le chirurgien lui brûler les chairs. Une nuit, son secrétaire le trouve en prière, la main en feu tenant le cierge qui s’était consumé, sans qu’il ait pris conscience de la flamme qui brûlait ses doigts.
L’Obéissance de Thomas.
Un jour, il faisait la lecture à table. Le correcteur le reprit sur la prononciation d’un mot. Thomas se corrigea aussitôt. Un moine vint ensuit le trouver, mécontent: Vous avez eu tort de vous reprendre, le père correcteur s’était manifestement trompé. Thomas répliqua: La prononciation importe peu: ce qui importe, c’est d’être obéissant et humble.
Un moine étranger qui devait aller en ville avait la permission de se faire accompagner du premier moine qu’il rencontrerait. Il appela Thomas qui le suivit. Corpulent et souffrant des jambes, il avançait lentement et essuyait les reproche de son compagnon. En ville, les gens s’étonnèrent et firent connaître au moine la qualité de celui qui marchait à ses côtés. Le malheureux s’excusa de son erreur¸s’attirant cette remarque du Docteur sur la perfection de l’obéissance: L’homme se soumet à l’homme pour l’amour de Dieu, comme Dieu a obéi à l’homme pour l’amour de l’homme.
Un abîme d’humilité
Thomas aurait pu s’enorgueillir de sa haute naissance autant que des capacités exceptionnelles que Dieu avait mises en lui et des lumières divines dont il bénéficiait, Mais comme un nouveau Moïse, nul ne fut plus humble que lui. Un jeune importé lui reprocha un jour de n’être pas si savant qu’on le croyait. Il répondit doucement: Bien sûr mon enfant, c’est pourquoi je ne cesse d’étudier.
Quand il entendait parler d’orgueil ou d’amour propre, Thomas traçait une petite croix sur son coeur. Dans ses prières, il ne demandait que deux choses: que sa doctrine plaise à Dieu, et pouvoir vivre et mourir en simple religieux.
Revenant de l’abbaye de Saint-Denys avec ses disciples, Thomas s’arrêta et tous admirent le vue magnifique sur Paris. L’un d’eux, se souvenant de la glorieuse destinée qu’aurait pu avoir le fils du Comte d’Aquin, demanda à Thomas: Cette belle cité, ne voudriez-vous pas en être le souverain? – J’aimerais bien mieux avoir les homélies de saint Jean Chrysostome sur saint Matthieu!
La charité de Thomas
Thomas était si charitable qu’il ne soupçonnait pas le mal chez autrui. Quand il découvrait les défauts de ses semblables, il pleurait leurs fautes comme s’il les avait commises lui-même. Jamais il ne s’emporta ni ne méprisa. Si ce n’était par zèle pour la charité, jamais il ne contestait; mais si l’autre se trompait, il gémissait en secret, priait, pleurait devant son crucifix. Il invitait l’adversaire à reconnaître son erreur, avec une tranquillité d’âme et une modération de langage qui faisaient l’admiration des auditeurs les plus passionné.
Pourtant, un graphologue étudiant son écriture fut surpris de découvrir qu’un tempérament violent se dissimulait sous tant de divine douceur.
Le 6 décembre 1273, à 49 ans, dans une extase, il voit le Christ: Tu as bien écrit de moi, Thomas, quelle récompense désires-tu? – rien d’autre que Toi, Seigneur.
Ébloui par les vérités éternelles qu’il a contemplée, il cesse d’écrire et prie que la fin de sa vie suive vite celle de son œuvre.
Appelé par le pape Grégoire X au Concile de Lyon, au cours du voyage, il tombe malade en Sicile et se fait conduire au couvent cistercien de Fossa Nova: C’est ici le lieu de mon repos! Sa dernière confession ressemble à celle d’un enfant. Le 7 mars 1274, entouré de Dominicains et de Cisterciens, il reçoit l’extrême onction, prêche une ultime fois sur le Cantiques des Cantiques, puis son souffle se perd. Il murmura le Credo et sur ces mots: « Je remets tout au jugement de l’Eglise », il entre en agonie. Paisiblement, à l’aube, loin des honneurs éphémères de ce monde, il rejoint dans la Gloire son Seigneur dont il a dit: Vous n’avez qu’un seul maître, le Christ. (Mt.23,8).