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LETTRE XVIII. 
M. de RANCÉ, ABBÉ DE LA TRAPPE, A BOSSUET. Ce 20 juin 1700.

 

Il ne m'est pas possible, Monseigneur, de passer toute ma vie sans vous faire ressouvenir de moi et sans recevoir de vos nouvelles :

 

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car quoique votre personne me soit très-présente devant Dieu, et que je ne passe point de jour sans lui demander qu'il continue de la favoriser de sa protection, dans les affaires différentes où elle se trouve engagée pour sa gloire et pour son service, il manque encore quelque chose que je ne saurais m'empêcher de désirer, qui est de recevoir quelquefois des marques de cette bonté dont vous m'honorez depuis si longtemps.

J'ai loué Dieu bien des fois, Monseigneur, de ce qu'il a favorisé votre cœur, votre esprit et votre plume contre ceux qui s'étaient si visiblement élevés contre lui (a) ; et il se peut dire que l'Eglise a trouvé dans votre personne tout ce qu'elle pouvait désirer pour la défense des vérités qui étaient si fortement attaquées. C'est un devoir duquel la Providence vous avait chargé, et dont vous vous êtes acquitté avec tout le succès et la bénédiction que l'on pouvait s'en promettre. La mémoire s'en conservera jusqu'à la fin des siècles ; et votre nom sera en vénération, jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu de couronner votre œuvre, et d'y mettre la dernière main.

Vous voulez bien, Monseigneur, que je me jette à vos pieds pour vous demander et pour recevoir votre sainte bénédiction, et pour vous prier de vous employer auprès de Notre-Seigneur, afin de m'obtenir toute la soumission et la résignation dont j'ai besoin, pour soutenir les maux et les infirmités différentes dont il lui plaît que je sois attaqué, d'une manière digne de ma profession. Je n'ai point de parole pour vous exprimer, Monseigneur, avec combien d'attachement, de reconnaissance et de respect je suis, etc.

Fr. Armand-Jean, anc. abbé de la Trappe.

Nous avons vu ici depuis deux jours, Monseigneur, un gentilhomme de Danemark qui vous a bien de l'obligation. Non-seulement vous lui avez fait connaître la vérité de la religion qu'il ignorait; mais vous lui avez donné des principes et des sentiments de piété qui produiront leur fruit dans leur temps, et qui le tireront d'une vie commune pour lui en faire embrasser une toute chrétienne : cela m'a paru par ses discours; et je l'ai trouvé bien digne de la protection que vous lui avez promise.

(a) Les quiétistes.

 

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LETTRE XIX. 
DOM MABILL0N, RELIGIEUX BÉNÉDICTIN, A BOSSUET. Ce 5 juin 1700.

 

J'ai reçu l'Instruction pastorale (a) de Votre Grandeur, que M. Ledieu m'a fait l'honneur de me donner de votre part. Je l'ai lue avec le même plaisir que je lis tout ce qui vient de votre main. Je ne doute pas que Dieu n'y donne sa bénédiction, et qu'elle ne soit très-utile non-seulement pour nos frères errants, mais même pour les catholiques. Il y a des passages admirables pour la perpétuité de l'Eglise. Un docteur de Sorbonne me dit ces jours passés qu'il l'a trouvée si belle, cette Instruction, qu'il l'avait lue deux fois. Dieu veuille vous conserver pour le bien de l'Eglise, et pour la consolation de ceux qui vous honorent, comme nous faisons dom Thierri et moi. Il joint ses très-humbles remerciements aux miens, pour le même présent qu'on lui a fait de votre part.

On nous mande de Rome que les livres faits contre l'édition de saint Augustin (b) ont été censurés au Saint-Office le 12 du mois passé, le cardinal Carpegna y présidant à la place de M. le cardinal de Bouillon. Je ne doute pas que Votre Grandeur ne sache le reste par Monseigneur l'archevêque de Reims. Je suis avec un profond respect, etc.

 

LETTRE XX. 
BOSSUET A M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS. A Saint-Germain, ce 7 juin 1700.

 

J'ai, mon cher Seigneur, communiqué à M. l'archevêque de Reims la thèse que j'ai reçue ce matin seulement, avec votre

 

(a) La première Instruction sur les promesses faites à l'Eglise. — (b) Voyez l'Histoire de l'édition de saint Augustin, composée par dom Vincent Thuillier, et publiée par l'abbé Goujet, où l'on trouve le détail de toutes les attaques livrées à cette édition, et les condamnations que Rome a portées contre tous les libelles qui tendaient à la décrier. (Les Edit.)

 

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billet du 4. Je lui ai fait remarquer que votre lettre portait, que c'était tout ce que vous aviez pu emporter. Il souhaiterait qu'on put ajouter après: Qui affirmant, et requirunt in pœnitentibus ut Deum diligere incipiant tanquàm omnis justitiœ auctorem. Il croit que ces Pères n'en feront point de difficulté, puisqu'ils le lui accordent à lui-même dans une thèse qu'il dit vous avoir donnée autrefois. S'ils étaient d'humeur à le faire, il faudrait les faire consentir à dire : Et requirunt in pœnitentibus post fidei ac spei actus, ut Deum diligere incipiant tanquàm, etc. Que si l'on ne peut les mener à ce point, la thèse peut passer comme elle est, à condition qu'on prendra d'autres occasions d'expliquer la vérité toute entière. Dieu par sa bonté les fera naître ; et si le Roi vous a écouté, elle sera toute née. A vous, mon cher Seigneur, comme vous savez, avec un respect sincère.

 

LETTRE XXI. 
BOSSUET A M. DE LA BROUE, ÉVÊQUE DE MIREPOIX (a). A Versailles, ce 11 juin 1700.

 

Je parlai hier à fond à M. le duc du Maine sur la députation, en posant pour fondement que c'était moi qui avais besoin d'un théologien et d'un évêque comme vous. Monseigneur, et non pas vous qui cherchiez une occasion de venir en ce pays. Je ne pus tirer de ce prince de paroles positives, mais seulement un témoignage de ses bonnes dispositions. M. l'évêque d'Usez s'est mêlé dans cette affaire : il appuie sur le rang, non pas d'obligation, mais de bienséance ; et déclare qu'il veut bien céder à M. d'Alais, qui n'a jamais eu la députation, mais non pas à vous qui l'avez eue. Je lui parlerai, et je serai très-fâché si l'affaire manque.

Quant à vos projets pour les réunis, j'approuve beaucoup votre dessein de traiter spécialement le Sacrifice (b). C'est ce que je me suis aussi proposé, après avoir expliqué les promesses de l'Eglise par une Instruction pastorale, qu'on vous enverra peut-être par

(a) Revue sur le manuscrit, qui se trouve à la bibliothèque du séminaire de Meaux. — (b) M. de la Broue a publié des instructions sur ce sujet.

 

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cet ordinaire. Je ne vous parlerai point de notre assemblée : les intentions de M. de Reims sont très-bonnes; vous savez les miennes. Je suis avec le respect qui vous est connu, etc.

M. l'abbé de Catellan s'est chargé de l’Instruction pastorale il y a déjà plus de quinze jours.

 

LETTRE XXII.
BOSSUET A M. LE CARDINAL DE NOAILLES. Juin 1700.

 

C'est avec une joie inexplicable, mon très-cher Seigneur, que je viens avec un respect sincère saluer Votre Eminence. Votre promotion fera la joie de toute l'Eglise, comme elle en fera un soutien. La vérité, Monseigneur, devient de plus en plus forte sous un si puissant appui : je me trouve par-là plus courageux, et plus que jamais plein d'espérance. Dieu veut faire pour son Eglise quelque chose de grand, puisqu'il vous élève. Je suis heureux d'avoir à travailler spécialement sous vos ordres ; et rien n'égalera jamais le respect et l'attachement que j'ai pour votre Eminence.

 

LETTRE XXIII.
M. DE LAMOIGNON DE BASVILLE, INTENDANT DU LANGUEDOC, A BOSSUET. Juin 1700.

 

J'ai bien des remerciements, Monsieur, à vous faire de la lettre pastorale que vous avez eu la bonté de m'envoyer. Je l'ai lue avec la même admiration dont j'ai été rempli en lisant vos autres ouvrages. Je l'ai trouvée si belle, que j'ai mandé au sieur Anisson à Lyon de m'en envoyer cent exemplaires, pour les distribuer aux nouveaux convertis de cette province. Il est plus temps que jamais de leur donner une pareille nourriture. Ils viennent presque tous à l'Eglise ; plusieurs demandent et reçoivent les sacrements sans aucun mouvement de contrainte : enfin la moisson se prépare, et c'est à présent que les bons ouvriers et les ouvrages excellents comme les vôtres, nous sont très-nécessaires.

 

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Je n'ai rien tant souhaité que d'avoir une conférence d'une heure avec vous, sur la manière de conduire ces affaires importantes. J'ai toujours cru que si on s'entendait bien, il ne pourrait y avoir deux avis. Il est très-certain que les voies douces sont les meilleures: qui peut dire le contraire en matière de religion? Mais la question est que ces voies soient en même temps douces et efficaces, et qu'on ne laisse pas retomber les nouveaux convertis dans un relâchement où les préjugés de leur naissance les attirent toujours : ce qu'ils font avec d'autant plus de facilité, que les pratiques de notre religion leur paraissent plus difficiles que celles de la prétendue réformée. Il faut les mettre sur le pied de s'instruire et d'écouter la parole de Dieu ; sans quoi ils ne seront jamais bons catholiques. Il y a dans tout cela une première glace à rompre, qui arrête et qui empêche tous les progrès, si la puissance temporelle ne vient un peu au secours de la spirituelle. La première doit se contenir dans les bornes qui lui sont prescrites ; et il me semble qu'il est facile de pratiquer cette conduite d'une manière très-utile, et qui peut être très-sage et très-modérée. On met souvent le fait, en parlant sur ce sujet, autrement qu'il ne devrait être : on ne parle que de moyens violents ou de voies douces, comme s'il n'y avait pas un milieu entre deux. Toute violence est blâmable : mais il y a une certaine fermeté qui doit accompagner l'instruction, et qui fait que l'on en profite. C'est ce que l'expérience fait connaître, et c'est en quoi le concours des deux puissances est si utile.

J'aurais bien souhaité pouvoir réformer mes faibles idées sur les vôtres, et apprendre d'un aussi grand maître ce que je devais faire pour remplir ma vocation, en pratiquant cette règle si sage en toutes choses : Ne quid nimis. Mais il fallait, pour jouir de ce plaisir, avoir un congé de trois mois, et je n'ai pu l'obtenir depuis dix-huit ans. Je vous demande au moins qu'une si longue absence ne me fasse pas perdre l'honneur de votre souvenir, et de me croire toujours avec beaucoup de respect et un attachement très-sincère, etc.

De Lamoignon de Basville.

 

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LETTRE XXIV. 
RÉPONSE DE BOSSUET A M. DE BASVILLE. A SAINT-GERMAIN, ce 11 juillet 1700.

 

Je suis très-aise, Monsieur, que mon Instruction pastorale sur la perpétuelle stabilité et sur les promesses de l'Eglise vous ait satisfait, et que vous la jugiez utile à vos réunis. Quant à la manière d'agir avec eux, je crois en effet que j'en conviendrai aisément avec vous : car je conviens sans peine du droit des souverains à forcer leurs sujets errants au vrai culte, sous certaines peines. Cela étant, toutes les fois que nous pourrons croire que corrigés par ces peines, qui les auront rendus attentifs à la vérité, ils iront de bonne foi à la messe, je ne trouve aucune difficulté, je ne dis pas à les y recevoir, mais je dis à les y contraindre d'une certaine façon. Toute ma difficulté est d'y recevoir ceux qui font profession publique de n'y pas croire, et qui sur ce fondement refusent opiniâtrement de communier, sans même témoigner pour cela la non-répugnance par où il faut commencer. Tant qu'ils sont en cet état, je les crois incapables de profiter de la messe : cela même les rend dignes de châtiment avec la modération convenable, par pitié pour leur maladie. Mais au reste, de les y admettre, bien loin de les y contraindre de quelque manière que ce soit, c'est leur donner une faible idée de la sainteté du mystère, et leur inspirer de l'indifférence pour les bonnes dispositions qu'il faudrait avoir, et même pour y aller ou n'y aller pas : c'est la disposition que je trouve ici dans ceux qui vont à la messe si facilement, plus prêts encore à n'y pas aller. Je serai très-aise d'apprendre à votre loisir ce que vous pensez sur cela, et de profiter de vos expériences. Je suis, Monsieur, etc.

 

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LETTRE XXV. 
BOSSUET A DOM MABILLON. A Saint-Germain, ce 11 juillet 1700.

 

Je suis très-aise, mon révérend Père, que vous soyez content des résolutions de l'assemblée à s'opposer aux nouveautés de toutes les sortes qui s'élèvent contre la science de Dieu. L'approbation des personnes aussi saintes, aussi habiles et aussi bien intentionnées pour la vérité que vous l'êtes, nous doit donner du courage. Pourriez-vous croire qu'il se trouve des opposants, et qu'il y en a qui répondent que les opinions relâchées ne sont plus soutenues, et qu'ainsi il faut les laisser là comme mortes, sans combattre ce qui n'est plus qu'un fantôme ?

Pour votre préface, je l'ai admirée, et votre modération après la victoire, qui nous oblige indépendamment et au-dessus de tout sentiment humain, à contenter les bonnes âmes, et à fermer la bouche aux contredisants. Priez Dieu pour nous, afin qu'il nous donne un aussi heureux succès, que nous avons le cœur pur de tout sentiment humain. Aimez celui qui est tout à vous.

 

LETTRE XXVI. 
BOSSUET A DOM MABILLON. A Saint-Germain, ce 3 septembre 1700.

 

Je vous rends grâces, mon révérend Père, et je vous prie en même temps de faire mes remerciements au révérendissime Père général du beau présent que vous m'annoncez. J'en ai déjà vu la Préface, qui est admirable, et j'ai grande impatience de voir le reste.

Vos prières pour l'heureux succès de notre assemblée ont eu leur effet, puisque la grande affaire de la doctrine finira demain heureusement, s'il plaît à Dieu, et avec un consentement unanime. Vous savez qu'en telles matières la dernière journée n'est

 

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pas la moins importante; ainsi je vous demande la continuation de vos prières, et suis avec cordialité et vénération très-parfaitement à vous, etc.

 

LETTRE XXVII.
DOM MABILLON A BOSSUET. 1700.

 

Je crois que la pièce dont Votre Grandeur me fait l'honneur de m'écrire est celle de Guillaume, abbé de Metz, qui se trouve dans le premier tome de nos Analectes, page 281, avec ses lettres qui précèdent dans le même tome, où il parle fort avantageusement de la grâce, surtout dans la sixième. Tous nos Bénédictins ont toujours été extrêmement attachés aux sentiments de saint Augustin. Nous avons dans la Bibliothèque des Pères l'ouvrage d'un Franco, religieux d'Affligem en Brabant, touchant la grâce, qui est du douzième siècle. En même temps vivait en Suisse un Frovuinus, abbé du Mont des Anges, dont j'ai vu un excellent ouvrage sur le même sujet, qui est manuscrit dans la bibliothèque d'Einsiedlen, et dont j'ai pris seulement la table des chapitres.

Je prends la liberté de dire à Votre Grandeur que je dois partir vendredi prochain pour Reims, où M. l'archevêque m'a ordonné de l'aller trouver. J'aurais été ravi d'avoir eu cette occasion d'aller rendre mes devoirs à Votre Grandeur ; mais je crois que je serai obligé de prendre la voie du carrosse public. Je suis avec un profond respect, etc.

 

LETTRE XXVIII. 
BOSSUET AU R. P. JACQUES DE LA COUR, ABBÉ DE LA TRAPPE. A Germigny, ce 3 novembre 1700.

 

Quoique la nouvelle que vous me mandez, Monsieur, soit bien dure, par la perte que je fais d'un tel ami, je vous suis obligé de

 

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l'attention que vous avez eue à m'en donner avis. Je vous demande de tout mon cœur la même part à votre amitié, que celle dont m'honorait le cher défunt. Je ne puis en dire autre chose, sinon que c'était un autre saint Bernard en doctrine, en piété, en mortification, en humilité, en zèle et en pénitence ; et la postérité le comptera parmi les restaurateurs de la vie monastique. Dieu veuille multiplier ses enfants sur la terre : il sera bien reçu de ceux qu'il a envoyés dans le ciel devant lui en si grand nombre. Assurez la sainte maison de ma constante et inviolable amitié. Je me promets bien que l'on continuera à y bien recevoir mes visites ordinaires, que j'espère renouveler dans la saison qui le permettra. Je sais bon gré à M. de Séez de tout le soin qu'il prend du saint monastère. Je salue vos frères et suis avec un amour et vénération cordiale, etc.

 

LETTRE XXIX. 
M. DE TORCY A BOSSUET. A Fontainebleau, ce 1er novembre 1700.

 

Le Roi ayant remarqué par ce qui lui a été écrit de l'état des nouveaux convertis de son royaume, que rien n'est plus nécessaire pour parvenir au grand ouvrage de leur conversion, que de les engager par tous les moyens que la prudence peut suggérer, d'aller aux instructions que Sa Majesté ne doute pas que vous n'ayez établies dans votre diocèse : Sa Majesté m'a ordonné de vous écrire, qu'elle espère que vous renouvellerez votre attention sur ce sujet. Et comme elle a reconnu que les voies d'exhortation et de douceur font souvent plus d'effet que tous les autres moyens, elle crait qu'ils doivent être préférablement employés. Il faut sur toutes choses éviter que personne ne soit forcé d'aller à la messe : mais s'il y a des opiniâtres dans votre diocèse, qui par leur méchante conduite sur la religion causent du scandale et donnent de mauvais exemples aux autres nouveaux convertis, vous prendrez la peine d'en informer Sa Majesté, afin qu'elle ordonne de leur châtiment suivant la peine qu'ils auront méritée : j'écris la même chose à M. l'Intendant.

A l'égard des jeunes personnes au-dessous de quatorze ans, comme Sa Majesté a pourvu aux moyens de les faire aller aux instructions, il n'y a qu'à faire exécuter les ordres qu'elle a donnés sur ce sujet. Je suis, etc.

De Torcy.

 

LETTRE XXX. 
A M. DE LA BROUE, ÉVÊQUE DE MIREPOIX (a). A Germigny, ce 6 novembre 1700.

 

J'aurais souhaité autant que vous, Monseigneur, que l'assemblée eût pu condamner la pernicieuse doctrine du cardinal Sfondrate : mais la conjoncture des temps n'en permettait pas davantage que ce que nous avons fait; et nous avons cru faire beaucoup selon le temps, de marquer l'approbation de la lettre des cinq évêques, qui s'explique nettement contre, et un désir manifeste avec une attente que Rome fît son devoir : ce qu'on a dit aussi, en se déclarant pour la doctrine de saint Augustin contre le pélagianisme, en est une espèce de condamnation. Il me semble aussi que la censure des propositions Facienti quod in se est, frappe assez rudement les semi-pélagiens nouveaux, et les attaque dans leur fort. C'est tout ce qu'on a pu faire dans la conjoncture présente, où l'on avait à ménager un bon Pape, très-bien disposé et très-favorable à la France.

Nous souhaitons à M. de Saint-Pons (b) une condamnation de ses rebelles, que la France puisse accepter sans restriction : celle qu'on a apportée à leur proprio motu devrait les en désabuser. Il est vrai que Rome s'éclaire, et ce sera un grand sujet de joie, si elle commence à voir clair sur les versions de la Bible en langue française, et sur les lectures des saints Livres. M. de Saint-Pons aura rendu un grand service à l'Eglise, s'il peut sur ce sujet important la rendre traitable.

J'attends pour publier notre censure, que j'aie vu celle de M. de Reims, afin d'agir en unité. Je ne tarderai pas à vous donner

(a) Collationnée, manuscrit à Meaux. — (b) Pierre-Jean-François de Montgaillard, mort en 1713.

 

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part de ce que je ferai sur cela. M. le cardinal de Noailles a donné un grand exemple sur cela ; et c'est un grand pas d'avoir exterminé dans Paris la mauvaise morale. Je suis, Monseigneur, avec le respect que vous savez, etc.

LETTRE XXXI.  M. DE LAMOIGNON DE BASVILLE A BOSSUET. Doutes sur la conduite à tenir envers les nouveaux convertis.

 

La question est de savoir si les nouveaux convertis doivent être contraints aux exercices de la religion et à venir à la messe.

Cette question n'est-elle pas décidée bien nettement par saint Augustin ? Il avait été d'avis qu'il ne fallait user d'aucune contrainte ; il est revenu à une opinion contraire. Peut-on croire qu'il ait changé de sentiment sans avoir bien approfondi la matière ? Il touche la raison de douter : Ne fictos catholicos haberemus, quos apertos hœreticos noveramus (1) : cependant elle ne l'a point arrêté. Ce n'est pas seulement le sentiment de ce saint docteur; c'est celui d'un grand nombre d'évêques, qui l'obligèrent de changer en lui rapportant des raisons si convaincantes, qu'il fut obligé de s'y rendre : et ces raisons les plus fortes étaient les dispositions des donatistes, qui étaient retenus par les préjugés de leur naissance, par une fausse honte, et par d'autres motifs qui sont si bien expliqués dans la lettre de ce Père à Vincent ; c'est ce qu'il appelle demonstrantium exempla (2). On peut dire que cet état des donatistes est le véritable portrait de celui où se trouvent maintenant les nouveaux convertis. Ils sentent les mêmes faiblesses, ils sont retenus par les mêmes préventions, ils demandent pour la plupart les mêmes secours pour être déterminés à suivre le parti qu'ils ont pris. S'il est à craindre que leur présence soit une profanation de nos mystères, saint Augustin n'aurait-il pas employé cette raison, supposé qu'il en eût été touché ? Cependant il n'en dit pas un mot : et si les évêques de ce temps eussent eu ce scrupule, Vincent, évêque donatiste, ne l'aurait-il pas relevé ;

1 Epist. CXIII, ad Vincent. Rogat. — 2 Ibid.

 

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ne s'en serait-il pas servi comme du plus fort argument pour combattre saint Augustin ? Il a répondu à toutes ses objections ; il n'a pas parlé de celle-là : ne faut-il pas conclure que l'on ne faisait pas alors la même difficulté, et que le bien général de la religion l'emportait sur ces considérations particulières? Si c'était une plaie, elle était, dit-il, utile à l'Eglise, de même que l'incision l'est à un arbre sur lequel on ente une espèce qui produira un jour de bons fruits. Je crois qu'on ne dira pas que saint Augustin n'a pas entendu parler de la messe, puisqu'il n'y a qu'à lire l’Epitre à Vincent pour être persuadé du contraire, où il dit qu'un grand nombre ont été dissuadés de leurs erreurs par la vue de nos mystères. Il serait inutile de confirmer l'autorité de saint Augustin par celle de saint Isidore, de saint Grégoire le Grand, de saint Thomas, et par toutes les Décrétales qui sont sur cette matière. M. de Meaux a tout cela in scrinio pectoris.

Le concile de Milève, en 416, au canon XXV, n'ordonne-t-il pas que si l'évêque néglige dans un diocèse de réduire les hérétiques à l'unité de la foi par voie d'exécution, qu'il soit excommunié ? Si episcopus intra sex menses, si in ejus provinciâ executio fuerit, et hœreticos ad unitatem catholicam convertendos non curaverit, non ei communicetur (1). Si l'on eût été retenu alors par la crainte de la profanation du mystère, aurait-on fait une pareille disposition? Et le concile de Tolède, en 633, aurait-il décidé que ceux qui avaient été contraints d'embrasser la religion catholique, sous le règne de Sisebut en Espagne, bien que c'eût été par force, dévoient être contraints aux exercices de la religion ? Qui jam pridem ad christianitatem venire coacti sunt, sicut factum est temporibus religiosissimi principis Sisebuti ; quia jam constat eos esse sacramentis divinis associatos,..... et corporis Domini et sanguinis extitisse participes, oportet ut fidemetiam, quamvi vel necessitate susceperunt, tenere cogantur (2). Le seizième concile de Tolède, tenu soixante ans après (3), est encore en termes plus forts. On ne rapporte que ces deux conciles, pour faire souvenir M. de Meaux de tous les autres qui contiennent de pareilles dispositions.

1 Conc. Milev. II. — 2 Conc. Tolet. IV, cap. LVII. — 3 Conc. Tolet. XVI, cap. I.

 

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Je ne m'arrêterai point à proposer ce qui a été fait pour éteindre l'hérésie des albigeois en cette province : ce n'était pas néanmoins un temps d'ignorance ; c'était le siècle d'Innocent III, d'Honorius III, de saint Bernard. On ne disconviendra pas qu'il ne paroisse évidemment, par tous les conciles qui ont été tenus sur cette matière et qui ont été imprimés par M. Baluze, que l'on n'hésitait pas en ce temps-là à contraindre ceux qui s'étaient convertis par force, de venir à la messe. Tous les conciles sont remplis des expédients dont il fallait se servir alors. Les curés tenaient des registres de ceux qui y manquaient : il y avait des témoins, appelés testes synodales, pour observer ce qui se passait les fêtes et dimanches : on prononçait des amendes ; et tout le reste, qui marque assez que l'on ne pensait qu'à contraindre les réunis à venir à l'église, et à participer à tous les saints mystères. Tant de conciles, tant de savants hommes n'eussent-ils pas été retenus par la crainte des profanations, s'ils avaient été persuadés que c'eût été l'esprit de l'Eglise de s'arrêter par cette considération ?

Je quitte toutes ces autorités pour me retrancher à ce point, qui est de ma profession. Pour donner mon avis sur la difficulté qui se présente, je commence par examiner ce que les empereurs ont fait dans l'espèce où nous nous trouvons, cruelle conduite ils ont tenue. J'ouvre pour cela le Code Théodosien et le Code Justinien ; je lis les titres de Hœreticis, et la Novelle CIX de Justinien : ce sont là les sources, ce me semble, où l'on doit connaître quel a été le pouvoir des empereurs, et jusqu'où ils ont été. Après avoir bien examiné ces textes, je fais les réflexions suivantes.

Premièrement, la plupart de ces lois ont été demandées par des conciles aux empereurs, ou elles ont été dictées par des évêques, ou les empereurs ont été loués et par les conciles et par les évêques pour les avoir faites ; ce qui est aisé à justifier.

Secondement, neuf empereurs orthodoxes depuis Constantin ont toujours suivi les mêmes principes, et ont fait plus de soixante-dix lois sur cette matière.

Troisièmement, c'est par ces lois que les hérésies ont été éteintes, et on ne peut pas dire qu'il y ait eu d'autre voie efficace.

Quatrièmement, on ne montrera point que ces lois aient été

 

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blâmées par l'Eglise, et que l'on ait jamais représenté aux empereurs qu'ils faisaient mal, ou qu'ils excédaient leur pouvoir.

Cinquièmement, elles ont été suivies par les Goths contre les ariens, par Charlemagne contre les Saxons, par saint Louis contre les albigeois.

Que portent ces lois ? Contiennent-elles des motifs qui puissent contraindre les réunis de pratiquer les exercices de la religion contre leur propre sentiment ? Elles leur ôtent les honneurs et les biens, s'ils ne les suivent pas : ils ne peuvent rendre témoignage ; ils ne peuvent faire de testaments ; ils ne peuvent recevoir aucun legs, donation ni succession ; vendre ni acheter : ils ne sont plus réputés citoyens romains ; leurs biens sont confisqués ; les femmes sont privées du privilège de leur dot. La loi d'Honorius1 entre dans un plus grand détail, condamne les réunis à une amende différente, suivant les qualités des personnes, s'ils ne veulent pas se réduire à pratiquer les exercices de la religion : Nisi ad observantiam catholicam mentent propositumque converterint, ducentas argenti libras cogentur exsolvere, si sint senatorii ordinis. Ensuite est un tarif pour les autres conditions. Ils ont été à la fin condamnés à l'exil et à la mort en certains cas.

Mais à quoi connaîtra-t-on si après l'abjuration ces réunis sont effectivement catholiques ? Deux règles ; l'une générale : Si vel levi argumento a judicio catholicœ religionis et tramite detecti fuerint deviare (2). Cette première ne suffisant pas, il a fallu en venir à la seconde, qui est contenue dans la Novelle CIX : Sacram communionem in catholicâ Ecclesiâ non percipientes à Deo amabilibus sacerdotibus hœreticos juste vocamus.

Après avoir pris ces notions, je fais ces deux réflexions. Si les hérésies ont été éteintes par ces lois rigoureuses, la déclaration que je propose n'est-elle pas infiniment plus douce et plus modérée ? Le Roi fera-t-il difficulté de dire simplement qu'il veut que les nouveaux convertis pratiquent comme ses autres sujets les exercices de l'Eglise, les fêtes et dimanches, voyant tant de dispositions sacrées en pareil cas, des meilleurs empereurs, et des rois ses prédécesseurs ? Henri II l'ordonne expressément, dans

1 LIV, Cod. Theod., de Hœreticis. —  2 II Omnes, c. de Haer.

 

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l'édit de Château-Briant, aux nouveaux convertis ; et tout le titre des Ordonnances de l'observation des fêtes et dimanches, marque que ce soin a toujours été digne de la piété de nos rois.

Si c'est l'esprit de l'Eglise de ne point obliger les nouveaux réunis de venir à la messe et à pratiquer les exercices de la religion, sous prétexte que ne croyant pas, ils profanent nos mystères, quelle opinion doit-on avoir de tous les conciles, de tous les évêques qui ont sollicité ces lois ? Car il est bien certain qu'une infinité de ces nouveaux réunis n'ont fréquenté les églises, que par la crainte de perdre leurs biens ou leurs dignités : il est indubitable que dans les premiers temps, lorsqu'ils y sont entrés, ils ne croyaient  pas et qu'ils ont été longtemps dans cette disposition. Les mystères étaient-ils alors profanés ? L'Eglise a-t-elle souffert impunément cette profanation pendant tant d'années? Car le nombre des lois des empereurs, dont la sévérité augmentait à proportion de l'opiniâtreté de ces gens-là, fait bien voir que ce n'a pas été l'ouvrage d'un jour.

Au lieu de dire que les mystères sont profanés, ne serait-il pas plus à propos de conclure que l'Eglise s'est toujours contentée, sans faire cette espèce d'inquisition, d'instruire ceux qui sont présents, quand les réunis ont été reçus par une abjuration solennelle ; de les tolérer par l'espérance d'une conversion sincère, principalement lorsque l'Eglise catholique a été la dominante ; lorsque les irrévérences n'ont pas été à craindre, par l'obéissance et par la soumission des peuples aux ordres des magistrats ; lorsqu'on a vu des dispositions favorables dans ces réunis, et qu'un grand nombre d'entre eux ne demandaient qu'à être déterminés par quelque espèce de contrainte, qui pût rompre tous les liens qui les arrêtaient ? Que s'il y a eu quelques usages contraires, c'a été dans les temps où l'Eglise catholique n'était pas la plus forte, où le scandale était à craindre, où il n'y avait point d'espérance bien fondée d'une conversion véritable, où enfin les mystères de notre foi n'étaient pas manifestés, et en aussi grande vénération qu'ils le sont aujourd'hui.

Ma dernière réflexion est que l'on doit certainement compter que tous les nouveaux convertis, qui sont dans cette province au

 

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nombre de plus de deux cent mille, se réduisent à trois espèces : la première, de ceux qui sont sincèrement catholiques, dont le nombre n'est pas grand ; la seconde, de ceux qui sont fort ébranlés, qui voudraient avoir pris le bon parti, et qui ont quelque peine encore à se déclarer ; c'est la plus grande portion : enfin la troisième, de ceux qui sont tout à fait attachés à la religion prétendue réformée ; c'est la moindre partie, et ceux-là doivent être divisés en deux sortes : les uns sont de bonne foi dans cette religion, qu'ils croient la meilleure ; les autres sont les chefs de parti, les piliers pour ainsi dire des consistoires, qui ne peuvent se résoudre à perdre la considération qu'ils ont eue dans leur première religion. Il ne faut pas croire qu'il y en ait beaucoup de cette espèce : je n'en puis compter plus de quarante de ce caractère, qui aient quelque considération dans ce parti, dont ils entretiennent la cabale, autant qu'ils le peuvent, par toutes sortes de voies. Laissera-t-on périr ce grand nombre de personnes qui ont de bonnes intentions, et qui pourraient être sauvées, à cause de l'incrédulité des autres? Et n'est-ce pas ici où l'on peut appliquer la maxime de saint Augustin, qu'il établit à l'occasion des donatistes dans un cas tout semblable, qu'il est d'une nécessité inévitable de tolérer dans l'Eglise le mélange des bons et des méchants.

 

LETTRE XXXII. 
M. LE PRÉSIDENT DE LAMOIGNON A BOSSUET. A Paris, le lundi matin.

 

Je vous envoie, Monsieur, le Mémoire que vous m'avez demandé. Je vous supplie qu'il ne soit que pour vous : car je ne veux pas, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, qu'on me donne ici et à mon frère le caractère d'un homme qui veut être le persécuteur des huguenots  (a). Il s'est répandu des bruits partout qu'on leur faisait en Languedoc des violences extrêmes. Cependant je puis vous assurer qu'il n'y a point de province dans

 

(a) M. de Lamoignon de Basville, intendant du Languedoc, était le frère du président de Lamoignon, ami de Boileau.

 

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le royaume, où ils aient été traités plus doucement. Quand vous aurez examiné le Mémoire que je vous envoie, vous jugerez vous-même si on peut agir avec plus de douceur, puisqu'on ne demande autre chose que de pouvoir dire : Il faut aller à la messe, sans qu'on use d'aucune violence contre ceux qui n'iront pas. Il n'est plus question de savoir si on entreprendra d'éteindre entièrement la religion protestante en France : l'entreprise est faite; on y est engagé : mais il s'agit de savoir si on abandonnera l'entreprise entièrement. Car si on condamne ce qu'on a fait, et si on n'avance pas l'ouvrage, il est plus court de tout abandonner. Je vais même plus loin ; il faut relever les temples : il ne convient point que dans le royaume, il y ait un peuple entier qui soit répandu dans toutes les provinces sans aucun culte de religion ; et il faudra que le Roi entretienne une armée dans le cœur de son royaume, pour se pouvoir défendre contre ses propres sujets.

Le neveu de mon ancien précepteur me prie de vous parler d'une affaire dont je vous envoie le mémoire. Je vous demande pour lui tout ce qu'on peut demander à un prélat comme vous. Je suis, etc.

De Lamoignon.

 

LETTRE XXXIII.
RÉPONSE DE BOSSUET A M. DE LAMOIGNON.

 

J'ai reçu, Monsieur, avec votre lettre de lundi matin, la copie du Mémoire de M. votre frère. Par mes lumières présentes je suis tout à fait d'accord du projet de déclaration qu'il propose : j'y aurais, .Monsieur, quelques réflexions à faire sur la manière de l'exécuter. Je crois voir avec certitude que les évêques s'entendront aisément avec lui et entre eux, pourvu qu'ils se parlent ; c'est à quoi il faut travailler.

 

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LETTRE XXXIV.
M. DE LAMOIGNON DE BASVILLE A BOSSUET. Mémoire sur les nouveaux catholiques.

 

Pour bien connaître ce qu'il y a à faire à l'égard des nouveaux convertis, je crois qu'il faut commencer par avoir une idée exacte des dispositions où ils se trouvent maintenant : c'est ce que j'ai tâché de pénétrer, le plus qu'il m'a été possible, depuis six mois. Il est certain que les uns sont encore éloignés par leur propre inclination de suivre notre religion : les autres, qui sont en plus grand nombre, demandent d'y être déterminés par quelque espèce de contrainte, qui les mette à couvert contre une fausse honte qui les retient. Ils voudraient être bons catholiques ; mais ils croient qu'il y va de leur honneur de commencer à donner l'exemple : presque tous sont dociles, et prennent l'impression qu'on leur donne. Cette disposition a paru pour les enfants. Suivant les ordres que j'ai reçus, j'ai déclaré qu'il fallait les faire aller aux écoles, aux instructions, à la messe : j'ai donné une ordonnance sur ce sujet : j'ai nommé dans chaque lieu un commissaire pour la faire exécuter. Tout le monde a obéi sans beaucoup de répugnance ; et il n'y a plus qu'à maintenir ce qui est établi sur ce point important. J'ai été ensuite sur les lieux : j'ai dit, conformément à mes instructions, que le Roi voulait que les nouveaux convertis vécussent comme les anciens catholiques, ayant fait abjuration. Ce discours, qui ne contient aucun détail ni menace, en a déterminé une très-grande quantité d'aller à l'église, et aurait encore produit beaucoup plus de fruit, s'ils ne s'étaient aperçus que l'on ne prétendait pas les contraindre en aucune manière pour la messe. Ce mouvement a été si grand et si heureux, que les ministres qui sont à Genève ont cru devoir faire les derniers efforts pour l'arrêter, soit en faisant distribuer une infinité de libelles par toutes sortes de moyens, dont j'ai envoyé des copies, soit en venant eux-mêmes déguisés pour tâcher de retenir tous ceux qui étaient disposés à se faire bons catholiques. Je

 

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n'oublie rien de tout ce que je puis faire pour faire arrêter ces ministres et prédicants ; et j'espère y réussir s'ils demeurent dans le pays. Cependant j'ai parlé moi-même à tous les gentilshommes, et il n'y en a eu que deux ou trois qui ne m'aient pas promis de remplir tous leurs devoirs. La ville de Nîmes, qui est le centre de l'hérésie, est très-bien disposée. M. l'évêque de Nîmes m'écrivit encore hier qu'il n'en a jamais été si content. On trouve à la vérité des endroits où il y a encore plus d'opiniâtreté que dans d'autres ; mais on sent bien qu'elle sera facile à surmonter quand on le voudra tout de bon.

Cela présupposé, il faut savoir quelle conduite on doit tenir à l'avenir pour achever ce grand ouvrage. La question, selon mon sens, se réduit uniquement à savoir si on pressera les nouveaux convertis d'aller à l'église et à la messe. Je crois que tout le monde convient qu'il ne faut en aucune manière les presser pour recevoir les sacrements : je crois même que l'on ne doit employer aucun moyen violent pour les faire aller à la messe : mais en même temps je suis persuadé qu'il faut les solliciter incessamment d'y aller, leur dire que le Roi le veut ainsi, et s'expliquer sur ce point clairement et nettement. Je ne puis être d'avis de les laisser sans aucun exercice extérieur de religion ; ni suivre le sentiment de ceux qui sont persuadés, comme vous me l'avez mandé, qu'il suffit de punir les scandales, les assemblées, le refus des sacrements étant malades, et autres contraventions aux édits ; et que l'on devait en user à leur égard, comme on fait pour les anciens catholiques que l'on abandonne à leur propre conduite, sans s'embarrasser s'ils remplissent les devoirs de la religion. Il faut, selon mon sens, obliger les nouveaux convertis de venir à l'église et à la messe, sans leur en demander davantage que lorsqu'ils seront bien confirmés dans la religion; et voici mes raisons.

Premièrement, s'il n'y avait en cette province qu'un petit nombre de nouveaux convertis, on pourrait dissimuler et attendre avec patience que l'on pût les persuader l'un après l'autre : mais il y en a plus de deux cent mille, et des diocèses entiers, comme celui d'Alais, des cantons dans les autres diocèses,

 

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où il n'y a que de ces gens-là. Si on ne les presse pas d'aller à l'église, il n'y aura personne les fêtes et dimanches, et il ne paraîtra pas que l'on y ait fait abjuration. Les anciens catholiques qui ne font pas leur devoir, ne se connaissent pas dans la foule. Mais dans ces lieux, l'éloignement des nouveaux convertis de l'église sera une cessation entière des exercices de notre religion.

Secondement, si ces nouveaux convertis ne viennent pas à l'église et à la messe, ils ne seront jamais instruits, et ne s'accoutumeront point aux exercices de notre religion. Le nombre en est trop grand pour les instruire en détail : il faut qu'ils s'assemblent pour entendre les instructions, et ils ne les peuvent entendre qu'à l'église. Il n'y a pas d'apparence de dire qu'on pourrait les prêcher hors du temps de la messe ; car ils concluraient de là qu'ils seraient exempts d'y aller : on verrait une secte de gens qui seraient en possession d'aller au sermon, et jamais à la messe ; cela ne convient pas.

Troisièmement, si l'on n'oblige pas les nouveaux convertis de venir à l'église, et qu'on ne leur dise rien sur ce sujet, tous ceux qui y vont seront détournés par les autres ; et tout le fruit que l'on a fait jusqu'à cette heure, sera perdu : l'ouvrage de la religion ne sera pas plus avancé que. le premier jour, après la conversion générale. Les plus opiniâtres feront connaître aux autres qu'ils n'avaient qu'à persévérer comme eux, et il n'y aura plus moyen dans la suite de faire aucun progrès.

Quatrièmement, il ne faut pas croire qu'il soit facile de rendre les enfants catholiques, quand les pères ne le sont pas. S'ils envoient par force leurs enfants aux écoles pendant le jour, ils détruisent le soir tout le bien que les maîtres ont pu faire ; et plus ils voient que l'on a d'attention à élever malgré eux leurs enfants dans la religion catholique, plus ils prennent de peine à leur donner des impressions contraires. Ils attendent au moins que leurs enfants soient sortis de l'école, à l'âge de douze ans pour les filles et de quatorze pour les garçons ; et alors ils leur persuadent tout ce qu'ils veulent, et leur font suivre leurs mauvais exemples : ce qui s'est fait auparavant ne sert plus de rien. Si les pères sont obligés d'aller à l'église avec leurs enfants, cette habitude

 

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les empêchera de détruire tout ce que l'on aura fait pour leur éducation.

Cinquièmement, s'il est facile de faire aller les nouveaux convertis à la messe, pourquoi ne le pas faire? pourquoi les laisser sans religion, se perdre eux et leurs familles, que l'on pourrait rendre catholiques et mettre dans la voie du salut? N'aurait-on pas à se reprocher d'omettre un très-grand bien, quand on le peut faire? Or il est très-facile de les y obliger; et je ne fais pas difficulté d'assurer que si je puis dire d'un ton ferme : Le Roi veut que les nouveaux convertis aillent à l'église et à la messe, qu'ils iront, un très-grand nombre n'attend que cet ordre ; en voici des exemples certains.

MM. les évêques de Lavaur et de Lodève ont déterminé tous les nouveaux convertis de leur diocèse, en leur parlant d'une manière forte et chrétienne, et les avertissant comme de bons pasteurs des malheurs qui pourraient leur arriver, s'ils n'obéissaient pas. M. le comte de Calvisson a fait assembler tous les paysans de ses terres, pour leur dire que le moment était venu, et qu'il fallait aller à la messe sans aucune contrainte. Ils ont tous obéi, et personne n'y manque. La ville de Castres semblait d'abord plus éloignée que toutes les autres : presque tous les nouveaux convertis disaient hautement qu'ils voulaient vivre et mourir dans leur première religion. Deux ordres du Roi ont paru, pour éloigner ceux qui parlaient le plus insolemment : les autres ont aussitôt obéi, et promis de faire tout ce que l'on voudrait. Il est vrai que s'étant aperçus, depuis quinze jours, qu'on ne leur demandait rien pour la messe, étant encore détournés par quelques ministres ou prédicants, qui ont été dans cette ville, ils ont cessé d'aller à l'église : et ils ont dit à M. le comte de Broglie, qui est allé visiter cette ville, qu'ils recommenceraient à faire les exercices de notre religion quand le Roi voudrait, et que cette volonté expresse de Sa Majesté leur paraîtrait de manière qu'ils n'en puissent pas douter. Le sieur de Ginestoux, gentilhomme de cette province, que l'on croyait  le plus huguenot, a demandé à se faire instruire, dès qu'il a vu l'ordre du Roi d'aller au château de Saumur. Il dit à tout le monde qu'il est bon catholique,

 

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et mène à l'église sa femme, ses enfants, sa famille et tous ses vassaux. Le discours que j'ai fait, quoique en termes généraux, dans mon voyage des Cévennes, y a déterminé une infinité de gens : les villes principales obéissent, et il n'y a presque personne qui y résiste. Ce sont autant d'expériences, pour ainsi dire, qui prouvent que quand on voudra avec fermeté que les nouveaux convertis aillent à la messe, il sera très-aisé de les y obliger avec un peu d'application.

On dira peut-être que si des discours généraux ont eu tant d'efficace, que l'on devrait se contenter de les tenir, sans parler d'aller à l'église et à la messe. La réponse à cette objection est que ces gens-là s'apercevant, comme en effet ils s'en aperçoivent très-bien, que l'on ne veut pas les contraindre d'aller à l'église, ils concluent aisément, parle penchant qu'ils ont, qu'il ne faut pas y aller, qu'il n'y a qu'à résister, et qu'il n'en sera pas davantage ; et tout ce que l'on peut faire devient ensuite inutile.

Sixièmement, si dans un temps de paix on ne prend la résolution de déterminer ces nouveaux convertis à venir dans nos églises, leur prévention, leur paresse, la difficulté qu'ils trouvent dans les exercices de notre religion plus pénible que la leur, les tiendront dans une situation toujours fâcheuse : ils s'en éloigneront de plus en plus ; et il ne faut pas espérer qu'ils en prennent jamais l'habitude par eux-mêmes. Ils formeront donc toujours une espèce de corps dans l'Etat, séparé des autres sujets du Roi, qui demandera dans tous les temps de grandes précautions, rien ne conservant tant l'esprit de cabale, qui règne encore parmi eux, que de vivre unis par la même aversion qu'ils auront de notre religion : et il ne faut pas douter qu'ils ne fassent les derniers efforts, quand ils le pourront, pour rétablir les exercices de celle qu'ils conserveront dans leur cœur, et qu'ils ne fassent ces exercices en secret entre eux, autant qu'ils le pourront ; au lieu que s'ils sont une fois accoutumés à venir dans nos églises, ce sera de tous les moyens le meilleur pour leur faire oublier leur ancienne religion. L'habitude fait beaucoup et presque tout sur l'esprit du peuple et des paysans pour la religion, et ces gens-là sont la meilleure partie des nouveaux convertis.

 

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Il ne s'agit que de savoir si la puissance temporelle peut tenir ce discours : « Il faut aller à l'église, il faut aller à la messe. » Je dirai seulement sur ce point que tous MM. les évêques en Languedoc sont persuadés que ceux qui ont l'honneur d'exécuter les ordres du Roi dans les provinces, doivent parler ainsi. Je sais même que les plus habiles d'entre eux écrivent actuellement, pour fortifier cette opinion. Ils sont persuadés que c'est une vision toute pure, de croire que l'on puisse jamais instruire à fond les nouveaux convertis sans les rassembler dans l'église, et que c'est les perdre entièrement que de souffrir qu'ils s'en éloignent; qu'étant enfants de l'Eglise par leur baptême et réunis par leur abjuration, ils sont bien différents des catéchumènes, et des pénitents que l'on éloignait autrefois de la vue de nos mystères ; les uns, comme n'étant pas encore initiés par le baptême, ni au nombre des fidèles ; les autres souffrant cet éloignement comme une peine et une pénitence de leurs péchés, que l'Eglise trouvait alors à propos de leur imposer : qu'il n'en est pas ainsi des nouveaux convertis qui ont fait abjuration, que le Roi leur commande une chose très-juste, quand il veut qu'ils observent les lois de l'Eglise: que s'ils en abusent, ils en porteront la peine devant Dieu; mais que Sa Majesté n'ordonne rien qui ne soit dans les règles : que l'on peut faire une loi pour une bonne fin, quand même on prévoit qu'il pourra en arriver quelque abus dans l'observation : qu'il y a bien de la différence entre assister à la messe avec une foi encore chancelante, ou de participer au sacrement de l'Eucharistie : que Sa Majesté s'arrête à examiner les dispositions pour recevoir les sacrements ; qu'elle suit l'exemple de ses prédécesseurs, qui ont fait des ordonnances expresses pour l'observation des fêtes et dimanches : que c'est enfin tout ce que l'on doit attendre de la piété du Roi, de faire entrer ses sujets dans l'Eglise; et que c'est ensuite aux ministres des autels de les y accoutumer, de les y retenir, de les y instruire, en gagnant les cœurs, et en achevant ce que la puissance temporelle peut toute seule commencer : que si Sa Majesté a employé avec tant de justice son autorité, pour obliger ses sujets à faire abjuration de l'hérésie par un serment solennel, il y a bien moins de difficulté de s'en servir, pour les

 

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Je sais les deux objections que l’on peut faire contre cet avis. La première, que si l'on presse les nouveaux convertis trop vivement de venir à l'église, plusieurs pourront sortir du royaume, qui y demeureraient si on ne leur demandait rien. La seconde, qu'il y a de l'inconvénient dans les règles de l'Eglise de contraindre des personnes qui ne croient pas à nos mystères d'y assister, et que ce n'a pas été la coutume de l'Eglise.

A l'égard de la première objection, il pourra arriver que quelques familles sortiront hors du royaume : je crois que ce sera un fort petit nombre, les nouveaux convertis ayant préféré leurs biens à leur religion, quand ils ont pris le parti de faire abjuration. Il semble de plus que cette raison prouve trop : car elle prouverait qu'il ne faudrait pas élever les enfants malgré les pères dans notre religion, rien ne leur devant être plus sensible que de les voir professer une religion différente de la leur : et s'il y en a d'assez entêtés parmi eux pour quitter le royaume, ce motif les déterminera autant que le reste. Enfin je suis persuadé que cette perte, qui sera petite, n'est pas comparable au bien qui résultera de voir tous les sujets du Roi pratiquer les mêmes exercices, et le parti des calvinistes entièrement éteint. D'ailleurs je ne propose pas une contrainte violente, qui les désespère et qui les oblige à tout quitter.

A l'égard de la seconde objection, il serait bon de prendre principalement l'avis des évêques qui sont accoutumés aux nouveaux convertis, qui ont vécu parmi eux, qui connaissent leurs dispositions, et qui savent par quels moyens on les peut déterminer à être bons catholiques, qui est le seul but que l'on se doit proposer. Il faut bien prendre garde encore, quand on les consulte, de réduire la question dans l'espèce présente de l'assistance à l'église et à la messe : car tous ceux qui font ces difficultés raisonnent souvent comme si on voulait faire communier par force les nouveaux convertis, dont on est très-éloigné.

Il est bon encore, pour ne pas s'écarter de la difficulté, de convenir que cette espèce de contrainte ne doit jamais venir des ecclésiastiques, qui doivent toujours parler avec une extrême douceur, et ne pas sortir des termes que la charité leur prescrit.

 

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contraindre à suivre les exercices de la religion qu'ils ont embrassée : qu'on ne trouvera pas que quand les hérésies ont fini dans le monde par les décisions des conciles, et ensuite par les lois des empereurs, on ait jamais prétendu éloigner ces nouveaux catholiques de l'entrée des églises; qu'au contraire, on les y a toujours portés : que nous avons plusieurs lois des empereurs et de nos rois sur ce sujet, qui sont formelles ; et que l'on ne verra pas, par exemple, que l'Eglise ait attendu que tous les ariens eussent une véritable foi, avant qu'ils fussent admis à la messe ; que c'est une espèce d'inquisition où l'Eglise n'a jamais voulu entrer, principalement lorsqu'elle a vu une espérance bien fondée, et une apparence presque certaine de pouvoir réussir, devant se contenter d'instruire ceux qui sont présents, sans douter de leur foi que lorsqu'ils viennent pour participer aux sacrements. Il serait aisé d'envoyer une dissertation particulière sur cette matière, si cela était nécessaire, qui marquerait à fond toutes les raisons de ces prélats.

Étant donc d'avis d'obliger les nouveaux convertis d'aller à l'église et à la messe, il ne reste plus qu'à marquer les moyens que je crois pouvoir être employés pour les y contraindre. Ce ne sont pas des moyens violents, comme logement de gens de guerre, ni amendes pécuniaires, bien qu'autrefois les empereurs se soient servis de ce dernier moyen très-efficacement : mais je croirais qu'il serait très-à propos que la volonté du Roi parût, en faisant une déclaration suivant le projet ci-joint, ou quelque autre mieux tourné, par lequel Sa Majesté ne ferait que renouveler les lois de ses prédécesseurs touchant l'observation des fêtes et dimanches, pour tous ses sujets, en y insérant seulement un mot pour les nouveaux convertis, afin qu'ils ne pussent douter qu'ils y sont compris, comme les anciens catholiques. Cela serait d'autant plus nécessaire qu'un des principaux obstacles pour les progrès de la religion, est que les gens mal intentionnés mettent dans l'esprit des nouveaux convertis que ce n'est pas l'intention du Roi qu'on les presse, et que tout ce que l'on fait ne vient que d'un zèle inconsidéré de ceux qui servent Sa Majesté dans ses provinces. Cette simple déclaration de la volonté du Roi, sans aucune

 

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peine qui la rendît odieuse, déterminerait très-certainement une très-grande partie de ces nouveaux convertis, qui ne tient presque plus à rien, à faire leur devoir : plusieurs diraient : « Le Roi le veut tout de bon, il faut finir ; le temps est venu. » On leur entend dire tous les jours qu'ils prendront ce parti, quand ils ne pourront plus douter de la volonté du Roi, dont à la vérité ils devraient être assez persuadés : mais ils croient que parce qu'on les a laissés en liberté pendant dix ans, sans leur rien demander, on veut bien les laisser toujours vivre de la même manière. Cette déclaration doit faire d'autant moins de peine, qu'elle ne paraîtrait pas avoir pour objet principal les nouveaux convertis ; et il est assez naturel qu'après une longue guerre, le Roi fasse une loi, à l'exemple de ses prédécesseurs, pour renouveler les choses principales qui regardent le culte divin : ainsi sans qu'il parût vouloir trop s'attacher aux nouveaux convertis, ils ne laisseraient pas d'y trouver ce qui est nécessaire pour les déterminer, c'est-à-dire la volonté du Roi bien marquée sur ce qui les regarde.

En envoyant cette déclaration, je croirais qu'il faudrait en même temps envoyer une instruction uniforme à tous les intendants, rien n'étant plus important que de leur prescrire précisément ce qu'ils doivent faire ; que l'un n'en fasse pas plus que l'autre, et que la conduite soit égale dans toutes les provinces, et qu'ils pussent agir en même temps. Cette instruction porterait :

Premièrement, que les enfants des nouveaux convertis fussent élevés avec un grand soin dans notre religion ; que l'on mît des commissaires dans chaque lieu pour y veiller ; qu'ils pussent, pour ce cas seulement, condamner à l'amende les pères et les mères qui manqueraient à envoyer leurs enfants aux écoles, aux instructions et à l'église : on ne peut prendre trop de précautions sur ce point.

Secondement, que les intendants eussent partout un pouvoir d'envoyer les enfants de ceux qui seraient assez riches dans des collèges et dans des couvents, s'ils ne voulaient les élever à la religion catholique, ou chez des parents anciens catholiques ; qu'ils eussent soin, de concert avec MM. les évêques, de former

 

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plusieurs pensions où les enfants pussent être mis à bon marché chez des maîtres ou des maîtresses, quand ils ne sont pas assez âgés pour être mis dans des collèges ou dans des couvents, ou qu'ils n'ont pas assez de bien pour payer de fortes pensions. C'est ce qui a été pratiqué avec succès dans le Languedoc en plusieurs diocèses.

Troisièmement, qu'ils eussent ordre de presser continuellement les nouveaux convertis d'aller à l'église et à la messe, leur déclarant que le Roi veut qu'ils vivent comme les anciens catholiques : mais il ne suffit pas de leur dire ce dernier mot, de vivre en bons catholiques ; il faut nommément les presser d'aller à l'église : car c'est le fait dont il s'agit aujourd'hui, et le pas qu'ils doivent faire pour avancer. Et si les intendants trouvent des gens mutins, désobéissants, et parlant mal de la religion, il faudrait qu'ils pussent quelquefois, et sans se servir trop souvent de ce pouvoir, en faire mettre quelques-uns en prison, s'ils sont du menu peuple ; et que pour les autres, qu'ils en rendissent compte pour avoir des ordres de les reléguer hors de la province ; en attendant que ces ordres fussent arrivés, qu'ils pussent les envoyer dans les lieux tout catholiques de leur département. Il serait bon aussi qu'ils chargeassent les principaux des paroisses des événements, leur déclarant que l'on sait bien que l'exemple qu'ils donneront sera suivi en bien ou en mal.

Quatrièmement, que les intendants eussent, comme celui de Languedoc, un pouvoir de faire le procès à la mémoire de ceux qui voudraient mourir dans la religion prétendue réformée : quelques exemples de cette nature faits à propos produisent un grand effet.

 

Cinquièmement, qu'ils pussent aussi interdire tous les officiers royaux, maires, notaires, procureurs, juges des seigneurs, consuls, même les médecins, chirurgiens, apothicaires, qui ne professeront pas ouvertement la religion catholique après avoir été avertis : il est juste que les premiers ne se trouvant dans leurs charges ou offices que parce qu'ils ont fait abjuration, ils donnent aux autres un bon exemple ; sans cela leur abjuration ne servirait qu'à les autoriser pour faire du mal : et à l'égard des médecins,

 

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chirurgiens et apothicaires, la plupart de MM. les évêques prétendent qu'ils sont très-dangereux, quand ils ne sont pas bien convertis, exhortant les mourants sous prétexte de leur art à mourir dans leur première religion.

Si tous les intendants agissaient en même temps, en exécution de cette instruction et de ce pouvoir, il serait difficile que l'on ne vît pas dans peu un grand succès, surtout en s'attachant aux chefs du parti, et à certaines personnes qui sont en petit nombre, que l'on sait certainement tenir tous les autres et les empêcher de se déterminer.

Si ces expédients ne réussissent pas autant qu'on l'espère, il sera facile d'en proposer d'autres dans la suite encore plus efficaces, mais moins doux; et je crois qu'il faudrait commencer par les choses proposées dans ce Mémoire, qui ne produiront, si je ne me trompe, aucun inconvénient.

J'ajouterai seulement que le plus assuré et le plus solide de tous les expédients pour faire de véritables catholiques, c'est de trouver le moyen de mettre de bons prêtres dans les paroisses. Si le curé est bon et d'un mérite distingué, tous les paroissiens ne résisteront pas à ses soins assidus : l'expérience l'a fait connaître en plusieurs endroits. C'est où consiste la principale difficulté : car il est certain que le plus grand nombre des ecclésiastiques qui servent maintenant, ne sont pas propres pour les nouveaux convertis. Rien ne les attire à l'église que la parole de Dieu ; et ces prêtres ne sont pas capables pour la plupart de prêcher : ils sont même souvent de mauvais exemple par leurs mœurs. Pour remédier à un si grand besoin, le seul moyen est d'établir de bons séminaires dans les diocèses remplis de nouveaux convertis, et de fournir tous les secours nécessaires aux évêques pour ces établissements, et presque dans les endroits où ils peuvent former des ecclésiastiques tels qu'il les faut pour instruire, gagner entièrement les cœurs. Les missionnaires que le Roi a la bonté d'entretenir font du bien : mais il n'est pas comparable à celui qu'un curé, qu'ils regarderont comme leur véritable pasteur, pourra faire, s'il sait se faire aimer et estimer.

S'il était possible encore d'avoir quelques petits fonds d'aumône

 

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pour assister de pauvres familles dans leurs besoins, sans que l'on sût qu'il y eût pour cela des fonds destinés, ce serait un bon moyen pour les attirer doucement à l'église, et les empêcher de regretter le consistoire dont ils tiraient de grands secours.

 

PROJET DE DÉCLARATION.

 

Après l'heureuse conclusion de la paix qu'il a plu à Dieu de donner à nos peuples, nous avons cru que nous ne pouvions faire un meilleur usage de notre autorité royale, ni employer plus utilement nos soins, qu'à établir solidement le culte divin dans notre royaume, suivant les saints canons et les règles de l'Eglise, dont nous devons être le protecteur ; et en renouvelant les ordonnances des rois nos prédécesseurs, concernant l'observation des fêtes et dimanches (1), l'assistance aux exercices de la religion catholique et la réformation de plusieurs abus qui se sont introduits pendant la guerre.

Nous nous y sommes portés d'autant plus volontiers, que nous

 

1 Preuves pour autoriser la déclaration. Ex capitularibus Regum Francorum. Edit. Baluzii.

Capitulare tertium Caroli Magni, anni 789, tom. I, pag. 242. Ut in diebus Festis vel diebus Dominicis omnes ad Ecclesiam veniant. Lib. I, cap. LXXV, tom. 1, pag. 716. Statuimus, etc. ut opera servilia diebus Dominicis non agantur, etc. sed et ad Missarum solemnia, ad Ecclesiam undiquè conveniant, et laudcnt Deum pro omnibus bonis quœ nobis in illd die fecit.

Le titre entier de la Conférence des Ordonnances de l'observation des fêtes et dimanches, marque que nos rois ont souvent ordonné sur cette matière, pour obliger les nouveaux convertis d'assister nommément au service divin : l'article XL de l'édit de Henri II, fait à Château-Briant, y est exprès en ces termes :

« Et afin que ceux qui auraient été ou seraient dévoyés du chemin de leur salut, puissent faire connaitre par leurs actions quelque bon commencement de réduction à l'observation de l'honneur et crainte de Dieu, et de l'obéissance de son Eglise; nous exhortons tous nos sujets indifféremment, de quelque état, qualité, autorité ou condition qu'ils soient, et en tant que besoin serait, leur commandons très-expressément que dorénavant ils aient à fréquenter le plus qu'ils pourront le service divin, et par spécial ès jours solennels, avec due révérence et démonstration, telle qu'un bon dévot et fidèle chrétien doit faire, à genoux et dévotement, adorant le saint Sacrement de l'autel à l'élévation et exhibition d'icelui, même les gentilshommes, ceux de la Justice, et ceux qui ont autorité en la chose publique ; à ce qu'en faisant leur devoir, ils soient exemples aux peuples, et montrent à leurs inférieurs de faire le semblable qu'eux, selon et ainsi qu'un chacun est tenu de faire envers Dieu : et est défendu à toutes personnes indifféremment, de quelque qualité ou condition qu'ils soient, de se promener ès églises durant le service divin; mais se tenir prosternés et

 

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avons le bonheur de voir sous notre règne tous nos sujets réunis sous une même religion, et que nous n'avons plus rien à désirer que de leur en voir pratiquer exactement tous les exercices.

Par ce moyen nous avons sujet d'espérer que les nouveaux convertis se détermineront à observer les règles de l'Eglise, et que les anciens catholiques contribueront à les y fortifier par leurs bons exemples.

Aces causes, nous avons déclaré et déclarons, voulons et nous plaît que, conformément aux anciennes ordonnances, tous nos sujets, de quelque qualité et condition qu'ils soient, observent régulièrement les fêtes et dimanches, et qu'ils soient tenus d'assister aux divins offices avec le respect convenable à la célébration de nos saints mystères, sans que les nouveaux convertis s'en puissent dispenser, sous quelque prétexte que ce soit.

Voulons qu'èsdits jours de dimanches et fêtes, tous nos sujets s'abstiennent de toutes sortes de travaux et œuvres serviles.

Défendons en tout temps les assemblées qui peuvent produire aucun scandale, même les jeux et danses publiques, pendant le service divin.

Faisons pareillement défenses à tous cabaretiers et taverniers de recevoir dans leurs cabarets et tavernes aucune personne, de quelque qualité et condition qu'ils soient, et à tous nos sujets de les fréquenter; le tout sous les peines portées par les ordonnances (1).

Enjoignons à tous nos juges et officiers de tenir la main à l'exécution de la présente déclaration, à peine d'interdiction de leurs charges, même de privation en cas de dissimulation.

Si donnons en mandement, etc.

 

en dévotion, selon et ainsi que dessus est dit, pour être l'église la maison de Dieu et d'oraison. »

Les lois romaines ont été encore plus sévères sur ce sujet que les ordonnances de nos rois, et ont ajouté une peine. L. Honorii LIV, Cod. Theod. de Hœreticis, condamne les hérétiques à une amende différente, suivant les qualités des personnes, s'ils ne veulent pas se réduire à pratiquer les exercices de la religion : Nisi ad observantiam catholicam, mentem propositumque convertertnt ducentas argenti libras cogentur exsolvere, etc. pour ceux qui sont de la première condition ; et cette loi porte un tarif d'amendes pour les autres, même pour les femmes.

1 On met ces trois articles, principalement afin que l'objet de cette Déclaration

 

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LETTRE XXXV. 
M. DE LAMOIGNON DE BASVILLE A BOSSUET. A Montpellier, ce 21 septembre 1700.

 

Vous avez été si occupé, Monsieur, depuis quelque temps, et à des affaires si importantes, que je n'ai osé vous interrompre, quoique je dusse pour satisfaire à la dernière lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, vous mander mes pensées sur les réflexions que vous avez bien voulu faire, touchant la question de savoir si l'on peut contraindre par des voies modérées les nouveaux convertis d'aller à la messe. J'ai employé ce temps à conférer sur cette importante matière avec MM. les évoques de Rieux, de Mirepoix et de Nîmes. Je leur ai même communiqué votre lettre ; et après y avoir bien réfléchi, ils ont écrit eux-mêmes les réflexions que je vous envoie, qui valent bien mieux que tout ce que je pourrais penser : j'y ajouterai seulement ce que l'expérience m'a appris depuis dix-huit ans que je travaille aux affaires de la religion. Je vois, Monsieur, que votre principale difficulté est que l'on donne une faible idée de la sainteté du mystère aux nouveaux convertis, qui y vont avec indifférence et même avec répugnance.

Il est certain que s'il n'y en avait qu'un petit nombre, on devrait ne les y admettre qu'après une épreuve ; et ce devrait être comme le dernier sceau de leur foi. Il faudrait leur faire désirer un aussi grand bien, et qu'ils ne pussent le recevoir qu'après en

 

ne paraisse pas être ce qui regarde les nouveaux convertis, mais seulement l'observation ou la défense des choses qui concernent le culte divin. Voyez les conciles, Tol., 1229; Biter., 1233; Narbon., 1235; Biter., 1246; Albi., 1254., Statuta Ludov. Reg. 1228.

Enjoignent aux nouveaux convertis d'aller les fêtes et dimanches à l'église, d'y entendre la messe entière, la prédication, l'office divin.

De visiter les églises les samedis, à l'honneur de la Vierge.

Que les prêtres fassent un catalogue de ceux qui n'obéissent pas, sous peine de privation de leurs bénéfices.

Qu'ils avertissent les évêques d'y tenir la main; car le Seigneur recherchera les évêques du sang des nouveaux catholiques, qui périront pour l'inexécution des canons.

 

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avoir connu parfaitement l'excellence. Mais lorsqu'il y a dans une seule province plus de deux cent mille nouveaux convertis, il semble que le grand nombre doit faire changer de conduite. Vous savez mieux que moi combien cette raison du grand nombre a été forte dans tous les temps; que saint Paul et saint Augustin, et même le Sauveur du monde, y ont eu beaucoup d'égard : c'est ce que M. de Mirepoix a très-bien démontré dans uu petit traité qu'il a fait sur cette matière.

Il semble en effet que c'a été de tout temps l'esprit de l'Eglise. Nous avons plus de soixante-dix lois faites par neuf empereurs orthodoxes depuis Constantin, pratiquées par les rois goths contre les ariens, par Charlemagne contre les Saxons, par saint Louis contre les albigeois, qui contiennent des peines rigoureuses contre les hérétiques réunis, pour les porter à suivre les exercices de notre religion. Elles ont été faites souvent à la prière des évêques, et quelquefois des conciles : elles ont été louées et approuvées par les Pères de l'Eglise. Craignait-on en ce temps-là de profaner le mystère, ou de n'en pas donner une assez grande idée ? Les ariens réunis par la crainte des lois, et entrant à l'Eglise parce qu'ils y étaient contraints, avaient-ils dans les commencements une foi bien vive de la divinité de Jésus-Christ? Cependant non-seulement ils y étaient soufferts, mais on les obligeait d'y aller, parce qu'ils étaient en grand nombre ; que plusieurs d'entre eux se déterminaient à croire par l'instruction. Ils entraient à l'Eglise encore hérétiques dans le cœur : le temps, le soin des pasteurs, la vue de nos mystères, la grâce qui y est attachée les détrompait peu à peu. La foi venait insensiblement : faible dans les premiers temps, elle se fortifiait dans la suite ; et la bonne nourriture prenant pour ainsi dire la place de la mauvaise, les conversions devenaient parfaites et sincères.

C'est, Monsieur, ce qui arrive encore aujourd'hui dans ce que nous appelons nouveaux convertis. Si on ne leur demande rien, ils demeurent abandonnés à eux-mêmes, dans une espèce de langueur, sans culte, sans religion; et l'ouvrage du Roi ne consisterait à leur égard, qu'en ce qu'il leur aurait ôté celle qu'ils professaient.

 

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Quand on les presse d'une manière modérée, bien moins sévère que celle qui est portée par les lois des empereurs, et qui se termine après tout au précepte de saint Paul : Insta, increpa, obsecra, nous voyons qu'ils se réveillent de ce sommeil léthargique ; que venant à l'Eglise, ils se détrompent des fausses idées qu'ils ont prises dès leur naissance. Ils comprennent ce que c'est que la messe, en la voyant dire : en lisant eux-mêmes ce qui s'y dit, ils sont surpris de n'y trouver que des prières admirables, dont ils sont très-édifiés; et j'en ai vu plusieurs bien convertis, qui m'ont avoué qu'ils n'auraient jamais été détrompés, s'ils n'avaient pas pris sur eux d'y aller dans les commencements, même avec répugnance.

Il y aurait d'ailleurs une espèce d'impossibilité de les instruire, s'ils ne se rassemblaient. Comment un seul curé pourrait-il en détail instruire deux ou trois mille nouveaux convertis, qui sont dans sa paroisse ? Si on les rassemble hors le temps de la messe, rien ne fait un plus méchant effet : ils se fortifient par cet éloignement, dans les fausses idées qu'ils ont du mystère; et ils se croient en droit de demeurer toujours dans leurs erreurs, quand ils n'ont pas fait ce premier pas pour en sortir.

Il me semble que tout doit céder à l'expérience. On voit que sans force, sans violence, et par la seule application qu'on se donne à presser, à exhorter, à faire voir la nécessité qu'il y a de suivre les engagements qui ont été pris par l'abjuration, en exilant seulement dix ou douze personnes dans tout le Languedoc, qui y donnaient un très-mauvais exemple et qui faisaient gloire de le donner, presque toutes les églises sont maintenant remplies. N'est-il pas plus avantageux d'y voir le troupeau rassemblé, que d'avoir à courir après toutes les brebis égarées? Il est certain qu'un grand nombre revient de bonne foi, et que l'on voit un fruit très-évident de la parole de Dieu.

Plusieurs à la vérité sont encore à l'église sans loi ; mais plusieurs y acquièrent de la foi tous les jours : ceux qui l'ont faible sentent qu'elle se fortifie, et marchent insensiblement au point de perfection : elle vient aux uns plus tôt, et aux autres plus tard ; mais enfin nous en voyons les progrès. On compte toujours, dans les

 

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lieux où l'on travaille avec application, quelque conquête nouvelle et assurée ; et nous n'entendons dire autre chose à des gens bien revenus, si ce n'est qu'ils bénissent la main qui les a fait entrer à l'Eglise avec quelque espèce de contrainte, parce que sans cela ils n'auraient jamais pris la résolution d'y venir. Plusieurs attendent le moment qu'on leur parle avec fermeté, et ils se déterminent dès qu'on leur a parlé ; ils le disent ainsi eux-mêmes.

Je dois ajouter, Monsieur, qu'il y a un nombre très-grand de nouveaux convertis, qui sont fatigués de vivre sans religion. Le peu de résistance qu'on trouve en eux d'aller à l'église et à la messe vient de ce principe : mais ils sont encore arrêtés par une fausse honte, par le mauvais exemple de quelque esprit malin. Quand on rompt ces liens, ils en sont ravis ; et rien ne leur fait plus de plaisir, que de voir imprimer un mouvement général qui les entraîne, et qui les porte où ils iraient d'eux-mêmes, s'ils n'étaient retenus par les préjugés, qui ont fait de tout temps tant de peine aux hérétiques.

Si je ne m'arrêtais en cet endroit, je répéterais ou plutôt j'affaiblirais ce que ces savants prélats, dont je vous envoie les écrits, vous représentent. Je me contenterai de vous dire que, s'il y a quelque inconvénient de ne pas donner une grande idée du mystère à ceux qui n'en sont pas persuadés, cela est bien récompensé par le nombre des conversions sincères qui se font tous les jours, et qui ont commencé par un mouvement de contrainte. Le respect et la vénération pour le mystère ne manquera pas de venir, lorsqu'ils seront assez heureux pour goûter l'instruction, et qu'ils commenceront à vouloir connaître de bonne foi notre religion telle qu'elle est : cependant l'habitude se forme, et l'habitude aide beaucoup les hommes pour suivre les exercices de la religion.

Mais comme je n'ai rien plus à cœur que de ne point excéder les bornes du véritable zèle que je dois avoir pour remplir mes fonctions, et que je ne puis mieux trouver cette juste mesure que dans vos lumières, je serai ravi d'en pouvoir profiter, et qu'elles règlent ma conduite. Mais permettez-moi de vous supplier encore une fois de considérer un peu l'état de cette province, la situation présente des affaires de la religion, que je viens de vous expliquer.

 

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Jugez par toutes ces circonstances, plutôt que par des principes séparés du fait dont il s'agit, si l'on doit avoir de la peine à se résoudre de faire venir les nouveaux convertis à la messe, quand on sait par une expérience certaine qu'il n'y a qu'à parler pour être obéi ; et si le scrupule d'y déterminer quelques personnes sans foi, doit l'emporter sur le fruit certain de voir naître cette même foi dans les cœurs de plusieurs.

Au surplus nous ne voyons personne qui nous dise : Je vais à la messe, je n'y crois point. C'est un langage qui nous est inconnu; et si j'entendais parler ainsi, j'empêcherais celui qui tiendrait ce discours d'aller à l'église. Il faut donc pénétrer dans leurs cœurs, et interpréter à mal les exercices extérieurs qu'ils pratiquent. N'est-ce pas pousser la chose trop loin ? L'Eglise étant une aussi bonne Mère, doit-elle faire cette espèce d'inquisition? Ils ne se présentent pas, dit-on, à la communion : il est essentiel de faire ses Pâques tous les ans. Mais plusieurs les font ; les autres s'y préparent : il y en a eu cette armée beaucoup plus qui s'y sont présentés, que les années précédentes. Quand ils y viendront tous, l'ouvrage sera dans sa perfection. Il faut travailler pour l'y mettre, et croire qu'il n'y sera qu'avec du temps et beaucoup de peine : mais l'objet du travail mérite bien qu'on en prenne, et qu'on ne se rebute pas aisément. Il me semble qu'il n'est rien si important par rapport à la religion que de finir, s'il est possible, cette grande entreprise ; et je puis dire encore, par rapport à l'Etat et à la politique.

Il n'est question dans tout ceci que de savoir si l'on peut obliger les nouveaux convertis d'aller à la messe : car pour la participation des sacrements, il ne peut y avoir deux avis ; et l'on ne peut pas douter que ce ne soit très-mal fait de les y admettre, quand ils n'ont pas les dispositions nécessaires ; ce qui dépend uniquement de la connaissance que les supérieurs ecclésiastiques en doivent prendre, en examinant en détail la foi de ceux qui sont commis à leurs soins. Je suis avec respect, etc.

 

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LETTRE XXXVI. 
BOSSUET A M. DE BASVILLE. A Germigny, ce 21 novembre 1700.

 

Pendant, Monsieur, que je suis ici solitaire et libre, j'ai profité du repos que je m'y suis donné pour lire et étudier à fond vos savantes réflexions, avec celles des savants prélats, sur une de mes lettres, et en même temps un docte écrit que M. de Montauban m'a donné en nous séparant, sur la contrainte dont on doit user contre les hérétiques. J'ai tâché sur ces beaux écrits de personnes dont j'estime tant les sentiments, de former dans mon esprit une résolution sur cette importante affaire ; et comme j'ai cru avoir pris tout le temps dont j'avais besoin pour y réfléchir, et que je prenais la plume pour vous expliquer ma pensée, il est venu un ordre de la Cour qui mande de se donner garde de forcer personne à la messe ; ce qui semblait vouloir décider notre question. Mais comme la Cour a ses raisons et ses vues, qui peuvent changer selon les temps, je me suis déterminé à faire deux choses : l'une, d'examiner la matière en elle-même, indépendamment de cet ordre ; l'autre, d'examiner ce qui est à faire, et ce qu'on doit remontrer à la Cour sur cet ordre même.

Je commence donc à traiter en soi la question, si et jusqu'où l'on peut contraindre les hérétiques : et je déclare d'abord, ce que je crois aussi avoir fait paraître dans ma lettre qui a donné sujet aux Réflexions qu'il vous a plu m'envoyer ; je déclare, dis-je, que je suis et que j'ai toujours été du sentiment, premièrement, que les princes peuvent contraindre, par des lois pénales, tous les hérétiques à se conformer à la profession et aux pratiques de l'Eglise catholique : deuxièmement, que cette doctrine doit passer pour constante dans l'Eglise, qui non-seulement a suivi, mais encore demandé de semblables ordonnances des princes.

En établissant ces maximes comme constantes et incontestables parmi les catholiques, voici où je mets la difficulté : c'est à savoir si on a raison de faire une distinction particulière pour la messe,

 

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et d'employer des contraintes particulières pour y forcer les hérétiques.

C'est ce qu'il me semble qu'il fallait prouver, si l'on voulait s'opposer à mon sentiment : il fallait, dis-je, prouver que les lois dont on s'est servi pour contraindre les hérétiques, ou par des supplices plus modérés, comme il a été pratiqué contre les donatistes, ou par les derniers supplices, comme l'ont fait les siècles suivans contre les albigeois et les vaudois, ont fait une distinction particulière de la messe d'avec les autres exercices.

Or c'est constamment ce qui n'a jamais été. On a condamné à des amendes tous les donatistes ; on les a déclarés intestables et incapables de succéder, à moins que de pratiquer la religion catholique : mais qu'on les en tint quittes pour seulement venir â la messe, pendant qu'ils montreraient une répugnance invincible aux autres pratiques de l'Eglise autant ou plus nécessaires ; c'est assurément ce qui n'a jamais été pensé.

Ce n'est pas dans la messe seule que consiste l'exercice de la catholicité ; le réduire là, ce serait une manifeste erreur : aussi n'y a-t-il aucune loi des princes, aucune règle de l'Eglise, aucun passage des Pères qui contraigne en particulier à la messe. La contrainte n'a jamais regardé que l'exercice de la religion catholique en général : de sorte que, ou l'on ne prouve rien, ou l'on prouve plus qu'on ne veut, en alléguant ces anciens décrets.

Qu'ainsi ne soit : je demande pourquoi l'on n'emploie pas la même contrainte pour obliger les hérétiques à se confesser, que pour les obliger d'aller à la messe. C'est sans doute qu'on ne les y croit pas disposés, et qu'on craint de les engager à un sacrilège, en les engageant à la confession contre leur conscience. C'est donc qu'on les met au rang des mécréants ; et si on les met en ce rang, comment les force-t-on d'aller à la messe, où ils ne peuvent assister avec édification sans commettre ce qu'ils jugent être une idolâtrie ?

Voici donc ce que je crois être la règle certaine de l'Eglise. Premièrement, que l'on peut user de lois pénales plus ou moins rigoureuses, selon la prudence, contre les hérétiques. Deuxièmement, que ces peines étant décernées par l'autorité

 

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des princes, l'Eglise reçoit à sa communion tous ceux qui y viennent du dehors, quand elle peut présumer qu'ils y viennent de bonne foi, et que la vexation qui les a rendus plus attentifs les a aussi éclairés.

Troisièmement, qu'on ne peut présumer de la bonne foi, que quand ils se soumettent également à tout l'exercice de la religion catholique.

Ce qui me fait donc penser qu'on ne doit point contraindre à la messe ceux qu'on n'ose contraindre au reste des exercices, c'est que la répugnance opiniâtre qu'ils montrent à les pratiquer, fait voir qu'ils sont indignes de la messe comme du reste.

Je n'entre point par là dans la question des dispositions nécessaires pour assister utilement à la messe ; c'est ce qu'il ne sert à rien d'examiner : il me suffit qu'on est d'accord que les mécréants manifestes ne doivent pas y être contraints, et qu'on doit prendre pour marque certaine de mécréance une répugnance invincible à se confesser premièrement, et ensuite à communier.

Je distingue pourtant ici entre exclure les hérétiques de la messe, ou les y contraindre. Je ne les en exclurai pas, quand je pourrai présumer qu'ils viennent de bonne foi, et du moins avec quelque bon commencement des dispositions nécessaires.

Mais quand je les vois déterminés à ne passer pas outre, c'est-à-dire à refuser la confession et ses suites, je prends cela pour marque évidente d'incrédulité ; et les contraindre à la messe en cet état, c'est les induire à erreur et ravilir la messe dans leur esprit ; c'est en même temps déroger aux choses plus nécessaires, comme par exemple à la confession, et leur faire croire que l'exercice de la religion catholique consiste en un culte extérieur, auquel même on fait voir d'ailleurs qu'on ne croit pas. C'est ce que je crois avoir expérimenté en ces pays-ci ; et sans parler des expériences, qui peuvent être différentes en différents endroits, la règle me paraît indubitable.

Il resterait à réfléchir sur le dernier ordre de la Cour ; et aussitôt qu'elle sera de retour, je me propose de représenter qu'il est un peu trop général. Car si l'on n'excepte de cette douceur ceux qui ont tout promis pour se marier, ou pour réhabiliter leurs

 

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mariages, sans après rien exécuter de ce qu'ils ont promis et déclaré, et que l'on n'use envers eux d'aucune contrainte : je crois pouvoir démontrer que c'est tout perdre, et que c'est autoriser une espèce de relaps qui se moquent publiquement et impunément de la religion. Je fais un mémoire pour cela, dont je prendrai la liberté de vous envoyer copie, et que je voudrais pouvoir concerter avec vous-même. Car on avance bien plus dans de telles discussions par la vive voix que par des écrits, où l'on ne trouve point de répartie. Cependant, Monsieur, ne nous lassons point de traiter une matière si difficile, et en même temps si essentielle. Il me semble que les écrits que vous m'avez fait l'honneur de m'en-voyer, et tous les autres que j'ai pu voir sur ce sujet, n'envisagent point la matière du côté que je la regarde ici. M. l'évêque de Montauban, avec qui j'ai eu occasion de m'expliquer, vous dira ce que nous avons dit ensemble, et qu'assurément je pousse au plus loin la doctrine des contraintes, sauf à se régler dans l'exécution par des tempéraments de prudence.

Si Dieu vous donne quelque chose sur cette lettre, ne me le refusez pas. Car je cherche : je vois la difficulté de tous ses côtés; et je vous assure, Monsieur, que je suis disposé à profiter non-seulement des lumières de ces saints et savants prélats, mais encore et plus particulièrement des vôtres, par la connaissance que j'ai qu'ayant joint tant d'expérience au bon esprit, à la bonne intention et au savoir, vous êtes l'homme du monde le plus à écouter en cette occasion. Je finis en vous assurant de mon sincère respect que vous connaissez.

Je crains, en faisant décrire, de perdre le temps de faire partir cette lettre, et je vous demande pardon d'épargner si peu vos yeux.

 

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LETTRE XXXVII. 
RÉPONSE DE M. DE LAMOIGNON DE BASVILLE A BOSSUET. Montpellier, ce 16 janvier 1700.

 

Les affaires que j'ai toujours pendant les Etats, Monsieur, m'ont empêché de répondre plus tôt à la dernière lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire. J'obéis maintenant, et je prends la liberté de vous mander ce que je pense sur ce que vous avez eu la bonté de me communiquer. Je le fais avec sincérité, et autant que je le puis sans prévention. Je n'ai qu'un intérêt dans tout ceci, c'est de remplir mes devoirs et l'ordre de ma vocation. Puisque je suis occupé sans relâche depuis dix-neuf ans aux affaires de la religion, et que la Providence m'a mis depuis seize ans dans une province où il y a au moins le tiers des nouveaux réunis qui sont dans le royaume; je dois croire qu'elle veut que j'y aie une attention particulière. C'est uniquement pour m'acquitter d'une si grande obligation, que je souhaite profiter de vos décisions et de vos lumières. Je reconnais que les miennes sont trop faibles pour une matière aussi délicate et aussi importante. Ainsi après vous avoir expliqué mes pensées et mes doutes, et tout ce que l'expérience a pu m'apprendre, je suivrai avec plaisir tous les partis que vous jugerez les plus raisonnables et conformes aux véritables règles de l'Eglise.

MM. les évêques de Rieux et de Mirepoix, à qui j'ai fait part de votre lettre, m'ont envoyé les mémoires ci-joints. M. de Montauban m'a mandé qu'il vous enverrait les siens. M. de Nîmes m'a dit qu'il n'avait rien à ajouter à ce que je vous ai envoyé de sa part. Je serai toute ma vie avec respect et un attachement très-sincère, etc.

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