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LETTRE IX.
BOSSUET A DOM MARTÈNE, RELIGIEUX BÉNÉDICTIN. A Versailles, le 26 janvier 1700.
J'ai reçu, mon révérend Père, en arrivant de Meaux à Paris,
il y a deux ou trois jours, le docte et curieux ouvrage que vous m'avez envoyé,
avec la lettre qui l'accompagnait, et je n'ai pas tardé à commencer cette
lecture. Le dessein me plaît tout à fait ; et je juge, par le peu que j'en ai
lu, que l'exécution n'en est pas moins heureuse : ainsi je vous rends grâces de
votre souvenir. Notre commune patrie, outre votre habit et votre congrégation
que j'honore, me fait prendre un intérêt particulier au succès de cet ouvrage ;
et c'est, mon révérend Père, ce qui m'oblige à vous dire ce qui m'est venu de
divers endroits : qu'étant très-exact dans les rits anciens, vous en avez
rapporté un petit nombre, comme actuellement pratiqués, qui ne le sont plus
depuis assez longtemps. On m'a allégué pour exemple, la coutume de ne se point
agenouiller devant le Saint - Sacrement dans l'église de Lyon. C'est ce que je
vous laisse à examiner ; et je me contente que vous sachiez ce qui se dit, afin
que rien ne manque à l'exactitude que l'on attend d'une main aussi savante que
la vôtre. Soyez cependant persuadé de l'estime singulière avec laquelle je suis,
etc.
LETTRE X.
BOSSUET A M. DE LA BROUE, ÉVÊQUE DE MIREPOIX (a). A Versailles, ce 21 février
1700.
Je crois, Monseigneur, vous devoir envoyer la lettre de
notre confrère Monseigneur l'évêque d'Alais (1), et la réponse que j'y ai
1 Il y avait entre M. l'évêque de Mirepoix et M. d'Alais,
François Chevalier de Saulx, premier évêque de cette ville, un différend sur la
députation des Etats; et Bossuet, qui connaissait le mérite du premier, et qui
désirait profiter de ses lumières et de ses bons conseils, s'intéressait pour
lui faire donner la préférence. (Les édit. )
(a) Corrigée et augmentée d'après le manuscrit original,
qui se trouve à la bibliothèque du séminaire de Meaux.
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faite. Je n'ai pas besoin de vous dire que je persiste
toujours dans mes premiers engagements, et dans le même désir de vous voir ici :
on vous aura même rendu compte de la démarche que j'ai faite auprès de M. du
Maine. Je ne vous dis rien davantage ; et j'espère que vous demeurerez aussi
parfaitement assuré de moi, que je suis engagé à poursuivre de mon côté tout ce
qui vous touche.
Vous serez bien aise, mon cher Seigneur, de savoir de moi
que je fais demain, s'il plaît à Dieu, le mariage de mon neveu Bossuet avec
mademoiselle de la Briffe, fille de M. le Procureur-général : et que, par la
grâce de Dieu, je trouve dans cette alliance tout ce que je pouvais désirer.
J'ai eu une petite indisposition par un épanchement de
bile, qui m'a causé un vomissement, et m'a obligé à quelques remèdes que Dieu a
bénis, en sorte qu'il y aura sujet de croire que ce mal n'aura aucune suite, n'y
ayant eu par sa grâce ni fièvre, ni altération, ni aucun autre accident fâcheux.
Je suis, Monseigneur, avec le respect que vous savez, etc.
LETTRE XI.
RÉPONSE DE M. L'ÉVÊQUE DE MIREPOIX. A Mazerettes, ce 10 mars 1700.
Je vous rends mille grâces, Monseigneur, de toutes vos
bontés; et je commence par me réjouir avec vous du mariage de M. votre neveu. Je
ne connais pas la demoiselle ; mais on me mande que le mérite de la personne
répond à tout le reste : ainsi il y a mille sujets de vous en féliciter.
J'ai vu la lettre de M. l'évêque d'Alais : elle ne m'a pas
surpris; car je connais ses manières : mais j'aurais cru qu'il vous aurait fait
plus d'honnêtetés qu'il ne vous en fait. Vous aurez vu, Monseigneur, dans la
lettre que j'ai cru devoir écrire à M. l'évêque de Chartres, combien tout ce que
M. l'évêque d'Alais dit des prétendus engagements qu'il prétend que j'avais pris
avec lui, est faux et sans fondement. Il est étonnant que le lui ayant nié bien
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formellement, il ose encore l'avancer, et citer des témoins
qui ne le disent pas assurément. Mais ce n'est pas de quoi il s'agit : il s'agit
si c'est lui faire une injustice, comme il le prétend ; il s'agit s'il s'est cru
déshonoré de ce que M. l'évêque de Montpellier a été député avant lui, et
pourquoi il prétend l'être de ce que je songe à être député après M. l'évêque de
Montpellier, à qui c'est moi, et non M. l'évêque d'Alais, qui a cédé. Vous
pouvez le demander à M. l'évêque de Montpellier, que vous aurez bientôt à Paris.
Il ne fut pas seulement parlé de M. l'évêque d'Alais, qui ne fut que fort peu de
jours aux derniers Etats de Narbonne, où la chose se décida il y a environ
quinze mois. Avec tout cela, Monseigneur, je vous avoue que cette concurrence
avec un homme dont les manières sont si rudes, ne laisse pas de me faire une
extrême peine ; et je souhaiterais fort qu'avant d'en venir à une espèce de
combat, qui ne me paraît point convenir à deux évoques, on trouvât quelque moyen
d'apaiser M. l'évêque d'Alais. Je ne sais si M. de Basville le pourrait faire :
mais je crois qu'il faut auparavant laisser user à M. l'évêque d'Alais toute sa
poudre. Il sera plus traitable quand il verra qu'il ne lui reste plus guère
d'espérance de réussir : car s'il n'arrive point de changement, je crois que
j'aurai les trois quarts des voix. Mais, encore une fois, il me semble que c'est
un scandale dans l'Eglise qu'on voie deux évêques disputer à qui s'éloignera de
son évêché ; et je voudrais bien qu'avant le terme des Etats prochains, les
choses fussent réglées entre nous deux. Vous aurez à Paris, et dans l'assemblée
même du clergé, deux ou trois de nos prélats qui vous diront ce qu'ils pensent
de la prétention de M. l'évêque d'Alais : ils savent nos usages, et je ne crois
pas qu'ils soient suspects à M. l'évêque d'Alais. Le P. le Valois, à qui M.
d'Alais avait écrit comme pour lui demander conseil, me mande ce qu'il lui a
répondu, qui me paraît fort sage: je ne sais si M. l'évêque d'Alais s'en
laissera toucher. Ce que je puis vous assurer, Monseigneur, c'est que le seul
plaisir de vous voir, et de passer quelques mois auprès de vous, m'a fait
désirer la députation, et que sans cela je l'aurais déjà cédée sans peine à M.
l'évêque d'Alais. Nos nouveaux convertis font un peu mieux : M. le Gendre,
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intendant de Montauban, a donné ordre à un subdélégué qu'il
a dans le pays de Foix, d'ordonner de sa part à tous les nouveaux convertis
d'assister à la messe, et qu'il ne leur donnait de terme que jusqu'au premier
dimanche de carême, auquel il entendait que tout le monde y assistât. Cet ordre
a eu un très-grand succès, et il y a eu très-peu de personnes dans une paroisse
très-nombreuse qui n'y soient venues. Ils sont encore venus en plus grande foule
aux sermons que je leur fais tous les dimanches sur la matière de l'Eucharistie,
que je traite avec beaucoup d'étendue, et d'une manière familière avec les
livres à la main. Je ne sais si Dieu bénira nos soins ; mais ces commencements
sont heureux. Je suis toujours avec un respect et une reconnaissance infinie,
etc.
LETTRE XII.
BOSSUET A M. DE LA BROUE, ÉVÊQUE DE MIREPOIX (a). Paris, ce 19 mars 1700.
J'ai appris, Monseigneur, et c'est de Sa Majesté elle-même,
que dans la ville de Montauban tous les réunis allaient à la messe, à la réserve
de trois ou quatre. Je présume qu'il en est à peu près de même dans la plupart
des autres villes de vos quartiers. Je vous supplie de me mander en secret dans
quelles dispositions ils sont pour les sacrements, et si cet acte les dispose à
les recevoir. Pour moi, j'éprouve le contraire : et ceux qui vont à la messe, à
quoi plusieurs sont disposés, et à qui on ne demande autre chose quant à la
disposition du cœur, croient s'être acquittés de tout par ce moyen, et ne
songent plus à rien du tout ; en sorte qu'on ne trouve pas leur conversion plus
avancée. Je crois, au reste, que ceux qui paraissent si contens de cette
assistance à la messe, y voient autre chose ; et sans entrer là-dedans, je vous
demande pour mon instruction et par rapport à mon expérience, comment vous
croyez qu'on peut profiter des exemples que l'on vous donne en vos pays.
(a) Revue sur le manuscrit original, qui se trouve à la
bibliothèque du séminaire de Meaux.
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J'attends avec impatience votre réponse sur la lettre que
je vous ai envoyée, pour en parler encore une fois et encore plus à fond à M. du
Maine. Au reste je suis à vous avec le respect, Monseigneur, que vous savez,
etc.
LETTRE XIII.
RÉPONSE DE M. L'ÉVÊQUE DE M1REPOIX. A Mazerettes, le 1er avril I700.
Ce que le Roi vous a dit des nouveaux convertis de
Montauban est très-vrai, Monseigneur : mais il n'en est pas de même partout
ailleurs, surtout en Languedoc, où M. de Basville n'a pas cru pouvoir se donner
les mouvements que M. le Gendre s'est donnés à Montauban : quoiqu'il soit vrai
généralement que depuis que la paix est confirmée, et que les délais dont on les
amusait ont été passés, plusieurs se sont déterminés à venir à l'Eglise, et à
assister à tous les exercices. Il est même arrivé à Mazères, où sont la plupart
de mes nouveaux convertis, quelque chose de semblable à ce qui est arrivé à
Montauban. Je m'y trouvai au commencement du carême, pour leur prêcher sur la
matière de l'Eucharistie que j'avais réservée pour moi ; et ce fut en ce
temps-là que M. le Gendre y envoya son subdélégué, avec ordre de déclarer de sa
part aux nouveaux convertis qu'ils eussent à aller à la messe, et à commencer
dès le premier dimanche de carême. On fit même mettre, par ordre du maire et des
consuls, des gens à la porte de l'église, pour marquer ceux qui y viendraient.
Cet ordre eut tout l'effet qu'on attendait ; et il n'y eut que quelques obstinés
de l'un et de l'autre sexe qui manquèrent à la messe. Ils vinrent avec encore
plus d'affluence au sermon, et ils ont continué depuis à peu près de même à
venir au sermon et à la messe. Plusieurs semblent se disposer à s'approcher des
sacrements ; mais de ceux-là le plus grand nombre a des raisons particulières :
les uns, parce qu'ils demandent qu'on les marie ; les autres, parce qu'ils sont
entrés dans le conseil de ville sous cette condition, et après avoir promis et
signé devant un commissaire du parlement,
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qui vint pour la réformation du conseil de ville, de vivre
et de mourir en bons catholiques. Nous verrons plus particulièrement les
mouvements qu'ils feront pour s'approcher des sacrements dans le temps où nous
allons entrer : mais je ne crois pas que nous devions les presser sur cela.
Il est important, ce me semble, de travailler à les bien
instruire sur la matière de l'Eucharistie, qui est presque la seule qui les
empêche d'être sincèrement catholiques. J'espère pour moi que l'assistance à la
messe les disposera insensiblement à tout le reste. Elle fait d'ailleurs un bien
infini à l'égard des enfants qui sortent des écoles, et qui ne venaient plus à
la messe ni aux autres exercices, aussitôt qu'ils avaient atteint l'âge où ils
sont dispensés d'aller aux écoles : pour ceux-là je crois qu'il n'y a nul
inconvénient de les presser de s'approcher des sacrements. Ce que j'ai
principalement remarqué, Monseigneur, c'est qu'on gagne beaucoup à demeurer
ferme sur les mariages, et à ne les point marier qu'ils n'aient fait une
déclaration signée et publique, qu'ils viennent de leur propre mouvement, sans
aucune contrainte, déclarer, etc., et se soumettre aux peines que l'Eglise
impose à ceux qui manquent à un semblable engagement. Plusieurs ont eu de la
peine à faire cette déclaration ; mais ceux qui l'ont faite ont tenu parole
jusqu'ici. Il serait bien à souhaiter que le roi voulût punir de quelque peine
ceux qui vivent ensemble comme mariés, sous prétexte que nous avons refusé de
les marier : ce que nous n'avons refusé de faire, que parce qu'ils ont refusé
eux-mêmes de se mettre en état de recevoir ce sacrement. Je ne sais pourquoi on
tarde tant à donner une déclaration sur cette matière : mais quoi qu'il en soit,
on gagne, ce me semble, beaucoup à demeurer ferme jusqu'au bout sur cette
manière d'agir envers eux. Ils se lassent de vivre dans cet état : ils craignent
pour l'état de leurs enfants ; et à la fin ils prennent une bonne résolution et
la suivent : c'est le moyen qui jusqu'ici m'a le mieux réussi.
Il est difficile au reste, Monseigneur, de décider la
question que vous proposez, à cause du peu de temps qu'il y a que la plupart des
nouveaux convertis viennent à la messe : mais je ne saurais croire que cette
assistance, qui a toujours, au moins dans mon
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diocèse, été accompagnée de respect, ne leur soit à la fin
très-utile. Ils perdent peu à peu l'aversion qu'ils avaient pour la messe : ils
forment leurs dispositions extérieures et intérieures sur celles des anciens
catholiques : on trouve une occasion favorable de les instruire sur le sacrifice
de nos autels, le grand acte de la religion chrétienne, et celui qui, ce me
semble, lui concilie plus de vénération. Cette matière leur est entièrement
inconnue ; et elle a quelque chose de si grand et de si auguste, que j'ai
commencé de reconnaître que rien n'était si capable de les rendre bons
catholiques que de les bien instruire sur ce sujet, et surtout de leur proposer
la pratique de l'ancienne Eglise, si claire et si constante sur cet article de
notre croyance. Voilà, Monseigneur, ce que j'ai remarqué depuis deux ou trois
ans à l'égard de nos nouveaux convertis. J'ai résolu de continuer à les
instruire à fond sur l'Eucharistie, dont je compte faire une douzaine de
sermons, et peut-être davantage. Il m'a paru que ceux que j'avais faits
n'étaient pas sans fruit : je les fais familièrement, et les livres souvent à la
main. Je vous supplie, Monseigneur, de me mander si vous croyez que je fasse
bien, et en quoi je pourrais mieux faire.
Au reste, ce que le roi vous a dit de Montauban, est dû
principalement à la vivacité et à l'application de M. Le Gendre. Mais cela fait
voir combien il serait facile, même sans aucune punition, au moins par de
très-légères à l'égard des plus opiniâtres, de faire assister tout le royaume
aux exercices de la religion catholique : et cette uniformité, quand même on
attendrait encore quelques années à voir les nouveaux convertis approcher des
sacrements, ne doit-elle être comptée pour rien ? Combien y a-t-il de
catholiques qui passent plusieurs années sans se confesser ni communier ? On
gagnerait au moins certainement le plus grand nombre des enfants, que l'on perd
presque toujours au sortir des écoles. Mais en voilà trop, Monseigneur : vous
voyez en cela plus que personne : instruisez-nous ; nous ne demandons qu'à
travailler, et à travailler utilement. J'ai eu l'honneur de vous écrire au sujet
delà députation. Je suis toujours avec un respect infini, etc.
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LETTRE XIV.
M. L'ÉVÊQUE DE MIREPOIX A BOSSUET. A Toulouse, ce 21 mars 1700.
Nous venons, Monseigneur, de députer M. l'abbé de Catellan
à l'assemblée du clergé; et je suis assuré que vous ne serez pas fâché de
l'avoir auprès de vous.
Il me mande que M. l'évêque d'Alais a écrit de nouveau à M.
le duc du Maine, et qu'il lui fait entendre que quoique vous ayez trouvé mon
procédé fort étrange à son égard, vous n'avez pas voulu pourtant m'obliger à lui
céder. Ce n'est pas tout : il publie que M. le duc du Maine lui a promis la
députation. Vous saurez pourtant facilement le contraire par la réponse de M. le
duc du Maine, dont le secrétaire de ce prince a fait part à M. l'abbé de
Catellan. Il est aisé de juger de là combien M. l'évêque d'Alais est avantageux
dans ses discours. Je suis bien assuré que M. le duc du Maine prétend aussi peu
lui avoir promis la députation, que j'ai peu prétendu m'en désister en sa
faveur, par la manière honnête dont je lui répondis quand il m'en parla la
première fois. Cependant, Monseigneur, comme il [est déclaré à présent que ce
sera M. le duc du Maine qui prendra connaissance de toutes les affaires de nos
Etats, et qu'il mande à M. l'évêque d'Alais qu'il décidera la contestation qui
est entre lui et moi, après avoir examiné les raisons de l'un et de l'autre, je
ne sais s'il ne serait pas à propos que vous fissiez auprès de lui les mêmes
démarches que vous eûtes la bonté de faire auprès de M. le cardinal de Bonzy.
Car la meilleure raison que je puis avoir, c'est que M. le cardinal de Bonzy
vous l'avait promis, et qu'il lui était libre de le promettre à qui il lui
plaisait, sans que M. l'évêque d'Alais eût sujet de se plaindre. M. l'évêque de
Béziers au reste, qui doit être de l'assemblée du clergé, et qui vous honore
très-particulièrement, expliquera à merveille toutes mes raisons, nos usages,
nos maximes, etc., et défendra fort bien ma cause, soit auprès de vous, soit
auprès de M. le duc du Maine. Je mande à
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M. l'abbé de Catellan le règlement que M. l'archevêque de
Toulouse faisait avant-hier à table pour nos députations, qui me paraît plein de
justice et propre à calmer tous les différends : il aura l'honneur de vous en
rendre compte.
Nous avons ici M. l'évêque de Sénez (a), qui enchante toute
la ville de Toulouse par ses sermons. Il a fallu faire des échafauds dans
l'Eglise où il prêche, pour satisfaire à la passion qu'on avait de l'entendre.
Je suis toujours très-respectueusement et avec une extrême reconnaissance, etc.
MÉMOIRE DE M. L'ÉVÊQUE DE MEAUX, A M. LE COMTE DE PONTCHARTRAIN, Pour les
réunis de son diocèse.
Le nombre des réunis est environ de deux mille quatre
cents, répandus en cinquante ou soixante paroisses du diocèse de Meaux.
Mon dessein est de pourvoir principalement et d'abord aux
plus grands lieux, dont l'exemple fera plus d'effet dans le voisinage.
Ces lieux sont Meaux ; et autour de Meaux, Nanteuil, où
était le prêche, Mareuil et Quincy; la Ferté-sous-Jouarre, où il y avait
autrefois un prêche, et Saacy dans le voisinage ; Lisy, où était aussi un
prêche, et à Claye pareillement ; Saint-Denis-de-Rebais avec Chalendos près de
là, où il y avait aussi un prêche.
le pourvoirai à Meaux par moi-même et par le clergé de la
ville : on aura soin aussi de Mareuil et de Quincy, qui sont plus proches et
dont les curés, capables d'ailleurs, ont aussi des vicaires.
A Nanteuil-lès-Meaux, où était le temple et où il y a
encore six cents personnes des réunis, outre les ecclésiastiques queje pourrai
envoyer de la ville de temps en temps, on y a besoin d'un vicaire chargé
uniquement du soin journalier des réunis, et d'un maître et d'une maîtresse
d'école.
(a) Jean Soanen né à Riom en 1647, prêtre de l'Oratoire,
prédicateur célèbre, puis évêque de Sénez, devint un des chefs du jansénisme,
fut déposé par le concile provincial d'Embrun et exilé à la Chaise-Dieu. Il
mourut en 1710, à l'âge de 94 ans.
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A la Ferté-sous-Jouarre, qui est un grand lieu, on aura
besoin d'un prêtre résident : l'école y est bien remplie, tant pour les garçons
que pour les filles. Le prêtre de la Ferté sera chargé de Saacy, qui est à une
lieue, où il faudra seulement un maître d'école. Le roi a eu la bonté ci-devant
d'accorder un prêtre à cette ville, Sa Majesté étant sur les lieux et en voyant
la nécessité, dont la pension a été payée durant cinq ou six ans sur les
confiscations des fugitifs, et qui ne se paie plus depuis six ans; et il le
faudrait rétablir.
Mon intention serait, dans un si grand lieu, de commencer
par une mission durant tout l'Avent, où trois ecclésiastiques habiles
trouveroient une grande moisson, et au secours desquels j'irois le plus souvent
que je pourrais.
Pour Lisy, qui est un grand bourg, j'y ai pourvu en toute
manière, excepté à une maîtresse d'école, qui y serait très-nécessaire :
moyennant cela, j'espère que les réunis de cette paroisse donneront l'exemple à
tout le diocèse.
Il faudrait un ecclésiastique pour Claye et pour les
environs, outre le curé du lieu : un autre ecclésiastique pour Saint-
Denis-de-Rebais, avec un maître d'école.
C'est en tout pour le diocèse de Meaux quatre prêtres,
trois maîtres d'école et deux maîtresses.
On peut mettre les maîtres d'école à cent vingt livres, et
les maîtresses à cent francs. Le roi a la bonté pour les prêtres d'accorder
quatre cents francs, et c'est le moins.
Outre cela, il y a déjà plus d'un an que j'ai fait
travailler le sieur abbé Chabert dans toutes les paroisses de ce diocèse où il y
a des réunis, à les visiter tous en particulier, et les mettre en mouvement :
la continuation de son travail m'est absolument nécessaire. Il y a quatorze ans
qu'il sert à de pareils emplois en Languedoc, dans le Ras-Poitou et ailleurs. Sa
Majesté l'a honoré de plusieurs gratifications, et de huit cents livres de
pension par chacun an. Il mériterait qu'il plût à sa Majesté de lui fixer cette
pension, et même de l'établir sur un bénéfice, si elle l'avait agréable: afin
qu'après avoir consacré toute sa vie dans ce travail, il pût avoir quelque
établissement dans ses vieux jours.
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Il n'y a rien de plus nécessaire que des livres français
pour le bon succès de l'ouvrage : j'en ai composé exprès pour cela; et j'ai
répandu plus de deux mille exemplaires de mon catéchisme, de prières et d'autres
pareils ouvrages. J'ai pris des mesures pour en faire des impressions au moindre
prix qui se pourra, et s'il plaisait à Sa Majesté de nous aider dans ce dessein
si nécessaire, une somme de mille écus nous mettrait au large, afin que personne
ne manquât d'instruction.
Il y aurait quelques demoiselles de condition à mettre aux
Nouvelles-Catholiques de Paris, comme Sa Majesté a eu la bonté de me le faire
espérer. On pourrait à présent commencer par les demoiselles de Chalendos,
demeurantes au château de Chalendos près de Rebais, chez M. de Chalendos leur
frère, bien converti : de quatre sœurs, les deux cadettes sont celles qu'il est
le plus nécessaire de renfermer.
Il y a aussi les trois demoiselles de Neuville, sans père
et sans mère, dont le frère est en Angleterre, au service du roi Guillaume.
Elles n'ont rien, non plus que les demoiselles de Chalendos ; et il faudrait
enfermer les deux cadettes : leur demeure est à Cuissy, paroisse d'Ussy, près de
la Ferté-sous-Jouarre.
Sur la même paroisse d'Ussy il y a les deux jeunes
demoiselles de Maulien, qu'il faudra aussi renfermer avec le temps, mais qui ne
sont pas présentement sur les lieux.
LETTRE XV.
M DE PONTCHARTRAIN A BOSSUET. A Versailles, ce 29 mars 1700.
J'ai rendu compte au Roi aujourd'hui du mémoire que vous
aviez donné, concernant les maîtres et maîtresses d'école, et les
ecclésiastiques à établir dans plusieurs lieux de votre diocèse. Sa Majesté a
agréé l'établissement des maîtres et maîtresses d'école, et l'imposition des
sommes demandées pour cela. A l'égard des ecclésiastiques, il faut remettre
cette dépense à un autre temps.
J'écris au père de la Chaise de faire souvenir Sa Majesté
d'une
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pension pour le sieur Chabert, que vous marquez dans votre
mémoire comme un homme qui la mérite, à cause du travail qu'il fait dans votre
diocèse. Je suis, etc.
LETTRE XVI.
BOSSUET A M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS. A Meaux, ce 6 avril 1700.
Après avoir, mon cher Seigneur, bien considéré ce matin la
déclaration, et la lettre de M. Pirot à laquelle vous me renvoyez, je vois que
la chose est faite, qu'on vous satisfait sur les deux difficultés de la thèse
des endurcis [a), et que vous avez pu en être content.
Je prie Dieu qu'on vous satisfasse sur la thèse de
l'attrition ; en sorte que la saine doctrine et votre ordonnance demeurent dans
toute leur force : c'est là l'endroit important pour la vérité, et pour votre
autorité.
Permettez-moi de vous dire qu'en cette occasion il faut
beaucoup prendre garde, par rapport à la volonté d'accomplir le commandement, à
la distinction d’implicitement et d'explicitement : car c'est par
là qu'on së sauve de l'obligation d'accomplir le précepte de la charité
absolument ; et cependant c'est un endroit où la condamnation d'Alexandre VII,
d'Innocent XI et d'Alexandre VIII, est formelle.
Je ne sais si dans la thèse du 3 février 1700, on ne doit
pas demander quelque explication sur l'ignorance invincible du droit naturel,
qu'il semble qu'on ne peut admettre au plus qu'à l'égard des conséquences
éloignées, quoad consecutiones remotas.
Je soumets tout, à mon ordinaire, à votre prudence, avec un
respect sincère, mon très-cher Seigneur, etc.
(a) Cette thèse et les suivantes avaient été soutenues dans
les écoles des ésuites.
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LETTRE XVII.
M. LE GENDRE, INTENDANT DE MONTAUBAN (a), A BOSSUET. A Montauban, ce 21 avril
1700.
Rien n'est plus obligeant, Monsieur, que la lettre dont
vous m'avez honoré : je suis charmé de voir que l'éloignement ne diminue point
les bontés que vous avez toujours eues pour moi et pour toute ma famille.
Si vous approuvez, Monsieur, la conduite que nous tenons
ici pour ramener les nouveaux convertis à l'Eglise, nous sommes trop heureux.
Vous êtes le modèle et l'oracle qu'on doit consulter sur les affaires de la
religion les plus épineuses : c'est vous qui avez la gloire de leur avoir rendu
simple et naturel, dans vos savants écrits, ce qu'ils croyaient si difficile
auparavant. La pureté de la doctrine que vous leur avez enseignée dans votre
livre de l’Exposition de la Foi, a plus attiré d'âmes à Dieu que les plus beaux
sermons, et ces faibles secours que nous pourrions employer si nous ne marchions
sous votre étendard.
Pour vous rendre compte exactement, Monsieur, comme vous le
souhaitez, de la conduite que nous avons tenue pour déterminer les nouveaux
convertis à venir à l'Eglise, et de l'effet que cette première démarche a
produit sur leur cœur, j'aurai l'honneur de vous dire qu'en arrivant dans la
province, j'ai envoyé quérir dans mon cabinet tous les nouveaux convertis de
Montauban, l'un après l'autre, pour leur expliquer l'envie que le Roi avait de
détruire entièrement l'hérésie dans son royaume, et de réunir tous ses sujets à
l'Eglise ; et pour cela qu'il fallait qu'ils se fissent instruire par ceux en
qui ils avaient le plus de confiance.
Je trouvai d'abord beaucoup d'opiniâtres, qui ne voulaient
entendre parler ni de messe ni d'instruction. Je leur représentai
(a) Nous plaçons ici cette lettre de M. le Gendre à
Bossuet, comme très-propre à instruire le lecteur sur les faits dont il est
parlé dans les précédentes, et dont il sera encore question dans celles qui
suivront. (Les Edit. )
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qu'après avoir épuisé les voies de douceur, le Roi serait
obligé de faire sur eux des exemples de sévérité, s'ils ne se mettaient à la
raison. Dieu a touché leurs cœurs ; ils se sont tous déterminés par la douceur à
venir à la messe. Cette première démarche deviendrait inutile, si nous ne
joignions l'instruction à la pratique : c'est à quoi M. l'évêque de Montauban,
tous les pères Jésuites, M. d'Arbussy avocat-général de la cour des aides, et
les plus habiles gens de la ville ont travaillé avec un soin et une application
continuelle.
Quand quelqu'un manque à aller à la messe ou à
l'instruction, aussitôt je l'envoie quérir, pour lui représenter de quelle
conséquence il est de ne se point relâcher dans une affaire aussi importante que
celle de la religion. Cela a produit un si bon effet, que presque tous nos
nouveaux convertis les plus opiniâtres, qui regardaient avec horreur la porte de
l'église, vont assidûment à la messe. Ils l'entendent avec assez de dévotion :
ils s'accoutument à nos cérémonies ; et enfin ils commencent à convenir que si
on en avait usé de même après la révocation de l'édit de Nantes, ou
immédiatement après la guerre, ils seraient tous, à l'heure qu'il est, bons
catholiques. Ils deviennent tous les jours plus dociles, et ne demandent que
d'être instruits. Cela en a disposé plus de cent à se confesser et à communier à
Pâques avec édification. Toutes les filles nouvelles converties, qui sont dans
les courais, qui ne voulaient entendre parler ni de messe ni d'instruction, vont
depuis deux mois à la messe, se sont fait instruire, et ont toutes été à
confesse à Pâques. Voilà, Monsieur, l'effet que cette première démarche a
produit sur leur cœur.
Tous ces heureux commencements ne doivent point nous
éblouir : je demeure d'accord que toutes ces dispositions favorables sont aisées
à détruire, si l'on n'en profite avec vivacité. Mais aussi je prendrai la
liberté de vous dire, quoique avec peu d'expérience, qu'il me paraît que si l'on
n'avait pas engagé les nouveaux convertis par la douceur mêlée d'autorité à
aller à la messe, non-seulement ils n'auraient jamais été catholiques dans le
cœur ni à l'extérieur, mais leurs enfants auraient été aussi huguenots qu'eux,
une seule parole des pères et mères étant capable de détruire en
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un moment le fruit de dix années de couvent ou
d'instruction.
Le Roi ne pouvait donner une plus grande marque de sa bonté
à la ville de Montauban, que de lui envoyer le P. de la Rue dans ce mouvement
heureux. Il a enlevé les cœurs avec une rapidité étonnante, et a trouvé le
secret de gagner la confiance de tous les nouveaux convertis. Je lui ai
communiqué la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire : je crois qu'il
vous explique son sentiment par celle que je prends la liberté de vous envoyer
de sa part.
Dieu n'a pas renfermé ses grâces dans la seule ville de
Montauban; il les a répandues dans toute la généralité, où les nouveaux
convertis commencent à ouvrir les yeux, et à prendre le bon parti. Il y en a
plus de quinze mille dans les principales villes, qui ont commencé à aller à la
messe, et beaucoup qui ont approché des sacrements à Pâques. Il n'y a rien,
Monsieur, de si nécessaire pour terminer heureusement une affaire aussi
importante, que d'établir l'uniformité dans les provinces voisines et dans tout
le royaume, afin que nos jeunes plantes ne puissent pas se plaindre que l'on
cultive leur terre, pendant que l'on néglige celle de leurs voisins. Ce n'est
pas une petite affaire, ni l'ouvrage d'un jour : mais n'est-on pas bien
récompensé, quand on travaille pour la gloire de Dieu, et pour le succès d'une
affaire que le Roi a si fort à cœur?
Je vous supplie très-humblement, Monsieur, de corriger dans
ma conduite tout ce que vous y désapprouverez : vous pouvez compter sur une
soumission entière à vos avis et à vos conseils, personne au monde ne vous
honorant plus que moi, et n'étant avec plus de respect, etc.
Le Gendre.
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