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SECOND SERMON
POUR
LE JOUR DE NOËL (a).
Natus est nobis hodie Salvator mundi, et hoc vobis
signum : Invenietis infantem pannis involutum, positum in praesepio.
Le Sauveur du monde nous est né aujourd'hui, et vous le
reconnaîtrez à ce signe (b) : Vous trouverez un enfant enveloppé de
langes, couché dans une crèche. Luc., II, 12.
Le Verbe qui était au
commencement dans le sein de Dieu, par qui toutes choses ont été faites et qui
soutient toutes choses par sa force toute-puissante, a disposé comme trois
degrés par lesquels est descendue la souveraine grandeur à la dernière bassesse.
Premièrement il s'est fait
homme, secondement il s'est fait passible, troisièmement il s'est fait pauvre et
s'est chargé de tous les opprobres de la fortune la plus méprisable. Le texte de
mon évangile renferme en trois mots ce triple abaissement du Dieu-Homme : « Vous
trouverez un enfant, » c'est le commencement d'une vie humaine ; « enveloppé de
langes, » c'est pour défendre l'infirmité contre les injures de l'air; « couché
dans une crèche, » c'est la dernière extrémité d'indigence. Et par là vous
voyez, mes sœurs, quel est l'ordre de sa descente. Son premier pas est de se
faire homme, et par là il se met au-dessous des anges, puisqu'il prend
(a) Prêché devant une communauté religieuse, en
1668.
En même temps que l'appellation « mes sœurs » nous fait
connaître l'auditoire qui entendit ce discours, la rédaction nous en révèle
l'époque suffisamment. On verra d'ailleurs qu'il a été prêché dans un temps de
jubilé ; or un jubilé fut donné en 1668.
Ce sermon n'est que le précédent perfectionné ou, si l'on
veut, concentré. Il faut comparer ces deux discours, pour voir comment Bossuet
corrigeait ses chefs-d'œuvre. Les éditeurs avaient dépecé le dernier pour en
mettre les différents passages soit dans le texte, soit au bas des pages, soit à
la fin du premier.
(b) Var. : Voici la marque pour le
reconnaître.
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une nature moins noble : Minuisti cum paulò minus ab
angelis (1). Suivons attentivement, et arrêtons-nous sur tous les degrés de
cette descente mystérieuse. Si le Sauveur s'est rabaissé par son premier pas
au-dessous de la nature angélique, il fait une seconde démarche qui le rend égal
aux pécheurs, parce qu'il ne prend pas la nature humaine telle qu'elle était
dans son innocence, saine, incorruptible, immortelle; mais il la prend dans
l'état malheureux où le péché l'a réduite, exposée de toutes parts aux douleurs,
à l'infirmité (a), à la mort. Mais mon Sauveur n'est pas encore assez
abaissé (b). Vous le voyez déjà, mes sœurs, au-dessous des anges par
notre nature, égalé aux pécheurs par l'infirmité; maintenant voici qu'en faisant
(c) son troisième pas, il se va pour ainsi dire mettre sous leurs pieds,
en s'abandonnant au mépris par la condition misérable de sa vie et de sa
naissance. Voilà, mes sœurs, les degrés par lesquels le Dieu incarné descend de
son trône, et vous les avez remarqués par ordre dans les parties de mon
évangile. Mais ce n'est pas ce qu'il y a de plus important ni ce qui m'étonne le
plus. Quoique je ne puisse assez m'étonner des abaissements de mon Dieu, je
m'étonne beaucoup davantage qu'on nous donne ces abaissements comme une marque
certaine pour reconnaître le Sauveur du monde : Et hoc vobis signum. Quel
est ce nouveau prodige? que peut servir à notre faiblesse que notre médecin
devienne infirme, et que notre libérateur se dépouille de sa puissance? Est-ce
donc une ressource pour des malheureux qu'un Dieu en vienne augmenter le nombre?
Ne semble-t-il pas, au contraire, que le joug qui accable les enfants d'Adam est
d'autant plus dur et inévitable, qu'un Dieu même est assujetti à le supporter?
Cela serait vrai, mes sœurs, si cet état d'humiliation était forcé, s'il y était
tombé par nécessité, et non pas descendu par miséricorde. Mais comme son
abaissement n'est pas une chute mais une condescendance, (d) et qu'il
n'est descendu à nous que pour nous marquer les degrés par lesquels nous pouvons
remonter à lui, tout l'ordre de sa descente fait celui de notre glorieuse
élévation;
1 Psal. VIII, 6.
(a) Var. — Corruption.— (b) Assez
bas.— (c) Et voici qu'en faisant.— (d) Note marg. : Descendit
ut levaret, non cecidit ut jaceret (S. August., Tract. CVII in Joan.,
n. 6).
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et nous pouvons appuyer notre espérance abattue sur ces
trois abaissements du Dieu-Homme, puisque s'il vient à notre nature tombée,
c'est à dessein de la relever; s'il prend nos infirmités, c'est pour les guérir
; et s'il s'expose aux misères et aux outrages de la fortune, c'est afin de les
surmonter et de triompher glorieusement de tous les attraits du monde, de toutes
les illusions et de toutes les terreurs (a). Divines marques, sacrés
caractères par lesquels je reconnais mon Sauveur, que ne puis-je vous expliquer
à cette audience avec les sentiments que vous méritez ! Du moins efforçons-nous
de le faire, et commençons à montrer dans ce premier point que Dieu prend notre
nature pour la relever.
PREMIER POINT.
Comme Dieu est unique en son
essence, il est impénétrable en sa gloire, il est inaccessible en sa hauteur et
incomparable en sa majesté (b) . C'est pourquoi l'Ecriture nous
dit si souvent qu'il est plus haut que les cieux et plus profond que les abîmes,
qu'il est caché en lui-même par sa propre lumière, et que « toutes les créatures
sont comme un rien devant sa face : » Omnes gentes quasi non sint, sic sunt
coràm eo, et quasi nihilum et inane reputatœ sunt ei (1).
Le docte Tertullien écrivant
contre Marcion, nous explique cette vérité par ces magnifiques paroles :
Summum magnum ipsâ suâ magnitudine solitudinem possidens, unicum est (c).
Les expressions de notre langue ne reviennent pas à celles de ce grand homme ;
mais disons après lui, comme nous pourrons, que Dieu étant grand souverainement,
il est par conséquent unique, et qu'il se fait par son unité une auguste
solitude, parce que rien ne
1 Isa., XL, 17.
(a) Var. : Puisqu'il vient à notre nature
tombée pour la relever, qu'il prend nos infirmités pour les guérir, et qu'il
s'expose aux misères pour les surmonter et triompher glorieusement de tous les
attraits du monde. — (b) Il est incomparable, en sa gloire, il est
impénétrable en sa hauteur et inaccessible en sa majesté.— (c) Advers.
Marcion., lib. I, n. 4. Ces paroles sont un commentaire; voici le véritable
texte, que Bossuet a mis à la marge du manuscrit : Ex defectione œmuli
solitudinem quamdam de singularitate praetantiœ suœ possidens, unicum est.
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peut l'égaler ni l'atteindre, ni en approcher, et qu'il est
de tous côtés inaccessible.
Plus à fond. Il n'y a point de
grandeur en la créature qui soit soutenue de toutes parts (a), et tout ce
qui s'élève d'un côté s'abaisse de l'autre. Celui-là est relevé en puissance,
mais médiocre en sagesse; cet autre aura un grand courage, mais qui sera mal
secondé par la force de son esprit ou par celle de son corps. La probité n'est
pas toujours avec la science, ni la science avec la conduite. Enfin (b)
il n'y a rien de si fort qui n'ait son faible ; il n'y a rien de si haut qui ne
tienne au plus bas par quelque endroit. Dieu seul est grand en tous points,
parce qu'il possède tout en son unité, parce qu'il est tout parfait, et en un
mot tout lui-même, (c) et c'est ce que veut dire Tertullien par cette
haute solitude en laquelle il fait consister la perfection de son être.
Le mystère de cette journée (d)
nous apprend que Dieu est sorti de cette auguste et impénétrable solitude. Quand
un Dieu s'est incarné, l'Unique s'est donné des compagnons, l'Incomparable s'est
fait des égaux, l'Inaccessible s'est rendu palpable à nos sens; « il a paru
parmi nous, » et comme un de nous sur la terre : Et habitavit in nobis
(1).
Encore qu'il soit éloigné par
tous ses divins attributs, il descend quand il lui plaît par sa bonté, ou plutôt
il nous élève. Il fait ce qu'il veut de ses ouvrages ; et comme quand il lui
plaît, il les repousse de lui jusqu'à l'infini et jusqu'au néant, il sait aussi
le moyen de les associer à lui-même d'une manière incompréhensible, au delà de
ce que nous pouvons et croire et penser. Car étant infiniment bon, il est
infiniment communicatif, infiniment unissant ; de sorte qu'il ne faut pas
s'étonner qu'il puisse unir la
1 Joan., I, 14.
(a) Var.: Qui ne se démente par quelque
endroit. — (b) Note marg. : Enfin, sans faire ici le dénombrement
de ces infinis mélanges par lesquels les hommes sont inégaux à eux-mêmes, il n'y
a personne qui ne voie que l'homme est un composé de pièces très-inégales, qui
ont leur fort et leur faible. — (c) Singulier en toutes choses, et seul à
qui on peut dire : O Seigneur, qui est semblable à vous (Exod., XV, 11)? profond
en vos conseils, terrible en vos jugements, absolu en vos volontés, magnifique
et admirable en vos œuvres — (d) Var. : De l'Incarnation.
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nature humaine à sa personne divine. Il peut élever l'homme
autant qu'il lui plaît, et jusqu'à être avec lui la même personne. Et il n'y a
rien en cette union qui soit indigne de lui, parce que, comme dit le grand saint
Léon, « en prenant la nature humaine, il élève ce qu'il prend, et il ne perd
point ce qu'il communique : » Et nostra suscipiendo provehit, et sua
communicando non perdit. Par là il témoigne son amour, il exerce sa
munificence et conserve sa dignité : Et nostra suscipiendo provehit, et sua
communicando non perdit (1) (a).
Encore plus avant. L'homme par
son orgueil a voulu se faire Dieu, et pour guérir cet orgueil Dieu a voulu se
faire homme. Saint Augustin définit l'orgueil une perverse imitation de la
nature divine (2). Il y a des choses où il est permis d'imiter Dieu. Il est vrai
qu'il est excité à la jalousie, lorsque l'homme se veut faire Dieu et entreprend
de lui ressembler ; mais il ne s'offense pas de toute sorte de ressemblance ; au
contraire il y a de ses attributs dans lesquels il nous commande de l'imiter.
Considérez sa miséricorde, dont le Psalmiste a écrit « qu'elle surpasse ses
autres ouvrages (3). » Il nous est ordonné de nous conformer à cet admirable
modèle : Estote misericordes, sicut et Pater vester misericors est (4).
Dieu est patient sur les pécheurs; et les invitant à se convertir, il fait luire
en attendant son soleil sur eux et prolonge le temps de leur pénitence. Il veut
que nous nous montrions ses enfants, en imitant cette patience à l'égard de nos
ennemis : Ut sitis filii Patris vestri (5). Il est saint ; et encore que
sa sainteté semble être entièrement incommunicable, il ne se fâche pas néanmoins
que nous osions porter nos prétentions jusqu'à l'honneur de lui ressembler dans
ce merveilleux attribut ; au contraire il nous le commande : Sancti estote,
quia ego sanctus sum (6). Ainsi vous pouvez le suivre
1 Serm. IV De Nativit., cap. III. — 2 De Civit.
Dei, lib. XIX, cap. XII. — 3 Psal. CXLIV, 9. — 4 Luc., VI,
30. — 5 Matth., V, 45. — 6 Levit., XI, 44.
(a) Note marg. : L'orgueil est la cause de
notre ruine. Le genre humain est tombé par l'impulsion de Satan. Comme un grand
bâtiment qu'on jette par terre en accable an moindre sur lequel il tombe, ainsi
cet esprit superbe, en tombant du ciel, est venu fondre sur nous et nous
entraîne après lui dans sa ruine. Il a imprimé en nous un mouvement semblable à
celui qui le précipite lui-même : Unde cecidit, inde dejecit (Serm. CLXIV
, n. 8). Etant donc abattu par son propre orgueil, il nous a entraînés en nous
renversant dans le même sentiment dont est poussé. Superbe, aussi bien que
lui..., nous égaler à Dieu avec lui.
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dans sa vérité, dans sa fidélité et dans sa justice. Quelle
est donc cette ressemblance qui lui cause de la jalousie? C'est que nous lui
voulons ressembler dans l'honneur de l'indépendance, en prenant notre volonté
pour loi souveraine, comme lui-même n'a point d'autre loi que sa volonté
absolue. C'est là le point délicat; c'est là qu'il se montre jaloux de ses
droits et repousse avec violence tous ceux qui veulent ainsi attenter à la
majesté de son empire. Soyons des dieux, il nous le permet, par l'imitation de
sa sainteté, de sa justice, de sa vérité, de sa patience, de sa miséricorde
toujours bienfaisante. Quand il s'agira de puissance, tenons-nous dans les
bornes d'une créature et ne portons pas nos désirs à une ressemblance si
dangereuse.
Voilà, mes sœurs, la règle
immuable que nous devons suivre pour imiter Dieu. Mais, ô voies corrompues des
enfants d'Adam! ô étrange corruption du cœur humain ! nous renversons tout
l'ordre de Dieu. Nous ne voulons pas l'imiter dans les choses où il se propose
pour modèle, nous entreprenons de le contrefaire dans celles où il veut être
unique et inimitable, et que nous ne pouvons prétendre sans rébellion. C'est sur
cette souveraine indépendance que nous osons attenter ; c'est ce droit sacré et
inviolable que nous affectons par une audace insensée. Car comme Dieu n'a rien
au-dessus de lui qui le règle et qui le gouverne, nous voulons être aussi les
arbitres souverains de notre conduite, afin qu'en secouant le joug, en rompant
les rênes et rejetant le frein du commandement qui retient notre liberté égarée,
nous ne relevions point d'une autre puissance et soyons comme des dieux sur la
terre. Et n'est-ce pas ce que Dieu lui-même reproche aux superbes, sous l'image
du Roi de Tyr? Ton cœur, dit-il, s'est élevé, et tu as dit : Je suis un dieu, et
« tu as mis ton cœur comme le cœur d'un Dieu : » Dedisti cor tuum quasi cor
Dei (1). Tu n'as voulu ni de règle, ni de dépendance. Tu as marché sans
mesure, et tu as livré ton cœur emporté à tes passions indomptées. Tu as aimé,
tu as haï, selon que te poussaient tes désirs injustes, et tu as fait un funeste
usage de ta liberté par une superbe transgression de toutes les lois. Ainsi
notre orgueil aveugle nous remplissant de
1 Ezech., XXVIII, 2.
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nous-mêmes, nous érige en de petits dieux. Eh bien! ô
superbe, ô petit dieu, voici le grand Dieu vivant qui s'abaisse pour te
confondre. L'homme se fait Dieu par orgueil, et Dieu se fait homme par
condescendance. L'homme s'attribue faussement la grandeur de Dieu, et Dieu prend
véritablement le néant de l'homme.
Mais voici encore un nouveau
secret de la miséricorde divine. Elle ne veut pas seulement confondre l'orgueil,
elle a assez de condescendance pour vouloir en quelque sorte le satisfaire. Elle
veut bien donner quelque chose à cette passion indocile qui ne se rend jamais
tout à fait. L'homme avait osé aspirer à l'indépendance divine ; on ne peut le
contenter en ce point, le trône ne se partage pas, la majesté souveraine ne peut
souffrir ni d'égal ni de compagnon. Mais voici un conseil de miséricorde qui
sera capable de le satisfaire. L'homme ne peut devenir indépendant ; Dieu veut
bien détenir soumis. Sa souveraine grandeur ne souffre pas qu'il s'abaisse ,
tant qu'il demeurera dans lui-même ; cette nature infiniment abondante ne refuse
pas d'aller à l'emprunt pour s'enrichir en quelque sorte par l'humilité, « afin,
dit saint Augustin , que l'homme qui méprise cette vertu, qu'il appelle
simplicité et bassesse quand il la voit dans les autres hommes, ne dédaignât pas
de la pratiquer quand il la voit dans un Dieu (1). »
Et hoc vobis signum. O
homme, tu n'as fait que de vains efforts pour t'élever et te faire grand : (a)
viens chercher dans ce Dieu-Homme , dans ce Dieu enfant, dans ce Sauveur qui
naît aujourd'hui, la solide élévation et la grandeur véritable. Cherchons.....
D'où vient qu'un Dieu se fait homme ? Pour nous faire approcher de lui, traiter
d'égal avec lui. C'est pourquoi saint Augustin attribue la cause du mystère de
l'Incarnation « à une bonté populaire : » Populari quàdam clementiâ (2).
De même qu'un grand orateur plein de hautes conceptions, pour se rendre
populaire et intelligible, se rabaisse par un discours simple à la capacité des
esprits communs ; comme un grand environné d'un éclat superbe qui étonne le
simple peuple et ne lui permet pas d'approcher, se rend populaire
1 Enarr. in Psal. XXXIII, n. 4. —
2 S. August., Contra Acad., lib. III, n. 42.
(a) Note marg. : Tu peux bien remporter, mais
non t'élever; tu peux bien l'enfler, mais non t'agrandir.
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et familier par une facilité obligeante, qui sans affaiblir
l'autorité rend la bonté accessible : ainsi la sagesse incréée, ainsi la majesté
souveraine se dépouille de son éclat, de son immensité et de sa puissance pour
se communiquer aux mortels et relever le courage et les espérances de notre
nature abattue. Approchez donc, ô fidèles, de ce Dieu enfant. Tout vous est
libre, tout vous est ouvert. Que voyons-nous en ce Dieu enfant, que nous sommes
venus adorer? Apparuit gratia et benignitas Salvatoris nostri Dei (1). Sa
gloire se tempère, sa majesté se couvre, sa grandeur s'abaisse, sa justice
rigoureuse ne se montre pas ; il n'y a que la bonté qui paraisse, afin que nous
approchions avec confiance et avec plus d'amour. Qu'on ne m'objecte plus mes
faiblesses, mes imperfections, mon néant. Tout néant que je suis, je suis homme,
et mon Dieu qui est tout s'est fait homme. Je viens à ce Dieu hardiment au nom
de Jésus. Je soutiens que Dieu est à moi par Jésus-Christ. Car « ce Fils nous
est donné, c'est pour nous qu'est né ce petit enfant (2). » Je m'attache à Jésus
en ce qu'il a de commun avec moi, et par là je me mets en possession de ce qu'il
a d'égal à son Père, et je ne prétends rien moins que de posséder la Divinité.
Soyons dieux avec Jésus-Christ; prenons des sentiments tout divins (a).
SECOND POINT.
Depuis que par le malheur de
notre péché la mort est devenue notre partage, le caractère en est imprimé dans
tous les endroits de notre vie. Elle commence à paraître dès le moment de notre
naissance. On voit un certain rapport entre les langes et les draps de la
sépulture : on couche et on enveloppe à peu près de même façon ceux qui naissent
et ceux qui sont morts ; un berceau a quelque idée d'un sépulcre, et c'est la
marque de notre mortalité qu'on nous ensevelisse en naissant. C'est ce qui a
fait dire à Tertullien que le Sauveur a commencé dans ses langes le mystère de
sa sépulture : Pannis jam sepulturœ involucrum initiatus (3). Il met dans
sa naissance le commencement de sa mort ; et le considérant dans le maillot, il
se le représente déjà comme enseveli. Suivons
1 Tit., III, 4. — 2 Isa.,
IX, 6. — 3 Advers. Marcion., lib. IV, n. 21.
(a) La fin comme au sermon précédent, pag. 250.
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le sentiment de ce grand homme; et après avoir vu en notre
Sauveur la nature humaine par le mot d'enfant, regardons la mortalité dans ses
langes, et avec la mortalité toutes les infirmités qui te suivent.
Sur ce sujet, chrétiens, j'ai
dessein de vous faire entendre, non mes sentiments et mes paroles, mais les
raisonnements tout divins de l’incomparable saint Augustin dans cette admirable
épitre qu'il a écrite à Volusien (1). Voici donc le raisonnement et presque les
mêmes paroles de ce sublime docteur.
Puisque Dieu avait bien voulu se
faire homme, il était juste qu'il n'oubliât rien pour nous faire sentir cette
grâce; et pour cela, dit saint Augustin, il fallait qu'il prît les infirmités
par lesquelles la vérité de sa chair est si clairement confirmée. En effet,
poursuit-il, encore que les Ecritures nous prêchent avec tant de soin que le
Fils de Dieu n'a pas dédaigné la faim, ni la soif, ni les fatigues, ni les
sueurs, ni toutes les autres incommodités d'une chair mortelle, il s'est élevé
beaucoup d'hérétiques qui n'ont pas voulu reconnaître en lui la vérité de notre
nature. Les uns disaient que son corps était un fantôme; d'autres, qu'il était
composé d'une matière céleste, et tous s'accordaient à nier qu'il eût pris
effectivement la nature humaine. Ces esprits superbes et dépravés (a),
qui rougissaient en leurs cœurs de la bassesse de l'Evangile et des humiliations
de Jésus-Christ, jugeaient incroyable qu'un Dieu se fît homme ; et plutôt que de
se persuader un si grand abaissement du Très-Haut, ils trouvaient le chemin plus
court de dire qu'il n'avait pris que les apparences de notre nature matérielle.
Que serait-ce donc, dit saint Augustin, s'il était tout à coup descendu des
cieux , s'il n'avait pas suivi les progrès de l'âge, s'il eût rejeté (b)
le sommeil et la nourriture, et éloigne de lui ces sentiments? N'aurait-il pas
lui-même confirmé l'erreur? N'aurait-il pas semblé en quelque sorte rougir de
s'être fait homme, puisqu'il ne le paraissait qu'à demi? N'aurait-il pas effacé
dans tous les esprits la créance de sa bienheureuse incarnation, qui fait toute
notre espérance? Et ainsi, dit saint Augustin, «en
1 Epist., CXXXVII, n. 8 et 9.
(a) Var. : Ces hommes dépravés d'esprit. — (b)
Méprisé.
272
faisant toutes choses miraculeusement, il aurait lui-même
détruit ce qu'il a fait miséricordieusement : » Et dùm omnia mirabiliter
facit, auferret quod misericorditer fecit (1).
Et certes puisque mon Sauveur
était Dieu, il fallait qu'il fit des miracles ; mais puisque mon Sauveur était
homme, il ne devait pas avoir honte de montrer de l'infirmité, et l'ouvrage de
la puissance ne devait pas renverser le témoignage de sa grande miséricorde.
C'est pourquoi, dit saint Augustin, s'il fait de très-grandes choses, il en
souffre aussi de très-basses ; mais il modère tellement toute sa conduite qu'il
relève les choses basses par les extraordinaires, et tempère les extraordinaires
par les communes : Ut solita sublimaret insolitis, et insolita solitis
temperaret (2). Il naît, mais il naît d'une vierge; il mange, mais quand il
lui plaît il commande aux anges de servir sa table (3) ; il dort, mais pendant
son sommeil il empêche la barque où il vogue d'être submergée ; il marche, mais
quand il l'ordonne l'eau devient ferme sous ses pieds; il meurt, mais en
expirant il étonne et met en crainte toute la nature : tenant partout un milieu
si juste, qu'où il paraît en homme, il sait bien montrer qu'il est Dieu ; où il
se déclare Dieu, il marque aussi qu'il est homme ; et c'est pourquoi ce mystère
s'appelle une économie et une sage dispensation, pour nous faire entendre, mes
frères, que toutes choses y sont conservées sans division, en unité (a),
et tellement ménagées que la Divinité y paraît tout entière et l'humanité (b)
tout entière.
Le grand pape saint Hormisdas,
ravi en admiration de cette céleste économie, du haut de la chaire de saint
Pierre d'où il enseignait tout ensemble et régissait toute l'Eglise, invite tous
les fidèles à contempler avec lui cet adorable mélange, ce mystérieux
tempérament de puissance et d'infirmité. « Le voilà, dit-il aux fidèles, celui
qui est Dieu et homme, c'est-à-dire la force et la faiblesse, la bassesse et la
majesté (c) ; celui qui a été vendu, et qui nous
1 Epist. CXXXVII, n. 9. — 2
Ibid. — 3 Matth., VI, 11.
(a) Var. : Sans confusion. — (b)
L'infirmité. — (c) Celui qui étant couché dans la crèche, paraît
dans le ciel en. sa gloire. Il est dans le maillot, et les mages l'adorent; il
nait parmi les animaux, et les anges publient sa naissance; la terre le rebute,
et le ciel le déclare par une étoile; il a été vendu, et il nous rachète;
attaché à la croix, il y distribue les couronnes et donne le royaume éternel;
infirme qui, etc.
273
rachète ; qui attaché à la croix distribue les couronnes et
donne le royaume éternel ; infirme qui cède à la mort, puissant que la mort ne
peut retenir ; couvert de blessures, et médecin infaillible de nos maladies; qui
est rangé parmi les morts, et qui donne la vie aux morts ; qui nait pour mourir,
et qui meurt pour ressusciter ; qui descend aux enfers, et ne sort point du sein
de son Père (a).
Joignons-nous à ce grand pape
pour adorer humblement les faiblesses qu'un Dieu incarné a prises volontairement
pour l'amour de nous; c'est là le fondement de toute notre espérance. Car
écoutez ce que dit le divin Apôtre : Non habemus pontificem (1) : « Nous
n'avons pas un pontife » qui soit insensible à nos maux. Car il a passé comme
nous par toutes sortes d'épreuves, à l'exception du péché.
Encore que cette société de
douleurs n'ajoute rien à la connaissance qu'il a de nos maux, elle ajoute
beaucoup à la tendresse ; il n'a pas oublié ni les longs travaux, ni les autres
difficultés de son pénible pèlerinage. Et quels maux n'a-t-il pas voulu éprouver
? Mon Sauveur n'a épargné à son corps ni la faim, ni la soif, ni les fatigues,
ni les sueurs, ni les infirmités, ni la mort. Il n'a épargné à son âme ni la
tristesse, ni l'inquiétude, ni les longs ennuis, ni les plus cruelles
appréhensions. Et hoc vobis signum. O Dieu ! qu'il aura d'inclination de
nous soulager, nous qu'il voit du plus haut des deux battus des mêmes orages
dont il a été attaqué sur la terre ! C'est pourquoi l'Apôtre se glorifie des
infirmités de son Maître. Nous n'avons pas un pontife qui ne puisse pas compatir
aux maux que nous ressentons, etc. (b) .
TROISIÈME POINT.
Il n'y a rien de plus vain que
les moyens que l'homme recherche pour se faire grand. Il se trouve tellement
borné et resserré en lui-même, que son orgueil a honte de se voir réduit à des
limites si
1 Hebr., IV, 15.
(a) Note marg. : Jacens in prœsepio, videbatur in
cœlo; involutus pannis, adorabatur à Magis ; inter animalia editus, ab angelis
nuntiabatur...; virtus et infirmitas, humilitas et majestas; redimens, et
venditus; in cruce positus, et cœli regna largitus.....; patiens vulnerum, et
salvator aegrorum; unus defunctorum, et vivificator obeuntium; ad inferna
descendens, et à Patris gremio non recedens (Epist. LXXIX ad Justin.,
Aug. Labb., tom. IV, col. 1553).
(b) La fin comme au second point du sermon
précédent, p. 254.
274
étroites. Mais comme il ne peut rien ajouter à sa taille ni
à sa substance, comme dit le Fils de Dieu (1), il tâche de se repaître d'une
vaine imagination de grandeur, en amassant autour de lui tout ce qu'il peut. Il
pense qu'il s'incorpore pour ainsi dire à lui-même toutes les richesses qu'il
acquiert ; il s'imagine qu'il s'accroît en élargissant ses appartements
magnifiques (a), qu'il s'étend en étendant son domaine, qu'il se
multiplie avec ses titres, et enfin qu'il s'agrandit en quelque façon par cette
suite pompeuse de domestiques qu'il traîne après lui pour surprendre (b)
les yeux du vulgaire. Cette femme vaine et ambitieuse, qui porte sur elle la
nourriture de tant de pauvres et le patrimoine de tant de familles, ne se peut
considérer comme une personne particulière. Cet homme qui a tant de charges,
tant de titres, tant d'honneurs, seigneur de tant de terres, possesseur de tant
de biens , maître de tant de domestiques, ne se comptera jamais pour un seul
homme; et il ne considère pas qu'il ne fait que de vains efforts, puisqu'enfin
quelque soin qu'il prenne de s'accroître et de se multiplier en tant de manières
et par tant de titres superbes, il ne faut qu'une seule mort pour tout abattre
et un seul tombeau pour tout enfermer. Et toutefois, chrétiens, l'enchantement
est si fort et le charme si puissant, que l'homme ne peut se déprendre de ces
vanités. Bien plus, et voici un plus grand excès. Il pense que si un Dieu se
résout à paraître sur la terre, il ne doit point s'y montrer qu'avec ce superbe
appareil, comme si notre vaine pompe et notre grandeur artificielle pouvait
donner quelque envie à celui qui possède tout dans l'immense simplicité de son
essence. Et c'est pourquoi les puissants et les superbes du monde (c) ont
trouvé notre Sauveur trop dénué ; sa crèche les a étonnés, sa pauvreté leur a
fait peur (d) ; et c'est cette même erreur qui a fait imaginer aux Juifs cette
Jérusalem toute brillante d'or et de pierreries, et toute cette magnificence
qu'ils attendent encore aujourd'hui en la personne de leur Messie.
Mais au contraire, Messieurs, si
nous voulons raisonner par les
1 Matth., VI, 27.
(a) Var. : Qu'il s'agrandit avec ses
appartements magnifiques. — (b) Pour étourdir le vulgaire. — (c)
Les riches et les grands du monde. — (d) Honte.
275
véritables principes, nous trouverons qu'il n'est rien de
plus digne d'un Dieu venant sur la terre, que de confondre par sa pauvreté le
faste ridicule des enfants d'Adam, de les désabuser des vains plaisirs qui les
enchantent, et enfin de détruire par son exemple toutes les fausses opinions qui
exercent sur le genre humain une si grande et si injuste tyrannie. A fond. Voici
l'ordre qu'il y tient. Le monde a deux moyens pour nous captiver : il a
premièrement de fausses douceurs qui surprennent notre faiblesse; il a aussi des
armes, des terreurs qui abattent notre courage. Il est des hommes délicats qui
ne peuvent vivre que dans les plaisirs, dans le luxe, dans l'abondance. Il en
est d'autres qui nous diront : Je ne demande pas ces grandes richesses, mais la
pauvreté m'est insupportable; je me défendrais bien des plaisirs, mais je ne
puis souffrir les douleurs ; je n'envie pas le crédit de ceux qui sont dans les
grandes intrigues du monde, mais il est dur de demeurer dans l'obscurité. Le
monde gagne les uns, et il épouvante les autres. Tous deux s'écartent de la
droite voie ; et tous deux enfin viennent à ce point que celui-ci, pour obtenir
les plaisirs sans lesquels il s'imagine qu'il ne peut pas vivre, et l'autre,
pour éviter les malheurs qu'il croit qu'il ne pourra supporter, s'engagent
entièrement dans l'amour du monde.
C’est pour cela, chrétiens, que
Jésus-Christ est venu comme le réformateur du genre humain, comme le docteur
véritable qui nous vient donner la science des biens et des maux , et ôter par
ce moyen les obstacles qui nous empêchent d'aller à Dieu et de nous contenter de
lui seul : Et hoc vobis signum : « Et voilà le signe que l'on vous en
donne. » Allez à l'étable, à la crèche, à la misère, à la pauvreté de ce Dieu
enfant. Ce ne sont point ses paroles, c'est son état qui vous prêche et qui vous
enseigne. Si les plaisirs que voua cherchez, si la gloire que vous admirez était
véritable, quel autre l'aurait mieux méritée qu'un Dieu? ou qui l'aurait plus
facilement obtenue? Quelle troupe de gardes l'environnerait ! Quelle serait la
beauté et la magnificence de sa Cour ! quelle pourpre éclaterait sur ses épaules
! Quel or reluirait sur sa tête ! Quelles délices lui préparerait toute la
nature, qui obéit si ponctuellement à ses ordres ! Ce n'est point sa pauvreté et
son indigence qui l'a privé des
276
délices (a) ; il les a volontairement rejetées. Ce
n'est point sa faiblesse, ni son impuissance, ni quelque coup imprévu de la
fortune ennemie (b) qui l'a jeté dans la pauvreté, dans les douleurs et
dans les opprobres ; il a choisi cet état (c). Il a donc jugé que ces
biens, ces contentements, cette gloire était indigne de lui et des siens. Il a
cm que cette grandeur étant fausse et imaginaire, ferait tort à sa véritable
excellence. Il a vu, du plus haut des deux, que les hommes n'étaient touchés que
des biens sensibles et des pompes extérieures. Il s'est souvenu en ses bontés
qu'il les avait créés au commencement pour jouir d'une plus solide félicité.
Touché de compassion, il vient en personne les désabuser (d) de ces
opinions non moins fausses et dangereuses qu'elles sont établies et invétérées.
Et voyant qu'elles ont jeté dans le cœur humain de si profondes racines, pour
les arracher tout à fait (e) il se jette aux extrémités opposées et
montre le peu d'état qu'il en fait. Il a peine à trouver un lieu assez bas par
où il puisse faire son entrée au monde ; il trouve une étable abandonnée, c'est
là qu'il descend. Il prend tout ce que les hommes évitent, tout ce qu'ils
craignent, tout ce qu'ils méprisent, tout ce qui fait horreur à leurs sens : si
bien que je me représente, sa crèche, non comme un berceau indigne d'un Dieu ,
non, mais comme un char (f) de triomphe où il traîne après lui le monde
vaincu. Là sont les terreurs surmontées, et là les douceurs méprisées; là les
plaisirs rejetés, et ici les tourments soufferts; (g) et il me semble
qu'au milieu d'un si beau triomphe, il nous dit avec une contenance assurée : «
Prenez courage, j'ai vaincu le monde : » Confidite, ego vici mundum (1),
parce que par la bassesse de sa naissance, par l'obscurité de sa vie, par la
cruauté et l'ignominie de sa mort, il a effacé tout ce que les hommes estiment
(h), et désarmé tout ce qu'ils redoutent : Et hoc vobis signum : « Voilà
le signe que l'on vous donne pour reconnaître notre Sauveur. »
Les Juifs espèrent un autre
Messie qui les comblera de prospérités, qui leur donnera l'empire du monde et
les rendra contents sur
1 Joan., XVI, 33.
(a) Var. : Plaisirs. — (b) Contraire.
— (c) Il les a choisis.— (d) Les désabuser non par sa doctrine,
mais par ses exemples. — (e) Pour nous en retirer par un grand effort.— (f)
Chariot.— (g) Note marg. : Les richesses, etc. Rien n'y manque,
tout est complet. — (h) Var.: Admirent.
277
la terre. Ah! combien de Juifs parmi nous! combien de
chrétiens qui désireraient un Sauveur qui les enrichît, un Sauveur qui contentât
leur ambition, qui voulût flatter leurs passions ou assouvir leur vengeance ! Ce
n'est pas là notre Christ et notre Messie. A quoi le pouvons-nous reconnaître?
Ecoutez; je vous le dirai par les belles paroles de Tertullien : Si ignobilis,
si inglorius, si inhonorabilis, meus erit Christus (1): « S'il est
méprisable, s'il est sans éclat, s'il est bas aux yeux des mortels, c'est le
Jésus-Christ que je cherche. » Il me faut un Sauveur qui fasse honte aux
superbes, qui fasse peur aux délicats, que le monde ne puisse goûter, que la
sagesse humaine ne puisse comprendre, qui ne puisse être connu que par les
humbles de cœur. Il me faut un Sauveur qui brave pour ainsi dire, par sa
généreuse pauvreté, nos vanités ridicules, extravagantes, enfin qui m'apprenne
par son exemple qu'il n'y a rien de grand que de suivre Dieu et mépriser tout le
reste. (a) Le voilà, je l'ai rencontré, je le reconnais à ces belles
marques. Vous l'avez connu, mes chères sœurs, puisque vous avez aimé son
dépouillement, puisque sa pauvreté vous a plu, puisque vous l'avez épousé avec
tous ses clous, toutes ses épines, avec toute la bassesse de sa crèche et toutes
les rigueurs de sa croix. Mais nous, mes frères, que choisirons-nous?
Il y a deux partis formés : le
monde d'un côté, Jésus-Christ de l'autre. Là les délices, les réjouissances,
l'applaudissement, la faveur ; vous pourrez vous venger de vos ennemis, vous
pourrez posséder ce que vous aimez, vous trouverez partout un visage gai et un
accueil agréable. Qu'on vous aimerait, mon Sauveur, si vous vouliez donner de
tels biens aux hommes ! Que vous seriez un grand et un aimable Sauveur, si vous
vouliez nous promettre de nous sauver de la pauvreté ! Il ne faut pas s'y
attendre. — Permettez-moi seulement que je contente cette passion ou que je
puisse venger cette injure. — Non, il punira même un regard trop libre, une
parole échauffée et les secrets mouvements de la haine
1 Tertull., Advers. Marcion.,
lib. III, n. 17.
(a) Note marg. : Que la superbe philosophie
cherche bien loin des raisonnements pour découvrir la vanité des choses
humaines, qu'elle les étende avec pompe, combien ses arminiens sont-ils éloignés
de la force de ces deux mots : Un Dieu est pauvre!
278
et de la colère. Le bien d'autrui. (a) Le Jubilé.
Qui pourrait souffrir un maître si rude ?
Mon Sauveur, vous êtes trop
incompatible, on ne peut s'accommoder avec vous, la multitude ne sera pas de
votre côté. Aussi, nies frères, ne la veut-il pas. C'est la multitude qu'il a
noyée par les eaux du déluge ; c'est la multitude qu'il a consumée par les feux
du ciel; c'est la multitude qu'il a abîmée dans les flots de la mer Rouge (b)
; c'est la multitude qu'il a réprouvée, autant de fois qu'il a maudit dans son
Evangile le monde et ses vanités. C'est pour engloutir cette malheureuse et
damnable multitude dans les cachots éternels, que « l'enfer, dit le prophète
Isaïe (1), s'est dilaté démesurément; et les forts et les puissants, et les
grands du monde s'y précipitent en foule. » O monde ! ô multitude ! ô troupe
innombrable ! je crains ta société malheureuse ! Le nombre ne me défendra pas
contre mon juge ; la troupe (c) des témoins ne me justifiera pas ; ma
conscience.... : je crains que mon Sauveur ne se change en juge implacable :
Sicut lœtatus est Dominus super vos bene vobis faciens atque multiplicans, sic
lœtabitur disperdens vos atque subvertens (2). Quand Dieu entreprendra
d'égaler sa justice à ses miséricordes et de venger ses bontés si indignement
méprisées , je ne me sens pas assez fort pour soutenir l'effort redoutable, ni
les coups incessamment redoublés d'une main si rude et si pesante. Je me ris des
jugements des hommes du monde et de leurs folles pensées. J'aspire à être du
petit nombre de ceux que Dieu appellera en ce dernier jour : Vous qui n'avez pas
eu honte de ma pauvreté, vous qui n'avez pas refusé de porter ma croix, petit
nombre de réserve, troupe d'élite, venez prendre part à ma gloire, entrez dans
mon banquet éternel. Aimez donc la pauvreté de Jésus. Qui n'est pas pauvre en ce
monde, l'un en santé, l'autre en biens; l'un en honneurs, et l'autre en esprit?
Aussi n'est-ce pas ici que les biens abondent. C'est pourquoi le monde, pauvre
en effets, ne débite que des
1 Isa., V, 14. — 2 Deuter.,
XXVIII, 63.
(a) Note marg. : Le passage est ainsi conçu
dans le troisième point du sermon précédant, p. 260 : — Le bien de cet homme
m'accommoderait; je n'y ai point de droit, mais j'ai du crédit — : N'y touchez
pas, ou vous êtes perdu. — (b) Var, : Ensevelie dans les abîmes de la mer
Rouge. — (c) Foule.
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espérances; c'est pourquoi tout le monde désire : tous ceux
qui désirent sont pauvres et dans le besoin. Aimons cette partie de la pauvreté
qui nous est échue en partage, pour nous rendre semblables à Jésus-Christ.
Chrétiens, au nom de Celui « qui étant si riche par sa nature, s'est fait pauvre
pour nous enrichir par sa pauvreté (1),» détrompons-nous des faux biens du
monde; comprenons que la crèche de notre Sauveur a rendu pour jamais toutes nos
vanités ridicules. Oui certes, ô mon Sauveur Jésus-Christ, tant que je concevrai
bien votre crèche et vos saintes humiliations, les apparences du monde ne me
surprendront point par leurs charmes, elles ne m'éblouiront pas par leur vain
éclat ; et mon cœur ne sera touché que de ces richesses inestimables que votre
glorieuse pauvreté nous a préparées dans la félicité éternelle.
1 II Cor., VIII, 9.
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