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PREMIER SERMON
POUR
LE JOUR DE NOËL (b) .
Et hoc vobis signum : Invenietis infantem pannis
involutum, et positum in praesepio.
Le Sauveur du monde est né aujourd'hui, et voici le signe
que je vous en donne : Vous trouverez un enfant enveloppé de langes, posé dans
une crèche. Luc, II, 12.
Vous savez assez, chrétiens, que
le mystère que nous honorons, c'est l'anéantissement du Verbe incarné, et que
nous sommes ici
(a) Note marg. : Toute créature a un instinct
pour se conserver. Créature nouvelle. Le bruit nous effraie; cet éclat menace de
quelque mine ou de quelque force étrangère qui vient contre nous avec violence ;
la nature nous apprend souvent à craindre à faux. Et certes, au milieu de tant
de périls, et les périls nous pressant de tant d'endroits et ayant, comme nous
avons, si peu de connaissance pour les prévoir; qui veut être en sûreté, doit
souvent craindre même sans péril. Si vous n’avez point cette crainte, je doute
que votre changement soit sincère et votre conversion véritable
(b) Prêché devant la Cour en 1665.
Bossuet a prêché le jour de Noël deux sermons devant la
Cour : l'un en 1665, et l'autre en 1669. Or le premier dans l'ordre du temps,
c'est celui qui commence a cette page ; car le second n'en est qu'une copie plus
parfaite : il faut donc maintenir notre date. Et si l'on objectait qu'on ne
trouve aucune indication de lieu dans le présent discours, je répondrais que
Bossuet ne nommait la Cour ni n'adressait la parole au roi que dans les
circonstances extraordinaires et après un silence de quelque temps.
On lira vers la lin du dernier point les paroles que voici
: « Ce Jésus autrefois né. dans une crèche, ce Jésus autrefois le mépris des
hommes, ce pauvre, ce misérable, cet imposteur, ce Samaritain, ce pendu..... »
Quelques prédicateurs ont répété cette phrase du haut de la chaire; mais le mot
pendu n'avait pas là, du temps de Bossuet, le sens qu'il présente
aujourd'hui; il signifiait crucifié ; car on disait alors et fort bien, d'après
le latin, pendre à la croix pour, attacher, ou être attaché à la croix.
On a pu voir tout à l'heure qu'il existe de notre discours
une copie revue. corrigée, perfectionnée par l'auteur, qui forme un autre
discours. Les éditeurs ont amalgamé les deux sermons ; ils ont morcelé le plus
parfait, le denier, pour en mettre trois lambeaux dans le texte du premier, deux
en note au bas de la page, un à la suite sous le titre de Fragment, puis
ils ont rejeté les autres.
La reine suivit assidûment les sermons qui turent précités
par le grand orateur en 1665, et surtout ceux de l'Avent. Aussi, quoiqu'elle eût
deux prédicateurs en titre, le public et la Cour n’appelaient plus Bossuet que
le prédicateur de la reine
Pendant la même station d’Avent, un auditeur se tenait au
pied de la chaire, profondément attentif et trahissant parfois une vive émotion.
Louis XIV apprenant que ce vieillard était le père de l'orateur : « Oh!
s'écria-t-il, qu’il doit être heureux d'entendre son fils prêcher si bien! » —
Le père de Bourdaloue n'eut pas le même bonheur; il venait de Bourges à Paris
pour entendre son fils, qui obtenait de grands succès dans l'église des
jésuites; il mourut en chemin!
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assemblés pour jouir du pieux spectacle d'un Dieu descendu
pour nous relever, abaissé pour nous agrandir, appauvri volontairement pour
répandre sur nous les trésors célestes. C'est ce que vous devez méditer, c'est
ce qu'il faut que je vous explique; et Dieu veuille que je traite si
heureusement un sujet de cette importance, que vos dévotions en soient
échauffées. Attendons tout du ciel dans une entreprise si sainte ; et pour y
procéder avec ordre, considérons comme trois degrés par lesquels le Fils de Dieu
a voulu descendre de la souveraine grandeur jusqu'à la dernière bassesse.
Premièrement il s'est fait homme, et il s’est revêtu de notre nature;
secondement il s'est fait passible, et il a pris nos infirmités; troisièmement
il s'est fait pauvre, et il s'est chargé de tous les outrages (a) de la
fortune la plus méprisable. Et ne croyez pas, chrétiens, qu'il nous faille
rechercher bien loin ces trois abaissements du Dieu-Homme ; je vous les rapporte
dans la même suite et dans la même simplicité qu'ils sont proposés dans mon
évangile. « Vous trouverez, dit-il, un enfant, » c'est le commencement d'une vie
(a) Var. : Opprobres.
243
humaine; «enveloppé de langes, » c'est pour défendre
l'infirmité contre les injures de l'air ; « posé dans une crèche, » c'est la
dernière extrémité d'indigence : tellement que vous voyez dans le même texte la
nature par le mot d'enfant, la faiblesse et l'infirmité par les langes, la
misère et la pauvreté par la crèche.
Mais mettons ces vérités dans un
plus grand jour, et arrêtons-nous un peu sur tous les degrés de cette descente
mystérieuse, tels qu'ils sont représentés dans notre évangile. Et premièrement
il est clair que le Fils de Dieu en se faisant homme, pouvait prendre la nature
humaine avec les mêmes prérogatives qu'elle avait dans son innocence, la. santé,
la force, l'immortalité ; ainsi le Verbe divin serait homme, sans être travaillé
des infirmités que le péché seul nous a méritées. Il ne l'a pas fait, chrétiens
; il a voulu prendre avec la nature les faiblesses qui l'accompagnent. Mais en
prenant ces faiblesses, il pouvait ou les couvrir, ou les relever par la pompe,
par l'abondance, par tous les autres biens que le monde admire ; qui doute qu'il
ne le put ? Il ne le veut pas ; il joint aux infirmités naturelles toutes les
misères, toutes les disgrâces, tout ce que nous appelons mauvaise fortune, et
par là ne voyez-vous pas quel est l'ordre de sa descente? Son premier pas est de
se faire homme ; et il se met au-dessous des anges, puisqu'il prend une nature
moins noble, selon ce que dit l'Ecriture sainte : Minuisti eum paulò minus ab
angelis (1) : « Vous l'avez abaissé au-dessous des anges. » Ce n'est pas
assez : mon Sauveur descend le second degré. S'il s'est rabaissé par son premier
pas au-dessous de la nature angélique, il fait une seconde démarche qui le rend
égal aux pécheurs. Et comment? Il ne prend pas la nature humaine telle qu'elle
était dans son innocence, saine, incorruptible, immortelle ; mais il la prend en
l'état malheureux où le péché l'a réduite, exposée de toutes parts aux douleurs,
à la corruption, à la mort. Mais mon Sauveur n'est pas encore assez bas. Vous le
voyez déjà, chrétiens, au-dessous des anges par notre nature, égalé aux pécheurs
par l'infirmité ; maintenant faisant son troisième pas, il se va pour ainsi dire
mettre sous leurs pieds, en s'abandonnant au mépris par la condition misérable
de sa vie et de sa naissance.
1 Psal. VIII, 6.
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Voilà, mes frères, quels sont les degrés par lesquels le
Dieu incarné descend de son trône. Il vient premièrement à notre nature, par la
nature à l'infirmité, de l'infirmité aux disgrâces et aux injures de la fortune
: c'est ce que vous avez remarqué par ordre dans les paroles de mon évangile.
Mais ce n'est pas ce qu'il y a
de plus important, ni ce qui m'étonne le plus. Je confesse que je ne puis assez
admirer cet abaissement de mon Maître; mais j'admire encore beaucoup davantage
qu'on me donne cet abaissement comme un signe pour reconnaître en lui le Sauveur
du monde : Et hoc vobis signum, nous dit l'ange. Votre Sauveur est né
aujourd'hui, et voici la marque que je vous en donne : un enfant revêtu de
langes, couché dans la crèche; c'est-à-dire, comme nous l'avons déjà expliqué,
courez à cet enfant nouvellement né, vous y trouverez : qu'y trouverons-nous?
Une nature semblable à la vôtre, des infirmités telles que les vôtres, des
misères au-dessous des vôtres. Et hoc vobis signum. Reconnaissez à ces
belles marques qu'il est le Sauveur qui vous est promis.
Est-il bien vrai? le
pouvons-nous croire? Quoi! les bassesses du Dieu incarné, sont-ce des marques
certaines qu'il est mon Sauveur? Oui, fidèle, n'en doute pas; et en voici les
raisons solides qui feront le sujet de cet entretien. Ta nature était tombée par
ton crime, ton Dieu l'a prise pour la relever; tu languis au milieu des
infirmités, il s'y est assujetti pour les guérir; les misères du monde
t'effraient, il s'y est soumis pour les surmonter et rendre toutes ses terreurs
inutiles. Divines marques, sacrés caractères par lesquels je connais mon
Sauveur, que ne puis-je vous expliquer à cette audience avec les sentiments que
vous méritez ! Du moins efforçons-nous de le faire, et commençons à montrer dans
ce premier point que Dieu prend notre nature pour la relever.
PREMIER POINT.
Pour comprendre solidement de
quelle chute le Fils de Dieu nous a relevés, je vous prie de considérer cette
proposition que j'avance, qu'en prenant la nature humaine, il nous rend la
liberté d'approcher de Dieu, que le péché nous avait ôtée. C'est là le
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fondement du christianisme, qu'il est nécessaire que vous
entendiez, et que je me propose aussi de vous expliquer. Pour cela, remarquez,
fidèles, une suite étrange de notre chute (a) : c'est que depuis cette
malédiction qui fut prononcée contre nous après le péché, il est demeuré dans
l'esprit des hommes une certaine frayeur des choses divines, qui non-seulement
ne leur permet pas d'approcher avec confiance de Dieu, de cette majesté
souveraine, mais encore qui les épouvante devant tout ce qui paraît de
surnaturel. Les exemples en sont communs dans les saintes Lettres (b). Le
peuple dans le désert appréhende d'approcher de Dieu, de peur qu'il ne meure
(1). Les parents de Samson disent : « Nous mourrons de mort, car nous avons vu
le Seigneur (2). » Jacob, après cette vision admirable, crie tout effrayé : «
Que ce lieu est terrible! vraiment c'est ici la maison de Dieu (3)! » « Malheur
à moi ! dit le prophète Isaïe, car j'ai vu le Seigneur des armées (4). » Tout
est plein de pareils exemples. Quel est, fidèles, ce nouveau malheur qui fait
trembler un si grand prophète? Quel malheur, d'avoir vu Dieu? Et que veulent
dire tous ces témoignages, et tant d'autres que nous lisons dans les Ecritures?
C'est qu'elles veulent nous exprimer la terreur qui saisit naturellement tous
les hommes en la présence de Dieu, depuis que le péché est entré au monde.
Quand je recherche les causes
d'un effet si extraordinaire, et que je me demande à moi-même : D'où vient que
les hommes s'effraient de Dieu? il s'en présente à mon esprit deux raisons qui
vont apporter de grandes lumières au mystère de cette journée. La première cause
c'est l'éloignement, la seconde c'est la colère. Expliquons ceci. Dieu est
infiniment éloigné de nous, Dieu est irrité contre nous. Il est infiniment
éloigné de nous par la grandeur de sa nature ; il est irrité contre nous par la
rigueur de sa justice, parce que nous sommes pécheurs. Cela produit deux sortes
de craintes : la première vient de l'étonnement, elle riait de l'éclat de la
majesté; l'autre des menaces. Ah! je vois trop de grandeur, trop de majesté; une
crainte d'étonnement me saisit, il est impossible
1 Exod., XX, 19. — 2 Judic.,
XIII, 22. — 3 Genes., XXVIII, 17. — 4 Isa., VI, 5.
(a) Var. : Ruine. — (b) Cela peut-être
aurez-vous peine à le croire, mais vous le verrez par les saintes Lettres.
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que j'en approche. Ah! je vois cette colère qui me
poursuit; ses menaces me font trembler, je ne puis supporter l'aspect de cette
majesté irritée, si j'approche je suis perdu. Voilà les deux craintes : la
première causée par l'étonnement de la majesté, la seconde par les menaces de la
justice et de la colère divine. C'est pourquoi le Fils de Dieu fait deux choses;
chrétiens, voici le mystère. En se revêtant de notre nature, premièrement il
couvre la majesté et il ôte la crainte d'étonnement ; en second lieu il nous
fait voir qu'il nous aime par le désir qu'il a de nous ressembler, et il fait
cesser les menaces. C'est tout le mystère de cette journée, c'est ce que j'avais
promis de vous expliquer. Vous voyez par quel excès de miséricorde le Fils
unique du Père éternel nous rend la liberté d'approcher de Dieu et relève notre
nature abattue. Mais ces choses ont besoin d'être méditées ; ne passons pas si
légèrement par-dessus, tâchons de les rendre sensibles en les étendant
davantage.
Et premièrement, chrétiens, il
est bien aisé de comprendre que Dieu est infiniment éloigné de nous. Car il
n'est rien de plus éloigné que la souveraineté et la servitude, que la
toute-puissance et une extrême faiblesse, que l'éternité toujours immuable et
notre continuelle agitation. En un mot tous ses attributs l'éloignent de nous ;
son immensité, son infinité, son indépendance, tout cela l'éloigné; et il n'y en
a qu'un seul qui l'approche, vous jugez bien que c'est la bonté. Sa grandeur
l'élève au-dessus de nous, sa bonté l'approche de nous et le rend accessible aux
hommes; et cela est clair dans les saintes Lettres. « Cachez-vous, dit le
prophète Isaïe (1) ; entrez bien avant dans la terre; jetez-vous dans les
cavernes les plus profondes : » Ingredere in petram et abscondere in fossâ
humo. Et pourquoi? Cachez-vous, dit-il encore une fois, « devant la face
terrible de Dieu et devant la gloire de sa majesté : » à facie timoris homini
et à glorià majestatis ejus. Voyez comme sa grandeur l'éloigné des hommes.
La miséricorde, au contraire, « elle vient à nous, » dit David : Veniat super
me misericordia tua (2). Non-seulement elle vient à nous, mais « elle nous
suit : » misericordia tua subsequetur me (3). Non-seulement elle
1 Isa., II, 10. — 2 Psal. CXVIII, 4. — 3 Psal.
XXII, 6.
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nous suit, mais «elle nous environne : » sperantem autem
in Domino misericordia circumdabit (1). Tellement qu'il n'est rien de plus
véritable, qu'autant que la grandeur de Dieu l'éloigne de nous, autant sa bonté
l'en approche.
Mais elle exige une condition
nécessaire, c'est que nous soyons innocents. Sommes-nous abandonnés au péché,
aussitôt elle se retire, et voyez un effet étrange. La bonté s'étant retirée, je
ne vois plus ce qui m'approche de Dieu ; je ne vois que ce qui m'éloigne ; la
crainte et l'étonnement me saisissent, et je ne sais plus par où approcher.
Comme un homme de condition médiocre qui avait accès à la Cour par une personne
de crédit qui le lui donnait; il parlait et était écouté, et les entrées lui
étaient ouvertes. Tout d'un coup son protecteur se retire, et on ne le connaît
plus; tous les passages sont inaccessibles; et de sa bonne fortune passée il ne
lui reste (a) que l'étonnement de se voir si fort éloigné. Il en est
ainsi arrivé à l'homme. Tant qu'il conserva l'innocence, Dieu lui parlait, il
parlait à Dieu avec une sainte familiarité. Mais comment s'en approchait-il,
direz-vous, puisque la distance était infinie? Ah ! c'est que la bonté
descendait à lui et l'introduisait près du trône (b). Maintenant cette
bonté étant offensée, elle se retire elle-même. Que fera-t-il, et où ira-t-il?
Il ne voit plus ce qui l'approchait ; il découvre seulement de loin une lumière
qui l'éblouit et une majesté qui l'étonné. Bonté, où êtes-vous? bonté,
qu'êtes-vous devenue? Ah! son crime l'a éloignée. Sa vue se perd dans l'espace
immense par lequel il se sent séparé de Dieu ; et dans l'étonnement où il est,
en voyant cette hauteur sans mesure, il croit qu'il est perdu s'il approche, il
croit que sa petitesse sera accablée par le poids de cette majesté infinie.
Voilà quelle est la première cause qui nous empêche d'approcher de Dieu : c'est
la grandeur et la majesté. C'est pourquoi les philosophes platoniciens, comme
remarque saint Augustin, disaient que la nature divine n'était pas accessible
aux hommes, et que nos vœux ne pénétraient pas jusqu’à elle. Je ne m'en étonne
pas, chrétiens; je ne m'étonne pas que les philosophes désespèrent d'approcher
de Dieu; ils n'ont pas un
1 Psal. XXXI, 10.
(a) Var. : Il ne lui reste plus. — (b)
A la majesté.
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Sauveur qui les y appelle, ils n'ont pas un Jésus qui les
introduise. Ils ne regardent que la majesté dont ils ne peuvent supporter
l'éclat, et ils sont contraints de se retirer en tremblant.
Mais si la splendeur et la
gloire de cette divine face nous inspire tant de terreur, que sera-ce de la
colère? Si les hommes ne peuvent s'approcher de Dieu seulement parce qu'il est
grand, comment pourront-ils soutenir l'aspect d'un Dieu justement irrité contre
eux? Car si la grandeur de Dieu nous éloigne, la justice va bien plus loin; elle
nous repousse avec violence. C'est le second sujet de nos craintes, sur lequel
je n'ai qu'un mot à vous dire, parce que la chose n'est pas difficile.
Représentez-vous vivement quelle fut l'horreur de cette journée en laquelle Dieu
maudit nos parents rebelles, en laquelle le chérubin exécuteur de la vengeance
les chassa du paradis de délices qu'ils avaient déshonoré par leur crime, les
menaçant avec cette épée de flamme lorsqu'ils osaient seulement y tourner la
vue. Quels furent les sentiments de ces misérables bannis? Combien étaient-ils
éperdus! Ne leur semblait-il pas, en quelque lieu qu'ils puissent fuir, qu'ils
voyaient toujours briller à leurs yeux cette épée terrible, et que cette voix
tonnante, devant laquelle ils avaient été contraints de se cacher, retentissait
continuellement à leurs oreilles? Après les menaces, après les terreurs de ce
triste et funeste jour, ne vous étonnez pas, chrétiens, si les Ecritures nous
disent que les hommes appréhendent naturellement que la présence de Dieu ne les
tue. C'est que, depuis cette première malédiction, il s'est répandu par toute la
nature une certaine impression secrète, que Dieu est justement offensé contre
elle : si bien que vouloir mener les hommes à Dieu, c'est conduire les criminels
à leur juge, et à leur juge irrité; et leur dire que Dieu vient à eux, c'est
rappeler en quelque sorte à leur mémoire le supplice qui leur est dû, la
vengeance qui les poursuit et la mort qu'ils ont méritée. C'est pourquoi ils
s'écrient : « Nous mourrons de mort, si Dieu se présente seulement à nous. »
Vous voyez par là, chrétiens,
quelle est l'extrémité de notre misère, puisque nous sommes éloignés de Dieu et
que les entrées nous sont défendues. Venez maintenant, ô Sauveur Jésus, et ayez
pitié de nos maux ; couvrez la majesté qui nous étonne, désarmez
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la colère qui nous épouvante : Redde mihi lœtitiam
salutaris tui (1). Rendez-nous l'accès près de votre Père, duquel dépend
tout notre bonheur ; rendez-nous cette bonté qui s'est irritée, ne pouvant
souffrir nos péchés, afin que nous puissions approcher de Dieu. Ne craignons
plus, nous sommes exaucés ; je la vois paraître : Et hoc vobis signum; «
Voilà le signe qu'on nous en donne; » je la vois dans la crèche de Jésus-Christ,
je la vois en cet enfant nouvellement né. Dieu n'est plus éloigné de nous,
puisqu'il se fait homme ; Dieu n'est plus irrité contre nous, puisqu'il s'unit à
notre nature par une étroite alliance. La bonté, que notre crime avait éloignée,
revient à nous. Ecoutez l'Apôtre qui nous la montre : Apparuit gratta et
benignitas Salvatoris nostri Dei (2) : « La grâce et la bénignité de Dieu
notre Sauveur nous est apparue. » O paroles de consolation! Remettez, Messieurs,
en votre pensée ce que nous avons expliqué, que la grandeur de Dieu l'éloigné de
nous, et que sa justice repousse bien loin les pécheurs ; il n'y a que sa bonté
qui l'approche et le rend accessible aux hommes. Que fait ce grand Dieu pour
nous attirer ? Il nous cache tout ce qui l'éloigné de nous, et il ne nous montre
que ce qui l'approche. Car, mes frères , que voyons-nous en la personne du Dieu
incarné? que voyons-nous en ce Dieu enfant que nous sommes venus adorer? Sa
gloire se tempère, sa majesté se couvre, sa grandeur s'abaisse, cette justice
rigoureuse ne se montre pas ; il n'y a que la bonté qui paraisse, afin de nous
inviter avec plus d'amour : Apparuit gratia et benignitas Salvatoris nostri
Dei.
Voyez cette majesté souveraine
devant laquelle tous les anges tombent et toute la nature est émue (a) :
elle descend, elle se rabaisse, elle traite d'égal avec nous. Et ce qui est bien
plus admirable, c'est afin, dit Tertullien, que nous puissions traiter d'égal
avec elle : Ex œquo agebat Deus cum homine, ut homo vel ex œquo agere cum Deo
posset (3). Traiter d'égal avec Dieu ! Peut-on relever plus la nature
humaine ? Peut-on nous donner plus de confiance ? Que les anciens aient été
effrayés de Dieu, il y avait
1 Psal. L, 14. — 2 Tit., III, 4. — 3
Advers. Marcion., lib. II, n. 27.
(a) Var. : Cette majesté souveraine, que les
anges n'osent regarder, devant laquelle toute la nature est émue.
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sujet de trembler; Isaïe l'a vu en sa gloire, et la crainte
l'a saisi ; Adam l'a vu en sa colère, et il a fui devant sa face. Mais pour
nous, pourquoi craindrions-nous, puisque ce n'est pas cette majesté qui étonne,
ni cette justice rigoureuse qui se présente a nous aujourd'hui ; mais que la
grâce, la bénignité, la douceur de Dieu notre Sauveur nous est apparue ?
Apparuit gratia.
Approchons donc, mes frères, par
ce grand et par cet illustre Médiateur, approchons avec confiance : Et hoc
vobis signum : « Voilà le signe que l'on vous en donne. » Qu'on ne m'objecte
plus mes faiblesses, mon imperfection, mon néant. Tout néant que je suis, je
suis homme; et mon Dieu qui est tout, il est homme. Je viens hardiment au nom de
Jésus, je soutiens que Dieu est à moi par Jésus-Christ. Car « ce Fils nous est
donné ; c'est pour nous qu'est né ce petit enfant (1) ; » et je sais qu'un Dieu
incarné, c'est un Dieu se donnant à nous. Je m'attache à Jésus en ce qu'il a de
semblable à moi, c'est-à-dire la nature humaine ; et par là je me mets en
possession de ce qu'il a d'égal à son Père, c'est-à-dire de la divinité même.
Chrétien, élève tes espérances ; eh Dieu ! qu'ont de commun avec toi ces
passions brutales qui règnent dans les animaux ? Qu'ont de commun avec toi les
choses mortelles depuis que tu es si cher à ton Dieu, qu'en prenant
miséricordieusement ce que tu es, il te donne si libéralement, si abondamment ce
qu'il est lui-même? Dieu veut agir en homme, dit Tertullien, « afin que l'homme
apprenne à agir en Dieu : » Ut homo divine agere doceretur (2). Et cet
homme, que Jésus enseigne à prendre des sentiments tout divins, attache tous ses
désirs à la terre, comme s'il devait mourir ainsi que les bêtes. Ah ! portons
plus haut nos pensées; considérons la gloire de notre nature si heureusement
rétablie. Si la nature est relevée, il faut que les actions soient plus nobles.
Rendons grâces au Père éternel par notre Seigneur Jésus-Christ, de ce que, parmi
les moyens par lesquels il aurait pu nous sauver, il a voulu choisir celui qui
nous assure le plus sa miséricorde, qui appuie le mieux notre espérance, qui
enflamme le plus fortement notre amour (a).
1 Isa., IX, 6. — 2 Tertull., ubi suprà.
(a) Var.:... De ce que, dans le choix des
moyens par lesquels il a voulu nous sauver, il n a pas choisi ceux qui étaient
les plus plausibles selon le monde, mais les plus propres à toucher les cœurs ;
ni ce qui semblait plus digne de lui, mais ce qui était le plus utile pour nous.
251
Quand j'entends les libertins
qui nous disent que tout ce qu'on raconte du Verbe incarné, c'est une histoire
indigne d'un Dieu, que je déplore leur ignorance! Toutefois, que cela soit
indigne d'un Dieu, je ne le veux pas contredire ; mais que Tertullien répond à
propos : « Tout ce qui est indigne de Dieu est utile pour mon salut! »
Quodcumque Deo indignum est, mihi expedit (1). Et dès là qu'il est utile
pour mon salut, il devient digne même de Dieu, parce qu'il n'est rien plus digne
de Dieu que d'être libéral à sa créature ; « il n'est rien plus digne de Dieu
que de sauver l'homme : » Nihil enim tam dignum Deo quàm salus hominis
(2). Et que l'on peut facilement renverser toutes leurs vaines oppositions ! Car
enfin, quelque indignité que l'on s'imagine dans le mystère du Verbe fait chair,
Dieu n'en est pas moins grand, et il nous relève ; Dieu ne s'épuise pas, et il
nous enrichit ; quand il se fait homme, il ne perd pas ce qu'il est, et il nous
le communique ; il demeure ce qu'il est, et il nous le donne : par là il
témoigne son amour, et il conserve sa dignité. Voyez donc que si Dieu prend
notre nature pour la relever, rien n'est plus digne de Dieu qu'un si grand
ouvrage. Mais je n'ai pas entrepris, Messieurs, de combattre les libertins ; il
faut édifier les fidèles : revenons à notre dessein ; et après que nous avons vu
la nature si glorieusement relevée, voyons encore guérir ses infirmités par
celles qu'a prises le Fils de Dieu, et que nous remarquons dans ses langes.
C'est ma seconde partie.
SECOND POINT.
Si je vous donne les langes du
Fils de Dieu comme un signe pour reconnaître les infirmités qu'il a prises avec
la nature, je ne le fais pas de moi-même, mais je l'ai appris de Tertullien, qui
nous l'explique très - éloquemment par une pensée qui mérite bien nos
attentions. Il dit que « les langes du Fils de Dieu sont le commencement de sa
sépulture : » Pannis jam sepulturœ involucrum initiatus (3). En effet ne
paraît-il pas un certain rapport entre
1 De Carne. Christi., n. 5. — 2 Advers. Marcion.,
lib. II, n. 21.— 3 Ibid., lib. IV, n. 21
252
les langes et les draps de la sépulture? On enveloppe
presque de même façon ceux qui naissent et ceux qui sont morts, un berceau a
quelqu'idée d'un sépulcre, et c'est la marque de notre mortalité qu'on nous
ensevelisse en naissant. C'est pourquoi Tertullien voyant le Sauveur couvert de
ses langes, il se le représente déjà comme enseveli ; il reconnaît en sa
naissance le commencement de sa mort : Pannis jam sepulturœ involucrum
initiatus. Suivons l'exemple de ce grand homme ; et après avoir vu en notre
Sauveur la nature humaine par le mot d'enfant, considérons la mortalité dans ses
langes, et avec la mortalité toutes les infirmités qui la suivent. C'est la
seconde partie de mon texte, qui est enchaînée avec la première par une liaison
nécessaire. Car après que le Fils de Dieu s'était revêtu de notre nature,
c'était une suite infaillible qu'il en prendrait aussi les infirmités. Ce ne
sera pas moi, chrétiens, qui vous expliquerai un si grand mystère ; il faut que
je vous fasse entendre en ce lieu le plus grand théologien de l'Eglise ; c'est
l'incomparable saint Augustin. J'ai choisi ce qu'il en a dit dans cette épître
admirable à Volusien (1), parce que dans mon sentiment l'antiquité n'a rien de
si beau ni de si pieux tout ensemble sur cette matière que nous traitons.
Puisque Dieu avait bien voulu se
faire homme, il était juste qu'il n'oubliât rien pour nous faire sentir cette
grâce ; et pour cela, dit saint Augustin, il fallait qu'il prit les infirmités
par lesquelles la vérité de sa chair est si clairement confirmée, et il nous va
éclaircir ce qu'il vient de dire par cette belle réflexion. Toutes les Ecritures
nous prêchent, dit-il, que le Fils de Dieu n'a pas dédaigné la faim, ni la soif,
ni les fatigues, ni les sueurs, ni toutes les autres incommodités d'une chair
mortelle. Et néanmoins, remarquez ceci, un nombre infini d'hérétiques qui
faisaient profession de l'adorer, mais qui rougissaient en leurs cœurs de son
Evangile, n'ont pas voulu reconnaître en lui la nature humaine. Les uns disaient
que son corps était un fantôme ; d'autres, qu'il était composé d'une matière
céleste ; et tous s'accordaient à nier qu'il eût pris effectivement la nature
humaine.
1 Epist. CXXXVII, n. 8 et 9.
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D'où vient cela, chrétiens? C'est qu'il paraît incroyable
qu'un Dieu se fasse homme ; et plutôt que de croire une chose si difficile, ils
trouvaient le chemin plus court de dire qu'en effet il ne l'était pas, et qu'il
n'en avait que les apparences. Suivez, s'il vous plaît, avec attention ; ceci
mérite d'être écouté. Que serait-ce donc, dit saint Augustin, s'il fût tout à
coup descendu des cieux, s'il n'eût pas suivi les progrès de l'âge, s'il eût
rejeté le sommeil et la nourriture? N'aurait-il pas lui-même confirmé l'erreur?
N'aurait-il pas semblé qu'il eût en quelque sorte rougi de s'être fait homme,
puisqu'il ne le paraissait qu'à demi ? N'aurait-il pas effacé dans tous les
esprits la créance de sa bienheureuse incarnation, qui fait toute notre
espérance? Et ainsi, dit saint Augustin ( que ces paroles sont belles ! ), « en
faisant toutes choses miraculeusement, il aurait lui-même détruit ce qu'il a
fait miséricordieusement : » Et dùm omnia mirabiliter facit, auferret quod
misericorditer fecit (1).
En effet puisque mon Sauveur
était Dieu, il fallait certainement qu'il fit des miracles ; mais puisque mon
Sauveur était homme, il ne devait pas avoir honte de montrer de l'infirmité, et
l'ouvrage de la puissance ne devait pas renverser le témoignage de la
miséricorde. C'est pourquoi, dit saint Augustin, il fait de grandes choses, il
en fait de basses ; mais il modère tellement toute sa conduite, « qu'il relève
les choses basses par les extraordinaires , et tempère les extraordinaires par
les communes : » Ut solita sublimaret in solitis, et insolita solitis
temperant (2). Confessez que tout cela est bien soutenu ; je ne sais si je
le fais bien entendre. Il naît, mais il naît d'une vierge; il mange, mais quand
il lui plaît il commande aux anges de servir sa table ; il dort, mais pendant
son sommeil il empêche la barque d'être submergée (a) ; il marche, mais
quand il l'ordonne l'eau devient ferme sous ses pieds ; il meurt, mais en
mourant il met en crainte toute la nature. Voyez qu'il tient partout un milieu
si juste, qu'où il paraît en homme, il nous sait bien montrer qu'il est Dieu ;
où il se déclare Dieu, il fait voir aussi qu'il est homme. L'économie est
1 Epist. CXXXVII, n. 9. — 2 Ibid.
(a) D'être renversée, — de couler à fond.
254
si sage, la dispensation si prudente, c'est-à-dire toutes
choses sont tellement ménagées, que la Divinité paraît tout entière, et
l'infirmité tout entière. Cela est admirable.
Mais il me semble que vous
m'arrêtez pour me dire : Il est vrai, nous le voyons bien ; Jésus a ressenti nos
infirmités, mais nous attendons autre chose ; vous nous avez promis de nous
faire voir que ses faiblesses guérissent les nôtres, c'est ce qu'il faut que
vous expliquiez. — Et n'en êtes-vous pas encore convaincus? Ne suffit-il pas,
chrétiens, d'avoir remarqué nos infirmités en la personne du Fils de Dieu, pour
en espérer de lui le remède ? Et hoc vobis signum : « Voilà le signe que
l'on vous en donne. » L'Apôtre avait bien entendu ce signe, lorsque voyant les
infirmités de son Maître, aussitôt il paraît consolé des siennes. Ah ! dit-il, «
nous n'avons pas un pontife qui soit insensible à nos maux (1) ; » il compatit
aux infirmités de notre nature , il y apportera du soulagement. Et quel signe
nous en donnez-vous, saint Apôtre? Et hoc vobis signum. « C'est qu'il les
a, dit-il, éprouvées : » Tentatum per omnia (2). Je vous prie, entendez
ce signe, rien n'est plus plein de consolation. N'est-il pas vrai, fidèles? de
tous ceux dont vous plaignez les disgrâces, il n'y en a point pour lesquels
votre compassion soit plus tendre que pour ceux que vous voyez dans les mêmes
afflictions que vous avez autrefois senties (a). Vous avez perdu un ami,
j'en ai perdu un autrefois ; dans cette rencontre de douleurs, ma pitié en sera
plus grande, parce que je sens par expérience combien il est dur de perdre un
ami. Et de là quel soulagement je vois naître pour les misérables ! Ah !
consolez-vous, chrétiens, qui languissez parmi les douleurs; mon Sauveur n'a
épargné à son corps, ni la faim, ni la soif, ni les fatigues, ni les sueurs, ni
les infirmités, ni la mort. Il n'a épargné à son âme, ni la tristesse, ni
l'inquiétude, ni les longs ennuis, ni les plus cruelles appréhensions. O Dieu,
qu'il aura d'inclination de nous soulager, nous qu'il voit du plus haut des
cieux battus des mêmes orages dont il a été attaqué sur la terre! C'est pourquoi
l'Apôtre se glorifie des infirmités de notre pontife. Ah! «nous n'avons pas,
1 Hebr., IV, 15.— 2 Ibid.
(a) Var. : Dont vous avez autrefois senti la
rigueur.
255
un pontife qui ne sente pas nos infirmités : il les sent,
il en est touché, il en a pitié, » dit saint Paul (a). Et pourquoi? «
C'est qu'il a passé comme nous, répond-il , par toutes sortes d'épreuves : »
Tentatum per omnia absque peccato (1). Il a tout pris, à l'exception du
péché. Il sait, il sait par expérience combien est grande la faiblesse de notre
nature.
Et quoi donc ! le Fils de Dieu ,
direz-vous, qui est la sagesse du Père, ne saurait-il pas nos infirmités, s'il
ne les avait expérimentées ? — Ah ! ce n'est pas le sens de l'Apôtre , vous ne
prenez pas sa pensée ; entendons cette doctrine tout apostolique. Je l'avoue,
cette société de malheurs ne lui ajoute rien pour la connaissance, mais elle
ajoute beaucoup pour la tendresse. Car Jésus n'a pas oublié ni les longs
travaux, ni les autres difficultés de son pénible pèlerinage ; cela est encore
présent à son esprit : de sorte qu'il ne nous plaint pas seulement comme ceux
qui sont dans le port plaignent les autres qu'ils voient sur la mer agités d'une
furieuse tempête ; mais il nous plaint à peu près comme ceux qui courent le même
péril se plaignent les uns les autres par une expérience sensible de leurs
communes disgrâces. Il nous plaint, si je l'ose dire, comme ses compagnons de
fortune, comme ayant eu à passer par les mêmes misères que nous, ayant eu tout
ainsi que nous une chair sensible aux douleurs et un sang capable de s'altérer,
et une température de corps sujette comme la nôtre à toutes les incommodités de
la vie et à la nécessité de la mort. Quiconque rares cela cherche d'autres joies
et d'autres consolations que Jésus, il ne mérite ni joie ni consolation. Qui
peut douter, fidèles, de la guérison de nos maladies, après ce signe que l'on
nous donne? Car pour recueillir mon raisonnement, la compassion du Sauveur n'est
pas une affection inutile; si elle émeut le cœur, elle sollicite le bras. Ce
médecin est tout-puissant ; tout ce qui lui fait pitié, il le sauve ; tout ce
qu'il plaint, il le guérit. Or nous avons appris de l'Apôtre qu'il plaint tous
les maux qu'il a éprouvés. Et quels maux n'a-t-il pas voulu éprouver? Il a senti
les infirmités,
1 Hebr., IV, 15.
(a) Un pontife qui ne soit point touché de nos
faiblesses : il en est touché, dit saint Paul.
256
il les guérira; les appréhensions, il les guérira; les
ennuis, les langueurs, il les guérira ; la mortalité, il la guérira ; tous les
maux, il guérira tout. Par conséquent, mes frères, espérons bien des faiblesses
de notre nature ; disons tous ensemble avec le Psalmiste : Secundùm
multitudinem dolorum meorum in corde meo, consolationes tuœ lœtificaverunt
animam meam (1) : « Selon la multitude de mes douleurs, vos consolations, ô
mon Dieu, se sont répandues abondamment en mon âme. » Autant que je vois
d'infirmités en Notre-Seigneur, autant je me promets de grandeur pour moi ; et
ainsi n'ai-je pas raison de vous dire que s'il a pris nos infirmités, c'est pour
les guérir ? C'était ma seconde partie : Dieu nous fera la grâce d'établir en
peu de mots la troisième sur des raisons aussi convaincantes.
TROISIÈME POINT.
Achevez votre ouvrage, ô divin
Sauveur ; mettez la dernière main au salut des hommes par votre crèche, par
votre étable, par votre misère , par votre indigence. Le Fils de Dieu,
Messieurs, en se faisant homme et nous rendant la liberté d'approcher de Dieu,
nous montrait où il fallait tendre ; en se soumettant aux faiblesses de la
nature, il nous confirmait tout ensemble (a) et la vérité de sa chair et
la grandeur de nos espérances. Maintenant pour accomplir son ouvrage, il faut
qu'il éloigne tous les obstacles qui nous empêchent de parvenir à la fin qu'il
nous a proposée ; c'est ce qu'il fait admirablement par sa crèche, et vous le
pouvez aisément comprendre, si vous suivez ce raisonnement facile et moral. Ce
qui nous empêche d'aller au souverain bien, c'est l'illusion des biens apparents
; c'est la folle et ridicule créance qui s'est répandue dans tous les esprits,
que tout le bonheur de la vie consiste dans ces biens externes que nous appelons
les honneurs, les richesses et les plaisirs. Etrange et pitoyable ignorance !
C'est pourquoi le Fils de Dieu
vient au monde comme un réformateur du genre humain , pour désabuser tous les
hommes de leurs erreurs et leur donner la vraie science des biens et des
1 Psal. XCIII, 19.
(a) Var. : Davantage.
237
maux; et voici l'ordre qu'il y tient. Le monde a deux
moyens d'abuser (a) les hommes : il a premièrement de fausses douceurs
qui surprennent (b) notre crédulité trop facile ; il a
secondement de vaines terreurs qui abattent notre courage trop lâche. Il est des
hommes si délicats qu'ils ne peuvent vivre, s'ils ne sont toujours dans la
volupté , dans le luxe, dans l'abondance. Il en est d'autres qui vous diront :
Je ne demande pas de grandes richesses, mais la pauvreté m'est insupportable ;
je n'envie pas le crédit de ceux qui sont dans les grandes intrigues du monde,
mais il est dur de demeurer dans l'obscurité ; je me défendrai bien des
plaisirs, mais je ne puis souffrir les douleurs. Le monde gagne les uns, et il
épouvante les autres. Tous deux s'écartent de la droite voie ; et tous deux
enfin viennent à ce point, que celui-ci pour obtenir les plaisirs sans lesquels
il s'imagine qu'il ne peut pas vivre, et l'autre pour éviter les malheurs qu'il
croit qu'il ne pourra jamais supporter, s'engagent entièrement dans l'amour du
monde.
Mon Sauveur, faites tomber ce
masque hideux par lequel le monde se rend si terrible ; faites tomber ce masque
agréable par lequel il semble si doux ; désabusez-nous. Premièrement faites
voir quelle est la vanité des biens périssables : Et hoc vobis signum ; «
Voilà le signe que l'on vous en donne. » Venez à l'étable, à la crèche , à la
misère, à la pauvreté de ce Dieu naissant. Si les plaisirs que vous recherchez,
si les grandeurs que vous admirez étaient véritables, quel autre les aurait
mieux méritées qu'un Dieu ? qui les aurait plus facilement obtenues, ou avec une
pareille magnificence ? Quelle troupe de gardes l'environnerait ! quelle serait
la beauté de sa Cour ! quelle pourpre éclaterait sur ses épaules ! quel or
reluirait sur sa tête ! quelles délices lui préparerait toute la nature, qui
obéit si ponctuellement à ses ordres! Mais «il a jugé, dit Tertullien (1), que
ces biens, ces contentements, cette gloire étaient indignes de lui et des siens
: » Indignam sibi et suis judicavit. Il a cru que cette grandeur étant
fausse et imaginaire , elle ferait tort à sa véritable excellence. Et
ainsi, dit le même auteur, « en ne la voulant pas, il l'a rejetée : ce n'est pas
1 Tertull., De Idololatr., n. 18.
(a) Var. : Tromper. — (b) Qui
trompent.
258
assez ; en la rejetant, il l'a condamnée : il va bien plus
loin, en la condamnant, le dirai-je? oui, chrétiens, ne craignons pas de le
dire, il l'a mise parmi les pompes du diable auxquelles nous renonçons par le
saint baptême : » Quam noluit, rejecit; quam rejecit, damnavit ; quam
damnavit, in pompa diaboli deputavit (1). C'est la sentence que prononce le
Sauveur naissant contre toutes les vanités des enfants des hommes. Voilà la
gloire du monde bien traitée : il faut voir qui se trompe, de lui ou de nous. Ce
sont les paroles de Tertullien, qui sont fondées sur cette raison. Il est
indubitable que le Fils de Dieu pouvait naître dans la grandeur et dans
l'opulence; par conséquent, s'il ne les veut pas, ce n'est point par nécessité,
mais par choix ; et Tertullien a raison de dire qu'il les a formellement
rejetées : Quam noluit, rejecit. Mais tout choix vient du jugement : il y
a donc un jugement souverain par lequel Jésus-Christ naissant a donné cette
décision importante, que les grandeurs du siècle n'étaient pas pour lui, qu'il
les devait rejeter bien loin. Et ce jugement du Sauveur, n'est-ce pas la
condamnation de toutes !es pompes du monde? Quam rejecit, damnavit. Le
Fils de Dieu les méprise : quel crime de leur donner notre estime ! quel malheur
de leur donner notre amour ! Est-il rien de plus nécessaire que d'en détacher
nos affections? Et c'est pourquoi Tertullien dit que nous les devons renoncer
par l'obligation de notre baptême : Et hoc vobis signum ; c'est la
crèche, c'est la misère, c'est la pauvreté de ce Dieu enfant, qui nous montrent
qu'il n'est rien de plus méprisable que ce que les hommes admirent si fort.
Ah ! que la superbe philosophie
cherche de tous côtés des raisonnements contre l'amour désordonné des richesses,
qu'elle les étale avec grande emphase ; combien tous ses arguments sont-ils
éloignés de la force de ces deux mots : Jésus-Christ est pauvre! un Dieu est
pauvre ! Et que nous sommes bien insensés de refuser notre créance à un Dieu qui
nous enseigne par ses paroles et confirme les vérités qu'il nous prêche par
l'autorité infaillible de ses exemples! Après cela je ne puis plus écouter ces
vaines objections que nous fait la sagesse humaine : Un Dieu ne devait se
1 Tertull., De Idolatr., n. 18.
259
montrer aux hommes qu'avec une gloire (a) et un
appareil qui fût digne de sa majesté. Certes notre jugement, chrétiens, est
étrangement confondu par les apparences et par la tyrannie de l'opinion, si nous
croyons que l'éclat du monde ait quelque chose digne d'un Dieu qui possède en
lui-même la souveraine grandeur. Mais voulez-vous que je vous dise au contraire
ce que je trouve de grand, d'admirable, ce qui me paraît digne véritablement
d'un Dieu conversant avec les hommes? C'est qu'il semble n'être paru sur la
terre que pour fouler aux pieds toute cette vaine pompe (b) et braver
pour ainsi dire par la pauvreté de sa crèche notre faste ridicule et nos vanités
extravagantes. Car voyez où va son mépris : non-seulement il ne veut point de
grandeurs humaines ; mais pour montrer le peu d'état qu'il en fait, il se jette
(c) aux extrémités opposées. Il a peine à trouver un lieu assez bas par
où il fasse son entrée au monde ; il rencontre (d) une étable à demi
ruinée, c'est là qu'il descend. Il prend tout ce que les hommes évitent, tout ce
qu'ils craignent, tout ce qu'ils méprisent, tout ce qui fait horreur à leurs
sens, pour faire voir combien les grandeurs du siècle lui semblent vaines et
imaginaires : si bien que je me représente sa crèche, non point comme un berceau
indigne d'un Dieu, mais comme un chariot de triomphe où il traîne après lui le
monde vaincu. Là sont les terreurs surmontées, et là les douceurs méprisées ; là
les plaisirs rejetés, et ici les tourments soufferts. Et il me semble qu'au
milieu d'un si beau triomphe, il nous dit avec une contenance assurée : « Prenez
courage, j'ai vaincu le monde : » Confidite, ego vici mundum (1), parce
que par la bassesse de sa naissance, par l'obscurité de sa vie, par l'ignominie
de sa mort, il a effacé tout ce que les hommes estiment et désarmé tout ce
qu'ils redoutent : Et hoc vobis signum : « Voilà le signe que l'on nous
donne. »
Accourez de toutes parts,
chrétiens, et venez connaître à ces belles marques le Sauveur qui vous est
promis. Oui, mon Dieu, je vous reconnais; vous êtes le libérateur que j'attends.
Les Juifs espèrent un autre Messie qui leur donnera l'empire du monde, qui
1 Joan., XVI, 33.
(a) Var. : Un éclat. — (b) Notre vaine
pompe. — (c) Il court. — (d) IL trouve.
260
les rendra contents sur la terre. Ah ! combien de Juifs
parmi nous I combien de chrétiens qui désireraient un Sauveur qui les enrichît,
un Sauveur qui contentât leur ambition ou qui voulût flatter leur délicatesse !
Ce n'est pas là notre Jésus-Christ. A quoi le pourrons-nous reconnaître?
Ecoutez; je vous le dirai par de belles paroles d'un ancien Père : Si
ignobilis, si inglorius, si inhonorabilis, meus erit Christus (1) : « S'il
est méprisable, s'il est sans éclat, s'il est bas aux yeux des mortels ; c'est
le Jésus-Christ que je cherche. » Il me faut un Sauveur qui fasse honte aux
superbes, qui fasse peur aux délicats de la terre, que le monde ne puisse
goûter, qui ne puisse- être connu que des humbles de cœur. Il me faut un Sauveur
qui m'apprenne par son exemple que tout ce que je vois n'est qu'un songe, qu'il
n'y a rien de grand que de suivre Dieu et tenir tout le reste au-dessous de
nous, qu'il y a d'autres maux que je dois craindre et d'autres biens que je dois
attendre. Le voilà, je l'ai rencontré, je le reconnais à ces signes; vous le
voyez aussi, chrétiens. Reste à considérer maintenant si nous le croirons.
Il y a deux partis formés : le
monde d'un côté, Jésus-Christ de l'autre. On va en foule du côté du monde, on
s'y presse, on y court, on croit qu'on n'y sera jamais assez tôt. Là les
délices, les réjouissances, l'applaudissement, la faveur; vous pourrez vous
venger de vos ennemis; vous pourrez posséder ce que vous aimez ; votre amitié
sera recherchée; vous aurez de l'autorité, du crédit ; vous trouverez partout un
visage gai et un accueil agréable; il n'est rien tel, il faut prendre parti de
ce côté-là. D'autre part Jésus-Christ se montre avec un visage sévère, il est
pauvre et abandonné. L'un lui dit : Vous seriez mon Sauveur, si vous vouliez me
tirer de la pauvreté (a) : — Je ne vous le promets pas. — Que je puisse
contenter ma passion : — Je ne le veux pas. — Que je puisse seulement venger
cette injure : — Je vous le défends. — Le bien de cet homme m'accommoderait ; je
n'y ai point de droit, mais j'ai du crédit : — N'y touchez pas, ou vous êtes
perdu. — Qui pourrait souffrir un maître si rude? Retirons-nous, on n'y
1 Tertull., Advers. Marcion., lib. III, n. 17.
(a) Var. : L'un lui dit : Mon Sauveur, que ne
promettez-vous de semblables biens? Que vous seriez un grand et aimable Sauveur,
si vous vouliez sauver Je monde de la pauvreté!
261
peut pas vivre. Mais du moins que promettez-vous? De grands
biens? — Oui; mais pour une autre vie. — Je le prévois, mon Sauveur, vous
n'aurez pas la multitude pour vous; vous serez condamné, car le monde gagnera sa
cause. On nous donne un signe pour vous connaître, mais c'est un signe de
contradiction. Il s'en trouvera, même dans l'Eglise, qui seront assez malheureux
de le contredire ouvertement par des paroles et des sentiments infidèles, mais
presque tous le contrediront par leurs œuvres. Et ne le condamnons-nous pas tous
les jours? Quand nous prenons des routes opposées aux siennes, c'est lui dire
secrètement qu'il a tort et qu'il devait venir comme les Juifs l'attendent
encore. S'il est votre Sauveur, de quel mal voulez-vous qu'il vous sauve ? Si
votre plus grand mal c'est le péché, Jésus-Christ est votre Sauveur; mais s'il
était ainsi, vous n'y tomberiez pas si facilement. Quel est donc votre plus
grand mal? C'est la pauvreté, c'est la misère? Jésus-Christ n'est plus votre
Sauveur; il n'est pas venu pour cela. Voilà comme l'on condamne le Sauveur
Jésus.
Où irons-nous, mes frères, et où
tournerons-nous nos désirs ? Jusqu'ici tout favorise le monde, le concours, la
commodité, les douceurs présentes. Jésus-Christ va être condamné : on ne veut
point d'un Sauveur si pauvre et si nu. Irons-nous? Prendrons-nous parti?
Attendons encore : peut-être que le temps changera les choses. Peut-être ! Il
n'y a point de peut-être ; c'est une certitude infaillible. Il viendra, il
viendra ce terrible jour où toute la gloire du monde se dissipera en fumée ; et
alors on verra paraître dans sa majesté ce Jésus autrefois né dans une crèche,
ce Jésus autrefois le mépris des hommes, ce pauvre, ce misérable, cet imposteur,
ce Samaritain, ce pendu. La fortune de ce Jésus est changée. Vous l'avez méprisé
dans ses disgrâces ; vous n'aurez pas de part à sa gloire. Que cet avènement
changera les choses ! Là ces heureux du siècle n'oseront paraître, parce que se
souvenant de la pauvreté passée du Sauveur, et voyant sa grandeur présente, la
première sera la conviction de leur folie, et la seconde en sera la
condamnation. Cependant ce même Sauveur laissant ces heureux et ces fortunés,
auxquels on applaudissait sur la terre, dans la foule des malheureux, il
tournera sa divine face au petit nombre
262
de ceux qui n'auront pas rougi de sa pauvreté, ni refusé de
porter sa croix. Venez, dira-t-il, mes chers compagnons, entrez en la société de
ma gloire, jouissez de mon banquet éternel.
Apprenons donc, mes frères, à
aimer la pauvreté de Jésus ; soyons tous pauvres avec Jésus-Christ. Qui est-ce
qui n'est pas pauvre en ce monde, l'un en santé, l'autre en biens; l'un en
honneur, et l'autre en esprit? C'est pourquoi tout le monde désire, et tous ceux
qui désirent sont pauvres et dans le besoin. Aimez cette partie de la pauvreté
qui vous est échue en partage, pour vous rendre semblables à Jésus-Christ ; et
pour ces richesses que vous possédez, partagez-les avec Jésus-Christ.
Compatissez aux pauvres, soulagez les pauvres ; et vous participerez aux
bénédictions que Jésus a données à la pauvreté. Chrétiens, au nom de notre
Seigneur Jésus-Christ, « qui étant si riche par sa nature, s'est fait pauvre
pour l'amour de nous, pour nous enrichir par sa pauvreté (1), » détrompons-nous
des faux biens du monde ; comprenons que la crèche de notre Sauveur a rendu pour
jamais toutes nos vanités ridicules. Oui certainement, ô mon Seigneur Jésus-.
Christ, tant que je concevrai bien votre crèche, les apparences du siècle ne me
surprendront point par leurs charmes, elles ne m'éblouiront point par leur vain
éclat ; et mon cœur ne sera touché que de ces richesses inestimables que votre
glorieuse pauvreté nous a préparées dans la félicité éternelle. Amen.
1 II Cor., VIII, 9.
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