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LETTRE XLI.
BOSSUET A LOUIS XIV (a).
SIRE,
Le jour de la Pentecôte approche, où Votre Majesté à résolu
de communier. Quoique je ne doute pas qu'elle ne songe sérieusement à ce qu'elle
a promis à Dieu, comme elle m'a commandé de l'en faire souvenir, voici le temps
que je me sens le plus obligé de le faire. Songez, Sire, que vous ne pouvez être
véritablement converti, si vous ne travaillez à ôter de votre cœur,
non-seulement le péché, mais la cause qui vous y porte. La conversion véritable
ne se contente pas seulement d'abattre les fruits de mort, comme parle
l'Ecriture c'est-à-dire les péchés ; mais elle va jusqu'à la racine, qui les
ferait repousser infailliblement si elle n'était arrachée. Ce n'est pas
l'ouvrage d'un jour, je le confesse : mais plus cet ouvrage est long et
difficile, plus il y faut travailler. Votre Majesté ne croirait pas s'être
assurée d'une place rebelle, tant que l'auteur des mouvements y demeurerait en
crédit. Ainsi jamais votre cœur ne sera paisiblement à Dieu, tant que cet amour
violent, qui vous a si longtemps séparé de lui, y régnera.
Cependant, Sire, c'est ce cœur que Dieu demande. Votre
Majesté a vu les termes avec lesquels il nous commande de le lui donner tout
entier : elle m'a promis de les lire et les relire souvent. Je vous envoie
encore. Sire, d'autres paroles de ce même Dieu, qui ne sont pas moins
pressantes, et que je supplie Votre Majesté de mettre avec les premières. Je les
ai données à Madame de Montespan, et elles lui ont fait verser beaucoup de
larmes. Et
1 Rom., VII, 5.
(a) Cette lettre est sans date dans l'original; mais il est
évident qu'elle a précédé la suivante, également adressée à Louis XIV ; et tous
les faits nous assurent qu'elle fut envoyée en 1075, lorsque le Roi commandait
en personne ses armées des Pays-Bas. Cependant comme nous ne pourrions marquer
le temps précis où elle a été écrite, nous avons pris le parti de réunir ces
deux lettres, qu'on sera bien aise de lire sans interruption. (Les édit.)
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certainement, Sire, il n'y a point de plus juste sujet de
pleurer, que de sentir qu'on a engagé à la créature un cœur que Dieu veut avoir.
Qu'il est malaisé de se, retirer d'un si malheureux et si funeste engagement !
Mais cependant, Sire, il le faut, ou il n'y a point de salut à espérer.
Jésus-Christ, que vous recevrez, vous en donnera la force, comme il vous en a
déjà donné le désir.
Je ne demande pas, Sire, que vous éteigniez en un instant
une flamme si violente ; ce serait vous demander l'impossible : mais, Sire,
tâchez peu à peu de la diminuer ; craignez de l'entretenir. Tournez votre cœur à
Dieu ; pensez souvent à l'obligation que vous avez de l'aimer de toutes vos
forces, et au malheureux état d'un cœur qui, en s'attachant à la créature, par
là se rend incapable de se donner tout à fait à Dieu, à qui il se doit.
J'espère, Sire, que tant de grands objets qui vont tous les
jours de plus en plus occuper Votre Majesté, serviront beaucoup à la guérir. On
ne parle que de la beauté de vos troupes et de ce qu'elles sont capables
d'exécuter sous un aussi grand conducteur : et moi, Sire, pendant ce temps, je
songe secrètement en moi-même à une guerre bien plus importante et à une
victoire bien plus difficile que Dieu vous propose.
Méditez, Sire, cette parole du Fils de Dieu : elle semble
être prononcée pour les grands rois et pour les conquérants : « Que sert à
l'homme, dit-il, de gagner tout le monde, si cependant il perd son âme, et quel
gain pourra le récompenser d'une perte si considérable (1) ? » Que vous
servirait, Sire, d'être redouté et victorieux au dehors, si vous êtes au dedans
vaincu et captif ? Priez donc Dieu qu'il vous affranchisse ; je l'en prie sans
cesse de tout mon cœur. Mes inquiétudes pour votre salut redoublent de jour en
jour, parce que je vois tous les jours de plus en plus quels sont vos périls.
Sire, accordez-moi une grâce : ordonnez au Père de la
Chaise de me mander quelque chose de l'état où vous vous trouvez. Je serai
heureux, Sire, si j'apprends de lui que l'éloignement et les occupations
commencent à faire le bon effet que nous avons espère. C’est ici un temps
précieux. Loin des périls et des occasions,
1 Marc., VIII, 36, 37.
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vous pouvez plus tranquillement consulter vos besoins,
former vos résolutions et régler votre conduite. Dieu veuille bénir Votre
Majesté : Dieu veuille lui donner la victoire, et par la victoire la paix au
dedans et au dehors. Plus Votre Majesté donnera sincèrement son cœur à Dieu,
plus elle mettra en lui seul son attache et sa confiance, plus aussi elle sera
protégée de sa main toute-puissante.
Je vois, autant que je puis, Madame de Montespan, comme
Votre Majesté me l'a commandé. Je la trouve assez tranquille : elle s'occupe
beaucoup aux bonnes œuvres ; et je la vois fort touchée des vérités que je lui
propose, qui sont les mêmes que je dis aussi à Votre Majesté. Dieu veuille vous
les mettre à tous deux dans le fond du cœur et achever son ouvrage, afin que
tant de larmes, tant de violences, tant d'efforts que vous avez faits sur
vous-mêmes ne soient pas inutiles.
Je ne dis rien à Votre Majesté de Monseigneur le Dauphin :
M. de Montausier lui rend un fidèle compte de l'état de sa santé, qui, Dieu
merci, est parfaite. On exécute bien ce que Votre Majesté a ordonné en partant,
et il me semble que Monseigneur le Dauphin a dessein plus que jamais de profiter
de ce qu'elle lui a dit. Dieu, Sire, bénira en tout Votre Majesté, si elle lui
est fidèle. Je suis, avec un respect et une soumission profonde,
SlRE,
de Votre Majesté,
Le très-humble, très-obéissant, et très-fidèle sujet et
serviteur,
J. BÉNIGNE, anc. Év. de Condom.
LETTRE XLII.
BOSSUET A LOUIS XIV. A Saint-Germain, ce 10 juillet 1675.
Votre Majesté m'a fait une grande grâce, d'avoir bien voulu
m'expliquer ce qu'elle souhaite de moi, afin que je puisse ensuite me conformer
à ses ordres, avec toute la fidélité et l'exactitude
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possibles. C'est avec beaucoup de raison qu'elle s'applique
si sérieusement à régler toute sa conduite : car après vous être fait à
vous-même une si grande violence dans une chose qui vous touche si fort au cœur,
vous n'avez garde de négliger vos autres devoirs, où il ne s'agit plus que de
suivie vos inclinations.
Vous êtes né, Sire, avec un amour extrême pour la justice,
avec une bonté et une douceur qui ne peuvent être assez estimées; et c'est dans
ces choses que Dieu a renfermé la plus grande partie de vos devoirs, selon que
nous l'apprenons par cette parole de son Ecriture : « La miséricorde et la
justice gardent le Roi; et son trône est affermi par la bonté et par la clémence
» Vous devez donc considérer, Sire, que le trône que vous remplissez est à Dieu,
que vous y tenez sa place, et que vous y devez régner selon ses lois. Les lois
qu'il vous a données sont que parmi vos sujets votre puissance ne soit
formidable qu'aux médians, et que vos autres sujets puissent vivre en paix et en
repos, en vous rendant obéissance. Vos peuples s'attendent, Sire, à vous voir
pratiquer plus que jamais ces lois que l'Ecriture vous donne. La haute
profession que Votre Majesté a faite, de vouloir changer dans sa vie ce qui
déplaisait à Dieu, les a remplis de consolation : elle leur persuade que Votre
Majesté se donnant à Dieu, se rendra plus que jamais attentive à l'obligation
très-étroite qu'il vous impose de veiller à leur misère et c'est de là qu'ils
espèrent le soulagement dont ils ont un besoin extrême.
Je n'ignore pas, Sire, combien il est difficile de leur
donner ce soulagement au milieu d'une grande guerre, où vous êtes obligé à des
dépenses si extraordinaires, et pour résister à vos ennemis et pour conserver
vos alliés. Mais la guerre qui oblige Votre Majesté à de si grandes dépenses
l'oblige en même temps à ne laisser pas accabler le peuple par qui seul elle les
peut soutenir. Ainsi leur soulagement est autant nécessaire pour votre service
que pour leur repos. Votre Majesté ne l'ignore pas ; et pour lui dire sur ce
fondement ce que je crois être de son obligation précise et indispensable, elle
doit avant toutes choses s'appliquer à
1 Prov., XX, 28.
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connaître à fond les misères des provinces, et surtout ce
qu'elles ont à souffrir sans que Votre Majesté en profite, tant par les
désordres des gens de guerre que par les frais qui se font à lever la taille,
qui vont à des excès incroyables. Quoique Votre Majesté sache bien sans doute
combien en toutes ces choses il se commet d'injustices et de pilleries ; ce qui
soutient vos peuples, c'est, Sire, qu'ils ne peuvent se persuader que Votre
Majesté sache tout; et ils espèrent que l'application qu'elle a fait paraître
pour les choses de son salut, l'obligera à approfondir une matière si
nécessaire.
Il n'est pas possible que de si grands maux, qui sont
capables d'abîmer l'Etat, soient sans remède ; autrement tout serait perdu sans
ressource. Mais ces remèdes ne se peuvent trouver qu'avec beaucoup de soin et de
patience : car il est malaisé d'imaginer des expédients praticables, et ce n'est
pas à moi à discourir sur ces choses. Mais ce que je sais très-certainement,
c'est que si Votre Majesté témoigne persévéramment qu'elle veut la chose ; si
malgré la difficulté qui se trouvera dans le détail elle persiste invinciblement
à vouloir qu'on cherche ; si enfin elle fait sentir, comme elle le sait
très-bien faire, qu'elle ne veut point être trompée sur ce sujet, et qu'elle ne
se contentera que des choses solides et effectives : ceux à qui elle confie
l'exécution se plieront à ses volontés, et tourneront tout leur esprit à la
satisfaire dans la plus juste inclination qu'elle puisse jamais avoir.
Au reste Votre Majesté, Sire, doit être persuadée que
quelque bonne intention que puissent avoir ceux qui la servent pour le
soulagement de ses peuples, elle n'égalera jamais la vôtre. Les bons rois sont
les vrais pères des peuples ; ils les aiment naturellement : leur gloire et leur
intérêt le plus essentiel est de les conserver et de leur bien faire, et les
autres n'iront jamais en cela si avant qu'eux. C'est donc Votre Majesté qui par
la force invincible avec laquelle elle voudra ce soulagement, fera naître un
désir semblable en ceux qu'elle emploie : en ne se lassant point de chercher et
de pénétrer, elle verra sortir ce qui sera utile effectivement. La connaissance
qu'elle a des affaires de son Etat, et son jugement exquis lui fera démêler ce
qui sera solide et réel
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d'avec ce qui ne sera qu'apparent. Ainsi les maux de l'Etat
seront en chemin de guérir ; et les ennemis, qui n'espèrent qu'aux désordres que
causera l'impuissance de vos peuples, se verront déchus de cette espérance. Si
cela arrive, Sire, y aura-t-il jamais ni un prince plus heureux que vous, ni un
règne plus glorieux que le vôtre?
Il est arrivé souvent qu'on a dit aux rois que les peuples
sont plaintifs naturellement, et qu'il n'est pas possible de les contenter quoi
qu'on fasse. Sans remonter bien loin dans l'histoire des siècles passés, le
nôtre a vu Henri IV votre aïeul, qui par sa bonté ingénieuse et persévérante à
chercher les remèdes des maux de l'Etat, avait trouvé le moyen de rendre les
peuples heureux, et de leur faire sentir et avouer leur bonheur. Aussi en
était-il aimé jusqu'à la passion; et dans le temps de sa mort on vit par tout le
royaume et dans toutes les familles, je ne dis pas l'étonnement, l'horreur et
l'indignation que devait inspirer un coup si soudain et si exécrable, mais une
désolation pareille à celle que cause la perte d'un bon père à ses enfants. Il
n'y a personne de nous qui ne se souvienne d'avoir ouï souvent raconter ce
gémissement universel à son père ou à son grand-père, et qui n'ait encore le
cœur attendri de ce qu'il a ouï réciter des bontés de ce grand roi envers son
peuple, et de l'amour extrême de son peuple envers lui. C'est ainsi qu'il avait
gagné les cœurs ; et s'il avait ôté de sa vie la tâche que Votre Majesté vient
d'effacer, sa gloire serait accomplie, et on pourrait le proposer comme le
modèle d'un roi parfait. Ce n'est point flatter Votre Majesté, que de lui dire
qu'elle est née avec de plus grandes qualités que lui. Oui, Sire, vous êtes né
pour attirer de loin et de près l'amour et le respect de tous vos peuples. Vous
devez vous proposer ce digne objet, de n'être redouté que des ennemis de l'Etat
et de ceux qui font mal. Que tout le reste vous aime, mette en vous sa
consolation et son espérance et reçoive de votre bonté le soulagement de ses
maux. C'est là de toutes vos obligations celle qui est sans doute la plus
essentielle; et Votre Majesté me pardonnera si j'appuie tant sur ce sujet-là,
qui est le plus important de tous.
Je sais que la paix est le vrai temps d'accomplir
parfaitement
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toutes ces choses : mais comme la nécessité de faire et de
soutenu-une grande guerre exige aussi qu'on s'applique à ménager les force! des
peuples, je ne doute point, Sire, que Votre Majesté ne le fasse plus que jamais
; et que dans le prochain quartier d'hiver, aussi bien qu'en toute autre chose,
on ne voie naître de vos soins et de votre compassion tous les biens que pourra
permettre la condition des temps. C'est, Sire, ce que Dieu vous ordonne, et ce
qu'il demande d'autant plus de vous, qu'il vous a donné toutes les qualités
nécessaires pour exécuter un si beau dessein : pénétration, fermeté, bonté,
douceur, autorité, patience, vigilance, assiduité au travail. La gloire en soit
à Dieu, qui vous a fait tous ces dons, et qui vous en demandera compte. Vous
avez toutes ces qualités, et jamais il n'y a eu règne où les peuples aient plus
de droit d'espérer qu'ils seront heureux que sous le vôtre. Priez, Sire, ce
grand Dieu qu'il vous fasse cette grâce, et que vous puissiez accomplir ce beau
précepte de saint Paul, qui oblige les rois à faire vivre les peuples, autant
qu'ils peuvent, doucement et paisiblement, en toute sainteté et chasteté (1).
Nous travaillerons cependant à mettre Monseigneur le
Dauphin en état de vous succéder, et de profiter de vos exemples. Nous le
faisons souvent souvenir de la lettre si instructive que Votre Majesté lui a
écrite. Il la lit et relit avec celle qui a suivi, si puissante pour imprimer
dans son esprit les instructions de la première. Il me semble qu'il s'efforce de
bonne foi d'en profiter : et en effet je remarque quelque chose de plus sérieux
dans sa conduite. Je prie Dieu sans relâche qu'il donne à Votre Majesté et à lui
ses saintes bénédictions ; et qu'il conserve votre santé dans ce temps étrange,
qui nous donne tant d'inquiétudes. Dieu a tous les temps dans sa main, et s'en
sert pour avancer et pour retarder, ainsi qu'il lui plait, l'exécution des
desseins des hommes. Il faut adorer en tout ses volontés saintes, et apprendre à
le servir pour l'amour de lui-même.
Je supplie Votre Majesté de me pardonner cette longue
lettre : jamais je n'aurais eu la hardiesse de lui parler de ces choses, si elle
ne me l'avait si expressément commandé. Je lui dis les choses
1 I Timoth., II, 2.
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en général ; et je lui en laisse faire l'application,
suivant que Dieu l'inspirera. Je suis, avec un respect et une dépendance absolue
aussi bien qu'avec une ardeur et un zèle extrême, etc.
INSTRUCTION
DONNÉE A LOUIS XIV, EN 1675 (a). Quelle est la dévotion d'un roi.
L'essentielle obligation que la religion impose à l'homme,
c'est d'aimer Dieu de tout son cœur comme la source de tout son être et de tout
son bien, et de ne rien aimer qui ne se rapporte à lui. C'est à quoi doit tendre
toute la vie chrétienne; et on n'a ni piété véritable, ni pénitence sincère,
tant qu'on ne se met point en état, et qu'on n'a point le désir de faire régner
en soi-même un tel amour. En cet amour consiste la vraie vie, selon que
Notre-Seigneur l'a enseigné dans son Evangile.
(a) Cette instruction étant relative aux deux lettres qu'on
vient de lire, nous avons cru ne pouvoir lui assigner une place plus convenable
que celle que nous lui donnons. Le lecteur lira sans doute avec plaisir quelques
anecdote» qui ont trait à cette instruction, et qui sont rapportées par l'abbé
Ledieu, secrétaire de Bossuet.
« On ne peut douter, dit-il, que cette règle de vie n'ait
été donnée au Roi par M. de Condom, après l'éclat de l'éloignement de Madame de
Montespan, à Pâque 1675, puisqu'alors le Roi étant à l'armée entretint un
commerce suivi de lettres avec ce prélat, jusqu'à son retour à la Cour, qui eut
les funestes suites que j'ai marquées ailleurs.» Ces funestes suites, dont parle
ici M. Ledieu, regardent les nouvelles liaisons que le Roi entretint à son
retour avec Madame de Montespan, sous prétexte d'une amitié honnête, qui firent
bientôt évanouir tous les projets de conversion, et se terminèrent à la
naissance de plusieurs enfants naturels, dont le comte de Toulouse fut du
nombre.
« Le mois d'août 1701, ajoute M. Ledieu. on a beaucoup
parlé à la Cour de la satisfaction que Madame la duchesse de Bourgogne témoigna
avoir eue de M. le prieur de Marli, à qui elle se confessa dans sa maladie de ce
temps-là. M. l'archevêque de Reims disait tout haut : Elle est plus contente du
curé que de son jésuite. Il est certain que ce prieur lui dit de grandes
vérités, qu'elle avoua n'avoir jamais sues. Elle dit à Monseigneur l’évêque de
Meaux qu'il parlait bien de Dieu, qu'elle en avait été très-touchée, qu'elle
voulait servir Dieu avec plus de soin, et qu'elle croyait que cette maladie lui
avait été envoyée pour l'en avertir.
» Ce fut à ce propos que Monseigneur l'évêque de Meaux nous
dit à Versailles, le mardi 23 d'août, MM. les abbés Fleury et Cattellan présents
: J'ai autrefois donné au Roi une instruction par écrit, où je mettais l'amour
de Dieu pour fondement de la vie chrétienne. Le Roi l'ayant lue, me dit : Je
n'ai jamais ouï parler de cela, on ne m'en a rien dit. » (Les édit.)
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Cet amour n'est autre chose qu'une volonté ferme et
constate de plaire à Dieu, de se conformer entièrement à ses ordres, et
d'arracher de son cœur tout ce qui lui déplaît, quand il en devrait coûter la
vie.
Cet amour nous doit faire aimer notre prochain comme
nous-mêmes, selon le précepte de l'Evangile (1) ; ce qui nous oblige à lui
procurer tout le bien possible, chacun selon son état.
Un roi peut pratiquer cet amour de Dieu et du prochain, à
tous les moments de sa vie ; et loin d'être détourné par là de ses occupations,
cet amour les lui fera faire avec fermeté, avec douceur, avec une consolation
intérieure, et un repos de conscience qui passe toutes les joies de la terre.
Ainsi aimer Dieu, à un roi, ce n'est rien faire
d'extraordinaire ; mais c'est faire tout ce que son devoir exige de lui, pour
l'amour de celui qui le fait régner.
Un roi qui aime Dieu, le veut faire régner dans son royaume
comme le véritable Souverain, dont les rois ne sont que les lieutenants; et en
lui soumettant sa volonté, il lui soumet en même temps les volontés de tous ses
sujets, autant qu'elles dépendent de la sienne.
Il protège la religion en toutes choses ; et il connaît, en
protégeant la religion, que c'est la religion qui le protège lui-même,
puisqu'elle fait le plus puissant motif de la soumission que tant de peuples
rendent aux princes.
Il aime tendrement ses peuples à cause de celui qui les a
mis en sa main pour les garder ; et prend pour ses sujets un cœur de père, se
souvenant que Dieu, dont il tient la place, est le Père commun de tous les
hommes.
Par là il reconnaît qu'il est roi pour faire du bien,
autant qu'il peut, à tout l'univers, et principalement à tous ses sujets; et que
c'est là le plus bel effet de sa puissance.
Ainsi ce n'est qu'à regret qu'il est contraint de faire du
mal à quelqu'un : par son inclination, il préférerait toujours la clémence à la
justice, s'il n'était forcé à exercer une juste sévérité pour retenir ses sujets
dans leur devoir.
1 Matth., XXII, 39.
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Il n'en vient aux rigueurs extrêmes que connue les
médecins, lorsqu'ils coupent un membre pour sauver le corps.
En se proposant le bien de l'Etat pour la fin de ses
actions, il pratique l'amour du prochain dans le souverain degré, puisque dans
le bien de l'Etat est compris le bien et le repos d'une infinité de peuples.
Lorsqu'il agit fortement pour soutenir son autorité, et
qu'il est jaloux de la conserver, il fait un grand bien à tout le monde,
puisqu'en maintenant cette autorité, il conserve le seul moyen que Dieu ait
donné aux hommes pour soutenir la tranquillité publique, c'est-à-dire le plus
grand bien du genre humain.
Quand il rend la justice ou qu'il !a fait rendre exactement
selon les lois, ce qui est sa principale fonction, il conserve le bien à un
chacun, et donne quelque chose aux hommes qui leur est plus cher que tous les
biens et que la vie même, c'est-à-dire la liberté et le repos en les
garantissant de toute oppression et de toute violence.
Quand il punit les crimes, tout le monde lui en est obligé
; et chacun reconnaît en sa conscience que dans ce grand débordement de passions
violentes, qu'on voit régner parmi les hommes, il doit son repos et sa liberté à
l'autorité du prince qui réprime les méchants.
En réglant ses finances, il empêche mille pilleries qui
désolent le genre humain, et mettent les faibles et les pauvres, c'est-à-dire la
plupart des hommes, au désespoir. Ainsi l'amour du prochain le dirige dans cette
action ; et il sert Dieu dans les hommes que Dieu a confiés à sa conduite.
S'il fait la paix, il met fin à des désordres effroyables,
sous lesquels toute la terre gémit.
Etant contraint de faire la guerre, il la fait avec vigueur
: il empêche ses peuples d'être ravagés, et se met en état de conclure une paix
durable en faisant redouter ses forces.
Lorsqu'il soutient sa gloire, il soutient en même temps le
bien public ; car la gloire du prince est l'ornement et le soutien de tout
l'Etat.
S’il cultive les arts et les sciences, il procure par ce
moyen de
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grands biens à son royaume, et y répand un éclat qui fait
honorer la nation et rejaillit sur tous !es particuliers.
S'il entreprend quelque grand ouvrage, comme des ports, de
grands bàtimenset d'autres choses semblables, outre l'utilité publique qui se
trouve dans ces travaux, il donne à son règne une gloire qui sert à entretenir
ce respect de la majesté royale, si nécessaire au bien du monde.
Ainsi quoi que fasse le prince, il peut toujours avoir en
vue le bien du prochain, et dans le bien du prochain le véritable service que
Dieu exige de lui.
Par tout cela, il paraît qu'un prince appliqué, autant
qu'est le Roi, aux affaires de la royauté, n'a besoin, pour se faire saint, que
de faire pour l'amour de Dieu ce qu'on fait ordinairement par un motif plus bas
et moins agréable.
Le bien public se trouve même dans les divertissements
honnêtes qu'il prend, puisqu'ils sont souvent nécessaires pour relâcher un
esprit qui serait accablé par le poids des affaires, s'il n'avait quelques
moments pour se soulager.
Que fera donc le Roi en se donnant à Dieu, et que
changera-t-il dans sa vie? Il n'y changera que le péché; et faisant pour Dieu
toutes ses actions, il sera saint sans rien affecter d'extraordinaire.
L'amour de Dieu lui apprendra à faire toutes choses avec
mesure, et à régler tous ses desseins par le bien public, auquel est joint
nécessairement sa satisfaction et sa gloire.
Cet amour du bien public lui fera avoir tous les égards
possibles et nécessaires à chaque particulier, parce que c'est de ces
particuliers que le public est composé.
Il n'est ici question ni de longues oraisons, ni de
lectures souvent fatigantes à qui n'y est pas accoutumé, ni d'autres choses
semblables. On prie Dieu allant et venant, quand on se tourne à lui au dedans de
soi. Que le Roi mette son cœur à faire bien les prières qu'il fait
ordinairement; c'en sera assez. Du reste tout ira à l'ordinaire pour
l'extérieur, excepté le seul péché, qui dérègle la vie, la déshonore, la
trouble, et attire des châtiments rigoureux de Dieu et en ce monde et en
l'autre. Qu'on est heureux d'ôter de
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sa vie un si grand mal! Au surplus, le grand changement
doit être au dedans; et la véritable prière du Roi, c'est de se faire peu à peu
une douce et sainte habitude de tourner un regard secret du côté de Dieu, qui de
sa part veille sur nous et nous regarde sans cesse pour nous protéger, sans quoi
à chaque moment nous péririons.
LETTRE XLIII.
BOSSUET A M. DIROIS, DOCTEUR DE SORBONNE. A Versailles, ce 23 août 1675.
Je suis très-aise, Monsieur, de recevoir des marques de
votre cher souvenir. Les soins que vous prenez pour notre version sont bien
obligeants. Je nie repose sur vous de toute la suite; et je m'attends que vous
me direz de quelle manière et par quelle sorte de présent je pourrai reconnaître
les soins de M. l'abbé Nazzari (1), quand son ouvrage sera achevé. La lettre du
révérendissime Père Maître du sacré Palais est très-obligeante. Je vous supplie,
dans l'occasion, de m'entretenir dans ses bonnes grâces, et de l'assurer de ma
part d'une estime extraordinaire. Je vous suis très-obligé des bons sentiments
que vous avez de moi; j'ai aussi pour vous, Monsieur, toute l'estime possible,
et suis très-sincèrement, etc.
LETTRE (extrait) XLIV.
M. DE PONTCHATEAU (2) A M. DE CASTORIE (3). Ce 9 octobre 1675.
Avez-vous lu le livre de M. de Condom? le trouvez-vous bon?
ne serait-il pas propre à être traduit en latin? Si vous !e jugez
1 François Nazzari, très-distingué par son savoir et ses
écrits. Il est le premier auteur du Journal des Savants, qui fut
entrepris en Italie, à l'imitation de celui qui s'imprimait en France. — 2
Sébastien-Joseph du Cambout de Pontchâteau, parent du cardinal de Richelieu, fut
pourvu de plusieurs bénéfices, auxquels il renonça pour vivre dans la retraite
et la pratique de la pénitence. Il mourut en 1690. — 3 Jean de Neercassel,
Hollandais, fut sacré évoque de Castorie in partibus infidelium, et
exerça avec beaucoup de zèle dans les Provinces-Unies les fonctions de vicaire
apostolique. Il mourut en 1686. (Les édit.)
192
ainsi, on pourrait le faire dire à M. de Condom, et lui
demander s'il ne voudrait point en prendre lui-même le soin ; car assurément il
se trouvera honoré de ce dessein, si vous l'avez. Mais avant toutes choses, il
faudrait regarder si vous le trouvez bien, s'il n'y aurait rien à changer ; car
on lui en pourrait parler. J'attends de vos nouvelles sur cela.
EX EPISTOLA XLV.
CASTORIENSIS AD ABBATEM DE PONTCHATEAU.
Exegesim Fidei catholicœ, quam composuit
illustrissimus Episcopus Condomensis, cum magnà voluptate legi : undè etiam uni
domesticorum meorum, qui est vir magni ingenii, et tùm Gallicae tùm Batavicae
linguae valdè peritus, eam dedi in nostrum idioma vertendam, quod populo mihi
credito non inutile futurum spero. Converteremus hic eumdem librum in linguam
latinam, nisi forsan illustrissimus Episcopus istam versionem ipse vellet
adornare ; quod tanto elegantiùs ipse perficeret, quantô latinum ejus eloquium
puritati gallici sermonis propiùs accedit. Crastinà die denuò legam istam
Exegesim, et videbo si quid sit quod mutatum vellem : tibi istud proximo cursore
indicabo.
30 Octob. 1675.
EPISTOLA XLVI.
CASTORIENSIS AD ABBATEM DE PONTCHATEAU.
Relegi Expositionem Fidei catholicœ, quam composuit
illustrissimus Episcopus Condomensis. Ut mihi valdè placuit cùm eam ante annos
legerem, ità nunc repetita ejus lectio me singulari affecit voluptate, spemque
praebuit quòd ista Expositio tùm catholicis, tùm acatholicis nostri
Relgii foret utilissima, si verteretur in linguam latinam, nostramque vernaculam.
Haec versio jam inchoataest et brevi absolvetur. Illam aggrediemur, si
eruditissimus Episcopus non decrevit ipse eam adornare, quod ex te scire
desidero.Vellem etiam illum consuleres nùm pagina 27 et 28 non sint aliqua
mutanda aut illustranda. Etenim videtur illic primo supponi inutiles
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fore quas ad Sanctos preces dirigimus, si ipsi eas
ignorarent : secundo esse ab Ecclesià defmitum nostras à Sanctis sciri orationes.
Haec duo existimo egere nonnullà castigatione.
Pagina 58 verba Expositionis videntur insinuare quod
remissionem criminum post Raptismum commissorurn, lege ordinariâ, satisfactio
subsequatur, cùm tamen sit magis conforme instituto Christiet moribus antiquaj
Ecclesiae, ut satisfactio praecedat absolutionem. Optarem itaque ut ea quae
paragraphe vm conti-nentur ità scriberentur, ut nihil officerent praxi
saluberrimae, quà, in sacramento Pcenitentiae, non relaxatur pœna aeterna, nisi
postquàm pœns temporales istam indulgentiam aliquatenùs promeruerint. Dignaberis
haec illustrissimo Episeopo insinuare, et unà meam ipsi testari observantiam.
28 Novemb. 1675.
EX EPISTOLA XLVII.
CASTORIENSIS AD ABBATEM DE PONTCHATEAU.
Non potui tam citò atque animo destinaverain, relegcre
eruditum libellum illustrissinii Condomensis Episcopi, cujus humanitatem, ante
annos mihi exhibitam, recordari non possum quin eximias ejus dotes, ac
praesertim eminentem eruditionem summae junctam modestiae, suspiciam atque
collaudem.
12 Decemb. 1675.
LETTRE XLVIII.
L'ABBÉ DE PONTCHATEAU A M. DE CASTORIE. Ce 28 décembre 1675.
J'ai reçu votre lettre du 12 de ce mois ; et comme j'avais
aussi reçu les précédentes, j'avais fait un extrait de ce qui regarde le livre
de M. de Condom que je lui ai fait donner. Mais je n'ai pas encore eu réponse,
parce que la Cour est présentement à Saint-Germain. En atténuant, je vous dirai
qu'il traduit son livre en latin : je ne sais pas s'il sera en état d'être
bientôt imprimé.
194
LETTRE XLIX.
L'ABBÉ DE PONTCHATEAU A M. DE CASTORIE. Ce 23 janvier 1676.
Je reçus hier au soir le Mémoire de M. de Condom, dont je
vous envoie une copie, parce que l'original est de si gros caractère, qu'il
tient dix ou douze pages, au lieu des trois dans lesquelles je l'ai réduit. Il
n'est point signé de lui ; et comme vous ne lui aviez pas écrit, il s'est servi
de la même voie pour répondre à vos remarques. Il attend donc présentement votre
pensée, c'est-à-dire si vous souhaitez qu'il vous envoie sa traduction latine
pour la faire imprimer : car ce qu'il dit, qu'on la fera peut-être à Rome, ne
doit pas en empêcher. Il me semble donc qu'il serait bon que vous prissiez la
peine de lui écrire sur ce Mémoire, et lui demander son livre pour le faire
imprimer. Je souhaiterais que vous lui eussiez fait présenter un des vôtres :
De cultu Sanctorum, etc. Si vous le souhaitez, vous n'avez qu'à lui en
parler dans votre lettre ; et je lui ferai donner le mien en lui donnant votre
lettre. Mais si vous lui écrivez, ne parlez point par qui vous avez reçu son
Mémoire, parce que je n'ai pas de commerce immédiat avec lui : et c'a été par M.
Arnauld et par un de nos amis, que je lui ai fait remettre le Mémoire de vos
difficultés, auquel j'avais ajouté un extrait de ce que vous m'aviez mandé
d'obligeant pour la personne de M. de Condom.
LETTRE L.
CONDOMENSIS AD CASTORIENSIS OBSERVATIONES RESPONSUM. DE LIBELLO EXPOSITIONIS
FIDEI.
Quòd illustrissimus Episcopus Trajeclensis de me tam
amanter tamque honorificè sentiat, id ego ex animo gaudeo, atque ejus humanitati
acceptum fero. Quod meum de Eœpositione Fidei libellum tantoperè probet, ac
Ratavicà linguà interpretandum curet,
195
id ipsi libello vehementissimè gratulor, gratissimumque
habeo laudari illum ab eo Antistite quem omni honore atque amore prosequor ;
atque unum existimo Ecclesiae Batavicae, gravitate, prudentià, doctrinà et
apostolicà charitate, his miserrimis temporibus sustentanda (3) divinà
Providentià natum. De interpretatione verò latinà, jam à me signification est
quo in loco res sit, atque eà de re ejus expecto sententiam. Observationes in
ipsum libellum accepi lubens, neque me ab ejus mente discessisse puto.
Pagina 25, -20, 27, 28 et 29 id ago primo, ut si Sanctis
nostrarum precum notitia tribuatur, certum sit nihil eis supra creaturae sortem
attribui : secundo, ut certum quoque sit, de mediis quibus etiam notitiam
habeant, nihil esse ab Ecclesià definitum. Rem ipsam ab Ecclesià esse a perte
definitam, aut ullum ejus extare decretum quo ea Sanctis notifia tribuatur, vel
eâ sublatà judicetur nostras ad eus pièces esse inutiles, nullibi à me est
dictum.
Quanquàm eam notitiam Sanctis non denegandam, si non
apertissimà Ecclesiœ definitione, firmissimà lamen Patrum traditione certum puto.
Is enim est communis fidelium sensus ab ipsà antiquitate omnibus inditus, ut in
ipsis precibus Sanctos alloquamur tanquàm audientes et intelligentes. Eò nempè
spectal probata illa Augustino et miraculo confirmata piae mulieris deprecatio :
« Sancte Martyr, meum dolorem vides. » Et iterùm : « Quare plangam vides (1). »
Eôdem quoque pertinet illud Gregorii Theologi ad Athanasium atque Basilium : «
Tu verò, ô divinum caput, de alto me respice (2), » et caetera in eamdem
sententiam. Oregorius quoque Nyssenus Theodorum Martyrem orat (3), ut nostris
festis intersit ; multaque cum eo agit, quae nisi sentientem affari se putet,
non modo frigida, sed etiam inepta sint. Paulinus vero, a sancto Felice in
lumine Christi res nostras cerni saepissimè commemorat (4). Hieronymus item
atque alii Patres, nemine, quod sciam, discrepante, Sanctorum eà in re scientiae
favent; ut utraque sententia, et quod orandi sint Sancti, et quod nos orantes
audiant, eodem ad nos tenore, eàdem traditione devenisse videatur.
1 S. August., serm. CCCXXIV.— 2 Orat. XX et XXI. — 3
Orat. De S. Theod. Mart. — 4 Poem., VI, de S. Felic.
196
Eam ergò sententiam quae scientiam Sanctis tribuit, cùm
fidei catholicœ magis congruat ac certissimâ Patrum consensione firmetur, mihi
explicandam potissimùm atque illustrandam duxi ; sic tamen ut ab Ecclesià
expresse definitam neque dixerim neque supposuerim : verùm eà de re penitùs
tacendum censui. At si quis vel à Sanctis nostras non exaudiri preces, vel id
certum apud nos non esse pronuntiet, gravissimae dabitur offensioni locus : quod
à meo consilio perquàm alienissimum esse oportebat ; ne qui ad pacem haereticos
adhortabatur, idem inter catholicos belli causas sereret.
De satisfactione sic egi, ut concilii Tridentini sententiam
quàm simplicissimè exponerem ; nempè in Pœnitentiae sacramento non ita dimitti
culpam, ut omnis quoque pœna dimittatur. An verò ante vel post absolutionem ea
pœna subeunda sit, ex meis dictis colligi non potest, si quis eorum sensum
strictiùs pervestiget. Ego ab eà quaestione, ut loquuntur, abstrahendum putavi ;
quòd catholica fides de satisfactions necessitate stet immota ac tuta, sive in
antiquâ disciplina, sive in eà quam nostra potissimùm sequitur aetas, quamque à
concilio Tridentino magis esse spectatam, vel ex eo intelligimus quòd de
satisfactione agit, perfecto de absolutione tractatu.
Haec habui dicenda ad doctissimi Praesulis notas. Caeterùm
in libello meo, nisi error aliquis demonstretur, nihil mutandum existimo, tùm ad
evitandas nostrorum haereticorumque calumnias, tùm quòd ipse libellus jam in
alias linguas sit transfusus, tùm eò maxime quòd, uti se habet, Romae sit
probatus, atque ibi propemodùm excudendus esse videatur. Dabo sanè operam, ut in
interpretatione latinâ, de quà à me signification est, observationum doctissimi
Prœsulis, quantum libelli sinet integritas, ratio habeatur.
EPISTOLA LI.
CASTORIENSIS AD ABBATEM DE PONTCHATEAU.
Quòd non scripserim illustrissimo Condomensi, ex meâ ergà
ipsum observantià factum est. Illa enim mihi videbatur prohibere
197
ne meis lilteris occupatissimum Prœsulem interpellare
praesumerem. Verùm cùm advertam tan tam esse ipsius ergà me benevolentiam et
humanitatem, quantam illius litterae ad illustrissimum Arnaldum prae se ferunt,
ausus fui adjunctas ipsi litteras dirigera, quas subsequetur exemplar quatuor
tractatuum quos composui de Cultu Sanctorum.
5 Februarii 1676.
EPISTOLA LII.
CASTORIENSIS CONDOMENSI.
Quas ad Dominum Arnaldum de me scribis, licèt meis sint
meritis longe majora, eò tamen sunt gratissima, quò mihi vestrum testantur
affecturn. Non enim potest non esse jucundum ab eo Praesule diligi, quem
virtutis excellentia Superis charissimum, et quem splendor ductrinae mortalibus
reddit venerandum. Plurimùm vestrae gratiae me agnosco debere, quòd singulari
humanitate ad meas observationes respondere fueris dignatus. Rationes ob quas
censés in libro nihil esse mutandum amplector lubens. Vidi quas calumnias
effutierit nescio quis Calvinista, qui notat in quo differant exemplaria typis
edita, ab illis quae calamus expressif. Quare, ne maledicis ulla praebeatur
calumniœ occasio, pradenter statuis nihil esse mutandum. Post paucos dies
Batavis meis batavicè loquetur vestra Fidei Expositio. Non dubito quin
proderit quàm plurimis, qui non alià magis de causa à nobis manent aversi, quàm
quia sanctimoniam et majestatem cathohcae veritatis non distinguunt ab
opinationibus scholasticorum, saepè non castis, saepè non veris.
Catechismum (a) quem métro composuisti, nobilis apud
Batavos poeta batavicis numeris non expressit inepte : ut ille nostris
catechumenis fiat familiaris, brevi etiam evulgabitur. Multùm igitur tibi,
Antistes illustrissime, nostra debebit Batavia : tuis enim lucubrationibus
illustrabitur in fide, et crescet in scientià
(a) Errat Castoriensis, hunc Catechismum Bossuetio
adscribendo : ejus auctor fuit Ludovicus le Bourgeois de Heauville, qui multa
etiam alia pia carmina galicè scripsit, à Bossuetio pluribusque Episcopis et
Doctoribus approbata. Vite functus est circa an. 1680 (Les edit.)
198
Dei. Huic favori alium adderes, si latinum exempter
Expositionis Fidei mihi mittere dignareris. Curam gererem ut hic typis, ad
instructionem eorum qui libenter latina legunt, quàm primùm ederetur. Magno me
beneficio ditabis, si hoc à vestrâ gratià merear obtinere.
Sopiendis turbis, quae anno elapso occasione cultûs
Deiparae in Belgio fuerunt concitatae, composui quatuor tractatus de Cultu
Sanctorum ac praesertim Deiparae. Horum exemplar vestrae gratiae arrdeo
offerre, quo meum illi tester obsequium, et unà significem quantà cum
aestimatione tuarum virtutum, et observantiâ meritorum me profitear,
illustrissime, etc.
5 Februarii 1676.
LETTRE LIII.
BOSSUET AU P. BOUHOURS, JÉSUITE (a). Versailles, 12 septembre 1676.
Votre Histoire (b), mon révérend Père, m'a servi d'un doux
entretien pendant ma maladie. Je ne puis assez vous remercier de m'avoir fourni
de quoi m'occuper d'une manière si agréable. Excusez si je ne vous témoigne pas,
de ma main, la satisfaction que j'ai eue dans cette lecture. Un reste de
faiblesse me le défend. Mais rien ne m'empêchera jamais, mon révérend Père,
d'être à vous de tout mon cœur avec une estime particulière.
J. BÉNIGNE, a. év. de Condom.
LETTRE LIV.
BOSSUET AU MARÉCHAL DE BELLEFONDS. A Saint-Germain, ce 16 mars 1676.
Je vous écris peu, Monsieur; car il y a peu à vous dire :
Dieu vous parle, et vous l'écoutez. Les hommes ont peu à vous dire,
(a) Publiée par M. Floquet. — (b) Histoire de Pierre
d'Aubusson, Grand-Maître: de Rhodes, Paris 1676.
199
quand cela est ainsi. Prêtez l'oreille au dedans, ayant les
yeux de l’esprit toujours tournés et toujours attachés à cette lumière
intérieure, où Ton voit que Dieu est tout, et que tout le reste n'est rien.
Heureux qui caché au monde et à soi-même, ne voit que cette première vérité !
Après la mort de M. de Turenne, on a ici fort pensé à vous
rappeler; cela a été détourné : en apparence les hommes l'ont fait, et nous en
savons les raisons. En effet c'est Dieu qui a tout conduit ; et nous savons
aussi sa raison, qui est de vous renfermer avec lui. Voilà, Monsieur, quel doit
être votre exercice. Dieu fera de vous ce qu'il lui plaira : peut-être veut-il
vous appliquer un jour à quelque bien; peut-être vous veut-il tenir sous sa main
retiré du monde. Qui sait les conseils de l'Eternel? Ses pensées ne sont pas les
nôtres : adorons-les, soumettons-nous ; n'attendons rien que sa gloire et son
règne ; ne l'attendons pas de nous-mêmes, qui ne sommes et ne pouvons rien :
soyons prêts à tout ce qu'il voudra ; écoutons-le dans le fond du cœur : qu'il
soit notre conducteur et notre lumière; il le sera, si nous l'aimons, et si nous
mettons en lui seul notre confiance.
Je travaille sans relâche dans les heures de loisir que
j'ai, à faire quelque chose pour le salut des hérétiques : ce n'est que le peu
de temps qui me reste qui empêche le progrès de cet ouvrage. Priez Dieu qu'il
me, fasse la grâce de le continuer pour l'amour de lui, et qu'il me donne des
lumières pures. J'ai fort dans le cœur M. et Madame de Schomberg : ils sont
encore bien loin ; mais Dieu est bien près. Adorons-le en secret et eu public ;
écoutons-le dans la solitude et dans le silence de toutes choses : souffrons ce
qu'il veut, faisons ce qu'il veut ; c'est là tout l'homme.
LETTRE LV.
BOSSUET A M. DIROIS, DOCTEUR DE SORBONNE. A Saint-Germain, ce 25 novembre 1676.
Il y a longtemps que je ne vous ai donné de mes nouvelles,
quoique j'aie reçu de vos lettres. Une maladie, les affaires, et si
200
vous voulez un peu de paresse, en ont été cause. Je rentre
présentement en commerce par une prière qui ne vous sera pas désagréable :
c'est. Monsieur, de vous informer des ouvrages d'Holstenius (a). On m'a
dit qu'il en avait laissé de très-excellents et très-dignes d'être imprimés. N'y
a-t-il pas moyen d'exciter sur cela ceux qui les ont? Il nous a donné les Actes
du martyre de saint Boniface, qui ont beaucoup de marques d'une grande antiquité
: il doute, ce me semble, si le latin est pris sur le grec, ou le grec suite
latin. Pourriez-vous éclaircir cela par une bonne critique? Il y a un mot dans
le latin, tout sur la fin, qui marque qu'Aglaé acheva sa vie inter
Sonctimoniales. Qu'il y ait toujours eu des Vierges sacrées, c'est chose
constante : qu'elles aient été appelées Sanctimoniales, ou même qu'elles
aient vécu en communauté dès le temps de Dioclétien, on en peut douter : il
faudrait voir comment parle et de quel mot se sert le grec. Vous avez sans doute
grande habitude avec M. l'abbé Gradi (b), bibliothécaire apostolique, par
qui vous pourrez voir ces pièces : vous me ferez plaisir de le faire.
Par occasion, vous pourrez assurer ce docte prélat que j'ai
vu, entre les mains de M. de Montausier, une oraison funèbre du cardinal Rasponi,
dont j'ai eu une extrême satisfaction tant pour les choses que pour le style.
J'ai vu aussi un autre ouvrage manuscrit, plein d'érudition et de droiture; ce
qui nie fait beaucoup estimer l'auteur de, ces belles choses.
A propos de sentiments droits sur la morale, est-il
possible qu'un Pape si saint ne soit point un jour inspiré de mettre fin à tant
d'opinions corrompues et très-dangereuses, qui se répandent dans l'Eglise, et
dont ses ennemis tirent avantage contre la pureté de ses sentiments? Alexandre
VII avait commencé d'y mettre la main, et l'accomplissement d'un si grand
ouvrage est dû à la piété et aux grandes lumières d'Innocent XI.
M. l'évêque de Hollande (c), homme très-capable, comme vous
(a) Il était garde de la Bibliothèque du Vatican, et
jouissait de la plus grande considération parmi les savants de l'Europe. — (b)
Etienne Gradi, poète célèbre et très-estimé, dont Ferdinand de Furstemberg,
évêque de Paderborn, a fait imprimer les poésies dans le recueil qui a pour
titre : Septem virorum illustrium Poemata. — (c) De Neercassel, évêque de
Castorie.
201
savez, fait imprimer mon traité de l’Exposition en
hollandais, et le veut faire imprimer en latin; c'est ce qui m'a obligé de
revoir moi-même une version qu'un de mes amis (a) en a faite. Si vous jugez qu'à
Rome la version latine toute faite put être plus tôt imprimée que l'italienne,
je vous l'enverrai. Mandez-moi, s'il vous plaît, votre sentiment, et si vous
croyez que par ce moyen on évitât les longueurs. Continuez-moi votre amitié, et
croyez que je suis avec une estime particulière, etc.
EPISTOLA LVI.
CONDOMENSIS CASTORIENSI.
Ad te mitto tandem, Praesul illustrissime, Expositionis
meae quam dudùm flugitas interpretationem latinam à viro doctissimo Claudio
Fleury, serenissimorum Principum Contiorum Praceptore, summà diligentià
accuratam, atque à me recognitam ; elegantissimam illam quidem, ut quae ab
optimo interprète site laborata, in quà tamen perspicuitati magis quàm
elegantiae consultum voluit. Atque ea quIdem interpretatio, si ad te
perveniat tardiùs quàm oportuit, id eò contigit, quòd morbo implicitus, atque
aliis curis districtus necessariis, opus recensere non potui.
Nunc igitur, Praesul illustrissime, totum illud opus
permitto tibi, ac maxime gaudeo, quòd auctoritate, tuà in lucem prodeat, quam
non modo tua dignitas, verùm etiam doctrina singularis, quodque prœcipuum, verè
christiana pietas ac pro grege tibi commisso suscepti labores, deniquè
evangelicâ illà et sanctà simplicitate condita prudentia, eommendatissimam
omnibus facit. Mitto quoque ad te titulum operi prœfigendum, quo quidem
profitendum existimavi interpretationem à me fuisse recognitam, ut mea, si qua
est, eà in re auctoritas nec ipsi interpretationi desit.
Tractatus verò tuos de Cultu Sanctorum, quibus et nostros
doces et adversarios amantissimè castigas, summâ animi voluptate perlegi ;
tuamque illam ex optimis fontibus, de Christo in Maria et Sanctis colendo,
deductam doctrinam penitùs infigi mentibus et cupio, et precor.
(a) L'abbé Fleury. ( Les édit.)
202
Tu me, Praesul illustrissime, tui amantissimum atque
observantissimum diligas, nostramque operam intanto Principe christianis maxime
prœceptis informando, Deo commendatam velis. Vale.
Datum Parisiis, 15 feb. 1677.
EPISTOLA LVII.
CASTORIENSIS CONDOMENSI.
Quod precibus meisannuens, latinam fieri, mihique
praeceperis mitti tuam Catholicœ Fidei Expositionem, Autistes
illustrissime, Domine mihi observantissime, acceptum fero eminenti in Christum
studio, quo non contentas ipsius doctrinam eique placitam religionem à tuà
Gallià cognosci, insuper satagis ut ab aliis quoque gentibus honoretur. Simul
atque istum doetrinae thesaurum accipere merebor, diligenter curabo ne illi
typorum elegantia desil.
Preces quas vestra à me modestia requirit, libenter
impenderem, si dignus forem qui pro tanto Prœsule ad thronum divinae gratis
precator accederem. Non tamen omittam toto corde desiderare, ut in serenissimi
Discipuli virtutibus optimi Praeceptoris mérita celebrentur, Autistes
illustrissime, etc.
29 Aprilis 1677.
LETTRE LVIII.
BOSSUET AU MARÉCHAL DE BELLEFONDS. A Versailles, ce 6 juillet 1677.
L'occasion est trop favorable pour la laisser passer sans
vous écrire et sans vous demander de vos nouvelles. Je crois que Dieu vous
continue ses grâces, et que vous apprenez tous les jours de plus en plus, à être
moins content de vous-même, à mesure que vous le devenez de lui. En vérité,
c'est un état désirable, de vouloir s'oublier soi-même à force, de se remplir de
Dieu. Je trouve
203
qu'on se sent trop, et de beaucoup trop, lors même qu'on
tâche le plus de s'appliquer à Dieu. Dévouons-nous à lui en simplicité, soyons
pleins de lui : ainsi nos pensées seront des pensées de Dieu, nos discours des
discours de Dieu; toute notre action sortira d'une vertu divine. Il me semble
qu'on prend cet esprit dans l'Ecriture. Dites-moi, je vous prie, comment vous
vous trouvez de ce, pain de vie. N'y goûtez-vous pas la vie éternelle? ne s'y
découvre-t-elle pas de plus en plus? ne vous donne-t-elle pas une idée de la vie
que nous mènerons un jour avec Dieu? Les patriarches, les prophètes, les
apôtres, ne vous paraissent-ils pas, chacun dans son caractère, des hommes
admirables, de dignes figures de Jésus-Christ à venir, ou de dignes imitateurs
de Jésus-Christ venu?
Il y a près d'un an que je n'ai reçu de vos lettres. Ma
consolation est que je sais que vous ne m'oubliez pas. Pour moi, je vous offre à
Dieu de tout mon cœur au saint autel ; et je le prie de vous changer en
Jésus-Christ avec le pain qui figure toute l'unité du peuple de Dieu, en sorte
qu'il n'y reste plus que la figure extérieure d'un homme mortel.
Me voilà quasi à la fin de mon travail. Monseigneur le
Dauphin est si grand, qu'il ne peut pas être longtemps sous notre conduite. Il y
a bien à souffrir avec, un esprit si inappliqué : on n'a nulle consolation
sensible; et on marche, comme dit saint Paull, en espérance contre l'espérance.
Car encore qu'il se commence d'assez bonnes choses, tout est encore si peu
affermi, que le moindre effort du monde peut tout renverser. Je voudrais bien
voir quelque chose de plus fondé ; mais Dieu le fera peut-être sans nous. Priez
Dieu que sur la fin de la course, où il semble qu il doit arriver quelque
changement dans mon état, je sois en effet aussi indifférent que je m'imagine
l'être.
Adieu, Monsieur ; aimez-moi toujours. Il me semble que je
vois votre prélat de plus en plus satisfait de vous. Quoiqu'il ait été à Paris
assez longtemps, il a peu paru ici. Dieu veuille nous faire selon son cœur, et
non selon le nôtre; car nous serions trop pervers et trop pleins de petites
choses.
1 Rom., IV, 18.
204
LETTRE LIX.
BOSSUET A M. LE ROI, ABBÉ DE HAUTE-FONTAINE (a). A Versailles, ce 10 août 1677.
Je ne sais par quel accident il est arrivé que j'aie reçu
votre écrit, sur la lettre de M. l'abbé de la Trappe (b), plus tard que vous ne
l'aviez ordonné. Il m'a enfin été remis ; et j'ai été fort édifie des sentiments
d'humilité, de, charité et de modestie que Dieu vous a inspirés en cette
occasion.
Je reconnais avec vous qu'on ne peut vous condamner sans
(a) Guillaume le Roi, abbé de Haute-Fontaine, prêtre aussi
recommandable par sa piété que par son savoir, avait des liaisons très-étroites
avec le célèbre M. de Rancé, abbé de la Trappe. Quoique pénétré pour sa personne
de tous les sentiments dus à son mérite, il ne put s'empêcher de Lui témoigner
son improbation pour une pratique usitée à la Trappe. On y était dans l'usage,
sous prétexte d'humilier et de mortifier les religieux, de leur imposer des
pénitences souvent fort rudes pour des fautes qu'ils n'avaient point commises,
et qu'on leur imputait sans peine qu'il leur fût permis de se justifier. On
croyait leur rendre service et honorer Dieu, en leur attribuant par une pieuse
fiction des défauts que rien ne manifestait au dehors. L'abbé de Haute-Fontaine
témoigna combien ces sortes de fictions lui paraissaient contraires à la vérité
et à la charité. L'abbé de la Trappe et dom Rigobert, qui prétendaient s'appuyer
de l'autorité de saint Jean Climaque, répondirent qu'ils regardaient cette
pratique « comme un point capital, pour faire acquérir aux religieux la
perfection de leur état. » M. le Roi leur allégua contre ce sentiment beaucoup
de raisons, qu'ils le prièrent de mettre par écrit. Il le fit dans un ouvrage
qu'il intitula : Lettre à un abbé régulier, ou Dissertation sur le sujet des
humiliations et autres pratiques de religion. Cette Dissertation, quoique
très-solide et très-sage, déplut à l'abbé de la Trappe, qui s'imagina que
l'auteur accusait lui et son monastère d'aimer les mensonges et les équivoques.
Rien n'était cependant plus éloigné de la pensée de M. le Roi, qui n'attribuait
qu'à un zèle indiscret ou peu réfléchi la conduite qu'il blâmait. La dispute
s’échauffa. M. de Rancé entreprit de réfuter l'écrit de M. le Roi par une longue
lettre qu'il adressa à M. Vialart, évêque de Châlons, dans laquelle il laissa
échapper beaucoup de traits de vivacité contre l'auteur de la Dissertation.
L'évêque de Châlons communiqua sa lettre à M. l'abbé de Haute-Fontaine, qui se
borna à y faire des apostilles, après quoi il la renvoya au prélat. Cette
affaire n'aurait pas eu d'autres suites, si l'abbé de la Trappe n'avait donné
des copies de sa lettre : elle devint bientôt publique par l'impression,
quoiqu'à l'insu et contre la volonté de l'auteur, qui le déclara ainsi à M. le
Roi dans une lettre du 14 avril 1677. L'abbé de Haute-Fontaine se sentit alors
pressé de faire imprimer sa Dissertation. Néanmoins la crainte de préjudicier à
la réputation du respectable réformateur le retint; et avant de prendre aucun
parti, il voulut consulter ses amis les plus sages et les plus éclairés. Bossuet
fut de ce nombre. Ce prélat lui conseilla de ne point répondre à l'abbé de la
Trappe. (Les édit ) — (b) Il s'agit d'un éclaircissement donné par M. le Roi,
sur la lettre de M. l’abbé de la Trappe contre sa Dissertation. (Id.)
205
avoir vu la Dissertation qui a donné lieu à la lettre ; et
ceux qui ne l'ont pas vue n'ayant aucune raison de vous blâmer, doivent présumer
pour votre innocence.
Sans juger ce qu'il y a ici de personnel, il y a sujet de
louer Dieu de ce que vous et M. l'abbé êtes d'accord dans le fond, puisqu'il
convient que les corrections fondées sur le mensonge n'ont point de lieu parmi
les chrétiens ; et que vous avouez aussi qu'on ne peut avec raison rejeter
celles qui se fondent sur des fautes présumées par quelque apparence.
Ainsi la vérité ne souffre point dans votre contestation ;
et il me semble aussi, Monsieur, jusqu'ici que la charité n'y est point blessée.
Si M. l'abbé de la Trappe vous a imputé, comme vous le
dites, un sentiment que vous n'avez pas (a), vous-même vous ne croyez pas
qu'il l'ait fait dans le dessein de vous nuire ; et tout au plus, il se pourrait
faire qu'il aurait mal pris votre pensée ; erreur qui après tout est fort
excusable.
Les paroles fortes et rudes dont il se sert dans sa lettre
ne tombent donc pas sur vous, mais sur une opinion que vous jugez fausse et
dangereuse aussi bien que lui.
Quant à l'impression, vous croyez sur sa parole qu'il n'y a
point eu de part ; et je puis vous assurer que l'affaire s'est engagée par des
conjonctures dont il n'a pas été le maître.
J'avais vu sa lettre manuscrite, parce qu'elle s'était
répandue sans la participation de M. l'abbé : et le récit, que m'ont fait des
personnes très-sincères, de tout ce qui s'est passé, m'a convaincu que
l'impression était inévitable.
Une chose qui s'est faite sans dessein et par un accident
qui ne pouvait être ni prévu ni empêché, n'a pas dû offenser un homme aussi
équitable que vous, et aussi solidement chrétien.
Et en effet votre écrit, plein de sentiments charitables,
ne montre en vous, Monsieur, aucune aigreur ; mais il me semble seulement que
vous croyez trop que M. l'abbé a tort.
(a) L'abbé de la Trappe disait que l'opinion de M.
le Roi tendait à ruiner les pratiques de pénitence usitées dans les plus saints
monastères et pour me servir de son expression, allait à ravager la Thébaïde.
( Les édit.)
206
Ce que je viens de dire en toute sincérité et avec une
certaine connaissance, vous doit persuader qu'il n'en a aucun. Et pour moi je
crois. Monsieur, que Dieu a permis la publication de cet écrit afin que l'Eglise
fût édifiée par un discours où toute la sainteté toute la vigueur et toute la
sévérité de l'ancienne discipline monastique est ramassée.
J'ai lu et relu cette sainte Lettre ; et toutes les fois
que je l'ai lue, il m'a semblé, Monsieur, que je voyais revivre en nos jours
l'esprit de ces anciens moines dont le monde n'était pas digne ; et cette
prudence céleste des anciens abbés, ennemie de la prudence de la chair, qui
traite par des principes et avec une méthode si sûre les maux de la nature
humaine.
Laissez donc courir cette lettre, puisque Dieu a permis
qu'elle vît le jour. Il arrivera sans doute qu'elle donnera occasion de blâmer
et vous et M. l'abbé de la Trappe : vous, qu'on verra accusé par un si saint
homme; et lui, pour avoir accusé si sévèrement un ami dont le nom est grand
parmi les gens de piété et de savoir.
Mais si vous demeurez tous deux en repos et que vous,
Monsieur, en particulier, qui êtes ici l'attaqué, méprisiez les discours des
hommes en l'honneur de celui qui étant la sagesse même, n'a pas dédaigné d'être
l'objet de leur moquerie, ces blâmes se tourneront en louanges et en
édification, et même bientôt.
Ainsi loin d'être d'avis que la Dissertation soit imprimée,
je ne puis assez louer la résolution où vous êtes de communiquer vos réflexions
à très-peu de personnes ; et je me sens fort obligé de ce que vous avez voulu
que je, fusse de ce nombre.
Les réflexions, Monsieur, toutes modestes qu'elles sont,
sont tournées d'une manière à vouloir qu'on donne un grand tort à M. l'abbé de
la Trappe, et un tort certainement qu'il n'a pas, puisqu'il n'a aucune part aux
copies qui ont couru de sa Lettre en manuscrit, ni à l'impression qui s'en est
faite.
Pour ce qui est de la Dissertation, de quelque part qu'elle
fût imprimée, soit de la sienne, soit de la vôtre, elle ne peut plus servir qu'à
montrer un esprit de contestation parmi des personnes qui ont la paix et la
charité dans le fond du cœur.
207
Pardonnez-moi, Monsieur, la liberté que je prends de vous
dire mes pensées : je vous assure que je le fais sans aucune partialité, et dans
le dessein de servir également les uns et les autres. Quand vous ne direz mot,
votre humilité et votre silence parleront pour vous, et devant Dieu et devant
les hommes.
Permettez-moi encore un mot sur ce que vous dites des
prosternements pour fautes légères. J'avoue qu'étant employés sans discrétion,
ils font plus de mal que de bien, et font recevoir indifféremment les pénitences
; mais étant ordonnés à propos, ils humilient les superbes, et les font rentrer
en eux-mêmes : et je ne crois pas que ce soit un doute qu'ils puissent être
utilement employés pour les fautes les plus légères, puisque même, comme vous
savez beaucoup mieux que moi, il n'y en a point de légères à qui a sérieusement
pensé de quel fonds elles viennent toutes, à quoi elles portent et à qui elles
déplaisent.
Au reste en finissant cette lettre, je ne puis m'empêcher
de vous témoigner combien je désire de vous connaître autrement que par vos
ouvrages. Votre esprit que j'y ai connu, et la bonté que vous avez eue de m'en
faire toujours des présents, m'ont attaché particulièrement à votre personne.
Excusez si, pour vous sauver la peine que vous donnerait ma méchante écriture,
je n'ai pas écrit de ma main. Je suis avec tout le respect et l'attachement
possible, etc.
LETTRE (extrait) LX.
LE MARÉCHAL DE BELLEFONDS A BOSSUET (a).
Dans la vérité, je ne saurais avoir la complaisance de
blâmer beaucoup de gens qui, je crois, ne le méritent pas. Cependant je ne me
mêle point de justifier personne sur la doctrine : mais l'on ne peut souffrir
que je témoigne de la joie que les quatre évêques(b) soient bien avec Sa
Sainteté; et que des hommes
(a) Nous n'avons que cet extrait de la lettre de M. de
Bellefonds. qui s'est trouvé dans le recueil des lettres que Bossuet lui a
écrites. (Les premiers édit.) — (b) Les évêques d'Alet, Nicolas Pavillon;
de Pamiers, François de Caulet; de Beauvais, Nicolas Choart de Buzenval;
d'Angers, Henri Arnauld. (Les édit.)
208
qui donnent de si grands exemples dans la morale et dans la
discipline, soient purgés du soupçon d'une méchante doctrine.
Personne n'a connaissance de ce que je vous écris, et peu
de gens l'auront à l'avenir : car j'ose vous assurer que si je n'étais pas d'un
certain rang où je dois une espèce d'exemple, je serais très-content d'être
humilié et scandalisé, afin de garder un silence où je trouverais beaucoup plus
de sûreté. Je vous demande réponse et l'honneur de vos bonnes grâces.
LETTRE LXI.
BOSSUET AU MARÉCHAL DE BELLEFONDS.
Je réponds suivant que vous le souhaitez, à la suite de
votre lettre que j'ai reçue aujourd'hui. Si le confesseur qui vous oblige à ne
point parler des cinq propositions sans ajouter qu'elles sont dans Jansénius,
prétend vous empêcher seulement de dire qu'elles n'y sont pas, il a raison. Car
vous ne devez pas dire qu'elles n'y sont pas, puisque même ceux qui Pont soutenu
ont reconnu que par respect pour le jugement ecclésiastique, qui déclare
qu'elles y sont, ils étaient tenus au silence. Par la même raison il ne faut
rien dire qui tende à faire voir qu'on doute si elles y sont, ou que le jugement
du saint Siège, qui déclare qu'elles y sont, soit équitable; car ce serait
manquer au respect qui est dùà ce jugement, l'attaquer indirectement, et
scandaliser ses frères.
Que si ce pieux religieux prétend que jamais vous n'osiez
nommer les cinq propositions, en disant, par exemple, qu'elles ont fait grand
bruit dans l'Eglise, et autres choses historiques et indifférentes, sans ajouter
aussitôt qu'elles sont dans Jansénius, il vous impose un joug que l'Eglise
n'impose pas, puisqu'il n'y a rien dans ses jugements qui oblige les laïques à
se déclarer positivement sur cette matière. On n'a rien à vous demander, quand
vous ne direz jamais rien contre le jugement qui décide la question de fait, et
que dans l'occasion vous direz que vous vous rapportez sur tout cela à ce que
l’Eglise ordonne à ses enfants. Vous avez donc bien fait de ne vous engager pas
à davantage : car la
209
sincérité ne permet pas de donner des paroles en l'air,
surtout dans un sacrement ; et il est contre la prudence et contre la liberté
chrétienne, de se laisser charger, sans nécessité, d'un nouveau fardeau qui
pourrait causer des scrupules. Du reste vous auriez tort de blâmer des évêques
(a) qui sont dans la communion du saint Siège, et dont la vie est non-seulement
irréprochable, mais sainte. Dites sans hésiter que vous condamnez ce que
l'Eglise condamne, que vous approuvez ce qu'elle approuve, et que vous tolérez
ce qu'elle a trouvé à propos de tolérer : dites cela quand il le faudra, sans
affectation et quand l'édification du prochain, ou quelque occasion considérable
le demandera. Persistez à demeurer dans le dessein de garder le silence sur ces
matières, autant que vous le pourrez, sans trop gêner votre esprit dans la
conversation : qui vous en demandera davantage excède les bornes.
En voilà assez pour répondre à votre question : du reste je
suis bien aise de vous dire en peu de mots mes sentiments sur le fond. Je crois
donc que les propositions sont véritablement dans Jansénius, et qu'elles sont
l’âme de son livre. Tout ce qu'on a dit au contraire me parait une pure chicane,
et une chose inventée pour éluder le jugement de l'Eglise. Quand on a dit qu'on
ne devait ni on ne pouvait avoir à ses jugements sur les points de fait une
croyance pieuse, on a avancé une proposition d'une dangereuse conséquence, et
contraire à la tradition et à la pratique (b). Comme pourtant la chose était à
un point qu'on ne pouvait pas pousser à toute rigueur la signature du
Formulaire, sans causer de grands désordres et sans faire un schisme, l'Eglise a
fait selon sa prudence d'accommoder cette affaire, et de supporter par charité
et condescendance les scrupules que de saints évêques et des prêtres, d'ailleurs
attachés à l'Eglise, ont eus sur le fait. Voilà ce que je crois pouvoir établir
par des raisons invincibles: mais
(a) Les quatre évêques. — (b) Voici comment le cardinal de
Bausset cite cette phrase dans l’Histoire de Bossuet, liv. II, chap. XVIII, p.
196 (éd. de Vers.) : « Quand on dit qu’on ne devait, ni on ne pouvait avoir à
ses jugements, sur les points de fait, qu’une (au lieu de une)
croyance pieuse, on a avancé une proposition, » etc. On voit que l'historien,
par l'addition de la particule exclusive que, dénature e sentaient de Bossuet
sur une matière importante et délicate. Et ce n’est pas la première fois que
nous le surprenons dans de pareilles manœuvres.
210
211
cette discussion vous est, à mon avis, fort peu nécessaire.
Vous pouvez sans difficulté dire ma pensée à ceux à qui vous le trouverez à
propos, toutefois avec quelque réserve. J'ai appris de l'Apôtre à ne point
trahir la vérité, et aussi à ne point donner d'occasion de troubles à ceux qui
en cherchent.
LETTRE LXII.
BOSSUET AUX RELIGIEUSES DE PORT-ROYAL, Sur la signature pure et simple du
Formulaire contre le livre de Jansénius (a).
Mes très-chères-Sœurs,
Quoique les dissensions qui sont nées au sujet des cinq
propositions et des signatures fassent une grande plaie dans l'Eglise,
(a) En 1664, Bossuet eut, devant M. de Péréfixe, archevêque
de Paris, une conférence avec les religieuses de Port-Royal, pour les engager à
reconnaître purement et simplement, sans la distinction du fait et du droit, le
Formulaire contre les cinq propositions de Jansénius. Son éloquence incomparable
et son invincible dialectique échouèrent devant de funestes préventions. Cédant
à la voix de la charité, il écrivit une lettre qui résumait ses raisonnements;
et M. de Péréfixe la publia dans le texte, ou plutôt à la suite d'un mandement.
Des difficultés nouvelles et de nouveaux écrits vinrent
compliquer une situation déjà si critique et si périlleuse, où les résistances
et les obstacles se multipliaient les uns par les autres. En 1665, l'archevêque
de Paris donna un second mandement, qui demandait comme le premier la soumission
au Formulaire; et le grand orateur modifia sa lettre fondamentalement,
remplaçant dans plusieurs paragraphes les faits par d'autres faits, les
raisonnements par d'autres raisonnements. Cette seconde lettre ne fut pas
publiée comme la première, mais seulement lue aux religieuses de Port-Royal.
L'abbé Ledieu dit, dans une note de la copie qui la
renferme : «Je n'ai point trouvé de date dans l'original de cette lettre ; niais
elle porte deux caractères certains du temps qu'elle a été écrite. Dans un
premier projet de cette lettre, il est beaucoup parlé du mandement de M. de
Péréfixe, où il réduisait à la foi humaine la créance du fait de Jansénius : et
à la fin de cette copie au net l'on a pu remarquer ce qui est dit de la
signature du Formulaire faite par M. Arnauld, évêque d'Angers. J'ai aussi trouvé
au bout de cette même lettre une note de l'auteur contre la quatrième partie de
l’Apologie des religieuses de Port-Royal, ce qui suppose que cet ouvrage
était public. Or le mandement de M. de Paris pour la foi humaine était du
septième de juin 1664. Le formulaire contenu dans la bulle d'Alexandre VII, du
15 de février 1665, donna occasion à une nouvelle ordonnance de M. de Péréfixe,
du 13 de mai 1665, pour la signature de ce nouveau formulaire avec un simple
acquiescement et sans plus parler de La foi humaine : et c'est pourquoi L'auteur
de celle lettre en a aussi retranché tout ce qui regarde cette sorte de créance.
La quatrième partie de l'Apologie des religieuses de Port-Royal fut
publiée le 20 d'avril 1665 et la première Ordonnance
211
et qu'en quelque part que l'on découvre des effets d'un mal
si dangereux, tous ceux qui ont un cœur et des entrailles chrétiennes ne
puissent pas en être touchés médiocrement, il me paraît toutefois que nos peines
et nos périls attirent une compassion plus particulière; et je ne puis sans une
extrême douleur vous voir si avant engagées dans un tumulte duquel non-seulement
votre retraite et votre profession, mais encore votre sexe même semblait vous
avoir si fort éloignées. C'est ce qui me donne pour vous une continuelle
inquiétude ; les dangers et les tentations auxquelles vous êtes exposées me sont
présentes nuit et jour; et je vous porte sans cesse devant Dieu, le priant
humblement et avec ardeur par la grâce qu'il vous a faite de quitter le siècle,
qu'il lui plaise de consommer en vous son ouvrage jusqu'à la fin, et de vous
éclairer par sa grâce sur ce que vous avez à faire dans cette importante
conjoncture.
Je connais si clairement vos obligations que je ne puis en
douter, et l'amour que j'ai pour votre salut et pour la paix de l'Eglise me
presse de vous en écrire mes pensées. Car, encore que je ne présume pas de
pouvoir rien ajouter à ce qui a été expliqué par ceux qui vous ont parlé devant
moi, néanmoins me souvenant des instructions de l'Apôtre, je vous dirai avec lui
« qu'il ne doit pas nous être à charge de vous répéter les mêmes choses et qu'il
vous est nécessaire» de les entendre Lisez donc, mes chères Sœurs, avec patience
ces réflexions du moindre de ceux qui vous ont entretenues de vos devoirs : et
trouvez bon que laissant à part tout ce qu'il faudrait peut-être traiter si l'on
parlait à
1 Philip., III, 1.
de M. d'Angers, pour la signature du Formulaire, est du
huitième de juillet de la même année. Celte lettre supposant toutes ces pièces
rendues publiques, il faut qu'elle leur soit postérieure, c'est-à-dire
apparemment vers la lin même de juillet 1665, temps auquel M. de Péréfixe lit un
dernier effort pour amener à l'obéissance les religieuses de Port-Royal, qu'il
avait toutes fait rentrer en leur maison des champs, après leur avoir ôté celle
de Paris, se servant à cette fin de M. l'abbé Bossuet, comme il avait fait de
tant d'autres avant lui. »
Ainsi, deux lettres aux religieuses de Port-Royal : l'une
incomplète et défectueuse, l'autre soigneusement revue par l'auteur. Or la
première a seule été publiée jusqu'à ce jour; la seconde paraît ici pour la
première fois. Le manuscrit se trouve à la bibliothèque du séminaire de Meaux.
Comme on a pu te voir dans ce qui précède, c'est une copie faite par l'abbé
Ledieu sur l’autographe de Bossuet.
212
des docteurs, je me réduise précisément à ce qui suffit
pour votre état, n'y ayant rien de moins à propos que de vous jeter dans de
longues et inutiles discussions, dans le temps que vos besoins et vos périls
demandent que l'on vous donne un moyen facile de vous résoudre.
Pour y parvenir, mes Sœurs, et retrancher autant qu'il se
peut les difficultés, je pose pour fondement la déclaration que vous avez faite
dans vos Actes, que vous êtes résolues d'obéir sans réserve (à vos Supérieurs
ecclésiastiques) en tout ce que, la conscience peut permettre. Ainsi (toute la
question) est réduite à votre égard à examiner, si la signature pure et simple
qu'on vous demande est mauvaise en soi : et pour vous montrer clairement que
vous devez l'accorder à M. l'archevêque, il suffit de vous faire voir que vous
le pouvez sans blesser votre conscience, puisque selon les termes de vos Actes,
hors cela vous êtes prêtes de tout exposer.
Considérons donc, mes Sœurs, ce point unique et nécessaire
; et examinons en détail toutes les difficultés qui vous peinent dans cette
souscription qu'on vous propose.
Premièrement, je ne pense pas qu'après tant de déclarations
et publiques et particulières que vous a faites M. l'archevêque, vous ayez
encore l'appréhension que l'on attende de vous la même attache au fait qui est
contenu dans le formulaire, qu'aux vérités révélées. Et certainement, mes Sœurs,
c'était une vaine terreur qu'on vous donnait, que vous y fussiez obligées par la
force des termes de ce formulaire. Car il n'y a personne qui ne sache que dans
les professions de loi des fidèles, il n'ait été ordinaire dès la première
antiquité de joindre la condamnation des mauvaises doctrines avec celles de
leurs défenseurs : et néanmoins on ne dira pas que c'ait été jamais l'intention
de l'Eglise, que ce qui touchait les personnes fût un article de foi. Il n'est
pas besoin de vous rapporter ici le fait de Théodoret, tant de fois rebattu en
cette affaire. On sait assez que les Pères de Chalcédoine ne voulurent pas même
écouter sa profession de foi, que l'anathème à Nestorius ne fût à la tête (1).
Si donc nous disons avec lui anathème à Nestorius et à
1 Conc. Chalced., act. VIII, tom. IV ; Concil., Labb., p.
620, 621.
213
quiconque ne dit pas que la sainte Vierge est mère de Dieu,
personne ne pensera que, pour joindre le fait et le dogme dans une même
profession de foi, nous nous soumettions à l'un et à l'autre par le même genre
de soumission et dans le même degré de certitude.
Ecoutez, mes très-chères Sœurs, la profession de foi de
saint Grégoire, vraiment grand parce qu'il a été vraiment humble, envoyée par ce
saint pape aux églises d'Orient après son exaltation au saint Siège : « Parce
que l'on croit de cœur à justice, et que l'on confesse de bouche à salut, je
confesse que je reçois el que je révère les quatre conciles comme les quatre
livres de l'Evangile, à savoir : celui de Nicée, où l'hérésie d'Arius est
détruite ; celui de Constantinople, où l'erreur d'Eunomeetde Macédonius est
convaincue ; celui d'Ephèse, où l'impiété de Nestorius est jugée; celui de
Chalcédoine, dans lequel la mauvaise doctrine d'Eutychès et de Dioscore est
réprouvée. Je reçois pareillement le cinquième concile, où la lettre dite
d'Ibas, pleine d'erreurs, est condamnée, Théodore convaincu, les écrits de
Théodoret contre la foi de saint Cyrille rejetés. Je réprouve toutes les
personnes que ces vénérables conciles réprouvent, et j'embrasse celles qu'ils
vénèrent. Quiconque, donc pense autrement, qu'il soit anathème (1). » Voyez, mes
Sœurs, combien de faits sont mêlés dans la profession de foi de ce grand pape,
et avec quelle autorité il fait tomber le même anathème tant sur les faits que
sur les dogmes ; et néanmoins il est inouï qu'on ait jamais soupçonné qu'il
rejetât les uns et les autres avec la même soumission de foi catholique.
Il me serait aisé de tirer des Actes des saints conciles,
comme des registres publics de l'Eglise, plusieurs professions de foi
solennelles de même style et de même esprit que celle de saint Grégoire. Je puis
vous assurer qu'elles sont très-ordinaires dans l'antiquité : et il ne servirait
de rien d'objecter que les faits qu'on insérait dans ces professions de foi
étaient tellement notoires, que les hérétiques mêmes en convenaient.
Premièrement, il n'est pas ainsi : on n'insérait dans ces professions de foi que
des faits jugés par l'Eglise ; mais on n'attendait pas pour cela que tout le
monde
1 Lib. I, epist. XXIV.
214
en convint. Saint Grégoire ne pouvait ignorer combien de
personnes disconvenaient du fait de Théodore, de Théodoret et d'Ibas: il ne l'en
comprend pas moins avec les autres dans la même profession de foi et sous le
même anathème, parce qu'il lui suffisait qu'il fût jugé, et personne n'a jamais
pensé qu'en cela il fit rien contre les canons. Mais quand la remarque serait
véritable, elle ne ferait rien à la question. Car dans quelque notoriété que ces
faits fussent connus aux fidèles, elle n'était pas capable de les élever au rang
de vérités révélées : par conséquent, il est clair, qu'encore qu'ils fussent
proposés avec les dogmes dans la même profession de foi, ils n'étaient pas reçus
pour cela par le même genre de soumission et de créance. On recevait chaque
chose dans son degré et dans son ordre. Qui ne voit donc manifestement qu'on
vous a effrayées par un vain scrupule, lorsqu'on a voulu vous faire craindre par
les termes du formulaire que ce qui touche le livre de Jansénius, ne vous y fût
proposé avec la même certitude que les vérités de foi ? Cette crainte n'avait
aucune apparence ; et on ne devait pas vous engager à cette distinction de fait
et de droit entièrement inouïe dans ces sortes de souscriptions, étant
très-indubitable que parmi un si grand nombre de professions de foi, dans
lesquelles il y a eu des faits insérés par l'autorité de l'Eglise, il ne se
trouvera pas que cette distinction ait jamais été jugée nécessaire, ni que
personne ait eu un pareil scrupule.
Que si nous venons à approfondir les autres difficultés
desquelles on fait tant de bruit, nous ne les trouverons pas plus considérables.
Je vois qu'on répand dans le inonde et qu'on pose pour très-assurée une infinité
de fausses maximes qui troublent les consciences sur le sujet des souscriptions
et des faits jugés par l'Eglise, rejetant autant que l'on peut l'autorité de ses
jugements; parce qu'ils ne sont pas infaillibles comme ceux qui regardent la foi
catholique, il semble qu'on veuille établir qu'ils ne méritent aucune créance ;
on vous les fait regarder comme des choses purement indifférentes et sur
lesquelles l'Eglise n'a rien à exiger de ses enfants. C'est pourquoi on vous
persuade que vous avez satisfait à tout, lorsque vous déclarez dans vos actes
que vous n'y prenez nulle part, comme s'il s'agissait seulement d'une
215
dispute qui fût née entre les savants, et non d'un jugement
ecclésiastique qui regarde tous les fidèles et futilité de toute l'Eglise.
Bien plus, on vous fait appréhender que vous ne portiez un
faux jugement et que vous ne rendiez un faux témoignage, en condamnant un auteur
dont vous ne savez pas la doctrine ; et encore qu'on ne vous propose de le faire
que sur l'autorité du jugement de l'Eglise, cette forte considération ne lève
pas votre peine : au contraire vous répondez dans vos Actes que ne sachant,
point si les hérésies condamnées sont dans le livre d'un évêque catholique que
vous êtes incapables de lire, vous êtes incapables aussi de rendre témoignage de
ce fait que vous savez être contesté. Tellement que !a chose en est réduite à ce
point., que non-seulement vous ne croyez pas que l'Eglise ait droit de vous
obliger à souscrire la condamnation de cet auteur; mais encore vous publiez
hautement qu'il ne vous est pas permis de le faire sur la seule autorité de sa
sentence ; et que tant que ce fait sera contesté par les partis, vous croirez
blesser votre conscience en souscrivant le décret du juge.
Je vous confesse, mes Sœurs, que je ne puis entendre sans
étonnement ces maximes nouvelles et inouïes qu'on pose pour fondement à votre
conduite présente. Car, je vous prie, qui a jamais ouï dire qu'on ne puisse ni
rien croire ni rien assurer, même dans des choses de fait, que sur sa propre
science? Que si l'on peut et si l'on doit souvent s'en rapporter à l'autorité
d'autrui, y en a-t-il au monde une plus grande sur l'esprit des chrétiens que
cette d'un jugement canonique reçu unanimement dans toute l'Eglise comme celui
dont il s'agit ? Qu'y a-t-il donc de plus vain, mais qu’y a-t-il de plus
dangereux que cette appréhension de blesser sa conscience, en souscrivant un
jugement de l'Eglise universelle, sous prétexte qu'on n'est pas instruit par
soi-même des motifs qu'elle a eus pour le prononcer? Quoi ! lorsqu'un
particulier entendra publier par son pasteur un jugement ecclésiastique contre
quelques personnes ou quelques écrits, s'il n'est informé par lui-même de la
vérité du fait, il ne pourra plus sans péché dire en imitant le grand saint
Grégoire : J'approuve les personnes
216
Et les écrits que L'Eglise approuve, et je condamne ceux
qu'elle condamne: et cette humble déclaration non-seulement ne doit plus être
buée, mais ne peut plus être soufferte ? Voilà, mes très-chères Sœurs, les excès
où vous engagent vos actes et vos excuses présentes. Car si elles sont
recevables et si, pour être capable de consentir à un jugement ecclésiastique de
cette nature, il faut avoir pénétré le mérite de la cause, en même temps que ce
particulier docile enfant de l'Eglise sera prêt de déclarer hautement
l'approbation qu'il donne à sa sentence sans s'enquérir davantage, nous serons
obligés de l'avertir qu'il précipite son jugement, qu'il témoigne ce qu'il ne
sait pas, et que l'Eglise ne peut exiger ni même recevoir de lui aucune autre
soumission que celle de son silence, puisque ne connaissant pas le fait par
lui-même, il n'est pas même capable d'en rendre aucun témoignage. Y aurait-il
rien de plus nouveau, de plus dangereux ni de plus étrange, que cette conduite ?
C'est pourquoi je vous conjure d'envisager avec moi les
mauvais effets qu'elle opérerait dans l'Eglise, et le prodigieux renversement
qu'elle ferait dans sa discipline, si elle était établie : et pour cela trouvez
bon que je vous propose des maximes très-véritables, par lesquelles vous
connaîtrez l'origine, l'autorité et la fin des jugements ecclésiastiques sur les
personnes et sur les écrits suspects ; desquelles quand nous aurons fait
l'application au fait particulier dont il s'agit, j'espère que vous y
découvrirez une lumière certaine pour sortir du labyrinthe où vous êtes. Au
reste, je vous supplie de croire que voyant vos perplexités, je ne prétends
point vous embarrasser dans des questions et des doutes ; et au contraire je ne
veux avancer ici que des vérités très connues, par lesquelles vous puissiez
trouver la fin de vos peines et le repos de vos âmes dans l'obéissance.
Je suppose pour premier principe, que l'Eglise a reçu d'en
haut un commandement précis de reprendre et de censurer ceux qui corrompent la
saine doctrine, de les séparer, de les éviter, de les noter même publiquement,
en sorte qu'on ne puisse pas les méconnaître. Les Ecritures apostoliques sont
pleines de pareils préceptes que l'Eglise ne peut accomplir sans prononcer des
217
jugements, non-seulement sur la doctrine en général, mais
encore sur les personnes et sur les écrits. Tellement qu'il ne suffit pas,
lorsque quelqu'un est accusé d'avoir enseigné une doctrine suspecte, que
l'Eglise examine seulement si cette doctrine est bonne ou mauvaise en soi ; mais
il faut, pour satisfaire à ces commandements divins, qu'elle entre en
connaissance du fait, et qu'elle recherche s'il est véritable qu'elle ait été
enseignée par cet homme et qu'elle soit contenue dans tel écrit : autrement elle
n'obéit pas à l'ordre qu'elle a reçu de noter et « censurer l'homme hérétique
(1) ; » et il n'y a personne qui ne voie que ravir à l'Eglise cette puissance,
c'est l'exposer nue et désarmée aux séducteurs et trompeurs, desquels elle a été
si souvent avertie de se donner de garde. C'est pourquoi (nous voyons dans
presque toutes) les pages de l'histoire ecclésiastique que (l'Eglise en
prononçant) contre les mauvaises doctrines, notait en même (temps et censurait)
par l'autorité du même décret ceux qui en étaient les auteurs ou les défenseurs.
En quoi certes elle a suivi, non-seulement le précepte, mais encore l'exemple de
l'Apôtre, qui ayant ordonné de noter tout frère qui marche désordonnément et
contre la tradition qu'il avait laissée (2), le pratique lui-même de la sorte en
désignant expressément dans ses Epîtres un Hyménée, un Phygelle, un Hermogène
(3) et les autres qui erraient et engageaient dans l'erreur. Par où l'Eglise a
été instruite à rechercher avec soin ceux qui altéraient la bonne doctrine et
ensuite à les découvrir, les notant en leur propre nom et par un décret exprès
qu'on envoyait à toutes les villes et à toutes les Eglises : ainsi qu'il fut
pratiqué à l’égard d'un hérétique de la secte des monothélites que saint Eloi
découvrit à Autun (4), et qu'il se pratiquait constamment dans les autres
rencontres semblables. Il est donc très-clair et très-manifeste que l'Eglise est
obligée de rendre des sentences solennelles sur les faits de cette nature; et
elle a fait voir à ses enfants de quelle importance lui étaient de tels
jugements, par deux circonstances remarquables.
1 Tit III, 10.— 2 II Thess., III, 6. — 3 II Timoth., I,
15 : 1 Sics hoc... Phygellus et Hermogenes ; ibid., II, 17 : Ex quibus est
Hymenaeus et Philetus. » — 4 Vita S. Eligii, lib. I, cap. XXXV; Spicileg., tom.
V.
218
La première, c'est qu'après avoir jugé les novateurs, elle
insérait leur condamnation avec une telle autorité dans ses professions de foi
solennelles, que même elle en faisait une partie très-considérable. Vous venez
de lire, mes Sœurs, celle du pape saint Grégoire. Le grand pape saint Léon
ordonne à ceux qui étaient suspects de l'hérésie pélagienne, de condamner par
écrit dans leur profession de foi « les auteurs de leur superbe doctrine, » Il
commande la même chose aux manichéens qu'il avait découverts dans Rome (1). Je
n'achèverais jamais ce discours, si j'entreprenais de vous raconter tous les
exemples pareils, qui sont infinis dans l'histoire et dans les actes
particuliers de l'Eglise. J'ajouterai seulement que le pape saint Hormisdas
exigea et reçut par écrit la confession de foi de tout l'Orient, en laquelle
était énoncée la condamnation expresse de tous ceux que, l'Eglise avait jugés,
et nommément celle d'Acace patriarche de Constantinople ; ce pape très-saint et
très-docte, défenseur très-zélé de la doctrine de saint Augustin, ayant
gravement averti les évêques « qu'il ne suffisait pas d'enfermer les errants
dans une condamnation générale, mais que leur profession de foi dont il leur
envoyait le modèle devait condamner en particulier, nommément et par écrit tous
ceux que l'Eglise catholique avait jugés condamnables (2). » Je vous ai déjà
dit, mes Sœurs, que cette pratique était constante et universelle; par où vous
devez entendre de quel poids étaient les jugements de tels faits, puisqu'ils
faisaient comme vous voyez, une partie principale de la profession de foi de
l'Eglise : non qu'elle ait jamais prétendu (donner) le dénombrement de ceux
qu'elle condamnait comme une (doctrine) révélée ; mais parce qu'on ne peut mieux
témoigner son aversion contre les dogmes pervers, qu'en condamnant avec, eux par
une même déclaration, ceux que l'Eglise réprouve comme en étant les auteurs et
les défenseurs; selon ce que dit le même pape : « Celui-là prouve, qu'il répugne
aux erreurs, qui condamne les errants ; et on ne laisse aucun lieu à l'égarement
quand on ne pardonne pas à ceux qui excèdent (3). »
1 Léon., epist. LXXXVI, ad Nicetam Aquileiens. ,tom. III,
Concil., Labbe, p. 1388, c. 1389, e; et epist. II ad Episc. per Italiam,
ibid., p. 1295, c. — 2 Epist. VIII, XXIX, LI; tom. IV, Concil., Labbe, p.
1441, 1443, b, etc. Voy. les citations plus au long à la fin de la lettre. — 3
Hormisd., epist. XI, tom. IV, Concil., Labbe, p. 1448, e.
219
C'est pourquoi, et c'est la seconde observation, les
jugements de cette nature et sur ces sortes de faits ont paru à toute l'Eglise
d'une telle conséquence et elle les a estimés tellement conjoints à la cause de
la foi, que pour accorder la grâce de sa communion, elle ne se contentait pas
qu'on fût convenu de la condamnation des erreurs, si l'on ne souscrivait aussi
la condamnation des personnes légitimement réprouvées. C'est ce qui paraît
clairement par ce célèbre accord entre saint Cyrille d'Alexandrie et Jean
patriarche d'Antioche. Nous en voyons tous les actes à la fin du concile
d'Ephèse, dans lesquels nous remarquerons en premier lieu que l'empereur
Théodose ayant beaucoup désiré cette conciliation, il assembla les évêques qui
se trouvèrent à Constantinople, pour agir en cette affaire selon leur avis,
ainsi qu'il se pratiquait ordinairement dans les grandes affaires de l'Eglise.
Là il fut convenu avant toutes choses qu'il fallait poser pour fondement le
consentement dans la foi ; mais on ajouta aussi comme une condition nécessaire,
que Jean d'Antioche serait obligé d'anathématiser les dogmes de Nestorius, et
d'approuver par écrit sa déposition Voilà quel fut le projet de cet
accommodement; en exécution duquel saint Cyrille d'Alexandrie déclare que lui et
les orthodoxes ne reçurent à leur communion les évêques d'Orient ni Jean leur
chef et leur patriarche, que sous cette condition nécessaire d'anathématiser par
écrit Nestorius et ses dogmes, et de consentir aussi par écrit exprès à sa
déposition et à l'ordination de Maximien son successeur. Ce qui fut fait de la
sorte avec un consentement unanime. D'où il résulte que Jean d'Antioche et les
évêques d'Orient n'auraient point eu de part à la paix et à la communion des
orthodoxes, s'ils n'eussent consenti formellement, non-seulement à la foi, mais
encore en particulier à la condamnation de Nestorius.
Le pape saint Hormisdas, dont je, vous ai déjà proposé
l'exemple, en usa de la même sorte avec Jean, patriarche de Constantinople et
1 Voyez Les lettres de Jean d'Antioche et Les déclarations
des Orientaux, XXVI, XXVII, XXXI, XXXII; et les lettres de saint Cyrille à Jean
d'Antioche, Acace et autres, XXXIV, XXXV, XXXVII; Conc. Ephes., p. 3, tom. III,
Concil., Labbe, p. 1088 etc., nos, etc. (Voyez encore les citations qui sont à
la fin de cette lettre.)
220
les autres évêques grecs (a) : car leur ayant
lui-même envoyé un formulaire de foi, qui comprenait expressément la
condamnation de tous ceux qui avaient été notés par les jugements de l'Eglise et
en particulier celle d'Acace patriarche de Constantinople, que le pape Félix III
avait justement condamné, nonobstant leurs excuses el leur résistance, il leur
ordonna de le souscrire. Et encore que Jean de Constantinople lui eût déclaré
par écrit qu'il recevait le concile de Chalcédoine et les lettres du grand pape
saint Léon, ce, qui suffisait pleinement pour l'intégrité de la foi, il ne
laissa pas toutefois de lui refuser (constamment la communion) jusqu'à ce qu'il
lui eût envoyé sa souscription (à leur condamnation). Car lui répond ce grand
pape : « Si ce concile et ces lettres (vous plaisent, et) que la défense d'Acace
justement condamné ne vous plaise pas, je saurai alors, poursuit-il, que vous
révérez avec moi ce que je révère, si vous détestez avec moi ce que je déteste
(1). » Et encore dans une autre Epître : « Recevoir, dit saint Hormisdas, le
concile de Chalcédoine et les lettres de saint Léon, et cependant vouloir
défendre le nom d'Acace, c'est entreprendre de soutenir des choses contraires.
C'est pourquoi, conclut-il enfin, si vous voulez que nous vivions ensemble en
communion, envoyez-moi la profession que vous trouverez attachée au bas de cette
lettre souscrite de votre main. » Voilà, mes Sœurs, en quelle manière ce pape
très-savant et très-pieux pressait la souscription sur des faits, et y obligeait
par son autorité les évêques des plus grands sièges de l'Eglise. Et quoique nous
voyions par une lettre du pape saint Gélase, que l'on objectait alors ce que
quelques-uns objectent encore à présent, que « Acace n'avait pas été jugé par un
concile, lui qui était évêque d'une Eglise si considérable (2) : » néanmoins le
pape saint Hormisdas pressa toujours les Orientaux par la force des choses
jugées : « Pourquoi m'arrêter, disait-il, à discourir de choses déjà décidées,
puisque je n'ai plus rien à faire qu'à exhorter (3)?» Il croyait que s'agissant
d'une affaire déjà terminée par le jugement authentique de Félix son
prédécesseur,
1 Epist. XXIX. — 2 Gelas., epist. XIII;
tom. IV, Concil., Labbe, p. 1199, c d. Hormisd., epist. XXXII. — 3
Ibid., p. 1479, b. c.
(a) Voyez ci-dessus, et les citations qui sont plus
au long à la fin de cette lettre.
221
il n'avait plus rien à faire que d'exhorter tout le monde à
y obéir. Et en effet tout l'Orient se crut obligé de céder à l'autorité du Pape
avec une incroyable satisfaction de toute l'Eglise catholique, qui vit par
l'autorité de ce grand et saint pontife sa foi et sa paix universellement
établies.
Vous voyez par ces exemples constants, avérés, approuvés
par tous les orthodoxes, qu'il faut dire nécessairement ou que l'Eglise s'est
horriblement trompée dans sa conduite, ou bien que ses décisions sur les faits
ne sont pas de si petite importance qu'on veut vous !e faire entendre. Et certes
si tes nouvelles maximes qu'on veut établir à présent eussent eu lieu en ces
temps, qu'y eût-il eu de plus facile à ceux que l'on pressait pour ces
souscriptions, que de répondre qu'ils avaient donné leur déclaration sur la foi
si nette et si décisive, qu'il, n'y avait aucune raison de les soupçonner
d'hérésie : tellement qu'on ne pouvait après cela les pousser plus loin sur des
faits et des condamnations personnelles sans une extrême violence ? Mais
l'Eglise ne recevait pas ces excuses : au contraire le pape saint Hormisdas
répondait ainsi à ceux qui croyaient avoir satisfait à tout, en confessant la
foi de l'Eglise romaine : « Après cela, disait-il, que reste-t-il autre chose,
sinon que vous suiviez sans hésiter les jugements du siège apostolique, duquel
vous professez que vous embrassez la foi (1) ?» Où il se voit clairement qu'il
parlait du jugement rendu contre Acace. Nous vous disons, mes chères Sœurs, la
même chose. Si vous embrassez la foi du Siège apostolique, suivez sans crainte
ses jugements, ne craignez pas de vous exposer à aucun péril de pécher en
souscrivant humblement sur l'autorité de sa sentence.
Avant que d'aller plus loin, je me sens obligé de vous
avertir qu'en rapportant ces exemples, je n'entends faire aucun préjudice à la
personne de Jansénius, lequel on estime tant que l'on vous exhorte publiquement
à l'imiter. Je vous déclare, mes Sœurs, que je ne prétends pas qu'on puisse
tirer aucun préjugé de sa personne en faveur de son livre, je ne pense pas non
plus qu'il y ait rien à conclure de son livre contre sa personne; et si j'ai
1 Epist. XXIX, tom. IV, Concil., Labbe, p. 1472, 1473, c.
222
produit les exemples de personnes condamnées, ce n'est pas
pour les mettre en aucune sorte de comparaison avec un évêque mort dans la paix
et dans la soumission, mais pour établir seulement les maximes générales
touchant les jugements sur les faits, lesquelles doivent être réduites aux
personnes ou aux écrits suivant l'exigence de la matière.
Je n'ignore pas qu'on répond que les faits sur lesquels
intervenaient de tels jugements étaient constants et notoires par l'aveu même
des partis : mais il n'y a rien de plus vain ni de plus mal fondé que cette
réponse. Car par exemple, mes Sœurs, dans les faits que j'ai rapportés, peut-on
dire que Jean d'Antioche demeurât d'accord que la déposition de Nestorius eût
été bien faite dans le, concile d'Ephèse, lui qui avait rempli toute l'Eglise de
plaintes si outrageuses contre les décrets et la procédure de ce saint concile,
et qui peu de temps après l'union et lors même qu'elle se traitait, avait encore
écrit à saint Cyrille qu'il s'y était « dit et fait plusieurs choses qui
n'étaient pas selon l'ordre (1)? » Le pape Félix III avait-il attendu l'aveu
d'Acace pour prononcer sa sentence? Et si Jean de Constantinople eût reconnu
d'abord la nécessité de condamner son prédécesseur, eût-il persisté si longtemps
à défendre son nom et sa personne? Qui ne voit donc que ce patriarche, aussi
bien que Jean d'Antioche, céda par la force des décrets, et se rendit par
l'autorité des choses jugées?
Et sans m'arrêter ici à une longue discussion de faits
infinis, je demanderai seulement si quelqu'un peut assurer que les chefs des
hérésies et leurs sectateurs convinssent qu'on eût bien pris leur pensée, et
qu'ils demeurassent toujours d'accord d'avoir enseigné les dogmes qui leur
étaient attribués. Au contraire, n'est-il pas véritable qu'ils affectaient
ordinairement de les cacher et de parler comme, les orthodoxes, surtout quand
leur parti était faible; qu'ils ne cessaient jamais de se plaindre qu'on les
avait calomniés, et qu'encore même qu'ils convinssent d'avoir dit les paroles
qu'on leur reprochait, ils ne convenaient pas toujours qu'on eût bien entendu
leur sens? Ce serait perdre le temps et faire le savant
1 Cyril., Epist. ad Donatum Nicopolit.; conc. Ephes., p. 3,
epist. XXXVIII, tom. III, Concil., Labbe, p. 1155, e.
223
mal à propos, que de ramasser ici les exemples d’une
semblable conduite, et de prouver par un long discours une vérité qui ne sera
pas disputée. Celui-là certainement aurait peu connu les profondeurs de Satan
dans l'établissement des hérésies, qui ne se serait pas aperçu que le piège le
plus ordinaire que tendent leurs défenseurs aux enfants de Dieu, c'est de
couvrir-de ténèbres leurs desseins et leurs sentiments, de leur donner le
change, pour ainsi parler, en détournant l'état de la question et réduisant la
difficulté à des choses qui semblent légères et où il ne paraît aucun péril,
dans lesquelles néanmoins est renfermé en effet tout le secret du parti, tout le
venin de la doctrine et, comme dit l'apôtre saint Paul, toute « l'efficace de
l'erreur (1). » Parmi tous ces artifices et dans cette confusion, vous voyez
bien, mes Sœurs, à quelles séductions l'Eglise serait exposée, si elle accordait
aujourd'hui cette maxime, que les jugements qu'elle rend sur les personnes et
sur les ouvrages hérétiques n'ont point de force, jusqu'à ce que les faits
soient avérés par le consentement des partis. Et s'ils ne veulent jamais en
convenir, et s'ils soutiennent toujours qu'on n'a pas bien entendu le sens de
leurs discours et de leurs écrits, l'Eglise sera-t-elle à bout par cette ruse ou
par cette opiniâtreté? et ne pourra-t-elle plus obéir à l'ordre qu'elle a reçu
d'en haut, de noter les hommes hérétiques? C'est-à-dire, demeurera-t-il établi
qu'elle ne pourra plus crier contre les loups, tant qu'ils garderont leur peau
de brebis? Ou bien, si elle fait son devoir en notant par une censure publique
leurs personnes ou leurs écrits suivant l’exigence des cas, eux et leurs
disciples en seront-ils quittes pour dire que ces jugements regardent des faits
dont ils ne conviennent point? Il n'y a personne qui ne voie quelles ouvertures
donneraient de telles maximes au bouleversement total de l’Eglise. Il faut donc
nécessairement en établir de contraires, et poser pour tout assurer, que
l'Eglise peut et doit juger des personnes et des écrits de ceux qui enseignent
les fidèles, soit que l'on convienne des faits, soit que l'on n'en convienne
pas, n’y ayant rien de plus injuste ni qui ouvre une plus grande porte à la
rébellion manifeste que de soutenir que ses jugements ne
1 II Thess., II, 10.
224
puissent avoir leur force entière jusqu'à ce que les partis
acquiescent.
Aussi voyons-nous, mes Sœurs, que l'Eglise procédant au
jugement de ceux qui lui étaient déférés, dans quelque évidente notoriété que
leurs sentiments fussent reconnus et même de leur aveu, n'a pas appuyé sur ce
fondement la censure qu'elle a prononcée contre leurs personnes ou contre leurs
livres. Car si elle n'eût regardé que cette notoriété et leur propre
consentement, elle s'en serait tenue à cette évidence sans aucune plus ample
recherche. Mais au contraire, ayant procédé à l'examen de leurs discours et de
leurs ouvrages, ainsi qu'il se voit dans tous les conciles, il paraît
manifestement que l'Eglise s'est toujours sentie obligée de prendre une
connaissance juridique des pensées et des sentiments des docteurs suspects par
leurs discours et écrits publics, et qu'elle n'a jamais prétendu faire dépendre
de leur aveu particulier l'effet ni l'autorité de sa sentence.
Vous voyez donc clairement, mes Sœurs, que c'est la
pratique constante et la tradition de l'Eglise, non-seulement de prononcer des
sentences solennelles sur le sentiment des auteurs, mais encore de n'attendre
pour cela ni leur aveu, ni celui de leurs partisans. Vous voyez qu'ayant rendu
de tels jugements, elle les croit, et si importants, et si bien fondés, et si
certains, qu'elle ne craint point de les insérer dans ses professions de foi
publiques, et d'en exiger la souscription comme une condition nécessaire pour
recevoir sa communion et sa paix. Or, il n'y a personne qui ne voie qu'elle ne
pourrait faire ces choses, si elle ne tenait pour maxime certaine et
indubitable, qu'il y a une autorité suffisante dans de tels décrets pour obliger
ses enfants à y souscrire sans peine. De sorte que c'est aller directement
contre son esprit et sa conduite, que de craindre de mentir ou de rendre un faux
témoignage en souscrivant sur la foi de ses jugements canoniques.
Et certainement, mes Sœurs, le soin que l'Eglise a toujours
pris de faire signifier, prêcher, publier, avec tant d'autorité et de gravité à
tous ses enfants, ses saintes décisions, tant sur les dogmes que sur les
personnes et sur les écrits suspects, est une preuve convaincante qu'elle ne
doute nullement qu'on ne puisse s'en
225
rapporter tout à fait à elle sans approfondir plus avant.
Autrement ces publications solennelles faites dans les mêmes chaires où elle
annonce les jugements de Dieu seraient non-seulement une illusion, mais une
tentation manifeste et un piège qu'elle tendrait à la crédulité des peuples. Car
elle n'ignore pas que les chrétiens écoutant prononcer de telles sentences d'une
place si sainte et si éminente, sous ce nom si vénérable de l'Eglise, ne soient
puissamment induits, pour ne rien dire davantage, à y donner leur créance sur la
seule autorité de son décret. Si donc cette, déférence ne leur était pas
permise, il faudrait avouer nécessairement que l'autorité de l'Eglise qui les y
conduit leur serait une tentation et un scandale. Et qui ne sait que si les noms
de Nestorius, de Pelage, de Dioscore et autres semblables ont été portés par
tout l'univers, chargés des anathèmes de tous les peuples, ce n'était pas que
tous les fidèles sussent par eux-mêmes la malice de leurs discours et de leurs
écrits? Un petit nombre les connaissait de la sorte; niais tout le reste de la
multitude, depuis le soleil levant jusqu'au couchant, et depuis le septentrion
jusqu'au midi, s'en fiait à l'autorité de l'Eglise sans s'informer davantage; et
l'Eglise qui leur inspirait une répugnance extrême pour les personnes et pour
les écrits condamnés, sans qu'ils en connussent par eux-mêmes la malignité, ne
craignait pas pour cela de les engager à des jugements téméraires, ni de leur
faire porter de faux témoignages, parce qu'au contraire elle savait combien il
leur était salutaire de les fuir plutôt que de les connaître, et de condamner
par soumission et par conformité avec elle ceux qu'elle avait condamnés par
autorité et par connaissance.
Ainsi je ne comprends pas sur quoi peut être fondée cette
nouvelle doctrine, qu'à moins de connaître par soi-même la vérité de quelque
fait, on ne peut signer en conscience le jugement de l'Eglise qui le décide,
comme s'il n'était pas permis de, s'en reposer sur son autorité et de souscrire
sur son témoignage.
On dit que c’est la coutume de n'exiger les souscriptions
que des évêques, surtout en ce qui touche les faits. Si l'on veut inférer de là
que l'intention de l'Eglise fût de laisser la chose dans
226
l'indifférence à l'égard des peuples, on pourrait conclure
de même touchant les décisions de la foi, lesquelles nous ne lisons pas qu'on
prit soin de faire signer par des souscriptions générales. Mais qui ne sait que
l'Eglise avait d'autres témoignages publics de la soumission très-entière de ses
enfants? Il ne faut qu'une médiocre connaissance de l’antiquité pour savoir que
c'était une coutume reçue de prêcher et de publier dans l'Eglise, non-seulement
les décisions des conciles et des papes contre les erreurs, mais encore leurs
anathèmes contre les errants : et qu'il était si ordinaire aux chrétiens d'y
répondre, d'y consentir, de les approuver par leurs acclamations, que l'Eglise
n'avait pas besoin d'exiger d'eux aucun témoignage, puisqu'ils lui en donnaient
volontairement de si authentiques.
Au reste, je n'avoue pas que ce fût une coutume établie, de
n'exiger la souscription que des seuls évêques pour des faits de cette nature.
Nous voyons en l'action vu du concile de Constantinople, sous saint Flavien, que
les archimandrites souscrivirent la déposition d'Eutychès (1). Les légats du
pape saint Hormisdas obligèrent pareillement les archimandrites, c'est-à-dire
les Pères des monastères à souscrire expressément la condamnation d'Acace (2).
Et personne ne peut nier que l'Eglise n'ait souvent demandé même des laïques un
consentement exprès sur des jugements de fait, quand elle l'a jugé ainsi
nécessaire ou pour rétablissement de la foi, ou pour le bien de la paix et de la
concorde publique.
Le concile huitième, dans sa neuvième action, ordonne à
quelques laïques de déclarer publiquement « qu'ils reçoivent ceux que le concile
reçoit, et qu'ils anathématisent ceux qu'il anathématise, et nommément Photius
(3) : » encore qu'ils s'excusassent sur leur condition disant que « ce n'était
pas à eux de prononcer des anathèmes, » toutefois ils le font enfin par le
commandement exprès du concile; lequel dans sa dernière action exige en
particulier des laïques qui étaient présents comme une espèce de profession de
foi la déclaration suivante : « Recevant ce saint et
1 Act. VII Concil. Const., relat. act. — 2 Concil.
Chalced., tom. IV; Concil., Labbe, p. 230, etc., Dioscori ad
Hormisdam, tom. IV ibid., inter Epistolas Hormisdae, p. 1400,
c. — 3 Concil. Eph., act. IX. tom. VIII, Concil., Labbe, p. 1366
b, c, e, p. p. 1367 a.
227
universel concile, je reçois ceux qu'il reçoit et
j'anathématise ceux qu'il anathématise (1). » Et si vous voulez encore un
exemple d'un concile universel, je vous allègue celui de Constance, lequel ayant
défini plusieurs faits contre Jean Wiclef et Jean Huss dans les sessions VIIIe
et XVe, comme « qu'ils étaient hérétiques et avaient prêché et soutenu plusieurs
hérésies, et nommément que Wiclef était mort opiniâtre et impénitent,
anathématisant lui et sa mémoire (2). » Le pape Martin V ordonne dans ce concile
et avec son approbation expresse, que tous ceux qui seraient suspects d'adhérer
à ces hérétiques, sans aucune distinction, « soient obligés de déclarer en
particulier qu'ils croient que la condamnation faite par le saint concile de
Constance de leurs personnes, de leurs livres, de leurs enseignements, a été
très-juste et doit être retenue et fermement assurée pour telle, par tous les
catholiques et qu'ils sont hérétiques et qu'ils doivent être crus et nommes tels
(3). » Pourrait-on jamais exiger une déclaration plus formelle sur les faits
jugés au concile, et aurait-on fait davantage si l'on eût demandé la
souscription ?
Mais au fond, quand nous n'aurions à vous produire que ce
qui a toujours été pratiqué par les évêques, il n'en faudrait pas davantage ; et
c'est assez pour l'instruction du troupeau que de faire voir l'exemple de ceux
qui doivent en être la forme. Les évêques souscrivaient en deux manières aux
jugements ecclésiastiques : quelquefois par autorité, quelquefois par
consentement et par obéissante. J'appelle souscrire par autorité, lorsqu'ayant
été jugés, ils souscrivaient le jugement, et ce n'est point cette manière de
souscription que je vous propose pour exemple. Mais il est certain que, même
n'ayant point été jugés, ils souscrivaient souvent sur l'autorité des jugements
canoniques qui avaient été rendus par l'Eglise. C'est ainsi que vous avez vu que
deux patriarches, Jean d'Antioche et Jean de Constantinople, souscrivirent avec
un grand nombre d'évêques, le premier à la déposition
1 Act. X, ibid, in fine, p. 1379 d. — 2 Concil.
Constanc sess. VIII et XV, tom. XII ; Concil., Labbe, p. 49 c, p. 128 e,
p. 129 a, b. (Voyez la dernière addition à la fin de cette lettre.) — 3 Bulla
Martini V, de Error. Johan. Wiclef. et Joan. Huss., sess. XIV ;
Concil. Const., tom. XII; Concil., Labbe, p. 259, 261 d, et p. 268 e.
228
de Nestorius faite sans lui et malgré lui au saint concile
d'Ephèse, et le second par l'autorité du pape saint Hormisdas à la condamnation
d'Acace son prédécesseur. Et il n'y a personne qui ne sache quelle grande
quantité d'évêques qui n'avaient point été juges au concile de Sardique,
souscrivirent sur l'autorité de son décret, non-seulement le rétablissement de
saint Athanase, mais encore la condamnation des évêques ses persécuteurs (1).
Vous voyez donc, mes Sœurs, que si les évêques souscrivaient par autorité, ils
souscrivaient aussi souvent par obéissance; ou si vous voulez que nous
l'expliquions, et peut-être mieux, d'une autre manière, quelquefois ils
souscrivaient en définissant et quelquefois en obéissant. Cette
distinction est si importante, que nous voyons même que quelques évoques l'ont
exprimée expressément dans leurs signatures. Dans la IIIe action du concile de
Chalcédoine, après que tous les évêques qui avaient assisté au jugement et à la
déposition de Dioscore eurent souscrit en cette manière : « Anatolius, évêque de
Constantinople, j'ai souscrit en définissant (2), » et ainsi des autres. Juvénal
patriarche de Jérusalem et avec lui quelques évêques qui n'avaient pas assisté,
ou qui avaient même été exclus de ce jugement, souscrivirent en cette sorte : «
Juvénal, évêque de Jérusalem, obéissant à la sentence des saints évêques et y
consentant, j'ai souscrit (3); » et un autre souscrit ainsi : « Thalassius,
évêque de Césarée en Cappadoce, j'ai souscrit en suivant la forme des saints
évêques (4); » et un autre en cette façon : « Sozon, évêque de Philippes,
sachant l'examen des saints évêques et devant obéir à leur jugement, j'ai
souscrit (5). » Que si l'autorité de ces jugements est telle, que les évêques
mêmes qui ont caractère de juges y trouvent un fondement suffisant pour les
souscrire par obéissance, en se reposant sur la discussion qui a été faite selon
l'ordre des canons, combien plus des religieuses qui sont si fort dans la
dépendance et sous la discipline de l'Eglise, doivent-elles se reposer sur la
connaissance que leurs supérieurs ont prise des choses, et ensuite souscrire par
1 Synodi Sardicensis Epist. ad Jul., Papam, tom. II
; Concil., Labbe, p. 660, 661 c, 662 b. ; Ejusdem concilii Epist. ad
omnes episcopos, ibid., p. 670, 675 e, 678 a, b, d. — 2 Conc. Chalced.,
act. m, tom. IV ; Concil., Labbe, p. 448. — 3. Ibid., p. 458 —
4. Ibid. — 5 Ibid., p. 459.
229
obéissance, lorsqu'on leur commande de le faire ou
pour le bien de leurs âmes, ou pour l'édification publique?
Ainsi pour recueillir mon raisonnement, je soutiens que
vous n'avez aucune raison qui vous empêche de souscrire purement et simplement
la profession de foi que l'on vous propose. Vous ne pouvez pas en être empêchées
à raison du dogme condamné, puisque vous le réprouvez : ou parce qu'on en a
désigné l'auteur dans le formulaire de foi, puisque c'est la coutume de l'Eglise
dès les premiers siècles d'en user ainsi : ni à cause que vous ne savez pas par
vous-mêmes si cet auteur a enseigne de tels dogmes, puisqu'il vous doit suffire
que l'Eglise l'ait jugé et qu'on ne vous demande pas que vous souscriviez en
définissant, ce qui ne convient point à votre état, mais seulement en obéissant
: ni enfin sous prétexte que tous ne conviennent pas que le sens de cet auteur
ait été bien entendu, puisque c'est sur ce doute-là que le jugement de l'Eglise
est intervenu, et qu'il n'y a aucune justice de faire dépendre l'autorité de
cette décision de l'acquiescement des partis.
Certainement si vous prenez soin de vous dégager de toute
préoccupation pour peser ces choses, vous découvrirez bientôt que les raisons
que vous alléguez pour votre défense, vous pressent plutôt d'obéir qu'elles ne
vous en excusent. Vous croyez vous être excusées de la signature par une raison
invincible, quand vous avez dit que vous n'avez nulle connaissance de ces
matières et nulle obligation de vous en instruire : et c'est là justement le cas
que l'on peut sans aucune apparence de difficulté s'en rapporter à ceux « qui
ont obligation de connaître et autorité de juger, » c'est-à-dire aux supérieurs
ecclésiastiques. Vous croyez avoir satisfait à tout, quand vous déclarez que
vous soumettez, votre jugement à toutes les décisions de foi de l'Eglise Romaine
: et elle vous répond par la bouche du pape saint Hormisdas : « Si vous
embrassez ma foi, suivez aussi mes jugements (1). » Vous croyez qu'il n'y a plus
rien à vous demander, quand vous avez dit que vous ne prenez point de part aux
contestations. A la bonne heure, mes Sœurs, ne prenez jamais de part aux
contestations ;
1 Epist. XXIX, tom., IV, Concil., Labbe, p. 1473
230
mais n'est-ce pas trop d'indifférence de n'en vouloir point
prendre aux décisions? Et si vous y persistez, ne donnerez-vous point sujet de
penser que le motif qui vous y oblige, c'est que vous en avez trop pris aux
contestations? Cédez donc enfin au commandement de M. l'archevêque, cessez de
trouver étrange qu'il ne se contente pas de votre silence, puisqu'il a raison
d'espérer du temps et de votre docilité une soumission plus effective.
Quant à ce que vous ajoutez et ce qui semble être le fort
de votre défense, que vous ne pouvez rendre témoignage de ce que vous ne
connaissez point : premièrement, qui de nous a jamais ouï dire qu'on ne puisse
rien croire ni rien assurer même dans des choses de fait que sur sa propre
science? Que si l'on peut et si l'on doit souvent s'en rapporter à l'autorité
d'autrui, y en a-t-il au monde une plus grande sur les esprits des fidèles que
celle de la sainte Eglise? Ainsi quoique tous ceux qui n'entendent pas de quoi
il s'agit soient touchés de cette raison, j'ose assurer que vous ne vous en
servirez jamais si vous concevez nettement quel témoignage on vous demande.
Certainement si l'on demandait votre témoignage pour faire le procès au livre de
Jansénius et pour appuyer la sentence sur votre déposition, il n'y a personne
qui ne vous accorde qu'alors vous seriez tenues de déposer sur ce fait avec
connaissance de cause. Mais le jugement est rendu, les papes l'ont prononcé,
tous les évêques l'ont reçu sans contradiction et le témoignage qu'on attend de
vous ne regarde plus que vous-mêmes et vos propres dispositions, c'est-à-dire la
chose du monde que vous connaissez le mieux. Et si vous nous répondez que c'est
là aussi ce qui vous arrête, parce que doutant que le pape et les évêques aient
bien jugé en ce qui touche le fait, vous ne pouvez pas l'assurer, c'est ici que
vous vous trouverez convaincues de manquer de déférence pour l'Eglise. Car si
son autorité était telle dans votre esprit qu'elle y doit être, il n'y a
personne qui ne voie qu'elle pourrait facilement emporter un doute et encore un
doute comme le vôtre, lequel de votre aveu même ne peut pas être appuyé sur
aucune raison essentielle tirée du fond de la chose, puisque vous confessez
hautement que vous n'en avez nulle connaissance. Il n'est donc plus question
d'appeler ici
231
votre intelligence, c'est une affaire de soumission et
d'humilité. Il s'agit de déclarer nettement si vous pouvez croire, que le pape
et les évêques, et enfin tous ceux qui ont dans l'Eglise la puissance de juger,
ont assez de lumière et d'autorité pour vous obliger d'y faire céder, je ne dis
pas un jugement arrêté, puisque vous ne pouvez pas en avoir aucun sur une
matière que vous ne connaissez pas, mais des doutes et des scrupules et une
autorité étrangère. Voilà de quoi il s'agit : voilà la déclaration que l’on vous
demande ; et vous m'avouerez, mes Sœurs, que pour rendre un tel témoignage, il
ne faut point d'autre connaissance que celle qu'on ne perd jamais quand on est
humble et docile.
Que si après cela vous nous repartez pour dernière réponse,
que les sentences de l'Eglise en ce qui touche les faits ne sont pas tenues
infaillibles, et que vous vous laissiez encore troubler par ceux qui ramassent
avec tant de soin les jugements de cette nature, dont il y a eu quelque plainte
ou quelque soupçon : trouvez bon que sans vous engager à une longue discussion
de ces faits, par laquelle vous verriez peut-être qu'on n'en peut tirer aucun
avantage, je vous demande seulement si vous pouvez dire ou penser, et si
quelqu'un est capable de vous persuader, que vous ne pouvez rien croire sur
l'autorité de l'Eglise et de vos supérieurs, que lorsqu'ils vous parlent avec
une autorité infaillible; et si vous ne demeurez pas d'accord au contraire, sans
que je me mette en peine de vous le prouver, que c'est une vertu chrétienne et
religieuse de soumettre et d'anéantir son jugement propre, même hors des cas des
vérités révélées, surtout dans les choses qu'on ne sait pas et desquelles on n'a
nulle obligation de prendre aucune connaissance ; enfin s'il n'est pas certain
et indubitable qu’au-dessous de la foi théologale, il y a un second degré de
soumission et de créance pieuse, laquelle peut être souvent appuyée sur une si
grande autorité, qu'on ne peut la refuser sans une rébellion manifeste. Je suis
assuré, mes Sœurs, que pour peu que vous y pensiez, vous ne pourrez jamais
disconvenir de ces maximes. Or, si elles sont véritables, il faut que vous
accordiez qu'encore que les décisions de l'Eglise en ce qui touche les faits ne
soient pas crues infaillibles comme celles qui touchent la
232
foi catholique, il ne s'ensuit pas pour cela qu'elles ne
méritent aucune créance; et que quand on aura fait voir qu'il y aura eu quelque
surprise dans quelques-uns de ces jugements de l'Eglise, ce n'est pas une
conséquence qu'on ne puisse plus sans offenser Dieu la croire dans des matières
semblables. Ainsi au lieu de perdre le temps à vous alléguer si souvent les
faits d'Honorius et des trois chapitres, il valoit bien mieux vous apprendre :
premièrement, qu'on ne convient pas qu'il y ait de l'erreur de fait dans ces
jugements, mais que tout le monde convient qu'on.y a souscrit et en Orient et en
Occident sans aucune crainte et sans aucun péril de péché; ce qui doit mettre en
repos votre conscience. Secondement, que l'Eglise ayant reçu tant de grâces pour
juger sainement de ceux dont la doctrine n'a pas été droite, et môme ces deux ou
trois jugements tant de fois produits en cette affaire et tant appuyés, de sorte
qu'il est beaucoup plus aisé de les soutenir que de les combattre, les
sentiments qu'en ont eus quelques auteurs catholiques, ni même l'erreur de fait
quand il y en aurait eu par quelque surprise, ne doit diminuer en rien
l'autorité des jugements de l'Eglise, ni par conséquent l'obligation qu'ont
toujours eue ses enfants d'y prendre une entière créance : ou même que Dieu a
pourvu d'ailleurs à leur sûreté, tous les docteurs étant d'accord que si nous ne
sommes pas autant assurés que des articles de foi, que l'Eglise ne se trompe
point dans ces faits, nous ne laissons pas de l'être toujours qu'on ne pèche pas
en la croyant; surtout ceux qui, confessant comme vous qu'ils n'ont nulle
connaissance du fond de l'affaire et nulle obligation de s'en éclaircir
davantage, ne peuvent prendre de meilleur parti que celui de s'en rapporter aux
supérieurs qui ont grâce et autorité, et qui sont préposés par le Saint-Esprit
pour connaître de ces matières.
Et ne vous laissez pas émouvoir aux histoires que l'on vous
fait pour vous décrier la conduite du Saint-Père et des évêques, reconnaissez au
contraire à quelles tentations les fidèles seraient exposés, s'il fallait
écouter tous ces narrés au préjudice des décrets publics. Nous entendons tous
les jours ce que disent nos adversaires du saint concile de Trente et des papes
qui les ont jugés :
233
et si vous voulez des exemples de l'antiquité, que ne
disait pas un Nestorius de sain! Cyrille archevêque d'Alexandrie, le principal
auteur de ses maux; des inimitiés qui étaient entre eux, que les historiens de
ce temps-là n'ont pas dissimulées; de la jalousie de leurs sièges; de la
précipitation de ce patriarche à prononcer à Ephèse le jugement contre lui en
l'absence de Jean d'Antioche, lequel arriva deux jours après et qui avait donné
avis à saint Cyrille de son arrivée prochaine? Et s'il fallait s'amuser à
discuter tous ces faits et tout ce qu'entassent contre leurs juges ceux qui ont
été condamnés, ne serait-ce pas s'engager à des recherches sans fin, à des
disputes folles et sans discipline (1), » contre le précepte de l'Apôtre? Mes
Sœurs, ne vous jetez pas dans ce labyrinthe : car ne vous apercevez-vous pas
quelle illusion ce serait, si vous étiez détournées de vous soumettre dans un
fait si authentiquement jugé, par une attache à des faits particuliers, desquels
la discussion peut être très-dangereuse et ne peut jamais être que très-inutile?
Laissez donc à part ces narrés d'intrigues et de cabales que les hommes ne
cesseront jamais de se reprocher mutuellement, peut-être de part et d'autre avec
vérité et du moins presque toujours avec vraisemblance; et croyez que parmi ces
troubles et dans ce mélange de choses, la sûreté des particuliers, c'est de
s'attacher aux décrets et à la conduite publique de la sainte Eglise.
Suivez, mes Sœurs, cette voie, et cessez de vous égarer
plus longtemps dans un chemin si facile. Vous trouverez votre sûreté dans celui
de l'obéissance, en mettant en repos votre conscience sur l'autorité de
l'Eglise. Si vous quittez ce sentier unique, outre que vous chargerez votre
conscience d'une désobéissance scandaleuse, sachez que de part et d'autre vous
ne trouverez que des précipices. Car ou vous serez contraintes de dire qu'il
n'est pas permis en conscience de croire respectueusement que l'Eglise ait bien
jugé dans un fait qui est de sa connaissance, et sur lequel elle a donne une
définition canonique : ou si vous êtes touchées d'une juste appréhension des
suites épouvantables de cette doctrine même, il faut que vous vous rejetiez dans
un autre abîme,
1 I Timoth., I, 4 ; II, II 2 ; Tit., III, 9.
234
en croyant que les décrets.de deux papes, reçus, approuvés,
publiés unanimement par tous les évêques et lesquels plusieurs d'eux, à ce que
j'ai appris, et nommément M. l'évêque d'Angers que je nomme par honneur et avec
respect, ont souscrit à deux genoux, ne peuvent être censés canoniques. Et
considérez où vous jetterait cette malheureuse pensée, s'il fallait que croyant,
comme on vous le dit, que les formes canoniques ont été méprisées dans le
jugement des papes et qu'on y a tout donné à la brigue et à la cabale, vous les
vissiez néanmoins reçus et approuvés avec une vénération si universelle, sans
qu'il y ait dans toute l'Eglise un seul évêque qui s'oppose à une injustice que
l'on publie si visible. Dieu vous préserve, mes Sœurs, de ce sentiment : il vous
jetterait peu à peu dans un état bien terrible, et vous ferait regarder avec le
temps tout l'ordre épiscopal d'un étrange œil. Dans ce dégoût secret de votre
cœur contre tout le corps des évêques, que vous verriez unanimement adhérer à un
jugement qui vous paraitrait prononcé contre les canons, croyez que l'amour de
l'Eglise serait exposé, pour ne rien dire de pis, à de grandes tentations. Peu à
peu vous vous verriez détachées de la conduite ordinaire de la sainte Eglise et
attachées à des conduites particulières de personnes desquelles je ne veux rien
dire, sinon qu'ils sont à plaindre plus que je ne puis l'exprimer, d'en être
réduits à ce point qu'ils semblent mettre toute leur défense à décrier
hautement, et de vive voix et par écrit, tout le gouvernement présent de
l'Eglise. Dieu vous préserve, mes Sœurs, encore une fois, de tels inconvénients
! Que si vous les craignez avec raison, croyez donc que le jugement d'Innocent X
et celui d'Alexandre VII, que vous voyez reçus par tous ceux qui ont autorité de
juger dans l'Eglise catholique, sont légitimes et valables. Et ceux qui vous
diront après cela que vous ne pouvez sans péché y soumettre humblement le vôtre,
et pour le fait et pour le droit, chacun néanmoins dans son ordre, laissez-les
disputer sans fin, et répondez-leur seulement avec l'Apôtre : « S'il y a
quelqu'un parmi vous qui veuille être contentieux, nous n'avons pas une telle
coutume, ni la sainte Eglise de Dieu (1). » Voilà, mes très-
1 I Cor., XI, 16.
235
chères Sœurs, le repos assuré de vos consciences, le
dégagement unique des embarras où vous êtes, l'ouverture assurée à la paix et à
la charité de votre Prélat, et peut-être la dernière perfection du sacrifice de
dépouillement et d'abnégation de vous-mêmes, que vous avez voué à Dieu
solennellement au jour de votre profession.
ANTIQUA EXEMPLA SUBSCRIPTIONUM SUB HORMISDA. Suggestio
Gennani et Johannis episcoporum, Felicis et Dioscori diaconorum et Blandi
presbyteri, quae incipit : « Non miramur apostolatûs vestri precibua cuncta
nobis prospera successisse, etc.....» Eo die sub senatùs cuncti prœsenlià,
episcopi qu ique quatuor adfuerunt, quos Johaunes episcopus
Coiistantinopolitanus, pro partis suae defensione transmiserat, quibus
aposlolicœ Sedis libelluin ostendimus, omniaque
in eo recta canonicaque esse probavimus. Postremo quintà
ferià.....Episcopus.....
consenticus..... subscripsit (1), etc.
Suggestio Dioscori diaconi qua? incipit : « Ineffabilis Dei
omnipotentis misericordie, etc.....» De episcopo Thessalonicensi : Post multa
certamina praefatus
episcopus ratione convictùs libellum subscribere
voluit.....Nos respondimus....
(libellus legatorum) et si est in ipso quod ignoretur aut
verum esse non credatur, dicant, et tunc ostendemus nihil extra judicium
ecclesiasticum in eodem
libella esse conscriptum .... Relectus est libellus.....
Nos statim subjunximus :
Dicant presentes quatuor episcopi, si haec quae in libelle
leguntur gestis ecclesiasticis minime continentur? Responderunt omnia vera esse.
Post quae nos subjunximus, etc..... Episcopus Constantinopolitanus. ... suscepit
à nobis libellum ... Subscriptio ab eodem facta est libella conveniens »....
SENTIMENT DU P. ALEXANDRE, DOMINICAIN, SUR LES
SOUSCRIPTIONS. Passages
de ce Père où il prouve qu'il faut se soumettre même aux
décisions de l'Eglise sur les faits : Histor. Eccles., t. V, in-folio,
sœcul. VI, dissertat, V, p. 522, col. 2, ad litteram F, Si de facto
doctrinali, etc., et p. 523, col. 1, ad litleram B, Quia vialatœ reverentiœ,
etc., et col. 2, ad eamdem litteram, Respondeo temerarios esse. etc.....
On peut voir toute cette dissertation cinquième, Defens.
Anathematismorum quintœ Synodi.
Il faut aussi voir dans le même tome V in-folio, dissertat,
XIV, De disciplina erga Theodoretum observatâ, actione VIII concilii
Chalcedonensis, p. 256, et particulièrement la p. 258 où sont rapportés les
passages de saint Léon sur une pareille affaire, et ceux de saint Jérôme contre
les origénistes.
Il y a encore à voir la théologie morale de ce Père sur le
même point de doctrine : c’est aussi de l'édition in-folio, t. II, de
Peccatis; de Pertinaciâ régula, V, Lethalis pertinacia reus est,
etc., p. .100, où sont répétés les passages ci-dessus de saint Léon au sujet des
fauteurs des pélagiens, aussi bien que ceux de saint Jérôme contre les
origénistes : et la souscription (a) ce : où aussi l’on a remarqué en cette
dernière c'… 'auteur; superbe recusare, qui n'est pas dans…
Et enfin sa décision contre les équivoques… t. II, de
Decalogo, de Juramento et perjurio, regulà X, Lethalis perjurii
reus est, etc., où se trouve le canon : Quacumque arte, causa XXXI,
q. V, tiré de saint Isidore de Séville, lib. II, Sententiarum, cap. XXXI,
ibid., p. 687, col. I, ad litteram C.
1 Tom. IV Concil. Labe, inter
Epistolas Horsmidae, p. 1487. E, B. — 2 Ibid., 1488, E, 1489, B, D,
E, 1490, A.
(a) Les mots qui manquent sont détruits dans le manuscrit.
236
LETTRE LXIII. BOSSUET A M. ***.
« Sur la demande que l’on fait (a) savoir si une
personne qui n'est pas d'ailleurs instruite, ni capable par elle-même de
s'instruire, ni même désireuse, offenserait Dieu d'ajouter foi à la déclaration
de son supérieur sur un fait, et s'il lui est défendu de croire au témoignage de
son prélat et de signer un fait sur sa foi.
» On répond 1° que généralement parlant cette personne
pourrait ajouter foi à la déclaration de son supérieur sur un fait sans offenser
Dieu; et qu'il ne lui est défendu de croire au témoignage de son prélat, et de
signer un fait sur sa foi, sinon que ce fait fût évidemment faux et qu'il lui
parût tel, quand même elle douterait auparavant de la vérité : car il semble
qu'il lui est libre de déposer son doute et renoncer aux raisons qui l'appuient,
pour déférer à celles de son prélat qu'elle peut croire pieusement meilleures,
quoiqu'elles ne paraissent pas telles à son jugement ; et c'est même une espèce
d'humilité de préférer le jugement de son supérieur au sien, surtout dans une
matière où il a droit de donner son jugement, et de laquelle on a sujet de
présumer qu'il a pris connaissance.
» 2°. Il se peut faire néanmoins que la personne trouverait
ledit fait revêtu de tant de circonstances qui feraient que la soumission de
jugement qu'elle y rendrait, aurait des suites si dangereuses et préjudiciables
à la doctrine de l'Eglise, à son ordre et discipline, et même à la réputation du
prochain, que le mal qui en résulterait serait évidemment plus grand que le bien
de sa soumission, à laquelle on présuppose qu'elle n'aurait aucune obligation de
conscience du côté de la matière dont il s'agit, qu'en ce cas elle serait
obligée de se départir plutôt du bien qui
(a) Les passages guillemetés, jusque vers la fin, ne sont
pas de Bossuet; il envoie, à une personne inconnue, le sentiment de l'évêque d'Aleth
sur le formulaire, et ne parle lui-même qu'au dernier alinéa.
237
reviendrait de son obéissance que d'être cause du mal qui
arriverait de sa soumission.
» J'attends de jour à autre des nouvelles du traitement
qu'on aura fait à ces pauvres religieuses, et du succès de l'exposition de mes
sentiments sur cette affaire. Cependant je vous prie d'être assuré que je ne les
oublie point au saint autel, et de la confiance que Dieu me donne, que s'il les
éprouve d'une manière qui semble forte, non-seulement il ne les abandonnera pas,
mais il leur fera connaître et sentir en temps et lieu la puissance de sa
protection. J'écris à monsieur votre frère les raisons de mes divers sentiments
sur cette affaire, selon les divers temps et conjonctures qui s'y sont
rencontrées, m'en ayant sollicité pour en faire l'usage qu'il jugera à propos
pour l'intérêt public et particulier. Nous sommes dans le temps et la nécessité
de croire en l'espérance contre l'espérance, et de nous conforter par les règles
et vérités de la foi, nous assurant que Dieu fera vers ceux qui le servent
fidèlement, connaître et ressentir les vérités de ses promesses. »
Voilà l'extrait delà lettre de M. d'Alet. Je vous l'envoie
pour vous faire connaître plus clairement que jamais ses sentiments : et cette
preuve est si convaincante, qu'il veut bien qu'on les dise à M. de Paris, en
sorte que je doute que vous puissiez déférer à ceux qui n'en sont pas d'avis. Je
vous permets de le transcrire et de le faire, voir à M. de Saint-Nicolas, et
même à M. de Paris, si cela est nécessaire : mais ôtez les mots qui peuvent
faire voir à ce dernier que cela s'adresse à moi.
J. BÉNIGNE
BOSSUET.
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