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LETTRE PASTORALE
DE
MGR L'ÉVÊQUE DE MEAUX,
AUX NOUVEAUX CATHOLIQUES DE SON DIOCÈSE,
Pour les exhorter à faire leurs Pâques, et leur donner des
avertissements nécessaires contre les fausses Lettres pastorales des
ministres.
Jacques-Bénigne par la
permission divine Evêque de Meaux : Aux nouveaux catholiques de notre diocèse,
salut et bénédiction en Notre-Seigneur.
A l'approche du saint jour de
Pâques, vous devez être touchés d'un saint désir de communier avec vos frères.
C'est Jésus-Christ même qui vous invite à ce banquet de paix ; et vous devez
croire qu'il vous dit par ma bouche : « J'ai désiré d'un grand désir de manger
cette pâque avec vous (1). » Car encore qu'il désire toujours de faire la pâque
avec ses disciples; que le cénacle et la grande salle où il veut faire ce festin
soit toujours prête, l'église toujours ouverte, et la table toujours dressée :
c'est néanmoins principalement dansées saints jours qu'il appelle ses enfants à
son banquet ; et vous êtes, mes chers Frères, de tous ses enfants ceux qu'il
désire le plus de voir à sa table, puisque c'est là que vous donnerez la
dernière marque de votre sincère union avec son Eglise.
Souvenez-vous du saint roi
Ezéchias et de la pâque solennelle qu'il célébra dans Jérusalem (2). Il ne se
contenta pas d'y appeler tous ceux de Juda, c'est-à-dire ceux qui étaient
toujours demeurés dans l'unité du peuple de Dieu, dans le culte du sanctuaire,
et dans la soumission au vrai sacerdoce que Dieu avait établi par Moïse. Il
résolut, de concert avec le conseil et tout le peuple de
1 Luc., XXII, 15. — 2 II Paral., XXX.
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Jérusalem, d'envoyer ses messagers aux dix tribus
schismatiques, qui dès le temps de Roboam, s'étaient séparées d'avec Juda et
d'avec le temple, et « il leur adressa des lettres, afin que, convertis de tout
leur cœur au Dieu de leurs pères (1), » ils vinssent avec leurs frères, dont ils
avaient abandonné la communion, célébrer la pâque au lieu que le Seigneur avait
choisi.
Pendant que les envoyés de ce
pieux prince allaient en diligence de ville en ville, plusieurs se moquaient
d'eux, et quelques-uns acquiesçant aux conseils d'Ezéchias et à la douce
invitation de leurs frères, venaient célébrer la pâque dans Jérusalem (2)
au lieu d'unité et de paix. C'est, mes Frères, le traitement qu'éprouve
l'Eglise. Depuis cette malheureuse défection du siècle passé , depuis cette
funeste apostasie qui a arraché à l'Eglise des nations entières, et qui semblait
préparer les voies au règne de l'Antéchrist, selon la prédiction de l'Apôtre
(3), nous n'avons cessé de rappeler dans la mémoire de nos Frères errants, ces
bienheureux jours où nos pères mangeaient ensemble le pain de la vie, et
gardaient, selon le précepte de saint Paul, le sacré lien de la fraternité
chrétienne. Mais plusieurs, prévenus de la haine aveugle que leurs ministres
leur inspiraient, se moquaient de nous ; et quelques-uns se ressouvenant de
notre ancienne unité dont ils portent l'impression dans le sein par le baptême,
sont revenus à Jérusalem, c'est-à-dire à l'Eglise catholique, où Dieu a établi
pour jamais son nom et la profession du christianisme.
Enfin la grâce de Dieu s'est
déclarée abondamment en nos jours. Fn roi, aussi religieux et aussi victorieux
qu'Ezéchias, a invité les prévaricateurs d'Israël à revenir à l'unité de Juda,
c'est-à-dire les errants et les schismatiques à revenir aux pacifiques et aux
orthodoxes; et nous avons vu quelque chose de ce qui est écrit dans le saint
prophète Osée: « En ce temps, les enfants de Juda et les enfants d'Israël
s'assembleront et établiront sur eux un même chef (4) : » c'est-à-dire que les
catholiques et les schismatiques reconnaîtront, d'un commun accord, le chef que
Dieu leur adonné, Jésus-Christ dans le ciel, et sur la terre saint Pierre, qui
vit dans ses successeurs pour gouverner le peuple de Dieu
1 II Paral., XXX 5, 6 et seq. — 2 Ibid., 10, 11. — 3
II Thess., II, 3. — 4 Osée, I, 11.
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suivant sa parole. Ainsi les séparés dont il était dit : «
Appelez-les, ceux pour qui il n'y a point de miséricorde, » sont venus «en aussi
grand nombre que le sable de la mer, » afin de recevoir la miséricorde : « et au
lieu qu'on leur disait : Vous n'êtes pas mon peuple, on les nomme les enfants du
Dieu vivant (1). »
Je ne m'étonne pas, mes
très-chers Frères, que vous soyez revenus en foule et avec tant de facilité à
l'Eglise où vos ancêtres ont servi Dieu. Le fond même du christianisme, et comme
je l'ai déjà dit . le caractère du Baptême vous y rappelait secrètement : aucun
de vous n'a souffert de violence, ni dans sa personne ni dans ses biens. Qu'on
ne vous apporte point ces lettres trompeuses, que des étrangers travestis en
pasteurs, adressent sous le titre de Lettres pastorales aux Protestants de
France qui sont tombés par la force des tourments. Outre qu'elles sont
faites par des gens qui n'ont jamais pu prouver leur mission, ces lettres ne
vous regardent pas: loin d'avoir souffert des tourments, vous n'en avez pas
seulement entendu parler. J'entends dire la même chose aux autres évêques: mais
pour vous, mes Frères, je ne vous dis rien que vous ne disiez tous aussi bien
que moi. Vous êtes revenus paisiblement à mais, vous le savez. Quand j'ai prêche
la sainte parole , le Saint-Esprit vous a fait ressentir que j'étais votre
pasteur. Je vous ai vus autour de la chaire avec le même empressement que le
reste du troupeau : la saine doctrine eut mit dans votre coeur à mesure qu'on
vous l'exposait telle qu'elle est ; ; et les doutes que l'habitude plutôt que la
raison élevait encore dans vos esprits, cédaient peu à peu à la vérité. Vous
n'avez pu vous empêcher de reconnaître que j'étais à la place de ceux qui ont
planté l'Evangile dans ces contrées : vous les avez révérés en ma personne,
quoique indigne. Je ne vous ai point annoncé d'autre doctrine que celle que j'ai
reçue de nies saints prédécesseurs : comme chacun d'eux a suivi ceux qui les ont
devances, j'ai fait de même. Regardez tout ce que nous sommes d'évêques autour
de vous, et dans toute L'étendue de ce royaume: nous avons tous la même gloire,
que nous ne laisserons pas affaiblir. Dans cette succession, on n'a jamais
entendu un double langage.
1 Osée, I, 6, 10.
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Les évêques séparés de notre unité, tels que sont ceux
d'Angleterre, de Suède et de Danemark, au moment de leur séparation, ont
manifestement renoncé à la doctrine de ceux qui les avaient consacrés. Il n'en
est pas ainsi parmi nous : toujours unis à la chaire de saint Pierre, où dès
l'origine du christianisme on a reconnu la tige de l'unité ecclésiastique, nous
n'avons jamais condamné nos prédécesseurs , et nous laissons la foi des Eglises
telle que nous l'avons trouvée. Nous pouvons dire sans crainte d'être repris,
que jamais on ne montrera dans l'Eglise catholique aucun changement que dans des
choses de cérémonie et de discipline, qui dès les premiers siècles ont été
tenues pour indifférentes. Pour ces changements insensibles qu'on nous accuse
d'avoir introduits dans la doctrine, dès qu'on les appelle insensibles, c'en est
assez pour vous convaincre qu'il n'y en a point de marqués, et qu'on ne peut
nous montrer d'innovation par aucun fait positif. Mais ce qu'on ne peut nous
montrer, nous le montrons à tous ceux qui nous ont quittés : en quelque partie
du monde chrétien qu'il y ait eu de l'interruption dans la doctrine ancienne,
elle est connue; la date de l'innovation et de la séparation n'est ignorée de
personne. S'il y avait eu de tels changements parmi nous, les auteurs en
seraient nommés ; l'esprit de vérité qui est dans l'Eglise les aurait notés, et
le nom en serait infâme, comme celui des Arius, des .Nestorius, des Pelages, des
Dioscores et des Bérengers. Ainsi tout ce qu'on vous a dit de ces insensibles
changements dans la doctrine dont jamais on n'a produit aucun exemple dans
l'Eglise chrétienne, n'est qu'une accusation en l'air, qui ne se trouve soutenue
par aucun fait; et lorsque vous entendez la doctrine que je vous annonce et
celle que vous annoncent les autres évêques catholiques , vous ne devez
nullement douter que vous n'entendiez dans nos discours ceux qui nous ont les
premiers prêché l'Evangile, et dans ceux-là les apôtres, et dans les apôtres
celui qui a dit : Allez, enseignez, et baptisez; et voilà, je suis avec vous
jusqu'à la consommation des siècles (1).
Ainsi quand les ministres vous
disaient que vous n'aviez point à vous mettre en peine de la succession des
chaires et des pasteurs,
1 Matth , XXVIII, 19, 20.
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pourvu que vous eussiez la bonne doctrine et la véritable
intelligence de l'Ecriture, ils séparaient ce que Jésus-Christ a voulu rendre
inséparable : et c'est en vain qu'ils se glorifiaient de l'intelligence des
Ecritures, en rejetant les moyens par où il a plu à Dieu de la transmettre. Il a
voulu qu'elle vint à nous de pasteur en pasteur et de main en main, sans que
jamais on aperçût d'innovation. C'est par là qu'on reconnaît ce qui a toujours
été cru, et par conséquent ce que l'on doit toujours croire : c'est pour ainsi
dire dans ce toujours que paraît la force de la vérité et de la promesse ; et on
le perd tout entier dès qu'on trouve de l'interruption en un seul endroit. «Ce
que je vous ai enseigné, dit saint Paul (1), laissez-le comme en dépôt à des
gens fidèles, qui puissent eux-mêmes en instruire d'autres. » Séparer la saine
doctrine d'avec cette chaîne de la succession, c'est séparer le ruisseau d'avec
le canal : et se vanter de L'intelligence de l'Ecriture, quand on reconnaît
qu'on a perdu la suite de la tradition dans les pasteurs, c'est se vanter
d'avoir conservé les eaux après que les tuyaux sont rompus.
N'écoutez donc pas, mes
bien-aimés , les paroles de mensonge, et ne vous laissez pas séduire à ces
prétendues Lettres pastorales qu'on vous adresse de tant d'endroits et en tant
de formes différentes. Celle qui a pour titre : Lettre pastorale aux Protestants
de France, qui sont tombés par les tourments, n'est pas meilleure pour être
pleine des paroles que ce grand évêque et ce grand martyr saint Cyprien
adressait aux fidèles de Cartilage, pour les exhorter à la pénitence et au
martyre. Ceux qui osent imiter les vrais pasteurs, et qui tiennent le langage de
saint Cyprien, devraient considérer s'ils peuvent, à aussi bon titre,
s'attribuer l'autorité pastorale. Qu'ils consultent ce saint martyr : il leur
apprendra que «l'Eglise est une ; que l'épiscopat est un ; » que pour le
posséder légitimement, il faut pouvoir remonter par une succession continuelle
«jusqu'à la source de l'unité (2), » c'est-a-dire jusqu'aux apôtres et jusqu'à
celui à qui Jésus-Christ a dit uniquement pour fonder son Eglise sur
l'unité : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les
portes d'enfer ne prévaudront
1 II Timoth., n, 2. — 2 Cypr., lib. de Un. Eccles.,
p. 195.
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point contre elle ; et je te donnerai les clefs du royaume
des cieux (1), » etc. et encore après sa résurrection : « Pais mes brebis (2). »
Le même; saint Cyprien leur apprendra que de cette source des apôtres consommés
dans une parfaite unité, sont sortis tous les pasteurs : que c'est par là que
l'épiscopat est un, non-seulement dans tous les lieux, mais encore dans tous les
temps : que l'Eglise comme un soleil porte ses rayons par tout l'univers, mais
que c'est la même lumière qui se répand de tous côtés; qu'elle étend ses
branches et fait couler ses ruisseaux par toute la terre, mais qu'il n'y « a
qu'une source, un chef, un commun principe, une même souche, et enfin une même
mère, riche dans les fruits qu'elle pousse de son sein fécond. » De peur qu'on
ne s'imagine qu'il puisse arriver des cas où il soit permis de se séparer de
l'unité de l'Eglise, ou de réformer sa doctrine, il ajoute ces belles paroles,
que je vous prie, mes Frères, de considérer : « L'Epouse de Jésus-Christ ne peut
jamais être adultère, elle ne peut être corrompue, et sa pudeur est inviolable.
Celui qui se sépare de l'Eglise pour se joindre à une adultère, » c'est ainsi
qu'il traite les sectes séparées de l'unité de l'Eglise, « n'a point de part aux
promesses de Jésus-Christ ; c'est un étranger, c'est un profane, c'est un
ennemi. Il ne peut avoir Dieu pour Père, puisqu'il n'a pas l'Eglise pour mère. »
C'est en vain qu'il en prétend dissiper l'unité sainte : elle est fondée sur
l'unité du l'ère, du Fils et du Saint-Esprit. « Et on croira, poursuit-il, que
l'unité, qui est appuyée sur un si ferme fondement, se puisse dissoudre? Celui
qui ne tient pas à cette unité de l'Eglise, ne tient pas à la loi de Dieu ; il
n'a pas la foi du Père et du Fils, il n'a pas la vie et le salut. »
Ne sentez-vous pas, mes Frères,
combien la méthode dont on se servait dans vos églises prétendues, est opposée à
celle de saint Cyprien? Vos ministres vous disaient sans cesse que croire
l'Eglise sans examiner, c'est sans examiner croire des hommes sujets à faillir ;
et que pour connaître la vraie Eglise à qui l'on peut croire, il faut par la
discussion des questions particulières connaître auparavant la vraie foi
enseignée par les Ecritures. Mais vous voyez que saint Cyprien prend bien une
autre méthode.
1 Matth., XVI, 18, 19. — 2 Joan., XXI, 17.
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Pour confondre «par un argument facile et abrégé (1), »
comme il se l'était proposé, les hérésies et les schismes, il allègue Faute rite
de l'Eglise : il ne connaît rien de plus manifeste; et loin de permettre
d'examiner l'Eglise par l'examen de ses dogmes, il veut qu'on la commisse
d'abord, et qu'on tienne pour assuré qu'on n'a ni la loi de Dieu, ni la foi, ni
le salut, ni la vie, quand on n'est pas dans son imité.
Ce grand homme a toujours suivi
la même méthode. Lorsqu'Antonien, un de ses confrères dans l'épiscopat, hésitait
à condamner Novatien, et voulait auparavant être informé de sa doctrine, saint
Cyprien lui fit cette grave réponse (2) : «Quant à ce qui regarde la personne de
Novatien, puisque vous désirez qu'on vous apprenne quelle hérésie il a
introduite, vous devez savoir, mon cher Frère, avant toutes choses, que nous
n'avons pas besoin de rechercher curieusement ce qu'il enseigne, puisqu'il
enseigne hors de l'Eglise : quel qu'il soit, il n'est pas chrétien, puisqu'il
n'est pas dans l'Eglise de Jésus-Christ. »
Ainsi quand on se sépare de
l'unité, et qu'à l'exemple de Novatien, on « envoie de nouveaux apôtres pour
établir ses nouvelles institutions (3)» et ses nouveaux dogmes, en un mot pour
dresser une nouvelle Eglise : quoiqu'on se vante comme lui de réformer l'Eglise,
et de la réduire à une doctrine plus pure aussi bien qu'a une discipline plus
régulière, loin d'être admis à prouver qu'on est dans la vraie Eglise à cause de
la vraie doctrine qu'on prétend enseigner, on est convaincu au contraire qu'on
ne peut pas avoir la vraie doctrine quand on n'est pas dans l'Eglise, et qu'on
en veut dresser une nouvelle.
Que ces faux pasteurs, qui se
sont vantés « d'être extraordinairement envoyés pour dresser de nouveau l'Eglise
tombée en ruine et désolation (4),» écoutent saint Cyprien : qu'ils
reconnaissent sur quelles maximes il fondait son épiscopat : et puisqu’ils ne
peuvent pas nous montrer une mission semblable à la sienne, qu'ils cessent
d'imiter le langage d'un si grand évêque et de s’en attribuer l'autorité.
1 Cypr., lib. de Un. Eccl.,
p. 194. — 2 Epist. LII, ad Anton. — 3 Ibid. — 4 Conf. de foi,
art. XXXI.
250
Vous leur avez souvent oui dire
que nous n'aviez pas besoin de vous mettre en peine où était l'Eglise, puisque
Jésus-Christ avait prononcé « qu'en quelque lieu que se trouvent deux ou trois
personnes assemblées en son nom, il y est au milieu d'eux (1). » Il y a
Longtemps que les hérétiques et les schismatiques abusent de ce passage; ils
s'en servaient dès le temps de saint Cyprien, pour autoriser les assemblées
qu'ils tenaient à part. Mais ce saint martyr les confond par les paroles
précédentes, où Jésus-Christ parle en cette manière : « Si deux d'entre vous
s'unissent ensemble sur la terre, mon Père qui est dans le ciel leur accordera
tout ce qu'ils demanderont; » où ce qui pareil d'abord , c'est que ces deux qui
s'accordent doivent être dans le corps, dans l'unité chrétienne, dans la commune
fraternité. « Si deux, dit-il, d'entre vous, » c'est-à-dire, comme l'entend
saint Cyprien (2), si deux ou trois enfants de l'Eglise, ou deux ou trois qui
soient ensemble dans la communion, s'assemblent au nom de Jésus-Christ, il sera
au milieu d'eux et écoutera leurs prières. Secondement, dit ce saint docteur, il
est nécessaire que ces deux ou trois s'unissent. « Et, poursuit saint Cyprien,
comment peut-on s'unir avec quelqu'un, quand on n'est pas uni avec le corps de
l'Eglise et avec toute la fraternité? Comment peuvent deux ou trois être
assemblés au nom de Jésus-Christ, s'il est constant dans le même temps qu'ils
sont séparés de Jésus-Christ et de son Evangile? Car ce n'est pas nous qui
nous sommes séparés d’avec eux, mais c'est eux qui se sont séparés d'avec nous
: et puisque les hérésies et les schismes sont toujours postérieurs à
l'Eglise, pendant qu'ils se sont formés des conventicules différons et de
diverses assemblées, ils ont quitté le Chef et l'origine de la vérité. » Prêtez
l'oreille, mes Frères, à cette décision de saint Cyprien : c'est ceux qui
viennent après, c'est ceux qui se, séparent de l'Eglise qu'ils trouvent établie,
c'est ceux qui se font de nouvelles assemblées, qui dès là sont incapables de
s'assembler au nom de Jésus-Christ ; et loin qu'il leur soit permis de justifier
leur séparation et leurs nouvelles assemblées en soutenant qu'ils y enseignent
l'Evangile, et que Jésus-Christ est avec eux, « il est constant » au contraire,
selon la doctrine de saint
1 Matth., XVIII, 19. — 2 Cypr., de Un. Eccles.,
p. 198.
251
Cyprien, qu'ils sont séparés de Jésus-Christ et de
l'Evangile, dès qu'ils se séparent de l'Eglise et qu'ils se reconnaissent
obligés à en dresser une nouvelle.
Et afin qu'on entende mieux de
quelle Eglise ce saint martyr a voulu parler, c'est de l'Eglise qui reconnaît à
Rome le chef de sa communion, et dans « la place de Pierre » l'éminent « degré
de la chaire sacerdotale (1), » qui y reconnaît « la chaire de Pierre et
l'Eglise principale, d'où l'unité sacerdotale a tiré son origine (2): » enfui
qui y reconnaît un pontife d'un sacerdoce si éminent, que l'empereur, qui
portait parmi ses titres celui de souverain pontife, « le souffrait dans Rome
avec plus d'impatience qu'il ne souffrait dans les armées un César qui lui
disputait l'empire (3). »
Que ces faiseurs de Lettres
pastorales, qui se parent des lambeaux de saint Cyprien, ne prennent-ils sa
doctrine foute entière? Puisqu'ils se servent des paroles de ce saint martyr
pour vous exhorter au martyre, que ne vous disent-ils avec lui (4) : «Qu'il ne
peut y avoir de martyrs que dans l'Eglise ; que, lorsqu'on est séparé de son
imité, c'est en vain qu'on répand son sang pour la confession du nom de
Jésus-Christ ; que la tache du schisme ne peut être lavée par le sang , ni ce
crime expié par le martyre; » que la charité ne peut être hors de l'Eglise , et
qu'ainsi quelques tournions qu'on endure hors de son sein, on est de ceux dont
saint Paul a dit : «Quand je livrerais mon corps jusqu'à brûler, si je n'ai pas
la charité, tout cela ne me sert de rien (5). » Si donc ces prétendus pasteurs
veulent parler le langage et s'attribuer l'autorité des véritables pasteurs,
qu'ils nous montrent l'origine de leur ministère; et que, comme saint Cyprien et
les autres évêques orthodoxes, ils nous fassent voir qu'ils sont descendus de
quelque apôtre : qu'ils nous fassent voir parmi eux la chaire éminente, ou
toutes les Eglises gardent l'unité, où reluit principalement la concorde et la
succession do l'épiscopat. Ouvrez vous-mêmes, mes Frères, les livres que vous
appeliez votre Histoire ecclésiastique : c'est Bèze qui l'a composée.
Ouvrez l'histoire de ces faux martyrs
1 Epist. LII, ad Anton., p. 68. —
2 Epist. LIV, nunc LV, ad Corn., p. 86. — 3 Epist. LII, ad
Anton., p. 69.— 4 Lib. de Un. Eccles., p. 198 et seq. — 5 I Cor.,
XIII, 3.
252
dont on voudrait vous faire augmenter le malheureux nombre
: vous trouverez que les premiers qui ont dressé en France les églises que vous
appeliez réformées, étaient des laïques établis pasteurs par des laïques,
et par conséquent toujours laïques, qui ont osé toutefois prendre la loi de Dieu
en leur bouche et administrer sans pouvoir les saints sacrements. Souvenez-vous
de Pierre le Clerc, cardeur de laine. Je ne le dis pas par mépris de la
profession, ni pour ravilir un travail honnête : mais pour taxer l'ignorance, la
présomption et le schisme d'un homme, qui sans avoir de prédécesseur ou de
pasteur qui l'ordonne, sort tout à coup de la boutique pour présider dans
l'Eglise. C'est lui qui a dressé l'église prétendue réformée de Meaux, la
première formée dans ce royaume en l'an 1546. C'est lui qui a érigé une chaire
profane et sacrilège contre le successeur de saint Faron et de saint Sainctin.
Ceux qui ont fondé les autres églises, n'ont rien de plus relevé : tous laïques
créés pasteurs par des laïques contre tous les exemples de l'antiquité, contre
la pratique universelle de l'Eglise chrétienne, où jamais on n'a vu de pasteur
qui ne fût ordonné par d'autres pasteurs; contre l'autorité de l'Ecriture, où le
Saint-Esprit ne nous prescrit ni ne nous montre que ce moyen de perpétuer le
ministère ecclésiastique. Voilà, mes Frères, l'origine du ministère sous lequel
vous étiez. Que si un Luther, un Bucer, un Zuingle, un Pierre Martyr, si
d'autres prêtres et d'autres religieux légitimement ordonnés dans l'Eglise
catholique se sont faits ministres des troupeaux errants, sans parler des autres
raisons qui condamnent leur témérité, il a fallu pour exercer ce ministère
nouveau apostasier de la foi de ceux qui les avaient consacrés. On les avait
faits prêtres, en leur disant qu'on leur donnait le pouvoir de « transformer
parleur sainte bénédiction le pain et le vin au corps et au sang de
Jésus-Christ, et de les offrir en sacrifice pour les vivants et pour les morts
(1); » ils avaient été consacres dans cette foi : mais il a fallu y renoncer
pour exercer ce nouveau ministère. Ainsi ils portent sur leur front la marque
d'innovation: et les troupeaux séparés reconnaissent si peu l'ordination et la
mission qu'ils avaient reçue dans l'Eglise, que cet
1 Pontif. de Ord. Sacerd.
253
imbécile évêque de Troyes (1) (je ne le nomme pas ainsi de
moi-même, c'est l’Histoire ecclésiastique de Bèze qui nous en donne cette
idée (2)) après avoir embrassé la réformation prétendue, n'obtint qu'avec peine
et avec beaucoup de prières qu'on lui permît d'être ministre : tant on croyait
inutile tout ce qu'on avait reçu auparavant. Ainsi tous ces fondateurs des
églises prétendues sont des gens sans autorité et sans mission. C'est de là que
sont descendus ceux qui composent ces Lettres pastorales : et cependant,
si Dieu le permet, ils feront les Cypriens et les Athanases. Mais leur erreur
est manifeste : et quoiqu'ils tâchent de contrefaire le langage des saints
évêques, puisqu'ils n'en ont ni la succession, ni l'autorité, ni la doctrine,
vous ne les pouvez regarder que « comme de faux apôtres et des ouvriers
trompeurs, transformés, » comme dit saint Paul, « en apôtres de Jésus-Christ
(3). »
Aussi ne voyez-vous dans les
écrits qu'ils vous adressent qu'un zèle amer, des sentiments outrés et un abus
manifeste de la parole de Dieu. L'auteur de la Lettre aux Protestants tombés
par la crainte des tourments traite ceux qui «se sont rendus, » comme il
parle, « avant le combat, » c'est-à-dire sans être tourmentés, comme des gens
pour qui il n'y a point de miséricorde; et leur appliquant un passage de saint
Paul par où il ne leur laisse que le désespoir, il ne daigne même pas les
exhorter à la pénitence.
Un autre imprime une lettre avec
ce titre : A nos Frères, qui gémissent sous la captivité de Babylone, et
renouvelle par ce seul titre toutes les applications aussi vaines qu'injurieuses
de l’Apocalypse, qu'on n'a cessé de vous faire pour vous rendre l'Eglise
odieuse. Tout, y est, digne d'un commencement si emporté. Il ne vous parle que «
de l'horreur que vous devez avoir pour le papisme : » afin de « vous conserver,
» comme il parle, « dans cette juste horreur pour le papisme, et telle qu'il
mérite, n'oubliez pas, poursuit-il, à vous en mettre continuellement dans
l'esprit toutes les laideurs; et ne les regardez pas à travers ces
adoucissement, comme les docteurs du mensonge les font regarder aujourd’hui.»
Vous entendez bien ce langage. Vous reconnaissez ce même
1 Antoine Carracciol. — 2 Hist. Ecclés. de Bèze,
liv. II et VI. — 3 II Cor , XI, 13.
254
esprit qui a fait dire aux ministres que l’Exposition de
la doctrine catholique, que j'ai publiée, encore qu'elle soit tirée mot à
mot du saint concile de Trente et que pour cette raison tant d'évêques, tant de
cardinaux, tant de docteurs, tout le clergé de France, le Pape même et enfin
toute l'Eglise l'ait approuvée, n'était pas notre doctrine véritable, mais un
adoucissement trompeur, où toute l'Eglise et le Pape même était entré de concert
avec moi pour vous surprendre. Quel prodige ne peut-on pas croire, quand on
croit de telles choses? Mais ceux qui vous séduisaient n'avaient que ce moyen
de, conserver l'horreur qu'ils vous inspiraient pour nous dès le commencement de
la réformation prétendue. S'ils ne vous eussent déguisé nos senti mens, il n'y
eût pas eu moyen de pousser jusqu'au schisme a cette horreur » qu'ils vous
donnaient de l'Eglise, lue haine si violente ne peut être entretenue qu'en
continuant les mêmes calomnies; et quand ils vous exhortent à rejeter « les
adoucissements » du papisme pour en considérer sans cesse « toutes les laideurs,
» si vous entendez leur langage, c'est-à-dire qu'il faut juger de nos
sentiments, non par la profession publique que nous faisons, mais par ce que nos
ennemis déclarés nous imputent, et ne connaître notre religion que dans leurs
calomnies. Sans cela ne voyez-vous pas qu'ils n'oseraient dire, comme fait cet
auteur emporté, que notre religion « fut la religion du démon; » une religion «
de brutaux, » toute pleine «d'idolâtrie et de cérémonies judaïques et païennes.
»
Ouvrez les yeux, mes chers
Frères : reconnaissez la malignité et le zèle amer de ceux qui dès le
commencement vous ont voulu faire les martyrs du schisme. Je ne prétends pas ici
entrer dans des controverses : mais en quelle conscience peut-on vous écrire «
qu'on vous l'ait dire dans une langue barbare des Litanies à l'honneur dos
créatures et au déshonneur du Créateur? » Lisez-les ces litanies, puisque vous
les avez entre les mains, non-seulement dans la langue latine, que ces emportés
veulent appeler barbare, mais encore dans la langue française. Est-ce dire des
litanies a au déshonneur du Créateur, » que de dire d'abord : « Soigneur, ayez
pitié de nous : Christ, ayez pitié de nous : Christ, écoutez-nous : Christ,
exaucez-nous : Père éternel, qui êtes Dieu; Fils rédempteur
255
du monde, qui êtes Dieu ; Saint-Esprit, qui êtes Dieu, ayez
pitié de nous : Sainte Trinité, qui êtes un seul Dieu, ayez pitié de nous? »
Après avoir posé ce fondement de notre espérance, est-ce parler « à l'honneur de
la créature et au déshonneur du Créateur, » que de dire : « Sainte Marie, priez
pour nous : Sainte Mère de Dieu, priez pour nous : Saints Anges, priez pour nous
: Saint Pierre, priez pour nous ; » et le reste? Cette manière de nommer les
Saints dans les litanies, ne les met-elle pas visiblement, comme l'ont enseigné
tous nos docteurs, plutôt au rang de ceux qui prient qu'au rang de ceux qui sont
priés? Mais quelque utiles que nous paraissent leurs prières, ce n'est pas là
que s'arrêtent nos dévotions. Nous revenons aussitôt après à Jésus-Christ, que
nous conjurons par tous ses mystères, et par tous les noms qu'il a pris pour
nous assurer de ses bontés, et nous délivrer de tous les maux, dont le plus
grand et le plus terrible est la mort dans le péché. Nous continuons la litanie
en priant Dieu de bénir tous les enfants de l'Eglise, et de les combler de ses
grâces, dont on fait un pieux dénombrement. Enfin on invoque par trois fois
l'Agneau qui ôte les péchés du monde; et après un psaume admirable et plusieurs
autres prières adressées à Dieu, le pontife lui expose les vœux de son peuple,
qu'il le prie d'écouter favorablement pour l'amour de son Fils Jésus-Christ
Notre-Seigneur. Voilà ces litanies qu'on chante « à l'honneur des créatures et
au déshonneur du Créateur. » Est-ce donc s'éloigner de Dieu, est-ce faire injure
au Créateur, que de commencer par lui, de finir par lui, et au milieu de se
joindre à la troupe de ses amis, afin de le prier en leur compagnie ? Qu'a-t-on
à dire après tout contre cette prière : « Priez pour nous ? » N'est-elle pas de
mot à mot de saint Paul (1) en plusieurs endroits? En est-elle plus injurieuse
envers le Créateur, quand on l'adresse dans le même esprit aux Saints qui vivent
avec lui? Laissons à part cette chicane, s'ils nous entendent ou non : chicane,
dis-je encore une fois, puisqu'on ne peut pas dire des saints anges qu'ils ne
nous entendent pas, eux dont il est écrit expressément qu'ils présentent à Dieu
nos prières (2). Cette raison n'empêche donc pas qu'on ne leur dise : « Anges
saints, priez pour nous ; » et il en faudrait
1 I Thessal., V, 25. — 2 Apoc.,
VIII, 3-5.
256
venir à cette chicane de distinguer les âmes bienheureuses
d'avec les saints anges, avec lesquels elles sont unies par les mêmes lumières,
par les mêmes grâces et par une éternelle société. Mais laissons encore une l'ois
cette chicane: pour décider la question si nos litanies sont au déshonneur du
Créateur, n'est-ce pas assez qu'il soit clairement révélé de Dieu que cette
prière : « Priez Dieu pour nous, » n'éloigne pas de Dieu? Mais la chose
n'est-elle pas évidente par elle-même ? A-t-on le cœur éloigné de Dieu, où
met-on sa dernière fin, où met-on son cœur et sa confiance, quand on dit : «
Priez Dieu pour nous, » si ce n'est en Dieu? Mais par qui demandons-nous que les
saints prient, si ce n'est par Jésus-Christ? Le concile de Trente et toutes les
prières de l'Eglise ne font-elles pas foi que les Saints mêmes ne sont écoutés,
et ne peuvent rien obtenir pour nous que par Jésus-Christ? Ainsi
démonstrativement la prière que nous leur faisons de prier pour nous, loin
d'affaiblir notre confiance envers Dieu et envers le Sauveur, la présuppose
toute entière, autant qu’une semblable invitation que nous faisons à nos frères
qui sont sur la terre.
Mais on veut que nos images et
l'honneur que nous leur rendons fasse horreur. Encore une fois, mes Frères, ne
disputons pas : ne nous jetons pas sur la controverse. Mais permet lez qui-je
parle en simplicité et avec une cordialité fraternelle et paternelle, à ceux qui
n'ont pas encore eu la force de sortir de leurs vains scrupules. Croiriez-vous
faire injure à Dieu de baiser, comme nous le faisons, le livre de l'Evangile, de
vous lever par honneur quand on le porte en cérémonie, et d'incliner la tête
devant ? Les ministres, direz-vous, ne nous ont point appris cela: je le sais et
la sécheresse de leurs dévotions ne porte pas à ces actions tendres et
affectueuses, encore qu'elles témoignent et qu'elles excitent la dévotion et la
ferveur intérieure. Mais cela , reprendrez-vous, n'est pas écrit. Quelle erreur
que de vouloir que tout soit écrit jusque dans le moindre détail ! N'est-ce pas
assez pour la perfection de l'Ecriture sainte, que les fondements le soient ; et
l'Eglise, fidèle interprète des fondements de la foi que l'Ecriture contient, ne
peut-elle pas être une garantie suffisante de tout le reste? Mais, mes Frères,
sans disputer, je vous demande : est-il écrit quelque
257
part qu'il soit bon de jurer sur l'Evangile ? En faisait-on
difficulté dans la nouvelle Réforme? Et en même temps, est-ce par l'encre, ou
par le papier, ou par les lettres et les caractères qu'on jure? N’est-ce pas par
la vérité éternelle que ces choses représentent? Comment traiteriez-vous ceux
qui craindraient de faire ce serment, et comment appellerez-vous ce vain
scrupule? Ne le traiteriez-vous pas de faiblesse et de crainte superstitieuse ?
Mais qu'est-ce que l'image de la croix, si ce n'est une autre manière d'écrire
ce qui est écrit dans l'Evangile et ce qui en est l'abrégé, que Jésus-Christ est
notre Sauveur par la croix? Si cela n'est pas véritable, s'il n'est pas vrai que
Jésus-Christ nous ait rachetés par la croix, qu'on cesse, comme disait un saint
pape, de le prêcher et de l'écrire. Que si c'est véritablement un mystère de foi
et de piété, pourquoi ne le pas écrire en toutes les manières dont il le peut
être ? Et pourquoi cette écriture des images ne serait-elle pas aussi vénérable,
que celle qu'on fait sur le papier ? Le papier et les caractères ne sont-ils
pas, aussi bien que les traits de la sculpture et de la peinture, des ouvrages
de main d'homme? Mais qui ne voit qu'on regarde en toutes ces choses, non ce
qu'elles sont, mais ce qu'elles signifient ; et que ce n'est pas une moindre
erreur et une moindre superstition de craindre que l'honneur qu'on rend à
l'image se termine au marbre ou au métal, que de craindre qu'on s'arrête au
papier et à l'encre, quand on touche l'Evangile pour jurer dessus?
Vous vous étonnerez, mes Frères
: je parle encore aux infirmes qui conservent de malheureux restes de leurs
anciennes erreurs : vous vous étonnerez, dis-je, qu'on puisse vous traiter de
superstitieux, et vous répondrez que du moins ce n'est pas là votre vice. Mais,
dites-moi cependant, quelle est la crainte qui vous empêche de faire votre
prière à Jésus-Christ à genoux devant son image, aussitôt que devant un pilier
ou mie muraille? Car enfin vous serez toujours devant quelque chose. Pourquoi
donc ne pas choisir aussitôt une image de Jésus-Christ qu'une paroi blanche?
Cette image est-elle devenue incompatible avec nos dévotions, à cause qu'elle
nous en représente le plus cher objet ? Mais je vois, mes bien-aimés, ce que
vous craignez : vous craignez que votre génuflexion,
258
au lieu d'aller à Jésus, n'aille au bois ou à l'ivoire ;
comme si cette génuflexion allait par elle même à quelque chose, et que ce ne
fût pas votre intention qui la dirigeât où elle va. Mais ne savez-vous pas bien
que votre intention est d'adresser vos vœux à Jésus-Christ même ? Ou
craignez-vous que Jésus-Christ ne le sache pas? Ou craignez-vous que ce langage
du corps ne lui signifie autre chose, que ce que toute l'Eglise et vous-mêmes
qui vous conformez à ses intentions, avez dessein de signifier et de faire ?
Reconnaissez donc une bonne fois que c'est une grossière ignorance, une
pitoyable faiblesse et une véritable superstition, que de craindre d'honorer en
effet le bois, quand vous avez intention d'honorer Jésus-Christ.
Mais vous craignez, dites-vous
de ne prendre pas assez à la lettre la défense du Décalogue : à la bonne heure.
Prenez-la donc entièrement à la lettre, et dites qu'il est aussi peu permis de
faire des images, parce qu'il est écrit : « Tu n'en feras pas (1), » que de se
prosterner devant, à cause qu'il est écrit. « Tu ne te prosterneras point devant
elles (2). » Entendez donc, mes chers Frères, qu'il est défendu de faire des
images et de se prosterner devant elles dans l'esprit des païens, en croyant
qu'elles sont remplies d'une vertu divine, ou que la divinité s'incorpore en
elles, comme les païens le croyaient ; en un mot dans le dessein de les servir,
d'y mettre comme eux sa confiance, et de leur dire avec eux : « Délivrez-moi ,
parce que vous êtes mon Dieu (3) : » car c'était là le vrai caractère et le fond
de l'idolâtrie, comme Isaïe nous l'apprend en ce lieu, et comme toute l'Ecriture
nous l'enseigne. Et ne dites pas que si les païens eussent cru ces choses, ils
auraient été grossiers au delà de toute mesure ; car c'est aussi ce qu'ils
étaient : et ce n'est pas en vain que ce saint prophète ajoute, dans le passage
que je viens de citer : « Ils ne savent pas, ils n'entendent pas, ils n'ont
point d'yeux, ils n'ont point de sens ni d'intelligence ; ils ne font point de
réflexion dans leur cœur, et ils ne commissent ni ne sentent rien (4). » En
est-ce assez pour vous faire voir que la grossièreté de l'idolâtrie allait en
effet au delà de toutes bornes et jusqu'à incorporer la divinité, qu'elle
croyait corporelle, dans la matière ?
1 Exod., XX, 4. — 2 Ibid.,
5. — 3 Isa., XLIV, 17. — 4 Ibid., 18, 19.
259
Lorsque dans la suite des temps les philosophes se sont
élevés au-dessus de cette commune erreur du genre humain, il me serait aisé de
vous faire voir qu'ils y retombaient toujours par quelque endroit ; et qu'en
tous cas, comme l'Apôtre les en convainc (1). Ils confirmaient l'impiété du
culte public en y adhérant. Mais sans entrer dans ces discussions et pour nous
tenir à l'Ecriture , vous voyez ce qu'elle condamne , quand elle défend les
images. Le Catéchisme de la nouvelle Réforme en demeure d'accord (2) : il
dit, comme je l'ai remarqué ailleurs (3), et il ne m'est point pénible de le
répéter, puisqu'il vous est nécessaire de l'entendre ; il vous dit, ce
Catéchisme, que les images que Dieu défend dans le Décalogue, c'est celles
où l'on croit représenter la divinité, comme si elle était corporelle, et celles
que l'on regarde « comme si Dieu s'y démontrait à nous. » On ne peut dire que
nous ayons cette croyance, sans une insupportable calomnie. On avoue que nous
croyons de la nature divine et de la création, tout ce qu'on en peut croire de
plus pur : avec cette croyance il est impossible que nous soyons idolâtres. Nous
ne servons pas les images, mais nous nous servons des images pour nous rendre
plus attentifs aux pieux objets qui excitent notre foi. Quand vous dites que le
peuple y attache sa confiance, vous jugez témérairement votre frère : il est
soumis à l'Eglise, qui démêle si exactement ce qui appartient à l'original
d'avec ce qui appartient à la représentation ; et puisqu'il est soumis à ses
décrets, pourquoi ne vouloir pas croire qu'il y conforme ses intentions et ses
sentiments ? Si vous voyez quelquefois un cierge allumé devant l'image d'mi
Saint, vous voulez croire que c'est pour servir l'image. Vous vous trompez :
c'est pour dire que ce Saint est la lumière du monde, et qu'il en faut ou suivre
la doctrine, ou imiter les vertus. S'il arrive qu'on jette de l'encens devant
des reliques, ou si vous voulez devant quelque image, c'est pour dire que la
doctrine et les exemples des Saints sont la bonne odeur de Jésus-Christ, et
qu'il faut qu'à leur exemple nous répandions devant Dieu et dans l'Eglise un
parfum semblable. Lorsque vous en jugez autrement, vous jugez le serviteur
d'autrui contre le précepte de
1 Rom., I, 32. — 2 Cat. des P. R., dim. 23. —
3 Avert. de l’Exposit.
260
l'Apôtre (1); mais vous ne persuaderez jamais , ni à un
François que son langage vulgaire puisse signifier autre chose que ce que
l'usage a voulu, ni aux enfants de l'Eglise que le langage des cérémonies puisse
avoir une autre signification que celle que les décrets et l'usage de l'Eglise y
ont attachée. Et quand des particuliers n'auraient pas des intentions assez
épurées, l'infirmité de l'un ne fait pas de préjudice à la foi de l'autre : et
quand il y aurait de l'abus dans la pratique de ces particuliers, n'est-ce pas
assez que l'Eglise les en reprenne ? Et quand on ne les repren-droit pas assez
fortement, autre chose est ce qu'on approuve, autre chose ce qu'on tolère : et
quand on aurait tort de tolérer cet abus, je ne romprai pas l'unité pour cela;
et pour m'éloigner d'une chose qui ne me peut faire aucun mal, je ne m'irai pas
plonger dans l'abîme du schisme où je périrois. Saint Augustin avoue qu'il
voyait beaucoup de pratiques superstitieuses qu'il ne pouvait approuver , « et
qu'il n'osait pas toujours reprendre avec une entière liberté, pour ne point
scandaliser des personnes ou pieuses ou emportées et turbulentes (2). » Il ne
laissait pas d'être pur de ce qu'il y avait d'iniquité dans ces pratiques.
L'Eglise, poursuit le même Père, « au milieu de la paille et de l'ivraie où elle
se trouve, tolère beaucoup de choses : mais ni elle n'approuve, ni elle ne fait
ce qui est contre la foi et les bonnes mœurs. » Ce que l'Eglise tolère n'est pas
notre règle, mais ce qu'elle approuve; et ceux qui se servent de semblables
choses pour vous aigrir contre nous et empêcher un aussi grand bien que celui
delà réunion, sont maudits de Dieu.
Pour ce qui est des « cérémonies
païennes et judaïques, » dont cette Lettre emportée dit que notre culte est
rempli, où sont-elles? Est-ce le signe île la croix? L'avons-nous pris des Juifs
et des païens, à qui la croix est folie et scandale? Est-ce l'huile que nous
employons dans les sacrements, selon le précepte de saint Jacques (3) ? Est-ce
l'eau bénite que nous prenons en mémoire de notre baptême, ou le pain bénit,
reste précieux des agapes ou festins de charité des chrétiens et symbole de
notre union? Quand
1 Rom.,
XIV, 4. — 2 August., Epist. LV, al. CXIX, ad Jan., cap. XIX, n. 34. — 3
Jacob., V, 14, 15.
261
on aurait appliqué à de saints usages quelques-unes des
cérémonies indifférentes ou des Juifs ondes païens, pour attacher les esprits à
de plus saints objets, serait-ce un crime? Mais peut-être que vous vous plaignez
de ce que le prêtre paraît à la messe, tantôt les mains élevées au ciel, selon
que l'Apôtre le prescrit (1), tantôt les mains jointes, pour témoigner plus
d'ardeur quand les choses le demandent ; ou de ce que toutes les fois qu'il
commence une nouvelle action, il se tourne vers le peuple pour lui donner et en
recevoir le salut en signe de communion. Les ministres sont-ils choqués des
habits sacrés que leurs frères les protestants d'Allemagne, et leurs frères,
encore plus chers, les protestants d'Angleterre, ont retenus aussi bien que la
plupart des cérémonies ; et veulent-ils que ces choses, qui vous paraissent ou
utiles ou indifférentes dans les pays étrangers, ne vous inspirent de l'horreur,
que lorsque vous les verrez pratiquer par vos concitoyens et dans l'Eglise
catholique?
Ils ne songent en effet qu'à
répandre du venin sur tout ce que nous faisons. J'aurai d'autres occasions de
vous instruire du service en langue vulgaire, et je l'ai déjà l'ai! souvent de
vive voix. Mais que veut dire cet emporté ministre par ces paroles : « Ne vous
accoutumez jamais à ce langage barbare, qui dérobe aux oreilles du peuple la
religion, et qui ne laisse plus rien que pour les yeux? » N'est-ce pas une
visible calomnie d'imputer à l'Eglise catholique qu'elle veuille cacher au
peuple les mystères, après que le concile de Trente a fait ce décret : « Que de
peur que les brebis ne demeurent sans nourriture, et qu'il ne se trouve personne
pour rompre aux petits le pain qu'ils demandent, les pasteurs leur expliqueront
dans la célébration de la messe, principalement les dimanches et fêtes, quelque
chose de ce qu'on y lit et quelqu'un des mystères de ce très-saint sacrifice
(2)? » Ce n'est donc pas l'intention de l'Eglise de vous cacher les mystères;
mais au contraire de vous en exposer tous les jours quelque partie avec tant de
soin, qu'ils vous deviennent connus et familiers. Les livres qu'on vous a mis
entre les mains vous expliquent tout; et ceux qui vous persuadent qu'on vous
veut ôter la connaissance des
1 I Timoth., II, 8. — 2 Conc.
Trid., sess. XXII, cap. VIII.
262
adorables secrets de la religion, ne songent qu'à vous
remplir d'aigreur et d'amertume contre vos frères.
Mais voici la grande plainte :
c'est qu'on vous fait adorer du pain. Je vous ai déjà déclaré que je n'entre
point dans les controverses : mais je vous dirai seulement que ce reproche est
semblable à celui que nous font les sociniens, et que nous faisaient autrefois
les disciples de Paul de Samosate. En niant la divinité de Jésus-Christ, ils
nous accusent d'être idolâtres, et s'imaginent avoir mi culte plus pur que le
nôtre, à cause qu'ils ne rendent pas les honneurs suprêmes à un homme. Mais
pendant qu'ils se glorifient d'être plus spirituels que nous, et de rendre à la
Divinité une adoration plus pure, ils sont en effet charnels et grossiers, parce
qu'ils ne suivent que leurs sens et un raisonnement humain qui leur persuade
qu'un homme ne peut pas être Dieu. On vous veut rendre spirituels de la même
sorte : on se vante de purifier votre culte, en vous obligeant à croire qu'il
n'y a sur la sainte table que le pain que vous y voyez, et que le corps de
Jésus-Christ, que vous n'y voyez pas, n'y est pas aussi et n'y peut pas être. En
cela que faites-vous autre chose que de suivre la chair et le sang? Que si, à
l'exemple du catholique, vous vous éleviez au-dessus ; si vous vous rendiez
capables de croire que Jésus-Christ a pu se cacher lui-même sous la figure du
pain, pour exercer notre foi : qui vous pourrait empêcher d'entendre aussi
simplement ces paroles : « Ceci est mon corps (1), » que ces paroles : « Le
Verbe était Dieu, et le Verbe a été fait chair (2)? » On vous prêchait autrefois
que c'était une action inhumaine et contraire à la piété, que de manger par la
bouche du corps, de la chair humaine, et encore la chair de son père. Ce titre
d'anthropophages et de mangeurs de chair humaine que les ministres nous
donnaient, nous faisaient passer pour des brutaux dans l'esprit de leurs
aveugles sectateurs ; il n'y avait violence qu'ils ne se crussent obligés de
faire aux paroles de Jésus-Christ plutôt que d'y reconnaître un sens si barbare.
Maintenant qu'on s'est radouci, et qu'en faveur des luthériens on est demeuré
d'accord que cette manducation de la chair de Notre-Seigneur, qu'on trouvait si
odieuse,
1 Matth., XXVI, 26. — 2 Joan., I, 1, 14.
263
n'a aucun venin ; qu'elle n'a rien qui répugne à la piété,
ni à l'honneur de Dieu, ni au bien des hommes, en sorte que les luthériens qui
la croient et la pratiquent aussi bien que nous, sont dignes de la sainte table
et vrais membres de Jésus-Christ : qui vous oblige à violenter les paroles de
Jésus-Christ, et d'y introduire par force une figure dont on ne trouve dans
l'Ecriture aucun exemple? Mais si nous sommes des idolâtres, à cause que nous
adorons Jésus-Christ dans l'Eucharistie, que seront les luthériens? Il n'est pas
vrai, quoi que l'on vous dise, qu'ils n'adorent pas Jésus-Christ dans le
sacrement de la Cène. Si vous les consultez, ils vous diront que n'y croyant
Jésus-Christ que dans l'usage, ils ne l'y adorent aussi que dans l'usage, et que
c'est pour l'y adorer dans l'usage qu'ils reçoivent à genoux ce saint sacrement.
Mais quand ils ne lui rendraient aucune adoration extérieure, qui ne sait que ce
n'est pas dans cet extérieur que consiste le service? L'acte de foi, d'espérance
et de charité rapporté à Jésus-Christ comme présent, n'est-ce pas une parfaite
adoration qu'on lui rend? Et si c'est une idolâtrie que d'adorer Jésus-Christ
dans le sacrement de la Cène, celui qui l'y adore intérieurement peut-il
s'exempter d'être idolâtre? Comment donc peut-il avoir part à la table de
Jésus-Christ et à l'héritage céleste? Pesez, mes Frères, pesez un raisonnement
si solide et tout ensemble si intelligible : vous verrez qu'on pardonne tout aux
luthériens ; qu'on outre tout contre nous, et qu'on ne tâche qu'à vous inspirer
une horreur injuste contre notre culte.
Enfin si c'est une idolâtrie que
d'adorer Jésus-Christ dans le très-saint Sacrement, où sont les vrais adorateurs
depuis tant de siècles? Ne vous y trompez pas, mes frères, l'adoration de
Jésus-Christ dans l'Eucharistie est aussi ancienne que l'Eglise. Mais pour ne
vous dire que les choses dont on convient parmi vous, elle y est du moins
établie et constamment décidée depuis Bérenger, c'est-à-dire il y a plus de six
cents ans. L'enfer a-t-il prévalu durant tant de siècles? Et ce qui devait
toujours subsister jusqu'à la fin du monde, selon la parole de Jésus-Christ,
a-t-il souffert une interruption si considérable?
Et de peur que vous ne croyiez
que je vous veuille jeter dans
264
une importune discussion de l'histoire des siècles passés,
où étaient les vrais adorateurs quand Zuingle et Calvin sont venus au monde? Car
pour Luther, il est constant que s'il a changé quelque chose dans l'adoration,
ce n'a été que bien tard. En tout cas où étaient-ils ces adorateurs véritables,
dans les commencements de Luther et du nouvel évangile ? Vous en revenez à ces
sept mille inconnus au prophète Elie, qui n'avaient point fléchi le genou devant
Baal. Mais enfin ces sept mille se seront du moins déclarés, quand ils auront vu
paraître les réformateurs. J'ai pressé M. Claude d'en nommer un seul qui se
joignant à ces réformateurs prétendus, leur ait dit: J'ai toujours cru comme
vous: jamais je n'ai adhéré à la foi romaine, ni à la messe, ni à la présence
réelle, ni à l'adoration de Jésus-Christ dans l'Eucharistie ». A cette demande
si précise, à ce fait si clairement posé, qu'a répondu ce ministre si fécond en
subtilités? « M. de Meaux, dit-il, s'imagine-t-il que les disciples de Luther et
de Zuingle dussent faire des déclarations formelles de tout ce qu'ils avaient
pensé avant la réformation, et qu'on dût insérer ces déclarations dans les
livres (2)? » Vous voyez qu'il n'a eu personne à nommer; et cette réponse peut
passer pour un aveu solennel, qu'en ellèl il ne sait personne qui ait fait une
semblable déclaration. De dire que cela ne s'écrive pas ; et que pendant qu'on
objectait de tous côtés et dans tous les livres aux réformateurs prétendus que
la doctrine qu'ils enseignaient était inconnue quand ils sont venus, ils ne se
soient jamais avisés de dire qu'un très-grand nombre de ceux qui les suivaient
avaient toujours cru comme eux : c'est une illusion manifeste. Cependant
quoiqu'ils aient rempli l'univers de lettres, d'histoires, de traités, et que
mille et mille fois ils se soient mis en devoir de satisfaire le monde sur la
nouveauté qu'on leur objectait, jamais ils n'ont nommé ces partisans qu'on
suppose qu'ils avaient parmi nous; et encore à présent M. Claude ne les peut
trouver, quoiqu'on le presse d'en nommer du moins quelques-uns. Mais au lieu de
nous contenter sur cette demande, il nous allègue le progrès soudain de la
réformation, « qui marque,
1 Conf., Réflex. XIII, tom.; XIII, p. 622. — 2
Rép. au Disc, de M. de Condom, p. 362.
265
dit-il, que la matière était extrêmement disposée (1). »
Comme si le désir de s'affranchir des vœux, des jeûnes, de la continence, de la
confession, des mystères qui passaient les sens, de la sujétion des évêques qui
étaient en tant de lieux princes temporels; la jouissance des biens d'église; le
dégoût des ecclésiastiques trop ignorants, hélas! et trop scandaleux; le charme
trompeur des plaisanteries et des invectives, et celui d'une éloquence emportée
et séditieuse; le pouvoir accordé aux princes et aux magistrats de décider des
affaires de la religion, et h tous les hommes de se rendre les arbitres de leur
foi et de n'en plus croire que leur propre sens; enfin la nouveauté même,
n'avaient pas été L'attrait qui jetoit en foule dans la nouvelle Déforme les
villes, les princes, les peuples, et jusques aux prêtres et aux moines apostats.
Pendant que les catholiques alléguaient aux réformateurs et à leurs disciples
ces causes de leur révolte, c'était le temps de répondre que ce n'était pas
d'aujourd'hui qu'ils avaient eu ces pensées; ils auraient dû même s'en expliquer
auparavant. Car enfin on a supposé dans les nouvelles Lettres pastorales
que selon la doctrine de saint Paul, « ce n'est pas assez de croire de corne à
justice : mais qu'il faut encore confesser débouche à salut, et glorifier Dieu
du corps et de l'esprit, puisqu'il est le rédempteur de l'un et de l'autre ». »
C'est ainsi que parle la Lettre adressée aux tombés; et celle qui
est écrite aux oppressés de Babylone, ne s'explique pas en termes moins
formels : « Sachez que ce n'est pas assez de détester toutes ces choses de cœur,
il faut les condamner de bouche. » Pourquoi donc ne pas déclarer ceux qu'on
suppose avoir confessé avant la Réforme la doctrine qu'elle enseignait?
Cependant on n'en rapporte aucun : tant il est vrai qu'il n'y en avait point du
tout. Et il paraît au contraire que les premiers réformateurs, prêtres et moines
pour la plupart, avaient été consacrés dans la foi que nous professons, comme
nous l'avons déjà vu; et ceux qu'ils ont entraînés dans leur rébellion les ont
regardés comme des hommes extraordinaires, qui leur apprenaient une nouvelle
doctrine. Où étaient donc au nom de Dieu ceux qui croyaient bien, pendant que
tout le monde, et aussi bien les
1 Rép. au Disc, de M. de Condom, p. 362. — 2 Rom.,
X, 10.
266
formateurs que ceux qui les ont suivis, croyaient comme
nous?
Gardez-vous bien, mes chers
Frères, de regarder cette question comme une question inutile ou curieuse. Il
s'agit de vérifier les promesses de l'Evangile. M. Claude demeure d'accord
qu'en vertu de ces promesses de Jésus-Christ : « Enseignez et baptisez, je serai
toujours avec vous (1), » il faut entendre : Je serai toujours avec vous
enseignant et baptisant. D'où il s'ensuit de son aveu que Jésus-Christ « promet
à son Eglise d'être avec elle et d'enseigner avec elle sans interruption jusqu'à
la fin du monde (2). » Et encore : « Il y aura toujours une Eglise, et
Jésus-Christ sera toujours au milieu d'elle, baptisant avec elle et enseignant
avec elle (3). » Sans doute c'est par les pasteurs qu'il exercera ce ministère :
c'est donc avec les pasteurs qu'il a promis de baptiser et d'enseigner. Qu'on
nous explique comment peuvent mal baptiser et mal enseigner ceux avec qui
Jésus-Christ baptise et avec qui Jésus-Christ enseigne.
M. Claude nous oppose
l'expérience; et pour montrer que cette force invincible que nous attribuons au
ministère ecclésiastique en vertu des promesses de Jésus-Christ, ne lui convient
pas, il nous rapporte beaucoup de passages d’Hérivé, de saint Bernard, d'Alvare
Pelage (4), et des autres qui dans les siècles précédents ont déploré les
désordres du clergé, et en ont désiré la réformation. Je n'entreprends pas ici
d'examiner ces passages : vous les pouvez lire; et si vous en trouvez un seul où
ces auteurs se soient plaints de la transsubstantiation, ou du sacrifice, ou de
l'adoration de l'Eucharistie, ou enfin d'aucun des points de doctrine sur
lesquels Luther et Calvin ont fait rouler leur réformation, je veux bien
abandonner la cause. Mais si au contraire parmi tant de passages ambitieusement
rapportés, il ne s'en trouve pas un seul qui regarde le moins du monde ces
choses, avouez que les prétendus réformateurs n'ont pris de ces hommes
vénérables que le nom de réformation, et n'ont fait qu'abuser le monde
par un titre spécieux.
N'écoutez donc plus leurs
dangereux discours. N'appelez plus réformât ion mi schisme affreux qui a désolé
la chrétienté; et
1 Matth., XXVIII, 19, 20. — 2 Rép. au disc. de M.
de Condom, p. 106. — 3 Ibid., p. 109, 333, etc. — 4 Ibid., p.
315 et suiv.
267
tournez contre les ennemis de la réunion l'horreur qu'ils
tâchent de vous inspirer pour nous. Car y a-t-il rien de plus digne d'horreur
que de vous faire haïr l'Eglise, que de vous représenter comme Babylone celle
qui porte sur le front le nom de Jésus-Christ, et qui met en lui seul sa
confiance, que de faire la mère des idolâtries et des prostitutions, celle qui
dès l'origine du christianisme jusqu'à nos jours ne cesse d'envoyer ses enfants
par toute la terre et jusque dans les régions les plus inconnues, pour y faire
adorer le seul et vrai Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit? Ce n'est donc pas nous,
mes Frères, qui méritons cette juste horreur qu'on a pour l'idolâtrie; c'est
ceux qui nous accusent faussement. Ceux qui portent contre un innocent un
témoignage faux et calomnieux, sont punis du même supplice que mériterait le
crime dont ils ont porté le témoignage, s'il avait été avéré : ainsi ceux qui
nous accusent d'idolâtrie, pendant que nous confessons avec tant de pureté le
nom de Dieu, méritent devant les hommes l'horreur qui est due à l'idolâtrie, et
en recevront devant Dieu le juste supplice.
Mais surtout de quelle horreur
sont dignes ceux qui font tomber cette accusation sur toute l'Eglise, et encore
sur l'Eglise des premiers siècles? Il y a longtemps, mes Frères, que c'est une
chose avouée parmi les ministres, que dès le quatrième siècle l'Eglise demandait
les prières des martyrs et en honorait les reliques; et Vigilance s'étant opposé
à cette pratique ancienne et universelle, fut tellement réprimé par les écrits
de saint Jérôme, qu'il demeura seul dans son sentiment. Si c'est donc une
idolâtrie de demander les prières des Saints et d'en honorer les reliques, cet
illustre quatrième siècle : oui, ce siècle où les prophéties du règne de
Jésus-Christ se sont accomplies plus manifestement que jamais, où les rois de la
terre persécuteurs jusqu'alors du nom de Jésus, selon les anciens oracles, en
sont devenus les adorateurs : ce siècle, dis-je , servait la créature ; les
prophéties du règne de Jésus-Christ étendu sur les idolâtres s'y sont accomplies
en les amenant dans mie nouvelle idolâtrie ; les Ambroises, les Augustins, les
Jérômes, les Grégoires de Nazianze, les Basiles, et les Chrysostomes, que tous
les chrétiens ont respectés jusqu'ici
268
comme les docteurs de la vérité, ne sont pas seulement les
sectateurs, mais encore les docteurs et les maitres d'un culte impie, dont le
seul Vigilance s'est conservé pur : tant le christianisme était mal fondé, tant
le nom d'Eglise de Jésus-Christ est peu de chose dès les premiers siècles !
Pouvez-vous, mes Frères,
souffrir des ministres qui déshonorent par de tels opprobres la religion
chrétienne? Ce n'est pas le seul outrage qu'ils font à l'Eglise; et sans sortir
de la prétendue Lettre pastorale à ceux qui sont tonifiez pur les tourments,
vous y trouverez ce blasphème : « Ainsi vit-on dans les premiers siècles
l'Eglise tomber dans une apostasie semblable à la vôtre, après avoir goûté les
douceurs mortelles du règne; du grand Constantin. » O prodige inouï parmi les
chrétiens! les saints Pères ont reproché aux hérétiques qu'ils apostasiaient en
se séparant de l'Eglise : mais que l'Eglise elle-même ait apostasie, qui
l'entend sans horreur n'est pas chrétien; et vous ne pouvez regarder comme des
pasteurs ceux qui ont proféré un tel blasphème. Mais ce blasphème est
inséparable de la réformation prétendue. Pour pouvoir dire avec quelque couleur
qu'il faut sortir de l'Eglise comme d'une Babylone, il faut dire qu'auparavant
l'Eglise elle-même avait apostasie. Si on lui eût reproché de moindres crimes
que l'idolâtrie, on n'aurait pas pu arracher du cœur des fidèles la vénération
qu'ils avaient pour elle; et ce n'était que par de tels excès qu'on en pouvait
venir à la rupture.
Détestez-la donc, mes Frères, et
venez de tout votre cœur à notre imité. Commencez par la confession de vos
péchés pour en recevoir la pénitence et l'absolution, conformément à cette
parole : « Recevez le Saint-Esprit; ceux dont vous remettrez les péchés, ils
leur seront remis ; et ceux dont vous retiendrez les péchés, ils leur seront
retenus (1).» Ne croyez pas qu'il suffise, pour accomplir cette parole, devons
annoncer en général la rémission des péchés, comme faisaient les ministres,
puisque Jésus-Christ n'a pas dit : Annoncez; mais Remettez; et qu'il ne s'agit
pas de prononcer seulement en général, puisqu'il est ordonné d'user de
discernement, et de retenir aussi bien que de remettre. Mais il ne faut pas
1 Joan., XX, 22, 23.
269
s'étonner que de faux pasteurs n'osent pas agir suivant les
termes de la commission que Jésus-Christ a donnée à ses véritables ministres.
Reconnaissez, mes chers Frères, quelle est la réformation, où l'on réforme la
commission donnée par Jésus-Christ même, et où l'on ôte avec la confession et le
jugement des prêtres, le nerf de la discipline et le frein de la licence.
Ce n'est pas un moindre attentat
d'avoir retranché de l'Eglise l'imposition des mains, par laquelle on donne le
Saint-Esprit aux fidèles. Ce sacrement est prouvé par ces paroles expresses des
Actes : «Quand les apôtres qui étaient à Jérusalem curent appris que ceux
de Samarie avaient reçu la parole de Dieu, ils leur envoyèrent Pierre et Jean,
qui étant venus, firent des prières pour eux, afin qu'ils reçussent le
Saint-Esprit. Car il n'était point encore descendu sur eux, et ils avaient
seulement été baptisés au nom du Seigneur Jésus. Mais alors ils leur imposèrent
les mains, et ils reçurent le Saint-Esprit (1).» Il a plu aux nouveaux
réformateurs de décider de leur autorité et sans aucun témoignage de l'Ecriture,
que ce sacrement, quoique administré dans tous les siècles et réservé selon la
pratique des apôtres aux évêques leurs successeurs, n'était dans l'Eglise que
pour un temps. Sous prétexte que le Saint-Esprit ne descend plus visiblement,
ils ont prétendu qu'il ne descendait plus du tout, et que cet te cérémonie était
inutile. Ils auraient pu prétendre avec autant de raison, qu'à cause que Satan
n'afflige plus comme autrefois visiblement en leur chair ceux que l'Eglise lui
livre (2), elle a perdu le pouvoir de les lui livrer par ses censures. Ne le
croyez pas, nies frères, et ne soyez pas plus sages que toute l'antiquité.
Apprenez soigneusement de vos pasteurs quel est l'effet de ce sacrement, et du
saint chrême que nous bénissons à l'exemple de nos pères dès l'origine du
christianisme. Vous devriez déjà nous avoir demande avec ardeur un sacrement qui
vous est si nécessaire pour fortifier votre foi naissante. Venez, mes Frères,
venez le recevoir de nos mains; venez, vous qui êtes proche : désirez, vous qui
êtes loin, et j'irai vous porter ce don céleste.
Mais surtout préparez-vous à
faire la pâque, et à manger la
1 Act., VIII, 14-17. — 2 I Cor.,
V, 4, S.
270
chair adorable de l’Agneau sans tache, qui ôte le péché
du monde. Qu'y a-t-il de pins désirable que d'exercer le droit de l'Epouse,
de jouir du corps sacré de l'Epoux céleste ; de lui livrer le sien, afin qu'il
le sanctifie ; et de s'unir à lui corps à corps, cœur à cœur, esprit à esprit,
afin d'être « consommé en un » avec lui (1), d'être « os de ses os et chair de
sa chair (2), » et enfin « deux clans une même chair, » et tout ensemble dans «
un même esprit » avec Jésus-Christ (3)? Ce n'est pas seulement l'esprit, c'est
le corps qu'il faut préparer au corps de Jésus. Car depuis que le Verbe a été
fait chair, le corps qu'il a pris est le moyen de nous unir à sa divinité ; et
pour consommer le mystère, c'est aussi en s'unissant à nos corps que le Fils de
Dieu fait passer sa grâce et sa vertu dans nos âmes. Courez donc avidement au
corps du Sauveur : qu'aurez-vous à désirer davantage, quand vous y aurez trouvé
avec la divinité et toute la personne de Jésus-Christ, la source de la grâce et
de la vie?
Il a dit : « Qui me mange, vivra
pour moi. » Il a dit : « Qui mangera de ce pain, aura la vie éternelle. » Il a
dit : « Le pain que je donnerai, c'est ma chair que je donnerai pour la vie du
monde (4). » Quelle autre grâce recevrait-on avec le sang précieux? Et qui ne
voit que l'un et l'autre, et les deux ensemble, ont une seule et même vertu? Ne
devez-vous pas être contents de communier comme la pieuse antiquité communiait
les malades, comme saint Ambroise a communié en mourant, comme saint Cyprien et
les autres Saints ont communié les enfants, comme les martyrs ont communié dans
leurs maisons et les solitaires dans leurs retraites ; comme plusieurs Saints
ont entendu que Jésus-Christ avait communié les deux disciples d'Emmaüs ; comme
les adversaires eux-mêmes communient ceux qui ont répugnance au vin, et ne
croient pas les priver du sacrement de Jésus-Christ, encore qu'ils en fassent
consister toute la vertu dans les espèces? Combien plus doit-on être content
d'une seule espèce dans l'Eglise catholique. où la force du sacrement est mise
en Jésus-Christ même? Croyez-vous que l'Eglise, cette bonne Mère, voulût priver
1 Joan., XVII, 23. — 2 Ephes.,
V, 30. — 3 I Cor., VI, 16, 17. — 4 Joan., VI, 52, 58, 59.
271
ses enfants de la grâce d'un sacrement dont elle connaît si
bien les douceurs et la vertu? Ou que Jésus-Christ, qui lui a promis d'être
toujours avec elle, l'eût permis ? Sur la foi de cette promesse M. Claude
demeure d'accord qu'il y a toujours « une Eglise qui publie la foi, une Eglise à
qui Jésus-Christ a donné un ministère extérieur, et par conséquent une Eglise
qui a un extérieur et une visibilité (1).» Il avoue qu'il faut reconnaître en
vertu de cette promesse, « une subsistance perpétuelle du ministère dans un étai
suffisant pour le salut des élus de Dieu (2), pour édifier le corps de Christ et
pour amener tous ses élus et ses vrais fidèles à la perfection (3). » S'il leur
manque quelque chose d'essentiel à un aussi grand sacrement que celui de la
communion, le ministère est-il suffisant au salut et à la perfection des
fidèles? Est-ce être dans cet état, que de ne recevoir un tel sacrement qu'en
violant le commandement de Jésus-Christ? C'est une vérité constante entre nous
et les ministres, que l'Eglise ne peut pas être où les sacrements ne sont pas.
Si donc les deux espèces sont absolument nécessaires à chaque fidèle, si le
sacrement ne subsiste que dans la distribution de toutes les deux, les ministres
devraient dire que tant qu'on n'a donné qu'une seule espèce, l'Eglise a été sans
le sacrement de la Cène. Ils n'osent le dire néanmoins : ils sont forcés
d'avouer qu'on se sauvait parmi nous du moins avant leur réformation, et que la
vraie Eglise y était. Il faut donc qu'ils avouent nécessairement que le
sacrement de la Cène y était aussi, et par conséquent qu'il subsiste dans toute
sa perfection en ne distribuant qu'une seule espèce.
C'est aussi ce que M. Claude
reconnaît d'une manière à ne laisser aucun doute à ceux qui le voudront lire
attentivement. Voici comme il définit l'Eglise : « L'Eglise et les vrais fidèles
qui font profession de la vérité et de la piété chrétienne, et d'une véritable
sainteté, sous un ministère qui lui fournit les aliments nécessaires pour la vie
spirituelle, sans lui en soustraire aucun (5) » Il n'y a rien de plus
essentiel à l'Eglise que ce qui entre dans
1 Voy. le Traité de la Commun, sous les deux espèces.
— 2 Rép. au disc. de M. de Cond., quest. IV, p. 102. — 3 Ibid., p.
105.— 4 Ibid.. p. 109. — 5 Ibid., p. 129.
272
sa définition. Il entre dans la définition de l'Eglise
qu'elle soit sous un ministère, c'est-à-dire sous des pasteurs qui lui
fournissent tous les aliments nécessaires pour la vie spirituelle, sans lui en
soustraire aucun. Ce ministre convient sur ce fondement (1), et tous les
ministres en sont d'accord, qu'au moins jusqu'à la réformation prétendue, on
faisait son salut sous le ministère des pasteurs latins et de l'Eglise romaine,
et que la véritable Eglise y était encore. Elle était donc sous un ministère
qui lui fournissait tous les aliments nécessaires, sans lui en soustraire
aucun, lors même qu'on avait cessé de donner la coupe, et la coupe ne peut
pas être comptée parmi ces aliments nécessaires à la vie spirituelle.
Venez donc, mes chers Frères,
venez au banquet sacré de l'Eglise ; et n'en faites pas consister la perfection
dans les deux espèces, puisque les ministres mêmes sont forcés à reconnaître
qu'on vous donne sous une seule tout l'aliment nécessaire à la vie spirituelle,
sans vous en soustraire aucun. En effet quel sujet auriez-vous de douter? Sur la
foi de l'Eglise vous vous contentez de votre baptême, encore que vous l'ayez
reçu dans l'enfance sans l'autorité de l'Ecriture, et d'une manière, à ne
regarder que la lettre, si différente de celle que Jésus-Christ a ordonnée,
qu'il a lui-même observée le premier, et où ses apôtres ont mis la mystérieuse
représentation de notre sépulture aussi bien que noire résurrection avec
Jésus-Christ. Vous entendez bien que je parle de l'immersion pratiquée dans le
baptême durant tant de siècles, et comprise dans ces paroles de Notre-Seigneur :
Baptisez, c'est-à-dire plongez, et mettez entièrement sous les eaux. Si
sur la foi de l'Eglise vous êtes en repos de votre baptême, reposez-vous sur la
même foi de votre communion, et ne vous privez pas de tout le sacrement sous
prétexte d'en désirer une partie. C'est le comble de mes vœux de vous voir à la
sainte table consommer le mystère de votre paix et de votre réconciliation avec
l'Eglise. Mais de peur que vous n'y mangiez votre jugement, et que faute de
discerner le corps du Seigneur vous ne vous en rendiez coupables, nous désirons,
autant qu'il sera possible, de vous
1 Rép. au disc. de M. de Cond., quest. IV, p. 130 et
suiv.
273
préparer nous-même à ce céleste banquet ; et nous irons de
paroisse en paroisse vous donner les instructions et les conseils nécessaires.
Au reste nous ne demandons pas des perfections extraordinaires. Pourvu qu'où
apporte à l'Eucharistie une ferme foi, une conscience innocente et une sainte
ferveur, nous supporterons les restes de l'infirmité, nous souvenant de cette
pâque d'Ezéchias, dont nous vous avons parlé au commencement de cette
Instruction. Plusieurs de ceux qui étaient revenus du schisme, n'avaient pas été
sanctifiés autant qu'il était requis pour faire la pâque : mais Ezéchias pria
pour eux, en disant : « Le Seigneur, qui est bon, aura pitié de ceux qui
recherchent de tout leur coeur le Dieu de leurs pères, et ne leur imputera pas
de ce qu'ils ne sont pas assez purifiés : et le Seigneur l'écouta, et il
s'apaisa sur le peuple (1).» Pourvu donc que revenus à Dieu de tout votre cœur,
vous le serviez dans le même esprit que vos pères dans l'Eglise où ils l'ont
servi, ce qui manque à votre foi encore infirme sera suppléé par la médiation de
Jésus-Christ, dont Ezéchias était la figure; et la sainte Eucharistie sera votre
force.
En attendant, mes chers Frères,
fréquentez les instructions et les catéchismes : envoyez-y vos enfants. Que je
n'entende plus dire qu'il y en ait parmi vous qui s'en éloignent, « de peur,
comme dit l'Apôtre, que ne vous trouvant pas tels que je vous souhaite, vous ne
me trouviez pas aussi tel que vous souhaitez (2). » Répondez-moi, mes Frères : «
Lequel des deux voulez-vous, que j'aille à vous avec la verge ou avec l'esprit
de douceur (3) ? S'il vous reste quelque scrupule, venez à nous avec confiance :
à toute heure nous serons prêts à vous écouter, « et à vous donner non-seulement
l'Evangile, mais encore notre propre vie, parce que vous nous êtes devenus
très-chers (4). » Ainsi vous serez sur la terre ma consolation et ma joie, et
vous serez ma couronne au jour de Notre-Seigneur (5). Je sais que quelques
esprits artificieux tâchent secrètement de vous inspirer la dissension, et vous
annoncent des changements et des victoires imaginaires de la religion que vous
avez quittée. Au défaut de toute apparence , l’Apocalypse ne leur
1 II Paral., XXX, 18, 19. — 2 II
Cor., XII. 20. — 3 I Cor., IV. 21. — 4 I Thessal., II, 8. —
5 Ibid., 19, 20.
274
manque pas, et ils font trouver tout ce qu'ils veulent aux
esprits crédules dans ses obscurités. Mais sans vouloir faire le prophète, j'ose
bien vous dire avec confiance qu'un changement si inespéré arrivé dans tout le
royaume, ressent trop visiblement la main de Dieu pour n'être pas soutenu, et
que la piété du roi, visiblement protégé de Dieu, mettra fin à ce grand ouvrage.
L'œuvre de la réunion s'achèvera, œuvre de charité et de paix, « qui tournera le
cœur des pères vers les enfants, et le cœur des enfants vers les pères (1), »
c'est-à-dire qui fera revivre la foi de nos pères dans leurs enfants longtemps
séparés de leur unité, et ramènera les enfants à l'Eglise où leurs pères ont
servi Dieu, où leurs os reposent en paix, et où ils attendent la résurrection
des justes.
Donné à Claye, le dimanche
vingt-quatrième jour du mois de mars, mil six cent quatre-vingt-six.
+ J. BÉNIGNE, E.
de Meaux.
Par
monseigneur,
LEDIEU.
1 Malach., IV, 6.
FIN DE LA LETTRE
PASTORALE SUR LA COMMUNION PASCALE.
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