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INSTRUCTION PASTORALE
SUR LES PROMESSES DE L'EGLISE,
Pour montrer aux Réunis par
l'expresse parole de Dieu, que le même principe qui nous fait chrétiens nous
doit aussi faire catholiques.
Jacques-Bénigne par la
permission divine Evêque de Meaux : au clergé et au peuple de notre diocèse,
Salut et bénédiction.
Le saint travail de l'Eglise
pour enfanter de nouveau en Noire-Seigneur ceux qu'elle a perdus dans le schisme
du dernier siècle, est l'effort commun de tout le corps mystique de Jésus-Christ
: tous les fidèles y ont part selon leur état et leur vocation ; et nous nous
sentons obligé à vous exposer, mes chers Frères, comment chacun de nous y doit
contribuer.
Nous donc, avant toutes choses,
vous qui êtes obligés à les instruire, ne vous jetez point dans les contentions
où se mêle l'esprit d'aigreur : avertissez-les avec saint Paul, « de ne se point
attacher à des disputes de paroles qui ne sont bonnes qu'à pervertir ceux qui
écoutent (1). » Exposez-leur la sainteté de notre doctrine, si irréprochable en
elle-même, qu'on n'a pu l'attaquer qu'en la déguisant, et faites-leur aimer
l'Eglise en leur proposant les immortelles promesses qui lui servent de
fondement.
Il y a de deux sortes de
promesses: les unes s'accomplissent visiblement sur la terre; les autres sont
invisibles, et le parlait accomplissement en est réservé à la vie future. «
L'Eglise sera glorieuse, sans tache et sans ride (2): » éternellement heureuse
avec son Epoux, dans ses chastes embrassements « où Dieu sera tout en tous (3).
» c'est ce que nous ne verrons qu'au siècle futur :
1 II Timoth., II, 14. — 2
Ephes., V, 27. — 3 I Cor., XV, 28.
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mais en attendant, l'Eglise sera sur la terre « établie sur
le fondement des apôtres et des prophètes, et sur la pierre angulaire, qui est
Jésus-Christ (1). » Les vents souffleront, les tempêtes ne cesseront de s'élever
(2), l'enfer frémira par toutes sortes de tentations, de persécutions,
d'impiétés, d'hérésies, sans qu'elle puisse être ébranlée, ni sa succession
visible interrompue d'un moment : c'est ce qu'on verra toujours de ses yeux, et
un objet si merveilleux ne manquera jamais aux fidèles.
Saint Augustin a remarqué en
plusieurs endroits (3) que ces deux sortes de promesses sont subordonnées : les
premières servent d'assurance aux secondes; je veux dire que ce qu'on voit
s'accomplir sensiblement sur la terre, rassure les plus incrédules sur ce qu'on
ne doit voir que dans le ciel. Dieu accomplit dans son Eglise ce qui y doit
paraître dans le temps : il n'accomplira pas moins ce qui ne nous doit être
découvert qu'au ciel dans l'éternité. La foi chrétienne est établie sur
l'enchaînement immuable de ces deux espèces de promesses : et révoquer en doute
cette liaison, c'est vouloir ôter au fidèle un gage de sa foi, que Jésus-Christ
a voulu lui donner.
Pour rendre cette vérité
sensible aux plus incrédules, représentez-leur, mes chers Frères, ce jour qui
fut le dernier où Jésus-Christ parut sur la terre : lorsque prêt à monter aux
cieux à la vue de ses disciples, avant que de les quitter et d'aller prendre sa
place à la droite de son Père, il fit le plan de son Eglise ; et il en prédit,
parlons mieux, il en régla la destinée sur la terre (qu'on me permette ce mot),
en lui promettant une double universalité, l'une dans les lieux, et la seconde
dans les temps.
Considérez, mes chers Frères, et
faites considérer aux errants, non seulement les promesses de Jésus-Christ, mais
encore la clarté des paroles qu'il a choisies pour les exprimer; en sorte qu'il
ne peut rester aucun doute de sa pensée : il lui promettait premièrement qu'elle
s'étendrait par toutes les nations, et pour ne nous rien cacher, il a voulu
exprimer que ce serait « en commençant par Jérusalem : » incipientibus in
Jerosolyma (4).
1 Ephes., II, 19, 20. — 2
Matth., VII, 20. — 3 Serm. CCXXXVIII, n. 3, etc.— 4 Luc.,
XXIV, 47.
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Saint Luc, de qui nous tenons
ces paroles, leur donne leur vraie étendue, lorsqu'il fait dire à Notre-Seigneur
: « Vous serez mes témoins dans Jérusalem et dans toute la Judée et la Samarie,
et jusqu'aux extrémités de la terre : Et usque ad ultimum terrœ (1). »
On voit ici selon la remarque de
saint Augustin, que l'Evangile devait s'avancer comme de proche en proche,
depuis Jérusalem jusqu'aux derniers confins du monde; il donne d'abord « la paix
à ceux qui sont près (2) : » aux héritiers des promesses, et à la terre chérie,
c'est-à-dire, à Jérusalem et à la Judée, et il l'étend dans la suite à tous les
Gentils, c'est-à-dire jusqu'aux nations les plus éloignées des promesses et de
l'alliance : Vobis, qui longè fuistis.
Samarie était entre deux, la
plus proche du Testament après la Judée, puisqu'elle connaissait Dieu et qu'elle
attendait le Christ: tout s'accomplissait aux yeux des fidèles dans l'ordre que
Jésus-Christ avait promis: on vit dans Jérusalem les heureux commencements de
l'Eglise : les fidèles « dispersés en Judée et en Samarie (3), » dans la
persécution où saint Etienne fut lapidé, y annoncèrent l'Evangile; et ce fut le
second progrès de l'Eglise, ainsi que Jésus-Christ l'avait marqué. Le reste des
peuples n'étaient pas des peuples, et la connaissance de Dieu leur était
entièrement étrangère: et toutefois l'Evangile y devait être porté, afin que
ceux « qui étaient les plus éloignés se vissent rapprocher par le sang de
Jésus-Christ (4). »
Alors donc furent accomplis aux
yeux de tous les fidèles les anciens oracles sur la conversion des Gentils, dont
les Psaumes et les Prophètes étaient pleins ; et en même temps fut révélé ce
grand secret, dont le parfait dénouement était réservé à la prédication de saint
Paul, « que le Christ devait souffrir, et que c'était lui qui le premier de tous
les hommes devait annoncer la lumière, non-seulement au peuple, mais encore aux
Gentils, après être ressuscité des morts (5). »
Une conversion si universelle
des peuples les plus éloignés et les plus barbares après un si long oubli de
Dieu, au nom et par
« Act., I, 8. — 2 Ephes.,
II, 17. — 3 Act., VIII, 1. — 4 Ephes., II, 13.— 5 Act.,
XXVI, 23.
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la vertu de Jésus-Christ crucifié et ressuscité, faisait
dire aux spectateurs d'un si grand ouvrage, que vraiment Jésus-Christ était
tout-puissant pour accomplir ce qu'il promettait; et que si par un miracle si
visible il réunissait si rapidement tous les peuples de l'univers pour croire en
son nom, il pou voit bien les réunir un jour pour être éternellement heureux
dans la vision de sa face.
Mais la seconde partie de la
promesse de Jésus-Christ est encore plus remarquable. Revenons à ce dernier
jour, où en formant son Eglise par la commission qu'il donnait a ses apôtres
avec les paroles qu'on a entendues, il continua ainsi son discours : « Toute
puissance m'est donnée dans le ciel et sur la terre : allez donc : enseignez les
nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, leur
apprenant à garder toutes les choses que je vous ai commandées. Et voilà, je
suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles » Ces paroles
n'ont pas besoin de commentaire. Ce qu'il dit est grand et incroyable, qu'une
société d'hommes doive avoir une immuable durée, et qu'il y ait sous le soleil
quelque, chose qui ne change pas: mais il donne aussi à sa parole cet immuable
fondement: « Toute puissance m'est donnée dans le ciel et sur la terre : » allez
donc sur cette assurance où je vous envoie aujourd'hui, et portez-y par
l'autorité que je vous en donne le témoignage de mes vérités : vous ne
demeurerez pas sans fruit : vous enseignerez, nous baptiserez : vous établirez
des églises par tout l'univers. Il ne faut pas demander si le nouveau corps, la
nouvelle congrégation. c'est-à-dire la nouvelle Eglise que je vous ordonne de
former de toutes les nations, sera visible, étant comme elle doit l'être,
visiblement composée de ceux qui donneront les enseignements et de ceux qui les
recevront, de ceux qui baptiseront et de ceux qui seront baptisés : et qui ainsi
distingués de tous les peuples du inonde par la prédication dénies préceptes et
par la profession de les écouter, le seront encore plus sensiblement par le
sceau sacré d'un baptême particulier au nom du Père et du Fils et du
Saint-Esprit.
1 Matth., XXVIII, 18-20.
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Cette Eglise clairement rangée
sous le même gouvernement, c'est-à-dire sous l'autorité des mêmes pasteurs; sous
la prédication et sous la profession de la même foi et sous l'administration des
mêmes sacrements, reçoit par ces trois moyens les caractères les plus sensibles
dont on la put revêtir. Quelle est belle cette Eglise avec les trois manques de
sa visibilité ! Mais pour en concevoir le dernier trait, voyons comment
Jésus-Christ en marquera la durée, et s'il ne l'explique pas aussi clairement
qu'il a fait tout le reste. Il s'agit de l'avenir : mais cette phrase : Et
voilà, le rend présent par la certitude de l'effet : Je suis avec vous ; c'est
une autre façon de parler consacrée en cent endroits de l'Ecriture, pour marquer
mie protection assurée et invincible de Dieu.
« Le Seigneur est avec vous, ô
le plus courageux de tous les hommes! Si le Seigneur est avec nous, reprit
Gédéon, d'où vient que nous nous voyons accablés de tant, de maux? Allez avec ce
courage, vous délivrerez Israël de la main des Madianites. Comment le
délivrerai-je, puisque nia famille est la dernière de la tribu de Manassès, et
que moi-même je suis le dernier de la maison de mon père? Je serai avec vous,
lui dit le Seigneur; et vous détruirez Madian comme si ce n'était qu'un seul
homme (1). » Ce mot : Je suis avec vous, tient lieu de tout, et il n'y a
secours ni puissance qu'il ne contienne. « Quand je marcherais, disait David, au
milieu de l'ombre de la mort, je ne craindrai aucun mal, parce que vous êtes
avec moi (2). » Cent passages de cette sorte, dans toutes les pages de
l'Ecriture, nous marquent cette expression comme la plus claire pour exclure
tout sujet de crainte : « Quand vous passerez par les eaux, je serai avec vous,
et les fleuves ne vous couvriront pas: vous marcherez au milieu des feux
ardents, sans que leur ardeur vous blesse (3) : » nul complot, nul accablement,
nulle persécution ne pourra vous nuire: déliez hardiment tous vos ennemis,
dites-leur avec le Prophète: «Tenez conseil, et il sera dissipé : parlez
ensemble pour conspirer notre perte; il ne s'en fera rien, parce que le Seigneur
est avec nous (4).» Mais qu'est-ce encore : Avec vous, dans la promesse
de Jésus-Christ? Avec vous, « enseignants et baptisants : » ceux qui veulent
1 Judic, VI, 11, 13-16. — 2 Psal. XXII,
4. — 3 Isa., XLIII, 2. — 4 Ibid., VIII, 10.
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être « enseignés de Dieu (1) » n'auront qu'à vous croire,
comme ceux qui voudront être baptisés n'auront qu'à s'adresser à vous.
Mais peut-être que cette promesse : Je suis avec vous,
souffrira de l'interruption? Non : Jésus-Christ n'oublie rien : « Je suis avec
vous tous les jours. » Quelle discontinuation y a-t-il à craindre avec des
paroles si claires? Enfin de peur qu'on ne croie qu'un secours si présent et si
efficace ne soit promis que pour un temps : « Je suis, dit-il, avec vous tous
les jours jusqu'à la fin des siècles : » ce n'est pas seulement avec ceux à qui
je parlais alors que je dois être, c'est-à-dire avec mes apôtres. Le cours de
leur vie est borné ; mais aussi ma promesse va plus loin, et je les vois dans
leurs successeurs. C'est dans leurs successeurs que je leur ai dit : « Je suis
avec vous : des enfants naîtront au lieu des pères : » Pro patribus nati sunt
filii (2). Ils laisseront après eux des héritiers : ils ne cesseront de se
substituer des successeurs les uns aux autres, et cette race ne finira jamais.
Mais, dira-t-on, pourquoi vous
restreignez-vous à dire que les erreurs seront toujours exterminées dans
l'Eglise, et que n'assurez-vous aussi qu'il n'y aura jamais de vices?
Jésus-Christ est également, puissant pour opérer l'un et l'autre. Il est vrai :
mais il faut savoir ce qu'il a promis. Loin de promettre qu'il n'y aurait que
des saints dans son Eglise, il a prédit au contraire «qu'il y aurait des
scandales dans son royaume et de l'ivraie dans son champ, et même qu'elle y
croîtrait mêlée avec le bon grain jusqu'à la moisson (3). » On sait les autres
paraboles, et «les poissons de toutes les sortes pris dans les filets » avec une
telle multitude, que la nacelle où il pêchait en « était presque submergée (4) :
» mais sans empêcher néanmoins qu'elle n'arrivât heureusement au rivage. C'est
là une des merveilles de la durée de l'Eglise, que le grand nombre de ceux qui
la chargent n'empêchera pas qu'elle ne subsiste toujours. Ainsi on verra
toujours des scandales dans le sein même de l'Eglise, et le soin de les réprimer
fera éternellement une partie de son travail : mais pour ce qui est des erreurs
et des hérésies, elles en seront exterminées. Jésus-Christ ne parle
1 Joan , VI, 45. — 2 Psal. XLIV, 17. — 3 Matth.,
XIII, 25, 30, 41. — 4 Ibid., XIII, 47; Luc., V. 3. 7.
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que de la durée de la prédication et des sacrements :
allez, enseignez, baptisez; et je suis toujours avec vous, enseignants et
baptisants, comme on a vu : cependant la prédication produira son fruit :
l'Eglise aura toujours des saints, et la charité n'y mourra jamais.
Au reste le Fils de Dieu ne
borne pas au siècle présent l'union qu'il veut avoir avec ses apôtres et leurs
successeurs : il leur veut être beaucoup plus uni au siècle futur. Mais s'il
s'était contenté de dire : Je suis avec vous éternellement, on aurait pu croire
qu'il leur promettait seulement l'éternité bienheureuse qui suivra le siècle
présent : au lieu que conduisant l'effet de cette promesse jusqu'à la
consommation du monde, » sans y parler d'autre chose en cet endroit, on voit
qu'il ne donne point d'autre terme à son Eglise visible ni à la sainte société
du peuple de Dieu en ce monde, sous le régime de ses pasteurs, que celui de
l'univers. Cependant la félicité de la vie future ne nous en est pas moins
assurée, et cette promesse nous en est un gage certain, puisque si celui qui est
tout-puissant pour accomplir tout ce qu'il promet, peut conserver son Eglise en
ce lieu d'instabilité et de tentation malgré les flots et les tempêtes, à plus
forte raison saura-t-il la rendre immuablement heureuse avec ses enfants quand
elle sera arrivée au port.
De là suivent ces deux vérités,
qui sont deux dogmes certains de notre foi : l'une, qu'il ne faut pas craindre
que la succession des apôtres, tant que Jésus-Christ sera avec elle (et il y
sera toujours sans la moindre interruption comme on a vu), enseigne jamais
l'erreur, ou perde les sacrements. Car il faut juger des autres par le baptême
qui en est l'entrée et le fondement. La seconde , qu'il n'est permis en aucun
instant de se retirer d'avec cette succession apostolique, puisque ce serait se
séparer de Jésus-Christ, qui nous assure qu'il est toujours avec elle. Voilà
deux dogmes et deux fondements très-certains de notre foi, et qu'aussi le Fils
de Dieu nous a proposés en termes exprès et par des paroles qui ne pouvaient
être plus claires. Il est le seul qui a construit sur la terre un édifice
immortel, contre lequel aussi il promet ailleurs que l'enfer ne prévaudra pas
(1) : et en assurant à ses
1 Matth., XVI, 18.
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apôtres d'être « tous les jours » avec leurs successeurs
comme avec eux-mêmes « jusqu'à la fin du monde, » il ne laisse à ceux qui seront
tentés de sortir de cette suite sacrée, aucun endroit où ils puissent trouver un
légitime commencement de leur secte, ni placer une interruption, quand elle ne
serait que d’un jour ou d'un moment.
De là est venu aux hérétiques et
aux schismatiques, jusqu'à la fin du monde, ce mauvais et malheureux caractère
marqué par saint Jude : « Ce sont ceux qui se séparent eux-mêmes; » et afin de
réciter le passage entier : « Souvenez-vous, dit-il, mes bien-aimés, de ce qui a
été prédit par les apôtres de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui vous disaient
qu'aux derniers temps (dans le temps de la loi évangélique) il y aurait des
imposteurs qui suivaient leurs passions pleines d'impiétés : ce sont ceux qui se
séparent eux-mêmes : gens livres aux sens, et destitués de l'esprit de Dieu (1).
» Remarquez ici que saint Jude, un des apôtres, cite à la fois tous les apôtres
ses collègues et les compagnons de. son ministère, comme établissant tous d'un
commun accord le caractère de tous les trompeurs qui devaient paraître jusqu'à
la fin des siècles. Ce caractère est de les montrer comme « ceux qui se séparent
eux-mêmes. » Mais de qui se sépareront-ils, sinon d'un corps déjà établi et dont
l'unité est inviolable, puisqu'on donne pour marque sensible de leur imposture
la hardiesse de s’en séparer? Ils seront éternellement connus par leur
désertion; et il est clair, dit saint Jude, que c'est par ce caractère que tous
les apôtres les ont voulu désigner. Comme ils ont ouï tous ensemble
Jésus-Christ, qui leur promettait en commun « d'être tous les jours avec eux
jusqu'à la consommation des siècles, » ils ont aussi juge tous ensemble que se
séparer de cette chaîne, c'était se séparer d'avec Jésus-Christ pendant qu'il
leur promettait de son côté de ne les quitter jamais, ni eux, ni la suite de
leurs successeurs.
De là suit avec la même évidence
mi autre caractère marqué par saint Paul, de l'homme hérétique : « C'est
qu'il se condamne lui-même par son propre jugement : Proprio judicio suo
1 Jud., 17-19.
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condemnatus (1), » puisque dès lors qu'il paraît en
tête, comme le premier de sa secte, sans pouvoir nommer son prédécesseur dans le
temps qu'il commence à s'élever, il se condamne en effet lui-même comme novateur
manifeste, et il porte sa condamnation sur son front.
Or cela arrive en deux façons,
qui ont paru l'une et l'autre dans le dernier schisme. Premièrement lorsque les
évêques qui succédaient aux apôtres, sans quitter leurs sièges, renoncent à la
foi de ceux qui les y ont établis et qui les ont consacrés : secondement et
d'une manière encore plus sensible, lorsque les peuples se font un nouvel ordre
de pasteurs qui viennent d'eux-mêmes, et qu'en s'ingérant dans le ministère
sacré sans pouvoir nommer leurs prédécesseurs, ils se voient contraints pour
sauver leur entreprise, de se dire « suscités de Dieu d'une façon extraordinaire
pour dresser de nouveau l'Eglise qui était en ruine et désolation (2). »
Que veulent-ils dire par cette
désolation et cette ruine? Quoi ? qu'il y avait en général de la
corruption et du dérèglement dans les moeurs de ceux qui conduisaient le
troupeau? Ce n'est pas de quoi il s'agit, puisque cette désolation et celle
ruine qui obligeait « à dresser de nouveau l'Eglise, » regardait la foi : on
supposait donc que la foi n'était plus avec ceux qui étaient en place, ni dans
le peuple qui leur demeurait attaché, puisqu'il se fallait séparer de tout ce
corps: ou qu'étant encore avec eux selon sa promesse, on pouvait néanmoins s'en
détacher, et se faire de nouveaux pasteurs, qui dans l'ordre de la succession ne
tinssent rien des apôtres ni des successeurs des apôtres : ou qu'enfin on put
être avec Jésus-Christ, sans être avec ceux avec qui il a promis d'être
toujours.
Ceux-là donc manifestement font
une plaie à l'Eglise et une rupture dans l'unité. C'est ce qu'on a vu arriver en
Allemagne et en France au commencement du siècle passé, dans le schisme de
Luther et de Calvin. Mais ceux qui environ dans le même temps, ont rompu dans
d'autres royaumes en demeurant dans les sièges où ils se trouvaient établis
évêques, ne sont pas plus
1 Tit., III, 10, 11. — 2 Conf. de foi des Prét.
réf.
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demeures unis avec la succession apostolique, puisque tout
d'un coup ils ont renoncé à la doctrine de ceux qui les avaient consacres, et
qu'ils ont appris à leurs peuples à désavouer pareillement la foi de ceux qui
leur avaient donné le baptême. Car il faut ici remarquer que la dissension dont
il s'agissait ne regardait pas des choses indifférentes. Les réformateurs
prétendus ne reprochaient rien moins à l'Eglise et à leurs consécrateurs, qu'un
culte idolâtre, un sacrifice profane et sacrilège, un oubli de la grâce et de la
justification chrétienne, et cent autres choses qui regardent visiblement les
fondements de la foi et la substance du nom chrétien. Que leur servait donc de
garder leurs sièges, si publiquement et par expresse déclaration ils cessaient
de persister dans la foi qu'on y professait immédiatement avant eux, et qu'ils
professaient si bien eux-mêmes lorsqu'on les a installés et consacrés , que leur
changement aux yeux du soleil, et par un fait positif, est demeuré pour
constant? Il n'est pas besoin de remonter plus haut : dès ce moment la chaine
est rompue : le caractère de séparation est ineffaçable : il n'y a qu'à se
souvenir en quelle foi on était lorsqu'ils sont entrés dans leurs sièges, et
dans quelle foi ils étaient eux-mêmes.
C'est un remède éternel, préparé
par Jésus-Christ à son Eglise contre tous les schismes et contre toutes les
sectes qui y devaient naître en si grand nombre dès sa naissance et dans toute
la suite des temps; c'est là, dis-je, le vrai remède contre ce terrible Il
faut, de saint Paul, qu'on ne lit point sans un profond étonnement : « Il
faut, dit-il, qu'il y ait non-seulement des schismes, mais même des hérésies : »
Oportet et hœreses ( etiam ) hœreses esse (1) : sans les schismes, sans
les hérésies, il manquerait quelque, chose à l'épreuve où Jésus-Christ veut
mettre les âmes qui lui sont soumises, pour les rendre dignes de lui.
Jésus-Christ parois-soit à peine dans le monde ; et dès sa première entrée dans
son saint temple tant marquée dans ses prophètes, il y voulut trouver le saint
vieillard, qui expliquant à sa bienheureuse Mère, et en sa personne à son Eglise
la vraie Mère de ses enfants, les desseins de Dieu sur ce cher Fils, lui prédit
« qu'il serait en butte aux
1 I Cor., XI, 18, 19.
93
contradictions (1) : » ce qui paraît, non-seulement dans sa
vie et dans sa mort, mais encore éternellement dans la prédication de son
Evangile : en sorte que c'était là une partie nécessaire des mystères de
Jésus-Christ, d'exciter par leur simplicité, par leur majesté, parleur hauteur,
la contradiction des sens et de la faible raison humaine.
Qu'on ne s'étonne donc pas de
voir sortir du sein de l'Eglise des esprits contentieux, qui sauront lui faire
des procès sur rien : ou des curieux, qui pour paraître plus sages qu'il ne
convient à des hommes, voudront tout entendre, tout mesurer à leurs sens, hardis
scrutateurs des mystères dont la hauteur les accablera (2) : ondes hypocrites
qui avec l'extérieur de la piété séduiront les simples, et sous la peau de
brebis couvriront des cœurs de loups ravissants (3) : ou de ces « murmurateurs
chagrins et plaintifs ou querelleux : » Murmuratores querulosi (4), comme
les appelle saint Jude, qui en criant sans mesure contre les abus, pour s'ériger
en réformateurs du genre humain, se rendront, dit saint Augustin, plus
insupportables que ceux qu'ils ne voudront pas supporter : ou enfin des hommes
vains qui inventeront des doctrines étrangères pour se faire un nom dans
l'Eglise, « et emmener des disciples après eux (5). » C'est de tels esprits que
se forment les schismes et les hérésies, et il faut qu'il y en ait pour éprouver
les vrais fidèles. Mais Jésus-Christ, qui les a prévus et prédits, nous a
préparé un moyen universel pour les connaître : c'est qu'ils seront tous du
nombre de « ceux qui se séparent eux-mêmes, qui se condamnent eux-mêmes ; » de
ceux enfin qui ne croiront pas aux promesses de Jésus-Christ à l'Eglise, ni à la
parole qu'il lui a donnée d'être toujours sans interruption et sans fin avec ses
pasteurs.
Souvent ils sembleront imiter
l'Eglise en se multipliant comme elle et occupant des peuples entiers, ainsi que
les ariens pervertirent les Goths, les Vandales, les Hérules, les Bourguignons.
Car il faut encore que les fidèles éprouvent la tentation de cette vaine
ressemblance : bien plus, en durant longtemps, ils paraîtront
1 Luc., II, 31. — 2 Prov.,
XXV, 27. — 3 Matth., VII, 15. — 4 Jud., 16.— 5 Act., XX,
30.
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imiter aussi la stabilité de l'Eglise, et comme elle
pouvoir se promettre une éternelle durée. Mais l'illusion est toujours aisée à
reconnaître et à dissiper. Il n'y a qu'à ramener toutes les sectes séparées à
leur origine : on trouvera toujours aisément et sans aucun doute le temps précis
de l'interruption : le point de la rupture demeurera pour ainsi dire toujours
sanglant; et ce caractère de nouveauté, que toutes les sectes séparées porteront
éternellement sur le iront sans que cette empreinte se puisse effacer, les
rendra toujours reconnaissables. Quelques progrès que fasse l'arianisme, on ne
cessera de le ramener au temps du prêtre Arius, où l'on comptait par leurs noms
le petit nombre de ses sectateurs : c'est-à-dire huit ou neuf diacres, trois ou
quatre évêques ; en tout, treize ou quatorze personnes, à qui leur évêque et
avec lui cent évêques de Libye dénonçaient un anathème éternel, qu'ils
adressaient à tous les évêques du inonde et de qui il était reçu : c'est à ce
temps précis et marqué où l'on ramenait les ariens (1) : on les ramenait au
temps où l'on reprochait à Eusèbe de Nicomédie qu'il « croyait avoir toute
l'Eglise en sa personne » et en celles (les quatre évêques de sa faction ; au
temps où on lui disait : « Nous ne connaissons qu'Une seule Eglise catholique et
apostolique, qui ne peut être abattue par nul effort de l'univers conjuré contre
elle, et devant qui doivent tomber toutes les hérésies (2). » Ce que disait
Alexandre, évêque d'Alexandrie, dans ces premiers siècles du christianisme, se
dira éternellement, et tant que l'Eglise sera Eglise, à toutes les sectes qui se
sépareront elles-mêmes. Que Nestorius, patriarche de Constantinople, se tasse un
nom dans l'Orient, et qu'une longue étendue de pays se fasse honneur encore
aujourd’hui de le porter: on le ramènera toujours au point de la division, où il
était seul de son parti, avec un autre qu'il faisait prêcher dans Constantinople
: où personne ne le pou voit souffrir, ni l'entendre dans sa propre ville : «où
un seul évêque était opposé à six mille évêques (3) » : où la parcelle disputait
contre le tout, où une branche rompue combattait contre l'arbre et contre le
tronc d'où elle s'était arrachée. Ainsi le schisme de Dioscore,
1 Epist. I et II Alex, episc. Alex.,
ante Conc. Nic. — 2 Epist. II, ad omn. op.,
Ibid. — 3 Apol. Dalm. Ad Theod, Imper., Conc. Ephes., part. II,
inter acta cath.
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qu'on voit encore subsister, sera toujours ramené au
concile de Chalcédoine, et au temps qu'on lui disait avec une vérité manifeste
et incontestable, que tout l'Orient et tout l'Occident était uni contre lui.
C'est ainsi que l'on démontrait, quelque durée que le schisme put avoir, qu'il
commence toujours par un si petit nombre, qu'il ne mérite pas même d'être
regardé à comparaison de celui des orthodoxes. Que l'on considère toutes les
autres sectes qui se sont jamais séparées de l'Eglise ; nous mettons en fait
qu'on n'en nommera aucune, qui ramenée à son commencement, n'y rencontre ce
point fixe et marqué, où une parcelle combattait contre le tout : se séparait de
la tige : changeait la doctrine qu'elle trouvait établie par une possession
constante et paisible, et dont elle-même faisait profession le jour précédent.
Dès là il n'est pas besoin
d'aller plus loin : comme le sceau de la vraie Eglise est qu'on ne peut lui
marquer son commencement par aucun fait positif qu'en revenant aux apôtres, à
saint Pierre et à Jésus-Christ, ni faire sur ce sujet autre chose que des
discours en l'air : ainsi le caractère infaillible et ineffaçable de toutes les
sectes, sans en excepter une seule, depuis que l'Eglise est Eglise, c'est qu'on
leur marquera toujours leur commencement et le point d'interruption par une date
si précise, qu'elles ne pourront elles-mêmes le désavouer. Ainsi elles se
flatteront en vain d'une durée éternelle : nulle secte, quelle qu'elle soit,
n'aura cette perpétuelle continuité, ni ne pourra remonter sans interruption
jusqu'à Jésus-Christ. Mais ce qui ne commence point par cet endroit, ne se peut
rien promettre de durable. Les hérésies ne seront jamais de ces fleuves
continus, dont l'origine féconde et inépuisable leur fournira toujours des
eaux : elles ne sont, dit saint Augustin, que des torrents qui passent, qui
viennent comme d'eux-mêmes, et se dessèchent comme ils sont venus. La seule
Eglise catholique, dont l'état remonte jusqu'à Jésus-Christ, recevra le
caractère d'immortalité que lui seul peut donner.
Ce dogme de la succession et de
la perpétuité de l’Eglise, si visiblement attesté par les promesses expresses de
Jésus-Christ, avec les paroles les plus nettes et les plus précises, a été juge
si important, qu'on l'a inséré parmi les douze articles du Symbole
96
des apôtres, en ces termes : «Je crois l'Eglise catholique
ou universelle : » universelle dans tous les lieux et dans tous les temps, selon
les propres paroles de Jésus-Christ : « Allez, dit-il, enseignez toutes les
nations, et voilà je suis avec vous tous les jours sans discontinuation jusqu'à
la fin des siècles. » Ainsi en quelque lieu et en quelque temps que le Symbole
soit lu et récité, l'existence de l'Eglise de tous les lieux et de tous les
temps y est attestée : cette foi ne souffre point d'interruption, puisqu'à tous
moments le fidèle doit toujours dire: «Je crois l'Eglise catholique.» Quand les
novateurs, quels qu'ils soient, ont commencé leurs assemblées schismatiques,
l'Eglise était; il le fallait croire, puisqu'on disait: « Je crois l'Eglise : »
il fallait être avec elle, à peine d'être séparé de Jésus-Christ, qui a dit : «
Je suis avec vous : » en quelque temps que hors de sa communion, qui est
toujours celle des saints, on ose former des congrégations illégitimes, on est
manifestement du nombre « de ceux qui se séparent eux-mêmes, » qui se «
condamnent eux-mêmes » par leur propre et manifeste séparation.
Quand on dit que ce sont là des
formalités, et qu'il en faut venir au fond, on abuse trop visiblement de la
crédulité des simples : comme si la foi des promesses si clairement expliquée
par Jésus-Christ même et renfermée dans le Symbole, n'était qu'une formalité, ou
que ce fût une chose peu essentielle au christianisme de croire que les
novateurs, qui se séparent eux-mêmes, portent dès là leur condamnation et leur
nouveauté sur le front.
Ce défaut ne se peut couvrir par
quelque suite de temps que ce puisse être. Le schisme de Saniarie était si
ancien, que l'origine en remontait jusqu'à Roboam fils de Salomon, jusqu'à la
séparation des dix tribus, ainsi que les plus anciens docteurs l'ont remarqué
devant nous (1). Le salut des Samaritains, séparés depuis si longtemps du peuple
de Dieu, en était-il plus assuré par une origine si reculée? Point du tout; le
peuple de Dieu les a toujours mis au rang des nations les plus odieuses. L’Ecclésiastique
a nommé avec les enfants d'Esaü et de Chanaan : « Le peuple insensé qui fait sa
demeure dans Sichem (2) » c'est-à-dire les Samaritains : Jésus-Christ a confirmé
cette sentence, et les traite en effet
1 Terttull., lib.. IV cont. Marcion, cap. XXXV.— 2
Eccli., IV, 28.
97
comme insensés, en leur disant : « Vous adorez ce que vous
ne connaissez pas : pour nous nous adorons ce que nous connaissons (1).» Vous
ignorez l'origine de l'alliance: vous avez renoncé à la suite du peuple saint :
vous réclamez en vain le nom de Dieu : il n'y a point de salut pour vous: «Le
salut vient des Juifs,» et les Samaritains mêmes ne le doivent tirer que de là.
Et remarquez ces paroles : vous et nous : dans cette opposition,
Jésus-Christ ne dédaigne pas de se mettre du côté des Juifs par ce mot de
nous, parce que c'était la tige sacrée, où se conservaient et se
perpétuaient les promesses, le culte, le sacerdoce, jusqu'à ce que parût celui
qui par sa mort et par sa résurrection « devait être l'attente des peuples (2).
» Quand les dix lépreux, dont l'un était Samaritain, se présentèrent à
Jésus-Christ pour être purifiés (3), le Sauveur les renvoya tous également, et
non moins le Samaritain que les autres, aux prêtres successeurs d'Aaron, comme à
« la source de la religion » et des sacrements : matricem religionis et
fontem salutis (4), comme parlait Tertullien. Il ne servait donc de rien à
ces schismatiques que leur schisme fût invétéré, et qu'il eût duré près de mille
ans sous diverses formes : on ne l'en condamnait pas moins par le seul titre de
son origine : on se souvint éternellement de l'auteur de la division,
c'est-à-dire de «Jéroboam, qui avait fait pécher Israël (5); » et qui s'était
retiré par un attentat manifeste de la ville choisie de Dieu, c'était-à-dire de
l'Eglise et du sacerdoce établi depuis Aaron et depuis Moïse.
Le plus ancien schisme parmi les
chrétiens est celui de Nestorius ; on en vient de voir le défaut marqué dans son
commencement et dans le propre nom de son auteur que la secte porte encore :
rien ne le peut effacer. Le point de l'interruption n'est pas moins marqué dans
les autres schismes d'Orient. Il n'est pas ici question de parler des Grecs : ce
n'est point à l'Eglise de Constantinople, ni aux autres sièges schismatiques
d'Orient, que nos réformés ont songé à s'unir en se divisant de L'Eglise romaine
avec tant d'éclat et de scandale. Avouez, nos chers Frères, une vérité qui est
trop constante pour être niée. Rien ne vous accommodait dans
1 Joan., IV, 22. — 2 Genes., XLIX, 10. — 3
Luc., XVII, 12, 14, 16. — 4 Ubi suprà. — 5 III Reg., XV, 30, 34.
98
tout l'univers : tout le monde sait que ce sont les Pères
de l'Eglise grecque qui ont mis les premiers de tous au rang des hérétiques un
Aërius (1), pour avoir crues inutiles les prières et les oblations pour
l'expiation des péchés des morts, et pour d'autres points qui nous sont communs
avec eux. C'est un fait constant, que nulle adresse des protestants n'a pu
pallier. Je ne crois pas à présent que des gens sensés et de bonne foi puissent
nous objecter sérieusement que nous sommes des idolâtres, après qu'on a montré
en tant de manières que l'honneur des Saints, des reliques et des images, laisse
à Dieu tout le culte qui est dû à la nature incréée, et que loin de l'affaiblir,
elle l'augmente. Mais quoi qu'il en soit, l'Eglise d'Orient l'avait comme nous,
et le concile vu reçu dans les deux églises, en est un irréprochable témoin. Je
ne parle pas des autres dogmes du même concile, ni de ce qu'il dit si
expressément sur la présence réelle, que l'on ne peut éluder que par des
chicanes : il nous suffit à présent crue l'Eglise grecque se trouve aussi
éloignée des protestants que la latine; il demeure pour constant qu'ils ont
construit leur église prétendue par une formelle et inévitable désunion d'avec
tout ce qu'il y avait de chrétiens dans l'univers.
Aussi se sont-ils vus dès leur
origine irrémédiablement désunis entre eux-mêmes : luthériens, calvinistes,
sociniens, ont été des noms malheureux, qui ont formé autant de sectes. Les
catholiques savent se soumettre et se ranger sous l'étendard : on en a dans tous
les siècles d'illustres exemples. Il n'en est pas de la même sorte de ceux qui
ont rompu avec l'Eglise. Le principe d'union une fois perdu en se séparant
d'avec celle où tout était un auparavant, a tout mis en division ; les schismes
se sont multipliés, et n'ont pas eu de remède; car la maxime qu'on avait posée,
d'examiner chacun par soi-même les articles de la foi, mettait tout en dispute
et rien en paix. Ainsi s'étaient divisées toutes les sectes : l'arianisme, le
pélagianisme, l'eutychianisme avaient enfanté des demi-ariens, des
demi-pélagiens, des demi-eutychiens de plus d'une sorte, et ainsi des autres. On
n'a plus rien de certain, quand on a une fois rejeté le joug salutaire de
l'autorité de
1 Epiph., hœr. 65 et in nul., lib.
III.
99
l'Eglise. Les donatistes, dit saint Augustin, avaient pris
en main le couteau de division pour se séparer de l'Eglise : le couteau de
division est demeuré parmi eux; et voyez, dit le même Père, « en combien de
morceaux se sont divisés ceux qui avaient rompu avec l'Eglise : » Qui se ab
untate prœciderunt, in quot frusta divisi sunt »? N'en peut-on pas dire
autant à nos prétendus réformateurs? C'est en vain qu'ils ont voulu reprendre
l'autorité attachée au nom de l’Eglise, et obliger les particuliers à se
soumettre aux décisions de leurs synodes. Quand on a une fois détruit
l'autorité, on n'y peut plus revenir : on aura éternellement contre eux le même
droit qu'ils ont usurpé contre l'Eglise, lorsqu'ils l'ont quittée. Ainsi nulle
dispute ne finit : Dordrecht ne peut rien contre les arminiens : en se soulevant
contre l'Eglise, et réduisant à rien ce nom sacré avec les promesses de
Jésus-Christ pour son éternelle durée, les protestants se sont ôté toute
autorité, tout ordre, toute soumission : et aujourd'hui, s'ils se font justice,
ils reconnaîtront qu'ils n'ont aucun moyen de réprimer ou de condamner les
erreurs; en sorte qu'il ne leur reste aucun remède pour s'unir entre eux, que
celui de trouver tout bon, et d'introduire parmi eux la confusion de Babel et
l'indifférence des religions sous le nom de tolérance.
Il n'en faut pas davantage aux
coeurs simples et de bonne foi. Les promesses dont il s'agit sont conçues, comme
on a vu, en termes simples et très-clairs. On doit donc se déterminer en
très-peu de temps à y croire; et cette croyance enferme une claire décision de
toutes les controverses. Car si une fois il est constant que la vérité domine
toujours dans l'Eglise, tous les doutes sont résolus : il n'y a qu'à croire, et
tout est certain. Mais si après cela on veut écouter les anciens docteurs de
l'Eglise, et savoir s'ils entendent comme nous les promesses de Jésus-Christ
dont nous parlons, je veux bien entrer encore dans cette matière, et ne
craindrai point de donner à un sujet si essentiel toute l'étendue qu'il mérite.
Vous doutez du sentiment des
anciens docteurs ? Il n'y a qu’à les entendre parler à ceux qui se séparant
visiblement de l'Eglise, de
1 Serm. IV, n. 33, 34.
100
cette Eglise qui était visiblement répandue par tout
l'univers, disaient « quelle était perdue sur la terre. » C'est ainsi que
partaient les donatistes mais cette parole n'était écoutée qu'avec horreur,
comme on écoute les plus grands blasphèmes. « L'Eglise a péri, dites-vous, elle
n'est plus sur la terre. Saint Augustin leur répond : Voilà ce que disent ceux
qui n'y sont point : parole impudente. Elle n'est pas, parce que vous n'êtes pas
en elles? C'est, poursuit-il, une parole abominable, détestable, pleine de
présomption et de fausseté, destituée de toute raison, de toute sagesse, vaine,
téméraire, insolente, pernicieuse : Abominabilem, detestabilem, vanam,
temerariam, praecipitem, perniciosam (1), etc. » Pourquoi tous ces titres à
cette erreur? C'est qu'elle dément Jésus-Christ, qui a promis à l'Eglise,
non-seulement des jours éternels au siècle futur, mais encore dans cette vie des
jours qui seront courts, à la vérité, puisque tout ce qui n'est pas éternel est
court, mais qui dureront néanmoins jusqu'à la fin du monde
Le même saint Augustin fait
ainsi parler l'Eglise avec le même Psalmiste : « Annoncez-moi la brièveté de mes
jours ; » voyons à quels termes vous avez voulu les réduire : Paucitatem
dierum meorum annuntia mihi « Mais, continue-t-elle, pourquoi ceux qui se
séparent de mon unité murmurent-ils contre moi? Pourquoi ces hommes perdus
disent-ils que je suis perdue? Ils osent dire que j'ai été, et que je ne suis
plus : parlez-moi donc, ô Seigneur, de la brièveté des jours que vous m'avez
destinés sur la terre. Je ne vous interroge point ici sur ces jours perpétuels
de l'autre vie : ils seront sans tin dans le séjour éternel où je serai; » ce
n'est point de cette durée dont je veux parler : « je parle des jours temporels
que j'ai à passer sur la terre : annoncez-les-moi encore un coup; parlez-moi,
non point » de l'éternité dont je jouirai dans le ciel, mais des jours passagers
et brefs que je dois avoir dans ce monde. « Parlez-en pour l'amour de ceux qui
disent : Elle a été, et elle n'est plus. Elle a apostasie, et L'Eglise est périe
dans toutes les nations. Mais qu'est-ce que Jésus-Christ m'annonce sur cela? Que
me promet-il? Je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles. »
1 August., in Psal. CI, serm.
II, n. 8. — 2 Ibid., n. 9.
101
Voilà donc deux vies bien
distinctement promises à l'Eglise : l'une dans le ciel, éternelle et vraiment
longue, puisqu'il n'y a rien de long que ce qui n'a point de fin ; l'autre
temporelle et courte en effet, puisqu'elle aura une fin, mais à qui Jésus-Christ
n'en donne point d'autre que celle des siècles.
Ailleurs le même Père applique à
l'Eglise cette parole du même Psalmiste : « Il a appuyé la terre sur sa fermeté
; elle ne branlera point aux siècles des siècles : » Fundavit terram super
firmitatem suam, non inclinabitur in saeculum saeculi (1). « l'ar la terre,
dit saint Augustin, j'entends l'Eglise; » et dans la suite: « Où sont ceux qui
disent que l'Eglise est périe dans le inonde, elle qui, loin de tomber, ne peut
pas même pencher pour peu que ce soit, ni jamais être ébranlée (2)?» Pourquoi? A
cause qu'étant appuyée sur le ferme fondement de la promesse de Jésus-Christ, «
elle est prédestinée pour être la colonne et le soutien de la vérité :
Praedestinata est columna et firmamentum veritatis (3), » qui est, comme on
sait, une parole de saint Paul (4), où l'Apôtre donne ce nom à l'Eglise.
C'est d'une Eglise visible, où
il faut « converser avec les hommes » et édifier le peuple de Dieu, que saint
Paul a voulu parler : c'est d'mie Eglise visible que saint Augustin entend cette
parole, et la chimère de l'Eglise invisible n'était pas connue de ce temps.
De là vient que le même Père
enseigne aussi qu'on ne se trompe jamais en suivant l'Eglise. « C'est là,
dit-il, qu'on écoute et qu'on voit : celui qui est hors de l'Eglise, n'entend ni
ne voit : celui qui est dans l'Eglise n'est ni sourd ni aveugle : Extra illa
qui est, neque videt neque audit : in illà qui est, nec surdus nec cœcus est
(5). » Mais de peur qu'on ne s'imagine que l'instruction que donne l'Eglise ne
dure qu'un temps, il ajoute avec le Psalmiste : « Dieu l'a fondée éternellement;
» d'où il conclut : «Si Dieu l'a fondée éternellement, craignez-vous que le
firmament ne tombe, ou que la fermeté même ne soit ébranlée? »
Aussi donne-t-il toujours le sentiment de l'Eglise pour une
1 In Psal. CIII, 5, serm., I, n.
17. — 2 Serm. II, n. 5. — 3 Serm. I, n. 17.— 4 I Timoth., III, 15. — 5
In Psal. XLVII,
n. 7.
102
entière conviction rte la vérité. C'est ce qui paraît dans
un sermon admirable prononcé à Carthage le jour de la Nativité de saint
Jean-Baptiste. Il s'agissait d'établir, contre la nouvelle hérésie des
pélagiens, la vérité du péché originel par le fait constant, positif et
universel du baptême des petits enfants ; il pose pour fondement que par la
coutume de l'Eglise « très-ancienne, très-canonique, très-bien fondée (1) ; »
comme ils ont péché par autrui, c'est aussi par autrui qu'ils croient : sur ce
fondement il suppose que les enfants qu'on baptise sont rangés au nombre des
fidèles : « Je demande, dit-il aux novateurs, si Jésus-Christ sert de quelque
chose à ces nouveaux baptisés, ou s'il ne leur sert de rien? Il faut qu'ils
répondent qu'il leur sert beaucoup : ils sont accablés par le poids de
l'autorité de l'Eglise. Ils voudraient peut-être bien ne pas avouer l'utilité du
baptême des petits enfants, et leurs raisonne-mens les conduiraient là : mais
l'autorité de l'Eglise les retient, de peur que les peuples chrétiens ne leur
crachent au visage (2). » Remarquez ici le prodigieux effet de l'autorité de
l'Eglise, non-seulement dans les catholiques qui ne pouvaient souffrir qu'on en
doutât, mais encore dans les novateurs qui n'osaient la contredire. « Selon
cette autorité, poursuivait-il, un petit enfant qu'on baptise est rangé au
nombre des fidèles. L'autorité de l'Eglise notre Mère emporte cela : la règle
très-bien fondée de la vérité fait qu'on n'ose le nier. Qui voudrait s'opposer à
cette force, et employer des machines pour abattre cette inébranlable muraille,
ne l'abattrait pas, mais se mettrait soi-même en pièces. » Telle est l'autorité
de l'Eglise : c'est ainsi qu'elle est invincible et inébranlable.
Alors les nouveaux hérétiques n'étaient
pas encore condamnés, et ce sermon solennel prononcé par l'ordre des évêques
dans la métropolitaine de toute l'Afrique, fut l'avant-coureur de cette juste
condamnation. Pendant que l'Eglise les attendait avec une patience vraiment
maternelle, saint Augustin les pressait en cette sorte : « C'est ici, dit-il,
une chose fondée et établie sur un fondement immuable. On supporte ceux qui
disputent lorsqu'ils errent dans les autres questions qui ne sont pas bien
examinées, qui ne
1 Serm. CCXCIV, n. 17. — 2 Ibid.
103
sont pas encore établies par la pleine autorité de
l'Eglise. C'est alors qu'il faut supporter l'erreur : mais elle ne doit pas
s'emporter jusqu'à vouloir ébranler le fondement de l'Eglise : » c'est-à-dire,
comme on voit, la foi des promesses sur lesquelles elle est appuyée.
Puisque nous sommes sur les
pélagiens, il est bon de considérer en la personne de ces hérétiques avec quel
dédain ces sortes d'esprits parlaient de l'Eglise, et ce que leur répondaient
les orthodoxes. « C'est tout dire, disait Julien le Pélagien, la folie et
l'infamie ont prévalu même dans l'Eglise de Jésus-Christ (1)» On n'en vient à
cet excès d'impiété contre l'Eglise qu'après avoir méprisé les promesses de son
éternelle durée. Ailleurs : « La confusion se met partout : le nombre des fous
devient le plus grand, et on ôte à l'Eglise le gouvernail de la raison, afin
d'introduire un dogme vulgaire (2) : » il appelait ainsi par mépris le dogme
commun de l'Eglise; et à la manière des grands esprits faux, il affectait de se
distinguer par ses superbes singularités : il dit ailleurs dans le même esprit :
« Si la vérité trouve encore quelque place parmi les hommes, et que le monde ne
soit pas encore étourdi par le bruit de l'iniquité (3). » C'est le langage
ordinaire des novateurs : à les entendre, la vérité n'est plus sur la terre :
l'Eglise y est perdue : ils ne songent plus aux promesses qu’elle a reçues ; et
parce que le dogme contraire à celui des hérétiques y prévaut toujours, ces
superbes méprisant le peuple, dont le gros demeure attaché à ses pasteurs,
reprochent à l'Eglise « qu'elle se pare de l'autorité du vulgaire, de la lie du
peuple, des femmes, des gens de métier, des gens de néant (4). »
C'est le langage commun de tous
les hérétiques : ce fut en particulier celui de Bérenger au onzième siècle,
comme nous le dirons bientôt. Mais saint Augustin y avait déjà répondu par
avance. L'Eglise, disait-il à Julien comme aux autres, doit toujours subsister ;
et il ne faut pas s'étonner si la vérité y prévaut dans la multitude, puisque
c'est cette multitude qui a été promise à Abraham (5), laquelle par conséquent
il ne « faut point mépriser comme une troupe vulgaire. » Toute « l'Eglise est
contre vous dès son
1 August., Op. imp. cont. Jul.,
lib. I, n. 12. — 2 Ibid., lib. II, n. 21. — 3 Ibid., lib. I, n.
102. — 4 Ibid., n. 33, 42, etc. — 5 Ibid., lib. VI, n. 3.
104
commencement : » A sui initio (1), puisque dès son
commencement elle a montré par ses exorcismes et par ses exsufflations quelle
connaissait le péché originel dans les petits enfants. Il n'y a rien de plus
faible que ces raisonnements, si la croyance de l'Eglise n'est pas d'mie
certitude infaillible. « Revenez à nous, disait encore saint Augustin à Julien ;
vous n'êtes pas né de païens qui crussent la doctrine que vous enseignez, et
vous avez été régénéré dans une Eglise qui croyait le contraire (2). » Ce dogme,
poursuivait-il, que vous appelez vulgaire ou populaire à cause
qu'il est suivi de tous les peuples fidèles, est celui de saint Cyprien et de
saint Ambroise. « Mais ce n'est pas saint Ambroise ni saint Cyprien qui ont fait
entrer les peuples dans cette croyance; ils les y ont trouvés : votre père les y
a trouvés quand vous avez été baptisé petit enfant : vous avez vous-même trouvé
tels dans l'Eglise tous les peuples catholiques (3).» Qu'on remarque bien cet
argument : c'est, comme nous l'avons vu, l'argument commun de tous les
catholiques contre tous ceux qui innovent; et il faut bien que tout novateur
trouve l'Eglise dans un sentiment oppose au sien, puisque selon la promesse de
Jésus-Christ elle seule ne change jamais.
En un mot tous les ennemis de
l'Eglise lui ont marqué une fin ou du moins une interruption, et tous les
enfants de l'Eglise ont soutenu qu'elle ne verrait ni l'un ni l'autre. Les
païens lui assignaient pour toute durée 365 ans (4) : vain discours que
l'expérience avait réfuté, puisqu'elle n'avait jamais été plus affermie qu'après
ce temps écoulé. Il n'y a donc point de fin pour elle. Mais elle n'est pas moins
à couvert de l'interruption, puisque Jésus-Christ, véritable en tout, l'a
également garantie de ces deux accidents.
Je ne m'étonne pas des païens,
qui ne croient ni en Jésus-Christ ni en ses promesses. Mais il ne faut non plus
s'étonner des hérétiques, quoiqu'ils portent le nom de chrétiens, puisque
s'étant engagés à se l'aire une église et une doctrine indépendantes de celles
qu'ils trouvaient sur la terre lorsqu'ils sont venus, ils ont eu ce malheureux
intérêt de trouver une interruption dans la
1 August., Op. imp. cont. Jul.,
lib. II n. 104. — 2 Ibid., lib. IV, n. 13. — 3 Ibid., lib. II, n.
2.— 4 August., de Civil. Dei, lib. XVIII, cap. LIII, LIV.
105
suite de l'Eglise, et d'éluder les promesses de son
éternelle durée.
Il n'y a rien de plus grand ni
de plus divin dans la personne de Jésus-Christ, que d'avoir prédit d'un côté que
son Eglise ne cesserait d'être attaquée, ou par les persécutions de tout
l'univers, ou par les schismes et les hérésies qui s'élèveront tous les jours,
ou par le refroidissement de la charité (1). qui amènerait le relâchement de la
discipline; et de l'autre, d'avoir promis que malgré toutes ces contradictions,
nulle Force n'empêcherait cette Eglise de vivre toujours ni d'avoir toujours des
pasteurs qui se laisseraient les uns aux autres, et de main en main, la chaire,
c'est-à-dire l'autorité de Jésus-Christ et des apôtres, et avec elle la saine
doctrine et les sacrements. Aucun auteur de nouvelles sectes, de quelque esprit
de prophétie qu'il se vantât d'être illuminé, n'a osé dire seulement ce qu'il
deviendrait, ni ce que deviendrait le lendemain la société qu'il établissait :
Jésus-Christ a été le seul qui s’est expliqué à pleine bouche, non-seulement sur
les circonstances de sa passion et de sa mort, mais encore sur les combats et
sur les victoires de son Eglise : « Je vous ai établis, dit-il, afin que vous
alliez, et que vous fructifiiez, et que votre fruit demeure (2). » Et comment
demeurera-t-il? C'est ce qu'il fallait exprimer pour laisser aux hommes le
témoignage certain d'une vérité bien connue. Jésus-Christ n'y hésite pas, et il
énonce dans les termes les plus précis une durée sans interruption et sans autre
fin que celle de l'univers. C'est ce qu'il promet à l'ouvrage de douze pêcheurs,
et voilà le sceau manifeste de la vérité de sa parole. Il est affermi dans la
loi des choses passées en remarquant comme il a vu clair dans un si long avenir.
C'est ce qui nous fait chrétiens, mais en même temps c'est ce qui nous fait
catholiques; et on voit manifestement que la science de Jésus-Christ, si divine
et si assurée, n'a pu nous tromper en rien.
Deux choses affermissent notre
foi : les miracles de Jésus-Christ à la vue de ses apôtres et de tout le peuple,
avec l'accomplissement visible et perpétuel de ses prédictions et de ses
promesses. Les apôtres n'ont vu que la première de ces deux choses, et nous ne
1 Matth., XXIV, 12. — 2 Joan., XV, 16.
106
voyons que la seconde. Mais on ne pouvait refuser à celui à
qui l’on voyait faire de si grands prodiges, de croire la vérité de ses
prédictions, comme on ne peut refuser à celui qui accomplit si visiblement les
merveilles qu'il a promises, de croire qu'il était capable d'opérer les plus
grands miracles.
Ainsi, dit saint
Augustin, notre foi est affermie des deux côtés. Ni les apôtres, ni nous ne
pouvons douter : ce qu'ils ont vu dans la source les a assurés de toute la suite
: ce que nous voyons dans la suite nous assure de ce qu'on a vu et admiré dans
la source : mais il faut être catholique pour entendre ce témoignage. Les
hérétiques comme les païens sont contraints de le refuser ; puisqu'ils veulent
trouver dans l'Eglise de l'erreur, de l'interruption, un délaissement du côté de
Jésus-Christ, ils ne peuvent ajouter foi à la promesse de son éternelle
assistance : et on voit que ce n'est pas inutilement que le Fils de Dieu a rangé
« parmi les païens ceux qui n'écoutent pas l'Eglise (1), » puisque faute de la
vouloir écouter dans les nouveautés qu'ils proposent, ils se voient réduits à
éluder les promesses de Jésus-Christ, et à dire avec les païens que l'Eglise
comme un ouvrage humain devait tomber.
Revenons aux anciens docteurs,
et après avoir produit saint Augustin, remontons jusqu'à l'origine du
christianisme. Le même Père nous fera connaître le sentiment de saint Cyprien
par ces paroles : « Nous-mêmes, dit-il, nous n'oserions assurer ce que nous
avançons (touchant la validité du baptême des hérétiques), si nous n'étions
appuyés de l'autorité de l'Eglise universelle, à laquelle saint Cyprien (qui
soutenait le contraire avec l'ardeur que personne n'ignore) aurait lui-même cédé
très-certainement, si la vérité éclaircie eût été dès lors confirmée par un
concile universel (2). » Par où il est plus clair que le jour, non-seulement que
saint Augustin baissait la tête sous l'autorité de l'Eglise, mais encore qu'il
la tenait si inviolable, qu'il aurait cru faire mie injure à saint Cyprien, s'il
l'eût jugé capable d'y résister.
En effet il ne faut que voir
comment ce saint martyr a parlé de l'unité de l'Eglise, tant en elle-même
qu'avec ceux qui nous ont précédés dans la succession de la doctrine et des
chaires. Il y a,
1 Matth., XVIII, 17. — 2 Lib. II de Bapt.,
cap. IV, n. 5.
107
dit-il (1), dans l'Eglise catholique une tige, une racine,
une source, une force pour reproduire sans fin de nouveaux pasteurs qui
remplissent les mêmes chaires d'une seule et même doctrine : et dès là un
enchaînement d'unité et de succession, d'où l'on ne peut sortir sans se perdre.
C'est ce qu'il appelle « la tige et la racine de l'Eglise catholique : »
Ecclesiœ catholicœ radicem et matricem : « racine tenace » et inviolable,
comme il la nomme, tenaci radice, qui retient tellement les vrais fidèles
dans son unité, que « ceux qui n'ont point l'Eglise pour Mère ne peuvent avoir
Dieu pour Père : » Habere non potest Deum Patrem qui Ecclesiam non habet
Matrem (2). Cent passages de cette force, qu'il n'est pas besoin de
rapporter, parce qu'ils sont connus de tout le monde, font la matière du livre
de l’Unité de l’Eglise. Et pour faire l'application de ces beaux principes aux
hérésies particulières, le même Saint, interrogé par un de ses collègues dans
l'épiscopat ce qu'il fallait croire de « l'hérésie de Novatien, » il ne veut pas
seulement permettre « qu'on s'informe de ce qu'il enseigne, dès là qu'il
n'enseigne pas dans l'Eglise : » c'est assez qu'il soit séparé de cette tige, de
cette racine de l'unité hors de laquelle il n'y a point de christianisme : « Et,
poursuit-il, quel qu'il soit, et quelque autorité qu'il se donne, il n'est pas
chrétien, n'étant pas dans l'Eglise de Jésus-Christ : Quisquis ille est, et
qualiscumque est, christianus non est, quid in Christi Ecclesià non est (3).
» Ainsi tout ce qui est hors de l'Eglise n'est rien parmi les chrétiens ; et
l'Eglise seule est tout par rapport, à Dieu.
Il combat tous les novateurs par
cet argument, et il ne cesse de leur opposer le concert, l'accord, le concours
de toute l'Eglise catholique : Ecclesiœ catholicœ concordiam ubique
cohœrentem. « Ce n'est pas nous, dit-il, qui nous sommes séparés d'avec eux,
mais c'est eux qui se sont séparés d'avec nous : Non enim nos ab illis, sed
illi a nobis recesserunt (4). Et parce qu'ils sont nouveaux, qu'ils ont
trouvé l'Eglise en place et qu'ils sont tous venus après : Et cùm hœreses et
schismata postmodùm nata sint, leurs assemblées, les conventicules qu'ils
tiennent à part, comme il les
1 Lib. de Unit. Eccl., p. 195 ; epist. XLI, p. 55. —
2 De Unit. Eccl., p. 195. — 3 Epist. LII, ad Antonian., p. 173. —
4 De. Unit. Eccl., p. 198.
108
appelle, ne peuvent jamais se lier à la tige de l'unité :
Dùm conventicula sibi diversa constituunt, unitatis caput atqne originem
reliquerunt. »
C'est ainsi que saint Cyprien
montrait dans tous les hérétiques, comme nous faisons après lui, ou plutôt après
l'apôtre saint Jude, ce malheureux caractère «de se séparer eux-mêmes. » C'est
ainsi qu'il leur faisait voir que l'église qu'ils « tâchaient d'établir, était
une église humaine : » Humanam conantur ecclesiam facere (1), et netenait
rien de l'institution, ni des promesses de Jésus-Christ.
Pour ce qui est de la vraie
Eglise, elle est, dit-il, représentée par saint Pierre, lorsque Jésus-Christ
ayant demandé à ses disciples : « Ne voulez-vous point aussi vous retirer? cet
apôtre lui répondit au nom de tous : Seigneur, à qui irions-nous? Vous avez des
paroles de vie éternelle : » nous montrant par cette réponse, poursuit le saint
martyr, que qui que ce soit qui quitte Jésus-Christ, « l'Eglise ne le quitte
pas, et que ceux-là sont l'Eglise qui demeurent dans la maison de Dieu (2): » de
sorte que le caractère des novateurs est de la quitter, ainsi que le caractère
des vrais fidèles est d'y demeurer toujours.
En remontant un peu plus haut,
nous trouverons Tertullien que saint Cyprien appelait son maître, et qui
méritait ce nom tant qu'il est demeuré lui-même dans cette unité de l'Eglise
qu'il a tant louée. Tertullien donc, tant qu'il a été catholique, a reconnu
cette chaîne de la succession qui ne doit être jamais rompue. Selon cette règle
on connaît d'abord les hérésies par la seule date de leur commencement. «
Marcion et Valentin sont venus du temps d'Antonin (3) : » on ne les connaissait
pas auparavant ; on ne les doit donc pas connaître aujourd'hui. Ce qui n'était
pas hier est réputé dans l'Eglise comme ce qui n'a jamais été. Toute l'Eglise
chrétienne remonte à Jésus-Christ de proche en proche, et sans interruption, La
vraie postérité de Jésus-Christ va sans discontinuation à l'origine de sa race.
Ce qui commence par quelque date que ce soit, ne fait point race, ne fait point
famille, ne fait point tige dans l'Eglise. «Les marcionites ont des églises,
mais fausses
1 Epist. LII ad Anton., ibid. — 2
Epist. LV, ad Cornel., p. 83. — 3 Tertull., Praescr., n. 30.
109
et dégénérantes, comme les guêpes ont des niches (1), » par
usurpation et par attentat : on n'est point recevable à dire qu'on a rétabli ou
réformé la bonne doctrine de Jésus-Christ, que les temps précédents avaient
altérée (2): c'est l'aire injure a Jésus-Christ que de croire qu'il ait souffert
quelque interruption dans le cours de sa doctrine, ni qu'il en ait attendu le
rétablissement ou de Marcion ou de Valentin, ou de quelque autre novateur quel
qu'il soit (3). « Il n'a pas envoyé en vain le Saint-Esprit : il est impossible
que le Saint-Esprit ait laissé errer toutes les églises, et n'en ait regardé
aucune (4). » Montrez-nous-en donc avant vous une seule de votre doctrine : vous
disputez par l'Ecriture? vous ne songez pas que l'Ecriture elle-même nous est
venue par cette suite : les Evangiles, les Epîtres apostoliques et les autres
Ecritures n'ont pas formé les Eglises : mais leur ont été adressées, et se sont
fait recevoir avec « l'assistance du témoignage de l'Eglise: » Ejus
testimonio assistente (5). Ainsi la première chose qu'il faut regarder,
«c'est à qui elles appartiennent : » cujus sint Scripturae (6). L'Eglise
les a précédées, les a reçues, les a transmises à la postérité « avec leur
véritable sens (7). » Là donc où est la « source de la foi. » c'est-à-dire la
succession de l'Eglise, « là est la vérité des Ecritures, des interprétations ou
expositions , et de toutes les traditions chrétiennes (8). » Ainsi sans avoir
besoin de disputer par les Ecritures, nous confondons tous les hérétiques, « en
leur montrant sans les Ecritures qu'elles ne leur appartiennent pas, et qu'ils
n'ont pas droit de s'en servir (9). »
Cet argument est égal contre
toutes les hérésies : elles y sont toutes également convaincues : revictœ
hœreses omnes (10). On confond Praxéas, comme on avait confondu Mareion et
Valentin. Vous êtes nouveau, novellus; vous êtes venu après, posteras
vous êtes venu hier. Hesternus (11); et avant-hier on ne vous connaissait
pas. Vous n'êtes rien aux chrétiens ni à Jésus-Christ, « qui était hier et
aujourd'hui, et qui est de tous les siècles (12) : » on vous dira comme aux
autres : Pourquoi me venez-vous
1 Tertull., Adv. Marcion.,lib.
IV, n. 5.— 2 Ibid., lib. I, n. 20.— 3 Ibid., Praescr., n. 29. — 4
Prœscr., n. 28. — 5 Adv. Marc., lib.
IV, n. 2, 3. — 6 Prœscr., n. 19. — 7 Ibid., n.
20. — 8 Ibid., n. 19. — 9 Ibid., n. 37. — 10 Ibid., n. 35.
— 11 Adv. Prax., n. 2. — 12 Hebr., XIII, 8.
110
troubler? « Je suis en possession : je possède le premier :
j'ai mes origines certaines (1) : » je viens en droite ligne et de main en main
de « ceux à qui appartenait la chose : » on savait bien que vous viendriez; nous
avons été avertis qu'il s'élèverait des hérésies, et même qu'il le fallait ;
mais en même temps on nous a déclaré qui vous étiez : des gens sortis hors de la
ligne, hors de la chaîne de la succession, hors de la tige de l'unité. Une
marque de ma possession incontestable, c'est que vous-mêmes vous avez cru
premièrement comme moi, constat in catholicœ primo doctrinam credidisse
(2): et vous avez innové, non-seulement sur moi, mais encore sur vous-mêmes.
C'est l'argument que saint Alexandre, évêque d'Alexandrie, faisait tout à
l'heure aux ariens : c'est celui que saint Augustin faisait aux pélagiens :
c'est celui que Tertullien fait à Valentin et à Marcion : nous l'entendrons
faire aux disciples de Bérenger, et nous l'avons déjà fait à toutes les
hérésies.
Mais ces arguments et les autres
qu'on vient d'entendre, ne seraient qu'une illusion sans le fondement des
promesses de Jésus-Christ, en vertu desquelles l'Eglise devait subsister « tous
les jours » sans interruption, et «jusqu'à la fin des siècles» dans les apôtres
et leurs successeurs. C'est à la doctrine de ce corps apostolique qu'il a plu à
Jésus-Christ de nous appeler : mais afin que notre foi ne fût pas pour cela
fondée sur des hommes, il a promis à ceux-ci d'être toujours avec eux.
Je pourrais citer saint Irénée :
je pourrais citer Origène : pour éviter la longueur, je citerai seulement saint
Clément d'Alexandrie, maître d'Origène, qui touchait au temps des apôtres, et
qui était théologien de l'Eglise d'Alexandrie, la plus savante qui peut-être fût
dans le monde. C'est lui qui nous montrera « la voie royale » contre toutes les
hérésies (3), c'est-à-dire le grand chemin battu par nos pères : il nous
marquera « l'ancienne Eglise » qui précède toutes les sectes, et les a toutes
vues se séparer d'elle : de cette sorte elle est la seule qui mérite le nom de
l'Eglise ; les autres sectes « sont des écoles (4), » où l'on dispute; celle-ci
est « l'Eglise » où l'on croit : celui donc qui se soulève contre « les
traditions » de l'Eglise, c'est-à-dire, contre la suite et la succession,
1 Tertull., Prœscr., n. 37.—2
Ibid., n. 30. — 3 Clem., Strom., lib. VII— 4 Ibid.
111
«a cessé d'être fidèle » et a quitté la source. C'est
pourquoi tous les novateurs se contredisent eux-mêmes ; leur doctrine est
inconstante et variable, parce que, dit-il, par une curiosité pernicieuse, par
une superbe singularité, « ils méprisent les choses ordinaires ; et tâchant de
s'élever au-dessus de ce que la foi rendait commun, ils sortent du sentier de la
vérité. La gloire les aveugle, ils veulent faire une secte et une hérésie, et
surpasser ceux qui nous ont précédés dans la foi (1). » On sait leur date :
leurs auteurs dont ils portent encore les noms sont connus partout ; on sait
sous quels empereurs ils ont commencé : les lieux et les temps de leur naissance
: et il « est constant que l'Eglise catholique les a tous devancés : elle est
une comme Dieu est un : elle est ancienne , elle est catholique : tous ceux qui
l'abandonnent l'ont trouvée dans l'éminence de l'autorité, et rien ne l'égala
jamais. » La quitter, c'était quitter les apôtres et Jésus-Christ même ; et
c'est ce qu'on appelait abandonner « la tradition, » c'est-à-dire la suite
toujours manifeste de la doctrine laissée et continuée dans l'Eglise, le
principe de la vérité et la source qui coulait toujours dans la succession.
Cette doctrine manifestement
venait de l'Apôtre, lorsqu'il disait à Timothée : « Ce que vous avez ouï de moi
en présence de plusieurs témoins, laissez-le à des hommes fidèles qui soient
capables d'en instaure d'autres (2). » C'est la règle apostolique, c'est par
cette supposition que la doctrine doit aller de main en main : les apôtres l'ont
déposée entre les mains de leurs successeurs « en présence de plusieurs témoins
; » devant toute l'Eglise catholique, comme l'explique Vincent de Lérins après
saint Chrysostome (3) : pour éviter la surprise, on ne dit rien en secret : mais
ce qui est dit devant tout le monde, passe à tout le monde; de main en main ;
c'est, disait saint Chrysostome *, le trésor royal qui doit être déposé en lieu
public : de pasteur à pasteur, d'évêque à évêque on se donne les uns aux autres
la saint; doctrine : il n'y a point d'interruption, et tout cela originairement
vient de Jésus-Christ, qui disait aux apôtres et à leurs successeurs : « Je suis
toujours avec vous. » Dans cette succession la doctrine est toujours la
1 Clem., Strom., lib. VII — 2 II
Timoth., II, 2.— 3 Chrysost., in eum loc. — 4 Ibid.
112
même. C'est pourquoi la fausse doctrine dans le style de
l'Ecriture s'appelle une autre doctrine : « O Timothée, dit saint Paul, dénoncez
à certaines gens qu'ils n'enseignent point d'autre doctrine (1). » « L'Evangile
n'est jamais autre » que ce qu'il était auparavant (2) . Ainsi quelque soit le
temps où dans la foi on dise autre chose que ce qu'on disait le jour
d'auparavant, c'est toujours « l'hétérodoxie, » c'est-à-dire « une autre
doctrine » qu'on oppose à « l'orthodoxie; » et toute fausse doctrine se fera
connaître d'abord sans peine et sans discussion, en quelque moment que ce soit,
par la seule innovation, puisque ce sera toujours quelque chose qui n'aura point
été perpétuellement connu. C'est parce témoignage que la foi se rend sensible
aux plus ignorants, pourvu qu ils soient humbles : et tous les jours sont égaux
pour y trouver la vérité en possession, puisque Jésus-Christ ne dit pas qu'il
sera avec les apôtres et leurs successeurs à de certains jours, «mais tous les
jours. »
Par là s'entend clairement la vraie origine de catholique
et d'hérétique. L'hérétique est celui qui a une opinion : et c'est ce que le mot
même signifie. Qu'est-ce à dire, avoir une opinion? C'est suivre sa propre
pensée et son sentiment particulier. Mais le catholique est catholique :
c'est-à-dire qu'il est universel; et sans avoir de sentiment particulier, il
suit sans hésiter celui de L'Eglise.
De là vient qu'un des caractères
des novateurs dans la foi est, de « s'aimer eux-mêmes : » Erunt hommes
seipsos amantes : « Il y aura des hommes qui s'aimeront eux-mêmes (3), » ou
comme parle saint Jude digne d'être si souvent cité dans une lettre si courte :
« Des hommes qui se repaissent eux-mêmes : » seipsos pascentes (4) : qui
se repaissent de leurs inventions, jaloux de leur sentiment , amoureux de leurs
opinions. Le catholique est bien éloigné de cette disposition ; et sans craindre
l’inconvénient d'être jaloux de ses propres pensées, il a une sainte jalousie,
un saint zèle poulies sentiments communs de toute l'Eglise : ce qui fait qu'il
n'invente rien, et qu'il n'a jamais envie d'innover. Pour répondre aux autorités
des Saints que nous avons alléguées,
1 I Timoth. , I, 3. — 2 Galat.,
I, 7.— 3 II Timoth., III, 2. — 4 Jud., 12.
113
on dira que cet argument qu'on tire delà succession était
bon au commencement, où tout près de Jésus-Christ et des apôtres, on voyait
comme d'un coup d'œil l'origine de l'Eglise. Illusion manifeste ! Si dans la
promesse de Jésus-Christ sur la durée de son Eglise nous regardions autre chose
que la puissance divine qu'il y donne pour fondement : Toute puissance ,
dit-il, m'est donnée dans le ciel et sur la terre (1), rien ne nous
pourrait assurer contre l'altération de la doctrine : un ouvrage humain pourrait
tomber après cent ans, comme après mille ans : et les Pères du second, du
troisième, du quatrième et du cinquième siècle, dont nous avons allégué
l'autorité, se pourraient tromper comme nous dans la succession de l'Eglise et
de ses pasteurs. Mais parce que Jésus-Christ et sa parole toute-puissante sont
le fondement de notre foi, l'argument est de tous les siècles : saint Cyprien ne
le faisait pas avec moins d'assurance que saint Augustin, et avant lui
Tertullien, et avant lui Clément d'Alexandrie. On le fit à Bérenger avec la même
force après mille ans. Dès qu'il innova sur la présence réelle, on lui objecta
d'abord, comme je l'ai démontré ailleurs (2), ce fait constant, qu'il n'y avait
pas une église sur la terre, pas une ville, pas mi village de son sentiment ;
que les Grecs, que les Arméniens, et en un mot tous les chrétiens d'Orient
avaient la même foi que l'Occident : de sorte qu'il n'y avait rien de plus
ridicule que de traiter d'incroyable ce qui était cru par le monde entier.
Lui-même il avait cru comme les autres : il avait été élevé dans cette foi :
après l'avoir changée, il y était revenu par deux fois ; et sans oser nier le
fait constant de l'universalité de la croyance contraire à la sienne, il se
contentait de répliquer à l'exemple des autres hérétiques, dont nous avons vu
les réponses, « que les sages ne doivent pas suivre les sentiments ou plutôt les
folies du vulgaire (3).» Mais Lanfranc, ce saint religieux, ce savant archevêque
de Cantorbéry, et les autres lui faisaient voir que ce qu'il appelait le
vulgaire (4), c'était tout le clergé et tout le peuple de l'univers; et
après un fait si positif, sur lequel on ne craignait pas
1 Matth.,
XXVIII, 18. — 2 Hug. Lingon.; Adelm. Brix.; Ascol., Ep. ad Bereng.; Guim.,
lib. III; Lanf., de corp. et sang. Dom., cap. II, IV, XXII. etc.;
Bib. PP.; Lugd.; Hist. des Var., liv. XIV, n. 129.— 3 Ibid.
— 4 Ibid., cap. IV.
114
d'être démenti, on concluait que si la doctrine de Bérenger
était véritable, «l'héritage promis à Jésus-Christ était péri, et ses promesses
anéanties : enfin que l'Eglise catholique n'était plus ; et que si elle n'était
plus , elle n’avait jamais été (1). » domine donc en toute occasion et en tout
temps, les hérétiques tenaient le même langage, l'Eglise y opposait toujours les
mêmes promesses : l'argument loin de s'affaiblir se fortifiait ; et bien loin
qu'il fut plus clair au commencement de l'Eglise, au contraire plus elle allait
en avant, plus paraissait la merveille de son éternelle subsistance, et plus on
voyait clairement la vérité de cette sentence : « Le ciel et la terre passeront,
mais nies paroles ne passeront pas (2). »
Cent ans après Bérenger, saint
Bernard alléguait toujours la même preuve, et toujours, s'il se pouvait, avec
une nouvelle assurance. «Je vous ai tenu, disait l'Epouse, et je ne vous
quitterai point (3). » Ce Père expliquait ces paroles «par celles de la
promesse. Voilà je suis avec vous tous les jours jusqu'à la tin des siècles :
elle tient Jésus-Christ, parce qu'elle en est tenue : comment donc peut-elle
tomber (4)? » Il explique la fin des siècles Italie retour des Juifs à l'Eglise
: il faut qu'elle dure jusque-là : c'est pourquoi, poursuivait le Saint, « la
race des chrétiens n'a pas dû cesser un moment, ni la foi sur la terre, ni la
charité dans l'Eglise. Les fleuves se sont débordés, les vents ont soufflé (5),
» et sont venus fondre sur elle; mais « elle n'est point tombée, parce qu'elle
était fondée sur la pierre, qui est Jésus-Christ, » et sur sa promesse
inviolable : « ainsi elle n'a pu être séparée d'avec Jésus-Christ, ni par les
vains discours des philosophes, ni par les suppositions des hérétiques, ni par
l'épée des persécuteurs. » Fondé sur cette promesse, il oppose aux novateurs de
son temps, comme on avait toujours fait, «l'autorité de l'Eglise catholique, »
et les Pères qui y ont toujours enseigné la vérité, et les papes et les conciles
toujours attachés à les suivre (6). Cette suite ne peut être interrompue.
Au surplus sans disputer
davantage, il ne faut qu'un peu de
1 Hug. Lingon., etc., cap. XXII. — 2
Matth., XXIV, 35. — 3 Cant., III, 4. —
4 Serm., LXXIX. in Cant., n. 5.—
5 Ibid., n. 4 — 6 Serm. LXXX. n. 7, 8.
115
bon sens et de bonne foi pour avouer que l'Eglise
chrétienne, dès son origine, a eu pour une marque de son unité sa communion avec
la chaire de saint Pierre, dans laquelle « tous les autres sièges ont gardé
l'unité : » in quâ solâ unitas ab omnibus servaretur (1), comme parlent
les saints Pères : en sorte qu'en y demeurant, comme nous faisons, sans que rien
ait été capable de nous en distraire, nous sommes le corps qui a vu tomber à
droite et à gauche tous ceux qui se sont séparés eux-mêmes ; et on ne peut nous
montrer par un fait positif et constant, comme il le faudrait pour ne point
discourir en l'air, que nous ayons jamais changé d'état, ainsi que nous le
montrons à tous les autres.
Dans cet inviolable attachement
à la chaire de saint Pierre, nous sommes guidés par la promesse de Jésus-Christ.
Quand il a dit à ses apôtres : « Je suis avec vous, » saint Pierre y était avec
les autres; mais il y était avec sa prérogative, comme le premier des
dispensateurs : Primas Petrus (2) : il y était avec le nom mystérieux de Pierre
que Jésus-Christ lui avait donné (3), pour marquer la solidité et la force de
son ministère: il y était enfin comme celui qui devait le premier annoncer la
foi au nom de ses frères les apôtres, les y confirmer, et par là devenir la
pierre sur laquelle serait fondé un édifice immortel. Jésus-Christ a parlé à ses
successeurs comme il a parlé à ceux des autres apôtres, et le ministère de
Pierre est devenu ordinaire, principal et fondamental dans toute l'Eglise. Si
les Grecs se sont avisés dans les derniers siècles de contester cette vérité,
après l'avoir confessée cent fois et l'avoir reconnue avec nous, non point
seulement eu spéculation, mais encore en pratique dans les conciles que nous
avons tenus ensemble durant sept cents ans; s'ils n'ont plus voulu dire comme
ils faisaient : « Pierre a parlé par Léon, Pierre a parlé par Agathon, Léon nous
présidait comme le chef préside à ses membres, les saints canons et les lettres
de notre père Celestin nous ont forcés à prononcer cette sentence,» et cent
autres choses semblables; les actes de ces conciles, qui ne sont rien moins que
les registres publics de l'Eglise catholique, nous restent encore en témoignage
contre eux; et l'on y verra éternellement l'état où nous
1 Opt., cont. Parm., lib. II — 2
Matth., X, 2. — 3 Marc., III, 17.
116
étions en commun dans la tige et dans l'origine de la
religion.
Ce sera donc
toujours aux catholiques à confondre ceux qui se séparent; et en les prenant
dans le moment funeste pour eux de leur séparation, nous serons en droit de leur
dire avec saint Paul : « Est-ce de vous qu'est partie la parole de Dieu, ou bien
êtes-vous les seuls à qui elle est parvenue (1)? Est-ce de vous qu'elle est
partie?» montrez-nous sa continuité: «n'est-elle venue qu'à vous?» montrez-nous
son universalité : est-ce de vous qu'elle est partie, de voit-elle avoir de vous
son commencement, et ne faut-il pas qu'il paroisse de qui vous la tenez, et
comment elle vous est venue de proche en proche? «N'est-elle venue qu'à vous
seuls,» ne devait-elle pas être dans toute la terre, et une parcelle doit-elle
l'emporter contre le tout? C'est par de tels arguments que le docte Vincent de
Lérins démontrait, il y a treize cents ans, que l'Eglise a des coutumes établies
qui sont autant de démonstrations de la vérité, et qu'il faut compter parmi ces
coutumes ce qu'elle a accoutumé de croire.
Loin que la
saine doctrine soit capable d'être affaiblie par les nouveautés, au contraire la
contradiction des novateurs la fortifie et l'épure. Ecoutons saint Augustin : «
Plusieurs choses étaient cachées dans les Ecritures : les hérétiques séparés de
l'Eglise l'ont agitée par des questions : ce qui était caché s'est découvert, et
on a mieux entendu la vérité de Dieu... Ceux qui pouvaient le mieux expliquer
les Ecritures, ne donnaient point de résolution aux questions difficiles,
pendant qu'il ne s'élevait aucun calomniateur qui les pressât. On n'a point
traité parfaitement de la Trinité avant les clameurs des ariens; ni de la
pénitence, avant que les novatiens s'élevassent contre ; ni de l'efficace du
baptême, avant nos rebaptisateurs. On n'a pas même traité avec la dernière
exactitude les choses qui se disaient de l'unité du corps de Jésus-Christ avant
que la séparation qui mettait les faibles en péril obligeât ceux qui savaient
ces vérités à les traiter plus à fond, et à éclaircir entièrement toutes les
obscurités de l'Ecriture. Ainsi, dit saint Augustin, loin que les erreurs aient
nui à l'Eglise catholique, les hérétiques l'ont affermie, et ceux
1 I Cor., XIV, 36.
117
qui pensaient mal ont fait connaître ceux qui pensaient
bien. On a entendu ce qu'on croyait avec piété (1), » et la vérité s'est
déclarée de plus en plus.
Il se faut donc bien garder de
croire que les erreurs quelles qu'elles soient puissent détruire l'Eglise et en
interrompre la suite : elles y viennent pour la réveiller, et faire qu'elle
entende mieux ce qu'elle croyait.
Par cette sainte doctrine, toute
question dans l'Eglise se réduit toujours contre tous les hérétiques à un fait
précis et notoire : Que croyait-on quand vous êtes venus? Il n'y eut jamais
d'hérésie qui n'ait trouvé l'Eglise actuellement en possession de la doctrine
contraire. C'est un fait constant, public, universel et sans exception. Ainsi la
décision a été aisée; il n'y a qu'à voir en quelle foi on était quand les
hérétiques ont paru, en quelle foi iis avaient été élevés eux-mêmes dans
l'Eglise, et à prononcer leur condamnation sur ce fait qui ne pouvait être caché
ni douteux. Demandez à Luther lui-même comment, par exemple, il disait la messe
avant qu'il se prétendit plus illuminé. Il vous répondra qu'il la disait comme
on la disait, comme on la dit encore dans l'Eglise catholique, et la disait dans
la foi commune de toute l'Eglise. Voilà sa condamnation prononcée par sa propre
bouche : s'il s'est vu contraint à changer ce qu'il a trouvé établi, c'est là
son crime et son attentat, qu'il a voulu appeler nouvelle lumière. Il en est de
même des autres errants dans tous les autres articles. Ils ont tous voulu, non
pas éclaircir ce que l'Eglise savait, mais savoir autre chose qu'elle : il n'y a
point à hésiter sur la décision.
Mais pourquoi donc faire tant de
livres contre les hérésies? Saint Augustin vient de vous le dire si clairement :
vous l'avez ouï : « Si vous ne croyez pas, vous n'entendrez pas, » disait le
prophète, selon l'ancienne version des Septante : Nisi credideritis, non
intelligetis (2) : d'où saint Augustin tirait cette conséquence évidente par
elle-même : «Le commencement de l'intelligence, c'est la foi; le fruit de la
foi, c'est l'intelligence : » Initium sapientiae fides, fidei fructus
intellectus. Voilà toute l'économie de la
1 August., In Psal. LIV,
n. 22. — 2 Isa., VII, 9.
118
doctrine parmi les fidèles. On croit sur la foi de l'Eglise
: on entend par les explications plus particulières des saints docteurs. Vous
voyiez baptiser les petits enfants; et vous croyiez en simplicité qu'ils étaient
pécheurs, puisqu'on leur donnait par le baptême la rémission des péchés. Une
hérésie vient contester cette vérité : alors vous développez plus clairement la
doctrine de saint Paul sur les deux Adams, le premier et le second, les
paraboles de Jésus-Christ sur la renaissance, et toute la suite des mystères. Le
baptême donné en égalité au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, faisait
adorer un seul Dieu en trois personnes : Jésus-Christ était appelé le Fils
unique : c'en était assez pour établir la foi. Quand les ariens ont voulu
embrouiller cette matière, il a fallu pour l'expliquer dans toute son étendue,
détailler, pour ainsi parler, la théologie de saint Jean, les paroles de
Jésus-Christ même, sur son éternelle naissance, et la source de l'unité dans la
procession des trois divines personnes. En un mot, vous aviez dans le Symbole un
abrégé des articles, qui proposé par l'Eglise, vous ôtait le doute. Les hérésies
sont venues pour donner lieu à de plus amples explications; et de la foi
simple, on vous a mené à la plus parfaite intelligence qu'on puisse avoir en
cette vie. Ainsi l'Eglise sait toujours toute vérité dans le fond : elle apprend
par les hérésies, comme disait le célèbre Vincent de Lérins, à l'exposer avec
plus d'ordre, avec plus de distinction et de clarté. Mais que sert, direz-vous,
cette intelligence à celui qui croit déjà en simplicité? beaucoup en toute
manière : Dieu veut que vous remarquiez tous les progrès de la vérité dans votre
esprit : on vous conduit par degrés à la par-laite Lumière, et vous apprenez que
«de clarté en clarté (1),» comme dit saint Paul, vous devez enfin arriver au
plein jour.
Ainsi la décision de l'Eglise
est toujours courte et aisée à prononcer dans le fond : mais il n'en est pas de
même des traités des saints docteurs. Pour prononcer une décision, l'on n'a qu'à
dire à l'hérétique : Que croyait-on dans l'Eglise, et qu'y aviez-vous appris
vous-même? Le fait est constant : on va vous le déclarer plus précisément que
jamais: on ira même au-devant de toutes vos équivoques. Que disent les
Ecritures? Les traités des saints
1 II Cor., III, 18.
119
docteurs vous l'expliqueront plus amplement. \ous sommes
ceux à qui tout profite et même les hérésies: elles nous rendeid plus attentifs,
plus zélés, mieux instruits: la chose n'est pas obscure : « Nous avons appris,
dit saint Augustin, et c'est là une principale partie de l'instruction
chrétienne, nous avons appris que chaque hérésie a apporté à l'Eglise sa
question particulière, contre laquelle on a défendu plus exactement la sainte
Ecriture, que s'il ne s'était jamais élevé de pareille difficulté (1) : » et
vous craignez que les hérésies n'obscurcissent ou n'affaiblissent la foi de
l'Eglise !
Mais, mes Frères, je parle à
vous; à vous, dis-je, qui faites l'objet de nos plus tendres inquiétudes dans la
peine que vous avez de vous réunir avec nous : je vois ce qui vous arrête. Vous
craignez que sous ce beau nom de l'autorité de l'Eglise et de la foi des
promesses, on ne vous pousse trop loin, et qu'on ne se mette en droit de vous
faire croire tout ce qu'on voudra. O cœurs pesants et tardifs à croire, non ce
qui est écrit par les prophètes, mais ce qui a été promis par Jésus-Christ même,
commencez par bien peser toutes ces paroles; que veut dire ce Voilà: Je suis,
qui rend la chose si présente? Que veut dire cet avec vous, ce tous
les jours, et jusqu'à la fin du monde, qui ne sou lire ni fin ni
interruption? Voulez-vous toujours éluder les paroles de Jésus-Christ, les plus
claires, et toujours opposer le sens humain à sa puissance? Que craignez-vous
donc? Quoi? de trop croire à Jésus-Christ; qu'il ne vous pousse trop loin, et
qu'à force de croire à l'Eglise, à qui il promet son assistance, vous ne tombiez
dans l'absurdité? Mais au contraire la foi de l'Eglise en est le remède.
Lorsqu'on s'astreint à n'inventer rien, et à suivre ce qu'on a trouvé établi, on
n'avance ni absurdité ni rien de nouveau. Consultez l'expérience. D'où sont
venues les absurdités? De ceux qui ont suivi la ligne de la succession, ou de
ceux qui l'ont rompue? Pour ne point ici parler des marcionites, des manichéens,
des donatistes, des autres anciens hérétiques, qui sont dans le siècle précédent
ceux qui ont outre la puissance et L'opération de Dieu jusqu'à détruire le libre
arbitre par Lequel nous différons des
1 De don. persev., cap. XX, n. 53.
120
maux, introduire une nécessité fatale, et faire Dieu auteur
du péché? Ne sont-ce pas les prétendus réformateurs, comme nous l’avons démontré
ailleurs plus clair que le jour, et de l'aveu de vos ministres (1) ? Mais qui
sont ceux qui en revenant de ce blasphème sont tombés dans un excès opposé, et
sont devenus semi-pélagiens? Ne sont-ce pas encore les luthériens, c'est-à-dire
de tous les hommes ceux qui ont le plus tâché d'obscurcir l'autorité de l'Eglise
catholique? Je ne dis rien qui ne soit connu. Mais encore, d'où nous est venu ce
prodige d'ubiquité? N'est-ce pas de la mémo source? Et cette doctrine, qui selon
vous-mêmes confond les deux natures de Jésus-Christ, n'est-elle pas aujourd'hui
établie dans le plus grand nombre des églises luthériennes, sans que les autres
l'improuvent en s'en séparant? C'est ce que personne n'ignore, et il ne faut pas
se montrer vainement savant, en prouvant des faits constants. Si vous rejetez de
bonne foi ces erreurs dans votre religion, pourquoi présenter votre communion
aux luthériens qui les défendent, et participer par ce moyen à tous leurs excès?
Mais vous-mêmes considérez où vous jette votre doctrine de l'inamissibilité de
la justice, et cette certitude infaillible de votre salut, qu'on vous oblige
d'avoir, quelques crimes qu'on puisse commettre. On vous cache le plus qu'on
peut ces absurdités qui rendent votre religion si visiblement insoutenable. Plût
à Dieu que vous en fussiez bien revenus! Mais enfin bien certainement elles sont
reçues parmi vous : on les y a définies de nos jours dans le synode de
Dordrecht, et on n'en a révoqué les décisions par aucun acte. Vous avez aussi
défini dans ce synode, selon qu'il était porté dans vos catéchismes et dans la
formule d'administrer le baptême, que les enfants des fidèles naissent tous dans
l'alliance et dans la grâce chrétienne (2). Vous n'y avez pas décidé moins
clairement que la grâce chrétienne ne se perd jamais : d'où il résulte que quand
cette grâce est une fois entrée dans une famille, elle n'en sort plus ; en sorte
que ni les pères ni les enfants ne la peuvent perdre jusqu'à la fin du monde, si
cette race dure autant. Quelle plus grande absurdité pouvait-on
1 Hist. des Var., liv. XIV. — 2 Cat. Dim.,
50; Form. du Baptême; Syn. Dord., sess. XXXVIII, cap XVII;
Hist. des Var., liv. XIV, n. 24 et 37.
121
inventer: et à moins que d'être insensible à la vérité,
peut-on demeurer un seul moment dans une religion où l'on croit de tels
prodiges?
Venons néanmoins encore à des
dogmes plus populaires : n'est-il pas de pratique parmi vous, que chacun
jusqu'aux plus grossiers et aux plus ignorants doit savoir former sa foi sur les
Ecritures ; croire par conséquent qu'il les entend assez pour y voir tous les
articles de la foi; ne céder jamais à aucune autorité de l'Eglise, ni à aucun de
ses décrets; se croire obligé à les examiner tous, et à les soumettre à sa
censure? C'est là sans doute ce qu'il faut croire pour être bon protestant :
mais que feront ceux qui de bonne foi demeureront, convaincus de leur ignorance,
et se sentiront incapables de rien prononcer sur des matières si hautes et si
disputées? Que feront-ils, dis-je, sinon à la fin de croire bonne toute
religion, et se sauver dans l'asile de l'indifférence, cpii est en effet la
disposition où l'expérience fait voir que vous mène votre Réforme?
Ces choses sont évidentes et les
plus ignorants les peuvent entendre. Mais, ô malheur pour lequel nous ne
répandrons jamais assez de larmes ! nos frères ne veulent pas nous écouter :
souvent ils sont convaincus; ils sentent bien en leur conscience qu'ils n'ont
rien à nous répliquer. Toute leur défense est de dire : Si nous avions nos
ministres, ils sauraient bien vous répondre. Vous réclamez vos ministres, nos
chers Frères! Tous les jours nous vous faisons voir à quoi vos ministres vous
ont engagés, même dans les décrets de vos synodes : ce sont eux qui dans ces
décrets vous ont fait passer la réalité aux luthériens, et non-seulement la
réalité qui nous est commune avec les luthériens, mais encore l'ubiquité : et
dans une autre matière aussi importante, leur doctrine demi-pélagienne contre la
grâce du Sauveur. Pressés de tels arguments, vous laissez là vos ministres et
vos synodes. Que nous importe, dites-vous? Nous nous en tenons à la seule parole
de Dieu qui nous est très-claire. Vous lit-on dans l'Evangile les promesses de
Jésus-Christ, où vous n'avez rien à répondre, vous en appelez à vos ministres
que vous veniez de rejeter. Allons plus haut : quand il a fallu quitter
l'Eglise, où vos pères se sont sauvés
122
avec nous, vous n'avez pas consulté vos anciens pasteurs,
quoiqu'ils eussent l'autorité de la succession apostolique : l'Ecriture alors
vous paraissait claire : vous y trouviez aisément la résolution des plus grandes
difficultés : maintenant vous ne savez rien: savants pour se laisser entraîner à
l'esprit de division et de schisme, ils n'en savent plus assez pour en revenir :
on leur a seulement appris pour toute réponse à demander la communion sous les
deux espèces, comme si toute la religion et toute leur prétendue Réforme
aboutissait à ce point.
Mais avant que de disputer sur
les deux espèces, ne faudrait-il pas savoir auparavant ce qu'on vous y donne, si
c'est le vrai corps et le vrai sang en substance, ou bien le corps et le sang en
figure et en vertu : si on vous les donne réellement séparés ou réellement unis;
et si Jésus-Christ est entier sous chaque espèce avec tout le divin et tout
l'humain qui se trouve dans sa personne. C'est de quoi on ne veut plus parler:
les catholiques sont trop forts dans cet endroit : les paroles de Jésus-Christ
leur y sont trop favorables. Mais parce qu'on croit trouver quelque avantage
(avantage vain, comme on va voir) dans la communion des deux espèces, on ne veut
plus parler que de cela: cette communion, qui selon Luther, au commencement
qu'il s'érigea en réformateur, était une « chose de néant : » Res nihili,
est devenue le seul sujet de la dispute. « Nous la prendrons, disait Luther, si
le concile nous la défend; et nous la refuserons, s'il nous la commande : » huit
la matière lui semblait légère et indifférente. Maintenant on veut tout réduire
à ce seul point, et c'est là qu'on met toute la religion.
Nous avons expliqué à fond cette
matière dans un traité qui n'est pas long ; on n'y a pu opposer que les minuties
et les chicanes que tout le inonde a pu voir dans les écrits des ministres.
Notre réponse est toute prête il y a longtemps : et nous nous sentons en état
(nous le disons avec confiance), quand les sages le jugeront à propos, de
pousser la démonstration jusqu'à la dernière évidence. Aujourd'hui pour nous
renfermer dans notre sujet, nous nous contentons d'appliquer à cette matière la
foi des promesse et l'autorité de l'Eglise. «Allez, enseignez et baptisez : je
123
suis avec vous. » On dira de même: Allez, enseignez,
célébrez l'Eucharistie, qui doit durer à jamais comme le baptême, puisque selon
la doctrine de l'Apôtre, « on y doit annoncer la mort du Seigneur jusqu'à ce
qu'il vienne (1) : » par conséquent « jusqu'à la fin, » ainsi qu'il l'a dit
lui-même du baptême. Il la faut donc trouver sans interruption également dans
tous les siècles; et l'effet de la promesse de Jésus-Christ n'a point d'autre
fin que celle du monde.
Vous-mêmes vous donnez pour
marque de la vraie Eglise, avec, la pureté de la parole, la droite
administration des sacrements. Il la faut donc trouver dans tous les temps, et
dans les derniers comme dans les premiers : Jésus-Christ a également sanctifié
tous les siècles, quand il a dit : « Je suis avec vous jusqu'à la fin, » et il
ne peut y en avoir aucun où l'on ne trouve la vérité du baptême et la vérité de
l'Eucharistie. Voilà notre règle, et c'est Jésus-Christ lui-même qui nous l'a
donnée; il l'a lui-même appliquée à l'administration des saints sacrements. «
Allez, enseignez et baptisez; je suis avec vous; » recevez le baptême que nous
donnera l'Eglise, recevez l'Eucharistie qu'elle vous présentera : sans cela il
n'y a point de règle certaine; et parce que vous refusez cette règle, mes
Frères, je vous le dis, vous n'en avez point.
Nous en avons une autre,
direz-vous, bien plus assurée, bien plus claire; c'est pour commencer par
l'Eucharistie, d'y faire ce qu'y a fait le Sauveur du monde, selon qu'il l'a
ordonné, en disant : « Faites ceci. » Hé bien! vous voulez donc faire tout ce
qu'il a fait : être assis autour d'une seule table en signe de concorde et
d'amitié, comme les enfants bien-aimés du grand Père de famille : et quand le
nombre en sera trop grand. être du moins distribués « par bandes et par
compagnies, » per contubernia (2) : en sorte qu'on vous mette ensemble le
plus qu'on pourra, « cent à cent, cinquante à cinquante, » comme les cinq mille
que le Sauveur nourrit dans le désert. Vous voulez manger « d'un même pain »
rompu entre vous, comme saint Paul l'insinue (3), et comme Jésus-Christ l'avait
pratiqué; et boire tous dans
1 I Cor., XI, 26. — 2 Marc.
VI, 39, 40. — 3 I Cor., X, 16, 17.
124
la même coupe en témoignage d'union, et pour accomplir ce
qu'a prononcé Jésus-Christ : « Buvez-en tous, et divisez-la entre vous, » qui
est un signe d'amitié, d'hospitalité, de fidèle correspondance. Vous voulez
faire ce divin repas sur le soir, à la fin du jour, « après le soupé (1), » pour
exprimer que le Fils de Dieu nous préparait son banquet à la fin des siècles et
au dernier âge du monde. Vous vous moquez, direz-vous, de nous réduire à ces
minuties. Dites donc que le Fils de Dieu a fait tout cela sans dessein, et qu'il
n'y a pas du mystère en tout ce qu'il fait dans une action si importante et si
solennelle : ou que pour discerner ce qu'il veut qu'on fasse, vous avez pour
règle, non point sa pratique et sa parole, mais votre propre raisonnement :
est-ce là, mes Frères, la règle que vous prenez pour assurer votre salut? Venons
pourtant à des choses que vous croyez plus importantes ; que dites-vous de la
fraction du pain? N'est-elle pas essentielle à la sainte Cène, comme le signe
sacré du corps de Jésus-Christ rompu à la croix (2)? Avouez la vérité; vous le
tenez tous, et vous ne cessez d'avoir cette parole à la bouche : mais en même
temps pourquoi tolérez-vous les luthériens, qui n'ont point cette fraction?
Pourquoi, dis-je encore un coup, les tolérez-vous, non-seulement en général par
votre tolérance universelle envers eux, mais encore par un acte exprès où cette
infraction de la loi de Jésus-Christ leur est pardonnée? Le fait est constant et
avoué par vos ministres. Où avez-vous trouvé dans l'Evangile qu'une chose si
expressément pratiquée par Jésus-Christ, et encore par une raison si
essentielle, fût indifférente, ou ne fût point du nombre de celles dont il a dit
: « Faites ceci? » Reconnaissez que vos ministres vous abusent, et qu'ils vous
donnent pour règle en cette occasion, non point la parole de Jésus-Christ, mais
leur politique et leur aveugle complaisance pour les luthériens.
Passons outre : que ferez-vous à
ceux que leur aversion naturelle et insurmontable pour le vin exclut de cette
partie de la sainte Cène? La refuserez-vous toute entière à ces infirmes, parce
que vous ne pouvez la leur donner toute entière, ni comme vous
1 I Cor., XI, 25. — 2 Traité de la Communion sous
les deux espèces, II part., chap. XII.
125
la croyez établie par Jésus-Christ (1) ? Ce serait le bon
parti selon vos principes ; mais il n'est pas soutenable, et vous leur donnez
l'espèce du pain toute seule, comme le règle votre discipline après les synodes
: mais en ce cas que leur donnez-vous? Ont-ils la grâce entière du sacrement, ou
ne font-ils pas? Où Jésus-Christ ne prononce rien, comment prononcerez-vous, si
comme nous vous n'avez recours à la tradition et à l'autorité de l'Eglise? Ce
qu'ils reçoivent, est-ce quelque chose qui n'appartienne en aucune sorte au
sacrement (2), comme le dit le ministre Jurieu, ou quelque chose qui y
appartienne, comme le soutient contre lui le ministre de la Roque?
Déterminez-vous, mes Frères. M. Jurieu se fonde sur ce que le sacrement mutilé
n'est pas le sacrement de Jésus-Christ. M. de la Roque soutient au contraire
qu'on ne met point dans l'Eglise une institution humaine à la place du sacrement
de Jésus-Christ. Ils ont raison tous deux selon vos principes, et vous n'avez
point de règles pour sortir de cet embarras.
Mais il y a quelque chose de
plus essentiel encore : c'est la parole de consécration et de bénédiction où la
tonne du sacrement est établie (3) : appelez-la comme vous voudrez : en général,
parmi vous comme parmi nous et parmi tous les chrétiens, le sacrement consiste
principalement dans la parole qui est jointe à ce qu'on appelle l'élément et la
matière : « Je vous baptise, » et le reste, doit être ajouté à l'eau pour faire
le vrai baptême; et la vertu, l'efficace, la vie, pour ainsi parler, du
sacrement, est dans la parole. En particulier dans la Cène, Jésus-Christ a béni,
il a prié, il a invoqué son Père pour opérer la merveille qu'il préparait dans
l'Eucharistie. Il a parlé, l'effet a suivi. Saint Paul marque expressément dans
l'Eucharistie « la coupe bénie que nous bénissons (4) : » le pain sacré n'est
pas moins béni ni moins consacré par la parole. Mais quelle est-elle? Est-il
libre, ou de ne rien dire, comme le permet votre discipline, ou de dire tout ce
qu'on veut, sans se conformer à ce que l'Eglise a toujours dit par toute la
terre? Mais si l'on peut ne rien dire, laissera-t-on un si grand sacrement sans
parole, « et le calice de bénédiction, » ainsi
1 Traité de la Comm., etc., chap. III. — 2 Ibid.
— 3 Ibid., chap. VI. — 4 I Cor., X, 16.
126
nommé par saint Paul, demeurera-t-il sans être béni? Cette
bénédiction est-elle quelque chose de permanent, comme l'a cru toute l'ancienne
Eglise, ou quelque chose de passager, comme le croit toute la réformation
prétendue? Quoi qu'il en soit, qui prononcera cette bénédiction? Sera-ce celui
qui représente Jésus-Christ, et qui préside à L'action, c'est-à-dire le ministre
; ou à son défaut, un prêtre, un ancien? Un diacre pourra-t-il être le
consécrateur, ou en tout cas le distributeur du sacrement; surtout un diacre le
sera-t-il de la coupe selon la pratique de l'ancienne Eglise? Tout cela est
indifférent, dites-vous. C'est pourtant Jésus-Christ seul, comme celui qui
présidait à l'action qui a consacré, qui a béni, qui a dit : Prenez, mangez et
buvez ; ceci est mon corps, ceci est mon sang : et nul autre n'en a fait
l'office et la cérémonie. Si cela est indifférent, il sera donc indifférent de
faire ou ne faire pas ce qu'il a fait, et votre règle, qui se proposait pour
modèle ce qu'il a fait, ne subsiste plus.
Mais la notre est invariable :
nous l'avons apprise dès le baptême : sans nous informer si l'on nous plongeait
dans l'eau selon l'exemple de Jésus-Christ et des apôtres, selon la pratique de
toute l'Eglise durant treize à quatorze cents ans, selon la force de celle
parole : « Baptisez, » qui constamment veut dire : Plongez, selon le mystère
marqué par l'Apôtre même, qui est d'être « ensevelis avec Jésus-Christ (1) » par
cette immersion : nous recevons le baptême comme nous le donne l'Eglise,
persuadés que cette parole : « Allez, enseignez, et baptisez : et voilà je suis
avec vous, » enseignants et baptisants, a un effet éternel. Nous ne nous
informons non plus si on sépare l'enseignement d'avec le baptême, contre ce qui
semblait paraître dans l'institution de Jésus-Christ, « les enseignant et les
baptisant.» baptises petits enfants. sans témoignage de l'Ecriture, nous ne
sommes point en peine de nuire baptême : nous ne nous embarrassons non plus où
nous l'avons reçu, dans l'église ou hors de l'église, par des mains pures ou par
des mains infectées de la souillure du schisme et de l'erreur : il nous suffit
d'être baptisés, comme nous l'enseigne celle à qui Jésus-Christ a dit : «Je suis
avec vous. »
1 Rom., VI, 4 ; Coloss.,
II, 12.
127
Vous répondrez : Nous le
recevons aussi de la même sorte, et nous ne sommes non plus en peine de noire
baptême que vous; c'est ce qui nous surprend, que vous ayez la même assurance
sans en avoir le même fondement. Ou suivez la parole à la rigueur, ou cessez de
vous fier à mi baptême que vous n v trouvez pas. Que si vous reconnaissez la foi
des promesses et l'autorité de l'Eglise, reconnaissez-la en tout, et suivez-la
dans l'Eucharistie, ainsi que dans le baptême. Pourquoi mesurez-vous à deux
mesures? Pourquoi marchez-vous d'un pas incertain dans les voies de Dieu?
Usquequò claudicatis inter duas vias (1) ?
Jésus-Christ a institué et donné
l'Eucharistie à ses disciples assemblés : l'Eglise a-t-elle cm pour cela que
cette pratique fût de la substance du sacrement? Point du tout : dès l'origine
du christianisme on a porté l'Eucharistie aux absents (2) : on a réservé la
communion pour la donner aux malades : après la communion reçue dans les
assemblées ecclésiastiques, chacun a eu droit de l'emporter dans sa maison pour
communier toute la semaine et tous les jours en particulier : ces communions se
sont faites sous l'espèce du pain, et ces communions sous une espèce ont été
sans comparaison les plus communes : dans les assemblées ecclésiastiques il
était si libre de recevoir une des espèces ou toutes les deux, et on y prenait
si peu garde, qu'on ne connut les manichéens, qui répugnaient à celle du vin,
qu'après un longtemps par l'affectation de ne le prendre jamais : et quand pour
les distinguer des fidèles avec lesquels ils tâchaient de se mêler, on crut
nécessaire d'obliger tous les chrétiens aux deux espèces, on sait qu'il en
fallut faire une loi expresse pour un motif particulier (3). Qui ne connaît pas
le sacrifice des Présanctifiés, où l'Orient et l'Occident ne consacrant pas,
réservaient l'espèce du pain consacrée dans le sacrifice précédent pour en
communier tout le clergé et tout le peuple (4)? Ce mélange des deux espèces,
universellement pratiqué depuis quelques siècles par toute l'Eglise d'Orient, se
trouve-t-il davantage dans l'institution de Jésus-Christ que la communion sous
une espèce? Il est donc plus clair que le jour
1 III Reg., XVIII, 23. — 2 Traité de la Commun, sous les
deux espèces, I part., chap. II. — 3 Ibid., chap. V. — 4 Ibid.,
chap. VI.
128
par tous ces exemples et par ces diverses manières,
pratiquées sans hésiter et sans scrupule dans l'Eglise, qu'il n'y a en cette
matière que sa pratique et sa tradition qui fasse loi selon l'intention de
Jésus-Christ, et enfin que la substance de ce divin sacrement est d'y recevoir
Jésus-Christ présent, mais comme une victime immolée : ce qui arrive toujours,
soit qu'on prenne le sacré corps comme épuisé de sang, ou le sang sacré comme
désuni du corps; ou l'un ou l'autre, quoique inséparables dans le fond,
mystiquement séparés par la consécration et comme par l'épée de la parole.
C'est aussi par cette raison que
la communion du peuple sous une espèce s'est introduite sans contradiction et
sans répugnance : on n'eut point de peine à changer ce qui avait toujours été
réputé libre ; et ce fut à peine trois cents ans après que la coutume en fut
établie dans tout l'Occident, qu'on s'avisa en Bohème de s'en plaindre.
Enfin, mes Frères, j'oserai vous
dire que pour peu qu'on apportât de bonne foi à cette dispute, et qu'on en ôtât
l'esprit de chicane et de contention tant réprouvé par l'Apôtre, il n'y a point
d'article de nos controverses où nous soyons mieux fondés sur l'autorité de
l'Eglise, sur sa pratique constante et sur la parole de Jésus-Christ même, comme
il a été démontré dans le concile de Trente (1).
On ne cherche que des apparences
pour vous entretenir dans la division : témoin encore ce qu'on vous met sans
cesse à la bouche sur le service en langue vulgaire, qui est, dit-on, inconnue.
Par ce discours on pourrait croire que la langue latine n'est pas connue du
clergé et d'une très-grande partie du peuple. Mais ceux qui l'entendent vous
l'expliquent ; ceux qui sont chargés de votre instruction sont chargés aussi par
l'Eglise, dans le concile de Trente (2), de vous servir d'interprètes : il ne
tient qu'à vous, pendant que l'Eglise chante, d'avoir entre vos mains les
Psaumes,, les Ecritures, les autres leçons et les autres prières de l'Eglise.
Qu'avez-vous donc à vous plaindre? Aime-t-on si peu l'unité du
1 Sess. XXI, cap. I; Traité de la Commun., II part.,
chap. IX. — 2 Sess. XXII, cap. VIII.
129
christianisme, qu'on rompe avec l'Eglise pendant qu'elle
fait ce qu'elle peut pour édifier le monde? Que ne reconnaissez-vous plutôt
l'amour de l'antiquité dans le langage dont se sert l'Eglise romaine? Accoutumée
au style, aux expressions, à l'esprit des anciens Pères qu'elle reconnaît pour
ses maitres, elle en remplit son Office, et se fait pour ainsi dire un plaisir
d'avoir encore à la bouche et de conserver en leur entier les prières, les
collectes, les liturgies, les messes, comme il les ont eux-mêmes appelées, que
ces grands papes, saint Léon, saint Gélase, saint Grégoire, à qui l'Eglise est
si redevable, ont proférées à l'autel il y a mille et douze cents ans. Vos
ministres affectent souvent de vous parler avec une espèce de dédain de ces
grands papes, qu'ils trouvent contraires à leurs prétentions. Mais en leur cœur,
malgré qu'ils en aient, ils ne peuvent leur refuser la vénération qui est due à
ceux qu'on a toujours crus aussi éminents par leur piété et par leur savoir que
par la dignité de leur siège. Ainsi nous nous glorifions en Notre-Seigneur de
dire encore les messes comme ils les ont digérées. Le fondement, la substance,
l'ordre même, et en un mot toutes les parties en viennent de plus haut : on les
trouve dans saint Ambroise, dans saint Augustin, dans les autres Pères, et enfin
dès l'origine du christianisme. Car ce qui se trouve ancien et universel en ces
premiers temps, ne peut pas avoir mie autre source. L'Orient a le même goût pour
saint Basile, pour saint Chrysostome et pour les autres anciens Pères, dont il
retient le langage dans le service public, quoiqu'il ne subsiste plus que dans
cet usage. Toutes les Eglises du monde sont dans la même pratique. N'est-ce pas
une consolation pour l'Eglise de se voir si bien établie depuis tant de siècles,
que les langues qu'elle a ouïes primitivement et dès sa première origine,
meurent pour ainsi dire à ses yeux, pendant qu'elle demeure toujours la même? Si
elle les conserve autant qu'elle peut, c'est qu'elle aime l'ancienne foi,
l'ancien culte, les anciens usages, les anciens rits des chrétiens. Mais que
sera-ce, si l'on vous dit que les Juifs mêmes par révérence pour le texte
original des Psaumes de David, les chantaient en hébreu dans Jérusalem et dans
le temple, depuis même que cette langue avait cessé d'être
130
vulgaire? C'est ce qu'ils font encore aujourd'hui par toute
la terre de tradition immémoriale. De cette sorte il sera vrai que Jésus-Christ
aura assisté à un tel service, et l'aura honoré de sa présence toutes les fois
qu'il sera entré dans les synagogues. Mais laissons les dissertations : n'est-ce
pas assez que saint Paul,, que vous produisez si souvent contre les langues
inconnues, les permette même dans l'Eglise, pourvu qu'on les interprète pour
l'édification des fidèles (1) ? C'est ce qu'il répète par trois fois dans le
chapitre que l'on nous oppose : nous sommes visiblement de ceux qui « avons soin
qu'on vous interprète» ce qu'il va de plus mystérieux et de plus caché :
Curet ut interpretetur. Nous vous avons déjà avertis que le concile de
Trente a ordonné aux pasteurs d'expliquer dans leurs instructions pastorales,
chaque partie du service et des saintes cérémonies de l'Eglise (2). Nous-mêmes
nous vous avons donné par le même concile de Trente une Exposition de la
doctrine catholique, qui n'est pas la nôtre, mais, nous l'osons dire, celle
des évêques et du pape même, qui l'a honorée deux fois d'une approbation
authentique. On tâche en vain de nous aigrir contre ce concile : on en trouve la
vraie défense, comme celle des autres conciles, dan.; ses décrets et dans sa
doctrine irrépréhensible. Nous vous avons aussi donné notre Catéchisme,
et en particulier celui des Fêtes où tous les mystères sont expliqués, et des
Heures où sont en français les plus communes prières de l'Eglise. Que si ce
n'est pas assez, nous sommes prêts à vous donner par écrit et de vive voix et la
lettre et l'esprit de toutes les prières ecclésiastiques, par les explications
les pins simples et les plus de mot à mol. Ne voyez-vous pas les saints
empressements des évêques de France dont nous tâchons aujourd'hui d'imiter le
zèle, à vous donner dans les premiers sièges les instructions les plus
particulières sur les articles où l'on nous impose, et à la fois à vous mettre
en main un nombre infini de fidèles versions? Reconnaissez donc que vos
ministres par leurs vaines plaintes ne songent qu'à faire à l'Eglise une
querelle, pour ainsi parler, de guet-à-pens et contre le précepte du Sage, « ne
cherchant qu'une occasion de rompre avec leurs amis
1 I Cor., XIV, 5 13, 27, etc. — 2
Sess. XXII, cap. VIII.
131
et avec leurs frères (1)? » La paix et la charité n'est pas
on eux.
Cessez donc
dorénavant de vous glorifier de l'intelligence de l'Ecriture, et ne vous laissez
plus flatter d'une chose qui aussi bien ne vous est pas nécessaire. Soyez de ces
petits et de ces humbles, « que la simplicité de croire met dans une entière
sûreté : » Quos credendi simplicitas tutissimos facit. Je parle après
saint Augustin, et saint Augustin a parlé après Jésus-Christ même. Il a dit : «
Ta foi t'a sauvé (2) : » — « Ta foi, dit Tertullien, et non pas d'être exercé
dans les Ecritures : » Fides tua te salvum fecit, non exercitatio
Scripturarum (3). Le Saint-Esprit a continué cette vérité par une sainte
expérience, en donnant la foi comme à nous, à des peuples qui n'avaient pas
l'Ecriture sainte. Saint Irénée et les autres Pères en ont fait la remarque dès
leurs temps, c'est-à-dire dès les premiers temps du christianisme, et on a suivi
cet exemple dans tous les siècles. Car aussi la charité ne permettait pas
d'attendre à prêcher la foi, jusqu'à ce qu'on sût assez des langues
irrégulières, ou barbares, ou trop recherchées, pour y faire une traduction
aussi difficile et aussi importante que celle des Livres divins, ou bien d'en
faire dépendre le salut des peuples. On leur portait seulement le sommaire de la
foi dans le Symbole des apôtres. Ils y apprenaient qu'il y avait une Eglise
catholique qui leur envoyait ses prédicateurs, et leur annonçait les promesses
dont ils voyaient à leurs yeux l'accomplissement par toute la terre comme parmi
eux, à la manière qu'on à expliquée. Ils croyaient; et comme les autres
chrétiens, ils étaient justifiés par la foi en Jésus-Christ et en ses promesses
sacrées. Au surplus j'oserai vous dire, nos chers Frères, qu'il y a plus
d'ostentation que de vérité dans la fréquente allégation de l'Ecriture où vos
ministres vous portent. L'expérience fera avouer à tous les hommes de bonne foi
que ce qu'on apprend par cette pratique, c'est le plus souvent de parler en
l'air, et de dire à la fois ce qu'on entend comme ce qu'on n'entend pas. Ce
n'est pas l'effet d'une bonne discipline de rendre les ignorants présomptueux,
et les femmes même disputeuses; vos ministres vous l'ont accroire que ce n'est
rien attribuer de trop au simple peuple,
1 Prov., XVIII, I. — 2 Matth.. IX. 22;
Marc, X, 52. — 3 De Praescr., n. 14.
132
que de lui présenter l'Ecriture seulement pour y former sa
foi. Vous ne songez pas que c'est là précisément la difficulté qu'il lui fallait
faire éviter. C'est une ancienne maxime de la religion, que nous trouvons dans
Tertullien dès les premiers temps, qu'il faut savoir « ce qu'on croit et ce
qu'on doit observer avant que de l'avoir appris (1) » par un examen dans les
formes. L'autorité de l'Eglise précède toujours, et c'est la seule pratique qui
peut assurer notre salut : sans ce guide on marche à tâtons dans la profondeur
des Ecritures, au hasard de s'égarer à chaque pas. Nous l'avons démontré
ailleurs plus amplement pour ceux qui en voudront savoir davantage (2) : mais
nous en disons assez ici pour convaincre les gens de bonne foi, et qui savent se
faire justice; sur leur incapacité et leur ignorance. Que ceux-là donc cherchent
leur foi dans les Ecritures, que l'Eglise n'a pas instruits et qui ne la
connaissent pas encore. Pour ceux qu'elle a conçus dans son sein et nourris dans
son école, ils ont le bonheur d'y trouver leur foi toute formée, et ils n'ont
rien à chercher davantage.
C'est le moyen, dites-vous,
d'inspirer aux hommes un excès de crédulité qui leur fait croire tout ce qu'on
veut sur la loi de leur curé ou de leur évêque. Vous ne songez pas, nos chers
Frères, que la foi de ce curé et de cet évêque est visiblement la foi
qu'enseigne en commun toute l'Eglise: il ne faut rien moins à mi catholique.
Vous errez donc, en croyant qu'il soit aisé de l'ébranler dans les matières de
foi : il n'y a rien au contraire de plus difficile, puisqu'il faut pouvoir à la
fois ébranler toute l'Eglise malgré la promesse de Jésus-Christ. Ainsi quand il
s'élève un novateur, de quelque couleur qu'il se pare et quelque beau tour qu'il
sache donner aux passages qu'il allègue, l'expérience de tous les siècles fait
voir qu'il est bientôt reconnu, et ensuite bientôt repoussé malgré ses spécieux
raisonnements, par l'esprit d'unité qui est dans tout le corps, et qui ne cesse
jusqu'à la fin de réclamer contre.
Mais vous, qui vous glorifiez de
ne croire qu'avec connaissance et nous accusez cependant d'une trop légère
créance, souffrez qu'on vous représente comment on vous a conduits depuis les
1 De Coron., n. 2. — 2 Hist. des Var., liv.
XV; Confér. avec. M. Claude; Disc. Sur l’Histi. univ., II part.,
vers la fin.
133
commencements de votre Réforme prétendue. Aux premiers cris
de Luther, Rome, comme une nouvelle Jéricho, devait voir tomber ses murailles.
Depuis ce temps, combien de fois vous a-t-on prédit la chute de Babylone
? Je ne le dis pas pour vous confondre: mais enfin rappelez vous-mêmes en votre
pensée combien on vous a déçus même de nos jours. Toutes les fois que quelque
grand prince s'est élevé parmi vous, comme il s'en élève partout, et même parmi
les païens et les infidèles, de quelles vaines espérances ne vous êtes-vous pas
laisse flatter? Quels traités n'allait-on pas l'aire en votre faveur? Quelles
ligues n'a-t-on pas vues sans pouvoir jamais entamer le défenseur de l'Eglise?
Qu'a-t-il réussi de ces projets huit vantés par vos ministres? Ceux qu'on vous
faisait regarder comme vos restaurateurs, ont-ils seulement songé à vous dans la
conclusion de la paix? Jusqu'à quand vous laisserez-vous tromper? Encore à
présent il court parmi vous un Calcul exact (1), que nous avons en main,
selon lequel Babylone votre ennemie devait tomber sans ressource tout récemment
et dans le mois de mai dernier. On donne tels délais qu'on veut aux prophéties
qu'on renouvelle sans fin; et cent fois trompés, vous n'en êtes que plus
crédules.
Je veux bien rapporter ici la
réponse de M. Basnage, dans un ouvrage dont il faudra peut-être vous parler un
jour. « On trouve, dit-il, mi livre entier dans l’Histoire des Variations
où l'on rit de la durée de nos maux et de l'illusion de nos peuples, qui ont été
fascinés par de fausses espérances. Mais en vérité, M. de Meaux devrait craindre
la condamnation que l'Ecriture prononce contre ceux à qui la prospérité a fait
des entrailles cruelles. Car il faut être barbare pour nous insulter sur les
maux que nous souffrons, et que nous n'avons pas méritez. Une longue misère
excite la compassion des âmes les plus dures, et on doit se reprocher d'y avoir
contribué par ses vœux, par ses désirs et par les moyens qu'on a employez pour
perdre tant de familles, plutôt que d'en faire le sujet d'une raillerie (2). »
Et un peu après, sur le même ton : « Quand il serait vrai qu'on court avec trop
d'ardeur après les
1 Calcul exact de la durée de l'Empire papal, etc.,
mai 1699. — 2 Hist. Ecclés., liv. V, cap. III, n. 9, p. 148.
134
objets qui entretiennent l'espérance, et qu'on se repaît de
quelques idées éblouissantes, dont l'on sentirait fortement la vanité , si
l'esprit était dans la tranquillité naturelle ; ce ne serait pas un crime qu'on
dût noircir par un terme emprunté de la magie (1) : » c'est-à-dire par celui de
fascination. M. Basnage voudrait nous faire oublier que le sujet de nos
reproches n'est pas que les prétendus réformés conçoivent de fausses espérances
: c'est une erreur assez ordinaire dans la vie humaine : mais que leurs
pasteurs, que ceux qui leur interprètent l'Ecriture sainte s'en servent pour les
tromper ; qu'ils prophétisent de leur cœur, et qu'ils disent : « Le Seigneur a
dit, quand le Seigneur n'a point parlé (2): » que l'illusion était si forte que
cent fois déçus par un abus manifeste des oracles du Saint-Esprit et du in mi de
Dieu, on ne s'en trouve que plus disposé à se livrer à l'erreur : toute
l'éloquence de M. Basnage n'empêchera pas que ce ne soit un digne sujet, non pas
d'une raillerie dans une occasion si sérieuse et dans un si grand péril des
aines rachetées du sang de Dieu, mais d'un éternel gémissement pour une
fascination si manifeste. Ce terme, que saint Paul emploie envers les Galates
ses enfants (3) n'est pas trop fort dans une occasion si déplorable, et nous
tâchons de l'employer avec la même charité qui animait le cœur de l'Apôtre de
qui nous rempruntons.
Malgré tous les inutiles
discours et sans craindre les vains reproches de M. Basnage, qui visiblement ne
nous touchent pas, je ne cesserai mes chers Frères, de vous représenter que
c'est là précisément ce qui vous devait arriver par le juste jugement de Dieu.
Vous vous faites un vain honneur de ne pas croire à l'Eglise dont Jésus-Christ
vous dit « que si vous ne l'écoutez , vous serez semblables aux païens et aux
publicains (4). » Vous ne croyez pas aux promesses qui la tiennent toujours en
état jusqu'à la fin des siècles : il est juste que vous croyiez à des prophéties
imaginaires ; semblables à ceux dont il est écrit que pour s'être rendus «
insensibles à l'amour de la vérité, ils sont livrés à l'opération de l'erreur,
en sorte qu'ils ajoutent foi au mensonge (5). »
1 P. 1481. — 2 Ezech., XIII, 7. — 3
Galat., III, 1. — 4 Matth., XVIII, 17. — 5 I Thess., II, 10.
135
Voyons néanmoins encore quel
usage de l'Ecriture on vous apprend dans nos controverses. Je n'en veux point
d'autre exemple que l'objection que vous ne cessez de nous faire, comme si nous
étions de ceux qui disent : « Jésus-Christ est ici ou il est là (1). » Avouez la
vérité, nos chers Frères, aussitôt qu'on traite avec vous de la présence réelle,
ce passage vous revient sans cesse à la bouche : vous n'en pesez pas la suite :
« Il s'élèvera de faux Christs et de faux prophètes. Si l'on vous dit donc : Il
est dans le désert, ne sortez, pas pour le chercher : Il est dans les lieux les
plus cachés de la maison, ne le croyez pas (2). » Il est plus clair que le jour
qu'il parle de ceux qui viendront à la fin des temps, et dans la grande
tentation de la fin du monde, s'attribuer le nom de Christ. La même chose est
répétée dans saint Marc (3). Saint Luc le déclare encore parées paroles : «
Donnez-vous garde d'être séduits : car plusieurs viendront en mon nom en disant
: C'est moi ; et le temps est proche : n'allez donc point après eux (4). » Ce
sens n'a aucun doute, tant il est exprès. Cependant s'il vous en faut croire,
celui « qui vous dit : C'est moi, et le temps de ma venue approche, » c'est le
Christ que nous croyons dans l'Eucharistie : c'est celui-là qui se veut faire
chercher ou dans le désert ou dans les maisons. Je crois bien que vos ministres
se moquent eux-mêmes dans leur cœur d'une illusion si grossière : mais cependant
ils vous la mettent dans la bouche, et pourvu qu'ils vous éblouissent en se
jouant du son des paroles saintes, ils ne vous épargnent aucun abus, aucune
profanation du texte sacré.
C'est l'effet d'un pareil
dessein qui les oblige à vous proposer, contre la durée éternelle promise à
l'Eglise, ces paroles de Jésus-Christ : « Lorsque le Fils de l'homme viendra,
pensez-vous qu'il trouve de la foi sur terre (5) ? » Mais s'il faut en toute
rigueur qu'en ce temps-là où « l'iniquité croîtra, et où la charité se
refroidira dans la multitude (6), » cette foi qui opère par la charité sera, non
point offusquée par les scandales, mais entièrement éteinte, à qui est-ce que
s'adressera cette parole : « Quand ces choses commenceront, regardez et levez la
tête, parce que votre rédemption approche (7) ? »
1 Matth., XXIV, 23. — 2 Ibid.,
24, 26. — 3 Marc, XIII, 21. — 4 Luc., XXI, 8. — 5 Ibid., XVIII, 8.
— 6 Matth., XXIV, 12. — 7 Luc., XXI, 28.
136
Où sera « ce dispensateur fidèle et prudent, que son
maître, quand il viendra, trouvera attentif et vigilant (1) ? » A quelle église
accourront les Juifs, si miraculeusement convertis, après que la plénitude de la
gentilité y sera entrée? Que si vous dites qu'aussitôt après, le monde se
replongera dans l'incrédulité, et que l'Eglise sera dissipée sans se souvenir
d'un événement qu'on verra accompagné de tant de merveilles, comment ne
songez-vous pas à ce beau passage d'Isaïe cité par saint Paul pour le prédire,
et dont voici l'heureuse suite : « Le pacte que je ferai avec vous, c'est que
mon esprit qui sera en vous, et ma parole que je mettrai dans votre bouche, y
demeurera, et dans la bouche de vos enfants, et dans la bouche des enfants de
vos enfants, aujourd'hui cl à jamais, dit le Seigneur (2) ? » Ce qui se
conservera dans la bouche de tous les fidèles sera-t-il caché, et ce qui passera
de main en main souffrira-t-il de l'interruption ?
Pendant que nous représenterons
à nos frères errants ces vérités adorables, joignez-vous à nous, peuple fidèle :
aidez à l'Eglise votre Mère aies enfanter en Jésus-Christ : vous le pouvez en
trois manières, par vos douces invitations, par vos prières et par vos exemples.
Concevez avant toutes choses un
désir sincère de leur salut, témoignez-le sans affectation et de plénitude de
cœur : tournez-vous en toute sorte de formes pour les gagner. « Reprenez les
uns, » comme dit saint Jude (3), en leur remontrant, mais avec douceur, que
ceux qui ne sont pas dans l'Eglise sont déjà jugés. Quand vous leur voyez de
l'aigreur, « sauvez-les en les arrachant du milieu du feu : ayez pour les autres
une tendre compassion avec une crainte » de les perdre, ou de manquer à quelque
chose pour les attirer : « Parlez-leur, » dit saint Augustin (4), amanter,
dolenter, fraternè, placidè : « Avec amour, avec douceur, »
sans dispute, «paisiblement» comme on fait «à son ami,» à son voisin, « à son
frère. » Vous qui avez été de leur religion, racontez-leur à l'exemple de ce
même l'ère revenu du manichéisme, par quelle trompeuse apparence vous avez été
déçus; par où vous savez
1 Luc., XII, 12. — 2 Rom.,
XI, 21; Isa., LIX, 21. — 3 Jud., 22, 23. — 4 Serm. CCXCIV, n. 20.
137
commencé à vous détromper ; par quelle miséricorde Dieu
vous a tirés de l'erreur, et la joie que vous ressentez en vous reposant dans
l'Eglise où vos pères ont servi Dieu et se sont sauvés, d'y trouver votre
sûreté, comme les petits oiseaux dans leur nid et sous l'aile de leur mère.
C'est dans cet esprit que saint
Augustin racontait au peuple de Carthage les erreurs de sa téméraire et
présomptueuse jeunesse : comme il y savait raisonner et disputer, mais non
encore s'humilier ; et comme enfin il fut pris dans de spécieux raisonnements,
auxquels il abandonnait son esprit curieux et vain. C'était pourtant sur
l'Ecriture qu'il raisonnait. « Superbe que j'étais, dit-il, je cherchais dans
les Ecritures ce qu'on n'y pouvait trouver que lorsqu'on est humble. Ainsi je me
fermais à moi-même la porte que je croyais m'ouvrir. Que vous êtes heureux,
poursuivait-il, peuples catholiques, vous qui vous tenez petits et humbles dans
le nid où votre foi se doit former et nourrir : au lieu que moi malheureux, qui
croyais voler de mes propres ailes, j'ai quitté le nid, et je suis tombé avant
que de pouvoir prendre mon vol. Pendant que jeté à terre j'allais être écrasé
par les passants, la main miséricordieuse de mon Dieu m'a relevé, et m'a remis
dans ce nid (1) » et dans le sein de l'Eglise d'où je m'étais échappé. Que
pouvez-vous représenter de plus affectueux et de plus tendre à ceux qui prévenus
contre l'Eglise, craignent l'abri sacré que la foi y trouve contre les
tentations et les erreurs?
Lorsque vous travaillez avec
nous à ramener nos frères, le discours le plus ordinaire que vous entendrez est
qu'ils souffrent persécution : celle pensée les aigrit et les indispose. La
question sera ici de savoir s'ils souffrent pour la justice. S'il y a eu des
lois injustes contre les chrétiens, « il y en a » eu aussi, dit saint Augustin
(2), de très-justes « contre les païens; il y en a eu contre les Juifs, enfin il
y en a eu contre les hérétiques. » Voulait-on que les princes religieux les
laissassent périr en repos dans leur erreur, sans les réveiller? Et pourquoi
donc ont-ils en main la puissance? L'examen de leur doctrine, dit le même Père,
a été fait par l'Eglise : « il a été fait et par le saint Siège apostolique,
1 Serm. LI, n. 6. — 2 Serm. LXII, n. 18.
138
et par le jugement des évêques : Examen factum est apud
apostolicam Sedem, factum est in episcopali judicio (1):» ils y ont été
condamnés en la même forme que toutes les anciennes hérésies. « La leur étant
condamnée par les évêques, il n'y a plus d'examen à faire ; et il ne reste autre
chose, sinon, dit saint Augustin, qu'ils soient réprimés par les puissances
chrétiennes : Damnata ergo haesresis ab episcopis, non adhuc examinatida, sed
coercenda est à potestantibus christianis. » Vous voyez selon l'ancien ordre
de l'Eglise, ci' qui reste à ceux qui ont été condamnés pâlies évêques. C'est ce
que disait ce l'ère aux pélagiens. Il le disait, il le répétait au dernier
ouvrage sur lequel il a fini ses jours ; il le disait donc plus que jamais plein
d'amour, plein de charité dans le cœur, plein de tendresse pour eux : car c'est
là ce qu'on veut porter devant le tribunal de Dieu, lorsqu'on y va comparaître.
Revêtez-vous donc envers nos frères en-ans d'entrailles de miséricorde : tâchez
de les faire entrer dans les sentiments et dans le zèle de notre grand Roi : la
foi où il les presse de retourner est celle qu'il a trouvée sur le trône depuis
Clovis, depuis douze à treize cents ans : celle que saint Rémi a prêchée aux
François victorieux : celle que saint Denis et les autres hommes apostoliques
avaient annoncée aux anciens peuples de la Gaule, où les successeurs de saint
Pierre les ont envoyés. Depuis ce temps a-t-on dressé une nouvelle Eglise, et un
nouvel ordre de pasteurs ? N'est-on pas toujours demeuré dans l'Eglise qui avait
saint Pierre et ses successeurs à sa tête? Les rois et les potentats qui ont
innové, qui ont changé la religion qu'ils ont trouvée sur le trône, en
peuvent-ils dire autant? Pour nous, nous avons encore les temples et les autels
que ces grands rois, saint Louis, Charlemagne et leurs prédécesseurs ont érigés.
Nous avons les volumes qui ont été entre leurs mains : nous y lisons les mêmes
prières que nous faisons encore aujourd'hui : et on ne veut pas que leurs
successeurs travaillent à ramener leurs sujets égarés, comme leurs enfants, à la
religion sous laquelle cette monarchie a mérité de toutes les nations le
glorieux titre de très-chrétienne ? Saint Augustin, que j'aime à citer, comme
celui dont le zèle
1 Op. imp. cont. Jul., lib. II, n. 103.
139
pour le salut des errants a égalé les lumières qu'il avait
reçues pour les combattre ; à la veille de cette fameuse conférence de Carthage
où la charité de l'Eglise triompha des donatistes plus encore que la vérité et
la sainteté de sa doctrine, parlait ainsi aux catholiques : Que la douceur règne
dans tous vos discours et dans toutes vos actions : « combien sont doux les
médecins pour faire prendre à leurs malades les remèdes qui les guérissent?
Dites à nos frères : Nous avons assez disputé, assez plaidé : enfants par le
saint baptême du même Père de famille, finissons enfin nos procès : vous êtes
nos frères : bons ou mauvais, voulez-le, ne le voulez pas, vous êtes nos frères.
Pourquoi voulez-vous ne le pas être? Il ne s'agit pas de partager l'héritage :
il est à vous comme à nous; possédons-le en commun tous deux ensemble. Pourquoi
vouloir demeurer dans le partage? Le tout est à vous. Si cependant ils
s'emportent contre l'Eglise et contre vos pasteurs, c'est l'Eglise, ce sont vos
pasteurs qui vous le demandent eux-mêmes : ne vous lâchez jamais contre eux : ne
provoquez point de faibles yeux à se troubler eux-mêmes : ils sont durs,
dites-vous, ils ne vous écoutent pas : c'est un effet de la maladie : combien en
voyons-nous tous les jours qui blasphèment contre Dieu même? Il les souffre, il
les attend avec patience : attendez aussi de meilleurs moments : hâtez ces
heureux moments par vos prières. Je ne vous dis point : Ne leur parlez plus ;
mais quand vous ne pourrez leur parler, parlez à Dieu pour eux, et parlez-lui du
fond d'un cœur où la paix règne (1). »
Mes chers Frères les
catholiques, continuait saint Augustin, « quand vous nous voyez disputer pour
vous, priez pour le succès de nos conférences : aidez-nous par vos jeûnes et par
vos aumônes : donnez ces ailes à vos prières, afin qu'elles montent jusqu'aux
cieux : par ce moyen, vous ferez plus que nous ne pouvons faire :..... vous
agirez plus utilement par vos prières que nous par nos discours et par nos
conférences. » Demandez à Dieu pour eux un amour sincère de la vérité : tout
dépend de la droite intention ; tous s'en vantent, tous s'imaginent l'avoir :
mais combien est subtile la séduction qui nous cache nos intentions à
1 Serm. CCCLVII, de laud. pasc., n. 4 etc.
140
nous-mêmes ! Dans l'état où ils se trouvent, disent-ils,
tout leur est suspect ; et s'ils se sentent portés à nous écouter, ils ne
peuvent plus discerner si c'est l'inspiration ou l'intérêt qui les pousse. Mais
savent-ils bien si leur fermeté n'est pas un attachement à son sens? Nous
rendons ce témoignage à plusieurs d'eux, comme saint Paul le voulait bien rendre
aux Israélites qui résistaient à l'Evangile : « Ils ont le zèle de Dieu : » mais
savent-ils si c'est bien un « zèle selon la science (1), » si ce n'est pas
plutôt un « zèle amer (2),» comme l'appelle saint Jacques ? Combien en voit-on
qui par un faux zèle, dont on se fait un fantôme de piété dans le cœur, croient
rendre service à Dieu en s'opposant à sa vérité ? Venez, venez à l'Eglise, à la
promesse, à Jésus-Christ même qui l'a exprimée en termes si clairs : c'est où je
vous appelle dans ce doute. O Dieu, mettez à nos Frères dans le fond du cœur une
intention qui plaise à vos yeux, afin qu'ils aiment l'unité, non point en
paroles, mais en œuvre et en vérité ; leur conversion est à ce prix, et nul de
ceux qui vous cherchent avec un cœur droit ne manque de vous trouver.
Quand on tâche de les engager à
se faire instruire, on trouve dans quelques-uns un langage de docilité qui leur
fera dire qu'ils sont prêts à tout écouter, et qu'il faut leur donner du temps
pour chercher la vérité. On doit louer ce discours, pourvu qu'il soit sincère et
de bonne foi. Mais en même temps il faut leur représenter selon la parole de
Jésus-Christ (3), que l'on ne cherche que pour trouver, l'on ne demande que pour
obtenir, l'on ne frappe qu'afin qu'il nous soit ouvert : au reste Dieu nous rend
facile à trouver la voie qui mène à la vie ; car il veut notre salut, et
n'expose pas ses enfants à des recherches infinies : autrement on pourrait
mourir entre deux, et mourir hors de l'Eglise, dans l'erreur et dans les
ténèbres, par où l'on est envoyé selon la parole de Jésus-Christ, « aux ténèbres
extérieures (4), » loin du royaume de Dieu et de sa lumière éternelle. Pour
éviter ce malheur, il faut se hâter de trouver la foi véritable, et prendre pour
cela un terme court. Il est vrai que pour élever l’âme chrétienne, Jésus-Christ
lui propose des vérités hautes, qui feraient
1 Rom.,
X, 2. — 2 Jacob., III, 14. — 3 Matth., VII, 7. — 4 Ibid.,
XXII, 13.
141
naître mille questions si on avait à les discuter les unes
après les autres ; mais aussi pour nous délivrer de cet embarras qui jetterait
les âmes dans un labyrinthe d'où l'on ne sortirait jamais, et mettrait le salut
trop en péril, il a tout réduit à un seul point, c'est-à-dire à bien connaître
l'Eglise, où l'on trouve tout d'un coup toute vérité autant qu'il est nécessaire
pour être sauvé. Tout consiste à bien concevoir six lignes de l'Evangile, où
Jésus-Christ a promis en termes simples, précis et aussi clairs que le soleil, «
d'être tous les jours avec les pasteurs de son Eglise, jusques à la fin des
siècles. » Il n'y a point là d'examen pénible à l'esprit humain : on n'a besoin
que d'écouter, de peser, de goûter parole à parole les promesses du Sauveur du
inonde. Il faut bien donner quelque temps à l'infirmité et à l'habitude, quand
on est élevé dans l'erreur ; mais il faut à la faveur des promesses de l'Eglise
conclure bientôt, et ne pas être de ceux dont parle saint Paul, qui pour leur
malheur éternel « veulent toujours apprendre, et qui n'arrivent jamais à la
connaissance de la vérité (1). »
Mais voulez-vous gagner les
errants, aidez-les principalement par vos bons exemples. Que la présence de
Jésus-Christ sur nos autels fasse dans vos cœurs une impression de respect, qui
sanctifie votre extérieur. « Que vos tabernacles sont aimables, ô Seigneur des
armées! Mon coeur y aspire, et est affamé des délices de votre table sacrée (2).
» O Dieu, que ces scandaleuses irrévérences, qui sont le plus grand obstacle à
la conversion de nos frères, soient bannies éternellement de votre maison! C'est
par là que l'iniquité et les faux réformateurs ont prévalu. « La force leur a
été donnée contre le sacrifice perpétuel » qu'ils ont aboli en tant d'endroits,
« à cause des péchés du peuple : la vérité est tombée par terre : le sanctuaire
a été foulé aux pieds (3). » Des hommes qui s'aimaient eux-mêmes ont rompu le
filet, et se sont fait des sectateurs. Le vain titre de réformation les flatte
encore : « Ils ont fait, » c'est-à-dire ils ont réussi pour leur malheur. « Ils
ont abattu des forts, » ou qui semblaient l'être : ils ont ébranlé des colonnes
et entraîné des étoiles. Mais leur progrès a ses bornes, et ils n'iront pas plus
loin que Dieu n'a permis. Il a puni par un
1 II Timoth., III. 7. — 3 Psal.
LXXXIII. 1. — 3 Dan., VIII, 12.
142
même coup les nations de qui il a retiré son saint mystère
dont ils abusaient, et ceux dont les artifices en ont dégoûté les peuples
ingrats. Humilions-nous sous son juste jugement, et implorons ses miséricordes,
afin qu'il rende à sa sainte Eglise cette grande partie de ses entrailles qui
lui a été arrachée.
Cessons de nous étonner qu'il y
ait des schismes et des hérésies : nous avons vu pourquoi Dieu les souffre ; et
quelque grandes qu'aient été nos pertes, il n'y a jamais que la paille que le
vent emporte. Il faut qu'il en soit jeté au dehors. Il faut qu'il en demeure au
dedans : il faut, dis-je, qu'il y ait de la paille dans l'aire du Seigneur, et
des médians dans son Eglise. Si l'amas en est grand, aussi sera-t-il jeté dans
un grand feu. Cependant, mes Frères, la paille croîtra toujours avec le bon
grain ; plantée sur la même terre, attachée à la même tige, échauffée du même
soleil, nourrie par la même pluie, jetée en foule dans la même aire, elle ne
sera point portée au même grenier ; rendons-nous donc le bon grain de
Jésus-Christ. Que nous servirait d'avoir été dans l'Eglise et d'en avoir cru les
promesses, si nous nous trouvions à la fin, ce qu'à Dieu ne plaise ! dans le feu
où brilleront les hérétiques et les impies ? Plutôt attirons-les par nos bons
exemples à l'unité, à la vérité, à la paix : et pour ne laisser sur la terre
aucun infidèle par notre faute, goûtons véritablement la sainte parole :
faisons-en nos chastes et immortelles délices : qu'elle paroisse dans nos mœurs
et dans nos pratiques. Que nos frères ne pensent pas que nous les détournions de
la lire et de la méditer nuit et jour : au contraire ils la liront plus
utilement et plus agréablement tout ensemble, quand pour la mieux lire ils la
recevront des mains de l'Eglise catholique, bien entendue et bien expliquée,
selon qu'elle l'a toujours été. Ce n'est pas les empêcher de la lire que de leur
apprendre à faire cette lecture avec un esprit docile et soumis, pour s'en
servir sans ostentation et dans l'esprit de l'Eglise, pour la réduire en
pratique et prouver par nos bonnes œuvres, comme disait l'apôtre saint Jacques
(1), que la vraie foi est en nous.
1 Jacob., II, 18.
FIN DE LA PREMIÈRE
INSTRUCTION PASTORALE
SUR LES PROMESSES DE L'ÉGLISE.
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