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TROISIÈME AVERTISSEMENT
AUX PROTESTANTS
SUR LES LETTRES DU MINISTRE JURIEU
CONTRE
L’HISTOIRE DES VARIATIONS.
Le salut dans l'Eglise romaine, selon ce ministre : le
fanatisme établi dans la Réforme par les ministres Claude et Jurieu, selon la
doctrine des quakers : tout le parti protestant exclus du titre d'Eglise par M.
Jurieu.
Une des promesses de l'Eglise,
et celle qui fait le mieux sentir que la vérité plus puissante que toutes choses
est en elle, c'est qu'elle verra ses ennemis et même ceux qui la « calomnient, »
abattus à ses pieds, « l'appeler, » malgré qu'ils en aient, « la cité du
Seigneur, la Sion du Saint d'Israël (1).» Personne, je l'oserai dire, n'a jamais
plus indignement calomnié l'Eglise romaine que le ministre Jurieu; et néanmoins
on le va voir forcé à la reconnaître pour la Cité de Dieu, puisqu'il l'avoue
pour vraie Eglise qui porte ses élus dans son sein, et dans laquelle on se
sauve. Il nie de l'avoir dit; et peut-être voudrait-il bien ne l'avoir pas fait.
Mais nous allons vous montrer, et cela ne nous sera point fort difficile,
premièrement qu'il l'a dit; secondement, qu'il faut qu'il le dise encore une
fois, et qu'il justifie l'Eglise romaine de toutes les calomnies qu'il lui fait
lui-même, à moins de renverser en même temps tous les principes qu'il pose, et
en un mot tout son Système de l'Eglise. «Je n'ai pas pu négliger, dit-il,
les deux accusations que M. Bossuet me fait dans son dernier livre (c’est le XVe
des Variations) de sauver les gens dans le socinianisme et dans le
1 Isa., LX, 14; Apoc, III, 12; XXI, 2, 10.
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papisme. Peut-être, continue-t-il, aurais-je pu me passer
de répondra sur la première accusation, mais il est fort nécessaire de repousser
la seconde; c'est que, selon le ministre, on peut se sauver dans l'Eglise
romaine, et qu'ainsi c'est une grande témérité d'en sortir (1). » Vous voyez,
mes Frères, comme il s'élève contre cette accusation : avouer qu'on se sauve
dans le papisme, c'est selon lui un si grand crime, qu'il trouve plus nécessaire
de s'en défendre que d'avoir mis le salut parmi les sociniens; mais, malgré ses
vaines défaites, vous l'avez vu convaincu sur le dernier chef, et vous pouvez
présumer dès là qu'il le sera bientôt sur
l'autre.
La preuve en est concluante en
présupposant la distinction que fait le ministre, de l'Eglise considérée selon
le corps, et de l'Eglise considérée selon l'aine. La profession du christianisme
suffit pour faire partie du corps de l'Eglise (ce qu'il avance contre M. Claude,
qui ne compose le corps de l'Eglise que de véritables fidèles) ; mais pour avoir
part à l’âme de l'Eglise, il faut être dans la grâce de Dieu (2). « L'Eglise,
dit le ministre, est composée de corps et d'aine : on en convient dans les deux
communions : l’âme de l'Eglise est la foi et la charité (3). »
Pour décider maintenant, selon
ce ministre, ce qui donne part à l’âme de l'Eglise ou, comme il parle en
d'autres endroits, ce qui rend les sociétés vivantes, il ne faut
qu'entendre le même ministre dans son Système. « Premièrement nous
distinguons les sectes qui ruinent le fondement de celles qui le laissent en son
entier; et nous disons que celles qui ruinent le fondement sont des sociétés
mortes; des membres du corps de l'Eglise à la vérité, mais des membres sans vie,
et qui n'ayant point de vie n'en sauraient communiquer à ceux qui vivent au
milieu d'elles (4). » Par la raison opposée les sociétés où les fondements sont
en leur entier, ont la vie et la communiquent; et voici quelles elles sont selon
le ministre. « Nous appelons communions les Grecs, les Arméniens les Cophtes,
les Abyssins, les Russes, les Papistes et les Protestants. Toutes ces sociétés
ont forme d'église : elles ont une confession de foi, des conducteurs, des
sacrements, une discipline ; la parole
1 Lett. IX, 81. — 2 Var., liv.
XV, n. 54. — 3 Syst., p. 10. — 4 Ibid., 147.
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de Dieu y est reçue, et Dieu y conserve ses vérités
fondamentales. » Vous voyez qu'il range les papistes avec les grecs et les
autres, qui selon lui ont conservé les « vérités fondamentales, » et parmi
lesquels pour cette raison il reconnaît qu'on se sauve par la vertu de la parole
qui y est prêchée; car c'est là son grand principe, comme vous l'avez déjà vu
dans l'Avertissement précédent (1), et comme vous le verrez de plus en
plus dans la suite : voilà ce qu'il appelle les sociétés vivantes.
Il raisonne de la même sorte
dans ses Préjugés légitimes : « L'Eglise universelle s'est divisée en
deux grandes parties, l'église grecque et l'église latine. L'église grecque,
avant ce grand schisme, était déjà subdivisée en nestoriens, en eutychiens, en
melchites et en plusieurs autres sectes. L'église latine s'est aussi partagée en
papistes, vaudois, hussites, taborites, luthériens, calvinistes, anabaptistes,
divisez eux-mêmes en plusieurs branches. C'est une erreur de s'imaginer que
toutes ces différentes parties aient absolument rompu avec Jésus-Christ, en
rompant les unes avec les autres (2). » Je ne m'arrêterai pas à l'ignorance de
votre ministre qui en comptant les melchites parmi les sectes de l'Orient, les
oppose aux nestoriens et aux eutychiens, sans songer que le nom de Melchites,
qui veut dire Royalistes, est celui que les eutychiens donnèrent aux
orthodoxes, à cause que les empereurs qui étaient catholiques, autorisaient la
saine doctrine par leurs édits, et au contraire proscrivaient les eutychiens ;
ce qui fait voir en passant que ce n'est pas d'aujourd'hui que les hérétiques
qui n'ont pas pour eux les puissances, tâchent de tirer avantage de ce que
l'Eglise catholique en est protégée. Mais laissant à part cette remarque,
arrêtons-nous à cette parole du ministre : « Il ne faut pas croire que toutes
ces sectes (ce sont celles qu'il vient de nommer, parmi lesquelles il nous
range), en rompant entre elles, aient rompu absolument avec Jésus-Christ. » Nous
avons observé ailleurs (3) que, « qui ne rompt pas avec Jésus-Christ, » ne rompt
pas, pour ainsi parler, avec le salut et avec la vie, et qu'aussi pour cette
raison le ministre a compté ces sociétés parmi « les sociétés vivantes, » sans
s'émouvoir de l'objection qu'on leur fait « de
1 I Avertiss., n. 43. — 2 Préj. légit., Ière
part., p. 6. — 2 Var., liv. XV, n. 55.
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verser le fondement par des conséquences qu'ils nient ; »
ce que le ministre pousse si loin, qu'il ose bien dire « que les eutychiens
renversaient le fondement, c'est-à-dire l'incarnation du Verbe, en supposant que
le Verbe s'était fait chair non par voie d'assomption, mais par voie de
changement, comme l'air se fait eau, et l'eau se fait air, en supposant que la
nature humaine était absorbée dans la nature divine et entièrement confondue. Si
tel a été leur sentiment, continue-t-il, ils ruinaient le mystère de
l'incarnation; mais c'était seulement par conséquence : car d'ailleurs ils
reconnaissaient en Jésus-Christ divinité et humanité, et ils avouaient que le
Verbe avait pris chair réellement et de fait (1). » Cette doctrine du ministre
sur l'incarnation paraîtra étrange aux théologiens ; mais ce qu'il dit de
Nestorius ne l'est pas moins : « Si Nestorius a crû qu'il y a dans Jésus-Christ
deux personnes, aussi bien que deux natures, son hérésie était notoire ;
cependant elle ne détruisait l'incarnation que par conséquence : car cet
hérésiarque confessait un Rédempteur, Dieu béni éternellement avec le Père : »
d'où il conclut « qu'il est aisé que Dieu se conserve des élus dans ces sortes
de sectes, parce qu'il y a dans ces communions mille et mille gens qui ne vont
point jusqu'aux conséquences, et d'autres qui y allant les rejettent
formellement. »
Je ne veux point disputer avec
le ministre sur la doctrine de Nestorius et d'Eutychès, ni s'il est permis à des
gens sages d'en croire plutôt des auteurs modernes qui viennent les excuser
après douze cents ans, que les Pères qui ont vécu avec eux et les ont ouïs, et
que les conciles d'Ephèse et de Chalcédoine où leur cause a été jugée. Mais
qu'en supposant leur erreur telle qu'on la vient de rapporter, on s'en puisse
contenter jusqu'à les sauver de détruire formellement l'incarnation : c'est ce
qu'aucun catholique, aucun luthérien, aucun calviniste n'avait osé dire. Les
termes mêmes y résistent, puisque l'incarnation n'étant autre chose que deux
natures unies en la même personne divine, pour peu que l'on divise la personne,
ou que l'on confonde les natures le nom même d'incarnation ne subsiste
plus. On sauve néanmoins ces hérétiques; on sauve , dis-je, les nestoriens, ou
les eutychiens,
1 Syst., 155.
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bien qu'on avoue qu'ils renversent le mystère de
l'incarnation ; c'est-à-dire bien qu'on avoue qu'ils renversent le fondement de
la rédemption du genre humain. On traite aussi favorablement ceux qui font
naître le Fils de Dieu dans le temps, et seulement un peu avant la création du
monde (1). Si ceux-là conservent le fond de la Trinité, il ne faut plus
s'étonner qu'on fasse aussi conserver le fond de l'incarnation à ceux qui
divisent la personne de Jésus-Christ, ou lui ôtent ses deux natures en les
absorbant l'une dans l'autre, comme parle M. Jurieu. Tout est permis à ce prix :
le mystère de la piété est anéanti : la théologie n'est que dans les mots, et
les hérétiques les plus pervers sont orthodoxes. Mais lai-sons cela : ce dont
nous avons ici besoin, c'est de ce principe du ministre, qu'il ne faut point
imputer les conséquences à qui les nie. Sur ce principe il a dit, et il a dû.
dire que l'Eglise romaine était comprise parmi les sociétés vivantes, puisque
selon lui elle ne renverse aucun des fondements de la foi, et que si on lui
impute de les renverser par des conséquences, on doit répondre pour elle, ou «
qu'elle n'y entre pas, » ou « qu'elle les nie ; » ce qui en effet est
très-véritable : de sorte que, pour parler avec le ministre, « il est aisé à
Dieu de s'y conserver des élus. »
A la vérité, il est honteux à la
Réforme de ne sauver les enfants de l'Eglise catholique qu'avec les nestoriens
et les eutychiens, et avec tant d'autres sectes réprouvées : cela, dis-je, est
honteux à la Réforme; car pour nous, notre témoignage vient de plus haut ; et
quand tous les protestants conspireraient à nous damner, notre salut n'en serait
pas moins assuré. C'est à eux qu'il est avantageux de nous mettre au rang des
vrais fidèles, quoique ce soit avec ceux envers qui il ne faudrait pas être si
facile; et dans la haine que M. Jurieu a contre nous, c'est une espèce de
miracle qu'il ait pu être forcé à cet aveu. Voici comme il s'en défend, et voici
en même temps comme il en est convaincu : « On accuse, dit-il, M. Jurieu d'avoir
franchi le pas, et d'avoir avoué rondement qu'on peut se sauver dans l'Eglise
romaine : en quel endroit a-t-il donc franchi ce pas? N'a-t-il pas dit par tout
que le papisme est un abominable paganisme, et que l'idolâtrie y est aussi
grossière qu'elle
1 I Avert., n. 6 et suiv.
281
était autrefois à Athènes (1) ? » Il l'a dit, je le
confesse : il passe outre ; et après avoir exagéré nos idolâtries avec l'aigreur
dont il a coutume d'accompagner ses paroles, il continue en cette sorte : «
N’a-t-il pas dit, ce ministre qu'on accuse de reconnaître qu'on se peut sauver
dans l'Eglise romaine, qu'elle était, cette Babylone de laquelle on était obligé
de sortir sur peine d'éternelle damnation, par le commandement de Dieu : «
Sortez de Babylone, mon peuple ? » Il a dit tout cela, et il a poussé ces
calomnies au dernier excès. Mais avec tout cela Dieu est le maître : Dieu force
les ennemis de la vérité et les calomniateurs de son Eglise, à dire plus qu'ils
ne veulent, et tout en calomniant l'Eglise romaine de la manière qu'on voit, il
faut qu'il vienne aux pieds de cette Eglise avouer qu'on se sauve dans sa
communion, et que les enfants de Dieu sont dans son sein.
Les deux raisons
qu'il allègue pour se défendre de cet aveu, sont premièrement que l'Eglise
romaine, selon lui, est idolâtre ; et secondement, qu'elle est l'église
antichrétienne. Pour commencer par l'idolâtrie, voici les paroles du ministre :
« L'Eglise, dit-il, dans le cinq, le six, le sept et le huitième siècle, adopta
les divinités d'un second ordre, en mettant les saints et les martyrs sur les
autels destinés à Dieu seul : elle adora des reliques ; elle se fit des images
qu'elle plaça dans les temples, et devant lesquelles elle se prosterna. C'était
pourtant la même Eglise, mais devenue malade, infirme, ulcéreuse; vivante
pourtant, parce que la lumière de l'Evangile et les vérités du christianisme
demeuraient cachées, mais non étouffées sous cet amas de superstitions (2). »
Voilà donc en propres termes l'Eglise vivante, malgré ses idolâtries
envers les Saints, envers leurs reliques et même envers leurs images. Il n'y a
point ici d'équivoque : ce que le ministre appelle Eglise vivante, c'est
l'Eglise où sont ceux qui vivent, c'est-à-dire les vrais fidèles; ceux qui
participent à l'Eglise, non-seulement « selon son corps, » c'est-à-dire selon la
profession extérieure de sa foi, mais encore « selon son âme, » c'est-à-dire
selon la foi et la charité, comme on a vu. Si donc l'Eglise est vivante malgré
les idolâtries dont on l'accuse, ces idolâtries n'empêchent pas que la foi et la
1 Lett. XI, p. 8. — 2 Préj., légit., Ière part., ch.
I, p. 5.
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charité ne s'y trouvent, ni par conséquent qu'on ne s'y
sauve. J'avais produit ce passage dans l'Histoire des Variations (1);
mais le ministre le passe sous silence, et se contente de s'écrier en cette
sorte : « Quelle hardiesse faut-il avoir pour avancer qu'un auteur qui dit tout
cela, » c'est-à-dire qui dit entre autres choses que l'Eglise romaine est
idolâtre, « a franchi le pas et avoué rondement qu'on peut se sauver dans
l'Eglise romaine. Il faut avoir un front semblable à celui du sieur Bossuet (2).
» Il est en colère ; vous le voyez : mais cela n'est rien en comparaison de ce
qui paraît dans la suite, lorsqu'il dit « que bien des gens mettent ce prélat au
nombre des hypocrites qui connaissent la vérité, » et qui la trahissent, sans
doute en parlant contre leur conscience ; ce qu'il répète encore en d'autres
endroits. Que lui servent ces emportements et tous ces airs de dédain qui lui
conviennent si peu? Il voudrait bien avoir avec moi une dispute d'injures, ou
que je perdisse le temps à répondre aux siennes; mais ce n'est pas de quoi il
s'agit. Puisqu'il se vante de répondre à l'accusation que je lui fais de nous
sauver malgré nos idolâtries prétendues, il faudrait répondre aux passages dont
je la soutiens ; et c'est un aveu de sa faiblesse de ne mettre que des injures à
la place d'une défense légitime.
Mais il va être poussé bien plus
avant. Selon lui, du temps de saint Léon l'idolâtrie était assez grande dans
l'Eglise pour en faire une église antichrétienne, et faire de saint Léon
l'Antéchrist même ; et néanmoins le ministre écrit ces paroles dans la treizième
Lettre de cette année : « Pendant que l'Antéchrist fut petit, il ne ruina
pas l'essence de l'Eglise. Léon (car il n'est plus saint, et M. Jurieu l'a
dégradé), Léon donc, et quelques-uns de ses successeurs furent d'honnêtes gens
autant que l'honnêteté et la piété sont compatibles avec une ambition excessive.
Il est certain aussi que de son temps l'Eglise se trouva engagée fort avant
dans l'idolâtrie du culte des créatures, qui est un des caractères de l'anti-christianisme
; et bien que ces maux ne fussent pas encore extrêmes, et ne fussent pas tels
qu'ils damnassent la personne de Léon, qui d'ailleurs avait de bonnes
qualités , c'était pourtant assez pour faire les commencements de
l'antichristianisme (3). »
1 Var., liv. XV, n. 54. — 2 Lett. XI. —3 Lett. XIII,
de 1689, p. 98.
285
Vous voyez donc qu'on n'est pas damné, quoiqu'on soit
non-seulement idolâtre, mais encore « fort avant engagé dans l'idolâtrie du
culte des créatures. » Si on n'est pas du nombre des saints, et qu'il faille
rayer saint Léon de ce catalogue, on est au moins du nombre des honnêtes gens ;
et le mal de l'idolâtrie n'est pas si extrême qu'on en perde le salut.
Poussons encore. On a démontré
dans le livre des Variations et ailleurs (1), par les paroles expresses
de saint Jean, que la bête et l'Antéchrist ont blasphémé et idolâtré dès leur
naissance, et pendant toute l'étendue des 1260 jours de leur durée. Le ministre
a voulu le dissimuler, pour n'être point obligé de reconnaître ; ces attentats
du temps et dans la personne de saint Léon, de saint Simplice, de saint Gélase
et des autres saints Pontifes du cinquième siècle ; mais à la fin il a fallu
trancher le mot. « Il est certain que dés ce temps commencèrent tous les
caractères de la bête. Dés le temps de Léon les gentils ou païens commencèrent à
fouler l'Eglise aux pieds ; car le paganisme, qui est le culte des créatures, y
entra. Dés lors on commença à blasphémer contre Dieu et ses Saints ; car ôter à
Dieu son véritable culte pour en faire part aux Saints, c'est blasphémer contre
Dieu (2). » Voilà donc le blasphème et l'idolâtrie antichrétienne établie sous
saint Léon. Il n'en était pas exempt, puisqu'il était lui-même l'Antéchrist; et
en effet il est constant qu'il n'honora pas moins les reliques, et ne demanda
pas moins le secours de la prière des Saints, que tous les autres. Voilà donc,
non-seulement un idolâtre, mais encore le chef de l'idolâtrie antichrétienne
dans le nombre des élus, et l'idolâtrie n'empêche pas le salut.
Mais est-il possible ,
direz-vous, que notre ministre ait dit ces choses, lui qui avoue à l'auteur des
Variations que l'idolâtrie, un si grand blasphème contre Dieu, n'a point
d'excuse, « et qu'on n'a jamais crû ni pensé qu'on put sauver un idolâtre sous
prétexte de sa bonne foi (3)? » N'est-il pas vrai qu'il a écrit ces paroles ? Je
l'avoue : il les a écrites dans l'onzième Lettre; mais néanmoins dans la
treizième il a excusé saint Léon, quoique idolâtre et chef
1 Apoc, XI; XII, 6, 14; XIII, 5, 6 ; Var., liv.
XIII, n. 21 ; Avertiss. aux Protest., sur l'Apoc. n. 27, 28. — 2 Lett.
XIII, p. 99, col. 2. — 3 Lett. XI, p. 82.
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de l'idolâtrie. Bien plus, on lui a fait voir que sur le
sujet de l'honneur des Saints, saint Léon n'en avait dit ni plus ni moins que
saint Basile, que saint Chrysostome, que saint Ambroise, que saint Augustin, que
saint Grégoire de Nazianze et tous les autres Pères du quatrième siècle, qui
selon lui ne sont pas seulement d'honnêtes gens, comme saint Léon, mais encore
des Saints. Le fait a passé pour constant, et voici les paroles du ministre : «
Cent ans avant saint Léon l'adoration des Saints et des reliques était inconnue.
Quinze ou vingt ans après, on commença à en voir quelques vestiges dans les
écrits des Pérès, mais ce ne fut rien de considérable avant la fin du quatrième
siècle (1). » Laissons-lui arranger à sa fantaisie toute cette histoire ; et en
ne prenant que ce qu'il nous donne, posons pour principe certain que ce qu'il
appelle idolâtrie et adoration des reliques, était devenu « considérable » sur
la fin du « quatrième siècle » où ces grands hommes florissaient. Non-seulement
ils souffraient, mais encore ils enseignaient cette idolâtrie : ils prêchaient
les miracles dont le démon, dit le ministre, fascinait les yeux des hommes pour
l'autoriser; « et il est certain, » dit M. Jurieu, « que ce fut un esprit
trompeur qui abusa saint Ambroise, » et qui lui découvrit « ces reliques » ( ce
furent celles de saint Gervais et de saint Protais (2) ) « pour en faire des
idoles (3). » Voilà donc non plus seulement un adorateur de l'idole, mais celui
qui l'érigé dans la maison de Dieu, et que le diable abuse pour le faire servir
d'organe à l'impiété, au nombre des Saints. Saint Augustin entre en part de ce
crime, puisqu'il le rapporte, qu'il le loue , qu'il le consacre. Voilà donc des
saints idolâtres; et l'idolâtrie, loin d'être un crime qui damne, n'empêche même
plus qu'on soit saint.
Le ministre a prévu cette
objection, et voici comme il se la fait à lui-même : « Vous avouez que
l'invocation des Saints a plus de douze cents ans sur la teste ; cela ne vous
fait-il point de peine, et comment pouvez-vous croire que Dieu ait laissé
reposer son Eglise sur l'idolâtrie depuis tant de siècles (4)? » Il n'y a
personne qui ne frémît à une semblable objection, et ne crût qu'il n'y a de
1 Lett. XI p 82. — 2 Avert. aux Protest., sur l’Apoc.,
n. 36. — 3 Acc. des Proph., p. III. — 4 Avert. aux Protest. sur l'Apoc.,
n.29; Jur., lett. XVII, de la 1ère ann., p. 139.
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salut qu'à nier le fait ; mais le ministre accorde tout, et
sans s'étonner, « Nous répondons, dit-il, que nous ne savons point respecter
l'antiquité sans vérité. Nous ne sommes point étonnés de voir une si vieille
idolâtrie dans l'Eglise , parce que cela nous a été formellement prédit : il
faut que l'idolâtrie règne dans l'Eglise chrétienne 1260 ans. » Voilà donc
l'état de l'Eglise dès le quatrième siècle. Dans le siècle de saint Basile, de
saint Ambroise et de saint Chrysostome, « l'idolâtrie régnait ; » l'Eglise se
reposait « sur l'idolâtrie : » on se sauvait néanmoins ; on parvenait à la
sainteté dans cette Eglise où régnait l'idolâtrie, et qui se reposait dessus. Il
ne faut donc plus alléguer l'idolâtrie de l'Eglise , pour montrer qu'on ne s'y
sauve pas.
Quelqu'un me dira peut-être :
J'ai trouvé dans M. Jurieu la résolution de cette difficulté : « L'évêque de
Meaux, dit-il, répète la vaine déclamation tirée de ce qu'en accusant le culte
de l'Eglise i romaine d'idolâtrie , cette accusation tombe nécessairement sur
les saint Ambroise et les saint Augustin, les saint Jérôme, les saint Grégoire
de Nazianze , et sur tous les chrétiens de ces siècles qui ont vénéré les
reliques et invoqué les Saints (1). » La « déclamation » est pressante sans
doute ; mais voyons si le ministre, qui la méprise, osera du moins nier le fait
qu'on y avance sur le sentiment des Pères du quatrième siècle. Point du tout.
Voici sa réponse : « Nous avons répondu à cela bien des fois. » C'en est assez
pour tromper les ignorants ; il ne faut que leur dire qu'on a répondu. Mais
qu'avez-vous répondu? Que dans ces siècles il n'y avait point de superstitions
des reliques, ou d'invocations des Saints? Non. « Nous avons répondu, dit-il
que dans ces siècles la superstition des reliques et de l'invocation des Saints
n'était pas encore montée au degré d'idolâtrie où elle est arrivée depuis, et
que Dieu a toléré quelques sortes de superstitions dans ces grands hommes, qui
d'ailleurs ont rendu tant de services à l'Eglise. » Quelle misère de gauchir
toujours, et de n'oser jamais parler franchement dans une matière de religion!
« Cette superstition des reliques, cette invocation des Saints, » qui était
alors, et qui selon vous était pratiquée par « les
1 Lett. XX, au comm., p. 315.
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saint Augustin, par les saint Ambroise, par les saint
Basile et les autres, » était-ce une idolâtrie, ou n'en était-ce pas une ? Si
c'en était une, ils sont damnés ; si ce n'en était pas une, nous sommes absous.
Ou peut-être c'en était une, mais non encore dans le degré qu'il fallait pour
damner les hommes ; et il y a une idolâtrie , c'est-à-dire un transport du culte
divin à la créature qui ne damne pas, et qu'on peut si bien compenser par «
d'autres services , » que Dieu n'y prendra pas garde ; comme s'il pouvait y
avoir un service agréable à Dieu dans ceux qui rendent le culte divin à la
créature. Qui jamais ouït parler d'un égarement semblable? Mais encore que
manquait-il à l'idolâtrie de saint Augustin et de saint Ambroise , à celle qui
selon vous régnait alors et sur laquelle on se reposait ? Que votre ministre ne
vous dise pas que cette idolâtrie n'était pas publique : car qu'importe,
premièrement , qu'elle soit publique ? Est-ce que l'idolâtrie qui se ferait en
particulier ne damnerait pas? Michas cesse-t-il d'être idolâtre, à cause que
l'idole qu'il servait était dans sa maison (1) ? L'éphod, dont la maison de
Gédéon se fit une idole, mérita-t-elle moins ce nom, parce qu'elle ne fut pas
posée dans un temple, et que selon les apparences ce faux culte prit
commencement dans une famille particulière ? Quelle erreur donc de vouloir
excuser les Pères et les chrétiens du quatrième et cinquième siècle, sous
prétexte qu'ils n'idolâtraient qu'en particulier ! Mais d'ailleurs, quelle
illusion d'oser nous dire que l'idolâtrie n'était pas publique, pendant qu'on
nous avoue qu'elle était régnante (2) ; pendant qu'on la reconnaît dans
les sermons de ces Pères, qui sans doute étaient publics et se faisaient dans
les églises et dans les assemblées des fidèles, et faisaient alors, comme
maintenant et toujours, une partie essentielle du culte divin; et non-seulement
dans leurs sermons, mais encore dans leurs liturgies, dans les églises où ils
servaient Dieu, dans les oratoires des martyrs, et jusque sur les autels où
leurs reliques étaient déposées par honneur comme dans le lieu le plus saint du
temple de Dieu! « Qu'on mette, disait saint Ambroise, ces triomphantes victimes
dans le lieu où Jésus-Christ est
1 Jud., XVII, 4.— 2 Lett. XV de la 1ère
ann., p. 123; Acc. des Proph., 1ère part., chap. XIV, etc.;
Var., liv. XIII, n. 23 et suiv.
289
l'hostie. » « Les fidèles, dit saint Jérôme, regardent les
tombeaux des saints martyrs comme des autels de Jésus-Christ. » « Nous honorons
leurs reliques, dit saint Augustin, jusqu'à les placer sur la sublimité du divin
autel. » Voilà, ce me semble, pour n'appuyer pas sur l'autel et sur le sacrifice
dont il ne s'agit pas ici ; voilà pour les Saints et pour leurs reliques une
vénération assez marquée, assez publique, assez solennelle ; et ceux qui, non
contents de la leur rendre, la prêchent avec tant de force, ne laissent pas
d'être Saints.
Et qu'on ne nous dise pas que
les Saints n'avaient point alors d'oratoires ni de chapelles; car on demeure
d'accord qu'ils en avaient aux quatrième et cinquième siècles (1) ; et encore
qu'on ose dire que la sainte Vierge n'en avait pas dans ces deux siècles, c'est
une ignorance grossière, puisque le concile d'Ephèse, comme il paraît par ses
Actes, fut assemblé en 430 dans une église appelée Marie (2) du nom de la
sainte Vierge, qui sans doute ne fut pas construite alors pour y tenir le
concile.
Qu'on ne dise pas que ces Pères
n'employaient point envers Dieu les mérites des Saints; car au contraire, on
convient que c'est par là que l'on commença. « Dans le commencement, dit M.
Jurieu, les prières s'adressaient au Dieu des martyrs, par rapport aux mérites
et aux souffrances des martyrs (3). »
Qu'on ne dise pas que du moins
l'Eglise n'avait pas été avertie de la prétendue erreur de ce culte : car elle
l'avait été par Vigilance, que saint Jérôme mit en poudre dès sa naissance ; et
toute l'Eglise d'alors prit tellement le parti de ce Saint, que depuis on
n'entend pas seulement parler de Vigilance ni de son erreur.
Voilà donc en tout et partout la
prétendue idolâtrie de ces temps-là dans le même état où elle a été depuis : et
quand tout cela ne serait pas, se prosterner devant les reliques et demander des
prières aux martyrs; les appeler des remparts et des forteresses, ce que M.
Jurieu appelle le culte des Maozzins après son auteur Joseph Mède (4) ; en
quelque sorte qu'on le fasse en particulier
1 Jur., Lett. XV, p. 123. — 2
Conc. Ephes., act. 1, etc. — 3 Lett. XV, p. 123. — 4 Acc. des Prop.,
I part., chap. V, etc.; lett. X de la Ire ann., p. 16, 17; Avert. aux Prot.,
sur l’Apoc., n. 28 ; Var., liv. XIII, n. 23 et suiv.
290
ou en public, dans l'église, dans les cimetières ou dans
les maisons, c'est toujours une idolâtrie, selon les ministres, toujours par
conséquent un crime damnable ; et quand cette idolâtrie ne serait pas assez
formée au quatrième siècle, elle l'était au cinquième et sous saint Léon, que
néanmoins on n'ose damner non plus que ses plus prochains successeurs. Votre
ministre prononce lui-même « que le faux culte des Saints et la doctrine des
seconds intercesseurs était si bien formée dans les paroles de Théodoret en l'an
450 (1), » qu'il y en avait assez pour constituer dès lors l'église
antichrétienne, et assez d'adhérence à cette erreur dans saint Léon pour en
faire un Antéchrist formé, sauvé toutefois ; et voilà encore insensiblement la
seconde défense de votre ministre entièrement renversée. Car peut-il dire qu'on
ne peut trouver son salut dans une église antichrétienne, puisque selon lui on
est sauvé, non-seulement étant sectateur de l'Antéchrist, mais encore étant
l'Antéchrist même ? Qui jamais ouït parler d'un semblable excès, et que faut-il
davantage pour appliquer à un auteur ce mot de saint Paul, que « sa folie est
connue à tous ? » Mais allons encore plus avant, et voyons comme le ministre a
établi par principes le salut uni avec l'antichristianisme.
Il est vrai qu'il a semblé
donner pour règle qu'on ne peut pas , se sauver dans l'église antichrétienne; ce
qui est très-vrai dans le fond, parce que, comme dit le ministre, il n'y a point
de communion entre Christ et Déliai : mais ce qui en soi est indubitable, dans
les principes du ministre ne peut être qu'une vaine exagération que cet auteur
réfute lui-même par le discours que voici : « Je ne veux point définir quelles
sont les sectes où Dieu peut avoir des élus et où il n'en peut avoir : l'endroit
est trop délicat et trop périlleux. Mais ce que je puis assurer, c'est que Dieu
se peut conserver des élus dans les communions et dans les sectes
très-corrompues ; ce qui est clair, parce qu'il s'en est conservé dans le règne
même de l'Antéchrist et dans celle de toutes les religions, qui, sans avoir
renoncé aux principes de la religion, est pourtant la plus antichrétienne. Saint
Paul nous dit expressément que l'Antéchrist doit être assis dans le temple de
Dieu,
1 Acc., II part., p. 12, 21, 22.
291
c'est-à-dire dans une église qui sera chrétienne, et qui
aura assez de reste du véritable christianisme pour conserver le nom d'Eglise
et de temple de Dieu. Ces cent quarante-quatre mille de l’Apocalypse sont
représentés être dans l'empire de l'Antéchrist, comme les Israélites étaient
dans l'Egypte, où les poteaux de leurs maisons furent marqués, afin que l'ange
destructeur ne le touchât point (1). » Voilà, ce me semble, des élus en assez
grand nombre, et assez bien marqués dans l'église de l'Antéchrist, c'est-à-dire
selon le ministre dans la romaine, sans que son antichristianisme les en
empêche. Mais achevons le passage, puisque nous y sommes : « Les Eglises de
l'Orient et du Midi sont assurément dans une grande décadence. » Sans doute,
selon les principes du ministre, puisqu'on y voit bien assurément tout le culte
et des images et des Saints, qu'on nous impute à idolâtrie. « L'église des
Abyssins n'est pas trop pure, » puisque outre ces idolâtries, on y suit les
erreurs de Dioscore, et on y déteste la sainte doctrine du concile de
Chalcédoine. « Cependant, poursuit le ministre, il n'y a pas lieu de douter
que Dieu ne s'y conserve un résidu selon l'élection de la grâce ; car jamais la
parole n'est prêchée en un pays que Dieu ne lui donne efficace à l'égard de
quelques-uns. » Voilà toujours son grand principe, qui est la fécondité de la
parole de Dieu partout où elle est prêchée.
Mais afin que cette parole ait
cette fécondité et cette efficace, i] ne faut pas s'imaginer qu'elle doive être
prêchée dans sa pureté, puisque, comme on voit, ces églises ne sont guère pures.
Il n'y a point d'église moins pure qua celle de l'Antéchrist; et néanmoins on y
trouve cent quarante-quatre mille élus. Voire ministre a écrit ces choses; vous
les voyez, vous les lisez de vos propres yeux; et toutefois, mes chers Frères,
il se tient si assuré de vous faire croire tout ce qu'il voudra, qu'il ose nier
qu'il les ait écrites et il se fait fort de vous persuader que jamais il n'a
songé à mettre des élus parmi nous, ni à confesser qu'on se sauve dans notre
communion, parce que c'est la communion de l'Antéchrist.
Ce qu'il dit dans le Système
de l'Eglise est encore plus fort
1 Avis à tous les Chrét. avant l'acc., p. 48, 49;
Préj. légit., Ire part., chap. I, p. 16
292
puisqu'il entreprend d'y prouver par l'Apocalypse «
que l'Eglise peut être dans Babylon, et que Babylon peut entrer dans l'Eglise.
Il est vrai, poursuit-il, nous soutenons, et nous avons raison de soutenir que
l'Eglise romaine est la Babylon spirituelle dépeinte dans l'Apocalypse;
mais Dieu dit de cette Babylon : Sortez de Babylon, mon peuple, de peur que
participant à ses péchés, vous ne participiez à ses peines (1). » Voilà donc
encore une fois le peuple de Dieu dans Babylone; et cela jusqu'au moment où ses
crimes sont montés si haut, qu'elle n'a plus à attendre que la dernière
sentence, et qu'il n'y a plus aucun délai à son supplice.
Entreprenez sa défense, imaginez
tout ce qu'il peut dire; et lui-même au même moment il le réfutera. Vous
pourriez croire que ce peuple, qui est renfermé dans Babylone jusqu'à ce moment
fatal, n'est appelé le peuple de Dieu que selon la prédestination éternelle.
Mais non, dit M. Jurieu, « il ne faut pas dire que le peuple de Dieu sorte de
Babylon, comme les chrétiens sortent du milieu des païens, quand ceux-ci se
convertissent; car Dieu n'appelle point son peuple des gens en état de damnation
; et si le peuple de Dieu renfermé dans Babylon était lui-même un peuple
babylonien, Dieu ne le pourrait plus appeler son peuple. Il est plus clair que
le jour que Dieu dans ces paroles : « Sortez de Babylon, mon peuple, » fait
allusion au retour du peuple juif de la captivité de Babylon; et pendant que les
Juifs furent dans Babylon, ils ne cessèrent pas d'être Juifs et le peuple de
Dieu (2). » Vous le voyez, mes chers Frères : il ne dit pas seulement, mais il
prouve par tous les principes dont on convient dans la Réforme, que le vrai
peuple de Dieu, le peuple justifié, le peuple saint et séparé des méchants par la
grâce qu'il a reçue, se trouve dans sa Babylone, qui est l'Eglise romaine,
jusqu'au moment de sa chute; et cet homme ose dire encore qu'il n'a jamais
enseigné qu'on se sauvât parmi nous.
Mais, dit-il, ceux qui s'y
sauvent ce sont les enfants; car il avoue dans sa Lettre, qu'il dit bien
« que dans l'Eglise romaine il y a une infinité d'âmes sanctifiées par la vertu
du christianisme ; mais qu'il a ajouté que ces âmes sont celles des enfants qui
1 Syst.,
liv. I, chap. I, p. 144, 145; Var., liv. XV, n. 56. — 2 Jur., ibid.
293
ont été baptisés au nom de Jésus-Christ, et qui étant morts
avant l'âge de raison, n'ont pris aucune part aux abominations du papisme (1). »
Ce qu'il répète encore une fois en ces termes : « Nous ne reconnaissons d'élus
dans l'Eglise romaine qu'entre les enfants qui ne sauraient prendre part à ses
idolâtries (2). » Sans doute, c'est aux enfants qui n'ont pas atteint l'âge de
raison que s'adresse cette parole : « Sortez de Babylone, mon peuple : » ils
entendront à merveille que Babylone, c'est l'Eglise romaine; que c'est celle-là
d'où il faut sortir, et qu'il faut passer en Hollande pour se joindre au peuple
de Dieu ; les enfants entendent cela avant l'usage de la raison, et ils sont le
peuple de Dieu à qui s'adresse cette voix du ciel. Qu'on espère de vous faire
croire de telles absurdités! Mais si vous n'avez pas oublié ce que votre docteur
vient de vous dire, ceux qui se sauvent dans la communion romaine, c'est-à-dire
dans la Babylone spirituelle, ont été comparés aux Juifs qui étaient dans la
Babylone temporelle ou en Egypte, qui sans doute étaient des adultes, et non pas
de petits enfants avant l'âge de raison. On attribuait tout à l'heure le salut
de ce grand nombre d'élus, qui se trouve dans Babylone et sous le règne de
l'Antéchrist, à l'efficace de la parole, qui n'est jamais prêchée inutilement
(3) : est-ce que ces enfants écouteront cette parole, et qu'à la faveur des
vérités qu'elle contient, ils sauront bien se séparer de la corruption? Pour qui
veut-on vous faire passer, et dans quel rang met-on ceux qu'on espère de
contenter par de tels moyens? Il n'y a donc rien à répondre à des passages si
clairs : les plus sourds les entendent, les plus ignorants en sont frappés ; et
il ne vous reste que le seul refuge où l'on se jette ordinairement quand on n'en
peut plus; c'est de dire ce que tous les jours nous entendons de votre bouche :
Nous ne saurions vous répondre; mais notre ministre, s'il était ici, vous
répondrait bien. Quelle réponse pour des gens à qui tout est clair, et qui
croient pouvoir décider seuls au-dessus de tous les docteurs et de tous les
synodes ? Mais encore, ce misérable refuge vous est-il fermé à cette fois. Il
n'est pas question de dire que votre ministre répondra quand on lui objectera
ces passages tirés de ses livres : on les
1 Jur., lett. II, p. 80. — 2 Ibid. — 3 Voyez
ci-dessus, n. 10.
294
lui a objectés dans l’ Histoire des Variations (1) ;
vous les trouverez dans ce livre XV, qu'il reconnaît avoir lu, et auquel il
s'est engagé de répondre du moins pour les endroits qui le touchent ; il ne dit
mot néanmoins de ceux-ci ; et ces témoignages qu'il a portés contre lui-même lui
ferment la bouche.
Mais vous trouverez dans ce même
livre de quoi le confondre plus démonstrativement. Le ministre propose deux
voies dont Dieu se sert pour sauver son peuple au milieu de la corruption de
Babylone : la première est la voie de tolérance, parce « qu'il supporte les
erreurs et les superstitions en ceux qui y vivent de bonne foi, et qui
d'ailleurs ont beaucoup de piété et de charité (2) ; » la seconde, est la voie
de séparation , parce « qu'il éclaire ceux qu'il veut sauver, jusqu'à leur faire
séparer la doctrine divine des additions humaines (3). C'est ainsi, dit-il,
qu'on se sauve dans le règne même de l'Antéchrist. » Or constamment ce n'est pas
ainsi que Dieu veut sauver les enfants : ni il ne supporte leurs erreurs, ni il
ne leur donne de discernement; ce n'est donc pas eux qu'on entend par ce peuple
sauvé dans Babylone, ce sont les adultes : ce sont, dis-je, ceux-là qui selon
les principes de votre ministre sont sauvés dans l'Eglise romaine, non-seulement
en rejetant ses prétendues erreurs, mais encore en les croyant de bonne foi.
Vous ne croyiez pas, mes chers
Frères, qu'on en put venir parmi vous dans la conjoncture présente jusqu'à nous
donner cet avantage : mais Dieu l'a voulu ainsi : Dieu , qui a soin de votre
salut, a voulu vous donner ce témoignage par la bouche d'un ministre, d'ailleurs
si implacable envers nous ; et il n'a pu s'en défendre. Car il a déclaré
formellement que la voie de tolérance pour les erreurs regarde ceux qui y vivent
de bonne foi ; et ce qu'il n'a dit qu'en passant dans ses Préjugés légitimes
(4), il l'explique à fond dans son Système, où il parle ainsi : « Pour ce
qui est des sectes qui renversent le fondement par additions, sans l'ôter
pourtant ( vous entendez bien que c'est de nous et de nos semblables qu'il veut
parler, ) il est certain qu'on n'y peut communier sans péché; et afin de pouvoir
espérer de Dieu quelque
1 Var., liv. XV, n. 56. — 2 Jur.,
ibid., n. 57. — 3 Préj., Ire part., chap. I, p. 17. — 4 Préj.,
ibid.
298
tolérance, il faut premièrement qu'on y soit engagé par la
naissance. 2° Qu'on ne puisse communier avec aucune autre société plus pure.
C'est pourquoi il n'eût pas été permis de communier tantôt avec les vaudois, et
tantôt avec les prétendus catholiques. 3° Qu'on y communie de bonne foi, croyant
qu'elle a conservé l'essence des sacrements, et qu'elle n'oblige à rien contre
la conscience (1). » Vous voyez donc clairement que ceux qui se sauvent dans ces
communions impures, où néanmoins les fondements subsistent toujours, ce sont
ceux qui y vivent de bonne foi et qui croient qu'on « n'y oblige à rien qui
blesse la conscience. Car, poursuit-il, si on croit que cette société oblige à
quelque chose contre la conscience, on pèche mortellement quand on participe à
ses sacrements ; c'est pourquoi il ne vous est pas permis de communier
alternativement avec les prétendus catholiques et avec les réformés, parce
qu'étant dans les sentiments des réformés, nous sommes persuadés que le papisme
nous oblige dans sa communion à bien des choses contre la conscience, comme,
dit-il, à adorer le sacrement ; » par où l'on voit manifestement qu'il a compris
l'Eglise romaine avec celles où l'on peut se sauver, en y vivant de lionne foi,
c'est-à-dire en participant sincèrement à sa doctrine et à son culte; et c'est
pourquoi il n'oblige à péché mortel que ceux qui communieraient ou adoreraient
avec nous, sans croire de bonne foi notre doctrine.
On voit par là le pas important
qu'il a fait au de la de M. Claude et du commun de sa secte. M. Claude avant la
Réforme ne sauvait parmi nous que ceux qui n'étaient pas de bonne foi, en
demeurant dans lé sein de notre Eglise sans y croire : M. Jurieu, qui a bien vu
combien il était absurde de ne sauver que les hypocrites, a été forcé de passer
outre, et d'accorder le salut plutôt à la bonne foi qu'à la tromperie.
Il est vrai qu'il semble y
mettre deux conditions : l'une, qu'on soit engagé à une communion par la
naissance; l'autre, qu'on ne puisse communier avec une société plus pure. Mais
il tempère lui-même la première condition, en disant que ceux qui passent de
bonne foi et par persuasion « dans les sectes qui ne ruinent ni
1 Syst., liv. I, p. 158, 150! 164, 174, 175, 195,
259.
296
ne renversent le fondement, » an nombre desquels il nous
met, comme on a vu, « ne sont pas en autre état que ceux qui y sont nés : » et
pour l'autre condition, qui est celle de ne pouvoir pas communier avec une
société plus pure, il est fort commode pour cela, puisqu'en disant qu'il
faut rompre avec les conciles « qui détruisent les fondements de la religion,
soit en les niant, soit en les renversant, » il y appose la condition, « si on
est en état de pouvoir le faire (1). » Les questions qu'il propose ensuite vous
feront encore mieux connaître ses intentions : « Il semble, dit-il, que si
l'idée de l'Eglise renferme généralement toutes les sectes, on puisse sans
scrupule passer de l'une à l'autre; être tantôt grec, tantôt latin, tantôt
réformé, tantôt papiste, tantôt calviniste, tantôt luthérien (2). » Telle est la
question qu'il propose, où l'on voit qu'il met également les Latins et les
Grecs, les papistes et les prétendus réformés : et il répond premièrement, qu'il
n'est pas permis de passer d'une communion à une autre pour « faire profession
de croire ce qu'on ne croit pas ; » ce qui est très-assuré : mais, secondement,
il ajoute qu'on y peut passer, comme on vient de voir, sans risque de son salut,
« en changeant de sentiment, lors qu'on passe dans les sectes qui ne ruinent ni
ne renversent le fondement (3). »
Lorsque pour répondre à ce
passage, il dit qu'il faut entendre sa proposition des sectes qui ne renversent
en aucune sorte le fondement de la religion, ni en le niant, ni en y mêlant des
erreurs mortelles, telles que sont les idolâtries qu'il nous impute (4) : il est
battu premièrement par tous les endroits où il a sauvé, non-seulement les grecs
aussi idolâtres que nous, mais encore les nestoriens et les eutychiens, qui
joignent d'autres erreurs à ces prétendues idolâtries ; et secondement, par
toutes les preuves par lesquelles on a démontré qu'il met des idolâtres reconnus
pour tels par lui-même, non-seulement au nombre des sauvés, mais encore au rang
des plus grands saints.
Si tout cela ne démontre pas
qu'il a sauvé parmi nous d'autres gens que les enfants décédés avant l'usage de
raison, je ne sais plus ce qu'il y a de démonstratif. Mais voici encore une
autre
1 Syst., p. 259.— 2 Ibid. — Ibid.,
115.— 3 Lett. XI.
297
preuve, qui n'est pas moins concluante : « Nous avouons,
dit-il, à M. de Meaux que l'Eglise dont Jésus-Christ parle là (dans le passage
de saint Matthieu, XVI, où il dit que l'enfer ne prévaudra point contre
l'Eglise ), est une Eglise confessante, une Eglise qui publie la foi, une Eglise
par conséquent extérieure et visible; mais nous nions que cette Eglise
confessante et qui publie la foi, soit une certaine communion chrétienne,
distincte et séparée de toutes les autres; c'est l'amas de toutes les communions
qui prêchent un même Jésus-Christ, qui annoncent le même salut, qui donnent les
mêmes sacrements en substance, et qui enseignent la même doctrine (1) : » en
substance encore et quant aux points fondamentaux , comme il vient de dire ; car
s'il voulait qu'en tout et partout on enseignât jusqu'aux moindres points la
même doctrine, il sortirait visiblement de son système, et ne pourrait plus
sauver, comme il fait, ni les nestoriens, ni les jacobites, ni les grecs ; et
c'est pourquoi il ajoute que l'Eglise, dont Jésus-Christ parle ici, « est un
corps qui renferme toutes les communions, lesquelles retiennent le fondement de
la foi. » Or il nous comprend dans ce corps; il nous met dans cet amas, comme on
a vu et comme il le dit à chaque page de son livre et en particulier dans cet
endroit, puisque c'est de nous en particulier et de l'Eglise romaine qu'il
s'agit. C'est dans cet amas que sont les élus; le ministre le décide ainsi par
ces paroles : « Dans ce corps visible et externe est renfermée l’âme de
l'Eglise, les fidèles et les vrais Saints ; » et un peu plus bas, « quelque sens
qu'on donne à cet article ( c'est à l'article du Symbole où l'on croit l'Eglise
universelle), et quoi que l'on avoue que par là il faut entendre une vraie
Eglise visible, les prétendus catholiques n'en peuvent tirer aucun avantage,
puisque cette Eglise visible, laquelle nous faisons profession de croire, est
celle qui est répandue dans toutes les communions véritablement chrétiennes, et
dans laquelle est renfermée la partie invisible, qui sont les élus et les vrais
Saints (2). » Nous sommes, comme on a vu plusieurs fois, une de ces communions
véritablement chrétiennes, c'est-à-dire de celles où l'on retient les fondements
de la foi, et nous sommes par
1 Syst., p. 215. — 2 Ibid., 210.
298
conséquent une de ces communions où l'on est contraint
d'avouer que les Saints sont renfermés. Qu'on ne nous objecte donc plus nos
idolâtries prétendues comme exclusives du salut; nous annonçons dans le fond le
même salut que les autres qu'on reconnaît pour véritables chrétiens : en
l'annonçant, nous y conduisons, puisque selon les principes du Système,
on ne l'annonce pas inutilement, et que la parole de Dieu n'est pas stérile.
Qu'on ne nous objecte plus que nous retranchons avec la coupe une partie
substantielle de l'Eucharistie; nous avons les sacrements en substance, et il
n'y a aucune raison ni générale ni particulière de nous priver du salut. On ne
peut ici se réduire aux enfants qui meurent parmi nous après le baptême et avant
l'âge de raison ; car il n'aurait fallu parler, ni de la doctrine, ni de la
prédication, puisqu'ils n'y ont aucune part en l'état où ils sont. Les adultes
se sauvent donc parmi nous, comme parmi les autres vrais chrétiens qui font une
communion et retiennent les fondements ; et c'est en vain qu'on voudrait tâcher
de renfermer le salut dans les enfants.
En effet dans le même endroit où
le ministre semble s'y réduire, sentant bien en sa conscience qu'il n'y a pas
moyen de s'en tenir là, il ajoute que s'il y avait « quelques élus entre les
adultes, cela étant absolument inconnu ne pouvait servir à rien (1); » comme
s'il y avait sur la terre une communion où l'on connût les élus, ou que l'on sût
qu'il y en a par une autre voie que par celle qui a forcé le ministre à en
mettre selon ses principes dans toutes les sociétés où la parole de Dieu est
prêchée, c'est-à-dire par l'efficace et par la fécondité de cette parole.
C'en serait trop sur cette
matière, si elle était de moindre importance, et si le ministre à qui nous avons
affaire voulait agir de bonne foi; mais comme il ne cherche qu'à éluder tout ce
qu'il a dit de plus clair, il faut l'accabler de preuves. Car après tout, quelle
raison l'aurait empêché de nous sauver avec tous les autres, c'est-à-dire,
non-seulement avec les luthériens qui font partie des protestants, mais encore
avec ceux qu'on ne met point en ce rang, avec les grecs, les jacobites et les
nestoriens, à qui il ne dénie pas qu'il ait accordé le salut? Commençons par ce
qui
1 Lett. XI.
299
garde le culte; car c'est ce qu'on fait passer pour le
point le plus essentiel. On ne nie pas que les Grecs n'aient avec nous le culte
des Saints, celui des reliques et des images, ni que ce culte n'ait passé en
dogme constant au second concile de Nicée tenu et approuvé dans l'église
grecque. Les nestoriens et les jacobites sont dans les mêmes pratiques ; le fait
est constant, et personne ne le conteste : ils sont donc déjà idolâtres comme
nous et comme les Grecs; et néanmoins on se sauve parmi eux. Venons à ce qui
regarde la personne de Jésus-Christ et son incarnation. Sans disputer maintenant
du sentiment des nestoriens et des eutychiens ou demi-eutychiens et jacobites,
vous avez vu que M. Jurieu les a sauvés (1), en présupposant dans la doctrine
des nestoriens la désunion des personnes, et dans celle des eutychiens la
confusion des natures. Vous avez vu, dis-je, qu'on peut être sauvé en croyant
l'humanité absorbée dans la nature divine, et la personne de Jésus-Christ
divisée en deux.
Passons à la doctrine de la
grâce et de la prédestination. Vous sauvez les luthériens, encore que de l'aveu
de M. Jurieu ils soient demi-pélagiens, et qu'ils attachent la conversion de
l'homme à des actes purement humains, où la grâce n'a aucune part. Vous en avez
vu les passages dans le second Avertissement.
Vous avez vu dans le même
endroit que les mêmes luthériens nient que les bonnes œuvres soient nécessaires
au salut, et qu'ils avouent qu'on se peut sauver sans exercer les vertus et sans
aimer Dieu ; ce qui va à l'extinction de la piété, et n'empêche pas néanmoins
qu'ils ne parviennent au salut.
Disons un mot des sacrements. Ce
serait une cruauté, selon le ministre (2), de chasser de l'Eglise et d'exclure
du salut ceux qui admettent d'autres sacrements que le baptême et la Cène; et
loin de nous en exclure pour y avoir ajouté la confirmation, l'extrême-onction
et les autres, il n'en exclut même pas les chrétiens d'Ethiopie, à qui il fait
recevoir la circoncision à titre de sacrement, encore que saint Paul ait dit : «
Si vous recevez la circoncision, Jésus-Christ ne vous servira de rien (3). »
Tout cela est objecté dans les Variations (4) et tout cela a passé sans
contradiction.
1 Ci-dessus, n. 2.— 2 Syst., p. 539, 548. — 3 Gal.,
V, 2. — 4 Var., liv. XV, n. 60.
300
Pour la présence réelle, on n'a
plus besoin d'en parler; et il y a trop longtemps qu'on est convenu en faveur
fies luthériens que cette doctrine, qui nous rangeait autrefois au nombre des
anthropophages, est devenue innocente et sans venin. L'ubiquité, doctrine
insensée et monstrueuse s'il en fut jamais, de l'aveu de vos ministres, où l'on
fait Jésus-Christ en tant qu'homme aussi immense que Jésus-Christ en tant que
Dieu, est tolérée dans les luthériens avec la présence réelle, quoiqu'au fond
cette doctrine emporte avec elle l'eutychianisme tout pur, et l'humanité
absorbée dans la nature divine; mais cela même est déjà passé aux jacobites avec
tout le reste.
Pour peu qu'il y eût de bonne
foi, il ne faudrait pas disputer de la transsubstantiation, puisqu'il n'y a
presque plus de protestants qui ne la reconnaissent parmi les Grecs, et que les
savants la trouvent si claire dans les liturgies des nestoriens et des
eutychiens, qu'il n'y a pas moyen de le nier : mais du moins à quelque excès que
l'on porte l'impudence, on ne niera pas parmi eux, non plus que parmi les Grecs,
une oblation et un sacrifice dans la célébration de l'Eucharistie, et un
sacrifice offert à Dieu pour les morts comme pour les vivants, et pour les
péchés des uns et des autres. Tout cela passa, et on se sauve avec tout cela :
avec le culte des Saints et l'idolâtrie des reliques et des images ; avec un
sacrifice propitiatoire pour les vivants et les morts, puisque c'est pour les
péchés des uns et des autres ; avec la présence réelle et toutes ses suites; et
ce qui est bien plus étrange, avec l'ubiquité des luthériens, avec le
nestorianisme, l'eutychianisme, le semi-pélagianisme. Et qu'est-ce qui ne se
passe point avec ces monstres d'erreurs? Ce ne sont point seulement les enfants
que le ministre a voulu sauver dans toutes ces sectes en vertu de leur baptême;
ce sont les adultes qui y vivent de bonne foi, et ne songent seulement pas à en
sortir; autrement il retomberait dans la cruauté qu'il rejette, de damner tant
de chrétiens qui lui paraissent de bonne foi. Ouvrant la porte du ciel à tant
d'hérétiques, quel front eût-il fallu avoir pour nous en exclure?
Mais le grand principe du
ministre l'oblige encore plus à nous recevoir. Car, comme on a vu souvent, ce
qui l'oblige à sauver
301
tant de sectes, et des sectes si corrompues de son aveu
propre c'est la fécondité qui selon lui est inséparable de la parole de Dieu,
quoiqu'impurement prêchée. Or la parole de Dieu se prêche parmi nous autant et
plus sans difficulté que parmi les jacobites et les grecs. Dieu serait cruel,
selon le ministre, si cette parole n'était prêchée que pour rendre les hommes
plus inexcusables; et c'est de là qu'il conclut qu'elle a son effet entier dans
toutes ces sectes et qu'elle y sauve quelqu'un. C'est pousser la haine trop
avant et trop au-delà de toutes les bornes, que de nous faire les seuls pour qui
Dieu puisse être cruel; les seuls qui en retenant les fondements du salut et les
prêchant si solidement, ne puissions sauver personne; les seuls à qui il faille
imputer les conséquences que nous nions. Avoir un Pape à sa tête pour maintenir
l'unité, le bon ordre, même en tempérant sa puissance par l'autorité des canons,
est-ce un crime si détestable, qu'il vaille mieux nier la grâce, rejeter la
nécessité des bonnes œuvres, diviser la personne de Jésus-Christ, absorber son
humanité dans sa nature divine, et tout cela en termes formels? Ce serait une
cruauté et une absurdité tout ensemble , qu'un front humain ne pourrait
soutenir.
Après cela si on nous demande
d'où vient donc que les protestants sont si difficiles envers nous, et que M.
Jurieu, qui nous admet au salut, fait semblant de s'en repentir : la raison en
est bien aisée, et ce ministre nous apprend lui-même que c'est une fausse
politique. C'est ce qu'il a dit clairement à la fin de la préface de son
Système. Ce Système, qui met tant de sectes dans l'Eglise universelle
et les admet au salut, selon lui est un dénouement des plus grandes difficultés
qu'on puisse faire à la Réforme; et ce ministre déclare que « si on n'a pas
encore beaucoup appuyé là-dessus, » c'est l'effet « de la politique » du parti;
c'est en un mot, qu'on a vu qu'il serait facile d'attirer les protestants qui
aiment la paix dans la communion de l'Eglise, si une fois on leur avouait qu'on
s'y pût sauver. Il n'y a personne qui ne fût bien aise d'assurer son salut par
ce moyen ; et voilà bien certainement « cette politique » dont se plaint M.
Jurieu, et qui a empêché jusqu'ici qu'on n'appuyât beaucoup sur son système.
302
Je lui ai fait cette objection
dans le livre des Variations (1), et il n'a rien eu à répliquer; mais
nous pouvons maintenant entrer plus avant dans ce secret de la Réforme. Il est
certain qu'au commencement on n'y osait dire qu'il n'y eût point de salut dans
la communion romaine; au contraire on faisait semblant de ne pas vouloir
absolument y renoncer : les deux partis de la Réforme, c'est-à-dire tant les
zuingliens que ceux de la Confession d'Augsbourg, se soumettaient au
concile que le Pape assemblerait (2). Nous avons vu qu'on mettait au nombre des
Saints les plus zélés défenseurs de l'Eglise et de la croyance romaine, un saint
Bernard, un saint Bonaventure, un saint François; et Luther reconnaissait en
termes magnifiques le salut et la sainteté dans cette Eglise (3).
Je ne parle point des autres
auteurs dont les discours vont au même but. Si dans la suite on a usé de plus de
réserve, c'est l'appréhension qu'on a eue de rendre la Réforme moins nécessaire
au salut, et de faire voir, si on se sauvait dans la communion romaine, qu'il
valait mieux s'y tenir que d'aller risquer ailleurs son éternité. On sait ce qui
se passa dans la conversion de Henri IV. Quand il pressait ses théologiens, ils
lui avouaient de bonne foi pour la plupart qu'avec eux l'état était plus
parfait, mais qu'avec nous il suffisait pour le salut. Ce prince ne trouva
jamais aucun catholique qui lui en dit autant de la prétendue Réforme où il
était. De là donc il concluait qu'il faudrait être insensé pour ne pas aller au
plus sur, et Dieu se servait de l'aveu de ses ministres pour faire entrer ses
lumières dans le grand cœur de ce prince. La chose était publique dans la cour :
les vieux seigneurs, qui le sa voient de leurs pères, nous l'ont raconté
souvent; et si on ne veut pas nous en croire, on en peut croire M. de Sully, qui
tout zélé huguenot qu'il était, non-seulement déclare au roi qu'il tient
infaillible qu'on se sauve étant catholique, mais nomme encore à ce prince cinq
des principaux ministres qui ne s'éloignaient pas de ce sentiment (4). Cependant
un si grand exemple et la conversion d'un si grand roi fit peur aux docteurs de
la Réforme, et ils
1 Var , liv. XV, n. 51. — 2 Var.,
III, 50, 59, 60, 61, 62; Prœf. Conf. Aug., Condus. Conf.
Argent. — 3 Var., III, 60. — 4 Mém. de Sully, chap. XXXVIII.
303
n'osaient presque plus dire qu'on se sauvât parmi nous. M.
Jurieu lui-même avait peine à se déclarer dans ses Préjugés légitimes.
Nous avons vu (1) le passage où il dit « qu'il ne veut point définir quelles
sont les sectes où Dieu peut avoir des élus, et où il n'en peut avoir :
l'endroit, poursuit-il, est trop délicat et trop périlleux (2). » Il le dit
pourtant dans la suite, comme on a vu; mais la politique du parti le faisait
encore un peu hésiter alors, et ce n'est que dans son Système de l'Eglise
qu'il blâme ouvertement cette politique.
Demandez-lui maintenant ce qu'il
y avait « de si délicat et de si périlleux » dans ce système : était-ce de
sauver les Grecs, les Russes, les jacobites, les nestoriens? Craignait-il que
ses protestants n'allassent en Orient rechercher le patriarche de
Constantinople, ou celui des nestoriens? Et qui ne voit au contraire que ce .
qu'il craignait, c'était de faciliter le passage de la Réforme vers nous? Il
n'en faut pas davantage pour vous convaincre que, puisqu'à la fin il s'est élevé
au-dessus de la politique du parti, c'était nous qu'il voulait sauver. Et ce
n'était pas les enfants qu'il avait en vue : ce ne sont point les enfants qu'il
faut empêcher d'aller chercher leur salut dans une autre communion : les adultes
seuls étaient l'objet de la politique qu'il avait enfin méprisée en nous
recevant au salut. S'il semble s'en repentir et révoquer son aveu, c'est que la
politique qu'il avait blâmée reprend le dessus dans son esprit; et en deux mots,
mes chers Frères, il craint d'en avoir trop dit, et que pour assurer votre
salut, vous ne le cherchiez à la fin où lui-même il vous le montre.
Non, direz-vous, cet
inconvénient n'est pas à craindre, puisqu'après tout, en avouant qu'on se peut
sauver dans la communion romaine, il y met des restrictions qui font trembler,
et n'ouvre aux catholiques la voie du salut que par une espèce de miracle. Mais,
mes Frères, tout cela est vain ; et malgré les restrictions odieuses et
excessives de votre ministre, l'avantage que nous remportons de son aveu est
grand en toutes manières. Premièrement, parce qu'il s'ensuit que l'accusation
d'idolâtrie et celle d'anti-christianisme est tout à fait nulle, puisque ces
deux choses
1 Ci-dessus, n. 10. — 2 Préj. légit., Ire part.,
chap. 1, p. 10.
304
manifesteraient sont incompatibles avec le salut, et que le
ministre n'a pu le nier que par la contradiction qu'on a remarquée entre ses
principes; marque évidente et inévitable de leur fausseté.
Secondement, tout le monde ne
donnera pas dans les idées de M. Jurieu, où il faut composer l'Eglise catholique
de tant de sectes ennemies qui poussent le schisme et la division jusqu'à
s'excommunier mutuellement, et «jusqu'aux épées tirées, » comme parle ce
ministre (1). C'est détruire le christianisme que de donner cette faible idée de
l'unité chrétienne; c'est ôter au royaume de Jésus-Christ le caractère de paix
qui le rend éternel, et lui donner le caractère du royaume de Satan, prêt à
tomber, selon la parole du Fils de Dieu, parce qu'il est divisé en lui-même (2).
Si donc on ouvre une fois les yeux à la vérité ; si on voit qu'il n'est pas
possible de nous refuser le titre de vraie Eglise, où l'on peut trouver le salut
que nous cherchons tous, ceux qui le cherchent véritablement ne tarderont pas à
pousser leurs réflexions plus loin. Ils reconnaîtront les avantages plus
éclatants que le soleil de l'Eglise catholique romaine au-dessus de toutes les
autres sociétés qui s'attribuent le titre d'Eglise. Ils y verront l'antiquité,
la succession, la fermeté à demeurer dans le même état, sans qu'on lui puisse
marquer par aucun fait positif ni la date du commencement d'aucun de ses dogmes,
ni aucun acte où elle renonce à ses anciens maîtres. Ils y verront la Chaire de
saint Pierre, où les chrétiens de tous les temps ont fait gloire de conserver
l'unité : dans cette Chaire une éminente et inviolable autorité, et
l'incompatibilité avec toutes les erreurs qui ont toutes été foudroyées de ce
haut Siège. Ils y verront en un mot tous les avantages de la catholicité, qui
forcent ses ennemis, au milieu de leurs calomnies, à lui rendre témoignage : ce
qui fera confesser à tous les gens de bon sens qu'on devait d'autant moins la
quitter, qu'à la fin il faut avouer qu'on y trouve la vie éternelle ; et il
paraîtra évident, comme on est sorti de son sein, que c'est à ce sein maternel
qu'il faut retourner de tous les coins de la terre pour assurer son salut.
En effet, en troisième lieu, les
difficultés qu'on s'imagine à le trouver parmi nous ne sont point fondées en
raison, mais dans la
1 Préj., p. 4. — 2 Matth., XII, 23, 26.
305
haine la plus aveugle qu'on puisse jamais imaginer, puisque
même on a osé dire qu'on se sauverait plus aisément parmi les ariens (1),
quoiqu'ils nient la divinité du Fils de Dieu. Voilà ce qu'a dit votre ministre,
où vous voyez clairement que c'est la haine seule qui le fait parler, et rien ne
le prouve mieux que la raison dont il se sert pour donner la préférence aux
ariens : car c'est, dit-il, que parmi eux « on ne nie que cet article
fondamental, » c'est-à-dire la divinité de Jésus-Christ, et que parmi les
catholiques romains on en nie plusieurs. Mais vous le venez de voir forcé
d'avouer que nous n'en nions aucun ; et s'il dit que nous les nions par
conséquence, outre qu'il a justifié ceux qui rejettent les conséquences qu'on
leur impute, toujours nous serions en meilleur état que les ariens, qui nient
directement le fondement de la foi avec la divinité de Jésus-Christ. Or
constamment, et selon les propres principes de M. Jurieu, ceux qui nient
directement le fondement de salut, sont en pire état que ceux qui ne le nient
qu'indirectement et par des conséquences qu'ils rejettent. Nous sommes de ce
dernier nombre selon lui ; par conséquent, sans aucun doute et selon lui-même,
préférables aux ariens, au-dessous desquels il nous met ; c'est donc
manifestement la haine qui le fait parler, et non la raison. D'où premièrement
je confirme, quoi qu'il dise, qu'il ne cherche qu'à diminuer l'impiété de ceux
qui nient la divinité de Jésus-Christ ; et je conclus secondement, que tous les
obstacles qu'on cherche avec tant d'aigreur au salut des catholiques sans en
avoir aucune raison, ne servent qu'à faire voir dans leurs adversaires une
aversion injuste et insupportable.
Une objection si pressante,
proposée au livre XV des Variations, est demeurée sans réplique. Vous y
voyez d'un côté la haine la plus excessive et la plus aveugle qu'on puisse
imaginer; et d'autre part, malgré cette haine, l'aveu le plus authentique et le
plus formel, qu'on se peut sauver parmi nous. Dieu ne vous donne pas en vain ce
témoignage : Dieu ne permet pas en vain que ce Caïphe prophétise : trompé et
trompeur en tant d'endroits, il est forcé à dire cette vérité pour aider les
faibles, pour ramener les gens de
1 Préj. lég., Ière part., chap. I
: Syst., p. 223; Var., liv. XV, n. 172.
306
bonne foi, et à la fin rendre les autres autant
inexcusables qu'ils sont endurcis.
Enfin si l'aveu que fait le
ministre, qu'on se peut sauver parmi nous et dans l'Eglise romaine, n'était pas
pour elle d'une extrême conséquence, ce ministre, après l'avoir fait si
solennellement et tant de fois dans ses Préjugés légitimes, dans son
Système et ailleurs, comme on a vu, ne ferait pas tant d'efforts dans sa
Lettre onzième pour nous cacher un aveu si constant, ou plutôt pour se
dédire s'il pouvait. Mais il se tourmente en vain ; et de peur que vous ne
croyiez que ce ministre n'en est venu là que parce qu'il l'a bien voulu, ou
qu'il en pourrait revenir s'il lui plaisait, il est bon de considérer par quelle
force invincible il y a été entraîné. L'histoire en est courte, et je veux bien
répéter ici en abrégé ce qui en est expliqué un peu plus au long, mais encore
très-brièvement au quinzième livre des Variations (1).
Tout est fondé sur la question :
Où était l'Eglise avant la Réforme? La chimère d'Eglise invisible ayant été
vainement tentée et à la fin étant reconnue pour insuffisante, il a fallu
avouer, non-seulement que l'Eglise était toujours, mais encore qu'elle était
toujours visible et visiblement subsistante dans une immortelle société de
pasteurs et dépeuple. C'est cet aveu qu'on a démontré autant nécessaire
qu'important dans les écrits des ministres Claude et Jurieu, qui après tout
n'était qu'une suite des principes déjà avoués dans la Réforme. La question est
donc toujours revenue : Où y avait-il dans le monde une Eglise semblable à celle
des protestants avant la réformation prétendue? Là, après avoir vainement
cherché par toute la terre une Eglise qui eût la même foi que celle qui se
disait réformée, il a fallu enfin avouer qu'on n'en reconnaissait aucune de
cette sorte dans quelque partie que ce fût de l'univers, et ajouter que l'Eglise
subsistait visiblement dans ce corps de pasteurs et de peuple qu'on appelait l'Eglise
romaine, où les prétendus réformateurs et tous ceux qui les ont suivis
avaient été élevés et avaient reçu le baptême. On se pouvait donc sauver dans
cette communion : les élus de Dieu y étaient. Quoiqu'on la dît idolâtre,
quoiqu'on la dit antichrétienne, ce qui est le comble des maux, des
1 Var., liv. XV, n. 33 et suiv.
307
impiétés et des erreurs parmi les chrétiens : il a fallu en
même temps lui donner la gloire de porter les enfants de Dieu, sans qu'elle eût
perdu sa fécondité par tous les crimes et par toutes les erreurs qu'on lui
imputait. La question étant ainsi résolue du commun aveu de la Réforme, une
autre question s'élève naturellement : Si on pouvait se sauver dans la communion
romaine avant la Réforme, qui empêche qu'on ne s'y sauve depuis? N'y avait-il
pas, quand on s'y sauvait, la même messe, les mêmes prières, le même culte qu'on
y veut regarder aujourd'hui comme un obstacle au salut? On s'y sauvait néanmoins
: d'où viendrait donc aujourd'hui qu'on ne pourrait s'y sauver ?
Dire qu'elle eût ajouté depuis
dans le concile de Trente de nouveaux articles de foi, quand cela serait, ce ne
serait rien : car il était bien constant qu'on n'avait pas de nouveau ajouté la
messe, ni tout ce que la Réforme voulait appeler idolâtrie, et tout cela y était
pendant qu'il faut confesser qu'on s'y sauvait : pourquoi donc encore un coup ne
pourrait-on maintenant que s'y damner ?
Alléguer ici l'ignorance, et la
faire servir d'excuse aux bonnes intentions de ceux qui vivaient avant la grande
lumière de la Réforme, c'est, premièrement, une fausseté manifeste, puisque la
Réforme prétend que dans le fond la même lumière a précédé dans les hussites,
dans les vicléfites, dans les vaudois, dans les albigeois, dans Bérenger, dans
les autres : et c'est, secondement, une vaine excuse pour des abus qu'on taxe
d'idolâtrie manifeste, étant chose avouée parmi les chrétiens, comme elle l'est
encore tout nouvellement par le ministre Jurieu, qu'on n'a jamais cru ni pensé
qu'on pût sauver un idolâtre sous prétexte d'ignorance ou de bonne foi. Ainsi
excuser nos pères sur leur ignorance (1), c'était détruire entièrement
l'accusation d'idolâtrie, ôter tout le fondement de la Réforme et toute excuse
du schisme. Il fallait donc ou damner nos pères, et ne laisser durant tant de
siècles aucune ressource au christianisme ; ou nous sauver avec eux, et
l'argument ne souffrait aucune réplique. Ajoutez à tout cela les luthériens, que
toute la Réforme sauve avec la présence réelle, avec le monstre de l'ubiquité,
avec le semi-pélagianisme ennemi de la grâce de
1 Lett. XI, p. 80.
308
Jésus-Christ, avec Terreur où l'on nie la nécessité des
bonnes œuvres; faites la comparaison de ces dogmes qu'on veut tolérer avec ceux
qu'on veut trouver intolérables; ajoutez l'ambiguïté des articles fondamentaux,
énigme indissoluble à la Réforme : voilà par où M. Jurieu s'est trouvé forcé à
l'aveu que nous avons vu, et dont il est maintenant si embarrassé.
Je ne m'étonne donc pas si les
ministres, et en général tous les protestants, évitent autant qu'ils peuvent la
question de l'Eglise comme l'écueil où ils se brisent. Ils parlent tous et
toujours de cette question, comme si elle n'était pas du fond de la religion :
C'est, disent-ils, une dispute étrangère et une chicane où on les jette. Mais il
faudrait donc effacer cet article du Symbole : « Je crois l'Eglise universelle :
» c'est de cet article qu'il s'agit dans la question de l'Eglise ; si on
l'entend bien ou mal ou, pour mieux dire, si on l'entend, ou si on ne l'entend
pas. Il s'agit donc du fond de la foi et d'un article principal du
christianisme, et il n'y a pas moyen de le nier. Bien plus, il ne s'agit pas
seulement ici d'un des articles principaux, mais d'un article dont la décision
entraîne celle de tous les autres. Car considérons où il nous mène, et
commençons par considérer où il a conduit M. Jurieu. Je ne parle plus de la
conséquence qu'il a tirée malgré lui et forcé par la vérité, qu'on se peut
sauver parmi nous : en voici d'autres aussi importantes et aussi certaines. S'il
y a toujours une Eglise où l'on se sauve, et que cette Eglise soit toujours
visible, ce doit être en vertu de quelque promesse divine et d'une assistance
particulière qui ne la quitte jamais : car la raison nous enseigne, l'Ecriture
décide, l'expérience confirme, « qu'un ouvrage humain se dissiperait de lui-même
(1). » Les ministres passent condamnation, et ils avouent que l'Eglise subsiste
visiblement dans ses pasteurs et dans son peuple, en vertu de cette promesse : «
Je suis avec vous ; » de celle-ci : « Les portes d'enfer ne prévaudront point, »
et des autres de cette nature. Mais l'Eglise ne peut subsister sans la
profession de la vérité : c'est pourquoi M. Jurieu avoue après M. Claude, que
l'Eglise, à qui Jésus-Christ promet une éternelle durée, «est une Eglise
confessante, une Eglise qui publie la foi, »
1 Ad., V, 35 et seq.
309
et par conséquent qui a pour cela une assistance
particulière ; on en a vu les passages (1), et ces deux ministres l'avouent en
termes formels. Il est vrai que c'est avec restriction ; car ils confessent que
Jésus-Christ assiste l'Eglise visible, quoique non pas jusqu'au point de ne la
laisser tomber en aucune erreur capitale. C'est pourquoi M. Jurieu demeure
d'accord que « l'Eglise universelle est infaillible jusqu'à un certain degré,
c'est-à-dire jusqu'à ces bornes qui divisent les vérités fondamentales de celles
qui ne le sont pas (2). » C'est déjà un attentat manifeste de donner des
restrictions à la promesse de Jésus-Christ qui est absolue, et trois raisons s'y
opposent, tirées l'une du côté de Dieu, l'autre du côté des dogmes qu'il révèle,
et la troisième du côté des promesses mêmes. Du côté de Dieu, il est
tout-puissant ; « il sauve en peu comme en beaucoup, » ainsi que dit l'Ecriture
(3); et il ne lui est pas plus difficile de garantir de toute erreur que de
quelque erreur, ni de conserver tous les dogmes que de conserver seulement les
principaux, en laissant périr cependant ceux qui en sont des accessoires et des
dépendances. Il les conserve donc tous dans son Eglise ; d'autant plus qu'à
considérer les dogmes mêmes, Jésus-Christ qui nous les a révélés ou par lui-même
ou par ses apôtres, n'est pas un maître curieux qui enseigne des dogmes inutiles
et dont la croyance soit indifférente ; au contraire c'est de lui qu'il est
écrit dans Isaïe : « Je suis le Seigneur qui t'enseigne des choses utiles, et
qui te conduis dans la voie où tu dois marcher (4). » Il n'a donc rien enseigné
qui ne soit utile et nécessaire à sa manière : si quelqu'un de ses dogmes ne
l'est pas à tous et toujours, il l'est toujours au général et il l'est aux
particuliers en certains cas ; autrement il n'aurait pas dû le révéler; et par
la même raison qu'il a dû le révéler à son Eglise, il a dû aussi l'y conserver
par l'assistance perpétuelle de son Saint-Esprit. C'est pourquoi, et c'est la
troisième raison ; c'est pourquoi, dis-je, les promesses de cette assistance
n'ont point de restriction; car Jésus-Christ n'en apporte aucune, quand il dit :
« Je suis avec vous ; » et quand il dit : « Les portes d'enfer ne prévaudront
point. » Il ne dit pas : « Je suis avec vous » dans
1 Var., liv. XV, n. 34 et suiv. — 2 Syst., p.
256; Var., liv. XV, n. 95.— 3 I Reg.,
XIV, 6. — 4 Isa., XLVIII, 17.
310
certains articles, et je vous abandonne dans les autres; il
ne dit pas : L'enfer prévaudra dans quelques points, et dans les autres je
rendrai ses efforts inutiles : il dit, sans restriction : « L'enfer ne prévaudra
pas. » Il n'y a point là d'exception, ni aucun endroit de sa doctrine que
Jésus-Christ veuille abandonner au démon ou à l'erreur : au contraire il a dit
que l'esprit qu'il enverrait à ses apôtres « leur enseignerait, » non pas
quelque vérité, mais « toute vérité (1) : » Ce qui devait durer éternellement, à
cause que cet Esprit ne devait pas seulement « être en eux, » mais encore « y
demeurer (2), » et que Jésus-Christ « les avait choisis, » non-seulement pour «
porter du fruit, » mais encore, afin « que le fruit qu'ils porteraient demeurât
(3); » et, comme dit Isaïe, « afin que l'esprit qui était en eux, et la parole
qu'il leur mettait à la bouche passât de génération en génération, de la bouche
du père à celle du fils, et à celle du petit-fils, et ainsi à toute éternité
(4). » Ces promesses n'ont point d'exceptions ou de restrictions, et on n'y en
peut apporter que d'arbitraires qu'on tire de son cœur et de son esprit
particulier ; ce qui est la peste de la piété. Que le Seigneur juge donc entre
nous et nos frères ; ou plutôt qu'il prévienne son jugement, qui serait
terrible, en leur inspirant la docilité pour les jugements de l'Eglise à qui
Jésus-Christ a tout promis. Mais sans les pousser plus loin qu'ils ne veulent,
ce qu'ils nous donnent suffit pour les tirer de tous leurs doutes ; et vous en
serez convaincus en lisant le XVe livre de l’Histoire des Variations :
car je ne veux ici répéter ni soutenir que ce que M. Jurieu en a attaqué dans
ses réponses.
Il traite avec un grand air de
mépris les sophismes de ce livre, comme il les appelle, et ne daigne entrer dans
cet examen ; mais puisqu'il y a quelques endroits qu'il a jugés dignes de
réponse, voyons s'il y en aura du moins un seul où il ait pu se défendre. Comme
il ne songe, à dire vrai, qu'à rendre tout difficile, il prétend qu'on tombe
parmi nous dans des embarras inévitables par le recours qu'on y a dans les
controverses aux décisions de l'Eglise universelle, parce que l'Eglise
universelle «n'enseigne rien,
1 Joan., XVI, 13 — 2 Joan., XIV, 16, 17.
— 3 Joan., XV, 16. — 4 Isa., LIX, 21.
311
selon lui, ne décide rien, ne juge rien (1), » et qu'on
n'en peut savoir les sentiments qu'avec un travail immense.
On voit bien où cela va : c'est
à jeter tout particulier, savant ou ignorant, et jusqu'aux femmes les plus
incapables, dans la discussion du fond des controverses, au hasard de n'en
sortir jamais, ou de n'en sortir que par une chute ; et au hasard, en
s'imaginant avoir tout trouvé de soi-même, de se laisser emporter au premier
venu. Voilà où M. Jurieu et ses semblables ont entrepris de mener tous les
fidèles.
Pour cela ce ministre a osé dire
que « l'Eglise n'enseigne rien et ne juge rien. » Comment le peut-il dire,
puisqu'il dit en même temps que le consentement de toutes les églises « à
enseigner certaines vérités est une espèce de jugement et de jugement
infaillible; si infaillible, selon lui, qu'il fait « une démonstration» (ce
sont ses paroles), et qu'on ne peut regarder que comme une « marque certaine de
réprobation » l'audace de s'y opposer (2) ? Ce sont encore ses paroles, et on ne
pou voit en imaginer de plus fortes. Mais, poursuit-il, on ne peut savoir le
sentiment de l'Eglise universelle qu'avec beaucoup de recherches. Quelle erreur
! et pourquoi ainsi embrouiller les choses les plus faciles? On fait imaginer à
un lecteur ignorant que, pour savoir les sentiments de l'Eglise catholique, il
faut envoyer des courriers par toute la terre habitable ; comme s'il n'y avait
pas dans les pays les plus éloignés des choses dont on peut s'assurer
infailliblement, sans qu'il en coûte autre chose que la peine de les vouloir
apprendre ; ou que tout particulier, dans quelque partie qu'il habitât du monde
connu, ne pût pas aisément savoir ce qui, par exemple, avait été décidé à Nicée
ou à Constantinople sur la divinité de Jésus-Christ ou du Saint-Esprit, et ainsi
du reste. Je ne sais comment on peut contester des choses si évidentes, ni
comment on peut s'imaginer qu'il soit difficile d'apprendre des décisions que
ceux qui les font sont soigneux de rendre publiques par tous les moyens
possibles; en sorte qu'elles deviennent aussi éclatantes que le soleil, et qu'on
en peut dire ce que saint Paul disait de la prédication apostolique:
1 Var., liv. XV, n. 87; Syst., p. 6, 217, 233
et suiv. — 2 Var., liv. XV, n. 87, 88 ; Syst., p. 296.
312
« Le bruit s'en est répandu dans toute la terre, et la
parole en a pénétré jusqu'aux extrémités de l'univers ». » Saint Paul parlait
aux Romains d'une vérité qui leur était connue, sans avoir besoin de dépêcher
des courriers par tout le monde, ni d'en attendre des réponses ; et pour venir à
des exemples qui touchent de plus près les protestons, faut-il envoyer en Suède
pour savoir qu'on y professe le luthéranisme, ou en Ecosse pour savoir que le
puritanisme y prévaut et que l'épiscopat y est haï, ou en Hollande pour savoir
que les arminiens qui y sont fort répandus tendent fort à la croyance des
sociniens? Mais puisque le ministre est en humeur de contester tout, qu'il se
souvienne du moins de ce qu'il a dit lui-même, que ce consentement de «l'Eglise
universelle est la règle la plus sûre pour juger quels sont les points
fondamentaux, et les distinguer de ceux qui ne le sont pas ; question, dit-il,
si épineuse et si difficile à résoudre (2). »
Voilà les passages de M. Jurieu,
que je lui objecte à lui-même dans le livre XV des Variations. Ils sont
assez importants, et surtout le dernier, pour montrer l'autorité infaillible des
jugements de l'Eglise : que croyez-vous, mes chers Frères, que ce ministre y
réponde ? Une chose rare sans doute : écoutez-la, et voyez d'abord de quelle
hauteur il le prend : « On veut bien que M. Bossuet sache qu'on ne parle pas à
des simples, mais à des savants qui examinent la question des points
fondamentaux et non fondamentaux. Mais, poursuit-il un peu après, à l'égard des
simples , cette règle est de nul usage (3). » Mais quelle règle auront donc les
simples pour résoudre cette question « si épineuse et si difficile?» L'Ecriture?
Mais comment donc dites-vous, « que la règle la plus sûre » est le consentement
des Eglises? Il y aurait donc une règle plus sûre que l'Ecriture? Mais si
l'Ecriture est claire, comme vous le soutenez, comment est-ce que la question
des articles fondamentaux est « si épineuse et si difficile à résoudre ? » Ou
bien est-ce qu'elle est difficile pour les savants seulement, sans l'être pour
le simple peuple ; et que l'Ecriture, qui la décide pour le peuple, ne la décide
pas pour les savants ? Reconnaissez que souvent on s'embarrasse beaucoup, quand
on ne songe, en expliquant
1 Rom., X; 18; Ps. XVIII. 5. — 2 Syst., p.
287. — 3 Lett. XI, p. 83, col. 1.
313
les difficultés, qu'à éblouir le vulgaire. Mais voici un
beau dénouement : « C'est que les simples ne sont guères appelés à distinguer
les points fondamentaux et non fondamentaux; cela ne leur est aucunement
nécessaire. Mais s'ils veulent entrer dans cet examen, leur unique règle sera
leur raison et l'Ecriture sainte; et par ces deux lumières ils jugeront
aisément du poids et de l'importance d'une doctrine pour le salut (1). » Mais si
les simples le peuvent « juger aisément, » pourquoi les savants seront-ils les
seuls à qui cette question « est si épineuse et si difficile à résoudre ? La
raison et l'Ecriture » ne sont-elles que pour les simples ? Et les savants
ont-ils une autre règle de leur croyance que les autres? Mais pourquoi vous
met-on ici «votre raison avec l'Ecriture? Leur raison et l'Ecriture, dit-on,
seront leur unique règle. » Est-ce qu'à ce coup l'Ecriture n'est pas suffisante?
Ou bien est-ce qu'en cette occasion il faut avoir de la raison pour bien
entendre l'Ecriture, et que dans les autres questions la raison n'est pas
nécessaire? O peuples fascinés et préoccupés ! car c'est à vous que je parle
ici, et je laisse pour un moment les superbes docteurs qui vous séduisent : ne
sentirez-vous jamais que vos ministres se jouent de votre foi ? Car, je vous
prie, pourquoi vous exclure de l'examen des articles fondamentaux, et se le
réserver à eux seuls? N'est-ce pas un article nécessaire à tous, de bien savoir,
par exemple, que Jésus-Christ « est le fondement (2) ? » Mais si quelqu'un
venait dire que l'article de sa divinité, ou celui du péché originel et de la
grâce, ou celui de l'immortalité de l’âme et de l'éternité des peines, ou
quelque autre de cette importance, n'est pas fondamental et qu'il faut communier
les sociniens qui les nient : pourquoi le peuple sera-t-il exclus de la
connaissance de cette question? Mettons, par exemple, que quelque ministre ose
avancer qu'il faut recevoir à la communion, non-seulement les luthériens, mais
encore ceux qui rejettent les articles qu'on vient de rapporter, ou qui veulent
qu'ils n'appartiennent pas à l'essence de la religion : ce n'est point là une
idée en l'air ; M. Jurieu sait bien que plusieurs ont proposé et proposent
encore de semblables tolérances : les docteurs jugeront-ils seuls cette
question, ou
1 Lett. XI, p. 83.— 2 I Cor.,
III, 11.
314
seront-ils infaillibles à cette fois, et le peuple
sera-t-il tenu de les en croire à l'aveugle ? Mais si les ministres se trompent,
car ils ne veulent être infaillibles ni en particulier ni en corps, faudra-t-il
consentir à leur erreur ? Peuple aveugle, où vous mène-t-on, en vous disant que
vous voyez tout par vous-mêmes ? Et à qui peut-on mieux appliquer cette parole
du Sauveur : « Si vous étiez aveugles, vous n'auriez point de péché : mais
maintenant que vous dites : Nous voyons ; votre péché demeure sur vous (1) ? »
Mais voici encore une autre
illusion. M. Nicole presse le ministre sur l'invincible difficulté où se
trouvera une bonne femme dans un article important, lorsque, par exemple (car il
m'est permis de réduire la question générale à un cas particulier), lors,
dis-je, qu'un socinien lui viendra dire, comme font tous ceux de cette secte,
que l'intelligence des paroles par où on lui prouve la divinité de Jésus-Christ,
ou le péché originel, ou l'éternité des peines, dépend des langues originales
dont les versions, et même les plus fidèles, ne peuvent jamais égaler la force
ni remplir toutes les idées. L'embarras assurément n'est pas petit, lorsqu'avec
les protestants on tient pour certain que dans les points de la foi on ne peut
se fier qu'à soi-même, et cette femme est agitée d'une terrible manière. Mais M.
Jurieu apaise ses troubles, en lui disant, « qu'une simple femme qui aura appris
le Symbole des apôtres, et qui l'entendra dans le sens de l'Eglise universelle,
sera peut-être dans une voie plus sûre que les savants qui disputent avec tant
de capacité sur la diversité des versions (2). » Le livre des Variations
proposait encore à votre ministre ce témoignage tiré de lui-même, où il paraît
clairement que pour tirer d'embarras cette pauvre femme , il lui propose
l'autorité de l'Eglise universelle , comme un moyen plus facile que celui de la
discussion. C'était là parler en catholique; c'était donner à cette femme le
même moyen d'affermir sa foi que nous donnons généralement à tous les fidèles;
et dans un état si embarrassant, votre ministre n'a pu s'empêcher de revenir à
notre doctrine. Mais il tâche de se relever contre cet aveu : « Vit-on jamais,
répond-il, une plus misérable chicanerie? Le ministre dit bien qu'une femme peut
entendre le
1 Joan. IX, 41. — 2 Syst., liv. III, chap. IV, p.
463.
315
Symbole dans le sens de l'Eglise universelle ; mais il ne
dit pas qu'elle puisse savoir le sens de l'Eglise universelle (1). » Et un peu
après : « Elle ne connaîtra point le sens de l'Eglise universelle par l'Eglise
universelle elle-même; ce sera par l'Ecriture. Car elle fera ce raisonnement :
C'est ici le vrai sens de l'Ecriture; et par conséquent c'est celui de l'Eglise
universelle. » Ne voilà-t-il pas un doute bien résolu, et une femme bien
contente ? Troublée en sa conscience sur l'intelligence de l'Ecriture et
embarrassée d'un examen où elle se perd, elle trou voit du soulagement lorsque
vous la renvoyez à l'autorité de l'Eglise universelle comme à un moyen plus
connu , et maintenant vous lui faites voir qu'elle ne voit goutte en ce moyen!
Pourquoi donc le lui proposer? Qui vous obligeait à lui parler de l'Eglise
universelle, pour dans la suite l'embarrasser davantage? Et ne valait-il pas
mieux selon vos principes, sans lui parler de l'Eglise ni du Symbole, la
renvoyer tout court à l'Ecriture, que d'y revenir enfin par ce circuit
embarrassant? Mais c'est que les principes de la Réforme veulent une chose, et
que la force de la vérité ou plutôt le besoin pressant d'une conscience agitée
en demande une autre.
Que si le ministre nous demande
comment on peut s'assurer du consentement de tous les siècles dans certains
articles, sans lire beaucoup d'histoires et remuer beaucoup de livres : ce moyen
était tout trouvé dans les principes qu'il posait, s'il eût voulu les pousser
dans toute leur suite. Il n'avait qu'à se souvenir que Jésus-Christ, selon lui,
promet une Eglise où la vérité sera toujours annoncée du moins quant aux
articles capitaux, infaillible par conséquent à cet égard, comme il en est
convenu. Or une Eglise infaillible n'erre dans aucun moment : qui n'erre point,
croit toujours la même chose ; et il n'y a dans ce cas qu'à voir ce qu'on croit
de son temps pour savoir ce qu'on a toujours cru (2). Les principes sont avoués
; la conséquence est claire ; on nous donne un dénouement sur à la principale
difficulté qu'on nous fait sur l'autorité de l'Eglise. On nous objecte sans
cesse, et autant de fois que nous recourons à cette autorité, que c'est recourir
aux hommes au lieu de se tourner du côté de Dieu. Que si on avoue maintenant
1 Jur., lett. XI, p. 83. — 2 Var., liv. XV, n. 95,
96.
316
que le consentement de l'Eglise est une règle certaine et «
la plus sûre de toutes, » il est clair qu'en s'y soumettant, ce n'est pas aux
hommes qu'on cède, mais à Dieu; et l'objection que la Réforme nous faisait est
résolue par la Réforme même.
C'est ce que j'ai dit au
ministre (1) ; et sans seulement songer à y répondre, il continue ses plaintes
contre l'évêque de Meaux en cette sorte : « Vit-on jamais un plus étrange
exemple de hardiesse, que l'accusation qu'il fait aux ministres Claude et
Jurieu, d'avoir confessé ou écrit qu'il n'est pas nécessaire aux simples de lire
et d'étudier l'Ecriture sainte ? Dans quel esprit faut-il être pour imputer à
des gens un aveu formellement contraire à toutes leurs disputes et à leurs
sentiments (2)? » Le ministre change un peu les termes. Je n'accuse ni M. Claude
ni lui de nier absolument la nécessité de lire ou d'étudier l'Ecriture sainte :
je dis seulement qu'ils ont nié que l'Ecriture fût nécessaire aux simples pour
former leur foi. Et afin de marquer les ternies précis de l'accusation, je
soutiens que ces deux ministres ont enseigné positivement « que l'Ecriture n'est
pas nécessaire au fidèle pour former sa foi ; qu'il la peut former sans en avoir
lu aucun livre, et sans savoir même quels sont les livres inspirés de Dieu (3).
» J'avoue bien que cette doctrine est contraire à toutes les maximes de la secte
; et c'est aussi pour cette raison que je maintiens que la secte est
insoutenable, puisqu'à la fin il en faut nier toutes les maximes. Mais voyons ce
qu'on nous répond. Voici les propres paroles de M. Jurieu : « Les ministres
Claude et Jurieu ont avoué qu'il n'était pas d'une absolue nécessité aux simples
d'étudier la question des livres canoniques et apocryphes ; donc ils ont avoué
qu'il ne leur est pas permis de lire l'Ecriture. Quelle croyance devez-vous
avoir à un convertisseur d'une mauvaise foi si découverte (4)? » Encore un coup,
on change les termes de l'accusation pour lui ôter la vraisemblance ; car qui
croira que des ministres en soient venus jusqu'à dire que la lecture de
l'Ecriture ne soit pas permise aux simples ? Aussi n'est-ce pas là ce que je dis
, mais seulement que l'Ecriture « n'est pas nécessaire au fidèle pour former sa
foi. »
1 Var. liv. XV, n. 91. — 2 Jur., lett. XI, p. 83,
col. 2. — 3 Var., liv. XV, n. 113, 114. — 4 Lett. XI, p. 83.
317
Voilà mon
accusation , surprenante à la vérité contre des ministres, mais par malheur pour
celui-ci qui fait tant l'étonné, il en avoue déjà la moitié, et encore, comme on
va voir, une moitié qui entraîne l'autre. Car enfin qu'il biaise tant qu'il lui
plaira, et qu'il tâche de dissimuler son aveu, en disant qu'il n'est pas « de
nécessité absolue aux simples d'étudier la question des livres canoniques, » ou
cette question est indifférente, et les fidèles formeront leur foi sans
connaître quels sont les livres divins ; ou s'il leur est nécessaire de le
savoir et qu'ils ne le sachent pas, il faudra bien ou qu'ils l'étudient, ou
qu'ils s'en fient à leurs docteurs et à l'autorité de l'Eglise; ou que, comme
des fanatiques, ils attendent que, sans étude et sans aucun soin, Dieu leur
révèle par lui-même les Livres divins. Quoi qu'il en soit et de quelque côté
qu'il se tourne, au fond il est constant qu'il accorde ce que M. Claude avait
aussi accordé, qu'il n'est pas besoin qu'un homme étudie « la question des
livres apocryphes et canoniques ; » et il avoue lui-même en termes formels que «
la question des livres apocryphes et canoniques fait partie de cette science
qu'on appelle théologie, mais qu'elle ne fait point partie de l'objet de
la foi (1). » Quoi donc ! il n'appartient point à la foi, si l’Apocalypse,
si l’Epître aux Hébreux, si d'autres livres sont divins ou non? On peut
errer sur ce point sans blesser la foi? Que deviendra donc la doctrine, que
l'Eglise romaine est Babylone (2); doctrine si importante, qu'elle est à présent
le principal fondement de la séparation et un article sans lequel on ne peut pas
être chrétien? Que deviendra cet article selon la Réforme , et quel fondement
aura-t-il, si l'on peut révoquer en doute la divinité de l’Apocalypse?
D'ailleurs s'il est permis une fois aux simples de croire, par exemple, sur la
foi de saint Innocent et du concile de Carthage, pour ne point ici parler des
autres auteurs, que les livres des Machabées sont divins; il faudra donc
passer nécessairement, et le sacrifice pour les morts, et la rémission des
péchés après cette vie (3), comme choses révélées de Dieu. Je crois alors que la
question des livres canoniques ou apocryphes deviendra appartenante à la foi
autant pour les
1 Syst., liv. III, diap. II, p. 251 453. — 2 Jur.,
Préf. de l’Acc. des Proph., lett XI, etc. — 3 II Mach., XII, 43 et
seq.
318
simples que pour les doctes protestants : autrement ce
qu'on leur donne pour assuré par la foi ne le sera plus. Que dira ici la Réforme
, si vivement pressée par les propres réponses de ses ministres ? Avouez que la
confusion se met parmi vous d'une manière terrible, et, comme disait le
Psalmiste, que « l'iniquité se dément » trop visiblement « elle-même (1). »
Mais encore qui pouvait obliger
deux ministres si précautionnés et si subtils à un aveu si considérable? Je le
dirai en peu de mots : c'est qu'enfin ils ont reconnu qu'on ne peut plus
soutenir cet article de la Réforme : « Qu'on connaissait les Livres divins pour
canoniques, non tant par le consentement de l'Eglise universelle, que par le
témoignage et la persuasion intérieure du Saint-Esprit (2). » Les ministres ont
bien senti que de faire croire à tous les fidèles qu'ils vont connaître d'abord
par un goût sensible la divinité du Cantique des Cantiques, ou du commencement
de la Genèse ou d'autres livres semblables sans le secours de la tradition : ce
serait une illusion trop manifeste ou, pour enfin trancher le mot, un franc
fanatisme. De renvoyer les fidèles au consentement de l'Eglise, que, pour ne
point donner tout à l'inspiration fanatique, on était forcé en cette occasion de
reconnaître du moins comme un moyen subsidiaire, cela serait dangereux : car à
quelque prix que ce soit, on veut que ce consentement de l'Eglise, moyen que
l'antiquité a toujours donné pour si facile, soit d'une recherche si abstruse et
si embarrassante, que les simples n'y connaissent rien. Que faire donc ? Le plus
court a été de dire que la question des livres canoniques et apocryphes, où il
s'agit d'établir le fondement de la foi et la parole qui en règle tous les
articles, n'appartient pas à la foi et n'est pas nécessaire aux simples.
Mais comme enfin il a bien fallu
donner aux simples un moyen facile de discerner les Livres divins d'avec les
autres, à moins de les exposer à autant de chutes que de pas, on a trouvé ce
moyen dans nos jours, de dire que la foi commence par sentir les choses en
elles-mêmes, et que par le goût qu'on a pour les choses, on apprend aussi à
goûter les livres où elles sont contenues. C'est ce
1 Ps. XXVI, 12. — 2 Conf. de foi, art. 4.
319
que le ministre Claude a dit le premier, cet homme que les
protestants nomment maintenant leur invincible Achille ; c'est ce que le
ministre Jurieu a suivi depuis ; et voici ses propres paroles : « C'est la
doctrine de l'Evangile et de la véritable religion qui fait sentir sa divinité
aux simples indépendamment du livre où elle est contenue ; » et pour conclusion
: « En un mot, continue-t-il, nous ne croyons pas divin ce qui est contenu dans
un livre, parce que ce livre est canonique ; mais nous croyons qu'un tel livre
est canonique, parce que nous avons senti que ce qu'il contient est divin ; et
nous l'avons senti comme on sent la lumière quand on la voit, la chaleur quand
on est auprès du feu, le doux et l'amer quand on mange (1). »
Ainsi contre les maximes qu'on
avait crues jusqu'ici les plus constantes dans la Réforme, le fidèle ne forme
plus sa foi sur l'Ecriture ; mais après avoir formé sa foi en lui-même,
indépendamment des Livres divins, il commence la lecture de ces Livres. Ce n'est
donc point pour apprendre ce que Dieu a révélé qu'il les lit; il le sait déjà ou
plutôt il le sent : et je vous laisse à penser avec cette prévention s'il
trouvera autre chose dans ces divins Livres que ce qu'il aura déjà cru voir
comme on voit le soleil, et sentir comme on sent le froid et le chaud.
Or cela, c'est formellement ce
qu'enseignent les fanatiques, comme il paraît par leurs thèses : car voici
celles que les quakers ou les trembleurs, c'est-à-dire les fanatiques les plus
avérés, ont publiées, et qu'ils ont ensuite traduites en français par ces
paroles : « Les révélations divines et intérieures, lesquelles nous croyons
absolument nécessaires pour former la vraie foi, comme elles ne
contredisent point au témoignage extérieur des Ecritures, non plus qu'à la saine
raison, aussi n'y peuvent-elles jamais contredire. Il ne s'ensuit pas toutefois
de là que ces révélations divines doivent être soumises à l'examen du
témoignage extérieur des Ecritures, non plus qu'à celui de la raison naturelle
et humaine, comme à la plus noble et à la plus certaine règle et mesure : car la
révélation divine et illumination intérieure, est une
1 Déf. de la Réf., IIe part., chap. IX, p. 196 et
suiv.; Jur.. Syst., liv. III, ch. II, p. 453.
320
chose qui de soi est évidente et claire, et qui contraint
par sa propre évidence et clarté, un entendement bien disposé à consentir, et
qui le meut et le fléchit sans aucune résistance; ne plus ne moins que les
principes naturels meuvent et fléchissent l'esprit au consentement des vérités
naturelles, comme sont : Le tout est plus grand que sa partie : Deux
contradictoires ne peuvent être ensemble vrais ou faux (1). » D'où s'ensuit la
troisième thèse, que « de ces saintes révélations de l'Esprit de Dieu sont
émanées les Ecritures, » dont la thèse fait une espèce de dénombrement; et puis
elle poursuit en cette sorte : « Cependant ces Ecritures n'étant seulement que
la déclaration de la source d'où elles procèdent, et non pas cette même source,
elles ne doivent pas être considérées comme le principal fondement de toute
vérité et connaissance, ni comme la règle première et très-parfaite de la foi et
des mœurs; quoi que rendant un fidèle témoignage de la première vérité, elles en
soient et puissent être estimées la seconde règle, subordonnée à l'Esprit duquel
elles tirent toute l'excellence et toute la certitude qu'elles ont. »
Quand ils disent que l'Ecriture
n'est que la seconde règle, conforme néanmoins à la première, qui est la foi
déjà formée dans l'intérieur avec toute sa certitude par la révélation avant
l'Ecriture, ils ne font que dire en autres termes ce qu'on vient d'entendre de
la bouche de nos ministres ; qu'avant toute lecture des Livres divins, on a déjà
senti au dedans toute vérité, comme on sent le froid et le chaud, c'est-à-dire
d'une manière dont on ne peut jamais douter ; ce qui opère nécessairement, non
qu'on juge de ses sentiments par l'Ecriture, et qu'on les rapporte à cette règle
comme à la première, ainsi qu'on l'avait toujours cru dans la Réforme ; mais
qu'on accommode l'Ecriture à sa prévention , et qu'on appelle cette prévention
de son jugement une révélation de l'esprit de Dieu. Qu'on me cherche un moyen
plus sur de faire des fanatiques. La Réforme tombe à la fin dans ce malheur, et
c'était l'effet nécessaire de ces enseignements. Je ne m'étonne donc pas si M.
Jurieu a tant déguisé l'accusation
1 Les Princ. de la Vér. etc. , avec les Thèses
théolog. impr. à Roterd. en 1675 ; Th. II, p. 21, 22
321
que je lui faisais, aussi bien qu'à M. Claude ; et s'il en
a dissimulé la moitié, c'est-à-dire cette formation, pour ainsi parler, de la
foi indépendamment de l'Ecriture. Pressé par la vérité , on hasarde de telles
choses dans un long discours, où les simples ne les sentent pas au milieu d'un
embarras infini de questions et de distinctions dont on les amuse ; mais s'il
eût fallu dire la chose en trois mots précis dans un article d'une lettre, on
eût fait trop tôt sentir à la Réforme l'étrange variation qu'on introduit dans
ses maximes les plus essentielles ; et tout le monde aurait frémi à un
établissement si manifeste du fanatisme, où l'on veut que chacun juge de sa foi
par son goût, c'est-à-dire, qu'il prenne pour inspiration toutes les pensées qui
lui montent dans le cœur, et en un mot qu'il appelle Dieu tout ce qu'il
songe.
Ainsi cette accusation de
l'évêque de Meaux, qui devait faire sentir toute la mauvaise foi de ce
convertisseur (plût à Dieu, encore une fois, que j'eusse pu mériter ce titre!)
se trouve à la fin très-véritable ; mais le ministre sera encore plutôt confondu
dans sa dernière plainte. Elle est fondée sur ce qu'il exclut les sociniens et
les autres sectes semblables d'être « des communions et des communions
chrétiennes, » à cause qu'elles ne « sont ni anciennes ni étendues; » d'où j'ai
conclu qu'il reconnaît donc que toute communion chrétienne doit avoir
l'antiquité, c'est-à-dire la succession qui manque visiblement aux calvinistes
». Cette conséquence est claire ; ce raisonnement est court et démonstratif.
Toute communion chrétienne , selon M. Jurieu, doit avoir « l'antiquité » ou la
succession, et en même temps a l'étendue ; » elle ne doit pas venir d'elle-même,
mais elle doit montrer ses prédécesseurs dans tous les temps précédents : elle
ne doit pas s'élever comme une parcelle détachée du tout, ni comme le petit
nombre qui se soulève contre le grand et contre l'universalité ; c'est-à-dire,
en autres termes, que toute société chrétienne doit être universelle, et pour
les temps et pour les lieux : et voilà ce beau caractère de catholicité, tant
loué par les chrétiens de tous les âges; caractère inséparable de la vraie
Eglise, et en même temps inimitable à toutes les hérésies, dont aussi M. Jurieu
se sert lui-même
1 Syst., liv. III, chap. I, p.
232 ; Var., liv. XV, n.92, 93, 14.
322
pour confondre les sociniens. Mais il ne veut pas entendre
qu'il confond en même temps toute la Réforme ; car ayant trouvé dans le livre
des Variations cette objection tirée de lui-même : « Cela est faux ,
répond-il : si le ministre a dit que par les communions qu'il renferme dans
l'Eglise universelle, il n'entend que les grandes communions qui ont de
l'étendue et de la durée, c'est à la vérité pour en exclure les sociniens, qui
n'ont ni étendue ni durée ; mais il n'a pas voulu dire que quand cette secte
aurait étendue et durée, il voulut la renfermer dans le vrai christianisme (1).
» Je l'entends. La succession et l'étendue ne font pas qu'on soit compris dans
l'Eglise ; à la vérité on en est exclus par le défaut de ces deux choses : il
faut plus que cela pour l'inclusion, mais pour l'exclusion cela suffit : je n'en
veux pas davantage. On est exclus du titre d'Eglise et de communion chrétienne,
lorsqu'on manque de succession et d'étendue (c'est la proposition de M. Jurieu
contre les sociniens) : or est-il que les calvinistes et les luthériens, comme
toutes les autres sectes, n'avaient au commencement ni antiquité ou succession,
ni étendue, non plus que les sociniens ; comme eux donc ils étaient alors exclus
de l'Eglise universelle, qui est tout ce que je voulais dans l’Histoire des
Variations, et à quoi M. Jurieu n'a pas seulement songé à répondre,
quoiqu'il traite expressément cet endroit-là.
Il est donc vrai, mes chers
Frères, que la vérité l'accable. Il a conçu une injuste horreur contre l'Eglise
romaine : sa haine le porte jusqu'à dire qu'on se sauve plus aisément avec les
ariens qu'avec elle ; mais à la fin il faut avouer qu'on fait son salut dans sa
communion. Il fait semblant d'être impitoyable aux sociniens, jusqu'à les mettre
sans miséricorde au rang des mahométans ; cependant les principes qu'il pose le
forcent à reconnaître que leur erreur n'empêcherait pas que leur prédication ne
produisît de vrais saints dans leur communion, s'ils pouvaient venir à bout
d'être une communion ou une société chrétienne. Il entreprend de leur montrer
qu'ils n'en sont pas une, et qu'ils ne méritent pas le nom d'Eglise, à
cause de leur état malheureux où manquent ces deux caractères, l'antiquité ou la
succession et
1 Jur., lett. XI, p. 84.
323
l'étendue. Mais quoi! un calviniste reprocher aux autres le
défaut de succession où d'étendue ! Ne songe-t-il pas à lui-même et à la société
où il est ministre? Cette société se méconnaît-elle? Un siècle ou deux de durée
lui ont-ils fait oublier ses commence-mens, et ne sentira-t-elle jamais qu'elle
les condamne ? Non, mes Frères, la vérité est plus forte que toutes ces
considérations. Parle, parle, dit-elle au ministre, condamne les sociniens par
une preuve qui retombera contre toi-même : ainsi deux mauvaises sectes seront
percées d'un même coup, et à travers du socinien le calviniste portera le
couteau jusque dans son propre sein. Je vous avais dit, mes Frères, dès mon
premier Avertissement, que cela devait arriver, mais maintenant le fait est
constant par l'expérience.
Que si vous
dites peut-être qu'aussi votre ministre s'est trop avancé, et qu'il a eu tort de
se servir de ces preuves dont les papistes tirent de si grands avantages :
désabusez-vous, mes chers Frères ; car il n'avait point d'autre moyen d'exclure
les sociniens de l'unité de l'Eglise et du nombre des sociétés vraiment
chrétiennes. Vous avez vu ses variations sur leur sujet; mais dans les temps où
il a voulu les exclure du titre d'Eglise et de communion chrétienne, il n'avait
point de meilleur moyen de le faire, qu'en leur montrant, par le défaut de la
succession et de l'étendue qu'ils ne méritaient même pas le nom de communion,
qu'il ne pou voit refuser aux sociétés à qui il attribuait la succession et
l'étendue.
Voilà donc une première raison
qui l'obligeait à condamner les sociniens par le défaut d'étendue et
d'antiquité. Mais une autre raison plus pressante l'y forçait encore ; c'est
qu'il sentait en sa conscience que cette preuve, quoique fatale à votre
Réforme en effet et par elle-même était invincible : car, mes Frères ce sera
toujours, quoi qu'on dise, un coup mortel aux sociniens et à tous ceux qui nient
ou qui ont nié la divinité du Fils de Dieu toutes les fois que vous leur direz
: Quand vous êtes venus au monde il n'y avait dans le monde personne de votre
croyance : si donc votre doctrine est la vérité , il s'ensuit que la vérité
était éteinte sur la terre. Cette objection suffit pour fermer la bouche à ces
hérétiques : ils n'ont rien eu, ils n'ont rien encore, ils n'auront jamais rien
à y répondre toutes les fois que vous la ferez ; car
324
nulle oreille chrétienne ne souffrira qu'on assure que sous
un Dieu si puissant, si sage, si bon, la vérité soit éteinte sur la terre. Mais
en même temps que vous aurez lâché le mot, et que vous aurez fait cette
objection aux hérétiques qui venaient nier la divinité du Fils de Dieu, en même
temps nous retombons sur vous, et nous vous forçons d'avouer que la vérité,
qu'on se vantait de rétablir dans la Réforme, était donc éteinte avant que la
Réforme parût, aussi bien que celle que les sociniens et avant eux les ariens,
les paulianistes et les autres se vantaient de rétablir.
Il n'est pas vrai, direz-vous ;
il y avait « les sept mille qui n'avaient point fléchi le genoux devant Baal. »
Mais qui empêche les ariens et les sociniens, et en un mot tous les hérétiques
d'en dire autant? On les confond en leur montrant que la vérité ne voulait pas
seulement être crue, mais encore annoncée, et que l'Eglise ne devait pas être
seulement, mais encore être visible, ainsi que nous l'avons vu très-clairement
reconnu par vos ministres. Mais sans avoir recours à cet argument,
quoiqu'invincible, on les confond encore par une voie plus courte en leur disant
: Si lorsqu'un Artémon, un Paul de Samosate, un Bérylle, un Arius et les autres
qui s'opposaient à la divinité de Jésus-Christ, ont commencé à prêcher, leur
doctrine eût déjà été dans l'Eglise en quelque sorte que ce fût, cachée ou
publique, on ne se serait pas étonné de leur nouveauté ; ils n'auraient pas été
réduits à n'être d'abord que quatre ou cinq, ni contraints d'avouer qu'ils
avaient eux-mêmes été élevés dans une créance contraire à celle qu'ils voulaient
introduire dans le monde, sans pouvoir nommer personne, je ne dis pas qui la
professât, mais qui la reçut auparavant. Osez faire le même argument à ces
hérétiques; vous les réduirez à la honte de ne pouvoir trouver dans tout
l'univers un seul homme qui crût comme eux quand ils sont venus. Mais en même
temps vous voilà perdus, puisque vous ne sauriez vous sauver du même reproche.
La preuve en est bien facile, en
vous faisant seulement cette demande. Mes Frères, donnez gloire à Dieu. Quand on
a commencé votre Réforme, y avait-il, je ne dis pas quelque Eglise ( car il est
déjà bien certain qu'il n'y en avait aucune ), mais du
325
moins y avait-il un seul homme qui en se joignant à Luther,
à Zuingle, à Calvin, à qui vous voudrez, lui ait dit en s'y joignant : J'ai
toujours cru comme vous, je n'ai jamais cru ni à la messe, ni , au Pape, ni aux
dogmes que vous reprenez dans l'Eglise romaine ? Mes chers Frères, pensez-y bien
; vous a-t-on jamais nommé un seul homme qui se soit joint de cette sorte à
votre Réforme ? En trouverez-vous quelqu'un dans vos annales, où l'on a ramassé
autant qu'on a pu tout ce qui pouvait vous justifier contre les reproches des
catholiques, et surtout contre le reproche de la nouveauté , qui était le plus
pressant et le plus sensible? Donnez gloire à Dieu encore un coup ; et en
avouant que jamais vous n'avez rien ouï dire de semblable, confessez que vous
êtes dans la même cause que les sociniens, et que tout ce qu'il y a jamais eu
d'hérétiques.
Vous pouvez dire, mes Frères,
car je cherche tous les moyens dont vous pouvez fortifier vos prétentions; vous
pouvez donc dire : Il est vrai; on ne nous a jamais nommé personne qui se soit
rangé dans la Réforme, en disant qu'il avait toujours cru comme elle; mais c'est
aussi que peut-être on n'a jamais fait cette question à nos ministres. Mes chers
Frères, ne vous flattez pas de cette pensée : on la leur a faite cent fois; on
leur a demandé cent fois qu'ils montrassent quelqu'un qui crût comme eux quand
ils sont venus : moi-même le dernier des évêques et le moindre des serviteurs de
Dieu, j'ai demandé à M. Claude (1) le plus subtil de vos défenseurs, s'il
pouvait nommer un seul homme qui se soit uni à la Réforme en disant : J'ai
toujours cru comme cela, je n'ai jamais adhéré à la foi romaine. Qu'a répondu ce
ministre si fécond en évasions, si adroit à éluder les difficultés? « M. de
Meaux s'imagine-t-il qu'on ait tout écrit (2)? » Vous le voyez, mes chers
Frères, il n'a eu personne à vous nommer. J'ai relevé cette réponse dans ma
Lettre pastorale; et de ce que M. Claude n'a rien eu à dire sur un fait si
bien articulé, sur une demande si précise, j'ai conclu, comme on fait dans un
légitime interrogatoire, que le fait était avéré et ma demande sans réplique
(3). Qu'a répondu M. Jurieu, qui se vante d'anéantir cette Lettre
pastorale?
1 Confér. Réf., XIII. — 2 M. Claude, Réponse
au disc. de M. de Cond. V. 362.— 3 Lett. past. de M. de Meaux, n.
8.
326
Voici tout ce qu'il a répondu quand il est venu à cet
endroit : « Ensuite de cela notre auteur entre en grosse dispute avec M. Claude,
pour lui prouver que la supposition des fidèles cachés est ridicule ». » Vous
vous trompez, lui disons-nous ; ce n'est point ici une grosse dispute, comme
vous voudriez le faire accroire à vos lecteurs, afin de les rebuter par la
difficulté de la matière : encore un coup ce n'est point ici un long procès : il
ne s'agit que d'un simple fait, savoir si parmi vous on sait quelqu'un qui en se
joignant aux réformateurs, leur ait déclaré que toujours il avait cru comme eux.
Voilà cette « grosse dispute » où vous voudriez qu'on n'entrât jamais, parce que
vous y trouvez votre honte. Ce fait dont il s'y agit devrait être constant parmi
vous, s'il n'était pas absolument faux. Répondez-y du moins, M. Jurieu, vous qui
avez entrepris d'y répondre; si vous savez sur ce fait quelque chose de meilleur
que M. Claude, il est temps de nous le dire. Mais, mes Frères, vous vous y
attendez en vain, et voici tout ce que vous en aurez : « En répondant à M.
Nicole et à M. Bossuet, on a répondu cent fois à ce sophisme : nous y avons
répondu dans nos Lettres pastorales, et encore tout nouvellement en réfutant le
troisième livre des Variations (2). » Je reconnais le style ordinaire de vos
ministres : ils ont toujours répondu à tout ; mais ne les en croyez pas : M.
Jurieu n'a pas dit un seul mot sur ce fait articulé à M. Claude; il n'a même
rien dit qui approche de cette matière. Mais il sait bien que vous n'irez pas
lire tous ses ouvrages, où il vous renvoie en général, sans vous en marquer
aucun endroit pour chercher la réponse qu'il se vante d'avoir faite. Il est vrai
qu'il vous a marqué « la réfutation du troisième livre des Variations (3). »
C'est dans sa septième Lettre de cette année que se trouve cette prétendue
réfutation; elle consiste en deux ou trois pages, qui ne font rien à la
question, comme vous verrez en son lieu; mais où constamment vous ne trouverez
pas un seul mot du fait proposé à M. Claude, ni qui y tende. Vous en pouvez
juger autant des autres endroits où il vous renvoie, et par le silence obstiné
de vos ministres sur un fait de cette importance, le tenir pour avoué.
1 Jur., lett. XIX, p. 150, col. 2. — 2
Ibid., p. 110.—
3 Lett. VII, de la 3e ann.,p. 54, 55.
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Mais vous n'avez qu'à entendre ce qu'il dit encore sur ce
sujet-là dans sa XIXe Lettre, pour voir qu'il ne sait où il en est.
L'objection qu'il voulait détruire de ma Lettre pastorale, était qu'on ne
pouvait du moins nier qu'on n'eût cru la réalité et adoré l'Eucharistie depuis
Bérenger, c'est-à-dire depuis six à sept cents ans. Donc ai-je dit, tous les
chrétiens étaient idolâtres selon vous; et si on ne peut montrer au temps de
Zuingle et de Calvin aucun homme qui leur ait déclaré en se joignant à eux qu'il
n'avait jamais pris de part à la croyance ni au culte de Rome, il sera vrai que
tout le monde adorait donc ce qu'ils appelaient une idole. A cette pressante
instance M. Jurieu répond : « Que cela soit, il ne nous importe (1). » Il ne
nous importe que Dieu ait eu des adorateurs, du moins cachés. Et que deviendront
« ces sept mille » tant vantés ? C'était déjà trop avouer que de dire qu'ils
étaient cachés, puisque le vrai culte doit être public aussi bien que la vraie
croyance; mais j'ai voulu entrer avec vous jusque dans la dernière
condescendance, et je vous disais dans ma Lettre pastorale : Que ces sept
mille se soient cachés avant la Réforme, « ils se seront du moins déclarés quand
ils l'ont embrassée, et ils auront dit du moins alors : Dieu soit loué, nous
voyons enfin des gens qui croient comme nous faisions, et il nous est à présent
permis de déclarer notre pensée. Mais on ne trouve pas un homme qui ait parlé de
cette sorte. M. Claude n'en a rien trouvé dans les registres de la Réforme, ni
dans ce nombre infini d'écrits qu'elle a publiés pour sa défense : il n'a rien
trouvé sur un fait qui eût vérifié si clairement, au grand désir de la Réforme,
que Dieu s'était réservé des adorateurs du moins cachés ; un fait par conséquent
qui à cet égard eût fermé la bouche aux catholiques étant prouvé, et qui les
rendait invincibles ne l'étant pas. M. Jurieu n'en trouve rien non plus que M.
Claude, et il est réduit à dire : « Que nous importe? » sur un fait dont
l'importance est si visible. Le fait est donc avéré, encore un coup, et il n'y a
rien de si certain que la vérité était éteinte sur la terre, si on dit que la
vérité est dans la Réforme.
Mais ce qu'ajoute M. Jurieu
n'est pas moins clair. « Que nous importe, dit-il donc, si tous les chrétiens
depuis ce temps-là ont
1 Jur., lett. XIX, p. 150.
328
été idolâtres (1) ; » ajoutons, et s'ils l'étaient encore
lorsque la Réforme a commencé? Avouez que cela presse M. Jurieu, et qu'il serait
à désirer pour votre défense qu'on put alors trouver quelqu'un qui n'adorât pas
l'idole que tout le monde servait. Mais loin de l'assurer, voici ce qu'il dit :
« C'est ce que nous n'affirmons pas, de peur d'être téméraires, comme M. Bossuet
qui assure que depuis ce temps-là (depuis le temps de Bérenger), tous les
chrétiens ont adoré le Dieu de la messe. Nous ne le croyons pas ainsi : il est
bien plus probable que Dieu en a garanti plusieurs de cette idolâtrie. »
Mais si c'est constamment une idolâtrie, il n'est pas seulement « plus probable,
» il est certain et indubitable que Dieu en a garanti quelques-uns, autrement il
ne serait pas certain qu'il y aurait eu des élus ou des saints, par conséquent
des adorateurs véritables dans tous les temps. Or c'est une vérité que personne
n'a encore osé nier, et que M. Jurieu confesse comme constante en cinquante
endroits de son Système, pour ne point ici parler de ses autres ouvrages;
il est, dis-je, très-constant que Dieu a eu de tout temps un corps d'Eglise
universelle, où s'est trouvée la communion des Saints, la rémission des péchés
et la vie éternelle, par conséquent de véritables adorateurs : autrement le
Symbole serait faux. Mais ce qui est constant par le principe commun de tous les
chrétiens, sans en excepter les prétendus réformés, n'est seulement que plus
probable quand on presse davantage les ministres; et ils n'ont rien à répondre,
non plus que tous les autres hérétiques, quand on leur demande où était la
vérité quand ils sont venus.
Il ne faut donc plus s'étonner
si cette seule demande les jette dans les contradictions que vous avez vues. Il
a fallu trouver des élus avant la Réforme; car il en faut trouver dans tous les
temps. Il en a fallu trouver même dans l'Eglise romaine, aussi bien ou même
plutôt que dans les autres, puisque les fondements du salut s'y trouvaient comme
chez les autres ou mieux, et qu'ainsi on ne lui pou voit refuser d'être du moins
une partie de cette Eglise catholique que l'on confesse dans le Symbole. Mais
dans l'Eglise romaine il ne pouvait y avoir que de quatre sortes de gens : ou
1 Jur., lettre XIX, p. 150.
329
ceux qui y étaient de bonne foi, croyant sa doctrine et
consentant à son culte; ou des impies déclarés qui se moquaient ouvertement de
toute religion; ou des hypocrites et des politiques, qui s'en moquant dans leur
cœur faisaient semblant au dehors d'y communiquer avec les autres; ou ces
prétendus sept mille réformés avant la Réforme, qui luthériens ou calvinistes
dans le cœur, trouvaient moyen de ne rien faire et de ne rien dire qui approuvât
ou le culte ou la doctrine de Rome. On vient de voir que ce dernier genre est
une chimère, et cent raisons le démontrent. Ce ne sont ni les impies déclarés,
ni les hypocrites qu'on veut sauver; ce sont donc les catholiques de bonne foi,
consentant à un culte impie et idolâtre et croyant ce que croyait Rome. Voilà où
l'on est poussé par cette seule demande : Où était la vérité, où le vrai culte,
où la vraie Eglise, où les vrais saints, quand Luther a commencé son Eglise?
Cette demande a confondu la Réforme dès son commencement, comme il a été
démontré dans l'Histoire des Variations (1). Mais peut-être qu'à force
d'y penser on se sera rassuré depuis? Point du tout ; il y a des difficultés
auxquelles plus on pense, plus on se confond; et c'est pourquoi M. Claude et M.
Jurieu, qui y ont pensé les derniers, et qui ont pu profiter des découvertes de
tous les autres, ont été, comme on a vu, ceux qui se sont le plus confondus
eux-mêmes. M. Jurieu fait enfin un dernier effort dans ses Lettres pour se tirer
de cet embarras ; mais vous avez vu que tous ses efforts ne servent qu'à
l'embarrasser davantage, et à serrer de plus près le nœud où il est pris. Que
reste-t-il donc, mes Frères, sinon que vous donniez gloire à la vérité, qui
seule vous peut délivrer de ces lacets?
Voilà de très-bonne foi toutes
les plaintes de votre ministre sur le livre XV des Variations. On a
démontré dans ce livre trente autres absurdités de la doctrine des protestants
sur l'unité de l'Eglise; je le dis sans exagérer, et vous pouvez vous en
convaincre par une lecture de demi-heure : de toutes ces absurdités qu'on
démontre à M. Jurieu, il n'a relevé que celle que vous venez d'entendre, où il
succombe manifestement comme vous voyez. Un de ces messieurs de Hollande, qui
entretiennent le public des
1 Liv. XV, n. 4 et suiv.
330
ouvrages des gens de lettres, remarque ici en parlant de ce
XVe livre des Variations, que sans doute en l'écrivant je n'avais pas lu
le livre de l'Unité, où M. Jurieu répond à M. Nicole. Je n'avais garde de
l'avoir vu, puisqu'à peine était-il imprimé lorsque mon Histoire a paru.
Je l'ai vu depuis ; et je m'assure que M. Jurieu ne dira pas qu'il y ait
seulement touché, ou prévu la moindre des observations qui me sont particulières
: chacun a les siennes ; et outre la diversité qui se trouve dans les esprits,
on prend diverses vues selon la matière qu'on se propose. Concluons donc que
toutes mes remarques sont en leur entier ; mais concluons encore plus
certainement après toutes les raisons qu'on vient de voir, que j'ai très-bien
démontré que de l'aveu du ministre on peut se sauver dans l'Eglise romaine ;
qu'elle n'est donc ni idolâtre ni antichrétienne ; qu'il y faudrait revenir pour
assurer son salut, comme à celle à qui ses ennemis mêmes rendent témoignage,
puisque les ministres qui l'attaquent avec tant de haine, qu'ils osent même
donner la préférence sur elle à une église arienne, sont forcés par la vérité à
la reconnaître; qu'ils sont encore obligés à reconnaître dans certains points
l'autorité infaillible de l'Eglise universelle, et les promesses sur lesquelles
elle est fondée ; qu'ils n'ont aucune raison de les limiter, et qu'ils n'y
apportent que des restrictions arbitraires; que soumettre son jugement à
l'Eglise universelle, ce n'est pas se soumettre à l'homme, mais à Dieu; que
cette soumission est le plus sur fondement du repos et des savants et des
simples; que faute de se soumettre à une autorité si inviolable, on se contredit
sans cesse, on renverse tous les principes qu'on a établis, on renverse la
Réforme même et tout ce que jusqu'ici on y avait trouvé de plus certain; et
qu'enfin on se jette dans le fanatisme et dans les erreurs des quakers : au
reste, qu'après avoir posé des principes par lesquels on est forcé de recevoir
les sociniens dans l'Eglise, jusqu'à mettre des prédestinés parmi eux, lorsqu'on
songe à les exclure du nombre des communions chrétiennes, on ne peut le faire
que par des moyens par où on s'exclut soi-même; en sorte que d'un côté on rend
témoignage à l'Eglise, de l'autre on tend la main aux sociniens, et de l'autre
on ne se laisse à soi-même aucune ressource.
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