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CONFÉRENCE AVEC M. CLAUDE,
SUR LA MATIÈRE DE L'ÉGLISE.
I. — Préparation à la Conférence,
et Instruction particulière.
Mademoiselle de Duras ayant
quelque doute sur sa religion, m'avait fait demander par diverses personnes de
qualité, si je voudrais bien conférer en sa présence avec M. Claude. Je répondis
que je le ferais de bon cœur si je voyois que cette Conférence fût nécessaire à
son salut. Ensuite elle se/servit de l'entremise de M. le duc de Richelieu pour
m'inviter à me rendre à Paris le mardi dernier février 1678, et à entrer en
conférence le lendemain avec ce ministre sur la matière dont elle me parlerait.
C'é-toit pour me l'indiquer qu'elle souhaita de me voir avant la Conférence.
Comme je me fus rendu chez elle au jour marqué, elle me fit connaître que le
point sur lequel elle désirait s'éclaircir avec son ministre était celui de
l'autorité de l'Eglise, qui lui semblait renfermer toute la controverse. Il me
parut qu'elle n'était pas en état de se résoudre sans cette Conférence, si bien
que je la jugeai absolument nécessaire.
Je lui dis que ce n'était pas
sans raison qu'elle s'attachait principalement , et même uniquement, à ce point
qui renfermait en effet la décision de tout le reste, comme elle l'avait
remarqué ; et sur cela je tâchai de lui faire encore mieux entendre l'importance
de cet article.
C'est une chose, lui dis-je,
assez ordinaire à vos ministres , de se glorifier que la créance des fondements
de la foi ne leur peut être contestée. Ils disent que nous croyons tout ce
qu'ils croient, mais qu'ils ne croient pas tout ce que nous croyons. Ils veulent
dire par là qu'ils ont retenu tous les fondements de la foi, et qu'ils n'ont
rejeté que ce que nous y avons ajouté. Ils tirent de là
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un grand avantage, et prétendent que leur doctrine est sûre
et incontestable. Mademoiselle de Duras se souvint fort bien de leur avoir
souvent ouï tenir de tels discours. Je ne veux sur cela, poursuivis-je, leur
faire qu'une remarque ; c'est que loin de leur accorder qu'ils croient tous les
fondements de la foi, au contraire nous leur faisons voir qu'il y a un article
du Symbole qu'ils ne croient pas, et c'est celui de l'Eglise universelle. Il est
vrai qu'ils disent de bouche : « Je crois l'Eglise catholique ou universelle, »
mais comme les ariens, les macédoniens et les sociniens disent de bouche : « Je
crois en Jésus-Christ et au Saint-Esprit. » Mais comme on a raison d'accuser
ceux-ci de ne croire pas ces articles, parce qu'ils ne les croient pas comme il
faut, ni selon leur véritable intelligence : si on montre aux prétendus réformés
qu'ils ne croient pas comme il faut l'article de l'Eglise catholique, il sera
vrai qu'ils rejetteront en effet un article si important du Symbole.
Mademoiselle de Duras avait lu
mon traité de l'Exposition, et me fit connaître qu'elle se souvenait d'y
avoir vu quelque chose qui revenait à peu près à ce que je lui disais : mais
j'ajoutai qu'en ce Traité j'avais voulu dire les choses fort brièvement, et
qu'il était à propos qu'elle les vit un peu plus au long.
Il faut donc savoir, lui dis-je,
ce qu'on entend par ce mot d'Eglise catholique ou universelle; et
sur cela je posai pour fondement que dans le Symbole où il s'agissait d'exposer
la foi simplement, il fallait prendre ce terme de la manière la plus propre, la
plus naturelle et la plus usitée parmi les chrétiens. Or ce que tous les
chrétiens entendent par le nom d'Eglise, c'est une société qui fait
profession de croire la doctrine de Jésus-Christ, et de se gouverner par sa
parole. Si cette société fait cette profession, par conséquent elle est visible.
Que cette signification du nom
d'Eglise fût la propre et la naturelle signification de ce nom, celle en
un mot qui était connue de tout le monde et usitée dans le discours ordinaire,
je n'en demandais pas d'autres témoins que les prétendus réformés eux-mêmes.
Quand ils parlent de leurs
prières ecclésiastiques , de la discipline
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de l'Eglise, de la foi de l'Eglise, des pasteurs et des
diacres de l'Eglise, ils n'entendent point que ce soient les prières des
prédestinés , ni leur discipline, ni leur foi ; mais les prières, la foi et la
discipline de tous les fidèles assemblés dans la société extérieure du peuple de
Dieu.
Quand ils disent qu'un homme édifie l'Eglise, ou qu'il
scandalise l'Eglise, ou qu'ils reçoivent quelqu'un dans l'Eglise, ou qu'ils
excluent quelqu'un de l'Eglise, tout cela s'entend sans doute de la société
extérieure du peuple de Dieu.
Ils l'expliquent ainsi dans la
forme du baptême lorsqu'ils disent qu'ils vont recevoir l'enfant « en la
compagnie de l'Eglise chrétienne; » et pour cela qu'ils obligent « les parrains
et marraines de l'instruire en la doctrine, laquelle est reçue du peuple de
Dieu, comme elle est, disent-ils, sommairement comprise en la Confession de foi
que nous avons tous : » et encore lorsqu'ils demandent à Dieu dans leurs prières
ecclésiastiques de « délivrer toutes ses Eglises de la gueule des loups
ravissants ; » et encore plus expressément dans la Confession de foi, article
XXV, quand ils disent « que l'ordre de l'Eglise, qui a été établi de l'autorité
de Jésus-Christ, doit être sacré, et pourtant que l'Eglise ne peut consister,
sinon qu'il y ait des pasteurs qui aient la charge d'enseigner ; » et dans
l'article XXVI « que nul ne se doit retirer à part, mais que tous ensemble
doivent garder et entretenir l'unité de l'Eglise, se soumettant à l'instruction
commune ; » et enfin, dans l'article XXVII, « qu'il faut discerner soigneusement
quelle est la vraie Eglise, et que c'est la compagnie des fidèles qui
s'accordent à suivre la parole de Dieu et la pure religion qui en dépend. » D'où
ils concluent, article XXVIII, « qu'où la parole de Dieu n'est pas reçue, et
qu'on ne fait nulle profession de s'assujettira icelle, et où il n'y a nul usage
des sacrements, à parler proprement, on ne peut juger qu'il y ait aucune Eglise.
»
On voit par tous ces passages,
et par l'usage commun des prétendus réformés, que la signification du mot
d'Eglise propre, naturelle et usitée de tout le monde, est de la prendre pour la
société extérieure du peuple de Dieu, parmi lequel, quoiqu'il se trouve des «
hypocrites et réprouvés, leur malice, disent-ils , ne peut
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effacer le titre d'Eglise, » article XXVII. C'est-à-dire
que les hypocrites mêlés à la société extérieure du peuple de Dieu ne lui
peuvent ôter le titre de vraie Eglise, pourvu qu'elle soit toujours revêtue de
ces marques extérieures de faire profession de la parole de Dieu et de l'usage
des sacrements, comme porte l'article XXVIII.
Voilà comme on prend l'Eglise
lorsqu'on en parle simplement, naturellement, proprement, sans contention ni
dispute; et si c'est la manière ordinaire de prendre ce mot, nous avons raison
de dire que c'est celle que les apôtres ont employée dans leur Symbole, où il
fallait parler de la manière la plus ordinaire et la plus simple, parce qu'il
s'agissait de renfermer en peu de paroles la confession des fondements de la
foi.
En effet il a passé dans le discours commun de tous les
chrétiens de prendre le mot d'Eglise pour cette société extérieure du
peuple de Dieu. Quand on veut entendre par le mot d'Eglise la société des
prédestinés, on l'exprime et on dit l’Eglise des prédestinés.
Quand on veut entendre par ce mot « l'assemblée et Eglise des premiers-nés qui
sont écrits dans le ciel, » on l'exprime nommément comme fait saint Paul (2). Il
prend ici le mot d'Eglise dans une signification moins usitée, « pour la
cité du Dieu vivant, la Jérusalem céleste, où sont plusieurs milliers d'anges et
les esprits des justes sanctifiés, » c'est-à-dire pour le ciel où sont
recueillies les âmes saintes. C'est pourquoi il ajoute un mot pour désigner
cette Eglise ; c'est « l'Eglise des premiers nés, » qui ont précédé leurs frères
dans la gloire. Mais quand on emploie simplement le mot d'Eglise sans
rien ajouter, l'usage commun de tous les chrétiens, sans en excepter les
prétendus réformés, est de le prendre pour signifier l'assemblée, la société, la
communion de ceux qui confessent la vraie doctrine de Jésus-Christ. Et d'où
vient cet usage de tous les chrétiens, sinon de l'Ecriture sainte, où nous
voyons en effet le mot d'Eglise pris communément en ce sens, en sorte
qu'on ne peut nier que ce ne soit la signification ordinaire et naturelle de ce
mot?
Le mot d'Eglise dans son origine
signifie assemblée, et s'attribuait
1 Hebr., III. 23.
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principalement aux assemblées que tenaient autrefois les
peuples pour entendre parler des affaires publiques. Et ce mot est employé en ce
sens aux Actes, XIX, lorsque le peuple d'Ephèse s'assembla en fureur
contre saint Paul : « L'assemblée et l'Eglise était confuse. » Et encore : « Si
vous demandez quelque chose, cela se pourra conclure dans une assemblée ou
Eglise dûment convoquée. » Et enfin : « Quand il eut dit ces choses, il renvoya
l'Eglise ou l'assemblée (1). »
Voilà l'usage du mot d'Eglise
parmi les Grecs et dans la gentilité. Les Juifs et les chrétiens se sont depuis
servis de ce mot pour signifier l'assemblée, la société, la communauté du peuple
de Dieu, qui fait profession de le servir. Il n'y a personne qui ne connaisse
cette fameuse version des Septante, qui ont traduit en grec l'Ancien Testament
quelques siècles avant Jésus-Christ : de plus de cinquante passages où ce terme
se trouve employé dans leur version, il n'y en a pas un seul où il ne se prenne
pour quelque assemblée visible ; et il n'y en a que très-peu où il ne se prenne
pour la société extérieure du peuple de Dieu. C'est aussi le sens où l'emploie
saint Etienne, lorsqu'il dit que « Moïse fut en l'Eglise ou dans l'assemblée au
désert avec l'ange qui parlait à lui (2), » appelant du mot d'Eglise ,
selon l'usage reçu par les Juifs, la société visible du peuple de Dieu.
Les chrétiens ont pris ce mot
des Juifs, et ils lui ont conservé la même signification, l'employant à
signifier l'assemblée de ceux qui confessaient Jésus-Christ, et faisaient
profession de sa doctrine.
Voilà ce qui s'appelle
simplement Eglise, ou l'Eglise de Dieu et de Jésus-Christ : et de plus de
cent passages où ce mot est employé dans le Nouveau Testament, à peine y en
a-t-il deux ou trois où cette signification lui soit contestée par les ministres
; et même dans les endroits où ils la contestent, il est clair que c'est sans
raison.
Par exemple, ils ne veulent pas
que ce passage de saint Paul où il est dit que Jésus-Christ « s'est fait une
Eglise glorieuse, qui n'a ni tache, ni ride, ni rien de semblable, mais qu'elle
est sainte et sans tache (3) ; » ils ne veulent, dis-je, pas que ce passage
puisse
1 Act., XIX, 32, 39, 40. — 2
Act., VII, 38. — 3 Ephes., V, 27.
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être entendu de l'Eglise visible, ni même de l'Eglise sur
la terre, parce que l'Eglise ainsi regardée, loin d'être sans tache, a besoin de
dire tous les jours : « Pardonnez-nous nos péchés. » Et moi je dis au contraire,
que c'est parler manifestement contre l'Apôtre, que de dire que cette Eglise
glorieuse et sans tache ne soit pas l'Eglise visible. Car voyez de quelle Eglise
parle saint Paul : c'est de « celle que Jésus-Christ a aimée, pour laquelle il
s'est donné afin de la sanctifier, la purifiant dans l'eau où elle est lavée par
la parole de vie (1). » Cette Eglise lavée dans l'eau et purifiée par le
baptême, cette Eglise sanctifiée par la parole de vie, soit par celle de la
prédication, soit par celle qui est employée dans les sacrements, cette Eglise
est sans doute l'Eglise visible. La sainte société des prédestinés n'en est pas
exclue, à Dieu ne plaise; ils en sont la plus noble partie : mais ils sont
compris dans ce tout. Ils y sont instruits parla parole, ils y sont purifiés par
le baptême; et souvent même des réprouvés sont employés à ces ministères. Il les
faut donc regarder dans ce passage, non comme faisant un corps à part, mais
comme faisant la plus belle et la plus noble partie de cette société extérieure.
C'est cette société que l'Apôtre appelle l’Eglise. Jésus-Christ l'aime
sans doute : car il lui adonné le baptême; il a répandu son sang pour
l'assembler; il n'y a ni appelé, ni justifié, ni baptisé dans cette Eglise, qui
ne soit appelé, justifié et baptisé au nom et par les mérites de Jésus-Christ
crucifié. Cette Eglise est glorieuse, parce qu'elle glorifie Dieu publiquement,
parce qu'elle annonce à toute la terre la gloire de l'Evangile et de la croix de
Jésus-Christ. Cette Eglise est sainte, parce qu'elle enseigne toujours
constamment et sans varier la sainte doctrine, qui enfante continuellement des
saints dans son unité. Cette Eglise n'a ni tache ni ride, parce qu'elle n'a ni
erreur, ni aucune mauvaise maxime ; et encore parce qu'elle instruit et contient
en son sein les élus de Dieu, qui quoique pécheurs sur la terre, trouvent dans
sa communion des moyens extérieurs de se purifier, en sorte qu'ils viendront un
jour en un état très-parfait devant Jésus-Christ.
Voilà peut-être le seul passage
où l'on puisse dire avec
1 Ephes., v, 26.
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quelque sorte d'apparence que le mot d'Eglise pris
simplement, signifie autre chose que la société extérieure du peuple de Dieu; et
vous voyez cependant combien il est clair qu'il se doit entendre comme tous les
autres.
Mais quand ainsi serait que ce
passage et deux ou trois autres auraient une signification ou douteuse ou même
éloignée de celle-ci, tous les autres passages y sont conformes. Car qu'y a-t-il
de plus fréquent que les passages où il est dit qu'il faut édifier l'Eglise,
qu'on a persécuté l'Eglise, qu'on loue Dieu au milieu de l'Eglise, qu'on la
salue, qu'on la visite, qu'on y établit des pasteurs et des évêques pour la
régir, et autres semblables dont le nombre est infini?
Ainsi on ne peut nier que cette
signification du mot d'Eglise ne soit la signification ordinaire, et celle par
conséquent qui devait être suivie dans une Confession de foi aussi simple qu'est
le Symbole des apôtres.
C'est dans ce sens que l'a prise
tout un grand concile, le premier et le plus saint de tous les conciles
universels, lorsque condamnant Arius, il prononce ainsi : « Tous ceux qui disent
que le Fils de Dieu a été tiré du néant, la sainte Eglise catholique et
apostolique les anathématise (1). »
C'est Jésus-Christ lui-même qui
nous a appris à croire l'Eglise en ce sens. Car pour fonder cette Eglise, il est
sorti du sein invisible de son Père, et s'est rendu visible aux hommes ; il a
assemblé autour de lui une société d'hommes qui le reconnaissait pour maître :
voilà ce qu'il a appelé son Eglise. C'est à cette Eglise primitive que les
fidèles qui ont cru depuis se sont agrégés, et c'est de là qu'est née l'Eglise
que le Symbole appelle universelle.
Jésus-Christ a employé le mot d'Eglise
pour signifier cette société visible, lorsqu'il a dit lui-même qu'il fallait
écouter l'Eglise : « Dites-le à l'Eglise (2) ; » et encore lorsqu'il a dit : «
Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes d'enfer
n'auront point de force contre elle (3). »
Pourquoi, disais-je,
Mademoiselle, pourquoi ceux de votre religion ne veulent-ils pas entendre ici
par le mot d'Eglise la
1 Conc. Nic, post. Symb. — 2 Matth.,
XVIII, 17. — 3 Matth., XVI, 18.
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société de ceux qui font profession de croire en
Jésus-Christ et en l'Evangile, puisqu'il est certain que cette société est en
effet la vraie Eglise, contre laquelle l'enfer n'a jamais eu de force, ni
lorsqu'il a employé les tyrans pour la persécuter, ni lorsqu'il a employé les
faux docteurs pour la corrompre?
L'enfer ne prévaudra pas contre
les prédestinés ; il est certain : car s'il n'a point de force contre cette
société extérieure, à plus forte raison n'en aura-t-il pas contre les élus de
Dieu, qui sont la partie la plus pure et la plus spirituelle de cette Eglise.
Mais par la même raison qu'il ne peut pas prévaloir contre les élus, il ne peut
pas prévaloir contre l'Eglise qui les enseigne, où ils confessent l'Evangile et
où ils reçoivent les sacrements.
C'était cette société extérieure où les élus servent Dieu
qu'il fallait entendre par le mot d'Eglise, et admirer en même temps la force
invincible des promesses de Jésus-Christ, qui a tellement affermi la société de
son peuple, quoique faible à comparaison des infidèles qui l'environnaient au
dehors, quoique déchirée par les hérétiques qui la divisaient au dedans, qu'il
n'y a pas eu un seul moment où cette Eglise n'ait été vue par toute la terre.
Mais les prétendus réformés
n'ont pas osé soutenir ce sens naturel de l'Evangile. Car ils on tété forcés,
pour s'établir, de dire dans leur propre Confession de foi, article XXXI
: « que l'état de l'Eglise a été interrompu, et qu'il l'a fallu dresser de
nouveau, parce qu'elle était en ruine et désolation. »
Et en effet leur église, quand
elle s'est établie, n'est entrée en communion avec aucune autre église qui fût
alors sur la terre ; mais s'est formée en rompant avec toutes les églises
chrétiennes qui étaient au monde.
Ils n'ont donc pas la
consolation qu'ont les catholiques de voir la promesse de Jésus-Christ
s'accomplir visiblement, et se soutenir durant tant de siècles. Ils ne peuvent
montrer une église qui ait toujours été depuis que Jésus-Christ est venu pour la
bâtir sur la pierre ; et pour sauver sa parole, ils sont obligés d'avoir recours
à une église des prédestinés, que ni eux ni personne ne peuvent montrer;
Or Jésus-Christ a voulu montrer
quelque chose d'illustre et de
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clair, quand il a dit que son Eglise, malgré les enfers,
serait toujours invincible : il a, dis-je, voulu montrer quelque chose de clair
et d'éclatant qui put servir dans tous les siècles d'assurance sensible et
palpable de la certitude immuable de ses promesses.
Et en effet regardons quand il a
dit cette parole : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et
les portes d'enfer ne prévaudront point contre elle (1). » C'est lorsqu'ayant
demandé à ses apôtres : « Qui dites-vous que je suis? » Pierre répondit au nom
de tous : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. »
C'est sur cette illustre
confession de foi, que la chair et le sang n'avait point dictée, mais que le
Père céleste avait révélée à Pierre ; c'est, dis-je, sur cette illustre
confession de foi qu'est fondée, et la dignité de saint Pierre, et la fermeté
inébranlable de l'Eglise. Cette Eglise, qui confesse que Jésus-Christ est le
vrai Fils de Dieu, est celle contre qui l'enfer n'aura jamais de force, qui
subsistera sans interruption malgré les efforts et les artifices du diable.
Il paraît donc clairement que
l'Eglise dont parle ici Jésus-Christ, est une Eglise confessante, une Eglise qui
publie la foi, une Eglise par conséquent extérieure et visible. Et voyez aussi
ce qu'il ajoute: « Et je te donnerai les clefs du royaume des cieux; et tout ce
que tu auras lié dans la terre sera lié dans le ciel, et ce que tu auras délié
en terre sera délié aux cieux (2). »
Quelque chose qu'il faille
entendre par ces mots, soit la prédication, soit les censures ecclésiastiques,
ou le ministère des prêtres dans le sacrement de pénitence comme l'entendent les
catholiques, toujours est-il assuré que voilà un ministère extérieur donné à
cette Eglise : c'est donc cette Eglise qui confesse la foi, et la confesse
principalement par la bouche de saint Pierre; c'est cette Eglise qui use du
ministère des clefs; c'est elle qui sera toujours sur la terre, sans que l'enfer
puisse jamais prévaloir contre elle.
Et parce que Jésus-Christ
voulait qu'elle fût toujours visiblement subsistante, il l'a revêtue de marques
sensibles qui doivent toujours durer. Car voici comme il envoie ses apôtres, et
ce qu'il leur dit en montant aux cieux : « Allez, et enseignez toutes les
1 Matth., XVI, 18. — 2 Ibid., 19.
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nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du
Saint-Esprit, et leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé. Et
voici, je suis toujours avec vous, jusqu'à la fin du monde (1) : » avec vous
enseignant, avec vous baptisant, avec vous apprenant à mes fidèles à garder tout
ce que je vous ai commandé, avec vous par conséquent exerçant dans mon Eglise un
ministère extérieur: c'est avec vous, c'est avec ceux qui vous succéderont,
c'est avec la société assemblée sous leur conduite que je serai dès maintenant
jusqu'à ce que le monde finisse; toujours, sans interruption: car il n'y aura
pas un seul moment où je vous délaisse, et quoiqu'absent de corps, je serai
toujours présent par mon Saint-Esprit.
En conséquence de cette parole,
saint Paul nous dit aussi que le ministère ecclésiastique durera sans
discontinuer jusqu'à la résurrection générale. « Celui qui est descendu, c'est
le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin qu'il remplit toutes
choses. Lui-même donc a établi les uns pour être apôtres, les autres pour être
prophètes, les autres pour être évangélistes, les autres pour être pasteurs et
docteurs, pour l'assemblage des saints, pour l'œuvre du ministère, pour
l'édification du corps de Christ, jusqu'à ce que nous nous rencontrions tous
dans l'unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, en homme parfait à
la mesure de la parfaite stature de Jésus-Christ (2); » c'est-à-dire jusqu'à ce
nous ayons atteint la perfection de Jésus-Christ; glorifiés en corps et en âme :
voilà le terme que Dieu a donné au ministère ecclésiastique.
Les prétendus réformés ne
veulent pas que l'Eglise visible soit celle qui s'appelle le corps de
Jésus-Christ; quel est donc ce corps, « où Dieu a établi les uns apôtres, les
autres prophètes, les autres pasteurs et docteurs (3)? » Quel est ce corps où
Dieu a établi plusieurs membres et diverses grâces, « la grâce du ministère, la
grâce de la doctrine, la grâce de l'exhortation et delà consolation, la grâce du
gouvernement? » Quel est, dis-je, ce corps, si ce n'est l'Eglise visible?
Mais ce qui fait que les
prétendus réformés ne veulent pas avouer
1 Matth., XXVIII, ,9,20. — 2 Ephes., IV, 10,
11, etc. — 3 Rom., XII, 4, etc.
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que ce corps de Jésus-Christ, tant recommandé dans
l'Ecriture, puisse être l'Eglise visible, c'est qu'ils sont contraints de dire
que l'Eglise visible cesse quelquefois d'être sur la terre; et ils ont horreur
de dire que le corps de Jésus-Christ ne soit pas toujours, de peur de faire
mourir Jésus-Christ encore une fois.
C'est donc sans difficulté cette
assemblée de pasteurs et de peuples ; c'est cette Eglise composée de tant de
membres divers, par lesquels s'exercent extérieurement tant de saints
ministères; c'est celle-là qui est appelée le corps de Jésus-Christ; c'est à ce
corps assemblé sous le ministère des pasteurs, qu'il a dit en montant aux cieux
: « Voici, je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles. » Celui donc
qui est descendu, c'est le même qui est monté, afin qu'il remplît toutes choses,
le ciel par sa personne et par sa présence visible, la terre par son esprit et
par son assistance invisible, l'un et l'autre par sa vérité et par sa parole. Et
c'est pour continuer en montant aux cieux cette assistance promise à son Eglise,
qu'il y a mis les uns apôtres, les autres évangélistes, les autres pasteurs et
docteurs : chose qui doit durer jusqu'à ce que l'œuvre de Dieu soit entièrement
accomplie, que nous soyons tous hommes parfaits, et que tout le corps de
l'Eglise soit arrivé à la plénitude et à la perfection de Jésus-Christ.
Ainsi l'ouvrage de Jésus-Christ
est éternel sur la terre. L'Eglise fondée sur la confession de la foi, sera
toujours, et confessera toujours la foi : son ministère sera éternel : elle
liera et déliera jusqu'à la fin du monde, sans que l'enfer l'en puisse empêcher;
elle ne discontinuera jamais d'enseigner les nations : les sacrements,
c'est-à-dire les livrées extérieures dont elle est revêtue dureront toujours. «
Enseignez, et baptisez les nations, et je serai toujours avec vous (1). Toutes
les fois que vous mangerez de ce pain, et que vous boirez de cette coupe, vous
annoncerez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne (2). » Avec la Cène
durera et la confession de la foi, et le ministère ecclésiastique, et la
communion extérieure et intérieure des fidèles avec Jésus-Christ, et des fidèles
entre eux, jusqu'à ce que Jésus-Christ vienne. La durée de l'Eglise et du
ministère ecclésiastique n'a point d'autres bornes.
1 Matth., XXVIII, 19. 20. — 2 I Cor., XI, 26.
517
Ce n'est donc pas seulement la
société des prédestinés qui subsistera à jamais, c'est le corps visible où sont
renfermés les prédestinés qui les prêche, qui les enseigne, qui les régénère par
le baptême, qui les nourrit par l'Eucharistie, qui leur administre les clefs qui
les gouverne et les tient unis sous la discipline, qui forme en eux Jésus-Christ
: c'est ce corps visible qui subsistera éternellement.
Et c'est pourquoi dans le
Symbole des apôtres, où l'on nous propose à croire les fondements de la foi, on
nous dit en même temps de croire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit, et de
croire la sainte Eglise catholique et la communion des saints : communion
intérieure parla charité, et dans le Saint-Esprit qui nous anime, je l'avoue;
mais en même temps communion extérieure dans les sacrements, dans la confession
de la foi, et dans tout le ministère extérieur de l'Eglise.
Et tout ce que nous venons de
dire est renfermé dans cette parole : « Je crois l'Eglise universelle. » On la
croit dans tous les temps; elle est donc toujours : on la croit dans tous les
temps; elle enseigne donc toujours la vérité.
Vos ministres veulent que nous
croyions que c'est autre chose de croire l'Eglise, c'est-à-dire croire qu'elle
soit; autre chose de croire à l'Eglise, c'est-à-dire croire à toutes ses
décisions. Mais cette distinction est frivole. Qui croit que l'Eglise est
toujours, croit qu'elle est toujours confessant et enseignant la vérité. C'est à
l'Eglise qui confesse la vérité que Jésus-Christ a promis que l'enfer n'aurait
point de force contre elle. Jamais donc la vérité ne cessera d'y être confessée
; et par conséquent en croyant qu'elle est, on assure qu'elle est toujours
croyable.
En effet, il ne suffit pas, pour
conserver le nom d'Eglise, de retenir quelques points de la doctrine de
Jésus-Christ : autrement les ariens, les pélagiens, les donatistes, les
anabaptistes et les sociniens seraient de l'Eglise. Ils n'en sont pas toutefois
: à Dieu ne plaise que nous appelions du nom d'Eglise cette confusion! Il
ne faut donc pas seulement que l'Eglise conserve quelque vérité : il faut
qu'elle conserve, et qu'elle enseigne toute vérité; autrement elle n'est pas
l'Eglise.
518
Et il ne sert de rien de distinguer les articles
fondamentaux d'avec les autres. Car tout ce que Dieu a révélé doit être retenu.
Il ne nous a rien révélé qui ne soit très-important pour notre salut, « Je suis
le Seigneur qui t'enseigne des choses utiles (1). » Il faut donc trouver dans la
foi que l'Eglise enseigne la plénitude des vérités révélées de Dieu : autrement
ce n'est plus l'Eglise que Jésus-Christ a fondée.
Que les particuliers puissent
ignorer quelques articles, je le confesse aisément : mais l'Eglise ne tait rien
de ce que Jésus-Christ a révélé; et c'est pourquoi les fidèles qui ignorent
certains articles en particulier, les confessent néanmoins tous en général,
quand ils disent : « Je crois l'Eglise universelle. »
Voilà cette Eglise, disais-je,
que vos ministres ne connaissent pas. Ils vous enseignent que cette Eglise
visible et extérieure peut cesser d'être sur la terre; ils vous enseignent que
cette Eglise peut errer dans ses décisions; ils vous enseignent que croire à
cette Eglise, c'est croire à des hommes : mais ce n'est pas ainsi que l'Eglise
nous est proposée dans le Symbole. On nous y propose de la croire, comme nous
croyons au Père, au Fils, et au Saint-Esprit; et c'est pourquoi la foi de
l'Eglise est jointe à la foi des trois Personnes divines.
Ces choses ayant été dites à
diverses reprises, mais à peu près dans cette suite, j'ajoutai que notre
doctrine était si véritable sur ce point, que les prétendus réformés, qui la
niaient, n'ont pu la nier tout à fait : c'est-à-dire que leurs synodes agissent
d'une manière à faire entendre qu'ils exigent, aussi bien que nous, une
soumission absolue à l'autorité et aux décrets de l'Eglise.
Là je fis voir à mademoiselle de
Duras les quatre actes de Messieurs de la religion prétendue réformée, que j'ai
marqués dans l'Exposition, article XX. Elle les y avait vus ; mais je les
lui fis lire dans le livre même de la Discipline.
Le premier est tiré du chapitre
V, titre des Consistoires, article XXXI, où il est porté « que les débats
pour la doctrine seraient terminés par la parole de Dieu, s'il se peut, dans le
consistoire ; sinon que l'affaire serait portée au colloque, de là au synode
1 Isa., XLVIII, 17.
519
provincial, et enfin au national, où l'entière et finale
résolution se ferait par la parole de Dieu, à laquelle, si on refusait
d'acquiescer de point en point et avec exprès désaveu de ses erreurs, on serait
retranché de l'Eglise. »
Ce n'est donc pas, disais-je, à
la seule parole de Dieu précisément, comme telle, qu'appartient l'entière et
finale résolution, puisqu'après qu'elle est proposée, l'appel est permis ; mais
à la parole de Dieu, en tant qu'expliquée et interprétée par le dernier jugement
de l'Eglise.
Le second acte est tiré du
synode de Vitré, rapporté dans le livre de la Discipline. Il contient la
lettre d'envoi que font toutes les églises quand elles députent au synode
national; en voici les termes : « Nous promettons devant Dieu de nous soumettre
atout ce qui sera résolu en votre sainte assemblée, persuadés que nous sommes
que Dieu y présidera, et vous conduira par son Saint-Esprit en toute vérité et
équité par la règle de sa parole. » Cette persuasion, disais-je, si elle est
seulement fondée sur une présomption humaine, ne peut pas être la matière d'un
serment si solennel par lequel on jure de se soumettre à une résolution qu'on ne
sait pas encore : elle ne peut donc être fondée que sur une promesse expresse
que le Saint-Esprit présidera dans le dernier jugement de l'Eglise ; et les
catholiques n'en disent pas davantage.
Le troisième acte, qui se trouve
encore dans le même livre de la Discipline, est la condamnation des
indépendants, sur ce qu'ils disaient que chaque église se de voit gouverner
elle-même « sans aucune dépendance de personne en matières ecclésiastiques. »
Cette proposition fut déclarée au synode de Charenton, « autant préjudiciable à
l'Etat qu'à l'Eglise.» On y jugea «qu'elle ouvrait la porte à toute sorte
d'irrégularités et d'extravagances, en ôtait tous les remèdes, et donnait lieu à
former autant de religions que de paroisses. » Mais, disais-je, quelques synodes
qu'on tienne, si on ne se croit pas obligé à y soumettre son jugement, on
n'évite pas les inconvénients des indépendants, et on laisse la porte ouverte à
établir autant de religions, je ne dis pas qu'il y a de paroisses, mais qu'il y
a de têtes. On en vient donc par nécessité à cette
520
obligation de soumettre son jugement à ce que l'Eglise
catholique enseigne.
Ces trois actes sont tirés du
livre de la Discipline, imprimé à Charenton l'an 1667.
Le quatrième se trouve dans un
livre de M. Blondel intitulé : Actes authentiques, imprimé à Amsterdam
par Blaeu l'an 1655.
C'est une résolution du synode
national de Sainte-Foi en 1578 (a), qui nomme quatre ministres pour se trouver à
une assemblée où se devait traiter la réunion avec les luthériens, en dressant
un Formulaire de profession de foi commune. On donne pouvoir à ces
ministres « de décider tout point de doctrine et autres qui seront mis en
délibération, et de consentir à cette confession de foi sans même en communiquer
davantage aux Eglises, si le temps ne permet pas de le faire. » De cet acte je
concluais deux choses : l'une, que tout le synode compromet de sa foi entre les
mains de quatre particuliers, chose bien plus extraordinaire que de voir des
particuliers se soumettre à toute l'Eglise; l'autre, que l'église prétendue
réformée est encore peu assurée de sa confession de foi, puisqu'elle consent
qu'on la change, et cela dans des points aussi importants que sont ceux qui font
la dispute avec les luthériens, dont l'un est la réalité. Si les prétendus
réformés espéraient que les luthériens revinssent à eux, il n'y avait nul besoin
d'une nouvelle confession de foi. Ainsi ce qu'on prétendait, c'est que les uns
et les autres demeurant dans leur sentiment, on fit une confession de foi dont
les deux partis pussent convenir; ce qui ne se pouvait faire sans ajouter ou
sans supprimer quelque chose d'essentiel dans une confession de foi qu'on nous
donne comme n'enseignant que la pure parole de Dieu.
Mademoiselle de Duras m'avoua
qu'ayant vu dans mon Traité ces actes et mes réflexions, qui sont les mêmes que
celles que je venais de lui faire, elle ne savait qu'y répondre; et que pour
cela elle souhaitait d'entendre ce que répondrait M. Claude tant sur ces actes
que sur les autres difficultés qui regardent l'autorité de l'Eglise;
(a) 1ère édit, ; De Sainte-Foi, 1578.
521
Je lui dis qu'encore que ceux de
sa religion agissent comme tenant l'autorité de l'Eglise infaillible et
incontestable, il était vrai qu'ils niaient cette infaillibilité; et j'ajoutai
que c'était une maxime constante dans sa religion, que tous les particuliers
pour ignorants qu'ils fussent, étaient obligés de croire qu'ils pouvaient mieux
entendre l'Ecriture sainte que tous les conciles et que tout le reste de
l'Eglise ensemble. Elle parut étonnée de cette proposition. Mais j'ajoutai qu'on
croyait encore dans sa religion quelque chose de bien plus étrange, qui était
qu'il y a un point où un chrétien est obligé de douter si l'Ecriture est
inspirée de Dieu; si l'Evangile est une vérité ou une fable ; si Jésus-Christ
est un trompeur ou le docteur de la vérité. Comme elle parut encore plus étonnée
de cette proposition, je l'assurai que tant celle-là que l'autre que je venais
de lui dire, étaient des suites nécessaires de la doctrine reçue dans leur
religion sur l'autorité de l'Eglise, et que je ne doutais point que je ne pusse
forcer M. Claude à les avouer.
Je lui expliquai les raisons de
ce que j'avais avancé, et lui fis voir en même temps quelle marque de fausseté
c'était parmi eux, de voir que d'un côté ils niassent qu'il fallût croire sans
examiner ce que l'Eglise décidait, et que de l'autre ils fussent forcés pour
établir l'ordre, d'attribuer à l'Eglise l'autorité qu'ils lui auraient déniée.
Elle me fit connaître qu'elle
entendait ce raisonnement, et qu'elle se souvenait de l'avoir lu dans mon livre
; mais qu'encore qu'elle ne vit rien à y répondre, elle avait peine à croire
qu'on n'y répondit pas dans sa religion.
Madame la comtesse de Roye vint
dire que M. Claude, qui avait promis de se trouver avec moi le lendemain, avait
reçu défense de le faire, et ne le pouvait plus. Mademoiselle de Duras témoigna
être fort mécontente de ce procédé. Je voulus me retirer, et la laisser avec
madame sa sœur : mais elle me pria de lui dire ce que je venais de lui
représenter. Je le fis en peu de mots, et répondis à quelques objections qui me
furent faites.
Le lendemain matin mademoiselle
de Duras vint en mon logis avec un honnête homme de sa religion, que je
connaissais,
522
nommé M. Colon. Elle s'était servie de lui pour engager M.
Claude à la conférence, et il lui avait rapporté que M. Claude l'a voit
acceptée. Elle me pria de redire ce que j'avais dit la veille. Je le fis, et M.
Coton avoua qu'il ne savait que répondre, et qu'il avait grande passion
d'entendre M. Claude sur cela. Lui et mademoiselle de Duras me firent quelques
objections sur les révoltes fréquentes du peuple d'Israël, qui avait si souvent
abandonné Dieu, « les rois et tout le peuple, » comme parle la sainte Ecriture ;
pendant quoi le culte public était tellement éteint, qu'Elie croyait être le
seul serviteur de Dieu, et qu'il n'apprit que de Dieu même « qu'il s'était
réservé sept mille hommes qui n'avaient point fléchi le genou (a) devant
Baal (1). »
A cela je répondis que, pour ce
qui regardait Elie, il n'y avait aucune difficulté, puisqu'il paraît par les
termes mêmes qu'il ne s'agissait que d'Israël où Elie prophétisait, et que le
culte divin, loin d'être éteint en Juda dans ce temps-là, y était sous le règne
de Josaphat dans le plus grand lustre où il eût été depuis Salomon. La chose
passa pour constante, et je remarquai seulement combien peu de bonne foi il y
avait aux ministres de produire toujours ce passage, après que le cardinal du
Perron y avait donné une réponse si décisive.
Quant à ce qui était arrivé dans
Juda même , je dis que je voulais faire l'objection encore plus forte qu'on ne
me la faisait, en considérant l'état du peuple de Dieu sous Achaz , qui ferma le
temple, fit sacrifier aux idoles par Urie prêtre du Seigneur, et remplit
Jérusalem d'abominations (2), et ensuite sous Manassès, qui enchérit sur les
impiétés d'Achaz (3). Mais pour montrer que tout cela ne faisait rien à la
question, je priai seulement qu'on remarquât qu'Isaïe, qui avait vécu durant
tout le règne d'Achaz, pour toutes ces abominations du roi, du prêtre Urie et
presque de tout le peuple, ne s'était jamais séparé de la communion de Juda, non
plus que les autres prophètes qui avaient vécu en ce temps et dans tous les
autres : ce qui montre qu'il y a toujours un peuple
1 III Reg., XIX, 13. — 2 IV Reg., XVI ; II
Paralip., XXVIII. — 3 IV Reg., XXI ; II Paralip., XXXIII.
(a) Littéral : genouil, d'où s'agenouiller.
523
de Dieu, de la communion duquel il n'est jamais permis de
se séparer.
Il est écrit aussi que du temps
de Manassès, Dieu parla par la bouche de tous ses prophètes, et menaçait ce roi
impie et tout le peuple (1). Mais ces prophètes qui reprenaient et détestaient
les impiétés de ce peuple, ne se séparaient pas de la communion.
Et pour voir la chose à fond, il
faut, disais-je, considérer la constitution de l'ancien peuple. Il avait cela de
propre qu'il se multipliait parla génération charnelle, et que c'était par là
que s'en faisait la succession aussi bien que celle du sacerdoce; que ce peuple
portait en sa chair la marque de l'alliance, c'est-à-dire la circoncision, que
nous ne lisons point avoir jamais été discontinuée, et qu'ainsi quand les
pontifes et presque tout le peuple auraient prévariqué, l'état du peuple de Dieu
subsistait toujours dans sa forme extérieure, bon gré malgré qu'ils en eussent.
Il ne pouvait non plus arriver aucune interruption dans le sacerdoce que Dieu
avait attaché à la famille d'Aaron. Mais il n'en est pas de même dans le nouveau
peuple, dont la forme extérieure ne consistoit en autre chose qu'en la
profession de la doctrine de Jésus-Christ : de sorte que si la confession de la
vraie foi était éteinte un seul moment, l'Eglise qui n'avait de succession que
par la continuation de cette profession, serait tout à fait éteinte, sans
pouvoir jamais ressusciter dans son peuple, ou dans ses pasteurs que par une
nouvelle mission.
J'ajoutai au reste que je ne
voulais pas dire que la vraie foi et le vrai culte de Dieu put être tout à l'ait
aboli dans le peuple d Israël, en sorte que Dieu n'eût plus de vrais serviteurs
sur la terre. Mais je trouvais au contraire, premièrement, qu'il était clair
que, malgré la corruption, Dieu se réservait toujours un assez grand nombre de
serviteurs qui ne participaient pas à l'idolâtrie. Car si cela était en Israël
schismatique et séparé du peuple de Dieu, comme Dieu même le déclare à Elie : à
plus forte raison en Juda, que Dieu s'était réservé pour perpétuer son peuple et
son royaume jusqu'au temps du Messie. Lors donc qu'il était écrit que le roi et
tout le peuple avaient abandonné la loi de Dieu, il
1 IV Reg., XXI, 10.
524
fallait entendre, non tout le peuple sans exception, mais
une grande partie, et si l'on veut la plus grande partie du peuple ; ce que les
ministres ne niaient pas. 2° Qu'il ne fallait pas s'imaginer que les serviteurs
de Dieu et la vraie foi se conservassent seulement en secret ; mais que dans
toute la succession de l'ancien peuple, la vraie doctrine avait toujours éclaté.
Car il y a eu une continuelle succession de prophètes, qui loin d'adhérer aux
erreurs du peuple ou de les dissimuler, s'élevait contre avec force; et cette
succession était si continuelle, que le Saint-Esprit ne craint point de dire «
que Dieu se relevait de nuit et dès le matin, et avertissait tous les jours son
peuple par la bouche de ses prophètes (1) : » expression la plus puissante qui
se puisse imaginer pour faire voir que la vraie foi n'a jamais été un seul
moment sans publication, ni le peuple sans avertissement. Qu'ainsi ne soit, nous
venons de voir que dans tout le règne d'Achaz, Isaïe n'avait cessé de
prophétiser : et sous Manassès, où il semble que l'abomination fût montée au
comble, puisque ni la pénitence de ce roi, ni la sainteté de Josias son
petit-fils ne purent faire rétracter la sentence donnée contre ce peuple, Dieu
se souvenant toujours des abominations de Manassès : dans ce temps, dis-je, nous
avons vu que Dieu faisait parler ses prophètes ; et qu'une grande partie du
peuple les ait suivis publiquement, il paraît en ce que ce prince impie « fit
regorger Jérusalem de sang innocent (2), » marque certaine qu'il trouva une
grande résistance à ses idolâtries. On tient même qu'il fit mourir Isaïe, comme
ses prédécesseurs avaient fait mourir les autres prophètes qui les reprenaient;
et cette histoire s'est conservée dans l'ancienne tradition conforme à la parole
de Notre-Seigneur, qui reproche aux Juifs « d'avoir fait mourir les prophètes
(3), » et au discours de saint Etienne qui dit, « qu'il n'y a aucun prophète
qu'ils n'aient persécuté (4). »
Ces prophètes faisaient partie
du peuple de Dieu; ces prophètes retenaient dans le devoir une partie
considérable et des prêtres et du peuple même; ces prophètes, qui confirmaient
leur mission
1 II Paralip., XXXVI, 15;
Jerem., XI, 7; XXV, 3, 4.— 2 IV Reg., XXI, 16. — 3 Matth., XXIII, 31,
37. — 4 Act., VII, 52.
525
par des miracles visibles, empêchaient que la corruption ne
gagnât tout ; et pendant qu'une effroyable multitude, et peut-être le gros de la
Synagogue était entraîné dans l'idolâtrie, ils conservaient la tradition de la
vérité dans le peuple d'Israël.
Ezéchiel, qui parut un peu
après, nous le fait voir lorsqu'il parle « des prêtres et des lévites, enfants
de Sadoc, qui dans le temps de l'égarement des enfants d'Israël ont toujours
observé les cérémonies du sanctuaire (1). Ceux-là, poursuit-il, me serviront ,
et paraîtront devant moi pour m'offrir des victimes, dit le Seigneur. » La
succession, non-seulement celle de la chair, mais encore celle de la foi et du
ministère, s'était conservée dans ces prêtres et dans ces lévites, que la grâce
de Dieu et la prédication des prophètes avaient retenus dans le service.
Et il faut remarquer que Dieu
n'a jamais fait plus éclater ce ministère des prophètes, que lorsque l'impiété
semblait avoir pris le dessus; en sorte que dans le temps où le moyen ordinaire
d'instruire le peuple était non pas détruit, mais obscurci, Dieu préparait les
moyens extraordinaires et miraculeux.
A cela on peut ajouter que ce
moyen extraordinaire, c'est-à-dire le ministère prophétique, avant la captivité,
était comme ordinaire au peuple de Dieu, où les prophètes faisaient comme un
ordre toujours subsistant, d'où Dieu tirait continuellement des hommes divins,
par la bouche desquels il parlait lui-même hautement et publiquement à tout son
peuple.
Depuis le retour de la captivité
jusqu'à Jésus-Christ, il n'y eut plus d'idolâtrie publique et durable. On sait
ce qui arriva sous Antiochus l'Illustre ; mais on sait aussi le zèle de
Mathathias, et le grand nombre de vrais fidèles qui se joignit à sa maison, et
les victoires éclatantes de Judas le Machabée et de ses frères : sous eux et
leurs successeurs, la profession de la vraie foi dura jusqu'à Jésus-Christ. A la
fin les pharisiens introduisaient dans la religion et dans leur culte beaucoup
de superstitions. Comme la corruption allait prévaloir, Jésus-Christ parut au
monde.
Jusqu'à lui la religion s'était
conservée. Les docteurs de la loi avaient beaucoup de maximes et de pratiques
pernicieuses, qui
1 Ezech., XLIV, 15.
526
gagnaient et s'établissaient peu à peu : elles devenaient
communes , mais elles n'étaient pas passées en dogmes de la Synagogue, C'est
pourquoi Jésus-Christ disait encore : « Les scribes et les pharisiens sont assis
sur la chaire de Moïse ; faites donc tout ce qu'ils vous disent, mais ne faites
pas selon leurs œuvres (1). » Il ne cessa d'honorer le ministère des prêtres :
il leur renvoya les lépreux selon les termes de la loi : il fréquenta le temple
; et en reprenant les abus, il demeura toujours attaché à la communion du peuple
de Dieu, et à l'ordre du ministère public.
On en vint enfin au point de la
chute et de la réprobation de l'ancien peuple marquée par les Ecritures et par
les prophètes, lorsque la synagogue condamna Jésus-Christ et sa doctrine. Mais
alors Jésus-Christ avait paru ; il avait commencé dans le sein de la Synagogue à
assembler son Eglise, qui devait subsister éternellement.
Il est donc constant,
premièrement qu'il y a toujours eu un corps visible du peuple de Dieu, continué
par une succession non interrompue, de la communion duquel il n'a jamais été
permis de se séparer ; 2°, toujours une succession de pontifes et de prêtres
descendus d'Aaron , et de lévites sortis de Lévi, sans que jamais on ait eu
besoin que Dieu suscitât des gens d'une façon extraordinaire ; 3°, il n'est pas
moins constant que la vraie foi a toujours été publiquement déclarée, sans qu'on
puisse alléguer un seul moment où la profession n'en ait été aussi claire que la
lumière du soleil : chose qui fait voir combien on se trompe quand on croit que
pour maintenir l'état extérieur de l'Eglise, il suffit de pouvoir nommer de
temps en temps de prétendus docteurs de la vérité. Car s'il y a quelque temps où
la profession de la foi ait cessé dans l'Eglise, son état est pire que celui de
la Synagogue , d'autant plus que dès là elle perd la succession, ainsi que je
viens de dire.
Après que j'eus dit ces choses,
on employa quelque temps à les repasser ; et cependant madame la comtesse de
Roye vint dire que M. Claude consentait à la Conférence qui serait, si je
l'agréais, chez elle sur les trois heures.
1 Matth., XXIII, 23.
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