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Pour servir de réponse à
plusieurs écrits publiés contre l'Exposition de la doctrine catholique.
I
— Doctrine des catholiques sur la majesté de Dieu et la condition de la
créature.
II. — Erreurs des idolâtres et des philosophes païens.
IV. — Origine du faux culte des auges, condamné par l'apôtre saint Paul, par les
anciens docteurs et par le concile de Laodicée.
V. — Dans la doctrine catholique, selon laquelle ou croit tout ce qu'il faut
croire sur la nature divine et la création, il n'y peut avoir aucun sentiment
qui ressente l'idolâtrie.
VI. — Fausses imputations du ministre Daillé, sur les honneurs que les
catholiques rendent aux saints.
VII. — Examen des actes intérieurs et extérieurs par lesquels on rend hommage à
Dieu. Injustice des prétendus réformés dans les reproches qu'ils font aux
catholiques.
VIII. — Raisons particulières qui mettent les catholiques à couvert des
objections des prétendus réformés, prises du sacrifice qui n'est offert qu'à
Dieu seul.
IX. — Nouvelles chicanes des prétendus réformés sur le terme de culte religieux.
Les auteurs protestants ne sont pas eux-mêmes d'accord sur l'usage de ce terme.
Passages de Drelincourt et de Vossius.
X. — La petite diversité qui se trouve dans les auteurs protestants, sur l'usage
du ternie de religion, se rencontre aussi dans les auteurs catholiques. Mais
ceux-ci ont un principe commun, qui accorde cette diversité.
XI. — Conséquences de la discussion précédente. Vaines chicanes des prétendus
réformés.
XII. — Si on retranchait des controverses les chicanes de mots et les
équivoques, les objections s'évanouiraient tout à coup. Exemples.
XIII. — Réponses à quelques autres objections sur la commémoration des saints
dans le service divin, et les jours de fêtes consacrés en leur honneur.
XIV. — Récapitulation des principes établis ci-dessus. Application de ces
principes à trois actes particuliers, que les prétendus réformés condamnent
comme superstitieux et idolâtres : 1° l'invocation des saints; 2° la vénération
des reliques; 3° celle des images.
Nous commençons par l'article le
plus essentiel, c'est-à-dire par le culte qui est dû à Dieu. On nous accuse de
ne pas connaître quelle est la nature de ce culte, et de rendre à la créature
une partie de l'honneur qui est réservé à cette essence infinie. Si cela est, on
a raison de nous appeler idolâtres ; mais si la seule exposition de notre
doctrine détruit manifestement un reproche si étrange, il n'y a point de
réparation qu'on ne nous doive.
Nous n'en demandons aucune autre
que la reconnaissance de la vérité ; et afin d'y obliger Messieurs de la
religion prétendue réformée, nous les prions avant toutes choses de nous dire
s'ils remarquent quelque erreur dans l'opinion que nous avons de la majesté de
Dieu et de la condition de la créature.
En Dieu nous reconnaissons un
être parfait, un bien infini, un pouvoir immense : il est seul de lui-même ; et
rien ne serait, ni ne pourrait être, s'il n'était de sa grandeur de pouvoir
donner l'être à tout ce qu'il veut.
Comme il est le seul qui possède
l'être, et par conséquent le seul qui le donne, il est aussi le seul qui peut
rendre heureux ceux qu'il a faits capables de le pouvoir être, c'est-à-dire
121
les créatures raisonnables : et lui-même est tout seul leur
félicité.
Voilà en abrégé ce qu'il faut
connaître de cette nature suprême; et cette reconnaissance est la partie la plus
essentielle du culte qui lui est dû.
Comme nous croyons de Dieu ce
qu'il en faut croire, il n'est pas possible que nous ne croyions aussi de la
créature ce qu'il faut croire de la créature. Nous croyons en effet qu'elle n'a
d'elle-même aucune partie de son être, ni de sa perfection, ni de son pouvoir,
ni de sa félicité. De toute éternité, elle n'était rien : et c'est Dieu qui de
pure grâce a tiré du néant, elle et tout le bien qu'elle possède. Tellement que
quand on admire les perfections de la créature, toute la gloire en retourne à
Dieu, qui de rien a pu créer des choses si nobles et si excellentes.
Parmi toutes les créatures, ceux
qui ont le mieux connu cette vérité, ce sont sans doute les saints ; c'est là ce
qui fait les saints; et le nom même de saints, que nous leur donnons, nous
attache à Dieu. Car un saint, qu'est-ce autre chose qu'une créature entièrement
dévouée à son Créateur? Si on regarde un saint sur la terre, c'est un homme qui,
reconnaissant combien il est néant par lui-même, s'humilie aussi jusqu'au néajit
pour donner gloire à son Auteur. Et si on regarde un saint dans le ciel, c'est
un homme qui se sent à peine lui-même, tant il est possédé de Dieu et abîmé dans
sa gloire. De sorte qu'en regardant un saint comme saint. on ne peut jamais
s'arrêter en lui, parce qu'on le trouve tout hors de lui-même et attaché par un
amour immuable à la source de son être et de son bonheur.
Arrêtez-vous un peu, Messieurs,
sur les choses que je viens de dire de la créature ; et voyez de quel côté vous
pouvez penser que nous l'égalions à Dieu ! Quelle égalité peut-on comprendre où
on met tout l'être d'un côté, et tout le néant de l'autre ? Que si nous
n'égalons en rien du tout la créature et le Créateur dans notre estime, comment
pouvez-vous croire que nous soyons capables de les égaler par quelque endroit
que ce soit dans notre culte ?
Suivez un peu cette pensée ; et
pour voir si vous avez raison
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de nous attribuer quelque espèce d'idolâtrie, voyez si vous
trouverez dans notre doctrine quelqu'une des erreurs qui ont fait les idolâtres.
Les philosophes d'entre eux qui ont le mieux parlé de Dieu lui font tout au plus
mouvoir, embellir, arranger le monde; mais ils ne font pas qu'il le tire du
néant, ni qu'il donne à aucune chose le fond de l'être par sa seule volonté.
Ainsi la substance des choses était indépendante de Dieu ; et il était seulement
auteur du bon ordre de la nature. Voilà ce que pensaient ceux qui raisonnaient
le mieux en ces siècles de ténèbres et d'ignorance. L'opinion publique du monde,
qui faisait la religion de ces temps-là, était encore bien au-dessous de ces
sentiments. Elle établissait plusieurs dieux ; et quoiqu'elle mit entre eux une
certaine subordination, c'était une subordination à peu près semblable à celle
qu'on voit parmi les hommes, dans le gouvernement des familles et des Etats.
Jupiter était le père et le roi des hommes et des dieux, à peu près comme les
hommes sont rois et pères les uns des autres.
Au reste cette dépendance de
créature à Créateur n'était pas connue : cette puissance suprême, qui n'a besoin
que d'elle seule pour donner l'être à ce qui ne l'avait pas, était ignorée. Rien
n'étant tiré du néant, tout ce qui était avait de soi-même le fond de son être,
aussi bien que Dieu. Ainsi le premier principe qui fait Indifférence essentielle
entre le Créateur et la créature étant ignoré, il ne faut pas s'étonner si ces
hommes ont confondu des choses si éloignées.
III. — Autres espèces d'idolâtres à qui les prétendus
réformés comparent les catholiques : manichéens, ariens, et ceux qui servaient
les anges.
L'Anonyme (a) et M. Noguier qui n'osent nous attribuer une
idolâtrie si grossière, trouvent d'autres espèces d'idolâtres à qui ils croient
avoir plus de droit de nous comparer. Ils nous allèguent les manichéens qui
adoraient le vrai Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit d'une a adoration souveraine
; mais qui adoraient aussi le
(a) Nous répétons que cet anonyme, c'est M. de la Bastide,
l'an des écrivains qui combattirent l’Exposition pour ainsi dire sous le
commandement du consistoire de Charenton.
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soleil et la lune à cause du séjour qu'ils croyaient que
Dieu faisait dans ces corps lumineux, et qui pouvaient dire aussi bien que les
catholiques qu'ils terminaient tout à Dieu, c'est-à-dire qu'ils lui rapportaient
tout leur culte (1). »
Ils nous allèguent les ariens, a
qui sont accusés d'idolâtrie par les saints Pères, parce que ne croyant pas
Jésus Dieu éternel, ils ne laissaient pas de l'invoquer, a Ils eussent pu, dit
M. Noguier, se défendre facilement de cette accusation en disant qu'ils
n'invoquaient pas Jésus-Christ comme Dieu éternel, et qu'ils ne l'adoraient pas
de l'adoration qui n'est propre qu'à Dieu (2). »
Ils nous allèguent encore ceux «
qui servaient les anges comme entremetteurs entre Dieu et nous (3), » qui par
conséquent rapportaient, aussi bien que les catholiques, tout leur culte à Dieu,
et ne laissent pas toutefois d'être réprouvés par l'Apôtre (4) et par le concile
de Laodicée (5).
Mais c'est justement par ces
exemples que je veux justifier que tous ceux qu'on a jamais accusés d'avoir
quelque teinture d'idolâtrie, erraient dans le sentiment qu'ils avaient de Dieu
et ne le reconnaissaient pas comme Créateur.
Pour ce qui regarde les
manichéens, la chose est trop évidente pour avoir besoin de preuve. Ils étaient
si éloignés de reconnaître Dieu pour créateur, qu'ils entendaient parle nom de
créateur la puissance opposée à Dieu : car ils reconnaissaient deux
premiers principes opposés et indépendants l'un de l'autre, l'un principe de
tout le bien, l'autre principe de tout le mal. Ils attribuaient au dernier la
création de l'univers qui est décrite par Moïse ; et bien loin de l'adorer, ils
le détestaient, détestant aussi Moïse lui-même et sa loi qu'ils attribuaient au
mauvais principe. Une des choses qu'ils y reprenaient, c'était la défense
expresse qu'elle contenoit d'adorer les créatures. C'est ce que nous apprenons
de saint Augustin, qui avait été de leur sentiment ; il dit que ces malheureux
adoraient le soleil et la lune comme des vaisseaux qui portaient la lumière y et
que la lumière, selon eux (je dis cette lumière corporelle qui nous éclaire),
n'était pas l'ouvrage de Dieu, mais un membre et
1 An., Rep., p. 23. — 2 Nog., p. 47. — 3
Nog., p. 45, 46. — 4 Coloss., II, 18. — 5 Conc. Laod.,
cap. XXXV.
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une partie de la divinité même : en quoi outre qu'ils
erraient en faisant Dieu corporel, ils erraient encore beaucoup davantage en ce
qu'ils prenaient les œuvres de la main de Dieu pour une partie delà substance
divine, c'est-à-dire pour Dieu même.
Que sert donc à l'Anonyme de
dire qu'ils adoraient le Père, le Fils et le Saint-Esprit, puisqu'ils ne
prononçaient ces divins noms qu'en les profanant, et qu'ils y attachaient des
idées si éloignées de la foi chrétienne, que saint Epiphane et saint Augustin
les rangent parmi les Gentils, soutenant qu'ils ont inventé sur le sujet de la
divinité des fables moins vraisemblables et plus impies que celle des Gentils
mêmes ?
A l'égard des ariens, M. Noguier
ne dira pas qu'ils eussent l'idée véritable de la création et de la Divinité,
eux qui, mettant le Verbe divin au nombre des créatures, ne laissaient pas de
lui attribuer tant de titres et tant d'ouvrages qui sont purement diffus: car
ils étaient forcés par l'autorité de l'Ecriture à dire que Jésus-Christ était la
Vertu, la Sagesse et la Parole subsistante de Dieu. Il fallait même le nommer
Dieu, malgré qu'ils en eussent ; et les Pères leur faisaient voir manifestement
qu'ils lui donnaient ce nom avec une emphase que la foi chrétienne ne souffrait
à aucun être créé. Les ariens, dit Théodoret, qui appellent le Fils unique de
Dieu une créature et qui l'adorent néanmoins comme un Dieu, tombent dans le même
inconvénient que les Gentils. Car ils le nomment Dieu, ils ne dévoient pas le
ranger avec les créatures, mais avec le Père qui l'a engendré, ou l'appelant une
créature ils ne devraient point l'honorer comme un Dieu (1). »
Je n'ai que faire d'alléguer à
M. Noguier les passages des autres Pères. Ils sont connus, et il les sait aussi
bien que nous; de Jorte qu'il ne peut nier que les ariens ne brouillassent d'une
étrange sorte les idées de Créateur et de créature jusque-là même qu'ils
allaient si avant qu'ils attribuaient la création au Verbe qui selon eux était
lui-même créé. Car qui ne sait la détestable rêverie de ces hérétiques, qui
disaient que le ciel et la terre et ce qu'ils contiennent ne pouvaient pas
soutenir l'action immédiate de Dieu, trop forte pour eux, de sorte qu'il avait
fallu qu'il fît son Verbe,
1 Theodor., in cap. 1 Ep. ad
Rom., n. 25.
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par lequel il avait fait tout le reste, et qui était comme
le milieu entre lui et les autres créatures? Ainsi Dieu avait besoin d'une
créature pour créer les autres. L'action d'un Créateur tout-puissant ne pouvait
(quelle rêverie ! ) nous donner l'être immédiatement; d'elle-même elle eût
plutôt détruit que créé, étant trop forte à porter et ayant besoin d'un milieu
où elle se rompit en quelque sorte pour venir à nous. Etait-ce connaître Dieu
que de lui donner une action de cette nature, aveugle, impétueuse, emportée ,
qu'il ne pouvait retenir tout seul, et qui par là devenait pesante à ceux qui la
recevaient? Mais était-ce entendre ce qui est compris dans le nom de Créateur,
que de l'obliger à créer un créateur au-dessous de lui? Qui ne voit que ces
hérétiques, en voulant mettre un milieu nécessaire entre Dieu et nous,
confondaient dans ce milieu les idées de Créateur et de créature ? Selon eux, le
Verbe était l'un et l'autre selon sa propre nature ; il fallait que Dieu le
tirât lui-même premièrement du néant, pour en tirer ensuite par lui toutes les
autres créatures : chose qu'on ne peut penser sans brouiller toutes les idées
que l'Ecriture nous donne de la création et de la Divinité.
Cependant! à les ouïr parler, il
n'y avait qu'eux qui connussent Dieu; les catholiques étaient charnels et
grossiers, qui prenaient tout à la lettre et n'entraient point dans les
interprétations profondes et spirituelles : tant il est vrai que les hommes qui
se mêlent de corriger les sentiments de l'Eglise s'éblouissent et éblouissent
les autres par des paroles qui n'ont qu'un son éclatant, et qui au fond sont
destituées de bon sens et de vérité.
On sait au reste que ces
hérétiques avaient pris une grande partie de leurs opinions dans les écrits des
platoniciens, qui ne connaissant qu'à demi la vérité, l'avaient mêlée de mille
erreurs. Les ariens trop charmés de l'éloquence de ces philosophes et de
quelques-uns de leurs sentiments, beaux à la vérité, mais mal soutenus, avaient
cru qu'ils embelliraient la religion chrétienne, en y mêlant les idées de la
philosophie platonicienne, quoique souillée en mille endroits des erreurs de
l'idolâtrie ; et c'est par là qu'ils nous ont donné ce composé monstrueux du
christianisme et du paganisme.
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M. Noguier nous avoue « que les
chrétiens qui servaient les anges comme entremetteurs entre Dieu et nous,
avaient puisé ce sentiment dans la même source de l'école de Platon (1). » Il
est certain que dans cette école on n'entendait non plus la création, que dans
les autres écoles des païens. Dieu avait trouvé la matière toute faite, et s'en
était servi par nécessité ; c'est pour cela qu'on suivait dans cette école le
sentiment (d'Anaxagore), qui mettait pour causes du monde la nécessité et la
pensée. Dieu donc avait seulement paré et arrangé la matière, comme ferait un
architecte ou un artisan. Encore n'avait-il pas jugé digne de sa grandeur de
former et d'arranger par lui-même les choses sublunaires (d'ici-bas ) ; il en
avait donné la commission à de certains petits dieux, dont l'origine est fort
difficile à démêler. Quoi qu'il en soit, ils avaient eu ordre de travailler au
bas monde, c'est-à-dire de former les hommes et les autres animaux ; ce qu'ils
avaient exécuté en joignant à quelque portion de la matière je ne sais quelles
particules de l’âme du monde, que Dieu avait trouvées toutes faites, aussi bien
que la matière, mais qu'il avait fort embellies. Voilà ce que nous voyons dans
le Timée de Platon et dans quelques autres de ses dialogues. Je n'empêche
pas que ceux qui adorent toutes les pensées des anciens ne sauvent ce philosophe
à la faveur de l'allégorie ou de quelque autre figure : toujours est-il certain
que la plupart de ses disciples ont pris ce qu'il a dit de la formation de
l'univers au pied de la lettre. Au reste on peut bien juger que s'il n'est pas
digne de Dieu de faire les hommes, il n'était pas moins au-dessous de lui de se
mêler de leurs affaires, et de recevoir par lui-même leurs prières et leurs
sacrifices. Aussi, dans cette opinion des Platoniciens, Dieu était inaccessible
pour les hommes, et ils n'en pouvaient approcher que par ceux qui les avaient
faits.
La religion chrétienne ne
connaît point de pareils entremetteurs qui empêchent Dieu de tout faire, de tout
régir, de tout
1 Nog., p. 46.
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écouter par lui-même. Si elle donne aux hommes un Médiateur
nécessaire pour aller à Dieu, c'est-à-dire Jésus-Christ, ce n'est pas que Dieu
dédaigne leur nature qu'il a faite; mais c'est que leur péché, qu'il n'a pas
fait, a besoin d'être expié par le sang du Juste. Mais le monde n'est sorti que
par degrés de ces opinions du paganisme, qui avaient fasciné tous les esprits.
Ainsi quelques-uns de ceux qui reçurent l'Evangile dans les premiers temps, ne
pouvaient entièrement oublier ces petits dieux de Platon et les servaient sous
le nom des anges. Il est certain par saint Epiphane et par Théodoret, que
Simon le Magicien, que Ménandre et tant d'autres, qui à leur exemple mêlaient
les rêveries des philosophes avec la vérité de l'Evangile, ont attribué aux
anges la création de l'univers. Nous voyons même dans saint Epiphane une secte
qu'on appelait la secte des Angéliques, ou « parce que, dit ce Père,
quelques hérétiques ayant dit que le monde a été fait par les anges, ceux-ci
l'ont cru avec eux; ou parce qu'ils se mettaient eux-mêmes au rang des anges (1)
: » et Théodoret au livre V Contre les fables des hérétiques, exposant la
doctrine de l'Eglise contre les hérésies qu'il a rapportées, parle ainsi dans le
chapitre des Anges : « Nous ne les faisons point auteurs de la création ni
co-éternels à Dieu, comme font les hérétiques; » et un peu après : « Nous
croyons que les anges ont été créés par le Dieu de tout l'univers (2). » Il le
prouve par le Psalmiste, qui ayant exhorté les anges à louer Dieu, ajoute
« qu'il a parlé et que par cette parole ils ont été faits (3). »Il produit
encore pour le faire voir, un passage de l’Epître aux Colossiens, où saint Paul
assure que « tout l'univers, les choses visibles et invisibles, les Trônes, les
Dominations, les Principautés et les Puissances ont été créés par le Fils de
Dieu (4). » Il est raisonnable de croire que le soin que prend saint Paul en ce
lieu, d'expliquer si distinctement que tous les esprits célestes doivent leur
être au Fils de Dieu, marque un dessein de combattre ceux qui les égalaient à
lui, et qui les faisaient créateurs plutôt que créatures : et quand le même
saint Paul condamne
1 Hœres. LX, tom. I, p. 565 ; Tertullien dit la même
chose De Prœscrip., ex quo Hier. adv. Lucif.— 2 Lib. V, Hœretic.
fab., cap. VII, De angelis, édit. 1642, tom. IV, p. 266.— 3 Psal.
CXLVIII, 2, 5. — 4 Coloss., I, 16.
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encore, dans la même Epître, ceux qui par une fausse
humilité s'adonnaient « au service des anges (1), » il avait en vue quelque
erreur semblable ; car comme il n'explique point en quoi consiste l'erreur de
ces adorateurs des anges, nous ne pouvons rien faire de mieux que de rapporter
ces paroles aux fausses opinions que nous voyons établies dès l'origine du
christianisme.
Il faut dire la même chose du
canon XXXV du concile de Laodicée, où il est porté « qu'il ne faut point que les
chrétiens abandonnent l'Eglise de Dieu, et se retirent, et qu'ils nomment les
anges, et qu'ils fassent des assemblées illicites, lesquelles sont choses
défendues. Que si on découvre quelqu'un qui soit attaché à cette idolâtrie
cachée, qu'il soit anathème, parce qu'il a laissé Notre-Seigneur Jésus-Christ
Fils de Dieu, et s'est adonné à l'idolâtrie (2). »
Ce concile n'ayant non plus
expliqué que saint Paul les sentiments de ces idolâtres, les interprètes des
canons ont rapporté celui-ci aux erreurs qui couraient en ce temps. Nous avons
dans le Synodicon des Grecs, imprimé depuis peu à Londres, les doctes et
judicieuses remarques d'Alexius Aristenus, ancien canoniste grec, très-estimé
dans l'Eglise orientale. Voici comme il explique ce canon de Laodicée. « Il y a,
dit-il, une hérésie des Angéliques, appelée ainsi, ou parce qu'ils se vantent
d'être de même rang que les anges, ou parce qu'ils ont rêvé que les anges ont
créé le monde. Il y en avait aussi qui enseignaient, comme il paraît par l’Epître
aux Colossiens, qu'il ne fallait pas dire que nous eussions accès auprès de
Dieu par Jésus-Christ; car Jésus-Christ, disaient-ils, est trop grand pour nous;
mais seulement par les anges. Dire cela, c'est renoncer sous prétexte d'humilité
à l'ordre que Dieu a établi pour notre salut. Celui donc qui va à des assemblées
illicites, ou qui dit que les anges ont créé le monde, ou que nous sommes
introduits par eux auprès de Dieu, qu'il soit anathème, comme ayant abandonné
Jésus-Christ et approchant des sentiments des idolâtres. »
Tout le monde sait le passage de
Théodoret, où il explique celui de saint Paul, et à l'occasion de celui-là le
canon de Laodicée :
1 Coloss., II, 18. — 2 Conc.
Laod., cap. XXXV; Labb., tom. I, col. 1503.
130
« Ceux gui soutenaient la loi, dit-il, leur persuadaient
aussi d'honorer les anges, disant que la loi avait été donnée par leur
entremise. Cette maladie a duré longtemps en Phrygie et en Pisidie. C'est
pourquoi le concile de Laodicée en Phrygie défendit par une loi de prier les
anges, et encore à présent on voit parmi eux et dans leur voisinage des
oratoires de saint Michel. Ils conseillaient ces choses par humilité, disant que
le Dieu de l'univers était invisible, inaccessible, incompréhensible, et qu'il
fallait ménager la bienveillance divine par le moyen des anges (1). »
Quand on verra dans la suite les
passages de Théodoret, où de l'aveu des ministres il soutient avec tant de force
l'invocation des saints telle qu'elle se pratique parmi nous, on ne croira pas
qu'il veuille défendre d'invoquer les anges dans le même sens. On voit assez par
ces paroles quelle était l'invocation qu'il rejette. C'était d'invoquer les
anges comme les seuls qui nous pouvaient approcher de la nature divine,
inaccessible par elle-même à tous les mortels. Cette vision est connue de ceux
qui ont lu les Platoniciens , et ce que saint Augustin a écrit dans le livre de
la Cité de Dieu contre la médiation qu'ils attribuaient aux démons. C'est
une erreur insupportable de faire la Divinité naturellement inaccessible aux
hommes plutôt qu'aux anges. Les chrétiens, qui séduits par une vaine
philosophie, ont embrassé cette erreur, soit qu'ils aient regardé les anges
comme leurs créateurs particuliers, soit qu'ayant corrigé peut-être (car
personne n'a expliqué toute leur opinion) cette erreur des platoniciens, ils en
aient retenu les suites, n'ont connu comme il faut ni la nature divine, ni même
la création. C'est ignorer l'une et l'autre que de reconnaître quelqu'un qui ait
plus de bonté pour nous, ou qui ait un soin plus particulier et une connaissance
plus immédiate de nous et de nos besoins, que celui qui nous a faits. Si ces
adorateurs des anges avaient bien compris que Dieu a tout également tiré du
néant, jamais ils n'auraient songé à établir ces deux ordres de natures
intelligentes, dont les unes soient par leur nature indignes d'approcher de
Dieu, et les autres par leur nature si dignes d'y avoir accès, que personne ne
puisse l'avoir que par leur moyen. Au
1 Theodor., in Epist. ad Coloss.,
cap. II, 18, tom III, p. 355.
131
contraire ils auraient vu que ce grand Dieu, qui de rien a
fait toutes choses, a pu à la vérité distinguer ses créatures en leur donnant
différons degrés de perfection; mais que cela n'empêche pas qu'il ne les tienne
toutes à son égard dans un même état de dépendance et qu'il ne se communique
immédiatement, quoique non toujours en même degré, à toutes celles qu'il a
faites capables de le connaître. En effet si on présuppose que les hommes soient
par leur nature indignes d'approcher de Dieu, ou que Dieu dédaigne de les
écouter, on doit croire par la même raison qu'il dédaigne aussi et de les
gouverner et de les faire. Car il ne méprise pas ce qu'il fait, ou plutôt il
n'aurait pas fait ce qu'il aurait jugé digne de mépris. Aussi voyons-nous que
quand le péché dont la nature humaine a été souillée, a fait qu'elle a eu besoin
nécessairement d'un Médiateur auprès de Dieu, il a voulu que ce Médiateur fût
homme, pour montrer que ce n'était pas notre nature, mais notre péché qui le
séparaît de nous. Il a si peu dédaigné la nature humaine , qu'il n'a pas craint
de l'unir à la personne de son Fils. C'est ce que dévoient entendre ces
adorateurs des anges, et croire qu'il n'y avait que le seul péché qui pût
empêcher les hommes d'avoir accès par eux-mêmes auprès de Dieu, la nature
humaine étant capable de le posséder aussi bien que la nature angélique et
tenant sa félicité avec son être, non des anges ou de quelques autres esprits
bienheureux, mais de celui qui les a faits.
Ainsi on peut bien attribuer aux
anges un amour sincère envers les hommes et un soin particulier de les secourir,
dans un esprit de société et de charité fraternelle, comme leurs chers
compagnons, destinés au même service et appelés à la même gloire. Mais on ne
peut point en faire, comme faisaient ces philosophes et ces hérétiques, des
médiateurs nécessaires entre Dieu et nous, sans rompre la sainte union que Dieu
même a voulu avoir avec l'homme, qu'il a créé aussi bien que l'ange à son image
et ressemblance.
Après cela je n'ai que faire de
rapporter ce qu'ont dit et les catholiques et les protestants, touchant ces
adorateurs des anges, lime suffit que si on remonte à la source de leurs
erreurs, qui de l'aveu de M. Noguier se trouve dans le Platonisme, on verra
132
qu'ils y sont tombés pour avoir ignoré la création, ou pour
ne l’avoir pas entendue dans toutes ses suites, et pour avoir mieux aimé en
croire Platon et ses sectateurs que Moïse et les prophètes.
Ainsi en parcourant toutes les
opinions qui ont tenu quelque chose de l'idolâtrie, on voit qu'on ne peut en
montrer aucune où il n'y ait quelque erreur touchant la nature de la Divinité,
et où la doctrine de la création ne soit obscurcie ; ce qui fait voir clairement
que parmi nous, où l'on croit tout ce qu'il faut croire sur la nature divine et
sur la création, il n'y peut avoir aucun sentiment qui ressente l'idolâtrie.
Nous descendrons en particulier
à tous les actes par lesquels on nous accuse de rendre à la créature, ou en tout
ou en partie, les honneurs divins. Mais déjà, en attendant, on peut voir par une
raison générale qu'en croyant ce que nous croyons du néant de la créature, il ne
peut jamais nous arriver de lui donner aucune partie de l'être divin; d'où il
s'ensuit qu'il n'est pas possible que nous l'égalions à Dieu par quelque endroit
que ce soit, ni dans notre estime, ni dans notre culte.
En effet si nous voyons que
partout où on a rendu à plusieurs quelque partie des honneurs divins, on y a
aussi présupposé quelque partie de l'être de Dieu; par une raison contraire il
faut conclure nécessairement que parmi nous, où on ne suppose l'être divin qu'en
un seul, on ne peut rendre qu'à un seul les honneurs divins.
Si après cela on nous objecte
(et on nous l'objecte souvent) que les honneurs que nous rendons aux saints ne
sont pas des honneurs divins dans notre pensée, mais qu'ils le sont en effet,
c'est ce qui ne fut jamais et qui ne peut être. Car tous ceux qui ont jamais
rendu à quelqu'un les honneurs divins, l'ont senti, et l'ont connu, et l'ont
voulu faire. Il est inouï dans tous les siècles qu'on ait jamais rendu des
honneurs divins à d'autres qu'à ceux qu'on a crus des dieux par erreur, ou qu'on
a fait semblant de
133
tenir pour tels par crainte ou par flatterie. Pour nous,
tout le monde sait que nous ne tenons point les saints pour des divinités, à
moins qu'on ne veuille nous faire admettre des divinités avec cette idée
distincte qu'elles sont tirées du néant : ce qui n'est jamais tombé dans la
pensée de personne. Que si ce sentiment paraît si absurde qu'on n'ose pas même
nous l'attribuer, il est encore plus étrange et plus incroyable que nous
rendions les honneurs divins à ceux que nous ne tenons pas pour des dieux, et
qu'au contraire nous regardons comme de pures créatures.
Et ce serait certainement un
prodige incompréhensible et inouï, si nous qui savons si bien que la créature,
quelle qu'elle soit, ne peut, abandonnée à elle-même et destituée de tout
secours de la part de Dieu, trouver en son fond que le néant et le péché ;....
Le fameux M. Daillé, que
l'Anonyme va bientôt ranger parmi les Pères de l'Eglise et en qui il ne désire
pour cela que la durée m de quelques siècles, fonde sur cette fausse
présupposition tout ce qu'il dit dans le livre le plus recherché qu'il ait fait
sur cette matière. Car dès le premier chapitre ou il propose l'état de la
question (1), il la fait consister en ce point que ceux de sa religion
n'approuvent pas les Latins, c'est ainsi qu'il nomme les catholiques, qui
veulent «qu'on rende aux esprits bienheureux et au pain sacré, ce souverain
culte qu'on appelle de religion, et qui soit de même espèce, s'il n'est pas de
même degré, que celui qu'on rend à Dieu seul, Père, Fils, et Saint-Esprit (2). »
Etrange manière de proposer
l'état de la question, qui embrouille tout dès le premier mot : car il ne
fallait pas mêler ensemble, ni faire aller d'un même pas deux choses aussi
différentes que l'honneur que nous rendons à l'Eucharistie et celui que nous
rendons aux saints. Nous rendons à l'Eucharistie, que nous croyons être
Jésus-Christ, Dieu et homme tout ensemble, le souverain honneur de religion, qui
est non-seulement de même espèce, mais encore de même degré que celui que nous
rendons
1 Pag. 32. — 2 Dall., Advers. Latin.,
tradit., liv. I, cap. 1.
133
à Dieu. Pour les saints, que nous regardons comme de pures
créatures, il est faux que nous leur rendions, comme dit Daillé, le culte
suprême de religion ; et il est vrai au contraire, quoi que puisse dire ce
ministre, que l'honneur que nous leur rendons n'est pas seulement d'un degré
plus bas, mais d'une autre espèce que celui que nous rendons à Dieu. Ainsi M.
Daillé renverse lui-même son propre ouvrage et toutes les accusations qu'il fait
contre nous sur le sujet de l'honneur des saints, lorsqu'il fait rouler tout son
livre sur cette fausse présupposition, que nous leur rendons un culte suprême de
religion, qui ne diffère que du plus au moins de celui que nous rendons à Dieu
et qui soit de même espèce. Il faudrait pour être tombé dans une erreur si
grossière, que nous crussions que les saints ne sont ni d'un autre rang ni d'une
autre espèce que celui qui les a faits, et ne diffèrent de lui que du plus au
moins. Mais tant qu'on n'oublie pas la création, dont on reconnaît du moins que
nous sommes très-bien instruits, on a des idées si essentiellement différentes
du premier Etre et de ses ouvrages , qu'il ne peut tomber dans l'esprit de les
honorer par un même genre de culte.
En effet si M. Daillé avait tant
soit peu considéré les caractères essentiels par lesquels nous distinguons
l'honneur divin d'avec celui qu'on rend aux saints, il verrait qu'on ne peut
jamais en marquer plus exactement ni plus à fond la différence. Nous honorons
Dieu purement pour l'amour de lui : et nous savons que la créature n'ayant rien
d'aimable ni de vénérable qui ne lui vienne de Dieu, c'est aussi pour l'amour de
Dieu qu'elle doit être aimée et honorée. Il y a donc un genre d'honneur qu'on ne
peut rendre à Dieu sans crime, comme il y a aussi un genre d'honneur qu'on ne
peut rendre sans crime à la créature. Car autant qu'il répugne à la créature de
recevoir des honneurs qui se terminent à elle-même, autant il répugne à Dieu
d'en recevoir qui se rapportent à un autre. Que les ministres jugent maintenant
si ces deux sortes d'honneur, qui ont des différences si essentielles, ne
diffèrent que du plus au moins et sont au fond de même nature et de même espèce.
135
Mais pour entrer plus ayant dans
les actes particuliers par lesquels la créature peut rendre hommage à son
Créateur, que les ministres nous disent eux-mêmes ce qu'il faut faire pour cela.
Ils nous diront qu'il y a des
actes intérieurs et extérieurs : et nous voulons bien les suivre dans l'examen
qu'ils feront de nos sentiments sur les uns et sur les autres.
Le premier acte intérieur par
lequel nous adorons Dieu, c'est que nous reconnaissons qu'il est lui seul CELUI
QUI EST ; et que nous ne sommes rien que par lui, ni dans l'ordre de la nature,
JU dans l'ordre de la grâce, ni dans l'ordre de la gloire. En veulent-Us
davantage? Et ne voient-ils pas que cet acte ne peut jamais avoir pour objet la
créature?
Tout le reste dépend de là ; et
ce premier sentiment de religion fait que nous nous attachons à Dieu comme à la
cause de notre être et de notre bonheur par la foi, par l'espérance et par la
charité : nous croyons sur sa parole les choses les plus incroyables ; nous
appuyons sur sa promesse l'espérance de notre salut et de notre vie : nous
l'aimons de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre entendement, de
toutes nos forces, et nous aimons notre prochain pour l'amour de lui. Les
ministres savent-ils d'autres actes intérieurs par lesquels il faille adorer
Dieu en esprit et en vérité, selon la doctrine de l'Evangile? Ignorent-ils que
ces trois vertus, la foi, l'espérance et la charité, auxquelles seules aboutit
toute la doctrine de l'Ancien et du Nouveau Testament, sont appelées parmi nous
les vertus théologales, parce que les autres vertus peuvent avoir des objets
humains, et que le propre de celles-ci c'est de n'avoir pour objet que Dieu? Ne
savent-ils pas que nous enseignons ce fondement essentiel de toute la religion,
non-seulement dans l'Ecole à tous les théologiens, mais .encore dans le
catéchisme à tous les enfants; et que par là nous leur apprenons à distinguer
Dieu, Père, Fils, et Saint-Esprit, de toutes les créatures visibles et
invisibles, corporelles et spirituelles?
136
Voilà donc la différence
essentielle entre Dieu et la créature, entre les honneurs de l'un et de l'autre,
solidement établie par les actes intérieurs. Venons aux extérieurs. Mais comme
ces derniers sont le témoignage des autres, on ne doit pas croire que
distinguant Dieu au dedans d'avec toutes les créatures, nous le confondions avec
elles dans ce que nous faisons paraître au dehors.
Considérons toutefois ces actes
extérieurs. Le culte extérieur est double : il y a celui de la parole ; il y a
celui de tout le corps, qui comprend les génuflexions, les prostrations et les
autres actions et cérémonies extérieures qui marquent du respect.
Ces deux sortes de culte
extérieur ont une grande affinité. Car les génuflexions et autres actions de
cette nature, après tout, ne sont autre chose qu'un langage de tout le corps,
par lequel nous expliquons, de même que par la parole, ce que nous sentons dans
le cœur.
Nous parlons de Dieu
conformément à nos sentiments; et si ce que nous pensons de sa grandeur et de sa
bonté le distingue jusqu'à l'infini de toutes les créatures, ce que nous en
disons n'est pas moins fort.
Les actions extérieures de
respect que nous avons appelées le langage de tout le corps, s'accordent avec le
langage de la voix. On ne prétend expliquer par ces actions que la même chose
qu'on dit, et l'un de ces langages doit être entendu par l'autre : de sorte que
si l'un est bon, on ne doit pas présumer que l'autre soit mauvais.
C'est par là néanmoins qu'on
nous attaque le plus. On dit qu'en ce qui regarde les actions extérieures de
respect, nous n'avons rien qui soit réservé à Dieu seul. Les saints, dit
l'Anonyme (et tous ceux de sa religion nous font le même reproche), les saints
donc ont parmi nous aussi bien que Dieu, « et de l'encens et des luminaires, et
des temples, et des fêtes. Et enfin l'Eglise romaine n'a aucune sorte d'hommage,
d'honneur et de service extérieur qu'on rende à Dieu, qu'elle n'en rende aussi
un tout semblable aux saints (1). » Il presse cet argument d'une manière assez
vive, en disant a qu'un Turc, un païen, un Américain, les simples
1 P. 55.
137
mêmes parmi nous, dit-il, qui ne sont pas accoutumés à ces
raffinements d'intention, » n'y pourra rien distinguer; et à juger des choses
par l'extérieur, « il prendra les saints pour autant de dieux (1). » Voilà ce
que nous objecte l'Anonyme, mêlant le vrai avec le faux, comme il paraîtra par
la suite ; et il y aurait quelque vraisemblance dans tout ce raisonnement, s'il
était permis de détacher les cérémonies extérieures d'avec l'esprit et
l'intention qui les animent.
Pour ce qui regarde les fêtes
des saints, Daillé, qui nous les objecte si souvent, demeure pourtant d'accord
qu'on dédiait des jours solennels à la mémoire des martyrs, non-seulement dans
les temps où il prétend que la corruption commencent à s'introduire dans le
culte divin, mais encore dans ces siècles d'or où il dit qu'il se conservait
dans sa pureté. Car il nous produit lui-même des témoignages certains par
lesquels il conste que cet usage était établi dès le second siècle de l'Eglise.
Nous verrons bientôt les passages où ce ministre demeure d'accord de cette
pratique : mais nous n'avons pas besoin de reprendre ici les choses de si haut :
les prétendus réformés nous vont justifier eux-mêmes.
Tout un synode de leur religion
tenu en Pologne a inséré dans les Actes, qu'on s'assemblait dans le temple de la
sainte Vierge. Le même synode parle encore du 25 août comme d'un jour consacré à
saint Barthélemy : ce synode est imprimé à Genève dans le recueil des
Confessions de foi. On ne parle point autrement, parmi les protestants
d'Angleterre, ni des temples ni des fêtes. Sans la Liturgie anglicane, imprimée
de l'autorité de la reine Elisabeth, du roi Jacques et du Parlement, on voit
l'office marqué « pour chaque fête des saints; » et à la tête du livre il paraît
un dénombrement des fêtes qu'on doit observer, parmi lesquelles saint Mathias,
saint Pierre, saint Jacques, la Toussaint et les antres fêtes des saints sont
marquées avec les dimanches, avec la Circoncision et l'Epiphanie, et enfin avec
les fêtes de Notre-Seigneur. Nos réformés dévoient-ils nous inquiéter pour des
choses qu'ils voient pratiquer si publiquement à leurs frères? Ils
1 P. 63.
138
devraient avouer plutôt que nommer du nom de quelque saint
ou un temple dédié à Dieu, ou une fête consacrée à sa gloire, ne fut jamais
parmi les chrétiens une marque d'honneur divin, mais une manière innocente de
célébrer la bonté de Dieu dans les grâces qu'il a faites à ses serviteurs. Il ne
faut donc plus dorénavant que l'Anonyme et ceux de sa religion nous reprochent,
comme ils font sans cesse, l'église de Saint-Eustache ou de Notre-Dame plus
belle et plus magnifique que celle du Saint-Sauveur on du Saint-Esprit. Il ne
faut plus qu'ils nous objectent les solennités des martyrs et des autres saints
: on sait, dans l'une et dans l'autre religion, que tous les temples et toutes
les fêtes sont également dédiées à Dieu; et on se permet, dans l'une et dans
l'autre, de les distinguer par ce qu'elles ont de particulier. Il faut donc
encore ici avoir recours à l'intention de ceux qui pratiquent ces cérémonies :
si l'intention des protestants d'Angleterre et des autres qui se sont dits
réformés, est connue par leur profession de foi, de manière que l'Anonyme et
ceux de sa communion ne songent pas seulement à les accuser pour cela
d'idolâtrie : notre foi n'est pas moins publique, et on sait que notre intention
ne peut jamais être de rendre des honneurs divins à ceux que nous mettons
expressément au rang des êtres tirés du néant.
Qui ne s'étonnera maintenant des
vaines difficultés que l'Anonyme me fait « sur le culte extérieur?» Il trouve
étrange « que le culte étant établi pour témoigner les sentiments intérieurs,
j'aie voulu l'obliger à juger de l'extérieur par l'intérieur, c'est-à-dire par
l'intention, « C'est, dit-il, confondre l'ordre naturel des choses (1). » Il
ajoute après cela que M. de Condom a tort de prétendre « que ce qu'il déclare de
l'intention de l'Eglise le mette en droit de réduire les marques extérieures
d'honneur qu'on rend aux saints, au sens qu'il lui plaira de leur donner. Ce
n'est pas assez, poursuit-il, d'une telle déclaration pour changer l'usage
commun des expressions et la signification naturelle des signes. »
Ne dirait-on pas à l'entendre que les génuflexions et les
autres signes de cette sorte, signifient naturellement les honneurs divins; ou
que c'est moi qui ai entrepris de les réduire à un autre
1 P. 63.
139
sens de ma propre autorité, sans que l'Eglise s'en soit
expliquée? Mais le contraire est certain. On peut voir et dans nos conciles et
dans notre profession de foi ce que nous servons comme Dieu, et ce que nous
honorons comme créature. Que sert donc à l'Anonyme de nous reprocher qu'un Turc,
un païen, un Américain, enfin ceux de sa religion ne connaîtront rien dans notre
culte ; et qu'à juger des choses par l'extérieur, « ils prendront les saints
pour autant de dieux? » Sans doute ils pourront entrer dans cette pensée, s'ils
ne cherchent qu'un prétexte pour nous quereller, sans jamais vouloir ni ouvrir
nos livres, ni nous entendre parler de notre religion. Mais quelle erreur de
s'imaginer qu'on puisse reconnaître à la contenance des hommes ce qu'ils servent
ou ce qu'ils adorent! Les païens qui nous verront, catholiques et protestants,
lever les yeux au ciel et si l'on veut du côté de l'Orient, adon la coutume des
anciens, pourront croire que nous adorons le soleil et les astres. Une semblable
raison persuadait aux Gentils que les Juifs adoraient le soleil ou les nues.
D'autre côté à les voir prosternés si humblement devant l'arche, les idolâtres
accoutumés à s'attacher grossièrement à l'objet sensible, auraient pu s'imaginer
qu'ils terminaient leur adoration, ou bien à l'arche elle-même, ou à quelque
chose qui était dedans, ou aux chérubins qui étaient dessus. On ne peut détruire
de pareils soupçons que par la parole, et en exposant le fond de la religion.
Quelqu'un des Orientaux à qui on aurait appris dès son enfance à regarder son
roi comme une divinité, aurait pu croire, à en juger par l'extérieur, que David
prosterné devant Saül lui rendait un semblable hommage. Il aurait fallu lui
expliquer que la chose ne se prenait point de cette sorte parmi les Juifs, et
que c'est l'usage public qui fait valoir plus ou moins ces signes extérieurs.
Ainsi un prétendu réformé sera tout à fait injuste, si pour faire la différence
des honneurs que nous rendons au dehors à Dieu et aux saints, il ne consulte
avant toutes choses l'usage et la profession solennelle de notre religion.
140
Voilà ce que nous pouvons
répondre aux prétendus réformés touchant l'extérieur de la religion, en
raisonnant avec eux sûr les principes qui nous sont communs. Mais nous avons
outre cela des raisons particulières qui nous mettent à couvert de leur
objection: car outre que nous rendons à Dieu ces déférences extérieures dons un
esprit et une intention qui les distinguent de toutes celles que nous rendons à
quelque autre que ce soit, on sait encore que nous avons une cérémonie
particulière qui enferme le souverain hommage de la religion, et qui ne peut
jamais avoir que Dieu pour objet. Nous avons un sacrifice dont nous ferons voir
ailleurs la sainteté, et dont il nous suffit maintenant de dire, que selon
toutes les maximes de notre religion, il ne peut être offert qu'à Dieu seul.
Nous fondons la nécessité de ce sacrifice sur la distinction qu'il faut faire
entre Dieu et la créature. Il est juste, disons-nous, que la créature honore
l'Auteur de son être et de sa félicité d'une façon toute singulière,
non-seulement au dedans, mais au dehors. Il est donc juste aussi que ce premier
être se soit réservé quelque marque de déférence qui ne soit que pour lui seul.
Nos réformés ne devraient pas nier cette vérité; puisqu'ils nous reprochent
comme un crime de rendre les mêmes hommages extérieurs an Créateur et aux
créatures, ils semblent exiger de nous que nous réservions à Dieu quelque marque
d'honneur tout à fait incommunicable. Les prosternements ne le sont pas ; et
parmi les manières de se prosterner, il n'y en a point de si humiliante ni de si
profonde, qu'on ne fasse quelquefois pour les créatures. Dieu ne l'a point
défendu ; et il veut bien avoir des honneurs qui lui soient communs à
l'extérieur avec les anges et avec ses autres ministres, tels que sont les
prophètes et les rois. Mais non content qu'on lui rende les mêmes respects dans
un autre esprit, il a vu que pour nous apprendre à mieux distinguer sa grandeur
de toutes les autres, il fallait qu'il consacrât à son honneur une action
extérieure qui eût pour son objet propre la reconnaissance et l'adoration
141
de sa Majesté infinie. Cette action, c'est le sacrifice, où
on lui offre quelque chose avec des cérémonies qui marquent expressément qu'il
est le seul de qui tout dépend. Cette action, du consentement de tous les
peuples du monde, est réservée à la Divinité. Les Juifs, qui n'adoraient qu'un
seul Dieu, n'ont sacrifié qu'à un seul; ceux qui ont eu plusieurs dieux, en
multipliant la Divinité, ont étendu par la même erreur l'action du sacrifice.
Ainsi tout le genre humain est d'accord que la seule Divinité est capable de
recevoir cet honneur. Nous offrons tous les jours à Dieu un sacrifice que les
prétendus réformés ne veulent pas reconnaître : mais ils ne peuvent nier que
nous ne l'offrions et que nous ne croyions tous unanimement qu'il ne doit être
offert qu'a Dieu seul. Ils savent que le concile de Trente l'a ainsi
expressément déterminé ; ils en ont vu le décret dans l’Exposition, et
nous repasserons dessus en son lieu. Ils nous demandent souvent si de même que
nous reconnaissons une espèce d’adoration relative, nous ne pourrions pas aussi
reconnaître une espèce de sacrifice relatif qui s'offrit à la créature par
rapport à Dieu. Tous les auteurs répondent que non, parce que le sacrifice est
un culte qui par son institution est consacré à représenter ce qui est dû à la
souveraine Majesté de Dieu considérée en elle-même. Ainsi telle est la nature du
sacrifice, qu'il attribue toujours la Divinité à celui à qui on l'offre : et
nous l'attachons tellement à Dieu considéré en lui-même, que même nous ne
croyons pas qu'on le puisse offrir à Jésus-Christ en tant qu'homme; car en cette
qualité il est la victime et ne peut être celui à qui on immole : tant cette
action est auguste et incommunicable, tant le mystère en est saint et la
signification relevée.
Ainsi et le sacrifice, et tout
ce qui s'y rapporte appartient à Dieu privativement à tout autre. Il n'y a que
Dieu qui ait des prêtres; il n'y a que Dieu qui ait des autels; il n'y a que
Dieu qui ait des temples, parce que comme le temple est pour l'autel, et l'autel
pour le sacrifice, aussi le sacrifice est pour Dieu, et jamais ne peut être
offert qu'à la Majesté incréée.
Combien donc est-il injuste de
nous accuser de rendre à Dieu et aux créatures un même genre de culte, puisque
outre que nous
142
avons des actes intérieurs qui ne regardent que Dieu, nous
avons une cérémonie particulière et tout à fait incommunicable, c'est-à-dire le
sacrifice, qui par son institution et par le consentement du genre humain, n'a
pour but que de reconnaître le seul Etre indépendant et la seule Puissance
absolue!
Ainsi nous regardons les
génuflexions comme choses qui peuvent être communes entre Dieu et la créature.
La cérémonie du sacrifice est celle qui fait proprement la distinction, et les
apôtres nous ont appris cette différence. Quand des peuples idolâtres
s'approchèrent pour sacrifier à Paul et à Barnabé, ils rejetèrent cet honneur
avec exécration : « Alors, comme nous lisons dans les Actes, ils déchirèrent
leurs habits, et courant au-devant du peuple ils leur criaient : Hommes,
pourquoi faites-vous ces choses? Nous sommes des mortels semblables à vous, qui
venons vous enseigner à quitter ces choses vaines, pour tourner votre cœur au
Dieu vivant qui a fait le ciel et la terre (1)» On ne voit point de tels
mouvements, ni de tels cris quand on se prosterne simplement devant eux. Saint
Pierre voit Cornélius à ses pieds; et sans détester cette action comme un culte
d'idolâtrie (car il savait que ce pieux centurion était trop éloigné d'un tel
excès), il se contente de le relever en lui disant humblement et modestement : «
Levez-vous, je suis un homme comme vous (2). » Saint Paul et Silas en font
encore moins quand ce geôlier se jette à leurs pieds (3). Saint Paul ne déchire
pas ici ses vêtements; il ne se fâche ni il ne s'écrie, comme il avait fait dans
le sacrifice qu'on lui avait préparé : il regarde cet homme à ses pieds, sans
qu'il paraisse qu'il s'en inquiète , ou qu'il lui dise le moindre mot pour l'en
retirer. Ils savaient que les serviteurs de Dieu avaient souvent reçu de pareils
honneurs…
Mais, disent nos réformés, vous
ne sortirez pas si aisément d'un si mauvais pas. Ce n'est point un honneur de
civilité, ou quelque
1 Act., XIV, 13, 14. — 2 Act., X, 25, 26. — 3
Act., XVI, 29.
143
autre sorte de devoirs humains que vous voulez rendre aux
anges et aux saints. C'est un honneur de même nature, de même ordre et de même
genre que celui que vous rendez à Dieu, puisque vous-mêmes vous l'appelez un
honneur religieux. L'Anonyme nous reproche que nous offrons aux créatures des
prières religieuses, un honneur et un culte religieux; que nous en faisons
l'objet de notre religion, et que c'est ce que Dieu défend. Il faut avoir, selon
lui, pour la mémoire des saints, « de la vénération et du respect, mais point de
religion, pas même les termes (2) » parce que Dieu seul doit être l'objet de
notre religion, et qu'il n'y doit avoir de culte religieux, de quelque nature
qu'il puisse être, que pour Dieu seul.
M. Noguier nous fait le même
reproche (2); enfin M. Daillé et tous les ministres ne cessent de nous opposer
ce terme de religieux. Mais la bonne foi demandait qu'on en distinguât
auparavant les significations différentes. Car d'abord il est constant parmi
tous les chrétiens, catholiques et protestants, que Dieu seul est le propre
objet de la religion, et que les choses n'appartiennent à la religion qu'autant
qu'elles ont de rapport à Dieu; et il est encore certain, comme nous avons déjà
dit, que la religion se peut prendre, ou dans un sens plus étroit pour le cuite
qu'on rend à Dieu considéré en lui-même, ou dans un sens plus étendu pour toutes
les choses qui ont rapport à la religion et qui lui appartiennent. Les saints ne
peuvent pas être l'objet de la religion ; cela n'appartient qu'à Dieu, et tous
les chrétiens en sont d'accord : mais l'honneur qu'on tend aux saints, quel
qu'il soit (car les protestants ne nient pas qu'il ne leur soit dû quelque
honneur), a quelque chose de religieux, parce que, comme on les honore pour
l'amour de Dieu, c'est aussi la religion qui est le motif de tous leurs honneurs
et Qui les règle. Voilà l'équivoque démêlée et l'objection évanouie, si peu que
nos réformés regardent nos sentiments d'un œil équitable. Mais afin de ne leur
laisser aucun embarras, je veux leur faire entendre deux de leurs auteurs, qui
leur exposeront plus au long ce qui se dit ordinairement dans leur religion, et
nous leur dirons «près de quoi nous convenons avec eux.
1 Anon., p. 50, chap. IV; p. 22, 47, 73, etc., p. 58,83.—
2 P. 34, etc., p. 42-44, etc.
144
Drelincourt, célèbre ministre de Charenton, avait fait un
livre De l'honneur qui est dû à la sainte et bienheureuse Vierge ; et
comme il avait dit, ce qu'aucun chrétien ne peut nier, qu'elle était digne d'un
grand honneur, M. l'évêque de Belley lui demanda de quelle nature était cet
honneur ; il lui fit une réponse fort exacte selon les principes de sa religion,
et nous y lisons ces paroles : « On distingue ordinairement entre l'honneur
religieux et le civil : si on prend à la rigueur le mot de religieux, selon qu'à
parler proprement et exactement, la religion signifie ce qui lie nos âmes à
Dieu, et qui contient les règles de son service : en... (a). »
(a) Bossuet n'a pas transcrit la suite du passage; la voici
« Et qui contient les règles de son service : en ce sens il n'y a que Dieu seul
à qui on puisse rendre un honneur religieux : mais si le mot de religieux
se prend en une signification plus ample et plus étendue, non-seulement pour ce
qui est de l'essence de la religion, mais aussi pour tout ce qui en découle et
qui en dépend ; et si on appelle honorer d'un honneur religieux les choses que
nous honorons pour l'honneur de Dieu, qui les emploie en son service et à la
célébration de ses mystères, ou qui les remplit de ses grâces et les couronne de
sa gloire : eu ce sens j'avoue qu'il y a certaines choses, lesquelles encore
qu'on ne les invoque, et ne les adore point, néanmoins on les vénère et on les
honore religieusement. Par exemple, l'arche de l'alliance n'était pas invoquée
ni adorée par les enfants d'Israël : mais elle ne laissait pas de leur être en
vénération, parce que Dieu lui-même l'avait ordonnée pour être le symbole de sa
grâce et faveur, et qu'il s'y manifestait d'une façon particulière. Il en est de
même de l'eau du Baptême, et du pain et du vin de la sainte Cène. Car encore que
nous n'adorions point ces choses-là, et que nous n'en croyions point la
transsubstantiation, nous n'avons garde de les confondre avec de l'eau, et du
pain et du vin commun, et que l'on emploie en des usages profanes : mais à cause
de leur usage religieux et sacré, nous les honorons religieusement comme les
types et les mémoriaux de Jésus-Christ et les sceaux de sa grâce. En ce sens je
ne ferai nulle difficulté de dire que l'honneur que nous rendons à la sainte et
bienheureuse Vierge est saint et religieux.
» Je distingue aussi l'honneur civil : car comme il y a
deux sortes de cités, il y a aussi deux espèces, mais plutôt deux degrés
d'honneur civil. Il y a la cité d'ici-bas, qui comprend tous les saints et
fidèles qui combattant encore sous l'enseigne de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
dont aussi elle est appelée militante. Et il y a la cité d'eu haut, la Jérusalem
céleste, qui contient tous ceux que Dieu a couronnés de gloire et d'immortalité
; c'est pourquoi elle est appelée triomphante. Si on restreint l’honneur civil à
l'honneur qui se rend aux fidèles qui conversent ici-bas, j'avoue qu'il serait
du tout ridicule de dire que nous honorons la bienheureuse Vierge d'un honneur
civil : mais si on l'étend à l'honneur qui se rend aux bourgeois et habitants de
la cité céleste du Dieu vivant, ou peut fort bien et fort à propos appeler
honneur civil l'honneur que nous rendons à la sainte Vierge, puisque c'est la
première, la plus noble et la plus élevée do toutes les créatures qui triomphent
dans cette glorieuse cité. » (Réponse à M. l’évêque de Belley, 1642, p.
65 et suiv.)
Ces paroles dévoient être suivies d'un passage de Vossius,
que nous donnons
145
Telle est la doctrine du célèbre
Vossius. On voit qu'il ne s'explique pas tout à fait de même que le ministre
Drelincourt, qui trouve qu'il n'y a point de difficulté à dire que l'honneur
qu'on rend à la sainte et bienheureuse Vierge, est saint et religieux en un
certain sens. C'est ce sens qui est rapporté, et n'est pas suivi par Vossius.
Mais la différence est légère ; et ils sont d'accord dans le fond, c'est-à-dire,
comme il l'explique lui-même, en tant que le mot de religieux se prend
pour « tout ce qui découle et qui dépend de la religion. » Car Drelincourt avoue
que l'honneur qu'on rend aux saints peut être appelé civil dans le sens de
Vossius; et Vossius niera-t-il que les honneurs, qui selon lui-même sont des
actes de religion, ne puissent en un certain sens être appelés religieux? Que
deviendrait donc le passage qu'il nous
tout de suite : « At quid aliud est cultus, quàm honor ab
inferiori debitus et prestitus superiori ? ad superiores verò referimus etiam
animas beatas. Quicumque enim ad triumphantem Ecclesiam translati, ii per
gratiam divinam evecti sunt ad sublimiorem locum ac diguitatem, quàm qui in
militanti hàc cum peccato etiamnùm conflictantur. Quare sanctos etiam à morte
honorandos agnoscimus : quodque superiùs de cultu angelico diximus, eum
extendere se ad intellectum, voluntatem et actus exteriores ; idem non inviti,
dùm commode capiatur, de beatorum cultu fatemur Verùm cultus iste non gradibus
solùm, sed tota specie ab divino distat : cùm prœcellentia Creatoris infinitis
sit partibus major quàm ullius creaturae..., ut non tam pars sit cultus divini
quàm effectus, quia cultus sanctorum ex Dei cultu promanat. Utrumque cultum
dici, agnoscit etiam beatus Augustinus, lib. X De Civit. Dei, cap. 1...
Possumus sic utrumque hune cultum distinguere, ut ille Dei dicatur religiosus at
cultum sanctorum dicere ficeat officiosum ; quandò nostri est officii diligere
et honorare imprimis eos qui in coelis regnant. Possumus et civilem vocare, cùm
una sit Dei civitas, illa civium in coelis et haec in terris... Dixerit aliquis,
honorem esse civilem, quandô homines colimus in terris ob potestatem,
nobilitatem, partas de hoste victorias, eruditionem etiam, aliaque id genus,
quae causa? sunt civiles : disparem verô rationem esse eorum, quos colimus ob
causas supernaturales; uti quia Deum videant, etc...; exindè autem consequi,
cultum quem mens religiosa praestat animis beatis, non civilem, sed religiosum
dici oportere. Atqui profectô sic nec cultus erit civilis, qui regi praestatur à
piis hominibus, quia sit propter Dei mandatum et conscientiam. Satius igitur est
laxiùs civilis, strictiùs religiosi nomine uti : puta ur religiosus cultus Dei
sit proprius alter autem cultus, qui creaturœ debetor, civilis vocetur... Malim
uno cultus officiosi aut civilis, aut alio nomine comprehendere observantiam
beatas animae, et viri sancti in terris, imò et Caesaris gentiUs; quàm tam latè
extendere appellationem cultus religiosi, ut continent venerationem Dei et
animae beatae. In causa potissimùm est, quôd ut nulla est proportio inter Deum
mûnitum et opus ejus finitum; ita etiam cùm cujusque rei excellentiae suus
respondeat honor, invocatio Dei et observantia sanctorum totà distent naturâ. At
cultus, quo sanctos colimus in terris degentes, non specie, sed gradu duntaxat,
ab eo difiert, quo veneramur illos in cœlum receptos... » (De Idololat.
lib. I, cap. XLII, p. 154 et seq.)
146
rapporte lui-même, où saint Jacques appelle du nom de
religion la visite des orphelins et des veuves? En tout cas Sa difficulté est
peu importante ; et les hommes auront bien envie de se quereller, s'ils se
brouillent pour de telles choses.
Cette petite diversité que les
prétendus réformés peuvent remarquer parmi leurs auteurs dans l'usage du terme
de religion, se rencontre aussi parmi les nôtres. Nos théologiens
demandent si l'honneur qu'on rend aux saints appartient à la vertu de religion,
ou à quelque autre vertu qui lui soit toutefois subordonnée. Les uns disent que
cet honneur appartient plutôt à une autre vertu qu'à la religion, parce qu'il se
rend à des créatures. Les autres disent qu'il appartient plutôt à la religion
qu'à quelque autre vertu que ce soit, parce qu'il se rapporte à Dieu et que
c'est la religion qui le dirige. Mais l'un et l'autre sentiment supposent un
même principe, que les prétendus réformés ne veulent pas croire que nous
entendions, encore qu'il soit certain que tous nos théologiens en soient
d'accord, qui est que la religion est une vertu dont le propre objet c'est Dieu
seul. De sorte qu'à la définir par son objet propre, elle ne sera autre chose
que l'acte de notre esprit qui se soumet au premier Etre, et s'attache à lui de
toutes ses forces par un amour véritable.
Mais comme ce premier Etre doit
être la fin de toutes les actions humaines, le motif de la religion s'étend à
tout, et en ce sens tous les devoirs de la vie chrétienne ont quelque chose de
religieux et de sacré. Car peut-on dire, par exemple, que ce ne soit un acte de
religion que d'exercer la miséricorde, elle qui vaut mieux que les victimes? Et
qu'y a-t-il de plus religieux que la charité Maternelle, que nous voyons
préférée à tous les holocaustes avec l'approbation de Notre-Seigneur? Que si le
respect qu'on rend aux princes et aux magistrats n'avait quelque chose de
religieux et de sacré, saint Paul aurait-il dit, comme il a fait, qu'il leur
faut obéir non-seulement pour la crainte, mais encore pour la
147
conscience? En un mot, toute la vie chrétienne est pleine
de religion et de piété. Tout y est religieux, parce que tout y est animé par la
charité, qui est le sacrifice continuel par lequel nous ne cessons de vouer à
Dieu tout ce que nous sommes.
Il faut même qu'on avoue que
parmi les créatures qu'on honore pour l'amour de Dieu, il y en a qui sont liées
à la religion d'une façon plus particulière que les autres. Telles sont les
créatures qu'on honore, comme disait Vossius, «par un motif surnaturel, » par
exemple, les esprits bienheureux. Sans doute l'honneur qu'on leur rend est
dérivé de bien plus près de la religion, que celui qu'on rend aux rois. Car un
homme sans religion, ou qui n'aurait pas encore appris qu'il faut honorer les
rois pour l'amour de Dieu, ne laisserait pas de les honorer pour conserver
Tordre du monde. Pour ce qui regarde les saints, le motif de la religion entre
toujours dans les honneurs qu'on leur rend, parce qu'on les honore précisément
comme de fidèles serviteurs de Dieu, qu'il a sanctifiés par sa grâce et qu'il
fait éternellement heureux en leur communiquant sa gloire. Ainsi l'honneur qu'on
leur rend est lié plus intimement à la religion et a un rapport plus particulier
avec le service de Dieu, que celui qu'on rend aux Césars. Vossius assurément ne
le nierait pas. Que si Drelincourt lui représentait qu'il y a même des créatures
inanimées « que Dieu emploie à son service et à la célébration de ses mystères,
» telle qu'était l'arche d'alliance dans l'Ancien Testament, telle que sont
l'eau du Baptême, le pain et le vin de la Cène dans le Nouveau, ne lui
avouera-t-il pas que ces choses doivent être en vénération, et même « qu'on les
vénère et qu'on les honore religieusement à cause de leur usage religieux et
sacré. » Il faudra donc qu'il accorde qu'en considérant toutes les sortes
d'honneurs qu'on peut rendre aux créatures, on trouvera quelque chose de plus
religieux dans l’honneur qu'on rend à celles qui étant spécialement consacrées à
Dieu, ont un rapport essentiel à la religion.
Si on demande maintenant «de
quel ordre, de quel rang sont ces choses, personne ne répondra qu'elles sont du
rang des choses profanes. On les mettra sans difficulté dans le rang des choses
saintes. Mais c'est autre chose d'être saint par son essence, comme
148
Dieu ; autre chose d'être saint comme une chose que Dieu
sanctifie, ou comme une chose qui est appliquée à des usages sacrés. La sainteté
de Dieu rejaillit en quelque manière sur toutes les choses qui en approchent;
elle les sanctifie et les consacre. Il en est de même de la religion. Elle
s'attache à Dieu comme à son objet; mais elle s'étend en un certain sens sur
toutes les choses qui son! spécialement consacrées à son service. Ainsi la
vénération qu'oc a pour elles n'ayant point d'autre motif que la religion, en ce
sens on ne peut douter qu'elle ne soit religieuse.
Si toutefois quelques-uns, par exemple Vossius, font
scrupule de parler ainsi, nous entendons bien leur pensée ; et Vossius lui-même
nous l'explique assez. Si on considère ses paroles, on verra que par les
honneurs religieux il entend au fond les honneurs divins : il ne veut pas qu'on
rende aux anges « un honneur religieux, parce que, dit-il, nous ne les
reconnaissons pas pour le principe de notre être et de notre salut, » Non est
cultus ille religiosus, quia non agnoscimus angelos ut principium aut originis
aut salutis nostrœ (2). Il déclare conformément à cette pensée, qu'il ne
refuse pas aux saints toute sorte d'honneur, a mais seulement celui qui est
excessif et propre à Dieu.» On voit clairement par ces paroles, que parles
honneurs religieux au fond il entend les honneurs divins. En ce sens il a
«raison de réserver à Diei seul l'honneur religieux. Non-seulement Drelincourt
et les prétendus réformés, mais encore tous les catholiques lui accorderont sur
cela ce qu'il demande. Il y a un culte a qui est propre à Dieu, i qu'on ne peut
rendre à la créature sans idolâtrie; et c'est celui par lequel on reconnaît le
principe de son être et de son bonheur, C'est là le propre objet et le propre
exercice de la religion. Aucun des catholiques ne révoque en doute cette vérité,
et en renfermant dans ces bornes l'honneur religieux, nous avouons qui Dieu seul
en est capable.
Ainsi je ne vois plus sur cette
matière aucun sujet de dispute.
1 Lib. V, cap. IX.
149
puisque personne ne dit parmi nous que la créature puisse
être l'objet de la religion, et que personne ne nie parmi les prétendus réformés
qu'il n'y ait plusieurs créatures qui ont un rapport particulier à l'objet de la
religion, c'est-à-dire à Dieu.
L'honneur qu'on rend à ces
créatures n'est point religieux par lui-même, parce qu'elles ne sont pas Dieu.
Mais personne ne peut nier qu'il ne s'y mêle quelque chose de religieux, parce
qu'on les honore pour l'amour de Dieu, ou plutôt que c'est Dieu même qu'on
honore en elles.
L'Anonyme et M. Noguier pourront
voir maintenant le tort qu'ils ont, d'avoir tiré contre nous tant de
conséquences fâcheuses sur ce terme de religieux. M. Noguier a prétendu
que j'ai prononcé ma condamnation, lorsque j'ai dit dans l’Exposition que
l'honneur qu'on rend aux saints pouvait en un certain sens être appelé
religieux : donc, dit-il, ace sera une adoration; donc l'honneur qu'on rend
aux saints sera d'un même ordre que celui qu'on rend à Dieu » Les prétendus
réformés, qui entendent de telles choses de la bouche d'un ministre, se trouvent
embarrassés et croient que j'ai égalé par quelque endroit la créature au
Créateur. Ils ne considèrent pas que cette difficulté qu'on fait tant Valoir est
fondée sur une équivoque. Car au fond qu'ai-je dit dans l'Exposition ?
J'ai dit « que si l'honneur qu'on rend à la sainte Vierge et aux saints, peut
être appelé religieux, c'est à cause qu’il se rapporte nécessairement à
Dieu. » Drelincourt en a dit autant, sans que personne l’en ait repris dans la
nouvelle réforme. Et si M. Noguier est assez injuste pour censurer une
expression innocente, qu'il me permette de lui demander ce qu'il penserait
l'honneur des saints, s'il n'était pas religieux au sens
que j'ai c'est-à-dire s'il n'était pas rapporté à Dieu. Faisons, par exemple,
que l'honneur des saints ne soit pas religieux en ce sens, c'est-à-dire qu'il ne
soit pas un rejaillissement sur les saints l'honneur qu'on rend à leur Maître :
M. Noguier, qui ne peut nier que les saints ne soient dignes de quelque honneur,
approuvera-t-il qu'on leur rende un honneur qui n'ait rien de religieux, et qui
ne se rapporte à Dieu en aucune sorte? L'honneur qu'on
1 Nog., p. 44.
150
leur rendra, quel qu'il soit, en sera-t-il meilleur ou
plus, raisonnable, parce qu'il ne sera plus rapporté à Dieu et qu'on les
honorera pour l'amour d'eux-mêmes? Au contraire ce serait alors que cet honneur
commencerait d'être blâmable, parce qu'il nous ferait reposer sur la créature :
par conséquent ce qui le rend légitime et saint, c'est à cause qu'il est
religieux au sens que j'ai dit et qu'il se rapporte à Dieu. Loin d'avoir ;
confondu par là le Créateur et la créature, comme il semble que M. Noguier l'ait
voulu entendre, j'en ai marqué au contraire la différence la plus essentielle,
puisqu'il n'y a rien de si éloigné ni de si essentiellement différent que ce
qu'on honore pour l'amour de soi, et ce qu'on honore pour l'amour d'un autre.
Que si tout l'honneur qu'on rend
aux saints est de nature à se rapporter nécessairement à Dieu; si la religion en
est le principe, et que personne par conséquent ne puisse nier qu'il ne soit
religieux en ce sens, l'Anonyme ne devait pas défendre si sévèrement d'user de
ce terme. Il veut bien aller pour les saints «jusqu'à la vénération et au
respect. » Mais, dit-il, « qu'on n'y mêle point de religion, pas même les termes
(1). » Certainement c'est bien peu entendre la religion, que de la mettre en de
telles choses. Un terme qui a plusieurs sens, doit être expliqué avant que de
condamner celui qui s'en sert. Saint Augustin, aussi scrupuleux que l'Anonyme à
ne point rendre à la créature les honneurs divins, n'a pas craint de dire « que
les chrétiens fréquentent les mémoires ou les tombeaux des martyrs, avec une
solennité religieuse. » Il n'a pas prétendu déroger par là à la maxime qu'il a
si bien établie, que la religion nous unit au seul Dieu vivant, et qu'il ne faut
point mettre sa religion dans le culte des hommes morts. Si les honneurs qu'on
rend aux martyrs ou à leurs tombeaux ont quelque chose de religieux, c'est à
cause qu'ils se rapportent à l'honneur de Dieu. Quand l'Anonyme refuserait d'en
croire saint Augustin, lui fera-t-il son procès comme à un idolâtre, à cause
qu'il lui aura vu employer le terme de religieux en un sens si innocent?
Du moins sommes-nous certains que Dieu en jugera autrement, et qu'il fera sentir
sa justice à ceux qui dans une matière
1 Anon., p. 83.
151
si sérieuse auront fait tant de bruit sur des mots
équivoques.
Que Messieurs les prétendus
réformés examinent donc dans le tond les sentiments que nous avons pour les
saints, et qu'ils voient s nous en croyons quelque chose qui soit au-dessus de
la créature : mais qu'ils ne pensent pas nous accabler par le seul terme de
religieux, dont le sens est si innocent et si approuvé parmi eux-mêmes; dont
il est certain, outre cela, que le concile de Trente ni notre profession de foi
ne se servent pas, et que j'ai aussi soutenu plutôt pour défendre en général
l'innocence du langage humain que pour aucune raison qui fût particulière au
langage de l'Eglise.
Que si cette chicane de mots
était retranchée de nos controverses , on verrait s'évanouir tout à coup une
infinité d'objections , qui ne font peine à résoudre que parce qu'on en a
beaucoup à perdre le temps à expliquer des équivoques. Par exemple , que ne
dit-on point sur le terme d’adoration? Les ministres font le procès au second
concile de Nicée et à plusieurs auteurs ecclésiastiques «anciens et modernes; »
pour avoir dit qu'on peut adorer les anges, les saints, leurs reliques et leurs
images : tous leurs livres sont pleins de ces objections. L'Anonyme et M.
Noguier ne reprochent rien à l'Eglise avec tant de force. Daillé répète sans
cesse que les catholiques adorent des choses inanimées, et ignorent le précepte
qui ordonne de n'adorer que Dieu seul. Mais ce même Daillé qui est des premiers
à nous reprocher ce terme, avoue qu'il est équivoque et qu'il n'a pas toujours
la même force. « L'interprète latin de la sainte Ecriture, » (c'est-à-dire
l'auteur de la Vulgate, ) « a employé, dit-il, le mot d'adorer pour
signifier un honneur de civilité humaine, et s'en est servi dans les lieux où on
raconte que les saints hommes se sont prosternés jusqu'à terre, selon la coutume
de l'Orient, devant les âges qui leur paraissaient en forme humaine et qu'ils
prenaient pour des hommes (1). »
1 Dall., Adv. Lat. trad., lib. I,
cap. V, p. 19 ; lib. III, cap. XXIX, p. 518, 519; lib. IV, cap. I, p. 587
et alibi passim ; lib. III, cap. XXXII, p. 537.
152
Je ne sais pourquoi il dit en
termes si généraux, que ces anges adorés dans la Genèse et ailleurs, n'étaient
pris que pour des hommes. Car encore que d'abord ils parussent tels, ils se
faisaient à la fin connaître ; et il est certain, quoi qu'il en soit, qu'on ne
les aurait que plus honorés en les prenant pour ce qu'ils étaient, c'est-à-dire
pour des esprits bienheureux envoyés de la part de Dieu.
Ce terme d'adorer ne
s'applique pas seulement aux anges : et on raconte partout dans l'Ecriture des
adorations rendues aux rois, aux prophètes et en un mot à tous ceux qu'on veut
beaucoup honorer.
Cette ambiguïté n'est pas
seulement dans le latin. Le grec des Septante, et même l'original hébreu, ont en
ces endroits le même mot, dont on se sert pour signifier l'honneur et
l'adoration qu'on rend à Dieu.
Quand ce terme se trouve employé
pour les créatures, les ministres veulent ordinairement qu'il se prenne pour un
honneur de civilité humaine. Qu'importe, pourvu qu'ils accordent que l'Ecriture
se sert du mot d'adorer pour marquer le respect qu'on rend non-seulement à Dieu,
mais aux créatures, soit qu'on les honore pour des raisons humaines, comme les
rois; soit que ce soit pour cause de religion, comme les anges et les prophètes.
Mais il faut aussi qu'on m'avoue qu'il ne faut pas si vite faire le procès au
second concile de Nicée; et que si on trouve ou dans ce concile ou dans d'autres
auteurs ecclésiastiques qu'il faille adorer les images, ou les reliques, ou les
saints, ou la croix de Notre-Seigneur, ou son sépulcre, on ne doit plus
dorénavant s'en formaliser jusqu'à croire que par là on leur attribue l'honneur
qui est dû à Dieu.
Aubertin nous a sauvés de tous
ces reproches, et tout ensemble il nous a fait voir que si on trouve dans
quelque Père qu'il faille adorer les saints, et dans d'autres qu'il ne faille
pas les adorer, il ne faut pas croire pour cela qu'ils se contredisent. Car il
montre que le même auteur, et un auteur très-exact dans les matières de
théologie, c'est-à-dire saint Grégoire de Nazianze, qui dit sans difficulté
qu'on peut adorer les reliques, qu'on peut adorer
153
la crèche, j'ajoute qui dit qu'on peut adorer les rois et
leurs statues, ne laisse pas de dire souvent qu'on ne peut adorer que Dieu. Ce
n'est pas que ce grand docteur et ceux qui ont parlé comme lui aient varié dans
leurs sentiments : mais ils prennent le mot d'adorer en différentes
façons, n'y attachant quelquefois que les idées de respect et de soumission, et
quelquefois y en joignant d'antres qui le rendent incommunicable à tout autre
qu'au Créateur. Le terme de mérite et de méritoire, ceux de prier
et d'invoquer souffrent de semblables restrictions. C'est autre chose de prier
quelqu'un de nous donner quelque grâce, autre chose, de le prier de nous
l'obtenir de celui qui en est le distributeur. Le mérite que nous donnons aux
saints n'est ni celui que leur attribuaient les pélagiens, ni celui que nous
attribuons nous-mêmes à Jésus-Christ. Il y a une infinité de pareilles
ambiguïtés dans nos controverses ; et ces ambiguïtés de mots qui ne sont rien
quand on veut s'entendre, causent d'effroyables difficultés quand l'aigreur et
la précipitation se mêlent dans les disputes. Les prétendus réformés ne peuvent
se justifier d'être tombés sur ce sujet dans un grand excès.
Mais celui d'eux tous qui a
poussé le plus loin cette dispute de mots, c'est sans doute ce M. Daillé tant
vanté par l'Anonyme (1). En voici un exemple étrange sur l'équivoque du mot de
Divus que quelques-uns ont donné aux saints. On pourra voir par ce seul
exemple combien ce ministre était appliqué à nous chicaner sur tout. Il rapporte
lui-même un passage du cardinal Bellarmin, où il déclare qu'il « n'a jamais
approuvé le mot de Divus ni de Diva, lorsqu'il s'agit de parler
des saints, tant à cause qu'il ne trouve pis cette expression, parmi les Pères
latins, qu'à cause que ce terme parmi les païens ne signifie que les dieux (2).
» Bellarmin a raison d'improuver ce terme, qui n'est point du tout
ecclésiastique. Il a été introduit dans le dernier siècle par ces savants
humanistes, qui font scrupule d'employer des mots qu'ils ne trouvent pas dans
leur Cicéron ni dans leur Virgile. Le respect qu'ils ont eu pour l'ancien latin,
leur a fait rechercher les expressions que le changement de la religion, du
gouvernement et des mœurs a laissées
1 Dall., Adv. Lat. trad. lib.
III, cap. XXX, p. 523.— 2 Ibid.
154
inutiles dans cette langue ; et ils les ont appropriées le
mieux qu'ils ont pu à notre usage. C'est de là que nous est venu le mot de
Divus. « Les Latins, » nous dit Daillé, c'est-à-dire les catholiques « se
servent beaucoup de ce mot, principalement ceux qui ont écrit avec plus
d'érudition, comme Juste-Lipse (1). » Il a raison; ce sont ces savants qui se
sont le plus servis de ce mot, et ils y ont insensiblement accoutumé les
oreilles. Il n'a pas tenu à ces savants curieux de la pure latinité qu'on
n'allât encore plus avant : le même Daillé prend la peine de remarquer les
endroits où les saints sont appelés dieux, Dii, par un Paul Jove, par un
Bembe, par un Juste-Lipse (2). Le zèle pour le vieux latin nous a amené ces
expressions : tout est perdu si en lisant Bembe ou quelque autre auteur du même
goût, on ne croit pas lire un ancien Romain, plein de ses dieux, de ses
magistrats et de toutes les coutumes de sa république ; et Juste-Lipse qui s'est
moqué d'une si basse affectation, n'a pu s'en garantir tout à fait : tant
l'ancienne latinité a transporté les esprits. Le mot de Divus ayant
commencé par une telle affectation, a eu insensiblement une grande vogue.
Quoique l'usage de l'Eglise ne lait point reçu, qu'il ne soit guère ni dans ses
décrets ni dans ses prières (a), et que Bellarmin ait eu raison de le rejeter,
mille auteurs moins exacts que lui s'en sont servis sans scrupule, aussi bien
que sans mauvais dessein.
Les catholiques ne sont pas les
seuls qui l’ont employé. Dans le recueil des Confessions de foi, fait et
imprimé à Genève, nous voyons tout un synode, tenu en Pologne par les
protestants, qui dit qu'on s'assemblait les matins dans les temples de la
"sainte Vierge, divœ Virginis; et encore, que le 25 août est consacré à
saint Barthélemi, divo Bartholomœo sacra (3). Cependant Daillé nous fait
de ceci une affaire de religion. Si on se sert du mot de divus, dont les
saints Pères ne se servent pas, c'est qu'on a, selon ce ministre, d'autres
sentiments sur les saints, c'est qu'on les croit des dieux, et qu'on leur donne
une espèce de divinité. Bellarmin trahit sa religion, quand il improuve ce mot.
« Sa modestie est
1 Dall., Adv. Lat. trad. lib.
III, cap. XXX, p. 523. — 2 Ibid. — 3 Synod. Torn.,
Syntag. Conf. fid., II part., p. 240, 242.
(a) Note marg. : Il est dans le concile de Trente
une fois on deux.
155
fausse, sa sagesse est ridicule et impertinente, » parce
qu'il rejette un mot que l'Eglise ne reçoit pas, et qu'un mauvais usage fiche
d'introduire ; ce cardinal fait aux saints « une grande injure, » quand il ne
les appelle simplement que bienheureux, beatos, au lieu de les appeler
divos : « c'est comme si on appelait baron ou marquis celui qui est honoré
de la qualité de duc. » Voilà les sentiments de ce ministre, qui ne méritent
d'être remarqués qu'afin qu'on voie les excès où s'emporte un homme possédé du
désir de contredire. Enfin il conclut par ces paroles : Pour moi, dit-il, « qui
dois avec les anciens qu'on ne peut honorer les saints, comme bit l'Eglise
romaine, sans leur donner quelque sorte de divinité, j'ai raison de rejeter ce
mot de Divus comme profane et impie. Si je m'en sers quelquefois dans
cette dispute (et j'avoue que je m'en sers fort souvent), je ne parle point en
cela selon ma pensée, nais selon le sentiment de mes adversaires; et je déclare
que je le fais de peur de rien oublier qui serve à rendre leur cause odieuse
autant qu'elle est mauvaise. »
Ainsi les prétendus réformés
sont bien avertis que leurs ministres n'épargnent rien pour nous décrier. Les
choses, les expressions, soit qu'on les approuve parmi nous, soit qu'on les
rejette, tout leur est bon, pourvu qu'ils nous nuisent et qu'ils rendent notre
doctrine odieuse. Ils se laissent tellement emporter au désir qu'ils ont de
contredire nos auteurs, que s'ils y trouvent quelque expression qui les choque,
ils ne veulent pas seulement songer à l'idée qui y répond dans l'esprit de celui
qui parle. On nous attaque dans cet esprit, et il ne faut pas s étonner après
cela si on nous chicane tant sur des mots.
Laissons ces vaines disputes et
venons au fond des choses. Un peu de réflexion sur quelques-unes de celles qui
nous ont été accordées, nous va découvrir des principes certains pour régler ce
qui regarde le culte de Dieu, et le séparer de celui qui peut convenir aux
saints.
Les prétendus réformés nous
demandent où nous avons pris ce genre d'honneur particulier que nous croyons
pouvoir rendre à notre qu'à Dieu, et toutefois pour l'amour de lui. Pourquoi
nous le demander, s'ils en conviennent eux-mêmes; et s'ils nous ont
156
accordé qu'outre l'honneur « qui est dû à Dieu, » et celui
qui est « purement civil, » il faut reconnaître encore une troisième sorte de
« vénération, distincte de l'un et de l'autre, qui est due aux choses sacrées ?
»
Ce principe est tellement tenu
pour indubitable parmi eux, qu'ils n'en ont point trouvé d'autre pour résoudre
les objections tirées des saints Pères sur l'adoration de l'Eucharistie.
Aubertin a prétendu qu'en demeurant pain et vin, et sans être considérée comme
le corps adorable de Notre-Seigneur, elle a pu recevoir un genre d'honneur qui
ne fût, ni l'honneur suprême qui est dû à Dieu, ni aussi un honneur purement
civil.
Les autres ministres raisonnent
de la même sorte : et celui qui a composé depuis peu l’Histoire de
l’Eucharistie fort estimée dans son parti, avoue que le communiant
représenté par saint Cyrille de Jérusalem, s'approche du calice ayant « le corps
courbé en forme d'adoration ou de vénération. Mais il faut entendre, dit-il, la
posture que prescrit ce Père, non d'un acte d'adoration mais de la vénération et
du respect que l'on doit avoir pour un si grand sacrement (1). » Je le veux ;
car ce n'est pas mon intention de disputer ici de l'Eucharistie. Enfin il est
donc certain, selon les prétendus réformés, qu'on peut rendre à une créature,
telle qu'est selon eux le Saint-Sacrement, un certain genre d'honneur, qui sans
doute ne sera pas purement civil, puisqu'il se trouve mêlé nécessairement dans
un acte de religion, tel qu'est la réception de l'Eucharistie.
Nous avons vu que cet honneur dû
aux choses sacrées, qui selon Aubertin ne peut pas être un honneur purement
civil, est même appelé religieux en un certain sens par Drelincourt ; il
apporte l'Arche d'alliance parmi les exemples des choses qu'on peut « honorer
religieusement ; » et il en dit autant de l'eau du Baptême, du pain de la Cène,
« Nous n'avons garde, dit-il, de les confondre avec de l'eau et du pain commun ;
mais à cause de leur usage religieux et sacré, nous les honorons religieusement
comme les types et les mémoriaux de Jésus-Christ, » etc.
Voilà donc cet honneur des
choses sacrées, qui n'est ni l'honneur
1 Hist. de l'Euch., III part., p. 548. Amst., 1669.
157
de la Divinité, ni un honneur purement civil, reconnu
manifestement dans la nouvelle Réforme. Entre les choses sacrées, qu'y a-t-il de
plus sacré et de plus dédié à Dieu, que les saints qui sont ses temples vivants?
Aussi voyons-nous que Drelincourt, dans le passage que nous avons rapporté, ne
fait nulle difficulté de dire que l'honneur qu'on rend dans sa religion « à la
sainte Vierge et aux saints, est saint et religieux » au même sens que celui
qu'on rend à l'Arche d'alliance et aux sacrements, c'est-à-dire que cet honneur
rendu aux saints est religieux à cause qu'ils sont honorés, comme dit le même
ministre, « pour l'honneur de Dieu qui les remplit de sa grâce, et les couronne
de sa gloire. »
Que si quelques-uns de nos
réformés, par exemple Vossius, ne veulent pas recevoir cette expression de
Drelincourt, ce ne sera en tout cas qu'une dispute de mots; et au fond trois
choses seront assurées.
La première, que les saints sont
dignes de quelque respect.
La seconde, qu'on les honore,
comme dit Drelincourt, pour l'honneur de Dieu qui les remplit de sa grâce et les
couronne de sa gloire.
La troisième, que l'honneur qui
leur est rendu par ce motif, de quelque nom qu'on l'appelle, ne peut pas être un
honneur purement civil, tel qu'on le rend par exemple aux magistrats; mais que
c'est un honneur d'un autre rang, et à peu près de même nature que celui qu'on
rend aux choses sacrées dans l'une et dans l'autre religion.
Il n'est donc plus question de
chercher le genre d'honneur qui peut être rendu aux saints : il est tout trouvé
et nos réformés en sont d'accord; il ne s'agit que de le rendre à qui il
convient et d'en régler l'exercice. Mais pour procéder encore ici par des faits
constants et positifs avoués dans les deux religions, parmi ces aortes d'honneur
que les prétendus réformés veulent bien qu'on fende aux saints, il y en a une
que je choisirai pour servir de règle à toutes les autres.
Nous en avons déjà touché
quelque chose. Nous avons dit que Daillé, dans son livre contre le culte des
Latins, convient que non-seulement au IVe siècle où selon lui le culte divin
commençait à se corrompre, mais encore dans les premiers siècles, où il prétend
qu'il se conservait en sa pureté, il y avait des jours établis pour célébrer
annuellement dans l'Eglise et dans le service divin la mémoire des saints
martyrs. Il rapporte lui-même pour cela deux lettres de saint Cyprien, qui
vivait au milieu du IIIe siècle, dans l'une desquelles il ordonne qu'on lui
envoie les noms des saints confesseurs qui étaient morts dans les prisons, «
afin, dit-il, que nous célébrions leur mémoire entre les mémoires des martyrs
(1) ; » et dans l'autre il parle ainsi : « Vous vous souvenez, dit-il, que nous
offrons des sacrifices pour Laurentin et Ignace, toutes les fois que nous
célébrons la passion et le jour des martyrs par une commémoration annuelle (2).
»
Que personne ne soit troublé de
ce que dit ici saint Cyprien, qu'on offrait le sacrifice pour les martyrs :
offrir pour un martyr selon le langage ecclésiastique, qui a duré jusqu'à notre
siècle, c'est-à-dire, comme parle ailleurs le même saint Cyprien, « offrir pour
sa mémoire (3). » Et Daillé lui-même dit en ce lieu « que ces sacrifices pour
les martyrs, c'étaient des actions de grâces qu'on rendait à Dieu pour leur
mort, pour leur constance et pour leur salut (4). »
Il n'est pas temps de disputer
de ce sacrifice. Je me contente à présent de ce que ce ministre nous accorde, «
qu'il y avait tous les ans des jours dédiés » à célébrer la mémoire des martyrs,
dès le temps de saint Cyprien. Même en remontant cent ans plus haut, nous
trouverons cette sainte cérémonie en usage; et le même ministre en convient par
ces paroles : « Personne ne doute, dit-il, que cela n'ait été ordinaire parmi
les chrétiens de ces temps-là et même près de cent ans auparavant, comme il
paraît par les Actes du martyre de saint Polycarpe (5).
1 Epist. XXXVII, p. 50. — 2 Epist.
XXXIV, p. 47. — 3 Epist. XXXVII. — 4 Dall., Adv. Lat. trad. lib.
III, cap. III, p. 352. — 5 Lib. I, cap. VIII, p. 40.
159
Il est bon de remarquer ce qui
est porté dans ces Actes, c'est-à-dire, dans cette épître célèbre de l'Eglise de
Smyrne, que Daillé cite toujours comme une pièce vénérable plus encore par sa
sainteté que par son antiquité, « Les fidèles de Smyrne » ayant raconté le
martyre de leur saint évêque qui dans une vieillesse décrépite avait tant
souffert pour Jésus-Christ, ajoutent ces belles paroles : « Nous avons ramassé
ses os plus précieux que les pierreries et plus purs que l'or, et nous les avons
renfermés dans un lieu convenable. C'est là que nous nous assemblerons avec
grande joie, s'il nous est permis (c'est-à-dire si les persécutions ne nous en
empêchent pas); et Dieu nous fera la grâce d'y célébrer le jour natal de son
martyre, tant en mémoire de ceux qui ont combattu pour la foi que pour exciter
ceux qui ont à soutenir un pareil combat (1). »
Saint Polycarpe vivait dans le
IIe siècle de l'Eglise ; il avait vu les apôtres et était disciple de saint
Jean. Nous prions les prétendus réformés de considérer dans une pièce si
authentique et d'une antiquité si vénérable, et dont Daillé ne parle jamais
qu'avec respect : nous les prions, dis-je, d'y considérer ces os des saints
martyrs plus précieux que l'or et les pierreries, ces saintes assemblées qui se
faisaient autour du lieu où était conservé ce riche dépôt, et ce jour natal des
martyrs qu'on célébrait auprès de leurs reliques précieuses.
Daillé n'a pas voulu voir ces
solennités des martyrs dans un passage de Tertullien, que Bellarmin avait cité :
« Nous faisons, dit cet auteur, des oblations annuelles pour les morts et pour
les naissances (2). » Ce ministre assure que « Tertullien parle manifestement de
tous les chrétiens, et non des martyrs (3). » Toutefois il avait appris, par
l'endroit des Actes de saint Polycarpe que nous venons de citer, que ce qu'on
appelait dans l'Eglise le jour solennel de la nativité, n'était pas le jour de
la naissance commune des hommes, mais le jour de la mort victorieuse des
martyrs. Car le jour qui nous fait naître en Adam, dans l'Eglise est un jour
malheureux et non un jour solennel, puisque c'est le
1 Euseb., lib. IV, cap. XV. — 3
Tertull., De Coron., n. 3. — 3 Dall., Adv. Lat. Trad. lib.
I, cap. VIII, p. 39.
160
jour où nous naissons enfants de colère. C'est ce gui fait
dire ces mots à Origène : « Il n'y a que les infidèles qui célèbrent le jour de
leur naissance. Les saints le détestent plutôt; et Jérémie, quoique sanctifié
dans le ventre de sa mère, le maudit (1). » Il allègue pour raison de ce qu'il
avance, que nous naissons tons dans le péché; ce qu'il prouve par divers
passages de l'Ecriture et par le baptême des petits enfants. Tertullien n'a pas
ignoré ce malheur de notre naissance, lui qui a si bien connu « ce premier péché
qui, dit-il, ayant été commis dans l'origine du genre humain et par celui qui en
était le principe, a passé en nature à ses descendants (2). » Ce n'était donc
pas un tel jour que l'Eglise appelait par excellence le jour natal. C'était le
jour où les saints martyrs naissaient dans les cieux par une mort glorieuse.
C'était un langage établi dès le temps de saint Polycarpe : et quoi que puisse
dire M. Daillé, personne ne doutera que Tertullien n'ait parlé dans le même
sens. Mais quand nous n'aurions pas Tertullien pour nous, le fait dont il s'agit
n'en serait pas moins constant; et on avoue dans la nouvelle Réforme, aussi bien
que dans l'Eglise catholique, que c'était un usage reçu dans l'Eglise aussitôt
après les apôtres, d'établir des jours particuliers où on célébrait annuellement
la mort des martyrs qu'on appelait leur naissance.
Que Daillé nous dise tant qu'il
lui plaira que cela n'a rien de commun avec le culte religieux, puisque les
disciples d'Epicure célébraient bien tous les ans le jour de sa mort, et que les
Romains et les Grecs célébraient le jour de leur naissance sans que cette
célébration eût rien de religieux ni de sacré1 : pourquoi ramasser curieusement
des choses qui ne servent de rien à la question? Nous lui avons démêlé par le
sentiment d'un de ses confrères l'équivoque du terme de religieux. Mais
laissant à part les termes, maintenant qu'il s'agit d'établir les choses dont on
est d'accord, il me suffit que Daillé convienne comme d'une chose constante dans
l'une et dans l'autre religion, que dès les temps les plus purs du christianisme
nos pères ont eu des jours solennels où ils
1 Hom. VIII, in Levit., n. 3,
tom. II, p. 229. — 2 De Anima, n. 16. — 3 Lib. I, cap. VIII.
161
célébraient annuellement la mémoire des martyrs, non point
dans des assemblées profanes telles qu'étaient celles des épicuriens, mais dans
les saintes assemblées qu'ils faisaient au nom de Dieu et au milieu de leurs
sacrifices, c'est-à-dire, en quelque manière qu'on veuille entendre ce mot, dans
la partie la plus essentielle du service divin. Je sais que nos réformés ont
corrigé cet usage, osant bien, à la honte du christianisme, étendre leur
réformation jusqu'aux pratiques reçues dans les siècles qu'ils avouent être les
plus purs. Mais leurs frères d'Angleterre n'ont pas été en cela de leur
sentiment, puisqu'on voit encore dans leur liturgie parmi les fêtes qu'on doit
observer, celles des apôtres et de plusieurs saints que nous avons déjà
remarquées.
Je ne prétends pas maintenant
presser les ministres d'entrer eux-mêmes dans cette pratique. Il me suffit
qu'ils la souffrent et qu'ils la tolèrent dans l'église anglicane. Nous avons
par là de leur aveu, que c'est une chose permise et nullement injurieuse à Dieu
d'établir des jours solennels à l'honneur dés saints. Sur ce fondement certain
j'ai deux choses à leur demander.
La première, qu'ils cessent de
nous donner comme une maxime indubitable, que ce qui se fait à l'honneur de
Dieu, sans qu'il nous l'ait expressément commandé dans son Ecriture, est
superstitieux et idolâtre.
C'est la maxime qu'ils ont posée comme le fondement certain
delà Réforme qu'ils ont voulu faire dans le service divin. Luther l'avança le
premier en ces termes marqués par Sleidan : « Il n'appartient à personne
d'établir quelque nouvelle œuvre comme service de Dieu, que lui-même ne l'ait
commandé dans son Ecriture. Cela, dit-il, est défendu par le premier
commandement du Décalogue; et toutes les œuvres de cette nature sont des actes
d'idolâtrie (1). »
Cette maxime de Luther a été
suivie par tous ceux qui se sont dits réformés; et comme j'ai déjà dit, c'est
sur ce seul fondement qu'Us ont retranché du service divin tout, ce qui leur a
semblé n'être point dans l'Ecriture, de quelque antiquité qu'il leur parût.
Cependant cette maxime tant vantée et tant répétée dans leurs
1 Lib. VII, p. 112 et alibi.
162
écrits, se trouve fausse visiblement de leur aveu, puisque
d'un côté ils savent bien que Dieu n'a commandé expressément en aucun endroit de
l'Ecriture d'établir des jours solennels où on célébrât annuellement le jour
natal des martyrs; et que d'autre part ils avouent que cette pieuse cérémonie se
pratiquait en l'Eglise durant ces siècles bienheureux où ils conviennent que
Dieu a été servi purement selon l'esprit de l'Evangile.
La seconde chose que je leur demande, c'est d'avouer qu'il
est louable ou du moins permis d'avoir et de pratiquer, même dans les assemblées
des fidèles, quelque pieuse cérémonie qui marque le respect qu'on a pour les
saints, et qui se fasse publiquement à leur honneur : car nous sommes tous
d'accord que c'est ce qu'on pratiquait dans les siècles les plus purs du
christianisme, lorsqu'on s'assemblait dans les lieux où reposaient les reliques
des martyrs, plus précieuses que l'or et les pierreries; et que le jour de leur
mort devenait un jour sacré, où on célébrait devant Dieu la gloire de leur
triomphe.
Il ne sert de rien de nous
objecter que toute cette cérémonie tendait principalement et directement à
l'honneur de Dieu. Car c'est là précisément ce que nous voulons, qu'une action
qui n'est pas expressément commandée dans l'Ecriture soit néanmoins regardée
comme étant si agréable à Dieu, que même elle puisse entrer dans le service
divin et en faire une partie.
Au reste on se trompe fort, si
on croit que pour suivre les sentiments de l'Eglise catholique, il faille rendre
aux saints un genre d'honneur qui se termine à eux-mêmes. Car elle enseigne au
contraire que le véritable honneur de la créature, c'est de servir à l'honneur
de son Créateur. Ainsi on ne peut faire un plus grand honneur aux martyrs que de
considérer leur victoire comme des miracles de la grâce et de la puissance
divine ; de compter le jour de leur mort (jour précieux et saint, qui a scellé
leur foi et consommé leur persévérance ) comme un jour éternellement consacré à
Dieu ; et de croire que le souvenir de leurs vertus, leurs tombeaux, leurs
saintes reliques et leur nom même soit capable de nous inspirer le désir d'aimer
Dieu et de le servir.
Si les prétendus réformés
approuvent ce genre d'honneur pour
163
les saints, nous leur déclarons hautement que nous n'en
voulons point établir qui soit d'une autre nature. Qu'ils ne nous disent donc
pas que les honneurs que nous faisons aux saints , tendent directement à eux et
non pas à Dieu. Honorer Dieu dans les saints, ou honorer les saints pour l'amour
de Dieu, ce sont choses équivalentes. Il n'y a rien dans les saints qui puisse
nous arrêter tout à fait. Leur nom même nous élève à Dieu ; et ce qui les fait
nommer saints, c'est qu'ils ne respirent que sa gloire. Ainsi l'honneur qu'on
leur rend, de sa nature se rapporte à Dieu ; et c'est plutôt l'honneur de Dieu
que l'honneur des saints, puisque lorsqu'on pense à eux, ce sont les grandeurs
de Dieu et les merveilles de sa grâce qu'on a toujours principalement dans la
pensée.
C'est aussi la raison précise
pour laquelle nous mêlons les honneurs des saints dans le service divin, car
nous voyons dans les saints Dieu qui leur est toutes choses, qui est leur force,
leur gloire et l'objet éternel de leur amour.
Nous avons donc trouvé sans
beaucoup de peine, et de l'aveu des prétendus réformés, le genre d'honneur qu'on
peut rendre aux saints. Nous avons trouvé dans les jours de fêtes dédiés à leur
honneur un acte de respect, qui sans être exprimé dans la loi de Dieu, ne laisse
pas d'être jugé bon et digne d'être mêlé dans le service divin, parce que
l'honneur de Dieu, qui est la fin delà loi, en est le premier et le principal
motif.
Sur cet acte tenu pour pieux
dans l'une et dans l'autre religion, nous allons régler tous les autres ; et cet
exemple, certainement approuvé, nous fera juger des articles qui sont en
contestation. De là je tire cette règle, qui doit passer maintenant pour
indubitable dans l'une et dans l'autre religion, que les honneurs qu'on rend aux
saints, sans être exprimés dans la loi de Dieu, ne laissent pas toutefois d'être
permis et louables, pourvu que l'honneur de Dieu, qui est la fin de la loi, en
soit toujours le premier et le principal motif. Tel est le principe général qui
doit régler le culte divin selon les prétendus réformés, aussi bien que selon
nous. Venons maintenant au particulier, et sur ce principe commun examinons les
articles qui sont en contestation.
Mais il est bon auparavant de
reprendre en peu de paroles les choses qui ont été dites.
Nous avons établi des faits
constants qui doivent décider la controverse du culte de Dieu et des saints.
Il paraît avant toutes choses
qu'on ne peut pas seulement penser que les saints soient parmi nous des
divinités; car on n'a jamais ouï parler qu'on ait reconnu des divinités vraiment
et proprement dignes de ce nom avec cette idée distincte, qu'elles fussent
tirées du néant.
Si les saints ne sont pas des
dieux dans notre pensée, on ne peut pas imaginer comment nous leur pourrions
rendre des honneurs divins.
On nous objecte que les honneurs
que nous leur rendons, ne sont pas honneurs divins dans notre pensée, mais
qu'ils le sont en effet. C'est ce qui ne fut jamais, et ce qui ne peut jamais
être. Nous avons vu que tous ceux qui ont rendu à quelqu'un les honneurs divins,
l'ont senti et l'ont connu, et l'ont voulu faire. Et nous avons vu aussi que
ceux qui les ont rendus à la créature, ont brouillé l'idée de la créature avec
celle du Créateur. Nous ne brouillons point ces idées, nous ne connaissons que
Dieu seul qui soit de lui-même ; nous ne mettons dans les saints aucune
perfection que Dieu ne leur ait donnée ; nous n'attribuons la création à aucun
autre qu'à lui; et nous détestons les ariens, qui ont fait créateur le Fils de
Dieu, celui qu'ils ont appelé créature. Nous n'avons nulle fausse idée de la
nature divine. Nous ne croyons pas que par elle-même elle soit inaccessible pour
nous, comme croyaient ces adorateurs des anges; ou qu'aucun autre que Dieu
veille plus sur nous que Dieu même, ou puisse avoir une connaissance plus
immédiate de nos vœux et de nos besoins. En un mot, nous croyons de Dieu, Père,
et Fils, et Saint-Esprit, ce qu'il en faut croire. Ainsi il est impossible que
par quelque endroit que
165
ce soit, nous égalions avec lui la créature, que nous
regardons comme tirée du néant par sa parole.
On ne peut pas même, sur ce
sujet-là, nous imputer de fausses croyances, tant notre foi est certaine et
déclarée. Mais on nous chicane sur des mots dont la signification est douteuse,
ou sur des marques extérieures d'honneur aussi équivoques que les mots. Nous
avons démêlé ces équivoques par des principes certains, dont les prétendus
réformés sont convenus avec nous. Nous avons fait voir que les marques
extérieures d'honneur reçoivent, comme les mots, leur sens et leur force de
l'intention et de l'usage public de ceux qui s'en servent. S'il y a quelque
sorte de cérémonie, qui par le consentement commun du genre humain soit
consacrée à reconnaître la Divinité dans sa souveraine grandeur, telle qu'est le
sacrifice, nous la réservons à Dieu seul. Pour ce qui est des cérémonies qui
peuvent avoir un sens ambigu, c'est-à-dire qui peuvent être communes à Dieu et à
la créature, par exemple les génuflexions et autres de même genre, nous
déterminons clairement par notre profession publique la force que nous leur
donnons; et bien loin de les qualifier ou de les tenir des honneurs divins,
quand nous les exerçons envers quelques créatures, nous prenons les reproches
qu'on nous en fait pour la plus sensible injure que nous puissions recevoir. Et
afin qu'on ne se joue pas sur le terme de religieux, nous déclarons que si on
prend pour la même chose honneurs religieux et honneurs divins, il n'y a point
d'honneurs religieux pour les saints; que si on appelle religieux les honneurs
que nous leur rendons parce que nous les honorons pour l'amour de Dieu, ou que
nous croyons l'honorer lui-même quand nous l'honorons dans ses serviteurs, nous
avons assez fait voir l'innocence de cette expression ; et il n'y a rien de plus
juste que de demander, comme nous faisons, qu'en cela on juge de nos sentiments
par notre confession de foi, c'est-à-dire par le fond même de notre doctrine.
Ainsi la difficulté devrait dès
à présent être terminée ; et avant que d'en venir au particulier des actes
intérieurs ou extérieurs par lesquels nous honorons les saints, on devrait tenir
pour constant qu'il n'y a aucun de ces actes qui élève ces bienheureux
166
esprits au-dessus de la créature, puisqu'enfin nous les
mettons dans ce rang et que nous savons parfaitement où ce rang les met.
Nous avons toutefois passé plus
avant ; et pour ne laisser aucun prétexte de nous accuser à ceux qui nous
demandent sans cesse d'où vient que nous faisons tant d'honneur aux saints, qui
ne sont après tout que des créatures, nous leur avons demandé ce qu'ils en
pensent eux-mêmes, et s'ils jugent les serviteurs de Dieu indignes de tous
honneurs. Que si cette pensée leur fait horreur, s'ils croient avec raison que
c'est déshonorer le Seigneur même que de dire que ses serviteurs ne méritent
aucun honneur parmi les hommes : que pouvons-nous faire de plus équitable et de
plus propre à terminer les contestations que nous avons avec nos frères, que de
choisir les honneurs qu'ils permettent qu'on rende aux saints, pour juger sur ce
modèle de ceux qu'ils improuvent? C'est ce que nous avons fait. Nous leur
donnons pour exemple les fêtes des saints, qu'ils reconnaissent avec nous dans
la plus vénérable antiquité, et qu'ils permettent encore aujourd'hui à leurs
frères d'Angleterre. Si cet honneur rendu aux saints ne leur semble pas
condamnable parce que Dieu en est le premier et le principal motif, l'Eglise
catholique leur a déclaré dans tous ses conciles que, par tous les honneurs
qu'elle rend aux saints, elle ne songe pas tant à les honorer qu'à honorer Dieu
en eux, et que c'est pour cette raison que leurs honneurs font une partie du
culte qu'elle rend à Dieu, qui est admirable en ses saints.
En faudrait-il davantage pour
terminer cette controverse? Et toutefois je consens de n'en demeurer pas là. Je
m'en vais examiner dans tout notre culte, les actes particuliers que nos
réformés y reprennent : et afin de suivre toujours la même méthode que je me
suis proposée, j'établirai par des faits constants qu'il n'y a rien de si mal
fondé, que de dire que les honneurs que nous rendons aux saints pour l'amour de
Dieu, sont injurieux à sa gloire et ressentent l'idolâtrie.
Il y a trois actions principales
où la nouvelle Réforme condamne notre culte comme plein de superstition et
d'idolâtrie : la première, c'est l'invocation des saints ; la seconde, c'est la
vénération des reliques; la troisième est celle des images. Ce dernier point,
167
qui choque le plus les prétendus réformés, aura sa
discussion particulière : nous allons traiter les deux autres; et la suite fera
paraître la raison que nous avons eue de les mettre ensemble (a).
(a) Bossuet n'a traité, dans les Fragment relatifs à
l’Exposition, que du culte des images.
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