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TROISIÈME FRAGMENT.
DE LA SATISFACTION DE JÉSUS-CHRIST.
On ne nous accuse de rien moins
en cette matière que d'anéantir la croix de Jésus-Christ et les mérites infinis
de sa mort Ce que j'ai dit sur ce sujet en divers endroits de cette réponse
ferait cesser ces reproches, si ceux qui s'attachent à nous les faire étaient
moins préoccupés contre nous. Faisons un dernier effort pour surmonter une si
étrange préoccupation, en leur proposant quelques vérités dont ils ne peuvent
disconvenir et qu'ils paraissent disposés à nous accorder.
Mais s'ils veulent que nous
avancions dans la recherche de la vérité, qu'ils ne croient pas avoir tout dit,
quand ils auront répété sans cesse que Jésus-Christ a satisfait suffisamment et
même surabondamment pour nos péchés; et que l'homme, quand même on supposerait
qu'il serait aidé de la grâce, ne peut jamais offrir à Dieu une satisfaction
suffisante pour les crimes dont il est chargé. Il ne s'agit pas de savoir si
quelque autre que Jésus-Christ peut offrir à Dieu une satisfaction suffisante
pour les péchés; mais il s'agit de savoir si, parce que le pécheur n'en peut
faire une suffisante, il est exempté par là d'en faire aucune, et si l'on peut
soutenir que nous ne devions rien faire pour contenter Dieu et pour apaiser sa
colère, parce que nous ne pouvons pas faire l'infini. J'avoue sans difficulté
que le pécheur qui se fait justice à lui-même, sent bien en sa conscience
qu'ayant offensé une majesté infinie, il ne peut jamais égaler par une juste
compensation la peine qu'il a méritée ; mais plus il se voit hors d'état
d'acquitter sa dette, plus il fait d'efforts sur lui-même pour entrer, autant
qu'il peut, en paiement : pénétré d'un juste regret d'avoir péché contre son
Dieu et contre son Père, il prend contre lui-même le parti de la justice divine;
et sans présumer qu'il puisse lui rendre ce qu'elle a droit d'exiger, il punit
autant qu'il
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peut ses ingratitudes en s affligeant par des jeûnes et par
d'autres mortifications. Qui pourrait condamner son zèle?
Mais de quoi, dira-t-on, se
met-il en peine? Jésus-Christ a fait sienne toute la dette, et a payé pour lui
surabondamment. Quelle erreur de s'imaginer que Jésus-Christ ait payé pour nous,
afin de sous décharger de l'obligation de faire ce que nous pouvons ! Selon ce
raisonnement, parce qu'il aura pleuré nos péchés, nous ne serons plus obligés à
les pleurer; parce qu'il aura gémi pour nous, nous serons exempts de
l'obligation de crier à Dieu miséricorde; et sous prétexte qu'il nous aura
rachetés de la peine éternelle que nous méritions, nous croirons être déchargés
de toutes les peines par lesquelles nous pouvons nous-mêmes punir nos
ingratitudes! Ce n'est pas ce qu'ont cru les saints pénitents, qui ont vécu et
sous la Loi et sous l'Evangile. Certainement ils n'ignoraient pas que les peines
qu'ils souffraient dans les jeûnes et sous les cilices n'égalaient pas la peine
éternelle qui était due à leurs crimes; et encore qu'ils n'attendissent leur
rédemption que par les mérites du Sauveur, ils ne s'en croyaient pas pour cela
moins obligés d'entrer pour ainsi dire dans les sentiments de la justice divine
contre eux-mêmes. Ainsi parce qu'il est juste que le pécheur superbe soit
abaissé, ils se couchaient sur la cendre; parce qu'il est raisonnable que ceux
qui abusent du plaisir en soient privés et soient même assujettis à la douleur,
ils s'affligeaient par le cilice et par le jeûne. C'est pourquoi Dieu exigeait
de son peuple au jour solennel de l'Expiation, non-seulement que le cœur fût
serré de douleur par la pénitence, mais encore que le corps fût affligé et
abattu par le jeûne, parce qu'il est juste que le pécheur prévienne, autant
qu'il est en lui, la vengeance divine en vengeant sur lui-même ses propres
péchés.
De là est née cette règle que les saints Pères suivaient
avec tant d'exactitude, et qui était, pour ainsi dire, l’âme de leur discipline
, qu'il est juste qu'on soit plus ou moins privé des choses que Dieu a permises,
à mesure qu'on s'est plus ou moins permis celles qu'il a défendues. On voit, en
conséquence de cette règle, les pénitents affligés se retirer pendant le cours
de plusieurs années des plaisirs les plus innocents, passer les nuits à gémir,
se macérer
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par des jeûnes et par d'autres austérités, parce qu'ils se
croyaient obligés de faire une semblable satisfaction à la justice divine.
Ces maximes de pénitence suivies
dans les siècles les plus purs, attirent la vénération même des prétendus
réformés. Je trouve en effet que l'Anonyme, qui m'attaque si vivement sur ce
point , est contraint de louer lui-même l'ancienne sévérité qu'on gardait dans
la pénitence, et d'attribuer à la « corruption des temps le changement qui a été
fait dans la rigueur de la discipline, dont on ne s'est, dit-il, que trop
relâché (1). » Voilà ce qu'il a écrit avec une approbation authentique des
ministres de Charenton. Que s’il demeure d'accord de louer et d'admirer avec
nous « cette ancienne rigueur de la discipline, » il ne faut plus que considérer
sur quoi elle est appuyée. Saint Cyprien nous le dira presque dans toutes les
pages de ses écrits; et l'on doit croire qu'en écoutant saint Cyprien, on entend
parler tous les autres Pères, qui tiennent tous unanimement le même langage.
Ce saint évêque, illustre par sa
piété, par sa doctrine et par son martyre, ne cesse de s'élever contre ceux «qui
négligent de satisfaire à Dieu qui est irrité, et de racheter leurs péchés par
des satisfactions et des lamentations convenables. » Il condamne la témérité de
ceux a qui se vantent, dit-il, faussement d'avoir la paix, avant que d'avoir
expié leurs péchés, avant que d'avoir fait leur confession, avant que d'avoir
purifié leur conscience par le sacrifice de l'évêque et par l'imposition de ses
mains, avant que d'avoir apaisé la juste indignation d'un Dieu irrité qui nous
menace (2). Il se met ensuite à expliquer que cette satisfaction, sans laquelle
on ne peut apaiser Dieu, s'accomplit par des jeûnes, par des veilles
accompagnées de saintes prières et par des aumônes abondantes, déclarant qu'il
ne peut croire qu'on songe sérieusement à fléchir un Dieu irrité, quand on ne
veut rien retrancher des plaisirs, des commodités, ni de la parure. Il veut
qu'on augmente ces saintes rigueurs à mesure que le péché est plus énorme, «
parce qu’il ne faut pas, dit-il, que la pénitence soit moindre que la faute (3).
»
1 Anon., p. 155. — 2 Epist. LIV, ad Corn., p. 77 et
seq. et alibi. — 2 De Lapsis, p. 192.
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Que si les prétendus réformés
pensent que cette satisfaction, tant louée par saint Cyprien et par tous les
Pères, regarde seulement l'Eglise, ou l'édification publique, comme l'Anonyme
semble le vouloir insinuer, ils n'ont qu'à considérer de quelle sorte s'est
expliqué ce saint martyr dans les lieux que nous venons de produire. On verra
qu'il y établit l'obligation de subir humblement les peines que nous avons
rapportées, non sur la nécessité d'édifier le public ou de réparer les
scandales, encore que ces motifs ne doivent pas être négligés, mais sur la
nécessité d'apaiser Dieu, de faire satisfaction à sa justice irritée et d'expier
les péchés en les châtiant ; de sorte qu'il ne regarde pas tant les oeuvres de
pénitence auxquelles il assujettit les pécheurs, comme publiques, que comme
dures à souffrir et capables par ce moyen de fléchir un Dieu qui veut que les
péchés soient punis.
Et pour montrer que ces peines
que les pénitents dévoient subir avaient un objet plus pressant encore que celui
de réparer les scandales que les péchés publics causaient à l'Eglise, le même
saint Cyprien veut que ceux qui n'ont péché que dans leur cœur ne laissent pas
d'être soumis aux rigueurs de la pénitence. Il loue la foi de ceux qui n'ayant
pas consommé le crime, mais ayant seulement songé à le faire, a s'en confessent
aux prêtres de Dieu simplement et avec douleur, leur exposent le fardeau dont
leur conscience est chargée, et recherchent un remède salutaire pour des
blessures légères (1). » Il les appelle légères en comparaison de la
plaie que fait dans nos consciences l'accomplissement actuel du crime; mais il
n'en veut pas moins pour cela que ceux qui n'ont péché que de volonté se
soumettent aux travaux de la pénitence, de peur, dit ce saint évêque, que ce qui
semble manquer au crime, » parce qu'il n'a pas été suivi de l'exécution, « y
soit ajouté d'ailleurs, si celui qui l'a commis néglige de satisfaire. »
C'est ainsi qu'il traite ceux
dont le crime s'est arrêté dans le seul dessein. Puis continuant son discours,
il les presse de a confesser leurs péchés pendant qu'ils sont encore en vie,
pendant que leur confession peut être reçue, que leur satisfaction peut plaire à
Dieu, et que la rémission des péchés donnée par les prêtres
1 De Lapsis, p. 190.
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peut être agréée de lui. » Qui ne voit qu'il s'agit, non
d'édifier les hommes, mais d'apaiser Dieu; non de réparer le scandale qu'on a
causé à l'Eglise, mais de faire satisfaction à la Majesté divine pour l'injure
qu'on lui a faite? C'est pourquoi saint Cyprien oblige à cette satisfaction ceux
mêmes qui n'ont péché que dans le cœur, parce que Dieu étant offensé parées
péchés de volonté, aussi bien que par les péchés d'action, il faut l'apaiser par
les moyens qui sont prescrits généralement à tous les pécheurs , c'est-à-dire en
prenant contre nous-mêmes le parti de la justice divine, comme parlent les
saints Pères, et punissant en nous ce qui lui déplaît.
Si quelqu'un avait dit à saint
Cyprien que Jésus-Christ est mort pour nous, afin de nous décharger d'une
obligation si pressante et d'éteindre un sentiment si pieux, quel étonnement lui
aurait causé une pareille proposition? Rien n'eût paru plus étrange, dans cette
première ferveur du christianisme, que d'entendre dire à des chrétiens que
depuis que Jésus-Christ a souffert pour eux, ils n'ont plus rien à souffrir pour
leurs péchés. Et certes, si la croix du Fils de Dieu les a déchargés de la
damnation éternelle, il ne s'ensuit pas pour cela que les autres peines que Dieu
leur envoie, ou que l'Eglise leur impose, ne doivent plus être regardées comme
de justes punitions de leurs désordres. Ces punitions, je le confesse, ne sont
pas égales à nos démérites ; mais pour cela cesseront-elles d'être peines, et
craindrons-nous de les nommer telles parce que nous en méritons de plus
rigoureuses? Que si elles sont des peines que nous méritons, d'autant plus que
même nous en méritons de beaucoup plus grandes, pourquoi ne voudra-t-on pas que
nous les portions dans le dessein de satisfaire, comme nous le pourrons, à la
justice divine, et d'imiter en quelque manière par cette imparfaite satisfaction
celui qui a satisfait infiniment par sa mort?
Ainsi l'on voit clairement que
la croix de Jésus-Christ, bien loin de nous décharger d'une telle obligation,
l'augmente au contraire et la redouble, parce qu'il est juste que nous imitions
celui qui n'a paru sur la terre que pour être notre modèle : si bien que nous
demeurons après sa mort plus obligés que jamais à faire,
191
pour contenter sa justice, ce qui convient à notre
faiblesse, comme il a fidèlement accompli ce qui appartenait à sa dignité.
C'est en ce sens que le concile
de Trente a enseigné que les peines que nous endurons volontairement pour nos
péchés nous fendent conformes à Jésus-Christ, et nous font porter le caractère
de sa croix. Mais M. Noguier n'a pas raison pour cela de faire dire ta concile «
que nos souffrances sont vraies satisfactions comme celles de Jésus-Christ même
» Cette manière de parler est trop odieuse, et renferme un trop mauvais sens
pour être soufferte. S'il appelle vraie satisfaction celle qui se fait d'un cœur
véritable et avec une sincère intention de réparer le mal que nous avons fiât
autant qu'il est permis à notre faiblesse, en ce sens nous dirons sans crainte
que nos satisfactions sont véritables. Que si par une vraie satisfaction il
entend celle qui égale l'horreur du péché, combien de fois avons-nous dit que
Jésus-Christ seul pouvait en offrir une semblable ? Qu'on cesse donc désormais
de faire dire au concile a que les souffrances que nous endurons sont de vraies
satisfactions comme celles de Jésus-Christ, D Jamais l'Eglise n'a parlé de cette
sorte. Ce n'est pas ainsi qu'on explique cette conformité imparfaite que des
pécheurs tels que nous peuvent avoir avec leur Sauveur; au contraire il faut
reconnaître deux différences essentielles entre Jésus-Christ et nous : l'une,
que la satisfaction qu'il a offerte pour nous à son Père est d'une valeur
infinie, et qu'elle égale le démérite du péché ; l'autre, qu'elle a toute sa
valeur par sa propre dignité, au lieu que nos satisfactions sont infiniment
au-dessous de ce que méritent nos crimes, et qu'elles n'ont aucune valeur que
par les mérites de Jésus-Christ même; c'est-à-dire-que tout imparfaites qu'elles
sont, elles ne laissent pas d'être agréables au Père éternel, à cause que
Jésus-Christ les lui présente. Elles servent à apaiser sa juste indignation,
parce que nous les lui offrons au nom de son Fils : « Elles ont, dit le concile,
leur force de lui; » c'est en lui qu'elles sont offertes et par lui qu'elles
sont reçues.
Qui peut croire que cette
doctrine soit injurieuse à Jésus-Christ? Il n'y a certes qu'une extrême
préoccupation qui puisse s'emporter
1 Nog., p. 121.
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à un tel reproche. Aussi voyons-nous que les saints Pères
ont enseigné cette obligation d'apaiser Dieu et de lui faire satisfaction en
termes aussi forts que nous, sans jamais avoir seulement pensé qu'une doctrine
si sainte put obscurcir tant soit peu les mérites infinis de Jésus-Christ, ou
faire tort à la grâce que nous espérons en son nom.
Que si les prétendus réformés
pensaient affaiblir cette doctrine des Pères, en disant qu'ils ont pratiqué ces
rigueurs salutaires de la pénitence, plutôt pour faire haïr les péchés que pour
les punir; ils montreraient qu'ils n'entendent ni les sentiments des Pères, ni
l'état de la question dont il s'agit en ce lieu. Car nous convenons sans
difficulté que les peines que l'Eglise impose aux pécheurs, étant infiniment
au-dessous de ce qu'ils méritent, elles tiennent beaucoup plus de la miséricorde
que de la justice, et ne servent pas tant à punir les crimes commis qu'à nous
faire appréhender les rechutes. Mais nos adversaires se trompent, s'ils croient
que ces deux choses soient incompatibles, puisqu'au contraire elles sont
inséparables, et que c'est en punissant les péchés passés qu'on inspire une
crainte salutaire de les commettre à l'avenir.
C'est pour cela que le concile
veut qu'on mesure, autant qu'il se peut, la pénitence avec la faute, et parce
que l'ordre de la justice l'exige ainsi, et parce qu'il est utile aux pécheurs
d'être traités de la sorte. J'ai produit ailleurs les passages où il enseigne
cette doctrine; et il ne fait en cela que suivre les Pères, qui enseignent
perpétuellement qu'il faut imposer aux plus grands péchés des peines plus
rigoureuses, tant afin d'inspirer par là plus d'horreur pour les rechutes, qu'à
cause que la justice divine irritée par de plus grands crimes doit être aussi
apaisée par une satisfaction plus abondante.
Appelle-t-on réformer l'Eglise
que de lui ôter ces saintes maximes? Est-ce, encore une fois, la réformer que de
lui ravir le moyen de faire appréhender les rechutes à ses enfants trop
fragiles, et de leur apprendre à venger eux-mêmes par des peines salutaires les
détestables plaisirs qu'ils ont trouvés dans leurs crimes? Si c'est là ce qu'on
appelle réformer l'Eglise, jamais il n'y eut de siècle où ou eût plus
besoin de réformation que celui
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des persécutions et des martyres. Jamais on n'a prêché avec
plus de force la nécessité d'apaiser Dieu, et de lui faire satisfaction par des
pratiques austères et pénibles à la nature. Cet abus de réprimer les pécheurs
par de sévères châtiments et par une discipline rigoureuse, n'a jamais été plus
universel. Ce n'est point pour les derniers siècles qu'il faut établir la
réformation : il la faut faire remonter plus haut, et la porter aux temps les
plus purs du christianisme.
Que si les prétendus réformés
ont honte de cet excès, et ne peuvent pas s'empêcher de louer les pratiques et
les maximes que h pieuse antiquité a embrassées dans l'exercice de la pénitence
; ai les ministres de Charenton approuvent de bonne foi ce qu'a écrit l'Anonyme,
lorsqu'il parle du relâchement de l'ancienne rigueur de la discipline, comme
d'une corruption que la suite des temps a introduite; nous pouvons dire que la
question de la satisfaction est vidée, et qu'il n'y a plus qu'à prononcer en
notre faveur.
Aussi n'y a-t-il rien de plus
vain, ni qui se soutienne moins que ce qu'on m'a objecté sur cette matière; et
j'ose dire que mes adversaires ne me combattent pas plus qu'ils ne combattent
eux-mêmes leurs propres maximes.
L'Anonyme objecte à l'Eglise
qu'elle se contredit elle-même, lorsqu'elle dit d'un côté, que Jésus-Christ a
payé le prix entier de notre rachat, et d'autre côté que la justice de Dieu, et
un certain ordre qu'il a établi veulent que nous souffrions pour nos péchés (1).
»
Quelle apparence de
contradiction peut-on imaginer en celât Est-ce nier la puissance absolue du
Prince que de dire qu'en pouvant remettre la peine entière, il a voulu en
réserver quelque partie, parce qu'il a cru qu'il serait utile au coupable même
de ne le faire pas tout d'un coup sortir des liens de la justice, de crainte
qu'il n'abusât de la facilité du pardon? Qui ne voit au contraire que c'est une
suite de la puissance d'agir plus ou moins, selon qu'il lui plaît, et qu'il faut
la laisser maîtresse de son application et de son usage? Pourquoi donc ne
peut-on pas dire, sans blesser les mérites de Jésus-Christ et son pouvoir
absolu, qu'il
1 Anon., p. 109.
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réserve ce qu'il lui plaît dans l'application qu'il en fait
sur nous? Cela devrait-il souffrir la moindre difficulté? Mais pour n'en laisser
aucune, voyons ce qu'on nous accorde.
On nous accorde que la damnation
éternelle n'est pas la seule peine du péché ; mais qu'il y en a beaucoup
d'autres que Dieu nous fait sentir même dans ce monde. Car on convient que le
pécheur, qui veut être heureux sans dépendre de son Auteur, mérite d'être
malheureux et en cette vie et en l'autre, et dans un temps infini, pour avoir
été rebelle et ingrat envers une Majesté infinie.
Ainsi les maladies et la mort
sont la juste peine du péché d'Adam. Dieu a exercé sa vengeance, en envoyant le
déluge, en faisant tomber le feu du ciel, en désolant par le glaive les villes
de ses ennemis. Toutefois nous sommes d'accord que toutes ces peines et toutes
celles qui finissent avec le temps, ne répondent pas à la malice du péché. La
peine éternelle est la seule qui en égale l'horreur, parce qu'elle est infinie
dans sa durée ; de sorte que les autres maux, que nous avons à souffrir dans le
temps, sont des peines et véritables et justes, mais non des peines égales à
l'énormité de notre crime.
On convient encore sans
difficulté que la peine, en tant qu'elle est éternelle, ne se peut remettre à
demi, parce que l'éternité est indivisible et qu'il n'en reste rien du tout,
quand elle ne reste pas tout entière. Ainsi la rémission des péchés est toujours
pleine et toujours parfaite à cet égard; et l'on doit tenir pour constant que la
peine qui répond proprement au crime, c'est-à-dire celle qui l'égale, ne souffre
point de partage.
Il n'en est pas de même des
peines temporelles. Dieu les unit quelquefois avec la peine éternelle, et
quelquefois il les en sépare. Dans les pécheurs impénitents, qui ont péri dans
le déluge et dans l'embrasement de ces cinq villes maudites, on voit la peine
éternelle attachée à la suite de la temporelle : on voit aussi qu'entre la mort
et les maladies et les autres peines semblables du péché d'Adam, que nous
ressentons encore après qu'il nous est remis par Jésus-Christ, il y a des peines
spéciales que Dieu envoie aux pécheurs, même après qu'il leur a pardonné leur
crime.
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Cette vérité n'est pas contestée, et l’on avoue que David
fut puni rigoureusement de son péché après en avoir obtenu la rémission.
Toutefois il faut essuyer ici
une petite subtilité. Les ministres ne veulent pas avouer que ces maux temporels
que nous ressentons tiennent lieu de peine, du moins à l'égard des enfants de
Dieu. « Ces maux servent, dit l'Anonyme, pour exercer notre foi et notre
patience, et sont des effets de l'amour de Dieu plutôt que des peines (1). »
M. Noguier s'étend davantage sur
cette matière, et en parle d'une manière plus claire et plus décisive. Il
convient d'abord avec moi « que nous avons besoin des châtiments de Dieu pour
être retenus dans la crainte pour l'avenir et pour nous corriger du passé (2); »
de sorte qu'il est constant dans la nouvelle Réforme, aussi bien que dans
l'Eglise, que Dieu nous décharge souvent des maux éternels sans nous décharger
pour cela des temporels. Cela étant, notre question se réduit ici à savoir, si
ces maux temporels tiennent lieu de peine. « La question n'est pas, dit M.
Noguier, s’il nous est salutaire d'être châtiés pour être retenus dans le
devoir, nous l'accordons; mais il s'agit de savoir si ces châtiments temporels,
que les fidèles souffrent, sont des peines proprement dites, pour satisfaire à
la justice de Dieu (3). »
Ce sont des maux, on en
convient. Ce sont même des châtiments, on l'accorde. Mais il se faut bien garder
de penser que « ce soient des peines proprement dites. » A quelles subtilités
a-t-on réduit la religion ! Sans doute tout châtiment est une peine. On ne
laisse pas de punir les criminels, quoiqu'on ne les punisse pas à toute rigueur,
quoiqu'on les punisse pour les corriger, quoique les peines qu'on leur fait
sentir aient pour objet de les retenir dans le devoir et d'empêcher leurs
rechutes. Quand on subit de telles peines, on satisfait à cet égard à ce que la
justice exige, quoiqu'on ne satisfasse pas à tout ce qu'elle aurait droit
d'exiger. Qui peut douter de ces vérités? J'ai peine à croire que M. Noguier ait
dessein de le nier, quand il disque les maux que Dieu envoie aux pécheurs « ne
sont pas des peines proprement dites pour satisfaire
1 Anon., p. 116. — 2 Nog., p. 118. — 2
Ibid. p. 115.
196
faire à la justice de Dieu. » S'il veut dire que ce ne sont
pas Ses peines proportionnées, ni qui emportent une exacte satisfaction, j'en
suis d'accord; mais qu'il s'ensuive de là qu'elles perdent te nom de peines,
c'est à quoi le bon sens et la piété répugnent
En effet lorsque Dieu châtie ses
enfants en cette vie, leur dé-fendra-t-on de confesser que ces châtiments sont
de justes punitions de leurs péchés? N'oseront-ils dire avec le Psalmiste :
Vous êtes juste, Seigneur, et tous vos jugements sont droits (1)?
Faudra-t-il qu'ils disent nécessairement que Dieu n'exerce point sa justice,
parce qu'il ne frappe pas de toute sa force, et qu’il fait servir ses rigueurs à
un conseil de miséricorde? Quelle énorme absurdité ! Et comment après cela
peut-on soutenir que les maux que Dieu nous réserve, en nous remettant nos
péchés, ne sont pas des peines? Qui ne voit qu'on ne se porte à nier une vérité
si constante , qu'à cause qu'on appréhende les conséquences inévitables que nous
en tirons? Mais on n'en sort pas pour cela et nous irons, quoi qu'on fasse, à
notre but. Si le mot de peine déplaît ici, prenons ce qu'on nous accorde; c'en
est assez pour vider cette question. Qu'on se tourne de quel côté l'on voudra,
il est donc enfin constant que Jésus-Christ, en nous remettant notre péché, ne
nous décharge pas pour cela de tous les maux qu'il mérite; il en réserve ce
qu'il lui plaît et autant qu'il sait qu'il nous est utile... Il n'a pas voulu
nous accorder tout d'un coup ce qu'il nous a mérité par un seul acte ; et son
mérite n'en est pas moins plein ni moins parfait en lui-même, encore que les
effets s'en développent successivement sur le genre humain. Qui ne voit donc
qu'en nous méritant par sa seule mort une décharge pleine et entière de tous les
maux, il a pu user de telle réserve qu'il aura jugée convenable; et qu'en nous
délivrant des maux éternels qui sont les seuls qui nous peuvent rendre
essentiellement malheureux, à cause qu'ils nous ôtent tout jusqu'à l'espérance,
il a pu faire de tous les autres maux ce qu'il aura trouvé utile pour notre
salut? Voilà de quoi nous convenons tous, catholiques et protestants: la foi que
nous avons en Jésus-Christ et en la plénitude infinie de ses mérites nous
oblige, non à confesser qu'il n'use avec nous
1 Psal. CXVIII, 137.
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d'aucune réserve dans la distribution de ses dons, mais
qu'il n'y en a aucune qui n'ait notre bien pour objet.
Il est temps après cela que nos
réformés ouvrent les yeux, et qu'ils avouent que cette doctrine qu'ils reçoivent
aussi bien que nous, nous met à couvert de tous leurs reproches, puisque nous
n'admettons dans la pénitence aucune réserve de peines que celle qui est utile
au salut de l'homme.
En effet n'est-il pas utile au
salut de l'homme, qui est une créature si prompte à se relâcher par la facilité
du pardon, qu'en lui pardonnant son péché, on ne lève pas tout à coup la main et
qu'on lui fasse appréhender la rechute? Mais qu'y a-t-il de plus salutaire pour
lui inspirer cette crainte, que de lui faire comprendre que la rechute lui rend
toujours la rémission plus difficile; qu'elle soumet le pécheur ingrat, qui a
abusé des bontés de Dieu, aune pénitence plus sévère et à une censure plus
rigoureuse ; et qu'enfin, s'il retombe dans son péché, Dieu pourra se porter,
tant il est bon, à lui remettre encore la peine éternelle, mais qu'il lui fera
sentir l'horreur de son crime par des châtiments temporels? Cette crainte ne
sert-elle pas â retenir le pécheur dans le devoir, et à lui faire connaître le
péril et le malheur des rechutes? Mais si l'on ajoute encore que Dieu étendra
jusqu'en l'autre vie ces châtiments temporels sur ceux qui négligent de les
subir humblement en celle-ci, ne sera-ce pas et un nouveau frein pour nous
retenir sur le penchant, et un nouveau motif pour nous exciter aux salutaires
austérités de la pénitence tant louées par l'antiquité chrétienne? Ajoutez qu'il
y a des péchés pour lesquels nous avons vu que Dieu n'a pas résolu de nous
séparer éternellement de son royaume : qu'il nous est cependant utile de savoir
qu'il ne laisse pas de les châtier en cette vie et en l'autre, afin que nous
marchions avec plus de circonspection devant sa face. Qui ne voit donc qu'il
sert au pécheur, pour toutes les raisons que nous avons dites, d'avoir à
appréhender de tels châtiments; et par conséquent que nous n'admettons dans la
rémission des péchés aucune réserve de peines qui ne soit utile au salut des
âmes?
M. Noguier ne veut recevoir que
la moitié de notre doctrine; et après avoir accordé pour cette vie l'utilité de
ces châtiments
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temporels qui servent à nous retenir dans le devoir, il ne
veut pas qu'ils regardent la vie à venir, « où, dit-il, on ne peut empirer, ni
s'avancer en sainteté, et où il n'y a plus à craindre qu'on abuse de la facilité
du pardon (1).» Mais il n'aurait pas fait cette distinction, s'il eût tant soit
peu considéré que ces peines temporelles de la vie future peuvent nous être
proposées dès celle-ci, et avoir par cet endroit seul, quand même nous n'aurions
rien autre chose à dire, toute l'utilité que Dieu veut en tirer, qui est de
retenir dans le devoir des enfants trop prompts à faillir.
S'il répond que la prévoyance
des maux éternels doit suffire pour cet effet, c'est qu'il aura oublié les
choses que je Tiens de dire. Car l'homme, également fragile et téméraire, a
besoin d'être retenu de tous côtés : il a besoin d'être retenu par la prévoyance
des maux éternels; et quand cette appréhension est levée autant qu'elle le peut
être en cette vie, il a encore besoin de prévoir qui s'attirera d'autres
châtiments et en ce monde et en l'autre, si malgré ses fragilités et ses
continuelles désobéissances, il néglige de se soumettre à une discipline exacte
et sévère.
Ainsi cette confiance insensée,
qui abuse si aisément du pardon et s'emporte si l'on lui lâche tout à fait la
main, est tenue en bride de toutes parts ; et si le pécheur échappe malgré
toutes ces considérations, on peut juger du tort qu'on lui ferait si on lui en
ôtait quelques-unes.
De vouloir dire après cela que
cette réserve des maux temporels, qui a notre salut pour objet, suppose en
Jésus-Christ quelque imperfection ou quelque impuissance, ce n'est plus que
chicaner sans fondement. Il faudrait certainement que tous tant que nous sommes
de catholiques, nous eussions entièrement perdu le sens, pour croire que celui
qui nous délivre du mal éternel ne peut en même temps nous ôter toutes sortes de
maux temporels, et nous décharger, s'il voulait, d'un si léger accessoire. Si
nous croyons qu'il ne le veut pas, nous croyons aussi en même temps qu'il juge
que cette réserve est utile pour notre bien. Qu'on dise donc tout ce qu'on
voudra contre la doctrine catholique, la raison et la bonne foi ne souffrent
plus qu'on nous
1 Nog., p. 18.
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accuse de méconnaître les mérites infinis de Jésus-Christ;
et cette objection qui est celle qu'on presse le plus contre nous, pour peu
qu'on ait d'équité, ne doit jamais paraître dans nos controverses.
Concluons donc enfin de tout ce
discours que la damnation éternelle étant la peine essentielle du péché, nous ne
pouvons plus y être soumis après le pardon. Car c'est ce mal qui n'a en lui-même
aucun mélange de bien pour le pécheur, parce qu'il lie lui laisse aucune
ressource et que la durée s'en étend jusqu'à l'infini ; mal qui est par
conséquent de telle nature, qu'il ne peut subsister en aucune sorte avec la
rémission des péchai, puisque c'est une partie essentielle de la rémission
d'être délivré d'un si grand mal. Mais comme les maux temporels qui nous
laissent une espérance certaine, en quelque état qu'on les endure, ne sont point
ce mal essentiel qui répugne à la rémission et à la grâce, souffrons que la
divine bonté en fasse pour notre salut tel usage qu'elle trouvera convenable, et
qu'elle s'en serve pour nous retenir dans une crainte salutaire, soit en nous
les faisant sentir, soit en nous les faisant prévoir en la manière qui a été
expliquée.
Que si quelqu'un nous accuse de
trop prêcher la crainte sous une loi qui ne respire que la charité, qu'il songe
que la charité se nourrit et s'élève plus sûrement, quand elle est comme gardée
par la crainte. C'est ainsi qu'elle croît et se fortifie, tant qu'enfin elle
soit capable de se soutenir par elle-même. Alors, comme dit saint Jean, elle met
la crainte dehors Tel est l'état des parfaits, dont le nombre est fort petit sur
la terre. Les infirmes, c'est-à-dire la plupart des hommes, ont besoin d'être
soutenus par la crainte et d'être comme arrêtés par ce poids, de peur que la
violence des tentations ne les emporte. Mais nous avons parlé ailleurs de cette
matière.
1 I Joan., IV, 18.
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