Accueil Remonter Remarques Avertissement Liber Sapientiae Liber Ecclesiasticus Isaïe Psaume XXI Apocalypse Apocalypse I Apocalypse II Apocalypse III Prédictions Apocalypse IV Apocalypse V Apocalypse VI Apocalypse VII Apocalypse VIII Apocalypse IX Apocalypse X Apocalypse XI Apocalypse XII Apocalypse XIII Apocalypse XIV Apocalypse XV Apocalypse XVI Apocalypse XVII Apocalypse XVIII Apocalypse XIX Apocalypse XX Apocalypse XXI Apocalypse XXII Explication
| |
Isaïe chapitre
VII, verset 14.
EXPLICATION DE LA PROPHÉTIE D'ISAIE SUR L'ENFANTEMENT DE LA SAINTE VIERGE
DIFFICULTÉ.
RÉPONSE.
PREMIERE LETTRE.
SECONDE LETTRE.
TROISIEME LETTRE.
On expose la difficulté, et on y répond que c'était un des caractères du Messie,
de naître d'un vierge, et qu'il devait être connu en son temps; que le Sauveur
des hommes est le vrai Emmanuel.
Voici d'abord la difficulté
telle qu'elle me fol proposée dans une lettre du 17 septembre 103, à l'occasion
de ma Dissertation sur Grotius, où je découvre en particulier les erreurs
de ce critique contre les prophètes qui ont prédit Jésus-Christ.
Ecce virgo concipiet, et pariet filium, et
vocabitur nomen ejus Emmanuel: « Une
Vierge concevra et enfantera un fils, et il sera appelé Emmanuel, c'est-à-dire
Dieu avec nous. » Isa. VII, 14; Matth., I, 23.
Cette prophétie n'a pu donner
aux Juifs aucune lumière pour connaître que Jésus-Christ fût le Messie ; au
contraire, elle a dû leur faire croire qu'il ne l'était pas.
Donc saint Matthieu n'a pas dû
l'alléguer comme prophétie : donc ce n'en est pas une.
Je prouve ma proposition.
Selon la prophétie, le Messie
doit naître d'une vierge : les Juifs voient Jésus-Christ fils d'une femme
mariée, sans avoir aucun moyen de juger qu'elle est vierge.
Le Messie doit s'appeler
Emmanuel : Jésus-Christ a un autre nom.
Donc les Juifs ont eu raison de
croire, aux termes de cette prophétie, que Jésus-Christ, fils de Marie, femme de
Joseph, n'était pas le Messie.
244
Quand on dit que la virginité de
la sainte Vierge est donnée en signe prophétique aux Juifs, on voit bien que
l'intention n'est pas de dire que ce doit être une preuve dans le moment, et que
tous les Juifs fussent obligés de reconnaître d'abord, ni qu'on put jamais
connaître par aucune marque extérieure et sensible qu'elle eût conçu étant
vierge, ou à la manière ordinaire : un sentiment si grossier ne peut pas entrer
dans l'esprit d'un homme. Le dessein d'Isaïe est de marquer en général par la
propriété du terme dont il se sert, qu'un des caractères du Messie, c'est d'être
fils d'une vierge : ce qui est si particulier à Jésus-Christ, que jamais autre
que lui ne s'est donné cette gloire. Car de qui a-t-on jamais prêché qu'il ait
été conçu du Saint-Esprit, et qu'il soit né d'une vierge? Qui est-ce qui s'est
jamais glorifié qu'un ange ait annoncé cette naissance virginale, ni qu'une
vierge, en consentant à ce mystère, ait été remplie du Saint-Esprit et couverte
de la vertu du Très-Haut? On n'avait pas même encore seulement imaginé une si
grande merveille.
Les preuves indicatives de la
venue du Messie devaient être distribuées de manière qu'elles fussent connues
chacune en leur temps. Celle-ci a été révélée quand et à qui il a fallu : la
sainte Vierge l'a sue d'abord: quelque temps après, saint Joseph son mari l'a
apprise du ciel et l'a crue, lui qui y avait le plus d'intérêt : saint Matthieu
la rapporte comme une vérité déjà révélée à toute l'Eglise : et maintenant,
après la prédication de l’évangile, Jésus-Christ demeure le seul honoré de ce
titre de fils d'une vierge, sans que ses plus grands ennemis, tel qu'était un
Mahomet, aient osé seulement le contester.
C'est donc ainsi que la
virginité de Marie, en tant qu'elle a été prêchée et reconnue par tout
l'univers, est un signe qui ne doit laisser aux Juifs aucun doute du Christ :
c'est d'elle que devait naître le vrai Emmanuel, Dieu avec nous, vrai Dieu et
vrai
245
homme, qui nous a éternellement réunis à Dieu : et c'est la
vraie signification du nom de Jésus, c'est-à-dire du Sauveur, venu au monde pour
ôter le péché, qui seul nous séparait d'avec Dieu.
Au reste, Monsieur, ce n'était
pas le dessein de l'ouvrage dont vous m'écrivez, d'expliquer le fond des
prophéties, puisque même je me suis assez étendu sur cette matière dans la
seconde partie du Discours sur l'Histoire universelle, où j'ai déduit
dans un ordre historique toutes les preuves de fait qui démontrent que les
Ecritures de l'Ancien et du Nouveau Testament sont vraiment un livre
prophétique, principalement en ce qui regarde la venue actuelle du Christ, dont
toutes les circonstances et le temps même de leur accomplissement sont si
évidemment marqués tant de siècles auparavant qu'il ait paru sur la terre.
Vous n'avez qu'à lire à votre
loisir mes commentaires sur les Psaumes, et en particulier ce que j'ai
écrit à la suite des livres de Salomon, dans la dissertation qui a pour titre :
Supplenda in Psalmos (1), pour y apprendre que David est un véritable
évangéliste, qui a vu manifestement toutes les merveilles de Jésus-Christ,
c'est-à-dire sa divinité, sa génération éternelle, son sacerdoce, et jusqu'aux
moindres circonstances de sa passion et de sa résurrection. La vocation des
Gentils et la réprobation des Juifs sont choses si publiques et si authentiques,
qu'il faut être aveugle pour ne les voir pas comme les marques infaillibles du
Messie actuellement venu au monde.
Et quand il s'en faudrait tenir
à mon dernier ouvrage, Grotius n'y est-il pas convaincu d'avoir falsifié les
prophéties, en disant que ce qui se trouve clairement écrit dans le livre de la
Sagesse sur la passion du Sauveur (2), a été ajouté après coup par les
chrétiens, comme aussi ce qui est dit dans l’Ecclésiastique, qui regarde
manifestement la personne du Fils de Dieu : Invocavi Dominum patrem Domini
mei : «J'ai invoqué le Seigneur, père de mon Seigneur (3) ; » ce que le même
Grotius ose encore rejeter comme supposé par les chrétiens, quoiqu'il n'appuie
pas ces deux prétendues
246
suppositions de la moindre conjecture ; ce qui montre plus
clair que le jour un esprit ennemi des prophéties, et qui ne tend qu'à secouer
le joug- de la vérité (1).
Voilà ce que Dieu m'a donné pour
vous, sur votre dernière lettre : je vous en fais part, quoique je sache que
votre foi n'a pas besoin de cette instruction; mais je ne puis m'empêcher de
déplorer avec vous cet esprit d'incrédulité qui se trouve en effet dans les
chrétiens, vous exhortant de tout mon cœur à inspirer à tout le monde, dans
l'occasion, le désir d'apprendre ce qui en effet est pour eux la vie éternelle.
Signé + J.
Bénigne, év. de Meaux.
A Paris, le 1er octobre 1763.
SUR LA MÊME DIFFICULTÉ,
Et sur quelques réflexions dont on la soutient : où il est prouvé que
Jésus-Christ a d'abord autorisé sa mission par ses miracles : que la plupart des
prophéties n'étaient pas connues durant sa vie : que celle de l'enfantement
virginal est de ce nombre : que plusieurs de ses disciples l'ont ignorée, et
qu'il ne s'est pas pressé de les instruire sur ce point, non plus que sur
beaucoup d'autres : qu'il était du conseil de Dieu que ce mystère s'accomplit
sous le voile du mariage : quelle sont été les dispositions de la divine
Providence pour préparer le monde à un si grand mystère.
J'ai, Monsieur, reçu votre
lettre du 11 d'octobre, et j'ai vu celle de même date que vous écrivez à M.***
(a), où vous le priez de me proposer une nouvelle difficulté, si toutefois elle
est nouvelle; car pour moi, je crois y avoir déjà satisfait dans ma lettre
précédente, en vous faisant observer que les preuves indicatives de la venue du
Messie devaient être distribuées de sorte qu'elles soient déclarées chacune en
son temps : ainsi qu'il ne faut pas trouver étrange qu'elles ne pussent d'abord
être toutes remarquées par les Juifs. L'on ne doit pas croire pour cela qu'il
leur fut permis de tenir leur esprit en suspens sur la mission de Jésus-Christ,
puisqu'outre
247
d'autres prophéties plus claires que le soleil qu'ils
avaient devant les yeux, le Sauveur leur confirmait sa venue par tant de
miracles, qu'on ne pouvait lui refuser sa créance sans une manifeste infidélité,
comme il dit lui-même en ces termes : « Si je n'étais pas venu, si je ne leur
avais point parlé, et que je n'eusse pas fait en leur présence des prodiges que
nul autre n'a faits avant moi, ils n'auraient point de péché; mais maintenant
leur incrédulité n'a point d'excuse (1). » Ils devaient donc commencer par
croire, et demeurer persuadés que le particulier des prophéties se découvrirent
en son temps.
Par exemple, c'était une marque
pour connaître le Christ, qu'il devait convertir les Gentils : mais encore que
Notre-Seigneur défendit à ses apôtres « d'entrer dans la voie des Gentils et de
prêcher dans les villes de Samarie (2), » il ne fallait pas pour cela refuser de
croire cette belle marque de sa venue ; et au contraire il fallait croire avec
une ferme foi que tout ce qui était prédit de Jésus-Christ s'accomplirait l'un
après l'autre, au temps et par les moyens destinés de Dieu. Jésus-Christ
lui-même avait déclaré qu'il donnerait aux Juifs, dans sa résurrection, le signe
du prophète Jonas (3). S'ensuit-il de là qu'ils dussent demeurer en suspens,
jusqu'à ce qu'ils eussent vu l'accomplissement de ses paroles? Point du tout,
puisqu'ils devaient tenir pour certain que celui qui commandait à la mer et aux
tempêtes, qui guérissait les aveugles-nés, qui avait la clef de l'enfer et de la
mort, tirant les morts du tombeau quatre jours après leur sépulture, lorsque
déjà ils sentaient mauvais, et qui enfin se montrait le maître de toute la
nature, était assez puissant pour accomplir tout ce qu'il avait promis. Il
était prédit bien clairement que te Christ naîtrait à Bethléem; plusieurs
Juifs ne savaient pas que Jésus-Christ y fût né; Philippe même, un de ses
apôtres, semble l'avoir ignoré, lorsque l'indiquant à Nathanaël comme te Messie,
il lui dit : « Nous avons trouvé Jésus, fils de Joseph de Nazareth»; » et
Nathanaël lui ayant fait l'objection en ces termes : « Peut-il venir quelque
chose de bon de Nazareth? » Philippe ne lui répond autre chose,
248
sinon : « Venez, et voyez, » c'était à dire reconnaissez
par vous-même les merveilles qui vous convaincront qu'il est le Messie. Ainsi
Jésus-Christ même ne se pressait pas de les éclairer sur ce point. Et quand les
pharisiens disaient à Nicodème, un des leurs : « Approfondissez les Ecritures,
et reconnaissez que le Prophète (que nous attendons) ne doit point venir de
Galilée (1), » nous ne voyons pas que ce pharisien, quoique d'ailleurs
affectionné à Jésus-Christ, eût rien à leur répondre, content de savoir en
général, que « nul homme ne pouvait faire les prodiges qu'il faisait, si Dieu
n'était avec lui (2). » Bien plus, Jésus-Christ lui-même ne répondait rien à
ceux qui disaient « que le Christ devait sortir de David et de la ville de
Bethléem (3). » Rien ne pressait; et Jésus-Christ ayant par avance montré sa
venue par les signes les plus authentiques, qui étaient les œuvres de son Père,
c'est-à-dire par le témoignage le plus éminent et le plus sublime que le ciel
eût jamais pu donner à la terre, il avait suffisamment fondé la foi qu'on devait
avoir à ses paroles, encore qu'on n'entendit pas quelques prophéties
particulières; car c'était assez qu'on vît clairement que les merveilles qu'il
opérait, étaient une preuve certaine et plus que démonstrative de sa mission.
Au surplus, non-seulement
l'accomplissement des prophéties, mais encore leur intelligence avait son temps
: souvent elles s'accomplissaient aux yeux et entre les mains des apôtres mêmes,
sans qu'il; s'en aperçussent, comme il est expressément marqué en deux endroits
de saint Jean, c'est-à-dire au chapitre II, verset 22, et au chapitre XII,
verset 10, dans lequel il est marqué que les apôtres n'entendaient pas les
prophéties qu'ils accomplissaient eux-mêmes.
Quand donc on dira que le signe
de l'enfantement de la Vierge était un de ceux qui devaient être révélés les
derniers, et que le commun du peuple, pour y faire l'attention convenable, avait
besoin d'être averti, comme il le fut par l'évangile de saint Matthieu, il n'y
aura rien là d'extraordinaire, ni qui affaiblisse la preuve de la venue du
Christ.
En effet nous ne voyons pas dans
tout l'Evangile que les Juifs
249
eussent la moindre attention à l'oracle d'Isaïe. Ils
objectaient au Sauveur la prophétie de Michée sur la naissance du Christ en
Bethléem ; mais ils ne lui disent jamais un seul mot sur ce qu'il devait naître
d'une vierge, et il ne faut pas s'en étonner.
Car si les apôtres, après avoir
conversé trois ans avec leur maître, eurent besoin qu'il « leur ouvrît le sens
des Ecritures » pour être capables de l'entendre, comme il est porté dans saint
Luc (chap. XXIV, verset 45), combien plus le commun du peuple avait-il besoin
qu'on lui montrât comme au doigt le sens de certaines prophéties plus
enveloppées, que de lui-même il n'eût pas pu démêler dans les endroits où elles
étaient insérées : et on doit toujours se souvenir que cette naissance virginale
ne pouvant être connue par aucune marque sensible, ni autrement que par un
témoignage divin, il fallait rendre ce témoignage authentique et irréprochable
par une longue suite de tant de merveilles, que tous les esprits demeurassent
convaincus de cette naissance, comme d'un caractère spécial et digne de la
personne seule du Messie.
Mais, dites-vous, ce n'est pas
là votre peine : le fond de votre objection n'est pas seulement que la prophétie
d'Isaïe n'éclaircissait point les Juifs, mais encore qu'elle les aveuglait et
leur fournissait un argument contre Jésus-Christ, auquel ils ne pouvaient
trouver aucune réplique, puisqu'étant né d'une femme mariée, ils ne pouvaient
croire raisonnablement autre chose, sinon qu'il était le fruit de ce mariage; et
par conséquent, dites-vous, ils ne pouvaient reconnaître Notre-Seigneur pour
Messie sans démentir le prophète : ce sont vos propres paroles.
Permettez-moi ici de vous
demander si vous trouvez quelque part dans l'Evangile, que le peuple ou les
pharisiens aient fuit ou insinué parle moindre mot cette objection à
Jésus-Christ. Vous croyez la trouver en quelque façon dans un passage de saint
Jean ; mais nous démontrerons bientôt que ce passage n'a point de rapport à
notre sujet, et je conclurai en attendant que vous ne devez pas attribuer aux
Juifs une objection dont ils ne se sont jamais avisés.
Votre objection porte que c'eût
été démentir la prophétie, de
250
reconnaître pour vierge la mère du Suiveur, que l'on voyait
dans le mariage. Cela serait vrai, s'il n'y avait point de milieu entre être
maria; et n'être pas vierge : car si, selon le prophète, Dieu pouvait faire
enfanter une vierge, qui empêchait qu'il n'opérât un si grand mystère sous le
voile sacré du mariage? C'était au contraire ce que demandait la convenance des
conseils de Dieu et l'ordre de sa sagesse aussi douce qu'efficace. Et après
tout, s'il en faut venir à celte discussion, eût-ce été une œuvre convenable à
Dieu, de donner en spectacle aux hommes une fille avec son enfant, pour être le
scandale de toute la terre, le sujet de ses dérisions et l'objet inévitable de
ses calomnies? Quand elle aurait assuré qu'elle était vierge, sa parole
particulière n'eût pas été un témoignage suffisant pour l'affermissement de la
foi : il fallait que la révélation d'un si grand mystère fût préparée par tous
les miracles de Jésus-Christ et de ses apôtres, avant qu'elle fût reçue avec une
autorité digne de créance : ainsi c'était un conseil digne de Dieu, de faire
naître dans le mariage le fils de la Vierge, afin que sa naissance parût du
moins honnête, jusqu'à ce que le temps fût venu de la faire paraître
surnaturelle et divine.
Ce n'était donc pas, comme porte
votre objection, démentir la prophétie, de reconnaître que Notre-Seigneur fils
d'une mère mariée fût le Christ, Isaïe ayant bien dit que la mère du Christ
serait vierge, mais n'ayant dit nulle part que cette vierge ne serait point
mariée.
Dieu a dit précisément ce qu'il voulait dire, et ce qui
devait arriver selon l'ordre de ses conseils éternels. C'est aussi ce qui
convenait à sa prescience : ainsi on ne saurait trop remarquer qu'il a prononcé
par son prophète que cette mère serait vierge, parce que c'était là ce qu'il
voulait et ce qui en effet devait arriver : mais parla même raison il n'a pas
dit qu'elle ne serait pas mariée, parce que ce n'était pas en cette manière
qu'il avait disposé les choses. D'où il s'ensuit qu'on aurait tort de regarder
comme incompatibles ces deux paroles, vierge et mariée, puisqu'au contraire,
quelle que pût être cette vierge-mère, et dans quelque temps qu'elle pût venir,
la convenance des conseils divins demandait
251
que ce mystère fût enveloppé sous la sainteté du mariage.
En effet nous ne lisons pas que
la sainte Vierge voulût passer pour autre chose que pour une femme du commun, à
qui rien n'était arrivé d'extraordinaire : elle-même elle appelait saint Joseph
père de Jésus-Christ ; ce qu'aussi il était en un certain sens par le soin qu'il
en prenait comme de son fils; c'est ce qui paraît dans ces paroles : «Votre père
et moi affligés, vous cherchions parmi les troupes (1), » pour montrer que saint
Joseph, son époux, partageait avec elle les inquiétudes que l'enfant leur avait
causées, en se dérobant d'avec eux comme il avait fait. Jésus-Christ lui-même
avait, pour ainsi parler, les oreilles rebattues de ce reproche : « N'est-ce pas
là le fils de Joseph, cet artisan que nous connaissons ; et comment ose-t-il
dire qu'il est descendu du ciel (2) ?» Nous ne voyons pas que le Sauveur se soit
mis en peine de les désabuser, ni de leur dire comment il était venu au monde :
ce n'est pas qu'il ne le fit assez entendre toutes les fois qu'il disait qu'il
venait de Dieu, qu'il était descendu du ciel, et qu'il ne reconnaissait d'autre
père que Dieu même : mais pour dire en termes exprès qu'il était fils d'une
vierge, et que Joseph n'était pas son père, il ne l'a pas voulu faire, parce
qu'il fallait qu'une vérité que le monde n'aurait pu porter, fût précédée par
l'entière prédication de son Evangile.
Votre objection porte encore que
le mariage de la sainte Vierge, était aux Juifs un argument auquel ils ne
pouvaient trouver de réponse : vous en pourriez dire autant de la résurrection
de Notre-Seigneur. Quand un homme est mort, il demeure mort; et l'on ne doit pas
croire naturellement qu'il ressuscite, sans savoir d'ailleurs par des
témoignages certains qu'il est sorti du tombeau. Ainsi naturellement on doit
croire que tout enfant a un père comme une mère, à moins que Dieu ne révèle
expressément le contraire ; ce qu'il peut faire également, soit que la mère soit
mariée, soit qu'elle ne le soit pas : ainsi vous voyez que le mariage n'y fait
rien, et que votre objection est vaine.
Il est vrai qu'on présume qu'un
enfant qui est né dans le mariage en est sorti : mais si Dieu en a disposé
autrement, et qu'il
252
veuille faire prévenir par son Saint-Esprit tout ce qui a
coutume d'arriver parmi les hommes, qu'ont-ils à dire contre sa puissance? Saint
Paul disait autrefois au conseil des Juifs : « Vous semble-t-il incroyable que
Dieu ressuscite les morts (1) ? » pourquoi celui qui a donné une fois la vie, ne
pourra-t-il pas la rendre à ceux qui l'auront perdue? On pourrait dire de même :
Vous semble-t-il incroyable que Dieu fasse concevoir une vierge? ne tient-il pas
réunie dans sa puissance toute la fécondité qu'il a distribuée entre les deux
sexes? et ne peut-il pas suppléer par son Saint-Esprit, tout ce qui aurait
manqué aux forces de la nature? C'est ce qu'on ne peut nier sans erreur,
quoiqu'on puisse bien l'ignorer, et même ne le pas croire, quand le temps n'est
pas arrivé où Dieu le veut révéler expressément : ce qui paraît même dans
l'apôtre saint Philippe qui, comme nous avons vu, appelle Jésus-Christ tout
court le fils de Joseph (2), quoiqu'en même temps il le reconnaisse
hautement pour le Messie.
Vous croyez apercevoir votre
objection dans ces paroles des Juifs en saint Jean, chapitre vu, verset 27, où
il est parlé de cette sorte : « Lorsque le Messie viendra, on ne saura d'où il
est venu; mais pour celui-là, nous savons d'où il vient : » mais il est visible
que cette peine des Juifs a un autre objet. Jésus-Christ devait avoir deux
naissances, l'une divine et éternelle, et l'autre humaine et dans le temps :
cette première naissance devait être inconnue aux hommes : de là s'était répandu
le bruit qu'on ne saurait pas d'où le Messie devait venir, ce qui donna lieu à
l'objection des Juifs sur l'incertitude de l'origine du Messie. Mais pour
concilier toutes choses, Jésus-Christ s'écria à haute voix : « Et vous savez qui
je suis, et vous savez d'où je viens, et je ne suis pas venu de moi-même : mais
celui qui m'a envoyé est véritable, et vous ne le connaissez pas (3). » Ainsi
d'un coté vous me connaissez, et vous savez d'où je dois venir, puisqu'il vous a
été révélé que je dois sortir du sang de David, et de Bethléem qui était sa
ville; mais je vous suis inconnu en un autre sens, puisque, comme il dit
ailleurs : « Vous ne connaissez ni moi ni mon Père (4). »
Il est vrai que les Juifs se
trompaient encore en croyant Jésus-Christ
253
le fils de Joseph, pour conclure de là que c'était un homme
sans littérature et sans aucun talent extraordinaire, qui aussi ne devait pas se
dire descendu du ciel (1) : mais pour ce qui est d'induire que sa mère ne put
être vierge, parce qu'elle était mariée nous avons déjà remarqué qu'il ne leur
est jamais arrivé de faire ce raisonnement, ni de tourner en ce sens l'oracle
d'Isaïe qui n'a voit point parlé de cette sorte.
Concluons donc que le mariage de
la sainte Vierge ne pouvait être une preuve contre sa virginité, Dieu ayant
révélé le contraire en cette occasion par des témoignages certains. Nous
pourrions dire que le premier témoin était Marie elle-même, dont la pudeur et la
vertu reconnues parlaient pour son innocence. Afin d'accomplir la prédiction
d'Isaïe, la première chose que Dieu devait faire, était d'inspirer à celle qu'il
avait choisie, l'amour jusqu'alors inconnu de la virginité et la volonté
déterminée de la consacrer à Dieu : Marie avait déjà reçu ce don de Dieu quand
l'ange lui vint annoncer qu'elle serait la mère du Fils du Très-Haut. Pour
opérer en elle ce miracle, Dieu n'avait pas besoin de son consentement : mais
outre les autres raisons qu'il eut de le demander, s'il n'avait envoyé son ange
pour le recevoir, nous n'aurions jamais su cette haute résolution de la sainte
Vierge, de ne se laisser approcher par aucun homme. Il lui fait donc proposer ce
qu'il souhaitait d'elle, et il juge digne d'être la mère de son Fils incarné
celle qui la première de toutes les femmes avait conçu le dessein et formé le
vœu d'être vierge perpétuelle.
Mais il y a un second témoin de
la pureté de Marie, qui est sans reproche, et c'est saint Joseph, que Dieu lui
avait donné pour mari, pour être non-seulement le gardien, mais encore le témoin
non suspect d'une si grande merveille. Quand il s'aperçut qu'elle était
enceinte, nous savons qu'il fut frappé de l'état où il la trouva, et qu'il avait
pris des résolutions convenables à un homme sage : mais après tout, quoi que la
vertu de sa sainte épouse lui put dire en sa faveur pour modérer ses soupçons,
il ne céda qu'à un avertissement du ciel ; et le tendre amour qu'il montra
toujours pour la mère et pour l'enfant, fut la preuve incontestable de la
parfaite
254
fidélité que la Vierge lui avait gardée, dont aussi Dieu
même lui
était garant.
S'il faut ici rapporter les
autres premiers témoins de la virginité de Marie, nous pouvons compter sainte
Elisabeth, lorsqu'elle dit à la sainte Vierge : « Vous êtes bienheureuse d'avoir
cru, et tout ce qui vous a été dit de la part de Dieu s'accomplira (1) : » une
femme stérile qui avait conçu par miracle, était un digne témoin d'une naissance
virginale. Jean-Baptiste sentit l'effet de la présence de cette vierge-mère, et
il était convenable que le fils de la stérile rendit hommage au fds de la
Vierge.
Je donnerai encore pour témoin
le saint vieillard Siméon , qui tenant l'enfant entre ses bras au jour qu'il fut
présenté au temple (2), n'attribua qu'à Marie seule le coup de l'épée qui la
devait percer un jour, et la douleur maternelle qu'elle devait sentir au pied de
la croix.
Mais encore que Jésus-Christ
attendant le temps convenable, comme nous l'avons remarqué , n'ait pas voulu
exprimer en termes formels toute la merveille de sa naissance, il y préparait
les esprits toutes les fois qu'il disait qu'il était descendu du ciel, qu'il
était né et sorti de Dieu, et ainsi du reste : ce qu'il n'aurait jamais fait,
s'il était venu au monde à la façon ordinaire : de sorte que tous les miracles
qu'il a opérés pour montrer que Dieu seul était son père, dans le fond sont
confirmatifs de cette vérité, que Joseph ne le pouvait être, et qu'il était né
d'une vierge.
C'est ainsi que Dieu allait
disposant le monde à la claire intelligence de l'oracle d'Isaïe, qui est demeuré
si propre à Jésus-Christ , que jamais il n'a été attribué à autre qu'à lui, et
ne le peut jamais être , étant le seul dont on a dit « qu'il a été conçu du
Saint-Esprit, et né d'une vierge (3). »
Il me resterait à vous avertir qu'il serait facile de vous
prouver parles Pères, et surtout par saint Chrysostome, principalement dans ses
homélies de l'Obscurité des prophéties (4), et par saint Jérôme en divers
endroits, la doctrine avancée dans cette lettre ; mais je ne crois pas ce
travail nécessaire , puisque la chose est si
255
constante par les Ecritures. Au surplus ne croyez pas, je
vous prie, que cette réponse m'ait peiné dans l'obligation où je suis de ménager
mes forces : au contraire , elle m'a donné une particulière consolation ; et
j'avoue que je suis bien aise de voir perpétuer dans l'Eglise la sainte coutume
qui faisait consulter les docteurs aux laïques, et aux femmes mêmes sur
l'intelligence des Ecritures. Je pourrais vous dire beaucoup d'autres choses sur
cet endroit d'Isaïe : mais aujourd'hui il me suffit d'avoir satisfait à votre
doute, et je consacre de tout mon cœur cette explication véritable au Fils de la
Vierge, qui est Dieu béni aux siècles des siècles.
Pour ne finir pas comme un
sermon, j'ajoute les assurances d'un attachement sincère.
Signé + J.
Bénigne, év. de Meaux.
A Paris, 26 octobre 1703.
Qui contient l'explication à fond de la prédiction d'Isaïe, au chapitre VII,
verset 14, et au chapitre IX, verset 6.
Puisque j'ai une fois commencé à
glorifier le fils d'une vierge dans la prédiction d'Isaïe, j'en continuerai
l'explication avec la grâce de Dieu , qui me le met dans l'esprit : et je vous
l'adresse, Monsieur, comme à celui dont les lettres en ont été l'occasion.
Je dirai donc, avant toutes
choses, qu'il n'y a rien de plus précis que les paroles du prophète pour
signifier la Vierge-Mère ; et je dirai en second lieu, qu'elle ne peut être que
la mère de Jésus-Christ.
Récitons d'abord la prophétie
comme elle est dans saint Matthieu : « Une vierge concevra et enfantera un fils
: et il sera appelé Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous (1). » Il faut
soigneusement remarquer que l'Evangéliste renferme toute la prophétie dans ces
paroles. On pourrait traduire, et peut-être mieux : la Vierge , non pas
une vierge indéfiniment, mais celle que Dieu avait en vue et qu'il voulait
montrer en esprit à son prophète.
206
Quoi qu'il en soit, la version de l'Evangéliste ne peut
être suspecte aux Juifs, puisqu'il n'a fait que suivre celle des Septante,
publiée plusieurs siècles avant Jésus-Christ, et par conséquent dans un temps où
il ne s'agissait d'autre chose que d'expliquer la vérité de l'Ecriture selon
que les esprits en étaient naturellement frappés. On sait que cette version
était celle qu'on lisait dans toutes les synagogues d'Asie, de Grèce et d'autres
lieux infinis où l'hébreu et le syrien n'étaient pas connus, et où néanmoins les
synagogues mêmes de Jérusalem et de Syrie fréquentaient tous les jours ; de
sorte qu'elle était approuvée et reçue de tout le peuple de Dieu. On lit encore
ici le même mot de vierge dans les anciennes paraphrases des Juifs, qu'ils
appelaient Targum : dans celle d'Onkélos et dans celle de Jonathan, c'est-à-dire
dans leurs livres les plus authentiques, et où ils ont mieux conservé les
traditions de leurs pères. Mais sans avoir besoin de nous arrêter à ces
éruditions rabbiniques, il nous suffit que ce terme de vierge se soit trouvé si
propre et si naturel en cet endroit, qu'il ne s'en est pas présenté d'autre à la
pensée des Septante , c'est-à-dire des interprètes reçus dans la nation, et que
saint Matthieu n'ait pu rapporter cette prophétie que de la seule version qui
était alors en usage. Pour ce qui est des interprètes postérieurs à la venue de
Jésus-Christ, comme Symmaque et Théodotion, qui ont tâché d'affaiblir la
prophétie , on ne doit pas les écouter, puisqu'on sait que juifs eux-mêmes , ils
n'ont fait leurs traductions, aussi bien qu'Aquila , que pour contredire les
chrétiens et flatter l'incrédulité de leur nation.
Saint Jérôme remarque ici
très-à-propos que le mot hébreu est alma, qui signifie dans son origine,
cachée, renfermée, c'est-à-dire non-seulement une fille, mais une
fille comme recluse et inaccessible, à la manière d'une chose sacrée, dont il
n'est pas permis d'approcher. C'est pourquoi nous voyons dans les Machabées que
selon cette origine, les filles sont appelées recluses renfermées,
(katakleistoi) (1). Aussi l'usage du mot alma est-il constant dans
l'Ecriture pour signifier une vierge, et il ne s'y trouve jamais joint
avec les termes de concevoir ou d’enfanter qu'en ce
257
seul endroit : par conséquent ces deux mots de vierge
et d’enfantement , sont mis là pour signifier un fait unique, et qui n'a
point d'autre exemple que celui que nous propose la foi chrétienne.
Les Juifs disent qu'il n'y faut
pas chercher tant de finesse , et que le prophète suppose que cette vierge qui
devait enfanter , cesserait d'être vierge quand elle deviendrait mère. Mais qu'y
aurait-il là d'extraordinaire, et qui méritât d'être donné par un prophète comme
un fait singulier et prodigieux? C'est au contraire ce qui arrive à toutes les
femmes, et toutes celles qui deviennent mères ont été premièrement vierges : de
sorte que ces deux mots, vierge et portant un enfant dans son sein,
sont regardés naturellement comme incompatibles.
On demandera peut-être quelle
preuve on a que ce fils porté dans le sein d'une vierge , soit Jésus-Christ.
Mais c'est ce qui n'a point de difficulté, puisque d'un côté, celui qui sera le
fils d'une vierge, n'ignorera point ce don de Dieu; et de l'autre qu'on ne
connaît que le seul Jésus-Christ à qui on ait appliqué ce titre de fils d'une
vierge, Dieu n'ayant pas même voulu qu'il restât la moindre ambiguïté dans cette
application.
Les Juifs demandent à quel
propos il serait ici parlé de Jésus-Christ, et quel rapport pourrait avoir avec
Achaz cet enfantement virginal, pour être donné en signe à ce roi, qui vivait
plus de sept cents ans auparavant. Mais cette nation aveugle, qui ne connaît pas
les prérogatives du Christ qu'elle attend , a ignoré qu'il vient toujours à
propos dans tout l'Ancien Testament, puisqu'il devait être la fin de la loi et
l'objet non-seulement de toutes les prophéties, mais encore de tous les
événements remarquables, qui ne sont qu'une figure des merveilles de son règne :
au surplus qu'on parcoure toutes les prophéties, on trouvera que non plus que
celle-ci, la plupart ne paraissent pas avoir de liaison avec le reste du
discours où elles sont insérées. David dans le psaume LXXI, ne voulait parler
d'abord que du règne de Salomon, qu'il avait nommé son successeur : mais Dieu,
quand il lui a plu, lui a élevé l'esprit, et l'a transporté au temps de celui
que tous les rois et tous les gentils devaient adorer, dont l'empire devait
s'étendre par toute la terre, qui était devant le soleil, et en qui toutes les
258
nations de l'univers devaient être bénies, c'est-à-dire
Jésus-Christ, dont Salomon était une si noble figure. C'est pour la même raison
qu'au psaume XLIV, qui regarde directement le même Salomon, tout d'un coup il
l'appelle Dieu et l'oint par excellence ; ce qui ne peut convenir qu'à
Jésus-Christ. Il en est de même des autres prophéties, où sans liaison avec la
suite du discours, celui-là nous est annoncé, qui devait être abreuvé de
vinaigre (1), vendu trente deniers destinés à l'achat du champ d'un potier ou
d'un sculpteur, monté sur un âne pour faire son entrée royale (2) : ainsi du
reste, qui convient manifestement à Jésus-Christ seul. Il n'en était point parlé
d'abord dans le prophète Michée : mais soudain il le voit sortir de la petite
ville de Bethléem comme chef du peuple d'Israël, dont il ajoute que la nativité
était éternelle (3). C'est ainsi que Dieu agit ordinairement dans les prophètes
: et il leur fait mêler dans leurs discours Jésus-Christ si détaché de toute
autre chose, qu'on voit bien qu'il n'y a point d'autre cause qui ait fait parler
de lui si clairement en ces endroits, si ce n'est l'instinct du Saint-Esprit,
qui souffle où il veut, et qui sait bien s'affranchir de toutes les règles des
discours vulgaires.
S'il faut néanmoins marquer dans
la prédiction d'Isaïe l'occasion qui le fait parler du fils de la vierge, il ne
sera pas malaisé de la trouver. Il s'agissait de Jérusalem délivrée des mains de
Rasin roi de Syrie , et de Phacée fils de Romélie, roi d'Israël. Ce qu'il y eut
de particulier dans cette délivrance, c'est que les enfants d'Isaïe furent
donnés à tout le peuple comme un prodige qui leur pronostiquait ce favorable
événement, ainsi qu'il le marque lui-même en termes exprès dans le chapitre
VIII, verset 18, de sa prophétie : « Me voilà avec mes enfants que le Seigneur
m'a donnés, pour être un signe et un présage de l'avenir à Israël : » In
signum et portentum. C'est par la même raison qu'il est ordonné au chapitre
vu, vers. 3, au même prophète, « d'aller à la rencontre d'Achaz, avec son fils
Jasub qui lui restait » ( comme un gage des événements favorables dont il avait
été le pronostic ), pour lui annoncer avec lui la prompte défaite de ses
ennemis. Il est aussi
259
commandé au saint prophète de donner au fils de la
prophétesse qu'il épousa dans les formes, un nom qui serait le présage de ce
succès avantageux ».
A l'occasion de ces merveilleux
enfants, il plaît à Dieu, dans le chapitre ix, vers. G, de la même prophétie, de
parler d'un autre enfant, qui plus merveilleux que ceux du prophète, en ce qu'il
était fils non-seulement d'une prophétesse, mais encore d'une vierge, devait
aussi présager une délivrance plus haute, c'est-à-dire celle dont Jésus-Christ
est le seul auteur. Aussi n'est-ce point à Achaz seul que Dieu a donné ce signe,
que ce prince avait même refusé de demander , non petam : c'est Dieu qui
le donne de lui-même à toute la maison de David (2) non point à Achaz , à qui il
avait dit : Pete tibi : « demande pour toi ; i mais à tout le peuple :
Dabo vobis signum : et à toute la maison de David : Audite, domus David;
de même que s'il eût dit : Si j'ai donné aux Juifs du temps d'Achaz les enfants
d'Isaïe comme un Jasub et comme celui qu'il a eu de la prophétesse, pour leur
être un signe de délivrance : que ne devez-vous pas attendre du signe nouveau
que je vous donne en la personne d'un enfant fils d'une vierge ?
C'est cet enfant que vous devez
appeler Emmanuel, « Dieu avec nous , » non-seulement parce qu'il fera votre
réconciliation avec Dieu, mais encore parce qu'il sera un composé miraculeux de
Dieu et de l'homme, en qui la divinité habitera corporellement.
C'est pourquoi bientôt après, le
prophète nous parlera « d'un petit enfant qui nous est né, et d'un fils qui nous
a été donné, dont la principauté est sur ses épaules (3), » soit qu'il faille
entendre la marque royale dont il serait revêtu, comme qui dirait la pourpre
parmi les Romains ; soit qu'avec les Pères nous devions entendre la croix que
Jésus porta, et où par une secrète inspiration, le titre de sa royauté devait
être écrit. Mais ce qu'ajoute le saint prophète est beaucoup plus remarquable,
puisqu'il dit que cet enfant sera nommé « Admirable : Conseiller : Dieu : Fort :
le Père du siècle futur : le Prince de la paix; » qu'il prendra sa place « dans
le trône de David, où il établira la paix et la justice, et enfin qu'il
l'affermira pour toute l'éternité. »
260
Voilà donc ce petit enfant
auquel Isaïe donne six beaux noms, qui tous l'élèvent au-dessus des hommes et
forment le caractère du Messie. Premièrement, il est admirable : car quel
enfant plus admirable que celui qui est né d'une vierge et dont on a dit : «
Jamais aucun homme n'a parlé comme celui-ci (1) » et n'a rien fait de semblable
aux œuvres qui sont sorties de ses mains (2) ? Secondement il est conseiller
par excellence, parce que par lui se sont consommés les plus secrets conseils de
Dieu. Troisièmement il est fort : c'est le « Seigneur Dieu des armées, le
fort d'Israël, » dit ailleurs Isaïe (3) : celui dont il est écrit que « nul ne
peut ôter de sa main ceux que son Père lui a « donnés (4).» Il est le père du
siècle futur, c'est-à-dire du nouveau peuple qu'il devait créer pour le
faire régner éternellement. Il est le prince de la paix, et seul il a
pacifié le ciel et la terre. Mais ce qu'il y a de plus remarquable, c'est que ce
prophète l'appelle Dieu, en nombre singulier et absolument, qui est le
caractère essentiel pour exprimer la divinité : par conséquent il est Dieu et
homme, le vrai Emmanuel, Dieu uni à nous et le seul digne de naître d'une
vierge, afin de n'avoir que Dieu seul pour père. On voit par là le rapport
manifeste de cet enfant dont il est parlé au chapitre IX, avec celui qui devait
être le fils d'une vierge dans le chapitre VII.
Toute la suite de l'Evangile
atteste cette vérité. Quand il s'est appelé si souvent le fils de l'homme,
c'était par rapport à sa sainte mère : c'est la même chose que saint Paul a
exprimée, en disant qu'il a été « fait d'une femme, » factum ex muliere
(5), et les termes de fils de l'homme, à celui qui ne connaissait de père
que Dieu, ne pouvaient signifier autre chose que fils d'une mère vierge. C'était
en même temps et par la même raison, non-seulement le vrai Emmanuel, mais encore
le vrai Melchisédech (6), sans père en terre, sans mère au ciel : digne d'être
notre pontife, étant saint, innocent, sans tache par le seul droit de sa
conception et de sa naissance, à cause qu'il était conçu du Saint-Esprit.
Il convenait aussi à
Jésus-Christ comme étant le fils d'une vierge, d'être le premier qui ait proposé
au monde la haute
261
perfection de la pureté virginale, et celle de ses eunuques
spirituels dont la grâce est si éminente, qu'à peine la peut-on comprendre (1) :
il s'est déclaré l'époux de toutes les vierges : le fruit de la prédication de
son Evangile , c'est qu'on en a vu une infinité qui ont marché sur ses pas, et
la chasteté comme la foi a eu ses martyrs.
Les convenances de ce qui est
dit de la vierge mère ne sont pas moins remarquables. En même temps que pour
l'élever au faîte de la grandeur, Dieu voulut réunir en sa personne toute la
perfection de son sexe, c'est-à-dire la souveraine et virginale pudeur, avec la
fécondité qui est portée jusqu'à la faire mère de Dieu , il lui inspira aussi la
plus parfaite et la plus profonde humilité (2). Jésus-Christ dit qu'il est digne
de créance dans le témoignage qu'il se rend à lui-même, à cause qu'il n'y
recherche que la gloire de son Père (3) : nous pouvons appliquer cette parole à
la sainte Vierge, qui sans tirer avantage des merveilles qui s'étaient
accomplies en elle, ne reconnaît de grandeur qu'en Dieu qu'elle glorifie : si
elle est transportée de joie, ce n'est qu'en Dieu son Sauveur: si plus glorieuse
prophétesse que celle d'Isaïe, qui aussi, selon saint Jérôme, n'en est qu'une
figure imparfaite, elle voit que toutes les races futures la publieront
bienheureuse, c'est à cause qu'il a plu à Dieu de regarder la bassesse de sa
servante (4) : il semble qu'elle n'ose dire qu'elle est vierge et mère tout
ensemble, et elle n'exprime un si grand don qu'en disant que celui qui seul est
puissant lui a fait de grandes choses, et qu'il a voulu exercer la
toute-puissance de son bras (5). Au surplus personne n'ignore qu'entendant
parler tout le monde de son fils, elle garde un perpétuel silence, sans dire ce
qu'elle en savait, ni la manière dont il lui avait été donné : de sorte que la
plus excellente de toutes les créatures était en même temps la plus humble, et
celle qui se distinguait le moins du commun des femmes. On voit donc la
convenance manifeste de tout le mystère, rien n'étant plus propre à une vierge
que le silence et l'humilité.
Que ce soit donc là le glorieux
titre du Messie, d'être fils d'une vierge : qu'il soit seul caractérisé par ce
beau nom : songeons
263
qu'il a trouvé au-dessous de lui, même la sainteté
nuptiale, puisqu'il n'a voulu lui donner aucune part à sa naissance : purifions
notre conscience de tous les désirs charnels : quand il nous faudra participer à
cette chair virginale, songeons à la pureté de la vierge qui le reçut dans son
sein : honorons ensemble, avec la distinction convenable, le fils de la Vierge
et la mère vierge, puisque le fils de la Vierge est le Fils de
Dieu, et que la mère vierge est Mère de Dieu : reconnaissons dans ces deux mots,
mère vierge et fils de la Vierge, la plus belle relation qui puisse jamais être
conçue : adorons Jésus-Christ comme vrai Dieu ; mais confessons à la fois que ce
qu'il a le plus approché de lui, est celle qu'en se faisant homme, il a daigné
choisir pour être sa mère.
Je pourrais m'ouvrir encore ici
une nouvelle et longue carrière, si je voulais rechercher avec les saints Pères
les causes de l'obscurité de quelques prophéties. Saint Pierre nous dit dans sa
seconde épître que « nous n'avons rien de plus ferme que le discours
prophétique, » et que nous devons y être « attentifs comme à un flambeau qui
reluit dans un lieu obscur et ténébreux (5). » C'est donc un flambeau, mais qui
reluit dans un lieu obscur, dont il ne dissipe pas toutes les ténèbres. Si tout
était obscur dans les prophéties, nous marcherions comme à tâtons dans une nuit
profonde, en danger de nous heurter à chaque pas et sans jamais pouvoir nous
convaincre : mais aussi, si tout y était clair, nous croirions être dans la
patrie et dans la pleine lumière de la vérité, sans reconnaître le besoin que
nous avons d'être guidés , d'être instruits, d'être éclairés dans l'intérieur
par le Saint-Esprit, et au dehors par l'autorité de l'Eglise. Je pourrais encore
me jeter dans une plus haute contemplation sur le tissu des Ecritures que Dieu a
voulu composer exprès d'obscurité et de lumière, afin, comme dit saint Augustin
, de rassasier notre intelligence par la lumière manifeste et de mettre notre
foi à l'épreuve par les endroits obscurs. En un mot, il a voulu qu'on ait pu
faire à l'Eglise de mauvais procès ; mais il a voulu aussi que les humbles
enfants de l'Eglise y pussent assez aisément trouver des principes pour les
décider; et s'il reste, comme il en reste beaucoup, des endroits
263
impénétrables, ou à quelques-uns de nous ou à nous tous
dans cette vie, le même saint Augustin nous console en nous disant que, soit
dans les lieux obscurs, soit dans les lieux clairs, l'Ecriture contient toujours
les mêmes vérités, qu'on est bien aise d'avoir à chercher pour les mieux goûter
quand on les trouve : et où l'on ne trouve rien, on demeure aussi content de son
ignorance que de son savoir, puisqu'après tout il est aussi beau de vouloir bien
ignorer ce que Dieu nous cache, que d'entendre et de contempler ce qu'il nous
découvre. Marchons donc dans les Ecritures en toute humilité et tremblement ; et
pour ne chopper jamais, ne soyons pas plus sages ni plus savants qu'il ne faut,
mais tenons-nous chacun renfermés dans les bornes qui nous sont données.
Je prie Dieu qu'il vous conserve
la santé, et vous donne tout le repos que peut souhaiter un homme de bien.
Signé
+ Bénigne, év. de Meaux.
À Paris, le 8 de novembre 1703.
|