VII° DIMANCHE - PENTECOTE

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SERMON POUR LE SEPTIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE.
SUR L'HYPOCRISIE.

ANALYSE.

 

Sujet. Jésus dit à ses disciples : Gardez-vous des faux prophètes, qui viennent à vous déguisés en brebis, et qui dans le fond sont des loups ravissants.

 

Voilà en peu de paroles le caractère des hypocrites : mais, du reste, ce n'est point tant de notre hypocrisie propre qu'il s'agit in que de l'hypocrisie d'autrui.

Division. Munirons au libertin combien il est mal fondé, quand, pour se confirmer dans son libertinage et son désordre, il se sert de l'hypocrisie d'autrui : première partie ; au chrétien lâche, combien il est faible et coupable dans sa faiblesse, quand il se trouble du l'hypocrisie d'autrui, jusqu'à s'éloigner des voies de Dieu : deuxième partie ; et au chrétien ignorant et simple, combien inexcusable devant Dieu lorsqu'il se laisse surprendre à l'hypocrisie d'autrui : troisième partie.

Première partie. Le libertin mal fondé, quand, pour se confirmer dans son libertinage et son désordre, il se sert de l'hypocrisie d’autrui. Parce que la vraie piété condamne le libertin et que c'est un reproche de ses désordres, que fait-il? il tâche à se persuader que tout ce qui parait piété dans le monde n'est que fausse piété, ou du moins n'est qu'une piété très-suspecte. D'où il tire cette conséquence, que les autres ne valent pas mieux que lui, et qu'il n'a qu'à vivre toujours comme il vit. Or, ce raisonnement se détruit en deux manières.

1° Quand il n'y aurait point dans le monde de vraie piété, Dieu n'en serait pas moins Dieu, et par conséquent nous ne serions pas moins obligés à le servir ; la loi n'en serait pas moins loi, et par conséquent nous ne serions pas moins obligés de la garder, serons pas jugés sur la conduite des autres, mais sur la nôtre. Exemple de David et de Tobie.

2° Quoi qu'en puissent dire les libertins, il y a encore dans tous les états de vraies vertus; et c'est par malignité que les mondains et les impies ne veulent pas les reconnaître.

Deuxième partie. Le chrétien lâche et faible, coupable dans sa faiblesse quand il se trouble de l'hypocrisie d'autrui jusqu'à s’éloigner des voies de Dieu. Cette tentation a trois pernicieux effets dans les chrétiens lâches et faibles. 1° Elle leur imprime une crainte servile de passer dans le monde pour hypocrites et pour faux dévots; et cette crainte leur est un obstacle à l'accomplissement des plus saints devoirs de la religion. 2°  Elle produit en eux un dégoût de la piété, fondé, disent-ils, sur ce que la piété, quoique solide en elle-même, a le malheur d'être sujette à la censure des hommes et à la malignité de leurs jugements. 3° Ils tombent par là dans un abattement de cœur qui va souvent jusqu'à leur faire abandonner le parti de  Dieu plutôt que de s’engager à soutenir la persécution. Or, ce scandale est très-déraisonnable, et à l'égard d'un chrétien il ne peut être justifié dans aucun de ces trois chefs.

1° Il ne tient qu'à un chrétien de vivre de telle sorte qu'on ne le puisse soupçonner d'hypocrisie ; car il y a certains caractères de vertu qui ne peuvent être suspects.

2° Bien loin que le malheur qu'a la piété d'être exposée au soupçon de l'hypocrisie en doive dégoûter un chrétien, c'est ce qui doit an contraire allumer son zèle pour elle, et l'excitera prendre ses intérêts.

3° Au lieu donc de se décourager et de s'abattre, un chrétien doit s'animer,  et se souvenir combien il lui sera glorieux et avantageux de combattre et d'être persécuté pour la cause de Dieu. Le monde même ne pourra s'empêcher de lui rendre justice.

Troisième partie. Le chrétien ignorant et simple, inexcusable devant Dieu, lorsqu'il se laisse surprendre à l'hypocrisie d'autrui. On s'y laisse en effet tous les jours surprendre, jusqu'à quitter le parti de la vérité pour embrasser celui de l'erreur, et jusqu’à se déclarer contre le bon droit pour favoriser l'injustice. Or, est-on excusable d'avoir ainsi été surpris? non, et pour deux

1° Jésus-Christ ne nous a rien recommandé davantage dans l'Evangile que de nous garder des surprises d'une fausse piété, et d’y apporter une extrême vigilance. Or, c'est à quoi nous ne pensons point assez.

2° Jésus-Christ nous a donné les règles nécessaires pour nous garantir de ces surprises de la fausse piété. Par exemple, il nous a  déclaré que la preuve infaillible de la vérité était l'attachement et la soumission à l'Eglise. Du reste, ayons recours à Dieu, et demandons-lui qu'il nous découvre ses voies.

 

Dixit Jesus discipulis suis : Attendite a falsis prophetis, qui veniunt ad vos in vestimentis ovium, intrinsecus autem sunt lupi rapaces.

Jésus dit à ses disciples : Gardez-vous des faux prophètes, qui viennent à vous déguisés en brebis, et qui dans le fond sont des loups ravissants. (Saint Matth., chap. VII, 15.)

 

C'est de tout temps qu'il y a eu de faux prophètes et des hypocrites dans l'Eglise de Jésus-Christ : et c'est à nous, mes chers auditeurs, aussi bien qu'aux premiers disciples, que s'adressent ces paroles de notre adorable Maître. Il n'est rien de plus saint que la piété, rien de plus excellent et de plus divin ; mais ne puis-je pas dire avec douleur qu'il n'est rien aussi de plus exposé aux profanations et aux abus, ni rien de plus dangereux que ces âmes artificieuses, qui, sous le voile d'une dévotion apparente, cachent ou le venin d'une doctrine corrompue, ou le dérèglement d'une conduite criminelle? Ceci, Chrétiens m'engagerait à parler aujourd'hui contre l'hypocrisie, si Dieu ne m'avait inspiré un autre dessein qui, quoique différent de celui-là, ne laisse pas de s'y rapporter et dont je me promets encore plus de fruit pour la réformation de vos mœurs. L'hypocrisie, dit ingénieusement saint Augustin, csl cette ivraie de l'Evangile, que l'on ne peut arracher sans déraciner en même temps le bon grain. Laissons-la croître jusqu'à la moisson, selon le conseil du père de famille, pour ne nous point mettre en danger de confondre avec elle les fruits de la grâce, et les saintes semences d'une piété sincère et véritable. Au lieu donc d'employer mon zèle à combattre l'hypocrisie, j'entreprends de combattre ceux qui, raisonnant mal sur le sujet de l'hypocrisie, ou en tirent de malignes conséquences, ou en reçoivent de funestes impressions, ou s'en forment de fausses idées au préjudice de la vraie piété. Je veux considérer l'hypocrisie non pas en elle-même, mais hors d'elle-même ; non pas dans son principe, mais dans ses suites ; non pas dans la personne des hypocrites, mais dans ceux qui ne le sont pas. En un mot, je veux, autant qu'il m'est possible, vous préserver des tristes effets que produit communément en nous l'hypocrisie d'autrui. Esprit saint, vous qui êtes souverainement et par excellence l'Esprit de vérité, éclairez-nous et conduisez-nous par votre grâce, afin que nous marchions en assurance dans le chemin du salut, et que nous ne recevions nul dommage de l'imposture et du mensonge. C'est ce que je vous demande par l'intercession de la Vierge à  qui vous communiquâtes vos plus pures lumières, et que je salue en lui disant : Ave, Maria.

 

Vous avez trop de pénétration, Chrétiens, pour n'avoir pas compris d'abord le dessein et le plan de ce discours. Je distingue dans le christianisme trois sortes de personnes qui, sans être hypocrites ni le vouloir être, se font de l'hypocrisie d'autrui un obstacle essentiel à leur salut. Remarquez-en bien les divers caractères. Les premiers, ce sont les mondains et les libertins du siècle, qui, déclarés contre Dieu et contre son culte, se prévalent ou veulent se prévaloir de l'hypocrisie d'autrui pour autoriser leur libertinage et s'élever contre la vraie piété. Les seconds, ce sont les chrétiens lâches à qui l'hypocrisie d'autrui est une occasion de scandale et de trouble, jusqu'à les dégoûter et à les rebuter de la vraie piété. Et les derniers, ce sont les ignorants et les simples, qui, ne consultant ni leur foi ni leur raison, se laissent séduire par l'hypocrisie d'autrui, et la prennent pour la vraie piété. Ainsi les impies pensent trouver dans l'hypocrisie d'autrui la justification de leur impiété, les lâches le prétexte de leur lâcheté, les simples l'excuse de leur imprudence et de leur témérité. Mais je prétends leur montrer à tous combien leur conduite est insoutenable et leurs raisonnements frivoles. Je prétends, dis-je, faire voir au libertin combien il est mal fondé quand, pour se confirmer dans son libertinage et son désordre, il se sert de l'hypocrisie d'autrui : ce sera la première partie; au lâche, combien il est faible et coupable dans sa faiblesse quand il se trouble de l’hypocrisie d'autrui jusqu'à s'éloigner des voies de Dieu : ce sera la seconde partie; à l'ignorant et au simple, combien il est inexcusable devant Dieu lorsqu'il se laisse surprendre à l'hypocrisie d'autrui : ce sera la troisième partie. Trois points d'une extrême importance, et que je traiterai selon que le temps me le permettra. Commençons.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

C'est l'injustice et la malignité du libertin de prétendre tirer avantage de l'hypocrisie et de la fausse dévotion ; et si vous voulez savoir en quoi consiste cet avantage, et quel est là-dessus le secret de sa politique, il me suffit, pour vous en instruire pleinement, de développer ici la remarque de saint Chrysostome dans un excel. lent discours qu'il nous a laissé sur cette matière, où il ramasse en peu de mots tout ce qu'on en peut dire de plus sensé et de plus solide ;

 

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car voici comment il raisonne. Le libertin, dit ce grand docteur, ne manque jamais de se prévaloir de la fausse piété pour se persuader à lui-même qu'il n'y en a point de vraie, ou du moins qu'il n'y en a point qui ne soit suspecte, et pour affaiblir par là le reproche qu'elle semble lui faire continuellement de son libertinage. Double prétexte, l'un et l'autre très-dangereux, que lui suggère l'esprit du monde, et qui sont en lui autant d'oppositions formelles à l'Esprit de Dieu. Prenez garde, s'il vous plaît. Il veut s'autoriser dans sa vie libertine et déréglée ; et parce qu'il voit des gens de bien qui vivent autrement que lui et dont les exemples le condamnent, que fait-il? Il en appelle de cette condamnation à son jugement propre ; et s'érigeant de plein droit en censeur du prochain, il prononce sans hésiter que toute cette piété qui paraît dans les autres n'est qu'hypocrisie et qu'un spécieux fantôme ; ou s'il ne va pas jusques à porter un arrêt si décisif et si absolu, du moins il tient toute piété qui se montre a ses yeux pour douteuse, comme s'il n’y en avait aucune sur quoi l'on pût sûrement compter. Damnables principes, auxquels il s'attache d'autant plus volontiers qu'ils sont plus favorables à sa passion et plus capables de le confirmer dans ses dérèglements. Donnons jour encore à ces deux pensées, et lâchez à les Lien comprendre.

Comme l'impie est déterminé à être impie, et que la passion à laquelle il s'abandonne l'engage à vivre dans une déplorable corruption de moeurs, il voudrait qu'en cela même tout le reste des hommes lui ressemblât; et quoiqu'il se reconnaisse pécheur et qu'il fasse profession de l'être, sa joie serait de se pouvoir flatter qu'il est aussi homme de bien que tous les autres, ou plutôt que tous les autres ne sont pas meilleurs que lui. Ce sentiment est bizarre, et néanmoins très-naturel. Quoi qu'il en soit de ce sentiment bizarre, il se forme une opinion et se convainc peu à peu que la chose est en effet de la manière qu'il se la figure, et qu'il souhaiterait qu'elle fût; et parce que l'exemple des hypocrites et des faux dévots appuie son erreur et lui donne quelque couleur de vraisemblance, il s'arrête à cette vraisemblance, au préjudice de toutes les raisons contraires. l'an e qu'il y a des dévots hypocrites, il conclut d'abord que tous le peuvent être ; et de là passant plus loin, il s'assure que la plupart et même communément tous le sont. Il s'obstine dans ses désordres par cette vaine persuasion que ceux qu'on croit dans le monde mener une vie plus régulière et avoir plus de probité, à bien considérer tout, ne valent pas mieux que lui ; que la différence qu'il y a entre lui et eux, c'est que ceux-ci sont ordinairement plus dissimulés et plus adroits à se cacher, mais qu'ils ont du reste leurs engagements comme il a les siens; que pour certains vices grossiers que le seul respect humain leur fait éviter, ils en ont d'autres , plus spirituels à la vérité, mais qui ne sont pas moins condamnables devant Dieu ; que s'ils ne sont pas débauchés, ils sont orgueilleux, ils sont ambitieux, ils sont jaloux, ils sont intéressés. D'où vient que , malgré leur régularité et son libertinage, il a même l'assurance , je devrais dire l'extravagance , de se croire dans un sens moins coupable qu'eux, parce qu'il est au moins de bonne foi, et qu'il n'affecte point de paraître ce qu'il n'est pas. Voilà les préjugés d'un libertin, qui vont à effacer, autant qu'il est possible, de son esprit toute idée de la véritable piété, et à lui faire juger que tout ce qui s'appelle ainsi n'est qu'une chimère, qu'un nom dont les hommes se font honneur, mais qui ne subsiste que dans leur imagination ; qui, dans sa signification propre et rigoureuse, surpasserait la nature, quelque secours qu'elle reçût de la grâce, et qui, par conséquent, ne se trouve nulle part dans le monde. Voilà, dis-je, de quoi il se prévient, et sur quoi il ne veut rien entendre qui le puisse détromper.

Que s'il est après tout forcé de convenir que toute piété n'est pas fausse, du moins prétend-il qu'elle est suspecte, et qu'il y a toujours lieu de s'en défier. Or cela lui suffit : car il n'y a point de piété qu'il ne rende par là méprisable, en la rendant douteuse; et tandis qu'on la méprisera, qu'on la soupçonnera, elle sera faible et impuissante contre lui. C'est ce qu'il croit gagner en faisant de ses entretiens et de ses discours autant de satires et de l'hypocrisie et de la fausse dévotion : car comme la fausse dévotion tient en beaucoup de choses de la vraie, comme la fausse et la vraie ont je ne sais combien d'actions qui leur sont communes ; comme les dehors de l’une et de l'autre sont presque tout semblables, il est non-seulement aisé, mais d'une suite presque nécessaire, que la même raillerie qui attaque l'une intéresse l'autre, et que les traits dont on peint celle-ci défigurent celle-là, à moins qu'on n'y apporte toutes les précautions d'une charité prudente, exacte et bien intentionnée ; ce que le libertinage n'est pas en disposition de faire. Et voilà, Chrétiens, ce qui est arrivé,

 

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lorsque des esprits profanes, et bien éloignés de vouloir entrer dans les intérêts de Dieu, ont entrepris de censurer l'hypocrisie, non point pour en réformer l'abus, ce qui n'est pas de leur ressort, mais pour faire une espèce de diversion dont le libertinage pût profiter, en concevant et faisant concevoir d'injustes soupçons de la vraie piété, par de malignes représentations de la fausse. Voilà ce qu'ils ont prétendu, exposant sur le théâtre et à la risée publique un hypocrite imaginaire, ou même, si vous voulez, un hypocrite réel, et tournant dans sa personne les choses les plus saintes en ridicule, la crainte des jugements de Dieu, l'horreur du péché, les pratiques les plus louables en elles-mêmes et les plus chrétiennes. Voilà ce qu'ils ont affecté, mettant dans la bouche de cet hypocrite des maximes de religion faiblement soutenues, au même temps qu'ils les supposaient fortement attaquées ; lui faisant blâmer les scandales du siècle d'une manière extravagante ; le représentant consciencieux jusqu'à la délicatesse et au scrupule sur des points moins importants, où toutefois il le faut être, pendant qu'il se portait d'ailleurs aux crimes les plus énormes; le montrant sous un visage de pénitent, qui ne servait qu'à couvrir ses infamies; lui donnant, selon leur caprice, un caractère de piété la plus austère, ce semble, et la plus exemplaire, mais, dans le fond, la plus mercenaire et la plus lâche.

Damnables inventions pour humilier les gens de bien, pour les rendre tous suspects, pour leur ôter la liberté de se déclarer en faveur de la vertu, tandis que le vice et le libertinage triomphaient : car ce sont là, Chrétiens, les stratagèmes et les ruses dont le démon s'est prévalu, et tout cela fondé sur le prétexte de l'hypocrisie. Le monde est plein de ces hypocrites, disait le libertin : ils sont au milieu de nous, et nous sommes parmi eux ; mais nous ne les connaissons pas, et il n'y a que Dieu, qui sonde les cœurs, lequel puisse les distinguer. Que savons-nous si toutes ces vertus qu'on élève si haut, et qu'on nous propose pour modèles, ne sont point de ces hypocrisies colorées, qui n'ont qu'une belle face et qu'un certain brillant? Ainsi, dis-je, raisonnait l'impie, et ainsi raisonne-t-il encore tous les jours; par où, comme je viens de le remarquer, il prétend se défendre du témoignage que la piété rend contre lui, et pense avoir droit de la récuser, puisque, du moment qu'elle est suspecte, elle perd toute autorité, et n'est plus recevable dans ses jugements. Or je soutiens, moi, qu'en cela et en tout le reste le libertin raisonne mal ; et pour renverser son raisonnement, j'en attaque tout à la fois et la conséquence et les principes. Redoublez, je vous prie, votre attention. Car je veux bien d'abord convenir avec le libertin des principes qu'il établit, tout injurieux qu'ils sont à la piété ; je veux bien qu'il n'y ait point de vraie piété dans le monde, ou qu'il n'y ait qu'une piété douteuse : peut-il conclure de là ce qu'il conclut, qu'il n'a donc qu'à demeurer dans sa vie mondaine et déréglée, et que la conduite des autres est une justification de la sienne? Fausse et pernicieuse conséquence. Que toute piété soit bannie du christianisme, ou que toute piété qui paraît dans le christianisme soit sujette à de légitimes soupçons, il y a toujours un Dieu qui doit être adoré en esprit et en vérité; et quand tous les hommes lui refuseraient les justes hommages qui lui sont dus, ils ne lui seraient pas moins dus par chacun des hommes, et chacun des hommes ne serait pas moins criminel en les lui refusant. Il y a toujours une loi qui doit être observée dans tous ses points; et quand tous les hommes la violeraient, chacun des hommes ne serait pas moins obligé de l'accomplir, ni moins coupable en la transgressant. Dieu, en se faisant connaître à nous, ne nous a pas dit : Vous m'honorerez à proportion que le reste des hommes m'honorera, et parce qu'il m'honorera ; mais: Vous m'honorerez parce que je mérite de l'être, parce que je suis le Seigneur, parce que je suis votre Dieu : Ego Dominus, et non alius extra me. En nous imposant sa loi, il ne nous a pas dit : Vous ferez cela et vous vous abstiendrez de ceci, selon que vous verrez les autres le faire ou s'en abstenir ; mais vous le ferez parce que je l'ordonne, vous vous en abstiendrez parce que je le défends, et parce que j'ai pouvoir d'ordonner l'un et de défendre l'autre, parce que j'ai raison d'ordonner l'un et de défendre l'autre, parce qu'il est juste que vous fassiez l'un et que vous vous absteniez de l'autre : Mandatum quod prœcipio tibi (1). Or, indépendamment de la conduite que tiennent et que peuvent tenir tous les hommes, Dieu est toujours Dieu, et par conséquent toujours maître, toujours adorable, toujours digne de notre culte et de notre obéissance. La loi est toujours loi, l'Evangile toujours Evangile, la raison toujours raison, la justice toujours justice, le bien toujours bien, et le péché toujours

 

1 Deut., VIII, 1.

 

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péché; d'où il s'ensuit que vous devez toujours l'observer cette loi, que vous devez toujours le suivre cet Evangile ; que vous levez toujours l'écouter cette raison, que vous devez toujours la garder cette justice, que vous devez toujours pratiquer ce bien, et toujours vous préserver de ce péché.

Voici donc ce que devrait se dire à lui-même le libertin, pour raisonner juste : Qu'ai-je à faire de prendre garde à ce que font tels et tels, et que m'importe de savoir si cette piété qu'ils professent est sincère ou affectée? leur vie n'est pas ma règle : si ce sont de faux dévots, leur busse dévotion n'est pas à mon égard un titre pour être mauvais chrétien, pour me livrer impunément à mon ambition, pour m'abandonner aux mouvements de ma passion, pour négliger tous les devoirs delà religion; chacun répondra pour soi; laissons-les vivre comme ils le voudront ; mais nous, vivons comme nous le devons. En effet, mes chers auditeurs, si Dieu, dans son dernier jugement, produit contre nous certains exemples, ce ne sera pas le sujet fondamental de notre condamnation, mais ce n'en sera qu'une circonstance : ce qui décidera de notre éternité bienheureuse ou malheureuse, ce seront nos œuvres; et c'est ce que David avait admirablement compris, et ce qui le soutenait contre la corruption générale de son siècle. En quel état le voyait-il ? dans un dérèglement universel. Tous se sont égarés, s'écriait-il dans l'amertume de son cœur ; tous sont sortis des voies de Dieu : Omnes declinaverunt (1) Ce n'est partout que licence, qu'impiété, qu'abomination : Corrupti sunt, abominabiles facti sunt (2). Sous le voile même de la vertu le vice s'insinue; et de tous ceux qui paraissent les plus adonnés au bien, il n'y en a pas proprement un qui le cherche ni qui le pratique : Non est qui faciat bonum, non est usque ad unum (3). Cependant quelle conclusion tirait-il de là? en devenait-il moins fidèle à Dieu? en était-il moins zélé pour la loi de Dieu ? disait-il : Suivons le torrent ; et puisqu'il n'y a plus de piété sur la terre, renonçons-y nous-mêmes, et quittons-en tous les exercices? Ah! Seigneur, reprenait ce saint roi, que tout le monde se tourne contre vous il profane vos divins commandements, je m'y attacherai toujours, et je n'oublierai jamais la plus essentielle de mes obligations, qui est de vous servir : Ego autem non dereliqui mandata tua (4). Ainsi en usa Tobie au milieu de tout un peuple idolâtre et superstitieux. On courait

 

1 Ps., XIII, 3.— 2 Ibid., 1 — 3 Ibid., 3.— 4 Ps., CVXIII, 87.

 

de toutes parts à des veaux d'or, pour leur présenter un encens sacrilège, et, par une fausse religion, on se prosternait devant ces idoles; mais lui, se séparant de la multitude, il allait à Jérusalem reconnaître le vrai Dieu et lui offrir ses vœux : Hic solus fugiebat consortia omnium, sed pergebat in Jerusalem ad templum Domini, et ibi adorabat Dominum Deum Israël (1).

Voilà donc la conséquence du libertin détruite : mais si je remonte jusqu'aux principes sur lesquels il s'appuie, je ne le trouve pas mieux établi dans son injuste prétention. Car, quoique je sois le premier à déplorer la triste décadence du christianisme ; et quoique je déclame si souvent et si hautement contre les désordres qui y règnent, et qui se sont glissés jusque dans la pratique de la piété, je n'ai garde néanmoins de confondre le bon grain avec l'ivraie ; et convenant avec vous qu'il y a des hypocrites, je n'en suis pas moins persuadé qu'il y a des âmes solidement et vraiment vertueuses. Non, mes Frères, Dieu n'a point tellement abandonné son Eglise qu'il ne se soit réservé de parfaits adorateurs, comme autrefois il s'en réserva parmi les Juifs, lorsque cette aveugle nation tomba dans l'infidélité. Nous voyons encore des hommes tels que la religion les demande, et dont la vie exemplaire nous peut servir de modèle ; nous voyons des femmes, des vierges dont la ferveur nous édifie, et dont la dévotion ardente, charitable, humble, désintéressée, a tous les caractères de la sainteté évangélique. Outre ceux ou celles que la Providence, par une vocation particulière, a renfermés dans les solitudes et dans les cloîtres, il y en a dans tous les états : il y en a jusqu'à la cour ; et si le libertin les méconnaît, ils ne feront pas moins devant Dieu sa condamnation, parce qu'il affecte de les méconnaître ; parce qu'il ferme volontairement les yeux pour ne pas apercevoir ces lumières dont l'éclat l'importune, en lui découvrant sa misère ; parce qu'il ne tâche à les éteindre, du moins à les obscurcir, qu'afin de se dérober à lui-même la connaissance de son iniquité, et de s'épargner le remords que cette vue excite malgré lui dans son cœur. S'il était de meilleure foi, il rendrait gloire à Dieu et justice à la vertu; il s'humilierait et se confondrait, et peu à peu cette confusion salutaire le convertirait : mais comme il ne veut ni se confondre et s'humilier, ni changer et se convertir, il conteste ce qu'il y a de plus évident; il l'interprète, non

 

1 Tob., I, 5.

 

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selon la vérité ni selon les apparences, mais selon son gré et son intérêt Si le public se déclare, il tient seul contre ce jugement public, et il imagine des raisons de soupçonner, où personne ne forme le moindre doute. Mais grâces immortelles vous en soient rendues, Seigneur, vous êtes encore connu en Israël, et votre saint nom est encore révéré sur la terre. En vain le pécheur et le mondain s'inscrit en faux contre tout ce qu'on lui rapporte et tout ce qu'il voit; ce qui reste de piété dans le monde ne porte pas moins témoignage contre son péché : et de ne vouloir pas céder à la force et à l'évidence de ce témoignage, bien loin de l'excuser, c'est ce qui redouble son crime. Mais que sais-je, dit-il, ce qui se passe dans l'âme, et si l'intérieur répond à ces beaux dehors qui frappent les yeux? Et moi je lui dis: Pourquoi, mon cher auditeur, de deux partis prenez-vous toujours le moins favorable ? et, sur un soupçon vague et sans nulle preuve particulière, pourquoi voulez-vous que ces dehors trompent toujours parce qu'ils trompent quelquefois ? Mais ces exemples, ajoute-t-il, de vertus véritables et incontestables sont bien rares. Il est vrai ; mais, quoique rares, ce seront toujours des titres convaincants pour justifier l'arrêt que Dieu prononcera contre vous : car il est en votre pouvoir de les imiter ; et d'ailleurs le Fils de Dieu vous a fait expressément entendre que le nombre de ses élus est très-petit, et qu'il faut se conformer à ce petit nombre, qu'il faut marcher avec ce petit nombre, qu'on ne peut être sauvé que dans ce petit nombre. Heureux si désormais vous le suivez, et si vous cessez «l'en être l'injuste censeur, pour en devenir le fidèle imitateur! heureux qui le suivra comme vous ! Mais parlons présentement au chrétien lâche, et montrons-lui combien il est faible et coupable dans sa faiblesse, quand il se trouble de l'hypocrisie d'autrui jusqu'à s'éloigner des voies de Dieu. C'est la seconde partie.

 

DEUXIÈME  PARTIE.

 

Il ne faut pas s'étonner si l'hypocrisie, dont les libertins profitent pour se confirmer dans leur libertinage, est aux chrétiens faibles et tièdes un sujet de trouble, et une tentation dangereuse pour les détourner de la vraie piété. Le démon, qui est le père du mensonge, étant par la même raison le père de l'hypocrisie ; et Dieu, comme nous l'apprenons de l’Evangile, lui permettant de se servir de l'hypocrisie pour perdre même, s'il était possible, les élus, on peut dire qu'il n'y a rien en cela qui ne soit très-naturel. Il s'agit seulement de bien établir en quoi consiste cette tentation, afin de la pouvoir détruire, et de bien connaître le mal qu'elle cause, pour y apporter le remède: et c'est ce que vous attendez maintenant de moi. Or je trouve que cette tentation a trois pernicieux effets dans les chrétiens faibles. Car, premièrement, elle leur imprime une crainte servile de passer dans le monde pour hypocrites et pour faux dévots ; et cette crainte leur est un obstacle à l'accomplissement des plus saints devoirs de la religion. Secondement, elle produit en eux un dégoût de la piété, fonde, disent-ils, sur ce que la piété, quoique solide en elle-même et estimable devant Dieu, a le malheur d'être sujette à la censure des hommes et à la malignité de leurs jugements. Enfin ils tombent par là dans un abattement de cœur qui va souvent jusqu'à leur faire abandonner le parti de Dieu, plutôt que de s'engager à soutenir la persécution, c'est-à-dire à essuyer la raillerie qu'ils se persuadent que ce reproche odieux, ou même que le simple soupçon d'hypocrisie leur attirerait. De savoir, nies chers auditeurs, si en tout cela ils sont excusables, c'est ce que nous allons examiner : mais auparavant comprenez quel est leur état, ou, pour mieux dire, leur désordre : le voici.

Ils voudraient s'attacher à Dieu et faire profession de le servir; mais ils craignent de passer pour hypocrites, et cette crainte les arrête: car voilà ce que nous voyons tous les jours, nous, ministres de Jésus-Christ, secrets confidents des âmes et dépositaires de leurs sentiments ; voilà ce qui fait perdre à nos exhortations les plus pathétiques toute leur vertu, et ce qui rend notre ministère inutile auprès de tant de chrétiens lâches. Ils ont du penchant pour la piété ; ils connaissent là-dessus leurs obligations, et ils seraient très-disposés à y satisfaire. Nous tachons à les y porter, nous leur en représentons l'importance et la nécessité. Ils nous écoutent, ils goûtent tout ce que nous leur disons, ils en paraissent édifiés, et il semble qu'ils soient déterminés à le mettre en pratique ; mais dès qu'il faut faire le premier pas, une malheureuse réflexion survient, et c'est assez pour les retenir. Que pensera-t-on de moi, et à quels raisonnements vais-je m'exposer? croira-t-on que c'est la piété qui me fait agir ? on se figurera que j'ai mes vues, et que je tends âmes tins; on empoisonnera mes plus saintes actions ; on donnera à mes plus droites intentions un mauvais tour, et l'on en rira. N'est-ce pas ainsi qu'on demeure dans un état de vie

 

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d'où l'on souhaiterait de sortir, et que, pour éviter une hypocrisie, du moins pour en éviter li réputation et le nom, on tombe pour ainsi dire dans une autre ? Car si c'est une hypocrisie d'avoir les dehors de la piété sans en avoir le fond, n'en est-ce pas une d'avoir dans le Cœur l'estime de la piété, le désir de la piété, les sentiments de la piété, et d'affecter des dehors tout opposés ; de condamner en apparence et qu'intérieurement on approuve, et d'approuver ce qu'intérieurement on condamne ; de se déclarer pour le monde et d'en suivre les voies corrompues, lorsqu'on en connaît la corruption, qu'on en a même une secrète horreur, et qu'on gémit de s'y voir engagé; de s'éloigner de Dieu et de quitter ses voies, lorsqu'on juge que ce sont les plus droites et les plus sûres, et qu'une heureuse inclination, soutenue de la grâce, nous y attire ; en un mot, de se montrer tout autre qu'on n'est en effet? Quoi qu'il en soit, voilà où en sont réduits une multitude infinie de chrétiens ; voilà l'esclavage où leur lâcheté les tient asservis. Au lieu de prendre l'esprit de saint Paul, cet esprit généreux et saintement libre, cet esprit supérieur au monde et à tous ses discours, cet esprit élevé et indépendant; au lieu de dire connue cet apôtre : Mihi autem pro minimo est ut a vobis judicer aut ab humano die (1). Pour moi je suis peu en peine de quelle manière vous parlerez, ou quelque homme que ce soit, quand il s'agit de ce que je dois à mon Dieu : accusez-moi tant qu'il vous plaira de déguisement et d'hypocrisie, pourvu que j'en sois innocent devant celui qui est mon juge, je me consolerai, et de votre jugement j'en appellerai au sien : Qui autem judicat me, Dominus (2) ; au lieu d'entrer dans cette disposition vraiment chrétienne, ils se laissent prévenir des fausses idées d'une prudence toute charnelle, et vivent dans une servitude plus honteuse mille fois que tous les mépris dont ils se font de si vains fantômes.

Ce n'est pas tout. De cette crainte, dont les serviteurs mêmes de Dieu ne sont pas exempts, suit le dégoût de la piété, et la raison en est Évidente. Car, comme a remarqué saint Chrysostome, n'y ayant rien dans le monde de plus méprisable ni de plus méprisé que l'hypocrisie; et un certain amour-propre qui subsiste en nous jusque dans les plus saints états se trouvant blessé du seul soupçon de ce vice, nous devons aisément et naturellement nous dégoûter de ce qui nous expose à ce soupçon.

 

1 Cor., IV, 3. — 2 Ibid.,   4.

 

Or, à moins d'une grâce forte qui nous élève au-dessus de nous-mêmes et qui guérisse sur ce point notre faiblesse, nous nous imaginons, et nous croyons même en avoir l'expérience, que c'est là le sort de la piété, et qu'il est presque impossible de l'embrasser et de la pratiquer sans avoir tous les jours cette peine à soutenir, c'est-à-dire sans être tous les jours, sinon condamné, au moins soupçonné d'hypocrisie. Et parce qu'un tel soupçon est en lui-même très-humiliant, et que la délicatesse de notre orgueil ne le peut souffrir, de là vient qu'ébranlés, ou, si vous voulez, que fatigués de cette tentation, nous perdons peu à peu la joie intérieure, qui est un des plus beaux fruits de la piété ; que nous nous rebutons de ses pratiques; que nous devenons tièdes, languissants, pusillanimes sur tout ce qui regarde le culte de Dieu ; que nous n'accomplissons plus les obligations  du christianisme  qu'avec cet esprit de chagrin, qui, selon saint Paul, en corrompt toute la perfection et tout le mérite. Mais si la persécution du monde se joint à cela, je veux dire si ce dégoût de la piété vient encore à être excité par les paroles piquantes et par les insultes, on succombe enfin, on se relâche, on se dément. Cette persécution de la piété, sous le nom d'hypocrisie, se présentant à l'esprit, on s'en fait un monstre et un ennemi terrible. En se consultant soi-même, on n'y croit pas pouvoir résister, on désespère de ses forces, on se délie même de celles de la grâce, on quitte entièrement le  parti de Dieu; et, plutôt que d'être traité d'hypocrite, on devient impie et libertin. Voilà, dis-je, mes chers auditeurs, les trois déplorables effets de cette tentation dont je voudrais aujourd'hui vous préserver. Or, je prétends que ce scandale est très-déraisonnable , et qu'à l'égard d'un homme chrétien, il ne peut être justifié dans aucun de ces trois chefs. Suivez ceci, s'il vous plaît.  Je soutiens qu'un chrétien n'a jamais de sujet légitime pour craindre qu'on le mette au rang des hypocrites et des faux dévots : pourquoi? parce qu'il lui est aisé, pour peu qu'il fasse de réflexion sur sa conduite, de se garantir de cette tache; parce qu'il sait fort bien comment il peut servir Dieu de telle sorte que le monde même soit convaincu de sa droiture; parce qu'il ne tient qu'à lui d'allier, quand il voudra ,  l'exercice d'une piété solide devant Dieu, et la réputation d'une parfaite sincérité devant les hommes. Car, quoiqu'on matière de religion il y ait eu en tout temps de l'artifice, quoiqu'il soit vrai que les apparences sont

 

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trompeuses, quoique le discernement en soit quelquefois difficile, et que les hommes s'y laissent assez souvent tromper, il faut après tout convenir que la vraie vertu a certains traits éclatants par où elle se fait bientôt connaître. C'est une lumière, dit saint Augustin, qui en découvrant toutes choses se découvre encore mieux elle-même ; c'est un or pur qui se sépare sans peine de tous les autres métaux, c'est un modèle qui ne peut être si bien contrefait qu'il ne se distingue toujours de ses copies. J'avoue que la sainteté a des caractères équivoques, capables de séduire; mais aussi en a-t-elle d'infaillibles, qui, lui étant uniquement propres, ne peuvent être suspects. Une humilité sans affectation , une charité sans exception et sans réserve, un esprit de douceur pour autrui et de sévérité pour soi-même, un désintéressement réel et parfait, une égalité uniforme dans la pratique du bien , une soumission paisible dans la souffrance, tout cela est au-dessus des jugements mauvais, et l'on ne s'avise point de donner à tout cela le nom d'hypocrisie. Nous avons donc tort de prétexter pour excuse de nos relâchements dans la voie de Dieu cette malignité du siècle, qui, en fait de dévotion, confond le vrai avec le faux. La malignité du siècle ne va point jusque-là. Soyons humbles, renonçons à nous-mêmes, marchons simplement et de bonne foi ; et le monde, tout injuste qu'il est, nous fera justice. Tenons-nous dans le rang où Dieu nous a mis, par un saint attachement à ses ordres, et on ne nous confondra point avec ceux qui falsifient ou qui altèrent son culte. Faisons luire, selon la règle de l'Evangile, cette lumière de notre foi par l'édification de nos œuvres ; et les hommes, glorifiant Dieu dans nous, seront les premiers à nous en rendre le témoignage. Que jamais donc une crainte vaine d'être pris pour ce que nous ne sommes pas, j'entends pour hypocrites, ne nous empêche d'être constamment ce que nous devons être, je veux dire chrétiens.

Il en est de même des deux autres effets du scandale que je combats. Vous dites que le malheur de la piété, d'être exposée au soupçon de l'hypocrisie, est ce qui vous en fait naître le dégoût : et moi je vous réponds avec saint Jérôme que c'est ce qui vous en doit inspirer le zèle; et que, s'il y a une raison qui vous oblige indispensablement de prendre à cœur ses intérêts, c'est cette même iniquité des hommes dans la liberté qu'ils se donnent de soupçonner et de juger ceux qui la professent.

Pourquoi cela ? parce que c'est à vous de vous opposer à cette iniquité, de détruire ces soupçons, de réfuter ces jugements, et de montrer par votre vie que, quoi qu'en pense le monde, Dieu ne manque point encore de vrais serviteurs. C'est à vous, dis-je, d'en être une preuve, et d'en convaincre le libertinage : car qui le fera, si ce n'est vous qui connaissez Dieu, et qui, par l'expérience des dons de sa grâce, savez combien il est honorable et avantageux d'être à lui ? Mais comment le ferez-vous, si vous vous dégoûtez de son service, et si par votre délicatesse, ou plutôt par votre lâcheté, vous vous éloignez de la piété par la raison même qui vous engage à être encore plus zélé pour elle, et à vous y attacher avec plus d'ardeur? Ainsi ce que vous alléguez pour justifier ce dégoût est justement ce qui le rend criminel. En effet, Chrétiens, il est hors de doute que, dans les temps où l'hypocrisie règne le plus, c'est alors que les véritables fidèles ont une obligation plus étroite de s'intéresser pour Dieu et pour la pureté de son culte : et comme nous pouvons dire, à notre honte, que le siècle où nous vivons est un de ces siècles malheureux, puisqu'il est certain que jamais l'abus de la dévotion apparente et déguisée n'a été plus grand qu'il l'est aujourd'hui, de là je conclus que jamais Dieu n'a exigé de nous plus de ferveur, et que ce qu'il y a parmi nous de vrais chrétiens, bien loin de s'affliger et de se refroidir dans cette vue , doivent s'enflammer d'un feu tout nouveau pour la loi de Dieu, s'en déclarant tout haut comme ce brave Machabée, et y attirer les autres par leur exemple : Omnis qui habet zelum legis, exeat post me (1).

Mais pour cela, direz-vous, il faut se résoudre à être persécuté du monde. Eh bien! mon cher auditeur, quelle conséquence tins vous de là ? Quand il s'agirait d'être persécuté, devriez-vous renoncer au parti de Dieu? Faudrait-il abandonner la piété , parce que le monde lui est contraire? Ces persécutions que le libertinage vous susciterait auraient-elles quelque chose de honteux pour vous? en pourriez-vous souhaiter de plus glorieuses ? La seule consolation de les endurer pour une si digne cause ne devrait-elle pas , non-seulement vous remplir de force, mais de joie? Ah! Chrétiens, quels sentiments doivent produire en nous ces paroles du Sauveur : Qui me erubuerit et meos sermones, hunc Filius Hominis erubescet, cum venerit in majestate sua (2) ; Si quelqu'un rougit de moi devant les hommes,

 

1 1 Machab., II, 27. — 2 Luc, IX, 20.

 

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je rougirai de lui devant mon Père. Une telle déclaration, qui a inspiré tant de hardiesse et tant de courage aux confesseurs de la foi, ne suffit-elle   pas pour détruire au moins dans votre esprit le scandale de votre propre faiblesse ? et si vous y succombiez, que pourriez-vous répondre à Jésus-Christ, je ne dis pas dans le jugement exact et rigoureux que vous aurez un jour à subir, mais dès à présent et dans le secret de votre conscience? Seriez-vous bien reçus ou bien recevables à dire que vous n'avez pu consentir qu'on vous traitât d'hypocrites, et que cela seul a ralenti votre zèle, et vous a empêchés de rien entreprendre ni de rien exécuter pour Dieu? Et qu'auriez-vous donc lait, mon cher auditeur, si vous aviez été aussi rudement attaqué que les martyrs. Comment auriez-vous soutenu les affreuses épreuves par où ils ont passé ? comment auriez-vous résisté jusqu'à l'effusion de votre sang, si vous ne tenez pas contre une légère contradiction ! Voilà ce que je pourrais vous répondre. Mais je n'ai pas même besoin de tout cela pour vous faire voir combien ce prétendu scandale que vous cause l'hypocrisie est mal fondé. La seule erreur où vous êtes que le monde, sous le nom d'hypocrisie, persécute la vraie piété, est ce qui vous a fait prendre jusques ici de si fausses mesures. Vous vous trompez, Chrétiens ; le monde, tout impie qu'il est, ne persécute point absolument la vraie piété. Autant qu'il a de peine à en convenir et à la reconnaître  pour vraie, autant, dès qu'il la connaît telle, est-il déterminé a l'honorer. C'est un hommage qu'il lui rend, il dont il ne se peut défendre. Et quoique, en la respectant, il se condamne lui-même, aux dépens de lui-même, il la respecte jusqu'à sa propre condamnation. Pratiquez la piété avec toutes les conditions que je vous ai marquées, le monde que vous craignez vous donnera les justes éloges qui vous seront dus. Ainsi vous n'aurez nul prétexte de vous scandaliser, par faiblesse, de l'hypocrisie d'autrui ; et il ne vous restera plus qu'à ne vous y laisser pas surprendre par simplicité. C'est le sujet de la troisième partie.

 

TROISIÈME  PARTIE.

 

C'est une remarque de saint Chrysostome, que s'il n'y avait point dans le monde de simplicité, il n'y aurait point de dissimulation ni d'hypocrisie; et la preuve qu'il en donne est Convaincante : parce que l'hypocrisie, dit-il, m subsiste que sur le fondement et la présomption de la simplicité des hommes, et qu'il est évident que l'hypocrite renoncerait à ce qu'il est, s'il ne s'assurait qu'il y aura toujours des esprits faciles à tromper, et capables d'être surpris par ses artifices. En effet, Chrétiens, on s'y laisse surprendre tous les jours ; et ce qui est bien terrible quand on l'examine selon les règles de la conscience et du salut, on s'y laisse surprendre jusqu'à quitter le parti de la vérité pour embrasser celui de l'erreur, et jusqu'à se déclarer contre le bon droit pour favoriser l'injustice. Deux désordres, sources d'un million d'autres, et qui, pour l'importance de leurs suites, demanderaient un discours entier, si l'heure ne me pressait de finir.

On quitte le chemin de la vérité, et on s'égare dans des erreurs pernicieuses, parce qu'on se laisse éblouir par l'éclat d'une spécieuse hypocrisie ; et c'est par là, comme l'observe le chancelier Gerson, et comme je vous l'ai donné moi-même plus d'une fois à connaître, c'est par là que presque toutes les hérésies ont fait des progrès si surprenants, et qu'elles ont corrompu la foi de tant de chrétiens. Car voici, mes chers auditeurs, ce qui arrivait et ce que Dieu permettait, par un secret impénétrable de sa providence. On voyait des hommes qui, pour donner crédit à leurs nouveautés et pour autoriser leurs sectes, prenaient tout l'extérieur de la piété la plus scrupuleuse et la plus rigide, et qui, s'introduisant par cette voie, répandaient leur venin dans les parties les plus saines de l'Eglise. Ils n'avaient qu'à paraître revêtus, comme parle l'Evangile, de cette peau de brebis qui les couvrait, pour attirer les peuples à leur suite. Au seul nom de réforme qu'ils faisaient partout retentir, chacun applaudissait, les ignorants étaient prévenus, les gens de bien gagnés, les dévots charmés. Tout cela, dans la plupart, n'était que l'effet d'une simplicité populaire, je l'avoue ; mais cette simplicité, séduite par l'hypocrisie, ne laissait pas de faire des approbateurs, des fauteurs, des sectateurs de l'hérésie, c'est-à-dire des prévaricateurs de leur foi et des déserteurs de la vraie religion. S'ils avaient su que ces hérésiarques travestis en brebis étaient au fond des loups ravissants, ils auraient été bien éloignés de s'attacher à eux ; mais parce qu'ils étaient simples sans être prudents, ils les suivaient en aveugles, et tombaient avec eux dans le précipice.

Voilà ce qui touche l'intérêt de la vérité. En est-il de même de l'équité et de la justice dans le commerce et la société des hommes? Oui, mes Frères, répond saint Bernard, traitant

 

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ce même sujet. Comme par l'illusion et par la surprise de l'hypocrisie on s'engage dans l'erreur au préjudice de la vérité, aussi par la même surprise s'engage-t-on souvent à soutenir l'injustice contre le bon droit, le crime contre l'innocence, la passion contre la raison, l'incapacité contre le mérite : et cet abus est encore plus commun que l'autre. Vous savez, Chrétiens, ce qui se pratique, et l'expérience du monde vous l'aura fait connaître bien mieux qu'à moi. Qu'un homme artificieux ait une mauvaise cause, et qu'il se serve avec adresse du voile de la dévotion, dès là il trouve des solliciteurs zélés, des juges favorables, des patrons puissants, qui, sans autre discussion, portent ses intérêts quoique injustes, et qui, sans considérer le tort qu'en souffriraient de malheureuses parties, croient glorifier Dieu en lui donnant leur protection et en l'appuyant. Que sous ce déguisement de piété un homme ambitieux et vain prétende à un rang dont il est indigne et qui ne lui est pas dû, dès là, il ne manque point d'amis qui négocient, qui intriguent, qui briguent en sa faveur, et qui ne craignent ni d'exclure pour lui le plus solide mérite, ni de se charger devant Dieu des conséquences de son peu d'habileté : pourquoi? parce qu'ils sont, pour ainsi dire, fascinés parle charme de son hypocrisie. Enfin, qu'an homme violent et passionné, mais en même temps hypocrite, exerce des vexations, suscite des querelles, trouble par ses entreprises le repos de ceux qu'il lui plaît d'inquiéter, et qu'en tout cela il fasse le personnage de dévot, dès là il est sûr d'avoir des âmes dévouées qui loueront son procédé, qui blâmeront ceux qu'il opprime, et qui, ne jugeant des choses que par cette première vue d'une probité fausse et apparente, justifieront les passions les plus visibles et condamneront la vertu même. Car c'est ainsi que l'hypocrisie, imposant à la simplicité, lui fait commettre sans scrupule les plus grossières injustices ; et je serais infini si j'en voulais produire toutes les espèces.

On demande donc si ceux qui se laissent surprendre de la sorte sont excusables devant Dieu. Ecoutez, Chrétiens, une dernière vérité , d’autant plus nécessaire pour vous que peut-être n'en avez-vous jamais été instruits. On demande, dis-je, si les égarements dans la foi, et si les défauts de conduite qui blessent la charité et la justice envers le prochain, seront censés pardonnables au tribunal du souverain Juge, parce qu'on prétendra avoir été trompé et séduit par l'hypocrisie. Et moi je réponds que cette excuse sera l'une des plus frivoles dont un chrétien se puisse servir : pourquoi cela ? par deux raisons tirées des paroles mêmes de Jésus-Christ, et qui ne souffrent point de réplique. Parce que Jésus-Christ, prévoyant les maux que devait produire cet éclat de la fausse piété, ne nous a rien tant recommandé dans l'Evangile que de nous en donner de garde, que d'y apporter tout le soin d'une sainte circonspection et d'une exacte vigilance, que de ne pas croire d'abord à toute sorte d'esprits, que de nous défier particulièrement de ceux qui se transforment en anges de lumière; en un mot, que de nous précautionner contre ce levain dangereux des pharisiens, qui est l'hypocrisie : Attendite a fermento pharisœorum,quod est hypocrisis (1). Faites-y attention, défendez-vous en : Attendite. Or, c'est à quoi nous ne pensons jamais, vivant sur cela dans une négligence, ou pour mieux dire, dans une indifférence extrême ; donnant à tout, ne discernant rien, nous comportant comme si nous étions peu en peine d'y être surpris, et même comme si nous voulions l'être. Et ne le voulons-nous pas en effet, surtout quand cette illusion satisfait notre vanité ou notre curiosité ? D'où je conclus que s'il en arrive des désordres, c'est-à-dire si notre foi ou notre charité viennent à en être altérées, bien loin de mériter grâce, nous sommes doublement coupables auprès de Dieu, et du désordre causé par notre erreur, et de notre erreur même, parce que l'un et l'autre vient de notre désobéissance, en n'observant pas ce précepte du Sauveur : Attendite a fermenta pharisœorum.

Car enfin, mes Frères, disait saint Bernard, si l'on avertissait un voyageur qu'il y a un précipice dans son chemin dont il doit se préserver, et que, négligeant cet avis salutaire, et marchant au hasard, il s'y jetât par son imprudence, ne serait-il pas inexcusable dans son malheur? Or voilà justement notre état. Jésus-Christ nous a dit en termes exprès : Prenez bien garde, parce qu'il s'élèvera de faux prophètes, qui viendront sous mon nom, qui auront l'apparence de la sainteté, qui feront même des prodiges, et qui, par ce moyen, en pervertiront plusieurs; et je vous le prédis, afin qu'ils ne vous séduisent pas : Videte ne quis vos seducat (2). C'est ainsi qu'il nous a parié; et cette leçon, encore une fois, est celle de tout l'évangile que ce divin Maître semble avoir eu plus à cœur de nous faire comprendre.

 

1 Luc, XII, 1. — 2 Matth., XXIV, 4.

 

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Cependant, c'est celle que nous voulons comprendre le moins. Notre unique règle est de nous abandonner sur ce point à notre caprice; et il n'y a rien où nous affections davantage d'agir par la préoccupation de nos idées, sans vouloir écouter notre raison ni notre foi, pour peu que notre foi et notre raison s'opposent à notre goût et contredisent les sentiments de notre cœur. Après cela, si nous faisons de basses démarches, et si nous nous égarons dans les voies du salut, pouvons-nous prétendre que notre simplicité soit un sujet légitime de justification pour nous? Mais, quelque précaution que l’on y apporte, il est difficile de n'être pas trompé par l'hypocrisie. Vous le dites, et moi je soutiens qu'après les règles admirables que Jésus-Christ nous a données, il n'est rien de plus aisé que d'éviter cette surprise dans les choses dont nous parlons, qui sont celles de la conscience et du salut éternel. Car en matière de religion, par exemple, cet Homme-Dieu nous a déclaré que la preuve infaillible de la vérité était la soumission à son Eglise; que hors de là toutes les vertus qui se pratiquaient n’étaient qu'hypocrisie et que mensonge; et que quiconque n'écoutait pas son Eglise, fût-il un ange descendu du ciel, il devait être regardé comme un païen et comme un publicain. S'il arrive donc que, sans avoir égard à une instruction si positive et si importante, nous nous attachions à un parti où cet esprit de soumission ne se trouve pas; dès là, quoique séduits par l'hypocrisie, nous sommes criminels, et notre erreur est une infidélité. Et voilà ce qui confondra, dans le jugement de Dieu, tant d'âmes réprouvées qui, par une implicite pleine d'indiscrétion, ont adhéré aux sectes et aux hérésies sous ombre d'une réforme imaginaire. Car, de quelque bonne foi Qu'aient été, à ce qu'il semble, ceux qui se mil engagés dans le schisme de Luther ou dans celui de Calvin, s'ils avaient suivi la règle du Fils de Dieu, et s'ils en avaient fait la juste application qu'ils en pouvaient et qu'ils en devaient faire, ils auraient aisément découvert le piège qu'on leur dressait, et recueil où ils se laissaient conduire. Et il ne faut point me répondre qu'ils allaient où ils croyaient voir le plus grand bien; car c'est par là que tant d’âmes chrétiennes,quittant la voie simple de la piété pour marcher dans des voies plus hautes, mais détournées, se sont perdues et se perdent tous les jours; malheur que sainte Thérèse déplorait autrefois, et pour lequel Dieu la suscita, afin de nous donner dans sa personne l'idée d'une conduite prudente et droite ; c'est, dis-je, par là que le démon, sous prétexte non-seulement du bien, mais du plus grand bien, les fait tomber dans l'abîme; démon que Marie, toute remplie de grâce qu'elle était, appréhenda, quand elle se troubla à la vue d'un ange, se défiant d'autant plus de ce qu'il lui proposait, que c'étaient des mystères plus sublimes; démon dont saint Paul, tout ravi qu'il avait été au troisième ciel, craignait les ruses et les artifices, quand il disait: Nous n'ignorons pas ses desseins, et nous ne savons que trop que cet esprit de ténèbres se montre souvent sous la forme d'un esprit de lumière : démon que les apôtres eux-mêmes  redoutaient,  lorsque,  voyant Jésus-Christ ressuscité, ils s'écriaient que c'était un fantôme, ne se fiant pas à leurs propres yeux, ni à la présence de cet Homme-Dieu; démon, dit saint Bernard, qui,  des quatre persécutions dont l'Eglise a été affligée, y entretient la plus dangereuse. La première a été celle des tyrans qui, par la cruauté des supplices, ont voulu arrêter l'établissement de la foi; la seconde, celle des hérésiarques qui, parla nouveauté de leurs dogmes, ont corrompu la pureté de la doctrine ; la troisième, celle des catholiques libertins qui, par leurs relâchements, ont perverti la discipline des mœurs ; mais la dernière et la plus pernicieuse est celle des hypocrites, qui, pour s'insinuer et pour se faire croire, contrefont la piété, et la plus parfaite piété.  Il est donc de notre devoir et d'une nécessité indispensable d'user de toute notre vigilance pour nous tenir en garde contre eux. Sans cela Dieu nous menace de nous comprendre dans l'anathème qu'il lancera sur leur tête : Et partem ponet cum hypocritis (1). Et parce que le Sauveur des hommes nous avertit de joindre toujours la prière à la vigilance, c'est encore une obligation pour nous d'avoir recours à Dieu, et de lui dire souvent avec son prophète : Notant fac mihi viam in qua ambulem, quia ad te levavi animam meam (2); Montrez-moi, Seigneur, la route où je dois marcher ; ne permettez pas qu'une trompeuse illusion m'aveugle. Le monde est rempli de faux guides d'autant plus à craindre qu'ils sont plus adroits à se cacher, et que leurs intrigues sont plus secrètes. C'est pour cela que je m'adresse à vous, ô mon Dieu, afin que vous m'aidiez des lumières de votre grâce, et qu'à la faveur de cette clarté divine je  puisse  heureusement parvenir au terme de la gloire où nous conduise, etc.

 

1 Matth., XXIV, 51. — 2 Psal., CXLII, 8.

 

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