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CHAPITRE X. Notre Seigneur Jésus-Christ naît de la Vierge Marie en Bethléem de
Judée.
Instruction que je reçus de la sacrée Vierge.
Instruction que je reçus de la Reine du ciel.
Instruction que la Maîtresse de l’univers me dona.
Instruction que l'auguste Marie me donna.
CHAPITRE XIV. L'Enfant-Dieu est circoncis et appelé Jésus.
Instruction que je refus de mon auguste Maîtresse.
Instruction que la très-sainte Vierge me donna.
CHAPITRE XVI. Les trois rois mages viennent de l'Orient et adorent le Verbe
incarné à Bethléem.
Instruction que je reçus de la Reine du ciel.
CHAPITRE X. Notre Seigneur Jésus-Christ naît de la Vierge Marie en Bethléem de
Judée.
469. Le palais que le
souverain Roi des rois et le Seigneur des seigneurs avait préparé dans le
monde pour loger son Fils éternel incarné pour les hommes, était la pauvre et
humble cabane ou grotte dans laquelle la très-pure
Marie et Joseph se retirèrent après avoir été rebutés de ces mêmes hommes,
sans en pouvoir obtenir le moindre témoignage de compassion naturelle, comme
il a été dit au chapitre précédent
307
Ce
lieu était si misérable, que; la ville de Bethléem se trouvant si remplie
d'étrangers qu'il n'y avait pas assez d'hôtelleries pour les recevoir tous, il
n'y eut pourtant personne qui daignât s'en emparer parce qu'en effet il ne
pouvait convenir et appartenir qu'aux maîtres de l'humilité et de la pauvreté,
notre Seigneur Jésus-Christ et sa très-sainte
Mère. Et c'est pourquoi la sagesse du Père éternel le leur réserva, le
consacrant, avec les ornements de la solitude et de la pauvreté, comme le
premier temple de la Lumière et la première maison du véritable Soleil de
justice (1), qui devait naître pour ceux qui ont le coeur droit, de Marie,
resplendissante aurore au milieu des ténèbres de la nuit (2), symbole de
celles du péché, qui couvraient tout le monde.
470. L'auguste Marie et
Joseph entrèrent dans cet asile qui leur avait été préparé, et, à la lumière
que répandaient les dix mille anges qui les accompagnaient, ils purent
facilement reconnaître avec une grande consolation et des larmes de joie qu'il
était pauvre et solitaire comme ils le souhaitaient. Aussitôt les deux saints
voyageurs se mirent à genoux, louèrent le Seigneur et lui rendirent des
actions de grâces pour ce bienfait, n'ignorant pas qu'il leur avait été
destiné par les secrets jugements de la sagesse éternelle. Notre
diviné Princesse fut celle qui pénétra le plus ce
grand mystère, parce qu'en sanctifiant cette petite grotte par sa sacrée
présence, elle sentit une plénitude de joie
(1) Malach., IV, 2. — (2) Ps., CXI, 4.
308
intérieure
qui éleva et vivifia tout son être. Elle pria le Seigneur de récompenser avec
libéralité tous les habitants de la ville, qui lui avaient procuré, en lui
refusant l'hospitalité, un si grand bonheur que celui qu'elle attendait dans
cette pauvre cabane. Elle était pratiquée dans un rocher brut et naturel, où
l'art n'avait ménagé aucune commodité, de sorte que les hommes ne la jugèrent
propre qu'à y loger le bétail mais le Père éternel l'avait choisie pour servir
d'abri et de demeure à son propre Fils.
471. Les esprits
angéliques, milice céleste qui gardait sa Reine, se rangèrent en ordre, comme
pour monter une garde d'honneur dans ce palais royal. Et, sous cette forme
corporelle et humaine qu'ils avaient prise, ils se manifestaient aussi à saint
Joseph; car il était convenable qu'il jouit dans cette occasion de cette
faveur, tant pour diminuer sa peine, en voyant ce pauvre réduit si bien orné
et embelli par les richesses du ciel, que pour soulager et animer son coeur,
et l'élever à la hauteur des événements que le Seigneur préparait cette nuit
dans un lieu si méprisé. La grande Reine du ciel, qui était informée du
mystère qui devait y être célébré, se résolut à nettoyer elle-même cette
grotte qui devait bientôt servir de trône royal et de propitiatoire sacré,
afin de ne pas perdre le mérite de cet exercice d'humilité, et de rendre à son
Fils unique un culte de respect : c'était tout ce qu'elle pouvait faire en
cette circonstance pour l'ornement de son temple.
472. Le saint époux Joseph,
attentif à la majesté
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de sa
divine épouse, qu'elle-même oubliait pour ainsi dire en vue de l'humilité, la
supplia de ne le pas priver de cet emploi , qui maintenant lui revenait; et la
prévenant, il commença à balayer et nettoyer tous les endroits de la grotte,
sans qu'il pût néanmoins empêcher notre humble Dame de le seconder. A leur
tour les saints anges , témoins pour ainsi dire
confus dans leur forme humaine et visible, de cette pieuse lutte de l'humilité
de leur Reine, se hâtèrent avec une sainte émulation d'aider à la besogne, ou,
pour mieux dire, ils nettoyèrent en très-peu de
temps cette grotte, la mirent dans un état de propreté décente, et la
rendirent toute parfumée. Saint Joseph alluma du feu avec les petits
instruments dont il s'était muni à cet effet, Et comme le froid était grand,
ils s'en approchèrent pour recevoir quelque soulagement; ensuite ils
entamèrent pour souper les frugales provisions qu'ils avaient, et ce fut avec
une joie inexprimable , quoique la Reine de
l'univers se trouvât à cette heure si proche de ses divines couches, tellement
absorbée dans le mystère, qu'elle n'aurait rien. mangé,
si ce n'eût été pour obéir à son époux.
473. Après avoir mangé, ils
rendirent grâces au Seigneur selon leur coutume. Ils employèrent quelques
instants à cette prière et à s'entretenir des mystères du Verbe incarné; mais
bientôt la très-prudente Vierge reconnut que ses
très-heureuses couches étaient fort proches. Elle
engagea son époux Joseph à prendre quelque repos, parce que 14
nuit était déjà
310
bien
avancée. L'homme de Dieu obéit à son épouse, et la supplia d'en faire autant;
et pour lui en donner le moyen, il ajusta et garnit avec les hardes qu'ils
portaient une crèche assez large, pratiquée dans l'aire de la grotte pour
servir aux animaux qui s'y réfugiaient. Et, laissant l'auguste Marie
s'installer dans ce petit lit, il se retira dans un recoin de l'entrée, où il
se mit en oraison. Il y fut aussitôt visité de l'Esprit divin, et il sentit
une force aussi douce qu'extraordinaire qui le ravit en une extase où lui fut
montré tout ce qui arriva cette nuit dans la grotte fortunée; car il demeura
dans ce ravissement sans avoir aucun usage de ses sens, jusqu'à ce que sa
divine épouse l'appela. Et le mystérieux sommeil envoyé à saint Joseph fut
bien plus sublime et plus heureux que celui d'Adam dans le paradis (1).
474. La Reine des créatures
étant dans la crèche, fut au même moment excitée par une forte vocation du
Très-Haut et par une douce et efficace transformation, qui la transporta
au-dessus de tout ce qui est créé, et elle ressentit de nouveaux effets du
pouvoir divin; car cette extase fut une des plus rares et des plus admirables
de sa très-sainte vie. Bientôt elle s'éleva plus
haut encore pour arriver à la claire vision de la Divinité par de nouvelles
lumières et par des propriétés
spéciales que le Seigneur lui accorda, dans le genre de celles que j'ai fait
connaître en d'autres rencontres. Par ces dispositions le voile lui
(1) Gen., II, 21.
311
fut ôté,
et elle vit Dieu intuitivement, avec tant de gloire et de plénitude de
science, que ni les hommes ni même les anges ne sauraient ni l'exprimer ni le
comprendre. La connaissance des mystères de la divinité et de la
très-sainte humanité de son Fils qu'elle avait
reçue dans les autres visions, lui fut renouvelée, et elle découvrit d'autres
secrets renfermés dans le sein de Dieu (1), cette source inépuisable. Je n'ai
pas de termes assez forts pour rendre ce que j'en ai appris par la divine
lumière, car la grandeur et l'abondance de la matière ne fait qu'affaiblir et
amoindrir mes paroles.
475. Le Très-Haut annonça à
sa Mère vierge qu'il était temps qu'il sortit de son sein virginal pour venir
au monde, et en quelle manière la chose devait s'accomplir. La
très-prudente Dame connut dans cette vision les
sublimes raisons et les très-hautes fins qui
déterminaient des couvres si admirables et des mystères si profonds, tant du
côté du Seigneur qu'en ce qui regardait les créatures, pour qui directement le
tout était ordonné. Elle se prosterna devant le trône de la Divinité, et lui
rendant honneur, gloire, louanges et actions de grâces, en son nom et en celui
de toutes les créatures qui devaient reconnaître une miséricorde si ineffable
et une telle preuve de l'amour infini du Seigneur, elle lui demanda une
nouvelle lumière et une grâce spéciale pour opérer dignement en tout ce qui
concernait le service du Verbe incarné,
(1) Eccles., XI, 4.
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qu'elle
devait bientôt recevoir entre ses bras et nourrir de son lait virginal. La
divine Mère fit cette demande avec une très-profonde
humilité, parce qu'elle comprenait la sublimité d'un ministère aussi nouveau
que l'était celui d'allaiter et de traiter comme mère un Dieu fait homme, et
parce qu'elle se jugeait indigne d'un tel office, dont les plus hauts
séraphins n'étaient pas capables de s'acquitter. La Mère de la Sagesse (1)
considérait et pesait toutes ces choses avec prudence et avec humilité. Et
c'est parce qu'elle s'abaissa jusqu'à la poussière, parce qu'elle s'anéantit
en la présence du Très-Haut (2) , que sa divine
Majesté l'éleva, lui donna de nouveau le titre de sa propre Mère, et lui
commanda d'exercer cet office et ce ministère comme Mère légitime et
véritable, en le traitant comme Fils du Père éternel, mais en même temps comme
fils de ses entrailles. Tout cela pouvait bien être confié à une telle Mère
(3), et dans cette qualité je renferme tout ce que je ne puis expliquer par
mes paroles.
476. La
très-pure Marie jouit plus d'une heure de cette
vision béatifique, dont il plut à Dieu de la gratifier immédiatement avant sa
divine délivrance. Et au moment où elle en sortait et reprenait ses sens, elle
reconnut et vit que le corps de l’Enfant-Dieu se
remuait dans son sein virginal, se dégageant et prenant pour ainsi dire congé
de ce lieu naturel où il avait demeuré neuf mois, et qu'il se préparait à
sortir
(1) Eccles., XXIV, 24. — (2) Luc, I, 48. — (3) Prov.,
XXXI, 11.
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de ce
sacré tabernacle. Ce mouvement de l'enfant, non-seulement
ne causa point de douleur à la Vierge-Mère, comme
il arrive aux autres filles d'Adam et d'Ève lorsqu'elles enfantent (1); mais
au contraire, il la renouvela toute dans les transports d'une joie ineffable,
de sorte que son âme et son très-chaste corps
éprouvèrent des effets si divins et si sublimes, qu'ils surpassent tout ce que
l'entendement créé peut concevoir. Son corps, resplendissant d'une beauté
céleste, se spiritualisa au point qu'elle ne paraissait plus une créature
humaine et terrestre. Son visage jetait des rayons de lumière comme un soleil
brillant de tout son éclat. Une majesté admirable était répandue sur toute sa
physionomie, et son coeur était enflammé d'un fervent amour de Dieu. Elle se
tenait à genoux dans la crèche, les yeux élevés au ciel, les mains jointes
contre la poitrine, l'esprit perdu dans la divinité qui la transformait. C'est
dans cet état, en sortant de ce divin ravissement, que notre
très-auguste Princesse donna au monde le Fils
unique du Père et le sien (2), notre Sauveur, Jésus, Dieu et homme véritable,
à l'heure de minuit, un jour de dimanche, et en l'année de la création du
monde que l'Église romaine enseigne être cinq mille cent quatre-vingt-dix
neuf , et il m'a été déclaré que cette supputation
est certaine et exacte.
477. Tous les fidèles
présupposent plusieurs autres circonstances miraculeuses de ce divin
accouchement;
(1) Gen., III, 16. — (2) Luc., II, 7.
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toutefois, comme elles n'eurent point d'autres témoins que la Reine du ciel
elle-même et ses courtisans, on ne peut pas les savoir toutes en détail,
excepté celles que le Seigneur a manifestées de diverses manières à sa sainte
Église en général ou en particulier à quelques âmes. Et comme il y a, je
crois, des opinions contraires sur ce sujet, qui est
très-relevé et de tout point vénérable, ayant déclaré à mes supérieurs
qui me conduisent ce que j'ai été chargée d'écrire sur ces mystères, ils
m'ordonnèrent de les approfondir de nouveau à la divine lumière, et de
demander à la Princesse du ciel, ma Mère et ma Maîtresse, et aux saints anges
qui m'assistent et résolvent les difficultés que je rencontre, quelques
particularités dont l'indication était nécessaire pour compléter le récit des
couches sacrées de Marie, Mère de Jésus notre Rédempteur. Et ayant obéi à cet
ordre, je reçus les mêmes communications, et il me fut déclaré que la chose
arriva comme il suit.
478. A peine la Mère
toujours vierge fut-elle sortie de la vision béatifique dont je viens de
parler, que le Soleil de justice, le Fils du Père éternel et le sien, naquit
d'elle, radieux de beauté et de pureté, la laissant dans son intégrité
virginale toujours plus consacrée et plus divinisée, car il ne fit que passer
sans aucune altération matérielle à travers les parois du tabernacle immaculé,
comme les rayons du soleil qui pénètrent une glace de cristal sans l'ébrécher,
et la rendent plus belle et plus éclatante. Et avant que d'expliquer la
manière miraculeuse avec laquelle cela
315
eut
lieu, je dis que l'Enfant-Dieu naquit sans cette
membrane appelée secondine, qui embarrasse
les autres enfants à leur naissance et les enveloppe dans le sein de leur
mère. Je ne m'arrête point à expliquer comment a pu se répandre l'erreur de
l'opinion contraire. Il suffit de savoir et de présupposer qu'en la génération
du Verbe humanisé et en sa naissance, le puissant bras du Très-Haut prit et
choisit de la nature tout ce qui appartenait à la réalité et à la substance de
la génération humaine, afin qu'on pût véritablement dire que le Verbe fait
homme a été réellement conçu et engendré de la substance, et est né vrai fils
de sa mère toujours vierge. Quant aux autres conditions, qui sont simplement
accidentelles et non point essentielles à la génération et à la naissance, on
doit en écarter de notre Seigneur Jésus-Christ et de sa
très-sainte Mère non-seulement celles qui
proviennent du péché originel ou actuel, ou qui s'y rattachent; mais encore
beaucoup d'autres qui ne dérogent point à la substance de la génération ou de
la naissance, et qui renferment dans les termes de la nature soit quelque
chose d'impur, soit quelque chose de superflu, qui n'était pas nécessaire pour
qu'on pût appeler la Reine du ciel, Mère véritable, et notre Seigneur
Jésus-Christ son propre Fils, et qu'on pût dire qu'il est né d'elle. En effet,
ces suites du péché ou ces opérations de la nature, n'étaient essentielles ni
à la réalité de l'incarnation humaine de l'Enfant-Dieu,
ni à son office de Rédempteur et de Maître, et tout ce que n exigeait pas
l'accomplissement
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de ces
trois fins, et dont d'ailleurs l’exemption devait contribuer à la plus grande
excellence de Jésus-Christ et de sa très-pure
Mère, il ne faut l'admettre ni pour l'un ni pour l'autre. Quant aux miracles
qui furent nécessaires pour cela, il n'y a pas lieu de les marchander, ni avec
l'auteur de la nature et de la grâce, ni avec celle qui fut sa digne Mère,
prévenue, ornée et toujours comblée de ses faveurs, car la.
droite du Tout-Puissant
n'a cessé de l'enrichir en tout temps de grâces et de dons, et a mis en elle
tout ce qu'une simple créature était capable de recevoir.
479. En conséquence, il ne
dérogeait point à la qualité de mère véritable, que Marie demeurant toujours
vierge, fût vierge en concevant et en enfantant par l'opération du
Saint-Esprit. Sans doute la nature eût pu perdre ce privilège sans lui faire
commettre aucun péché; mais en ce cas la divine Mère eût été privée d'une si
rare et si particulière excellence : et pour qu'il n'en fût point ainsi, pour
que rien ne lui manquât, le pouvoir de son très-saint
Fils lui accorda encore cette grâce exceptionnelle. L'Enfant-Dieu
eût pu naître aussi avec cette tunique ou membrane qui enveloppe les autres
enfants; mais cela n'était point nécessaire pour qu'il naquît comme fils de sa
mère légitime; et c'est pour cette raison qu'il ne l'emporta point en sortant
du sein virginal et maternel; cet enfantement ne paya pas non plus à la nature
les autres tributs humiliants auxquels est assujetti celui de toutes les mères
dans l'ordre coin'mun de la naissance. Il n'était
pas juste que le Verbe
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humanisé passât par les lois communes des enfants d'Adam: au contraire, il
devait comme résulter du mode miraculeux de sa naissance, qu'il fût privilégié
et exempt de tout ce qui eût pu être matière de corruption ou d'une moindre
pureté; ainsi il ne fallait point que cette membrane ou
secondine qui avait si intimement adhéré à son
très-saint corps, et qui était une partie du sang
et de la substance de sa mère, pût se corrompre hors du sein virginal; il
n'était point non plus convenable de la garder, ni qu'elle fût douée des
qualités et des priviléges que cet adorable corps
reçut, pour sortir de celui de sa très-pure Mère,
en traversant son très chaste sein, comme je le dirai bientôt. Car le miracle
dont aurait dû être l'objet cette membrane sacrée, si elle fût sortie de ce
tabernacle vivant, pouvait bien mieux y être opéré en y restant, sans en
sortir.
480. L'Enfant-Dieu
naquit donc de la très-pure
, Marie exempt. de tous ces tributs. Il en
sortit glorieux et transfiguré, car la Sagesse infinie disposa et ordonna que
la gloire de l'âme très-sainte rejaillit sur le
corps du divin Enfant au moment de sa naissance, et qu'il participât des dons
de gloire comme il arriva depuis sur le Thabor, en présence des trois apôtres
(1). Ce prodige ne fut pourtant pas nécessaire pour traverser le
très-chaste sein de la Mère, tout en le laissant
intact dans son intégrité virginale; car Dieu eût pu, sans ces dons, faire
d'autres miracles, par les
(1) Matth., XVII, 2.
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quels
l'enfant serait né laissant sa mère toujours vierge, comme le disent les
saints docteurs, qui ne, connurent point d'autre mystère dans cette nativité.
biais la volonté divine ordonna que la bienheureuse
Mère vit la première fois son Fils, Homme-Dieu,
glorieux en son corps; et cela pour deux fins. L'une, pour qu'à la vue de cet
objet divin, la très-prudente Vierge comprit avec
quel profond respect elle devait traiter son Fils, Dieu et homme véritable. Et
quoiqu'elle en eût déjà été instruite, le Seigneur disposa néanmoins que par
ce moyen, comme expérimental, elle reçût une nouvelle infusion de grâces,
proportionnée à la connaissance qu'elle acquérait par ses propres yeux de
l'excellence divine de son très-doux Fils, de sa
majesté et de ses grandeurs. L'autre fin de ce prodige fut de récompenser la
fidélité et la sainteté de la divine Mère, de sorte que ces yeux
très-purs et très-chastes,
qui s'étaient fermés à tout ce ;qui était terrestre
pour l'amour de son très-saint Fils; le vissent à
l'instant même de sa naissance avec une si grande gloire , et reçussent cette
joie et ce prix de leur inviolable pureté.
481. L'évangéliste saint
Luc dit (1) que la Mère Vierge ayant enfanté son Fils premier-né, l'enveloppa
de langes et le coucha dans, une crèche. Et il ne déclare point qui le lui mit
entre les mains, récemment sorti de son sein virginal, parce que cela
n'entrait point dans le plan de son récit. Mais les deux princes
(1) Luc., II, 7.
saint
Michel et saint Gabriel furent chargés de cette mission; car comme ils
assistaient au mystère sous une forme humaine et corporelle, à l'instant où le
Verbe incarné, traversant par sa propre vertu le
très-chaste sein de Marie, vint au monde, ils le reçurent entre leurs
mains, à une distance convenable, et avec une vénération sans égale; et en la
manière que le prêtre expose la sacrée hostie aux adorations du peuple, ainsi
ces deux ministres célestes présentèrent aux yeux de la divine Mère son Fils
glorieux et resplendissant. Tout cela se passa en fort peu de temps. Et su
moment où les saints anges présentèrent l'Enfant-Dieu
à sa Mère, le Fils et la Mère se regardèrent réciproquement, et dans ce regard
elle blessa le coeur du très-doux Enfant, et fut
en même temps ravie et transformée en lui (1). Et se trouvant entre les mains
des deux princes célestes, le Roi de l'univers dit à sa bienheureuse Mère :
«Ma Mère, devenez semblable à a moi; car je veux, en échange de l'être humain
que vous m'avez donné, vous en donner dès aujourd'hui, par des
grâces plus sublimes, un autre tout nouveau, qui fasse, par une parfaite
imitation, ressembler une simple créature à moi qui suis Dieu et homme.
» La très-prudente Mère répondit:
Trahe me: post te
curremus in odorem
unguentorum tuorum (2): «
Attirez-moi, Seigneur, et nous courrons après vous à l'odeur de vos parfums. »
Ici furent accomplis plusieurs mystères des Cantiques; et l’Enfant-Dieu
et sa Mère Vierge se
(1) Cant., VII, 10; IV, 9. — (2) Cant., I, 3.
320
livrèrent
aux autres divins colloques qui y sont rapportés, tels que ceux-ci : Mon
bien-aimé est tout à moi, et je suis toute à lui, et ses regards se tournent
vers moi. Vous êtes belle, ma bien-aimée, vos yeux sont des yeux de colombe;
mon bien-aimé, c'est vous qui êtes beau (1) ! Et tant d'autres, que, pour
les citer, il faudrait étendre ce chapitre au delà des justes bornes.
482. En même temps que
l'auguste Marie entendait les paroles de la bouche de son bien-aimé Fils, les
actes intérieurs de son âme très-sainte unie à la
Divinité lui furent découverts, afin qu'elle devint semblable à lui en les
imitant. Et ce fut le plus grand bienfait que la
très-fidèle et très-heureuse Mère reçût de
son Fils homme et Dieu véritable; non-seulement
parce qu'il le lui continua dès ce jour-là pendant toute sa vie, mais parce
qu'il lui servit d'un exemplaire vivant sur lequel elle modela la sienne avec
toute la ressemblance qui était possible entre une pure créature et le Verbe
incarné. Aussitôt notre divine Mère reconnut et sentit la présence de la
très-sainte Trinité, et elle ouït la voix du l'ère
éternel , qui disait Celui-ci est mon Fils
bien-aimé en qui je me plais uniquement (2). Et la
très-prudente Mère toute divinisée parmi des mystères si relevés,
répondit : « Père éternel, Dieu infini, Seigneur et Créateur de l'univers,
donnez-moi de nouveau votre bénédiction, afin qu'avec elle je reçoive entre
mes bras le Désiré de toutes les nations (3); et apprenez à la fidèle
esclave
(1) Cant., 16 ; VII, 10 ; I, 14 et 15 . — (2)
Matth., XVII, 5. — (3) Agge.,
II, 8.
321
de votre
divine volonté à s'acquitter malgré son in dignité de l'office de mère. »
Incontinent elle entendit une voix qui lui disait : « Recevez votre Fils
unique, imitez-le et allaitez-le; et sachez que vous devrez me le
sacrifier quand je vous le demanderai. Nourrissez-le comme mère, et honorez-le
comme votre Dieu véritable. » La divine Mère répondit : « Voici l'ouvrage de
vos divines mains, ornez-moi de votre grâce, afin que votre Fils et mon
Dieu m'agrée pour sa servante; que fortifiée par votre grand Pouvoir,
j'aie le bonheur de lui rendre mon service agréable, et que je ne
commette point une témérité si humble créature je porte cuire mes mains, et je
nourris de mon propre lait mon Seigneur et mon Créateur. »
483. Ces entretiens si
remplis de mystères divins étant achevés, l'Enfant-Dieu
suspendit le miracle, ou plutôt, continua de nouveau celui qui ôtait à son
très-saint corps les dons de gloire, en les
arrêtant dans son âme de sorte qu'il se montra tout à coup en son être naturel
et passible. Sa très-pure Mère le vit dans cet
état, et l'adorant en l'humble posture où elle était avec une
très-profonde révérence, elle le reçut des mains
des saints anges. Et quand elle l’eut entre les siennes, elle lui dit : « Mon
très-doux amour, lumière de mes yeux, être de mon
âme; venez à la bonne heure an monde, Soleil de justice (1)! Pour bannir les
ténèbres du péché et de la mort (2). Dieu véritable
(1) Malach., IV, 2. — (2) Isa., IX, 2.
322
de Dieu
véritable, rachetez vos serviteurs (1), et faites que toute chair voie
Celui qui lui apporte le salut (2). Recevez votre servante à votre
service, et suppléez à mon insuffisance. Rendez-moi, mon
très-cher Fils, telle que vous voulez que je sois
envers vous. » Ensuite la très-prudente Mère
offrit son Fils unique au Père éternel, et lui dit: « Suprême Créateur de
l'univers, voici l'autel et voici le sacrifice agréable à vos yeux (3).
Regardez maintenant le a genre humain avec miséricorde; et quoique nous
méritions votre indignation, il est temps de l'apaiser en vue de votre Fils et
du mien. Que désormais la justice se repose, et que votre miséricorde se
magnifie; puisque c'est pour cela que le Verbe divin s'est revêtu de la
ressemblance de la chair du péché (4), et qu'il est devenu frère des mortels
et des pécheurs (5). A ce titre je les reconnais pour mes enfants
(6), et je prie pour eux du plus profond de mon coeur. Vous m'avez faite,
Seigneur Tout-Puissant, Mère de votre Fils unique,
sans l'a voir mérité, car cette dignité est au-dessus de tous les
mérites des créatures; mais je dois en partie aux hommes l'occasion
qu'ils ont donnée à raton bonheur incomparable, puisque c'est pour
eux que je suis Mère du Verbe fait homme passible, et Rédempteur de tous. Je
ne leur refuserai ni mon amour, ni mes soins pour leur procurer le remède.
Agréez, Dieu
(1) Ps. XXXIII, 22. — (2) Isa., XL, 5 ; LII, 10. — (3) Malach., III, 4. — (4) Rom., VIII, 3. — (5) Phil., II, 7. — (6) Cant., VIII, 1.
323
éternel,
mes désirs et mes prières pour tout ce qui regarde votre bon
plaisir et votre sainte volonté. »
484. La Mère.
de miséricorde s'adressa aussi à tous les mortels,
et leur dit : « Que les affligés se consolent, que ceux qui sont tombés se
relèvent, que les craintifs se rassurent, que les morts ressua citent,
que les justes et les saints se réjouissent, que les esprits célestes
reçoivent nue nouvelle joie, que les prophètes et les patriarches des
limbes se raniment, et que toutes les générations louent et
glorifient le Seigneur qui a renouvelé ses merveilles. Venez, venez, pauvres;
approchez-vous, petits, sans crainte, car j'ai dans mes bras Celui qui
s'appelle Lion changé en un doux Agneau; le puissant devenu faible, et
l'invincible vaincu. Venez à la a vie, cherchez le salut, approchez-vous du
repos a éternel, car je le tiens pour tous; il se donnera gratuitement à
vous , et je le communiquerai sans envie. O
enfants des hommes, hâtez-vous, n'ayez point le coeur appesanti ! Et
vous, le doux bien de mon âme, permettez que je reçoive de vous ce
baiser désiré de toutes les créatures (1). » A l'instant la
très-heureuse Mère appliqua sa divine et
très-chaste bouche à faire de tendres et
amoureuses caresses à l'Enfant-Dieu, qui les
attendait comme son fils véritable. Et le gardant dans ses bras, elle servit
d'autel et de sanctuaire où les dix mille
(1) Isa., LXI, 1-3, IX, 2 ; XXI, 8 ; XVI, 1 ; LV, 1 ; Matth., XI, 5 ; Ps., XCV, 11 ; LXXI, 17 ; IV, 3 ; Eccles., XXXVI, 6 ; Luc., IV, 18 ; Sap., VII, 13 ; Cant., I, 1.
324
anges
adorèrent sous la forme humaine leur Créateur fait homme. Et comme la
très-sainte Trinité assistait d'une manière
spéciale à la naissance du Verbe incarné, le ciel se trouva comme privé de ses
habitants, parce que tous les citoyens de cette cité invisible se rendirent en
l'heureuse grotte de Bethléem, pour y adorer leur Créateur sous son costume
étranger et nouveau (1). Etles saints anges
entonnèrent à sa louange ce cantique jusqu'alors inouï : Gloria in
excelsis Deo, et in terra pax
hominibus bonae
voluntatis (2) ; et ils le redirent avec une très douce et
très-agréable harmonie,,
ravis des nouvelles merveilles qu'ils voyaient se réaliser, et de la prudence,
de la grâce, de l'humilité et de la beauté extraordinaire d'une jeune fille de
quinze ans, digne dépositaire et dispensatrice de tant de sublimes mystères.
485. Il était temps que la
très-prudente Dame appelât son
très-fidèle époux Joseph, qui était, comme j'ai
dit, plongé dans une extase divine où lui furent révélés tous les mystères de
l'enfantement sacré qui furent célébrés en cette nuit. En effet, il était
convenable qu'il vit et touchât par les sens corporels le Verbe humanisé,
qu'il lui offrit son culte et ses adorations plus tôt qu'aucun autre des
mortels, puisqu'il était le seul choisi entre tous pour être le dispensateur
fidèle d'un mystère si sublime. Il sortit de cette extase par le moyen de la
volonté de sa divine épouse; et, revenu à lui-même, le premier objet qu'il
aperçut, ce
(1) Philip., II, 7. — (2) Luc., II, 14.
325
fut l'Enfant-Dieu
entre les bras de sa Mère Vierge, appuyé sur son sein et sur son visage
sacrés. C'est là qu'il l'adora avec la plus profonde humilité, ému jusqu'aux
larmes. Il lui baisa les pieds avec une nouvelle joie et avec une admiration
telle, qu'elle lui eût arraché la vie si une vertu divine ne la lui eût
conservée; il eût au moins perdu l'usage de ses sens, si Dieu n'eût
voulu qu'il pût s'en servir dans cette occasion. Après que saint Joseph
eut adoré l'Enfant, la tris-prudente Mère demanda
à son Fils la permission de s'asseoir (car elle était restée jusqu'alors à
genoux) ; et le saint lui donnant les langes qu'ils avaient apportés, elle
l'en enveloppa (1) avec une révérence, une dévotion et un soin incomparables.
Lorsqu'il fut ainsi emmailloté, la très-sainte
Mère, avec une sagesse divine, le coucha dans la crèche, comme le dit
l'évangéliste saint Luc, en mettant quelque peu de paille et de foin sur une
pierre, pour placer plus commodément le Verbe incarné dans le premier lit
qu'il eut star la terre hors des bras de sa Mère. Bientôt un boeuf accourut
(par la volonté divine) eu toute halte des champs voisins; il entra clans la
grotte et se joignit au petit âne qui avait porté notre auguste Reine. Et elle
leur commanda d'adorer et de reconnaître leur Créateur avec le respect (lue
pouvaient témoigner des êtres irraisonnables. Les humides animaux obéirent au
commandement (le leur Maîtresse; ils se prosternèrent devant l’Enfant; ils le
réchauffèrent de leur haleine, et lui
(1) Luc., II, 7.
326
rendirent
le service que les hommes lui avaient refusé. Ainsi Dieu fait homme fut
enveloppé de langes et couché dans la crèche entre deux animaux : et c'est
alors que. fut accomplie miraculeusement la
prophétie conçue en ces termes : Le boeuf connut celui à qui il
appartenait, et l'âne la crèche de son Maître; mais Israël ne le connut point,
et son peuple était sans entendement (1).
Instruction que je reçus de la sacrée Vierge.
486. Ma fille, si les
mortels avaient le coeur débarrassé et le jugement sain pour considérer
dignement ce grand mystère de piété giie le
Très-Haut a opéré pour eux, le souvenir qu'ils en auraient suffirait pour les
faire entrer dans le chemin de la vie et les porter à l'amour de leur Créateur
et de leur Rédempteur. Car les hommes étant capables de raison, s'ils en.
usaient avec la dignité et la liberté qu'ils
doivent, qui d'entre eux serait si insensible et si endurci que de ne pas
s'attendrir à la vite de son Dieu humanisé et humilié au point de naître
pauvre, méprisé, inconnu, dans une crèche, entre des bêtes brutes, sans autre
secours humain que celui d'une Mère pauvre et rebuté par la folie et
l'arrogance du monde? Avec la
(1) Isa., I, 3
327
connaissance d'une si haute sagesse et d'un mystère si sublime, qui pousserait la
témérité jusqu'à aimer la vanité et jusqu'à se livrer à l'orgueil, que le
Créateur du ciel et de la terre abhorre et condamne par son exemple? On ne
pourrait non plus avoir horreur de l'humilité, de la pauvreté, du dénuement,
que le Seigneur lui-même a aimés et choisis pour,
lui enseigner le véritable moyen d'acquérir la vie éternelle. Il y en a fort
peu qui s'arrêtent à considérer cette vérité et cet exemple; et par une si
noire ingratitude, il y en a également peu qui obtiennent le fruit de mystères
si augustes.
487. Mais si mon
très-saint Fils s'est montré si bon et si libéral
envers vous en vous éclairant de la connaissance de tant de faveurs admirables
qu'il a faites au genre humain, vous devez, ma très-chère
fille, bien considérer vos obligations, et peser comment et combien vous devez
agir par la lumière que vous recevez. Et, pour vous faire correspondre à ce
devoir, je vous exhorte de nouveau d'oublier tout ce qui est terrestre, de le
perdre de vue, de ne désirer et de n'accepter du monde autre chose que ce qui
peut vous en éloigner et vous cacher à ses habitants; afin qu'ayant le coeur
libre et dépouillé de toutes les affections terrestres, voué volis disposiez,
à y célébrer les mystères de la pauvreté, de l'humilité et de l'amour de votre
Dieu humanisé. Apprenez avec quel honneur, quelle crainte et quel respect vous
le devez traiter, par l'exemple que je vous ai donné quand je le tenais entre
mes bras : vous pratiquerez ces leçons quand
328
vous le
recevrez dans votre sein par la participation au vénérable sacrement de
l'Eucharistie, où réside le même Dieu et homme véritable qui naquit de mes
entrailles. Dans cet auguste sacrement, vous le, recevez et vous le possédez
véritablement d'une manière si intime, qu'il se trouve en vous avec la même
réalité que je l'avais et que je le portais, quoique sous une forme
différente.
488. Je veux que vous
excelliez en cette humble révérence et en cette sainte crainte, et que vous
sachiez que quand Dieu entre dans votre bouche sous les espèces
sacramentelles, il vous dit aussi ce qu'il me disait : Devenez semblable à
moi, comme vous l'avez entendu et écrit. Sa descente du ciel pour naître
sur la terre dans la pauvreté et dans l'humilité, pour y vivre et mourir en
donnant de si rares exemples et en enseignant le mépris du monde et de ses
fausses promesses et l'intelligence des oeuvres du Seigneur, à laquelle il
vous a élevée en vous favorisant de si hautes lumières, tout cela doit être
pour vous mue voix vivante que vous écoutiez avec une profonde attention de
votre lune, et dont vous graviez les leçons dans votre coeur, afin de vous
approprier avec mi pieux discernement les bienfaits communs, et de vous
convaincre que mon très-saint Fils et mon Seigneur
veut que vous les receviez avec la même reconnaissance que si pour vous seule
il fût descendu du ciel pour vous racheter (1) et pour opérer uniquement en
votre
(1) Gal., II, 20.
320
faveur
toutes les merveilles et enseigner la doctrine qu'il a laissées dans sa sainte
Église.
CHAPITRE XI. Comme les saints
anges annoncèrent en divers endroits la naissance de notre Sauveur, et comme
les pasteurs vinrent l'adorer.
489. Les courtisans du ciel
ayant célébré dans la grotte de Bethléem la naissance de leur Dieu humanisé et
de notre Rédempteur, il y en eut quelques-uns qui furent envoyés par le même
Seigneur en divers endroits pour annoncer les heureuses nouvelles à ceux qui
étaient, selon la volonté divine, disposés à les ouïr. Le prince saint Michel
fut envoyé aux Pères des limbes, et il leur apprit comme le Fils unique du
Père éternel, qui s'était fait homme, venait de naître et se trouvait dans une
crèche entre des animaux , humble et doux, tel
qu'ils l'avaient prophétisé (1). Il parla particulièrement à saint Joachim et
à sainte Anne de la part de la bienheureuse Mère (car elle le lui avait
ordonné), et il les félicita de ce qu'elle tenait enfin dans ses bras le
désiré des nations (2), Celui que
(1) Isa., VII, 14; I, 3, IX, 7; Mich., V, 2 ;
Jerem., XXIII, 6 : Ezech.,
XXXIV, 10 et 13 ; dan., IX, 24. — (2)
Agge., II, 8.
330
tous les
prophètes, patriarches, avaient prédit (1). Ce fut pour cette nombreuse
assemblée des justes le jour de la plus grande consolation qu'elle eût encore
reçue durant son long exil. Et, reconnaissant tous le nouvel
Homme-Dieu pour auteur du salut éternel, ils
eurent de nouveaux cantiques en sa louange; ils l'adorèrent, ils lui rendirent
le culte qui lui était dû. Saint Joachim et sainte Anne prièrent l'ambassadeur
céleste, saint Michel, de recommander à leur très-sainte
fille de révérer en leur nom l'Enfant-Dieu, le
fruit béni de son très-chaste sein (2); et c'est
ce que la grande Reine de l'univers fit incontinent, écoutant avec une joie
extrême tout ce que le saint prince lui raconta des Pères des limbes.
490. Un autre ange de ceux
qui gardaient et assistaient la divine Mère, fut envoyé à sainte Élisabeth et
à son fils Jean. Et, lorsqu'il leur eut annoncé la naissance dit Rédempteur,
la prudente sainte et son fils, tout enfant qu'il était, se prosternèrent à
terre, et adorèrent leur Dieu humanisé en esprit et
en vérité (3). Et l'enfant qui était consacré pour être son précurseur fut
intérieurement renouvelé par un esprit bien plus enflammé que celui d'Elie,
taudis que ces mystères causaient aux anges eux-mêmes une singulière
admiration et leur fournissaient de nouveaux sujets de louanges. Le petit
Baptiste et sa mère supplièrent aussi notre auguste Reine, par l'entremise de
cet ange, de vouloir adorer son très-saint Fils en
(1) Act., X, 43; Joan., V, 39. — (1)
Luc., I, 42. — (3) Joan., IV, 23
331
leur
nom, et de les offrir derechef à son service : ce qu'elle s'empressa de faire
avec ponctualité.
491. Sainte Élisabeth,
ayant appris cette heureuse nouvelle, dépêcha aussitôt à Bethléem un exprès,
qu'elle chargea de porter à la Mère de l'Enfant-Dieu
un présent qui consistait en quelque peu d'argent, de linge et d'autres
petites choses nécessaires au nouveau-né et à sa pauvre Mère, aussi bien qui
au saint époux. Mais l'exprès n'avait ordre que de visiter sa cousine et
Joseph de sa part, de leur laisser le présent, de s'informer de leurs besoins,
et de lui rapporter des nouvelles certaines de leur santé. Ainsi cet homme ne
connut du mystère que ce qui lui en parut à l'extérieur : mais, frappé
d'admiration à cette vue et cédant à une force divine, il retourna renouvelé
intérieurement, et raconta avec une joie inexprimable à sainte Élisabeth la
pauvreté et la complaisance de sa parente, de l'enfant et de Joseph, et les
effets qu'il avait ressentis en son âme de les avoir seulement vus; ceux
qu'une si naïve relation produisit dans le coeur bien disposé de la pieuse
Élisabeth furent beaucoup plus admirables. Et si la volonté divine ne se fût
prononcée pour assurer le secret d'un si liant mystère, elle n'aurait pu
s'empêcher d'accourir elle-même auprès de la Mère Vierge et de l'Enfant-Dieu
nouveau-né. Notre divine Reine prit une partie de ce que sa cousine lui envoya
pour suppléer à sa pauvreté, et distribua le reste aux pauvres; car elle ne
voulut pas être privée de leur compagnie pendant le temps qu'elle demeura dans
la grotte de la Nativité.
332
492. D'autres anges
allèrent aussi annoncer les mêmes nouvelles à Zacharie, à Siméon, à Anne la
prophétesse et à quelques autres justes et saints à qui le nouveau mystère de
notre rédemption pouvait être confié : car le Seigneur les trouvant dignement
préparés pour le recevoir avec actions de grâces et avec fruit, il semblait
que ce fût une chose comme due à leur vertu de ne leur point cacher le
bienfait qui était accordé au genre humain. Et quoique tous les justes de la
terre ne connussent pas alors ce mystère, tous néanmoins
éprouvèrent quelques effets divins à l'heure où naquit le Sauveur du
monde; tous ceux qui étaient en état de grâce sentirent une joie intérieure
extraordinaire et surnaturelle dont ils ignoraient la cause particulière. Et
il n'y eut pas seulement du changement dans les anges et dans les justes, mais
il y en out aussi en d'autres créatures insensibles, puisque les influences
des planètes devinrent plus actives et plus bénignes : le soleil lutta sa
course, les étoiles brillèrent d'un plus grand éclat, et celle qui dirigea
miraculeusement les rois mages vers Bethléem (1) fut formée cette nuit-là;
plusieurs arbres portèrent des fleurs et d'autres des fruits; quelques temples
d'idoles s’écroulèrent; en d'autres, les idoles furent abattues et les démons
chassés. Et les hommes, ne soupçonnant pas la véritable cause de tous ces
miracles et de beaucoup d'autres qui éclatèrent ce jour-là dans le monde,
cherchaient il les expliquer de diverses manières.
(1) Matth., II, 2.
333
Il y
en eut seulement parmi les justes plusieurs qui, par une inspiration divine,
supposèrent ou crurent que Dieu était venu au monde, quoique personne ne le
sût avec certitude, excepté ceux à qui lui-même le révéla. De ce nombre
étaient les mages, auxquels furent envoyés d'autres anges de la garde de notre
Reine qui, les allant trouver chacun en particulier dans les endroits de
l'Orient où ils étaient, leur révélèrent intellectuellement, par des paroles
intérieures, que lp Rédempteur du genre humain
était lié dans la pauvreté et dans l'abjection. Cette révélation leur inspira
de nouveaux désirs de le chercher et de l'adorer; et bientôt ils virent
l'étoile miraculeuse qui les conduisit à Bethléem, comme je le dirai plus
loin.
493. Mille fois heureux
entre tous furent les pasteurs de cette contrée qui veillaient, gardant leurs
troupeaux, à l'heure même de la nativité (1) : heureux ,
non-seulement parce que, avec une vigilance louable, ils employaient la
nuit à une occupation dont ils supportaient les fatigues pour Dieu, mais
heureux surtout parce qu'ils étaient pauvres, humbles, méprisés du monde,
justes et simples de coeur; parce qu'ils étaient de ceux qui, dans le peuple
d'Israël, attendaient et désiraient ardemment la venue du Messie, dont ils
parlaient et s'entretenaient souvent. Ils avaient d'autant plus de
ressemblance avec l'auteur de la vie, qu'ils étaient plus éloignés du faste,
de la vanité, de
(1) Luc., II, 8.
334
l'ostentation du monde et de ses ruses diaboliques. Ils représentaient par ces nobles
qualités l'office que le bon Pasteur venait exercer, en connaissant ses brebis
et en en étant lui -même connu (1). Et comme ils étaient dans des dispositions
si convenables, ils méritèrent d'être appelés et conviés, comme les prémices
des saints, par le Seigneur lui-même, afin qu'ils fussent les premiers d'entre
les mortels à qui le Verbe incarné se manifestât et se communiquât, et dont il
reçût les louanges, les services et les adorations. C'est pour cela que
l'archange saint Gabriel leur fut envoyé : et, les surprenant dans leur
veille, il leur apparut en forme humaine, tout resplendissant d'une éclatante
lumière (2).
494. Les pasteurs se
trouvèrent tout à coup comme inondés des flots de cette lumière céleste, et,
comme ils n'étaient point accoutumés à de pareilles révélations, ils furent
saisis d'une grande peur à la vue de l'ange (3). Mais le saint prince les
rassura en leur disant : « Hommes sincères, ne craignez point, car je
vous annonce une nouvelle qui vous remplira de joie : c'est qu'aujourd'hui,
dans la ville de David, a il vous est né un Sauveur, qui est le Christ notre
Seigneur. Et voici le signe auquel vous le reconnaîtrez : vous trouverez un
enfant enveloppé de langes et couché dans une crèche (4). » A ces dernières
paroles du saint archange survinrent subitement en
(1) Jean., X, 14. — (2) Luc., II, 9. — (3) Ibid. — (4) Ibid.,
10, 11 et 12.
335
grand
nombre les hérauts de la milice du ciel, qui, unissant leurs voix
harmonieuses, célébrèrent le Très-Haut et chantèrent : Gloire soit à Dieu
au plut haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté
(1). Puis les saints anges disparurent en répétant ce cantique si divin et si
nouveau dans le monde. Tout cela arriva dans la quatrième veille de la nuit.
Cette vision remplit les humbles et fortunés pasteurs d'une lumière divine, et
les laissa également enflammés et animés du désir de jouir de leur félicité,
et d'aller reconnaître par leurs propres yeux le sublime mystère que venaient
de leur transmettre leurs oreilles.
495. Le signe que l'ange
leur avait donné ne semblait pas très-propre à
convaincre les yeux de la chair de la grandeur du nouveau-né : car à se
trouver dans une crèche, emmailloté de quelques pauvres langes, il n'y avait
point d'indice suffisant pour révéler la majesté du Roi, sils ne l'avaient
découverte à l'aide de la lumière divine dont ils furent éclairés : mais c'est
parce qu'ils étaient humbles et vides de la sagesse mondaine qu'ils furent
bientôt remplis de la sagesse divine. Et, s'étant mutuellement communiqué ce
que chacun pensait de cette étonnante ambassade, ils résolurent d'aller bien
vite à Bethléem pour y voir la merveille qu'ils venaient d'ouïr de la part du
Seigneur (2). Ils partirent aussitôt, et, entrant dans la grotte, ils
trouvèrent, comme le dit l'évangéliste saint
(1) Luc., II, 13 et 14. — (2) Ibid., 15.
336
Luc,
Marie et Joseph, et l'Enfant couché dans la crèche (1). Et, voyant tout cela,
ils connurent la vérité de ce qu'ils en avaient ouï (2). Cette expérience et
cette visite furent suivies d'une illustration intérieure qu'ils reçurent à la
vue du verbe humanisé; car ail moment oh les pasteurs jetèrent lés yeux sur
lui, le divin Enfant les regarda aussi, le visage brillant d'une grande
splendeur, dont les rayons et l'éclat blessèrent le cœur innocent de ces
pauvres et bienheureux . hommes; et par l'efficace
divine il les changea et leur donna un nouvel être de grâce et de sainteté,
les laissant élevés aux hauteurs et enrichis des trésors d'une science toute
céleste sur les ineffables mystères de l'incarnation et de la rédemption du
genre humain.
496. Ils se prosternèrent
tous ensemble et adorèrent le Verbe incarné : ils le louèrent, le glorifièrent
et le reconnurent pour Dieu et homme véritable, pour le Restaurateur et
Rédempteur du genre humain, non comme des hommes grossiers et ignorants qu'ils
étaient auparavant, mais comme des hommes sages et prudents. La divine Dame et
Mère de l'Enfant-Dieu était attentive à tout ce
que les pasteurs disaient et faisaient extérieurement et intérieurement; car
elle pénétrait jusqu'au fond de leurs cœurs; et, avec une prudence égale à sa
sagesse, elle gardait en elle-même et méditait toutes ces choses (3), les
confrontant avec les mystères qu'elle connaissait ,
avec les saintes Écritures et avec les prophéties. Et comme elle servait
(1) Luc., II, 16. — (2) Ibid., 17. — (3) Ibid., 19.
437
alors
d'organe au Saint-Esprit et de langue à l'Enfant, elle parla aux pasteurs, les
instruisit et les exhorta de persévérer dans l'amour et dans le service de
Dieu. Ils l'interrogèrent aussi à leur façon, et donnèrent beaucoup de détails
sur les mystérieuses communications qui leur avaient été faites. Ils restèrent
dans la grotte depuis le point du jour jusqu'à midi; et, après que notre
auguste Reine leur eut donné à manger, elle les congédia, comblés de grâces et
de consolations célestes.
497. Les saints pasteurs
firent encore quelques visites à la très-pure
Marie, à l'Enfant et à Joseph pendant le temps qu'ils demeurèrent dans la
grotte; ils leur portèrent aussi quelques présents proportionnés à leur
pauvreté. L'évangéliste saint Luc dit que tous ceux qui les entendirent parler
de ce qu'ils avaient vu admiraient ce qu'ils leur en disaient (1) : mais cela
n'arriva qu'après que la Reine, l'Enfant et Joseph furent partis de Bethléem;
la divine Sagesse le disposant de la sorte, et ne permettant pas que les
pasteurs le publiassent avant leur départ. Tous n'ajoutèrent pourtant pas foi
à leurs paroles; car il y en eut qui ne les regardèrent que comme des
campagnards ignorants : quant à eux , toujours
pleins d'une science divine, ils vécurent dans la sainteté jusqu'à leur mort.
Hérode fut du nombre de ceux qui leur ajoutèrent créance, quoique ce ne fiât
point par une foi sainte ni par une piété religieuse, mais par une crainte
(1) Luc., II, 18.
338
mondaine
et damnable de perdre le royaume. Et parmi les enfants qu'il fit mourir, il y
en eut quelques-uns de ces saints hommes qui méritèrent aussi cette grande
faveur; et leurs pères les offrirent avec joie au martyre, qu'ils désiraient
pour eux-mêmes, heureux de les voir souffrir pour le Seigneur, qu'ils
connaissaient.
Instruction que je reçus de la Reine du ciel.
498. Ma fille, l'insouciant
oubli des oeuvres de leur Rédempteur est aussi blâmable qu'il est ordinaire et
commun parmi les mortels, étant certain que toutes ces oeuvres furent
mystérieuses, pleines d'amour, de miséricorde et d'enseignements pour eux.
Vous avez été appelée et choisie afin que, par la science et là lumière que
vous recevez, vous ne tombiez point dans cette dangereuse et grossière
stupidité : je veux donc que vous pénétriez et pesiez, dans les mystères que
vous venez de décrire, le très-ardent amour que
mon très-saint Fils a fait paraître en se
communiquant aux hommes à l'instant même de sa naissance, afin qu'ils
participassent aussitôt su fruit et à la joie de sa venue au monde. Les hommes
ne comprennent point cette obligation, parce qu'il y en a peu qui pénètrent
celles que leur imposent des bienfaits si particuliers, comme il y en eut peu
également qui virent le Verbe humanisé dans son premier berceau et qui le
remercièrent
339
de sa
venue. Mais ils ignorent la cause de leur malheur et de leur aveuglement, qui
ne fut et n'est point du côté du Seigneur ni de son amour, mais de leurs
péchés et de leur mauvaise disposition : car si par leur mauvais état ils
n'eussent mis obstacle aux desseins. de sa
miséricorde, ou ne s'en fussent rendus indignes, il aurait donné à tous ou à
un très-grand nombre la même lumière qu'il donna
aux justes, aux pasteurs et aux mages. Ce petit nombre vous fera connaître à
quel malheureux état était réduit le monde lorsque le Verbe incarné naquit; et
combien déplorable est maintenant celui des mortels, qui, jouissant d'une plus
grande lumière, songent cependant si peu à payer le Seigneur d'un juste
retour.
499. Considérez donc le peu
de disposition des mortels dans le siècle présent, où les vérités de
l'Évangile étant si connues et si bien établies par les oeuvres et par les
merveilles que Dieu a opérées dans son Église, le nombre des parfaits et de
ceux qui veulent se disposer à participer le plus largement possible aux
effets et au fruit de la rédemption, est néanmoins si petit. On croit que
parmi tant d'insensés (1), et malgré le débordement de tous les vices, le
nombre des personnes parfaites est considérable, parce qu'on en voit beaucoup
qui ne sont pas aussi rebelles à Dieu : il y en a moins pourtant qu'on ne le
croit, et les parfaits le sont beaucoup moins où ils ne devraient l'être, à
une époque où Dieu est si offensé des infidèles, et si
(1) Eccles., I, 15.
340
désireux
de communiquer les trésors de sa grâce à la sainte Église par les mérites de
son Fils unique fait homme. Or, réfléchissez bien, ma
très-chère fille, aux obligations que vous impose la connaissance si
claire que vous recevez de ces vérités. Soyez attentive, soigneuse et
diligente à correspondre à Celui qui vous comble de tant de faveurs, sans
perdre ni temps, ni lieu, ni occasion de faire ce que vous saurez être le plus
saint et le plus parfait, puisque, en dépit de vos efforts, vous resterez
toujours au-dessous de vos obligations. Songez que je vous avertis, que je
vous exhorte et que je vous commande de ne point recevoir en vain un bienfait
si particulier (1); de ne pas tenir la grâce et la lumière dans l'inaction,
mais d'agir avec une plénitude de perfection et de reconnaissance.
CHAPITRE III. Ce qui fut caché au démon du mystère de la naissance du Verbe
incarné, et plusieurs autres choses jusqu'à la circoncision.
600. En tant que cela
tenait su Seigneur lui-même, la venue du Verbe incarné sur la terre fut
l'événement
(1) II Cor., VI, 1.
341
le plus
heureux pour tous les hommes, car il vint pour donner la vie et la lumière à
tous ceux qui étaient dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort (1). Et si
les réprouvés et les incrédules ont heurté et heurtent contre cette pierre
angulaire, cherchant leur ruine là où ils pouvaient et devaient trouver la
résurrection à la vie éternelle, ce n'a pas été la faute de la pierre, mais
celle de ceux qui en ont fait une pierre de scandale en y heurtant (2). La
nativité de l'Enfant-Dieu ne fut terrible que pour
l'enfer, car il était le fort et l'invincible (3) qui venait dépouiller de son
pouvoir tyrannique ce fort armé du mensonge, qui gardait depuis longtemps son
château avec une paisible mais injuste possession (4). Pour abattre ce prince
du monde et des ténèbres, il fallut avec justice lui cacher le mystère de
cette venue du Verbe; non-seulement parce qu'il
était indigne par sa malice. de connaître les
secrets de la sagesse infinie, mais aussi parce qu'il était convenable que la
divine Providence donnât lieu à la propre malice de cet ennemi de l'aveugler
(5), attendu qu'il en avait usé pour introduire dans le monde l'erreur et
l'aveuglement du péché (6), en entraînant toute la postérité d'Adam dans sa
chute (7).
501. Par cette disposition
divine plusieurs choses furent cachées à Lucifer et à ses ministres, qu'ils
(1) Luc., I, 79. — (2)
342
eussent
pu naturellement connaître en la nativité du Verbe et dans le cours de sa
très-sainte vie, comme je serai quelquefois
obligée de le répéter dans la suite de cette histoire. Car s'il eût su d'une
manière certaine que Jésus-Christ était vrai Dieu, il est constant qu'il né
lui aurait point procuré la mort; au contraire, il l'aurait empêchée, ainsi
que je le dirai plus loin. Dans le mystère de la nativité, il vit seulement
que la très-pure Marie avait enfanté un fils dans
la pauvreté et dans une grotte abandonnée, et qu'elle ne trouva ni hôtellerie
ni asile dans la ville; ensuite il connut la circoncision de l’enfant, et
d'autres choses qui pouvaient (supposé son orgueil) plutôt lui couvrir la
vérité que la lui montrer. Mais il ne sut point de quelle manière cette
naissance eut lieu, ni que l'heureuse Mère demeurât vierge, ni qu'elle le fût
avant que d'enfanter; il n'eut aucune connaissance des messages que firent les
anges auprès des justes et des pasteurs, ni des conférences qu'ils eurent sur
ce sujet, ni de l'adoration qu'ils rendirent à l'Enfant-Dieu.
Il n'aperçut point non plus l'étoile, et ne devina point la cause de l'arrivée
des mages; les démons leur virent entreprendre un voyage, mais ils crurent que
c'était pour d'autres fins temporelles. Ils ne pénétrèrent pas davantage la
cause du changement qu'il y eut dans les éléments, dans les astres et dans les
planètes; quoiqu'ils vissent le phénomène et ses effets, ils n'en purent pas
découvrir la fin; de même
(1) I Cor., II, 8.
343
les
entretiens que les mages eurent avec Hérode, leur entrée dans la grotte,
l'adoration et les présents qu'ils y offrirent, tout cela leur fut caché. Ils
connurent la fureur d’Hérode contre les enfants, et y contribuèrent; mais ils
ne découvrirent point alors le but de ses mauvais desseins, et c'est pourquoi
ils fomentèrent sa cruauté. Et quoique Lucifer lui supposât l'intention de
poursuivre le Messie, elle lui parut une folie, et il se moquait d'Hérode,
parce que, selon son superbe jugement, il était absurde de croire que le Verbe
vînt établir son empire dans le monde, sous d'humbles dehors et d'une manière
cachée, sans faire éclater un pouvoir et une majesté dont était si loin l'Enfant-Dieu,
naissant d'une mère pauvre et méprisée des hommes.
502. Lucifer ayant
remarqué, dans l'erreur on il était, quelques-unes des particularités qui
arrivèrent en la nativité, assembla dans l'enfer ses ministres et leur dit : a
Je ne trouve aucun sujet de crainte en ce que nous avons découvert dans le
monde, car bien que la femme que nous avons persécutée avec tant d'acharnement
ait enfanté un fils, ce fils est né dans une telle pauvreté, dans une telle
obscurité, que sa mère n'a môme pas pu trouver asile dans une hôtellerie; et
nous n'ignorons pas combien tout cela se concilie peu avec le pouvoir et la
majesté de Dieu. Et si cet enfant doit venir se mesurer avec nous, il n'est
pas assez fort tel qu'il nous apparaît, et d'après ce que nous avons appris,
pour résister à notre puissance. Il n'y a donc pas lieu de craindre que ce
soit là le
343
Messie, d'autant plus qu'on parle déjà de le circoncire comme les autres
hommes; s'il a besoin du re-mède du péché, cela ne s'accorde certes pas avec
la qualité de sauveur du monde. Toutes ces marques sont contraires à l'éclat
qui doit accompagner la venue de Dieu sur la terre; c'est pourquoi il me
semble que nous pouvons, quant à présent, être assurés qu'il n’y est pas venu.
» Les ministres d'iniquité partagèrent l'opinion de leur chef maudit, et
restèrent convaincus que le Messie n'était point encore arrivé, parce qu'ils
étaient tous complices en la malice qui les aveuglait et causait leur erreur
(1). Lucifer ne pouvait pas s'imaginer, dans son orgueil opiniâtre, que la
divine Majesté s'abaissât; et comme il désirait les applaudissements, le
faste, l'honneur, l'ostentation, et que, s'il avait pu obtenir les adorations
de toutes les créatures, il n'aurait pas manqué, lui, de les exiger, il lui
était impossible de comprendre que Dieu, assez puissant pour se les faire
rendre, permit le contraire, et s'assujettit à l'humilité que ce serpent
orgueilleux avait tant en horreur.
503. O enfants de la
vanité, quels exemples sont ceux-là pour nous détromper! L'humilité de notre
Seigneur Jésus-Christ, notre Maître, doit singulièrement nous attirer et
animer; mais si elle ne nous meut point, il faut au moins que l'orgueil de
Lucifer nous retienne et nous effraie. O vice formidable au delà de tout ce
que les termes humains peuvent exprimer,
(1) sap., II, 21.
puisque
tu as aveuglé de telle sorte: un ange rempli de science , qu'il n'a su former
un antre jugement de la bonté infinie de Dieu, que celui qu'il portait sur
lui-même et sur sa propre malice ! Or quelle pénétration aura l'homme, par
lui-même ignorant, s'il joint à cette ignorance l'orgueil et le péché ? O
malheureux et stupide Lucifer! Comment t'es-tu trompé en une chose si pleine
de raison et de beauté? Quoi de plus aimable que l'humilité et la douceur
unies à la majesté et au pouvoir? Ignores-tu, abjecte créature, que de ne
savoir pas s'humilier, t'est une faiblesse d'esprit et la marque d'un coeur
sans courage? Celui qui est véritablement grand et magnanime ne se paie point
de vanité; il ne doit point désirer ce qui est si vil, et des apparences
trompeuses ne suffisent point pour le satisfaire. Il est certain que tu n'es
pas assez clairvoyant pour découvrir la vérité, et que tu es un aveugle et un
guide d'aveugles (1), puisque tu n'es pas parvenu à comprendre que la grandeur
et la bonté de l'amour divin se manifestaient (2) et se glorifiaient par
l'humiliation et par l'obéissance jusqu'à la mort de la croix (3).
504. La Mère de la Sagesse
pénétrait toutes les erreurs de Lucifer et de ses ministres, et faisant une
digne estime de mystères si relevés, elle bénissait et glorifiait le Seigneur
de ce qu'il les cachait aux superbes et aux présomptueux, et qu'il les
découvrait
(1) Matth., XV, 44. — (2)
Rom., V, 8. — (3) Philip., II, 8.
346
aux
humbles et aux pauvres (1), en commençant de vaincre la tyrannie du démon. La
miséricordieuse Mère faisait de ferventes prières pour tous les mortels qui
étaient indignes par leurs propres péchés de connaître la lumière qui venait
de naître pour leur remède (2), et les présentait toutes à son
très-doux Fils avec un incomparable amour et une
tendre compassion pour les pécheurs. C'est ainsi qu'elle employa la plus
grande partie du temps qu'elle habita la grotte de la nativité. Ces exercices
ne l'empêchaient point d'apporter tous ses soins à mettre son doux enfantelet
à l'abri des injures du temps, auxquelles était si exposée une retraite si
incommode: La prudence de notre auguste Dame lui avait fait prendre un petit
manteau, outre les langes ordinaires, pour mieux le garantir du froid; et l'en
ayant couvert, elle le tenait continuellement dans le sacré tabernacle de ses
bras , excepté lorsqu elle le remettait à son saint époux Joseph; car elle
voulut, pour augmenter ses consolations, qu'il l’aidât aussi en cela, et qu’il
remplit l'office de père auprès du Dieu incarné.
505. La première fois que
le saint reçut l'EnfantDieu dans ses bras, la
sainte Vierge lui dit : « Prenez, mon époux et mon protecteur, prenez le
Créateur du ciel et de la terre, jouissez de son aimable compagnie et de
sa douceur ineffable, afin que mon Seigneur et mon Dieu trouve ses délices en
votre
(1) Matth., XI, 25. — (2) Joan., I, 9 et 10.
347
service
(1). Recevez le trésor du Père éternel, et participez au bienfait du genre
humain (2). » Et parlant intérieurement à l’Enfant-Dieu;
elle lui dit : « Très-doux amour de mon âme,
lumière de mes yeux, reposez entre les bras de votre serviteur et ami
Joseph , mon époux; prenez avec lui vos plaisirs,
et qu'ils vous fassent oublier mes manières grossières. Il m'est fort sensible
de rester sans vous un seul instant; mais je veux faire part sans envie du
bien que je reçois véritablement, à celui qui en est digne (3). » Le
très-fidèle époux, reconnaissant son nouveau
bonheur, s'humilia profondément, et répondit : « Reine et Maîtresse de l'uni
vers et mon épouse, comment oserai-je, moi qui suis indigne, tenir entre
mes mains le même Dieu en la présence duquel les colonnes du ciel
tremblent (4)? Comment ce vermisseau aura-t-il la hardiesse de profiter d'une
faveur si extraordinaire? Je ne suis que poudre et que cendre (5) :
suppléez, illustre Dame, à ma bassesse, et priez sa divine Majesté
de me regarder avec clémence et avec sa grâce. »
506. Le saint époux,
balancé entre le désir de recevoir l'Enfant-Dieu
et la crainte respectueuse qui le retenait, fit des actes sublimes d'amour, de
foi, d'humilité et de révérence profonde; et s'étant mis à genoux, tremblant
d'une respectueuse émotion, il le
(1) Prov., VIII, 31.. —
(2) Coloss., II, 8. — (3) Sap., VIII, 13. — (1)
Job., XXVI, 11. — (2) Gen., XVIII, 27.
348
prit
Avec précaution des mains de sa très-sainteMêre,
et témoigna par,des larmes douces et abondantes la joie et l'allégresse tolite
nouvelle dont le pénétrait une faveur tout aussi nouvelle. L'Enfant-Dieu
le regarda d'un air caressant, et en même temps il renouvela entièrement son
âme avec des effets si divins; qu'il n'est pas possible de les raconter. Le
saint époux se trouvant enrichi de tant de magnifiques bienfaits, fit de
nouveaux cantiques de louange. Et après que. son esprit eut joui quelque temps
des très-doux effets qu'il ressentit pour tenir en
ses mains le même Seigneur qui renferme dans la sienne les cieux et la terre
(1), il le remit à sa bienheureuse Mère, étant tous deux à genoux pour le
donner et pour le recevoir. La très-prudente Dame
le prenait ou le remettait toujours avec cette vénération, et son époux en
faisait de même quand son heureux tour arrivait. Et avant de s'approcher de la
divine Majesté, ils faisaient trois génuflexions, baisant la terre avec des
sentiments héroïques d'humilité et d'adoration, lorsqu'ils se le donnaient et
qu'ils le recevaient mutuellement.
507. Quand la divine Mère
crut qu'il était temps de donner la mamelle à son
très-saint Fils, elle lui en demanda la permission avec beaucoup de
respect; car, bien quelle dût le nourrir comme le fils de ses entrailles et
comme homme véritable, elle le regardait aussi comme vrai Dieu, et connaissait
la distance
(1) Isa., XL, 12 ; XlVIII,
13.
349
infinie qui sépare l'Être divin de: la simple créature telle qu’elle était
cette science étant en la très-prudente Vierge
infaillible, complète, perpétuelle, non susceptible de la moindre inadvertance
, lui faisait prévoir, toutes choses, comprendre et réaliser toujours ce qu'il
y avait de plus sublime dans toute la plénitude de la perfection ; ainsi elle
s'occupait de nourrir, de servir et
d'élever, son divin Enfant, non avec des soins inquiets, mais avec une
attention, une vénération et une vigilance incessantes, ajoutant chaque jour à
l'admiration des anges dont la science ne parvenait point à embrasser les
oeuvres héroïques d'une si jeune fille. Et comme ils l'assistaient toujours
corporellement , dès qu'elle fut dans la grotte de
la nativité, ils l'aidaient en toutes les choses qui étaient nécessaires au
service de l'Enfant-Dieu et au sien. Il est
constant que tous ces mystères réunis sont si doux, si admirables et si dignes
de nos réflexions et de notre souvenir, que nous ne saurions nier que nous ne;
nous rendions coupables d'une faute grossière en les oubliant, et que nous ne
soyons bien ennemis de nous-mêmes en nous privant des divins, effets que la
mémoire seule en fait éprouver aux enfants fidèles et reconnaissants.
508. La connaissance que
j'ai reçue de la vénération avec laquelle la sainte Vierge, saint Joseph et
les esprits angéliques traitaient l'Enfant-Dieu,
me permettrait d'allonger beaucoup ce discours. Sans le faire, je veux
néanmoins confesser que je me trouve au milieu de cette lumière toute
troublée, toute
350
confuse,
à la pensée da peu de respect avec lequel j'ai osé traiter avec Dieu jusqu'à
présent, et à la vue du grand nombre de péchés qu’ il m'a été montré que j'ai
commis sur ce point. Tous les anges qui accompagnaient notre auguste Reine
restaient visibles sous des formes humaines pour l'aider dans sa besogne, dès
la nativité jusqu'au moment où elle se rendit en Égypte avec l'Enfant, comme
je le dirai dans la suite. Le soin que l'humble et amoureuse Mère prenait de
son adorable Fils était si continuel, qu'il fallait qu'elle eût besoin de
prendre quelque nourriture pour qu'elle le remît soit entre les bras de saint
Joseph, soit entre ceux des princes saint Michel et saint Gabriel; car ces
deux archanges la prièrent de le leur confier pendant qu'ils mangeraient ou
que le saint travaillerait. Alors donc ils le laissaient entre les mains des
anges, pour que s'accomplit d'une manière admirable ce que dit David : Ils
vous porteront dans leurs manies (1), etc. Pour garder son
très-saint Fils, la
très-diligente Mère ne dormait point avant que sa divine Majesté lui
dit de dormir et de reposer. A cet effet, le Seigneur lui donna en récompense
de ses soins une espèce de sommeil plus nouveau et plus miraculeux que celui
qu'elle avait eu jusqu’alors, quand elle dormait et qu'en même temps son coeur
veillait (2), de sorte qu'elle n'interrompait point les intelligences et les
contemplations divines. Mais dès ce jour-la le Seigneur lui en donna un autre
(1) Ps., XC, 12. — (2) Cant., V, 2.
351
plus
merveilleux; car notre grande Dame dormait autant qu'il lui était nécessaire,
et en dormant elle avait assez de force pour soutenir l'Enfant comme si elle
eût veillé; elle le regardait avec l'entendement comme si elle l'eût vu avec
les yeux du corps, connaissant intellectuellement tout ce qu'elle et l'Enfant
faisaient extérieurement. Ce prodige réalisait ce qui est dit dans les
Cantiques, au nom de la Vierge-Mère : Je dors,
et mon coeur veille (1).
509. Il ne m'est pas
possible d'exprimer par mes faibles paroles les hymnes de louange et de gloire
que la Reine du ciel adressait à l'Enfant, accompagnée des anges et de son
époux Joseph. On pourrait faire plusieurs chapitres sur ce seul article; mais
la connaissance en est réservée comme un sujet particulier de joie aux élus,
le très-fidèle époux fut en cela singulièrement
heureux et privilégié parmi les mortels, car bien souvent il les entendait.
Outre cette faveur, il en recevait une autre de la plus grande consolation et
du plus grand prix pour son âme, que sa très-prudente
épouse lui faisait : en parlant avec lui de l'Enfant, elle l'appelait maintes
fois notre Fils (2), non qu'il fût fils naturel de Joseph, lui qui n'était
Fils que du Père éternel et de sa seule Mère Vierge, mais parce qu'il était
réputé tel dans la créance des hommes. Cette faveur causait au saint une joie
inexprimable, et c'est pour cela que notre divine Dame son épouse la lui
renouvelait souvent.
(1) Cant., V, 2. — (2) Luc., II, 48.
552
Instruction que la Maîtresse de l’univers me dona.
510. Ma fille, je vous vois
dans une sainte jalousie du bonheur que j'avais ainsi, que mon
époux , d'agir constamment en la compagnie de
mon-très-saint Fils, parce que nous l'avions sous
les yeux comme vous désireriez l'avoir si la chose était possible. Je veux
vous consoler et diriger votre affection en ce que vous devez et pouvez opérer
selon votre état, polir obtenir dans une certaine mesure la félicité que vous
considérez en nous avec admiration et ravissement. Or, faites réflexion, ma
très-chère fille; sur ce que vous avez pu
suffisamment connaître des différentes voies dont Dieu se sert pour conduire
dans son Église les âmes qu'il aime et qu'il cherche avec une affection
paternelle. Vous avez pu acquérir cette science par l'expérience de tant de
vocations et de lumières particulières que vous avez reçues, trouvant toujours
le Seigneur aux portes de votre tueur (1), qui vous appelait et attendait
depuis si longtemps, en vous attirant à lui par des faveurs réitérées et par
les plus sublimes leçons, afin de vous enseigner et de vous assurer qui sa
bonté vous a disposée et choisie pour l'étroit lieu de son amour et de ses
communications (2), et afin que vous fassiez tous vos efforts pour arriver à
la grande pureté que cette vocation demande.
(1) Sap., VI, 15 ; Apoc., III, 20. — (2) Coloss., III, 14.
353
511. Vous n'ignorez pas non
plus, puisque la foi vous l'enseigne, que Dieu ne soit en tout lieu, par
présence, par essence et par puissance (1), et que toutes vos pensées, tous
vos désirs et tous vos gémissements ne lui soient découverts, sana qu'il y en
ait aucun qui lui puisse être caché (2). Et si, convaincue de cette vérité,
vous travaillez comme une fidèle servante à conserver la grâce que vous
recevez par le moyen des sacrements et par d'autres canaux que la divine
Providence a établis, le Seigneur sera avec vous d'une autre manière par une
assistance spéciale; et ainsi il vous aimera et caressera comme son épouse
bien-aimée (3). Or, sachant et comprenant tout cela, dites-moi maintenant ce
qu'il vous reste à envier, à souhaiter, puisque vous atteignez, vous possédez
l'objet de vos plus ardents désirs? Ce qu'il vous reste et ce que je demande
de vous, c'est que vous tâchiez, avec une sainte émulation, d'imiter la
conversation et de reproduire les qualités des anges et la pureté de mon
époux, enfin de modeler, autant que possible, votre vie sur la mienne, afin
que vous deveniez la digue demeure du Très-Haut (4). Vous devez faire tous vos
efforts pour vous conformer à ces instructions et y apporter cette même
vivacité de désirs avec laquelle vous auriez voulu vous trouver à même de voir
et d'adorer mon très-saint Fils lors de sa
naissance : car si vous m'imitez, vous pouvez être certaine
(1) Act., XVII, 27 ; Ps. CXXXVIII, 7; Jerem., XXIII , 24. — (2) Ps. XXXVII, 10. — (3) Joan., XIV, 28. — (4) 1 Cor., III, 17.
354
que je
serai votre maîtresse et votre protectrice, et que vous aurez le Seigneur en
votre âme par une possession assurée. Dans cette certitude vous, lui pouvez
parler, prendre vos délices avec lui et l'embrasser comme s'il était près de
vous, puisqu'il a revêtu la chair humaine et s'est fait enfant pour
communiquer ces délices aux âmes pures et saintes. 'Toutefois, vous devez
toujours dans l'enfant considérer le parfait Homme-Dieu,
afin que vos caresses soient accompagnées d'un profond respect et votre amour
d'une sainte crainte ; car, quoiqu'il daigne recevoir l'amour par sa bonté
infinie et par sa grande miséricorde, le respect ne lui en est pas moins dû.
512. Vous devez persévérer
dans ce commerce du Seigneur sans aucun intervalle de tiédeur qui puisse le
dégoûter, parce que votre occupation légitime et continuelle doit consister en
l'amour et eu la louange de son Être infini. Je veux due vous ne preniez tout
le reste qu'en passant, de sorte que les choses visibles et terrestres
puissent à peine vous toucher et vous arrêter un instant. C'est à cette
hauteur que vous devez élever votre vol, n'aspirant réellement à aucune chose
créée en dehors du souverain et véritable bien que vous cherchez. Vous n'avez
qu'à m'imiter, qu'à vivre pour Dieu, tout le reste ne doit vous rien être, pas
plus que vous pour tout le reste. Quant aux dons et aux biens que vous
recevez, je veux que vous les dispensiez et communiquiez à votre prochain avec
l'ordre de la charité parfaite que le détachement
355
augmente
de plus en plus, loin de la diminuer (1). En cela pourtant il y a lieu de
garder une juste mesure, suivant votre condition et votre état, comme je vous
l'ai enseigné et expliqué en d'autres rencontres.
CHAPITRE XIII. L'auguste Marie connut que c'était la volonté du Seigneur que
son
très-saint Fils fût circoncis. — Elle en parle à saint Joseph. — Le nom sacré de
Jésus vient du ciel.
513. Aussitôt que la
très-prudente Vierge fut devenue mère par
l'incarnation du Verbe dans son sein , elle
commença à considérer les souffrances que son très-doux
Fils venait endurer. Et comme la connaissance qu'elle avait des Écritures
était si profonde , elle pénétrait tous les
mystères qu'elles renfermaient; et par cette science' elle prévoyait et pesait
avec une compatissante indicible ce qu'il devait souffrir pour la rédemption
du genre humain. Ces peines. qu'elle repassait dans
son âme d'une vue si claire, furent un long martyre pour la
très-douce Mère de l'Agneau qui devait être
sacrifié (2). Mais pour ce qui regarde
(1) I Cor., XIII, 8. — (4) Jerem., XI, 19.
356
le
mystère de la circoncision qui se devait faire peu de temps après la
naissance, notre divine Dame n'avait reçu aucun ordre exprès et ne connaissait
point la volonté du Père éternel. Par cette incertitude le Seigneur excitait
la compassion, les affections, et la douce voix de la tendre et amoureuse
Mère. Elle considérait dans sa sagacité que son
très-saint Fils venait honorer et confirmer sa loi en l'exécutant et en
l'accomplissant lui-même (1); qu'il venait en outre souffrir pour les hommes
(2); que son très-ardent amour ne refuserait point
la douleur de la circoncision, et que pour d'autres motifs encore, il pourrait
être convenable qu'il la subît.
514. D'autre part, l'amour
maternel et la compassion la portaient à souhaiter que son
très-doux Fils fût affranchi de cette peine s'il
était possible, d'autant plus que la circoncision était un sacrement destiné
pour ôter la souillure du péché originel , dont l'Enfant-Dieu
était si exempt, ne l'ayant point contracté en Adam. Saintement indifférente
dans cet amour pour son très-saint Fils, et cette
soumission aux ordres,du Père éternel, la
très-prudente Dame fit plusieurs actes héroïques
de vertus, qui furent extrêmement agréables à sa divine Majesté. Et
quoiqu'elle eût pu sortir de ce doute en demandant tout de suite au Seigneur.
ce qu'elle devait faire, elle s'en abstenait
néanmoins, parce qu'elle était aussi humble que prudente. Elle ne le demanda
pas non plus à ses anges,
(1) Matth., V, 17. — (2) Matth., XX, 28.
357
parce
qu'elle attendait en toutes choses avec due sur gesse admirable le moment
opportun fixé par la divine Providence, et qu'elle ne témoignait jamais
d'empressement ni de curiosité pour connaître l'avenir par des voies
extraordinaires et surnaturelles, surtout quand il paraissait devoir la
soulager de quelque peine. Lorsqu'il se présentait une affaire importante et
épineuse, en laquelle le Seigneur pouvait être offensé, ou une occasion
pressante pour le bien des créatures, en laquelle il fallait consulter la
volonté de Dieu; elle demandait auparavant la permission de le supplier de
vouloir lui déclarer son bon plaisir.
515. Cela n'est pas
contraire à ce que j'ai écrit en la première partie, liv. II, chap. X, savoir
que la très-pure Marie ne faisait rien sans en
avoir demandé la permission su Seigneur et sans consulter le Très-Haut; en
effet, elle ne recherchait point cette connaissance du bon plaisir divin avec
le désir de la recevoir par une révélation extraordinaire; car, comme je l'ai
dit, elle était à cet égard très-discrète et
très-prudente, ne sollicitant une révélation qu'en
des cas fort rares; mais elle consultait, en dehors de ces communications
spéciales, la lumière habituelle et surnaturelle du Saint-Esprit, qui la
gouvernait et conduisait dans toutes ses actions, et en y élevant la vue
intérieure, elle y découvrait la plus grande perfection et la plus hante
sainteté qu'on puisse apporter dans la manière de faire les choses et dans les
actions communes. Et quoiqu'il soit vrai que la Reine du ciel eût diverses
raisons, et comme un droit particulier de demander
358
au
Seigneur par un moyen quelconque la connaissance de sa volonté; néanmoins,
comme cette grande Dame était un exemplaire et une règle de sainteté et de
discrétion, elle ne s'en prévalait point, excepté dans les occasions
convenables; et dans tout le reste, elle accomplissait à la lettre ce que dit
David : Comme les yeux de la servante sont attentifs sur les 'mains de sa
maîtresse, de même mes yeux sont fixés sur le Seigneur, en attendant que sa
miséricorde soit avec nous (1). Mais cette lumière ordinaire était plus
grande en la Reine de l'univers qu'en tous les mortels ensemble; et elle lui
suffisait pour demander le Fiat de la volonté divine qu'elle
connaissait.
516. Le mystère de la
circoncision était particulier, unique; c'est pourquoi il exigeait une
illumination spéciale du Seigneur que la prudente Mère attendait fort à
propos, et dans cette attente, s'adressant à la loi qui l'ordonnait, elle
disait en elle-même : « Oh! loi commune, tu es
juste et sainte; mais tu ne laisseras pas d'être bien dure à mon coeur, si tu
dois le blesser en Celui qui en est la vie et l'unique Maître! Que tu
sois rigoureuse pour laver du péché celui qui en est souillé, cela est
juste; mais que tu pèses de toute ta force sur l'innocent en qui l'on ne
peut trouver aucune faute, il me semble que c'est un excès de rigueur
que son amour seul peut autoriser (2). Oh! si mon
bien-aimé voulait bien éviter cette peine! Mais comment la refusera-t-il, lui
qui
(1) Ps., CXXII, 3. — (2) Hebr., VII, 26 et 27.
359
ne vient
que pour souffrir, pour embrasser la croix, pour accomplir et
perfectionner la loi (1). Oh ! cruel instrument, si
tu exécutais le coup sur ma propre vie, plutôt que sur le Maître qui me
l'a don née ! Oh ! mon
très-cher Fils ! mon doux amour, lumière de
mon âme, est-il possible que vous versiez sitôt un sang qui vaut
plus que le ciel et la terre? Mon amoureuse peine me porte à empêcher la
vôtre, et à vous exempter de la loi commune, qui ne vous
regarde pas, puisque vous en êtes l'auteur. Mais le désir que j'ai de
l'accomplir m'oblige de vous livrer à sa rigueur, si vous, ma douce vie,
ne commuez pas la peine en me la faisant endurer. C'est moi,
Seigneur, qui vous ai donné l'être humain, que vous avez d'Adam; mais
vous l'avez reçu sans aucune tache de péché, et c'est pour cela
que votre toute puissance m'a dispensée de la loi commune de le contracter. En
tant que Fils du Père éternel, et image de sa substance parla génération
éternelle, vous êtes infiniment éloigné du péché (2). Or comment, mon divin
Seigneur, voulez-vous vous assujettir à la loi de son remède? Mais je vois
bien, mon très-cher Fils, que vous êtes le Maître
et le Rédempteur des hommes, que vous devez confirmer la doctrine par votre
exemple, et que vous n'en omettrez pas un seul point (3). O Père éternel,
faites, s'il est possible, que le couteau perde dans cette occasion sa
rigueur, et la chair sa sensibilité, que la
(1) Matth., XX, 28 ; V,
17. — (2) Hebr., I, 3. — (3)
Matth., V, 18.
360
douleur
échoie à cet abject vermisseau, que votre Fils unique accomplisse la loi, et
que j'en ressente moi seule la peine douloureuse. O cruel péché,
que tu es prompt à communiquer ton aigreur à Celui qui n'a pu te
commettre! O enfants d'Adam, haïssez et craignez le péché, qui a besoin
pour son remède de l'effusion du sang et des souffrances du Seigneur Dieu
lui-même. »
517. Cette tristesse de la
pitoyable Mère était mélangée de la joie qu'elle avait de voir le Fils unique
du Père né et entre ses bras; elle passa ainsi les jours qui s'écoulèrent
jusqu'à la circoncision, son très-chaste époux
Joseph partageant tous ses sentiments car elle ne parla qu'à lui seul du
mystère, et ce fut avec fort peu de paroles, à cause de leur compassion et de
leurs larmes. Avant que les huit jours de la naissance fussent accomplis, la
très-discrète Reine s'adressant, dans le doute où
elle était, à sa divine Majesté, lui dit: « Suprême Roi de l'univers, Père de
mon Seigneur, voici votre servante avec le sacrifice et l'hostie
véritable dans ses mains (1). Mes gémissements et le sujet qui les cause ne
sont point cachés à votre sagesse (2). Découvrez-moi, Seigneur,
votre divine volonté quant à ce que je dois a faire
avec votre Fils et le mien pour me conformer a à la loi. Et si j'en puis
exempter mon très-doux enfant et mon Dieu en
souffrant moi-même les don leurs de sa rigueur et beaucoup plus encore, mon
(1) Ephes., V, 2. — (2) Ps. XXXVII, 10.
361
coeur y est
tout disposé (1); mais si c'est, Seigneur, votre bon plaisir qu'il soit
circoncis, j'y suis aussi disposée. »
515. « Le Très-Haut lui
répondit en ces termes Ma Fille et ma Colombe, ne vous affligez pas de livrer
votre Fils au couteau et à la circoncision, car je l'ai envoyé au monde pour y
montrer l'exemple et pour mettre fin à la loi de Moïse en l'accomplissant
entièrement (2). Si ce vêtement de l'humanité que vous lui avez donné comme
mère naturelle doit être déchiré par la blessure de sa chair et de votre âme
en même temps, il souffrira aussi en son honneur, étant mon Fils naturel par
la génération éternelle (3), l'image de ma substance (4), égal à moi en
nature, en majesté et en gloire (5), puisque je le livre à la loi et au
sacrement qui ôte le péché sans manifester aux hommes qu'il ne saurait
l'avoir. Vous savez bien, ma fille, que vous me devez offrir votre Fils et le
mien pour cette peine, et pour d'autres plus grandes. Laissez-lui donc verser
son sang, et me donner les prémices du salut éternel des hommes. »
519. Notre divine Dame,
comme coopératrice de notre remède, se conforma à cette détermination du Père
éternel avec une telle plénitude de sainteté, qu'il n'est pas possible à
l'intelligence humaine de la mesurer. Elle lui offrit aussitôt son Fils unique
avec une
(1) Ps. CVI, 8. — (2) Matth., V, 17.
— (3) Ps. II,
7. — (4)
Hebr., I, 8. —- (5) Joan., X, 30.
362
très-soumise
obéissance et un très-ardent amour, et lui dit : «
Seigneur Dieu tout-puissant, je vous offre de tout mon coeur la victime et
l'hostie de votre sacrifice agréable (1), quoique je sois pénétrée de
compassion et de douleur en voyant que les hommes ont offensé de telle
sorte votre bonté immense, qu'une juste satisfaction ne peut vous
être donnée que par un être qui soit Dieu. Je vous loue éternellement de
ce que vous regardez la créature avec un amour infini, n'épargnant pas
votre propre Fils pour son remède (2). Pour moi, que vous avez daigné
choisir pour sa Mère, je dois être soumise à votre bon plaisir plus que
tous les mortels et que toutes les autres créatures : ainsi je vous
offre le très-doux Agneau qui doit effacer
les péchés du monde par son innocence (3). Mais s'il est possible
d'adoucir pour mon Fils bien-aimé la rigueur de ce couteau en le
tournant contre mon sein, votre bras est puissant
pour faire cet échange. »
520. L'auguste Marie sortit
de cette oraison, et, sans révéler à saint Joseph ce qu'elle y avait appris,
elle lui proposa avec une rare prudence et les raisons les plus persuasives de
se préparer à la circoncision de l’Enfant-Dieu.
Elle lui dit, comme en le consultant, que le temps fixé par la loi pour la
circoncision du divin Enfant s'approchant déjà (4), il semblait nécessaire de
l'accomplir, puisqu'ils n'avaient point d'ordre
(1) Ephes., V, 2.
— (2) Rom., VIII, 32. — (3) Joan., I, 29. — (4)
Luc., II, 21; Gen., XVII, 12.
363
contraire;
et qu'étant tous deux plus redevables au Très-Haut que toutes les créatures
ensemble, ils devaient aussi, en retour de tant de bienfaits incomparables,
être plus ponctuels à se conformer à ses préceptes, et plus prompts à souffrir
pour son amour dans le ministère qu'ils remplissaient auprès de son
très-saint Fils, devant dépendre de sa divine
volonté en toutes choses. Le très-saint époux lui
répondit avec beaucoup de respect et de sagesse qu'il se conformait en tout au
bon plaisir divin manifesté par la loi commune, puisque le Seigneur ne lui
avait appris rien d'autre à cet égard; et que le Verbe humanisé, quoiqu'il ne
fuit point soumis à la loi en tant que Dieu; étant néanmoins revêtu de
l'humanité, et en tout un Maître et Rédempteur
très-parfait, voudrait se conformer aux autres hommes en ce qui
regardait son accomplissement. Ensuite il demanda à sa divine épouse comment
il faudrait procéder à la circoncision.
521. La
très-sainte Vierge lui répondit que, tout en
accomplissant la loi en sa substance, il lui semblait, quant au mode, qu'il
fallait faire comme aux autres enfants que l'on circoncisait; mais qu'elle ne
devait point l'abandonner ni le remettre à aucune autre personne; qu'elle même
le porterait et le tiendrait entre ses bras; et que, comme par suite de sa
complexion délicate l'Enfant éprouverait une plus grande douleur que les
autres circoncis, il fallait qu'ils tinssent tout prêt le remède dont on se
servait ordinairement pour guérir la blessure. Outre cela elle pria saint
Joseph de chercher avec diligence une petite fiole de cristal ou
364
de verre
pour y mettre les sacrées reliques de la circoncision de l'Enfant-Dieu,
qu'elle voulait porter sur elle. Cependant la prévoyante Mère prépara des
linges pour recevoir le sang qu'on allait commencer à verser pour le prix de
notre rachat, afin qu'il n'en tombât pas alors une seule goutte à terre. Après
ces préparatifs, notre divine Dame chargea saint Joseph d'avertir le prêtre et
de le prier de venir. dans la grotte, afin que
l'Enfant n'en sortit point et qu'il fit lui-même la circoncision, comme
ministre le plus légitime et le plus digne d'un si grand et si profond
mystère.
522. Ensuite l'auguste
Marie et saint Joseph délibérèrent sur le nom qu'ils devaient donner à l'Enfant-Dieu
dans la circoncision; sur quoi le saint époux dit : « Chère Dame, quand l'ange
du Très-Haut me révéla le grand mystère de l'incarnation, il m'ordonna
en même temps d'appeler votre sacré Fils Jésus. » La Vierge Mère
répondit : « Il me désigna le même nom lorsque le Verbe prit chair dans
mon sein; or, sachant le nom que le Très-Haut veut lui donner par
la bouche des anges ses ministres, il est juste que nous révérions avec
un humble respect les jugements impénétrables de sa sagesse infinie en ce
saint nom, et que mon Fils et mou Seigneur soit appelé Jésus : c'est ce
que nous déclarerons au prêtre
pour qu'il écrive ce divin nom sur le registre des autres enfants circoncis. »
523. Pendant que la grande
peine du ciel et saint Joseph s'entretenaient sur ce sujet, des troupes
innombrables d'anges descendirent de l'empyrée en
365
forme
humaine, avec des vêtements d'une blancheur éclatante, rehaussés par des
ornements incarnats d'une richesse admirable. Ils portaient des palmes en
leurs mains et des couronnes si brillantes sur leurs tètes, que- chacune
envoyait plus de lumière que plusieurs soleils ensemble; et, en comparaison de
la beauté de ces saints princes, tout ce qu'il y a de visible et de beau dans
la nature ne parait que laideur. Mais ce qui frappait davantage dans leur
aspect, c'était une devise, comme gravée sous un cristal sur leur poitrine, où
le très-doux nom de Jésus était marqué. Et la.
splendeur qui en rejaillissait surpassait celle de
tous les anges ensemble, de sorte que la variété qui se découvrait, dans une
telle multitude était si rare et si agréable, qu'il n'est possible ni de
l'exprimer par des paroles ni de la concevoir par l'imagination. Ces saints
anges, étant entrés dans la grotte, se partagèrent en deux chœurs, regardant
tous avec admiration leur Roi et leur Seigneur entre les chastes bras de la
bienheureuse Mère. Les deux grands princes saint Michel et saint Gabriel
étaient comme les chefs de cette milice céleste; ils avaient aussi un plus
grand éclat que les autres anges : et outre cet avantage ils portaient en
leurs mains le très-saint nom de Jésus, écrit en
plus gros caractères sur des espèces de médaillons d'une beauté et d'une
richesse extraordinaires.
524. Les deux princes
célestes se présentèrent à part à leur peine et lui dirent : « Illustre Dame,
voici le nom de votre Fils, qui est écrit de toute éternité dans l'entendement
de Dieu : la très-sainte Trinité
365
l'a
donné à votre Fils unique, notre Seigneur, avec puissance de sauver le genre
humain (1); elle l'assied sur le trône de David; il y règnera (2), il châtiera
ses ennemis, il en triomphera (3) et les humiliera jusqu'à s'en servir de
marchepied (4) ; et, jugeant avec équité, il élèvera ses amis et les placera
dans la gloire de sa droite (5). Mais tout cela doit a
arriver au prix de ses peines et de son sang, qu'il a doit maintenant verser
en prenant ce nom, parce a que c'est un nom de Sauveur et de Rédempteur; et
ce seront les prémices de ce qu'il doit souffrir pour obéir au Père
éternel. Nous tous, ministres et esprits a du Très-Haut, qui nous présentons
ici, avons été envoyés par la très-sainte
Trinité pour servir le Fils unique du Père et le vôtre, assister à
tous les mystères et sacrements de la loi de grâce, et l'accompagner comme
serviteurs jusqu'à ce qu'il monte triomphant it
la Jérusalem céleste et qu'il en ait ou vert les Portes an genre humain; après
quoi nous en jouirons avec nue gloire accidentelle qui nous sera
particulière, et au-dessus des autres bienheureux qui n'auront pas reçu
cette mission privilégiée. » Le bienheureux époux saint Joseph vit et entendit
tout cela avec la Reine du ciel, mais l'intelligence n'en fut pas égale; car
la Mère de la Sagesse y pénétra de très-hauts
mystères de la rédemption. Et quoique saint Joseph en
découvrit plusieurs de son côté, ce fut
(1) Matth., I, 21. — (2) Isa., IX, 7. — (3) Coloss., II, 15 ; Ps., LIV, 19 . — (4) Ps. CIX, 9. — (5) Matth., XXV, 33.
367
d'une
manière inférieure ï celle de sa divine épouse; ils furent néanmoins tous deux
remplis de joie et d'admiration, glorifiant le Seigneur par de nouveaux
cantiques. Et il se passa entre eux tant de choses admirables, qu'il n'est pas
possible de trouver des termes assez expressifs pour les raconter.
Instruction que l'auguste Marie me donna.
525. Ma fille, je veux
renouveler en vous la doctrine et la lumière que vous avez reçues, pour
traiter vôtre Seigneur et votre Époux avec une extrême révérence; car
l'humilité et la crainte respectueuse doivent croître dans les âmes à mesure
quelles reçoivent des faveurs plus particulières et plus extraordinaires.
C'est manque de cette science que beaucoup d'âmes ou se rendent indignes ou
incapables des grands bienfaits, ou, out en les recevant, se laissent aller à
une familiarité aussi grossière que dangereuse, par laquelle elles offensent
beaucoup le Seigneur; car il arrive bien souvent que, beaucoup la douceur
amoureuse avec laquelle plusieurs fois sa divine bonté les caresse, elles
prennent une certaine hardiesse ou légèreté présomptueuse qui les fait traiter
sa Majesté infinie sans le respect qui lui est dû, et rechercher avec une
vaine curiosité, par des voies surnaturelles, ce qui est su- dessus de leur
entendement et qu'il ne leur est pas convenable de
368
savoir.
Cette témérité vient de ce qu'elles comparent, par une ignorance terrestre le
commerce familier avec le Très-Haut à celui qu'une créature humaine a coutume
d'avoir avec une autre qui lui est égale, croyant que la chose doive se passer
sans aucune différence.
526. Mais on se trompe fort dans ce jugement, par lequel on mesure le
respect que l'on doit à la Majesté infinie avec les rapports de familiarité et
d'égalité que l'amour humain établit entre les mortels. Chez les créatures
raisonnables la nature est égalé, malgré la diversité des conditions et des
accidents; les sentiments d'une affection intime peuvent faire oublier la.
différence qui les rend inégales, et régler par les
mouvements humains ces relations d'amitié. Mais l'amour divin ne doit jamais
oublier l'excellence inestimable de l'objet infini; or, comme il s'adresse à
la bonté immense, et que par cet endroit il n'a point de limites, de même le
respect s'adresse à la majesté de l'Être divin : et parce que la bonté et la
majesté sont inné parables en Dieu, le respect ne doit pas être non plus
séparé de l'amour en la créature; la lumière de la foi divine, qui découvre à
l'amant l'essence de l'objet qu'il aime, doit toujours le guider; elle doit
exciter et entretenir une crainte révérentielle,
et régler les affections désordonnées auxquelles se livre ordinairement un
amour aveugle et inconsidéré, quand il agit sans se rappeler l'excellence et
la supériorité infinie de Celui qu'il aime.
527. Quand la créature a le
coeur noble et qu'elle est accoutumée 'à la sainte et respectueuse crainte,
elle
369
n'est
point en danger d'oublier, dans les plus fréquentes et les plus grandes
faveurs, la révérence qui est due au Très-Haut; parce qu'elle ne s'abandonne
point sans réflexion aux douceurs spirituelles, et qu'elle n'y perd pas la
prudente attention qu'on doit toujours porter à sa suprême Majesté ; au
contraire, plus elle l'aime et la connaît, plus elle l'honore et la révère.
C'est avec ces âmes que le Seigneur traite d'une manière familière et comme un
ami avec un autre (1). Que ce soit donc pour vous, ma fille,
une règne inviolable, que quand vous jouirez des
plus tendres caresses, des plus étroits embrassements du Très-Haut, vous soyez
d'autant plus soigneuse de révérer la grandeur de son être infini et immuable,
de le glorifier autant que vous l'aimerez. Par cette science vous apprécierez
beaucoup mieux le bienfait que vous recevez, et vous ne tomberez point dans la
hardiesse dangereuse des gens légers qui veulent à tout propos, dans les
petites comme dans les grandes choses, rechercher et interroger le secret du
Seigneur, et qui demandent que sa très-prudente
Providence condescende et se prête à leur vaine curiosité, poussés qu'ils sont
par quelque passion désordonnée que font naître des affections humaines et
répréhensibles, et non le zèle du saint amour.
528. Considérez à cet égard
la discrétion avec laquelle j'agissais et je m'arrêtais dans mes doutes,
quoique jamais aucune pure créature n'ait pu être à
(1) Exod., XXXIII, 11.
370
beaucoup
près aussi agréable que moi aux yeux du Seigneur. Cela, étant, et lorsque
j'avais dans mes bras Dieu lui-même, en qualité de sa véritable Mère, je
n'osai néanmoins jamais le prier de me faire connaître quoi que ce fût par des
voies extraordinaires, soit pour le savoir, soit pour me soulager de quelque
peine, soit pour quelque autre motif humain; car tout cela aurait marqué une
faiblesse naturelle ou une vaine curiosité, ou un défaut blâmable, et c'est ce
qu'on ne saurait trouver en moi. Mais quand la nécessité m'y obligeait pour la
gloire du Seigneur, ou que le sujet était indispensable ,
alors je demandais la permission à sa divine Majesté de lui exposer mon désir.
Et bien qu'elle me fut toujours très-favorable et
qu'elle me demandât avec une bonté merveilleuse ce que je souhaitais de sa
miséricorde, je m'anéantissais néanmoins toujours en sa présence, et la priais
seulement de m'enseigner ce qui lui serait le plus agréable.
529. Gravez, ma fille,
cette instruction dans votre coeur, et gardez-vous bien de chercher jamais
avec un désir désordonné et curieux à savoir ou à pénétrer la moindre chose
qui soit au-dessus de la raison humaine. Car, outre que le Seigneur ne répond
point à ces prétentions insensées, tant elles lui déplaisent, le démon est
fort attentif à ce vice, surtout quand il se trouve dans les personnes qui
veulent mener une vie spirituelle : et comme il est d'ordinaire l'auteur de
ces sentiments de curiosité vicieuse, et qu'il les développe par ses rusa, il
arrive souvent qu'elles lui
371
servent
encore à les entretenir, en se transformant en ange de lumière (1), de sorte
qu'il trompe les imparfaits et les imprudents. Et quand même ces recherches ne
viendraient que d'une inclination naturelle, on ne doit pas non plus l'écouter
ni la suivre, parce qu'il ne faut pas dans une affaire si haute qu'est le
commerce avec le Seigneur, se laisser aller aux impressions ni aux appétits
d'une raison passionnée; car la nature, dépravée, infectée par le péché, est
tellement désordonnée, qu'elle n'imprime que des mouvements irréguliers
auxquels on ne doit pas obéir, et d'après lesquels on ne doit pas se diriger.
Il ne faut pas non plus qu'une créature implore des révélations divines pour
être soulagée de ses peines et de ses afflictions; car l'épouse de
Jésus-Christ et son fidèle serviteur ne doivent pas user de, ses faveurs pour
fuir la croix, mais pour la chercher et la porter avec le Seigneur (2), et
pour l'attacher à celle que sa divine Providence leur donnera. Je veux que
vous pratiquiez tout cela avec urie retenue
craintive, tendant vers cette extrémité pour vous éloigner du contraire. Je
veux que vous perfectionniez dès aujourd'hui les motifs de votre conduite, et
que vous agissiez en toutes choses par amour, c'est-à-dire pour les fins les
plus parfaites (3). L'amour n'a ni bornes ni mesure : ainsi je veux que vous
aimiez avec excès et que vous craigniez avec modération, et autant qu'il sera
nécessaire pour ne pas transgresser la loi du
(1) II Cor.,
XI, 14. — (2) Matth., XVI, 24. — (3) Philip., I,
9.
372
Très-Haut et pour régler toutes vos opérations intérieures et vos actions
extérieures avec droiture. Soyez soigneuse et ponctuelle en cela, quelques
difficultés et quelques peines que vous rencontriez : n'ai je pas souffert
aussi en me décidant à faire circoncire mon très-saint
Fils (1). Je le fis, parce que la volonté du Seigneur, à qui nous devons en
tout et partout obéir, nous était déclarée dans les saintes lois.
CHAPITRE XIV. L'Enfant-Dieu est circoncis et appelé Jésus.
530. Il y avait à Bethléem,
comme dans plusieurs autres villes d'Israël, une synagogue particulière où le
peuple s'assemblait pour prier (2), c'est pourquoi on l'appelait aussi maison
d'Oraison, et pour ouïr faire la lecture de la loi de Moïse, qu'un prêtre
lisait et expliquait en chaire d'une voix intelligible, afin que le peuple en
comprit les préceptes. Mais on, n'offrait point de sacrifices dans cette
synagogue, car cela était réservé pour le temple de Jérusalem, si le Seigneur
n'en disposait autrement, parce qu'il n'avait
(1) Gen., XVII, 12. — (2) Judit., VI,
21 ; Act., XIII, 11.
373
pas
laissé le choix du lieu à la liberté du peuple,. comme
on le voit dans le Deuteronome (1), pour éloigner
le péril de l'idolâtrie. Mais le prêtre, qui était le maître ou le ministre de
la loi, l'était aussi de la circoncision, non par un précepte qui obligeât,
car chacun pouvait circoncire même sans être prêtre, mais par une dévotion
spéciale des mères, qui laissait croire à la plupart' que les enfants ne
courraient pas tant de danger s'ils étaient circoncis par la main du prêtre.
Notre auguste Reine voulut, non. par cette crainte,
mais à cause de la dignité de l'Enfant, que le ministre de sa circoncision fût
le prêtre qui se trouvait en Bethléem, et c'est pour cela que son bienheureux
époux Joseph l'appela.
531. Le prêtre vint dans la
grotte de la nativité, où le Verbe incarné et sa Mère Vierge, qui le tenait
entre ses bras, l'attendaient : il était accompagné de deux autres ministres,
qui l'aidaient ordinairement dans le ministère de la circoncision. L'horreur
de l'humble réduit surprit et contraria un peu le prêtre. Mais notre
très-prudente Reine le reçut et lui parla avec
tant de modestie et de grâce, qu'elle sut bientôt changer cette impression
fâcheuse en dévotion et en admiration des manières si honnêtes, si modestes et
si dignes de la Mère; de sorte qu'il se sentit porté, sans en connaître la
cause, à respecter et à vénérer, une si rare créature. Et quand il eut jeté
les yeux sur la Mère et sur l'Enfant qu'elle avait entre ses bras,
(1) Deut., XII, 5 et 6.
374
il
éprouva dans son coeur quelque chose d'extraordinaire qui lui inspira une
très-grande dévotion et une tendresse singulière,
étonné de ce qu'il voyait dans une telle pauvreté et dans un lieu si
misérable. Et au moment oh il toucha la chair déifiée de l'Enfant-Dieu,
il fut aussitôt entièrement renouvelé par une vertu secrète qui le purifia et
le perfectionna; et lui donnant une nouvelle grâce, elle le rendit saint et
fort agréable au souverain Seigneur de l'univers.
532. Pour faire la
circoncision avec toute la révérence extérieure qui était possible dans un tel
lieu, saint Joseph alluma deux cierges; et le prêtre dit à la Vierge Mère de
se retirer un peu, et de remettre l'Enfant aux ministres, afin d'éviter la
douleur que la vue du sacrifice lui causerait. Cet ordre mit notre grande Dame
dans l'irrésolution, car son humilité la portait à obéir au prêtre, et d'un
autre côté l'amour et la révérence qu'elle avait pour son Fils unique la
retenaient. Et pour ne point manquer à ces deux
vertus, elle pria le prêtre avec beaucoup de soumission de vouloir lui
permettre, s'il était possible, d'assister au sacrement de la circoncision,
pour la grande estime qu'elle en faisait, disant qu'elle aurait assez de
courage et de force pour tenir son très-saint
Fils, qu'elle ne saurait se résoudre à quitter, et qu'elle le suppliait
seulement de procéder à la circoncision avec toute la douceur possible; à
cause de la complexion délicate de l'Enfant. Le prêtre promit de le faire, et
permit à la Mère de tenir l'Enfant entre ses bras pendant la cérémonie. De
sorte qu'elle fut l'autel sacré
375
sur
lequel les réalités que les anciens sacrifices représentaient, commencèrent
d'être accomplies, offrant elle-même de ses mains ce sacrifice nouveau et du
matin, afin qu'il fût dans tous ses détails agréable au Père éternel (1).
533. La divine Mère
démaillota son très-saint Fils
, et tira de son sein un linge qu'elle y échauffait par la chaleur
naturelle, à cause du froid rigoureux qu'il faisait alors; elle prit avec ce
linge l'Enfant entre ses mains, de manière à y recevoir les reliques et le
sang de la circoncision. Le prêtre fit son office, et circoncit l'Enfant-Dieu
et homme véritable, qui offrit en même temps avec
une charité immense au Père éternel trois choses d'un si grand prix, que
chacune suffisait pour la rédemption de mille mondes. La première fut la forme
du pécheur qu'il avait prise, étant innocent et Fils du Dieu vivant (2), car
il recevait le sacrement qui était administré pour ôter la souillure du péché
originel, et s'assujettissait à la loi à laquelle il n'était point obligé. La
seconde fut la douleur qu'il ressentit comme homme véritable et parfait. La
troisième fut le très-ardent amour avec lequel il
commençait à verser son sang pour le prix de la rédemption des hommes; et il
rendit des actions de grâces au Père pour lui avoir donné un corps, afin de
pouvoir souffrir pour son honneur et pour sa gloire.
534. Le Père reçut avec
complaisance cette prière et ce sacrifice de notre Seigneur Jésus-Christ, et
commença,
(1) Hebr., IX, 6, etc. — (2) Philip., II, 7; Il
Cor., V, 21.
376
pourrait-on
dire, à considérer le genre humain comme libéré de sa dette. Le Verbe incarné
offrit ces prémices de son sang pour gage de ce qu'il le donnerait jusqu'à la
dernière goutte, pour consommer la-rédemption, et
acquitter l'obligation qui grevait les enfants d'Adam (1). La
très-sainte Mère observait toutes les actions et
les opérations intérieures de son Fils unique, elle pénétrait avec une
profonde sagesse le mystère de ce sacrement, et s'associait de son côté, dans
les limites de son rôle, à son Fils et à son Seigneur en ce qu'elle faisait.
L'Enfant-Dieu pleura comme homme véritable. Et
bien que la douleur de la plaie fût excessive, tant à raison de la délicatesse
de sa complexion qu'à cause de la rudesse du couteau, fait d'une pierre à feu,
ce ne fut pas tant 1a douleur naturelle qui lui arracha des larmes, que la
science surnaturelle avec laquelle il prévoyait la dureté des mortels, plus
invincible et plus forte que celle de cette pierre, pour résister à son
très-doux amour et à la flamme qu'il venait
allumer dans le monde et dans les coeurs des fidèles (2). La tendre et
amoureuse Mère pleura aussi comme une simple brebis
qui mêle son bêlement à celui de son innocent agneau. Dans leur mutuel amour
et leur mutuelle compassion, il se rejeta sur sa Mère, et elle le pressa
doucement et avec tendresse contre son sein virginal; elle prit ensuite-les
sacrées reliques et le sang versé sur le linge, et remit le tout à saint
Joseph, pour
(1) Coloss., II, 14. — (2) Luc., XII, 49.
377
prendre
soin de l'Enfant-Dieu et l'envelopper de ses
langes. Le prêtre fut en quelque façon surpris des larmes de la Mère, et
quoiqu'il en ignorât le mystère, il lui parut que la beauté de l'Enfant
pouvait bien exciter en celle qui l'avait mis au monde une sollicitude aussi
tendre et une aussi vive douleur.
535. La Reine du ciel
montra tant de prudence et de magnanimité dans toutes ces oeuvres, qu'elle
provoqua l'admiration des choeurs des anges, et mérita toutes les
complaisances du Créateur. La divine Sagesse qui la conduisait éclatait en
toutes ses actions, donnant à chacune d'elles une perfection consommée, comme
si elle n'eût été occupée qu'à une seule. On la vit pleine d'un courage
invincible pour tenir l'Enfant pendant la circoncision, soigneuse pour
ramasser les précieuses reliques, compatissante pour le plaindre et pour
pleurer avec lui en souffrant de sa douleur, amoureuse pour le caresser,
diligente pour l'envelopper, fervente pour l'imiter en ses oeuvres, et
toujours pieuse pour le traiter avec un souverain respect, sans qu'elle
laissât aucune interruption entre ces actes, et sans que le soin et la
perfection de l'un nuisissent à l'attention que réclamaient les autres.
Admirable spectacle en une jeune fille de quinze ans, et fécond en
enseignements pour les anges de plus en plus ravis! Cependant le prêtre
demanda aux saints époux quel nom ils souhaitaient donner à l'Enfant
circoncis, et notre grande Dame, toujours attentive au respect qu'elle portait
à saint Joseph, lui dit de le déclarer. Le saint, se tournant vers elle avec
une digne
378
vénération , lui fit connaître qu'un si doux nom devait sortir de sa bouche. Et par
une divine disposition, Marie et Joseph dirent en même temps : « Jésus est son
nom (1). » Le prêtre répondit : « Les parents sont bien d'accord, et grand est
le nom qu'ils donnent à l'Enfant; » puis il l'inscrivit sur le registre
commun. En inscrivant ce sacré nom, il fut touché d'une grande tendresse
intérieure qui lui fit verser beaucoup de larmes; et étonné de ce qu'il
sentait et ignorait, il dit : « Je suis sûr que cet Enfant sera un grand
prophète du Seigneur. Ayez un soin particulier de son éducation, et dites-moi
en quoi je puis vous être utile. » L'auguste Marie et son bienheureux
époux répondirent au prêtre par un humble remerciement, et lui donnèrent
eux-mêmes en offrande les cierges et quelques autres petites choses, après
quoi, il prit congé d'eux.
536. La sainte Vierge et
Joseph demeurèrent seuls avec l'Enfant, ils célébrèrent de nouveau le mystère
de la circoncision, en faisant le sujet de leur entretien avec de douces
larmes et des cantiques sublimes, qu'ils composèrent en l'honneur du
très-doux nom de Jésus, et dont la connaissance
(comme je l'ai dit des autres merveilles) est réservée pour la gloire
accidentelle des saints. La très-prudente Mère
pansa la plaie de l'Enfant-Dieu avec les remèdes
ordinaires, et le tint jour et nuit entre ses bras pendant tout le temps que
sa douleur et sa plaie durèrent, sans le quitter un
(1) Luc., II, 21.
379
seul
moment. On ne saurait comprendre ni exprimer par des paroles humaines les
soins amoureux de la divine Mère, car son affection naturelle surpassa celle
de toutes les autres mères, et son amour surnaturel fut au-dessus de celui de
tous les saints et de tous les anges ensemble. On ne saurait non plus faire
connaître par aucun exemple le culte respectueux qu'elle lui rendait.
C'étaient bien là les délices que le Verbe incarné désirait et qu’il prenait
avec les enfants des hommes (1). Parmi les douleurs qu'il ressentait par les
choses que je viens de raconter, son coeur amoureux jouissait de l'éminente
sainteté de sa Mère vierge. Et quoiqu'il se complût en elle plus qu'en tous
les mortels, et qu'il se reposât en son amour, néanmoins notre
très-humble Reine trichait d'adoucir les peines
qu'il recevait d'ailleurs par tous les moyens qui lui étaient possibles. C'est
pour ce sujet qu'elle convia les saints anges qui se trouvaient présents de
chanter une musique à leur Dieu humanisé, enfant et souffrant. Les ministres
du Très-Haut obéirent à leur Reine, et chantèrent avec des voix intelligibles
et avec une mélodie céleste les mêmes cantiques qu'elle et son époux avaient
composés à la louange du nouveau et très-doux nom
de Jésus.
537. Par cette musique si
harmonieuse, en comparaison de laquelle le plus beau concert des hommes ne
serait qu'un bruit propre à écorcher les oreilles, la divine Dame récréait son
très-aimable Fils; et
(1) Prov., VIII, 31.
380
beaucoup
plus encore par celle qu'elle-même lui donnait par l'harmonie de ses héroïques
vertus, qui faisaient dans son âme très-sainte
comme autant de chœurs et d'escadrons bien rangés, ainsi que le Seigneur
lui-même et son époux le lui dit, dans les Cantiques (1). Le coeur humain est
dur et plus que pesant pour pénétrer et reconnaître des mystères si
vénérables, que l'amour immense de son Créateur et Rédempteur a destinés pour
son salut éternel. O mon Dieu et la vie de mon Ame ! comme
nous vous payons mal de retour pour les tendresses de votre amour infini ! O
charité sans borne et sans mesure ! puisque sous ne
pouvez pas être éteinte par l'abondance des eaux de nos infidélités et de nos
ingratitudes (2). La bonté et la sainteté par essence ne sauraient descendre
plus bas, ni nous obliger davantage, que de prendre la forme de pécheur et de
recevoir, étant l'innocence même, le remède du péché, qui ne pouvait point
l'atteindre (3). Si les hommes méprisent cet exemple, s'ils oublient ce
bienfait, comment oseront-ils dire qu'ils ont du jugement et de la raison?
Comment seront-ils assez présomptueux pour se glorifier de leur, sagesse et de
leur intelligence? Qu'il serait prudent, ô homme ingrat !
si de pareilles oeuvres de Dieu ne te touchent point, de t'affliger de
ton insensibilité et de pleurer une si lamentable folie et une dureté si
effroyable, que tous les feux de
(1) Cant., VII, 1. — (2) Cant , VIII, 7. — (3)
Philip., 7 ; II Cor., V, 21.
l'amour
divin ne suffisent point pour fondre la glace de ton coeur !
Instruction que je refus de mon auguste Maîtresse.
538. Ma fille, je veux que
vous considériez attentivement la faveur que vous recevez lorsque je vous fais
connaître avec combien de soin , de sollicitude et
de tendre dévotion je servais mon très-saint et
très-doux Fils dans les mystères que vous avez
décrits. Le Très-Haut ne vous éclaire pas d'une lumière si particulière, pour
que vous vous arrêtiez seulement à la consolation qu'elle vous procure par les
sentiments dont elle vous pénètre ; mais afin que vous m'imitiez en tout comme
une fidèle servante, et qu'étant privilégiée comme vous l'êtes en
l'intelligence des mystères de mon Fils, vous vous distinguiez aussi dans la
reconnaissance de ses bienfaits. Or, considérez, ma
très-chère fille, combien son divin amour est mal payé des mortels, et
combien même il est méconnu et oublié des justes. Chargez-vous personnellement
de réparer ce tort dans la petite mesure de vos forces, en l'aimant, le
remerciant et le servant pour vous et pour tous les autres qui ne le font pas.
A cet effet, vous devez être active et prompte comme un ange, fervente dans la
dévotion, ponctuelle
382
dans les
occasions, et entièrement morte à tout ce qui est terrestre, rompre les
chaînes des inclinations humaines pour élever votre vol où le Seigneur vous
appelle.
539. Vous n'ignorez pas, ma
fille, la douce efficace qu'a le vif souvenir des oeuvres que mon
très-saint Fils a faites pour les hommes; et
quoique cette lumière vous soit d'un puissant secours pour vous exciter à la
reconnaissance, je vous avertis pourtant (afin que vous ne tombiez pas dans ce
dangereux oubli) que les bienheureux dans le ciel, connaissant en Dieu ces
mystères, s'étonnent d'eux-mêmes pour le peu d'attention et de réflexion
qu'ils y ont fait pendant qu'ils étaient voyageurs. Car sils pouvaient être
capables d'y souffrir quelque peine, ils regretteraient amèrement la froideur
avec laquelle ils ont apprécié les oeuvres de la rédemption et la nonchalance
avec laquelle ils ont travaillé à imiter le, Christ. Il est certain que la
cruauté que montre le coeur de l'homme, tant contre lui-même que contre son
Créateur et Sauveur, jette tous les anges et les saints dans une stupéfaction
indicible; et, en effet, les mortels n'ont aucune compassion ni des peines que
le Seigneur a souffertes pour eux, ni davantage de celles qu'ils doivent
souffrir eux-mêmes. Et quand les réprouvés, dans une consternation sans
remède, s'apercevront de leur effroyable oubli et du peu d'attention qu'ils
ont donné aux oeuvres que Jésus-Christ a opérées pour leur salut, la confusion
et le dépit leur causeront une peine insupportable, qui à elle seule
383
sera un
châtiment incompréhensible (1), en leur rappelant le mépris qu'ils ont fait de
leur surabondante rédemption (2). Écoutez bien, ma fille, prêtez l'oreille à
mes conseils et à la doctrine de la vie éternelle (3). Éloignez de vos
puissances toute sorte d'image et d'affection humaine; attachez tout votre
coeur et tout votre entendement aux mystères et au: bienfaits de la rédemption
(4). Appliquez-vous-y entièrement; méditez-les, pesez-les, et rendez-en des
actions de grâces comme s'ils n'eussent été que pour vous et pour chaque homme
en particulier, ou qu'il n'y eût que vous pour les reconnaître. Vous trouverez
en eux la vie, la vérité et le chemin de l'éternité (5); et si vous le suivez,
vous ne marcherez point dans les ténèbres, au contraire vous y rencontrerez la
lumière et la paix (6).
(1) Sap., V, 4, etc. — (2) Ps. CXXIX, 7. — (3) Ps.
XLIV, 11. — (4)
Galat., II, 20. — (5) Joan., XIV, 6. — (6)
Baruch., III, 14.
384
CHAPITRE XV. La
très-pure Marie demeure dans la grotte de la nativité avec l'Enfant-Dieu
jusqu'à la venue des mages.
540. Notre grande Reine
savait par la science infuse qu'elle avait des saintes Écritures et par tant
de sublimes révélations, que les mages viendraient de l'Orient pour
reconnaître et adorer son très-saint Fils pour le
véritable Dieu (1). Elle avait été particulièrement informée de ce prochain
mystère par l'ange qui fut envoyé à ces rois pour leur annoncer la naissance
du Verbe incarné, comme je l'ai dit ait chapitre XIe de ce livre, paragraphe
492 ; car la Mère Vierge eut connaissance de tout cela. Saint Joseph n'avait
aucune notion de ce mystère, car il ne lui avait pas été révélé, et sa
très-prudente épouse ne lui découvrait pas son
secret, elle qui, sage et circonspecte en toutes choses, attendait que la
volonté divine opérât en ces mystères, au montent opportun, par sa cloute
disposition (2). C'est pourquoi, la circoncision étant célébrée, le saint
époux proposa à la Reine du ciel de quitter un lieu si pauvre quo l'était
(1) Ps. LXXI, 10 ; Isa., LX, 6. — (2) Sap., VIII, 1.
385
la
grotte, à cause des incommodités que l'Enfant-Dieu
et elle y souffraient, lui persuadant qu'ils trouveraient dés lors à Bethléem
un logement inoccupé, où ils pourraient se retirer jusqu'à ce que fût arrivé
le temps d'aller présenter l'Enfant dans le temple de Jérusalem : ce que le
très-fidèle et très-soigneux
époux proposa à la sainte Vierge, parce qu'il craignait toujours de ne pas
pouvoir dans sa pauvreté , procurer au Fils et à la Mère toutes les commodités
dont ils pouvaient avoir besoin, remettant pourtant le tout à la volonté de sa
divine épouse.
541. La
très-humble Reine lui répondit, sans néanmoins lui
découvrir le mystère: « Mon époux et mon maître, je suis prête à faire tout ce
que vous m'ordonnerez, et à vous suivre partout où vous voudrez aller; faites
ce que vous jugerez le plus à propos. » La divine Reine avait déjà voué un
certain attachement à la grotte à cause de la bassesse et de la pauvreté du
lieu, et parce que le Verbe incarné l'avait consacrée par les mystères de sa
naissance et de sa circoncision, et par celui qu'elle attendait des rois
mages, quoiqu'elle ignorât le temps de leur arrivée. Cet attachement était
pieux, plein de dévotion et de vénération; mais il ne l'empêchait pas de
préférer l'obéissance à ses goûts particuliers, et de s'y soumettre pour
servir en toutes choses d'exemplaire et de règle de la perfection la plus
sublime. Cette vertueuse indifférence mit saint Joseph dans un plus grand
embarras, parce qu'il désirait que son épouse décidât ce qu'ils devaient
faire. Et pendant qu'ils en
385
conféraient
ensemble, le Seigneur répondit par l'organe des princes saint Michel et saint
Gabriel, qui s'occupaient visiblement du service de leur divin Seigneur et de
leur grande Reine, et qui dirent: « La volonté divine a ordonné que les
trois rois qui viennent des régions de l'Orient pour chercher le Roi du
ciel, adorent ici même le Verbe fait homme. Il y a dix jours qu'ils sont en
marche, car ils ont été aussitôt avertis de la sacrée naissance, et ils se
sont mis incontinent en chemin; ils arriveront dans
très-peu de temps; ainsi seront accomplies les prédictions des
prophètes qui les ont vus et annoncés de fort loin (1) ».
542. Par ce nouvel avis,
saint Joseph fut consolé et informé de la volonté du Très-Haut; et son épouse
la sainte Vierge lui dit : « Mon seigneur, quoique ce lieu que le
Tout-Puissant a choisi pour de si magnifiques
mystères, soit pauvre et incommode aux yeux du monde, il est pourtant
riche, précieux, le meilleur et le plus estimable de la terre aux yeux de sa
sagesse, puisque le Souverain des cieux s'en est contenté en le consacrant par
sa divine présence. Sa puissance est assez grande pour nous faire jouir
de sa vue dans cet endroit, qui est une véritable terre promise. Et s'il
le trouve à propos, il nous adoucira les rigueurs de la saison pendant
le peu de temps que nous y demeurerons. » Le discours de notre
très-prudente Reine causa une sensible joie à
(1) Ps. LXXI, 10 ; Isa., LX, 6.
387
saint
Joseph, qui lui répondit que, puisque l'EnfantDieu
se conformerait aux prescriptions de la loi pour la présentation au Temple,
comme il s'y était conformé pour la circoncision, ils pouvaient demeurer dans
ce sacré lieu jusqu'à ce que le jour arrivât, sans retourner auparavant, dans
la mauvaise saison, à Nazareth, qui était trop éloigné. Que si par hasard la
rigueur du froid les forçait à le quitter et à se retirer dans Jérusalem, ils
le pouvaient aisément faire, puisqu'elle n'était distante de Bethléem que de
deux lieues.
543. L'auguste Marie se
plia entièrement à la volonté de son vigilant époux, tout en conservant
toujours une secrète inclination pour ce sacré sanctuaire, beaucoup plus saint
et plus vénérable que celui du temple ; et en attendant qu'il fuit temps d'y
aller présenter son Fils, elle fit tout son possible pour le garantir de
l'injure du temps. Elle nettoya de nouveau la grotte et fit pour l'arrivée des
rois tous les préparatifs que comportait la pauvreté du lieu. Mais la plus
grande précaution qu'elle prit pour l'Enfant-Dieu
fut de le tenir toujours entre ses bras, quand elle n'était pas absolument
obligée de s'en séparer. Elle usa surtout de la puissance souveraine qu'elle
avait sur toutes les créatures quand l'hiver déployait sa fureur; car elle
commandait au froid, aux vents, à la neige et aux frimas de ne point nuire à
leur Créateur, mais d'exercer sur elle seule leur inclémence et les âpres
influences des éléments. La divine Reine leur disait : « Détournez vos
rigueurs de votre Créateur et Conservateur, qui vous a donné l'être, la vertu
et la faculté
388
d'opérer.
Considérez, ô créatures de mon bien-aimé, que vous n'en avez été armées
qu'à cause du péché (1), et que pour châtier la désobéissance du premier
Adam et sa postérité ! Mais envers le second, qui vient réparer cette chute,
et qui n'a pas pu y être entraîné, vous devez être bénignes et
respectueuses, lui rendant, loin de lui nuire, de justes hommages et
services. C'est ce que je vous commande en son nom, vous défendant de
le gêner et de le faire souffrir. »
544. La prompte obéissance
que les créatures irraisonnables rendaient à la volonté divine qui leur était
intimée par la Mère de Dieu lui-même, est digne de notre admiration et de
notre imitation; car il arrivait, quand elle l'ordonnait, que la neige, les
vents et la pluie n'osaient s'en approcher, et s'arrêtaient à une distance de
plus de cinq toises, et que l'air ambiant se tempérait et se changeait en une
agréable chaleur. Cette merveille était accompagnée d'une autre: c'est qu'en
même temps que l'Enfant-Dieu recevait cet
adoucissement, la Mère Vierge qui le portait dans ses bras, ressentait la
rigueur du froid et souffrait les intempéries de la saison avec toute
l'intensité que pouvaient leur donner les forces de la nature. Cela arrivait
parce que tout lui était soumis, et qu'elle ne voulait point s'exempter
elle-même de la peine, dont Mère amoureuse et maîtresse des créatures dociles,
elle préservait son tendre Fils et son adorable Seigneur. Saint
(1) Sap., V, 18, etc.
389
Joseph
jouissait aussi bien que l'Enfant-Dieu des doux
effets de ce privilège, et s'apercevait du favorable changement de la
température; mais il ne savait pas que tout cela se produisit par le
commandement de sa divine épouse, et par l'action de son pouvoir, attendu
quelle ne lui faisait pas connaître ce privilège, qu'elle n'avait pas reçu
ordre du Très-Haut de lui révéler.
545. La conduite et la
règle que la grande Reine du ciel observait en nourrissant son petit Enfant
Jésus; était de l'allaiter trois fois par jour, ce qu'elle faisait avec tant
de respect, qu'elle lui en demandait très-humblement
la permission; le suppliant de lui pardonner son indignité, et se
reconnaissant en tolutes choses sa sujette.
Maintes fois lorsqu'elle l'avait entre ses bras ,
elle se mettait à genoux pour l'adorer; et si elle avait besoin de s'asseoir,
elle le priait de vouloir bien le lui permettre. C'est avec le même respect
que, comme je l'ai dit ailleurs, elle le remettait à saint Joseph, et le
reprenait de ses mains. Souvent elle lui baisait les pieds, et quand elle
souhaitait de le baiser au visage, elle sollicitait intérieurement sa
bienveillance et son agrément. Le très-doux Enfant
répondait à ses caresses maternelles, non-seulement
en les recevant avec un air aimable, que relevait toujours une certaine
majesté, mais encore par d'autres actions qu'il faisait de la même manière que
les autres enfants,quoique avec plus de sérénité et de retenue. Le plus
ordinairement il se penchait avec amour sur le chaste sein de sa
très-pure Mère, ou sur son épaule, en entourant
son cou de ses petits bras divins. Et la
390
très-sainte
Vierge était si sérieuse et si circonspecte au milieu de toutes ces caresses,
qu'elle ne se les attirait pas par des puérilités, et qu'elle ne les
repoussait pas non plus par des semblants de menaces, comme font les autres
mères. Elle était en tout très-prudente et
très-parfaite, sans défaut ni excès : de sorte que
le plus grand amour de son très-saint Fils et les
sensibles marques qu'il lui en prodiguait lui servaient à s'humilier
davantage, et lui inspiraient une profonde vénération qui réglait ses
affections et leur donnait un plus vif éclat de sainteté et de perfection.
546. Il y avait entre l'Enfant-Dieu
et la Mère Vierge d'autres sortes de caresses mystiques : car, outre qu'elle
connaissait toujours par la divine lumière les actes intérieurs de l'âme
très-sainte de son Fils unique, comme je l'ai dit,
il arrivait souvent que, l'ayant entre ses bras, l'humanité lui apparaissait
comme un cristal transparent, et alors la sainte Vierge y voyait l'union
hypostatique, l'âme du divin Enfant, et toutes les opérations auxquelles il se
livrait en priant le Père éternel pour le genre humain. Alors la divine Dame
l'imitait en ses oeuvres et en ses prières, et se trouvait toute abîmée et
transformée en son propre Fils. Dans cet état le Seigneur la regardait avec
une joie accidentelle et en faisait toutes ses délices, comme se récréant en
la pureté d'une telle créature et se réjouissant de l'avoir créée, et de ce
que la Divinité s'était incarnée pour reproduire une si vive image de cette
même Divinité, aussi bien que l'humanité qu'elle avait prise de sa substance
virginale. A propos
391
de ce
mystère, il me fut rappelé ce que dirent à Holopherne ses capitaines, quand
ils virent la belle Judith dans les champs de Béthulie
: « Qui méprisera le peuple hébreu, et qui condamnera la guerre que
nous lui faisons, puisqu'il a des femmes d'une si rare beauté (1)? » Ce
discours parait mystérieux et véritable en ce qui regarde le Verbe incarné,
qui a pu dire la même chose avec beaucoup plus de raison au l'ère éternel et à
toutes les créatures. Qui niera que je n'aie eu un juste sujet de descendre du
ciel sur la terre pour y prendre chair humaine et pour y détruire le diable,
le monde et la chair, en les vainquant et en les anéantissant, puisque parmi
les enfants d'Adam il se trouve une femme telle que ma Mère? O mon doux amour!
vertu de ma vertu, vie de mon âme, aimable et
amoureux Jésus! Ah ! vous le voyez, dans toute la
nature humaine, il n'y a que la seule Marie gui ait une telle beauté! Elle est
l'unique, l'élue (2), et si parfaite à vos yeux, mon divin Maître et Seigneur,
que non-seulement elle égale tout le reste de
votre peuple, mais qu'elle le surpasse à un degré
incommensurablc; elle seule supplée à la laideur de toute la postérité
d'Adam.
547. La
très-douce Mère ressentait de si sublimes effets
parmi ces délices de son Enfant-Dieu, qu'elle en
était toute spiritualisée et déifiée de nouveau. lit,
dans les élans qui transportaient son âme très-pure,
elle eût rompu cent fois les attaches
du corps terrestre
(1) Judith., X, 18. — (2) Cant., VI, 8.
392
pour
l'abandonner; cent fois sa vie se fût consumée dans l'incendie de son amour,
si elle n'eût été miraculeusement fortifiée et soutenue. Elle s'adressait
mentalement et oralement à son très saint Fils en des termes si relevés et si
mesurés, qu'on ne saurait les traduire dans notre grossier langage. Tout ce
que je pourrai dire sera toujours fort au-dessous de-ce divin entretien, selon
ce qui m'a été manifesté. Elle lui disait : « O mon amour!
douce vie de mon âme, qui êtes-vous, et qui suis-je? Que voulez-vous
faire de moi en abaissant vos grandeurs et vos magnificences jusqu'à favoriser
une poussière inutile? Que pourra a faire votre
servante pour votre amour, et pour vous témoigner sa reconnaissance? Que
vous rendrai-je pour tant de bien que vous m'avez fait (1)? Mon être, ma
vie, mes puissances, mes sens, mes désirs et mes soupirs, tout cela vous
appartient. Consolez votre servante et votre mère, afin que, dans l’ambition
qu'elle a de vous servir, elle ne se décourage pas à la vue de son
insuffisance, puisqu'elle ne peut pas mourir de votre amour. Oh !
que la capacité des hommes est bornée, que
leur pouvoir est petit, que leurs affections sont faibles, puisqu'ils ne
peuvent parvenir à payer votre amour d'un juste retour! Vous vaincrez toujours
en magnificence et en miséricorde vos créatures; vous chanterez des
victoires et des triomphes d'amour, et nous, qui nous reconnaîtrons vaincus à
la vue de nos impuissances,
393
nous
nous soumettrons à votre pouvoir. Nous nous
enfoncerons humblement dans notre a poussière, et votre nom sera glorifié et
exalté dans les siècles des siècles. » Notre divine Dame connaissait
quelquefois, par la science de son très-saint
Fils, les âmes qui se distingueraient dans la loi de grâce en l'amour divin;
elle discernait les oeuvres qu'elles feraient, les martyres qu'elles
souffriraient pour imiter le même Seigneur : et par cette intuition elle était
enflammée dans son émulation d'un amour si ardent, que le martyre de désir de
notre auguste Reine surpassait tous ceux qu'on a effectivement soufferts.
Alors elle expérimentait ce que l'i1poux dit dans les Cantiques, que
l'émulation de l'amour était forte comme la mort et dure comme l'enfer (1).
Comme l'amoureuse Mère ne mourait pas, malgré tout le désir qu'elle avait de
mourir, son très-saint Fils lui répondait ces
paroles, qui y sont rapportées : Mettez-moi comme un cachet sur votre coeur
et sur votre bras (2), lui en donnant en même temps et l'effet et
l'intelligence. Par ce divin martyre, la sainte Vierge fat la première de tous
les martyrs. Le très-doux Agneau Jésus paissait au
milieu de ces lis, pendant que le jour de la grâce s'approchait et que les
ombres de l'ancienne loi commençaient à me dissiper (3).
548. L'Enfant-Dieu
ne mangea aucune chose tant qu'il fut à la mamelle virginale de sa
très-sainte Mère, et il ne se nourrit que de son
seul lait, qui était aussi
(1) Cant., VIII, 6. — (2) Ibid. — (8) Cant., II, 16 et 17.
394
doux
et aussi substantiel que le corps de cette auguste Dame, où il se formait,
était pur, parfait et réglé en toutes ses humeurs et ses qualités; il
surpassa, après celui de notre Seigneur Jésus-Christ, tous les autres corps en
santé et en toute autre sorte de perfection ce sacré lait se serait conservé
par ses propres qualités un très-longtemps sans se
corrompre, et, par un privilège singulier, il ne se serait jamais altéré;
étant certain que celui des autres femmes s'aigrit et se corrompt bientôt,
comme l'expérience nous l'apprend.
549. Le bienheureux époux
Joseph ne jouissait pas seulement des faveurs et des caresses de l'Enfant-Dieu,
comme témoin oculaire de celles qui se passaient entre le Fils et la Mère :
mais il fut aussi trouvé digne d'en recevoir immédiatement de Jésus lui -même,
parce que très-souvent sa divine épouse le lui
remettait entre les bras, lorsqu'il fallait qu'elle s'occupât à quelque chose
dont l'exécution l'empêchait de le garder avec elle, comme à préparer le
repas, à ajuster la layette, à balayer la maison. Alors saint Joseph le
tenait, et son âme en ressentait toujours des effets divins. L’Enfant Jésus
lui montrait extérieurement un visage agréable, il s'appuyait sur son sein,
et, tout en conservant une dignité, une retenue vraiment royales, il lui
témoignait son affection par diverses caresses, comme les autres enfants ont
accoutumé de faire à l'égard de leurs pères. Toutefois ces faveurs n'étaient
pas accordées au saint aussi fréquemment ni aussi tendrement qu'à la véritable
Mère et Vierge. Et quand elle laissait l'Enfant, elle prenait eu échange les
reliques
395
de la
circoncision, que son glorieux époux portait ordinairement sur lui pour sa
consolation. Ainsi ils étaient toujours enrichis l'un et l'autre, Marie par
son très-saint Fils, et Joseph par le précieux
sang qu'il venait de verser et par sa chair déifiée. Ils conservaient ces
très-saintes reliques dans une petite fiole de
cristal que le saint chercha, comme je l'ai dit, et qu'il acheta de Forgent
que sainte Élisabeth leur avait envoyé; notre grande Dame y mit la chair (lui
fut coupée et le sang qui fut versé en la circoncision, en coupant du linge
qui avait servi à ce ministère les endroits où il avait coulé. Et, afin que le
tout y fût dans une plus grande sûreté, notre puissante Reine ferma par son
seul commandement la petite fiole dont l'ouverture était garnie d'argent, et à
sa voix cette garniture recouvrit et embrassa l'orifice de la fiole bien mieux
que n'aurait pu faire l'artisan qui l'avait fabriquée. De sorte que la
très-prudente Mère y garda ce sacré trésor pendant
toute sa vie; elle remit ensuite ce précieux dépôt aux apôtres; et le leur
laissa comme appartenant à la sainte Église. Je me trouve si abîmée dans la
mer immense de ces mystères et dans une si grande impuissance de les expliquer
à cause de l'ignorance de mon sexe et de la faiblesse de mes termes, (lue je
m'en rapporte pour un grand nombre à la foi et à la piété chrétienne.
398
Instruction que la
très-sainte Vierge me donna.
550. Ma fille, vous avez
été avertie dans un des chapitres précédents de ne rien demander au Seigneur
par des moyens extraordinaires, ni pour diminuer vos peines, ni par une
inclination naturelle, et moins encore par une vaine curiosité. Je vous
recommande maintenant de ne point suivre non plus vos sentiments pour désirer
ou exécuter la moindre chose extérieure par aucun de ces motifs, attendu que
vous devez, modérer et réfréner vos inclinations en toutes les opérations de
vos puissances et applications de vos sens, sans leur donner ce qu'ils
exigent, fût-ce sous quelque prétexte apparent de vertu ou de piété. Je ne
devais pas craindre de dépasser les bornes dans mes affections, à cause de mon
innocence irréprochable; le désir que j'avais de demeurer dans la grotte où
mon très-saint Fils était né et où il avait reçu
la circoncision, ne manquait pas non plus d'une piété sincère; mais malgré
tout cela et malgré. les questions de mon époux ,
je ne voulus pas manifester ce désir, parce que je préférai l'obéissance à
cette dévotion, sachant que c'était la voie la plus sûre pour les âmes et la
plus agréable à Dieu, que de chercher, sa sainte volonté par le conseil et
l'opinion d'autrui, plutôt que dans ses propres inclinations. Ce fut en moi un
plus grand mérite et une plus grande perfection; mais pour vous et pour toutes
les autres âmes,
397
qui
courez risque d'errer en suivant votre propre sentiment, ce doit être une loi
plus rigoureuse qui vous fasse prévoir ce danger, pour vous en éloigner avec
précaution et diligence; car la créature ignorante et au coeur si étroit,
s'attache facilement à des bagatelles par une inclination et une affection
puériles ; et parfois elle s'occupe tout entière d'un mince détail comme d'une
grosse affaire : ce qui n'est rien en soi lui parait quelque chose. Et tout
cela la rend incapable, et la prive en même temps des grands biens spirituels,
de la grâce, de la lumière et du mérite.
551. Vous graverez cette
instruction et toutes celles que je dois vous donner dans votre coeur, et vous
tacherez d'y faire un recueil de tout ce que je faisais, afin que, pénétrée de
l'intelligence que vous en aurez, vous le mettiez en pratique. Considérez la
révérence, l'amour, le soin que j'avais pour mon
très-saint fils, la réserve et la sainte circonspection avec laquelle
je le traitais. Et quoique j'eusse toujours vécu dans cette crainte vigilante,
néanmoins, après l'avoir conçu dans mon sein, je ne le perdis plus un instant
de vue, et rien ne put ralentir l'amour qu'il me communiqua alors. Mon coeur
ne trouvait aucun apaisement dans l'ardeur où j'étais de lui être plus
agréable, jusqu'à ce que, unie et abîmée dans la participation de ce souverain
bien, de cette dernière fin de toutes choses, je pusse quelquefois m'y reposer
comme dans mon centre. Mais bientôt je retombais dans mon inquiétude
ordinaire, comme celui qui
398
poursuit
son chemin sans s'arrêter à ce qui ne le peut avancer et qui retarde son
désir. Mon coeur était si éloigné de s'attacher à
aucune des choses de la terre et de suivre l'inclination sensible, qu'à cet
égard je vivais comme si je n'eusse pas été de la commune humaine nature. Et
si les autres créatures ne sont pas libres des passions, ou si elles ne les
vainquent point autant qu'il leur serait possible, qu'elles se plaignent de
leur propre volonté, et non point de la nature c'est celle-ci qui, dans sa
faiblesse, aurait au contraire le droit de se plaindre; car elles pourraient,
avec l'empire de la raison , la régler et la diriger, et c'est pourtant ce
qu'elles ne font pas; au contraire, elles lui laissent suivre des voies
mauvaises, et l'y poussent même par les incitations du libre arbitre, en même
temps qu'elles se servent de l'entendement pour la mener à la recherche des
objets les plus dangereux et des occasions où elle doit trouver sa perte. Au
milieu de Lotis ces précipices qui bordent la vie humaine, je vous recommande,
nia très-chère fille, de ne convoiter et de ne
poursuivre atteinte chose visible, quelque nécessaire et quelque légitime
qu'elle vous paraisse. Faites eu sorte de n'user que par obéissance et avec
l'agrément de vos supérieurs, des choses indispensables, telles que votre
cellule, vos vêtements, votre nourriture et le reste, parce que le Seigneur le
veut, et je vous le déclare, afin que vous et usiez pour le service du
Tout-Puissant. N'oubliez pas que tout ce que vous ferez doit passer par la
règle de toutes les instructions que je vous ai données.
CHAPITRE XVI. Les trois rois mages viennent de l'Orient et adorent le Verbe
incarné à Bethléem.
552. Les trois rois mages
qui vinrent chercher l'Enfant-Dieu nouvellement
né, étaient originaires de la Perse, de l'Arabie et de Saha, régions à l'est
de la Palestine. David prophétisa particulièrement leur venue (1), et avant
lui, Balaam
, quand il bénit par la volonté divine le peuple d'Israël, quoique
Balac, roi des Moabites, l'eût appelé pour le
maudire (2). Balaam dit, en le bénissant, qu'il
verrait le Roi-Christ, mais non pas alors; qu'il
le considèrerait, mais non pas de près (3), parce qu'il ne le vit point par
lui-même, mais par les mages ses descendants : et ce ne fut pas incontinent,
mais plusieurs siècles après. Il dit aussi qu'une étoile sortirait de Jacob
(4), parce qu'elle serait destinée à désigner Celui qui naissait pour régner
éternellement en la maison de Jacob (5).
553. Ces trois rois étaient
fort versés dans les sciences naturelles, aussi bien que dans les Écritures
(1) Ps. LXXI, 10. — (2) Num., XXIII, 24. — (3) Num., XXIV, 17. — (4) Ibid. — (5) Luc., I, 32.
400
du
peuple de Dieu , et c'est pour cela qu'ils furent appelés mages. Par les
notions qu’ils puisèrent dans les saintes Écritures et dans leurs entretiens
avec plusieurs Hébreux, ils arrivèrent à une espèce de créance de la venue du
Messie que ce peuple attendait. C'étaient en outre des hommes droits, amis de
la vérité, fort observateurs de la justice dans le gouvernement de leurs États
: car ils n'étaient pas aussi étendus que le sont les royaumes de notre temps,
ils les gouvernaient facilement par eux-mêmes, et y rendaient la justice comme
des princes, sages et vertueux , ce qui est
l'office légitime d'un roi. Et c'est pourquoi le Saint-Esprit dit que Dieu
tient son coeur dans ses mains pour le conduire comme une eau courante selon
sa sainte volonté (1). Ils avaient 1'àme noble, grande et généreuse, incapable
de cette avarice et de cette cupidité qui rapetissent, dégradent et
tyrannisent tellement les coeurs de certains princes. Et comme leurs États
étaient voisins, ils se fréquentaient et se communiquaient les vertus morales
qu'ils pratiquaient et les sciences qu'ils professaient, se faisant toujours
part des choses importantes qu'ils venaient à apprendre ou à connaître. En un
mot, c'étaient des amis intimes, très-fidèles dans
leurs relations.
554. J'ai déjà dit au
chapitre XIe, paragraphe 492, comment dans la même nuit que naquit le Verbe
incarné, ils furent informés de sa naissance temporelle
(1) Prov., XXI, 1.
401
par le
ministère des anges: Ce qui arriva en cette manière : un des gardiens de notre
Reine, supérieur à ceux que ces trois rois avaient, fut envoyé de la grotte,
et comme supérieur il illumina les anges des trois mages, leur déclarant la
volonté du Seigneur, qui leur ordonnait de découvrir, chacun à celui qu'il
avait sous sa garde , le mystère de l'incarnation et de la naissance de notre
Rédempteur Jésus-Christ. Aussitôt les trois anges, parlèrent dans un songe, à
la même heure, chacun d'eux, au mage qu'il accompagnait. C'est l'ordre commun
des révélations angéliques de se transmettre du Seigneur aux âmes en suivant
la hiérarchie des anges eux-mêmes. Cette illumination des rois touchant les
mystères de l'incarnation fut très-abondante et
très-claire, car ils y apprirent que le Roi des
Juifs, vrai Dieu et vrai homme, était né; que c'était le Messie et le
Rédempteur qu'ils attendaient, celui que les Écritures et les prophéties
promettaient; que l'étoile que Balaam avait
annoncée leur serait donnée pour guide, et qu'elle les conduirait où il se
trouvait (1). Chaque roi apprit aussi que cet avis était donné aux deux
autres; qu'une si grande et si merveilleuse faveur ne devait pas être
négligée, mais qu'ils devaient coopérer à la divine lumière et faire tout ce
qu'elle leur enseignait. Ils furent illustrés par cette lumière, embrasés
d'amour et enflammés d'un désir véhément de
(1) Gen., XXVIII,14; II Reg., VII, 13; Isa., IX, 6
; Jerem., XXIII, 5;
Ezech., XXXIV, 23 et
saepe alibi; Num.,
XXIV, 17.
402
connaître
Dieu fait homme, de l'adorer pour leur Créateur et Rédempteur, et de le servir
avec une plus grande perfection; les excellentes vertus morales qu'ils avaient
acquises leur servant à tout cela,. parce qu'elles
les avaient bien disposés à recevoir la lumière divine.
555. Les rois mages
s'éveillèrent après avoir reçu cette révélation du ciel; ils se prosternèrent
aussitôt et adorèrent en esprit l'être immuable de Dieu. Ils glorifièrent sa
miséricorde et sa bonté infinie, de ce que le Verbe avait pris chair humaine
d'une vierge pour racheter le monde et donner le salut éternel aux hommes.
Étant tous trois particulièrement animés et dirigés par le même esprit, ils
résolurent de. partir sans délai pour la Judée, et
de chercher l'Enfant-Dieu pour l'adorer; ils
préparèrent les présents d'or, d'encens et de myrrhe qu'ils devaient lui
porter dans une égale quantité, parce qu'ils étaient en tout conduits avec.
mystère, de sorte que sans qu'ils se fussent rien
communiqué, les dispositions et les mesures qu'ils, prirent pour leur voyage
furent absolument conformes; et pour hâter leur prompt départ, ils préparèrent
le môme jour les chameaux, les provisions et les domestiques qui leur étaient
précisément nécessaires. Et sans s'arrêter à l'effet étrange que produirait
aux yeux du peuple, de les voir se rendre dans un royaume étranger avec si peu
de faste et de suite, sans avoir même une connaissance certaine du lieu,
(1) Isa., VII, 14. — (2) Isa.,
XXXV, 4.
403
ni aucun
signe assuré pour reconnaître l'Enfant, ils se décidèrent , dans la ferveur de
leur zèle et dans l'ardeur de leur amour, à aller aussitôt le chercher.
556. En ce même moment, le
saint ange qui avait été envoyé de Bethléem aux rois, forma de la matière de
l'air une très-brillante étoile, quoiqu'elle ne
fait pas aussi grande que celles du firmament, car elle ne monta pas plus haut
que la fin de sa formation ne l'exigeait; elle resta dans la région aérienne
pour conduire les rois jusqu'à la grotte où était l'Enfant-Dieu.
Elle avait une clarté propre qui était différente de celle du soleil et des
autres étoiles, et par sa très-belle et
très-agréable lumière elle éclairait de nuit comme
un flambeau radieux, et se distinguait pendant le jour, malgré la splendeur du
soleil, par un éclat extraordinaire. Ces rois ne furent pas plutôt sortis de
chez eux, qu'ils virent la nouvelle étoile, unique dans son espèce, parce
qu'elle fut placée à une telle distance et hauteur, qu'elle parut à tous trois
au môme instant, quoiqu'ils se trouvassent en des endroits différents. Et
comme ils prirent tous trois la routé que l'étoile miraculeuse leur marquait,
ils ne tardèrent pas de se joindre; et alors elle s'en approcha beaucoup plus;
s'abaissant de plusieurs degrés dans la région de l'air, de sorte qu'ils
jouissaient de plus près de sa douce lumière. Ensuite ils se communiquèrent
leurs révélations aussi bien que
(1) Matth., II, 2.
404
leurs
desseins, qui se trouvèrent être tout à fait les mêmes. Dans cette conférence,
ils redoublèrent la dévotion et le désir qu'ils avaient d'aller adorer l'Enfaut-Dieu
nouveau-né; et, remplis d'admiration et de ferveur, ils glorifièrent le
Tout-Puissant en ses couvres et en ses sublimes
mystères.
557. Les mages, guidés par
l'étoile, poursuivirent leur chemin sans la perdre de vue, jusqu'à ce qu'ils
fussent arrivés à Jérusalem. Et comme alors elle disparut, et que cette grande
ville était la capitale de la Judée, ils furent portés à croire que c'était le
lieu où son légitime et véritable Roi était né. Ils
entrèrent dans la ville (1), et demandèrent hautement de ses nouvelles, disant
: « Où est le Roi des Juifs qui vient de naître? Nous avons vu en Orient
l'étoile qui annonce sa naissance; c'est pourquoi nous sommes venus pour le
voir et pour l'adorer (2). » Hérode , qui à cette
époque régnait en Judée, quoique sans aucun droit, et qui résidait à
Jérusalem, fut averti de l'événement. Et cet inique prince, alarmé d'entendre
parler de la naissance d'un autre roi plus légitime que lui, entra dans de
très-grandes inquiétudes (3), et tous les
habitants de-la ville en furent troublés avec lui, les uns pour le flatter, et
les autres par la crainte d'une révolution. Aussitôt, comme le raconte saint
Matthieu, Hérode fit assembler les princes des prêtres et les scribes, pour
savoir d'eux en quel lieu devait naître le Christ, qu'ils attendaient suivant
les Écritures (4).
(1) Matth., II, 1.
— (2) Ibid., 2. — (3) Ibid., 3. — (4) Ibid., 4.
405
Ils
lui répondirent que, selon la prédiction d'un prophète (c'est Michée), il
devait naître à Bethléem, parce qu'il avilit écrit que le chef qui conduirait
le peuple d'Israël, en sortirait (1). 558.
Hérode, informé du lieu de la naissance du nouveau Roi d'Israël, et se
promettant dès lors de recourir à la ruse pour le perdre, congédia les prêtres
et appela secrètement les mages, pour leur demander quand ils avaient vu
paraître l'étoile qui annonçait sa naissance (2). Et après qu'ils le lui
eurent appris avec sincérité, il les envoya à Bethléem ,
leur disant avec une malice hypocrite : « Allez, informez-vous
exactement de l'Enfant, et lorsque vous l'aurez trouvé, faites-le-moi
savoir, afin que j'aille aussi le reconnaître et l'adorer (3). » Les
mages partirent, laissant ce roi perfide tout inquiet et tourmenté des signes
si infaillibles qui marquaient l'avènement du Maître
légitime des Juifs. Il eut pu se rassurer sur la possession de sa grandeur, en
considérant qu'un Enfant qui ne faisait que de naître ne pouvait pas sitôt
régner; mais la fortune humaine est si faible et si trompeuse, qu'un enfant
seul, ou la moindre menace d'un objet, même éloigné, suffit pour l'abattre, et
de simples soupçons empoisonnent toutes les douceurs et toutes les jouissances
qu'elle semble offrir à ses favoris.
559. En sortant de
Jérusalem, les mages virent de nouveau l'étoile, qui avait disparu à leurs
yeux lorsqu’ils
(1) Matth., II, 5;
406
qu'ils y
étaient entrés guidés par sa lumière. Ils arrivèrent à Bethléem, et à la
grotte de la nativité, sur laquelle l'étoile s’arrêta (1); s'abaissant ensuite
insensiblement et diminuant sou volume matériel, elle pénétra par la porte et
se plaça sur la tète de l'enfant Jésus, qu'elle couvrit de ses rayons; après
quoi elle s'éclipsa pour se dissoudre dans les éléments dont elle avait été
formée. Le Seigneur avait déjà fait savoir l'arrivée des rois à notre grande
Reine : et quand elle apprit qu'ils étaient proche de la grotte, elle en
prévint sort saint époux Joseph, non afin qu'il s'écartât, mais afin qu'il se
tînt à son côté, comme il fit. Et quoique le texte sacré de l'Écriture ne le
porte pas, parce que c'était inutile pour l'exposition du mystère, comme il ne
porte pas non plus beaucoup d'autres choses que les évangélistes ont passées
sous silence, il est pourtant certain que saint Joseph se trouva présent quand
les rois adorèrent l’ Enfant Jésus. Il n'était pas nécessaire de prendre des
précautions à cet égard, car les mages étaient déjà informés que la mère du
nouveau-né était vierge, que son très-saint fils
était Dieu (2), et que saint Joseph n'était point son véritable père. Il est
constant aussi que Dieu n'aurait pas appelé les rois pour l'adorer sans les
avoir auparavant instruits d'une chose si essentielle, et prémunis contre
l'erreur qui leur aurait fait croire qu'il était fils de Joseph, et d'une mère
qui n'eùt pas été vierge. Ils venaient bien
instruits de tout, et avec
(1) Matth., II, 9. — (2) Isa., VII, 14 ; IX, 6.
407
des
sentiments proportionnés à des mystères si sublimes.
560. La divine Mère
attendait les dévots et pieux rois avec l'Enfant-Dieu,
qu'elle tenait dans ses bras elle apparaissait ornée d'une modestie et d'une
beauté incomparables; et, à travers son humble pauvreté, on découvrait en elle
des marques d'une majesté plus qu'humaine, dont le rayonnement perçait sur son
visage. La splendeur de l'Enfant était beaucoup plus grande, et il
rejaillissait de son adorable personne une si douce et si agréable lumière,
que la grotte en devint un paradis. Les trois rois de l'Orient y entrèrent
(1), et au premier aspect du Fils et de la Mère ils furent assez longtemps
subjugués par l'admiration. Ensuite ils se prosternèrent, et dans cette
posture ils adorèrent l'Enfant, le reconnaissant pour Dieu et homme véritable,
et pour le Restaurateur du genre humain. Ils furent de nouveau éclairés
intérieurement par la grâce divine et par la présence du
très-doux Jésus; et alors ils virent la multitude des esprits
angéliques qui, en qualité de serviteurs et de ministres du grand Roi des rois
et du Seigneur des seigneurs (2), assistaient avec une sainte crainte et avec
un très-profond respect. Après avoir rendu ce
culte, ils se relevèrent et félicitèrent aussitôt leur Reine et la nôtre du
bonheur qu'elle avait d'être Mère du Fils du Père éternel ; ils lui
témoignèrent leur vénération en fléchissant le genou devant
(1) Matth., II, 9.
— (2) Hebr., I, 14; Apoc.,
XIX, 16.
408
elle et
ils demandèrent à lui baiser la main, comme on le pratiquait dans leurs
royaumes envers les reines. La très-prudente Dame
retira la sienne, et leur présenta celle du Rédempteur du inonde, en leur
disant : « Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit se réjouit en lui de ce
qu'il vous a choisis et appelés d'entre toutes les nations pour voir et pour
connaître le Verbe incarné; c'est un bonheur que plusieurs rois et prophètes
ont souhaité sans l'obtenir (1). Glorifions et louons son saint nom pour les
sublimes mystères, et les grandes miséricordes dont il use envers son peuple ;
baisons la terre qu'il sanctifie par sa présence réelle. »
561. Après le discours de
l'auguste Marie, les trois rois se prosternèrent et adorèrent de nouveau l'Enfant-Jésus;
ils reconnurent le grand bienfait qu'ils recevaient du Ciel, qui leur.
faisait naître si heureusement le Soleil de justice
pour dissiper leurs ténèbres (2). Ensuite ils s'adressèrent à saint Joseph, et
le félicitèrent du bonheur qu'il avait d'être l'époux de la Mère de Dieu,
admirant avec une sorte de compassion que les plus grands mystères du ciel et
de la terre fussent cachés en une si extrême pauvreté. Et après avoir passé
ainsi trois heures, ils demandèrent la permission à la sainte Vierge d'aller à
la ville pour y chercher un logement, la grotte étant trop petite pour pouvoir
y demeurer. Ils étaient accompagnés de plusieurs personnes, mais il n'y eut
que les seuls
(1)
Luc., X, 24. — (2) Malach., IV, 2 ; Luc., II, 78.
409
mages
qui participassent aux effets de la lumière et de la grâce. Les autres, qui ne
s'attachaient qu'à l'extérieur et qu'à l'état pauvre et méprisable de la mère
et de son époux, ne connurent point le mystère; ils furent seulement surpris
de l'étrangeté du spectacle. Enfin les rois prirent congé, et la
très-pure Marie et Joseph
restèrent seuls avec l'Enfant, glorifiant par de nouveaux cantiques de
louange la divine Majesté; de ce que son saint nom commençait à être
eonnn et adoré des nations (1). Je raconterai dans
le chapitre suivant les autres choses que les mages firent.
Instruction que
je reçus de la Reine du ciel.
562. Ma fille, il y a dans
les choses que ce chapitre contient, de grandes instructions pour les rois et
pour les princes, de m¢me que pour les autres enfants de la sainte. Église,
s'ils veulent faire réflexion sur la prompte dévotion et la profonde humilité
des mages, pour les imiter, et sur l'inique dureté d'Hérode, pour la craindre
et l'éviter, car chacun d'eux ne fit que cueillir le fruit de ses oeuvres :
les rois, celui des vertus et de la justice qu'ils exerçaient, et Hérode,
celui de son aveugle ambition, de l'orgueil avec lequel il régnait
injustement, et de plusieurs autres
(1) Ps. LXXXV, 9.
410
péchés
dans lesquels le précipitèrent des passions effrénées et insatiables. Cela,
joint aux autres avis salutaires que distribue la sainte Église, peut suffire
à ceux qui vivent dans le monde. Mais pour vous, ma fille, vous devez vous
pénétrer de tout ce que vous avez écrit, et vous approprier les leçons qui en
ressortent, considérant que toute la perfection de la vie chrétienne doit être
établie sur les fondements des vérités catholiques, et sur une ferme et
constante adhésion à ces vérités, comme la sainte foi de l'Église l'enseigne.
Et afin de mieux les graver dans votre coeur, vous devez profiter de tout ce
que vous lirez et entendrez des divines Écritures, et des autres livres dévots
qui contiennent la doctrine des vertus. Il faut que cette foi soit suivie de
la pratique de ces mêmes vertus, par l'abondance de toutes les bonnes couvres,
dans la perpétuelle attente de la visite et de la venue du Très-Haut (1).
563. Par cette disposition
votre volonté sera prompte comme je veux qu'elle le soit, afin que celle du
Tout-Puissant trouve en vous la souplesse et la
soumission nécessaire, pour vous empêcher de résister à ce qu'il vous
manifestera, et pour vous faire agir sans aucun respect humain, aussitôt qu'il
vous aura parlé. Si vous êtes docile à cet avis comme vous devez l'être, je
vous promets d'être votre étoile et de vous conduire par les voies du
Seigneur, où vous marcherez avec célérité (2), jusqu'à ce que vous parveniez à
(1) Tit., II, 13 . — (2) Prov., IV, 11 ; Ps.,
LXXXIII, 7.
jouir de
la face de vôtre Dieu, et de votre souverain bien dans Sion. Il se trouve une
vérité très-essentielle pour le salut des rimes en
cette doctrine, et en ce qui arriva aux dévots rois de l'Orient, mais elle est
connue de très-peu de personnes, et il y en a
encore moins qui y fassent réflexion. C'est que les
inspirations que Dieu envoie aux créatures ont régulièrement cet ordre: que
les premières excitent à pratiquer quelques vertus; et si l'âme répond à
celles-là, le très-Haut lui en envoie d'autres
plus vives, afin qu'elle opère avec plus d'excellence : de sorte que,
profitant des unes, elle se dispose aux autres, et se ménage de nouveaux et de
plus grands secours. Ainsi les faveurs du Seigneur augmentent à proportion que
la créature y correspond. fous découvrirez deux
choses en cette vérité : la première, combien il est préjudiciable aux hommes
de négliger les actes de quelque vertu que ce soit, et de ne pas les pratiquer
selon les mouvements des divines inspirations. La seconde, que bien souvent
Dieu départirait de très-grandes grâces aux âmes ,
si elles commençaient par correspondre aux plus petites; car il est prêt, et
il attend pour ainsi dire qu'on lui permette d'opérer selon l'équité de ses
jugements et de sa justice (1). Et parce qu'elles méprisent cet ordre et ce
procédé des évolutions de leur vocation, il suspend les effusions de sa
Divinité, et ne distribue point les grâces qu'il souhaiterait de communiquer,
et que ces mêmes âmes
(1) Apoc., VI, 10.
412
recevraient si elles; n'y mettaient aucun obstacle; et n'est pour cela
qu'elles tombent d'abîme en abîme (1).
564. Les mages et Hérode
tinrent des chemins bien opposés; car ceux-là correspondirent par des bonnes
oeuvres aux premières grâces; ainsi ils se disposèrent par la pratique de
toute sorte de vertus à être appelés et amenés par la révélation divine à la
connaissance des mystères de l'incarnation, de la naissance du Verbe et de la
rédemption du genre humain; et avec ce bonheur ils obtinrent celui d'être
saints et parfaits dans le chemin du ciel. Mais il advint tout le contraire à
Hérode, car sa dureté et le mépris qu'il fit d'opérer le bien par le secours
du Seigneur, le portèrent à un foi orgueil et à une
ambition démesurée. Et ces vices 1'entrainèrent jusque dans le dernier
précipice de la cruauté, puisqu'il fut le premier de tous les hommes qui forma
le dessein de faire mourir le Rédempteur du monde, se couvrant à cet effet du
masque d'une fausse piété et,d'une dévotion
hypocrite. De sorte que donnant un libre cours à sa fureur, il, fit périr tous
les innocents enfants, pour l'envelopper dans le massacre général et assurer
le succès de ses desseins pervers.
(1) Ps. XLI, 8.
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