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LE Ier JUILLET. L'OCTAVE DE SAINT JEAN-BAPTISTE.L'Eglise réunissait dans un même souvenir d'allégresse, au 24 juin, la naissance du Précurseur et sa circoncision entourée des prodiges qu'a rapportés l'Evangile de la fête. Mais c'est aujourd'hui, à proprement parler, qu'eurent lieu ces merveilles, selon le mot du même Evangile: « Il arriva qu'au huitième jour on circoncit l'enfant. » En plaçant au lendemain de ce huitième 'jour la mémoire de la visite de Marie à sa cousine Elisabeth, l'Eglise semble nous insinuer par ailleurs que Notre-Dame, présente depuis trois mois dans la maison de Zacharie, prolongea jusque-là son séjour et ses soins au fils et à la mère. L'enfant qui dès son approche, trois mois auparavant, avait semblé vouloir déjà forcer la prison du sein maternel, l'enfant s'était comme élancé vers elle à son entrée dans la vie ; elle l'avait reçu dans ses bras, pressé sur son sein où reposait le Fils de Dieu. Elle fut à lui sans réserve durant ces huit jours. Car elle savait qu'ils seraient les seuls où l'Ami de l'Epoux goûterait ici-bas, quoique sans le voir, l'intime présence de Celui à qui allait tout son cœur ; sauf l'instant solennel du baptême, dont la majesté dominera dans l'âme du Précurseur tout autre sentiment que celui de l'anéantissement et de l'adoration, Jean ne verra qu'une ou deux fois de loin le Bien-Aimé qu'il annonce. Mystère 490 profond du plan divin ! Jean ne connaîtra l'Epoux, Jean ne doit jouir de Jésus qu'en Marie. Et pourtant, demain ce seront les adieux, demain s'ouvrira le désert : désert de l'âme, plus terrible mille fois que celui qui affecte les sens. Sa fuite du monde au désert de Judée, loin d'être pour Jean une épreuve, sera le soulagement de cette âme d'enfant plus grande déjà que le monde. Là du moins l'air est pur, le ciel semble prêt à s'ouvrir, et Dieu répond à celui qui l'appelle (1). Ne soyons donc point surpris qu'à peine né, Jean recherche la solitude, que du sein maternel il passe au désert (2). Il n'y eut point d'enfance chez l'homme qui, trois mois avant sa naissance, atteignait comme début la plénitude de l'âge du Christ (3) ; il n'eut besoin d'aucun maître humain celui que le ciel s'était chargé d'instruire (4), qui connaissait en Dieu le passé et l'avenir (5), et dont la plénitude de science, transmise par lui à ses parents, en faisait des prophètes (6). Mieux qu'Elisabeth il avait entendu Notre-Dame, au Magnificat ; aujourd'hui même, il comprend Zacharie le saluant comme Prophète du Très-Haut dans le Benedictus (7) : et de quel autre que du Verbe lui-même, la Voix du Verbe aurait-elle reçu la science du langage ? Muni du plein usage de sa volonté (8), quel progrès d'autre part, durant ces trois mois, n'a-t-il pas déjà fait dans l'amour ! La Mère de la divine grâce n'a rien négligé dans la formation de cette nature d'élite, où nul obstacle ne s'opposait 1. Origen. in LUC. Homil. XI, translatio.
Hieron. — 2. Hieron. Dialog. contr. Lucif. VII. —3. Ambr. in LUC.
II,
3o. — 4. Chrysost. Hom. XIII,
al. XII, in JOHAN. 2. — 5. Paulin, poema VI, de S.
JOHAN. Bapt. V. 217, 218. — 6. Guerric Ign. Serm. I in Nativ. S. JOHAN. 2. —
7. Ambr. in LUC. II, 31. —
8. Petr. Chrysol. Serm. 87,
88, 91. 491 au plein développement des germes divins ; saint Ambroise, dont le sens exquis a pénétré merveilleusement ces mystères, nous montre Jean, sous l'influence de Marie, s'exerçant aux vertus, oignant ses membres comme un vaillant athlète, et préludant dès le sein de sa mère aux combats qui l'attendent (1). Les huit jours qui viennent de s'écouler pour lui dans les bras de Notre-Dame, ont achevé l'œuvre ; sa douce maîtresse, qu'il ne reverra plus, peut dès maintenant lui donner rendez-vous au ciel à la gauche du trône de son Fils, gardant pour elle la droite, selon les traditions dont l'art chrétien s'est fait jusqu'à nos temps l'interprète fidèle (2). En attendant que naisse dans six mois le Fils de la Vierge, la terre est en possession du plus grand des enfants nés d'une femme. Nul génie humain, dans son plus haut vol , ne toucha les sommets où cet enfant de huit jours tient dès maintenant fixée son intelligence ; nulle sainteté ne mena plus avant l'héroïsme de l'amour. Eclairé pleinement sur la portée des adieux qui s'apprêtent, il verra sans faiblir demain s'éloigner et le Fils et la Mère. Comme l'Epoux, l'Ami de l'Epoux est assez fort pour n'avoir point d'autre nourriture que l'accomplissement de la volonté du Père qui les envoie tous deux (3). L'âme remplie du souvenir des jours où son cœur battit à l'unisson de celui de Jésus sur le cœur de Marie, malgré l'éloignement il maintiendra entre ces trois cœurs, par sa fidélité, le concert sublime où l'éternelle Trinité perçut pour la première fois dans la chair l'écho 1. Ambr in LUC. II, 29. Avant lui, presque dans les mêmes termes, Origène in LUC. Homil. VII, IX. — 2. Grimouard de Saint-Laurent, Guide de l'art chrétien, t. V.— 3. JOHAN. IV, 34 492 de sa propre harmonie. Pareil à la fleur amie de l'astre du jour, qui, sans quitter la terre où elle fut placée par les décrets divins, tourne sans cesse vers lui sa corolle avide, Jean, du désert, suivra du cœur et de la pensée tous les pas de Jésus ; mais il saura contenir son âme. De ce regard qui le découvrit autrefois, malgré les intermédiaires, au sein de Notre-Dame, il le verra, enfant, homme fait, passer maintes fois non loin de sa solitude : sans que l'impétuosité de l'amour l'entraîne à franchir jamais les quelques collines qui le séparent de lui, pour tomber à ses pieds ; sans que le zèle qui le dévore, lui la voix, le témoin du Verbe, le pousse à devancer d'un instant l'heure du ciel pour crier à la foule ignorante : « C'est lui votre Dieu, l'Agneau qui nous sauvera, le Messie attendu ! » Et quand enfin sur la parole d'en haut, l'an quinzième de Tibère César (1), il aura manifesté l'Epoux, ce n'est pas Jean qui s'approchera de Jésus pour demander : « Maître, où habitez-vous ? » ce n'est pas à lui qu'il sera répondu : « Venez et voyez (2) ! » A d'autres, à tous les autres (3), de suivre Jésus, d'habiter avec lui : Jean tressaille à la rencontre fortunée (4) ; mais lui s'éloigne, il disparaît, jusqu'au jour prochain où la prison d'Hérode l'adultère deviendra son tombeau. O Dieu! s'écrie l'aimable et doux
1. LUC.
III, 1-2. — 2. JOHAN. I, 38-39. — 3. Ibid. III,
26.— 4. Ibid. 29. — 5.
Lettre du 493 Jean-Baptiste (1) ! Partageons, nous aussi, l'allégresse admirative de l'Eglise, lorsqu'en ces jours elle fait écho à la voix de Gabriel annonçant dans les mêmes termes et la grandeur du fils de Zacharie et celle du Sauveur (2). Entrons dans l'enthousiasme avec lequel les Pères et les Docteurs, saluant d'abord Marie, la bénie entre toutes, ont applaudi à l'éloge fait de Jean par le Verbe lui-même (3) ; comprenons-les, lorsqu'ils déclarent que seul entre les hommes le Christ est plus élevé (4), que quiconque est né d'une femme lui est inférieur (5) qu'il fut le plus excellent des saints (6), plus que saint (7), demi-dieu (8), marquant la limite du mérite humain (9), si grand, enfin, qu'un plus grand serait Dieu (10)! En face de cette perfection sublime qui dépasse la portée de l'intelligence même (11), nous ne serons point surpris que, selon la doctrine exposée dans les ouvrages de Gerson, dont l'autorité est ici d'un grand poids, Jean-Baptiste s'élève au ciel par delà tous les chœurs des milices bienheureuses, et tienne la place laissée vide autrefois par Lucifer au pied du trône de Dieu (12). Nous conclurons avec l'Eglise les enseignements de cette Octave, par les paroles de saint Ambroise qui composent aujourd'hui la dernière Leçon de l'Office des Matines : « Jean est son nom, écrit Zacharie, et sa langue est déliée. Spirituellement écrivons, nous aussi, ces mystères, et nous 1. Bossuet, Elévations sur les myst , XV° sem., él. 7°. — 2. LUC. I, 15, 32. — 3. MATTH. XI. — 4. Aug. Sermo LXVI, 2. — 5. Maxim. Taurin. Hom. LXVII , in Nat. S. J. 3. — G. De Imitât. Chr. IV, 17. — 7. Guerric Igniac. Sermo I in Nat. S. J. I. — 8. Paulin. Poema VI, V. 252. — 9. Maxim. Taurin. Sermo LXI,in Nat. S. J. 3.— 10. Aug. Sermo CCLXXXVII, in Nat. S. J. I. — il. Guerric, ubi supra. — 12. Lectiones duas super Marcum. 494 saurons parler. Gravons le Précurseur du Christ, non sur des tablettes inanimées, mais dans le vif de nos cœurs. Car nommer Jean, c'est annoncer le Christ. Que ces deux noms, de Jean et de Jésus-Christ, soient donc unis sur nos lèvres; et la louange s'élèvera parfaite de notre bouche, comme de celle de ce prêtre que sa foi hésitante au Précurseur avait rendu muet (1). » 1. Ambr. in
LUC. II, 32. Saint Ephrem nous donnera ci-après la fin du chant sublime où il met en présence l'Epoux et l'Ami de l'Epoux sur le bord du Jourdain. Jean continue d'exposer les difficultés sans fin que son humilité lui inspire pour décliner l'honneur de baptiser le Verbe fait chair. HYMNE.Je ne puis, moi débile,
toucher de mes mains votre corps de feu. Mais vos célestes légions sont toutes
de flammes ; commandez à l'un de vos anges de vous baptiser. — Ce n'est point des anges que j'ai pris
corps, pour appeler un ange à me baptiser. J'ai revêtu un corps humain,
c'est à un homme de me baptiser. — Les eaux vous ont vu, et elles ont tremblé
grandement ; les eaux vous ont vu, et elles ont été ébranlées ; le fleuve
bouillonne dans sa frayeur, et moi débile comment oserai-je vous donner le
baptême ? — Les eaux sont sanctifiées
par mon baptême, elles reçoivent de moi l'Esprit et le feu. Si je ne reçois pas
ce baptême, elles n'auront point le pouvoir d'engendrer des fils immortels. — Le feu, s'il approche de vos feux, brûle
comme le chaume. Le Sinaï ne put vous porter ; comment moi débile pourrai-je
vous baptiser ? — Je suis l'ardente flamme, faite enfant pour
les hommes au pur sein d'une vierge, attendant du Jourdain le baptême à cette
heure. — Il convient grandement que ce soit vous qui
me baptisiez, ô vous dont la sainteté peut purifier toutes choses. Par vous se
sanctifie ce qui était souillé ; saint à ce point, à quoi bon pour vous le baptême ? — Il faut absolument que,
sans discussion, comme je l'ordonne, tu me baptises. Je t'ai baptisé dans le
sein maternel, baptise-moi dans le Jourdain. — Je ne suis qu'un misérable esclave ; vous qui
délivrez tous les êtres, ayez pitié de moi. Je ne suis pas assez noble pour
dénouer les cordons de vos chaussures ; qui me rendra
digne de toucher votre tête auguste ? — Par mon baptême les esclaves obtiennent la liberté,
le titre de leur servitude est mis en pièces, l'affranchissement se scelle sous
les eaux. Si je ne suis baptisé, vaines seront toutes ces choses. — Voici qu'une flamme suspendue dans les airs
au-dessus du Jourdain vous attend ; allez à elle et soyez baptisé, vous-même
vous baignant et accomplissant tout. — Il convient que ce soit toi qui me donnes le
baptême, de peur que quelqu'un ne soit induit en erreur et ne dise de moi : «
S'il n'avait pas eu rien de commun avec le Père, pourquoi le lévite aurait-il
craint de le baptiser ? » — Quand vous recevrez le baptême, quel rite
observerai-je pour la prière sur le Jourdain? qui
invoquerai-je selon l'usage des prêtres, lorsque le Père et l'Esprit-Saint apparaîtront au-dessus de vous ? — La prière s'accomplira dans
le silence ; agis donc, impose seulement ta main sur moi, et le Père, en guise
de prêtre, proclamera ce qu'il faut de son Fils. — Voici présents tous les élus, voici les
invités de l'Epoux ; ils sont témoins qu'au milieu d'eux j'ai dit chaque jour :
« Je suis la Voix, non le Verbe. » — Voix de celui qui crie dans le désert,
accomplis l'œuvre pour laquelle tu es venu, et alors le désert proclamera que
tu es allé au Verbe dans la grande plaine où tu prêchais. — Le cri des anges parvient à mes oreilles.
Voici que j'entends les Vertus des cieux s'écrier de la maison du Père : «
Votre manifestation, ô Epoux, est la vie du monde. » — Le temps presse, et les paranymphes
sont dans l'attente de ce qui va se passer. Confiance ; à l'œuvre : donne-moi
le baptême, et louée sera la voix du Père qui bientôt va retentir ! — J'entends, Seigneur.
Selon votre parole, eh ! bien donc, venez au baptême vers lequel vous pousse
votre amour. C'est dans la vénération la plus profonde, qu'un homme poussière se voit venu à ce point d'imposer la main à son
Créateur. Les célestes armées se
tenaient en silence ; le très saint Epoux descendit dans le Jourdain ; il
remonta bientôt, ayant reçu le baptême, et sa lumière brilla sur le monde. Les portes du ciel s'ouvrirent,
et l'on entendit la voix du Père : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui
j'ai mis mes complaisances. » Donc, tous les peuples, adorez-le. Les spectateurs étaient
debout dans l'étonnement, voyant que l'Esprit était descendu pour lui rendre
témoignage. Louange, Seigneur, à votre épiphanie qui réjouit tous les êtres ! A
votre manifestation, le monde entier a resplendi. |