|
LE XXII JUIN. SAINT ALBAN, PREMIER MARTYR DE L'ANGLETERRE.Que les cieux se réjouissent, que l'île des Saints triomphe, que l'univers entonne à sa suite un chant de victoire : partout enfin le sang du témoignage a rougi la terre; Alban, protomartyr de la Bretagne féconde (1), scelle aujourd'hui la conquête de l'extrême Occident. Déjà sans doute et dès les premiers jours, sous les pas de l'Epoux venu jusqu'à elle dans sa course de géant (2), Albion avait multiplié les fleurs ; plus tard, Eleuthère, Lucius, avaient par d'autres plants accru les charmes du jardin nouveau où, loin de la stérile Judée, l'Homme-Dieu oubliait les dédains de la fille de Sion. Mais si Jésus aime les parterres d'où s'exhale le parfum de la confession et de la louange (3), les rieurs de la paix ne sauraient pourtant seules composer le diadème de ce Fils très puissant du Dieu des armées (4); le sang versé par lui au grand combat a relevé la beauté qu'il tenait de sa Mère (5) ; et pour lui complaire, la parure de l'Epouse doit joindre aussi l'éclat de la pourpre à la blancheur des lis (6). 1. Ven. Fortun. De Virginit. 155. — 2. Psalm. XVIII, 6. — 3. Cant. VI, I. — 4. Psalm. XLIV, 4. — 5. Cant. V, 10. — 6. Ibid. VI, 6. 590 Gloire donc au protomartyr ! gloire à celui par qui Albion, pleinement prête pour les noces de l'Agneau, marche l'égale des plus illustres Eglises et s'assied avec elles au banquet des forts (1). Du haut du ciel, le chœur glorieux des Apôtres et la blanche armée des Martyrs tressaillent comme aux plus beaux jours de cette lutte de trois siècles, qui semble ne s'être tant prolongée que pour permettre à l'antique Bretagne d'avoir aussi sa part au triomphe. Car la persécution va maintenant finir; et c'est du sol breton, touché en dernier lieu par la vague du sang des martyrs, que s'élèvera la délivrance. Le 22 juin 3o3, sur les bords d'un affluent de la Tamise, Alban, nouvel Etienne, meurt en priant pour ses bourreaux ; le 25 juillet 3o6, Constantin, échappé aux embûches de Galère, est proclamé dans York, et c'est de là qu'il part pour arborer dans le monde entier l'étendard du salut. Mais voici qu'aux combats d'où la Croix est sortie victorieuse, succède la lutte de l'hérésie qui donne à Satan le pouvoir de reprendre sur Dieu les nations que le baptême avait acquises à son Christ. Tandis que l'Orient s'égare dans la méconnaissance du mystère de l'Homme-Dieu, l'Occident se heurte à la notion du libre arbitre et de la grâce: fatale pierre d'achoppement que l'ennemi retrouvera plus tard. Pour le moment, rejetée de l'Eglise avec Pelage qui l'avait lancée, elle ne produit qu'un ébranlement passager. Or le point d'arrêt des efforts de l'enfer est ici derechef le tombeau d'Alban : les derniers troubles causés par l'attaque pélagienne viennent s'éteindre et mourir à cette tombe. Aussi, députés par le 1. Apoc. XIX, 7. 591 continent pour soutenir au delà du détroit la cause de la grâce, est-ce au martyr breton que Loup de Troyes et Germain d'Auxerre défèrent l'honneur de la victoire qui donne la paix à l'Eglise d'Occident. Et pour montrer que cette seconde défaite de l'enfer était bien le complément de celle qui, un siècle plus tôt, avait terminé l'ère sanglante, on vit les deux saints évêques ouvrir avec respect la glorieuse tombe, et réunir aux restes du héros des reliques de ses prédécesseurs les Apôtres et les saints Martyrs, dont le triomphe se trouvait ainsi définitivement affermi. Le puits de l'abîme était fermé pour mille années (1) : années de puissance et d'honneurs pour Alban, que les divers peuples appelés à se succéder dans la grande île britannique révérèrent à l'envi. L'Anglo-Saxon dépassa le Breton dans les magnificences de la basilique qui remplaça la première église bâtie, sur le tombeau du martyr, au siècle même de son triomphe ; le Danois voulut faire du saint corps sa plus noble conquête; et sous les princes Normands, l'abbaye fondée par Offa de Mercie vit les papes et les rois élever de concert au plus haut point ses prérogatives et sa gloire. Il n'y eut point, au delà de la Manche, d'église monastique qui fût comparable à celle-ci en privilèges (2) ; et de même que le bienheureux Alban était reconnu comme le premier martyr de l'Angleterre, de même l'Abbé de son monastère était tenu pour le premier en dignité parmi les Abbés du royaume (3). Alban avait régné mille ans avec le Christ (4). 1. Apoc. XX, 3. — 2. MATTH. 592 L'époque était arrivée où devait se rouvrir pour un temps le puits de l'abîme, où Satan déchaîné allait séduire de nouveau les nations. Vaincu jadis par les Saints, puissance lui était donnée de reprendre la guerre et de les vaincre à son tour (1). Le disciple n'est point au-dessus du maître (2): commele Seigneur, Alban fut rejeté par les siens. Haï sans cause, il vit détruire le monastère illustre, orgueil d'Albion dans les beaux temps de son histoire ; à grand'peine fut sauvée la vénérable église où si longtemps l'athlète de Dieu avait reposé, répandant au loin ses bienfaits. Mais lui-même, qu'eût-il fait dans ce sanctuaire où des rites étrangers venaient bannir ceux des aïeux, et condamner la foi pour laquelle les martyrs étaient morts ? Alban fut chassé avec honte, et ses cendres jetées au vent. 1. Apoc. XIII, 7. — 2. JOHAN.
XV, 18-25. La trop courte Légende dédiée par l'Angleterre fidèle à son protomartyr, résume ainsi les combats de l'athlète du Seigneur. Au temps où les édits des
empereurs Dioclétien et Maximien sévissaient contre les chrétiens, Alban, païen
encore, reçut dans sa maison un clerc qui fuyait les persécuteurs. A la vue de
cet homme adonné jour et nuit aux veilles et à la prière, il fut soudain touché
de la grâce divine et pris du désir de partager sa foi et sa piété. Instruit
peu à peu par ses salutaires exhortations, il quitta donc les ténèbres
de l'idolâtrie et se fit
chrétien de tout cœur. Cependant les persécuteurs, à
la poursuite de ce clerc, parvinrent à l'habitation d’Alban. Revêtant la
casaque qui servait d'habit à son hôte et son maître, il se présenta en sa
place aux soldats qui le lièrent et l'amenèrent au juge. Celui-ci, se voyant
trompé, commanda aux bourreaux de frapper le saint confesseur, et enfin,
constatant qu'on ne pouvait triompher de lui par les tourments ni le détourner
de son attachement à la religion chrétienne, il le condamna à avoir la tête
tranchée. Alban étant donc arrivé au
sommet d'une montagne voisine, l'exécuteur qui devait le frapper, poussé par un
mouvement divin, jette son glaive et se prosterne aux pieds du Saint, avec la volonté
de plutôt mourir lui-même en la compagnie du martyr ou en sa place. Décapité
néanmoins au lieu même, Alban reçut la couronne de vie promise par Dieu à ceux
qui l'aiment. On décapita également ce soldat qui avait refusé de frapper le
confesseur ; bien qu'il n'eût pas été lavé dans les eaux du baptême, il n'en demeure
pas moins assuré toutefois qu'il fut purifié par le bain de son sang et rendu
digne d'entrer dans le royaume des cieux. Le martyre d'Alban eut lieu près de Vérulam, le dix des calendes de juillet. J’étais étranger, et vous m’avez reçu, dira le Seigneur à ses élus au grand jour du jugement (1) ; et les élus auront besoin que le Seigneur explique sa divine parole, et leur dise que ce qu'ils ont fait au plus petit de ses frères, c'est à lui qu'ils l'ont fait. Pour vous, ô Alban, vous le savez à l'avance ; l'heure suprême où méchants et bons entendront la sentence éternelle, ne révélera au monde sur ce point que ce qui fut l'expérience de vos premiers pas dans les voies du salut. En abritant dans votre maison, païenne encore, cet inconnu qui fuyait les bourreaux, vous pensiez ne céder qu'aux instincts d'un cœur naturellement généreux et fidèle aux lois de l'hospitalité. Pourtant c'était un bien autre inconnu qui frappait alors à la porte de votre demeure; lorsque partit l'étranger, le Christ même était devenu votre hôte. Bientôt il vous conviait en retour à habiter dans sa propre maison, et la triomphale porte du martyre vous donnait accès au palais des cieux. Tracée par votre sang, la route qui mène à Dieu est largement ouverte dans la grande île. Longtemps l'ennemi sembla ne pouvoir y dresser ses embûches. On vit y entrer à flots pressés vos concitoyens de la terre. Des peuples que vous n'aviez pas connus vinrent à leur tour, estimant à honneur 1. MATTH. XXV, 25. 595 de rattacher au nom d'Alban leurs origines, laissant passer le droit de la conquête après celui dont faisait preuve le cœur de fils qui battait en eux pour le protomartyr. Ainsi fûtes-vous et la tige de cette efflorescence surnaturelle qui fit l'Ile des Saints, et l'unité de la nation elle-même dans les phases si diverses de son histoire. Près du lit de repos où vous attendiez la résurrection, dans le temple splendide que vous dédièrent les peuples reconnaissants, vous aviez convié les fils de Benoît au ministère de la divine louange pour célébrer les bienfaits du passé, les bénédictions de chaque jour, et mériter à la patrie la continuation des faveurs du ciel. Ils étaient grands les siècles où, par ses Saints, Dieu gouvernail ainsi le monde ; et bien triste est l'égarement de ceux qui pensentavoirservi la cause du Seigneur et celle des peuples, en supprimant les hommages rendus par les générations qui nous ont précédés à ces illustres protecteurs. O Alban, traité comme l'a été le Roi des Saints, comme lui aussi ne vous souvenez point des injures. Protomartyr, bien plutôt applaudissez aux triomphes de ces autres athlètes qui sont venus renforcer la phalange placée sous votre commandement dans l'éternelle patrie. Et si l'ère des martyrs semble une fois de plus close pour un temps, considérez ceux de vos enfants dont la constance a survécu à tant d'assauts ; bénissez les fam'lles dans lesquelles vit toujours la fo: des vieux âges : nobles races, dont mille fois les pères s'exposèrent comme vous à la mort pour abriter les ministres du Seigneur ; maintenez les nouveaux fils du cloître à la hauteur des traditions dont le dépôt leur fut confié au sein de la tempête ; multipliez sur tous les points les ouvriers appelés à réparer les ruines. 596 De nouveau retentit dans Albion
la voix du Seigneur. Et comme si Dieu voulait que son histoire encore ici se
rattachât à la vôtre, la sainte vertu de l'hospitalité, qui fut pour vous le
principe du salut, a été pour elle dans nos temps l'occasion du retour aux
croyances des ancêtres. Comme vous elle a reçu les prêtres venus d'au delà de
la mer et que chassait la persécution ; comme vous déjà ne semble-t-il pas
qu'elle ait entendu la divine parole : J’étais étranger, et vous m’avez accueilli
? Puisse-t-elle, comme vous toujours qui êtes son protecteur et son père,
aller jusqu'au bout de l'invitation céleste, et conclure avec l'antique
rédacteur des Actes de votre martyre : « La vérité connue sera la joie de notre
île ; grande sera l'allégresse, lorsque seront brisés les liens du mensonge !
Pour moi, sans plus tarder, j'irai à Rome, j'y laisserai mon erreur, j'y
mériterai la réconciliation et le pardon de mes fautes ; ce livre même qui est
dans mes mains, je le présenterai à la revision de
ceux qui sont dans cette ville : afin que s'il renferme quelque chose
d'autrement dit qu'il ne convient, le Seigneur Jésus-Christ daigne par eux le
corriger, lui qui, étant Dieu, vit et règne dans tous les siècles des siècles. Amen (1). » 1. Acta S. S. Albani, Amphibali et Sociorum, anno DXC Anglice scripta, v, 46. Bolland. Junii IV, p. 139. FIN DU TOME TROISIEME. |