La liberté de conscience et
la liberté de religion
En 1978, les Nations unies publièrent un document
intitulé La Charte internationale des
droits de l’homme. Sous ce titre, elles étageaient quatre sous-titres. Le
premier est seul pertinent à notre réflexion : Déclaration universelle des droits de l’homme. Avec raison, le
dernier mot de ce sous-titre, de l’homme,
déplut à nombre de gens. Et la femme ?
Certains pays, dont le Canada, remplacèrent « de l’homme » par « de
la personne ». De plus, comme cette Charte
contient des libertés, et que toutes les chartes doivent en contenir, ils
ajoutèrent ce mot dans le titre, qui devint une charte des droits et libertés
de la personne.
Liberté n’est pas synonyme de
droit
S’il n’y avait pas de différence entre un droit et une
liberté, notre Charte canadienne n’en
serait pas une de « droits et libertés » mais seulement de droits.
Quelle est donc la différence entre un droit et une liberté ? Quand on
examine les libertés fondamentales énumérées à l’article 3 de la Charte canadienne, on conclut qu’il
s’agit, dans certains cas, d’une activité incontrôlable : l’opinion, la
conscience… Incontrôlable si l’acte reste à l’intérieur. Personne ne connaît
mes opinions si je ne les exprime pas par la parole, par l’écrit ou autrement
(caricature, mimique…). Si je le fais, je peux avoir des problèmes, car
« Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et
de sa réputation » (art. 4). La Charte
canadienne parle encore de libertés quand il s’agit de choses qui n’intéressent
pas toute personne. La religion, par exemple. La Charte en fait un objet de liberté. Par contre, un droit évoque
quelque chose dont tout le monde entend bénéficier : la vie, l’intégrité
de la personne, la réputation, la propriété, etc.
Les droits et les devoirs
Les chartes de droits ont été réclamées par des gens
qui en avaient soupé de vivre comme s’ils n’avaient que des devoirs. Cet abus
en partie corrigé – nos détenus ont maintenant leur charte des droits –,
l’impression contraire s’est souvent répandue : on n’avait plus dorénavant
que des droits. N’avoir que des devoirs, n’avoir que des droits, ce sont deux
extrêmes à éviter. Dans le juste milieu, où se tient la vertu, in medio stat virtus, on a des droits et
des devoirs.
Tout droit authentique chez une personne engendre un
devoir – au sens de dû, de dette – chez une autre, sinon on aurait un créancier
sans débiteur. Si j’ai le droit de toucher un revenu qui permet une vie humaine
décente, il faut que quelqu’un ait le devoir de me le verser ou de faire en
sorte qu’il me soit versé. La déclaration de 1789 en est une des « droits
de l’homme et du citoyen », mais, dès l’introduction, on s’empresse de dire que
cette déclaration rappellera « aux membres du corps social » leurs
droits et leurs « devoirs » puisqu’un droit authentique ne va pas
plus sans un devoir qu’une médaille sans un revers.
On peut se demander si certaines revendications,
présentées comme des droits, en sont vraiment : droit à la santé, droit au
travail, droit à l’enfant, droit à l’erreur, droit à l’immigration… J’avais
étonné un président d’association de retraités en lui demandant de retirer de
la charte « le droit à la santé ». On a droit aux soins médicaux qu’offre
le pays dans lequel on vit ou qu’il peut nous faire donner dans un autre, mais
personne n’oserait se présenter comme
débiteur de la santé à qui prétend y avoir droit.
Droit au travail ou devoir de travailler ? Quand on
parle du « devoir social », c’est au sens d’une dette envers la
société. Comme la société est échange de services, chacun acquitte sa dette en
offrant un service. Alors comment parler d’un droit au travail ? Il faut parler
plutôt d’un devoir de travailler. Il s’ensuit que chaque citoyen doit acquérir
la compétence requise pour rendre un service conforme à ses aptitudes et à ses
goûts. Un chômeur ne peut pas exiger du gouvernement qu’il lui trouve un
emploi. Le gouvernement favorise la création d’emplois, mais il n’a pas le
devoir d’en créer pour chaque chômeur.
Droit à l’immigration ? On admet que tout être humain
ait droit à un petit coin sur la Terre où il pourra vivre. Mais un immigrant ne
jouit pas de la liberté de se présenter dans un pays et dire :
« C’est ici que j’ai choisi de vivre. » Le pays concerné est justifié
d’imposer des conditions, car les immigrants peuvent perturber le
fonctionnement d’une société par leurs exigences. Par exemple, quand les
adeptes d’une religion veulent que le pays qui les accueille satisfasse à leurs
exigences concernant l’exercice de la médecine – refus des transfusions, par
exemple – ; des exigences concernant le sexe du soignant ; des exigences
concernant l’alimentation – kascher ou hallal : quand ils veulent maintenir
des pratiques de leurs pays d’origine : la polygamie, l’homicide pour
sauver l’honneur, le port de vêtements spéciaux, le refus d’obéir à une
policière, des piscines unisexes, le port du kirpan, du turban, des temples et
des jours fériés.
Les libertés et les
contraintes
Une contrainte est une violence exercée contre une
personne, c’est une entrave à sa liberté d’action. Les contraintes nous
arrivent de partout : de la naissance, du hasard, de la société, des amis,
de l’emploi, des circonstances, des parents, etc. Quelques exemples entre
mille. La naissance apporte sa botte de contraintes : sexe, taille,
couleur de la peau, langue, religion, pays, etc. L’état civil en
comporte : célibat, mariage, divorce, veuvage, etc.
Dans l’un de ses Regards sur le monde actuel, Paul Valéry dénonce le nombre et la
force des contraintes d’origine légale : « La loi saisit l’homme dès
le berceau, lui impose un nom qu’il ne pourra changer, le met à l’école,
ensuite le fait soldat jusqu’à la vieillesse, soumis au moindre appel. [Valéry
parle de la France.] Elle l’oblige à quantité d’actes rituels, d’aveux, de prestations,
et qu’il s’agisse de ses biens ou de son travail elle l’assujettit à ses
décrets dont la complication et le nombre sont tels que personne ne les peut
connaître et presque personne les interpréter[1].
»
Un seul autre exemple. Tacite, historien latin du
début du deuxième siècle de notre ère, imagine cette formule bien d’actualité
en parlant d’une société : legibus
laborabatur, « elle était travaillée par les lois », comme on dit en
français qu’une colique travaille l’intestin, qu’une angoisse travaille
l’esprit, c’est-à-dire font souffrir, torturent. Et Tacite de partir à la
recherche de ce qui, dans le passé, « a conduit à cette multitude et à
cette variété infinies de lois[2]
».
D’où vient cette rage de régler chaque problème par
une loi ou un règlement ? D’abord, il y a là une promesse de facilité. Qui
passera le premier, de demander Pascal, qui cédera sa place à l’autre[3]?
Le plus vertueux ? Le plus savant ? Le plus utile à la société ? Mais
comment mesurer ces choses ? Et Pascal de poursuivre : « Qu’y
a-t-il de moins raisonnable que de choisir, pour gouverner un pays, le premier
fils d’une reine ? » Mais en attachant cette dignité à quelque chose
d’incontestable [le premier fils de la reine, c’est moins contestable que le
premier fils du roi], on évite la chicane.
S’en tenir rigoureusement à la lettre d’un règlement
ou d’une loi, c’est opter pour la facilité. Ce genre d’administrateur est
merveilleusement caricaturé par Antoine de Saint-Exupéry dans Vol de nuit : « Rivière disait
de [Robineau] : “ Il n’est pas très intelligent, aussi rend-il de
grands services.” Un règlement établi par Rivière était, pour Rivière,
connaissance des hommes, mais pour Robineau n’existait plus qu’une connaissance
du règlement. Au pilote qui décollait en retard à cause de la brume, il
enlevait la prime d’exactitude. » Les protestations désespérées du malchanceux
n’obtenait qu’un lamentable : « C’est le règlement. » Et
Saint-Exupéry d’ajouter : « Robineau se retranchait dans son mystère.
Il faisait partie de la direction. Seul parmi ces totons, il comprenait
comment, en châtiant les hommes, on améliore le temps[4].
»
Il y a ensuite une certaine conception de la justice,
qui suscite une véritable rage d’égalité.
« On a dit cent fois, écrit Alexis de Tocqueville, que nos contemporains
avaient un amour bien plus tenace pour l’égalité que pour la liberté[5].
» Notre justice n’a pas coupé le cordon ombilical de son ascendance
grecque : partager en deux parties égales[6].
Nous sommes satisfaits quand il y a autant de femmes que d’hommes, autant de
noirs que de blancs, autant d’étudiants que de professeurs dans le comité…
Cette conception de la justice a des appuis solides et anciens. Dans son traité
Des devoirs, Cicéron dit qu’« on
a toujours cherché à garantir par le droit l’égalité[7].
Et Alain de reprendre, deux mille ans plus tard : « Qu’est-ce que le
droit ? C’est l’égalité[8]. »
I.
La liberté de conscience
De nombreuses expressions du langage populaire nous
incitent à penser que la conscience est une faculté comme l’intelligence, la
volonté, l’imagination, la mémoire. Comment ne pas le penser quand on entend
des expressions où la conscience figure parmi des facultés : volonté
forte, conscience large, imagination fertile, mémoire d’éléphant ? On a
quelque chose sur la conscience comme on a une poussière dans l’œil ; on
met la main sur sa conscience comme on la met sur son ventre ; la
conscience a une voix, comme en ont une les humains et les animaux – mais ces
derniers n’ont pas le langage.
Si l’on parle proprement, la conscience n’est pas une
faculté mais un acte. Cependant, jadis, comme de nos jours, les gens qui
parlaient proprement étaient peu nombreux. Saint Augustin (354-430) en
témoigne : « Rarement nous parlons des choses en termes propres, le
plus souvent, c’est en termes impropres, mais nos auditeurs ou lecteurs
comprennent ce que nous voulons dire[9]. »
Ne nous étonnons donc pas que certains moralistes appellent conscience
non pas l’acte, mais la faculté qui le produit. Thomas d’Aquin ne s’en formalise
pas, car il est d’usage courant que l’on prenne l’effet pour la cause, le
contenant pour le contenu, le signe pour la chose signifiée. Cette figure de
rhétorique a nom métonymie. C’est ainsi qu’on appelle parfois intelligence
non pas la faculté, mais la compréhension qu’on a d’une chose. Avoir
l’intelligence d’un auteur peut signifier le comprendre et non pas avoir une
intelligence aussi pénétrante que la sienne.
Le Petit Robert donne de la conscience la
définition suivante : « Faculté ou fait de porter des jugements de
valeur morale sur ses actes. » Le « fait de porter », c’est un
acte. La conscience est donc considérée comme une faculté et comme un acte. Le
père H.-D. Noble, o.p., joue également sur ces deux sens dans un ouvrage
intitulé La Conscience morale :
« La conscience morale est le jugement [acte] d’appréciation qu’à chaque
instant notre raison porte sur nos actes réfléchis[10]. »
À la page suivante : « Ce jugement […] est l’acte propre de ma
conscience [puissance ou faculté maintenant] morale. »
Pour Thomas d’Aquin, il est manifeste qu’à proprement
parler la conscience n’est pas une faculté mais un acte. L’évidence découle
pour lui de l’étymologie du mot et des fonctions que le langage commun attribue
à la conscience.
- Argument tiré de l’étymologie
du mot conscience
Conscience vient du latin conscientia, formé
du préfixe cum, « avec »,
et de scientia, « connaissance » ;
cum et scientia, c’est scientia cum, sous-entendu alio,
« quelque
chose », dit Thomas d’Aquin[11].
Le mot évoque donc une connaissance non pas isolée, mais en rapport avec
quelque chose d’autre, une connaissance appliquée. D’après l’étymologie du mot,
il semble bien que la conscience n’est pas une faculté mais un acte. Cependant,
l’étymologie d’un mot est une chose, sa signification en est une autre, et
c’est elle qui importe. Iode vient
d’un mot grec qui signifie violet, mais l’iode n’est pas une couleur ; muscle
vient du latin musculus, « petit
rat », mais un muscle n’est pas un mammifère.
En second lieu, il apparaît que la conscience est un
acte, et non une faculté, à l’examen des fonctions que la manière usuelle de
parler lui attribue, secundum communem usum loquendi. Dans
Primo, selon que nous reconnaissons avoir posé un acte
ou ne pas l’avoir posé. La conscience joue alors sa fonction d’attester, testificari.
Le blessé inconscient ne se souvient de rien ; le somnambule non plus.
Devant les tribunaux, il arrive – rarement, j’en conviens – que des accusés,
sans qu’on les soumette à la torture, avouent des fautes qu’ils n’ont pas
commises ; d’autres – fréquemment – nient avoir commis les fautes dont on
les accuse et qu’ils ont commises ; enfin, les autres reconnaissent avoir
commis les fautes dont on les accuse.
Dans le De Veritate, Thomas d’Aquin donne trois
exemples choisis dans
Secundo, l’application de nos connaissances à notre
activité est l’occasion pour la conscience d’exercer trois autres
fonctions : instigare, vel inducere, vel ligare. Instigare, c’est
pousser à l’action ; « à l’instigation de » est une expression bien
connue. Inducere est plus fort qu’instigare, il me semble. Dans
son explication de l’Oraison dominicale (II-II, q. 83, a. 9), Thomas
d’Aquin explique la demande suivante : « Ne nous fais pas entrer en
tentation, et ne nos inducas in tentationem. » Nous demandons de ne pas succomber
à la tentation. C’est ce que Thomas d’Aquin entend par entrer en tentation ou
être induit en tentation, inducere in tentationem. Inducere ad opus, c’est
succomber, donc plus fort qu’instigare. Enfin, ligare, c’est
lier, obliger. Une personne peut se sentir obligée ou incitée à poser une
action ou à ne pas la poser. On dit alors que la conscience oblige, ligat,
ou incite, instigat. « Malheur à moi, disait saint Paul, si je
n’annonce pas l’Évangile. » Mais, les passions l’emportant, une personne peut
ne pas tenir compte de ce que lui dicte sa conscience : c’est ce que
Thomas d’Aquin entend en disant que la conscience peut être « déposée »,
du verbe deponere, poser à terre ; ici, ignorer.
Tertio, l’application de nos connaissances à ce que
nous avons fait ou omis de faire amène la conscience à exercer trois autres
fonctions : excuser, accuser et engendrer du remords ou reprocher. Après
s’être mal conduit, il est normal qu’un être humain cherche des excuses. On dit
alors que sa conscience l’excuse. Parfois, elle accuse ou fait des reproches ;
on peut penser à Caïn et à cet œil qui l’a poursuivi jusque sous terre : «
L’œil était dans la tombe et regardait Caïn[12].
» Enfin, certains criminels avouent leurs fautes, mais n’éprouvent aucun
remords. Les trois dernières fonctions de la conscience sont donc : excusare,
accusare, remordere. Il est évident que toutes ces fonctions :
attester, inciter, obliger, excuser, accuser, reprocher, sont consécutives à
l’application de ses connaissances à ce qu’une personne a fait ou allait faire.
La liberté de conscience est
une liberté de jugement
Avant de poursuivre, il importe de distinguer la
conscience psychologique d’avec la conscience morale. Quand Pierre Teilhard de
Chardin parle « de la montée de conscience[13]
», il s’agit de la conscience psychologique et non de la conscience morale, qui
nous intéresse ici. Le Petit Robert la définit ainsi:
« Faculté ou fait de porter un jugement de valeur morale sur ses
actes. »
La conscience étant un jugement de la raison, la
liberté de conscience est une liberté de jugement. Celle que les chartes nous
accordent peut s’exercer sous l’influence de l’ignorance, des passions, de la
coutume et de la maladie. Examinons chacun de ces cas.
a) Jugement et ignorance
Que l’ignorance ait une influence sur le jugement, on
le sait par expérience personnelle, et l’expérience des autres nous est révélée
par cette petite phrase qu’on entend souvent : « Si j’avais
su. » Sous-entendu : je n’aurais pas fait ou j’aurais fait telle ou
telle chose. Le serpent avait promis au couple du jardin : « Si vous
mangez de ce fruit, vous connaîtrez le bien et le mal », c’est-à-dire ce qui va
tourner à votre avantage et ce qui va tourner à votre détriment. Ils en
mangèrent en vain. Personne ne peut prévoir ces deux éventualités. Toute action
comporte un risque, car les circonstances qui l’entourent sont en un nombre tel
qu’Aristote (~384-~322) a pu écrire :
« Nos fautes peuvent présenter mille formes, en revanche, il n’y a qu’une
façon de réaliser le bien[14]. »
On peut se demander à qui pensait le dominicain Deman
quand il a écrit : « [Thomas d’Aquin] entend bien, par exemple, que
l’homme qui pécherait en croyant au Christ, à cause de la conscience qu’il a,
pèche également en n’y croyant pas : car sa conscience est fausse, et il
dépendait de lui de ne pas verser dans cette erreur[15]. »
Comment pourrait-on dire qu’il dépend des musulmans ou des bouddhistes de ne
pas « verser dans cette erreur » ? Deman a raison quand il s’agit
d’une personne qui a une conscience erronée par sa faute. L’ignorance, c’est le
fait de ne pas savoir. Mais il y a des connaissances que toute personne doit
posséder et des connaissances que seules les spécialistes possèdent. Ne pas
connaître ou, du moins, mal connaître une science qu’on devrait posséder, c’est
proprement de l’ignorance. Dans l’autre cas, c’est du non-savoir. Le latin a le
verbe nescire, « ne pas
savoir », et nescientia, le « non-savoir ».
b) Jugement et passions
Ceux qui ne disposent pas d’un traité des passions
peuvent ouvrir leur Petit Robert au mot passion : « 1. Vieux : Souffrance. » Le mot
vient en effet du verbe latin pati,
qui signifie “ supporter, souffrir, éprouver, endurer ”. « 2.
Vieux : Tout état ou phénomène affectif. » Pascal précise :
“ La nature, qui n'est pas
sensible, n'est pas susceptible de passions. ” Étant donné que
l’affectivité comprend la volonté et la sensibilité, la restriction introduite par
Pascal est nécessaire : les passions sont des mouvements de la
sensibilité. Il n’y a pas de passions, à proprement parler, dans la volonté.
« 3. (1572).Surtout pluriel. État affectif et
intellectuel assez puissant pour dominer la vie de l'esprit, par l'intensité de
ses effets, ou par la permanence de son action. » Il faut supprimer “
intellectuel ” et limiter “ affectif ” à la sensibilité. Pour les
stoïciens, toutes les passions étaient des maladies de l’âme, dont il fallait
se guérir. Écoutons Sénèque : “ Vaut-il mieux avoir des passions
modérées ou n’en point avoir du tout ? s’est-on souvent demandé. Nos
stoïciens n’en veulent point ; les péripatéticiens [disciples d’Aristote] les
acceptent, mais modérées. Moi, je ne vois pas comment peut être salutaire ou
profitable une maladie même peu grave ”, lance Sénèque[16].
« 4. Spécialement : L'amour, quand il
apparaît comme un sentiment puissant et obsédant. » Un crime passionnel,
c’est un crime inspiré par l’amour. « 5.
Vive inclination vers un objet que l'on poursuit, auquel on s'attache de
toutes ses forces. » En ce sens, la
passion peut porter sur le jeu, la
liberté, le pouvoir, les voyages. « 6. Affectivité violente
qui nuit au jugement. »
Pour distinguer et nommer les passions, Thomas d’Aquin
fait appel à l’expérience que chacun fait tous les jours et même plusieurs fois
par jour. On cherche des biens sensibles : eau, nourriture, chaleur, etc.
; on fuit des maux sensibles : froid, bruit, douleur, mauvaise odeur.
Cette recherche et cette fuite comportent parfois des difficultés, des
obstacles. Personne ne conteste ces faits.
La perception d’un bien sensible fait naître l’amour,
puis le désir, c’est-à-dire l’effort pour entrer en possession du bien aimé,
enfin le plaisir de la possession. La perception d’un mal sensible fait naître
un sentiment de répulsion, que l’on disait odium
en latin, mais dont la traduction française, « haine », est trop
forte. Suit ce que les péripatéticiens appellent l’aversion (contraire du
désir, effort pour fuir) ; vient enfin la tristesse si le mal n’a pu être
évité.
Face à l’obstacle, il faut distinguer l’obstacle au
bien d’avec l’obstacle au mal. Quand le bien sensible convoité comporte un
obstacle, une difficulté à vaincre, on espère ou l’on désespère d’y parvenir
(espoir et désespoir, désespérance). Quand le mal sensible que l’on veut
écarter comporte un obstacle, on oscille entre l’audace et la crainte, selon
que l’obstacle ne semble pas invincible ou qu’il le semble. Si l’obstacle
résiste, c’est la colère. Et l’on arrive à onze passions ou mouvements de la
sensibilité : amour, désir, joie ; haine, aversion, tristesse ; espoir et
désespoir (désespérance) ; audace, crainte et colère (I-II, q.
- Influence des passions sur le jugement
Quand le
jugement est porté sous l’emprise de la colère, de la tristesse, du désir
sexuel, voire de la joie, il est normal qu’il s’écarte de la raison. L’usage de
la raison peut même être supprimé quand la passion est violente, sous l’effet
d’un excitant hors de l’ordinaire ou en présence d’une sensibilité
exceptionnelle. Encore davantage si ces deux facteurs conjuguent leur pouvoir.
On conçoit assez facilement cette situation dans le cas d’une terreur panique,
d’un accès de fureur ou d’une passion amoureuse. Pour avoir vu Bethsabée dans
son bain, David devient meurtrier et adultère. Thomas d’Aquin parle d’une
certaine nécessité d’agir quand une crainte imminente saisit une personne
(II-II, q. 64, a. 5). La passion est telle, parfois, qu’elle supprime
totalement l’usage de la raison (II-II, q.
Mais pour
fausser le jugement, il n’est pas nécessaire que la passion soit violente.
Voici à ce sujet les derniers mots écrits, pâles au crayon, de Paul Valéry,
alité, juin ou juillet 1944 : « Toutes les chances d’erreur. Pire
encore, toutes les chances de mauvais goût, de facilité vulgaire sont avec
celui qui hait[17]. »
Plus tôt dans sa vie, il avait écrit : « Avant que tu aies parlé, si
tu m’es antipathique, ma négation est prête, quoi que tu doives dire – car
c’est Toi que je nie[18]. »
Dans Le Petit
Prince, Antoine de Saint-Exupéry donne un exemple encore plus décisif de la
fragilité de nos jugements. L’astéroïde B 612 n’avait été aperçu qu’une fois en
1909 par un astronome turc, qui avait fait une démonstration de sa découverte à
un congrès international d’astronomie, mais « personne ne l’avait cru à
cause de son costume. Heureusement pour la réputation de l’astéroïde B 612, un
dictateur turc imposa à son peuple, sous peine de mort, de s’habiller à
l’européenne. L’astronome refit sa démonstration en 1920, dans un habit très
élégant. Et cette fois-ci tout le monde fut de son avis[19]. »
Le père J.-D.
Folghera, o.p., qui a traduit et commenté le traité de La Tempérance de la Somme théologique, écrit, en note, avant
d’aborder les fautes de luxure : « On comprendra qu’en raison des
délicates matières traitées en cette question 154, nous n’en donnions pas la traduction
française[20]. »
Il était influencé par son aversion pour les choses du sexe. Thomas d’Aquin avait
sans doute l’odorat moins fin : il n’a pas changé de langue en traitant
ces « délicates matières ». Il y dit, entre autres, que le désir
charnel, libido, qui est dans
l’appétit sensible, diminue le péché, car le péché est d’autant plus léger que
celui qui pèche est entraîné par une plus grande passion. Or, c’est dans la
fornication que le désir charnel est le plus grand. Aussi saint Augustin, un
connaisseur, avoue que, parmi tous les combats des chrétiens, les plus durs
sont les combats de la chasteté, la lutte y est quotidienne, mais rare la
victoire (II-II, q.
En voulant
supprimer totalement les passions, comme si elles étaient des maladies, les
stoïciens ne tiennent pas compte de la nature de l’être humain, corps et âme, intelligence
et sens, volonté et appétit sensible. Parce que nous cédons souvent malgré nous
aux passions, saint Augustin aurait souhaité, lui aussi, que nous en soyons
exempts, mais il reconnaissait qu’une complète impassibilité n’est pas conforme
à la nature humaine et que, sans les passions, nous ne pouvons pas vivre
correctement : si passiones omnino
nullas habeamus, tunc non recte vivimus [22].
Selon les stoïciens, les péripatéticiens [les
disciples d’Aristote] considèrent les passions comme nécessaires dans une vie
humaine normale[23].
Selon eux, celui-là n’est pas un homme qui est incapable de colère, par
exemple. La nature nous a dotés de passions pour que nous fassions plus
facilement ce qui nous convient, c’est-à-dire notre bien. Elles mettent à tout
instant leur précieux concours à notre disposition car, pour réussir
brillamment, il faut avoir la passion de ce que l’on entreprend[24].
Sans elles, toute activité languit, toute vigueur morale se relâche, prétendent
les péripatéticiens[25].
Thomas d’Aquin est d’accord avec les
péripatéticiens : il faut parfois éveiller une passion pour mieux
accomplir une tâche. Pour ne pas succomber à la pitié avant d’avoir atteint le
terme d’une juste vengeance, on peut sentir le besoin de tisonner sa colère[26].
Dans Phèdre, Racine met les vers
suivants dans la bouche de Thésée : « Dans toute leur noirceur,
retracez-moi ces crimes ; échauffez mes transports trop lents, trop retenus[27]. »
Mahomet le savait bien : « Vous infligerez à l’homme et à la femme
adultères cent coups de fouet à chacun.
Que la compassion ne vous entrave pas dans l’accomplissement de ce précepte de
Dieu[28]. »
- Passion et exécution
La passion violente, surtout la colère, perturbe le
jugement de la raison (I-II, q.
- Utilité de la colère
La colère, passion qui perturbe le plus le jugement de
la raison, a quand même son utilité. Aristote la voit comme « une cause du
courage ». Elle est « un aiguillon très puissant pour affronter les
dangers[31].
» Résister et attaquer tels sont les deux actes du courage. Résister constitue
son acte principal et le plus difficile. En effet, il est plus difficile de
résister que de passer à l’attaque, car celui qui résiste est aux prises avec
un mal présent – le fouet, par exemple –, tandis que celui qui attaque s’élance
sur un mal absent, éventuel. La colère ne pourrait que compromettre la patience
requise pour la résistance en suggérant sans cesse la violence, cette espèce de
« fuite en avant », comme dit Georges Gusdorf[32].
Mais, quand le courage passe de la résistance à l’attaque, il trouve dans la
colère une passion équipée à cette fin.
On pourrait montrer que la colère peut prêter son
concours à n’importe quelle vertu. Thomas d’Aquin invoque à ce sujet l’autorité
de Jean Chrysostome (~349-407) :
« S’il n’y avait pas de colère, on ne défendrait pas la doctrine, on ne ferait
pas respecter la justice, et le crime ne serait pas comprimé[33]. »
En effet, des obstacles peuvent se dresser sur la route de n’importe quelle
vertu. Pour les renverser, la colère sera éventuellement utile. Sauf s’il
s’agit de la douceur, la colère ne peut
l’aider.
- La passion la plus nuisible
au corps
De toutes les passions, la tristesse est la plus
nuisible pour le corps : Tristitia
inter omnes animæ passiones magis corpori nocet (I-II, q.
Être vivant, c’est agir, et un être agit selon ce
qu’il est, agere sequitur esse. Le
végétal se nourrit, croît et se reproduit. L’animal ajoute plusieurs
opérations : il voit, entend, goûte, fait des colères, manifeste son
plaisir, etc. L’être humain ajoute l’intelligence et la volonté. Agir, pour un
être humain, c’est rechercher son bien, c’est-à-dire ce qui lui convient, et
éliminer, autant qu’il le peut, ce qui tournerait à son détriment. Or, la
crainte ou la peur, le désespoir et la tristesse freinent l’action, surtout la
tristesse, selon Thomas d’Aquin (I-II, q.
Alain fait de la peur le plus redoutable ennemi de la
possession de soi[34].
Comme Thomas d’Aquin, il parle de « remèdes » contre la peur[35].
« Peur, écrit-il, ce n’est peut-être qu’action sans action ; tout s’agite
en notre corps, et rien ne s’y décide. » Il cite Descartes pour qui « l’irrésolution
est le plus grand des maux ». Puis Stendhal qui fait dire à son
héros : « Qu’importe si j’ai peur maintenant, pourvu que je n’aie pas
peur dans l’action. » Et Alain de conclure : « C’était dénouer
déjà la peur, qui se redouble par la peur d’avoir peur, comme chacun
sait. »
Thomas d’Aquin ne peut sûrement pas être taxé de
pessimisme quand il affirme que la vie humaine est soumise à de multiples et
inévitables maux (I-II, q.
Depuis le Moyen Âge, la science a beaucoup amélioré le
sort de nos chers corps, mais il reste quand même quelques maladies
obsédantes : cancer, sida, alzheimer, sclérose en plaques, maladies
cardio-vasculaires, etc. Du point de vue de l’affectivité, la situation s’est
améliorée sur certains points, mais elle s’est détériorée sur d’autres.
« Le grand ennemi, “ l’ennemi no
- Les remèdes à la tristesse
Le remède qui peut, sinon guérir du moins soulager
l’humanité aux prises avec tous ces problèmes, c’est… le plaisir, affirme saint
Thomas d’Aquin (I-II, q.
Chacun est bien obligé d’utiliser les remèdes dont il
dispose. La personne qui ne connaît que les plaisirs sensibles, de l’ouïe, du
goût, de la vue, du toucher, va les utiliser comme remèdes ; elle peut
chasser la tristesse en écoutant de la musique, en dégustant son mets préféré,
arrosé d’un bon vin, en caressant son animal de compagnie, etc. Celle qui
connaît en outre les plaisirs de la
science et de l’art dispose de remèdes additionnels. Montesquieu a écrit :
« L’étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts de la vie,
n’ayant jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture ne m’ait ôté[37]. »
Dans Malaise dans la civilisation, Freud
parle des plaisirs « délicats et plus élevés » que ressentent l’artiste en
donnant forme aux images de sa fantaisie et le penseur qui trouve la solution
d’un problème ou découvre une vérité[38].
Une personne triste se guérit par la lecture, une autre par la peinture, une
autre par la musique, une autre par la pêche, une autre par le sport, une autre
par l’alcool, etc. Celles qui ne trouvent de plaisir nulle part risquent de
recourir à l’ultime expédient de Pascal…
c) Jugement et coutume
Dans ses voyages, Descartes nous dit qu’il a vu
« plusieurs choses qui, bien qu’elles nous semblent fort extravagantes et
ridicules, ne laissent pas d’être communément reçues et approuvées par d’autres
grands peuples[39]. »
Il reconnaissait ainsi la force de la coutume, qui fait porter des jugements
très étonnants.
L’un des auteurs – que je connais – qui ont le mieux
parlé de la coutume, c’est Pascal dans ses immortelles Pensées[40].
« La coutume est notre nature. Qui s’accoutume à la foi, la croit, et ne
peut plus ne pas craindre l’enfer[41]. »
« Qu’est-ce que nos principes naturels, sinon nos principes accoutumés ?
[…] Une différente coutume donnera d’autres principes naturels[42]. »
« La coutume est une seconde nature, qui détruit la première. Mais
qu’est-ce que nature ? J’ai grand’peur que cette nature ne soit elle-même
qu’une première coutume, comme la coutume est une seconde nature[43].
»
À première vue, Pascal semble bien exagérer quand il
ajoute : « Il n’y a rien qu’on ne rende naturel ; il n’y a naturel
qu’on ne fasse perdre[44]. »
Si l’on envisage le long terme de l’évolution, cette affirmation est
défendable : l’évolution a sorti de l’eau les animaux marins ; elle a
adapté au froid les ours blancs, les pingouins et les manchots. À court terme,
ce qui est devenu naturel par l’habitude peut être perdu : par exemple, la
torture, la peine de mort, l’interdiction de certains aliments, le port de
certains vêtements. Certaines coutumes sont considérées comme barbares par les
générations qui les ont abandonnées. Un éminent professeur de logique, Mgr
Maurice Dionne, nous disait que les mœurs intellectuelles étaient plus
difficiles à changer que les autres, c’est-à-dire « les habitudes de la
pratique du bien et du mal », comme dit mon Petit Robert. Bref, il serait plus facile de ramener un alcoolique
à la sobriété qu’un marxiste au capitalisme.
d) Jugement et maladie
Personne ne conteste qu’une maladie mentale puisse
fausser le jugement. Ce que des gens contestent souvent, c’est le verdict :
« Non criminellement responsable. » L’accusé était dérangé
mentalement quand il a commis son crime. Tout le monde n’accepte pas qu’une
maladie mentale dure quelques heures : le temps de tuer ses enfants, sa
conjointe ou son conjoint.
L’Église catholique romaine
et la liberté de conscience
- L’opinion de trois papes
Le pape Grégoire XVI a condamné la liberté de
conscience dans son encyclique Mirari
vos, en 1832. Il la considérait comme « un mal pestilentiel, véritable
délire ».
Dans Entrez dans l’espérance, Jean-Paul II se
réfère au texte de Thomas d’Aquin concernant la foi au Christ : « La
position de saint Thomas est on ne peut plus nette : il est à tel point
favorable au respect inconditionnel de la conscience qu’il soutient que l’acte
de foi au Christ serait indigne de l’homme au cas où, par extraordinaire, ce
dernier serait en conscience convaincu de mal agir en accomplissant un tel
acte. L’homme est toujours tenu d’écouter et de suivre un appel, même erroné,
de sa conscience qui lui paraît évident. Il ne faut toutefois pas en conclure
qu’il peut persévérer impunément dans l’erreur, sans chercher à atteindre la
vérité[45]. »
Ce texte soulève quelques difficultés. D’abord, dans
le cas de « l’acte de foi au Christ », on ne peut pas parler
d’évidence : personne n’a l’évidence qu’il doit rejeter la foi au Christ
ni l’évidence qu’il doit l’accepter. On adhère à un objet de foi non pas parce
qu’on voit mais parce qu’il plaît : non quia visum sed quia placet. De
plus, l’expression « par extraordinaire » semble ignorer le milliard
de musulmans qui croient autant au Coran que les chrétiens à l’Évangile. Et
voici ce que le Coran leur apprend : « Ils [les chrétiens]
disent : Dieu a un fils : loin de nous ce blasphème » (Sourate
X, 69). « Dieu ne peut pas avoir d’enfant. Loin de sa gloire ce blasphème »
(Sourate XIX, 36). « Dieu n’a point de fils, et il n’y a point d’autre
Dieu à côté de lui » (Sourate XXIII, 92). Nous prêtons le flanc à leur
critique quand nous disons, en parlant de Jésus Christ dans le Credo, qu’il :
« est assis à la droite de Dieu, le Père tout-puissant. » Un Dieu
assis à côté d’un Dieu, ça fait deux dieux. Pour eux, leur attitude n’est pas
une erreur, et ils peuvent la conserver « impunément ». Comment
pourraient-ils « chercher à atteindre la vérité » quand ils sont
convaincus, autant que Jean-Paul II, de la détenir ? Dans le credo,
« assis » ne signifie pas un lieu (III, q.
Abélard (1079-1142), entre autres, justifie l’attitude
des musulmans et de bien d’autres : « Comme l’habitude devient une
seconde nature, quel que soit l’objet du respect qu’on inculque à l’enfant,
l’adulte y reste obstinément fidèle. Avant même que nous comprenions ce qu’on
nous enseigne, nous affirmons notre foi[46]. »
Descartes relaie Abélard avec son « pour ce que nous avons tous été
enfants avant que d’être hommes[47]. »
Dans
son Jésus de Nazareth, Joseph
Ratzinger (Benoît XVI) écrit : « La pensée contemporaine tend à dire
que chacun doit vivre sa religion ou peut-être même l’athéisme qui est le sien
et que, de cette manière, il trouvera le salut[48].
» Avant de lire ce que Vatican II dit du salut des non-chrétiens, rappelons
d’abord la déclaration solennelle du concile œcuménique de Florence (1442) :
« La sainte Église romaine […] croit fermement, confesse et proclame
qu’aucun de ceux qui vivent en dehors de l’Église, non seulement les païens,
mais aussi les juifs ou les hérétiques et les schismatiques, ne peut avoir part
à la vie éternelle, mis qu’ils iront au feu éternel, “ préparé pour le
diable et ses anges ” (Mt 25, 41), sauf si, avant la fin de leur vie, ils
sont revenus à l’Église[49].
»
Voici maintenant ce que Vatican II a
dit du salut des non-chrétiens. On flaire l’intervention du charpentier Joseph
pour faire de la porte étroite une porte normale. Vatican II ouvre d’abord la
porte du paradis aux juifs, puis aux musulmans. Enfin, puisque « le
Sauveur veut le salut de tous les hommes » (I Tim 2, 4) : « Ceux
qui, sans faute de leur part, ignorent l’Évangile du Christ et son Église et
cependant cherchent Dieu d’un cœur sincère et qui, sous l’influence de la
grâce, s’efforcent d’accomplir dans leurs actes sa volonté, qu’ils connaissent
par les injonctions de leur conscience, ceux-là aussi peuvent obtenir le salut
éternel[50]. »
Bref, tous ceux qui agissent selon leur conscience peuvent être sauvés. Les
athées ne sont pas exclus de ce contingent.
Ce texte n’est quand même pas d’une limpidité
exemplaire. Comment peut-on s’efforcer d’accomplir la volonté de Dieu quand on
le cherche ? Pour chercher Dieu, il faut savoir qu’il existe : « Tu
ne me chercherais pas, si tu ne me possédais[51].
» Thomas d’Aquin est sans doute plus logique : il regarde agir les humains
et il conclut qu’ils se dirigent vers Dieu. Tout être désire le bien, omnia bonum appetunt. Or, rien n’est un
bien sans être une participation du souverain bien. On peut donc dire que le
vrai bien est ce que toute chose désire[52].
Il donnera au souverain bien le nom de Dieu.
Ratzinger
poursuit : « Est-ce que l’on sera bienheureux et reconnu par Dieu
comme juste parce qu’on se sera scrupuleusement conformé aux devoirs qu’impose
la vengeance par le sang ? Parce que l’on se sera engagé de toutes ses
forces en faveur de la “ Guerre sainte ” et dans cette guerre?[53]»
Pourquoi pas ? « Celui qui agit selon sa conscience, même erronée, à
supposer que sa volonté soit droite, obéit lui aussi à la loi de Dieu,
puisqu’il agit conformément à ce précepte, le premier de tous et le seul au
fond : obéis à ta conscience », affirme le père Sertillanges, o.p.[54].
Ratzinger reconnaîtrait-il moins de sincérité aux combattants de la
« Guerre sainte » qu’à ceux de la Sainte Inquisition ?
Sertillanges a employé l’expression « volonté
droite ». L’adjectif droite n’a pas la même signification dans raison droite et dans volonté droite. La raison, nom que l’on donne à
l’intelligence quand elle va à la vérité au moyen d’une démonstration, est dite
droite quand elle atteint la vérité ; la volonté est dite droite quand elle
tend au bien que lui propose la raison (I-II, q.
- La position du Catéchisme de l’Église catholique
Le Catéchisme de
l’Église catholique, dont Joseph Ratzinger a présidé à la rédaction,
affirme : « Il ne convient pas d’opposer la conscience personnelle et
la raison à la loi morale ou au Magistère de l’Église[55]. »
Cette attitude peut déplaire, mais elle est tout à fait normale chez des
chrétiens à qui on a dit : « Vous êtes l’Église. » Le Magistère de
l’Église, chaque chrétien peut dire que c’est son Magistère ; il peut donc lui
faire des suggestions. Les exemples de chrétiens qui en ont fait et qui ont
provoqué des changements dans l’enseignement ou la pratique de l’Église sont
nombreux.
Cependant, il n’est pas nécessaire « d’être
l’Église » pour rejeter cette affirmation du Catéchisme de l’Église catholique. Il suffit d’être un être humain,
intelligent et doué d’une volonté libre. Pour lui, la volonté de Dieu s’exprime
par sa conscience et non par le Magistère. Thomas d’Aquin enseigne que la
conscience lie par la force du précepte divin, conscientia ligare dicitur vi præcepti divini [56].
Puis il ajoute : « Comparer le lien de la conscience au lien qui
découle du précepte du prélat, ce n’est rien d’autre que de comparer le lien du
précepte divin au lien du précepte du prélat. » La conclusion est facile à
tirer, et il le fait en ces termes : « Comme le précepte divin oblige
contre le précepte du prélat et oblige davantage que le précepte du prélat, le
lien de la conscience est plus fort que le lien du précepte du prélat, et la
conscience obligera même si le précepte du prélat lui est contraire[57].
» Il semble donc évident que, selon Thomas d’Aquin, docteur commun de l’Église,
la conscience personnelle peut s’opposer au Magistère. Voilà pour la
conscience, mais le CEC ajoute qu’« il ne faut pas opposer la raison à la
loi morale ou au Magistère de l’Église[58]. »
Il importe de préciser que la raison n’est pas une
faculté différente de l’intelligence, mais une manière pour l’intelligence
humaine d’aller à la vérité. Il y a des vérités qu’elle saisit immédiatement et
d’autres qu’elle atteint par une démonstration. L’intelligence ne cède que
devant l’évidence. Mon manuel de philosophie la définissait comme suit :
« L’éclat de la vérité qui ravit l’assentiment de l’esprit. » Ravir a
ici le sens d’emporter, d’emmener de force et non de plaire beaucoup. L’objet
de la volonté est ce qui est proposé par la raison. Si un objet est présenté
comme mauvais, la volonté devient mauvaise si elle se porte vers cet objet. Or,
les choses bonnes peuvent être présentées comme mauvaises, les choses mauvaises
présentées comme bonnes (I-II, q.
Les exemples qu’apporte Thomas d’Aquin sont pour le
moins audacieux. Éviter la fornication, c’est une bonne chose. Cependant, elle
n’est un bien pour la volonté que si la raison la lui présente comme un bien.
Si la raison lui présente comme mauvais le fait d’éviter la fornication, la
volonté qui s’y porterait serait mauvaise. Il s’ensuit que la personne qui est
dans cet état d’esprit doit forniquer, car pour elle éviter la fornication est
mal. Existe-t-il de telles personnes ? Je pense à Zorba le Grec. Si Thomas
d’Aquin avait pris comme exemple : forniquer n’est pas un mal, il n’aurait
forcé personne à forniquer, car personne ne peut ni ne doit faire tout ce qui
est bien.
Le deuxième exemple qu’il apporte n’est pas moins
audacieux. Croire au Christ est bon en soi et nécessaire au salut. Mais la
volonté ne se porte vers cet objet que si la raison le lui présente comme un
bien. Si la raison d’une personne lui présente comme mauvaise la foi au Christ,
sa volonté doit s’en détourner. Ici, on n’a pas à chercher des Zorbas :
pour plus d’un milliard de musulmans, la foi en un Christ Dieu et fils de Dieu est
un blasphème, comme il a été dit ci-dessus.
Les fidèles trouvent normal de discuter avec le
Magistère
Il n’est pas nécessaire d’être un mécréant pour
s’opposer à certains enseignements du Magistère. Voici quelques exemples.
-
Le problème du divorce
Dans ses Dernières
conversations, le cardinal Carlo
Maria Martini répond, quand l’interviewer lui demande quels sont « les
problèmes qu’on ne peut renvoyer à plus tard » : « Avant toute
chose, l’attitude de l’Église vis-à-vis des divorcés[59]. » Il souhaite
des conciles portant sur un seul sujet ; selon lui, « le rapport de l’Église
avec les divorcés » devrait être le
sujet du prochain concile[60].
On sait que l’Église catholique romaine n’admet pas le divorce. Elle accepte la
séparation des corps, sans remariage, et la déclaration de nullité, dans les cas
où, selon elle, il n’y avait pas eu de vrai mariage. Ce n’est donc pas une annulation de mariage.
Le Catéchisme de
l’Église catholique reconnaît que
« l’amour des époux exige, par sa nature même, l’unité et
l’indissolubilité » (#
1644). L’amour exige l’unité, c’est-à-dire que l’union soit celle d’une seule femme
avec un seul homme. Pour affirmer que l’amour exige l’indissolubilité, le CEC
cite Mt 19, 6 : « Ils ne sont plus deux, mais une seule chair. »
En note e de la Bible de Jérusalem,
on lit : « Affirmation catégorique de l’indissolubilité du lien
conjugal. » « Catégorique » ? J’ai consulté mon Petit Robert, il n’est pas théologien, mais il parle un langage que
tout le monde comprend et devrait utiliser. Au mot catégorique : « Qui ne permet aucun doute, ne souffre ni
discussion ni objection. » L’affirmation que les époux ne sont
« qu’une seule chair » n’est évidente pour aucune personne mariée. Comme
elle est littéralement fausse, il est normal d’en discuter ; elle exige une
interprétation.
C’est bien beau en théorie, mais il arrive fréquemment
que le feu de l’amour baisse et finit
par s’éteindre. Or, c’est l’amour qui exige l’unité et l’indissolubilité. Quand
l’amour n’y est plus, quand il a fait place à l’indifférence puis à la violence
verbale ou physique, ce qui exige l’unité et l’indissolubilité n’est plus
présent. Voyons à ce sujet quelques principes bien catholiques susceptibles
d’influencer.
Thomas d’Aquin enseigne que l’action singulière n’est
pas réglée sur des principes absolus, mais sur des principes valables dans la
plupart des cas, principes qui sont connus par l’expérience (II-II, q.
Quand Thomas d’Aquin se demande s’il y eut un vrai
mariage entre Marie et Joseph, étant donné qu’ils ne se seraient pas unis
charnellement, il précise que « la forme du mariage, c’est l’union des
esprits, conjunctio animorum, par
laquelle chaque époux est tenu de garder une foi inviolable à son
conjoint » (III, q.
Dans La Certitude de la
doctrine morale, l’abbé Lorenzo Roy écrit : « L’application d’une
règle à telle situation unique et singulière [ce divorce, cet avortement, cette
euthanasie] n’engage pas l’infaillibilité de l’Église[61]. » Que l’Église
énonce un précepte de morale en vertu de son infaillibilité ne confère pas à ce
précepte une rigueur géométrique. Il en est ainsi des paroles de l’Écriture
sainte citées en théologie morale.
Dans un article sur le vœu (II-II, q.
À l’article 9 de la même question, il se demande si
l’on peut être dispensé d’un vœu. Il répond que la dispense du vœu se conçoit
de la même manière que la dispense de la loi. Or, la loi prescrit ce qui est
bon dans la plupart des cas (I-II, q.
- Le problème de
l’homosexualité
L’abbé Pierre attaque la position de l’Église sur
l’homosexualité. Dans son Testament[62],
il critique la doctrine du Catéchisme de
l’Église catholique, qui ne consacre que trois paragraphes à cette
question, soit vingt lignes. Le deuxième paragraphe débute ainsi :
« Une quantité non négligeable… » (# 2358). L’abbé Pierre s’indigne : «
Cette formule m’a fait sauter au plafond : à partir de quel nombre des
hommes deviennent-ils quantité non négligeable ? » Dans la suite de ce
deuxième paragraphe, il salue un effort de compréhension.
Si l’abbé Pierre avait connu la doctrine de Thomas
d’Aquin, il aurait pu dire que « le docteur commun de l’Église » fait à maintes reprises la distinction entre
nature de l’espèce et nature particulière ou de l’individu : I-II, q.
Thomas d’Aquin affirme que,
chez certaines personnes, l’homosexualité provient de la nature d’une
complexion corporelle, ex natura corporalis complexionis, qu’ils ont
reçue dès le début, a principio. Chez d’autres, par contre, elle découle
de l’habitude, parce que, par exemple, ils se sont habitués à de tels
comportements depuis leur enfance, a pueritia. Il en va de même chez
ceux qui y aboutissent à cause d’une maladie corporelle[64].
Après avoir défini
l’homosexualité, le Catéchisme de l’Église catholique poursuit :
« Sa genèse psychique reste largement inexpliquée. S’appuyant sur la
Sainte Écriture, qui présente [les relations homosexuelles] comme des
dépravations graves, la Tradition a toujours déclaré que “ les actes
d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés ”. Ils sont contraires à
la loi naturelle. Ils ferment l’acte sexuel au don de la vie. Ils ne procèdent
pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable. Ils ne sauraient
recevoir d’approbation en aucun cas » (# 2357).
Ces affirmations suscitent plusieurs
commentaires. La psychologie peut identifier l’homosexualité non naturelle,
mais elle est incapable d’identifier l’homosexualité que Thomas d’Aquin
qualifie de naturelle. Ce dernier parle d’une homosexualité de naissance, a
principio, à cause de la complexion naturelle du corps, ex natura
corporalis complexionis. C’est la biologie qui pourrait, un jour, identifier
des gênes qui expliqueraient le phénomène. La Sainte Écriture n’est pas un
traité de biologie, ni un traité d’astronomie, ni un traité de
psychologie féminine, ni d’aucune science.
Pour que les actes
d’homosexualité « ferment l’acte sexuel au don de la vie », il
faudrait que les homosexuels soient en mesure de le poser. Deux hommes ne le
peuvent pas ni deux femmes, parce que l’acte sexuel qui donne la vie, c’est le
coït, union d’un mâle et d’une femelle. Le CEC ajoute : « Les
actes d’homosexualité sont contraires à la loi naturelle. » En prenant
appui sur Thomas d’Aquin, on peut nuancer : l’homosexualité est contraire
à l’inclination naturelle de l’espèce, mais il n’est pas prouvé qu’elle soit
contraire à l’inclination naturelle d’une « quantité non négligeable »
d’individus.
La première référence à la
Sainte Écriture que donne le CEC pour condamner la sodomie, c’est Genèse 19,
1-29. Lot héberge deux étrangers pour la nuit. Les Sodomites l’apprennent et
ils encerclent la maison, depuis les jeunes jusqu’aux vieux, tout le peuple
sans exception. Ils appellent Lot et lui disent : « Où sont les
hommes qui sont venus chez toi cette nuit ? Fais-les sortir, nous allons
les violer. » La réponse de Lot laisse pantois : « Je vous en
supplie, mes frères, ne commettez pas le mal. Écoutez, j’ai deux filles qui
n’ont pas connu d’hommes, je les fais sortir et faites-leur ce que vous voulez.
Mais ne touchez pas à ces hommes : ils sont sous la protection de mon
toit » (op. cit., 19, 1-8). Le CEC aurait pu nous épargner ce
texte. « Ne commettez pas le mal » en sodomisant les deux hommes qui
sont sous mon toit, mais « faites ce que vous voulez avec mes deux filles
vierges ». Pantois, en effet, on a le souffle coupé.
Il y a d’autres actes
homosexuels dont on peut douter qu’ils soient intrinsèquement mauvais. Deux
personnes hétérosexuelles mariées n’entretiennent pas leur amour seulement par
le coït : ce n’est pas tout ou rien, écrit le cardinal Suenens. « La
traduction physique de l’amour est nécessaire aux époux, même s’ils sont
obligés de s’abstenir de l’acte final[65]. » L’amour
s’alimente de mille petits gestes : sourires, paroles aimables, compliments,
cadeaux, baisers, caresses, étreintes… Deux personnes homosexuelles – hommes ou
femmes – vivant ensemble peuvent poser ces gestes. Dans sa lettre aux Romains
(1, 26), saint Paul dénonce « les femmes qui ont échangé les rapports
naturels pour des rapports contre nature ; pareillement les hommes,
délaissant l’usage naturel de la femme, ont brûlé de désir les uns pour les
autres, perpétrant l’infamie d’homme à homme. » Il ne s’agit évidemment
pas là de petits gestes amoureux. Aux Corinthiens (1, 6, 9-10) : « Ni
impudiques, ni idolâtres, ni adultères, ni dépravés, [etc.] n’entreront dans le
Royaume de Dieu. » Les dépravés, ce sont les hommes et les femmes nommés dans
Romains 1, 26. Dans sa première lettre à Timothée, il nomme les homosexuels (1,
10).
Le CEC poursuit (# 2358) : « Un nombre non négligeable d’hommes et de
femmes présentent des tendances homosexuelles foncières. Ils [en grammaire, le
masculin l’emporte toujours sur le féminin ; de moins en moins dans la
réalité] ne choisissent pas leur condition homosexuelle, elle constitue pour la
plupart d’entre eux une épreuve. Ils doivent être accueillis avec respect,
compassion et délicatesse. On évitera à leur égard toute marque de
discrimination injuste. »
Si les auteurs du CEC
avaient connu la position de Thomas d’Aquin, ils auraient été justifiés de
parler d’une homosexualité découlant de la nature de la complexion corporelle
de certaines personnes, comme il a été dit ci-dessus. Leur condition est une
« épreuve » dans un monde qui ignore qu’on naît homosexuel comme on naît
prédestiné à l’obésité, à cause d’un gène qui vient d’être découvert. Le CEC
veut qu’on les traite « avec respect, compassion et délicatesse ».
Avec respect et délicatesse, comme on doit traiter tout le monde ;
compassion ? Non, car la compassion est « un sentiment qui porte à plaindre et partager
les maux d'autrui ». Les homosexuels veulent être compris et non plaints.
Le CEC ajoute : « On évitera à leur égard toute marque de
discrimination injuste. » Bref, on s’en tiendra à la discrimination juste
! Difficile de ne pas tiquer.
Enfin (CEC, # 2359) : « Les personnes homosexuelles sont
appelées à la chasteté. […] … elles peuvent et doivent se rapprocher
graduellement et résolument de la perfection chrétienne. » Tout le monde
doit pratiquer la chasteté, c’est-à-dire rendre conforme à la raison, règle de
moralité, son inclination aux plaisirs sexuels, mais chacun doit le faire selon
son état. Cependant, pour les auteurs du CEC, il n’y a qu’une morale, la morale
catholique romaine hétérosexuelle. On veut donc l’imposer aux homosexuels.
Depuis saint Paul, la psychologie et la biologie ont fait des progrès. Au lieu
de répéter de siècle en siècle les mêmes interdictions, il faudrait sans doute
repenser certaines positions.
- Le choix des évêques,
dont celui de Rome
Dans ses Dernières conversations,
le cardinal Carlo Maria Martini rapporte : « Quand vint mon tour de
parler, [au consistoire qui a précédé le conclave] j’ai dit que nous devions
élire l’évêque de Rome. Je voulais dire par là que, de toute façon, la
compétence et la vocation pastorales doivent primer sur la compétence et la
vocation diplomatiques ou théologiques[66]. »
En parlant de l’évêque de Rome, il rappelait à ses collègues que le premier à
porter le nom de pape fut Jules 1er (337-352). « Ce titre,
inusité en Occident, était alors le titre courant des évêques d’Orient[67]. »
C’est Léon IX (1049-1054) qui institua le collège des
cardinaux pour l’élection du pape. « En avril 1059, au synode du Latran,
le tout-puissant cardinal Hildebrand fit voter un décret réservant désormais
aux seuls cardinaux l’élection du pape, le peuple, le clergé et… l’empereur
d’Allemagne devant se contenter simplement de l’approuver. Il est remarquable
que le promoteur de ce décret, le cardinal Hildebrand, se gardera bien de
l’observer lui-même et qu’il se fera élire 15 ans plus tard par les
acclamations “ spontanées” du peuple, forçant ainsi la main aux cardinaux[68].
»
Au cours des
siècles, de nombreux changements ont été apportés au conclave. Le dernier remonte
à Jean-Paul II qui décréta, en 1996, que seuls auront droit de vote les
cardinaux qui n’ont pas 80 ans révolus. Il écartait ainsi tous ceux – moins un
– qu’il n’avait pas lui-même faits cardinaux. Étonnante mesure : on n’est
plus qualifié pour choisir un évêque de Rome quand on a 80 ans révolus, mais on
l’est pour gouverner l’Église entière. On attend un décret qui stipulerait que
l’évêque de Rome doit, comme tous les évêques, démissionner à 75 ans. Ce serait
conforme à l’enseignement de Thomas d’Aquin pour qui le pouvoir à vie, per totam vitam, est redoutable, formidabile, du verbe formidare, « s’éloigner avec
effroi, redouter, s’épouvanter[69]. »
Les vieillards ont droit au respect, concédait volontiers Péguy, mais « le
droit au respect n’est pas le droit au commandement[70]. »
Avant le décret de 1059, le peuple et le clergé avaient leur mot à dire dans
l’élection des papes. Il serait souhaitable qu’ils l’aient de nouveau un jour.
S’adressant à son fils spirituel, le cistercien devenu
Eugène III, saint Bernard (1091-1153) le prévenait : « Considère
avant tout que la sainte Église romaine, dont par la grâce de Dieu tu es le
chef, est la mère des autres Églises, non leur souveraine ; tu n’es donc pas le
souverain des autres évêques, mais l’un d’entre eux[71]. »
Personne ne pense que Benoît XVI et Jean-Paul II se considéraient comme des
évêques parmi les évêques : ils étaient leurs souverains. D’ailleurs, ils
les nommaient tous après s’être assurés de leur orthodoxie et de leur
soumission, tandis qu’au XIIe siècle, comme le dit saint Bernard,
les évêques étaient choisis par les prêtres du diocèse[72].
Ici, on enregistre un recul notoire.
Contre le faste de la cour des papes, saint Bernard ne
mâche pas ses mots quand il s’adresse à Eugène III : « Celui dont tu
occupes le siège […], c’est saint Pierre lui-même, et je ne sache pas qu’on
l’ait jamais vu processionner paré de pierreries ou de soies, ni abrité sous un
dais d’or, ni chevauchant une blanche monture, ni escorté de soldats, ni
entouré d’un bruyant cortège d’assistants. Ce faste […] fait de toi le
successeur de Constantin et non de Pierre[73].
» « Tu t’avances, toi le pasteur, tout couvert d’or et revêtu de mille
ornements. […] Si, pour quelque raison, tu te risques à t’abaisser un peu et à
te rendre plus accessible : attention, s’écrie-t-on autour de toi, cela
n’est pas de mise ; cela ne convient pas aux temps actuels ; cela ne
convient pas à votre majesté[74]. »
Jean XXIII avait dit à un ami de l’abbé Pierre : « Nous allons assister à
la clôture de l’ère constantinienne[75]. »
Deux gestes
importants ont été posés par Paul VI. D’abord, le retrait de la tiare :
« C’est trop lourd pour ma tête, mettez ça au musée. » Les trois
couronnes de la tiare symbolisaient les trois pouvoirs que l’on reconnaissait
au pape. L’unanimité ne règne pas à leur sujet. Puis le retrait de la sedia gestatoria : « Je suis bien trop lourd, mettez ça au
musée. » Par ces mots, sedia gestatoria, les Italiens désignaient la
chaise sur laquelle le pape était porté « à dos d’hommes », comme dit
l’abbé Pierre. Jean XXIII l’avait utilisée pour son entrée dans la basilique de
Saint-Pierre, le 4 novembre 1961, lors de son 80e anniversaire.
J’étais présent.
La tiare et la sedia
gestatoria retirées, il reste la
crosse et la mitre qui exaspèrent l’abbé Pierre : « J’attends avec
impatience le jour où disparaîtra la mitre dont sont toujours coiffés pape,
évêques et abbés[76].
» Mitre et crosse « signifient le contraire de l’Évangile[77]».
J’avais écrit à mon serviteur, le cardinal Marc Ouellet, après son spectacle à
la basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré, qui soulignait son départ de Québec, pour
lui dire que sa crosse ne ressemblait pas au bâton dont se munissaient les
Douze dans leurs déplacements.
- « Une soumission
de volonté et d’intelligence » ?
L’extrait suivant de Vatican II contient une
affirmation qui me gêne : « Les évêques, quand ils enseignent en communion
avec le Pontife romain, doivent être respectés par tous comme les témoins de la
vérité divine et catholique ; et les fidèles doivent accepter l’avis donné par
leur évêque au nom de Jésus-Christ en matière de foi et de morale, et y adhérer
avec un respect religieux. Mais cette soumission religieuse de la volonté et de
l’intelligence, on doit particulièrement l’offrir au magistère authentique du
Pontife romain, même quand il ne parle pas ex
cathedra[78]. »
Une « soumission religieuse de la volonté et de
l’intelligence » ? La soumission ou obéissance fait manifestement partie
de la justice puisqu’elle met en scène deux personnes, une qui donne des ordres
et une autre qui est censée les exécuter (II-II, q.
Enfin, le bon sens n’accepte pas le devoir d’obéir
comme une excuse. Les personnes d’un certain âge se souviennent du procès de
Nuremberg. Les accusés disaient : « Nous avons obéi aux ordres. »
Pour eux, un ordre ne se discutait pas : il s’exécutait. Mais, dans son
commentaire des Sentences, Thomas
d’Aquin soulève l’objection suivante. Si l’inférieur doit départager les cas où
l’obéissance est de rigueur et ceux où elle ne l’est pas, il s’ensuit qu’il
doit juger l’ordre qui lui est intimé. Il répond que l’inférieur n’a pas à
juger l’ordre du supérieur, mais l’action que cet ordre lui demande de poser.
Le supérieur a donné un ordre selon ses connaissances, l’inférieur doit juger
d’après les siennes s’il doit l’exécuter[79].
- Les moyens artificiels
de contraception
Il convient aussi de réfléchir sur l’interdiction des
moyens artificiels de contraception condamnés par l’encyclique Humanæ vitæ de Paul VI, en 1968. Raison
apportée : c’est contraire à la nature. D’abord, il faut rappeler que
l’art est partout dans la vie humaine, car l’homme vit d’art et de
raison : Homo arte et ratione vivit
[80].
L’art médical intervient massivement à la fin de la vie ; pourquoi lui
serait-il prohibé d’intervenir au début ? Mais supposons que l’on accepte le
principe, devenu précepte, qui interdit l’usage des moyens artificiels de
contraception. Je reviens encore une fois sur un principe capital de la morale
thomiste : l’action singulière n’est pas réglée sur des principes absolus,
mais sur des principes valables dans la plupart des cas, principes qui sont
connus par l’expérience (II-II, q.
Dans l’application aux cas particuliers des préceptes
universels et immuables, même négatifs, le problème se pose toujours de savoir
si tel acte honore son père et sa mère, si tel acte est un homicide défendu par
le commandement, si tel acte est un vol défendu par le commandement, etc. Hoc
est mutabile, cela est changeant, variable, dit Thomas d’Aquin (I-II,
q. 100, a. 8, sol. 3). Dans un petit livre intitulé L’Avortement, une tragédie, le père Marcel-Marie Desmarais, o.p.
écrivait : « Voilà qui est clair et net en tant qu’il s’agit de la
moralité objective. Pourtant, dans le cas précis que nous examinons, la
moralité subjective pourrait facilement, semble-t-il, en arriver vertueusement
à une autre conclusion[81] »
Il en est ainsi des moyens artificiels de contraception condamnés par Paul VI.
Chacun doit en juger selon sa conscience, dans la situation où il se trouve.
- Les femmes, infailliblement
exclues du sacerdoce
L’Église s’attire bien des critiques en
excluant les femmes du sacerdoce. Voici la position du Catéchisme de l’Église catholique : « Seul un homme (vir)
baptisé reçoit validement l’ordination sacrée. Le
Seigneur Jésus a choisi des hommes (viri) pour former le collège des douze, et
les apôtres ont fait de même lorsqu’ils ont choisi des collaborateurs qui leur
succéderaient dans leur tâche. […] L’Église se reconnaît liée par ce choix du
Seigneur lui-même. C’est pourquoi l’ordination des femmes n’est pas
possible » (# 1577).
Recevoir « validement » un sacrement, cela
suppose que les conditions requises pour qu’il produise son effet sont
respectées. Si l’on faisait sur une femme ce que l’on fait sur un homme (vir) pour qu’il devienne prêtre, elle ne
deviendrait pas prêtre. Le sacrement de l’ordre ne produirait pas son effet. C’est
comme si l’on baptisait un chien ; il ne deviendrait pas un enfant de Dieu.
Bref on ne peut pas faire un prêtre avec une femme ; elle n’est pas une matière
apte à recevoir cette forme. Comment vérifier qu’elle ne serait pas devenue
prêtre ? Il existe de nombreux instruments dont le nom se termine par
« mètre », mais il n’existe pas de sacerdomètre.
Jésus n’a choisi que des mâles, mais la
plupart étaient mariés ; il n’a choisi que des juifs et seulement douze.
L’Église n’a retenu que mâles. Bref, on semble invoquer l’exemple de Jésus
quand ça fait l’affaire. Car Jésus a dit aussi que le Fils de l’homme n’avait
pas une pierre pour reposer sa tête. Or, les papes, les cardinaux et les
évêques n’ont pas pensé qu’ils devaient imiter son exemple. Ils ont presque
tous rassemblé assez de pierres pour se construire des palais.
Selon le cardinal Ratzinger, Jean-Paul II engageait
son infaillibilité, dans sa lettre apostolique du 22 mai 1994, qui excluait les
femmes du sacerdoce. Sa lettre se terminait ainsi : « Je déclare, en
vertu de ma mission de confirmer mes frères (Luc 22, 32), que l’Église n’a en
aucune manière le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale à des femmes et
que cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de
l’Église[82]. »
De l’Église ? Pourtant, ce n’est pas l’Église qui s’est prononcée mais le pape,
et le pape n’est pas l’Église. Cette question aurait dû être soumise au concile
Vatican II, de même que la question des moyens artificiels de contrôle des
naissances et quelques autres.
Une Note de
présentation accompagnait la lettre du pape et insistait sur « la
nature définitive et le caractère obligatoire de cette doctrine ». Il ne
s’agit pas d’ « une simple disposition disciplinaire », mais d’une
« doctrine certainement vraie ». « N’appartenant pas aux
matières ouvertes à la discussion, elle requiert l’assentiment plénier et
inconditionnel des fidèles, et enseigner le contraire revient à induire en
erreur leur conscience. »
L’idée d’ordonner des femmes ne heurtait pas la
majorité des catholiques des diocèses de Québec et de Montréal qui ont
participé à des synodes. Celui de Québec, tenu de juin 1992 jusqu’à septembre
1995, groupa plus de 1000 personnes formant 198 équipes, qui formulèrent 492
propositions. De ces 1000 personnes, 360 furent invitées à former ce qui fut
appelé l’Assemblée synodale, qui étudia les propositions, les groupa, les
modifia parfois, puis se prononça par vote. Pour être acceptée, une proposition
devait recueillir les deux tiers des voix. La proposition concernant l’accès
des femmes au sacerdoce « n’avait pas obtenu, de justesse, le minimum [les
2/3] de voix requises par le règlement ». Tout près des 2/3 des 360
personnes formant l’Assemblée synodale étaient favorables à l’ordination des
femmes. Le Synode du diocèse de Montréal donna des résultats analogues. La
proposition concernant le mariage des prêtres obtint les 2/3 des voix ; pour
être acceptée, il manqua quelques dixièmes à la proposition concernant
l’ordination des femmes.
Ces personnes savaient que Jean-Paul II s’était
prononcé, le 22 mai 1994, contre l’ordination des femmes ; elles savaient qu’il
présentait sa position comme définitive et obligatoire, que ce n’était plus
matière à discussion. Mais, comme membres du peuple de Dieu, ces personnes
savaient qu’elles ont leur mot à dire dans l’Église. On leur a assez
répété : « Vous êtes l’Église. » Le cardinal Carlo Maria
Martini, s.j., archevêque de Milan, avait lu la lettre de Jean-Paul II ;
cependant, de passage à Londres, le 12 mars 1995, il déclarait à la BBC que
l’Église n’ordonnerait sûrement pas de femmes « pendant ce millénaire »
[en 1995, le millénaire tirait à sa fin], mais « qu’il serait déjà content
si, pour le moment, on étudiait la question de l’ordination des femmes au
diaconat et si l’on arrivait à une solution positive[83] ».
L’épisode de la rencontre de Jésus et de la
Samaritaine au puits de Jacob est bien connu. Le long entretien que Jésus eut
avec elle se déroule pendant que les disciples sont allés à la ville pour
acheter de quoi manger (Jean 4, 7-26). À leur retour, « ils s’étonnent de
le voir parler à une femme » (Jean 4, 27). Un bon juif parlait peu à son
épouse, dit-on, et pas du tout aux autres femmes. Autres temps, autres mœurs,
mais les mœurs ne changent pas en quelques décennies, et saint Paul décrira la
femme comme un être qui doit vivre dans la soumission à l’homme, au mâle, ne jamais
le dominer; un être à qui il est interdit d’enseigner : « Je ne
permets pas à la femme d’enseigner ni de faire la loi à l’homme. Quelle garde
le silence[84]. »
Cette interdiction tient toujours. Dans ma paroisse de Québec, nous avions une
femme qui nous faisait des bijoux d’homélies. Le Vatican lui a cloué le bec.
Jean-Paul II a affirmé que le Christ n’obéissait pas à
des motivations sociologiques ou culturelles propres à son temps. L’Évangile ne
fournit aucune preuve de cette affirmation. Mais il est évident que le Christ
avait d’excellentes raisons « sociologiques et culturelles » de ne
pas choisir de femmes. Quand les mœurs du temps interdisent aux hommes de
parler aux femmes, comment imaginer des mâles assis devant une femme qui les
instruit ?
Le cardinal Arinze, préfet de la Congrégation du culte
divin, sous Jean-Paul II et jusqu’à sa retraite – sous Benoît XVI – pensait
qu’introduire des filles au service de l’autel fut une erreur. Bref, pas de
femmes autour de l’autel, comme l’avait stipulé Boniface (pape de 418 à 422).
Dans un décret, il avait interdit aux femmes, fussent-elles religieuses, de
venir jusqu’à l’autel y brûler de l’encens et de toucher, même pour les laver,
les linges sacrés. Pourtant, une femme avait fait plus que laver des linges
sacrés, elle a lavé le Sacré (Jésus) lui-même : une jeune Juive, Marie, a
porté le Fils de Dieu dans son ventre, elle l’a lavé, changé de couche,
allaité… Dieu qui tète une jeune femme ! Saint Lin, évêque de Rome de 67 à 79,
dates incertaines, avait interdit aux femmes d’assister nu-tête aux assemblées
[pour nous, ces assemblées sont devenues les messes]. Cette interdiction a été
observée jusqu’au milieu du XXe siècle.
- Les titres ronflants
des dignitaires de l’Église
Les titres ronflants utilisés par les gens
d’Église ne viennent pas du Seigneur Jésus ni des Douze : souverain
pontife, sa sainteté, saint-père, éminence, excellence, monseigneur, chanoine ;
saint-siège, sacrée congrégation de…, saint-office de l’inquisition, etc. Jésus
a dit : « Je suis venu pour servir et non pour être servi. » On ne s’adresse
pas à un serviteur en lui disant : Monseigneur, Éminence, Excellence. Dans
un Motu proprio, en date du 7
décembre 1965, Paul VI reconnaissait que
des modifications au nom de certains organismes avaient dû être introduites
avec l’évolution des temps. Par exemple, en 1542, Paul III avait fondé la
« sacré Congrégation de l’Inquisition romaine et universelle ». En
1908, Pie X décida d’en faire plus modestement la « Congrégation du
Saint-Office ». Paul VI en changea de nouveau le nom pour la « Congrégation
pour la doctrine de la foi[85]».
Au début du christianisme, les fonctions
ecclésiastiques étaient exercées par des episcopoi
(pluriel grec d’episcopos) et des presbyteroi (pluriel grec de presbyteros). Ces mots grecs peuvent étonner ceux qui ne savent pas que le grec a été la
langue liturgique de l’Église pendant plus de deux siècles. Dans episcopos, on voit facilement épiscopal, « qui appartient à
l’évêque » ; dans presbyteros, on
voit facilement presbytéral,
« qui a rapport aux prêtres ». On peut même voir presbytie ! Le mot évêque se dit episcopus en latin ; ce mot vient du grec episkopos, qui signifie « surveillant, gardien ».
Racines grecques: epi,
« sur », scopein,
« regarder ». On avait donc des évêques et des prêtres, qui
s’appelaient par leur prénom. Ils s’adjoignirent des diacres et des
diaconesses.
Au centurion Corneille qui tombe à ses pieds et se
prosterne, Pierre s’empresse de dire : « Relève-toi. Je ne suis qu’un
homme, moi aussi » (Actes 10, 34-35). Les papes n’ont pas remarqué ce geste de
Pierre. Il fallait se prosterner trois fois pour s’approcher d’eux. Qui a mis
fin à ce cérémonial nullement évangélique ? J’imagine Jean XXIII.
Le Saint-Siège ! C’est ainsi qu’on désigne parfois le
pouvoir du souverain pontife, son gouvernement. Plusieurs, parmi ceux qui ont
vu fonctionner ce pouvoir lui contestaient le qualificatif de « saint ». Pour
moi, le dernier en lice fut mon éminent professeur de philosophie Charles De
Koninck (1906-1965). De retour de Vatican II, où il agissait comme expert du cardinal
Maurice Roy de Québec, il avait dit, devant une salle bondée d’étudiants :
« Il ne fait pas bon aller dans la cuisine du bon Dieu. » De passage
à Rome, le cardinal allemand Nicolas de Cuse (1401-1464) confiait à un
ami : « Tout, absolument tout ce qui se passe ici, dans cette cour,
me dégoûte. Tout y est pourri[86]. »
Enfin, saint Bernard (1091-1153) à Eugène III : « Je sais dans quel
milieu tu vis : ce ne sont autour de toi que gens impies. […] Tu es
environné de loups, non de brebis[87].
»
Paul IV (1555-1559) veut réformer l’Église, mais à sa
manière, c’est-à-dire par l’Inquisition. Il permet aux inquisiteurs d’appliquer
la torture non seulement aux inculpés, mais aussi aux témoins peu volubiles pour
leur délier la langue. Même des cardinaux goûtèrent à sa médecine. Son père
n’aurait pas obtenu grâce : « Si mon propre père devait le moins du
monde être convaincu d’hérésie, je n’hésiterais pas un instant à lier de mes
propres mains les fagots de son bûcher[88]. »
Il ordonna de parquer dans des ghettos les juifs résidant dans les États
pontificaux et les obligea à porter un chapeau jaune pour qu’on les distinguât
facilement. En 1559, l’année de sa mort, il fit publier un index des livres à
proscrire : des livres entiers de la Bible s’y trouvaient et de nombreux
ouvrages des Pères de l’Église. On annula cet index au lendemain de sa mort.
Ces sept exemples, qui vont du problème du divorce aux
titres ronflants que se donnent les gens d’Église, montrent assez bien qu’il n’est pas
nécessaire d’être un mécréant pour s’opposer à certains enseignements du
Magistère et à certaines pratiques de l’Église. Ce fut utile à l’un et à l’autre dans le passé et
il n’y a pas de doute que ce l’est encore de nos jours.
Le premier de tous les
préceptes : Obéis à ta conscience.
J’ai cité plus haut le passage suivant du père
Sertillanges, o. p., mais il est bon de
le réitérer : « Celui qui agit selon sa conscience, même erronée, à
supposer que sa volonté soit droite, obéit lui aussi à la loi de Dieu,
puisqu’il agit conformément à ce précepte, le premier de tous et le seul au
fond : obéis à ta conscience[89]. »
Inutile de dire que la prédication ne nous a pas rebattu les oreilles de ce grand
principe de morale. Sertillanges a employé l’expression « volonté
droite ». L’adjectif droite n’a pas la même signification dans raison droite et dans volonté droite, comme il a été dit ci-dessus.
Sertillanges ne fait qu’interpréter les articles 3 et
5 de la q. 17 du De Veritate, où
Thomas d’Aquin enseigne que la conscience lie par la force du précepte divin, conscientia ligare dicitur vi præcepti
divini (a. 3). À l’article 5, il ajoute : « Comparer le lien de la
conscience au lien qui découle du précepte du prélat, ce n’est rien d’autre que
de comparer le lien du précepte divin au lien du précepte du prélat. » La
conclusion est facile à tirer, et il le fait en ces termes : « Comme
le précepte divin oblige contre le précepte du prélat et oblige davantage que
le précepte du prélat, le lien de la conscience est plus fort que le lien du
précepte du prélat, et la conscience obligera même si le précepte du prélat lui
est contraire. »
Peu de temps avant la publication de l’encyclique Humanæ Vitæ de Paul VI (1968), Joseph
Ratzinger avait écrit : « Au-dessus du pape comme expression de l’autorité ecclésiale, il y a
encore la conscience de chacun à laquelle il faut obéir avant tout, à la limite
même à l’encontre des demandes des autorités de l’Église[90].
« La soumission religieuse de la volonté et de l’intelligence », dont on
parlait ci-dessus, est ainsi malmenée.
Mais pourquoi la conscience a-t-elle cette dignité, au
sens de fonction, qui la situe au premier rang des préceptes de la conduite
humaine ? La conscience est un jugement de la raison. Or, la raison distingue
l’être humain de l’animal. Elle caractérise la nature humaine. Et chaque être
agit comme il convient s’il agit conformément à sa nature. On attend du prunier
qu’il produise des prunes et non des cerises ; de la pierre, qu’elle reste rivée
au sol et ne vole pas dans les airs comme les feuilles ; de l’être humain,
qu’il agisse conformément à sa raison. Et la conscience morale est précisément
le jugement que la raison porte sur l’acte à poser ou à ne pas poser. C’est ce
lien entre nature humaine et raison que Marc Aurèle (121-180) avait bien saisi
quand il écrivait, dans ses Pensées pour
moi-même : « Pour l’être raisonnable, la même action qui est conforme
à la nature est aussi conforme à la raison[91]. »
De plus, c’est la raison qui élabore la loi naturelle.
Pour se faire une juste idée de cette loi, il importe d’abord d’oublier les
jolies métaphores qui nous la présentent comme étant « gravée par Dieu
dans le cœur » de l’homme ou encore « écrite et gravée dans
l’âme », comme dit Léon XIII, cité par le Catéchisme de l’Église
catholique (# 1954). Désigner Dieu
comme graveur de cette loi crée l’impression d’une loi imposée de l’extérieur,
comme la loi de l’impôt. Quand on lit, dans le CEC, les articles consacrés à la
loi naturelle, on ne trouve aucune référence aux inclinations naturelles de
l’être humain. Les auteurs disent bien que c’est « la raison qui
l’édicte » ou encore qu’elle est « établie par la raison », mais
à partir de quoi ? On n’en souffle mot, et l’impression demeure qu’elle a
été « écrite dans le cœur » par une main invisible, comme les mots Mané,
Thécel, Pharès, sur une muraille, pendant un festin du roi Balthazar
(Daniel 5, 25-28).
Selon Thomas d’Aquin, la loi naturelle est élaborée
par la raison humaine à partir des inclinations naturelles que l’être humain
découvre en soi et qu’il trouve forcément bonnes : un homme ne peut pas
trouver mauvais d’être incliné à boire quand il a soif, d’être incliné à manger
quand il a faim, d’être incliné à se défendre quand il est attaqué, etc. Tous
les êtres de la nature recherchent ce qui leur convient et repoussent, quand
ils en sont capables, ce qui tournerait à leur détriment. C’est on ne peut plus
évident chez les humains. Par contre, la plante déshydratée est incapable de
s’approcher du ruisseau pour siphonner l’eau qui lui manque quand ses racines
ne s’y rendent pas.
Cette observation du sens commun se formule de la
manière suivante : « Tout être désire ce qui lui convient – et qu’on
appelle son bien – et il fuit ce qui ne lui convient pas – et qu’on appelle son
mal » (I-II, q.
« Oui, mais il faut
éclairer sa conscience. »
Chaque fois qu’on parle de l’obligation d’obéir à sa
conscience, la riposte jaillit comme l’éclair, chez certains : « Oui,
mais il faut éclairer sa conscience. » D’accord, mais on cherche de la
lumière quand on doute. Une personne qui ne doute pas ne cherche pas à s’éclairer.
Si quelqu’un veut la ramener dans ce qui est pour lui le droit chemin, il doit d’abord
la convaincre qu’elle est dans l’erreur puis l’inciter à s’éclairer. Éclairer
sa conscience, ce n’est pas la mettre de côté et lui substituer celle d’un
autre, fut-il prélat, Thomas d’Aquin l’a assez dit.
Le cardinal de Québec y est allé à la manière d’une
corneille qui abat des noix : « Le viol est un crime, la femme violée
qui se fait avorter ajoute un autre crime. » Il n’a convaincu aucune
femme et il en a blessé plusieurs. À l’approche du conclave, il ne parlait
plus de crime mais de « faute morale ». Pour éclairer les
consciences, il faut prouver que l’avortement est une faute morale. Il se
pratique dans le monde environ soixante millions d’avortements par année. La
grande majorité de ces femmes ne pensent sans doute pas commettre un crime ni
même une faute. Chez Thomas d’Aquin, l’énonciation : « L’avortement est un
crime » serait la conclusion d’une discussion menée dans la plus grande
sérénité et qui débuterait par « Il semble que non », Videtur quod non.
Selon Thomas d’Aquin, la personne qui recherche la
vérité doit commencer par bien douter, bene
dubitare [94].
Pour amener ses auditeurs à douter, il recueillerait les arguments
qu’avancent ceux et celles qui ne considèrent pas l’avortement comme une faute
morale. En voici quelques-uns qui ont cours. La femme est maîtresse de son
corps, le fœtus n’est pas un être humain ou n’est pas une personne humaine ; on
invoque le jeune âge de la mère ou le contraire, son âge avancé, etc. On peut
penser à la fillette du Brésil, enceinte de jumeaux, à neuf ans, dont
l’avortement a entraîné des excommunications.
Le fœtus est-il un être humain ? Est-il une
personne ? On peut en discuter indéfiniment. Mais ce que le simple bon
sens permet d’affirmer, c’est que le processus enclenché au moment de la
conception a pour terme un être humain. Interrompre ce processus, c’est
empêcher un être humain et non une truite de voir le jour.
Mon cardinal justifiait sa maladresse en disant que la
vérité est difficile à accepter. Je lui ai envoyé un courriel précisant que
c’était la vérité tronquée qui avait été rejetée. Comme il s’était borné à
affirmer que l’avortement est un crime, il ne pouvait pas terminer en
disant : « Si je ne vous ai pas convaincu, continuez d’agir selon votre
conscience. »
L’application des préceptes
universels, immuables et négatifs
En morale thomiste, il est un article qu’il faut se
garder d’escamoter, je le répète : II-II, q.
Thomas d’Aquin prend position à ce sujet quand il se
demande si l’on peut être dispensé parfois d’observer les préceptes du
décalogue (I-II, q.
Et Thomas d’Aquin de conclure que les préceptes du
décalogue sont, en soi, immuables – immutabilia sunt (I-II, q.
Pour la bonne conduite de la vie, les préceptes
généraux, universels, immuables ne suffisent pas. Dans
Certains
traducteurs ont hésité devant l’expression minus
sunt utiles, par crainte, peut-être, de trahir l’auteur : Traduttore, traditore. Il n’y a pourtant
là rien de sorcier. Minus est le
comparatif de parum, qui signifie
« peu ». Ici, Thomas d’Aquin compare les considérations universelles
aux considérations particulières ; non plus le vice ou la vertu, mais tel vice
ou telle vertu ; non plus le mariage, mais ce mariage, et il dit que les
considérations universelles ou communes sont moins utiles, minus utiles, que les considérations particulières.
L’exercice de la liberté de
conscience
La liberté de conscience, comme toutes les autres
libertés, ne s’exerce pas dans l’impunité. En agissant selon sa conscience, une
personne peut enfreindre les lois du pays dont elle est citoyenne. Elle ne peut
alors invoquer la liberté de conscience comme défense devant les tribunaux. Au
cours de l’histoire, on ne compte plus les personnes qui ont payé de leur vie le
fait d’avoir obéi à leur conscience. De nos jours, on peut être rayé de l’ordre
de sa profession, exclu de son parti politique ou excommunié, parce qu’on reste
« debout dans l’océan des dos courbés », comme dit Léon Bloy, ou
qu’on révèle des secrets d’État, comme l’ont fait Julian Assange, Bradley
Manning et Edward Snowden.
On entend souvent proclamer comme une évidence :
« La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. » Non, une
liberté authentique n’est pas contraire à une autre liberté authentique. Ma
liberté de pratiquer ma religion ne s’arrête pas où commence la liberté du
juif, du musulman ou de l’anglican de pratiquer la leur. Ces libertés doivent
s’exercer simultanément. Ce qui arrête ma liberté de m’exprimer, par exemple,
de ne pas verser dans la calomnie, la médisance, les allégations, c’est ma
conscience, dans l’immense majorité des cas. La loi peut être invoquée dans
certains cas graves : « Toute personne a droit à la sauvegarde de sa
dignité, de son honneur et de sa réputation[95].
» Il en est des droits comme des libertés. Deux droits authentiques ne se
contredisent pas ; ils doivent s’exercer simultanément.
Conclusion
La conscience est un jugement de la raison, et la
raison situe l’être humain dans une espèce déterminée. En philosophie, on le
définit comme étant un animal raisonnable. Il agit donc selon sa nature en
agissant selon sa raison. C’est pourquoi le dominicain Sertillanges a pu
affirmer : « Celui qui agit selon sa conscience, même erronée, à
supposer que sa volonté soit droite, obéit lui aussi à la loi de Dieu,
puisqu’il agit conformément à ce précepte, le premier de tous et le seul au
fond : obéis à ta conscience[96]. »
En morale thomiste, il est essentiel de savoir que
l’action singulière n’est pas réglée sur des principes absolus, mais sur des
principes valables dans la plupart des cas ; ces principes sont connus par
l’expérience (II-II, q. 49, a. 1). Des exceptions sont donc toujours
possibles, même si l’on est en présence d’un principe frappé au coin de
l’infaillibilité. Dans l’application aux cas particuliers des préceptes
universels et immuables, même négatifs, le problème se pose toujours de savoir
si tel acte honore son père et sa mère, si tel acte est un homicide défendu par
le commandement, si tel acte est un vol défendu par le commandement, etc. Hoc
est mutabile, cela est changeant, variable, dit Thomas d’Aquin (I-II,
q. 100, a. 8, sol. 3).
Enfin, Thomas d’Aquin enseigne que la conscience lie
par la force du précepte divin, conscientia
ligare dicitur vi præcepti divini [97].
Puis il ajoute : « Comparer le lien de la conscience au lien qui
découle du précepte du prélat, ce n’est rien d’autre que de comparer le lien du
précepte divin au lien du précepte du prélat. » La conclusion est facile à
tirer, et il le fait en ces termes : « Comme le précepte divin oblige
contre le précepte du prélat et oblige davantage que le précepte du prélat, le
lien de la conscience est plus fort que le lien du précepte du prélat, et la
conscience obligera même si le précepte du prélat lui est contraire[98].
»
II.
La liberté de religion
Parfois on rencontre la formulation suivante :
« La liberté de conscience et de religion », comme si ces deux
libertés étaient des jumelles siamoises. Mais non : il s’agit de deux
libertés différentes. La liberté de conscience ne s’exerce pas qu’en matière de
religion, comme on a vu ci-dessus. Ce n’est pas le pape François qui veut
mettre la main au collet d’Edward Snowden.
Thomas d’Aquin parle-t-il de
la religion au bon endroit de la Somme
théologique ?
Jean Grondin, professeur de philosophie à l’Université
de Montréal, spécialiste de la philosophie allemande et de la métaphysique,
dont les livres sont traduits dans une dizaine de langues, publiait, dans le
journal Le Devoir du samedi 12 et du
dimanche 13 janvier 2008, un article intitulé « L’existence de Dieu, une
question philosophique oubliée ? »
Ce qui m’a étonné dans cet article, c’est
l’affirmation suivante : « Thomas d’Aquin […] reconnaîtra à la religion un
statut assez régional dans une lointaine section de la Somme [théologique]. La
religion se limite chez lui aux exercices de dévotion de l’homme envers le divin
(la prière, par exemple). »
Pour reconnaître que Thomas d’Aquin parle de la
religion au bon endroit de la Somme
théologique, il faut rappeler le plan de cet énorme ouvrage, dont Alain
disait qu’il avait « grand respect pour la fameuse Somme[99]. »
J’ai dit « énorme » car la traduction française, publiée en quatre
tomes aux Éditions du Cerf en 1984, 1985 et 1986, fait 3716 pages.
Le Prologue de la Somme théologique
Le Prologue, d’une demi-page, mérite d’être
cité : « Parce que le docteur de la vérité catholique ne doit pas
seulement former ceux qui sont avancés, mais il lui incombe également
d’instruire les débutants, selon cette parole de l’Apôtre (I Cor 3,
1-2) : “ Comme à de petits enfants dans le Christ, c’est du lait que
je vous ai donné à boire et non de la nourriture ”, nous nous proposons, dans
cet ouvrage, d’exposer ce qui concerne la religion chrétienne de la manière qui
convient à des débutants.
« Nous avons, en effet, observé, que les
débutants dans cette doctrine rencontrent de nombreux obstacles dans les écrits
des auteurs. En partie à cause des problèmes inutiles qui sont soulevés, des
nombreuses questions et arguments. En partie, parce que ce qu’il leur est
nécessaire de savoir n’est pas exposé selon l’ordre requis par la matière, mais
selon l’ordre requis par l’explication des livres ou par l’occasion des débats.
En partie parce que les répétitions fréquentes engendrent le dégoût et la
confusion dans l’esprit des auditeurs.
« Nous efforçant d’éviter ces inconvénients et
d’autres semblables, nous essaierons, confiant dans l’aide divine, d’exposer,
brièvement et clairement, selon que la matière le permet, ce qui concerne la
doctrine sacrée. » « Brièvement » ! 3716 pages, et il a laissé
sa Summa theologiæ inachevée. Le Supplément, qui la complète est de l’un
de ses disciples, Raynald de Piperno, comme il a été dit ci-dessus.
Des questions et des articles
La Somme
théologique est composée de questions et d’articles. Le mot question vient du latin quæstio, du verbe quærere, « chercher ». Dans la Somme, une question n’est pas une interrogation, mais un sujet de
recherche. Par exemple, quand il aborde le problème de l’éternité de Dieu, le
sujet de cette recherche est formulé comme suit : De æternitate Dei. Cicéron (~-106-~-43) va titrer son livre sur la
vieillesse : De senectute. Sénèque
(~-4-65) son livre sur la colère : De ira. Dans mon Bornecque, la
préposition latine de a treize
significations ; à la dixième, on lit : « (très fréquent) Au sujet de
(traductions variées) ».
Chaque sujet de recherche, chaque question, va
susciter plusieurs interrogations ; ce seront autant d’articles. En latin, les
articles de la Somme sont formulés
par une interrogation indirecte. Cette forme d’interrogation est bien connue en
français. Par exemple, quand on dit à une personne : « Je serais
curieux de savoir votre âge. » Un article est une question, et Thomas
d’Aquin utilise l’interrogation indirecte ; dans le cas de l’éternité de Dieu,
il se demande si Dieu est éternel : Utrum
Deus sit æternus. Sous-entendu : Quæritur,
« on cherche ». Tous les traducteurs emploient l’interrogation
directe : Dieu est-il éternel ?
Après avoir formulé son interrogation, Thomas d’Aquin
répond toujours : Videtur quod non, « il
semble que non ». Pour lui, la recherche de la vérité doit commencer par
le doute, comme il a été dit ci-dessus. Quand il se demande si Dieu existe, il
commence par dire : il semble que non, et il apporte des arguments à
l’appui du non.
Après avoir apporté des arguments à l’appui du non –
dans la Somme, il en apporte
peu : trois, quatre ou cinq –, il en apporte d’ordinaire un à l’appui du
oui. Comme la Somme est un ouvrage de
théologie, l’argument à l’appui du oui sera, la plupart du temps, tiré de la
Bible ou d’un Père de l’Église. Il répond alors à la question qu’il a posée,
puis il réfute les objections.
Comme la Somme
théologique est divisée en trois parties et que la deuxième partie est
subdivisée en deux parties, une référence à cet ouvrage prend l’une ou l’autre des formes
suivantes : pour une référence à la première partie, I, q.
L’ordre de la Somme
Un bref aperçu de l’ordre des thèmes que Thomas
d’Aquin développe dans sa Somme
théologique fera comprendre pourquoi il parle de la religion à l’endroit où
il en parle et non plus tôt. Comme cet ouvrage s’adresse à des débutants en
théologie, il est nécessaire de leur parler de cette science. C’est l’objet de
la première question, qui comprend dix articles. La théologie ayant Dieu pour
objet (I, q.
Pour Thomas d’Aquin, toute vertu qui se rapporte à
autrui, peut être annexée à la justice (II-II, q,
Considérations sur le mot religion : étymologie et
signification
- En latin
Le mot français religion
vient du latin religio. La simple
curiosité nous pousse à chercher ce que les Romains signifiaient par ce mot.
Dans mon Bornecque, on lit, au septième sens du mot : Religio,
id est cultus deorum (Cicéron). « Religion, c’est-à-dire le culte des
dieux. » Numa omnes partes religionis statuit (Cicéron). « Numa régla toutes les parties du culte. » Numa
Pompilius fut le second roi légendaire de Rome (~715-~672). On lui
attribue d’avoir organisé la vie religieuse romaine. Cicéron nous transmet donc les deux mots que nous
continuons d’utiliser : religion et culte.
- En grec
Dans l’article cité, Jean Grondin affirme que le terme
religion n’existe pas en grec.
Pourtant, je l’ai trouvé dans mon Pessonneaux (dictionnaire grec), c’est thrêskeia, « pratique religieuse,
religion, dévotion ». J’ai trouvé également beaucoup de mots qui concernent
Dieu. Les deux principaux, ayant trait à mon propos, y sont : theologia, « science qui a Dieu
pour
objet », et theolatria, « culte rendu à Dieu ».
Ce dernier mot est formé de theos,
« Dieu » et de latria,
« culte ». En français, le mot latrie
signifie le culte rendu à Dieu. Le grec a donc le mot religion et un mot qui a le même sens que religion pour nous, c’est-à-dire « culte rendu à Dieu ».
Jean Grondin ajoute : « On peut bien, si on
y tient, parler de la religion des Grecs, mais les Grecs ne le faisaient pas.
C’est qu’il n’y avait pas, pour eux, une sphère de leur existence qui relevait
en propre de la croyance. Les dieux étaient partout, si bien que le rapport à
eux ne s’exprimait jamais en termes de “ religion ”. » Dans son Socrate, Jacques Mazel confirme :
« La religion grecque est partout présente, elle enveloppe l’homme, l’âme,
le corps, la vie privée, la vie publique, les repas, les fêtes, les assemblées,
les tribunaux, les combats[100]. »
Pourtant, le Dieu des chrétiens est partout et cela n’empêche pas que le
rapport à lui s’exprime dans une religion.
Mais, dans sa Politique,
Aristote énumère les magistratures politiques puis ajoute : « Une autre
forme de service concerne le culte des dieux : on a, par exemple, des
prêtres et des administrateurs des biens sacrés pour la sauvegarde des édifices
existants et la restauration des bâtiments qui menacent ruine, et aussi pour
tout ce qui en outre est réservé au culte des dieux[101]. »
Plus loin, il parle de nouveau « du service des dieux qu’on appelle le
culte[102]. »
Les Grecs avaient donc des dieux et ils leur rendaient un culte, comme le dit
Aristote. Pour les Romains comme pour nous, c’est de la religion, et le mot ne
leur était pas inconnu.
Au mot religion, le Petit Robert donne
trois définitions. « I. (1170) Ensemble d'actes
rituels liés à la conception d'un domaine sacré distinct du profane, et
destinés à mettre l'âme humaine en rapport avec Dieu. » « 2. (XXe)
Attitude particulière dans les relations avec Dieu : déisme, panthéisme,
mysticisme, judaïsme, islam, protestantisme », etc. « 3. Une religion : Système
de croyances et de pratiques, impliquant des relations avec un
principe supérieur, et propre à un groupe social. » Cette définition
englobe tout : les croyances et le culte. Il me semble que c’est ainsi
que, de nos jours, la plupart des croyants conçoivent leur religion.
Deux comportements à distinguer : croyances et culte
Les
croyances
On entend souvent dire que la prostitution est le
plus vieux métier du monde, mais les historiens des religions revendiquent cet
honneur pour l’objet de leur étude. Selon eux, ce serait le sacerdoce. Tous les
peuples avaient leur dieu et leur clergé, même les polythéistes vénéraient
spécialement un chef de leurs dieux. C’est, entre autres, l’opinion du théiste
Voltaire (1694-1778) : « J’ose croire, écrit-il, qu’on a commencé
d’abord par reconnaître un seul Dieu, et qu’ensuite la faiblesse humaine en a
adopté plusieurs[103].
» Chez les Grecs, c’était Zeus ; chez les Romains, Jupiter, chez les
juifs, Jéhovah ou Iahvé, chez les musulmans, Allah, etc.
Le culte
Je consulte de nouveau
mon Petit Robert au mot culte : « 1. Hommage religieux rendu à une divinité, un
saint personnage, ou un objet déifié. 2. Ensemble des pratiques réglées par une
religion, pour rendre hommage à la divinité. » Par le mot religion, nous entendons, dans ces
pages, les pratiques qui rendent hommage à une divinité. Le culte peut être
intérieur et extérieur
- Le
culte intérieur
Un croyant peut parler à son dieu sans que
personne de son entourage ne s’en aperçoive. Il peut prier son dieu, solliciter
son aide, le remercier, lui témoigner son amour, lui demander pardon, etc. À ce
niveau, il n’y a pas de contraintes possibles. Vatican II en convient :
« L’exercice de la religion consiste avant tout en des actes intérieurs
volontaires et libres. De tels actes ne peuvent être ni imposés, ni interdits
par aucun pouvoir purement humain[104].
» Indétectables, ces actes intérieurs sont partant incontrôlables.
- Le culte extérieur
C’est le culte extérieur qui soulève des
problèmes quand les adeptes d’une religion veulent que le gouvernement satisfasse
aux exigences dont il a été question plus haut. Il faut s’ingénier à faire
comprendre que la liberté de religion ne s’étend pas au culte extérieur. Bref,
personne ne peut imposer de la morale au nom de sa religion, ni aucune pratique
extérieure interdite par les lois du pays. Par exemple, exiger la polygamie
parce que sa religion la permet. La polygamie est un problème moral, et ce sont
les moralistes qui l’étudient. Le vêtement est quelque chose de secondaire. Une
personne ne peut pas dire que le gouvernement l’empêche de pratiquer sa
religion parce qu’il interdit des choses à ce sujet. Thomas d’Aquin tranche en
montrant que la religion est une vertu morale.
La religion, vertu morale
Si l’on faisait un sondage chez les catholiques
romains, y en a-t-il, à part les dominicains et quelques thomistes, qui
diraient que la religion est une vertu morale ? Voici comment Thomas
d’Aquin parvient à distinguer une vertu morale de religion. Après avoir traité de la charité, troisième
vertu théologale, il aborde les vertus cardinales, en commençant par la plus
noble, la prudence, vertu intellectuelle (II-II, q. 47-56) ; enfin, il
traite de la première vertu morale cardinale, la justice (II-II, q. 57-89) et
il situe la religion parmi les vertus annexes à la justice, c’est-à-dire de la
famille de la justice. Pour ce faire, il rappelle d’abord que la justice se
rapporte à l’autre, à autrui, elle est ad alterum. Il s’ensuit donc que
toutes les vertus qui se rapportent à autrui peuvent être considérées comme des
vertus annexes à la justice. Ce sont, selon lui, la religion, la piété filiale,
le respect, la vérité, la reconnaissance, la vengeance [il existe une juste
vengeance], l’amitié et la libéralité (II-II, q. 80, a. 1).
Après avoir énuméré les vertus annexes à la justice,
il traite de la religion (II-II, q.
À l’article 2,
il apporte d’abord sa preuve que la religion est une vertu en rappelant
simplement que tout acte bon découle d’une vertu. En effet, une vertu est une
disposition stable, acquise par la répétition d’actes appropriés et qui fait
poser des actes bons, avec uniformité, rapidité et plaisir[105].
Or, un acte est moralement bon quand il est conforme à la raison. Et comme il
appartient à la religion de rendre à Dieu l’honneur qui lui est dû, il est
manifeste à ses yeux que la religion est une vertu.
À l’article 5, il se demande si la religion est une
vertu théologale comme la foi, l’espérance et la charité. Il répond qu’elle
n’en est pas une parce qu’elle n’a pas Dieu pour objet, mais les actes que l’on
pose en l’honneur de Dieu en lui rendant le culte qui lui est dû. En
répondant à la troisième objection, il va préciser qu’il y a une sorte de juste
milieu à observer dans les actes de religion (ou du culte) comme dans les actes
de toute vertu morale, car les actes du culte divin doivent être rendus à qui
l’on doit (Dieu), quand on le doit et comme on le doit. Pour être moral, le
culte rendu à Dieu doit être conforme à la raison, règle de moralité. Et c’est
ainsi que la religion devient à ses yeux une vertu morale.
Il traite ensuite des actes de religion (II-II q. 82).
Il considère d’abord les actes intérieurs, qui sont les principaux ; puis
les actes extérieurs, qui sont secondaires (II-II, q. 82, prologue). Ce qu’il y a d’essentiel dans une religion,
les croyances et les actes intérieurs, échappe donc à tout contrôle et à toute contrainte.
Le culte intérieur peut se pratiquer sans églises, sans synagogues, sans
mosquées, sans temples. Indétectables, les actes intérieurs sont partant
incontrôlables. Pendant les premiers siècles, les chrétiens ne pendaient pas de
crucifix aux murs. Hans Küng en témoigne : « Longtemps encore après
l’abolition [du supplice de la croix] par l’empereur Constantin, jusqu’au
milieu du Ve siècle et parfois plus tard encore, les chrétiens ont
craint de représenter Jésus souffrant sur la croix. Cette coutume ne s’est
largement répandue qu’à l’époque du gothique médiéval[106]. »
Crucifix, chapelet, scapulaire, burqa, niqab, turban, kirpan, hallal, kascher,
il n’y a rien là d’essentiel aux diverses religion. Il n’est pas facile d’en
persuader les adeptes.
La vertu morale de religion à l’œuvre
Tous les actes du culte extérieur doivent être
examinés à la lumière du « bon sens, chose du monde la mieux
partagée », selon Descartes[107].
Du bon sens ou de la raison, règle de moralité. Quand il s’agit des actes intérieurs
du culte, seule la conscience intervient, mais quand il s’agit du culte
extérieur, la morale doit intervenir et parfois la loi. La mise à jour est
commencée, marquée par des reculs. Je vais donner des exemples dans l’Église
que je connais bien, l’Église catholique romaine, dont je suis un membre
pratiquant depuis ma tendre enfance à Saint-Michel-de-Bellechasse.
- Une
religion de liberté
Dans les pratiques
extérieures du culte, saint Augustin (354-430) a invité à la modération en des
termes qui ne manquent pas de nous étonner : « Dieu dans sa
miséricorde a voulu que la nouvelle religion qu’il nous a donnée fût une
religion de liberté, puisqu’il l’a réduite à un très petit nombre de pratiques
extérieures de la plus grande simplicité ; et voici que certains individus la
surchargent d’une foule de pratiques serviles, au point que la condition des
juifs, avec toutes leurs observances légales [l’Ancien Testament en contenait
613], serait encore plus supportable que celle qu’ils veulent nous faire, puisque
les juifs, au moins, ne dépendaient pas des caprices humains[108]. »
Thomas d’Aquin cite ce
passage de saint Augustin quand il se demande si la loi nouvelle – celle de
l’Évangile – est moins onéreuse que la loi ancienne (I-II, q.
L’acte vertueux doit être posé avec uniformité,
promptitude et plaisir. On ne possède pas la vertu de justice quand on
hésite à rendre le dû, qu’on ne le rend pas toujours ou qu’on le rend à
contrecœur. Voilà qui est difficile, très difficile pour les personnes qui
titubent sur le chemin de la vertu. De ce point de vue, les préceptes de la loi
nouvelle sont plus onéreux que ceux de l’ancienne, car les mouvements
intérieurs de l’âme, interdits par la loi nouvelle, ne l’étaient pas
expressément par l’ancienne, du moins pas dans tous les cas. Quand ils
l’étaient, aucune peine ne sanctionnait cette interdiction. Or, c’est ce qui
est le plus difficile pour l’être humain peu avancé en vertu ; car, comme
le dit encore Aristote : « Il est facile de faire ce que le juste
fait, mais le faire comme il le fait [avec régularité, promptitude et plaisir]
ce n’est pas chose facile pour une personne qui ne possède pas la vertu de
justice[109]. »
Voltaire se trompe quand il écrit : « Néron, le pape Alexandre VI, et
d’autres monstres de cette espèce, ont répandu des bienfaits ; je réponds
hardiment qu’ils furent vertueux ces jours-là[110]. »
C’est trop de hardiesse : on n’est pas vertueux à si bon compte. Une
hirondelle ne fait pas le printemps.
Pendant ma vie, plusieurs pratiques ont été
abandonnées. Par exemple, les vêpres le dimanche soir à l’église, les
quatre-temps, le premier vendredi du mois, l’angélus, le chapelet en famille,
le mois de Marie, l’abstinence du vendredi, le jeûne, le scapulaire, la prière
avant et après le repas, etc. On revient au jugement dernier, fondé sur la
charité : « Venez, les bénis de mon Père, car j’ai eu faim et vous
m’avez donné à manger », etc. (Matthieu, 25, 31-46). L’entraide, de nos jours,
s’étend à la terre entière. Certaines pratiques d’autres religions seront
abandonnées avec le temps.
- La pratique de la communion
eucharistique a évolué
Dans sa lettre 93, Basile le Grand, évêque de Césarée,
décédé en 379, nous révèle des faits étonnants : « Tous les ermites
qui vivent au désert, où il n’y a pas de prêtres, conservent chez eux les
saintes espèces et les prennent de leur propre main. À Alexandrie et en Égypte,
chaque fidèle, même laïc, garde le plus souvent les saintes espèces dans sa
maison et se communie lui-même quand il le veut[111].
» Dans ma paroisse, certains jours, la messe est remplacée par une cérémonie de
la Parole. Parce qu’il n’y a pas de prêtre présent, on ne distribue pas la
communion. Ici, il faut noter un recul.
Le jeûne eucharistique, introduit au IVe siècle,
a été supprimé. À la dernière Cène, les disciples avaient communié à la fin du
repas , et les premiers chrétiens ne communiaient pas à jeun. Saint Paul
nous dit comment les choses se passaient dans la communauté de Corinthe (I Cor
11, 20-22). « Lors donc que vous vous réunissez en commun, ce n’est plus
le Repas du Seigneur [c’est ainsi qu’on appelait ce qui est devenu la messe]
que vous prenez. Dès qu’on est à table, en effet, chacun prend d’abord son
propre repas, et l’un a faim, tandis que l’autre est ivre. Vous n’avez donc pas
de maison pour manger et boire ? Si quelqu’un a faim, qu’il mange chez
lui » (I Cor 11, 20-22, 34). On était loin de la goutte d’eau avalée,
peut-être, en allant à la messe par une matinée pluvieuse. Il est arrivé chez
nous, au Québec, que des personnes, soucieuses d’avoir avalé une goutte d’eau,
n’allaient pas communier par crainte de faire une communion sacrilège.
La croyance en la supériorité de l’homme sur la femme
se manifestait même dans la manière de recevoir la communion. Jusqu’au VIe
siècle, les hommes communiaient avant les femmes. Ils recevaient le corps du
Christ dans le creux de leur main nue, puis le portaient à leur bouche. Les
femmes s’avançaient ensuite, mais, dans plusieurs églises, surtout en Occident,
leur main, sans doute considérée comme indigne ou impure, était recouverte d’un
linge blanc nommé « dominicale ». Cette manière de procéder était
recommandée par saint Césaire d’Arles (470-542) et par le trente-sixième canon
du concile d’Auxerre (586). La communion sur la langue a débuté au VIe
siècle. On voulait éviter que l’hostie soit déposée dans une main sale ou
qu’une parcelle y demeure et soit profanée.
Quand Jean-Paul II est venu à Québec, en 1984, il fut
étonné que des femmes distribuent la communion. Il a fallu que le cardinal
Albert Vachon, archevêque de Québec, s’impose. Benoît XVI voulait revenir à la
communion à genoux et sur la langue. Il n’avait pas remarqué qu’à la dernière
cène les disciples étaient couchés et que Jésus ne leur avait pas dit :
« À genoux et ouvrez la bouche » mais : « Prenez et mangez.
»
- L’abstinence du vendredi
Penseur avant-gardiste, Abélard (1079-1142) a exposé,
huit cents ans plus tôt, l’argument que le chanoine Jacques Leclercq avance
contre l’abstinence du vendredi. Voici comment Abélard le formulait au XIIe
siècle : « Actuellement, si nous nous abstenons de viande, est-ce un
si grand mérite quand nos tables sont chargées d’une quantité superflue
d’autres aliments ? Nous achetons à grands frais toutes sortes de
poissons ; nous mélangeons les saveurs du poivre et des épices ; gorgés de
vin, nous y ajoutons encore des boissons et des liqueurs fortes. L’excuse de
tout cela, c’est l’abstinence de viandes à vil prix[112]. »
Voici en quels termes le chanoine Jacques Leclercq
dénonçait, au XXe siècle, l’abstinence du vendredi : « Autrefois,
on ne s’occupait que des riches, et on a l’impression que l’Église même ne
pensait qu’à eux. […] Imposer à titre de pénitence de manger une fois par
semaine du poisson, à des gens qui ne mangent jamais de viande, ou n’en mangent
pas une fois par semaine, qui, de plus, sont trop pauvres pour acheter du
poisson – car le poisson est le plus souvent un aliment cher – n’est-ce pas une
dérision ? […] Un incroyant comprendra-t-il jamais qu’il y ait péché
mortel à manger une bouchée de viande un vendredi, et qu’il n’y ait pas la plus
petite faute morale à faire le banquet le plus raffiné, pourvu qu’il soit
conforme à la règle ? Caviar, huîtres, langoustes, etc.[113] »
Progrès.
- L’abandon du latin
Contre le latin, que l’Église utilisait encore au XXe
siècle, Abélard (1079-1142) protestait déjà. « Comment répondre “ amen ” si l’on n’a pas compris le
sens de la prière qui a été faite ? Aussi voyons-nous souvent dans les
églises des gens simples faire des prières qui leur sont nuisibles. En
changeant une lettre d’un verbe latin qu’ils ne comprennent pas, ils demandent
à Dieu de les écarter, amittere, des
biens éternels au lieu de les y admettre, admittere[114].
» Sur ce point, il faut sans conteste parler de progrès.
- Les diaconesses
Il y eut des diaconesses au début du christianisme.
Dans sa lettre aux Romains (16, 1), saint Paul mentionne « Phœbé, notre
sœur, qui est diaconesse de l’Église de Cenchrée ». Au IIIe siècle,
rares sont les Églises qui n’ont pas de diaconesses. Mais un décret du pape
Boniface (418-422) qui interdisait aux femmes, fussent-elles religieuses, de
venir jusqu’à l’autel y brûler de l’encens et de toucher, même pour les laver,
les linges sacrés, rendait impossible l’ordination de diaconesses. Fidèle au
décret de Boniface ou partageant ses idées, le concile d’Orange (441) décide
qu’on n’ordonnera plus de diaconesses. La tradition se poursuit en Orient. Sous
Justinien, empereur romain d’Orient de 527 à 565, Constantinople compte 60
diacres, 90 sous-diacres et 60 diaconesses. Pourquoi a-t-on cessé d’ordonner
des diaconesses ? Je l’ignore. On peut facilement imaginer une raison. Ici, il
faut parler de recul.
Saint Bernard avertit le pape Eugène III : « Que
tes confrères dans l’épiscopat apprennent de toi à ne pas faire leur société de
ces jeunes garçons à la longue chevelure, ni de ces adolescents par trop
soignés. Non, il n’est pas convenable de voir toutes ces têtes frisées aller et
venir parmi les têtes mitrées[115]. »
S’il y avait eu des diaconesses en son temps, saint Bernard aurait sans doute
trouvé les mots pour condamner cette pratique.
- Textes à bannir
Le Prions en
Église du 22 juillet 2012 (p. 37) rapportait cette parole de Paul VI :
« La rupture entre Évangile et culture est sans doute le drame de notre
époque. » Pour rejoindre les gens, il faut parler un langage qu’ils
comprennent. C’est ce qu’a dit le pape François aux JMJ de Rio de Janeiro. C’est
ce que demandait Jean XXIII dans son discours d’ouverture de Vatican II :
on conserve la doctrine, mais on l’adapte à son auditoire. Si certaines
formulations ont été adaptées, je l’ignore.
Certains textes de la Bible ne devraient plus être lus
à la messe. Par exemple, celui de saint Paul qui présente le mari comme
« la tête de la femme » (Éph 5, 23). J’avais écrit au directeur du Prions en Église pour lui demander de retirer
ce texte : les couples se regardent et rient. Il m’avait répondu qu’il n’avait
pas le pouvoir de pratiquer cette chirurgie : les textes venaient d’en
haut. C’est là que je devais m’adresser ; lui, il n’était qu’une courroie de
transmission. J’ai choisi de continuer à rire et de regarder rire.
Le dimanche 7 octobre 2012, on nous faisait lire
Genèse 2, 18-24. Le Seigneur Dieu dit : « Il n’est pas bon que
l’homme soit seul. Je vais lui faire une aide qui lui correspondra. » Mais
avant de la faire, il façonne les bêtes des champs et les oiseaux du ciel, les
amène à l’homme pour qu’il leur donne un nom. Mais l’homme ne trouva, parmi ces
bêtes et ces oiseaux, aucune aide qui lui corresponde. Le Seigneur n’avait donc
plus le choix : il fallait lui en former une. Il fit tomber sur l’homme un
sommeil mystérieux, et celui-ci s’endormit. Le Seigneur Dieu prit de la chair
dans son côté, puis il referma. Avec ce qu’il avait pris à l’homme, il forma
une femme et il l’amena vers l’homme. L’homme dit alors : « Cette
fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! On l’appellera : “
femme”. »
Au XXIe siècle, beaucoup de catholiques
romains pensent comme le cardinal Ratzinger, qui écrit, dans Entretien sur la foi : « Le
récit de l’Écriture Sainte sur les origines ne parle pas à la manière
historiographique, mais s’exprime au moyen d’images[116]. »
Alors, pourquoi nous lit-on le récit précédent qui, lui aussi, fait rire les
assistants ?
Le dimanche 21 octobre 2012, on nous lisait l’apologie
de la souffrance selon Isaïe 53, 10-11. Elle nous plonge en plein
dolorisme : « Broyé par la souffrance, le serviteur a plu au
Seigneur. Mais, s’il fait de sa vie un sacrifice d’expiation, il verra sa
descendance, il prolongera ses jours : par lui s’accomplira la volonté du
Seigneur. À cause de ses souffrances, il verra la lumière, il sera comblé.
Parce qu’il a connu la souffrance, le juste, mon serviteur, justifiera les
multitudes, il se chargera de leurs péchés. » Comme si Dieu, notre Père, aimait
voir souffrir ses enfants.
- Délivre-nous du mal ou du
Mal ?
La dernière demande du Notre Père, dans le Prions en Église, se lit, comme on s’y
attend : « délivre-nous du Mal. » La majuscule échappe
facilement : Mal et non mal. Dans le même Prions
en Église, on a déjà vu les deux orthographes. Pour les auteurs du Catéchisme de l’Église catholique, ce
Mal est une personne, Satan lui-même (# 2851). Mais telle n’est pas l’opinion de Thomas
d’Aquin (II-II, q.
- L’instigateur du péché, le diable
Dans le rituel du baptême de l’Église catholique
romaine, à un moment donné, le célébrant regarde le petit bébé et
ordonne : « Sors de cet individu, esprit immonde. » Le Catéchisme de l’Église catholique maintient cette pratique : « Puisque le
Baptême signifie la libération du péché et de son instigateur, le diable, on
prononce un (ou plusieurs) exorcisme(s) sur le candidat (# 1257). Comment une personne quelque peu
critique peut-elle penser que le démon est dans le petit bébé qui vient de
naître ? Et qu’il y était avant la naissance, donc dans le ventre de la mère,
comme le pensait et le disait Bossuet (1627-1704), d’abord évêque de Condom en
1669, puis de Meaux en 1681.
Le diable, instigateur du péché ? J’ai demandé à
mon Petit Robert ce qu’était un
instigateur. Il m’a répondu : « Personne qui incite, qui pousse à
faire quelque chose. » Le CEC parle comme si le diable était derrière tous les
péchés qui se commettent dans le monde. S’il avait présenté le diable comme un
instigateur de péchés, parmi d’autres, on aurait compris qu’il dirigeait
peut-être une équipe, mais le CEC le déclare l’instigateur du péché. Thomas
d’Aquin se demande précisément si tous les péchés des hommes sont causés par
les suggestions du diable (I-II, q.
- La cupidité, racine de tous
les maux
La racine de tous les maux, selon saint Paul, c’est la
cupidité (I Tim 6, 10). Dans le Petit
Robert la cupidité est ainsi définie : « Désir indécent et
mesquin de gagner de l’argent, de faire argent de tout. » Thomas d’Aquin
est plus concis, trois mots : appetitus
inordinatus divitiarum, « désir désordonné des richesses ». Pour lui,
il est évident que saint Paul donne au mot cupidité
le sens de « désir immodéré des richesses » et c’est en ce sens que la
cupidité est la racine de tous les péchés. En effet, par la richesse l’homme
acquiert la possibilité de commettre bien des fautes auxquelles le pauvre ne
peut que rêver, car, comme dit L’Ecclésiaste : « À l’argent tout
obéit » (10, 19). « Tout », c’est excessif ; je dirais beaucoup de choses mais
pas tout, car on ne peut pas acheter la santé ni un vrai ami.
- L’inclination fondamentale
de l’être humain
Selon Thomas d’Aquin, l’inclination fondamentale de
l’être humain est une inclination au bien (I-II, q.
Un paragraphe du jésuite François Varillon m’étonne
beaucoup : « Si l’homme ne se reconnaît pas pécheur, sa relation avec
Dieu est fausse. […] Il y a, à notre racine, une orientation qui n’est pas une
orientation vers Dieu[118]. »
Thomas d’Aquin dit pourtant que l’inclination fondamentale de l’être humain est
une inclination au bien (I-II, q.
L’abbé Pierre commençait la messe par le Gloria et non par le Confiteor. Dans son Testament, il
écrit : « Ceux qui ont assisté à l’une des messes que je dis chaque
jour ont pu remarquer qu’avant le Confiteor
je préfère dire le Gloria. J’ai pris
cette habitude après avoir lu ce qu’écrivait un père dominicain :
“ Cela m’a toujours mis mal à l’aise que l’assemblée eucharistique
commence par Mea culpa[120].
” » Nous, nous commençons par une « Suggestion pour l’acte pénitentiel » ;
suivent trois « Prends pitié de nous ». C’est un peu déprimant. Et Nietzsche
de constater que les chrétiens n’avaient pas l’air sauvés.
- Les enfants morts sans
baptême
Saint Augustin envoyait en enfer les enfants morts
sans baptême. « Écoutez, mon Dieu. Nul n’est pur de péché en votre
présence, pas même le petit enfant dont la vie n’est que d’un jour sur la terre[121].
» Le CEC (# 1215) enseigne
que le baptême « signifie et réalise cette naissance de l’eau et de
l’Esprit sans laquelle “ nul ne peut entrer au Royaume de Dieu ” (Jean 3,
5). » Si tel était le cas, nous reviendrions au concile de Florence (1442).
Mais Dieu peut sauver sans les sacrements (III, q.
Voici comment Thomas d’Aquin formule une objection à
ce sujet dans la Somme théologique :
« Le péché originel est le plus petit des péchés, minimum peccatorum. D’où saint Augustin dit que la peine la plus
douce est réservée à ceux qui ne sont punis que pour le péché originel. Mais le
péché originel soumet à une peine perpétuelle. Il s’ensuit que les enfants
morts sans baptême ne verront jamais Dieu, comme il est évident selon cette
parole de Jean (3, 5) : “ Nul s’il ne renaît de nouveau, [par le
baptême] ne peut voir le Royaume de Dieu ” » (I-II, q.
Voilà l’objection à laquelle il va maintenant
répondre, de façon décevante : « La peine éternelle imposée au péché
originel ne tient pas à la gravité de la faute, mais à la condition du sujet
qui en est affecté : il ne possède pas la grâce, qui seule remet la peine
due au péché. » Thomas d’Aquin récidive quand il se demande « si un enfant
qui naît dans le désert, où l’on ne peut trouver d’eau, et qui meurt sans
baptême, peut être sauvé par la foi de sa mère croyante[123]. »
De nouveau, c’est un effroyable non : Ille
puer in deserto moriens, sine baptismo, salutem non consequitur. Il cite de
nouveau Jean (3, 5).
Thomas d’Aquin répond comme si Dieu avait besoin des
sacrements pour sauver les humains. Pourtant, il sait que Dieu peut sauver sans
se servir des sacrements, il l’a écrit : « Dieu n’a pas lié sa
puissance à la loi des sacrements de manière à ne pouvoir conférer sa grâce à
certains, par un privilège spécial » (III, q.
Le CEC soulève le problème des enfants morts sans
baptême (# 1261) et affirme que
« l’Église ne peut que les confier à la miséricorde de Dieu ». Ce
n’est pas nécessaire ; Dieu s’est occupé des enfants morts sans baptême
bien avant que la Commission théologique internationale les lui confie :
« Une femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le
fils de ses entrailles ? Même si les femmes oubliaient, moi, je ne
t’oublierai pas » (Isaïe 49, 15). On voit mal comment la miséricorde peut
intervenir envers un bébé qui vient de naître. Comment imaginer que Dieu, dont
la tendresse l’emporte sur celle d’une mère, jette en enfer des bébés parce
qu’ils n’ont pas été baptisés ? Il faut être des théologiens aux entrailles de
mâle pour le penser et l’enseigner ; des théologiens qui ne doutent pas malgré
l’avertissement d’Isaïe (55, 8) : « Vos pensées ne sont pas mes pensées. »
C’est pourquoi les manuels de philosophie de l’abbé Henri Grenier enseignaient
qu’une mère devait être disposée à perdre sa vie temporelle, lors de
l’intervention pour baptiser l’enfant à l’intérieur de son utérus, afin
d’assurer la vie éternelle de son enfant.
- Tu es poussière
Le mercredi des Cendres, ceux qui mettaient une pincée
de cendre sur le front des fidèles disaient : Memento homo quia pulvis es et in pulverem reverteris, « Souviens-toi,
ô homme, que tu es poussière et que tu retourneras en poussière. » Erreur
grossière : l’âme humaine, qui fait que l’homme est un être humain et non
une bête, n’est pas de la poussière et elle ne retournera pas en poussière.
L’acte d’humilité de mon petit Catéchisme
reprenait la formule : « Mon Dieu, je ne suis que cendre et
poussière », etc. Et il ajoutait cette énormité : « …
apprenez-moi à me mépriser moi-même. » Un enfant de Dieu qui se méprise…
Thomas d’Aquin parle de la dignité de la nature humaine et de la dignité de
l’homme destiné à voir Dieu après la mort[124].
- « Dieu est
amour » !
Je l’ai appris sur le tard. Le mot qui caractérise
l’enseignement religieux que j’ai reçu dans ma jeunesse, c’est le mot PEUR.
Bien d’autres, sans doute, pourraient en dire autant. L’objet de ma peur ?
L’enfer. Mon petit Catéchisme le
décrivait comme « un lieu [sic]
de supplice, où ceux qui sont morts en état de péché mortel sont privés de la
vue de Dieu pour toujours, et souffrent des tourments épouvantables et
éternels » (# 488). Il me
semblait que la privation de la vue de Dieu aurait été suffisante. Le Catéchisme en images, disponible dans la
plupart des familles, peignait des scènes qui frappaient de terreur. Le Catéchisme de l’Église catholique maintient
le cap : « L’enseignement de l’Église affirme l’existence de l’enfer
et son éternité. Les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel
descendent immédiatement après la mort dans les enfers [sic], où elles souffrent les peines de l’enfer, “ le feu
éternel ”. La peine principale de l’enfer consiste en la séparation
éternelle d’avec Dieu en qui seul l’homme peut avoir la vie et le bonheur pour
lesquels il a été créé et auxquels il aspire » (# 1035). L’Église ne définit plus le ciel et
l’enfer comme des lieux, mais comme des états d’âme.
Et l’enfer était surpeuplé. En 1943 – j’avais alors
dix-neuf ans –, j’ai lu la Perfection
chrétienne du jésuite Alphonse Saint-Jure. Il voyait les élus dans les épis
qui restent sur le champ après la moisson ; les moissonneurs, embauchés par
Satan, engrangeaient dans l’enfer. Il les voyait encore dans les raisins
oubliés dans la vigne par les vendangeurs ; la cueillette aboutissait en enfer.
Selon ce pessimiste, les damnés étaient donc immensément majoritaires. En
songe, la grande Thérèse d’Avila avait vu les âmes tomber en enfer comme les
feuilles par un grand vent d’automne. Vers 1946, alors que j’enseignais à
Saint-Malo, paroisse de la ville de Québec, le curé avait fait un sermon sur le
petit nombre des élus et il avait exhumé les comparaisons désolantes de
Saint-Jure.
La question avait été posée à Jésus : « Seigneur,
est-ce le petit nombre qui sera sauvé ? » lui demanda quelqu’un (Luc 13,
23). Jésus répondit : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite,
car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer et ne pourront pas » (ibid., 24). Après l’échange qui avait
rendu « tout triste le notable fort riche », Jésus ajouta :
« Comme il est difficile à ceux qui ont des richesses d’entrer dans le
Royaume de Dieu ![125]
Oui, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un
riche d’entrer dans le Royaume de Dieu ! » Ceux qui avaient entendu
insistèrent : « Mais qui donc peut être sauvé ? » Jésus
répondit : « Ce qui est impossible pour les hommes est possible pour
Dieu » (Luc 18, 23-27). Un chameau ne peut pas passer par le chas d’une
aiguille, mais Dieu peut l’y faire passer, voire en faire passer deux, côte à
côte, chamelier en selle. Lueur d’espoir pour les chameaux humains : Dieu
les fera passer par la porte étroite, car c’est lui qui sauve et il veut le
salut de tous, affirme saint Paul.
- La porte étroite
Pour Thomas d’Aquin, entrer par la porte étroite,
c’est entrer par la porte de la vertu parfaite, per angustam portam perfectæ virtutis (I-II, q. 108, a. 3).
Or, la vertu n’est pas une invention du christianisme. Au IVe siècle
avant Jésus Christ, Aristote (~384-~322) affirmait : « Nous sommes naturellement prédisposés à
acquérir les vertus ; il reste à les développer par l’exercice[126]. »
Sénèque (~4-65) le relayait en
ces termes : « La nature a mis en chacun de nous les semences des vertus[127]. »
Mais Thomas d’Aquin a parlé de la vertu « parfaite ». Possède une
vertu parfaite la personne qui en pose les actes avec uniformité, promptitude
et plaisir. Ce n’est pas de l’héroïsme.
J’aurais aimé que Thomas d’Aquin nous dise également
ce qu’il entendait par « porter sa croix ». Que je sache, il ne l’a
pas fait. Voici donc, Deo favente, ce
qu’il en est, à mon humble avis. Le mot croix
évoque la souffrance. Or, il est naturel d’éliminer la souffrance autant qu’on le
peut. Écoutons Pierre Teilhard de Chardin : « Lutter contre le Mal [la
majuscule ne signifie pas qu’il s’agit d’une personne], réduire au minimum le
Mal (même simplement physique) qui nous menace, – tel est indubitablement le
premier geste de notre Père qui est aux cieux ; sous une autre forme, il nous
serait impossible de le concevoir, et encore moins de l’aimer[128]. »
Porter sa croix, c’est accepter les souffrances qu’on est incapable d’éliminer.
Il en vient de la nature (cataclysmes), il en vient des autres (« L’enfer,
c’est les autres. ») et il en vient surtout de nous. Sénèque parle des
personnes qui n’arrivent pas à se détacher de leur croix, où elles se sont
clouées elles-mêmes[129].
Quand il s’écrie : « Vous qui haïssez
jusqu’au mot vertu » (ibid.), je
ne puis m’empêcher de penser à Paul Valéry et à son « Rapport sur les prix
de vertu », à l’Académie française, en 1934 : « VERTU, Messieurs
[il n’y avait pas encore de femmes chez les Immortels], ce mot Vertu est mort, ou du moins, il se
meurt. Vertu ne se dit plus qu’à
peine. J’avoue ne l’avoir jamais entendu. Ou, plutôt, et c’est plus grave, les
rares fois où je l’ai entendu, il était ironiquement dit. Je ne me souviens
pas, non plus, de l’avoir lu dans les livres les plus lus et les plus estimés
de notre temps[130]. »
Ces cas, que l’on pourrait multiplier, nous justifient
de mettre en doute l’affirmation, déjà rapportée, du Catéchisme
de l’Église catholique, dont Joseph Ratzinger a présidé à la
rédaction : « Il ne convient pas d’opposer la conscience personnelle
et la raison à la loi morale ou au Magistère de l’Église » (# 2039). Si, il convient de le faire, je ne
dis pas toujours, ni souvent, mais parfois.
Chaque religion devrait faire son ménage. Mon
édition du Coran est préfacée par Mohammed Arkoun, un savant, à n’en pas
douter. Quand il enseigne comment lire le Coran, il insiste sur le langage
parfois symbolique et il donne l’exemple suivant : « Il faut en finir avec
la dérision du “ paradis d’Allah peuplé de houris lascives et où coulent
les rivières de vin, de miel ” », etc. Lire le Coran ou la Bible en
sachant que leur langage est parfois symbolique change bien des
interprétations.
Les avatars de la liberté
religieuse
Partout où il y a une religion d’État, tout autre
groupe qui veut s’imposer comme une religion rencontre des difficultés quasi
insurmontables. Je remonterai seulement aux Grecs. Socrate est accusé
d’incrédulité envers les dieux de l’État et de vouloir introduire d’autres
divinités ; partant, de corrompre la jeunesse du point de vue religieux, comme il le faisait du point de vue social et du
point de vue politique. Il est condamné à boire la ciguë.
Les empereurs romains persécutaient les chrétiens pour
défendre la religion de l’Empire, comme feront les chrétiens quand ils
détiendront le pouvoir. Les premiers chrétiens n’ont pas eu la vie facile. Dans
sa Supplique au sujet des chrétiens,
composée vers 177, Athénagore d’Athènes s’adresse à l’empereur Marc Aurèle et à
son fils Commode pour leur démontrer l’injustice de la délation dont sont
victimes les chrétiens, qu’on accuse d’idolâtrie, de cannibalisme et d’inceste.
Il s’attarde à prouver que les chrétiens ne sont pas des athées : ils ne
croient pas aux dieux de l’empire, mais ils croient « en Dieu »[131].
Ils ne sont pas des cannibales : le corps du Christ qu’ils mangent
n’est pas de la chair humaine. Ils ne sont pas incestueux parce qu’ils croient
que le genre humain descend d’un couple unique, ou parce que, dans les
assemblées, les femmes et les hommes ne sont pas séparés comme chez les juifs.
Constantin, empereur romain de 306 à 337, un génie
politique selon certains, percevait que le vent avait tourné, qu’il ne fallait
plus s’acharner contre les chrétiens. Son Édit de Milan, en 312, garantissait
la pleine liberté de leur culte, mais il entendait bien utiliser l’Église à ses
fins politiques. Les persécutés des premiers siècles devinrent persécuteurs à
leur tour, et les juifs furent leurs principales victimes. « Une histoire
de sang et de larmes », tel est le sous-titre qui introduit le récit des
malheurs des juifs dans Être chrétien de
Hans Küng[132].
Massacres de juifs en Europe occidentale pendant les trois dernières croisades
et extermination des juifs en Palestine ; anéantissement de trois cents
communautés juives dans l’Empire allemand en 1348-1349 ; expulsion des juifs
d’Angleterre en 1290, de France en 1394, d’Espagne en 1492 et du Portugal en
1497 », etc. Paul IV, pape de 1555 à 1559, ordonna de parquer dans des
ghettos tous les juifs de ses États et il les obligea à porter un chapeau jaune
pour qu’on les distinguât facilement.
Charlemagne (742-814) fut roi des Francs de 768 à 814
et empereur d’Occident de 800 à 814. À cette époque, aucune distinction n’est
observée entre le temporel et le spirituel. Charlemagne préside toutes les
grandes assemblées qui se tiennent sur le territoire de l’Empire, y compris les
conciles – seize durant son règne ; il légifère sur n’importe quelle question religieuse :
repos du dimanche, assiduité aux offices, rituel du baptême, discipline
monastique, etc. Des peines sévères frappent les contrevenants. La plus
courante est la peine capitale. S’y expose quiconque viole le jeûne du carême,
mange de la viande le vendredi ou refuse de se faire baptiser. Le « Crois
ou meurs » qui, dans ma jeunesse, stigmatisait les musulmans, convient
fort bien aux chrétiens.
Le IVe concile du Latran (1215) oblige les
juifs et les musulmans à porter un signe distinctif, qui variait d’un pays à un
autre. Quand les costumes ne distinguaient pas les adeptes de ces deux
religions, des chrétiens risquaient d’avoir des rapports sexuels avec des
femmes juives ou musulmanes. Il fallait éviter « le crime d’un tel mélange
maudit ». Pendant la semaine sainte, les juifs ne devaient pas sortir de chez
eux. Ils appartenaient au peuple « déicide ». Depuis Vatican II, on ne
parle plus du « peuple déicide ». Jean XXIII a fait modifier la
prière du Vendredi saint : « Prions pour les juifs perfides…» Elle
est devenue polie : « Prions pour les juifs à qui Dieu a parlé en
premier : qu’ils progressent dans l’amour de son Nom et la fidélité de son
Alliance. » En français, perfide
est une insulte ; en latin, le mot signifiait simplement que les juifs, comme peuple,
n’avaient pas accueilli la foi nouvelle, prêchée par Jésus. J’ai dit « comme
peuple », car beaucoup de juifs se firent baptiser. L’antisémitisme est
du « racisme dirigé contre les juifs » (Petit Robert). Mais, comme les Arabes sont des Sémites, il faut
dire antijudaïsme quand on ne parle
que des juifs.] Vatican II a exprimé un profond regret : « L’Église
[…] déplore les haines, les persécutions et toutes les manifestations
d’antisémitisme [d’antijudaïsme], qui, quels que soient leur époque et leurs auteurs
[souvent les chrétiens] ont été dirigés contre les juifs[133]. »
En 1864, le pape Pie IX dénonce, dans le Syllabus,
« quatre-vingts erreurs de notre temps », c’est-à-dire de son temps.
Condamnée l’erreur XV : « Il est libre à chacun d’embrasser et de
professer la religion qu’il aura considérée comme vraie d’après la lumière de
la raison. » Condamnée l’erreur XXI : « L’Église n’a pas le
pouvoir de définir dogmatiquement que la religion de l’Église catholique est
l’unique vraie religion. » Vatican II corrigera Pie IX : il affirmera
que chacun est libre de professer la religion de son choix ou de n’en professer
aucune et il reconnaîtra qu’il existe des « religions » non chrétiennes[134].
Condamnée l’erreur XXIV : « L’Église n’a pas le droit d’employer la
force. » Saint Augustin justifie l’emploi de la force :
« L’Église persécute par amour, et les impies par cruauté[135].
» C’est un peu facile comme justification. D’abord, Jésus a dit :
« Priez pour vos persécuteurs » (Mat 5, 44). Saint Bernard (1091-1153) a
prêché la deuxième croisade. Par son éloquence, le « docteur
melliflu » a levé des armées pour aller reprendre le tombeau du Christ
alors au pouvoir des mahométans. Pour lui, c’était la guerre sainte.
L’Inquisition médiévale fut instituée par le pape
Innocent III en 1199. Dans sa réglementation des châtiments à infliger aux
hérétiques, il excluait la peine de mort. Il fallait deux dénonciateurs pour
qu’une personne fût présumée coupable. Notre présomption d’innocence n’existait
pas encore. Quand Grégoire IX (1227-1241) donna une assise juridique au
tribunal de l’Inquisition, en 1231, celle-ci existait déjà et elle avait été
instituée pour combattre l’hérésie des Albigeois, dans le Midi de la France.
Commandés par Simon de Montfort, les croisés venus du Nord se livrèrent à des
atrocités dignes des barbares. Innocent IV (1243-1254) autorisa le tribunal de
l’Inquisition à faire appliquer la torture aux présumés coupables. Cependant,
« on ne devait pas leur couper un membre ou les conduire aux portes de la
mort ». Pour que cesse la torture, certains inculpés avouaient un crime
qu’ils n’avaient pas commis. L’ineffable Paul IV (1555-1559) autorisa le
tribunal de l’Inquisition à appliquer la torture aux témoins pour leur délier
la langue. Le 16 mars 1244, au pied de la forteresse de Montségur, 200
hérétiques, qui ont refusé de renier la foi cathare, montent volontairement sur
le bûcher. Cet événement marque la fin de la croisade contre les Albigeois.
Le pape Nicolas 1er (858-867) s’était élevé
contre l’usage de la torture, mais Innocent IV n’a pas tenu compte de l’opinion
de cet « illustre prédécesseur ». C’est au crépuscule du XVIIIe
siècle qu’un jurisconsulte milanais provoqua un mouvement d’opinion qui
entraîna la suppression de cette pratique barbare.
Dans la II-II, q.
Les guerres de religion en France, ce sont huit
conflits qui ont sévi pendant la seconde moitié du XVIe siècle. Ils
opposaient les catholiques aux protestants calvinistes, désignés également du
nom de huguenots. Les premières persécutions commencent dans le premier quart
du siècle et se poursuivent, entrecoupées de périodes de paix, jusqu’à la fin.
La Saint-Barthélemy est tristement célèbre. Il s’agit d’un massacre de
protestants perpétré à Paris, dans la nuit du 23 au 24 août 1572, et qui se
poursuivit en province jusqu’en octobre. L’édit de Nantes, signé par Henri IV,
en 1598, accordait un statut légal aux protestants. Mais, en 1685, Louis XIV
révoquait cet édit et supprimait tous les avantages accordés par Henri IV.
Marie Tudor (1516-1558), fille aînée d’Henri VIII, fut
reine d’Angleterre de 1553 à 1558. Fervente catholique, elle réconcilie son
royaume avec l’Église catholique et fait exécuter de nombreux protestants. Les
premières exécutions ont lieu en 1555. En 1556, elle fait exécuter sur le
bûcher, comme hérétique, nul autre que le premier archevêque anglican de
Cantorbéry, Thomas Cranmer. Les persécutions continuent jusqu’à sa mort en
1558. Elles lui valurent le surnom de Bloody
Mary, que lui collèrent les anglicans
– en français, Marie la Sanglante.
En 1630, Galilée abjure son erreur. Dans Jésus parlait araméen, Éric Edelmann
résume en ces termes le texte que Galilée a lu devant le tribunal de
l’Inquisition : « Moi, Galilée, étant dans ma soixante-dixième année,
prisonnier agenouillé, et devant vos Éminences, ayant devant les yeux le Saint
Évangile sur lequel j’appose mes mains, j’abjure, maudit et déteste l’erreur et
l’hérésie du mouvement de la terre[136]. »
Selon les Éminences, Josué avait arrêté le soleil de tourner autour de la terre
et non la terre de tourner sur elle-même. En 1981, Jean-Paul II nomme une
commission pour qu’elle étudie le problème – 351 ans après la condamnation. Le
rapport est déposé le 31 octobre 1992. Le cardinal Poupart, président de la
commission, déclare, en conclusion de son exposé devant l’Académie pontificale
des sciences : « Cette erreur subjective [sic] de jugement, si claire pour nous aujourd’hui, les [les membres
du tribunal de l’Inquisition] conduisit à une mesure disciplinaire dont Galilée
“ eut beaucoup à souffrir ”. Il faut loyalement reconnaître ces
torts. » Une erreur « subjective » !
Les membres du tribunal de la Sainte Inquisition
prenaient à la lettre le texte suivant du livre de Josué (10, 12-13) :
« Josué s’adressa à Yahvé et dit, en présence d’Israël : “ Soleil,
arrête-toi sur Gabaôn, et toi, lune, sur la vallée d’Ayyalôn ! ” Et le
soleil s’arrêta, et la lune se tint immobile jusqu’à ce que le peuple se fût
vengé de ses ennemis. Cela n’est-il pas écrit dans le livre du Juste ? Le
soleil se tint immobile au milieu du ciel et près d’un jour entier retarda son
coucher. » Le cardinal Cesare Baronius (1538-1607) n’était pas le seul à penser
que « l’intention du Saint-Esprit est de nous enseigner comment on va au
ciel et non comment va le ciel[137]. »
Il avait prononcé cette parole de sagesse bien avant la condamnation de 1630.
De nos jours, la liberté religieuse est loin d’être
acquise. Les médias nous rapportent régulièrement des heurts entre les groupes
religieux ou entre un groupe religieux et le gouvernement de son pays. Inutile
de donner des exemples ; ils sont bien connus. Mais il ne faut pas oublier que
la liberté religieuse a des limites. Voici ce que dit Vatican II à ce
sujet : « C’est dans la société humaine que s’exerce le droit [je
dirais plutôt la liberté] en matière religieuse, aussi son usage est-il soumis
à certaines règles qui le tempèrent[138]. »
« … la société civile a le droit de
se protéger contre les abus qui pourraient naître sous prétexte de liberté
religieuse, c’est surtout au pouvoir civil qu’il revient d’assurer cette
protection ; ce qui ne doit pas se faire arbitrairement […], mais selon des
normes conformes à l’ordre moral objectif[139]. »
Conclusion
Thomas d’Aquin place la religion parmi les vertus annexes à la justice. Pour ce faire, il
rappelle d’abord que la justice se rapporte à l’autre, à autrui, elle est ad
alterum. Il s’ensuit donc que toutes les vertus qui se rapportent à autrui
peuvent être considérées comme des vertus annexes à la justice, vertu morale,
et donc des vertus morales elles aussi. Pour lui, la religion est une vertu
morale.
Il y a d’une part les
croyances, d’autre part le culte que chacun rend à son Dieu. Chez les Grecs, c’était
Zeus ; chez les Romains, Jupiter, chez les juifs, Jéhovah ou Iahvé, chez
les musulmans, Allah, etc. Le culte peut être intérieur et extérieur. Un croyant peut parler à son dieu sans que
personne de son entourage ne s’en aperçoive. Il peut prier son dieu, solliciter
son aide, le remercier, lui témoigner son amour, lui demander pardon, etc. À ce
niveau, il n’y a pas de contrainte possible : les actes indétectables sont
incontrôlables.
Et ce sont les
actes du culte intérieur qui sont essentiels à la pratique religieuse ; les
actes du culte extérieur sont secondaires, mais ce sont eux qui soulèvent des
problèmes. Par exemple, quand les adeptes d’une religion veulent que le gouvernement
satisfasse aux exigences de leur pratique censément religieuse. Il faut tenter
de faire comprendre à tout le monde que la liberté de religion ne s’étend pas
au culte extérieur. Bref, personne ne peut imposer de la morale au nom de sa
religion, ni aucune pratique extérieure interdite par les lois du pays. Thomas
d’Aquin le justifie en montrant que la religion est une vertu morale,
c’est-à-dire une activité réglée par la raison. La liberté de religion que les
chartes accordent n’inclut pas le culte extérieur.
La liberté religieuse a des limites, affirme Vatican
II : « C’est dans la société humaine que s’exerce le droit [la
liberté] en matière religieuse, aussi son usage est-il soumis à certaines
règles qui le tempèrent[140].
» «… la société civile a le droit de se protéger contre les abus qui pourraient
naître sous prétexte de liberté religieuse, c’est surtout au pouvoir civil
qu’il revient d’assurer cette protection ; ce qui ne doit pas se faire
arbitrairement […], mais selon les normes conformes à l’ordre moral
objectif [141].
»
[1] Op. cit., Gallimard, Idées 9, 1945, p. 84.
[2] Annales, tome I, Paris, Les Belles Lettres, 1974, III, ch. 25, p. 162-163).
[3] Pensées, Paris, Nelson, 1949, section V, 319.
[4] Op. cit., Paris, Gallimard, Le Livre de Poche 3, 1958, p. 31-32.
[5] De la démocratie en Amérique, Paris, Gallimard, 1961, tome II, p. 101.
[6] Aristote, Éthique de Nicomaque, Paris, Garnier, 1961, V, ch. IV, 9.
[7] Cicéron, De la vieillesse, de l’amitié, des devoirs, Paris, Garnier-Flammarion, GF 156, p. 188.
[8] Propos d’un Normand, (1906-1914), tome I, CVIII, p. 205.
[9] Les Confessions, Paris, Garnier, GF 21, 1964, XI, ch. 20, p.270.
[10] Op. cit., Paris, Lethielleux, 1923, p. 11-12.
[11] Somme théologique, I, q
[12] Victor Hugo, La Légende des
siècles, La conscience.
[13] Le Phénomène humain, Paris, Seuil, 1955, p. 159.
[14] Éthique de Nicomaque, Classiques Garnier, 1961, II, ch. VI, 14.
[15] La Prudence, Éditions de la Revue des Jeunes, Paris, Tournai, Rome, 1949, p. 501.
[16] Lettres à Lucilius, Paris, Garnier, 1954, tome III, CXVI.
[17] Œuvres, Gallimard, Pléiade, tome I, p. 72.
[18] Ibid., p. 287.
[19] Antoine de Saint-Exupéry, Œuvres, Gallimard, Pléiade, 1953, p. 421.
[20] Op. cit., Éditions de la Revue des Jeunes, tome premier, Paris, Tournai, Rome, 1928, p. 253.
[21] La Cité de Dieu, XIV, ch. 9.
[22] La Cité de Dieu, XIV, ch. 9.
[23] Cicéron, Tusculanes, Paris, « Les Belles Lettres », tome II, 1960, IV, ch. XVII, p. 73.
[24] Ibid., ch. XIX,.
[25] Sénèque, De la colère, Paris, « Les Belles Lettres », 1951, I, ch. XVII.
[26] Aristote, Rhétorique, II, ch. 4.
[27] Op. cit., acte IV, scène 4.
[28] Coran, sourate XXIV, 2.
[29] Aristote, Éthique de Nicomaque, Paris, Garnier, 1961, VI, ch. IX, 2.
[30] Alain, Philosophie, Paris, PUF, 1955, tome second, p. 6.
[31] Éthique de Nicomaque, III, ch. VII, 10.
[32] La Vertu de force, Paris, PUF, 1957, p. 80.
[33] II-II, q.
[34] Philosophie, Paris, PUF, tome second, 1955, p. 38.
[35] Philosophie, Paris, PUF, tome premier, 1954, p. 127.
[36] L’Avenir de l’homme, Paris, Seuil, 1959, p. 184-185.
[37] Cahiers, Paris, Grasset, 1951, p. 3.
[38] Op. cit., Paris, PUF, 1951, p. 24-25.
[39] Discours de la méthode, Montréal, Variétés, p. 21.
[40] Op. cit., Paris, Nelson, 1949.
[41] Op. cit., section II, 87.
[42] Op. cit., section II, 92.
[43] Op. cit., section II, 93.
[44] Op. cit., section II, 94.
[45] Op. cit., Plon, Mame, 1994, p. 279-280.
[46] Dialogue entre un philosophe, un juif et un chrétien, dans Œuvres choisies d’Abélard, Paris, Aubier, 1946, p 216-217.
[47] Discours de la méthode, Montréal, Variétés, 1947, p. 25.
[48] Op. cit., Paris, Flammarion, 2007, p. 113.
[49] Hans Küng, Être chrétien, Paris, Seuil, Points 284, 1978, p. 99-100.
[50] Les seize documents conciliaires, Montréal & Paris, Fides, 1967, p. 36.
[51] Pascal, Pensées, section VII, 555.
[52] Commentaire de l’Éthique de Nicomaque, I, leçon 1, 11.
[53] Jésus de Nazareth, p. 113.
[54] La philosophie morale de saint Thomas d’Aquin, Paris, Aubier, 1946, p. 390.
[55] Op. cit., # 2039.
[56] De Veritate, q.
[57] De Vetitate, q.
[58] Op. cit., # 2039.
[59] Op. cit., Montréal, Novalis, 2013, p. 57.
[60] Ibid., p. 64.
[61] Op. cit., Québec, 1958, p. 113.
[62] Op. cit., Paris, Bayard, 1994, p. 22.
[63] Les seize documents conciliaires, p. 225.
[64] Commentaire de l’Éthique de Nicomaque, VII, leçon 5, 1374.
[65] Léon-Joseph Suenens, Amour et Maîtrise de soi, Desclée de Brouwer, 1960, p. 92-93
[66] Op. cit., Montréal, Novalis, 2013, p. 62-63.
[67] Jean Mathieu-Rosay, La véritable histoire des papes, Paris, Granger, p. 133.
[68] Jean Mathieu-Rosay, La véritable histoire des papes, p. 133.
[69] Commentaire de la Politique d’Aristote, II, leçon 14, 314.
[70] Charles Péguy, L’Argent suivi de L’Argent (suite), Paris, Gallimard, 1932, p. 217.
[71] La Considération, Montréal, Valiquette, p. 168.
[72] Ibid., p. 119.
[73] Ibid., p. 146.
[74] Ibid., p. 144-145.
[75] Abbé Pierre, Testament, p. 101.
[76] Testament, p. 110.
[77] Ibid..
[78] Les seize documents conciliaires, p. 47-48.
[79] De Veritate. q.
[80] Somme contre les Gentils, 3, ch. 122.
[81] Op. cit., Éditions du Jour, 1973, p. 54.
[82] La Documentation catholique, 19 juin 1994, no 2096.
[83] Giancarlo Zizola, Le Successeur, Paris, Desclée de Brouwer, 1995, p. 184.
[84] 1 Tim 2, 12, traduction de la Bible de Jérusalem.
[85] Les seize documents conciliaires, p. 628-629.
[86] Jean Mathieu-Rosay, La véritable histoire des papes,Paris, Granger, p.224.
[87] La Considération, Montréal, Valiquette, p. 145.
[88] Jean Mathieu-Rosay, La véritable histoire des papes, Paris, Granger, 1991, p. 256.
[89] La Philosophie morale de saint Thomas d’Aquin, Paris, Aubier, 1946, p. 390.
[90] Hans Küng, Mon Combat pour la
liberté, Ottawa, Novalis, 2006, p. 525.
[91] Op. cit., livre VII, XI.
[92] Somme contre les Gentils, 3, ch. 122.
[93] Ibid., 3, ch. 3.
[94] Commentaire de la Métaphysique, III, leçon 1, # 339.
[95] Charte des droits et libertés de la personne, Québec, a. 4.
[96] La Philosophie morale de saint Thomas d’Aquin, p. 390.
[97] De Veritate, q.
[98] Ibid., a. 5.
[99] Philosophie, tome second, Paris, PUF, p. 234.
[100] Op. cit., Fayard, 1987, p. 384.
[101] Op. cit., Gallimard, Tel 221, 1989, VI, VIII,
18.
[102] Ibid., 1986, VII, VIII, 7.
[103] Dictionnaire philosophique, Paris, Garnier-Flammarion, GF 28, 1964, p. 328.
[104] Les seize documents conciliaires, p. 560.
[105] Thomas d’Aquin, De Virtutibus
in communi, q.
[106] Hans Küng, Être chrétien, p. 458.
[107] Discours de la méthode, Montréal, Variétés, p. 13.
[108] Œuvres complètes, Paris, Vivès, tome 4, lettre LV, p. 480-481.
[109] Éthique de Nicomaque, V, ch. IX, 14.
[110] Dictionnaire philosophique, GF 28, p. 374.
[111] Marie-Pierre Bussières, À l’Écoute des Pères de l’Église, Montréal, Médiaspaul, 2010, p. 116.
[112] Héloïse et Abélard, Lettres, Paris, coll. 10-18, 188-189, 1964, p. 224.
[113] Revue Maintenant, no 33, Montréal, septembre 1964.
[114] Héloïse et Abélard, Lettres, p. 233-234.
[115] La Considération, Montréal Valiquette, p. 166-167.
[116] Op. cit., Fayard, 1985, p. 94.
[117] Les Confessions, X, ch. 30.
[118] Joie de croire, joie de vivre, Le Centurion, 1981, p. 170.
[119] Op. cit., I, leçon 1, 11.
[120] Testament, p. 88.
[121] Les Confessions, I, VII.
[122] Les seize documents conciliaires, p. 36.
[123] Quodlibet 6, q.
[124] Somme contre les Gentils, 4, ch. 54.
[126] Éthique de Nicomaque, II, ch. 1, 3.
[127] Lettres à Lucilius, CVIII.
[128] Le Milieu divin, Paris, Seuil, 1957, p. 86.
[129] De la vie heureuse, XIX, 3.
[130] Œuvres, Paris, Gallimard, Pléiade, tome I, p. 939-940.
[131] Marie-Pierre Bussières, À l’Écoute des pères de l’Église, p. 30.
[132] Op. cit., p. 185-186.
[133] Les seize documents conciliaires, p. 553.
[134] Ibid., p. 36.
[135] Œuvres complètes, Paris, Vivès, lettre 185.
[136] Op. cit., p. 47.
[137] Revue d’histoire des sciences et de leurs
applications, tome XVII, PUF, 1964, p. 346.
[138] Les seize documents conciliaires,
p. 562.
[139] Ibid.
[140] Les seize documents conciliaires, p. 562.
[141] Ibid.