IN PONTIFICIA FACULTATE
THEOLOGICA ²M A R I A N U M²
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P. Jean-Louis Barré S.M.
LA MISSION DE LA VIERGE MARIE
D’APRES LES ECRITS
D’EMILE NEUBERT S.M.
(1878-1967)
Tesi di Laurea in Sacra Teologia
con specializzazione in Mariologia
ROMA – 2007
DISSERTATIONES AD LAUREAM IN PONTIFICIA FACULTATE
THEOLOGICA ²M A R I A N U M²
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Vidimus et approbamus
Romae, ex aedibus Pontificiae Facultatis Theologicae
« Marianum »
die 08/06/2007
Prof. ERMANNO M. TONIOLO,
o.s.m.
Prof. TIZIANO M. CIVIERO,
o.s.m.
Visage de l’Eglise, ô Marie de
l’Agneau !
Justesse de la vie et chaleur du
Cénacle,
Maison de Dieu, navire, immense
Tabernacle,
Fidélité, douceur, écrin de notre
anneau,
Sois bénie à jamais !
Père Bernard Gillard
Profondeur
Mariale, Salvator,
Mulhouse, 1990, p. 120.
A « Marie qui défait les nœuds »
et au Père Raymond Halter s.m. (1925-1998),
en action de grâces.
Ce livre est
ma thèse de doctorat en théologie mariale que j’ai eu l’honneur de soutenir à
l’Université Pontificale Le Mariamum à Rome
Je veux
adresser tous mes remerciements aux “compagnons” de route avec qui mûrit mon
amour, ma connaissance et mon service de la Vierge Marie - grâce à eux,
ces travaux de théologie spécialisée sur la figure de la Vierge Marie, ont pu
progresser au fil des ans - à l’école primaire saint Etienne de Besançon
(France), au petit séminaire montfortain de Pelousey, aux foyers de Charité de
La Roche d’Or, Chateauneuf de Galaurre et La Flatière, à l’Institut carmélitain
de Notre Dame de Vie. Je remercie
surtout les professeurs de la Faculté du Centre Sèvres à Paris, puis ceux de la
Faculté du Marianum, dont le père Ermanno M. Toniolo directeur du Centre de
Culture Mariale « Madre della
chiesa» (Rome), et le regretté Père Igniazio M. Callabuig qui m’a initié à
la lectio divina.
Je souhaite
remercier également la Famille marianiste, grâce à qui j’ai fait alliance avec
Marie le 28 octobre 1992, à la chapelle de la Madeleine à Bordeaux, berceau de
la Société de Marie.
Un
remerciement plein de gratitude pour mes amis, si proches du cœur de Marie,
tels le Père Bernard Gillard et Denise Capelli, et en particulier ceux qui
m’ont permis d’enrichir cette étude par leurs précieuses critiques et leurs
compétences personnelles dont le Père François-Marie Léthel ocd qui m’a ouvert
des perspectives dans la théologie des saints.
P. Jean-Louis
Barré, s.m.
Qui était Emile Neubert ? Un prêtre
marianiste français, petit de taille, à la corpulence fragile, modeste et
humble. Il était alors étudiant en théologie dans la perspective du sacerdoce,
quand un médecin annonce à ses supérieurs qu’il poura pas poursuivre ses études
à cause de son état de santé général. Au contraire, durant sa longue existence,
il devient le plus considéré et le plus fameux théologien marial de la Société
de Marie, fondée par le bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade.
Connu dans le monde entier à travers ses
écrits, Emile Neubert peut être considéré comme l’un des acteurs de cette
mariologie qui, aujourd’hui, s’impose par son caractère rigoureux et
scientifique. Cependant elle ne s’extrait pas de la compréhension de la vie des
simples fidèles. Quarante années se sont écoulées depuis sa mort, mais sa
figure et son œuvre restent toujours vivantes dans le souvenir de ses confrères
marianistes, parce que ce fut lui qui, par sa vie et son activité de
théologien, comme écrivain et éducateur, a interprété fidèlement la
spiritualité mariale du bienheureux Chaminade et l’a diffusée au delà des
congrégations que celui-ci avait fondées.
Le nom de Neubert fait penser quasi
instinctivement à la Mère du Seigneur. On peut dire que dans ses innombrables
publications, tout est exprimé en clef mariale. Le cardinal Richaud disait de
lui qu’il possédait un vrai charisme pour parler de la Vierge Sainte ; le
Cardinal Suenens le définissait comme « un pionnier de la théologie
mariale mise à la portée de tous et insérée dans la vie pratique. » C’est
ainsi que fut Emile Neubert et c’est tel, que nous aimons nous souvenir de lui
en lisant ses œuvres de doctrine et spiritualité mariale qui continuent à
susciter enthousiasme et consensus.
Or, nous avons la chance d’avoir entre
les mains une publication étendue et approfondie de sa pensée. Jean-Louis Barré
S. M., avec sa thèse de doctorat, nous offre une étude qui parcourt amplement
toutes les œuvres d’Emile Neubert et il nous guide pour reprendre les lignes principales
et les plus évidentes de sa théologie mariale.
Le travail de Jean-Louis Barré présente
en un certain sens un long itinéraire que le même Neubert a parcouru pour
atteindre à sa pleine maturité comme théologien et maître de vie spirituelle.
Ceci apparaît déjà par l’autobiographie qui est prise opportunément en
considération au début de l’ouvrage.
Les fondements sont aussi les
désillusions du contexte théologique et culturel dans lequel a mûri la vocation
de Neubert pour l’étude de la mariologie. Ce dernier a bien compris qu’un
engagement dans l’approfondissement des sources historiques du christianisme
n’était pas superflu, par le fait que beaucoup de ces sources nécessitaient des
recherches ultérieures et des vérifications plus sures. Neubert concrétisa cet
engagement d’investigation historique dans sa dissertation d’accès au doctorat Marie dans l’Eglise anténicéenne. Par
ailleurs, dans le second chapitre Jean-Louis Barré passe en revue les auteurs
et courants de pensée qui peuvent avoir influencé directement ou indirectement
la formation culturelle et mariale de Neubert.
Le chapitre trois sur les traces de Marie dans le dogme, s’attache à la
théologie proprement dogmatique au sujet de la Mère de Dieu, élaborée par
Neubert. Il le fait avec abondance d’exposé et une enquête nourrie. Le chapitre
quatre, se référant au petit volume Mon
Idéal : Jésus Fils de Marie, qui est un véritable chef-d’œuvre de
spiritualité mariale montre comment Neubert offre aux fidèles, dans la personne
de la Mère de Dieu, une guide précieuse et enthousiasmante pour cheminer en
sécurité sur la voie de la sainteté chrétienne.
Pour conclure, Jean-Louis Barré, dans le
chapitre cinq, cherche à faire un bilan de la réception qui, aujourd’hui
encore, est réservé aux écrits de Neubert et des fruits spirituels qu’ils
produisent non seulement parmi les fils spirituels du bienheureux Chaminade
mais dans l’Eglise entière. Le prouvent entre autres, les traductions en de
multiples langues dans lesquelles les œuvres d’Emile Neubert furent publiées.
Le travail de Jean-Louis Barré se
présente avec les meilleures lettres de créance pour obtenir la bienvenue de la
part des religieux marianistes, des spécialistes en mariologie et des fidèles
qui réservent une place particulière à la Vierge Sainte dans leur chemin vers
la plénitude de la vie chrétienne, qui est Jésus Fils de Marie.
Luigi Gambero
s.m.
Rome, le 16
juin 2007
Mémoire du
Cœur Immaculé de Marie.
TABLE DES MATIERES
UN
APOTRE MARIAL DES TEMPS MODERNES
I.1.2 Postulat de Bourogne
1892-1894
I.1.3 Noviciat de Courtefontaine
1894-1895
I.1.5 Caudéran, Monceau,
Stanislas, 1900-1903
I.1.6 Séminaire de Fribourg
1903-1907
I.1.8 Retour en Europe :
Strasbourg - Fribourg 1921-1949
I.1.9 Grangeneuve - La Tour de
Sçay 1949-1962
I.1.10 Retraite à Art-sur-Meurthe
1962-1967
I.2 Eléments de relecture théologique
I.3.1 Contexte pastoral et
ecclésial
I.3.2 Principales publications
LA
MARIOLOGIE EN FRANCE AU DEBUT DU XXe
SIECLE
II.1.1 Aperçu historique global
II.1.2 Aperçu historique ecclésial
II.1.3 Aperçu historique
mariologique
II.2 Etudes préliminaires en vue de sa thèse
II.3 La double influence de Montfort et de Chaminade
II.3.1 Saint Louis-Marie Grignion
de Montfort 1673-1716
II.3.2 Le bienheureux
Guillaume-Joseph Chaminade 1761-1850
MARIE
DANS LE DOGME ET LA PIETE SELON
L’APPROCHE D’EMILE NEUBERT
III.1.2 Appuis de la Tradition
III.1.3 Développements théologiques
III.2.2 Appuis de la Tradition
III.2.3 Développements théologiques
III.3.2 Appuis de la Tradition
III.3.3 Développements théologiques
III.3.4 L’Immaculée Conception
III.4.2
Appuis de la Tradition
III.4.3
Développements théologiques
III.5 La maternité spirituelle de Marie
III.5.2
Appuis de la Tradition
III.5.3
Développements théologiques
III.5.4 Vénération et invocation
III.6.1
L’aspect sacerdotal de la mission de Marie
III.6.3 La mission apostolique de
Marie
LA
VALEUR APOSTOLIQUE
DE MON IDEAL JESUS FILS DE MARIE
IV.1 Réception ecclésiale et
valeur doctrinale de
Mon idéal, Jésus Fils de Marie
IV.1.1 L’inspiration directrice et
sa réception
IV.1.2 Mon idéal comme
synthèse de l’enseignement du Père Emile Neubert
IV.2 Prolonger la relation de Jésus pour Marie : un
christocentrisme dynamique
IV.2.1 Le Mystère de l'Incarnation
jusqu’à la Croix rédemptrice
IV.2.2 Marie, Mère de l’Eglise,
Corps Mystique du Christ
IV.3 La mission de Marie et de l'Eglise
IV.3.2 L’aspect missionnaire de la
lutte contre le mal et de la victoire du bien
RELECTURE
ET PERSPECTIVES ACTUELLES
V.1 Réception et évolution de l’œuvre
V.2 L’influence de l’œuvre dans la Société de Marie et dans l’Eglise
V.3 L’œuvre dans le regard de Vatican II
L’héritage
d’une impulsion apostolique
mariale
AA.VV. |
Auteurs variés |
AAS |
Acta Apostolicae Sedis |
AdM |
L’apôtre de Marie |
AmiCl |
Ami du clergé |
ASS |
Acta Sanctae Sedis |
Autobiographie |
Emile Neubert, Autobiographie
d’Emile Neubert
(manuscrit) |
Cah. Mar. |
Les Cahiers Marials |
Cah. N-D |
Les Cahiers Notre-Dame |
CEC |
Catéchisme de l’Eglise catholique |
De
la découverte |
Emile Neubert,
De la découverte progressive des grandeurs
de Marie. Application au dogme de l'Assomption, Paris, 1951. |
DSp |
Dictionnaire de Spiritualité Ascétique et Mystique |
EF |
Collectif, L’Esprit de
notre Fondation d’après les écrits de M. Chaminade et les documents primitifs
de la Société, Nivelles, 1910. |
El Pilar |
Revue mariale espagnole |
EM I et II |
Guillaume-Joseph Chaminade, Ecrits
Marials I et II, Marianistes, Fribourg, 1966. |
EphMar |
Ephemaeridae
Mariologicae |
EtMar |
Etudes Mariales |
EtLi |
Etudes Liturgiques |
Jarc |
Gerald Jarc, Emile Nicholas Neubert, The living example of
the spirit and works of the Society of Mary, monograph, University of Dayton, 1960. |
Koehler |
Theodore
Koehler, «Le Père Emile Neubert (1878-1967), Marianiste», in Eph. Mar 17, (1967). |
La
doctrine |
Emile Neubert,
La
doctrine mariale de Monsieur Chaminade,
Paris, 1937. |
La
Mission |
Emile Neubert,
La
mission apostolique de Marie et la nôtre,
Paris, 1956. |
LG |
Constitution dogmatique Lumen
Gentium |
LV |
Lumen Vitae |
Marie
dans l’Eglise anténicéenne |
Emile Neubert,
Marie
dans l'Eglise anténicéenne, Gabalda, Paris, 1908. |
Marie
dans le dogme 1933 |
Emile Neubert,
Marie
dans le dogme, Paris, 1933. |
Marie
dans le dogme 1954 |
Emile Neubert,
Marie
dans le dogme, Paris,
1954. |
Marie
et notre sacerdoce |
Emile Neubert, Marie et
notre sacerdoce,
Spes, Paris, 1952. |
MC |
Exhortation apostolique
Marialis Cultus. |
Mon
Idéal |
Emile Neubert,
Mon
Idéal, Jésus Fils de Marie, Canada,
2003. |
Notre
Don 1954 |
Emile Neubert,
Notre
Don de Dieu,
Paris/Tours, 1954. |
Notre
Mère |
Emile Neubert,
Notre
Mère : Pour la mieux connaître,
Le Puy, 1941 |
NMI |
Novo Millennio Ineunte |
NRM |
Nouvelle Revue Mariale |
NRTh |
Nouvelle Revue Théologique. |
PG |
Jacques-Paul Migne, Patrologiae cursus completus. Series
graeca. Paris, 1857 ss |
RAM |
Revue d’Ascétique et de Mystique |
RDT |
Revue de Dogme et de Théologie |
RET |
Revista Española de Teología |
RfR |
Review
for Religious |
RSPhTh |
Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques |
RSR |
Revue des Sciences Religieuses |
RThom |
Revue
Thomiste |
Sal. |
Salesianum |
SC |
Sources
Chrétiennes |
ST |
Summa
Theologiae |
Un prêtre |
Emile Neubert, Un prêtre de Marie. Le Père Joseph Schellhorn, Paris, 1948. |
Vie |
Emile Neubert, Vie de Marie, Mulhouse, Salvator, 1936. |
VS |
Vie
Spirituelle |
Le Père Emile Neubert (1878-1967), au début du
vingtième siècle, fut l’un des premiers théologiens qui ouvrit le chemin de la
recherche patristique sur la Vierge Marie. Sa thèse Marie dans le dogme de l’Eglise anténicéenne fut remarquée dès sa
soutenance en 1907. Ce jeune théologien, un des précurseurs du renouveau
patristique en France, sera couronné d’un diplôme d’honneur anniversaire, le 7
mars 1966, par la Faculté Théologique de l’Université de Fribourg pour cette
thèse. Elle est encore aujourd’hui reconnue comme un jalon important dans les
études mariales. «C’était la première thèse patristique consacrée à la
Mariologie dans nos Facultés[1].» Publiée en 1908,
elle inaugurait une série de parutions de livres et d’articles, comme un
fondement scripturaire et patristique solide, gage d’une recherche inlassable
de l’auteur en vue d’unir «ses vues doctrinales et spirituelles qui étonnent
lorsqu’on lit ses ouvrages[2].» Ce que souligna
le Père Théodore Koehler, dans sa courte note biographique pour la revue Ephemerides
Mariologicae, en 1967, elle précédait une première présentation
bibliographique de l’auteur décédé la même année.
Dans le milieu populaire, c’est par un tout autre
ouvrage, différent pour le style et la forme, qu’Emile Neubert sera peu à peu
mondialement connu : Mon idéal,
Jésus Fils de Marie. Un traité qui, par la réception du grand public, le
mit en bonne position avec d’autres grandes œuvres mariales populaires très
célèbres comme Le Traité de la vraie
Dévotion de saint Louis-Marie Grignion de Montfort et Les gloires de Marie de saint Alphonse de Liguori.
Héritier de l’enseignement du fondateur de la
Société de Marie, le Père Chaminade, Emile Neubert par son petit livre Mon idéal, Jésus Fils de Marie nous
présente, dans une sorte de petit « traité de spiritualité
missionnaire », une véritable pédagogie du cheminement vers la sainteté,
un itinéraire de vie chrétienne où Jésus et Marie s’adressent à tous les
baptisés sous le mode d’une relation interpersonnelle. Traduit en plus de
cinquante langues, cet ouvrage en format de poche inspira des millions de
chrétiens, dont saint Maximilien Kolbe et Frank Duff.
Emile Neubert, après ce petit chef-d’œuvre de
spiritualité mariale, approfondira, écrira sur la mission de Marie et la nôtre
dans un souci d’évangélisation.
D’autres ouvrages et articles publiés sont autant de
sources à ajouter pour notre étude. Elle cherche à faire apparaître la
théologie spécialisée sur Marie dans le corpus
«neubertien», dont le fameux Traité Mon
idéal, Jésus Fils de Marie constitue l’ouvrage-clef. Les demandes de
rééditions expriment une attente de nos contemporains en recherche de «maîtres
spirituels» et de «chemins de spiritualité».
Dans le sillage de l’œuvre écrite d’Emile Neubert,
une réponse nouvelle à cette attente devrait « promouvoir une dévotion
enracinée dans les exigences doctrinales de la foi[3].»
Cette thèse que nous soumettons devrait permettre de
jeter les fondations en vue de la béatification d’Emile Neubert, mais notre
réflexion ne s’arrête pas à ce seul point.
Nous avons eu, durant toutes nos recherches, la
matière intellectuelle et spirituelle rejoignant notre intuition première. Nous
pressentions, en effet, que sa pensée théologique et spirituelle possède, soit
de manière approfondie soit à peine effleurée, des éléments qui nous
permettent, dans la continuité du Concile Vatican II et de la pensée mariale de
Jean-Paul II, d’œuvrer au renouvellement de la mariologie.
Les grandes intuitions d’Emile Neubert se trouvent
en gestation à l’intérieur de son discours. Si elles venaient à être reprises
dans une mise en relief de toute la théologie «neubertienne», nous aurions
alors la matière originale pour apporter son concours - post mortem - à la
maturité du Concile Vatican II dans ses applications pastorales et à l’œuvre
indispensable de l’œcuménisme.
Il nous semble, avec autant d’audace que d’humilité,
pouvoir solliciter le regard de l’Eglise sur l’évidente sainteté d’Emile
Neubert, lui qui décida dans son enfance de «ne plus commettre de péchés
véniels volontairement» afin de ne pas mettre en peine Marie dont il se fit
serviteur pour complaire à son Maître et Sauveur, Jésus-Christ.
Méthode
d’étude de l’œuvre
Un premier chapitre nous permettra de faire
connaissance avec l’auteur. Il découvre son évolution personnelle, surtout dans
ses plus jeunes années, dont il entreprit une relecture dans son
autobiographie, commencée à l’âge de quatre-vingts ans, à la demande de son
supérieur de communauté. Nous situerons mieux la signification de son message
par ses engagements apostoliques comme prêtre dans la Société de Marie et, par
ses écrits, durant toute sa vie où il fut connu essentiellement comme
professeur de théologie et membre de sociétés mariales. Les principales
publications seront brièvement présentées avec leurs recensions, elles
donneront des repères de l’ensemble de son œuvre.
Un deuxième chapitre nous présentera la mariologie
en France au début du XXe siècle après un aperçu ecclésial puis
mariologique en se référant aux siècles précédents. Il tiendra compte de
l’évolution historique globale en Occident. Ensuite, après avoir repéré les
influences immédiates qu’il reçut, à l’époque de la rédaction de sa thèse, nous
ferons une relecture succincte de la double influence essentielle de Louis-Marie
Grignion de Montfort et surtout de Guillaume-Joseph Chaminade.
Un troisième chapitre nous donnera un aperçu des
thématiques majeures de sa mariologie dans le dogme et le culte. Nous suivrons,
par ces différentes thématiques liées à Marie, les fondements bibliques et
patristiques de son enseignement dans l’ensemble de son œuvre. Nous
découvrirons la mission maternelle et apostolique de Marie dans sa vision
théologique.
A la suite de cette approche d’ensemble de l’œuvre,
nous découvrirons, dans le quatrième chapitre, l’originalité du petit Traité Mon Idéal, Jésus Fils de Marie. Cette
relecture se fera à la lumière du chapitre De
beata de Lumen Gentium. Sous une
forme souple et un mode de transmission original, Emile Neubert nous offre les
fruits d’une pensée construite avec une mentalité mariale renouvelée dont les
autres œuvres nous dévoilent les arrières-fonds théologiques, patristiques,
bibliques, anthropologiques […] La réception internationale de Mon idéal, Jésus Fils de Marie nous fera
rechercher les raisons pour lesquelles ce petit traité est beaucoup plus qu’une
simple dévotion.
Un cinquième chapitre abordera la question de la
réception de son œuvre, de son influence dans la Société de Marie et plus
largement dans l’Eglise. En lien avec les textes du Concile Vatican II et ceux
de l’après-Concile, à la suite d’un bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade et
de saint Louis-Marie Grignion de Montfort mieux connu, nous ferons une
relecture critique de toute son œuvre.
Nous possédons deux
biographies écrites par ses anciens élèves, l’une rédigée de son vivant par
Gerald Jarc[4] l’autre, par le Père Théodore Koehler[5] pour la revue Ephemerides
mariologicae[6], qui annonce le décès du Père Neubert survenu le 27
août 1967.
Nous possédons une
autobiographie[7] comme ce fut le cas pour sainte Thérèse de Lisieux
ou la bienheureuse Dina Bellanger, elle constitue un témoignage de grande
valeur spirituelle que nous recevons dans notre étude. Nous découvrons une vie
intérieure intense et riche :
Etant donné que mes supérieurs ne signaleront sans
doute guère que des défauts plutôt physiques : nervosité, timidité,
maladresse, […] et m’attribueront des dispositions de régularité, de piété,
surtout mariale, de zèle… On conclura que ma vie a été un beau rêve de jeunesse
réalisé dans l’âge mûr[8].
Théodore Koehler,
fils spirituel d’Emile Neubert, nous en offre un profil intéressant dans sa
biographie. Il situe son œuvre dans son époque afin de l’insérer au mieux dans
le vaste champ mariologique. C’est la raison pour laquelle, il fait allusion
aux bouleversements politiques et culturels du vingtième siècle, avec en
France, la loi de 1905, les deux guerres mondiales, et d’autre part, la crise
boursière de 1929 en Amérique :
Les besoins culturels, pastoraux varient beaucoup.
On est tenté de répéter le cliché facile qu’après Vatican II, une page est
définitivement tournée. Et pourtant ces hommes de la première moitié de notre
siècle eurent le mérite de faire le premier effort d’une saisie chrétienne de
l’accélération de l’histoire, du développement des sciences, écartant avec
intelligence et courage bien des impasses. L’épreuve ne leur a pas
manqué : les bouleversements des guerres mondiales et des révolutions
sociales, les crises idéologiques (modernisme, sécularisation, marxisme, […])
Avec les moyens alors à leur disposition, ils
assurèrent l’incessant renouveau de la véritable Tradition qui entre dans
l’histoire déjà écrite ou en train de s’écrire. Devant les tâches inconnues, il
est bon et nécessaire de découvrir aussi l’œuvre de ces mariologues d’une autre
génération qui surent, comme le Père Neubert, allier la volonté d’une recherche
scientifique à l’activité infatigable d’un apostolat marial des temps modernes[9].
Emile Neubert, dans
les différentes obédiences reçues de ses supérieurs, nous laissa un témoignage
de sainteté. Son parcours de vie et d’apostolat est riche de significations
théologiques, en parfaite fidélité à la grâce de son baptême, ainsi que
l’exprime le Père François-Marie Léthel : «Tous les saints sont
théologiens, seuls les saints sont théologiens[10].»
C’est toute la vie
du baptisé qui devient un «lieu théologique», par le fait même du déploiement
de sa sainteté, expression éclairante de notre vocation chrétienne, rappelée
par le chapitre cinq de Lumen Gentium
[désormais en abrégé LG] du Concile Vatican II.
Il se découvre dans
la lumière du Concile Vatican II, il nous entraîne dans le sillage des saints.
Avec lui, nous nous situons dans la communion de toute l’Eglise, l’Eglise en
pèlerinage qui est dans la communion la plus intime avec l’Eglise du Ciel (LG
7), dans celle qui contemple son vrai visage en Marie (LG 8), visage de la
sainteté immaculée, sans taches, ni rides.
Emile Neubert est né le 8 mai 1878, au pied des
Vosges alsaciennes à Ribeauvillé, une petite ville du Haut-Rhin, proche de
Saint Hippolyte où la Société de Marie fonda un Collège que le Bienheureux
Guillaume-Joseph Chaminade[11] connut comme maison
de récollection.
Les vocations de frères et de prêtres marianistes
sont nombreuses en Alsace, surtout dans la région du Val de Villé, la foi est
vive et profonde dans ces populations. Les maisons de Saint Hyppolite et
d’Ebersmunster, tenues par les Marianistes, jouissaient d’une excellente
renommée. Les frères de Marie dirigeaient des écoles et des pensionnats dans
une vingtaine de localités alsaciennes. En dehors des ordres anciens, les
congrégations étaient peu connues à cette époque.
Citons l’Ordre des Capucins parmi elles. Ces
religieux prêcheurs sont aujourd’hui encore responsables du célèbre sanctuaire
Notre Dame de Dusenbach[12] à Ribeauvillé et de
son pèlerinage. Ils voient cheminer, le dimanche et les jours fériés, les
habitants de toute la région. Les pèlerins font halte dans les chapelles et
devant les calvaires. Au temps d’Emile Neubert, les caravanes s’arrêtaient aux
abords du collège de Saint Hippolyte, devant le calvaire dressé près du grand
portail. Ils pouvaient prendre contact avec les religieux en redingote, réputés
accueillants et chaleureux[13].
Membre d’une famille de douze enfants, (neuf frères
et trois sœurs) dont cinq moururent en bas âge, le jeune Emile reçut, dès sa
prime enfance, une éducation chrétienne.
Il reconnait que dans son enfance, il fut en contact
avec d’autres jeunes de sa génération qui contredirent sa recherche d’allier
les actes à sa piété voulue par ses parents. Dieu était perçu par lui comme
source d’interdits, de commandements à observer, dans la crainte d’une punition :
«Je n’ai pas commencé par être un enfant pieux et sage[14].»
A l’école, doué d’une excellente mémoire et d’une
grande curiosité intellectuelle, il se décrit comme un enfant nerveux, timide,
maladroit, intimidable, supportant ses problèmes acoustiques et de myopie[15].
C’est au début de l’adolescence qu’il commença de
mûrir une relation personnelle avec ce Dieu qui s’est fait homme et, qui a fait
le choix : «de souffrir et de mourir pour moi[16]», selon son propre témoignage. Ce Dieu se
donnera à lui le jour de sa première communion à l’âge de quatorze ans.
Sa vocation naquit à l’âge de douze ans, provoquée
par l’appel que lui adressa sa sœur Albertine, de cinq ans son aînée. Elle
entrera dans la vie religieuse. Elle l’invita à faire comme un grand oncle de
la famille, le frère Louis Neubert, devenu frère enseignant dans la Société de
Marie.
Je n’avais jamais songé à une telle éventualité, mais comme je
participais à sa joie, j’ai répondu «oui». Elle en parla à mon père, qui
manifestait un certain étonnement devant cette vocation soudaine ; mais
quelque temps après, il écrivit à son oncle que son fils Emile envisageait (la
vie consacrée)[17].
Le «oui» courtois
que prononça Emile à sa sœur, dans la perspective d’entrer dans cette Société
de Marie, s’affermit avec l’appui de la famille, du père[18] notamment, dont il
appréhendait la réponse :
«Ecce …Fiat mihi !» Mais je ne pensais pas à Marie. C’est elle qui
pensait à moi[19].
L’oncle était heureux,
bien sûr. Il fut donc décidé qu’après ma première communion, j’irais au Postulat
de Bourogne, non loin de Belfort.
Je ne me souviens pas
d’une quelconque dévotion particulière chez moi pour Notre Dame avant mon
entrée au postulat ; ce fut une habitude pour les enfants en âge scolaire
que de dire le chapelet le soir, et je faisais comme tout le monde[20].
La première communion, à
l’époque, se célébrait à l’âge de 14 ans en Alsace[21]. J’ignorais alors que ces Frères s’appelaient les Frères de Marie ;
ainsi, dans mon esprit, il n’y avait aucun lien entre ma vocation et la Vierge
Marie. Ce n’était pas l’habitude non plus de prononcer un acte solennel de
consécration à Marie le jour de la première communion ; je n’ai pas le
souvenir d’avoir eu la moindre pensée pour Elle ce jour-là.
Sa première communion marqua un tournant décisif
dans sa vie spirituelle. Et, écrit-il dans sa biographie, le péché «apparaît
désormais comme un manquement contre l’amour de Celui qui a donné sa vie pour
moi et qui s’est donné tout à moi dans l’Hostie[22].» La décision de
rejeter le péché mortel et le péché véniel délibéré était prise dans une
relation d’amitié avec Jésus.
C’est à ma mère, Marie, que je dois de n’avoir commis aucune faute
pleinement consciente depuis ma première communion : qu’elle me prolonge
cette grâce jusqu’à ma communion au ciel[23] !
Il entra, après sa première communion, à l’âge de 14
ans, au postulat de la Société de Marie fondée par le Père Chaminade.
Le jeune Emile fit son postulat à Bourogne de 1892 à
1894[24], reçu par M. Joseph
Meyer qui avait la réputation d’un saint :
Lequel des anciens postulants de Bourogne ne se rappelle avec émotion
l’impression de dignité surnaturelle et de paternelle affection que fit sur
lui, dès sa première rencontre, le vénéré directeur ! : «Soyez le
bienvenu mon cher ! C’est la Très Sainte Vierge qui vous conduit ici, elle
vous y gardera», disait-il en pressant les mains de ses nombreux enfants. Et
ces derniers, immédiatement, se sentaient à l’aise avec lui et lui donnaient
toute leur confiance[25].
Durant cette période, il découvre la dévotion à
Marie, à l’honneur dans sa Société : le Petit Office de l’Immaculée
Conception, dit en latin, auquel il ne comprenait rien. Il récitait également
le chapelet et, chaque matin, l’acte de consécration
à la Vierge, cher aux Marianistes, ce qui lui rappelait la dévotion mariale
de sa mère[26].
Dans cette étape, il possédait quelques
connaissances élémentaires concernant les privilèges de la Vierge Marie :
«Maternité Divine, Immaculée Conception, Virginité, une idée au moins vague de
sa Médiation de grâce, Assomption.»
Se souvenant de la présence des protestants à
Ribeauvillé qui condamnaient le culte marial des catholiques, il était prêt à
défendre ce culte comme il aurait défendu l’infaillibilité pontificale. Mais en
même temps, il reconnaissait que sa relation à Marie pouvait s’épanouir :
Ma dévotion envers elle se réduisait presque au culte obligatoire :
presque rien de cette attirance instinctive vers la Vierge, ma Mère céleste, de
cette confiance, de ce besoin d’intimité, de vie d’union, de cette joie
épanouissante qui caractérisent la vraie dévotion à Marie. Cette dévotion,
j’avais encore à la découvrir. Ma Mère allait m’emmener à cette découverte,
mais par une voie étrange[27].
Ce fut par l’appel à «l’intériorité» si chère aux
Marianistes et, à une vie plus surnaturelle, captivé de plus en plus par
l’amour de Jésus, que se fit sa rencontre avec Marie :
Jusque-là mon amour pour Jésus consistait à éviter tout ce qui pouvait
lui déplaire. A présent je compris que cet amour me demandait de lui donner tout
ce qui pouvait lui plaire, que ce fût obligatoire ou non. Jusque-là, il avait
pour limites les limites de mes obligations. A présent, il n’avait plus d’autre
limite que le bon plaisir de Jésus.
Or, en même temps que je comprenais d’une toute autre façon l’amour de
Jésus, je me sentais rempli d’une dévotion tout aimante, confiante,
épanouissante envers la Mère de Jésus, ma Mère, comme si j’avais toujours vécu
dans son intimité. Sans raisonnement - ce que je savais théoriquement jadis, je
le sentais à présent - dans l’amour de Jésus, je sentais aussi que Marie est
tout amour, que Jésus me l’a donnée pour Mère et veut que je l’aime comme
lui ; qu’elle m’aime de l’amour dont elle aime Jésus, et veut m’aider à
l’aimer comme elle. Et depuis cette époque, j’éprouve en elle une immense
confiance, sûr qu’elle m’obtiendrait toutes les grâces, miraculeuses même si
c’est nécessaire, pour réaliser toutes les intentions de Jésus sur moi, les
intentions de Jésus qui sont en même temps les siennes[28].
Au postulat, j’appris par
hasard d’un condisciple que notre nom complet était «Frères de Marie». Cela ne
m’impressionna pas plus que s’il m’avait dit que nous étions les «Frères de
saint Paul». Les postulants avaient l’habitude d’aller communier les dimanches
et jours de fête. Ceux qui le souhaitaient y allaient aussi le samedi, car nous
allions nous confesser le vendredi. Quiconque voulait communier un autre jour,
devait en demander la permission à l’aumônier. Les instructions de l’aumônier
étaient passablement ternes et je ne me rappelle pas avoir été frappé par quoi
que ce soit de saillant dans ses enseignements.
Vers le milieu de ma
seconde année de postulat, j’allais communier deux fois par semaine, et trois
fois vers la fin de la seconde année. (Rappelez-vous que ce fut une quinzaine
d’années avant le décret de Pie X sur la communion quotidienne.) Cela m’aidait
à être plus recueilli. Dans la foulée, mon amour pour Marie et ma confiance en
la Mère de Jésus ne faisaient que croître. Etait-ce dû à quelque instruction,
quelque lecture sur Marie, si les choses avançaient quelque peu ? Je ne
m’en souviens pas, mais je me rappelle qu’au cours de la messe nous chantions
des cantiques à Jésus-Eucharistie, au Sacré-Cœur et à Marie, si aimante et si
aimable, toutes choses qui augmentaient ma dévotion à l’un et l’autre. Durant
la troisième année, ma dévotion à Jésus et à Marie augmentait encore. On peut
dire que c’est Jésus qui me conduisait vers sa Mère, et Marie qui accroissait
mon amour pour Jésus[29].
A la fin du postulat, ses supérieurs l’envoyèrent au
noviciat de Courtefontaine.
En septembre 1894, je suis entré au noviciat avec
l’idée de me donner à Jésus et à Marie. Ce fut à Courtefontaine, à une petite
vingtaine de kilomètres de Besançon. Le Père Mathern, maître des novices depuis
1871, était un saint prêtre. Il nous enseignait les cours habituels prévus pour
le noviciat, mais pas de cours de mariologie. Chose que je regrettais, puisque
nous étions des Frères de Marie. Il est vrai que je pouvais lire sur ce sujet
dans les Constitutions, qui avaient été approuvées par Rome en 1891, soit trois
ans auparavant. J’étais heureux d’y lire dans les chapitres I, VI et XXX ce
qu’on y dit sur notre dévotion spéciale à Marie. Je comprenais que nous devions
pratiquer la dévotion à Marie au suprême degré, mais je ne voyais pas, qu’à
part cela notre dévotion comportait un caractère particulier[30].
Me rendant compte que la qualité de toute ma vie
religieuse et que la fécondité de tout mon apostolat allaient dépendre en
grande partie de ma ferveur au noviciat, j’étais fermement décidé à m’y donner
à Jésus et à Marie, sans réserve aucune, quoi qu’il dût m’en coûter. Je crois
avoir été fidèle à une telle résolution[31].
Cet aveu d’Emile
Neubert, âgé de quatre-vingts ans à l’époque de la rédaction de son manuscrit
autobiographique, est précieux, comme le sont toutes ses confidences que nous
recevons sur sa vie intérieure. Elles nous permettent de tracer un véritable
itinéraire spirituel avec ses étapes bien connues[32]. Son œuvre publiée nous donne des repères et des
orientations dans sa vie spirituelle. Nous pouvons mieux réaliser l’unité de sa
vie avec son enseignement.
C’est à partir de
l’étude des constitutions de la Société de Marie, approuvées par Rome en 1891,
qu’il comprit à seize ans la spécificité de la vocation religieuse
marianiste :
Je compris que la dévotion à Marie devait nous
distinguer de tous les autres religieux et que, ce par quoi elle devait nous
distinguer, c’était qu’elle était considérée comme la reproduction de la piété
filiale de Jésus envers sa Mère et qu’elle devait être plus parfaite que celle
de tout autre religieux. De son caractère apostolique et de ses relations avec
la fondation même de la Société de Marie, je n’avais aucune idée. D’ailleurs,
on ne faisait pas de cours de mariologie[33].
Il prononça un vœu
dit «de perfection» en privé, puis ses premiers vœux de religieux, le 15
septembre 1895, avant d’être envoyé dans un scolasticat[34] qui le préparerait à devenir religieux laïc, malgré
son désir d’être prêtre. Mais un médecin décela chez lui un tremblement de la
main droite dû à sa nervosité, ses supérieurs estimèrent alors, qu’il ne
supporterait pas la fatigue des longues études classiques et ecclésiastiques.
Qu’allaient devenir mes rêves de devenir prêtre et de prêcher sur la
bienheureuse Vierge ? Bien sûr, je ne les ai pas abandonnés, je n’y ai pas
renoncé. J’espérais que la Vierge m’aiderait ; je ne savais trop comment,
mais je n’abandonnais pas l’espoir.
J’ai passé une année à Ris. J’ai passé avec succès mon certificat
d’instituteur. Puis, le Père Kirch, l’aumônier des scolastiques qui était au
courant de mon désir de devenir prêtre, sans me prévenir, a demandé à
l’Administration Générale de m’envoyer dans l’autre Scolasticat, celui de
Besançon, pour commencer l’étude du latin. Je n’avais donc pas espéré en vain,
et cette année de prière et d’attente avait renforcé ma dévotion envers Marie[35].
C’est après un an
passé au scolasticat inférieur de Ris-Orangis, dans l’espérance et dans la nuit
de la foi, s’en remettant à la Vierge Marie, qu’il eut donc la surprise, après
Pâques 1896, d’être envoyé au scolasticat supérieur de Besançon pour quatre
ans : de septembre 1896 à 1900 dans la perspective du sacerdoce :
A Besançon, compte tenu de mes études antérieures et de ma facilité
naturelle pour l’étude, je suis parvenu à achever le cycle des études de latin,
de grec et des matières scientifiques et philosophiques, et j’ai réussi
l’examen du baccalauréat[36].
Très vite, on lui
permit de communier chaque jour. Une grâce à laquelle il tenait beaucoup et qui
lui fut accordée à une époque encore marquée par le jansénisme :
« Ma dévotion à Marie se maintenait à la
hauteur de ma dévotion eucharistique[37]. »
Différents ouvrages
connus à l’époque retinrent son attention :
En ce qui concerne les ouvrages que j’ai lus sur la bienheureuse Marie,
je me rappelle Les Gloires de Marie de
St. Alphonse, qui a fait sur moi une grande impression, La Vie de St Gabriel de la Mère Douloureuse, ouvrage en italien
qui venait d’être publié ; grâce à une vieille grammaire italienne et à ma
connaissance du latin, je suis parvenu à comprendre presque tout. La confiance
de ce saint en la Mère douloureuse m’a fortement impressionné. A la fin de mon
scolasticat, le Père Kieffer - notre directeur à l’époque - m’a donné un
exemplaire de La Vraie Dévotion à Marie
par Grignion de Montfort.
Cet auteur insistait sur le saint esclavage, ce qui
me frappa très fort. Du fait que notre doctrine sur la dévotion du Fondateur à
l’égard de la bienheureuse Mère (Marie) était inconnue, j’en étais venu à me
poser la question, pendant un certain temps, si sa dévotion (celle de Grignion
de Montfort) n’était pas supérieure à la nôtre[38].
La consécration à Marie qu’il prêchait me paraissait
plus totale que la nôtre et je tâchai de trouver une chaînette pour porter
l’insigne du saint esclavage[39].
Il fut envoyé ensuite dans
diverses œuvres d’éducation sur Bordeaux[40], puis Paris[41] où il poursuivit ses études universitaires :
Après le Scolasticat, on m’a envoyé enseigner dans notre collège de
Caudéran (Bordeaux), où j’enseignais le latin et le grec et, plus tard, à
l’Institution Sainte Marie, rue de Monceau, à Paris pour enseigner les mêmes
matières. J’y ai vu des frères qui en prenaient à leur aise avec les
obligations religieuses. Une idée a contribué grandement à me maintenir sur le
chemin de l’idéal, à savoir que je ne pourrais jamais faire à mes élèves tout
le bien que je devrais leur faire, et certains parmi eux paraissaient
spécialement bien disposés et fervents, si moi-même je n’étais pas pleinement
fidèle à la grâce ; de plus je ne voulais pas être la cause qu’aucun
d’entre eux aille à sa perte du fait d’un manque de zèle ou de ferveur chez moi[42].
En France, la
préparation de la loi Combes (1905) qui ferait partir tous les religieux, se
soldera par une défection importante de frères enseignants, surtout à vœux
temporaires, dans toutes les congrégations. Emile Neubert fut mis à l’épreuve,
mais il tint bon.
Ses supérieurs lui
accordent un report à sa demande, il prononçera ses vœux définitifs comme
religieux de la Société de Marie, (report qui l’obligea à un abandon plus grand
et à grandir toujours plus dans l’espérance). Il fut admis à la «profession
perpétuelle» le 2 septembre 1902.
Ce jour-là, il nous
confie avoir été libéré définitivement de toute tentation impure[43].
Ces vœux définitifs
- la profession perpétuelle - correspondent, dans la Société de Marie, à un
engagement de coopération à la mission apostolique de Marie avec un vœu
supplémentaire spécifique : celui de stabilité. Le profès définitif reçoit
alors une première obédience, qui est l’orientation de travail ou d’étude
choisie pour lui par ses supérieurs.
Durant l’année 1902-03, je me suis adonné à des
études supérieures au Collège Stanislas et à la Sorbonne où j’ai passé une
licence classique.
Ensuite, je fus envoyé dans notre séminaire à
Fribourg en Suisse avec 13 autres candidats au sacerdoce, car le gouvernement
anticlérical d’alors avait confisqué la plupart de nos maisons en France. Il
était prévu que je fasse un doctorat en théologie[44].
Au séminaire international
de Fribourg de 1903 à 1907, Emile Neubert reçut sa formation sacerdotale en
poursuivant des études thomistes à l’Université[45].
Grâce aux cours
d’exégèse du Nouveau Testament, Emile Neubert redécouvre Jésus, il y
approfondit l’étude de son humanité :
On y étudiait Notre Seigneur comme homme, comme
homme semblable à nous, ayant eu ses tristesses, ses angoisses, ses incertitudes même, comme nous, ses
obscurités, ses déceptions disait-on.
Jusque-là, j’avais considéré Notre Seigneur surtout
comme docteur suprême et comme un thaumaturge et par-dessus tout, comme le Dieu
d’amour de l’Eucharistie. A présent, je le voyais sous un autre aspect,
l’aspect humain qui le rapprochait davantage de moi. Dans mes relations avec la
divinité, c’était Marie qui m’avait servi d’intermédiaire, Marie, Mère toute
bonne, toute humaine, quoique toute sainte s’abaissant vers moi, Maman toute
aimante et toute miséricordieuse qui prend soin de son enfant. Mais Jésus était
homme aussi comme moi, il avait passé par des expériences semblables aux
miennes, il pouvait par conséquent me comprendre aussi bien que Marie, mieux
même étant du même sexe que moi[46].
Au cours d’une
retraite de Carême en 1904, il s’interrogea sur sa relation avec Marie :
ne devait-il pas désormais restreindre ses relations avec Marie pour s’adresser
plus souvent à Jésus[47] ?
Ne pouvant trouver la solution dans mon esprit, je
me mis à dire le chapelet pour demander à Marie quelles devaient être désormais
mes relations avec elle. A la troisième dizaine la naissance de Jésus, je compris que la mission de Marie avait été
de nous donner Jésus et que sans doute, elle devait continuer cette mission en
nous donnant Jésus de plus en plus. Depuis ce jour, je n’ai plus eu de
difficulté à propos du rôle de Marie dans ma vie spirituelle. J’ai toujours
constaté que plus croissait mon union avec elle plus croissait mon union avec
Jésus. Marie me faisait mieux comprendre et aimer Jésus, et Jésus me faisait
mieux comprendre Marie. A présent, je ne puis plus penser d’une façon aimante à
Jésus sans penser d’une façon aimante à Marie vice-versa[48].
A cette époque, fort
de cette conviction, il publia deux articles[49] pour soutenir les prêtres et les religieux qui
pouvaient connaître les mêmes interrogations ou qui étaient tentés de quitter
la Société de Marie à cause de la crise du modernisme qui gagnait les esprits.
Il inaugura une série d’articles, de livres qui lui seraient demandés au fur et
à mesure de ses missions de «formateur» qui l’attendaient dans la Société de
Marie soit comme Maître des novices, comme Directeur de séminaire et «Directeur
spirituel[50].»
L’esprit apostolique
se développait en lui dans le sillage de sa «seconde conversion» au postulat, mais c’est surtout grâce à
une découverte importante qu’il fit à la fin de sa première année de
scolasticat, lors d’une prédication du Père Klobb[51].
Pour le jeune
étudiant de Fribourg, la lutte prit le visage précis des oppositions
modernistes à la suite de Loisy et quelques autres universitaires moins connus.
Cette crise remettait en cause, par exemple : l’authenticité des premiers
chapitres entiers de saint Luc dans leur intégralité, le passage concernant
Marie et saint Jean au pied de la Croix ; les dogmes de la Virginité de
Marie et de l’Assomption (qui sera plus tard défini) étaient aussi contredits.
La pensée occasionnelle de ces jours me faisait
l’impression d’un souvenir de mauvais rêve[52].
Or, le temps était
venu pour lui, de choisir le thème de sa thèse de doctorat avec un modérateur.
C’est dans la prière que l’idée lui vint «comme une distraction»[53], de faire une étude sur Marie chez les Pères : «Marie dans le dogme de l’Eglise anténicéenne.»
C’est sous la
direction de Monseigneur Kirsch, qu’il rédige sa thèse, elle fut primée et très
vite publiée. Elle devint un outil de réfutation contre plusieurs affirmations
dans les débats produits par la crise moderniste que publiaient certaines
revues[54] :
D’après le P. H. du Manoir et l’Abbé Laurentin,
c’était la première thèse de doctorat qui ait jamais été écrite sur la Sainte
Vierge. Mais ce qui me fit plus plaisir que ces éloges, ce fut la contribution,
non prévue, qu’elle apporta en l’honneur de la défense de Notre-Dame[55].
Ordonné prêtre, le 5
Août 1906, il fut pressenti en vue d’être professeur de philosophie, au service
de la Société de Marie en Amérique qui avait besoin de prêtres enseignants.
En janvier 1908, je débarquais à New York. En août
1908, je fus nommé aumônier du Postulat occidental à la Villa St Joseph, à
Ferguson, Mo. J’y ai rédigé et reproduit pour les postulants un cours sur la
vie, les privilèges et la dévotion à Marie[56].
Son apostolat est
alors de former des religieux et des futurs prêtres, il aura parmi ses élèves
de futurs formateurs :
J’ai toujours éprouvé une joie profonde à travailler
dans une maison de formation où l’on se préoccupe directement des jeunes de la
famille de Marie, et d’un point de vue apostolique le bien qui influera sur
leur futur apostolat qui se déversera sur des centaines et même des milliers
d’âmes qu’ils auront sous la main[57].
Dès 1909, Emile
Neubert est nommé professeur au collège Sainte Marie de Dayton[58]. Il assure une formation en mariologie : «Aux chapitres
relatifs aux titres attribués à Marie, j’ajoutai le chapitre relatif à ses
privilèges et un troisième, relatif à la dévotion[59].»
L’année suivante, il
prêcha une retraite de vingt-et-un jours pour les futurs profès définitifs au
cours des vacances d’été. Son enseignement était imprégné d’éléments
mariologiques du Fondateur, grâce à l’utilisation des fascicules qui seront
publiés ultérieurement sous le titre : Esprit
de notre fondation[60].
En septembre 1910,
on le nomma Maître des novices à Ferguson, il n’avait que trente-deux
ans :
En m’annonçant cette nomination, le Père Lebon
m’envoya un chapitre sur la dévotion à Marie provenant de l’œuvre : l’Esprit de notre Fondation qui venait
de sortir de presse. C’est ainsi que je rédigeai un nouveau cours de mariologie
selon les enseignements du Père Chaminade[61].
Il s’inspirait de la
doctrine et de la spiritualité de Guillaume-Joseph Chaminade dont on avait
commencé l’étude dans la Société de Marie. Il donna au noviciat des cours
polycopiés dans lesquels nous voyons apparaître certaines idées maîtresses
qu’il développera dans son corpus :
la vie du Christ en nous, l’imitation de
sa piété filiale envers Sa Mère, la mission apostolique de Notre-Dame, l’union
à Marie, source de sainteté […]
Le jeune maître
saisit l’occasion de vulgariser l’enseignement mariologique, par l’ébauche d’un
traité sur le sujet avec les acquis précédents, en ajoutant un chapitre sur la
«consultation» de Marie :
En 1914, j’ai terminé l’impression de La vie
intérieure de la Société de Marie[62] comportant des références multiples à Marie, incitant le lecteur à la
consulter afin qu’Elle nous dise comment imiter Son Fils.
Son séjour de treize
ans passé en Amérique, au service de la formation des futurs religieux et la
prédication de retraites aux religieuses marianistes qui le sollicitaient l’été
lors de ses retours ponctuels en Europe, le préparaient à l’écriture. Il
commença par la publication de quelques articles et poursuivit des ébauches de
livres sous la forme de cours et d’enseignements qu’il donnait selon les
différents niveaux de ses auditoires[63].
En 1921, il est rappelé en
Europe.
Emile Neubert est
nommé directeur du séminaire marianiste de Fribourg, après deux ans de
professorat de philosophie à Strasbourg, puis à la Villa saint Jean à Fribourg.
Il compléta la formation des séminaristes par des cours de mariologie.
Il reprenait le
programme des postulants de Ferguson en mariologie - la vie de Marie, ses
privilèges et la dévotion envers elle – en l’adaptant à la formation
intellectuelle et théologique des séminaristes qui lui étaient confiés :
Précédemment, aucun cours de mariologie n’avait été
donné aux séminaristes. Je leur en fis suivre un sur la vie et sur les
privilèges de Marie, lequel (cours) dans la suite, fut imprimé sous les titres
de La Vie de Marie et de Marie dans le Dogme. Un autre ouvrage,
imprimé plus tard, sous le titre La
Dévotion à Marie, traitait de cette dévotion en général, suivi d’encore un
autre Notre Don de Dieu, traitant de
la dévotion à Marie dans la Société de Marie[64].
De 1922 à 1949, il
se consacra totalement à la formation des prêtres de la Société de Marie :
leurs études, leur préparation pastorale et surtout la direction spirituelle.
La volonté de donner à l’Eglise de saints prêtres motive une incessante
recherche pour révéler à ses séminaristes les splendeurs du don de soi au
Christ par Marie. Il eut des journées très chargées. L’université donnait les
cours philosophiques et théologiques, mais il fallait assurer la formation
religieuse et sacerdotale. Dans ce cadre, il plaça des cours de spiritualité et
de doctrine mariale et s’efforça de mieux faire comprendre la pensée et
l’esprit du fondateur de la Société de Marie, le Père Guillaume-Joseph
Chaminade.
Plusieurs de ses
séminaristes choisirent leur sujet de thèse de doctorat dans le domaine
mariologique, sujet privilégié dans la recherche en patristique ou chez des
auteurs plus proches de nous[65].
Il ne cessait de
maintenir des contacts en lien avec la recherche en mariologie de par le monde
malgré ses responsabilités au séminaire de Fribourg.
En effet, dès 1930,
il participa activement au mouvement mariologique français. Il devint l’un des
fondateurs de la Société Française d’Etudes Mariales. De 1935 à 1953, il fut
élu conseiller du premier président, le P. Morineau. Cette Société organisait
un congrès tous les ans, en différents lieux significatifs sur le plan marial
en France (hormis la période de la guerre 1939-1945). C’est à partir de ces
congrès que furent publiées les conférences[66] jusqu’en 1963 (l’issue du Concile Vatican II[67].)
A partir de 1938, il
devint membre de la section théologique des congrès mariaux nationaux et, à
partir du 8 décembre 1951, membre ordinaire de l’Académie Mariale Internationale
de Rome. Il participa aux grands Congrès internationaux que leur Président, le
Père Balic, relança. Il suivit les travaux de ces organisations jusqu’en 1961,
date du Congrès national de Lisieux où on le vit pour la dernière fois.
L’âge et les
infirmités l’obligèrent à renoncer à ses activités. En 1949, il résilia ses
fonctions de supérieur du séminaire. Il resta au service de ses jeunes
confrères comme confesseur.
On le nomma aumônier
à Grangeneuve, puis au noviciat de la Tour de Sçay, près de Besançon.
Sa retraite fut studieuse,
car il acheva ses publications tout en donnant des cours aux novices.
Il faut signaler sa
correspondance comme directeur spirituel, une œuvre en soi, dont il n’est pas
encore possible d’évaluer l’étendue.
Dans les derniers
temps de sa vie, il suivit les travaux mariologiques par une riche
correspondance.
Mystérieuse
revanche! Ses confrères devinèrent la sainteté du Père. Docile à tous, il
recevait leurs avis et directives avec son bon regard tourné vers l’intérieur
qui livrait à son prochain la simple charité d’un homme habitué à s’abandonner
à son Maître divin et à sa Mère du ciel. La rude épreuve de l’extrême
vieillesse levait le voile sur le secret vécu par celui qui avait tant prêché
la vie dans le Christ par l’union à Marie, dans l’oubli de soi.
Il mourut le 27 août
1967, trois jours après la date anniversaire symbolique de la fameuse lettre
dite «du 24 août»[68], que le bienheureux Guillaume Chaminade écrivit
pour mieux expliquer le charisme de la vie religieuse marianiste. Elle devait
être au centre de l’œuvre et de sa vie, que ces quelques mots résument :
«Assister Marie dans sa mission apostolique.»
Avec le Père Neubert disparaît un éminent
représentant d’une génération qui rendit à l’Eglise, le service inappréciable
de promouvoir une dévotion enracinée dans les exigences doctrinales de la foi […] Un dernier trait de la vie du Père révèlera son âme mieux que cette
brève notice biographique ne saurait le faire. Durant les ultimes journées de
sa vie, il aimait répéter la fin d’une poésie mariale composée par lui en 1905
(un Hommage à Notre Dame qu’on peut
trouver à la fin de la dernière édition de Mon
idéal, Jésus Fils de Marie de 1963) ; la prière adopte le style des
complaintes en vieux français :
Et quand mourant tu me verras,
Lors viens, me reçois en tes bras,
Benoîte Vierge[69] !
C’est ainsi que le
Père Théodore Koehler conclut la brève présentation biographique de celui qui
fut son maître et Père spirituel et, dont il me confia une seule parole qui
devait marquer le disciple à vie, puisqu’il me la rappela en 1994, alors âgé
lui-même de quatre-vingt-trois ans[70] : «Soyez fidèle à votre grâce, à toute votre
grâce.»
Ce conseil à
Théodore Koehler nous éclaire sur sa vie. Nous découvrons le lien étroit qui
relie son action pastorale à son œuvre d’écrivain et également, entre le
message donné par ses ouvrages et la formation offerte pour toute la famille
marianiste. Il faut mentionner les retraites qu’il prêcha aux Filles de Marie (les sœurs marianistes), fondées en 1816
par la Vénérable Adèle de Batz de Trenquelléon, en lien avec le bienheureux
Père Guillaume-Joseph Chaminade, un an avant la fondation des Frères de Marie (Marianistes).
Il travailla à la
rédaction des nouvelles constitutions des Sœurs Marianistes, pour qu’à la suite
de leurs Frères, elles puissent inclure le vœu
de stabilité au moment de la profession définitive.
Il peut faire sienne,
à treize ans, l’expression de saint Paul qui exprimait ainsi sa foi en
Jésus : «Le Fils de Dieu m’a aimé et s’est livré pour moi[71].»
Il nous livre son
propre témoignage qu’il encadre de deux informations importantes : la
première concerne la découverte de l’humanité de Jésus, la seconde concerne
l’importance de l’Eucharistie. Ces deux informations nous renvoient au mystère
de l’Incarnation du Verbe, que prolonge le mystère de l’Eucharistie. Le jeune
Emile s’inscrit d’emblée par son expérience spirituelle dans le grand courant
de l’Ecole Française de Spiritualité qui a pour fondateurs : le cardinal
Pierre de Bérulle, Monsieur Olier, saint Jean Eudes et saint Vincent de Paul.
Bérulle, en héritier fidèle de la théologie des Pères d’Orient et d’Occident
et, initiateur de cette révolution copernicienne dans l'Eglise post-tridentine
où tout est centré autour de ce soleil qu'est Jésus-Christ, écrit :
Contemplons Jésus en cet état au milieu de la
Vierge, comme son centre et son cœur , ou bien comme un soleil, selon les
prophètes, soleil couvert d'une nuée légère, c'est-à-dire de la très Sainte
Vierge, qui couvre encore à la terre et le couvrira neuf mois durant. Les
mathématiciens affirment qu'il y a des étoiles à l'entour du soleil qui est
leur centre, et elles tournent à l'entour de lui, comme le soleil tourne à
l'entour de la terre. Plaise à Dieu que nous soyons l'une de ces étoiles
tournant à l'entour de Jésus, et non à l'entour de nous-même comme nous faisons
journellement. Mais il nous faut ici oublier nous-même, pour ne nous souvenir
que de Jésus et de la Vierge. Il est donc un soleil, et la Vierge est une
planète qui a ses mouvements à l'entour de Jésus, à l'entour de ce soleil de
gloire, et ne tourne qu'à l'entour de lui[72].
La place du Verbe
Incarné, vrai Dieu et vrai homme, dans l’œuvre de Bérulle évite l’écueil de
lutter contre l’absolutisation de l’homme en vue de relativiser Dieu.
L’expérience mystique de Pierre de Bérulle, à l’instar de Thérèse d’Avila et de
François de Sales sera rejointe par celle du jeune Emile.
D’abord
axé sur les grandeurs et les perfections de Dieu, son regard va, à l’occasion
d’une retraite en 1602, puis d’une grâce mystique en 1607, opérer un
dépassement et se porter sur la personne de Jésus, Verbe Incarné, parfait
adorateur du Père, modèle et moyen de ce que doivent être notre attitude et nos
dispositions envers le Père. La personne de Jésus - son humanité, ses
dispositions intérieures, les mystères de sa vie, surtout l’Incarnation, source
de tous les autres - se trouve désormais être au cœur de l’existence de
Bérulle, de son enseignement. Si l’homme ne peut se réaliser qu’en se situant
par rapport au Dieu Infini dans l’adoration et l’amour, il ne peut accomplir
cette œuvre qu’en s’unissant d’abord à la personne de Jésus, Dieu et Homme,
parfait adorateur en même temps que Fils tout aimant[73].
Le jeune Emile
révèle :
A partir de la 13ème année, (Jésus)
devenait peu à peu celui qui s’était fait homme, avait choisi de souffrir et de
mourir pour moi, et allait, à partir de l’année suivante, se donner tout à moi
en nourriture[74].
C’est au début de
son adolescence que le jeune Emile commença de mûrir sa relation avec un Dieu
«personnel», en Jésus-Christ. Sans le savoir, le jeune adolescent découvrait
par son expérience de foi personnelle le christocentrisme théocentrique et
trinitaire si bien mis en valeur par le Symbole de Nicée-Constantinople[75]. Il ne la vit plus seulement à partir d’une
obéissance à des commandements. Le péché, nous dit-il, lui apparaît «comme un
manquement contre l’amour de Celui qui avait donné sa vie pour moi et s’est
donné tout à moi dans l’hostie[76].»
L’accent paulinien
et johannique de cette confidence témoigne de sa rencontre personnelle avec le
Christ au centre de sa relation à Dieu, dans l’Esprit Saint qui le fait progresser
dans une conformité d’amour à Jésus.
Il reçut, après sa
préparation à la première communion, une grâce de fidélité qu’il découvrira
ultérieurement ; une grâce qu’il vit simplement en ce grand jour :
«C’était le bonheur dans la foi et l’amour, et dans le ferme propos de rester
fidèle à l’amour de Jésus[77].»
Sa manière si
dépouillée, si limpide d’exprimer cette étape de sa vie spirituelle, laisse
entrevoir le lien de réciprocité qui l’unit à Jésus, cet amour. C’est l’amour
de Jésus qui est premier qui attire sa réponse d’amour. Il s’en explique à
propos d’une question que lui posa son examinateur avant de faire sa
communion : «Il demanda comment Jésus avait montré son amour. Je
répondis : en sacrifiant sa vie pour nous sur le Calvaire[78].»
Il commente lui-même :
«C’est précisément cette question et la réponse qui marquaient le changement
que la première communion allait produire dans ma vie spirituelle[79].»
Il nous plonge, par
cette découverte, dans la théologie des saints. C’est une connaissance
approfondie de l’amour de Dieu en Jésus ; connaissance de foi, d’amour
dont l’Apôtre saint Paul témoigne dans sa lettre aux Ephésiens :
Je fléchis les genoux en présence du Père de qui
toute paternité au ciel et sur la terre tire son nom. Qu’il daigne selon la
richesse de sa gloire, vous armer de puissance par son Esprit pour que se
fortifie en vous l’homme intérieur, que le Christ habite en vos cœurs par la
foi, et que vous soyez enracinés, fondés dans l’amour. Ainsi vous recevrez la
force de comprendre avec tous les saints ce qu’est la largeur, la longueur, la
hauteur et la profondeur, vous connaîtrez l'amour de Christ qui surpasse toute
connaissance, et vous entrerez par votre plénitude dans toute la plénitude de
Dieu[80].
Cette «connaissance
de l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance», elle est
christocentrique et trinitaire dans l’Esprit Saint que le Père donne à l’Eglise
en son Fils Jésus.
Cette clef
fondamentale lui ouvre la porte sur son cheminement spirituel ; une clef
de compréhension sans laquelle le déploiement ultérieur de toute sa vie perd
son sens profond et sa signification ultime. Sa réponse par la foi, l’espérance
et l’amour - que les épreuves liées à l’obéissance ont fait grandir - exprime
le dynamisme de cette âme limpide au parcours profondément théologal à son
origine.
Saint Thomas montre
comment ces trois vertus théologiques, (dirons-nous, plutôt que théologales,
car elles traduisent la vie de sainteté du baptisé en réponse à l’amour de
Dieu), sont véritablement le fondement et l’âme de la réflexion théologique et
de la vie spirituelle[81].
Ces trois «vertus
théologiques» sont les dons principaux offerts par l’Esprit Saint à l’Eglise de
la terre afin qu’elle puisse vraiment connaître le Mystère de Dieu le Père, par
le Christ, avec le Christ et dans le Christ. Mais de toutes les trois, «l’amour
est la plus grande», qui ne passera jamais, alors que la foi et l’espérance
disparaîtront dans la claire vision et dans le face à face avec Dieu[82]. Durant cette vie, la connaissance du mystère de
Dieu dépend non seulement de la foi mais aussi de l’amour : «Quiconque
aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu,
car Dieu est amour[83].» C’est cet Amour de charité, unique amour de Dieu
et de l’homme, qui donne la vie à toutes les vertus et qui rend vives la foi et
l’espérance[84].
Cette réponse
d’amour est aussi la conséquence d’une autre manière d’appréhender le mystère
même de Dieu, selon la parole de saint Jean : « Il n’y a pas de crainte
dans l’amour, au contraire l’amour parfait bannit la crainte, car la crainte
suppose un châtiment, et celui qui craint n’est pas consommé en amour[85].» Sur ce fondement solide, toute une vie d’ascèse
et de purifications nécessaires, peut trouver sa place, comme la part active de
l’homme en réponse à la grâce de Dieu. Avec Emile Neubert, se vérifie tout à
fait ce qu’exprimait le Père Rotureau de l’Oratoire dans son introduction aux Opuscules de Piété, aidant à mieux
cerner la spécificité du christocentrisme bérullien, que l’on retrouve aussi
dans les écrits du Père Chaminade :
Jésus
est contemplé d’abord comme un modèle, comme l’idéal auquel on doit tendre par
une imitation de plus en plus parfaite [...] Modèle, Jésus est aussi considéré
comme principe de vie, comme la source et la cause des grâces qui nous
permettent de l’imiter. Bien des pages de l’Ecole française relèvent de ce
christocentrisme qu’on pourrait dire plutôt actif. Enfin, Jésus est contemplé
comme faisant "une seule personne" avec celui qui croit en lui. C’est
la contemplation la plus habituelle au cardinal de Bérulle, et c’est elle qui
semble lui conférer le plus indiscutable et le meilleur de son originalité[86].
Nous retrouvons
cette même originalité chez Emile Neubert, pour qui l’expérience mystique
prévaut sur l’expérience ascétique ou plutôt la soutient.
L’apôtre Jean
déclarait : «Quiconque a cette espérance en Lui se rend pur comme celui-là
est pur. Quiconque commet le péché transgresse aussi la loi, car le péché est
la transgression de la loi. Or vous savez que celui-là a paru pour ôter les
péchés et qu’il n’y a pas de péché en lui. Quiconque demeure en lui ne péche
pas[87].»
Le jeune adolescent
décide de ne pas «transgresser la loi» par cette grâce unique qui lui fut faite
trois ans avant sa première communion et à laquelle il resta fidèle par la
suite : «Je résolus d’éviter toute faute volontaire jusqu’à ma première
communion. Je tins parole, sauf qu’un jour, je dis un mensonge pour me tirer
d’embarras[88].»
Il réitéra cette
décision :
Il est évident que l’idée de ma vocation religieuse
et sacerdotale m’aida dans mes efforts à éviter toute faute délibérée. Ma
première conversion était achevée vers l’âge de treize ans. En 1891, à la
première communion de mes camarades, je résolus de faire tous les efforts
nécessaires pour éviter toute faute mortelle et vénielle afin de me préparer à
ma première communion de l’année suivante[89].
C’est à l’âge de
quatorze ans, le jour de sa première communion, que cette décision prend toute
sa signification. Il a une conscience aigüe du péché qui n’est plus simplement
pour lui «un désordre à éviter» ou «une désobéissance à un commandement de
Dieu», c’est «une monstruosité impossible pour quiconque a le sens de l’amour[90].»
La référence ultime
du jeune adolescent demeure Jésus qui a «souffert infiniment» écrit-il :
Pour m’arracher à l’enfer et il ne cesse de se
donner à moi avec toutes les grâces que je désire. Comment pourrais-je rompre
avec lui par un péché mortel, ou simplement le contrister par un péché véniel
conscient ? Or depuis ma première communion, dès qu’une tentation se
présente à moi, en même temps se présente la pensée de l’amour de Jésus et par
suite, l’impossibilité pour moi de consentir à la mauvaise suggestion.
Aussi depuis ce jour, je crois n’avoir jamais commis
ni péché mortel, ni péché véniel pleinement délibéré[91].»
A la fin de sa vie,
il affirma que cette résolution fut toujours tenue, ce qui témoigne de la
qualité des grâces reçues sur le fond d’une psychologie parfaitement équilibrée
qui ne donnait aucune prise à l’infidélité toujours possible. Il vécut cette
réalité simplement. Elle passa inaperçue ; il n’eut conscience de son
caractère unique que lorsqu’il eut la charge du ministère de l’accompagnement
des âmes, la direction spirituelle :
Comme c’était une sorte d’impossibilité morale qui
m’empêchait de ne commettre aucune faute délibérée, je n’y voyais pas une
grâce. Ce n’est que depuis que je me dis que d’autres, animés d’un amour bien
plus grand pour Jésus à certains moments de leur vie sont cependant tombés
gravement dans la suite - saint Pierre le jour de sa première communion et de
son élévation à l’épiscopat - ce n’est que depuis ce moment que je me rends
compte de l’immensité de la grâce que Jésus m’a faite lors de sa première
visite, en me permettant de songer immédiatement, instinctivement, à son amour,
dès que l’idée d’un péché se présente[92].
Une grâce de cette
nature, avec son sens de la fidélité, le garda dans l’humilité. En témoigne, un
commentaire qu’il fit sur la vie du Père Joseph Schellhorn :
Il est des saints qui ont des jeunesses
orageuses ; il en est d’autres qui sont tombés pendant quelques années, ou
du moins l’une ou l’autre fois, dans des péchés graves ; il en est
d’autres qui, par une grâce singulière, ont été préservés de toute faute
sérieuse. Ne comparons pas leurs perfections respectives ; sans doute
plusieurs des deux premières catégories ont dépassé en sainteté un grand nombre
de ceux de la troisième[93].
C’est la raison pour
laquelle Jésus parle de la pécheresse pardonnée en ces termes : «parce
qu’elle a montré beaucoup d’amour[94].» L’amour en retour est le signe du pardon offert
et reçu. L’amour appelle l’amour.
Saint Thomas insiste
beaucoup sur cette priorité de l’amour de charité comme amour sans limites,
total, immédiat[95]. Il nous rappelle par sa fidélité exemplaire à l’Evangile
et à la suite des saints, que Jésus demande de notre part, non seulement la foi
et l’espérance, mais surtout l’Amour.
Il fit cette
découverte très tôt, nous l’avons déjà signalé. Il l’a vécut et l’exprima avec
les accents de saint Paul témoignant son amour de Jésus en ces termes :
«Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a
aimé et s’est livré pour moi[96].»
Il accueillit ces
paroles dans leur réalisme, sans sentimentalisme. Il exprime, avec tous les
saints, la même certitude de foi d’être lui aussi personnellement aimé de Jésus
dans sa Passion, quand il se «livra lui-même», mais également durant tous les
moments de sa vie :
Ce n’est pas la sensibilité qui m’empêche d’offenser
Jésus. Je sais qu’à présent, Jésus ne peut plus souffrir. Mais il a souffert
pour moi et il m’a comblé de grâces spéciales. Ce serait une déloyauté de ma
part et une ingratitude dont j’aurais honte de me rendre coupable, qui serait
contraire à ma condition spirituelle depuis mon contact intime avec lui le jour
de ma première communion et que le contact quotidien avec lui dans la sainte
communion et dans l’oraison rendrait, me semble-t-il, plus impossible[97].
C’est dans
l’intelligence aiguë de son appartenance à Jésus qui requiert la totalité du don de soi, qu’il affirma plus
loin : «Je crois que je n’hésiterais pas à souffrir n’importe quel
tourment, et même le martyre plutôt que de commettre un péché véniel délibéré[98]» Mais le
réalisme de la condition humaine ne lui échappa en rien. A cet endroit, Marie
trouve sa place comme une explication essentielle de la grâce de fidélité qui
l’a toujours accompagné dans cette décision de ne jamais commettre un seul
péché délibéré :
C’est à ma Mère Marie, que je dois de n’avoir commis
aucune faute pleinement consciente depuis ma première communion. Qu’elle me
prolonge cette grâce, jusqu’à ma communion au ciel[99].
La place de Marie va
grandir dans son cheminement de jeune adulte, accompagnement vers Jésus, car
Marie est au cœur du mystère du Christ. Elle est également à la place centrale
de tous les choix de sa vie. Elle est au cœur de sa volonté de suivre Jésus
dans la fine pointe ultime de son âme, quelles que soient les difficultés
rencontrées[100] : «Je me suis confié chaque jour à elle[101]», écrit-il
au Frère Gérald Jarc.
Elle est au cœur de
son activité missionnaire, présence qui se manifestera sur le plan littéraire,
non pas tant pour développer une piété mariale individuelle qui pourrait
satisfaire une dévotion privée, mais résolument dans la perspective d’assister
Marie dans sa mission d’éducatrice, cette Maîtresse qui aide les hommes à se
former à l’image de son Fils Bien-Aimé, Jésus. Elle est également présente dans
sa lutte contre Satan.
Le premier article
que nous possédons de lui, intitulé : Une
crise[102], traite des questions délicates dans la vie
spirituelle avec pour objet le développement de notre relation à Marie. Il
utilisa le genre récit de journal intime
pour y parvenir, il cacha son identité (il était alors séminariste) pour se
mettre dans la «peau» d’un religieux enseignant de la Société de Marie,
s’exprimant dans la fin du XIXe siècle. L’intérêt de ce récit tient
aux réponses qu’il propose au sujet de l’établissement d’une relation juste et
féconde avec Marie.
Nous trouvons, sous
la plume du jeune séminariste, le germe de tout son message ultérieur. Il
laisse deviner ses profondes qualités de maître spirituel qui se déploieront
durant toute sa vie :
Aussi ai-je vu tout à l’heure avec surprise dans les
Constitutions, comme si je ne les avais jamais lues, que nous avons un don de
Dieu, une physionomie propre, un «cachet distinctif», et que ce don de Dieu,
c’est la dévotion à Marie[103].
Conjointement à son
premier ouvrage dactylographié sur Marie[104], (sa vie, ses prérogatives, son culte), il rédige Notre don de Dieu[105], spécifiquement destiné aux religieux marianistes,
pour approfondir leur mission et leur charisme. Dans cet article, les éléments
essentiels sont présents et ils garantissent une juste dévotion à Marie, à la
fois tendre et christocentrique :
Il m’a répondu que la Sainte Vierge ne pouvait pas
cacher Notre Seigneur, puisqu’elle n’est pas devant nous, mais à côté de nous,
quand nous allons à lui, et que son rôle est celui d’introductrice et
d’assistante, et non celui de personnage principal ; que c’était mal comprendre
la dévotion à Marie, que de croire qu’elle se substituait ou simplement qu’elle
se juxtaposait à la dévotion à Notre Seigneur, qu’au contraire, elle ajoute
comme un fini à notre amour pour Jésus ; qu’aller vers lui avec Marie,
c’est y aller avec plus d’humilité, plus de confiance, plus de pureté et plus
d’amour ; que je comprendrais mieux en pratiquant, que la pratique se
chargerait de résoudre toutes mes objections théoriques ; que les saints
ont parfaitement su allier l’union la plus étroite à Jésus avec la dévotion la
plus tendre pour Marie, tels saint Bernard, saint Bonaventure, saint Alphonse,
le Père Chaminade, etc., etc., qu’il fallait pratiquer et faire des efforts et
en faire avec persévérance, et en même temps reconnaître que nos efforts sont
par eux-mêmes incapables de nous donner cette dévotion, et pour cela s’humilier
et prier[106].
Ce texte est un
excellent résumé de l’enseignement du Traité
de la Vraie Dévotion de saint Louis-Marie Grignion de Montfort[107] qui l’inspira beaucoup. Cette dévotion, bien
ajustée à Marie, est aussi une grâce à recevoir. Dans cette réflexion qui
précède, nous trouvons un équilibre que les maîtres de vie spirituelle
maîtrisent si bien, entre activité et passivité de l’âme, entre ascèse et
attitude d’accueil, dans l’abandon et la confiance.
Paru dans une revue
interne à la famille marianiste l’Apôtre
de Marie, cet article attira l’attention sur ce jeune religieux docile à la
fois à la grâce et à l’appel des supérieurs. A cette période douloureuse, ils
assistèrent au départ de beaucoup de frères que provoqua la crise politique
anti-religieuse en France soldée par la loi Combes en 1903.
C’est toujours dans
l’obéissance et la fidélité à sa grâce, qu’il rédigea des articles ultérieurs
et des livres au fur et à mesure des besoins pastoraux qui se présentaient à
lui et, selon les impératifs que sollicitait la formation des futurs
Marianistes et dans le contexte de l’Eglise avant le Concile Vatican II.
Ainsi une
littérature que l’on peut qualifier de «théologie spirituelle» - fruit de son
expérience ascétique et mystique fondée sur le dogme - au travers du corpus «neubertien», s’ajouterait à
celle reçue de la sagesse des Pères, des Docteurs et des saints au fil des
siècles. La contribution théologique d’Emile Neubert appartient à celle de la
«théologie des saints» qui sont les interprètes les plus qualifiés de
l’Evangile, puisqu’ils témoignèrent de leur communion avec Dieu dans la
perfection :
Si saint
Ignace d’Antioche, saint Irénée, saint Augustin et, au début de l’ère scolastique,
saint Bonaventure et saint Thomas, ont produit des œuvres et laissé un
témoignage inoubliables, c’est parce que, écrit le Père Leloir, dans un esprit
d’admiration, d’amour et de prière, ils demeuraient sans cesse en contact avec
le mystère du Christ, et surtout celui de sa Pâque, tel que la Bible le décrit,
dans ses préfigurations, sa réalisation, et son acheminement vers la
consommation eschatologique. Fréquentation priante de l’Ecriture, doctrine et
sainteté étaient chez eux des caractéristiques si intimement mêlées, qu’elles
étaient presque interchangeables. Pour «marcher selon la vérité» (cf. 2Jn 4 ; 3Jn 3-4), et surtout selon sa plénitude, il faut «connaître la
vérité» (cf. Jn 8, 32), de cette
connaissance pénétrante, aimante, priante et passionnée, dont saint Jean et
saint Paul, les deux premiers théologiens et contemplatifs de la nouvelle
alliance, demeurent, jusqu’à la fin des siècles, les modèles pour tous les
chrétiens[108].
C’est dans ce même
esprit, que nous sommes redevables à Emile Neubert d’avoir su faire dialoguer
entre eux, dans leur diversité, les voix les plus autorisées dans l’Eglise,
comme l’explique avec pertinence le Père Léthel :
Après la
clôture de la Révélation, en effet, c’est-à-dire après l’époque apostolique,
dans l’histoire de l’Eglise depuis les origines jusqu’à nos jours, la lumière
la plus complète de cette commune théologie des saints se manifeste à travers
les Pères, les Docteurs et les mystiques comme à travers les trois faces
inséparables d’un prisme. Ce «prisme» des Pères, des Docteurs et des Mystiques,
est le principal instrument de la théologie des saints, lui donnant son
caractère véritablement scientifique[109].
C’est autour de la cinquantaine qu’il commencera à
produire des ouvrages, leur édition s’étalera sur le XXe siècle
avant et après la deuxième guerre mondiale. Nous situerons les différents
contextes de leur parution pour comprendre l’enjeu de son travail littéraire.
En moi persistait le désir de continuer à composer
des livres sur la sainte Vierge conformément à l’esprit de notre vœu de
stabilité et dans la pieuse intention d’en propager la connaissance, l’amour et
le culte, et si possible personnellement et à l’aide des autres, dans toutes
les circonstances de la vie (Constitutions 1839, art. 19).
Dès 1930, il trouva
du temps libre pour ce travail de rédaction qui dura en tout vingt-sept ans au
séminaire de Fribourg (1922-1949) et qu’il poursuivit treize ans de suite dans
deux autres communautés où il fut affecté comme aumônier : Grangeneuve en
Suisse (1949-1953), puis au noviciat de La Tour de Sçay près de Besançon
(1953-1962). C’est une période abondante durant laquelle il s’engage comme
membre de diverses Sociétés de théologie mariale.
Le Père Koehler
commente cette activité littéraire si importante en ces termes :
Il est bien évident, en effet, que le sens de
l’apostolat du Père Neubert s’enracinait dans sa «vocation mariale». De là,
l’unité de ses vues doctrinales et spirituelles qui frappe tant lorsqu’on lit
ses ouvrages. De là aussi, son style volontairement dépouillé : parce
qu’il pensait devoir écarter tout superflu pour rester à l’unique service de sa
vocation apostolique, il courait consciemment le risque de manquer de
pittoresque. Et pourtant, son œuvre connut une diffusion grandissante[110].
En faisant le choix dans notre étude de présenter
l’ensemble de son œuvre écrite par une brève relecture des recensions qui
accompagnent la parution de ses livres - recensions toujours favorables et
élogieuses - nous ne reproduirons pas dans notre biographie ces mêmes ouvrages.
Il en va de même pour la plupart des articles qui, sauf rares exceptions,
furent le point de départ des ouvrages, reprenant d’une manière plus organisée
tout leur contenu.
I.3.2.1 Livres
Les différents titres du corpus «neubertien» font apparaître le souci qu’Emile Neubert a de
transmettre son message selon des objectifs bien précis, soit par le contenu
spécifique, soit en fonction du public particulier qui est son destinataire.
Dans le premier cas, il nous propose comme titres
évocateurs : Vie de Marie (1936),
La doctrine mariale de Monsieur Chaminade
(1937), La dévotion à Marie (1942), De la découverte progressive des grandeurs
de Marie : application au dogme de l’Assomption (1951), La mission apostolique de Marie et la nôtre (1957),
L’âme de Jésus contemplée avec Marie (1957),
Sainte-Thérèse de l'Enfant-Jésus et la
Sainte Vierge (1962).
Dans le second cas, il nous donne les titres
suivants : Synthèse de nos traits
caractéristiques et de nos obligations (1940, destiné aux religieux de la
Société de Marie), Notre Maman du Ciel (1941,
destiné aux enfants et aux jeunes), Notre
Mère (1941, destiné aux adultes), La
reine des militants (1944, destiné au milieu ouvrier, préfacé par le
Cardinal Feltin, archevêque de Bordeaux), Marie
et notre sacerdoce (1952, destiné aux prêtres), Marie et la vie religieuse (1959, destiné aux personnes engagées
dans la vie consacrée), Marie et
l’éducateur chrétien (1960, destiné aux enseignants), Marie et la famille chrétienne (1961, destiné aux couples).
Dans la perspective de toucher tous les publics, il
ajoute à ces titres, en vue de promouvoir les vocations consacrées, les
biographies : Une âme mariale
victime : SœurMarie Reine de Jésus, (1956), et de deux prêtres de la Société
de Marie, dont l’un, le Père Schellhorn, a gardé la réputation, qu’il avait
déjà de son vivant, d’être un saint :
Un prêtre de Marie, Le Père Joseph Schellhorn (1948), Un Apôtre de la Vierge et de la J. O. C. : L'abbé René Mougel
(1954.)
1- Marie dans l'Eglise
anténicéenne, Paris, Gabalda, 1908
Sa première contribution en théologie fut sa thèse
de doctorat : Marie dans l’Eglise
anténicéenne qui prend pour point de départ, après une recherche
historico-critique, les récits évangéliques relatifs à la naissance du Christ
jusqu’au début du Concile de Nicée (325) se confrontant à la crise arienne.
L’auteur nous fait progresser dans la découverte de l’identité du Christ à la
lumière des Pères et des Auteurs Anciens, à l’origine du Symbole des Apôtres.
C’est dans ce mouvement très dynamique, que les premiers éléments du dogme
marial apparaissent, dès les premiers siècles. Il faudra attendre le concile
d’Ephèse (431) pour que soit défini le dogme de la maternité divine.
Deux parties sont proposées : Marie dans le dogme et Marie dans la piété, dans lesquelles
apparaissent les thématiques essentielles – maternité humaine, conception
virginale, maternité divine, Marie dans le symbole, virginité, sainteté,
coopération à la Rédemption, vénération et invocation - qui feront l’objet de
notre étude présente sur Marie. Même si la frontière entre ces deux parties ne
paraît pas en tout point évidente, il nous laisse entrevoir que le titre même
de Theótokos, consacré à Ephèse,
était déjà connu auparavant, conjointement à l’idée du concours de Marie à
l’œuvre de notre salut, et ceci bien avant le concile de Nicée (325)[111].
Dans les diverses recensions[112] datées de 1908, les
critiques sont unanimement positives. Face aux attaques des protestants, lui
qui connaît bien les arguments de Benrath ou de Rösch par exemple, a su les
combattre en les remplaçant avec avantage, par l’abondante information de
première main qu’il puise dans la littérature de la période anténicéenne. Il
mène son enquête avec rigueur, en reprenant au fur et à mesure de ses
thématiques, tous les textes alors à sa disposition. Il résume son propos en
fin d’ouvrage : «Toute l’histoire des origines de la mariologie se
présente comme l’histoire de la défense et l’extension de la
christologie : la Mère garantissait le Fils, et la gloire du Fils
commençait à rejaillir sur la Mère[113].» Un avis tiré de L’ami du Clergé pourrait résumer le
climat des recensions : «Le ton des discussions est toujours modeste,
courtois, objectif, c’est un modèle de polémique théologique[114].»
2- Marie de laquelle est né Jésus, dactylographié,
1927
Cet ouvrage laisse apparaître les trois grandes
articulations de son message mariologique, dans la ligne des ouvrages mariaux
classiques : les sources de la connaissance de la Vierge Marie, les
privilèges de la Vierge Marie et la dévotion à Marie. Cette étude, destinée
dans un premier temps aux séminaristes de la Villa saint Jean de Fribourg, est
elle-même le fruit de ses premiers cours au noviciat de Ferguson aux USA. Mais
plus élaboré pour des universitaires, il sera repris et diffusé pour un plus
large public en différents titres séparés. Il reprend les mêmes thématiques qui
étaient alors rassemblées dans un ensemble.
3- Mon Idéal,
Jésus Fils de Marie d’après l’esprit du Père Chaminade, Publiroc, Marseille,
1933.
Ecrit dans le style de L’Imitation de Jésus-Christ, c’est une conversation directe avec le
Christ et sa Mère. Ce petit traité invite à aimer Marie avec le cœur de Jésus
et à aimer Jésus avec le cœur de Marie. Dans sa première partie, Jésus explique
comment imiter son amour pour sa Mère par une totale consécration ; dans
la seconde partie, Marie explique comment en union avec elle, nous devons
apprendre à laisser Jésus devenir notre vie. En conclusion, Marie explique sa
mission apostolique et invite le disciple à devenir apôtre. Elle l’invite à
jeter son filet en son nom de Notre-Dame, pour adhérer pleinement au Christ,
l’unique Envoyé (apôtre) du Père.
Ce petit chef-d’œuvre de spiritualité mariale est un
traité de vulgarisation qui fit immédiatement connaître Emile Neubert dans le
grand public. Ce fut son livre le plus diffusé sur les cinq continents et le
plus réédité, avec près de cinquante traductions. En 1954, il dépassait le
demi-million d’exemplaires vendus[115].
Les critiques sont unanimement positives :
Afin de rendre ses enseignements plus
pénétrants, l’auteur les a placés dans la bouche de Jésus et Marie, qui
prennent successivement la parole pour instruire le chrétien fidèle, dans un
langage grave, mesuré, plein d’onction[116].
L’auteur procède par tableaux successifs,
plutôt que dans une vue d’ensemble ; avec plus de méthode si l’on veut,
que de puissance ; avec moins de vues originales que de données justes et
précises, moins de brillant que de solide […] Mais avec quoi fait-on une œuvre
sûre et durable[117] ?
Tant par le style que par l’onction, Mon Idéal est une Imitation de Marie[118].
Ce livre est une sorte de Summa Mariana où rien n’est omis, rien
n’est laissé dans l’ombre[119].
Cet opuscule, accessible à tous, est un des
meilleurs que notre époque ait vu surgir pour conduire toutes les âmes à un
haut degré d’union à la Sainte Vierge[120].
Le professeur G.-M. Besutti, dans la revue Marianum,
relève : «le style clair et concis, associé à la valeur doctrinale[121].»
4- Marie dans le dogme, Paris, Spes, 1933. Réédité, 3 traductions[122].
Marie dans le dogme est un autre
ouvrage qui le fit beaucoup connaître. Il propose une synthèse mariale qui, à
l’époque où il fut publié, présentait une nouveauté qui de nos jours ne nous
apparaît plus comme telle, à savoir l’importance accordée à des questions plus
actuelles comme la médiation de Marie,
sa maternité spirituelle, ainsi que
sa mission apostolique.
En appendice de la première édition, il justifia sa
méthode d‘exposition et de démonstration en donnant des règles à suivre pour
juger des privilèges de Marie. Un tel appendice ne réapparaît plus dans la
seconde édition, remplacé par une introduction magistrale, qui présente
avantageusement et avec opportunité la méthode à suivre pour approfondir les
grandeurs de Marie. Nous notons la disposition plus logique des thématiques
mariales ordonnées en deux parties : dans la première sont regroupées les fonctions de Marie (maternité
divine, maternité spirituelle, médiation universelle, mission apostolique,
royauté) ; dans la seconde partie sont traités les privilèges de Marie (Immaculée Conception, Virginité, Sainteté,
Assomption, Béatitude). Au fur et à mesure de ces thématiques, il met dans la
lumière des développements pertinents. Il a le souci d’en bien rechercher la
signification profonde, en s’appuyant sur l’exégèse la plus fidèle des textes
de la Sainte Ecriture et la plus récente, ainsi que sur la Tradition. Il met en
évidence leur pertinence et leur harmonie. Il met en relief l’action de
l’Esprit Saint qui s’exprime à travers l’universalité des fidèles du peuple de
Dieu qui, souvent, précèdent la recherche théologique.
Ce manuel devint un
classique dans les séminaires français ou les noviciats durant plusieurs
décennies. Il offre une très bonne idée des acquis de l’Eglise avant les débats
du Concile Vatican II, soldés par le chapitre 8
de Lumen Gentium. Les recensions sont
unanimement positives :
Par une nouvelle et très féconde exposition, Emile Neubert expose pour
chacun des grands privilèges de Marie, son point de départ dans la Révélation,
son évolution au cours des âges, sous la direction de l’Eglise, sa
signification profonde et ses harmonies[123].
Ces pages ont l’avantage de se lire avec facilité ; elles corrigent
un bon nombre de notions inexactes et sont entremêlées d’excellentes remarques
[…] Un appendice important est consacré aux «règles pour juger les privilèges
de Marie», qu’il groupe de la façon suivante : règle de la révélation,
règle de la convenance, règles des privilèges des saints accordés à Marie,
règle des analogies entre Jésus et Marie. Il faut louer l’auteur d’avoir posé
ces questions et abordé ce problème à fond. La solution qu’il apporte
intéressera tous les théologiens, car c’est un des cas intéressants et délicats
du développement du dogme en général ; en maint endroit, il mérite éloge
[…] Est-ce à dire que l’auteur arrive à formuler et à utiliser ces règles avec
toute la netteté qu’on souhaiterait ? [...] Plusieurs d’entre elles
appellent une étude théorique plus ferme… On voudrait une ligne de démarcation
plus nette entre la Tradition au sens dogmatique et la tradition historique […]
Le travail de la tradition devrait être mieux déterminé, de même la légitimité
de ce travail et celle de l’élan psychologique de la piété populaire. De côté
et de l’autre, un énoncé un peu vague, une généralisation apparemment peu
fondée, inspirera défiance au lecteur soucieux de précision et de preuve. C’est
pour cette catégorie de lettrés, férus des exigences historiques
contemporaines, que pareils livres doivent bien délimiter le terrain dogmatique
et nettement distinguer les deux méthodes[124].
Une seconde, puis une troisième édition, tiennent
compte de ces jugements, en adoptant une autre présentation, il met au second
plan les privilèges de Marie et au premier plan les différents aspects de la
mission de Marie.
Les critiques sont toujours aussi positives, dont
l’une d’elles pourrait être une réponse à la critique en partie négative de J.
de Ghellinck quatorze ans auparavant. Il s’agit de la recension de l’Abbé A.
Michel qui présente la troisième édition «refondue et augmentée» en 1953 dans
ses notes mariales de L’Ami du clergé. Il constate l’énorme
progrès de la théologie mariale depuis la proclamation du dogme de l’Assomption
en 1950 :
(Mais) il était désirable qu’une bonne synthèse doctrinale fut offerte au
grand public, afin de rappeler en termes simples et clairs la position de Marie
dans le dogme catholique. L’ouvrage du P. Neubert Marie dans le dogme répond à ce vœu…
(Dans la présentation de la consécration, l’auteur utilise les termes)
non plus «esclavage», mais «filiation et apostolat». La justification
théologique de ces aspects spéciaux et partiellement nouveaux de la
consécration à Marie est donnée dans une étude pour examiner les fondements
dogmatiques et les conséquences doctrinales de ce qu’enseigne la Révélation au
sujet de la Sainte Vierge. Marie dans le
dogme a résumé sans appareil, ni discussion technique, les résultats des
recherches faites par les maîtres sur les grandeurs, les privilèges, les
fonctions de Marie (ceci) par des notions précises et des idées nettes, plutôt
que des démonstrations techniques et des discussions savantes[125].
De même G.-M. Roschini n’hésite pas à écrire dans la
revue Marianum :
Par sa clarté et son apport très complet d’éléments solides et substantiels,
nous n’hésitons pas à recommander (cet ouvrage) comme étant le meilleur
compendium de mariologie mis à la disposition de tous[126].
Signalons en particulier les chapitres bien actuels sur la médiation
universelle, la mission apostolique de Marie et sa royauté. L’auteur nous
avertit dans une note, qu’il a jugé inutile de reproduire l’indice de la
première édition sur le titre de «co-rédemptrice», maintenant admis par tous
les catholiques[127].
De même furent particulièrement appréciés les chapitres sur «l’aspect
sacerdotal de la mission de Marie» et sur «le dogme de l’Assomption[128].»
5- Vie de Marie, Mulhouse,
Salvator, 1936[129].
Fruit des publications précédentes dans diverses
revues, toutes relatives à la vie de Marie, cet ouvrage de vulgarisation qui
n’a pas la prétention de s’adresser à des spécialistes, révèle avec quel
sérieux et exigence de recherche scientifique. Il nous fait entrevoir ce que
fut la vie de la Mère de Jésus. Pour ne pas encombrer la progression du
développement par des commentaires, il présenta, dans une introduction, le sens
et les appuis de sa démarche, nous facilitant l’accès aux documents qu’il cite,
particulièrement les Evangiles.
Aussi les recensions nombreuses, furent-elles encore
très positives :
Exposé solide et pieux […] Une introduction
sur les «sources» apprécie à leur juste valeur l’apport des apocryphes et des
révélations privées, et montre comment la théologie éclaire et complète les
données historiques des Evangiles[130].
L’auteur s’appuie sur les conclusions des
travaux les plus récents d’histoire, d’archéologie, d’exégèse, présentés dans
un esprit d’impartialité, d’indépendance et sérénité de jugement[131].
- Vie de Marie, Mulhouse, Salvator, 1948.
Lors d’une seconde édition, d’autres recensions
furent données :
Dans cette seconde édition, Emile Neubert a
cherché à approfondir l’esprit de la Vierge, particulièrement à travers la
méditation des psaumes. Même la réponse de Jésus à sa mère a eu une nouvelle
explication[132].
6- La doctrine mariale de Monsieur
Chaminade, (Les Cahiers de la Vierge, n° 20), Le Cerf, Paris, 1937[133].
Les recensions très positives se font l’écho de la
réception du message du bienheureux Chaminade grâce à la présentation d’Emile
Neubert qui met en évidence surtout deux idées-forces : celle de la
maternité spirituelle de Marie, en lien avec la notion de Corps Mystique et
celle de sa mission apostolique, en lien avec sa distribution des grâces.
Cette mission d’après le Père Chaminade doit
se transformer en un rôle conquérant de la Vierge dans les derniers temps… D’où
l’idée d’une consécration spéciale à la Vierge Marie[134].
Par son caractère christocentrique, cette
doctrine est appelée à faire beaucoup de bien de nos jours[135].
7- Notre Mère : Pour la mieux
connaître, Xavier Pappus, Le Puy, 1941[136].
Les évaluations, pour cet ouvrage, sont toutes très
élogieuses - la doctrine est solide et la piété profonde -[137] il sera réédité en
1945 et traduit en différentes langues.
8- Votre Maman du ciel, Xavier
Mappus, Le Puy, 1941 et 1945.
Avis toujours très favorables.
Dans un mode simple, mais avec la plus grande
exactitude, sont présentés la vie de la Vierge, ses privilèges, et les
caractéristiques, avantages et obligations vis-à-vis de notre Mère céleste […]
C’est un ouvrage réussi et très utile[138].
Réédité, plusieurs traductions[139].
9- La dévotion à Marie, Xavier
Mappus, Le Puy, 1942.
Les commentaires sont très avantageux, dont celui de
G.-M. Roschini :
Cette œuvre nous offre des pages simples et à
la fois profondes : Deux dons (qui sont) assez rares, spécialement dans
des arguments de ce genre[140].
Il fut réédité et plusieurs fois traduit[141].
10- La Reine des Militants,
Xavier Mappus, Le Puy, 1944.
Les avis sont toujours très élogieux dont celui de
G.-M. Roschini :
Il est rare de trouver dans la littérature
ascétique mariale que nous possédons, la profondeur, la clarté et l’efficacité
de ce Père Neubert[142].
Réédité. Plusieurs traductions[143].
11- De la découverte progressive
des grandeurs de Marie. Application au dogme de l'Assomption, Spes, Paris,
1951.
Les recensions sont toutes favorables, avec des
commentaires nombreux et développés :
Emile Neubert insiste sur l’influence prépondérante du «sensus fidelium»
assez nette en particulier quand il s’oppose aux nombreuses fluctuations de la
spéculation théologique. Cette insistance sur la valeur du sentiment des
fidèles est utile : elle pose un problème fort intéressant dans la
difficile appréciation de l’évolution du dogme. Le théologien est chargé, non
de découvrir les vérités de la foi, mais de les exposer avec clarté et ordre et
de les défendre, de donner une voix à la pensée et aux sentiments des fidèles,
et de les juger[144].
Le singulier mérite de ce petit livre est de nous enseigner bien
simplement un peu de théologie et de dogme sans aucune prétention scientifique.
Cependant, tout au long de ce texte clair et précis, on reconnaît un esprit
très averti des choses du dogme et des principes théologiques […] Tout ce qu’il
dit à propos du sens chrétien est vraiment très excellent […] Ceci est ensuite
appliqué dans une seconde partie au dogme de l’Assomption, avec la même
discrétion et le même savoir[145].
Michel, dans un article intitulé Notes Mariales, recense «cet excellent
livre du P. Neubert, bien connu comme mariologue[146].» Il reprend toute
l’argumentation en faveur des privilèges de la Vierge Marie et des conditions
pour aboutir aux définitions dogmatiques. Il fait remarquer que l’exposé de ce
qu’Emile Neubert appelle «le travail de la tradition» est puisé en grande
partie dans l’ouvrage monumental du Père Jugié. Et, il conclut en encourageant
la lecture de cet excellent aperçu de la
découverte progressive des grandeurs de Marie qui peut être couronné,
espérons-le avec l’auteur, par d’autres consécrations solennelles de vérités
déjà acquises[147].»
12- Marie et notre sacerdoce,
Spes, Paris 1952[148].
Les analyses sont avantageuses, dont l’une avec une
pointe critique cependant :
L’auteur est un de ceux qui ont le plus
contribué au développement de la piété mariale, à notre époque […]
Première partie, surtout doctrinale :
importance pour le prêtre, de la vie d’intimité avec Marie […]
Deuxième partie : Comment Marie forma en
nous le Christ prêtre en nous apprenant à vivre comme lui et à reproduire ses
vertus […]
De quelle manière pratique, nous pouvons
vivre unis à Marie «dans l’exercice de notre ministère sacerdotal» […] Et il
donne des précisions très utiles[149].
Il faut louer le récent opuscule de M. Neubert pour sa manière simple et
directe, sa doctrine solide, le ton modeste et sans prétention de ses
méditations. Les prêtres aimeront ses réflexions toujours sobres et parfois
émues. Ils y trouveront un stimulant de qualité pour se renouveler dans leur
dévotion personnelle à la Mère de Jésus… On peut penser que les seuls chapitres
de ce manuel de spiritualité sacerdotale, traitant directement du rôle de la
liturgie, sont un peu courts. Il est vrai que les études sérieuses sur la place
de la Vierge dans la liturgie sont encore désirées et ce n’est pas l’objet de
l’auteur de s’y essayer ici. En tout cas ces chapitres, que, dans le climat
contemporain des renouveaux liturgiques, on aurait aimé saluer comme les plus
neufs, ne peuvent absolument pas y prétendre[150].
13- La Vie
d'union à Marie, Alsatia, Paris, 1954, puis seconde édition en 1957[151].
Cet autre livre, La
vie d’union à Marie, également traduit en plusieurs langues, a été certainement
le plus lu après Mon idéal[152]. Dans une
perspective de dévotion à Marie, il reprend, en les approfondissant et enrichis
de son expérience personnelle, ses thèmes très chers de la vie d’union à Marie,
apparus dès ses premiers cours aux novices des USA, puis publiés sous forme
d’articles dans la revue mariale des Marianistes : L’apôtre de Marie. L’empreinte thomiste est complétée par
l’héritage de l’Ecole Française de
Spiritualité. La nouveauté et la redécouverte de ce thème est d’en avoir
précisée la visée : l’union à Marie, pour notre sanctification et pour
notre apostolat. Il remania son ouvrage pour la seconde édition de 1957,
mettant en meilleure évidence comment l’union à Marie est la plus excellente
union à Jésus. La base évangélique et doctrinale de cette double union est
l’intimité entre Jésus et sa Mère. Nous sommes «invités à établir une intimité
pareille entre nous et elle[153].» Tout «consiste à
aimer Marie avec le cœur de Jésus, et Jésus avec le Cœur de Marie[154].»
Les avis sont unanimes :
Pratique, pieux, l’ouvrage est également remarquable
par sa fine psychologie, qu’on admirera par exemple, dans les chapitres sur
l’empressement, sur l’union à Marie dans l’oraison, et la lecture spirituelle[155].
L’intérêt de cet ouvrage réside dans le fait qu’il considère
systématiquement toute la vie spirituelle, dans son ensemble et dans ses
détails, au point de vue de l’union à Marie. L’objectif de l’auteur est moins
d’établir une théorie de cette union que d’en montrer les applications
pratiques et concrètes[156].
G. Phillips, qui reprend un commentaire de H. Rosen,
semble s’associer à cette appréciation qui donne à penser :
Dans cet écrit ascétique et mystique, le christocentrisme et la frappe
seraient trop peu marqués. La mention de l’Esprit Saint aurait dû fournir
l’occasion d’un exposé plus expressif à propos de l’inhabitation des Personnes
Divines. L’affection du P. Neubert est celle d’un enfant. Pour notre goût
moderne, elle est peut-être trop encombrée[157].
14- La mission
apostolique de Marie et la nôtre, Alsatia, Paris, 1956[158].
Selon Virgilio Martinucci[159], l’ouvrage La mission apostolique de Marie et la nôtre
comble une grave lacune dans le domaine de la recherche théologique. Un ouvrage
dans lequel l’auteur traite la doctrine historique et théologique de la mission
apostolique de Marie et de notre participation à cette mission bien spécifique.
Nous pourrions considérer en cet ouvrage, unique en son genre, comme une mise
en lumière concise et systématique de toute la mariologie abordée du point de
vue de la mission apostolique de la Vierge Marie. Une vérité qui ne fut mise en
doute par personne. Marie n’a-t-elle pas été appelée depuis toujours «celle qui
a vaincu les hérésies», et ceci dès la foi de l’Eglise primitive ? Et
cependant, malgré cette conviction, aucun théologien avant lui ne s’était
attelé à composer un ouvrage spécifique sur cet argument. Il met à sa
disposition tous les moyens possibles que requiert une méthode scientifique
rigoureuse.
Dans la première partie, il présente la théologie
spécifique de la mission apostolique de Marie, dans la seconde partie, il
argumente en faveur de notre participation à cette mission. La Vierge a besoin
de notre coopération, soit pour notre propre salut, soit pour le salut de nos
frères. Il délimite cette solidarité humaine et la réalité du Corps Mystique,
en laissant de côté une description impersonnelle ; il nous livre sa
propre expérience et suggère les moyens les plus adaptés en vue d’un véritable
apostolat marial.
Dans la lettre préface, Monseigneur Paul Richaux,
archevêque de Bordeaux, souligne les mérites de l’ouvrage : «Chaminade
légua à son disciple un véritable charisme pour parler de la Sainte Vierge. En
un temps d’urgence apostolique, Emile Neubert a le mérite de montrer la place
de choix, irremplaçable, que tient Marie dans tout effort apostolique.»
Monseigneur Richaux admire surtout la deuxième
partie de l’ouvrage qui révèle la : «technique mariale de l’apostolat, en
particulier : les dispositions requises de l’apôtre de la Vierge.» Or,
certains théologiens trop spéculatifs critiquent, voire dédaignent cette
«praxis» comme non scientifique. Emile Neubert au contraire, en explique la
valeur apostolique.
Les jugements sont unanimement favorables :
La mission apostolique de Marie est depuis l’origine une des idées maîtresses
de sa réflexion. On en trouverait la trace dans tous ses ouvrages. «Je ne l’ai
pas découverte» observe l’auteur, «j’en ai hérité la doctrine du P. Chaminade
qui y a vu la raison d’être de deux Sociétés qu’il s’est senti appelé à créer.»
Deux parties. La première, doctrinale et historique (pp. 15-197) établit
(sur un mode médité plus que systématique) le fait et la nature de cette
mission d’après l’Ecriture, l’histoire de l’Eglise, les données liturgiques
(pp. 171-173) et magistérielles (pp. 173-182). La deuxième, pratique, établit
les motifs de participation active à la mission apostolique de Marie, les
«dispositions» requises, et les «armes» de cet apostolat marial (pp. 209-280).
Un index des noms de personnes et des lieux de pèlerinage complète utilement
l’ouvrage[160].
15- L'Ame de Jésus contemplée avec
Marie, Alsatia, Paris, 1957[161].
Cette méditation est une véritable relecture de la
vie intérieure du Christ, à partir de toutes les acquisitions, bibliques,
patristiques et anthropologiques de l’auteur, rompu à la prédication de
retraites et de conférences spirituelles, surtout à des religieux, prêtres et
religieuses.
16- Marie et la vie religieuse, Paris,
Alsatia, 1959[162].
Les commentaires sont tous élogieux :
De sa retraite de La Tour de Sçay, le célèbre mariologue, octogénaire
infatigable, livre les fruits de son expérience décantée, de sa méditation
limpide, dont l’accent demeure essentiellement christocentrique[163].
17- Marie et l'éducateur chrétien, Mulhouse,
Salvator, 1960[164].
Avec de très bonnes recensions[165].
18- Marie et la famille chrétienne,
Alsatia, Paris, 1961[166].
19- Sainte Thérèse de
l'Enfant-Jésus et la Sainte Vierge, Alsatia, Paris 1962.
I.3.2.2 Livres en
collaboration
20- «Marie, cause de notre Joie», in Notre Dame de toute Joie, Cerf. Paris,
1934, Les Cahiers de la Vierge, no.4,
pp. 67-116.
21- «La Mère du Christ, Mère spéciale des prêtres»,
in La Virgen y la Eucaristia, Ephemaerides mariologicae, Madrid, 1952,
pp. 111-118[167].
22- How the Immaculate Conception took place, in The Promised Woman, edited by Bro. Stanley G. Mathews sm,
Saint-Meinrad, Grail, 1954, pp. 11-14.
I.3.2.3 Biographies
23- Un prêtre
de Marie. Le Père Joseph Schellhorn, Centre de Documentation Scolaire,
Paris, 1948[168].
24- Un Apôtre
de la Vierge et de la J. O. C. : L'abbé René Mougel, Alsatia, Paris,
1954[169].
25- Une âme
mariale victime : Sœur Marie-Reine de Jésus, Alsatia, Paris, 1956[170].
I.3.2.4 Livres destinés à la
Société de Marie
26- Sous l'Etendard de Marie,
Nivelles, Havaux, 1926.
27- Notre Don de Dieu,
dactylographié, 1929.
Cet ouvrage s’adresse aux religieux marianistes. A
partir du chapitre de la dévotion à Marie, il approfondit toute la relation
filiale qui lie les religieux de la Société de Marie à la Vierge, par un vœu
particulier : le vœu de stabilité. Il comporte l’engagement d’assister
Marie dans sa mission apostolique.
28- Notre don
de Dieu, hommage à notre Mère en ce
centenaire du dogme de son Immaculée Conception. Marne, Paris/Tours, 1954.
Ce livre est une reprise du manuscrit
dactylographié, largement développé et complété.
29- Une fausse attitude, date
supposée : année 1940.
30- Synthèse
de nos traits caractéristiques et de nos obligations, Nivelles, Havaux,
1940.
I.3.2.5 Travaux présentés aux
congrès marials ou aux sessions d’études mariales
31- «Le Révérend Père Morineau», in Etudes Mariales, VII (1949),
L'Assomption de Marie, II. Vrin, Paris, 1950.
32- «Etat actuel de la croyance à l'Assomption en
Allemagne, II : Attitude du clergé et des fidèles», in Etudes Mariales, VIII
(1950). L'Assomption de Marie, III, Vrin,
Paris, 1951, pp. 155-160.
33- «El misterio de Cristo y el
misterio de María», en Estudios Marianos, IX, vol. 10, Madrid, 1950, pp. 21-32.
34- «Raisons de la dévotion spéciale envers le
mystère de l'Immaculée Conception dans la Société de Marie», in Virgo Immaculata, VIII, fasc. III (De
Immaculata Conceptione in nonnullis Ordinibus et Congregationibus religiosis),
Romae, 1956, pp. 216-228 (Acta Congressus Intern. Mariologici-Mariani, 1954)[171].
I.3.2.6 Articles dans des revues diverses
35- «La doctrine mariale de monsieur Chaminade», in La
Vie Spirituelle, Cerf, Paris, 1937, pp. 1-113.
36- «L'union mystique à la Sainte Vierge», in La Vie Spirituelle, Cerf, Paris, 1937,
50, pp. 15-29.
37- «La Chronologie depuis les Fiançailles de Marie
jusqu'à la Naissance du Christ», in Marianum,
Rome, 1942, 4, pp. 10-20.
38- «De vita mariologico-mariana apud Societatem Mariae», in Ephemerides Mariologicae. Madrid, 1955, 5, pp. 457-465.
39- «La prière à la Médiatrice de toutes les
grâces», in Nouvelle Revue Mariale.
Montfort-sur-Meu, 1955, 2, pp. 164-176.
40- «La dévotion à Marie du Père Chaminade», in Cahiers Marials. Paris, 1958, 2, pp.
407-414.
41- «L'action de Notre Dame dans la progression
spirituelle», in Cahiers Marials. Paris, 1959, 3, pp. 397-404.
42- «Evolución de la Piedad Filial Mariana
en la Compañía de María», in Miriam, Sevilla, 1957, 9, pp. 240-241.
43- «Pour une dévotion à Marie christocentrique et
apostolique», in Marie. Nicolet (Canada), 1952, VI, n° 2, pp. 68-69.
44- «Je vous salue, Pleine de grâce ? Réjouissez-vous,
Pleine de grâce ?», in Marie,
Nicolet (Canada), 1956, IX, n° 5, pp. 62-64.
45- «Doctrine mariale du Père Chaminade», in Revue du Rosaire, Saint-Maximin, 1949,
pp. 170-198.
46- «Ad Jesum per Mariam. Le Père G.-Joseph Chaminade», Tiré à part de la Revue du
Rosaire, 1949.
47- «Marie et la jeunesse», in Revue du Rosaire, Saint-Maximin, 1949, 29 année, pp. 221-222.
48- «Si nous y mettions davantage la Sainte Vierge»,
in Le Prêtre Educateur, 1936, pp.
137-140.
49- «L'enfant de Marie», in Annales de Sainte-Thérèse de Lisieux, mai 1961, pp. 8-12.
50- «Devociones características de Lourdes : Rosario, Eucaristía, Vía Crucis. Por qué ésas ?», in Revista de Espiritualidad,
San Sebastián, 1958, pp. 274-285.
51- «Une crise - A la recherche de Marie», in L'Apôtre de Marie, Nivelles, 1905, 2,
pp. 144-154.
52- «Voici mon sang, qui sera répandu pour beaucoup
en rémission de leurs péchés», in L’Apôtre
de Marie, Nivelles, 1905, 192.
53- «Hommage à Notre-Dame», in L'Apôtre de Marie,
Nivelles, 1906, 3, p. 3.
54- «La dévotion envers Marie d'après Newman», in L'Apôtre de Marie. Nivelles, 1908, 5,
pp. 121-128.
55- «Le recrutement de l’Apostolat :
expériences et industries», in L'Apôtre de Marie, Nivelles, 1909-1910,
433.
56- «Le côté psychologique de la dévotion à Marie», in L'Apôtre
de Marie, Nivelles, 1910, 7, pp. 225-233.
57- «Mary in the Paintings
of the Roman Catacombs», in L'Apôtre de
Marie, Nivelles, 1910, 2, 1.
58- «La communion très fréquente dans l’un de nos
collèges», in L'Apôtre de Marie, Nivelles, 1911, 10, 194.
59- «La Vierge Marie et l'Eucharistie», in L'Apôtre de Marie, Nivelles, 1911, 8,
pp. 45-50.
60- «Mariology and catechism
of particular examen», Dayton, St Mary’s College, 1915.
61- «Ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus qui vit
en moi», in L'Apôtre de Marie,
Nivelles, 1921, 13, pp. 193-196.
62- «A propos du XXIXe Congrès
Eucharistique International à Sidney, Marie, Mère de l'Eucharistie», in L’Apôtre
de Marie, Nivelles, 1928, 20, pp. 161-167.
63- «La Maternité divine et l'amour de Marie pour
Dieu et pour les hommes», in L'Apôtre de
Marie, Nivelles, 1931, 23, pp. 42-49.
64- «Une œuvre d'apostolat moderne : la Légion de Marie», in L'Apôtre de Marie, Nivelles, 1933, 24,
pp. 372-378.
65- «Communication à Marie de nos impressions et
réflexions», in L'Apôtre de Marie,
Nivelles, 1937-1938, 28, pp. 241-243 ; 28, pp. 281-284 ; 29, pp.
361-364 ; 28, pp. 401-406.
66- «La Souveraineté de Marie», in L'Apôtre de Marie, Nivelles, 1938, 29,
pp. 41-43 ; 29, pp. 81-85 ; 29, pp. 121-124 ; 29, pp.
161-163 ; 29, pp. 201-205 ; 29, pp. 241-243 ; 29, pp. 281-283.
67- «Les Mouvements marials», in L'Apôtre de Marie, Paris, 1949, 33, pp.
88-100.
68- «Les évènements marials de Rome et notre
mission», in L'Apôtre de Marie,
Paris, 1951, 34, pp. 13-18.
69- «Nation of Saints», in Marianist Educator, Vol. V, n° 1, p. 10,
October, 1952.
70- «Mary and the
Apostolate», in Marian Library Studies,
n° 3, Dayton, 1952.
71- «L'esclavage de Marie selon saint Louis-Marie de
Montfort et la piété filiale selon le Père Chaminade», in Traité d'Union Marianiste, Sion (Suisse), 1953, n° 9, pp.
2-4 ; n° 12, pp. 1-3.
72- «Une résurrection : les Enfants de Marie»,
in L'Apôtre de Marie, Paris, 1953
1954, 35, pp. 85-87 ; 35, pp. 165-168 ; 35, pp. 196-201.
73- «Les journées mariales de Paray-le-Monial», in L'Apôtre de Marie, Nivelles, 1953, 26,
pp. 601-604.
74- «La Commission mariologique des étudiants
américains», in L'Apôtre de Marie,
Paris, 1954, 35, pp. 315-319.
75- «Lo zelo dell'apostolato di
Maria», in L'Ora di Maria, Giove, I, n° 3, p. 33.
76- «Mary's Apostolic
Mission and Pius XII», in The Marianist,
Dayton, 1956, 47 n° 3, pp. 12-15 ; 26.
77- «Queen of the
Apostolate», in The Marianist,
Dayton, 1957, 48, n° 6, pp. 15-20.
78- «Mary's Role in the
Priestly Mission», in The Marianist,
Dayton, 1958, 49 pp. 2-5.
La carte politique
des grandes nations est modifiée au XIXe siècle. En Europe, après la
guerre de 1870 et l’unité italienne qui induit l’affaiblissement politique du
Saint-Siège, nous assistons à la formation du nouvel empire germanique avec
l’annexion de l’Alsace-Lorraine qui concerne de près l’histoire d’Emile
Neubert. En Amérique du Nord, les Marianistes furent appelés très tôt.
L’évolution religieuse de cette région de la planète fait se croiser les
chrétiens catholiques et les chrétiens issus des Eglises de la Réforme et des
sectes qui en découlent, non sans heurts. Il sera un des grands acteurs aux
Etats-Unis de l’enracinement marianiste dans le début du XXe siècle.
Il faut noter
l’influence de l’expansion coloniale, (notamment de l’Angleterre), avec le
développement commercial qui s’accompagne de toute cette nouvelle réalité des
forces de productions et de l’âge industriel qui entrent en jeu dès la fin du
XVIIIe siècle et trouvent leur apogée au XIXe (explosion
du capitalisme libéral).
La machine à vapeur
signe le début de la grande industrialisation et sa conséquence
immédiate : l’appel de la main d’œuvre des campagnes vers les villes
industrielles. Nous assistons à un véritable changement de civilisation où
l’Eglise est prise de court, avec ses petits clochers paroissiaux disséminés
dans la campagne, alors que les villes en expansion économique et urbaine
n’offrent pas immédiatement les infrastructures ecclésiales nécessaires à
l’évangélisation. Mais il y a pire : les paysans devenus ouvriers sont
instruits par le marxisme et d’autres idéologies. Il faut souligner qu’une part
importante de la haute bourgeoisie industrielle et bancaire fera tout pour
éloigner l’influence de l’Eglise sur les ouvriers.
L’Eglise, avant Rerum Novarum (1891), par l’action de
laïcs, initiera les premières protections sociales et des embryons de syndicats
(les catholiques sociaux, Ozanam). Malheureusement, la hiérarchie se laissera
surprendre par les idéologies dominantes aux XIXe et XXe
siècles : Darwin, Marx, Nietzsche, Freud. Elle ne put immédiatement réagir
aux phénomènes aléatoires d’un certain enrichissement des masses, accompagné de
phases de dépression et de paupérisation, vérifiant la théorie des cycles longs
de vingt-cinq ans décrits par Kondratief[172]. La crise américaine de 1929, suivie par la seconde
guerre mondiale, fait entrer l’Europe dans une phase marquée par des élans de
productivité renouvelés, ceci jusqu’aux premières secousses de la crise du
pétrole onze ans après la fin du Concile Vatican II (Cf. Premier choc pétrolier
d’octobre 1973).
Dans la même
dynamique de progrès, l’évolution des sciences multiplie de nouvelles
spécialisations dans tous les domaines d’investigation de l’être humain, sur
lui-même et sur son environnement, surtout en Europe et en Amérique du Nord. On
parle d’une seconde révolution industrielle qui suit la première guerre
mondiale, avec le développement de l’électronique, des recherches spatiales,
nucléaires, médicales (pénicilline et microchirurgie) etc. Les grandes
institutions humaines et religieuses sont confrontées aux nouvelles questions
sociales, économiques, familiales et éthiques.
Nous assistons au
XVIIe siècle, dans un premier temps, à la formidable impulsion
mystique et pastorale de l'Ecole Française de Spiritualité. Elle a pour pivot
la doctrine de l’Incarnation, elle enfante des hérauts : le cardinal
Pierre de Bérulle, François de Sales et Vincent de Paul. Elle porta ses fruits
par de grands noms[173] qui furent parfois des fondateurs, tant féminins
que masculins (les Bérulliens seront tous missionnaires) et dont plusieurs,
expressément cités, tels Olier et Grignion de Montfort eurent leur influence
sur la spiritualité et la théologie dans le corpus
«neubertien».
Un des grands axes
du XVIIe siècle fut la formation spirituelle des laïcs et des
prêtres et l’éducation des enfants. Ce siècle initia également des missions à
l’intérieur, mais aussi à l’extérieur de la France et de l’Europe. Ce fut
vraiment un siècle extraordinaire : «un siècle de saints[174]», un siècle à la fois mystique et apostolique,
pastoral, missionnaire et profondément spirituel.
Dans un deuxième
temps, le XVIIIe siècle fut davantage marqué par de grandes crises
aux conséquences tragiques et perceptibles dans la vie spirituelle d’Emile
Neubert : exemple sa difficulté à obtenir l’autorisation de communier tous
les jours, à l’époque du postulat et du noviciat, est liée à une mentalité
janséniste qui perdurait, mentalité appuyée par certains ouvrages de théologie,
ayant leur influence parfois jusque dans la vie religieuse[175].
L’Eglise était
confrontée, en plus du jansénisme, au gallicanisme, au quiétisme, aux
conséquences de la Révocation de l’Edit de Nantes (1685) - en amont du
flux énorme d’immigration vers le Nouveau Monde : plus de deux cent mille
protestants français partent en exil - à la contestation de l’Eglise et à l’anticléricalisme […] Tout cela contribuera en France à
faciliter l’explosion de la Révolution Française qui se retourna contre l’Eglise avec la «Constitution civile du
Clergé.»
Le début du XIXe
siècle hérite de ces perturbations. Les différentes formes de persécutions
religieuses constituaient autant d’appels à des élans missionnaires nouveaux à
l’intérieur comme à l’extérieur de l’Hexagone. C’est le cas des Congrégations Mariales (pour les laïcs)
fondées par le Père Chaminade à Bordeaux, les Instituts religieux (appelés
couramment Marianistes) fondés par lui avec Adèle de Batz de Trenquelléon, les Filles de Marie Immaculée et les Frères de Marie (Société de Marie),
ainsi que les Filles de La Miséricorde de
Bordeaux fondées par mademoiselle de Lamourous (sa fille spirituelle).
Ces réalités
permettent à l’Eglise de s’enrichir de nouvelles figures de sainteté.
Dans le domaine de
l’éducation, en plus des Marianistes, évoquons
les Frères Maristes avec Marcellin
Champagnat (1789-1840), les Salésiens avec
Jean Bosco (1815-1888), les Religieux du
Sacré-Cœur avec Timon David (1823-1891) qui cherchent à rejoindre la classe
ouvrière. Dans le domaine de la presse et de l’édition, les Assomptionnistes avec Emmanuel d’Alzon
(1810-1880), les Prêtres du Sacré-Cœur de
Saint Quentin avec le P. Déhon (1843-1925) aident au renouvellement
intellectuel. Dans la mission ouvrière, les
Prêtres du Prado avec Antoine Chevrier (1826-1879) maintiennent des liens
ecclésiaux. Dans la première partie du XXe siècle, saint Maximilien Kolbe (1894-1941) participera
au renouveau marial. Il se servira du petit Traité d’Emile Neubert Mon idéal Jésus Fils de Marie qui contribua à approfondir l’inspiration
de son œuvre[176].
Durant ce XIXe
siècle, des courants nouveaux apparaissent : le libéralisme catholique, le
catholicisme social, l’évolution vers l’acceptation de la démocratie, la crise moderniste qui n’éclatera vraiment qu’au début du XXe
siècle, mais qui couvait déjà lors du XIXe, à la suite de
l’enseignement d’Alfred Loisy (notamment sur la question biblique). Si bien
qu’Emile Neubert fut profondément atteint dans sa jeune vie de séminariste par
cette réalité lors de sa formation à Fribourg, comme il en témoigne dans son
autobiographie.
Nous observons au
XIXe siècle, malgré les secousses de la période précédente, une restauration des Ordres et Congrégations
Religieuses anciens. Elles offrent des figures originales de sainteté dont
l’une fera l’objet de son tout dernier livre: sainte Thérèse de l’Enfant Jésus,
qui fut nommée Docteur de l’Eglise à
l’aube du troisième millénaire par Jean-Paul II[177]. S’ajoute à cela un mouvement immense venant de la
France : les missions évangélisatrices dans le monde.
Rappelons, que nous avions
assisté dès le début de l’époque moderne, - et surtout au temps de la Réforme,
provoquant la réaction de la Contre-Réforme - à une sorte de divorce latent entre
la recherche théologique, devenue de plus en plus un monopole universitaire, et
la croyance du peuple, entre la liturgie officielle usant la langue latine, et
les recherches de communication avec l’au-delà sous le mode de dévotion
populaire parfois par des pratiques dangereuses que le Magistère condamnera. En
effet, on assiste à l’envahissement du spiritisme, de l’occultisme, à
l’influence non maîtrisée de la pensée hindoue et boudhiste dans le domaine de
la philosophie, des arts littéaires et picturaux : elles offriront les
bases au Nouvel Age. Dans ce contexte, «la Vierge Marie est un centre
d’attraction pour ce piétisme compensateur de théologie officielle
exclusivement masculine[178].»
Les XVIIe
et XVIIIe furent marqués en mariologie par les controverses axées
sur l’Immaculée Conception.
Durant la seconde
moitié du XVIIe siècle, à côté de la dévotion populaire multiforme,
une certaine élite composée de clercs, religieux et même de laïcs fervents et
cultivés s’engage dans une recherche de synthèse qui veut allier
l’approfondissement théologique à l’expérience vécue. En approfondissant le
rôle de Marie, la perspective est double, unissant à la fois la recherche de
perfection personnelle et l’apostolat.
1 L’oblatio des congrégations de la sainte
Vierge pour laïcs, en vue de l’acquisition des vertus et du développement de la
piété chrétienne - développées dans un second temps par les Jésuites - prône la
dévotion à Marie protectrice, jusqu’à
sceller par un acte officiel le pacte liant le congréganiste à la Vierge. Le
Père Neubert, fidèle héritier du Père Chaminade, lui-même héritier de ce
courant apostolique, en sera profondément imprégné.
2 La vie ‘Marie-forme’ du Carmel[179], prend son fondement dans la maternité de Marie, elle
oriente le chrétien vers une perfection où l’âme se laisse former et animer par
l’esprit de Marie jusqu’à être transformée en elle, de manière que Marie (qui
sert de moyen et de plus fort lien de l’âme avec Dieu) vit et fait toute chose
en elle.
3 L’esclavage marial (dont l’esprit du
culte remonte au VIe siècle) eut ses caricatures, contre lesquelles
le Saint Office réagit. Mais il eut ses prestigieux promoteurs, (Bérulle,
Jobert, Neveu, et surtout Boudon), ils décelèrent l’attitude profonde de
donation par amour.
La doctrine mariale
de Monsieur Boudon (lui-même inspiré par ses prédécesseurs) exerça une grande
influence malgré la contestation qui s’exprima dans la querelle des Avis salutaires[180]. Elle fut reprise et perfectionnée cinquante ans
plus tard par Grignion de Montfort. Le jeune Emile Neubert en témoigne, décidé
au début de sa vie de scolastique pour le port des chaînettes, proposé dans le Traité de la Vraie Dévotion[181].
Saint Louis-Marie
Grignion de Montfort (1673-1716), - après Jean-Jacques Olier (1608-1657) et
saint Jean Eudes (1601-1680) - offre une solution mariale à la crise pastorale
du XVIIe siècle dans sa prédication et ses écrits, surtout ses
cantiques. Il allie avec une grande saveur d’expression la précision du dogme
et l’héritage de la Tradition à la piété populaire.
Son fameux Traité de la vraie dévotion (1712), édité au milieu de XIXe
siècle (en 1843) après son succès mondial croissant, toujours actuel, sera
l’objet d’une Lettre aux familles
montfortaines sur la doctrine mariale de leur saint fondateur[182] par le Pape Jean-Paul II en 2004 pour l’anniversaire
de son édition.
Grâce au génie du
Père de Montfort, la transition se fait vers le XVIIIe siècle. Ce
siècle qui vise à promouvoir le culte de Marie est enrichi par la production de
documents pontificaux. Ils sont soutenus par des traités de théologie, ils
cherchent à justifier les prérogatives de la Vierge et son culte par l’autorité
des Pères et des auteurs du Moyen Age dont Duns Scot qui fut le fondateur
théologique de la définition du dogme de l’Immaculée Conception.
Tous ces travaux
contribuent pour la période qui nous préoccupe au développement du dogme
marial : l’Immaculée Conception, l’Assomption.
Ces évènements
théologiques et spirituels projettent dans la lumière les développements
suivants : la coopération de Marie à
la Rédemption, sa maternité
spirituelle, son universelle
médiation dans la distribution des grâces. Ainsi, la vénération, l’invocation et l’imitation de Marie ne sont pas des
pratiques surérogatoires, elles constituent une attitude nécessaire au salut
[...] La piété envers Marie se présente comme une marque de prédestination,
pour autant qu’elle est «emendativa vitae»
et qu’elle recourt aux moyens nécessaires au salut.
La piété populaire
s’en trouve renforcée. Elle voit apparaître, en plus des pratiques traditionnelles,
la célébration du mois de mai en l’honneur de Marie. Une nouvelle dévotion qui
méritait de s’appuyer davantage sur la Parole de Dieu et de rechercher son lien
liturgique christocentrique […] Autant d’éléments ajoutés à des excès de
langage qui donnèrent prise à des critiques souvent justifiées : elles
tendaient à purifier ces dévotions populaires.
Muratori (1672-1750)
par exemple, - considéré par certains, comme esprit ayant influencé les
approches du Concile Vatican II - se soucia de recentrer la piété mariale dans
un cadre théologique plus vaste. Il tenait compte de la liturgie et des
acquisitions scientifiques. Mais sa difficulté à donner une juste place aux
formes et aux mentalités populaires de son époque témoigne de l’embarras de
certains théologiens (dont les critiques peuvent enrichir l’Eglise), à
équilibrer l’expression et le contenu de leurs recherches dans l’intégration
sereine de la voix du Peuple de Dieu.
Les Gloires de Marie (1750) de saint
Alphonse de Liguori (1696-1787), contribuèrent à la découverte de la Vierge
Marie par Emile Neubert ; elles sont un exemple de présentation de Marie
dans tout l’itinéraire spirituel du chrétien. Elles nourrissent une solide
piété mariale éloignée de l’illuminisme et du rigorisme.
Nous arrivons au XIXe
siècle qui fut assez pauvre dans ses premières décennies quant aux formes
d’expression doctrinales, culturelles et artistiques, mais qu’on ne peut
résumer sous ce seul aspect.
La mariologie, vers
le milieu du XIXe siècle, reçoit une impulsion positive de la
papauté qui prend la tête du mouvement marial et définit le dogme de
l’Immaculée Conception (1854).
Dans son ouvrage La mission apostolique de Marie et la nôtre,
Emile Neubert fait une recension historique sur Marie et l’apostolat de la vie
dans laquelle il mentionne : «Les fondations religieuses apostoliques»,
«Marie et l’apostolat du clergé séculier», «Marie et l’apostolat de l’action
catholique», «Les enfants de Marie», «La Milice de Marie Immaculée», «La Légion
de Marie», «Le témoignage de la liturgie», et enfin «Les enseignements des
souverains pontifes[183].»
Le phénomène des
apparitions mariales en Europe est un autre signe de vitalité, il est à
l’origine des conversions et des mouvements de foules[184]. Ces apparitions renvoient théologiens et libres-penseurs
à la notion du surnaturel dans un monde subjugué par ses découvertes
scientifiques et la maîtrise qu’il espère en tirer, (sans parler des
oppositions farouches des courants modernistes en tout ce qui concerne la foi
et le surnaturel.) Emile Neubert consacre un chapitre entier à l’apport des
apparitions reconnues, partant de celles de Marie à sainte Catherine Labouré, à
la chapelle de la rue du Bac[185].
La figure
spirituelle et missionnaire d’Emile Neubert apparaît dans la première moitié du
XXe siècle, dans la réalité de l’Eglise et du monde aux multiples
visages avec ses ombres et ses lumières. C’est une période où la figure de la Vierge Marie prend dans
l’Eglise catholique un extraordinaire relief qui culmine avec les années
mariales de la fin du pontificat de Pie XII : définition de l’Assomption
en 1950, centenaire du dogme de l’Immaculée Conception en 1954, centenaire de
Lourdes en 1958[186].
Emile Neubert,
spécialisé dans la mariologie, n’ignore pas les réalités sociales, économiques,
culturelles et politiques de son temps. En pleine production littéraire (durant
la période des trente glorieuses), il fait paraître une biographie : Un Apôtre de la Vierge et de la J. O.
C. : L'abbé René Mougel, Marianiste 1911-1946, il relaie le témoignage
d’un de ses confrères, prêtre marianiste lié à la J.O.C., engagé dans une
Eglise confrontée de plus en plus aux réalités des travailleurs qui répondent
aux appels croissants de main-d’œuvre des immenses complexes industriels. A la
suite du fameux Père Mougel, il prit conscience que la J.O.C. avait pour
mission d’emmener l’Evangile dans la vie de tous les jours et ferait parler du
Christ sur les lieux de travail, élaborant une relecture chrétienne des
phénomènes économiques de masse.
Il n’hésite pas à
titrer un chapitre de son livre ainsi :
Notre Dame des Ouvriers : une méthode d’apostolat et une doctrine.
[…] La Mère du Christ étant aussi notre Mère, les
militants (de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne) doivent comprendre que leur
action conquérante est justement celle de Marie, la Mère qui veut changer le
monde à la ressemblance de son Fils, qui veut donc tout spécialement former le
Christ Ouvrier dans ses fils les ouvriers[187].
Emile Neubert
cherchait à s’adresser aux chrétiens, en tenant compte de leur diversité, par
le biais de ses ouvrages, depuis les futurs prêtres en formation jusqu’au
peuple de Dieu dans son ensemble. Il passe par les réalités de la famille, des
éducateurs, des militants, etc.; ce qui témoigne d’une grande actualité
pastorale.
Il nous donna son
message, il faut le souligner, dans une conscience aiguë des «derniers temps»,
il retrouva là cette réalité bien présente chez Guillaume-Joseph Chaminade.
On se dirait à la veille d’une solennelle
proclamation du rôle apostolique de Marie dans l’Eglise du Christ.
Pourquoi Dieu veut-il que, dans ces «derniers
temps», cette mission de la Vierge soit plus manifeste ? […]
Il semble qu’on puisse donner deux raisons. La
première, c’est le caractère particulier de la lutte engagée de nos jours
contre la foi [...] Le Christ Roi de l’univers ou le Christ proscrit de toute
sa création, voilà l’enjeu [...] Telle est la raison donnée par le Père
Chaminade. Il voit apparaître une hérésie nouvelle l’indifférence religieuse,
qui menace d’engloutir tout l’ordre surnaturel […]
La seconde raison, c’est l’accroissement merveilleux
qu’a pris dans ces derniers temps la dévotion au Christ. Culte du Sacré-Cœur,
pratique de la communion quotidienne, étude enthousiaste de la personne du
Christ, autant de signes révélateurs du désir que Dieu nourrit de glorifier son
Fils fait homme et de le mettre triomphalement au centre de la religion
individuelle et sociale. Or, c’est un fait prouvé par l’expérience et la foi,
on n’arrive à la pleine intelligence du Christ que par Marie. Si le Christ doit
être mieux connu et mieux aimé, il faut que Marie le soit également, et
qu’apparaisse plus clairement sa mission dans la conversion et la
sanctification des âmes.
Du reste, cette floraison merveilleuse de la
dévotion au Christ est une conséquence, et une conséquence prévue, du renouveau
marial. Elle l’a suivi à cinquante ans d’intervalle. Or tout comme ce dernier,
elle avait été prédite. Le bienheureux de Montfort avait annoncé que le Règne
de Marie inaugurerait le Règne du Christ, et le Père Chaminade avait affirmé
qu’une grande victoire était réservée à Marie, et que par elle, et elle seule,
les âmes seraient amenées à Jésus[188].
Le caractère
eschatologique et christocentrique de ce texte qui se poursuit par le lien
nécessaire entre l’apostolat et la piété filiale nous donne un très bon aperçu,
une véritable vision prophétique d’Emile
Neubert sur le sens de l’histoire. Elle intègre celle des siècles qui précèdent
l’époque où il écrit et sa propre période. Nous sommes à la fin des années
vingt, période où se termine la phase
conquérante pour l’Eglise et pour l’économie occidentale dont nous avons
parlé plus haut.
Il commença
d’exprimer ses convictions dans le cadre des cours donnés aux Etats-Unis, tout
imprégné qu’il fut de l’impulsion apostolique du Père Guillaume-Joseph
Chaminade. Il cherche à motiver dans leur élan missionnaire tous ses élèves.
Le Père
Guillaume-Joseph Chaminade, fondateur de la Famille Marianiste au début du XIXe
siècle, contribua à mieux faire connaître le mystère du Christ par une approche
biblique et patristique de son époque. Faire
connaître, aimer et servir le Christ, tel était son leitmotiv.
Dans la seconde
moitié du XIXe siècle, nous sommes encore dans la phase et dans le
climat de production littéraire des siècles précédents, avec ses traités de
mariologie autonome.
La mariologie tant
par le fond que par le style ou absence de style se poursuivra globalement
jusqu’au tournant de Vatican II. Nous sommes dans une période de l’avant
Concile, cette période dans laquelle Emile Neubert s’insère parfaitement, si on
en juge par sa production littéraire globale, avec surtout, son fameux traité
systématique de mariologie Marie dans le
dogme commencé dans les années vingt, puis repris et édité en France en
1954. Une date qui correspond à l’année mariale, elle suit de quatre ans la
promulgation du dogme de l’Assomption (1950), accompagnée par une intense
activité de congrès mariologiques ou mariaux internationaux, organisés par les
sociétés mariales qui se développèrent dès le début des années trente jusqu’au
Concile Vatican II.
Nous mentionnerons,
pour donner une idée de la production mariale autonome du XIXe
siècle, les écrits de type apologétique d’Auguste Nicolas[189] (1807-1885) et les travaux scientifiques à trente
ans de distance de Francesco Morgott et Emile Neubert, comme en parle le Père
Koehler dans son Histoire de la
Mariologie de 1650 au début du XXe siècle[190].
Deux travaux
scientifiques démontrent les progrès faits dans les études mariologiques :
Francesco Morgott, présente la mariologie
de saint Thomas d’Aquin[191]. C’est une bonne synthèse fondée sur les textes où
nous découvrons comment l’Ecole thomiste cherche à mettre le saint Docteur en
accord avec le dogme de l’Immaculée Conception.
En 1908, apparaît
dans la collection Bibliothèque théologique
la thèse du marianiste Emile Neubert (1878-1967), présentée en 1907 à la
faculté de théologie de l’Université catholique de Fribourg (Suisse), fondée en
1889.
«Ce travail sur la
doctrine mariale avant le Concile de Nicée (325), d’après le P. H. du Manoir et
l’Abbé Laurentin, - comme l’affirme Luigi Gambero - c’était la première thèse
de doctorat qui ait jamais été écrite en mariologie dans une Faculté pour
obtenir le doctorat en théologie sacrée[192].» La contribution théologique d’Emile Neubert
arrive opportunément comme le note l’auteur dans son introduction, car beaucoup
d’études sur les premiers siècles de la chrétienté n’avaient pas mis en
évidence la foi des premières générations dans le mystère marial.
Dans ce vide
théologique, certains travaux protestants se proposaient d’expliquer l’origine
du culte marial comme un substitut au culte des divinités païennes ou une sorte
de vénération liée aux climats ascétiques en vue d’exalter la virginité[193].
Sa thèse de doctorat est sa première publication
(1908). Il serait utile, dans un premier temps, de la situer dans le contexte
plus large des études scientifiques et mariologiques de son époque. Il convient
de souligner quelques points saillants de sa bibliographie sur les auteurs
contemporains qui contribuèrent à enrichir son étude, en complémentarité avec
les Pères, les docteurs et les mystiques. Il est utile de rappeler, à cet
endroit, selon le principe du Père Léthel :
En théologie,
pour bien interpréter un auteur, il ne suffit pas d’étudier ses sources
littéraires, c’est-à-dire les auteurs qu’il a lui-même étudiés et connus ;
en particulier, lorsqu’il s’agit des saints, tous ont communié intensément,
dans le même Esprit Saint, à l’unique source qui est Jésus ; dans le même
Esprit, tous ont lu la même Ecriture sainte, tous ont vécu le même Evangile
dans la même Eglise, tous ont communié au même Corps de Jésus[194].
Un rapide aperçu de la présentation bibliographique
du Père Neubert au début de sa thèse, nous donne une idée du caractère assez
récent des ouvrages qui l’ont accompagné dans sa recherche, outre les écrits
des Pères de l’Eglise[195] aux premiers
siècles ou les apocryphes du Nouveau Testament[196].
Nous remarquons la présence d’Henry Newman
(1801-1890)[197] et Jean-Baptiste Terrien
(1832-1903)[198] qui ont en commun
une référence fondamentale aux Pères de l’Eglise, parmi les théologiens (en
général de qualité) de la seconde moitié du XIXe siècle.
Newman, par sa réponse à l’Eirenicon (1865), de E.-B. Pusey, en appelle à la doctrine des
Pères de «l’Eglise non divisée», il établit le lien nécessaire entre
l’enseignement catholique et celui des Pères au sujet de Marie[199].
Jean-Baptiste Terrien, qui publie à partir de 1900
les quatre volumes la Mère de Dieu et la
Mère des hommes, utilise les richesses de la patrologie gréco-latine que
Migne avait mise à la disposition des théologiens (série latine
1844-1864 ; série grecque : 1857-1866). Il cherche à mettre en
évidence l’idée centrale : Marie est la Mère de Dieu et la Mère des
hommes. Les deux maternités à la fin de son exposé s’interpénètrent pour ne
faire qu’une seule et même maternité[200]. Il offre une
contribution précieuse à l’époque par son esprit d’observation, son érudition,
dans un souci de respecter la vérité sur l’évolution des croyances religieuses,
suivant un ordre diachronique, plutôt qu’une approche synchronique. Cette
démarche d’un ordre chronologique sera celle qu’Emile Neubert suivra dans sa
thèse pour chaque thématique abordée.
Cette approche nouvelle d’une théologie mariale positive
avec Terrien qui se démarque de toute la démarche du mouvement marial de la
Contre-Réforme[201], aboutit à une
affirmation centrale qui est au cœur de l’enseignement marial d’Emile Neubert -
et que nous retrouvons dès le premier ouvrage, de l’ensemble de son œuvre
jusqu’au tout dernier - : la double
maternité de Marie, Mère de Dieu et
Mère spirituelle des hommes.
Signalons la place importante des théologiens
historiens et exégètes de renom pour la recherche dogmatique de sa thèse, tant
du côté catholique que du côté protestant[202]. Parmi ces auteurs
dont les œuvres remarquables étaient très récentes à son époque, nous trouvons
les noms de J. Tixéron (1856-1925), E. F. Vacandard (1849-1927), M.-J. Lagrange
(1855-1938), K. Rösch (1869-1944), J.-P. Kirsch (1861-1941).
La place importante donnée aux recherches
archéologiques, autour des catacombes romaines notamment, avec Wilpert et
Kirsch contribuera à la publication postérieure à sa thèse sur ce thème :
«Mary in the Paintings of the Roman Catacombs», in L'Apôtre de Marie,
2,1, Nivelles, 1910.
Enfin, parmi les auteurs protestants, tels E.
Schürer, A. Hilgenfeld, notons le choix de Kattenbusch (1825-1935), disciple de
Ritschi, qui fut un pionnier dans le dialogue œcuménique avec l’Eglise
orthodoxe. L’objectif qu’il suivit est spécifié dans une note de sa
bibliographie :
Je ne mentionne ici, parmi les ouvrages dont je me suis servi, que ceux
qui ont directement trait aux points touchés dans ce travail, et qu'il est de
quelque intérêt de consulter. J'omets en conséquence ceux qui ne présentent
aucune originalité scientifique, et ceux qui se rapportent uniquement à
l'exégèse du Nouveau Testament (pour et contre la conception virginale), vu que
je n'étudie ici l'histoire de la marialogie qu'à partir de la fixation, dans
les Evangiles, des récits relatifs à la naissance de Jésus[203].
Nous avons fait le choix de commencer - en tenant
compte de la chronologie des étapes de la découverte de Marie, dans la vie
d’Emile Neubert - par la présentation de saint Louis-Marie Grignion de Montfort
qui est un repère obligé et très actuel de la mariologie. La demande des
évêques de le déclarer «docteur de l’Eglise» simultanément avec sainte Thérèse
de l’Enfant Jésus, relance l’actualité de ce grand saint, héritier de l’Ecole
Française de Spiritualité.
C’est vers l’âge de vingt ans, qu’Emile Neubert
découvrit, durant son scolasticat, la spiritualité montfortaine :
A la fin de mon scolasticat,
le Père Kieffer -notre directeur à l’époque - m’a donné un exemplaire de La Vraie Dévotion à Marie par Grignion
de Montfort.
Cet auteur insistait sur le saint esclavage, ce qui me frappa très fort.
Du fait que notre doctrine sur la dévotion du Fondateur à l’égard de la
bienheureuse Mère (Marie) était inconnue, j’en étais venu à me poser la
question, pendant un certain temps, si sa dévotion (celle de Grignion de
Montfort) n’était pas supérieure à la nôtre[204].
La consécration à Marie qu’il prêchait me paraissait plus totale que la
nôtre et je tâchai de trouver une chaînette pour porter l’insigne du saint
esclavage[205].
Sous l’influence spirituelle du Père de Montfort, à
partir du Traité de la vraie Dévotion à
la Sainte Vierge, redécouvert en 1842, le jeune Emile fit sa consécration
mariale. Il s’agit d’un manuel de spiritualité qui deviendra un classique de la
piété mariale. Il inspirera de grands noms de l’apostolat des XIXe
et XXe siècles : Léon XIII , Pie X, Frank Duff, Maximilien
Kolbe, Marthe Robin, Chiara Lubich et Jean-Paul II[206].
Emile Neubert fait souvent référence aux papes,
parmi lesquels Léon XIII qui béatifia le Père de Montfort[207]. Sous l’impulsion
du Traité de la vraie dévotion à la
sainte Vierge, ce pape publia chaque année de 1883 à 1901 une encyclique
sur la dévotion mariale et en particulier sur le rosaire[208]. De même saint Pie
X, si souvent mentionné dans le corpus
«neubertien» pour son encyclique Ad diem illum[209]
(1904) sur la médiation universelle de Marie et sa maternité spirituelle -
publiée à l’occasion du cinquantième anniversaire de la définition dogmatique
de l’Immaculée Conception- et dans laquelle l’inspiration du fameux Traité transparaît avec toute la vision
du Corps Mystique de l’Eglise selon le Père de Montfort et qu’Emile Neubert
fait sienne.
Le Père Neubert nous donne, à la différence de
Jean-Paul II, un aperçu du Traité de la
Vraie Dévotion dans le cadre strict de notre consécration à Marie. Mais il
est rejoint parfaitement par le pape Jean-Paul II dans sa réflexion sur les
«apôtres de la fin des temps[210]» et les fins
dernières. Tous deux s’inspirent de la vision eschatologique de saint
Louis-Marie Grignion de Montfort, le «dernier des grands bérulliens», selon
l’expression de l’historien Henri Brémond[211].
Nous retrouvons dans le corpus «neubertien» de
telles insistances et récurrences appartenant au Traité de la Vraie Dévotion qu’il nous est possible de dire qu’il
se situe en position de «disciple» de saint Louis-Marie Grignion de Montfort,
dans sa manière de formuler et de préciser certaines affirmations.
Dans l’ouvrage Notre
don de Dieu, (édition de 1954), il commence le tout premier chapitre par ce
titre : La dévotion à Notre Seigneur
fondement indispensable de notre dévotion à Marie. Il présente la dévotion à Jésus chez le jeune Chaminade,
puis Le P. Chaminade et l’Ecole
Française. Dévotion au Verbe Incarné. Et, ce qu’il développe en ce
chapitre, manifeste le christocentrisme, caractéristique de «l’Ecole Française
de Spiritualité[212],» si présent dans
les écrits et paroles de Guillaume-Joseph Chaminade, dont il reprend des
développements théologiques mais surtout dans l’œuvre de saint Louis-Marie
Grignion de Montfort.
Les sous-titres dans Notre Don de Dieu sont évocateurs :
Vivre comme
Jésus-Christ […] La conformité avec Jésus-Christ […] Contempler Jésus-Christ […] Vivre de Jésus-Christ […] Union la plus intime avec Jésus-Christ […] Notre identification avec Jésus-Christ.
Nous trouvons même sous sa plume, une reprise
d’ordre mystique de M. Olier, relevée par Chaminade. Elle ne se retrouvera plus
dans la suite de son œuvre : «Notre Seigneur est l’époux des âmes[213].»
Les mots qui résument son chapitre sont en parfaite
connivence avec ceux du Père de Montfort : « Il faut vivre pour
Jésus-Christ ; il faut vivre comme Jésus-Christ ; il faut vivre de
Jésus-Christ, et, si l’on peut dire, il faut vivre Jésus-Christ[214]. »
Saint Louis-Marie Grignion de Montfort, en fidèle
bérullien[215], pose dès le début
du Traité de la vraie dévotion, les
fondements de sa spiritualité, à partir de la Personne du Christ[216].
Notons que dans toute son œuvre, il est plus
attentif à poser les axes d’une solide piété mariale, il ne reviendra
d’ailleurs pas souvent sur ces accentuations christocentriques qu’il considère
acquises pour les lecteurs.
Il s’appuie à la fois sur l’exemple de saint Pie X,
de saint Louis-Marie Grignion de Montfort pour introduire les thématiques de
Marie et de l’Incarnation. Cette proximité d’auteurs n’est pas un hasard, il
semble bien que saint Pie X ait été en contact avec le fameux traité.[217]
Si, Mère du Christ, Marie devait devenir notre Mère, quand l’est-elle
devenue de fait ? D’abord par sa
coopération à l’Incarnation. C’est la raison donnée par Pie X, dans son
encyclique Ad Diem illum, du 2
février 1904, et déjà, en son langage original, par saint Louis-Marie Grignion
de Montfort dans son traité de la vraie dévotion à Marie[218].
Dans le corpus
«neubertien», les pages concernant saint Louis-Marie Grignion de Montfort
abordent amplement le thème de la consécration mariale, approfondi sous l’angle
marianiste :
Saint Louis-Marie Grignion de Montfort - écrit Emile Neubert -, énumère
davantage que le Père Chaminade le contenu du don fait à Marie dans le saint
esclavage ; mais de part et d’autre il est question d’un don total[219].
La Compagnie de Marie, qui se rattache à saint Louis-Marie Grignion de
Montfort, paraît également posséder un caractère marial analogue au nôtre […]
Les constitutions de la Société de Marie montfortaine […] expriment ce double
engagement d’appartenance totale à Marie et d’apostolat marial. Nous avons ici
encore une profession (religieuse) qui, par son but, est une consécration
totale à Marie à but apostolique.
Le Père Chaminade a connu la Compagnie de Marie. Sa vie par le Père
Simler rapporte qu’ « en 1832, les Missionnaires du Saint-Esprit du bienheureux
Grignion de Montfort (eurent) recours à ses lumières pour trancher des
difficultés dont dépendait leur existence. » Mais il est très douteux qu’il fût
au courant de leur doctrine mariale[220].
Dans son chapitre XII intitulé Notre don de Dieu : une
dévotion sans exemple, le théologien, soucieux de concision, ajoute un
appendice de dix pages qu’il intitule Le
saint esclavage et la piété filiale où il compare les deux types de
dévotion marianiste et montfortaine, à partir de la consécration. Il met en
évidence la radicalité du don de soi qu’il s’agit de faire à Marie[221] et l’annonce par le
Père de Montfort des apôtres des derniers temps qui seront des esclaves de Marie. Il renvoie aux n° 47
à 59 du Traité de la vraie Dévotion[222].
Il met également en relief la différence de
perspective entre Le Père de Montfort et le Père Chaminade.
Le but proposé par saint Louis-Marie Grignion de Montfort, est «la
sanctification personnelle» proposée à tous les baptisés[223], alors que la fin des consécrations proposées par
le Père Chaminade est avant tout apostolique.
Il nous explique, que cette différence de
perspective est due aux évolutions des temps. Evolutions nécessitées, à
l’époque du Père Chaminade, par la rareté des prêtres et la demande de soldats pour aider la Vierge dans sa guerre contre l’enfer.
Il prend soin de préciser, que dans les deux
instituts (marianistes) fondés par le Père Chaminade, la perfection personnelle
est le premier souci, car c’est la seule condition d’une efficacité
apostolique.
Il relève également d’autres différences : Tous les esclaves de Marie n’ont pas un
devoir spécial d’apostolat […] les
apôtres futurs qu’entrevoit le Père de Montfort seront tous des prêtres […][224].
Il prend soin de situer le terme esclavage et son origine dans l’histoire
de la spiritualité. Remontant à la fin du XVIe siècle en Espagne, ce
terme fut repris par Bérulle et l’archidiacre d’Evreux, Boudon qui inspira
Montfort :
Il résuma (cette dévotion) en exposant la doctrine dans un style clair,
vigoureux, enthousiaste […]
Si le Père de Montfort n’inventa pas le
nom de sa dévotion, il l’adopta volontiers, car il trouvait que le mot esclave
exprimait parfaitement l’idée de l’appartenance totale à la Vierge, qu’il
voulait inculquer à ses disciples. «Il n’y a rien, parmi les hommes, note-t-il,
qui nous fasse plus appartenir à Jésus-Christ et à sa sainte Mère que
l’esclavage de volonté[225] […]» Mais il ne s’agit pas d’un esclavage de
contrainte, il s’agit d’un esclavage d’amour[226].
L’expression esclavage
d’amour de notre auteur a l’avantage d’exprimer la radicalité du don de
soi. Nous retrouvons la même sensibilité d’interprétation avec le pape
Jean-Paul II :
On sait que l’auteur du Traité
définit sa dévotion comme une forme d’«esclavage». Le mot peut heurter nos
contemporains. Pour moi, je ne vois là aucune difficulté. Je pense qu’il s’agit
là d’une sorte de paradoxe comme on en relève souvent dans les Evangiles, les
mots : ‘saint esclavage’ signifiant que nous ne saurions exploiter plus à
fond notre liberté, le plus grands des dons que Dieu nous ait faits. Car la
liberté se mesure à la mesure de l’amour dont nous sommes capables. C’est cela,
je crois, que l’auteur a voulu nous montrer[227].
Pour Emile Neubert, la question du vocabulaire est
aussi très présente. Il se réfère au Fondateur des Congrégations Mariales de
Bordeaux. Outre le fait que le Père Chaminade tint compte des diverses
mentalités liées à la Révolution française et à toutes ses conséquences,
évitant d’employer le terme d’esclave, il relève que l’esprit de la
consécration «chaminadienne» est dans une perspective identique à celle du Père
de Montfort. Il s’agit pour le Père Chaminade, de la réunion des enfants de Marie les plus prononcés, dans la Société
de Marie :
Leur idéal, ce n’est pas l’enfant ordinaire, c’est Jésus, Fils de Marie
[…] Or Jésus a toujours travaillé pour sa Mère, il l’a associée à tous ses
mystères jusqu’à sa mort. L’esclave, au moment de son décès, est émancipé de
son maître. Jésus est toujours resté et restera pendant toute l’éternité
l’enfant de Marie, déférant à tous ses désirs. L’imitation de la piété filiale
de Jésus envers Marie entraîne donc une dépendance pour le moins tout aussi
totale que celle de l’esclavage à l’endroit de son maître…
L’esclavage que prêche le Père de Montfort est un esclavage filial. Par
son intention, le Père de Montfort rejoint la conception du Père Chaminade […]
Il semble donc permis de conclure que la pensée de saint Louis-Marie
Grignion de Montfort pressent celle du Père Chaminade, et que l’esclavage
d’amour s’oriente vers la piété filiale apostolique à l’imitation du Christ[228].
La réponse que le Père de Montfort aurait pu faire à
Emile Neubert pour résoudre la question de l’esclave qui est relevé de ses
obligations par la mort, serait de préciser le sens de l’expression : « dans
le temps et l’éternité», car il s’agit bien d’un esclavage d’amour. Utilisée
par le saint dans les derniers mots de son traité[229], cette expression
est déjà présente dans l’acte de consécration qui conclut le livre de L’amour de la Sagesse éternelle[230]. La précision pour l’éternité explicite cette notion
d’appartenance à Marie que la mort ne peut briser. Nous la retrouvons aussi
dans de nombreux cantiques.
Dans tous ses ouvrages, il garde en mémoire les
éléments du Traité de la Vraie dévotion ou
du Secret de Marie, et même des Cantiques, de saint Louis-Marie Grignion
de Montfort. Il n’hésite pas à s’y référer, quand il doit construire ses
thématiques mariales. Il fait alors appel à la contribution de plusieurs
auteurs. Louis-Marie Grignion de Montfort est son préféré.
Il en est de même dans son ouvrage La vie d’union à Marie, quand il aborde
les questions relatives à la communion à
l’âme de Marie et à ce qu’il nomme l’union
mystique. Les passages choisis chez saint Louis-Marie Grignion de Montfort
sont éloquents :
L'âme de la Sainte Vierge se communiquera à
vous pour glorifier le Seigneur ; son esprit entrera en la place du vôtre
pour se réjouir en Dieu, et il cite à propos le mot de saint Ambroise :
«Que l'âme de Marie soit en chacun pour y glorifier le Seigneur ; que
l'esprit de Marie soit en chacun pour s'y réjouir en Dieu[231].»
Travaillons […] chère âme, et faisons en
sorte que, par cette dévotion fidèlement pratiquée, l'âme de Marie soit en nous
pour glorifier le Seigneur, que l'esprit de Marie soit en nous pour se réjouir
en Dieu son Sauveur. Ce sont là les paroles de saint Ambroise […] Cette dévotion, fidèlement
pratiquée, produit une infinité d'effets dans l'âme. Mais le principal don que
les âmes possèdent, c'est d'établir ici-bas la vie de Marie dans une âme, en
sorte que ce n'est plus l'âme qui vit, mais Marie en elle, ou l'âme de Marie
devient son âme, pour ainsi dire. Or, quand par une grâce ineffable, mais
véritable, la divine Marie est Reine dans une âme, quelles merveilles n'y
fait-elle point ? Comme elle est l'ouvrière des grandes merveilles,
particulièrement à l'intérieur, elle y travaille en secret, à l'insu même de
l'âme qui, par sa connaissance, détruirait la beauté de ses ouvrages […] Enfin, Marie devient toute
chose à cette âme auprès de Jésus-Christ : elle éclaire son esprit par sa
pure foi. Elle approfondit son cœur par son humilité, elle l'élargit et
l'embrase par sa charité, elle le purifie par sa pureté, elle l'anoblit et
l'agrandit par sa maternité. Mais à quoi est-ce que je m'arrête ? Il n'y a
que l'expérience qui apprend ces merveilles de Marie, qui sont incroyables aux
gens savants et orgueilleux, et même au commun des dévots et dévotes[232].
Nous avons de bonnes raisons de penser que c’est le
Père Emile Neubert qui fit la demande suivante au Père Schellhorn pour en
obtenir la réponse qui suit :
Le Père Schellhorn parle d’une
fusion de l’âme avec l’âme de Marie. Un de ses amis lui ayant demandé un jour
comment il entendait l’expression de saint Louis de Montfort «faire toutes ses
actions en Marie», il lui
répondit :
En Marie est un degré plus élevé
qu’avec Marie. Cela signifie que
notre âme fusionne, pour ainsi dire, avec celle de la T. S. Vierge et agit de
plein concert avec elle en toutes choses[233].
Nous notons que pour lui, les apôtres des derniers temps, prédits par saint Louis-Marie Grignion
de Montfort, sont une annonce des membres de la famille marianiste:
Si de Montfort s’étend sur la
mission apostolique de Marie et parle avec enthousiasme des grands apôtres des
derniers temps, esclaves de Marie, il n’a pas, nous l’avons vu, proposé
l’apostolat comme but de leur consécration […] De Montfort ignore l’époque
où ces grands apôtres doivent apparaître […] Ce que Montfort ne sait pas
encore, la vierge de Saragosse l’a révélé au Père Chaminade : «c’est de
nos jours qu’est réservée à Marie une grande victoire ». Ces grands apôtres de
la Vierge que saint Louis-Marie entrevoyait, c’est lui qui a été chargé par
Notre Dame del Pilar de les lui recruter[234].
Marie est présente dans les différentes phases névralgiques
de l'histoire du salut, par la volonté divine[235]. Elle devient collaboratrice du Dieu de toutes grâces
par sa maternité divine qui se déploie dans sa maternité spirituelle et dans sa
mission apostolique, pour toujours.
La perspective est essentiellement christocentrique.
La connaissance et la révélation du mystère de Marie sont annoncées dans la
lumière eschatologique, très présente dans la théologie de saint Louis-Marie
Grignion de Montfort et dans la réflexion mariologique du pape Jean-Paul II. Il
nous faut lire ces textes dans l’esprit de l’économie du Salut, intelligence
héritée de la tradition patristique, reprise par le Concile Vatican II :
«Les derniers temps sont déjà arrivés.»
Chez Emile Neubert et chez saint Louis-Marie
Grignion de Montfort, Marie est médiation de l'Incarnation d'une part, et le
moyen de l'accomplissement de l'œuvre de Dieu d'autre part, à savoir son Règne
en Jésus-Christ dans le monde et son Retour en Gloire dans la cité des hommes.
Voulue par la Sainte Trinité, Marie, qui a rendu
possible l'Incarnation par son fiat, rend possible la venue quotidienne du
Christ jusqu'à la parousie au moyen de l'Eglise.
Cette argumentation appartient à la logique interne
de la pensée théologique d’Emile Neubert comme de celle de saint Louis-Marie
Grignion de Montfort, logiques qui se présentent comme une théologie de
l'histoire du Salut. Elles engagent chaque baptisé dans une mission
apostolique. Notre temps linéaire a un sens, car il mène à un accomplissement.
Marie contribue d'une manière unique au projet de Dieu pour le salut du monde,
à cause de l'Incarnation en qui l'histoire se résume. Elle rend visible Dieu
lui-même en son Fils. Après l'Incarnation, jusqu'à «la consommation des
siècles», nous sommes dans les derniers temps qui préparent le retour en gloire
du Christ, «le dernier avènement de Jésus[236]», «la venue du Fils
de l’homme sur la nuée.»
Chez Louis-Marie Grignion de Montfort, cette
approche est plus complète, elle montre une construction plus équilibrée de sa
pensée. Le mystère de la Croix est très présent, beaucoup moins chez Emile
Neubert. La place de l’Esprit Saint, si valorisée dans l’ensemble des œuvres de
saint Louis-Marie Grignion de Montfort, semble moins saillante en apparence
dans le corpus «neubertien». Il en va
de même pour la place centrale donnée au Christ.
Emile Neubert puisa largement son inspiration et ses
orientations théologiques dans les œuvres de Guillaume-Joseph Chaminade dont il
a commenté plus précisément la pensée dans certains ouvrages, en particulier Notre Don de Dieu et La doctrine mariale de Monsieur Chaminade.
Il convient de présenter cette figure missionnaire unique de la première moitié
du XIXe siècle.
Nous savons, par le témoignage qu’il en donne dans
son autobiographie, que c’est surtout à partir d’une retraite de scolasticat
prêchée par le Père Klobb en 1903, qu’il reçut le message du Père Chaminade sur
la mission apostolique de Marie. Ce fut là un tournant dans sa vie :
A la fin de la première année scolaire, M. l’abbé Klobb vint prêcher la
retraite annuelle aux séminaristes. Toutes ses conférences tournaient autour de
l’esprit apostolique. Le thème me plaisait beaucoup car depuis ma seconde
conversion au postulat, l’idée de la conversion et de la sanctification des
âmes a été une de mes trois grandes idées-forces, conséquence naturelle de mon
union avec Jésus le Rédempteur, et Marie la mère des âmes[237].
En même temps, il découvre le lien profond qui unit
le mystère de Marie à l’apostolat :
M. l’abbé Klobb expliqua les relations de Marie avec l’apostolat, en
particulier dans la Société de Marie, d’après le Père Chaminade : la
mission apostolique de Marie, surtout dans les temps nouveaux ; la
fondation de la Société de Marie pour donner à Marie une armée d’apôtres pour
la seconder dans sa mission ; notre vœu de stabilité pour nous donner à
Marie entièrement et irrévocablement comme ses soldats de choix. Je n’avais
jamais entendu de ces idées qui m’émerveillaient[238].
Il avait enfin accès à cet enseignement fondamental
de la famille religieuse où il s’était engagé, grâce à un commentaire renouvelé
de la fameuse lettre du 24 août 1839[239] du bienheureux
Guillaume-Joseph Chaminade. Le premier commentaire qu’il en avait reçu[240] mettait l’accent
sur la relation filiale avec Marie, alors que la pointe du message était plus
précise :
Notre piété filiale envers Marie nous oblige à assister notre Mère dans
sa lutte contre Satan pour lui arracher les âmes et les amener à Dieu[241].
Je compris aussi comment le vœu de stabilité nous fait une obligation
d’honneur de tendre à une plus parfaite donation de nous-même que le saint esclavage. Si, au point de vue
des obligations strictes, ce vœu nous oblige seulement à ne jamais déserter le
service de Marie, au point de vue de l’esprit dans ce vœu, non seulement il
rend cette donation plus sacrée parce que inspirée par un vœu, mais il ajoute à
la fin de la sanctification personnelle celle du travail apostolique, puisqu’on
se donne à Marie précisément pour l’aider dans sa mission apostolique
universelle. Cette conception de notre dévotion à Marie me plut énormément et
devint l’inspiration de tout mon apostolat marial à partir de ce moment[242].
Il fallait donc que notre
dévotion à Marie se distingue de celle d’autres serviteurs de Marie non
seulement par sa perfection, mais surtout par son caractère apostolique, qui
dérivait de la mission apostolique de Marie. Depuis lors, je n’ai pas cessé
d’insister sur cette idée dans la quasi-totalité de mes sermons et écrits
mariaux […] Ce fut bien là le livre d’où j’ai tiré mon inspiration et ma doctrine
mariale [243].»
Sa première causerie, le jour de la fête de
l’Immaculée Conception, portait l’empreinte de cette découverte, suivie par un
article sous forme poétique[244]. Il exprimait, en
vieux français, cette mission de lutte contre Satan que, plus tard, il
développera en détail dans son ouvrage de 1956, la mission apostolique de Marie et la nôtre.
Concernant le Père Chaminade, sa biographie fait
entrevoir l’importante activité apostolique de ce prêtre diocésain qui échappa
aux persécutions ant-religieuses de la Révolution française.
II.3.2.1 Le
contexte
Le Père Guillaume-Joseph Chaminade (1761-1850) fut
ordonné prêtre en 1785, après avoir reçu sa formation philosophique et
théologique à Bordeaux, puis à Paris sous la direction des prêtres de
Saint-Sulpice. Ses études furent sanctionnées par un doctorat en théologie. Il
rejoignit deux de ses frères engagés à relever un collège à Mussidan près de
Périgueux, leur ville natale.
Mais la Révolution les obligea bientôt à quitter ce
collège en pleine expansion, dès 1791. Le Père Chaminade choisit de se retirer
à Bordeaux où il doit se cacher ; il refuse de prêter serment à la
Constitution civile du clergé. Intense période d’apostolat durant laquelle il
célébrait clandestinement les sacrements et travaillait à réintégrer dans le
giron de l’Eglise les prêtres jureurs. Mais en 1797, il fut contraint de partir
en exil en Espagne pour trois longues années.
De retour en France, après son exil à Saragosse, il
relance en 1800, la Congrégation Mariale de Bordeaux fondée par les Jésuites
sous le vocable l’Immaculée conception.
Elle est composée de jeunes gens, de pères et de mères de famille, d’artisans
et de lettrés. Le Père Chaminade s’est adressé non pas à une élite de chrétiens,
mais à tout baptisé soucieux de vivre la foi catholique reçue à son baptême. Il
propose à chacun une mission dans son propre lieu de vie : «Multiplier les
Chrétiens», cette devise était devenue la raison d’être de la Congrégation
mariale, devise qui s’étendra à toutes ses fondations.
La plupart des œuvres apostoliques bordelaises de
cette première moitié du XIXe siècle ont le Père Chaminade comme
initiateur ou inspirateur. Les diocèses environnants profitent de son
rayonnement personnel ou de celui de la Congrégation mariale de Bordeaux,
surtout celui de Bazas dont il fut pour un temps l’administrateur.
Grâce à son accompagnement et à sa sollicitude
pastorale, Marie-Thérèse de Lamourous crée un refuge appelé «La Miséricorde»
pour les jeunes filles victimes des crises sociales dues au paupérisme.
Il fonda en 1817, à partir des membres de la
Congrégation mariale de Bordeaux, un véritable institut religieux connu sous le
nom de Société de Marie.
Une autre famille, dite des Filles de Marie, s’était constituée avec les conseils de M.
Chaminade. Et, à la suite d’Adèle de Trenquelléon, leur supérieure et
fondatrice, les premières religieuses émirent la sainte profession entre les
mains du bon Père Chaminade dès 1816.
Aujourd’hui, cette congrégation religieuse, les
«Filles de Marie Immaculée », avec la Société de Marie, les fraternités
marianistes (laïcat), et les membres de l’«Alliance mariale», (un institut
séculier), forment la Famille Marianiste répartie dans le monde entier.
La Famille Marianiste eut la joie, en l’an 2000,
d’assister à la béatification de celui qui, âgé de 89 ans, mourut le 22 janvier
1850 avec une réputation qui faisait présager par le peuple de Dieu bordelais
de l’époque, le jugement de l’Eglise à l’aube du troisième millénaire :
«Le saint de Bordeaux est mort», disait-on ce jour-là.
Dans la maturité d’une vie apostolique qui
s’amplifie sans cesse, enrichie de son expérience humaine et spirituelle et,
après avoir traversé les épreuves de la Révolution et de l’exil, le Père
Chaminade offre une doctrine solide avec un vocabulaire accessible à tous, dans
un style concis, qui ne craint pas d’emprunter la méthode pédagogique de la
répétition.
C’est dans le cadre de ses enseignements sur la foi,
le Credo notamment, et la mission d’évangélisation confiée aux baptisés, que se
dessine une mariologie du Père Chaminade.
Le recueil de
prières et de pratiques, pour servir au culte de la Très Pure Marie auquel on a
ajouté quelques cantiques[245] (144 pages) fut le
tout premier livre de prière et de pratiques qu’il mit en forme en 1801. Il
présente dans l’introduction l’alliance entre Marie et les chrétiens[246].
Mais aujourd’hui, dans la Famille Marianiste, La lettre du 24 août 1839 est selon
Emile Neubert dans son ouvrage de 1937, la
doctrine mariale de Monsieur Chaminade, «le document qui contient
l’expression la plus nette de sa doctrine sur le rôle apostolique de Vierge
Immaculée et sur le vœu de stabilité mariale émis dans la société de Marie[247].» Cette lettre est
adressée aux prédicateurs qui devaient animer, cette année-là, les retraites
annuelles des religieux de la Société de Marie et des Filles de Marie.
Selon Luigi Gambero, cette Lettre du 24 août 1839 est l’écrit «chaminadien» le plus important
et le plus intéressant :
Ce qui le rend plus original et d’une grande actualité aujourd’hui, est
le sens du vœu de stabilité et simultanément la doctrine de la mission
apostolique de Marie[248].
Pour Luigi Gambero le Traité de la connaissance de Marie qui constitue la première partie
de la dernière édition du Manuel du
Serviteur de Marie, offre: «une synthèse de la piété ancienne et de la
doctrine authentique traditionnelle sur Marie[249].»
II.3.2.2 Les
traces écrites
Dans ses premières années de séminariste, Emile
Neubert n’accéda pas aux écrits du Père Chaminade, car ils n’étaient pas encore
répertoriés et publiés comme ils le furent par la collection scientifique Ecrits et Paroles. Mais dès le début du
XXe siècle, il se préparait des ouvrages qui furent édités sous le
titre Esprit de notre fondation. Ils
offraient une présentation élaborée de la pensée du fondateur de la Famille
Marianiste : composée de trois volumes. Cette édition publiée entre 1910
et 1916 fut pendant plus de cinquante ans le seul outil de formation des
religieux Marianistes, avant les éditions nouvelles.
Le Père Chaminade n’a écrit aucun traité spécifique
sur la Vierge Marie. Mais il fut l’un des auteurs de la première moitié du XIXe
siècle des plus riches dans sa prédication sur Marie en tout son mystère de
Mère de Dieu et Mère des hommes.
Dès lors que Marie nous a donné Jésus, notre vie, et que, par sa
coopération aux mystères de l’Incarnation et de la Rédemption, elle a contribué
à nous faire vivre de la vie surnaturelle, elle est par rapport à notre vie
surnaturelle ce que sont nos mères par rapport à nos vies naturelles[250].
Ces quelques paroles de présentation de La doctrine mariale de Monsieur Chaminade, par
Emile Neubert, donnent la clef d’interprétation et de compréhension de toute sa
mariologie. Cet axe d’interprétation sera également plus tard celui de Terrien.
A la fin du Concile Vatican II, des religieux
marianistes décident de faire apparaître la mariologie du Père Chaminade,
partant de ses enseignements en général. Leurs premières éditions critiques
parurent en 1966. Emile Neubert n’en profita pas. Il mourut en 1967.
Le Père Jean-Baptiste Armbruster, dans sa volonté de
regrouper ce qu’on pourrait appeler les
écrits marials du Père Chaminade, a suivi la démarche suivante : il
extrait des notes d’instruction, dans
un premier volume intitulé « écrits marials I » qui sont des écrits autographes du Père
Chaminade en vue de ses conférences, tout ce qui concerne la Vierge Marie.
Nous pouvons découvrir, à partir de ces notes, les
emplois des citations bibliques[251], des Pères[252] et des auteurs[253] du XIIe au
XVIIe siècles qui ont inspiré le Père Chaminade, ainsi que des
thèmes récurrents relatifs aux commentaires mariologiques.
Dans un second volume, Jean-Baptiste Armbruster veut
introduire le lecteur dans la vie mariale du Fondateur au fil de sa Correspondance[254] et des fondations
diverses[255]. Il offre des
textes informatifs dans le cadre des Constitutions
et Règlements, des Ecrits de
direction - pour la formation continue au sein de la vie religieuse -,
des écrits sur la vie d’oraison, des retraites annuelles ainsi que les
dernières conférences données à la fin de sa vie[256].
Il nous faut tenir compte de l’approche d’Emile
Neubert quant à l’œuvre du Père Chaminade pour mieux percevoir ses propres
accentuations dans son corpus, œuvre
où il veut rester fidèle à l’esprit du Fondateur. Nous relèverons, en nous
appuyant sur sa démarche, les sources bibliques de Guillaume Chaminade, puis
des Pères et des auteurs. Nous reprendrons ensuite les thématiques essentielles
des mystères de l’Incarnation et de la Rédemption, sur lesquelles sont
développés les différents aspects de la maternité divine et spirituelle de
Marie.
II.3.2.3 Connaître
Marie, Mère de Jésus et Notre Mère à partir des Ecritures
Les références scripturaires du Père Chaminade sont
tant dans l’Ancien Testament[257] que dans le Nouveau
Testament.
Emile Neubert retient du Père Chaminade le profil de
Marie Mère du Messie dans l’Ancien
Testament : prophétiquement esquissé dans la promesse d’une victoire sur
le serpent (Gn 3, 15). Marie est la
Vierge qui concevra et enfantera un fils auquel sera donné le nom d’Emmanuel (Is 7, 14). En cela, tous deux sont
rejoints par l’enseignement du concile Vatican II[258].
Mais dans toute son œuvre, il sera beaucoup moins
prolixe que le Père Chaminade dans l’utilisation de l’Ancien Testament. Ce
dernier discerna des figures types de Marie à travers Esther, Judith, Abigaïl,
Jahel, Rébecca. De même, il évoquera largement les figures bibliques d’Adam et
Eve (les seules figures bibliques retenues par Emile Neubert), Abraham, Sara,
Isaac, Moïse, David.
Les textes du Nouveau Testament sont surtout ceux de
l’Enfance dans les évangiles de Luc et Matthieu, et une forte évocation de
l’épisode du Calvaire dans l’évangile de Jn
19, 25-27. Cette évocation-là, il la développera sans insister, mettant de préférence
l’accent sur le Oui de
l’Annonciation.
Le Père Chaminade ne cite pas la péricope du
chapitre 4 de l’épître aux Galates verset 4, exceptionnellement le chapitre 12
de l’Apocalypse, alors que le chapitre 21 sur la nouvelle Jérusalem est
plusieurs fois cité, en vue d’une comparaison avec Marie.
De tous ces textes bibliques, il se dégage une
approche mariale christocentrique, exprimée par Matthieu au chapitre 1, verset
16. Emile Neubert choisit ce logion comme matrice et titre de son premier livre
de mariologie, en fidèle disciple du Maître : Marie de laquelle est né Jésus[259].
Le Père Chaminade écrit :
Toute l’action de Marie est de nous faire devenir conforme au divin
modèle[260]. […] Le seul fondement valable est Jésus-Christ qui a
tout disposé dans la religion de manière que la Sainte Vierge participe et
coopère en tout[261]
II.3.2.4
Connaître Marie à partir des auteurs et des Pères
Dans la pensée du Père Chaminade, la vie de Marie
est également présentée à partir de certains écrits apocryphes, et même d’écrits
mystiques, venant de Marie d’Agreda[262] ; ceux-ci,
toutefois, ne donnent pas une tonalité particulière à sa théologie sur le
mystère de Marie, qu’il fonde sur la Bible.
Les auteurs qu’il cite rarement, mais qui l’ont
inspiré, sont du XVIIe et XVIIIe siècle[263].
Emile Neubert ne cite presque pas les auteurs de
cette période. Il nous rend attentifs aux rapprochements entre les affirmations
du Père Chaminade et celles du Traité de
la Vraie Dévotion par Grignion de Montfort, sur «les apôtres des derniers
temps» et sur le sens de la donation de soi à Marie. Nous avons vu qu’il
reconnaît les ressemblances de leurs divers enseignements. Mais il écarte toute
possibilité d’une influence du Traité de
la vraie Dévotion sur le Père Chaminade, puisque l’écrit célèbre du Père de
Montfort fut retrouvé vers 1840, après avoir été caché dans un coffre[264].
Les deux principaux Pères de l’Eglise que le Père
Chaminade mentionne régulièrement sont saint Ambroise et saint Augustin, il s’y
ajoute l’œuvre de saint Bernard[265].
Pour le Père Chaminade, l’apport des Pères et
auteurs anciens se fait comme «en seconde main» à travers une lecture des
auteurs tels Bossuet et quelques autres[266]. Tandis qu’Emile
Neubert dans sa thèse, et dans ses ouvrages ultérieurs, s’appuiera sur les
Pères et les auteurs anciens, mais à partir de leurs œuvres originales.
II.3.2.5 La
maternité spirituelle de Marie
Le premier thème mis en évidence par lui pour nous
présenter la mariologie du Père Chaminade est la maternité spirituelle.
Parmi les divers titres de Marie, Monsieur Chaminade donna toujours une
préférence marquée à celui de Mère […] La maternité de Marie avait à ses yeux une
importance fondamentale. Pour lui Marie est essentiellement Mère de Jésus et
notre Mère en Jésus et si nous sommes ses serviteurs, ses clients ou ses
sujets, nous sommes avant tout ses enfants.
A l’âge de quatre-vingt-trois ans, rééditant le manuel du Serviteur de
Marie, il y fit insérer tout un Traité de
la connaissance de Marie. Or presque la moitié de ce traité établit les
fondements de la maternité de Marie à l’égard des hommes[267].
En reprenant des textes de ce traité, il relève que,
pour le Père Chaminade, Marie n’est pas notre Mère par adoption mais au titre de génération
spirituelle, qu’elle reçoit au cours de l’Incarnation et de la Rédemption.
Tout commence à l’Incarnation, parce que Marie nous
donne Jésus, notre vie, et que, d’après la doctrine du Corps Mystique du
Christ, nous ne faisons qu’un avec lui.
1er point. - C'est dans le sein de l'auguste Marie que
Jésus-Christ a été conçu du Saint-Esprit et qu'il s'y est formé à notre
ressemblance : c'est aussi dans le sein virginal de Marie que les élus
doivent être conçus par l'opération du Saint-Esprit et formés par ses soins
maternels à la ressemblance de Jésus-Christ.
2ème point. - Jésus-Christ est véritablement né de
Marie ; les élus sont également enfantés par elle : Marie est la Mère
du corps naturel de Jésus-Christ et de son Corps Mystique[268].
En reprenant le passage de la Croix dans l’évangile
de Jn 19, où Marie est confiée au
disciple, il note que pour le Père Chaminade : «la parole adressée à Marie
et à Jean ne créait pas la maternité spirituelle : elle la proclamait et
la confirmait[269].» Idée qu’il reprendra souvent dans toute
son œuvre.
Dans cette logique d’amour de la maternité spirituelle
de Marie, il nous explique que Marie a la mission de s’occuper sans relâche de
ses enfants pour les former à la ressemblance de son Fils premier-né[270].
Il insiste sur ce point, sur l’incomparable amour de
Marie à notre égard, sur l’universalité de son action et l’excellence de la vie
qu’elle nous communique : la vie éternelle et divine.
Marie est réellement notre
Mère dans l'ordre de la grâce ; elle nous a donné l'être de grâce. Comme
nous sommes habitués à ne juger que par les sens, nous ne sommes presque
touchés que de notre être naturel : cependant combien plus excellent est
l'être de grâce ! Combien devons-nous vivre dans notre être naturel ?
Nous devons vivre éternellement dans celui de grâce. La fin de notre être
naturel est la mort et le tombeau ; celle de l'être de grâce sera une vie
divine et éternelle[271].
Nous remarquons qu’il s’attribue et prend à son
propre compte cette orientation du Père Chaminade, la maternité spirituelle de
Marie. Grâce au Père Chaminade dont il approfondit la doctrine, Emile Neubert
fait apparaître son évolution personnelle dans sa manière de présenter Marie
dans le dogme :
Assez souvent dans les
traités de mariologie, on commence par établir la maternité divine de la
Vierge ; puis on explique son Immaculée Conception, sa plénitude de grâce,
son Assomption, sa médiation universelle, etc […], et, avant de conclure, on
expose plus ou moins rapidement, à la façon d’un corollaire, sa maternité
spirituelle […]. Or si l’on étudie le rôle de Marie dans le plan de Dieu, on s’aperçoit
que sa maternité spirituelle doit se placer, non pas à la fin de la liste de
ses grandeurs, mais presque au commencement, immédiatement à la suite de la
maternité divine, et que les autres prérogatives de la Vierge ne sont que des
exigences ou des conséquences de cette double maternité[272].
Cette forme d’autocritique nous fait découvrir chez
lui une évolution qui se traduira par une modification des dispositions des
chapitres de Marie dans le dogme entre
l’édition de 1933 et celle de 1954, comme nous le verrons plus loin dans notre
étude.
A partir de cette étape, Emile Neubert, s’inspirant
du Père Chaminade, nous fait franchir un pas important qui est celui de
notre imitation du Sauveur en sa
qualité de Fils de Marie. Marie,
associée au Fils de Dieu dans sa mission pour sauver le monde, et en qualité de
Mère de tous les hommes est attentive à leurs besoins ; en retour nous
sommes invités à une relation filiale envers elle, dévotion qui serait le point
le plus saillant de l’imitation de Jésus-Christ.
Il cite un long passage de L’esprit de notre Fondation :
La perfection [de] la
Société de Marie étant dans la conformité avec Notre Seigneur Jésus-Christ,
sous la protection et la sollicitude maternelle de Marie, il faudra faire
connaître de plus en plus le motif pour lequel Jésus-Christ est venu en ce
monde, comment il est la voie, la vérité et la vie, comment il nous communique
son Esprit, comment l'Esprit de Jésus-Christ nous fait vivre de la vie de
Jésus-Christ et nous conforme entièrement à notre divin Modèle, et en quoi
consiste cette entière conformité à Jésus-Christ. Jésus-Christ a pratiqué
toutes les vertus jusqu'à la plus sublime perfection ; mais il en est dont
la pratique est spécialement entrée dans l'accomplissement de ses adorables
mystères, tel son amour pour la très Sainte Vierge, dans le sein de laquelle il
a été conçu et a demeuré neuf mois, et de laquelle il est né, qu'il a associée
à tous ses mystères et qu'il a faite Mère de tous ceux qui seront régénérés en
lui[273].
Il prend chez le Père Chaminade les fondements
solides sur lesquels il basera tous ses enseignements sur la piété filiale
d’une part, qu’il développe dans une perspective missionnaire d’autre part,
qu’il exprime en termes de mission apostolique de Marie.
II.3.2.6 La mission apostolique
de Marie
Emile Neubert nous introduit, par cette thématique,
au cœur du message mariologique de son œuvre. Nous avons pu suivre son
évolution personnelle à travers le témoignage qu’il donne dans son
autobiographie, avec les bénéfices d’une retraite qu’il fit à la fin de sa
première année de séminariste en 1904.
L’esprit apostolique se développait déjà en lui
après ce qu’il appelle sa seconde
conversion au postulat vers l’âge de quinze ans. C’est la découverte
importante qu’il fit à la fin de sa première année de scolasticat, lors d’une
prédication du R.P. Klobb, qui fut décisive, dix ans après.
Il nous rappelle que, selon le Père Chaminade :
«Ce n’est pas connaître le mystère de Jésus-Christ, que de ne pas voir Marie
dans toute l’économie de la religion[274].» Et il nous montre d’emblée le lien
étroit entre la mission maternelle de Marie et sa mission de
co-rédemptrice :
Pour être notre Mère, elle
devait nous donner la vie surnaturelle ; pour nous donner la vie
surnaturelle, elle devait contribuer à notre rachat. Les deux fonctions de Mère
spirituelle et de Co-rédemptrice s’appellent donc nécessairement. Marie ne
pouvait remplir l’une sans remplir l’autre. Ecoutons Chaminade nous exposer
cette vérité dans son Petit traité de la
connaissance de Marie :
Jésus-Christ, nouvel Adam,
ne fut pas seul à l’œuvre de génération spirituelle ou de la régénération de
l’homme : Marie, nouvelle Eve, est l’aide semblable à lui, qui doit
coopérer avec lui […] «J’établirai des inimitiés entre toi et la femme, entre
ta race et la sienne ; elle-même t’écrasera la tête.» La femme promise,
Marie, devait donc avoir sa part de coopération dans la destruction de l’empire
du Démon ou de la mort[275].
Ce thème de la lutte contre le démon par la femme,
si cher au Père Chaminade, sera repris de la même manière par lui, et
exactement dans la même ligne de l’interprétation de Gn 3, 15. Le Père Chaminade décrit cette mission co-rédemptrice de
Marie au calvaire, mais il nous la fait entrevoir bien au-delà de cet
épisode :
Et la mission ne se termine
pas au Calvaire ; sa charité plus forte que sa douleur et la mort, la fait
survivre à ce qui aurait brisé mille vies moins fragiles que la sienne.
Nouvelle Eve, et comme telle, nécessaire à ses enfants, elle doit participer
encore aux mystères de la résurrection de son Fils premier né ; elle doit
être là lors de son ascension triomphante ; elle doit étendre sa
sollicitude maternelle sur l’Eglise naissante ; elle doit l’édifier et
l’instruire ; elle doit la diriger dans les routes difficiles du siècle,
jusqu’à ce que la terre, indigne de la posséder plus longtemps, la voie enlever
au plus haut des cieux par les mains des anges, près du trône de Jésus-Christ[276].
Selon lui, c’est en tant que distributrice de la grâce que Marie exerce sa mission apostolique.
Pour se montrer notre
véritable Co-rédemptrice, après avoir en union avec son Fils, racheté tous les
hommes sur le Calvaire en principe,
elle devra encore, en fait, appliquer
à chacun d’eux les fruits de la Rédemption, en les arrachant un à un au péché
et à l’enfer […].
Auprès des âmes aimantes
et dociles, la Vierge exerce sa mission apostolique, dans le sanctuaire intime
de leur conscience, par toutes sortes d’aspirations et de touches secrètes.
D’ordinaire cependant, l’œuvre de l’apostolat se présente sous l’aspect d’une
lutte : il s’agit de «conquérir» les âmes, de les arracher au péché et à
Satan pour les conduire au Christ […].
Le serviteur de Marie ne
se contente pas d’affirmer le rôle conquérant de la Vierge Immaculée. A
plusieurs reprises, il prédit pour les temps nouveaux des triomphes sans
exemples, remportés par la Vierge, dans la lutte contre Satan[277].
Emile Neubert reprend les fameux passages des
lettres du Père Chaminade où apparaît cette notion de victoire dans les
derniers temps :
Mettons le tout sous la
protection de Marie Immaculée à qui son divin Fils a réservé les dernières victoires sur l’enfer :
et ipsa conteret caput tuum. Soyons
mon Enfant, soyons, dans notre humilité, le talon de la femme.
Nous croyons qu’à
l’Auguste Mère de Dieu, qui, d’après l’Eglise même, seule a vaincu les
hérésies, est réservée de notre temps une grande gloire et un beau triomphe sur
les efforts combinés du philosophisme moderne, de l’indifférence religieuse qui
en résulte et de l’enfer qui les a vomis du puits de l’abîme.
Tous les âges de l’Eglise
sont marqués par les combats et les glorieux triomphes de l’auguste Marie […]. A elle donc est réservée de nos jours une grande victoire ; à elle
appartient la gloire de sauver la foi du naufrage dont elle est menacée parmi
nous[278].
II.3.2.7 La consécration à
Marie
Le Père Chaminade développa l’idée d’une
consécration toute particulière à la Vierge Immaculée[279], comme une réponse
possible des baptisés et conséquence immédiate des fonctions essentielles de
Marie à l’égard des hommes : sa maternité spirituelle et sa mission
apostolique.
Le Père Chaminade nous invite à ratifier notre
appartenance à Marie en nous rappelant les devoirs d’un enfant envers sa mère.
Il reproduit la piété filiale de Jésus. Mais à cet élément s’ajoute la possibilité
d’aider Marie dans sa mission, car comme Jésus son fils, la mère a besoin
d’aide. Mais dans un premier temps, la réponse de l’enfant de Marie est de
commencer à marcher sur les traces de
Marie pour réaliser «en lui la ressemblance du Sauveur[280].»
Si vous êtes fils de Marie, imitez Marie[281].
Unissons-nous donc à Marie[282].
Puis, dans un second temps, cet enfant s’engage à
soutenir la mission de sa mère :
Nous sommes les missionnaires de Marie qui nous a dit : «Faites tout
ce qu’il vous dira[283] !»
Vous êtes tous des missionnaires, remplissez votre mission !
Peut-être le nom de mission pourra-t-il fatiguer l’imagination de plusieurs,
s’imaginant que, pour être missionnaire, il faut aller prêcher de ville en
ville, de paroisse en paroisse, ne s’étant pas formé l’idée d’une mission
permanente[284].
Cette mission est toute de conquête, à la manière
d’une armée. Le Père Chaminade nous entraîne par la consécration à la double
notion de fils et de soldat de Marie. Ce qu’Emile Neubert résume ainsi :
C’est aux enfants d’assister
leur mère. A eux de combattre pour sa cause. Ils se donneront à elle corps et
biens, prêts à sacrifier jusqu’à leur vie dans cette guerre sainte[285].
On comprend donc que
Monsieur Chaminade ait attaché une importance exceptionnelle à la consécration
à Marie. Il s’était senti appelé par la Vierge del Pilar à lui lever des
bataillons sacrés, prêts à marcher sous sa bannière à la conquête du
monde : des Congrégations, «sainte milice qui s’avance au nom de Marie et
qui entend bien combattre les puissances infernales sous la conduite même et
par l’obéissance de celle qui doit écraser la tête du serpent[286]» ; et des ordres religieux qui constitueraient comme la «Garde de
la Reine»[287]»
L’état même religieux
formé dans la congrégation n’est qu’une manière plus parfaite de remplir toute
l’étendue de sa consécration à la Sainte Vierge[288].
Le Père Chaminade présente la consécration à Marie
en termes d’alliance. Ce terme n’est pas saillant dans l’œuvre d’Emile Neubert,
alors qu’il est central dans la spiritualité «chaminadienne»[289].
Une consécration sincère au culte de la très pure Marie, forme entre la
personne qui se consacre et la Vierge immaculée qui reçoit cette consécration,
une alliance véritable. D’une part, l’Auguste Marie reçoit sous sa protection
ce fidèle qui se jette entre les bras de sa tendresse maternelle, et l’adopte
pour son enfant. De l’autre, le nouvel enfant de Marie contracte avec son
auguste Mère les obligations les plus douces et les plus aimables[290].
Qu’on se rappelle [...] qu’en contractant avec Marie une alliance si
étroite, que celle qui existe entre la mère et l’enfant, on a par là même
contracté des devoirs[291].
Oh ! Surtout nous nous sommes engagés à ce dernier effet de l’amour
filial : l’assistance, la bienveillance active ; nous nous sommes
engagés à publier le nom de Marie et à le faire honorer partout[292].
L’alliance avec Marie prend son modèle sur celle que
Dieu établit avec son peuple. Elle comporte la notion de réciprocité. Marie
s’engage à nous former, nous protéger, nous guider. Et notre réponse, c’est
notre engagement envers elle pour la soutenir dans sa mission et la faire
connaître, aimer et servir.
C’est dans un esprit missionnaire que cet engagement
doit être compris, car Marie reçoit en premier une mission à laquelle elle nous
fait participer, étant «la femme par excellence promise pour écraser la tête du
serpent[293].» C’est pourquoi le
Père Chaminade n’hésite pas à enseigner que notre dépendance à l’Auguste Marie
est universelle, que nous devons la prier partout et en tout temps[294].
Voici l’explication qu’en donne le Père Chaminade
concernant cette mission dans la Congrégation :
Toutes les règles, toutes les pratiques données à cette société
religieuse, tous les devoirs généraux et particuliers, l’esprit même de
prosélytisme qui anime la Congrégation, émanent de cette consécration et n’en
sont que comme des conséquences[295].
Les Congrégations nouvelles ne sont pas seulement des associations à
l’honneur de la Sainte Vierge : c’est une sainte milice qui s’avance au
nom de Marie, et qui entend bien combattre les puissances infernales sous la
conduite même et par l’obéissance de Celle qui doit écraser la tête du serpent[296].
La consécration chez le Père Chaminade dans les deux
ordres religieux qu’il a fondés a la même perspective :
Nous sommes spécialement les auxiliaires et les instruments de la Très
Sainte Vierge dans la grande œuvre de la réformation des mœurs, du soutien et
de l’accroissement de la foi, et par le fait, de la sanctification du prochain
[…] Nous faisons profession de la servir fidèlement jusqu’à la fin de nos
jours, d’exécuter ponctuellement tout ce qu’elle nous dira, heureux de pouvoir
user à son service une vie et des forces qui lui sont dues[297].
Le Père Chaminade ajoute pour les religieux et les
religieuses marianistes un quatrième vœu, dit de stabilité, en vue de s’engager d’une manière permanente et
irrévocable dans l’état de Serviteur de Marie[298].
Cette alliance étroite et particulière avec la Sainte Vierge est un des
caractères propres de l’Institut[299].
Emile Neubert consacre à cette question des
chapitres entiers dans son premier ouvrage Notre
don de Dieu[300] et dans
l’exemplaire recomposé et imprimé en 1954[301].
Il met en évidence le fait que, pour le Père
Chaminade, la profession religieuse ne fait pas nombre avec la consécration
vécue dans le laïcat d’alors et dans les Congrégations. En effet, la profession
religieuse dans les ordres marianistes est en elle-même une consécration, de
telle manière que profession religieuse et consécration s’identifient. Si bien
que la profession religieuse possède un caractère de prosélytisme évident dont
le vœu de stabilité marque l’engagement définitif :
Notre vœu de stabilité nous attache à Marie d’une manière plus spéciale
que les autres religieux ; nous y avons un titre de plus, et un titre
singulièrement fort, à sa préférence. Elle nous adopte donc avec plus de
privilèges ; elle reçoit avec délices notre promesse spéciale de lui être
à jamais fidèles et dévoués ; puis elle nous enrôle dans sa milice et nous
consacre comme ses apôtres. Oh ! Mon respectable fils, que ce contrat est
sacré ; qu’il est fécond en bienfaits pour nous […][302].
Or, nous, les derniers de tous, nous qui nous croyons appelés par Marie
elle-même pour la seconder de tout notre pouvoir dans sa lutte contre la grande
hérésie de cette époque, nous avons pris pour devise, comme nous le déclarons
dans les Constitutions (Art. 6) ces mots de la Très Sainte Vierge aux
serviteurs de Cana : «Faites tout ce qu’il vous dira» (Jn 2,5). Convaincus que notre mission à
nous, malgré notre faiblesse, est d’exercer envers le prochain toutes les
œuvres de zèle et de miséricorde, nous embrassons en conséquence tous les
moyens de le préserver et de le guérir de la contagion du mal, sous le titre
général de l’enseignement des mœurs chrétiennes, et nous en faisons dans cet
esprit l’objet d’un vœu particulier[303].
En retour, Marie nous éduque comme elle a éduqué
Jésus. Ce que le Père Chaminade exprime, à la suite de saint Paul, en
transformant les propos de l’Apôtre qu’il met sur les lèvres de Marie :
«Mes petits enfants que je voudrais enfanter, jusqu’à ce que Jésus-Christ soit
formé en vous[304].»
Notons que le Père Chaminade, pour expliquer cette
consécration, comme le fit Louis-Marie Grignion de Montfort à propos du «saint
esclavage», reprend et interprète le passage de Rebecca qui veut faire obtenir
par Jacob la bénédiction de son père :
Marie ne se borne pas à conserver et à entretenir en nous la vie de grâce
que, par elle, nous avons reçue de Jésus-Christ ; elle travaille en même
temps, à nous faire devenir conforme au divin Modèle […] Jésus-Christ a confié
spécialement à Marie, parce qu’elle est notre mère, le soin de diriger notre
éducation chrétienne comme elle l’a dirigé lui-même les jours de son enfance,
et de nous élever jusqu’à la hauteur de notre vocation sainte.
Rébecca, voulant obtenir pour Jacob la bénédiction d’Isaac, revêtit ce
fils bien-aimé de la ressemblance d’Esaü ; ainsi Marie s’efforce, à tout
instant, de nous revêtir de la ressemblance de Jésus-Christ, en cherchant à
nous pénétrer de ses sentiments et de ses pensées, et à réaliser en nous le
titre de chrétien, c’est-à-dire de disciple et imitateur de Jésus-Christ[305].
Emile Neubert, en reprenant le Père Chaminade, nous
rappelle le lien permanent que ce dernier établit entre l’imitation de
Jésus-Christ et notre vocation baptismale à la sainteté, puis qu’il s’agit de tendre vers la plus haute perfection[306], au point de rendre synonymes les expressions de Saint et
d’Enfant de Marie[307]. Dans toute son
œuvre, il va reprendre les thématiques qu’il esquisse à partir de sa relecture
du Père Chaminade, esprit de zèle apostolique marial et devoirs généraux envers
Marie : étude, amour, imitation, vénération, confiance, union. La synthèse
qu’il donne est celle que nous pourrions faire à partir de toute son œuvre
écrite, couvrant la première moitié du vingtième siècle.
Une pareille dévotion à Marie exige de ceux qui veulent l’embrasser un
travail spirituel et constant. Aussi, monsieur Chaminade a-t-il laissé à ses
disciples une spiritualité très complète, traitant du but à atteindre, la
perfection, et des moyens d’y arriver : exercices de piété, lutte contre
les défauts, acquisition des diverses vertus. Un grand nombre des idées qu’il y
enseigne sont évidemment du domaine ascétique commun ; mais il a si bien
su les adapter aux besoins de ses disciples, et surtout les marquer d’une
empreinte si nette et si caractéristique, que l’ensemble constitue une
spiritualité vraiment originale. Or cette empreinte, c’est leur qualité
christocentrique et mariale[308].
Les jeunes laïcs bordelais, au lendemain de la
Révolution, furent les premiers bénéficiaires de cette évangélisation nouvelle,
bien enracinée théologiquement dans l’héritage de l’Ecole Française de
Spiritualité. Ils ont le Christ comme fondement de la dévotion à Marie, Mère de
la jeunesse. Marie fait naître une nouvelle génération chaste et vertueuse[309].
Cet enseignement du Père Chaminade fut relayé par
Emile Neubert. Marie est imitable. En étudiant Marie et en l’aimant, nous
entrons peu à peu dans une relation où nous pouvons la vénérer et l’invoquer,
nous confier à elle, jusqu’à vivre en union avec elle.
La dévotion envers Marie ne donne pas prise à des
excès[310], mais à une
attitude intérieure filiale, faite d’intimité et de confiance[311] d’une part, et elle
nous ouvre à la dimension de l’Eglise et du monde dans une dynamique
missionnaire. Ce qu’exprime en termes concis Emile Neubert. Il résume la pensée
du Fondateur pour le premier aspect, celui de la dévotion filiale, en ces
termes :
Tout, pour le chrétien et le religieux, se ramène à reproduire la vie de
Jésus. La dévotion à Marie, en particulier, sera la reproduction filiale de
Jésus envers elle[312].
Cet aspect, à lui seul, ne dit pas tout. Il se
complète par la dimension missionnaire liée à la logique de l’Incarnation et de
la Rédemption : deux mystères qui s’appellent mutuellement et qui nous
concernent à la suite du Christ.
II.3.2.8 Les
mystères de l’Incarnation et de la Rédemption.
Dans la doctrine «chaminadienne» comme dans la
théologie des Pères de Eglise, le Mystère de l’Incarnation est le centre de
toute l’économie du salut. Marie est la Nouvelle Eve, Mère du Nouvel Adam qui
veut l’associer dans son mystère rédempteur sans nécessité absolue :
Mais il n’était pas bon pour nous que l’homme fût seul ; il était
plutôt de toute convenance que les deux sexes concourussent à la génération de
ce que l’un et l’autre dans Adam et Eve, avaient conjointement corrompu[313].»
Jésus-Christ, nouvel Adam, ne fut pas seul à l’œuvre de la génération
spirituelle ou régénération de l’homme : Marie, Nouvelle Eve, est l’aide
semblable à lui qui doit y coopérer avec lui[314].
Le fiat de Marie ouvre la voie à la Rédemption dans
une unité de vue à laquelle le Père Chaminade se réfère sans cesse :
Ô heureux Fiat ! Peut-être ne voyez-vous pas encore comment cette
part que Marie a eue au Mystère de l’Incarnation est le motif qui nous fait
sans cesse recourir à Marie pour toutes sortes de grâces ? Marie a
concouru par sa charité à donner au monde un Libérateur, c’est le
principe ; en voilà la conséquence : Dieu ayant voulu une fois nous
donner Jésus-Christ par la Sainte Vierge, ce décret ne change plus, les dons de
Dieu sont sans repentance (Rm11, 19)[315].
Marie est unie au Père éternel pour être Mère de
tous les fidèles[316].
Or, dit saint Liguori, si Jésus est le Père de nos âmes, Marie en est la
Mère ; car en nous donnant Jésus, elle nous a donné la vie[317] […]
Quand Marie donna les mains à l’Incarnation du Verbe dans ses chastes
entrailles, il est évident qu’elle connut l’œuvre et l’économie de la
Rédemption dans toute son étendue, et qu’elle l’accepta avec amour ; elle
comprit qu’en concevant Jésus, elle le concevait tout entier, c’est-à-dire et
son corps naturel et son Corps Mystique ; car elle ne pouvait pas le
séparer de ce qui ne devait faire qu’un avec lui. Ainsi en se résignant à
l’honneur de la maternité divine, elle accepta la double qualité de Mère de
Jésus-Christ, considéré dans la plénitude de son corps qui est l’Eglise :
«plenitudo corporis ejus, quod est
ecclesia». En concevant naturellement le Sauveur dans son sein virginal,
elle a donc conçu spirituellement dans son âme, par son amour et par sa foi,
les chrétiens membres de l’Eglise et, par conséquent, Jésus-Christ[318].»
Dans la mouvance de l’Ecole Française, le Père
Chaminade déploie le symbole paulinien de «la tête et des membres». Marie n’est
pas Mère seulement par adoption :
[…] Mais encore, mais surtout à titre de génération
spirituelle ; il suit encore qu’elle est devenue notre Mère lorsqu’elle a
conçu le Fils de Dieu : de sorte que l’Incarnation considérée comme dans
son résultat nécessaire est le fruit du mariage tout divin du Saint-Esprit avec
l’Auguste Vierge, mariage spirituel et fécond qui produit, là où il s’opère,
naturellement le corps sacré de Jésus-Christ et, spirituellement par la foi, la
régénération de l’homme. Nous n’appartenons donc pas à Marie, seulement depuis
que le Sauveur du haut de la Croix nous a solennellement confié à son amour […] C’est du haut de sa Croix que Jésus-Christ nous a
mérité la grâce de l’adoption et de la gloire : c’est donc là proprement
que Marie, dans le sein de laquelle nous étions conçus spirituellement depuis
l’Incarnation, nous a enfantés à la vie de la foi ; mais ce n’est pas
alors seulement qu’elle a commencé d’être notre Mère[319].
Le sacrifice du Calvaire n’est pour Marie, comme
pour Jésus-Christ, que la consommation d’un sacrifice commencé à l’Incarnation[320].
Cette perspective théologique sera aussi celle
d’Emile Neubert dans tous ses écrits.
En bref, il serait vain de chercher des différences
saillantes entre les Pères et Chaminade et Neubert, en dehors des nouveaux
apports patristiques et exégétiques de ce dernier. Nous retrouvons chez eux des
idées récurrentes et des axes d’une même pensée.
Dans un dessein divin, Marie est la femme de la
Genèse annoncée en vue d’une victoire. Chez le Père Chaminade, cette femme a
ses préfigurations dans l’histoire d’Israël. Marie est intégrée dans le Mystère
du Christ, comme la Nouvelle Eve, devenue Mère de Dieu, collaborant par sa foi
à l’œuvre du salut. Sa plénitude de grâce se déploie dans sa maternité
spirituelle : une mission qui aboutit à la notion de co-rédemptrice et de
co-médiatrice tout à la fois. Marie est un modèle de vertus à imiter. C’est
pourquoi le baptisé se doit de l’assister dans sa mission apostolique. Il
reçoit d’elle une impulsion missionnaire. C’est elle qui a vaincu toutes les
hérésies. Marie hâte les «derniers temps de l’Eglise». Elle devient une figure
missionnaire, tout particulièrement chez les jeunes, invités à lui être
consacrés. Cette consécration prolonge l’amour filial de Jésus pour sa Mère.
Le chemin d’ascèse proposé par l’un et l’autre comme
chemin de purification, en vue de mieux correspondre à notre vocation à la
sainteté, est associé à cette figure de Marie. Le Père Chaminade nous offre un
véritable «chemin d’oraison» où Marie a sa place. Emile Neubert, de son côté,
n’insiste pas autant sur l’oraison, mais sur la réalité d’union mystique à
Marie. Les éléments de la théologie mariale chez le Père Chaminade sont
présents dans un ensemble plus vaste qu’il faut étudier à travers ses écrits et
paroles. Chez Emile Neubert, la composition de ses ouvrages se spécialise sur
cette question mariale abordée sous des angles très différents. Il donne
essentiellement le même refrain comme dans une symphonie, dans laquelle il
laisse moins apparaître d’autres aspects du mystère chrétien qui, sans être
absents, auraient peut-être mérité des développements particuliers.
La vision d’ensemble du corpus «neubertien» fait
apparaître comme un gros plan projeté sur la figure de Marie dans un panorama
d’ensemble qui semble un peu disparaître. Cette image du gros plan convient
pour dire que le Père Chaminade, comme saint Louis-Marie Grignion de Montfort,
s’attache davantage qu’Emile Neubert à une vue d’ensemble. Si bien, que les relectures
par ce dernier du message marial du Fondateur, en vue de mettre en valeur la
Vierge Marie, pourraient nous faire oublier que c’est dans un contexte très
large et complet qu’il en est question chez le Père Chaminade. En effet, le
Bienheureux pourrait tout autant être connu pour son charisme «d’apôtre du
Credo», ou comme pour celui de «docteur de l’oraison de foi et des voies
ascétiques» que de «missionnaire apostolique marial.»
La mission apostolique de Marie est l’intuition principale qui illumine et unifie les enseignements d’Emile Neubert. La maternité spirituelle de Marie en est l’idée principale, car par elle le Christ ne cesse d’être mis au monde. C’est par la mission maternelle et apostolique de la Vierge que, d’un certain point de vue, se révèlent ses enseignements dont nous bénéficions et auxquels nous participons. Son intention fut de former les enfants de Marie en «d’autres Christ» pour que se prolonge en eux l’amour du Fils pour sa Mère et que s’accomplisse leur vocation d’apôtres.
Son enseignement, riche du point de vue théorique, a
un caractère pratique. Son grand intérêt théologique vient de ce qu'il est
prioritairement théologal : fondé sur le dogme et christocentrique. Il y a
chez lui le souci constant d’approfondir les dogmes mariaux. Il s’appuie sur
l’Ecriture Sainte et la Tradition pour démontrer que la doctrine mariale se
trouve bien présente dans tout le développement de la Révélation. Il nous fait
découvrir et entrer dans le mystère sanctifiant de la vie d’union à Marie qu’il
nous présente comme une nourriture d’amour et une source lumineuse.
Nous reprendrons des éléments de sa thèse, afin
d’approfondir avec lui les aspects dogmatiques et de piété sur le secret de
Marie de Nazareth que révèlent l’Ecriture, la Tradition des Pères et des
auteurs anciens
[321].
Cette première approche qui fut à la base de son
étude et de son enseignement appelle d’autres développements que nous proposerons
à partir d’une logique :
Nous approfondirons le dogme de la Maternité Divine
de Marie, nous terminerons par celui de son Assomption.
Le premier dogme de la Maternité Divine de
Marie nous conduira à reprendre les thèmes anciens de la virginité et de
la sainteté de Marie et celui plus tardif de l’Immaculée Conception.
Pour le dogme de l’Assomption de la Vierge Marie qui est le dernier
défini, nous le présenterons dans la triple lumière : sacerdotale,
royale et apostolique. Cette dernière approche de la mission apostolique
de Marie, qui représente un aspect unique dans le développement de la
théologie «neubertienne» mais qui n’est pas reprise par les théologiens, se
fera en relation avec le développement antérieur. Au centre de cette
présentation délimitée par les deux dogmes, nous aurons développé les
thématiques de la coopération de
Marie à la Rédemption et de
sa médiation universelle, elles aussi, nous font approfondir sa mission
maternelle et sa mission apostolique.
Dans le chapitre suivant, par une relecture de Mon
idéal, Jésus Fils de Marie, nous reprendrons des éléments de la théologie
ascétique et mystique de notre auteur. Nous mettons en relief tout ce qui
appartient au monde de la piété et de la dévotion, comme une réponse
personnelle de l’homme à la maternité spirituelle de Marie et à sa mission
apostolique.
En chacune de ces approches, nous reprendrons les
argumentations scripturaires, patristiques et celles des auteurs anciens sur
lesquelles ses développements théologiques s’organisent. Nous essaierons de
découvrir les influences qu’il reçut en amont et celles qu’il contribua à faire
éclore dans cette première moitié du vingtième siècle. Influences qui précèdent
le renouveau marial annoncé par la promulgation du dogme de l’Assomption et le
chapitre huit De beata de Lumen Gentium suivi de l’exhortation
apostolique Marialis Cultus.
Il publie en 1933 Le dogme marial
après plusieurs années de professorat et de publications d’articles divers. Il
choisit, pour sa rédaction, l’aspect chronologique de l’exposition du Mystère
de Marie qui respecte l’ordre classique des manuels de l’époque en mariologie.
Nous faisons nôtre cette présentation respectant la logique de sa première
étape de recherches. Nous découvrirons les différents aspects du dogme et de la
piété élaborés sur la base des fondements bibliques et patristiques de
l’auteur. Lui-même, inous engage sur cette voie de relecture.
Nous constaterons que les orientations données par
Paul VI dans son exhortation apostolique Marialis Cultus sont présentes
dans sa réflexion théologique, puisque les sources bibliques, patristiques et
en partie liturgiques, constituent, pour sa mariologie, un appui permanent pour
l’approfondissement du dogme. Tous ses ouvrages de vulgarisation en tiennent
compte et le vérifient.
Complètement refondu en 1946, l’ouvrage, Le dogme
marial, dans sa seconde édition, situe dans un premier temps Marie dans
l’histoire du salut, à partir de sa maternité et de sa mission, puis il
développe ses privilèges.
Si Marie fut Immaculée dès sa conception, toujours
vierge, pleine de grâces jusqu’à son Assomption au Ciel, c’est à cause :
de sa maternité divine, de sa maternité spirituelle et de sa participation à la
médiation du Christ et à la Rédemption ; ce que l’auteur approfondit dans
l’expression mission apostolique de Marie.
Dans tout le corpus «neubertien», les
évangiles sont la base sur laquelle, il approfondit la dogmatique héritée des
Pères et des auteurs anciens. Il s’en fait l’écho dans un ouvrage écrit en 1936
La Vie de Marie. Il reprend la première partie de son traité de
mariologie intitulé Maria de qua natus est Jesus, il suit un ordre
chronologique, en commençant par la venue au monde de Marie.
Entraîné par une présentation chronologique qui
débute par la parenté de Marie, il fait appel à la littérature populaire si
abondante aux deuxième et troisième siècles avec ses récits apocryphes et
poétiques. L’auteur, tout en restant critique, a su en retenir la portée
théologique ainsi, que les fêtes liturgiques qu’il signale en note : Saint
Joachim (16 août), sainte Anne (26 juillet), l’Immaculée Conception (8
décembre), la naissance de Marie (8 septembre)[322].
Dès l’édition nouvelle de 1944 de La vie de Marie,
l’auteur précise son objectif :
Mon but dans
ce travail est analogue à celui qui m’a guidé dans la composition de Marie dans le Dogme et de La Dévotion à Marie, à savoir, fournir
aux fidèles convaincus de la nécessité d’une solide connaissance de Marie comme
base d’une solide dévotion envers elle, des notions aussi claires et sérieuses
que possible sur l’existence terrestre de la Vierge […]
Les sources les plus sûres de la vie de Marie sont évidemment les Evangiles[323].
Il expose l’objectif des évangiles et la spécificité
de chaque évangéliste. Il explique l’origine des apocryphes[324] du Nouveau
Testament dont il sait reconnaître la part doctrinale en écho aux traditions
orales qui les sous-tendent. Il réfute les «renseignements peu importants, et
du reste, d’une authenticité douteuse[325].»
Il n’ignore pas la part des révélations privées.
Mais il les écarte, sans dénigrer leurs auteurs, par souci de rigueur
historique. Il approfondit la tâche de l’historien, il l’invite à un effort
de sympathie[326] avec le personnage
qu’il étudie. Appliquée à la découverte de Marie, cette sympathie lui fait
distinguer la réalité naturelle de l’histoire avec l’esprit de cette
histoire[327].
Que ce soit dans La
vie de Marie ou dans tous
les autres ouvrages qui suivront tel Notre Mère, pour la mieux connaître,
il se présente comme un théologien soucieux d’une analyse rigoureuse des
témoignages apportés par les écrits bibliques et par la Tradition, même s’il
garde une présentation classique pour son époque[328].
Dans la préface de La vie de Marie, il situe
l’apport de l’évangile dans son étude. Il prend soin de présenter chaque évangéliste
avec ses objectifs et ses sources. Nous retiendrons les buts qu’il leur
attribue en naviguant entre les ouvrages signalés, même si vingt ans de
distance les séparent[329]. Aucune différence
saillante entre eux dans l’approche exégétique n’enrichit notre étude, sauf,
certains compléments d’information que nous signalons par souci
d’exactitude :
Saint Matthieu
composa son Evangile pour les Juifs convertis de la Palestine[330].
St. Luc. Son
objectif n’était pas d’être aussi complet que possible, car il omet des cycles
importants de la vie de Jésus que cependant il connaissait par Saint Matthieu
et Saint Marc… Disciple de Saint Paul, il insiste comme son maître sur le salut
mérité par la mort de Jésus
[331]…
A quelle
source saint Luc a-t-il puisé le récit des premières années de Jésus ? Ce
récit porte une empreinte sémitique bien plus prononcée que toutes les autres
parties du troisième Evangile. Les hébraïsmes y abondent[332].
On dirait que l’écrivain a eu la préoccupation de respecter le plus possible
les paroles mêmes de son informateur[333]
… Dans saint Luc, tout est orienté vers Marie[334]…
St. Luc a donc dû se servir d’un texte en hébreu, ou plus exactement en araméen
qui était le dialecte dérivé de l’hébreu qu’on parlait alors en Palestine[335].
St. Jean
paraît avoir écrit son Evangile pour prouver que Jésus était le Messie, le Fils
de Dieu (Jn 20,31)[336].
Aussi, au lieu de reporter ce que les autres Evangélistes avaient déjà noté, ne
nous raconte-t-il que des paroles ou des faits inconnus de ses devanciers, ou
des détails nouveaux sur ce qu’ils avaient relaté.
Comme Emile Neubert, nous ne nous fermerons pas sur
les premiers chapitres de La vie de Marie
qui s’appuient sur les récits apocryphes[337]. Nous allons suivre
la progression des thématiques dogmatiques mariales et nous mettrons en
évidence leurs sources bibliques en vue de son enseignement sur le dogme et la
piété mariale, à partir d’elles.
Quatre récits bibliques seront approfondis pour
notre étude au fil des thématiques dogmatiques, - sans omettre bien sûr,
l’apport d’autres éléments scripturaires complémentaires : L’Annonciation
(Lc 1, 26-3), La Visitation (Lc 1, 39-56), Les
Noces de Cana (Jn 2, 1-12) et l’épisode du Calvaire (Jn
19, 25-27.) Nous développerons pour chaque thématique dogmatique l’apport
biblique, celui de la Tradition et celui d’Emile Neubert.
Marie a conçu le Verbe de Dieu au cœur même de sa
foi en la Promesse. Si le Verbe s’est fait chair et qu’il est né de la Vierge
Marie, c’est pour nous et pour notre salut. Jésus, parce qu’il devait mourir
pour nous racheter, devait naître dans la condition humaine. Marie, par son
«oui», devient la Mère de Dieu. Elle s’engage avec son Fils qui est son Dieu
pour faire la volonté du Père.
Voici que nous
sortons de la pénombre de traditions plus ou moins légendaires et d’hypothèses
plus ou moins vraisemblables, pour entrer dans la pleine clarté de la
révélation évangélique. Or, dès le premier pas, nous nous trouvons en présence
de l’événement le plus grand qui se soit jamais passé sur la terre, l’événement
central de l’histoire de l’humanité ; celui dont toutes les périodes
antérieures depuis la création du monde n’ont été qu’une préparation et dont
toutes les périodes postérieures jusqu’à la fin des siècles ne devront être que
la réalisation ; bien plus, celui que, de toute éternité, Dieu avait
décrété comme son grand ouvrage extérieur et dont pendant toute l’éternité le
ciel des élus constituerait le glorieux épanouissement : l’Incarnation du
Fils de Dieu[338].
L’introduction de l’auteur est suivie d’une analyse
précise du texte de Luc 1. Il se réfère aux deux Testaments. Il distingue les
manuscrits d’origine[339]. Il s’enquiert du
sens de certains termes grecs bibliques à partir de la littérature antique[340].
L’ange Gabriel, l’ange de l’Incarnation[341] est présenté en
référence au livre de Daniel (Dn 9, 20-27) et en référence à
l’Annonciation à Zacharie (Lc 1, 11-20).
Gabriel «entra» chez Marie. Elle se trouvait donc
dans sa demeure[342].
«Salut !»
Saint Luc écrivant en grec, emploie la formule grecque de salutation :
«Réjouis-toi !» Les hébreux au lieu de souhaiter la joie souhaitent la
paix : «paix à toi !» c’est probablement cette dernière formule
qu’employa Gabriel[343].»
La traduction de «pleine de grâces» dans son ouvrage
de 1927 Maria de qua natus est Jesus est l’objet d’une analyse
philologique beaucoup plus précise[344], ainsi que le terme
exprimant le trouble de Marie[345].
L’auteur publia son premier ouvrage La vie de
Marie en 1936, ses éléments principaux sont présents dans Maria de qua
natus est Jesus de 1927. Dans la réédition postérieure datant de 1948, il
n’a pas tenu compte des résultats plus récents à ce sujet (dès 1939) du P.
Lyonnet, encore peu vulgarisés[346].
S’inspirant du texte lucanien Il sera appelé Fils
de Dieu (Lc 1, 35) il voit en Marie celle qui, par excellence,
désirait la venue du Messie :
Ce Sauveur, ce
Fils du Très Haut, ce descendant de David, ce roi éternel d’Israël, c’était
clairement le Messie […] si ardemment désiré par tant de générations et par
elle plus que par tous les autres, qu’elle-même de supplier Dieu d’envoyer
enfin à son peuple, il allait donc naître, et naître d’elle[347].
Dans Marie dans l'Eglise anténicéenne,
l’auteur précise :
Ce qui frappe
chez elle d’abord, après sa pureté qui s’effarouche des propositions de l’ange
et que l’Esprit Saint viendra consacrer par la toute-puissance divine, c’est sa
profonde humilité [...] Cependant, cette humilité n’est pas de
l’inconscience : c’est après avoir entendu l’ange lui révéler la gloire de
celui qui allait naître d’elle, qu’elle s’appelle la servante du Seigneur [...]
Un autre trait de sa physionomie, c’est son désir de se conformer aux desseins
de Dieu[348].
L’ange, en
annonçant à la Vierge que l’enfant qui naîtrait d’elle serait le Fils du
Très-Haut et que son règne n’aurait pas de fin, lui laissait entendre
clairement qu’elle serait Mère de Dieu[349].
Au sujet de la salutation
angélique de multiples renvois sont faits. Le contenu de son analyse
philologique est enrichi de passages de l’Ancien Testament[350].
La péricope en Luc 1, 35b, si approfondie par
le père Lagrange, ne fait pas chez lui l’objet d’une explication approfondie.
Mais il insiste sur la question du vœu de virginité de Marie.
Puis vint la réponse de Marie :
Voici la
Servante du Seigneur. (Lc1, 38)
Instant solennel
entre tous dans l’histoire de l’humanité […] Toute l’économie du plan divin au
Ciel et sur la terre passa, comme une vision rapide, devant l’esprit de cette
jeune fille de seize ans : tout cela dépendait de sa réponse[351].
Elle serait
Mère de Dieu, élevée à un rang inconcevablement supérieur à celui du plus grand
des prophètes […] Et elle serait associée à l’œuvre de son Fils […] La destinée
d’innombrables âmes, l’accomplissement des mystères de Dieu ; pour
elle-même une responsabilité et des épreuves inénarrables, toute l’économie de
la terre et du ciel passa dans une vision rapide dans son âme ; tout cela
dépendait de sa réponse.[352]
Dans ce commentaire, il met en évidence le lien qui
unit Marie, non seulement à Dieu lui-même venant s’incarner, mais aussi aux
hommes par le mystère de sa collaboration à l’œuvre du salut. Il nous revient
de reprendre ce thème plus loin dans notre étude :
[…] Or, la
volonté de Dieu était claire ; simplement elle dit son fiat[353].
Elle est
choisie pour être Mère de Dieu et elle se déclare sa servante ! […] Et, à
ce fiat, le Verbe se fit chair et il habita parmi nous[354].
Qu’en était-il de cette interprétation exégétique de
son temps, et de la nôtre aujourd’hui ?
Le Père Lagrange, dans son introduction à l’Evangile
selon saint Luc, affirme, que de très bonne heure, les fidèles donnèrent à
Jésus le titre de : Seigneur ! Titre qui n’appartenait qu’à
Dieu dans la bible grecque[355]. Emile Neubert
souligna discrètement, au crayon papier, les passages précis du Père Lagrange
traitant de la question : la Maternité divine. Il saisit le sujet au cœur
même de la controverse de son temps :
[…] (Selon
Merx), dans le discours de l’ange, Marie n’a vu que la naissance du Messie[356]
[…] Comme on ne peut accuser de fausseté théologique les paroles de l’ange, on
a cherché (en vain) à trouver dans ses paroles une indication de l’union
hypostatique […] Mais l’ange n’exclut pas, il suggère plutôt, en mettant le mot
de Fils de Dieu au terme de la promesse, qu’il sera vraiment Fils de Dieu.
Pourquoi Dieu voudrait-il être le Père par une conception surnaturelle, de
celui qui ne serait pas vraiment son Fils […] Il vaut mieux reconnaître que le
texte ne donne pas toute la doctrine de l’Incarnation que d’en forcer le sens[357].
La traduction de Fils de Dieu en lien avec la
Tradition, convient au père Lagrange, qui fait une recherche exégétique en
dialogue permanent avec les auteurs de son temps, de tous les horizons et des
siècles précédents. Emile Neubert, quant à lui, ne retient que les résultats de
sa propre recherche centrée sur la maternité divine de Marie. Il ne
s’arrête pas à l’interprétation thématique messianique des textes qui,
aujourd’hui encore, demeure une des acquisitions essentielles retenues dans
l’exégèse contemporaine[358]. Mais elle n’exclut
pas le sens privilégié qu’Emile Neubert lui attribue, c’est-à-dire la
révélation de la divinité du Christ[359].
Il n’est pas
Fils de Dieu parce que sa naissance est miraculeuse, mais c’est parce qu’il est
Fils de Dieu que cette naissance est aussi miraculeuse[360].
La question soulevée par le miracle de cette
naissance comme celle de sa conception nous renvoie nécessairement à la double
réalité à la fois homme et Dieu. C’est dans cette perspective christologique
que se situent tous les débats mariologiques des siècles précédant Nicée, Emile
Neubert y consacra sa première étude universitaire. Cette étude sera complétée
par les résultats des conciles successifs, comme autant d’arguments pour tous
ses enseignements sur la Mère de Dieu :
[…] Et la
question d’Elisabeth : D’où m’est-il donné que la Mère de mon Seigneur
vienne à moi ? signifiait sans doute dans sa pensée : D’où m’est-il
donné que la mère de mon Dieu vienne à moi[361] ?
Les interprétations données par lui ont pour centre
de gravité la mission particulière de Marie : être la Mère de Dieu. Elle
n’existe que pour l’Incarnation du Verbe. Le travail de compréhension et
d’interprétation exégétique des textes bibliques s’inspire de cette dogmatique
fondamentale, la maternité divine de Marie :
Dans la pensée
du Créateur, Marie est avant tout la Mère du Fils de Dieu. La maternité divine
est son privilège fondamental : sans celui-ci ses autres privilèges
n’existeraient pas ; bien plus, Marie elle-même n’existerait pas, car,
suivant un sentiment commun, elle n’a été créée que pour être Mère de Dieu. La
maternité divine explique tout en elle, et sans cette maternité, rien en elle
ne s’explique[362].
Ces premières lignes qui introduisent son tout
premier chapitre sur la Maternité Divine dans l’ouvrage Marie dans le
dogme (1933) sont commentées immédiatement en s’appuyant sur le mystère
de l’Incarnation dans toute sa profondeur.
Aussi, la
question déborde-t-elle la doctrine mariale proprement dite et s’étend-elle
jusque dans le domaine de la christologie […] C’est là que tous les
enseignements relatifs à l’Incarnation se rencontrent comme en leur centre. La
maternité divine de Marie est la pierre de touche de l’orthodoxie
christologique ; et, dans une certaine mesure, l’orthodoxie par rapport à
la maternité divine garantit même l’orthodoxie de nos affirmations relatives à
la Très Sainte Trinité et à plusieurs autres vérités révélées[363].
La vue primitive dans la révélation, selon notre
auteur, contient l’idée de la maternité divine. Marie est regardée comme Mère
de Jésus, Jésus considéré dans sa double nature :
Cette humanité
et cette divinité que les premiers chrétiens reconnaissaient dans le Fils de
Marie, leur apparaissaient comme unies en lui de l’union la plus étroite qu’on
puisse concevoir, celle qu’on appellera plus tard l’union hypostatique[364].
Il s’appuie sur différents passages de l’Evangile -
le Baptême du Christ, le pardon des péchés par Jésus- et reprend l’hymne de
saint Paul aux Philippiens (Ph 2, 6-8), concluant :
Or, par le fait qu’aux yeux des premiers chrétiens
Jésus était à la fois Dieu et homme et qu’il était né de Marie, ils voyaient
assurément en Marie ce qu’on désignera dans la suite par le titre de Mère de
Dieu[365].
Cette argumentation de l’auteur coïncide avec son
interprétation, en amont, de l’Annonciation et de la Visitation. Il comprend le
message de l’ange dans le sens que Marie deviendrait Mère tout en conservant
sa virginité, parce que «ce qui naîtrait d’elle serait le Fils de Dieu.» Elisabeth
donne aussi au mot Seigneur le sens de Dieu. La divinité de Jésus
affirmée ou du moins supposée, selon l’auteur, fait voir à Marie dans
ce titre autre chose que l’équivalent du Messie. Même la lecture de la
prophétie d’Isaïe, selon lui, si elle ne contient pas l’idée d’Incarnation du
Verbe dans l’expression Dieu avec nous, fut comprise par les premiers
chrétiens comme Dieu fait homme : «Et donc pour eux, la Vierge
avait conçu et enfanté Dieu, et, partant, était Mère de Dieu [366].»
Enfin, en s’appuyant sur saint Paul (Ga 4,
4), avant même la publication des Evangiles, l’auteur voit dans la foi
de la première génération que cette femme était Mère du Fils de Dieu[367].
Son étude des Pères et auteurs anciens lui offre les
bases théologiques qui donnent sens au terme raccourci : Mère du Fils
de Dieu en Mère de Dieu.
Emile Neubert apporte sa première contribution aux
études mariologiques par sa thèse de doctorat Marie dans l’Eglise
anténicéenne. Il prend comme point d’appui la naissance de Jésus selon les
différents récits évangéliques et s’arrête au tout début de la crise arienne,
avant le concile de Nicée. Son étude historico-critique s’augmente par
l’approfondissement des Pères de l’Eglise et des auteurs anciens sur le sujet
de l’identité du Christ, pleinement homme et pleinement Dieu. Ils nous donnent
les premiers éléments du Symbole de la Foi.
Il étudiera avec attention la période qui s’étend de
la rédaction des évangiles au concile de Nicée pour sustenter sa réflexion sur
la double nature du Christ.
Cette période constitue la trame théologique de la
foi chrétienne au fil des siècles.
Nous suivrons l’auteur à partir des chapitres de sa
thèse sur la maternité humaine et divine, une fondation vivante qui supportera
l’édifice de son œuvre mariale.
La mentalité culturelle et religieuse de l’Empire
Romain, très influencée par la philosophie platonicienne, n’accueille pas
facilement les données du kérygme primitif des premières générations de
chrétiens. L’opposition radicale de la matière, cette vie inférieure des
sens, et de l’esprit, fait entrevoir le monde comme l’œuvre déchue d’un
dieu mauvais, inférieur, malfaisant et non pas un Dieu suprême.
La première objection rencontrée était la
suivante :
L’envoyé du
Dieu bon ne pouvait avoir pris un corps véritable, et par conséquent, il
n’était pas né de Marie[368].
La vérité de la maternité humaine de Marie était la
toute première réponse à offrir.
Nous évoquerons avec Emile Neubert la mise en place
progressive, par les Pères et les auteurs anciens, de l’affirmation
fondamentale sur la maternité humaine de Marie, vérité qui ne cessera d’être
affirmée au fil des siècles.
Saint Ignace d’Antioche et saint Polycarpe, dès le
premier siècle et le début du second, luttèrent contre les gnoses venues soit
de l’Orient, soit de courants hérétiques de certains chrétiens judaïsants.
L’intérêt, pour notre étude, est de recevoir leurs conclusions sous le mode du
contenu de leur foi, sur les éléments essentiels qu’Ignace résume ainsi :
Je ne connais
qu’une chose véritable, ce que l’Evangile de mon unique Sauveur me raconte :
qu’il est né de Marie, qu’il a souffert sous Ponce Pilate et qu’il est
ressuscité[369].
Il s’opposait aux docètes, «ces faux
docteurs» :
D’après eux,
le Christ n’est pas venu en chair[370],
sa vie n’avait pas été véritable, sa passion entre autres n’avait été
qu’apparente[371]
et, en conséquence, était sans effet pour notre salut[372].
Il n’y avait pas non plus de résurrection véritable, ni pour Jésus ni pour ses
disciples[373],
et l’eucharistie[374]
n’avait plus de sens[375].
La négation de l’humanité du Christ était la conséquence
logique de toute une conception religieuse de l’Antiquité qui entrevoyait la
vie des sens et de la chair comme séparée et inférieure à celle de l’esprit. La
réponse de la foi consiste à dire, en tout premier lieu, que l’Incarnation
n’est pas indigne de Dieu[376] :
Aux nouvelles communautés chrétiennes confrontées à
ces difficultés, Ignace recommande de garder l’unité autour de l’évêque, à
assister fidèlement aux réunions liturgiques et à fuir les hérétiques[377]. Il met en place
les éléments fondamentaux qui seront déployés dans les siècles à venir afin de
prouver la vérité de la vie du Sauveur dont deux moments décisifs : sa
naissance de la Vierge et sa Passion : «Ce sont là les mystères par
excellence du Sauveur qu’il faut proclamer à grands cris[378].»
Le choix des réponses d’Ignace, qu’établit Emile
Neubert, constitue un véritable florilège de textes denses qui donne au
développement de sa thèse son appui scientifique[379] :
Le Seigneur
est vraiment de la race de David selon la chair ; Fils de Dieu, selon la
volonté et la puissance de Dieu vraiment né d’une Vierge[380].
Ainsi commente-t-il, déjà pour saint Ignace, la
maternité de Marie était le garant principal de l’humanité de Jésus[381]. Après la mort de
l’évêque d’Antioche, nous assistons à la grande crise du docétisme. Des sectes
se multiplièrent au second siècle, parmi lesquelles celle des Valentiniens et
celle des Marcionites. Selon les Valentiniens, le Sauveur n’a qu’un corps
apparent, car il n’aurait rien reçu réellement du corps de Marie.
Il fallut près d’un siècle à l’Eglise pour éradiquer
la fausseté des enseignements gnostiques de cette secte redoutable.
Une autre hérésie à peu près contemporaine se fit
jour avec Marcion qui fut moins spéculatif que Valentin, mais beaucoup plus
pratique, offrant une religion d’amour et de haute austérité morale :
Peu importe la
théorie qu’on professe : seront sauvés tous ceux qui auront mis leur
espoir dans le crucifié, pourvu qu’ils soient trouvés pratiquant le bien[382].
En commun avec les Valentiniens, Marcion niait
l’humanité de Jésus, donc sa naissance de Marie qui n’était pas même en
apparence sa mère. C’est à cause de ce contexte, que l’affirmation de la
maternité humaine de Marie devint l’argument décisif en faveur de la
christologie orthodoxe. Marcion réfutait aussi l’Unique Dieu créateur, opposant
le Dieu de Moïse au Dieu de l’Evangile.
Justin et Méliton de Sardes s’opposèrent eux aussi,
à ces erreurs gnostiques.
L’évêque de Lyon, saint Irénée, nous offre de
précieux développements et argumentaires pour réfuter ces thèses. Irénée se
réfère beaucoup plus au thème de la virginité de Marie qu’à celui de la
maternité divine[383]. Il s’appuie sur un
grand nombre d’arguments scripturaires et sotériologiques[384]. Nous reprendrons
plus loin, à partir de ce dernier thème, son argumentation spécifique. Mais
relevons quelques passages d’Irénée retenus par Emile Neubert qui rejoignaient
son cheminement spirituel ;il nous confie dans son autobiographie
l’importance qu’eut pour lui la découverte approfondie de l’humanité du
Christ : « Le modèle de l’homme parfait : Adam en est l’exemple[385] ».
Pourquoi Jésus
se proclamait-t-il fils de l’homme, s’il n’a pas daigné naître de l’homme[386] ?
S’il n’avait
rien reçu de Marie, jamais il n’eût pris les aliments terrestres par lesquels
se nourrit un corps terrestre ; il n’eut pas, après avoir jeûné quarante
jours comme Moïse et Elie, eu faim et désiré de la nourriture ; Jean, son
disciple, n’eut pas écrit de lui : Jésus fatigué de la marche, s’assit […]
Il était, du reste, inutile de descendre en Marie : pourquoi entrer en
elle alors qu’il ne voulait rien prendre d’elle[387] ?
Il faudra attendre Tertullien pour voir la
réfutation des négateurs de la maternité véritable de Marie atteindre son
apogée[388].
Tertullien de Carthage, l’auteur du De carne Christi, fut un grand défenseur
de la maternité humaine de Marie, même si parfois son style est cru, cherchant
à exprimer cette réalité bien concrète pour répondre aux négateurs de la
naissance de Jésus, qui, écrit-il : s’est
revêtu de chair pour évacuer, non la chair de péché, mais le péché de la chair[389].
C’est à Tertullien que nous devons de connaître
certains arguments des Valentiniens, concernant la personne de Jésus :
Il est né par
la Vierge et non de la Vierge car, descendu dans la Vierge, il est
venu dans ce monde par mode de passage plutôt que de génération,
par elle et non d’elle ; elle fut pour lui non une mère, mais une voie[390] ;
il a passé à travers Marie, comme l’eau passe à travers un canal.
Emile Neubert s’inspirera de la réfutation de
l’Eglise contre les Valentiniens pour approfondir sa réflexion sur le rôle
maternel de Marie envers le Fils de Dieu. Dès le départ, un élément sera très
important pour lui : Marie est associée à la mission de son fils. Entre la
Mère et le Fils s’établit une réciprocité dans l’échange :
Jésus
a voulu être le vrai enfant de Marie[391].
La relation filiale de Jésus avec sa mère, pour
notre auteur, est le fondement naturel, d’ordre anthropologique, à partir
duquel tout s’explique de l’échange entre eux deux :
Il a partagé
avec elle ses prérogatives et ses fonctions.
Aimer c’est
donner. Si Jésus l’a tant aimée, il a dû lui donner tout ce qu’il pouvait
donner, c’est-à-dire tout ce que, pure créature et femme, elle était capable de
recevoir[392].
La maternité humaine de Marie était le principal
garant de l’humanité du Christ pour Tertullien comme pour tous ceux qui le
précèdent. Saint Hippolyte fut, après lui, le plus célèbre des hérésiographes
du troisième siècle. Il nous informe avec précision sur le contenu des erreurs
répandues par les gnoses: l’influence des philosophes et des astrologues[393]. Emile Neubert nous
enrichit de la pensée de ce saint en gardant tel ou tel passage[394] :
C’est grâce à
la maternité de Marie que le premier Adam, et nous avec lui, avons été
régénérés par le nouvel Adam. Et c’est aussi grâce à elle, que nous pouvons
devenir les imitateurs du Verbe.
Enfin le Verbe
lui-même, (et ce point - note Emile Neubert -, est particulier à la théologie
de saint Hippolyte) quoique parfait en tant que Verbe, ne devint Fils parfait
que grâce à la chair prise à Marie[395].
Cet ultime argument mérite d’être relevé, car on le
retrouve dans ses œuvres ultérieures surtout dans celles de vulgarisation au
grand public. Un argument souvent associé à celui d’Origène, que notre auteur
n’a de cesse de répéter Marie est plus
mère que toutes les autres femmes :
De tout homme,
il est exact de dire qu’il est fait par la femme, car avant de naître
par la femme, c’est de l’homme qu’il tient son origine. Le Christ, au
contraire, qui ne tire pas sa chair de la semence de l’homme, est dit
justement : fait de la femme. C’est à elle-même, à savoir à la
femme, qu’est attribuée avant tout l’origine de sa chair ; et c’est à bon
droit que l’Apôtre le proclame fait non par la femme, mais de la
femme[396].
Il nous explique que pour Origène, comme pour ses
prédécesseurs, la négation de la maternité de Marie impliquait la négation de
l’humanité de Jésus[397], laquelle
entraînait la négation de la Rédemption[398].
Emile Neubert relève que les gnostiques mouraient
d’inanition […] Et, dans le sein même du christianisme, la croyance en
l’humanité de Jésus a définitivement triomphé, ainsi que celle en la maternité
de Marie.
Grâce à l’appui d’Emile Neubert sur les sources
bibliques, nous avons déjà signalé la place centrale de la maternité divine.
Dans son ouvrage Marie dans le dogme, il nous rappelle que l’expression
même de Marie Mère de Dieu était sans doute inconnue des premiers Chrétiens[399]. Selon lui :
« la tradition n’eut donc pas
proprement à expliciter cette idée mais elle la mise peu à peu dans un relief plus saisissant, grâce aux querelles
christologiques des premiers siècles :
Il n’y a qu’un
médecin, dira dès le début du IIe siècle saint Ignace d’Antioche,
(composé), à la fois de chair et d’esprit, engendré et non engendré […] (né) de
Dieu et de Marie, Jésus-Christ, Notre Seigneur[400].
En parlant de
la naissance de Jésus, elle remplaça les mots Fils de Dieu par le mot Dieu
tout court, ce qui devait faciliter la création du mot Theótokos, Mère de Dieu. Notre Dieu, Jésus-Christ - affirme le même
saint Ignace - a été porté dans le sein de Marie.
Et un siècle
plus tard, Tertullien s’exprime ainsi : «Dieu est né dans le sein
d’une Mère. Car celui-là est Dieu, qui est né en elle[401].»
Dans son étude sur Marie dans l’Eglise
anténicéenne, Emile Neubert approuve Harnack[402] en ce point
précis : que c’est l’antinomie entre la double nature du Christ qui posait
un problème bien avant l’arrivée de Nestorius.
Difficulté qui
trouvait sa solution dans le caractère virginal de la naissance véritable de
Jésus. Puisque les hérésies des premiers siècles n’allaient pas directement
nier cette nature divine, il n’y avait pas lieu de les formuler à part[403].
Il reprend l’un après l’autre les Pères : saint
Ignace, saint Justin et il en arrive à saint Irénée[404], qui lui ne se
contente pas d’affirmer les deux natures, mais la démontre, puisque le point
capital dans les théories des hérétiques sur le Sauveur, c’était la séparation
qu’ils établissaient entre son humanité et sa divinité[405].
Il nous explique avec Tertullien, en s’appuyant sur
l’étude de Tixéront[406], que la question de
la maternité divine fait un pas de plus dans la compréhension du rôle de
Marie :
Tertullien, en
effet, a donné à la théologie latine la formule à peu près définitive de
l’union hypostatique, sans utiliser pour autant l’expression Mère de Dieu
qui sera consacrée à Ephèse ultérieurement, mais dont le contenu est déjà
présent dans sa théologie : Marie n’a pas enfanté seulement un homme, mais
Dieu[407].
De même, saint Hippolyte de Rome aurait admis, lui
aussi, l’idée exprimée par ce terme Theótokos :
Lorsque la
plénitude des temps fut arrivée, Dieu envoya son Fils fait de la femme, afin
que s’étant revêtu de l’homme (humanité) pris dans Marie, il apparût Fils de
Dieu et Fils de l’homme[408].
«Jean ayant entendu le salut de Marie, bondit de joie dans le sein de sa mère,
entrevoyant dans le sein de la Vierge, le Verbe de Dieu conçu[409].»
Et s’adressant à Marie, Hippolyte s’exclame :
Dites-moi, ô
bienheureuse Marie, qui était celui que vous aviez conçu dans votre sein ?
Qui était celui que vous portiez dans vos entrailles virginales ? C’était
le Verbe, le premier-né de Dieu, qui est venu du ciel en vous, qui est devenu
dans votre sein l’homme premier-né, afin que le Verbe premier-né de Dieu
apparût uni à l’homme premier-né[410].
Origène[411]
affirme la maternité divine de Marie, sans employer le terme :
Marie y est
appelée : Mère du Seigneur[412],
Mère du Sauveur[413] ;
il y est dit qu’elle a porté dans son sein la race de Dieu[414],
le Fils de Dieu[415],
qu’elle a enfanté l’Emmanuel, le Dieu avec nous, ce qui ne convenait qu’à une
Vierge pure et sans tache[416].
Dans son étude personnelle, Emile Neubert nous
transmet des informations selon l’historien Socrate[417], concernant un
commentaire de l’Epître aux Romains par Origène, où ce dernier examine comment
Marie peut être appelée Theótokos, et
traite la question dans toute son ampleur :
On ne trouve
nulle trace de cette explication dans la traduction latine du commentaire de
l’Epître aux Romains que nous possédons. Il n’y a cependant pas de raison de
suspecter le témoignage de Socrate […] Il est tout à fait probable qu’Origène
qui admettait pratiquement et a même formulé la théorie de la communication des
idiomes, ait démontré qu’on pouvait appeler Marie Mère de Dieu[418].
Nous constaterons que les recherches conduites par
le jeune Emile Neubert avec rigueur nous font mieux saisir le contexte et
l’importance du développement du dogme marial avec une perspective
christologique qui, avant d’être centré sur la Theótokos, fut un dogme
centré sur la formule : Natus ex Virgine.
Selon Emile Neubert, avant le concile de Nicée, la
maternité divine de Marie est déjà admise et reconnue, même si elle est
affirmée définitivement au concile d’Ephèse en 431. Dans son premier chapitre
consacré à la maternité divine dans Marie dans le dogme (édition
de 1954) comme l’annonce le sous-titre, «La maternité divine est la grandeur
fondamentale de Marie». Elle est la raison d’être de toutes les autres, elle
est la raison d’être de l’existence même de Marie :
La Vierge n’a
été créée que pour être Mère de Dieu. De fait, le Pape Pie IX, dans la bulle Ineffablis
Deus où il définit l’Immaculée Conception de Marie, enseigne que «par un
seul et même décret, l’origine de Marie et l’Incarnation de la Sagesse divine
furent décidées». Ainsi, la maternité divine explique tout en Marie, et sans
cette maternité divine, rien en elle ne s’explique[419].
La mariologie est approfondie parce qu’elle se
trouve dans le développement de la christologie. La révélation de la divinité
du Christ, dans le mystère de l’union des deux natures, nous conduit à recevoir
la révélation de la maternité divine de Marie. Garantie du mystère de
l’Incarnation, Marie nous renvoie au mystère de la double nature du Fils de
Dieu. C’est la personne du Verbe, à laquelle appartiennent toutes les actions
(l’être et l’agir de Jésus), que nous adorons, car elle est Personne divine. La
maternité s’adressant à la personne, Marie de Nazareth, comme mère de Jésus et
vraiment mère de Dieu[420].
A la suite de Bérulle et des auteurs de l’Ecole
Française de Spiritualité, s’inspirant de saint Cyrille d'Alexandrie et du
Concile d'Ephèse (431)[421], il nous fait
contempler le mystère de «l'union hypostatique» à l’intérieur de celui de
l'Incarnation, comme étant l'union la plus inouïe entre Dieu et l'humanité.
Union entre le Créateur et la créature qui se retrouve dans la même et unique
Personne Divine de Jésus, le Fils ou Verbe de Dieu.
Cette «ontologie» de l'Incarnation est comme un
«état d'Amour[422]» :
La personne à
laquelle appartiennent toutes les actions du Christ est la personne divine.
Aussi, toutes ses actions, celles même qui étaient accomplies par la nature
humaine, avaient un mérite infini, étant les actions d’un Dieu. On peut donc
dire en toute réalité que Dieu a prêché, que Dieu a souffert, que Dieu est
mort. Par conséquent, on peut tout aussi bien dire que Dieu est né. Or la femme
de qui un être naît est sa mère. Dieu est né de Marie : donc Marie est
Mère de Dieu[423].
Dans cette très belle reprise du mystère de l’union
hypostatique, tout ce qui est vécu d’humain dans la vie terrestre du Christ est
attribué à l'unique Sujet qui est la Personne du Fils de Dieu.
Selon l'humanité, le Fils de Dieu est «né d'une
femme» (cf. Gal 4,4), et c'est pourquoi cette femme doit être vraiment
appelée Mère de Dieu (Theótokos).
Emile Neubert affirme que, selon l'humanité, Dieu le
Fils a prêché. Il est né, il est mort - et nous pourrions compléter en disant
qu’il a été enseveli, qu’il est descendu aux enfers, qu'il est ressuscité le
troisième jour - c'est la vraie signification de la naissance, de la souffrance
et de la mort de Dieu. Toutes ces expressions dogmatiques qui viennent du
Concile d'Ephèse font comprendre ce que signifie l'absence de personnalité
humaine dans le Christ : La Personne divine étant l'unique sujet de tout
ce qui est humain. Le Verbe de Dieu doit à l’humanité de Marie son oblation en
notre chair.
Il nous fait entrevoir que la maternité de Marie est
plus «réelle en un sens que toute maternité humaine» selon son expression, car
sa maternité n’a pas connu la contribution d’un père humain dans la conception
de Jésus. Or Marie, par son « fiat » à cette Conception annoncée par
l’ange Gabriel, sublime la maternité. Mais Dieu l’a choisie et créée pour cette
mission, jusque dans ses conséquences tragiques : la mort sur la Croix de
son Fils et sa mise au tombeau. Nous voyons apparaître l’idée d’une coopération
de Marie qui sera développée dans tout le corpus «neubertien» que nous
reprendrons par la suite.
Il nous rappelle que la mariologie primitive (avant
Nicée) contient l’idée de la maternité divine jusqu’à l’apparition du terme Theótokos,
consacré au Concile d’Ephèse :
L’expression
même de Mère de Dieu était sans doute inconnue des premiers chrétiens. On ne
songeait pas, dès les débuts, à créer un terme spécial pour désigner le rôle de
la Vierge, et cela d’autant moins que les affirmations primitives étaient
presque toutes portées en fonction de Jésus et non de Marie. Mais l’idée
contenue dans cette expression […] apparaît nettement dans la vue primitive[424].
En reprenant les affirmations des théologiens
(Cajetan[425], saint Thomas[426], Terrien, A.
Nicolas) et des auteurs en dehors de l’Eglise Catholique (Luther, Pusey), Emile
Neubert approfondit la grandeur de la maternité divine de Marie.
L’approche, que nous dirions aujourd’hui œcuménique,
consiste à reprendre les affirmations de Luther[427] et Pusey qui sont,
positivement, en faveur de la maternité divine. Puis, il reprend le lien entre
la Mère de Dieu et la Très Sainte Trinité, à partir de chacune des Personnes
divines.
Nous pouvons reprendre quelques unes de ses
expressions, elles nous permettent de mieux percevoir les points majeurs qui
ont retenu son attention :
Marie devint l’Associée
du Père […]
Marie peut
être nommée aussi Fille privilégiée du Père […]
Les anciens
auteurs appellent parfois Marie Epouse du Verbe. En effet :
1° Toutes les
âmes fidèles, surtout les âmes vierges, aiment à s’appeler les épouses de
Jésus, parce qu’elles se donnent tout entières à lui seul. La Vierge des
vierges sera son Epouse par excellence.
2° C’est grâce
à Marie que s’est opéré, en quelque sorte, un mariage entre le Verbe et la
nature humaine, lors de l’Incarnation.
3° Marie est
la nouvelle Eve à côté du nouvel Adam, Jésus-Christ.
4° Elle est le
type de l’Eglise, l’Epouse Immaculée du Christ[428].
Aujourd’hui,
cependant, comme on donne généralement à Marie le titre d’Epouse du
Saint-Esprit, et qu’il semble contradictoire d’appeler la Vierge à la fois
la Mère et l’Epouse de Jésus, on ne la désigne plus guère sous ce titre[429].
Notons la similitude des expressions : Epouse
du Verbe et Epouse de Jésus qui font appel à deux approches
théologiques différentes, ainsi que l’apparition du terme type de l’Eglise qui
sera consacré par Vatican II, mais qu’il ne développera pas dans son œuvre.
Retenons cette réflexion théologique :
La maternité
divine donne au Fils une existence nouvelle, son existence temporelle.
Grâce à cette maternité, le Fils peut rendre à son Père ces hommages de
soumission et d’adoration, de reconnaissance et de réparation, que sa nature
divine ne lui permettait pas d’offrir ; hommages réels puisqu’ils viennent
d’une nature inférieure, et cependant infiniment agréables, puisqu’ils sont
offerts par une personne divine. Par rapport aux hommes, la maternité divine a
fait du Fils le «Bien-aimé de l’humanité». Si c’est vers le Fils, avant le Père
et l’Esprit que se dirigent nos pensées, nos affections et nos volontés […] Si
ce Fils est le centre de nos âmes, le centre de la religion et le centre de l’humanité,
n’est-ce pas à la maternité divine qu’il le doit[430] ?
Ce christocentrisme qui caractérise l’Ecole
Française de Spiritualité, est au cœur du corpus «neubertien». Notre
relation à Marie nous fait approfondir le mystère de Jésus qui est
véritablement l’unique porte pour rejoindre Dieu :
Dans le
christianisme, il y a un médiateur entre Dieu et nous, Jésus-Christ. Il est
naturel que, dans la proportion de notre union avec le Christ, s’accroisse
aussi notre union avec la Divinité et par suite notre perfection. Or la
dévotion à Marie nous aide grandement à comprendre et à aimer Jésus-Christ. […]
Les grandeurs (de Marie) sont toutes relatives à Jésus. Marie n’est rien par
elle-même […] On ne la comprend qu’en comprenant Jésus, qu’en méditant sur les
mystères de l’Incarnation et de la Rédemption. Et voilà que notre désir de la
mieux connaître pour la mieux aimer et admirer nous amène à mieux connaître,
aimer et admirer Jésus[431] ?
C’est dans cet esprit que notre auteur évoque le
lien entre l’Esprit Saint et Marie :
Grâce à la
maternité divine de Marie, le Saint-Esprit, infécond quant aux processions
divines, reçoit une fécondité à l’égard du Fils, à qui il contribue de donner
un corps[432].
Il fait de ce Fils le grand adorateur du Père et le Bien-Aimé de
l’humanité ; et il reçoit sur le Fils une autorité à laquelle ce Fils se
soumet pendant toute sa vie, ainsi que l’insinue l’Evangile : «Et Jésus
s’en alla dans le désert, poussé par l’Esprit (Mt 4, 1) […] L’Esprit
Saint est sur moi ; il m’a oint (Lc 4, 18).
Par rapport aux
hommes, l’Esprit Saint exerce par Marie une fécondité analogue, avec elle
engendrant, fortifiant et amenant à sa perfection la vie de Jésus dans les âmes[433].
Nous pourrions à la suite nous poser la question
suivante : quelle est donc la position exacte de Marie dans sa relation à la
Très Sainte Trinité ? Notre auteur y répond :
Par sa nature,
Marie est infiniment au-dessous de la divinité. Mais par ses fonctions, bien
qu’il ne faille pas oublier qu’ici même il y a entre Dieu et elle toute la
distance qui sépare l’agent principal de l’instrument, n’a-t-elle pas été
introduite, en un certain sens, dans la famille même de Dieu, et placée tout
près de l’adorable Trinité, ainsi que le chante une hymne antique :
Gaude Virgo, Mater Christi,
Quia sola meruisti,
O Virgo piissima,
Esse tantae dignitatis
Quod sis
sanctae Trinitatis
Sessione
proxima[434].
Emile Neubert ne s’arrête pas aux seules lectures
exégétiques et théologiques qui le précèdent. Il prend soin d’approfondir les
implications de la réalité de la maternité divine, en lien avec tous ses autres
privilèges.
Ce qui montre,
en second lieu, la grandeur de la maternité divine, ce sont les rapports entre
ce privilège et les autres privilèges de la Mère de Dieu. Chacun de ces
privilèges met Marie dans un rang à part. […] Or tous ces privilèges dépendent
étroitement de sa maternité divine ; ils en sont la préparation ou la
conséquence, et nul d’entre eux ne lui aurait été accordé sans cette maternité[435].
Il développe la grandeur de la maternité divine en
relation avec la création :
Toutes les
créatures, même les plus sublimes séraphins, ne sont que les serviteurs de
Dieu ; Marie est Mère de Dieu. Or, mille millions de serviteurs ne valent
pas une mère[436].
Il en va de même de notre filiation adoptive envers
Dieu, elle nous rend «participants de la nature divine (2 P 1, 4)» : «Marie n’est
pas Mère adoptive du Fils de Dieu, elle est sa Mère véritable[437].»
Dans sa relation avec le mystère de Dieu «Marie
appartient à l’ordre hypostatique.» Ce qu’il explique avec justesse et bon sens :
Par sa
maternité divine, Marie appartient à l’ordre hypostatique. Non à l’union, mais
à l’ordre hypostatique, c’est-à-dire à l’ensemble des réalités qui sont
directement orientées vers cette union, de même que l’ordre de la grâce
comprend des réalités qui sont directement orientées vers l’union avec Dieu,
par la grâce habituelle. En effet, Mère de Jésus, Marie fournit l’un des deux
éléments de l’union hypostatique, la nature humaine du Christ, laquelle a été,
dès le premier instant, unie hypostatiquement à la divinité du Verbe. […] Marie
occupe donc une place à part dans la création, infiniment au-dessous de déesse,
mais incomparablement au-dessus de toute autre créature. […] Et cependant, la
chose étonnante, ce n’est pas que la Mère de Dieu soit supérieure à l’ensemble
de toutes les autres créatures, mais qu’une créature ait été élevée à la
dignité de Mère de Dieu[438].
Dans la logique de son développement, un autre axe
de réflexion nous est proposé qu’il intitule La maternité fonction d’amour[439].
L’occasion lui est donnée de réfuter certaines
interprétations sur la réponse de Jésus à la femme qui lui dit :
«Bienheureux le sein qui vous a porté et les mamelles qui vous ont allaité» […]
«Bienheureux plutôt celui qui écoute la Parole de Dieu et la met en pratique.»
(Lc 11, 27-28)
Jésus, par sa réponse à la femme qui le louait, veut
combattre, chez elle et chez ceux qui l’entouraient, un préjugé enraciné dans
l’esprit des juifs, à savoir que les liens du sang l’emportaient pour eux, sur
leur conduite personnelle. Elle signifiait simplement : il vaut mieux
pratiquer la Loi de Dieu, que d’être mère d’un prophète[440].
Il en va de même pour la réponse de Marie à la
salutation de l’ange (Lc 1, 34) :
Elle est une
demande d’explications, non une objection […] Il ne lui vient pas à l’esprit
que Dieu lui demande l’abandon du vœu de virginité[441].
Emile Neubert prend soin de ne pas s’arrêter à
l’aspect purement physique de sa participation à la Maternité divine :
Si l’on ne
voit dans la maternité divine que le fait physiologique - même alors elle
serait supérieure comme dignité à la filiation adoptive -, le moindre degré de
grâce sanctifiante serait évidemment préférable […] Mais cette maternité lui
est infiniment chère. Aussi sous l’inspiration même du Saint-Esprit, Elisabeth s’écria :
«Bienheureuse êtes-vous qui avez cru à l’accomplissement des choses annoncées
par le Seigneur.» (Lc 1, 45) […] Pour aimer son Enfant tout entier,
Marie devait aimer non seulement l’humanité de Jésus, mais sa divinité encore
bien davantage. Elle devait être donc nécessairement en action de grâce[442].
A ce point de la réflexion de notre auteur, nous
sommes très proches des accents qui seront développés par Vatican II dans la
constitution dogmatique sur l’Eglise, Lumen
Gentium, et par la suite, par le pape Jean-Paul II dans Redemptoris Mater, où la foi de Marie
est première. Son évocation de la salutation d’Elisabeth à Marie met en relief
l’aspect du terme bienheureuse en référence à la joie de Marie. Mais, elle
souligne une autre mise en relief de la foi de Marie, ce qui arrive tout
naturellement dans son développement théologique :
La tradition
chrétienne a toujours affirmé que le Tout-Puissant a fait de Marie une digne
Mère de Dieu. Ainsi saint Augustin qui, tout en déclarant que la parenté
maternelle n’eût en rien profité à Marie si la Vierge n’avait plus heureusement
porté le Christ dans son cœur que dans son sein, écrit : «Une si grande
grâce fut donnée à Marie parce qu’elle mérita de concevoir et d’enfanter Dieu[443].»…
Fonction d’amour de par la volonté de Dieu, la maternité divine l’est à tous
les stades de son exercice… Cet amour, on peut le dire avec les saints et avec
l’Eglise elle-même, a mérité cette infinie dignité[444].
Dans une méditation qui lui est habituelle dans tout
son corpus, il nous fait contempler la réalité de ces deux amours, celui
de Marie en tant que Mère de Dieu pour son Fils et celui de son Fils pour elle.
Sont mises en évidence la soumission de Jésus à l’égard de sa mère, la
participation de Marie pour la Rédemption et sa distribution de toutes les
grâces jusqu’à partager ensemble les privilèges de son Fils à cause de son fiat à Dieu[445].
La piété populaire qui se nourrit de ce
développement dogmatique, intègre la réalité de la maternité humaine de Marie.
Dans le corpus «neubertien», nous pouvons noter toute cette contribution
d’ordre anthropologique de sa réflexion, avec les apports de la liturgie et de
la Tradition, pour approfondir les développements spirituels de la maternité
divine. Nous serons conduits à reprendre les thèmes de la maternité spirituelle
de Marie, approfondis sous l’angle de sa «participation à la Rédemption» et
sous celui de «distributrice des grâces», pour ensuite approfondir la relation
réciproque de Jésus et de Marie jusqu’à sa conséquence pastorale, c’est-à-dire :
la mission apostolique de Marie dans l’Eglise.
Nous sommes immergés avec Emile Neubert dans les
perspectives occidentales qui ne considèrent pas seulement la Theótokos, mais aussi la Soteriotokos.
Marie est Mère d’un Dieu qui s’est incarné en vue de devenir le Sauveur. Mais
il veut, non seulement nous libérer du péché, mais faire de nous, par adoption,
des fils, pour ne faire plus qu’un avec lui : être son corps prolongé.
Nous sommes fils dans le Fils unique, immergés dans le monde de la grâce qu’il
nous offre, faisant de notre réponse d’amour au Père une filiation égale à la
sienne et envers Marie tout aussi filiale.
«Conçu du Saint-Esprit, né de la Vierge Marie»,
Jésus de Nazareth que nous confessons dans notre Credo «Vrai Dieu, né du Vrai
Dieu», demeure aujourd’hui sujet de controverse pour beaucoup quand à sa
divinité et son humanité.
Les chrétiens des premiers siècles et des toutes
premières générations, en contact avec les apôtres, se sont affrontés aux mêmes
questions que nous. Ils ont tenu bon dans l'affirmation de leur foi et, à quel
prix souvent ! Ils ont su rester fidèles au message transmis, même s'il se
trouvait entre eux ou face à eux bien des résistances. «Nous t'entendrons
là-dessus une autre fois» (Ac 17, 32)
disaient les grecs à saint Paul, refusant de croire en la résurrection des
morts.
Entre cette génération et la nôtre, vingt siècles se
sont écoulés. L'Esprit Saint, promis par Jésus pour nous conduire «dans la
Vérité toute entière» comme nous le rappelle Emile Neubert, n'a jamais fait
défaut à l'Eglise. Son œuvre divine, dans le cœur des premiers priants devant
le mystère, demeure toujours pour l'Eglise une grâce qui jamais ne s'épuise.
Le Concile Vatican II et les derniers papes ont
puisé à la source toujours fraîche de la tradition des Pères tels :
Irénée, Ambroise, Augustin... etc. Ne croyons pas trop vite que pour ces
derniers, les premiers Pères et les chrétiens qui recevaient le dépôt de la
foi, les choses allaient de soi à cause de la mentalité du temps, non ! La
question soulevée par la maternité divine nous l’a montré, à souhait.
Dans la question délicate de la naissance virginale
du Christ, les débats n'ont pas manqué non plus.
- Qu'est-ce que Dieu Père, Fils et Saint-Esprit
communique de lui-même – Sinon la Vérité - dans ces événements ?
Dans l'événement de l'Incarnation rédemptrice se
manifestent et agissent les trois Personnes divines : le Père qui «a tant
aimé le monde, nous a donné son Fils unique» (Jn 3, 10) ; le Fils
qui assume la nature humaine et devient notre Frère ; l'Esprit qui couvre
de son ombre le sein de la Vierge Marie. En Luc, Dieu se révèle transcendant et
proche, puissant et miséricordieux, un Dieu à l'amour prévenant et gratuit,
fidèle à l'alliance et aux promesses faites à David : Dieu qui se penche
sur la misère de l'homme et privilégie les humbles et les pauvres.
- Quelles lumières recevons-nous de ces événements
dans notre découverte du mystère d’Israël et de l'Eglise ?
Car dans l'épisode de l'Annonciation, Marie apparaît
comme le sommet de l'attente d'Israël et le prototype du nouveau peuple de
Dieu. Thème qui sera constamment repris par les Pères jusqu'à nos jours mais
qu’Emile Neubert n’a pas particulièrement retenu. Elle anticipe en elle les
traits essentiels (vierge, épouse, disciple), de la physionomie spirituelle de
l'Eglise, et donc de chacun de ses membres.
- Quelles lumières recevons-nous de ces événements
pour la compréhension de l'homme masculin et féminin et de son destin de grâce
et de gloire ?
C'est justement à travers ces événements, que le
Verbe entre dans le monde pour que l'homme divinisé soit introduit dans
l'intimité de Dieu. Au cœur de cet événement, avec le Verbe, se trouve Marie de
Nazareth. C’est la «femme», dans sa condition concrète de «vierge promise comme
épouse» à un homme nommé Joseph, le charpentier de Nazareth. Elle s'engage
totalement avec son corps et son esprit ; engagement dans lequel se
marient harmonieusement, dans une dialectique inouïe : liberté et
obéissance, humilité et exaltation, amour et service, fidélité à Dieu et
solidarité avec l'homme.
L'affirmation de la conception virginale aida à
préciser la double nature de Jésus de Nazareth. Il est parfaitement Dieu et
parfaitement homme en une seule Personne.
La naissance virginale du Christ fut intégrée dans
la même dynamique de l’identité du Christ, même s'il a fallu attendre plusieurs
siècles pour l'affirmer officiellement au troisième concile du Latran en
649 :
(Marie) a
conçu spécialement et véritablement du Saint-Esprit sans semence virile, a enfanté
(Jésus) sans corruption, sa virginité demeurant non moins inaltérée après
l'enfantement.[446]
Plus proche de nous, nous lisons dans la profession
de foi de Paul VI proclamée le 30 juin 1968 :
Nous croyons
que Marie est la Mère demeurée toujours vierge du Verbe incarné, notre Dieu et
sauveur Jésus-Christ[447].
La virginité de Marie est une réalité qui forme
comme un tout dans sa vie. Emile Neubert, par commodité, l’aborde dans les
débats théologiques qui se focalisent sur trois moments ou situations de la vie
intime de la Vierge : avant, pendant et après l'enfantement de Jésus. Il
faut se rendre compte que ce thème difficile et même délicat, avant
d'apparaître comme une question mariologique, est bien plus un thème
christologique.
Dans le mystère de l’Incarnation, la personne
humaine est au centre. C’est pour cela, que nous pouvons parler de la
coopération de Marie, car sa virginité en est le point lumineux. Il nous
renvoie à l’humanité de Marie et la divinité du Verbe.
Aborder la question virginale chez Marie, c’est
aborder la personne humaine en son intimité. Il n’est pas tant question de la
fonction biologique - qui certes a sa valeur en soi et ne peut être éludée -,
mais il est principalement question de la réalité qui atteint Marie dans cette
conception si singulière.
Marie a conçu par sa foi le Verbe de Dieu avant tout
en son âme, puis dans sa chair ; aucun être humain ne fut à ce point
investi dans une conception comme le fut la Vierge Marie. Il nous fait entrer
dans cette perspective patristique que Tertullien dans le De carne Christi
résume par cette phrase lapidaire «Il n’est pas en Marie s’il n’est pas de
Marie.»
Marie est subordonnée au Christ. Elle est le témoin
de la réalité dans notre histoire, d’un Dieu qui s’est fait chair, qui assume
toute la réalité de l’humanité. Emile Neubert - bien avant Vatican II LG
56 -, nous aide à comprendre le sens de cette virginité qui nous renvoie à la
figure unique de Marie dans l’Annonciation qui est, dès son «oui», devenue Mère
de Dieu : ce oui indique que Marie en tant que simple créature est active
dans son dialogue avec son Créateur comme elle le sera dans son association à
la mission rédemptrice de son Fils.
Comme pour tous les «signes»
prodigieux qui rythment l'histoire biblique du salut, il ne s'agit pas de
s'arrêter à la matérialité de l'événement - le fait brut -. Il est
indispensable de recueillir le message qu'il renferme. «C'est ici qu'il faut
un esprit doué de finesse.» (Ap 17, 9)
Fait et signification ou sens
du fait, font ici partie intégrante du mystère.
La signification ou la valeur
symbolique de l'évènement a son fondement dans la réalité du fait, et ce
dernier a son sens, il offre toute sa richesse en lien avec la signification
symbolique.
Concrètement, dans la
confession de foi en la virginité de la Mère de Dieu, l'Eglise proclame comme
faits réels que Marie de Nazareth :
- 1 A conçu vraiment Jésus,
par l'opération du Saint-Esprit, sans intervention de l'homme.
- 2 A mis au monde vraiment et
virginalement son Fils, puis est restée vierge après l'enfantement.
- 3 Cette virginité, selon les
saints Pères et les conciles traitant expressément la question, concerne
l'intégrité physique de la femme Marie de Nazareth.
- 4 Enfin, après la naissance
de Jésus, Marie a connu une virginité totale et perpétuelle et (avec Joseph,
appelé lui aussi à participer activement aux premiers événements de notre
salut), elle s'est dédiée au service de la personne et de l’œuvre de son Fils.
(LG 60)
La virginité de Marie
appartient bien à la foi chrétienne. L'Eglise parle de virginité perpétuelle ou
selon la formule de Paul IV en 1555 de : virginitas ante partum, in
partu et post partum.
Concernant la virginitas
ante partum, il faut savoir que dès les premiers temps de l'Eglise, la
conception virginale de Marie fut affirmée dans la règle de foi, (par exemple
Ignace d'Antioche dans ses lettres à Smyrne, à Ephèse...). Elle se trouve
constamment affirmée dans les symboles apostoliques. La tradition d’Hippolyte,
datant du début du troisième siècle parle de Jésus qui est né de l'Esprit
Saint et de la Vierge Marie.
Des conciles ont repris
officiellement l'affirmation, dont le premier fut Constantinople II en 533.
Cette foi se base en
particulier sur les témoignages de l'Ecriture en Mt 1, 18-25 et Lc
1, 28.
On le voit bien, une telle
approche du mystère ouvre des perspectives insoupçonnées, grâce à l'Ecriture, à
la Tradition vivante (universelle), aux directives du Magistère, puis tout
particulièrement à partir de l'expérience liturgique d'Occident et d'Orient,
avec le message des icônes.
C'est à dessein que nous
évoquons toutes ces réalités ensemble, car les oublier ou se distancer par
rapport à elles, c'est prendre le risque de se couper d'un héritage spirituel,
celui-là même reçu en Eglise, à travers les siècles et promis par Jésus. «L'Esprit
de vérité vous conduira vers la Vérité tout entière » (Jn 16, 13)
Accueillir dans l'Esprit le
mystère de la conception et de la naissance virginale de Jésus, c'est s'ouvrir
à la révélation de la divinité du Christ comme Fils de Dieu et à la
régénération des croyants comme fils adoptifs.
Ce chemin de notre adoption
filiale nous oblige à chercher à mieux comprendre l'enjeu de la réponse de
Marie à la sollicitation de Dieu dans sa vie et, de sa collaboration unique à
l’œuvre du salut.
Arrêtons-nous un peu sur la question que Marie pose
en Lc 1, 34 : «Comment cela peut-il advenir puisque je ne
connais point d'homme ?»
L'interprétation la plus commune de cette phrase est
que Marie, avant l'Annonciation de l'ange, avait déjà décidé de rester vierge.
Grégoire de Nysse et surtout Augustin influencèrent toute la tradition
occidentale dans cette lecture de Lc 1, 34. Pourtant, cette «virginité
choisie» de Marie n'est pas de prime abord une expérience représentative des
croyants en Israël.
L'idéal dominant est : «Soyez féconds et
multipliez-vous.» (Gn 1, 28) Car dans tout l'Ancien Testament, la
sexualité féconde est considérée comme un don, intimement lié à l'histoire du
salut, comme une bénédiction. Alors que la stérilité est un signe contraire.
Les rabbins interprétaient avec rigidité le commandement du Créateur. Le
mariage est appelé Kiduschim, - sanctificatin -. Le célibat, par
conséquent, devenait un empêchement à la sainteté. Par exemple, dans le talmud
Babylonien, on dit qu'un homme pas encore marié à vingt ans est considéré
maudit de Dieu. (école de Rabbi Ismaele, deuxième siècle après Jésus-Christ)
«Qui n'a pas d'épouse est un être privé de joie, de bénédiction, de prospérité,
c'est une personne sans paix» (Rabbi Tachum). Un vieux proverbe palestinien
disait : «Ou le mariage ou la tombe.»
Il faut noter des exceptions à cette mentalité
commune. Moise par exemple, exerçait la continence au Sinaï. Jérémie ne se
marie pas. Judith et la prophétesse Anne, veuves très jeunes, se consacrent
alors au Seigneur dans une vie de prière et de jeûne. Enfin, plus près du
Christ, les Esséniens pratiquent le célibat. Marie, à contre-courant de la
culture religieuse et sociale, se consacre à Dieu dans le vœu de virginité,
comme Joseph tout en l’épousant, selon la pratique d’un courant spirituel qui
remonterait au prophête Elie : les nazirs, considérés par le temple
classique comme une secte, à cette époque.
«Voici que la
vierge concevra et enfantera un Fils et on l’appellera Emmanuel - Dieu avec
nous-.» (Is 7, 14)
Emile Neubert[448] comprend la
prophétie d’Isaïe non pas selon le sens du terme grec parthenos qui signifie jeune fille, mais bien au sens de vierge.
Cette interprétation était d’ailleurs celle du Père Lagrange[449], dont il s’est
largement inspiré. Nous reprendrons la traduction de ce dernier pour son
célèbre passage de l’Annonciation :
Or au sixième
mois, l’ange Gabriel fut envoyé de la part de Dieu dans une ville de Galilée
nommée Nazareth, à une vierge fiancée à un homme nommé Joseph, de la maison de
David, et le nom de la vierge était Marie. L’ange entra chez elle, et lui
dit : «Salut, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi.»
Et elle fut
troublée de ce discours, et elle se demandait ce que pouvait être cette
salutation. Et l’ange lui dit : «Ne crains pas, Marie, car tu as trouvé
grâce devant Dieu. Et voici que tu concevras et que tu enfanteras un fils, et
tu l’appelleras du nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé fils du
Très-Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son Père, et il
régnera sur la maison de Jacob pour les siècles, et son règne n’aura pas de
fin.»
Or Marie dit à
l’ange : «Comment en sera-t-il ainsi, puisque je ne connais pas
d’homme ?» Et l’ange, répondant lui dit : «L’Esprit Saint viendra sur
toi, et la vertu du Très-Haut te couvrira de son ombre ; et pour cela
l’enfant né (sera) saint, il sera appelé Fils de Dieu. Et voici qu’Elisabeth,
ta parente, elle aussi a conçu un fils dans sa vieillesse, et celle qu’on
appelait stérile en est à son sixième mois, car rien n’est impossible à Dieu».
Or Marie dit : «Voici la servante du Seigneur ; qu’il m’arrive selon
ta parole.» Et l’ange la quitta. (Lc1, 26-38)
Six années de distance séparent la seconde édition
de cette étude biblique du Père Lagrange (1921) de l’ouvrage dactylographié Maria
de qua natus est Jesus d’Emile Neubert (1927), à partir de son cours aux
séminaristes à la Villa saint Jean de Fribourg. Six ans après, en 1933, la
première édition de Marie dans le dogme reprendra les éléments de cet
ouvrage dactylographié que nous retrouverons dans les éditions suivantes :
la troisième édition de 1954, également dans des ouvrages destinés à un plus
large public : Marie Notre Mère édité en 1941 par exemple ou Vie
de Marie, éditée en 1936 et réédité en 1948. Dans toutes ces éditions, nous
trouvons chez lui une unité d’interprétation, y compris dans sa toute première
approche exégétique et patristique de l’ouvrage publié en 1908, à partir de sa
thèse : Marie dans l’Eglise anténicéenne.
Laissons-nous guider par ses commentaires, à partir
de son approche biblique et patristique, pour notre recherche sur la thématique
de la virginité de Marie, induite par le texte évangélique. Dès 1927, en
s’appuyant sur le Père Lagrange, il nous donne ses interprétations exégétiques
qui seront reprises dans la suite de ses autres ouvrages. Nous sommes à l’aube
d’une époque nouvelle qui sera consacrée par le Concile Vatican II : celle
du renouveau biblique, patristique et liturgique, dont le nom du Père Lagrange
figure en précurseur :
[…] Ce qui la
préoccupait, ce n’était pas sa gloire, mais bien son dessein de n’appartenir
qu’à Dieu. Elle avait fait le vœu de virginité. Comment ce vœu pourrait-il se
concilier avec le fait de devenir la mère du Messie[450] ?
[…] Il est
vrai que Gabriel venait de lui dire que son enfant serait le Fils du Très Haut,
et la divinité de son fils[451]
pourrait bien entraîner la conception miraculeuse[452].
Mais que voulait dire cette expression Fils de Dieu[453] ?
[…] Gabriel
alors révéla à ses yeux des mystères tout nouveaux, des mystères de miséricorde
et d’amour infini, que nul patriarche, nul prophète, nul juste, qu’elle-même
n’eût pu concevoir : le Messie serait le Fils de Dieu non métaphoriquement
mais en toute réalité, et c’est pour cela qu’il naîtrait d’elle virginalement
par un miracle de la toute-puissance divine[454] ?
La virginité
de Marie se lie naturellement à sa maternité. Elle en est une manière
d’être : la maternité divine est une maternité virginale. Historiquement,
c’est elle qui apparaît la première parmi les prérogatives de Marie en même
temps que sa maternité[455].»
Il nous en donne la raison précise dans sa thèse.
Nous reprenons son argumentation scripturaire que
l’on retrouve dans Marie dans le dogme :
Saint Matthieu
et saint Luc, en racontant la naissance de Jésus, établissent en même temps le
caractère surnaturel de cette naissance. Saint Matthieu nous apprend comment
Marie, fiancée à Joseph, se trouva enceinte avant qu’ils eussent été ensemble,
et comment Joseph, troublé de cette constatation, fut rassuré par un ange qui
lui révéla que sa fiancée avait conçu du Saint-Esprit. Saint Luc ajoute à ces
enseignements les détails de l’entrevue de Marie avec Gabriel à la suite de
laquelle l’Esprit Saint était venu en elle[456].
Les premiers
chapitres de saint Matthieu et surtout de saint Luc nous montrent l’intérêt qui
s’est attaché de très bonne heure aux récits de l’origine humaine du Sauveur.
Les deux évangélistes n’ont retenu de ces récits que le point qui avait une
portée plus directement dogmatique, à savoir la conception surnaturelle. Mais
la curiosité pieuse des fidèles ne s’en tint pas là : la virginité de
Marie, garantie par un miracle si extraordinaire, ne concernait-elle que
l’instant de la conception, et avait-elle été perdue ultérieurement ?
C’était une question qu’on devait se poser naturellement en même temps qu’on
méditait sur la naissance de Jésus[457].
Dans sa thèse, il commente le mystère de la
virginité de Marie, à partir des éléments bibliques en respectant les trois
temps, ante partum, in partu et post
partum.
Il semble bien
- sans cela sa question n’aurait pas de sens -, qu’elle ignorait que le Messie
serait Dieu et naîtrait virginalement […] Le Messie serait le Fils de Dieu non
métaphoriquement mais en toute réalité, et c’est pour cela qu’il naîtrait
d’elle virginalement, par un miracle de la toute-puissance divine […] Puis,
pour marquer plus clairement encore que la conception de son Fils allait être
miraculeuse, il lui en donna comme signe une autre conception, également
contraire, à sa manière, aux lois de la nature […] Quels mystères
s’entrouvraient en ce moment devant le regard de Marie ! Par un décret
divin sans précédent, elle allait être à la fois mère et vierge[458].
Quelques années plus tard, dans sa première édition
de Marie dans le dogme ces mêmes
passages bibliques seront approfondis et commentés :
La virginité ante
partum fut explicitement révélée aux premiers chrétiens. De bonne heure,
vraisemblablement dès qu’ils connurent que Jésus crucifié et ressuscité était
le Fils du Dieu éternel, ils durent éprouver la curiosité de savoir quelle
avait été son origine humaine. On interrogea ceux qui vivaient ou avaient vécu
dans l’intimité de Marie ou de Joseph, peut-être Marie elle-même, et l’on
apprit l’histoire merveilleuse de la conception surnaturelle. Celle-ci se
trouve consignée, avec toutes les circonstances concomitantes, dans deux
Evangiles, ceux de Matthieu et de Luc, et les deux récits sont absolument
indépendants.
Affirmer la réalité de la conception virginale du
Christ, c'est introduire dans cette conviction de foi un élément de type
supra-rationnel. En effet, la conception virginale du Christ est une vérité
révélée par Dieu, et que l'homme accueille en vertu de l'obéissance de la foi (Rm
16, 26). Celui qui croit que Dieu agit dans notre réalité et qu'à lui rien
n'est impossible (Lc 1, 37), peut accueillir dans l'action de grâce la
kénose du Fils éternel de Dieu. Cette kénose est contemplée dans : la
conception virginale, la naissance virginale in partu, la Passion et la Mort sur la Croix, enfin dans l'Eucharistie
et l'Eglise elle-même, Corps du Christ. L'affirmation du fait ne nous dispense
pas d'approfondir, de creuser, pour mieux recevoir les valeurs symboliques
inscrites dans l'événement du Salut. Et surtout, une tâche demeure : celle
de déchiffrer l'image que Dieu a communiquée de lui-même à travers les mystères
de la conception, de la naissance virginale du Christ et de la virginité
perpétuelle de Marie.
On peut
affirmer avec assez de vraisemblance que la virginité in partu fut
révélée aux premiers chrétiens en même temps que la virginité ante partum.
Quand, pour satisfaire leur pieuse curiosité par rapport à l’origine humaine du
Christ, Marie ou ceux qu’elle avait mis au courant de son secret, leur
apprirent la conception miraculeuse du Sauveur, ils durent leur raconter en
même temps sa naissance non moins miraculeuse. […] Les évangiles, il est vrai,
ne mentionnent pas en termes formels la virginité in partu, mais il n’y
avait pas la même raison dogmatique de la faire que pour la virginité ante
partum […] La conception de Jésus et son enfantement ne constituaient que
deux moments d’un même acte, l’origine humaine de Jésus. Cette origine était
miraculeusement pure au premier moment : elle devait l’être aussi au
second… D’ailleurs, la parole même du prophète qui avait prédit la conception
virginale, n’avait-elle pas annoncé aussi un enfantement virginal ? «Voici
que la Vierge concevra et enfantera un Fils[459].»
Son argumentation, à partir des seuls éléments
évangéliques peut s’appuyer sur les commentaires des Pères d’Orient et
d’Occident. Les premiers Pères de l'Eglise
faisaient remarquer que la virginité de la Mère est une nécessité dérivant de
la nature divine du Fils. En somme, il s'agit de découvrir - de recevoir dans
la foi - une condition concrète par laquelle la Sagesse divine, souverainement
libre, a rendue possible l'Incarnation du Fils éternel qui est Dieu né de
Dieu (Credo), le seul Saint, le seul Seigneur, le Très-haut (Gloria).
C'est ainsi que la Tradition chrétienne, s'inspirant de la lecture des
Ecritures, affirme que le sein virginal de Marie, par son «oui», a été fécondé
par l'acte créateur de Dieu, sans participation de l'homme, devenant comme le
bois de la Croix (Mc 15, 35) ou les bandes du sépulcre (Jn 20,
5-8), motif et signe pour reconnaître en Jésus de Nazareth, le Fils de Dieu.
Mais il y a là une mystérieuse différence : tout s'est accompli à
Bethléem, dans le secret de la relation entre Dieu et Marie. De même qu'aucun
témoin n’assista et ne témoigna, dans les Ecritures, sur le moment précis de la
Résurrection[460] du Christ ; il n’existe pas de témoignage
scripturaire sur le moment même de l'enfantement de Jésus, notamment, sa mise
au monde qui fut une naissance virginale.
En Occident, la réflexion sur la maternité virginale
de Marie permit à chaque génération chrétienne d'offrir une réponse à cette
interrogation qui parcourt d'un bout à l'autre l'Evangile : Qui est
Jésus ?
Il est vraiment le Fils de Dieu, le Fils de l'homme,
né du Père avant tous les siècles, né de la femme à la plénitude des temps.
(Ga 4, 4)
C'est à partir de la Lumière qui provient du Verbe
préexistant et éternel, source de vie et d'incorruptibilité que l'on peut
comprendre la nécessité et le don de la Virginité de la Mère.
En Orient, la doctrine de la maternité virginale de
la «Mère de Dieu» est également considérée par l'Eglise comme faisant partie de
son enseignement. C'est à saint Ambroise, que l’on doit son assise théologique
définitive en la croyance en la Virginité de Marie. C’est alors qu’apparut le
titre marial de «Aeiparthenos, » la Toujours Vierge, chez
les Pères et dans la liturgie. Ainsi, durant la Via Crucis du Colisée, le
Vendredi saint 1994, Bartholomé I évoquait ce mystère contemplant Jésus
crucifié :
En ce jour, lui, le seul Vivant - Je suis la Résurrection et la Vie -,
qui sans la déchirer naquit de la Vierge, connaît un déchirement au-delà de
toute mesure humaine.
Cette évocation sans détour de la naissance
virginale respecte la pure tradition orthodoxe qui voit dans ce mystère
éclatant de la foi l'opération de la grâce irrésistible de Dieu - et elle seule
- dans l'Incarnation, par le consensus humble mais conscient et libre de la
Vierge Marie. Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon ta
parole. (Lc 1, 38)
La naissance virginale est le moment clef dans l'incarnation du Logos.
La patristique et l'hymnographie orthodoxes ont vu et chanté là le paradoxe
comme étant la norme et l'acte cohérent de Dieu se révélant lui-même, en tant
qu'Un et Trine, dans le temps, au delà de la rationalisation et de
l'intervention humaine[461].
Tout est centré sur l'acte créateur de Dieu et non
point centré sur l'homme. Ce dernier n'est pas moins important. Toute sa
collaboration en Marie est de se laisser aimer de cette plénitude d'amour de
Dieu reçue au-delà de l'imaginable et du concevable. Marie s'est laissée aimer
pleinement par Dieu, dans une obéissance et un abandon qui restaurent la
relation de l'humanité avec Dieu. Elle est cette nouvelle Eve avec qui
désormais, la communion est rétablie entre Dieu et l'homme. Tout ceci est rendu
possible par la seule grâce de Dieu, associé au oui conscient d'une femme... Un
oui qui est lui-même une grâce. Il est la pure grâce qui répond à la grâce[462].
C'est pourquoi, dans une perspective de foi, à la
suite des Pères d’Orient et d’Occident, une attitude spirituelle - c'est-à-dire
une décision du cœur - est requise, pour s'approcher du mystère de la virginité
féconde de Marie : dans la sphère de la prière, vivre un profond sens de
vénération face à l'action libre et souveraine de Dieu.
La virginité post
partum peut se déduire indirectement, mais avec certitude, des données
évangéliques. Mais avant d’examiner ces preuves, il convient d’expliquer
certains termes du Nouveau Testament qui, séparés de leur contexte, ou
interprétés, non en fonction de la langue hébraïque, mais d’après nos langues
classiques, semblent peu en harmonie avec la croyance à la virginité
perpétuelle.
Saint Luc,
racontant la naissance de Jésus, s’exprime ainsi : «Et Marie mit au monde
son Fils premier-né (Lc 2, 7).» Premier-né : donc d’autres fils lui
naquirent après Jésus. – Nullement : dans l’Ecriture Sainte, les mots
«fils premier-né» désignent un fils né avant tout autre ; il ne suppose
pas nécessairement que d’autres enfants soient nés après lui. Ces mots, en effet,
sont pris du texte de Moïse qui prescrit que tout fils premier-né soit présenté
au Seigneur quarante jours après sa naissance. Or quarante jours après la
naissance d’un enfant, il est impossible de savoir si d’autres enfants vont
naître encore après. Donc premier-né ne peut vouloir dire que né avant tout
autre. Et c’est précisément dans ce sens que saint Luc emploie cette expression
dans le texte cité, car son intention est de préparer le lecteur à la
présentation de Jésus au temple conformément à la loi de Moïse sur les
premiers-nés.
Saint Matthieu
rapporte que Marie se trouva enceinte avant qu’elle et Joseph eussent été
ensemble. Donc ils furent ensemble après qu’elle eut mis au monde Jésus. Plus
loin, il fait la remarque que Joseph ne connut point Marie jusqu’à ce qu’elle
eût enfanté son fils (Lc 1, 18, 25). Par conséquent il la connut après
son enfantement. Ici également, l’écriture veut simplement exprimer ce qui eut
lieu avant la naissance de Jésus. Ce qui arriva après, elle ne s’en occupe pas,
parce que cela est en dehors de sa perspective. De même, quand nous affirmons
que, depuis sa conception jusqu’à sa mort, Marie ne commit jamais la
moindre imperfection ; ou que son corps fut réuni à son âme avant que la
corruption du tombeau le touchât, nous ne voulons pas insinuer, qu’elle commit
des imperfections après sa mort ou que la corruption toucha son corps après
qu’il fut réuni à son âme. […]
Une autre
expression qui peut, de prime abord, paraître plus déconcertante, c’est celle
des frères et sœurs du Seigneur, que nous rencontrons plusieurs fois
dans le Nouveau Testament. Mais cette expression, pas plus que les
autres, ne peut servir d’argument sérieux contre la virginité perpétuelle de
Marie. En effet, les mots «frères» et «sœurs» sont employés très librement en
hébreu pour désigner non seulement des enfants des mêmes père et mère, mais
toute espèce de proche : neveu ou nièce, oncle ou tante, beau-frère ou
belle-sœur, cousin ou cousine, etc. car les mots précis destinés à désigner ces
différents degrés de parenté manquent dans la langue hébraïque.
Ces diverses
expressions sont donc de nulle valeur contre l’affirmation de la virginité post
partum. Du reste, comme il a été dit plus haut, d’autres textes permettent
de l’établir d’une façon convaincante[463].
Il ne s’en tient pas aux seules reprises de la
polémique de son époque. Il nous explique le sens de l’expression les «frères
du Seigneur» par un travail synoptique sur ces quatre Evangiles démontrant
qu’il s’agit bien des cousins du Seigneur[464]. Pour la progression
de notre étude, nous retiendrons d’autres arguments qui concernent précisément
la virginité de Marie.
Preuves de la
virginité post partum : Jésus seul donné comme Fils de Marie. En
premier lieu, le Nouveau Testament, qui donne souvent Jésus comme Fils
de Marie, en termes formels ou équivalents, (Mc 6, 3 ; Mt 1,
16, 21 ; 2, 11, 20, 21 ; Lc 1, 31, 35 ; 2, 7, 48, etc.)
n’applique ce nom qu’à lui seul. Jamais il n’appelle de la sorte les frères du
Seigneur. Dans saint Marc, les Nazaréens demandent : «Celui-ci n’est-il
pas le fils de Marie ?» Ils ne disent pas : n’est-il fils de
Marie ? mais, «le fils de Marie», comme s’ils ne connaissaient pas
d’autres fils de Marie. Le texte est d’autant plus significatif qu’en grec
l’article défini ne se met devant un substantif attribut que pour exprimer que
celui-ci présente quelque chose d’unique en son genre[465].
Le témoignage
de Marie. - Du reste, le témoignage de Marie elle-même nous est garant de sa
perpétuelle virginité. A l’ange qui lui annonce qu’elle sera mère du Messie,
elle objecte sa résolution de rester vierge : «Comment cela se fera-t-il,
puisque je ne connais pas d’homme ?» Elle ne donne son consentement
qu’après avoir appris comment, par un miracle, Dieu conservera sa virginité
intacte. Or, si elle avait résolu de rester vierge avant même de devenir Mère
de Dieu, est-il concevable qu’elle eût violé sa résolution après que Dieu, par
un miracle si surprenant, eut consacré sa virginité et choisi sa chair pour
devenir la chair très pure du verbe incarné[466] ?
Cette interprétation mérite d’être reprise dans une
relecture plus vaste que les seules données du passage de l’Annonciation
rapportant le dialogue de Marie avec l’ange. Elle pourrait nous priver d’un
ensemble de cohérences, offert par l’Ecriture.
Les Pères conscients de l'unité profonde entre les
différentes phases de l'unique Révélation, n'ont pas hésité à appliquer à la
Vierge, Mère de l'Emmanuel (Is 7, 14 ; Mt 1, 23), les
symboles les plus marquants de l'Ancien Testament, en référence aux grands
miracles tels que : le passage de la Mer Rouge (Ex 14), le buisson
ardent qui brûle et ne se consume pas (Ex 3), ou la toison de Gédéon sur
laquelle tombe la rosée de façon miraculeuse (Jg 6, 36-40). Tous ces
miracles révèlent le rapport de l'ordre transcendant, avec ce qui relève de
l'ordre des choses créées. Et les Pères montrent par ce contact que l'ordre
créé est transfiguré, sublimé et soumis à d'autres lois que celles qui le
régissent ordinairement dans un monde déchu du fait du péché (Gn 3, 15
et ss). Ces miracles sont donc des annonces du renouvellement eschatologique
futur de la nature, tout comme le miracle de la virginité inviolée de Marie
lors de l'enfantement du Verbe divin. Les miracles de l'Ancien Testament sont
considérés par la liturgie et les Pères, à juste titre, comme des
préfigurations de ce dernier.
Dans la liturgie, nous retrouvons en Orient et en
Occident, pour contempler ce mystère, cette richesse des signes ou symboles de
l'Ancien Testament : l'Arche d'Alliance, le Tabernacle, le Temple du
Seigneur etc…
Dans les premiers siècles, parmi les odes de
Salomon, l'ode XIX 6-11 célèbre la maternité virginale de Marie en antithèse
avec les douleurs de l'enfantement annoncées à Eve (Gn 3, 16). De fait,
la naissance de Jésus, sans douleur pour Marie, est aussi prodigieuse que sa
conception. Mais ce qui ne signifie pas du tout que Marie ne fit l'expérience
de la souffrance durant tout son «pèlerinage de foi», sa vie durant, comme
l’explicite le pape Jean-Paul II dans l'encyclique Redemptoris Mater,
reprenant Lumen Gentium 58. C'est pourquoi, comme croyants, il nous
revient d’approfondir le mystère et sa révélation, avec un esprit de foi
éclairée et d'adoration du Seigneur. Ainsi nous découvrons en plénitude toute
l'harmonie et les rapports réciproques entre les différents articles de foi du
Credo ; ceci, sous la mouvance de l'Esprit Saint qui «scrute toute
chose jusqu'à la profondeur même de Dieu.» (1 Co 2, 10) Nous serons
certainement fortifiés dans notre vie spirituelle, avec Marie tout
particulièrement.
Les différents thèmes que nous venons d’énoncer
n’apparaissent pas tous dans l’étude de notre jeune théologien. Emile Neubert
affirme dans sa thèse que :
Tous les
Docètes, quelles que fussent leurs théories spéciales, rejetaient l’humanité du
Sauveur afin de mieux garantir sa divinité. Leurs adversaires, en maintenant
l’humanité de Jésus, avaient à montrer qu’ils ne sacrifiaient pas pour cela sa
divinité. Or, la solution du problème se trouvait dans la naissance surnaturelle.
[…] Ainsi il se faisait que tous les défenseurs de la christologie
traditionnelle sentaient instinctivement le besoin d’affirmer la virginité de
Marie en même temps que sa maternité.[467].
La virginité de Marie fut un argument central dans
les premières querelles christologiques. Notre auteur, dans la progression de
sa thèse de doctorat, l’étudie avant le thème de la maternité divine,
sous le titre Conception virginale. Plus tard, dans l’ouvrage Marie
dans le dogme, ce sujet de la conception virginale est abordé après
celui de la maternité divine.
Il développe systématiquement les trois moments de
la virginité de la Mère de Dieu dont les deux derniers firent l’objet d’un
approfondissement ultérieur à celui du mystère de sa maternité Divine. Les
trois moments de la virginité de Marie (ante partum, in partu et post
partum) sont cependant bien élaborés dans Marie dans l’Eglise
anténicéenne. L’ante partum apparaît dans la première partie de la
thèse intitulée Marie dans le dogme, les deux autres in partu[468] et post partum sont
présentés dans la seconde partie de la thèse intitulée Marie dans la piété,
plus précisément dans le chapitre Virginité perpétuelle[469]. Ils sont reçus dans
la lumière de la Tradition[470], ils s’appuient sur
une révélation peut-être explicite[471] pour l’aspect in
partu, et connue des premiers chrétiens pour l’aspect post partum[472]. L’aspect ante
partum, pris en compte dans le symbole, s’appuie par contre sur une révélation
explicite. Nous venons d’en présenter les commentaires bibliques.
Dans la prise en compte de chaque moment, l’auteur
s’attache surtout à la signification du fait[473] en s’appuyant
conjointement sur la vérité dans la Révélation et la Tradition. Son
approfondissement spirituel tient compte des cohérences liées étroitement à
l’harmonie du message évangélique. Cette harmonie s’appuie sur la divinité du
Christ d’une part, réalité centrale, et la sainteté unique de Marie d’autre
part[474].
La conclusion de toute son étude est la
suivante : la négation de l’origine miraculeuse de Jésus n’était pas une
erreur solitaire, elle va de pair avec la négation de sa divinité.
Face aux hérésiarques qui nient la fonction
maternelle de Marie et mettent en discussion sa virginité, il nous fait
remarquer, en s’appuyant sur Matthieu et Luc ou sur l’article du symbole Natus
ex Maria Virgine, que la virginité de Marie était toujours mentionnée en
même temps que sa maternité[475]. Surtout, elle
était mentionnée à cause même de sa maternité. Il fallait montrer aux
docètes que la virginité de Marie ne portait aucun préjudice à la vérité de sa
maternité qui n’était pas qu’apparente, car pour mieux garantir sa divinité,
ils rejetaient l’humanité de Jésus. La réponse à cette erreur se trouvait dans
la naissance surnaturelle :
Si Jésus était
homme, parce que vraiment né, il était cependant plus qu’un simple homme parce
que né d’une Vierge et non à la façon des autres hommes… Tous les défenseurs de
la christologie traditionnelle sentaient instinctivement le besoin d’affirmer
la virginité de Marie en même temps que sa maternité[476].
Dans cette perspective, les Pères qu’il étudie
sont : Ignace, Justin, Irénée[477], Tertullien[478], Hippolyte,
Origène. Dans Marie dans le dogme,
plus tard, il résume la position de la Tradition jusqu’en 350 en nous disant
que la croyance en la virginité perpétuelle de Marie semble avoir été à peu
près constante depuis les origines.
Nous avons rapporté plus haut, avec lui, que pour
Ignace deux moments surtout de la vie de Jésus étaient décisifs : sa
naissance de la Vierge et sa Passion[479]. Saint Ignace
considère la Passion du Christ sous l’angle de sa valeur rédemptrice
essentiellement.
Justin, l’auteur du Dialogue avec le juif Tryphon, croit nécessaire de défendre d’une
manière particulière la naissance virginale, ce qui permet à Emile Neubert de
déployer une solide structure argumentaire pour établir sa thèse[480].
Des affirmations de Justin par rapport aux croyances
des chrétiens de son milieu soulignent l’importance du dogme de la conception
virginale qui ressort sans qu’il l’ait créé, même s’il est original dans le
souci de le prouver. C’est parce qu’il en a compris toute la profondeur et
l’éminence, qu’il s’est donné tant de peine pour l’établir[481] :
Enfin, une
dernière preuve de la naissance virginale, c’est qu’à la place d’Eve, la
première vierge, cause de la perte de la mort des hommes, devait se mettre
Marie, la nouvelle Vierge, qui nous apportait la rédemption et la vie[482].
Il consacre un chapitre entier de sa thèse à
Marie : la Nouvelle Eve. Dans celui-ci seront repris des éléments reçus
d’Irénée, l’évêque de Lyon. Il est à souligner qu’il fut assez critique sur
l’agencement des idées d’Irénée ; il retiendra de lui le thème de la
mission du Sauveur qu’il développe dans le chapitre sur la coopération de Marie à la Rédemption[483].
La naissance virginale, pour Tertullien, pour saint
Justin et saint Irénée, est la figure de la Rédemption que le Christ nous
apporte et qui éclaire la condition de sa divinité[484]. Tertullien réfute
la virginité de Marie in partu.
Il en va de même d’Origène avec cette précision que
nous donne Emile Neubert :
Il avait
toujours admis le principe que «le corps élu pour servir le Verbe divin devait
rester pur et vierge jusqu’à la fin[485]»
et c’est là en somme l’affirmation religieuse contenue dans la croyance en
l’enfantement virginal ; mais il ne voyait pas d’abord que ce principe
postulât aussi la virginité in partu. On pourrait donc résumer la pensée
d’Origène sur la virginité in partu en disant, suivant la terminologie
scolastique, que s’il la nia quelque temps - matériellement -, il la professa
formellement[486].
Grégoire le Thaumaturge est aussi présenté pour son
long développement à propos de l’enfantement virginal[487] :
En ce grand
jour, Dieu est né d’une Vierge ; il est au-dessus du mariage et exempt de
la corruption. Il convenait en effet que le docteur de la chasteté fît éclater
sa gloire en sortant d’un sein pur et immaculé… Les juifs ont l’habitude de
demander aux gentils si le Christ est Dieu. Répondons-leur donc
clairement : le Christ est Dieu de par sa nature, et il est devenu homme
en prenant une autre nature. Voilà ce que nous affirmons et croyons
véritablement, en invoquant comme témoins les sceaux d’une virginité, afin
qu’il soit constant que Dieu est tout-puissant ; car créateur du sein,
inventeur et prédicateur de la virginité, il a choisi un mode de naissance sans
tache, et il est devenu homme comme il l’a voulu […] Qu’est-ce que la Vierge a
enfanté en réalité ? Le Seigneur de la nature corporelle […] La Vierge a
enfanté non comme elle-même l’a voulu, mais comme l’a voulu Celui qui devait
être enfanté[488].
Il relève que chez Grégoire la comparaison avec la
génération éternelle du Verbe lui fournit un nouvel argument, et régule les
termes qu’il convient d’adopter pour commenter un tel mystère :
Né du Père,
ineffable en sa personne et dans son être, aujourd’hui il naît pour nous d’une
manière ineffable et inscrutable ; jadis, il est né selon son essence,
sans être séparé du Père ; aujourd’hui il naît de la Vierge pour notre
salut, mais non selon sa nature […] De même que dans la première naissance, le
blasphème ne trouve pas de place, car il est né sans division et sans
séparation, restant indivis et inséparable du Père, de même dans la seconde
naissance l’impiété ne trouve pas de place, car il est né sans
corruption : pur il conserve pure sa Mère. […] Taisons-nous et honorons
par notre silence la puissance digne de vénération, de peur que, nous écartant
de ce qui convient, nous ne soyons privés des dons célestes[489].
Mais il prend soin de préciser que si la conception
virginale est devenue le critère de la croyance en la divinité du Christ, en
cette première période de l’Eglise, il n’en demeure pas moins vrai que cette
conception, outre sa valeur apologétique, avait une valeur propre : elle
constituait un grand moment de la vie du Sauveur[490].
Bientôt le mot «vierge» devint comme le nom propre
de la Mère de Jésus, et fut employé plus souvent que son nom de Marie[491].
En résumé, la
question de la virginité perpétuelle de Marie a été résolue dans le sens
affirmatif par tous les chrétiens ecclésiastiques des trois premiers siècles -
à l’exclusion de Tertullien - chez lesquels nous la voyons se poser ; et
si l’on observe que ni Clément d’Alexandrie, ni Origène, ni Eusèbe, n’ont l’air
de se douter qu’elle ait jamais reçu une autre solution dans l’Eglise,
on peut en conclure que leur opinion est l’opinion de la tradition catholique
jusqu’à eux[492].
Notre auteur reprit toutes les péripéties des
recherches qui entourèrent cette période, par honnêteté intellectuelle. Il en
conclut toutefois que nous devons essentiellement à saint Jérôme la résolution
de tous les débats, au point d’arriver à mettre en évidence, et la virginité de
Marie et celle de Joseph[493] :
Désormais,
aucun catholique ne se permettra plus de mettre en doute la virginité avant,
dans et après l’enfantement de celle que, depuis saint Athanase au moins, on
aimera à invoquer sous le nom d’Aeiparthenos, la Toujours-Vierge. Les
trois moments de la virginité de Marie se trouvent définis dans le décret du
Concile de Trente contre les Unitariens[494].
Nous savons que la naissance véritable et
miraculeuse du Christ était devenue l’un des dogmes fondamentaux des défenseurs
de la saine doctrine. L’existence d’un symbole romain dès le deuxième siècle ne
fait pas de doute, comportant la mention de la conception virginale Natus ex
Maria.
Dès leur
initiation à la foi chrétienne, les catéchumènes apprenaient à connaître ce
privilège de la Mère du Christ en apprenant à réciter le symbole. Car ce
dernier, sous ses diverses formes suivant les diverses Eglises, contenait
invariablement l’article «Je crois en Jésus-Christ, né de Marie la Vierge.»
Bientôt le nom «Vierge» devint comme le nom propre de la Mère de Jésus, et fut
employé plus souvent que son nom de Marie[495].
Après une étude comparative dans sa thèse, il conclut :
Ainsi, en
Orient comme en Occident, aussi haut qu’il est possible de remonter, la
croyance relative à la Vierge, Mère du Fils de Dieu, constituait un des
principaux dogmes de la foi chrétienne, un de ceux que tous les fidèles
devaient connaître explicitement[496].
L’étude d’Emile Neubert met bien en évidenc: les
problématiques suscitées par la question posée sur la virginité de Marie et
«les harmonies» selon son expression, qui contribuent à recevoir ce message à
chaque phase :
Dieu ne
pouvait naître que d’une vierge, et d’une vierge ne pouvait naître qu’un Dieu[497].
Il ajoute aussitôt :
Théoriquement,
Dieu eût pu naître d’un père et d’une mère selon son humanité, on ne voit pas
ce qui eût empêché le Tout-Puissant de contracter une union hypostatique avec
une nature humaine ainsi formée. Mais pratiquement, sans son origine virginale,
la divinité de Jésus eût grandement risqué de n’être pas reconnue. L’histoire
des hérétiques, depuis les Ebionites du Ier siècle jusqu’aux modernistes du XXe
siècle, montre que tous les adversaires de la virginité de Marie ont été
également les adversaires de la divinité de Jésus, et que tous ceux qui se sont
attachés à maintenir la virginité de Marie, l’ont fait principalement parce
qu’ils sentaient qu’en la défendant, ils défendaient la divinité du Fils. La
corrélation entre la virginité de Marie et la divinité de Jésus n’est peut-être
pas strictement logique, mais elle est profondément psychologique[498].
Il présente la pureté comme nouvel argument, cet
attribut divin proclame son origine virginale. Certes, il reconnaît la
possibilité d’une pureté matrimoniale, mais la pureté virginale brille d’un
éclat céleste. C’est elle que propose Jésus à travers l’idéal de la chasteté
absolue. Dans cette optique la Mère de Jésus demeure «supérieure à toutes les créatures, car sans la conception virginale,
elle eut été inférieure, sur le terrain de la pureté, aux vierges chrétiennes.»
C’est dans cette logique, que le lien s’établit entre la virginité de Marie et
sa Maternité spirituelle ; c’est la raison pour laquelle, elle est le
recours dans les - tentations impures - de ceux qui veulent entrer dans la
ressemblance avec Dieu[499].
La virginité, dans l’enfantement, consacre et
montre, d’une certaine manière, le prix que Dieu attache à la virginité qui du
côté de Jésus convenait mieux à sa divinité et à sa pureté infinie et, «du côté de Marie, était plus digne d’une
Mère de Dieu, d’une femme appelée à être la créature supérieure à toutes les
autres créatures, de la Femme appelée à être l’idéal de la pureté et la
protectrice de ses enfants dans leurs tentations et dans leurs luttes[500].»
La virginité, après l’enfantement, approfondit ces
arguments qui développent précisément la question de la dignité de Jésus et de
Marie. Ils affirment selon Emile Neubert «la doctrine de Jésus relative à la
supériorité de la virginité sur le mariage.» En conclusion, on peut dire :
que la sainteté unique de Marie exige aussi cette pureté unique pour «la Vierge
des vierges», car elle est liée à sa vocation de «Mère de Dieu et Mère d’une
multitude d’enfants de Dieu[501].»
En reprenant le Catéchisme
de l'Eglise Catholique, il faut reconnaître que les récits évangéliques
comprennent la conception virginale de Jésus comme une œuvre divine qui dépasse
toute compréhension et toute possibilité humaine. «Ce qui a été engendré en
elle vient de l'Esprit Saint» dit l'ange à Joseph au sujet de Marie sa
fiancée. (Mt 1, 20)
Cet événement qui fut objet de moqueries et
d'oppositions ne peut être porteur de sens, que dans un acte de foi qui
l'accueille dans l'ensemble des mystères du Christ : de son Incarnation à
sa Pâque.
Dans la cohérence des mystères, il nous faut accueillir
ce que nous avons parfois appelé rapidement des arguments de convenance.
L'Eglise, en approfondissant sa foi en la maternité
virginale, confesse aussi la virginité réelle et perpétuelle de Marie dans
l'enfantement du Fils de Dieu fait homme. En effet, la naissance du Christ n'a
pas «diminué mais consacré l'intégrité virginale de Marie.» (Lumen
Gentium 65)
C'est l'Esprit Saint qui inspire cette nouveauté,
car c'est Lui le grand artisan de l'Incarnation.
Le regard de foi, poursuit le Catéchisme (n° 502), peut découvrir en
lien avec l'ensemble de la révélation, les raisons pour lesquelles Dieu, dans
son dessein salvifique a voulu que son Fils naisse d'une vierge. Ces raisons
touchent aussi bien la personne et la mission rédemptrice du Christ que
l'accueil de cette mission par Marie pour tous les hommes.
La virginité de Marie manifeste l'initiative absolue
de Dieu dans l'incarnation. Jésus n'a que Dieu pour Père. Il est le nouvel Adam
qui inaugure la nouvelle création. Car, selon Irénée, lorsqu'il s'est incarné
et s'est fait homme, (le Christ) a récapitulé en lui-même, la longue histoire
des hommes, et nous a procuré le salut en raccourci[502].
La virginité de Marie est signe surtout de sa foi
intacte et du don de soi sans partage à l’œuvre de Dieu en elle et dans le
monde.
Maintenir l'enfantement virginal de Jésus n'est donc
pas forcer le sens et la réalité de l'événement, mais croire que cette œuvre
divine d'amour de l'Esprit Saint en Marie dépasse ce que l'homme peut
comprendre et concevoir, ou même imaginer. Irénée comme nous l’a démontré Emile
Neubert nous a donné des réflexions magnifiques dans la contemplation de ce
mystère.
Le rapport important qui fut établi entre le début
et la fin de la vie terrestre du Christ, c'est-à-dire entre la conception
virginale et la Résurrection des morts, met bien en évidence deux vérités qui,
reliées ensemble, nous conduisent à la foi en la divinité du Christ. Elles
appartiennent en effet au dépôt de la foi et sont professées par toute l'Eglise
dans l'énoncé du Symbole des Apôtres. L'histoire de l'Eglise démontre qu'un
doute ou une incertitude sur l'une se répercute inévitablement sur
l'autre ; mais qu'au contraire, l'humble et forte adhésion à l'une
favorise le plein accueil de l'autre. Irénée disait concernant le Christ :
«Si quelqu'un n'accepte pas sa naissance virginale d'une vierge, comment acceptera-t-il
sa résurrection d'entre les morts[503] ?»
Et après lui, plusieurs Pères établissent un
parallèle entre la génération du Christ de la Vierge restée intacte et sa
Résurrection hors du sépulcre intact. Ils témoignent de leur conviction
qu'entre les deux événements salvifiques - la conception et naissance du Christ
et sa résurrection d'entre les morts - il existe un lien intrinsèque qui répond
à un plan précis de Dieu. Un lien que l'Eglise, guidée par l'Esprit Saint, a
découvert et non point créé. (Cf. Les bandelettes du nourrisson de Bethléem
avec les bandelettes du sépulcre, telles que l’icône de la nativité de Roublev
nous transmet.)
L'Eglise, dans sa méditation théologique sur le
mystère du Christ, parcourut souvent, avec beaucoup d'amour, le chemin qui, du
jardin du calvaire (Jn 19, 41 ; 20, 15), conduit à la crèche de Bethlehem.
Et dans la liturgie, elle a toujours célébré Noël en fonction de la Pâques. De
même, en célébrant la Pâques, elle faisait mémoire de Noël. L'Eglise reconnaît
en Marie le témoin exceptionnel de l'identité de l'Enfant né de sa chair
virginale et du crucifié rené du sépulcre scellé.
Emile Neubert qui travailla les textes des Eglises
issues de la Réforme aurait pu aussi trouver l’un ou l’autre argument,
amplifiant sa démonstration. Il était sans doute trop tôt à son époque
d’élaborer une réflexion théologique en lien avec les chrétiens issus de la
Réforme.
Dans la thèse d’Emile Neubert, l’étude sur la sainteté de Marie arrive très
logiquement après celle de la virginité
perpétuelle, dans sa seconde partie consacrée à Marie dans la piété.
Nous suivrons cette indication dans notre étude, en
abordant, à la fin de ce chapitre, le thème de l’Immaculée Conception.
Nous respecterons aussi la démarche partant de
l’Ecriture et de la Tradition pour arriver aux commentaires théologiques, sans
ignorer que l’approche scripturaire est une relecture d’Emile Neubert, avec
tout un travail d’interprétation qui lui est propre.
Emile Neubert précise :
Bien que saint
Luc ne vise directement qu’à établir la naissance virginale de Jésus, il
esquisse cependant en passant quelques traits de la physionomie morale et
religieuse de Marie. Ce qui frappe d’abord chez elle, après la pureté qui
s’effarouche des propositions de l’ange et que l’Esprit Saint viendra consacrer
par la toute-puissance divine, c’est sa profonde humilité. Avec l’ange, chez
Elisabeth, devant Siméon, et plus tard dans la réunion des docteurs au temple,
c’est toujours la même attitude de réserve et de modestie. Cependant cette
humilité n’est pas de l’inconscience : c’est après avoir entendu l’ange
lui révéler la gloire de celui qui allait naître d’elle, qu’elle s’appelle la
Servante du Seigneur, et après avoir été saluée si respectueusement comme Mère du
Seigneur par Elisabeth, qu’elle proclame que Dieu a regardé sa bassesse ;
elle sait même que sa gloire se répandra parmi toutes les générations, mais
elle sait en même temps que c’est le Seigneur qui a fait ces grandes choses en
elle, lui qui abaisse les puissants et exalte les petits. Un autre trait de sa
physionomie, c’est son désir de se conformer au dessein de Dieu : dès
qu’elle sait ce que Dieu demande d’elle, elle n’a plus qu’un mot à dire :
«Voici la Servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole[504].»
« Heureuse
celle qui a cru que s’accomplirait ce qui lui a été dit de la part du
Seigneur. » (Lc 1, 45)
Elisabeth
relève en outre sa foi : de fait, si l’on remarque que les deux récits
racontant la venue de Gabriel chez Zacharie et chez Marie se correspondent
proposition pour proposition et presque mot pour mot, l’adhésion simple de la
Vierge à la parole divine qui lui annonce le plus inouï des miracles, opposée à
l’incrédulité du prêtre devant une promesse que Dieu avait faite à plusieurs personnages
de l’Ancien Testament, apparaît manifestement comme un acte de foi[505].»
Marie nous introduit dans ce climat d’humilité à
travers son Magnificat[506] :
Toujours la
même simplicité sublime : Dieu seul. De lui seul, tout lui vient ; et
à lui seul elle tend. Comme devant l’archange, elle reste l’humble servante du
Seigneur. […] Mais immédiatement d’elle-même, elle a passé à Dieu, et bien vite
elle va s’oublier pour ne penser qu’à lui, puisque aussi bien il ne s’agit que
de lui. La conduite qu’il vient de tenir à l’égard de sa servante, c’est sa
conduite générale à l’égard des hommes. Il est toujours plein de miséricorde
envers les pauvres, les petits et les faibles comme elle, tandis qu’il se
montre terrible envers les orgueilleux et les satisfaits de ce monde. Ces
pensées, elle va les exprimer dans une suite de citations des psaumes et du
cantique d’Anne[507].
Dans ce même mouvement du chapitre 1 de Luc, il
interprète la prière d’action de grâce de Zacharie après son doute[508] dans le
prolongement de celle de Marie :
Le Benedictus
commençait par où le Magnificat se terminait. Le vieux prêtre
chantait plus les merveilles opérées pour et par Marie que son propre bonheur.
Puis Zacharie se tourna un instant vers son fils, pour décrire son rôle auprès
de ce Messie. [...] Et de nouveau, pour finir, il revint au Fils de Marie[509].
Il reprend des éléments du protévangile dans un
esprit critique qui met en relief, à la suite de saint Luc, la pureté de Marie
(en vue de défendre la conception virginale de Jésus), et surtout son humilité,
quitte à faire de Marie «une personne inconsciente.» Ce qu’il précise :
Le narrateur
(du protévangile) était incapable de faire une analyse psychologique ;
mais son talent nous importe moins que ses intentions, et celles-ci ne laissent
aucun doute : il voulait représenter la Vierge comme un modèle de
perfection, il voulait glorifier Marie afin de glorifier Jésus qui avait eu une
telle mère[510].
A partir du
troisième siècle, la parfaite sainteté de Marie était reconnue par tous. A la
mention de Marie, les ajouts sont systématiques de «sainte », «pure »,
«immaculée» […]
La sainteté de
Marie nous apparaît dans les documents de cette période, comme une extension de
sa virginité. Cela était naturel : du moment qu’on considérait Marie comme
un instrument matériel de l’Incarnation, sa virginité ne désignait plus
seulement la pureté de son corps, mais la pureté de toute sa personne ;
aussi est-ce beaucoup plus à côté du mot Vierge qu’à côté du mot Marie qu’on
rencontrera l’épithète de - sainte -[511].
La première vertu que signale Justin qui sera
reprise par Irénée est la foi de Marie, opposant sa conduite en face de l’ange,
à la désobéissance d’Eve. Ce thème essentiel sera repris sans cesse par les
Pères, les Docteurs et les Mystiques, au Concile Vatican II (Lumen Gentium 8) et dans d’autres
documents pontificaux postérieurs ; l’encyclique Redemptoris Mater de Jean-Paul II, notamment.
Pour saint Hippolyte, le principe de la sainteté de
Marie est sa mission de Mère du Sauveur.
C’est afin que
Jésus fût sans tache, qu’il a tiré son humanité d’une Vierge pure […] D’après
sa sotériologie, non seulement la Vierge était la Mère du Sauveur, mais son
sein était le lieu même où le nouvel Adam était venu racheter le premier Adam[512]
[…]
«Le Verbe de Dieu
étant sans chair, revêtit la sainte chair prise dans la sainte Vierge, ainsi
qu’un fiancé revêt son vêtement.» Cette épithète «sainte» restera désormais
accolé au mot Vierge, elle se rencontrera là même où il n’y a pas lieu de
parler de la sainteté de Marie. Le but direct d’Hippolyte était de démontrer
l’impeccabilité de Jésus ; mais son raisonnement suppose qu’à ses yeux, la
Vierge […] est elle-même toute pure[513].
Origène « parle
de l’empressement de Marie à rendre visite à Elisabeth pour sanctifier Jean et
ses parents, et c’est cette humilité qui lui vaut les grandes choses que le
Tout-Puissant a faites en elle. » Puis il attribue à Marie toutes les
vertus, en faisant d’elle le modèle des femmes. Mais sa relecture pleine de
piété ne se contentait pas de ces vertus humaines et divines ; elle y
ajoutait la science approfondie de la Loi et la connaissance de toutes les
prédications des prophètes acquises dans une méditation quotidienne.
Origène voit en Marie la femme idéale après
l’Annonciation. Il la regarde comme la première des vierges parmi les femmes,
de même que Jésus était le premier modèle de la vie de pureté parfaite parmi
les hommes. Pour lui, l’exercice de toutes les vertus était lié à la pratique
de la virginité[514].
Voulant préserver sa théorie sur l’universalité de
la Rédemption, il comprend l’annonce du glaive de douleur, prophétisé par
Siméon, dans le sens de l’infidélité et du doute qui ont atteint Marie au
moment de la Passion. Cette opinion sera atténuée par la suite; il précisera
que les hésitations de Marie n’ont duré qu’un instant[515].
Le cas d’Origène n’est pas isolé dans l’Eglise
d’Orient dans les premiers siècles. Bien que le peuple fidèle ait cru à
l’impeccabilité de la Mère de Dieu, certains Pères comme saint Basile, saint
Cyrille d’Alexandrie, saint Jean Chrysostome… - se crurent obligés d’admettre
au moins une faute en Marie, pour garantir que Jésus était mort aussi pour
elle ; il leur paraissait plausible qu’elle ait pu au moins pécher une
fois. Mais, conclut Emile Neubert :
Sous l’influence
d’une intelligence plus nette des exigences de la maternité divine et d’une
piété toujours plus ardente envers «la Toujours Vierge», les Pères grecs comme
le peuple fidèle finirent par exalter, et cela avec une profusion de titres et
de comparaisons, l’absolue pureté de Marie[516].
Il en est de même dans l’Eglise d’Occident, avec
notamment saint Ambroise qui présente Marie comme le modèle incomparable de
toutes les vertus et saint Augustin, défenseur de l’absolue absence de péché en
Marie que requièrent les exigences de la piété filiale de Jésus[517].
Seule note discordante : Tertullien interprète
la parole de Jésus «Quelle est ma mère et quels sont mes frères ?», comme
un blâme de l’incrédulité de Marie par son propre Fils. Il compare Marie et les
frères de Jésus à la synagogue et aux juifs incrédules, qui restent en dehors
de l’action évangélique, elle-même prolongée par la nouvelle Mère :
l’Eglise. Selon Emile Neubert, cette dissonance d’accord dans la symphonie des
textes de ceux qui précèdent Tertullien s’explique, par le fait que Tertullien
projette sur Dieu son propre tempérament irritable et intraitable, il s’appuie
sur sa formation de légiste[518].
La sainteté de
Marie que des auteurs du troisième siècle nomment la Vierge Immaculée[519]
appartient de fait, au profil de sa mission première qui est celle d’être la
Mère du Sauveur. C’est bien à ce titre de Mère du Sauveur que Marie coopère à
l’œuvre de la Rédemption, par un rôle unique. Ce que les Pères et auteurs
anciens ont approfondi dès le départ.
Nous sommes conduits par Emile Neubert à contempler
la sainteté de la Vierge Marie, en vue de l’imiter, même si sa sainteté unique
est l’objet de développements théologiques et spirituels qui lui sont réservés
en propre. Quatre axes sont donnés dans Marie dans le dogme qui seront
repris dans tout le corpus «neubertien» : - Exemption de toute faute, - Plénitude
de grâce, - Vertus morales, - Croissance et perfection finale de la vie
surnaturelle de Marie.
Il reprend la croyance universelle de l’Eglise pour
qui Marie ne commit aucun péché ni mortel ni véniel. A cela, s’ajoute la
certitude qu’aucune imperfection ni volontaire ni involontaire n’a altéré le
parcours sans faute de la Mère de Dieu. Après avoir fait la comparaison avec
Zacharie, il met en valeur l’acte de foi de Marie, cette même foi par laquelle
elle se tint debout au pied de la Croix, alors que les apôtres fuirent.
Le retour à l’argument de la pureté du corps de
Marie nous renvoie par ce moyen au «signe de la pureté plus grande et s’il le
fallait plus miraculeuse encore en son âme[520].» Cette
«matérialisation» d’une réalité spirituelle qui traduit l’intimité de la
décision libre de la Vierge Marie peut recevoir aujourd’hui une audience
renforcée par les travaux de recherche en sciences humaines sur la corporéité
comme lieu d’expression de la mémoire du sujet avec ses choix et ses dons.
Nous avons vu par ses recherches patristiques
comment en Orient et en Occident, le peuple fidèle a toujours cru à la parfaite
impeccabilité de la Mère de Dieu. Même si certains Pères se crurent obligés
d’admettre au moins une faute pour Marie, ceci en vue de préserver l’idée que
«si Marie n’avait pas commis de péché, Jésus n’était pas mort pour elle[521].»
Trois facteurs contribuèrent à cette
impeccabilité : l’exemption de la
concupiscence, (évacuant toute tentation), associée à la pensée constante de Dieu et accompagnée de grâces particulières :
Dieu remplit
l’âme de Marie d’une surabondance de lumière et de force, qui la rendait
presque incapable de jamais commettre la moindre imperfection […] Les grâces de
lumière faisaient voir à Marie que tout vrai bien et tout vrai bonheur ne
peuvent se trouver qu’en Dieu […] A la volonté de Marie, les grâces de force
donnaient une rectitude absolue et inébranlable[522].
Enfin, l’absence de toute imperfection en Marie,
dans la logique de ces développements, est prophétisée par l’Esprit Saint en
ces termes du Cantique des cantiques (Ct 4, 7) qu’il mentionne
(exceptionnellement dans toute son œuvre) :
«Vous êtes toute belle, ma bien-aimée, vous êtes
toute belle.»
Pour mieux saisir l’enjeu de cette affirmation de
l’exemption de toute faute en Marie, nous reprendrons le développement
théologique de l’Immaculée Conception. Il nous renvoie au début de la grâce en
Marie, au moment même où elle fut créée par Dieu dans le sein de sa mère. La
Conception de Marie nous introduit dans le thème de la plénitude de grâces sans
laquelle rien ne s’explique en elle ni de sa sainteté, ni de son impeccabilité.
La plénitude de grâces en Marie n’est pas la même
qu’en Jésus. Jésus est la source première de toutes grâces. «De sa plénitude,
nous avons tous reçu (Jn 1, 16)», Marie comme nous. L’union hypostatique
rend la plénitude complète dès le premier moment et sans augmentation possible.
En Marie, elle était limitée et donc, susceptible d’accroissement. L’âme de
Marie était comme un vase qui se dilaterait indéfiniment à mesure qu’on le
remplirait[523].
En reprenant le terme kekaritoménè en grec,
Emile Neubert voit en la traduction latine Ave, gratia plena, un travail
d’interprétation sur la plénitude de grâces qui ne se rencontre pas
explicitement dans la révélation évangélique. Sa traduction du participe
parfait employé par l’évangéliste «fondée ou établie en grâces» ne vaut que
comme indication de la surabondance de grâces qui remplissait l’âme de Marie[524]. Le Père Lagrange
n’allait pas non plus outre cette interprétation qui a pu l’informer, il releva
son commentaire par cette précision : «Marie est l’objet des complaisances
de Dieu, ce que les théologiens entendent d’une grâce sanctifiante
extraordinaire, quoique encore susceptible d’accroissement[525].»
Les affirmations de plus en plus nettes,
selon lui, dans l’église latine, aboutirent aux enseignements de la bulle Ineffabilis
Deus (1854) proclamant le dogme de l’Immaculée Conception, même si la
croyance en la plénitude de grâces en Marie ne fut pas formellement définie[526].
En précisant les nuances entre les grâces actuelles
(de l’ordre du secours transitoire) et les grâces habituelles (de l’ordre d’une
participation de la nature divine), il nous fait contempler deux moments de
l’existence terrestre de Marie : celui de son Immaculée Conception et
celui de la plénitude de grâces dans l’Incarnation, au point que Marie par la
maternité divine «touchait à l’union hypostatique.»
Nous retrouvons les arguments signalés plus haut
dans notre étude sur la participation de Marie qui donne au Verbe de Dieu son
humanité, et par laquelle il nous mérite la grâce. Dans cette contemplation, il
nous fait entrevoir ce lien entre la source de la grâce qu’est le Christ et sa
Mère, lien que nous pourrions résumer dans son esprit en disant selon les
termes de Denise Capelli : « Marie n’est pas la source, mais à la source[527] .»
On n’a donc
exprimé qu’un aspect secondaire de la plénitude de grâce en la Vierge dans
l’Incarnation en assimilant l’œuvre du Verbe s’incarnant en elle à celle d’une
communion de neuf mois : la communion met en nous la source de toute
grâce ; Marie fournissait le terrain d’où cette source allait
jaillir ; elle n’était pas seulement bénéficiaire, elle devenait «Mère de
la divine grâce.»
Et dès lors,
s’établit entre Jésus et elle un échange ineffable : Marie donnait à Jésus
son humanité, Jésus donnait à Marie une participation toujours croissante à sa
divinité ; la substance de Marie façonnait et nourrissait la substance de
Jésus, l’amour de Jésus formait et élevait à sa ressemblance l’amour de
Marie ; le sang de Marie circulait dans le corps de Jésus, la grâce de
Jésus circulait dans l’âme de Marie ; la Mère faisait vivre le Fils de sa
vie à elle, le Fils faisait vivre la Mère de sa vie à lui[528].
Comme le Verbe
fait homme, le Père enrichissait sans mesure l’âme de celle qui, en ce moment,
partageait avec lui l’honneur d’engendrer un même fils. Car pour ce Fils, en
qui il «mettait toutes ses complaisances», elle devait aussi partager son
amour. Et pour qu’elle pût partager un tel amour, il lui donnait une grâce
proportionnée, c’est-à-dire sans limite, comme cet amour.
De même le
Saint-Esprit, en accomplissant en Marie et par Marie le chef-d’œuvre de sa
charité, apportait à son épouse une dot digne de lui-même et digne de celui
dont il la rendait Mère.
Ainsi toute la
Sainte Trinité s’occupait à se surpasser elle-même dans la munificence des
mystères de grâce et d’amour qu’elle accomplissait à cette heure divine[529].
Dans cette méditation sur les relations nécessaires
de Marie avec chacune des trois Personnes Divines, il nous offre une
application de ce que le Catéchisme de l’Eglise Catholique
enseigne : «Le mystère de la Très Sainte Trinité est le mystère central de
la foi et de la vie chrétienne. Il s’agit du mystère de Dieu en lui-même. C’est
donc la source de tous les mystères de la foi, la lumière qui les illumine[530].» Il donne ainsi,
partant de ce mystère central, une force et une pertinence à sa vision mariale,
en faisant découvrir Dieu-Trinité comme source et but ultime de notre vocation
baptismale. Marie, comme «Mère de la divine grâce» devient par la volonté
divine qui lui confie cette mission : «le terrain d’où la source allait
jaillir.»
Emile Neubert aborde dans sa méditation sur les
vertus de Marie la question de «la coopération de la volonté humaine avec la
grâce divine.» Un thème qui revient dans tout le corpus et qui nous fait
approfondir tour à tour les vertus théologales : la foi, l’espérance, la
charité et les vertus cardinales : la prudence, la justice, la tempérance,
la force. En chacune des vertus étudiées, nous découvrons combien Marie est un
modèle pour nous, à partir de toutes les données évangéliques où Marie est
présente. Grâce à elles, nous découvrons mieux le profil spirituel de Marie,
par la vertu de religion, avec ses différentes composantes : adoration, reconnaissance,
réparation, prière de demande, culte extérieur, don de piété, esprit de
recueillement et d’oraison, vertu de force, pureté, humilité, simplicité. Il
n’en reste pas à cette énumération systématique comme un - catalogue des vertus
morales -, mais il nous invite à une attitude d’âme qui «contemple, admire,
aime et s’efforce d’imiter», reprenant ainsi la démarche de Guillaume-Joseph
Chaminade.
L’intérêt de son approche est la mise en valeur de
ce qu’il nomme «la disposition intérieure de Marie par rapport au bien». Cette
mise en relief de la vertu en soi qui consiste, bien au-delà des actes
extérieurs, à développer cette disposition intérieure à l’affût, pourrait-on
dire, du bien à faire, corrige une erreur. Celle qui consiste à juger et
apprécier la personne sur le côté plutôt extérieur. En effet, le même geste
dans un homme imparfait ou un juste se différencie par la qualité de la
disposition intérieure qui le sous-tend. C’est ainsi qu’en fin psychologue, il
met en évidence en Marie cette capacité de s’investir dans les plus petits
actes de la vie quotidienne dans une perfection d’amour vue de Dieu seul, ce
que nous pourrions résumer d’après les termes de Denise Capelli : «Faire toute
chose avec beaucoup d’amour.»[531] Les ouvrages de
vulgarisation vérifient à souhait cette recherche incessante qui fut la sienne,
de nous stimuler dans la vertu avec comme modèle Marie. Cest à partir de son
intériorité que nous sommes renvoyés à la nôtre et à notre capacité de
collaborer à la grâce.
A propos des vertus de Marie, son christocentrisme
s’affirme une fois de plus en nous invitant à «étudier Marie à travers Jésus».
La clef de compréhension est cette similitude dans leur humanité entre la Mère
et le Fils, au point que se vérifie le dicton : «telle mère tel fils.» En
nous montrant que toutes les dispositions de l’âme de Jésus se retrouvaient en
Marie, « plus que dans aucune autre
créature, » il lui est facile d’inviter ses lecteurs à imiter Jésus et
Marie, sans oublier cependant la différence entre les deux :
En Jésus, il
n’y eut ni foi, mais vision ; ni espérance, mais possession. Pour ces deux
vertus, c’est Marie et non Jésus notre grand modèle. Il en est de même du
progrès dans la charité : il y eut progrès ininterrompu en Marie, mais non
en Jésus, dont la charité fut parfaite dès le premier moment de l’Incarnation[532].
Notons que pour la foi de Marie, il insiste sur la
part d’obscurité nécessaire qui accompagne la part de lumière permettant à
l’intelligence d’adhérer à la vérité divine. L’obscurité de la foi de Marie
rend son adhésion plus méritoire, et la rapproche de notre condition de
croyant. Les différents passages évangéliques classiquement repris dans
l’argumentation du thème de la foi de Marie sont repris par lui depuis
l’Annonciation jusqu’à la résurrection en passant par Cana et la Croix :
«Bienheureuse celle qui croyait, car en moins de trois jours, elle allait voir
l’accomplissement des choses qui lui avaient été dites de la part du Seigneur[533].»
L’espérance de Marie aussi est un modèle pour nous.
Il nous décrit cette vertu chez elle, pour qui malgré tant de prophéties au
sujet de son Fils, tant d’évènements déconcertants se succédèrent aboutissant à
la condamnation; comme un démenti éclatant à toutes ces prédictions.
Marie centre son espérance sur le monde à sauver,
c’est là sa collaboration unique comme mère de tous les hommes : «Que de
fois, il lui fallut espérer contre toute espérance[534].»
A propos de l’amour de charité, en s’inspirant de
saint Jean, il n’hésite pas à écrire :
(Comme)
parfaite image de Dieu, Marie est amour : tout en elle s’explique par
l’amour ou se ramène à l’amour. Chacun de ses actes fut un acte d’amour ;
chacune de ses vertus fut un aspect de son amour[535].»
Il conclut :
Si Marie se
révélait à nous, nous sentons que nous ne serions pas effrayés. Elle ne nous
dirait pas : «Je suis celle qui est assise à la droite du Fils de
Dieu» ; elle nous rappellerait que, néant par elle-même comme nous, elle
ne vient à nous que pour nous conduire à celui qui est infiniment bon envers
les petits et les humbles, comme il l’a été envers elle-même. Combien elle est
plus Mère parce qu’elle est si simple[536] !
Son approche, considérée du point de vue des
privilèges de Marie, peut paraître aujourd’hui traditionnelle si nous tenons
compte de l’insistance du Concile sur Marie, figure de l’Eglise[537]. Il nous la
présente en un modèle accompli de toutes les vertus du chrétien[538]. Toute cette
dimension de Marie, figure de l’Eglise, est tue par Emile Neubert. Il
s’attache à nous faire découvrir en elle, la Mère qui nous communique les
vertus, surtout l’esprit de la vie intérieure qui les sous-tend et qui renforce
notre relation dans l’amour envers Dieu et le prochain. En ce sens, les vertus
de Marie nous sont présentées comme un modèle, riche de repères. Ils rendent
plus accessible l’intégration des commandements divins. Ce lien entre la loi de
Dieu et les vertus de Marie offre une approche des mœurs chrétiennes, avec sa
connotation morale, qui se met à notre portée, ce qu’il résume en ces
termes :
Contentons-nous
ici de jeter un regard sur la manifestation essentielle de cet amour,
c’est-à-dire sur la conformité de Marie à la volonté de Dieu[539].
Emile Neubert nous décrit ce qu’est le développement
de la grâce en Marie et les merveilles qu’elle produit. Sa description
s’inserre dans l’unité de toute la personne de Marie. Nous faisons le choix de
respecter cette progression de la pensée et de son unité pour revenir sur la
question particulière de sa grâce initiale avec le thème de l’Immaculée
Conception que nous réservons pour la suite de notre étude.
Le but qu’il poursuit est d’attirer le regard sur
l’ensemble de la vie surnaturelle de Marie afin que nous la rejoignions en ce
que nous avons de commun avec elle : la croissance jusqu’à la perfection
finale.
La première idée, celle de croissance, doit
être précisée pour éviter une erreur qui consisterait à l’assimiler à la
croissance d’une fortune ou d’un bien matériel[540]. «Croître
surnaturellement» signifie non pas accumuler mais entrer dans la profondeur de
la relation avec Dieu comme «une indéfinie puissance, de comprendre, de vouloir
et d’aimer[541].»
Les «facteurs de cette croissance» nous renvoient
aux exigences de fidélité à la grâce dans l’accomplissement du devoir d’état
qui comportent une «exécution constante et amoureuse de la volonté de Dieu»
jusqu’à la «perfection dans l’accomplissement de ses actions.» Pour Marie,
cette perfection connaît aussi une croissance. En Marie aucune recherche de soi
et aucune entrave à sa liberté par une sensibilité déréglée. Les expériences
des saints (François de Sales, Thérèse de l’Enfant Jésus et Gemma Galgani)
donnent à la réflexion d’Emile Neubert des appuis pour découvrir davantage
jusqu’où peut aller cette union à Dieu au niveau des facultés et ceci, non
seulement dans un état d’éveil mais jusqu’en la période du sommeil :
«Ainsi sa liberté était totale, libérée de toute entrave et son amour toujours
aussi intense que Dieu l’attendait d’elle[542].»
Après avoir défini la nature et la vie surnaturelle
de la Vierge, et identifié les facteurs de croissance par la perfection de ses
actes, il complète par les grâc es sacramentelles et les grâces qui lui sont
propres..
Il suppose, qu’elle reçut le Pain de Vie chaque jour
à Jérusalem, bénéficiant de cette Communion «comme une transfusion de sang qui
donne à l’âme une nouvelle participation à la vie de Dieu.»
Les «grâces propres à la Mère de la grâce» sont en
lien avec sa double maternité puisque Dieu accorde toujours les grâces adaptées
aux missions qu’il nous confie. Ces grâces sont reçues plus abondantes selon
notre fidélité à les recevoir et les développer. «Mère de Dieu» et «Mère des
hommes», Marie reçoit les grâces liées à cette double fonction jusqu’à mériter
et distribuer les grâces reçues. Cette maternité spirituelle que nous
étudierons plus loin renvoie aux notions de coopération et de mission
apostolique de Marie. Un enseignement classique que nous retrouvons sous la
plume de nombreux auteurs qui lui sont contemporains et qui ont reçu une
formation thomiste, tel le Père Garrigou-Lagrange[543].
Il décrit Marie par une contemplation sur la
grandeur de son mérite. Il nous fait découvrir les conditions parfaites lui
permettant de participer au triomphe de la Rédemption. Il conclut par ce point
d’orgue :
Et Dieu
créât-il tous les mondes possibles, peuplés d’incomparablement plus d’êtres
incomparablement plus parfaits que nous, jamais ces mondes ne pourraient lui
offrir le spectacle d’autant d’amour et de perfection ni autant de sujet de complaisance
qu’il en trouve dans sa bienheureuse Mère.
Fecit
mihi magna qui potens est,
Et
sanctum nomen ejus[544] !
Dans le chapitre sur la sainteté de Marie, il aborde
logiquement le thème de l’Immaculée Conception dans son commentaire sur la
plénitude de grâces en Marie et les débats autour de cette question :
Dés son
Immaculée Conception, Marie est préparée par Dieu à sa future dignité de Mère
de Dieu, dignité qui, même dans sa préparation, l’emporte sur la dignité finale
de tout serviteur, si élevé que soit son rang. Or, dans les œuvres de Dieu, la
grâce répond à la vocation. En outre, Dieu aimait dès lors sa future Mère plus
que n’importe quel serviteur, et il donne des grâces suivant la proportion de
son amour[545].
Finalement c’est dans une Bulle Ineffabilis
Deus qu’il termine :
Bien plus que tous
les esprits angéliques et l’universalité des saints, Dieu combla Marie
de l’abondance de toutes les faveurs célestes… Et cela d’une manière si
merveilleuse qu’il y eut en elle une plénitude d’innocence et de sainteté telle
qu’on n’en conçoit en aucune façon une plus grande au-dessous de Dieu et que
nulle pensée, hormis celle de Dieu, ne peut y atteindre[546].
Il réserva tout un chapitre sur ce thème. Il
convient de rappeler les axes dans l’ouvrage Marie dans le dogme : Les
Privilèges de Marie, Les Fonctions de
Marie.
Il serait utile d’introduire les règles de
discernement qui prévalent, selon notre auteur, aux définitions dogmatiques
récentes. Nous pourrons alors mieux apprécier ce qu’il nous dit à propos de
l’Immaculée Conception, dans un premier temps, puis sur l’Assomption.
L’appui scripturaire n’est pas évident dans une
première lecture pour les deux dernières définitions dogmatiques. Il s’en
explique, à l’occasion de la publication d’un ouvrage «De la découverte progressive des grandeurs de Marie, application au
dogme de l’Assomption» qui sera d’une grande utilité. Il intègre mieux les
règles de discernement pour sa réflexion sur les prérogatives de Marie. Ceci a
pour but de mettre en garde certains chercheurs qui pourraient travailler en
vain sur des arguments théologiques, exégétiques ou historiques de « valeur
nulle ou très faible. » Face aux preuves caduques et aux incertitudes
qui ont pu être vulgarisées dans certains ouvrages de mariologie, le livre De
la découverte progressive des grandeurs de Marie, application au dogme de
l’Assomption nous offre de précieux repères. Il nous montre
comment :
Le peuple fidèle, en
contemplant d’une vue d’ensemble la figure de la Vierge telle qu’elle lui
apparaissait dans l’Evangile, devina peu à peu, sous la direction de l’Esprit
Saint, ce que l’amour filial de Jésus a fait pour sa Mère, et comment il a
voulu partager avec elle ses fonctions et ses privilèges, dans la mesure où,
pure créature et femme, elle était capable d’y participer[547].
La certitude, que le peuple chrétien ne se trompe
pas dans cette prise de conscience progressive des vérités révélées, provient
de trois garanties d’infaillibilité : le sentiment unanime des fidèles,
l’enseignement ordinaire des pasteurs de l’Eglise ou bien du magistère
ordinaire, des définitions solennelles du magistère extraordinaire. Quelle est
l’origine de cette prise de conscience de la force régulatrice du peuple
chrétien quant aux différents développements des vérités et des dogmes
mariaux ? C’est la volonté même de Dieu qui attire l’attention des fidèles
sur le contenu des diverses vérités de la foi. Les facteurs qui interviennent dans
cette prise de conscience sont : la vie spirituelle des fidèles, les
expressions de dévotion du peuple chrétien, (cathédrales, pèlerinages, congrès
mariaux, lieux d’apparitions…) S’y ajoute le développement progressif de
certaines vérités mariales ainsi que les oppositions rencontrées contre ces
mêmes vérités et enfin, les études systématiques.
Dans ce contexte, le théologien a la charge non pas
de découvrir les vérités mariales, mais d’en élaborer la doctrine, de mettre en
relief les relations de réciprocité des vérités entre elles, de les apprécier
avec largesse d’esprit, avec amour de la vérité, avec humilité, dans une intime
union avec Dieu. Il en fera l’exposition ordonnée, il les défendra et établira
la démonstration[548].
Là encore, la double source de l’Ecriture et des
Pères lui donne l’appui nécessaire pour s’expliquer sur sa démarche
théologique.
L’introduction de l’édition Marie dans le dogme, de 1954, évoque, dès le départ, le propre
témoignage de Marie pour ce qui la concerne :
«Voici que toutes les générations me diront
bienheureuse parce que le Puissant a fait pour moi de grandes choses». Et que
complète le témoignage d’Elisabeth devant sa cousine saluée comme «Mère de son
Seigneur.» (Lc 1, 43, 48-49)
Puis il s’appuie sur les paroles de Jésus, annonçant
la venue de l’Esprit de vérité :
J’ai encore
bien des choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les comprendre à présent.
Mais quand il sera venu, lui l’Esprit de vérité, il vous guidera vers la vérité
toute entière ; il ne parlera pas de lui-même, mais tout ce qu’il entend,
il le dira, et il vous fera connaître les choses à venir. Celui-là me
glorifiera, parce qu’il prendra du mien et vous l’annoncera. (Jn 16,
12-14.)
La question est posée : de quelle façon
l’Esprit Saint amène-t-il l’Eglise à «tirer de son trésor» à côté des «choses
anciennes» sur la Mère de Jésus, ces «choses nouvelles» (Mt 13, 52)
qu’elle lui reconnaît dans le cours des temps ?
La réponse est trouvée grâce au peuple de Dieu et,
non pas du côté des théologiens, dans la mesure où les fidèles, par les dons
d’intelligence et de sagesse, développent leur intuition dans leurs âmes
humbles et aimantes à la lumière des vérités surnaturelles.
Emile Neubert accorde une importance particulière au
peuple de Dieu dans toute son œuvre. C’est pour lui un des grands critères de
discernement. Il nous le rappelle dans l’ouvrage : «la découverte
progressive des grandeurs de Marie.»
Quelques témoignages d’auteurs anciens le conduisent
sur cette voie, tel saint Pierre Canisius :
Il présente un
bon résumé des preuves traditionnelles, dont plusieurs sont caduques, et il
souligne deux autres vérités très importantes, à savoir la valeur de la
croyance universelle et la croissance des vérités révélées.
Les
enseignements que nous livre l'Eglise, écrit-il, ne sont pas tous de la même
catégorie. Il y a les dogmes tout à fait explicites et arrêtés, qu'on ne peut
rejeter sous peine d'hérésie. Il y a aussi les vérités acceptées par le
consentement tacite des fidèles et corroborées par la pratique séculaire de
l'Eglise qui ont obtenu force de loi, au point que seul un auteur téméraire
puisse se permettre de les contredire. De plus, parmi les objets du culte
public, il en est qui s'imposent d'autant plus à notre croyance pieuse et
raisonnable que les docteurs mettent plus de zèle à les couvrir de leur
autorité, les fidèles plus d'empressement à les accepter[549].
Si les
théologiens veulent découvrir les prérogatives de Marie, ils doivent adopter le
point de vue du peuple fidèle ; s’ils veulent simplement en faire une
synthèse, ils peuvent partir de la maternité divine. Cependant la mariologie
n’est pas un royaume indépendant du royaume de la christologie : elle en
est une province, et c’est cela qui lui confère son charme et sa fécondité[550].
L’importance accordée au peuple de Dieu[551] dans tout le corpus
“neubertien” rejoint d’une manière originale l’esprit des affirmations du
Concile Vatican II, dans sa constitution Lumen Gentium. Il a le mérite
de faire valoir cette mission des baptisés sous l’angle de l’enseignement
dogmatique. Guidé par l’Esprit Saint, le peuple de Dieu reçoit la mission
d’accueillir le dépôt de la foi et de toute sa vérité. La piété populaire peut
être remise en honneur dans ce contexte comme un élément décisif de
discernement pour le développement du dogme marial. Cette expression n’est pas
au goût du jour dans le contexte de la recherche théologique qui a suivi le
Concile Vatican II, plus soucieuse et à juste titre, de dialogue œcuménique,
garde sa pertinence. La distance de plusieurs siècles est nécessaire pour
offrir un terme final aux recherches dogmatiques qui ne sont pas apparues mûres
dans un premier temps pour des définitions à portée universelle. L’histoire des
dernières définitions des dogmes mariaux justifie un accroissement d’humilité
sur cette question. Elle nous aide à ne pas conclure trop hâtivement sur des
dossiers de discussion théologique que la piété populaire n’a pas fermée pour
autant.
Depuis 1903
[…] Le problème du développement progressif des grandeurs de la Vierge m’a
vivement intéressé. On parlait alors beaucoup, de «l’évolution du dogme» […]
Mais sous quelles influences naturelles et surnaturelles ce développement se
produisait-il[552] ?
Il n’ignore pas la difficulté soulevée par ses
interrogations. Un siècle après la parution de sa thèse (publiée en 1907), nous
pouvons relire cette remarque toute d’actualité qu’il fit dans son introduction
à De la découverte progressive des grandeurs de Marie :
Pendant des
siècles, le peuple fidèle a professé des vérités mariales qu’il s’était
contenté de contempler, d’admirer et de vivre. Puis des théologiens
commencèrent à s’en occuper, dont plusieurs d’entre eux, et non des moindres,
se mirent d’abord à les combattre en s’appuyant sur certains textes.
Heureusement, d’autres théologiens vinrent, qui montrèrent l’inanité des
objections des premiers et la croyance traditionnelle triompha[553].
Les prérogatives esquissées sont alors
énumérées : l’Immaculée Conception, l’impeccabilité, l’exemption de la
concupiscence, la maternité spirituelle, la médiation, (corédemption et
distribution de toutes les grâces), la royauté, la mission apostolique,
l’Assomption corporelle[554]. Et il affirme avec
clarté que :
S’il y a
ressemblance entre les grandeurs de Marie et celles de Jésus, il n’y a pas
identité. Et ce n'est pas seulement en ce que le Christ tient ses prérogatives
de sa nature même de Fils de Dieu incarné, tandis que Marie n'a reçu les
siennes que par une grâce gratuite de Dieu, mais même dans leur mode et leur
perfection. (Le sens chrétien) sait que Marie n'est qu'une créature dépendante
en tout du Christ, qu'elle est une femme, une mère, et que sa grâce est adaptée
à sa nature et à sa fonction à elle. Dieu a fait le Christ pour lui-même, il a
fait Marie pour le Christ. Il a constitué le Christ notre unique Rédempteur.
Marie ne peut racheter qu'en union avec le Christ, et a besoin d'être,
elle-même, rachetée par lui. Le Christ est notre avocat nécessaire auprès du
Père ; Marie est notre avocate auprès du Christ et par le Christ. Et ainsi
de tous les autres privilèges de la Vierge.
Nous avons largement évoqué ce christocentrisme qui
imprègne tout le corpus «neubertien».
Les précautions théologiques avec lesquelles il aborde les privilèges de Marie
nous renvoient au chapitre De Beata de
la constitution Lumen Gentium, qui se
préoccupe du dialogue avec les frères issus d’autres confessions chrétiennes.
Il voit le point précis avec exactitude à partir duquel se noue la différence
fondamentale entre le Christ qui est Dieu fait homme et Marie qui est humaine.
Il utilise le langage et les catégories de son temps qui nous renvoient aux
notions d’analogie, tout en maintenant la distinction :
Le caractère
unique et incommunicable des prérogatives conférées à l'humanité du Christ par
son union hypostatique avec la divinité a été et est encore pour certains
théologiens le grand motif de refuser des prérogatives semblables à Marie - son
Immaculée Conception dans le passé ; sa médiation, sa corédemption, à
l’heure actuelle. Si l'on voulait reconnaître ces prérogatives sous une forme
identique au Christ et pour Marie, on proférerait des blasphèmes. Mais nul
catholique ne songe à une chose pareille. On les attribue à la Vierge seulement
sous une forme analogue ; on reconnaît des prérogatives inférieures à
celles du Christ, dépendantes de lui, elles en découlent […]. Il me semble
qu'on pourrait formuler le sentiment chrétien à cet égard comme suit :
Aux
divers privilèges de l'humanité de Jésus correspondent en Marie des privilèges
analogues, suivant la manière et la mesure que comporte la différence entre sa
condition et celle de son Fils[555].
Formule audacieuse et bienvenue en même temps, dans
la mesure où elle oblige le théologien à reprendre dans une dynamique vivante
et plus unifiée le lien qui unit le nouvel Adam à la nouvelle Eve. Héritée des
premiers Pères, cette approche aurait pu constituer un heureux rebondissement
dans la recherche théologique d’Emile Neubert qui, sans l’ignorer, ne l’a
cependant pas exploitée. Il fait plutôt évoluer la réflexion dogmatique sur la
hiérarchie des vérités situées dans un ensemble.
Il n’est pas
indifférent qu’on place la maternité spirituelle immédiatement après la
maternité divine, ou vers la fin du traité de ses privilèges, comme corollaire
de quelque privilège précédent. Je confesse avoir commis cette erreur dans la
première édition de Marie dans le dogme. On se fera une idée toute
différente de l’importance de la mission corédemptrice de Marie et de sa
signification exacte, suivant qu’on la place avant les fonctions qui en
découlent - distribution de toutes les grâces, royauté, mission apostolique, -
ou qu’on la range au hasard entre sa virginité et sa plénitude de grâces[556].
Son souci n’est pas seulement de fournir les preuves
d’un privilège, mais de montrer la place de celui-ci dans l’ensemble du mystère
de Marie[557].
Nous ajoutons à cet élément le souci constant chez
lui de faire valoir le lien qui nous unit à Marie, par sa maternité
spirituelle, sa médiation universelle, ainsi que sa mission
apostolique. La différence de présentation selon les éditions successives de
Marie dans le dogme, de 1933 et 1954, met en relief le rôle
singulier de Marie auprès du Christ, et dans le Corps Mystique qu’elle entraîne
tout entier dans sa mission apostolique et sur lequel elle exerce une Royauté.
La maternité de Marie qui regarde le « plus grand Christ » intègre
à la fois les mystères de sa maternité divine et de sa médiation
universelle qui comprend deux aspects que nous étudierons avec lui :
la corédemption et la distribution des grâces par Marie.
C’est pourquoi nous étudierons la maternité de Marie après la coopération
de Marie et avant celui de la mission de Marie.
Avec Gerson (+ 1429), il affirme une autre vérité
importante : les progrès réalisés par l’Eglise dans l’histoire des dogmes
ne fut possible que par l’action de l’Esprit Saint :
Dans un sermon sur la Conception de la Bienheureuse
Vierge Marie, Gerson déclare[558] :
L’Esprit Saint
révèle quelquefois à l’Eglise, ou aux docteurs d’un âge postérieur, quelques
virtualités ou explications de l’Ecriture Sainte qu’il n’a pas révélées à leurs
prédécesseurs […] Nous pouvons dire que l’immunité du péché originel en Marie
est une de ces vérités qui ont été nouvellement révélées ou nouvellement
déclarées par la majeure partie de l’Eglise qui la professe. Ainsi, il fut un
temps où l’on n’affirmait pas aussi généralement qu’on le fait maintenant la
présence de Marie au ciel en corps et en âme[559].
Et, notre auteur d’ajouter avec
l’apport de Suarez (+1617) :
Pour qu’une
telle définition soit possible, il suffit que, du consentement croissant de
l’Eglise, dont le Saint-Esprit use souvent pour expliciter la Tradition ou le
sens de l’Ecriture, une vérité surnaturelle soit implicitement contenue dans la
Tradition ou dans l’Ecriture. Que ce consentement devienne unanime et, l’Eglise
pourra lancer sa définition qui prendra pour nous la force d’une révélation, à
cause de l’Assistance infaillible de l’Esprit Saint[560].
En fait, la solution, en vue d’une rencontre entre
la pensée théologique d’Emile Neubert au début du siècle dernier, et celle du
début de notre siècle, se trouve dans la voie tracée par le Concile Vatican II.
Cette orientation n’est pas nouvelle : elle est déjà présente dans la
Tradition, car tout ce qui est dit de Marie peut être dit de l’Eglise en
général et de chaque âme en particulier.
A la règle d’or, ce que le
Christ est par nature, Marie l’est par grâce nous pourrions ajouter :
«ainsi que chaque âme de fidèle baptisé en particulier.»
Dans ce cas, le rapport dans le couple Jésus Marie
n’est plus alors approfondi dans l’unique relation filiale qui domine dans
toute son œuvre, mais dans la dimension sponsale et mystique de cette relation
qui peut être déployée dans la perspective du double rapport dans le couple
Jésus Eglise et dans celui Jésus le baptisé. Mais cette dimension sponsale est
quasi-absente, en dehors de la relation filiale qui unit Jésus à Marie. Cette
absence aurait pu être évitée puisque qu’il avait intégré comme nous l’avons
signalé l’approche de la nouvelle Eve et du nouvel Adam par saint Irénée. Par
contre, son innovation du discours théologique sur l’importance accordée au
peuple de Dieu[561] et ses conséquences
dans l’évolution dogmatique est à signaler, en parfaite unité toujours, avec
l’esprit de l’Evangile et des auteurs anciens[562].
III.3.4.1 Le dogme de
l’Immaculée Conception
Les critères de jugements qu’Emile Neubert énumère
se vérifient avec l’Immaculée Conception :
Le théologien
doit juger de la vérité de la doctrine et de son expression. La vérité d’une
doctrine religieuse consiste dans le fait de sa révélation divine.
Pour s’assurer
de ce fait, le théologien consultera l’Ecriture Sainte, afin d’y trouver, soit
une affirmation explicite ou équivalente, soit - et nous avons vu que c’est
généralement le cas pour les prérogatives mariales - un ensemble d’affirmations
sur Notre Seigneur et sa Mère et sur les vérités connexes, d’où telle
prérogative paraît découler[563].
Dans le cas précis de l’Immaculée Conception, les
«indications scripturaires», comme il les nomme, sont essentiellement liées au
profil de Jésus.
L’Ecriture ne
parle pas directement de l’absence en Marie de péché, soit originel, soit
actuel. Mais sa seule qualité de Mère de Dieu ne l’impliquait-elle pas déjà
pour les fidèles des premières générations[564] ?
L’argumentation utilisée oblige à revenir essentiellement
à la cohérence du message. L’Ecriture nous aide à comprendre ce que par leur
piété, les fidèles expriment de leur foi, guidés qu’ils sont par l’Esprit
Saint.
Voici le commentaire par Emile Neubert du livre de
la Genèse (Gn 3, 14-15) :
Dieu dit au serpent :
«Je mettrai des inimitiés entre toi et la femme, entre sa postérité et la
tienne ; elle t’écrasera la tête». Cette prophétie montre d’une part,
Satan et ses suppôts ; de l’autre, Marie et Jésus. La femme apparaît non
d’abord du côté de Satan, et ensuite de son Fils, mais franchement du côté de
Jésus, opposée à Satan et à sa race, et donc comme n’ayant jamais été sous son
empire. En résumé, la Révélation nous laisse deviner en Marie une créature
toute pure, d’une pureté parfaite afin qu’elle soit une digne Mère de
Dieu ; d’une pureté exceptionnelle, comme sont exceptionnelles sa vocation
et ses grâces ; d’une pureté constante qui s’étend à toute sa vie[565].
Il ne nous propose aucun développement exégétique
personnel pour nous aider à comprendre la signification, pour l’Eglise, de
l’Immaculée Conception, si ce n’est un exposé très bien fourni des différentes
approches d’Orient et d’Occident jusqu’à la définition du 8 décembre 1854 par
le bienheureux pape Pie IX.
Dans les méandres de la progression d’une résolution
théologique, il fait apparaître la figure de Duns Scot avec son célèbre
argument : «cela convenait, Dieu le pouvait, donc il l’a fait.» Selon lui,
Duns Scot démontra qu’il convenait au Christ de préserver sa Mère de la tache
du péché et qu’il pouvait la préserver, n’osa se prononcer. Ce que firent à sa
place ses disciples[566].
Au niveau du langage, le terme «pureté» vient en
récurrence en rapprochement avec celui de la «virginité» de Marie et en
opposition au terme de «tache» pour désigner le péché.
En introduction sur cette thématique de l’Immaculée
Conception, il nous précise ce qu’elle n’est pas, à cause des confusions,
aujourd’hui encore, rencontrées parmi les chrétiens :
Pour certains,
l’Immaculée Conception est la conception virginale de Jésus par Marie. D’autres
y voient l’affirmation que Marie fut conçue de sainte Anne et du Saint-Esprit,
comme Jésus fut conçu de Marie et de l’Esprit Divin. Il va sans dire que
pareille doctrine est réprouvée par l’Eglise […] L’intelligence de l’Immaculée
Conception présuppose la connaissance de deux affirmations de foi : celle
de la justice originelle et celle du péché originel.
L’argumentation qui va suivre et que nous
reproduisons partiellement est une catéchèse, déjà bien présente dans la
mouvance du catéchisme issu du Concile de Trente et que saint Louis-Marie
Grignion de Montfort exposait déjà largement dans ses missions et par
écrit :
La justice
originelle consistait dans la rectitude et l’harmonie de toutes les puissances
de l’homme. Elle comprenait tout d’abord et principalement la soumission de sa
raison et de sa volonté à Dieu par la grâce sanctifiante. Au don de la grâce
sanctifiante en étaient ajoutés d’autres ; non seulement les vertus dites
infuses et les sept dons du Saint-Esprit, qui accompagnent toujours l’état de
grâce et nous sont donnés en vue de l’exercice de notre vie surnaturelle, mais
des dons particuliers destinés à perfectionner la nature humaine elle-même, ce
qu’on appelle en théologie les dons d’intégrité…
En péchant,
Adam perdit la justice originelle. Sa raison et sa volonté libre se révoltèrent
contre Dieu. Mais en même temps, ses facultés inférieures se révoltèrent contre
sa raison et sa volonté et le corps cessa d’être l’instrument docile de l’âme.
De là ce qu’on appelle les «blessures du péché originel», à savoir :
l’ignorance dans l’esprit, la faiblesse dans la volonté, le désordre ou
concupiscence dans les facultés inférieures, les souffrances et la mort pour le
corps. Ces blessures n’étaient pas le péché proprement dit, mais seulement son
côté matériel et ses conséquences : le péché lui-même consistait dans la
perte volontaire de l’amitié de Dieu.
Adam, ayant
perdu la justice originelle, ne pouvait plus la transmettre à ses descendants,
pas plus qu’un roi qui a perdu son royaume ne peut le léguer à ses fils. Par
conséquent, tous les hommes naissent dans l’état dans lequel se trouvait Adam
après son péché avec cette différence qu’Adam y était par sa faute personnelle,
tandis que nous y sommes par la faute d’Adam : Tel un roi qui perd son
royaume par sa propre faute, alors que ses enfants s’en trouvent dépossédés par
la faute de leur père […]
Or,
l’Immaculée Conception de Marie consiste essentiellement dans son exemption du
péché originel. Marie ne fut jamais dans cet état d’inimitié passive à l’égard
de Dieu dans lequel se trouvent tous les hommes avant leur baptême. Dès le
premier moment de son existence, son âme fut ornée de la grâce sanctifiante qui
en faisait l’enfant chérie de Dieu[567].
L’intérêt pour notre étude, du développement de
cette thématique de l’Immaculée Conception par Emile Neubert, tient en sa
reprise, vue sous l’angle de ce privilège fondamental et de toutes les autres
prérogatives de Marie, dont la toute première est la Maternité Divine. Il nous
rappelle à ce propos que Marie étant créée pour être Mère de Dieu, sa
maternité divine est donc antérieure - d’une antériorité de vocation - à sa
condition de fille d’Eve. Par conséquent, elle devait être immaculée comme Mère
de Dieu et non souillée comme fille d’Eve[568].
Cette recherche de mise en valeur des harmonies
entre l’Immaculée Conception et les autres privilèges de Marie ajoute à la
connaissance de ce dogme une richesse d’enseignement qui permet notamment de
rejoindre l’expression populaire. Il est à souligner la facilité qu’il met à
utiliser la métaphore sur un sujet si délicat :
D’après la loi
antique, tous les enfants d’esclave naissent esclaves de droit. Un bienfaiteur
peut les libérer en payant leur rançon à mesure qu’ils naissent. Il peut aussi
payer le prix de l’un d’eux avant même que celui-ci soit conçu. Dans ce cas,
cet enfant aurait dû être esclave de droit mais ne l’a jamais été de fait. Nous
sommes libérés de l’esclavage du démon et du péché d’après la première manière,
au saint baptême. Marie l’a été dans la seconde manière dans son Immaculée
Conception[569].
Le fait que ce privilège ne déroge nullement à
l’universalité de la Rédemption s’en trouve préservé.
Dans sa réflexion théologique, il intègre des
expressions telles que « le
cœur Immaculé de Marie» comme ancrage auquel se réfère la piété populaire
pour évoquer le mystère de la maternité spirituelle de Marie.
Nous reprendrons les différentes thématiques,
associées aux conséquences de l’Immaculée Conception, auxquelles il nous rend
sensible ainsi qu’aux grandeurs de ce privilège. Il s’exprime avec des termes
inhabituels mais évocateurs : mystère de pureté singulière, mystère
d’amour et mystère de triomphe[570]. Ces pieuses
méditations, qui ne sont pas reprises d’une façon systématique par la théologie
actuelle, ont le mérite de montrer l’unité de la doctrine et de la foi qui
admire l’œuvre de Dieu en sa Mère et notre Mère. Elles rejoignent le travail de
vulgarisation de saint Louis-Marie Grignion de Montfort avec sa grâce unique,
celle de savoir associer la saveur d’expression et la précision théologique du
langage, qui donnent à son message toute sa force mystique.
Le pape Jean-Paul II, lors de l’audience générale du
5 juin 1996, dans une méditation sur Marie, préservée de tout péché, nous a
offert toute une catéchèse sur le développement du dogme de l’Immaculée
Conception concluant ainsi :
Il n’échappe à
personne que l’affirmation du privilège exceptionnel accordé à Marie met en
évidence que l’action rédemptrice du Christ, non seulement libère, mais aussi
préserve du péché. Cette dimension de préservation du péché, qui est totale en
Marie, est présente dans l’intervention rédemptrice par laquelle le Christ,
libérant du péché donne aussi à l’homme la grâce et la force pour vaincre son
influence dans son existence. Ainsi le dogme de l’Immaculée Conception
n’obscurcit pas, mais au contraire contribue de manière admirable à mieux
mettre en lumière les effets de la grâce rédemptrice du Christ dans la nature
humaine.
L’idée du pape à propos du «triomphe» de la grâce
rejoint aussi celle d’Emile Neubert à propos du «rôle de la femme» dans la
guerre contre le démon, avec cette différence que Jean-Paul II recentre la
perspective à partir de la grâce rédemptrice du Christ et que lui la développe
dans la logique de toute son œuvre où Marie est présentée dans la métaphore de
la guerre contre le mal :
Enfin,
l’Immaculée Conception est un mystère de triomphe. Mystère de triomphe en
elle-même, et d’un triomphe sans précédent sur l’auteur de tout mal, Satan,
qui, sous la talon de Marie, subit la première défaite complète, absolue et
irréparable qu’il ait jamais essuyée depuis le commencement du monde[571].
Dans la logique de cette pensée dynamique, nous
poursuivrons notre étude en abordant le thème délicat pour le dialogue
œcuménique, de la coopération de Marie. L’Immaculée Conception, comme
triomphe de la grâce, est engagée dans cette lutte contre le mal, comportant
pour elle une mission liée à sa maternité spirituelle et dont le couronnement
sera la glorification au Ciel.
Marie ne
venait pas de recevoir le corps du Christ : elle faisait le
corps du Christ et le faisait de sa propre substance. Au Fils de Dieu, elle
donnait son humanité, le Fils de Dieu l’envahissait et la pénétrait de sa divinité,
et ensemble ils commençaient à racheter le monde[572].
Cette précision de l’auteur résume l’argument de
Tertullien contre les Valentiniens pour qui le corps du Sauveur n’est
qu’apparent : le Christ étant né par la Vierge et non de la
Vierge. Entre la Mère et le Fils, un échange s’instaure de type personnel, dont
le support biologique et physique n’est qu’un aspect de la relation qui s’étend
à beaucoup de domaines autres que ceux de l’affectivité et de la psychologie
mais également : de la culture, de la mémoire commune, des choix de vie et
des orientations profondes de l’être dans le rapport au monde, aux autres et à
soi-même. Dans le cas précis de la Vierge Marie, l’accueil de son fils
impliquait tout l’accueil de sa mission de Rédemption.
Elle avait compris
que son Fils était venu pour purifier et sanctifier, et qu’elle devait lui
prêter son concours dans cette œuvre. Servante du Seigneur, elle se ferait,
pour lui, servante des âmes. C’était auprès d’Elisabeth, qu’ensemble ils
devaient inaugurer ce ministère[573].
Et voici qu’Il
(l’Esprit Saint) venait encore d’ajouter à toutes ses joies des derniers jours,
une nouvelle joie : celle d’être pour la première fois, et d’une façon si
merveilleuse, la visible associée de son Fils dans l’œuvre rédemptrice[574].
Joie de Marie
[…] de constater comment, par sa présence, par le son de sa voix, elle aidait
son Fils à purifier et à sacrer le plus grand des prophètes[575].
[…] Le seul son de sa voix avait suffi pour remplir Elisabeth du Saint-Esprit,
pour purifier et sanctifier Jean[576].
Mais qui nous
dira la joie de Marie en voyant de ses yeux cet enfant qui avait tressailli à
sa voix et qui, le premier, avait salué sur terre la présence du
Rédempteur ; ce futur prophète de son Fils, le premier fruit de sa mission
de corédemptrice[577] ?
Ces quelques commentaires bibliques nous offrent
dans leurs expressions : «prêter son concours», «visible associée de son
fils», «elle aidait son fils», «mission corrédemptrice», autant de termes qui
argumentent en faveur de la coopération de Marie. Il aurait pu les développer
davantage à partir du contexte des premiers chapitres de la Genèse où Eve est
présentée comme l’associée et l’aide d’Adam. L’idée est contenue sans être
développée. Nous la retrouvons dans sa reprise de l’épisode de Cana.
Cana
Les commentaires de l’auteur sont à la fois les
fruits d’une recherche scientifique et d’une lecture spirituelle de
l’évènement. Dans l’épisode de Cana nous retiendrons notre attention sur
l’interprétation que l’auteur donne à la réponse de Jésus à la demande de Marie
face au manque de vin :
« Femme, lui répondit Jésus,
nous sommes d’accord, mon heure n’est-elle pas venue ? » (Jn 2, 4)
Surprenante au départ, cette traduction oblige à
reconsidérer toute l’approche qui est faite par les auteurs classiques tant catholiques
que protestants; certains certifient qu’il s’agit là d’une remise en place de
Marie c’est-à-dire derrière le Christ. C’est tout le contraire que développe
l’exégèse d’Emile Neubert, nous mettant en demeure de bien saisir l’enjeu de
cette collaboration de Marie à l’œuvre de son Fils.
Littéralement
traduite, la réponse du Maître à la demande de sa mère est : «Quoi à moi
et à toi ? Mon heure n’est pas encore venue». […] Cette expression
constitue un hébraïsme, dont on rencontre un certain nombre d’exemples dans
l’Ancien et dans le Nouveau Testament. Comme c’est le cas ordinaire pour tous
les idiotismes, elle ne peut se rendre exactement par aucune phrase exprimant
toutes les nuances de pensée et de sentiment de l’original. Entre «à moi» et «à
toi» un mot est sous-entendu. Dans les langues classiques, on est porté à
sous-entendre le mot «commun» : qu’y a-t-il de commun entre moi et
toi ? La locution indiquerait un désaccord plus ou moins prononcé et Jésus
semblerait signifier de ne pas s’occuper de l’affaire. Mais dans les langues
sémitiques – hébreu, araméen, arabe – les mots «quoi à moi et à toi ?»
signifient : «Qu’y a-t-il entre moi et toi ?» Réponse :
rien ; c’est-à-dire, nous sommes du même sentiment, nous sommes d’accord ;
nous avons les mêmes vues ou intérêts. […] A la prière implicite de sa Mère,
Jésus répond par le même acquiescement : «Oui, volontiers, nous sommes
d’accord». […] «Mon heure n’est-elle pas encore venue» […] On trouve de fait
cette interprétation chez plusieurs anciens, Tatien (IIe siècle),
saint Ephrem et saint Grégoire de Nysse (IVe siècle), et elle a été
reprise par quelques modernes parmi les catholiques […] L’heure était donc
venue pour lui de montrer par quelque fait extraordinaire qu’il était vraiment
l’envoyé de Dieu et de confirmer la foi de ses compagnons. «Quoi à moi et à
toi ? […] Nous sommes d’accord. Mon heure n’est-elle pas encore venue[578] ?»
Pour arriver à un tel résultat d’interprétation, il
n’a pas fait appel seulement à un ensemble de cohérences du contexte, ni à certaines
interprétations des auteurs anciens qui lui étaient favorables, mais aussi à la
culture actuelle des peuples de langue sémitiques[579], ainsi qu’à
différents contextes bibliques, tant de l’Ancien que du Nouveau Testament.
D’ailleurs, dans la préface de la seconde édition de La vie de Marie (1948), il prend soin de signaler l’évolution de sa
pensée[580].
Ce n’est pas l’unique exemple. En cherchant le plus
loin possible la cohérence de la pensée de l’époque et du contexte historique,
ainsi que l’enjeu de la situation évoquée, il nous donne des interprétations
personnelles de certains passages de l’Ecriture pour nous en faciliter la
compréhension alors qu’ils nous paraissaient bien obscurs au préalable. Il en
va par exemple pour le doute de Joseph ou pour la recherche d’hébergement à
Bethléem[581].
Il s’agit, dans cet épisode de Cana, d’une mission
confiée à Jésus, l’envoyé du Père, l’apôtre par excellence, qui s’associe Marie
sa mère dans sa mission apostolique, précédant et entraînant celle des apôtres
par son acte de foi. Dans cette perspective de la coopération de Marie plutôt
que celle de la mission apostolique de Marie que nous étudierons pour
elle-même, reprenons le thème de l’Annonciation.
En 1956, quelques années avant le Concile Vatican
II, dans La mission apostolique de Marie et la nôtre, il commente ainsi
ce dialogue de l’ange avec Marie :
Elle sait
clairement que son Fils sera le Messie, le libérateur annoncé par les
prophètes, et attendu par tout le peuple. Gabriel lui a dit qu’il s’appellera
Jésus, c’est-à-dire : Yahweh sauve. Dieu lui fait comprendre encore mieux
qu’à Joseph qu’il porte ce nom parce qu’il doit sauver les hommes de leurs
péchés. La mission rédemptrice de son Fils impliquera pour elle-même une
collaboration pleine d’angoisse […] Dieu se doit à lui-même et doit à Marie de
lui laisser entrevoir ces conséquences ; sans cela en lui demandant son
consentement, il l’eût, si l’on peut dire, «prise en traître». C’est donc le
seul véritable apôtre qui veut naître d’elle. De la volonté de la Vierge
dépendra tout l’apostolat du monde, l’apostolat du Christ qui, selon sa
réponse, viendra ou ne viendra pas nous sauver et l’apostolat de ses disciples,
qui ne peuvent être apôtres que par lui[582].
Il y a plus encore dans la pensée de l’auteur qui
s’adresse à Jésus dans son livre Marie et notre sacerdoce :
Votre Mère a
dit : «Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre
parole», et elle est devenue votre Associée dans le salut[583]
du monde[584].
[…] Elle prononce son Fiat ! Elle donne au monde son Rédempteur, et
les multitudes de corédempteurs qui, à sa suite, travailleront jusqu’à la fin
des temps au salut du genre humain[585].
Avec cette dernière remarque, il nous fait entrevoir
comment Marie nous devance à travers sa propre mission de corédemptrice entraînant
la nôtre. Il en va de même pour l’apostolat comme nous le verrons plus tard
dans notre étude :
Il n’y aurait
pas eu de Christ Rédempteur si Marie n’avait pas donné son consentement à
Nazareth. Ainsi on peut dire que la réponse de Marie à Gabriel est à la source
de tout l’apostolat chrétien, de celui du Christ et de celui de ses disciples
jusqu’à la consommation des siècles[586].
A cette étape de la découverte de Marie dans son
œuvre commentant l’Annonciation, nous retrouvons des éléments bien présents dans
le chapitre De Beata de Lumen Gentium, relatifs à la coopération
de Marie à l’œuvre du salut :
Le Père des
Miséricordes a voulu que l’Incarnation fût précédée par une acceptation de la
part de cette Mère prédestinée […] Ainsi Marie, fille d’Adam, donnant à la
Parole de Dieu son consentement, devint Mère de Jésus et, épousant à plein
cœur, sans que nul péché ne la retienne, la volonté divine du salut, se livra
elle-même intégralement comme la servante du Seigneur, à la personne et à
l’œuvre de son Fils, pour servir dans sa dépendance et avec lui, par la grâce
du Dieu tout-puissant, au mystère de la Rédemption. C’est à juste titre que les
Saints Pères considèrent Marie comme apportant au salut des hommes non pas
seulement la coopération d’un instrument passif aux mains de Dieu, mais la
liberté de sa foi et de son obéissance[587].
Comme le fit plus tard le Concile Vatican II dans le
chapitre 8 de Lumen Gentium, il affirmait ce lien, cette association de
Marie et de Jésus. Cette parenté de pensées et d’expressions avec les
formulations du chapitre De Beata puisant aux mêmes sources bibliques et
patristiques doit être relevée :
Le Christ est
venu pour sauver le monde, perdu par la désobéissance d’Adam. La désobéissance
devait être réparée par l’obéissance. De là le mot du Christ en entrant dans ce
monde : Je viens, ô Dieu pour faire
votre volonté (He 10, 7-9)[588].
Eve avait provoqué Adam à la désobéissance. Il fallait que la désobéissance de
notre première mère fût réparée par l’obéissance de notre nouvelle Mère. D’où
la réponse de la Vierge : «fiat mihi secundum verbum tuum !»
Depuis saint Justin, saint Irénée surtout, au second siècle, les Pères
soulignent ce rôle de Marie réparant par sa foi et par son obéissance
l’incrédulité et la désobéissance d’Eve[589].
De même le chapitre De Beata
poursuit :
En effet,
comme dit saint Irénée, «par son obéissance, elle est devenue, pour elle-même
et pour le genre humain, cause de salut»[590].
Aussi avec lui, bon nombre d’anciens Pères disent volontiers dans leurs
prédications : «le nœud dû à la désobéissance d’Eve, s’est dénoué par
l’obéissance de Marie ; ce que la vierge Eve avait noué par son
incrédulité, la Vierge Marie l’a dénoué par sa foi »[591] ;
comparant Marie avec Eve, ils appellent Marie «la Mère des vivants»[592]
et déclarent souvent : «par Eve la mort, par Marie la vie[593].»
L’argument conciliaire concernant le Mystère de la coopération
de Marie à la Rédemption est central dans sa thèse. Il y consacre un
chapitre entier en relevant ce parallélisme entre Eve et Marie dans l’œuvre de saint Justin et
dans celle de saint Irénée :
Saint Justin est le premier qui
parle explicitement de la mission corédemptrice de Marie. Il remarque que notre
perte avait commencé par un acte de désobéissance ; notre salut devait donc
commencer par un acte d’obéissance[594].
Dans le commentaire de cette
thématique rendue célèbre par Irénée, il reprend, en le résumant, le lien avec
la Genèse, quand Dieu s’adresse au serpent, ainsi que la célèbre péricope de
Paul aux Galates :
Celui-là, en
effet, qui devait naître de la femme vierge, selon la ressemblance d’Adam,
était prophétisé comme épiant la tête du serpent, et il est la semence dont
saint Paul a dit : «Quand fut venue la plénitude du temps, Dieu envoya son
Fils, fait de la femme.» Plus tard, quand Dieu voulut montrer aux hommes «le
salut inespéré» qu’il leur préparait, il leur en donna «un signe inespéré», le
«signe de la Vierge qui enfanterait[595].
Dans sa thèse de doctorat, il fait le choix
d’aborder ce thème de la «coopération à la Rédemption» ; on sait qu’il
constitue un pilier de son enseignement théologique dans tout son corpus sur
la mission de Marie. Aujourd’hui, une tête de chapitre de ce type «coopération
à la Rédemption» ne serait sans doute pas bien comprise, si nous tenons compte
de toute l’approche œcuménique conciliaire de Vatican II et des documents
pontificaux qui ont suivi, en particulier Marialis cultus[596].
De son côté, il fonde lui-même ce choix et s’en
explique :
L’idée de la
rédemption, apportée par Jésus, nous apparaît dès saint Paul, comme une des
idées fondamentales de la religion du Christ. Or, c’était par son humanité que
Jésus nous avait rachetés ; et de ce fait, celle dont il tenait son
humanité avait contribué à notre salut. Ce concours à l’œuvre rédemptrice de
Jésus était plus qu’une coopération matérielle, si l’on envisageait
Marie comme un instrument moral de l’Incarnation[597].
Ayant résumé le texte de l’Annonciation en Luc,
montrant le consentement de Marie sur tous les desseins de Dieu, il reprend
l’argumentation à partir des Pères et des auteurs anciens. La défense de
la véritable humanité de Jésus par les Pères est, nous l’avons vue, la raison
du développement de toute une sotériologie où la Mère du Rédempteur est
associée à l’œuvre de son Fils. Saint Ignace associe la virginité et la
maternité de Marie à celle du renouvellement du monde par la venue de Jésus et
sa mort sur la Croix[598].
Saint Justin est le premier, (selon Emile Neubert),
à parler «explicitement de la mission corédemptrice de Marie[599].» Par l’acte d’obéissance
de Marie et de Jésus, notre salut commence.
Il est la réponse d’amour à la désobéissance du premier couple[600] :
Irénée met en évidence le parallélisme qui existe
entre l’œuvre du Christ et celle d’Adam. Emile Neubert nous en fait une
synthèse magistrale :
De même que
tous sont morts en Adam, tous doivent «renaître» en Jésus-Christ. C’est ainsi
que le Seigneur «récapitule» en lui l’humanité tout entière et, second Adam,
répare l’œuvre du premier. Dans ce travail de réparation, Marie occupe une place
toute spéciale. Dès la chute, sa figure apparaît en même temps que celle de
Jésus. […] Plus tard, quand Dieu voulut montrer aux hommes «le salut inespéré»
qu’il leur préparait, il leur en donna «un signe inespéré», le «signe de la
Vierge qui enfanterait[601]».
La virginité en effet, rappelait et impliquait l’incorruptibilité que le
Sauveur devait nous rendre, la naissance virginale étant la marque de la
nouvelle naissance qui nous régénère dans le Christ[602].
Ce rapport entre la virginité de la mère de Jésus et la mission du Sauveur
était d’autant plus important aux yeux de saint Irénée, qu’il considérait la
rédemption surtout comme un retour à l’incorruptibilité. C’est pourquoi, de
même que le premier Adam était né d’une terre vierge, ainsi le nouvel Adam devait
naître d’une Vierge[603].
Marie devait
être associée plus directement à l’œuvre de notre rédemption : pour que le
parallélisme entre la défaite et la victoire fût parfait, il fallait que dans
la seconde il y eût une femme comme dans la première[604].
Ces témoignages
de l’évêque de Lyon sur la coopération de Marie à la Rédemption sont d’autant
plus significatifs qu’il passe à bon droit pour « le fidèle et le plus
complet représentant» de la théologie du second siècle[605],
et que son ouvrage contre les hérésies allait devenir pour ainsi dire, le
manuel de théologie des générations qui l’ont suivi. On modifiera plus ou moins
sa doctrine sur la mission corédemptrice de la Vierge, mais Marie restera
cependant désormais définitivement la nouvelle Eve à côté du nouvel Adam[606].
Après avoir passé en revue, les Pères ou auteurs
anciens qui suivirent dans le temps, sans apporter d’éléments saillants
véritablement nouveaux pour faire progresser la réflexion thématique, il
rappelle :
Jamais on n’a
prétendu attribuer à Marie une action indépendante de celle de son Fils ;
c’est seulement en tant qu’associée à Jésus, à l’unique Rédempteur, qu’on lui a
toujours reconnu un rôle dans l’œuvre du salut[607].
Cette remarque anticipe l’enseignement de Lumen Gentium
62 :
Aussi la
bienheureuse Vierge est-elle invoquée dans l'Eglise sous les titres d'Avocate,
d'Auxiliatrice, d'Aide et de Médiatrice. Tout cela doit pourtant s'entendre de
manière qu'on n'enlève ni n'ajoute rien à la dignité et à l'action du Christ,
seul Médiateur.
En fait,
aucune créature ne peut jamais figurer sur le même plan que le Verbe Incarné,
notre Rédempteur. Mais, de même que les ministres sacrés et le peuple fidèle
participent, selon des façons variées, au sacerdoce du Christ, et que la bonté
unique de Dieu est réellement répandue selon une grande variété de manières,
dans les créatures, de même également la médiation unique du Rédempteur
n'exclut pas, mais suscite plutôt chez les créatures une coopération variée,
qui provient de la source unique.
Le chapitre De Beata de Lumen Gentium,
commentant l’Annonciation, reprend le même cheminement qu’Emile Neubert,
dans la même dynamique qui consiste à voir Marie «comme apportant au salut
des hommes non pas simplement la coopération d’un instrument passif aux mains
de Dieu, mais la liberté de sa foi et de son obéissance[608].»
Tous les éléments essentiels de sa théologie sont
dans le commentaire de l’Annonciation repris par les pères conciliaires : «Maternité
divine, association à l’œuvre du Christ, coopération à la
rédemption et maternité spirituelle.» Ils sont autant
d’éléments que l’auteur nous fait entrevoir dans leur unité synthétique.
Cependant, relevons ce point essentiel, tout converge pour Marie en vue de sa
vocation maternelle :
En elle,
maternité et action apostolique se confondent : toute sa maternité
s’exerce par son action apostolique et toute son action apostolique se rapporte
à sa maternité […] Être Mère, Mère de Jésus et notre Mère, c’est toute la
raison d’être de Marie[609]…
La médiation
universelle de Marie
Emile Neubert développe le thème de la médiation
universelle de Marie sous deux angles complémentaires : la
coopération de Marie à la Rédemption et l’universelle distribution de la
grâce, mais il prend soin de préciser ce qu’est la médiation unique du
Christ[610].
Conscient des discussions posées en son temps sur la
portée exacte de cette affirmation, il se fait l’écho de quelques points
précis :
Le sentiment
universel de l’Eglise attribue à Marie une part à l’œuvre de notre salut, à
côté du Rédempteur, impliquant une certaine union entre les volontés, les
souffrances et l’oblation de Jésus et de Marie. Dieu a agréé cette coopération
à l’œuvre de son Fils et lui a attribuée une vraie valeur rédemptrice, de sorte
que nous pouvons dire que nous sommes sauvés d’abord et principalement par le
Christ et puis secondairement et en subordination à l’action du Christ par
Marie[611].
Nous sommes très proches, par ces précisions et ces
nuances, des textes de Vatican II sur la question. Au numéro 62 de Lumen
Gentium, le Concile affirme : Ce rôle subordonné de Marie, l’Eglise
le professe sans hésitation.
Il commente l’Annonciation en reprenant la lecture
biblique des textes principaux avec les termes suivants : Elle donne
son consentement à cette maternité et à tout ce que la mission de son Fils
comprendra[612]. C’est une dimension
anthropologique qu’il faut relever pour toute mère qui conçoit un fils.
L’enfant est accueilli avec tout ce que cela comporte de réalités présentes et
futures. Mais pour Marie qui accueille le Fils de Dieu venu pour sauver les
hommes, les réalités sont démesurées. Marie qui n’est pas prise en «traître»
par Dieu consent à la mission de son Fils comme Sauveur.
Puis il établit le lien entre les mystères de la
Présentation au Temple et du Calvaire :
Quarante jours
après la naissance de Jésus, au moment où la Vierge avec Joseph le porte au
Temple, pour le présenter au Seigneur, elle apprend de Siméon que l'Enfant sera
un sujet de contradiction et qu'à cause de lui un glaive percera son âme à elle
(Lc 2, 35). Or saint Jean nous montre précisément la Vierge au Calvaire
près de son Fils cloué à la Croix et consommant son sacrifice (Jn 19,
25-27)[613].
Il reprend les textes patristiques classiques de Justin,
Irénée, pour établir le parallélisme entre Adam et Jésus et entre Eve et Marie[614].
Parmi les auteurs de la période du XIIe
au XVIIe siècle, il mentionne de nouveau saint Albert le Grand:
Saint Albert
le Grand a clairement vu le rôle de Marie dans l’œuvre de notre
Rédemption :
Les
théologiens des siècles suivants - Gerson, saint Antonin, saint Canisius,
Suarez - parlent de la corédemption de Marie au pied de la croix, en se
référant soit à l'Abbé Rupert, soit à saint Albert[615].
Mais, ils ne s'y arrêtent guère. La lutte contre le protestantisme orientera
leurs préoccupations vers d'autres sujets.
Les auteurs dont il fait référence, du XVIIe
au XXe siècles, sont : saint Jean Eudes, M. Olier et saint
Alphonse de Liguori. Il évoque rapidement l’opposition de quelques théologiens
au XXe siècle et nous offre un florilège d’enseignements des
derniers papes, de Léon XIII à Pie XII, en précisant ceci :
Or, non
seulement les Papes se sont servis couramment d’expressions dont le sens
naturel laisse supposer que la Vierge nous a réellement rachetés en union avec
son Fils et en dépendance de lui, sans jamais faire la remarque que ces
expressions doivent être prises dans le sens métaphorique ou hyperbolique, mais
les derniers Papes ont encore été plus nets à cet égard que les premiers[616].
Dans la suite de son exposé, il prend soin de
rédiger un chapitre de précisions théologiques que l’on retrouve au cœur
des discussions au Concile Vatican II en vue de la rédaction définitive du chapitre 8 de Lumen Gentium.
L'histoire de
la croyance à la coopération de Marie à 1'œuvre de notre Rédemption, nous a
fourni deux sortes d'actes de la Vierge, relatifs à ce rôle : à Nazareth
et au Calvaire.
A Nazareth,
Marie consent à fournir au Fils de Dieu cette nature humaine dont 1'oblation
sur le Calvaire nous rachètera. Sa coopération, en ce moment, est plus qu'une
coopération physique : c'est une coopération morale, consciente et libre.
Marie sait que l'Enfant, qui doit naître d'elle, sera le Sauveur du monde. En
consentant à l'offre divine, elle consent donc, à coopérer à notre rédemption[617].
Ce consentement à tout ce que comportait la
participation à la mission de son fils était un chèque signé en blanc, une
acceptation à la part d’épreuves que la Mère devra vivre à cause du Fils.
Sachant que rien «n’est impossible à Dieu», Marie «pleine de grâces» offre son
consentement non seulement dans l’abandon mais dans toute la force du désir que
se réalisent les promesses du Dieu d’Israël.
Cette étape est exprimée en des termes très proches
par leur contenu au chapitre 8 de Lumen Gentium[618].
Emile Neubert, avec beaucoup de justesse et d’à
propos, approfondit ce lien qui unit la Mère au Fils dans leur mission commune.
Il part de l’offrande de l’une et de l’autre, au départ de leur «histoire». La
coopération de Marie accompagne toute l’œuvre rédemptrice du Christ, commencée
à l’Annonciation.
Car, suivant
l'enseignement de saint Paul, «en entrant dans le monde, le Christ dit (à son
Père) : Vous n'avez voulu ni sacrifice ni oblation, mais vous m'avez formé
un corps vous n'avez agréé ni
holocauste ni sacrifices pour le péché. Alors, j'ai dit Me voici (car il est
écrit de moi dans le rouleau du livre), je viens, ô Dieu, pour faire votre
volonté» (He 10, 5-7). C'est sans doute par l'effusion de son sang que
le Christ nous a rachetés, mais l'action du Christ, dès le premier moment de
son existence, possédait déjà une valeur rédemptrice infinie. Aussi bien, il ne
faudrait pas morceler la vie du Sauveur en une suite d'actes séparés : son
existence ne
constituait qu'un long acte de rédemption, dont le point culminant fut sa
Passion et sa mort. Si le prix de cet acte, notre rançon, ne fut payé qu'à la
suite de ce dernier moment, il avait commencé a être mérité dès le premier.
Ainsi, dès
qu'elle prononça son fiat, Marie était déjà, en toute vérité, la
collaboratrice du Christ dans 1'œuvre de notre rachat, et elle mériterait ce
titre même si elle avait quitté cette vie dès la naissance de son Fils. Que
fût-il advenu de nous si elle eût refusé ce concours ? Dieu pouvait
évidemment nous sauver d'une infinité d'autres façons. Mais il lui a plu de
faire dépendre 1'économie actuelle de notre salut - sans doute la plus parfaite
à ses yeux - de la libre coopération de Marie[619].
Le Chapitre 8 de Lumen Gentium offre la
transition avec ce qu’Emile Neubert continue de développer :
Cette union de
la Mère et de son Fils dans l’œuvre de la Rédemption se manifeste depuis le
moment de la conception virginale du Christ jusqu'à sa mort[620].
Le parallèle que nous établissons entre les Pères
conciliaires et la pensée d’Emile Neubert sur la coopération de Marie, se
poursuit :
Au Calvaire.
- Cette coopération de Marie à Nazareth n'est cependant qu'une coopération
indirecte. Au Calvaire, elle va en fournir une directe. C'est, nous disent les
différents auteurs, et en particulier les derniers Papes, par l'union de ses
souffrances et de sa volonté aux souffrances et à la volonté du Christ, et par
l'abdication de ses droits maternels que la Vierge nous a rachetés en même
temps que son Fils[621].
Lumen Gentium, de commenter
ainsi :
Ainsi même, la
bienheureuse Vierge progressa sur le chemin de la foi, et elle resta fidèlement
unie à son Fils jusqu'à la croix. Là, ce n'est pas sans réaliser un dessein divin
qu'elle se tint debout (cf. Jn 19, 25) ; elle souffrit profondément
avec son Fils unique et s'associa de toute son âme maternelle à son sacrifice,
acquiesçant avec amour à l'immolation de la victime qu'elle avait engendrée[622].
Il reprend sa réflexion sous ces termes :
L'union de ses
souffrances aux souffrances du Christ : comme lui a été l'homme des
douleurs, elle est la Mère des douleurs. Il est à remarquer que toutes les
douleurs de Marie que nous connaissons, depuis 1'épreuve des hésitations de
Joseph à la vue de sa maternité mystérieuse, jusqu'à la mort du Christ, ont
pour cause son Fils. Au Calvaire, en particulier, elle souffre dans son cœur
tout ce que Lui souffre dans son corps et dans son âme. […] L'union de sa
volonté à celle de son Fils de tout temps, sa volonté était une avec celle de
Dieu. A partir de 1'Incarnation, elle identifia toujours sa volonté à celle de
Jésus, quelle qu'elle dût être […] Elle l'identifia à la volonté de son Fils,
en particulier dans la grande œuvre en vue de laquelle i1 était venu sur terre.
Il s'était incarné pour réparer la gloire de Dieu et sauver le monde, et cela
par sa Passion et sa mort. Et cette même gloire de Dieu et le même salut du
monde, Marie les voulut par la même Passion et mort de Jésus. Ici comme à Nazareth,
et plus encore qu'à Nazareth - parce que sa soumission à la volonté de Dieu
était allée sans cesse en croissant- elle disait à Dieu Ecce Ancilla Domini,
fiat mihi secundum Verbum tuum[623].
Le Concile Vatican II reprend l’idée d’union avec le
terme d’association:
La
bienheureuse Vierge, dont la prédestination à la maternité divine, est allée de
pair, de toute éternité, avec celle de l'Incarnation du Verbe de Dieu, fut sur
cette terre, par disposition de la divine Providence, la noble Mère du divin
Rédempteur, l'associée du Seigneur la plus généreuse qui fût, et son humble
servante. Elle, qui a conçu le Christ, l'a enfanté, l'a nourri, l'a présenté au
Père dans le temple, qui a souffert avec son Fils mourant sur la croix, elle a
coopéré, d'une manière toute spéciale, à l'œuvre du Sauveur par son obéissance,
sa foi, son espérance et son ardente charité. Elle a vraiment collaboré à la
restauration de la vie surnaturelle dans les âmes. Voilà pourquoi elle fut pour
nous une mère dans l'ordre de la grâce[624].
La conclusion de ce paragraphe est en parfaite
résonance avec tout ce qu’Emile Neubert vulgarisa sur la mission de Marie dans
sa participation à la grâce accordée aux hommes. Nous reprendrons plus loin
cette thématique à propos de sa maternité spirituelle.
Demeurons avec lui dans cette ligne conciliaire,
partant de l’oblation commune du Fils et de la Mère qu’il exprime et développe
ainsi :
De tout cela,
Marie fit l'holocauste pour la gloire du Père et pour notre salut. Deux vies,
deux titres en une seule oblation, car de par les desseins de Dieu et sa
volonté à elle, elle ne faisait qu'un avec Lui.
Valeur
rédemptrice de ces actes.
Cette
coopération de Marie à l’œuvre de son Fils ne suffit pas pour que la Vierge y
ait rempli une fonction de médiatrice. II faut encore que Dieu, qu'il
s'agissait de réconcilier avec 1'homme, l’ait agréée dans cette vue. Qu'il ait
agréé à cet effet son fiat de l'Annonciation, cela ressort de la nature
même des choses, puisqu'il en a fait dépendre 1'Incarnation du Rédempteur. Mais
ce n'était là qu'une coopération lointaine à son rachat. Agréa-t-il de même
l'union des souffrances et des dispositions de Marie avec celles de Jésus, ce
qui était une coopération directe, ou cette union ne fut-elle qu'un héroïque
acte d'amour de la part de Marie, très méritoire pour elle-même, mais sans
mérite pour nous ? C'est l'opinion générale que Dieu l'agréa en vue de notre
Rédemption[625].
Il nous invite à entrer dans le délicat débat sur la
participation réelle de Marie à notre Rédemption. Comment la comprendre, tout
en faisant attention à ce qu’elle n’occulte pas l’œuvre rédemptrice de son Fils
qui est aussi son Dieu, l’unique Rédempteur ? Dans son œuvre écrite, les
références aux débats théologiques de son époque ne sont pas présentes.
Cependant les études en Allemagne et en France mettaient en évidence les
difficultés soulevées par cette question au début du XXe siècle.
Théodore Koehler, dans son Histoire de la
Mariologie[626], nous donne le
complément d’informations qui nous permettrait de mieux comprendre à partir de
quelles interrogations Emile Neubert pouvait approfondir ces thématiques
mariales. On découvre, qu’elles étaient au cœur des débats conciliaires pour la
formulation du chapitre De Beata.
Bernardo Bartmann écrivit en 1909 une étude sur Jésus
et sa Mère dans la Sainte Ecriture avec un titre évocateur Le Christ, un
adversaire du culte marial ?[627] En reprenant les
études traditionnelles concernant l’intercession de Marie, il s’oppose
ouvertement à la position de Scheeben qui développait la coopération de Marie
au salut sur le Calvaire. Après quoi, le Père Schuth dans son livre Mediatrix[628] en s’inspirant de
Scheeben répondit à cette critique en approfondissant la question de la
médiation de Marie, afin de mettre en évidence l’association de Marie avec le
Christ Rédempteur. N’ayant pas de traces écrites des références propres à Emile
Neubert, outre celles de sa thèse de doctorat, nous constatons que son ouvrage Marie
dans le dogme contenait des éléments très précis et très actuels de ce
qu’offrit le chapitre De Beata. Ce manuel de mariologie fut, en France
dans le milieu du XXe siècle, la première référence des formateurs
de prêtres. Il se trouvait dans toutes les bibliothèques, non seulement de
séminaire mais aussi de communautés religieuses. Sans doute, il contribua, par
les repères qu’il offrait, à étayer la recherche des théologiens investis au
Concile et eux aussi, soucieux d’offrir un message accessible à tous. D’où
l’intérêt pour notre étude d’avancer dans cette relecture en alternance avec
notre auteur et le chapitre De Beata.
Les précisions conciliaires, dans le développement
du chapitre 8 de Lumen Gentium sont à rappeler, elles nous aident
à mieux comprendre sa position :
Cette
maternité de Marie, elle dure sans cesse, dans l'économie de la grâce, depuis
le consentement que sa foi lui fit donner à l'Annonciation et qu'elle maintint
sans hésitation sous la croix, jusqu'à l'accession de tous les élus à la gloire
éternelle. En effet, au ciel, elle n'a pas déposé cette fonction salvifique,
mais elle continue, par son instante intercession, à nous obtenir des grâces en
vue de notre salut éternel. Dans sa charité maternelle, elle s'occupe, jusqu'à
ce qu'ils soient parvenus à la félicité de la patrie, des frères de son Fils
qui sont encore des pèlerins et qui sont en butte aux dangers et aux misères.
Aussi la bienheureuse Vierge est-elle invoquée dans l'Eglise sous les titres
d'Avocate, d'Auxiliatrice, d'Aide et de Médiatrice. Tout cela doit pourtant
s'entendre de manière qu'on n'enlève ni n'ajoute rien à la dignité et à
l'action du Christ, seul Médiateur[629].
Et voici en quels termes, Emile Neubert pose le
problème en assumant les objections et en proposant des réponses :
La Vierge et
le reste de 1'humanité ont été rachetés au même moment, par le même acte rédempteur.
Comment Marie a-t-elle pu contribuer à nous racheter avant d'être rachetée
elle-même ? - Au point de vue de l'intention de Dieu, Marie a été prédestinée
avec le Christ avant les autres hommes, par une priorité d'importance «Elegit
eam praeelegit eam : il l’a élue et préélue», dit 1'Eglise dans
l'Office de la Vierge. Préélue, elle a été par le fait pré-rachetée dans
l'intention de Dieu, pré-rachetée afin de pouvoir, avec le Christ, racheter le
reste du genre humain. - Au point de vue de la réalisation, elle a été purifiée
et sanctifiée dès son Immaculée Conception, en vertu des mérites prévus de son
Fils. Rien n'empêchait qu'au moment où son Fils nous rachetait de fait, elle
ait pu ajouter son action à la sienne[630].
Il sauvegarde, par cette affirmation, l’égalité de
Marie avec les hommes par le point de vue du salut qui lui est offert, et en
même temps il précise en quoi ce salut possède une efficacité spécifique pour
Marie par le don de son Immaculée Conception. L’expression qu’il utilise «afin
de racheter» peut porter à confusion si nous ne tenons pas compte de tout
l’ensemble de la dynamique. C’est en vue d’être la Mère de Dieu, d’un Dieu qui
s’incarne pour nous sauver, que Marie a été pré-rachetée en vue d’être unie à
son fils dans le rachat de l’humanité. Cette nuance ne lui échappe point
puisqu’il ajoute aussitôt dans son texte :
Une autre
question se pose : sur quel fondement les fidèles, les théologiens et les
Souverains Pontifes peuvent-ils se baser pour affirmer la réelle coopération de
la Vierge à l'acte même de la Rédemption ? On verra la réponse plus loin,
à propos de l'utilité de cette coopération[631].
Arrivée à ce point de réflexion, notre lecture
rétrospective de son développement théologique nous fait espérer, à la lumière
du Concile, une évocation plus ample de Marie
figure de l’Eglise. Mais son approche n’est pas tant centrée sur le mystère
de Marie et de l’Eglise, que sur celui de Marie et du Christ. Cette absence de
la mention de l’Eglise qui trouve en Marie son modèle et sa figure accomplie ne
fait pas ombrage par contre à sa finesse d’à propos concernant le lien de la
Mère et du Fils au Calvaire.
Il met en relation et à leur place le rôle
complémentaire du Christ Rédempteur et de Marie la Corédemptrice :
Toute la
tradition qui affirme une certaine coopération de Marie avec le Christ
Rédempteur voit des différences entre l’action du Christ et celle de sa Mère.
L'action du
Christ est indépendante, elle n'a pas besoin d'une autre action, elle se suffit
pleinement à elle-même. L'action de Marie est dépendante, elle n'est efficace
que par ses relations avec celle du Christ. Il n'y a pas un Rédempteur et une
Rédemptrice il y a un Rédempteur et une Corédemptrice.
L'action de la
Corédemptrice est une avec celle du Rédempteur. Elle n'a pas son domaine propre
où elle s'exercerait, même sous la dépendance de Jésus. Elle s'étend exactement
à tout le domaine de l’action de son Fils.
L'action du
Christ atteint son effet par un mérite de stricte justice, celle de Marie par
un mérite inférieur que nous essaierons de préciser plus loin[632].
Il cherche à mieux «distinguer pour mieux unir.»
Le risque encouru par le développement théologique
de cette complémentarité est de mettre sur le même plan la Mère et le Fils.
Comment sauvegarder l’argument paulinien de l’unique Rédempteur tout en
intégrant la Mère du Rédempteur ?
Il utilise l’hymne de saint Thomas sur l’Eucharistie
pour répondre à la question exacte qu’il se pose de la Corédemption de Marie,
de son efficience:
C'est une
utilité analogue à celle que saint Thomas reconnaît à la Passion du Christ avec
tous ses tourments physiques et moraux, alors que déjà son premier acte dans sa
conception, en tout cas une seule goutte de son sang, eût suffi pour purifier
de tout crime le monde entier : Cuius
una stilla- salvum facere- totum mundum quit- ab omni scelere. C'est l'amour du Christ en tant
qu'homme et son exaltation, c'est notre amour et notre confiance envers lui,
avec le désir d'imiter ses vertus et d'éviter tout péché, notre gloire même en
face du démon qui y trouvent leur compte. C'est de même à l'humanité de Jésus,
à Marie et à nous, que la coopération réelle de la Mère a l’œuvre de son Fils
apporte de grands avantages ; mais tout d'abord à la gloire même de Dieu[633].
En reprenant la question du point de vue de l’amour
du Christ et de notre amour en réponse et de notre confiance envers lui, il
nous offre un recentrage sur la matière de la rédemption accomplie par le
Christ -en soi, la souffrance n’arrange rien et ne sauve en rien, sinon qu’elle
peut provoquer un regard de compassion -. Ce qui nous a fondamentalement
sauvés, c’est l’amour manifesté dans cette souffrance et cet amour n’a pas
commencé à se montrer au calvaire mais dès l’Incarnation, ce qu’il précise pour
la venue du Christ par le «premier acte de sa conception.» Nous l’avons vu
auparavant dans les extraits d’Emile Neubert : Marie qui collabore à cet
acte de conception unique et donc à cet amour de Dieu fait homme, collabore
aussi à l’amour qui lui fait donner sa vie pour nous sur la Croix, dans la
continuité de «toute une vie d’identification avec les dispositions de son
Fils.» En cela, elle répare avec son Fils avec toute la qualité d’amour qui est
en elle, avec toute sa puissance d’aimer qui n’est pas à mettre en balance avec
les péchés des hommes.
Pour Marie,
c'est une suprême consolation de participer, non seulement aux souffrances de
son Fils, mais au but même de ces souffrances, la glorification du Père et
notre salut.
Ces deux
raisons, qui n'en font qu'une - les exigences de la piété filiale de Jésus pour
sa Mère - si elles ne sont pas toujours formulées dans l'histoire de la
croyance à la corédemption mariale, on les devine dans l'âme des simples
fidèles qui, sans explications théologiques, trouvent toute naturelle cette
fonction confiée par Jésus à sa Mère[634].
Cette consolation par la participation aux
souffrances du Christ n’est pas propre à Marie. Il en donne maints exemples
dans les différentes biographies qu’il publia. Nous retrouvons cette idée
également dans les différentes approches spirituelles et ascétiques de ces
ouvrages de vulgarisation où il invite les baptisés à s’unir au mystère de la
passion du Christ par une vie d’offrande et de sacrifice. En ce sens, l’idée de
corédemption de Marie, entraînant celle des hommes, pourrait être développée en
parallèle avec l’idée de Rédemption accomplie par le Christ entraînant la
conversion des hommes et leur participation à ses souffrances dans un monde à
sauver, ici et maintenant. Il nous est plus facile avec l’apport du Concile
Vatican II, de reprendre cet argument en montrant ce lien nécessaire entre tous
les fidèles de l’Eglise et la Mère de l’Eglise qui entraîne ses enfants à vivre
leur vocation maternelle à sa suite ; ce rôle maternel de l’Eglise est
contemplé dans l’approfondissement de la mission de maternité spirituelle de la
Vierge Marie :
Une autre
raison, aperçue depuis qu'on s'est rendu compte du caractère corédempteur des
souffrances de la Vierge, une raison d'une importance capitale, c'est la
maternité spirituelle de Marie. C'est que, posée la volonté de Dieu que la Mère
du Christ soit aussi Mère de ses membres, cette maternité spirituelle de Marie
exige qu'elle ait contribué à nous mériter la grâce. Sans doute, elle serait
déjà notre Mère d'une certaine façon par le seul fait de nous avoir donné le
Christ, notre vie, ou de distribuer les grâces méritées par le Christ. Mais
elle ne serait notre Mère que comme Monique fut la mère spirituelle d'Augustin
par ses prières et ses sacrifices, ou comme la religieuse éducatrice est la
mère des enfants qu'elle forme à la vie surnaturelle. Elle ne serait pas notre
Mère dans le sens rigoureux du mot. La mère est celle qui produit le germe
vivant dont naîtra l'enfant. Dieu est, il est vrai, le premier auteur de la
matière qui compose ce germe et du principe vital qui l'anime. Mais la mère est
l’instrument qui provoque la formation du germe particulier à féconder. Dans
1'ordre surnaturel, c'est Dieu qui crée la grâce, ce n'est pas Marie, ni même
l'humanité du Christ. Mais elle provoque la création du germe surnaturel, la
grâce, en la méritant par son union avec son Fils. Les auteurs spirituels
aiment à nous montrer Marie nous enfantant dans la douleur par sa coopération
avec son Fils crucifié. Elle ne nous enfanterait pas si cette douleur n'était
qu'une douleur de simple compassion, comme celle de Jean ou de Madeleine[635].
La métaphore du germe est précieuse. Elle nous
permet, dans la réflexion qui précédait cet extrait, d’étayer l’argumentation
sur la vocation maternelle de l’Eglise confiée à tous les baptisés et dont
Marie est le témoin, le modèle, la figure accomplie. De même que «Marie
provoque la création du germe surnaturel», nous pourrions dire que les membres
de l’Eglise provoquent la germination de ce germe, par l’annonce de la parole,
le témoignage de la foi et les œuvres de charité qui accompagnent cette
annonce. Cette notion évangélisatrice est présente dans toute son œuvre comme
nous le verrons par la suite. Elle n’apparaît pas immédiatement dans les textes
qui approfondissent le dogme marial. L’objectif étant d’entrer dans les débats
théologiques autour de la question mariale, en vue de préciser le lien
nécessaire qui unit Marie et le Christ, beaucoup plus que le lien nécessaire
qui unit Marie et l’Eglise. Si Marie est envisagée dans son rapport à l’Eglise,
c’est dans le sens de la mission maternelle. Mais toute la dynamique de son
œuvre, en dehors des débats théologiques dogmatiques sur le mystère de Marie,
renvoie aussi les fidèles à la mission. Ce que nous approfondirons plus loin
dans notre étude.
A ce point de ce développement théologique, nous
posons une question précise qui suit logiquement son argumentation : quid
de l’universelle distribution de la grâce ?
Sans doute, la
Rédemption du Fils était plus que suffisante pour racheter tous les hommes ;
Marie ne pouvait lui communiquer aucune efficacité intrinsèque. Mais cette
union avec lui obtenait que cette Rédemption, souverainement efficace en droit,
devînt plus efficace en fait, par une application plus complète et plus
universelle[636].
En quoi, consiste cette efficacité ? Le thème
qui suit répond à cette question et complète naturellement celui de la
distribution des grâces.
Marie n’est pas l’auteur de la grâce qu’elle nous a
cependant méritée et qu’elle nous distribue. Mais en quel sens, nous fait-il
comprendre cette «distribution» d’une réalité qui n’est pas ordinairement
appréhensible et qui n’est pas d’ordre matériel comme des objets à
distribuer ?
Marie distribue la grâce «en ce sens que c’est par
son intervention que Dieu la confère.» Selon lui, Marie peut très bien se
montrer sourde aux personnes qui l’invoquent, en faveur de serviteurs de Dieu à
honorer. Sa mission de distribuer les grâces n’est pas une distraction à sa
mission de contemplation de la Béatitude éternelle en Dieu, mais appartient à
sa mission d’intercession au Ciel en vue d’appliquer chaque grâce spéciale et à
chaque être en particulier. Il s’agit de découvrir Marie au Ciel, comme dans un
double mouvement :
Marie
participe à la connaissance de Dieu et y voit, d’un côté, les hommes avec leurs
besoins et leurs prières, et de l’autre le désir de Dieu de leur venir en aide[637].
L’intercession de Marie est certes pleinement
conforme aux desseins de Dieu ; la précision qui suit reflète bien une
mentalité de l’époque : «Il est vrai que, sans l’intervention de Marie, la
justice de Dieu suivrait son cours, mais Dieu veut que la Vierge en appelle à
sa miséricorde[638].»
La distribution des grâces se fait, dans «la sainte
indifférence», à tous les êtres humains sans exception, bons ou méchants, comme
Dieu qui «fait lever son soleil sur les bons et les méchants et pleuvoir sur
les justes et les injustes.» (Mt 5, 45)
Emile Neubert prend soin de développer à partir de
la lettre aux Hébreux, la mission du Christ Avocat auprès du Père[639]. D’où cette
question:
L’association
constante de Marie aux divers mystères de Jésus sur terre semblait appeler la
Vierge également à l’union avec le Christ dans son rôle céleste : avec lui
et sous lui, ne serait-elle pas, elle aussi, notre avocate auprès du Père[640].
Il précise, plus loin, après avoir rappelé la
fidélité de Marie à son fiat depuis l’Annonciation jusqu’au
Calvaire : Ne serait-elle pas, elle aussi, à un degré inférieur,
l’universelle Avocate[641] ?
Il reprend les prières, les homélies des Pères et
des auteurs d’Orient et d’Occident ainsi que dans la tradition à partir du
concile d’Ephèse. Il retient la métaphore célèbre, dite «de l’aqueduc»,
de saint Bernard, qu’il considère comme le Docteur
de la médiation de Marie[642]. Puis il reprend
des affirmations des différents papes - de Benoît XIV à Pie XII - qui
confirment son argumentation.
Dans les précisions doctrinales de ce chapitre, il
rappelle que Dieu pourrait occulter la médiation de Marie, mais il choisit
d’avoir recours à sa contribution pour la distribution des grâces. Et ceci, non
pas au titre de sa sainteté unique, mais de sa coopération à la Rédemption[643]. La coopération de
Marie à la distribution des grâces est double quand il s’agit des
sacrements:
Elle
intervient pour que le sujet ait les dispositions requises à la réception de la
grâce sacramentelle, et pour qu’il se trouve un ministre qui puisse et veuille
lui conférer le sacrement[644].
Il ouvre des perspectives de développement du dogme
en faveur de la mission apostolique de Marie et de sa royauté universelle, car
il est dans la logique harmonieuse de la maternité de la Vierge. Elle postule
naturellement vers cette unique puissance d’intercession. Nous reprendrons ce
thème dans la suite de notre étude, tout en gardant à l’esprit cette
association de Marie qui ne fait pas ombrage au Christ :
Elle
ne se substitue pas au Christ, car lui seul reste médiateur nécessaire,
suffisant et parfait […] Tout au contraire, elle porte nos regards vers le
Christ de qui elle tient tout son pouvoir de corédemptrice et d’avocat[645].
L’association de Marie au Christ, qui est le Grand
Prêtre par excellence et Roi du Ciel et de la Terre, conduit tout naturellement
notre auteur à approfondir trois thèmes qui sont dans la logique de son développement
théologique et spirituel : l’aspect sacerdotal de la mission de Marie, la
mission apostolique de Marie et la Royauté de Marie. Il suit le même schéma que
nous lui connaissons maintenant : les témoignages scripturaires, le
témoignage de la Tradition jusqu’aux formulations des papes et les précisions
théologiques nécessaires à chacun de ces aspects entrevus. Mais l’association
au Christ nous oblige à développer un autre thème : celui de la maternité
spirituelle de Marie, car c’est avant tout comme Mère des hommes que se déploie
sa mission unie à celle de son Fils.
Il va de soi, pour lui, que «même les plus ignorants
des catholiques savent que Marie est notre Mère.» Or, comme la maternité
spirituelle de Marie est le fondement de notre piété filiale, il s’agit
d’écarter le sens métaphorique voire celui d’une maternité adoptive, pour
découvrir que Marie nous transmet la vie surnaturelle. Les appuis exégétiques,
outre celui de la Croix que nous reprendrons très vite, sont essentiellement de
nature mystique. Ces appuis reprenent la théologie paulinienne sur la vie
surnaturelle, comme vie du Christ en nous par laquelle nous devenons
«participants de la nature divine[646] » : Avec
cette reprise, toujours christocentrique, qui traverse tout son corpus et qui signe le but de notre
filiation mariale : «Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en
moi[647] […] Ma vie c’est le
Christ[648].»
Il s’appuie sur l’image du corps qu’une même vie
anime, le Christ étant la tête et les chrétiens les membres ; il reprend
la métaphore de la vigne et des sarments avec une ouverture qui campe d’emblée
le sujet de la maternité spirituelle de Marie :
Une même sève
circule dans le cep et dans les branches ; une même vie circule dans le
Christ et dans ses disciples. Or cette participation à cette vie infinie,
éternelle de Dieu, c’est Marie qui nous la communique[649].
C’est à partir du point de vue de la vie intérieure,
surnaturelle que se comprend la maternité spirituelle de Marie. Par fidélité à
l’habitude en église de recourir au texte johannique, il commence donc par
commenter la parole de Jésus en Croix adressée au disciple bien-aimé.
Reprenons avec lui la fameuse péricope en Jean 19,
25-27, et signalons d’emblée l’erreur de traduction que nous retrouverons plus
loin dans notre étude, dans la reprise de la péricope de Galates 4, 4, où le
texte grec ne parle pas « d’une femme » mais de « la
femme » :
Saint Jean 19, 25-27 :
«Debout, près
de la Croix de Jésus, se tenaient sa Mère, et la sœur de sa Mère, Marie femme
de Cléophas, et Marie de Magdala. Jésus donc, voyant sa Mère et tout près le
disciple bien-aimé, dit à sa Mère : «Femme, voilà ton fils !»
Ensuite, il dit au disciple : «Voilà ta Mère.» Et à partir de cette heure,
le disciple la prit chez lui.»
Dans l’ensemble de l’œuvre d’Emile Neubert, les
commentaires et les développements de la péricope en saint Jean : Femme
voilà votre Fils, ne foisonnent pas et n’ajoutent pas à ce qui se dit
habituellement dans les milieux catholiques.
Le sentiment
commun de l’Eglise se plaît à voir dans cette parole du Sauveur mourant un sens
plus profond et plus vaste, se rapportant non seulement à saint Jean, mais à
nous tous qui, en sa personne, étions proclamés enfants de Marie. Habituée à réfléchir
sur tout ce que faisait son divin Fils, la Vierge dut se rendre compte de
l’intention de Jésus confirmant et proclamant sa maternité spirituelle à notre
égard, et sentir son cœure remplir d’un amour encore plus intense pour tous
ceux que le sang de son Fils faisait naître à la vie surnaturelle[650].
Sa réflexion sur la maternité spirituelle de Marie
trouve son centre de gravité non pas dans la Passion mais dans l’Annonciation,
point de départ de la Maternité Divine et spirituelle de Marie
qui nous fait naître à la vie surnaturelle.
Les Pères de l’Eglise, dès le départ, développèrent
ce thème essentiel de la maternité divine de Marie sans aborder le thème de la
maternité spirituelle, plus tardif. C’est précisément à partir de cette réalité
de la maternité divine de Marie qu’il développera le thème de la
maternité spirituelle.
Dans son exégèse de Jn 19, 25-27, il ne tient
pas compte du fait que dans le texte grec, nous n’avons pas d’article possessif
pour parler de la Mère de Jésus, mais bien un article défini. Ce qu’a très bien
vu, par exemple Bernard Gillard :
Il est vrai
que le grec peut se passer de celui-ci, qui existe dans la phrase précédente,
et empêche de se tromper sur l’identité de «cette» femme. Mais il est encore
plus probable que l’Apôtre ait voulu nous rappeler que Marie est Notre Mère,
celle de l’humanité rentrée dans la communion avec Dieu, l’Eve nouvelle, Aide
du Nouvel Adam, au moment où sa Collaboration atteint sa plénitude […] Le mot
«femme» (gunaï) désigne effectivement la mère des vivants dans la Genèse […]
Cette association : «mère» et «femme» n’est pas fortuite, mais marque
l’intention formelle de l’apôtre d’identifier Marie à Eve. La traduction
œcuménique (TOB) d’ailleurs signale en note : «A partir du verset 25, le
possessif «sa» est absent, comme pour suggérer que Marie n’est plus
exclusivement la mère de Jésus[651].
Et puisque
saint Jean a écrit son Evangile tout à la fin du premier siècle, nous pouvons
être sûrs que les Apôtres entre eux, voire les chrétiens, avaient l’habitude de
nommer ainsi la Vierge Marie. Pour tous, pour l’Eglise, Elle était
unique : La Mère[652] !
De son côté, Emile Neubert expose sa conviction
selon laquelle il est certain que Notre Seigneur eut cette préoccupation. Il en
conclut à propos de Jean le disciple bien-aimé :
Sans doute,
était-il conscient qu’en lui confiant sa Mère, le Christ s’adressait en sa
personne, à toute la collectivité des disciples qu’il représentait. Du reste,
s’il est difficile de déterminer jusqu’à quel point le disciple entrevoyait le
sens mystérieux de cette parole du Maître, le Maître certainement voyait la
signification spirituelle que nous y attacherions. Il n’eût pas prononcé ce
mot, ou il n’eût pas permis que Jean le rapportât, s’il n’y avait pas mis
l’intention que l’Eglise, y compris les Papes, allait y découvrir. Cela suffit
pour que nous ayons le droit de nous déclarer héritiers de ce legs d’amour[653].
L’idée de la maternité spirituelle de Marie appliquée
«aux premiers fidèles» nous la devons, avec toute sa force, selon lui, à
l’évangéliste saint Luc. Le consentement de Marie à la parole de l’ange à
l’Annonciation aboutit au Calvaire :
Nous y voyons
Marie donnant, librement et consciemment, son consentement au mystère qui
aboutira à notre rédemption sur le Calvaire. A l’accomplissement de la
rédemption, Marie est également présente, selon la prophétie de Siméon,
rapportée par le même saint Luc[654].
Le fiat de
Marie à l’Annonciation est central, confirmé par la prophétie de Siméon qui
renvoie au mystère de la Rédemption qui nous obtient la vie de la grâce pour
laquelle Marie offre sa participation.
L’enseignement de saint Paul sur le Corps Mystique
du Christ l’inspire :
Puisque nous
sommes tous membres du Christ, conclut-il, nous devons participer aux
différentes phases de la vie du Christ : nous devons souffrir avec lui,
être crucifiés avec lui, être ensevelis avec lui, ressusciter avec lui, régner
avec lui, étant enfants et héritiers d’un même Père avec lui. Quoi de plus
naturel que de poursuivre son idée et de conclure que nous devons aussi, avec
lui, être conçus et naître de Marie, et avoir une même Mère avec lui ?
Conclusion
d’autant plus légitime, que d’après saint Paul, le Christ nous a mérité
l’adoption comme enfants de Dieu en naissant de Marie. «Quand vint la plénitude
des temps, écrit-il aux Galates, Dieu envoya son Fils né d’une femme […]
afin de conférer l’adoption de fils[655].»
La reprise de la péricope de l’épître aux Galates (Ga
4,4) donne force à son argumentation sur la maternité spirituelle de Marie
envisagée dans une vision d’ensemble de la révélation biblique. Cette même
péricope qui devait être reprise au début de l’encyclique Redemptoris Mater
offrait à Emile Neubert le même appui que pour le pape Jean-Paul II qui avait
en commun avec lui la vision du Corps Mystique, transmise notamment par le Traité de la Vraie Dévotion de saint
Louis-Marie Grignion de Montfort.
Sa démarche consiste à passer en revue les textes de
l’Ecriture sainte, des Pères et des auteurs jusqu’à nos jours qui établissent
l’argumentation de la maternité spirituelle de Marie.
Bien que la visée des Pères des premiers siècles
n’ait pas été, précisément, de développer ce thème, il nous rend sensible à l’idée
même de maternité spirituelle[656].
Il s’arrête, sur un texte d’Irénée[657] commenté par Hugo
Rahner[658], commentaire qu’il
critique, il refuse l’interprétation de ce dernier sur la seule compréhension
de l’Eglise, indépendamment de Marie. Puis, il mentionne Origène qui est
souvent cité comme ayant le premier vu dans les paroles du Christ mourant à
sa mère et au disciple bien-aimé, l’affirmation de la maternité spirituelle de
Marie à notre égard[659]. Cependant, il
n’abonde pas dans le sens d’Origène qui affirme que Marie contribua à donner la
vie surnaturelle… C’est en effet à Epiphane qu’il reconnaît la première
affirmation explicite et bien nette de la maternité spirituelle[660]. Nous pensons qu’il
n’a pas bien interprété le texte d’Origène.
Le texte de saint Augustin, qu’il cite ensuite,
aurait pu lui donner un développement précieux de toute une approche
théologique unissant Marie et l’Eglise dans l’esprit du Concile Vatican II.
Mais il n’en est rien. Ce qui l’intéresse, c’est véritablement cette « maternité
à part que nous reconnaissons à Marie, à cause de sa coopération aux mystères
de l’Incarnation et de la Rédemption[661]. »
D’autres auteurs ou sources d’ordre liturgique ou de
piété populaire sont revus par lui ; mais il reste sur sa faim :
Il faut avouer
cependant, que si le nom de mère donné à Marie est accepté tout naturellement
par les fidèles, il est assez rare durant cette époque. C’est la Vierge, la Theótokos,
la toute-puissante Médiatrice qu’on vénère et qu’on invoque, plutôt que la
Mère. On ne vit pas assez familièrement avec elle, pour entrevoir un peu de ce
que contient d’amour, de confiance, de puissance de vie ce mot «ma Mère»,
adressé à Marie[662].
Il repasse les auteurs de la période scolastique à
nos jours, pour en repérer les étapes des grands textes qui lui permettent
d’établir le lien entre la maternité spirituelle et les mystères de
l’Incarnation et de la Rédemption. Il s’arrête sur le témoignage de Rupert de
Deutz, mort vingt ans après saint Anselme[663]. Il retient ensuite
le témoignage d’Albert le Grand, grâce à qui il établit le lien étroit entre maternité
spirituelle et coopération à la Rédemption de Marie[664].
Puis, nous arrivons à l’époque de la fondation de la
Société de Marie avec Guillaume-Joseph Chaminade. Il lui reconnaît d’avoir
dépassé tous ses devanciers dans la clarté, l’ampleur et la force de
conviction[665].
Enfin, les affirmations des derniers papes offrent,
selon Emile Neubert, une sorte de sanction officielle. L’encyclique Ad
diem illum du 2 février 1904[666], souvent mentionnée
dans ses œuvres de vulgarisation, est en partie reproduite. Les autres papes
qui suivirent, sont aussi mentionnés, car ils admettent tous cette vérité de la
maternité de Marie à l’égard des hommes, ou des membres du Corps Mystique du
Christ. Cette dernière précision nous renvoie à une réflexion sur le sens de ce
Corps Mystique. Est-ce une réalité qui embrasse toute l’humanité ou seulement
les baptisés ?
La réponse est très complexe, car elle touche la
problématique du salut pour tous. S’agit-il de tous ceux qui devraient
croire en lui seulement, ou bien en plus de ceux-ci, comme le suggère Pie
XI, tous ceux dont la vie du Sauveur renfermait la vie ?
Selon lui, il s’agit bien de tous les hommes :
Marie avait
donné l’humanité au Fils de Dieu, précisément pour qu’il pût devenir le Chef du
genre humain[667].
Cette mission
de Marie comme Mère du Christ total constitue le principe fondamental de toute
mariologie[668].
En établissant le lien entre le Christ-tête et les
membres du Corps du Christ, nous comprenons que Marie est la Mère du corps tout
entier. Ce raisonnement nous rappelle notre vocation d’identification avec le
Christ. Une conclusion s’impose, dans cette logique, aux accents patristiques
Jésus a pris
de Marie sa vie naturelle, afin de pouvoir nous faire vivre de la vie
surnaturelle ; et Marie est devenue la Mère naturelle de Jésus pour
devenir notre Mère surnaturelle[669].
En reprenant la théologie de la grâce, par laquelle
nous sommes participants à la vie du Christ, Marie trouve tout naturellement sa
place comme celle qui nous a mérité et nous distribue toute grâce. Donc, elle
nous donne notre vie surnaturelle[670].
Dans cette perspective, trois moments sont à
distinguer qu’il nous faut rappeler :
- Le moment de l’Annonciation, à Nazareth, qui fait
commencer le mystère de l’Incarnation. Nous avons vu comment le fiat de
Marie était un acquiescement à sa maternité à notre égard ; moment
fondamental auquel tous les autres n’ajoutent rien mais qu’ils expliquent et
prolongent[671].
- Le moment du Calvaire complète, par le mystère de
la Rédemption, celui de l’Incarnation, dont il est un prolongement et un
achèvement : à Nazareth, Marie nous conçut ; au calvaire, elle
nous enfanta[672].
La corédemption de Marie et la maternité spirituelle
s’appellent mutuellement[673].
Cependant, sa position est très claire :
Le testament
du Christ en Croix ne créait pas cette maternité, mais elle la proclamait et la
confirmait à l’heure la plus solennelle de sa vie, à l’heure où cette maternité
était consommée par la consommation du mystère de la Rédemption[674].
- Le moment où Marie est entrée dans la Gloire du
Ciel, pour faire vivre chaque âme en lui obtenant la grâce, c’est le troisième
temps :
Cependant, sa
fonction maternelle ne devait pas prendre fin avec ce douloureux enfantement. A
propos de sa fonction de Médiatrice universelle, nous établirons que Marie
continue au ciel sa mission de Corédemptrice, en distribuant maintenant à
chaque âme, en particulier les grâces qu'elle a aidé à mériter à toutes en
général. Par la même fonction, elle continue au ciel d'être notre Mère, la Mère
de chacun de nous en particulier, après être devenue, a Nazareth et au
Calvaire, la Mère de tons en général. En effet, même après notre rachat par le
second Adam, nous ne naissons pas dans l’état où nous serions nés sans la
prévarication du premier Adam. Surnaturellement, nous sommes tous, à notre
naissance, des enfants mort-nés. Il faut encore que la vie méritée à tous par
la mort du Christ soit infusée à chacun de nous en particulier. Mais la grâce
sanctifiante, comme toutes les grâces, c’est Marie qui nous l’obtient […] Nul
ne renaît jamais à la vie divine sans que Marie lui ait, surnaturellement,
donné naissance[675].
Dans la logique de son développement spirituel et
théologique, il établit les harmonies entre la maternité spirituelle de
Marie et ses autres grandeurs[676].
C’est en nous faisant découvrir comment la mission
de Marie comme Mère du ‘plus grand Christ’ - par sa maternité divine et sa
maternité spirituelle - est le principe fondamental de toutes les autres
grandeurs, qu’il reprend toutes les composantes de la relation de Marie avec Dieu-Trinité
d’une part, et avec le prochain d’autre part :
En devenant
Mère du Fils, Marie devint aussi l’Associée du Père dans la génération de ce
Fils, et l’Epouse du Saint-Esprit. Or sa maternité spirituelle lui permet de
réaliser plus pleinement la portée de ces titres.
Elle est
l’associée du Père dans la génération de son Fils. Mais le Père a d’autres
enfants encore. Le Fils s’incarnera pour devenir «le premier-né parmi beaucoup
de frères» (Rm 8, 29). A la suite de Jésus, tous les rachetés disent
désormais : «Notre Père qui êtes aux cieux». Par une sublime harmonie, la
maternité spirituelle de Marie fait de la Vierge également l’Associée du Père
dans la génération de tous ses enfants. N’est-ce pas précisément au moment où
le Fils est né de Marie que ces autres enfants sont nés au Père céleste, au
moins en droit ? Et n'est-ce pas au moment où chaque âme particulière reçoit,
en fait, par Marie, la grâce sanctifiante, la grâce de l'adoption divine,
qu'elle devient, par là même, l'enfant du Père céleste et l'enfant de
Marie ?
Marie est
1'Epouse du Saint-Esprit. C'est 1'Esprit Saint qui nous fait enfants de Dieu
[…] Aussi, à tout enfant de Dieu peut-on appliquer les mots du symbole «Qui a
été conçu du Saint-Esprit, est né de la Vierge Marie[677].»
Il serait possible de s’appuyer sur cette réflexion
théologique pour donner plus d’entendement lors du baptême des enfants au rite
facultatif final qui consiste à «consacrer» l’enfant à la Vierge Marie, comme
cela se faisait au siècle dernier. Le nouveau rituel qui prévoit la prière du
Notre Père n’a pas intégré la tradition d’une mention de Marie à la fin du
baptême. Alors que sont mises en évidence, dans la liturgie, les trois
Personnes divines dans le mystère de Dieu Trinité, Marie comme Mère spirituelle
du nouveau baptisé n’est pas évoquée.
Quant à la relation avec notre prochain, vue sous
l’angle du commandement de l’amour, il commente le rôle de la maternité
spirituelle de Marie de la manière suivante :
Rendus à la
vie surnaturelle par Jésus désormais, nous devons nous conduire à l'égard du
Père céleste comme de vrais enfants à l'égard du plus parfait des pères. Nous
devons traiter avec le Fils de Dieu comme des frères avec le Frère aîné
infiniment aimant qui, au prix de son sang, nous a réconciliés avec le Père. Nous
devons nous aimer les uns les autres comme enfants de ce Père et frères de ce
Fils, grâce aux liens de charité que 1'Esprit établit entre nous. Ce qui nous
permet de vivre ainsi en famille avec Dieu et avec le prochain, c'est sans
doute la grâce ; mais cette grâce, la maternité spirituelle de Marie
1'aide d’une façon merveilleuse en 1'adaptant parfaitement à notre nature. La
famille n'est pas constituée seulement par le père et les enfants ; elle
n'est complète que par la présence de la Mère. Aussi, surnaturellement, nous ne
nous sentons pleinement en famille, nous ne comprenons bien que le Père du
Verbe est notre Père, que Jésus est notre Frère aîné, que les hommes sont nos
frères et nos sœurs, qu'en apercevant, à côté du Père, notre Mère céleste, et,
à côté du Fils, celle dont nous sommes tons nés avec Lui[678].
Dans cette logique, nous sommes arrivés à la
question plus précise de la fonction médiatrice de Marie :
La maternité
spirituelle de Marie est le fondement de notre piété filiale envers elle ;
si cette maternité est mal comprise, cette piété ne peut elle-même être
qu’étroite et imparfaite[679].
Nous distinguons les différents sens qui éclairent
sa maternité spirituelle et écartons les sens métaphoriques ou la notion de
maternité adoptive découlant du testament du Christ sur la Croix. Il nous fait
découvrir comment la maternité de Marie est plus qu’une adoption humaine, car la
maternité spirituelle de Marie est liée à toute la mission, à toute la
raison d’être de la Vierge[680].
Par cette
maternité (spirituelle), nous entendons que Marie nous a donné la vie
surnaturelle tout aussi vraiment que nos mères nous ont donné la vie
naturelle ; et que comme nos mères le font pour notre vie naturelle, elle
nourrit, protège, accroît et épanouit notre vie surnaturelle afin de l’amener à
sa perfection […] Cette vie surnaturelle n’est autre chose que la vie même de
Dieu, la vie du Christ en nous. Par elle, dit Saint Pierre, nous devenons
«participants de la nature divine» […] Or cette participation à la vie infinie,
éternelle de Dieu, c’est Marie qui nous la communique[681].
Dans la logique de cet enseignement qu’il vulgarise
dans tous ses ouvrages, se pose la question : quid de la réponse de
l’homme à sa mère, et de sa participation à la grâce reçue de Dieu à travers
Marie ? Question capitale pour laquelle, il ébauche une recherche
patristique qui sera relayée par un ouvrage de vulgarisation au titre
évocateur, La dévotion à Marie.
A une époque où nous n’avons pas de traces
liturgiques d’honneurs rendus à Marie, l’auteur se fait l’écho des Pères et
auteurs qui mentionnent la vénération de la Grotte de Bethléem[682]. Il nous fait
prendre conscience de la place unique de Marie, à côté de celle de son Fils,
alors que les saints vénérés l’étaient précisément par leur martyre, ce qui
n’était pas le cas de la Mère de Jésus :
Marie au
contraire, n’avait de sens qu’auprès de Jésus […] C’est toujours à cause de
Jésus et à côté de Jésus qu’elle est mentionnée : ses mystères, ce sont
les mystères de Jésus, et sa gloire, c’est le rejaillissement de la gloire de
Jésus. On honorait la Mère en même temps que le Fils[683],
il n’y avait donc pas lieu de consacrer une liturgie spéciale, du moins aussi
longtemps que prédominait l’ancienne conception liturgique[684].
Il cite les traces d’une vénération de la Mère de
Dieu : après les deux premiers chapitres de Luc, sont mentionnés le livre
de Jacques, l’Ascension d’Isaïe, les Oracles sibyllins, le Protévangile. Puis,
les traces artistiques sont évoquées dans les catacombes et les fouilles
archéologiques qui commencent au début du Vingtième siècle ; elles se
multiplient, au-delà de Rome même[685]. Enfin, il nous
rappelle l’importance de certaines homélies dont le but fut de commenter
l’Evangile de Luc : c’est également le cas des homélies d’Origène, ou de
commenter la naissance du Christ. C’est le cas de Grégoire le Thaumaturge[686] .
Le meilleur témoignage de la vénération des fidèles
lors des premiers siècles demeure les préoccupations qui furent les leurs sur
les diverses thématiques déjà explorées dans ce chapitre : perpétuelle
virginité de Marie, sa sainteté imminente et sa place auprès du Christ
Rédempteur.
Sans pouvoir affirmer que Marie fut réellement
invoquée à l’époque anténicéenne, il relate le récit donné par Grégoire de
Nysse d’une apparition de la Mère de Dieu avec l’évangéliste saint Jean à
Grégoire le Thaumaturge. Il mentionne un passage des Oracles Sibyllins qui doit
dater de la moitié du IIIe siècle où il est dit que Dieu a accordé à
tous les hommes, par la main de la Vierge pure, sept jours d’éternité pour se
repentir[687].
Dans sa bibliographie l’ouvrage La dévotion à
Marie publié en 1942 reprend, d’une manière plus systématique, tout cet
aspect du culte rendu à Marie qu’il présenta dès ses premiers ouvrages et qu’il
reprit dans tout son corpus, à la faveur des différentes approches du
Mystère de Marie. Le culte marial, selon lui, doit s’appuyer sur une saine
doctrine en vue de l’apostolat. Le climat du corpus «neubertien» est
résolument un climat de piété mariale appuyée sur une doctrine solide en vue de
la mission.
Depuis
quelques années, de divers côtés, on a senti le besoin de mieux connaître la
Mère de Jésus, parce qu’on a commencé à comprendre, au moins à pressentir, que
la vraie dévotion à Marie est autre chose qu’une affaire de sentiment ou de
piété personnelle, et qu’elle a un rôle à jouer même dans l’apostolat[688].
La piété
mariale, comprise comme une réponse à la grâce en vue d’atteindre la
perfection, s’appuie sur l’humilité et la confiance. Elle est un levier pour
grandir dans la sainteté.
Devenir un saint est l’objectif qu’il nous rappelle
sans cesse dans tout son corpus. C’est le sommet à atteindre bien
présent dans l’objectif de son enseignement. Comme le fit le Père Marie-Eugène
de l’Enfant-Jésus, il nous montre les cimes à atteindre. Il s’arrête davantage
que ce dernier sur le moyen pour y parvenir, par la voie de la purification
connue des débutants et la voie de la mission. Il choisit résolument de ne pas
orienter le lecteur vers une recherche de sainteté personnelle dans une
dévotion privée, au profit de l’évangélisation. Il le rend sensible à
l’exigence d’abandon entre les mains de Dieu qui lui seul fait les saints, et
l’incite à se se laisser guider par l’Esprit Saint. C’est dans cette démarche
que se situe sa relation avec Marie comprise comme une dévotion au sens profond
du terme.
L’effort
personnel est la première condition, du côté de l’homme, pour arriver à la
perfection, mais elle n’est pas la seule, et si la dévotion à Marie n’était que
provocatrice d’efforts, elle ne suffirait pas pour conduire une âme à la
sainteté. L’effort personnel peut faire de nous des hommes vertueux selon le monde,
des hommes parfaits selon l’idéal stoïcien ou l’idéal de la morale
laïque : si héroïque qu’il soit, il ne fera jamais de nous un saint.
Pour devenir
un saint, une seconde condition est indispensable : c’est qu’on s’appuie
non sur ses efforts personnels, mais sur Dieu. Pour s’appuyer sur Dieu, ce
n’est pas assez de reconnaître théoriquement qu’il existe et que toute grâce
vient de lui. […] Or la dévotion à Marie est très propre à fortifier à la fois
notre humilité et notre confiance […] Un savant qui suit dans son missel son
office liturgique peut être un chrétien très humble ; il peut aussi n’être
qu’un dilettante plein de lui-même : un savant qui égrène son chapelet
devant une statue de la Vierge est sûrement une âme très humble[689].
La piété mariale dans laquelle il nous entraîne est
fondamentalement christocentrique en vue de la charité qui est la plus grande
des vertus.
Dans le
christianisme, il y a un médiateur entre Dieu et nous, Jésus-Christ. Il est
naturel que, dans la proportion de notre union avec le Christ, s’accroisse
aussi notre union avec la Divinité et par suite notre perfection. Or la
dévotion nous aide grandement à comprendre et à aimer Jésus-Christ.
D’abord, au
moins par l’attitude d’amour qu’elle développe dans l’âme et qui la rend plus capable
de comprendre celui qui, par amour pour nous, s’est fait homme […] Et voilà que
notre désir de la mieux connaître, pour la mieux aimer et admirer, nous amène à
mieux connaître, aimer et admirer Jésus[690].
La dévotion à Marie s’appuie sur sa maternité spirituelle,
elle réclame notre réponse filiale exprimée en termes de piété : en
examinant de plus près le rôle de Marie à notre égard, on s’aperçoit que cette
dévotion spéciale doit porter un caractère à part puisqu’elle doit prendre la
forme d’une vraie piété filiale. En effet, Marie est notre vraie Mère
surnaturelle, «plus mère que toute autre mère», nous devons adopter à son
endroit les dispositions d’un enfant.
Mais, Jésus
est plus qu’un simple modèle. Par la grâce, nous sommes incorporés au
Christ ; ce n’est plus nous qui vivons, c’est le Christ qui vit en nous.
Lorsque nous sommes purs, humbles, doux, patients, c’est Jésus qui est pur,
humble, doux, patient en nous. […] Ainsi, notre piété filiale envers Marie est
une participation à la piété filiale de Jésus même envers elle. C’est lui qui,
par nous veut de plus en plus aimer, honorer et servir sa Mère[691].
Ces quelques lignes, destinées à un grand public,
sont l’un des fondements exprimés en permanence, dans toute l’œuvre d’Emile
Neubert. Il nous explique sa démarche théologique, avec toute l’importance de
cette dévotion et les pratiques qui s’y rattachent. Tous ces éléments
apparaissent constamment dans son œuvre selon le public auquel il s’adresse ou
selon la thématique spécifique de l’ouvrage qu’il traite.
Les têtes de chapitres dans l’ouvrage de
vulgarisation Notre Mère : Pour
mieux la connaître, édité en 1941, sont les suivantes : L’amour filial de Jésus pour Marie - L’obéissance à Marie - La vénération de Marie - L’imitation de Marie - L’union à Marie - Le service de Marie - La
consécration à Marie.
Tous ces thèmes nous renvoient à l’exemple de Jésus.
Ils conduisent tous à cette consécration à Marie qui constitue depuis de longs
siècles, une des manifestations les plus chères à la piété chrétienne[692] …
D’abord il
s’agit d’une consécration toute filiale. C’est en réponse à l’amour
maternel de Marie, qu’on se donne à elle pour vivre pleinement sa qualité
d’enfant de Marie. Et ce désir d’être tout à elle prend une intensité plus
grande à mesure qu’on «réalise» son union avec Jésus, premier enfant de Marie,
dont on reproduit la piété filiale envers sa mère[693].
Dans la continuité du bienheureux Guillaume-Joseph
Chaminade, Emile Neubert, comme religieux de la Société de Marie, n’a de
cesse d’insister sur les deux pôles de la spiritualité du fondateur qui sont la
piété filiale de Jésus continuée dans l’enfant de Marie (chaque baptisé) et
la participation à la mission de Marie sur laquelle se
développent trois aspects : sacerdotal, royal et apostolique.
Il faut attendre l’édition de 1948 de son ouvrage Marie
dans le dogme pour qu’apparaissent les thématiques liées à la mission de
Marie. Nous les reprenons à sur la base de l’édition de 1954.
Dans l’esprit de la Lettre aux Hébreux que nous
avons déjà évoquée avec lui, la question est posée de l’aspect sacerdotal de la
vocation de Marie[694].
Il mentionne les travaux de l’abbé Laurentin qui
publia sa thèse Marie, l’Eglise et le Sacerdoce, reprenant toute
l’histoire de l’idée de «Marie-Prêtre» ; il avait étudié la dévotion au
sacrifice, dans les ordres religieux qui développèrent la mystique de la
victime, soldée par une intervention de la Congrégation du Saint Office
condamnant une image de la Vierge-Prêtre.
Dans un second volume, il développa l’analogie du
sacerdoce; sacerdoce qui est enraciné dans le Christ. Le sacerdoce ministériel
appartient à l’Eglise hiérarchique : Marie et les fidèles participent au
sacerdoce du Christ dans un sens général et commun[695]. De cette dernière
approche si appréciée en son temps[696] nulle trace dans
les écrits d’Emile Neubert qui évoque la question du sacerdoce de Marie dans la
mouvance de la participation de la Mère à la médiation unique de son Fils.
Le Christ est notre grand Médiateur. Nous avons vu
que Marie participe, d’une façon subordonnée, à la médiation du Christ. Ne
participerait-elle pas à son sacerdoce ? En quoi consisterait la qualité
sacerdotale de sa mission ?
Une certaine analogie entre Marie et le sacerdoce
rend possible chez lui la comparaison suivante quand il commente l’épisode de
la Visitation de Marie à sa cousine Elisabeth :
Le prêtre est,
en raison de sa nature, un médiateur. Tout médiateur est serviteur. Tout
serviteur est inférieur à son maître, et doit adopter à son égard une attitude
d’humilité. Le prêtre est médiateur entre Dieu et les hommes, donc serviteur et
de Dieu et des hommes[697].
D’un certain point de vue, comme Marie se trouve, en
position de médiatrice, une médiation comprise dans le sens d’être « la visible associée de son Fils dans
l’œuvre Rédemptrice, » sa joie, lors de la Visitation, peut être
comparée à celle du prêtre exerçant son sacerdoce ministériel :
Joie ineffable
que celle du jeune prêtre dévoré de zèle, au moment où, pour la première fois,
il peut donner Dieu à une âme pécheresse ou donner à Dieu une âme toute
généreuse[698].
Il ne fait pas d’allusion aux difficultés apparues
autour du thème du sacerdoce de Marie. A la suite d’une relecture de
l’évolution de cette thématique peu saillante avant le XVIe siècle
et, plus développée avec l’Ecole Française et l’idée de Vierge-Prêtre,
mettant en valeur l’union de Marie au sacrifice de son Fils, en tenant compte
des mises en garde du Saint-Office, il précise que la mission de Marie est sacerdotale
à deux titres : comme Mère du Christ-Prêtre et comme associée du
Christ-Prêtre dans son sacrifice.
« Marie fournit - si l’on veut
s’exprimer en termes scholastiques - la
cause matérielle du sacerdoce du Christ » puisqu’il tient son humanité
de Marie, humanité par laquelle il exerce sa médiation entre Dieu et les
hommes.
La Vierge a
donc contribué à faire du Fils de Dieu notre Prêtre. Sa vocation sacerdotale,
il l’a reçue du Père. Son onction sacerdotale, c’est la grâce de l’union
hypostatique, don du Père, ou plus exactement de la Trinité Sainte […] Elle
sait que de sa réponse dépend le sacerdoce du Fils de Dieu.
Marie est la
cause pleinement consciente, libre et responsable du sacerdoce du Christ[699].
En parlant du sacerdoce, il entend bien différencier :
celui du prêtre dit ministériel, de celui du Christ et de celui de tous les
fidèles, bien que ce dernier aspect ne soit pas tant développé en faveur de la
mission unique de Marie, envisagée sous l’angle du sacerdoce, nous dirions
aujourd’hui «baptismal.»
Par sacrifice,
on entend toute oblation faite à Dieu pour reconnaître son souverain domaine.
En ce sens, tous les hommes doivent offrir des sacrifices à Dieu […] La Vierge
est prise parmi les hommes, - prédestinée de toute éternité à être l’associée du
Christ dans l’œuvre de notre rachat-, consacrée pour cette œuvre par la grâce
de sa maternité par rapport au Christ total-, médiatrice de grâce à côté du
Médiateur de justice, contribuant, avec lui et en dépendance de lui, à apaiser
Dieu et obtenir toutes les grâces aux hommes- et cela par sa présence au pied
de la Croix (élément matériel) - et par l’abdication de ses droits matériels et
l’union de sa volonté et de ses souffrances avec la volonté et les souffrances
de son Fils (élément spirituel) – en vue de l’immolation de Jésus […] Sa
coopération a donc été éminemment sacerdotale […] Et de même que le Christ est
prêtre à tout jamais par son union hypostatique qui est éternelle, de même
Marie est à tout jamais associée au Christ-Prêtre par sa maternité divine,
qu’elle possédera à tout jamais[700].
La métaphore de cette expression théologique est
celle d’un Dieu «irrité contre les hommes», et que le Christ[701] «apaise» par son
sacrifice, aidé de sa Mère au pied de la Croix. La difficulté d’accepter cette
métaphore aujourd’hui lui échappe. Il voit par contre une autre difficulté,
celle plus psychologique, qui rend compte du choix de l’homme pour le sacerdoce
et du rôle de chef. Il résout la question par le rappel de figures
exceptionnelles telles Déborah dans la Bible ou Jeanne d’Arc dans l’histoire de
France. Toutes deux, comme Marie, exercent les deux éléments essentiels de la
fonction sacerdotale, à savoir la médiation entre Dieu et les hommes et
«l’immolation d’une victime.» La question féminine sous-jacente à cet argument,
dans cette approche, est reprise en une conclusion qu’il ne développe pas mais
qui mérite d’être mentionnée :
La fonction
sacerdotale de Marie est donc marquée d’une nuance féminine et maternelle,
comme d’ailleurs toutes ses autres fonctions[702].
Pour la fonction sacerdotale comme pour les autres
fonctions de Marie, la même objection latente revient, qui consiste à ne pas
mettre sur le même pied d’égalité la Mère et le Fils. En un leitmotiv, il
rappelle le fameux mot de Saint Louis-Marie Grignion de Montfort : Marie
est «toute relative à Jésus ; elle l’est dans sa fonction sacerdotale
comme dans sa fonction rédemptrice ; elle dépend entièrement du Christ et
en reçoit toute son efficience.»
Marie n’est
pas prêtre, mais elle est tout entière sacerdotale, comme elle n’est pas
rédemptrice, mais elle est tout entière corédemptrice, comme dans un autre
ordre, elle n’est pas Dieu, mais elle est pleinement participante de la vie
divine[703].
De par la
volonté de Dieu, la coopération de Marie a été nécessaire au sacrifice du
Calvaire et a produit l’effet rédempteur en union avec l’action de Jésus,
quoique à un titre subordonné[704].
Selon le mot de l’Apôtre Pierre «des sacrifices
spirituels agréables à Dieu par Jésus-Christ», il fait le rapprochement qui
nous convient aujourd’hui avec l’esprit du Concile Vatican II, par l’expression
«sacerdoce royal». En se rattachant à la doctrine du Corps Mystique, notre
auteur reconnaît bien volontiers que «c’est ce sacerdoce royal qu’il faudrait
attribuer à Marie, sans doute en tout premier lieu parmi les fidèles[705].» Heureuse
formulation dans la ligne de Vatican II qui présente Marie comme modèle de
l’Eglise. Mais, ne nous y trompons point, cet argument que nous adoptons
parfaitement, ne lui convient pas totalement car :
On a voulu mettre
Marie dans une des catégories ordinaires, et on a oublié qu’elle est absolument
unique dans ses fonctions comme dans ses grâces : celles-ci ne sont
identiques ni à celles du Christ, mais seulement analogues ; ni à celles
des hommes, mais d’un ordre transcendant, à part[706].
L’aspect
sacerdotal du rôle de Marie consiste donc à être la mater et socia Christi
sacerdotis[707].
En ce sens, Emile Neubert affirme la supériorité du
rôle sacerdotal de Marie[708] sur celui du prêtre
ministériel, il conclut par cette réflexion à la suite de saint Albert :
Tous les
membres de l’Eglise, affirme-t-il, sont en vue d’un ministère. Or la
bienheureuse Marie n’a pas été choisie par Dieu en vue d’un ministère, mais en
vue d’une association et d’une aide - in consortium et adjutorium, -
selon le mot de l’Ecriture : «faisons-lui une aide semblable à lui.» La
Bienheureuse Vierge n’est pas remplaçable, elle est aide et associée : «beata
Virgo non est vicaria sed coadjutrix et socia»[709].
La Mater et la socia Christi sacerdotis renvoient
à deux réalités différentes d’ordre anthropologique pour lesquelles, il serait
utile de nous attarder un instant : il est vrai que dans sa fonction
maternelle et d’associée, Marie a vécu une réalité qui ne pourra jamais se
reproduire, car c’est une fois pour toutes que le Verbe de Dieu s’est incarné.
Mais l’Eglise-Epouse du Christ, dans sa mission maternelle se présente bien
comme l’«associée du Christ-Prêtre». Sa mission se déploie grâce au sacerdoce
ministériel avec les sacrements et grâce au sacerdoce baptismal de tous les
fidèles. Tel n’est pas le propos d’Emile Neubert qui approfondit la filiation
de Jésus envers Marie, entraînant celle de tous les hommes envers la Mère de
Dieu. Cette relation filiale porte en elle toute une richesse d’ordre
psycho-affectif, contribuant à l’équilibre d’une humanité bien en place sur
laquelle la grâce se développe. C’est ainsi que, pour les prêtres, il n’hésite
pas à dire :
L’influence
féminine est nécessaire pour la formation complète, non seulement de l’enfant,
mais aussi de l’homme… Au prêtre sans dévotion spéciale à Marie, il manque
quelque chose, même au point de vue naturel : il est moins complet, moins
homme que celui sur qui s’exerce la double influence de la Vierge Marie. Déjà,
les premiers chrétiens aimaient à voir dans l’Eglise une Vierge-Mère. C’est par leur union à
Marie Vierge-Mère par excellence, que les représentants de l’Eglise lui
assureront toujours, aux yeux des fidèles, et même du monde en général, cette
qualité de Vierge et de Mère[710].
Ce très beau lien qu’il établit entre la vocation de
l’Eglise et de Marie qui concerne toute vocation sacerdotale, il nous renvoie à
l’amour du prêtre pour Marie, tout en nous rappelant la vocation maternelle de
l’Eglise[711].
En rédigeant ses ouvrages, il s’inscrit dans la ligne
de toute une tradition : liturgique et de piété populaire, dont il se fait
l’héritier. Nous sommes appelés à l’intégrer au temps présent de l’histoire à
l’Eglise et du monde.
Emile Neubert a bien noté que Clément d’Alexandrie
met en relief la mission de Marie, elle apparaît en filigrane dans celle de
l’Eglise qu’il compare à l’Eglise-Mère. Nous retrouvons des arguments
développés sur les fondamentaux de l’ecclésiologie conciliaire de Vatican II.
La mission de Marie, comprise comme une anticipation ou une préfiguration,
voire un modèle pour la mission de l’Eglise, trouve à cette période, son
enracinement patristique :
Ô merveille
mystérieuse ! Un est le Père de toutes choses ; un est le Verbe de
toutes choses ; l’Esprit Saint est un, tout en étant partout, et une seule
devient Mère-Vierge. J’aime à l’appeler Eglise[712].
Il nous revient de bien situer ce développement
spirituel, qui n’a pas été approfondi spécialement par lui dans son corpus.
Son angle d’approche a toujours été La maternité spirituelle de Marie, comme
trame de tout son message théologique et spirituel. Emile Neubert reste sur une
voie résolument christotypique ; il savait, sans vouloir l’emprunter,
qu’une autre voie ecclésiotypique, aurait de l’avenir en théologie en
contemplant le mystère de Marie.
Emile Neubert aborde le thème de la royauté de
Marie qui suit dans Marie dans le dogme (édition de 1954), l’aspect
sacerdotal de la mission de Marie, et le thème de la mission apostolique de Marie. La liturgie et
la piété populaire lui offrent l’introduction à la thématique de la royauté
de Marie :
«Salut Reine,
Mère de Miséricorde !» - Reine des anges, […] priez pour nous !»
Mais que
faut-il entendre par ce titre ?
Une Reine mère
ou épouse participe à l’honneur du roi ; mais elle ne participe pas au
gouvernement du royaume, encore qu’elle puisse, par son intervention, obtenir
des faveurs à certains sujets. Mais obtenir des faveurs n’est pas régner […]
Marie est Reine à côté de Jésus-Roi[713].
Il reconnaît à Marie une royauté propre avec les
pouvoirs qui lui sont attribués, Pour y parvenir il précise quelle est la
royauté du Christ. Il part d’une distinction sur le triple pouvoir du
roi : législatif, exécutif et judiciaire. Il se réfère aux différents
profils de royauté féminine dans l’Ancien Testament (Bethsabée, Esther) et
l’évocation du verset 10 du Psaume 40 : «La Reine se tient à ta droite.»
Dans les Evangiles, deux textes sont retenus par notre auteur : Celui de
l’Annonciation qui parle du Règne de Jésus (Lc 1, 31-33), et celui de la
Passion car Piloate aborde le thème de la Royauté dans son dialogue avec Jésus.
(Jn 18, 37)
La peinture et la statuaire, durant la période
patristique, retiennent son attention. Dès le IIe siècle elles
expriment cette réalité dans l’Afrique chrétienne, sur les mosaïques et les
fresques vouées au culte. On les
retrouve aussi dans dans les églises et les cathédrales.
Enfin, les titres de Dame (Domina), Reine,
souveraine, donnés à Marie dès le IVe siècle, prévalent sur celui de
Mère qui n’apparaît pas, dans la thématique patristique.
Dans toute la période scolastique, on va peu à peu
approfondir les fondements et l’exercice de cette royauté de Marie. Saint
Albert le Grand ajoute au thème de la maternité de Marie sur le Christ-Roi
celui de sa mission en tant qu’associée du Christ dans le mystère de la
Rédemption. Si bien qu’à sa suite, «les théologiens s’attacheront à mentionner
l’une ou l’autre des réalités» ou les deux à la fois. Par exemple : saint
Louis-Marie Grignion de Montfort parle sans cesse de Marie comme Reine et Mère.
Et, plus proche de nous, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus fait prévaloir sa
maternité sur sa royauté : Marie est plus mère que Reine.
Au début du XXe siècle, des théologiens,
à l’occasion de congrès mariaux, demandent une reconnaissance officielle de
cette royauté par le Souverain Pontife avec l’institution d’une fête pour la
célébrer.
Les papes Léon XIII, Pie X, et surtout Pie XII
mentionnent cette royauté de Marie.
L’apport ultime lui est donné par ce dernier pape à
l’occasion d’un message radiophonique du 13 mai 1946, à propos du couronnement
de la Vierge de Fatima. En effet ce pape
lui est contemporain quand il écrit son livre en 1946. Réédité en 1954, son
ouvrage, Marie dans le dogme, n’a pas bénéficié, à quelques années près,
de l’information qui lui aurait été précieuse par l’encyclique Ad caeli
Reginam de Pie XII en cette même année. Cette encyclique fut rappelée par
Jean-Paul II, lors d’une catéchèse donnée le 23 juillet 1997, sur Marie, Reine
de l’Univers[714].
Les précisions doctrinales développées par Emile
Neubert mettent en relief le lien naturel qui unit le Fils à la Mère, avec ce
leitmotiv qui parcourt toujours ses écrits :
Jésus a voulu
partager avec sa Mère toutes ses fonctions et se prérogatives dans la mesure et
de la manière dont, pure créature, femme et mère, elle était capable d’y
participer[715].
Marie est Reine de droit divin ; ce que précise
Emile Neubert, à la suite de Pie XII : ce titre est une grâce et un choix.
Cet aspect ne suffit pas dans l’argumentation de
notre auteur.
Marie est associée au Christ dans sa Passion, à
travers laquelle il a exercé par «conquête» sa royauté. Marie nous a donc
conquis et la nature de son union avec le Christ conquérant indiquera aussi
la nature de son union avec le Christ Roi[716].
Un troisième fondement de La royauté de Marie est
suggéré à partir de sa maternité spirituelle :
Toute mère est
reine dans le petit royaume que constitue sa famille ; elle y possède avec
le père et en subordination au père, le pouvoir de commander, de faire
exécuter, de juger et de punir.
C’est sur ce triple fondement qu’Emile Neubert
affirme, en s’appuyant sur le message de Pie XII, cette royauté de Marie avec
son Fils et en subordination à son Fils.
L’exercice de la royauté de Marie sur ce triple
fondement laisse à notre Reine, - dont la volonté est toujours en accord
parfait avec celle du Roi -, des initiatives maternelles par une intercession
nécessaire de par la volonté de Dieu : elle appartient à sa mission de
Mère et de Reine :
Elle agit par
des interventions directes, soit publiques, soit particulières […] Son
gouvernement ne fait qu’un avec celui de son Fils, mais elle le met, pour ainsi
dire, davantage à notre portée […] Marie ne porte pas de nouvelles lois, mais
elle renforce, si l’on peut ainsi parler, l’autorité de son Fils par la sienne,
en disant à tous comme jadis aux serviteurs de Cana : «faites tout ce
qu’il vous dira.» […] Suavement et fortement, elle amène les âmes à se
soumettre à toutes les prescriptions de son Fils, surtout aux plus contraires à
la nature, comme celles de la pureté et du pardon des injures […] Elle
intervient comme elle l’a révélé plusieurs fois, pour «arrêter le bras de son
Fils prêt à frapper», ou pour adoucir la rigueur d’un châtiment[717].
De telles expressions sont peu employées de nos
jours. Elles nous renvoient aux souvenirs du contexte d’avant-guerre. Elles
nous font mieux comprendre les termes de royauté de conquête,
utilisés par la théologie de l’époque, et bien sûr par Emile Neubert ; une
terminologie que nous retrouvons dans des mouvements mariaux de la même
période, par exemple avec Frank Duff (1889-1980)[718] en Irlande qui fonda
la Légion de Marie ou saint
Maximilien Kolbe (1884-1941) en Pologne qui fonda la Milice de l’Immaculée.
Or la royauté
du Christ est loin d’être reconnue partout […] Sa royauté sur terre est sans
doute une royauté d’amour, mais aussi une royauté militante et conquérante. Il
faut que Marie règne pour qu’arrive le règne du Christ, pour que se réalise
pleinement la prière que le Maître nous a appris à répéter chaque jour : adveniat
regnum tuum ! Hâter l’avènement du règne de Marie, c’est hâter
l’avènement du règne du Christ[719].
Après ces considérations, se référant à Pie XII, il
décrit l’étendue du domaine de la royauté de Marie, domaine aussi vaste que
celui du Christ, sachant qu’au ciel, Marie ajoute à la joie des anges et des
bienheureux.
Le ciel serait
moins beau sans Marie. Sur terre il manque quelque chose à la religion des
chrétiens qui ignorent ou oublient la Vierge, un élément de simplicité,
d’abandon, de joie qui épanouit l’âme. Puisque la vie du ciel prolonge et
parachève la vie de la terre, ne peut-on pas dire qu’au ciel comme sur la
terre, la présence de Marie ajoute une nuance de suavité spéciale à notre
essentielle béatitude[720] ?
La notion de nuance est plus forte quand il conclut
ce chapitre sur la Royauté de Marie,
chapitre qui précéde la seconde partie de son ouvrage, toute consacrée aux privilèges de Marie, par la reprise
transposée de l’hymne aux Philipiens. (2, 9-11) :
Ainsi, comme
son Fils, Marie a été exaltée et a reçu un nom supérieur à tout nom après celui
de Jésus, pour qu’au nom de Marie toute tête s’incline, sur terre et dans les
enfers[721].
Cette transposition n’est pas gratuite. Elle
s’inscrit dans une prise de conscience du rôle de Marie dans l’histoire du
salut, ce que notre auteur exprime avec beaucoup de précisions par le
thème : La mission apostolique de Marie. Elle nécessite une reprise
pour bien garder cet équilibre nécessaire alliant la similitude et la
différence de la Mère et du Fils sauvegardant la totale relativité de Marie
envers Jésus.
C’est pourquoi, nous présenterons ce thème après
celui de la royauté de Marie, à cause de son originalité dans le corpus
«neubertien».
Emile Neubert présente avec originalité notre
relation filiale avec Marie que nous ne pouvons enfermer dasn une dimension
seulement intimiste :
Notre dévotion
personnelle doit être non seulement une dévotion de piété personnelle, mais
aussi- et c’est sa principale originalité- une dévotion apostolique, qui nous
fait participer à la guerre engagée par Marie contre Satan et à la grande
victoire de la Vierge immaculée sur l’Antique Serpent[722].
Dans son ouvrage La mission apostolique de Marie
et la nôtre, il nous livre son message personnel sur le mystère de
Marie, en accord avec l’enseignement qu’il a reçu de Guillaume-Joseph
Chaminade. Ce fut pour le séminariste qu’il était alors, une véritable
révélation dans sa vocation spécifiquement marianiste. Son âme en fut marquée
profondément et définitivement. Il en fit l’élément le plus original, le plus
central et le plus personnel de tout son enseignement ultérieur sur la Vierge
Marie. Les premiers bénéficiaires de cette «intégration ou appropriation»
personnelle, de cette pensée héritée du fondateur de la Famille Marianiste,
furent les religieux qui lui étaient confiés. Il composa pour eux son premier
ouvrage Notre Don de Dieu. Puis très vite, le peuple de Dieu eut accès à
cette «vision» missionnaire mariale, par le fameux petit traité Mon idéal,
Jésus Fils de Marie, et enfin, par l’ouvrage lui-même portant le
titre de ce chapitre que nous traitons actuellement.
Après avoir publié son ouvrage en 1953 Notre Don de Dieu qu’il
compléta et adressa à la Famille Marianiste, principalement les Frères
de Marie, il publie en 1956 l’ouvrage destiné au grand public La mission
apostolique de Marie. Dans une lettre écrite au Supérieur Général des
Marianistes, le 17 avril 1952, il déclare :
Aucun
théologien n’a encore songé à traiter la question de la mission apostolique de
Marie ; comme je l’ai dit dans «la découverte des grandeurs de Marie», ce
ne sont pas les théologiens qui découvrent ces grandeurs ; les fidèles en
vivent avant que les doctes n’en parlent. Il y a une vingtaine d’années que
j’ai commencé à recueillir des documents sur la question, des points de vue
doctrinal et historique…[723]
Il sait donc que les traités mariaux de son temps
n’en font guère mention :
Et pourtant,
la connaissance de cette fonction sociale de Marie est d’une très grande
importance pratique, à l’heure actuelle surtout[724].
L’histoire reconnut à Marie une certaine mission de gardienne
de la foi dans la défense de l’orthodoxie des dogmes, et une certaine
intervention ou impulsion dans l’apostolat des fidèles ne lui fut jamais
contestée. Dans la mission baptismale de tous les fidèles, nous découvrons plus
qu’une notion de présence mariale ou impulsion mariale. En
suivant la progression de sa réflexion théologique nous pourrons mieux saisir
les enjeux de cette mission unique confiée à la Mère de Dieu et de tous
les hommes. Dans un premier temps, après avoir évoqué le silence sur ce thème
dans les traités de mariologie, il précise ce qu’est la notion d’apostolat[725]. Puis, il affirme
ce que comporte cette notion de mission apostolique de Marie dans son
caractère à la fois unique et universel : de lutte contre les puissances
des ténèbres pour faire gagner les puissances du bien. Marie a vraiment un rôle
de chef[726].
Marie a
directement reçu de Dieu la mission de sanctifier et de sauver toutes les âmes.
Les autres apôtres travaillent en sous-ordre ; leur apostolat n'est
-qu'ils en aient conscience ou non -qu'une participation a l'apostolat de
Marie. Sa fonction est celle d'un généralissime. Ils sont, eux, les soldats ou
les officiers de l'armée apostolique. Le grand, l’universel, l’unique apôtre,
c’est le Christ[727].
L’argumentation scripturaire consiste à faire
prévaloir l’unique apôtre qu’est le Christ. Il poursuit son activité
apostolique par ses prêtres mais aussi par tous les membres de son Corps
Mystique. C’est chaque baptisé qui est engagé dans cette mission. Au sein du
peuple de Dieu, parmi les fidèles, Marie occupe une place unique. Jésus a voulu
l’associer à ses différentes fonctions comme une « aide » semblable à
lui[728]. En reprenant le
chapitre 12 de l’Apocalypse, il voit en la figure de la Femme, la Vierge Marie
et en celle du Dragon, l’Antique Serpent. Puis, il fait une relecture de tout
l’Evangile sous l’éclairage de la Genèse qui nous décrit la femme, associée ou
aide semblable à Adam.[729].
Fidèle à sa démarche théologique, il développe la
reconnaissance de cette mission apostolique de Marie à travers les siècles. Il
s’appuie aussi sur une apparition de Marie à saint Grégoire le Thaumaturge[730] et sur le fameux
panégyrique[731] de saint Cyrille à
Ephèse[732].
Il nous rappelle que la mission de l’apôtre est
double, enseigner la vraie foi et faire pratiquer les préceptes du
Christ :
Allez, avait
dit Jésus à ses apôtres, enseignez toutes les nations et apprenez leur à
observer tout ce que je vous ai commandé. (Mt 28, 19)
Puis, dans une vision synthétique, il développe un
double aspect de la mission apostolique de Marie au cours de l’histoire :
celui qui concerne la défense de la doctrine orthodoxe et l’appel des fidèles
dans un apostolat de la vie.
Sa relecture dans le temps, enrichie par ses
premières études sur la question mariale avant Nicée, poursuivie ensuite
jusqu’à la période qui lui est contemporaine, mérite que nous la donnions
intégralement. Nous découvrirons sa finesse d’analyse, associée à sa capacité
d’avoir une vision d’ensemble sur cette question. La perspective première de
l’apostolat marial touche le dogme. Ce qu’il vulgarise en ces termes : l’apostolat
de la doctrine :
«Réjouis-toi,
ô Vierge Marie, chante l'Eglise, car seule tu as détruit toutes les hérésies de
l'univers.» Cette parole s'est vérifiée dès les origines et à travers toute
l'histoire de l'Eglise. Les Docètes des premiers siècles niaient la vérité de
l'humanité du Christ. Les Pères leur répondirent : «Vous enseignez une
fausseté car le Christ est né de Marie, créature humaine comme nous.» […] Les
saints qui combattirent les hérésies plus récentes du protestantisme et du
jansénisme opposèrent également les vérités mariales aux erreurs nouvelles, -
il suffit de mentionner saint François de Sales, saint Canisius, saint
Louis-Marie de Montfort - et ce furent les populations les plus dévotes à la
Vierge qui y résistèrent le mieux. Le cardinal Newman a pu faire la remarque
que les nations qui sont restées fidèles à Marie : la France, l'Espagne,
l'Italie, la Grèce schismatique, sont celles qui ont gardé intacte leur foi en
la divinité du Christ, tandis que celles qui ont rejeté le culte de
Marie : l’Allemagne du Nord, l’Angleterre, I'Amérique protestante, ne
voient guère dans le Christ qu'un homme plus près de Dieu que les autres
hommes. Ce fut la négation de la virginité de Marie dans un article de revue
moderniste qui déclencha la condamnation par la hiérarchie de l'insidieuse
hérésie du XXe siècle, et qui ouvrit les yeux à beaucoup de prêtres
qui s'étaient jusque là montrés favorables aux novateurs. Enfin, dans la bulle Munificentissimus
Deus, le Saint Père exprime l'espoir de voir le nouveau dogme de
I'Assomption corporelle de Marie s'opposer victorieusement au « matérialisme
et à la corruption des mœurs qui en découle » et faire triompher la foi au
monde surnaturel[733].
Non seulement, la mission apostolique de Marie est
de lutter contre le mal, mais elle nous aide à acquérir les vertus chrétiennes,
en vue d’une consécration, chemin de tout baptisé qui, pour certains, se
traduira dans un engagement au sein de la vie religieuse consacrée. C’est dans
cette perspective très originale qu’il reprend l’historique des grands témoins
de la foi qu’il appelle les «docteurs marials», pour aboutir à l’organisation
des grands ordres ou congrégations apostoliques.
Toute pure,
toute parfaite, Marie les pousse à reproduire ses vertus. Ce sont surtout les
vierges et les ascètes qui s'appliquent à les copier. Et puis la croyance à la
puissance singulière de sa prière les invite à s'adresser à elle dans toutes
leurs tentations et leurs luttes pour la conquête de la sainteté. Dès la
période patristique, les grands saints sont les grands docteurs marials :
Athanase, Ambroise, Augustin, Germain de Constantinople, André de Crête, Jean
Damascène[734].
Dans une description apologétique classique, il fait
une relecture de toutes les fondations religieuses, partant du Moyen-âge
jusqu’aux dernières congrégations apostoliques nées après la Révolution française
et les mouvements de laïcs du XXe siècle, s’inspirant ou se mettant
sous la protection de Marie.
Il expose l’un après l’autre les éléments de
convergence pour une reconnaissance de la mission apostolique de Marie[735], en reprenant des
arguments dans la liturgie venant de Rome[736] et des déclarations
des papes de Léon XIII à Pie XII.
Dans les précisions doctrinales qui suivent, il fait
le lien entre cette mission apostolique de Marie et la corédemption :
Nous avons vu
comment, unie à son Fils, Marie a contribué à la Rédemption du genre humain. La
Rédemption, méritée en principe sur le Calvaire pour tous les hommes, ne
devient réelle pour eux que dans la mesure où chaque homme individuel est à
même d'en profiter[737].
C’est là qu’intervient Marie dans sa maternité
spirituelle et sa mission de corédemptrice tout à la fois[738].
Marie a
coopéré à la Rédemption, à toute la Rédemption : elle devra coopérer aussi
à la mission, à toute la mission de l'Eglise, en d'autres termes, à l'apostolat
catholique, et à tout l'apostolat catholique. Sans cette seconde coopération,
l’œuvre de la Corédemptrice resterait inachevée[739].
Il présente la maternité spirituelle de Marie comme
il le dit «sous un autre nom», il s’appuie sur l’analogie maternelle :
La mission
apostolique de Marie soutient des relations tout aussi étroites avec sa mission
de Mère des hommes. Toute mère est le premier apôtre de son enfant. Elle a pour
mission de préserver le petit être du péché et de le faire vivre de la vie
surnaturelle. Et si elle le confie à d'autres éducateurs, ceux-ci ne sont que
ses aides : elle reste la première responsable de cette mission. A plus
forte raison Marie est-elle le premier apôtre de ses enfants. Et cela non
seulement parce qu'elle est la plus parfaite des mères, mais surtout parce qu'elle
est mère surnaturelle[740].
Il précise que Marie est essentiellement apôtre
parce qu’elle est essentiellement Mère[741].
Toute sa logique tient à la prise en compte de la
grâce dans la vocation de tout baptisé. Or nous le savons, c’est par Marie que
nous est venue toute grâce ; c’est pourquoi, il peut affirmer dans une
logique imparable :
La mission
apostolique de Marie n'est donc qu'un aspect -le plus important -de sa mission
de distributrice universelle de la grâce. Professer celle-ci, c'est
nécessairement professer celle-là[742].
Dans cette même ligne, il lie la mission apostolique
de Marie avec sa royauté, car elle règne sur les esprits et sur les hommes pour
les amener à son Fils, dans une conquête qui atteint jusqu’aux ennemis de
son Fils qu’elle conduit à devenir des sujets dociles et aimants[743].
Il prend bien soin de ne pas séparer l’apostolat du
Christ, l’Unique Apôtre, de celui de Marie qui s’enracine dans le mystère de
l’Annonciation. C’est de Dieu que Marie reçut sa mission apostolique. Et cette
mission de Marie, voulue par Dieu, comme associée au Christ, ne fait pas nombre
avec celle du Christ, car elle en dépend entièrement. Nous l’avons explicité à
propos de la médiation du Christ et de Marie en référence à Lumen Gentium :
Cela est
naturel puisque leur fonction apostolique n’est qu’une continuation et une
application de leur fonction médiatrice[744].
Supposée la
décision divine de sauver le monde par l’Incarnation, l’apostolat de Jésus
était nécessaire, car seule une action d’une valeur infinie pouvait opérer ce
résultat. L’apostolat de Marie n’est pas nécessaire : il n’est nécessaire
que par le décret de Dieu qui associe l’action de la Mère à l’action du Fils.
L’apostolat de Jésus était suffisant pour opérer la conversion et la
sanctification des hommes. Celui de Marie n’a de valeur que par son union avec
celui de Jésus, dont il tire toute son efficacité[745].
La réponse de Jésus à Marie aux noces de Cana, ne
serait-elle pas une confirmation de la mission confiée à Marie par le Père et
redonnée par le Fils, à l’occasion de l’inauguration de sa propre mission sur
terre ? Selon lui, cette réponse de Jésus que nous avons déjà vue peut
être comprise comme une affirmation de la mission qu’ils ont en commun dans la
ligne du Nouvel Adam et de la nouvelle Eve.
Une telle interprétation permettrait d’introduire
précisément la conclusion de son chapitre sur la mission apostolique de Marie
qui reprend synthétiquement tous les différents aspects de ses
prérogatives :
Ces
différentes fonctions de la Vierge montrent également pourquoi on a pu affirmer
plus haut qu'elle exerce l'apostolat à un titre unique par l'universalité et le
rang de cet apostolat. Par son universalité, parce que Marie est Mère de tous
les hommes, Corédemptrice universelle et distributrice de toutes les grâces.
Par son rang, la mission de la Vierge étant une mission de chef, et celle de
tous les apôtres une mission de subordonnés : elle seule, en effet, fut
coopératrice du Christ dans l' œuvre de la Rédemption et donc elle seule aura
mission d'achever cette œuvre ! Les autres apôtres ne font que l'aider
dans sa mission ; - elle seule est mère des âmes, les autres ne sont que
des aides dans l’éducation de ses enfants ; elle seule est distributrice
de toutes les grâces, d’elle dépendent toutes les autres pour l’efficacité de
l’apostolat.[746]
L’écrit-il par souci de développer cette
thématique ? Dans son ouvrage sur la mission apostolique de Marie et la
nôtre, il aborde plus précisément ce que nous ne trouvons pas
développé dans Marie dans le dogme : le lien avec l’Eglise
impliquée dans cette mission. En reprenant l’encyclique de Pie XII sur le Corps
Mystique, il nous rappelle que le Christ a besoin de notre participation, ainsi
Marie a vraiment besoin de nous.
Il faut
vraiment maintenir, quoique cela paraisse étonnant, que le Christ a besoin du
secours de ses membres […] Il veut recevoir l’aide de son Corps Mystique pour
accomplir l’œuvre de la Rédemption […] Il partage avec son épouse immaculée
l’œuvre de la sanctification des âmes […] Mystère redoutable, certes, et qu’on
ne méditera jamais assez : le salut d’un grand nombre d’âmes dépend des
prières et mortifications, supportées à cette fin des membres du Corps Mystique
du Christ[747].
Il commente :
C’est un
infini honneur pour nous d’être les collaborateurs, les collaborateurs nécessaires
du Rédempteur et de la Corédemptrice[748].
Il va jusqu’à parler d’obligation comme
exigence d’équité, d’amour et de reconnaissance «plus puissante même, pour un
cœur aimant et généreux, qu’une stricte obligation de la justice commutative[749].»
Dans La mission apostolique de Marie et la nôtre,
le rôle de l’Esprit Saint est souligné avec force. Il nous suffit de reprendre
ses commentaires pour bien saisir l’enjeu de cette approche pneumatologique et
mariale tout à la fois
De même que
Marie est associée à la mission de Jésus, elle l’est aussi, quoique d’une autre
manière à celle du Saint-Esprit.
L’union
apostolique de Marie et de l’Esprit divin date de loin. Prédestinée à être la
Mère du Christ Apôtre, la Vierge devait être toute pure. Dès les premiers
instants de son existence, l’Esprit sanctificateur la couvrit de son ombre, la
préserva de toute tache et la remplit d’une plénitude de grâce supérieure à
celle de tous les saints. Et dès ce moment, il travailla constamment en elle
pour la préparer à sa mission.
Le moment de
l’Incarnation venu, dès qu’elle eut prononcé son fiat, il vint en elle
pour une nouvelle œuvre : ensemble, elle et lui, elle par lui, donna
l’existence à celui qui devait être le grand, le seul Apôtre, celui dont tous
les autres apôtres tirent leur mission. Sans cette opération commune de Marie
et du Saint-Esprit, il n’y aurait pas eu de Christ apôtre, il n’y aurait eu
aucun apôtre, il n’y aurait pas eu d’apostolat, du moins selon la présente
économie de notre salut. En la faisant Mère du Christ, l’Esprit Saint la
faisait l’associée de l’apostolat du Christ et des Douze, et de tous les
hommes, prêtres et laïcs, qui s’occupent de sanctifier et de sauver le monde[750].
Il n’hésite pas à reprendre le fameux passage du Traité de la Vraie Dévotion de saint
Louis Marie Grignion de Montfort faisant explicitement le lien entre Marie et
l’Eprit Saint[751].
Si nous le suivions dans ses perspectives futures,
nous pourrions envisager que l’Eglise, un jour, proclame sous la forme
dogmatique cette mission apostolique de Marie ; de même qu’elle
pourrait proclamer sa participation à la Médiation et à la Rédemption du
Christ, à un titre subordonné certes, mais authentique et, aussi dans la
perspective de son union avec l’Esprit Saint, l’Avocat : sa mission d’avocate.
Nous avons abordé, avant de présenter son approche
de l’Immaculée Conception, quelles étaient selon Emile Neubert les conditions
pour le développement possible du dogme. C’était juste avant la promulgation du
dogme de l’Assomption, dans son ouvrage, paru seulement en 1952, de la
découverte progressive des grandeurs de Marie, application au dogme de
l’Assomption.
Reprenons avec lui cette
ultime thématique pour clore cette étude centrée sur l’aspect plus dogmatique
et en partie cultuel du mystère de Marie.
Du 11 au 13 juillet 1950, la Société Française
d’Etudes Mariales organisa à Saint-Laurent-Sur-Sèvre son congrès mariologique
annuel, dont le thème était l’Assomption de la Vierge Marie au Ciel. Emile
Neubert fut chargé de présenter à la dernière minute le rapport de Monseigneur
Perler, professeur de patrologie et
d’archéologie à l’université de Fribourg (Suisse), sur l’état de la question en
la foi de l’Assomption en Allemagne. Ce dernier fut empêché de se déplacer. Grâce
à des demandes de précisions ultérieures qu’il suscita et sut mener à bien
personnellement, il ajouta d’autres éléments très précieux d’information, de
telle sorte que les deux rapports réunis offraient par leur complémentarité un
horizon assez exhaustif sur la situation allemande pour ce qui concerne la foi
du peuple chrétien dans le mystère de l’Assomption de la Vierge Marie au Ciel
et l’opportunité d’une définition solennelle du Dogme de la part du Souverain
Pontife[752].
Dans les années qui précédèrent immédiatement 1950,
alors que la définition solennelle du dogme de l’Assomption commençait à
apparaître comme véritablement probable, les théologiens se mirent à étudier la
question de l’origine et du développement de cette doctrine et à attirer
l’attention sur le problème plus général du développement dogmatique[753]. Dans l’abondante
bibliographie des écrits parus à ce sujet, soit juste avant ou après la
définition, nous trouvons son nom. Intégrant les résultats acquis dans ses
recherches précédentes au sujet de l’histoire de la mariologie, il établit la
méthode à suivre en vue de la découverte progressive des grandeurs et des
privilèges de Marie. C’est ce qu’il fit dans la première partie de son étude.
Nous l’avons déjà évoqué dans le chapitre des règles de discernement, à propos
des définitions dogmatiques récentes.
Le peuple chrétien est le point de départ du
développement du dogme. Il ne se réfere pas à un principe abstrait comme le
font les spécialistes. Mais il contemple l’ensemble du mystère de la Très sainte
Vierge Marie, telle qu’elle apparaît dans les Evangiles. Il perçoit alors peu à
peu, sous l’inspiration de l’Esprit Saint, ce que l’amour filial de Jésus a
accompli pour sa divine Mère, la faisant participer, « dans la mesure du possible et de ce qui est convenable, »
à tous ses privilèges.
Dans la seconde partie de son étude, il met en
application ce processus pour l’élaboration du dogme de l’Assomption.
L’exposition claire, ordonnée, efficace offrit une contribution précieuse quant
au processus de clarification des idées concernant le développement progressif
de la mariologie. Il a pu inspirer l’étude et le travail de recherche de plus
d’un théologien engagé sur ces mêmes questions[754].
Le dogme de
l’Assomption est l’affirmation comme doctrine révélée que, au terme de sa
course terrestre, Marie a été élevée à la gloire du ciel en corps et en âme[755].
Cette doctrine n’est pas une
croyance fantaisiste basée sur des légendes, mais, nous
explique-t-il : elle est une affirmation très claire pour tous ceux qui
admettent la résurrection de Notre-Seigneur et leur propre résurrection[756].
Il s’attache surtout à mettre en évidence les
exigences de la piété filiale de Jésus, ainsi que les vérités connexes, tout en
relevant que l’Ecriture ne donne aucune mention explicite de la glorification
du corps de Marie. La glorification de Marie corps et âme est alors présentée
«comme une faveur qui sera le partage de nous tous, avec cette différence qu’à
cause de l’union étroite de la Vierge avec son Fils, la sienne (se présente à
nous comme) une glorification anticipée comme celle de Jésus[757].»
Nous
professons que la Mère de Dieu a été élevée au ciel non seulement en son âme,
mais aussi en son corps et qu'elle jouit de la parfaite béatitude. Tel est le
sentiment que depuis plusieurs siècles, les docteurs ont exprimé, qu'atteste le
monde chrétien par un admirable consentement et un culte public, auquel les
orthodoxes sont attachés par une conviction profonde[758].
La définition
dogmatique de l'Immaculée Conception, en 1854, vérité non explicitement
enseignée dans l'Ecriture, fit songer à la possible définition de l'Assomption,
qui se trouvait dans le même cas. Un certain nombre de pétitions
assomptionnistes furent présentées au premier Concile du Vatican, mais «la
question de l'Assomption ne fut jamais posée officiellement devant les Pères du
Concile»[759].
De 1849 à 1940, 2.505 pétitions d'évêques et de prélats de rang inférieur ainsi
que de Supérieurs d'Ordres furent signées. Celles des évêques représentaient
les 73 % de l'épiscopat catholique. Les signatures de plus de 8 millions de
simples fidèles furent recueillies. Si, au point de vue de la doctrine, ces
pétitions n'ont pas fait avancer la question, cependant, elles étaient comme un
plébiscite du peuple chrétien en faveur de la définition. Elles ont mieux
montré le sentiment commun des fidèles à cet égard, sentiment qui est, par
lui-même, un des critères du caractère révélé d'une doctrine[760].
Il revient, comme tout naturellement, sur
l’éclairage de l’Evangile :
Je te loue,
Père, Seigneur du Ciel et de la terre, d’avoir caché ces choses-là aux sages et
aux habiles et de les avoir révélées aux petits. Oui, Père, car tel est ton bon
plaisir. (Mt 11, 54)
Il a su, en précurseur du Concile Vatican II, et
dans la mouvance des orientations qui seront définies par Marialis Cultus,
participer au travail de recherche des théologiens futurs. Il contribua par les
pistes qu’il jette à notre réflexion, au développement du dogme futur: ainsi le
dogme de l’Assomption ne serait certainement pas le dernier dogme marial que
l’Eglise, guidée par l’Esprit Saint, offrirait dans son histoire.
Nous savons bien, cependant, qu’en ce début du XXIe
siècle, toute évocation d’une recherche nouvelle d’énoncé dogmatique semble
être incongrue dans le climat actuel des recherches des théologiens les plus en
place dans ce domaine. L’argumentation première qui réfute cette orientation
est le fruit de la question du dialogue œcuménique. En d’autres termes, la
raison première qui est mise en avant pour bloquer toute initiative dans cette
voie serait, en négatif, la difficulté de dialogue avec les frères issus de la
Réforme. Peut-on clore pour autant les recherches dogmatiques mariales sur de
tels fondements qui s’appuient plus sur les théologiens universitaires que
sur le Magistère? L’appréciation actuelle qui consiste à évaluer des risques de
nuire à l’avancée œcuménique, est-elle réellement fondée ? Sera-t-elle
seulement une étape de l’histoire de l’Eglise, suivie plus tard par d’autres
étapes, répondant à d’autres nécessités qui ne nous apparaissent pas
aujourd’hui ?
Au contraire, un approfondissement des dogmes
mariaux, ne serait-il pas le bienvenu pour débloquer des questions d’ordre
œcuménique, remettant en route le processus de communion sur des bases
nouvelles, éclairées par la place et la mission de Marie, Mère et Figure de
l’Eglise ?
Il nous fait entrevoir dans quelles directions, il
anticiperait le travail des théologiens guidés par l’Esprit Saint, s’exprimant
à travers la voix du Peuple de Dieu. Il nous revient, à la suite de cette
étude, l’honnêteté intellectuelle de la recherche, pour mieux saisir les enjeux
de ces propositions qui émergent de tout le corpus «neubertien». Dans la
mouvance de Vatican II, est-il opportun de travailler ces questions du
développement du dogme, sachant aussi que ces propositions ne sont pas
isolées ? Elles ne sont pas seulement le fruit du travail d’un auteur
pieux, mais aussi de toute une sensibilité théologique encore actuelle, qu’il
reflète bien naturellement. Ceci tient à cette cohérence d’ensemble où Marie
nous est présentée comme coopérant activement à l’œuvre de son Fils.
Dans une relecture du livre de la Genèse et celui de
l’Apocalypse, Emile Neubert nous donne des indications de la coopération de
Marie à l’œuvre rédemptrice de Jésus[761] :
Cette œuvre
consiste à détruire le péché et la mort avec la corruption qui la suit. En
Jésus, pas de péché ni de mort avec corruption, mais une victorieuse
résurrection et une glorification éternelle de son corps. En Marie, la
Corédemptrice, pas de péché. N’y aurait-il pas aussi une mort sans corruption
bientôt suivie d’une glorification dans le sein de Dieu[762] ?
Notre auteur suit la progression habituelle
mentionnée plus haut : le parcours des Eglises d’Orient et d’Occident pour
arriver à la proclamation du dogme de l’Assomption et des questions relatives à
la mort de Marie puis aux Harmonies entre l’Assomption et les autres
grandeurs de Marie. Sont évoquées de nouveau, tour à tour, la maternité spirituelle, la distributrice de toutes les grâces, la mission apostolique de Marie, la Royauté de Marie et la béatitude de Marie, à laquelle Emile
Neubert consacre son dernier chapitre.
Un argument d’ordre anthropologique a retenu son
attention ; il mérite d’être repris par son originalité :
Si la Vierge n’était au ciel que par son âme,
il lui manquerait quelque chose pour que nous la sentions vraiment notre mère.
Elle serait trop éthérée, trop loin de nous. Une mère, ce n’est pas un esprit
[…] C’est à travers les attitudes et les gestes de son corps que la mère témoigne
son amour- par son regard, son sourire ou ses larmes, par le son de sa voix, le
contact de sa main, ses étreintes amoureuses. Certainement, si nous ne pouvions
concevoir la T. S. Vierge au ciel que comme une âme séparée, notre piété
filiale envers elle ne serait pas tout ce qu’elle est à présent… C’est
précisément par sa présence corporelle que la vierge possède ce pouvoir de
pacification et de purification qui n’appartient qu’à elle […] Sans son
Assomption, elle serait moins Mère, elle serait moins «maman[763].»
L’argumentation de ce théologien, résolument
sensible au Peuple de Dieu, n’hésite pas à rejoindre le langage de
dévotion : Cœur Immaculé de Marie par exemple. Il nous offre
un véritable témoignage en faveur de la théologie populaire. Ses méditations, fruit
de sa contemplation amoureuse du mystère, invitent à développer les vertus
théologales et morales du croyant :
Marie voit et
aime Jésus dans ses enfants du ciel et dans ses enfants de la terre, elle les
aime de l’affection indéfiniment accrue dont à présent elle aime Jésus. Et avec
l’intensité de cet amour, s’est accrue aussi son efficacité, car maintenant
elle puise à volonté dans les infinies richesses de Dieu pour les distribuer à
ses enfants[764].
Le passage du dogme à la piété se fait pour lui tout
naturellement, à tel point que nous pourrions reconnaître au dogme, comme une
forme due à la piété populaire. Nous devons à cette piété par l’action de
l’Esprit Saint dans le cœur des fidèles, le développement de la théologie
mariale plus précisément, et précédant bien souvent le travail des théologiens
et des papes.
Dans notre étude, nous aurons à revenir sur les
questions posées par lui sur le développement possible du dogme dans les
directions indiquées. Mais pour garder un fil cohérent à notre découverte de sa
théologie, il nous est bon de reprendre la partie de l’aspect de la piété,
aspect qui est riche des expériences du peuple des croyants au travers des
générations, tant dans la transmission de la foi et les convictions que dans
l’approfondissement de la figure de Marie dans le mystère du Christ et de
l’Eglise.
Nous reprendrons son ouvrage de large diffusion, Mon
idéal, Jésus Fils de Marie, pour entrevoir l’application théologique d’une
recherche de transmission et de vulgarisation, dans le souci constant d’offrir
la plénitude de la vérité, avec la précision dogmatique et la saveur du
message, qui est le don des auteurs mystiques et des saints[765].
Mon Idéal, Jésus
Fils de Marie nous apparait aujourd’hui - à la lumière du chapitre
De beata au Concile Vatican II - avec la thèse de l’auteur, le
fondement sur lequel toute la réflexion d’Emile Neubert s’élabore. Ce petit
Traité donne l’axe de sa pensée qui est de faire aimer Jésus par Marie et
réciproquement selon l’échange entre elle et son Fils lors des noces de
Cana : «Faites tout ce qu’il vous dira […]»
C’est un véritable «Traité marial» avec une grâce toute
particulière : même si les thèmes et la problématique mariale ne sont pas
tous abordés ou développés - y compris dans l’intégralité de son œuvre -, ils
n’en sont pas moins sous-jacents. Sa réflexion mariale est si dense que
certains sujets, non approfondis sont - comme dans toute son œuvre - si
présents, qu’ils invitent à être étudiés.
En bien des endroits
de Mon Idéal, on ressent la discrète
présence de Marie, comme si elle s’était invitée dans sa rédaction. Elle nous
donne sous la plume d’Emile Neubert une doctrine vécue d’une considérable
profondeur ascétique et mystique, elle conserve aujourd’hui sa valeur
substantielle, mais doit être relue et interprétée à la lumière du Concile. Mon Idéal prouve à l’envi selon
l’expression du pape Jean-Paul II dans l’encyclique Redemptoris Mater (RM 47) que «Marie est présente dans l’Eglise
comme Mère du Christ et en même temps comme la Mère que le Christ, dans le
mystère de la Rédemption, a donnée à l’homme en la personne de Jean. »
L’esprit marial christocentrique du chapitre De Beata au Concile Vatican II, est
rejoint par Mon idéal. Ce chapitre
inspire le première encyclique mariale de Jean-Paul II Redemptoris Mater où la médiation maternelle de Marie apparaît
d’abord dans le mystère du Christ (RM 7-24 ; 38-41), puis dans la vie de
l’Eglise (RM 23-37 ; 42-44), pour mieux inviter le lecteur à contempler in fine la même réalité dans la vie
personnelle du chrétien (RM 44-45). Nous puiserons à cette inspiration pour
étudier ce fameux Traité qu’Emile
Neubert eut le génie d’écrire et de proposer dans la perspective de
l’évangélisation atteignant tous les continents.
Si on considère Mon
idéal, Jésus Fils de Marie sous l’angle de sa réception ecclésiale et sous
celui du fondement de son développement qui est le don que Jésus fait de sa
Mère à l’Eglise et à l’humanité, il doit être considéré en tant que texte de
spiritualité mariale et missionnaire.
L'enseignement contenu dans ce livre est à considérer du point de vue christologique, puis du point de vue ecclésiologique, dans l’optique de la
mission.
Son christocentrisme est exposé clairement sous le
titre du premier chapitre du Livre I Je
vous ai donné l’exemple. Suit l’exposé des exigences de Mon idéal au
livre II, lui-même suivi au livre troisième par le but de Mon idéal qui n’est rien de moins que la transformation en Jésus. Le livre IV est une invitation à
l’apostolat marial sous le titre mon
soldat.
Il nous revient de redécouvrir la doctrine de
l’apostolat marial à la lumière du Concile Vatican II, de la Constitution Lumen Gentium et spécialement du
chapitre VIII De beata sur la bienheureuse Vierge Marie dans le Mystère
du Christ et de l'Eglise.
Le Père Neubert, à l’occasion de la dixième édition
de Mon idéal, Jésus Fils de Marie,
dans sa nouvelle introduction, constatait le succès de ce petit Traité, qui ne se dément pas en ce début
de XXIe siècle[766].
Ce livre connut
«un succès immédiat» dans l'ensemble du Peuple de Dieu. «Les traductions en
différentes langues prouvent le succès qu’il rencontre et le bien qu’il fait[767].» L’idée de la
composition de Mon idéal, à son
départ, ne fut pourtant pas encouragée par ses confrères. Il conçut l’idée de
cet ouvrage[768] vers 1930 alors
qu’il passait quelques jours de vacances dans une de nos communautés de
France :
Au réfectoire, on lisait la vie du fameux chancelier
de l'Université de Paris : Gerson. L'auteur cherchait à prouver que
c'était Gerson qui avait écrit l'Imitation de Jésus-Christ. A cet effet, il
analyse le livre, sa doctrine, ses mérites, les raisons pour lesquelles on la
lit toujours avec intérêt et profit, pourquoi ce livre ne vieillit pas. L'idée
me vint d'écrire, quand mes occupations me le permettraient, un livre analogue
sur la vie d'union à Marie. J'essayai. Mon essai me plut assez. Je le montrai à
un confrère pour avoir son avis. En me rendant mon manuscrit, il me dit :
«Cela ne prendra pas, vous verrez.» Je gardai cependant ma confiance. Sur ce,
je lus dans une revue, qu'on venait de créer à Marseille une nouvelle maison
éditrice, les Editions Publiroc, et qu'on demandait des manuscrits. J'envoyai
le texte de Mon idéal et proposai
timidement une édition de deux mille exemplaires.
Mais très vite, la demande de ce livre se fit
pressante[769] : ce «succès
immédiat» devint durable, il augmenta avant et après la seconde guerre mondiale
surtout et se poursuit jusqu’au début du XXIe siècle avec une
nouvelle édition en langue française, publiée au Canada en 2003.
Dans le milieu du XXe siècle, sa
diffusion est comparable à celle de l'Histoire
d'une âme de sainte Thérèse de Lisieux. Dans les écrits de ces deux
auteurs, la doctrine présente les mêmes caractéristiques évangéliques de
profondeur, de simplicité et de radicalité. Leur doctrine est christocentrique
et trinitaire, mariale, ecclésiale et missionnaire. Elle illumine le combat
spirituel, le chemin de sainteté, une obligation pour tous les baptisés. Elle
soutint toute une génération dans sa marche vers la sainteté, en participant à
la Mission de Marie. De grands témoins de la foi, de la première moitié du XXe
siècle, l’accueillirent favorablement en même temps que l'Histoire d'une âme : saint Maximilien Kolbe et Frank Duff.
Le Père Kolbe, deux ans seulement après sa parution,
en fait le commentaire suivant dans une lettre écrite de Nagasaki au Japon le
12 juillet 1935 au P. Mariano Wójcik à Niepokalanów en Pologne : «Le
marianiste Emile Neubert a publié un livre intitulé Mon idéal, Jésus Fils de Marie (Editions Publiroc, Marseille).
L’esprit qui l’imprègne est tout à fait le nôtre»[770].
La doctrine d’Emile Neubert se fonde sur l'Evangile,
et tout particulièrement sur la réponse de Marie à l’ange Gabriel lors de
l’Annonciation, mais également sur les paroles du Rédempteur adressées sur la
Croix à sa Mère et à son Disciple.
Dans son encyclique Redemptoris Mater (n°23), Jean-Paul II commente :
Le récit de Jean est
concis : «Près de la Croix de Jésus se tenaient sa Mère et la sœur de sa
Mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie de Magdala. Jésus donc, voyant sa Mère
et, se tenant près d'elle, le disciple qu'il aimait, dit à sa Mère :
"Femme, voici ton fils". Puis il dit au disciple : "Voici
ta Mère". Dès cette heure-là, le disciple l'accueillit chez lui» (Jn 19, 25-27).
On reconnaît assurément dans
cet épisode une expression de la sollicitude unique du Fils pour la Mère qu'il
laissait dans une très grande douleur. Cependant le «testament de la Croix» du
Christ en dit plus sur le sens de cette sollicitude. Jésus faisait ressortir
entre la Mère et le Fils un nouveau lien dont il confirme solennellement toute
la vérité et toute la réalité. On peut dire que, si la maternité de Marie
envers les hommes avait déjà été antérieurement annoncée, elle est maintenant
clairement précisée et établie : elle résulte de l'accomplissement plénier
du mystère pascal du Rédempteur. La Mère du Christ, se trouvant directement
dans le rayonnement de ce mystère où sont impliqués les hommes - tous et chacun
-, est donnée aux hommes - à tous et à chacun - comme Mère. L'homme présent au
pied de la Croix est Jean, «le disciple qu'il aimait». Et pourtant, il ne
s'agit pas que de lui seul. Selon la Tradition, le Concile n'hésite pas à
appeler Marie «Mère du Christ et Mère des hommes» : en effet, elle est,
«comme descendante d'Adam, réunie à l'ensemble de l'humanité [...], bien mieux,
elle est vraiment "Mère des membres [du Christ] ayant coopéré par sa
charité à la naissance dans l'Eglise des fidèles "».
La parole créatrice que le Rédempteur adressa à sa
Mère et au disciple créa une relation spécifique entre Marie et l'Eglise
naissante représentée par l’apôtre et évangéliste Jean. Emile Neubert occupe
une place éminente parmi les témoins de la foi qui expérimentèrent le don que
fait Jésus de sa Mère à l'Eglise. Il s’identifia à ce disciple bien-aimé qui,
par la foi en la parole de Jésus, reçut Marie chez lui, dans toutes les
dimensions de sa propre vie. Il ne cessera de vivre cette parole de l'Evangile.
Il en expérimentera le caractère dynamique et christocentrique, car ce don de
Marie vient de Jésus et conduit à Jésus. Ce disciple ne cesse d’accueillir
cette parole par son obéissance.
Ô ma Mère, je crois en toi et en la mission que ton
Fils t’a confiée. Je crois qu’en m’appuyant sur toi je serai tout-puissant.
Fais-moi visiblement échouer chaque fois que
j’agirai en mon nom, pour me forcer à n’agir qu’au tien.
Alors, je t’aiderai
efficacement à amener des multitudes d’âmes à Jésus et je réaliserai vraiment
la prière que j’aime à répéter à chaque heure du jour et chaque fois que je me
réveille pendant la nuit : «Que le Père, le Fils et le Saint-Esprit soient
glorifiés en tous lieux par l’Immaculée Vierge Marie[771] !»
Mon idéal est la synthèse de
sa doctrine exprimée dans ses œuvres. C'est la «doctrine vécue» d'un religieux
prêtre qui fut essentiellement formateur et éducateur. Il désirait faire
bénéficier tous les baptisés des richesses de la mission apostolique de Marie.
Sa doctrine se fonde sur de solides bases
culturelles, théologiques et spirituelles, qu’il reçut pendant ses années
d’étude et de formation.
Sa pensée s’enracine dans l'Ecriture Sainte et dans
la théologie patristique. Elle se situe également dans le courant de l'Ecole Française
de Spiritualité que renforce son souci christocentrique. Il porte également son
attention sur la contemplation du Mystère de l'Incarnation, il développe sa
doctrine sur Marie et sa vision de l'Eglise comme Corps Mystique du Christ.
Dans ses écrits, il cherchera toujours à rendre
accessible, pour le peuple de Dieu, les plus grandes vérités du Mystère
chrétien et de la vie spirituelle. Il utilisera pour y parvenir des paraboles,
des images et des symboles avec un style clair, très sobre au point même de
paraître pauvre dans l’expression. En cela, il rejoint malheureusement un style
néo-conformiste de la langue française de son temps. Il faut souligner que
l’expression littéraire ne fut en aucune manière sa préoccupation.
Dans Mon idéal,
la doctrine de son œuvre à venir est présente. Elle s’élabore en partant d’une
synthèse nouvelle et originale de la vie spirituelle. Elle a pour centre le
Mystère de l'Incarnation du Fils : pour
nous les hommes et pour notre salut, Il descendit du Ciel ; par l'Esprit Saint
il a pris chair de la Vierge Marie et s'est fait homme.
Marie est au cœur du Mystère de Jésus. C’est un
christocentrisme dynamique, comme chez les Pères et les Docteurs où tout vient
de Dieu et tout retourne à Dieu «par Lui, avec Lui et en Lui». Dieu le Père
donne l'Esprit et l'Esprit nous conduit au Père par le Christ Jésus.
Jésus est la
voie, la vérité et la vie, dans le mouvement descendant de l'Incarnation
comme dans le mouvement ascendant de notre divinisation, car Dieu s'est fait
homme pour que l'homme devienne Dieu.
Marie est présente dans cette dynamique du Mystère
de son Fils. Elle est présente à sa venue dans l'Incarnation et elle le sera à
son retour au Père dans la Passion et la Résurrection, mais aussi après
l’Ascension, par la mission apostolique qui lui revient et, par laquelle elle
prépare le corps du Christ au retour en gloire de son Fils.
Dans Mon
idéal, il contemple les principales vérités de la foi à la manière des
Pères : l'Incarnation, la Rédemption, la mission de l'Eglise. Ce livre
n’est en réalité rien d'autre que le développement de la vie chrétienne par la
grâce. Elle commence au baptême et culmine dans la mission. C’est là, sa
dynamique, car il se laisse saisir par le Cœur de Marie.
Ce livre correspond à l'expérience de l'Eglise qui,
dès ses origines, expérimente comment Marie parle aux disciples de Jésus. Elle
leur enseigne la pure vérité de la foi en Jésus, elle ne cesse de leur
répéter : «Faites tout ce qu'il vous dira» (cf. Jn 2, 5). La sainte Mère de Dieu est, en tant que Vierge-Mère,
réellement le plus pur «miroir du Verbe Incarné[772]», miroir qui
réfléchit la vérité de son propre Mystère et dissipe toutes les erreurs :
Dans la lutte pour les âmes,
je lui ai infligé des défaites dès les tout premiers temps de l’Eglise. Depuis
cette époque, j’ai détruit toutes les hérésies dans l’univers entier et j’ai
ramené dans la voie du salut d’innombrables pécheurs[773].
La Vierge Immaculée appelle tous les disciples de
Jésus à la conversion pour la mission. En un écho fidèle, elle reprend toutes
les exigences que Jésus enseigna. La synthèse mariale de Mon idéal présente tous les plus grands paradoxes de la foi
chrétienne qui partent de l'Incarnation à la Croix. C'est ce que le Concile
déclare :
Intimement présente en effet à
l'histoire du salut, Marie rassemble et reflète en elle-même d'une certaine
façon les requêtes suprêmes de la foi et elle appelle les fidèles à son Fils et
à son sacrifice, ainsi qu'à l'amour du Père, lorsqu'elle est l'objet de la
prédication et de la vénération[774].
La Constitution Lumen
Gentium invitait les théologiens et les prédicateurs à «mettre dans une
juste lumière le rôle et les privilèges de la Bienheureuse Vierge Marie,
lesquels sont toujours orientés vers le Christ, source de la vérité totale, de
la sainteté et de la piété[775].» Paul VI, en
promulguant la Constitution, insistait sur ce point :
Nous désirons avant tout que soit mis
pleinement en lumière le fait que Marie, humble servante du Seigneur, est toute
relative à Dieu et au Christ Unique Médiateur et notre Rédempteur[776].
Il en est de même pour Emile Neubert, il situe Marie
en dépendance du Christ Rédempteur, l’Apôtre par excellence. Marie n’existe que
pour Jésus, pour être aimée par Lui. Il met dans la bouche du Christ ces
paroles :
Contemple maintenant ce que
mon amour filial m’a inspiré pour ma Mère.
De toute éternité, je pense à
elle et je l’aime, car de toute éternité, je vois en elle ma future Mère.
Je pense à elle en créant les
cieux avec les anges ; je pense à elle en façonnant la terre et les
hommes.
Je pense à elle en prononçant
ma sentence contre tes premiers parents ; je pense à elle en me révélant
aux patriarches et aux prophètes.
Par amour pour elle, je la
comble de privilèges dont chacun dépasse ce que j’ai fait de plus grand pour
toutes les autres créatures, et, en sa faveur, je suspends les lois qui
atteignent tous les autres hommes. Elle, et elle seule, je la rends immaculée
dans sa conception, libre de toute concupiscence, exempte de toute
imperfection, pleine de grâce plus que tous les anges et tous les saints, Mère
de Dieu et toujours Vierge, glorifiée dans son corps, comme moi-même, dès avant
la résurrection générale[777].
Jésus aima sa Mère, il l’aima d’un amour spontané,
gratuit, propre à toute créature. La mesure de cet amour est l’amour du
Créateur pour sa créature. Marie, parce qu’elle est la plus importante de
toutes les créatures, se sut aimée par Dieu plus que toutes les autres y
compris angéliques :
Que ne dut pas être la
consolation de Marie de se voir aimée d’un amour si singulier : amour
incommensurable du plus parfait des enfants des hommes, amour infini de son
Dieu ; amour qui l’élisait et la prédestinait avant toutes les créatures,
conjointement avec l’humanité du Christ ; qui, avec Jésus, la promettait
aux hommes dès la chute d’Adam, et, à travers toute l’Ancienne Alliance, la
leur présentait comme leur grande consolation ; amour qui, dans sa
conception déjà, la formait plus belle, pure, plus sainte que toutes les
créatures humaines, et qui continuait à la combler de grâces et de privilèges
inouïs parmi les anges et parmi les hommes[778].
Mais à cet amour de Dieu, vient s’unir et non pas se
surajouter l’amour filial du Christ pour sa Mère, sa Maman, celle par qui il
reçut sa nature humaine :
Et ici encore, il y eut entre
l’amour de Jésus pour Marie et son amour pour les autres élus, une différence
non seulement de degré mais aussi de nature. Les autres créatures, le Fils de
Dieu les aime comme on aime des serviteurs, des frères d’adoption ; il
aime Marie comme sa vraie Mère. Il l’aime et elle seule d’un amour filial. Entendre Jésus lui dire :
«Ma Mère !», voir le Fils de Dieu d’abord petit Enfant, puis Adolescent,
puis Homme fait, lui témoigner les marques d’un amour filial de toute éternité
et que cet amour n’aura pas de fin, que toujours Jésus sera son Fils, que
toujours elle sera sa Mère, oh ! L’infinie béatitude[779] ! [...]
L’amour salvifique de Dieu pour sa Mère, considéré
dans son premier aspect est la cause de la prédestination de la Vierge, mais il
en est également l’effet s’il est considéré sous son second aspect. Dieu aima
la Vierge d’un amour éternel, elle est devenue ce qu’elle est : Mère de
Dieu, Mère des hommes, Co-rédemptrice etc. Mais en sa qualité de Mère de Dieu,
elle est aimée d’un incomparable amour filial.
Si Marie fut créée par Jésus, pour être sa Mère,
cette vocation unique ne se limita pas à être seulement une vocation à devenir
la Mère du corps physique du Christ-tête. Elle fut appelée, dans le même
mouvement, à devenir la Mère du Corps Mystique du Christ. Sa mission de Mère du
Christ, de Mère de Dieu, s’étend à tout le corps du Christ. Nous passons de la
maternité divine à la maternité spirituelle de Marie pour tout le Corps
Mystique du Christ qui est l’Eglise :
Comprends-tu maintenant
comment, en te rendant participant de la vie de Dieu, Marie est vraiment ta
Mère dans l’ordre surnaturel, de même que celle qui t’a donné la vie humaine
est vraiment ta Mère dans l’ordre naturel ?
Elle l’est même bien plus.
Elle l’est bien plus par la
manière dont elle te donne la vie.
Pour t’enfanter, elle a donné
incomparablement plus que ta Mère terrestre : d’inénarrables souffrances
et la vie de Celui qui lui était infiniment plus cher que sa propre vie.
[…] Elle l’est bien plus
surtout par la nature de la vie qu’elle t’a donnée.
Elle t’a donné non une vie
éphémère comme ta vie terrestre, mais une vie sans fin ; non une vie mêlée
d’imperfections et d’angoisses à la manière de la vie présente, mais une vie
incomparablement heureuse ; non une vie créée, humaine ou angélique, mais
- comprends-le bien - une participation à la vie incréée, à la vie même de
Dieu, à la vie de la très Sainte Trinité […] Quelle maternité humaine pourrait
entrer en comparaison avec une telle maternité ?
Or, Marie est ta vraie Mère,
et une Mère si parfaite, parce qu’elle est ma Mère.
Et tu es mon frère, mon frère
infiniment cher, parce que mon Père est ton Père et ma Mère est ta Mère […] [780]
La Vierge, Mère du Corps Mystique, existe pour être
aimée du Christ-tête et du Christ total en chacun de ses membres. L’union du
chrétien avec Jésus doit devenir peu à peu une unité d’être et d’action ;
c’est pourquoi tout baptisé est appelé à aimer sa Mère céleste en union avec le
Christ. Il devient le modèle de notre relation filiale avec Marie :
Tu vis par moi. Mes
dispositions doivent devenir tes dispositions.
Je suis le cep de la vigne, tu
en es une branche : la même sève circule dans le cep et dans les branches.
Je suis la tête, tu es un
membre de mon Corps Mystique : le même sang coule dans la tête et dans les
membres.
Quand tu es pur, c’est moi qui suis pur en
toi ; quand tu es patient, c’est moi qui suis patient en toi ; quand
tu pratiques la charité, c’est moi qui pratique la charité en toi ; tu
vis, ce n’est plus toi qui vis, c’est moi qui vis en toi ; tu aimes ma
Mère, non, ce n’est plus toi qui l’aimes, c’est moi qui l’aime en toi[781].
Dans sa doctrine comme dans la théologie des
premiers Pères de l'Eglise, le Mystère de l'Incarnation est le point de
perspective de toute l'Economie du salut.
Emile Neubert contemple tous les mystères à partir
de l'Incarnation qui s'est accomplie au moment de l'Annonciation. Dans Mon idéal, Marie apparaît comme la
réponse de Dieu face à la désobéissance d’Adam et Eve :
Je pense à elle en prononçant
ma sentence contre tes premiers parents ; je pense à elle en me révélant
aux patriarches et aux prophètes[782].
La Mère, c’est la femme qui donne la vie. Marie t’a
donné la vie, la vie par excellence.
Elle te l’a donnée à Nazareth, au Calvaire et dans
ton baptême. A Nazareth, elle t’a conçu en me concevant.
Elle savait qu’en répondant à Gabriel «oui» ou «non»
elle te donnerait la vie ou te laisserait dans la mort. Elle a dit «oui» pour
que tu vives. En consentant à me donner la vie, elle consentait à te la donner
aussi. En devenant ma Mère, elle devenait la tienne[783].
Le Cardinal de Bérulle et les auteurs de l’Ecole
Française de Spiritualité pour qui, l'Incarnation récapitule la création ainsi
que les Mystères de la Rédemption et de l'Eglise, reprirent et approfondirent
cette perspective patristique. Le bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade la
développera largement, Emile Neubert s’en inspirera.
L’obéissance maternelle de la Nouvelle Eve dans
l'Incarnation, «de manière à porter Dieu en obéissant à sa parole»[784], est liée à
l'obéissance filiale au Père du Nouvel Adam «jusqu'à la mort et la mort de la
Croix» (cf. Ph 2, 8). Il contemple
Marie près de la Croix, acceptant pleinement le Sacrifice de son Fils. Marie
offre à Dieu le Père son Fils Jésus et, dans le même mouvement, Jésus s’offre à
son Père : «immolé par son consentement au Père Eternel, comme autrefois
Isaac par le consentement d'Abraham à la volonté de Dieu[785].»
Sur le Calvaire, elle t’a enfanté en m’offrant en
sacrifice pour toi.
Ta libération du péché et de la mort n’a été
consommée que sur le Golgotha. C’est là que j’achevai «la destruction de celui
qui détenait l’empire de la mort» et te méritai, par ma mort, la grâce de vivre
de ma vie. Or, c’est en union avec Marie que j’accomplis cette œuvre. Elle
m’avait conçu comme victime ; elle m’avait nourri et élevé en vue du
sacrifice ; et au moment suprême, elle m’offrit au Père pour ton salut,
renonçant, en ta faveur, à ses droits maternels sur moi. Et celle qui, toujours
vierge, ne connut que la joie dans la naissance de son premier-né t’enfanta,
toi et tes frères, dans la douleur la plus angoissante[786].
Dans l'Incarnation, la réalité du Corps Mystique de
Jésus-Christ qui est l’Eglise est présente, autant que son obéissance
rédemptrice. Il poursuit la réflexion de saint Thomas, de Bérulle et de
Guillaume-Joseph Chaminade sur le symbole paulinien de la Tête et des membres
de façon forte et réaliste ; «la Tête et les membres sont perçus comme une
seule personne mystique[787].» Jésus est la Tête
du Corps Mystique dès l'instant de sa conception, à cause de l'union
hypostatique :
Dès cette heure (de l’Annonciation), dans les desseins
de Dieu et dans ses desseins - car elle entrevoyait les desseins de Dieu et
elle y adhérait de toute son âme - tu faisais partie de mon Corps Mystique.
J’en étais la tête, tu en étais un membre. Ensemble, quoique d’une autre façon,
Marie nous portait tous deux dans son sein maternel, car les membres et la tête
ne sont pas séparés[788].
Lors du congrès mariologique de Salamanque en 1949,
auquel il participa ainsi que le Père Du Manoir et Monseigneur Philips, cette
idée fut reprise. Il prononça une conférence sur Le Mystère du Christ et le Mystère de Marie au cours de laquelle il
développe l’idée que nous pourrions considérer vraiment comme une clef
d’interprétation et de compréhension de toute sa pensée mariale, la spécificité
du mystère de Marie : il est évident pour lui, que Marie tient une place
et un rôle unique à côté de son Fils. Elle est la Mère du Christ-tête mais
aussi du Christ total, dans son sens mystique.
S’il nous fallait rechercher le premier principe
fondateur de la mariologie d’Emile Neubert, nous devrions regarder au-delà de
la maternité divine et de sa coopération à la Rédemption, deux éléments qui ne
peuvent rendre compte totalement du mystère de Marie. Il s’agit de
l’approfondir et, nous trouverions le principe qui porte ces deux réalités ;
il devrait embrasser toute l’approche mariale, nous le trouvons constamment
sous sa plume comme une couleur primaire pour toute son œuvre : la maternité de
la Vierge en vue du Christ total ; une maternité que lui confirma le
Crucifié qu’elle accompagna avec Jean, le disciple bien-aimé, tous les deux
debout au pied de la Croix dans un amour offert et de compassion.
La maternité ecclésiale de Marie destinée à tous les
hommes sans exception, qui va s'épanouir à la Croix, commence mystérieusement
au moment de l'Incarnation. En portant dans son sein «Celui que les cieux ne
peuvent contenir», elle porte tous les membres de son Corps. Paul VI exprima la
même doctrine quand il promulgua la Constitution Lumen Gentium et lorsqu’il proclama Marie Mère de l’Eglise :
Comme la divine maternité est
le fondement de la relation unique de Marie avec le Christ et de sa présence
dans l'œuvre du salut opéré par le Christ, de même, cette divine maternité est
le fondement principal de la relation entre Marie et l'Eglise. Marie est en
effet la Mère du Christ qui, dès
l'instant où il a assumé la nature humaine dans son sein virginal, a aussitôt
uni à lui-même, comme à la Tête, son Corps Mystique qui est l'Eglise. Donc,
Marie, comme Mère du Christ, est aussi Mère de tous les fidèles et de tous les
pasteurs, c'est-à-dire Mère de l'Eglise.
Dans Mon idéal,
nous retrouvons les mêmes accents quand Emile Neubert fait parler Marie en ces
termes :
En m’annonçant que le Fils de
Dieu désirait naître de moi, Gabriel m’annonçait en même temps que ce Fils de
Dieu devenu mon fils s’appellerait Jésus ou Sauveur, et je comprenais que ce
Sauveur voulait m’associer à son œuvre rédemptrice. Je voyais que, par mon
consentement à coopérer à la proposition divine, je consentirais à coopérer à
la fois au mystère de l’Incarnation et au mystère de la Rédemption.
Je donnai mon consentement.
Depuis ce moment jusqu’au
dernier soupir de Jésus, je travaillai avec lui au rachat des hommes : en
fournissant la substance de la Victime et en élevant cette Victime en vue du
sacrifice, en unissant mes supplications et mes souffrances à ses supplications
et à ses souffrances, ma volonté à sa volonté, et en offrant mon fils au Père
céleste pour l’immolation suprême. Jésus était Rédempteur : je fus sa
co-rédemptrice[789].
Dans sa Lettre
aux Familles montfortaines, le pape Jean-Paul II synthétise avec une grande
clarté la doctrine conciliaire, doctrine qu’Emile Neubert possédait concernant
Marie, Mère de l'Eglise :
Le Concile contemple Marie
comme Mère des membres du Christ (cf. LG
53, 62), et ainsi Paul VI l'a proclamée Mère de l'Eglise. La doctrine du Corps
Mystique, qui exprime de la manière la plus forte l'union du Christ avec
l'Eglise, est également le fondement biblique de cette affirmation. Dans le
Christ, le Fils unique, nous sommes réellement des enfants du Père et, dans le
même temps, des enfants de Marie et de l'Eglise. Dans la naissance virginale de
Jésus, c'est d'une certaine façon toute l'humanité qui renaît. A la Mère du
Seigneur on peut appliquer plus véritablement que saint Paul ne se les
applique, ces paroles : «Mes petits enfants, vous que j'enfante à nouveau
dans la douleur jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous (Gal 4, 19)[790].»
Jean-Paul II affirme que l’humanité renaît dès la
naissance virginale de Jésus ; ce faisant, il nous renvoie à l'un des
aspects essentiels de la «doctrine neubertienne» : le lien profond qui
existe entre le Mystère de l'Incarnation et le Sacrement du baptême.
A ton baptême, Marie te donne
la vie, non plus seulement en droit, comme sur le Calvaire, mais en fait. Ta
Mère naturelle n’a mis au monde qu’un enfant mort-né. Pour que tu arrives à la
vie, il faut que la grâce sanctifiante te soit infusée dans les fonts
baptismaux.
Cette grâce sanctifiante,
c’est Marie qui te l’a obtenue, elle sans qui nulle grâce n’est jamais donnée.
Quand, d’enfant de colère, tu devins enfant de Dieu, c’est Marie qui
t’enfantait à la vie divine.
Comprends-tu maintenant
comment, en te rendant participant de la vie de Dieu, Marie est vraiment ta
Mère dans l’ordre surnaturel, de même que celle qui t’a donné la vie humaine
est vraiment ta mère dans l’ordre naturel[791] ?
Dans la perspective de l'Ecriture et, sur les traces
des premiers Pères de l'Eglise, l'enseignement spirituel de Mon idéal se fonde sur le baptême qu’il
considère précisément comme la nouvelle naissance des membres du Christ. Tout
baptisé «est né de l'eau et de l'Esprit» (Jn
3, 5) pour être incorporé dans le Christ. En effet, «nous avons tous été
baptisés en un seul Esprit pour former un seul Corps» (1 Co 12, 13). Comme saint Irénée, il contemple le mystère de la
naissance baptismale, dans la lumière de l’Incarnation[792]. Dans l'Eglise, le
baptême «actualise» continuellement le mystère de la maternité virginale de
Marie par l'action de l'Esprit Saint. C'est le même «sein virginal» de Marie et
de l'Eglise qui conçoit et enfante le Christ et les membres de son Corps[793].
Notre auteur fait s’adresser Jésus à tous les
baptisés en leur disant :
Nouvel Adam, je voulus, pour
réparer la faute première, m’associer ma Mère en qualité de nouvelle Eve, par
une coopération de volonté, de prière et de sacrifice : elle comprit
parfaitement et consentit généreusement[794].
Dans le texte de Mon
idéal, à la suite de Guillaume-Joseph Chaminade, qui applique les paroles
de saint Paul à Marie : «J'enfante tous les jours les enfants de Dieu,
jusqu'à ce que Jésus-Christ mon Fils soit formé en eux dans la plénitude de son
âge», Emile Neubert commente cette maternité de Marie par ces termes :
Elle continue, pendant tout le
cours de ton existence, à s’occuper de toi, alors que les mères terrestres ne
prennent soin de leurs enfants que jusqu’à l’âge adulte. Toujours tu seras son
«petit enfant qu’elle enfante de nouveau jusqu’à ce que le Christ soit formé en
toi[795].»
Ces derniers mots font allusion aux paroles de saint
Paul, ils concernent la croissance des membres du Christ : «jusqu'à l'état
de l'homme parfait, dans la force de l'âge, qui réalise la plénitude du Christ»
(Eph 4, 13). Dans ses écrits, c'est
une des expressions clefs qui soulignent que nous sommes appelés à une relation
filiale envers Marie. Le but de la vie spirituelle, à travers ses diverses
étapes, est d’atteindre le but que se fixe Marie : la transformation en
Jésus. Notre auteur met ces paroles sur la bouche de Marie :
Mon Fils bien-aimé, toi que
j’ai enfanté en enfantant Jésus, toi en qui je vois Jésus et que j’aime de
l’amour dont j’aime Jésus, mon Fils premier-né t’a appris à être pour moi ce
qu’il a été lui-même ; je vais être pour toi ce que j’ai été pour lui.
Comme lui, tu t’es tout donné
à moi. Mais je ne veux pas te garder pour moi seule. C’est pour Jésus et pour
toi, pour Jésus en toi et dans les autres, que je t’ai appelé à être mon enfant
de prédilection. Tu ne peux encore comprendre tout ce que je te dis ; tu
le comprendras peu à peu […][796]
Dieu appela Marie à une tâche bien précise quant au
Christ total : alors qu’elle donna au Verbe de Dieu l’humanité de Jésus,
son corps physique, pour que s’opère notre Rédemption, elle reçoit en échange
un Corps Mystique destiné à être l’objet de son amour et de ses attentions
maternelles. Elle devra le reconstituer dans l’unité avec le Christ-tête, car
c’est seulement dans cette unité que les hommes trouveront la vie et le salut. Mon idéal peut être lu dans la grande
perspective patristique du nouvel Adam et de la nouvelle Eve, bien développée
dans Marie dans le dogme.
Au pied de la croix, «elle
était triste, parce que son heure était venue», heure d’angoisses indicibles,
suite de la malédiction de la première Eve. Mais à présent, c’est de nouveau
l’ineffable joie de l’enfantement virginal, comme à cette autre inoubliable
heure où, dans la grotte de Bethléem, elle mit au monde son Premier-né, le
Christ. C’est «le plus grand Christ» qu’actuellement elle enfante, et nouvelle
Eve, elle est vraiment la Mère des Vivants. Ainsi par son triple concours à
l’incarnation, à la Rédemption et à la distribution de la grâce - concours qui
n’est triple que dans ses moments, mais est un dans son intention - elle nous a
vraiment donné la vie surnaturelle, et elle a aussi vraiment coopéré à notre
naissance comme enfants de Dieu, que nos mères selon la nature ont contribué à
notre naissance comme enfants d’Adam[797].
Il convient maintenant
d’approfondir cette mission maternelle de Marie, elle est aussi celle de l’Eglise. Elle
est appelée à faire naître à la vie nouvelle du baptême les hommes qui accèdent
à la foi. Une brève reprise de l’enseignement du Concile Vatican II nous aidera
à bien situer l’enseignement d’Emile Neubert sur le rôle maternel de Marie.
Le Concile mit en lumière la maternité de Marie et
de l'Eglise, un mystère de vie et de relation d'amour avec le Christ et tout le
genre humain. Marie est vraiment la «Mère de Dieu et des hommes[798]», Mère du
Rédempteur et de l'homme racheté, c'est-à-dire de tout homme sauvé par le
Christ. La Nouvelle Eve est «Mère de tous les vivants[799]». L'accent est mis
sur le «rôle» (munus) maternel de
Marie[800]», considéré dans
toute son extension : «dans le Mystère du Verbe Incarné et de son Corps
Mystique[801]». Ce rôle, annoncé
dans l'Ancien Testament[802], se manifeste en
une libre coopération au moment de l'Incarnation :
C'est donc à juste titre que
les Saints Pères considèrent que Marie ne fut pas seulement un instrument
passif dans les mains de Dieu, mais qu'elle coopéra
au salut du genre humain par la liberté de sa foi et de son obéissance. En
effet, comme dit saint Irénée, par son obéissance elle est devenue, pour
elle-même et pour tout le genre humain, cause de salut[803].
Marie, par son fiat
engage tout son être dans cette coopération, car elle a «accueilli dans son
cœur et dans son corps le Verbe de Dieu[804]». Ensuite, elle est
contemplée à «la Croix, souffrant cruellement avec son Fils unique, associée
d'un cœur maternel à son sacrifice, donnant à l'immolation de la victime, née
de sa chair, le consentement de son amour[805].» La coopération de
Marie exprime sa parfaite communion à tous les mystères de son Fils :
En concevant le Christ, en le
mettant au monde, en le nourrissant, en le présentant dans le Temple à son
Père, en souffrant avec son Fils qui mourait sur la croix, elle apporta à
l'œuvre du Sauveur une coopération
absolument sans pareille par son obéissance, sa foi, son espérance, son ardente
charité, pour que soit rendue aux âmes la vie surnaturelle. C'est pourquoi elle
est devenue pour nous, dans l'ordre de la grâce, notre Mère[806].
Le texte conciliaire, poursuivant sa logique, met en
lumière l'extension de sa maternité :
A partir du consentement
qu'elle apporta par sa foi au jour de l'Annonciation et qu'elle maintint dans
sa fermeté sous la croix, cette maternité de Marie dans l'économie de la grâce
se continue sans interruption jusqu'à la consommation définitive de tous les élus.
En effet, après son Assomption au ciel, son rôle (munus) dans le salut ne s'interrompt pas : par son
intercession répétée, elle continue à nous obtenir les dons qui assurent notre
salut éternel. Son amour maternel la rend attentive aux frères de son Fils dont
le pèlerinage n'est pas achevé, ou qui se trouvent engagés dans les périls et
les épreuves, jusqu'à ce qu'ils parviennent à la patrie bienheureuse[807].
La même coopération
maternelle est encore affirmée par rapport au Christ et à nous :
Elle engendra son Fils, dont
Dieu a fait le premier-né parmi beaucoup de frères (Ro 8, 29), c'est-à-dire parmi les croyants, à la naissance et à
l'éducation desquels elle apporte la coopération
de son amour maternel[808].
En union avec Marie, tel est aussi l'amour maternel
de l'Eglise et sa coopération au salut de tous les hommes :
La Vierge a été par sa vie le
modèle de cet amour maternel dont doivent être animés tous ceux qui, associés à
la mission apostolique de l'Eglise, coopèrent
à la régénération des hommes[809].
Cette coopération maternelle de Marie (et de
l'Eglise) est expliquée comme participation à l'unique médiation du
Christ :
Unique est notre Médiateur
selon les paroles de l'Apôtre : Car
il n'y a qu'un Dieu, il n'y a aussi qu'un Médiateur entre Dieu et les hommes, le
Christ Jésus, homme lui-même, qui s'est donné en rançon pour tous (1Tm 2, 5-6). Le rôle maternel (maternum munus) de Marie à l'égard des
hommes n'offusque et ne diminue en rien cette unique médiation du Christ :
il en manifeste au contraire la vertu[810].
Sur ce point, l'enseignement du Concile est d'une
grande clarté :
Aucune créature ne peut jamais être mise sur le même pied que le Verbe
incarné et Rédempteur. Mais tout comme le sacerdoce du Christ est participé
sous des formes diverses, tant par les ministres que par le peuple fidèle, et
tout comme l'unique bonté de Dieu se répand réellement sous des formes diverses
dans les créatures, ainsi l'unique médiation du Rédempteur n'exclut pas, mais
suscite au contraire une coopération participée de la part des créatures, en
dépendance de l'unique source. Ce rôle subordonné (munus subordinatum) de Marie, l'Eglise le professe sans
hésitation ; elle ne cesse d'en faire l'expérience ; elle le
recommande au cœur des fidèles pour que cet appui et ce secours maternels les
aident à s'attacher plus intimement au Médiateur et Sauveur[811].
Dans cette lumière, le Concile justifie pleinement
les fortes expressions traditionnellement employées par le Peuple de Dieu et
par les saints :
La Bienheureuse Vierge Marie
est invoquée dans l'Eglise sous les titres d'avocate, d'auxiliatrice, de
secourable, de médiatrice, tout cela cependant entendu de telle sorte que nulle
dérogation, nulle addition n'en résulte quant à la dignité et à l'efficacité de
l'unique Médiateur, le Christ[812].
Dans le prolongement du Concile, l'Encyclique Redemptoris
Mater de Jean-Paul II développe amplement le thème de la médiation
maternelle de Marie.
C'est dans la lumière du Concile que l'on peut
redécouvrir la splendeur théologique de la maternité présente dans Mon idéal. C’est une théologie
«sapientielle», expérimentale. Elle représente un des contenus essentiels de sa
doctrine, ce qui explique son universalité et son succès dans les différentes
cultures. La maternité est une réalité essentielle, du point de vue théologique
comme du point de vue anthropologique, inséparable dans la création et
l'Incarnation. La maternité est un mystère fondamental de vie et d'amour et, le
langage de l'amour maternel que Dieu utilise dans la Bible[813] - tout comme le
langage de l'amour paternel et de l'amour sponsal - est un langage universel.
Il parle toujours au cœur de l'homme et de la femme dans toutes les cultures.
Ce Dieu qui, «à l'origine», créa notre humanité «à
son image et ressemblance» masculin et
féminin, «à la plénitude des temps» s'est fait homme en naissant d'une femme.
L'Incarnation du Fils est vraiment la «récapitulation» et la reprise de la
création par la maternité virginale de Marie. C'est une vraie maternité divine,
car elle est l'œuvre de l'Esprit Saint. Marie est Mère du Fils unique du Père par
sa foi et son obéissance.
C'est une vraie maternité humaine, car par l'action
de l'Esprit, le Fils du Père est devenu son Enfant, «le Fruit de son sein» (cf.
Lc 1,42), recevant d'elle toute la
réalité de son corps. La théologie de la maternité est une théologie de
l'Esprit, de la chair, du cœur et du corps. Aucun de ces éléments ne peut lui
être séparé.
IV.2.3.3 La maternité
dans «l'ordre de la nature» et dans «l'ordre de la grâce»
Dans Mon idéal,
la maternité virginale de Marie est unie à la réalité de la grâce et de la
nature, de l'Esprit et de la chair. Souvent, en référence à la maternité, Emile
Neubert manifeste l'harmonie profonde qui existe entre «l'ordre de la nature»
et «l'ordre de la grâce», Dieu lui-même étant l'auteur de ces deux ordres. En
effet, la grâce ne va jamais contre la nature, mais elle en est le plein
accomplissement :
Elle t’aime, toi, tout
imparfait et ingrat que tu es, d’un amour qui dépasse en intensité et en pureté
l’amour de toutes les mères pour leurs enfants.
Elle t’a donné non une vie
éphémère comme ta vie terrestre, mais une vie sans fin ; non une vie mêlée
d’imperfections et d’angoisses à la manière de la vie présente, mais une vie
incomparablement heureuse ; non une vie créée, humaine ou angélique, mais
– comprends-le bien – une participation à la vie incréée, à la vie même de
Dieu, à la vie de la très sainte Trinité. Et c’est pour cela que cette vie sera
sans fin et incomparablement heureuse, parce qu’elle participe à l’éternité et
à la béatitude de Dieu. Quelle maternité humaine pourrait entrer en comparaison
avec une telle maternité[814] ?
Si le Christ est la voie, la maternité de Marie est
la voie de sa venue à nous et de notre retour à lui : voie descendante de
l'Incarnation et ascendante de notre divinisation. Il exprime clairement cette
pensée dans les perspectives de la théologie patristique : Dieu s'est fait
homme pour que l'homme devienne Dieu. Il est descendu jusqu'à nous pour nous
faire monter jusqu'à lui.
Il connaît par expérience l'amour maternel de Marie,
dans sa double réalité, humaine et divine. Cet amour maternel contient toute la
richesse humaine, mais il en dépasse toutes les limites jusqu’à consentir à la
Croix.
L'amour maternel de Marie participe à l'Amour du
Père «qui n'a pas épargné son propre Fils, mais qui l'a livré pour nous tous»
(cf. Rm 8, 32). Fille d'Abraham,
Marie consentit à la mort rédemptrice de son Fils. L'Amour maternel de Marie
est un amour tendre et doux, il protège et console les enfants. Mais Marie est
aussi la Femme Forte, son amour est fort et exigeant ; il n’épargne pas
ses enfants, mais les aide à grandir. Il les amène à l’acceptation de la Croix
de Jésus et des nécessaires purifications ; elles sont indispensables pour
arriver à la maturité chrétienne qui est la sainteté. Mais Marie le fait avec
tout son génie maternel, jusqu’à nous conduire à embrasser la Croix par une
conversion totale. Notre auteur met
ces paroles dans la bouche de Marie :
Mon fils, écoute et comprends.
Je veux t’enseigner une doctrine d’autant plus difficile à saisir que tu
t’imagines la connaître depuis longtemps : la doctrine du salut par la
croix.
Tous ceux qui s’occupent
d’apostolat chrétien savent que la souffrance joue un rôle capital dans le
rachat des âmes ; que c’est par sa Passion et sa mort que Jésus a délivré
le monde ; que, pour être co-rédemptrice, j’ai dû devenir la Mère des
Douleurs ; et que tous les grands apôtres ont passé par de grandes
tribulations.
Mais quand la souffrance vient
les visiter eux-mêmes, beaucoup d’entre eux ne se souviennent plus de sa
signification ; ils s’étonnent et se découragent. Pour eux comme pour les
juifs, la croix est restée un sujet de scandale. Pensent-ils donc participer à
l’action rédemptrice du Christ sans participer aussi à sa Passion
rédemptrice ?
Quant à toi, regarde en face
la croix qui t’attend.
Il faudra t’imposer de durs
sacrifices ; il te faudra travailler, peiner, te dépenser, t’épuiser au
service des âmes. Et cela non seulement pendant quelques heures ou quelques
jours, mais aussi longtemps qu’il y aura des âmes à sauver ; non seulement
dans les moments d’enthousiasme et de succès, mais parmi les difficultés et les
dégoûts.
Et il faudra te charger de
volontaires immolations, il faudra te faire victime à la place des âmes à
racheter ; et plus tes efforts paraîtront stériles ou ardus, plus il te
faudra y joindre de mortifications et d’expiations[815].
C'est par une parabole de l'amour maternel qu’il
relève un aspect essentiel de la mission maternelle de Marie : nous aider
à accepter toujours la Croix de Jésus, à boire la Coupe amère de sa Passion.
Mais à travers la douceur de son amour maternel, c'est toujours «l'Esprit
Consolateur» qui agit :
Quand la douleur te visite
dans ton apostolat, viens te serrer plus près de moi. Ensemble, nous monterons
sur le Calvaire. Là, près de la croix du Rédempteur, tu comprendras l’infinie
valeur de cette souffrance qui te déconcertait et t’écrasait.
Même la souffrance que te
prépare la sottise ou la malignité humaine te deviendra douce. Tu y verras non
plus les hommes qui te l’envoient, mais Jésus et ta Mère qui te convient à
partager leur mission rédemptrice, et les âmes qu’elle te permet de sauver…
C’est une doctrine bien
austère que je te prêche, mon enfant, mais une doctrine de foi, d’amour et de
victoire.
Ai-je trop présumé de toi en
te croyant capable de la comprendre[816] ?
La croix que Marie nous présente - la Croix de son
Fils -, est l’instrument victorieux de notre Rédemption. C’est l’instrument
auquel elle-même fut associée comme Mère du Crucifié. Or, tout son emploi est
de nous unir à Jésus, en nous transformant en Lui.
IV.2.3.4 La transformation en Jésus
Emile Neubert met les paroles
suivantes dans la bouche de Marie :
Je veux m’occuper de ton
éducation comme je l’ai fait pour mon Fils Jésus. Tu es mon enfant parce que tu
ne fais qu’un avec lui ; c’est encore lui que j’élèverai en t’élevant.
T’élever, c’est t’apprendre à
vivre pleinement de la vie de Jésus, à penser comme lui, à aimer comme lui, à
vouloir comme lui, à parler et à agir comme lui, à te changer en lui. C’est
opérer en toi une transformation analogue à celle que le prêtre opère dans
l’hostie : pour les sens, l’hostie est toujours du pain ; mais pour
la foi, c’est Jésus. Toi, à l’extérieur, tu resteras toi ; mais à
l’intérieur, d’une certaine façon, ce sera lui.
Idéal trop sublime pour toi,
penses-tu. Ne t’effraie pas : je connais bien le modèle à reproduire, et
je m’entends à façonner les âmes à sa ressemblance[817].
Il veut que nous entrions dans l’intelligence du
lien qui relie les deux natures de la maternité de Marie : spirituelle et
divine. Il nous invite à considérer ces deux natures comme deux fonctions
dépendantes d’un unique et indivisible décret divin.
La mission éducatrice de Marie qu’il nous révèle est
une pédagogie de la sainteté, elle nous transforme en Jésus. Il fait appel à la
nécessaire coopération de tout baptisé qui, pour vivre une authentique mission
apostolique, doit accepter les purifications indispensables. La Vierge a besoin
de notre collaboration. Elle nous forme à cette fin. Elle veut des apôtres
généreux et décidés qui puissent montrer à leurs frères la voie à suivre, celle
qui conduit au salut et à la vraie vie de Jésus :
Pour continuer sur terre la mission reçue du Père,
Jésus a voulu avoir besoin du concours de ses apôtres et de leurs successeurs.
De même, pour accomplir ma mission conquérante dans le monde, j’ai besoin
d’auxiliaires et de soldats. Quand verra-t-on les merveilles que j’ai
annoncées ? - Quand mes enfants comprendront mon rôle apostolique et
consentiront à combattre à mes côtés et sous mes ordres[818].
Marie, en vue de cette collaboration, demande une
donation totale de nous-mêmes. Nous devons imiter le Christ dans sa relation à
sa Mère : l’amour[819], l’obéissance[820], l’honneur qui lui
est dû[821], la ressemblance[822], l’abandon[823], la vie d’union[824] et l’écoute de
Marie[825] ; ce qu’en
d’autres ouvrages, il nomme La
consultation de Marie.
Consultes-moi après tes manquements et tes négligences, et je
t’apprendrai à faire de chacune de tes fautes une «heureuse faute» […] Consulte-moi, en particulier,
chaque fois que tu prends une résolution. Demande-moi ce que je désire de toi
et dis-moi ce que tu te proposes de faire.
Je ne vais sans doute pas te
répondre par une révélation. Mais si tu viens à moi en toute confiance, dans la
sincère disposition d’exécuter ce qui te semblera être ma volonté, tu
comprendras d’ordinaire si, oui ou non, j’approuve ta résolution. Si oui,
confie-la-moi pour que je t’aide à la réaliser. Si non, prie et réfléchis et
soumets-moi une résolution plus précise que je puisse approuver[826].
Les conditions pour s’unir à Marie en vue d’être
transformé en Jésus exigent l’usage des vertus théologales. Elles permettent une
identification progressive avec son Fils jusqu’à ce que nous puissions répondre
à l’appel d’union de volonté ou de pensée avec Jésus comme le suggère le titre
du chapitre III de son livre III dans Mon
idéal. L’activité de l’âme peut très bien s’apparenter aux
« troisièmes demeures » du château
intérieur de sainte Thérèse d’Avila qui devraient nous conduire à la nuit
des sens. Cette étape correspond à une adaptation de notre nature appelée à se
tourner vers son Créateur, dans une soumission d’amour douloureuse au départ
mais indispensable en vue de devenir l’instrument de la mission :
Mon fils, il ne te suffit pas de connaître les
pensées de Jésus pour aussitôt vivre de sa vie. Il te faut en même temps
combattre et dompter les ennemis qui s’opposent à la vie de Jésus en toi.
Or, sache que le plus dangereux de ces ennemis,
c’est toi-même.
Tu voudrais ne vivre que pour Jésus, et en même
temps tu voudrais suivre les tendances de ta nature dépravée. Ne t’y trompe
pas : «Nul ne peut servir deux maîtres.» Aussi longtemps que ta nature te
dirige, Jésus ne peut régner en toi. Il faut donc que tu fasses à cette nature
une guerre sans trêve ni merci, jusqu’à ce qu’elle laisse la place entièrement
libre à Jésus[827].
En fin pédagogue, il reprend l’une après l’autre les
tendances négatives de notre nature qui sont appelées à cette révolution
copernicienne qui consiste à se décentrer de soi pour ne plus se centrer que
sur Jésus. L’idolâtrie fait place aux vrais adorateurs du Père :
Les hommes tiennent beaucoup à leur défaut dominant :
c’est un compagnon avec lequel ils sont nés, ont été élevés et ont toujours
vécu, et qui leur a procuré de constantes satisfactions. Parfois même, ils le
prennent pour leur qualité maîtresse. Et sans doute chacun s’aime bien
soi-même ; mais il faut avoir le courage d’aimer Jésus plus que soi.
Ose reconnaître en toute simplicité ce que tu
dois lui sacrifier en toi.
Ne crains pas : en
renonçant à une vaine idole, tu posséderas le vrai Dieu ; en mourant à ta
nature viciée, tu vivras de la vie de Jésus[828].
Face aux idoles formées par les désirs égoïstes de
notre cœur, il nous propose une stratégie qui consiste à adopter les
dispositions qui sont celles de Jésus - attitudes intérieures que des temps de
retraite ou de relecture spirituelle quotidienne permettent de raviver - ainsi
que les vertus de Marie : l’abnégation, la constance, la générosité.
Ce travail de conversion a pour but la mission. Il
n’est en rien une recherche de perfection pour soi-même, fut-ce sous le couvert
de la sanctification personnelle. Et cette mission n’est pas à proprement
parler notre mission mais une participation à la mission du Christ qui
s’associe Marie pour appliquer les grâces de la Rédemption. D’où la nécessaire
découverte de la mission de Marie comprise en dépendance essentielle avec celle
de son Fils.
La Constitution Lumen Gentium éclaire la relation si intime et
mystérieuse entre Marie et l'Eglise. La relecture de Mon idéal à la lumière de l'enseignement conciliaire se révèle
singulièrement féconde pour expliciter toute l’ecclésiologie missionnaire qui y
est contenue, bien qu’il ait peu développé le thème : «l’Eglise en son
mystère[829].» Mais son
enseignement, en vue de l’évangélisation, met en valeur la dimension mystique
de l'enseignement du Concile à partir de la mission confiée à tous les
baptisés.
Dans cette lumière convergente et la perspective de
la mission, nous considérerons successivement : l’union de Marie et de
l'Eglise : «union mystique avec le Christ» et, l’aspect missionnaire de la
victoire du bien.
Notre auteur fait dire à Marie :
Ayant donné Jésus au monde entier au jour de
l’Incarnation, je dois le donner à chaque homme en particulier à travers les
âges. Coopératrice de Jésus dans l’œuvre de la Rédemption, je dois rester sa
coopératrice dans l’application de la Rédemption à chaque âme individuelle. Car
la Rédemption n’est pas achevée : il faut que la grâce du salut, méritée à
tous sur le Calvaire, soit encore appliquée à chaque homme à mesure qu’il vient
en ce monde.
Voilà ma mission jusqu’à la fin des temps. Avec
Jésus, j’ai travaillé au rachat universel des âmes ; avec Jésus, je dois
travailler à leur conversion et sanctification.
Pourrait-il en être autrement ? En devenant
Mère de Jésus, je suis devenue Mère de tous ceux qui doivent être ses frères.
Ne faut-il pas que, en vraie Mère, je veille sur la vie et le salut de ceux que
j’ai enfantés ?
Tu le vois, c’est une mission apostolique que Dieu
m’a confiée le jour de mon entrée au ciel. Une mission apostolique universelle,
comme l’a été mon action de co-rédemptrice et comme l’est ma spirituelle
maternité.
Je suis la reine des apôtres. Je le suis non
seulement parce que j’ai veillé avec une affection maternelle sur les premiers
apôtres, non seulement parce que j’obtiens la fécondité à leurs successeurs et
que, sans mon intervention, ils seraient impuissants à faire aucun bien aux
âmes, mais parce que leur apostolat n’est qu’une participation limitée à
l’apostolat universel qui m’a été confié à moi tout d’abord[830].
Le Concile manifesta dans une lumière renouvelée la
relation de Marie avec l'Eglise, en se fondant sur celle de Marie avec le
Christ Sauveur. Selon les paroles de Paul VI dans son discours de promulgation
de la Constitution Lumen Gentium, le
but du concile Vatican II était précisément de «manifester le visage de
l'Eglise, à laquelle Marie est intimement unie[831].» Cette union est
tellement profonde et essentielle qu'on ne pourra plus considérer l'Eglise sans
Marie, ni Marie sans l'Eglise : «l'amour pour l'Eglise se traduira en
amour pour Marie, et inversement, parce que l'une ne peut subsister sans
l'autre[832].»
Dans la doctrine de ce Concile comme dans celle d’Emile
Neubert, cette union est présentée dans la continuité historique qui
caractérise le Mystère du Christ et de l'Eglise. Cette continuité est affirmée
au début du chapitre 8 de Lumen Gentium et
de l'article du Symbole sur l'Incarnation du Fils :
Pour nous les hommes et pour
notre salut, Il descendit du Ciel ; par l'Esprit Saint il a pris chair de
la Vierge Marie. Ce divin mystère de salut se révèle pour nous et se continue dans l'Eglise que le
Seigneur a établie comme son Corps[833].
La même vérité est exprimée par Emile Neubert dans Mon idéal quand il fait dire à
Jésus :
Ecoute encore : je vis
dans l’Eglise, mon Corps Mystique, dirigé par mon Esprit. Ce que mon Eglise
fait, c’est moi qui le fais ; ce que l’Eglise fait pour ma Mère, c’est moi
qui le fais pour elle. Songe à tout ce que l’Eglise lui a témoigné de
vénération et d’amour[834].
C’est de cette manière que le Mystère de l'Eglise
s’illumine dans sa réalité christocentrique et trinitaire et dans la dynamique
de l'Histoire du Salut, jusqu'à la fin des temps. Il exprime, avec simplicité
et clarté, l'unicité et l'universalité salvifique de Jésus-Christ et de
l'Eglise dans Mon idéal comme le
Concile l’exprime dans Lumen Gentium.
Marie est contemplée dans cette illumination, unie au Christ et à son Eglise.
Mais son point de vue sur le lien qui unit Marie à l‘Eglise consiste
essentiellement à souligner tout ce en quoi l’Eglise s’est rendue débitrice
envers la Vierge Marie et à rappeler tous les honneurs qu’elle lui a donnés.
Le thème de la Mission de Marie, comme union
parfaite au Christ dans l'Esprit Saint et avec le Père par le Christ, est
vraiment au centre de sa doctrine comme elle est au cœur de celle du Concile,
en lien avec Marie et l'Eglise. Telle est, selon Paul VI, la perspective
profonde de Lumen Gentium :
La réalité de l'Eglise ne
s'épuise pas dans sa structure hiérarchique, sa liturgie, ses sacrements et ses
aspects juridiques. Son essence intime, la source première de son efficacité
sanctificatrice, se trouvent dans son union
mystique avec le Christ, union que nous ne pouvons pas penser séparément de
Celle qui est la Mère du Verbe Incarné,
et que Jésus-Christ a voulu si intimement unie a lui pour notre salut[835].
Emile Neubert exprime cette même pensée, faisant
parler Jésus en ces termes :
Je ne me contente pas de la
faire participer à mes privilèges et à mon intimité : j’ai voulu qu’elle
eût part à la mission même que le Père m’avait confiée. Rédempteur, j’ai décidé
qu’elle fut co-rédemptrice avec moi, et que tout ce que je méritais en stricte
justice pour le salut du monde, elle le méritât par une suprême convenance[836].
Tous appelés à cette mission dans l'Eglise, nous
sommes appelés à vivre la même union intime avec le Christ comme Marie et avec
Marie.
T’élever, c’est t’apprendre à
vivre pleinement de la vie de Jésus, à penser comme lui, à aimer comme lui, à
vouloir comme lui, à parler et à agir comme lui, à te changer en lui. C’est
opérer en toi une transformation analogue à celle que le prêtre opère dans
l’hostie : pour les sens, l’hostie est toujours du pain ; mais pour
la foi, c’est Jésus. Toi, à l’extérieur, tu resteras toi ; mais à
l’intérieur, d’une certaine façon, ce sera lui[837].
C'est d'abord dans l'Incarnation qu’il contemple
l'union intime qui est établie entre Jésus et Marie, union à partir de laquelle
nous trouvons le modèle de notre relation à Marie :
Quand je décidai d’aller
réparer la gloire de mon Père et sauver l’humanité, une infinité de voies
s’ouvraient devant moi : à toutes les autres, j’ai préféré la voie de
Marie.
C’est librement et délibérément
que j’ai créé Marie pour qu’elle fût ma Mère, car elle n’eût pas vu l’existence
si je n’avais voulu lui confier cet office ; c’est librement et
délibérément que je l’ai faite telle qu’elle est, pour qu’ensuite elle me fît
tel que je suis.
Je suis son enfant en toute
vérité, et, comme tout autre enfant, j’ai voulu être formé de la substance de
ma Mère, j’ai voulu être nourri de son lait, j’ai voulu être soigné et élevé
par elle, j’ai voulu lui être soumis.
Je suis son enfant bien plus
que tu n’es l’enfant de ta Mère, car c’est d’elle seule que j’ai voulu tenir
toute mon humanité.
Je suis son enfant tout
entier, Dieu et homme, parce que celui à qui elle a donné naissance ne forme
qu’une seule et même personne[838].
Le chemin spirituel expérimenté et enseigné par
Emile Neubert a pour but principal une union intime avec Notre Seigneur et une
parfaite fidélité au Saint-Esprit, par le moyen d'une union avec la Très Sainte
Vierge à laquelle il nous invite.
Notre auteur met ces paroles dans la bouche de
Jésus :
Mon frère, j’ai encore à te
révéler un autre trait essentiel de ma piété filiale envers ma Mère : ma
vie d’union avec elle.
Si, pour tout enfant, il n’est
pas chose plus douce que l’intimité avec sa Mère, quelles furent les joies de
mon intimité avec Marie ?
Joies de ces neuf mois d’union
ineffable, alors que je ne faisais qu’un avec ma Mère et que, vivant
tabernacle, elle me portait toujours en elle ; car, tout au contraire des
autres enfants, j’ai connu ma Mère dès le premier moment de mon existence terrestre,
et dès lors ce fut, entre elle et moi, un continuel échange de pensées et
d’amour.
Joies de ces trente années
d’intimité sans pareille, à Bethléem, en Egypte, à Nazareth, quand elle me
portait dans ses bras, me voyait à côté d’elle, s’entretenait avec moi par la
parole ou par le regard. Trente longues années, seul avec elle seule et
Joseph ! […]
Or, mon frère bien-aimé, je
veux que tu partages cette union pour partager ces joies[839].
C’est dans la perspective d’une victoire annoncée
dès le départ que nous sommes entraînés au combat dans notre union avec Marie.
La mission nous renvoie à l’union à Jésus et Marie, et celle-ci nous renvoie à
la mission.
L’évangélisation, pour lui, se présente
essentiellement comme une lutte dans la mission confiée par Dieu à l’Eglise qui
a Marie comme Mère et comme modèle. Elle nous précéde dans cette lutte.
Notre auteur fait dire à Marie :
Cet apostolat est une lutte. Il faut que j’arrache
chaque âme à Satan pour l’amener à Jésus et au Père.
Au moment où le séducteur triomphait de nos premiers
parents, Dieu lui prédit sa défaite :
Je mettrai des inimitiés entre toi et la Femme, entre ta postérité et la
sienne. Elle t’écrasera la tête.
Je lui ai écrasé la tête dès mon Immaculée
Conception. Mais cette victoire-là n’était que la première d’une série infinie
de victoires. C’est jusqu’à la fin des temps que je dois lui écraser la tête.
Je suis son irréconciliable adversaire, plus terrible qu’une armée rangée en
bataille.
Dans la lutte pour les âmes, je lui ai infligé des
défaites dès les tout premiers temps de l’Eglise. Depuis cette époque, j’ai
détruit toutes les hérésies dans l’univers entier et j’ai ramené dans la voie
du salut d’innombrables pécheurs.
Or, Dieu a voulu que, de siècle en siècle, mon
action conquérante devînt plus manifeste, et il veut que, dans les temps
nouveaux, elle éclate à tous les yeux avec une force sans précédent.
Satan semble triompher dans le monde. Ne crains
pas : à cause même de sa puissance croissante, Dieu veut que je paraisse
plus ouvertement pour lui écraser la tête. Une immense victoire m’est réservée.
Mon règne doit s’établir dans le monde entier pour qu’arrive plus pleinement le
règne de mon fils[840].
Nous avons évoqué plus haut la pédagogie de la
sainteté, développée par Mon idéal,
qui fait appel aux différentes phases de purification de la vie spirituelle,
nécessitant une participation du croyant à l’œuvre de Dieu en lui.
Il nous suffit de rappeler un aspect fondamental de
cette collaboration de l’homme au développement de la grâce en lui, à
savoir : La foi. Mon idéal, sous
cet aspect, se présente comme un instrument unique d’aide au développement de
la foi, il invite à intensifier la relation à Jésus et Marie.
Marie nous apparaît précisément comme la femme forte
dans la foi et, il ne cesse de nous inviter à nous unir à elle en vue
d’approfondir notre relation avec la Sainte Trinité :
(Marie) veillait et priait avec
moi pendant tout le temps de ma mission publique ; elle était au pied de
la croix, croyant inébranlablement quand tous les autres étaient troublés dans
leur foi ; en elle mon œuvre rédemptrice réussit pleinement, elle fut mon
suprême triomphe[841].
Même quand tu veux parler au
Père ou à l’Esprit ou à moi, commence par t’unir à ta Mère. A côté d’elle, ton
recueillement sera plus profond, ta foi plus ferme, ta confiance plus entière,
ton amour plus ardent. C’est que, aux dispositions de ton pauvre cœur,
s’uniront les dispositions toutes parfaites de ta Mère.
Aie recours à Marie en
particulier quand tu me reçois dans le sacrement de mon amour. Demande-lui de
te prêter sa foi, son espérance, sa confiance, sa charité. Prie-la de me donner
à toi et de te transformer en moi[842].
La Constitution Lumen
Gentium déclare, dans la même compréhension, ceci : «Cette union de la
Mère avec son Fils dans l'œuvre du Salut est manifeste dès l'heure de la
conception virginale du Christ jusqu'à sa mort[843].» Dans l'Encyclique
Redemptoris Mater Jean-Paul II médite
longuement sur ces paroles du Concile : «La Bienheureuse Vierge avança
dans son pèlerinage de foi, gardant fidèlement l'union avec son Fils jusqu'à la
Croix[844], à la lumière des
paroles de l'Evangile : "Bienheureuse celle qui a cru" (Lc 1, 45).» Le Concile affirme que «la
vraie dévotion [...] procède de la vraie foi[845].»
Ce développement de la foi, pour Emile Neubert, se
nourrit de la Parole de Dieu, en vue d’«apprendre à penser les pensées de
Jésus» comme l’exprime le titre du chapitre deux du livre troisième.
Emile Neubert fait dire à Marie :
Mon fils, pour apprendre à vivre la vie de Jésus, il
te faut d’abord apprendre à penser les pensées de Jésus.
Le monde pense d’une façon, et Jésus d’une façon
tout opposée. Ta pensée est souvent plus près de celle du monde que de celle de
Jésus.
La
pensée de Jésus est consignée dans l’Evangile, et aussi dans les livres écrits
par des hommes remplis de l’esprit de l’Evangile. C’est là, d’abord, qu’il te
faut l’étudier[846].
Très vite, l’orientation de la
foi à partir de l’Ecriture devient une orientation plus théologale qui
s’apparente à la prière. Elle rejoint ce que dans la famille marianiste nous
appelons l’oraison de foi et reprend tout l’enseignement de Guillaume-Joseph
Chaminade sur la foi du cœur. Il traduit en fin pédagogue toutes ces réalités
qu’il monnaie dans Mon idéal en
faisant progresser son lecteur dans les voies ascétiques et mystiques.
Mon
fils, il est une autre voie pour arriver à penser les pensées de Jésus, une
voie très rapide, très sûre et très efficace : elle consiste à se mettre
en contact direct avec lui.
Contemple
Jésus, de préférence dans l’Evangile.
Ecoute
ses paroles, regarde ses actions. Mais ne t’en tiens pas à l’extérieur, pénètre
dans son âme et découvres-y ce que, à propos de ses paroles ou de ses actions,
il a pensé, senti, voulu.
Vois
surtout comment, chez lui, chaque mot, chaque geste procède d’une disposition
d’amour. Jésus est plus qu’un maître proférant des paroles de sagesse ; il
est le Dieu d’amour : tu n’as pas compris sa doctrine si tu n’es arrivé
jusqu’à la source de cette doctrine, à l’amour infini du cœur de Jésus[847].
La dynamique qui inspire l’enseignement de Mon Idéal est positive. Il ne s’agit pas
de lasser le lecteur en lui parlant de mortifications et de purifications mais
d’orienter dans une vision positive sa relation au Christ de telle sorte que
les vertus peu à peu croissent en lui et, que s’éliminent les obstacles à
l’union à Dieu et au service de la mission. Dans toutes les autres œuvres de
vulgarisation, cette option est très présente.
Il s’en explique lui-même à propos du péché dans Marie et la famille chrétienne par un
commentaire qui nous donne une clef d’interprétation de la pédagogie de Mon idéal :
Il faut envisager le péché à
l’enfant, non du point de vue de la défense qu’il enfreint, ni du châtiment qu’il
attire, mais du point de vue de l’amour de Dieu : une désobéissance à
notre Père qui nous aime tant, une cause de la souffrance et de la mort de
Jésus, notre Frère, une cause aussi des douleurs de notre Mère du ciel au
moment de la passion de son Fils. Quand tu es tenté de pécher, pense à cet
amour de Dieu, de Jésus et de Marie […] Et si tu as un cœur aimant, […] demande
à la sainte Vierge ce que tu pourrais offrir à Jésus - prière, sacrifice […] -
pour le dédommager et lui faire d’autant plus plaisir que tu lui as causé de
déplaisir. Quelquefois, après une généreuse réparation, tu seras plus aimant
que si tu n’avais rien eu à réparer. Aime d’autant plus que tu as moins aimé[848].
Ce climat d’amour dans lequel il entrevoit la vie
spirituelle peut être une des explications de la réception du grand public à Mon Idéal. Il présente positivement la
vie spirituelle et, dans une dynamique missionnaire, nous fait retrouver le
climat des écrits d’une sainte Thérèse de Lisieux docteur de l’Eglise ou d’un
saint Louis-Marie Grignion de Montfort. Tous les deux ont en commun de
développer une théologie qui s’adresse aux simples et aux petits de ce monde
dans un langage accessible, savoureux, et en même temps complet sur l’ensemble
de la vie spirituelle. Nous retrouvons les mêmes accents dans Mon Idéal.
Notre auteur fait dire à Marie:
Multiplie les actes de foi. Multiplie-les non comme
pour te suggestionner toi-même, mais pour faire pénétrer la vérité divine
jusqu’au fond de ton âme et pour en bien saisir les conséquences pratiques.
Aime ! Aime la vérité parce que Jésus l’a
aimée ; aime-la parce qu’il ne l’a enseignée aux hommes que par amour.
Aime surtout Jésus, et apprends à l’aimer de plus en
plus. En l’aimant davantage, tu imiteras plus parfaitement, même sans y penser,
toutes les dispositions de son âme.
Viens à moi et j’unirai mon amour au tien, et
ensemble nous aimerons Jésus d’un amour incomparablement fort et pur.
Prie ! Prie Jésus d’aider ton incrédulité.
Prie-le de faire passer en toi ses pensées, ses sentiments, ses volontés.
Et prie-moi de te révéler Jésus et de te faire
vivre de sa vie.
Et, c’est après avoir mis ses lecteurs en condition d’aimer Jésus,
qu’il les ouvre à la découverte des péchés capitaux, des mauvaises tendances,
des défauts et des erreurs possibles dans la vie chrétienne, en débusquant,
pourrait-on dire : «le grand ennemi» qui est soi-même. C’est en vue de
nous recentrer de nouveau et plus fortement sur Jésus, comme l’indiquent les
deux titres des chapitres qui se suivent Le
grand ennemi de Jésus en toi et Revêts-toi
du Christ Jésus. Puis, à travers le chapitre, viennent Trois dispositions essentielles, les différentes présentations des
vertus à acquérir.
La transformation en Jésus est un but en soi qui
n’est pas séparé de la mission. Le livre troisième qui pourrait être apprécié
comme le livre le plus ascétique de Mon
idéal est suivi du livre quatrième qui oriente résolument le chrétien vers
la mission en union avec Marie. Nous sommes au cœur de l’objectif qu’il s’était
fixé en fidèle disciple de Guillaume-Joseph Chaminade qui œuvrait
essentiellement pour multiplier les chrétiens.
La mission apostolique de Marie est présentée dans
un premier temps, puis celle de ses enfants. L’invitation à l’évangélisation
est développée, dans un second temps, en mettant bien en place des éléments
essentiels et en bon équilibre qui regardent la mission : la prière
apostolique, la souffrance rédemptrice, la prédication par la vie, la parole de
vie (l’annonce du kérygme), la force dans l’union. Aujourd’hui, ces différents
éléments, dans leur complémentarité, gardent toute leur actualité et même leur
pertinence, même s’ils ne sont pas abordés dans les invitations pastorales
actuelles. De même, les derniers chapitres de ce livre sur l’apostolat,
chapitres invitant à faire connaître la mission de Marie - Ceux qui m’enseignent- et à œuvrer pour elle - En ton nom, je jetterai les filets - gardent toute leur
originalité. Nous comprenons que les dernières pages de Mon idéal soient consacrées à faire découvrir des actes de consécration
et une prière dite prière de Trois Heures
qui nous remet, en esprit, au pied de la Croix de Jésus.
Le corpus
«neubertien» est tout entier imprégné d’une théologie missionnaire. Elle
appartient au «grand patrimoine qu'est la
théologie vécue des Saints» selon l’expression du pape Jean-Paul II au cœur
de la Lettre apostolique Novo millennio
ineunte[849]. Chez Emile Neubert,
il s'agit de la théologie de la mission apostolique de Marie à laquelle nous
avons part. Elle est fondée sur la charité, l'agapé,
qui est «plus grande» que la foi et l'espérance (cf. 1 Cor 13,13), car elle en est l'âme :
Quant tu pratiques la charité, c’est moi qui
pratique la charité en toi ; tu vis, ce n’est plus toi qui vis, c’est moi
qui vis en toi ; tu aimes ma Mère, non, ce n’est plus toi qui l’aimes,
c’est moi qui l’aime en toi[850].
Dans Mon Idéal
il prête à Jésus ces paroles. Elles montrent,
pour lui, en une belle synthèse, le rapprochement qu’il réalise entre l’amour
de Marie et la charité. Car tous les deux procèdent d’une même réalité.
La charité croit tout et espère tout (cf. 1 Co 13,7).
L'amour de charité embrasse toute la vérité qui
découle de la foi en Jésus-Christ. Elle la rend toujours plus lumineuse pour le
cœur de l’homme. Telle est la théologie de «tous les saints». Elle consiste à
«connaître l'Amour du Christ qui surpasse toute connaissance». (cf. Ep 3,19).
Sa grâce, son intuition, son génie fut d’approfondir
cet amour du Christ pour lui-même et ses opérations envers sa Mère. Cette
«science d'amour» dépend essentiellement de la charité : car «quiconque
aime est né de Dieu et connaît Dieu, tandis que celui qui n'aime pas n'a pas
connu Dieu, car Dieu est Amour». (1 Jn
4,7-8) N'oublions pas que le mot théologie signifie précisément la connaissance
de Dieu. Chez lui, cette connaissance de Dieu s’est comme «exprimée» par la
relation filiale de Jésus envers sa Mère, à laquelle il nous fait participer.
Il continue à aimer sur terre Marie, à travers nous ; cette connaissance
s’est exprimée dans sa relation filiale envers le Père, tout imprégnée de sa
relation avec sa Mère. Elle s’est exprimée dans sa relation avec les hommes à
sauver, tous les hommes considérés comme les enfants de notre Père des cieux et
les enfants de Marie.
Le pape Jean-Paul II ajouta dans sa conclusion, en
parlant de Marie comme Etoile de
l’Evangélisation : «Me faisant l’écho de la voix même de Jésus (cf. Jn 19, 26), je lui redis :
"Femme, voici tes enfants", et je lui présente l’affection filiale de
toute l’Eglise.»
C’est dans ce même esprit, qu’Emile Neubert, de son
côté, écrivait :
Il est, de l’amour filial de Jésus pour sa Mère, une autre manifestation
dont nous sommes les témoins et un peu les instruments : c’est la piété
filiale de l’Eglise envers Marie. Jésus se prolonge par son Eglise ; la
vie de l’Eglise, c’est l’amour du Christ pour Marie[851].
Dans la grande diversité des charismes et des grâces
particulières vécus par les saints, il nous conseille d’accepter de recevoir la
grâce d’aimer Marie et de la faire aimer.
Quelle fut la réception de ce message à travers
toute son œuvre et sa répercussion dans l’Eglise et dans la Société de
Marie ?
Nous avons présenté dans notre étude les recensions,
unanimement positives et élogieuses. Elles concernent les diverses publications
d’Emile Neubert. Nous avons évoqué les succès en librairie de ses ouvrages
traduits en plusieurs langues et celui sans cesse réédité de Mon idéal Jésus, Fils de Marie.
Pourquoi a-t-il su répondre si bien à l’attente de
ses contemporains en leur transmettant son message ?
Reconnaissons qu’il en démontra le fondement
scientifique avec beaucoup d’intelligence, par une appropriation personnelle
des moyens mis à sa disposition. Il présenta et approfondit la figure de la
Vierge Marie dans l’ensemble du mystère chrétien.
Dans ses recherches patristiques, bibliques,
dogmatiques, il nous fait entrevoir le mystère de Marie d’une manière
rigoureuse. Elles nourrissent notre vie spirituelle. Les notions théologiques,
si elles nous paraissent ardues dans un premier temps, il les rend accessibles
par sa présentation animée d’une certaine recherche du langage. Il est soucieux
de rejoindre le lecteur dans le désir qu’il pourrait avoir d’approfondir sa foi
et, par la grâce, d’entrer dans le mystère de Jésus et de Marie.
Des chercheurs européens, à l’aube du XXIe
siècle, se saisissent des recherches américaines dans le domaine de la psychologie
et de la communication qu’ils transmettent dans des écoles spécialisées.
Certaines de leurs théories furent réalisées à partir d’une pratique de la
relation thérapeutique que l’on peut vérifier dans les écrits d’Emile Neubert.
Il s’agit de notions de communication, reprises d’une manière plus organisée
par les formateurs s’inscrivant dans les recherches de la Programmation Neuro
Linguistique (PNL)[852]. Il convient de
faire un rapide détour de présentation de ces théories, pour mieux comprendre
comment leur application peut être pertinente dans la transmission d’un message
théologique et spirituel comme celui que nous offre le corpus «neubertien».
Le terme «programmation» désigne les façons d’être
que nous programmons durant notre vie. Or, toute pédagogie de la relation comme
celle d’Emile Neubert tient compte de certaines règles de communication pour
répondre à la recherche de conversion profonde de son interlocuteur[853]. La réponse doit
être en mesure d’atteindre son être, ses pensées, jusqu’à la transformation des
habitudes, en vue d’une meilleure réponse d’amour à Jésus et Marie.
Le terme «Neuro» spécifie la capacité de nous
programmer, elle repose sur nos mécanismes neurologiques. Le système nerveux
nous permet d’appréhender le monde extérieur et intérieur. Leur support
biochimique permet de percevoir, de stocker et d’organiser l’information, de
programmer la réponse aux stimuli de la sensibilité.
Le terme «linguistique» désigne tout ce qui
appartient au langage de la parole et au langage des signes. Il nous permet de
réfléchir (miroir) la manière de représenter et d’appréhender le monde qui nous
entoure, ce qui inclut pour un chrétien la révélation biblique, par laquelle
nous entrons dans le contenu de la foi. Or, toute l’œuvre d’Emile Neubert est
une catéchèse. Elle facilite l’acquisition de l’intelligence des mystères de la
foi. Elle devient substance de l’acte chrétien.
La recherche des Américains se fonde sur ces
phénomènes de perception et de compréhension du réel à travers une exploration
précise des comportements, des schémas de pensée et des états internes. Elle
analyse les stratégies mises en place par l’individu. Elle propose au sujet «le
recadrage» de son vécu et du sens qu’il lui donne. La personne est invitée à
découvrir d’autres types de réponses à ses interrogations et à évoluer grâce à
une nouvelle grille de perception du monde et d’elle-même.
Cette approche de la communication, héritée des
analyses des travaux du Docteur Milton Hyland Erickson (1901-1980), est
essentiellement descriptive et de l’ordre de l’expérimentation. Elle n’invente
rien en soi. Elle rend plus performante la communication, grâce à une meilleure
intelligence des règles qui la régissent. Elles renvoient à des notions
métaphoriques, écologiques, analogiques, de calibrage et de code… Ces éléments
appartiennent à la réalité culturelle de tout humain, dans le temps et dans
l’espace. Ils sont comme répertoriés et articulés selon les besoins de
l’échange.
Dans la tradition chrétienne, les Exercices Spirituels de saint Ignace de
Loyola[854] s’accommodent de ce
type d’approche par la pédagogie descriptive des lieux qui fait appel aux cinq
sens. Dans ces Exercices Spirituels,
les scènes évangéliques dans lesquelles le retraitant est invité à prendre un
rôle sont souvent le support choisi.
Emile Neubert, qui ne fait allusion ni aux Exercices ignaciens, ni aux psychiatres
américains, utilise les mots et les verbes (prédicats) qui rendent possible
l’appropriation des cinq sens dans notre vie spirituelle. Il insiste pour que
notre relation filiale envers la Vierge Marie soit ancrée dans celle de Jésus.
Il élargit notre «carte du monde» à la dimension du Cœur de Dieu qui nous fait
voir dans le prochain ses enfants et les enfants de Marie. Il fait appel à nos
«états ressources» de foi, d’espérance et de charité pour modifier nos
«stratégies d’adaptation» et les réponses aux problématiques rencontrées. Il
oriente nos comportements selon le désir de Dieu le Père par Marie notre Mère.
Sa capacité à s’adresser à un public précis pour qui il écrit son ouvrage :
religieux, prêtres, éducateurs, parents, ouvriers, alliée à une recherche de
langage adapté est un atout dans la communication de ses convictions capables
d’atteindre le lecteur. Il y ajoute le mode d’expression - ce que l’on nomme
«calibrage» -, il utilise le tutoiement quand c’est nécessaire. Il va jusqu’à
mettre en scène Jésus et Marie, il les fait s’adresser directement au lecteur
comme dans Mon Idéal.
Il repère les «distorsions cognitives», dans les
débats sur la Vierge Marie, telles le «tout ou rien», la surgénéralisation, le
filtre mental, les conclusions hâtives, les exagérations ou minimisations, les
raisonnements émotionnels…
En fait, dans le corpus
«neubertien», l’apport de la réflexion psychologique et la prise en compte des
règles de cette dimension d’ordre anthropologique dans notre relation à Dieu et
à Marie ajoutent à ses écrits un intérêt intellectuel et spirituel. Il adresse
bien à l’homme et la femme de toujours, avec leur problématique interne qu’il
tente de résoudre. La dimension politique et sociale si peu présente ne lui
échappe pas, il sait à l’occasion épingler l’acte de l’homme en évoquant
certains drames de son temps :
Parmi les hommes qui ont fait le plus de mal de nos jours, il faut placer
au premier rang Renan, Combes, Staline, tous trois anciens séminaristes ;
et Nietzsche, l’inspirateur de la doctrine d’Hitler (à son corps défendant),
fils et petit-fils de pieux pasteurs luthériens, et lui-même d’abord orienté
vers le ministère pastoral. Une âme choisie ne peut être neutre : elle
fait un bien ou un mal incalculable[855].
Il associe à cette recherche de communication, celle
de la formation. Il allie la relation mystique à la pratique ascétique, car il
cherche à donner du sens à la vie chrétienne et des repères moraux. Le Père Daniel-Ange,
prédicateur français de la jeunesse, traduisait cette problématique de la
manière suivante : «A quoi cela sert-il de proposer un code de la route
avec des feux rouges et des "stop", des sens obligatoires et des sens
interdits, si celui qui conduit sa voiture ne sait même pas où aller ; si
sa vie n’a pas de sens ?»
Emile Neubert n’épargne pas son lecteur sur les
exigences du sacrifice, ce que nous pourrions appeler la «dimension pascale» de
toute vie chrétienne à la suite du Christ portant sa croix. Il le fait en se
référant au mystère de Marie, la co-rédemptrice, car il nous entraîne dans
celui de co-rédemption. Et bien qu’il n’ait pas suffisamment théorisé le
mystère de Marie et l’Eglise en lien avec celui de la co-rédemption, il en a
merveilleusement transmis sa nécessité, par l’invitation à vivre jusqu’au don
de soi dans la perspective de la mission[856] :
La conséquence de ce don total, c’est un renoncement total, universel et
constant, extérieur et intérieur[857].
Il y a généralement de la joie à se sacrifier pour les autres, et cette
joie soutient la générosité. Mais quand au sacrifice se mêlent d’indicibles
amertumes, quelle générosité il faut pour y persévérer ! Qui connaîtra
jamais les amertumes qui noyèrent l’âme de Jésus ? Pendant la Passion surtout,
au jardin de Gethsémani tout particulièrement […] «il m’a aimé et il s’est
livré pour moi[858].»
Fin connaisseur des voies mystiques, il jette un
voile pudique sur son expérience personnelle. Mais ses allusions laissent
entrevoir qu’il connut de l’intérieur les étapes de la vie mystique jusqu’à ses
sommets, ce qui lui permettra d’écrire dix ans avant sa mort, à près de
quatre-vingt ans : «Au plus haut degré de la vie mystique, dans
"l’union transformante", le fidèle se sent constamment uni à Dieu
comme à la vie de son âme[859].» Et quand il
s’adresse aux prêtres, il n’a de cesse de les inviter à regarder vers les
sommets :
Il dépend de l’action des hommes appelés à l’apostolat, non seulement que
les pécheurs se sauvent, mais aussi que les âmes arrivent à la sainteté[860].
A la lecture de ces pages dans le corpus «neubertien», une question se
pose dans le domaine de la vie spirituelle qu’il a tant approfondi à
l’intérieur de la dogmatique de la foi : quelle est la place de l’annonce
du Kérygme? Cette question du mystère de la mort et de la Résurrection de Jésus
s’inscrit davantage chez lui dans l’approfondissement du mystère de
l’Incarnation du Verbe en sa kénose. Ce dernier est très développé, peut-être
au détriment d’une étude plus approfondie du mystère pascal.
Aujourd’hui, en ce début de troisième millénaire, la
problématique de l’annonce du kérygme mérite notre attention pour la Nouvelle
Evangélisation. Le prédicateur de la Maison Pontificale, Père Cantalamessa,
lors de sa prédication de l’Avent 2005 à la maison pontificale, soulignait à
propos :
Le kérygme a un caractère assertif et autoritaire, et non discursif ou
dialectique, c’est-à-dire qu’il n’a pas besoin de se justifier avec des
raisonnements philosophiques ou apologétiques : on l’accepte ou on ne
l’accepte pas. Il ne s’agit pas de quelque chose dont on peut disposer, car
c’est lui qui dispose de tout ; il ne peut être fondé par quelqu’un, car
c’est Dieu lui-même qui le fonde et c’est lui qui constitue ensuite le
fondement de l’existence […] A l’origine, le kérygme se distinguait de
l’enseignement (didaché), comme de la catéchèse. Ces derniers tendent à former
la foi, ou à en préserver la pureté, alors que le kérygme tend à la susciter.
Il a pour ainsi dire un caractère explosif ou germinatif ; il ressemble
davantage à la graine qui fait naître l’arbre, qu’au fruit mûr au sommet de
l’arbre qui dans le christianisme est plutôt constitué par la charité. Le
kérygme n’est absolument pas obtenu en concentrant ou en résumant, comme s’il
était le cœur de la tradition ; il est à part, ou mieux, au tout début.
C’est de là que se développe tout le reste, y compris les quatre évangiles. […]
Cette situation a aujourd’hui une forte influence sur l’évangélisation. Les
Eglises possédant une forte tradition dogmatique et théologique (comme l’Eglise
catholique, par excellence) risquent de se trouver désavantagées, si en dessous
de l’immense patrimoine de doctrine, de lois et d’institutions, elles ne
retrouvent pas ce noyau primordial capable de susciter en lui-même la foi.
Se présenter à l’homme d’aujourd’hui, qui souvent ne connaît pas le
Christ, avec l’ampleur de cette doctrine, c’est comme mettre l’une de ces
lourdes chapes de brocart que l’on utilisait jadis, sur les épaules d’un
enfant. Nous sommes davantage préparés, par notre passé, à être des «pasteurs»
qu’à être des «pêcheurs» d’hommes ; c’est-à-dire que nous sommes mieux
préparés à nourrir les personnes qui viennent à l’Eglise, qu’à porter de
nouvelles personnes à l’Eglise, ou repêcher celles qui se sont éloignées et vivent
en marge de l’Eglise.
De ce point de vue du kérygme et de la catéchèse,
l’évolution du corpus «neubertien»
s’attache plus à la recherche de l’approfondissement et de la vulgarisation
dogmatique, pour permettre à tout baptisé de mieux répondre à son appel
missionnaire : annoncer le Christ. Les derniers ouvrages, sur la mission
apostolique de Marie et la vie d’union à Marie couronnent toute son œuvre en
mettant en relief les aspects chrétiens de la mission et de l’union qu’il
faudrait aujourd’hui approfondir et transmettre.
En dehors de Mon
Idéal, Jésus Fils de Marie toujours redemandé ainsi que de l’ouvrage sur La vie d’union à Marie, notre auteur
n’est pas ou peu lu dans le peuple chrétien en général ; ni même par les
membres de la Famille Marianiste qui possèdent ses ouvrages. Cela tient, en
partie, au fait que les expressions de langage utilisées, malgré l’effort de
communication que nous avons relevé, ainsi que l’approche des thématiques
mariales, sont désormais bien différentes de ce qui s’écrivait dans les années
d’avant-guerre 1939-1945, puis avant le concile Vatican II. Le climat culturel
de nos contemporains dans lequel évolue l’Eglise Catholique est différent du
sien, à bien des titres.
Les problématiques auxquelles s’affrontent le
christianisme deviennent de plus en plus complexes, qu’il s’agisse par exemple
des découvertes liées au génome humain, aux procréations assistées, au clonage
humain, ou à la gestion de la planète dans la défense de la création et du
respect des règles écologiques. Les questions liées à la justice et à la paix
deviennent de plus en plus difficiles à résoudre, avec l’apparition des formes
nouvelles, toujours plus menaçantes de violence, telles le terrorisme
international ou les menaces d’armes bactériologiques ou chimiques. S’ajoutent
à cela des questions plus particulières qui n’ont jamais effleuré ses écrits ni
sa pensée, questions liées à la condition féminine dans l’Eglise par exemple,
ou à l’accès à la paternité ou à la maternité de deux personnes du même sexe
vivant ensemble. De tels débats de société, bien absents dans l’approche
«neubertienne», nous renvoient cependant à l’annonce du kérygme et du dogme et,
plus précisément, à la découverte de la présence de Dieu et de Marie dans notre
monde, à l’aube du troisième millénaire.
Dans ce contexte, la question mariale n’est pas
ignorée. En faveur du mouvement œcuménique, elle semble être en retrait de
toute une émulation de recherche théologique - nous l’avons signalé - précédant
la promulgation du dogme de l’Assomption. Aujourd’hui cette émulation venant du
Peuple de Dieu ouvre des perspectives en faveur de l’affirmation de la mission
de co-médiatrice et de co-rédemptrice de la Vierge Marie. Emile Neubert
appartenait à cet univers qui précédait la promulgation du dernier dogme marial
dans l’histoire de l’Eglise catholique. Son ouverture et sa disposition à
recevoir la motion de l’Esprit Saint à travers le peuple de Dieu (le sensus fidei) nous invite à avoir, nous
aussi, cette sagesse qui consiste à prendre du recul sur nos manières de
concevoir les «choses de la foi» aujourd’hui, sachant que demain peut nous
réserver des surprises. Même si la Révélation est close avec l’Apocalypse qui
est le dernier livre de la Bible, les
Actes des Apôtres ne se terminent pas par le seul écrit appartenant au corpus biblique chrétien. L’Eglise
continue sa mission apostolique avec chaque baptisé, en union avec la Vierge
Marie, Mère de l’Eglise, c’est-à-dire, la Mère de tous les fidèles chrétiens
qui forment le grand corps de l’Eglise. En ce sens, l’impulsion donnée par lui
concernant le développement du dogme, n’a pas perdu de sa fraîcheur et de son
actualité. Il nous revient, en vue de contribuer à ce développement, de savoir
trouver un mode de communication qui s’adapte à notre culture actuelle. Et en
ce sens aussi, nous pourrions parler d’un véritable travail d’inculturation à
réaliser pour que soit évangélisée notre culture dans les grandes perspectives
spirituelles, et spécifiquement mariales développées dans le corpus «neubertien». De même, qu’il
serait utopique de songer à réécrire le Traité
de la vraie dévotion de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, traité qui,
en lui-même, garde aujourd’hui encore toute sa valeur, de même, il serait
utopique de vouloir réécrire Mon Idéal,
Jésus Fils de Marie. Mais par contre, un Grignion de Montfort, comme un
Neubert nous offrent chacun, à leur manière, le témoignage d’une recherche de
transmission du message chrétien dans la perspective mariale adaptée à leur
époque.
Il nous revient de suivre leurs traces, en sachant
déceler le mode le plus approprié pour toucher le cœur et nourrir la foi des
fidèles chrétiens, en leur offrant les richesses d’un message qui ne nous
appartient pas, mais qui, par notre plume, par notre bouche et par nos mains
sert la Tradition de l’Eglise dans ce qu’elle a de plus noble et de plus
vivant.
Sachant qu’Emile Neubert s’est largement inspiré de l’œuvre de Guillaume
Chaminade, il serait vain de rattacher à son propre corpus les idées maîtresses
concernant l’aspect marial de la vie religieuse marianiste. Cet aspect marial
fut mis en valeur par les différents supérieurs généraux qui ont accompagné la
Société de Marie dans la première moitié du XXe siècle. Nous ne
trouvons pas de mention officielle de son œuvre dans les circulaires des «Bons
Pères» de toute cette période. Les séminaristes de Fribourg ont profité de son
enseignement de 1922 à 1949, durant plus d’un quart de siècle. Et parmi eux,
nous l’avons déjà mentionné, plusieurs ont écrit des thèses sur la Vierge Marie
et furent de futurs supérieurs provinciaux ou Généraux de la Société de Marie.
Les Sœurs Marianistes lui sont redevables d’avoir pu
obtenir de Rome, la possibilité d’émettre le quatrième vœu dit de «stabilité»
dont l’esprit se rattache à l’engagement de servir Marie dans sa mission
apostolique. Un vœu qui avait déjà été accordé bien avant aux religieux de la
Société de Marie.
La revue tenue par les Marianistes l’Apôtre de Marie a fidèlement recensé
ses œuvres dans le même climat positif que les recensions répertoriées dans les
plus grandes revues internationales, spécialisées notamment dans le domaine de
la mariologie.
S’il nous faut rechercher une influence à un niveau
ecclésial, plus tangible, ce serait sans doute dans les derniers travaux
théologiques (notamment du côté allemand), préparatoires à la promulgation du
dogme de l’Assomption, comme nous en avons fait allusion au moment de
l’approche de cette thématique dans notre étude. Mais dans ce domaine de la
recherche théologique d’une grande effervescence, autour de la promulgation du
dogme, il est difficile d’apprécier l’influence marquante et exacte venant
spécifiquement de lui. A-t-il eu une influence marquante qui aurait permis de
faire avancer ce dossier de la promulgation du dogme de l’Assomption ?
Nous savons que les théologiens remarqués de cette période (Philips, Roschini,
Laurentin) étaient tous en rapport avec lui, de près ou de loin. Ils nous
laissèrent des recensions de ses ouvrages, toutes très positives. Alors que ces
mêmes théologiens restaient très critiques et donnaient à réfléchir sur les
questions relatives à des excroissances de la mariologie, séparées d’une
christologie et d’une ecclésiologie, s’élaborant pour son propre compte.
Emile Neubert appartenait à cette tradition de
théologiens qui ont préparé Vatican II dans la première moitié du XXe
siècle. La dernière période, préparatoire au Concile, fut précédée par des
recherches en mariologie, tant en forme de congrès qu’en publications qui n’ont
pas leur pareil dans l’histoire de l’Eglise. Le chapitre De Beata de Lumen Gentium a
bénéficié de l’apport des recherches faites auparavant, notamment en Allemagne
et en France. Il fut mêlé à ces groupes de travaux théologiques qui mettaient
progressivement l’accent sur Marie et la Nouvelle Eve et Marie et l’Eglise ou
Marie-L’Eglise selon la belle expression de Hans Urs von Balthazar. D’ailleurs,
Monseigneur Philips, secrétaire responsable de la rédaction de Lumen Gentium - et en particulier de son
chapitre VIII - a félicité la Société Française pour ses travaux.
Durant la seule période de 1949 à 1957, les
bibliographies spécialisées du P. Besutti recensent près de dix mille ouvrages
autour du Mystère de la Vierge Marie. Mais en même temps, écrit René Laurentin[861] :
Pie XII était très réservé sur la dogmatisation de la médiation et de la
co-rédemption, préoccupé de ne pas voiler la transcendance de l’Unus mediator. Il a systématiquement
écarté le titre de co-rédemptrice de ses Actes pontificaux, et ses directives
aux adeptes de la théologie mariale mettent en garde aussi bien contre
l’exagération que contre la dépréciation. Jean XXIII a repris les directives
modératrices de son prédécesseur : «Nous désirons vous inviter à vous en
tenir à ce qu’il y a de plus simple et de plus ancien dans la pratique de
l’Eglise[862].»
Cependant, les documents pontificaux : Marialis Cultus et Signum Magnum de Paul VI, puis Redemptoris
Mater, au début du pontificat de Jean-Paul II, ainsi que ses homélies et sa
Lettre apostolique sur le Rosaire à
la fin de son pontificat, ont tous contribué à nous offrir une impulsion
renouvelée de la question mariale après Vatican II. Un constat s’impose !
Durant cette même période, du côté catholique, nous assistons à un relatif silence
et à une relative accalmie dans la recherche théologique spécialisée sur la
Vierge Marie, en comparaison des grandes époques qui ont précédé la
promulgation du dogme de l’Assomption et le Concile Vatican II. Et du côté des
Eglises issues de la Réforme et de l’anglicanisme, nous assistons à des
recherches qui s’émancipent des prises de positions foncièrement négatives
qu’avait pu connaître la génération d’Emile Neubert au temps de sa thèse de
doctorat. Le groupe des Dombes publie avant le Jubilé de l’an 2000 les fruits
de ses travaux de plusieurs années sur la question mariale dans une perspective
œcuménique[863]. Et l’Eglise
Anglicane publie en 2005, de son côté, ses travaux de recherche théologique en
vue d’un dialogue œcuménique sur la Figure de Marie, partant de l’apport au
sein de sa propre Tradition[864].
Nous sommes moins devant une abondance de documents
qu’en présence d’une plus grande qualité dans la recherche, c’est-à-dire un
souci de valeur et de cohérence. Ce qui était la grande
préoccupation d’Emile Neubert. Dans ses ouvrages de spiritualité, les appuis
scientifiques des travaux exégétiques mis à jour et des arguments appuyés
théologiquement sur le dogme et les Pères, lui donnent une grande assise. Chez
lui, nous trouvons ce double rapport de la théologie à l’ensemble du Mystère et
au salut des hommes dans un souci de méthode et d’orientation précise. Ce souci
imprègne tout son corpus ne
sacrifiant rien à des facilités littéraires pour s’acquérir un public en
recherche de piété sentimentale nourrissant sa sensibilité, sans plus.
Il est clair qu’au début du XXe siècle,
étaient bien présents dans son étude comme dans celles de ses contemporains les
principes qui pouvaient rendre la recherche mariologique trop autonome par
rapport au mystère chrétien dans son ensemble. Il mettait en évidence certains
points qui pourraient être critiqués, s’ils n’étaient pas présents dans un
ensemble plus équilibré - ce qui n’est pas le cas du corpus «neubertien» - : Marie est singulière (principe de
singularité) ; elle dépasse en tout les autres chrétiens (principe
d’éminence) ; elle est en tout analogue au Christ (principe d’analogie).
Ce que la puissance de Dieu a pu faire de glorieux en Marie, elle l’a fait
(principe de convenance). Mais il a eu le grand mérite et le souci de traiter,
dans l’ensemble de la dogmatique, ces diverses thématiques mariales, annulant
la critique négative qui aurait pu lui être faite sans cela. La maternité
apparaît dans le traité de l’Incarnation, l’Immaculée conception, dans le
traité du péché originel, la part de Marie au salut, dans le traité de la
Rédemption et ainsi de suite, de telle sorte que sa théologie mariale ne vit
pas sur ses sources propres, gardant au Christ sa transcendance et la
suffisance de la Rédemption. Et quand il s’agit d’établir le lien entre la
mission du Christ et celle de la Vierge Marie, l’impulsion missionnaire
apostolique qu’il donne à sa recherche renvoie à une invitation à tous les
baptisés de participer à la mission de l’unique envoyé du Père, qu’est le
Christ.
Il en va de même pour tout ce qui concerne son
approche de Marie «distributrice des grâces». Une lecture superficielle
pourrait forcer la métaphore pour n’envisager la grâce que comme une sorte de
chose «en soi», subsistant indépendamment du Christ Rédempteur, comme une sorte
de capital «d’actions en bourse» stockées dans un «coffre-fort» dont Marie
détiendrait la clef. Nous pourrions faire cette même critique à un saint
Louis-Marie Grignion de Montfort ou à un saint Maximilien Kolbe et tant
d’autres. En fait, toute la pédagogie «neubertienne» est de nous faire
entrevoir comment notre relation filiale avec Marie prolongeant celle de Jésus
envers sa Mère, «actue» le don de Dieu en nous par sa grâce divine, justement
au travers de cette relation Mère-Fils. Le Christ est au centre de cette
actuation en union avec l’Esprit Saint. Ils sont tous deux comme «les deux
mains du Père», pour reprendre la célèbre expression d’Irénée.
Nous sommes, par la grâce, au cœur des «échanges
trinitaires». Et, quand il s’agit d’aborder le lien nécessaire de Marie avec
son Fils, à la fois homme et Dieu, Emile Neubert se sert alors de la notion
d’«ordre hypostatique» plus volontiers que celle d’«union hyspostatique»
respectant ce qu’il y a de plus incommunicable dans le mystère du Christ :
l’union personnelle de son humanité au Verbe en qui elle subsiste. La notion
d’ordre hypostatique englobe au contraire, ce qui est coordonné à cette union,
dont la maternité divine, qui, de fait, se réfère intrinsèquement à la personne
du Verbe. (En effet, d’autres théologiens maximalistes préconisent de renforcer
le sens, en accordant à la Vierge une causalité instrumentale à l’égard de
l’union hypostatique elle-même.)
Cet écueil est évité dans le corpus «neubertien». Le corpus
demeure sensible à la norme d’homogénéité et, justement à cause de la cohérence
d’ensemble du message, n’hésite pas à s’inscrire dans un courant mariologique
pour servir l’évolution du dogme
marial. Mais dans ce cas, il s’agirait plutôt d’un développement dans le sens où il dévoile une réalité déjà comprise dans le Credo, mais en attente de
clarification. C’est ainsi que nous recevons les derniers dogmes de l’Immaculée
Conception et de l’Assomption de la Vierge Marie. Vue sous cet angle,
l’histoire de la théologie fait apparaître comme une histoire des dogmes, mais sans aucune notion d’ajout, notion qui
serait bien malheureuse, surtout pour les relations avec les Orthodoxes, les
Protestants, les Anglicans.
Informé, dans l’histoire des développements
théologiques, des débats autour des mérites du Christ et de la Vierge, il prend
soin de ne pas déborder le sens des expressions par des jeux de langage. Il
nous rappelle, (en reprenant Novati), que le Christ seul nous mérita la
Rédemption de condigno (c’est-à-dire
avec suffisance selon la justice). La Vierge, en toute subordination (comme
aide semblable au Fils de Dieu incarné) la méritait de congruo, c’est-à-dire d’un mérite de convenance, non d’une
exigence de justice[865]. En s’appuyant
conjointement sur les expressions du magistère ordinaire et extraordinaire et
sur la constatation générale du peuple de Dieu, il nous invite à ne pas partir
d’un a priori. Il nous encourage à chercher le sens obvie des paroles qui
expriment une croyance : celle de la co-rédemption par exemple[866]. La contribution
des «amis de Dieu», fidèles à leur grâce baptismale, permet d’approfondir ce
que le le cardinal Hans Urs von Balthasar appelait la «dogmatique expérimentale[867]». Ils soutiennent
l’Eglise en «présentant dans leur vie la plénitude de sa doctrine et dans leur
doctrine la plénitude de sa vie[868].» Il s’agit d’une
dogmatique vécue et entièrement fondée sur l’amour qui embrasse toute la vérité
de la foi en Christ Jésus et la rend toujours plus lumineuse et attirante pour
le cœur de l’homme.
Emile Neubert s’est toujours montré attentif au sensus fidei. Car sous l’action des dons du Saint-Esprit, chaque baptisé contribue à faire progresser la théologie chrétienne, comprise comme une science de la foi au service de la révélation. Elle est contenue dans les Ecritures et traduite dans notre Credo. C’est pour cela que l’apport d’autres disciplines universitaires doit être évalué en respectant l’autorité de la «grâce» de tous les baptisés qui n’ont pas tous accès à cette contribution de disciplines spécialisées qui nécessitent de longues études. D’où la mise au point du Cardinal Lustiger formulée lors du Synode des évêques d’Europe de 1999 faisant le diagnostic suivant :
La théologie, après avoir fourni à la philosophie,
voire à la sociologie occidentale, une grande part de leurs concepts et de leur
substance, a souvent pris comme condition de production les normes de la
scientificité critique, jusqu’à laisser s’essouffler les démarches originales
qui lui permettent de donner son fruit propre […] La théologie n’est point la
métathéorie du discours religieux, ni la science des religions, mais, au sein
de l’Eglise, elle est recherche de Dieu par l’intelligence humaine, éclairée
par la foi au Verbe incarné, mort et ressuscité, dans la communion de l’Esprit
Saint[869].
Ainsi Emile Neubert reste fidèle à l’enseignement de
saint Thomas d’Aquin, nous rappelant que la théologie en tant que telle n’a pas
besoin d’autres sciences pour fonder sa rationalité :
Ses principes ne lui viennent en effet d’aucune
autre science, mais de Dieu immédiatement, par révélation ; d’où il suit
qu’elle n’emprunte point aux autres sciences comme si celles-ci lui étaient
supérieures, mais au contraire qu’elle en use comme d’inférieures et de
servantes[870].
Toute l’histoire de l’Eglise, à travers les
témoignages des saints donne raison à saint Thomas ! C’est une invitation
à valoriser l’expérience spirituelle. Elle enrichit la théologie et, par le
fait même, l’explicitation du dogme. C’est pourquoi le secrétaire de la
Congrégation pour le Culte Divin, Domenico Sorrentino, enseignant la théologie
spirituelle n’hésite pas à affirmer :
L’expérience spirituelle, et en particulier le
"vécu" des saints, sont à considérer comme un lieu théologique tout à
fait vital pour une théologie qui veut être ‘vivante’. Si la théologie
spirituelle assume toujours mieux son rôle sur ce terrain, je crois que l’on
peut en attendre un grand avantage pour toute l’activité théologique. Von
Balthasar a donné une grande impulsion dans cette direction, mais il est
difficile de dire dans quelle mesure son orientation a été reçue[871].
En même temps, Emile Neubert prend soin de
préciser :
Rome veille avec un soin extrêmement jaloux à ne pas permettre, encore
moins à se permettre des exagérations de langage, surtout en ce qui concerne la
sainte Vierge, vu que le peuple est naturellement porté à prendre à la lettre
tout ce qui se dit à sa gloire. Preuve les condamnations portées il y a
quelques années à propos de l’expression Virgo sacerdos, Vierge-Prêtre[872].
Cette remarque étant faite, elle n’empêche pas pour
autant Emile Neubert d’aborder de front comme nous l’avons vu dans notre étude,
l’aspect sacerdotal de la mission de Marie. Son approche tient compte de deux
réalités complémentaires : celle de mater
et celle de socia Christi sacerdotis.
Il savait que le thème de Marie et de l’Eglise
aurait un avenir. Mais il était prématuré pour lui d’en évaluer l’importance et
les conséquences. Son approche se situait davantage dans l’orientation de la
définition de l’Assomption, comme point de départ d’une série de promotions
ultérieures des privilèges de Marie. Alors qu’une autre orientation se faisait
jour qui procédait non pas d’un besoin de développer et d’augmenter, mais de
recentrer, de situer la doctrine mariale dans l’ensemble du dogme.
L’image paulinienne du Corps Mystique, dont le
Christ est la tête et nous les membres, qu’Emile Neubert traduit en «plus grand
Christ» renvoie à une unité de l’ordre des épousailles entre le Christ et son
Eglise, qui n’a pas été retenue par notre auteur, mais ce qu’a très bien vu le
Cardinal Ratzinger :
[…] l’expression "corps du Christ", que nous sommes, est
toujours à comprendre sur l’arrière-plan de la formule de la Genèse 2,24 :
Les deux ne feront qu’une seule chair (cf. 1Co
6,17). L’Eglise est le corps, la chair du Christ dans la tension spirituelle de
l’amour, où s’accomplit le mystère conjugal d’Adam et d’Eve, donc dans le
dynamisme d’une unité, qui ne supprime pas le face à face. Ainsi le mystère
eucharistique et christologique de l’Eglise, qui s’énonce dans l’expression
‘Corps du Christ’, ne garde sa juste mesure que s’il inclut le mystère
marial : la servante qui écoute, qui - devenue libre dans la grâce -
prononce son fiat et par là devient épouse et ainsi corps»[873].
Ce fut justement autour du thème Marie et l’Eglise quasi absent du corpus «neubertien», que cette tendance
prit corps.
Mais cette nouvelle orientation, avait-t-elle le
monopole du recentrement dogmatique, face à la première qui aurait eu tendance
à séparer Marie de l’Eglise ? Une relecture d’ensemble du corpus «neubertien» nous aide à nuancer
le débat, évitant d’opposer mouvement marial et mouvement ecclésial en deux
points de vue hétérogènes. L’apport nouveau de la question œcuménique a conduit
l’un et l’autre mouvement à mieux recadrer leur apport spécifique dans cette
perspective d’un dialogue avec les différentes confessions chrétiennes. Et tous
deux sont invités à un tournant que René Laurentin exprime ainsi d’une manière
très heureuse : «chercher moins la voie des triomphes extérieurs, que de l’humilité[874].»
Tout l’apport d’Emile Neubert, dans cette
dialectique, fut de penser la doctrine mariale en fonction de l’ensemble du
dogme et de la vie chrétienne, ressourcé profondément par la Bible et les Pères
de l’Eglise au départ, puis par les Docteurs, les mystiques et le Magistère en
complément, par la suite de ses recherches.
Le paradoxe et le côté génial chez Emile Neubert
consiste justement à unir à la fois la personne
et la fonction de Marie dans
l’ensemble du mystère chrétien. Son œuvre laisse entrevoir cette logique
interne, de la destinée de Marie et des privilèges qui en découlent, tout en
reliant intrinsèquement les fonctions mariales et leurs conséquences
missionnaires. Si bien que nous recevons le don de Dieu qu’est Marie comme
notre Mère : la femme toute proche[875] de nous pour le
combat à mener est engagée dans l’histoire du salut. Et de l’autre, sa position
de Reine Mère, unie au Christ-Roi, lui donne comme il se dit, le rôle de chef dans sa mission apostolique à
laquelle, elle nous fait prendre part. En d’autres termes, tous ses privilèges
sont au service de sa mission. Et loin de nous la rendre lointaine, ils nous
aident à la recevoir dans une proximité qui prolonge la relation filiale de
Jésus envers sa Mère. La formule est heureuse qui nous fait contempler «Marie
toute proche dans la Gloire de l’Assomption.» Dans une telle perspective, la
dualité est dépassée qui consisterait à voir Marie, soit du côté des rachetés
face au Christ, soit du côté du Christ, face aux pécheurs qui la prient.
Au pied de la Croix, Marie est face au Christ, du
côté des pécheurs à sauver, elle, la Mère, la première des rachetées (Immaculée
Conception). Et, avec son Fils en Croix, Marie laisse le Seigneur élargir son
cœur maternel à la dimension de tous les hommes sans exception, destinés au
Salut, auquel elle participe dans son offrande et celle de son Fils, l’unique
Rédempteur. En ce sens, Marie n’est pas «la source» des grâces, ni du salut
opéré par son Fils, mais elle est «à la source», symbolisée par l’eau et le
sang qui ont coulé de la blessure du cœur de Jésus. La scène du film La Passion de Mel Gibson qui nous fait
voir Marie recueillant précieusement sur le pavement le sang de son Fils qui a
coulé par l’atroce flagellation commente bien, à sa manière, à la fois cette dépendance
de Marie par rapport au don, et notre dépendance à Marie pour le recevoir.
Cette figure de la «femme forte au pied de la Croix»
qu’est la Mère de Jésus et notre Mère, redimensionne le profil trop intimiste
d’une compréhension de la dévotion mariale au risque d’une forme subtile de
régression relationnelle du chrétien, par un retour mal compris au sein
maternel de Marie.
La
psychologie, surtout freudienne, aurait bien des objections à formuler devant
notre attachement à la Mère de Dieu. La plus radicale […] c’est
l’interprétation psychanalytique du lien à Marie comme une régression au sein
maternel. La dévotion à Marie, plus encore l’abandon à Marie, seraient au fond
une façon de réactiver notre infantilisme originel […] La piété mariale serait donc
soupçonnée de cultiver une immaturité […] L’attachement à Marie serait une
expression déguisée et sacralisée d’un besoin de protection, une représentation
imaginaire du paradis originel qu’est la vie intra-utérine, en deçà des débats
et des combats inhérents à la condition historique de l’humanité […] Pourtant
il n’y a dans l’Evangile aucune trace de régression ou de démission […]
L’enfance psychologique est derrière nous. Mais l’enfance mystique est devant
nous»[876].
Le corpus
«neubertien» nous a épargné ce faussement de sens dans la relation Mère Fils
qu’il promeut sans cesse. La «mise en situation missionnaire apostolique» de
cette relation engage l’enfant de Marie à des responsabilités et à une foi
adulte :
Il faut une vraie dévotion à Marie, non pas seulement extérieure et
sentimentale, mais une dévotion solide, généreuse, surtout une dévotion
profondément christocentrique[877].
Emile Neubert veut que la piété mariale soit fondée
sur des bases scripturaires et dogmatiques solides, il ne veut rien sacrifier à
une relation vivante et affectueuse à notre Mère du Ciel. Cette relation «qui
fait vivre» rejaillit sur celle que nous avons avec Dieu lui-même qui nous
«fait vivre» en dilatant notre cœur profond en liens permanents avec le mystère
de la paternité de Dieu. Ce qui fait, qu’à maintes reprises, dans son corpus, il relève en termes critiques la
théologie des Protestants qui n’intègrent pas la figure de Marie. La
conséquence étant, pour nos frères issus des courants de la Réforme, une
certaine dureté dans leur rapport à Dieu même :
Nous nous rappellerons, que c’est le Père, de qui procèdent le Fils et le
Saint-Esprit et, en union avec le Fils et l’Esprit, toutes les créatures, qui a
voulu faire de Marie la Mère de son Fils et la Mère de nous tous, ses autres enfants.
Il lui a communiqué ses dispositions envers Jésus et envers nous que nous
admirons en elle. Si elle est si belle, si douce, si attirante, si bonne, si
miséricordieuse, si «maman», c’est que c’est lui qui l’a faite telle et qu’il
est encore infiniment plus beau, plus libéral, plus miséricordieux, plus
paternel. Comme à propos du Fils, à propos du Père également, par Marie, nous
apprenons à mieux comprendre, à mieux sentir, à mieux nous confier, à mieux
aimer et à mieux nous donner. Si c’est le Fils qui révèle le Père, n’est-ce pas
aussi la Mère, qui, à sa façon, nous le fait comprendre ? Notre religion,
vie de famille avec la divinité, serait-elle ce qu’elle est si, à côté du Père
qui est aux cieux, il n’y avait pas une Mère[878] ?
Nous pourrions noter que la théologie rationaliste,
du côté catholique, qui se veut scientifique en parlant de Marie, si elle est
trop peu ressourcée à la doctrine des Pères, des docteurs et des mystiques,
nous fait sombrer dans les mêmes écueils. Il s’agit de retrouver l’esprit de la
théologie des saints qui nous offre une puissante lumière sur la doctrine et
sur la vie, dans un équilibre parfait. C’est le secret de leur réception par le sensus fidei du peuple de Dieu qui
reconnaît d’emblée, guidé par l’Esprit Saint, les vrais témoins qui nous
entraînent.
La menace perdure sans cesse de dissocier une
théologie purement théorique de l’engagement missionnaire[879] que requiert notre
vocation baptismale ou bien alors de développer une piété mal éclairée qui peut
devenir malsaine. Emile Neubert a su éviter ces deux écueils, comme un saint
Louis-Marie Grignion de Montfort, comme une sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus.
Il nous offre une vérité vitale, nous engageant à une relation authentique et
comblante avec les figures des Personnes Divines et de la Vierge Marie, située
dans l’ensemble du mystère du Salut. Il s’agit pour nous d’entrer dans une
lecture intégrale des Ecritures qui respecte cette idée formulée par le père
Yves Congar, : «une pensée a sa vérité, non dans quelques bribes de textes,
mais dans la proportion des textes, leur équilibre et leur place dans
l’ensemble[880].»
Peu à peu, il illumina notre foi, chercha à
coordonner l’intelligence du mystère et l’investigation des sources,
l’approfondissement théologique et la perspective d’histoire du salut, la
logique des convenances et la spécificité de la vocation de Marie, les
analogies et les différences entre le Christ et sa Mère d’une part, entre la
figure de Marie et les autres rachetés, d’autre part. La découverte progressive
des vérités dogmatiques fondées sur la Révélation biblique et la tradition
vivante de l’Eglise, guidée par l’Esprit Saint, stimulée par le sensus fidei du peuple de Dieu, elle est
devenue au fur et à mesure une vie, comme un squelette bien recouvert de chair.
Les questions les plus existentielles de l’homme - son origine et sa fin -
trouvent des repères qui recadrent l’histoire du monde et de l’Eglise par
rapport à l’objectif de ses fins dernières. La finalité, vraiment ultime, de la
vocation de l’homme n’est pas d’ordre ecclésial mais trinitaire. En ce sens, la
Vierge Marie qui est comme nous l’avons dit : «à la source», première des
rachetés, tout à la fois comme premier membre de l’Eglise naissante et comme
Mère de l’Eglise, reçoit du Christ prolongé par l’Eglise, en retour, l’honneur
qui lui est dû :
Il est, de l’amour filial de Jésus pour sa Mère, une autre manifestation
dont nous sommes les témoins et un peu les instruments : c’est la piété
filiale de l’Eglise envers Marie. Jésus se prolonge par son Eglise ; la
vie de l’Eglise, c’est l’amour du Christ pour Marie[881].
Cette formule bien comprise peut nous faire entrer
dans les grandes perspectives de la mission apostolique qu’Emile Neubert ne
cesse de développer dans son corpus.
L’autre versant de cette réalité consiste à voir comment Marie se prolonge par
l’Eglise, en l’imprégnant de son propre «mystère marial», selon l’expression du
cardinal Ratzinger :
Dans notre mentalité occidentale, masculine, nous avons de plus en plus
séparé le Christ de sa Mère, sans comprendre que Marie en tant que mère
pourrait, théologiquement et pour la foi, signifier quelque chose. Tout le
genre de notre rapport avec l’Eglise est marqué par là. Nous la traitons
presque comme un produit technique, que nous voulons projeter et fabriquer grâce
à notre perspicacité, et à notre dépense inouïe d’énergies ; et nous nous
étonnons si alors intervient ce que saint Louis-Marie Grignion de Montfort a
remarqué, d’après un mot du prophète Aggée : Vous avez semé beaucoup, mais
peu engrangé (1, 6). Quant le «faire» se rend autonome, les choses qui ne sont
pas à faire, mais sont vivantes et veulent mûrir, ne subsistent plus […]
L’Eglise n’est pas un produit fabriqué, mais la semence vivante de Dieu, qui
veut croître et mûrir. C’est pourquoi l’Eglise a besoin du mystère marial, est
elle-même mystère marial[882].
Dans la droite ligne de l’esprit de ses écrits, nous
pourrions ajouter : «La vie de Marie, c’est l’amour des pauvres, de ceux
qui pleurent et luttent pour la justice etc…» A l’esprit des Béatitudes, nous pourrions rattacher le Magnificat de la Vierge Marie, remettant
à la fois, dans ses limites, le mystère de Marie qui renvoie à l’amour de Dieu
et du prochain et évite un faussement de sens qui offrirait à côté d’un
christocentrisme une sorte de « mariocentrisme», comme pour nous faire
entrevoir une Eglise à deux têtes.
Au contraire, Marie par sa fonction médiatrice,
maternelle, par sa virginité, par son assomption etc., par sa co-rédemption,
éveille tous les chrétiens à participer à ses fonctions et à ses privilèges,
dans la mesure qui est la leur, certes, et dans les limites qui sont les leurs.
Tous ces thèmes sont présents en filigrane dans les livres de vulgarisation de
la piété mariale, adaptés aux destinataires. En même temps, il nous offrit les
notions conceptuelles permettant d’établir les ressemblances de la Vierge au
Christ d’une part, et aux chrétiens d’autre part, tout en sauvegardant les
différences. C’est ainsi qu’apparaît nettement affirmée la hiérarchie de ces
ressemblances et de ces différences qui s’enracinent toutes dans le Christ, et
leur signification par rapport à la transcendance de Dieu et au salut des
hommes. Il a su tenir compte, essentiellement, de l’homogénéité qui prévaut à
l’évolution de la formule dogmatique, en s’attachant à relever la diversité des
expressions du dogme dans les époques successives. Nous lui sommes redevables
d’avoir su nous faire entrevoir comme le «fil rouge» des éléments d’un puzzle
qui étaient déjà présents au départ, et que l’Eglise a pour tâche de définir au
fil de son histoire jusqu’à ce qu’elle atteigne sa taille adulte dans le
Christ.
Emile Neubert montra le rapport vivant de l’Ecriture
avec la tradition. Non seulement l’Ecriture est l’objet de tradition en ce sens
que son Canon nous est transmis (traditur)
par l’Eglise, mais en ce sens que la tradition en transmet aussi la
compréhension et l’intelligence. Et, c’est à partir d’une réflexion sur les
données bibliques, - sa thèse le montre à l’envie-, que la Tradition avait
progressivement pris conscience des dogmes : dès avant Nicée, de la
véritable maternité humaine de Marie et de sa maternité divine, de sa
virginité, de sa sainteté parfaite (et même du caractère unique, à son départ,
de cette sainteté), de son assomption et de sa participation à l’unique Médiation
et Rédemption du Christ. Une telle lecture de la Bible ne peut se faire, ni
d’une manière féconde et prometteuse en dehors de l’Eglise, et ni en dehors de
sa Tradition qui en est le milieu vivant. Son mérite fut d’éviter l’écueil qui
aurait consisté à nous rendre Marie toujours plus éloignée par ses privilèges
et leur caractère d’exception. Son souci permanent d’en chercher la cohérence
et l’harmonie par la Révélation s’accompagne de la volonté de développer le
«pour nous et pour notre salut» qui rejoint notre histoire ici et maintenant où
nous avons une mission à remplir. Si bien que l’approfondissement des
«privilèges» de la Mère de Dieu nous renvoie aux «fonctions» de Marie à notre
égard, chargeant de sens les données du dogme. A l’aide du mystère de Marie
nous est confiée la tâche de dénouer un nœud : les Protestants qui
n’admettent pas ce rapport de similitude entre la créature et le Créateur,
qu’un Karl Barth appelait en 1945 «l’analogie de l’être» (qu’il récusait alors,
avant de l’intégrer à son tour plus tard). Marie, au contraire, nous montre
jusqu’où va la grâce de Dieu, capable de transformer l’humanité, appelée à la
gloire, faite à l’image et ressemblance de Dieu. Toute la transcendance divine
se manifeste dans sa capacité d’immanence, de kénose : élevant le
réceptacle de la pauvre humanité à sa grandeur divine ; c’est un peu le
prince qui, pour épouser une pauvre bergère, la fait princesse. L’avantage de
l’approche «neubertienne» est de nous faire saisir comment le Christ opère le
salut, non dans et par la seule divinité, mais dans et par l’humanité
coopérante. «Dieu qui nous a créés sans nous, ne nous sauvera pas sans nous.»
La coopération de l’homme à son propre Salut, qui se traduit en terme de se
«laisser aimer inconditionnellement» par son Créateur, Marie en est le premier
témoin, elle ira jusqu’à devenir par son consentement (à la fois actif et
passif) de l’Annonciation, Mère de Dieu et Mère des hommes à sauver.
Dans une conversation au sujet du style théologique,
le Père Neubert confiait au Père Koehler sa volonté d’écrire en termes simples
et clairs, non selon la mode passagère du temps mais en un français qui
triompherait de l’épreuve du temps. De fait, il a évité tout jargon qui
trahirait sa date mais il n’y réussit pas quant au style.
Le Jésuite Pierre Ranwez dans Présence de Marie. Introduction à la littérature mariale d’aujourd’hui,
étude critique, en 1954, apprécie la «belle synthèse des grandeurs de
Marie» élaborée dans Marie dans le dogme.
Il ajoute ce commentaire : «malgré les toutes grandes qualités de cette
œuvre, nous n’y trouvons peut-être pas le même équilibre que dans le Traité[883] de l’Abbé
Laurentin.»
Ranwez (comme Michel) voit que la synthèse
«neubertienne» fut vraiment représentative de la doctrine de la dévotion de
cette époque. Elle constitue un précieux jalon de la tradition. L’historien
doit s’y référer et notre étude voudrait contribuer à rendre ce service. La
critique vient de cette prise de conscience du tournant de Vatican II au sujet
du Mystère de la Vierge Marie. Il fallut négocier comme un «virage» dans
l’approche du mystère de Marie. Le jeune théologien d’Angers, l’abbé Laurentin,
déjà remarqué par Jean XXIII, était davantage orienté vers l’ensemble des
thèmes marials bien mis en valeur par Vatican II et les années qui suivirent.
Il a su mettre en valeur dans un plus grand équilibre les thématiques mariales
classiques, (qu’Emile Neubert possédait parfaitement), surtout par le thème
«Marie-Eglise» qui, de fait, aurait offert à la synthèse «neubertienne» une
force et une ampleur nouvelle[884].
Emile Neubert a ses mérites comme précurseur ;
pour s’en rendre compte, il nous suffit de reprendre l’exhortation apostolique Marialis Cultus de Paul VI qui donna en
1973 de précieuses «directives» et «orientations» pour que les fidèles
pratiquent une authentique dévotion mariale, conforme à l’esprit du chapitre 8
de Lumen Gentium, surtout
christocentrique. Elles valent pour la doctrine : un caractère trinitaire,
christologique, ecclésial, et il faut ajouter pneumatologique ; avec ses
bases : biblique, liturgique, œcuménique et anthropologique.
Dans ce document Paul VI estime qu’il est normal
«que les générations chrétiennes qui se sont succédées dans des contextes
socio-culturels différents […] aient exprimé leurs sentiments selon les
concepts et les représentations de leur époque[885].»
Il faut en outre remarquer, que l’exhortation de
Paul VI indique les grands thèmes marials de la tradition à partir desquels,
nous avons retrouvé, dans notre étude du corpus
«neubertien», tant d’éléments qui restent une contribution valable dans notre
époque «post-Vatican II», voire même «post-Jean-Paul II», puisque ce dernier
long pontificat fut aussi très marqué par l’empreinte mariale. Ces grands
thèmes sont présents dans toute l’œuvre d’Emile Neubert, mais d’inégale
importance selon le public auquel il s’adresse : Dieu Trinitaire/Marie,
Jésus/Marie, Eglise/Marie, Esprit Saint/Marie, Révélation/Marie, Prière et
Liturgie/Marie, Œcuménisme/Marie, Notre vie/Marie.
Au cours d’une session de la Société d’Etudes
Mariales, il confiait à Théodore Koehler sa préférence pour les rapporteurs qui
alliaient théologie et spiritualité. Lui-même donnait l’exemple, il n’écrivait
pas de traités au titre abstrait.
C’est le débat constant depuis la scolastique, -
nous confiait à ce propos Théodore Koehler-, au Moyen-âge, entre le
«théologique» et le «spirituel». Gerson regrettait vivement la séparation. Les
Pères de l’Eglise l’ignoraient et Emile Neubert préféra les suivre. Les Jésuites,
en créant la collection «Sources chrétiennes» ont voulu remédier à une carence
de notre siècle et faire mieux connaître, apprécier, aimer la patristique.
Irénée Marrou a enrichi l’université de France par la création de chaires de
patrologie. Une théologie mariale qui, à l’exemple des Pères de l’Eglise,
nourrit la vie des disciples de Jésus, telle est une première caractéristique
de l’œuvre «neubertienne» ; ce choix explique ses divers domaines ;
on peut en apprécier l’actualité et aussi en voir les limites.
Parmi ces limites, il y a celle qui consisterait à
ne pas offrir suffisamment l’apport des docteurs et des mystiques en
complémentarité avec celle des Pères de l’Eglise. On ne peut pas trouver cette
limite chez Emile Neubert. Notre étude nous a permis de constater, au fur et à
mesure des thématiques abordées, combien certains saints ont explicitement
«contribué» à l’élaboration de sa théologie : c’est le cas de saint
Louis-Marie Grignion de Montfort. C’est aussi le cas de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus
mais d’une manière peut-être moins explicite. La petite sainte de Lisieux, par
exemple, déclarée aujourd’hui «docteur de l’Eglise » marqua de son
influence spirituelle toute son approche, par l’esprit d’enfance spirituelle,
il lui dédia un ouvrage. Emile Neubert semble même avoir reçu directement des
écrits de la carmélite certaines expressions, à peine modifiées.
Mais il est bon de rappeler les originalités du
message «neubertien». Nous avons pu évoquer son insistance sur la mission
apostolique de Marie et sur l’union à Marie, pour lesquelles il composa chaque
fois un ouvrage spécifique. Il convient de mettre en relief certains accents
bien actuels, par exemple : Jean-Paul II et de nombreux apôtres modernes,
en particulier des ordres religieux comme les Servites, Schönstadt, et des
associations laïques comme la Légion de Marie vivent la mission apostolique de
l’Eglise en participation à la mission apostolique de Marie, modèle et Mère de
l’Eglise. Vatican II, dans la constitution sur l’Eglise Lumen Gentium, a
retenu l’amendement du cardinal Suenens :
La Vierge, toute sa vie, a donné l’exemple de cet amour maternel qui doit
animer tous les coopérateurs à la mission apostolique de l’Eglise pour la
régénération de notre race[886].
Dans cette théologie mariale apostolique, si fidèle
aux intuitions de Guillaume-Joseph Chaminade, nous trouvons plusieurs autres
thèmes qui sont d’actualité. Le thème «Marie et l’Esprit Saint» est
particulièrement traité pour l’explication de la mission apostolique de Marie
et la nôtre[887]. Le titre exprime
les trois paliers de la synthèse «neubertienne» : ²Rôle du Saint-Esprit
dans la mission apostolique de Jésus, dans celle de Marie, et dans la nôtre.² Le thème est donc
encore christologique et, de plus, trinitaire. Le Saint-Esprit est achèvement
du mystère trinitaire dans l’amour. Le Père de toute miséricorde nous sauve par
son Fils et leur Esprit. Le Christ nous est donné, ²conçu du
Saint-Esprit, né de la Vierge Marie.²
En appelant les Douze, le Christ a fondé
l’apostolat ; l’Esprit achève cette œuvre par sa venue sur les Apôtres en
prière avec Marie, au jour de la Pentecôte[888]. C’est ce même
Esprit qui devient l’âme des prêtres dans leur ministère ordonné. Nous recevons
d’Emile Neubert son témoignage de foi en cet Esprit de Pentecôte, il anime en
présence de Marie l’âme des prêtres. Il est rentré parfaitement dans l’esprit
du Concile Vatican II qui s’exprimera à propos du lien qui unit Marie au
sacerdoce ministériel dans le texte du décret Presbyterorum ordinis[889] :
De cette docilité [à la mission qu’ils ont assumée dans le Saint-Esprit]
les prêtres retrouvent sans cesse le merveilleux modèle dans la Sainte Vierge
Marie : conduite par le Saint-Esprit, elle s’est donnée tout entière au
mystère du rachat de l’humanité ; mère du Grand Prêtre éternel, reine des
apôtres, soutien de leur ministère, elle a droit à la dévotion filiale des
prêtres, à leur vénération et à leur amour» (PO 18).
Autre thème, souligné récemment : la présence
de Marie dans la vie de l’Eglise et de ses membres. La vie d’union à Marie explique longuement cette présence de
Marie. Le thème inspira ce que nous pourrions appeler le secret «neubertien» ou, selon sa propre expression, «la
consultation de Marie[890].» «Il nous faut
croire en la présence invisible de Notre-Dame»[891], et prendre
l’habitude de la consulter en nos prières, décision, activité de notre vie
quotidienne, pour lui demander si elle les approuve. C’est en ce sens, que nous
pratiquons le service de la mission apostolique de Marie. Agir en son nom,
c’est la consulter, vivre sa présence apostolique, ne plus agir en notre seul
nom. En notre époque post-conciliaire, le Père John Schug, capucin américain,
dans son livre Mary, mother, relève en plus de quatre pages,
des références aux nombreux textes de Jean-Paul II parlant de la présence de
Marie. De 1987, année de Redemptoris Mater et début de l’Année Mariale,
jusqu’en 1991, Schug compte dans les textes cités par l’Osservatore Romano
quelque cinquante mentions explicites de la «présence de Marie». Redemptoris Mater est, pour ainsi dire,
dédié à cette présence qui revêt deux formes : 1) la présence historique
de Marie dans la vie de Jésus et dans celle de la primitive Eglise ; 2)
après l’Assomption de Marie au ciel, sa «maternelle présence», présence
toujours actuelle, «active et exemplaire», dans la vie de l’Eglise. Il s’agit,
sous les deux formes, de «l’unique présence de Marie dans notre histoire,
spécialement durant ces dernières années qui nous amènent à l’an 2000». Cette
active présence de Marie est une maternité spirituelle.
John Schug explore la nature de cette action de
Marie, comme causalité instrumentale. Emile Neubert en parlait, renvoyant aux
explications théologiques de Garrigou-Lagrange[892]. Il renvoie surtout
à des récits d’expériences personnelles de la présence de Marie, glanés dans
diverses biographies. Il approfondit la question, en distinguant divers modes
d’union à cette présence : 1) l’union ordinaire, pratiquée par notre
exercice de la foi en cette présence, la foi du cœur, inspirée par une progressive
imitation de l’amour de Jésus pour Marie.
2) Un charisme particulier de cette présence. Saint
Louis-Marie Grignion de Montfort explique que «cette grâce n’est pas faite à
tous… Dieu en favorise une âme par grande miséricorde[893].» Guillaume-Joseph
Chaminade parle de «don» : «Il y en a qui ont le don de la présence de
Jésus-Christ et de la Sainte Vierge, mais c’est fort rare. Il faut être très
fidèle pour le mériter[894].» Emile Neubert,
faisant une nouvelle distinction, considère ce don comme une grâce mystique, mais
ordinaire : simple conscience de présence. Et troisièmement, l’union en
des grâces mystiques extraordinaires : extases, paroles, et autre grâce
exceptionnelle que nous n’avons pas à désirer[895].
Chrétiens et chrétiennes sont appelés à être des
apôtres, des témoins du Christ. Depuis Vatican II, l’Eglise insiste sur la
vocation apostolique des laïcs. Cette vocation était quasi évidente pour Emile
Neubert :
Le clergé et les religieux ne sont pas les seuls membres de l’Eglise qui
soient appelés à l’apostolat. Tout chrétien a une vocation apostolique, d’abord
parce que tout chrétien doit imiter le Christ, l’Apôtre par excellence[896].
Aimer notre prochain, c’est premièrement faire tous
nos efforts pour qu’il parvienne à la vie éternelle. Là aussi, Emile Neubert
suit Guillaume-Joseph Chaminade et explique d’ailleurs comment celui-ci
transforma en apôtres les jeunes de Bordeaux qui entrèrent dans ses
congrégations mariales, leur disant comme directive : «Chaque congrégation
est une mission permanente.»
L’apostolat laïc, comme vie chrétienne, a sa
dimension mariale. Emile Neubert précise que cet apostolat est union à la
mission apostolique de Marie et cite Guillaume-Joseph Chaminade :
Les congrégations nouvelles ne sont pas seulement des associations à
l’honneur de la Sainte Vierge ; c’est une sainte milice qui s’avance au
nom de Marie et qui entend bien combattre les puissances infernales sous la
conduite même et sous l’obéissance de celle qui doit écraser la tête du serpent[897].
Les limites de cette approche ne manquent pas
cependant, sans s’arrêter aux aspérités du langage.
La comparaison avec la théologie mariale
post-conciliaire reprise amplement sous les pontificats du pape Jean-Paul II et
de son successeur Benoît XVI montre enfin que l’œuvre du Père Emile Neubert
reste de son temps, car il n’exploite pas le thème Marie et l’Eglise, comme
Vatican II engage à le faire. L’analogie de Marie «la Mère» avec le Christ son
Fils, demeure l’unique analogie, maîtresse de sa synthèse. Cette analogie,
classique à son époque, faisait courir le danger d’isoler Marie dans une
théologie de privilèges. Mais Emile Neubert n’a jamais séparé Marie, notre
Mère, de ses enfants. Au contraire, il a insisté sur sa proximité, sa présence
et l’importance de notre union à elle.
L’ensemble des écrits marials d’Emile Neubert laisse apparaître à tous
ses destinataires deux de ses grandes activités. La diffusion de la doctrine et
de la dévotion mariale est la part la plus importante de son œuvre qui restera
à la postérité et dont l’ouvrage le plus significatif Mon Idéal, Jésus Fils de Marie demeure un petit «traité marial et
missionnaire» encore demandé aujourd’hui. S’ajoute à cela l’étude particulière
de la spiritualité du Père Chaminade : ce fut un missionnaire apostolique
au service des Congrégations mariales de Bordeaux qu’il relança après la
Révolution Française et il fonda des Sociétés religieuses au début du XIXe
siècle.
C’est essentiellement comme professeur, prédicateur et écrivain
qu’Emile Neubert exerça une véritable mission apostolique.
Les éléments de cette impulsion missionnaire sont apparus dans ses
nombreux articles, dont les deux premiers furent écrits dans le contexte de la
crise moderniste, avant son départ pour les Etats-Unis en 1905, sous un
pseudonyme. Ils furent suivis de quelques autres articles écrits en anglais aux
Etats-Unis dans le cadre de ses premiers cours aux postulants et aux novices.
D’autres articles parurent écrits en français pour la plupart, de 1922 à 1949,
alors qu’il était supérieur du séminaire de Fribourg en Suisse.
A un siècle de distance de l’édition de sa thèse de doctorat en 1907,
et quarante ans de distance avec sa mort, il nous est plus facile, en ce début
du XXIe siècle, d’apprécier la contribution de cet auteur dans le
domaine de la théologie spécialisée sur la question mariale.
Lui-même, en faisant une relecture de sa vie, dans son autobiographie,
soulignait l’originalité du sujet de sa thèse de doctorat et sa très bonne
réception, à une époque où, un sujet marial associé à la recherche patristique
était totalement nouveau. Son premier apport fut donc cette étude
historico-positive, à l’aube d’un siècle qui devait remettre en pleine lumière
la valeur des écrits des Pères : on parle alors de «renouveau patristique»
en parallèle avec le «renouveau liturgique» et le «renouveau biblique». Ce
dernier, nous le vîmes dans notre étude, contribua à ses recherches au fil des
thématiques mariales qu’il dut approfondir.
Aujourd’hui, les études historico-critiques et théologiques autour des
thématiques mariologiques en lien avec les Pères de l’Eglise sont nombreuses,
enrichies tout particulièrement par l’apport des «Textes Marials du Premier
Millénaire», regroupant en quatre volumes les contributions des Pères et
auteurs anciens d’Orient et d’Occident[898].
A l’époque de la publication de sa thèse, en ce début du XXe
siècle, les études mariologiques en patrologie restaient modestes dans le
milieu catholique, même après la définition du dogme de l’Immaculée Conception.
En dehors de quelques recherches spécialisées, les Pères et les auteurs anciens
étaient étudiés d’un point de vue essentiellement littéraire et apologétique.
Dans le même temps, les étudiants protestants se lançaient dans des
recherches historiques sur fond polémique contre ce qu’ils appelaient la
«mariolâtrie» des catholiques. Mais, si leurs études étaient plus importantes
en quantité que celles des catholiques, elles ne pouvaient recevoir beaucoup de
crédit au niveau de la qualité, à cause des conceptions souvent «a priori»,
associées à des interprétations superficielles des positions du «camp adverse[899].»
Sans aucun esprit polémique, avec méthode et précision, Emile Neubert a
conduit une recherche historico-critique faisant apparaître tout ce qui était
approfondi du mystère du Christ et de sa Mère, partant des récits évangéliques
jusqu’à l’aube des luttes ariennes. Son ouvrage comprend deux parties relatives
au dogme et au culte marial. Nous vîmes comment ce travail nous aida à bien
approfondir le lien étroit qui unit christologie et mariologie, cette dernière
étant au service de la première. En reprenant les textes qu’il cite sur la
véritable maternité humaine de Marie, les différents Pères et auteurs anciens,
partant de Justin en passant par Irénée, Clément d’Alexandrie, Hippolyte, pour
arriver à Origène, puis Tertullien, nous présentent la foi en la véritable
nature humaine du Christ. Le contenu de cette foi était alors nié par les
hérétiques, tels les gnostiques, les valentiniens et les disciples de Marcion.
Il en va de même quand ces mêmes Pères et auteurs anciens défendaient
la conception virginale, qui, en soi, constituait un argument en faveur de
l’affirmation de la divinité du Christ, face aux oppositions des juifs, des
païens et des hérétiques qui la niaient. Et face aux docètes qui niaient la
véritable humanité du Christ en faveur de sa divinité, cette affirmation de la
virginité de Marie réconciliait ces deux réalités en apparence contraires.
Finalement, l’affirmation de la maternité divine constituait une phase
décisive, elle permettait d’unir en une seule personne, celle du Verbe de Dieu,
les deux natures : humaine et divine du Christ.
Emile Neubert mettait bien en évidence que les affirmations concernant
Marie, la Mère de Jésus, grâce aux liens étroits qu’elles rendaient possibles
entre christologie et mariologie, servaient essentiellement à garantir la saine
doctrine sur l’identité du Christ.
L’article «conçu de l’Esprit Saint, né de la Vierge Marie» faisait
partie du premier symbole connu, - symbole romain -, à partir duquel se
seraient élaborés les symboles ultérieurs. En attendant, le contenu de cet
article de foi appartenait aux vérités essentielles que chaque fidèle devait
croire. Nous devons à Emile Neubert, par une recherche de première main dans
les textes latins et grecs des Pères et auteurs anciens, d’avoir bien mis en
lumière, sans prise de position partisane, la dépendance intime des éléments
d’une christologie et d’une mariologie en fin de compte essentiellement
christocentrique :
Le vrai facteur du développement mariologique primitif se trouve dans les
rapports tout spéciaux qui unissent Marie à Jésus. Comment cela s’est vérifié à
propos des affirmations dogmatiques, la première partie de ce travail l’a
suffisamment montré. Il n’est guère plus difficile de constater que c’est aussi
à cause de Jésus que Marie est devenue l’objet de l’attention des fidèles. Le
fait est manifeste dans saint Luc. De même nous voyons nettement dans le
Protévangile que la virginité in partu
et post partum, ainsi que la sainteté
de Marie, n’ont qu’un but, l’honneur de Jésus. Comme l’a remarqué récemment
encore un protestant, «si l’auteur a voulu rendre évidente la pureté de la Mère
depuis le commencement jusqu’à la fin», ç’a été pour « sauvegarder la pureté de
la naissance de Jésus», et s’il «oublie presque le Christ en chemin», c’est le
Christ cependant qui «est au terme[900]». C’est également à propos de Jésus qu’on glorifie
Marie dans les autres apocryphes, qu’on la représente dans les peintures et
qu’on lui attribue un rôle spécial dans l’œuvre de la Rédemption[901].
Et c’est ainsi qu’Emile Neubert conclut son travail
par cette affirmation qui sera reprise dans les recensions de la publication de
sa thèse :
En somme, toute l’histoire des origines de la mariologie se présente
comme l’histoire de la défense et de l’extension de la christologie : la
Mère garantissait le Fils et la gloire du Fils commençait à rejaillir sur la
Mère[902].
Nous lui sommes redevables d’avoir bien mis en évidence
que les éléments principaux des thématiques mariologiques qui prévalaient en
son temps étaient déjà suffisamment développés ou en germe à la veille du
Concile de Nicée :
En somme, la plupart des éléments actuels de la mariologie sont déjà
assez nettement développés à la veille du Concile de Nicée : la maternité
humaine et la conception virginale ont passé comme article de foi dans le
symbole ; la maternité divine est reconnue, il ne reste plus qu’à
sanctionner officiellement le mot ; la tradition relative à la
conservation de la virginité est universellement acceptée au moins comme une
croyance pieuse ; si la parfaite sainteté de Marie va torturer longtemps
encore certains théologiens, elle est admise depuis les commencements par la
piété des fidèles ; la coopération de Marie à l’œuvre de la Rédemption ne
sera guère proclamée plus haut que l’a fait saint Irénée ; par contre, la
vénération et l’invocation sont destinées à prendre encore d’indéfinis
accroissements. Les principes sont posés, et déjà on a commencé à s’engager
dans la voie des conclusions ; mais on n’est encore qu’à l’entrée de cette
voie qui est sans terme[903].
Toute son étude montre admirablement que les raisons de ce
développement et, de la place si importante attribuée à Marie dans le domaine
de la foi et de la piété populaire de l’église primitive n’ont en fait pas de
rapport direct avec l’aspect polythéiste des croyances populaires de l’époque,
ni avec une prise en compte exagérée du rôle de la Vierge. Il s’agit simplement
de bien faire valoir les rapports nécessaires et uniques qui unissent Marie et
Jésus.
Sa méthode d’étude rigoureuse rejoint celle du Cardinal Newmann dont il
connaissait bien la pensée mariologique[904].
Il ne s’agit pas alors de s’aventurer dans des synthèses imposantes mais de
s’atteler à une recension et une analyse rigoureuse des témoignages
qu’apportent les Evangélistes, puis les Pères et auteurs anciens.
La recension de Dom Bède Lebbe relevait justement, mais avec une pointe
de critique négative, cet aspect chez Emile Neubert :
C’est chaque fois un long défilé des témoignages de tous les écrivains
ecclésiastiques, longuement cités et soigneusement interprétés. Le souci du
détail est très grand ; mais, j’aurais voulu plus de préoccupation pour la
synthèse… On m’objectera que la synthèse est facile à qui la construit a
priori, passe à pieds joints au-dessus des constatations gênantes et se soucie
peu de l’exactitude, mais n’y aurait-il pas moyen de faire ressortir davantage
de l’encombrement nécessité par la discussion minutieuse des textes, le lien,
le développement des idées, au lieu de reléguer dans une brève conclusion les
vues d’ensemble qu’il a été impossible au lecteur de dégager, et qu’il ne lui
est même pas facile de retrouver au milieu de l’accumulation des textes et des
études de détails[905] ?
Le caractère polémique de cette recension ne s’accorde pas avec les
autres recensions, dont celle de E. Treubert, dans la revue thomiste :
La mariologie vient de s’enrichir d’un beau livre de théologie positive
qui lui manquait. Nous souhaitons une large diffusion à cette œuvre d’une
érudition sobre et de bon aloi. Elle démontrera contre les protestants et les
rationalistes, que, dès les premiers siècles, Marie eut une place spéciale à
côté de Jésus ; que ce n’est ni la mentalité polythéiste ni l’estime
exagérée qui explique cette phase[906].
De fait, Emile Neubert, en se situant en dehors de toute polémique,
semble avoir atteint ses objectifs qui consistent à bien mettre en évidence,
avec honnêteté, les différentes composantes mariales dans les motivations
profondes qui les sous-tendent et leurs harmonies.
La bibliographie de sa thèse et son témoignage personnel transmis dans
son autobiographie convergent. Il fut confronté aux réfutations des auteurs
polémiques de son temps, dont les plus récents et les plus virulents - Herzog
et Harnack[907]
- cherchaient résolument à éradiquer à la racine les dogmes et la foi des
fidèles chrétiens de leur temps, tout ce qui concerne la Mère de Dieu.
Emile Neubert ne fait pas le choix de répondre par des recherches de
synthèse qui se voudraient exhaustives et limpides. Il s’attele au contraire à
une étude de première main sur l’histoire et la littérature autour de la
thématique du dogme chrétien antique auquel se référait, sans vraiment
l’approfondir, la critique rationaliste et protestante de l’époque en vue de
démolir les acquis de la foi catholique.
Du côté catholique, le moyen de répondre aux remises en cause du camp
adverse, consistait à occuper le terrain de la recherche historico-critique,
avec la rigueur et la fidélité aux documents mis alors à disposition. C’est là
tout le mérite d’Emile Neubert qui, nous le constatâmes, poursuivra son œuvre
sur cette même voie de précision scientifique et de recherche d’harmonie du
message.
L’œuvre importante qui stigmatise cette recherche est sans nul doute Marie dans le dogme dont nous vîmes,
qu’il modifia le plan d’ensemble pour la seconde édition. Ces modifications
furent en faveur des différents aspects de la Mission de Marie, elles précèdent
avantageusement l’énoncé des privilèges et des grandeurs de Marie qu’il
assimile, dans un sens plus large au dogme. En effet, le terme «dogme» est
compris par l’auteur dans un sens plus étendu de doctrine révélée : à
savoir, les affirmations mariales définies par l’Eglise et celles à venir. Son
ouvrage sur l’Assomption de Marie, à ce titre, nous donne des analyses très
riches et très pertinentes, ainsi que des repères précieux pour l’avenir du
dogme.
Marie selon Emile Neubert, est avant tout une personne vivante. Et
toutes ses approches exégétiques, patristiques et théologiques sont une
contribution pour nous faire entrevoir la figure de la Mère de Dieu dans une
relation actuelle avec chacun de nous, et l’ensemble du peuple de Dieu. Marie,
plus que cela, est présente dans notre aujourd’hui pour nous entraîner à la
mission.
Cette mission est avant tout la Mission de Marie voulue par Dieu, que
nous qualifierons proprement d’apostolique. Elle consiste, comme l’exprimait
Guillaume-Joseph Chaminade dans sa lettre
du 24 août 1839, à sauver les âmes de la contagion du mal, à travailler à
la réforme des mœurs, à l’accroissement de la foi et à l’extension du Règne de
Dieu parmi les hommes ; à être la joie, l’espérance et la vie de l’Eglise
de tous les temps. Cette mission apostolique de la Vierge est pour Emile
Neubert, la raison ultime de sa prédestination :
L’envoi de Marie par Dieu à l’œuvre du rachat et de la sanctification du
genre humain était inclus dans sa prédestination comme Mère du Sauveur, et donc
dans le décret de l’Incarnation.
Cette mission fut notifiée à Marie par l’archange Gabriel : «Missus est Angelus Gabriel a Deo» (Lc 1, 26). Elle fut acceptée par elle
quand elle répondit : «Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait
selon ta parole» (Lc 1, 38). Marie ne
se reçoit pas en vue de sa propre personne mais tout entière en vue de son Fils
et du motif de son Incarnation. Et le sens chrétien ne s’y trompe point.
Il sait que Marie n’est qu’une créature, dépendante en tout du
Christ ; qu’elle est une femme, une mère, et que sa grâce est adaptée à sa
nature et à sa fonction à elle. Dieu a fait le Christ pour lui-même, il a fait
Marie pour le Christ[908].
Le Christ, en faisant participer sa propre Mère à ses prérogatives et à
ses fonctions, dans la mesure où Marie n’étant qu’une pure et simple créature,
était capable d’y prendre part, voulut la rendre participante à sa propre
mission apostolique.
Emile Neubert écrit à ce sujet:
Or le vrai apôtre de l’humanité, c’est le Christ. Si donc Marie participe
aux différentes fonctions de son Fils, il faudra aussi qu’elle participe à sa
mission apostolique, il faudra que son fils ait partagé avec elle, dans la
mesure où elle était capable de la recevoir, sa mission d’apôtre qui durera
aussi longtemps qu’il y aura des âmes à sauver et à sanctifier[909].
C’est par la mission apostolique de Marie, - perçue principalement par
ses fonctions de Mère de Dieu et de Co-rédemptrice du genre humain -, que
s’explique l’excellence de son être et non le contraire. Or, c’est dans cette
perspective que s’insère toute la pédagogie «neubertienne», elle consiste à
sensibiliser les fidèles chrétiens à cette mission apostolique de la Vierge
Marie. Mission qui échoit à tout baptisé. Il convient de mieux comprendre
comment un tel message, en son temps, fut reçu et pourquoi. Notre étude a voulu
y offrir sa contribution.
Que ce soit à travers ses articles ou ses livres, Emile Neubert n’est
pas donc pas seulement un grand témoin de la doctrine et de la dévotion mariale
de son temps. Il est un missionnaire doublé d’un théologien et un spirituel qui
discerna la tradition fondamentale de l’Eglise, celle qui nourrit la constante
méditation du mystère de la Theótokos. Il contribua à l’aggiornamento
du langage de son temps dans une perspective apostolique. Il prépara aussi l’explicitation
actuelle du mystère de Marie, conciliaire et post-conciliaire.
Il est un apôtre de la gloire du mystère de celle à qui Dieu réserve la
victoire des Derniers Temps. A la suite de Guillaume-Joseph Chaminade, il
reste, en particulier, un grand apôtre de la mission apostolique de Marie[910],
la Femme biblique, que Dieu, de la Genèse
(chapitre 3, verset 15) à l’Apocalypse
(chapitre 12), donne comme modèle de sainteté et d’apostolat à l’Eglise et à
ses membres. La Famille marianiste semble être la seule réalité d’Eglise à
développer spécifiquement la notion de la mission apostolique de Marie sous
l’impulsion du Bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade.
Le Père Neubert est celui qui a le plus agi pour mettre à la
disposition du peuple de Dieu dans son ensemble la spécificité de cette
doctrine mariale héritée du fondateur de la Famille marianiste. Marie reçut en
vérité une mission apostolique dans l’Eglise, de type universel, dans le temps
et dans l’espace en dépendance de celle du Christ, «l’Apôtre par excellence»,
source de toutes les formes d’apostolat. De telle sorte qu’en obéissant à la
parole de Marie à Cana : «faîtes tout ce qu’elle vous dira», les
disciples, entraînés par la foi de Marie participent à son apostolat ; ce
qui résulte des fonctions sociales de Marie comme «Mère spirituelle» et
Associée au Rédempteur.
Emile Neubert, par son étude théologique de la mission apostolique de
Marie dans l’ensemble de ses implications mutuelles et réciproques, offrit une
contribution tout à fait originale et significative à la mariologie du XXe
siècle précédant le renouveau de Vatican II.
Emile Neubert, même si la tradition ne parla jamais explicitement d’une
mission apostolique de Marie, affirme que cette mission apparaît comme un
aspect particulier et intégral de sa maternité spirituelle et de sa Co-rédemption.
Dans la théologie des saints, comme au cœur d’une symphonie, Emile
Neubert, par son témoignage personnel de sainteté qui a marqué ceux qui l’ont
côtoyé et qui ont lu ses œuvres, nous offrit sans doute plus qu’un héritage
théologique en exécutant sa partition. C’est une véritable impulsion
missionnaire. Il fut docile aux motions de l’Esprit Saint auxquelles étaient
sensibles ses devanciers marianistes.
A notre tour, nous voudrions, fidèles à cet esprit de réception du don
de Dieu qui le fascinait, reconnaître l’originalité de la grâce qui le saisit
très jeune sur les bancs d’une école privée d’Alsace, où il recevait l’appel de
son Maître qu’il devait ensuite, durant toute sa vie, tant aimer et servir en
honorant sa Mère : «Viens et suis-moi !»
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[1] Théodore Koehler,
«Le Père Emile Neubert (1878-1967), Marianiste», in EphMar, Madrid, 17, (1967), p. 531.
[2] Ibid., p. 531.
[3] Ibid.,
p. 531.
[4] Gerald
Jarc, Emil Nicholas Neubert. The living example of the
spirit and works of the Society of Mary,
monograph, University of Dayton, 1960.
[5] Theodore Koehler
1911-2001, ordonné prêtre le 27 juillet 1941 à Fribourg, fut l’élève d’Emile
Neubert et son supérieur de séminaire.
[6] Koehler, pp. 530-533.
[7] Comme pour Thérèse
ou Dina, Emile écrivit son autobiographie, par obéissance à ses supérieurs cf. Autobiographie d’Emile Neubert, Marianistes,
Roma, 2002, p. 11 : «Quand il m’est arrivé de parfois mentionner quelques
détails de ma vie, le P. Bergeret mi-plaisantant, mi-sérieux, me disait que je
devais le noter pour faciliter le travail de mon biographe. L’idée de noter
certaines grâces spéciales reçues de la Très Sainte Vierge s’était présentée
depuis plusieurs fois à mon esprit. Mais je craignais que ce fut une tentation
de vanité : Or mes tentations sont des tentations contre l’humilité. La
suggestion de mon supérieur pouvait-elle être prise pour une indication
providentielle ? On a l’habitude de publier une notice sur les frères
défunts. Il est probable que, vu mes fonctions et mon apostolat marial, on m’en
consacrera une d’une certaine étendue.»
[8] Ibid., p. 12.
[9] Koehler, p. 532.
[10] Cf. François-Marie Lethel, Connaître l’Amour du Christ qui surpasse
toute connaissance - La théologie des saints, Carmel, Venasque, 1989, p. 3.
[11] Guillaume-Joseph
Chaminade, 1761-1850, cofondateur avec Adèle de Batz de Trenquelléon
1789-1828 ; béatifié par le pape Jean-Paul II en l’année 2000.
[12] Cf. Autobiographie, p. 23. Ce sanctuaire en
ruine depuis la Révolution avait conservé une petite chapelle où les membres de
la famille Neubert, surtout la maman, sont allés prier à maintes occasions,
obtenant des grâces notamment de guérisons.
[13] Cf. Collectif, Bibliographie de Monsieur Charles Dillenseyer (1902-1950), AGMAR,
cote 1840-14, Marianistes, Rome, 1951, p 5.
[14] Autobiographie, p. 12.
[15] Ibid., p. 15.
[16] Ibid., p. 16. Cette
première conversion fut précédée par une étape scolaire, où, au contact d’un
professeur, il se sentit estimé. Emile Neubert commente : «Ce qui me donna
peu à peu le sentiment de ma dignité chrétienne. Sans doute aussi commençai-je
à comprendre que je devais être plus logique avec ma foi.» Et à treize
ans : «Je résolus d’éviter toute faute volontaire jusqu’à ma première
communion.»
[17] Jarc, Appendice IV, p. 1.
[18] Autobiographie, p. 18.
Emile Neubert ajoute : «Or, quelques mois plus tard, peu après Noël, mon
père nous dit qu’il avait reçu une lettre de l’oncle Louis qui avait été
heureux d’apprendre qu’un de ses neveux allait embrasser la même vie que lui.
Mon père était donc d’accord et j’étais engagé. Je dois dire que, depuis ce
moment, je n’ai pas eu une seconde d’hésitation au sujet de ma vocation.»
[19] Ibid., p.17. Emile Neubert ajoute : «C’était un oui qui
signifiait : "je ne vois pas d’impossibilité, il faudra voir"
[…] La perspective de devenir professeur ne me déplaisait pas.
[20] Jarc, Appendice IV, p. 1.
[21] Cf. E. Neubert, Un prêtre de Marie. Le Père Joseph Schellhorn, Centre de
Documentation Scolaire, Paris, 1948, p. 17. Emile Neubert commente :
«C’était bien tard, mais ainsi le voulait la coutume et l’on eût été étonné que
cet âge fût devancé.»
[22] Autobiographie, p. 19.
[23] Ibid., p. 20.
[24] Cf Un prêtre, p. 23. Emile Neubert
ajoute : «Obligée par le « Chancelier de fer » de quitter ses florissantes
écoles d’Alsace, la Société de Marie avait en 1874, transféré son postulat d’Ebersmunster
(Bas-Rhin) à Bourogne, petit village situé sur le canal du Rhône eu Rhin, au
Sud Est de Belfort, à moins de 8 kilomètres de la frontière. Durant son
existence, de 1874 à 1903, cette maison devait héberger plus de 1300 alsaciens,
venus pour s’initier à la vie religieuse dans la Société de Marie.»
[25] Ibid., p. 24. Emile Neubert témoigne : «On travaillait bien,
on s’amusait bien, on priait bien, on chantait bien, surtout des cantiques à la
Vierge, et l’on pouvait communier bien plus souvent qu’à la maison, suivant la
dévotion de chacun.»
[26] C’est une fois
devenu prêtre et dans l’échange avec sa mère qu’il fera le lien consciemment.
[27] Ibid., p 12. Il ajoute dans sa lettre au supérieur général qui
présente l’autobiographie qu’il vient d’écrire : «Ce n’est que vers la fin
de ma quinzième année que la dévotion à Marie m’a attiré peu à peu : je
n’avais pas rêvé de devenir un auteur marial.»
[28] Ibid., p 25. C’est la
seconde conversion vécue par le jeune Emile Neubert.
[29] Jarc, Appendice IV, p. 1-2. Il vaut la peine
cependant de connaître le texte actuel des Constitutions qui donne le sens
spécifique de l’engagement religieux marianiste auquel prépare le
noviciat : «Pour nous consacrer à Dieu par des liens solides et stables,
nous faisons publiquement profession de suivre les conseils évangéliques de
chasteté, de pauvreté et d’obéissance. Cette profession nous constitue membres
d’une société qui appartient à Marie à qui nous sommes consacrés. Dans
l’intention de rendre cette consécration explicite et permanente, nous ajoutons
à ces vœux, lors de la profession perpétuelle, le vœu de stabilité, signe et
sceau de notre vocation. Ce vœu est un engagement à persévérer dans la Société
de Marie ; son esprit nous demande de faire connaître, aimer et servir
Marie et de ne jamais lui refuser notre concours à la Société qui lui
appartient. Par notre entrée dans la Société de Marie pour suivre le Christ,
nous nous engageons irrévocablement au service de Marie, Mère de Dieu et notre
Mère.» In Règle de la Société de Marie
(Marianistes) 1983, Saint-Paul, Bar-le-Duc, 1984, p. 23.
[30] Ibid., p. 2.
[31] Autobiographie, p. 27.
[32] Cf. Marie-Eugène de l’enfant Jésus ocd, Je veux voir Dieu, Venasque, éd. du
Carmel, nouvelle édition revue et corrigée, 81998 (1957).
[33] Autobiographie, p. 28.
Emile Neubert précise : «C’est au noviciat que j’appris que le Fondateur
de la Société de Marie s’appelait Chaminade, et que d’après une tradition, il
aurait reçu de la Sainte Vierge la mission de fonder la Société de Marie.»
[34]
Scolasticat
inférieur de Ris-Orangis, 1895-1896.
[35] Jarc, Appendice IV, p. 3.
[36] Ibid., p. 3.
[37] Autobiographie, p. 34.
[38] Jarc, Appendice IV, p. 3.
[39] Autobiographie, p. 35.
[40] Caudéran fait
aujourd’hui partie de la ville de Bordeaux.
[41] Les Ecoles de
Monceau, puis Stanislas.
[42] Jarc, Appendice IV, p. 3.
[43] Autobiographie, pp. 39-40.
Emile Neubert ajoute : «Il va sans dire que par rapport aux précautions à
prendre pour assurer la garde de la pureté, je me comporte comme doivent le
faire ceux qui sont sujets à la tentation. Je craindrais, en prenant plus de
libertés qu’eux, d’être privé de ce privilège.»
[44] Ibid., pp. 39-40.
[45] Cf. Theodore Koehler,
Brève biographie sur le Père Emile
Neubert, Appendice in Autobiographia,
ARS G.L., Roma, 2002, p. 83.
[46] Autobiographie, p. 41.
[47] Le futur pape
Jean-Paul II connut un questionnement de ce type, quand il était ouvrier dans
une usine lors de la seconde guerre mondiale. Cf. Varcare le soglie della speranza,
Mondadori, 1994, p. 231.
[48] Autobiographie, p. 42.
[49] X. X., pseudonyme d’Emile Neubert, «Une crise», in L’Apôtre de Marie,
15 oct. 1905, pp. 144-145.
Ben Miriam,
pseudonyme d’Emile Neubert, «Voici mon sang qui sera
répandu pour beaucoup en rémission de leurs péchés», in L’Apôtre de Marie,
mars-avril 1905, pp. 192-195, cité par Gerald Jarc op. cit., p. 16.
[50] Cf. Autobiographie, p. 12, la lettre au
supérieur général : «[…] Une fois engagé par des circonstances
providentielles à la rédaction d’articles et de livres sur un thème marial,
j’avais écarté de ma perspective la composition de certains livres sur la Sainte
Vierge qu’on me proposait et que, dans la suite, j’ai écrits ou me suis proposé
d’écrire si je vis assez longtemps.»
[51] Cf. Jarc, Appendice IV, 4. Emile Neubert poursuit :
«Le Père Klobb prêtre saint, à la fois et très intelligent, fut le secrétaire
du Père Simler, qu’il devait ensuite seconder pour la rédaction de la première
vie du Fondateur. C’est le Père Klobb qui commença la rédaction de «L’Esprit de
notre Fondation». (L'Esprit de notre
Fondation d'après les écrits de M. Chaminade et les documents primitifs de la
Société, I-III, Nivelles, 1910-1916 ; IV, Fribourg 1944-1963.) A la
mort du Père Klobb, le Père Lebon a poursuivi le travail dans l’esprit du Père
Klobb. Je l’ai fort bien connu. Toutes ses conférences portaient sur l’esprit
apostolique de la Société de Marie, considéré comme exigence de notre
appartenance à Marie, Elle qui avait créé [=appelé à l’existence] la Société de
Marie pour l’aider dans sa mission apostolique. Je n’avais jamais entendu
mentionner cette idée. Après la conférence, je suis allé le trouver pour lui
dire que c’était pour moi une chose toute neuve : d’où avait-il tiré cette
idée ? Il m’a renvoyé à la lettre du Père Chaminade aux Prédicateurs de
retraite du mois d’août de l’année 1839. J’en ai pris connaissance et j’étais convaincu.
La Société de Marie était dès lors le résultat de la mission apostolique de
Marie, et nulle autre congrégation, fût-elle même consacrée à Marie, n’avait
une mission similaire.»
[52] Autobiographie, p. 26.
[53] Jarc, Appendice IV, p. 3. Emile Neubert précise :
«Il était prévu que je fasse un doctorat en théologie. C’est au cours d’une
méditation que m’est venue l’idée de choisir comme sujet un thème marial. Avec
l’approbation du professeur de patrologie, Mgr Kirsch, j’ai pris comme
thème : Marie dans l’Eglise
anténicéenne. Quatre années plus tard,
en 1907, j’ai passé l’examen et j’ai obtenu la mention summa cum laude. J’étais heureux d’avoir eu cette mention vu
qu’il s’agissait de la Vierge Marie. Bien des années après, le Père Laurentin,
célèbre théologien de Notre-Dame de Lourdes et le Père du Manoir sj, le
directeur de la grande encyclopédie mariale MARIA se sont rendu compte que ceci
fut la première thèse doctorale jamais consacrée à un thème marial dans une
université.»
[54] Dans son
autobiographie, il mentionne deux articles, en donnant des extraits : Cf. Revue des Sciences Philosophiques,
juillet 1908 ; Revue du Clergé
Français, vol. 53, pp. 433-440.
[55] Autobiographie, p. 50.
[56] Jarc, p. 5.
[57] Autobiographie, p. 53.
[58] Le collège devint
plus tard la célèbre université mondialement connue, avec sa section
mariologique en lien avec l’université Pontificale du Marianum à Rome.
[59] Ibid., p. 54.
[60]
L'Esprit de notre Fondation d'après
les écrits de M. Chaminade et les documents primitifs de la Société, I-III, Nivelles, 1910 -1916 ;
IV, Fribourg 1944-1963.
[61] Jarc, p. 5.
[62] Ibid., p.5.
[63] Ibid., p. 5. Les témoignages reçus de ceux qui l’ont écouté prêcher
convergent : «Il ne fut pas un orateur, mais se rachetait par le contenu
de son exposé et la conviction avec laquelle il s’exprimait.»
[64] Ibid., p. 5.
[65] Francis Friedel
(1897-1959), étudia la mariologie du cardinal Newman ; Peter Resch
(1895-1956), celle de saint Bernard ; Albert Mitchel (1899-1979), celle de
saint Jean Damascène ; Ludwig Hammersberger (1906-1950), celle de saint
Ephrem ; Frère Bruder, celle de saint Anselme et Paul Hoffer (1906-1976),
celle du mouvement janséniste.
[66] Cf. Etudes Mariales, Bulletin de la Société
Française d’Etudes Mariales.
[67] Cette Société se
constitua officiellement à partir d’une convention tenue au début de septembre
1935 à Paray-le-Monial. L’inspiration revient au P. Morineau de la Compagnie de
Marie (Montfortains), qui fut le premier responsable de l’office de direction,
assisté de quatre autres membres, dont le Père Emile Neubert. (Cf. Georges Jouassard, La Société
Française d’Etudes Mariales, in Maria,
Du Manoir, tome III, pp. 629-633).
[68]
Cf. Jean-Baptiste
Armbruster, L'état religieux marianiste. Etude et
commentaire de la lettre du 24 août 1839, Marianistes, Paris, 1989.
[69] Koehler, p. 532.
[70] Théodore Koehler
mourut le 15 mai 2001.
[71] Ga, 2, 20.
[72] Pierre de Berulle, Vie de Jésus, ch. 28, in Œuvre
s complètes de Bérulle, cardinal de l'Eglise romaine, [cur. Migne], Paris
1856, col. 494.
[73] Jean Hémery, «Père Pierre de Bérulle
(1575-1629)», in La Mère de Jésus était
là – Vingt-cinq témoins de la spiritualité mariale –, Paris, 2000, p. 57.
[74] Autobiographie, p. 16.
[75] Cf. Henrich Denzinger, Enchiridion
symbolorum definitionum et declarationum de rebus fidei et morum, Paris, 371996,
n. 150.
[76] Autobiographie, p. 6.
[77] Ibid., p. 6.
[78] Ibid., p. 19.
[79] Ibid., p. 19.
[80] Eph 3, 14-19.
[81] Cf. Thomas d’Aquin, Somme théologique [désormais en abrégé : ST], I-II q. 62. Lorsque
nous citons la traduction française de la Somme
théologique il s’agit de celle d’A.-M.
Roguet, Paris, 1984 - 1986, 4 vol.
[82] Cf. 1Cor 13, 8-13 ; 2Cor 5, 7 ; Rom 8, 24.
[83] 1Jn 4, 7-8.
[84] «Caritas est mater omnium virtutem et radix, in quantum est omnium
virtutem forma», ST, I-II, q. 62, art
4.
[85] 1Jn 4, 18.
[86] Gaston Rotureau, Introduction à l’édition des Opuscules
de Piété, Paris, 1944, p. 63-64.
[87] 1Jn 3, 3-5.
[88] Autobiographie, p. 16.
[89] Ibid., p. 17.
[90] Ibid., p. 19.
[91] Ibid., p. 19 : Emile Neubert commente : «Il m’est bien
arrivé de faire des actions dans lesquelles ma vanité a trouvé son compte, mais
au moment de les faire, je me figurais avoir une bonne raison et ce n’est
qu’après coup que je me suis rendu compte que c’était ma vanité camouflée qui
m’y poussait.»
[92] Ibid., p. 20.
[93] Un prêtre, p. 19.
[94] Lc 7, 42
[95] Cf. ST I-II q. 24 art 4, 5 et
6. Selon
ses paroles, en effet, «la charité peut toujours croître, jusqu’à l’infini,
sans aucune limite à son développement, parce qu’elle est une certaine
participation de la charité qu’est l’Esprit Saint.»
[96] Ga 2, 20.
[97] Autobiographie, p. 20.
[98] Ibid., p. 20.
[99] Ibid., p. 20.
[100] Ibid., p. 39. Lors du premier refus de l’envoyer au scolasticat
prévu pour les futurs prêtres, il réagit dans la confiance : «J’acceptai
la décision comme l’expression de la volonté de Dieu, pour le moment. Mais je
ne doutai pas un instant que je serais prêtre. La Sainte Vierge trouverait bien
le moyen de me faire réaliser mon beau rêve, qu’elle-même j’en étais convaincu,
m’avait inspiré. Par quels moyens ? Je ne pouvais me l’imaginer, mais
n’était-elle pas toute-puissante ? Je la prierais avec d’autant plus
d’insistance.» Ibid. p. 30. De même
«le jour de ma consécration perpétuelle à Marie, ma Mère m’obtint une grande
grâce absolument gratuite, à laquelle je ne m’étais nullement attendu :
celle de la préservation de toute tentation impure.»
[101] Jarc, p. 58.
[102] Emile Neubert, «Une crise - A la recherche de Marie»,
in L'Apôtre de Marie, Nivelles, 1905,
pp. 144-154.
[103] Ibid., p. 148.
[104] Emile Neubert, Marie de laquelle est né Jésus, dactylographié,
1927.
[105] Emile Neubert, Notre Don de Dieu, dactylographié,
1929.
[106] Emile Neubert, Une crise, op, cit., pp. 149-150.
[107] Saint Louis-Marie Grignion de Montfort,
Traité de la Vraie Dévotion, n° 75,
in Œuvre s complètes, Seuil, Paris
1966, p.535.
[108] L. Leloir, «L’Ecriture, âme de la
théologie», in Seminarium 18, 1966,
4, p. 887.
[109] François-Marie
Lethel, Le docteur de l’Amour de
Jésus, in AA.VV., Thérèse au milieu
des docteurs, Venasque, 1998, p. 247.
[110] Koehler, p. 531.
[111] Cf. Emile Neubert, Marie dans
l’Eglise anténicéenne, Gabalda, Paris, 1908, p. 254.
[112]
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7, (1908), p. 389, (J. Lebreton) ; Etudes 115, (1908), pp. 403-407 ;
RThom, 16e année, (1908) ; NRTh, tome 40 (1908), pp. 511-512
[113] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 280.
[114] AmiCL 30, (1908), p.
458.
[115]
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[116] AmiCl 51, (1934), p.
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[117] Cah. N-D 10, (1934), pp. 142-143, (H. Baron sj).
[118] NRTh 62, (1935), p. 222, (L. Godin
sj). Voir
aussi AdM 25, (1934), pp. 68-69 (H. Lebon sm).
[119] AdM 25, (1935) p. 425.
Voir aussi Gallia, 1934/35, pp. 59-60
(J.M.) ; AmiCl 53, (1936), p. 184 (couv.) ; VS 69, (1943), p. 96, (S.
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[120] Cah. Mar. 4, (1960), n° 2 (n° 20), p. 134.
[121] Mar. 23, (1961), p. 217, (G.M. Besutti osm). Voir aussi AmiCl 70, (1960),
p. 160 ; EphMar 10, (1960), p. 29, (N. Garcia Garces cmf) ; VS 105,
(1961), p. 427, (R. Laurentin, Bulletin
marial).
[122] Maria nel dogma, Paoline, Alba, 1944.
María en el dogma, Paulinas, Zalla, Vizcaya, 1954.
Mary in doctrine, Marianist Publications,
Dayton, 1962.
[123] AdM 25, (1933), p.
268, (H. Lebon sm). Voir aussi AdM 25, (1934), p. 425.
[124]
NRTh
61, (1934), p. 974-975, (J. de Ghellinck sj). Voir aussi Revue des Lectures (15.1.1934), p. 85 ; Cah. N-D 10, (1934),
p. 142, (H. Baron sj) ; VS 39, (1934), p. 59, (I. Mennessier op).
[125] AmiCl 58, (1948), p.
240, (A. Michel). Voir aussi L’année
théologique 8, (1947), p. 363 (L. Soubigou) ; AdM 32, (1948), pp.
231-232, (Th. Koehler sm).
[126] Mar. 10, (1948), p.
2, (G.M. Roschini osm). Voir aussi VS 90, (1954), pp.498-499
(R.Laurentin) ; AmiCl 64, (1954), p. 290 (A. Michel) ; P. Ranwez, sj,
Présence de Marie. p. 12, 12 note
1,39 ; REC. : EphMar 6, (1956), p. 363, (M. Peinador cfm) ; Mar.
19, (1957), p. 283-284, (R.E.) ; RfR 14 (1955) p. 49-50 (W.J. Ennen sj).
[127] NRTh 69, ( 1947), p. 996 (E. Druwe sj).
[128] AdM 35, (1954), p.
262.
[129] La Vida de María, Paulinas, Madrid, 1964.
[130] NRTh 66, (1939), p. 255 (E. Druwe sj).
[131] Mar. 3, (1941), pp.
80-81 (P. Vannucci osm) ; voir aussi AdM 26, (1935), p.697 ; RAM 17,
(1936), p. 213, (M. Olphe-Galliard sj) ; VS 49, (1936), pp. 551-552 (H.
Dondairie op).
[132]
Mar. 15, (1953), pp. 236-237 (S.M.C.). Voir aussi AmiCl 58, (1948), p.
352 ; AdM 33, (1950), p. 272 ; P. Ranwez sj, Présence de Marie, p. 9, note 4 ; EphMar 5, (1955), p.
269 ; Mgr. M.-M. Dubois, Petite Somme
Mariale, p. 17.
[133] Marialogy
of Father Chaminade, Marynook, Galesville, 1946.
[134] AmiCl 55, (1938),
pp. 571.572 ; voir aussi : AdM 29, (1938), p. 109.
[135] NRTh 67, (1940), p.125 (E. Druwe sj).
[136] Meine Mutter, Deine Mutter, Kanisiuswerk,
Freiburg, 1945.
Who is
she ? The life and study of the Blessed Virgin, Marianist
Publications, Dayton, 1964.
Onze Moeder, om haar beter te leerenkennen, Goede Pers,
Averbode, 1943.
[137] NRTh 67, (1940), p.125 (E. Druwe sj) ; NRTh 69, (1947), p. 996 (E.
Druwé sj).
[138] Mar. 18, (1956), pp. 154.155 (F. Spadafora). Voir aussi : NRTh 69, (
1947), p. 996 (E. Druwé sj) ; AmiCl 58, (1948), p. 240 ; EphMar 5,
(1955), p. 164.
[139] Deine
Himmelsmutter, Kanisiuswerk, Freiburg 1943, 1945, 1953.
Uw Hemelsche Moeder, Goede Pers, Averbode, 1943.
[140]
Mar 6, (1944), p. 120 (G. M. Roschini osm). Voir aussi : NRTh 69, (1947),
pp. 995.996 (E. Druwé sj) ; AmiCl 58, (1948), p. 240 ; III. Il clero, 43, (1950), p. 510 (J.M.
cmf) ; Manresa, 24, (1952), p.
424 (J. Font).
[141] La Devoción a María, Santo Domingo de la Calzada, Colegios Claretianos,
1950.
La Devozione a Maria, Lavori Mariani,
n° 9, Ancora, Milano, 1952.
[142] Mar 11, (1949), p. 113, (G. M. Roschini osm). Voir aussi : NRTh 69,
(1947), p. 996 (E. Druwé sj) ; AdM 34, (1952), pp.170-180 (J.M
Saint-Sernin sm ; AmiCl 58, (1948), p. 240 ; RfR 7, (1948), pp. 47-48
(T.N. Jorgensen sj) ; Der Marianist
4, (1959), n° 1, p. 8.
[143] La Reine des Militants, X. Mappus et Montreal Canada), Ouvrières,
Le Puy, 1947.
Queen of Militants, Grail, Saint Meinrad, 1947.
María
Reina del apostolado seglar o María y la Acción Católica,
Buenos Aires, 1949.
La Regina dei Militanti,
Paoline, Roma, 1951.
Queen of Militants,
en chinois, 1954.
Traduction
effectuée par les soins du Cercle Saint-Paul, Burasira (Urundi), Grand
Séminaire - Kirundi, 1956.
Maria, sende uns !
Katholik, warum schläfst du ?, Felizian Rauch,
Innsbruk, 1959.
[144] AdM 34, (1951), p. 157 (Th. Koehler sm).
[145] NRTh 74, (1952), p. 654 (P. Fransen sj). Voir
aussi : Mar. 13, (1951), p. 315 (G.M. Roschini osm) ; Bijdragen 13, (1952), p. 216 (P.
Fransen) ; Christus 17, (1952),
pp. 447-448, (J. Cardoso sj) ; Eph. Mar. 2, (1952), pp. 305-306 ; VS
86, (1952), pp. 304-305 (R. Laurentin) ; RET 12, (1952) p. 471.
(B.D.J.) ; RDT 7, (1952) p. 466 (R. Guelluy) ; Sal. 14 (1952) pp.
163-164 (D. Bertetto sdb).
[146] AmiCl 61, (1951), pp. 561-562 (A. Michel).
[147] Ibid., p. 562.
[148] Maria e
il nostro sacerdozio, (Lavori Mariani, n° 10), Anocora, Milano, 1953.
María en nuestra intimidad, a los sacerdotes, Ariel, Barcelona, 1958.
Maria en la nostra intimidad, Ariel, Barcelona, 1958.
[149] AmiCl 63, (1953), p.
255.
[150] La Maison-Dieu 38, 1954, pp. 171-172, (J. Bonduelle).
[151] Het Leven in Vereniging met Maria, Altlora, Averbode, 1955.
La vita d'unione
con Maria, (Stella Maris,
n°12), Paoline, Catania, 1956.
Life of union
with Mary, Bruce,
Milwaukee, 1959.
Life of union
with Mary, Dublin,
Clonmore and Reynolds / Burns and Oates, London, 1959.
La vida de unión con María, SM, Madrid, 1964.
[152] Autobiographie, p. 68.
[153] La vie d’union, op. cit., p. 333.
[154] Ibid., p. 57.
[155] AmiCl 65, (1955), p. 127.
[156] NRTh 77, (1955), p. 1149 (J.Galot
sj). Voir aussi : AdM 36, (1955), p. 62 ; NRM n°6, (1955), pp.
127-128 (M. Quémeneur smm) ; EphMar 5, (1955), pp. 482-483 (M. Peinador
cmf) ; VS 94, (1956), p. 529 (R. Laurentin) ; Mar. 19, (1957), p.162
(G. d'Errico osm) ; EtLi 33, (1957), p. 111, (G. Philips) ; LV
(engl.) 13, (1958), p. 358-359 ; LV (franç.) 13, (1958), p. 379 ; Mar. 19, (1957), p. 162 (G.M. d'Errico osm) ;
RfR 19, (1960), p. 191 (E.P.Holmes sj) ; Mar. 22, (1960), pp. 451-452 (G.M.
Besutti osm) ; Mar. 27, (1965) p. 281 (R. E.).
[157] Mar. 22, (1960), pp. 209-253 passim, (G. Philips). Voir aussi : Tschr. Geest. Leven
13, (1957) pp. 521-525 (A. Roosen) ; Mar. 23, (1961), p. 383, (R. E.).
[158] Regina
Apostolorum, (Stella Maris, n°25), Paoline, Catania, 1958.
[159] Cf. La recension de
V. Martinucci in Mar. 20, (1958), p. 268.
[160]
VS 99, (1958), p. 528, (R. Laurentin). Voir aussi : AdM 37, (1957), p.
111 ; AmiCl 67, (1957), p. 367 ; Cah. Mar. 1 (1957), p. 320, (M.
Quemeneur smm) ; LV (engl.) 13, (1958), p. 358 ; LV (franc.) 13, (1958), p. 379 ; EphMar 8,
(1958), p. 174 (N. Garcia Garces cmf) ; Mar. 23, (1961), p. 540 (G. Polo
osm).
[161] L'anima
di Gesù contemplata con Maria, (Stella Maris, n° 3),
Paoline, Catania, 1959.
The soul of Jesus contemplated in union with Mary, Bruce, Milwaukee, 1963.
[162] Maria e la vita religiosa, (Alma Mater, n° 1), Paoline, Catania, 1962.
María y la vida religiosa – El ideal religioso visto en María, Eler, Barcelona 1964.
[163] VS 105, (1961), p. 427 (R. Laurentin). Voir aussi :
EphMar 15, (1965), p. 381 (A.Rivera cmf) ; Cah. Mar. 4 (1960) p. 477 (J.
Hémery smm) ; AmiCl 70, (1960), p.476 ; Mar. 23, (1961), p. 540
(D.Nicolai osm) ; RCR 34,
(1962), p. 144.
[164] Maria e
l'educatore cristiano, (Edificare, n° 21), Ancora, Milano, 1961.
María y el educador cristiano, Casulleras, Barcelona, 1963.
[165] Cah. Mar. 4, (1960), p. 285 (J.Hemery smm). AmiCl 70,
(1960), p.476 ; Mat. 22, (1960), pp.559-560 (M. Boyle osm) ; EphMar
11 (1961), p. 386, (R.M. Abuy cmf) ; NRTh 83, (1961), p. 550 (J. Galot sj) ;
VS 105, (1961), p.427 (R. Laurentin) ; Mar. 27 (1965), p. 281
(M.M.O.) ; Vida Marianista n° 2,
(1964), pp. 78-79 (A. M. Zubia sm).
[166]
Mar. 24, (1962), pp. 602-603 (E. Lago osm) ; Livres et Lectures n° 166, (1962), p. 293 (R.M.) ; NRTh 84,
(1962), p. 772, (J. Galot sj).
[167] VS 87, (1952), p.
400, (R. Laurentin).
[168]
VS 81, (1949), p. 333, (M.L.T.) ; NRTh 71, (1949), pp. 1119-1120 ;
AmiCl 59, (1949), p. 304.
[169]
AdM 35, (1954), p. 297 ; VS 91, (1954), p. 401 (R. Laurentin) ;
EphMar 5, (1955), p. 278 ; AmiCl 65, (1955), p. 14 (couv.) ; NRTh 79,
(1957), p. 664 (J.D.).
[170]
NRM n° 10, (1956), pp. 191-192, (M. Quemeneur smm) ; AmiCl 66, (1956), p.
378 ; NRTh 79, (1957), pp. 665-666, (J. Galot sj) ; RCR 29, (1957),
p. 79 ; VS 99, (1958), pp. 52S.529 (R. Laurentin).
[171] AmiCl 67, (1957), p. 299 (A. Michel).
[172] L’histoire du
capitalisme est constituée de phases d’expansion et d’approfondissement,
successives, qui séparent des moments de transition plus ou moins chaotiques
(donc de crise structurelle). La lecture la plus courante de cette histoire
période sur le plan économique trouve son expression dans une formulation de la
théorie des cycles longs (cf. Kondratief par exemple). Chacune des phases
successives d’expansion (phases A, dans le langage de Kondratief) est annoncée par
des transformations importantes de natures diverses, entre autres par une
concentration d’innovations technologiques qui bouleversent les formes
d’organisation de la production et du travail. C’est ainsi que la crise de
transition s’exprime à travers le bouleversement des rapports de force sociaux
et politiques qui avaient gouverné la phase antérieure, dont elle tourne la
page. On est bien aujourd’hui dans une transition de cette nature (la phase B,
dans le langage de Kondratief).
[173]
L’abbé de Rancé (1625-1700), Catherine de Bar (1614-1698), Cecilia Baij
(1694-1766), Marie de l’Incarnation (Madame Acarie) (1566-1618), Pierre de
Bérulle (1575-1629), Charles de Condren (1588-1641), François Bourgoing
(1585-1662), Jean-Jacques Olier (1608-1657), Jean Eudes (1601-1680),
Louis-Marie Grignion de Montfort (1673-1716) un des fleurons de ce renouveau
missionnaire appuyé sur un renouveau de fondement théologique ; sans
oublier Jean-Baptiste de la Salle, Vincent de Paul, Louis Lallemant (1610-1649)
Claude la Colombière (1641-1692).
[174] Cf. Philippe de Lignerolles, Jean-Pierre Meynard, Histoire de la
spiritualité chrétienne 700 auteurs spirituels, l’Atelier, Paris, 1996, p.
169.
[175] Cf. Autobiographie, op.cit., p. 28. «Le Frère-Maître qui nous faisait le catéchisme, me
passa un livre de théologie pour occuper mes moments libres. J’y lisais les
règles pour la communion fréquente. Pour la communion quotidienne, l’auteur
exigeait qu’on fût arrivé à "la
pratique des plus hautes vertus, et encore devait-on s’abstenir de la communion
le jour de la confession". Et moi qui n’étais qu’un commençant !
Mais, du moment que le Père-Maître était d’accord, je me disais que l’auteur
devait être un janséniste et continuai mes communions quasi-quotidiennes.»
[176] Cf. Jean-François de Louvencourt, Saint Maximilien Kolbe ami et docteur de la
prière, Centro internazionale «Milizia dell’Immaculata», Roma, 1998, p.
311 : «[…] Dans le sillage du P. Guillaume-Joseph Chaminade et des
Marianistes se trouve Emile Neubert qui préfère parler de donation filiale. Son
livre le plus traduit Mon Idéal, Jésus
Fils de Marie a retenu l’attention du Père Kolbe qui continue à y penser
même au Japon et qui l’approuve hautement. »
[177] Le 19 octobre 1997.
[178] Cf. R. René Laurentin,
Marie, in DSp, pp. 545-546.
[179]
Cf.
Michel de SaintAgustin, + 1684,
et sa dirigée Marie Petyt de Sainte-Thérèse, + 1677, in DS, p. 461.
[180] Cf. Paul Hoffer, La dévotion à Marie au déclin du XVIIe
siècle autour des avis salutaires, Paris, 1938.
[181] Cf. Autobiographie, p. 35.
[182] Cf. Jean-Paul II, «Lettre aux familles montfortaines sur la doctrine mariale de
leur saint fondateur», in la Documentation Catholique 101, (2004)
6, 251-255.
[183] Cf. La mission apostolique, ch. IX à XVIII.
[184] La Médaille
miraculeuse, rue du Bac à Paris (1830), avec la conversion d’Alphonse
Ratisbonne (1842) ; La Salette, (1846) ; Lourdes (1858) ;
Pontmain (1871).
[185] La mission apostolique, op.cit., pp. 140-142.
[186] Cf. René Laurentin, La question mariale, Seuil, Paris, 1963, p. 15.
[187]
Emile Neubert, Un Apôtre de
la Vierge et de la J. O. C. : L'abbé René Mougel, Alsatia, Paris,
1954, p. 79.
[188] Notre Don de Dieu, op.cit.,
1929, pp. 222-224.
[189] (Auguste Nicolas) publie de 1855 à 1860 ses études mariales qui
aujourd’hui possèdent seulement un intérêt historique : son œuvre est
ainsi organisée :
La Vierge Marie et le plan divin (1855)
La Vierge Marie d’après l’Evangile (1857)
La Vierge Marie vivant dans l’Eglise (1860, 2 vols).
[190] Cf. Theodore
Koehler, La storia delle
mariologia dal 1650 all inizio del 900, Centro Mariano Chaminade, S. M.,
Roma, 1974.
[191] F. Morgott, Die Mariologie des heiligen Thomas von Aquin, Freiburg, Herder,
1878.
[192] Luigi Gambero, «Un maestro di vita
spirituale : Emilio Neubert, sm (1878-1967)», Mar. XXX, 1968, p. 33.
[193] Théodore Koehler, La storia, op. cit., p. 200.
[194] François-Marie
Lethel, Connaître l’Amour du
Christ qui surpasse toute connaissance, Carmel, Vénasque, p. 224.
[195]
Dans sa thèse, il a mentionné les volumes suivants :
Adamantius, BAKHUYZEN, dans la collection : Die Griechischen Christlichen Schriftsteller
der ersten Jahrhunderte GCS.
Clément d’Alexandrie,
Pedagogus et Stromates, 6 premiers livres, Stahlin, GCS.
Stromales, 1.
VII, Migne, PG, p. 9.
Eusèbe, Vita Constantini, Heikel,
GCS.
Historia
ecclesiastica, Schwartz (5
premiers livres), GCS.
Historia
ecclesiastica, à partir du
1. VI, PG, p. 20.
Grégoire le Thaumaturge, Sermo de
nativitate Christi, Pitra, Analecta
sacra, IV, p. 386 ss.
Hippolyte, Philosophumena, Duncker
et Schneidewin, Göttingen.
Adversus Noetum, Migne, PG, p. 10.
Ecrits exégétiques et homilétiques, Bonwetsch
et Achelis, GCS.
Ignace, Opera Patrum
Apostolicorum, Funk, Tübingen.
Irénée, Adversus haereses,
PG, p. 7.
Justin,
Corpus
Apologetarum, Otto, Iena.
Lactance,
PL, pp. 6-7.
Méthode,
Migne, PG, p. 18.
Origène, Contra Celsum, Koetschau,
GCS ; Commentarium in Joannem, Preuschen,
GCS.
Autres écrits,
PG, pp. 12 ; 13 ; 14.
Tertullien, Oehler, Leipzig.
[196] Neutestamentliche Apokryphen, Hennecke (E.), Tübingen u. Leipzig, 1904.
Handbuch zu den
Neutestamentlichen Apokryphen, Henneecke (E.), Tübingen, 1904.
Acta Apostolorum
apocrypha, Lipsius-Bonnet,
Leipzig, 1891-1898.
Acta Pauli, Schmidt (C.), Leipzig, 1905.
Evangelia
apocrypha, Tischendorf,
Leipzig, 1876.
Oracula
sibyllina,
Geffcken, G C S.
[197] John Henry Newman, Certain
difficulties felt by Anglicans in Catholic teaching considered in a letter to
the Rev. E. B. Pusey, D. D., on occasion of his Eirenicon of 1864, New Impression, London, 1900.
[198] Jean-Baptiste Terrien sj., La Mère de Dieu et la Mère des Hommes, Paris,
1902.
[199] Cf. DS, p. 472.
[200]Cf. La storia, op. cit., p. 198. Théodore
Koehler commente : «L’investigation patristique et les auteurs marials
qu’il cite, font de cette œuvre une des plus complètes qui ont pu être
publiées.»
[201] Mouvement commencé
en 1600 et duquel nous héritons le terme de mariologie
ou marialogie.
[202] Karl Benrath, Zur Geschichte der Marienverehrung, Theologische Studien und Kritiken, 1886, pp. 7-94,
107-266.
Hahn, Bibliothek der
Symbole und Glaubensregeln, 3 éd., Breslau, 1897.
Adolf
von Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, 3 éd.,
Freiburg-i.-B. u. Leipzig, 1894-l897.
Guillaime Herzog,
«La Virginité de Marie après l'enfantement»,
Revue d'Histoire et de Littérature Religieuse, 1907, p. 327-340.
Herzog-Hauck, Real-Encyklopädie,
3 éd., Leipzig.
Adolf
Bernard Christoph hilgenfeld, «Loofs gegen Heckel», Zeitschrift
für Wissenschaftliche Theologie, 43.
Adolf
Bernard Christoph hilgenfeld, Die Ketzergeschichte des
Urchristentums, Leipzig, 1884.
Adolf
Bernard Christoph hilgenfeld, Judentum u. Judenchristentum, Leipzig,
1886.
F. Kattenbusch, Das apostolische Symbol, Leipzig,
1894-1900.
Joseph Paredom Kirsch, Die Lehre von der
Gemeinschaft der Heiligen im christlichen Altertum, Forschungen zur
christ1ichen Literatur-u. Dogmengeschichte, 1 (1900).
Marie-Joseph Lagrange, Revue
biblique, 1900, 618-620 ; 1906, 502-506.
F. A. Lehner, Die
Marienverehrung in den ersten Jahrhunderten, 2° éd., Stuttgart, 1886.
H. F. J. Liell, Die Darstellungen
der allerseligsten Jungfrau... auf den Kunstdenkmäalern der Katakomben, Freiburg-i.-B.,
1887.
Linsenmann, «Über Marien
Heiligenverehrung im christlichen Kultus»,
Theologische Quartalschrift, 69 (1887).
Livius, trad. Phil. v. Arenberg u. H. Dhom, Die allerseligste Jungfrau bei den Vätern
der ersten sechs Jahrhunderte, Trier, 1901-1907.
E. Lucius –
G. Anrich, Die Anfänge des Heiligenkults in der christlichen Kirche, Tübingen,
1904.
G. Rôsch Astarte-Maria, Theologische Studien u.
Kritiken, 1888.
E. Schürer,
Geschichte des jüdischen Volkes, 3° éd.
J.
Tixeront, La théologie anténicéenne, 2 éd., Paris, 1905.
E.
Vacandard, Etudes de critique et d’histoire religieuse : les origines du Symbole des Apôtres, Paris,
1905.
Vacant-Mangenot, Dictionnaire de Théologie catholique, Paris.
G.
Voisin, L'origine du symbole des Apôtres, Revue d'histoire ecclésiastique,
1902, 297 ss.
Wetzer u. Welte’s Kirchenlexicon, 2 éd., Freiburg-i.-B.
J. Wilpert,
Die Malereien der Katakomben Roms, Freiburg-i.-B.,
1903.
Zahn, Brüder-u. Vetter Jesu, Forschungen, 6,
1900.
[203] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. XIV.
[204]
Jarc, Appendice IV, p. 3.
[205] Ibid., p. 35.
[206]
Le pape Jean-Paul II, tout récemment en 2004, dans sa Lettre aux familles montfortaines sur la doctrine mariale de leur
saint fondateur (op. cit.) présente des aspects essentiels de la doctrine
de saint Louis-Marie Grignion de Monfort, telle qu'elle est synthétisée dans
son chef-d'œuvre le Traité de la Vraie
Dévotion à la Sainte Vierge, et résumée dans le bref Secret de Marie. Le Traité
nous est présenté comme un texte
classique de la spiritualité mariale (n° 1), en insistant sur son
exceptionnelle réception ecclésiale, son fondement qui est le don fait par
Jésus de sa sainte Mère, et aussi l'invitation à redécouvrir cette doctrine à
la lumière du Concile Vatican II : «C'est
à la lumière du Concile que doit aujourd'hui être relue et interprétée la doctrine
montfortaine» (LFM 1). De fait, à la lumière de la Constitution Lumen Gentium et spécialement du
chapitre 8 sur la bienheureuse Vierge
Marie dans le Mystère du Christ et de l'Eglise, l'enseignement du Traité est considéré, d'abord du point
de vue christologique, puis du point
de vue ecclésiologique. Avant tout,
son christocentrisme est longuement
exposé sous le titre «Ad Iesum per
Mariam» (n°
2-4). Vient ensuite le résumé de l'aspect ecclésiologique intitulé Marie, membre éminent du Corps Mystique et
Mère de l'Eglise (n°
5). Enfin, la Lettre Pontificale se
termine en montrant le chemin ecclésial
de la sainteté vécu avec Marie dans la foi, l'espérance et la charité, dans
les derniers développements qui sont respectivement intitulés : la sainteté, perfection de la charité (n°
6), le «pèlerinage de la foi» (n°
7), un signe d'espérance assurée (n°
8)
[207] Cf. Béatification du serviteur de Dieu
Louis-Marie Grignion de Montfort. Histoire du procès, décrets, cérémonies de la
béatification, Luçon, Bideau, 1888 ; S.
De Fiores, «Per una "memoria monfortana profetica ed
ecclesiale" (Centenario della beatificazione 1888-1988)», in QM 6, 1989, 3-5.
[208]
Cf. J. Laurenceau, Rosaire, in DSM, p. 1133. Surnommé le «pape du
Rosaire», Léon XIII rendit son
âme à Dieu en renouvelant la consécration à Marie selon la formule même du Père
de Montfort.
[209] Cf. Pie X, Ad diem illum, in ASS 36 (1903-1904) 449-462.
[210] Cf. Emile Neubert,
Notre Don de Dieu, texte
dactylographié, Fribourg, 1929, p. 222. Il n’hésite pas à confier à ses jeunes
étudiants : «On se dirait à la veille d’une solennelle proclamation du
rôle apostolique de Marie dans l’Eglise du Christ. Pourquoi Dieu veut-il que
dans ces "derniers temps", cette mission de la Vierge soit plus
manifeste […] ?»
[211] H.
Bremond, Histoire littéraire du
sentiment religieux en France, IX, Paris, 1932, p. 272.
[212] L’expression «Ecole
française de spiritualité» apparaît pour la première fois en 1873 dans le
contexte de la réédition au XIXe siècle des œuvres de J.-J. Olier et
fut reprise ensuite par H. Brémond à partir de 1921. Cf. I. Noye, «L’héritage bérullien dans la
Compagnie de Saint-Sulpice», in Bulletin
de Saint-Sulpice 22, 1996, 178-179.
[213] Notre don1954, 1954, p. 14.
[214] Ibid.,
p. 16.
[215] Emile Neubert
apparaît dans toute son œuvre comme un fidèle héritier de Bérulle, l'initiateur
de ce grand courant spirituel appelé l’Ecole française de spiritualité,
l'initiateur de cette « révolution copernicienne » dans l'Eglise
post-tridentine, où tout est centré autour de ce soleil qu'est Jésus-Christ.
Cf. Pierre de Berulle, Vie de
Jésus, ch. 28 in Œuvres complètes de
Bérulle, cardinal de l'Eglise romaine..., [cur. Migne], Paris 1856, col.
494 : «Contemplons Jésus en cet état au milieu de la Vierge, comme son
centre et son cœur, ou bien comme un soleil, selon les prophètes, soleil
couvert d'une nuée légère, c'est-à-dire de la Très sainte Vierge, qui le couvre
encore à la terre et le couvrira neuf mois durant. Les mathématiciens affirment
qu'il y a des étoiles à l'entour du soleil qui est leur centre, et elles tournent
à l'entour de lui, comme le soleil tourne à l'entour de la terre. Plaise à Dieu
que nous soyons l'une de ces étoiles tournant à l'entour de Jésus, et non à
l'entour de nous-même comme nous faisons journellement. Mais il nous faut ici
oublier nous-même, pour ne nous souvenir que de Jésus et de la Vierge. Il est
donc un soleil, et la Vierge est une planète qui a ses mouvements à l'entour de
Jésus, à l'entour de ce soleil de gloire, et ne tourne qu'à l'entour de lui.»
[216]
Cf. Traité de la vraie dévotion, n° 61. Ce très beau texte du Père de
Montfort vaut la peine d’être reporté, car il est à lui seul une magnifique
page de cette spiritualité dite de l’Ecole Française, à laquelle se rattache
Emile Neubert : «Jésus-Christ notre Sauveur, vrai Dieu et vrai homme, doit
être la fin dernière de toutes nos dévotions ; autrement elles seraient
fausses et trompeuses. Jésus-Christ est l’alpha et l’oméga, le commencement et
la fin de toutes choses. Nous ne travaillons, comme dit l’Apôtre, que pour
rendre tout homme parfait en Jésus-Christ, parce que c’est en lui seul
qu’habitent toute la plénitude de la Divinité et toutes les autres plénitudes
de grâces, de vertus et de perfections : parce que c’est en lui seul que
nous avons été bénis de toute bénédiction spirituelle ; parce qu’il est
notre unique maître qui doit nous enseigner, notre unique Seigneur de qui nous
devons dépendre, notre unique chef auquel nous devons être unis, notre unique
modèle auquel nous devons nous conformer, notre unique médecin qui doit nous
guérir, notre unique pasteur qui doit nous nourrir, notre unique voie qui doit
nous conduire, notre unique vérité que nous devons croire, notre unique vie qui
doit nous vivifier et notre unique tout en toutes choses qui doit nous suffire
[…] Dieu ne nous a point mis d’autre fondement de notre salut, de notre
perfection et de notre gloire, que Jésus-Christ […] Par Jésus-Christ, avec
Jésus-Christ, en Jésus-Christ, nous pouvons toutes choses : rendre tout
honneur et gloire au Père, en l’unité du Saint-Esprit ; nous rendre
parfaits et être à notre prochain une bonne odeur de vie éternelle» Parmi les
textes du Nouveau Testament qui ont été à la source de cette profession de foi,
on peut citer Ap 1, 8 ; Ep 4, 13 ; Col 2, 9 ; Ep 1,
3 ; Mt 23, 8 ; Mt 23, 10 ; 1Co 8, 6 ; Col 1,
18 ; Jn 13, 15 ;
14,6 ; Ac 4, 12 ; 1 Co 3, 11 ; Mt 7, 26-27 ; Jn 15,
6 ; Rm 8, 1 ; 8,
38-39 ; 2Co 2, 15-16.
[217] Cf. E. Mura, Le Corps Mystique du Christ, sa nature et sa vie divine - Synthèse de
théologie dogmatique, ascétique et mystique, t. II – vie du Corps Mystique, Paris, 1937, p. 143, note 2. E. Mura a pu
reconnaître en substance une transposition autorisée du Traité de la vraie dévotion à la sainte Vierge : «cette
transposition de la doctrine montfortaine, dans l’encyclique de Pie X, sans
avoir, il s’entend, une valeur de définition, confère à cette doctrine même un
poids et une autorité considérables ;»
[218] Notre don 1954, p. 27.
[219] Ibid., p. 49.
[220] Ibid., pp. 91-92.
[221] Cf. Traité
de la Vraie Dévotion 121 et
257, in Notre don 1954, p. 99. Cette dévotion consiste
donc à se donner tout entier à la Très Sainte Vierge, pour être tout entier à
Jésus-Christ par elle. Il faut lui donner : 1° notre
corps avec tous ses sens et ses membres ; 2° notre
âme avec toutes ses puissances ; 3° nos biens extérieurs
qu'on appelle de fortune, présents et à venir ; 4° nos
biens intérieurs et spirituels, qui sont nos mérites, nos vertus et nos bonnes
œuvre s passées, présentes et futures : en deux mots, tout ce que nous
avons dans l'ordre de la nature et dans l'ordre de la grâce, et tout ce que
nous pourrons avoir à l'avenir dans l'ordre de la nature, de la grâce ou de la
gloire, et cela sans aucune réserve…» […] « […] Faire toutes ses actions PAR
MARIE, AVEC MARIE, EN MARIE et POUR MARIE .»
[222] Notre don 1954, pp. 102-103.
Il cite de nouveau le Traité n°48, in Notre don, p. 100 : «Ces grandes âmes, pleines de grâce et de zèle, seront choisies pour
s'opposer aux ennemis de Dieu, qui frémiront de tous côtés, et elles seront
singulièrement dévotes à la Très Sainte Vierge, éclairées par sa lumière,
nourries de son lait, conduites par son esprit, soutenues par son bras et
gardées sous sa protection, en sorte qu'elles combattront d'une main et
édifieront de l'autre.»
[223] Cf. Traité
de la Vraie Dévotion 126 ;
130, in Notre don 1954, pp. 100-101 : «Car tout chrétien, avant son baptême, était l'esclave
du démon, parce qu'il lui appartenait. Il a, dans son baptême, par sa bouche
propre ou par celle de son parrain et de sa marraine, renoncé solennellement à
Satan, à ses pompes et à ses œuvre s, et a pris Jésus-Christ pour son Maître et
souverain Seigneur, pour dépendre de lui en qualité d'esclave d'amour […]
Or, si les conciles, les Pères et l'expérience même nous montrent que le
meilleur moyen pour remédier aux dérèglements des chrétiens est de les faire
ressouvenir des obligations de leur baptême et de leur faire renouveler les
vœux qu'ils y ont faits, n'est-il pas raisonnable qu'on le fasse présentement
d'une manière parfaite par cette dévotion et consécration à Notre Seigneur par
sa sainte Mère ?»
[224] Emile Neubert
précise : «Au temps du saint, le besoin d’apôtres laïcs ne se faisait pas
sentir ; leur activité aurait même risqué de susciter de l’opposition de
la part de la hiérarchie dans certains milieux […] Ces grands apôtres de la Vierge que saint Louis-Marie
entrevoyait, c’est lui (Chaminade) qui a été chargé par Notre Dame del Pilar de
les recruter.»
[225] Traité de la Vraie Dévotion, n°
72.
[226]
Notre don, 1954 p. 104. Pour une meilleure compréhension
de l’argumentation d’Emile Neubert, nous avons modifié la citation de saint
Louis-Marie Grignion de Montfort qu’il reproduit dans son ouvrage d’une manière
incomplète, en écrivant : «Il n’y a rien, parmi les hommes, note-t-il, qui
nous fasse plus appartenir à un autre que l’esclavage.» Cette compréhension si
juste et pleine de bon sens chez Emile Neubert nous rattache à toute une
tradition dont Bérulle lui-même se fait l’écho, il s’appuie sur l’Ecriture. A
l’origine, l'oblation du grand mystère de l'Incarnation du Verbe est exprimée
par saint Paul dans l'épître aux Hébreux reprenant la prière du psalmiste (Ps 40,7-9), attribuée ici au Christ.
«Le
Christ en entrant dans le monde dit : "Tu n'as voulu ni sacrifice, ni
oblation, mais tu m'as façonné un corps. Tu n'as agréé ni holocaustes, ni
sacrifices pour les péchés, alors j'ai dit : Voici, je viens car c'est de
moi qu'il est question dans le rouleau du livre, pour faire, ô Dieu, ta
volonté" (Hé 10, 8). Bérulle,
commentant ce passage de la lettre aux Hébreux qu'il reprend dans toute son
œuvre , découvre en cette offrande, le fondement de sa théologie et de sa
spiritualité : «Le Fils de Dieu commence son entrée au monde par une
profession solennelle qu'il fait à son Père en laquelle il l'adore, et il
reconnaît le nouvel état qu'il reçoit de lui par l'Incarnation ; et lui
fait oblation de soi-même en qualité d'esclave (comme nous dirons ailleurs),
lui offrant son corps en qualité d'hostie pour les péchés du monde et pour la
délivrance des hommes qui étaient esclaves du Prince de ce monde.» in Berulle, op. cit., Grandeurs de Jésus, col. 199.
[227] Jean-Paul II, in Andre Frossard, N’ayez pas peur - dialogue avec Jean-Paul II, op. cit., p. 186-187.
[228] Notre don,1954, pp. 105-106.
[229]
Cf. Traité
de la Vraie Dévotion,
n°265 : «Il ne faut prétendre de Marie, pour récompense de ses petits
services (que nous lui aurons rendus), que l'honneur d'appartenir à une si
aimable Princesse, et le bonheur d'être par elle uni à Jésus, son Fils, d'un
lien indissoluble dans le temps et l'éternité.»
[230]
Voici l’extrait de la prière consécratoire de l’amour de la Sagesse éternelle de saint Louis-Marie Grignion de
Montfort au n° 225 : «Je vous choisis aujourd'hui, en présence de toute la
cour céleste, pour ma Mère et Maîtresse. Je vous livre et consacre, en qualité
d'esclave, mon corps et mon âme, mes biens intérieurs et extérieurs, et la
valeur même de mes bonnes actions passées, présentes et futures, vous laissant
un entier et plein droit de disposer de moi et de tout ce qui m'appartient,
sans exception, selon votre bon plaisir, à la plus grande gloire de Dieu, dans le temps et l'éternité.»
[231] Traité de la Vraie Dévotion, n° 217, cité in la Vie d’union, op. cit., p. 71.
[232] Le secret de Marie, nº 54, nº 57, in Vie d’union, op. cit.,
pp. 258-259.
[233] Un prêtre, p. 159, in Vie d’union, op. cit., p. 276.
[234] Notre Don 1954, pp. 102-103.
[235]
Saint Thomas montre comment se réalise la parole de Paul : «Nous sommes
les coopérateurs de Dieu» (1Cor 3,
9), dans le cas de Marie sans porter atteinte à la "puissance
divine". Bien au contraire, Dieu utilise les causes intermédiaires afin de
ménager dans les choses la beauté de l'ordre, afin aussi de communiquer aux
créatures "la dignité d'être causes". En ce sens, Marie aide Dieu par
sa divine maternité.» Cf. St THOMAS, ST,
Ia, q. 23, a. 8. ad. 2, cité par Henri-Marie
Manteau-Bonamy, Du rôle de Marie
mère du Christ à celui de mère des hommes, in AA. VV., La maternité spirituelle de Marie III, Bulletin de la Société
Française d'Etudes Mariales 18, Lethielleux, Paris 1961, p. 25.
[236]
Traité de la Vraie Dévotion, n° 22.
[237] Autobiographie, p. 42-43.
[238] Ibid., p. 43.
[239] Cf. Jean-Baptiste Armbruster, L'état religieux marianiste. Etude et
commentaire de la lettre du 24 août 1839, Marianistes, Paris, 1989.
[240] Cf. La circulaire du
P. Simler n° 62 du 10 juillet 1894.
[241] Ibid., p.43, il ajoute : «C’est cette seconde idée que
souligne le P. Klobb. Comme le dira M. l’abbé Gadiou : ‘Pour le P. Simler, nous sommes des fils sur les genoux de notre
Mère’ ; pour le P. Chaminade, ‘nous sommes des fils que Marie conduit sur
son champ de bataille.’»
[242] Ibid., p. 44.
[243] Jarc, Appendice IV, p. 4.
[244] Cf. Emile Neubert,
«Hommage à Notre-Dame», in l’Apôtre de
Marie, 15 mars 1906.
[245] La quasi totalité de
la documentation mariale du P. Chaminade se trouve rassemblée dans Les Ecrits Marials I-II, Séminaire Marianiste
Fribourg 1966. Dans ce travail, les citations sont présentées sous le sigle EM
I ou EM II.
Pour ce chapitre sur
Chaminade, je me suis servi particulièrement de l’Introduction réalisée par le
P. Otaño sm dans son cours sur La
mariologie du Père Chaminade et d’aujourd’hui, Servicio de Publicaciones
Marianistas, Madrid, 1996.
[246]
EM II, 328-329. Il sera suivi en 1804
par Le Manuel du Serviteur de la très
pure Marie, Mère de Jésus (396 pages) qui connut d’autres rééditions sous
le nom plus simplifié de Manuel du
Serviteur de Marie, (1815, 1821, 1841, 1844), avec des modifications et des
ajustements.
[247] La
doctrine, p.XII.
[248] Luigi Gambero, La missione materna di Maria. Dal pensiero
chaminadiano al magistero odierno della Chiesa, Marianistes, Roma, 1984.
[249] Ibid. Notons que Tequi réédita les sept premiers chapitres de ce
texte en 1927 sous le titre Petit traité
de la connaissance de Marie qui fut accueilli très favorablement. Le Père
A. de Becdelièvre sj dans Les Cahiers
Notre-Dame d’avril et juillet 1934 fit cette critique : «C’est un
ouvrage substantiel, plein d’idées et de doctrine, court, simple et précis,
capable, je crois, de faire du bien autant que Les Gloires de Marie, de saint Alphonse de Liguori ou la vraie
dévotion du bienheureux Grignion de Montfort […] Tel est le petit volume du P.
Chaminade. Plus on le lit, on le trouve riche et plein et plus on se convainc
qu’il peut faire connaître, aimer et imiter Marie. Car il donne d’elle une
grande et belle idée et qu’il porte les fidèles, non seulement à l’aimer comme
leur Mère, mais encore à se consacrer totalement à son service.» In EM I, note 31, p. 131.
[250] La doctrine, p. 1.
[251] Cf. EM I, pp. 11-17. On trouve plus de 300
citations de l’Ancien Testament parmi lesquelles surtout, dans le livre de la
Genèse, le ch. 3, 15 ; les psaumes 44 et 86, les Proverbes ch. 8 ; le
Cantique des Cantiques ; l’Ecclésiastique ch. 24 ; et plus de 249
citations du Nouveau Testament parmi lesquelles surtout Matthieu 1, 1-16, les
deux premiers chapitres de Luc, Jean, 19, 25-27 et Apocalypse, 21, 1-25. Cette
abondance de références bibliques, pour un auteur du début du XIXe
siècle, est à relever. Parce que le Fondateur appuyait sa connaissance de Marie
sur le Christ et son Evangile, il pouvait écrire : «C’est la connaissance
de Notre Seigneur Jésus-Christ qui nous amène à la connaissance de la Très
Sainte Vierge, comme on peut dire aussi que la connaissance de la Très Sainte
Vierge nous amène à une plus haute connaissance de Notre Seigneur Jésus-Christ.
(EM II, n° 42) cité par Jean-Baptiste Armbruster, in «La
doctrine mariale du P. Guillaume-Joseph Chaminade», Mar. LXIII (2001).
[252] Cf. W.J. Cole sm, The spiritual Maternity of Mary according to
the writings of Father William-Joseph Chaminade, chez l’auteur, 1958, pp.
250-290. Les
Bernard, Ambroise et Augustin sont les auteurs les plus cités.
[253] Parmi les plus
connus citons Louis Lallemand, sj (1578-1635), Jacques Marchant (vers
1587-1648), Marie d’Agréda (1602-1665), Jacques Bénigne Bossuet (1627-1704),
Vincent Houdry sj (1630-1729), Louis Bourdaloue sj (1632-1704), Jacques Joseph
Duguet (1649-1733).
[254] Souvent les lettres
du Père Chaminade traitent de Marie, de son apostolat et de notre mission
envers Elle.
[255] Cf. EM II, pp.
5-6. Les fondations religieuses, Filles de
Marie Immaculée et Société de Marie furent pour le P. Chaminade comme le
couronnement de sa dévotion mariale apostolique.
[256]
Les Fondations pour les laïcs s’inspiraient toutes du dévouement actif à
l’Immaculée Mère de Dieu professé par le Père Chaminade.
[257] Cf. EM I, p. 96. Certains livres
émergent nettement : la Genèse (les trois premiers chapitres surtout et
les derniers). «Je mettrai une inimitié entre toi et la femme…» Gn 3, 15 est appliqué à Marie ; les
psaumes 44 et 86, suggestifs pour parler de Marie ; les Proverbes, le Cantique et
l’Ecclésiastique, permettant de
comparer Marie à la Sagesse et de la décrire dans son rôle de Mère de Dieu et
Mère des hommes ; Isaïe, avec le chant du Serviteur, la tige de Jessé, la
prière liturgique de l’Avent : Cieux
répandez comme une rosée (45, 8), enfin Marie assimilée à Jérusalem,
rayonne comme elle sur le monde (2,2 et 60, 1 et 4).
[258] LG 55.
[259] Cité 12 fois (verset le plus cité après celui de Luc 1, 28) : EM I, n°31, n°286, n°383 ; EM II, n°576, n°678, n°690, n°743,
n°756, n°778, n°785, n°790, n°799.
[260] EM
II, n° 498.
[261] EM I, n°241.
[262] Fortement
controversée, (la Sorbonne censure en 1696 son ouvrage La Mystique Cité de Dieu), cette abbesse se référant aussi à ses
visions privées, en nous présentant Marie dans le but d’une édification spirituelle,
nous offre des enseignements de valeur au-delà du style maniéré propre à son
époque, ou des possibles erreurs d’ordre historique jugées comme telles selon
notre mentalité contemporaine. Cf. EM I n° 1-18 ; n° 153 ; n° 218 ; n° 222 ; n°
297-299.
[263]Cf.
EM I, n° 99-105 : Louis
Lallemant sj, (1578-1635) ; Jacques Marchant ; Jean-Louis
Fromentières (1632-1684) ; Timoléon de Montaigu Cheminais sj.
(1652-1689) ; Jacques Bénigne Bossuet (1627-1704) ; Louis Bourdaloue
sj (1632-1704) ; Vincent Houdry sj (1630-1729) ; Jacques-Joseph
Duguet (1649-1733) ; Jean-Baptiste Massillon, (1663-1742) et Saint
Alphonse de Liguori (1696-1787).
[264] Cf. La doctrine, p. 32.
[265] Cf. EM I, n° 107. Les citations les
plus nombreuses présentent Marie comme notre Médiatrice auprès de Jésus-Christ
car elle a été, nouvelle Eve, associée à l’œuvre du nouvel Adam. Aussi Dieu
a-t-il tout remis entre les mains de Marie : Elle est une aide sûre dans
notre vie, la «raison de notre espérance», notre «étoile» capable de nous
guider, la Mère de miséricorde et l’«échelle des pécheurs».
[266]Cf. EM I n° 105-106 : «Malgré ces
imperfections de forme et de citations, le P. Chaminade avec ses contemporains
et ses prédécesseurs a une très haute idée du rôle des écrits patristiques dans
la transmission de la foi et de l’enseignement de l’Eglise. La preuve des Pères
fait partie, après celle de l’Ecriture, de tout enseignement qui se veut
sérieux et bien fondé.»
[267] La doctrine, p. 24.
[268] EM II, n° 822. Emile Neubert cite aussi Guillaume-Joseph Chaminade
par un extrait du petit Traité :
«Quand Marie donna les mains à l’Incarnation du Verbe dans ses chastes
entrailles, il est évident qu’elle connut l’œuvre et l’économie de la
Rédemption dans toute son étendue, et qu’elle l’accepta avec amour ; elle
comprit qu’en concevant Jésus, elle le concevait tout entier, c’est-à-dire et
son corps naturel, et son Corps Mystique ; car elle ne pouvait pas se
séparer de ce qui devait ne faire qu’un avec lui. Ainsi en se résignant à
l’honneur de la maternité divine, elle accepta la douloureuse qualité de Mère
de Jésus-Christ pris individuellement et de Mère de Jésus-Christ dans la
plénitude de son corps qui est l’Eglise : «plenitudo corporis ejus, quod est ecclesia» (Eph 1, 23). En
concevant naturellement le Sauveur dans son sein virginal, elle a donc conçu
spirituellement dans son âme, par son amour et par sa foi, les chrétiens
membres de l’Eglise et, par conséquent Jésus-Christ.» Cf. EM II, n° 482.
[269] La doctrine, p. 11.
[270] Cf. La doctrine, p. 11, citant un extrait de la méditation de la retraite de 1827. Cf.
EM II, nº 822 : «Marie a pris
soin de l'enfance et a été associée à tous les états de la vie, de la mort et
de la résurrection de Jésus-Christ : les élus n'arrivent à la plénitude de
l'âge parfait, comme l'appelle saint Paul, qu'autant que Marie sera à leur
égard ce qu'elle a été à l'égard de Jésus-Christ».
[271] Cf. La doctrine, p. 14.
[272] Ibid., pp. 15-16.
[273] Esprit de notre Fondation I, p. 590, cité in La doctrine, pp. 19-20.
[274] EF I, p. 150 ; cité in La doctrine, p. 21.
[275] Cf. La doctrine, pp. 22-24.
[276] Petit Traité, pp. 40-45, cité in La doctrine, p. 25.
[277] La
doctrine, pp. 26-27.
[278] Ibid., p. 29-31.
[279] Ibid., p. 33.
[280] EM II, n° 502.
[281] EM II, n° 765.
[282] Ibidem.
[283] EM II, n° 82, (Cf. Lettre du 24 août 1839.)
[284] EM II, n° 54, (Cf. Lettre du 7 février 1834.)
[285] La doctrine, p. 34.
[286] EF III, n°238, cité in La
doctrine, p. 35
[287] EF I, p.177, cité in La doctrine, p. 35.
[288] EF I, p.123, cité in La doctrine, p. 36.
[289] Cf. Piero Ferrero, L’alleanza con Maria nella sua missione
apostolica, Artigiana San Giuseppe Lavoratore, Cascine Strà (VC) 1997.
[290] EM II, n° 395.
[291] EM II, n° 367.
[292] EM II, n° 352.
[293] EM II, n° 274.
[294] EM I, n° 244.
[295] EF III, n° 138.
[296] EF III, n° H 212, p. 238.
[297] EM II, n° 75.
[298] EM II n° 578.
[299] EM II n° 739.
[300] Notre don de Dieu, 1933, pp. 58-116.
[301] Notre Don de Dieu 1954, pp. 51-35.
[302] EM II, n° 80.
[303] EM II, n° 81.
[304] EF I, 144, 146. Cité in La doctrine,
p. 54.
[305] Petit traité de la connaissance de Marie, p. 62-65, cité in La doctrine,
p. 55.
[306] EF I, p. 121, cité in La doctrine, p. 55.
[307] EF I, p.160, cité in La doctrine, p. 55.
[308] La
doctrine, p. 56.
[309] EM II, n° 391.
[310] EM I, n° 21-73.
[311] EM I, n° 74-89.
[312] La
doctrine, p. 20.
[313] EM II, n° 466.-
[314] EM II, n° 467.
[315] EM I, n° 69.
[316] EM I, n° 82.
[317] EM II, n° 481.
[318] EM II, n° 482.
[319] EM II, n° 486.
[320] EM I, n° 72.
[321]
Sa thèse était alors organisée en deux grandes parties : 1-La réalité plus dogmatique, fondée sur
l’Ecriture et la Tradition vivante de l’Eglise, qu’il intitule Marie dans le dogme. Il nous présente alors la figure de Marie au
travers de trois thématiques saillantes, à la faveur des controverses de
l’époque : La
maternité humaine de Marie, la
conception virginale, la
maternité divine. Le tout se
retrouve formulé dans une première approche de l’Eglise : Marie dans le symbole.
2-L’approfondissement de l’Eglise naissante
des premiers siècles avant Nicée sur la figure unique de Marie, qu’il intitule
Marie
dans la piété. Il reprend en quatre chapitres, tour à tour, les
thématiques suivantes : La virginité perpétuelle de Marie «in partu» et «post partum», la
sainteté de Marie, la Coopération à la Rédemption, et vénération et invocation.
[322] Notre Mère,
p. 11. Ce faisant, il tenait compte des sources liturgiques dans
l’esprit avec lequel peuvent être intégrés ces éléments apocryphes. Cf. Edouard Chotenet, Marie dans les
apocryphes, in Maria VI, Paris, Beauchesne, 1961, p.73 : «Nous
ne revendiquerons pas une autorité indue pour ces textes, mais, à les
interroger avec bienveillance, nous en retirerons un témoignage sur la piété
populaire, une manifestation, parfois fruste, souvent touchante de la ferveur
dont, dès le IIe siècle, les simples entouraient la Vierge. La
liturgie d’ailleurs n’a pas craint d’emprunter aux apocryphes la fête de la
Présentation de la Sainte Vierge au Temple et les antiennes comme celles de l’Assomption».
[323] Vie, pp. V-VII.
Je n’écris donc pas pour les spécialistes. Par suite, je n’entrerai pas dans de
longues discussions exégétiques ou archéologiques. Je me contenterai, en
général, de donner les résultats qui permettent d’atteindre l’exégèse et
l’histoire avec le degré de certitude ou de probabilité qu’ils comportent, ne
recourant aux arguments qu’autant que cela sera nécessaire pour expliquer une
opinion adoptée qui diffère d’une opinion généralement reçue. Afin de faciliter
l’intelligence des documents cités, surtout des Evangiles, et d’alléger le
texte de commentaires encombrants, j’ai réuni dans un chapitre préliminaire
l’étude des diverses sources.
[324] Son choix s’arrête
sur le Protévangile. Il considère que : «la meilleure étude sur cet apocryphe
est celle d’E. Amann : Le Protévangile de Jacques et ses remaniements
latins, Paris, Beauchesne, 1910.» Vie, note (I), p. 1.
Emile Neubert précise : «Il est remarquable que les écrits hostiles au
christianisme – encore que postérieurs au Protévangile et peut-être influencés
par lui – admettent à cet égard la Tradition de notre apocryphe ; tels
Faust le Manichéen et les Talmuds de Babylone et de Jérusalem, qui font de
Marie la fille d’Eli ou Jehojakim.» Vie, p. 2.
[325] Vie, p. XIX.
Emile Neubert précise : «Beaucoup d’entre les traits rapportés par les
apocryphes sont manifestement légendaires, car ils sont contraires aux données
historiques de l’Evangile, et plus encore à l’esprit de l’Evangile et même au
simple bon sens. Faut-il cependant les rejeter tous comme de pures
inventions ? Pas nécessairement. Leurs auteurs ont pu incorporer à leurs
créations l’une ou l’autre tradition qui avait cours de leur temps. Mais il
faut reconnaître l’impossibilité de fixer avec certitude aucune de ces
traditions […] Le Protévangile de Jacques est le seul que nous ayons à prendre
en considération, car c’est le plus ancien et les autres n’ont fait en général
que greffer sur ses données des aventures de plus en plus merveilleuses. Il
prétend avoir été écrit par Jacques, le "frère du Seigneur". En
réalité il fut composé vers la fin du deuxième siècle, mais semble contenir des
éléments plus anciens.» Vie, p. XVIII.
Emile Neubert donne
une explication à sa prise en compte de cette source particulière des auteurs
anciens au travers des récits apocryphes : «Voyons ce que nous pouvons
retenir de ces récits antiques. Ce ne seront pas des clartés certaines ;
mais même un crépuscule douteux dans un pays que nous savons merveilleux de
beauté ou émouvant de souvenirs, nous intéresse infiniment plus qu’un jour
éblouissant inondant une plaine banale.» Maria de qua, op. cit.,
p. 10. C’est ainsi que la sainteté des parents de Marie est présentée en
fonction de la mission confiée à Marie de devenir la Mère de Dieu :
«Comment concevoir qu’il en eût été autrement ? Si Marie a dû être plus
parfaite que tous les saints et tous les anges, c’est qu’elle a été choisie
pour être la Mère de Dieu. Et ceux qui furent prédestinés à être les parents de
cette créature unique, comment n’eussent-ils pas été de grands saints ?
Jésus a tant aimé sa Mère qu’il l’a faite à elle seule plus belle que tout le
reste de la création. Et Marie si semblable à Jésus, n’a-t-elle pas dû aimer
aussi ses parents d’un amour tout à fait à part ; et pour qu’elle pût les
aimer ainsi, Dieu n’a-t-il pas dû les rendre dignes d’un amour si
singulier ? C’est ainsi que l’a compris l’Eglise, qui a institué une fête
spéciale en l’honneur de chacun d’eux.» Maria de qua, op. cit., p.
12. «Lorsque nous invoquons saint Joachim et sainte Anne, notre dévotion ne
s’arrête pas aux noms, mais à la personne des bienheureux parents de la
Vierge.» Vie, p. 3.
[326] Vie, p. XXIII.
Emile Neubert nous donne là une clef d’interprétation de l’histoire et de
l’exégèse qui n’ignore pas la part d’élaboration personnelle et
d’interprétation des textes qui revient à l’exégète, tout cela ajouté à la
valeur scientifique de sa recherche historico-critique.
[327] Ibid.
[328] Par exemple, sa
publication Notre Mère, pour la mieux connaître, 1941, présente
naturellement trois parties bien distinctes : Vie de Marie, Grandeurs
de Marie et Dévotion à Marie.
[329] De fait nous
utiliserons la seconde édition de La vie de Marie aux éditions Salvator,
datée de 1948, tandis que l’ouvrage dactylographié Maria de qua natus est
Jesus est daté de 1927.
[330] Vie, p. X.
Emile Neubert a le souci de comprendre le contexte et les questionnements des
interlocuteurs auxquels l’Evangéliste doit répondre. Il vaut la peine de lui
laisser le soin de développer son analyse : «Ceux-ci devaient se poser
plus d’une fois la douloureuse question : "pourquoi le peuple choisi
a-t-il été rejeté" ? Le but de l’auteur semble avoir été de leur
prouver : 1° que Jésus est vraiment le messie annoncé par les
prophètes ; de là, la multitude des prophéties messianiques citées dans le
premier Evangile ; 2° que malgré tant de preuves, les juifs, égarés par
leurs chefs, se sont montrés incrédules et ont été rejetés en tant que
nation ; 3° que les païens, mieux disposés, ont été appelés au Royaume de
Dieu. En conséquence il insiste, en ce qui nous concerne ici, 1°, sur
l’accomplissement en Jésus Enfant et en Marie des prophéties
messianiques ; 2°, sur la persécution de Jésus par Hérode, roi des
Juifs ; 3°, sur sa fuite en Egypte, pays des Gentils, et la venue des
premiers Gentils, dans la personne des Mages.
De qui saint Matthieu
tenait-il les détails relatifs aux premières années du Sauveur ? Pas de la
Sainte Vierge. Le style, le point de vue, le contenu, diffèrent de ceux des
premiers chapitres de Luc qui ont Marie comme source.» Vie, p. X.
[331] Maria de qua,
op. cit., p. 4.
[332]
L’auteur a été en contact essentiellement avec cette source bien connue de
l’exégète (qui l’a le plus inspiré alors) Marie Joseph Lagrange ; lequel
n’hésite pas à dire : «Luc est incontestablement celui des trois synoptiques
qui contient le plus de tournures hébraïsantes.» Marie-Joseph Lagrange, Evangile selon Saint Luc,
Gabalda, Paris, 1921, p. XCVII.
[333] Vie, pp. XV-XVI :
«Marie semble avoir été la source des détails rapportés par Luc sur la
naissance et l’enfance du Christ. Il se rendit avec Paul à Jérusalem vers l’an
57. A cette époque, Marie pouvait être encore en vie ; elle aurait eu
environ soixante-quinze ans.»
[334] Vie, p. XV.
[335] Maria de qua, op.cit., p. 5.
[336] Vie, p. XVI. En 1927, Emile Neubert précisait
ceci : «[…] Peut-être contre certains hérétiques qui commençaient à
le nier.» Maria de qua, op. cit., p. 6.
[337] Maria de qua,
op. cit., p. 7 ; Cf. Vie, pp. 3-7.
[338] Vie, p. 36.
[339] Nous retrouvons
beaucoup de commentaires d’Emile Neubert s’inspirant de l’ouvrage du célèbre
Dominicain le Père Lagrange, auteur d’un commentaire de l’Evangile de Luc dont
les Marianistes avaient en leur possession un exemplaire tamponné au nom de la
bibliothèque du séminaire marianiste à Fribourg. Notre auteur en fut le
supérieur de 1922 à 1949, période durant laquelle il écrivit la plupart de ses
ouvrages fondamentaux. L’écriture fine et penchée des commentaires des notes, à
quelques endroits de cet ouvrage, ressemble à celle de notre auteur dont nous
possédons aussi des manuscrits. Nous pouvons donc, à l’aide de ses propres
notes, suivre plus facilement dans notre étude les passages qui ont retenu son
attention.
[340] Cf. par exemple le
commentaire d’Emile Neubert sur la perplexité de Marie, avec la note qui
l’accompagne : «Marie devint perplexe à cette parole et se demandait ce
que signifiait cette salutation […] Ce n’est pas la venue de l’ange qui
provoqua son embarras, comme ç’avait été le cas pour le trouble de
Zacharie : l’Evangile le dit expressément, c’est la parole du messager
céleste, sa façon étrange de la saluer, qui la rendit perplexe. Le mot
grec employé par l’Evangéliste exprime généralement une perplexité, un embarras
intellectuel, une incertitude de l’esprit plutôt qu’un trouble de la
sensibilité, et tel, semble-t-il, en est le sens ici, puisque, loin de perdre
sa présence d’esprit, Marie réfléchit à la signification des paroles
entendues.» En note l’auteur ajoute : «Certains auteurs traduisent le mot
grec, diatarassein par pertubare,
troubler profondément. Mais tel n’en est pas le sens. En parlant de Zacharie
visité par l’ange, Luc emploie le mot tarassein,
turbare. Or le trouble de Zacharie était bien plus profond que celui de
Marie, puisqu’à propos du prêtre, Luc ajoute : "et la crainte
fondit sur lui". Au contraire, il nous montre la Vierge qui, loin de
perdre sa présence d’esprit, réfléchit sur le sens de la salutation. Un homme
profondément troublé n’est pas capable de réfléchir. En réalité diatarassein signifie : jeter dans
l’embarras, dans l’incertitude. Marie ne saisit pas la portée de la salutation
étrange que Gabriel lui adresse et se demande quelle en est la signification.
C’est le sens ordinaire du verbe diatarassein ;
voir Platon, Leg., III, 693 ; VI, 757 ; Xénophon, Mem.,
IV, 2, 20 ; Plutarque, Mor., p. 630.» In Vie, p. 38-39.
[341] Vie, p. 37.
Cf. Marie-Joseph Lagrange, op.cit.,
p. 20.
[342] Vie, p. 36. pros auten, à joindre à eiselton, indique que l’ange vient trouver Marie dans
sa demeure. Cf. Marie-Joseph Lagrange,
op. cit., p. 28, note 28.
[343] Vie, p. 37.
[344] Cf. Maria de qua, op. cit, n. 2, p. 27. Emile Neubert
ajoute : «C’est par gratia plena, pleine de grâces, que la version
latine rend le mot kekaritomene
employé par saint Luc. Les protestants modernes le traduisent fréquemment par
"vous qui êtes l’objet d’une grâce", highly favored, ou par
quelque expression équivalente comme s’il n’était question que de la faveur
présente. Or si saint Luc avait voulu exprimer cette dernière idée, il se
serait servi du participe présent, kekaritomene. Comme on le sait, le
parfait grec marque un état présent résultat d’une action passée : vous
qui avez été dotée, vêtue de grâce, et donc êtes pleine de grâce. Du reste, il
n’est pas nécessaire de faire remarquer à des catholiques que ce n’est pas sur
cette traduction plus ou moins fidèle d’un mot grec, que nous établissons notre
doctrine de la plénitude de grâces attribuée à Marie. Cette plénitude, nous la
déduisons de sa maternité divine. L’expression en question en fournit
simplement la formule, ou tout au plus, jusqu’à un certain point, une confirmation. »
Cf. Marie-Joseph Lagrange, op. cit.,
p. 28 : «La tournure est tout à fait grecque. Les Grecs saluent en
souhaitant la joie, les Hébreux en souhaitant la paix [...] Le verbe kekaritomene au parfait signifie
recevoir la karis (grâce) d’une façon stable.»
[345] Vie, pp.
37-40. Cf. Marie-Joseph Lagrange,
op. cit., pp. 33-36. Pour le Père Lagrange diatarassomai indique un trouble plus
profond que celui de Zacharie, mais sans être accompagné de frayeur. La Vierge
n’est pas troublée dans l’exercice de ses facultés, toujours à même de
réfléchir au sens de cette salutation. Emile Neubert lui aussi, va dans le même
sens. Vie, p. 39, note 20 de notre étude.
[346] Ce dernier déjà, constate que le kaire
4 fois employé dans les septante : So 3, 14 ; Jl 2,
21 ; Za 9, 9 ; cf. La 4, 21 nous renvoie non pas à une
salutation banale : le shalom
hébreu qui correspond à notre bonjour, mais à l’annonce de la joie messianique.
Biblica, 20, 1936, pp. 131-141. En 1957, René Laurentin dans son livre Structure
et théologie de Luc I-II, nous livre les conclusions qu’il en tire (en
commun avec le P. Lyonnet) dès le dernier trimestre 1953, dans ses cours à
l’Université d’Angers, puis par écrit dans son Court Traité : un
indice de l’objectivité des conclusions au problème de la divinité du Christ et
de la connaissance que la Vierge a pu en avoir. René Laurentin, Structure et théologie de Luc I-II,
Gabalda, 1957, p. 65, note 3.
[347] Maria de qua, op. cit., p. 29.
[348] Marie dans
l’Eglise anténicéenne, pp. 209-211.
[349] Ibid., p. 122.
[350] Vie, notes 1 et
2, p. 40 : Gn 18, 1-5 ; 21, 17-18 ; Nb 22,
31-35 ; Jg 6, 11-112 ; 13, 12-13-16 ; 1R17,
37 ; Jdt 8, 34.
[351] Notre Mère,
p. 17.
[352] Maria de qua, op. cit., p. 33.
[353] Ibid., p. 34.
[354] Vie, p. 48. Marie
et notre sacerdoce, p. 153 : Et cependant, que d’objections elle
aurait pu faire !
[355] Marie-Joseph Lagrange, op. cit.,
p. CXXXVII.
[356] Ibid., p. 33.
Le Père Lagrange poursuit : «L’ange lui explique que cette virginité n’est
pas en cause, parce que son Fils n’aura pas d’autre Père que Dieu […]» Ibid.,
p. 34. «La divinité apparaît sous le double attribut de l’Esprit Saint
et de la puissance de Dieu ; les deux expressions se retrouvent pour
caractériser celui qui naîtra, saint et Fils de Dieu.» Ibid., p. 35.
[357] Ibid., p.
36.
[358] «Jésus (est
présenté) comme l’Emmanuel (v. 18 ; cf. Is 7, 14), le Messie Fils
de David (vv. 32-33, cf. 2S 7, 14 ; Is 9, 6), le Fils de
Dieu au sens chrétien du terme (v. 35).» Andre
Georges, Etudes sur l’œuvre de Luc, Gabalda, Paris, 1978.
[359] «Fils du Très-haut
en Lc 1, 35 renvoie plutôt à la fonction messianique (Cf. 2S 7,
14 ; Ps, 2, 7) et il s’agit précisément de Jésus en tant que
descendant de David. Mais en 1, 35, on doit sans doute donner à "Fils de
Dieu" un sens de transcendance parce que ce titre est situé après une
déclaration concernant la puissance de Dieu dans son œuvre.» Leopold Sabourain, Il Vangelo di Luca, Introduzione e Commento,
Piemme, Roma, 1989, p. 66. De même René Laurentin, dans son étude critique de Luc
1, 35, retrouve les trois notions complémentaires de «Shékinah, filiation divine, transcendance, gloire». René Laurentin, op.cit., p. 77.
[360] Joseph Schmid, Das Evangelium nach
Lukas (RNT3), Regensburg, 1960, (Lukas) ; tr. it., L’evangelo
secondo Luca, Morcelliana, Brescia, 1965, p. 37. Cité par Josef Ernst, Il vangelo secondo Luca,
Morcelliana, Brescia, 1985, p. 98. En bref, Luc montre le mystère de Jésus d’une
manière plus explicite dans l’Evangile de l’enfance. Selon A. Georges, plus que
dans la formule «Fils de Dieu», la divinité de Jésus est affirmée dans le vieux
thème traditionnel : «L’Esprit Saint viendra sur toi...» Andre Georges, Marie dans le Nouveau
Testament, DDB, Paris, 1981, p. 40.
[361] Marie dans
l’Eglise anténicéenne, p. 122.
[362] Marie dans le
dogme 1933, p. 13.
[363] Marie dans le
dogme 1933, p. 14.
[364] Ibid., p.
21.
[365] Ibid., p.
22.
[366] Marie dans le
dogme 1933, op.cit., pp. 22-23.
[367] Marie dans le
dogme 1954, op.cit., pp. 48-49.
[368] Marie dans
l’Eglise anténicéenne, p. 5.
[369] Ibid., p. 8.
Le Pére Neubert précise : «Contre les judaïsants, saint Ignace affirme la
naissance, la passion et la résurrection de Jésus. (Ad
Magn., 11 ; Ad Phil., 9).»
[370] Ad Smyrn. 5,
PG 5, 711 ; Ad Ephés. 7 , PG 5, 649 ; etc.
[371] Ad Trall. 10,
PG 5, 681 ; Ad Smyrn. 2, 5, PG 5, 707, 711.
[372] Ad Smyrn. 4,
PG 5, 709 ; cf. Ad Ephes. titre, 1, 9, 17, 18, PG 5, 643, 645, 651,
657, 659 ; Ad Trall. 9, PG 5, 903 ; Ad Smyrn. 2, 5, PG
5, 707, 711.
[373] Ad Trall. 9,
PG 5, 981 ; Ad Smyrn. 2, 5, PG 5, 709, 711.
[374] Ad Smyrn. 7,
PG 5, 713 ; cf. Ad Ephes. 5, PG 5, 649.
[375] Marie dans
l’Eglise antinécienne, p. 9.
[376] Ignace, Justin et
surtout Irénée affirment la nécessité de l’Incarnation du fait même de
l’incapacité radicale de l’homme de sortir par lui-même de sa situation de
pécheur et de sa condition mortelle, mais plus encore, de voir sa nature
humaine participer à la nature divine.
[377] Ad Ephes. 7,
16, PG 5, 649, 657 ; Ad Smyrn. 4, 7, PG 5, 709, 713 ; Ad
Trall. 6,
9, 11, PG 5, 679, 681, 683. Cité in Marie dans l’Eglise anténicéenne, p.
10.
[378] Ad Eph. 19,
PG 5, 659.
[379] «Où est le
sage ? Où est le disputeur ? Où est la glorification de ceux qu’on
dit intelligents ? Notre Dieu Jésus-Christ a été porté dans le sein de
Marie selon les desseins de Dieu, (étant) de la semence de David et
du Saint-Esprit ; il a été engendré et baptisé, afin de purifier
l’eau par sa passion. Le prince de ce siècle ne s’est pas aperçu de la
virginité de Marie et de son enfantement, comme non plus de la mort du
Seigneur, trois mystères retentissants qui ont été accomplis dans le silence de
Dieu […] Jésus-Christ selon la chair, est de la race de David, fils de
l’homme et Fils de Dieu. Ad Ep 18-20, PG 5, 659-661.» In Marie dans l’Eglise anténicéenne, p.
12.
[380] Ad Smyrn. 1, PG
5, 707.
[381] Marie dans
l’Eglise anténicéenne, p. 12.
[382] Ibid., p.
17. Eusebe, Hist. Eccl., V, 13, 5 ; éd.
cit. I, 456.
[383] «Sans s’attarder
longuement à établir directement la maternité de Marie, saint Irénée l’affirme
indirectement dans de très nombreux passages où il parle de la Mère de Jésus,
soit qu’il démontre la naissance virginale, soit qu’il prouve la filiation
divine de l’enfant né de Marie, soit qu’il explique la coopération de la Vierge
à l’œuvre de la rédemption. Cependant, eu égard à l’étendue de l’Adversus
haereses, la maternité de Marie occupe une place relativement peu
considérable.» Ibid., p. 22
[384] «Si en effet le
Verbe a voulu naître de Marie, c’est que sa mission de Sauveur
l’exigeait ; et c’est pourquoi, à côté des preuves scripturaires, saint
Irénée en cite une autre qui les domine toutes en importance, la preuve tirée
de l’économie de la Rédemption. Pour qu’Adam et l’humanité fussent sauvés, il
fallait que le Sauveur fût lui-même homme, et qu’il tirât sa nature humaine de
l’humanité même qu’il avait perdue en Adam. De là l’importance de sa naissance
de Marie ; si elle n’est pas réelle notre Rédemption non plus n’est pas
réelle.» Ibid., p. 20.
[385] Cf. Ermanno M. Toniolo, La Vergine Maria nella dottrina dei Padri,
dispense ad uso degli studenti, C.A., Roma, 1994, p.74.
[386] Adv. Haer., IV,
33, 2, PG 7, 1073, in Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 20.
[387] Ibid., III,
22, 2, PG 7, 956 ss, in Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 20.
[388] Marie dans
l’Eglise anténicéenne, p. 48.
[389] De carne Christi,
15, 16 ; II 451ss. In Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 28.
Plus loin, Emile Neubert précise que dans sa réfutation de la doctrine
Marcionite, Tertullien voit à juste titre que la négation de la naissance du
Christ était : « […] comme le point de rencontre de toutes les doctrines
de l’hérésiarque : de celles qui se rapportaient à sa christologie comme
de celles qui avaient pour objet le Dieu créateur. Si Jésus était vraiment né
de Marie, d’une part sa chair était véritable, donc sa passion et sa mort
étaient réelles, il était vraiment ressuscité, et nous aussi nous
ressusciterions ; d’autre part, sa chair venait de la création commune,
donc il avait accepté quelque chose du Dieu créateur, l’antinomie entre le Dieu
de Moïse et le Dieu de l’Evangile était vaine : il n’y avait qu’un seul
Dieu, créateur du monde et Père de Jésus-Christ. Etablir sa naissance de Marie,
c’était donc renverser à la fois tous les dogmes marcionites.» Ibid.,
pp. 35-36.
[390] Tertullien, De carne Christi,
27, Oehler, Leipzig II, p. 411.
[391] Notre don 1954,
p. 18. Emile Neubert ajoute : «Marie est en toute vérité la Mère du
Fils de Dieu. Elle l’a formé de sa substance, elle l’a porté dans son sein,
elle l’a mis au monde, elle l’a emmailloté, nourri, soigné,protégé, élevé,
couvert de baisers, comme fait toute mère pour son enfant.
Elle est même plus
mère que toutes les mères : elle l’a formé seule, sans le concours d’un
homme. Et lui est son enfant, vraiment son enfant, plus son enfant que ne l’est
l’enfant de toute autre mère, car à elle seule il doit toute sa nature humaine.
[Il s’est comporté à son égard
comme le fait tout fils envers sa mère] : il s’est
laissé allaiter, habiller, porter par elle, il lui a été soumis. Mais surtout
il l’a aimée. De quel amour un tel enfant a-t-il dû aimer une telle mère ?
L’amour d’un enfant pour sa mère, qui ne le connaît par expérience ? C’est
de tous les amours le premier, le plus sincère, le plus fort, le plus universel,
même dans les natures les moins nobles.»
[392] Ibid., pp.
18-19.
[393] Philos., I,
prologue, 6.
[394] Connaissant
l’importance anthropologique qu’il donna à la maternité spirituelle de Marie
nous concernant dans ses œuvres, il est utile de reproduire une de ses sources
patristiques : «C’est grâce à la maternité de Marie que le premier Adam,
et nous avec lui, nous avons été régénérés par le nouvel Adam. C’est grâce à
elle aussi que nous pouvons devenir les imitateurs du Verbe. Nous avons appris
que le Verbe a pris un corps de la Vierge, qu’il s’est revêtu de l’ancien homme
par une création nouvelle, qu’il a passé par tous les âges de la vie afin de
devenir la loi de tous les âges […] ; nous savons qu’il est homme fait de
notre substance ; car s’il n’était pas de la même matière que nous, c’est
en vain qu’il nous ordonnerait de l’imiter comme notre maître ; comment,
si cet homme était d’une autre nature, me prescrirait-il d’accomplir les mêmes
actions que lui, à moi, faible créature ?» Philos., X, 33, 542.
[395] Adv. Noet.,
14, PG 10, 824. In Marie dans l’Eglise anténicéenne, op.cit., pp.
50-51.
[396] In ep. Ad Rom., 111, 10, PG
14, 956 s. Marie dans l’Eglise anténicéenne, op.cit., p. 53.
[397] In ep. Ad Tit., PG 14, 1304.
[398] Origene, Comm. in Joann. X,
6 ; 176 : «Les Marcionites qui rejettent sa naissance de Marie, et
leurs consorts, ceux qui nient l’humanité de Jésus ou qui ne lui attribuent
qu’un corps apparent, veulent nous priver, dans la mesure de leur possible, de
l’homme de tous le plus juste, de manière que nous ne puissions pas être sauvés
par lui.» In Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 53.
[399] Marie dans le
dogme 1954, p. 49. Emile Neubert ajoute : «On ne
songeait pas, dès les débuts, à créer un terme spécial pour désigner le rôle de
la Vierge, et cela d’autant moins que les affirmations primitives étaient
presque toutes portées en fonction de Jésus et non en fonction de Marie. Mais
l’idée contenue dans cette expression apparaît nettement dans la vue
primitive.»
[400] Ibid., p.
49.
[401] Ibid., pp.
49-50.
[402] Adolf von Harnack, Dogmeng., I,
p. 247 : «Ce n’est pas le docétisme qui est la caractéristique de la
christologie gnostique, c’est la doctrine des deux natures.» In Marie dans
l’Eglise anténicéenne, p. 122.
[403] Marie dans
l’Eglise anténicéenne, p. 122.
[404]
Emile Neubert ajoute : «Mais l’idée de l’humanité et de la divinité de
Jésus était si naturellement liée à l’idée de la maternité et de la virginité
de Marie, que les premiers et les plus nombreux arguments que cite saint Irénée
sont ceux qui établissent que l’enfant né de la Vierge est Dieu, ce qui revient
à dire que la Vierge est Mère de Dieu.» Ibid., p. 130 : «Le
mot Theótokos ne se trouve pas
encore explicitement dans ces textes, mais il y est équivalemment, et des
expressions telles que le Fils de Dieu est né de la Vierge, le Christ
né de Marie est l’Emmanuel, il n’y a qu’un seul et même Jésus-Christ
Notre-Seigneur, celui qui est né de Marie, sont, non seulement par rapport
à l’union hypostatique, mais même par rapport à la maternité divine, tout aussi
compréhensibles que l’expression Mère de Dieu. Ailleurs, saint Irénée
écrit : L’ange annonça à Marie qu’elle porterait Dieu, expression
qui est manifestement synonyme, pour la question qui nous occupe, de celle
d’enfanter Dieu (Theótokos, Deipara).» Ibid., p. 125.
[405] Ibid., p.
124.
[406] Cf. Tixeront, Théologie anténicéenne,
p. 342 ss. Cité in Marie dans l’Eglise anténicéene, p. 131.
[407] Emile Neubert
commente : «Voici que l’Ange dit : c’est pourquoi le fruit saint qui
naîtra sera appelé Fils de Dieu. C’est la chair qui est née ; donc,
concluait l’hérésiarque, la chair sera le Fils de Dieu. -Tant s’en faut !
Reprend Tertullien. Il est question de l’Esprit de Dieu, car à coup sûr, c’est
de l’Esprit Saint que la Vierge a conçu, et ce qu’elle a conçu, elle l’a
enfanté ; cela donc devait naître qui avait été conçu et qui était à
enfanter, à savoir l’Esprit, celui-là même qui sera appelé Emmanuel,
c’est-à-dire Dieu avec nous. Or la chair n’est pas Dieu pour qu’on puisse dire
d’elle : le fruit saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu ; mais
celui-là est Dieu qui est né en elle. Adv.
Praxeam, 27 ; II, p. 691.» Marie dans l’Eglise
anténicéenne, p. 131.
[408] Marie
dans l’Eglise anténicéene, p. 133. Emile
Neubert cite Hippolyte : Eis ton Daniel, IV, 39, Bonwetsch, p. 288.
[409] Cf. Marie dans
l’Eglise anténicéenne, p. 133,
n. 1 : Peri ton antikristou, 45, Achelis, 29.
[410] Fragm. II,
Achelis, 121.
[411] Marie dans
l’Eglise anténicéenne, pp. 133-134.
[412] In Luc. hom. :
PG 13, 1818.
[413] Ibid.,,
1821.
[414] Ibid., 1817.
[415] Ibid.,
1821.
[416] C. Celse, I,
35 ; I, 86.
[417] H. eccl., VII,
32, PG 67, 812.
[418] Marie dans
l’Eglise anténicéenne, p. 134.
[419] Marie dans le
dogme 1954, p. 37.
[420] Redemptoris
Mater, 45 : «La maternité a pour caractéristique de se rapporter à la
personne. Elle détermine toujours une relation absolument unique entre deux
personnes : relation de la mère avec son enfant et de l'enfant avec
sa mère. Même lorsqu'une femme est mère de nombreux enfants, son rapport
personnel avec chacun d'eux caractérise la maternité dans son essence même.
Chaque enfant est en effet engendré d'une manière absolument unique, et cela
vaut aussi bien pour la mère que pour l'enfant. Chaque enfant est entouré,
d'une manière unique, de l'amour maternel sur lequel se fondent son éducation
et sa maturation humaines.
On peut dire qu'il y
a analogie entre la maternité "dans l'ordre de la grâce" et ce qui,
"dans l'ordre de la nature", caractérise l'union entre la mère et son
enfant. Sous cet éclairage, on peut mieux comprendre le fait que, dans son
testament sur le Golgotha, le Christ a exprimé au singulier la nouvelle
maternité de sa Mère, en se référant à un seul homme : "Voici ton
fils."»
[421]
Concile d'Ephèse (IIIe œcuménique), in La foi catholique, textes
doctrinaux du magistère de l'Eglise, [Dumeige], Orante, Paris, 1961, pp.
190-193.
[422]
Paul Cochois, Bérulle et l'Ecole Française, coll. Maîtres
spirituels, Seuil, Paris, 1963, p. 74.
[423] Marie dans le
dogme 1954, p. 41.
[424] Ibid., p. 49.
[425] Ibid. p. 52. Emile Neubert cite : «La
maternité divine touche aux confins de l’humanité.» Cajetan, Comm. de la Somme, 2,2, q. 103, a. 4, AD 2.
[426] «La bienheureuse
Vierge, du fait de sa maternité divine, possède une certaine dignité infinie,
par suite du bien infini qui est Dieu. De ce fait, rien de supérieur à elle ne
peut être créé, de même qu’il ne peut exister rien de supérieur à Dieu.» ST, I, q. 25, a. 6, ad 4. Cité in Marie dans le
dogme 1954, p. 52.
[427] Cf. Super
Magnificat, cité par A. Nicolas,
La vierge Marie dans l’Evangile, p. 13. Cité in Marie dans le dogme 1954,
p. 53.
[428] Voir Jean-Baptiste Terrien, op. cit.,
t. Ier, 1, II, ch. III Cité in Marie dans le dogme 1954,
p. 52.
[429] Marie dans le dogme 1954, p. 56-57.
[430] Ibid., p. 60.
[431] La dévotion à
Marie, op. cit., p. 48. Nous avons déjà signalé l’influence
de Louis-Marie Grignion de Montfort. Emile Neubert reprend les expressions
typiques de ce saint sans le préciser dans son exposé.
[432] Dans le Traité de
la Vraie Dévotion nº 20 de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, nous
lisons : «Dieu le Saint-Esprit étant
stérile en Dieu, c'est-à-dire ne produisant point d'autre personne divine, est
devenu fécond par Marie qu'il a épousée. C'est avec elle et en elle et d'elle
qu'il a produit son chef-d'œuvre , qui est un Dieu fait homme, et qu'il produit
tous les jours jusqu'à la fin du monde les prédestinés et les membres du corps
de ce chef adorable.»
[433] Marie dans le
dogme 1954, p. 60-61. De même nous pouvons lire dans le Traité
de la vraie Dévotion nº 21 : «Ce
n'est pas qu'on veuille dire que la Très Sainte Vierge donne au Saint-Esprit la
fécondité, comme s'il ne l'avait pas, puisque, étant Dieu, il a la fécondité ou
la capacité de produire, comme le Père et le Fils, quoiqu'il ne la réduise pas
à l'acte, ne produisant point d'autre Personne divine. Mais on veut dire que le
Saint-Esprit, par l'entremise de la Sainte Vierge, dont il veut bien se servir,
quoiqu'il n'en ait pas absolument besoin, réduit à l'acte sa fécondité, en
produisant en elle et par elle Jésus-Christ et ses membres. »
[434] Lepicier, Tractus de B.M.V., p.
125. Cité in Marie dans le dogme 1954, p. 61.
[435] Marie dans le
dogme 1954, p. 61-62.
[436] Ibid., p.
63.
[437] Ibid.
[438] Ibid.
[439] Ibid., p.
64
[440] Ibid., p 65.
[441] Ibid.
[442] Ibid., pp.
66-67.
[443] De natura et
gratia, c. 36, cité in Marie dans le dogme 1954, p. 68.
[444] Marie dans le
dogme 1954, pp. 69-70.
[445] Emile Neubert
précise : «Jusqu’à faire de l’un l’image parfaite de l’autre, la Mère et
le Fils ne formant plus, pour ainsi dire, qu’une seule âme ; amour enfin
qui faisait trouver au Verbe de Dieu plus de complaisance en sa Mère seule
qu’en toutes les créatures, plus de joie et plus de gloire dans la moindre
action de Marie, dans la moindre de ses pensées que dans les conceptions et les
actes les plus héroïques de ses saints et de ses martyrs.» Ibid., p. 73.
[446] Cc. Latran en 649
Cf. H. Denzinger, Enchiridion symbolorum definitionum et declarationum
de rebus fidei et morum, Paris, 371996.
[447] Cf. Paul VI, «Que faut-il croire ? »
Profession de foi lue par S. S. Paul VI lors de la cérémonie de clôture de
l’Année de la foi, 30 juin 1968, in DC 65 (1968) cc. 1249-1257.
[448] Marie dans le
dogme 1933, p. 51 : «Les chrétiens des premières
générations durent d’ailleurs trouver cette révélation toute naturelle, y
voyant comme un corollaire logique de la divinité de Jésus.»
[449] «Il est probable que
Luc qui a insisté sur la virginité de Marie (v 27), pensait à ce dernier
passage (Is 7, 14)». Marie-Joseph
Lagrange, op. cit., p. 30, note 31.
[450] Maria de qua, op.
cit. Emile Neubert précise : «Elle avait fait le vœu de virginité,
certaine que Dieu le désirait. Dieu ne se contredit pas. Si jadis, il lui avait
suggéré ce vœu, si récemment, il avait si merveilleusement disposé le cœur de
son fiancé de manière à pouvoir garder ce vœu malgré le mariage, il n’allait
pas maintenant lui en demander le sacrifice. Cependant puisqu’il lui fait une
proposition, il requiert sa coopération.» Notre Mère, p. 16. Emile Neubert s’appuyait sur l’interprétation du Père Lagrange : «La Vierge exprimerait donc un
propos de virginité […] si l’on tient compte des nouveaux courants, très
favorables à l’ascèse et à la chasteté, qui circulaient dès lors dans le
judaïsme. Il suffirait de nommer les Esséniens. […] Le mariage avec un homme
tel que Joseph la mettait à l’abri d’instances sans cesse renouvelées et
assurait son repos.» Cf. Marie-Joseph
Lagrange, op. cit., p.33.
[451] Emile Neubert précise :
«L’ange, en annonçant à la Vierge que l’enfant qui naîtrait d’elle serait le
Fils du Très-Haut et que son règne n’aurait pas de fin, lui laissait entendre
aussi clairement qu’elle serait Mère de Dieu.» Marie dans l’Eglise
anténicéenne, p. 122.
[452] Emile Neubert
s’appuie sur le Père Lagrange : «Dans le discours de l’ange, Marie n’a vu
que la naissance du Messie, et sans s’arrêter aux termes qui devaient lui faire
soupçonner une génération extraordinaire, elle s’en est tenue à l’obstacle de
sa virginité. L’ange lui explique que cette virginité n’est pas en cause, parce
que son fils n’aura d’autre père que Dieu.» Marie-Joseph
Lagrange, op. cit., pp. 33-34.
[453] Maria de qua,
op.cit., p. 30. Cf. Marie-Joseph
Lagrange, op.cit., p. 36 : «L’ange suggère qu’il sera
vraiment Fils de Dieu. Pourquoi Dieu voudrait-il être le Père par une
conception surnaturelle, de celui qui ne serait pas vraiment son Fils ?
[...] Il vaut mieux reconnaître que le texte ne donne pas toute la doctrine de
l’Incarnation que d’en forcer le sens.»
[454] Maria de qua, op.cit., p. 31. Ces affirmations
rejoignent aussi les résultats de René Laurentin : «Pour Luc la Vierge n’a
pas été un instrument passif dont Dieu se serait servi par surprise, ou même
par contrainte ; elle a reçu un message (1, 28-37), elle y a répondu
librement (1, 38), en toute connaissance de cause (1, 34, Cf. 29b) et en toute
lumière de grâce (1, 28, 30, 42,45, 48-49). L’auteur entend donc enseigner que
Marie a saisi de façon enveloppée, mais réelle, l’objet du message et donc l’identification
de Jésus à Yahweh qui s’y trouve insinuée.» Rene
Laurentin, op. cit., p. 166.
[455] Marie dans le
dogme 1933, p. 49. Cette introduction qui fait suite à son
deuxième chapitre de Marie dans le dogme, nous l’avons dit précédemment
au chapitre la Maternité divine,
ouvre d’autres horizons sur d’autres privilèges de Marie qui seront repris dans
toute l’œuvre d’Emile Neubert et que nous reverrons sous peu : son
exemption de toute faute et de toute concupiscence, son Immaculée Conception,
sa parfaite sainteté, et jusqu’à son Assomption. Ces thèmes sont plus liés à la
période post-nicéenne dans leurs développements spécifiques, mais ils étaient
déjà en germe dans la période des développements christologiques avant Nicée.
[456] Marie dans
l’Eglise anténicéenne, p. 57. Emile Neubert précise : «Les deux
récits portent l’empreinte de deux origines différentes, ce qui prouve qu’à
l’époque où furent écrits le premier et le troisième Evangile, la croyance en
la conception surnaturelle de Jésus était déjà répandue dans différents
milieux. Nous n’avons pas à chercher ici comment elle est née, mais à voir
quelle a été son histoire à partir de sa fixation dans les Evangiles.»
[457] Ibid., p. 159.
[458] Maria de qua, op. cit., pp. 31-33.
[459] Marie dans le
dogme 1933, pp. 57, 58.
[460] Salvatore M. Perrela, Maria vergine e madre, la verginità
feconda di Maria tra fede, storia e teologia, San Paolo, Roma, 2003, p. 268.
[461]
Nikos Nissiotis,
in Concilium 188, 1983.
[462]
Adrienne von speyr, La
servante du Seigneur, trad. par Madi LEPINE, Le Sycomore, Lethielleux,
Paris, 1980.
[463] Marie dans le
dogme 1933, pp. 61-63 Voir aussi de nombreux exemples dans Marie-Joseph Lagrange, L’Evangile selon Marc, pp. 72-73. Emile
Neubert ajoute : «Les "Frères du Seigneur" pouvaient donc être
des parents quelconques de Jésus. Nous verrons plus loin qu’ils étaient ses
cousins germains. Il est vrai que le Nouveau Testament fut écrit en grec, et
que cette langue possède des mots spéciaux pour marquer les différentes
relations de parenté. Mais le titre de "Frère du Seigneur" était
évidemment une locution consacrée chez les juifs convertis, et les évangélistes
la traduisirent littéralement.»
[464] Ibid., pp.
64-66.
[465]
Emile Neubert
ajoute un autre argument qui peut sembler faible aujourd’hui, vu la richesse de
ce passage biblique en Jn 19, 26 dans l’exégèse contemporaine :
«Marie confiée à Jean. En outre, nous apprenons de saint Jean que Marie lui fut
confiée par le Seigneur mourant, et que désormais il la prit chez lui (Jn
19, 25-27). Cette donation eût été étrange si la mère de Jésus avait eu
d’autres enfants, dont son Fils l’eût séparée pour la confier à un étranger.
Elle ne se comprend que dans le cas où, par sa mort, il la laissait seule sur
terre.» In Marie dans le dogme 1933,
pp. 66-67.
[466] Ibid., p. 67.
[467] Marie dans l’Eglise
anténicéenne, pp. 75-76.
[468] Cf. Marie dans
l’Eglise anténicéenne, p. 173 :
«Si la conception virginale regardait principalement la gloire du Fils,
la virginité de Marie dans l’enfantement regardait surtout l’honneur de la
mère. Le Protévangile de Jacques, qui remonte au milieu du second siècle, mais
dont les différentes parties remontent plus haut, pose la question pour la
première fois et y répond par l’affirmative. Saint Irénée argumente à partir de
ce passage du prophète Isaïe, 64, 7 où il lit l’annonce de la naissance de
l’Emmanuel "inespérée et inopinée de la Vierge" : Avant
d’être en travail, elle a enfanté, avant que les douleurs lui vinssent, elle a
mis au monde un enfant mâle.»
[469] Ibid., p. 282.
[470] Marie dans le
dogme 1933, p. 58.
[471] Ibid., p. 56.
[472] La virginité
perpétuelle de Marie dut être clairement connue de beaucoup d’entre les
premiers chrétiens. Il n’était pas difficile aux disciples de la Galilée et de
la Judée de s’enquérir de la parenté du Seigneur - certainement une pieuse
curiosité les y poussait - et d’apprendre que Marie n’avait jamais eu qu’un
seul Fils, Jésus. Quant aux chrétiens extrapalestiniens, certains d’entre eux
durent questionner sur ce point les apôtres ou les disciples venus de
Palestine, et être, par eux, mis au courant du fait. Aussi la tradition
la plus ancienne est unanime sur cette doctrine. Ibid., p. 60.
[473] La virginité du
corps est le signe d’une pureté incomparablement plus éclatante pour l’âme. De
la découverte, p. 47.
[474] Marie dans le
dogme 1933, pp. 49-74.
[475] Marie dans
l’Eglise anténicéenne, p. 75.
[476] Ibid., p. 74.
[477] L’auteur met l’accent
sur l’aspect de coopération à la Rédemption, conçue comme un retour à
l’incorruptibilité.
[478] Marie dans l’Eglise
anténicéenne, p. 98. Emile Neubert commente : «Pour Tertullien comme pour
saint Justin et saint Irénée, la naissance virginale est la figure de la
rédemption que le Christ nous apportait, et la condition de sa divinité.» Cf. De
carne chr., 17, II, 453ss.
[479] Ce sont là des
mystères du Seigneur qu’il faut proclamer à grands cris. Ad Ephes., 19,
PG 5, 659 ; cité in Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 10.
[480] Marie dans l’Eglise
anténicéenne, pp. 76-91.
[481] Cf. La profession de
foi de Justin en face des païens, qui rappelle le symbole, in I
Apol., 21 ; I, 64 : « Nous affirmons que le Verbe, le
premier-né de Dieu, est né sans le concours de l’homme, Jésus-Christ notre
Maître ; qu’il a été crucifié, qu’il est mort, qu’il est ressuscité et
monté au ciel.» Cf. aussi I Apol., 46 ; I, 130 ; Tryph.,
85 ; II, 306 : « Le Fils de Dieu, le premier-né de toute
créature, né par la Vierge, devenu homme passible, crucifié sous Ponce-Pilate
par votre peuple (des juifs), mort, ressuscité d’entre les morts et monté au
ciel.»
[482] Marie dans
l’Eglise anténicéenne, p. 84. Cf. IIe partie, chap. III.
[483] Emile Neubert
commente : «Si en effet le Verbe a voulu naître de Marie, c’est que sa
mission de sauveur l’exigeait ; et c’est pourquoi, à côté des preuves
scripturaires, saint Irénée en cite une autre qui les domine toutes en
importance, la preuve tirée de l’économie de la Rédemption. Pour qu’Adam et
l’humanité fussent sauvés, il fallait que le Sauveur fût lui-même homme, et
qu’il tirât sa nature humaine de l’humanité même qui avait été perdue en Adam.
De là l’importance de sa naissance de Marie ; si elle n’était pas réelle,
notre rédemption non plus ne sera pas réelle.» Ibid.,
p. 20.
[484] Ibid., p.
98.
[485] In Matth., X,
17 ; XII, col. 876.
[486] Marie dans
l’Eglise anténicéenne, p. 185. Emile Neubert auparavant donnait l’
explication suivante : «Il (Origène) connaissait le Protévangile,
mais certains détails manifestement légendaires de cet écrit devaient le porter
à se défier en général des affirmations qu’il contenait. Il semble qu’il lui
soit arrivé ce qui se produira plus tard à propos de l’Immaculé Conception. On
admettait pratiquement la parfaite pureté et sainteté de Marie ; mais
quand certains fidèles voulaient formuler cette croyance d’une façon plus nette
et en tirer les conclusions, comme à ces conclusions étaient mêlées des
assertions inadmissibles, on n’y reconnaissait plus l’ancienne croyance, et
l’on rejetait les conclusions justes avec les assertions illégitimes.»
[487] Cette homélie
attribuée à Grégoire le Thaumaturge par Pitra (Analecta Sacra, IV, p. 386-395)
est très justement critiquée par Harnack. Cf. Adolf Harnack,
Geschichte des altchristlichen Litteratur bis Eusebius, 2. Erweiterte
auflage, Teil II : die Chronologie. Band 2 : die Chronologie der
Litteratur von Irenäus bis Eusebius, J.C. Hinrichs, Leipzig, 1958, p.101.
Dans une note, Emile
Neubert réfute les raisons données par Harnack refusant l’authenticité de
l’homélie attribuée à Grégoire le Thaumaturge : «Les raisons que Harnack (Chronol., II, 101) fait valoir
contre Loofs pour en rejeter l’authenticité, ne sont pas convaincantes :
1° Les quatre
homélies trouvées avec celle-ci sont apocryphes. On pourrait tout aussi bien
retourner l’argument et dire que, pour qu’on ait songé à les attribuer à
Grégoire, elles devaient se trouver avec une homélie qui fut de lui.
2° L’intérêt
particulier qui est donné à la virginité in partu surprend quelque peu
au IIIe siècle. Cent ans après le Protévangile, cet intérêt
n’a rien d’étonnant. L’écrit présente les mêmes idées que le De passibili et
impassibili in Deo. De plus, on n’y rencontre pas un seul Theótokos, ou Panagia.»
Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 186.
En fait, c’est bien
Harnack qui aurait raison (Cf. CGI, Brepols, Turnout 1983, pp 242-243, n° 1775
ou 1776). L’homélie citée par Emile Neubert n’entre pas dans les œuvres
authentiques que nous connaissons de Grégoire le Thaumaturge qui était d’une
école néo-alexandrine et très apprécié des Cappadociens. A cette époque, tout
au début du XXe siècle, les études n’avaient pas encore clarifié ces
éléments.
De fait, il
s’agissait d’une traduction latine que Pitra a réalisée à partir de codes
arméniens. Une simple lecture de l’incipit
de l’homélie traduite nous fait remonter à une célèbre homélie grecque très
répandue au temps d’Ephèse - et également longuement paraphrasée contre
Nestorius en 428 -, tirée des codes, attribuée à saint Jean Chrisostome, étant
de fait d’ascendance cappadocienne, et par conséquent datant à la fin du du IVème
siècle. Cf. Ermanno Toniolo,
L’homélie antinestorienne Musteriion xenon blepo (PG28, 960-972), in Gesu Christo
speranza del mondo Miscellanea in onore di Marcello Bordoni a cura di Ignazio Sanna, Roma, 2000,
pp. 167-199. Celle-ci est mentionnée in BHG 1905 ; et éditée
in PG 56, 385-394.
[488] Pseudo-Grégoire, Sermon in Nat.
Christi, 14, p. 391, cité in Marie dans l’Eglise anténicéenne, pp.
186-187.
[489] Ibid., 8, p.
388 s., cité in Marie dans l’Eglise anténicéenne, pp. 188-189.
[490] Marie dans
l’Eglise anténicéenne, p. 119.
[491] Marie dans le
dogme 1933, p. 52.
Marie dans l’Eglise anténicéenne, pp. 57-120 ; 136-144.
[492] Marie dans
l’Eglise anténicéenne, p. 208.
[493] Marie dans le
dogme 1954, p. 303.
[494] Ibid., p.
304. Cf. Denzinger, p. 993.
[495] Ibid., p. 276.
Cf. Marie dans l’Eglise anténicéenne, pp. 57-120 ; 136-144.
[496] Marie dans
l’Eglise anténicéenne, p. 149.
[497] Marie dans le
dogme 1954, p. 276.
[498] Ibid., pp.
276-277.
[499] Ibid., pp.
278-279.
[500] Ibid., p.
289.
[501] Ibid., p.
307.
[502] Adv. Haer., III
18, 1.
[503] Ad Ephes.,
19.
[504] Marie dans
l’Eglise anténicéenne, pp. 209-211.
[505] Et l’auteur de
poursuivre : «Une dernière impression se dégage de ce que saint Luc nous
apprend de Marie, l’impression d’une âme recueillie et contemplative.
L’évangéliste fait plusieurs fois la remarque qu’elle retient pour y réfléchir
ce qu’elle apprend de son Fils. (Peut-être, en disant qu’elle «conservait
toutes ces choses», voulait-il indiquer qu’elle était la source d’où provenait
son récit ; il avait certainement l’intention de dire autre chose encore
en ajoutant qu’"elle y réfléchissait en elle-même".) Son rôle n’est
pas de prêcher la bonne nouvelle ; il consistera à être l’instrument et le
témoin, silencieux, mais conscient, des mystères du Christ.» Ibid., p.
211.
[506] Dans une note,
l’auteur aborde différentes questions relatives à l’origine du Magnificat, et à
la «controverse soulevée par certains modernistes et protestants, qui ont
prétendu attribuer cet hymne à Elisabeth.» Après avoir fait le résumé de la
question en faisant le lien avec le cantique d’Anne (1 S 2, 4-5),
l’auteur conclut : «La question de l’attribution du Magnificat à Marie a
été tranchée, pour les catholiques, par une réponse de la commission biblique.»
Vie, p. 57, note 2.
[507] Vie, p. 55.
[508] Emile Neubert
commente : «Dans la Mère de Jésus, nulle imperfection, si légère fut-elle.
Là où les plus méritants s’oublient un instant, elle reste inébranlablement
fidèle. Zacharie, le juste doute de la parole de l’ange et en est puni, Marie
croit et est récompensée de sa foi par l’accomplissement des promesses divines.
Les apôtres fuient lors de l’arrestation de Jésus, leur chef reniera son
Maître ; Marie se tient debout au pied de la Croix.» Marie dans le
dogme 1954, pp. 310-311
[509] Vie, pp. 64-65.
[510] Marie dans
l’Eglise anténicéenne, p. 213.
[511] Ibid., pp.
213-214.
[512] Ibid., p.
219.
[513] Ibid., p.
218.
[514] Ibid., pp. 220-222.
[515] Ibid., p.
225.
[516] Marie dans le
dogme 1954, p. 313.
[517] Ibid., Emile
Neubert cite l’extrait choisi dans les œuvres d’Augustin : «Pour l’honneur
du Seigneur, écrit-il, quand il s’agit du péché, je veux qu’il ne soit
absolument pas question de Marie, qui a mérité de concevoir et d’enfanter Celui
dont il est évident qu’il fut sans péché.» De natura et gratia, c. 36,
PL 44, 267.
[518] De carne Christi,
4 ; II, 432. Cité in Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 235.
[519] Pseudo Grégoire le Thaumaturge, Homélie
sur la Nativité du Christ, 8, 23 ; 390, 394. Adam., V, 8 ;
190 ; In Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 226.
[520] Marie dans le
dogme 1954, pp. 310-311.
[521] Emile Neubert
précise : «Ils admettaient généralement que, sur le calvaire, elle avait
douté de la divinité de son Fils. C’était le cas d’Origène, de saint Basile, de
saint Cyrille d’Alexandrie […] Saint Jean Chrysostome suppose quelque mouvement
de vanité en Marie.» Marie dans le dogme 1954, pp. 312-313.
[522] Ibid., pp.
314-316.
[523] Ibid., p.
317. Dans
l’édition de 1933, Emile Neubert précise que : «Marie est rivière, bientôt
fleuve, elle n’est pas source. Première différence, différence infinie entre
les deux plénitudes.» Marie dans le dogme 1933, p. 110.
[524] La tradition a
largement développé ce thème, nous suffise Ibid., le témoignage de Jean-Baptiste Terrien dans son œuvre magistrale qui fut le
livre de chevet d’Emile Neubert durant ses années d’étudiant en théologie. Cf. Jean-Baptiste Terrien, La Mère de
Dieu, Paris, Lethielleux, t. II, 1, VII, p. 191-234.
[525] Marie-Joseph Lagrange, op. cit.,
p. 29.
[526] Marie dans le
dogme 1954, p. 324.
[527] Cf .
« A propos de Marie »,
enregistrement du 8 mai 1992, in collection
privée .
[528] Cette réflexion peut
être mise en relation avec cette autre de Saint Thomas commentant la raison de
la plénitude initiale de grâce en Marie, lorsqu’il dit : «Plus on approche
d’un principe (de vérité et de vie), plus on participe à ses effets. C’est
pourquoi Denys affirme (De cœlesti hierarchia, c. 4) que les anges, qui
sont plus près de Dieu que les hommes, participent davantage à ses bontés. Or
le Christ est le principe de la vie de la grâce ; comme Dieu, il en est la
cause principale, et comme homme (après nous l’avoir méritée) il nous la
transmet, car son humanité est comme un instrument toujours uni à la
divinité : "la grâce et la vérité nous sont venues par lui" (Jn
1, 17). La bienheureuse Vierge Marie, étant plus près du Christ que
personne, puisqu’il a pris en elle son humanité, a donc reçu de lui une
plénitude de grâce qui dépasse celle des autres créatures.» IIIa, q. 27, a. 5.»
[529] Marie dans le
dogme 1954, p. 328.
[530] Catéchisme de
l’Eglise catholique, Paris, Mame/Plon, n° 234.
[531] Cf. La cassette 23 de la collection « Ephata formation chrétienne à la prière du cœur, » archives marianistes de la Société de Marie, Paris, 1992.
[532] Marie dans le
dogme 1954, p. 330.
[533] Ibid., p.
334.
[534] Ibid., p.
336.
[535] Ibid., p.
337.
[536] Ibid., p.
365.
[537] Lumen gentium 63.
[538] Ibid., 65.
[539] Marie dans le
dogme 1954, p. 336.
[540] Cf. Saint Thomas, ST, II, 24, 5.
[541] Marie dans le
dogme 1954, p. 366.
[542] Marie dans le
dogme 1954, p. 367.
[543] «La personne qui est
plus aimée par Dieu que toutes les créatures ensemble reçoit une plus grande
grâce que toutes ces créatures réunies, car la grâce est l’effet de l’amour
incréé et lui est proportionnée. Comme le dit Saint Thomas Ia. q. 20, a.
4 : "Dieu aime plus celui-ci que celui-là, en tant qu’il lui veut un
bien supérieur, car la volonté divine est cause du bien qui est dans les
créatures". Or de toute éternité Dieu a aimé Marie plus que toutes les
créatures ensemble comme celle qu’il devait préparer dès le premier instant de sa
conception à être la digne Mère du Sauveur. Selon l’expression de
Bossuet : "Il a toujours aimé Marie comme mère, il l’a considérée
comme telle dès le premier moment qu’elle fut conçue."
Cela
n’exclut pas d’ailleurs en Marie le progrès de la sainteté ou l’augmentation de
la grâce, car celle-ci, étant une participation de la nature divine, peut
toujours augmenter et reste toujours finie ; même la plénitude finale de
grâce en Marie est limitée, quoiqu’elle déborde sur toutes les âmes.» Reginald Garrigou-Lagrange op, La vie spirituelle, n° 253, mai
1941.
[544] Marie dans le
dogme 1954, p. 376.
[545] Ibid., p.
322.
[546] Cf. Ineffabilis
Deus in Marie dans le dogme 1954, p. 325.
[547] De la découverte,
p. 8.
[548] Ibid., pp.
63 ss.
[549] Ibid., p.
176.
[550] Ibid., p.
61.
[551] Déjà, en 1927, il
enseignait : L’Eglise, ce n’est pas un seul groupe, fût-ce même un groupe
de théologiens, c’est la collectivité des fidèles. Ce qui est croyance commune
est croyance certaine ; le sentiment universel des fidèles ne peut se tromper.
Le plus grand théologien, fût-il doublé d’un saint consommé, qui avancerait une
opinion contraire à ce sentiment universel, serait certainement dans l’erreur.
[…] En exposant son idée devant l’opinion publique de l’Eglise, le théologien
ou le dévot provoquera de la part des fidèles une sorte de referendum,
qu’il l’acceptera ou la rejettera et en montrera ainsi la valeur.
Il y a mieux encore.
On est sûr d’une vérité dès qu’on est sûr de son acceptation, explicite ou
implicite, par la majorité des fidèles. Mais on n’est pas toujours sûr de cette
acceptation par la majorité ; il s’élève toujours quelques voix
discordantes. Or il est, dans l’Eglise, un homme qui peut officiellement parler
au nom de cette majorité, et quand il a parlé comme chef de l’Eglise, il n’est
plus permis de contredire, ni même d’hésiter, car il est infaillible.[…] Il
laisse le travail de la réflexion et de la piété accomplir son œuvre sous
l’action de l’Esprit Saint ; il examine et fait examiner ce qui est de
tradition constante et universelle. Mais il fait plus qu’enregistrer : il rend
certain pour tous ce en quoi plusieurs peut-être hésitaient encore ou ne
voyaient qu’une probabilité ; il oblige tous à reconnaître la vérité
proclamée comme vérité révélée, et il l’exprime dans une formule, non pas adéquate,
mais claire et précise, qui fait le départ entre l’exagération et la vérité,
donne satisfaction à la piété et lui permet d’y trouver une nouvelle lumière et
un nouvel aliment de vie, comme dans la formule même de l’Evangile ; car
la définition, ce n’est pas un arrêt dans la contemplation, c’est un instrument
nouveau pour la guider.
Pour appliquer ces
notions à l’étude des grandeurs de Marie :
1° Il faut considérer non tel ou tel texte scripturaire mais l’ensemble
de la révélation relative à Marie et à la vérité qu’il s’agit d’affirmer de
Marie (par exemple, la rédemption, s’il est question de Marie corédemptrice),
en se rappelant que cette révélation est infiniment plus riche que les textes
ne le disent explicitement.
2° Cette révélation, il faut la regarder à la lumière des voies de Dieu
telles qu’elles nous sont connues par l’Ancien et surtout le Nouveau Testament,
et par notre contact personnel avec le monde surnaturel.
3° Il faut examiner la tradition universelle de l’Eglise par rapport à
l’opinion en question, en faisant la part des maladresses et hésitations
d’expression, afin de se rendre compte de ce qu’elle voyait ou sentait.
4° Il faut surtout voir quel est le sentiment actuel de l’Eglise,
exprimé par les croyances des fidèles, par leurs prières, leurs dévotions, par
les affirmations des prédicateurs, les explications des théologiens, par la
liturgie officielle de l’Eglise, et surtout, s’il y a lieu, par les
déclarations des Souverains Pontifes. Maria de qua, op. cit., pp.
117-118.
[552] De la découverte,
p. 7.
[553] Ibid., p. 1.
[554] Emile Neubert
précise : «L’Immaculée Conception et l’Assomption, admises depuis
longtemps par les fidèles, ont été définies simplement pour exalter la Mère de
Dieu et augmenter la piété chrétienne envers elle. Ce sera sans doute aussi le
cas un jour, pour sa médiation universelle et sa maternité spirituelle.» Ibid., p. 70.
[555] Ibid., pp.
55-56.
[556] Ibid., p.
95.
[557] Ibid.
[558] Ibid., p. 173.
[559] Jean de Gerson, Opera omnia, Antwerpiae,
t. IV, col.589.
[560] Francisco Suarez sj, Vivès, t. XIX, pp. 47-48, in De la découverte,
p. 178.
[561] «Si savant qu’il
soit, pour juger sainement des choses de l’ordre surnaturel, le théologien doit
humblement s’enquérir de l’opinion des chrétiens ordinaires, en particulier de
ceux à qui leur humilité, leur simplicité, leur union à Dieu assurent une plus
grande abondance des lumières du Saint-Esprit. L’histoire de la mariologie
n’est-elle pas faite pour enseigner l’humilité intellectuelle même aux plus
savants et pour montrer la valeur de l’opinion du peuple fidèle en face des
arguments des grands docteurs ?» De la découverte, p. 92.
[562] On trouve cette
opinion par exemple, relatée par Emile Neubert, reprenant Jugié : «Un
autre Franciscain, François de Mayron, appelé le "docteur illuminé",
produit, parmi beaucoup de preuves fournies par ses prédécesseurs, un argument
nouveau, celui du sentiment unanime des fidèles. Il écrit : La vérité de
l’Assomption… est prouvée par le témoignage de l’opinion universelle. Ce qui,
en effet, est connu par toute la terre et universellement ne saurait être faux
absolument, selon le philosophe (Du sommeil et de l’état de veille). Or,
la foi universelle et l’opinion de tous est que Marie est au ciel dans son
corps. Donc il est impossible que cela soit faux absolument (Martin Jugié, La Mort et l’Assomption de la Sainte Vierge, Etude
historico-doctrinale, Città del Vaticano, 1944, p. 402, note 5).» Ibid., p. 172.
[563] Ibid., p.
88.
[564] Marie dans le
dogme 1954, op, cit., pp. 244-245.
[565] Ibid., p.
247.
[566] Ibid., p.
255.
[567] Ibid., pp.
241-243.
[568] Ibid., p.
247
[569] Ibid., p.
255.
[570] Ibid., pp.
259-271.
[571] Ibid., p. 271
[572] Vie, p. 49.
[573] Vie, p.
50.
[574] Ibid., p.
53.
[575] Ibid.
[576] Ibid., p.
58.
[577] Ibid., p.
63. L’expression
«corédemptrice» mérite une reprise d’analyse du sens que l’auteur lui donne.
Nous y reviendrons dans notre étude. Notons déjà cependant ce terme utilisé par
l’auteur pour commenter les premiers mystères de la vie de Jésus et de Marie,
mentionnés dans l’Evangile de Luc. Lors de l’étude du thème de La
coopération de Marie à la Rédemption dans Marie dans l’Eglise
anténicéenne, Emile Neubert relate qu’Origène attribue un certain rôle à
Marie dans la sanctification du Précurseur : «Si en effet, la simple venue
et la salutation de Marie eurent pour effet de faire tressaillir l’enfant de
joie et de remplir Elisabeth de l’esprit prophétique, à la vue de tant de
progrès opérés en une heure, représentons-nous les progrès que Jean dut faire
en trois mois grâce à la présence de Marie auprès d’Elisabeth. Alors qu’en un
rien de temps, en un moment, l’enfant tressaille et bondit pour ainsi dire de
joie, et qu’Elisabeth est remplie de l’Esprit Saint, il est inadmissible que
durant trois mois, ni Jean ni Elisabeth n’aient tiré aucun profit du voisinage
de la Mère du Seigneur et de la présence même du Sauveur.» Hom. 9 in
Luc ; Cit., 13, col. 1822, cité in Marie dans l’Eglise anténicéenne,
p. 251.
[578] Vie, pp. 138-145.
[579] Emile Neubert
précise : «Rien de plus fréquent de nos jours encore, en pays arabe,
d’entendre des indigènes répondre à une demande : "Ma
lèch ?" Quoi à toi ? C’est-à-dire "D’accord !
Volontiers !" C’est l’affirmation qu’il n’y a pas de différences de
vue ou d’intérêts qu’un examen attentif des textes révèle dans chacun des cas
où cette expression est employée dans les saintes Ecritures.» Vie, p.
139.
[580] Emile Neubert
ajoute : «On a aussi donné une interprétation nouvelle, et sans doute bien
plus satisfaisante, de la réponse de Jésus à sa Mère aux noces de Cana.» Vie,
p. VI.
[581] Emile Neubert
commente : «Si saint Joseph avait cru sa fiancée coupable, sa justice lui
eût fait une obligation de suivre la loi de Moïse. Mais tout au contraire,
c’est parce qu’il est juste qu’il ne veut pas dénoncer Marie. L’Evangile, en
effet, dit, non pas : "Joseph étant juste, mais ne voulant pas
l’exposer". Il dit : "Joseph étant juste et ne voulant
pas l’exposer […]" Il ne veut pas parce qu’il est juste, parce qu’il
considérait pareil renvoi comme contraire à la justice. Comment eût-il douté de
la vertu de Marie ? Vie, p. 6. […] Quand les deux voyageurs
arrivèrent à destination (dans la ville de David), il n’y avait plus de place
pour eux (à l’hôtellerie). Force leur fut donc de chercher un abri ailleurs. Du
reste, cette hôtellerie, sorte de kan […] où se pressaient pêle-mêle bêtes de
somme et gens de toute provenance, n’était guère propre aux mystères qui
allaient s’accomplir.» Vie, p. 76.
[582] La Mission,
p. 24. Plus loin, Emile Neubert ajoute : «Et de ce fiat dépendaient l’Incarnation du Fils
de Dieu et sa condition d’apôtre, et l’apostolat des douze…» La Mission,
p. 184.
[583] Emile Neubert précise :
«Elle savait par Gabriel que l’enfant à qui elle devait donner le jour serait
le Messie, le Sauveur. "Tu l’appelleras Jésus : Yahveh sauve."
Elle savait aussi, en particulier par Isaïe et par David, que ce Messie serait
un "homme de douleur", "un ver et non un homme",
"l’opprobre des hommes et le rebut du peuple", "dont on
percerait les mains et les pieds" (Is 52,-53 ; Ps 21).
Mais elle voulait de toute la puissance de sa volonté la venue de ce Messie et
le salut du monde, et cela quoi qu’il dût lui en coûter. Et ainsi elle prononça
son fiat de l’élan le plus
apostolique qui ait jamais jailli d’un cœur humain.» Ibid., p. 184.
[584] Marie et notre
sacerdoce, p. 157.
[585] La Mission,
p. 24.
[586] Ibid., p.
25.
[587] LG 56.
[588] Emile Neubert
applique cette parole aussi à Marie : «Sa disposition constante depuis le
premier moment de son existence, à travers toute sa vie, c’était celle-même que
l’Epître aux Hébreux relève dans le Christ lors de son entrée dans ce
monde : "Voici que je viens, ô Dieu pour faire votre volonté."» Marie
et notre sacerdoce, p. 149.
[589] Ibid., pp.
149-150.
[590] Irenaeus, adv. Haer. op. cit., 3, 22, 4, PG 7, 959 A ; Harvey
2, 123.
[591] Ibid.
Harvey 2, 124.
[592] Epiphanius, Haer. 78, 18, PG 42, 728 CD – 729 AB.
[593] Hieronymus, Epist. 22, 21, PL
22, 408.
[594] Marie dans
l’Eglise anténicéenne, p. 240, note 1 : C. Tryph., 100, II,
358.
[595] Ibid., p.
242, note 2 : Adv. Haer. III, 21, 6, PG 7, 953 19,
3, PG 7, 941 ; 20, 3, PG 7, 944 ; 21, 1,PG 7, 946 ; IV, 30, 4,
PG 7, 1074.
[596] MC 32 :
«Etant donné le caractère ecclésial du culte rendu à la Vierge, ce culte
reflète les préoccupations de l'Eglise même : l'une d'elles, aujourd'hui
dominante, est le rétablissement de l'unité des chrétiens. Ainsi la dévotion
envers la Mère de Dieu devient réceptive aux soucis et aux visées du mouvement
œcuménique, c'est-à-dire qu'elle acquiert une empreinte œcuménique.»
[597] Marie dans
l’Eglise anténicéenne, p. 238.
[598] Ibid., p. 239. Cf. Ad trall., 9, PG 5, 681
et Ad Ephes., 7, PG 5, 649. Le prince de ce monde ne s’est pas aperçu de Marie
et de son enfantement, comme non plus de la mort du Seigneur, trois mystères
retentissants, qui ont été accomplis dans le silence de Dieu.
[599] Ibid., p. 240.
[600] Ibid., p. 241.
[601] Adv. Haer. III,
21, 6, PG 7, 953 ; Adv. Haer.
III, 9, 3, PG 7, 941 ; Adv. Haer. III, 20,
3 PG 7, 964 ; Adv. Haer. III, 21, 1, PG 7, 946 ; Adv. Haer.
IV, 3, 4, PG 7, 1074.
[602] Adv. Haer. V, 1,
3, PG 7, 1122 ; Adv. Haer. III, 19,
1, PG 7, 938 ; Adv. Haer. IV, 30, 4, PG 7, 1074
s. ; Adv. Haer. IV 30, 11, PG 7, 1080.
[603] Marie dans l’Eglise
anténicéenne, pp. 241-244. Emile Neubert cite Irénée : «Comme le
premier-né, Adam, a tiré sa substance d’une terre nouvelle et encore vierge,
Dieu n’y avait pas encore versé sa pluie, l’homme ne l’avait pas encore
travaillée,… ainsi en naissant de Marie qui était encore Vierge, le Verbe, qui
allait récapituler en lui Adam, a justement choisi la naissance d’Adam.» Adv.
Haer. III, 21, 10, PG 7, 954
s. ; cf. Adv. Haer. III, 18, 7, PG 7, 938.
[604] Marie dans
l’Eglise anténicéenne, p. 243.Cf. Marie dans l’Eglise
anténicéenne, p. 247. Emile Neubert reprend Irénée : «Et de même que le genre humain a été
attaché à la mort par une vierge, c’est par une Vierge qu’il est sauvé. Ainsi
les plateaux sont en équilibre : la désobéissance virginale est
contrebalancée par l’obéissance virginale ; le péché du premier-né est
réparé par le premier-né ; la prudence du serpent est vaincue par la
simplicité de la colombe, et les liens sont défaits qui nous enchaînaient à la
mort.» Adv. Haer. V,
19, 1, PG 7, 1175.
Dans une annotation
personnelle d’Emile Neubert lui-même, à la page 246 de sa thèse éditée en 1908
et qu’il dut conserver en privé pour la reprendre, on lit ceci qui reprend
Irénée, tout en corrigeant sa propre traduction : «Adam devait être récapitulé
dans le Christ, afin que ce qui était mortel fût absorbé par
l’immortalité ; et Eve devait être récapitulée en Marie, pour qu’une
vierge devînt l’avocate d’une vierge et défasse et enlève par l’obéissance
virginale, la désobéissance d’une vierge.»
[605] Joseph Tixeront, p. 261.
[606] Marie dans
l’Eglise anténicéenne, p. 247.
[607] Ibid., p.
252.
[608] LG 56.
[609] La mission,
pp. 191-192.
[610]
Dans son œuvre Marie dans le dogme, Emile Neubert précise les points
suivants : NATURE DU MEDIATEUR. - On appelle médiateur celui qui
s'interpose entre deux personnes en vue de les unir, qu'il s'agisse d'une
réconciliation à faire ou de faveurs à obtenir. Pour remplir sa fonction, le
médiateur doit être accepté des deux personnels à unir : plus il sera
proche d'elles, plus sa médiation sera facile.
Dans
l'ordre surnaturel, les deux personnes à rapprocher sont Dieu et I' homme que
le péché avait séparé de Dieu.
LE
CHRIST MEDIATEUR. - Jésus, en tant qu'homme, est médiateur parfait entre Dieu
et l'homme, étant hypostatiquement uni à Dieu et constitué par lui Chef
spirituel du genre humain.
[…]D'autre
fondement, nul ne peut poser que celui qui a été posé, Jésus-Christ. (1 Tm., 2, 5 ; I Co., 3, 11.)
MARIE.
MEDIATRICE - Ce fondement posé, les fidèles attribuent à Marie, à côté de
Jésus, une certaine fonction de médiation. Mère de Dieu et Mère des hommes,
elle aussi semble indiquée pour servir de lien entre Lui et eux. Mais sa
médiation, loin d'enlever quoi que ce soit à celle du Christ, en est au
contraire une conséquence et comme un épanouissement : elle s'exerce sous
le Christ et en union avec le Christ, de qui elle tire toute son efficacité.
DOUBLE
FONCTION DE MEDIATION. - L'office de notre grand médiateur est double :
c'est, d'abord, de mériter à tout le genre humain la grâce de la
réconciliation ; c'est ensuite d'appliquer cette grâce à chacune des
unités qui composent cette infinie collectivité ; en d'autres termes, de
nous donner la grâce de la réconciliation, premièrement en droit et
deuxièmement de fait. […]
Or
le sentiment chrétien associe Marie à son Fils dans ces deux fonctions. Comme
la médiation de Jésus, celle de Marie sera donc aussi double, s'exerçant dans
le mystère de la Rédemption et dans la distribution de la grâce. On aurait donc
tort de la réduire, comme font certains, à la coopération terrestre à la
mission de Jésus, ou, comme le veulent d'autres, à sa fonction céleste de
distributrice de la grâce. Ibid., pp. 123-125.
[611] Ibid., pp.
125-126.
[612] Ibid., p.
127.
[613] Ibid., p.
127.
[614]
Dans son ouvrage, Emile Neubert reprend l’argumentation patristique bien connue
par le parallélisme Eve-Marie. «Saint Paul, en exposant le plan de Dieu dans
notre rachat, avait expliqué comment la désobéissance du premier Adam nous
avait tous perdus, et comment l'obéissance du nouvel Adam nous sauva tous (Rm
5, 12-21). Mais à côté du premier Adam, il y avait Eve, qui avait été
l'instigatrice de la faute de son mari. A côté du nouvel Adam, ne devait-il pas
y avoir une nouvelle Eve, jouant un rôle analogue dans notre salut ?
De
fait, la pensée chrétienne tira cette conclusion de très bonne heure. Elle se
rendit compte du rôle de Marie dans la Rédemption et 1'affirma avec une netteté
à laquelle on ne se serait guère attendu à cette époque.[…] Mais c'est surtout
saint Irénée qui, […] «Comme Eve, écrit-il, fut, par sa désobéissance, pour
elle-même et pour tout le genre humain, une cause de mort, ainsi Marie fut, par
son obéissance, pour elle-même et pour tout le genre humain, une cause de
salut... Ce que la vierge Eve avait lie par son incrédulite, la Vierge Marie le
délia par sa foi... De même que le genre humain a été voué à la mort par une
vierge, c'est par une Vierge qu'il est sauvé.»
Ce
parallèle entre Eve et Marie sera reproduit par les principaux Pères... «La
mort par Eve, la vie par Marie » a écrit saint Jérôme […]
Cependant les Pères
ne songent guère à approfondir le rôle de Marie, nouvelle Eve. Ils s'occupent
davantage d'inviter les fidèles à s'adresser à elle pour en obtenir toutes les
grâces. La croyance en a la distribution de la grâce par Marie avancera plus
vite, on le verra, que la croyance en son rôle dans l'acquisition des faveurs
célestes. C'est qu'on s'intéresse plus à des questions pratiques, d'utilité
personnelle, qu'a leur explication doctrinale. Ce n'est donc guère que la
coopération indirecte de Marie à l'œuvre de la Rédemption qu'on contemple
pendant la période patristique. Marie dans le dogme 1954, pp. 128-129.
[615] Ibid., p.
131-132. p. 131-132. A cause de l’intérêt des passages d’Albert le Grand choisis par Emile
Neubert, nous les reproduisons en note : «Marie n'a pas été choisie par Dieu
comme ministre, mais comme associée et comme aide [...] La Bienheureuse Vierge
n'est pas vicaire (du Christ), mais coadjutrice et associée […] Participante du
règne, elle qui fut participante de la Passion pour le genre humain, quand,
tous les ministres et les disciples ayant pris la fuite, elle demeura seule
debout sous la Croix et reçut dans son cœur les blessures que le Christ reçut
dans son corps ; aussi est-ce alors, que le glaive traversa son âme (Mariale,
t. XXXVII, p. 81 B) […] Marie fut la seule à qui ce privilège fut donné, à
savoir la communication de la Passion [...] pour que, comme elle était aide de
la Rédemption par la compassion, ainsi elle devînt Mère de tous par la nouvelle
création ; et comme le monde entier a contracté une obligation envers Dieu
à cause de sa Passion, ainsi il a contracté une obligation envers Marie à cause
de sa compassion (Mariale, t. XXXVII, p. 81 B). […] Elle mit an monde
son Premier-Né sans douleur dans la naissance du Christ, ensuite elle mit au
monde tout le genre humain en même temps dans la Passion du Fils, où elle lui
fut "aide semblable à lui"(Ibid., t. XXXVII, p. 219 A).»
[616] Ibid., p.
137.
[617] Ibid., p.
139.
[618]
«Le Père des miséricordes a voulu que l'acceptation de la mère prédestinée
précédât l'Incarnation […] Ainsi Marie, fille d'Adam, acquiesçant au verbe de
Dieu, est devenue Mère de Jésus et embrassant de plein cœur , sans être
entravée par aucun péché, la volonté salvatrice de Dieu, elle s'est consacrée
totalement comme servante du Seigneur à la personne et à l'œuvre de son Fils,
toute au service du mystère de la Rédemption en dépendance de son Fils et en
union avec lui, par la grâce de Dieu Tout Puissant. C'est donc à juste titre
que les Saints Pères estiment que Marie ne fut pas un instrument purement passif
dans les mains de Dieu, mais qu'elle coopéra au salut de l'homme dans la
liberté de sa foi et de son obéissance. Ainsi Marie, fille d'Adam, acquiesçant
au verbe de Dieu, est devenue Mère de Jésus et, embrassant de plein cœur , sans
être entravée par aucun péché, la volonté salvatrice de Dieu, elle s'est
consacrée totalement comme servante du Seigneur à la personne et à l'œuvre de
son Fils, toute au service du mystère de la Rédemption en dépendance de son
Fils et en union avec lui, par la grâce de Dieu Tout Puissant. C'est donc à
juste titre que les saints Pères estiment que Marie ne fut pas un instrument
purement passif dans les mains de Dieu, mais qu'elle coopéra au salut de
l'homme dans la liberté de sa foi et de son obéissance.» LG 56.
[619] Marie dans le dogme
1954, p. 140.
[620] LG 57.
[621] Marie dans le
dogme 1954, p. 141.
[622] LG 58.
[623] Marie dans le
dogme 1954, pp. 141-142.
[624] LG 61.
[625] Marie dans le
dogme 1954, p. 143-144. Pour l’intérêt de cette argumentation nous
ajoutons le passage qui suit : «Cette opinion a été nettement formulée par
saint Albert le Grand, quand il établit que Marie fut choisie par Dieu, non
comme ministre, mais comme associée et comme aide, et qu'elle est participante
du règne du Christ, parce que participante de sa Passion pour le genre humain
que Marie fut la seule à qui fut donné le privilège de la communication à la
Passion ; que le monde entier a contracté une obligation envers Dieu à
cause de sa Passion et envers Marie à cause de sa compassion. […] Depuis le
XVIIe siècle, les auteurs affirment de plus en plus fréquemment que
Dieu appela sa Mère à souffrir avec son Fils sur le Calvaire pour lui permettre
de contribuer avec Lui à notre rachat. Cette idée paraît clairement dans les
textes cités des derniers Papes ; ils enseignent que c'est par Dieu que
Marie a été appelée à coopérer avec le Christ en Croix, et ils lui
reconnaissent une double fonction distincte : celle de la coopération avec
le Christ Rédempteur et celle de la distribution de toutes les grâces, et ils
donnent cette dernière clairement comme une conséquence de la première.»
[626] Théodore Koehler, Maria nella vita della
chiesa nes sec. XX dal 1914 fino al 1974 (Storia della mariologia – vol. V), Vercelli S.M., 1976.
[627] Bernard Bartmann, Christus ein Gegner des
Marien Kultus : Jesus und seine Mutter in den Heiligen Evengelien, Friburgo,
Herder, 1909.
[628] F. H. Schuth, Mediatrix,
eine mariologische Frage, Innsbruck, 1925.
[629] LG 62.
[630] Marie dans le dogme 1954, pp.
144-145.
[631] Ibid., p. 145.
[632] Ibid., pp.
145-146.
[633] Cf. ST III, q. 46, I, 3, in ibid.,
p. 146.
[634] Ibid., pp. 144-148.
[635] Ibid., p.
149.
[636] Notre don 1954, p. 197.
[637] Emile Neubert
poursuit : «Pour intercéder en leur faveur, elle se contente de regarder
Dieu, et son regard parle mieux que ne le ferait aucun plaidoyer. Même ici-bas,
entre amis, les yeux sont infiniment plus éloquents que les lèvres. N’en
sera-t-il pas de même au ciel ? La mère regarde son Fils d’un sourire de
confiante supplication, et à son regard, son fils répond par un sourire
d’amoureux acquiescement.» Ibid., p. 159.
[638] Ibid., p.
161.
[639] Marie dans le
dogme 1954, p. 163.
[640] Ibid., p.
164.
[641] Ibid., p.
165.
[642] Ibid., p.
171.
[643] Ibid., p.
176.
[644] Ibid., p. 181.
[645] Emile Neubert
commente : «[…] car, par cette irrésistible attirance maternelle qu’elle
exerce sur tout homme qui la contemple dans la simplicité de son cœur , elle
s’empare de l’âme pour l’emmener infailliblement au Christ. L’expérience le
montre : ceux-là s’approchent de plus près, et avec le plus de confiance
et d’amour, de leur unique Médiateur, qui vont à lui conduits par la main de
l’universelle Médiatrice ; ceux qui, pour chercher le Christ, prennent la
voie que lui-même a prise pour nous chercher, la voie immaculée de Marie. Parce
que Marie est Médiatrice, Jésus est plus efficacement Médiateur.» Ibid., p. 182.
[646] 2P 1,4.
[647] Ga 2,20.
[648] Phi, 1,21.
[649] Marie dans le
dogme 1954, p. 85.
[650] Vie, pp. 182-183.
[651] Collectif, Traduction œcuménique de
la Bible, Cerf, Paris, 1972, n° h, note du verset 25 en Saint Jean, p. 346.
[652] Bernard Gillard, Marie…que dit de
toi l’Ecriture, Salvator, Mulhouse, 1980, pp. 52-53.
[653] Marie dans le
dogme 1954, pp. 90-91.
[654] Ibid., p.
90.
[655] Ibid., p.
91.
[656] Emile Neuber
précise : «L’idée existe avant le mot. La remarque présente une importance
spéciale au sujet de la maternité spirituelle de Marie. Il ne faudrait pas
croire qu’on n’y a cru qu’à partir du moment où le nom de Mère a été donné à la
Vierge dans ses relations avec les hommes. Quelle est l’idée exprimée par le
mot «mère» ? Celle d’une femme qui donne la vie à un être humain. Nous
avons donc à chercher, non pas seulement quand les chrétiens se sont avisés
d’appeler Marie leur Mère, mais quand ils ont commencé à s’apercevoir qu’elle
leur avait, de quelque façon, donné la vie surnaturelle.» Ibid., pp.
85-86.
[657]. Emile Neubert
commente : «Il est un autre texte de saint Irénée qui contient une
affirmation plus explicite de la maternité spirituelle de Marie, avec déjà,
sinon le mot "mère", du moins un mot équivalent. Il écrit, en
effet : "Ceux qui le proclamaient l'Emmanuel [né] de la Vierge (ex
Virgine Emmanuel) manifestaient l'union du Verbe de Dieu avec sa création car
le Verbe sera chair, et le Fils de Dieu, Fils de l'homme (pur ouvrant purement
le sein pur, le sein qui fait renaître les hommes en Dieu, que lui-même
a fait pur), et devenu ce que nous sommes, il est le Dieu fort et a une
génération inénarrable." (Adv. Haer., IV, 33,
PG 7, 1080.) Le sein de Marie donne donc une nouvelle naissance aux hommes.
L'affirmation est d'autant plus claire que, dans la pensée d'Irénée, notre
nouvelle naissance a déjà commencé dans l'Incarnation. "Dans les derniers
temps, le Seigneur nous a rétablis dans son amitié par son Incarnation." (Adv. Haer., V, 23, 2, P.G. 7, 1850.)
Ce texte, à lui seul
ne dit pas si le rôle de Marie dans notre nouvelle naissance s'est réduit à cet
acte purement physique. Mais d'autres textes de l'évêque de Lyon nous montrent
la Vierge comme réparant la faute d'Eve, nous sauvant par sa foi et son
obéissance. Elle a donc joué un rôle conscient, libre et méritoire dans notre
nouvelle naissance et est vraiment notre Mère surnaturelle.» Ibid., pp.
92-93
[658]
Emile Neubert commente en note : «Dans ce sein pur qui donne une nouvelle
naissance aux hommes, on a voulu ne voir que l'Eglise, qui, par le baptême et
la profession de foi qui l'accompagne, nous fait naître a la nouvelle vie (Hugo Rahner, Die Gottesgeburt, Zeitschrift
für Katholische Theologie, 1935, pp. 344 ss., et ses disciples). Mais si on
compare ce texte avec un autre texte situé deux pages plus haut dans le même
chapitre, on voit clairement qu'il est directement question du sein de Marie.
Ce premier texte parle des Ebionites qui ne peuvent être sauvés parce qu'ils ne
croient pas à la nouvelle naissance qui est celle par la Vierge
(l'Incarnation). Or, toutes les parties du second texte correspondent à celles
du premier texte, et en particulier le sein qui fait naître les hommes en Dieu
correspond à la naissance par la Vierge. Surtout si on se rappelle le rôle
qu'Irénée assigne à l'Incarnation du Verbe dans le sein de la Vierge Marie, par
rapport à notre nouvelle naissance, on ne peut douter que l'auteur a bien Marie
en vue en parlant du sein qui fait renaître les hommes en Dieu.
Ce qu'on peut
accorder comme vraisemblable, étant donne qu'Irénée emploie souvent les
expressions "nouvelle naissance", "faire renaître", à
propos du baptême et de la profession de foi, c'est que cette naissance
nouvelle dans le sein de la Vierge Marie l'a fait songer à notre naissance dans
1'Eglise. L'idée de 1'Eglise vierge-mère, de Marie, figure de 1'Eglise, était
familière aux chrétiens des premiers siècles.» Adv.
Haeres., IV, 33, PG 7, 1080. Note citée in Marie dans
le Dogme 1954, p. 92.
[659] Ibid., p. 93.
Emile Neubert commente : «Dans son commentaire de l'Evangile selon saint
Jean, il écrit, en effet : Voici le premier des Evangiles, l'Evangile
livré par Jean. Nul homme ne comprend cet Evangile, s'il n'a reposé sur la
poitrine de Jésus ou n'a reçu de Jésus Marie qui doit aussi devenir sa Mère. Il
est nécessaire que celui qui doit devenir un autre Jésus soit si grand que
Jésus ait montré de lui aussi qu'il est Jésus. Car il n'y a pas d'autre Fils de
Marie que Jésus, et Jésus dit a sa Mère : "Voici ton fils", et
non "Voici que celui-ci est aussi ton fils." En effet, tout chrétien
parfait ne vit plus lui-même, c'est le Christ qui vit en lui. Et puisque le
Christ vit en lui, Marie s'entend dire "Voici ton fils, le Christ" PG
14, 32 AB.»
[660] Ibid., p. 94.
Emile Neubert précise : «C'est chez Epiphane, évêque de Salamine, un saint
qui professait une grande admiration et vénération pour la Mère de Jésus. Il se
demande comment Eve a pu être appelée "Mère des vivants" après son
péché. Et il explique : Eve, Mère de tout le genre humain, préfigurait
Marie et ce nom doit proprement s'appliquer à celle-ci car c'est vraiment par
Marie que la vie a été engendrée pour ce monde, pour qu'elle engendre le Vivant
et soit la Mère des vivants.» Adv. Haer., 78, 18, PG 42, 728.
[661] Emile Neubert
ajoute : «Au Ve siècle, nous rencontrons un texte souvent cité
de saint Augustin sur Marie, Mère du Christ et notre Mère. Dans le De sancta
virginitate (C. 5 et 6 : PL 60, 398), il explique : "Marie
seule, entre les femmes, est Mère et vierge, non seulement selon l'esprit, mais
encore selon la chair. Selon l'esprit, elle n'est pas Mère de notre Chef, le
Sauveur Jésus, dont elle est plutôt née spirituellement... mais elle est Mère
de ses membres que nous sommes. Car elle a coopéré par sa charité à la
naissance des fidèles dans l'Eglise, [des fidèles] membres de ce Chef. Suivant
le corps, c'est du Chef même qu'elle est Mère."
Le texte semble on ne
peut plus clair. Mais le contexte montre qu'Augustin reconnaît la même
maternité spirituelle à toutes les vierges chrétiennes qui, "par leur
charité féconde, enfantent les membres du Christ". Il répond, en effet, à
l'objection que les mères l'emportent sur les vierges consacrées par leur
fécondité, et il prouve qu'aux vierges aussi appartient une vraie fécondité,
une fécondité spirituelle. Il ne parle donc pas ici de cette maternité à part
que nous reconnaissons à Marie, à cause de sa coopération aux mystères de
l'Incarnation et de la Rédemption. Il est vrai qu'il ne l'exclut pas non plus,
et sans doute que, si les circonstances l'avaient amené à expliquer cette
charité de Marie, il aurait parlé de sa coopération unique à l'œuvre de son
Fils. Toujours est-il que, si une maternité spirituelle à part en Marie est
dans la logique de la pensée d'Augustin, elle n'est pas exprimée dans ses
paroles.» Ibid., pp.
94-95.
[662] Ibid., p.
96.
[663] Emile Neubert
commente : «Rupert de Deutz, mort vingt ans après Anselme, fait un pas de
plus dans l'intelligence de ce mystère, et un pas décisif. Il le rattache à la
coopération de Marie, non seulement à l'Incarnation, mais aussi à la
Rédemption. A propos de la scène du Calvaire, il dit qu'en ce moment la Vierge
souffrait de vraies douleurs d'enfantement. Puis, rapportant la parole de Jésus
à Marie et à Jean, il demande "De quel droit Jean est-il le fils de la
Mère du Seigneur, et elle sa Mère ?" Il répond que, si dans
l'Incarnation, Marie a enfanté son Fils sans douleur, maintenant, à côté de la
Croix, elle souffre de grandes douleurs d'enfantement. "Elle est vraiment
femme, elle est vraiment Mère, elle endure à cette heure les vraies douleurs de
son enfantement [...] Son heure est venue en vue de laquelle [...] Dieu s'est
fait homme dans son sein. En conséquence, puisque la bienheureuse Vierge a
vraiment, au milieu des douleurs de l'enfantement, mis au monde le salut de
nous tous, elle est évidemment la Mère de nous tous." PL 419, 789-790.
L'Abbé
Rupert est le premier auteur connu qui ait interprété la scène rapportée par
Jean dans le sens d'une maternité universelle. Le comment de la maternité
spirituelle de Marie au Calvaire, il ne le marque pas très clairement.» Ibid.,
pp. 98-99.
[664] Emile Neubert poursuit :
«Albert le Grand est plus explicite. D'après lui, Marie nous a mérité notre vie
surnaturelle avec le Christ et en subordination au Christ. Il enseigne
clairement comment Marie devint, par sa coopération à la Rédemption, la Mère de
tous les hommes. "Au temps de la Passion, écrit-il, quand la Mère de
miséricorde assista le Père des miséricordes dans une opération de suprême
miséricorde, et endura avec lui les douleurs de la Passion (car le glaive perça
son âme), et participante de la Passion, elle devint coopératrice de la
Rédemption et Mère de la nouvelle naissance ; c'est pourquoi à cette
heure, à cause de la fécondité spirituelle qui la fit la Mère spirituelle de
tout le genre humain, elle fut a juste titre appelée "femme" ; ce
n'est pas sans un enfantement douloureux qu'elle nous a tous appelés et
ré-enfantés à la vie éternelle dans le Fils et par le Fils." Mariale,
q. 29, par. 3, t. 37, 62 AB.» Ibid., pp. 99-100
[665] Emile Neubert
précise : Au début du XIXe siècle, un autre grand serviteur de
Marie, le P. G.-J. Chaminade, crut devoir insister davantage encore sur les
fondements de la maternité spirituelle de Marie. […] D'où la nécessité, pour le
P. Chaminade, de bien faire comprendre à ses disciples comment, dans le Christ,
ils étaient vraiment enfants de Marie. II creusa, en conséquence, la doctrine
de la maternité spirituelle de la Vierge, et l'exposa avec une clarté, une
ampleur et une force de conviction avec lesquelles on n'avait jamais, ce
semble, traité la question avant lui. Les précisions doctrinales que nous
allons donner sur la maternité spirituelle de Marie, on les trouve déjà presque
toutes chez lui dans ses écrits. Ibid., pp. 101-102.
[666] Emile Neubert
souligne : «Pie X, dans l'encyclique Ad diem illum (2 février
1904), publiée à 1'occasion du jubilé de 1'Immaculée Conception, a non
seulement affirmé devant l'univers la doctrine de la maternité spirituelle de
Marie, mais en a fourni en même temps un exposé qui, sans prétendre être
complet ni traiter la question ex professo, est, dans sa concision, d’une force
remarquable. Nous le reproduisons ici. […] «Marie n'est-elle pas Mère de
Dieu ? demande le Pape, et il conclut elle est donc aussi notre Mère.
[…] Or, la Vierge n'a
pas seulement conçu le Fils de Dieu afin que, recevant d'elle la nature humaine,
il devînt homme, mais encore afin qu'il devînt, moyennant cette nature reçue
d'elle, le Sauveur des hommes. Ce qui explique la parole des anges aux
bergers : Un Sauveur vous est né, qui est le Christ, le Seigneur (Lc
2, 2).
«Aussi, dans le
chaste sein même de la Vierge, où Jésus a pris une chair mortelle, il s'est
adjoint un corps spirituel, formé de tous ceux qui devaient croire en
lui : et 1'on peut dire que, tenant Jésus dans son sein, Marie y portait
encore tous ceux dont la vie du Sauveur renfermait la vie. «Nous tous donc qui,
unis au Christ, sommes, comme parle l'Apôtre, les membres de son corps issu de
sa chair et de ses os (Ep 5, 3), nous devons nous dire originaires du
sein de la Vierge, d'où nous sortîmes un jour a l'instar d'un corps attaché a
sa tête.
C'est pour cela que
nous sommes appelés, en un sens spirituel à la vérité et toute mystique, les
fils de Marie, et qu'elle est, de son côté, notre Mère à tous, Mère selon
l'esprit, Mère véritable néanmoins des membres de Jésus-Christ, que nous sommes
nous-mêmes.» […] Et dans 1'encyclique Lux veritatis, dans laquelle Pie
XI rend compte de l'immense portée du Concile d'Ephèse, il réaffirme la
maternité de Marie par rapport aux hommes et en indique le fondement. «Ce qui
est pour nous, dit-il, la cause d'une joie, d'une douceur toute particulière,
c'est que la Mère de Dieu, par le fait qu'elle a enfanté le Rédempteur du genre
humain, est aussi, en un certain sens, la très bénigne Mère de nous tous que le
Christ Notre-Seigneur a voulu avoir comme frères (Act. AV. Sed., XXIII, p.
514.)
Enfin, dans
1'épilogue de l'encyclique sur le Corps Mystique du Christ, le Pape Pie XII
rappelle que, par sa coopération à la Passion, « celle qui corporellement
était la Mère de notre Chef, était devenue spirituellement la Mère de tous ses
membres par un nouveau titre de souffrance et de gloire. (Ibid., XXXV, pp. 247 ss.)"» Marie dans le dogme, pp. 102-105.
[667] Ibid., p.
106.
[668] Ibid.
[669] Ibid., p.
107.
[670] Ibid., p.
108.
[671] Ibid., p.
109.
[672] Ibid., p.
110. Emile
Neubert ajoute : «La coopération de Marie à la Rédemption fut non moins
consciente et réelle que sa coopération à l'Incarnation. Par suite, de même que
notre régénération spirituelle, inaugurée dans le mystère de l’Incarnation,
reçut son achèvement dans celui de la Rédemption, ainsi la maternité
spirituelle de Marie, qui commença dans le premier mystère, se compléta dans le
second à Nazareth, Marie nous conçut ; au Calvaire, elle nous enfanta. Et
celle qui, toujours vierge, ne connut que la joie Bans la naissance de son
Premier-né, endura les angoisses les plus mortelles dans l’enfantement de ses
autres enfants.»
Nous avons vu que,
depuis l'Abbé Rupert et surtout Albert le Grand, c'est sur la corédemption de
Marie que les auteurs se fondent de préférence, comme sur sa base immédiate, la
maternité spirituelle. Les témoignages des papes Léon XIII et Pie XII cités
plus haut corroborent cette vue.
[673] Ibid.
[674] Ibid.,
pp. 111-112.
[675] Ibid.
[676] Ibid., p.
119.
[677] Ibid., p.
119-120.
[678] Ibid., p.
121.
[679] Ibid., p.
81.
[680] Ibid., p.
83.
[681] Ibid., pp.
83-85.
[682] Marie dans
l’Eglise anténicéenne, p. 257. Emile Neubert cite Origène, puis
Eusèbe : «"Origène nous apprend en effet qu’on montrait à Bethléem la
grotte où Jésus était né, et dans la grotte, la crèche où il fut placé, entouré
de langes." Origene, c. Cels., I, 51 ; I, 102. "Et Eusèbe raconte que
le lieu de la naissance humaine du Sauveur était renommé, et que, pour cette
raison, la très pieuse impératrice l’enrichit de monuments remarquables et orna
magnifiquement la grotte sacrée de l’enfantement de la Mère de Dieu qui s’y
trouvait." Eusebe, Vie de
Constantin, III, 41 ; p. 95. Or on sait que les églises bâties sous
Constantin s’élevaient en général au dessus des lieux qui avaient été
précédemment l’objet d’un culte.
[683]Emile Neubert
ajoute : «L’homélie de Grégoire le Thaumaturge sur la Nativité du Christ
le montre déjà clairement ; dans la période suivante, les livres de saint
Ephrem et des premières fêtes de la Vierge le prouveraient à l’évidence.» Ibid., p. 258.
[684] Ibid.
[685] Un article paraît en
1919 dans la revue Marianiste de cette époque : E. Neubert «Mary in the Paintings of the Roman Catacombs», in L'Apôtre
de Marie, Nivelles, 1919, 2, 1.
[686] Marie dans
l’Eglise anténicéenne, p. 260-261. Emile Neubert retient le
sermon sur la naissance du Christ, mais fait un travail critique sur
l’authenticité d’une autre œuvre. «L’homélie sur La sainte Mère de Dieu
toujours Vierge, publiée par Conybeare dans l’Expositor, 1896, p.
161, attribuée à Grégoire par Conybeare et regardée par Bardenhewer comme pouvant
être authentique (Gesch. Der Altchr. Lit., II, 285) n’est certainement
pas de Grégoire. Ce ne sont pas ses pensées ni son style.»
[687] Ibid., pp.
265-266.
[688] Marie dans le
dogme 1954, p. 12.
[689] La dévotion,
p. 46.
[690] Ibid., p. 48.
[691] Notre Mère,
pp. 80-81.
[692] Raymond Halter, Le disciple la prit
chez lui - La consécration à Marie, De Guibert, Paris, 1992.
[693] Emile Neubert
ajoute : «Si c’est l’amour filial qui a provoqué cette consécration, à son
tour il en reçoit un singulier accroissement. C’est que l’amour s’intensifie
par les dons qu’il fait ; et quand ces dons comprennent toutes les
possessions du donateur, et jusqu’à sa vie, quelle perfection n’atteindra-t-il
pas ?» La doctrine, pp. 44-45.
[694] Nous sommes au
milieu du XXe siècle. Dans l’esprit de cette époque, un ouvrage de
René Laurentin est paru sur Marie, l’Eglise et le sacerdoce, 1953, fruit
de son travail de thèse de doctorat.
[695] Théodore Koehler, Maria nella vita della
chiesa nel sec. XX dal 1914 fino al 1974 (Storia della mariologia – vol. V), Vercelli S.M., 1976,
pp. 200-201.
[696] «L’œuvre de l’Abbé
Laurentin est l’une des plus solides et fondamentales publiée en cette ère
mariale : une vraie pierre précieuse dans l’histoire de la mariologie». Gabriel Maria Roschini, in Marianum 17, 1955, p.281 (recension de la
thèse de René Laurentin).
[697] Marie et notre
sacerdoce, p. 112.
[698] Vie, p. 53.
Emile Neubert poursuit : «Joie de Marie infiniment plus douce de constater
comment, par sa présence, par le son de sa voix, elle aidait son Fils à
purifier et à sacrer le plus grand des prophètes.»
[699] Marie dans le
dogme 1954, p. 188.
[700] Ibid.,
pp. 189-193.
[701] Ibid., p.
191.
[702] Ibid.
[703] Ibid., p.
195.
[704] Ibid., p.
196.
[705] Ibid., p.
197
[706] Ibid., p.
197.
[707] Ibid., p.
198.
[708] Emile Neubert
ajoute : «A côté de l’Agneau immolé, Marie reste son Associée dans
l’immolation pendant toute l’éternité. Le prêtre doit renouveler le sacrifice
eucharistique tous les jours, et ce sacrifice prendra fin à la fin des temps.»
Ibid., p. 199.
[709] Mariale, q.
42, t. 37, 81 B, cité in Marie dans le dogme 1954, p. 200.
[710] Emile Neubert
commente : «La femme est appelée à cultiver, parfois à créer dans l’homme
le sens de la délicatesse, de la douceur, de la mesure, du dévouement. Cela est
vrai ; mais ce que fait pour l’homme marié celle qui partage son
existence, sa Mère céleste le fait, mais d’une manière immensément plus
parfaite et plus efficace, pour le prêtre qui vit dans l’union constante avec
elle. Elle lui communique ce sens de la délicatesse, du tact, de la compassion,
de l’oubli de soi, du sacrifice total, que seule une mère, la plus parfaite des
mères, peut donner.» Marie et notre sacerdoce, p. 146-147.
[711] Mais la dimension
d’amour sponsal de l’Eglise n’apparaît pas, comme n’apparaît pas non plus la
dimension d’amour sponsal de la vocation du prêtre. La réflexion de notre
auteur est en fait insérée dans un chapitre entier consacré à la pureté
sacerdotale (soulevant la question de la chasteté dans le célibat). Il renvoie
le prêtre aux exigences liées à son état : exprimées en termes de
modestie, défiance de soi face à sa nature corrompue et face à la recherche de
consolation venant des «femmes malheureuses».
[712] Emile Neubert
continue de citer Clément d’Alexandrie qui poursuit : «De lait, cette mère
seule n’en eut pas, parce que seule elle ne devint pas femme, étant à la fois
vierge et mère, intacte comme vierge, aimante comme mère ; elle appelle à
elle ses petits enfants et les nourrit d’un lait saint, du Verbe fait petit
enfant. Paed., 6 ; I, p. 115.» Marie dans l’Eglise
anténicéenne, p. 228.
[713] Marie dans le
dogme 1954, p. 225.
[714]
Jean-Paul II déclare : «Mon vénéré prédécesseur Pie XII, dans l'Encyclique
Ad coeli Reginam à laquelle se réfère le texte de la Constitution Lumen
Gentium, indique comme fondement de la royauté de Marie, outre sa
maternité, sa coopération à l'œuvre de la Rédemption. L'encyclique rappelle le
texte liturgique "Sainte Marie, Reine du Ciel et Souveraine du monde, se
tenait debout, dans la douleur, près de la Croix de notre Seigneur
Jésus-Christ" (AAS 46 [1954] 634). Elle établit ensuite une analogie
entre Marie et le Christ, qui nous aide à comprendre la signification de la
royauté de la Vierge. Le Christ est roi non seulement en tant que Fils de Dieu,
mais aussi en tant que Rédempteur. Marie est reine non seulement parce qu'elle
est Mère de Dieu, mais aussi parce que, associée comme nouvelle Eve au nouvel
Adam, elle coopéra à l'œuvre de la Rédemption du genre humain (AAS 46
[1954] 635).
Dans
l'Evangile de Marc, nous lisons qu'au jour de l'Ascension le Seigneur Jésus
"fut enlevé au Ciel et s'assit à la droite de Dieu" (Mc 16,
19). Dans le langage biblique, "siéger à la droite de Dieu" signifie
en partager le pouvoir souverain. En siégeant "à la droite du Père",
il instaure son Règne, le Règne de Dieu. Elevée au Ciel, Marie est associée au
pouvoir de son Fils et se consacre à l'extension du Royaume, participant à la
diffusion de la grâce divine dans le monde.
Si
nous regardons l'analogie qui existe entre l'Ascension du Christ et
l'Assomption de Marie, nous pouvons conclure que, en dépendance du Christ,
Marie est la reine qui possède et exerce sur l'univers une souveraineté qui lui
a été donnée par son Fils lui-même. Le titre de Reine ne remplace certes pas
celui de Mère, sa royauté demeure un corollaire de sa mission maternelle
particulière et exprime simplement le pouvoir qui lui a été conféré pour
accomplir une telle mission.
En citant la Bulle Ineffabilis Deus de
Pie IX, le Souverain Pontife Pie XII met en évidence cette dimension maternelle
de la royauté de la Vierge "Ayant pour nous une affection maternelle et
assumant les intérêts de notre salut, elle étend sa sollicitude à tout le genre
humain. Etablie par le Seigneur Reine du Ciel et de la terre, élevée au-dessus
de tous les choeurs des anges et de toute la hiérarchie céleste des saints, siégeant
à la droite de son Fils unique, notre Seigneur Jésus-Christ, elle obtient
audience par la puissance de ses supplications maternelles, elle reçoit tout ce
qu'elle demande et n'éprouve jamais de refus." (AAS 46 [1954] 636-637).»
[715]
Marie dans le dogme 1954, p. 232.
[716] Ibid.
[717] Ibid., p.
234.
[718] Emile Neubert a
rencontré Frank Duff, ce pieux laïc de Dublin et échangé avec lui toute une
correspondance pour l’encourager dans cette mission. A plusieurs reprises il
mentionne la légion de Marie comme un exemple phare de la mise en œuvre de la
mission de Marie dans le monde.
[719] Marie dans le
dogme 1954, p. 236.
[720] Emile Neubert
poursuit : «Reine de l’Eglise triomphante et de l’Eglise militante, Marie
l’est aussi de l’Eglise souffrante. Aux âmes qui expient dans le Purgatoire,
ses enfants, elle apporte consolation, soulagement, délivrance. Directement, en
particulier sans doute à l’occasion des fêtes. Indirectement aussi, en
suggérant aux fidèles sur terre de leur venir en aide par leurs prières, leurs
sacrifices, et l’oblation du saint Sacrifice ; à certains d’entre eux, aux
plus généreux, de lui abandonner tous leurs mérites expiatoires en faveur de
ces pauvres prisonniers ; à plusieurs d’entrer dans des associations
fondées pour leur soulagement. Ibid., pp. 237-238.
Quant au démon, Dieu
l’a constitué leur grand adversaire dès le paradis terrestre, en annonçant à
Satan […] que la femme lui écraserait la tête. L’orgueil de Satan […] semble
redouter tout particulièrement la présence de l’humble Fille de Nazareth que Dieu
a élevée au dessus des esprits les plus sublimes, parce qu’elle a reconnu son
néant et a prononcé en toute simplicité son ecce, fiat !»
[721] Ibid., p. 238.
[722] Notre don, p.
180.
[723] Archives Générales
Marianistes (AGMAR), RSM 113.
[724] Marie dans le
dogme 1954, p. 201.
[725]
Emile Neubert précise : «L'Evangile nous raconte comment, parmi ses
disciples, Notre-Seigneur en choisit douze, qu'il appela apôtres, c'est-à-dire
envoyés (Mc 3, 4-5 ; Mt 10, 1-2). Ces Douze devaient l'aider
dans la mission en vue de laquelle lui-même avait été envoyé dans le
monde : "Comme mon père m'a envoyé, leur dit-il, ainsi je vous envoie
(Jn 20, 21)." Tout pouvoir m'a été donne au ciel et sur la terre.
Allez donc, enseignez toute les nations, les baptisant au nom du Père et du
Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant a pratiquer tout ce que je vous ai
commandé. Et voici que je suis avec vous toujours jusqu'à la consommation des
siècles» (Mt 28, 16-20).
La
mission de tout apôtre est donc, comme celle du Christ, d'arracher les âmes à
Satan, de les sanctifier et de les sauver. L'idée d'un apôtre comprend donc
deux éléments I° Etre envoyé par le Christ ; 2° Au nom et avec le pouvoir
du Christ, travailler à convertir et à sanctifier les hommes.» Ibid.,
pp. 201-220
[726] Emile Neubert
commente : «Du point de vue de l'activité apostolique directe, qui
consiste à faire vivre l'âme de la vie du Christ, et non du point de vue du
sacerdoce ou du gouvernement, qui ne sont que des moyens - pas toujours
efficaces - en vue de cette action apostolique.» Ibid., note 2, p. 202.
[727] Emile Neubert
ajoute : «Par la mission apostolique de Marie, on entend la fonction
confiée a Marie par son Fils de l’aider jusqu’à la fin des siècles à libérer de
l’esclavage du démon, à sanctifier et à sauver toutes les âmes qui viennent en
ce monde.
On verra que cette
mission de Marie est une mission apostolique unique. Elle différera de celle de
tous les autres apôtres d'abord par son universalité. L'action de n'importe
quel autre apôtre est limitée quant à l'espace et quant au temps : celle
de Marie s'étendra à tous les temps et a tous les lieux ; elle sera
universelle comme celle du Christ. Elle en différera tout autant par son rang : ce sera une mission de chef ;
la leur est une mission de subordonnés.» Ibid., p. 203.
[728] Emile Neubert ajoute :
«On s'attendra donc naturellement à la voir aussi appelée à une grande, une
universelle, une unique mission apostolique. De fait, l'Ecriture attribue à
Marie une activité auprès des âmes qui se présente sous la forme d'un
apostolat. Dès ses toutes premières pages, l'Ecriture contient une prophétie
claire de cette mission de la Vierge, dans la malédiction proférée par Dieu
contre Satan : "Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre
ta race et sa race ; elle te meurtrira la tête et tu la meurtriras au
talon." (Gn 3, 15) Si ce texte a pu être invoqué à juste titre
comme preuve de l'Immaculée Conception, il établit tout aussi clairement le
rôle victorieux de Marie en général. L'Immaculée Conception n'est qu'un moment,
solennel entre tous, de sa lutte contre le Serpent. Cette lutte elle-même n'est
pas prédite comme devant se réduire à un moment. Au contraire, il s'agit d'une
inimitié, donc d'un état durable, et cette inimitié s'étend de la Femme et du
serpent à la postérité de l'une et de l'autre. Du reste, la dernière partie de
la prophétie, «tu la meurtriras au talon»,
ne s'est pas réalisée dans l'Immaculée Conception, mais plus tard, dans la
Passion du Christ et dans les défaites partielles de l'Eglise.» Ibid.,
pp. 202-203.
[729] Vu le caractère synthétique
de ce texte, nous le reproduisons intégralement : «Ce que l'Ancien
Testament nous avait fait pressentir sous son imagerie orientale, le Nouveau en
laisse entrevoir la réalisation. Il nous raconte comment Marie posa librement
et consciemment un acte apostolique à portée infinie, un acte d’où allait
découler tout l'apostolat futur et qui nous donna l'Apôtre par essence,
Jésus-Christ. II nous fait voir ou deviner l'action de Marie auprès des
principaux d'entre ceux qui allaient participer à l'apostolat de Jésus. C'est
par la visite de Marie que fut sanctifié et oint du Saint-Esprit le plus grand
des prophètes, celui qui devait marcher devant le Seigneur pour lui préparer
les voies. C'est près de Marie que les bergers de Bethléem devinrent les premiers
apôtres du Messie auprès des Juifs ; et les mages, auprès des Gentils.
C'est en recevant le Divin Enfant des bras de Marie que les prophètes du
Temple, Siméon et Anne, proclamèrent devant les âmes pieuses de Jérusalem
l'apparition du Christ tant attendu ; c'est le miracle obtenu par Marie à
Cana qui confirma la foi des cinq premiers apôtres. C'est à Marie que Jésus
mourant confia celui qui représentait les douze apôtres et les apôtres de tous
les temps ; enfin, c'est après leur retraite faite en union avec Marie que
les Douze reçurent le Saint-Esprit qui consommait leur formation apostolique et
les envoyait dans l'univers, puissants en paroles et en œuvres.» Ibid., p.
205.
[730] Les chrétiens des
premiers siècles gardèrent le sentiment de la mission de Marie dans l'Eglise,
comme l'atteste, par exemple, le récit de Grégoire de Nysse dans lequel le
saint raconte l'apparition de la Vierge à saint Grégoire le Thaumaturge, pour
lui faire donner, par saint Jean, le symbole de la foi orthodoxe. Cf. PG 57, p.
992.
[731]
A cause de la beauté de cette méditation nous la reproduisons
partiellement : «Honneur et gloire a toi, ô sainte Trinité, qui nous as
conviés à cette fête ! Honneur à toi aussi, sainte Mère de Dieu ! […]
Par toi la Trinité est vénérée, par toi la croix précieuse est célébrée et
adorée dans l'univers entier. Par toi le ciel exulte, les anges et les
archanges se réjouissent, les démons sont mis en fuite et l'homme lui-même est
rappelé au ciel. Par toi toute créature, plongée dans les ténèbres de
l'idolâtrie, est amenée à la connaissance de la vérité, les croyants sont
arrivés au saint baptême et dans tout l'univers se sont élevées des églises.
Par ton aide, les nations viennent à la pénitence. Quoi encore ? Par toi
le Fils de Dieu unique, lumière véritable, a brillé devant ceux qui sont assis
dans les ténèbres et à l'ombre de la mort. Par toi les prophètes ont prédit,
les apôtres ont prêché le salut aux peuples. Qui pourra énumérer toutes tes
grandeurs, ô Marie, Mère et Vierge.» PG 67, 992, cité in Marie dans le Dogme1954, pp.
206-207.
[732] Ce texte ayant été
repris par saint Bernard et d’autres auteurs, il vaut la peine d’en recevoir la
présentation par Emile Neubert : «Dans ce panégyrique, le grand défenseur
de la Maternité divine mêle les merveilles accomplies par Marie pendant la vie
du Rédempteur et celles qu'elle opère depuis sa mort. C'est qu’en fait, ces
merveilles sortent de la même source : la coopération de Marie à notre
Rédemption. Les Pères et les écrivains ecclésiastiques des siècles suivants
donnent à Marie les titres les plus variés et les plus curieux, plusieurs
intraduisibles dans leur concision énergique, pour exalter l'universalité et la
toute-puissance de son action en faveur des âmes. Ils l'appellent la terreur
des démons, la destructrice de l'enfer, notre bouclier de défense, la
protection du monde, la force du peuple chrétien, notre unique remède, la
guérison de la misère humaine, notre ancre, notre asile, notre avocate, la
patronne des pécheurs, le retour des égarés, la solution de toutes les questions.»
Marie dans le dogme 1954, p. 207.
[733]
Ibid., pp. 208-209. Sensible à la piété populaire Emile Neubert va
jusqu’àu bout de son analyse par cette réflexion qui n’a pas perdu de son
actualité si nous considérons l’appel des papes Paul VI, Jean-Paul II et Benoît
XVI à réciter le Rosaire : «C'est du reste un fait facile à constater que
les milieux où la dévotion à Marie est en honneur, par exemple par la fidélité
à réciter le Rosaire, la foi est restée ferme et active, tandis que chez les
catholiques où cette dévotion est peu estimée, il n'y a plus guère qu'un
christianisme de surface, gardant certaines pratiques extérieures avec des
mœurs à peine meilleures que celles des incroyants qu' ils coudoient, et grand
danger pour leurs enfants de perdre leur foi tout à fait.»
[734] Ibid.,
pp. 211-212.
[735] Ibid., p.
217. Benoît XV, à l'occasion du premier
centenaire de la société de Marie, écrivait au T. R. P. Hiss, Supérieur général
de cette Société, une lettre qui est comme l'approbation des vues du P.
Chaminade au sujet de l'apostolat marial. «Ce n'est pas sans une disposition
divine, y déclare-t-il, que M. Chaminade s'en alla en exil à Saragosse. Là,
visitant le sanctuaire de notre auguste Souveraine, il comprit le dessein de la
miséricorde divine de ramener sa patrie à Jésus par Marie. Et sentant, sans
ombre d'hésitation, qu'une part importante lui était réservée dans cet
apostolat, il se prépara à cette mission aux pieds de l'auguste Image, par la
méditation et la prière. Ce n'est pas en effet, une vaine louange qu'on décerne
à Marie par le titre de Reine des apôtres mais de même qu'elle assista, par son
aide et ses conseils, les apôtres, éducateurs de l'Eglise naissante de même, il
faut l'affirmer, elle assiste à tout jamais les héritiers de l'office
apostolique qui s'efforcent dans l'Eglise adulte, ou de préparer des conquêtes,
ou de réparer des désastres.» AAS, 1921, 173.
[736] Emile Neubert
précise :«Qu'on se rappelle les supplications adressées à la Vierge avant
les victoires de Lépante (1571), de Vienne (1683), de Peterwardein (1716), et
les fêtes du Saint Nom de Marie et du Rosaire instituées à ces occasions.
Celles de Notre-Dame de la Merci et de Marie Secours des chrétiens ont été
instituées pour des raisons analogues ; l'Eglise a approuvé la messe et
l'office de "Marie, Reine des apôtres"». Ibid., p. 215.
[737] Ibid., p.
220.
[738] Emile Neubert
précise : «En elle, maternité et action apostolique se confondent :
toute sa maternité s’exerce par son action apostolique et toute son action
apostolique se rapporte à sa maternité.» La mission, p. 191.
[739] Emile Neubert
commente : «Affirmer l'universelle mission apostolique de Marie dans le
monde, qu'est-ce sinon affirmer que Dieu est fidèle et constant à l'égard de sa
Mère, que "ses dons et ses vocations sont sans repentance", qu'il
continue à la Corédemptrice la mission qu'il lui avait confiée en l'associant à
l'œuvre de son Fils ?» Marie dans le dogme 1954, p. 221.
[740] Emile Neubert
précise : «Sa maternité consiste tout entière à donner la vie
surnaturelle : ou elle nous fait vivre de la vie du Christ, - en d'autres
termes, elle est apôtre, - ou elle n'est pas mère. Si donc Dieu a voulu que ce
titre de Mère des hommes fût une réalité et non un vain mot, il a
nécessairement confié à Marie une universelle mission apostolique.» Ibid.,
p. 222.
[741] Emile Neubert
ajoute : «Ou il faut lui attribuer une mission suréminemment apostolique
ou il faut nier sa maternité spirituelle. Etre mère de Jésus et de nous, c’est
toute la raison d’être de Marie. C’est aussi toute la raison d’être de ses
autres fonctions. Elle n’est pas mère parce qu’elle a été appelée à être
corédemptrice et distributrice de toutes les grâces, mais elle est
corédemptrice et distributrice de toutes les grâces parce qu’elle a été appelée
à être Mère.» La mission, p. 192.
[742] Marie dans le
dogme 1954, p. 223.
[743] Emile Neubert
commente : «Elle soumet les esprits à Jésus en leur faisant comprendre,
aimer et professer ses enseignements ; elle lui soumet leurs volontés en
portant les hommes doucement, maternellement, mais très efficacement à
pratiquer ses commandements, même les plus difficiles, comme celui de la pureté
et celui du pardon des injures.» La mission, p. 192.
[744] Ibid., p.
194, note 2.
[745] Emile Neubert
précise : «Par ailleurs, le domaine de cette action est le même pour la
Mère et pour le Fils. Il n’y a pas un domaine réservé à Jésus et un autre,
moindre, réservé à Marie. Tout l’apostolat chrétien s’exerce à la fois par
Jésus et par Marie ; ici comme dans ses autres fonctions, Marie est la socia
Christi, participant à l’action du Christ selon sa condition de femme et de
mère et tirant son efficacité de celle de son Fils.» Ibid., p. 194.
[746] Marie dans le
dogme 1954, pp. 223-224.
[747] La mission,
p. 212.
[748] Ibid., pp.
212-214. Emile Neubert ajoute : «Puisqu’elle a besoin de nous, Marie ne
peut réaliser ces fins sans notre concours […] La Maternité de Marie consiste
tout entière dans le fait de faire vivre un être humain de (la) vie divine […]
Pour qu’elle puisse vraiment être sa Mère et le rendre participant de la vie de
son Premier-né, elle a besoin de notre concours. De quel désir ne le
désire-t-elle pas ?»
[749] Ibid., pp.
217-219. Emile Neubert commente : «Cette obligation dépend de la
vocation et des facilités personnelles d’un chacun. L’important, c’est que
chaque âme soit fidèle à sa grâce mariale et «à toute sa grâce
mariale» !
[750] Ibid., pp.
203-205.
[751] Cf. Louis-Marie
Grignion de Monfort : «Quand le Saint-Esprit, son Epoux, l'a trouvée dans
une âme, il y vole, il y entre pleinement, il se communique à cette âme
abondamment et autant qu'elle donne place à son Epouse ; et une des
grandes raisons pourquoi le Saint-Esprit ne fait pas maintenant des merveilles
éclatantes dans les âmes, c'est qu'il n'y trouve pas une assez grande union
avec sa fidèle et indissoluble Epouse. Je dis : indissoluble Epouse, car
depuis que cet Amour substantiel du Père et du Fils a épousé Marie pour
produire Jésus‑Christ, le chef des élus, et Jésus‑Christ dans les
élus, il ne l'a jamais répudiée, parce qu'elle a toujours été fidèle et
féconde». Traité de la vraie dévotion, n° 36.
[752] Cf. Etudes Mariales,
Bulletin de la Société Française d’Etudes Mariales, 8. 1950,
pp. 147-160.
[753] Ferdinando Maggioni, La Magnificentissimus Deus e i problemi teologici connessi, in Problemi
e Orientamenti di Teologia Dommatica, Milano, 1957, vol. II, pp. 477-544.
L’étude est complétée par une critique bibliographique exhaustive et
intéressante.
[754] Cf. par
exemple : Bernard Capelle
osb, «L’Assunzione e la liturgia»,
in Marianum, 15, 1953, pp. 241-276 ; G. Filograssi sj, «L’Assunzione
di Marie alla luce del progresso dei dogmi», in Echi e
Commenti della proclamazione dell’Assunzione, Roma, 1954, pp 26-27 ;
Cf. Clement Dillenschneider, Le
sens de la foi et le progrès dogmatique du mystère marial, Rome,
1954 ; Karl Rahner, «Zur Frage der Dogmenentwicklung», in Schriften zur Theologie,
I Einsiedeln, 1954, pp. 49-90
[755] Marie dans le
dogme 1954, p. 377.
[756] Ibid., p.
378.
[757] Ibid., p.
379.
[758] De la découverte,
p. 176.
[759] Jugié I, op. cit., p. 463.
[760] De la découverte,
p. 181.
[761] Emile Neubert
précise : «Elle prononce le Oui
qui nous sauve. Le rachat se fera par le sacrifice sanglant de son Fils. Or,
déjà Siméon lui prédit qu’elle aura part à ce sacrifice ; et, quand
l’heure est venue, nous la voyons au pied de la croix rédemptrice… Marie ne
serait- elle pas la nouvelle Eve à côté du nouvel Adam pour concourir à notre
salut ?» Marie dans le dogme 1954, p. 381.
[762] Ibid., p.
381.
[763] Ibid.,
pp. 392-393.
[764] Ibid., p. 400.
[765] « On reconnaît un auteur mystique à la saveur, la plénitude de la vérité et à la précision dogmatique » confiait un jour le Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, à Rome, dans une conversation à bâtons rompus. (cf Enregistrement privé du Père Marcel Gendrot, S.M.M.)
[766] Cf. Mon
idéal, pp. 10-11. Ce livre a été
traduit dans presque toutes les langues européennes, y compris le slovaque, le
slovène, le croate, le hongrois, le polonais et le letton ; il l’a été
également dans bien des langues asiatiques : en chinois, en japonais, en
malayalam, en hindi, en tamil, [et dans d’autres langues
encore].
A quoi
tient ce succès mondial ? D’abord à son style clair, concis, direct,
personnel, rappelant celui de l’Imitation
de Jésus-Christ.
Ensuite
à sa valeur doctrinale.
Dès le
premier chapitre, ce livre rappelle en effet que la vraie dévotion à Marie est
la reproduction la plus parfaite possible de la piété filiale de Jésus envers
sa Mère.
Le
second livre montre comment le chrétien doit aimer Marie, l’honorer, lui obéir,
se confier à elle.
Dans
les deux derniers livres, c’est Marie qui prend la parole pour nous apprendre à
penser comme Jésus, à vouloir sa volonté et à toujours agir en son nom.
La
quatrième partie constitue l’élément le plus original de l’ouvrage. Elle est
consacrée à la mission apostolique de Marie.
L’idée
de la mission apostolique de Marie s’est imposée avec une netteté et une force
croissantes à travers le XIXe siècle et plus encore au XX e.
Les
congrégations de la Sainte Vierge ont retrouvé ou accru leur influence là où
elles ont pris conscience du sens de leur consécration à Marie, Reine des
apôtres. Parmi les sociétés mariales récentes, la Légion de Marie en
particulier a exercé et exerce une influence qui tient du miracle presque dans
le monde entier. C’est que tous ses membres sont conscients de faire non leur
œuvre, mais l’œuvre de Marie, ce qui est précisément la doctrine de Mon idéal.
[767] Lettre du Cardinal
Maglione pour l’édition de 2003, in Mon
idéal.
[768]
Cf. Autobiographie, pp. 59-61.Voici
comment il en parle dans son autobiographie : «Je désirais faire connaître
la doctrine si profonde et si dynamique du Père Chaminade. Depuis le début du
XXe siècle, surtout à partir du Congrès Marial international
d’Einsiedeln en 1906, les Pères Montfortains s’étaient appliqués à répandre le Traité de la vraie dévotion à Marie de
leur Saint Fondateur et son petit chef d’œuvre commençait à être connu partout.
Le Père Chaminade prêchait une dévotion à Marie aussi totale dans son esprit
que celle de Saint L.M. de Montfort et elle se présentait sous la forme de
l’imitation de la piété filiale de Jésus même envers sa Mère ; de plus
elle impliquait un engagement apostolique pour tout chrétien, et non pas
seulement pour certains, les prêtres en particulier. Elle répondait donc plus
parfaitement à l’esprit du XXe siècle par l’imitation du Christ
remplaçant l’esclavage, et l’esprit apostolique qui doit animer tout chrétien.
Mais comment porter ces idées à la connaissance des fidèles en général ?
Une dissertation sur la question ne les eût pas touchés. Boudon avait écrit un
traité sur le saint esclavage avant Saint L. M. de Montfort, et si les fidèles
pour s’initier à cette forme de dévotion n’avaient eu que le traité de Boudon,
le saint esclavage ne serait plus pour eux qu’une curieuse relique du passé.
C’est la présentation de cette pratique dans le style vif, direct, incisif,
convaincu, passionné et tout simple à la fois de Saint L.M. Grignion de
Monfort, avec, évidemment, sa sainteté, qui convainc, enflamme, gagne le
lecteur et la force, pour peu qu’il croie à la Vierge, à se faire son esclave
d’amour.
Mais
je n’étais pas un prédicateur populaire comme Saint Grignon et ne pouvais
parler comme lui. Il me souvint alors d’une lecture entendue au réfectoire de
Nivelles, avant mon départ pour l’Amérique, sur la vie et l’activité de Gerson.
L’auteur lui attribuait la paternité de l’Imitation de Jésus-Christ et montrait
le charme venant de son style direct. "Si j’essayais d’imposer de cette
façon la doctrine mariale du Père Chaminade" ?
Je
m’étais quelque peu fait la main dans la composition de ma Vie Intérieure destinée aux novices d’Amérique. A la fin de chaque
chapitre je leur adresse, en style direct et concis, des conseils et des mises
en garde.
J’essayai :
je ne pensai d’abord qu’à trois parties :
1° - L’idéal, Jésus, Fils de Marie, sa
Mère dont il a fait ma Mère.
2° - Les exigences de l’idéal,
c'est-à-dire la reproduction des différentes manifestations de la piété filiale
de Jésus envers Marie.
3° - L’apostolat en union avec
Marie : Jésus avait associé sa Mère à sa mission.
Cette
troisième partie est aussi une exigence de notre idéal, mais vu son importance
pour le Père Chaminade et nous et pour tous ceux qui comprennent la mission
apostolique de Marie, surtout à l’heure actuelle, je pensais en devoir faire
une partie spéciale.
Mais je me rendais
compte que cette imitation de la piété filiale de Jésus envers sa Mère et cet
esprit marialement apostolique réclamaient, sous peine de ne pouvoir se
réaliser, un sérieux travail ascétique ; mais un travail qu’on
n’entreprendrait que par une union étroite avec Marie d’où la section : Transformation
en Jésus, devenue le livre III.»
[769] Dans une lettre privée à ses supérieurs, Emile
Neubert poursuit : «Or, les exemplaires s'enlevaient rapidement à peine
sortis de presse. Mon confrère pessimiste me rencontrant vers cette époque
m'avoua qu'il s'était bien trompé et me félicita de ce succès. En quelques
jours les deux mille exemplaires étaient vendus. Je fis un nouveau contrat, de
dix mille cette fois-ci, qui se vendaient rapidement comme les premiers. On me
demanda la permission de faire des traductions en allemand et en italien dont
les exemplaires s'achetèrent avec le même enthousiasme que les exemplaires
français. Des productions en d'autres langues parurent sans qu'on eût songé à
m'en demander la permission. Des missionnaires divers le traduisaient dans les
dialectes des pays où ils s'efforçaient de prêcher le Christ et trouvaient
qu'il était plus facile de parler de Jésus en parlant en même temps de la Mère
de Jésus. Mes comptes du 31 décembre 1954, - donc 20 ans après la publication
des premiers exemplaires français (1933) -, montrèrent que des traductions en
avaient été imprimées, en allemand, anglais, basque, catalan, chinois,
espagnol, hollandais, hongrois, italien, japonais, polonais, portugais,
slovaque, slovène, vietnamien, breton, congolais, croate, gaélique, hindi,
letton, malayalam, tamil, ukrainien : vingt-quatre langues. Et le R.P.
Hupperts, sj, directeur de la bibliothèque mariale de Banneux-Louvain,
m'apprend qu'à cette bibliothèque se trouvent encore des traductions en quinze
autres langues que celles citées plus haut, ce qui ferait un total de
trente-neuf langues et dialectes ; il est très probable, on peut dire
certain que ces trente-neuf ne représentent pas les deux tiers, même la moitié
du nombre des traductions. Le Directeur de la maison éditrice bien connue
Felizian Rauch d’Innsbruck (Autriche), en présentant Mon idéal à ses lecteurs de langue allemande, fait la
remarque : "Le livre existe en une vingtaine de langues étrangères en
environ un million d'exemplaires". Or, si pour une vingtaine de langues
étrangères, le Directeur des Editions Félizian Rauch croit pouvoir compter sur
un million d'exemplaires vendus, quel nombre total peut-on supposer avoir été
vendus dans les trente-neuf ou soixante ou quatre-vingt langues dans lesquelles
le petit livre a été traduit ? "Dignare me laudare te, Virgo
sacrata ! Rendez-moi digne de vous louer, ô Vierge Sainte ! Sit nomen
Virginis Mariae benedictum ex hora nunc et usque in aeternum ! Que le Nom
de la Vierge Marie soit béni maintenant et pendant toute
l'éternité !"»
[770] Maximilian Kolbe, Scritti, Milizia dell'Immacolata, Roma, 1997, p. 1163.
[771] Mon idéal, p. 176.
[772] Cf. Redemptoris
Mater, n°
25 : «Parmi tous les croyants, elle est comme un "miroir", dans lequel se reflètent de la manière
la plus profonde et la plus limpide les grandes œuvre s de Dieu.»
[773] Mon idéal, p. 133.
[774] LG 65.
[775] LG 67.
[776]
Discours du 21 novembre 1964 (Enchiridon
Vaticanum, 1, n° 315*).
[777] Mon idéal, pp. 21-22.
[778] Marie dans le dogme 1954, p. 72.
[779] Ibid., p. 73.
[780] Mon idéal, pp. 29-30.
[781] Ibid., pp. 31-32.
[782] Ibid.,
p. 21.
[783] Ibid., p. 7.
[784]
Adversus Haereses V, 19, 1. Ainsi,
on peut dire en toute vérité et sans exagération que, pour Emile Neubert comme
pour Irénée, Marie est par son obéissance «cause de salut pour elle-même et pour
tout le genre humain» (Adversus haereses III, 22,
4, texte cité par LG 56).
[785] Cf Lumen
Gentium : «La Bienheureuse Vierge avança dans son pèlerinage de foi,
gardant fidèlement l'union avec son Fils jusqu'à la Croix où, non sans un
dessein divin, elle était debout, souffrant cruellement avec son Fils unique,
associée d'un cœur maternel à son sacrifice, donnant à l'immolation de la
victime, née de sa chair, le consentement de son amour» (LG 58). Ce texte a été longuement repris par Jean-Paul II dans Redemptoris Mater, développant en
particulier la comparaison entre Marie et Abraham (n° 14).
[786] Mon idéal, p. 7.
[787] S T III q.
48 art. 2 ad 1.
[788] Mon idéal, p. 7.
[789] Ibid., p. 130.
[790] Lettre
aux Familles montfortaines, op.cit., n° 5.
[791] Mon idéal, pp. 28-29.
[792] Ainsi, saint Irénée réfute l'hérésie des
Ebionites, qui nient la naissance virginale du Christ, en manifestant
précisément ce mystère de la «nouvelle naissance», celle du Christ dans
l'Incarnation et la nôtre dans le baptême : «Ils ne veulent pas comprendre
que l'Esprit Saint est survenu en Marie et que la puissance du Très-Haut l'a
couverte de son ombre, à cause de quoi ce qui est né d'elle est saint et est le
Fils du Dieu Très-Haut, le Père de toutes choses ayant opéré l'Incarnation de
son Fils et ayant fait apparaître ainsi une naissance nouvelle, afin que, comme
nous avions hérité de la mort par la naissance antérieure, nous héritions de la
vie par cette naissance-ci [...] Ils ne considèrent pas que, tout comme au
début de notre formation en Adam le souffle de vie issu de Dieu, en s'unissant
à l'œuvre modelée, a animé l'homme et l'a fait apparaître animal doué de
raison, ainsi à la fin le Verbe du Père et l'Esprit de Dieu, en s'unissant à
l'antique substance de l'ouvrage modelé, c'est-à-dire d'Adam, ont rendu l'homme
vivant et parfait, capable de comprendre le Père parfait [...] Jamais, en
effet, Adam n'a échappé aux mains de Dieu, auxquelles parlait le Père lorsqu'il
disait "faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance". Et
c'est pourquoi, à la fin "non par la volonté de la chair ni par la volonté
de l'homme", mais par le bon plaisir du Père, les Mains de Dieu ont rendu
l'homme vivant, afin qu'Adam devienne à l'image et à la ressemblance de Dieu.» (Adversus
Haereses, V, 1, 3).
[793] Ainsi, en parlant de «l'Emmanuel né de la
Vierge», saint Irénée affirme que «Lui qui est pur, il a ouvert de façon pure
le sein pur qui régénère les hommes en Dieu, et qu'il a lui-même fait pur». («Purus pure puram aperiens vulvam, eam quae regeneret
hominis in Deum, quam ipse puram fecit». Adversus Haereses, IV, 33, 11 ; cf. aussi V, A, 3.)
[794] Mon idéal, p. 71.
[795] Ibid., p. 29.
[796] Ibid., p. 90.
[797] Marie dans le dogme 1954, p. 112.
[798] LG 54 et 69.
[799] LG 56 et 63.
[800] LG 60.
[801] LG 54.
[802] LG 55.
[803] LG 56, Adversus Haereses, III,
22, 4.
[804] LG 53.
[805] LG 58.
[806] LG 61.
[807] LG 62.
[808] LG 63.
[809] LG 65.
[810] LG 60.
[811] LG 62.
[812] Ibid.
[813] Par exemple en Is 49, 14-15 ; 66, 10-13.
[814] Mon idéal, pp. 29-30.
[815] Ibid., p. 147.
[816] Ibid., pp. 150-151.
[817] Ibid., p. 91.
[818] Ibid., p. 106.
[819]
Ibid.,
p. 46.
Emile
Neubert fait dire à Jésus : «Mon frère, c’est l’amour qui m’a fait fils de
Marie. Tout, dans mes relations avec ma Mère, s’explique par l’amour. Veux-tu
comprendre ma piété filiale envers elle, comprends avant tout mon amour pour
elle.»
[820] Ibid., p. 55. Emile Neubert
fait dire à Jésus : «Mon frère, veux-tu, comme moi, montrer ton amour à ma
Mère ? Sois-lui obéissant comme moi.
Petit enfant,
je me suis laissé faire par elle comme elle l’entendait : je me suis
laissé poser dans la crèche, porter dans ses bras, allaiter, emmailloter,
emmener à Jérusalem, en Egypte, à Nazareth.
Puis, dès que
j’en ai eu la force, je me suis empressé d’exécuter ses désirs, de les deviner
même et de les prévenir.
Après avoir
étonné les docteurs du Temple, je suis revenu à Nazareth avec elle, et je lui
ai été soumis.
Je suis resté
près d’elle jusqu’à l’âge de trente ans, toujours déférant à ses moindres
désirs.»
[821]
Ibid.,
p. 62. Emile Neubert fait dire à Jésus : «Pour honorer Marie comme je l’ai
honorée et veux qu’elle soit honorée, commence par la mieux comprendre.
Ne cesse de
contempler sa dignité, ses privilèges, sa perfection, sa mission.
Puis
humilie-toi dans ton néant et ta misère ; plus tu te feras petit, plus tu
seras apte à comprendre la grandeur de ma Mère. Surtout, fais entrer dans ton
âme les dispositions de mon âme : regarde Marie avec mes yeux, admire-la
avec mon esprit, réjouis-toi de sa beauté avec mon cœur.»
[822]
Ibid.,
p. 66. Emile Neubert fait dire à Jésus : «Efforce-toi de ressembler à ma Mère
comme je lui ai ressemblé. Ressemble-lui dans ton extérieur par ta modestie.
Qu’en te voyant on éprouve quelque chose de ce respect et de ce recueillement
dont étaient saisis ceux qui voyaient ma Mère. Ressemble-lui surtout par ton
intérieur. Copie ses vertus. Elles sont incomparablement sublimes et en même
temps incomparablement simples. Car la vie de Marie a été pareille à la tienne,
et il t’est facile de comprendre ou de deviner comment elle agissait ou aurait
agi à ta place».
[823]
Ibid.,
p. 73. Emile Neubert fait dire à Jésus : «A ma suite, confie-toi à ma Mère.
Aie
confiance : elle est toute-puissante. Ne l’ai-je pas faite distributrice
de toutes les grâces ? Ne peut-elle pas donner tout ce qu’elle veut, à qui
elle veut, quand elle veut ?
Aie
confiance : elle est toute bonne. L’ayant faite toute-puissante,
pouvais-je ne pas la faire aussi toute clémente ?
Aie
confiance : je suis son enfant ; que pourrais-je refuser à ma Mère ?
Aie
confiance : tu es son enfant ; une Mère refuse-t-elle jamais à son
enfant ce qu’elle peut lui donner ?
Aie confiance :
tu t’es donné tout à elle ; pourrait-elle être moins généreuse que
toi ?
Aie
confiance : en te donnant, c’est à moi qu’elle donne ; car elle sait
que je vis en toi et que ce qu’on fait au moindre de mes frères, c’est à moi
qu’on le fait. Quand tu l’invoques, tu lui procures la joie de continuer à
prendre soin de moi, à me nourrir, à me porter, à me soustraire au danger, à
faire mon éducation.
Aie
confiance : elle désire plus te donner que tu ne désires recevoir, parce
qu’elle t’aime plus, et m’aime plus en toi que tu ne peux t’aimer toi-même.»
[824]
Ibid.,
pp. 79-80. Emile Neubert fait dire à Jésus : «Unis-toi à elle dans la prière.
Sois fidèle au renouvellement quotidien de ta consécration à Marie, à la
récitation quotidienne de ton chapelet - ou au moins d’une dizaine de chapelet
- et aux prières que tu as résolu de lui offrir chaque jour. Et plusieurs fois
à travers la journée, élève ton regard vers celle qui constamment tient son
regard fixé sur son enfant. Mais en la priant, rappelle-toi que c’est en mon
nom que tu t’adresses à elle ; que c’est moi qui, par ton cœur et ta
bouche, continue d’honorer et d’aimer ma Mère. Même quand tu veux parler au
Père ou à l’Esprit ou à moi, commence par t’unir à ta Mère. A côté d’elle, ton
recueillement sera plus profond, ta foi plus ferme, ta confiance plus entière,
ton amour plus ardent. C’est que, aux dispositions de ton pauvre cœur,
s’uniront les dispositions toutes parfaites de ta Mère. Aie recours à Marie en
particulier quand tu me reçois dans le sacrement de mon amour. Demande-lui de
te prêter sa foi, son espérance, sa confiance, sa charité. Prie-la de me donner
à toi et de te transformer en moi.
Unis-toi à elle
dans l’action. Je travaillais pour ma Mère et avec ma Mère. Fais de même.
Offre-lui chacune de tes occupations. Mais ne réduis pas cette offrande à une
pure formule. Ne fais que ce qu’elle veut, parce qu’elle le veut et comme elle
le veut […] Aie soin de renoncer à toute recherche de toi-même pour n’agir que
d’après les vues de Marie.
Apprends peu à
peu à renouveler ton offrande dans le cours même de tes actions, ne fût-ce que
par un regard ou en disant : "Marie !" ou "Ma
Mère !" Unis-toi à elle dans toutes les émotions de ton âme. Le cœur
de ma Mère et mon cœur vibraient toujours à l’unisson : mes joies étaient
ses joies ; mes tristesses, ses tristesses ; mes espoirs, ses
espoirs ; mes appréhensions, ses appréhensions ; mon amour, son
amour.»
[825]
Ibid.,
p. 84. Emile Neubert fait dire à Jésus : «Ecoute-la avec docilité et
obéis-lui avec amour, de même que je lui étais soumis avec un amour infini».
[826] Ibid., pp. 120 ; 123.
[827] Ibid., p. 103.
[828] Ibid., p. 108.
[829] C’est sans doute un
point faible dans l’ensemble de sa théologie, qui met en place par ailleurs
toutes les conditions de mise en valeur de cette ecclésiologie forte du Concile
Vatican II.
[830] Ibid., pp. 131-132.
[831] Discours au Concile du 21 novembre 1964 (n°
302).
[832] Paul VI, Marialis
Cultus, n° 29. Dans Mulieris Dignitatem, Jean-Paul II a
rappelé que l'Eglise est en même temps «mariale» et «apostolico-pétrinienne» (n°
27). Le Concile a mis en lumière ce visage marial de l’Eglise.
[833] LG 52.
[834] Mon idéal, p.
23.
[835] Discours au Concile du 21 novembre 1964 (n°
303*). Le chapitre 8 de Lumen Gentium
insiste beaucoup sur l'union intime
de Marie avec le Christ et l'Eglise, et des fidèles avec le Christ (cf. LG 53, 57, 59, 60, 63…).
[836] Mon idéal, p. 22.
[837] Ibid.,
p. 91.
[838] Ibid., pp. 19-20.
[839] Ibid.,
pp. 76-78.
[840] Ibid.,
pp. 132-133.
[841] Ibid.,
p. 72.
[842] Ibid.,
p. 79.
[843] LG 57.
[844] LG 58, cité à parti du n° 2 de Redemptoris
Mater.
[845] LG 67.
[846] Mon idéal, p. 93.
[847] Ibid., p. 96.
[848] Marie et la famille chrétienne, op.
cit., p. 90.
[849] Jean-Paul II, «Novo millennio ineunte»,
6 janvier 2001, in AAS 93, 2001, pp.
266-309, n° 27.
[850] Mon idéal, p. 23.
[851] Emile Neubert,
La dévotion à Marie, Xavier Mappus,
Paris, 1942, p. 71.
[852] Richard Bandler, Un cerveau pour changer, La programmation neuro-linguistique.
Interéditions, Paris, 1990.
[853] Cf. Richard Bandler, John Grinder, Les secrets de la communication, Le
Jour, Montréal, 1982.
[854] Ignace de Loyola,
Exercices spirituels (Christus 5),
traduits et annotés par François Courel sj, Paris, Desclée de Brouwer -
Bellarmin, 1963, 232 p.
[855] Emile Neubert,
Marie et notre sacerdoce, Spes,
Paris, 1952, p. 179.
[856] Ibid., p. 217. Dans ses recommandations aux prêtres, Emile Neubert
écrit : «Recourez de même aux malades qui vous sont connus. Marie les aime
d’un amour spécial, parce qu’ils sont plus semblables à son Fils crucifié et
rédempteur. L’offrande de leurs prières et de leurs souffrances vous apporte
également un précieux appoint dans vos labeurs. Par ailleurs, vous les rendrez
eux-mêmes plus surnaturels, plus résignés, plus conformes à Jésus, en
sollicitant leur concours et en leur donnant conscience de leur mission dans le
Corps Mystique du Christ.»
[857] Emile Neubert,
L’âme de Jésus, contemplée avec Marie,
Alsatia, Paris, 1957, p. 311.
[858] Ga 2, 20 ; in Emile
Neubert, L’âme de Jésus contemplée avec Marie, Alsatia, Paris 1957, p. 217.
[859] Ibid., p. 183.
[860] Emile Neubert,
Marie et notre sacerdoce, Spes,
Paris, 1952, p. 177.
[861] Rene Laurentin,
La question mariale, Seuil, Paris,
1963, p.19.
[862] Cf. La chronique de
la RSPhTh, 46 (1962), pp. 330-331.
[863] Groupe des Dombes, Marie dans le dessein de Dieu et la communion des saints ; dans
l’histoire et l’Ecriture. Controverse et conversion, Bayard Le centurion,
Paris, 1999.
[864] The
Anglican-Roman Catholic International Commission. Mary : Grace and Hope in Christ,
Toronto, Novalis, 2005.
[865] Marie dans le dogme 1954, p. 132
[866] Marie dans le dogme 1954, p. 139. Emile Neubert commente : «Au
nom d’une impossibilité a priori, des maîtres en Israël ont rejeté l’Immaculée
Conception.»
[867] Hans-Urs von Balthasar, Thérèse
de Lisieux. Histoire d’une mission, Paris, 1972, p. 18.
[868]
Id.,
«Théologie et sainteté», in Dieu Vivant
12, 1948, p. 17.
[869] Jean-Marie Lustiger, «La pratique
théologique dans un monde sécularisé», in Etudes
(2000) 1, 50.
[870] Thomas d’Aquin, ST, Ia,
q. 1, a. 5, ad. 2. Dans son encyclique Providentissimus Deus (1893) le pape
Léon XIII avait jugé opportun de rappeler, en se référant explicitement à l’Aquinate,
que «la théologie […] ne tire pas ses principes des autres sciences, mais
immédiatement de Dieu par la révélation». Cité in Léon XIII, Providentissimus
Deus de studiis Scripturae Sacrae, 18 novembris 1893, in ASS 26 (1893-1894).
[871] D. Sorrentino, Sul rinnovamento della teologia spirituale, in Asprenas 41 (1994) 530-531. [Nous traduisons].
[872] Marie dans le dogme 1954, p. 137.
[873] Joseph Ratzinger, Marie
première Eglise, Paris, 21987, p. 26-27.
[874] Ibid., p. 58.
[875] Cf. Stefano de Fiores, Maria nella teologia contemporanea, CCM
«Madre della Chiesa», Roma, 1991, p. 315.
[876]Alain
Bandelier,
A Jésus par Marie - Actualité d’une
consécration, Nouan le Fuzelier, 2003, p. 9-15.
[877] Emile Neubert,
Marie et la vie religieuse, Alsatia,
Paris, 1959, p. 66.
[878] Ibid., p. 143.
[879] Cf. Juan Esquerda Biffet, Mariologia
per una chiesa missionaria, Unrbaniana University, Roma, 1988.
[880] Yves-Marie Congar, Marie et l’Eglise
dans la pensée patristique, in Revue des
sciences philosophiques et théologiques 38 (1954) 5.
[881] Emile Neubert,
La dévotion à Marie, Xavier Mappus,
Paris, 1942, p. 71
[882] Joseph Ratzinger, Marie première Eglise, Paris, 1987, pp.
13-14. Traduit de l’allemand par R. Givord.
[883] Cf. Rene Laurentin,
Court Traité sur la Vierge Marie,
Lethielleux, Paris, 1954.
[884] P. Ranwez sj, Présence de Marie, p. 12, note 1, 39.
[885] Marialis
Cultus, n°36.
[886] Cf. LG 65.
[887] La
mission apostolique, op.cit.,
ch. XXIII, pp. 197-205.
[888] Ibid., p. 198
[889] Cf. M. Caprioli, Il sacerdozio, teologia e spiritualità,
Roma, Teresianum, 1992, p. 262-264 : «Parlando del rapporto Maria e
sacerdote, il Concilio usa poche parole, ma sa cogliere in lei l’esempio di
piena e totale disponibilità all’azione dello Spirito Santo, accettando di
divenire Madre di Cristo, inserendosi cosi pienamente con la fede nel mistero
della redenzione […] Le poche righe del PO vanno studiate quindi alla luce del
cap.VIII della LG».
[890] La vie d’union, op.cit.,
ch. X, p. 85.
[891] Ibid., ch VI, pp. 65-70.
[892] Ibid., p. 68.
[893] Cf. Le secret de Marie, op.cit., n° 47.
[894] Cité dans La vie d’union, op.cit., p. 238.
[895] Emile Neubert se
contente de mentionner ces grâces étudiées par Severino, M. Ragazzini in Maria, vita dell’anima, 1960.
[896] La mission apostolique, p. 113.
[897] Ibid., pp. 118-119, citant l’Esprit
de notre fondation, op.cit., III,
p. 238.
[898] Testi
Mariani del Primo Milleninio, a cura di G. Gharb, E. Toniolo, Luigi Gambero, G. Di
Nola, Citta Nuova Editrice, Roma. -1. Padri e altri autori Greci.
Direzione e coordinamento di G. Gharib, 1988 -2. Padri e altri autori latini.
Direzione e coordinamento di L. Gambero, Roma 1990.
[899] Cf. note 106 : K. Benrath,
G. Herzog, E. Lucius, G. Anrich, G. Rösch. En somme l’attitude du
protestantisme par rapport à la Mère de Dieu n’était pas très positive. Au point que Schimmelpfennig eut ces paroles bien significatives : «je
weiter die neutestamentliche Kritik und die religionsgeschichtliche Forschung
fortschreiten, desto mehr wird das Evangelium seines Inhaltes entleert» (Geschichte der marienverehrung im deutschen
Protestantismus, p. 115).
[900] Meyer in Neutest. Apokr., p. 50, cité in Marie dans l’Eglise anteniceenne, pp.
278-279.
[901] Marie dans l’Eglise anteniceenne, pp. 278-279.
[902] Ibid.,
p. 280.
[903] Ibid., p. 275.
[904] Cf. F.-J. Friedel sm, The Mariology of Newman, New York 1928 ; H.F. Davis, La Mariologie de Newman, in Maria,
Etudes sur la Sainte Vierge, sous la direction de Hubert Du Manoir sj, tome III, pp. 533-552. Emile Neubert
lui-même publia l’article intitulé La
dévotion envers Marie d’après Newman, in l’Apôtre de Marie, 5 (1908), pp. 121-128. Ce que Davis écrivait du
fameux converti anglais pourrait tout aussi bien s’appliquer à la recherche
d’Emile Neubert, comme du reste à toute la mariologie contemporaine : «Au
point de vue intellectuel, l’étude des Pères et de la doctrine de l’évolution
l’amèneront à réaliser pleinement que l’Eglise catholique avait toujours et
partout été mariale au sens catholique du mot ; si la mariologie s’était
développée, c’était tout simplement par une tendance instinctive à rendre à la
doctrine de l’Incarnation un témoignage toujours plus grand» (op. cit., p. 538).
[905] Dom B. Lebbe, recension in Revue Bénédictine, 25 (1908), p. 409.
[906] E. Treubert, Revue thomiste, 16° année, (1908).
[907] Cf. Adolf von Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, III
Freiburg im Br. Und leipzig 1894-1897 ; G. Herzog,
La virginité de Marie après l’enfantement, in Revue d’Histoire et de Littérature religieuse, 1907, pp. 327-340.
in Marie dans l’Eglise anténicéenne,
pp. 57-120. Emile Neubert précise : «Herzog soutenait entre autres, que
l’idée de la virginité dans l’enfantement, outre l’absence de lésion physique
pour la mère, était une invention des Docètes du second siècle, lesquels
avaient comme objectif de nier la véritable nature humaine du Christ. Selon
Emile Neubert par contre, le témoignage des écrits ecclésiastiques les plus
anciens démontrait comment la doctrine de la conception virginale appartenait à
la plus ancienne Tradition de l’Eglise. C’est ainsi que l’insistance de
l’Eglise primitive sur l’aspect dogmatique de la croyance en la conception
virginale s’explique par la préoccupation de défendre un point qui était
devenu, pour ainsi dire, le critère de la foi en la divinité du Verbe Incarné.»
[908] De la découverte, p. 55.
[909] De la découverte, p. 187.
[910]
Dans son autobiographie il déclare : «Dans presque tous mes livres, j’ai au
moins un chapitre sur la mission apostolique de Marie et la coopération qu’elle
attend de ses dévots. J’ai traité la question ex professo dans La mission
apostolique de Marie et la nôtre, Alsatia, 1956. Dans mon apostolat dans la
Société de Marie et chez les Filles de Marie et même dans l’Eglise en général,
je me suis toujours appliqué à souligner l’importance de la mission apostolique
de Marie. Mais, comme je viens de l’affirmer, ce n’est pas moi qui ai découvert
cette idée : je l’ai reçue du P. Klobb qui la tient du P. Chaminade, qui
l’a reçue de Marie même, à Saragosse.»