DISSERTATIONES AD LAUREAM

IN PONTIFICIA FACULTATE

THEOLOGICA ²M A R I A N U M²

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P. Jean-Louis Barré S.M.

 

 

 

LA MISSION DE LA VIERGE MARIE

D’APRES LES ECRITS

D’EMILE NEUBERT S.M.

(1878-1967)

 

 

 

 

 

Tesi di Laurea in Sacra Teologia

con specializzazione in Mariologia

 

ROMA – 2007

 


DISSERTATIONES AD LAUREAM IN PONTIFICIA FACULTATE

THEOLOGICA ²M A R I A N U M²

94

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Vidimus et approbamus

Romae, ex aedibus Pontificiae Facultatis Theologicae « Marianum »

die 08/06/2007

Prof. ERMANNO M. TONIOLO, o.s.m.

Prof. TIZIANO M. CIVIERO, o.s.m.

Visage de l’Eglise, ô Marie de l’Agneau !

Justesse de la vie et chaleur du Cénacle,

Maison de Dieu, navire, immense Tabernacle,

Fidélité, douceur, écrin de notre anneau,

Sois bénie à jamais !

Père Bernard Gillard

Profondeur Mariale, Salvator, Mulhouse, 1990, p. 120.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A « Marie qui défait les nœuds »

et au Père Raymond Halter s.m. (1925-1998),

en action de grâces.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


REMERCIEMENTS

 

Ce livre est ma thèse de doctorat en théologie mariale que j’ai eu l’honneur de soutenir à l’Université Pontificale Le Mariamum à Rome

Je veux adresser tous mes remerciements aux “compagnons” de route avec qui mûrit mon amour, ma connaissance et mon service de la Vierge Marie - grâce à eux, ces travaux de théologie spécialisée sur la figure de la Vierge Marie, ont pu progresser au fil des ans - à l’école primaire saint Etienne de Besançon (France), au petit séminaire montfortain de Pelousey, aux foyers de Charité de La Roche d’Or, Chateauneuf de Galaurre et La Flatière, à l’Institut carmélitain de Notre Dame de Vie.  Je remercie surtout les professeurs de la Faculté du Centre Sèvres à Paris, puis ceux de la Faculté du Marianum, dont le père Ermanno M. Toniolo directeur du Centre de Culture Mariale « Madre della chiesa» (Rome), et le regretté Père Igniazio M. Callabuig qui m’a initié à la lectio divina.

Je souhaite remercier également la Famille marianiste, grâce à qui j’ai fait alliance avec Marie le 28 octobre 1992, à la chapelle de la Madeleine à Bordeaux, berceau de la Société de Marie.

Un remerciement plein de gratitude pour mes amis, si proches du cœur de Marie, tels le Père Bernard Gillard et Denise Capelli, et en particulier ceux qui m’ont permis d’enrichir cette étude par leurs précieuses critiques et leurs compétences personnelles dont le Père François-Marie Léthel ocd qui m’a ouvert des perspectives dans la théologie des saints.

P. Jean-Louis Barré, s.m.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PREFACE

 

Qui était Emile Neubert ? Un prêtre marianiste français, petit de taille, à la corpulence fragile, modeste et humble. Il était alors étudiant en théologie dans la perspective du sacerdoce, quand un médecin annonce à ses supérieurs qu’il poura pas poursuivre ses études à cause de son état de santé général. Au contraire, durant sa longue existence, il devient le plus considéré et le plus fameux théologien marial de la Société de Marie, fondée par le bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade.

Connu dans le monde entier à travers ses écrits, Emile Neubert peut être considéré comme l’un des acteurs de cette mariologie qui, aujourd’hui, s’impose par son caractère rigoureux et scientifique. Cependant elle ne s’extrait pas de la compréhension de la vie des simples fidèles. Quarante années se sont écoulées depuis sa mort, mais sa figure et son œuvre restent toujours vivantes dans le souvenir de ses confrères marianistes, parce que ce fut lui qui, par sa vie et son activité de théologien, comme écrivain et éducateur, a interprété fidèlement la spiritualité mariale du bienheureux Chaminade et l’a diffusée au delà des congrégations que celui-ci avait fondées.

Le nom de Neubert fait penser quasi instinctivement à la Mère du Seigneur. On peut dire que dans ses innombrables publications, tout est exprimé en clef mariale. Le cardinal Richaud disait de lui qu’il possédait un vrai charisme pour parler de la Vierge Sainte ; le Cardinal Suenens le définissait comme « un pionnier de la théologie mariale mise à la portée de tous et insérée dans la vie pratique. » C’est ainsi que fut Emile Neubert et c’est tel, que nous aimons nous souvenir de lui en lisant ses œuvres de doctrine et spiritualité mariale qui continuent à susciter enthousiasme et consensus.

Or, nous avons la chance d’avoir entre les mains une publication étendue et approfondie de sa pensée. Jean-Louis Barré S. M., avec sa thèse de doctorat, nous offre une étude qui parcourt amplement toutes les œuvres d’Emile Neubert et il nous guide pour reprendre les lignes principales et les plus évidentes de sa théologie mariale.

Le travail de Jean-Louis Barré présente en un certain sens un long itinéraire que le même Neubert a parcouru pour atteindre à sa pleine maturité comme théologien et maître de vie spirituelle. Ceci apparaît déjà par l’autobiographie qui est prise opportunément en considération au début de l’ouvrage.

Les fondements sont aussi les désillusions du contexte théologique et culturel dans lequel a mûri la vocation de Neubert pour l’étude de la mariologie. Ce dernier a bien compris qu’un engagement dans l’approfondissement des sources historiques du christianisme n’était pas superflu, par le fait que beaucoup de ces sources nécessitaient des recherches ultérieures et des vérifications plus sures. Neubert concrétisa cet engagement d’investigation historique dans sa dissertation d’accès au doctorat Marie dans l’Eglise anténicéenne. Par ailleurs, dans le second chapitre Jean-Louis Barré passe en revue les auteurs et courants de pensée qui peuvent avoir influencé directement ou indirectement la formation culturelle et mariale de Neubert.

Le chapitre trois sur les traces de Marie dans le dogme, s’attache à la théologie proprement dogmatique au sujet de la Mère de Dieu, élaborée par Neubert. Il le fait avec abondance d’exposé et une enquête nourrie. Le chapitre quatre, se référant au petit volume Mon Idéal : Jésus Fils de Marie, qui est un véritable chef-d’œuvre de spiritualité mariale montre comment Neubert offre aux fidèles, dans la personne de la Mère de Dieu, une guide précieuse et enthousiasmante pour cheminer en sécurité sur la voie de la sainteté chrétienne.

Pour conclure, Jean-Louis Barré, dans le chapitre cinq, cherche à faire un bilan de la réception qui, aujourd’hui encore, est réservé aux écrits de Neubert et des fruits spirituels qu’ils produisent non seulement parmi les fils spirituels du bienheureux Chaminade mais dans l’Eglise entière. Le prouvent entre autres, les traductions en de multiples langues dans lesquelles les œuvres d’Emile Neubert furent publiées.

Le travail de Jean-Louis Barré se présente avec les meilleures lettres de créance pour obtenir la bienvenue de la part des religieux marianistes, des spécialistes en mariologie et des fidèles qui réservent une place particulière à la Vierge Sainte dans leur chemin vers la plénitude de la vie chrétienne, qui est Jésus Fils de Marie.

 

Luigi Gambero s.m.

 

Rome, le 16 juin 2007

Mémoire du Cœur Immaculé de Marie.

 

 

TABLE DES MATIERES

 

REMERCIEMENTS. 7

 

PREFACE. 9

 

SIGLES ET ABREVIATIONS. 15

 

INTRODUCTION

UN APOTRE MARIAL DES TEMPS MODERNES. 19

 

CHAPITRE PREMIER                                                                        

EMILE NEUBERT. 23

I.1 Eléments biographiques. 25

I.1.1 Ribeauvillé 1878-1893. 25

I.1.2 Postulat de Bourogne 1892-1894. 27

I.1.3 Noviciat de Courtefontaine 1894-1895. 30

I.1.4 Scolasticats 1895-1900. 31

I.1.5 Caudéran, Monceau, Stanislas, 1900-1903. 32

I.1.6 Séminaire de Fribourg 1903-1907. 33

I.1.7 Etats-Unis 1908-1921. 36

I.1.8 Retour en Europe : Strasbourg - Fribourg 1921-1949. 38

I.1.9 Grangeneuve - La Tour de Sçay 1949-1962. 39

I.1.10 Retraite à Art-sur-Meurthe 1962-1967. 40

I.2 Eléments de relecture théologique. 41

I.3 -Activité littéraire. 51

I.3.1 Contexte pastoral et ecclésial 51

I.3.2 Principales publications. 52

 

CHAPITRE DEUX

LA MARIOLOGIE EN FRANCE  AU DEBUT DU XXe SIECLE. 71

II.1 -Relectures historiques. 71

II.1.1 Aperçu historique global 71

II.1.2 Aperçu historique ecclésial 72

II.1.3 Aperçu historique mariologique. 75

II.2 Etudes préliminaires en vue de sa thèse. 82

II.3 La double influence de Montfort et de Chaminade. 85

II.3.1 Saint Louis-Marie Grignion de Montfort 1673-1716. 85

II.3.2 Le bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade 1761-1850. 95

 

CHAPITRE TROIS                                                                               

MARIE DANS LE DOGME ET LA PIETE  SELON L’APPROCHE D’EMILE NEUBERT  119

III.1 Marie : La Mère de Dieu. 125

III.1.1 Appuis bibliques. 125

III.1.2 Appuis de la Tradition. 131

III.1.3 Développements théologiques. 140

III.2 Marie : la Vierge. 148

III.2.1 Appuis bibliques. 152

III.2.2 Appuis de la Tradition. 161

III.2.3 Développements théologiques. 168

III.3 La sainteté de Marie. 171

III.3.1 Appuis bibliques. 172

III.3.2 Appuis de la Tradition. 173

III.3.3 Développements théologiques. 176

III.3.4 L’Immaculée Conception. 184

III.4 La coopération de Marie. 196

III.4.1 Appuis bibliques. 196

III.4.2 Appuis de la Tradition. 201

III.4.3 Développements théologiques. 204

III.5 La maternité spirituelle de Marie. 219

III.5.1 Appuis bibliques. 219

III.5.2 Appuis de la Tradition. 222

III.5.3 Développements théologiques. 225

III.5.4 Vénération et invocation. 230

III.6 La mission de Marie. 234

III.6.1 L’aspect sacerdotal de la mission de Marie. 235

III.6.2 La royauté de Marie. 240

III.6.3 La mission apostolique de Marie. 244

III.7 L’Assomption de Marie. 254

CHAPITRE QUATRE                                                                          

LA VALEUR APOSTOLIQUE                                                         DE  MON IDEAL JESUS FILS DE MARIE  261

IV.1 Réception ecclésiale et valeur doctrinale de                                                 Mon idéal, Jésus Fils de Marie  262

IV.1.1 L’inspiration directrice et sa réception. 262

IV.1.2 Mon idéal comme synthèse de l’enseignement du Père Emile Neubert 265

IV.2 Prolonger la relation de Jésus pour Marie :                                 un christocentrisme dynamique   268

IV.2.1 Le Mystère de l'Incarnation jusqu’à la Croix rédemptrice. 271

IV.2.2 Marie, Mère de l’Eglise, Corps Mystique du Christ 272

IV.3 La mission de Marie et de l'Eglise. 286

IV.3.1 L’union de Marie et de l'Eglise : «union mystique avec le Christ» dans l'Esprit Saint en vue de la mission  286

IV.3.2 L’aspect missionnaire de la lutte contre le mal et de la victoire du bien. 290

 

CHAPITRE CINQ                                                                                                                        

RELECTURE  ET PERSPECTIVES ACTUELLES. 295

V.1 Réception et évolution de l’œuvre. 296

V.2 L’influence de l’œuvre dans la Société de Marie                             et dans l’Eglise   303

V.3 L’œuvre dans le regard de Vatican II 315

 

CONCLUSION                                                                                      

 

L’héritage                                                                                        d’une impulsion apostolique mariale  321

 

BIBLIOGRAPHIE. 331



SIGLES ET ABREVIATIONS

 


AA.VV.

Auteurs variés

AAS

Acta Apostolicae Sedis

AdM

L’apôtre de Marie

AmiCl

Ami du clergé

ASS

Acta Sanctae Sedis

Autobiographie

Emile Neubert, Autobiographie d’Emile Neubert (manuscrit)

Cah. Mar.

Les Cahiers Marials

Cah. N-D

Les Cahiers Notre-Dame

CEC

Catéchisme de l’Eglise catholique

De la découverte

Emile Neubert, De la découverte progressive des grandeurs de Marie. Application au dogme de l'Assomption, Paris, 1951.

DSp

Dictionnaire de Spiritualité Ascétique et Mystique

EF

Collectif, L’Esprit de notre Fondation d’après les écrits de M. Chaminade et les documents primitifs de la Société, Nivelles, 1910.

El Pilar

Revue mariale espagnole

EM I et II

Guillaume-Joseph Chaminade, Ecrits Marials I et II, Marianistes, Fribourg, 1966.

EphMar

Ephemaeridae Mariologicae

EtMar

Etudes Mariales

EtLi

Etudes Liturgiques

Jarc

Gerald Jarc, Emile Nicholas Neubert, The living example of the spirit and works of the Society of Mary, monograph, University of Dayton, 1960.

Koehler

Theodore Koehler, «Le Père Emile Neubert (1878-1967), Marianiste», in Eph. Mar 17, (1967).

La doctrine

Emile Neubert, La doctrine mariale de Monsieur Chaminade, Paris, 1937.

La Mission

Emile Neubert, La mission apostolique de Marie et la nôtre, Paris, 1956.

LG

Constitution dogmatique Lumen Gentium

LV

Lumen Vitae

Marie dans l’Eglise anténicéenne

Emile Neubert, Marie dans l'Eglise anténicéenne, Gabalda, Paris, 1908.

Marie dans le dogme 1933

Emile Neubert, Marie dans le dogme, Paris, 1933.

Marie dans le dogme 1954

Emile Neubert, Marie dans le dogme, Paris, 1954.

Marie et notre sacerdoce

Emile Neubert, Marie et notre sacerdoce, Spes, Paris, 1952.

MC

Exhortation apostolique Marialis Cultus.

Mon Idéal

Emile Neubert, Mon Idéal, Jésus Fils de Marie, Canada, 2003.

Notre Don 1954

Emile Neubert, Notre Don de Dieu, Paris/Tours, 1954.

Notre Mère

Emile Neubert, Notre Mère : Pour la mieux connaître, Le Puy, 1941

NMI

Novo Millennio Ineunte

NRM

Nouvelle Revue Mariale

NRTh

Nouvelle Revue Théologique.

PG

Jacques-Paul Migne, Patrologiae cursus completus. Series graeca. Paris, 1857 ss

RAM

Revue d’Ascétique et de Mystique

RDT

Revue de Dogme et de Théologie

RET

Revista Española de Teología

RfR

Review for Religious

RSPhTh

Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques

RSR

Revue des Sciences Religieuses

RThom

Revue Thomiste

Sal.

Salesianum

SC

Sources Chrétiennes

ST

Summa Theologiae

Un prêtre

Emile Neubert, Un prêtre de Marie. Le Père Joseph Schellhorn, Paris, 1948.

Vie

Emile Neubert, Vie de Marie, Mulhouse, Salvator, 1936.

VS

Vie Spirituelle

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

INTRODUCTION      

     UN APOTRE MARIAL                        DES TEMPS MODERNES

 

Le Père Emile Neubert (1878-1967), au début du vingtième siècle, fut l’un des premiers théologiens qui ouvrit le chemin de la recherche patristique sur la Vierge Marie. Sa thèse Marie dans le dogme de l’Eglise anténicéenne fut remarquée dès sa soutenance en 1907. Ce jeune théologien, un des précurseurs du renouveau patristique en France, sera couronné d’un diplôme d’honneur anniversaire, le 7 mars 1966, par la Faculté Théologique de l’Université de Fribourg pour cette thèse. Elle est encore aujourd’hui reconnue comme un jalon important dans les études mariales. «C’était la première thèse patristique consacrée à la Mariologie dans nos Facultés[1].» Publiée en 1908, elle inaugurait une série de parutions de livres et d’articles, comme un fondement scripturaire et patristique solide, gage d’une recherche inlassable de l’auteur en vue d’unir «ses vues doctrinales et spirituelles qui étonnent lorsqu’on lit ses ouvrages[2].» Ce que souligna le Père Théodore Koehler, dans sa courte note biographique pour la revue Ephemerides Mariologicae, en 1967, elle précédait une première présentation bibliographique de l’auteur décédé la même année.

Dans le milieu populaire, c’est par un tout autre ouvrage, différent pour le style et la forme, qu’Emile Neubert sera peu à peu mondialement connu : Mon idéal, Jésus Fils de Marie. Un traité qui, par la réception du grand public, le mit en bonne position avec d’autres grandes œuvres mariales populaires très célèbres comme Le Traité de la vraie Dévotion de saint Louis-Marie Grignion de Montfort et Les gloires de Marie de saint Alphonse de Liguori.

Héritier de l’enseignement du fondateur de la Société de Marie, le Père Chaminade, Emile Neubert par son petit livre Mon idéal, Jésus Fils de Marie nous présente, dans une sorte de petit « traité de spiritualité missionnaire », une véritable pédagogie du cheminement vers la sainteté, un itinéraire de vie chrétienne où Jésus et Marie s’adressent à tous les baptisés sous le mode d’une relation interpersonnelle. Traduit en plus de cinquante langues, cet ouvrage en format de poche inspira des millions de chrétiens, dont saint Maximilien Kolbe et Frank Duff.

Emile Neubert, après ce petit chef-d’œuvre de spiritualité mariale, approfondira, écrira sur la mission de Marie et la nôtre dans un souci d’évangélisation.

D’autres ouvrages et articles publiés sont autant de sources à ajouter pour notre étude. Elle cherche à faire apparaître la théologie spécialisée sur Marie dans le corpus «neubertien», dont le fameux Traité Mon idéal, Jésus Fils de Marie constitue l’ouvrage-clef. Les demandes de rééditions expriment une attente de nos contemporains en recherche de «maîtres spirituels» et de «chemins de spiritualité».

Dans le sillage de l’œuvre écrite d’Emile Neubert, une réponse nouvelle à cette attente devrait « promouvoir une dévotion enracinée dans les exigences doctrinales de la foi[3]

Cette thèse que nous soumettons devrait permettre de jeter les fondations en vue de la béatification d’Emile Neubert, mais notre réflexion ne s’arrête pas à ce seul point.

Nous avons eu, durant toutes nos recherches, la matière intellectuelle et spirituelle rejoignant notre intuition première. Nous pressentions, en effet, que sa pensée théologique et spirituelle possède, soit de manière approfondie soit à peine effleurée, des éléments qui nous permettent, dans la continuité du Concile Vatican II et de la pensée mariale de Jean-Paul II, d’œuvrer au renouvellement de la mariologie.

Les grandes intuitions d’Emile Neubert se trouvent en gestation à l’intérieur de son discours. Si elles venaient à être reprises dans une mise en relief de toute la théologie «neubertienne», nous aurions alors la matière originale pour apporter son concours - post mortem - à la maturité du Concile Vatican II dans ses applications pastorales et à l’œuvre indispensable de l’œcuménisme.

Il nous semble, avec autant d’audace que d’humilité, pouvoir solliciter le regard de l’Eglise sur l’évidente sainteté d’Emile Neubert, lui qui décida dans son enfance de «ne plus commettre de péchés véniels volontairement» afin de ne pas mettre en peine Marie dont il se fit serviteur pour complaire à son Maître et Sauveur, Jésus-Christ.

 

 

 

Méthode d’étude de l’œuvre

Un premier chapitre nous permettra de faire connaissance avec l’auteur. Il découvre son évolution personnelle, surtout dans ses plus jeunes années, dont il entreprit une relecture dans son autobiographie, commencée à l’âge de quatre-vingts ans, à la demande de son supérieur de communauté. Nous situerons mieux la signification de son message par ses engagements apostoliques comme prêtre dans la Société de Marie et, par ses écrits, durant toute sa vie où il fut connu essentiellement comme professeur de théologie et membre de sociétés mariales. Les principales publications seront brièvement présentées avec leurs recensions, elles donneront des repères de l’ensemble de son œuvre.

Un deuxième chapitre nous présentera la mariologie en France au début du XXe siècle après un aperçu ecclésial puis mariologique en se référant aux siècles précédents. Il tiendra compte de l’évolution historique globale en Occident. Ensuite, après avoir repéré les influences immédiates qu’il reçut, à l’époque de la rédaction de sa thèse, nous ferons une relecture succincte de la double influence essentielle de Louis-Marie Grignion de Montfort et surtout de Guillaume-Joseph Chaminade.

Un troisième chapitre nous donnera un aperçu des thématiques majeures de sa mariologie dans le dogme et le culte. Nous suivrons, par ces différentes thématiques liées à Marie, les fondements bibliques et patristiques de son enseignement dans l’ensemble de son œuvre. Nous découvrirons la mission maternelle et apostolique de Marie dans sa vision théologique.

A la suite de cette approche d’ensemble de l’œuvre, nous découvrirons, dans le quatrième chapitre, l’originalité du petit Traité Mon Idéal, Jésus Fils de Marie. Cette relecture se fera à la lumière du chapitre De beata de Lumen Gentium. Sous une forme souple et un mode de transmission original, Emile Neubert nous offre les fruits d’une pensée construite avec une mentalité mariale renouvelée dont les autres œuvres nous dévoilent les arrières-fonds théologiques, patristiques, bibliques, anthropologiques […] La réception internationale de Mon idéal, Jésus Fils de Marie nous fera rechercher les raisons pour lesquelles ce petit traité est beaucoup plus qu’une simple dévotion.

Un cinquième chapitre abordera la question de la réception de son œuvre, de son influence dans la Société de Marie et plus largement dans l’Eglise. En lien avec les textes du Concile Vatican II et ceux de l’après-Concile, à la suite d’un bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade et de saint Louis-Marie Grignion de Montfort mieux connu, nous ferons une relecture critique de toute son œuvre.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE PREMIER

 

EMILE NEUBERT

 

Nous possédons deux biographies écrites par ses anciens élèves, l’une rédigée de son vivant par Gerald Jarc[4] l’autre, par le Père Théodore Koehler[5] pour la revue Ephemerides mariologicae[6], qui annonce le décès du Père Neubert survenu le 27 août 1967.

Nous possédons une autobiographie[7] comme ce fut le cas pour sainte Thérèse de Lisieux ou la bienheureuse Dina Bellanger, elle constitue un témoignage de grande valeur spirituelle que nous recevons dans notre étude. Nous découvrons une vie intérieure intense et riche :

Etant donné que mes supérieurs ne signaleront sans doute guère que des défauts plutôt physiques : nervosité, timidité, maladresse, […] et m’attribueront des dispositions de régularité, de piété, surtout mariale, de zèle… On conclura que ma vie a été un beau rêve de jeunesse réalisé dans l’âge mûr[8].

Théodore Koehler, fils spirituel d’Emile Neubert, nous en offre un profil intéressant dans sa biographie. Il situe son œuvre dans son époque afin de l’insérer au mieux dans le vaste champ mariologique. C’est la raison pour laquelle, il fait allusion aux bouleversements politiques et culturels du vingtième siècle, avec en France, la loi de 1905, les deux guerres mondiales, et d’autre part, la crise boursière de 1929 en Amérique :

Les besoins culturels, pastoraux varient beaucoup. On est tenté de répéter le cliché facile qu’après Vatican II, une page est définitivement tournée. Et pourtant ces hommes de la première moitié de notre siècle eurent le mérite de faire le premier effort d’une saisie chrétienne de l’accélération de l’histoire, du développement des sciences, écartant avec intelligence et courage bien des impasses. L’épreuve ne leur a pas manqué : les bouleversements des guerres mondiales et des révolutions sociales, les crises idéologiques (modernisme, sécularisation, marxisme, […])

Avec les moyens alors à leur disposition, ils assurèrent l’incessant renouveau de la véritable Tradition qui entre dans l’histoire déjà écrite ou en train de s’écrire. Devant les tâches inconnues, il est bon et nécessaire de découvrir aussi l’œuvre de ces mariologues d’une autre génération qui surent, comme le Père Neubert, allier la volonté d’une recherche scientifique à l’activité infatigable d’un apostolat marial des temps modernes[9].

Emile Neubert, dans les différentes obédiences reçues de ses supérieurs, nous laissa un témoignage de sainteté. Son parcours de vie et d’apostolat est riche de significations théologiques, en parfaite fidélité à la grâce de son baptême, ainsi que l’exprime le Père François-Marie Léthel : «Tous les saints sont théologiens, seuls les saints sont théologiens[10]

C’est toute la vie du baptisé qui devient un «lieu théologique», par le fait même du déploiement de sa sainteté, expression éclairante de notre vocation chrétienne, rappelée par le chapitre cinq de Lumen Gentium [désormais en abrégé LG] du Concile Vatican II.

Il se découvre dans la lumière du Concile Vatican II, il nous entraîne dans le sillage des saints. Avec lui, nous nous situons dans la communion de toute l’Eglise, l’Eglise en pèlerinage qui est dans la communion la plus intime avec l’Eglise du Ciel (LG 7), dans celle qui contemple son vrai visage en Marie (LG 8), visage de la sainteté immaculée, sans taches, ni rides.


I.1 Eléments biographiques

 

I.1.1 Ribeauvillé 1878-1893

Emile Neubert est né le 8 mai 1878, au pied des Vosges alsaciennes à Ribeauvillé, une petite ville du Haut-Rhin, proche de Saint Hippolyte où la Société de Marie fonda un Collège que le Bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade[11] connut comme maison de récollection.

Les vocations de frères et de prêtres marianistes sont nombreuses en Alsace, surtout dans la région du Val de Villé, la foi est vive et profonde dans ces populations. Les maisons de Saint Hyppolite et d’Ebersmunster, tenues par les Marianistes, jouissaient d’une excellente renommée. Les frères de Marie dirigeaient des écoles et des pensionnats dans une vingtaine de localités alsaciennes. En dehors des ordres anciens, les congrégations étaient peu connues à cette époque.

Citons l’Ordre des Capucins parmi elles. Ces religieux prêcheurs sont aujourd’hui encore responsables du célèbre sanctuaire Notre Dame de Dusenbach[12] à Ribeauvillé et de son pèlerinage. Ils voient cheminer, le dimanche et les jours fériés, les habitants de toute la région. Les pèlerins font halte dans les chapelles et devant les calvaires. Au temps d’Emile Neubert, les caravanes s’arrêtaient aux abords du collège de Saint Hippolyte, devant le calvaire dressé près du grand portail. Ils pouvaient prendre contact avec les religieux en redingote, réputés accueillants et chaleureux[13].

Membre d’une famille de douze enfants, (neuf frères et trois sœurs) dont cinq moururent en bas âge, le jeune Emile reçut, dès sa prime enfance, une éducation chrétienne.

Il reconnait que dans son enfance, il fut en contact avec d’autres jeunes de sa génération qui contredirent sa recherche d’allier les actes à sa piété voulue par ses parents. Dieu était perçu par lui comme source d’interdits, de commandements à observer, dans la crainte d’une punition : «Je n’ai pas commencé par être un enfant pieux et sage[14]

A l’école, doué d’une excellente mémoire et d’une grande curiosité intellectuelle, il se décrit comme un enfant nerveux, timide, maladroit, intimidable, supportant ses problèmes acoustiques et de myopie[15].

C’est au début de l’adolescence qu’il commença de mûrir une relation personnelle avec ce Dieu qui s’est fait homme et, qui a fait le choix : «de souffrir et de mourir pour moi[16]», selon son propre témoignage. Ce Dieu se donnera à lui le jour de sa première communion à l’âge de quatorze ans.

Sa vocation naquit à l’âge de douze ans, provoquée par l’appel que lui adressa sa sœur Albertine, de cinq ans son aînée. Elle entrera dans la vie religieuse. Elle l’invita à faire comme un grand oncle de la famille, le frère Louis Neubert, devenu frère enseignant dans la Société de Marie.

Je n’avais jamais songé à une telle éventualité, mais comme je participais à sa joie, j’ai répondu «oui». Elle en parla à mon père, qui manifestait un certain étonnement devant cette vocation soudaine ; mais quelque temps après, il écrivit à son oncle que son fils Emile envisageait (la vie consacrée)[17].

Le «oui» courtois que prononça Emile à sa sœur, dans la perspective d’entrer dans cette Société de Marie, s’affermit avec l’appui de la famille, du père[18] notamment, dont il appréhendait la réponse :

«Ecce …Fiat mihi !» Mais je ne pensais pas à Marie. C’est elle qui pensait à moi[19].

L’oncle était heureux, bien sûr. Il fut donc décidé qu’après ma première communion, j’irais au Postulat de Bourogne, non loin de Belfort.

Je ne me souviens pas d’une quelconque dévotion particulière chez moi pour Notre Dame avant mon entrée au postulat ; ce fut une habitude pour les enfants en âge scolaire que de dire le chapelet le soir, et je faisais comme tout le monde[20].

La première communion, à l’époque, se célébrait à l’âge de 14 ans en Alsace[21]. J’ignorais alors que ces Frères s’appelaient les Frères de Marie ; ainsi, dans mon esprit, il n’y avait aucun lien entre ma vocation et la Vierge Marie. Ce n’était pas l’habitude non plus de prononcer un acte solennel de consécration à Marie le jour de la première communion ; je n’ai pas le souvenir d’avoir eu la moindre pensée pour Elle ce jour-là.

Sa première communion marqua un tournant décisif dans sa vie spirituelle. Et, écrit-il dans sa biographie, le péché «apparaît désormais comme un manquement contre l’amour de Celui qui a donné sa vie pour moi et qui s’est donné tout à moi dans l’Hostie[22].» La décision de rejeter le péché mortel et le péché véniel délibéré était prise dans une relation d’amitié avec Jésus.

C’est à ma mère, Marie, que je dois de n’avoir commis aucune faute pleinement consciente depuis ma première communion : qu’elle me prolonge cette grâce jusqu’à ma communion au ciel[23] !

Il entra, après sa première communion, à l’âge de 14 ans, au postulat de la Société de Marie fondée par le Père Chaminade.

 

I.1.2 Postulat de Bourogne 1892-1894

Le jeune Emile fit son postulat à Bourogne de 1892 à 1894[24], reçu par M. Joseph Meyer qui avait la réputation d’un saint :

Lequel des anciens postulants de Bourogne ne se rappelle avec émotion l’impression de dignité surnaturelle et de paternelle affection que fit sur lui, dès sa première rencontre, le vénéré directeur ! : «Soyez le bienvenu mon cher ! C’est la Très Sainte Vierge qui vous conduit ici, elle vous y gardera», disait-il en pressant les mains de ses nombreux enfants. Et ces derniers, immédiatement, se sentaient à l’aise avec lui et lui donnaient toute leur confiance[25].

Durant cette période, il découvre la dévotion à Marie, à l’honneur dans sa Société : le Petit Office de l’Immaculée Conception, dit en latin, auquel il ne comprenait rien. Il récitait également le chapelet et, chaque matin, l’acte de consécration à la Vierge, cher aux Marianistes, ce qui lui rappelait la dévotion mariale de sa mère[26].

Dans cette étape, il possédait quelques connaissances élémentaires concernant les privilèges de la Vierge Marie : «Maternité Divine, Immaculée Conception, Virginité, une idée au moins vague de sa Médiation de grâce, Assomption.»

Se souvenant de la présence des protestants à Ribeauvillé qui condamnaient le culte marial des catholiques, il était prêt à défendre ce culte comme il aurait défendu l’infaillibilité pontificale. Mais en même temps, il reconnaissait que sa relation à Marie pouvait s’épanouir :

Ma dévotion envers elle se réduisait presque au culte obligatoire : presque rien de cette attirance instinctive vers la Vierge, ma Mère céleste, de cette confiance, de ce besoin d’intimité, de vie d’union, de cette joie épanouissante qui caractérisent la vraie dévotion à Marie. Cette dévotion, j’avais encore à la découvrir. Ma Mère allait m’emmener à cette découverte, mais par une voie étrange[27].

Ce fut par l’appel à «l’intériorité» si chère aux Marianistes et, à une vie plus surnaturelle, captivé de plus en plus par l’amour de Jésus, que se fit sa rencontre avec Marie :

Jusque-là mon amour pour Jésus consistait à éviter tout ce qui pouvait lui déplaire. A présent je compris que cet amour me demandait de lui donner tout ce qui pouvait lui plaire, que ce fût obligatoire ou non. Jusque-là, il avait pour limites les limites de mes obligations. A présent, il n’avait plus d’autre limite que le bon plaisir de Jésus.

Or, en même temps que je comprenais d’une toute autre façon l’amour de Jésus, je me sentais rempli d’une dévotion tout aimante, confiante, épanouissante envers la Mère de Jésus, ma Mère, comme si j’avais toujours vécu dans son intimité. Sans raisonnement - ce que je savais théoriquement jadis, je le sentais à présent - dans l’amour de Jésus, je sentais aussi que Marie est tout amour, que Jésus me l’a donnée pour Mère et veut que je l’aime comme lui ; qu’elle m’aime de l’amour dont elle aime Jésus, et veut m’aider à l’aimer comme elle. Et depuis cette époque, j’éprouve en elle une immense confiance, sûr qu’elle m’obtiendrait toutes les grâces, miraculeuses même si c’est nécessaire, pour réaliser toutes les intentions de Jésus sur moi, les intentions de Jésus qui sont en même temps les siennes[28].

Au postulat, j’appris par hasard d’un condisciple que notre nom complet était «Frères de Marie». Cela ne m’impressionna pas plus que s’il m’avait dit que nous étions les «Frères de saint Paul». Les postulants avaient l’habitude d’aller communier les dimanches et jours de fête. Ceux qui le souhaitaient y allaient aussi le samedi, car nous allions nous confesser le vendredi. Quiconque voulait communier un autre jour, devait en demander la permission à l’aumônier. Les instructions de l’aumônier étaient passablement ternes et je ne me rappelle pas avoir été frappé par quoi que ce soit de saillant dans ses enseignements.

Vers le milieu de ma seconde année de postulat, j’allais communier deux fois par semaine, et trois fois vers la fin de la seconde année. (Rappelez-vous que ce fut une quinzaine d’années avant le décret de Pie X sur la communion quotidienne.) Cela m’aidait à être plus recueilli. Dans la foulée, mon amour pour Marie et ma confiance en la Mère de Jésus ne faisaient que croître. Etait-ce dû à quelque instruction, quelque lecture sur Marie, si les choses avançaient quelque peu ? Je ne m’en souviens pas, mais je me rappelle qu’au cours de la messe nous chantions des cantiques à Jésus-Eucharistie, au Sacré-Cœur et à Marie, si aimante et si aimable, toutes choses qui augmentaient ma dévotion à l’un et l’autre. Durant la troisième année, ma dévotion à Jésus et à Marie augmentait encore. On peut dire que c’est Jésus qui me conduisait vers sa Mère, et Marie qui accroissait mon amour pour Jésus[29].

A la fin du postulat, ses supérieurs l’envoyèrent au noviciat de Courtefontaine.

I.1.3 Noviciat de Courtefontaine 1894-1895

En septembre 1894, je suis entré au noviciat avec l’idée de me donner à Jésus et à Marie. Ce fut à Courtefontaine, à une petite vingtaine de kilomètres de Besançon. Le Père Mathern, maître des novices depuis 1871, était un saint prêtre. Il nous enseignait les cours habituels prévus pour le noviciat, mais pas de cours de mariologie. Chose que je regrettais, puisque nous étions des Frères de Marie. Il est vrai que je pouvais lire sur ce sujet dans les Constitutions, qui avaient été approuvées par Rome en 1891, soit trois ans auparavant. J’étais heureux d’y lire dans les chapitres I, VI et XXX ce qu’on y dit sur notre dévotion spéciale à Marie. Je comprenais que nous devions pratiquer la dévotion à Marie au suprême degré, mais je ne voyais pas, qu’à part cela notre dévotion comportait un caractère particulier[30].

Me rendant compte que la qualité de toute ma vie religieuse et que la fécondité de tout mon apostolat allaient dépendre en grande partie de ma ferveur au noviciat, j’étais fermement décidé à m’y donner à Jésus et à Marie, sans réserve aucune, quoi qu’il dût m’en coûter. Je crois avoir été fidèle à une telle résolution[31].

Cet aveu d’Emile Neubert, âgé de quatre-vingts ans à l’époque de la rédaction de son manuscrit autobiographique, est précieux, comme le sont toutes ses confidences que nous recevons sur sa vie intérieure. Elles nous permettent de tracer un véritable itinéraire spirituel avec ses étapes bien connues[32]. Son œuvre publiée nous donne des repères et des orientations dans sa vie spirituelle. Nous pouvons mieux réaliser l’unité de sa vie avec son enseignement.

C’est à partir de l’étude des constitutions de la Société de Marie, approuvées par Rome en 1891, qu’il comprit à seize ans la spécificité de la vocation religieuse marianiste :

Je compris que la dévotion à Marie devait nous distinguer de tous les autres religieux et que, ce par quoi elle devait nous distinguer, c’était qu’elle était considérée comme la reproduction de la piété filiale de Jésus envers sa Mère et qu’elle devait être plus parfaite que celle de tout autre religieux. De son caractère apostolique et de ses relations avec la fondation même de la Société de Marie, je n’avais aucune idée. D’ailleurs, on ne faisait pas de cours de mariologie[33].

Il prononça un vœu dit «de perfection» en privé, puis ses premiers vœux de religieux, le 15 septembre 1895, avant d’être envoyé dans un scolasticat[34] qui le préparerait à devenir religieux laïc, malgré son désir d’être prêtre. Mais un médecin décela chez lui un tremblement de la main droite dû à sa nervosité, ses supérieurs estimèrent alors, qu’il ne supporterait pas la fatigue des longues études classiques et ecclésiastiques.

 

I.1.4 Scolasticats 1895-1900

A l’époque, il existait deux scolasticats, l’un pour les profès qui ne se destinaient pas au sacerdoce, l’autre pour les futurs prêtres. Mon souhait était de devenir prêtre. Mais vu que ma santé laissait à désirer - chose qui n’a guère changé dans la suite -, les Supérieurs prirent l’avis du médecin pour savoir si j’avais les forces pour les longues études que présupposait le chemin vers le sacerdoce. Le médecin me dévisagea, me posa l’une ou l’autre question et dit aux Supérieurs qu’au bout d’un an, je serais incapable de poursuivre des études. En fait, j’ai continué à étudier pendant dix ans et à lire et à écrire chaque jour. Mais le docteur avait parlé et les Supérieurs décidèrent que j’irais au Scolasticat «primaire» à Ris, non loin de Paris […]

Qu’allaient devenir mes rêves de devenir prêtre et de prêcher sur la bienheureuse Vierge ? Bien sûr, je ne les ai pas abandonnés, je n’y ai pas renoncé. J’espérais que la Vierge m’aiderait ; je ne savais trop comment, mais je n’abandonnais pas l’espoir.

J’ai passé une année à Ris. J’ai passé avec succès mon certificat d’instituteur. Puis, le Père Kirch, l’aumônier des scolastiques qui était au courant de mon désir de devenir prêtre, sans me prévenir, a demandé à l’Administration Générale de m’envoyer dans l’autre Scolasticat, celui de Besançon, pour commencer l’étude du latin. Je n’avais donc pas espéré en vain, et cette année de prière et d’attente avait renforcé ma dévotion envers Marie[35].

C’est après un an passé au scolasticat inférieur de Ris-Orangis, dans l’espérance et dans la nuit de la foi, s’en remettant à la Vierge Marie, qu’il eut donc la surprise, après Pâques 1896, d’être envoyé au scolasticat supérieur de Besançon pour quatre ans : de septembre 1896 à 1900 dans la perspective du sacerdoce :

A Besançon, compte tenu de mes études antérieures et de ma facilité naturelle pour l’étude, je suis parvenu à achever le cycle des études de latin, de grec et des matières scientifiques et philosophiques, et j’ai réussi l’examen du baccalauréat[36].

Très vite, on lui permit de communier chaque jour. Une grâce à laquelle il tenait beaucoup et qui lui fut accordée à une époque encore marquée par le jansénisme :

« Ma dévotion à Marie se maintenait à la hauteur de ma dévotion eucharistique[37]. »

Différents ouvrages connus à l’époque retinrent son attention :

En ce qui concerne les ouvrages que j’ai lus sur la bienheureuse Marie, je me rappelle Les Gloires de Marie de St. Alphonse, qui a fait sur moi une grande impression, La Vie de St Gabriel de la Mère Douloureuse, ouvrage en italien qui venait d’être publié ; grâce à une vieille grammaire italienne et à ma connaissance du latin, je suis parvenu à comprendre presque tout. La confiance de ce saint en la Mère douloureuse m’a fortement impressionné. A la fin de mon scolasticat, le Père Kieffer - notre directeur à l’époque - m’a donné un exemplaire de La Vraie Dévotion à Marie par Grignion de Montfort.

Cet auteur insistait sur le saint esclavage, ce qui me frappa très fort. Du fait que notre doctrine sur la dévotion du Fondateur à l’égard de la bienheureuse Mère (Marie) était inconnue, j’en étais venu à me poser la question, pendant un certain temps, si sa dévotion (celle de Grignion de Montfort) n’était pas supérieure à la nôtre[38].

La consécration à Marie qu’il prêchait me paraissait plus totale que la nôtre et je tâchai de trouver une chaînette pour porter l’insigne du saint esclavage[39].

 

I.1.5 Caudéran, Monceau, Stanislas, 1900-1903

Il fut envoyé ensuite dans diverses œuvres d’éducation sur Bordeaux[40], puis Paris[41] où il poursuivit ses études universitaires :

Après le Scolasticat, on m’a envoyé enseigner dans notre collège de Caudéran (Bordeaux), où j’enseignais le latin et le grec et, plus tard, à l’Institution Sainte Marie, rue de Monceau, à Paris pour enseigner les mêmes matières. J’y ai vu des frères qui en prenaient à leur aise avec les obligations religieuses. Une idée a contribué grandement à me maintenir sur le chemin de l’idéal, à savoir que je ne pourrais jamais faire à mes élèves tout le bien que je devrais leur faire, et certains parmi eux paraissaient spécialement bien disposés et fervents, si moi-même je n’étais pas pleinement fidèle à la grâce ; de plus je ne voulais pas être la cause qu’aucun d’entre eux aille à sa perte du fait d’un manque de zèle ou de ferveur chez moi[42].

En France, la préparation de la loi Combes (1905) qui ferait partir tous les religieux, se soldera par une défection importante de frères enseignants, surtout à vœux temporaires, dans toutes les congrégations. Emile Neubert fut mis à l’épreuve, mais il tint bon.

Ses supérieurs lui accordent un report à sa demande, il prononçera ses vœux définitifs comme religieux de la Société de Marie, (report qui l’obligea à un abandon plus grand et à grandir toujours plus dans l’espérance). Il fut admis à la «profession perpétuelle» le 2 septembre 1902.

Ce jour-là, il nous confie avoir été libéré définitivement de toute tentation impure[43].

Ces vœux définitifs - la profession perpétuelle - correspondent, dans la Société de Marie, à un engagement de coopération à la mission apostolique de Marie avec un vœu supplémentaire spécifique : celui de stabilité. Le profès définitif reçoit alors une première obédience, qui est l’orientation de travail ou d’étude choisie pour lui par ses supérieurs.

Durant l’année 1902-03, je me suis adonné à des études supérieures au Collège Stanislas et à la Sorbonne où j’ai passé une licence classique.

Ensuite, je fus envoyé dans notre séminaire à Fribourg en Suisse avec 13 autres candidats au sacerdoce, car le gouvernement anticlérical d’alors avait confisqué la plupart de nos maisons en France. Il était prévu que je fasse un doctorat en théologie[44].

 

I.1.6 Séminaire de Fribourg 1903-1907

Au séminaire international de Fribourg de 1903 à 1907, Emile Neubert reçut sa formation sacerdotale en poursuivant des études thomistes à l’Université[45].

Grâce aux cours d’exégèse du Nouveau Testament, Emile Neubert redécouvre Jésus, il y approfondit l’étude de son humanité :

On y étudiait Notre Seigneur comme homme, comme homme semblable à nous, ayant eu ses tristesses, ses angoisses, ses incertitudes même, comme nous, ses obscurités, ses déceptions disait-on.

Jusque-là, j’avais considéré Notre Seigneur surtout comme docteur suprême et comme un thaumaturge et par-dessus tout, comme le Dieu d’amour de l’Eucharistie. A présent, je le voyais sous un autre aspect, l’aspect humain qui le rapprochait davantage de moi. Dans mes relations avec la divinité, c’était Marie qui m’avait servi d’intermédiaire, Marie, Mère toute bonne, toute humaine, quoique toute sainte s’abaissant vers moi, Maman toute aimante et toute miséricordieuse qui prend soin de son enfant. Mais Jésus était homme aussi comme moi, il avait passé par des expériences semblables aux miennes, il pouvait par conséquent me comprendre aussi bien que Marie, mieux même étant du même sexe que moi[46].

Au cours d’une retraite de Carême en 1904, il s’interrogea sur sa relation avec Marie : ne devait-il pas désormais restreindre ses relations avec Marie pour s’adresser plus souvent à Jésus[47] ?

Ne pouvant trouver la solution dans mon esprit, je me mis à dire le chapelet pour demander à Marie quelles devaient être désormais mes relations avec elle. A la troisième dizaine la naissance de Jésus, je compris que la mission de Marie avait été de nous donner Jésus et que sans doute, elle devait continuer cette mission en nous donnant Jésus de plus en plus. Depuis ce jour, je n’ai plus eu de difficulté à propos du rôle de Marie dans ma vie spirituelle. J’ai toujours constaté que plus croissait mon union avec elle plus croissait mon union avec Jésus. Marie me faisait mieux comprendre et aimer Jésus, et Jésus me faisait mieux comprendre Marie. A présent, je ne puis plus penser d’une façon aimante à Jésus sans penser d’une façon aimante à Marie vice-versa[48].

A cette époque, fort de cette conviction, il publia deux articles[49] pour soutenir les prêtres et les religieux qui pouvaient connaître les mêmes interrogations ou qui étaient tentés de quitter la Société de Marie à cause de la crise du modernisme qui gagnait les esprits. Il inaugura une série d’articles, de livres qui lui seraient demandés au fur et à mesure de ses missions de «formateur» qui l’attendaient dans la Société de Marie soit comme Maître des novices, comme Directeur de séminaire et «Directeur spirituel[50]

L’esprit apostolique se développait en lui dans le sillage de sa «seconde conversion» au postulat, mais c’est surtout grâce à une découverte importante qu’il fit à la fin de sa première année de scolasticat, lors d’une prédication du Père Klobb[51].

Pour le jeune étudiant de Fribourg, la lutte prit le visage précis des oppositions modernistes à la suite de Loisy et quelques autres universitaires moins connus. Cette crise remettait en cause, par exemple : l’authenticité des premiers chapitres entiers de saint Luc dans leur intégralité, le passage concernant Marie et saint Jean au pied de la Croix ; les dogmes de la Virginité de Marie et de l’Assomption (qui sera plus tard défini) étaient aussi contredits.

La pensée occasionnelle de ces jours me faisait l’impression d’un souvenir de mauvais rêve[52].

Or, le temps était venu pour lui, de choisir le thème de sa thèse de doctorat avec un modérateur. C’est dans la prière que l’idée lui vint «comme une distraction»[53], de faire une étude sur Marie chez les Pères : «Marie dans le dogme de l’Eglise anténicéenne.»

C’est sous la direction de Monseigneur Kirsch, qu’il rédige sa thèse, elle fut primée et très vite publiée. Elle devint un outil de réfutation contre plusieurs affirmations dans les débats produits par la crise moderniste que publiaient certaines revues[54] :

D’après le P. H. du Manoir et l’Abbé Laurentin, c’était la première thèse de doctorat qui ait jamais été écrite sur la Sainte Vierge. Mais ce qui me fit plus plaisir que ces éloges, ce fut la contribution, non prévue, qu’elle apporta en l’honneur de la défense de Notre-Dame[55].

Ordonné prêtre, le 5 Août 1906, il fut pressenti en vue d’être professeur de philosophie, au service de la Société de Marie en Amérique qui avait besoin de prêtres enseignants.

 

I.1.7 Etats-Unis 1908-1921

Après quelques mois d’apprentissage de l’anglais et le temps pour lui de s’imprégner des écrits du Fondateur, il partit pour Dayton où très vite, il seconda un maître des novices. Il se chargea de leur formation mariologique :

En janvier 1908, je débarquais à New York. En août 1908, je fus nommé aumônier du Postulat occidental à la Villa St Joseph, à Ferguson, Mo. J’y ai rédigé et reproduit pour les postulants un cours sur la vie, les privilèges et la dévotion à Marie[56].

Son apostolat est alors de former des religieux et des futurs prêtres, il aura parmi ses élèves de futurs formateurs :

J’ai toujours éprouvé une joie profonde à travailler dans une maison de formation où l’on se préoccupe directement des jeunes de la famille de Marie, et d’un point de vue apostolique le bien qui influera sur leur futur apostolat qui se déversera sur des centaines et même des milliers d’âmes qu’ils auront sous la main[57].

Dès 1909, Emile Neubert est nommé professeur au collège Sainte Marie de Dayton[58]. Il assure une formation en mariologie : «Aux chapitres relatifs aux titres attribués à Marie, j’ajoutai le chapitre relatif à ses privilèges et un troisième, relatif à la dévotion[59]

L’année suivante, il prêcha une retraite de vingt-et-un jours pour les futurs profès définitifs au cours des vacances d’été. Son enseignement était imprégné d’éléments mariologiques du Fondateur, grâce à l’utilisation des fascicules qui seront publiés ultérieurement sous le titre : Esprit de notre fondation[60].

En septembre 1910, on le nomma Maître des novices à Ferguson, il n’avait que trente-deux ans :

En m’annonçant cette nomination, le Père Lebon m’envoya un chapitre sur la dévotion à Marie provenant de l’œuvre : l’Esprit de notre Fondation qui venait de sortir de presse. C’est ainsi que je rédigeai un nouveau cours de mariologie selon les enseignements du Père Chaminade[61].

Il s’inspirait de la doctrine et de la spiritualité de Guillaume-Joseph Chaminade dont on avait commencé l’étude dans la Société de Marie. Il donna au noviciat des cours polycopiés dans lesquels nous voyons apparaître certaines idées maîtresses qu’il développera dans son corpus : la vie du Christ en nous, l’imitation de sa piété filiale envers Sa Mère, la mission apostolique de Notre-Dame, l’union à Marie, source de sainteté […]

Le jeune maître saisit l’occasion de vulgariser l’enseignement mariologique, par l’ébauche d’un traité sur le sujet avec les acquis précédents, en ajoutant un chapitre sur la «consultation» de Marie :

En 1914, j’ai terminé l’impression de La vie intérieure de la Société de Marie[62] comportant des références multiples à Marie, incitant le lecteur à la consulter afin qu’Elle nous dise comment imiter Son Fils.

Son séjour de treize ans passé en Amérique, au service de la formation des futurs religieux et la prédication de retraites aux religieuses marianistes qui le sollicitaient l’été lors de ses retours ponctuels en Europe, le préparaient à l’écriture. Il commença par la publication de quelques articles et poursuivit des ébauches de livres sous la forme de cours et d’enseignements qu’il donnait selon les différents niveaux de ses auditoires[63].

 

I.1.8 Retour en Europe : Strasbourg - Fribourg 1921-1949

En 1921, il est rappelé en Europe.

Emile Neubert est nommé directeur du séminaire marianiste de Fribourg, après deux ans de professorat de philosophie à Strasbourg, puis à la Villa saint Jean à Fribourg. Il compléta la formation des séminaristes par des cours de mariologie.

Il reprenait le programme des postulants de Ferguson en mariologie - la vie de Marie, ses privilèges et la dévotion envers elle – en l’adaptant à la formation intellectuelle et théologique des séminaristes qui lui étaient confiés :

Précédemment, aucun cours de mariologie n’avait été donné aux séminaristes. Je leur en fis suivre un sur la vie et sur les privilèges de Marie, lequel (cours) dans la suite, fut imprimé sous les titres de La Vie de Marie et de Marie dans le Dogme. Un autre ouvrage, imprimé plus tard, sous le titre La Dévotion à Marie, traitait de cette dévotion en général, suivi d’encore un autre Notre Don de Dieu, traitant de la dévotion à Marie dans la Société de Marie[64].

De 1922 à 1949, il se consacra totalement à la formation des prêtres de la Société de Marie : leurs études, leur préparation pastorale et surtout la direction spirituelle. La volonté de donner à l’Eglise de saints prêtres motive une incessante recherche pour révéler à ses séminaristes les splendeurs du don de soi au Christ par Marie. Il eut des journées très chargées. L’université donnait les cours philosophiques et théologiques, mais il fallait assurer la formation religieuse et sacerdotale. Dans ce cadre, il plaça des cours de spiritualité et de doctrine mariale et s’efforça de mieux faire comprendre la pensée et l’esprit du fondateur de la Société de Marie, le Père Guillaume-Joseph Chaminade.

Plusieurs de ses séminaristes choisirent leur sujet de thèse de doctorat dans le domaine mariologique, sujet privilégié dans la recherche en patristique ou chez des auteurs plus proches de nous[65].

Il ne cessait de maintenir des contacts en lien avec la recherche en mariologie de par le monde malgré ses responsabilités au séminaire de Fribourg.

En effet, dès 1930, il participa activement au mouvement mariologique français. Il devint l’un des fondateurs de la Société Française d’Etudes Mariales. De 1935 à 1953, il fut élu conseiller du premier président, le P. Morineau. Cette Société organisait un congrès tous les ans, en différents lieux significatifs sur le plan marial en France (hormis la période de la guerre 1939-1945). C’est à partir de ces congrès que furent publiées les conférences[66] jusqu’en 1963 (l’issue du Concile Vatican II[67].)

A partir de 1938, il devint membre de la section théologique des congrès mariaux nationaux et, à partir du 8 décembre 1951, membre ordinaire de l’Académie Mariale Internationale de Rome. Il participa aux grands Congrès internationaux que leur Président, le Père Balic, relança. Il suivit les travaux de ces organisations jusqu’en 1961, date du Congrès national de Lisieux où on le vit pour la dernière fois.

L’âge et les infirmités l’obligèrent à renoncer à ses activités. En 1949, il résilia ses fonctions de supérieur du séminaire. Il resta au service de ses jeunes confrères comme confesseur.

On le nomma aumônier à Grangeneuve, puis au noviciat de la Tour de Sçay, près de Besançon.

 

I.1.9 Grangeneuve - La Tour de Sçay 1949-1962

Sa retraite fut studieuse, car il acheva ses publications tout en donnant des cours aux novices.

Il faut signaler sa correspondance comme directeur spirituel, une œuvre en soi, dont il n’est pas encore possible d’évaluer l’étendue.

Dans les derniers temps de sa vie, il suivit les travaux mariologiques par une riche correspondance.

I.1.10 Retraite à Art-sur-Meurthe 1962-1967

De 1962 à sa mort, il connut cinq années de retraite véritable en Lorraine. Années privées d’activité mais d’une grande densité intérieure, sa foi rayonnait mystérieusement sous la forme d’un profond abandon. Il voyait décliner ses forces et surtout sa mémoire de l’immédiat quotidien.

Mystérieuse revanche! Ses confrères devinèrent la sainteté du Père. Docile à tous, il recevait leurs avis et directives avec son bon regard tourné vers l’intérieur qui livrait à son prochain la simple charité d’un homme habitué à s’abandonner à son Maître divin et à sa Mère du ciel. La rude épreuve de l’extrême vieillesse levait le voile sur le secret vécu par celui qui avait tant prêché la vie dans le Christ par l’union à Marie, dans l’oubli de soi.

Il mourut le 27 août 1967, trois jours après la date anniversaire symbolique de la fameuse lettre dite «du 24 août»[68], que le bienheureux Guillaume Chaminade écrivit pour mieux expliquer le charisme de la vie religieuse marianiste. Elle devait être au centre de l’œuvre et de sa vie, que ces quelques mots résument : «Assister Marie dans sa mission apostolique.»

Avec le Père Neubert disparaît un éminent représentant d’une génération qui rendit à l’Eglise, le service inappréciable de promouvoir une dévotion enracinée dans les exigences doctrinales de la foi [] Un dernier trait de la vie du Père révèlera son âme mieux que cette brève notice biographique ne saurait le faire. Durant les ultimes journées de sa vie, il aimait répéter la fin d’une poésie mariale composée par lui en 1905 (un Hommage à Notre Dame qu’on peut trouver à la fin de la dernière édition de Mon idéal, Jésus Fils de Marie de 1963) ; la prière adopte le style des complaintes en vieux français :

Et quand mourant tu me verras,

Lors viens, me reçois en tes bras,

Benoîte Vierge[69] !

C’est ainsi que le Père Théodore Koehler conclut la brève présentation biographique de celui qui fut son maître et Père spirituel et, dont il me confia une seule parole qui devait marquer le disciple à vie, puisqu’il me la rappela en 1994, alors âgé lui-même de quatre-vingt-trois ans[70] : «Soyez fidèle à votre grâce, à toute votre grâce.»

Ce conseil à Théodore Koehler nous éclaire sur sa vie. Nous découvrons le lien étroit qui relie son action pastorale à son œuvre d’écrivain et également, entre le message donné par ses ouvrages et la formation offerte pour toute la famille marianiste. Il faut mentionner les retraites qu’il prêcha aux Filles de Marie (les sœurs marianistes), fondées en 1816 par la Vénérable Adèle de Batz de Trenquelléon, en lien avec le bienheureux Père Guillaume-Joseph Chaminade, un an avant la fondation des Frères de Marie (Marianistes).

Il travailla à la rédaction des nouvelles constitutions des Sœurs Marianistes, pour qu’à la suite de leurs Frères, elles puissent inclure le vœu de stabilité au moment de la profession définitive.

 

I.2 Eléments de relecture théologique

La première lumière reçue du jeune Emile dans son autobiographie donne d’emblée l’axe fondamental qui structure toute sa théologie. Il la développera dans son œuvre essentiellement ascétique, spirituelle et mariale : le christocentrisme.

Il peut faire sienne, à treize ans, l’expression de saint Paul qui exprimait ainsi sa foi en Jésus : «Le Fils de Dieu m’a aimé et s’est livré pour moi[71].»

Il nous livre son propre témoignage qu’il encadre de deux informations importantes : la première concerne la découverte de l’humanité de Jésus, la seconde concerne l’importance de l’Eucharistie. Ces deux informations nous renvoient au mystère de l’Incarnation du Verbe, que prolonge le mystère de l’Eucharistie. Le jeune Emile s’inscrit d’emblée par son expérience spirituelle dans le grand courant de l’Ecole Française de Spiritualité qui a pour fondateurs : le cardinal Pierre de Bérulle, Monsieur Olier, saint Jean Eudes et saint Vincent de Paul. Bérulle, en héritier fidèle de la théologie des Pères d’Orient et d’Occident et, initiateur de cette révolution copernicienne dans l'Eglise post-tridentine où tout est centré autour de ce soleil qu'est Jésus-Christ, écrit :

Contemplons Jésus en cet état au milieu de la Vierge, comme son centre et son cœur , ou bien comme un soleil, selon les prophètes, soleil couvert d'une nuée légère, c'est-à-dire de la très Sainte Vierge, qui couvre encore à la terre et le couvrira neuf mois durant. Les mathématiciens affirment qu'il y a des étoiles à l'entour du soleil qui est leur centre, et elles tournent à l'entour de lui, comme le soleil tourne à l'entour de la terre. Plaise à Dieu que nous soyons l'une de ces étoiles tournant à l'entour de Jésus, et non à l'entour de nous-même comme nous faisons journellement. Mais il nous faut ici oublier nous-même, pour ne nous souvenir que de Jésus et de la Vierge. Il est donc un soleil, et la Vierge est une planète qui a ses mouvements à l'entour de Jésus, à l'entour de ce soleil de gloire, et ne tourne qu'à l'entour de lui[72].

La place du Verbe Incarné, vrai Dieu et vrai homme, dans l’œuvre de Bérulle évite l’écueil de lutter contre l’absolutisation de l’homme en vue de relativiser Dieu. L’expérience mystique de Pierre de Bérulle, à l’instar de Thérèse d’Avila et de François de Sales sera rejointe par celle du jeune Emile.

D’abord axé sur les grandeurs et les perfections de Dieu, son regard va, à l’occasion d’une retraite en 1602, puis d’une grâce mystique en 1607, opérer un dépassement et se porter sur la personne de Jésus, Verbe Incarné, parfait adorateur du Père, modèle et moyen de ce que doivent être notre attitude et nos dispositions envers le Père. La personne de Jésus - son humanité, ses dispositions intérieures, les mystères de sa vie, surtout l’Incarnation, source de tous les autres - se trouve désormais être au cœur de l’existence de Bérulle, de son enseignement. Si l’homme ne peut se réaliser qu’en se situant par rapport au Dieu Infini dans l’adoration et l’amour, il ne peut accomplir cette œuvre qu’en s’unissant d’abord à la personne de Jésus, Dieu et Homme, parfait adorateur en même temps que Fils tout aimant[73].

Le jeune Emile révèle :

A partir de la 13ème année, (Jésus) devenait peu à peu celui qui s’était fait homme, avait choisi de souffrir et de mourir pour moi, et allait, à partir de l’année suivante, se donner tout à moi en nourriture[74].

C’est au début de son adolescence que le jeune Emile commença de mûrir sa relation avec un Dieu «personnel», en Jésus-Christ. Sans le savoir, le jeune adolescent découvrait par son expérience de foi personnelle le christocentrisme théocentrique et trinitaire si bien mis en valeur par le Symbole de Nicée-Constantinople[75]. Il ne la vit plus seulement à partir d’une obéissance à des commandements. Le péché, nous dit-il, lui apparaît «comme un manquement contre l’amour de Celui qui avait donné sa vie pour moi et s’est donné tout à moi dans l’hostie[76]

L’accent paulinien et johannique de cette confidence témoigne de sa rencontre personnelle avec le Christ au centre de sa relation à Dieu, dans l’Esprit Saint qui le fait progresser dans une conformité d’amour à Jésus.

Il reçut, après sa préparation à la première communion, une grâce de fidélité qu’il découvrira ultérieurement ; une grâce qu’il vit simplement en ce grand jour : «C’était le bonheur dans la foi et l’amour, et dans le ferme propos de rester fidèle à l’amour de Jésus[77]

Sa manière si dépouillée, si limpide d’exprimer cette étape de sa vie spirituelle, laisse entrevoir le lien de réciprocité qui l’unit à Jésus, cet amour. C’est l’amour de Jésus qui est premier qui attire sa réponse d’amour. Il s’en explique à propos d’une question que lui posa son examinateur avant de faire sa communion : «Il demanda comment Jésus avait montré son amour. Je répondis : en sacrifiant sa vie pour nous sur le Calvaire[78]

Il commente lui-même : «C’est précisément cette question et la réponse qui marquaient le changement que la première communion allait produire dans ma vie spirituelle[79]

Il nous plonge, par cette découverte, dans la théologie des saints. C’est une connaissance approfondie de l’amour de Dieu en Jésus ; connaissance de foi, d’amour dont l’Apôtre saint Paul témoigne dans sa lettre aux Ephésiens :

Je fléchis les genoux en présence du Père de qui toute paternité au ciel et sur la terre tire son nom. Qu’il daigne selon la richesse de sa gloire, vous armer de puissance par son Esprit pour que se fortifie en vous l’homme intérieur, que le Christ habite en vos cœurs par la foi, et que vous soyez enracinés, fondés dans l’amour. Ainsi vous recevrez la force de comprendre avec tous les saints ce qu’est la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur, vous connaîtrez l'amour de Christ qui surpasse toute connaissance, et vous entrerez par votre plénitude dans toute la plénitude de Dieu[80].

Cette «connaissance de l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance», elle est christocentrique et trinitaire dans l’Esprit Saint que le Père donne à l’Eglise en son Fils Jésus.

Cette clef fondamentale lui ouvre la porte sur son cheminement spirituel ; une clef de compréhension sans laquelle le déploiement ultérieur de toute sa vie perd son sens profond et sa signification ultime. Sa réponse par la foi, l’espérance et l’amour - que les épreuves liées à l’obéissance ont fait grandir - exprime le dynamisme de cette âme limpide au parcours profondément théologal à son origine.

Saint Thomas montre comment ces trois vertus théologiques, (dirons-nous, plutôt que théologales, car elles traduisent la vie de sainteté du baptisé en réponse à l’amour de Dieu), sont véritablement le fondement et l’âme de la réflexion théologique et de la vie spirituelle[81].

Ces trois «vertus théologiques» sont les dons principaux offerts par l’Esprit Saint à l’Eglise de la terre afin qu’elle puisse vraiment connaître le Mystère de Dieu le Père, par le Christ, avec le Christ et dans le Christ. Mais de toutes les trois, «l’amour est la plus grande», qui ne passera jamais, alors que la foi et l’espérance disparaîtront dans la claire vision et dans le face à face avec Dieu[82]. Durant cette vie, la connaissance du mystère de Dieu dépend non seulement de la foi mais aussi de l’amour : «Quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour[83].» C’est cet Amour de charité, unique amour de Dieu et de l’homme, qui donne la vie à toutes les vertus et qui rend vives la foi et l’espérance[84].

Cette réponse d’amour est aussi la conséquence d’une autre manière d’appréhender le mystère même de Dieu, selon la parole de saint Jean : « Il n’y a pas de crainte dans l’amour, au contraire l’amour parfait bannit la crainte, car la crainte suppose un châtiment, et celui qui craint n’est pas consommé en amour[85].» Sur ce fondement solide, toute une vie d’ascèse et de purifications nécessaires, peut trouver sa place, comme la part active de l’homme en réponse à la grâce de Dieu. Avec Emile Neubert, se vérifie tout à fait ce qu’exprimait le Père Rotureau de l’Oratoire dans son introduction aux Opuscules de Piété, aidant à mieux cerner la spécificité du christocentrisme bérullien, que l’on retrouve aussi dans les écrits du Père Chaminade :

Jésus est contemplé d’abord comme un modèle, comme l’idéal auquel on doit tendre par une imitation de plus en plus parfaite [...] Modèle, Jésus est aussi considéré comme principe de vie, comme la source et la cause des grâces qui nous permettent de l’imiter. Bien des pages de l’Ecole française relèvent de ce christocentrisme qu’on pourrait dire plutôt actif. Enfin, Jésus est contemplé comme faisant "une seule personne" avec celui qui croit en lui. C’est la contemplation la plus habituelle au cardinal de Bérulle, et c’est elle qui semble lui conférer le plus indiscutable et le meilleur de son originalité[86].

Nous retrouvons cette même originalité chez Emile Neubert, pour qui l’expérience mystique prévaut sur l’expérience ascétique ou plutôt la soutient.

L’apôtre Jean déclarait : «Quiconque a cette espérance en Lui se rend pur comme celui-là est pur. Quiconque commet le péché transgresse aussi la loi, car le péché est la transgression de la loi. Or vous savez que celui-là a paru pour ôter les péchés et qu’il n’y a pas de péché en lui. Quiconque demeure en lui ne péche pas[87]

Le jeune adolescent décide de ne pas «transgresser la loi» par cette grâce unique qui lui fut faite trois ans avant sa première communion et à laquelle il resta fidèle par la suite : «Je résolus d’éviter toute faute volontaire jusqu’à ma première communion. Je tins parole, sauf qu’un jour, je dis un mensonge pour me tirer d’embarras[88]

Il réitéra cette décision :

Il est évident que l’idée de ma vocation religieuse et sacerdotale m’aida dans mes efforts à éviter toute faute délibérée. Ma première conversion était achevée vers l’âge de treize ans. En 1891, à la première communion de mes camarades, je résolus de faire tous les efforts nécessaires pour éviter toute faute mortelle et vénielle afin de me préparer à ma première communion de l’année suivante[89].

C’est à l’âge de quatorze ans, le jour de sa première communion, que cette décision prend toute sa signification. Il a une conscience aigüe du péché qui n’est plus simplement pour lui «un désordre à éviter» ou «une désobéissance à un commandement de Dieu», c’est «une monstruosité impossible pour quiconque a le sens de l’amour[90]

La référence ultime du jeune adolescent demeure Jésus qui a «souffert infiniment» écrit-il :

Pour m’arracher à l’enfer et il ne cesse de se donner à moi avec toutes les grâces que je désire. Comment pourrais-je rompre avec lui par un péché mortel, ou simplement le contrister par un péché véniel conscient ? Or depuis ma première communion, dès qu’une tentation se présente à moi, en même temps se présente la pensée de l’amour de Jésus et par suite, l’impossibilité pour moi de consentir à la mauvaise suggestion.

Aussi depuis ce jour, je crois n’avoir jamais commis ni péché mortel, ni péché véniel pleinement délibéré[91]

A la fin de sa vie, il affirma que cette résolution fut toujours tenue, ce qui témoigne de la qualité des grâces reçues sur le fond d’une psychologie parfaitement équilibrée qui ne donnait aucune prise à l’infidélité toujours possible. Il vécut cette réalité simplement. Elle passa inaperçue ; il n’eut conscience de son caractère unique que lorsqu’il eut la charge du ministère de l’accompagnement des âmes, la direction spirituelle :

Comme c’était une sorte d’impossibilité morale qui m’empêchait de ne commettre aucune faute délibérée, je n’y voyais pas une grâce. Ce n’est que depuis que je me dis que d’autres, animés d’un amour bien plus grand pour Jésus à certains moments de leur vie sont cependant tombés gravement dans la suite - saint Pierre le jour de sa première communion et de son élévation à l’épiscopat - ce n’est que depuis ce moment que je me rends compte de l’immensité de la grâce que Jésus m’a faite lors de sa première visite, en me permettant de songer immédiatement, instinctivement, à son amour, dès que l’idée d’un péché se présente[92].

Une grâce de cette nature, avec son sens de la fidélité, le garda dans l’humilité. En témoigne, un commentaire qu’il fit sur la vie du Père Joseph Schellhorn :

Il est des saints qui ont des jeunesses orageuses ; il en est d’autres qui sont tombés pendant quelques années, ou du moins l’une ou l’autre fois, dans des péchés graves ; il en est d’autres qui, par une grâce singulière, ont été préservés de toute faute sérieuse. Ne comparons pas leurs perfections respectives ; sans doute plusieurs des deux premières catégories ont dépassé en sainteté un grand nombre de ceux de la troisième[93].

C’est la raison pour laquelle Jésus parle de la pécheresse pardonnée en ces termes : «parce qu’elle a montré beaucoup d’amour[94].» L’amour en retour est le signe du pardon offert et reçu. L’amour appelle l’amour.

Saint Thomas insiste beaucoup sur cette priorité de l’amour de charité comme amour sans limites, total, immédiat[95]. Il nous rappelle par sa fidélité exemplaire à l’Evangile et à la suite des saints, que Jésus demande de notre part, non seulement la foi et l’espérance, mais surtout l’Amour.

Il fit cette découverte très tôt, nous l’avons déjà signalé. Il l’a vécut et l’exprima avec les accents de saint Paul témoignant son amour de Jésus en ces termes : «Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi[96]

Il accueillit ces paroles dans leur réalisme, sans sentimentalisme. Il exprime, avec tous les saints, la même certitude de foi d’être lui aussi personnellement aimé de Jésus dans sa Passion, quand il se «livra lui-même», mais également durant tous les moments de sa vie :

Ce n’est pas la sensibilité qui m’empêche d’offenser Jésus. Je sais qu’à présent, Jésus ne peut plus souffrir. Mais il a souffert pour moi et il m’a comblé de grâces spéciales. Ce serait une déloyauté de ma part et une ingratitude dont j’aurais honte de me rendre coupable, qui serait contraire à ma condition spirituelle depuis mon contact intime avec lui le jour de ma première communion et que le contact quotidien avec lui dans la sainte communion et dans l’oraison rendrait, me semble-t-il, plus impossible[97].

C’est dans l’intelligence aiguë de son appartenance à Jésus qui requiert la totalité du don de soi, qu’il affirma plus loin : «Je crois que je n’hésiterais pas à souffrir n’importe quel tourment, et même le martyre plutôt que de commettre un péché véniel délibéré[98]» Mais le réalisme de la condition humaine ne lui échappa en rien. A cet endroit, Marie trouve sa place comme une explication essentielle de la grâce de fidélité qui l’a toujours accompagné dans cette décision de ne jamais commettre un seul péché délibéré :

C’est à ma Mère Marie, que je dois de n’avoir commis aucune faute pleinement consciente depuis ma première communion. Qu’elle me prolonge cette grâce, jusqu’à ma communion au ciel[99].

La place de Marie va grandir dans son cheminement de jeune adulte, accompagnement vers Jésus, car Marie est au cœur du mystère du Christ. Elle est également à la place centrale de tous les choix de sa vie. Elle est au cœur de sa volonté de suivre Jésus dans la fine pointe ultime de son âme, quelles que soient les difficultés rencontrées[100] : «Je me suis confié chaque jour à elle[101]», écrit-il au Frère Gérald Jarc.

Elle est au cœur de son activité missionnaire, présence qui se manifestera sur le plan littéraire, non pas tant pour développer une piété mariale individuelle qui pourrait satisfaire une dévotion privée, mais résolument dans la perspective d’assister Marie dans sa mission d’éducatrice, cette Maîtresse qui aide les hommes à se former à l’image de son Fils Bien-Aimé, Jésus. Elle est également présente dans sa lutte contre Satan.

Le premier article que nous possédons de lui, intitulé : Une crise[102], traite des questions délicates dans la vie spirituelle avec pour objet le développement de notre relation à Marie. Il utilisa le genre récit de journal intime pour y parvenir, il cacha son identité (il était alors séminariste) pour se mettre dans la «peau» d’un religieux enseignant de la Société de Marie, s’exprimant dans la fin du XIXe siècle. L’intérêt de ce récit tient aux réponses qu’il propose au sujet de l’établissement d’une relation juste et féconde avec Marie.

Nous trouvons, sous la plume du jeune séminariste, le germe de tout son message ultérieur. Il laisse deviner ses profondes qualités de maître spirituel qui se déploieront durant toute sa vie :

Aussi ai-je vu tout à l’heure avec surprise dans les Constitutions, comme si je ne les avais jamais lues, que nous avons un don de Dieu, une physionomie propre, un «cachet distinctif», et que ce don de Dieu, c’est la dévotion à Marie[103].

Conjointement à son premier ouvrage dactylographié sur Marie[104], (sa vie, ses prérogatives, son culte), il rédige Notre don de Dieu[105], spécifiquement destiné aux religieux marianistes, pour approfondir leur mission et leur charisme. Dans cet article, les éléments essentiels sont présents et ils garantissent une juste dévotion à Marie, à la fois tendre et christocentrique :

Il m’a répondu que la Sainte Vierge ne pouvait pas cacher Notre Seigneur, puisqu’elle n’est pas devant nous, mais à côté de nous, quand nous allons à lui, et que son rôle est celui d’introductrice et d’assistante, et non celui de personnage principal ; que c’était mal comprendre la dévotion à Marie, que de croire qu’elle se substituait ou simplement qu’elle se juxtaposait à la dévotion à Notre Seigneur, qu’au contraire, elle ajoute comme un fini à notre amour pour Jésus ; qu’aller vers lui avec Marie, c’est y aller avec plus d’humilité, plus de confiance, plus de pureté et plus d’amour ; que je comprendrais mieux en pratiquant, que la pratique se chargerait de résoudre toutes mes objections théoriques ; que les saints ont parfaitement su allier l’union la plus étroite à Jésus avec la dévotion la plus tendre pour Marie, tels saint Bernard, saint Bonaventure, saint Alphonse, le Père Chaminade, etc., etc., qu’il fallait pratiquer et faire des efforts et en faire avec persévérance, et en même temps reconnaître que nos efforts sont par eux-mêmes incapables de nous donner cette dévotion, et pour cela s’humilier et prier[106].

Ce texte est un excellent résumé de l’enseignement du Traité de la Vraie Dévotion de saint Louis-Marie Grignion de Montfort[107] qui l’inspira beaucoup. Cette dévotion, bien ajustée à Marie, est aussi une grâce à recevoir. Dans cette réflexion qui précède, nous trouvons un équilibre que les maîtres de vie spirituelle maîtrisent si bien, entre activité et passivité de l’âme, entre ascèse et attitude d’accueil, dans l’abandon et la confiance.

Paru dans une revue interne à la famille marianiste l’Apôtre de Marie, cet article attira l’attention sur ce jeune religieux docile à la fois à la grâce et à l’appel des supérieurs. A cette période douloureuse, ils assistèrent au départ de beaucoup de frères que provoqua la crise politique anti-religieuse en France soldée par la loi Combes en 1903.

C’est toujours dans l’obéissance et la fidélité à sa grâce, qu’il rédigea des articles ultérieurs et des livres au fur et à mesure des besoins pastoraux qui se présentaient à lui et, selon les impératifs que sollicitait la formation des futurs Marianistes et dans le contexte de l’Eglise avant le Concile Vatican II.

Ainsi une littérature que l’on peut qualifier de «théologie spirituelle» - fruit de son expérience ascétique et mystique fondée sur le dogme - au travers du corpus «neubertien», s’ajouterait à celle reçue de la sagesse des Pères, des Docteurs et des saints au fil des siècles. La contribution théologique d’Emile Neubert appartient à celle de la «théologie des saints» qui sont les interprètes les plus qualifiés de l’Evangile, puisqu’ils témoignèrent de leur communion avec Dieu dans la perfection :

Si saint Ignace d’Antioche, saint Irénée, saint Augustin et, au début de l’ère scolastique, saint Bonaventure et saint Thomas, ont produit des œuvres et laissé un témoignage inoubliables, c’est parce que, écrit le Père Leloir, dans un esprit d’admiration, d’amour et de prière, ils demeuraient sans cesse en contact avec le mystère du Christ, et surtout celui de sa Pâque, tel que la Bible le décrit, dans ses préfigurations, sa réalisation, et son acheminement vers la consommation eschatologique. Fréquentation priante de l’Ecriture, doctrine et sainteté étaient chez eux des caractéristiques si intimement mêlées, qu’elles étaient presque interchangeables. Pour «marcher selon la vérité» (cf. 2Jn 4 ; 3Jn 3-4), et surtout selon sa plénitude, il faut «connaître la vérité» (cf. Jn 8, 32), de cette connaissance pénétrante, aimante, priante et passionnée, dont saint Jean et saint Paul, les deux premiers théologiens et contemplatifs de la nouvelle alliance, demeurent, jusqu’à la fin des siècles, les modèles pour tous les chrétiens[108].

C’est dans ce même esprit, que nous sommes redevables à Emile Neubert d’avoir su faire dialoguer entre eux, dans leur diversité, les voix les plus autorisées dans l’Eglise, comme l’explique avec pertinence le Père Léthel :

Après la clôture de la Révélation, en effet, c’est-à-dire après l’époque apostolique, dans l’histoire de l’Eglise depuis les origines jusqu’à nos jours, la lumière la plus complète de cette commune théologie des saints se manifeste à travers les Pères, les Docteurs et les mystiques comme à travers les trois faces inséparables d’un prisme. Ce «prisme» des Pères, des Docteurs et des Mystiques, est le principal instrument de la théologie des saints, lui donnant son caractère véritablement scientifique[109].

 

I.3 -Activité littéraire

C’est autour de la cinquantaine qu’il commencera à produire des ouvrages, leur édition s’étalera sur le XXe siècle avant et après la deuxième guerre mondiale. Nous situerons les différents contextes de leur parution pour comprendre l’enjeu de son travail littéraire.

I.3.1 Contexte pastoral et ecclésial

Nous sommes à la fin des années vingt, Emile Neubert est depuis 1922 supérieur du séminaire de Fribourg. Il est très engagé dans l’accompagnement spirituel des séminaristes et dans ses cours et ses conférences :

En moi persistait le désir de continuer à composer des livres sur la sainte Vierge conformément à l’esprit de notre vœu de stabilité et dans la pieuse intention d’en propager la connaissance, l’amour et le culte, et si possible personnellement et à l’aide des autres, dans toutes les circonstances de la vie (Constitutions 1839, art. 19).

Dès 1930, il trouva du temps libre pour ce travail de rédaction qui dura en tout vingt-sept ans au séminaire de Fribourg (1922-1949) et qu’il poursuivit treize ans de suite dans deux autres communautés où il fut affecté comme aumônier : Grangeneuve en Suisse (1949-1953), puis au noviciat de La Tour de Sçay près de Besançon (1953-1962). C’est une période abondante durant laquelle il s’engage comme membre de diverses Sociétés de théologie mariale.

Le Père Koehler commente cette activité littéraire si importante en ces termes :

Il est bien évident, en effet, que le sens de l’apostolat du Père Neubert s’enracinait dans sa «vocation mariale». De là, l’unité de ses vues doctrinales et spirituelles qui frappe tant lorsqu’on lit ses ouvrages. De là aussi, son style volontairement dépouillé : parce qu’il pensait devoir écarter tout superflu pour rester à l’unique service de sa vocation apostolique, il courait consciemment le risque de manquer de pittoresque. Et pourtant, son œuvre connut une diffusion grandissante[110].

I.3.2 Principales publications

En faisant le choix dans notre étude de présenter l’ensemble de son œuvre écrite par une brève relecture des recensions qui accompagnent la parution de ses livres - recensions toujours favorables et élogieuses - nous ne reproduirons pas dans notre biographie ces mêmes ouvrages. Il en va de même pour la plupart des articles qui, sauf rares exceptions, furent le point de départ des ouvrages, reprenant d’une manière plus organisée tout leur contenu.

 

I.3.2.1 Livres

Les différents titres du corpus «neubertien» font apparaître le souci qu’Emile Neubert a de transmettre son message selon des objectifs bien précis, soit par le contenu spécifique, soit en fonction du public particulier qui est son destinataire.

Dans le premier cas, il nous propose comme titres évocateurs : Vie de Marie (1936), La doctrine mariale de Monsieur Chaminade (1937), La dévotion à Marie (1942), De la découverte progressive des grandeurs de Marie : application au dogme de l’Assomption (1951), La mission apostolique de Marie et la nôtre (1957), L’âme de Jésus contemplée avec Marie (1957), Sainte-Thérèse de l'Enfant-Jésus et la Sainte Vierge (1962).

Dans le second cas, il nous donne les titres suivants : Synthèse de nos traits caractéristiques et de nos obligations (1940, destiné aux religieux de la Société de Marie), Notre Maman du Ciel (1941, destiné aux enfants et aux jeunes), Notre Mère (1941, destiné aux adultes), La reine des militants (1944, destiné au milieu ouvrier, préfacé par le Cardinal Feltin, archevêque de Bordeaux), Marie et notre sacerdoce (1952, destiné aux prêtres), Marie et la vie religieuse (1959, destiné aux personnes engagées dans la vie consacrée), Marie et l’éducateur chrétien (1960, destiné aux enseignants), Marie et la famille chrétienne (1961, destiné aux couples).

Dans la perspective de toucher tous les publics, il ajoute à ces titres, en vue de promouvoir les vocations consacrées, les biographies : Une âme mariale victime : SœurMarie Reine de Jésus, (1956), et de deux prêtres de la Société de Marie, dont l’un, le Père Schellhorn, a gardé la réputation, qu’il avait déjà de son vivant, d’être un saint : Un prêtre de Marie, Le Père Joseph Schellhorn (1948), Un Apôtre de la Vierge et de la J. O. C. : L'abbé René Mougel (1954.)

1- Marie dans l'Eglise anténicéenne, Paris, Gabalda, 1908

Sa première contribution en théologie fut sa thèse de doctorat : Marie dans l’Eglise anténicéenne qui prend pour point de départ, après une recherche historico-critique, les récits évangéliques relatifs à la naissance du Christ jusqu’au début du Concile de Nicée (325) se confrontant à la crise arienne. L’auteur nous fait progresser dans la découverte de l’identité du Christ à la lumière des Pères et des Auteurs Anciens, à l’origine du Symbole des Apôtres. C’est dans ce mouvement très dynamique, que les premiers éléments du dogme marial apparaissent, dès les premiers siècles. Il faudra attendre le concile d’Ephèse (431) pour que soit défini le dogme de la maternité divine.

Deux parties sont proposées : Marie dans le dogme et Marie dans la piété, dans lesquelles apparaissent les thématiques essentielles – maternité humaine, conception virginale, maternité divine, Marie dans le symbole, virginité, sainteté, coopération à la Rédemption, vénération et invocation - qui feront l’objet de notre étude présente sur Marie. Même si la frontière entre ces deux parties ne paraît pas en tout point évidente, il nous laisse entrevoir que le titre même de Theótokos, consacré à Ephèse, était déjà connu auparavant, conjointement à l’idée du concours de Marie à l’œuvre de notre salut, et ceci bien avant le concile de Nicée (325)[111].

Dans les diverses recensions[112] datées de 1908, les critiques sont unanimement positives. Face aux attaques des protestants, lui qui connaît bien les arguments de Benrath ou de Rösch par exemple, a su les combattre en les remplaçant avec avantage, par l’abondante information de première main qu’il puise dans la littérature de la période anténicéenne. Il mène son enquête avec rigueur, en reprenant au fur et à mesure de ses thématiques, tous les textes alors à sa disposition. Il résume son propos en fin d’ouvrage : «Toute l’histoire des origines de la mariologie se présente comme l’histoire de la défense et l’extension de la christologie : la Mère garantissait le Fils, et la gloire du Fils commençait à rejaillir sur la Mère[113].» Un avis tiré de L’ami du Clergé pourrait résumer le climat des recensions : «Le ton des discussions est toujours modeste, courtois, objectif, c’est un modèle de polémique théologique[114]

2- Marie de laquelle est né Jésus, dactylographié, 1927

Cet ouvrage laisse apparaître les trois grandes articulations de son message mariologique, dans la ligne des ouvrages mariaux classiques : les sources de la connaissance de la Vierge Marie, les privilèges de la Vierge Marie et la dévotion à Marie. Cette étude, destinée dans un premier temps aux séminaristes de la Villa saint Jean de Fribourg, est elle-même le fruit de ses premiers cours au noviciat de Ferguson aux USA. Mais plus élaboré pour des universitaires, il sera repris et diffusé pour un plus large public en différents titres séparés. Il reprend les mêmes thématiques qui étaient alors rassemblées dans un ensemble.

3- Mon Idéal, Jésus Fils de Marie d’après l’esprit du Père Chaminade, Publiroc, Marseille, 1933.

Ecrit dans le style de L’Imitation de Jésus-Christ, c’est une conversation directe avec le Christ et sa Mère. Ce petit traité invite à aimer Marie avec le cœur de Jésus et à aimer Jésus avec le cœur de Marie. Dans sa première partie, Jésus explique comment imiter son amour pour sa Mère par une totale consécration ; dans la seconde partie, Marie explique comment en union avec elle, nous devons apprendre à laisser Jésus devenir notre vie. En conclusion, Marie explique sa mission apostolique et invite le disciple à devenir apôtre. Elle l’invite à jeter son filet en son nom de Notre-Dame, pour adhérer pleinement au Christ, l’unique Envoyé (apôtre) du Père.

Ce petit chef-d’œuvre de spiritualité mariale est un traité de vulgarisation qui fit immédiatement connaître Emile Neubert dans le grand public. Ce fut son livre le plus diffusé sur les cinq continents et le plus réédité, avec près de cinquante traductions. En 1954, il dépassait le demi-million d’exemplaires vendus[115].

Les critiques sont unanimement positives :

Afin de rendre ses enseignements plus pénétrants, l’auteur les a placés dans la bouche de Jésus et Marie, qui prennent successivement la parole pour instruire le chrétien fidèle, dans un langage grave, mesuré, plein d’onction[116].

L’auteur procède par tableaux successifs, plutôt que dans une vue d’ensemble ; avec plus de méthode si l’on veut, que de puissance ; avec moins de vues originales que de données justes et précises, moins de brillant que de solide […] Mais avec quoi fait-on une œuvre sûre et durable[117] ?

Tant par le style que par l’onction, Mon Idéal est une Imitation de Marie[118].

Ce livre est une sorte de Summa Mariana où rien n’est omis, rien n’est laissé dans l’ombre[119].

Cet opuscule, accessible à tous, est un des meilleurs que notre époque ait vu surgir pour conduire toutes les âmes à un haut degré d’union à la Sainte Vierge[120].

Le professeur G.-M. Besutti, dans la revue Marianum, relève : «le style clair et concis, associé à la valeur doctrinale[121]

4- Marie dans le dogme, Paris, Spes, 1933. Réédité, 3 traductions[122].

Marie dans le dogme est un autre ouvrage qui le fit beaucoup connaître. Il propose une synthèse mariale qui, à l’époque où il fut publié, présentait une nouveauté qui de nos jours ne nous apparaît plus comme telle, à savoir l’importance accordée à des questions plus actuelles comme la médiation de Marie, sa maternité spirituelle, ainsi que sa mission apostolique.

En appendice de la première édition, il justifia sa méthode d‘exposition et de démonstration en donnant des règles à suivre pour juger des privilèges de Marie. Un tel appendice ne réapparaît plus dans la seconde édition, remplacé par une introduction magistrale, qui présente avantageusement et avec opportunité la méthode à suivre pour approfondir les grandeurs de Marie. Nous notons la disposition plus logique des thématiques mariales ordonnées en deux parties : dans la première sont regroupées les fonctions de Marie (maternité divine, maternité spirituelle, médiation universelle, mission apostolique, royauté) ; dans la seconde partie sont traités les privilèges de Marie (Immaculée Conception, Virginité, Sainteté, Assomption, Béatitude). Au fur et à mesure de ces thématiques, il met dans la lumière des développements pertinents. Il a le souci d’en bien rechercher la signification profonde, en s’appuyant sur l’exégèse la plus fidèle des textes de la Sainte Ecriture et la plus récente, ainsi que sur la Tradition. Il met en évidence leur pertinence et leur harmonie. Il met en relief l’action de l’Esprit Saint qui s’exprime à travers l’universalité des fidèles du peuple de Dieu qui, souvent, précèdent la recherche théologique.

Ce manuel devint un classique dans les séminaires français ou les noviciats durant plusieurs décennies. Il offre une très bonne idée des acquis de l’Eglise avant les débats du Concile Vatican II, soldés par le chapitre 8 de Lumen Gentium. Les recensions sont unanimement positives :

Par une nouvelle et très féconde exposition, Emile Neubert expose pour chacun des grands privilèges de Marie, son point de départ dans la Révélation, son évolution au cours des âges, sous la direction de l’Eglise, sa signification profonde et ses harmonies[123].

Ces pages ont l’avantage de se lire avec facilité ; elles corrigent un bon nombre de notions inexactes et sont entremêlées d’excellentes remarques […] Un appendice important est consacré aux «règles pour juger les privilèges de Marie», qu’il groupe de la façon suivante : règle de la révélation, règle de la convenance, règles des privilèges des saints accordés à Marie, règle des analogies entre Jésus et Marie. Il faut louer l’auteur d’avoir posé ces questions et abordé ce problème à fond. La solution qu’il apporte intéressera tous les théologiens, car c’est un des cas intéressants et délicats du développement du dogme en général ; en maint endroit, il mérite éloge […] Est-ce à dire que l’auteur arrive à formuler et à utiliser ces règles avec toute la netteté qu’on souhaiterait ? [...] Plusieurs d’entre elles appellent une étude théorique plus ferme… On voudrait une ligne de démarcation plus nette entre la Tradition au sens dogmatique et la tradition historique […] Le travail de la tradition devrait être mieux déterminé, de même la légitimité de ce travail et celle de l’élan psychologique de la piété populaire. De côté et de l’autre, un énoncé un peu vague, une généralisation apparemment peu fondée, inspirera défiance au lecteur soucieux de précision et de preuve. C’est pour cette catégorie de lettrés, férus des exigences historiques contemporaines, que pareils livres doivent bien délimiter le terrain dogmatique et nettement distinguer les deux méthodes[124].

Une seconde, puis une troisième édition, tiennent compte de ces jugements, en adoptant une autre présentation, il met au second plan les privilèges de Marie et au premier plan les différents aspects de la mission de Marie.

Les critiques sont toujours aussi positives, dont l’une d’elles pourrait être une réponse à la critique en partie négative de J. de Ghellinck quatorze ans auparavant. Il s’agit de la recension de l’Abbé A. Michel qui présente la troisième édition «refondue et augmentée» en 1953 dans ses notes mariales de L’Ami du clergé. Il constate l’énorme progrès de la théologie mariale depuis la proclamation du dogme de l’Assomption en 1950 :

(Mais) il était désirable qu’une bonne synthèse doctrinale fut offerte au grand public, afin de rappeler en termes simples et clairs la position de Marie dans le dogme catholique. L’ouvrage du P. Neubert Marie dans le dogme répond à ce vœu…

(Dans la présentation de la consécration, l’auteur utilise les termes) non plus «esclavage», mais «filiation et apostolat». La justification théologique de ces aspects spéciaux et partiellement nouveaux de la consécration à Marie est donnée dans une étude pour examiner les fondements dogmatiques et les conséquences doctrinales de ce qu’enseigne la Révélation au sujet de la Sainte Vierge. Marie dans le dogme a résumé sans appareil, ni discussion technique, les résultats des recherches faites par les maîtres sur les grandeurs, les privilèges, les fonctions de Marie (ceci) par des notions précises et des idées nettes, plutôt que des démonstrations techniques et des discussions savantes[125].

De même G.-M. Roschini n’hésite pas à écrire dans la revue Marianum :

Par sa clarté et son apport très complet d’éléments solides et substantiels, nous n’hésitons pas à recommander (cet ouvrage) comme étant le meilleur compendium de mariologie mis à la disposition de tous[126].

Signalons en particulier les chapitres bien actuels sur la médiation universelle, la mission apostolique de Marie et sa royauté. L’auteur nous avertit dans une note, qu’il a jugé inutile de reproduire l’indice de la première édition sur le titre de «co-rédemptrice», maintenant admis par tous les catholiques[127].

De même furent particulièrement appréciés les chapitres sur «l’aspect sacerdotal de la mission de Marie» et sur «le dogme de l’Assomption[128].»

5- Vie de Marie, Mulhouse, Salvator, 1936[129].

Fruit des publications précédentes dans diverses revues, toutes relatives à la vie de Marie, cet ouvrage de vulgarisation qui n’a pas la prétention de s’adresser à des spécialistes, révèle avec quel sérieux et exigence de recherche scientifique. Il nous fait entrevoir ce que fut la vie de la Mère de Jésus. Pour ne pas encombrer la progression du développement par des commentaires, il présenta, dans une introduction, le sens et les appuis de sa démarche, nous facilitant l’accès aux documents qu’il cite, particulièrement les Evangiles.

Aussi les recensions nombreuses, furent-elles encore très positives :

Exposé solide et pieux […] Une introduction sur les «sources» apprécie à leur juste valeur l’apport des apocryphes et des révélations privées, et montre comment la théologie éclaire et complète les données historiques des Evangiles[130].

L’auteur s’appuie sur les conclusions des travaux les plus récents d’histoire, d’archéologie, d’exégèse, présentés dans un esprit d’impartialité, d’indépendance et sérénité de jugement[131].

- Vie de Marie, Mulhouse, Salvator, 1948.

Lors d’une seconde édition, d’autres recensions furent données :

Dans cette seconde édition, Emile Neubert a cherché à approfondir l’esprit de la Vierge, particulièrement à travers la méditation des psaumes. Même la réponse de Jésus à sa mère a eu une nouvelle explication[132].

6- La doctrine mariale de Monsieur Chaminade, (Les Cahiers de la Vierge, n° 20), Le Cerf, Paris, 1937[133].

Les recensions très positives se font l’écho de la réception du message du bienheureux Chaminade grâce à la présentation d’Emile Neubert qui met en évidence surtout deux idées-forces : celle de la maternité spirituelle de Marie, en lien avec la notion de Corps Mystique et celle de sa mission apostolique, en lien avec sa distribution des grâces.

Cette mission d’après le Père Chaminade doit se transformer en un rôle conquérant de la Vierge dans les derniers temps… D’où l’idée d’une consécration spéciale à la Vierge Marie[134].

Par son caractère christocentrique, cette doctrine est appelée à faire beaucoup de bien de nos jours[135].

7- Notre Mère : Pour la mieux connaître, Xavier Pappus, Le Puy, 1941[136].

Les évaluations, pour cet ouvrage, sont toutes très élogieuses - la doctrine est solide et la piété profonde -[137] il sera réédité en 1945 et traduit en différentes langues.

8- Votre Maman du ciel, Xavier Mappus, Le Puy, 1941 et 1945.

Avis toujours très favorables.

Dans un mode simple, mais avec la plus grande exactitude, sont présentés la vie de la Vierge, ses privilèges, et les caractéristiques, avantages et obligations vis-à-vis de notre Mère céleste […] C’est un ouvrage réussi et très utile[138].

Réédité, plusieurs traductions[139].

9- La dévotion à Marie, Xavier Mappus, Le Puy, 1942.

Les commentaires sont très avantageux, dont celui de G.-M. Roschini :

Cette œuvre nous offre des pages simples et à la fois profondes : Deux dons (qui sont) assez rares, spécialement dans des arguments de ce genre[140].

Il fut réédité et plusieurs fois traduit[141].

10- La Reine des Militants, Xavier Mappus, Le Puy, 1944.

Les avis sont toujours très élogieux dont celui de G.-M. Roschini :

Il est rare de trouver dans la littérature ascétique mariale que nous possédons, la profondeur, la clarté et l’efficacité de ce Père Neubert[142].

Réédité. Plusieurs traductions[143].

11- De la découverte progressive des grandeurs de Marie. Application au dogme de l'Assomption, Spes, Paris, 1951.

Les recensions sont toutes favorables, avec des commentaires nombreux et développés :

Emile Neubert insiste sur l’influence prépondérante du «sensus fidelium» assez nette en particulier quand il s’oppose aux nombreuses fluctuations de la spéculation théologique. Cette insistance sur la valeur du sentiment des fidèles est utile : elle pose un problème fort intéressant dans la difficile appréciation de l’évolution du dogme. Le théologien est chargé, non de découvrir les vérités de la foi, mais de les exposer avec clarté et ordre et de les défendre, de donner une voix à la pensée et aux sentiments des fidèles, et de les juger[144].

Le singulier mérite de ce petit livre est de nous enseigner bien simplement un peu de théologie et de dogme sans aucune prétention scientifique. Cependant, tout au long de ce texte clair et précis, on reconnaît un esprit très averti des choses du dogme et des principes théologiques […] Tout ce qu’il dit à propos du sens chrétien est vraiment très excellent […] Ceci est ensuite appliqué dans une seconde partie au dogme de l’Assomption, avec la même discrétion et le même savoir[145].

Michel, dans un article intitulé Notes Mariales, recense «cet excellent livre du P. Neubert, bien connu comme mariologue[146].» Il reprend toute l’argumentation en faveur des privilèges de la Vierge Marie et des conditions pour aboutir aux définitions dogmatiques. Il fait remarquer que l’exposé de ce qu’Emile Neubert appelle «le travail de la tradition» est puisé en grande partie dans l’ouvrage monumental du Père Jugié. Et, il conclut en encourageant la lecture de cet excellent aperçu de la découverte progressive des grandeurs de Marie qui peut être couronné, espérons-le avec l’auteur, par d’autres consécrations solennelles de vérités déjà acquises[147]

12- Marie et notre sacerdoce, Spes, Paris 1952[148].

Les analyses sont avantageuses, dont l’une avec une pointe critique cependant :

L’auteur est un de ceux qui ont le plus contribué au développement de la piété mariale, à notre époque […]

Première partie, surtout doctrinale : importance pour le prêtre, de la vie d’intimité avec Marie […]

Deuxième partie : Comment Marie forma en nous le Christ prêtre en nous apprenant à vivre comme lui et à reproduire ses vertus […]

De quelle manière pratique, nous pouvons vivre unis à Marie «dans l’exercice de notre ministère sacerdotal» […] Et il donne des précisions très utiles[149].

Il faut louer le récent opuscule de M. Neubert pour sa manière simple et directe, sa doctrine solide, le ton modeste et sans prétention de ses méditations. Les prêtres aimeront ses réflexions toujours sobres et parfois émues. Ils y trouveront un stimulant de qualité pour se renouveler dans leur dévotion personnelle à la Mère de Jésus… On peut penser que les seuls chapitres de ce manuel de spiritualité sacerdotale, traitant directement du rôle de la liturgie, sont un peu courts. Il est vrai que les études sérieuses sur la place de la Vierge dans la liturgie sont encore désirées et ce n’est pas l’objet de l’auteur de s’y essayer ici. En tout cas ces chapitres, que, dans le climat contemporain des renouveaux liturgiques, on aurait aimé saluer comme les plus neufs, ne peuvent absolument pas y prétendre[150].

13- La Vie d'union à Marie, Alsatia, Paris, 1954, puis seconde édition en 1957[151].

Cet autre livre, La vie d’union à Marie, également traduit en plusieurs langues, a été certainement le plus lu après Mon idéal[152]. Dans une perspective de dévotion à Marie, il reprend, en les approfondissant et enrichis de son expérience personnelle, ses thèmes très chers de la vie d’union à Marie, apparus dès ses premiers cours aux novices des USA, puis publiés sous forme d’articles dans la revue mariale des Marianistes : L’apôtre de Marie. L’empreinte thomiste est complétée par l’héritage de l’Ecole Française de Spiritualité. La nouveauté et la redécouverte de ce thème est d’en avoir précisée la visée : l’union à Marie, pour notre sanctification et pour notre apostolat. Il remania son ouvrage pour la seconde édition de 1957, mettant en meilleure évidence comment l’union à Marie est la plus excellente union à Jésus. La base évangélique et doctrinale de cette double union est l’intimité entre Jésus et sa Mère. Nous sommes «invités à établir une intimité pareille entre nous et elle[153].» Tout «consiste à aimer Marie avec le cœur de Jésus, et Jésus avec le Cœur de Marie[154]

Les avis sont unanimes :

Pratique, pieux, l’ouvrage est également remarquable par sa fine psychologie, qu’on admirera par exemple, dans les chapitres sur l’empressement, sur l’union à Marie dans l’oraison, et la lecture spirituelle[155].

L’intérêt de cet ouvrage réside dans le fait qu’il considère systématiquement toute la vie spirituelle, dans son ensemble et dans ses détails, au point de vue de l’union à Marie. L’objectif de l’auteur est moins d’établir une théorie de cette union que d’en montrer les applications pratiques et concrètes[156].

G. Phillips, qui reprend un commentaire de H. Rosen, semble s’associer à cette appréciation qui donne à penser :

Dans cet écrit ascétique et mystique, le christocentrisme et la frappe seraient trop peu marqués. La mention de l’Esprit Saint aurait dû fournir l’occasion d’un exposé plus expressif à propos de l’inhabitation des Personnes Divines. L’affection du P. Neubert est celle d’un enfant. Pour notre goût moderne, elle est peut-être trop encombrée[157].

14- La mission apostolique de Marie et la nôtre, Alsatia, Paris, 1956[158].

Selon Virgilio Martinucci[159], l’ouvrage La mission apostolique de Marie et la nôtre comble une grave lacune dans le domaine de la recherche théologique. Un ouvrage dans lequel l’auteur traite la doctrine historique et théologique de la mission apostolique de Marie et de notre participation à cette mission bien spécifique. Nous pourrions considérer en cet ouvrage, unique en son genre, comme une mise en lumière concise et systématique de toute la mariologie abordée du point de vue de la mission apostolique de la Vierge Marie. Une vérité qui ne fut mise en doute par personne. Marie n’a-t-elle pas été appelée depuis toujours «celle qui a vaincu les hérésies», et ceci dès la foi de l’Eglise primitive ? Et cependant, malgré cette conviction, aucun théologien avant lui ne s’était attelé à composer un ouvrage spécifique sur cet argument. Il met à sa disposition tous les moyens possibles que requiert une méthode scientifique rigoureuse.

Dans la première partie, il présente la théologie spécifique de la mission apostolique de Marie, dans la seconde partie, il argumente en faveur de notre participation à cette mission. La Vierge a besoin de notre coopération, soit pour notre propre salut, soit pour le salut de nos frères. Il délimite cette solidarité humaine et la réalité du Corps Mystique, en laissant de côté une description impersonnelle ; il nous livre sa propre expérience et suggère les moyens les plus adaptés en vue d’un véritable apostolat marial.

Dans la lettre préface, Monseigneur Paul Richaux, archevêque de Bordeaux, souligne les mérites de l’ouvrage : «Chaminade légua à son disciple un véritable charisme pour parler de la Sainte Vierge. En un temps d’urgence apostolique, Emile Neubert a le mérite de montrer la place de choix, irremplaçable, que tient Marie dans tout effort apostolique.»

Monseigneur Richaux admire surtout la deuxième partie de l’ouvrage qui révèle la : «technique mariale de l’apostolat, en particulier : les dispositions requises de l’apôtre de la Vierge.» Or, certains théologiens trop spéculatifs critiquent, voire dédaignent cette «praxis» comme non scientifique. Emile Neubert au contraire, en explique la valeur apostolique.

Les jugements sont unanimement favorables :

La mission apostolique de Marie est depuis l’origine une des idées maîtresses de sa réflexion. On en trouverait la trace dans tous ses ouvrages. «Je ne l’ai pas découverte» observe l’auteur, «j’en ai hérité la doctrine du P. Chaminade qui y a vu la raison d’être de deux Sociétés qu’il s’est senti appelé à créer.»

Deux parties. La première, doctrinale et historique (pp. 15-197) établit (sur un mode médité plus que systématique) le fait et la nature de cette mission d’après l’Ecriture, l’histoire de l’Eglise, les données liturgiques (pp. 171-173) et magistérielles (pp. 173-182). La deuxième, pratique, établit les motifs de participation active à la mission apostolique de Marie, les «dispositions» requises, et les «armes» de cet apostolat marial (pp. 209-280). Un index des noms de personnes et des lieux de pèlerinage complète utilement l’ouvrage[160].

15- L'Ame de Jésus contemplée avec Marie, Alsatia, Paris, 1957[161].

Cette méditation est une véritable relecture de la vie intérieure du Christ, à partir de toutes les acquisitions, bibliques, patristiques et anthropologiques de l’auteur, rompu à la prédication de retraites et de conférences spirituelles, surtout à des religieux, prêtres et religieuses.

16- Marie et la vie religieuse, Paris, Alsatia, 1959[162].

Les commentaires sont tous élogieux :

De sa retraite de La Tour de Sçay, le célèbre mariologue, octogénaire infatigable, livre les fruits de son expérience décantée, de sa méditation limpide, dont l’accent demeure essentiellement christocentrique[163].

17- Marie et l'éducateur chrétien, Mulhouse, Salvator, 1960[164].

Avec de très bonnes recensions[165].

18- Marie et la famille chrétienne, Alsatia, Paris, 1961[166].

19- Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus et la Sainte Vierge, Alsatia, Paris 1962.

 

I.3.2.2 Livres en collaboration

20- «Marie, cause de notre Joie», in Notre Dame de toute Joie, Cerf. Paris, 1934, Les Cahiers de la Vierge, no.4, pp. 67-116.

21- «La Mère du Christ, Mère spéciale des prêtres», in La Virgen y la Eucaristia, Ephemaerides mariologicae, Madrid, 1952, pp. 111-118[167].

22- How the Immaculate Conception took place, in The Promised Woman, edited by Bro. Stanley G. Mathews sm, Saint-Meinrad, Grail, 1954, pp. 11-14.

 

I.3.2.3 Biographies

23- Un prêtre de Marie. Le Père Joseph Schellhorn, Centre de Documentation Scolaire, Paris, 1948[168].

24- Un Apôtre de la Vierge et de la J. O. C. : L'abbé René Mougel, Alsatia, Paris, 1954[169].

25- Une âme mariale victime : Sœur Marie-Reine de Jésus, Alsatia, Paris, 1956[170].

 

I.3.2.4 Livres destinés à la Société de Marie

26- Sous l'Etendard de Marie, Nivelles, Havaux, 1926.

27- Notre Don de Dieu, dactylographié, 1929.

Cet ouvrage s’adresse aux religieux marianistes. A partir du chapitre de la dévotion à Marie, il approfondit toute la relation filiale qui lie les religieux de la Société de Marie à la Vierge, par un vœu particulier : le vœu de stabilité. Il comporte l’engagement d’assister Marie dans sa mission apostolique.

28- Notre don de Dieu, hommage à notre Mère en ce centenaire du dogme de son Immaculée Conception. Marne, Paris/Tours, 1954.

Ce livre est une reprise du manuscrit dactylographié, largement développé et complété.

29- Une fausse attitude, date supposée : année 1940.

30- Synthèse de nos traits caractéristiques et de nos obligations, Nivelles, Havaux, 1940.

 

I.3.2.5 Travaux présentés aux congrès marials ou aux sessions d’études mariales

31- «Le Révérend Père Morineau», in Etudes Mariales, VII (1949), L'Assomption de Marie, II. Vrin, Paris, 1950.

32- «Etat actuel de la croyance à l'Assomption en Allemagne, II : Attitude du clergé et des fidèles», in Etudes Mariales, VIII (1950). L'Assomption de Marie, III, Vrin, Paris, 1951, pp. 155-160.

33- «El misterio de Cristo y el misterio de María», en Estudios Marianos, IX, vol. 10, Madrid, 1950, pp. 21-32.

34- «Raisons de la dévotion spéciale envers le mystère de l'Immaculée Conception dans la Société de Marie», in Virgo Immaculata, VIII, fasc. III (De Immaculata Conceptione in nonnullis Ordinibus et Congregationibus religiosis), Romae, 1956, pp. 216-228 (Acta Congressus Intern. Mariologici-Mariani, 1954)[171].

 

I.3.2.6 Articles dans des revues diverses

35- «La doctrine mariale de monsieur Chaminade», in La Vie Spirituelle, Cerf, Paris, 1937, pp. 1-113.

36- «L'union mystique à la Sainte Vierge», in La Vie Spirituelle, Cerf, Paris, 1937, 50, pp. 15-29.

37- «La Chronologie depuis les Fiançailles de Marie jusqu'à la Naissance du Christ», in Marianum, Rome, 1942, 4, pp. 10-20.

38- «De vita mariologico-mariana apud Societatem Mariae», in Ephemerides Mariologicae. Madrid, 1955, 5, pp. 457-465.

39- «La prière à la Médiatrice de toutes les grâces», in Nouvelle Revue Mariale. Montfort-sur-Meu, 1955, 2, pp. 164-176.

40- «La dévotion à Marie du Père Chaminade», in Cahiers Marials. Paris, 1958, 2, pp. 407-414.

41- «L'action de Notre Dame dans la progression spirituelle», in Cahiers Marials. Paris, 1959, 3, pp. 397-404.

42- «Evolución de la Piedad Filial Mariana en la Compañía de María», in Miriam, Sevilla, 1957, 9, pp. 240-241.

43- «Pour une dévotion à Marie christocentrique et apostolique», in Marie. Nicolet (Canada), 1952, VI, n° 2, pp. 68-69.

44- «Je vous salue, Pleine de grâce ? Réjouissez-vous, Pleine de grâce ?», in Marie, Nicolet (Canada), 1956, IX, n° 5, pp. 62-64.

45- «Doctrine mariale du Père Chaminade», in Revue du Rosaire, Saint-Maximin, 1949, pp. 170-198.

46- «Ad Jesum per Mariam. Le Père G.-Joseph Chaminade», Tiré à part de la Revue du Rosaire, 1949.

47- «Marie et la jeunesse», in Revue du Rosaire, Saint-Maximin, 1949, 29 année, pp. 221-222.

48- «Si nous y mettions davantage la Sainte Vierge», in Le Prêtre Educateur, 1936, pp. 137-140.

49- «L'enfant de Marie», in Annales de Sainte-Thérèse de Lisieux, mai 1961, pp. 8-12.

50- «Devociones características de Lourdes : Rosario, Eucaristía, Vía Crucis. Por qué ésas ?», in Revista de Espiritualidad, San Sebastián, 1958, pp. 274-285.

51- «Une crise - A la recherche de Marie», in L'Apôtre de Marie, Nivelles, 1905, 2, pp. 144-154.

52- «Voici mon sang, qui sera répandu pour beaucoup en rémission de leurs péchés», in L’Apôtre de Marie, Nivelles, 1905, 192.

53- «Hommage à Notre-Dame», in L'Apôtre de Marie, Nivelles, 1906, 3, p. 3.

54- «La dévotion envers Marie d'après Newman», in L'Apôtre de Marie. Nivelles, 1908, 5, pp. 121-128.

55- «Le recrutement de l’Apostolat : expériences et industries», in L'Apôtre de Marie, Nivelles, 1909-1910, 433.

56- «Le côté psychologique de la dévotion à Marie», in L'Apôtre de Marie, Nivelles, 1910, 7, pp. 225-233.

57- «Mary in the Paintings of the Roman Catacombs», in L'Apôtre de Marie, Nivelles, 1910, 2, 1.

58- «La communion très fréquente dans l’un de nos collèges», in L'Apôtre de Marie, Nivelles, 1911, 10, 194.

59- «La Vierge Marie et l'Eucharistie», in L'Apôtre de Marie, Nivelles, 1911, 8, pp. 45-50.

60- «Mariology and catechism of particular examen», Dayton, St Mary’s College, 1915.

61- «Ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus qui vit en moi», in L'Apôtre de Marie, Nivelles, 1921, 13, pp. 193-196.

62- «A propos du XXIXe Congrès Eucharistique International à Sidney, Marie, Mère de l'Eucharistie», in L’Apôtre de Marie, Nivelles, 1928, 20, pp. 161-167.

63- «La Maternité divine et l'amour de Marie pour Dieu et pour les hommes», in L'Apôtre de Marie, Nivelles, 1931, 23, pp. 42-49.

64- «Une œuvre d'apostolat moderne : la Légion de Marie», in L'Apôtre de Marie, Nivelles, 1933, 24, pp. 372-378.

65- «Communication à Marie de nos impressions et réflexions», in L'Apôtre de Marie, Nivelles, 1937-1938, 28, pp. 241-243 ; 28, pp. 281-284 ; 29, pp. 361-364 ; 28, pp. 401-406.

66- «La Souveraineté de Marie», in L'Apôtre de Marie, Nivelles, 1938, 29, pp. 41-43 ; 29, pp. 81-85 ; 29, pp. 121-124 ; 29, pp. 161-163 ; 29, pp. 201-205 ; 29, pp. 241-243 ; 29, pp. 281-283.

67- «Les Mouvements marials», in L'Apôtre de Marie, Paris, 1949, 33, pp. 88-100.

68- «Les évènements marials de Rome et notre mission», in L'Apôtre de Marie, Paris, 1951, 34, pp. 13-18.

69- «Nation of Saints», in Marianist Educator, Vol. V, n° 1, p. 10, October, 1952.

70- «Mary and the Apostolate», in Marian Library Studies, n° 3, Dayton, 1952.

71- «L'esclavage de Marie selon saint Louis-Marie de Montfort et la piété filiale selon le Père Chaminade», in Traité d'Union Marianiste, Sion (Suisse), 1953, n° 9, pp. 2-4 ; n° 12, pp. 1-3.

72- «Une résurrection : les Enfants de Marie», in L'Apôtre de Marie, Paris, 1953 1954, 35, pp. 85-87 ; 35, pp. 165-168 ; 35, pp. 196-201.

73- «Les journées mariales de Paray-le-Monial», in L'Apôtre de Marie, Nivelles, 1953, 26, pp. 601-604.

74- «La Commission mariologique des étudiants américains», in L'Apôtre de Marie, Paris, 1954, 35, pp. 315-319.

75- «Lo zelo dell'apostolato di Maria», in L'Ora di Maria, Giove, I, n° 3, p. 33.

76- «Mary's Apostolic Mission and Pius XII», in The Marianist, Dayton, 1956, 47 n° 3, pp. 12-15 ; 26.

77- «Queen of the Apostolate», in The Marianist, Dayton, 1957, 48, n° 6, pp. 15-20.

78- «Mary's Role in the Priestly Mission», in The Marianist, Dayton, 1958, 49 pp. 2-5.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE DEUX

      LA MARIOLOGIE EN FRANCE         AU DEBUT DU XXe SIECLE

 

II.1 -Relectures historiques

La recherche théologique d’Emile Neubert s’insère dans la mariologie du début du XXe siècle en France qui est l’héritière des siècles précédents. Elle n’est pas indifférente aux grands bouleversements politiques, culturels et sociaux opérés dans les mentalités.

 

II.1.1 Aperçu historique global

Un rapide aperçu historique est nécessaire pour situer les différents courants religieux, catholiques et les autres ; l’approche de l’évolution de la mariologie en sera plus aisée pour mieux comprendre son enseignement.

La carte politique des grandes nations est modifiée au XIXe siècle. En Europe, après la guerre de 1870 et l’unité italienne qui induit l’affaiblissement politique du Saint-Siège, nous assistons à la formation du nouvel empire germanique avec l’annexion de l’Alsace-Lorraine qui concerne de près l’histoire d’Emile Neubert. En Amérique du Nord, les Marianistes furent appelés très tôt. L’évolution religieuse de cette région de la planète fait se croiser les chrétiens catholiques et les chrétiens issus des Eglises de la Réforme et des sectes qui en découlent, non sans heurts. Il sera un des grands acteurs aux Etats-Unis de l’enracinement marianiste dans le début du XXe siècle.

Il faut noter l’influence de l’expansion coloniale, (notamment de l’Angleterre), avec le développement commercial qui s’accompagne de toute cette nouvelle réalité des forces de productions et de l’âge industriel qui entrent en jeu dès la fin du XVIIIe siècle et trouvent leur apogée au XIXe (explosion du capitalisme libéral).

La machine à vapeur signe le début de la grande industrialisation et sa conséquence immédiate : l’appel de la main d’œuvre des campagnes vers les villes industrielles. Nous assistons à un véritable changement de civilisation où l’Eglise est prise de court, avec ses petits clochers paroissiaux disséminés dans la campagne, alors que les villes en expansion économique et urbaine n’offrent pas immédiatement les infrastructures ecclésiales nécessaires à l’évangélisation. Mais il y a pire : les paysans devenus ouvriers sont instruits par le marxisme et d’autres idéologies. Il faut souligner qu’une part importante de la haute bourgeoisie industrielle et bancaire fera tout pour éloigner l’influence de l’Eglise sur les ouvriers.

L’Eglise, avant Rerum Novarum (1891), par l’action de laïcs, initiera les premières protections sociales et des embryons de syndicats (les catholiques sociaux, Ozanam). Malheureusement, la hiérarchie se laissera surprendre par les idéologies dominantes aux XIXe et XXe siècles : Darwin, Marx, Nietzsche, Freud. Elle ne put immédiatement réagir aux phénomènes aléatoires d’un certain enrichissement des masses, accompagné de phases de dépression et de paupérisation, vérifiant la théorie des cycles longs de vingt-cinq ans décrits par Kondratief[172]. La crise américaine de 1929, suivie par la seconde guerre mondiale, fait entrer l’Europe dans une phase marquée par des élans de productivité renouvelés, ceci jusqu’aux premières secousses de la crise du pétrole onze ans après la fin du Concile Vatican II (Cf. Premier choc pétrolier d’octobre 1973).

Dans la même dynamique de progrès, l’évolution des sciences multiplie de nouvelles spécialisations dans tous les domaines d’investigation de l’être humain, sur lui-même et sur son environnement, surtout en Europe et en Amérique du Nord. On parle d’une seconde révolution industrielle qui suit la première guerre mondiale, avec le développement de l’électronique, des recherches spatiales, nucléaires, médicales (pénicilline et microchirurgie) etc. Les grandes institutions humaines et religieuses sont confrontées aux nouvelles questions sociales, économiques, familiales et éthiques.

 

II.1.2 Aperçu historique ecclésial

C’est dans ce contexte que l’Eglise doit répondre aux nouveaux défis de l’évangélisation. Elle prend conscience des limites de ses institutions pastorales traditionnelles et de la nécessité de renouveler les formes et moyens de communication. Cette évolution induit un langage mieux adapté pour la compréhension du renouveau théologique. Les pasteurs et les théologiens n’étaient pas préparés à de tels bouleversements, même si l’explosion missionnaire du XIXe, déjà bien amorcée au XVIIe, conduisait à repenser la forme de l’Annonce de la Bonne Nouvelle dans le contexte de ces nouvelles réalités culturelles et religieuses où les communautés missionnaires sont appelées à s’inculturer.

Nous assistons au XVIIe siècle, dans un premier temps, à la formidable impulsion mystique et pastorale de l'Ecole Française de Spiritualité. Elle a pour pivot la doctrine de l’Incarnation, elle enfante des hérauts : le cardinal Pierre de Bérulle, François de Sales et Vincent de Paul. Elle porta ses fruits par de grands noms[173] qui furent parfois des fondateurs, tant féminins que masculins (les Bérulliens seront tous missionnaires) et dont plusieurs, expressément cités, tels Olier et Grignion de Montfort eurent leur influence sur la spiritualité et la théologie dans le corpus «neubertien».

Un des grands axes du XVIIe siècle fut la formation spirituelle des laïcs et des prêtres et l’éducation des enfants. Ce siècle initia également des missions à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur de la France et de l’Europe. Ce fut vraiment un siècle extraordinaire : «un siècle de saints[174]», un siècle à la fois mystique et apostolique, pastoral, missionnaire et profondément spirituel.

Dans un deuxième temps, le XVIIIe siècle fut davantage marqué par de grandes crises aux conséquences tragiques et perceptibles dans la vie spirituelle d’Emile Neubert : exemple sa difficulté à obtenir l’autorisation de communier tous les jours, à l’époque du postulat et du noviciat, est liée à une mentalité janséniste qui perdurait, mentalité appuyée par certains ouvrages de théologie, ayant leur influence parfois jusque dans la vie religieuse[175].

L’Eglise était confrontée, en plus du jansénisme, au gallicanisme, au quiétisme, aux conséquences de la Révocation de l’Edit de Nantes (1685) - en amont du flux énorme d’immigration vers le Nouveau Monde : plus de deux cent mille protestants français partent en exil - à la contestation de l’Eglise et à l’anticléricalisme […] Tout cela contribuera en France à faciliter l’explosion de la Révolution Française qui se retourna contre l’Eglise avec la «Constitution civile du Clergé.»

Le début du XIXe siècle hérite de ces perturbations. Les différentes formes de persécutions religieuses constituaient autant d’appels à des élans missionnaires nouveaux à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Hexagone. C’est le cas des Congrégations Mariales (pour les laïcs) fondées par le Père Chaminade à Bordeaux, les Instituts religieux (appelés couramment Marianistes) fondés par lui avec Adèle de Batz de Trenquelléon, les Filles de Marie Immaculée et les Frères de Marie (Société de Marie), ainsi que les Filles de La Miséricorde de Bordeaux fondées par mademoiselle de Lamourous (sa fille spirituelle).

Ces réalités permettent à l’Eglise de s’enrichir de nouvelles figures de sainteté.

Dans le domaine de l’éducation, en plus des Marianistes, évoquons les Frères Maristes avec Marcellin Champagnat (1789-1840), les Salésiens avec Jean Bosco (1815-1888), les Religieux du Sacré-Cœur avec Timon David (1823-1891) qui cherchent à rejoindre la classe ouvrière. Dans le domaine de la presse et de l’édition, les Assomptionnistes avec Emmanuel d’Alzon (1810-1880), les Prêtres du Sacré-Cœur de Saint Quentin avec le P. Déhon (1843-1925) aident au renouvellement intellectuel. Dans la mission ouvrière, les Prêtres du Prado avec Antoine Chevrier (1826-1879) maintiennent des liens ecclésiaux. Dans la première partie du XXe siècle, saint Maximilien Kolbe (1894-1941) participera au renouveau marial. Il se servira du petit Traité d’Emile Neubert Mon idéal Jésus Fils de Marie qui contribua à approfondir l’inspiration de son œuvre[176].

Durant ce XIXe siècle, des courants nouveaux apparaissent : le libéralisme catholique, le catholicisme social, l’évolution vers l’acceptation de la démocratie, la crise moderniste qui n’éclatera vraiment qu’au début du XXe siècle, mais qui couvait déjà lors du XIXe, à la suite de l’enseignement d’Alfred Loisy (notamment sur la question biblique). Si bien qu’Emile Neubert fut profondément atteint dans sa jeune vie de séminariste par cette réalité lors de sa formation à Fribourg, comme il en témoigne dans son autobiographie.

Nous observons au XIXe siècle, malgré les secousses de la période précédente, une restauration des Ordres et Congrégations Religieuses anciens. Elles offrent des figures originales de sainteté dont l’une fera l’objet de son tout dernier livre: sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, qui fut nommée Docteur de l’Eglise à l’aube du troisième millénaire par Jean-Paul II[177]. S’ajoute à cela un mouvement immense venant de la France : les missions évangélisatrices dans le monde.

 

II.1.3 Aperçu historique mariologique

Rappelons, que nous avions assisté dès le début de l’époque moderne, - et surtout au temps de la Réforme, provoquant la réaction de la Contre-Réforme - à une sorte de divorce latent entre la recherche théologique, devenue de plus en plus un monopole universitaire, et la croyance du peuple, entre la liturgie officielle usant la langue latine, et les recherches de communication avec l’au-delà sous le mode de dévotion populaire parfois par des pratiques dangereuses que le Magistère condamnera. En effet, on assiste à l’envahissement du spiritisme, de l’occultisme, à l’influence non maîtrisée de la pensée hindoue et boudhiste dans le domaine de la philosophie, des arts littéaires et picturaux : elles offriront les bases au Nouvel Age. Dans ce contexte, «la Vierge Marie est un centre d’attraction pour ce piétisme compensateur de théologie officielle exclusivement masculine[178].»

Les XVIIe et XVIIIe furent marqués en mariologie par les controverses axées sur l’Immaculée Conception.

Durant la seconde moitié du XVIIe siècle, à côté de la dévotion populaire multiforme, une certaine élite composée de clercs, religieux et même de laïcs fervents et cultivés s’engage dans une recherche de synthèse qui veut allier l’approfondissement théologique à l’expérience vécue. En approfondissant le rôle de Marie, la perspective est double, unissant à la fois la recherche de perfection personnelle et l’apostolat.

1 L’oblatio des congrégations de la sainte Vierge pour laïcs, en vue de l’acquisition des vertus et du développement de la piété chrétienne - développées dans un second temps par les Jésuites - prône la dévotion à Marie protectrice, jusqu’à sceller par un acte officiel le pacte liant le congréganiste à la Vierge. Le Père Neubert, fidèle héritier du Père Chaminade, lui-même héritier de ce courant apostolique, en sera profondément imprégné.

2 La vie ‘Marie-forme’ du Carmel[179], prend son fondement dans la maternité de Marie, elle oriente le chrétien vers une perfection où l’âme se laisse former et animer par l’esprit de Marie jusqu’à être transformée en elle, de manière que Marie (qui sert de moyen et de plus fort lien de l’âme avec Dieu) vit et fait toute chose en elle.

3 L’esclavage marial (dont l’esprit du culte remonte au VIe siècle) eut ses caricatures, contre lesquelles le Saint Office réagit. Mais il eut ses prestigieux promoteurs, (Bérulle, Jobert, Neveu, et surtout Boudon), ils décelèrent l’attitude profonde de donation par amour.

La doctrine mariale de Monsieur Boudon (lui-même inspiré par ses prédécesseurs) exerça une grande influence malgré la contestation qui s’exprima dans la querelle des Avis salutaires[180]. Elle fut reprise et perfectionnée cinquante ans plus tard par Grignion de Montfort. Le jeune Emile Neubert en témoigne, décidé au début de sa vie de scolastique pour le port des chaînettes, proposé dans le Traité de la Vraie Dévotion[181].

Saint Louis-Marie Grignion de Montfort (1673-1716), - après Jean-Jacques Olier (1608-1657) et saint Jean Eudes (1601-1680) - offre une solution mariale à la crise pastorale du XVIIe siècle dans sa prédication et ses écrits, surtout ses cantiques. Il allie avec une grande saveur d’expression la précision du dogme et l’héritage de la Tradition à la piété populaire.

Son fameux Traité de la vraie dévotion (1712), édité au milieu de XIXe siècle (en 1843) après son succès mondial croissant, toujours actuel, sera l’objet d’une Lettre aux familles montfortaines sur la doctrine mariale de leur saint fondateur[182] par le Pape Jean-Paul II en 2004 pour l’anniversaire de son édition.

Grâce au génie du Père de Montfort, la transition se fait vers le XVIIIe siècle. Ce siècle qui vise à promouvoir le culte de Marie est enrichi par la production de documents pontificaux. Ils sont soutenus par des traités de théologie, ils cherchent à justifier les prérogatives de la Vierge et son culte par l’autorité des Pères et des auteurs du Moyen Age dont Duns Scot qui fut le fondateur théologique de la définition du dogme de l’Immaculée Conception.

Tous ces travaux contribuent pour la période qui nous préoccupe au développement du dogme marial : l’Immaculée Conception, l’Assomption.

Ces évènements théologiques et spirituels projettent dans la lumière les développements suivants : la coopération de Marie à la Rédemption, sa maternité spirituelle, son universelle médiation dans la distribution des grâces. Ainsi, la vénération, l’invocation et l’imitation de Marie ne sont pas des pratiques surérogatoires, elles constituent une attitude nécessaire au salut [...] La piété envers Marie se présente comme une marque de prédestination, pour autant qu’elle est «emendativa vitae» et qu’elle recourt aux moyens nécessaires au salut.

La piété populaire s’en trouve renforcée. Elle voit apparaître, en plus des pratiques traditionnelles, la célébration du mois de mai en l’honneur de Marie. Une nouvelle dévotion qui méritait de s’appuyer davantage sur la Parole de Dieu et de rechercher son lien liturgique christocentrique […] Autant d’éléments ajoutés à des excès de langage qui donnèrent prise à des critiques souvent justifiées : elles tendaient à purifier ces dévotions populaires.

Muratori (1672-1750) par exemple, - considéré par certains, comme esprit ayant influencé les approches du Concile Vatican II - se soucia de recentrer la piété mariale dans un cadre théologique plus vaste. Il tenait compte de la liturgie et des acquisitions scientifiques. Mais sa difficulté à donner une juste place aux formes et aux mentalités populaires de son époque témoigne de l’embarras de certains théologiens (dont les critiques peuvent enrichir l’Eglise), à équilibrer l’expression et le contenu de leurs recherches dans l’intégration sereine de la voix du Peuple de Dieu.

Les Gloires de Marie (1750) de saint Alphonse de Liguori (1696-1787), contribuèrent à la découverte de la Vierge Marie par Emile Neubert ; elles sont un exemple de présentation de Marie dans tout l’itinéraire spirituel du chrétien. Elles nourrissent une solide piété mariale éloignée de l’illuminisme et du rigorisme.

Nous arrivons au XIXe siècle qui fut assez pauvre dans ses premières décennies quant aux formes d’expression doctrinales, culturelles et artistiques, mais qu’on ne peut résumer sous ce seul aspect.

La mariologie, vers le milieu du XIXe siècle, reçoit une impulsion positive de la papauté qui prend la tête du mouvement marial et définit le dogme de l’Immaculée Conception (1854).

Dans son ouvrage La mission apostolique de Marie et la nôtre, Emile Neubert fait une recension historique sur Marie et l’apostolat de la vie dans laquelle il mentionne : «Les fondations religieuses apostoliques», «Marie et l’apostolat du clergé séculier», «Marie et l’apostolat de l’action catholique», «Les enfants de Marie», «La Milice de Marie Immaculée», «La Légion de Marie», «Le témoignage de la liturgie», et enfin «Les enseignements des souverains pontifes[183]

Le phénomène des apparitions mariales en Europe est un autre signe de vitalité, il est à l’origine des conversions et des mouvements de foules[184]. Ces apparitions renvoient théologiens et libres-penseurs à la notion du surnaturel dans un monde subjugué par ses découvertes scientifiques et la maîtrise qu’il espère en tirer, (sans parler des oppositions farouches des courants modernistes en tout ce qui concerne la foi et le surnaturel.) Emile Neubert consacre un chapitre entier à l’apport des apparitions reconnues, partant de celles de Marie à sainte Catherine Labouré, à la chapelle de la rue du Bac[185].

La figure spirituelle et missionnaire d’Emile Neubert apparaît dans la première moitié du XXe siècle, dans la réalité de l’Eglise et du monde aux multiples visages avec ses ombres et ses lumières. C’est une période où la figure de la Vierge Marie prend dans l’Eglise catholique un extraordinaire relief qui culmine avec les années mariales de la fin du pontificat de Pie XII : définition de l’Assomption en 1950, centenaire du dogme de l’Immaculée Conception en 1954, centenaire de Lourdes en 1958[186].

Emile Neubert, spécialisé dans la mariologie, n’ignore pas les réalités sociales, économiques, culturelles et politiques de son temps. En pleine production littéraire (durant la période des trente glorieuses), il fait paraître une biographie : Un Apôtre de la Vierge et de la J. O. C. : L'abbé René Mougel, Marianiste 1911-1946, il relaie le témoignage d’un de ses confrères, prêtre marianiste lié à la J.O.C., engagé dans une Eglise confrontée de plus en plus aux réalités des travailleurs qui répondent aux appels croissants de main-d’œuvre des immenses complexes industriels. A la suite du fameux Père Mougel, il prit conscience que la J.O.C. avait pour mission d’emmener l’Evangile dans la vie de tous les jours et ferait parler du Christ sur les lieux de travail, élaborant une relecture chrétienne des phénomènes économiques de masse.

Il n’hésite pas à titrer un chapitre de son livre ainsi :

Notre Dame des Ouvriers : une méthode d’apostolat et une doctrine.

[…] La Mère du Christ étant aussi notre Mère, les militants (de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne) doivent comprendre que leur action conquérante est justement celle de Marie, la Mère qui veut changer le monde à la ressemblance de son Fils, qui veut donc tout spécialement former le Christ Ouvrier dans ses fils les ouvriers[187].

Emile Neubert cherchait à s’adresser aux chrétiens, en tenant compte de leur diversité, par le biais de ses ouvrages, depuis les futurs prêtres en formation jusqu’au peuple de Dieu dans son ensemble. Il passe par les réalités de la famille, des éducateurs, des militants, etc.; ce qui témoigne d’une grande actualité pastorale.

Il nous donna son message, il faut le souligner, dans une conscience aiguë des «derniers temps», il retrouva là cette réalité bien présente chez Guillaume-Joseph Chaminade.

On se dirait à la veille d’une solennelle proclamation du rôle apostolique de Marie dans l’Eglise du Christ.

Pourquoi Dieu veut-il que, dans ces «derniers temps», cette mission de la Vierge soit plus manifeste ? […]

Il semble qu’on puisse donner deux raisons. La première, c’est le caractère particulier de la lutte engagée de nos jours contre la foi [...] Le Christ Roi de l’univers ou le Christ proscrit de toute sa création, voilà l’enjeu [...] Telle est la raison donnée par le Père Chaminade. Il voit apparaître une hérésie nouvelle l’indifférence religieuse, qui menace d’engloutir tout l’ordre surnaturel […]

La seconde raison, c’est l’accroissement merveilleux qu’a pris dans ces derniers temps la dévotion au Christ. Culte du Sacré-Cœur, pratique de la communion quotidienne, étude enthousiaste de la personne du Christ, autant de signes révélateurs du désir que Dieu nourrit de glorifier son Fils fait homme et de le mettre triomphalement au centre de la religion individuelle et sociale. Or, c’est un fait prouvé par l’expérience et la foi, on n’arrive à la pleine intelligence du Christ que par Marie. Si le Christ doit être mieux connu et mieux aimé, il faut que Marie le soit également, et qu’apparaisse plus clairement sa mission dans la conversion et la sanctification des âmes.

Du reste, cette floraison merveilleuse de la dévotion au Christ est une conséquence, et une conséquence prévue, du renouveau marial. Elle l’a suivi à cinquante ans d’intervalle. Or tout comme ce dernier, elle avait été prédite. Le bienheureux de Montfort avait annoncé que le Règne de Marie inaugurerait le Règne du Christ, et le Père Chaminade avait affirmé qu’une grande victoire était réservée à Marie, et que par elle, et elle seule, les âmes seraient amenées à Jésus[188].

Le caractère eschatologique et christocentrique de ce texte qui se poursuit par le lien nécessaire entre l’apostolat et la piété filiale nous donne un très bon aperçu, une véritable vision prophétique d’Emile Neubert sur le sens de l’histoire. Elle intègre celle des siècles qui précèdent l’époque où il écrit et sa propre période. Nous sommes à la fin des années vingt, période où se termine la phase conquérante pour l’Eglise et pour l’économie occidentale dont nous avons parlé plus haut.

Il commença d’exprimer ses convictions dans le cadre des cours donnés aux Etats-Unis, tout imprégné qu’il fut de l’impulsion apostolique du Père Guillaume-Joseph Chaminade. Il cherche à motiver dans leur élan missionnaire tous ses élèves.

Le Père Guillaume-Joseph Chaminade, fondateur de la Famille Marianiste au début du XIXe siècle, contribua à mieux faire connaître le mystère du Christ par une approche biblique et patristique de son époque. Faire connaître, aimer et servir le Christ, tel était son leitmotiv.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, nous sommes encore dans la phase et dans le climat de production littéraire des siècles précédents, avec ses traités de mariologie autonome.

La mariologie tant par le fond que par le style ou absence de style se poursuivra globalement jusqu’au tournant de Vatican II. Nous sommes dans une période de l’avant Concile, cette période dans laquelle Emile Neubert s’insère parfaitement, si on en juge par sa production littéraire globale, avec surtout, son fameux traité systématique de mariologie Marie dans le dogme commencé dans les années vingt, puis repris et édité en France en 1954. Une date qui correspond à l’année mariale, elle suit de quatre ans la promulgation du dogme de l’Assomption (1950), accompagnée par une intense activité de congrès mariologiques ou mariaux internationaux, organisés par les sociétés mariales qui se développèrent dès le début des années trente jusqu’au Concile Vatican II.

Nous mentionnerons, pour donner une idée de la production mariale autonome du XIXe siècle, les écrits de type apologétique d’Auguste Nicolas[189] (1807-1885) et les travaux scientifiques à trente ans de distance de Francesco Morgott et Emile Neubert, comme en parle le Père Koehler dans son Histoire de la Mariologie de 1650 au début du XXe siècle[190].

Deux travaux scientifiques démontrent les progrès faits dans les études mariologiques : Francesco Morgott, présente la mariologie de saint Thomas d’Aquin[191]. C’est une bonne synthèse fondée sur les textes où nous découvrons comment l’Ecole thomiste cherche à mettre le saint Docteur en accord avec le dogme de l’Immaculée Conception.

En 1908, apparaît dans la collection Bibliothèque théologique la thèse du marianiste Emile Neubert (1878-1967), présentée en 1907 à la faculté de théologie de l’Université catholique de Fribourg (Suisse), fondée en 1889.

«Ce travail sur la doctrine mariale avant le Concile de Nicée (325), d’après le P. H. du Manoir et l’Abbé Laurentin, - comme l’affirme Luigi Gambero - c’était la première thèse de doctorat qui ait jamais été écrite en mariologie dans une Faculté pour obtenir le doctorat en théologie sacrée[192].» La contribution théologique d’Emile Neubert arrive opportunément comme le note l’auteur dans son introduction, car beaucoup d’études sur les premiers siècles de la chrétienté n’avaient pas mis en évidence la foi des premières générations dans le mystère marial.

Dans ce vide théologique, certains travaux protestants se proposaient d’expliquer l’origine du culte marial comme un substitut au culte des divinités païennes ou une sorte de vénération liée aux climats ascétiques en vue d’exalter la virginité[193].

 

II.2 Etudes préliminaires en vue de sa thèse

Sa thèse de doctorat est sa première publication (1908). Il serait utile, dans un premier temps, de la situer dans le contexte plus large des études scientifiques et mariologiques de son époque. Il convient de souligner quelques points saillants de sa bibliographie sur les auteurs contemporains qui contribuèrent à enrichir son étude, en complémentarité avec les Pères, les docteurs et les mystiques. Il est utile de rappeler, à cet endroit, selon le principe du Père Léthel :

En théologie, pour bien interpréter un auteur, il ne suffit pas d’étudier ses sources littéraires, c’est-à-dire les auteurs qu’il a lui-même étudiés et connus ; en particulier, lorsqu’il s’agit des saints, tous ont communié intensément, dans le même Esprit Saint, à l’unique source qui est Jésus ; dans le même Esprit, tous ont lu la même Ecriture sainte, tous ont vécu le même Evangile dans la même Eglise, tous ont communié au même Corps de Jésus[194].

Un rapide aperçu de la présentation bibliographique du Père Neubert au début de sa thèse, nous donne une idée du caractère assez récent des ouvrages qui l’ont accompagné dans sa recherche, outre les écrits des Pères de l’Eglise[195] aux premiers siècles ou les apocryphes du Nouveau Testament[196].

Nous remarquons la présence d’Henry Newman (1801-1890)[197] et Jean-Baptiste Terrien (1832-1903)[198] qui ont en commun une référence fondamentale aux Pères de l’Eglise, parmi les théologiens (en général de qualité) de la seconde moitié du XIXe siècle.

Newman, par sa réponse à l’Eirenicon (1865), de E.-B. Pusey, en appelle à la doctrine des Pères de «l’Eglise non divisée», il établit le lien nécessaire entre l’enseignement catholique et celui des Pères au sujet de Marie[199].

Jean-Baptiste Terrien, qui publie à partir de 1900 les quatre volumes la Mère de Dieu et la Mère des hommes, utilise les richesses de la patrologie gréco-latine que Migne avait mise à la disposition des théologiens (série latine 1844-1864 ; série grecque : 1857-1866). Il cherche à mettre en évidence l’idée centrale : Marie est la Mère de Dieu et la Mère des hommes. Les deux maternités à la fin de son exposé s’interpénètrent pour ne faire qu’une seule et même maternité[200]. Il offre une contribution précieuse à l’époque par son esprit d’observation, son érudition, dans un souci de respecter la vérité sur l’évolution des croyances religieuses, suivant un ordre diachronique, plutôt qu’une approche synchronique. Cette démarche d’un ordre chronologique sera celle qu’Emile Neubert suivra dans sa thèse pour chaque thématique abordée.

Cette approche nouvelle d’une théologie mariale positive avec Terrien qui se démarque de toute la démarche du mouvement marial de la Contre-Réforme[201], aboutit à une affirmation centrale qui est au cœur de l’enseignement marial d’Emile Neubert - et que nous retrouvons dès le premier ouvrage, de l’ensemble de son œuvre jusqu’au tout dernier - : la double maternité de Marie, Mère de Dieu et Mère spirituelle des hommes.

Signalons la place importante des théologiens historiens et exégètes de renom pour la recherche dogmatique de sa thèse, tant du côté catholique que du côté protestant[202]. Parmi ces auteurs dont les œuvres remarquables étaient très récentes à son époque, nous trouvons les noms de J. Tixéron (1856-1925), E. F. Vacandard (1849-1927), M.-J. Lagrange (1855-1938), K. Rösch (1869-1944), J.-P. Kirsch (1861-1941).

La place importante donnée aux recherches archéologiques, autour des catacombes romaines notamment, avec Wilpert et Kirsch contribuera à la publication postérieure à sa thèse sur ce thème : «Mary in the Paintings of the Roman Catacombs», in L'Apôtre de Marie, 2,1, Nivelles, 1910.

Enfin, parmi les auteurs protestants, tels E. Schürer, A. Hilgenfeld, notons le choix de Kattenbusch (1825-1935), disciple de Ritschi, qui fut un pionnier dans le dialogue œcuménique avec l’Eglise orthodoxe. L’objectif qu’il suivit est spécifié dans une note de sa bibliographie :

Je ne mentionne ici, parmi les ouvrages dont je me suis servi, que ceux qui ont directement trait aux points touchés dans ce travail, et qu'il est de quelque intérêt de consulter. J'omets en conséquence ceux qui ne présentent aucune originalité scientifique, et ceux qui se rapportent uniquement à l'exégèse du Nouveau Testament (pour et contre la conception virginale), vu que je n'étudie ici l'histoire de la marialogie qu'à partir de la fixation, dans les Evangiles, des récits relatifs à la naissance de Jésus[203].

 

II.3 La double influence de Montfort et de Chaminade

Nous avons fait le choix de commencer - en tenant compte de la chronologie des étapes de la découverte de Marie, dans la vie d’Emile Neubert - par la présentation de saint Louis-Marie Grignion de Montfort qui est un repère obligé et très actuel de la mariologie. La demande des évêques de le déclarer «docteur de l’Eglise» simultanément avec sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, relance l’actualité de ce grand saint, héritier de l’Ecole Française de Spiritualité.

 

II.3.1 Saint Louis-Marie Grignion de Montfort 1673-1716

C’est vers l’âge de vingt ans, qu’Emile Neubert découvrit, durant son scolasticat, la spiritualité montfortaine :

A la fin de mon scolasticat, le Père Kieffer -notre directeur à l’époque - m’a donné un exemplaire de La Vraie Dévotion à Marie par Grignion de Montfort.

Cet auteur insistait sur le saint esclavage, ce qui me frappa très fort. Du fait que notre doctrine sur la dévotion du Fondateur à l’égard de la bienheureuse Mère (Marie) était inconnue, j’en étais venu à me poser la question, pendant un certain temps, si sa dévotion (celle de Grignion de Montfort) n’était pas supérieure à la nôtre[204].

La consécration à Marie qu’il prêchait me paraissait plus totale que la nôtre et je tâchai de trouver une chaînette pour porter l’insigne du saint esclavage[205].

Sous l’influence spirituelle du Père de Montfort, à partir du Traité de la vraie Dévotion à la Sainte Vierge, redécouvert en 1842, le jeune Emile fit sa consécration mariale. Il s’agit d’un manuel de spiritualité qui deviendra un classique de la piété mariale. Il inspirera de grands noms de l’apostolat des XIXe et XXe siècles : Léon XIII , Pie X, Frank Duff, Maximilien Kolbe, Marthe Robin, Chiara Lubich et Jean-Paul II[206].

Emile Neubert fait souvent référence aux papes, parmi lesquels Léon XIII qui béatifia le Père de Montfort[207]. Sous l’impulsion du Traité de la vraie dévotion à la sainte Vierge, ce pape publia chaque année de 1883 à 1901 une encyclique sur la dévotion mariale et en particulier sur le rosaire[208]. De même saint Pie X, si souvent mentionné dans le corpus «neubertien» pour son encyclique Ad diem illum[209] (1904) sur la médiation universelle de Marie et sa maternité spirituelle - publiée à l’occasion du cinquantième anniversaire de la définition dogmatique de l’Immaculée Conception- et dans laquelle l’inspiration du fameux Traité transparaît avec toute la vision du Corps Mystique de l’Eglise selon le Père de Montfort et qu’Emile Neubert fait sienne.

Le Père Neubert nous donne, à la différence de Jean-Paul II, un aperçu du Traité de la Vraie Dévotion dans le cadre strict de notre consécration à Marie. Mais il est rejoint parfaitement par le pape Jean-Paul II dans sa réflexion sur les «apôtres de la fin des temps[210]» et les fins dernières. Tous deux s’inspirent de la vision eschatologique de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, le «dernier des grands bérulliens», selon l’expression de l’historien Henri Brémond[211].

Nous retrouvons dans le corpus «neubertien» de telles insistances et récurrences appartenant au Traité de la Vraie Dévotion qu’il nous est possible de dire qu’il se situe en position de «disciple» de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, dans sa manière de formuler et de préciser certaines affirmations.

Dans l’ouvrage Notre don de Dieu, (édition de 1954), il commence le tout premier chapitre par ce titre : La dévotion à Notre Seigneur fondement indispensable de notre dévotion à Marie. Il présente la dévotion à Jésus chez le jeune Chaminade, puis Le P. Chaminade et l’Ecole Française. Dévotion au Verbe Incarné. Et, ce qu’il développe en ce chapitre, manifeste le christocentrisme, caractéristique de «l’Ecole Française de Spiritualité[212],» si présent dans les écrits et paroles de Guillaume-Joseph Chaminade, dont il reprend des développements théologiques mais surtout dans l’œuvre de saint Louis-Marie Grignion de Montfort.

Les sous-titres dans Notre Don de Dieu sont évocateurs :

Vivre comme Jésus-Christ [] La conformité avec Jésus-Christ [] Contempler Jésus-Christ [] Vivre de Jésus-Christ [] Union la plus intime avec Jésus-Christ [] Notre identification avec Jésus-Christ.

Nous trouvons même sous sa plume, une reprise d’ordre mystique de M. Olier, relevée par Chaminade. Elle ne se retrouvera plus dans la suite de son œuvre : «Notre Seigneur est l’époux des âmes[213]

Les mots qui résument son chapitre sont en parfaite connivence avec ceux du Père de Montfort : « Il faut vivre pour Jésus-Christ ; il faut vivre comme Jésus-Christ ; il faut vivre de Jésus-Christ, et, si l’on peut dire, il faut vivre Jésus-Christ[214]. »

Saint Louis-Marie Grignion de Montfort, en fidèle bérullien[215], pose dès le début du Traité de la vraie dévotion, les fondements de sa spiritualité, à partir de la Personne du Christ[216].

Notons que dans toute son œuvre, il est plus attentif à poser les axes d’une solide piété mariale, il ne reviendra d’ailleurs pas souvent sur ces accentuations christocentriques qu’il considère acquises pour les lecteurs.

Il s’appuie à la fois sur l’exemple de saint Pie X, de saint Louis-Marie Grignion de Montfort pour introduire les thématiques de Marie et de l’Incarnation. Cette proximité d’auteurs n’est pas un hasard, il semble bien que saint Pie X ait été en contact avec le fameux traité.[217]

Si, Mère du Christ, Marie devait devenir notre Mère, quand l’est-elle devenue de fait ? D’abord par sa coopération à l’Incarnation. C’est la raison donnée par Pie X, dans son encyclique Ad Diem illum, du 2 février 1904, et déjà, en son langage original, par saint Louis-Marie Grignion de Montfort dans son traité de la vraie dévotion à Marie[218].

Dans le corpus «neubertien», les pages concernant saint Louis-Marie Grignion de Montfort abordent amplement le thème de la consécration mariale, approfondi sous l’angle marianiste :

Saint Louis-Marie Grignion de Montfort - écrit Emile Neubert -, énumère davantage que le Père Chaminade le contenu du don fait à Marie dans le saint esclavage ; mais de part et d’autre il est question d’un don total[219].

La Compagnie de Marie, qui se rattache à saint Louis-Marie Grignion de Montfort, paraît également posséder un caractère marial analogue au nôtre […] Les constitutions de la Société de Marie montfortaine […] expriment ce double engagement d’appartenance totale à Marie et d’apostolat marial. Nous avons ici encore une profession (religieuse) qui, par son but, est une consécration totale à Marie à but apostolique.

Le Père Chaminade a connu la Compagnie de Marie. Sa vie par le Père Simler rapporte qu’ « en 1832, les Missionnaires du Saint-Esprit du bienheureux Grignion de Montfort (eurent) recours à ses lumières pour trancher des difficultés dont dépendait leur existence. » Mais il est très douteux qu’il fût au courant de leur doctrine mariale[220].

Dans son chapitre XII intitulé Notre don de Dieu : une dévotion sans exemple, le théologien, soucieux de concision, ajoute un appendice de dix pages qu’il intitule Le saint esclavage et la piété filiale où il compare les deux types de dévotion marianiste et montfortaine, à partir de la consécration. Il met en évidence la radicalité du don de soi qu’il s’agit de faire à Marie[221] et l’annonce par le Père de Montfort des apôtres des derniers temps qui seront des esclaves de Marie. Il renvoie aux n° 47 à 59 du Traité de la vraie Dévotion[222].

Il met également en relief la différence de perspective entre Le Père de Montfort et le Père Chaminade.

Le but proposé par saint Louis-Marie Grignion de Montfort, est «la sanctification personnelle» proposée à tous les baptisés[223], alors que la fin des consécrations proposées par le Père Chaminade est avant tout apostolique.

Il nous explique, que cette différence de perspective est due aux évolutions des temps. Evolutions nécessitées, à l’époque du Père Chaminade, par la rareté des prêtres et la demande de soldats pour aider la Vierge dans sa guerre contre l’enfer.

Il prend soin de préciser, que dans les deux instituts (marianistes) fondés par le Père Chaminade, la perfection personnelle est le premier souci, car c’est la seule condition d’une efficacité apostolique.

Il relève également d’autres différences : Tous les esclaves de Marie n’ont pas un devoir spécial d’apostolat […] les apôtres futurs qu’entrevoit le Père de Montfort seront tous des prêtres […][224].

Il prend soin de situer le terme esclavage et son origine dans l’histoire de la spiritualité. Remontant à la fin du XVIe siècle en Espagne, ce terme fut repris par Bérulle et l’archidiacre d’Evreux, Boudon qui inspira Montfort :

Il résuma (cette dévotion) en exposant la doctrine dans un style clair, vigoureux, enthousiaste [] Si le Père de Montfort n’inventa pas le nom de sa dévotion, il l’adopta volontiers, car il trouvait que le mot esclave exprimait parfaitement l’idée de l’appartenance totale à la Vierge, qu’il voulait inculquer à ses disciples. «Il n’y a rien, parmi les hommes, note-t-il, qui nous fasse plus appartenir à Jésus-Christ et à sa sainte Mère que l’esclavage de volonté[225] […]» Mais il ne s’agit pas d’un esclavage de contrainte, il s’agit d’un esclavage d’amour[226].

L’expression esclavage d’amour de notre auteur a l’avantage d’exprimer la radicalité du don de soi. Nous retrouvons la même sensibilité d’interprétation avec le pape Jean-Paul II :

On sait que l’auteur du Traité définit sa dévotion comme une forme d’«esclavage». Le mot peut heurter nos contemporains. Pour moi, je ne vois là aucune difficulté. Je pense qu’il s’agit là d’une sorte de paradoxe comme on en relève souvent dans les Evangiles, les mots : ‘saint esclavage’ signifiant que nous ne saurions exploiter plus à fond notre liberté, le plus grands des dons que Dieu nous ait faits. Car la liberté se mesure à la mesure de l’amour dont nous sommes capables. C’est cela, je crois, que l’auteur a voulu nous montrer[227].

Pour Emile Neubert, la question du vocabulaire est aussi très présente. Il se réfère au Fondateur des Congrégations Mariales de Bordeaux. Outre le fait que le Père Chaminade tint compte des diverses mentalités liées à la Révolution française et à toutes ses conséquences, évitant d’employer le terme d’esclave, il relève que l’esprit de la consécration «chaminadienne» est dans une perspective identique à celle du Père de Montfort. Il s’agit pour le Père Chaminade, de la réunion des enfants de Marie les plus prononcés, dans la Société de Marie :

Leur idéal, ce n’est pas l’enfant ordinaire, c’est Jésus, Fils de Marie […] Or Jésus a toujours travaillé pour sa Mère, il l’a associée à tous ses mystères jusqu’à sa mort. L’esclave, au moment de son décès, est émancipé de son maître. Jésus est toujours resté et restera pendant toute l’éternité l’enfant de Marie, déférant à tous ses désirs. L’imitation de la piété filiale de Jésus envers Marie entraîne donc une dépendance pour le moins tout aussi totale que celle de l’esclavage à l’endroit de son maître…

L’esclavage que prêche le Père de Montfort est un esclavage filial. Par son intention, le Père de Montfort rejoint la conception du Père Chaminade […]

Il semble donc permis de conclure que la pensée de saint Louis-Marie Grignion de Montfort pressent celle du Père Chaminade, et que l’esclavage d’amour s’oriente vers la piété filiale apostolique à l’imitation du Christ[228].

La réponse que le Père de Montfort aurait pu faire à Emile Neubert pour résoudre la question de l’esclave qui est relevé de ses obligations par la mort, serait de préciser le sens de l’expression : « dans le temps et l’éternité», car il s’agit bien d’un esclavage d’amour. Utilisée par le saint dans les derniers mots de son traité[229], cette expression est déjà présente dans l’acte de consécration qui conclut le livre de L’amour de la Sagesse éternelle[230]. La précision pour l’éternité explicite cette notion d’appartenance à Marie que la mort ne peut briser. Nous la retrouvons aussi dans de nombreux cantiques.

Dans tous ses ouvrages, il garde en mémoire les éléments du Traité de la Vraie dévotion ou du Secret de Marie, et même des Cantiques, de saint Louis-Marie Grignion de Montfort. Il n’hésite pas à s’y référer, quand il doit construire ses thématiques mariales. Il fait alors appel à la contribution de plusieurs auteurs. Louis-Marie Grignion de Montfort est son préféré.

Il en est de même dans son ouvrage La vie d’union à Marie, quand il aborde les questions relatives à la communion à l’âme de Marie et à ce qu’il nomme l’union mystique. Les passages choisis chez saint Louis-Marie Grignion de Montfort sont éloquents :

L'âme de la Sainte Vierge se communiquera à vous pour glorifier le Seigneur ; son esprit entrera en la place du vôtre pour se réjouir en Dieu, et il cite à propos le mot de saint Ambroise : «Que l'âme de Marie soit en chacun pour y glorifier le Seigneur ; que l'esprit de Marie soit en chacun pour s'y réjouir en Dieu[231]

Travaillons [] chère âme, et faisons en sorte que, par cette dévotion fidèlement pratiquée, l'âme de Marie soit en nous pour glorifier le Seigneur, que l'esprit de Marie soit en nous pour se réjouir en Dieu son Sauveur. Ce sont là les paroles de saint Ambroise [] Cette dévotion, fidèlement pratiquée, produit une infinité d'effets dans l'âme. Mais le principal don que les âmes possèdent, c'est d'établir ici-bas la vie de Marie dans une âme, en sorte que ce n'est plus l'âme qui vit, mais Marie en elle, ou l'âme de Marie devient son âme, pour ainsi dire. Or, quand par une grâce ineffable, mais véritable, la divine Marie est Reine dans une âme, quelles merveilles n'y fait-elle point ? Comme elle est l'ouvrière des grandes merveilles, particulièrement à l'intérieur, elle y travaille en secret, à l'insu même de l'âme qui, par sa connaissance, détruirait la beauté de ses ouvrages [] Enfin, Marie devient toute chose à cette âme auprès de Jésus-Christ : elle éclaire son esprit par sa pure foi. Elle approfondit son cœur par son humilité, elle l'élargit et l'embrase par sa charité, elle le purifie par sa pureté, elle l'anoblit et l'agrandit par sa maternité. Mais à quoi est-ce que je m'arrête ? Il n'y a que l'expérience qui apprend ces merveilles de Marie, qui sont incroyables aux gens savants et orgueilleux, et même au commun des dévots et dévotes[232].

Nous avons de bonnes raisons de penser que c’est le Père Emile Neubert qui fit la demande suivante au Père Schellhorn pour en obtenir la réponse qui suit :

Le Père Schellhorn parle d’une fusion de l’âme avec l’âme de Marie. Un de ses amis lui ayant demandé un jour comment il entendait l’expression de saint Louis de Montfort «faire toutes ses actions en Marie», il lui répondit :

En Marie est un degré plus élevé qu’avec Marie. Cela signifie que notre âme fusionne, pour ainsi dire, avec celle de la T. S. Vierge et agit de plein concert avec elle en toutes choses[233].

Nous notons que pour lui, les apôtres des derniers temps, prédits par saint Louis-Marie Grignion de Montfort, sont une annonce des membres de la famille marianiste:

Si de Montfort s’étend sur la mission apostolique de Marie et parle avec enthousiasme des grands apôtres des derniers temps, esclaves de Marie, il n’a pas, nous l’avons vu, proposé l’apostolat comme but de leur consécration [] De Montfort ignore l’époque où ces grands apôtres doivent apparaître [] Ce que Montfort ne sait pas encore, la vierge de Saragosse l’a révélé au Père Chaminade : «c’est de nos jours qu’est réservée à Marie une grande victoire ». Ces grands apôtres de la Vierge que saint Louis-Marie entrevoyait, c’est lui qui a été chargé par Notre Dame del Pilar de les lui recruter[234].

Marie est présente dans les différentes phases névralgiques de l'histoire du salut, par la volonté divine[235]. Elle devient collaboratrice du Dieu de toutes grâces par sa maternité divine qui se déploie dans sa maternité spirituelle et dans sa mission apostolique, pour toujours.

La perspective est essentiellement christocentrique. La connaissance et la révélation du mystère de Marie sont annoncées dans la lumière eschatologique, très présente dans la théologie de saint Louis-Marie Grignion de Montfort et dans la réflexion mariologique du pape Jean-Paul II. Il nous faut lire ces textes dans l’esprit de l’économie du Salut, intelligence héritée de la tradition patristique, reprise par le Concile Vatican II : «Les derniers temps sont déjà arrivés.»

Chez Emile Neubert et chez saint Louis-Marie Grignion de Montfort, Marie est médiation de l'Incarnation d'une part, et le moyen de l'accomplissement de l'œuvre de Dieu d'autre part, à savoir son Règne en Jésus-Christ dans le monde et son Retour en Gloire dans la cité des hommes.

Voulue par la Sainte Trinité, Marie, qui a rendu possible l'Incarnation par son fiat, rend possible la venue quotidienne du Christ jusqu'à la parousie au moyen de l'Eglise.

Cette argumentation appartient à la logique interne de la pensée théologique d’Emile Neubert comme de celle de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, logiques qui se présentent comme une théologie de l'histoire du Salut. Elles engagent chaque baptisé dans une mission apostolique. Notre temps linéaire a un sens, car il mène à un accomplissement. Marie contribue d'une manière unique au projet de Dieu pour le salut du monde, à cause de l'Incarnation en qui l'histoire se résume. Elle rend visible Dieu lui-même en son Fils. Après l'Incarnation, jusqu'à «la consommation des siècles», nous sommes dans les derniers temps qui préparent le retour en gloire du Christ, «le dernier avènement de Jésus[236]», «la venue du Fils de l’homme sur la nuée.»

Chez Louis-Marie Grignion de Montfort, cette approche est plus complète, elle montre une construction plus équilibrée de sa pensée. Le mystère de la Croix est très présent, beaucoup moins chez Emile Neubert. La place de l’Esprit Saint, si valorisée dans l’ensemble des œuvres de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, semble moins saillante en apparence dans le corpus «neubertien». Il en va de même pour la place centrale donnée au Christ.

 

II.3.2 Le bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade 1761-1850

Emile Neubert puisa largement son inspiration et ses orientations théologiques dans les œuvres de Guillaume-Joseph Chaminade dont il a commenté plus précisément la pensée dans certains ouvrages, en particulier Notre Don de Dieu et La doctrine mariale de Monsieur Chaminade. Il convient de présenter cette figure missionnaire unique de la première moitié du XIXe siècle.

Nous savons, par le témoignage qu’il en donne dans son autobiographie, que c’est surtout à partir d’une retraite de scolasticat prêchée par le Père Klobb en 1903, qu’il reçut le message du Père Chaminade sur la mission apostolique de Marie. Ce fut là un tournant dans sa vie :

A la fin de la première année scolaire, M. l’abbé Klobb vint prêcher la retraite annuelle aux séminaristes. Toutes ses conférences tournaient autour de l’esprit apostolique. Le thème me plaisait beaucoup car depuis ma seconde conversion au postulat, l’idée de la conversion et de la sanctification des âmes a été une de mes trois grandes idées-forces, conséquence naturelle de mon union avec Jésus le Rédempteur, et Marie la mère des âmes[237].

En même temps, il découvre le lien profond qui unit le mystère de Marie à l’apostolat :

M. l’abbé Klobb expliqua les relations de Marie avec l’apostolat, en particulier dans la Société de Marie, d’après le Père Chaminade : la mission apostolique de Marie, surtout dans les temps nouveaux ; la fondation de la Société de Marie pour donner à Marie une armée d’apôtres pour la seconder dans sa mission ; notre vœu de stabilité pour nous donner à Marie entièrement et irrévocablement comme ses soldats de choix. Je n’avais jamais entendu de ces idées qui m’émerveillaient[238].

Il avait enfin accès à cet enseignement fondamental de la famille religieuse où il s’était engagé, grâce à un commentaire renouvelé de la fameuse lettre du 24 août 1839[239] du bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade. Le premier commentaire qu’il en avait reçu[240] mettait l’accent sur la relation filiale avec Marie, alors que la pointe du message était plus précise :

Notre piété filiale envers Marie nous oblige à assister notre Mère dans sa lutte contre Satan pour lui arracher les âmes et les amener à Dieu[241].

Je compris aussi comment le vœu de stabilité nous fait une obligation d’honneur de tendre à une plus parfaite donation de nous-même que le saint esclavage. Si, au point de vue des obligations strictes, ce vœu nous oblige seulement à ne jamais déserter le service de Marie, au point de vue de l’esprit dans ce vœu, non seulement il rend cette donation plus sacrée parce que inspirée par un vœu, mais il ajoute à la fin de la sanctification personnelle celle du travail apostolique, puisqu’on se donne à Marie précisément pour l’aider dans sa mission apostolique universelle. Cette conception de notre dévotion à Marie me plut énormément et devint l’inspiration de tout mon apostolat marial à partir de ce moment[242].

Il fallait donc que notre dévotion à Marie se distingue de celle d’autres serviteurs de Marie non seulement par sa perfection, mais surtout par son caractère apostolique, qui dérivait de la mission apostolique de Marie. Depuis lors, je n’ai pas cessé d’insister sur cette idée dans la quasi-totalité de mes sermons et écrits mariaux [] Ce fut bien là le livre d’où j’ai tiré mon inspiration et ma doctrine mariale [243]

Sa première causerie, le jour de la fête de l’Immaculée Conception, portait l’empreinte de cette découverte, suivie par un article sous forme poétique[244]. Il exprimait, en vieux français, cette mission de lutte contre Satan que, plus tard, il développera en détail dans son ouvrage de 1956, la mission apostolique de Marie et la nôtre.

Concernant le Père Chaminade, sa biographie fait entrevoir l’importante activité apostolique de ce prêtre diocésain qui échappa aux persécutions ant-religieuses de la Révolution française.

 

II.3.2.1 Le contexte                

Le Père Guillaume-Joseph Chaminade (1761-1850) fut ordonné prêtre en 1785, après avoir reçu sa formation philosophique et théologique à Bordeaux, puis à Paris sous la direction des prêtres de Saint-Sulpice. Ses études furent sanctionnées par un doctorat en théologie. Il rejoignit deux de ses frères engagés à relever un collège à Mussidan près de Périgueux, leur ville natale.

Mais la Révolution les obligea bientôt à quitter ce collège en pleine expansion, dès 1791. Le Père Chaminade choisit de se retirer à Bordeaux où il doit se cacher ; il refuse de prêter serment à la Constitution civile du clergé. Intense période d’apostolat durant laquelle il célébrait clandestinement les sacrements et travaillait à réintégrer dans le giron de l’Eglise les prêtres jureurs. Mais en 1797, il fut contraint de partir en exil en Espagne pour trois longues années.

De retour en France, après son exil à Saragosse, il relance en 1800, la Congrégation Mariale de Bordeaux fondée par les Jésuites sous le vocable l’Immaculée conception. Elle est composée de jeunes gens, de pères et de mères de famille, d’artisans et de lettrés. Le Père Chaminade s’est adressé non pas à une élite de chrétiens, mais à tout baptisé soucieux de vivre la foi catholique reçue à son baptême. Il propose à chacun une mission dans son propre lieu de vie : «Multiplier les Chrétiens», cette devise était devenue la raison d’être de la Congrégation mariale, devise qui s’étendra à toutes ses fondations.

La plupart des œuvres apostoliques bordelaises de cette première moitié du XIXe siècle ont le Père Chaminade comme initiateur ou inspirateur. Les diocèses environnants profitent de son rayonnement personnel ou de celui de la Congrégation mariale de Bordeaux, surtout celui de Bazas dont il fut pour un temps l’administrateur.

Grâce à son accompagnement et à sa sollicitude pastorale, Marie-Thérèse de Lamourous crée un refuge appelé «La Miséricorde» pour les jeunes filles victimes des crises sociales dues au paupérisme.

Il fonda en 1817, à partir des membres de la Congrégation mariale de Bordeaux, un véritable institut religieux connu sous le nom de Société de Marie.

Une autre famille, dite des Filles de Marie, s’était constituée avec les conseils de M. Chaminade. Et, à la suite d’Adèle de Trenquelléon, leur supérieure et fondatrice, les premières religieuses émirent la sainte profession entre les mains du bon Père Chaminade dès 1816.

Aujourd’hui, cette congrégation religieuse, les «Filles de Marie Immaculée », avec la Société de Marie, les fraternités marianistes (laïcat), et les membres de l’«Alliance mariale», (un institut séculier), forment la Famille Marianiste répartie dans le monde entier.

La Famille Marianiste eut la joie, en l’an 2000, d’assister à la béatification de celui qui, âgé de 89 ans, mourut le 22 janvier 1850 avec une réputation qui faisait présager par le peuple de Dieu bordelais de l’époque, le jugement de l’Eglise à l’aube du troisième millénaire : «Le saint de Bordeaux est mort», disait-on ce jour-là.

Dans la maturité d’une vie apostolique qui s’amplifie sans cesse, enrichie de son expérience humaine et spirituelle et, après avoir traversé les épreuves de la Révolution et de l’exil, le Père Chaminade offre une doctrine solide avec un vocabulaire accessible à tous, dans un style concis, qui ne craint pas d’emprunter la méthode pédagogique de la répétition.

C’est dans le cadre de ses enseignements sur la foi, le Credo notamment, et la mission d’évangélisation confiée aux baptisés, que se dessine une mariologie du Père Chaminade.

Le recueil de prières et de pratiques, pour servir au culte de la Très Pure Marie auquel on a ajouté quelques cantiques[245] (144 pages) fut le tout premier livre de prière et de pratiques qu’il mit en forme en 1801. Il présente dans l’introduction l’alliance entre Marie et les chrétiens[246].

Mais aujourd’hui, dans la Famille Marianiste, La lettre du 24 août 1839 est selon Emile Neubert dans son ouvrage de 1937, la doctrine mariale de Monsieur Chaminade, «le document qui contient l’expression la plus nette de sa doctrine sur le rôle apostolique de Vierge Immaculée et sur le vœu de stabilité mariale émis dans la société de Marie[247].» Cette lettre est adressée aux prédicateurs qui devaient animer, cette année-là, les retraites annuelles des religieux de la Société de Marie et des Filles de Marie.

Selon Luigi Gambero, cette Lettre du 24 août 1839 est l’écrit «chaminadien» le plus important et le plus intéressant :

Ce qui le rend plus original et d’une grande actualité aujourd’hui, est le sens du vœu de stabilité et simultanément la doctrine de la mission apostolique de Marie[248].

Pour Luigi Gambero le Traité de la connaissance de Marie qui constitue la première partie de la dernière édition du Manuel du Serviteur de Marie, offre: «une synthèse de la piété ancienne et de la doctrine authentique traditionnelle sur Marie[249]

II.3.2.2 Les traces écrites

Dans ses premières années de séminariste, Emile Neubert n’accéda pas aux écrits du Père Chaminade, car ils n’étaient pas encore répertoriés et publiés comme ils le furent par la collection scientifique Ecrits et Paroles. Mais dès le début du XXe siècle, il se préparait des ouvrages qui furent édités sous le titre Esprit de notre fondation. Ils offraient une présentation élaborée de la pensée du fondateur de la Famille Marianiste : composée de trois volumes. Cette édition publiée entre 1910 et 1916 fut pendant plus de cinquante ans le seul outil de formation des religieux Marianistes, avant les éditions nouvelles.

Le Père Chaminade n’a écrit aucun traité spécifique sur la Vierge Marie. Mais il fut l’un des auteurs de la première moitié du XIXe siècle des plus riches dans sa prédication sur Marie en tout son mystère de Mère de Dieu et Mère des hommes.

Dès lors que Marie nous a donné Jésus, notre vie, et que, par sa coopération aux mystères de l’Incarnation et de la Rédemption, elle a contribué à nous faire vivre de la vie surnaturelle, elle est par rapport à notre vie surnaturelle ce que sont nos mères par rapport à nos vies naturelles[250].

Ces quelques paroles de présentation de La doctrine mariale de Monsieur Chaminade, par Emile Neubert, donnent la clef d’interprétation et de compréhension de toute sa mariologie. Cet axe d’interprétation sera également plus tard celui de Terrien.

A la fin du Concile Vatican II, des religieux marianistes décident de faire apparaître la mariologie du Père Chaminade, partant de ses enseignements en général. Leurs premières éditions critiques parurent en 1966. Emile Neubert n’en profita pas. Il mourut en 1967.

Le Père Jean-Baptiste Armbruster, dans sa volonté de regrouper ce qu’on pourrait appeler les écrits marials du Père Chaminade, a suivi la démarche suivante : il extrait des notes d’instruction, dans un premier volume intitulé « écrits marials I »  qui sont des écrits autographes du Père Chaminade en vue de ses conférences, tout ce qui concerne la Vierge Marie.

Nous pouvons découvrir, à partir de ces notes, les emplois des citations bibliques[251], des Pères[252] et des auteurs[253] du XIIe au XVIIe siècles qui ont inspiré le Père Chaminade, ainsi que des thèmes récurrents relatifs aux commentaires mariologiques.

Dans un second volume, Jean-Baptiste Armbruster veut introduire le lecteur dans la vie mariale du Fondateur au fil de sa Correspondance[254] et des fondations diverses[255]. Il offre des textes informatifs dans le cadre des Constitutions et Règlements, des Ecrits de direction - pour la formation continue au sein de la vie religieuse -, des écrits sur la vie d’oraison, des retraites annuelles ainsi que les dernières conférences données à la fin de sa vie[256].

Il nous faut tenir compte de l’approche d’Emile Neubert quant à l’œuvre du Père Chaminade pour mieux percevoir ses propres accentuations dans son corpus, œuvre où il veut rester fidèle à l’esprit du Fondateur. Nous relèverons, en nous appuyant sur sa démarche, les sources bibliques de Guillaume Chaminade, puis des Pères et des auteurs. Nous reprendrons ensuite les thématiques essentielles des mystères de l’Incarnation et de la Rédemption, sur lesquelles sont développés les différents aspects de la maternité divine et spirituelle de Marie.

II.3.2.3 Connaître Marie, Mère de Jésus et Notre Mère à partir des Ecritures

Les références scripturaires du Père Chaminade sont tant dans l’Ancien Testament[257] que dans le Nouveau Testament.

Emile Neubert retient du Père Chaminade le profil de Marie Mère du Messie dans l’Ancien Testament : prophétiquement esquissé dans la promesse d’une victoire sur le serpent (Gn 3, 15). Marie est la Vierge qui concevra et enfantera un fils auquel sera donné le nom d’Emmanuel (Is 7, 14). En cela, tous deux sont rejoints par l’enseignement du concile Vatican II[258].

Mais dans toute son œuvre, il sera beaucoup moins prolixe que le Père Chaminade dans l’utilisation de l’Ancien Testament. Ce dernier discerna des figures types de Marie à travers Esther, Judith, Abigaïl, Jahel, Rébecca. De même, il évoquera largement les figures bibliques d’Adam et Eve (les seules figures bibliques retenues par Emile Neubert), Abraham, Sara, Isaac, Moïse, David.

Les textes du Nouveau Testament sont surtout ceux de l’Enfance dans les évangiles de Luc et Matthieu, et une forte évocation de l’épisode du Calvaire dans l’évangile de Jn 19, 25-27. Cette évocation-là, il la développera sans insister, mettant de préférence l’accent sur le Oui de l’Annonciation.

Le Père Chaminade ne cite pas la péricope du chapitre 4 de l’épître aux Galates verset 4, exceptionnellement le chapitre 12 de l’Apocalypse, alors que le chapitre 21 sur la nouvelle Jérusalem est plusieurs fois cité, en vue d’une comparaison avec Marie.

De tous ces textes bibliques, il se dégage une approche mariale christocentrique, exprimée par Matthieu au chapitre 1, verset 16. Emile Neubert choisit ce logion comme matrice et titre de son premier livre de mariologie, en fidèle disciple du Maître : Marie de laquelle est né Jésus[259].

 

Le Père Chaminade écrit :

Toute l’action de Marie est de nous faire devenir conforme au divin modèle[260]. [] Le seul fondement valable est Jésus-Christ qui a tout disposé dans la religion de manière que la Sainte Vierge participe et coopère en tout[261]

 

II.3.2.4 Connaître Marie à partir des auteurs et des Pères

Dans la pensée du Père Chaminade, la vie de Marie est également présentée à partir de certains écrits apocryphes, et même d’écrits mystiques, venant de Marie d’Agreda[262] ; ceux-ci, toutefois, ne donnent pas une tonalité particulière à sa théologie sur le mystère de Marie, qu’il fonde sur la Bible.

Les auteurs qu’il cite rarement, mais qui l’ont inspiré, sont du XVIIe et XVIIIe siècle[263].

Emile Neubert ne cite presque pas les auteurs de cette période. Il nous rend attentifs aux rapprochements entre les affirmations du Père Chaminade et celles du Traité de la Vraie Dévotion par Grignion de Montfort, sur «les apôtres des derniers temps» et sur le sens de la donation de soi à Marie. Nous avons vu qu’il reconnaît les ressemblances de leurs divers enseignements. Mais il écarte toute possibilité d’une influence du Traité de la vraie Dévotion sur le Père Chaminade, puisque l’écrit célèbre du Père de Montfort fut retrouvé vers 1840, après avoir été caché dans un coffre[264].

Les deux principaux Pères de l’Eglise que le Père Chaminade mentionne régulièrement sont saint Ambroise et saint Augustin, il s’y ajoute l’œuvre de saint Bernard[265].

Pour le Père Chaminade, l’apport des Pères et auteurs anciens se fait comme «en seconde main» à travers une lecture des auteurs tels Bossuet et quelques autres[266]. Tandis qu’Emile Neubert dans sa thèse, et dans ses ouvrages ultérieurs, s’appuiera sur les Pères et les auteurs anciens, mais à partir de leurs œuvres originales.

 

II.3.2.5 La maternité spirituelle de Marie

Le premier thème mis en évidence par lui pour nous présenter la mariologie du Père Chaminade est la maternité spirituelle.

Parmi les divers titres de Marie, Monsieur Chaminade donna toujours une préférence marquée à celui de Mère [] La maternité de Marie avait à ses yeux une importance fondamentale. Pour lui Marie est essentiellement Mère de Jésus et notre Mère en Jésus et si nous sommes ses serviteurs, ses clients ou ses sujets, nous sommes avant tout ses enfants.

A l’âge de quatre-vingt-trois ans, rééditant le manuel du Serviteur de Marie, il y fit insérer tout un Traité de la connaissance de Marie. Or presque la moitié de ce traité établit les fondements de la maternité de Marie à l’égard des hommes[267].

En reprenant des textes de ce traité, il relève que, pour le Père Chaminade, Marie n’est pas notre Mère par adoption mais au titre de génération spirituelle, qu’elle reçoit au cours de l’Incarnation et de la Rédemption.

Tout commence à l’Incarnation, parce que Marie nous donne Jésus, notre vie, et que, d’après la doctrine du Corps Mystique du Christ, nous ne faisons qu’un avec lui.

1er point. - C'est dans le sein de l'auguste Marie que Jésus-Christ a été conçu du Saint-Esprit et qu'il s'y est formé à notre ressemblance : c'est aussi dans le sein virginal de Marie que les élus doivent être conçus par l'opération du Saint-Esprit et formés par ses soins maternels à la ressemblance de Jésus-Christ.

2ème point. - Jésus-Christ est véritablement né de Marie ; les élus sont également enfantés par elle : Marie est la Mère du corps naturel de Jésus-Christ et de son Corps Mystique[268].

En reprenant le passage de la Croix dans l’évangile de Jn 19, où Marie est confiée au disciple, il note que pour le Père Chaminade : «la parole adressée à Marie et à Jean ne créait pas la maternité spirituelle : elle la proclamait et la confirmait[269] Idée qu’il reprendra souvent dans toute son œuvre.

Dans cette logique d’amour de la maternité spirituelle de Marie, il nous explique que Marie a la mission de s’occuper sans relâche de ses enfants pour les former à la ressemblance de son Fils premier-né[270].

Il insiste sur ce point, sur l’incomparable amour de Marie à notre égard, sur l’universalité de son action et l’excellence de la vie qu’elle nous communique : la vie éternelle et divine.

Marie est réellement notre Mère dans l'ordre de la grâce ; elle nous a donné l'être de grâce. Comme nous sommes habitués à ne juger que par les sens, nous ne sommes presque touchés que de notre être naturel : cependant combien plus excellent est l'être de grâce ! Combien devons-nous vivre dans notre être naturel ? Nous devons vivre éternellement dans celui de grâce. La fin de notre être naturel est la mort et le tombeau ; celle de l'être de grâce sera une vie divine et éternelle[271].

Nous remarquons qu’il s’attribue et prend à son propre compte cette orientation du Père Chaminade, la maternité spirituelle de Marie. Grâce au Père Chaminade dont il approfondit la doctrine, Emile Neubert fait apparaître son évolution personnelle dans sa manière de présenter Marie dans le dogme :

Assez souvent dans les traités de mariologie, on commence par établir la maternité divine de la Vierge ; puis on explique son Immaculée Conception, sa plénitude de grâce, son Assomption, sa médiation universelle, etc […], et, avant de conclure, on expose plus ou moins rapidement, à la façon d’un corollaire, sa maternité spirituelle […]. Or si l’on étudie le rôle de Marie dans le plan de Dieu, on s’aperçoit que sa maternité spirituelle doit se placer, non pas à la fin de la liste de ses grandeurs, mais presque au commencement, immédiatement à la suite de la maternité divine, et que les autres prérogatives de la Vierge ne sont que des exigences ou des conséquences de cette double maternité[272].

 

Cette forme d’autocritique nous fait découvrir chez lui une évolution qui se traduira par une modification des dispositions des chapitres de Marie dans le dogme entre l’édition de 1933 et celle de 1954, comme nous le verrons plus loin dans notre étude.

A partir de cette étape, Emile Neubert, s’inspirant du Père Chaminade, nous fait franchir un pas important qui est celui de notre imitation du Sauveur en sa qualité de Fils de Marie. Marie, associée au Fils de Dieu dans sa mission pour sauver le monde, et en qualité de Mère de tous les hommes est attentive à leurs besoins ; en retour nous sommes invités à une relation filiale envers elle, dévotion qui serait le point le plus saillant de l’imitation de Jésus-Christ.

Il cite un long passage de L’esprit de notre Fondation :

La perfection [de] la Société de Marie étant dans la conformité avec Notre Seigneur Jésus-Christ, sous la protection et la sollicitude maternelle de Marie, il faudra faire connaître de plus en plus le motif pour lequel Jésus-Christ est venu en ce monde, comment il est la voie, la vérité et la vie, comment il nous communique son Esprit, comment l'Esprit de Jésus-Christ nous fait vivre de la vie de Jésus-Christ et nous conforme entièrement à notre divin Modèle, et en quoi consiste cette entière conformité à Jésus-Christ. Jésus-Christ a pratiqué toutes les vertus jusqu'à la plus sublime perfection ; mais il en est dont la pratique est spécialement entrée dans l'accomplissement de ses adorables mystères, tel son amour pour la très Sainte Vierge, dans le sein de laquelle il a été conçu et a demeuré neuf mois, et de laquelle il est né, qu'il a associée à tous ses mystères et qu'il a faite Mère de tous ceux qui seront régénérés en lui[273].

Il prend chez le Père Chaminade les fondements solides sur lesquels il basera tous ses enseignements sur la piété filiale d’une part, qu’il développe dans une perspective missionnaire d’autre part, qu’il exprime en termes de mission apostolique de Marie.

 

II.3.2.6 La mission apostolique de Marie

Emile Neubert nous introduit, par cette thématique, au cœur du message mariologique de son œuvre. Nous avons pu suivre son évolution personnelle à travers le témoignage qu’il donne dans son autobiographie, avec les bénéfices d’une retraite qu’il fit à la fin de sa première année de séminariste en 1904.

L’esprit apostolique se développait déjà en lui après ce qu’il appelle sa seconde conversion au postulat vers l’âge de quinze ans. C’est la découverte importante qu’il fit à la fin de sa première année de scolasticat, lors d’une prédication du R.P. Klobb, qui fut décisive, dix ans après.

Il nous rappelle que, selon le Père Chaminade : «Ce n’est pas connaître le mystère de Jésus-Christ, que de ne pas voir Marie dans toute l’économie de la religion[274] Et il nous montre d’emblée le lien étroit entre la mission maternelle de Marie et sa mission de co-rédemptrice :

Pour être notre Mère, elle devait nous donner la vie surnaturelle ; pour nous donner la vie surnaturelle, elle devait contribuer à notre rachat. Les deux fonctions de Mère spirituelle et de Co-rédemptrice s’appellent donc nécessairement. Marie ne pouvait remplir l’une sans remplir l’autre. Ecoutons Chaminade nous exposer cette vérité dans son Petit traité de la connaissance de Marie :

Jésus-Christ, nouvel Adam, ne fut pas seul à l’œuvre de génération spirituelle ou de la régénération de l’homme : Marie, nouvelle Eve, est l’aide semblable à lui, qui doit coopérer avec lui […] «J’établirai des inimitiés entre toi et la femme, entre ta race et la sienne ; elle-même t’écrasera la tête.» La femme promise, Marie, devait donc avoir sa part de coopération dans la destruction de l’empire du Démon ou de la mort[275].

Ce thème de la lutte contre le démon par la femme, si cher au Père Chaminade, sera repris de la même manière par lui, et exactement dans la même ligne de l’interprétation de Gn 3, 15. Le Père Chaminade décrit cette mission co-rédemptrice de Marie au calvaire, mais il nous la fait entrevoir bien au-delà de cet épisode :

Et la mission ne se termine pas au Calvaire ; sa charité plus forte que sa douleur et la mort, la fait survivre à ce qui aurait brisé mille vies moins fragiles que la sienne. Nouvelle Eve, et comme telle, nécessaire à ses enfants, elle doit participer encore aux mystères de la résurrection de son Fils premier né ; elle doit être là lors de son ascension triomphante ; elle doit étendre sa sollicitude maternelle sur l’Eglise naissante ; elle doit l’édifier et l’instruire ; elle doit la diriger dans les routes difficiles du siècle, jusqu’à ce que la terre, indigne de la posséder plus longtemps, la voie enlever au plus haut des cieux par les mains des anges, près du trône de Jésus-Christ[276].

Selon lui, c’est en tant que distributrice de la grâce que Marie exerce sa mission apostolique.

Pour se montrer notre véritable Co-rédemptrice, après avoir en union avec son Fils, racheté tous les hommes sur le Calvaire en principe, elle devra encore, en fait, appliquer à chacun d’eux les fruits de la Rédemption, en les arrachant un à un au péché et à l’enfer [].

Auprès des âmes aimantes et dociles, la Vierge exerce sa mission apostolique, dans le sanctuaire intime de leur conscience, par toutes sortes d’aspirations et de touches secrètes. D’ordinaire cependant, l’œuvre de l’apostolat se présente sous l’aspect d’une lutte : il s’agit de «conquérir» les âmes, de les arracher au péché et à Satan pour les conduire au Christ [].

Le serviteur de Marie ne se contente pas d’affirmer le rôle conquérant de la Vierge Immaculée. A plusieurs reprises, il prédit pour les temps nouveaux des triomphes sans exemples, remportés par la Vierge, dans la lutte contre Satan[277].

Emile Neubert reprend les fameux passages des lettres du Père Chaminade où apparaît cette notion de victoire dans les derniers temps :

Mettons le tout sous la protection de Marie Immaculée à qui son divin Fils a réservé les dernières victoires sur l’enfer : et ipsa conteret caput tuum. Soyons mon Enfant, soyons, dans notre humilité, le talon de la femme.

Nous croyons qu’à l’Auguste Mère de Dieu, qui, d’après l’Eglise même, seule a vaincu les hérésies, est réservée de notre temps une grande gloire et un beau triomphe sur les efforts combinés du philosophisme moderne, de l’indifférence religieuse qui en résulte et de l’enfer qui les a vomis du puits de l’abîme.

Tous les âges de l’Eglise sont marqués par les combats et les glorieux triomphes de l’auguste Marie []. A elle donc est réservée de nos jours une grande victoire ; à elle appartient la gloire de sauver la foi du naufrage dont elle est menacée parmi nous[278].

 

II.3.2.7 La consécration à Marie

Le Père Chaminade développa l’idée d’une consécration toute particulière à la Vierge Immaculée[279], comme une réponse possible des baptisés et conséquence immédiate des fonctions essentielles de Marie à l’égard des hommes : sa maternité spirituelle et sa mission apostolique.

Le Père Chaminade nous invite à ratifier notre appartenance à Marie en nous rappelant les devoirs d’un enfant envers sa mère. Il reproduit la piété filiale de Jésus. Mais à cet élément s’ajoute la possibilité d’aider Marie dans sa mission, car comme Jésus son fils, la mère a besoin d’aide. Mais dans un premier temps, la réponse de l’enfant de Marie est de commencer à marcher sur les traces de Marie pour réaliser «en lui la ressemblance du Sauveur[280]

Si vous êtes fils de Marie, imitez Marie[281].

Unissons-nous donc à Marie[282].

Puis, dans un second temps, cet enfant s’engage à soutenir la mission de sa mère :

Nous sommes les missionnaires de Marie qui nous a dit : «Faites tout ce qu’il vous dira[283] !»

Vous êtes tous des missionnaires, remplissez votre mission ! Peut-être le nom de mission pourra-t-il fatiguer l’imagination de plusieurs, s’imaginant que, pour être missionnaire, il faut aller prêcher de ville en ville, de paroisse en paroisse, ne s’étant pas formé l’idée d’une mission permanente[284].

Cette mission est toute de conquête, à la manière d’une armée. Le Père Chaminade nous entraîne par la consécration à la double notion de fils et de soldat de Marie. Ce qu’Emile Neubert résume ainsi :

C’est aux enfants d’assister leur mère. A eux de combattre pour sa cause. Ils se donneront à elle corps et biens, prêts à sacrifier jusqu’à leur vie dans cette guerre sainte[285].

On comprend donc que Monsieur Chaminade ait attaché une importance exceptionnelle à la consécration à Marie. Il s’était senti appelé par la Vierge del Pilar à lui lever des bataillons sacrés, prêts à marcher sous sa bannière à la conquête du monde : des Congrégations, «sainte milice qui s’avance au nom de Marie et qui entend bien combattre les puissances infernales sous la conduite même et par l’obéissance de celle qui doit écraser la tête du serpent[286]» ; et des ordres religieux qui constitueraient comme la «Garde de la Reine»[287]»

L’état même religieux formé dans la congrégation n’est qu’une manière plus parfaite de remplir toute l’étendue de sa consécration à la Sainte Vierge[288].

Le Père Chaminade présente la consécration à Marie en termes d’alliance. Ce terme n’est pas saillant dans l’œuvre d’Emile Neubert, alors qu’il est central dans la spiritualité «chaminadienne»[289].

Une consécration sincère au culte de la très pure Marie, forme entre la personne qui se consacre et la Vierge immaculée qui reçoit cette consécration, une alliance véritable. D’une part, l’Auguste Marie reçoit sous sa protection ce fidèle qui se jette entre les bras de sa tendresse maternelle, et l’adopte pour son enfant. De l’autre, le nouvel enfant de Marie contracte avec son auguste Mère les obligations les plus douces et les plus aimables[290].

Qu’on se rappelle [...] qu’en contractant avec Marie une alliance si étroite, que celle qui existe entre la mère et l’enfant, on a par là même contracté des devoirs[291].

Oh ! Surtout nous nous sommes engagés à ce dernier effet de l’amour filial : l’assistance, la bienveillance active ; nous nous sommes engagés à publier le nom de Marie et à le faire honorer partout[292].

L’alliance avec Marie prend son modèle sur celle que Dieu établit avec son peuple. Elle comporte la notion de réciprocité. Marie s’engage à nous former, nous protéger, nous guider. Et notre réponse, c’est notre engagement envers elle pour la soutenir dans sa mission et la faire connaître, aimer et servir.

C’est dans un esprit missionnaire que cet engagement doit être compris, car Marie reçoit en premier une mission à laquelle elle nous fait participer, étant «la femme par excellence promise pour écraser la tête du serpent[293].» C’est pourquoi le Père Chaminade n’hésite pas à enseigner que notre dépendance à l’Auguste Marie est universelle, que nous devons la prier partout et en tout temps[294].

Voici l’explication qu’en donne le Père Chaminade concernant cette mission dans la Congrégation :

Toutes les règles, toutes les pratiques données à cette société religieuse, tous les devoirs généraux et particuliers, l’esprit même de prosélytisme qui anime la Congrégation, émanent de cette consécration et n’en sont que comme des conséquences[295].

Les Congrégations nouvelles ne sont pas seulement des associations à l’honneur de la Sainte Vierge : c’est une sainte milice qui s’avance au nom de Marie, et qui entend bien combattre les puissances infernales sous la conduite même et par l’obéissance de Celle qui doit écraser la tête du serpent[296].

La consécration chez le Père Chaminade dans les deux ordres religieux qu’il a fondés a la même perspective :

Nous sommes spécialement les auxiliaires et les instruments de la Très Sainte Vierge dans la grande œuvre de la réformation des mœurs, du soutien et de l’accroissement de la foi, et par le fait, de la sanctification du prochain […] Nous faisons profession de la servir fidèlement jusqu’à la fin de nos jours, d’exécuter ponctuellement tout ce qu’elle nous dira, heureux de pouvoir user à son service une vie et des forces qui lui sont dues[297].

Le Père Chaminade ajoute pour les religieux et les religieuses marianistes un quatrième vœu, dit de stabilité, en vue de s’engager d’une manière permanente et irrévocable dans l’état de Serviteur de Marie[298].

Cette alliance étroite et particulière avec la Sainte Vierge est un des caractères propres de l’Institut[299].

Emile Neubert consacre à cette question des chapitres entiers dans son premier ouvrage Notre don de Dieu[300] et dans l’exemplaire recomposé et imprimé en 1954[301].

Il met en évidence le fait que, pour le Père Chaminade, la profession religieuse ne fait pas nombre avec la consécration vécue dans le laïcat d’alors et dans les Congrégations. En effet, la profession religieuse dans les ordres marianistes est en elle-même une consécration, de telle manière que profession religieuse et consécration s’identifient. Si bien que la profession religieuse possède un caractère de prosélytisme évident dont le vœu de stabilité marque l’engagement définitif :

Notre vœu de stabilité nous attache à Marie d’une manière plus spéciale que les autres religieux ; nous y avons un titre de plus, et un titre singulièrement fort, à sa préférence. Elle nous adopte donc avec plus de privilèges ; elle reçoit avec délices notre promesse spéciale de lui être à jamais fidèles et dévoués ; puis elle nous enrôle dans sa milice et nous consacre comme ses apôtres. Oh ! Mon respectable fils, que ce contrat est sacré ; qu’il est fécond en bienfaits pour nous […][302].

Or, nous, les derniers de tous, nous qui nous croyons appelés par Marie elle-même pour la seconder de tout notre pouvoir dans sa lutte contre la grande hérésie de cette époque, nous avons pris pour devise, comme nous le déclarons dans les Constitutions (Art. 6) ces mots de la Très Sainte Vierge aux serviteurs de Cana : «Faites tout ce qu’il vous dira» (Jn 2,5). Convaincus que notre mission à nous, malgré notre faiblesse, est d’exercer envers le prochain toutes les œuvres de zèle et de miséricorde, nous embrassons en conséquence tous les moyens de le préserver et de le guérir de la contagion du mal, sous le titre général de l’enseignement des mœurs chrétiennes, et nous en faisons dans cet esprit l’objet d’un vœu particulier[303].

En retour, Marie nous éduque comme elle a éduqué Jésus. Ce que le Père Chaminade exprime, à la suite de saint Paul, en transformant les propos de l’Apôtre qu’il met sur les lèvres de Marie : «Mes petits enfants que je voudrais enfanter, jusqu’à ce que Jésus-Christ soit formé en vous[304]

Notons que le Père Chaminade, pour expliquer cette consécration, comme le fit Louis-Marie Grignion de Montfort à propos du «saint esclavage», reprend et interprète le passage de Rebecca qui veut faire obtenir par Jacob la bénédiction de son père :

Marie ne se borne pas à conserver et à entretenir en nous la vie de grâce que, par elle, nous avons reçue de Jésus-Christ ; elle travaille en même temps, à nous faire devenir conforme au divin Modèle […] Jésus-Christ a confié spécialement à Marie, parce qu’elle est notre mère, le soin de diriger notre éducation chrétienne comme elle l’a dirigé lui-même les jours de son enfance, et de nous élever jusqu’à la hauteur de notre vocation sainte.

Rébecca, voulant obtenir pour Jacob la bénédiction d’Isaac, revêtit ce fils bien-aimé de la ressemblance d’Esaü ; ainsi Marie s’efforce, à tout instant, de nous revêtir de la ressemblance de Jésus-Christ, en cherchant à nous pénétrer de ses sentiments et de ses pensées, et à réaliser en nous le titre de chrétien, c’est-à-dire de disciple et imitateur de Jésus-Christ[305].

Emile Neubert, en reprenant le Père Chaminade, nous rappelle le lien permanent que ce dernier établit entre l’imitation de Jésus-Christ et notre vocation baptismale à la sainteté, puis qu’il s’agit de tendre vers la plus haute perfection[306], au point de rendre synonymes les expressions de Saint et d’Enfant de Marie[307]. Dans toute son œuvre, il va reprendre les thématiques qu’il esquisse à partir de sa relecture du Père Chaminade, esprit de zèle apostolique marial et devoirs généraux envers Marie : étude, amour, imitation, vénération, confiance, union. La synthèse qu’il donne est celle que nous pourrions faire à partir de toute son œuvre écrite, couvrant la première moitié du vingtième siècle.

Une pareille dévotion à Marie exige de ceux qui veulent l’embrasser un travail spirituel et constant. Aussi, monsieur Chaminade a-t-il laissé à ses disciples une spiritualité très complète, traitant du but à atteindre, la perfection, et des moyens d’y arriver : exercices de piété, lutte contre les défauts, acquisition des diverses vertus. Un grand nombre des idées qu’il y enseigne sont évidemment du domaine ascétique commun ; mais il a si bien su les adapter aux besoins de ses disciples, et surtout les marquer d’une empreinte si nette et si caractéristique, que l’ensemble constitue une spiritualité vraiment originale. Or cette empreinte, c’est leur qualité christocentrique et mariale[308].

Les jeunes laïcs bordelais, au lendemain de la Révolution, furent les premiers bénéficiaires de cette évangélisation nouvelle, bien enracinée théologiquement dans l’héritage de l’Ecole Française de Spiritualité. Ils ont le Christ comme fondement de la dévotion à Marie, Mère de la jeunesse. Marie fait naître une nouvelle génération chaste et vertueuse[309].

Cet enseignement du Père Chaminade fut relayé par Emile Neubert. Marie est imitable. En étudiant Marie et en l’aimant, nous entrons peu à peu dans une relation où nous pouvons la vénérer et l’invoquer, nous confier à elle, jusqu’à vivre en union avec elle.

La dévotion envers Marie ne donne pas prise à des excès[310], mais à une attitude intérieure filiale, faite d’intimité et de confiance[311] d’une part, et elle nous ouvre à la dimension de l’Eglise et du monde dans une dynamique missionnaire. Ce qu’exprime en termes concis Emile Neubert. Il résume la pensée du Fondateur pour le premier aspect, celui de la dévotion filiale, en ces termes :

Tout, pour le chrétien et le religieux, se ramène à reproduire la vie de Jésus. La dévotion à Marie, en particulier, sera la reproduction filiale de Jésus envers elle[312].

Cet aspect, à lui seul, ne dit pas tout. Il se complète par la dimension missionnaire liée à la logique de l’Incarnation et de la Rédemption : deux mystères qui s’appellent mutuellement et qui nous concernent à la suite du Christ.

 

II.3.2.8 Les mystères de l’Incarnation et de la Rédemption.

Dans la doctrine «chaminadienne» comme dans la théologie des Pères de Eglise, le Mystère de l’Incarnation est le centre de toute l’économie du salut. Marie est la Nouvelle Eve, Mère du Nouvel Adam qui veut l’associer dans son mystère rédempteur sans nécessité absolue :

Mais il n’était pas bon pour nous que l’homme fût seul ; il était plutôt de toute convenance que les deux sexes concourussent à la génération de ce que l’un et l’autre dans Adam et Eve, avaient conjointement corrompu[313]

Jésus-Christ, nouvel Adam, ne fut pas seul à l’œuvre de la génération spirituelle ou régénération de l’homme : Marie, Nouvelle Eve, est l’aide semblable à lui qui doit y coopérer avec lui[314].

Le fiat de Marie ouvre la voie à la Rédemption dans une unité de vue à laquelle le Père Chaminade se réfère sans cesse :

Ô heureux Fiat ! Peut-être ne voyez-vous pas encore comment cette part que Marie a eue au Mystère de l’Incarnation est le motif qui nous fait sans cesse recourir à Marie pour toutes sortes de grâces ? Marie a concouru par sa charité à donner au monde un Libérateur, c’est le principe ; en voilà la conséquence : Dieu ayant voulu une fois nous donner Jésus-Christ par la Sainte Vierge, ce décret ne change plus, les dons de Dieu sont sans repentance (Rm11, 19)[315].

Marie est unie au Père éternel pour être Mère de tous les fidèles[316].

Or, dit saint Liguori, si Jésus est le Père de nos âmes, Marie en est la Mère ; car en nous donnant Jésus, elle nous a donné la vie[317] […]

Quand Marie donna les mains à l’Incarnation du Verbe dans ses chastes entrailles, il est évident qu’elle connut l’œuvre et l’économie de la Rédemption dans toute son étendue, et qu’elle l’accepta avec amour ; elle comprit qu’en concevant Jésus, elle le concevait tout entier, c’est-à-dire et son corps naturel et son Corps Mystique ; car elle ne pouvait pas le séparer de ce qui ne devait faire qu’un avec lui. Ainsi en se résignant à l’honneur de la maternité divine, elle accepta la double qualité de Mère de Jésus-Christ, considéré dans la plénitude de son corps qui est l’Eglise : «plenitudo corporis ejus, quod est ecclesia». En concevant naturellement le Sauveur dans son sein virginal, elle a donc conçu spirituellement dans son âme, par son amour et par sa foi, les chrétiens membres de l’Eglise et, par conséquent, Jésus-Christ[318]

Dans la mouvance de l’Ecole Française, le Père Chaminade déploie le symbole paulinien de «la tête et des membres». Marie n’est pas Mère seulement par adoption :

[] Mais encore, mais surtout à titre de génération spirituelle ; il suit encore qu’elle est devenue notre Mère lorsqu’elle a conçu le Fils de Dieu : de sorte que l’Incarnation considérée comme dans son résultat nécessaire est le fruit du mariage tout divin du Saint-Esprit avec l’Auguste Vierge, mariage spirituel et fécond qui produit, là où il s’opère, naturellement le corps sacré de Jésus-Christ et, spirituellement par la foi, la régénération de l’homme. Nous n’appartenons donc pas à Marie, seulement depuis que le Sauveur du haut de la Croix nous a solennellement confié à son amour [] C’est du haut de sa Croix que Jésus-Christ nous a mérité la grâce de l’adoption et de la gloire : c’est donc là proprement que Marie, dans le sein de laquelle nous étions conçus spirituellement depuis l’Incarnation, nous a enfantés à la vie de la foi ; mais ce n’est pas alors seulement qu’elle a commencé d’être notre Mère[319].

Le sacrifice du Calvaire n’est pour Marie, comme pour Jésus-Christ, que la consommation d’un sacrifice commencé à l’Incarnation[320].

Cette perspective théologique sera aussi celle d’Emile Neubert dans tous ses écrits.

En bref, il serait vain de chercher des différences saillantes entre les Pères et Chaminade et Neubert, en dehors des nouveaux apports patristiques et exégétiques de ce dernier. Nous retrouvons chez eux des idées récurrentes et des axes d’une même pensée.

Dans un dessein divin, Marie est la femme de la Genèse annoncée en vue d’une victoire. Chez le Père Chaminade, cette femme a ses préfigurations dans l’histoire d’Israël. Marie est intégrée dans le Mystère du Christ, comme la Nouvelle Eve, devenue Mère de Dieu, collaborant par sa foi à l’œuvre du salut. Sa plénitude de grâce se déploie dans sa maternité spirituelle : une mission qui aboutit à la notion de co-rédemptrice et de co-médiatrice tout à la fois. Marie est un modèle de vertus à imiter. C’est pourquoi le baptisé se doit de l’assister dans sa mission apostolique. Il reçoit d’elle une impulsion missionnaire. C’est elle qui a vaincu toutes les hérésies. Marie hâte les «derniers temps de l’Eglise». Elle devient une figure missionnaire, tout particulièrement chez les jeunes, invités à lui être consacrés. Cette consécration prolonge l’amour filial de Jésus pour sa Mère.

Le chemin d’ascèse proposé par l’un et l’autre comme chemin de purification, en vue de mieux correspondre à notre vocation à la sainteté, est associé à cette figure de Marie. Le Père Chaminade nous offre un véritable «chemin d’oraison» où Marie a sa place. Emile Neubert, de son côté, n’insiste pas autant sur l’oraison, mais sur la réalité d’union mystique à Marie. Les éléments de la théologie mariale chez le Père Chaminade sont présents dans un ensemble plus vaste qu’il faut étudier à travers ses écrits et paroles. Chez Emile Neubert, la composition de ses ouvrages se spécialise sur cette question mariale abordée sous des angles très différents. Il donne essentiellement le même refrain comme dans une symphonie, dans laquelle il laisse moins apparaître d’autres aspects du mystère chrétien qui, sans être absents, auraient peut-être mérité des développements particuliers.

La vision d’ensemble du corpus «neubertien» fait apparaître comme un gros plan projeté sur la figure de Marie dans un panorama d’ensemble qui semble un peu disparaître. Cette image du gros plan convient pour dire que le Père Chaminade, comme saint Louis-Marie Grignion de Montfort, s’attache davantage qu’Emile Neubert à une vue d’ensemble. Si bien, que les relectures par ce dernier du message marial du Fondateur, en vue de mettre en valeur la Vierge Marie, pourraient nous faire oublier que c’est dans un contexte très large et complet qu’il en est question chez le Père Chaminade. En effet, le Bienheureux pourrait tout autant être connu pour son charisme «d’apôtre du Credo», ou comme pour celui de «docteur de l’oraison de foi et des voies ascétiques» que de «missionnaire apostolique marial.»


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE TROIS

 

MARIE DANS LE DOGME ET LA PIETE  SELON L’APPROCHE D’EMILE NEUBERT

 

La mission apostolique de Marie est l’intuition principale qui illumine et unifie les enseignements d’Emile Neubert. La maternité spirituelle de Marie en est l’idée principale, car par elle le Christ ne cesse d’être mis au monde. C’est par la mission maternelle et apostolique de la Vierge que, d’un certain point de vue, se révèlent ses enseignements dont nous bénéficions et auxquels nous participons. Son intention fut de former les enfants de Marie en «d’autres Christ» pour que se prolonge en eux l’amour du Fils pour sa Mère et que s’accomplisse leur vocation d’apôtres.

Son enseignement, riche du point de vue théorique, a un caractère pratique. Son grand intérêt théologique vient de ce qu'il est prioritairement théologal : fondé sur le dogme et christocentrique. Il y a chez lui le souci constant d’approfondir les dogmes mariaux. Il s’appuie sur l’Ecriture Sainte et la Tradition pour démontrer que la doctrine mariale se trouve bien présente dans tout le développement de la Révélation. Il nous fait découvrir et entrer dans le mystère sanctifiant de la vie d’union à Marie qu’il nous présente comme une nourriture d’amour et une source lumineuse.

 Nous reprendrons des éléments de sa thèse, afin d’approfondir avec lui les aspects dogmatiques et de piété sur le secret de Marie de Nazareth que révèlent l’Ecriture, la Tradition des Pères et des auteurs anciens [321].

Cette première approche qui fut à la base de son étude et de son enseignement appelle d’autres développements que nous proposerons à partir d’une logique :

Nous approfondirons le dogme de la Maternité Divine de Marie, nous terminerons par celui de son Assomption.

Le premier dogme de la Maternité Divine de Marie nous conduira à reprendre les thèmes anciens de la virginité et de la sainteté de Marie et celui plus tardif de l’Immaculée Conception. Pour le dogme de l’Assomption de la Vierge Marie qui est le dernier défini, nous le présenterons dans la triple lumière : sacerdotale, royale et apostolique. Cette dernière approche de la mission apostolique de Marie, qui représente un aspect unique dans le développement de la théologie «neubertienne» mais qui n’est pas reprise par les théologiens, se fera en relation avec le développement antérieur. Au centre de cette présentation délimitée par les deux dogmes, nous aurons développé les thématiques de la coopération de Marie à la Rédemption et de sa médiation universelle, elles aussi, nous font approfondir sa mission maternelle et sa mission apostolique.

Dans le chapitre suivant, par une relecture de Mon idéal, Jésus Fils de Marie, nous reprendrons des éléments de la théologie ascétique et mystique de notre auteur. Nous mettons en relief tout ce qui appartient au monde de la piété et de la dévotion, comme une réponse personnelle de l’homme à la maternité spirituelle de Marie et à sa mission apostolique.

En chacune de ces approches, nous reprendrons les argumentations scripturaires, patristiques et celles des auteurs anciens sur lesquelles ses développements théologiques s’organisent. Nous essaierons de découvrir les influences qu’il reçut en amont et celles qu’il contribua à faire éclore dans cette première moitié du vingtième siècle. Influences qui précèdent le renouveau marial annoncé par la promulgation du dogme de l’Assomption et le chapitre huit De beata de Lumen Gentium suivi de l’exhortation apostolique Marialis Cultus.

Il publie en 1933 Le dogme marial après plusieurs années de professorat et de publications d’articles divers. Il choisit, pour sa rédaction, l’aspect chronologique de l’exposition du Mystère de Marie qui respecte l’ordre classique des manuels de l’époque en mariologie. Nous faisons nôtre cette présentation respectant la logique de sa première étape de recherches. Nous découvrirons les différents aspects du dogme et de la piété élaborés sur la base des fondements bibliques et patristiques de l’auteur. Lui-même, inous engage sur cette voie de relecture.

Nous constaterons que les orientations données par Paul VI dans son exhortation apostolique Marialis Cultus sont présentes dans sa réflexion théologique, puisque les sources bibliques, patristiques et en partie liturgiques, constituent, pour sa mariologie, un appui permanent pour l’approfondissement du dogme. Tous ses ouvrages de vulgarisation en tiennent compte et le vérifient.

Complètement refondu en 1946, l’ouvrage, Le dogme marial, dans sa seconde édition, situe dans un premier temps Marie dans l’histoire du salut, à partir de sa maternité et de sa mission, puis il développe ses privilèges.

Si Marie fut Immaculée dès sa conception, toujours vierge, pleine de grâces jusqu’à son Assomption au Ciel, c’est à cause : de sa maternité divine, de sa maternité spirituelle et de sa participation à la médiation du Christ et à la Rédemption ; ce que l’auteur approfondit dans l’expression mission apostolique de Marie.

Dans tout le corpus «neubertien», les évangiles sont la base sur laquelle, il approfondit la dogmatique héritée des Pères et des auteurs anciens. Il s’en fait l’écho dans un ouvrage écrit en 1936 La Vie de Marie. Il reprend la première partie de son traité de mariologie intitulé Maria de qua natus est Jesus, il suit un ordre chronologique, en commençant par la venue au monde de Marie.

Entraîné par une présentation chronologique qui débute par la parenté de Marie, il fait appel à la littérature populaire si abondante aux deuxième et troisième siècles avec ses récits apocryphes et poétiques. L’auteur, tout en restant critique, a su en retenir la portée théologique ainsi, que les fêtes liturgiques qu’il signale en note : Saint Joachim (16 août), sainte Anne (26 juillet), l’Immaculée Conception (8 décembre), la naissance de Marie (8 septembre)[322].

Dès l’édition nouvelle de 1944 de La vie de Marie, l’auteur précise son objectif :

Mon but dans ce travail est analogue à celui qui m’a guidé dans la composition de Marie dans le Dogme et de La Dévotion à Marie, à savoir, fournir aux fidèles convaincus de la nécessité d’une solide connaissance de Marie comme base d’une solide dévotion envers elle, des notions aussi claires et sérieuses que possible sur l’existence terrestre de la Vierge [] Les sources les plus sûres de la vie de Marie sont évidemment les Evangiles[323].

Il expose l’objectif des évangiles et la spécificité de chaque évangéliste. Il explique l’origine des apocryphes[324] du Nouveau Testament dont il sait reconnaître la part doctrinale en écho aux traditions orales qui les sous-tendent. Il réfute les «renseignements peu importants, et du reste, d’une authenticité douteuse[325]

Il n’ignore pas la part des révélations privées. Mais il les écarte, sans dénigrer leurs auteurs, par souci de rigueur historique. Il approfondit la tâche de l’historien, il l’invite à un effort de sympathie[326] avec le personnage qu’il étudie. Appliquée à la découverte de Marie, cette sympathie lui fait distinguer la réalité naturelle de l’histoire avec l’esprit de cette histoire[327].

Que ce soit dans La vie de Marie ou dans tous les autres ouvrages qui suivront tel Notre Mère, pour la mieux connaître, il se présente comme un théologien soucieux d’une analyse rigoureuse des témoignages apportés par les écrits bibliques et par la Tradition, même s’il garde une présentation classique pour son époque[328].

Dans la préface de La vie de Marie, il situe l’apport de l’évangile dans son étude. Il prend soin de présenter chaque évangéliste avec ses objectifs et ses sources. Nous retiendrons les buts qu’il leur attribue en naviguant entre les ouvrages signalés, même si vingt ans de distance les séparent[329]. Aucune différence saillante entre eux dans l’approche exégétique n’enrichit notre étude, sauf, certains compléments d’information que nous signalons par souci d’exactitude :

Saint Matthieu composa son Evangile pour les Juifs convertis de la Palestine[330].

St. Luc. Son objectif n’était pas d’être aussi complet que possible, car il omet des cycles importants de la vie de Jésus que cependant il connaissait par Saint Matthieu et Saint Marc… Disciple de Saint Paul, il insiste comme son maître sur le salut mérité par la mort de Jésus [331]

A quelle source saint Luc a-t-il puisé le récit des premières années de Jésus ? Ce récit porte une empreinte sémitique bien plus prononcée que toutes les autres parties du troisième Evangile. Les hébraïsmes y abondent[332]. On dirait que l’écrivain a eu la préoccupation de respecter le plus possible les paroles mêmes de son informateur[333] … Dans saint Luc, tout est orienté vers Marie[334]… St. Luc a donc dû se servir d’un texte en hébreu, ou plus exactement en araméen qui était le dialecte dérivé de l’hébreu qu’on parlait alors en Palestine[335].

St. Jean paraît avoir écrit son Evangile pour prouver que Jésus était le Messie, le Fils de Dieu (Jn 20,31)[336]. Aussi, au lieu de reporter ce que les autres Evangélistes avaient déjà noté, ne nous raconte-t-il que des paroles ou des faits inconnus de ses devanciers, ou des détails nouveaux sur ce qu’ils avaient relaté.

Comme Emile Neubert, nous ne nous fermerons pas sur les premiers chapitres de La vie de Marie qui s’appuient sur les récits apocryphes[337]. Nous allons suivre la progression des thématiques dogmatiques mariales et nous mettrons en évidence leurs sources bibliques en vue de son enseignement sur le dogme et la piété mariale, à partir d’elles.

Quatre récits bibliques seront approfondis pour notre étude au fil des thématiques dogmatiques, - sans omettre bien sûr, l’apport d’autres éléments scripturaires complémentaires : L’Annonciation (Lc 1, 26-3), La Visitation (Lc 1, 39-56), Les Noces de Cana (Jn 2, 1-12) et l’épisode du Calvaire (Jn 19, 25-27.) Nous développerons pour chaque thématique dogmatique l’apport biblique, celui de la Tradition et celui d’Emile Neubert.

 

III.1 Marie : La Mère de Dieu

Marie a conçu le Verbe de Dieu au cœur même de sa foi en la Promesse. Si le Verbe s’est fait chair et qu’il est né de la Vierge Marie, c’est pour nous et pour notre salut. Jésus, parce qu’il devait mourir pour nous racheter, devait naître dans la condition humaine. Marie, par son «oui», devient la Mère de Dieu. Elle s’engage avec son Fils qui est son Dieu pour faire la volonté du Père.

Voici que nous sortons de la pénombre de traditions plus ou moins légendaires et d’hypothèses plus ou moins vraisemblables, pour entrer dans la pleine clarté de la révélation évangélique. Or, dès le premier pas, nous nous trouvons en présence de l’événement le plus grand qui se soit jamais passé sur la terre, l’événement central de l’histoire de l’humanité ; celui dont toutes les périodes antérieures depuis la création du monde n’ont été qu’une préparation et dont toutes les périodes postérieures jusqu’à la fin des siècles ne devront être que la réalisation ; bien plus, celui que, de toute éternité, Dieu avait décrété comme son grand ouvrage extérieur et dont pendant toute l’éternité le ciel des élus constituerait le glorieux épanouissement : l’Incarnation du Fils de Dieu[338].

 

III.1.1 Appuis bibliques

L’introduction de l’auteur est suivie d’une analyse précise du texte de Luc 1. Il se réfère aux deux Testaments. Il distingue les manuscrits d’origine[339]. Il s’enquiert du sens de certains termes grecs bibliques à partir de la littérature antique[340].

L’ange Gabriel, l’ange de l’Incarnation[341] est présenté en référence au livre de Daniel (Dn 9, 20-27) et en référence à l’Annonciation à Zacharie (Lc 1, 11-20).

Gabriel «entra» chez Marie. Elle se trouvait donc dans sa demeure[342].

«Salut !» Saint Luc écrivant en grec, emploie la formule grecque de salutation : «Réjouis-toi !» Les hébreux au lieu de souhaiter la joie souhaitent la paix : «paix à toi !» c’est probablement cette dernière formule qu’employa Gabriel[343].»

La traduction de «pleine de grâces» dans son ouvrage de 1927 Maria de qua natus est Jesus est l’objet d’une analyse philologique beaucoup plus précise[344], ainsi que le terme exprimant le trouble de Marie[345].

L’auteur publia son premier ouvrage La vie de Marie en 1936, ses éléments principaux sont présents dans Maria de qua natus est Jesus de 1927. Dans la réédition postérieure datant de 1948, il n’a pas tenu compte des résultats plus récents à ce sujet (dès 1939) du P. Lyonnet, encore peu vulgarisés[346].

S’inspirant du texte lucanien Il sera appelé Fils de Dieu (Lc 1, 35) il voit en Marie celle qui, par excellence, désirait la venue du Messie :

Ce Sauveur, ce Fils du Très Haut, ce descendant de David, ce roi éternel d’Israël, c’était clairement le Messie […] si ardemment désiré par tant de générations et par elle plus que par tous les autres, qu’elle-même de supplier Dieu d’envoyer enfin à son peuple, il allait donc naître, et naître d’elle[347].

Dans Marie dans l'Eglise anténicéenne, l’auteur précise :

Ce qui frappe chez elle d’abord, après sa pureté qui s’effarouche des propositions de l’ange et que l’Esprit Saint viendra consacrer par la toute-puissance divine, c’est sa profonde humilité [...] Cependant, cette humilité n’est pas de l’inconscience : c’est après avoir entendu l’ange lui révéler la gloire de celui qui allait naître d’elle, qu’elle s’appelle la servante du Seigneur [...] Un autre trait de sa physionomie, c’est son désir de se conformer aux desseins de Dieu[348].

L’ange, en annonçant à la Vierge que l’enfant qui naîtrait d’elle serait le Fils du Très-Haut et que son règne n’aurait pas de fin, lui laissait entendre clairement qu’elle serait Mère de Dieu[349].

Au sujet de la salutation angélique de multiples renvois sont faits. Le contenu de son analyse philologique est enrichi de passages de l’Ancien Testament[350].

La péricope en Luc 1, 35b, si approfondie par le père Lagrange, ne fait pas chez lui l’objet d’une explication approfondie. Mais il insiste sur la question du vœu de virginité de Marie.

Puis vint la réponse de Marie :

Voici la Servante du Seigneur. (Lc1, 38)

Instant solennel entre tous dans l’histoire de l’humanité […] Toute l’économie du plan divin au Ciel et sur la terre passa, comme une vision rapide, devant l’esprit de cette jeune fille de seize ans : tout cela dépendait de sa réponse[351].

Elle serait Mère de Dieu, élevée à un rang inconcevablement supérieur à celui du plus grand des prophètes […] Et elle serait associée à l’œuvre de son Fils […] La destinée d’innombrables âmes, l’accomplissement des mystères de Dieu ; pour elle-même une responsabilité et des épreuves inénarrables, toute l’économie de la terre et du ciel passa dans une vision rapide dans son âme ; tout cela dépendait de sa réponse.[352]

Dans ce commentaire, il met en évidence le lien qui unit Marie, non seulement à Dieu lui-même venant s’incarner, mais aussi aux hommes par le mystère de sa collaboration à l’œuvre du salut. Il nous revient de reprendre ce thème plus loin dans notre étude :

[…] Or, la volonté de Dieu était claire ; simplement elle dit son fiat[353].

Elle est choisie pour être Mère de Dieu et elle se déclare sa servante ! […] Et, à ce fiat, le Verbe se fit chair et il habita parmi nous[354].

Qu’en était-il de cette interprétation exégétique de son temps, et de la nôtre aujourd’hui ?

Le Père Lagrange, dans son introduction à l’Evangile selon saint Luc, affirme, que de très bonne heure, les fidèles donnèrent à Jésus le titre de : Seigneur ! Titre qui n’appartenait qu’à Dieu dans la bible grecque[355]. Emile Neubert souligna discrètement, au crayon papier, les passages précis du Père Lagrange traitant de la question : la Maternité divine. Il saisit le sujet au cœur même de la controverse de son temps :

[…] (Selon Merx), dans le discours de l’ange, Marie n’a vu que la naissance du Messie[356] […] Comme on ne peut accuser de fausseté théologique les paroles de l’ange, on a cherché (en vain) à trouver dans ses paroles une indication de l’union hypostatique […] Mais l’ange n’exclut pas, il suggère plutôt, en mettant le mot de Fils de Dieu au terme de la promesse, qu’il sera vraiment Fils de Dieu. Pourquoi Dieu voudrait-il être le Père par une conception surnaturelle, de celui qui ne serait pas vraiment son Fils […] Il vaut mieux reconnaître que le texte ne donne pas toute la doctrine de l’Incarnation que d’en forcer le sens[357].

La traduction de Fils de Dieu en lien avec la Tradition, convient au père Lagrange, qui fait une recherche exégétique en dialogue permanent avec les auteurs de son temps, de tous les horizons et des siècles précédents. Emile Neubert, quant à lui, ne retient que les résultats de sa propre recherche centrée sur la maternité divine de Marie. Il ne s’arrête pas à l’interprétation thématique messianique des textes qui, aujourd’hui encore, demeure une des acquisitions essentielles retenues dans l’exégèse contemporaine[358]. Mais elle n’exclut pas le sens privilégié qu’Emile Neubert lui attribue, c’est-à-dire la révélation de la divinité du Christ[359].

Il n’est pas Fils de Dieu parce que sa naissance est miraculeuse, mais c’est parce qu’il est Fils de Dieu que cette naissance est aussi miraculeuse[360].

La question soulevée par le miracle de cette naissance comme celle de sa conception nous renvoie nécessairement à la double réalité à la fois homme et Dieu. C’est dans cette perspective christologique que se situent tous les débats mariologiques des siècles précédant Nicée, Emile Neubert y consacra sa première étude universitaire. Cette étude sera complétée par les résultats des conciles successifs, comme autant d’arguments pour tous ses enseignements sur la Mère de Dieu :

[…] Et la question d’Elisabeth : D’où m’est-il donné que la Mère de mon Seigneur vienne à moi ? signifiait sans doute dans sa pensée : D’où m’est-il donné que la mère de mon Dieu vienne à moi[361] ?

Les interprétations données par lui ont pour centre de gravité la mission particulière de Marie : être la Mère de Dieu. Elle n’existe que pour l’Incarnation du Verbe. Le travail de compréhension et d’interprétation exégétique des textes bibliques s’inspire de cette dogmatique fondamentale, la maternité divine de Marie :

Dans la pensée du Créateur, Marie est avant tout la Mère du Fils de Dieu. La maternité divine est son privilège fondamental : sans celui-ci ses autres privilèges n’existeraient pas ; bien plus, Marie elle-même n’existerait pas, car, suivant un sentiment commun, elle n’a été créée que pour être Mère de Dieu. La maternité divine explique tout en elle, et sans cette maternité, rien en elle ne s’explique[362].

Ces premières lignes qui introduisent son tout premier chapitre sur la Maternité Divine dans l’ouvrage Marie dans le dogme (1933) sont commentées immédiatement en s’appuyant sur le mystère de l’Incarnation dans toute sa profondeur.

Aussi, la question déborde-t-elle la doctrine mariale proprement dite et s’étend-elle jusque dans le domaine de la christologie […] C’est là que tous les enseignements relatifs à l’Incarnation se rencontrent comme en leur centre. La maternité divine de Marie est la pierre de touche de l’orthodoxie christologique ; et, dans une certaine mesure, l’orthodoxie par rapport à la maternité divine garantit même l’orthodoxie de nos affirmations relatives à la Très Sainte Trinité et à plusieurs autres vérités révélées[363].

La vue primitive dans la révélation, selon notre auteur, contient l’idée de la maternité divine. Marie est regardée comme Mère de Jésus, Jésus considéré dans sa double nature :

Cette humanité et cette divinité que les premiers chrétiens reconnaissaient dans le Fils de Marie, leur apparaissaient comme unies en lui de l’union la plus étroite qu’on puisse concevoir, celle qu’on appellera plus tard l’union hypostatique[364].

Il s’appuie sur différents passages de l’Evangile - le Baptême du Christ, le pardon des péchés par Jésus- et reprend l’hymne de saint Paul aux Philippiens (Ph 2, 6-8), concluant :

Or, par le fait qu’aux yeux des premiers chrétiens Jésus était à la fois Dieu et homme et qu’il était né de Marie, ils voyaient assurément en Marie ce qu’on désignera dans la suite par le titre de Mère de Dieu[365].

Cette argumentation de l’auteur coïncide avec son interprétation, en amont, de l’Annonciation et de la Visitation. Il comprend le message de l’ange dans le sens que Marie deviendrait Mère tout en conservant sa virginité, parce que «ce qui naîtrait d’elle serait le Fils de Dieu.» Elisabeth donne aussi au mot Seigneur le sens de Dieu. La divinité de Jésus affirmée ou du moins supposée, selon l’auteur, fait voir à Marie dans ce titre autre chose que l’équivalent du Messie. Même la lecture de la prophétie d’Isaïe, selon lui, si elle ne contient pas l’idée d’Incarnation du Verbe dans l’expression Dieu avec nous, fut comprise par les premiers chrétiens comme Dieu fait homme : «Et donc pour eux, la Vierge avait conçu et enfanté Dieu, et, partant, était Mère de Dieu [366]

Enfin, en s’appuyant sur saint Paul (Ga 4, 4), avant même la publication des Evangiles, l’auteur voit dans la foi de la première génération que cette femme était Mère du Fils de Dieu[367].

Son étude des Pères et auteurs anciens lui offre les bases théologiques qui donnent sens au terme raccourci : Mère du Fils de Dieu en Mère de Dieu.

 

III.1.2 Appuis de la Tradition

Emile Neubert apporte sa première contribution aux études mariologiques par sa thèse de doctorat Marie dans l’Eglise anténicéenne. Il prend comme point d’appui la naissance de Jésus selon les différents récits évangéliques et s’arrête au tout début de la crise arienne, avant le concile de Nicée. Son étude historico-critique s’augmente par l’approfondissement des Pères de l’Eglise et des auteurs anciens sur le sujet de l’identité du Christ, pleinement homme et pleinement Dieu. Ils nous donnent les premiers éléments du Symbole de la Foi.

Il étudiera avec attention la période qui s’étend de la rédaction des évangiles au concile de Nicée pour sustenter sa réflexion sur la double nature du Christ.

Cette période constitue la trame théologique de la foi chrétienne au fil des siècles.

Nous suivrons l’auteur à partir des chapitres de sa thèse sur la maternité humaine et divine, une fondation vivante qui supportera l’édifice de son œuvre mariale.

 

III.1.2.1 La maternité humaine de Marie

La mentalité culturelle et religieuse de l’Empire Romain, très influencée par la philosophie platonicienne, n’accueille pas facilement les données du kérygme primitif des premières générations de chrétiens. L’opposition radicale de la matière, cette vie inférieure des sens, et de l’esprit, fait entrevoir le monde comme l’œuvre déchue d’un dieu mauvais, inférieur, malfaisant et non pas un Dieu suprême.

La première objection rencontrée était la suivante :

L’envoyé du Dieu bon ne pouvait avoir pris un corps véritable, et par conséquent, il n’était pas né de Marie[368].

La vérité de la maternité humaine de Marie était la toute première réponse à offrir.

Nous évoquerons avec Emile Neubert la mise en place progressive, par les Pères et les auteurs anciens, de l’affirmation fondamentale sur la maternité humaine de Marie, vérité qui ne cessera d’être affirmée au fil des siècles.

Saint Ignace d’Antioche et saint Polycarpe, dès le premier siècle et le début du second, luttèrent contre les gnoses venues soit de l’Orient, soit de courants hérétiques de certains chrétiens judaïsants. L’intérêt, pour notre étude, est de recevoir leurs conclusions sous le mode du contenu de leur foi, sur les éléments essentiels qu’Ignace résume ainsi :

Je ne connais qu’une chose véritable, ce que l’Evangile de mon unique Sauveur me raconte : qu’il est né de Marie, qu’il a souffert sous Ponce Pilate et qu’il est ressuscité[369].

Il s’opposait aux docètes, «ces faux docteurs» :

D’après eux, le Christ n’est pas venu en chair[370], sa vie n’avait pas été véritable, sa passion entre autres n’avait été qu’apparente[371] et, en conséquence, était sans effet pour notre salut[372]. Il n’y avait pas non plus de résurrection véritable, ni pour Jésus ni pour ses disciples[373], et l’eucharistie[374] n’avait plus de sens[375].

La négation de l’humanité du Christ était la conséquence logique de toute une conception religieuse de l’Antiquité qui entrevoyait la vie des sens et de la chair comme séparée et inférieure à celle de l’esprit. La réponse de la foi consiste à dire, en tout premier lieu, que l’Incarnation n’est pas indigne de Dieu[376] :

Aux nouvelles communautés chrétiennes confrontées à ces difficultés, Ignace recommande de garder l’unité autour de l’évêque, à assister fidèlement aux réunions liturgiques et à fuir les hérétiques[377]. Il met en place les éléments fondamentaux qui seront déployés dans les siècles à venir afin de prouver la vérité de la vie du Sauveur dont deux moments décisifs : sa naissance de la Vierge et sa Passion : «Ce sont là les mystères par excellence du Sauveur qu’il faut proclamer à grands cris[378]

Le choix des réponses d’Ignace, qu’établit Emile Neubert, constitue un véritable florilège de textes denses qui donne au développement de sa thèse son appui scientifique[379] :

Le Seigneur est vraiment de la race de David selon la chair ; Fils de Dieu, selon la volonté et la puissance de Dieu vraiment né d’une Vierge[380].

Ainsi commente-t-il, déjà pour saint Ignace, la maternité de Marie était le garant principal de l’humanité de Jésus[381]. Après la mort de l’évêque d’Antioche, nous assistons à la grande crise du docétisme. Des sectes se multiplièrent au second siècle, parmi lesquelles celle des Valentiniens et celle des Marcionites. Selon les Valentiniens, le Sauveur n’a qu’un corps apparent, car il n’aurait rien reçu réellement du corps de Marie.

Il fallut près d’un siècle à l’Eglise pour éradiquer la fausseté des enseignements gnostiques de cette secte redoutable.

Une autre hérésie à peu près contemporaine se fit jour avec Marcion qui fut moins spéculatif que Valentin, mais beaucoup plus pratique, offrant une religion d’amour et de haute austérité morale :

Peu importe la théorie qu’on professe : seront sauvés tous ceux qui auront mis leur espoir dans le crucifié, pourvu qu’ils soient trouvés pratiquant le bien[382].

En commun avec les Valentiniens, Marcion niait l’humanité de Jésus, donc sa naissance de Marie qui n’était pas même en apparence sa mère. C’est à cause de ce contexte, que l’affirmation de la maternité humaine de Marie devint l’argument décisif en faveur de la christologie orthodoxe. Marcion réfutait aussi l’Unique Dieu créateur, opposant le Dieu de Moïse au Dieu de l’Evangile.

Justin et Méliton de Sardes s’opposèrent eux aussi, à ces erreurs gnostiques.

L’évêque de Lyon, saint Irénée, nous offre de précieux développements et argumentaires pour réfuter ces thèses. Irénée se réfère beaucoup plus au thème de la virginité de Marie qu’à celui de la maternité divine[383]. Il s’appuie sur un grand nombre d’arguments scripturaires et sotériologiques[384]. Nous reprendrons plus loin, à partir de ce dernier thème, son argumentation spécifique. Mais relevons quelques passages d’Irénée retenus par Emile Neubert qui rejoignaient son cheminement spirituel ;il nous confie dans son autobiographie l’importance qu’eut pour lui la découverte approfondie de l’humanité du Christ : « Le modèle de l’homme parfait : Adam en est l’exemple[385] ».

Pourquoi Jésus se proclamait-t-il fils de l’homme, s’il n’a pas daigné naître de l’homme[386] ?

S’il n’avait rien reçu de Marie, jamais il n’eût pris les aliments terrestres par lesquels se nourrit un corps terrestre ; il n’eut pas, après avoir jeûné quarante jours comme Moïse et Elie, eu faim et désiré de la nourriture ; Jean, son disciple, n’eut pas écrit de lui : Jésus fatigué de la marche, s’assit […] Il était, du reste, inutile de descendre en Marie : pourquoi entrer en elle alors qu’il ne voulait rien prendre d’elle[387] ?

Il faudra attendre Tertullien pour voir la réfutation des négateurs de la maternité véritable de Marie atteindre son apogée[388].

Tertullien de Carthage, l’auteur du De carne Christi, fut un grand défenseur de la maternité humaine de Marie, même si parfois son style est cru, cherchant à exprimer cette réalité bien concrète pour répondre aux négateurs de la naissance de Jésus, qui, écrit-il : s’est revêtu de chair pour évacuer, non la chair de péché, mais le péché de la chair[389].

C’est à Tertullien que nous devons de connaître certains arguments des Valentiniens, concernant la personne de Jésus :

Il est né par la Vierge et non de la Vierge car, descendu dans la Vierge, il est venu dans ce monde par mode de passage plutôt que de génération, par elle et non d’elle ; elle fut pour lui non une mère, mais une voie[390] ; il a passé à travers Marie, comme l’eau passe à travers un canal.

Emile Neubert s’inspirera de la réfutation de l’Eglise contre les Valentiniens pour approfondir sa réflexion sur le rôle maternel de Marie envers le Fils de Dieu. Dès le départ, un élément sera très important pour lui : Marie est associée à la mission de son fils. Entre la Mère et le Fils s’établit une réciprocité dans l’échange :

Jésus a voulu être le vrai enfant de Marie[391].

La relation filiale de Jésus avec sa mère, pour notre auteur, est le fondement naturel, d’ordre anthropologique, à partir duquel tout s’explique de l’échange entre eux deux :

Il a partagé avec elle ses prérogatives et ses fonctions.

Aimer c’est donner. Si Jésus l’a tant aimée, il a dû lui donner tout ce qu’il pouvait donner, c’est-à-dire tout ce que, pure créature et femme, elle était capable de recevoir[392].

La maternité humaine de Marie était le principal garant de l’humanité du Christ pour Tertullien comme pour tous ceux qui le précèdent. Saint Hippolyte fut, après lui, le plus célèbre des hérésiographes du troisième siècle. Il nous informe avec précision sur le contenu des erreurs répandues par les gnoses: l’influence des philosophes et des astrologues[393]. Emile Neubert nous enrichit de la pensée de ce saint en gardant tel ou tel passage[394] :

C’est grâce à la maternité de Marie que le premier Adam, et nous avec lui, avons été régénérés par le nouvel Adam. Et c’est aussi grâce à elle, que nous pouvons devenir les imitateurs du Verbe.

Enfin le Verbe lui-même, (et ce point - note Emile Neubert -, est particulier à la théologie de saint Hippolyte) quoique parfait en tant que Verbe, ne devint Fils parfait que grâce à la chair prise à Marie[395].

Cet ultime argument mérite d’être relevé, car on le retrouve dans ses œuvres ultérieures surtout dans celles de vulgarisation au grand public. Un argument souvent associé à celui d’Origène, que notre auteur n’a de cesse de répéter Marie est plus mère que toutes les autres femmes :

De tout homme, il est exact de dire qu’il est fait par la femme, car avant de naître par la femme, c’est de l’homme qu’il tient son origine. Le Christ, au contraire, qui ne tire pas sa chair de la semence de l’homme, est dit justement : fait de la femme. C’est à elle-même, à savoir à la femme, qu’est attribuée avant tout l’origine de sa chair ; et c’est à bon droit que l’Apôtre le proclame fait non par la femme, mais de la femme[396].

Il nous explique que pour Origène, comme pour ses prédécesseurs, la négation de la maternité de Marie impliquait la négation de l’humanité de Jésus[397], laquelle entraînait la négation de la Rédemption[398].

Emile Neubert relève que les gnostiques mouraient d’inanition […] Et, dans le sein même du christianisme, la croyance en l’humanité de Jésus a définitivement triomphé, ainsi que celle en la maternité de Marie.

 

III.1.2.2 La maternité divine

Grâce à l’appui d’Emile Neubert sur les sources bibliques, nous avons déjà signalé la place centrale de la maternité divine. Dans son ouvrage Marie dans le dogme, il nous rappelle que l’expression même de Marie Mère de Dieu était sans doute inconnue des premiers Chrétiens[399]. Selon lui : « la tradition n’eut donc pas proprement à expliciter cette idée mais elle la mise peu à peu dans un relief plus saisissant, grâce aux querelles christologiques des premiers siècles :

Il n’y a qu’un médecin, dira dès le début du IIe siècle saint Ignace d’Antioche, (composé), à la fois de chair et d’esprit, engendré et non engendré […] (né) de Dieu et de Marie, Jésus-Christ, Notre Seigneur[400].

En parlant de la naissance de Jésus, elle remplaça les mots Fils de Dieu par le mot Dieu tout court, ce qui devait faciliter la création du mot Theótokos, Mère de Dieu. Notre Dieu, Jésus-Christ - affirme le même saint Ignace - a été porté dans le sein de Marie.

Et un siècle plus tard, Tertullien s’exprime ainsi : «Dieu est né dans le sein d’une Mère. Car celui-là est Dieu, qui est né en elle[401].»

Dans son étude sur Marie dans l’Eglise anténicéenne, Emile Neubert approuve Harnack[402] en ce point précis : que c’est l’antinomie entre la double nature du Christ qui posait un problème bien avant l’arrivée de Nestorius.

Difficulté qui trouvait sa solution dans le caractère virginal de la naissance véritable de Jésus. Puisque les hérésies des premiers siècles n’allaient pas directement nier cette nature divine, il n’y avait pas lieu de les formuler à part[403].

Il reprend l’un après l’autre les Pères : saint Ignace, saint Justin et il en arrive à saint Irénée[404], qui lui ne se contente pas d’affirmer les deux natures, mais la démontre, puisque le point capital dans les théories des hérétiques sur le Sauveur, c’était la séparation qu’ils établissaient entre son humanité et sa divinité[405].

Il nous explique avec Tertullien, en s’appuyant sur l’étude de Tixéront[406], que la question de la maternité divine fait un pas de plus dans la compréhension du rôle de Marie :

Tertullien, en effet, a donné à la théologie latine la formule à peu près définitive de l’union hypostatique, sans utiliser pour autant l’expression Mère de Dieu qui sera consacrée à Ephèse ultérieurement, mais dont le contenu est déjà présent dans sa théologie : Marie n’a pas enfanté seulement un homme, mais Dieu[407].

De même, saint Hippolyte de Rome aurait admis, lui aussi, l’idée exprimée par ce terme Theótokos :

Lorsque la plénitude des temps fut arrivée, Dieu envoya son Fils fait de la femme, afin que s’étant revêtu de l’homme (humanité) pris dans Marie, il apparût Fils de Dieu et Fils de l’homme[408]. «Jean ayant entendu le salut de Marie, bondit de joie dans le sein de sa mère, entrevoyant dans le sein de la Vierge, le Verbe de Dieu conçu[409].»

Et s’adressant à Marie, Hippolyte s’exclame :

Dites-moi, ô bienheureuse Marie, qui était celui que vous aviez conçu dans votre sein ? Qui était celui que vous portiez dans vos entrailles virginales ? C’était le Verbe, le premier-né de Dieu, qui est venu du ciel en vous, qui est devenu dans votre sein l’homme premier-né, afin que le Verbe premier-né de Dieu apparût uni à l’homme premier-né[410].

Origène[411] affirme la maternité divine de Marie, sans employer le terme :

Marie y est appelée : Mère du Seigneur[412], Mère du Sauveur[413] ; il y est dit qu’elle a porté dans son sein la race de Dieu[414], le Fils de Dieu[415], qu’elle a enfanté l’Emmanuel, le Dieu avec nous, ce qui ne convenait qu’à une Vierge pure et sans tache[416].

Dans son étude personnelle, Emile Neubert nous transmet des informations selon l’historien Socrate[417], concernant un commentaire de l’Epître aux Romains par Origène, où ce dernier examine comment Marie peut être appelée Theótokos, et traite la question dans toute son ampleur :

On ne trouve nulle trace de cette explication dans la traduction latine du commentaire de l’Epître aux Romains que nous possédons. Il n’y a cependant pas de raison de suspecter le témoignage de Socrate […] Il est tout à fait probable qu’Origène qui admettait pratiquement et a même formulé la théorie de la communication des idiomes, ait démontré qu’on pouvait appeler Marie Mère de Dieu[418].

Nous constaterons que les recherches conduites par le jeune Emile Neubert avec rigueur nous font mieux saisir le contexte et l’importance du développement du dogme marial avec une perspective christologique qui, avant d’être centré sur la Theótokos, fut un dogme centré sur la formule : Natus ex Virgine.

 

III.1.3 Développements théologiques

Selon Emile Neubert, avant le concile de Nicée, la maternité divine de Marie est déjà admise et reconnue, même si elle est affirmée définitivement au concile d’Ephèse en 431. Dans son premier chapitre consacré à la maternité divine dans Marie dans le dogme (édition de 1954) comme l’annonce le sous-titre, «La maternité divine est la grandeur fondamentale de Marie». Elle est la raison d’être de toutes les autres, elle est la raison d’être de l’existence même de Marie :

La Vierge n’a été créée que pour être Mère de Dieu. De fait, le Pape Pie IX, dans la bulle Ineffablis Deus où il définit l’Immaculée Conception de Marie, enseigne que «par un seul et même décret, l’origine de Marie et l’Incarnation de la Sagesse divine furent décidées». Ainsi, la maternité divine explique tout en Marie, et sans cette maternité divine, rien en elle ne s’explique[419].

La mariologie est approfondie parce qu’elle se trouve dans le développement de la christologie. La révélation de la divinité du Christ, dans le mystère de l’union des deux natures, nous conduit à recevoir la révélation de la maternité divine de Marie. Garantie du mystère de l’Incarnation, Marie nous renvoie au mystère de la double nature du Fils de Dieu. C’est la personne du Verbe, à laquelle appartiennent toutes les actions (l’être et l’agir de Jésus), que nous adorons, car elle est Personne divine. La maternité s’adressant à la personne, Marie de Nazareth, comme mère de Jésus et vraiment mère de Dieu[420].

A la suite de Bérulle et des auteurs de l’Ecole Française de Spiritualité, s’inspirant de saint Cyrille d'Alexandrie et du Concile d'Ephèse (431)[421], il nous fait contempler le mystère de «l'union hypostatique» à l’intérieur de celui de l'Incarnation, comme étant l'union la plus inouïe entre Dieu et l'humanité. Union entre le Créateur et la créature qui se retrouve dans la même et unique Personne Divine de Jésus, le Fils ou Verbe de Dieu.

Cette «ontologie» de l'Incarnation est comme un «état d'Amour[422]» :

La personne à laquelle appartiennent toutes les actions du Christ est la personne divine. Aussi, toutes ses actions, celles même qui étaient accomplies par la nature humaine, avaient un mérite infini, étant les actions d’un Dieu. On peut donc dire en toute réalité que Dieu a prêché, que Dieu a souffert, que Dieu est mort. Par conséquent, on peut tout aussi bien dire que Dieu est né. Or la femme de qui un être naît est sa mère. Dieu est né de Marie : donc Marie est Mère de Dieu[423].

Dans cette très belle reprise du mystère de l’union hypostatique, tout ce qui est vécu d’humain dans la vie terrestre du Christ est attribué à l'unique Sujet qui est la Personne du Fils de Dieu.

Selon l'humanité, le Fils de Dieu est «né d'une femme» (cf. Gal 4,4), et c'est pourquoi cette femme doit être vraiment appelée Mère de Dieu (Theótokos).

Emile Neubert affirme que, selon l'humanité, Dieu le Fils a prêché. Il est né, il est mort - et nous pourrions compléter en disant qu’il a été enseveli, qu’il est descendu aux enfers, qu'il est ressuscité le troisième jour - c'est la vraie signification de la naissance, de la souffrance et de la mort de Dieu. Toutes ces expressions dogmatiques qui viennent du Concile d'Ephèse font comprendre ce que signifie l'absence de personnalité humaine dans le Christ : La Personne divine étant l'unique sujet de tout ce qui est humain. Le Verbe de Dieu doit à l’humanité de Marie son oblation en notre chair.

Il nous fait entrevoir que la maternité de Marie est plus «réelle en un sens que toute maternité humaine» selon son expression, car sa maternité n’a pas connu la contribution d’un père humain dans la conception de Jésus. Or Marie, par son « fiat » à cette Conception annoncée par l’ange Gabriel, sublime la maternité. Mais Dieu l’a choisie et créée pour cette mission, jusque dans ses conséquences tragiques : la mort sur la Croix de son Fils et sa mise au tombeau. Nous voyons apparaître l’idée d’une coopération de Marie qui sera développée dans tout le corpus «neubertien» que nous reprendrons par la suite.

Il nous rappelle que la mariologie primitive (avant Nicée) contient l’idée de la maternité divine jusqu’à l’apparition du terme Theótokos, consacré au Concile d’Ephèse :

L’expression même de Mère de Dieu était sans doute inconnue des premiers chrétiens. On ne songeait pas, dès les débuts, à créer un terme spécial pour désigner le rôle de la Vierge, et cela d’autant moins que les affirmations primitives étaient presque toutes portées en fonction de Jésus et non de Marie. Mais l’idée contenue dans cette expression […] apparaît nettement dans la vue primitive[424].

En reprenant les affirmations des théologiens (Cajetan[425], saint Thomas[426], Terrien, A. Nicolas) et des auteurs en dehors de l’Eglise Catholique (Luther, Pusey), Emile Neubert approfondit la grandeur de la maternité divine de Marie.

L’approche, que nous dirions aujourd’hui œcuménique, consiste à reprendre les affirmations de Luther[427] et Pusey qui sont, positivement, en faveur de la maternité divine. Puis, il reprend le lien entre la Mère de Dieu et la Très Sainte Trinité, à partir de chacune des Personnes divines.

Nous pouvons reprendre quelques unes de ses expressions, elles nous permettent de mieux percevoir les points majeurs qui ont retenu son attention :

Marie devint l’Associée du Père […]

Marie peut être nommée aussi Fille privilégiée du Père […]

Les anciens auteurs appellent parfois Marie Epouse du Verbe. En effet :

1° Toutes les âmes fidèles, surtout les âmes vierges, aiment à s’appeler les épouses de Jésus, parce qu’elles se donnent tout entières à lui seul. La Vierge des vierges sera son Epouse par excellence.

2° C’est grâce à Marie que s’est opéré, en quelque sorte, un mariage entre le Verbe et la nature humaine, lors de l’Incarnation.

3° Marie est la nouvelle Eve à côté du nouvel Adam, Jésus-Christ.

4° Elle est le type de l’Eglise, l’Epouse Immaculée du Christ[428].

Aujourd’hui, cependant, comme on donne généralement à Marie le titre d’Epouse du Saint-Esprit, et qu’il semble contradictoire d’appeler la Vierge à la fois la Mère et l’Epouse de Jésus, on ne la désigne plus guère sous ce titre[429].

Notons la similitude des expressions : Epouse du Verbe et Epouse de Jésus qui font appel à deux approches théologiques différentes, ainsi que l’apparition du terme type de l’Eglise qui sera consacré par Vatican II, mais qu’il ne développera pas dans son œuvre.

Retenons cette réflexion théologique :

La maternité divine donne au Fils une existence nouvelle, son existence temporelle. Grâce à cette maternité, le Fils peut rendre à son Père ces hommages de soumission et d’adoration, de reconnaissance et de réparation, que sa nature divine ne lui permettait pas d’offrir ; hommages réels puisqu’ils viennent d’une nature inférieure, et cependant infiniment agréables, puisqu’ils sont offerts par une personne divine. Par rapport aux hommes, la maternité divine a fait du Fils le «Bien-aimé de l’humanité». Si c’est vers le Fils, avant le Père et l’Esprit que se dirigent nos pensées, nos affections et nos volontés […] Si ce Fils est le centre de nos âmes, le centre de la religion et le centre de l’humanité, n’est-ce pas à la maternité divine qu’il le doit[430] ?

Ce christocentrisme qui caractérise l’Ecole Française de Spiritualité, est au cœur du corpus «neubertien». Notre relation à Marie nous fait approfondir le mystère de Jésus qui est véritablement l’unique porte pour rejoindre Dieu :

Dans le christianisme, il y a un médiateur entre Dieu et nous, Jésus-Christ. Il est naturel que, dans la proportion de notre union avec le Christ, s’accroisse aussi notre union avec la Divinité et par suite notre perfection. Or la dévotion à Marie nous aide grandement à comprendre et à aimer Jésus-Christ. […] Les grandeurs (de Marie) sont toutes relatives à Jésus. Marie n’est rien par elle-même […] On ne la comprend qu’en comprenant Jésus, qu’en méditant sur les mystères de l’Incarnation et de la Rédemption. Et voilà que notre désir de la mieux connaître pour la mieux aimer et admirer nous amène à mieux connaître, aimer et admirer Jésus[431] ?

C’est dans cet esprit que notre auteur évoque le lien entre l’Esprit Saint et Marie :

Grâce à la maternité divine de Marie, le Saint-Esprit, infécond quant aux processions divines, reçoit une fécondité à l’égard du Fils, à qui il contribue de donner un corps[432]. Il fait de ce Fils le grand adorateur du Père et le Bien-Aimé de l’humanité ; et il reçoit sur le Fils une autorité à laquelle ce Fils se soumet pendant toute sa vie, ainsi que l’insinue l’Evangile : «Et Jésus s’en alla dans le désert, poussé par l’Esprit (Mt 4, 1) […] L’Esprit Saint est sur moi ; il m’a oint (Lc 4, 18).

Par rapport aux hommes, l’Esprit Saint exerce par Marie une fécondité analogue, avec elle engendrant, fortifiant et amenant à sa perfection la vie de Jésus dans les âmes[433].

Nous pourrions à la suite nous poser la question suivante : quelle est donc la position exacte de Marie dans sa relation à la Très Sainte Trinité ? Notre auteur y répond :

Par sa nature, Marie est infiniment au-dessous de la divinité. Mais par ses fonctions, bien qu’il ne faille pas oublier qu’ici même il y a entre Dieu et elle toute la distance qui sépare l’agent principal de l’instrument, n’a-t-elle pas été introduite, en un certain sens, dans la famille même de Dieu, et placée tout près de l’adorable Trinité, ainsi que le chante une hymne antique :

Gaude Virgo, Mater Christi,

Quia sola meruisti,

O Virgo piissima,

Esse tantae dignitatis

Quod sis sanctae Trinitatis

Sessione proxima[434].

Emile Neubert ne s’arrête pas aux seules lectures exégétiques et théologiques qui le précèdent. Il prend soin d’approfondir les implications de la réalité de la maternité divine, en lien avec tous ses autres privilèges.

Ce qui montre, en second lieu, la grandeur de la maternité divine, ce sont les rapports entre ce privilège et les autres privilèges de la Mère de Dieu. Chacun de ces privilèges met Marie dans un rang à part. […] Or tous ces privilèges dépendent étroitement de sa maternité divine ; ils en sont la préparation ou la conséquence, et nul d’entre eux ne lui aurait été accordé sans cette maternité[435].

Il développe la grandeur de la maternité divine en relation avec la création :

Toutes les créatures, même les plus sublimes séraphins, ne sont que les serviteurs de Dieu ; Marie est Mère de Dieu. Or, mille millions de serviteurs ne valent pas une mère[436].

Il en va de même de notre filiation adoptive envers Dieu, elle nous rend «participants de la nature divine (2 P 1, 4)» : «Marie n’est pas Mère adoptive du Fils de Dieu, elle est sa Mère véritable[437]

Dans sa relation avec le mystère de Dieu «Marie appartient à l’ordre hypostatique.» Ce qu’il explique avec justesse et bon sens :

Par sa maternité divine, Marie appartient à l’ordre hypostatique. Non à l’union, mais à l’ordre hypostatique, c’est-à-dire à l’ensemble des réalités qui sont directement orientées vers cette union, de même que l’ordre de la grâce comprend des réalités qui sont directement orientées vers l’union avec Dieu, par la grâce habituelle. En effet, Mère de Jésus, Marie fournit l’un des deux éléments de l’union hypostatique, la nature humaine du Christ, laquelle a été, dès le premier instant, unie hypostatiquement à la divinité du Verbe. […] Marie occupe donc une place à part dans la création, infiniment au-dessous de déesse, mais incomparablement au-dessus de toute autre créature. […] Et cependant, la chose étonnante, ce n’est pas que la Mère de Dieu soit supérieure à l’ensemble de toutes les autres créatures, mais qu’une créature ait été élevée à la dignité de Mère de Dieu[438].

Dans la logique de son développement, un autre axe de réflexion nous est proposé qu’il intitule La maternité fonction d’amour[439].

L’occasion lui est donnée de réfuter certaines interprétations sur la réponse de Jésus à la femme qui lui dit : «Bienheureux le sein qui vous a porté et les mamelles qui vous ont allaité» […] «Bienheureux plutôt celui qui écoute la Parole de Dieu et la met en pratique.» (Lc 11, 27-28)

Jésus, par sa réponse à la femme qui le louait, veut combattre, chez elle et chez ceux qui l’entouraient, un préjugé enraciné dans l’esprit des juifs, à savoir que les liens du sang l’emportaient pour eux, sur leur conduite personnelle. Elle signifiait simplement : il vaut mieux pratiquer la Loi de Dieu, que d’être mère d’un prophète[440].

Il en va de même pour la réponse de Marie à la salutation de l’ange (Lc 1, 34) :

Elle est une demande d’explications, non une objection […] Il ne lui vient pas à l’esprit que Dieu lui demande l’abandon du vœu de virginité[441].

Emile Neubert prend soin de ne pas s’arrêter à l’aspect purement physique de sa participation à la Maternité divine :

Si l’on ne voit dans la maternité divine que le fait physiologique - même alors elle serait supérieure comme dignité à la filiation adoptive -, le moindre degré de grâce sanctifiante serait évidemment préférable […] Mais cette maternité lui est infiniment chère. Aussi sous l’inspiration même du Saint-Esprit, Elisabeth s’écria : «Bienheureuse êtes-vous qui avez cru à l’accomplissement des choses annoncées par le Seigneur.» (Lc 1, 45) […] Pour aimer son Enfant tout entier, Marie devait aimer non seulement l’humanité de Jésus, mais sa divinité encore bien davantage. Elle devait être donc nécessairement en action de grâce[442].

A ce point de la réflexion de notre auteur, nous sommes très proches des accents qui seront développés par Vatican II dans la constitution dogmatique sur l’Eglise, Lumen Gentium, et par la suite, par le pape Jean-Paul II dans Redemptoris Mater, où la foi de Marie est première. Son évocation de la salutation d’Elisabeth à Marie met en relief l’aspect du terme bienheureuse en référence à la joie de Marie. Mais, elle souligne une autre mise en relief de la foi de Marie, ce qui arrive tout naturellement dans son développement théologique :

La tradition chrétienne a toujours affirmé que le Tout-Puissant a fait de Marie une digne Mère de Dieu. Ainsi saint Augustin qui, tout en déclarant que la parenté maternelle n’eût en rien profité à Marie si la Vierge n’avait plus heureusement porté le Christ dans son cœur que dans son sein, écrit : «Une si grande grâce fut donnée à Marie parce qu’elle mérita de concevoir et d’enfanter Dieu[443].»… Fonction d’amour de par la volonté de Dieu, la maternité divine l’est à tous les stades de son exercice… Cet amour, on peut le dire avec les saints et avec l’Eglise elle-même, a mérité cette infinie dignité[444].

Dans une méditation qui lui est habituelle dans tout son corpus, il nous fait contempler la réalité de ces deux amours, celui de Marie en tant que Mère de Dieu pour son Fils et celui de son Fils pour elle. Sont mises en évidence la soumission de Jésus à l’égard de sa mère, la participation de Marie pour la Rédemption et sa distribution de toutes les grâces jusqu’à partager ensemble les privilèges de son Fils à cause de son fiat à Dieu[445].

La piété populaire qui se nourrit de ce développement dogmatique, intègre la réalité de la maternité humaine de Marie. Dans le corpus «neubertien», nous pouvons noter toute cette contribution d’ordre anthropologique de sa réflexion, avec les apports de la liturgie et de la Tradition, pour approfondir les développements spirituels de la maternité divine. Nous serons conduits à reprendre les thèmes de la maternité spirituelle de Marie, approfondis sous l’angle de sa «participation à la Rédemption» et sous celui de «distributrice des grâces», pour ensuite approfondir la relation réciproque de Jésus et de Marie jusqu’à sa conséquence pastorale, c’est-à-dire : la mission apostolique de Marie dans l’Eglise.

Nous sommes immergés avec Emile Neubert dans les perspectives occidentales qui ne considèrent pas seulement la Theótokos, mais aussi la Soteriotokos. Marie est Mère d’un Dieu qui s’est incarné en vue de devenir le Sauveur. Mais il veut, non seulement nous libérer du péché, mais faire de nous, par adoption, des fils, pour ne faire plus qu’un avec lui : être son corps prolongé. Nous sommes fils dans le Fils unique, immergés dans le monde de la grâce qu’il nous offre, faisant de notre réponse d’amour au Père une filiation égale à la sienne et envers Marie tout aussi filiale.

 

III.2 Marie : la Vierge

«Conçu du Saint-Esprit, né de la Vierge Marie», Jésus de Nazareth que nous confessons dans notre Credo «Vrai Dieu, né du Vrai Dieu», demeure aujourd’hui sujet de controverse pour beaucoup quand à sa divinité et son humanité.

Les chrétiens des premiers siècles et des toutes premières générations, en contact avec les apôtres, se sont affrontés aux mêmes questions que nous. Ils ont tenu bon dans l'affirmation de leur foi et, à quel prix souvent ! Ils ont su rester fidèles au message transmis, même s'il se trouvait entre eux ou face à eux bien des résistances. «Nous t'entendrons là-dessus une autre fois» (Ac 17, 32) disaient les grecs à saint Paul, refusant de croire en la résurrection des morts.

Entre cette génération et la nôtre, vingt siècles se sont écoulés. L'Esprit Saint, promis par Jésus pour nous conduire «dans la Vérité toute entière» comme nous le rappelle Emile Neubert, n'a jamais fait défaut à l'Eglise. Son œuvre divine, dans le cœur des premiers priants devant le mystère, demeure toujours pour l'Eglise une grâce qui jamais ne s'épuise.

Le Concile Vatican II et les derniers papes ont puisé à la source toujours fraîche de la tradition des Pères tels : Irénée, Ambroise, Augustin... etc. Ne croyons pas trop vite que pour ces derniers, les premiers Pères et les chrétiens qui recevaient le dépôt de la foi, les choses allaient de soi à cause de la mentalité du temps, non ! La question soulevée par la maternité divine nous l’a montré, à souhait.

Dans la question délicate de la naissance virginale du Christ, les débats n'ont pas manqué non plus.

- Qu'est-ce que Dieu Père, Fils et Saint-Esprit communique de lui-même – Sinon la Vérité - dans ces événements ?

Dans l'événement de l'Incarnation rédemptrice se manifestent et agissent les trois Personnes divines : le Père qui «a tant aimé le monde, nous a donné son Fils unique» (Jn 3, 10) ; le Fils qui assume la nature humaine et devient notre Frère ; l'Esprit qui couvre de son ombre le sein de la Vierge Marie. En Luc, Dieu se révèle transcendant et proche, puissant et miséricordieux, un Dieu à l'amour prévenant et gratuit, fidèle à l'alliance et aux promesses faites à David : Dieu qui se penche sur la misère de l'homme et privilégie les humbles et les pauvres.

- Quelles lumières recevons-nous de ces événements dans notre découverte du mystère d’Israël et de l'Eglise ?

Car dans l'épisode de l'Annonciation, Marie apparaît comme le sommet de l'attente d'Israël et le prototype du nouveau peuple de Dieu. Thème qui sera constamment repris par les Pères jusqu'à nos jours mais qu’Emile Neubert n’a pas particulièrement retenu. Elle anticipe en elle les traits essentiels (vierge, épouse, disciple), de la physionomie spirituelle de l'Eglise, et donc de chacun de ses membres.

- Quelles lumières recevons-nous de ces événements pour la compréhension de l'homme masculin et féminin et de son destin de grâce et de gloire ?

C'est justement à travers ces événements, que le Verbe entre dans le monde pour que l'homme divinisé soit introduit dans l'intimité de Dieu. Au cœur de cet événement, avec le Verbe, se trouve Marie de Nazareth. C’est la «femme», dans sa condition concrète de «vierge promise comme épouse» à un homme nommé Joseph, le charpentier de Nazareth. Elle s'engage totalement avec son corps et son esprit ; engagement dans lequel se marient harmonieusement, dans une dialectique inouïe : liberté et obéissance, humilité et exaltation, amour et service, fidélité à Dieu et solidarité avec l'homme.

L'affirmation de la conception virginale aida à préciser la double nature de Jésus de Nazareth. Il est parfaitement Dieu et parfaitement homme en une seule Personne.

La naissance virginale du Christ fut intégrée dans la même dynamique de l’identité du Christ, même s'il a fallu attendre plusieurs siècles pour l'affirmer officiellement au troisième concile du Latran en 649 :

(Marie) a conçu spécialement et véritablement du Saint-Esprit sans semence virile, a enfanté (Jésus) sans corruption, sa virginité demeurant non moins inaltérée après l'enfantement.[446]

Plus proche de nous, nous lisons dans la profession de foi de Paul VI proclamée le 30 juin 1968 :

Nous croyons que Marie est la Mère demeurée toujours vierge du Verbe incarné, notre Dieu et sauveur Jésus-Christ[447].

La virginité de Marie est une réalité qui forme comme un tout dans sa vie. Emile Neubert, par commodité, l’aborde dans les débats théologiques qui se focalisent sur trois moments ou situations de la vie intime de la Vierge : avant, pendant et après l'enfantement de Jésus. Il faut se rendre compte que ce thème difficile et même délicat, avant d'apparaître comme une question mariologique, est bien plus un thème christologique.

Dans le mystère de l’Incarnation, la personne humaine est au centre. C’est pour cela, que nous pouvons parler de la coopération de Marie, car sa virginité en est le point lumineux. Il nous renvoie à l’humanité de Marie et la divinité du Verbe.

Aborder la question virginale chez Marie, c’est aborder la personne humaine en son intimité. Il n’est pas tant question de la fonction biologique - qui certes a sa valeur en soi et ne peut être éludée -, mais il est principalement question de la réalité qui atteint Marie dans cette conception si singulière.

Marie a conçu par sa foi le Verbe de Dieu avant tout en son âme, puis dans sa chair ; aucun être humain ne fut à ce point investi dans une conception comme le fut la Vierge Marie. Il nous fait entrer dans cette perspective patristique que Tertullien dans le De carne Christi résume par cette phrase lapidaire «Il n’est pas en Marie s’il n’est pas de Marie.»

Marie est subordonnée au Christ. Elle est le témoin de la réalité dans notre histoire, d’un Dieu qui s’est fait chair, qui assume toute la réalité de l’humanité. Emile Neubert - bien avant Vatican II LG 56 -, nous aide à comprendre le sens de cette virginité qui nous renvoie à la figure unique de Marie dans l’Annonciation qui est, dès son «oui», devenue Mère de Dieu : ce oui indique que Marie en tant que simple créature est active dans son dialogue avec son Créateur comme elle le sera dans son association à la mission rédemptrice de son Fils.

Comme pour tous les «signes» prodigieux qui rythment l'histoire biblique du salut, il ne s'agit pas de s'arrêter à la matérialité de l'événement - le fait brut -. Il est indispensable de recueillir le message qu'il renferme. «C'est ici qu'il faut un esprit doué de finesse.» (Ap 17, 9)

Fait et signification ou sens du fait, font ici partie intégrante du mystère.

La signification ou la valeur symbolique de l'évènement a son fondement dans la réalité du fait, et ce dernier a son sens, il offre toute sa richesse en lien avec la signification symbolique.

Concrètement, dans la confession de foi en la virginité de la Mère de Dieu, l'Eglise proclame comme faits réels que Marie de Nazareth :

- 1 A conçu vraiment Jésus, par l'opération du Saint-Esprit, sans intervention de l'homme.

- 2 A mis au monde vraiment et virginalement son Fils, puis est restée vierge après l'enfantement.

- 3 Cette virginité, selon les saints Pères et les conciles traitant expressément la question, concerne l'intégrité physique de la femme Marie de Nazareth.

- 4 Enfin, après la naissance de Jésus, Marie a connu une virginité totale et perpétuelle et (avec Joseph, appelé lui aussi à participer activement aux premiers événements de notre salut), elle s'est dédiée au service de la personne et de l’œuvre de son Fils. (LG 60)

La virginité de Marie appartient bien à la foi chrétienne. L'Eglise parle de virginité perpétuelle ou selon la formule de Paul IV en 1555 de : virginitas ante partum, in partu et post partum.

Concernant la virginitas ante partum, il faut savoir que dès les premiers temps de l'Eglise, la conception virginale de Marie fut affirmée dans la règle de foi, (par exemple Ignace d'Antioche dans ses lettres à Smyrne, à Ephèse...). Elle se trouve constamment affirmée dans les symboles apostoliques. La tradition d’Hippolyte, datant du début du troisième siècle parle de Jésus qui est né de l'Esprit Saint et de la Vierge Marie.

Des conciles ont repris officiellement l'affirmation, dont le premier fut Constantinople II en 533.

Cette foi se base en particulier sur les témoignages de l'Ecriture en Mt 1, 18-25 et Lc 1, 28.

On le voit bien, une telle approche du mystère ouvre des perspectives insoupçonnées, grâce à l'Ecriture, à la Tradition vivante (universelle), aux directives du Magistère, puis tout particulièrement à partir de l'expérience liturgique d'Occident et d'Orient, avec le message des icônes.

C'est à dessein que nous évoquons toutes ces réalités ensemble, car les oublier ou se distancer par rapport à elles, c'est prendre le risque de se couper d'un héritage spirituel, celui-là même reçu en Eglise, à travers les siècles et promis par Jésus. «L'Esprit de vérité vous conduira vers la Vérité tout entière » (Jn 16, 13)

Accueillir dans l'Esprit le mystère de la conception et de la naissance virginale de Jésus, c'est s'ouvrir à la révélation de la divinité du Christ comme Fils de Dieu et à la régénération des croyants comme fils adoptifs.

Ce chemin de notre adoption filiale nous oblige à chercher à mieux comprendre l'enjeu de la réponse de Marie à la sollicitation de Dieu dans sa vie et, de sa collaboration unique à l’œuvre du salut.

 

III.2.1 Appuis bibliques

Arrêtons-nous un peu sur la question que Marie pose en Lc 1, 34 : «Comment cela peut-il advenir puisque je ne connais point d'homme ?»

L'interprétation la plus commune de cette phrase est que Marie, avant l'Annonciation de l'ange, avait déjà décidé de rester vierge. Grégoire de Nysse et surtout Augustin influencèrent toute la tradition occidentale dans cette lecture de Lc 1, 34. Pourtant, cette «virginité choisie» de Marie n'est pas de prime abord une expérience représentative des croyants en Israël.

L'idéal dominant est : «Soyez féconds et multipliez-vous.» (Gn 1, 28) Car dans tout l'Ancien Testament, la sexualité féconde est considérée comme un don, intimement lié à l'histoire du salut, comme une bénédiction. Alors que la stérilité est un signe contraire. Les rabbins interprétaient avec rigidité le commandement du Créateur. Le mariage est appelé Kiduschim, - sanctificatin -. Le célibat, par conséquent, devenait un empêchement à la sainteté. Par exemple, dans le talmud Babylonien, on dit qu'un homme pas encore marié à vingt ans est considéré maudit de Dieu. (école de Rabbi Ismaele, deuxième siècle après Jésus-Christ) «Qui n'a pas d'épouse est un être privé de joie, de bénédiction, de prospérité, c'est une personne sans paix» (Rabbi Tachum). Un vieux proverbe palestinien disait : «Ou le mariage ou la tombe

Il faut noter des exceptions à cette mentalité commune. Moise par exemple, exerçait la continence au Sinaï. Jérémie ne se marie pas. Judith et la prophétesse Anne, veuves très jeunes, se consacrent alors au Seigneur dans une vie de prière et de jeûne. Enfin, plus près du Christ, les Esséniens pratiquent le célibat. Marie, à contre-courant de la culture religieuse et sociale, se consacre à Dieu dans le vœu de virginité, comme Joseph tout en l’épousant, selon la pratique d’un courant spirituel qui remonterait au prophête Elie : les nazirs, considérés par le temple classique comme une secte, à cette époque.

«Voici que la vierge concevra et enfantera un Fils et on l’appellera Emmanuel - Dieu avec nous-.» (Is 7, 14)

Emile Neubert[448] comprend la prophétie d’Isaïe non pas selon le sens du terme grec parthenos qui signifie jeune fille, mais bien au sens de vierge. Cette interprétation était d’ailleurs celle du Père Lagrange[449], dont il s’est largement inspiré. Nous reprendrons la traduction de ce dernier pour son célèbre passage de l’Annonciation :

Or au sixième mois, l’ange Gabriel fut envoyé de la part de Dieu dans une ville de Galilée nommée Nazareth, à une vierge fiancée à un homme nommé Joseph, de la maison de David, et le nom de la vierge était Marie. L’ange entra chez elle, et lui dit : «Salut, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi.»

Et elle fut troublée de ce discours, et elle se demandait ce que pouvait être cette salutation. Et l’ange lui dit : «Ne crains pas, Marie, car tu as trouvé grâce devant Dieu. Et voici que tu concevras et que tu enfanteras un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé fils du Très-Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son Père, et il régnera sur la maison de Jacob pour les siècles, et son règne n’aura pas de fin.»

Or Marie dit à l’ange : «Comment en sera-t-il ainsi, puisque je ne connais pas d’homme ?» Et l’ange, répondant lui dit : «L’Esprit Saint viendra sur toi, et la vertu du Très-Haut te couvrira de son ombre ; et pour cela l’enfant né (sera) saint, il sera appelé Fils de Dieu. Et voici qu’Elisabeth, ta parente, elle aussi a conçu un fils dans sa vieillesse, et celle qu’on appelait stérile en est à son sixième mois, car rien n’est impossible à Dieu». Or Marie dit : «Voici la servante du Seigneur ; qu’il m’arrive selon ta parole.» Et l’ange la quitta. (Lc1, 26-38)

Six années de distance séparent la seconde édition de cette étude biblique du Père Lagrange (1921) de l’ouvrage dactylographié Maria de qua natus est Jesus d’Emile Neubert (1927), à partir de son cours aux séminaristes à la Villa saint Jean de Fribourg. Six ans après, en 1933, la première édition de Marie dans le dogme reprendra les éléments de cet ouvrage dactylographié que nous retrouverons dans les éditions suivantes : la troisième édition de 1954, également dans des ouvrages destinés à un plus large public : Marie Notre Mère édité en 1941 par exemple ou Vie de Marie, éditée en 1936 et réédité en 1948. Dans toutes ces éditions, nous trouvons chez lui une unité d’interprétation, y compris dans sa toute première approche exégétique et patristique de l’ouvrage publié en 1908, à partir de sa thèse : Marie dans l’Eglise anténicéenne.

Laissons-nous guider par ses commentaires, à partir de son approche biblique et patristique, pour notre recherche sur la thématique de la virginité de Marie, induite par le texte évangélique. Dès 1927, en s’appuyant sur le Père Lagrange, il nous donne ses interprétations exégétiques qui seront reprises dans la suite de ses autres ouvrages. Nous sommes à l’aube d’une époque nouvelle qui sera consacrée par le Concile Vatican II : celle du renouveau biblique, patristique et liturgique, dont le nom du Père Lagrange figure en précurseur :

[…] Ce qui la préoccupait, ce n’était pas sa gloire, mais bien son dessein de n’appartenir qu’à Dieu. Elle avait fait le vœu de virginité. Comment ce vœu pourrait-il se concilier avec le fait de devenir la mère du Messie[450] ?

[…] Il est vrai que Gabriel venait de lui dire que son enfant serait le Fils du Très Haut, et la divinité de son fils[451] pourrait bien entraîner la conception miraculeuse[452]. Mais que voulait dire cette expression Fils de Dieu[453] ?

[…] Gabriel alors révéla à ses yeux des mystères tout nouveaux, des mystères de miséricorde et d’amour infini, que nul patriarche, nul prophète, nul juste, qu’elle-même n’eût pu concevoir : le Messie serait le Fils de Dieu non métaphoriquement mais en toute réalité, et c’est pour cela qu’il naîtrait d’elle virginalement par un miracle de la toute-puissance divine[454] ?

La virginité de Marie se lie naturellement à sa maternité. Elle en est une manière d’être : la maternité divine est une maternité virginale. Historiquement, c’est elle qui apparaît la première parmi les prérogatives de Marie en même temps que sa maternité[455]

Il nous en donne la raison précise dans sa thèse.

Nous reprenons son argumentation scripturaire que l’on retrouve dans Marie dans le dogme :

Saint Matthieu et saint Luc, en racontant la naissance de Jésus, établissent en même temps le caractère surnaturel de cette naissance. Saint Matthieu nous apprend comment Marie, fiancée à Joseph, se trouva enceinte avant qu’ils eussent été ensemble, et comment Joseph, troublé de cette constatation, fut rassuré par un ange qui lui révéla que sa fiancée avait conçu du Saint-Esprit. Saint Luc ajoute à ces enseignements les détails de l’entrevue de Marie avec Gabriel à la suite de laquelle l’Esprit Saint était venu en elle[456].

Les premiers chapitres de saint Matthieu et surtout de saint Luc nous montrent l’intérêt qui s’est attaché de très bonne heure aux récits de l’origine humaine du Sauveur. Les deux évangélistes n’ont retenu de ces récits que le point qui avait une portée plus directement dogmatique, à savoir la conception surnaturelle. Mais la curiosité pieuse des fidèles ne s’en tint pas là : la virginité de Marie, garantie par un miracle si extraordinaire, ne concernait-elle que l’instant de la conception, et avait-elle été perdue ultérieurement ? C’était une question qu’on devait se poser naturellement en même temps qu’on méditait sur la naissance de Jésus[457].

Dans sa thèse, il commente le mystère de la virginité de Marie, à partir des éléments bibliques en respectant les trois temps, ante partum, in partu et post partum.

Il semble bien - sans cela sa question n’aurait pas de sens -, qu’elle ignorait que le Messie serait Dieu et naîtrait virginalement […] Le Messie serait le Fils de Dieu non métaphoriquement mais en toute réalité, et c’est pour cela qu’il naîtrait d’elle virginalement, par un miracle de la toute-puissance divine […] Puis, pour marquer plus clairement encore que la conception de son Fils allait être miraculeuse, il lui en donna comme signe une autre conception, également contraire, à sa manière, aux lois de la nature […] Quels mystères s’entrouvraient en ce moment devant le regard de Marie ! Par un décret divin sans précédent, elle allait être à la fois mère et vierge[458].

Quelques années plus tard, dans sa première édition de Marie dans le dogme ces mêmes passages bibliques seront approfondis et commentés :

La virginité ante partum fut explicitement révélée aux premiers chrétiens. De bonne heure, vraisemblablement dès qu’ils connurent que Jésus crucifié et ressuscité était le Fils du Dieu éternel, ils durent éprouver la curiosité de savoir quelle avait été son origine humaine. On interrogea ceux qui vivaient ou avaient vécu dans l’intimité de Marie ou de Joseph, peut-être Marie elle-même, et l’on apprit l’histoire merveilleuse de la conception surnaturelle. Celle-ci se trouve consignée, avec toutes les circonstances concomitantes, dans deux Evangiles, ceux de Matthieu et de Luc, et les deux récits sont absolument indépendants.

Affirmer la réalité de la conception virginale du Christ, c'est introduire dans cette conviction de foi un élément de type supra-rationnel. En effet, la conception virginale du Christ est une vérité révélée par Dieu, et que l'homme accueille en vertu de l'obéissance de la foi (Rm 16, 26). Celui qui croit que Dieu agit dans notre réalité et qu'à lui rien n'est impossible (Lc 1, 37), peut accueillir dans l'action de grâce la kénose du Fils éternel de Dieu. Cette kénose est contemplée dans : la conception virginale, la naissance virginale in partu, la Passion et la Mort sur la Croix, enfin dans l'Eucharistie et l'Eglise elle-même, Corps du Christ. L'affirmation du fait ne nous dispense pas d'approfondir, de creuser, pour mieux recevoir les valeurs symboliques inscrites dans l'événement du Salut. Et surtout, une tâche demeure : celle de déchiffrer l'image que Dieu a communiquée de lui-même à travers les mystères de la conception, de la naissance virginale du Christ et de la virginité perpétuelle de Marie.

On peut affirmer avec assez de vraisemblance que la virginité in partu fut révélée aux premiers chrétiens en même temps que la virginité ante partum. Quand, pour satisfaire leur pieuse curiosité par rapport à l’origine humaine du Christ, Marie ou ceux qu’elle avait mis au courant de son secret, leur apprirent la conception miraculeuse du Sauveur, ils durent leur raconter en même temps sa naissance non moins miraculeuse. […] Les évangiles, il est vrai, ne mentionnent pas en termes formels la virginité in partu, mais il n’y avait pas la même raison dogmatique de la faire que pour la virginité ante partum […] La conception de Jésus et son enfantement ne constituaient que deux moments d’un même acte, l’origine humaine de Jésus. Cette origine était miraculeusement pure au premier moment : elle devait l’être aussi au second… D’ailleurs, la parole même du prophète qui avait prédit la conception virginale, n’avait-elle pas annoncé aussi un enfantement virginal ? «Voici que la Vierge concevra et enfantera un Fils[459]

Son argumentation, à partir des seuls éléments évangéliques peut s’appuyer sur les commentaires des Pères d’Orient et d’Occident. Les premiers Pères de l'Eglise faisaient remarquer que la virginité de la Mère est une nécessité dérivant de la nature divine du Fils. En somme, il s'agit de découvrir - de recevoir dans la foi - une condition concrète par laquelle la Sagesse divine, souverainement libre, a rendue possible l'Incarnation du Fils éternel qui est Dieu né de Dieu (Credo), le seul Saint, le seul Seigneur, le Très-haut (Gloria). C'est ainsi que la Tradition chrétienne, s'inspirant de la lecture des Ecritures, affirme que le sein virginal de Marie, par son «oui», a été fécondé par l'acte créateur de Dieu, sans participation de l'homme, devenant comme le bois de la Croix (Mc 15, 35) ou les bandes du sépulcre (Jn 20, 5-8), motif et signe pour reconnaître en Jésus de Nazareth, le Fils de Dieu. Mais il y a là une mystérieuse différence : tout s'est accompli à Bethléem, dans le secret de la relation entre Dieu et Marie. De même qu'aucun témoin n’assista et ne témoigna, dans les Ecritures, sur le moment précis de la Résurrection[460] du Christ ; il n’existe pas de témoignage scripturaire sur le moment même de l'enfantement de Jésus, notamment, sa mise au monde qui fut une naissance virginale.

En Occident, la réflexion sur la maternité virginale de Marie permit à chaque génération chrétienne d'offrir une réponse à cette interrogation qui parcourt d'un bout à l'autre l'Evangile : Qui est Jésus ?

Il est vraiment le Fils de Dieu, le Fils de l'homme, né du Père avant tous les siècles, né de la femme à la plénitude des temps. (Ga 4, 4)

C'est à partir de la Lumière qui provient du Verbe préexistant et éternel, source de vie et d'incorruptibilité que l'on peut comprendre la nécessité et le don de la Virginité de la Mère.

En Orient, la doctrine de la maternité virginale de la «Mère de Dieu» est également considérée par l'Eglise comme faisant partie de son enseignement. C'est à saint Ambroise, que l’on doit son assise théologique définitive en la croyance en la Virginité de Marie. C’est alors qu’apparut le titre marial de «Aeiparthenos, » la Toujours Vierge, chez les Pères et dans la liturgie. Ainsi, durant la Via Crucis du Colisée, le Vendredi saint 1994, Bartholomé I évoquait ce mystère contemplant Jésus crucifié :

En ce jour, lui, le seul Vivant - Je suis la Résurrection et la Vie -, qui sans la déchirer naquit de la Vierge, connaît un déchirement au-delà de toute mesure humaine.

Cette évocation sans détour de la naissance virginale respecte la pure tradition orthodoxe qui voit dans ce mystère éclatant de la foi l'opération de la grâce irrésistible de Dieu - et elle seule - dans l'Incarnation, par le consensus humble mais conscient et libre de la Vierge Marie. Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon ta parole. (Lc 1, 38)

La naissance virginale est le moment clef dans l'incarnation du Logos. La patristique et l'hymnographie orthodoxes ont vu et chanté là le paradoxe comme étant la norme et l'acte cohérent de Dieu se révélant lui-même, en tant qu'Un et Trine, dans le temps, au delà de la rationalisation et de l'intervention humaine[461].

Tout est centré sur l'acte créateur de Dieu et non point centré sur l'homme. Ce dernier n'est pas moins important. Toute sa collaboration en Marie est de se laisser aimer de cette plénitude d'amour de Dieu reçue au-delà de l'imaginable et du concevable. Marie s'est laissée aimer pleinement par Dieu, dans une obéissance et un abandon qui restaurent la relation de l'humanité avec Dieu. Elle est cette nouvelle Eve avec qui désormais, la communion est rétablie entre Dieu et l'homme. Tout ceci est rendu possible par la seule grâce de Dieu, associé au oui conscient d'une femme... Un oui qui est lui-même une grâce. Il est la pure grâce qui répond à la grâce[462].

C'est pourquoi, dans une perspective de foi, à la suite des Pères d’Orient et d’Occident, une attitude spirituelle - c'est-à-dire une décision du cœur - est requise, pour s'approcher du mystère de la virginité féconde de Marie : dans la sphère de la prière, vivre un profond sens de vénération face à l'action libre et souveraine de Dieu.

La virginité post partum peut se déduire indirectement, mais avec certitude, des données évangéliques. Mais avant d’examiner ces preuves, il convient d’expliquer certains termes du Nouveau Testament qui, séparés de leur contexte, ou interprétés, non en fonction de la langue hébraïque, mais d’après nos langues classiques, semblent peu en harmonie avec la croyance à la virginité perpétuelle.

Saint Luc, racontant la naissance de Jésus, s’exprime ainsi : «Et Marie mit au monde son Fils premier-né (Lc 2, 7).» Premier-né : donc d’autres fils lui naquirent après Jésus. – Nullement : dans l’Ecriture Sainte, les mots «fils premier-né» désignent un fils né avant tout autre ; il ne suppose pas nécessairement que d’autres enfants soient nés après lui. Ces mots, en effet, sont pris du texte de Moïse qui prescrit que tout fils premier-né soit présenté au Seigneur quarante jours après sa naissance. Or quarante jours après la naissance d’un enfant, il est impossible de savoir si d’autres enfants vont naître encore après. Donc premier-né ne peut vouloir dire que né avant tout autre. Et c’est précisément dans ce sens que saint Luc emploie cette expression dans le texte cité, car son intention est de préparer le lecteur à la présentation de Jésus au temple conformément à la loi de Moïse sur les premiers-nés.

Saint Matthieu rapporte que Marie se trouva enceinte avant qu’elle et Joseph eussent été ensemble. Donc ils furent ensemble après qu’elle eut mis au monde Jésus. Plus loin, il fait la remarque que Joseph ne connut point Marie jusqu’à ce qu’elle eût enfanté son fils (Lc 1, 18, 25). Par conséquent il la connut après son enfantement. Ici également, l’écriture veut simplement exprimer ce qui eut lieu avant la naissance de Jésus. Ce qui arriva après, elle ne s’en occupe pas, parce que cela est en dehors de sa perspective. De même, quand nous affirmons que, depuis sa conception jusqu’à sa mort, Marie ne commit jamais la moindre imperfection ; ou que son corps fut réuni à son âme avant que la corruption du tombeau le touchât, nous ne voulons pas insinuer, qu’elle commit des imperfections après sa mort ou que la corruption toucha son corps après qu’il fut réuni à son âme. []

Une autre expression qui peut, de prime abord, paraître plus déconcertante, c’est celle des frères et sœurs du Seigneur, que nous rencontrons plusieurs fois dans le Nouveau Testament. Mais cette expression, pas plus que les autres, ne peut servir d’argument sérieux contre la virginité perpétuelle de Marie. En effet, les mots «frères» et «sœurs» sont employés très librement en hébreu pour désigner non seulement des enfants des mêmes père et mère, mais toute espèce de proche : neveu ou nièce, oncle ou tante, beau-frère ou belle-sœur, cousin ou cousine, etc. car les mots précis destinés à désigner ces différents degrés de parenté manquent dans la langue hébraïque.

Ces diverses expressions sont donc de nulle valeur contre l’affirmation de la virginité post partum. Du reste, comme il a été dit plus haut, d’autres textes permettent de l’établir d’une façon convaincante[463].

Il ne s’en tient pas aux seules reprises de la polémique de son époque. Il nous explique le sens de l’expression les «frères du Seigneur» par un travail synoptique sur ces quatre Evangiles démontrant qu’il s’agit bien des cousins du Seigneur[464]. Pour la progression de notre étude, nous retiendrons d’autres arguments qui concernent précisément la virginité de Marie.

Preuves de la virginité post partum : Jésus seul donné comme Fils de Marie. En premier lieu, le Nouveau Testament, qui donne souvent Jésus comme Fils de Marie, en termes formels ou équivalents, (Mc 6, 3 ; Mt 1, 16, 21 ; 2, 11, 20, 21 ; Lc 1, 31, 35 ; 2, 7, 48, etc.) n’applique ce nom qu’à lui seul. Jamais il n’appelle de la sorte les frères du Seigneur. Dans saint Marc, les Nazaréens demandent : «Celui-ci n’est-il pas le fils de Marie ?» Ils ne disent pas : n’est-il fils de Marie ? mais, «le fils de Marie», comme s’ils ne connaissaient pas d’autres fils de Marie. Le texte est d’autant plus significatif qu’en grec l’article défini ne se met devant un substantif attribut que pour exprimer que celui-ci présente quelque chose d’unique en son genre[465].

Le témoignage de Marie. - Du reste, le témoignage de Marie elle-même nous est garant de sa perpétuelle virginité. A l’ange qui lui annonce qu’elle sera mère du Messie, elle objecte sa résolution de rester vierge : «Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ?» Elle ne donne son consentement qu’après avoir appris comment, par un miracle, Dieu conservera sa virginité intacte. Or, si elle avait résolu de rester vierge avant même de devenir Mère de Dieu, est-il concevable qu’elle eût violé sa résolution après que Dieu, par un miracle si surprenant, eut consacré sa virginité et choisi sa chair pour devenir la chair très pure du verbe incarné[466] ?

Cette interprétation mérite d’être reprise dans une relecture plus vaste que les seules données du passage de l’Annonciation rapportant le dialogue de Marie avec l’ange. Elle pourrait nous priver d’un ensemble de cohérences, offert par l’Ecriture.

 

III.2.2 Appuis de la Tradition

Les Pères conscients de l'unité profonde entre les différentes phases de l'unique Révélation, n'ont pas hésité à appliquer à la Vierge, Mère de l'Emmanuel (Is 7, 14 ; Mt 1, 23), les symboles les plus marquants de l'Ancien Testament, en référence aux grands miracles tels que : le passage de la Mer Rouge (Ex 14), le buisson ardent qui brûle et ne se consume pas (Ex 3), ou la toison de Gédéon sur laquelle tombe la rosée de façon miraculeuse (Jg 6, 36-40). Tous ces miracles révèlent le rapport de l'ordre transcendant, avec ce qui relève de l'ordre des choses créées. Et les Pères montrent par ce contact que l'ordre créé est transfiguré, sublimé et soumis à d'autres lois que celles qui le régissent ordinairement dans un monde déchu du fait du péché (Gn 3, 15 et ss). Ces miracles sont donc des annonces du renouvellement eschatologique futur de la nature, tout comme le miracle de la virginité inviolée de Marie lors de l'enfantement du Verbe divin. Les miracles de l'Ancien Testament sont considérés par la liturgie et les Pères, à juste titre, comme des préfigurations de ce dernier.

Dans la liturgie, nous retrouvons en Orient et en Occident, pour contempler ce mystère, cette richesse des signes ou symboles de l'Ancien Testament : l'Arche d'Alliance, le Tabernacle, le Temple du Seigneur etc…

Dans les premiers siècles, parmi les odes de Salomon, l'ode XIX 6-11 célèbre la maternité virginale de Marie en antithèse avec les douleurs de l'enfantement annoncées à Eve (Gn 3, 16). De fait, la naissance de Jésus, sans douleur pour Marie, est aussi prodigieuse que sa conception. Mais ce qui ne signifie pas du tout que Marie ne fit l'expérience de la souffrance durant tout son «pèlerinage de foi», sa vie durant, comme l’explicite le pape Jean-Paul II dans l'encyclique Redemptoris Mater, reprenant Lumen Gentium 58. C'est pourquoi, comme croyants, il nous revient d’approfondir le mystère et sa révélation, avec un esprit de foi éclairée et d'adoration du Seigneur. Ainsi nous découvrons en plénitude toute l'harmonie et les rapports réciproques entre les différents articles de foi du Credo ; ceci, sous la mouvance de l'Esprit Saint qui «scrute toute chose jusqu'à la profondeur même de Dieu.» (1 Co 2, 10) Nous serons certainement fortifiés dans notre vie spirituelle, avec Marie tout particulièrement.

Les différents thèmes que nous venons d’énoncer n’apparaissent pas tous dans l’étude de notre jeune théologien. Emile Neubert affirme dans sa thèse que :

Tous les Docètes, quelles que fussent leurs théories spéciales, rejetaient l’humanité du Sauveur afin de mieux garantir sa divinité. Leurs adversaires, en maintenant l’humanité de Jésus, avaient à montrer qu’ils ne sacrifiaient pas pour cela sa divinité. Or, la solution du problème se trouvait dans la naissance surnaturelle. […] Ainsi il se faisait que tous les défenseurs de la christologie traditionnelle sentaient instinctivement le besoin d’affirmer la virginité de Marie en même temps que sa maternité.[467].

La virginité de Marie fut un argument central dans les premières querelles christologiques. Notre auteur, dans la progression de sa thèse de doctorat, l’étudie avant le thème de la maternité divine, sous le titre Conception virginale. Plus tard, dans l’ouvrage Marie dans le dogme, ce sujet de la conception virginale est abordé après celui de la maternité divine.

Il développe systématiquement les trois moments de la virginité de la Mère de Dieu dont les deux derniers firent l’objet d’un approfondissement ultérieur à celui du mystère de sa maternité Divine. Les trois moments de la virginité de Marie (ante partum, in partu et post partum) sont cependant bien élaborés dans Marie dans l’Eglise anténicéenne. L’ante partum apparaît dans la première partie de la thèse intitulée Marie dans le dogme, les deux autres in partu[468] et post partum sont présentés dans la seconde partie de la thèse intitulée Marie dans la piété, plus précisément dans le chapitre Virginité perpétuelle[469]. Ils sont reçus dans la lumière de la Tradition[470], ils s’appuient sur une révélation peut-être explicite[471] pour l’aspect in partu, et connue des premiers chrétiens pour l’aspect post partum[472]. L’aspect ante partum, pris en compte dans le symbole, s’appuie par contre sur une révélation explicite. Nous venons d’en présenter les commentaires bibliques.

Dans la prise en compte de chaque moment, l’auteur s’attache surtout à la signification du fait[473] en s’appuyant conjointement sur la vérité dans la Révélation et la Tradition. Son approfondissement spirituel tient compte des cohérences liées étroitement à l’harmonie du message évangélique. Cette harmonie s’appuie sur la divinité du Christ d’une part, réalité centrale, et la sainteté unique de Marie d’autre part[474].

La conclusion de toute son étude est la suivante : la négation de l’origine miraculeuse de Jésus n’était pas une erreur solitaire, elle va de pair avec la négation de sa divinité.

Face aux hérésiarques qui nient la fonction maternelle de Marie et mettent en discussion sa virginité, il nous fait remarquer, en s’appuyant sur Matthieu et Luc ou sur l’article du symbole Natus ex Maria Virgine, que la virginité de Marie était toujours mentionnée en même temps que sa maternité[475]. Surtout, elle était mentionnée à cause même de sa maternité. Il fallait montrer aux docètes que la virginité de Marie ne portait aucun préjudice à la vérité de sa maternité qui n’était pas qu’apparente, car pour mieux garantir sa divinité, ils rejetaient l’humanité de Jésus. La réponse à cette erreur se trouvait dans la naissance surnaturelle :

Si Jésus était homme, parce que vraiment né, il était cependant plus qu’un simple homme parce que né d’une Vierge et non à la façon des autres hommes… Tous les défenseurs de la christologie traditionnelle sentaient instinctivement le besoin d’affirmer la virginité de Marie en même temps que sa maternité[476].

Dans cette perspective, les Pères qu’il étudie sont : Ignace, Justin, Irénée[477], Tertullien[478], Hippolyte, Origène. Dans Marie dans le dogme, plus tard, il résume la position de la Tradition jusqu’en 350 en nous disant que la croyance en la virginité perpétuelle de Marie semble avoir été à peu près constante depuis les origines.

Nous avons rapporté plus haut, avec lui, que pour Ignace deux moments surtout de la vie de Jésus étaient décisifs : sa naissance de la Vierge et sa Passion[479]. Saint Ignace considère la Passion du Christ sous l’angle de sa valeur rédemptrice essentiellement.

Justin, l’auteur du Dialogue avec le juif Tryphon, croit nécessaire de défendre d’une manière particulière la naissance virginale, ce qui permet à Emile Neubert de déployer une solide structure argumentaire pour établir sa thèse[480].

Des affirmations de Justin par rapport aux croyances des chrétiens de son milieu soulignent l’importance du dogme de la conception virginale qui ressort sans qu’il l’ait créé, même s’il est original dans le souci de le prouver. C’est parce qu’il en a compris toute la profondeur et l’éminence, qu’il s’est donné tant de peine pour l’établir[481] :

Enfin, une dernière preuve de la naissance virginale, c’est qu’à la place d’Eve, la première vierge, cause de la perte de la mort des hommes, devait se mettre Marie, la nouvelle Vierge, qui nous apportait la rédemption et la vie[482].

Il consacre un chapitre entier de sa thèse à Marie : la Nouvelle Eve. Dans celui-ci seront repris des éléments reçus d’Irénée, l’évêque de Lyon. Il est à souligner qu’il fut assez critique sur l’agencement des idées d’Irénée ; il retiendra de lui le thème de la mission du Sauveur qu’il développe dans le chapitre sur la coopération de Marie à la Rédemption[483].

La naissance virginale, pour Tertullien, pour saint Justin et saint Irénée, est la figure de la Rédemption que le Christ nous apporte et qui éclaire la condition de sa divinité[484]. Tertullien réfute la virginité de Marie in partu.

Il en va de même d’Origène avec cette précision que nous donne Emile Neubert :

Il avait toujours admis le principe que «le corps élu pour servir le Verbe divin devait rester pur et vierge jusqu’à la fin[485]» et c’est là en somme l’affirmation religieuse contenue dans la croyance en l’enfantement virginal ; mais il ne voyait pas d’abord que ce principe postulât aussi la virginité in partu. On pourrait donc résumer la pensée d’Origène sur la virginité in partu en disant, suivant la terminologie scolastique, que s’il la nia quelque temps - matériellement -, il la professa formellement[486].

Grégoire le Thaumaturge est aussi présenté pour son long développement à propos de l’enfantement virginal[487] :

En ce grand jour, Dieu est né d’une Vierge ; il est au-dessus du mariage et exempt de la corruption. Il convenait en effet que le docteur de la chasteté fît éclater sa gloire en sortant d’un sein pur et immaculé… Les juifs ont l’habitude de demander aux gentils si le Christ est Dieu. Répondons-leur donc clairement : le Christ est Dieu de par sa nature, et il est devenu homme en prenant une autre nature. Voilà ce que nous affirmons et croyons véritablement, en invoquant comme témoins les sceaux d’une virginité, afin qu’il soit constant que Dieu est tout-puissant ; car créateur du sein, inventeur et prédicateur de la virginité, il a choisi un mode de naissance sans tache, et il est devenu homme comme il l’a voulu […] Qu’est-ce que la Vierge a enfanté en réalité ? Le Seigneur de la nature corporelle […] La Vierge a enfanté non comme elle-même l’a voulu, mais comme l’a voulu Celui qui devait être enfanté[488].

Il relève que chez Grégoire la comparaison avec la génération éternelle du Verbe lui fournit un nouvel argument, et régule les termes qu’il convient d’adopter pour commenter un tel mystère :

Né du Père, ineffable en sa personne et dans son être, aujourd’hui il naît pour nous d’une manière ineffable et inscrutable ; jadis, il est né selon son essence, sans être séparé du Père ; aujourd’hui il naît de la Vierge pour notre salut, mais non selon sa nature […] De même que dans la première naissance, le blasphème ne trouve pas de place, car il est né sans division et sans séparation, restant indivis et inséparable du Père, de même dans la seconde naissance l’impiété ne trouve pas de place, car il est né sans corruption : pur il conserve pure sa Mère. […] Taisons-nous et honorons par notre silence la puissance digne de vénération, de peur que, nous écartant de ce qui convient, nous ne soyons privés des dons célestes[489].

Mais il prend soin de préciser que si la conception virginale est devenue le critère de la croyance en la divinité du Christ, en cette première période de l’Eglise, il n’en demeure pas moins vrai que cette conception, outre sa valeur apologétique, avait une valeur propre : elle constituait un grand moment de la vie du Sauveur[490].

Bientôt le mot «vierge» devint comme le nom propre de la Mère de Jésus, et fut employé plus souvent que son nom de Marie[491].

En résumé, la question de la virginité perpétuelle de Marie a été résolue dans le sens affirmatif par tous les chrétiens ecclésiastiques des trois premiers siècles - à l’exclusion de Tertullien - chez lesquels nous la voyons se poser ; et si l’on observe que ni Clément d’Alexandrie, ni Origène, ni Eusèbe, n’ont l’air de se douter qu’elle ait jamais reçu une autre solution dans l’Eglise, on peut en conclure que leur opinion est l’opinion de la tradition catholique jusqu’à eux[492].

Notre auteur reprit toutes les péripéties des recherches qui entourèrent cette période, par honnêteté intellectuelle. Il en conclut toutefois que nous devons essentiellement à saint Jérôme la résolution de tous les débats, au point d’arriver à mettre en évidence, et la virginité de Marie et celle de Joseph[493] :

Désormais, aucun catholique ne se permettra plus de mettre en doute la virginité avant, dans et après l’enfantement de celle que, depuis saint Athanase au moins, on aimera à invoquer sous le nom d’Aeiparthenos, la Toujours-Vierge. Les trois moments de la virginité de Marie se trouvent définis dans le décret du Concile de Trente contre les Unitariens[494].

 

III.2.2. Marie dans le symbole

Nous savons que la naissance véritable et miraculeuse du Christ était devenue l’un des dogmes fondamentaux des défenseurs de la saine doctrine. L’existence d’un symbole romain dès le deuxième siècle ne fait pas de doute, comportant la mention de la conception virginale Natus ex Maria.

Dès leur initiation à la foi chrétienne, les catéchumènes apprenaient à connaître ce privilège de la Mère du Christ en apprenant à réciter le symbole. Car ce dernier, sous ses diverses formes suivant les diverses Eglises, contenait invariablement l’article «Je crois en Jésus-Christ, né de Marie la Vierge.» Bientôt le nom «Vierge» devint comme le nom propre de la Mère de Jésus, et fut employé plus souvent que son nom de Marie[495].

Après une étude comparative dans sa thèse, il conclut :

Ainsi, en Orient comme en Occident, aussi haut qu’il est possible de remonter, la croyance relative à la Vierge, Mère du Fils de Dieu, constituait un des principaux dogmes de la foi chrétienne, un de ceux que tous les fidèles devaient connaître explicitement[496].

 

III.2.3 Développements théologiques

L’étude d’Emile Neubert met bien en évidenc: les problématiques suscitées par la question posée sur la virginité de Marie et «les harmonies» selon son expression, qui contribuent à recevoir ce message à chaque phase :

Dieu ne pouvait naître que d’une vierge, et d’une vierge ne pouvait naître qu’un Dieu[497].

Il ajoute aussitôt :

Théoriquement, Dieu eût pu naître d’un père et d’une mère selon son humanité, on ne voit pas ce qui eût empêché le Tout-Puissant de contracter une union hypostatique avec une nature humaine ainsi formée. Mais pratiquement, sans son origine virginale, la divinité de Jésus eût grandement risqué de n’être pas reconnue. L’histoire des hérétiques, depuis les Ebionites du Ier siècle jusqu’aux modernistes du XXe siècle, montre que tous les adversaires de la virginité de Marie ont été également les adversaires de la divinité de Jésus, et que tous ceux qui se sont attachés à maintenir la virginité de Marie, l’ont fait principalement parce qu’ils sentaient qu’en la défendant, ils défendaient la divinité du Fils. La corrélation entre la virginité de Marie et la divinité de Jésus n’est peut-être pas strictement logique, mais elle est profondément psychologique[498].

Il présente la pureté comme nouvel argument, cet attribut divin proclame son origine virginale. Certes, il reconnaît la possibilité d’une pureté matrimoniale, mais la pureté virginale brille d’un éclat céleste. C’est elle que propose Jésus à travers l’idéal de la chasteté absolue. Dans cette optique la Mère de Jésus demeure «supérieure à toutes les créatures, car sans la conception virginale, elle eut été inférieure, sur le terrain de la pureté, aux vierges chrétiennes.» C’est dans cette logique, que le lien s’établit entre la virginité de Marie et sa Maternité spirituelle ; c’est la raison pour laquelle, elle est le recours dans les - tentations impures - de ceux qui veulent entrer dans la ressemblance avec Dieu[499].

La virginité, dans l’enfantement, consacre et montre, d’une certaine manière, le prix que Dieu attache à la virginité qui du côté de Jésus convenait mieux à sa divinité et à sa pureté infinie et, «du côté de Marie, était plus digne d’une Mère de Dieu, d’une femme appelée à être la créature supérieure à toutes les autres créatures, de la Femme appelée à être l’idéal de la pureté et la protectrice de ses enfants dans leurs tentations et dans leurs luttes[500]

La virginité, après l’enfantement, approfondit ces arguments qui développent précisément la question de la dignité de Jésus et de Marie. Ils affirment selon Emile Neubert «la doctrine de Jésus relative à la supériorité de la virginité sur le mariage.» En conclusion, on peut dire : que la sainteté unique de Marie exige aussi cette pureté unique pour «la Vierge des vierges», car elle est liée à sa vocation de «Mère de Dieu et Mère d’une multitude d’enfants de Dieu[501]

En reprenant le Catéchisme de l'Eglise Catholique, il faut reconnaître que les récits évangéliques comprennent la conception virginale de Jésus comme une œuvre divine qui dépasse toute compréhension et toute possibilité humaine. «Ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit Saint» dit l'ange à Joseph au sujet de Marie sa fiancée. (Mt 1, 20)

Cet événement qui fut objet de moqueries et d'oppositions ne peut être porteur de sens, que dans un acte de foi qui l'accueille dans l'ensemble des mystères du Christ : de son Incarnation à sa Pâque.

Dans la cohérence des mystères, il nous faut accueillir ce que nous avons parfois appelé rapidement des arguments de convenance.

L'Eglise, en approfondissant sa foi en la maternité virginale, confesse aussi la virginité réelle et perpétuelle de Marie dans l'enfantement du Fils de Dieu fait homme. En effet, la naissance du Christ n'a pas «diminué mais consacré l'intégrité virginale de Marie.» (Lumen Gentium 65)

C'est l'Esprit Saint qui inspire cette nouveauté, car c'est Lui le grand artisan de l'Incarnation.

Le regard de foi, poursuit le Catéchisme (n° 502), peut découvrir en lien avec l'ensemble de la révélation, les raisons pour lesquelles Dieu, dans son dessein salvifique a voulu que son Fils naisse d'une vierge. Ces raisons touchent aussi bien la personne et la mission rédemptrice du Christ que l'accueil de cette mission par Marie pour tous les hommes.

La virginité de Marie manifeste l'initiative absolue de Dieu dans l'incarnation. Jésus n'a que Dieu pour Père. Il est le nouvel Adam qui inaugure la nouvelle création. Car, selon Irénée, lorsqu'il s'est incarné et s'est fait homme, (le Christ) a récapitulé en lui-même, la longue histoire des hommes, et nous a procuré le salut en raccourci[502].

La virginité de Marie est signe surtout de sa foi intacte et du don de soi sans partage à l’œuvre de Dieu en elle et dans le monde.

Maintenir l'enfantement virginal de Jésus n'est donc pas forcer le sens et la réalité de l'événement, mais croire que cette œuvre divine d'amour de l'Esprit Saint en Marie dépasse ce que l'homme peut comprendre et concevoir, ou même imaginer. Irénée comme nous l’a démontré Emile Neubert nous a donné des réflexions magnifiques dans la contemplation de ce mystère.

Le rapport important qui fut établi entre le début et la fin de la vie terrestre du Christ, c'est-à-dire entre la conception virginale et la Résurrection des morts, met bien en évidence deux vérités qui, reliées ensemble, nous conduisent à la foi en la divinité du Christ. Elles appartiennent en effet au dépôt de la foi et sont professées par toute l'Eglise dans l'énoncé du Symbole des Apôtres. L'histoire de l'Eglise démontre qu'un doute ou une incertitude sur l'une se répercute inévitablement sur l'autre ; mais qu'au contraire, l'humble et forte adhésion à l'une favorise le plein accueil de l'autre. Irénée disait concernant le Christ : «Si quelqu'un n'accepte pas sa naissance virginale d'une vierge, comment acceptera-t-il sa résurrection d'entre les morts[503] ?»

Et après lui, plusieurs Pères établissent un parallèle entre la génération du Christ de la Vierge restée intacte et sa Résurrection hors du sépulcre intact. Ils témoignent de leur conviction qu'entre les deux événements salvifiques - la conception et naissance du Christ et sa résurrection d'entre les morts - il existe un lien intrinsèque qui répond à un plan précis de Dieu. Un lien que l'Eglise, guidée par l'Esprit Saint, a découvert et non point créé. (Cf. Les bandelettes du nourrisson de Bethléem avec les bandelettes du sépulcre, telles que l’icône de la nativité de Roublev nous transmet.)

L'Eglise, dans sa méditation théologique sur le mystère du Christ, parcourut souvent, avec beaucoup d'amour, le chemin qui, du jardin du calvaire (Jn 19, 41 ; 20, 15), conduit à la crèche de Bethlehem. Et dans la liturgie, elle a toujours célébré Noël en fonction de la Pâques. De même, en célébrant la Pâques, elle faisait mémoire de Noël. L'Eglise reconnaît en Marie le témoin exceptionnel de l'identité de l'Enfant né de sa chair virginale et du crucifié rené du sépulcre scellé.

Emile Neubert qui travailla les textes des Eglises issues de la Réforme aurait pu aussi trouver l’un ou l’autre argument, amplifiant sa démonstration. Il était sans doute trop tôt à son époque d’élaborer une réflexion théologique en lien avec les chrétiens issus de la Réforme.

 

III.3 La sainteté de Marie

Dans la thèse d’Emile Neubert, l’étude sur la sainteté de Marie arrive très logiquement après celle de la virginité perpétuelle, dans sa seconde partie consacrée à Marie dans la piété.

Nous suivrons cette indication dans notre étude, en abordant, à la fin de ce chapitre, le thème de l’Immaculée Conception.

Nous respecterons aussi la démarche partant de l’Ecriture et de la Tradition pour arriver aux commentaires théologiques, sans ignorer que l’approche scripturaire est une relecture d’Emile Neubert, avec tout un travail d’interprétation qui lui est propre.

 

III.3.1 Appuis bibliques

Emile Neubert précise :

Bien que saint Luc ne vise directement qu’à établir la naissance virginale de Jésus, il esquisse cependant en passant quelques traits de la physionomie morale et religieuse de Marie. Ce qui frappe d’abord chez elle, après la pureté qui s’effarouche des propositions de l’ange et que l’Esprit Saint viendra consacrer par la toute-puissance divine, c’est sa profonde humilité. Avec l’ange, chez Elisabeth, devant Siméon, et plus tard dans la réunion des docteurs au temple, c’est toujours la même attitude de réserve et de modestie. Cependant cette humilité n’est pas de l’inconscience : c’est après avoir entendu l’ange lui révéler la gloire de celui qui allait naître d’elle, qu’elle s’appelle la Servante du Seigneur, et après avoir été saluée si respectueusement comme Mère du Seigneur par Elisabeth, qu’elle proclame que Dieu a regardé sa bassesse ; elle sait même que sa gloire se répandra parmi toutes les générations, mais elle sait en même temps que c’est le Seigneur qui a fait ces grandes choses en elle, lui qui abaisse les puissants et exalte les petits. Un autre trait de sa physionomie, c’est son désir de se conformer au dessein de Dieu : dès qu’elle sait ce que Dieu demande d’elle, elle n’a plus qu’un mot à dire : «Voici la Servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole[504]

« Heureuse celle qui a cru que s’accomplirait ce qui lui a été dit de la part du Seigneur. » (Lc 1, 45)

Elisabeth relève en outre sa foi : de fait, si l’on remarque que les deux récits racontant la venue de Gabriel chez Zacharie et chez Marie se correspondent proposition pour proposition et presque mot pour mot, l’adhésion simple de la Vierge à la parole divine qui lui annonce le plus inouï des miracles, opposée à l’incrédulité du prêtre devant une promesse que Dieu avait faite à plusieurs personnages de l’Ancien Testament, apparaît manifestement comme un acte de foi[505]

Marie nous introduit dans ce climat d’humilité à travers son Magnificat[506] :

Toujours la même simplicité sublime : Dieu seul. De lui seul, tout lui vient ; et à lui seul elle tend. Comme devant l’archange, elle reste l’humble servante du Seigneur. […] Mais immédiatement d’elle-même, elle a passé à Dieu, et bien vite elle va s’oublier pour ne penser qu’à lui, puisque aussi bien il ne s’agit que de lui. La conduite qu’il vient de tenir à l’égard de sa servante, c’est sa conduite générale à l’égard des hommes. Il est toujours plein de miséricorde envers les pauvres, les petits et les faibles comme elle, tandis qu’il se montre terrible envers les orgueilleux et les satisfaits de ce monde. Ces pensées, elle va les exprimer dans une suite de citations des psaumes et du cantique d’Anne[507].

Dans ce même mouvement du chapitre 1 de Luc, il interprète la prière d’action de grâce de Zacharie après son doute[508] dans le prolongement de celle de Marie :

Le Benedictus commençait par où le Magnificat se terminait. Le vieux prêtre chantait plus les merveilles opérées pour et par Marie que son propre bonheur. Puis Zacharie se tourna un instant vers son fils, pour décrire son rôle auprès de ce Messie. [...] Et de nouveau, pour finir, il revint au Fils de Marie[509].

III.3.2 Appuis de la Tradition

Il reprend des éléments du protévangile dans un esprit critique qui met en relief, à la suite de saint Luc, la pureté de Marie (en vue de défendre la conception virginale de Jésus), et surtout son humilité, quitte à faire de Marie «une personne inconsciente.» Ce qu’il précise :

Le narrateur (du protévangile) était incapable de faire une analyse psychologique ; mais son talent nous importe moins que ses intentions, et celles-ci ne laissent aucun doute : il voulait représenter la Vierge comme un modèle de perfection, il voulait glorifier Marie afin de glorifier Jésus qui avait eu une telle mère[510].

A partir du troisième siècle, la parfaite sainteté de Marie était reconnue par tous. A la mention de Marie, les ajouts sont systématiques de «sainte », «pure », «immaculée» […]

La sainteté de Marie nous apparaît dans les documents de cette période, comme une extension de sa virginité. Cela était naturel : du moment qu’on considérait Marie comme un instrument matériel de l’Incarnation, sa virginité ne désignait plus seulement la pureté de son corps, mais la pureté de toute sa personne ; aussi est-ce beaucoup plus à côté du mot Vierge qu’à côté du mot Marie qu’on rencontrera l’épithète de - sainte -[511].

La première vertu que signale Justin qui sera reprise par Irénée est la foi de Marie, opposant sa conduite en face de l’ange, à la désobéissance d’Eve. Ce thème essentiel sera repris sans cesse par les Pères, les Docteurs et les Mystiques, au Concile Vatican II (Lumen Gentium 8) et dans d’autres documents pontificaux postérieurs ; l’encyclique Redemptoris Mater de Jean-Paul II, notamment.

Pour saint Hippolyte, le principe de la sainteté de Marie est sa mission de Mère du Sauveur.

C’est afin que Jésus fût sans tache, qu’il a tiré son humanité d’une Vierge pure […] D’après sa sotériologie, non seulement la Vierge était la Mère du Sauveur, mais son sein était le lieu même où le nouvel Adam était venu racheter le premier Adam[512] […]

«Le Verbe de Dieu étant sans chair, revêtit la sainte chair prise dans la sainte Vierge, ainsi qu’un fiancé revêt son vêtement.» Cette épithète «sainte» restera désormais accolé au mot Vierge, elle se rencontrera là même où il n’y a pas lieu de parler de la sainteté de Marie. Le but direct d’Hippolyte était de démontrer l’impeccabilité de Jésus ; mais son raisonnement suppose qu’à ses yeux, la Vierge […] est elle-même toute pure[513].

Origène « parle de l’empressement de Marie à rendre visite à Elisabeth pour sanctifier Jean et ses parents, et c’est cette humilité qui lui vaut les grandes choses que le Tout-Puissant a faites en elle. » Puis il attribue à Marie toutes les vertus, en faisant d’elle le modèle des femmes. Mais sa relecture pleine de piété ne se contentait pas de ces vertus humaines et divines ; elle y ajoutait la science approfondie de la Loi et la connaissance de toutes les prédications des prophètes acquises dans une méditation quotidienne.

Origène voit en Marie la femme idéale après l’Annonciation. Il la regarde comme la première des vierges parmi les femmes, de même que Jésus était le premier modèle de la vie de pureté parfaite parmi les hommes. Pour lui, l’exercice de toutes les vertus était lié à la pratique de la virginité[514].

Voulant préserver sa théorie sur l’universalité de la Rédemption, il comprend l’annonce du glaive de douleur, prophétisé par Siméon, dans le sens de l’infidélité et du doute qui ont atteint Marie au moment de la Passion. Cette opinion sera atténuée par la suite; il précisera que les hésitations de Marie n’ont duré qu’un instant[515].

Le cas d’Origène n’est pas isolé dans l’Eglise d’Orient dans les premiers siècles. Bien que le peuple fidèle ait cru à l’impeccabilité de la Mère de Dieu, certains Pères comme saint Basile, saint Cyrille d’Alexandrie, saint Jean Chrysostome… - se crurent obligés d’admettre au moins une faute en Marie, pour garantir que Jésus était mort aussi pour elle ; il leur paraissait plausible qu’elle ait pu au moins pécher une fois. Mais, conclut Emile Neubert :

Sous l’influence d’une intelligence plus nette des exigences de la maternité divine et d’une piété toujours plus ardente envers «la Toujours Vierge», les Pères grecs comme le peuple fidèle finirent par exalter, et cela avec une profusion de titres et de comparaisons, l’absolue pureté de Marie[516].

Il en est de même dans l’Eglise d’Occident, avec notamment saint Ambroise qui présente Marie comme le modèle incomparable de toutes les vertus et saint Augustin, défenseur de l’absolue absence de péché en Marie que requièrent les exigences de la piété filiale de Jésus[517].

Seule note discordante : Tertullien interprète la parole de Jésus «Quelle est ma mère et quels sont mes frères ?», comme un blâme de l’incrédulité de Marie par son propre Fils. Il compare Marie et les frères de Jésus à la synagogue et aux juifs incrédules, qui restent en dehors de l’action évangélique, elle-même prolongée par la nouvelle Mère : l’Eglise. Selon Emile Neubert, cette dissonance d’accord dans la symphonie des textes de ceux qui précèdent Tertullien s’explique, par le fait que Tertullien projette sur Dieu son propre tempérament irritable et intraitable, il s’appuie sur sa formation de légiste[518].

La sainteté de Marie que des auteurs du troisième siècle nomment la Vierge Immaculée[519] appartient de fait, au profil de sa mission première qui est celle d’être la Mère du Sauveur. C’est bien à ce titre de Mère du Sauveur que Marie coopère à l’œuvre de la Rédemption, par un rôle unique. Ce que les Pères et auteurs anciens ont approfondi dès le départ.

 

III.3.3 Développements théologiques

Nous sommes conduits par Emile Neubert à contempler la sainteté de la Vierge Marie, en vue de l’imiter, même si sa sainteté unique est l’objet de développements théologiques et spirituels qui lui sont réservés en propre. Quatre axes sont donnés dans Marie dans le dogme qui seront repris dans tout le corpus «neubertien» : - Exemption de toute faute, - Plénitude de grâce, - Vertus morales, - Croissance et perfection finale de la vie surnaturelle de Marie.

III.3.3.1 Exemption de toute faute

Il reprend la croyance universelle de l’Eglise pour qui Marie ne commit aucun péché ni mortel ni véniel. A cela, s’ajoute la certitude qu’aucune imperfection ni volontaire ni involontaire n’a altéré le parcours sans faute de la Mère de Dieu. Après avoir fait la comparaison avec Zacharie, il met en valeur l’acte de foi de Marie, cette même foi par laquelle elle se tint debout au pied de la Croix, alors que les apôtres fuirent.

Le retour à l’argument de la pureté du corps de Marie nous renvoie par ce moyen au «signe de la pureté plus grande et s’il le fallait plus miraculeuse encore en son âme[520].» Cette «matérialisation» d’une réalité spirituelle qui traduit l’intimité de la décision libre de la Vierge Marie peut recevoir aujourd’hui une audience renforcée par les travaux de recherche en sciences humaines sur la corporéité comme lieu d’expression de la mémoire du sujet avec ses choix et ses dons.

Nous avons vu par ses recherches patristiques comment en Orient et en Occident, le peuple fidèle a toujours cru à la parfaite impeccabilité de la Mère de Dieu. Même si certains Pères se crurent obligés d’admettre au moins une faute pour Marie, ceci en vue de préserver l’idée que «si Marie n’avait pas commis de péché, Jésus n’était pas mort pour elle[521]

Trois facteurs contribuèrent à cette impeccabilité : l’exemption de la concupiscence, (évacuant toute tentation), associée à la pensée constante de Dieu et accompagnée de grâces particulières :

Dieu remplit l’âme de Marie d’une surabondance de lumière et de force, qui la rendait presque incapable de jamais commettre la moindre imperfection […] Les grâces de lumière faisaient voir à Marie que tout vrai bien et tout vrai bonheur ne peuvent se trouver qu’en Dieu […] A la volonté de Marie, les grâces de force donnaient une rectitude absolue et inébranlable[522].

Enfin, l’absence de toute imperfection en Marie, dans la logique de ces développements, est prophétisée par l’Esprit Saint en ces termes du Cantique des cantiques (Ct 4, 7) qu’il mentionne (exceptionnellement dans toute son œuvre) :

«Vous êtes toute belle, ma bien-aimée, vous êtes toute belle.»

Pour mieux saisir l’enjeu de cette affirmation de l’exemption de toute faute en Marie, nous reprendrons le développement théologique de l’Immaculée Conception. Il nous renvoie au début de la grâce en Marie, au moment même où elle fut créée par Dieu dans le sein de sa mère. La Conception de Marie nous introduit dans le thème de la plénitude de grâces sans laquelle rien ne s’explique en elle ni de sa sainteté, ni de son impeccabilité.

 

III.3.3.2 Plénitude de grâce

La plénitude de grâces en Marie n’est pas la même qu’en Jésus. Jésus est la source première de toutes grâces. «De sa plénitude, nous avons tous reçu (Jn 1, 16)», Marie comme nous. L’union hypostatique rend la plénitude complète dès le premier moment et sans augmentation possible. En Marie, elle était limitée et donc, susceptible d’accroissement. L’âme de Marie était comme un vase qui se dilaterait indéfiniment à mesure qu’on le remplirait[523].

En reprenant le terme kekaritoménè en grec, Emile Neubert voit en la traduction latine Ave, gratia plena, un travail d’interprétation sur la plénitude de grâces qui ne se rencontre pas explicitement dans la révélation évangélique. Sa traduction du participe parfait employé par l’évangéliste «fondée ou établie en grâces» ne vaut que comme indication de la surabondance de grâces qui remplissait l’âme de Marie[524]. Le Père Lagrange n’allait pas non plus outre cette interprétation qui a pu l’informer, il releva son commentaire par cette précision : «Marie est l’objet des complaisances de Dieu, ce que les théologiens entendent d’une grâce sanctifiante extraordinaire, quoique encore susceptible d’accroissement[525]

Les affirmations de plus en plus nettes, selon lui, dans l’église latine, aboutirent aux enseignements de la bulle Ineffabilis Deus (1854) proclamant le dogme de l’Immaculée Conception, même si la croyance en la plénitude de grâces en Marie ne fut pas formellement définie[526].

En précisant les nuances entre les grâces actuelles (de l’ordre du secours transitoire) et les grâces habituelles (de l’ordre d’une participation de la nature divine), il nous fait contempler deux moments de l’existence terrestre de Marie : celui de son Immaculée Conception et celui de la plénitude de grâces dans l’Incarnation, au point que Marie par la maternité divine «touchait à l’union hypostatique.»

Nous retrouvons les arguments signalés plus haut dans notre étude sur la participation de Marie qui donne au Verbe de Dieu son humanité, et par laquelle il nous mérite la grâce. Dans cette contemplation, il nous fait entrevoir ce lien entre la source de la grâce qu’est le Christ et sa Mère, lien que nous pourrions résumer dans son esprit en disant selon les termes de Denise Capelli : « Marie n’est pas la source, mais à la source[527] .»

On n’a donc exprimé qu’un aspect secondaire de la plénitude de grâce en la Vierge dans l’Incarnation en assimilant l’œuvre du Verbe s’incarnant en elle à celle d’une communion de neuf mois : la communion met en nous la source de toute grâce ; Marie fournissait le terrain d’où cette source allait jaillir ; elle n’était pas seulement bénéficiaire, elle devenait «Mère de la divine grâce.»

Et dès lors, s’établit entre Jésus et elle un échange ineffable : Marie donnait à Jésus son humanité, Jésus donnait à Marie une participation toujours croissante à sa divinité ; la substance de Marie façonnait et nourrissait la substance de Jésus, l’amour de Jésus formait et élevait à sa ressemblance l’amour de Marie ; le sang de Marie circulait dans le corps de Jésus, la grâce de Jésus circulait dans l’âme de Marie ; la Mère faisait vivre le Fils de sa vie à elle, le Fils faisait vivre la Mère de sa vie à lui[528].

Comme le Verbe fait homme, le Père enrichissait sans mesure l’âme de celle qui, en ce moment, partageait avec lui l’honneur d’engendrer un même fils. Car pour ce Fils, en qui il «mettait toutes ses complaisances», elle devait aussi partager son amour. Et pour qu’elle pût partager un tel amour, il lui donnait une grâce proportionnée, c’est-à-dire sans limite, comme cet amour.

De même le Saint-Esprit, en accomplissant en Marie et par Marie le chef-d’œuvre de sa charité, apportait à son épouse une dot digne de lui-même et digne de celui dont il la rendait Mère.

Ainsi toute la Sainte Trinité s’occupait à se surpasser elle-même dans la munificence des mystères de grâce et d’amour qu’elle accomplissait à cette heure divine[529].

Dans cette méditation sur les relations nécessaires de Marie avec chacune des trois Personnes Divines, il nous offre une application de ce que le Catéchisme de l’Eglise Catholique enseigne : «Le mystère de la Très Sainte Trinité est le mystère central de la foi et de la vie chrétienne. Il s’agit du mystère de Dieu en lui-même. C’est donc la source de tous les mystères de la foi, la lumière qui les illumine[530].» Il donne ainsi, partant de ce mystère central, une force et une pertinence à sa vision mariale, en faisant découvrir Dieu-Trinité comme source et but ultime de notre vocation baptismale. Marie, comme «Mère de la divine grâce» devient par la volonté divine qui lui confie cette mission : «le terrain d’où la source allait jaillir.»

 

III.3.3.3 Les vertus de Marie

Emile Neubert aborde dans sa méditation sur les vertus de Marie la question de «la coopération de la volonté humaine avec la grâce divine.» Un thème qui revient dans tout le corpus et qui nous fait approfondir tour à tour les vertus théologales : la foi, l’espérance, la charité et les vertus cardinales : la prudence, la justice, la tempérance, la force. En chacune des vertus étudiées, nous découvrons combien Marie est un modèle pour nous, à partir de toutes les données évangéliques où Marie est présente. Grâce à elles, nous découvrons mieux le profil spirituel de Marie, par la vertu de religion, avec ses différentes composantes : adoration, reconnaissance, réparation, prière de demande, culte extérieur, don de piété, esprit de recueillement et d’oraison, vertu de force, pureté, humilité, simplicité. Il n’en reste pas à cette énumération systématique comme un - catalogue des vertus morales -, mais il nous invite à une attitude d’âme qui «contemple, admire, aime et s’efforce d’imiter», reprenant ainsi la démarche de Guillaume-Joseph Chaminade.

L’intérêt de son approche est la mise en valeur de ce qu’il nomme «la disposition intérieure de Marie par rapport au bien». Cette mise en relief de la vertu en soi qui consiste, bien au-delà des actes extérieurs, à développer cette disposition intérieure à l’affût, pourrait-on dire, du bien à faire, corrige une erreur. Celle qui consiste à juger et apprécier la personne sur le côté plutôt extérieur. En effet, le même geste dans un homme imparfait ou un juste se différencie par la qualité de la disposition intérieure qui le sous-tend. C’est ainsi qu’en fin psychologue, il met en évidence en Marie cette capacité de s’investir dans les plus petits actes de la vie quotidienne dans une perfection d’amour vue de Dieu seul, ce que nous pourrions résumer d’après les termes de Denise Capelli : «Faire toute chose avec beaucoup d’amour.»[531] Les ouvrages de vulgarisation vérifient à souhait cette recherche incessante qui fut la sienne, de nous stimuler dans la vertu avec comme modèle Marie. Cest à partir de son intériorité que nous sommes renvoyés à la nôtre et à notre capacité de collaborer à la grâce.

A propos des vertus de Marie, son christocentrisme s’affirme une fois de plus en nous invitant à «étudier Marie à travers Jésus». La clef de compréhension est cette similitude dans leur humanité entre la Mère et le Fils, au point que se vérifie le dicton : «telle mère tel fils.» En nous montrant que toutes les dispositions de l’âme de Jésus se retrouvaient en Marie, « plus que dans aucune autre créature, » il lui est facile d’inviter ses lecteurs à imiter Jésus et Marie, sans oublier cependant la différence entre les deux :

En Jésus, il n’y eut ni foi, mais vision ; ni espérance, mais possession. Pour ces deux vertus, c’est Marie et non Jésus notre grand modèle. Il en est de même du progrès dans la charité : il y eut progrès ininterrompu en Marie, mais non en Jésus, dont la charité fut parfaite dès le premier moment de l’Incarnation[532].

Notons que pour la foi de Marie, il insiste sur la part d’obscurité nécessaire qui accompagne la part de lumière permettant à l’intelligence d’adhérer à la vérité divine. L’obscurité de la foi de Marie rend son adhésion plus méritoire, et la rapproche de notre condition de croyant. Les différents passages évangéliques classiquement repris dans l’argumentation du thème de la foi de Marie sont repris par lui depuis l’Annonciation jusqu’à la résurrection en passant par Cana et la Croix : «Bienheureuse celle qui croyait, car en moins de trois jours, elle allait voir l’accomplissement des choses qui lui avaient été dites de la part du Seigneur[533]

L’espérance de Marie aussi est un modèle pour nous. Il nous décrit cette vertu chez elle, pour qui malgré tant de prophéties au sujet de son Fils, tant d’évènements déconcertants se succédèrent aboutissant à la condamnation; comme un démenti éclatant à toutes ces prédictions.

Marie centre son espérance sur le monde à sauver, c’est là sa collaboration unique comme mère de tous les hommes : «Que de fois, il lui fallut espérer contre toute espérance[534]

A propos de l’amour de charité, en s’inspirant de saint Jean, il n’hésite pas à écrire :

(Comme) parfaite image de Dieu, Marie est amour : tout en elle s’explique par l’amour ou se ramène à l’amour. Chacun de ses actes fut un acte d’amour ; chacune de ses vertus fut un aspect de son amour[535]

Il conclut :

Si Marie se révélait à nous, nous sentons que nous ne serions pas effrayés. Elle ne nous dirait pas : «Je suis celle qui est assise à la droite du Fils de Dieu» ; elle nous rappellerait que, néant par elle-même comme nous, elle ne vient à nous que pour nous conduire à celui qui est infiniment bon envers les petits et les humbles, comme il l’a été envers elle-même. Combien elle est plus Mère parce qu’elle est si simple[536] !

Son approche, considérée du point de vue des privilèges de Marie, peut paraître aujourd’hui traditionnelle si nous tenons compte de l’insistance du Concile sur Marie, figure de l’Eglise[537]. Il nous la présente en un modèle accompli de toutes les vertus du chrétien[538]. Toute cette dimension de Marie, figure de l’Eglise, est tue par Emile Neubert. Il s’attache à nous faire découvrir en elle, la Mère qui nous communique les vertus, surtout l’esprit de la vie intérieure qui les sous-tend et qui renforce notre relation dans l’amour envers Dieu et le prochain. En ce sens, les vertus de Marie nous sont présentées comme un modèle, riche de repères. Ils rendent plus accessible l’intégration des commandements divins. Ce lien entre la loi de Dieu et les vertus de Marie offre une approche des mœurs chrétiennes, avec sa connotation morale, qui se met à notre portée, ce qu’il résume en ces termes :

Contentons-nous ici de jeter un regard sur la manifestation essentielle de cet amour, c’est-à-dire sur la conformité de Marie à la volonté de Dieu[539].

 

III.3.3.4 Croissance et perfection finale de la vie surnaturelle de Marie

Emile Neubert nous décrit ce qu’est le développement de la grâce en Marie et les merveilles qu’elle produit. Sa description s’inserre dans l’unité de toute la personne de Marie. Nous faisons le choix de respecter cette progression de la pensée et de son unité pour revenir sur la question particulière de sa grâce initiale avec le thème de l’Immaculée Conception que nous réservons pour la suite de notre étude.

Le but qu’il poursuit est d’attirer le regard sur l’ensemble de la vie surnaturelle de Marie afin que nous la rejoignions en ce que nous avons de commun avec elle : la croissance jusqu’à la perfection finale.

La première idée, celle de croissance, doit être précisée pour éviter une erreur qui consisterait à l’assimiler à la croissance d’une fortune ou d’un bien matériel[540]. «Croître surnaturellement» signifie non pas accumuler mais entrer dans la profondeur de la relation avec Dieu comme «une indéfinie puissance, de comprendre, de vouloir et d’aimer[541]

Les «facteurs de cette croissance» nous renvoient aux exigences de fidélité à la grâce dans l’accomplissement du devoir d’état qui comportent une «exécution constante et amoureuse de la volonté de Dieu» jusqu’à la «perfection dans l’accomplissement de ses actions.» Pour Marie, cette perfection connaît aussi une croissance. En Marie aucune recherche de soi et aucune entrave à sa liberté par une sensibilité déréglée. Les expériences des saints (François de Sales, Thérèse de l’Enfant Jésus et Gemma Galgani) donnent à la réflexion d’Emile Neubert des appuis pour découvrir davantage jusqu’où peut aller cette union à Dieu au niveau des facultés et ceci, non seulement dans un état d’éveil mais jusqu’en la période du sommeil : «Ainsi sa liberté était totale, libérée de toute entrave et son amour toujours aussi intense que Dieu l’attendait d’elle[542]

Après avoir défini la nature et la vie surnaturelle de la Vierge, et identifié les facteurs de croissance par la perfection de ses actes, il complète par les grâc es sacramentelles et les grâces qui lui sont propres..

Il suppose, qu’elle reçut le Pain de Vie chaque jour à Jérusalem, bénéficiant de cette Communion «comme une transfusion de sang qui donne à l’âme une nouvelle participation à la vie de Dieu.»

Les «grâces propres à la Mère de la grâce» sont en lien avec sa double maternité puisque Dieu accorde toujours les grâces adaptées aux missions qu’il nous confie. Ces grâces sont reçues plus abondantes selon notre fidélité à les recevoir et les développer. «Mère de Dieu» et «Mère des hommes», Marie reçoit les grâces liées à cette double fonction jusqu’à mériter et distribuer les grâces reçues. Cette maternité spirituelle que nous étudierons plus loin renvoie aux notions de coopération et de mission apostolique de Marie. Un enseignement classique que nous retrouvons sous la plume de nombreux auteurs qui lui sont contemporains et qui ont reçu une formation thomiste, tel le Père Garrigou-Lagrange[543].

Il décrit Marie par une contemplation sur la grandeur de son mérite. Il nous fait découvrir les conditions parfaites lui permettant de participer au triomphe de la Rédemption. Il conclut par ce point d’orgue :

Et Dieu créât-il tous les mondes possibles, peuplés d’incomparablement plus d’êtres incomparablement plus parfaits que nous, jamais ces mondes ne pourraient lui offrir le spectacle d’autant d’amour et de perfection ni autant de sujet de complaisance qu’il en trouve dans sa bienheureuse Mère.

Fecit mihi magna qui potens est,

Et sanctum nomen ejus[544] !

 

III.3.4 L’Immaculée Conception

Dans le chapitre sur la sainteté de Marie, il aborde logiquement le thème de l’Immaculée Conception dans son commentaire sur la plénitude de grâces en Marie et les débats autour de cette question :

Dés son Immaculée Conception, Marie est préparée par Dieu à sa future dignité de Mère de Dieu, dignité qui, même dans sa préparation, l’emporte sur la dignité finale de tout serviteur, si élevé que soit son rang. Or, dans les œuvres de Dieu, la grâce répond à la vocation. En outre, Dieu aimait dès lors sa future Mère plus que n’importe quel serviteur, et il donne des grâces suivant la proportion de son amour[545].

Finalement c’est dans une Bulle Ineffabilis Deus qu’il termine :

Bien plus que tous les esprits angéliques et l’universalité des saints, Dieu combla Marie de l’abondance de toutes les faveurs célestes… Et cela d’une manière si merveilleuse qu’il y eut en elle une plénitude d’innocence et de sainteté telle qu’on n’en conçoit en aucune façon une plus grande au-dessous de Dieu et que nulle pensée, hormis celle de Dieu, ne peut y atteindre[546].

Il réserva tout un chapitre sur ce thème. Il convient de rappeler les axes dans l’ouvrage Marie dans le dogme : Les Privilèges de Marie, Les Fonctions de Marie.

Il serait utile d’introduire les règles de discernement qui prévalent, selon notre auteur, aux définitions dogmatiques récentes. Nous pourrons alors mieux apprécier ce qu’il nous dit à propos de l’Immaculée Conception, dans un premier temps, puis sur l’Assomption.

 

III.3.4.1 Les définitions dogmatiques récentes : règles de discernement

L’appui scripturaire n’est pas évident dans une première lecture pour les deux dernières définitions dogmatiques. Il s’en explique, à l’occasion de la publication d’un ouvrage «De la découverte progressive des grandeurs de Marie, application au dogme de l’Assomption» qui sera d’une grande utilité. Il intègre mieux les règles de discernement pour sa réflexion sur les prérogatives de Marie. Ceci a pour but de mettre en garde certains chercheurs qui pourraient travailler en vain sur des arguments théologiques, exégétiques ou historiques de « valeur nulle ou très faible. » Face aux preuves caduques et aux incertitudes qui ont pu être vulgarisées dans certains ouvrages de mariologie, le livre De la découverte progressive des grandeurs de Marie, application au dogme de l’Assomption nous offre de précieux repères. Il nous montre comment :

Le peuple fidèle, en contemplant d’une vue d’ensemble la figure de la Vierge telle qu’elle lui apparaissait dans l’Evangile, devina peu à peu, sous la direction de l’Esprit Saint, ce que l’amour filial de Jésus a fait pour sa Mère, et comment il a voulu partager avec elle ses fonctions et ses privilèges, dans la mesure où, pure créature et femme, elle était capable d’y participer[547].

La certitude, que le peuple chrétien ne se trompe pas dans cette prise de conscience progressive des vérités révélées, provient de trois garanties d’infaillibilité : le sentiment unanime des fidèles, l’enseignement ordinaire des pasteurs de l’Eglise ou bien du magistère ordinaire, des définitions solennelles du magistère extraordinaire. Quelle est l’origine de cette prise de conscience de la force régulatrice du peuple chrétien quant aux différents développements des vérités et des dogmes mariaux ? C’est la volonté même de Dieu qui attire l’attention des fidèles sur le contenu des diverses vérités de la foi. Les facteurs qui interviennent dans cette prise de conscience sont : la vie spirituelle des fidèles, les expressions de dévotion du peuple chrétien, (cathédrales, pèlerinages, congrès mariaux, lieux d’apparitions…) S’y ajoute le développement progressif de certaines vérités mariales ainsi que les oppositions rencontrées contre ces mêmes vérités et enfin, les études systématiques.

Dans ce contexte, le théologien a la charge non pas de découvrir les vérités mariales, mais d’en élaborer la doctrine, de mettre en relief les relations de réciprocité des vérités entre elles, de les apprécier avec largesse d’esprit, avec amour de la vérité, avec humilité, dans une intime union avec Dieu. Il en fera l’exposition ordonnée, il les défendra et établira la démonstration[548].

Là encore, la double source de l’Ecriture et des Pères lui donne l’appui nécessaire pour s’expliquer sur sa démarche théologique.

L’introduction de l’édition Marie dans le dogme, de 1954, évoque, dès le départ, le propre témoignage de Marie pour ce qui la concerne :

«Voici que toutes les générations me diront bienheureuse parce que le Puissant a fait pour moi de grandes choses». Et que complète le témoignage d’Elisabeth devant sa cousine saluée comme «Mère de son Seigneur.» (Lc 1, 43, 48-49)

Puis il s’appuie sur les paroles de Jésus, annonçant la venue de l’Esprit de vérité :

J’ai encore bien des choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les comprendre à présent. Mais quand il sera venu, lui l’Esprit de vérité, il vous guidera vers la vérité toute entière ; il ne parlera pas de lui-même, mais tout ce qu’il entend, il le dira, et il vous fera connaître les choses à venir. Celui-là me glorifiera, parce qu’il prendra du mien et vous l’annoncera. (Jn 16, 12-14.)

La question est posée : de quelle façon l’Esprit Saint amène-t-il l’Eglise à «tirer de son trésor» à côté des «choses anciennes» sur la Mère de Jésus, ces «choses nouvelles» (Mt 13, 52) qu’elle lui reconnaît dans le cours des temps ?

La réponse est trouvée grâce au peuple de Dieu et, non pas du côté des théologiens, dans la mesure où les fidèles, par les dons d’intelligence et de sagesse, développent leur intuition dans leurs âmes humbles et aimantes à la lumière des vérités surnaturelles.

Emile Neubert accorde une importance particulière au peuple de Dieu dans toute son œuvre. C’est pour lui un des grands critères de discernement. Il nous le rappelle dans l’ouvrage : «la découverte progressive des grandeurs de Marie.»

Quelques témoignages d’auteurs anciens le conduisent sur cette voie, tel saint Pierre Canisius :

Il présente un bon résumé des preuves traditionnelles, dont plusieurs sont caduques, et il souligne deux autres vérités très importantes, à savoir la valeur de la croyance universelle et la croissance des vérités révélées.

Les enseignements que nous livre l'Eglise, écrit-il, ne sont pas tous de la même catégorie. Il y a les dogmes tout à fait explicites et arrêtés, qu'on ne peut rejeter sous peine d'hérésie. Il y a aussi les vérités acceptées par le consentement tacite des fidèles et corroborées par la pratique séculaire de l'Eglise qui ont obtenu force de loi, au point que seul un auteur téméraire puisse se permettre de les contredire. De plus, parmi les objets du culte public, il en est qui s'imposent d'autant plus à notre croyance pieuse et raisonnable que les docteurs mettent plus de zèle à les couvrir de leur autorité, les fidèles plus d'empressement à les accepter[549].

Si les théologiens veulent découvrir les prérogatives de Marie, ils doivent adopter le point de vue du peuple fidèle ; s’ils veulent simplement en faire une synthèse, ils peuvent partir de la maternité divine. Cependant la mariologie n’est pas un royaume indépendant du royaume de la christologie : elle en est une province, et c’est cela qui lui confère son charme et sa fécondité[550].

L’importance accordée au peuple de Dieu[551] dans tout le corpus “neubertien” rejoint d’une manière originale l’esprit des affirmations du Concile Vatican II, dans sa constitution Lumen Gentium. Il a le mérite de faire valoir cette mission des baptisés sous l’angle de l’enseignement dogmatique. Guidé par l’Esprit Saint, le peuple de Dieu reçoit la mission d’accueillir le dépôt de la foi et de toute sa vérité. La piété populaire peut être remise en honneur dans ce contexte comme un élément décisif de discernement pour le développement du dogme marial. Cette expression n’est pas au goût du jour dans le contexte de la recherche théologique qui a suivi le Concile Vatican II, plus soucieuse et à juste titre, de dialogue œcuménique, garde sa pertinence. La distance de plusieurs siècles est nécessaire pour offrir un terme final aux recherches dogmatiques qui ne sont pas apparues mûres dans un premier temps pour des définitions à portée universelle. L’histoire des dernières définitions des dogmes mariaux justifie un accroissement d’humilité sur cette question. Elle nous aide à ne pas conclure trop hâtivement sur des dossiers de discussion théologique que la piété populaire n’a pas fermée pour autant.

Depuis 1903 […] Le problème du développement progressif des grandeurs de la Vierge m’a vivement intéressé. On parlait alors beaucoup, de «l’évolution du dogme» […] Mais sous quelles influences naturelles et surnaturelles ce développement se produisait-il[552] ?

Il n’ignore pas la difficulté soulevée par ses interrogations. Un siècle après la parution de sa thèse (publiée en 1907), nous pouvons relire cette remarque toute d’actualité qu’il fit dans son introduction à De la découverte progressive des grandeurs de Marie :

Pendant des siècles, le peuple fidèle a professé des vérités mariales qu’il s’était contenté de contempler, d’admirer et de vivre. Puis des théologiens commencèrent à s’en occuper, dont plusieurs d’entre eux, et non des moindres, se mirent d’abord à les combattre en s’appuyant sur certains textes. Heureusement, d’autres théologiens vinrent, qui montrèrent l’inanité des objections des premiers et la croyance traditionnelle triompha[553].

Les prérogatives esquissées sont alors énumérées : l’Immaculée Conception, l’impeccabilité, l’exemption de la concupiscence, la maternité spirituelle, la médiation, (corédemption et distribution de toutes les grâces), la royauté, la mission apostolique, l’Assomption corporelle[554]. Et il affirme avec clarté que :

S’il y a ressemblance entre les grandeurs de Marie et celles de Jésus, il n’y a pas identité. Et ce n'est pas seulement en ce que le Christ tient ses prérogatives de sa nature même de Fils de Dieu incarné, tandis que Marie n'a reçu les siennes que par une grâce gratuite de Dieu, mais même dans leur mode et leur perfection. (Le sens chrétien) sait que Marie n'est qu'une créature dépendante en tout du Christ, qu'elle est une femme, une mère, et que sa grâce est adaptée à sa nature et à sa fonction à elle. Dieu a fait le Christ pour lui-même, il a fait Marie pour le Christ. Il a constitué le Christ notre unique Rédempteur. Marie ne peut racheter qu'en union avec le Christ, et a besoin d'être, elle-même, rachetée par lui. Le Christ est notre avocat nécessaire auprès du Père ; Marie est notre avocate auprès du Christ et par le Christ. Et ainsi de tous les autres privilèges de la Vierge.

Nous avons largement évoqué ce christocentrisme qui imprègne tout le corpus «neubertien». Les précautions théologiques avec lesquelles il aborde les privilèges de Marie nous renvoient au chapitre De Beata de la constitution Lumen Gentium, qui se préoccupe du dialogue avec les frères issus d’autres confessions chrétiennes. Il voit le point précis avec exactitude à partir duquel se noue la différence fondamentale entre le Christ qui est Dieu fait homme et Marie qui est humaine. Il utilise le langage et les catégories de son temps qui nous renvoient aux notions d’analogie, tout en maintenant la distinction :

Le caractère unique et incommunicable des prérogatives conférées à l'humanité du Christ par son union hypostatique avec la divinité a été et est encore pour certains théologiens le grand motif de refuser des prérogatives semblables à Marie - son Immaculée Conception dans le passé ; sa médiation, sa corédemption, à l’heure actuelle. Si l'on voulait reconnaître ces prérogatives sous une forme identique au Christ et pour Marie, on proférerait des blasphèmes. Mais nul catholique ne songe à une chose pareille. On les attribue à la Vierge seulement sous une forme analogue ; on reconnaît des prérogatives inférieures à celles du Christ, dépendantes de lui, elles en découlent […]. Il me semble qu'on pourrait formuler le sentiment chrétien à cet égard comme suit :

Aux divers privilèges de l'humanité de Jésus correspondent en Marie des privilèges analogues, suivant la manière et la mesure que comporte la différence entre sa condition et celle de son Fils[555].

Formule audacieuse et bienvenue en même temps, dans la mesure où elle oblige le théologien à reprendre dans une dynamique vivante et plus unifiée le lien qui unit le nouvel Adam à la nouvelle Eve. Héritée des premiers Pères, cette approche aurait pu constituer un heureux rebondissement dans la recherche théologique d’Emile Neubert qui, sans l’ignorer, ne l’a cependant pas exploitée. Il fait plutôt évoluer la réflexion dogmatique sur la hiérarchie des vérités situées dans un ensemble.

Il n’est pas indifférent qu’on place la maternité spirituelle immédiatement après la maternité divine, ou vers la fin du traité de ses privilèges, comme corollaire de quelque privilège précédent. Je confesse avoir commis cette erreur dans la première édition de Marie dans le dogme. On se fera une idée toute différente de l’importance de la mission corédemptrice de Marie et de sa signification exacte, suivant qu’on la place avant les fonctions qui en découlent - distribution de toutes les grâces, royauté, mission apostolique, - ou qu’on la range au hasard entre sa virginité et sa plénitude de grâces[556].

Son souci n’est pas seulement de fournir les preuves d’un privilège, mais de montrer la place de celui-ci dans l’ensemble du mystère de Marie[557].

Nous ajoutons à cet élément le souci constant chez lui de faire valoir le lien qui nous unit à Marie, par sa maternité spirituelle, sa médiation universelle, ainsi que sa mission apostolique. La différence de présentation selon les éditions successives de Marie dans le dogme, de 1933 et 1954, met en relief le rôle singulier de Marie auprès du Christ, et dans le Corps Mystique qu’elle entraîne tout entier dans sa mission apostolique et sur lequel elle exerce une Royauté. La maternité de Marie qui regarde le  « plus grand Christ » intègre à la fois les mystères de sa maternité divine et de sa médiation universelle qui comprend deux aspects que nous étudierons avec lui : la corédemption et la distribution des grâces par Marie. C’est pourquoi nous étudierons la maternité de Marie après la coopération de Marie et avant celui de la mission de Marie.

Avec Gerson (+ 1429), il affirme une autre vérité importante : les progrès réalisés par l’Eglise dans l’histoire des dogmes ne fut possible que par l’action de l’Esprit Saint :

Dans un sermon sur la Conception de la Bienheureuse Vierge Marie, Gerson déclare[558] :

L’Esprit Saint révèle quelquefois à l’Eglise, ou aux docteurs d’un âge postérieur, quelques virtualités ou explications de l’Ecriture Sainte qu’il n’a pas révélées à leurs prédécesseurs […] Nous pouvons dire que l’immunité du péché originel en Marie est une de ces vérités qui ont été nouvellement révélées ou nouvellement déclarées par la majeure partie de l’Eglise qui la professe. Ainsi, il fut un temps où l’on n’affirmait pas aussi généralement qu’on le fait maintenant la présence de Marie au ciel en corps et en âme[559].

Et, notre auteur d’ajouter avec l’apport de Suarez (+1617) :

Pour qu’une telle définition soit possible, il suffit que, du consentement croissant de l’Eglise, dont le Saint-Esprit use souvent pour expliciter la Tradition ou le sens de l’Ecriture, une vérité surnaturelle soit implicitement contenue dans la Tradition ou dans l’Ecriture. Que ce consentement devienne unanime et, l’Eglise pourra lancer sa définition qui prendra pour nous la force d’une révélation, à cause de l’Assistance infaillible de l’Esprit Saint[560].

En fait, la solution, en vue d’une rencontre entre la pensée théologique d’Emile Neubert au début du siècle dernier, et celle du début de notre siècle, se trouve dans la voie tracée par le Concile Vatican II. Cette orientation n’est pas nouvelle : elle est déjà présente dans la Tradition, car tout ce qui est dit de Marie peut être dit de l’Eglise en général et de chaque âme en particulier.

A la règle d’or, ce que le Christ est par nature, Marie l’est par grâce nous pourrions ajouter : «ainsi que chaque âme de fidèle baptisé en particulier.»

Dans ce cas, le rapport dans le couple Jésus Marie n’est plus alors approfondi dans l’unique relation filiale qui domine dans toute son œuvre, mais dans la dimension sponsale et mystique de cette relation qui peut être déployée dans la perspective du double rapport dans le couple Jésus Eglise et dans celui Jésus le baptisé. Mais cette dimension sponsale est quasi-absente, en dehors de la relation filiale qui unit Jésus à Marie. Cette absence aurait pu être évitée puisque qu’il avait intégré comme nous l’avons signalé l’approche de la nouvelle Eve et du nouvel Adam par saint Irénée. Par contre, son innovation du discours théologique sur l’importance accordée au peuple de Dieu[561] et ses conséquences dans l’évolution dogmatique est à signaler, en parfaite unité toujours, avec l’esprit de l’Evangile et des auteurs anciens[562].

III.3.4.1 Le dogme de l’Immaculée Conception

Les critères de jugements qu’Emile Neubert énumère se vérifient avec l’Immaculée Conception :

Le théologien doit juger de la vérité de la doctrine et de son expression. La vérité d’une doctrine religieuse consiste dans le fait de sa révélation divine.

Pour s’assurer de ce fait, le théologien consultera l’Ecriture Sainte, afin d’y trouver, soit une affirmation explicite ou équivalente, soit - et nous avons vu que c’est généralement le cas pour les prérogatives mariales - un ensemble d’affirmations sur Notre Seigneur et sa Mère et sur les vérités connexes, d’où telle prérogative paraît découler[563].

Dans le cas précis de l’Immaculée Conception, les «indications scripturaires», comme il les nomme, sont essentiellement liées au profil de Jésus.

L’Ecriture ne parle pas directement de l’absence en Marie de péché, soit originel, soit actuel. Mais sa seule qualité de Mère de Dieu ne l’impliquait-elle pas déjà pour les fidèles des premières générations[564] ?

L’argumentation utilisée oblige à revenir essentiellement à la cohérence du message. L’Ecriture nous aide à comprendre ce que par leur piété, les fidèles expriment de leur foi, guidés qu’ils sont par l’Esprit Saint.

Voici le commentaire par Emile Neubert du livre de la Genèse (Gn 3, 14-15) :

Dieu dit au serpent : «Je mettrai des inimitiés entre toi et la femme, entre sa postérité et la tienne ; elle t’écrasera la tête». Cette prophétie montre d’une part, Satan et ses suppôts ; de l’autre, Marie et Jésus. La femme apparaît non d’abord du côté de Satan, et ensuite de son Fils, mais franchement du côté de Jésus, opposée à Satan et à sa race, et donc comme n’ayant jamais été sous son empire. En résumé, la Révélation nous laisse deviner en Marie une créature toute pure, d’une pureté parfaite afin qu’elle soit une digne Mère de Dieu ; d’une pureté exceptionnelle, comme sont exceptionnelles sa vocation et ses grâces ; d’une pureté constante qui s’étend à toute sa vie[565].

Il ne nous propose aucun développement exégétique personnel pour nous aider à comprendre la signification, pour l’Eglise, de l’Immaculée Conception, si ce n’est un exposé très bien fourni des différentes approches d’Orient et d’Occident jusqu’à la définition du 8 décembre 1854 par le bienheureux pape Pie IX.

Dans les méandres de la progression d’une résolution théologique, il fait apparaître la figure de Duns Scot avec son célèbre argument : «cela convenait, Dieu le pouvait, donc il l’a fait.» Selon lui, Duns Scot démontra qu’il convenait au Christ de préserver sa Mère de la tache du péché et qu’il pouvait la préserver, n’osa se prononcer. Ce que firent à sa place ses disciples[566].

Au niveau du langage, le terme «pureté» vient en récurrence en rapprochement avec celui de la «virginité» de Marie et en opposition au terme de «tache» pour désigner le péché.

En introduction sur cette thématique de l’Immaculée Conception, il nous précise ce qu’elle n’est pas, à cause des confusions, aujourd’hui encore, rencontrées parmi les chrétiens :

Pour certains, l’Immaculée Conception est la conception virginale de Jésus par Marie. D’autres y voient l’affirmation que Marie fut conçue de sainte Anne et du Saint-Esprit, comme Jésus fut conçu de Marie et de l’Esprit Divin. Il va sans dire que pareille doctrine est réprouvée par l’Eglise […] L’intelligence de l’Immaculée Conception présuppose la connaissance de deux affirmations de foi : celle de la justice originelle et celle du péché originel.

L’argumentation qui va suivre et que nous reproduisons partiellement est une catéchèse, déjà bien présente dans la mouvance du catéchisme issu du Concile de Trente et que saint Louis-Marie Grignion de Montfort exposait déjà largement dans ses missions et par écrit :

La justice originelle consistait dans la rectitude et l’harmonie de toutes les puissances de l’homme. Elle comprenait tout d’abord et principalement la soumission de sa raison et de sa volonté à Dieu par la grâce sanctifiante. Au don de la grâce sanctifiante en étaient ajoutés d’autres ; non seulement les vertus dites infuses et les sept dons du Saint-Esprit, qui accompagnent toujours l’état de grâce et nous sont donnés en vue de l’exercice de notre vie surnaturelle, mais des dons particuliers destinés à perfectionner la nature humaine elle-même, ce qu’on appelle en théologie les dons d’intégrité

En péchant, Adam perdit la justice originelle. Sa raison et sa volonté libre se révoltèrent contre Dieu. Mais en même temps, ses facultés inférieures se révoltèrent contre sa raison et sa volonté et le corps cessa d’être l’instrument docile de l’âme. De là ce qu’on appelle les «blessures du péché originel», à savoir : l’ignorance dans l’esprit, la faiblesse dans la volonté, le désordre ou concupiscence dans les facultés inférieures, les souffrances et la mort pour le corps. Ces blessures n’étaient pas le péché proprement dit, mais seulement son côté matériel et ses conséquences : le péché lui-même consistait dans la perte volontaire de l’amitié de Dieu.

Adam, ayant perdu la justice originelle, ne pouvait plus la transmettre à ses descendants, pas plus qu’un roi qui a perdu son royaume ne peut le léguer à ses fils. Par conséquent, tous les hommes naissent dans l’état dans lequel se trouvait Adam après son péché avec cette différence qu’Adam y était par sa faute personnelle, tandis que nous y sommes par la faute d’Adam : Tel un roi qui perd son royaume par sa propre faute, alors que ses enfants s’en trouvent dépossédés par la faute de leur père […]

Or, l’Immaculée Conception de Marie consiste essentiellement dans son exemption du péché originel. Marie ne fut jamais dans cet état d’inimitié passive à l’égard de Dieu dans lequel se trouvent tous les hommes avant leur baptême. Dès le premier moment de son existence, son âme fut ornée de la grâce sanctifiante qui en faisait l’enfant chérie de Dieu[567].

L’intérêt pour notre étude, du développement de cette thématique de l’Immaculée Conception par Emile Neubert, tient en sa reprise, vue sous l’angle de ce privilège fondamental et de toutes les autres prérogatives de Marie, dont la toute première est la Maternité Divine. Il nous rappelle à ce propos que Marie étant créée pour être Mère de Dieu, sa maternité divine est donc antérieure - d’une antériorité de vocation - à sa condition de fille d’Eve. Par conséquent, elle devait être immaculée comme Mère de Dieu et non souillée comme fille d’Eve[568].

Cette recherche de mise en valeur des harmonies entre l’Immaculée Conception et les autres privilèges de Marie ajoute à la connaissance de ce dogme une richesse d’enseignement qui permet notamment de rejoindre l’expression populaire. Il est à souligner la facilité qu’il met à utiliser la métaphore sur un sujet si délicat :

D’après la loi antique, tous les enfants d’esclave naissent esclaves de droit. Un bienfaiteur peut les libérer en payant leur rançon à mesure qu’ils naissent. Il peut aussi payer le prix de l’un d’eux avant même que celui-ci soit conçu. Dans ce cas, cet enfant aurait dû être esclave de droit mais ne l’a jamais été de fait. Nous sommes libérés de l’esclavage du démon et du péché d’après la première manière, au saint baptême. Marie l’a été dans la seconde manière dans son Immaculée Conception[569].

Le fait que ce privilège ne déroge nullement à l’universalité de la Rédemption s’en trouve préservé.

Dans sa réflexion théologique, il intègre des expressions telles que « le cœur Immaculé de Marie» comme ancrage auquel se réfère la piété populaire pour évoquer le mystère de la maternité spirituelle de Marie.

Nous reprendrons les différentes thématiques, associées aux conséquences de l’Immaculée Conception, auxquelles il nous rend sensible ainsi qu’aux grandeurs de ce privilège. Il s’exprime avec des termes inhabituels mais évocateurs : mystère de pureté singulière, mystère d’amour et mystère de triomphe[570]. Ces pieuses méditations, qui ne sont pas reprises d’une façon systématique par la théologie actuelle, ont le mérite de montrer l’unité de la doctrine et de la foi qui admire l’œuvre de Dieu en sa Mère et notre Mère. Elles rejoignent le travail de vulgarisation de saint Louis-Marie Grignion de Montfort avec sa grâce unique, celle de savoir associer la saveur d’expression et la précision théologique du langage, qui donnent à son message toute sa force mystique.

Le pape Jean-Paul II, lors de l’audience générale du 5 juin 1996, dans une méditation sur Marie, préservée de tout péché, nous a offert toute une catéchèse sur le développement du dogme de l’Immaculée Conception concluant ainsi :

Il n’échappe à personne que l’affirmation du privilège exceptionnel accordé à Marie met en évidence que l’action rédemptrice du Christ, non seulement libère, mais aussi préserve du péché. Cette dimension de préservation du péché, qui est totale en Marie, est présente dans l’intervention rédemptrice par laquelle le Christ, libérant du péché donne aussi à l’homme la grâce et la force pour vaincre son influence dans son existence. Ainsi le dogme de l’Immaculée Conception n’obscurcit pas, mais au contraire contribue de manière admirable à mieux mettre en lumière les effets de la grâce rédemptrice du Christ dans la nature humaine.

L’idée du pape à propos du «triomphe» de la grâce rejoint aussi celle d’Emile Neubert à propos du «rôle de la femme» dans la guerre contre le démon, avec cette différence que Jean-Paul II recentre la perspective à partir de la grâce rédemptrice du Christ et que lui la développe dans la logique de toute son œuvre où Marie est présentée dans la métaphore de la guerre contre le mal :

Enfin, l’Immaculée Conception est un mystère de triomphe. Mystère de triomphe en elle-même, et d’un triomphe sans précédent sur l’auteur de tout mal, Satan, qui, sous la talon de Marie, subit la première défaite complète, absolue et irréparable qu’il ait jamais essuyée depuis le commencement du monde[571].

Dans la logique de cette pensée dynamique, nous poursuivrons notre étude en abordant le thème délicat pour le dialogue œcuménique, de la coopération de Marie. L’Immaculée Conception, comme triomphe de la grâce, est engagée dans cette lutte contre le mal, comportant pour elle une mission liée à sa maternité spirituelle et dont le couronnement sera la glorification au Ciel.

III.4 La coopération de Marie

III.4.1 Appuis bibliques

Marie ne venait pas de recevoir le corps du Christ : elle faisait le corps du Christ et le faisait de sa propre substance. Au Fils de Dieu, elle donnait son humanité, le Fils de Dieu l’envahissait et la pénétrait de sa divinité, et ensemble ils commençaient à racheter le monde[572].

Cette précision de l’auteur résume l’argument de Tertullien contre les Valentiniens pour qui le corps du Sauveur n’est qu’apparent : le Christ étant né par la Vierge et non de la Vierge. Entre la Mère et le Fils, un échange s’instaure de type personnel, dont le support biologique et physique n’est qu’un aspect de la relation qui s’étend à beaucoup de domaines autres que ceux de l’affectivité et de la psychologie mais également : de la culture, de la mémoire commune, des choix de vie et des orientations profondes de l’être dans le rapport au monde, aux autres et à soi-même. Dans le cas précis de la Vierge Marie, l’accueil de son fils impliquait tout l’accueil de sa mission de Rédemption.

Elle avait compris que son Fils était venu pour purifier et sanctifier, et qu’elle devait lui prêter son concours dans cette œuvre. Servante du Seigneur, elle se ferait, pour lui, servante des âmes. C’était auprès d’Elisabeth, qu’ensemble ils devaient inaugurer ce ministère[573].

Et voici qu’Il (l’Esprit Saint) venait encore d’ajouter à toutes ses joies des derniers jours, une nouvelle joie : celle d’être pour la première fois, et d’une façon si merveilleuse, la visible associée de son Fils dans l’œuvre rédemptrice[574].

Joie de Marie […] de constater comment, par sa présence, par le son de sa voix, elle aidait son Fils à purifier et à sacrer le plus grand des prophètes[575]. […] Le seul son de sa voix avait suffi pour remplir Elisabeth du Saint-Esprit, pour purifier et sanctifier Jean[576].

Mais qui nous dira la joie de Marie en voyant de ses yeux cet enfant qui avait tressailli à sa voix et qui, le premier, avait salué sur terre la présence du Rédempteur ; ce futur prophète de son Fils, le premier fruit de sa mission de corédemptrice[577] ?

Ces quelques commentaires bibliques nous offrent dans leurs expressions : «prêter son concours», «visible associée de son fils», «elle aidait son fils», «mission corrédemptrice», autant de termes qui argumentent en faveur de la coopération de Marie. Il aurait pu les développer davantage à partir du contexte des premiers chapitres de la Genèse où Eve est présentée comme l’associée et l’aide d’Adam. L’idée est contenue sans être développée. Nous la retrouvons dans sa reprise de l’épisode de Cana.

Cana

Les commentaires de l’auteur sont à la fois les fruits d’une recherche scientifique et d’une lecture spirituelle de l’évènement. Dans l’épisode de Cana nous retiendrons notre attention sur l’interprétation que l’auteur donne à la réponse de Jésus à la demande de Marie face au manque de vin :

« Femme, lui répondit Jésus, nous sommes d’accord, mon heure n’est-elle pas venue ? » (Jn 2, 4)

Surprenante au départ, cette traduction oblige à reconsidérer toute l’approche qui est faite par les auteurs classiques tant catholiques que protestants; certains certifient qu’il s’agit là d’une remise en place de Marie c’est-à-dire derrière le Christ. C’est tout le contraire que développe l’exégèse d’Emile Neubert, nous mettant en demeure de bien saisir l’enjeu de cette collaboration de Marie à l’œuvre de son Fils.

Littéralement traduite, la réponse du Maître à la demande de sa mère est : «Quoi à moi et à toi ? Mon heure n’est pas encore venue». […] Cette expression constitue un hébraïsme, dont on rencontre un certain nombre d’exemples dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament. Comme c’est le cas ordinaire pour tous les idiotismes, elle ne peut se rendre exactement par aucune phrase exprimant toutes les nuances de pensée et de sentiment de l’original. Entre «à moi» et «à toi» un mot est sous-entendu. Dans les langues classiques, on est porté à sous-entendre le mot «commun» : qu’y a-t-il de commun entre moi et toi ? La locution indiquerait un désaccord plus ou moins prononcé et Jésus semblerait signifier de ne pas s’occuper de l’affaire. Mais dans les langues sémitiques – hébreu, araméen, arabe – les mots «quoi à moi et à toi ?» signifient : «Qu’y a-t-il entre moi et toi ?» Réponse : rien ; c’est-à-dire, nous sommes du même sentiment, nous sommes d’accord ; nous avons les mêmes vues ou intérêts. […] A la prière implicite de sa Mère, Jésus répond par le même acquiescement : «Oui, volontiers, nous sommes d’accord». […] «Mon heure n’est-elle pas encore venue» […] On trouve de fait cette interprétation chez plusieurs anciens, Tatien (IIe siècle), saint Ephrem et saint Grégoire de Nysse (IVe siècle), et elle a été reprise par quelques modernes parmi les catholiques […] L’heure était donc venue pour lui de montrer par quelque fait extraordinaire qu’il était vraiment l’envoyé de Dieu et de confirmer la foi de ses compagnons. «Quoi à moi et à toi ? […] Nous sommes d’accord. Mon heure n’est-elle pas encore venue[578] ?»

Pour arriver à un tel résultat d’interprétation, il n’a pas fait appel seulement à un ensemble de cohérences du contexte, ni à certaines interprétations des auteurs anciens qui lui étaient favorables, mais aussi à la culture actuelle des peuples de langue sémitiques[579], ainsi qu’à différents contextes bibliques, tant de l’Ancien que du Nouveau Testament. D’ailleurs, dans la préface de la seconde édition de La vie de Marie (1948), il prend soin de signaler l’évolution de sa pensée[580].

Ce n’est pas l’unique exemple. En cherchant le plus loin possible la cohérence de la pensée de l’époque et du contexte historique, ainsi que l’enjeu de la situation évoquée, il nous donne des interprétations personnelles de certains passages de l’Ecriture pour nous en faciliter la compréhension alors qu’ils nous paraissaient bien obscurs au préalable. Il en va par exemple pour le doute de Joseph ou pour la recherche d’hébergement à Bethléem[581].

Il s’agit, dans cet épisode de Cana, d’une mission confiée à Jésus, l’envoyé du Père, l’apôtre par excellence, qui s’associe Marie sa mère dans sa mission apostolique, précédant et entraînant celle des apôtres par son acte de foi. Dans cette perspective de la coopération de Marie plutôt que celle de la mission apostolique de Marie que nous étudierons pour elle-même, reprenons le thème de l’Annonciation.

En 1956, quelques années avant le Concile Vatican II, dans La mission apostolique de Marie et la nôtre, il commente ainsi ce dialogue de l’ange avec Marie :

Elle sait clairement que son Fils sera le Messie, le libérateur annoncé par les prophètes, et attendu par tout le peuple. Gabriel lui a dit qu’il s’appellera Jésus, c’est-à-dire : Yahweh sauve. Dieu lui fait comprendre encore mieux qu’à Joseph qu’il porte ce nom parce qu’il doit sauver les hommes de leurs péchés. La mission rédemptrice de son Fils impliquera pour elle-même une collaboration pleine d’angoisse […] Dieu se doit à lui-même et doit à Marie de lui laisser entrevoir ces conséquences ; sans cela en lui demandant son consentement, il l’eût, si l’on peut dire, «prise en traître». C’est donc le seul véritable apôtre qui veut naître d’elle. De la volonté de la Vierge dépendra tout l’apostolat du monde, l’apostolat du Christ qui, selon sa réponse, viendra ou ne viendra pas nous sauver et l’apostolat de ses disciples, qui ne peuvent être apôtres que par lui[582].

Il y a plus encore dans la pensée de l’auteur qui s’adresse à Jésus dans son livre Marie et notre sacerdoce :

Votre Mère a dit : «Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole», et elle est devenue votre Associée dans le salut[583] du monde[584]. […] Elle prononce son Fiat ! Elle donne au monde son Rédempteur, et les multitudes de corédempteurs qui, à sa suite, travailleront jusqu’à la fin des temps au salut du genre humain[585].

Avec cette dernière remarque, il nous fait entrevoir comment Marie nous devance à travers sa propre mission de corédemptrice entraînant la nôtre. Il en va de même pour l’apostolat comme nous le verrons plus tard dans notre étude :

Il n’y aurait pas eu de Christ Rédempteur si Marie n’avait pas donné son consentement à Nazareth. Ainsi on peut dire que la réponse de Marie à Gabriel est à la source de tout l’apostolat chrétien, de celui du Christ et de celui de ses disciples jusqu’à la consommation des siècles[586].

A cette étape de la découverte de Marie dans son œuvre commentant l’Annonciation, nous retrouvons des éléments bien présents dans le chapitre De Beata de Lumen Gentium, relatifs à la coopération de Marie à l’œuvre du salut :

Le Père des Miséricordes a voulu que l’Incarnation fût précédée par une acceptation de la part de cette Mère prédestinée […] Ainsi Marie, fille d’Adam, donnant à la Parole de Dieu son consentement, devint Mère de Jésus et, épousant à plein cœur, sans que nul péché ne la retienne, la volonté divine du salut, se livra elle-même intégralement comme la servante du Seigneur, à la personne et à l’œuvre de son Fils, pour servir dans sa dépendance et avec lui, par la grâce du Dieu tout-puissant, au mystère de la Rédemption. C’est à juste titre que les Saints Pères considèrent Marie comme apportant au salut des hommes non pas seulement la coopération d’un instrument passif aux mains de Dieu, mais la liberté de sa foi et de son obéissance[587].

Comme le fit plus tard le Concile Vatican II dans le chapitre 8 de Lumen Gentium, il affirmait ce lien, cette association de Marie et de Jésus. Cette parenté de pensées et d’expressions avec les formulations du chapitre De Beata puisant aux mêmes sources bibliques et patristiques doit être relevée :

Le Christ est venu pour sauver le monde, perdu par la désobéissance d’Adam. La désobéissance devait être réparée par l’obéissance. De là le mot du Christ en entrant dans ce monde : Je viens, ô Dieu pour faire votre volonté (He 10, 7-9)[588]. Eve avait provoqué Adam à la désobéissance. Il fallait que la désobéissance de notre première mère fût réparée par l’obéissance de notre nouvelle Mère. D’où la réponse de la Vierge : «fiat mihi secundum verbum tuum !» Depuis saint Justin, saint Irénée surtout, au second siècle, les Pères soulignent ce rôle de Marie réparant par sa foi et par son obéissance l’incrédulité et la désobéissance d’Eve[589].

De même le chapitre De Beata poursuit :

En effet, comme dit saint Irénée, «par son obéissance, elle est devenue, pour elle-même et pour le genre humain, cause de salut»[590]. Aussi avec lui, bon nombre d’anciens Pères disent volontiers dans leurs prédications : «le nœud dû à la désobéissance d’Eve, s’est dénoué par l’obéissance de Marie ; ce que la vierge Eve avait noué par son incrédulité, la Vierge Marie l’a dénoué par sa foi »[591] ; comparant Marie avec Eve, ils appellent Marie «la Mère des vivants»[592] et déclarent souvent : «par Eve la mort, par Marie la vie[593]

 

III.4.2 Appuis de la Tradition

L’argument conciliaire concernant le Mystère de la coopération de Marie à la Rédemption est central dans sa thèse. Il y consacre un chapitre entier en relevant ce parallélisme entre  Eve et Marie dans l’œuvre de saint Justin et dans celle de saint Irénée :

Saint Justin est le premier qui parle explicitement de la mission corédemptrice de Marie. Il remarque que notre perte avait commencé par un acte de désobéissance ; notre salut devait donc commencer par un acte d’obéissance[594].

Dans le commentaire de cette thématique rendue célèbre par Irénée, il reprend, en le résumant, le lien avec la Genèse, quand Dieu s’adresse au serpent, ainsi que la célèbre péricope de Paul aux Galates :

Celui-là, en effet, qui devait naître de la femme vierge, selon la ressemblance d’Adam, était prophétisé comme épiant la tête du serpent, et il est la semence dont saint Paul a dit : «Quand fut venue la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, fait de la femme.» Plus tard, quand Dieu voulut montrer aux hommes «le salut inespéré» qu’il leur préparait, il leur en donna «un signe inespéré», le «signe de la Vierge qui enfanterait[595].

Dans sa thèse de doctorat, il fait le choix d’aborder ce thème de la «coopération à la Rédemption» ; on sait qu’il constitue un pilier de son enseignement théologique dans tout son corpus sur la mission de Marie. Aujourd’hui, une tête de chapitre de ce type «coopération à la Rédemption» ne serait sans doute pas bien comprise, si nous tenons compte de toute l’approche œcuménique conciliaire de Vatican II et des documents pontificaux qui ont suivi, en particulier Marialis cultus[596].

De son côté, il fonde lui-même ce choix et s’en explique :

L’idée de la rédemption, apportée par Jésus, nous apparaît dès saint Paul, comme une des idées fondamentales de la religion du Christ. Or, c’était par son humanité que Jésus nous avait rachetés ; et de ce fait, celle dont il tenait son humanité avait contribué à notre salut. Ce concours à l’œuvre rédemptrice de Jésus était plus qu’une coopération matérielle, si l’on envisageait Marie comme un instrument moral de l’Incarnation[597].

Ayant résumé le texte de l’Annonciation en Luc, montrant le consentement de Marie sur tous les desseins de Dieu, il reprend l’argumentation à partir des Pères et des auteurs anciens. La défense de la véritable humanité de Jésus par les Pères est, nous l’avons vue, la raison du développement de toute une sotériologie où la Mère du Rédempteur est associée à l’œuvre de son Fils. Saint Ignace associe la virginité et la maternité de Marie à celle du renouvellement du monde par la venue de Jésus et sa mort sur la Croix[598].

Saint Justin est le premier, (selon Emile Neubert), à parler «explicitement de la mission corédemptrice de Marie[599].» Par l’acte d’obéissance de Marie et de Jésus, notre salut commence.  Il est la réponse d’amour à la désobéissance du premier couple[600] :

Irénée met en évidence le parallélisme qui existe entre l’œuvre du Christ et celle d’Adam. Emile Neubert nous en fait une synthèse magistrale :

De même que tous sont morts en Adam, tous doivent «renaître» en Jésus-Christ. C’est ainsi que le Seigneur «récapitule» en lui l’humanité tout entière et, second Adam, répare l’œuvre du premier. Dans ce travail de réparation, Marie occupe une place toute spéciale. Dès la chute, sa figure apparaît en même temps que celle de Jésus. […] Plus tard, quand Dieu voulut montrer aux hommes «le salut inespéré» qu’il leur préparait, il leur en donna «un signe inespéré», le «signe de la Vierge qui enfanterait[601]». La virginité en effet, rappelait et impliquait l’incorruptibilité que le Sauveur devait nous rendre, la naissance virginale étant la marque de la nouvelle naissance qui nous régénère dans le Christ[602]. Ce rapport entre la virginité de la mère de Jésus et la mission du Sauveur était d’autant plus important aux yeux de saint Irénée, qu’il considérait la rédemption surtout comme un retour à l’incorruptibilité. C’est pourquoi, de même que le premier Adam était né d’une terre vierge, ainsi le nouvel Adam devait naître d’une Vierge[603].

Marie devait être associée plus directement à l’œuvre de notre rédemption : pour que le parallélisme entre la défaite et la victoire fût parfait, il fallait que dans la seconde il y eût une femme comme dans la première[604].

Ces témoignages de l’évêque de Lyon sur la coopération de Marie à la Rédemption sont d’autant plus significatifs qu’il passe à bon droit pour « le fidèle et le plus complet représentant» de la théologie du second siècle[605], et que son ouvrage contre les hérésies allait devenir pour ainsi dire, le manuel de théologie des générations qui l’ont suivi. On modifiera plus ou moins sa doctrine sur la mission corédemptrice de la Vierge, mais Marie restera cependant désormais définitivement la nouvelle Eve à côté du nouvel Adam[606].

 

III.4.3 Développements théologiques

Après avoir passé en revue, les Pères ou auteurs anciens qui suivirent dans le temps, sans apporter d’éléments saillants véritablement nouveaux pour faire progresser la réflexion thématique, il rappelle :

Jamais on n’a prétendu attribuer à Marie une action indépendante de celle de son Fils ; c’est seulement en tant qu’associée à Jésus, à l’unique Rédempteur, qu’on lui a toujours reconnu un rôle dans l’œuvre du salut[607].

Cette remarque anticipe l’enseignement de Lumen Gentium 62 :

Aussi la bienheureuse Vierge est-elle invoquée dans l'Eglise sous les titres d'Avocate, d'Auxiliatrice, d'Aide et de Médiatrice. Tout cela doit pourtant s'entendre de manière qu'on n'enlève ni n'ajoute rien à la dignité et à l'action du Christ, seul Médiateur.

En fait, aucune créature ne peut jamais figurer sur le même plan que le Verbe Incarné, notre Rédempteur. Mais, de même que les ministres sacrés et le peuple fidèle participent, selon des façons variées, au sacerdoce du Christ, et que la bonté unique de Dieu est réellement répandue selon une grande variété de manières, dans les créatures, de même également la médiation unique du Rédempteur n'exclut pas, mais suscite plutôt chez les créatures une coopération variée, qui provient de la source unique.

Le chapitre De Beata de Lumen Gentium, commentant l’Annonciation, reprend le même cheminement qu’Emile Neubert, dans la même dynamique qui consiste à voir Marie «comme apportant au salut des hommes non pas simplement la coopération d’un instrument passif aux mains de Dieu, mais la liberté de sa foi et de son obéissance[608]

Tous les éléments essentiels de sa théologie sont dans le commentaire de l’Annonciation repris par les pères conciliaires : «Maternité divine, association à l’œuvre du Christ, coopération à la rédemption et maternité spirituelle.» Ils sont autant d’éléments que l’auteur nous fait entrevoir dans leur unité synthétique. Cependant, relevons ce point essentiel, tout converge pour Marie en vue de sa vocation maternelle :

En elle, maternité et action apostolique se confondent : toute sa maternité s’exerce par son action apostolique et toute son action apostolique se rapporte à sa maternité […] Être Mère, Mère de Jésus et notre Mère, c’est toute la raison d’être de Marie[609]

 

La médiation universelle de Marie

Emile Neubert développe le thème de la médiation universelle de Marie sous deux angles complémentaires : la coopération de Marie à la Rédemption et l’universelle distribution de la grâce, mais il prend soin de préciser ce qu’est la médiation unique du Christ[610].

III.4.3.1 La coopération de Marie à la Rédemption

Conscient des discussions posées en son temps sur la portée exacte de cette affirmation, il se fait l’écho de quelques points précis :

Le sentiment universel de l’Eglise attribue à Marie une part à l’œuvre de notre salut, à côté du Rédempteur, impliquant une certaine union entre les volontés, les souffrances et l’oblation de Jésus et de Marie. Dieu a agréé cette coopération à l’œuvre de son Fils et lui a attribuée une vraie valeur rédemptrice, de sorte que nous pouvons dire que nous sommes sauvés d’abord et principalement par le Christ et puis secondairement et en subordination à l’action du Christ par Marie[611].

Nous sommes très proches, par ces précisions et ces nuances, des textes de Vatican II sur la question. Au numéro 62 de Lumen Gentium, le Concile affirme : Ce rôle subordonné de Marie, l’Eglise le professe sans hésitation.

Il commente l’Annonciation en reprenant la lecture biblique des textes principaux avec les termes suivants : Elle donne son consentement à cette maternité et à tout ce que la mission de son Fils comprendra[612]. C’est une dimension anthropologique qu’il faut relever pour toute mère qui conçoit un fils. L’enfant est accueilli avec tout ce que cela comporte de réalités présentes et futures. Mais pour Marie qui accueille le Fils de Dieu venu pour sauver les hommes, les réalités sont démesurées. Marie qui n’est pas prise en «traître» par Dieu consent à la mission de son Fils comme Sauveur.

Puis il établit le lien entre les mystères de la Présentation au Temple et du Calvaire :

Quarante jours après la naissance de Jésus, au moment où la Vierge avec Joseph le porte au Temple, pour le présenter au Seigneur, elle apprend de Siméon que l'Enfant sera un sujet de contradiction et qu'à cause de lui un glaive percera son âme à elle (Lc 2, 35). Or saint Jean nous montre précisément la Vierge au Calvaire près de son Fils cloué à la Croix et consommant son sacrifice (Jn 19, 25-27)[613].

Il reprend les textes patristiques classiques de Justin, Irénée, pour établir le parallélisme entre Adam et Jésus et entre Eve et Marie[614].

Parmi les auteurs de la période du XIIe au XVIIe siècle, il mentionne de nouveau saint Albert le Grand:

Saint Albert le Grand a clairement vu le rôle de Marie dans l’œuvre de notre Rédemption :

Les théologiens des siècles suivants - Gerson, saint Antonin, saint Canisius, Suarez - parlent de la corédemption de Marie au pied de la croix, en se référant soit à l'Abbé Rupert, soit à saint Albert[615]. Mais, ils ne s'y arrêtent guère. La lutte contre le protestantisme orientera leurs préoccupations vers d'autres sujets.

Les auteurs dont il fait référence, du XVIIe au XXe siècles, sont : saint Jean Eudes, M. Olier et saint Alphonse de Liguori. Il évoque rapidement l’opposition de quelques théologiens au XXe siècle et nous offre un florilège d’enseignements des derniers papes, de Léon XIII à Pie XII, en précisant ceci :

Or, non seulement les Papes se sont servis couramment d’expressions dont le sens naturel laisse supposer que la Vierge nous a réellement rachetés en union avec son Fils et en dépendance de lui, sans jamais faire la remarque que ces expressions doivent être prises dans le sens métaphorique ou hyperbolique, mais les derniers Papes ont encore été plus nets à cet égard que les premiers[616].

Dans la suite de son exposé, il prend soin de rédiger un chapitre de précisions théologiques que l’on retrouve au cœur des discussions au Concile Vatican II en vue de la rédaction définitive du chapitre 8 de Lumen Gentium.

L'histoire de la croyance à la coopération de Marie à 1'œuvre de notre Rédemption, nous a fourni deux sortes d'actes de la Vierge, relatifs à ce rôle : à Nazareth et au Calvaire.

A Nazareth, Marie consent à fournir au Fils de Dieu cette nature humaine dont 1'oblation sur le Calvaire nous rachètera. Sa coopération, en ce moment, est plus qu'une coopération physique : c'est une coopération morale, consciente et libre. Marie sait que l'Enfant, qui doit naître d'elle, sera le Sauveur du monde. En consentant à l'offre divine, elle consent donc, à coopérer à notre rédemption[617].

Ce consentement à tout ce que comportait la participation à la mission de son fils était un chèque signé en blanc, une acceptation à la part d’épreuves que la Mère devra vivre à cause du Fils. Sachant que rien «n’est impossible à Dieu», Marie «pleine de grâces» offre son consentement non seulement dans l’abandon mais dans toute la force du désir que se réalisent les promesses du Dieu d’Israël.

Cette étape est exprimée en des termes très proches par leur contenu au chapitre 8 de Lumen Gentium[618].

Emile Neubert, avec beaucoup de justesse et d’à propos, approfondit ce lien qui unit la Mère au Fils dans leur mission commune. Il part de l’offrande de l’une et de l’autre, au départ de leur «histoire». La coopération de Marie accompagne toute l’œuvre rédemptrice du Christ, commencée à l’Annonciation.

Car, suivant l'enseignement de saint Paul, «en entrant dans le monde, le Christ dit (à son Père) : Vous n'avez voulu ni sacrifice ni oblation, mais vous m'avez formé un corps vous n'avez agréé ni holocauste ni sacrifices pour le péché. Alors, j'ai dit Me voici (car il est écrit de moi dans le rouleau du livre), je viens, ô Dieu, pour faire votre volonté» (He 10, 5-7). C'est sans doute par l'effusion de son sang que le Christ nous a rachetés, mais l'action du Christ, dès le premier moment de son existence, possédait déjà une valeur rédemptrice infinie. Aussi bien, il ne faudrait pas morceler la vie du Sauveur en une suite d'actes séparés : son existence ne constituait qu'un long acte de rédemption, dont le point culminant fut sa Passion et sa mort. Si le prix de cet acte, notre rançon, ne fut payé qu'à la suite de ce dernier moment, il avait commencé a être mérité dès le premier.

Ainsi, dès qu'elle prononça son fiat, Marie était déjà, en toute vérité, la collaboratrice du Christ dans 1'œuvre de notre rachat, et elle mériterait ce titre même si elle avait quitté cette vie dès la naissance de son Fils. Que fût-il advenu de nous si elle eût refusé ce concours ? Dieu pouvait évidemment nous sauver d'une infinité d'autres façons. Mais il lui a plu de faire dépendre 1'économie actuelle de notre salut - sans doute la plus parfaite à ses yeux - de la libre coopération de Marie[619].

Le Chapitre 8 de Lumen Gentium offre la transition avec ce qu’Emile Neubert continue de développer :

Cette union de la Mère et de son Fils dans l’œuvre de la Rédemption se manifeste depuis le moment de la conception virginale du Christ jusqu'à sa mort[620].

Le parallèle que nous établissons entre les Pères conciliaires et la pensée d’Emile Neubert sur la coopération de Marie, se poursuit :

Au Calvaire. - Cette coopération de Marie à Nazareth n'est cependant qu'une coopération indirecte. Au Calvaire, elle va en fournir une directe. C'est, nous disent les différents auteurs, et en particulier les derniers Papes, par l'union de ses souffrances et de sa volonté aux souffrances et à la volonté du Christ, et par l'abdication de ses droits maternels que la Vierge nous a rachetés en même temps que son Fils[621].

Lumen Gentium, de commenter ainsi :

Ainsi même, la bienheureuse Vierge progressa sur le chemin de la foi, et elle resta fidèlement unie à son Fils jusqu'à la croix. Là, ce n'est pas sans réaliser un dessein divin qu'elle se tint debout (cf. Jn 19, 25) ; elle souffrit profondément avec son Fils unique et s'associa de toute son âme maternelle à son sacrifice, acquiesçant avec amour à l'immolation de la victime qu'elle avait engendrée[622].

Il reprend sa réflexion sous ces termes :

L'union de ses souffrances aux souffrances du Christ : comme lui a été l'homme des douleurs, elle est la Mère des douleurs. Il est à remarquer que toutes les douleurs de Marie que nous connaissons, depuis 1'épreuve des hésitations de Joseph à la vue de sa maternité mystérieuse, jusqu'à la mort du Christ, ont pour cause son Fils. Au Calvaire, en particulier, elle souffre dans son cœur tout ce que Lui souffre dans son corps et dans son âme. […] L'union de sa volonté à celle de son Fils de tout temps, sa volonté était une avec celle de Dieu. A partir de 1'Incarnation, elle identifia toujours sa volonté à celle de Jésus, quelle qu'elle dût être […] Elle l'identifia à la volonté de son Fils, en particulier dans la grande œuvre en vue de laquelle i1 était venu sur terre. Il s'était incarné pour réparer la gloire de Dieu et sauver le monde, et cela par sa Passion et sa mort. Et cette même gloire de Dieu et le même salut du monde, Marie les voulut par la même Passion et mort de Jésus. Ici comme à Nazareth, et plus encore qu'à Nazareth - parce que sa soumission à la volonté de Dieu était allée sans cesse en croissant- elle disait à Dieu Ecce Ancilla Domini, fiat mihi secundum Verbum tuum[623].

Le Concile Vatican II reprend l’idée d’union avec le terme d’association:

La bienheureuse Vierge, dont la prédestination à la maternité divine, est allée de pair, de toute éternité, avec celle de l'Incarnation du Verbe de Dieu, fut sur cette terre, par disposition de la divine Providence, la noble Mère du divin Rédempteur, l'associée du Seigneur la plus généreuse qui fût, et son humble servante. Elle, qui a conçu le Christ, l'a enfanté, l'a nourri, l'a présenté au Père dans le temple, qui a souffert avec son Fils mourant sur la croix, elle a coopéré, d'une manière toute spéciale, à l'œuvre du Sauveur par son obéissance, sa foi, son espérance et son ardente charité. Elle a vraiment collaboré à la restauration de la vie surnaturelle dans les âmes. Voilà pourquoi elle fut pour nous une mère dans l'ordre de la grâce[624].

La conclusion de ce paragraphe est en parfaite résonance avec tout ce qu’Emile Neubert vulgarisa sur la mission de Marie dans sa participation à la grâce accordée aux hommes. Nous reprendrons plus loin cette thématique à propos de sa maternité spirituelle.

Demeurons avec lui dans cette ligne conciliaire, partant de l’oblation commune du Fils et de la Mère qu’il exprime et développe ainsi :

De tout cela, Marie fit l'holocauste pour la gloire du Père et pour notre salut. Deux vies, deux titres en une seule oblation, car de par les desseins de Dieu et sa volonté à elle, elle ne faisait qu'un avec Lui.

Valeur rédemptrice de ces actes.

Cette coopération de Marie à l’œuvre de son Fils ne suffit pas pour que la Vierge y ait rempli une fonction de médiatrice. II faut encore que Dieu, qu'il s'agissait de réconcilier avec 1'homme, l’ait agréée dans cette vue. Qu'il ait agréé à cet effet son fiat de l'Annonciation, cela ressort de la nature même des choses, puisqu'il en a fait dépendre 1'Incarnation du Rédempteur. Mais ce n'était là qu'une coopération lointaine à son rachat. Agréa-t-il de même l'union des souffrances et des dispositions de Marie avec celles de Jésus, ce qui était une coopération directe, ou cette union ne fut-elle qu'un héroïque acte d'amour de la part de Marie, très méritoire pour elle-même, mais sans mérite pour nous ? C'est l'opinion générale que Dieu l'agréa en vue de notre Rédemption[625].

Il nous invite à entrer dans le délicat débat sur la participation réelle de Marie à notre Rédemption. Comment la comprendre, tout en faisant attention à ce qu’elle n’occulte pas l’œuvre rédemptrice de son Fils qui est aussi son Dieu, l’unique Rédempteur ? Dans son œuvre écrite, les références aux débats théologiques de son époque ne sont pas présentes. Cependant les études en Allemagne et en France mettaient en évidence les difficultés soulevées par cette question au début du XXe siècle.

Théodore Koehler, dans son Histoire de la Mariologie[626], nous donne le complément d’informations qui nous permettrait de mieux comprendre à partir de quelles interrogations Emile Neubert pouvait approfondir ces thématiques mariales. On découvre, qu’elles étaient au cœur des débats conciliaires pour la formulation du chapitre De Beata.

Bernardo Bartmann écrivit en 1909 une étude sur Jésus et sa Mère dans la Sainte Ecriture avec un titre évocateur Le Christ, un adversaire du culte marial ?[627] En reprenant les études traditionnelles concernant l’intercession de Marie, il s’oppose ouvertement à la position de Scheeben qui développait la coopération de Marie au salut sur le Calvaire. Après quoi, le Père Schuth dans son livre Mediatrix[628] en s’inspirant de Scheeben répondit à cette critique en approfondissant la question de la médiation de Marie, afin de mettre en évidence l’association de Marie avec le Christ Rédempteur. N’ayant pas de traces écrites des références propres à Emile Neubert, outre celles de sa thèse de doctorat, nous constatons que son ouvrage Marie dans le dogme contenait des éléments très précis et très actuels de ce qu’offrit le chapitre De Beata. Ce manuel de mariologie fut, en France dans le milieu du XXe siècle, la première référence des formateurs de prêtres. Il se trouvait dans toutes les bibliothèques, non seulement de séminaire mais aussi de communautés religieuses. Sans doute, il contribua, par les repères qu’il offrait, à étayer la recherche des théologiens investis au Concile et eux aussi, soucieux d’offrir un message accessible à tous. D’où l’intérêt pour notre étude d’avancer dans cette relecture en alternance avec notre auteur et le chapitre De Beata.

Les précisions conciliaires, dans le développement du chapitre 8 de Lumen Gentium sont à rappeler, elles nous aident à mieux comprendre sa position :

Cette maternité de Marie, elle dure sans cesse, dans l'économie de la grâce, depuis le consentement que sa foi lui fit donner à l'Annonciation et qu'elle maintint sans hésitation sous la croix, jusqu'à l'accession de tous les élus à la gloire éternelle. En effet, au ciel, elle n'a pas déposé cette fonction salvifique, mais elle continue, par son instante intercession, à nous obtenir des grâces en vue de notre salut éternel. Dans sa charité maternelle, elle s'occupe, jusqu'à ce qu'ils soient parvenus à la félicité de la patrie, des frères de son Fils qui sont encore des pèlerins et qui sont en butte aux dangers et aux misères. Aussi la bienheureuse Vierge est-elle invoquée dans l'Eglise sous les titres d'Avocate, d'Auxiliatrice, d'Aide et de Médiatrice. Tout cela doit pourtant s'entendre de manière qu'on n'enlève ni n'ajoute rien à la dignité et à l'action du Christ, seul Médiateur[629].

Et voici en quels termes, Emile Neubert pose le problème en assumant les objections et en proposant des réponses :

La Vierge et le reste de 1'humanité ont été rachetés au même moment, par le même acte rédempteur. Comment Marie a-t-elle pu contribuer à nous racheter avant d'être rachetée elle-même ? - Au point de vue de l'intention de Dieu, Marie a été prédestinée avec le Christ avant les autres hommes, par une priorité d'importance «Elegit eam praeelegit eam : il l’a élue et préélue», dit 1'Eglise dans l'Office de la Vierge. Préélue, elle a été par le fait pré-rachetée dans l'intention de Dieu, pré-rachetée afin de pouvoir, avec le Christ, racheter le reste du genre humain. - Au point de vue de la réalisation, elle a été purifiée et sanctifiée dès son Immaculée Conception, en vertu des mérites prévus de son Fils. Rien n'empêchait qu'au moment où son Fils nous rachetait de fait, elle ait pu ajouter son action à la sienne[630].

Il sauvegarde, par cette affirmation, l’égalité de Marie avec les hommes par le point de vue du salut qui lui est offert, et en même temps il précise en quoi ce salut possède une efficacité spécifique pour Marie par le don de son Immaculée Conception. L’expression qu’il utilise «afin de racheter» peut porter à confusion si nous ne tenons pas compte de tout l’ensemble de la dynamique. C’est en vue d’être la Mère de Dieu, d’un Dieu qui s’incarne pour nous sauver, que Marie a été pré-rachetée en vue d’être unie à son fils dans le rachat de l’humanité. Cette nuance ne lui échappe point puisqu’il ajoute aussitôt dans son texte :

Une autre question se pose : sur quel fondement les fidèles, les théologiens et les Souverains Pontifes peuvent-ils se baser pour affirmer la réelle coopération de la Vierge à l'acte même de la Rédemption ? On verra la réponse plus loin, à propos de l'utilité de cette coopération[631].

Arrivée à ce point de réflexion, notre lecture rétrospective de son développement théologique nous fait espérer, à la lumière du Concile, une évocation plus ample de Marie figure de l’Eglise. Mais son approche n’est pas tant centrée sur le mystère de Marie et de l’Eglise, que sur celui de Marie et du Christ. Cette absence de la mention de l’Eglise qui trouve en Marie son modèle et sa figure accomplie ne fait pas ombrage par contre à sa finesse d’à propos concernant le lien de la Mère et du Fils au Calvaire.

Il met en relation et à leur place le rôle complémentaire du Christ Rédempteur et de Marie la Corédemptrice :

Toute la tradition qui affirme une certaine coopération de Marie avec le Christ Rédempteur voit des différences entre l’action du Christ et celle de sa Mère.

L'action du Christ est indépendante, elle n'a pas besoin d'une autre action, elle se suffit pleinement à elle-même. L'action de Marie est dépendante, elle n'est efficace que par ses relations avec celle du Christ. Il n'y a pas un Rédempteur et une Rédemptrice il y a un Rédempteur et une Corédemptrice.

L'action de la Corédemptrice est une avec celle du Rédempteur. Elle n'a pas son domaine propre où elle s'exercerait, même sous la dépendance de Jésus. Elle s'étend exactement à tout le domaine de l’action de son Fils.

L'action du Christ atteint son effet par un mérite de stricte justice, celle de Marie par un mérite inférieur que nous essaierons de préciser plus loin[632].

Il cherche à mieux «distinguer pour mieux unir.»

Le risque encouru par le développement théologique de cette complémentarité est de mettre sur le même plan la Mère et le Fils. Comment sauvegarder l’argument paulinien de l’unique Rédempteur tout en intégrant la Mère du Rédempteur ?

Il utilise l’hymne de saint Thomas sur l’Eucharistie pour répondre à la question exacte qu’il se pose de la Corédemption de Marie, de son efficience:

C'est une utilité analogue à celle que saint Thomas reconnaît à la Passion du Christ avec tous ses tourments physiques et moraux, alors que déjà son premier acte dans sa conception, en tout cas une seule goutte de son sang, eût suffi pour purifier de tout crime le monde entier : Cuius una stilla- salvum facere- totum mundum quit- ab omni scelere. C'est l'amour du Christ en tant qu'homme et son exaltation, c'est notre amour et notre confiance envers lui, avec le désir d'imiter ses vertus et d'éviter tout péché, notre gloire même en face du démon qui y trouvent leur compte. C'est de même à l'humanité de Jésus, à Marie et à nous, que la coopération réelle de la Mère a l’œuvre de son Fils apporte de grands avantages ; mais tout d'abord à la gloire même de Dieu[633].

En reprenant la question du point de vue de l’amour du Christ et de notre amour en réponse et de notre confiance envers lui, il nous offre un recentrage sur la matière de la rédemption accomplie par le Christ -en soi, la souffrance n’arrange rien et ne sauve en rien, sinon qu’elle peut provoquer un regard de compassion -. Ce qui nous a fondamentalement sauvés, c’est l’amour manifesté dans cette souffrance et cet amour n’a pas commencé à se montrer au calvaire mais dès l’Incarnation, ce qu’il précise pour la venue du Christ par le «premier acte de sa conception.» Nous l’avons vu auparavant dans les extraits d’Emile Neubert : Marie qui collabore à cet acte de conception unique et donc à cet amour de Dieu fait homme, collabore aussi à l’amour qui lui fait donner sa vie pour nous sur la Croix, dans la continuité de «toute une vie d’identification avec les dispositions de son Fils.» En cela, elle répare avec son Fils avec toute la qualité d’amour qui est en elle, avec toute sa puissance d’aimer qui n’est pas à mettre en balance avec les péchés des hommes.

Pour Marie, c'est une suprême consolation de participer, non seulement aux souffrances de son Fils, mais au but même de ces souffrances, la glorification du Père et notre salut.

Ces deux raisons, qui n'en font qu'une - les exigences de la piété filiale de Jésus pour sa Mère - si elles ne sont pas toujours formulées dans l'histoire de la croyance à la corédemption mariale, on les devine dans l'âme des simples fidèles qui, sans explications théologiques, trouvent toute naturelle cette fonction confiée par Jésus à sa Mère[634].

Cette consolation par la participation aux souffrances du Christ n’est pas propre à Marie. Il en donne maints exemples dans les différentes biographies qu’il publia. Nous retrouvons cette idée également dans les différentes approches spirituelles et ascétiques de ces ouvrages de vulgarisation où il invite les baptisés à s’unir au mystère de la passion du Christ par une vie d’offrande et de sacrifice. En ce sens, l’idée de corédemption de Marie, entraînant celle des hommes, pourrait être développée en parallèle avec l’idée de Rédemption accomplie par le Christ entraînant la conversion des hommes et leur participation à ses souffrances dans un monde à sauver, ici et maintenant. Il nous est plus facile avec l’apport du Concile Vatican II, de reprendre cet argument en montrant ce lien nécessaire entre tous les fidèles de l’Eglise et la Mère de l’Eglise qui entraîne ses enfants à vivre leur vocation maternelle à sa suite ; ce rôle maternel de l’Eglise est contemplé dans l’approfondissement de la mission de maternité spirituelle de la Vierge Marie :

Une autre raison, aperçue depuis qu'on s'est rendu compte du caractère corédempteur des souffrances de la Vierge, une raison d'une importance capitale, c'est la maternité spirituelle de Marie. C'est que, posée la volonté de Dieu que la Mère du Christ soit aussi Mère de ses membres, cette maternité spirituelle de Marie exige qu'elle ait contribué à nous mériter la grâce. Sans doute, elle serait déjà notre Mère d'une certaine façon par le seul fait de nous avoir donné le Christ, notre vie, ou de distribuer les grâces méritées par le Christ. Mais elle ne serait notre Mère que comme Monique fut la mère spirituelle d'Augustin par ses prières et ses sacrifices, ou comme la religieuse éducatrice est la mère des enfants qu'elle forme à la vie surnaturelle. Elle ne serait pas notre Mère dans le sens rigoureux du mot. La mère est celle qui produit le germe vivant dont naîtra l'enfant. Dieu est, il est vrai, le premier auteur de la matière qui compose ce germe et du principe vital qui l'anime. Mais la mère est l’instrument qui provoque la formation du germe particulier à féconder. Dans 1'ordre surnaturel, c'est Dieu qui crée la grâce, ce n'est pas Marie, ni même l'humanité du Christ. Mais elle provoque la création du germe surnaturel, la grâce, en la méritant par son union avec son Fils. Les auteurs spirituels aiment à nous montrer Marie nous enfantant dans la douleur par sa coopération avec son Fils crucifié. Elle ne nous enfanterait pas si cette douleur n'était qu'une douleur de simple compassion, comme celle de Jean ou de Madeleine[635].

La métaphore du germe est précieuse. Elle nous permet, dans la réflexion qui précédait cet extrait, d’étayer l’argumentation sur la vocation maternelle de l’Eglise confiée à tous les baptisés et dont Marie est le témoin, le modèle, la figure accomplie. De même que «Marie provoque la création du germe surnaturel», nous pourrions dire que les membres de l’Eglise provoquent la germination de ce germe, par l’annonce de la parole, le témoignage de la foi et les œuvres de charité qui accompagnent cette annonce. Cette notion évangélisatrice est présente dans toute son œuvre comme nous le verrons par la suite. Elle n’apparaît pas immédiatement dans les textes qui approfondissent le dogme marial. L’objectif étant d’entrer dans les débats théologiques autour de la question mariale, en vue de préciser le lien nécessaire qui unit Marie et le Christ, beaucoup plus que le lien nécessaire qui unit Marie et l’Eglise. Si Marie est envisagée dans son rapport à l’Eglise, c’est dans le sens de la mission maternelle. Mais toute la dynamique de son œuvre, en dehors des débats théologiques dogmatiques sur le mystère de Marie, renvoie aussi les fidèles à la mission. Ce que nous approfondirons plus loin dans notre étude.

A ce point de ce développement théologique, nous posons une question précise qui suit logiquement son argumentation : quid de l’universelle distribution de la grâce ?

Sans doute, la Rédemption du Fils était plus que suffisante pour racheter tous les hommes ; Marie ne pouvait lui communiquer aucune efficacité intrinsèque. Mais cette union avec lui obtenait que cette Rédemption, souverainement efficace en droit, devînt plus efficace en fait, par une application plus complète et plus universelle[636].

En quoi, consiste cette efficacité ? Le thème qui suit répond à cette question et complète naturellement celui de la distribution des grâces.

 

III.4.3.2 Universelle distribution des grâces

Marie n’est pas l’auteur de la grâce qu’elle nous a cependant méritée et qu’elle nous distribue. Mais en quel sens, nous fait-il comprendre cette «distribution» d’une réalité qui n’est pas ordinairement appréhensible et qui n’est pas d’ordre matériel comme des objets à distribuer ?

Marie distribue la grâce «en ce sens que c’est par son intervention que Dieu la confère.» Selon lui, Marie peut très bien se montrer sourde aux personnes qui l’invoquent, en faveur de serviteurs de Dieu à honorer. Sa mission de distribuer les grâces n’est pas une distraction à sa mission de contemplation de la Béatitude éternelle en Dieu, mais appartient à sa mission d’intercession au Ciel en vue d’appliquer chaque grâce spéciale et à chaque être en particulier. Il s’agit de découvrir Marie au Ciel, comme dans un double mouvement :

Marie participe à la connaissance de Dieu et y voit, d’un côté, les hommes avec leurs besoins et leurs prières, et de l’autre le désir de Dieu de leur venir en aide[637].

L’intercession de Marie est certes pleinement conforme aux desseins de Dieu ; la précision qui suit reflète bien une mentalité de l’époque : «Il est vrai que, sans l’intervention de Marie, la justice de Dieu suivrait son cours, mais Dieu veut que la Vierge en appelle à sa miséricorde[638]

La distribution des grâces se fait, dans «la sainte indifférence», à tous les êtres humains sans exception, bons ou méchants, comme Dieu qui «fait lever son soleil sur les bons et les méchants et pleuvoir sur les justes et les injustes.» (Mt 5, 45)

Emile Neubert prend soin de développer à partir de la lettre aux Hébreux, la mission du Christ Avocat auprès du Père[639]. D’où cette question:

L’association constante de Marie aux divers mystères de Jésus sur terre semblait appeler la Vierge également à l’union avec le Christ dans son rôle céleste : avec lui et sous lui, ne serait-elle pas, elle aussi, notre avocate auprès du Père[640].

Il précise, plus loin, après avoir rappelé la fidélité de Marie à son fiat depuis l’Annonciation jusqu’au Calvaire : Ne serait-elle pas, elle aussi, à un degré inférieur, l’universelle Avocate[641] ?

Il reprend les prières, les homélies des Pères et des auteurs d’Orient et d’Occident ainsi que dans la tradition à partir du concile d’Ephèse. Il retient la métaphore célèbre, dite «de l’aqueduc», de saint Bernard, qu’il considère comme le Docteur de la médiation de Marie[642]. Puis il reprend des affirmations des différents papes - de Benoît XIV à Pie XII - qui confirment son argumentation.

Dans les précisions doctrinales de ce chapitre, il rappelle que Dieu pourrait occulter la médiation de Marie, mais il choisit d’avoir recours à sa contribution pour la distribution des grâces. Et ceci, non pas au titre de sa sainteté unique, mais de sa coopération à la Rédemption[643]. La coopération de Marie à la distribution des grâces est double quand il s’agit des sacrements:

Elle intervient pour que le sujet ait les dispositions requises à la réception de la grâce sacramentelle, et pour qu’il se trouve un ministre qui puisse et veuille lui conférer le sacrement[644].

Il ouvre des perspectives de développement du dogme en faveur de la mission apostolique de Marie et de sa royauté universelle, car il est dans la logique harmonieuse de la maternité de la Vierge. Elle postule naturellement vers cette unique puissance d’intercession. Nous reprendrons ce thème dans la suite de notre étude, tout en gardant à l’esprit cette association de Marie qui ne fait pas ombrage au Christ :

Elle ne se substitue pas au Christ, car lui seul reste médiateur nécessaire, suffisant et parfait […] Tout au contraire, elle porte nos regards vers le Christ de qui elle tient tout son pouvoir de corédemptrice et d’avocat[645].

L’association de Marie au Christ, qui est le Grand Prêtre par excellence et Roi du Ciel et de la Terre, conduit tout naturellement notre auteur à approfondir trois thèmes qui sont dans la logique de son développement théologique et spirituel : l’aspect sacerdotal de la mission de Marie, la mission apostolique de Marie et la Royauté de Marie. Il suit le même schéma que nous lui connaissons maintenant : les témoignages scripturaires, le témoignage de la Tradition jusqu’aux formulations des papes et les précisions théologiques nécessaires à chacun de ces aspects entrevus. Mais l’association au Christ nous oblige à développer un autre thème : celui de la maternité spirituelle de Marie, car c’est avant tout comme Mère des hommes que se déploie sa mission unie à celle de son Fils.

 

III.5 La maternité spirituelle de Marie

III.5.1 Appuis bibliques

Il va de soi, pour lui, que «même les plus ignorants des catholiques savent que Marie est notre Mère.» Or, comme la maternité spirituelle de Marie est le fondement de notre piété filiale, il s’agit d’écarter le sens métaphorique voire celui d’une maternité adoptive, pour découvrir que Marie nous transmet la vie surnaturelle. Les appuis exégétiques, outre celui de la Croix que nous reprendrons très vite, sont essentiellement de nature mystique. Ces appuis reprenent la théologie paulinienne sur la vie surnaturelle, comme vie du Christ en nous par laquelle nous devenons «participants de la nature divine[646] » : Avec cette reprise, toujours christocentrique, qui traverse tout son corpus et qui signe le but de notre filiation mariale : «Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi[647] [] Ma vie c’est le Christ[648]

Il s’appuie sur l’image du corps qu’une même vie anime, le Christ étant la tête et les chrétiens les membres ; il reprend la métaphore de la vigne et des sarments avec une ouverture qui campe d’emblée le sujet de la maternité spirituelle de Marie :

Une même sève circule dans le cep et dans les branches ; une même vie circule dans le Christ et dans ses disciples. Or cette participation à cette vie infinie, éternelle de Dieu, c’est Marie qui nous la communique[649].

C’est à partir du point de vue de la vie intérieure, surnaturelle que se comprend la maternité spirituelle de Marie. Par fidélité à l’habitude en église de recourir au texte johannique, il commence donc par commenter la parole de Jésus en Croix adressée au disciple bien-aimé.

Reprenons avec lui la fameuse péricope en Jean 19, 25-27, et signalons d’emblée l’erreur de traduction que nous retrouverons plus loin dans notre étude, dans la reprise de la péricope de Galates 4, 4, où le texte grec ne parle pas « d’une femme » mais de « la femme » :

Saint Jean 19, 25-27 :

«Debout, près de la Croix de Jésus, se tenaient sa Mère, et la sœur de sa Mère, Marie femme de Cléophas, et Marie de Magdala. Jésus donc, voyant sa Mère et tout près le disciple bien-aimé, dit à sa Mère : «Femme, voilà ton fils !» Ensuite, il dit au disciple : «Voilà ta Mère.» Et à partir de cette heure, le disciple la prit chez lui.»

Dans l’ensemble de l’œuvre d’Emile Neubert, les commentaires et les développements de la péricope en saint Jean : Femme voilà votre Fils, ne foisonnent pas et n’ajoutent pas à ce qui se dit habituellement dans les milieux catholiques.

Le sentiment commun de l’Eglise se plaît à voir dans cette parole du Sauveur mourant un sens plus profond et plus vaste, se rapportant non seulement à saint Jean, mais à nous tous qui, en sa personne, étions proclamés enfants de Marie. Habituée à réfléchir sur tout ce que faisait son divin Fils, la Vierge dut se rendre compte de l’intention de Jésus confirmant et proclamant sa maternité spirituelle à notre égard, et sentir son cœure remplir d’un amour encore plus intense pour tous ceux que le sang de son Fils faisait naître à la vie surnaturelle[650].

Sa réflexion sur la maternité spirituelle de Marie trouve son centre de gravité non pas dans la Passion mais dans l’Annonciation, point de départ de la Maternité Divine et spirituelle de Marie qui nous fait naître à la vie surnaturelle.

Les Pères de l’Eglise, dès le départ, développèrent ce thème essentiel de la maternité divine de Marie sans aborder le thème de la maternité spirituelle, plus tardif. C’est précisément à partir de cette réalité de la maternité divine de Marie qu’il développera le thème de la maternité spirituelle.

Dans son exégèse de Jn 19, 25-27, il ne tient pas compte du fait que dans le texte grec, nous n’avons pas d’article possessif pour parler de la Mère de Jésus, mais bien un article défini. Ce qu’a très bien vu, par exemple Bernard Gillard :

Il est vrai que le grec peut se passer de celui-ci, qui existe dans la phrase précédente, et empêche de se tromper sur l’identité de «cette» femme. Mais il est encore plus probable que l’Apôtre ait voulu nous rappeler que Marie est Notre Mère, celle de l’humanité rentrée dans la communion avec Dieu, l’Eve nouvelle, Aide du Nouvel Adam, au moment où sa Collaboration atteint sa plénitude […] Le mot «femme» (gunaï) désigne effectivement la mère des vivants dans la Genèse […] Cette association : «mère» et «femme» n’est pas fortuite, mais marque l’intention formelle de l’apôtre d’identifier Marie à Eve. La traduction œcuménique (TOB) d’ailleurs signale en note : «A partir du verset 25, le possessif «sa» est absent, comme pour suggérer que Marie n’est plus exclusivement la mère de Jésus[651].

Et puisque saint Jean a écrit son Evangile tout à la fin du premier siècle, nous pouvons être sûrs que les Apôtres entre eux, voire les chrétiens, avaient l’habitude de nommer ainsi la Vierge Marie. Pour tous, pour l’Eglise, Elle était unique : La Mère[652] !

De son côté, Emile Neubert expose sa conviction selon laquelle il est certain que Notre Seigneur eut cette préoccupation. Il en conclut à propos de Jean le disciple bien-aimé :

Sans doute, était-il conscient qu’en lui confiant sa Mère, le Christ s’adressait en sa personne, à toute la collectivité des disciples qu’il représentait. Du reste, s’il est difficile de déterminer jusqu’à quel point le disciple entrevoyait le sens mystérieux de cette parole du Maître, le Maître certainement voyait la signification spirituelle que nous y attacherions. Il n’eût pas prononcé ce mot, ou il n’eût pas permis que Jean le rapportât, s’il n’y avait pas mis l’intention que l’Eglise, y compris les Papes, allait y découvrir. Cela suffit pour que nous ayons le droit de nous déclarer héritiers de ce legs d’amour[653].

L’idée de la maternité spirituelle de Marie appliquée «aux premiers fidèles» nous la devons, avec toute sa force, selon lui, à l’évangéliste saint Luc. Le consentement de Marie à la parole de l’ange à l’Annonciation aboutit au Calvaire :

Nous y voyons Marie donnant, librement et consciemment, son consentement au mystère qui aboutira à notre rédemption sur le Calvaire. A l’accomplissement de la rédemption, Marie est également présente, selon la prophétie de Siméon, rapportée par le même saint Luc[654].

Le fiat de Marie à l’Annonciation est central, confirmé par la prophétie de Siméon qui renvoie au mystère de la Rédemption qui nous obtient la vie de la grâce pour laquelle Marie offre sa participation.

L’enseignement de saint Paul sur le Corps Mystique du Christ l’inspire :

Puisque nous sommes tous membres du Christ, conclut-il, nous devons participer aux différentes phases de la vie du Christ : nous devons souffrir avec lui, être crucifiés avec lui, être ensevelis avec lui, ressusciter avec lui, régner avec lui, étant enfants et héritiers d’un même Père avec lui. Quoi de plus naturel que de poursuivre son idée et de conclure que nous devons aussi, avec lui, être conçus et naître de Marie, et avoir une même Mère avec lui ?

Conclusion d’autant plus légitime, que d’après saint Paul, le Christ nous a mérité l’adoption comme enfants de Dieu en naissant de Marie. «Quand vint la plénitude des temps, écrit-il aux Galates, Dieu envoya son Fils né d’une femme [] afin de conférer l’adoption de fils[655]

La reprise de la péricope de l’épître aux Galates (Ga 4,4) donne force à son argumentation sur la maternité spirituelle de Marie envisagée dans une vision d’ensemble de la révélation biblique. Cette même péricope qui devait être reprise au début de l’encyclique Redemptoris Mater offrait à Emile Neubert le même appui que pour le pape Jean-Paul II qui avait en commun avec lui la vision du Corps Mystique, transmise notamment par le Traité de la Vraie Dévotion de saint Louis-Marie Grignion de Montfort.

 

III.5.2 Appuis de la Tradition

Sa démarche consiste à passer en revue les textes de l’Ecriture sainte, des Pères et des auteurs jusqu’à nos jours qui établissent l’argumentation de la maternité spirituelle de Marie.

Bien que la visée des Pères des premiers siècles n’ait pas été, précisément, de développer ce thème, il nous rend sensible à l’idée même de maternité spirituelle[656].

Il s’arrête, sur un texte d’Irénée[657] commenté par Hugo Rahner[658], commentaire qu’il critique, il refuse l’interprétation de ce dernier sur la seule compréhension de l’Eglise, indépendamment de Marie. Puis, il mentionne Origène qui est souvent cité comme ayant le premier vu dans les paroles du Christ mourant à sa mère et au disciple bien-aimé, l’affirmation de la maternité spirituelle de Marie à notre égard[659]. Cependant, il n’abonde pas dans le sens d’Origène qui affirme que Marie contribua à donner la vie surnaturelle… C’est en effet à Epiphane qu’il reconnaît la première affirmation explicite et bien nette de la maternité spirituelle[660]. Nous pensons qu’il n’a pas bien interprété le texte d’Origène.

Le texte de saint Augustin, qu’il cite ensuite, aurait pu lui donner un développement précieux de toute une approche théologique unissant Marie et l’Eglise dans l’esprit du Concile Vatican II. Mais il n’en est rien. Ce qui l’intéresse, c’est véritablement cette « maternité à part que nous reconnaissons à Marie, à cause de sa coopération aux mystères de l’Incarnation et de la Rédemption[661]. »

D’autres auteurs ou sources d’ordre liturgique ou de piété populaire sont revus par lui ; mais il reste sur sa faim :

Il faut avouer cependant, que si le nom de mère donné à Marie est accepté tout naturellement par les fidèles, il est assez rare durant cette époque. C’est la Vierge, la Theótokos, la toute-puissante Médiatrice qu’on vénère et qu’on invoque, plutôt que la Mère. On ne vit pas assez familièrement avec elle, pour entrevoir un peu de ce que contient d’amour, de confiance, de puissance de vie ce mot «ma Mère», adressé à Marie[662].

III.5.3 Développements théologiques

Il repasse les auteurs de la période scolastique à nos jours, pour en repérer les étapes des grands textes qui lui permettent d’établir le lien entre la maternité spirituelle et les mystères de l’Incarnation et de la Rédemption. Il s’arrête sur le témoignage de Rupert de Deutz, mort vingt ans après saint Anselme[663]. Il retient ensuite le témoignage d’Albert le Grand, grâce à qui il établit le lien étroit entre maternité spirituelle et coopération à la Rédemption de Marie[664].

Puis, nous arrivons à l’époque de la fondation de la Société de Marie avec Guillaume-Joseph Chaminade. Il lui reconnaît d’avoir dépassé tous ses devanciers dans la clarté, l’ampleur et la force de conviction[665].

Enfin, les affirmations des derniers papes offrent, selon Emile Neubert, une sorte de sanction officielle. L’encyclique Ad diem illum du 2 février 1904[666], souvent mentionnée dans ses œuvres de vulgarisation, est en partie reproduite. Les autres papes qui suivirent, sont aussi mentionnés, car ils admettent tous cette vérité de la maternité de Marie à l’égard des hommes, ou des membres du Corps Mystique du Christ. Cette dernière précision nous renvoie à une réflexion sur le sens de ce Corps Mystique. Est-ce une réalité qui embrasse toute l’humanité ou seulement les baptisés ?

La réponse est très complexe, car elle touche la problématique du salut pour tous. S’agit-il de tous ceux qui devraient croire en lui seulement, ou bien en plus de ceux-ci, comme le suggère Pie XI, tous ceux dont la vie du Sauveur renfermait la vie ?

Selon lui, il s’agit bien de tous les hommes :

Marie avait donné l’humanité au Fils de Dieu, précisément pour qu’il pût devenir le Chef du genre humain[667].

Cette mission de Marie comme Mère du Christ total constitue le principe fondamental de toute mariologie[668].

En établissant le lien entre le Christ-tête et les membres du Corps du Christ, nous comprenons que Marie est la Mère du corps tout entier. Ce raisonnement nous rappelle notre vocation d’identification avec le Christ. Une conclusion s’impose, dans cette logique, aux accents patristiques

Jésus a pris de Marie sa vie naturelle, afin de pouvoir nous faire vivre de la vie surnaturelle ; et Marie est devenue la Mère naturelle de Jésus pour devenir notre Mère surnaturelle[669].

En reprenant la théologie de la grâce, par laquelle nous sommes participants à la vie du Christ, Marie trouve tout naturellement sa place comme celle qui nous a mérité et nous distribue toute grâce. Donc, elle nous donne notre vie surnaturelle[670].

Dans cette perspective, trois moments sont à distinguer qu’il nous faut rappeler :

- Le moment de l’Annonciation, à Nazareth, qui fait commencer le mystère de l’Incarnation. Nous avons vu comment le fiat de Marie était un acquiescement à sa maternité à notre égard ; moment fondamental auquel tous les autres n’ajoutent rien mais qu’ils expliquent et prolongent[671].

- Le moment du Calvaire complète, par le mystère de la Rédemption, celui de l’Incarnation, dont il est un prolongement et un achèvement : à Nazareth, Marie nous conçut ; au calvaire, elle nous enfanta[672].

La corédemption de Marie et la maternité spirituelle s’appellent mutuellement[673].

Cependant, sa position est très claire :

Le testament du Christ en Croix ne créait pas cette maternité, mais elle la proclamait et la confirmait à l’heure la plus solennelle de sa vie, à l’heure où cette maternité était consommée par la consommation du mystère de la Rédemption[674].

- Le moment où Marie est entrée dans la Gloire du Ciel, pour faire vivre chaque âme en lui obtenant la grâce, c’est le troisième temps :

Cependant, sa fonction maternelle ne devait pas prendre fin avec ce douloureux enfantement. A propos de sa fonction de Médiatrice universelle, nous établirons que Marie continue au ciel sa mission de Corédemptrice, en distribuant maintenant à chaque âme, en particulier les grâces qu'elle a aidé à mériter à toutes en général. Par la même fonction, elle continue au ciel d'être notre Mère, la Mère de chacun de nous en particulier, après être devenue, a Nazareth et au Calvaire, la Mère de tons en général. En effet, même après notre rachat par le second Adam, nous ne naissons pas dans l’état où nous serions nés sans la prévarication du premier Adam. Surnaturellement, nous sommes tous, à notre naissance, des enfants mort-nés. Il faut encore que la vie méritée à tous par la mort du Christ soit infusée à chacun de nous en particulier. Mais la grâce sanctifiante, comme toutes les grâces, c’est Marie qui nous l’obtient […] Nul ne renaît jamais à la vie divine sans que Marie lui ait, surnaturellement, donné naissance[675].

Dans la logique de son développement spirituel et théologique, il établit les harmonies entre la maternité spirituelle de Marie et ses autres grandeurs[676].

C’est en nous faisant découvrir comment la mission de Marie comme Mère du ‘plus grand Christ’ - par sa maternité divine et sa maternité spirituelle - est le principe fondamental de toutes les autres grandeurs, qu’il reprend toutes les composantes de la relation de Marie avec Dieu-Trinité d’une part, et avec le prochain d’autre part :

En devenant Mère du Fils, Marie devint aussi l’Associée du Père dans la génération de ce Fils, et l’Epouse du Saint-Esprit. Or sa maternité spirituelle lui permet de réaliser plus pleinement la portée de ces titres.

Elle est l’associée du Père dans la génération de son Fils. Mais le Père a d’autres enfants encore. Le Fils s’incarnera pour devenir «le premier-né parmi beaucoup de frères» (Rm 8, 29). A la suite de Jésus, tous les rachetés disent désormais : «Notre Père qui êtes aux cieux». Par une sublime harmonie, la maternité spirituelle de Marie fait de la Vierge également l’Associée du Père dans la génération de tous ses enfants. N’est-ce pas précisément au moment où le Fils est né de Marie que ces autres enfants sont nés au Père céleste, au moins en droit ? Et n'est-ce pas au moment où chaque âme particulière reçoit, en fait, par Marie, la grâce sanctifiante, la grâce de l'adoption divine, qu'elle devient, par là même, l'enfant du Père céleste et l'enfant de Marie ?

Marie est 1'Epouse du Saint-Esprit. C'est 1'Esprit Saint qui nous fait enfants de Dieu […] Aussi, à tout enfant de Dieu peut-on appliquer les mots du symbole «Qui a été conçu du Saint-Esprit, est né de la Vierge Marie[677]

Il serait possible de s’appuyer sur cette réflexion théologique pour donner plus d’entendement lors du baptême des enfants au rite facultatif final qui consiste à «consacrer» l’enfant à la Vierge Marie, comme cela se faisait au siècle dernier. Le nouveau rituel qui prévoit la prière du Notre Père n’a pas intégré la tradition d’une mention de Marie à la fin du baptême. Alors que sont mises en évidence, dans la liturgie, les trois Personnes divines dans le mystère de Dieu Trinité, Marie comme Mère spirituelle du nouveau baptisé n’est pas évoquée.

Quant à la relation avec notre prochain, vue sous l’angle du commandement de l’amour, il commente le rôle de la maternité spirituelle de Marie de la manière suivante :

Rendus à la vie surnaturelle par Jésus désormais, nous devons nous conduire à l'égard du Père céleste comme de vrais enfants à l'égard du plus parfait des pères. Nous devons traiter avec le Fils de Dieu comme des frères avec le Frère aîné infiniment aimant qui, au prix de son sang, nous a réconciliés avec le Père. Nous devons nous aimer les uns les autres comme enfants de ce Père et frères de ce Fils, grâce aux liens de charité que 1'Esprit établit entre nous. Ce qui nous permet de vivre ainsi en famille avec Dieu et avec le prochain, c'est sans doute la grâce ; mais cette grâce, la maternité spirituelle de Marie 1'aide d’une façon merveilleuse en 1'adaptant parfaitement à notre nature. La famille n'est pas constituée seulement par le père et les enfants ; elle n'est complète que par la présence de la Mère. Aussi, surnaturellement, nous ne nous sentons pleinement en famille, nous ne comprenons bien que le Père du Verbe est notre Père, que Jésus est notre Frère aîné, que les hommes sont nos frères et nos sœurs, qu'en apercevant, à côté du Père, notre Mère céleste, et, à côté du Fils, celle dont nous sommes tons nés avec Lui[678].

Dans cette logique, nous sommes arrivés à la question plus précise de la fonction médiatrice de Marie :

La maternité spirituelle de Marie est le fondement de notre piété filiale envers elle ; si cette maternité est mal comprise, cette piété ne peut elle-même être qu’étroite et imparfaite[679].

Nous distinguons les différents sens qui éclairent sa maternité spirituelle et écartons les sens métaphoriques ou la notion de maternité adoptive découlant du testament du Christ sur la Croix. Il nous fait découvrir comment la maternité de Marie est plus qu’une adoption humaine, car la maternité spirituelle de Marie est liée à toute la mission, à toute la raison d’être de la Vierge[680].

Par cette maternité (spirituelle), nous entendons que Marie nous a donné la vie surnaturelle tout aussi vraiment que nos mères nous ont donné la vie naturelle ; et que comme nos mères le font pour notre vie naturelle, elle nourrit, protège, accroît et épanouit notre vie surnaturelle afin de l’amener à sa perfection […] Cette vie surnaturelle n’est autre chose que la vie même de Dieu, la vie du Christ en nous. Par elle, dit Saint Pierre, nous devenons «participants de la nature divine» […] Or cette participation à la vie infinie, éternelle de Dieu, c’est Marie qui nous la communique[681].

Dans la logique de cet enseignement qu’il vulgarise dans tous ses ouvrages, se pose la question : quid de la réponse de l’homme à sa mère, et de sa participation à la grâce reçue de Dieu à travers Marie ? Question capitale pour laquelle, il ébauche une recherche patristique qui sera relayée par un ouvrage de vulgarisation au titre évocateur, La dévotion à Marie.

 

III.5.4 Vénération et invocation

III.5.4.1 Vénération et invocation dans les premiers siècles

A une époque où nous n’avons pas de traces liturgiques d’honneurs rendus à Marie, l’auteur se fait l’écho des Pères et auteurs qui mentionnent la vénération de la Grotte de Bethléem[682]. Il nous fait prendre conscience de la place unique de Marie, à côté de celle de son Fils, alors que les saints vénérés l’étaient précisément par leur martyre, ce qui n’était pas le cas de la Mère de Jésus :

Marie au contraire, n’avait de sens qu’auprès de Jésus […] C’est toujours à cause de Jésus et à côté de Jésus qu’elle est mentionnée : ses mystères, ce sont les mystères de Jésus, et sa gloire, c’est le rejaillissement de la gloire de Jésus. On honorait la Mère en même temps que le Fils[683], il n’y avait donc pas lieu de consacrer une liturgie spéciale, du moins aussi longtemps que prédominait l’ancienne conception liturgique[684].

Il cite les traces d’une vénération de la Mère de Dieu : après les deux premiers chapitres de Luc, sont mentionnés le livre de Jacques, l’Ascension d’Isaïe, les Oracles sibyllins, le Protévangile. Puis, les traces artistiques sont évoquées dans les catacombes et les fouilles archéologiques qui commencent au début du Vingtième siècle ; elles se multiplient, au-delà de Rome même[685]. Enfin, il nous rappelle l’importance de certaines homélies dont le but fut de commenter l’Evangile de Luc : c’est également le cas des homélies d’Origène, ou de commenter la naissance du Christ. C’est le cas de Grégoire le Thaumaturge[686] .

Le meilleur témoignage de la vénération des fidèles lors des premiers siècles demeure les préoccupations qui furent les leurs sur les diverses thématiques déjà explorées dans ce chapitre : perpétuelle virginité de Marie, sa sainteté imminente et sa place auprès du Christ Rédempteur.

Sans pouvoir affirmer que Marie fut réellement invoquée à l’époque anténicéenne, il relate le récit donné par Grégoire de Nysse d’une apparition de la Mère de Dieu avec l’évangéliste saint Jean à Grégoire le Thaumaturge. Il mentionne un passage des Oracles Sibyllins qui doit dater de la moitié du IIIe siècle où il est dit que Dieu a accordé à tous les hommes, par la main de la Vierge pure, sept jours d’éternité pour se repentir[687].

 

III.5.4.2 Vénération et invocation selon l’approche «neubertienne»

Dans sa bibliographie l’ouvrage La dévotion à Marie publié en 1942 reprend, d’une manière plus systématique, tout cet aspect du culte rendu à Marie qu’il présenta dès ses premiers ouvrages et qu’il reprit dans tout son corpus, à la faveur des différentes approches du Mystère de Marie. Le culte marial, selon lui, doit s’appuyer sur une saine doctrine en vue de l’apostolat. Le climat du corpus «neubertien» est résolument un climat de piété mariale appuyée sur une doctrine solide en vue de la mission.

Depuis quelques années, de divers côtés, on a senti le besoin de mieux connaître la Mère de Jésus, parce qu’on a commencé à comprendre, au moins à pressentir, que la vraie dévotion à Marie est autre chose qu’une affaire de sentiment ou de piété personnelle, et qu’elle a un rôle à jouer même dans l’apostolat[688].

La piété mariale, comprise comme une réponse à la grâce en vue d’atteindre la perfection, s’appuie sur l’humilité et la confiance. Elle est un levier pour grandir dans la sainteté.

Devenir un saint est l’objectif qu’il nous rappelle sans cesse dans tout son corpus. C’est le sommet à atteindre bien présent dans l’objectif de son enseignement. Comme le fit le Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, il nous montre les cimes à atteindre. Il s’arrête davantage que ce dernier sur le moyen pour y parvenir, par la voie de la purification connue des débutants et la voie de la mission. Il choisit résolument de ne pas orienter le lecteur vers une recherche de sainteté personnelle dans une dévotion privée, au profit de l’évangélisation. Il le rend sensible à l’exigence d’abandon entre les mains de Dieu qui lui seul fait les saints, et l’incite à se se laisser guider par l’Esprit Saint. C’est dans cette démarche que se situe sa relation avec Marie comprise comme une dévotion au sens profond du terme.

L’effort personnel est la première condition, du côté de l’homme, pour arriver à la perfection, mais elle n’est pas la seule, et si la dévotion à Marie n’était que provocatrice d’efforts, elle ne suffirait pas pour conduire une âme à la sainteté. L’effort personnel peut faire de nous des hommes vertueux selon le monde, des hommes parfaits selon l’idéal stoïcien ou l’idéal de la morale laïque : si héroïque qu’il soit, il ne fera jamais de nous un saint.

Pour devenir un saint, une seconde condition est indispensable : c’est qu’on s’appuie non sur ses efforts personnels, mais sur Dieu. Pour s’appuyer sur Dieu, ce n’est pas assez de reconnaître théoriquement qu’il existe et que toute grâce vient de lui. […] Or la dévotion à Marie est très propre à fortifier à la fois notre humilité et notre confiance […] Un savant qui suit dans son missel son office liturgique peut être un chrétien très humble ; il peut aussi n’être qu’un dilettante plein de lui-même : un savant qui égrène son chapelet devant une statue de la Vierge est sûrement une âme très humble[689].

La piété mariale dans laquelle il nous entraîne est fondamentalement christocentrique en vue de la charité qui est la plus grande des vertus.

Dans le christianisme, il y a un médiateur entre Dieu et nous, Jésus-Christ. Il est naturel que, dans la proportion de notre union avec le Christ, s’accroisse aussi notre union avec la Divinité et par suite notre perfection. Or la dévotion nous aide grandement à comprendre et à aimer Jésus-Christ.

D’abord, au moins par l’attitude d’amour qu’elle développe dans l’âme et qui la rend plus capable de comprendre celui qui, par amour pour nous, s’est fait homme […] Et voilà que notre désir de la mieux connaître, pour la mieux aimer et admirer, nous amène à mieux connaître, aimer et admirer Jésus[690].

La dévotion à Marie s’appuie sur sa maternité spirituelle, elle réclame notre réponse filiale exprimée en termes de piété : en examinant de plus près le rôle de Marie à notre égard, on s’aperçoit que cette dévotion spéciale doit porter un caractère à part puisqu’elle doit prendre la forme d’une vraie piété filiale. En effet, Marie est notre vraie Mère surnaturelle, «plus mère que toute autre mère», nous devons adopter à son endroit les dispositions d’un enfant.

Mais, Jésus est plus qu’un simple modèle. Par la grâce, nous sommes incorporés au Christ ; ce n’est plus nous qui vivons, c’est le Christ qui vit en nous. Lorsque nous sommes purs, humbles, doux, patients, c’est Jésus qui est pur, humble, doux, patient en nous. […] Ainsi, notre piété filiale envers Marie est une participation à la piété filiale de Jésus même envers elle. C’est lui qui, par nous veut de plus en plus aimer, honorer et servir sa Mère[691].

Ces quelques lignes, destinées à un grand public, sont l’un des fondements exprimés en permanence, dans toute l’œuvre d’Emile Neubert. Il nous explique sa démarche théologique, avec toute l’importance de cette dévotion et les pratiques qui s’y rattachent. Tous ces éléments apparaissent constamment dans son œuvre selon le public auquel il s’adresse ou selon la thématique spécifique de l’ouvrage qu’il traite.

Les têtes de chapitres dans l’ouvrage de vulgarisation Notre Mère : Pour mieux la connaître, édité en 1941, sont les suivantes : L’amour filial de Jésus pour Marie - L’obéissance à Marie - La vénération de Marie - L’imitation de Marie - L’union à Marie - Le service de Marie - La consécration à Marie.

Tous ces thèmes nous renvoient à l’exemple de Jésus. Ils conduisent tous à cette consécration à Marie qui constitue depuis de longs siècles, une des manifestations les plus chères à la piété chrétienne[692]

D’abord il s’agit d’une consécration toute filiale. C’est en réponse à l’amour maternel de Marie, qu’on se donne à elle pour vivre pleinement sa qualité d’enfant de Marie. Et ce désir d’être tout à elle prend une intensité plus grande à mesure qu’on «réalise» son union avec Jésus, premier enfant de Marie, dont on reproduit la piété filiale envers sa mère[693].

Dans la continuité du bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade, Emile Neubert, comme religieux de la Société de Marie, n’a de cesse d’insister sur les deux pôles de la spiritualité du fondateur qui sont la piété filiale de Jésus continuée dans l’enfant de Marie (chaque baptisé) et la participation à la mission de Marie sur laquelle se développent trois aspects : sacerdotal, royal et apostolique.

 

III.6 La mission de Marie

Il faut attendre l’édition de 1948 de son ouvrage Marie dans le dogme pour qu’apparaissent les thématiques liées à la mission de Marie. Nous les reprenons à sur la base de l’édition de 1954.

 

III.6.1 L’aspect sacerdotal de la mission de Marie

Dans l’esprit de la Lettre aux Hébreux que nous avons déjà évoquée avec lui, la question est posée de l’aspect sacerdotal de la vocation de Marie[694].

Il mentionne les travaux de l’abbé Laurentin qui publia sa thèse Marie, l’Eglise et le Sacerdoce, reprenant toute l’histoire de l’idée de «Marie-Prêtre» ; il avait étudié la dévotion au sacrifice, dans les ordres religieux qui développèrent la mystique de la victime, soldée par une intervention de la Congrégation du Saint Office condamnant une image de la Vierge-Prêtre.

Dans un second volume, il développa l’analogie du sacerdoce; sacerdoce qui est enraciné dans le Christ. Le sacerdoce ministériel appartient à l’Eglise hiérarchique : Marie et les fidèles participent au sacerdoce du Christ dans un sens général et commun[695]. De cette dernière approche si appréciée en son temps[696] nulle trace dans les écrits d’Emile Neubert qui évoque la question du sacerdoce de Marie dans la mouvance de la participation de la Mère à la médiation unique de son Fils.

Le Christ est notre grand Médiateur. Nous avons vu que Marie participe, d’une façon subordonnée, à la médiation du Christ. Ne participerait-elle pas à son sacerdoce ? En quoi consisterait la qualité sacerdotale de sa mission ?

Une certaine analogie entre Marie et le sacerdoce rend possible chez lui la comparaison suivante quand il commente l’épisode de la Visitation de Marie à sa cousine Elisabeth :

Le prêtre est, en raison de sa nature, un médiateur. Tout médiateur est serviteur. Tout serviteur est inférieur à son maître, et doit adopter à son égard une attitude d’humilité. Le prêtre est médiateur entre Dieu et les hommes, donc serviteur et de Dieu et des hommes[697].

D’un certain point de vue, comme Marie se trouve, en position de médiatrice, une médiation comprise dans le sens d’être  « la visible associée de son Fils dans l’œuvre Rédemptrice, » sa joie, lors de la Visitation, peut être comparée à celle du prêtre exerçant son sacerdoce ministériel :

Joie ineffable que celle du jeune prêtre dévoré de zèle, au moment où, pour la première fois, il peut donner Dieu à une âme pécheresse ou donner à Dieu une âme toute généreuse[698].

Il ne fait pas d’allusion aux difficultés apparues autour du thème du sacerdoce de Marie. A la suite d’une relecture de l’évolution de cette thématique peu saillante avant le XVIe siècle et, plus développée avec l’Ecole Française et l’idée de Vierge-Prêtre, mettant en valeur l’union de Marie au sacrifice de son Fils, en tenant compte des mises en garde du Saint-Office, il précise que la mission de Marie est sacerdotale à deux titres : comme Mère du Christ-Prêtre et comme associée du Christ-Prêtre dans son sacrifice.

« Marie fournit - si l’on veut s’exprimer en termes scholastiques - la cause matérielle du sacerdoce du Christ » puisqu’il tient son humanité de Marie, humanité par laquelle il exerce sa médiation entre Dieu et les hommes.

La Vierge a donc contribué à faire du Fils de Dieu notre Prêtre. Sa vocation sacerdotale, il l’a reçue du Père. Son onction sacerdotale, c’est la grâce de l’union hypostatique, don du Père, ou plus exactement de la Trinité Sainte […] Elle sait que de sa réponse dépend le sacerdoce du Fils de Dieu.

Marie est la cause pleinement consciente, libre et responsable du sacerdoce du Christ[699].

En parlant du sacerdoce, il entend bien différencier : celui du prêtre dit ministériel, de celui du Christ et de celui de tous les fidèles, bien que ce dernier aspect ne soit pas tant développé en faveur de la mission unique de Marie, envisagée sous l’angle du sacerdoce, nous dirions aujourd’hui «baptismal.»

Par sacrifice, on entend toute oblation faite à Dieu pour reconnaître son souverain domaine. En ce sens, tous les hommes doivent offrir des sacrifices à Dieu […] La Vierge est prise parmi les hommes, - prédestinée de toute éternité à être l’associée du Christ dans l’œuvre de notre rachat-, consacrée pour cette œuvre par la grâce de sa maternité par rapport au Christ total-, médiatrice de grâce à côté du Médiateur de justice, contribuant, avec lui et en dépendance de lui, à apaiser Dieu et obtenir toutes les grâces aux hommes- et cela par sa présence au pied de la Croix (élément matériel) - et par l’abdication de ses droits matériels et l’union de sa volonté et de ses souffrances avec la volonté et les souffrances de son Fils (élément spirituel) – en vue de l’immolation de Jésus […] Sa coopération a donc été éminemment sacerdotale […] Et de même que le Christ est prêtre à tout jamais par son union hypostatique qui est éternelle, de même Marie est à tout jamais associée au Christ-Prêtre par sa maternité divine, qu’elle possédera à tout jamais[700].

La métaphore de cette expression théologique est celle d’un Dieu «irrité contre les hommes», et que le Christ[701] «apaise» par son sacrifice, aidé de sa Mère au pied de la Croix. La difficulté d’accepter cette métaphore aujourd’hui lui échappe. Il voit par contre une autre difficulté, celle plus psychologique, qui rend compte du choix de l’homme pour le sacerdoce et du rôle de chef. Il résout la question par le rappel de figures exceptionnelles telles Déborah dans la Bible ou Jeanne d’Arc dans l’histoire de France. Toutes deux, comme Marie, exercent les deux éléments essentiels de la fonction sacerdotale, à savoir la médiation entre Dieu et les hommes et «l’immolation d’une victime.» La question féminine sous-jacente à cet argument, dans cette approche, est reprise en une conclusion qu’il ne développe pas mais qui mérite d’être mentionnée :

La fonction sacerdotale de Marie est donc marquée d’une nuance féminine et maternelle, comme d’ailleurs toutes ses autres fonctions[702].

Pour la fonction sacerdotale comme pour les autres fonctions de Marie, la même objection latente revient, qui consiste à ne pas mettre sur le même pied d’égalité la Mère et le Fils. En un leitmotiv, il rappelle le fameux mot de Saint Louis-Marie Grignion de Montfort : Marie est «toute relative à Jésus ; elle l’est dans sa fonction sacerdotale comme dans sa fonction rédemptrice ; elle dépend entièrement du Christ et en reçoit toute son efficience.»

Marie n’est pas prêtre, mais elle est tout entière sacerdotale, comme elle n’est pas rédemptrice, mais elle est tout entière corédemptrice, comme dans un autre ordre, elle n’est pas Dieu, mais elle est pleinement participante de la vie divine[703].

De par la volonté de Dieu, la coopération de Marie a été nécessaire au sacrifice du Calvaire et a produit l’effet rédempteur en union avec l’action de Jésus, quoique à un titre subordonné[704].

Selon le mot de l’Apôtre Pierre «des sacrifices spirituels agréables à Dieu par Jésus-Christ», il fait le rapprochement qui nous convient aujourd’hui avec l’esprit du Concile Vatican II, par l’expression «sacerdoce royal». En se rattachant à la doctrine du Corps Mystique, notre auteur reconnaît bien volontiers que «c’est ce sacerdoce royal qu’il faudrait attribuer à Marie, sans doute en tout premier lieu parmi les fidèles[705].» Heureuse formulation dans la ligne de Vatican II qui présente Marie comme modèle de l’Eglise. Mais, ne nous y trompons point, cet argument que nous adoptons parfaitement, ne lui convient pas totalement car :

On a voulu mettre Marie dans une des catégories ordinaires, et on a oublié qu’elle est absolument unique dans ses fonctions comme dans ses grâces : celles-ci ne sont identiques ni à celles du Christ, mais seulement analogues ; ni à celles des hommes, mais d’un ordre transcendant, à part[706].

L’aspect sacerdotal du rôle de Marie consiste donc à être la mater et socia Christi sacerdotis[707].

En ce sens, Emile Neubert affirme la supériorité du rôle sacerdotal de Marie[708] sur celui du prêtre ministériel, il conclut par cette réflexion à la suite de saint Albert :

Tous les membres de l’Eglise, affirme-t-il, sont en vue d’un ministère. Or la bienheureuse Marie n’a pas été choisie par Dieu en vue d’un ministère, mais en vue d’une association et d’une aide - in consortium et adjutorium, - selon le mot de l’Ecriture : «faisons-lui une aide semblable à lui.» La Bienheureuse Vierge n’est pas remplaçable, elle est aide et associée : «beata Virgo non est vicaria sed coadjutrix et socia»[709].

La Mater et la socia Christi sacerdotis renvoient à deux réalités différentes d’ordre anthropologique pour lesquelles, il serait utile de nous attarder un instant : il est vrai que dans sa fonction maternelle et d’associée, Marie a vécu une réalité qui ne pourra jamais se reproduire, car c’est une fois pour toutes que le Verbe de Dieu s’est incarné. Mais l’Eglise-Epouse du Christ, dans sa mission maternelle se présente bien comme l’«associée du Christ-Prêtre». Sa mission se déploie grâce au sacerdoce ministériel avec les sacrements et grâce au sacerdoce baptismal de tous les fidèles. Tel n’est pas le propos d’Emile Neubert qui approfondit la filiation de Jésus envers Marie, entraînant celle de tous les hommes envers la Mère de Dieu. Cette relation filiale porte en elle toute une richesse d’ordre psycho-affectif, contribuant à l’équilibre d’une humanité bien en place sur laquelle la grâce se développe. C’est ainsi que, pour les prêtres, il n’hésite pas à dire :

L’influence féminine est nécessaire pour la formation complète, non seulement de l’enfant, mais aussi de l’homme… Au prêtre sans dévotion spéciale à Marie, il manque quelque chose, même au point de vue naturel : il est moins complet, moins homme que celui sur qui s’exerce la double influence de la Vierge Marie. Déjà, les premiers chrétiens aimaient à voir dans l’Eglise une Vierge-Mère. C’est par leur union à Marie Vierge-Mère par excellence, que les représentants de l’Eglise lui assureront toujours, aux yeux des fidèles, et même du monde en général, cette qualité de Vierge et de Mère[710].

Ce très beau lien qu’il établit entre la vocation de l’Eglise et de Marie qui concerne toute vocation sacerdotale, il nous renvoie à l’amour du prêtre pour Marie, tout en nous rappelant la vocation maternelle de l’Eglise[711].

En rédigeant ses ouvrages, il s’inscrit dans la ligne de toute une tradition : liturgique et de piété populaire, dont il se fait l’héritier. Nous sommes appelés à l’intégrer au temps présent de l’histoire à l’Eglise et du monde.

Emile Neubert a bien noté que Clément d’Alexandrie met en relief la mission de Marie, elle apparaît en filigrane dans celle de l’Eglise qu’il compare à l’Eglise-Mère. Nous retrouvons des arguments développés sur les fondamentaux de l’ecclésiologie conciliaire de Vatican II. La mission de Marie, comprise comme une anticipation ou une préfiguration, voire un modèle pour la mission de l’Eglise, trouve à cette période, son enracinement patristique :

Ô merveille mystérieuse ! Un est le Père de toutes choses ; un est le Verbe de toutes choses ; l’Esprit Saint est un, tout en étant partout, et une seule devient Mère-Vierge. J’aime à l’appeler Eglise[712].

Il nous revient de bien situer ce développement spirituel, qui n’a pas été approfondi spécialement par lui dans son corpus. Son angle d’approche a toujours été La maternité spirituelle de Marie, comme trame de tout son message théologique et spirituel. Emile Neubert reste sur une voie résolument christotypique ; il savait, sans vouloir l’emprunter, qu’une autre voie ecclésiotypique, aurait de l’avenir en théologie en contemplant le mystère de Marie.

 

III.6.2 La royauté de Marie

Emile Neubert aborde le thème de la royauté de Marie qui suit dans Marie dans le dogme (édition de 1954), l’aspect sacerdotal de la mission de Marie, et le thème de la mission apostolique de Marie. La liturgie et la piété populaire lui offrent l’introduction à la thématique de la royauté de Marie :

«Salut Reine, Mère de Miséricorde !» - Reine des anges, […] priez pour nous !»

Mais que faut-il entendre par ce titre ?

Une Reine mère ou épouse participe à l’honneur du roi ; mais elle ne participe pas au gouvernement du royaume, encore qu’elle puisse, par son intervention, obtenir des faveurs à certains sujets. Mais obtenir des faveurs n’est pas régner […] Marie est Reine à côté de Jésus-Roi[713].

Il reconnaît à Marie une royauté propre avec les pouvoirs qui lui sont attribués, Pour y parvenir il précise quelle est la royauté du Christ. Il part d’une distinction sur le triple pouvoir du roi : législatif, exécutif et judiciaire. Il se réfère aux différents profils de royauté féminine dans l’Ancien Testament (Bethsabée, Esther) et l’évocation du verset 10 du Psaume 40 : «La Reine se tient à ta droite.» Dans les Evangiles, deux textes sont retenus par notre auteur : Celui de l’Annonciation qui parle du Règne de Jésus (Lc 1, 31-33), et celui de la Passion car Piloate aborde le thème de la Royauté dans son dialogue avec Jésus. (Jn 18, 37)

La peinture et la statuaire, durant la période patristique, retiennent son attention. Dès le IIe siècle elles expriment cette réalité dans l’Afrique chrétienne, sur les mosaïques et les fresques vouées au culte.  On les retrouve aussi dans dans les églises et les cathédrales.

Enfin, les titres de Dame (Domina), Reine, souveraine, donnés à Marie dès le IVe siècle, prévalent sur celui de Mère qui n’apparaît pas, dans la thématique patristique.

Dans toute la période scolastique, on va peu à peu approfondir les fondements et l’exercice de cette royauté de Marie. Saint Albert le Grand ajoute au thème de la maternité de Marie sur le Christ-Roi celui de sa mission en tant qu’associée du Christ dans le mystère de la Rédemption. Si bien qu’à sa suite, «les théologiens s’attacheront à mentionner l’une ou l’autre des réalités» ou les deux à la fois. Par exemple : saint Louis-Marie Grignion de Montfort parle sans cesse de Marie comme Reine et Mère. Et, plus proche de nous, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus fait prévaloir sa maternité sur sa royauté : Marie est plus mère que Reine.

Au début du XXe siècle, des théologiens, à l’occasion de congrès mariaux, demandent une reconnaissance officielle de cette royauté par le Souverain Pontife avec l’institution d’une fête pour la célébrer.

Les papes Léon XIII, Pie X, et surtout Pie XII mentionnent cette royauté de Marie.

L’apport ultime lui est donné par ce dernier pape à l’occasion d’un message radiophonique du 13 mai 1946, à propos du couronnement de la Vierge de Fatima.  En effet ce pape lui est contemporain quand il écrit son livre en 1946. Réédité en 1954, son ouvrage, Marie dans le dogme, n’a pas bénéficié, à quelques années près, de l’information qui lui aurait été précieuse par l’encyclique Ad caeli Reginam de Pie XII en cette même année. Cette encyclique fut rappelée par Jean-Paul II, lors d’une catéchèse donnée le 23 juillet 1997, sur Marie, Reine de l’Univers[714].

Les précisions doctrinales développées par Emile Neubert mettent en relief le lien naturel qui unit le Fils à la Mère, avec ce leitmotiv qui parcourt toujours ses écrits :

Jésus a voulu partager avec sa Mère toutes ses fonctions et se prérogatives dans la mesure et de la manière dont, pure créature, femme et mère, elle était capable d’y participer[715].

Marie est Reine de droit divin ; ce que précise Emile Neubert, à la suite de Pie XII : ce titre est une grâce et un choix.

Cet aspect ne suffit pas dans l’argumentation de notre auteur.

Marie est associée au Christ dans sa Passion, à travers laquelle il a exercé par «conquête» sa royauté. Marie nous a donc conquis et la nature de son union avec le Christ conquérant indiquera aussi la nature de son union avec le Christ Roi[716].

Un troisième fondement de La royauté de Marie est suggéré à partir de sa maternité spirituelle :

Toute mère est reine dans le petit royaume que constitue sa famille ; elle y possède avec le père et en subordination au père, le pouvoir de commander, de faire exécuter, de juger et de punir.

C’est sur ce triple fondement qu’Emile Neubert affirme, en s’appuyant sur le message de Pie XII, cette royauté de Marie avec son Fils et en subordination à son Fils.

L’exercice de la royauté de Marie sur ce triple fondement laisse à notre Reine, - dont la volonté est toujours en accord parfait avec celle du Roi -, des initiatives maternelles par une intercession nécessaire de par la volonté de Dieu : elle appartient à sa mission de Mère et de Reine :

Elle agit par des interventions directes, soit publiques, soit particulières […] Son gouvernement ne fait qu’un avec celui de son Fils, mais elle le met, pour ainsi dire, davantage à notre portée […] Marie ne porte pas de nouvelles lois, mais elle renforce, si l’on peut ainsi parler, l’autorité de son Fils par la sienne, en disant à tous comme jadis aux serviteurs de Cana : «faites tout ce qu’il vous dira.» […] Suavement et fortement, elle amène les âmes à se soumettre à toutes les prescriptions de son Fils, surtout aux plus contraires à la nature, comme celles de la pureté et du pardon des injures […] Elle intervient comme elle l’a révélé plusieurs fois, pour «arrêter le bras de son Fils prêt à frapper», ou pour adoucir la rigueur d’un châtiment[717].

De telles expressions sont peu employées de nos jours. Elles nous renvoient aux souvenirs du contexte d’avant-guerre. Elles nous font mieux comprendre les termes de royauté de conquête, utilisés par la théologie de l’époque, et bien sûr par Emile Neubert ; une terminologie que nous retrouvons dans des mouvements mariaux de la même période, par exemple avec Frank Duff (1889-1980)[718] en Irlande qui fonda la Légion de Marie ou saint Maximilien Kolbe (1884-1941) en Pologne qui fonda la Milice de l’Immaculée.

Or la royauté du Christ est loin d’être reconnue partout […] Sa royauté sur terre est sans doute une royauté d’amour, mais aussi une royauté militante et conquérante. Il faut que Marie règne pour qu’arrive le règne du Christ, pour que se réalise pleinement la prière que le Maître nous a appris à répéter chaque jour : adveniat regnum tuum ! Hâter l’avènement du règne de Marie, c’est hâter l’avènement du règne du Christ[719].

Après ces considérations, se référant à Pie XII, il décrit l’étendue du domaine de la royauté de Marie, domaine aussi vaste que celui du Christ, sachant qu’au ciel, Marie ajoute à la joie des anges et des bienheureux.

Le ciel serait moins beau sans Marie. Sur terre il manque quelque chose à la religion des chrétiens qui ignorent ou oublient la Vierge, un élément de simplicité, d’abandon, de joie qui épanouit l’âme. Puisque la vie du ciel prolonge et parachève la vie de la terre, ne peut-on pas dire qu’au ciel comme sur la terre, la présence de Marie ajoute une nuance de suavité spéciale à notre essentielle béatitude[720] ?

La notion de nuance est plus forte quand il conclut ce chapitre sur la Royauté de Marie, chapitre qui précéde la seconde partie de son ouvrage, toute consacrée aux privilèges de Marie, par la reprise transposée de l’hymne aux Philipiens. (2, 9-11) :

Ainsi, comme son Fils, Marie a été exaltée et a reçu un nom supérieur à tout nom après celui de Jésus, pour qu’au nom de Marie toute tête s’incline, sur terre et dans les enfers[721].

Cette transposition n’est pas gratuite. Elle s’inscrit dans une prise de conscience du rôle de Marie dans l’histoire du salut, ce que notre auteur exprime avec beaucoup de précisions par le thème : La mission apostolique de Marie. Elle nécessite une reprise pour bien garder cet équilibre nécessaire alliant la similitude et la différence de la Mère et du Fils sauvegardant la totale relativité de Marie envers Jésus.

C’est pourquoi, nous présenterons ce thème après celui de la royauté de Marie, à cause de son originalité dans le corpus «neubertien».

 

III.6.3 La mission apostolique de Marie

Emile Neubert présente avec originalité notre relation filiale avec Marie que nous ne pouvons enfermer dasn une dimension seulement intimiste :

Notre dévotion personnelle doit être non seulement une dévotion de piété personnelle, mais aussi- et c’est sa principale originalité- une dévotion apostolique, qui nous fait participer à la guerre engagée par Marie contre Satan et à la grande victoire de la Vierge immaculée sur l’Antique Serpent[722].

Dans son ouvrage La mission apostolique de Marie et la nôtre, il nous livre son message personnel sur le mystère de Marie, en accord avec l’enseignement qu’il a reçu de Guillaume-Joseph Chaminade. Ce fut pour le séminariste qu’il était alors, une véritable révélation dans sa vocation spécifiquement marianiste. Son âme en fut marquée profondément et définitivement. Il en fit l’élément le plus original, le plus central et le plus personnel de tout son enseignement ultérieur sur la Vierge Marie. Les premiers bénéficiaires de cette «intégration ou appropriation» personnelle, de cette pensée héritée du fondateur de la Famille Marianiste, furent les religieux qui lui étaient confiés. Il composa pour eux son premier ouvrage Notre Don de Dieu. Puis très vite, le peuple de Dieu eut accès à cette «vision» missionnaire mariale, par le fameux petit traité Mon idéal, Jésus Fils de Marie, et enfin, par l’ouvrage lui-même portant le titre de ce chapitre que nous traitons actuellement.

Après avoir publié son ouvrage  en 1953 Notre Don de Dieu qu’il compléta et adressa à la Famille Marianiste, principalement les Frères de Marie, il publie en 1956 l’ouvrage destiné au grand public La mission apostolique de Marie. Dans une lettre écrite au Supérieur Général des Marianistes, le 17 avril 1952, il déclare :

Aucun théologien n’a encore songé à traiter la question de la mission apostolique de Marie ; comme je l’ai dit dans «la découverte des grandeurs de Marie», ce ne sont pas les théologiens qui découvrent ces grandeurs ; les fidèles en vivent avant que les doctes n’en parlent. Il y a une vingtaine d’années que j’ai commencé à recueillir des documents sur la question, des points de vue doctrinal et historique…[723]

Il sait donc que les traités mariaux de son temps n’en font guère mention :

Et pourtant, la connaissance de cette fonction sociale de Marie est d’une très grande importance pratique, à l’heure actuelle surtout[724].

L’histoire reconnut à Marie une certaine mission de gardienne de la foi dans la défense de l’orthodoxie des dogmes, et une certaine intervention ou impulsion dans l’apostolat des fidèles ne lui fut jamais contestée. Dans la mission baptismale de tous les fidèles, nous découvrons plus qu’une notion de présence mariale ou impulsion mariale. En suivant la progression de sa réflexion théologique nous pourrons mieux saisir les enjeux de cette mission unique confiée à la Mère de Dieu et de tous les hommes. Dans un premier temps, après avoir évoqué le silence sur ce thème dans les traités de mariologie, il précise ce qu’est la notion d’apostolat[725]. Puis, il affirme ce que comporte cette notion de mission apostolique de Marie dans son caractère à la fois unique et universel : de lutte contre les puissances des ténèbres pour faire gagner les puissances du bien. Marie a vraiment un rôle de chef[726].

Marie a directement reçu de Dieu la mission de sanctifier et de sauver toutes les âmes. Les autres apôtres travaillent en sous-ordre ; leur apostolat n'est -qu'ils en aient conscience ou non -qu'une participation a l'apostolat de Marie. Sa fonction est celle d'un généralissime. Ils sont, eux, les soldats ou les officiers de l'armée apostolique. Le grand, l’universel, l’unique apôtre, c’est le Christ[727].

L’argumentation scripturaire consiste à faire prévaloir l’unique apôtre qu’est le Christ. Il poursuit son activité apostolique par ses prêtres mais aussi par tous les membres de son Corps Mystique. C’est chaque baptisé qui est engagé dans cette mission. Au sein du peuple de Dieu, parmi les fidèles, Marie occupe une place unique. Jésus a voulu l’associer à ses différentes fonctions comme une « aide » semblable à lui[728]. En reprenant le chapitre 12 de l’Apocalypse, il voit en la figure de la Femme, la Vierge Marie et en celle du Dragon, l’Antique Serpent. Puis, il fait une relecture de tout l’Evangile sous l’éclairage de la Genèse qui nous décrit la femme, associée ou aide semblable à Adam.[729].

Fidèle à sa démarche théologique, il développe la reconnaissance de cette mission apostolique de Marie à travers les siècles. Il s’appuie aussi sur une apparition de Marie à saint Grégoire le Thaumaturge[730] et sur le fameux panégyrique[731] de saint Cyrille à Ephèse[732].

Il nous rappelle que la mission de l’apôtre est double, enseigner la vraie foi et faire pratiquer les préceptes du Christ :

Allez, avait dit Jésus à ses apôtres, enseignez toutes les nations et apprenez leur à observer tout ce que je vous ai commandé. (Mt 28, 19)

Puis, dans une vision synthétique, il développe un double aspect de la mission apostolique de Marie au cours de l’histoire : celui qui concerne la défense de la doctrine orthodoxe et l’appel des fidèles dans un apostolat de la vie.

Sa relecture dans le temps, enrichie par ses premières études sur la question mariale avant Nicée, poursuivie ensuite jusqu’à la période qui lui est contemporaine, mérite que nous la donnions intégralement. Nous découvrirons sa finesse d’analyse, associée à sa capacité d’avoir une vision d’ensemble sur cette question. La perspective première de l’apostolat marial touche le dogme. Ce qu’il vulgarise en ces termes : l’apostolat de la doctrine :

«Réjouis-toi, ô Vierge Marie, chante l'Eglise, car seule tu as détruit toutes les hérésies de l'univers.» Cette parole s'est vérifiée dès les origines et à travers toute l'histoire de l'Eglise. Les Docètes des premiers siècles niaient la vérité de l'humanité du Christ. Les Pères leur répondirent : «Vous enseignez une fausseté car le Christ est né de Marie, créature humaine comme nous.» […] Les saints qui combattirent les hérésies plus récentes du protestantisme et du jansénisme opposèrent également les vérités mariales aux erreurs nouvelles, - il suffit de mentionner saint François de Sales, saint Canisius, saint Louis-Marie de Montfort - et ce furent les populations les plus dévotes à la Vierge qui y résistèrent le mieux. Le cardinal Newman a pu faire la remarque que les nations qui sont restées fidèles à Marie : la France, l'Espagne, l'Italie, la Grèce schismatique, sont celles qui ont gardé intacte leur foi en la divinité du Christ, tandis que celles qui ont rejeté le culte de Marie : l’Allemagne du Nord, l’Angleterre, I'Amérique protestante, ne voient guère dans le Christ qu'un homme plus près de Dieu que les autres hommes. Ce fut la négation de la virginité de Marie dans un article de revue moderniste qui déclencha la condamnation par la hiérarchie de l'insidieuse hérésie du XXe siècle, et qui ouvrit les yeux à beaucoup de prêtres qui s'étaient jusque là montrés favorables aux novateurs. Enfin, dans la bulle Munificentissimus Deus, le Saint Père exprime l'espoir de voir le nouveau dogme de I'Assomption corporelle de Marie s'opposer victorieusement au « matérialisme et à la corruption des mœurs qui en découle » et faire triompher la foi au monde surnaturel[733].

Non seulement, la mission apostolique de Marie est de lutter contre le mal, mais elle nous aide à acquérir les vertus chrétiennes, en vue d’une consécration, chemin de tout baptisé qui, pour certains, se traduira dans un engagement au sein de la vie religieuse consacrée. C’est dans cette perspective très originale qu’il reprend l’historique des grands témoins de la foi qu’il appelle les «docteurs marials», pour aboutir à l’organisation des grands ordres ou congrégations apostoliques.

Toute pure, toute parfaite, Marie les pousse à reproduire ses vertus. Ce sont surtout les vierges et les ascètes qui s'appliquent à les copier. Et puis la croyance à la puissance singulière de sa prière les invite à s'adresser à elle dans toutes leurs tentations et leurs luttes pour la conquête de la sainteté. Dès la période patristique, les grands saints sont les grands docteurs marials : Athanase, Ambroise, Augustin, Germain de Constantinople, André de Crête, Jean Damascène[734].

Dans une description apologétique classique, il fait une relecture de toutes les fondations religieuses, partant du Moyen-âge jusqu’aux dernières congrégations apostoliques nées après la Révolution française et les mouvements de laïcs du XXe siècle, s’inspirant ou se mettant sous la protection de Marie.

Il expose l’un après l’autre les éléments de convergence pour une reconnaissance de la mission apostolique de Marie[735], en reprenant des arguments dans la liturgie venant de Rome[736] et des déclarations des papes de Léon XIII à Pie XII.

Dans les précisions doctrinales qui suivent, il fait le lien entre cette mission apostolique de Marie et la corédemption :

Nous avons vu comment, unie à son Fils, Marie a contribué à la Rédemption du genre humain. La Rédemption, méritée en principe sur le Calvaire pour tous les hommes, ne devient réelle pour eux que dans la mesure où chaque homme individuel est à même d'en profiter[737].

C’est là qu’intervient Marie dans sa maternité spirituelle et sa mission de corédemptrice tout à la fois[738].

Marie a coopéré à la Rédemption, à toute la Rédemption : elle devra coopérer aussi à la mission, à toute la mission de l'Eglise, en d'autres termes, à l'apostolat catholique, et à tout l'apostolat catholique. Sans cette seconde coopération, l’œuvre de la Corédemptrice resterait inachevée[739].

Il présente la maternité spirituelle de Marie comme il le dit «sous un autre nom», il s’appuie sur l’analogie maternelle :

La mission apostolique de Marie soutient des relations tout aussi étroites avec sa mission de Mère des hommes. Toute mère est le premier apôtre de son enfant. Elle a pour mission de préserver le petit être du péché et de le faire vivre de la vie surnaturelle. Et si elle le confie à d'autres éducateurs, ceux-ci ne sont que ses aides : elle reste la première responsable de cette mission. A plus forte raison Marie est-elle le premier apôtre de ses enfants. Et cela non seulement parce qu'elle est la plus parfaite des mères, mais surtout parce qu'elle est mère surnaturelle[740].

Il précise que Marie est essentiellement apôtre parce qu’elle est essentiellement Mère[741].

Toute sa logique tient à la prise en compte de la grâce dans la vocation de tout baptisé. Or nous le savons, c’est par Marie que nous est venue toute grâce ; c’est pourquoi, il peut affirmer dans une logique imparable :

La mission apostolique de Marie n'est donc qu'un aspect -le plus important -de sa mission de distributrice universelle de la grâce. Professer celle-ci, c'est nécessairement professer celle-là[742].

Dans cette même ligne, il lie la mission apostolique de Marie avec sa royauté, car elle règne sur les esprits et sur les hommes pour les amener à son Fils, dans une conquête qui atteint jusqu’aux ennemis de son Fils qu’elle conduit à devenir des sujets dociles et aimants[743].

Il prend bien soin de ne pas séparer l’apostolat du Christ, l’Unique Apôtre, de celui de Marie qui s’enracine dans le mystère de l’Annonciation. C’est de Dieu que Marie reçut sa mission apostolique. Et cette mission de Marie, voulue par Dieu, comme associée au Christ, ne fait pas nombre avec celle du Christ, car elle en dépend entièrement. Nous l’avons explicité à propos de la médiation du Christ et de Marie en référence à Lumen Gentium :

Cela est naturel puisque leur fonction apostolique n’est qu’une continuation et une application de leur fonction médiatrice[744].

Supposée la décision divine de sauver le monde par l’Incarnation, l’apostolat de Jésus était nécessaire, car seule une action d’une valeur infinie pouvait opérer ce résultat. L’apostolat de Marie n’est pas nécessaire : il n’est nécessaire que par le décret de Dieu qui associe l’action de la Mère à l’action du Fils. L’apostolat de Jésus était suffisant pour opérer la conversion et la sanctification des hommes. Celui de Marie n’a de valeur que par son union avec celui de Jésus, dont il tire toute son efficacité[745].

La réponse de Jésus à Marie aux noces de Cana, ne serait-elle pas une confirmation de la mission confiée à Marie par le Père et redonnée par le Fils, à l’occasion de l’inauguration de sa propre mission sur terre ? Selon lui, cette réponse de Jésus que nous avons déjà vue peut être comprise comme une affirmation de la mission qu’ils ont en commun dans la ligne du Nouvel Adam et de la nouvelle Eve.

Une telle interprétation permettrait d’introduire précisément la conclusion de son chapitre sur la mission apostolique de Marie qui reprend synthétiquement tous les différents aspects de ses prérogatives :

Ces différentes fonctions de la Vierge montrent également pourquoi on a pu affirmer plus haut qu'elle exerce l'apostolat à un titre unique par l'universalité et le rang de cet apostolat. Par son universalité, parce que Marie est Mère de tous les hommes, Corédemptrice universelle et distributrice de toutes les grâces. Par son rang, la mission de la Vierge étant une mission de chef, et celle de tous les apôtres une mission de subordonnés : elle seule, en effet, fut coopératrice du Christ dans l' œuvre de la Rédemption et donc elle seule aura mission d'achever cette œuvre ! Les autres apôtres ne font que l'aider dans sa mission ; - elle seule est mère des âmes, les autres ne sont que des aides dans l’éducation de ses enfants ; elle seule est distributrice de toutes les grâces, d’elle dépendent toutes les autres pour l’efficacité de l’apostolat.[746]

L’écrit-il par souci de développer cette thématique ? Dans son ouvrage sur la mission apostolique de Marie et la nôtre, il aborde plus précisément ce que nous ne trouvons pas développé dans Marie dans le dogme : le lien avec l’Eglise impliquée dans cette mission. En reprenant l’encyclique de Pie XII sur le Corps Mystique, il nous rappelle que le Christ a besoin de notre participation, ainsi Marie a vraiment besoin de nous.

Il faut vraiment maintenir, quoique cela paraisse étonnant, que le Christ a besoin du secours de ses membres […] Il veut recevoir l’aide de son Corps Mystique pour accomplir l’œuvre de la Rédemption […] Il partage avec son épouse immaculée l’œuvre de la sanctification des âmes […] Mystère redoutable, certes, et qu’on ne méditera jamais assez : le salut d’un grand nombre d’âmes dépend des prières et mortifications, supportées à cette fin des membres du Corps Mystique du Christ[747].

Il commente :

C’est un infini honneur pour nous d’être les collaborateurs, les collaborateurs nécessaires du Rédempteur et de la Corédemptrice[748].

Il va jusqu’à parler d’obligation comme exigence d’équité, d’amour et de reconnaissance «plus puissante même, pour un cœur aimant et généreux, qu’une stricte obligation de la justice commutative[749]

Dans La mission apostolique de Marie et la nôtre, le rôle de l’Esprit Saint est souligné avec force. Il nous suffit de reprendre ses commentaires pour bien saisir l’enjeu de cette approche pneumatologique et mariale tout à la fois

De même que Marie est associée à la mission de Jésus, elle l’est aussi, quoique d’une autre manière à celle du Saint-Esprit.

L’union apostolique de Marie et de l’Esprit divin date de loin. Prédestinée à être la Mère du Christ Apôtre, la Vierge devait être toute pure. Dès les premiers instants de son existence, l’Esprit sanctificateur la couvrit de son ombre, la préserva de toute tache et la remplit d’une plénitude de grâce supérieure à celle de tous les saints. Et dès ce moment, il travailla constamment en elle pour la préparer à sa mission.

Le moment de l’Incarnation venu, dès qu’elle eut prononcé son fiat, il vint en elle pour une nouvelle œuvre : ensemble, elle et lui, elle par lui, donna l’existence à celui qui devait être le grand, le seul Apôtre, celui dont tous les autres apôtres tirent leur mission. Sans cette opération commune de Marie et du Saint-Esprit, il n’y aurait pas eu de Christ apôtre, il n’y aurait eu aucun apôtre, il n’y aurait pas eu d’apostolat, du moins selon la présente économie de notre salut. En la faisant Mère du Christ, l’Esprit Saint la faisait l’associée de l’apostolat du Christ et des Douze, et de tous les hommes, prêtres et laïcs, qui s’occupent de sanctifier et de sauver le monde[750].

Il n’hésite pas à reprendre le fameux passage du Traité de la Vraie Dévotion de saint Louis Marie Grignion de Montfort faisant explicitement le lien entre Marie et l’Eprit Saint[751].

Si nous le suivions dans ses perspectives futures, nous pourrions envisager que l’Eglise, un jour, proclame sous la forme dogmatique cette mission apostolique de Marie ; de même qu’elle pourrait proclamer sa participation à la Médiation et à la Rédemption du Christ, à un titre subordonné certes, mais authentique et, aussi dans la perspective de son union avec l’Esprit Saint, l’Avocat : sa mission d’avocate.

Nous avons abordé, avant de présenter son approche de l’Immaculée Conception, quelles étaient selon Emile Neubert les conditions pour le développement possible du dogme. C’était juste avant la promulgation du dogme de l’Assomption, dans son ouvrage, paru seulement en 1952, de la découverte progressive des grandeurs de Marie, application au dogme de l’Assomption.

Reprenons avec lui cette ultime thématique pour clore cette étude centrée sur l’aspect plus dogmatique et en partie cultuel du mystère de Marie.

 

III.7 L’Assomption de Marie

Du 11 au 13 juillet 1950, la Société Française d’Etudes Mariales organisa à Saint-Laurent-Sur-Sèvre son congrès mariologique annuel, dont le thème était l’Assomption de la Vierge Marie au Ciel. Emile Neubert fut chargé de présenter à la dernière minute le rapport de Monseigneur Perler,  professeur de patrologie et d’archéologie à l’université de Fribourg (Suisse), sur l’état de la question en la foi de l’Assomption en Allemagne. Ce dernier fut empêché de se déplacer. Grâce à des demandes de précisions ultérieures qu’il suscita et sut mener à bien personnellement, il ajouta d’autres éléments très précieux d’information, de telle sorte que les deux rapports réunis offraient par leur complémentarité un horizon assez exhaustif sur la situation allemande pour ce qui concerne la foi du peuple chrétien dans le mystère de l’Assomption de la Vierge Marie au Ciel et l’opportunité d’une définition solennelle du Dogme de la part du Souverain Pontife[752].

Dans les années qui précédèrent immédiatement 1950, alors que la définition solennelle du dogme de l’Assomption commençait à apparaître comme véritablement probable, les théologiens se mirent à étudier la question de l’origine et du développement de cette doctrine et à attirer l’attention sur le problème plus général du développement dogmatique[753]. Dans l’abondante bibliographie des écrits parus à ce sujet, soit juste avant ou après la définition, nous trouvons son nom. Intégrant les résultats acquis dans ses recherches précédentes au sujet de l’histoire de la mariologie, il établit la méthode à suivre en vue de la découverte progressive des grandeurs et des privilèges de Marie. C’est ce qu’il fit dans la première partie de son étude. Nous l’avons déjà évoqué dans le chapitre des règles de discernement, à propos des définitions dogmatiques récentes.

Le peuple chrétien est le point de départ du développement du dogme. Il ne se réfere pas à un principe abstrait comme le font les spécialistes. Mais il contemple l’ensemble du mystère de la Très sainte Vierge Marie, telle qu’elle apparaît dans les Evangiles. Il perçoit alors peu à peu, sous l’inspiration de l’Esprit Saint, ce que l’amour filial de Jésus a accompli pour sa divine Mère, la faisant participer, « dans la mesure du possible et de ce qui est convenable, » à tous ses privilèges.

Dans la seconde partie de son étude, il met en application ce processus pour l’élaboration du dogme de l’Assomption. L’exposition claire, ordonnée, efficace offrit une contribution précieuse quant au processus de clarification des idées concernant le développement progressif de la mariologie. Il a pu inspirer l’étude et le travail de recherche de plus d’un théologien engagé sur ces mêmes questions[754].

Le dogme de l’Assomption est l’affirmation comme doctrine révélée que, au terme de sa course terrestre, Marie a été élevée à la gloire du ciel en corps et en âme[755].

Cette doctrine n’est pas une croyance fantaisiste basée sur des légendes, mais, nous explique-t-il : elle est une affirmation très claire pour tous ceux qui admettent la résurrection de Notre-Seigneur et leur propre résurrection[756].

Il s’attache surtout à mettre en évidence les exigences de la piété filiale de Jésus, ainsi que les vérités connexes, tout en relevant que l’Ecriture ne donne aucune mention explicite de la glorification du corps de Marie. La glorification de Marie corps et âme est alors présentée «comme une faveur qui sera le partage de nous tous, avec cette différence qu’à cause de l’union étroite de la Vierge avec son Fils, la sienne (se présente à nous comme) une glorification anticipée comme celle de Jésus[757]

Nous professons que la Mère de Dieu a été élevée au ciel non seulement en son âme, mais aussi en son corps et qu'elle jouit de la parfaite béatitude. Tel est le sentiment que depuis plusieurs siècles, les docteurs ont exprimé, qu'atteste le monde chrétien par un admirable consentement et un culte public, auquel les orthodoxes sont attachés par une conviction profonde[758].

La définition dogmatique de l'Immaculée Conception, en 1854, vérité non explicitement enseignée dans l'Ecriture, fit songer à la possible définition de l'Assomption, qui se trouvait dans le même cas. Un certain nombre de pétitions assomptionnistes furent présentées au premier Concile du Vatican, mais «la question de l'Assomption ne fut jamais posée officiellement devant les Pères du Concile»[759]. De 1849 à 1940, 2.505 pétitions d'évêques et de prélats de rang inférieur ainsi que de Supérieurs d'Ordres furent signées. Celles des évêques représentaient les 73 % de l'épiscopat catholique. Les signatures de plus de 8 millions de simples fidèles furent recueillies. Si, au point de vue de la doctrine, ces pétitions n'ont pas fait avancer la question, cependant, elles étaient comme un plébiscite du peuple chrétien en faveur de la définition. Elles ont mieux montré le sentiment commun des fidèles à cet égard, sentiment qui est, par lui-même, un des critères du caractère révélé d'une doctrine[760].

 

Il revient, comme tout naturellement, sur l’éclairage de l’Evangile :

Je te loue, Père, Seigneur du Ciel et de la terre, d’avoir caché ces choses-là aux sages et aux habiles et de les avoir révélées aux petits. Oui, Père, car tel est ton bon plaisir. (Mt 11, 54)

Il a su, en précurseur du Concile Vatican II, et dans la mouvance des orientations qui seront définies par Marialis Cultus, participer au travail de recherche des théologiens futurs. Il contribua par les pistes qu’il jette à notre réflexion, au développement du dogme futur: ainsi le dogme de l’Assomption ne serait certainement pas le dernier dogme marial que l’Eglise, guidée par l’Esprit Saint, offrirait dans son histoire.

Nous savons bien, cependant, qu’en ce début du XXIe siècle, toute évocation d’une recherche nouvelle d’énoncé dogmatique semble être incongrue dans le climat actuel des recherches des théologiens les plus en place dans ce domaine. L’argumentation première qui réfute cette orientation est le fruit de la question du dialogue œcuménique. En d’autres termes, la raison première qui est mise en avant pour bloquer toute initiative dans cette voie serait, en négatif, la difficulté de dialogue avec les frères issus de la Réforme. Peut-on clore pour autant les recherches dogmatiques mariales sur de tels fondements qui s’appuient plus sur les théologiens universitaires que sur le Magistère? L’appréciation actuelle qui consiste à évaluer des risques de nuire à l’avancée œcuménique, est-elle réellement fondée ? Sera-t-elle seulement une étape de l’histoire de l’Eglise, suivie plus tard par d’autres étapes, répondant à d’autres nécessités qui ne nous apparaissent pas aujourd’hui ?

Au contraire, un approfondissement des dogmes mariaux, ne serait-il pas le bienvenu pour débloquer des questions d’ordre œcuménique, remettant en route le processus de communion sur des bases nouvelles, éclairées par la place et la mission de Marie, Mère et Figure de l’Eglise ?

Il nous fait entrevoir dans quelles directions, il anticiperait le travail des théologiens guidés par l’Esprit Saint, s’exprimant à travers la voix du Peuple de Dieu. Il nous revient, à la suite de cette étude, l’honnêteté intellectuelle de la recherche, pour mieux saisir les enjeux de ces propositions qui émergent de tout le corpus «neubertien». Dans la mouvance de Vatican II, est-il opportun de travailler ces questions du développement du dogme, sachant aussi que ces propositions ne sont pas isolées ? Elles ne sont pas seulement le fruit du travail d’un auteur pieux, mais aussi de toute une sensibilité théologique encore actuelle, qu’il reflète bien naturellement. Ceci tient à cette cohérence d’ensemble où Marie nous est présentée comme coopérant activement à l’œuvre de son Fils.

Dans une relecture du livre de la Genèse et celui de l’Apocalypse, Emile Neubert nous donne des indications de la coopération de Marie à l’œuvre rédemptrice de Jésus[761] :

Cette œuvre consiste à détruire le péché et la mort avec la corruption qui la suit. En Jésus, pas de péché ni de mort avec corruption, mais une victorieuse résurrection et une glorification éternelle de son corps. En Marie, la Corédemptrice, pas de péché. N’y aurait-il pas aussi une mort sans corruption bientôt suivie d’une glorification dans le sein de Dieu[762] ?

Notre auteur suit la progression habituelle mentionnée plus haut : le parcours des Eglises d’Orient et d’Occident pour arriver à la proclamation du dogme de l’Assomption et des questions relatives à la mort de Marie puis aux Harmonies entre l’Assomption et les autres grandeurs de Marie. Sont évoquées de nouveau, tour à tour, la maternité spirituelle, la distributrice de toutes les grâces, la mission apostolique de Marie, la Royauté de Marie et la béatitude de Marie, à laquelle Emile Neubert consacre son dernier chapitre.

Un argument d’ordre anthropologique a retenu son attention ; il mérite d’être repris par son originalité :

Si la Vierge n’était au ciel que par son âme, il lui manquerait quelque chose pour que nous la sentions vraiment notre mère. Elle serait trop éthérée, trop loin de nous. Une mère, ce n’est pas un esprit […] C’est à travers les attitudes et les gestes de son corps que la mère témoigne son amour- par son regard, son sourire ou ses larmes, par le son de sa voix, le contact de sa main, ses étreintes amoureuses. Certainement, si nous ne pouvions concevoir la T. S. Vierge au ciel que comme une âme séparée, notre piété filiale envers elle ne serait pas tout ce qu’elle est à présent… C’est précisément par sa présence corporelle que la vierge possède ce pouvoir de pacification et de purification qui n’appartient qu’à elle […] Sans son Assomption, elle serait moins Mère, elle serait moins «maman[763]

L’argumentation de ce théologien, résolument sensible au Peuple de Dieu, n’hésite pas à rejoindre le langage de dévotion : Cœur Immaculé de Marie par exemple. Il nous offre un véritable témoignage en faveur de la théologie populaire. Ses méditations, fruit de sa contemplation amoureuse du mystère, invitent à développer les vertus théologales et morales du croyant :

Marie voit et aime Jésus dans ses enfants du ciel et dans ses enfants de la terre, elle les aime de l’affection indéfiniment accrue dont à présent elle aime Jésus. Et avec l’intensité de cet amour, s’est accrue aussi son efficacité, car maintenant elle puise à volonté dans les infinies richesses de Dieu pour les distribuer à ses enfants[764].

Le passage du dogme à la piété se fait pour lui tout naturellement, à tel point que nous pourrions reconnaître au dogme, comme une forme due à la piété populaire. Nous devons à cette piété par l’action de l’Esprit Saint dans le cœur des fidèles, le développement de la théologie mariale plus précisément, et précédant bien souvent le travail des théologiens et des papes.

Dans notre étude, nous aurons à revenir sur les questions posées par lui sur le développement possible du dogme dans les directions indiquées. Mais pour garder un fil cohérent à notre découverte de sa théologie, il nous est bon de reprendre la partie de l’aspect de la piété, aspect qui est riche des expériences du peuple des croyants au travers des générations, tant dans la transmission de la foi et les convictions que dans l’approfondissement de la figure de Marie dans le mystère du Christ et de l’Eglise.

Nous reprendrons son ouvrage de large diffusion, Mon idéal, Jésus Fils de Marie, pour entrevoir l’application théologique d’une recherche de transmission et de vulgarisation, dans le souci constant d’offrir la plénitude de la vérité, avec la précision dogmatique et la saveur du message, qui est le don des auteurs mystiques et des saints[765].

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE QUATRE                                                     

 

LA VALEUR APOSTOLIQUE DE  MON IDEAL JESUS FILS DE MARIE

 

Mon Idéal, Jésus Fils de Marie nous apparait aujourd’hui - à la lumière du chapitre De beata au Concile Vatican II - avec la thèse de l’auteur, le fondement sur lequel toute la réflexion d’Emile Neubert s’élabore. Ce petit Traité donne l’axe de sa pensée qui est de faire aimer Jésus par Marie et réciproquement selon l’échange entre elle et son Fils lors des noces de Cana : «Faites tout ce qu’il vous dira […]»

C’est un véritable «Traité marial» avec une grâce toute particulière : même si les thèmes et la problématique mariale ne sont pas tous abordés ou développés - y compris dans l’intégralité de son œuvre -, ils n’en sont pas moins sous-jacents. Sa réflexion mariale est si dense que certains sujets, non approfondis sont - comme dans toute son œuvre - si présents, qu’ils invitent à être étudiés.

En bien des endroits de Mon Idéal, on ressent la discrète présence de Marie, comme si elle s’était invitée dans sa rédaction. Elle nous donne sous la plume d’Emile Neubert une doctrine vécue d’une considérable profondeur ascétique et mystique, elle conserve aujourd’hui sa valeur substantielle, mais doit être relue et interprétée à la lumière du Concile. Mon Idéal prouve à l’envi selon l’expression du pape Jean-Paul II dans l’encyclique Redemptoris Mater (RM 47) que «Marie est présente dans l’Eglise comme Mère du Christ et en même temps comme la Mère que le Christ, dans le mystère de la Rédemption, a donnée à l’homme en la personne de Jean. »

 L’esprit marial christocentrique du chapitre De Beata au Concile Vatican II, est rejoint par Mon idéal. Ce chapitre inspire le première encyclique mariale de Jean-Paul II Redemptoris Mater où la médiation maternelle de Marie apparaît d’abord dans le mystère du Christ (RM 7-24 ; 38-41), puis dans la vie de l’Eglise (RM 23-37 ; 42-44), pour mieux inviter le lecteur à contempler in fine la même réalité dans la vie personnelle du chrétien (RM 44-45). Nous puiserons à cette inspiration pour étudier ce fameux Traité qu’Emile Neubert eut le génie d’écrire et de proposer dans la perspective de l’évangélisation atteignant tous les continents.

IV.1 Réception ecclésiale et valeur doctrinale de Mon idéal, Jésus Fils de Marie

Si on considère Mon idéal, Jésus Fils de Marie sous l’angle de sa réception ecclésiale et sous celui du fondement de son développement qui est le don que Jésus fait de sa Mère à l’Eglise et à l’humanité, il doit être considéré en tant que texte de spiritualité mariale et missionnaire.

L'enseignement contenu dans ce livre est à considérer du point de vue christologique, puis du point de vue ecclésiologique, dans l’optique de la mission.

Son christocentrisme est exposé clairement sous le titre du premier chapitre du Livre I Je vous ai donné l’exemple. Suit l’exposé des exigences de Mon idéal au livre II, lui-même suivi au livre troisième par le but de Mon idéal qui n’est rien de moins que la transformation en Jésus. Le livre IV est une invitation à l’apostolat marial sous le titre mon soldat.

Il nous revient de redécouvrir la doctrine de l’apostolat marial à la lumière du Concile Vatican II, de la Constitution Lumen Gentium et spécialement du chapitre VIII De beata sur la bienheureuse Vierge Marie dans le Mystère du Christ et de l'Eglise.

 

IV.1.1 L’inspiration directrice et sa réception

Le Père Neubert, à l’occasion de la dixième édition de Mon idéal, Jésus Fils de Marie, dans sa nouvelle introduction, constatait le succès de ce petit Traité, qui ne se dément pas en ce début de XXIe siècle[766].

Ce livre connut «un succès immédiat» dans l'ensemble du Peuple de Dieu. «Les traductions en différentes langues prouvent le succès qu’il rencontre et le bien qu’il fait[767].» L’idée de la composition de Mon idéal, à son départ, ne fut pourtant pas encouragée par ses confrères. Il conçut l’idée de cet ouvrage[768] vers 1930 alors qu’il passait quelques jours de vacances dans une de nos communautés de France :

Au réfectoire, on lisait la vie du fameux chancelier de l'Université de Paris : Gerson. L'auteur cherchait à prouver que c'était Gerson qui avait écrit l'Imitation de Jésus-Christ. A cet effet, il analyse le livre, sa doctrine, ses mérites, les raisons pour lesquelles on la lit toujours avec intérêt et profit, pourquoi ce livre ne vieillit pas. L'idée me vint d'écrire, quand mes occupations me le permettraient, un livre analogue sur la vie d'union à Marie. J'essayai. Mon essai me plut assez. Je le montrai à un confrère pour avoir son avis. En me rendant mon manuscrit, il me dit : «Cela ne prendra pas, vous verrez.» Je gardai cependant ma confiance. Sur ce, je lus dans une revue, qu'on venait de créer à Marseille une nouvelle maison éditrice, les Editions Publiroc, et qu'on demandait des manuscrits. J'envoyai le texte de Mon idéal et proposai timidement une édition de deux mille exemplaires.

Mais très vite, la demande de ce livre se fit pressante[769] : ce «succès immédiat» devint durable, il augmenta avant et après la seconde guerre mondiale surtout et se poursuit jusqu’au début du XXIe siècle avec une nouvelle édition en langue française, publiée au Canada en 2003.

Dans le milieu du XXe siècle, sa diffusion est comparable à celle de l'Histoire d'une âme de sainte Thérèse de Lisieux. Dans les écrits de ces deux auteurs, la doctrine présente les mêmes caractéristiques évangéliques de profondeur, de simplicité et de radicalité. Leur doctrine est christocentrique et trinitaire, mariale, ecclésiale et missionnaire. Elle illumine le combat spirituel, le chemin de sainteté, une obligation pour tous les baptisés. Elle soutint toute une génération dans sa marche vers la sainteté, en participant à la Mission de Marie. De grands témoins de la foi, de la première moitié du XXe siècle, l’accueillirent favorablement en même temps que l'Histoire d'une âme : saint Maximilien Kolbe et Frank Duff.

Le Père Kolbe, deux ans seulement après sa parution, en fait le commentaire suivant dans une lettre écrite de Nagasaki au Japon le 12 juillet 1935 au P. Mariano Wójcik à Niepokalanów en Pologne : «Le marianiste Emile Neubert a publié un livre intitulé Mon idéal, Jésus Fils de Marie (Editions Publiroc, Marseille). L’esprit qui l’imprègne est tout à fait le nôtre»[770].

 

IV.1.2 Mon idéal comme synthèse de l’enseignement du Père Emile Neubert

La doctrine d’Emile Neubert se fonde sur l'Evangile, et tout particulièrement sur la réponse de Marie à l’ange Gabriel lors de l’Annonciation, mais également sur les paroles du Rédempteur adressées sur la Croix à sa Mère et à son Disciple.

Dans son encyclique Redemptoris Mater (n°23), Jean-Paul II commente :

Le récit de Jean est concis : «Près de la Croix de Jésus se tenaient sa Mère et la sœur de sa Mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie de Magdala. Jésus donc, voyant sa Mère et, se tenant près d'elle, le disciple qu'il aimait, dit à sa Mère : "Femme, voici ton fils". Puis il dit au disciple : "Voici ta Mère". Dès cette heure-là, le disciple l'accueillit chez lui» (Jn 19, 25-27).

On reconnaît assurément dans cet épisode une expression de la sollicitude unique du Fils pour la Mère qu'il laissait dans une très grande douleur. Cependant le «testament de la Croix» du Christ en dit plus sur le sens de cette sollicitude. Jésus faisait ressortir entre la Mère et le Fils un nouveau lien dont il confirme solennellement toute la vérité et toute la réalité. On peut dire que, si la maternité de Marie envers les hommes avait déjà été antérieurement annoncée, elle est maintenant clairement précisée et établie : elle résulte de l'accomplissement plénier du mystère pascal du Rédempteur. La Mère du Christ, se trouvant directement dans le rayonnement de ce mystère où sont impliqués les hommes - tous et chacun -, est donnée aux hommes - à tous et à chacun - comme Mère. L'homme présent au pied de la Croix est Jean, «le disciple qu'il aimait». Et pourtant, il ne s'agit pas que de lui seul. Selon la Tradition, le Concile n'hésite pas à appeler Marie «Mère du Christ et Mère des hommes» : en effet, elle est, «comme descendante d'Adam, réunie à l'ensemble de l'humanité [...], bien mieux, elle est vraiment "Mère des membres [du Christ] ayant coopéré par sa charité à la naissance dans l'Eglise des fidèles "».

La parole créatrice que le Rédempteur adressa à sa Mère et au disciple créa une relation spécifique entre Marie et l'Eglise naissante représentée par l’apôtre et évangéliste Jean. Emile Neubert occupe une place éminente parmi les témoins de la foi qui expérimentèrent le don que fait Jésus de sa Mère à l'Eglise. Il s’identifia à ce disciple bien-aimé qui, par la foi en la parole de Jésus, reçut Marie chez lui, dans toutes les dimensions de sa propre vie. Il ne cessera de vivre cette parole de l'Evangile. Il en expérimentera le caractère dynamique et christocentrique, car ce don de Marie vient de Jésus et conduit à Jésus. Ce disciple ne cesse d’accueillir cette parole par son obéissance.

Ô ma Mère, je crois en toi et en la mission que ton Fils t’a confiée. Je crois qu’en m’appuyant sur toi je serai tout-puissant.

Fais-moi visiblement échouer chaque fois que j’agirai en mon nom, pour me forcer à n’agir qu’au tien.

Alors, je t’aiderai efficacement à amener des multitudes d’âmes à Jésus et je réaliserai vraiment la prière que j’aime à répéter à chaque heure du jour et chaque fois que je me réveille pendant la nuit : «Que le Père, le Fils et le Saint-Esprit soient glorifiés en tous lieux par l’Immaculée Vierge Marie[771] !»

Mon idéal est la synthèse de sa doctrine exprimée dans ses œuvres. C'est la «doctrine vécue» d'un religieux prêtre qui fut essentiellement formateur et éducateur. Il désirait faire bénéficier tous les baptisés des richesses de la mission apostolique de Marie.

Sa doctrine se fonde sur de solides bases culturelles, théologiques et spirituelles, qu’il reçut pendant ses années d’étude et de formation.

Sa pensée s’enracine dans l'Ecriture Sainte et dans la théologie patristique. Elle se situe également dans le courant de l'Ecole Française de Spiritualité que renforce son souci christocentrique. Il porte également son attention sur la contemplation du Mystère de l'Incarnation, il développe sa doctrine sur Marie et sa vision de l'Eglise comme Corps Mystique du Christ.

Dans ses écrits, il cherchera toujours à rendre accessible, pour le peuple de Dieu, les plus grandes vérités du Mystère chrétien et de la vie spirituelle. Il utilisera pour y parvenir des paraboles, des images et des symboles avec un style clair, très sobre au point même de paraître pauvre dans l’expression. En cela, il rejoint malheureusement un style néo-conformiste de la langue française de son temps. Il faut souligner que l’expression littéraire ne fut en aucune manière sa préoccupation.

Dans Mon idéal, la doctrine de son œuvre à venir est présente. Elle s’élabore en partant d’une synthèse nouvelle et originale de la vie spirituelle. Elle a pour centre le Mystère de l'Incarnation du Fils : pour nous les hommes et pour notre salut, Il descendit du Ciel ; par l'Esprit Saint il a pris chair de la Vierge Marie et s'est fait homme.

Marie est au cœur du Mystère de Jésus. C’est un christocentrisme dynamique, comme chez les Pères et les Docteurs où tout vient de Dieu et tout retourne à Dieu «par Lui, avec Lui et en Lui». Dieu le Père donne l'Esprit et l'Esprit nous conduit au Père par le Christ Jésus.

Jésus est la voie, la vérité et la vie, dans le mouvement descendant de l'Incarnation comme dans le mouvement ascendant de notre divinisation, car Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu.

Marie est présente dans cette dynamique du Mystère de son Fils. Elle est présente à sa venue dans l'Incarnation et elle le sera à son retour au Père dans la Passion et la Résurrection, mais aussi après l’Ascension, par la mission apostolique qui lui revient et, par laquelle elle prépare le corps du Christ au retour en gloire de son Fils.

Dans Mon idéal, il contemple les principales vérités de la foi à la manière des Pères : l'Incarnation, la Rédemption, la mission de l'Eglise. Ce livre n’est en réalité rien d'autre que le développement de la vie chrétienne par la grâce. Elle commence au baptême et culmine dans la mission. C’est là, sa dynamique, car il se laisse saisir par le Cœur de Marie.

Ce livre correspond à l'expérience de l'Eglise qui, dès ses origines, expérimente comment Marie parle aux disciples de Jésus. Elle leur enseigne la pure vérité de la foi en Jésus, elle ne cesse de leur répéter : «Faites tout ce qu'il vous dira» (cf. Jn 2, 5). La sainte Mère de Dieu est, en tant que Vierge-Mère, réellement le plus pur «miroir du Verbe Incarné[772]», miroir qui réfléchit la vérité de son propre Mystère et dissipe toutes les erreurs :

Dans la lutte pour les âmes, je lui ai infligé des défaites dès les tout premiers temps de l’Eglise. Depuis cette époque, j’ai détruit toutes les hérésies dans l’univers entier et j’ai ramené dans la voie du salut d’innombrables pécheurs[773].

La Vierge Immaculée appelle tous les disciples de Jésus à la conversion pour la mission. En un écho fidèle, elle reprend toutes les exigences que Jésus enseigna. La synthèse mariale de Mon idéal présente tous les plus grands paradoxes de la foi chrétienne qui partent de l'Incarnation à la Croix. C'est ce que le Concile déclare :

Intimement présente en effet à l'histoire du salut, Marie rassemble et reflète en elle-même d'une certaine façon les requêtes suprêmes de la foi et elle appelle les fidèles à son Fils et à son sacrifice, ainsi qu'à l'amour du Père, lorsqu'elle est l'objet de la prédication et de la vénération[774].

 

IV.2 Prolonger la relation de Jésus pour Marie : un christocentrisme dynamique

La Constitution Lumen Gentium invitait les théologiens et les prédicateurs à «mettre dans une juste lumière le rôle et les privilèges de la Bienheureuse Vierge Marie, lesquels sont toujours orientés vers le Christ, source de la vérité totale, de la sainteté et de la piété[775].» Paul VI, en promulguant la Constitution, insistait sur ce point :

Nous désirons avant tout que soit mis pleinement en lumière le fait que Marie, humble servante du Seigneur, est toute relative à Dieu et au Christ Unique Médiateur et notre Rédempteur[776].

Il en est de même pour Emile Neubert, il situe Marie en dépendance du Christ Rédempteur, l’Apôtre par excellence. Marie n’existe que pour Jésus, pour être aimée par Lui. Il met dans la bouche du Christ ces paroles :

Contemple maintenant ce que mon amour filial m’a inspiré pour ma Mère.

De toute éternité, je pense à elle et je l’aime, car de toute éternité, je vois en elle ma future Mère.

Je pense à elle en créant les cieux avec les anges ; je pense à elle en façonnant la terre et les hommes.

Je pense à elle en prononçant ma sentence contre tes premiers parents ; je pense à elle en me révélant aux patriarches et aux prophètes.

Par amour pour elle, je la comble de privilèges dont chacun dépasse ce que j’ai fait de plus grand pour toutes les autres créatures, et, en sa faveur, je suspends les lois qui atteignent tous les autres hommes. Elle, et elle seule, je la rends immaculée dans sa conception, libre de toute concupiscence, exempte de toute imperfection, pleine de grâce plus que tous les anges et tous les saints, Mère de Dieu et toujours Vierge, glorifiée dans son corps, comme moi-même, dès avant la résurrection générale[777].

Jésus aima sa Mère, il l’aima d’un amour spontané, gratuit, propre à toute créature. La mesure de cet amour est l’amour du Créateur pour sa créature. Marie, parce qu’elle est la plus importante de toutes les créatures, se sut aimée par Dieu plus que toutes les autres y compris angéliques :

Que ne dut pas être la consolation de Marie de se voir aimée d’un amour si singulier : amour incommensurable du plus parfait des enfants des hommes, amour infini de son Dieu ; amour qui l’élisait et la prédestinait avant toutes les créatures, conjointement avec l’humanité du Christ ; qui, avec Jésus, la promettait aux hommes dès la chute d’Adam, et, à travers toute l’Ancienne Alliance, la leur présentait comme leur grande consolation ; amour qui, dans sa conception déjà, la formait plus belle, pure, plus sainte que toutes les créatures humaines, et qui continuait à la combler de grâces et de privilèges inouïs parmi les anges et parmi les hommes[778].

Mais à cet amour de Dieu, vient s’unir et non pas se surajouter l’amour filial du Christ pour sa Mère, sa Maman, celle par qui il reçut sa nature humaine :

Et ici encore, il y eut entre l’amour de Jésus pour Marie et son amour pour les autres élus, une différence non seulement de degré mais aussi de nature. Les autres créatures, le Fils de Dieu les aime comme on aime des serviteurs, des frères d’adoption ; il aime Marie comme sa vraie Mère. Il l’aime et elle seule d’un amour filial. Entendre Jésus lui dire : «Ma Mère !», voir le Fils de Dieu d’abord petit Enfant, puis Adolescent, puis Homme fait, lui témoigner les marques d’un amour filial de toute éternité et que cet amour n’aura pas de fin, que toujours Jésus sera son Fils, que toujours elle sera sa Mère, oh ! L’infinie béatitude[779] ! [...]

L’amour salvifique de Dieu pour sa Mère, considéré dans son premier aspect est la cause de la prédestination de la Vierge, mais il en est également l’effet s’il est considéré sous son second aspect. Dieu aima la Vierge d’un amour éternel, elle est devenue ce qu’elle est : Mère de Dieu, Mère des hommes, Co-rédemptrice etc. Mais en sa qualité de Mère de Dieu, elle est aimée d’un incomparable amour filial.

Si Marie fut créée par Jésus, pour être sa Mère, cette vocation unique ne se limita pas à être seulement une vocation à devenir la Mère du corps physique du Christ-tête. Elle fut appelée, dans le même mouvement, à devenir la Mère du Corps Mystique du Christ. Sa mission de Mère du Christ, de Mère de Dieu, s’étend à tout le corps du Christ. Nous passons de la maternité divine à la maternité spirituelle de Marie pour tout le Corps Mystique du Christ qui est l’Eglise :

Comprends-tu maintenant comment, en te rendant participant de la vie de Dieu, Marie est vraiment ta Mère dans l’ordre surnaturel, de même que celle qui t’a donné la vie humaine est vraiment ta Mère dans l’ordre naturel ?

Elle l’est même bien plus.

Elle l’est bien plus par la manière dont elle te donne la vie.

Pour t’enfanter, elle a donné incomparablement plus que ta Mère terrestre : d’inénarrables souffrances et la vie de Celui qui lui était infiniment plus cher que sa propre vie.

[…] Elle l’est bien plus surtout par la nature de la vie qu’elle t’a donnée.

Elle t’a donné non une vie éphémère comme ta vie terrestre, mais une vie sans fin ; non une vie mêlée d’imperfections et d’angoisses à la manière de la vie présente, mais une vie incomparablement heureuse ; non une vie créée, humaine ou angélique, mais - comprends-le bien - une participation à la vie incréée, à la vie même de Dieu, à la vie de la très Sainte Trinité […] Quelle maternité humaine pourrait entrer en comparaison avec une telle maternité ?

Or, Marie est ta vraie Mère, et une Mère si parfaite, parce qu’elle est ma Mère.

Et tu es mon frère, mon frère infiniment cher, parce que mon Père est ton Père et ma Mère est ta Mère […] [780]

La Vierge, Mère du Corps Mystique, existe pour être aimée du Christ-tête et du Christ total en chacun de ses membres. L’union du chrétien avec Jésus doit devenir peu à peu une unité d’être et d’action ; c’est pourquoi tout baptisé est appelé à aimer sa Mère céleste en union avec le Christ. Il devient le modèle de notre relation filiale avec Marie :

Tu vis par moi. Mes dispositions doivent devenir tes dispositions.

Je suis le cep de la vigne, tu en es une branche : la même sève circule dans le cep et dans les branches.

Je suis la tête, tu es un membre de mon Corps Mystique : le même sang coule dans la tête et dans les membres.

Quand tu es pur, c’est moi qui suis pur en toi ; quand tu es patient, c’est moi qui suis patient en toi ; quand tu pratiques la charité, c’est moi qui pratique la charité en toi ; tu vis, ce n’est plus toi qui vis, c’est moi qui vis en toi ; tu aimes ma Mère, non, ce n’est plus toi qui l’aimes, c’est moi qui l’aime en toi[781].

 

IV.2.1 Le Mystère de l'Incarnation jusqu’à la Croix rédemptrice

Dans sa doctrine comme dans la théologie des premiers Pères de l'Eglise, le Mystère de l'Incarnation est le point de perspective de toute l'Economie du salut.

Emile Neubert contemple tous les mystères à partir de l'Incarnation qui s'est accomplie au moment de l'Annonciation. Dans Mon idéal, Marie apparaît comme la réponse de Dieu face à la désobéissance d’Adam et Eve :

Je pense à elle en prononçant ma sentence contre tes premiers parents ; je pense à elle en me révélant aux patriarches et aux prophètes[782].

La Mère, c’est la femme qui donne la vie. Marie t’a donné la vie, la vie par excellence.

Elle te l’a donnée à Nazareth, au Calvaire et dans ton baptême. A Nazareth, elle t’a conçu en me concevant.

Elle savait qu’en répondant à Gabriel «oui» ou «non» elle te donnerait la vie ou te laisserait dans la mort. Elle a dit «oui» pour que tu vives. En consentant à me donner la vie, elle consentait à te la donner aussi. En devenant ma Mère, elle devenait la tienne[783].

Le Cardinal de Bérulle et les auteurs de l’Ecole Française de Spiritualité pour qui, l'Incarnation récapitule la création ainsi que les Mystères de la Rédemption et de l'Eglise, reprirent et approfondirent cette perspective patristique. Le bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade la développera largement, Emile Neubert s’en inspirera.

L’obéissance maternelle de la Nouvelle Eve dans l'Incarnation, «de manière à porter Dieu en obéissant à sa parole»[784], est liée à l'obéissance filiale au Père du Nouvel Adam «jusqu'à la mort et la mort de la Croix» (cf. Ph 2, 8). Il contemple Marie près de la Croix, acceptant pleinement le Sacrifice de son Fils. Marie offre à Dieu le Père son Fils Jésus et, dans le même mouvement, Jésus s’offre à son Père : «immolé par son consentement au Père Eternel, comme autrefois Isaac par le consentement d'Abraham à la volonté de Dieu[785]

Sur le Calvaire, elle t’a enfanté en m’offrant en sacrifice pour toi.

Ta libération du péché et de la mort n’a été consommée que sur le Golgotha. C’est là que j’achevai «la destruction de celui qui détenait l’empire de la mort» et te méritai, par ma mort, la grâce de vivre de ma vie. Or, c’est en union avec Marie que j’accomplis cette œuvre. Elle m’avait conçu comme victime ; elle m’avait nourri et élevé en vue du sacrifice ; et au moment suprême, elle m’offrit au Père pour ton salut, renonçant, en ta faveur, à ses droits maternels sur moi. Et celle qui, toujours vierge, ne connut que la joie dans la naissance de son premier-né t’enfanta, toi et tes frères, dans la douleur la plus angoissante[786].

 

IV.2.2 Marie, Mère de l’Eglise, Corps Mystique du Christ

Dans l'Incarnation, la réalité du Corps Mystique de Jésus-Christ qui est l’Eglise est présente, autant que son obéissance rédemptrice. Il poursuit la réflexion de saint Thomas, de Bérulle et de Guillaume-Joseph Chaminade sur le symbole paulinien de la Tête et des membres de façon forte et réaliste ; «la Tête et les membres sont perçus comme une seule personne mystique[787].» Jésus est la Tête du Corps Mystique dès l'instant de sa conception, à cause de l'union hypostatique :

Dès cette heure (de l’Annonciation), dans les desseins de Dieu et dans ses desseins - car elle entrevoyait les desseins de Dieu et elle y adhérait de toute son âme - tu faisais partie de mon Corps Mystique. J’en étais la tête, tu en étais un membre. Ensemble, quoique d’une autre façon, Marie nous portait tous deux dans son sein maternel, car les membres et la tête ne sont pas séparés[788].

Lors du congrès mariologique de Salamanque en 1949, auquel il participa ainsi que le Père Du Manoir et Monseigneur Philips, cette idée fut reprise. Il prononça une conférence sur Le Mystère du Christ et le Mystère de Marie au cours de laquelle il développe l’idée que nous pourrions considérer vraiment comme une clef d’interprétation et de compréhension de toute sa pensée mariale, la spécificité du mystère de Marie : il est évident pour lui, que Marie tient une place et un rôle unique à côté de son Fils. Elle est la Mère du Christ-tête mais aussi du Christ total, dans son sens mystique.

S’il nous fallait rechercher le premier principe fondateur de la mariologie d’Emile Neubert, nous devrions regarder au-delà de la maternité divine et de sa coopération à la Rédemption, deux éléments qui ne peuvent rendre compte totalement du mystère de Marie. Il s’agit de l’approfondir et, nous trouverions le principe qui porte ces deux réalités ; il devrait embrasser toute l’approche mariale, nous le trouvons constamment sous sa plume comme une couleur primaire pour toute son œuvre : la maternité de la Vierge en vue du Christ total ; une maternité que lui confirma le Crucifié qu’elle accompagna avec Jean, le disciple bien-aimé, tous les deux debout au pied de la Croix dans un amour offert et de compassion.

La maternité ecclésiale de Marie destinée à tous les hommes sans exception, qui va s'épanouir à la Croix, commence mystérieusement au moment de l'Incarnation. En portant dans son sein «Celui que les cieux ne peuvent contenir», elle porte tous les membres de son Corps. Paul VI exprima la même doctrine quand il promulgua la Constitution Lumen Gentium et lorsqu’il proclama Marie Mère de l’Eglise :

Comme la divine maternité est le fondement de la relation unique de Marie avec le Christ et de sa présence dans l'œuvre du salut opéré par le Christ, de même, cette divine maternité est le fondement principal de la relation entre Marie et l'Eglise. Marie est en effet la Mère du Christ qui, dès l'instant où il a assumé la nature humaine dans son sein virginal, a aussitôt uni à lui-même, comme à la Tête, son Corps Mystique qui est l'Eglise. Donc, Marie, comme Mère du Christ, est aussi Mère de tous les fidèles et de tous les pasteurs, c'est-à-dire Mère de l'Eglise.

Dans Mon idéal, nous retrouvons les mêmes accents quand Emile Neubert fait parler Marie en ces termes :

En m’annonçant que le Fils de Dieu désirait naître de moi, Gabriel m’annonçait en même temps que ce Fils de Dieu devenu mon fils s’appellerait Jésus ou Sauveur, et je comprenais que ce Sauveur voulait m’associer à son œuvre rédemptrice. Je voyais que, par mon consentement à coopérer à la proposition divine, je consentirais à coopérer à la fois au mystère de l’Incarnation et au mystère de la Rédemption.

Je donnai mon consentement.

Depuis ce moment jusqu’au dernier soupir de Jésus, je travaillai avec lui au rachat des hommes : en fournissant la substance de la Victime et en élevant cette Victime en vue du sacrifice, en unissant mes supplications et mes souffrances à ses supplications et à ses souffrances, ma volonté à sa volonté, et en offrant mon fils au Père céleste pour l’immolation suprême. Jésus était Rédempteur : je fus sa co-rédemptrice[789].

Dans sa Lettre aux Familles montfortaines, le pape Jean-Paul II synthétise avec une grande clarté la doctrine conciliaire, doctrine qu’Emile Neubert possédait concernant Marie, Mère de l'Eglise :

Le Concile contemple Marie comme Mère des membres du Christ (cf. LG 53, 62), et ainsi Paul VI l'a proclamée Mère de l'Eglise. La doctrine du Corps Mystique, qui exprime de la manière la plus forte l'union du Christ avec l'Eglise, est également le fondement biblique de cette affirmation. Dans le Christ, le Fils unique, nous sommes réellement des enfants du Père et, dans le même temps, des enfants de Marie et de l'Eglise. Dans la naissance virginale de Jésus, c'est d'une certaine façon toute l'humanité qui renaît. A la Mère du Seigneur on peut appliquer plus véritablement que saint Paul ne se les applique, ces paroles : «Mes petits enfants, vous que j'enfante à nouveau dans la douleur jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous (Gal 4, 19)[790]

Jean-Paul II affirme que l’humanité renaît dès la naissance virginale de Jésus ; ce faisant, il nous renvoie à l'un des aspects essentiels de la «doctrine neubertienne» : le lien profond qui existe entre le Mystère de l'Incarnation et le Sacrement du baptême.

A ton baptême, Marie te donne la vie, non plus seulement en droit, comme sur le Calvaire, mais en fait. Ta Mère naturelle n’a mis au monde qu’un enfant mort-né. Pour que tu arrives à la vie, il faut que la grâce sanctifiante te soit infusée dans les fonts baptismaux.

Cette grâce sanctifiante, c’est Marie qui te l’a obtenue, elle sans qui nulle grâce n’est jamais donnée. Quand, d’enfant de colère, tu devins enfant de Dieu, c’est Marie qui t’enfantait à la vie divine.

Comprends-tu maintenant comment, en te rendant participant de la vie de Dieu, Marie est vraiment ta Mère dans l’ordre surnaturel, de même que celle qui t’a donné la vie humaine est vraiment ta mère dans l’ordre naturel[791] ?

Dans la perspective de l'Ecriture et, sur les traces des premiers Pères de l'Eglise, l'enseignement spirituel de Mon idéal se fonde sur le baptême qu’il considère précisément comme la nouvelle naissance des membres du Christ. Tout baptisé «est né de l'eau et de l'Esprit» (Jn 3, 5) pour être incorporé dans le Christ. En effet, «nous avons tous été baptisés en un seul Esprit pour former un seul Corps» (1 Co 12, 13). Comme saint Irénée, il contemple le mystère de la naissance baptismale, dans la lumière de l’Incarnation[792]. Dans l'Eglise, le baptême «actualise» continuellement le mystère de la maternité virginale de Marie par l'action de l'Esprit Saint. C'est le même «sein virginal» de Marie et de l'Eglise qui conçoit et enfante le Christ et les membres de son Corps[793].

Notre auteur fait s’adresser Jésus à tous les baptisés en leur disant :

Nouvel Adam, je voulus, pour réparer la faute première, m’associer ma Mère en qualité de nouvelle Eve, par une coopération de volonté, de prière et de sacrifice : elle comprit parfaitement et consentit généreusement[794].

Dans le texte de Mon idéal, à la suite de Guillaume-Joseph Chaminade, qui applique les paroles de saint Paul à Marie : «J'enfante tous les jours les enfants de Dieu, jusqu'à ce que Jésus-Christ mon Fils soit formé en eux dans la plénitude de son âge», Emile Neubert commente cette maternité de Marie par ces termes :

Elle continue, pendant tout le cours de ton existence, à s’occuper de toi, alors que les mères terrestres ne prennent soin de leurs enfants que jusqu’à l’âge adulte. Toujours tu seras son «petit enfant qu’elle enfante de nouveau jusqu’à ce que le Christ soit formé en toi[795]

Ces derniers mots font allusion aux paroles de saint Paul, ils concernent la croissance des membres du Christ : «jusqu'à l'état de l'homme parfait, dans la force de l'âge, qui réalise la plénitude du Christ» (Eph 4, 13). Dans ses écrits, c'est une des expressions clefs qui soulignent que nous sommes appelés à une relation filiale envers Marie. Le but de la vie spirituelle, à travers ses diverses étapes, est d’atteindre le but que se fixe Marie : la transformation en Jésus. Notre auteur met ces paroles sur la bouche de Marie :

Mon Fils bien-aimé, toi que j’ai enfanté en enfantant Jésus, toi en qui je vois Jésus et que j’aime de l’amour dont j’aime Jésus, mon Fils premier-né t’a appris à être pour moi ce qu’il a été lui-même ; je vais être pour toi ce que j’ai été pour lui.

Comme lui, tu t’es tout donné à moi. Mais je ne veux pas te garder pour moi seule. C’est pour Jésus et pour toi, pour Jésus en toi et dans les autres, que je t’ai appelé à être mon enfant de prédilection. Tu ne peux encore comprendre tout ce que je te dis ; tu le comprendras peu à peu […][796]

Dieu appela Marie à une tâche bien précise quant au Christ total : alors qu’elle donna au Verbe de Dieu l’humanité de Jésus, son corps physique, pour que s’opère notre Rédemption, elle reçoit en échange un Corps Mystique destiné à être l’objet de son amour et de ses attentions maternelles. Elle devra le reconstituer dans l’unité avec le Christ-tête, car c’est seulement dans cette unité que les hommes trouveront la vie et le salut. Mon idéal peut être lu dans la grande perspective patristique du nouvel Adam et de la nouvelle Eve, bien développée dans Marie dans le dogme.

Au pied de la croix, «elle était triste, parce que son heure était venue», heure d’angoisses indicibles, suite de la malédiction de la première Eve. Mais à présent, c’est de nouveau l’ineffable joie de l’enfantement virginal, comme à cette autre inoubliable heure où, dans la grotte de Bethléem, elle mit au monde son Premier-né, le Christ. C’est «le plus grand Christ» qu’actuellement elle enfante, et nouvelle Eve, elle est vraiment la Mère des Vivants. Ainsi par son triple concours à l’incarnation, à la Rédemption et à la distribution de la grâce - concours qui n’est triple que dans ses moments, mais est un dans son intention - elle nous a vraiment donné la vie surnaturelle, et elle a aussi vraiment coopéré à notre naissance comme enfants de Dieu, que nos mères selon la nature ont contribué à notre naissance comme enfants d’Adam[797].

Il convient maintenant d’approfondir cette mission maternelle de Marie, elle est aussi celle de l’Eglise. Elle est appelée à faire naître à la vie nouvelle du baptême les hommes qui accèdent à la foi. Une brève reprise de l’enseignement du Concile Vatican II nous aidera à bien situer l’enseignement d’Emile Neubert sur le rôle maternel de Marie.

 

IV.2.3 «Munus maternum» : Le rôle maternel de Marie et de l'Eglise

IV.2.3.1 La doctrine du concile Vatican II

Le Concile mit en lumière la maternité de Marie et de l'Eglise, un mystère de vie et de relation d'amour avec le Christ et tout le genre humain. Marie est vraiment la «Mère de Dieu et des hommes[798]», Mère du Rédempteur et de l'homme racheté, c'est-à-dire de tout homme sauvé par le Christ. La Nouvelle Eve est «Mère de tous les vivants[799]». L'accent est mis sur le «rôle» (munus) maternel de Marie[800]», considéré dans toute son extension : «dans le Mystère du Verbe Incarné et de son Corps Mystique[801]». Ce rôle, annoncé dans l'Ancien Testament[802], se manifeste en une libre coopération au moment de l'Incarnation :

C'est donc à juste titre que les Saints Pères considèrent que Marie ne fut pas seulement un instrument passif dans les mains de Dieu, mais qu'elle coopéra au salut du genre humain par la liberté de sa foi et de son obéissance. En effet, comme dit saint Irénée, par son obéissance elle est devenue, pour elle-même et pour tout le genre humain, cause de salut[803].

Marie, par son fiat engage tout son être dans cette coopération, car elle a «accueilli dans son cœur et dans son corps le Verbe de Dieu[804]». Ensuite, elle est contemplée à «la Croix, souffrant cruellement avec son Fils unique, associée d'un cœur maternel à son sacrifice, donnant à l'immolation de la victime, née de sa chair, le consentement de son amour[805].» La coopération de Marie exprime sa parfaite communion à tous les mystères de son Fils :

En concevant le Christ, en le mettant au monde, en le nourrissant, en le présentant dans le Temple à son Père, en souffrant avec son Fils qui mourait sur la croix, elle apporta à l'œuvre du Sauveur une coopération absolument sans pareille par son obéissance, sa foi, son espérance, son ardente charité, pour que soit rendue aux âmes la vie surnaturelle. C'est pourquoi elle est devenue pour nous, dans l'ordre de la grâce, notre Mère[806].

Le texte conciliaire, poursuivant sa logique, met en lumière l'extension de sa maternité :

A partir du consentement qu'elle apporta par sa foi au jour de l'Annonciation et qu'elle maintint dans sa fermeté sous la croix, cette maternité de Marie dans l'économie de la grâce se continue sans interruption jusqu'à la consommation définitive de tous les élus. En effet, après son Assomption au ciel, son rôle (munus) dans le salut ne s'interrompt pas : par son intercession répétée, elle continue à nous obtenir les dons qui assurent notre salut éternel. Son amour maternel la rend attentive aux frères de son Fils dont le pèlerinage n'est pas achevé, ou qui se trouvent engagés dans les périls et les épreuves, jusqu'à ce qu'ils parviennent à la patrie bienheureuse[807].

La même coopération maternelle est encore affirmée par rapport au Christ et à nous :

Elle engendra son Fils, dont Dieu a fait le premier-né parmi beaucoup de frères (Ro 8, 29), c'est-à-dire parmi les croyants, à la naissance et à l'éducation desquels elle apporte la coopération de son amour maternel[808].

En union avec Marie, tel est aussi l'amour maternel de l'Eglise et sa coopération au salut de tous les hommes :

La Vierge a été par sa vie le modèle de cet amour maternel dont doivent être animés tous ceux qui, associés à la mission apostolique de l'Eglise, coopèrent à la régénération des hommes[809].

Cette coopération maternelle de Marie (et de l'Eglise) est expliquée comme participation à l'unique médiation du Christ :

Unique est notre Médiateur selon les paroles de l'Apôtre : Car il n'y a qu'un Dieu, il n'y a aussi qu'un Médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s'est donné en rançon pour tous (1Tm 2, 5-6). Le rôle maternel (maternum munus) de Marie à l'égard des hommes n'offusque et ne diminue en rien cette unique médiation du Christ : il en manifeste au contraire la vertu[810].

Sur ce point, l'enseignement du Concile est d'une grande clarté :

Aucune créature ne peut jamais être mise sur le même pied que le Verbe incarné et Rédempteur. Mais tout comme le sacerdoce du Christ est participé sous des formes diverses, tant par les ministres que par le peuple fidèle, et tout comme l'unique bonté de Dieu se répand réellement sous des formes diverses dans les créatures, ainsi l'unique médiation du Rédempteur n'exclut pas, mais suscite au contraire une coopération participée de la part des créatures, en dépendance de l'unique source. Ce rôle subordonné (munus subordinatum) de Marie, l'Eglise le professe sans hésitation ; elle ne cesse d'en faire l'expérience ; elle le recommande au cœur des fidèles pour que cet appui et ce secours maternels les aident à s'attacher plus intimement au Médiateur et Sauveur[811].

Dans cette lumière, le Concile justifie pleinement les fortes expressions traditionnellement employées par le Peuple de Dieu et par les saints :

La Bienheureuse Vierge Marie est invoquée dans l'Eglise sous les titres d'avocate, d'auxiliatrice, de secourable, de médiatrice, tout cela cependant entendu de telle sorte que nulle dérogation, nulle addition n'en résulte quant à la dignité et à l'efficacité de l'unique Médiateur, le Christ[812].

Dans le prolongement du Concile, l'Encyclique Redemptoris Mater de Jean-Paul II développe amplement le thème de la médiation maternelle de Marie.

 
IV.2.3.2 La doctrine d’Emile Neubert comme théologie de la maternité et de la co-rédemption de Marie

C'est dans la lumière du Concile que l'on peut redécouvrir la splendeur théologique de la maternité présente dans Mon idéal. C’est une théologie «sapientielle», expérimentale. Elle représente un des contenus essentiels de sa doctrine, ce qui explique son universalité et son succès dans les différentes cultures. La maternité est une réalité essentielle, du point de vue théologique comme du point de vue anthropologique, inséparable dans la création et l'Incarnation. La maternité est un mystère fondamental de vie et d'amour et, le langage de l'amour maternel que Dieu utilise dans la Bible[813] - tout comme le langage de l'amour paternel et de l'amour sponsal - est un langage universel. Il parle toujours au cœur de l'homme et de la femme dans toutes les cultures.

Ce Dieu qui, «à l'origine», créa notre humanité «à son image et  ressemblance» masculin et féminin, «à la plénitude des temps» s'est fait homme en naissant d'une femme. L'Incarnation du Fils est vraiment la «récapitulation» et la reprise de la création par la maternité virginale de Marie. C'est une vraie maternité divine, car elle est l'œuvre de l'Esprit Saint. Marie est Mère du Fils unique du Père par sa foi et son obéissance.

C'est une vraie maternité humaine, car par l'action de l'Esprit, le Fils du Père est devenu son Enfant, «le Fruit de son sein» (cf. Lc 1,42), recevant d'elle toute la réalité de son corps. La théologie de la maternité est une théologie de l'Esprit, de la chair, du cœur et du corps. Aucun de ces éléments ne peut lui être séparé.

 

IV.2.3.3 La maternité dans «l'ordre de la nature» et dans «l'ordre de la grâce»

Dans Mon idéal, la maternité virginale de Marie est unie à la réalité de la grâce et de la nature, de l'Esprit et de la chair. Souvent, en référence à la maternité, Emile Neubert manifeste l'harmonie profonde qui existe entre «l'ordre de la nature» et «l'ordre de la grâce», Dieu lui-même étant l'auteur de ces deux ordres. En effet, la grâce ne va jamais contre la nature, mais elle en est le plein accomplissement :

Elle t’aime, toi, tout imparfait et ingrat que tu es, d’un amour qui dépasse en intensité et en pureté l’amour de toutes les mères pour leurs enfants.

Elle t’a donné non une vie éphémère comme ta vie terrestre, mais une vie sans fin ; non une vie mêlée d’imperfections et d’angoisses à la manière de la vie présente, mais une vie incomparablement heureuse ; non une vie créée, humaine ou angélique, mais – comprends-le bien – une participation à la vie incréée, à la vie même de Dieu, à la vie de la très sainte Trinité. Et c’est pour cela que cette vie sera sans fin et incomparablement heureuse, parce qu’elle participe à l’éternité et à la béatitude de Dieu. Quelle maternité humaine pourrait entrer en comparaison avec une telle maternité[814] ?

Si le Christ est la voie, la maternité de Marie est la voie de sa venue à nous et de notre retour à lui : voie descendante de l'Incarnation et ascendante de notre divinisation. Il exprime clairement cette pensée dans les perspectives de la théologie patristique : Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu. Il est descendu jusqu'à nous pour nous faire monter jusqu'à lui.

Il connaît par expérience l'amour maternel de Marie, dans sa double réalité, humaine et divine. Cet amour maternel contient toute la richesse humaine, mais il en dépasse toutes les limites jusqu’à consentir à la Croix.

L'amour maternel de Marie participe à l'Amour du Père «qui n'a pas épargné son propre Fils, mais qui l'a livré pour nous tous» (cf. Rm 8, 32). Fille d'Abraham, Marie consentit à la mort rédemptrice de son Fils. L'Amour maternel de Marie est un amour tendre et doux, il protège et console les enfants. Mais Marie est aussi la Femme Forte, son amour est fort et exigeant ; il n’épargne pas ses enfants, mais les aide à grandir. Il les amène à l’acceptation de la Croix de Jésus et des nécessaires purifications ; elles sont indispensables pour arriver à la maturité chrétienne qui est la sainteté. Mais Marie le fait avec tout son génie maternel, jusqu’à nous conduire à embrasser la Croix par une conversion totale. Notre auteur met ces paroles dans la bouche de Marie :

Mon fils, écoute et comprends. Je veux t’enseigner une doctrine d’autant plus difficile à saisir que tu t’imagines la connaître depuis longtemps : la doctrine du salut par la croix.

Tous ceux qui s’occupent d’apostolat chrétien savent que la souffrance joue un rôle capital dans le rachat des âmes ; que c’est par sa Passion et sa mort que Jésus a délivré le monde ; que, pour être co-rédemptrice, j’ai dû devenir la Mère des Douleurs ; et que tous les grands apôtres ont passé par de grandes tribulations.

Mais quand la souffrance vient les visiter eux-mêmes, beaucoup d’entre eux ne se souviennent plus de sa signification ; ils s’étonnent et se découragent. Pour eux comme pour les juifs, la croix est restée un sujet de scandale. Pensent-ils donc participer à l’action rédemptrice du Christ sans participer aussi à sa Passion rédemptrice ?

Quant à toi, regarde en face la croix qui t’attend.

Il faudra t’imposer de durs sacrifices ; il te faudra travailler, peiner, te dépenser, t’épuiser au service des âmes. Et cela non seulement pendant quelques heures ou quelques jours, mais aussi longtemps qu’il y aura des âmes à sauver ; non seulement dans les moments d’enthousiasme et de succès, mais parmi les difficultés et les dégoûts.

Et il faudra te charger de volontaires immolations, il faudra te faire victime à la place des âmes à racheter ; et plus tes efforts paraîtront stériles ou ardus, plus il te faudra y joindre de mortifications et d’expiations[815].

C'est par une parabole de l'amour maternel qu’il relève un aspect essentiel de la mission maternelle de Marie : nous aider à accepter toujours la Croix de Jésus, à boire la Coupe amère de sa Passion. Mais à travers la douceur de son amour maternel, c'est toujours «l'Esprit Consolateur» qui agit :

Quand la douleur te visite dans ton apostolat, viens te serrer plus près de moi. Ensemble, nous monterons sur le Calvaire. Là, près de la croix du Rédempteur, tu comprendras l’infinie valeur de cette souffrance qui te déconcertait et t’écrasait.

Même la souffrance que te prépare la sottise ou la malignité humaine te deviendra douce. Tu y verras non plus les hommes qui te l’envoient, mais Jésus et ta Mère qui te convient à partager leur mission rédemptrice, et les âmes qu’elle te permet de sauver…

C’est une doctrine bien austère que je te prêche, mon enfant, mais une doctrine de foi, d’amour et de victoire.

Ai-je trop présumé de toi en te croyant capable de la comprendre[816] ?

La croix que Marie nous présente - la Croix de son Fils -, est l’instrument victorieux de notre Rédemption. C’est l’instrument auquel elle-même fut associée comme Mère du Crucifié. Or, tout son emploi est de nous unir à Jésus, en nous transformant en Lui.

 

IV.2.3.4 La transformation en Jésus

Emile Neubert met les paroles suivantes dans la bouche de Marie :

Je veux m’occuper de ton éducation comme je l’ai fait pour mon Fils Jésus. Tu es mon enfant parce que tu ne fais qu’un avec lui ; c’est encore lui que j’élèverai en t’élevant.

T’élever, c’est t’apprendre à vivre pleinement de la vie de Jésus, à penser comme lui, à aimer comme lui, à vouloir comme lui, à parler et à agir comme lui, à te changer en lui. C’est opérer en toi une transformation analogue à celle que le prêtre opère dans l’hostie : pour les sens, l’hostie est toujours du pain ; mais pour la foi, c’est Jésus. Toi, à l’extérieur, tu resteras toi ; mais à l’intérieur, d’une certaine façon, ce sera lui.

Idéal trop sublime pour toi, penses-tu. Ne t’effraie pas : je connais bien le modèle à reproduire, et je m’entends à façonner les âmes à sa ressemblance[817].

Il veut que nous entrions dans l’intelligence du lien qui relie les deux natures de la maternité de Marie : spirituelle et divine. Il nous invite à considérer ces deux natures comme deux fonctions dépendantes d’un unique et indivisible décret divin.

La mission éducatrice de Marie qu’il nous révèle est une pédagogie de la sainteté, elle nous transforme en Jésus. Il fait appel à la nécessaire coopération de tout baptisé qui, pour vivre une authentique mission apostolique, doit accepter les purifications indispensables. La Vierge a besoin de notre collaboration. Elle nous forme à cette fin. Elle veut des apôtres généreux et décidés qui puissent montrer à leurs frères la voie à suivre, celle qui conduit au salut et à la vraie vie de Jésus :

Pour continuer sur terre la mission reçue du Père, Jésus a voulu avoir besoin du concours de ses apôtres et de leurs successeurs. De même, pour accomplir ma mission conquérante dans le monde, j’ai besoin d’auxiliaires et de soldats. Quand verra-t-on les merveilles que j’ai annoncées ? - Quand mes enfants comprendront mon rôle apostolique et consentiront à combattre à mes côtés et sous mes ordres[818].

Marie, en vue de cette collaboration, demande une donation totale de nous-mêmes. Nous devons imiter le Christ dans sa relation à sa Mère : l’amour[819], l’obéissance[820], l’honneur qui lui est dû[821], la ressemblance[822], l’abandon[823], la vie d’union[824] et l’écoute de Marie[825] ; ce qu’en d’autres ouvrages, il nomme La consultation de Marie.

Consultes-moi après tes manquements et tes négligences, et je t’apprendrai à faire de chacune de tes fautes une «heureuse faute» […] Consulte-moi, en particulier, chaque fois que tu prends une résolution. Demande-moi ce que je désire de toi et dis-moi ce que tu te proposes de faire.

Je ne vais sans doute pas te répondre par une révélation. Mais si tu viens à moi en toute confiance, dans la sincère disposition d’exécuter ce qui te semblera être ma volonté, tu comprendras d’ordinaire si, oui ou non, j’approuve ta résolution. Si oui, confie-la-moi pour que je t’aide à la réaliser. Si non, prie et réfléchis et soumets-moi une résolution plus précise que je puisse approuver[826].

Les conditions pour s’unir à Marie en vue d’être transformé en Jésus exigent l’usage des vertus théologales. Elles permettent une identification progressive avec son Fils jusqu’à ce que nous puissions répondre à l’appel d’union de volonté ou de pensée avec Jésus comme le suggère le titre du chapitre III de son livre III dans Mon idéal. L’activité de l’âme peut très bien s’apparenter aux « troisièmes demeures » du château intérieur de sainte Thérèse d’Avila qui devraient nous conduire à la nuit des sens. Cette étape correspond à une adaptation de notre nature appelée à se tourner vers son Créateur, dans une soumission d’amour douloureuse au départ mais indispensable en vue de devenir l’instrument de la mission :

Mon fils, il ne te suffit pas de connaître les pensées de Jésus pour aussitôt vivre de sa vie. Il te faut en même temps combattre et dompter les ennemis qui s’opposent à la vie de Jésus en toi.

Or, sache que le plus dangereux de ces ennemis, c’est toi-même.

Tu voudrais ne vivre que pour Jésus, et en même temps tu voudrais suivre les tendances de ta nature dépravée. Ne t’y trompe pas : «Nul ne peut servir deux maîtres.» Aussi longtemps que ta nature te dirige, Jésus ne peut régner en toi. Il faut donc que tu fasses à cette nature une guerre sans trêve ni merci, jusqu’à ce qu’elle laisse la place entièrement libre à Jésus[827].

En fin pédagogue, il reprend l’une après l’autre les tendances négatives de notre nature qui sont appelées à cette révolution copernicienne qui consiste à se décentrer de soi pour ne plus se centrer que sur Jésus. L’idolâtrie fait place aux vrais adorateurs du Père :

Les hommes tiennent beaucoup à leur défaut dominant : c’est un compagnon avec lequel ils sont nés, ont été élevés et ont toujours vécu, et qui leur a procuré de constantes satisfactions. Parfois même, ils le prennent pour leur qualité maîtresse. Et sans doute chacun s’aime bien soi-même ; mais il faut avoir le courage d’aimer Jésus plus que soi.

Ose reconnaître en toute simplicité ce que tu dois lui sacrifier en toi.

Ne crains pas : en renonçant à une vaine idole, tu posséderas le vrai Dieu ; en mourant à ta nature viciée, tu vivras de la vie de Jésus[828].

Face aux idoles formées par les désirs égoïstes de notre cœur, il nous propose une stratégie qui consiste à adopter les dispositions qui sont celles de Jésus - attitudes intérieures que des temps de retraite ou de relecture spirituelle quotidienne permettent de raviver - ainsi que les vertus de Marie : l’abnégation, la constance, la générosité.

Ce travail de conversion a pour but la mission. Il n’est en rien une recherche de perfection pour soi-même, fut-ce sous le couvert de la sanctification personnelle. Et cette mission n’est pas à proprement parler notre mission mais une participation à la mission du Christ qui s’associe Marie pour appliquer les grâces de la Rédemption. D’où la nécessaire découverte de la mission de Marie comprise en dépendance essentielle avec celle de son Fils.

 

IV.3 La mission de Marie et de l'Eglise

La Constitution Lumen Gentium éclaire la relation si intime et mystérieuse entre Marie et l'Eglise. La relecture de Mon idéal à la lumière de l'enseignement conciliaire se révèle singulièrement féconde pour expliciter toute l’ecclésiologie missionnaire qui y est contenue, bien qu’il ait peu développé le thème : «l’Eglise en son mystère[829].» Mais son enseignement, en vue de l’évangélisation, met en valeur la dimension mystique de l'enseignement du Concile à partir de la mission confiée à tous les baptisés.

Dans cette lumière convergente et la perspective de la mission, nous considérerons successivement : l’union de Marie et de l'Eglise : «union mystique avec le Christ» et, l’aspect missionnaire de la victoire du bien.

IV.3.1 L’union de Marie et de l'Eglise : «union mystique avec le Christ» dans l'Esprit Saint en vue de la mission

Notre auteur fait dire à Marie :

Ayant donné Jésus au monde entier au jour de l’Incarnation, je dois le donner à chaque homme en particulier à travers les âges. Coopératrice de Jésus dans l’œuvre de la Rédemption, je dois rester sa coopératrice dans l’application de la Rédemption à chaque âme individuelle. Car la Rédemption n’est pas achevée : il faut que la grâce du salut, méritée à tous sur le Calvaire, soit encore appliquée à chaque homme à mesure qu’il vient en ce monde.

Voilà ma mission jusqu’à la fin des temps. Avec Jésus, j’ai travaillé au rachat universel des âmes ; avec Jésus, je dois travailler à leur conversion et sanctification.

Pourrait-il en être autrement ? En devenant Mère de Jésus, je suis devenue Mère de tous ceux qui doivent être ses frères. Ne faut-il pas que, en vraie Mère, je veille sur la vie et le salut de ceux que j’ai enfantés ?

Tu le vois, c’est une mission apostolique que Dieu m’a confiée le jour de mon entrée au ciel. Une mission apostolique universelle, comme l’a été mon action de co-rédemptrice et comme l’est ma spirituelle maternité.

Je suis la reine des apôtres. Je le suis non seulement parce que j’ai veillé avec une affection maternelle sur les premiers apôtres, non seulement parce que j’obtiens la fécondité à leurs successeurs et que, sans mon intervention, ils seraient impuissants à faire aucun bien aux âmes, mais parce que leur apostolat n’est qu’une participation limitée à l’apostolat universel qui m’a été confié à moi tout d’abord[830].

Le Concile manifesta dans une lumière renouvelée la relation de Marie avec l'Eglise, en se fondant sur celle de Marie avec le Christ Sauveur. Selon les paroles de Paul VI dans son discours de promulgation de la Constitution Lumen Gentium, le but du concile Vatican II était précisément de «manifester le visage de l'Eglise, à laquelle Marie est intimement unie[831].» Cette union est tellement profonde et essentielle qu'on ne pourra plus considérer l'Eglise sans Marie, ni Marie sans l'Eglise : «l'amour pour l'Eglise se traduira en amour pour Marie, et inversement, parce que l'une ne peut subsister sans l'autre[832]

Dans la doctrine de ce Concile comme dans celle d’Emile Neubert, cette union est présentée dans la continuité historique qui caractérise le Mystère du Christ et de l'Eglise. Cette continuité est affirmée au début du chapitre 8 de Lumen Gentium et de l'article du Symbole sur l'Incarnation du Fils :

Pour nous les hommes et pour notre salut, Il descendit du Ciel ; par l'Esprit Saint il a pris chair de la Vierge Marie. Ce divin mystère de salut se révèle pour nous et se continue dans l'Eglise que le Seigneur a établie comme son Corps[833].

La même vérité est exprimée par Emile Neubert dans Mon idéal quand il fait dire à Jésus :

Ecoute encore : je vis dans l’Eglise, mon Corps Mystique, dirigé par mon Esprit. Ce que mon Eglise fait, c’est moi qui le fais ; ce que l’Eglise fait pour ma Mère, c’est moi qui le fais pour elle. Songe à tout ce que l’Eglise lui a témoigné de vénération et d’amour[834].

C’est de cette manière que le Mystère de l'Eglise s’illumine dans sa réalité christocentrique et trinitaire et dans la dynamique de l'Histoire du Salut, jusqu'à la fin des temps. Il exprime, avec simplicité et clarté, l'unicité et l'universalité salvifique de Jésus-Christ et de l'Eglise dans Mon idéal comme le Concile l’exprime dans Lumen Gentium. Marie est contemplée dans cette illumination, unie au Christ et à son Eglise. Mais son point de vue sur le lien qui unit Marie à l‘Eglise consiste essentiellement à souligner tout ce en quoi l’Eglise s’est rendue débitrice envers la Vierge Marie et à rappeler tous les honneurs qu’elle lui a donnés.

Le thème de la Mission de Marie, comme union parfaite au Christ dans l'Esprit Saint et avec le Père par le Christ, est vraiment au centre de sa doctrine comme elle est au cœur de celle du Concile, en lien avec Marie et l'Eglise. Telle est, selon Paul VI, la perspective profonde de Lumen Gentium :

La réalité de l'Eglise ne s'épuise pas dans sa structure hiérarchique, sa liturgie, ses sacrements et ses aspects juridiques. Son essence intime, la source première de son efficacité sanctificatrice, se trouvent dans son union mystique avec le Christ, union que nous ne pouvons pas penser séparément de Celle qui est la Mère du Verbe Incarné, et que Jésus-Christ a voulu si intimement unie a lui pour notre salut[835].

Emile Neubert exprime cette même pensée, faisant parler Jésus en ces termes :

Je ne me contente pas de la faire participer à mes privilèges et à mon intimité : j’ai voulu qu’elle eût part à la mission même que le Père m’avait confiée. Rédempteur, j’ai décidé qu’elle fut co-rédemptrice avec moi, et que tout ce que je méritais en stricte justice pour le salut du monde, elle le méritât par une suprême convenance[836].

Tous appelés à cette mission dans l'Eglise, nous sommes appelés à vivre la même union intime avec le Christ comme Marie et avec Marie.

T’élever, c’est t’apprendre à vivre pleinement de la vie de Jésus, à penser comme lui, à aimer comme lui, à vouloir comme lui, à parler et à agir comme lui, à te changer en lui. C’est opérer en toi une transformation analogue à celle que le prêtre opère dans l’hostie : pour les sens, l’hostie est toujours du pain ; mais pour la foi, c’est Jésus. Toi, à l’extérieur, tu resteras toi ; mais à l’intérieur, d’une certaine façon, ce sera lui[837].

C'est d'abord dans l'Incarnation qu’il contemple l'union intime qui est établie entre Jésus et Marie, union à partir de laquelle nous trouvons le modèle de notre relation à Marie :

Quand je décidai d’aller réparer la gloire de mon Père et sauver l’humanité, une infinité de voies s’ouvraient devant moi : à toutes les autres, j’ai préféré la voie de Marie.

C’est librement et délibérément que j’ai créé Marie pour qu’elle fût ma Mère, car elle n’eût pas vu l’existence si je n’avais voulu lui confier cet office ; c’est librement et délibérément que je l’ai faite telle qu’elle est, pour qu’ensuite elle me fît tel que je suis.

Je suis son enfant en toute vérité, et, comme tout autre enfant, j’ai voulu être formé de la substance de ma Mère, j’ai voulu être nourri de son lait, j’ai voulu être soigné et élevé par elle, j’ai voulu lui être soumis.

Je suis son enfant bien plus que tu n’es l’enfant de ta Mère, car c’est d’elle seule que j’ai voulu tenir toute mon humanité.

Je suis son enfant tout entier, Dieu et homme, parce que celui à qui elle a donné naissance ne forme qu’une seule et même personne[838].

Le chemin spirituel expérimenté et enseigné par Emile Neubert a pour but principal une union intime avec Notre Seigneur et une parfaite fidélité au Saint-Esprit, par le moyen d'une union avec la Très Sainte Vierge à laquelle il nous invite.

Notre auteur met ces paroles dans la bouche de Jésus :

Mon frère, j’ai encore à te révéler un autre trait essentiel de ma piété filiale envers ma Mère : ma vie d’union avec elle.

Si, pour tout enfant, il n’est pas chose plus douce que l’intimité avec sa Mère, quelles furent les joies de mon intimité avec Marie ?

Joies de ces neuf mois d’union ineffable, alors que je ne faisais qu’un avec ma Mère et que, vivant tabernacle, elle me portait toujours en elle ; car, tout au contraire des autres enfants, j’ai connu ma Mère dès le premier moment de mon existence terrestre, et dès lors ce fut, entre elle et moi, un continuel échange de pensées et d’amour.

Joies de ces trente années d’intimité sans pareille, à Bethléem, en Egypte, à Nazareth, quand elle me portait dans ses bras, me voyait à côté d’elle, s’entretenait avec moi par la parole ou par le regard. Trente longues années, seul avec elle seule et Joseph ! […]

Or, mon frère bien-aimé, je veux que tu partages cette union pour partager ces joies[839].

C’est dans la perspective d’une victoire annoncée dès le départ que nous sommes entraînés au combat dans notre union avec Marie. La mission nous renvoie à l’union à Jésus et Marie, et celle-ci nous renvoie à la mission.

L’évangélisation, pour lui, se présente essentiellement comme une lutte dans la mission confiée par Dieu à l’Eglise qui a Marie comme Mère et comme modèle. Elle nous précéde dans cette lutte.

 

IV.3.2 L’aspect missionnaire de la lutte contre le mal et de la victoire du bien

Notre auteur fait dire à Marie :

Cet apostolat est une lutte. Il faut que j’arrache chaque âme à Satan pour l’amener à Jésus et au Père.

Au moment où le séducteur triomphait de nos premiers parents, Dieu lui prédit sa défaite : Je mettrai des inimitiés entre toi et la Femme, entre ta postérité et la sienne. Elle t’écrasera la tête.

Je lui ai écrasé la tête dès mon Immaculée Conception. Mais cette victoire-là n’était que la première d’une série infinie de victoires. C’est jusqu’à la fin des temps que je dois lui écraser la tête. Je suis son irréconciliable adversaire, plus terrible qu’une armée rangée en bataille.

Dans la lutte pour les âmes, je lui ai infligé des défaites dès les tout premiers temps de l’Eglise. Depuis cette époque, j’ai détruit toutes les hérésies dans l’univers entier et j’ai ramené dans la voie du salut d’innombrables pécheurs.

Or, Dieu a voulu que, de siècle en siècle, mon action conquérante devînt plus manifeste, et il veut que, dans les temps nouveaux, elle éclate à tous les yeux avec une force sans précédent.

Satan semble triompher dans le monde. Ne crains pas : à cause même de sa puissance croissante, Dieu veut que je paraisse plus ouvertement pour lui écraser la tête. Une immense victoire m’est réservée. Mon règne doit s’établir dans le monde entier pour qu’arrive plus pleinement le règne de mon fils[840].

Nous avons évoqué plus haut la pédagogie de la sainteté, développée par Mon idéal, qui fait appel aux différentes phases de purification de la vie spirituelle, nécessitant une participation du croyant à l’œuvre de Dieu en lui.

Il nous suffit de rappeler un aspect fondamental de cette collaboration de l’homme au développement de la grâce en lui, à savoir : La foi. Mon idéal, sous cet aspect, se présente comme un instrument unique d’aide au développement de la foi, il invite à intensifier la relation à Jésus et Marie.

Marie nous apparaît précisément comme la femme forte dans la foi et, il ne cesse de nous inviter à nous unir à elle en vue d’approfondir notre relation avec la Sainte Trinité :

(Marie) veillait et priait avec moi pendant tout le temps de ma mission publique ; elle était au pied de la croix, croyant inébranlablement quand tous les autres étaient troublés dans leur foi ; en elle mon œuvre rédemptrice réussit pleinement, elle fut mon suprême triomphe[841].

Même quand tu veux parler au Père ou à l’Esprit ou à moi, commence par t’unir à ta Mère. A côté d’elle, ton recueillement sera plus profond, ta foi plus ferme, ta confiance plus entière, ton amour plus ardent. C’est que, aux dispositions de ton pauvre cœur, s’uniront les dispositions toutes parfaites de ta Mère.

Aie recours à Marie en particulier quand tu me reçois dans le sacrement de mon amour. Demande-lui de te prêter sa foi, son espérance, sa confiance, sa charité. Prie-la de me donner à toi et de te transformer en moi[842].

La Constitution Lumen Gentium déclare, dans la même compréhension, ceci : «Cette union de la Mère avec son Fils dans l'œuvre du Salut est manifeste dès l'heure de la conception virginale du Christ jusqu'à sa mort[843].» Dans l'Encyclique Redemptoris Mater Jean-Paul II médite longuement sur ces paroles du Concile : «La Bienheureuse Vierge avança dans son pèlerinage de foi, gardant fidèlement l'union avec son Fils jusqu'à la Croix[844], à la lumière des paroles de l'Evangile : "Bienheureuse celle qui a cru" (Lc 1, 45).» Le Concile affirme que «la vraie dévotion [...] procède de la vraie foi[845]

Ce développement de la foi, pour Emile Neubert, se nourrit de la Parole de Dieu, en vue d’«apprendre à penser les pensées de Jésus» comme l’exprime le titre du chapitre deux du livre troisième.

Emile Neubert fait dire à Marie :

Mon fils, pour apprendre à vivre la vie de Jésus, il te faut d’abord apprendre à penser les pensées de Jésus.

Le monde pense d’une façon, et Jésus d’une façon tout opposée. Ta pensée est souvent plus près de celle du monde que de celle de Jésus.

La pensée de Jésus est consignée dans l’Evangile, et aussi dans les livres écrits par des hommes remplis de l’esprit de l’Evangile. C’est là, d’abord, qu’il te faut l’étudier[846].

Très vite, l’orientation de la foi à partir de l’Ecriture devient une orientation plus théologale qui s’apparente à la prière. Elle rejoint ce que dans la famille marianiste nous appelons l’oraison de foi et reprend tout l’enseignement de Guillaume-Joseph Chaminade sur la foi du cœur. Il traduit en fin pédagogue toutes ces réalités qu’il monnaie dans Mon idéal en faisant progresser son lecteur dans les voies ascétiques et mystiques.

Mon fils, il est une autre voie pour arriver à penser les pensées de Jésus, une voie très rapide, très sûre et très efficace : elle consiste à se mettre en contact direct avec lui.

Contemple Jésus, de préférence dans l’Evangile.

Ecoute ses paroles, regarde ses actions. Mais ne t’en tiens pas à l’extérieur, pénètre dans son âme et découvres-y ce que, à propos de ses paroles ou de ses actions, il a pensé, senti, voulu.

Vois surtout comment, chez lui, chaque mot, chaque geste procède d’une disposition d’amour. Jésus est plus qu’un maître proférant des paroles de sagesse ; il est le Dieu d’amour : tu n’as pas compris sa doctrine si tu n’es arrivé jusqu’à la source de cette doctrine, à l’amour infini du cœur de Jésus[847].

La dynamique qui inspire l’enseignement de Mon Idéal est positive. Il ne s’agit pas de lasser le lecteur en lui parlant de mortifications et de purifications mais d’orienter dans une vision positive sa relation au Christ de telle sorte que les vertus peu à peu croissent en lui et, que s’éliminent les obstacles à l’union à Dieu et au service de la mission. Dans toutes les autres œuvres de vulgarisation, cette option est très présente.

Il s’en explique lui-même à propos du péché dans Marie et la famille chrétienne par un commentaire qui nous donne une clef d’interprétation de la pédagogie de Mon idéal :

Il faut envisager le péché à l’enfant, non du point de vue de la défense qu’il enfreint, ni du châtiment qu’il attire, mais du point de vue de l’amour de Dieu : une désobéissance à notre Père qui nous aime tant, une cause de la souffrance et de la mort de Jésus, notre Frère, une cause aussi des douleurs de notre Mère du ciel au moment de la passion de son Fils. Quand tu es tenté de pécher, pense à cet amour de Dieu, de Jésus et de Marie […] Et si tu as un cœur aimant, […] demande à la sainte Vierge ce que tu pourrais offrir à Jésus - prière, sacrifice […] - pour le dédommager et lui faire d’autant plus plaisir que tu lui as causé de déplaisir. Quelquefois, après une généreuse réparation, tu seras plus aimant que si tu n’avais rien eu à réparer. Aime d’autant plus que tu as moins aimé[848].

Ce climat d’amour dans lequel il entrevoit la vie spirituelle peut être une des explications de la réception du grand public à Mon Idéal. Il présente positivement la vie spirituelle et, dans une dynamique missionnaire, nous fait retrouver le climat des écrits d’une sainte Thérèse de Lisieux docteur de l’Eglise ou d’un saint Louis-Marie Grignion de Montfort. Tous les deux ont en commun de développer une théologie qui s’adresse aux simples et aux petits de ce monde dans un langage accessible, savoureux, et en même temps complet sur l’ensemble de la vie spirituelle. Nous retrouvons les mêmes accents dans Mon Idéal.

Notre auteur fait dire à Marie:

Multiplie les actes de foi. Multiplie-les non comme pour te suggestionner toi-même, mais pour faire pénétrer la vérité divine jusqu’au fond de ton âme et pour en bien saisir les conséquences pratiques.

Aime ! Aime la vérité parce que Jésus l’a aimée ; aime-la parce qu’il ne l’a enseignée aux hommes que par amour.

Aime surtout Jésus, et apprends à l’aimer de plus en plus. En l’aimant davantage, tu imiteras plus parfaitement, même sans y penser, toutes les dispositions de son âme.

Viens à moi et j’unirai mon amour au tien, et ensemble nous aimerons Jésus d’un amour incomparablement fort et pur.

Prie ! Prie Jésus d’aider ton incrédulité. Prie-le de faire passer en toi ses pensées, ses sentiments, ses volontés.

Et prie-moi de te révéler Jésus et de te faire vivre de sa vie.

Et, c’est après avoir mis ses lecteurs en condition d’aimer Jésus, qu’il les ouvre à la découverte des péchés capitaux, des mauvaises tendances, des défauts et des erreurs possibles dans la vie chrétienne, en débusquant, pourrait-on dire : «le grand ennemi» qui est soi-même. C’est en vue de nous recentrer de nouveau et plus fortement sur Jésus, comme l’indiquent les deux titres des chapitres qui se suivent Le grand ennemi de Jésus en toi et Revêts-toi du Christ Jésus. Puis, à travers le chapitre, viennent Trois dispositions essentielles, les différentes présentations des vertus à acquérir.

La transformation en Jésus est un but en soi qui n’est pas séparé de la mission. Le livre troisième qui pourrait être apprécié comme le livre le plus ascétique de Mon idéal est suivi du livre quatrième qui oriente résolument le chrétien vers la mission en union avec Marie. Nous sommes au cœur de l’objectif qu’il s’était fixé en fidèle disciple de Guillaume-Joseph Chaminade qui œuvrait essentiellement pour multiplier les chrétiens.

La mission apostolique de Marie est présentée dans un premier temps, puis celle de ses enfants. L’invitation à l’évangélisation est développée, dans un second temps, en mettant bien en place des éléments essentiels et en bon équilibre qui regardent la mission : la prière apostolique, la souffrance rédemptrice, la prédication par la vie, la parole de vie (l’annonce du kérygme), la force dans l’union. Aujourd’hui, ces différents éléments, dans leur complémentarité, gardent toute leur actualité et même leur pertinence, même s’ils ne sont pas abordés dans les invitations pastorales actuelles. De même, les derniers chapitres de ce livre sur l’apostolat, chapitres invitant à faire connaître la mission de Marie - Ceux qui m’enseignent- et à œuvrer pour elle - En ton nom, je jetterai les filets - gardent toute leur originalité. Nous comprenons que les dernières pages de Mon idéal soient consacrées à faire découvrir des actes de consécration et une prière dite prière de Trois Heures qui nous remet, en esprit, au pied de la Croix de Jésus.


CHAPITRE CINQ                                     

RELECTURE                                               ET PERSPECTIVES ACTUELLES

 

Le corpus «neubertien» est tout entier imprégné d’une théologie missionnaire. Elle appartient au «grand patrimoine qu'est la théologie vécue des Saints» selon l’expression du pape Jean-Paul II au cœur de la Lettre apostolique Novo millennio ineunte[849]. Chez Emile Neubert, il s'agit de la théologie de la mission apostolique de Marie à laquelle nous avons part. Elle est fondée sur la charité, l'agapé, qui est «plus grande» que la foi et l'espérance (cf. 1 Cor 13,13), car elle en est l'âme :

Quant tu pratiques la charité, c’est moi qui pratique la charité en toi ; tu vis, ce n’est plus toi qui vis, c’est moi qui vis en toi ; tu aimes ma Mère, non, ce n’est plus toi qui l’aimes, c’est moi qui l’aime en toi[850].

Dans Mon Idéal il prête à Jésus ces paroles. Elles montrent, pour lui, en une belle synthèse, le rapprochement qu’il réalise entre l’amour de Marie et la charité. Car tous les deux procèdent d’une même réalité.

La charité croit tout et espère tout (cf. 1 Co 13,7).

L'amour de charité embrasse toute la vérité qui découle de la foi en Jésus-Christ. Elle la rend toujours plus lumineuse pour le cœur de l’homme. Telle est la théologie de «tous les saints». Elle consiste à «connaître l'Amour du Christ qui surpasse toute connaissance». (cf. Ep 3,19).

Sa grâce, son intuition, son génie fut d’approfondir cet amour du Christ pour lui-même et ses opérations envers sa Mère. Cette «science d'amour» dépend essentiellement de la charité : car «quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu, tandis que celui qui n'aime pas n'a pas connu Dieu, car Dieu est Amour». (1 Jn 4,7-8) N'oublions pas que le mot théologie signifie précisément la connaissance de Dieu. Chez lui, cette connaissance de Dieu s’est comme «exprimée» par la relation filiale de Jésus envers sa Mère, à laquelle il nous fait participer. Il continue à aimer sur terre Marie, à travers nous ; cette connaissance s’est exprimée dans sa relation filiale envers le Père, tout imprégnée de sa relation avec sa Mère. Elle s’est exprimée dans sa relation avec les hommes à sauver, tous les hommes considérés comme les enfants de notre Père des cieux et les enfants de Marie.

Le pape Jean-Paul II ajouta dans sa conclusion, en parlant de Marie comme Etoile de l’Evangélisation : «Me faisant l’écho de la voix même de Jésus (cf. Jn 19, 26), je lui redis : "Femme, voici tes enfants", et je lui présente l’affection filiale de toute l’Eglise.»

C’est dans ce même esprit, qu’Emile Neubert, de son côté, écrivait :

Il est, de l’amour filial de Jésus pour sa Mère, une autre manifestation dont nous sommes les témoins et un peu les instruments : c’est la piété filiale de l’Eglise envers Marie. Jésus se prolonge par son Eglise ; la vie de l’Eglise, c’est l’amour du Christ pour Marie[851].

Dans la grande diversité des charismes et des grâces particulières vécus par les saints, il nous conseille d’accepter de recevoir la grâce d’aimer Marie et de la faire aimer.

Quelle fut la réception de ce message à travers toute son œuvre et sa répercussion dans l’Eglise et dans la Société de Marie ?

 

V.1 Réception et évolution de l’œuvre

Nous avons présenté dans notre étude les recensions, unanimement positives et élogieuses. Elles concernent les diverses publications d’Emile Neubert. Nous avons évoqué les succès en librairie de ses ouvrages traduits en plusieurs langues et celui sans cesse réédité de Mon idéal Jésus, Fils de Marie.

Pourquoi a-t-il su répondre si bien à l’attente de ses contemporains en leur transmettant son message ?

Reconnaissons qu’il en démontra le fondement scientifique avec beaucoup d’intelligence, par une appropriation personnelle des moyens mis à sa disposition. Il présenta et approfondit la figure de la Vierge Marie dans l’ensemble du mystère chrétien.

Dans ses recherches patristiques, bibliques, dogmatiques, il nous fait entrevoir le mystère de Marie d’une manière rigoureuse. Elles nourrissent notre vie spirituelle. Les notions théologiques, si elles nous paraissent ardues dans un premier temps, il les rend accessibles par sa présentation animée d’une certaine recherche du langage. Il est soucieux de rejoindre le lecteur dans le désir qu’il pourrait avoir d’approfondir sa foi et, par la grâce, d’entrer dans le mystère de Jésus et de Marie.

Des chercheurs européens, à l’aube du XXIe siècle, se saisissent des recherches américaines dans le domaine de la psychologie et de la communication qu’ils transmettent dans des écoles spécialisées. Certaines de leurs théories furent réalisées à partir d’une pratique de la relation thérapeutique que l’on peut vérifier dans les écrits d’Emile Neubert. Il s’agit de notions de communication, reprises d’une manière plus organisée par les formateurs s’inscrivant dans les recherches de la Programmation Neuro Linguistique (PNL)[852]. Il convient de faire un rapide détour de présentation de ces théories, pour mieux comprendre comment leur application peut être pertinente dans la transmission d’un message théologique et spirituel comme celui que nous offre le corpus «neubertien».

Le terme «programmation» désigne les façons d’être que nous programmons durant notre vie. Or, toute pédagogie de la relation comme celle d’Emile Neubert tient compte de certaines règles de communication pour répondre à la recherche de conversion profonde de son interlocuteur[853]. La réponse doit être en mesure d’atteindre son être, ses pensées, jusqu’à la transformation des habitudes, en vue d’une meilleure réponse d’amour à Jésus et Marie.

Le terme «Neuro» spécifie la capacité de nous programmer, elle repose sur nos mécanismes neurologiques. Le système nerveux nous permet d’appréhender le monde extérieur et intérieur. Leur support biochimique permet de percevoir, de stocker et d’organiser l’information, de programmer la réponse aux stimuli de la sensibilité.

Le terme «linguistique» désigne tout ce qui appartient au langage de la parole et au langage des signes. Il nous permet de réfléchir (miroir) la manière de représenter et d’appréhender le monde qui nous entoure, ce qui inclut pour un chrétien la révélation biblique, par laquelle nous entrons dans le contenu de la foi. Or, toute l’œuvre d’Emile Neubert est une catéchèse. Elle facilite l’acquisition de l’intelligence des mystères de la foi. Elle devient substance de l’acte chrétien.

La recherche des Américains se fonde sur ces phénomènes de perception et de compréhension du réel à travers une exploration précise des comportements, des schémas de pensée et des états internes. Elle analyse les stratégies mises en place par l’individu. Elle propose au sujet «le recadrage» de son vécu et du sens qu’il lui donne. La personne est invitée à découvrir d’autres types de réponses à ses interrogations et à évoluer grâce à une nouvelle grille de perception du monde et d’elle-même.

Cette approche de la communication, héritée des analyses des travaux du Docteur Milton Hyland Erickson (1901-1980), est essentiellement descriptive et de l’ordre de l’expérimentation. Elle n’invente rien en soi. Elle rend plus performante la communication, grâce à une meilleure intelligence des règles qui la régissent. Elles renvoient à des notions métaphoriques, écologiques, analogiques, de calibrage et de code… Ces éléments appartiennent à la réalité culturelle de tout humain, dans le temps et dans l’espace. Ils sont comme répertoriés et articulés selon les besoins de l’échange.

Dans la tradition chrétienne, les Exercices Spirituels de saint Ignace de Loyola[854] s’accommodent de ce type d’approche par la pédagogie descriptive des lieux qui fait appel aux cinq sens. Dans ces Exercices Spirituels, les scènes évangéliques dans lesquelles le retraitant est invité à prendre un rôle sont souvent le support choisi.

Emile Neubert, qui ne fait allusion ni aux Exercices ignaciens, ni aux psychiatres américains, utilise les mots et les verbes (prédicats) qui rendent possible l’appropriation des cinq sens dans notre vie spirituelle. Il insiste pour que notre relation filiale envers la Vierge Marie soit ancrée dans celle de Jésus. Il élargit notre «carte du monde» à la dimension du Cœur de Dieu qui nous fait voir dans le prochain ses enfants et les enfants de Marie. Il fait appel à nos «états ressources» de foi, d’espérance et de charité pour modifier nos «stratégies d’adaptation» et les réponses aux problématiques rencontrées. Il oriente nos comportements selon le désir de Dieu le Père par Marie notre Mère. Sa capacité à s’adresser à un public précis pour qui il écrit son ouvrage : religieux, prêtres, éducateurs, parents, ouvriers, alliée à une recherche de langage adapté est un atout dans la communication de ses convictions capables d’atteindre le lecteur. Il y ajoute le mode d’expression - ce que l’on nomme «calibrage» -, il utilise le tutoiement quand c’est nécessaire. Il va jusqu’à mettre en scène Jésus et Marie, il les fait s’adresser directement au lecteur comme dans Mon Idéal.

Il repère les «distorsions cognitives», dans les débats sur la Vierge Marie, telles le «tout ou rien», la surgénéralisation, le filtre mental, les conclusions hâtives, les exagérations ou minimisations, les raisonnements émotionnels…

En fait, dans le corpus «neubertien», l’apport de la réflexion psychologique et la prise en compte des règles de cette dimension d’ordre anthropologique dans notre relation à Dieu et à Marie ajoutent à ses écrits un intérêt intellectuel et spirituel. Il adresse bien à l’homme et la femme de toujours, avec leur problématique interne qu’il tente de résoudre. La dimension politique et sociale si peu présente ne lui échappe pas, il sait à l’occasion épingler l’acte de l’homme en évoquant certains drames de son temps :

Parmi les hommes qui ont fait le plus de mal de nos jours, il faut placer au premier rang Renan, Combes, Staline, tous trois anciens séminaristes ; et Nietzsche, l’inspirateur de la doctrine d’Hitler (à son corps défendant), fils et petit-fils de pieux pasteurs luthériens, et lui-même d’abord orienté vers le ministère pastoral. Une âme choisie ne peut être neutre : elle fait un bien ou un mal incalculable[855].

Il associe à cette recherche de communication, celle de la formation. Il allie la relation mystique à la pratique ascétique, car il cherche à donner du sens à la vie chrétienne et des repères moraux. Le Père Daniel-Ange, prédicateur français de la jeunesse, traduisait cette problématique de la manière suivante : «A quoi cela sert-il de proposer un code de la route avec des feux rouges et des "stop", des sens obligatoires et des sens interdits, si celui qui conduit sa voiture ne sait même pas où aller ; si sa vie n’a pas de sens ?»

Emile Neubert n’épargne pas son lecteur sur les exigences du sacrifice, ce que nous pourrions appeler la «dimension pascale» de toute vie chrétienne à la suite du Christ portant sa croix. Il le fait en se référant au mystère de Marie, la co-rédemptrice, car il nous entraîne dans celui de co-rédemption. Et bien qu’il n’ait pas suffisamment théorisé le mystère de Marie et l’Eglise en lien avec celui de la co-rédemption, il en a merveilleusement transmis sa nécessité, par l’invitation à vivre jusqu’au don de soi dans la perspective de la mission[856] :

La conséquence de ce don total, c’est un renoncement total, universel et constant, extérieur et intérieur[857].

Il y a généralement de la joie à se sacrifier pour les autres, et cette joie soutient la générosité. Mais quand au sacrifice se mêlent d’indicibles amertumes, quelle générosité il faut pour y persévérer ! Qui connaîtra jamais les amertumes qui noyèrent l’âme de Jésus ? Pendant la Passion surtout, au jardin de Gethsémani tout particulièrement […] «il m’a aimé et il s’est livré pour moi[858]

Fin connaisseur des voies mystiques, il jette un voile pudique sur son expérience personnelle. Mais ses allusions laissent entrevoir qu’il connut de l’intérieur les étapes de la vie mystique jusqu’à ses sommets, ce qui lui permettra d’écrire dix ans avant sa mort, à près de quatre-vingt ans : «Au plus haut degré de la vie mystique, dans "l’union transformante", le fidèle se sent constamment uni à Dieu comme à la vie de son âme[859].» Et quand il s’adresse aux prêtres, il n’a de cesse de les inviter à regarder vers les sommets :

Il dépend de l’action des hommes appelés à l’apostolat, non seulement que les pécheurs se sauvent, mais aussi que les âmes arrivent à la sainteté[860].

A la lecture de ces pages dans le corpus «neubertien», une question se pose dans le domaine de la vie spirituelle qu’il a tant approfondi à l’intérieur de la dogmatique de la foi : quelle est la place de l’annonce du Kérygme? Cette question du mystère de la mort et de la Résurrection de Jésus s’inscrit davantage chez lui dans l’approfondissement du mystère de l’Incarnation du Verbe en sa kénose. Ce dernier est très développé, peut-être au détriment d’une étude plus approfondie du mystère pascal.

Aujourd’hui, en ce début de troisième millénaire, la problématique de l’annonce du kérygme mérite notre attention pour la Nouvelle Evangélisation. Le prédicateur de la Maison Pontificale, Père Cantalamessa, lors de sa prédication de l’Avent 2005 à la maison pontificale, soulignait à propos :

Le kérygme a un caractère assertif et autoritaire, et non discursif ou dialectique, c’est-à-dire qu’il n’a pas besoin de se justifier avec des raisonnements philosophiques ou apologétiques : on l’accepte ou on ne l’accepte pas. Il ne s’agit pas de quelque chose dont on peut disposer, car c’est lui qui dispose de tout ; il ne peut être fondé par quelqu’un, car c’est Dieu lui-même qui le fonde et c’est lui qui constitue ensuite le fondement de l’existence […] A l’origine, le kérygme se distinguait de l’enseignement (didaché), comme de la catéchèse. Ces derniers tendent à former la foi, ou à en préserver la pureté, alors que le kérygme tend à la susciter. Il a pour ainsi dire un caractère explosif ou germinatif ; il ressemble davantage à la graine qui fait naître l’arbre, qu’au fruit mûr au sommet de l’arbre qui dans le christianisme est plutôt constitué par la charité. Le kérygme n’est absolument pas obtenu en concentrant ou en résumant, comme s’il était le cœur de la tradition ; il est à part, ou mieux, au tout début. C’est de là que se développe tout le reste, y compris les quatre évangiles. […] Cette situation a aujourd’hui une forte influence sur l’évangélisation. Les Eglises possédant une forte tradition dogmatique et théologique (comme l’Eglise catholique, par excellence) risquent de se trouver désavantagées, si en dessous de l’immense patrimoine de doctrine, de lois et d’institutions, elles ne retrouvent pas ce noyau primordial capable de susciter en lui-même la foi.

Se présenter à l’homme d’aujourd’hui, qui souvent ne connaît pas le Christ, avec l’ampleur de cette doctrine, c’est comme mettre l’une de ces lourdes chapes de brocart que l’on utilisait jadis, sur les épaules d’un enfant. Nous sommes davantage préparés, par notre passé, à être des «pasteurs» qu’à être des «pêcheurs» d’hommes ; c’est-à-dire que nous sommes mieux préparés à nourrir les personnes qui viennent à l’Eglise, qu’à porter de nouvelles personnes à l’Eglise, ou repêcher celles qui se sont éloignées et vivent en marge de l’Eglise.

De ce point de vue du kérygme et de la catéchèse, l’évolution du corpus «neubertien» s’attache plus à la recherche de l’approfondissement et de la vulgarisation dogmatique, pour permettre à tout baptisé de mieux répondre à son appel missionnaire : annoncer le Christ. Les derniers ouvrages, sur la mission apostolique de Marie et la vie d’union à Marie couronnent toute son œuvre en mettant en relief les aspects chrétiens de la mission et de l’union qu’il faudrait aujourd’hui approfondir et transmettre.

En dehors de Mon Idéal, Jésus Fils de Marie toujours redemandé ainsi que de l’ouvrage sur La vie d’union à Marie, notre auteur n’est pas ou peu lu dans le peuple chrétien en général ; ni même par les membres de la Famille Marianiste qui possèdent ses ouvrages. Cela tient, en partie, au fait que les expressions de langage utilisées, malgré l’effort de communication que nous avons relevé, ainsi que l’approche des thématiques mariales, sont désormais bien différentes de ce qui s’écrivait dans les années d’avant-guerre 1939-1945, puis avant le concile Vatican II. Le climat culturel de nos contemporains dans lequel évolue l’Eglise Catholique est différent du sien, à bien des titres.

Les problématiques auxquelles s’affrontent le christianisme deviennent de plus en plus complexes, qu’il s’agisse par exemple des découvertes liées au génome humain, aux procréations assistées, au clonage humain, ou à la gestion de la planète dans la défense de la création et du respect des règles écologiques. Les questions liées à la justice et à la paix deviennent de plus en plus difficiles à résoudre, avec l’apparition des formes nouvelles, toujours plus menaçantes de violence, telles le terrorisme international ou les menaces d’armes bactériologiques ou chimiques. S’ajoutent à cela des questions plus particulières qui n’ont jamais effleuré ses écrits ni sa pensée, questions liées à la condition féminine dans l’Eglise par exemple, ou à l’accès à la paternité ou à la maternité de deux personnes du même sexe vivant ensemble. De tels débats de société, bien absents dans l’approche «neubertienne», nous renvoient cependant à l’annonce du kérygme et du dogme et, plus précisément, à la découverte de la présence de Dieu et de Marie dans notre monde, à l’aube du troisième millénaire.

Dans ce contexte, la question mariale n’est pas ignorée. En faveur du mouvement œcuménique, elle semble être en retrait de toute une émulation de recherche théologique - nous l’avons signalé - précédant la promulgation du dogme de l’Assomption. Aujourd’hui cette émulation venant du Peuple de Dieu ouvre des perspectives en faveur de l’affirmation de la mission de co-médiatrice et de co-rédemptrice de la Vierge Marie. Emile Neubert appartenait à cet univers qui précédait la promulgation du dernier dogme marial dans l’histoire de l’Eglise catholique. Son ouverture et sa disposition à recevoir la motion de l’Esprit Saint à travers le peuple de Dieu (le sensus fidei) nous invite à avoir, nous aussi, cette sagesse qui consiste à prendre du recul sur nos manières de concevoir les «choses de la foi» aujourd’hui, sachant que demain peut nous réserver des surprises. Même si la Révélation est close avec l’Apocalypse qui est le dernier livre de la Bible, les Actes des Apôtres ne se terminent pas par le seul écrit appartenant au corpus biblique chrétien. L’Eglise continue sa mission apostolique avec chaque baptisé, en union avec la Vierge Marie, Mère de l’Eglise, c’est-à-dire, la Mère de tous les fidèles chrétiens qui forment le grand corps de l’Eglise. En ce sens, l’impulsion donnée par lui concernant le développement du dogme, n’a pas perdu de sa fraîcheur et de son actualité. Il nous revient, en vue de contribuer à ce développement, de savoir trouver un mode de communication qui s’adapte à notre culture actuelle. Et en ce sens aussi, nous pourrions parler d’un véritable travail d’inculturation à réaliser pour que soit évangélisée notre culture dans les grandes perspectives spirituelles, et spécifiquement mariales développées dans le corpus «neubertien». De même, qu’il serait utopique de songer à réécrire le Traité de la vraie dévotion de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, traité qui, en lui-même, garde aujourd’hui encore toute sa valeur, de même, il serait utopique de vouloir réécrire Mon Idéal, Jésus Fils de Marie. Mais par contre, un Grignion de Montfort, comme un Neubert nous offrent chacun, à leur manière, le témoignage d’une recherche de transmission du message chrétien dans la perspective mariale adaptée à leur époque.

Il nous revient de suivre leurs traces, en sachant déceler le mode le plus approprié pour toucher le cœur et nourrir la foi des fidèles chrétiens, en leur offrant les richesses d’un message qui ne nous appartient pas, mais qui, par notre plume, par notre bouche et par nos mains sert la Tradition de l’Eglise dans ce qu’elle a de plus noble et de plus vivant.

V.2 L’influence de l’œuvre dans la Société de Marie et dans l’Eglise

Sachant qu’Emile Neubert s’est largement inspiré de l’œuvre de Guillaume Chaminade, il serait vain de rattacher à son propre corpus les idées maîtresses concernant l’aspect marial de la vie religieuse marianiste. Cet aspect marial fut mis en valeur par les différents supérieurs généraux qui ont accompagné la Société de Marie dans la première moitié du XXe siècle. Nous ne trouvons pas de mention officielle de son œuvre dans les circulaires des «Bons Pères» de toute cette période. Les séminaristes de Fribourg ont profité de son enseignement de 1922 à 1949, durant plus d’un quart de siècle. Et parmi eux, nous l’avons déjà mentionné, plusieurs ont écrit des thèses sur la Vierge Marie et furent de futurs supérieurs provinciaux ou Généraux de la Société de Marie.

Les Sœurs Marianistes lui sont redevables d’avoir pu obtenir de Rome, la possibilité d’émettre le quatrième vœu dit de «stabilité» dont l’esprit se rattache à l’engagement de servir Marie dans sa mission apostolique. Un vœu qui avait déjà été accordé bien avant aux religieux de la Société de Marie.

La revue tenue par les Marianistes l’Apôtre de Marie a fidèlement recensé ses œuvres dans le même climat positif que les recensions répertoriées dans les plus grandes revues internationales, spécialisées notamment dans le domaine de la mariologie.

S’il nous faut rechercher une influence à un niveau ecclésial, plus tangible, ce serait sans doute dans les derniers travaux théologiques (notamment du côté allemand), préparatoires à la promulgation du dogme de l’Assomption, comme nous en avons fait allusion au moment de l’approche de cette thématique dans notre étude. Mais dans ce domaine de la recherche théologique d’une grande effervescence, autour de la promulgation du dogme, il est difficile d’apprécier l’influence marquante et exacte venant spécifiquement de lui. A-t-il eu une influence marquante qui aurait permis de faire avancer ce dossier de la promulgation du dogme de l’Assomption ? Nous savons que les théologiens remarqués de cette période (Philips, Roschini, Laurentin) étaient tous en rapport avec lui, de près ou de loin. Ils nous laissèrent des recensions de ses ouvrages, toutes très positives. Alors que ces mêmes théologiens restaient très critiques et donnaient à réfléchir sur les questions relatives à des excroissances de la mariologie, séparées d’une christologie et d’une ecclésiologie, s’élaborant pour son propre compte.

Emile Neubert appartenait à cette tradition de théologiens qui ont préparé Vatican II dans la première moitié du XXe siècle. La dernière période, préparatoire au Concile, fut précédée par des recherches en mariologie, tant en forme de congrès qu’en publications qui n’ont pas leur pareil dans l’histoire de l’Eglise. Le chapitre De Beata de Lumen Gentium a bénéficié de l’apport des recherches faites auparavant, notamment en Allemagne et en France. Il fut mêlé à ces groupes de travaux théologiques qui mettaient progressivement l’accent sur Marie et la Nouvelle Eve et Marie et l’Eglise ou Marie-L’Eglise selon la belle expression de Hans Urs von Balthazar. D’ailleurs, Monseigneur Philips, secrétaire responsable de la rédaction de Lumen Gentium - et en particulier de son chapitre VIII - a félicité la Société Française pour ses travaux.

Durant la seule période de 1949 à 1957, les bibliographies spécialisées du P. Besutti recensent près de dix mille ouvrages autour du Mystère de la Vierge Marie. Mais en même temps, écrit René Laurentin[861] :

Pie XII était très réservé sur la dogmatisation de la médiation et de la co-rédemption, préoccupé de ne pas voiler la transcendance de l’Unus mediator. Il a systématiquement écarté le titre de co-rédemptrice de ses Actes pontificaux, et ses directives aux adeptes de la théologie mariale mettent en garde aussi bien contre l’exagération que contre la dépréciation. Jean XXIII a repris les directives modératrices de son prédécesseur : «Nous désirons vous inviter à vous en tenir à ce qu’il y a de plus simple et de plus ancien dans la pratique de l’Eglise[862]

Cependant, les documents pontificaux : Marialis Cultus et Signum Magnum de Paul VI, puis Redemptoris Mater, au début du pontificat de Jean-Paul II, ainsi que ses homélies et sa Lettre apostolique sur le Rosaire à la fin de son pontificat, ont tous contribué à nous offrir une impulsion renouvelée de la question mariale après Vatican II. Un constat s’impose ! Durant cette même période, du côté catholique, nous assistons à un relatif silence et à une relative accalmie dans la recherche théologique spécialisée sur la Vierge Marie, en comparaison des grandes époques qui ont précédé la promulgation du dogme de l’Assomption et le Concile Vatican II. Et du côté des Eglises issues de la Réforme et de l’anglicanisme, nous assistons à des recherches qui s’émancipent des prises de positions foncièrement négatives qu’avait pu connaître la génération d’Emile Neubert au temps de sa thèse de doctorat. Le groupe des Dombes publie avant le Jubilé de l’an 2000 les fruits de ses travaux de plusieurs années sur la question mariale dans une perspective œcuménique[863]. Et l’Eglise Anglicane publie en 2005, de son côté, ses travaux de recherche théologique en vue d’un dialogue œcuménique sur la Figure de Marie, partant de l’apport au sein de sa propre Tradition[864].

Nous sommes moins devant une abondance de documents qu’en présence d’une plus grande qualité dans la recherche, c’est-à-dire un souci de valeur et de cohérence. Ce qui était la grande préoccupation d’Emile Neubert. Dans ses ouvrages de spiritualité, les appuis scientifiques des travaux exégétiques mis à jour et des arguments appuyés théologiquement sur le dogme et les Pères, lui donnent une grande assise. Chez lui, nous trouvons ce double rapport de la théologie à l’ensemble du Mystère et au salut des hommes dans un souci de méthode et d’orientation précise. Ce souci imprègne tout son corpus ne sacrifiant rien à des facilités littéraires pour s’acquérir un public en recherche de piété sentimentale nourrissant sa sensibilité, sans plus.

Il est clair qu’au début du XXe siècle, étaient bien présents dans son étude comme dans celles de ses contemporains les principes qui pouvaient rendre la recherche mariologique trop autonome par rapport au mystère chrétien dans son ensemble. Il mettait en évidence certains points qui pourraient être critiqués, s’ils n’étaient pas présents dans un ensemble plus équilibré - ce qui n’est pas le cas du corpus «neubertien» - : Marie est singulière (principe de singularité) ; elle dépasse en tout les autres chrétiens (principe d’éminence) ; elle est en tout analogue au Christ (principe d’analogie). Ce que la puissance de Dieu a pu faire de glorieux en Marie, elle l’a fait (principe de convenance). Mais il a eu le grand mérite et le souci de traiter, dans l’ensemble de la dogmatique, ces diverses thématiques mariales, annulant la critique négative qui aurait pu lui être faite sans cela. La maternité apparaît dans le traité de l’Incarnation, l’Immaculée conception, dans le traité du péché originel, la part de Marie au salut, dans le traité de la Rédemption et ainsi de suite, de telle sorte que sa théologie mariale ne vit pas sur ses sources propres, gardant au Christ sa transcendance et la suffisance de la Rédemption. Et quand il s’agit d’établir le lien entre la mission du Christ et celle de la Vierge Marie, l’impulsion missionnaire apostolique qu’il donne à sa recherche renvoie à une invitation à tous les baptisés de participer à la mission de l’unique envoyé du Père, qu’est le Christ.

Il en va de même pour tout ce qui concerne son approche de Marie «distributrice des grâces». Une lecture superficielle pourrait forcer la métaphore pour n’envisager la grâce que comme une sorte de chose «en soi», subsistant indépendamment du Christ Rédempteur, comme une sorte de capital «d’actions en bourse» stockées dans un «coffre-fort» dont Marie détiendrait la clef. Nous pourrions faire cette même critique à un saint Louis-Marie Grignion de Montfort ou à un saint Maximilien Kolbe et tant d’autres. En fait, toute la pédagogie «neubertienne» est de nous faire entrevoir comment notre relation filiale avec Marie prolongeant celle de Jésus envers sa Mère, «actue» le don de Dieu en nous par sa grâce divine, justement au travers de cette relation Mère-Fils. Le Christ est au centre de cette actuation en union avec l’Esprit Saint. Ils sont tous deux comme «les deux mains du Père», pour reprendre la célèbre expression d’Irénée.

Nous sommes, par la grâce, au cœur des «échanges trinitaires». Et, quand il s’agit d’aborder le lien nécessaire de Marie avec son Fils, à la fois homme et Dieu, Emile Neubert se sert alors de la notion d’«ordre hypostatique» plus volontiers que celle d’«union hyspostatique» respectant ce qu’il y a de plus incommunicable dans le mystère du Christ : l’union personnelle de son humanité au Verbe en qui elle subsiste. La notion d’ordre hypostatique englobe au contraire, ce qui est coordonné à cette union, dont la maternité divine, qui, de fait, se réfère intrinsèquement à la personne du Verbe. (En effet, d’autres théologiens maximalistes préconisent de renforcer le sens, en accordant à la Vierge une causalité instrumentale à l’égard de l’union hypostatique elle-même.)

Cet écueil est évité dans le corpus «neubertien». Le corpus demeure sensible à la norme d’homogénéité et, justement à cause de la cohérence d’ensemble du message, n’hésite pas à s’inscrire dans un courant mariologique pour servir l’évolution du dogme marial. Mais dans ce cas, il s’agirait plutôt d’un développement dans le sens où il dévoile une réalité déjà comprise dans le Credo, mais en attente de clarification. C’est ainsi que nous recevons les derniers dogmes de l’Immaculée Conception et de l’Assomption de la Vierge Marie. Vue sous cet angle, l’histoire de la théologie fait apparaître comme une histoire des dogmes, mais sans aucune notion d’ajout, notion qui serait bien malheureuse, surtout pour les relations avec les Orthodoxes, les Protestants, les Anglicans.

Informé, dans l’histoire des développements théologiques, des débats autour des mérites du Christ et de la Vierge, il prend soin de ne pas déborder le sens des expressions par des jeux de langage. Il nous rappelle, (en reprenant Novati), que le Christ seul nous mérita la Rédemption de condigno (c’est-à-dire avec suffisance selon la justice). La Vierge, en toute subordination (comme aide semblable au Fils de Dieu incarné) la méritait de congruo, c’est-à-dire d’un mérite de convenance, non d’une exigence de justice[865]. En s’appuyant conjointement sur les expressions du magistère ordinaire et extraordinaire et sur la constatation générale du peuple de Dieu, il nous invite à ne pas partir d’un a priori. Il nous encourage à chercher le sens obvie des paroles qui expriment une croyance : celle de la co-rédemption par exemple[866]. La contribution des «amis de Dieu», fidèles à leur grâce baptismale, permet d’approfondir ce que le le cardinal Hans Urs von Balthasar appelait la «dogmatique expérimentale[867]». Ils soutiennent l’Eglise en «présentant dans leur vie la plénitude de sa doctrine et dans leur doctrine la plénitude de sa vie[868].» Il s’agit d’une dogmatique vécue et entièrement fondée sur l’amour qui embrasse toute la vérité de la foi en Christ Jésus et la rend toujours plus lumineuse et attirante pour le cœur de l’homme.

Emile Neubert s’est toujours montré attentif au sensus fidei. Car sous l’action des dons du Saint-Esprit, chaque baptisé contribue à faire progresser la théologie chrétienne, comprise comme une science de la foi au service de la révélation. Elle est contenue dans les Ecritures et traduite dans notre Credo. C’est pour cela que l’apport d’autres disciplines universitaires doit être évalué en respectant l’autorité de la «grâce» de tous les baptisés qui n’ont pas tous accès à cette contribution de disciplines spécialisées qui nécessitent de longues études. D’où la mise au point du Cardinal Lustiger formulée lors du Synode des évêques d’Europe de 1999 faisant le diagnostic suivant :

La théologie, après avoir fourni à la philosophie, voire à la sociologie occidentale, une grande part de leurs concepts et de leur substance, a souvent pris comme condition de production les normes de la scientificité critique, jusqu’à laisser s’essouffler les démarches originales qui lui permettent de donner son fruit propre […] La théologie n’est point la métathéorie du discours religieux, ni la science des religions, mais, au sein de l’Eglise, elle est recherche de Dieu par l’intelligence humaine, éclairée par la foi au Verbe incarné, mort et ressuscité, dans la communion de l’Esprit Saint[869].

Ainsi Emile Neubert reste fidèle à l’enseignement de saint Thomas d’Aquin, nous rappelant que la théologie en tant que telle n’a pas besoin d’autres sciences pour fonder sa rationalité :

Ses principes ne lui viennent en effet d’aucune autre science, mais de Dieu immédiatement, par révélation ; d’où il suit qu’elle n’emprunte point aux autres sciences comme si celles-ci lui étaient supérieures, mais au contraire qu’elle en use comme d’inférieures et de servantes[870].

Toute l’histoire de l’Eglise, à travers les témoignages des saints donne raison à saint Thomas ! C’est une invitation à valoriser l’expérience spirituelle. Elle enrichit la théologie et, par le fait même, l’explicitation du dogme. C’est pourquoi le secrétaire de la Congrégation pour le Culte Divin, Domenico Sorrentino, enseignant la théologie spirituelle n’hésite pas à affirmer :

L’expérience spirituelle, et en particulier le "vécu" des saints, sont à considérer comme un lieu théologique tout à fait vital pour une théologie qui veut être ‘vivante’. Si la théologie spirituelle assume toujours mieux son rôle sur ce terrain, je crois que l’on peut en attendre un grand avantage pour toute l’activité théologique. Von Balthasar a donné une grande impulsion dans cette direction, mais il est difficile de dire dans quelle mesure son orientation a été reçue[871].

En même temps, Emile Neubert prend soin de préciser :

Rome veille avec un soin extrêmement jaloux à ne pas permettre, encore moins à se permettre des exagérations de langage, surtout en ce qui concerne la sainte Vierge, vu que le peuple est naturellement porté à prendre à la lettre tout ce qui se dit à sa gloire. Preuve les condamnations portées il y a quelques années à propos de l’expression Virgo sacerdos, Vierge-Prêtre[872].

Cette remarque étant faite, elle n’empêche pas pour autant Emile Neubert d’aborder de front comme nous l’avons vu dans notre étude, l’aspect sacerdotal de la mission de Marie. Son approche tient compte de deux réalités complémentaires : celle de mater et celle de socia Christi sacerdotis.

Il savait que le thème de Marie et de l’Eglise aurait un avenir. Mais il était prématuré pour lui d’en évaluer l’importance et les conséquences. Son approche se situait davantage dans l’orientation de la définition de l’Assomption, comme point de départ d’une série de promotions ultérieures des privilèges de Marie. Alors qu’une autre orientation se faisait jour qui procédait non pas d’un besoin de développer et d’augmenter, mais de recentrer, de situer la doctrine mariale dans l’ensemble du dogme.

L’image paulinienne du Corps Mystique, dont le Christ est la tête et nous les membres, qu’Emile Neubert traduit en «plus grand Christ» renvoie à une unité de l’ordre des épousailles entre le Christ et son Eglise, qui n’a pas été retenue par notre auteur, mais ce qu’a très bien vu le Cardinal Ratzinger :

[…] l’expression "corps du Christ", que nous sommes, est toujours à comprendre sur l’arrière-plan de la formule de la Genèse 2,24 : Les deux ne feront qu’une seule chair (cf. 1Co 6,17). L’Eglise est le corps, la chair du Christ dans la tension spirituelle de l’amour, où s’accomplit le mystère conjugal d’Adam et d’Eve, donc dans le dynamisme d’une unité, qui ne supprime pas le face à face. Ainsi le mystère eucharistique et christologique de l’Eglise, qui s’énonce dans l’expression ‘Corps du Christ’, ne garde sa juste mesure que s’il inclut le mystère marial : la servante qui écoute, qui - devenue libre dans la grâce - prononce son fiat et par là devient épouse et ainsi corps»[873].

Ce fut justement autour du thème Marie et l’Eglise quasi absent du corpus «neubertien», que cette tendance prit corps.

Mais cette nouvelle orientation, avait-t-elle le monopole du recentrement dogmatique, face à la première qui aurait eu tendance à séparer Marie de l’Eglise ? Une relecture d’ensemble du corpus «neubertien» nous aide à nuancer le débat, évitant d’opposer mouvement marial et mouvement ecclésial en deux points de vue hétérogènes. L’apport nouveau de la question œcuménique a conduit l’un et l’autre mouvement à mieux recadrer leur apport spécifique dans cette perspective d’un dialogue avec les différentes confessions chrétiennes. Et tous deux sont invités à un tournant que René Laurentin exprime ainsi d’une manière très heureuse : «chercher moins la voie des triomphes extérieurs, que de l’humilité[874]

Tout l’apport d’Emile Neubert, dans cette dialectique, fut de penser la doctrine mariale en fonction de l’ensemble du dogme et de la vie chrétienne, ressourcé profondément par la Bible et les Pères de l’Eglise au départ, puis par les Docteurs, les mystiques et le Magistère en complément, par la suite de ses recherches.

Le paradoxe et le côté génial chez Emile Neubert consiste justement à unir à la fois la personne et la fonction de Marie dans l’ensemble du mystère chrétien. Son œuvre laisse entrevoir cette logique interne, de la destinée de Marie et des privilèges qui en découlent, tout en reliant intrinsèquement les fonctions mariales et leurs conséquences missionnaires. Si bien que nous recevons le don de Dieu qu’est Marie comme notre Mère : la femme toute proche[875] de nous pour le combat à mener est engagée dans l’histoire du salut. Et de l’autre, sa position de Reine Mère, unie au Christ-Roi, lui donne comme il se dit, le rôle de chef dans sa mission apostolique à laquelle, elle nous fait prendre part. En d’autres termes, tous ses privilèges sont au service de sa mission. Et loin de nous la rendre lointaine, ils nous aident à la recevoir dans une proximité qui prolonge la relation filiale de Jésus envers sa Mère. La formule est heureuse qui nous fait contempler «Marie toute proche dans la Gloire de l’Assomption.» Dans une telle perspective, la dualité est dépassée qui consisterait à voir Marie, soit du côté des rachetés face au Christ, soit du côté du Christ, face aux pécheurs qui la prient.

Au pied de la Croix, Marie est face au Christ, du côté des pécheurs à sauver, elle, la Mère, la première des rachetées (Immaculée Conception). Et, avec son Fils en Croix, Marie laisse le Seigneur élargir son cœur maternel à la dimension de tous les hommes sans exception, destinés au Salut, auquel elle participe dans son offrande et celle de son Fils, l’unique Rédempteur. En ce sens, Marie n’est pas «la source» des grâces, ni du salut opéré par son Fils, mais elle est «à la source», symbolisée par l’eau et le sang qui ont coulé de la blessure du cœur de Jésus. La scène du film La Passion de Mel Gibson qui nous fait voir Marie recueillant précieusement sur le pavement le sang de son Fils qui a coulé par l’atroce flagellation commente bien, à sa manière, à la fois cette dépendance de Marie par rapport au don, et notre dépendance à Marie pour le recevoir.

Cette figure de la «femme forte au pied de la Croix» qu’est la Mère de Jésus et notre Mère, redimensionne le profil trop intimiste d’une compréhension de la dévotion mariale au risque d’une forme subtile de régression relationnelle du chrétien, par un retour mal compris au sein maternel de Marie.

La psychologie, surtout freudienne, aurait bien des objections à formuler devant notre attachement à la Mère de Dieu. La plus radicale […] c’est l’interprétation psychanalytique du lien à Marie comme une régression au sein maternel. La dévotion à Marie, plus encore l’abandon à Marie, seraient au fond une façon de réactiver notre infantilisme originel […] La piété mariale serait donc soupçonnée de cultiver une immaturité […] L’attachement à Marie serait une expression déguisée et sacralisée d’un besoin de protection, une représentation imaginaire du paradis originel qu’est la vie intra-utérine, en deçà des débats et des combats inhérents à la condition historique de l’humanité […] Pourtant il n’y a dans l’Evangile aucune trace de régression ou de démission […] L’enfance psychologique est derrière nous. Mais l’enfance mystique est devant nous»[876].

Le corpus «neubertien» nous a épargné ce faussement de sens dans la relation Mère Fils qu’il promeut sans cesse. La «mise en situation missionnaire apostolique» de cette relation engage l’enfant de Marie à des responsabilités et à une foi adulte :

Il faut une vraie dévotion à Marie, non pas seulement extérieure et sentimentale, mais une dévotion solide, généreuse, surtout une dévotion profondément christocentrique[877].

Emile Neubert veut que la piété mariale soit fondée sur des bases scripturaires et dogmatiques solides, il ne veut rien sacrifier à une relation vivante et affectueuse à notre Mère du Ciel. Cette relation «qui fait vivre» rejaillit sur celle que nous avons avec Dieu lui-même qui nous «fait vivre» en dilatant notre cœur profond en liens permanents avec le mystère de la paternité de Dieu. Ce qui fait, qu’à maintes reprises, dans son corpus, il relève en termes critiques la théologie des Protestants qui n’intègrent pas la figure de Marie. La conséquence étant, pour nos frères issus des courants de la Réforme, une certaine dureté dans leur rapport à Dieu même :

Nous nous rappellerons, que c’est le Père, de qui procèdent le Fils et le Saint-Esprit et, en union avec le Fils et l’Esprit, toutes les créatures, qui a voulu faire de Marie la Mère de son Fils et la Mère de nous tous, ses autres enfants. Il lui a communiqué ses dispositions envers Jésus et envers nous que nous admirons en elle. Si elle est si belle, si douce, si attirante, si bonne, si miséricordieuse, si «maman», c’est que c’est lui qui l’a faite telle et qu’il est encore infiniment plus beau, plus libéral, plus miséricordieux, plus paternel. Comme à propos du Fils, à propos du Père également, par Marie, nous apprenons à mieux comprendre, à mieux sentir, à mieux nous confier, à mieux aimer et à mieux nous donner. Si c’est le Fils qui révèle le Père, n’est-ce pas aussi la Mère, qui, à sa façon, nous le fait comprendre ? Notre religion, vie de famille avec la divinité, serait-elle ce qu’elle est si, à côté du Père qui est aux cieux, il n’y avait pas une Mère[878] ?

Nous pourrions noter que la théologie rationaliste, du côté catholique, qui se veut scientifique en parlant de Marie, si elle est trop peu ressourcée à la doctrine des Pères, des docteurs et des mystiques, nous fait sombrer dans les mêmes écueils. Il s’agit de retrouver l’esprit de la théologie des saints qui nous offre une puissante lumière sur la doctrine et sur la vie, dans un équilibre parfait. C’est le secret de leur réception par le sensus fidei du peuple de Dieu qui reconnaît d’emblée, guidé par l’Esprit Saint, les vrais témoins qui nous entraînent.

La menace perdure sans cesse de dissocier une théologie purement théorique de l’engagement missionnaire[879] que requiert notre vocation baptismale ou bien alors de développer une piété mal éclairée qui peut devenir malsaine. Emile Neubert a su éviter ces deux écueils, comme un saint Louis-Marie Grignion de Montfort, comme une sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Il nous offre une vérité vitale, nous engageant à une relation authentique et comblante avec les figures des Personnes Divines et de la Vierge Marie, située dans l’ensemble du mystère du Salut. Il s’agit pour nous d’entrer dans une lecture intégrale des Ecritures qui respecte cette idée formulée par le père Yves Congar, : «une pensée a sa vérité, non dans quelques bribes de textes, mais dans la proportion des textes, leur équilibre et leur place dans l’ensemble[880]

Peu à peu, il illumina notre foi, chercha à coordonner l’intelligence du mystère et l’investigation des sources, l’approfondissement théologique et la perspective d’histoire du salut, la logique des convenances et la spécificité de la vocation de Marie, les analogies et les différences entre le Christ et sa Mère d’une part, entre la figure de Marie et les autres rachetés, d’autre part. La découverte progressive des vérités dogmatiques fondées sur la Révélation biblique et la tradition vivante de l’Eglise, guidée par l’Esprit Saint, stimulée par le sensus fidei du peuple de Dieu, elle est devenue au fur et à mesure une vie, comme un squelette bien recouvert de chair. Les questions les plus existentielles de l’homme - son origine et sa fin - trouvent des repères qui recadrent l’histoire du monde et de l’Eglise par rapport à l’objectif de ses fins dernières. La finalité, vraiment ultime, de la vocation de l’homme n’est pas d’ordre ecclésial mais trinitaire. En ce sens, la Vierge Marie qui est comme nous l’avons dit : «à la source», première des rachetés, tout à la fois comme premier membre de l’Eglise naissante et comme Mère de l’Eglise, reçoit du Christ prolongé par l’Eglise, en retour, l’honneur qui lui est dû :

Il est, de l’amour filial de Jésus pour sa Mère, une autre manifestation dont nous sommes les témoins et un peu les instruments : c’est la piété filiale de l’Eglise envers Marie. Jésus se prolonge par son Eglise ; la vie de l’Eglise, c’est l’amour du Christ pour Marie[881].

Cette formule bien comprise peut nous faire entrer dans les grandes perspectives de la mission apostolique qu’Emile Neubert ne cesse de développer dans son corpus. L’autre versant de cette réalité consiste à voir comment Marie se prolonge par l’Eglise, en l’imprégnant de son propre «mystère marial», selon l’expression du cardinal Ratzinger :

Dans notre mentalité occidentale, masculine, nous avons de plus en plus séparé le Christ de sa Mère, sans comprendre que Marie en tant que mère pourrait, théologiquement et pour la foi, signifier quelque chose. Tout le genre de notre rapport avec l’Eglise est marqué par là. Nous la traitons presque comme un produit technique, que nous voulons projeter et fabriquer grâce à notre perspicacité, et à notre dépense inouïe d’énergies ; et nous nous étonnons si alors intervient ce que saint Louis-Marie Grignion de Montfort a remarqué, d’après un mot du prophète Aggée : Vous avez semé beaucoup, mais peu engrangé (1, 6). Quant le «faire» se rend autonome, les choses qui ne sont pas à faire, mais sont vivantes et veulent mûrir, ne subsistent plus […] L’Eglise n’est pas un produit fabriqué, mais la semence vivante de Dieu, qui veut croître et mûrir. C’est pourquoi l’Eglise a besoin du mystère marial, est elle-même mystère marial[882].

Dans la droite ligne de l’esprit de ses écrits, nous pourrions ajouter : «La vie de Marie, c’est l’amour des pauvres, de ceux qui pleurent et luttent pour la justice etc…» A l’esprit des Béatitudes, nous pourrions rattacher le Magnificat de la Vierge Marie, remettant à la fois, dans ses limites, le mystère de Marie qui renvoie à l’amour de Dieu et du prochain et évite un faussement de sens qui offrirait à côté d’un christocentrisme une sorte de « mariocentrisme», comme pour nous faire entrevoir une Eglise à deux têtes.

Au contraire, Marie par sa fonction médiatrice, maternelle, par sa virginité, par son assomption etc., par sa co-rédemption, éveille tous les chrétiens à participer à ses fonctions et à ses privilèges, dans la mesure qui est la leur, certes, et dans les limites qui sont les leurs. Tous ces thèmes sont présents en filigrane dans les livres de vulgarisation de la piété mariale, adaptés aux destinataires. En même temps, il nous offrit les notions conceptuelles permettant d’établir les ressemblances de la Vierge au Christ d’une part, et aux chrétiens d’autre part, tout en sauvegardant les différences. C’est ainsi qu’apparaît nettement affirmée la hiérarchie de ces ressemblances et de ces différences qui s’enracinent toutes dans le Christ, et leur signification par rapport à la transcendance de Dieu et au salut des hommes. Il a su tenir compte, essentiellement, de l’homogénéité qui prévaut à l’évolution de la formule dogmatique, en s’attachant à relever la diversité des expressions du dogme dans les époques successives. Nous lui sommes redevables d’avoir su nous faire entrevoir comme le «fil rouge» des éléments d’un puzzle qui étaient déjà présents au départ, et que l’Eglise a pour tâche de définir au fil de son histoire jusqu’à ce qu’elle atteigne sa taille adulte dans le Christ.

Emile Neubert montra le rapport vivant de l’Ecriture avec la tradition. Non seulement l’Ecriture est l’objet de tradition en ce sens que son Canon nous est transmis (traditur) par l’Eglise, mais en ce sens que la tradition en transmet aussi la compréhension et l’intelligence. Et, c’est à partir d’une réflexion sur les données bibliques, - sa thèse le montre à l’envie-, que la Tradition avait progressivement pris conscience des dogmes : dès avant Nicée, de la véritable maternité humaine de Marie et de sa maternité divine, de sa virginité, de sa sainteté parfaite (et même du caractère unique, à son départ, de cette sainteté), de son assomption et de sa participation à l’unique Médiation et Rédemption du Christ. Une telle lecture de la Bible ne peut se faire, ni d’une manière féconde et prometteuse en dehors de l’Eglise, et ni en dehors de sa Tradition qui en est le milieu vivant. Son mérite fut d’éviter l’écueil qui aurait consisté à nous rendre Marie toujours plus éloignée par ses privilèges et leur caractère d’exception. Son souci permanent d’en chercher la cohérence et l’harmonie par la Révélation s’accompagne de la volonté de développer le «pour nous et pour notre salut» qui rejoint notre histoire ici et maintenant où nous avons une mission à remplir. Si bien que l’approfondissement des «privilèges» de la Mère de Dieu nous renvoie aux «fonctions» de Marie à notre égard, chargeant de sens les données du dogme. A l’aide du mystère de Marie nous est confiée la tâche de dénouer un nœud : les Protestants qui n’admettent pas ce rapport de similitude entre la créature et le Créateur, qu’un Karl Barth appelait en 1945 «l’analogie de l’être» (qu’il récusait alors, avant de l’intégrer à son tour plus tard). Marie, au contraire, nous montre jusqu’où va la grâce de Dieu, capable de transformer l’humanité, appelée à la gloire, faite à l’image et ressemblance de Dieu. Toute la transcendance divine se manifeste dans sa capacité d’immanence, de kénose : élevant le réceptacle de la pauvre humanité à sa grandeur divine ; c’est un peu le prince qui, pour épouser une pauvre bergère, la fait princesse. L’avantage de l’approche «neubertienne» est de nous faire saisir comment le Christ opère le salut, non dans et par la seule divinité, mais dans et par l’humanité coopérante. «Dieu qui nous a créés sans nous, ne nous sauvera pas sans nous.» La coopération de l’homme à son propre Salut, qui se traduit en terme de se «laisser aimer inconditionnellement» par son Créateur, Marie en est le premier témoin, elle ira jusqu’à devenir par son consentement (à la fois actif et passif) de l’Annonciation, Mère de Dieu et Mère des hommes à sauver.

 

V.3 L’œuvre dans le regard de Vatican II

Dans une conversation au sujet du style théologique, le Père Neubert confiait au Père Koehler sa volonté d’écrire en termes simples et clairs, non selon la mode passagère du temps mais en un français qui triompherait de l’épreuve du temps. De fait, il a évité tout jargon qui trahirait sa date mais il n’y réussit pas quant au style.

Le Jésuite Pierre Ranwez dans Présence de Marie. Introduction à la littérature mariale d’aujourd’hui, étude critique, en 1954, apprécie la «belle synthèse des grandeurs de Marie» élaborée dans Marie dans le dogme. Il ajoute ce commentaire : «malgré les toutes grandes qualités de cette œuvre, nous n’y trouvons peut-être pas le même équilibre que dans le Traité[883] de l’Abbé Laurentin.»

Ranwez (comme Michel) voit que la synthèse «neubertienne» fut vraiment représentative de la doctrine de la dévotion de cette époque. Elle constitue un précieux jalon de la tradition. L’historien doit s’y référer et notre étude voudrait contribuer à rendre ce service. La critique vient de cette prise de conscience du tournant de Vatican II au sujet du Mystère de la Vierge Marie. Il fallut négocier comme un «virage» dans l’approche du mystère de Marie. Le jeune théologien d’Angers, l’abbé Laurentin, déjà remarqué par Jean XXIII, était davantage orienté vers l’ensemble des thèmes marials bien mis en valeur par Vatican II et les années qui suivirent. Il a su mettre en valeur dans un plus grand équilibre les thématiques mariales classiques, (qu’Emile Neubert possédait parfaitement), surtout par le thème «Marie-Eglise» qui, de fait, aurait offert à la synthèse «neubertienne» une force et une ampleur nouvelle[884].

Emile Neubert a ses mérites comme précurseur ; pour s’en rendre compte, il nous suffit de reprendre l’exhortation apostolique Marialis Cultus de Paul VI qui donna en 1973 de précieuses «directives» et «orientations» pour que les fidèles pratiquent une authentique dévotion mariale, conforme à l’esprit du chapitre 8 de Lumen Gentium, surtout christocentrique. Elles valent pour la doctrine : un caractère trinitaire, christologique, ecclésial, et il faut ajouter pneumatologique ; avec ses bases : biblique, liturgique, œcuménique et anthropologique.

Dans ce document Paul VI estime qu’il est normal «que les générations chrétiennes qui se sont succédées dans des contextes socio-culturels différents […] aient exprimé leurs sentiments selon les concepts et les représentations de leur époque[885]

Il faut en outre remarquer, que l’exhortation de Paul VI indique les grands thèmes marials de la tradition à partir desquels, nous avons retrouvé, dans notre étude du corpus «neubertien», tant d’éléments qui restent une contribution valable dans notre époque «post-Vatican II», voire même «post-Jean-Paul II», puisque ce dernier long pontificat fut aussi très marqué par l’empreinte mariale. Ces grands thèmes sont présents dans toute l’œuvre d’Emile Neubert, mais d’inégale importance selon le public auquel il s’adresse : Dieu Trinitaire/Marie, Jésus/Marie, Eglise/Marie, Esprit Saint/Marie, Révélation/Marie, Prière et Liturgie/Marie, Œcuménisme/Marie, Notre vie/Marie.

Au cours d’une session de la Société d’Etudes Mariales, il confiait à Théodore Koehler sa préférence pour les rapporteurs qui alliaient théologie et spiritualité. Lui-même donnait l’exemple, il n’écrivait pas de traités au titre abstrait.

C’est le débat constant depuis la scolastique, - nous confiait à ce propos Théodore Koehler-, au Moyen-âge, entre le «théologique» et le «spirituel». Gerson regrettait vivement la séparation. Les Pères de l’Eglise l’ignoraient et Emile Neubert préféra les suivre. Les Jésuites, en créant la collection «Sources chrétiennes» ont voulu remédier à une carence de notre siècle et faire mieux connaître, apprécier, aimer la patristique. Irénée Marrou a enrichi l’université de France par la création de chaires de patrologie. Une théologie mariale qui, à l’exemple des Pères de l’Eglise, nourrit la vie des disciples de Jésus, telle est une première caractéristique de l’œuvre «neubertienne» ; ce choix explique ses divers domaines ; on peut en apprécier l’actualité et aussi en voir les limites.

Parmi ces limites, il y a celle qui consisterait à ne pas offrir suffisamment l’apport des docteurs et des mystiques en complémentarité avec celle des Pères de l’Eglise. On ne peut pas trouver cette limite chez Emile Neubert. Notre étude nous a permis de constater, au fur et à mesure des thématiques abordées, combien certains saints ont explicitement «contribué» à l’élaboration de sa théologie : c’est le cas de saint Louis-Marie Grignion de Montfort. C’est aussi le cas de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus mais d’une manière peut-être moins explicite. La petite sainte de Lisieux, par exemple, déclarée aujourd’hui «docteur de l’Eglise » marqua de son influence spirituelle toute son approche, par l’esprit d’enfance spirituelle, il lui dédia un ouvrage. Emile Neubert semble même avoir reçu directement des écrits de la carmélite certaines expressions, à peine modifiées.

Mais il est bon de rappeler les originalités du message «neubertien». Nous avons pu évoquer son insistance sur la mission apostolique de Marie et sur l’union à Marie, pour lesquelles il composa chaque fois un ouvrage spécifique. Il convient de mettre en relief certains accents bien actuels, par exemple : Jean-Paul II et de nombreux apôtres modernes, en particulier des ordres religieux comme les Servites, Schönstadt, et des associations laïques comme la Légion de Marie vivent la mission apostolique de l’Eglise en participation à la mission apostolique de Marie, modèle et Mère de l’Eglise. Vatican II, dans la constitution sur l’Eglise Lumen Gentium, a retenu l’amendement du cardinal Suenens :

La Vierge, toute sa vie, a donné l’exemple de cet amour maternel qui doit animer tous les coopérateurs à la mission apostolique de l’Eglise pour la régénération de notre race[886].

Dans cette théologie mariale apostolique, si fidèle aux intuitions de Guillaume-Joseph Chaminade, nous trouvons plusieurs autres thèmes qui sont d’actualité. Le thème «Marie et l’Esprit Saint» est particulièrement traité pour l’explication de la mission apostolique de Marie et la nôtre[887]. Le titre exprime les trois paliers de la synthèse «neubertienne» : ²Rôle du Saint-Esprit dans la mission apostolique de Jésus, dans celle de Marie, et dans la nôtre.² Le thème est donc encore christologique et, de plus, trinitaire. Le Saint-Esprit est achèvement du mystère trinitaire dans l’amour. Le Père de toute miséricorde nous sauve par son Fils et leur Esprit. Le Christ nous est donné, ²conçu du Saint-Esprit, né de la Vierge Marie.²

En appelant les Douze, le Christ a fondé l’apostolat ; l’Esprit achève cette œuvre par sa venue sur les Apôtres en prière avec Marie, au jour de la Pentecôte[888]. C’est ce même Esprit qui devient l’âme des prêtres dans leur ministère ordonné. Nous recevons d’Emile Neubert son témoignage de foi en cet Esprit de Pentecôte, il anime en présence de Marie l’âme des prêtres. Il est rentré parfaitement dans l’esprit du Concile Vatican II qui s’exprimera à propos du lien qui unit Marie au sacerdoce ministériel dans le texte du décret Presbyterorum ordinis[889] :

De cette docilité [à la mission qu’ils ont assumée dans le Saint-Esprit] les prêtres retrouvent sans cesse le merveilleux modèle dans la Sainte Vierge Marie : conduite par le Saint-Esprit, elle s’est donnée tout entière au mystère du rachat de l’humanité ; mère du Grand Prêtre éternel, reine des apôtres, soutien de leur ministère, elle a droit à la dévotion filiale des prêtres, à leur vénération et à leur amour» (PO 18).

Autre thème, souligné récemment : la présence de Marie dans la vie de l’Eglise et de ses membres. La vie d’union à Marie explique longuement cette présence de Marie. Le thème inspira ce que nous pourrions appeler le secret «neubertien» ou, selon sa propre expression, «la consultation de Marie[890].» «Il nous faut croire en la présence invisible de Notre-Dame»[891], et prendre l’habitude de la consulter en nos prières, décision, activité de notre vie quotidienne, pour lui demander si elle les approuve. C’est en ce sens, que nous pratiquons le service de la mission apostolique de Marie. Agir en son nom, c’est la consulter, vivre sa présence apostolique, ne plus agir en notre seul nom. En notre époque post-conciliaire, le Père John Schug, capucin américain, dans son livre Mary, mother, relève en plus de quatre pages, des références aux nombreux textes de Jean-Paul II parlant de la présence de Marie. De 1987, année de Redemptoris Mater et début de l’Année Mariale, jusqu’en 1991, Schug compte dans les textes cités par l’Osservatore Romano quelque cinquante mentions explicites de la «présence de Marie». Redemptoris Mater est, pour ainsi dire, dédié à cette présence qui revêt deux formes : 1) la présence historique de Marie dans la vie de Jésus et dans celle de la primitive Eglise ; 2) après l’Assomption de Marie au ciel, sa «maternelle présence», présence toujours actuelle, «active et exemplaire», dans la vie de l’Eglise. Il s’agit, sous les deux formes, de «l’unique présence de Marie dans notre histoire, spécialement durant ces dernières années qui nous amènent à l’an 2000». Cette active présence de Marie est une maternité spirituelle.

John Schug explore la nature de cette action de Marie, comme causalité instrumentale. Emile Neubert en parlait, renvoyant aux explications théologiques de Garrigou-Lagrange[892]. Il renvoie surtout à des récits d’expériences personnelles de la présence de Marie, glanés dans diverses biographies. Il approfondit la question, en distinguant divers modes d’union à cette présence : 1) l’union ordinaire, pratiquée par notre exercice de la foi en cette présence, la foi du cœur, inspirée par une progressive imitation de l’amour de Jésus pour Marie.

2) Un charisme particulier de cette présence. Saint Louis-Marie Grignion de Montfort explique que «cette grâce n’est pas faite à tous… Dieu en favorise une âme par grande miséricorde[893].» Guillaume-Joseph Chaminade parle de «don» : «Il y en a qui ont le don de la présence de Jésus-Christ et de la Sainte Vierge, mais c’est fort rare. Il faut être très fidèle pour le mériter[894].» Emile Neubert, faisant une nouvelle distinction, considère ce don comme une grâce mystique, mais ordinaire : simple conscience de présence. Et troisièmement, l’union en des grâces mystiques extraordinaires : extases, paroles, et autre grâce exceptionnelle que nous n’avons pas à désirer[895].

Chrétiens et chrétiennes sont appelés à être des apôtres, des témoins du Christ. Depuis Vatican II, l’Eglise insiste sur la vocation apostolique des laïcs. Cette vocation était quasi évidente pour Emile Neubert :

Le clergé et les religieux ne sont pas les seuls membres de l’Eglise qui soient appelés à l’apostolat. Tout chrétien a une vocation apostolique, d’abord parce que tout chrétien doit imiter le Christ, l’Apôtre par excellence[896].

Aimer notre prochain, c’est premièrement faire tous nos efforts pour qu’il parvienne à la vie éternelle. Là aussi, Emile Neubert suit Guillaume-Joseph Chaminade et explique d’ailleurs comment celui-ci transforma en apôtres les jeunes de Bordeaux qui entrèrent dans ses congrégations mariales, leur disant comme directive : «Chaque congrégation est une mission permanente.»

L’apostolat laïc, comme vie chrétienne, a sa dimension mariale. Emile Neubert précise que cet apostolat est union à la mission apostolique de Marie et cite Guillaume-Joseph Chaminade :

Les congrégations nouvelles ne sont pas seulement des associations à l’honneur de la Sainte Vierge ; c’est une sainte milice qui s’avance au nom de Marie et qui entend bien combattre les puissances infernales sous la conduite même et sous l’obéissance de celle qui doit écraser la tête du serpent[897].

Les limites de cette approche ne manquent pas cependant, sans s’arrêter aux aspérités du langage.

La comparaison avec la théologie mariale post-conciliaire reprise amplement sous les pontificats du pape Jean-Paul II et de son successeur Benoît XVI montre enfin que l’œuvre du Père Emile Neubert reste de son temps, car il n’exploite pas le thème Marie et l’Eglise, comme Vatican II engage à le faire. L’analogie de Marie «la Mère» avec le Christ son Fils, demeure l’unique analogie, maîtresse de sa synthèse. Cette analogie, classique à son époque, faisait courir le danger d’isoler Marie dans une théologie de privilèges. Mais Emile Neubert n’a jamais séparé Marie, notre Mère, de ses enfants. Au contraire, il a insisté sur sa proximité, sa présence et l’importance de notre union à elle.

 


CONCLUSION                                         

L’héritage d’une impulsion apostolique mariale

 

L’ensemble des écrits marials d’Emile Neubert laisse apparaître à tous ses destinataires deux de ses grandes activités. La diffusion de la doctrine et de la dévotion mariale est la part la plus importante de son œuvre qui restera à la postérité et dont l’ouvrage le plus significatif Mon Idéal, Jésus Fils de Marie demeure un petit «traité marial et missionnaire» encore demandé aujourd’hui. S’ajoute à cela l’étude particulière de la spiritualité du Père Chaminade : ce fut un missionnaire apostolique au service des Congrégations mariales de Bordeaux qu’il relança après la Révolution Française et il fonda des Sociétés religieuses au début du XIXe siècle.

C’est essentiellement comme professeur, prédicateur et écrivain qu’Emile Neubert exerça une véritable mission apostolique.

Les éléments de cette impulsion missionnaire sont apparus dans ses nombreux articles, dont les deux premiers furent écrits dans le contexte de la crise moderniste, avant son départ pour les Etats-Unis en 1905, sous un pseudonyme. Ils furent suivis de quelques autres articles écrits en anglais aux Etats-Unis dans le cadre de ses premiers cours aux postulants et aux novices. D’autres articles parurent écrits en français pour la plupart, de 1922 à 1949, alors qu’il était supérieur du séminaire de Fribourg en Suisse.

A un siècle de distance de l’édition de sa thèse de doctorat en 1907, et quarante ans de distance avec sa mort, il nous est plus facile, en ce début du XXIe siècle, d’apprécier la contribution de cet auteur dans le domaine de la théologie spécialisée sur la question mariale.

Lui-même, en faisant une relecture de sa vie, dans son autobiographie, soulignait l’originalité du sujet de sa thèse de doctorat et sa très bonne réception, à une époque où, un sujet marial associé à la recherche patristique était totalement nouveau. Son premier apport fut donc cette étude historico-positive, à l’aube d’un siècle qui devait remettre en pleine lumière la valeur des écrits des Pères : on parle alors de «renouveau patristique» en parallèle avec le «renouveau liturgique» et le «renouveau biblique». Ce dernier, nous le vîmes dans notre étude, contribua à ses recherches au fil des thématiques mariales qu’il dut approfondir.

Aujourd’hui, les études historico-critiques et théologiques autour des thématiques mariologiques en lien avec les Pères de l’Eglise sont nombreuses, enrichies tout particulièrement par l’apport des «Textes Marials du Premier Millénaire», regroupant en quatre volumes les contributions des Pères et auteurs anciens d’Orient et d’Occident[898].

A l’époque de la publication de sa thèse, en ce début du XXe siècle, les études mariologiques en patrologie restaient modestes dans le milieu catholique, même après la définition du dogme de l’Immaculée Conception. En dehors de quelques recherches spécialisées, les Pères et les auteurs anciens étaient étudiés d’un point de vue essentiellement littéraire et apologétique.

Dans le même temps, les étudiants protestants se lançaient dans des recherches historiques sur fond polémique contre ce qu’ils appelaient la «mariolâtrie» des catholiques. Mais, si leurs études étaient plus importantes en quantité que celles des catholiques, elles ne pouvaient recevoir beaucoup de crédit au niveau de la qualité, à cause des conceptions souvent «a priori», associées à des interprétations superficielles des positions du «camp adverse[899]

Sans aucun esprit polémique, avec méthode et précision, Emile Neubert a conduit une recherche historico-critique faisant apparaître tout ce qui était approfondi du mystère du Christ et de sa Mère, partant des récits évangéliques jusqu’à l’aube des luttes ariennes. Son ouvrage comprend deux parties relatives au dogme et au culte marial. Nous vîmes comment ce travail nous aida à bien approfondir le lien étroit qui unit christologie et mariologie, cette dernière étant au service de la première. En reprenant les textes qu’il cite sur la véritable maternité humaine de Marie, les différents Pères et auteurs anciens, partant de Justin en passant par Irénée, Clément d’Alexandrie, Hippolyte, pour arriver à Origène, puis Tertullien, nous présentent la foi en la véritable nature humaine du Christ. Le contenu de cette foi était alors nié par les hérétiques, tels les gnostiques, les valentiniens et les disciples de Marcion.

Il en va de même quand ces mêmes Pères et auteurs anciens défendaient la conception virginale, qui, en soi, constituait un argument en faveur de l’affirmation de la divinité du Christ, face aux oppositions des juifs, des païens et des hérétiques qui la niaient. Et face aux docètes qui niaient la véritable humanité du Christ en faveur de sa divinité, cette affirmation de la virginité de Marie réconciliait ces deux réalités en apparence contraires.

Finalement, l’affirmation de la maternité divine constituait une phase décisive, elle permettait d’unir en une seule personne, celle du Verbe de Dieu, les deux natures : humaine et divine du Christ.

Emile Neubert mettait bien en évidence que les affirmations concernant Marie, la Mère de Jésus, grâce aux liens étroits qu’elles rendaient possibles entre christologie et mariologie, servaient essentiellement à garantir la saine doctrine sur l’identité du Christ.

L’article «conçu de l’Esprit Saint, né de la Vierge Marie» faisait partie du premier symbole connu, - symbole romain -, à partir duquel se seraient élaborés les symboles ultérieurs. En attendant, le contenu de cet article de foi appartenait aux vérités essentielles que chaque fidèle devait croire. Nous devons à Emile Neubert, par une recherche de première main dans les textes latins et grecs des Pères et auteurs anciens, d’avoir bien mis en lumière, sans prise de position partisane, la dépendance intime des éléments d’une christologie et d’une mariologie en fin de compte essentiellement christocentrique :

Le vrai facteur du développement mariologique primitif se trouve dans les rapports tout spéciaux qui unissent Marie à Jésus. Comment cela s’est vérifié à propos des affirmations dogmatiques, la première partie de ce travail l’a suffisamment montré. Il n’est guère plus difficile de constater que c’est aussi à cause de Jésus que Marie est devenue l’objet de l’attention des fidèles. Le fait est manifeste dans saint Luc. De même nous voyons nettement dans le Protévangile que la virginité in partu et post partum, ainsi que la sainteté de Marie, n’ont qu’un but, l’honneur de Jésus. Comme l’a remarqué récemment encore un protestant, «si l’auteur a voulu rendre évidente la pureté de la Mère depuis le commencement jusqu’à la fin», ç’a été pour « sauvegarder la pureté de la naissance de Jésus», et s’il «oublie presque le Christ en chemin», c’est le Christ cependant qui «est au terme[900]». C’est également à propos de Jésus qu’on glorifie Marie dans les autres apocryphes, qu’on la représente dans les peintures et qu’on lui attribue un rôle spécial dans l’œuvre de la Rédemption[901].

Et c’est ainsi qu’Emile Neubert conclut son travail par cette affirmation qui sera reprise dans les recensions de la publication de sa thèse :

En somme, toute l’histoire des origines de la mariologie se présente comme l’histoire de la défense et de l’extension de la christologie : la Mère garantissait le Fils et la gloire du Fils commençait à rejaillir sur la Mère[902].

Nous lui sommes redevables d’avoir bien mis en évidence que les éléments principaux des thématiques mariologiques qui prévalaient en son temps étaient déjà suffisamment développés ou en germe à la veille du Concile de Nicée :

En somme, la plupart des éléments actuels de la mariologie sont déjà assez nettement développés à la veille du Concile de Nicée : la maternité humaine et la conception virginale ont passé comme article de foi dans le symbole ; la maternité divine est reconnue, il ne reste plus qu’à sanctionner officiellement le mot ; la tradition relative à la conservation de la virginité est universellement acceptée au moins comme une croyance pieuse ; si la parfaite sainteté de Marie va torturer longtemps encore certains théologiens, elle est admise depuis les commencements par la piété des fidèles ; la coopération de Marie à l’œuvre de la Rédemption ne sera guère proclamée plus haut que l’a fait saint Irénée ; par contre, la vénération et l’invocation sont destinées à prendre encore d’indéfinis accroissements. Les principes sont posés, et déjà on a commencé à s’engager dans la voie des conclusions ; mais on n’est encore qu’à l’entrée de cette voie qui est sans terme[903].

Toute son étude montre admirablement que les raisons de ce développement et, de la place si importante attribuée à Marie dans le domaine de la foi et de la piété populaire de l’église primitive n’ont en fait pas de rapport direct avec l’aspect polythéiste des croyances populaires de l’époque, ni avec une prise en compte exagérée du rôle de la Vierge. Il s’agit simplement de bien faire valoir les rapports nécessaires et uniques qui unissent Marie et Jésus.

Sa méthode d’étude rigoureuse rejoint celle du Cardinal Newmann dont il connaissait bien la pensée mariologique[904]. Il ne s’agit pas alors de s’aventurer dans des synthèses imposantes mais de s’atteler à une recension et une analyse rigoureuse des témoignages qu’apportent les Evangélistes, puis les Pères et auteurs anciens.

La recension de Dom Bède Lebbe relevait justement, mais avec une pointe de critique négative, cet aspect chez Emile Neubert :

C’est chaque fois un long défilé des témoignages de tous les écrivains ecclésiastiques, longuement cités et soigneusement interprétés. Le souci du détail est très grand ; mais, j’aurais voulu plus de préoccupation pour la synthèse… On m’objectera que la synthèse est facile à qui la construit a priori, passe à pieds joints au-dessus des constatations gênantes et se soucie peu de l’exactitude, mais n’y aurait-il pas moyen de faire ressortir davantage de l’encombrement nécessité par la discussion minutieuse des textes, le lien, le développement des idées, au lieu de reléguer dans une brève conclusion les vues d’ensemble qu’il a été impossible au lecteur de dégager, et qu’il ne lui est même pas facile de retrouver au milieu de l’accumulation des textes et des études de détails[905] ?

Le caractère polémique de cette recension ne s’accorde pas avec les autres recensions, dont celle de E. Treubert, dans la revue thomiste :

La mariologie vient de s’enrichir d’un beau livre de théologie positive qui lui manquait. Nous souhaitons une large diffusion à cette œuvre d’une érudition sobre et de bon aloi. Elle démontrera contre les protestants et les rationalistes, que, dès les premiers siècles, Marie eut une place spéciale à côté de Jésus ; que ce n’est ni la mentalité polythéiste ni l’estime exagérée qui explique cette phase[906].

De fait, Emile Neubert, en se situant en dehors de toute polémique, semble avoir atteint ses objectifs qui consistent à bien mettre en évidence, avec honnêteté, les différentes composantes mariales dans les motivations profondes qui les sous-tendent et leurs harmonies.

La bibliographie de sa thèse et son témoignage personnel transmis dans son autobiographie convergent. Il fut confronté aux réfutations des auteurs polémiques de son temps, dont les plus récents et les plus virulents - Herzog et Harnack[907] - cherchaient résolument à éradiquer à la racine les dogmes et la foi des fidèles chrétiens de leur temps, tout ce qui concerne la Mère de Dieu.

Emile Neubert ne fait pas le choix de répondre par des recherches de synthèse qui se voudraient exhaustives et limpides. Il s’attele au contraire à une étude de première main sur l’histoire et la littérature autour de la thématique du dogme chrétien antique auquel se référait, sans vraiment l’approfondir, la critique rationaliste et protestante de l’époque en vue de démolir les acquis de la foi catholique.

Du côté catholique, le moyen de répondre aux remises en cause du camp adverse, consistait à occuper le terrain de la recherche historico-critique, avec la rigueur et la fidélité aux documents mis alors à disposition. C’est là tout le mérite d’Emile Neubert qui, nous le constatâmes, poursuivra son œuvre sur cette même voie de précision scientifique et de recherche d’harmonie du message.

L’œuvre importante qui stigmatise cette recherche est sans nul doute Marie dans le dogme dont nous vîmes, qu’il modifia le plan d’ensemble pour la seconde édition. Ces modifications furent en faveur des différents aspects de la Mission de Marie, elles précèdent avantageusement l’énoncé des privilèges et des grandeurs de Marie qu’il assimile, dans un sens plus large au dogme. En effet, le terme «dogme» est compris par l’auteur dans un sens plus étendu de doctrine révélée : à savoir, les affirmations mariales définies par l’Eglise et celles à venir. Son ouvrage sur l’Assomption de Marie, à ce titre, nous donne des analyses très riches et très pertinentes, ainsi que des repères précieux pour l’avenir du dogme.

Marie selon Emile Neubert, est avant tout une personne vivante. Et toutes ses approches exégétiques, patristiques et théologiques sont une contribution pour nous faire entrevoir la figure de la Mère de Dieu dans une relation actuelle avec chacun de nous, et l’ensemble du peuple de Dieu. Marie, plus que cela, est présente dans notre aujourd’hui pour nous entraîner à la mission.

Cette mission est avant tout la Mission de Marie voulue par Dieu, que nous qualifierons proprement d’apostolique. Elle consiste, comme l’exprimait Guillaume-Joseph Chaminade dans sa lettre du 24 août 1839, à sauver les âmes de la contagion du mal, à travailler à la réforme des mœurs, à l’accroissement de la foi et à l’extension du Règne de Dieu parmi les hommes ; à être la joie, l’espérance et la vie de l’Eglise de tous les temps. Cette mission apostolique de la Vierge est pour Emile Neubert, la raison ultime de sa prédestination :

L’envoi de Marie par Dieu à l’œuvre du rachat et de la sanctification du genre humain était inclus dans sa prédestination comme Mère du Sauveur, et donc dans le décret de l’Incarnation.

Cette mission fut notifiée à Marie par l’archange Gabriel : «Missus est Angelus Gabriel a Deo» (Lc 1, 26). Elle fut acceptée par elle quand elle répondit : «Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole» (Lc 1, 38). Marie ne se reçoit pas en vue de sa propre personne mais tout entière en vue de son Fils et du motif de son Incarnation. Et le sens chrétien ne s’y trompe point.

Il sait que Marie n’est qu’une créature, dépendante en tout du Christ ; qu’elle est une femme, une mère, et que sa grâce est adaptée à sa nature et à sa fonction à elle. Dieu a fait le Christ pour lui-même, il a fait Marie pour le Christ[908].

Le Christ, en faisant participer sa propre Mère à ses prérogatives et à ses fonctions, dans la mesure où Marie n’étant qu’une pure et simple créature, était capable d’y prendre part, voulut la rendre participante à sa propre mission apostolique.

Emile Neubert écrit à ce sujet:

Or le vrai apôtre de l’humanité, c’est le Christ. Si donc Marie participe aux différentes fonctions de son Fils, il faudra aussi qu’elle participe à sa mission apostolique, il faudra que son fils ait partagé avec elle, dans la mesure où elle était capable de la recevoir, sa mission d’apôtre qui durera aussi longtemps qu’il y aura des âmes à sauver et à sanctifier[909].

C’est par la mission apostolique de Marie, - perçue principalement par ses fonctions de Mère de Dieu et de Co-rédemptrice du genre humain -, que s’explique l’excellence de son être et non le contraire. Or, c’est dans cette perspective que s’insère toute la pédagogie «neubertienne», elle consiste à sensibiliser les fidèles chrétiens à cette mission apostolique de la Vierge Marie. Mission qui échoit à tout baptisé. Il convient de mieux comprendre comment un tel message, en son temps, fut reçu et pourquoi. Notre étude a voulu y offrir sa contribution.

Que ce soit à travers ses articles ou ses livres, Emile Neubert n’est pas donc pas seulement un grand témoin de la doctrine et de la dévotion mariale de son temps. Il est un missionnaire doublé d’un théologien et un spirituel qui discerna la tradition fondamentale de l’Eglise, celle qui nourrit la constante méditation du mystère de la Theótokos. Il contribua à l’aggiornamento du langage de son temps dans une perspective apostolique. Il prépara aussi l’explicitation actuelle du mystère de Marie, conciliaire et post-conciliaire.

Il est un apôtre de la gloire du mystère de celle à qui Dieu réserve la victoire des Derniers Temps. A la suite de Guillaume-Joseph Chaminade, il reste, en particulier, un grand apôtre de la mission apostolique de Marie[910], la Femme biblique, que Dieu, de la Genèse (chapitre 3, verset 15) à l’Apocalypse (chapitre 12), donne comme modèle de sainteté et d’apostolat à l’Eglise et à ses membres. La Famille marianiste semble être la seule réalité d’Eglise à développer spécifiquement la notion de la mission apostolique de Marie sous l’impulsion du Bienheureux Guillaume-Joseph Chaminade.

Le Père Neubert est celui qui a le plus agi pour mettre à la disposition du peuple de Dieu dans son ensemble la spécificité de cette doctrine mariale héritée du fondateur de la Famille marianiste. Marie reçut en vérité une mission apostolique dans l’Eglise, de type universel, dans le temps et dans l’espace en dépendance de celle du Christ, «l’Apôtre par excellence», source de toutes les formes d’apostolat. De telle sorte qu’en obéissant à la parole de Marie à Cana : «faîtes tout ce qu’elle vous dira», les disciples, entraînés par la foi de Marie participent à son apostolat ; ce qui résulte des fonctions sociales de Marie comme «Mère spirituelle» et Associée au Rédempteur.

Emile Neubert, par son étude théologique de la mission apostolique de Marie dans l’ensemble de ses implications mutuelles et réciproques, offrit une contribution tout à fait originale et significative à la mariologie du XXe siècle précédant le renouveau de Vatican II.

Emile Neubert, même si la tradition ne parla jamais explicitement d’une mission apostolique de Marie, affirme que cette mission apparaît comme un aspect particulier et intégral de sa maternité spirituelle et de sa Co-rédemption.

Dans la théologie des saints, comme au cœur d’une symphonie, Emile Neubert, par son témoignage personnel de sainteté qui a marqué ceux qui l’ont côtoyé et qui ont lu ses œuvres, nous offrit sans doute plus qu’un héritage théologique en exécutant sa partition. C’est une véritable impulsion missionnaire. Il fut docile aux motions de l’Esprit Saint auxquelles étaient sensibles ses devanciers marianistes.

A notre tour, nous voudrions, fidèles à cet esprit de réception du don de Dieu qui le fascinait, reconnaître l’originalité de la grâce qui le saisit très jeune sur les bancs d’une école privée d’Alsace, où il recevait l’appel de son Maître qu’il devait ensuite, durant toute sa vie, tant aimer et servir en honorant sa Mère : «Viens et suis-moi !»

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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[1] Théodore Koehler, «Le Père Emile Neubert (1878-1967), Marianiste», in EphMar, Madrid, 17, (1967), p. 531.

[2] Ibid.,  p. 531.

[3] Ibid., p. 531.

 

[4] Gerald Jarc, Emil Nicholas Neubert. The living example of the spirit and works of the Society of Mary, monograph, University of Dayton, 1960.

[5] Theodore Koehler 1911-2001, ordonné prêtre le 27 juillet 1941 à Fribourg, fut l’élève d’Emile Neubert et son supérieur de séminaire.

[6] Koehler,  pp. 530-533.

[7] Comme pour Thérèse ou Dina, Emile écrivit son autobiographie, par obéissance à ses supérieurs cf. Autobiographie d’Emile Neubert, Marianistes, Roma, 2002, p. 11 : «Quand il m’est arrivé de parfois mentionner quelques détails de ma vie, le P. Bergeret mi-plaisantant, mi-sérieux, me disait que je devais le noter pour faciliter le travail de mon biographe. L’idée de noter certaines grâces spéciales reçues de la Très Sainte Vierge s’était présentée depuis plusieurs fois à mon esprit. Mais je craignais que ce fut une tentation de vanité : Or mes tentations sont des tentations contre l’humilité. La suggestion de mon supérieur pouvait-elle être prise pour une indication providentielle ? On a l’habitude de publier une notice sur les frères défunts. Il est probable que, vu mes fonctions et mon apostolat marial, on m’en consacrera une d’une certaine étendue.»

[8] Ibid., p. 12.

[9] Koehler,  p. 532.

[10] Cf. François-Marie Lethel, Connaître l’Amour du Christ qui surpasse toute connaissance - La théologie des saints, Carmel, Venasque, 1989, p. 3.

[11] Guillaume-Joseph Chaminade, 1761-1850, cofondateur avec Adèle de Batz de Trenquelléon 1789-1828 ; béatifié par le pape Jean-Paul II en l’année 2000.

[12] Cf. Autobiographie, p. 23. Ce sanctuaire en ruine depuis la Révolution avait conservé une petite chapelle où les membres de la famille Neubert, surtout la maman, sont allés prier à maintes occasions, obtenant des grâces notamment de guérisons.

[13] Cf. Collectif, Bibliographie de Monsieur Charles Dillenseyer (1902-1950), AGMAR, cote 1840-14, Marianistes, Rome, 1951, p 5.

[14] Autobiographie,  p. 12.

[15] Ibid., p. 15.

[16] Ibid., p. 16. Cette première conversion fut précédée par une étape scolaire, où, au contact d’un professeur, il se sentit estimé. Emile Neubert commente : «Ce qui me donna peu à peu le sentiment de ma dignité chrétienne. Sans doute aussi commençai-je à comprendre que je devais être plus logique avec ma foi.» Et à treize ans : «Je résolus d’éviter toute faute volontaire jusqu’à ma première communion.»

[17] Jarc, Appendice IV, p. 1.

[18] Autobiographie, p. 18. Emile Neubert ajoute : «Or, quelques mois plus tard, peu après Noël, mon père nous dit qu’il avait reçu une lettre de l’oncle Louis qui avait été heureux d’apprendre qu’un de ses neveux allait embrasser la même vie que lui. Mon père était donc d’accord et j’étais engagé. Je dois dire que, depuis ce moment, je n’ai pas eu une seconde d’hésitation au sujet de ma vocation.»

[19] Ibid., p.17. Emile Neubert ajoute : «C’était un oui qui signifiait : "je ne vois pas d’impossibilité, il faudra voir" […] La perspective de devenir professeur ne me déplaisait pas.

[20] Jarc, Appendice IV, p. 1.

[21] Cf. E. Neubert, Un prêtre de Marie. Le Père Joseph Schellhorn, Centre de Documentation Scolaire, Paris, 1948, p. 17. Emile Neubert commente : «C’était bien tard, mais ainsi le voulait la coutume et l’on eût été étonné que cet âge fût devancé.»

[22] Autobiographie, p. 19.

[23] Ibid., p. 20.

[24] Cf Un prêtre, p. 23. Emile Neubert ajoute : «Obligée par le « Chancelier de fer » de quitter ses florissantes écoles d’Alsace, la Société de Marie avait en 1874, transféré son postulat d’Ebersmunster (Bas-Rhin) à Bourogne, petit village situé sur le canal du Rhône eu Rhin, au Sud Est de Belfort, à moins de 8 kilomètres de la frontière. Durant son existence, de 1874 à 1903, cette maison devait héberger plus de 1300 alsaciens, venus pour s’initier à la vie religieuse dans la Société de Marie.»

[25] Ibid., p. 24. Emile Neubert témoigne : «On travaillait bien, on s’amusait bien, on priait bien, on chantait bien, surtout des cantiques à la Vierge, et l’on pouvait communier bien plus souvent qu’à la maison, suivant la dévotion de chacun.»

[26] C’est une fois devenu prêtre et dans l’échange avec sa mère qu’il fera le lien consciemment.

[27] Ibid., p 12. Il ajoute dans sa lettre au supérieur général qui présente l’autobiographie qu’il vient d’écrire : «Ce n’est que vers la fin de ma quinzième année que la dévotion à Marie m’a attiré peu à peu : je n’avais pas rêvé de devenir un auteur marial.»

[28] Ibid., p 25. C’est la seconde conversion vécue par le jeune Emile Neubert.

[29] Jarc, Appendice IV, p. 1-2. Il vaut la peine cependant de connaître le texte actuel des Constitutions qui donne le sens spécifique de l’engagement religieux marianiste auquel prépare le noviciat : «Pour nous consacrer à Dieu par des liens solides et stables, nous faisons publiquement profession de suivre les conseils évangéliques de chasteté, de pauvreté et d’obéissance. Cette profession nous constitue membres d’une société qui appartient à Marie à qui nous sommes consacrés. Dans l’intention de rendre cette consécration explicite et permanente, nous ajoutons à ces vœux, lors de la profession perpétuelle, le vœu de stabilité, signe et sceau de notre vocation. Ce vœu est un engagement à persévérer dans la Société de Marie ; son esprit nous demande de faire connaître, aimer et servir Marie et de ne jamais lui refuser notre concours à la Société qui lui appartient. Par notre entrée dans la Société de Marie pour suivre le Christ, nous nous engageons irrévocablement au service de Marie, Mère de Dieu et notre Mère.» In Règle de la Société de Marie (Marianistes) 1983, Saint-Paul, Bar-le-Duc, 1984, p. 23.

[30] Ibid., p. 2.

[31] Autobiographie, p. 27.

[32] Cf. Marie-Eugène de l’enfant Jésus ocd, Je veux voir Dieu, Venasque, éd. du Carmel, nouvelle édition revue et corrigée, 81998 (1957).

[33] Autobiographie, p. 28. Emile Neubert précise : «C’est au noviciat que j’appris que le Fondateur de la Société de Marie s’appelait Chaminade, et que d’après une tradition, il aurait reçu de la Sainte Vierge la mission de fonder la Société de Marie.»

[34] Scolasticat inférieur de Ris-Orangis, 1895-1896.

[35] Jarc, Appendice IV, p. 3.

[36] Ibid., p. 3.

[37] Autobiographie, p. 34.

[38] Jarc, Appendice IV, p. 3.

[39] Autobiographie, p. 35.

[40] Caudéran fait aujourd’hui partie de la ville de Bordeaux.

[41] Les Ecoles de Monceau, puis Stanislas.

[42] Jarc, Appendice IV, p. 3.

[43] Autobiographie, pp. 39-40. Emile Neubert ajoute : «Il va sans dire que par rapport aux précautions à prendre pour assurer la garde de la pureté, je me comporte comme doivent le faire ceux qui sont sujets à la tentation. Je craindrais, en prenant plus de libertés qu’eux, d’être privé de ce privilège.»

[44] Ibid., pp. 39-40.

[45] Cf. Theodore Koehler, Brève biographie sur le Père Emile Neubert, Appendice in Autobiographia, ARS G.L., Roma, 2002, p. 83.

[46] Autobiographie, p. 41.

[47] Le futur pape Jean-Paul II connut un questionnement de ce type, quand il était ouvrier dans une usine lors de la seconde guerre mondiale. Cf. Varcare le soglie della speranza, Mondadori, 1994, p. 231.

[48] Autobiographie, p. 42.

[49] X. X., pseudonyme d’Emile Neubert, «Une crise», in L’Apôtre de Marie, 15 oct. 1905, pp. 144-145.

Ben Miriam, pseudonyme d’Emile Neubert, «Voici mon sang qui sera répandu pour beaucoup en rémission de leurs péchés», in L’Apôtre de Marie, mars-avril 1905, pp. 192-195, cité par Gerald Jarc op. cit., p. 16.

[50] Cf. Autobiographie, p. 12, la lettre au supérieur général : «[…] Une fois engagé par des circonstances providentielles à la rédaction d’articles et de livres sur un thème marial, j’avais écarté de ma perspective la composition de certains livres sur la Sainte Vierge qu’on me proposait et que, dans la suite, j’ai écrits ou me suis proposé d’écrire si je vis assez longtemps.»

[51] Cf. Jarc, Appendice IV, 4. Emile Neubert poursuit : «Le Père Klobb prêtre saint, à la fois et très intelligent, fut le secrétaire du Père Simler, qu’il devait ensuite seconder pour la rédaction de la première vie du Fondateur. C’est le Père Klobb qui commença la rédaction de «L’Esprit de notre Fondation». (L'Esprit de notre Fondation d'après les écrits de M. Chaminade et les documents primitifs de la Société, I-III, Nivelles, 1910-1916 ; IV, Fribourg 1944-1963.) A la mort du Père Klobb, le Père Lebon a poursuivi le travail dans l’esprit du Père Klobb. Je l’ai fort bien connu. Toutes ses conférences portaient sur l’esprit apostolique de la Société de Marie, considéré comme exigence de notre appartenance à Marie, Elle qui avait créé [=appelé à l’existence] la Société de Marie pour l’aider dans sa mission apostolique. Je n’avais jamais entendu mentionner cette idée. Après la conférence, je suis allé le trouver pour lui dire que c’était pour moi une chose toute neuve : d’où avait-il tiré cette idée ? Il m’a renvoyé à la lettre du Père Chaminade aux Prédicateurs de retraite du mois d’août de l’année 1839. J’en ai pris connaissance et j’étais convaincu. La Société de Marie était dès lors le résultat de la mission apostolique de Marie, et nulle autre congrégation, fût-elle même consacrée à Marie, n’avait une mission similaire.»

[52] Autobiographie, p. 26.

[53] Jarc, Appendice IV, p. 3. Emile Neubert précise : «Il était prévu que je fasse un doctorat en théologie. C’est au cours d’une méditation que m’est venue l’idée de choisir comme sujet un thème marial. Avec l’approbation du professeur de patrologie, Mgr Kirsch, j’ai pris comme thème : Marie dans l’Eglise anténicéenne. Quatre années plus tard, en 1907, j’ai passé l’examen et j’ai obtenu la mention summa cum laude. J’étais heureux d’avoir eu cette mention vu qu’il s’agissait de la Vierge Marie. Bien des années après, le Père Laurentin, célèbre théologien de Notre-Dame de Lourdes et le Père du Manoir sj, le directeur de la grande encyclopédie mariale MARIA se sont rendu compte que ceci fut la première thèse doctorale jamais consacrée à un thème marial dans une université.»

[54] Dans son autobiographie, il mentionne deux articles, en donnant des extraits : Cf. Revue des Sciences Philosophiques, juillet 1908 ; Revue du Clergé Français, vol. 53, pp. 433-440.

[55] Autobiographie, p. 50.

[56] Jarc, p. 5.

[57] Autobiographie, p. 53.

[58] Le collège devint plus tard la célèbre université mondialement connue, avec sa section mariologique en lien avec l’université Pontificale du Marianum à Rome.

[59] Ibid., p. 54.

[60] L'Esprit de notre Fondation d'après les écrits de M. Chaminade et les documents primitifs de la Société, I-III, Nivelles, 1910 -1916 ; IV, Fribourg 1944-1963.

[61] Jarc, p. 5.

[62] Ibid., p.5.

[63] Ibid., p. 5. Les témoignages reçus de ceux qui l’ont écouté prêcher convergent : «Il ne fut pas un orateur, mais se rachetait par le contenu de son exposé et la conviction avec laquelle il s’exprimait.»

[64] Ibid., p. 5.

[65] Francis Friedel (1897-1959), étudia la mariologie du cardinal Newman ; Peter Resch (1895-1956), celle de saint Bernard ; Albert Mitchel (1899-1979), celle de saint Jean Damascène ; Ludwig Hammersberger (1906-1950), celle de saint Ephrem ; Frère Bruder, celle de saint Anselme et Paul Hoffer (1906-1976), celle du mouvement janséniste.

[66] Cf. Etudes Mariales, Bulletin de la Société Française d’Etudes Mariales.

[67] Cette Société se constitua officiellement à partir d’une convention tenue au début de septembre 1935 à Paray-le-Monial. L’inspiration revient au P. Morineau de la Compagnie de Marie (Montfortains), qui fut le premier responsable de l’office de direction, assisté de quatre autres membres, dont le Père Emile Neubert. (Cf. Georges Jouassard, La Société Française d’Etudes Mariales, in Maria, Du Manoir, tome III, pp. 629-633).

[68] Cf. Jean-Baptiste Armbruster, L'état religieux marianiste. Etude et commentaire de la lettre du 24 août 1839, Marianistes, Paris, 1989.

[69] Koehler, p. 532.

[70] Théodore Koehler mourut le 15 mai 2001.

[71] Ga, 2, 20.

[72] Pierre de Berulle, Vie de Jésus, ch. 28, in Œuvre s complètes de Bérulle, cardinal de l'Eglise romaine, [cur. Migne], Paris 1856, col. 494.

[73] Jean Hémery, «Père Pierre de Bérulle (1575-1629)», in La Mère de Jésus était là – Vingt-cinq témoins de la spiritualité mariale –, Paris, 2000, p. 57.

[74] Autobiographie, p. 16.

[75] Cf. Henrich Denzinger, Enchiridion symbolorum definitionum et declarationum de rebus fidei et morum, Paris, 371996, n. 150.

[76] Autobiographie, p. 6.

[77] Ibid., p. 6.

[78] Ibid., p. 19.

[79] Ibid., p. 19.

[80] Eph 3, 14-19.

[81] Cf. Thomas d’Aquin, Somme théologique [désormais en abrégé : ST], I-II q. 62. Lorsque nous citons la traduction française de la Somme théologique il s’agit de celle d’A.-M. Roguet, Paris, 1984 - 1986, 4 vol.

[82] Cf. 1Cor 13, 8-13 ; 2Cor 5, 7 ; Rom 8, 24.

[83] 1Jn 4, 7-8.

[84] «Caritas est mater omnium virtutem et radix, in quantum est omnium virtutem forma», ST, I-II, q. 62, art 4.

[85] 1Jn 4, 18.

[86] Gaston Rotureau, Introduction à l’édition des Opuscules de Piété, Paris, 1944, p. 63-64.

[87] 1Jn 3, 3-5.

[88] Autobiographie, p. 16.

[89] Ibid., p. 17.

[90] Ibid., p. 19.

[91] Ibid., p. 19 : Emile Neubert commente : «Il m’est bien arrivé de faire des actions dans lesquelles ma vanité a trouvé son compte, mais au moment de les faire, je me figurais avoir une bonne raison et ce n’est qu’après coup que je me suis rendu compte que c’était ma vanité camouflée qui m’y poussait.»

[92] Ibid., p. 20.

[93] Un prêtre, p. 19.

[94] Lc 7, 42

[95] Cf. ST I-II q. 24 art 4, 5 et 6. Selon ses paroles, en effet, «la charité peut toujours croître, jusqu’à l’infini, sans aucune limite à son développement, parce qu’elle est une certaine participation de la charité qu’est l’Esprit Saint.»

[96] Ga 2, 20.

[97] Autobiographie, p. 20.

[98] Ibid., p. 20.

[99] Ibid., p. 20.

[100] Ibid., p. 39. Lors du premier refus de l’envoyer au scolasticat prévu pour les futurs prêtres, il réagit dans la confiance : «J’acceptai la décision comme l’expression de la volonté de Dieu, pour le moment. Mais je ne doutai pas un instant que je serais prêtre. La Sainte Vierge trouverait bien le moyen de me faire réaliser mon beau rêve, qu’elle-même j’en étais convaincu, m’avait inspiré. Par quels moyens ? Je ne pouvais me l’imaginer, mais n’était-elle pas toute-puissante ? Je la prierais avec d’autant plus d’insistance.» Ibid. p. 30. De même «le jour de ma consécration perpétuelle à Marie, ma Mère m’obtint une grande grâce absolument gratuite, à laquelle je ne m’étais nullement attendu : celle de la préservation de toute tentation impure.»

[101] Jarc, p. 58.

[102] Emile Neubert, «Une crise - A la recherche de Marie», in L'Apôtre de Marie, Nivelles, 1905, pp. 144-154.

[103] Ibid., p. 148.

[104] Emile Neubert, Marie de laquelle est né Jésus, dactylographié, 1927.

[105] Emile Neubert, Notre Don de Dieu, dactylographié, 1929.

[106] Emile Neubert, Une crise, op, cit., pp. 149-150.

[107] Saint Louis-Marie Grignion de Montfort, Traité de la Vraie Dévotion, n° 75, in Œuvre s complètes, Seuil, Paris 1966, p.535.

[108] L. Leloir, «L’Ecriture, âme de la théologie», in Seminarium 18, 1966, 4, p. 887.

[109] François-Marie Lethel, Le docteur de l’Amour de Jésus, in AA.VV., Thérèse au milieu des docteurs, Venasque, 1998, p. 247.

[110] Koehler, p. 531.

 

[111] Cf. Emile Neubert, Marie dans l’Eglise anténicéenne, Gabalda, Paris, 1908, p. 254.

[112] RA 7, (1908), p. 389, (J. Lebreton) ; Etudes 115, (1908), pp. 403-407 ; RThom, 16e année, (1908) ; NRTh, tome 40 (1908), pp. 511-512

[113] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 280.

[114] AmiCL 30, (1908), p. 458.

[115] Mon idéal, Jésus Fils de Marie, d’après l’esprit du Bienheureux P. Chaminade Fondateur de la Famille Marianiste, Anne Sigier, Québec, Canada, 2003.

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[116] AmiCl 51, (1934), p. 58 (couv.)

[117] Cah. N-D 10, (1934), pp. 142-143, (H. Baron sj).

[118] NRTh 62, (1935), p. 222, (L. Godin sj). Voir aussi AdM 25, (1934), pp. 68-69 (H. Lebon sm).

[119] AdM 25, (1935) p. 425. Voir aussi Gallia, 1934/35, pp. 59-60 (J.M.) ; AmiCl 53, (1936), p. 184 (couv.) ; VS 69, (1943), p. 96, (S. Bezine).

[120] Cah. Mar. 4, (1960), n° 2 (n° 20), p. 134.

[121] Mar. 23, (1961), p. 217, (G.M. Besutti osm). Voir aussi AmiCl 70, (1960), p. 160 ; EphMar 10, (1960), p. 29, (N. Garcia Garces cmf) ; VS 105, (1961), p. 427, (R. Laurentin, Bulletin marial).

[122] Maria nel dogma, Paoline, Alba, 1944.

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[123] AdM 25, (1933), p. 268, (H. Lebon sm). Voir aussi AdM 25, (1934), p. 425.

[124] NRTh 61, (1934), p. 974-975, (J. de Ghellinck sj). Voir aussi Revue des Lectures (15.1.1934), p. 85 ; Cah. N-D 10, (1934), p. 142, (H. Baron sj) ; VS 39, (1934), p. 59, (I. Mennessier op).

[125] AmiCl 58, (1948), p. 240, (A. Michel). Voir aussi L’année théologique 8, (1947), p. 363 (L. Soubigou) ; AdM 32, (1948), pp. 231-232, (Th. Koehler sm).

[126] Mar. 10, (1948), p. 2, (G.M. Roschini osm). Voir aussi VS 90, (1954), pp.498-499 (R.Laurentin) ; AmiCl 64, (1954), p. 290 (A. Michel) ; P. Ranwez, sj, Présence de Marie. p. 12, 12 note 1,39 ; REC. : EphMar 6, (1956), p. 363, (M. Peinador cfm) ; Mar. 19, (1957), p. 283-284, (R.E.) ; RfR 14 (1955) p. 49-50 (W.J. Ennen sj).

[127] NRTh 69, ( 1947), p. 996 (E. Druwe sj).

[128] AdM 35, (1954), p. 262.

[129] La Vida de María, Paulinas, Madrid, 1964.

[130] NRTh 66, (1939), p. 255 (E. Druwe sj).

[131] Mar. 3, (1941), pp. 80-81 (P. Vannucci osm) ; voir aussi AdM 26, (1935), p.697 ; RAM 17, (1936), p. 213, (M. Olphe-Galliard sj) ; VS 49, (1936), pp. 551-552 (H. Dondairie op).

[132] Mar. 15, (1953), pp. 236-237 (S.M.C.). Voir aussi AmiCl 58, (1948), p. 352 ; AdM 33, (1950), p. 272 ; P. Ranwez sj, Présence de Marie, p. 9, note 4 ; EphMar 5, (1955), p. 269 ; Mgr. M.-M. Dubois, Petite Somme Mariale, p. 17.

[133] Marialogy of Father Chaminade, Marynook, Galesville, 1946.

[134] AmiCl 55, (1938), pp. 571.572 ; voir aussi : AdM 29, (1938), p. 109.

[135] NRTh 67, (1940), p.125 (E. Druwe sj).

[136] Meine Mutter, Deine Mutter, Kanisiuswerk, Freiburg, 1945.

Who is she ? The life and study of the Blessed Virgin, Marianist Publications, Dayton, 1964.

Onze Moeder, om haar beter te leerenkennen, Goede Pers, Averbode, 1943.

[137] NRTh 67, (1940), p.125 (E. Druwe sj) ; NRTh 69, (1947), p. 996 (E. Druwé sj).

[138] Mar. 18, (1956), pp. 154.155 (F. Spadafora). Voir aussi : NRTh 69, ( 1947), p. 996 (E. Druwé sj) ; AmiCl 58, (1948), p. 240 ; EphMar 5, (1955), p. 164.

[139] Deine Himmelsmutter, Kanisiuswerk, Freiburg 1943, 1945, 1953.

Uw Hemelsche Moeder, Goede Pers, Averbode, 1943.

[140] Mar 6, (1944), p. 120 (G. M. Roschini osm). Voir aussi : NRTh 69, (1947), pp. 995.996 (E. Druwé sj) ; AmiCl 58, (1948), p. 240 ; III. Il clero, 43, (1950), p. 510 (J.M. cmf) ; Manresa, 24, (1952), p. 424 (J. Font).

[141] La Devoción a María, Santo Domingo de la Calzada, Colegios Claretianos, 1950.

La Devozione a Maria, Lavori Mariani, n° 9, Ancora, Milano, 1952.

[142] Mar 11, (1949), p. 113, (G. M. Roschini osm). Voir aussi : NRTh 69, (1947), p. 996 (E. Druwé sj) ; AdM 34, (1952), pp.170-180 (J.M Saint-Sernin sm ; AmiCl 58, (1948), p. 240 ; RfR 7, (1948), pp. 47-48 (T.N. Jorgensen sj) ; Der Marianist 4, (1959), n° 1, p. 8.

[143] La Reine des Militants, X. Mappus et Montreal Canada), Ouvrières, Le Puy, 1947.

Queen of Militants, Grail, Saint Meinrad, 1947.

María Reina del apostolado seglar o María y la Acción Católica, Buenos Aires, 1949.

La Regina dei Militanti, Paoline, Roma, 1951.

Queen of Militants, en chinois, 1954.

Traduction effectuée par les soins du Cercle Saint-Paul, Burasira (Urundi), Grand Séminaire - Kirundi, 1956.

Maria, sende uns ! Katholik, warum schläfst du ?, Felizian Rauch, Innsbruk, 1959.

[144] AdM 34, (1951), p. 157 (Th. Koehler sm).

[145] NRTh 74, (1952), p. 654 (P. Fransen sj). Voir aussi : Mar. 13, (1951), p. 315 (G.M. Roschini osm) ; Bijdragen 13, (1952), p. 216 (P. Fransen) ; Christus 17, (1952), pp. 447-448, (J. Cardoso sj) ; Eph. Mar. 2, (1952), pp. 305-306 ; VS 86, (1952), pp. 304-305 (R. Laurentin) ; RET 12, (1952) p. 471. (B.D.J.) ; RDT 7, (1952) p. 466 (R. Guelluy) ; Sal. 14 (1952) pp. 163-164 (D. Bertetto sdb).

[146] AmiCl 61, (1951), pp. 561-562 (A. Michel).

[147] Ibid., p. 562.

[148] Maria e il nostro sacerdozio, (Lavori Mariani, n° 10), Anocora, Milano, 1953.

María en nuestra intimidad, a los sacerdotes, Ariel, Barcelona, 1958.

Maria en la nostra intimidad, Ariel, Barcelona, 1958.

[149] AmiCl 63, (1953), p. 255.

[150] La Maison-Dieu 38, 1954, pp. 171-172, (J. Bonduelle).

[151] Het Leven in Vereniging met Maria, Altlora, Averbode, 1955.

La vita d'unione con Maria, (Stella Maris, n°12), Paoline, Catania, 1956.

Life of union with Mary, Bruce, Milwaukee, 1959.

Life of union with Mary, Dublin, Clonmore and Reynolds / Burns and Oates, London, 1959.

La vida de unión con María, SM, Madrid, 1964.

[152] Autobiographie, p. 68.

[153] La vie d’union, op. cit., p. 333.

[154] Ibid., p. 57.

[155] AmiCl 65, (1955), p. 127.

[156] NRTh 77, (1955), p. 1149 (J.Galot sj). Voir aussi : AdM 36, (1955), p. 62 ; NRM n°6, (1955), pp. 127-128 (M. Quémeneur smm) ; EphMar 5, (1955), pp. 482-483 (M. Peinador cmf) ; VS 94, (1956), p. 529 (R. Laurentin) ; Mar. 19, (1957), p.162 (G. d'Errico osm) ; EtLi 33, (1957), p. 111, (G. Philips) ; LV (engl.) 13, (1958), p. 358-359 ; LV (franç.) 13, (1958), p. 379 ; Mar. 19, (1957), p. 162 (G.M. d'Errico osm) ; RfR 19, (1960), p. 191 (E.P.Holmes sj) ; Mar. 22, (1960), pp. 451-452 (G.M. Besutti osm) ; Mar. 27, (1965) p. 281 (R. E.).

[157] Mar. 22, (1960), pp. 209-253 passim, (G. Philips). Voir aussi : Tschr. Geest. Leven 13, (1957) pp. 521-525 (A. Roosen) ; Mar. 23, (1961), p. 383, (R. E.).

[158] Regina Apostolorum, (Stella Maris, n°25), Paoline, Catania, 1958.

[159] Cf. La recension de V. Martinucci in Mar. 20, (1958), p. 268.

[160] VS 99, (1958), p. 528, (R. Laurentin). Voir aussi : AdM 37, (1957), p. 111 ; AmiCl 67, (1957), p. 367 ; Cah. Mar. 1 (1957), p. 320, (M. Quemeneur smm) ; LV (engl.) 13, (1958), p. 358 ; LV (franc.) 13, (1958), p. 379 ; EphMar 8, (1958), p. 174 (N. Garcia Garces cmf) ; Mar. 23, (1961), p. 540 (G. Polo osm).

[161] L'anima di Gesù contemplata con Maria, (Stella Maris, n° 3), Paoline, Catania, 1959.

The soul of Jesus contemplated in union with Mary, Bruce, Milwaukee, 1963.

[162] Maria e la vita religiosa, (Alma Mater, n° 1), Paoline, Catania, 1962.

María y la vida religiosa – El ideal religioso visto en María, Eler, Barcelona 1964.

[163] VS 105, (1961), p. 427 (R. Laurentin). Voir aussi : EphMar 15, (1965), p. 381 (A.Rivera cmf) ; Cah. Mar. 4 (1960) p. 477 (J. Hémery smm) ; AmiCl 70, (1960), p.476 ; Mar. 23, (1961), p. 540 (D.Nicolai osm) ; RCR 34, (1962), p. 144.

[164] Maria e l'educatore cristiano, (Edificare, n° 21), Ancora, Milano, 1961.

María y el educador cristiano, Casulleras, Barcelona, 1963.

[165] Cah. Mar. 4, (1960), p. 285 (J.Hemery smm). AmiCl 70, (1960), p.476 ; Mat. 22, (1960), pp.559-560 (M. Boyle osm) ; EphMar 11 (1961), p. 386, (R.M. Abuy cmf) ; NRTh 83, (1961), p. 550 (J. Galot sj) ; VS 105, (1961), p.427 (R. Laurentin) ; Mar. 27 (1965), p. 281 (M.M.O.) ; Vida Marianista n° 2, (1964), pp. 78-79 (A. M. Zubia sm).

[166] Mar. 24, (1962), pp. 602-603 (E. Lago osm) ; Livres et Lectures n° 166, (1962), p. 293 (R.M.) ; NRTh 84, (1962), p. 772, (J. Galot sj).

[167] VS 87, (1952), p. 400, (R. Laurentin).

[168] VS 81, (1949), p. 333, (M.L.T.) ; NRTh 71, (1949), pp. 1119-1120 ; AmiCl 59, (1949), p. 304.

[169] AdM 35, (1954), p. 297 ; VS 91, (1954), p. 401 (R. Laurentin) ; EphMar 5, (1955), p. 278 ; AmiCl 65, (1955), p. 14 (couv.) ; NRTh 79, (1957), p. 664 (J.D.).

[170] NRM n° 10, (1956), pp. 191-192, (M. Quemeneur smm) ; AmiCl 66, (1956), p. 378 ; NRTh 79, (1957), pp. 665-666, (J. Galot sj) ; RCR 29, (1957), p. 79 ; VS 99, (1958), pp. 52S.529 (R. Laurentin).

[171] AmiCl 67, (1957), p. 299 (A. Michel).

[172] L’histoire du capitalisme est constituée de phases d’expansion et d’approfondissement, successives, qui séparent des moments de transition plus ou moins chaotiques (donc de crise structurelle). La lecture la plus courante de cette histoire période sur le plan économique trouve son expression dans une formulation de la théorie des cycles longs (cf. Kondratief par exemple). Chacune des phases successives d’expansion (phases A, dans le langage de Kondratief) est annoncée par des transformations importantes de natures diverses, entre autres par une concentration d’innovations technologiques qui bouleversent les formes d’organisation de la production et du travail. C’est ainsi que la crise de transition s’exprime à travers le bouleversement des rapports de force sociaux et politiques qui avaient gouverné la phase antérieure, dont elle tourne la page. On est bien aujourd’hui dans une transition de cette nature (la phase B, dans le langage de Kondratief).

[173] L’abbé de Rancé (1625-1700), Catherine de Bar (1614-1698), Cecilia Baij (1694-1766), Marie de l’Incarnation (Madame Acarie) (1566-1618), Pierre de Bérulle (1575-1629), Charles de Condren (1588-1641), François Bourgoing (1585-1662), Jean-Jacques Olier (1608-1657), Jean Eudes (1601-1680), Louis-Marie Grignion de Montfort (1673-1716) un des fleurons de ce renouveau missionnaire appuyé sur un renouveau de fondement théologique ; sans oublier Jean-Baptiste de la Salle, Vincent de Paul, Louis Lallemant (1610-1649) Claude la Colombière (1641-1692).

[174] Cf. Philippe de Lignerolles, Jean-Pierre Meynard, Histoire de la spiritualité chrétienne 700 auteurs spirituels, l’Atelier, Paris, 1996, p. 169.

[175] Cf. Autobiographie, op.cit., p. 28. «Le Frère-Maître qui nous faisait le catéchisme, me passa un livre de théologie pour occuper mes moments libres. J’y lisais les règles pour la communion fréquente. Pour la communion quotidienne, l’auteur exigeait qu’on fût arrivé à "la pratique des plus hautes vertus, et encore devait-on s’abstenir de la communion le jour de la confession". Et moi qui n’étais qu’un commençant ! Mais, du moment que le Père-Maître était d’accord, je me disais que l’auteur devait être un janséniste et continuai mes communions quasi-quotidiennes.»

[176] Cf. Jean-François de Louvencourt, Saint Maximilien Kolbe ami et docteur de la prière, Centro internazionale «Milizia dell’Immaculata», Roma, 1998, p. 311 : «[…] Dans le sillage du P. Guillaume-Joseph Chaminade et des Marianistes se trouve Emile Neubert qui préfère parler de donation filiale. Son livre le plus traduit Mon Idéal, Jésus Fils de Marie a retenu l’attention du Père Kolbe qui continue à y penser même au Japon et qui l’approuve hautement. »

[177] Le 19 octobre 1997.

[178] Cf. R. René Laurentin, Marie, in DSp, pp. 545-546.

[179] Cf. Michel de SaintAgustin, + 1684, et sa dirigée Marie Petyt de Sainte-Thérèse, + 1677, in DS, p. 461.

[180] Cf. Paul Hoffer, La dévotion à Marie au déclin du XVIIe siècle autour des avis salutaires, Paris, 1938.

[181] Cf. Autobiographie, p. 35.

[182] Cf. Jean-Paul II, «Lettre aux familles montfortaines sur la doctrine mariale de leur saint fondateur», in la Documentation Catholique 101, (2004) 6, 251-255.

[183] Cf. La mission apostolique, ch. IX à XVIII.

[184] La Médaille miraculeuse, rue du Bac à Paris (1830), avec la conversion d’Alphonse Ratisbonne (1842) ; La Salette, (1846) ; Lourdes (1858) ; Pontmain (1871).

[185] La mission apostolique, op.cit., pp. 140-142.

[186] Cf. René Laurentin, La question mariale, Seuil, Paris, 1963, p. 15.

[187] Emile Neubert, Un Apôtre de la Vierge et de la J. O. C. : L'abbé René Mougel, Alsatia, Paris, 1954, p. 79.

[188] Notre Don de Dieu, op.cit., 1929, pp. 222-224.

[189] (Auguste Nicolas) publie de 1855 à 1860 ses études mariales qui aujourd’hui possèdent seulement un intérêt historique : son œuvre est ainsi organisée :

La Vierge Marie et le plan divin (1855)

La Vierge Marie d’après l’Evangile (1857)

La Vierge Marie vivant dans l’Eglise (1860, 2 vols).

[190] Cf. Theodore Koehler, La storia delle mariologia dal 1650 all inizio del 900, Centro Mariano Chaminade, S. M., Roma, 1974.

[191] F. Morgott, Die Mariologie des heiligen Thomas von Aquin, Freiburg, Herder, 1878.

[192] Luigi Gambero, «Un maestro di vita spirituale : Emilio Neubert, sm (1878-1967)», Mar. XXX, 1968, p. 33.

[193] Théodore Koehler, La storia, op. cit., p. 200.

[194] François-Marie Lethel, Connaître l’Amour du Christ qui surpasse toute connaissance, Carmel, Vénasque, p. 224.

[195] Dans sa thèse, il a mentionné les volumes suivants :

Adamantius, BAKHUYZEN, dans la collection : Die Griechischen Christlichen Schriftsteller der ersten Jahrhunderte GCS.

Clément d’Alexandrie, Pedagogus et Stromates, 6 premiers livres, Stahlin, GCS.

Stromales, 1. VII, Migne, PG, p. 9.

Eusèbe, Vita Constantini, Heikel, GCS.

Historia ecclesiastica, Schwartz (5 premiers livres), GCS.

Historia ecclesiastica, à partir du 1. VI, PG, p. 20.

Grégoire le Thaumaturge, Sermo de nativitate Christi, Pitra, Analecta sacra, IV, p. 386 ss.

Hippolyte, Philosophumena, Duncker et Schneidewin, Göttingen.

Adversus Noetum, Migne, PG, p. 10.

Ecrits exégétiques et homilétiques, Bonwetsch et Achelis, GCS.

Ignace, Opera Patrum Apostolicorum, Funk, Tübingen.

Irénée, Adversus haereses, PG, p. 7.

Justin, Corpus Apologetarum, Otto, Iena.

Lactance, PL, pp. 6-7.

Méthode, Migne, PG, p. 18.

Origène, Contra Celsum, Koetschau, GCS ; Commentarium in Joannem, Preuschen, GCS.

Autres écrits, PG, pp. 12 ; 13 ; 14.

Tertullien, Oehler, Leipzig.

[196] Neutestamentliche Apokryphen, Hennecke (E.), Tübingen u. Leipzig, 1904.

Handbuch zu den Neutestamentlichen Apokryphen, Henneecke (E.), Tübingen, 1904.

Acta Apostolorum apocrypha, Lipsius-Bonnet, Leipzig, 1891-1898.

Acta Pauli, Schmidt (C.), Leipzig, 1905.

Evangelia apocrypha, Tischendorf, Leipzig, 1876.

Oracula sibyllina, Geffcken, G C S.

[197] John Henry Newman, Certain difficulties felt by Anglicans in Catholic teaching considered in a letter to the Rev. E. B. Pusey, D. D., on occasion of his Eirenicon of 1864, New Impression, London, 1900.

[198] Jean-Baptiste Terrien sj., La Mère de Dieu et la Mère des Hommes, Paris, 1902.

[199] Cf. DS, p. 472.

[200]Cf. La storia, op. cit., p. 198. Théodore Koehler commente : «L’investigation patristique et les auteurs marials qu’il cite, font de cette œuvre une des plus complètes qui ont pu être publiées.»

[201] Mouvement commencé en 1600 et duquel nous héritons le terme de mariologie ou marialogie.

[202] Karl Benrath, Zur Geschichte der Marienverehrung, Theologische Studien und Kritiken, 1886, pp. 7-94, 107-266.

Hahn, Bibliothek der Symbole und Glaubensregeln, 3 éd., Breslau, 1897.

Adolf von Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, 3 éd., Freiburg-i.-B. u. Leipzig, 1894-l897.

Guillaime Herzog, «La Virginité de Marie après l'enfantement», Revue d'Histoire et de Littérature Religieuse, 1907, p. 327-340.

Herzog-Hauck, Real-Encyklopädie, 3 éd., Leipzig.

Adolf Bernard Christoph hilgenfeld, «Loofs gegen Heckel», Zeitschrift für Wissenschaftliche Theologie, 43.

Adolf Bernard Christoph hilgenfeld, Die Ketzergeschichte des Urchristentums, Leipzig, 1884.

Adolf Bernard Christoph hilgenfeld, Judentum u. Judenchristentum, Leipzig, 1886.

F. Kattenbusch, Das apostolische Symbol, Leipzig, 1894-1900.

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F. A. Lehner, Die Marienverehrung in den ersten Jahrhunderten, 2° éd., Stuttgart, 1886.

H. F. J. Liell, Die Darstellungen der allerseligsten Jungfrau... auf den Kunstdenkmäalern der Katakomben, Freiburg-i.-B., 1887.

Linsenmann, «Über Marien Heiligenverehrung im christlichen Kultus», Theologische Quartalschrift, 69 (1887).

Livius, trad. Phil. v. Arenberg u. H. Dhom, Die allerseligste Jungfrau bei den Vätern der ersten sechs Jahrhunderte, Trier, 1901-1907.

E. Lucius – G. Anrich, Die Anfänge des Heiligenkults in der christlichen Kirche, Tübingen, 1904.

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J. Tixeront, La théologie anténicéenne, 2 éd., Paris, 1905.

E. Vacandard, Etudes de critique et d’histoire religieuse : les origines du Symbole des Apôtres, Paris, 1905.

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G. Voisin, L'origine du symbole des Apôtres, Revue d'histoire ecclésiastique, 1902, 297 ss.

Wetzer u. Welte’s Kirchenlexicon, 2 éd., Freiburg-i.-B.

J. Wilpert, Die Malereien der Katakomben Roms, Freiburg-i.-B., 1903.

Zahn, Brüder-u. Vetter Jesu, Forschungen, 6, 1900.

[203] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. XIV.

[204] Jarc, Appendice IV, p. 3.

[205] Ibid., p. 35.

[206] Le pape Jean-Paul II, tout récemment en 2004, dans sa Lettre aux familles montfortaines sur la doctrine mariale de leur saint fondateur (op. cit.) présente des aspects essentiels de la doctrine de saint Louis-Marie Grignion de Monfort, telle qu'elle est synthétisée dans son chef-d'œuvre le Traité de la Vraie Dévotion à la Sainte Vierge, et résumée dans le bref Secret de Marie. Le Traité nous est présenté comme un texte classique de la spiritualité mariale (n° 1), en insistant sur son exceptionnelle réception ecclésiale, son fondement qui est le don fait par Jésus de sa sainte Mère, et aussi l'invitation à redécouvrir cette doctrine à la lumière du Concile Vatican II : «C'est à la lumière du Concile que doit aujourd'hui être relue et interprétée la doctrine montfortaine» (LFM 1). De fait, à la lumière de la Constitution Lumen Gentium et spécialement du chapitre 8 sur la bienheureuse Vierge Marie dans le Mystère du Christ et de l'Eglise, l'enseignement du Traité est considéré, d'abord du point de vue christologique, puis du point de vue ecclésiologique. Avant tout, son christocentrisme est longuement exposé sous le titre «Ad Iesum per Mariam» (n° 2-4). Vient ensuite le résumé de l'aspect ecclésiologique intitulé Marie, membre éminent du Corps Mystique et Mère de l'Eglise (n° 5). Enfin, la Lettre Pontificale se termine en montrant le chemin ecclésial de la sainteté vécu avec Marie dans la foi, l'espérance et la charité, dans les derniers développements qui sont respectivement intitulés : la sainteté, perfection de la charité (n° 6), le «pèlerinage de la foi» (n° 7), un signe d'espérance assurée (n° 8)

[207] Cf. Béatification du serviteur de Dieu Louis-Marie Grignion de Montfort. Histoire du procès, décrets, cérémonies de la béatification, Luçon, Bideau, 1888 ; S. De Fiores, «Per una "memoria monfortana profetica ed ecclesiale" (Centenario della beatificazione 1888-1988)», in QM 6, 1989, 3-5.

[208] Cf. J. Laurenceau, Rosaire, in DSM, p. 1133. Surnommé le «pape du Rosaire», Léon XIII rendit son âme à Dieu en renouvelant la consécration à Marie selon la formule même du Père de Montfort.

[209] Cf. Pie X, Ad diem illum, in ASS 36 (1903-1904) 449-462.

[210] Cf. Emile Neubert, Notre Don de Dieu, texte dactylographié, Fribourg, 1929, p. 222. Il n’hésite pas à confier à ses jeunes étudiants : «On se dirait à la veille d’une solennelle proclamation du rôle apostolique de Marie dans l’Eglise du Christ. Pourquoi Dieu veut-il que dans ces "derniers temps", cette mission de la Vierge soit plus manifeste […] ?»

[211] H. Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, IX, Paris, 1932, p. 272.

[212] L’expression «Ecole française de spiritualité» apparaît pour la première fois en 1873 dans le contexte de la réédition au XIXe siècle des œuvres de J.-J. Olier et fut reprise ensuite par H. Brémond à partir de 1921. Cf. I. Noye, «L’héritage bérullien dans la Compagnie de Saint-Sulpice», in Bulletin de Saint-Sulpice 22, 1996, 178-179.

[213] Notre don1954, 1954, p. 14.

[214] Ibid., p. 16.

[215] Emile Neubert apparaît dans toute son œuvre comme un fidèle héritier de Bérulle, l'initiateur de ce grand courant spirituel appelé l’Ecole française de spiritualité, l'initiateur de cette « révolution copernicienne » dans l'Eglise post-tridentine, où tout est centré autour de ce soleil qu'est Jésus-Christ. Cf. Pierre de Berulle, Vie de Jésus, ch. 28 in Œuvres complètes de Bérulle, cardinal de l'Eglise romaine..., [cur. Migne], Paris 1856, col. 494 : «Contemplons Jésus en cet état au milieu de la Vierge, comme son centre et son cœur, ou bien comme un soleil, selon les prophètes, soleil couvert d'une nuée légère, c'est-à-dire de la Très sainte Vierge, qui le couvre encore à la terre et le couvrira neuf mois durant. Les mathématiciens affirment qu'il y a des étoiles à l'entour du soleil qui est leur centre, et elles tournent à l'entour de lui, comme le soleil tourne à l'entour de la terre. Plaise à Dieu que nous soyons l'une de ces étoiles tournant à l'entour de Jésus, et non à l'entour de nous-même comme nous faisons journellement. Mais il nous faut ici oublier nous-même, pour ne nous souvenir que de Jésus et de la Vierge. Il est donc un soleil, et la Vierge est une planète qui a ses mouvements à l'entour de Jésus, à l'entour de ce soleil de gloire, et ne tourne qu'à l'entour de lui.»

[216] Cf. Traité de la vraie dévotion, n° 61. Ce très beau texte du Père de Montfort vaut la peine d’être reporté, car il est à lui seul une magnifique page de cette spiritualité dite de l’Ecole Française, à laquelle se rattache Emile Neubert : «Jésus-Christ notre Sauveur, vrai Dieu et vrai homme, doit être la fin dernière de toutes nos dévotions ; autrement elles seraient fausses et trompeuses. Jésus-Christ est l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin de toutes choses. Nous ne travaillons, comme dit l’Apôtre, que pour rendre tout homme parfait en Jésus-Christ, parce que c’est en lui seul qu’habitent toute la plénitude de la Divinité et toutes les autres plénitudes de grâces, de vertus et de perfections : parce que c’est en lui seul que nous avons été bénis de toute bénédiction spirituelle ; parce qu’il est notre unique maître qui doit nous enseigner, notre unique Seigneur de qui nous devons dépendre, notre unique chef auquel nous devons être unis, notre unique modèle auquel nous devons nous conformer, notre unique médecin qui doit nous guérir, notre unique pasteur qui doit nous nourrir, notre unique voie qui doit nous conduire, notre unique vérité que nous devons croire, notre unique vie qui doit nous vivifier et notre unique tout en toutes choses qui doit nous suffire […] Dieu ne nous a point mis d’autre fondement de notre salut, de notre perfection et de notre gloire, que Jésus-Christ […] Par Jésus-Christ, avec Jésus-Christ, en Jésus-Christ, nous pouvons toutes choses : rendre tout honneur et gloire au Père, en l’unité du Saint-Esprit ; nous rendre parfaits et être à notre prochain une bonne odeur de vie éternelle» Parmi les textes du Nouveau Testament qui ont été à la source de cette profession de foi, on peut citer Ap 1, 8 ; Ep 4, 13 ; Col 2, 9 ; Ep 1, 3 ; Mt 23, 8 ; Mt 23, 10 ; 1Co 8, 6 ; Col 1, 18 ; Jn 13, 15 ; 14,6 ; Ac 4, 12 ; 1 Co 3, 11 ; Mt 7, 26-27 ; Jn 15, 6 ; Rm 8, 1 ; 8, 38-39 ; 2Co 2, 15-16.

[217] Cf. E. Mura, Le Corps Mystique du Christ, sa nature et sa vie divine - Synthèse de théologie dogmatique, ascétique et mystique, t. II – vie du Corps Mystique, Paris, 1937, p. 143, note 2. E. Mura a pu reconnaître en substance une transposition autorisée du Traité de la vraie dévotion à la sainte Vierge : «cette transposition de la doctrine montfortaine, dans l’encyclique de Pie X, sans avoir, il s’entend, une valeur de définition, confère à cette doctrine même un poids et une autorité considérables ;»

[218] Notre don 1954, p. 27.

[219] Ibid., p. 49.

[220] Ibid., pp. 91-92.

[221] Cf. Traité de la Vraie Dévotion 121 et 257, in Notre don 1954, p. 99. Cette dévotion consiste donc à se donner tout entier à la Très Sainte Vierge, pour être tout entier à Jésus-Christ par elle. Il faut lui donner : 1° notre corps avec tous ses sens et ses membres ; 2° notre âme avec toutes ses puissances ; 3° nos biens extérieurs qu'on appelle de fortune, présents et à venir ; 4° nos biens intérieurs et spirituels, qui sont nos mérites, nos vertus et nos bonnes œuvre s passées, présentes et futures : en deux mots, tout ce que nous avons dans l'ordre de la nature et dans l'ordre de la grâce, et tout ce que nous pourrons avoir à l'avenir dans l'ordre de la nature, de la grâce ou de la gloire, et cela sans aucune réserve…» […] « […] Faire toutes ses actions PAR MARIE, AVEC MARIE, EN MARIE et POUR MARIE .»

[222] Notre don 1954, pp. 102-103. Il cite de nouveau le Traité n°48, in Notre don, p. 100 : «Ces grandes âmes, pleines de grâce et de zèle, seront choisies pour s'opposer aux ennemis de Dieu, qui frémiront de tous côtés, et elles seront singulièrement dévotes à la Très Sainte Vierge, éclairées par sa lumière, nourries de son lait, conduites par son esprit, soutenues par son bras et gardées sous sa protection, en sorte qu'elles combattront d'une main et édifieront de l'autre.»

[223] Cf. Traité de la Vraie Dévotion 126 ; 130, in Notre don 1954, pp. 100-101 : «Car tout chrétien, avant son baptême, était l'esclave du démon, parce qu'il lui appartenait. Il a, dans son baptême, par sa bouche propre ou par celle de son parrain et de sa marraine, renoncé solennellement à Satan, à ses pompes et à ses œuvre s, et a pris Jésus-Christ pour son Maître et souverain Seigneur, pour dépendre de lui en qualité d'esclave d'amour […] Or, si les conciles, les Pères et l'expérience même nous montrent que le meilleur moyen pour remédier aux dérèglements des chrétiens est de les faire ressouvenir des obligations de leur baptême et de leur faire renouveler les vœux qu'ils y ont faits, n'est-il pas raisonnable qu'on le fasse présentement d'une manière parfaite par cette dévotion et consécration à Notre Seigneur par sa sainte Mère ?»

[224] Emile Neubert précise : «Au temps du saint, le besoin d’apôtres laïcs ne se faisait pas sentir ; leur activité aurait même risqué de susciter de l’opposition de la part de la hiérarchie dans certains milieux […] Ces grands apôtres de la Vierge que saint Louis-Marie entrevoyait, c’est lui (Chaminade) qui a été chargé par Notre Dame del Pilar de les recruter.»

[225] Traité de la Vraie Dévotion, 72.

[226] Notre don, 1954 p. 104. Pour une meilleure compréhension de l’argumentation d’Emile Neubert, nous avons modifié la citation de saint Louis-Marie Grignion de Montfort qu’il reproduit dans son ouvrage d’une manière incomplète, en écrivant : «Il n’y a rien, parmi les hommes, note-t-il, qui nous fasse plus appartenir à un autre que l’esclavage.» Cette compréhension si juste et pleine de bon sens chez Emile Neubert nous rattache à toute une tradition dont Bérulle lui-même se fait l’écho, il s’appuie sur l’Ecriture. A l’origine, l'oblation du grand mystère de l'Incarnation du Verbe est exprimée par saint Paul dans l'épître aux Hébreux reprenant la prière du psalmiste (Ps 40,7-9), attribuée ici au Christ.

«Le Christ en entrant dans le monde dit : "Tu n'as voulu ni sacrifice, ni oblation, mais tu m'as façonné un corps. Tu n'as agréé ni holocaustes, ni sacrifices pour les péchés, alors j'ai dit : Voici, je viens car c'est de moi qu'il est question dans le rouleau du livre, pour faire, ô Dieu, ta volonté" ( 10, 8). Bérulle, commentant ce passage de la lettre aux Hébreux qu'il reprend dans toute son œuvre , découvre en cette offrande, le fondement de sa théologie et de sa spiritualité : «Le Fils de Dieu commence son entrée au monde par une profession solennelle qu'il fait à son Père en laquelle il l'adore, et il reconnaît le nouvel état qu'il reçoit de lui par l'Incarnation ; et lui fait oblation de soi-même en qualité d'esclave (comme nous dirons ailleurs), lui offrant son corps en qualité d'hostie pour les péchés du monde et pour la délivrance des hommes qui étaient esclaves du Prince de ce monde.» in Berulle, op. cit., Grandeurs de Jésus, col. 199.

[227] Jean-Paul II, in Andre Frossard, N’ayez pas peur - dialogue avec Jean-Paul II, op. cit., p. 186-187.

[228] Notre don,1954, pp. 105-106.

[229] Cf. Traité de la Vraie Dévotion, n°265 : «Il ne faut prétendre de Marie, pour récompense de ses petits services (que nous lui aurons rendus), que l'honneur d'appartenir à une si aimable Princesse, et le bonheur d'être par elle uni à Jésus, son Fils, d'un lien indissoluble dans le temps et l'éternité.»

[230] Voici l’extrait de la prière consécratoire de l’amour de la Sagesse éternelle de saint Louis-Marie Grignion de Montfort au n° 225 : «Je vous choisis aujourd'hui, en présence de toute la cour céleste, pour ma Mère et Maîtresse. Je vous livre et consacre, en qualité d'esclave, mon corps et mon âme, mes biens intérieurs et extérieurs, et la valeur même de mes bonnes actions passées, présentes et futures, vous laissant un entier et plein droit de disposer de moi et de tout ce qui m'appartient, sans exception, selon votre bon plaisir, à la plus grande gloire de Dieu, dans le temps et l'éternité

[231] Traité de la Vraie Dévotion, n° 217, cité in la Vie d’union, op. cit., p. 71.

[232] Le secret de Marie, nº 54, nº 57, in Vie d’union, op. cit., pp. 258-259.

[233] Un prêtre, p. 159, in Vie d’union, op. cit., p. 276.

[234] Notre Don 1954, pp. 102-103.

[235] Saint Thomas montre comment se réalise la parole de Paul : «Nous sommes les coopérateurs de Dieu» (1Cor 3, 9), dans le cas de Marie sans porter atteinte à la "puissance divine". Bien au contraire, Dieu utilise les causes intermédiaires afin de ménager dans les choses la beauté de l'ordre, afin aussi de communiquer aux créatures "la dignité d'être causes". En ce sens, Marie aide Dieu par sa divine maternité.» Cf. St THOMAS, ST, Ia, q. 23, a. 8. ad. 2, cité par Henri-Marie Manteau-Bonamy, Du rôle de Marie mère du Christ à celui de mère des hommes, in AA. VV., La maternité spirituelle de Marie III, Bulletin de la Société Française d'Etudes Mariales 18, Lethielleux, Paris 1961, p. 25.

[236] Traité de la Vraie Dévotion, n° 22.

[237] Autobiographie, p. 42-43.

[238] Ibid., p. 43.

[239] Cf. Jean-Baptiste Armbruster, L'état religieux marianiste. Etude et commentaire de la lettre du 24 août 1839, Marianistes, Paris, 1989.

[240] Cf. La circulaire du P. Simler n° 62 du 10 juillet 1894.

[241] Ibid., p.43, il ajoute : «C’est cette seconde idée que souligne le P. Klobb. Comme le dira M. l’abbé Gadiou : ‘Pour le P. Simler, nous sommes des fils sur les genoux de notre Mère’ ; pour le P. Chaminade, ‘nous sommes des fils que Marie conduit sur son champ de bataille.’»

[242] Ibid., p. 44.

[243] Jarc, Appendice IV, p. 4.

[244] Cf. Emile Neubert, «Hommage à Notre-Dame», in l’Apôtre de Marie, 15 mars 1906.

[245] La quasi totalité de la documentation mariale du P. Chaminade se trouve rassemblée dans Les Ecrits Marials I-II, Séminaire Marianiste Fribourg 1966. Dans ce travail, les citations sont présentées sous le sigle EM I ou EM II.

Pour ce chapitre sur Chaminade, je me suis servi particulièrement de l’Introduction réalisée par le P. Otaño sm dans son cours sur La mariologie du Père Chaminade et d’aujourd’hui, Servicio de Publicaciones Marianistas, Madrid, 1996.

[246] EM II, 328-329. Il sera suivi en 1804 par Le Manuel du Serviteur de la très pure Marie, Mère de Jésus (396 pages) qui connut d’autres rééditions sous le nom plus simplifié de Manuel du Serviteur de Marie, (1815, 1821, 1841, 1844), avec des modifications et des ajustements.

[247] La doctrine, p.XII.

[248] Luigi Gambero, La missione materna di Maria. Dal pensiero chaminadiano al magistero odierno della Chiesa, Marianistes, Roma, 1984.

[249] Ibid. Notons que Tequi réédita les sept premiers chapitres de ce texte en 1927 sous le titre Petit traité de la connaissance de Marie qui fut accueilli très favorablement. Le Père A. de Becdelièvre sj dans Les Cahiers Notre-Dame d’avril et juillet 1934 fit cette critique : «C’est un ouvrage substantiel, plein d’idées et de doctrine, court, simple et précis, capable, je crois, de faire du bien autant que Les Gloires de Marie, de saint Alphonse de Liguori ou la vraie dévotion du bienheureux Grignion de Montfort […] Tel est le petit volume du P. Chaminade. Plus on le lit, on le trouve riche et plein et plus on se convainc qu’il peut faire connaître, aimer et imiter Marie. Car il donne d’elle une grande et belle idée et qu’il porte les fidèles, non seulement à l’aimer comme leur Mère, mais encore à se consacrer totalement à son service.» In EM I, note 31, p. 131.

[250] La doctrine, p. 1.

[251] Cf. EM I, pp. 11-17. On trouve plus de 300 citations de l’Ancien Testament parmi lesquelles surtout, dans le livre de la Genèse, le ch. 3, 15 ; les psaumes 44 et 86, les Proverbes ch. 8 ; le Cantique des Cantiques ; l’Ecclésiastique ch. 24 ; et plus de 249 citations du Nouveau Testament parmi lesquelles surtout Matthieu 1, 1-16, les deux premiers chapitres de Luc, Jean, 19, 25-27 et Apocalypse, 21, 1-25. Cette abondance de références bibliques, pour un auteur du début du XIXe siècle, est à relever. Parce que le Fondateur appuyait sa connaissance de Marie sur le Christ et son Evangile, il pouvait écrire : «C’est la connaissance de Notre Seigneur Jésus-Christ qui nous amène à la connaissance de la Très Sainte Vierge, comme on peut dire aussi que la connaissance de la Très Sainte Vierge nous amène à une plus haute connaissance de Notre Seigneur Jésus-Christ. (EM II, n° 42) cité par Jean-Baptiste Armbruster, in «La doctrine mariale du P. Guillaume-Joseph Chaminade», Mar. LXIII (2001).

[252] Cf. W.J. Cole sm, The spiritual Maternity of Mary according to the writings of Father William-Joseph Chaminade, chez l’auteur, 1958, pp. 250-290. Les Bernard, Ambroise et Augustin sont les auteurs les plus cités.

[253] Parmi les plus connus citons Louis Lallemand, sj (1578-1635), Jacques Marchant (vers 1587-1648), Marie d’Agréda (1602-1665), Jacques Bénigne Bossuet (1627-1704), Vincent Houdry sj (1630-1729), Louis Bourdaloue sj (1632-1704), Jacques Joseph Duguet (1649-1733).

[254] Souvent les lettres du Père Chaminade traitent de Marie, de son apostolat et de notre mission envers Elle.

[255] Cf. EM II, pp. 5-6. Les fondations religieuses, Filles de Marie Immaculée et Société de Marie furent pour le P. Chaminade comme le couronnement de sa dévotion mariale apostolique.

[256] Les Fondations pour les laïcs s’inspiraient toutes du dévouement actif à l’Immaculée Mère de Dieu professé par le Père Chaminade.

[257] Cf. EM I, p. 96. Certains livres émergent nettement : la Genèse (les trois premiers chapitres surtout et les derniers). «Je mettrai une inimitié entre toi et la femme…» Gn 3, 15 est appliqué à Marie ; les psaumes 44 et 86, suggestifs pour parler de Marie ; les Proverbes, le Cantique et l’Ecclésiastique, permettant de comparer Marie à la Sagesse et de la décrire dans son rôle de Mère de Dieu et Mère des hommes ; Isaïe, avec le chant du Serviteur, la tige de Jessé, la prière liturgique de l’Avent : Cieux répandez comme une rosée (45, 8), enfin Marie assimilée à Jérusalem, rayonne comme elle sur le monde (2,2 et 60, 1 et 4).

[258] LG 55.

[259] Cité 12 fois (verset le plus cité après celui de Luc 1, 28) : EM I, n°31, n°286, n°383 ; EM II, n°576, n°678, n°690, n°743, n°756, n°778, n°785, n°790, n°799.

[260] EM II, n° 498.

[261] EM I, n°241.

[262] Fortement controversée, (la Sorbonne censure en 1696 son ouvrage La Mystique Cité de Dieu), cette abbesse se référant aussi à ses visions privées, en nous présentant Marie dans le but d’une édification spirituelle, nous offre des enseignements de valeur au-delà du style maniéré propre à son époque, ou des possibles erreurs d’ordre historique jugées comme telles selon notre mentalité contemporaine. Cf. EM I n° 1-18 ; n° 153 ; n° 218 ; n° 222 ; n° 297-299.

[263]Cf. EM I, n° 99-105 : Louis Lallemant sj, (1578-1635) ; Jacques Marchant ; Jean-Louis Fromentières (1632-1684) ; Timoléon de Montaigu Cheminais sj. (1652-1689) ; Jacques Bénigne Bossuet (1627-1704) ; Louis Bourdaloue sj (1632-1704) ; Vincent Houdry sj (1630-1729) ; Jacques-Joseph Duguet (1649-1733) ; Jean-Baptiste Massillon, (1663-1742) et Saint Alphonse de Liguori (1696-1787).

[264] Cf. La doctrine, p. 32.

[265] Cf. EM I, n° 107. Les citations les plus nombreuses présentent Marie comme notre Médiatrice auprès de Jésus-Christ car elle a été, nouvelle Eve, associée à l’œuvre du nouvel Adam. Aussi Dieu a-t-il tout remis entre les mains de Marie : Elle est une aide sûre dans notre vie, la «raison de notre espérance», notre «étoile» capable de nous guider, la Mère de miséricorde et l’«échelle des pécheurs».

[266]Cf. EM I n° 105-106 : «Malgré ces imperfections de forme et de citations, le P. Chaminade avec ses contemporains et ses prédécesseurs a une très haute idée du rôle des écrits patristiques dans la transmission de la foi et de l’enseignement de l’Eglise. La preuve des Pères fait partie, après celle de l’Ecriture, de tout enseignement qui se veut sérieux et bien fondé.»

[267] La doctrine, p. 24.

[268] EM II, n° 822. Emile Neubert cite aussi Guillaume-Joseph Chaminade par un extrait du petit Traité : «Quand Marie donna les mains à l’Incarnation du Verbe dans ses chastes entrailles, il est évident qu’elle connut l’œuvre et l’économie de la Rédemption dans toute son étendue, et qu’elle l’accepta avec amour ; elle comprit qu’en concevant Jésus, elle le concevait tout entier, c’est-à-dire et son corps naturel, et son Corps Mystique ; car elle ne pouvait pas se séparer de ce qui devait ne faire qu’un avec lui. Ainsi en se résignant à l’honneur de la maternité divine, elle accepta la douloureuse qualité de Mère de Jésus-Christ pris individuellement et de Mère de Jésus-Christ dans la plénitude de son corps qui est l’Eglise : «plenitudo corporis ejus, quod est ecclesia» (Eph 1, 23). En concevant naturellement le Sauveur dans son sein virginal, elle a donc conçu spirituellement dans son âme, par son amour et par sa foi, les chrétiens membres de l’Eglise et, par conséquent Jésus-Christ.» Cf. EM II, n° 482.

[269] La doctrine, p. 11.

[270] Cf. La doctrine, p. 11, citant un extrait de la méditation de la retraite de 1827. Cf. EM II, nº 822 : «Marie a pris soin de l'enfance et a été associée à tous les états de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ : les élus n'arrivent à la plénitude de l'âge parfait, comme l'appelle saint Paul, qu'autant que Marie sera à leur égard ce qu'elle a été à l'égard de Jésus-Christ».

[271] Cf. La doctrine, p. 14.

[272] Ibid., pp. 15-16.

[273] Esprit de notre Fondation I, p. 590, cité in La doctrine, pp. 19-20.

[274] EF I, p. 150 ; cité in La doctrine, p. 21.

[275] Cf. La doctrine, pp. 22-24.

[276] Petit Traité, pp. 40-45, cité in La doctrine, p. 25.

[277] La doctrine, pp. 26-27.

[278] Ibid., p. 29-31.

[279] Ibid., p. 33.

[280] EM II, n° 502.

[281] EM II, n° 765.

[282] Ibidem.

[283] EM II, n° 82, (Cf. Lettre du 24 août 1839.)

[284] EM II, n° 54, (Cf. Lettre du 7 février 1834.)

[285] La doctrine, p. 34.

[286] EF III, n°238, cité in La doctrine, p. 35

[287] EF I, p.177, cité in La doctrine, p. 35.

[288] EF I, p.123, cité in La doctrine, p. 36.

[289] Cf. Piero Ferrero, L’alleanza con Maria nella sua missione apostolica, Artigiana San Giuseppe Lavoratore, Cascine Strà (VC) 1997.

[290] EM II, n° 395.

[291] EM II, n° 367.

[292] EM II, n° 352.

[293] EM II, n° 274.

[294] EM I, n° 244.

[295] EF III, n° 138.

[296] EF III, n° H 212, p. 238.

[297] EM II, n° 75.

[298] EM II n° 578.

[299] EM II n° 739.

[300] Notre don de Dieu, 1933, pp. 58-116.

[301] Notre Don de Dieu 1954, pp. 51-35.

[302] EM II, n° 80.

[303] EM II, n° 81.

[304] EF I, 144, 146. Cité in La doctrine, p. 54.

[305] Petit traité de la connaissance de Marie, p. 62-65, cité in La doctrine, p. 55.

[306] EF I, p. 121, cité in La doctrine, p. 55.

[307] EF I, p.160, cité in La doctrine, p. 55.

[308] La doctrine, p. 56.

[309] EM II, n° 391.

[310] EM I, n° 21-73.

[311] EM I, n° 74-89.

[312] La doctrine, p. 20.

[313] EM II, n° 466.-

[314] EM II, n° 467.

[315] EM I, n° 69.

[316] EM I, n° 82.

[317] EM II, n° 481.

[318] EM II, n° 482.

[319] EM II, n° 486.

[320] EM I, n° 72.

[321] Sa thèse était alors organisée en deux grandes parties : 1-La réalité plus dogmatique, fondée sur l’Ecriture et la Tradition vivante de l’Eglise, qu’il intitule Marie dans le dogme. Il nous présente alors la figure de Marie au travers de trois thématiques saillantes, à la faveur des controverses de l’époque : La maternité humaine de Marie, la conception virginale, la maternité divine. Le tout se retrouve formulé dans une première approche de l’Eglise : Marie dans le symbole.

   2-L’approfondissement de l’Eglise naissante des premiers siècles avant Nicée sur la figure unique de Marie, qu’il intitule Marie dans la piété. Il reprend en quatre chapitres, tour à tour, les thématiques suivantes : La virginité perpétuelle de Marie «in partu» et «post partum», la sainteté de Marie, la Coopération à la Rédemption, et vénération et invocation.

 

[322] Notre Mère, p. 11. Ce faisant, il tenait compte des sources liturgiques dans l’esprit avec lequel peuvent être intégrés ces éléments apocryphes. Cf. Edouard Chotenet, Marie dans les apocryphes, in Maria VI, Paris, Beauchesne, 1961, p.73 : «Nous ne revendiquerons pas une autorité indue pour ces textes, mais, à les interroger avec bienveillance, nous en retirerons un témoignage sur la piété populaire, une manifestation, parfois fruste, souvent touchante de la ferveur dont, dès le IIe siècle, les simples entouraient la Vierge. La liturgie d’ailleurs n’a pas craint d’emprunter aux apocryphes la fête de la Présentation de la Sainte Vierge au Temple et les antiennes comme celles de l’Assomption».

[323] Vie, pp. V-VII. Je n’écris donc pas pour les spécialistes. Par suite, je n’entrerai pas dans de longues discussions exégétiques ou archéologiques. Je me contenterai, en général, de donner les résultats qui permettent d’atteindre l’exégèse et l’histoire avec le degré de certitude ou de probabilité qu’ils comportent, ne recourant aux arguments qu’autant que cela sera nécessaire pour expliquer une opinion adoptée qui diffère d’une opinion généralement reçue. Afin de faciliter l’intelligence des documents cités, surtout des Evangiles, et d’alléger le texte de commentaires encombrants, j’ai réuni dans un chapitre préliminaire l’étude des diverses sources.

[324] Son choix s’arrête sur le Protévangile. Il considère que : «la meilleure étude sur cet apocryphe est celle d’E. Amann : Le Protévangile de Jacques et ses remaniements latins, Paris, Beauchesne, 1910.» Vie, note (I), p. 1. Emile Neubert précise : «Il est remarquable que les écrits hostiles au christianisme – encore que postérieurs au Protévangile et peut-être influencés par lui – admettent à cet égard la Tradition de notre apocryphe ; tels Faust le Manichéen et les Talmuds de Babylone et de Jérusalem, qui font de Marie la fille d’Eli ou Jehojakim.» Vie, p. 2.

[325] Vie, p. XIX. Emile Neubert précise : «Beaucoup d’entre les traits rapportés par les apocryphes sont manifestement légendaires, car ils sont contraires aux données historiques de l’Evangile, et plus encore à l’esprit de l’Evangile et même au simple bon sens. Faut-il cependant les rejeter tous comme de pures inventions ? Pas nécessairement. Leurs auteurs ont pu incorporer à leurs créations l’une ou l’autre tradition qui avait cours de leur temps. Mais il faut reconnaître l’impossibilité de fixer avec certitude aucune de ces traditions […] Le Protévangile de Jacques est le seul que nous ayons à prendre en considération, car c’est le plus ancien et les autres n’ont fait en général que greffer sur ses données des aventures de plus en plus merveilleuses. Il prétend avoir été écrit par Jacques, le "frère du Seigneur". En réalité il fut composé vers la fin du deuxième siècle, mais semble contenir des éléments plus anciens.» Vie, p. XVIII.

Emile Neubert donne une explication à sa prise en compte de cette source particulière des auteurs anciens au travers des récits apocryphes : «Voyons ce que nous pouvons retenir de ces récits antiques. Ce ne seront pas des clartés certaines ; mais même un crépuscule douteux dans un pays que nous savons merveilleux de beauté ou émouvant de souvenirs, nous intéresse infiniment plus qu’un jour éblouissant inondant une plaine banale.» Maria de qua, op. cit., p. 10. C’est ainsi que la sainteté des parents de Marie est présentée en fonction de la mission confiée à Marie de devenir la Mère de Dieu : «Comment concevoir qu’il en eût été autrement ? Si Marie a dû être plus parfaite que tous les saints et tous les anges, c’est qu’elle a été choisie pour être la Mère de Dieu. Et ceux qui furent prédestinés à être les parents de cette créature unique, comment n’eussent-ils pas été de grands saints ? Jésus a tant aimé sa Mère qu’il l’a faite à elle seule plus belle que tout le reste de la création. Et Marie si semblable à Jésus, n’a-t-elle pas dû aimer aussi ses parents d’un amour tout à fait à part ; et pour qu’elle pût les aimer ainsi, Dieu n’a-t-il pas dû les rendre dignes d’un amour si singulier ? C’est ainsi que l’a compris l’Eglise, qui a institué une fête spéciale en l’honneur de chacun d’eux.» Maria de qua, op. cit., p. 12. «Lorsque nous invoquons saint Joachim et sainte Anne, notre dévotion ne s’arrête pas aux noms, mais à la personne des bienheureux parents de la Vierge.» Vie, p. 3.

[326] Vie, p. XXIII. Emile Neubert nous donne là une clef d’interprétation de l’histoire et de l’exégèse qui n’ignore pas la part d’élaboration personnelle et d’interprétation des textes qui revient à l’exégète, tout cela ajouté à la valeur scientifique de sa recherche historico-critique.

[327] Ibid.

[328] Par exemple, sa publication Notre Mère, pour la mieux connaître, 1941, présente naturellement trois parties bien distinctes : Vie de Marie, Grandeurs de Marie et Dévotion à Marie.

[329] De fait nous utiliserons la seconde édition de La vie de Marie aux éditions Salvator, datée de 1948, tandis que l’ouvrage dactylographié Maria de qua natus est Jesus est daté de 1927.

[330] Vie, p. X. Emile Neubert a le souci de comprendre le contexte et les questionnements des interlocuteurs auxquels l’Evangéliste doit répondre. Il vaut la peine de lui laisser le soin de développer son analyse : «Ceux-ci devaient se poser plus d’une fois la douloureuse question : "pourquoi le peuple choisi a-t-il été rejeté" ? Le but de l’auteur semble avoir été de leur prouver : 1° que Jésus est vraiment le messie annoncé par les prophètes ; de là, la multitude des prophéties messianiques citées dans le premier Evangile ; 2° que malgré tant de preuves, les juifs, égarés par leurs chefs, se sont montrés incrédules et ont été rejetés en tant que nation ; 3° que les païens, mieux disposés, ont été appelés au Royaume de Dieu. En conséquence il insiste, en ce qui nous concerne ici, 1°, sur l’accomplissement en Jésus Enfant et en Marie des prophéties messianiques ; 2°, sur la persécution de Jésus par Hérode, roi des Juifs ; 3°, sur sa fuite en Egypte, pays des Gentils, et la venue des premiers Gentils, dans la personne des Mages.

De qui saint Matthieu tenait-il les détails relatifs aux premières années du Sauveur ? Pas de la Sainte Vierge. Le style, le point de vue, le contenu, diffèrent de ceux des premiers chapitres de Luc qui ont Marie comme source.» Vie, p. X.

[331] Maria de qua, op. cit., p. 4.

[332] L’auteur a été en contact essentiellement avec cette source bien connue de l’exégète (qui l’a le plus inspiré alors) Marie Joseph Lagrange ; lequel n’hésite pas à dire : «Luc est incontestablement celui des trois synoptiques qui contient le plus de tournures hébraïsantes.» Marie-Joseph Lagrange, Evangile selon Saint Luc, Gabalda, Paris, 1921, p. XCVII.

[333] Vie, pp. XV-XVI : «Marie semble avoir été la source des détails rapportés par Luc sur la naissance et l’enfance du Christ. Il se rendit avec Paul à Jérusalem vers l’an 57. A cette époque, Marie pouvait être encore en vie ; elle aurait eu environ soixante-quinze ans.»

[334] Vie, p. XV.

[335] Maria de qua, op.cit., p. 5.

[336] Vie, p. XVI. En 1927, Emile Neubert précisait ceci : «[…] Peut-être contre certains hérétiques qui commençaient à le nier.» Maria de qua, op. cit., p. 6.

[337] Maria de qua, op. cit., p. 7 ; Cf. Vie, pp. 3-7.

[338] Vie, p. 36.

[339] Nous retrouvons beaucoup de commentaires d’Emile Neubert s’inspirant de l’ouvrage du célèbre Dominicain le Père Lagrange, auteur d’un commentaire de l’Evangile de Luc dont les Marianistes avaient en leur possession un exemplaire tamponné au nom de la bibliothèque du séminaire marianiste à Fribourg. Notre auteur en fut le supérieur de 1922 à 1949, période durant laquelle il écrivit la plupart de ses ouvrages fondamentaux. L’écriture fine et penchée des commentaires des notes, à quelques endroits de cet ouvrage, ressemble à celle de notre auteur dont nous possédons aussi des manuscrits. Nous pouvons donc, à l’aide de ses propres notes, suivre plus facilement dans notre étude les passages qui ont retenu son attention.

[340] Cf. par exemple le commentaire d’Emile Neubert sur la perplexité de Marie, avec la note qui l’accompagne : «Marie devint perplexe à cette parole et se demandait ce que signifiait cette salutation […] Ce n’est pas la venue de l’ange qui provoqua son embarras, comme ç’avait été le cas pour le trouble de Zacharie : l’Evangile le dit expressément, c’est la parole du messager céleste, sa façon étrange de la saluer, qui la rendit perplexe. Le mot grec employé par l’Evangéliste exprime généralement une perplexité, un embarras intellectuel, une incertitude de l’esprit plutôt qu’un trouble de la sensibilité, et tel, semble-t-il, en est le sens ici, puisque, loin de perdre sa présence d’esprit, Marie réfléchit à la signification des paroles entendues.» En note l’auteur ajoute : «Certains auteurs traduisent le mot grec, diatarassein par pertubare, troubler profondément. Mais tel n’en est pas le sens. En parlant de Zacharie visité par l’ange, Luc emploie le mot tarassein, turbare. Or le trouble de Zacharie était bien plus profond que celui de Marie, puisqu’à propos du prêtre, Luc ajoute : "et la crainte fondit sur lui". Au contraire, il nous montre la Vierge qui, loin de perdre sa présence d’esprit, réfléchit sur le sens de la salutation. Un homme profondément troublé n’est pas capable de réfléchir. En réalité diatarassein signifie : jeter dans l’embarras, dans l’incertitude. Marie ne saisit pas la portée de la salutation étrange que Gabriel lui adresse et se demande quelle en est la signification. C’est le sens ordinaire du verbe diatarassein ; voir Platon, Leg., III, 693 ; VI, 757 ; Xénophon, Mem., IV, 2, 20 ; Plutarque, Mor., p. 630.» In Vie, p. 38-39.

[341] Vie, p. 37. Cf. Marie-Joseph Lagrange, op.cit., p. 20.

[342] Vie, p. 36. pros auten, à joindre à eiselton, indique que l’ange vient trouver Marie dans sa demeure. Cf. Marie-Joseph Lagrange, op. cit., p. 28, note 28.

[343] Vie, p. 37.

[344] Cf. Maria de qua, op. cit, n. 2, p. 27. Emile Neubert ajoute : «C’est par gratia plena, pleine de grâces, que la version latine rend le mot kekaritomene employé par saint Luc. Les protestants modernes le traduisent fréquemment par "vous qui êtes l’objet d’une grâce", highly favored, ou par quelque expression équivalente comme s’il n’était question que de la faveur présente. Or si saint Luc avait voulu exprimer cette dernière idée, il se serait servi du participe présent, kekaritomene. Comme on le sait, le parfait grec marque un état présent résultat d’une action passée : vous qui avez été dotée, vêtue de grâce, et donc êtes pleine de grâce. Du reste, il n’est pas nécessaire de faire remarquer à des catholiques que ce n’est pas sur cette traduction plus ou moins fidèle d’un mot grec, que nous établissons notre doctrine de la plénitude de grâces attribuée à Marie. Cette plénitude, nous la déduisons de sa maternité divine. L’expression en question en fournit simplement la formule, ou tout au plus, jusqu’à un certain point, une confirmation. »

Cf. Marie-Joseph Lagrange, op. cit., p. 28 : «La tournure est tout à fait grecque. Les Grecs saluent en souhaitant la joie, les Hébreux en souhaitant la paix [...] Le verbe kekaritomene au parfait signifie recevoir la karis (grâce) d’une façon stable.»

[345] Vie, pp. 37-40. Cf. Marie-Joseph Lagrange, op. cit., pp. 33-36. Pour le Père Lagrange diatarassomai indique un trouble plus profond que celui de Zacharie, mais sans être accompagné de frayeur. La Vierge n’est pas troublée dans l’exercice de ses facultés, toujours à même de réfléchir au sens de cette salutation. Emile Neubert lui aussi, va dans le même sens. Vie, p. 39, note 20 de notre étude.

[346] Ce dernier déjà, constate que le kaire 4 fois employé dans les septante : So 3, 14 ; Jl 2, 21 ; Za 9, 9 ; cf. La 4, 21 nous renvoie non pas à une salutation banale : le shalom hébreu qui correspond à notre bonjour, mais à l’annonce de la joie messianique. Biblica, 20, 1936, pp. 131-141. En 1957, René Laurentin dans son livre Structure et théologie de Luc I-II, nous livre les conclusions qu’il en tire (en commun avec le P. Lyonnet) dès le dernier trimestre 1953, dans ses cours à l’Université d’Angers, puis par écrit dans son Court Traité : un indice de l’objectivité des conclusions au problème de la divinité du Christ et de la connaissance que la Vierge a pu en avoir. René Laurentin, Structure et théologie de Luc I-II, Gabalda, 1957, p. 65, note 3.

[347] Maria de qua, op. cit., p. 29.

[348] Marie dans l’Eglise anténicéenne, pp. 209-211.

[349] Ibid., p. 122.

[350] Vie, notes 1 et 2, p. 40 : Gn 18, 1-5 ; 21, 17-18 ; Nb 22, 31-35 ; Jg 6, 11-112 ; 13, 12-13-16 ; 1R17, 37 ; Jdt 8, 34.

[351] Notre Mère, p. 17.

[352] Maria de qua, op. cit., p. 33.

[353] Ibid., p. 34.

[354] Vie, p. 48. Marie et notre sacerdoce, p. 153 : Et cependant, que d’objections elle aurait pu faire !

[355] Marie-Joseph Lagrange, op. cit., p. CXXXVII.

[356] Ibid., p. 33. Le Père Lagrange poursuit : «L’ange lui explique que cette virginité n’est pas en cause, parce que son Fils n’aura pas d’autre Père que Dieu […]» Ibid., p. 34. «La divinité apparaît sous le double attribut de l’Esprit Saint et de la puissance de Dieu ; les deux expressions se retrouvent pour caractériser celui qui naîtra, saint et Fils de Dieu.» Ibid., p. 35.

[357] Ibid., p. 36.

[358] «Jésus (est présenté) comme l’Emmanuel (v. 18 ; cf. Is 7, 14), le Messie Fils de David (vv. 32-33, cf. 2S 7, 14 ; Is 9, 6), le Fils de Dieu au sens chrétien du terme (v. 35).» Andre Georges, Etudes sur l’œuvre de Luc, Gabalda, Paris, 1978.

[359] «Fils du Très-haut en Lc 1, 35 renvoie plutôt à la fonction messianique (Cf. 2S 7, 14 ; Ps, 2, 7) et il s’agit précisément de Jésus en tant que descendant de David. Mais en 1, 35, on doit sans doute donner à "Fils de Dieu" un sens de transcendance parce que ce titre est situé après une déclaration concernant la puissance de Dieu dans son œuvre.» Leopold Sabourain, Il Vangelo di Luca, Introduzione e Commento, Piemme, Roma, 1989, p. 66. De même René Laurentin, dans son étude critique de Luc 1, 35, retrouve les trois notions complémentaires de «Shékinah, filiation divine, transcendance, gloire». René Laurentin, op.cit., p. 77.

[360] Joseph Schmid, Das Evangelium nach Lukas (RNT3), Regensburg, 1960, (Lukas) ; tr. it., L’evangelo secondo Luca, Morcelliana, Brescia, 1965, p. 37. Cité par Josef Ernst, Il vangelo secondo Luca, Morcelliana, Brescia, 1985, p. 98. En bref, Luc montre le mystère de Jésus d’une manière plus explicite dans l’Evangile de l’enfance. Selon A. Georges, plus que dans la formule «Fils de Dieu», la divinité de Jésus est affirmée dans le vieux thème traditionnel : «L’Esprit Saint viendra sur toi...» Andre Georges, Marie dans le Nouveau Testament, DDB, Paris, 1981, p. 40.

[361] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 122.

[362] Marie dans le dogme 1933, p. 13.

[363] Marie dans le dogme 1933, p. 14.

[364] Ibid., p. 21.

[365] Ibid., p. 22.

[366] Marie dans le dogme 1933, op.cit., pp. 22-23.

[367] Marie dans le dogme 1954, op.cit., pp. 48-49.

[368] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 5.

[369] Ibid., p. 8. Le Pére Neubert précise : «Contre les judaïsants, saint Ignace affirme la naissance, la passion et la résurrection de Jésus. (Ad Magn., 11 ; Ad Phil., 9).»

[370] Ad Smyrn. 5, PG 5, 711 ; Ad Ephés. 7 , PG 5, 649 ; etc.

[371] Ad Trall. 10, PG 5, 681 ; Ad Smyrn. 2, 5, PG 5, 707, 711.

[372] Ad Smyrn. 4, PG 5, 709 ; cf. Ad Ephes. titre, 1, 9, 17, 18, PG 5, 643, 645, 651, 657, 659 ; Ad Trall. 9, PG 5, 903 ; Ad Smyrn. 2, 5, PG 5, 707, 711.

[373] Ad Trall. 9, PG 5, 981 ; Ad Smyrn. 2, 5, PG 5, 709, 711.

[374] Ad Smyrn. 7, PG 5, 713 ; cf. Ad Ephes. 5, PG 5, 649.

[375] Marie dans l’Eglise antinécienne, p. 9.

[376] Ignace, Justin et surtout Irénée affirment la nécessité de l’Incarnation du fait même de l’incapacité radicale de l’homme de sortir par lui-même de sa situation de pécheur et de sa condition mortelle, mais plus encore, de voir sa nature humaine participer à la nature divine.

[377] Ad Ephes. 7, 16, PG 5, 649, 657 ; Ad Smyrn. 4, 7, PG 5, 709, 713 ; Ad Trall. 6, 9, 11, PG 5, 679, 681, 683. Cité in Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 10.

[378] Ad Eph. 19, PG 5, 659.

[379] «Où est le sage ? Où est le disputeur ? Où est la glorification de ceux qu’on dit intelligents ? Notre Dieu Jésus-Christ a été porté dans le sein de Marie selon les desseins de Dieu, (étant) de la semence de David et du Saint-Esprit ; il a été engendré et baptisé, afin de purifier l’eau par sa passion. Le prince de ce siècle ne s’est pas aperçu de la virginité de Marie et de son enfantement, comme non plus de la mort du Seigneur, trois mystères retentissants qui ont été accomplis dans le silence de Dieu […] Jésus-Christ selon la chair, est de la race de David, fils de l’homme et Fils de Dieu. Ad Ep 18-20, PG 5, 659-661.» In Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 12.

[380] Ad Smyrn. 1, PG 5, 707.

[381] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 12.

[382] Ibid., p. 17. Eusebe, Hist. Eccl., V, 13, 5 ; éd. cit. I, 456.

[383] «Sans s’attarder longuement à établir directement la maternité de Marie, saint Irénée l’affirme indirectement dans de très nombreux passages où il parle de la Mère de Jésus, soit qu’il démontre la naissance virginale, soit qu’il prouve la filiation divine de l’enfant né de Marie, soit qu’il explique la coopération de la Vierge à l’œuvre de la rédemption. Cependant, eu égard à l’étendue de l’Adversus haereses, la maternité de Marie occupe une place relativement peu considérable.» Ibid., p. 22

[384] «Si en effet le Verbe a voulu naître de Marie, c’est que sa mission de Sauveur l’exigeait ; et c’est pourquoi, à côté des preuves scripturaires, saint Irénée en cite une autre qui les domine toutes en importance, la preuve tirée de l’économie de la Rédemption. Pour qu’Adam et l’humanité fussent sauvés, il fallait que le Sauveur fût lui-même homme, et qu’il tirât sa nature humaine de l’humanité même qu’il avait perdue en Adam. De là l’importance de sa naissance de Marie ; si elle n’est pas réelle notre Rédemption non plus n’est pas réelle.» Ibid., p. 20.

[385] Cf. Ermanno M. Toniolo, La Vergine Maria nella dottrina dei Padri, dispense ad uso degli studenti, C.A., Roma, 1994, p.74.

[386] Adv. Haer., IV, 33, 2, PG 7, 1073, in Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 20.

[387] Ibid., III, 22, 2, PG 7, 956 ss, in Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 20.

[388] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 48.

[389] De carne Christi, 15, 16 ; II 451ss. In Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 28. Plus loin, Emile Neubert précise que dans sa réfutation de la doctrine Marcionite, Tertullien voit à juste titre que la négation de la naissance du Christ était : « […] comme le point de rencontre de toutes les doctrines de l’hérésiarque : de celles qui se rapportaient à sa christologie comme de celles qui avaient pour objet le Dieu créateur. Si Jésus était vraiment né de Marie, d’une part sa chair était véritable, donc sa passion et sa mort étaient réelles, il était vraiment ressuscité, et nous aussi nous ressusciterions ; d’autre part, sa chair venait de la création commune, donc il avait accepté quelque chose du Dieu créateur, l’antinomie entre le Dieu de Moïse et le Dieu de l’Evangile était vaine : il n’y avait qu’un seul Dieu, créateur du monde et Père de Jésus-Christ. Etablir sa naissance de Marie, c’était donc renverser à la fois tous les dogmes marcionites.» Ibid., pp. 35-36.

[390] Tertullien, De carne Christi, 27, Oehler, Leipzig II, p. 411.

[391] Notre don 1954, p. 18. Emile Neubert ajoute : «Marie est en toute vérité la Mère du Fils de Dieu. Elle l’a formé de sa substance, elle l’a porté dans son sein, elle l’a mis au monde, elle l’a emmailloté, nourri, soigné,protégé, élevé, couvert de baisers, comme fait toute mère pour son enfant.

Elle est même plus mère que toutes les mères : elle l’a formé seule, sans le concours d’un homme. Et lui est son enfant, vraiment son enfant, plus son enfant que ne l’est l’enfant de toute autre mère, car à elle seule il doit toute sa nature humaine.

[Il s’est comporté à son égard comme le fait tout fils envers sa mère] : il s’est laissé allaiter, habiller, porter par elle, il lui a été soumis. Mais surtout il l’a aimée. De quel amour un tel enfant a-t-il dû aimer une telle mère ? L’amour d’un enfant pour sa mère, qui ne le connaît par expérience ? C’est de tous les amours le premier, le plus sincère, le plus fort, le plus universel, même dans les natures les moins nobles.»

[392] Ibid., pp. 18-19.

[393] Philos., I, prologue, 6.

[394] Connaissant l’importance anthropologique qu’il donna à la maternité spirituelle de Marie nous concernant dans ses œuvres, il est utile de reproduire une de ses sources patristiques : «C’est grâce à la maternité de Marie que le premier Adam, et nous avec lui, nous avons été régénérés par le nouvel Adam. C’est grâce à elle aussi que nous pouvons devenir les imitateurs du Verbe. Nous avons appris que le Verbe a pris un corps de la Vierge, qu’il s’est revêtu de l’ancien homme par une création nouvelle, qu’il a passé par tous les âges de la vie afin de devenir la loi de tous les âges […] ; nous savons qu’il est homme fait de notre substance ; car s’il n’était pas de la même matière que nous, c’est en vain qu’il nous ordonnerait de l’imiter comme notre maître ; comment, si cet homme était d’une autre nature, me prescrirait-il d’accomplir les mêmes actions que lui, à moi, faible créature ?» Philos., X, 33, 542.

[395] Adv. Noet., 14, PG 10, 824. In Marie dans l’Eglise anténicéenne, op.cit., pp. 50-51.

[396] In ep. Ad Rom., 111, 10, PG 14, 956 s. Marie dans l’Eglise anténicéenne, op.cit., p. 53.

[397] In ep. Ad Tit., PG 14, 1304.

[398] Origene, Comm. in Joann. X, 6 ; 176 : «Les Marcionites qui rejettent sa naissance de Marie, et leurs consorts, ceux qui nient l’humanité de Jésus ou qui ne lui attribuent qu’un corps apparent, veulent nous priver, dans la mesure de leur possible, de l’homme de tous le plus juste, de manière que nous ne puissions pas être sauvés par lui.» In Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 53.

[399] Marie dans le dogme 1954, p. 49. Emile Neubert ajoute : «On ne songeait pas, dès les débuts, à créer un terme spécial pour désigner le rôle de la Vierge, et cela d’autant moins que les affirmations primitives étaient presque toutes portées en fonction de Jésus et non en fonction de Marie. Mais l’idée contenue dans cette expression apparaît nettement dans la vue primitive.»

[400] Ibid., p. 49.

[401] Ibid., pp. 49-50.

[402] Adolf von Harnack, Dogmeng., I, p. 247 : «Ce n’est pas le docétisme qui est la caractéristique de la christologie gnostique, c’est la doctrine des deux natures.» In Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 122.

[403] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 122.

[404] Emile Neubert ajoute : «Mais l’idée de l’humanité et de la divinité de Jésus était si naturellement liée à l’idée de la maternité et de la virginité de Marie, que les premiers et les plus nombreux arguments que cite saint Irénée sont ceux qui établissent que l’enfant né de la Vierge est Dieu, ce qui revient à dire que la Vierge est Mère de Dieu.» Ibid., p. 130 : «Le mot Theótokos ne se trouve pas encore explicitement dans ces textes, mais il y est équivalemment, et des expressions telles que le Fils de Dieu est né de la Vierge, le Christ né de Marie est l’Emmanuel, il n’y a qu’un seul et même Jésus-Christ Notre-Seigneur, celui qui est né de Marie, sont, non seulement par rapport à l’union hypostatique, mais même par rapport à la maternité divine, tout aussi compréhensibles que l’expression Mère de Dieu. Ailleurs, saint Irénée écrit : L’ange annonça à Marie qu’elle porterait Dieu, expression qui est manifestement synonyme, pour la question qui nous occupe, de celle d’enfanter Dieu (Theótokos, Deipara).» Ibid., p. 125.

[405] Ibid., p. 124.

[406] Cf. Tixeront, Théologie anténicéenne, p. 342 ss. Cité in Marie dans l’Eglise anténicéene, p. 131.

[407] Emile Neubert commente : «Voici que l’Ange dit : c’est pourquoi le fruit saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu. C’est la chair qui est née ; donc, concluait l’hérésiarque, la chair sera le Fils de Dieu. -Tant s’en faut ! Reprend Tertullien. Il est question de l’Esprit de Dieu, car à coup sûr, c’est de l’Esprit Saint que la Vierge a conçu, et ce qu’elle a conçu, elle l’a enfanté ; cela donc devait naître qui avait été conçu et qui était à enfanter, à savoir l’Esprit, celui-là même qui sera appelé Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous. Or la chair n’est pas Dieu pour qu’on puisse dire d’elle : le fruit saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu ; mais celui-là est Dieu qui est né en elle. Adv. Praxeam, 27 ; II, p. 691.» Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 131.

[408] Marie dans l’Eglise anténicéene, p. 133. Emile Neubert cite Hippolyte : Eis ton Daniel, IV, 39, Bonwetsch, p. 288.

[409] Cf. Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 133, n. 1 : Peri ton antikristou, 45, Achelis, 29.

[410] Fragm. II, Achelis, 121.

[411] Marie dans l’Eglise anténicéenne, pp. 133-134.

[412] In Luc. hom. : PG 13, 1818.

[413] Ibid.,, 1821.

[414] Ibid., 1817.

[415] Ibid., 1821.

[416] C. Celse, I, 35 ; I, 86.

[417] H. eccl., VII, 32, PG 67, 812.

[418] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 134.

[419] Marie dans le dogme 1954, p. 37.

[420] Redemptoris Mater, 45 : «La maternité a pour caractéristique de se rapporter à la personne. Elle détermine toujours une relation absolument unique entre deux personnes : relation de la mère avec son enfant et de l'enfant avec sa mère. Même lorsqu'une femme est mère de nombreux enfants, son rapport personnel avec chacun d'eux caractérise la maternité dans son essence même. Chaque enfant est en effet engendré d'une manière absolument unique, et cela vaut aussi bien pour la mère que pour l'enfant. Chaque enfant est entouré, d'une manière unique, de l'amour maternel sur lequel se fondent son éducation et sa maturation humaines.

On peut dire qu'il y a analogie entre la maternité "dans l'ordre de la grâce" et ce qui, "dans l'ordre de la nature", caractérise l'union entre la mère et son enfant. Sous cet éclairage, on peut mieux comprendre le fait que, dans son testament sur le Golgotha, le Christ a exprimé au singulier la nouvelle maternité de sa Mère, en se référant à un seul homme : "Voici ton fils."»

[421] Concile d'Ephèse (IIIe œcuménique), in La foi catholique, textes doctrinaux du magistère de l'Eglise, [Dumeige], Orante, Paris, 1961, pp. 190-193.

[422] Paul Cochois, Bérulle et l'Ecole Française, coll. Maîtres spirituels, Seuil, Paris, 1963, p. 74.

[423] Marie dans le dogme 1954, p. 41.

[424] Ibid., p. 49.

[425] Ibid. p. 52. Emile Neubert cite : «La maternité divine touche aux confins de l’humanité.» Cajetan, Comm. de la Somme, 2,2, q. 103, a. 4, AD 2.

[426] «La bienheureuse Vierge, du fait de sa maternité divine, possède une certaine dignité infinie, par suite du bien infini qui est Dieu. De ce fait, rien de supérieur à elle ne peut être créé, de même qu’il ne peut exister rien de supérieur à Dieu.» ST, I, q. 25, a. 6, ad 4. Cité in Marie dans le dogme 1954, p. 52.

[427] Cf. Super Magnificat, cité par A. Nicolas, La vierge Marie dans l’Evangile, p. 13. Cité in Marie dans le dogme 1954, p. 53.

[428] Voir Jean-Baptiste Terrien, op. cit., t. Ier, 1, II, ch. III Cité in Marie dans le dogme 1954, p. 52.

[429] Marie dans le dogme 1954, p. 56-57.

[430] Ibid., p. 60.

[431] La dévotion à Marie, op. cit., p. 48. Nous avons déjà signalé l’influence de Louis-Marie Grignion de Montfort. Emile Neubert reprend les expressions typiques de ce saint sans le préciser dans son exposé.

[432] Dans le Traité de la Vraie Dévotion nº 20 de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, nous lisons : «Dieu le Saint-Esprit étant stérile en Dieu, c'est-à-dire ne produisant point d'autre personne divine, est devenu fécond par Marie qu'il a épousée. C'est avec elle et en elle et d'elle qu'il a produit son chef-d'œuvre , qui est un Dieu fait homme, et qu'il produit tous les jours jusqu'à la fin du monde les prédestinés et les membres du corps de ce chef adorable.»

[433] Marie dans le dogme 1954, p. 60-61. De même nous pouvons lire dans le Traité de la vraie Dévotion nº 21 : «Ce n'est pas qu'on veuille dire que la Très Sainte Vierge donne au Saint-Esprit la fécondité, comme s'il ne l'avait pas, puisque, étant Dieu, il a la fécondité ou la capacité de produire, comme le Père et le Fils, quoiqu'il ne la réduise pas à l'acte, ne produisant point d'autre Personne divine. Mais on veut dire que le Saint-Esprit, par l'entremise de la Sainte Vierge, dont il veut bien se servir, quoiqu'il n'en ait pas absolument besoin, réduit à l'acte sa fécondité, en produisant en elle et par elle Jésus-Christ et ses membres. »

[434] Lepicier, Tractus de B.M.V., p. 125. Cité in Marie dans le dogme 1954, p. 61.

[435] Marie dans le dogme 1954, p. 61-62.

[436] Ibid., p. 63.

[437] Ibid.

[438] Ibid.

[439] Ibid., p. 64

[440] Ibid., p 65.

[441] Ibid.

[442] Ibid., pp. 66-67.

[443] De natura et gratia, c. 36, cité in Marie dans le dogme 1954, p. 68.

[444] Marie dans le dogme 1954, pp. 69-70.

[445] Emile Neubert précise : «Jusqu’à faire de l’un l’image parfaite de l’autre, la Mère et le Fils ne formant plus, pour ainsi dire, qu’une seule âme ; amour enfin qui faisait trouver au Verbe de Dieu plus de complaisance en sa Mère seule qu’en toutes les créatures, plus de joie et plus de gloire dans la moindre action de Marie, dans la moindre de ses pensées que dans les conceptions et les actes les plus héroïques de ses saints et de ses martyrs.» Ibid., p. 73.

[446] Cc. Latran en 649 Cf. H. Denzinger, Enchiridion symbolorum definitionum et declarationum de rebus fidei et morum, Paris, 371996.

[447] Cf. Paul VI, «Que faut-il croire ? » Profession de foi lue par S. S. Paul VI lors de la cérémonie de clôture de l’Année de la foi, 30 juin 1968, in DC 65 (1968) cc. 1249-1257.

[448] Marie dans le dogme 1933, p. 51 : «Les chrétiens des premières générations durent d’ailleurs trouver cette révélation toute naturelle, y voyant comme un corollaire logique de la divinité de Jésus.»

[449] «Il est probable que Luc qui a insisté sur la virginité de Marie (v 27), pensait à ce dernier passage (Is 7, 14)». Marie-Joseph Lagrange, op. cit., p. 30, note 31.

[450] Maria de qua, op. cit. Emile Neubert précise : «Elle avait fait le vœu de virginité, certaine que Dieu le désirait. Dieu ne se contredit pas. Si jadis, il lui avait suggéré ce vœu, si récemment, il avait si merveilleusement disposé le cœur de son fiancé de manière à pouvoir garder ce vœu malgré le mariage, il n’allait pas maintenant lui en demander le sacrifice. Cependant puisqu’il lui fait une proposition, il requiert sa coopération.» Notre Mère, p. 16. Emile Neubert s’appuyait sur l’interprétation du Père Lagrange : «La Vierge exprimerait donc un propos de virginité […] si l’on tient compte des nouveaux courants, très favorables à l’ascèse et à la chasteté, qui circulaient dès lors dans le judaïsme. Il suffirait de nommer les Esséniens. […] Le mariage avec un homme tel que Joseph la mettait à l’abri d’instances sans cesse renouvelées et assurait son repos.» Cf. Marie-Joseph Lagrange, op. cit., p.33.

[451] Emile Neubert précise : «L’ange, en annonçant à la Vierge que l’enfant qui naîtrait d’elle serait le Fils du Très-Haut et que son règne n’aurait pas de fin, lui laissait entendre aussi clairement qu’elle serait Mère de Dieu.» Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 122.

[452] Emile Neubert s’appuie sur le Père Lagrange : «Dans le discours de l’ange, Marie n’a vu que la naissance du Messie, et sans s’arrêter aux termes qui devaient lui faire soupçonner une génération extraordinaire, elle s’en est tenue à l’obstacle de sa virginité. L’ange lui explique que cette virginité n’est pas en cause, parce que son fils n’aura d’autre père que Dieu.» Marie-Joseph Lagrange, op. cit., pp. 33-34.

[453] Maria de qua, op.cit., p. 30. Cf. Marie-Joseph Lagrange, op.cit., p. 36 : «L’ange suggère qu’il sera vraiment Fils de Dieu. Pourquoi Dieu voudrait-il être le Père par une conception surnaturelle, de celui qui ne serait pas vraiment son Fils ? [...] Il vaut mieux reconnaître que le texte ne donne pas toute la doctrine de l’Incarnation que d’en forcer le sens.»

[454] Maria de qua, op.cit., p. 31. Ces affirmations rejoignent aussi les résultats de René Laurentin : «Pour Luc la Vierge n’a pas été un instrument passif dont Dieu se serait servi par surprise, ou même par contrainte ; elle a reçu un message (1, 28-37), elle y a répondu librement (1, 38), en toute connaissance de cause (1, 34, Cf. 29b) et en toute lumière de grâce (1, 28, 30, 42,45, 48-49). L’auteur entend donc enseigner que Marie a saisi de façon enveloppée, mais réelle, l’objet du message et donc l’identification de Jésus à Yahweh qui s’y trouve insinuée.» Rene Laurentin, op. cit., p. 166.

[455] Marie dans le dogme 1933, p. 49. Cette introduction qui fait suite à son deuxième chapitre de Marie dans le dogme, nous l’avons dit précédemment au chapitre la Maternité divine, ouvre d’autres horizons sur d’autres privilèges de Marie qui seront repris dans toute l’œuvre d’Emile Neubert et que nous reverrons sous peu : son exemption de toute faute et de toute concupiscence, son Immaculée Conception, sa parfaite sainteté, et jusqu’à son Assomption. Ces thèmes sont plus liés à la période post-nicéenne dans leurs développements spécifiques, mais ils étaient déjà en germe dans la période des développements christologiques avant Nicée.

[456] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 57. Emile Neubert précise : «Les deux récits portent l’empreinte de deux origines différentes, ce qui prouve qu’à l’époque où furent écrits le premier et le troisième Evangile, la croyance en la conception surnaturelle de Jésus était déjà répandue dans différents milieux. Nous n’avons pas à chercher ici comment elle est née, mais à voir quelle a été son histoire à partir de sa fixation dans les Evangiles.»

[457] Ibid., p. 159.

[458] Maria de qua, op. cit., pp. 31-33.

[459] Marie dans le dogme 1933, pp. 57, 58.

[460] Salvatore M. Perrela, Maria vergine e madre, la verginità feconda di Maria tra fede, storia e teologia, San Paolo, Roma, 2003, p. 268.

[461] Nikos Nissiotis, in Concilium 188, 1983.

[462] Adrienne von speyr, La servante du Seigneur, trad. par Madi LEPINE, Le Sycomore, Lethielleux, Paris, 1980.

 

[463] Marie dans le dogme 1933, pp. 61-63 Voir aussi de nombreux exemples dans Marie-Joseph Lagrange, L’Evangile selon Marc, pp. 72-73. Emile Neubert ajoute : «Les "Frères du Seigneur" pouvaient donc être des parents quelconques de Jésus. Nous verrons plus loin qu’ils étaient ses cousins germains. Il est vrai que le Nouveau Testament fut écrit en grec, et que cette langue possède des mots spéciaux pour marquer les différentes relations de parenté. Mais le titre de "Frère du Seigneur" était évidemment une locution consacrée chez les juifs convertis, et les évangélistes la traduisirent littéralement.»

[464] Ibid., pp. 64-66.

[465] Emile Neubert ajoute un autre argument qui peut sembler faible aujourd’hui, vu la richesse de ce passage biblique en Jn 19, 26 dans l’exégèse contemporaine : «Marie confiée à Jean. En outre, nous apprenons de saint Jean que Marie lui fut confiée par le Seigneur mourant, et que désormais il la prit chez lui (Jn 19, 25-27). Cette donation eût été étrange si la mère de Jésus avait eu d’autres enfants, dont son Fils l’eût séparée pour la confier à un étranger. Elle ne se comprend que dans le cas où, par sa mort, il la laissait seule sur terre.» In Marie dans le dogme 1933, pp. 66-67.

[466] Ibid., p. 67.

[467] Marie dans l’Eglise anténicéenne, pp. 75-76.

[468] Cf. Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 173 : «Si la conception virginale regardait principalement la gloire du Fils, la virginité de Marie dans l’enfantement regardait surtout l’honneur de la mère. Le Protévangile de Jacques, qui remonte au milieu du second siècle, mais dont les différentes parties remontent plus haut, pose la question pour la première fois et y répond par l’affirmative. Saint Irénée argumente à partir de ce passage du prophète Isaïe, 64, 7 où il lit l’annonce de la naissance de l’Emmanuel "inespérée et inopinée de la Vierge" : Avant d’être en travail, elle a enfanté, avant que les douleurs lui vinssent, elle a mis au monde un enfant mâle

[469] Ibid., p. 282.

[470] Marie dans le dogme 1933, p. 58.

[471] Ibid., p. 56.

[472] La virginité perpétuelle de Marie dut être clairement connue de beaucoup d’entre les premiers chrétiens. Il n’était pas difficile aux disciples de la Galilée et de la Judée de s’enquérir de la parenté du Seigneur - certainement une pieuse curiosité les y poussait - et d’apprendre que Marie n’avait jamais eu qu’un seul Fils, Jésus. Quant aux chrétiens extrapalestiniens, certains d’entre eux durent questionner sur ce point les apôtres ou les disciples venus de Palestine, et être, par eux, mis au courant du fait. Aussi la tradition la plus ancienne est unanime sur cette doctrine. Ibid., p. 60.

[473] La virginité du corps est le signe d’une pureté incomparablement plus éclatante pour l’âme. De la découverte, p. 47.

[474] Marie dans le dogme 1933, pp. 49-74.

[475] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 75.

[476] Ibid., p. 74.

[477] L’auteur met l’accent sur l’aspect de coopération à la Rédemption, conçue comme un retour à l’incorruptibilité.

[478] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 98. Emile Neubert commente : «Pour Tertullien comme pour saint Justin et saint Irénée, la naissance virginale est la figure de la rédemption que le Christ nous apportait, et la condition de sa divinité.» Cf. De carne chr., 17, II, 453ss.

[479] Ce sont là des mystères du Seigneur qu’il faut proclamer à grands cris. Ad Ephes., 19, PG 5, 659 ; cité in Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 10.

[480] Marie dans l’Eglise anténicéenne, pp. 76-91.

[481] Cf. La profession de foi de Justin en face des païens, qui rappelle le symbole, in I Apol., 21 ; I, 64 : « Nous affirmons que le Verbe, le premier-né de Dieu, est né sans le concours de l’homme, Jésus-Christ notre Maître ; qu’il a été crucifié, qu’il est mort, qu’il est ressuscité et monté au ciel.» Cf. aussi I Apol., 46 ; I, 130 ; Tryph., 85 ; II, 306 : « Le Fils de Dieu, le premier-né de toute créature, né par la Vierge, devenu homme passible, crucifié sous Ponce-Pilate par votre peuple (des juifs), mort, ressuscité d’entre les morts et monté au ciel.»

[482] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 84. Cf. IIe partie, chap. III.

[483] Emile Neubert commente : «Si en effet le Verbe a voulu naître de Marie, c’est que sa mission de sauveur l’exigeait ; et c’est pourquoi, à côté des preuves scripturaires, saint Irénée en cite une autre qui les domine toutes en importance, la preuve tirée de l’économie de la Rédemption. Pour qu’Adam et l’humanité fussent sauvés, il fallait que le Sauveur fût lui-même homme, et qu’il tirât sa nature humaine de l’humanité même qui avait été perdue en Adam. De là l’importance de sa naissance de Marie ; si elle n’était pas réelle, notre rédemption non plus ne sera pas réelle.» Ibid., p. 20.

[484] Ibid., p. 98.

[485] In Matth., X, 17 ; XII, col. 876.

[486] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 185. Emile Neubert auparavant donnait l’ explication suivante : «Il (Origène) connaissait le Protévangile, mais certains détails manifestement légendaires de cet écrit devaient le porter à se défier en général des affirmations qu’il contenait. Il semble qu’il lui soit arrivé ce qui se produira plus tard à propos de l’Immaculé Conception. On admettait pratiquement la parfaite pureté et sainteté de Marie ; mais quand certains fidèles voulaient formuler cette croyance d’une façon plus nette et en tirer les conclusions, comme à ces conclusions étaient mêlées des assertions inadmissibles, on n’y reconnaissait plus l’ancienne croyance, et l’on rejetait les conclusions justes avec les assertions illégitimes.»

[487] Cette homélie attribuée à Grégoire le Thaumaturge par Pitra (Analecta Sacra, IV, p. 386-395) est très justement critiquée par Harnack. Cf. Adolf Harnack, Geschichte des altchristlichen Litteratur bis Eusebius, 2. Erweiterte auflage, Teil II : die Chronologie. Band 2 : die Chronologie der Litteratur von Irenäus bis Eusebius, J.C. Hinrichs, Leipzig, 1958, p.101.

Dans une note, Emile Neubert réfute les raisons données par Harnack refusant l’authenticité de l’homélie attribuée à Grégoire le Thaumaturge : «Les raisons que Harnack (Chronol., II, 101) fait valoir contre Loofs pour en rejeter l’authenticité, ne sont pas convaincantes :

1° Les quatre homélies trouvées avec celle-ci sont apocryphes. On pourrait tout aussi bien retourner l’argument et dire que, pour qu’on ait songé à les attribuer à Grégoire, elles devaient se trouver avec une homélie qui fut de lui.

2° L’intérêt particulier qui est donné à la virginité in partu surprend quelque peu au IIIe siècle. Cent ans après le Protévangile, cet intérêt n’a rien d’étonnant. L’écrit présente les mêmes idées que le De passibili et impassibili in Deo. De plus, on n’y rencontre pas un seul Theótokos, ou PanagiaMarie dans l’Eglise anténicéenne, p. 186.

En fait, c’est bien Harnack qui aurait raison (Cf. CGI, Brepols, Turnout 1983, pp 242-243, n° 1775 ou 1776). L’homélie citée par Emile Neubert n’entre pas dans les œuvres authentiques que nous connaissons de Grégoire le Thaumaturge qui était d’une école néo-alexandrine et très apprécié des Cappadociens. A cette époque, tout au début du XXe siècle, les études n’avaient pas encore clarifié ces éléments.

De fait, il s’agissait d’une traduction latine que Pitra a réalisée à partir de codes arméniens. Une simple lecture de l’incipit de l’homélie traduite nous fait remonter à une célèbre homélie grecque très répandue au temps d’Ephèse - et également longuement paraphrasée contre Nestorius en 428 -, tirée des codes, attribuée à saint Jean Chrisostome, étant de fait d’ascendance cappadocienne, et par conséquent datant à la fin du du IVème siècle. Cf. Ermanno Toniolo, L’homélie antinestorienne Musteriion xenon blepo  (PG28, 960-972), in Gesu Christo speranza del mondo Miscellanea in onore di Marcello Bordoni a cura di Ignazio Sanna, Roma, 2000, pp. 167-199. Celle-ci est mentionnée in BHG 1905 ; et éditée in PG 56, 385-394.

[488] Pseudo-Grégoire, Sermon in Nat. Christi, 14, p. 391, cité in Marie dans l’Eglise anténicéenne, pp. 186-187.

[489] Ibid., 8, p. 388 s., cité in Marie dans l’Eglise anténicéenne, pp. 188-189.

[490] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 119.

[491] Marie dans le dogme 1933, p. 52. Marie dans l’Eglise anténicéenne, pp. 57-120 ; 136-144.

[492] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 208.

[493] Marie dans le dogme 1954, p. 303.

[494] Ibid., p. 304. Cf. Denzinger, p. 993.

[495] Ibid., p. 276. Cf. Marie dans l’Eglise anténicéenne, pp. 57-120 ; 136-144.

[496] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 149.

[497] Marie dans le dogme 1954, p. 276.

[498] Ibid., pp. 276-277.

[499] Ibid., pp. 278-279.

[500] Ibid., p. 289.

[501] Ibid., p. 307.

[502] Adv. Haer., III 18, 1.

[503] Ad Ephes., 19.

[504] Marie dans l’Eglise anténicéenne, pp. 209-211.

[505] Et l’auteur de poursuivre : «Une dernière impression se dégage de ce que saint Luc nous apprend de Marie, l’impression d’une âme recueillie et contemplative. L’évangéliste fait plusieurs fois la remarque qu’elle retient pour y réfléchir ce qu’elle apprend de son Fils. (Peut-être, en disant qu’elle «conservait toutes ces choses», voulait-il indiquer qu’elle était la source d’où provenait son récit ; il avait certainement l’intention de dire autre chose encore en ajoutant qu’"elle y réfléchissait en elle-même".) Son rôle n’est pas de prêcher la bonne nouvelle ; il consistera à être l’instrument et le témoin, silencieux, mais conscient, des mystères du Christ.» Ibid., p. 211.

[506] Dans une note, l’auteur aborde différentes questions relatives à l’origine du Magnificat, et à la «controverse soulevée par certains modernistes et protestants, qui ont prétendu attribuer cet hymne à Elisabeth.» Après avoir fait le résumé de la question en faisant le lien avec le cantique d’Anne (1 S 2, 4-5), l’auteur conclut : «La question de l’attribution du Magnificat à Marie a été tranchée, pour les catholiques, par une réponse de la commission biblique.» Vie, p. 57, note 2.

[507] Vie, p. 55.

[508] Emile Neubert commente : «Dans la Mère de Jésus, nulle imperfection, si légère fut-elle. Là où les plus méritants s’oublient un instant, elle reste inébranlablement fidèle. Zacharie, le juste doute de la parole de l’ange et en est puni, Marie croit et est récompensée de sa foi par l’accomplissement des promesses divines. Les apôtres fuient lors de l’arrestation de Jésus, leur chef reniera son Maître ; Marie se tient debout au pied de la Croix.» Marie dans le dogme 1954, pp. 310-311

[509] Vie, pp. 64-65.

[510] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 213.

[511] Ibid., pp. 213-214.

[512] Ibid., p. 219.

[513] Ibid., p. 218.

[514] Ibid., pp. 220-222.

[515] Ibid., p. 225.

[516] Marie dans le dogme 1954, p. 313.

[517] Ibid., Emile Neubert cite l’extrait choisi dans les œuvres d’Augustin : «Pour l’honneur du Seigneur, écrit-il, quand il s’agit du péché, je veux qu’il ne soit absolument pas question de Marie, qui a mérité de concevoir et d’enfanter Celui dont il est évident qu’il fut sans péché.» De natura et gratia, c. 36, PL 44, 267.

[518] De carne Christi, 4 ; II, 432. Cité in Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 235.

[519] Pseudo Grégoire le Thaumaturge, Homélie sur la Nativité du Christ, 8, 23 ; 390, 394. Adam., V, 8 ; 190 ; In Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 226.

[520] Marie dans le dogme 1954, pp. 310-311.

[521] Emile Neubert précise : «Ils admettaient généralement que, sur le calvaire, elle avait douté de la divinité de son Fils. C’était le cas d’Origène, de saint Basile, de saint Cyrille d’Alexandrie […] Saint Jean Chrysostome suppose quelque mouvement de vanité en Marie.» Marie dans le dogme 1954, pp. 312-313.

[522] Ibid., pp. 314-316.

[523] Ibid., p. 317. Dans l’édition de 1933, Emile Neubert précise que : «Marie est rivière, bientôt fleuve, elle n’est pas source. Première différence, différence infinie entre les deux plénitudes.» Marie dans le dogme 1933, p. 110.

[524] La tradition a largement développé ce thème, nous suffise Ibid.,  le témoignage de Jean-Baptiste Terrien dans son œuvre magistrale qui fut le livre de chevet d’Emile Neubert durant ses années d’étudiant en théologie. Cf. Jean-Baptiste Terrien, La Mère de Dieu, Paris, Lethielleux, t. II, 1, VII, p. 191-234.

[525] Marie-Joseph Lagrange, op. cit., p. 29.

[526] Marie dans le dogme 1954, p. 324.

[527] Cf . « A propos de Marie », enregistrement du 8 mai 1992, in collection privée .

[528] Cette réflexion peut être mise en relation avec cette autre de Saint Thomas commentant la raison de la plénitude initiale de grâce en Marie, lorsqu’il dit : «Plus on approche d’un principe (de vérité et de vie), plus on participe à ses effets. C’est pourquoi Denys affirme (De cœlesti hierarchia, c. 4) que les anges, qui sont plus près de Dieu que les hommes, participent davantage à ses bontés. Or le Christ est le principe de la vie de la grâce ; comme Dieu, il en est la cause principale, et comme homme (après nous l’avoir méritée) il nous la transmet, car son humanité est comme un instrument toujours uni à la divinité : "la grâce et la vérité nous sont venues par lui" (Jn 1, 17). La bienheureuse Vierge Marie, étant plus près du Christ que personne, puisqu’il a pris en elle son humanité, a donc reçu de lui une plénitude de grâce qui dépasse celle des autres créatures.» IIIa, q. 27, a. 5.»

[529] Marie dans le dogme 1954, p. 328.

[530] Catéchisme de l’Eglise catholique, Paris, Mame/Plon, n° 234.

[531] Cf. La cassette 23 de la collection « Ephata formation chrétienne à la prière du cœur, » archives marianistes de la Société de Marie, Paris, 1992.

[532] Marie dans le dogme 1954, p. 330.

[533] Ibid., p. 334.

[534] Ibid., p. 336.

[535] Ibid., p. 337.

[536] Ibid., p. 365.

[537] Lumen gentium 63.

[538] Ibid., 65.

[539] Marie dans le dogme 1954, p. 336.

[540] Cf. Saint Thomas, ST, II, 24, 5.

[541] Marie dans le dogme 1954, p. 366.

[542] Marie dans le dogme 1954, p. 367.

[543] «La personne qui est plus aimée par Dieu que toutes les créatures ensemble reçoit une plus grande grâce que toutes ces créatures réunies, car la grâce est l’effet de l’amour incréé et lui est proportionnée. Comme le dit Saint Thomas Ia. q. 20, a. 4 : "Dieu aime plus celui-ci que celui-là, en tant qu’il lui veut un bien supérieur, car la volonté divine est cause du bien qui est dans les créatures". Or de toute éternité Dieu a aimé Marie plus que toutes les créatures ensemble comme celle qu’il devait préparer dès le premier instant de sa conception à être la digne Mère du Sauveur. Selon l’expression de Bossuet : "Il a toujours aimé Marie comme mère, il l’a considérée comme telle dès le premier moment qu’elle fut conçue."

   Cela n’exclut pas d’ailleurs en Marie le progrès de la sainteté ou l’augmentation de la grâce, car celle-ci, étant une participation de la nature divine, peut toujours augmenter et reste toujours finie ; même la plénitude finale de grâce en Marie est limitée, quoiqu’elle déborde sur toutes les âmes.» Reginald Garrigou-Lagrange op, La vie spirituelle, n° 253, mai 1941.

[544] Marie dans le dogme 1954, p. 376.

[545] Ibid., p. 322.

[546] Cf. Ineffabilis Deus in Marie dans le dogme 1954, p. 325.

[547] De la découverte, p. 8.

[548] Ibid., pp. 63 ss.

[549] Ibid., p. 176.

[550] Ibid., p. 61.

[551] Déjà, en 1927, il enseignait : L’Eglise, ce n’est pas un seul groupe, fût-ce même un groupe de théologiens, c’est la collectivité des fidèles. Ce qui est croyance commune est croyance certaine ; le sentiment universel des fidèles ne peut se tromper. Le plus grand théologien, fût-il doublé d’un saint consommé, qui avancerait une opinion contraire à ce sentiment universel, serait certainement dans l’erreur. […] En exposant son idée devant l’opinion publique de l’Eglise, le théologien ou le dévot provoquera de la part des fidèles une sorte de referendum, qu’il l’acceptera ou la rejettera et en montrera ainsi la valeur.

Il y a mieux encore. On est sûr d’une vérité dès qu’on est sûr de son acceptation, explicite ou implicite, par la majorité des fidèles. Mais on n’est pas toujours sûr de cette acceptation par la majorité ; il s’élève toujours quelques voix discordantes. Or il est, dans l’Eglise, un homme qui peut officiellement parler au nom de cette majorité, et quand il a parlé comme chef de l’Eglise, il n’est plus permis de contredire, ni même d’hésiter, car il est infaillible.[…] Il laisse le travail de la réflexion et de la piété accomplir son œuvre sous l’action de l’Esprit Saint ; il examine et fait examiner ce qui est de tradition constante et universelle. Mais il fait plus qu’enregistrer : il rend certain pour tous ce en quoi plusieurs peut-être hésitaient encore ou ne voyaient qu’une probabilité ; il oblige tous à reconnaître la vérité proclamée comme vérité révélée, et il l’exprime dans une formule, non pas adéquate, mais claire et précise, qui fait le départ entre l’exagération et la vérité, donne satisfaction à la piété et lui permet d’y trouver une nouvelle lumière et un nouvel aliment de vie, comme dans la formule même de l’Evangile ; car la définition, ce n’est pas un arrêt dans la contemplation, c’est un instrument nouveau pour la guider.

Pour appliquer ces notions à l’étude des grandeurs de Marie :

1° Il faut considérer non tel ou tel texte scripturaire mais l’ensemble de la révélation relative à Marie et à la vérité qu’il s’agit d’affirmer de Marie (par exemple, la rédemption, s’il est question de Marie corédemptrice), en se rappelant que cette révélation est infiniment plus riche que les textes ne le disent explicitement.

2° Cette révélation, il faut la regarder à la lumière des voies de Dieu telles qu’elles nous sont connues par l’Ancien et surtout le Nouveau Testament, et par notre contact personnel avec le monde surnaturel.

3° Il faut examiner la tradition universelle de l’Eglise par rapport à l’opinion en question, en faisant la part des maladresses et hésitations d’expression, afin de se rendre compte de ce qu’elle voyait ou sentait.

4° Il faut surtout voir quel est le sentiment actuel de l’Eglise, exprimé par les croyances des fidèles, par leurs prières, leurs dévotions, par les affirmations des prédicateurs, les explications des théologiens, par la liturgie officielle de l’Eglise, et surtout, s’il y a lieu, par les déclarations des Souverains Pontifes. Maria de qua, op. cit., pp. 117-118.

[552] De la découverte, p. 7.

[553] Ibid., p. 1.

[554] Emile Neubert précise : «L’Immaculée Conception et l’Assomption, admises depuis longtemps par les fidèles, ont été définies simplement pour exalter la Mère de Dieu et augmenter la piété chrétienne envers elle. Ce sera sans doute aussi le cas un jour, pour sa médiation universelle et sa maternité spirituelle.» Ibid., p. 70.

[555] Ibid., pp. 55-56.

[556] Ibid., p. 95.

[557] Ibid.

[558] Ibid., p. 173.

[559] Jean de Gerson, Opera omnia, Antwerpiae, t. IV, col.589.

[560] Francisco Suarez sj, Vivès, t. XIX, pp. 47-48, in De la découverte, p. 178.

[561] «Si savant qu’il soit, pour juger sainement des choses de l’ordre surnaturel, le théologien doit humblement s’enquérir de l’opinion des chrétiens ordinaires, en particulier de ceux à qui leur humilité, leur simplicité, leur union à Dieu assurent une plus grande abondance des lumières du Saint-Esprit. L’histoire de la mariologie n’est-elle pas faite pour enseigner l’humilité intellectuelle même aux plus savants et pour montrer la valeur de l’opinion du peuple fidèle en face des arguments des grands docteurs ?» De la découverte, p. 92.

[562] On trouve cette opinion par exemple, relatée par Emile Neubert, reprenant Jugié : «Un autre Franciscain, François de Mayron, appelé le "docteur illuminé", produit, parmi beaucoup de preuves fournies par ses prédécesseurs, un argument nouveau, celui du sentiment unanime des fidèles. Il écrit : La vérité de l’Assomption… est prouvée par le témoignage de l’opinion universelle. Ce qui, en effet, est connu par toute la terre et universellement ne saurait être faux absolument, selon le philosophe (Du sommeil et de l’état de veille). Or, la foi universelle et l’opinion de tous est que Marie est au ciel dans son corps. Donc il est impossible que cela soit faux absolument (Martin Jugié, La Mort et l’Assomption de la Sainte Vierge, Etude historico-doctrinale, Città del Vaticano, 1944, p. 402, note 5).» Ibid., p. 172.

[563] Ibid., p. 88.

[564] Marie dans le dogme 1954, op, cit., pp. 244-245.

[565] Ibid., p. 247.

[566] Ibid., p. 255.

[567] Ibid., pp. 241-243.

[568] Ibid., p. 247

[569] Ibid., p. 255.

[570] Ibid., pp. 259-271.

[571] Ibid., p. 271

[572] Vie, p. 49.

[573] Vie, p. 50.

[574] Ibid., p. 53.

[575] Ibid.

[576] Ibid., p. 58.

[577] Ibid., p. 63. L’expression «corédemptrice» mérite une reprise d’analyse du sens que l’auteur lui donne. Nous y reviendrons dans notre étude. Notons déjà cependant ce terme utilisé par l’auteur pour commenter les premiers mystères de la vie de Jésus et de Marie, mentionnés dans l’Evangile de Luc. Lors de l’étude du thème de La coopération de Marie à la Rédemption dans Marie dans l’Eglise anténicéenne, Emile Neubert relate qu’Origène attribue un certain rôle à Marie dans la sanctification du Précurseur : «Si en effet, la simple venue et la salutation de Marie eurent pour effet de faire tressaillir l’enfant de joie et de remplir Elisabeth de l’esprit prophétique, à la vue de tant de progrès opérés en une heure, représentons-nous les progrès que Jean dut faire en trois mois grâce à la présence de Marie auprès d’Elisabeth. Alors qu’en un rien de temps, en un moment, l’enfant tressaille et bondit pour ainsi dire de joie, et qu’Elisabeth est remplie de l’Esprit Saint, il est inadmissible que durant trois mois, ni Jean ni Elisabeth n’aient tiré aucun profit du voisinage de la Mère du Seigneur et de la présence même du Sauveur.» Hom. 9 in Luc ; Cit., 13, col. 1822, cité in Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 251.

[578] Vie, pp. 138-145.

[579] Emile Neubert précise : «Rien de plus fréquent de nos jours encore, en pays arabe, d’entendre des indigènes répondre à une demande : "Ma lèch ?" Quoi à toi ? C’est-à-dire "D’accord ! Volontiers !" C’est l’affirmation qu’il n’y a pas de différences de vue ou d’intérêts qu’un examen attentif des textes révèle dans chacun des cas où cette expression est employée dans les saintes Ecritures.» Vie, p. 139.

[580] Emile Neubert ajoute : «On a aussi donné une interprétation nouvelle, et sans doute bien plus satisfaisante, de la réponse de Jésus à sa Mère aux noces de Cana.» Vie, p. VI.

[581] Emile Neubert commente : «Si saint Joseph avait cru sa fiancée coupable, sa justice lui eût fait une obligation de suivre la loi de Moïse. Mais tout au contraire, c’est parce qu’il est juste qu’il ne veut pas dénoncer Marie. L’Evangile, en effet, dit, non pas : "Joseph étant juste, mais ne voulant pas l’exposer". Il dit : "Joseph étant juste et ne voulant pas l’exposer […]" Il ne veut pas parce qu’il est juste, parce qu’il considérait pareil renvoi comme contraire à la justice. Comment eût-il douté de la vertu de Marie ? Vie, p. 6. […] Quand les deux voyageurs arrivèrent à destination (dans la ville de David), il n’y avait plus de place pour eux (à l’hôtellerie). Force leur fut donc de chercher un abri ailleurs. Du reste, cette hôtellerie, sorte de kan […] où se pressaient pêle-mêle bêtes de somme et gens de toute provenance, n’était guère propre aux mystères qui allaient s’accomplir.» Vie, p. 76.

[582] La Mission, p. 24. Plus loin, Emile Neubert ajoute : «Et de ce fiat dépendaient l’Incarnation du Fils de Dieu et sa condition d’apôtre, et l’apostolat des douze…» La Mission, p. 184.

[583] Emile Neubert précise : «Elle savait par Gabriel que l’enfant à qui elle devait donner le jour serait le Messie, le Sauveur. "Tu l’appelleras Jésus : Yahveh sauve." Elle savait aussi, en particulier par Isaïe et par David, que ce Messie serait un "homme de douleur", "un ver et non un homme", "l’opprobre des hommes et le rebut du peuple", "dont on percerait les mains et les pieds" (Is 52,-53 ; Ps 21). Mais elle voulait de toute la puissance de sa volonté la venue de ce Messie et le salut du monde, et cela quoi qu’il dût lui en coûter. Et ainsi elle prononça son fiat de l’élan le plus apostolique qui ait jamais jailli d’un cœur humain.» Ibid., p. 184.

[584] Marie et notre sacerdoce, p. 157.

[585] La Mission, p. 24.

[586] Ibid., p. 25.

[587] LG 56.

[588] Emile Neubert applique cette parole aussi à Marie : «Sa disposition constante depuis le premier moment de son existence, à travers toute sa vie, c’était celle-même que l’Epître aux Hébreux relève dans le Christ lors de son entrée dans ce monde : "Voici que je viens, ô Dieu pour faire votre volonté."» Marie et notre sacerdoce, p. 149.

[589] Ibid., pp. 149-150.

[590] Irenaeus, adv. Haer. op. cit., 3, 22, 4, PG 7, 959 A ; Harvey 2, 123.

[591] Ibid. Harvey 2, 124.

[592] Epiphanius, Haer. 78, 18, PG 42, 728 CD – 729 AB.

[593] Hieronymus, Epist. 22, 21, PL 22, 408.

[594] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 240, note 1 : C. Tryph., 100, II, 358.

[595] Ibid., p. 242, note 2 : Adv. Haer. III, 21, 6, PG 7, 953 19, 3, PG 7, 941 ; 20, 3, PG 7, 944 ; 21, 1,PG 7, 946 ; IV, 30, 4, PG 7, 1074.

[596] MC 32 : «Etant donné le caractère ecclésial du culte rendu à la Vierge, ce culte reflète les préoccupations de l'Eglise même : l'une d'elles, aujourd'hui dominante, est le rétablissement de l'unité des chrétiens. Ainsi la dévotion envers la Mère de Dieu devient réceptive aux soucis et aux visées du mouvement œcuménique, c'est-à-dire qu'elle acquiert une empreinte œcuménique.»

[597] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 238.

[598] Ibid., p. 239. Cf. Ad trall., 9, PG 5, 681 et Ad Ephes., 7, PG 5, 649. Le prince de ce monde ne s’est pas aperçu de Marie et de son enfantement, comme non plus de la mort du Seigneur, trois mystères retentissants, qui ont été accomplis dans le silence de Dieu.

[599] Ibid., p. 240.

[600] Ibid., p. 241.

[601] Adv. Haer. III, 21, 6, PG 7, 953 ; Adv. Haer. III, 9, 3, PG 7, 941 ; Adv. Haer. III, 20, 3 PG 7, 964 ; Adv. Haer. III, 21, 1, PG 7, 946 ; Adv. Haer. IV, 3, 4, PG 7, 1074.

[602] Adv. Haer. V, 1, 3, PG 7, 1122 ; Adv. Haer. III, 19, 1, PG 7, 938 ; Adv. Haer. IV, 30, 4, PG 7, 1074 s. ; Adv. Haer. IV 30, 11, PG 7, 1080.

[603] Marie dans l’Eglise anténicéenne, pp. 241-244. Emile Neubert cite Irénée : «Comme le premier-né, Adam, a tiré sa substance d’une terre nouvelle et encore vierge, Dieu n’y avait pas encore versé sa pluie, l’homme ne l’avait pas encore travaillée,… ainsi en naissant de Marie qui était encore Vierge, le Verbe, qui allait récapituler en lui Adam, a justement choisi la naissance d’Adam.» Adv. Haer. III, 21, 10, PG 7, 954 s. ; cf. Adv. Haer. III, 18, 7, PG 7, 938.

[604] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 243.Cf. Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 247. Emile Neubert reprend Irénée : «Et de même que le genre humain a été attaché à la mort par une vierge, c’est par une Vierge qu’il est sauvé. Ainsi les plateaux sont en équilibre : la désobéissance virginale est contrebalancée par l’obéissance virginale ; le péché du premier-né est réparé par le premier-né ; la prudence du serpent est vaincue par la simplicité de la colombe, et les liens sont défaits qui nous enchaînaient à la mort.» Adv. Haer. V, 19, 1, PG 7, 1175.

Dans une annotation personnelle d’Emile Neubert lui-même, à la page 246 de sa thèse éditée en 1908 et qu’il dut conserver en privé pour la reprendre, on lit ceci qui reprend Irénée, tout en corrigeant sa propre traduction : «Adam devait être récapitulé dans le Christ, afin que ce qui était mortel fût absorbé par l’immortalité ; et Eve devait être récapitulée en Marie, pour qu’une vierge devînt l’avocate d’une vierge et défasse et enlève par l’obéissance virginale, la désobéissance d’une vierge.»

[605] Joseph Tixeront, p. 261.

[606] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 247.

[607] Ibid., p. 252.

[608] LG 56.

[609] La mission, pp. 191-192.

[610] Dans son œuvre Marie dans le dogme, Emile Neubert précise les points suivants : NATURE DU MEDIATEUR. - On appelle médiateur celui qui s'interpose entre deux personnes en vue de les unir, qu'il s'agisse d'une réconciliation à faire ou de faveurs à obtenir. Pour remplir sa fonction, le médiateur doit être accepté des deux personnels à unir : plus il sera proche d'elles, plus sa médiation sera facile.

Dans l'ordre surnaturel, les deux personnes à rapprocher sont Dieu et I' homme que le péché avait séparé de Dieu.

LE CHRIST MEDIATEUR. - Jésus, en tant qu'homme, est médiateur parfait entre Dieu et l'homme, étant hypostatiquement uni à Dieu et constitué par lui Chef spirituel du genre humain.

[…]D'autre fondement, nul ne peut poser que celui qui a été posé, Jésus-Christ. (1 Tm., 2, 5 ; I Co., 3, 11.)

MARIE. MEDIATRICE - Ce fondement posé, les fidèles attribuent à Marie, à côté de Jésus, une certaine fonction de médiation. Mère de Dieu et Mère des hommes, elle aussi semble indiquée pour servir de lien entre Lui et eux. Mais sa médiation, loin d'enlever quoi que ce soit à celle du Christ, en est au contraire une conséquence et comme un épanouissement : elle s'exerce sous le Christ et en union avec le Christ, de qui elle tire toute son efficacité.

DOUBLE FONCTION DE MEDIATION. - L'office de notre grand médiateur est double : c'est, d'abord, de mériter à tout le genre humain la grâce de la réconciliation ; c'est ensuite d'appliquer cette grâce à chacune des unités qui composent cette infinie collectivité ; en d'autres termes, de nous donner la grâce de la réconciliation, premièrement en droit et deuxièmement de fait. […]

Or le sentiment chrétien associe Marie à son Fils dans ces deux fonctions. Comme la médiation de Jésus, celle de Marie sera donc aussi double, s'exerçant dans le mystère de la Rédemption et dans la distribution de la grâce. On aurait donc tort de la réduire, comme font certains, à la coopération terrestre à la mission de Jésus, ou, comme le veulent d'autres, à sa fonction céleste de distributrice de la grâce. Ibid., pp. 123-125.

[611] Ibid., pp. 125-126.

[612] Ibid., p. 127.

[613] Ibid., p. 127.

[614] Dans son ouvrage, Emile Neubert reprend l’argumentation patristique bien connue par le parallélisme Eve-Marie. «Saint Paul, en exposant le plan de Dieu dans notre rachat, avait expliqué comment la désobéissance du premier Adam nous avait tous perdus, et comment l'obéissance du nouvel Adam nous sauva tous (Rm 5, 12-21). Mais à côté du premier Adam, il y avait Eve, qui avait été l'instigatrice de la faute de son mari. A côté du nouvel Adam, ne devait-il pas y avoir une nouvelle Eve, jouant un rôle analogue dans notre salut ?

De fait, la pensée chrétienne tira cette conclusion de très bonne heure. Elle se rendit compte du rôle de Marie dans la Rédemption et 1'affirma avec une netteté à laquelle on ne se serait guère attendu à cette époque.[…] Mais c'est surtout saint Irénée qui, […] «Comme Eve, écrit-il, fut, par sa désobéissance, pour elle-même et pour tout le genre humain, une cause de mort, ainsi Marie fut, par son obéissance, pour elle-même et pour tout le genre humain, une cause de salut... Ce que la vierge Eve avait lie par son incrédulite, la Vierge Marie le délia par sa foi... De même que le genre humain a été voué à la mort par une vierge, c'est par une Vierge qu'il est sauvé.»

Ce parallèle entre Eve et Marie sera reproduit par les principaux Pères... «La mort par Eve, la vie par Marie » a écrit saint Jérôme […]

Cependant les Pères ne songent guère à approfondir le rôle de Marie, nouvelle Eve. Ils s'occupent davantage d'inviter les fidèles à s'adresser à elle pour en obtenir toutes les grâces. La croyance en a la distribution de la grâce par Marie avancera plus vite, on le verra, que la croyance en son rôle dans l'acquisition des faveurs célestes. C'est qu'on s'intéresse plus à des questions pratiques, d'utilité personnelle, qu'a leur explication doctrinale. Ce n'est donc guère que la coopération indirecte de Marie à l'œuvre de la Rédemption qu'on contemple pendant la période patristique. Marie dans le dogme 1954, pp. 128-129.

[615] Ibid., p. 131-132. p. 131-132. A cause de l’intérêt des passages d’Albert le Grand choisis par Emile Neubert, nous les reproduisons en note : «Marie n'a pas été choisie par Dieu comme ministre, mais comme associée et comme aide [...] La Bienheureuse Vierge n'est pas vicaire (du Christ), mais coadjutrice et associée […] Participante du règne, elle qui fut participante de la Passion pour le genre humain, quand, tous les ministres et les disciples ayant pris la fuite, elle demeura seule debout sous la Croix et reçut dans son cœur les blessures que le Christ reçut dans son corps ; aussi est-ce alors, que le glaive traversa son âme (Mariale, t. XXXVII, p. 81 B) […] Marie fut la seule à qui ce privilège fut donné, à savoir la communication de la Passion [...] pour que, comme elle était aide de la Rédemption par la compassion, ainsi elle devînt Mère de tous par la nouvelle création ; et comme le monde entier a contracté une obligation envers Dieu à cause de sa Passion, ainsi il a contracté une obligation envers Marie à cause de sa compassion (Mariale, t. XXXVII, p. 81 B). […] Elle mit an monde son Premier-Né sans douleur dans la naissance du Christ, ensuite elle mit au monde tout le genre humain en même temps dans la Passion du Fils, où elle lui fut "aide semblable à lui"(Ibid., t. XXXVII, p. 219 A).»

[616] Ibid., p. 137.

[617] Ibid., p. 139.

[618] «Le Père des miséricordes a voulu que l'acceptation de la mère prédestinée précédât l'Incarnation […] Ainsi Marie, fille d'Adam, acquiesçant au verbe de Dieu, est devenue Mère de Jésus et embrassant de plein cœur , sans être entravée par aucun péché, la volonté salvatrice de Dieu, elle s'est consacrée totalement comme servante du Seigneur à la personne et à l'œuvre de son Fils, toute au service du mystère de la Rédemption en dépendance de son Fils et en union avec lui, par la grâce de Dieu Tout Puissant. C'est donc à juste titre que les Saints Pères estiment que Marie ne fut pas un instrument purement passif dans les mains de Dieu, mais qu'elle coopéra au salut de l'homme dans la liberté de sa foi et de son obéissance. Ainsi Marie, fille d'Adam, acquiesçant au verbe de Dieu, est devenue Mère de Jésus et, embrassant de plein cœur , sans être entravée par aucun péché, la volonté salvatrice de Dieu, elle s'est consacrée totalement comme servante du Seigneur à la personne et à l'œuvre de son Fils, toute au service du mystère de la Rédemption en dépendance de son Fils et en union avec lui, par la grâce de Dieu Tout Puissant. C'est donc à juste titre que les saints Pères estiment que Marie ne fut pas un instrument purement passif dans les mains de Dieu, mais qu'elle coopéra au salut de l'homme dans la liberté de sa foi et de son obéissance.» LG 56.

[619] Marie dans le dogme 1954, p. 140.

[620] LG 57.

[621] Marie dans le dogme 1954, p. 141.

[622] LG 58.

[623] Marie dans le dogme 1954, pp. 141-142.

[624] LG 61.

[625] Marie dans le dogme 1954, p. 143-144. Pour l’intérêt de cette argumentation nous ajoutons le passage qui suit : «Cette opinion a été nettement formulée par saint Albert le Grand, quand il établit que Marie fut choisie par Dieu, non comme ministre, mais comme associée et comme aide, et qu'elle est participante du règne du Christ, parce que participante de sa Passion pour le genre humain que Marie fut la seule à qui fut donné le privilège de la communication à la Passion ; que le monde entier a contracté une obligation envers Dieu à cause de sa Passion et envers Marie à cause de sa compassion. […] Depuis le XVIIe siècle, les auteurs affirment de plus en plus fréquemment que Dieu appela sa Mère à souffrir avec son Fils sur le Calvaire pour lui permettre de contribuer avec Lui à notre rachat. Cette idée paraît clairement dans les textes cités des derniers Papes ; ils enseignent que c'est par Dieu que Marie a été appelée à coopérer avec le Christ en Croix, et ils lui reconnaissent une double fonction distincte : celle de la coopération avec le Christ Rédempteur et celle de la distribution de toutes les grâces, et ils donnent cette dernière clairement comme une conséquence de la première.»

[626] Théodore Koehler, Maria nella vita della chiesa nes sec. XX dal 1914 fino al 1974 (Storia della mariologia – vol. V), Vercelli S.M., 1976.

[627] Bernard Bartmann, Christus ein Gegner des Marien Kultus : Jesus und seine Mutter in den Heiligen Evengelien, Friburgo, Herder, 1909.

[628] F. H. Schuth, Mediatrix, eine mariologische Frage, Innsbruck, 1925.

[629] LG 62.

[630] Marie dans le dogme 1954, pp. 144-145.

[631] Ibid., p. 145.

[632] Ibid., pp. 145-146.

[633] Cf. ST III, q. 46, I, 3, in ibid., p. 146.

[634] Ibid., pp. 144-148.

[635] Ibid., p. 149.

[636] Notre don 1954, p. 197.

[637] Emile Neubert poursuit : «Pour intercéder en leur faveur, elle se contente de regarder Dieu, et son regard parle mieux que ne le ferait aucun plaidoyer. Même ici-bas, entre amis, les yeux sont infiniment plus éloquents que les lèvres. N’en sera-t-il pas de même au ciel ? La mère regarde son Fils d’un sourire de confiante supplication, et à son regard, son fils répond par un sourire d’amoureux acquiescement.» Ibid., p. 159.

[638] Ibid., p. 161.

[639] Marie dans le dogme 1954, p. 163.

[640] Ibid., p. 164.

[641] Ibid., p. 165.

[642] Ibid., p. 171.

[643] Ibid., p. 176.

[644] Ibid., p. 181.

[645] Emile Neubert commente : «[…] car, par cette irrésistible attirance maternelle qu’elle exerce sur tout homme qui la contemple dans la simplicité de son cœur , elle s’empare de l’âme pour l’emmener infailliblement au Christ. L’expérience le montre : ceux-là s’approchent de plus près, et avec le plus de confiance et d’amour, de leur unique Médiateur, qui vont à lui conduits par la main de l’universelle Médiatrice ; ceux qui, pour chercher le Christ, prennent la voie que lui-même a prise pour nous chercher, la voie immaculée de Marie. Parce que Marie est Médiatrice, Jésus est plus efficacement Médiateur.» Ibid., p. 182.

[646] 2P 1,4.

[647] Ga 2,20.

[648] Phi, 1,21.

[649] Marie dans le dogme 1954, p. 85.

[650] Vie, pp. 182-183.

[651] Collectif, Traduction œcuménique de la Bible, Cerf, Paris, 1972, n° h, note du verset 25 en Saint Jean, p. 346.

[652] Bernard Gillard, Marie…que dit de toi l’Ecriture, Salvator, Mulhouse, 1980, pp. 52-53.

[653] Marie dans le dogme 1954, pp. 90-91.

[654] Ibid., p. 90.

[655] Ibid., p. 91.

[656] Emile Neuber précise : «L’idée existe avant le mot. La remarque présente une importance spéciale au sujet de la maternité spirituelle de Marie. Il ne faudrait pas croire qu’on n’y a cru qu’à partir du moment où le nom de Mère a été donné à la Vierge dans ses relations avec les hommes. Quelle est l’idée exprimée par le mot «mère» ? Celle d’une femme qui donne la vie à un être humain. Nous avons donc à chercher, non pas seulement quand les chrétiens se sont avisés d’appeler Marie leur Mère, mais quand ils ont commencé à s’apercevoir qu’elle leur avait, de quelque façon, donné la vie surnaturelle.» Ibid., pp. 85-86.

[657]. Emile Neubert commente : «Il est un autre texte de saint Irénée qui contient une affirmation plus explicite de la maternité spirituelle de Marie, avec déjà, sinon le mot "mère", du moins un mot équivalent. Il écrit, en effet : "Ceux qui le proclamaient l'Emmanuel [né] de la Vierge (ex Virgine Emmanuel) manifestaient l'union du Verbe de Dieu avec sa création car le Verbe sera chair, et le Fils de Dieu, Fils de l'homme (pur ouvrant purement le sein pur, le sein qui fait renaître les hommes en Dieu, que lui-même a fait pur), et devenu ce que nous sommes, il est le Dieu fort et a une génération inénarrable." (Adv. Haer., IV, 33, PG 7, 1080.) Le sein de Marie donne donc une nouvelle naissance aux hommes. L'affirmation est d'autant plus claire que, dans la pensée d'Irénée, notre nouvelle naissance a déjà commencé dans l'Incarnation. "Dans les derniers temps, le Seigneur nous a rétablis dans son amitié par son Incarnation." (Adv. Haer., V, 23, 2, P.G. 7, 1850.)

Ce texte, à lui seul ne dit pas si le rôle de Marie dans notre nouvelle naissance s'est réduit à cet acte purement physique. Mais d'autres textes de l'évêque de Lyon nous montrent la Vierge comme réparant la faute d'Eve, nous sauvant par sa foi et son obéissance. Elle a donc joué un rôle conscient, libre et méritoire dans notre nouvelle naissance et est vraiment notre Mère surnaturelle.» Ibid., pp. 92-93

[658] Emile Neubert commente en note : «Dans ce sein pur qui donne une nouvelle naissance aux hommes, on a voulu ne voir que l'Eglise, qui, par le baptême et la profession de foi qui l'accompagne, nous fait naître a la nouvelle vie (Hugo Rahner, Die Gottesgeburt, Zeitschrift für Katholische Theologie, 1935, pp. 344 ss., et ses disciples). Mais si on compare ce texte avec un autre texte situé deux pages plus haut dans le même chapitre, on voit clairement qu'il est directement question du sein de Marie. Ce premier texte parle des Ebionites qui ne peuvent être sauvés parce qu'ils ne croient pas à la nouvelle naissance qui est celle par la Vierge (l'Incarnation). Or, toutes les parties du second texte correspondent à celles du premier texte, et en particulier le sein qui fait naître les hommes en Dieu correspond à la naissance par la Vierge. Surtout si on se rappelle le rôle qu'Irénée assigne à l'Incarnation du Verbe dans le sein de la Vierge Marie, par rapport à notre nouvelle naissance, on ne peut douter que l'auteur a bien Marie en vue en parlant du sein qui fait renaître les hommes en Dieu.

Ce qu'on peut accorder comme vraisemblable, étant donne qu'Irénée emploie souvent les expressions "nouvelle naissance", "faire renaître", à propos du baptême et de la profession de foi, c'est que cette naissance nouvelle dans le sein de la Vierge Marie l'a fait songer à notre naissance dans 1'Eglise. L'idée de 1'Eglise vierge-mère, de Marie, figure de 1'Eglise, était familière aux chrétiens des premiers siècles.» Adv. Haeres., IV, 33, PG 7, 1080. Note citée in Marie dans le Dogme 1954, p. 92.

[659] Ibid., p. 93. Emile Neubert commente : «Dans son commentaire de l'Evangile selon saint Jean, il écrit, en effet : Voici le premier des Evangiles, l'Evangile livré par Jean. Nul homme ne comprend cet Evangile, s'il n'a reposé sur la poitrine de Jésus ou n'a reçu de Jésus Marie qui doit aussi devenir sa Mère. Il est nécessaire que celui qui doit devenir un autre Jésus soit si grand que Jésus ait montré de lui aussi qu'il est Jésus. Car il n'y a pas d'autre Fils de Marie que Jésus, et Jésus dit a sa Mère : "Voici ton fils", et non "Voici que celui-ci est aussi ton fils." En effet, tout chrétien parfait ne vit plus lui-même, c'est le Christ qui vit en lui. Et puisque le Christ vit en lui, Marie s'entend dire "Voici ton fils, le Christ" PG 14, 32 AB.»

[660] Ibid., p. 94. Emile Neubert précise : «C'est chez Epiphane, évêque de Salamine, un saint qui professait une grande admiration et vénération pour la Mère de Jésus. Il se demande comment Eve a pu être appelée "Mère des vivants" après son péché. Et il explique : Eve, Mère de tout le genre humain, préfigurait Marie et ce nom doit proprement s'appliquer à celle-ci car c'est vraiment par Marie que la vie a été engendrée pour ce monde, pour qu'elle engendre le Vivant et soit la  Mère des vivants.» Adv. Haer., 78, 18, PG 42, 728.

[661] Emile Neubert ajoute : «Au Ve siècle, nous rencontrons un texte souvent cité de saint Augustin sur Marie, Mère du Christ et notre Mère. Dans le De sancta virginitate (C. 5 et 6 : PL 60, 398), il explique : "Marie seule, entre les femmes, est Mère et vierge, non seulement selon l'esprit, mais encore selon la chair. Selon l'esprit, elle n'est pas Mère de notre Chef, le Sauveur Jésus, dont elle est plutôt née spirituellement... mais elle est Mère de ses membres que nous sommes. Car elle a coopéré par sa charité à la naissance des fidèles dans l'Eglise, [des fidèles] membres de ce Chef. Suivant le corps, c'est du Chef même qu'elle est Mère."

Le texte semble on ne peut plus clair. Mais le contexte montre qu'Augustin reconnaît la même maternité spirituelle à toutes les vierges chrétiennes qui, "par leur charité féconde, enfantent les membres du Christ". Il répond, en effet, à l'objection que les mères l'emportent sur les vierges consacrées par leur fécondité, et il prouve qu'aux vierges aussi appartient une vraie fécondité, une fécondité spirituelle. Il ne parle donc pas ici de cette maternité à part que nous reconnaissons à Marie, à cause de sa coopération aux mystères de l'Incarnation et de la Rédemption. Il est vrai qu'il ne l'exclut pas non plus, et sans doute que, si les circonstances l'avaient amené à expliquer cette charité de Marie, il aurait parlé de sa coopération unique à l'œuvre de son Fils. Toujours est-il que, si une maternité spirituelle à part en Marie est dans la logique de la pensée d'Augustin, elle n'est pas exprimée dans ses paroles.» Ibid., pp. 94-95.

[662] Ibid., p. 96.

[663] Emile Neubert commente : «Rupert de Deutz, mort vingt ans après Anselme, fait un pas de plus dans l'intelligence de ce mystère, et un pas décisif. Il le rattache à la coopération de Marie, non seulement à l'Incarnation, mais aussi à la Rédemption. A propos de la scène du Calvaire, il dit qu'en ce moment la Vierge souffrait de vraies douleurs d'enfantement. Puis, rapportant la parole de Jésus à Marie et à Jean, il demande "De quel droit Jean est-il le fils de la Mère du Seigneur, et elle sa Mère ?" Il répond que, si dans l'Incarnation, Marie a enfanté son Fils sans douleur, maintenant, à côté de la Croix, elle souffre de grandes douleurs d'enfantement. "Elle est vraiment femme, elle est vraiment Mère, elle endure à cette heure les vraies douleurs de son enfantement [...] Son heure est venue en vue de laquelle [...] Dieu s'est fait homme dans son sein. En conséquence, puisque la bienheureuse Vierge a vraiment, au milieu des douleurs de l'enfantement, mis au monde le salut de nous tous, elle est évidemment la Mère de nous tous." PL 419, 789-790.

L'Abbé Rupert est le premier auteur connu qui ait interprété la scène rapportée par Jean dans le sens d'une maternité universelle. Le comment de la maternité spirituelle de Marie au Calvaire, il ne le marque pas très clairement.» Ibid., pp. 98-99.

[664] Emile Neubert poursuit : «Albert le Grand est plus explicite. D'après lui, Marie nous a mérité notre vie surnaturelle avec le Christ et en subordination au Christ. Il enseigne clairement comment Marie devint, par sa coopération à la Rédemption, la Mère de tous les hommes. "Au temps de la Passion, écrit-il, quand la Mère de miséricorde assista le Père des miséricordes dans une opération de suprême miséricorde, et endura avec lui les douleurs de la Passion (car le glaive perça son âme), et participante de la Passion, elle devint coopératrice de la Rédemption et Mère de la nouvelle naissance ; c'est pourquoi à cette heure, à cause de la fécondité spirituelle qui la fit la Mère spirituelle de tout le genre humain, elle fut a juste titre appelée "femme" ; ce n'est pas sans un enfantement douloureux qu'elle nous a tous appelés et ré-enfantés à la vie éternelle dans le Fils et par le Fils." Mariale, q. 29, par. 3, t. 37, 62 AB.» Ibid., pp. 99-100

[665] Emile Neubert précise : Au début du XIXe siècle, un autre grand serviteur de Marie, le P. G.-J. Chaminade, crut devoir insister davantage encore sur les fondements de la maternité spirituelle de Marie. […] D'où la nécessité, pour le P. Chaminade, de bien faire comprendre à ses disciples comment, dans le Christ, ils étaient vraiment enfants de Marie. II creusa, en conséquence, la doctrine de la maternité spirituelle de la Vierge, et l'exposa avec une clarté, une ampleur et une force de conviction avec lesquelles on n'avait jamais, ce semble, traité la question avant lui. Les précisions doctrinales que nous allons donner sur la maternité spirituelle de Marie, on les trouve déjà presque toutes chez lui dans ses écrits. Ibid., pp. 101-102.

[666] Emile Neubert souligne : «Pie X, dans l'encyclique Ad diem illum (2 février 1904), publiée à 1'occasion du jubilé de 1'Immaculée Conception, a non seulement affirmé devant l'univers la doctrine de la maternité spirituelle de Marie, mais en a fourni en même temps un exposé qui, sans prétendre être complet ni traiter la question ex professo, est, dans sa concision, d’une force remarquable. Nous le reproduisons ici. […] «Marie n'est-elle pas Mère de Dieu ? demande le Pape, et il conclut elle est donc aussi notre Mère.

[…] Or, la Vierge n'a pas seulement conçu le Fils de Dieu afin que, recevant d'elle la nature humaine, il devînt homme, mais encore afin qu'il devînt, moyennant cette nature reçue d'elle, le Sauveur des hommes. Ce qui explique la parole des anges aux bergers : Un Sauveur vous est né, qui est le Christ, le Seigneur (Lc 2, 2).

«Aussi, dans le chaste sein même de la Vierge, où Jésus a pris une chair mortelle, il s'est adjoint un corps spirituel, formé de tous ceux qui devaient croire en lui : et 1'on peut dire que, tenant Jésus dans son sein, Marie y portait encore tous ceux dont la vie du Sauveur renfermait la vie. «Nous tous donc qui, unis au Christ, sommes, comme parle l'Apôtre, les membres de son corps issu de sa chair et de ses os (Ep 5, 3), nous devons nous dire originaires du sein de la Vierge, d'où nous sortîmes un jour a l'instar d'un corps attaché a sa tête.

C'est pour cela que nous sommes appelés, en un sens spirituel à la vérité et toute mystique, les fils de Marie, et qu'elle est, de son côté, notre Mère à tous, Mère selon l'esprit, Mère véritable néanmoins des membres de Jésus-Christ, que nous sommes nous-mêmes.» […] Et dans 1'encyclique Lux veritatis, dans laquelle Pie XI rend compte de l'immense portée du Concile d'Ephèse, il réaffirme la maternité de Marie par rapport aux hommes et en indique le fondement. «Ce qui est pour nous, dit-il, la cause d'une joie, d'une douceur toute particulière, c'est que la Mère de Dieu, par le fait qu'elle a enfanté le Rédempteur du genre humain, est aussi, en un certain sens, la très bénigne Mère de nous tous que le Christ Notre-Seigneur a voulu avoir comme frères (Act. AV. Sed., XXIII, p. 514.)

Enfin, dans 1'épilogue de l'encyclique sur le Corps Mystique du Christ, le Pape Pie XII rappelle que, par sa coopération à la Passion, « celle qui corporellement était la Mère de notre Chef, était devenue spirituellement la Mère de tous ses membres par un nouveau titre de souffrance et de gloire. (Ibid., XXXV, pp. 247 ss.)"» Marie dans le dogme, pp. 102-105.

[667] Ibid., p. 106.

[668] Ibid.

[669] Ibid., p. 107.

[670] Ibid., p. 108.

[671] Ibid., p. 109.

[672] Ibid., p. 110. Emile Neubert ajoute : «La coopération de Marie à la Rédemption fut non moins consciente et réelle que sa coopération à l'Incarnation. Par suite, de même que notre régénération spirituelle, inaugurée dans le mystère de l’Incarnation, reçut son achèvement dans celui de la Rédemption, ainsi la maternité spirituelle de Marie, qui commença dans le premier mystère, se compléta dans le second à Nazareth, Marie nous conçut ; au Calvaire, elle nous enfanta. Et celle qui, toujours vierge, ne connut que la joie Bans la naissance de son Premier-né, endura les angoisses les plus mortelles dans l’enfantement de ses autres enfants.»

Nous avons vu que, depuis l'Abbé Rupert et surtout Albert le Grand, c'est sur la corédemption de Marie que les auteurs se fondent de préférence, comme sur sa base immédiate, la maternité spirituelle. Les témoignages des papes Léon XIII et Pie XII cités plus haut corroborent cette vue.

[673] Ibid.

[674] Ibid., pp. 111-112.

[675] Ibid.

[676] Ibid., p. 119.

[677] Ibid., p. 119-120.

[678] Ibid., p. 121.

[679] Ibid., p. 81.

[680] Ibid., p. 83.

[681] Ibid., pp. 83-85.

[682] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 257. Emile Neubert cite Origène, puis Eusèbe : «"Origène nous apprend en effet qu’on montrait à Bethléem la grotte où Jésus était né, et dans la grotte, la crèche où il fut placé, entouré de langes." Origene, c. Cels., I, 51 ; I, 102. "Et Eusèbe raconte que le lieu de la naissance humaine du Sauveur était renommé, et que, pour cette raison, la très pieuse impératrice l’enrichit de monuments remarquables et orna magnifiquement la grotte sacrée de l’enfantement de la Mère de Dieu qui s’y trouvait." Eusebe, Vie de Constantin, III, 41 ; p. 95. Or on sait que les églises bâties sous Constantin s’élevaient en général au dessus des lieux qui avaient été précédemment l’objet d’un culte.

[683]Emile Neubert ajoute : «L’homélie de Grégoire le Thaumaturge sur la Nativité du Christ le montre déjà clairement ; dans la période suivante, les livres de saint Ephrem et des premières fêtes de la Vierge le prouveraient à l’évidence.» Ibid., p. 258.

[684] Ibid.

[685] Un article paraît en 1919 dans la revue Marianiste de cette époque : E. Neubert «Mary in the Paintings of the Roman Catacombs», in L'Apôtre de Marie, Nivelles, 1919, 2, 1.

[686] Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 260-261. Emile Neubert retient le sermon sur la naissance du Christ, mais fait un travail critique sur l’authenticité d’une autre œuvre. «L’homélie sur La sainte Mère de Dieu toujours Vierge, publiée par Conybeare dans l’Expositor, 1896, p. 161, attribuée à Grégoire par Conybeare et regardée par Bardenhewer comme pouvant être authentique (Gesch. Der Altchr. Lit., II, 285) n’est certainement pas de Grégoire. Ce ne sont pas ses pensées ni son style.»

[687] Ibid., pp. 265-266.

[688] Marie dans le dogme 1954, p. 12.

[689] La dévotion, p. 46.

[690] Ibid., p. 48.

[691] Notre Mère, pp. 80-81.

[692] Raymond Halter, Le disciple la prit chez lui - La consécration à Marie, De Guibert, Paris, 1992.

[693] Emile Neubert ajoute : «Si c’est l’amour filial qui a provoqué cette consécration, à son tour il en reçoit un singulier accroissement. C’est que l’amour s’intensifie par les dons qu’il fait ; et quand ces dons comprennent toutes les possessions du donateur, et jusqu’à sa vie, quelle perfection n’atteindra-t-il pas ?» La doctrine, pp. 44-45.

[694] Nous sommes au milieu du XXe siècle. Dans l’esprit de cette époque, un ouvrage de René Laurentin est paru sur Marie, l’Eglise et le sacerdoce, 1953, fruit de son travail de thèse de doctorat.

[695] Théodore Koehler, Maria nella vita della chiesa nel sec. XX dal 1914 fino al 1974 (Storia della mariologia – vol. V), Vercelli S.M., 1976, pp. 200-201.

[696] «L’œuvre de l’Abbé Laurentin est l’une des plus solides et fondamentales publiée en cette ère mariale : une vraie pierre précieuse dans l’histoire de la mariologie». Gabriel Maria Roschini, in Marianum 17, 1955, p.281 (recension de la thèse de René Laurentin).

[697] Marie et notre sacerdoce, p. 112.

[698] Vie, p. 53. Emile Neubert poursuit : «Joie de Marie infiniment plus douce de constater comment, par sa présence, par le son de sa voix, elle aidait son Fils à purifier et à sacrer le plus grand des prophètes.»

[699] Marie dans le dogme 1954, p. 188.

[700] Ibid., pp. 189-193.

[701] Ibid., p. 191.

[702] Ibid.

[703] Ibid., p. 195.

[704] Ibid., p. 196.

[705] Ibid., p. 197

[706] Ibid., p. 197.

[707] Ibid., p. 198.

[708] Emile Neubert ajoute : «A côté de l’Agneau immolé, Marie reste son Associée dans l’immolation pendant toute l’éternité. Le prêtre doit renouveler le sacrifice eucharistique tous les jours, et ce sacrifice prendra fin à la fin des temps.» Ibid., p. 199.

[709] Mariale, q. 42, t. 37, 81 B, cité in Marie dans le dogme 1954, p. 200.

[710] Emile Neubert commente : «La femme est appelée à cultiver, parfois à créer dans l’homme le sens de la délicatesse, de la douceur, de la mesure, du dévouement. Cela est vrai ; mais ce que fait pour l’homme marié celle qui partage son existence, sa Mère céleste le fait, mais d’une manière immensément plus parfaite et plus efficace, pour le prêtre qui vit dans l’union constante avec elle. Elle lui communique ce sens de la délicatesse, du tact, de la compassion, de l’oubli de soi, du sacrifice total, que seule une mère, la plus parfaite des mères, peut donner.» Marie et notre sacerdoce, p. 146-147.

[711] Mais la dimension d’amour sponsal de l’Eglise n’apparaît pas, comme n’apparaît pas non plus la dimension d’amour sponsal de la vocation du prêtre. La réflexion de notre auteur est en fait insérée dans un chapitre entier consacré à la pureté sacerdotale (soulevant la question de la chasteté dans le célibat). Il renvoie le prêtre aux exigences liées à son état : exprimées en termes de modestie, défiance de soi face à sa nature corrompue et face à la recherche de consolation venant des «femmes malheureuses».

[712] Emile Neubert continue de citer Clément d’Alexandrie qui poursuit : «De lait, cette mère seule n’en eut pas, parce que seule elle ne devint pas femme, étant à la fois vierge et mère, intacte comme vierge, aimante comme mère ; elle appelle à elle ses petits enfants et les nourrit d’un lait saint, du Verbe fait petit enfant. Paed., 6 ; I, p. 115.» Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 228.

[713] Marie dans le dogme 1954, p. 225.

[714] Jean-Paul II déclare : «Mon vénéré prédécesseur Pie XII, dans l'Encyclique Ad coeli Reginam à laquelle se réfère le texte de la Constitution Lumen Gentium, indique comme fondement de la royauté de Marie, outre sa maternité, sa coopération à l'œuvre de la Rédemption. L'encyclique rappelle le texte liturgique "Sainte Marie, Reine du Ciel et Souveraine du monde, se tenait debout, dans la douleur, près de la Croix de notre Seigneur Jésus-Christ" (AAS 46 [1954] 634). Elle établit ensuite une analogie entre Marie et le Christ, qui nous aide à comprendre la signification de la royauté de la Vierge. Le Christ est roi non seulement en tant que Fils de Dieu, mais aussi en tant que Rédempteur. Marie est reine non seulement parce qu'elle est Mère de Dieu, mais aussi parce que, associée comme nouvelle Eve au nouvel Adam, elle coopéra à l'œuvre de la Rédemption du genre humain (AAS 46 [1954] 635).

   Dans l'Evangile de Marc, nous lisons qu'au jour de l'Ascension le Seigneur Jésus "fut enlevé au Ciel et s'assit à la droite de Dieu" (Mc 16, 19). Dans le langage biblique, "siéger à la droite de Dieu" signifie en partager le pouvoir souverain. En siégeant "à la droite du Père", il instaure son Règne, le Règne de Dieu. Elevée au Ciel, Marie est associée au pouvoir de son Fils et se consacre à l'extension du Royaume, participant à la diffusion de la grâce divine dans le monde.

   Si nous regardons l'analogie qui existe entre l'Ascension du Christ et l'Assomption de Marie, nous pouvons conclure que, en dépendance du Christ, Marie est la reine qui possède et exerce sur l'univers une souveraineté qui lui a été donnée par son Fils lui-même. Le titre de Reine ne remplace certes pas celui de Mère, sa royauté demeure un corollaire de sa mission maternelle particulière et exprime simplement le pouvoir qui lui a été conféré pour accomplir une telle mission.

   En citant la Bulle Ineffabilis Deus de Pie IX, le Souverain Pontife Pie XII met en évidence cette dimension maternelle de la royauté de la Vierge "Ayant pour nous une affection maternelle et assumant les intérêts de notre salut, elle étend sa sollicitude à tout le genre humain. Etablie par le Seigneur Reine du Ciel et de la terre, élevée au-dessus de tous les choeurs des anges et de toute la hiérarchie céleste des saints, siégeant à la droite de son Fils unique, notre Seigneur Jésus-Christ, elle obtient audience par la puissance de ses supplications maternelles, elle reçoit tout ce qu'elle demande et n'éprouve jamais de refus." (AAS 46 [1954] 636-637).»

[715] Marie dans le dogme 1954, p. 232.

[716] Ibid.

[717] Ibid., p. 234.

[718] Emile Neubert a rencontré Frank Duff, ce pieux laïc de Dublin et échangé avec lui toute une correspondance pour l’encourager dans cette mission. A plusieurs reprises il mentionne la légion de Marie comme un exemple phare de la mise en œuvre de la mission de Marie dans le monde.

[719] Marie dans le dogme 1954, p. 236.

[720] Emile Neubert poursuit : «Reine de l’Eglise triomphante et de l’Eglise militante, Marie l’est aussi de l’Eglise souffrante. Aux âmes qui expient dans le Purgatoire, ses enfants, elle apporte consolation, soulagement, délivrance. Directement, en particulier sans doute à l’occasion des fêtes. Indirectement aussi, en suggérant aux fidèles sur terre de leur venir en aide par leurs prières, leurs sacrifices, et l’oblation du saint Sacrifice ; à certains d’entre eux, aux plus généreux, de lui abandonner tous leurs mérites expiatoires en faveur de ces pauvres prisonniers ; à plusieurs d’entrer dans des associations fondées pour leur soulagement. Ibid., pp. 237-238.

Quant au démon, Dieu l’a constitué leur grand adversaire dès le paradis terrestre, en annonçant à Satan […] que la femme lui écraserait la tête. L’orgueil de Satan […] semble redouter tout particulièrement la présence de l’humble Fille de Nazareth que Dieu a élevée au dessus des esprits les plus sublimes, parce qu’elle a reconnu son néant et a prononcé en toute simplicité son ecce, fiat !»

[721] Ibid., p. 238.

[722] Notre don, p. 180.

[723] Archives Générales Marianistes (AGMAR), RSM 113.

[724] Marie dans le dogme 1954, p. 201.

[725] Emile Neubert précise : «L'Evangile nous raconte comment, parmi ses disciples, Notre-Seigneur en choisit douze, qu'il appela apôtres, c'est-à-dire envoyés (Mc 3, 4-5 ; Mt 10, 1-2). Ces Douze devaient l'aider dans la mission en vue de laquelle lui-même avait été envoyé dans le monde : "Comme mon père m'a envoyé, leur dit-il, ainsi je vous envoie (Jn 20, 21)." Tout pouvoir m'a été donne au ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toute les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant a pratiquer tout ce que je vous ai commandé. Et voici que je suis avec vous toujours jusqu'à la consommation des siècles» (Mt 28, 16-20).

La mission de tout apôtre est donc, comme celle du Christ, d'arracher les âmes à Satan, de les sanctifier et de les sauver. L'idée d'un apôtre comprend donc deux éléments I° Etre envoyé par le Christ ; 2° Au nom et avec le pouvoir du Christ, travailler à convertir et à sanctifier les hommes.» Ibid., pp. 201-220

[726] Emile Neubert commente : «Du point de vue de l'activité apostolique directe, qui consiste à faire vivre l'âme de la vie du Christ, et non du point de vue du sacerdoce ou du gouvernement, qui ne sont que des moyens - pas toujours efficaces - en vue de cette action apostolique.» Ibid., note 2, p. 202.

[727] Emile Neubert ajoute : «Par la mission apostolique de Marie, on entend la fonction confiée a Marie par son Fils de l’aider jusqu’à la fin des siècles à libérer de l’esclavage du démon, à sanctifier et à sauver toutes les âmes qui viennent en ce monde.

On verra que cette mission de Marie est une mission apostolique unique. Elle différera de celle de tous les autres apôtres d'abord par son universalité. L'action de n'importe quel autre apôtre est limitée quant à l'espace et quant au temps : celle de Marie s'étendra à tous les temps et a tous les lieux ; elle sera universelle comme celle du Christ. Elle en différera tout autant par son rang : ce sera une mission de chef ; la leur est une mission de subordonnés.» Ibid., p. 203.

[728] Emile Neubert ajoute : «On s'attendra donc naturellement à la voir aussi appelée à une grande, une universelle, une unique mission apostolique. De fait, l'Ecriture attribue à Marie une activité auprès des âmes qui se présente sous la forme d'un apostolat. Dès ses toutes premières pages, l'Ecriture contient une prophétie claire de cette mission de la Vierge, dans la malédiction proférée par Dieu contre Satan : "Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta race et sa race ; elle te meurtrira la tête et tu la meurtriras au talon." (Gn 3, 15) Si ce texte a pu être invoqué à juste titre comme preuve de l'Immaculée Conception, il établit tout aussi clairement le rôle victorieux de Marie en général. L'Immaculée Conception n'est qu'un moment, solennel entre tous, de sa lutte contre le Serpent. Cette lutte elle-même n'est pas prédite comme devant se réduire à un moment. Au contraire, il s'agit d'une inimitié, donc d'un état durable, et cette inimitié s'étend de la Femme et du serpent à la postérité de l'une et de l'autre. Du reste, la dernière partie de la prophétie, «tu la meurtriras au talon», ne s'est pas réalisée dans l'Immaculée Conception, mais plus tard, dans la Passion du Christ et dans les défaites partielles de l'Eglise.» Ibid., pp. 202-203.

[729] Vu le caractère synthétique de ce texte, nous le reproduisons intégralement : «Ce que l'Ancien Testament nous avait fait pressentir sous son imagerie orientale, le Nouveau en laisse entrevoir la réalisation. Il nous raconte comment Marie posa librement et consciemment un acte apostolique à portée infinie, un acte d’où allait découler tout l'apostolat futur et qui nous donna l'Apôtre par essence, Jésus-Christ. II nous fait voir ou deviner l'action de Marie auprès des principaux d'entre ceux qui allaient participer à l'apostolat de Jésus. C'est par la visite de Marie que fut sanctifié et oint du Saint-Esprit le plus grand des prophètes, celui qui devait marcher devant le Seigneur pour lui préparer les voies. C'est près de Marie que les bergers de Bethléem devinrent les premiers apôtres du Messie auprès des Juifs ; et les mages, auprès des Gentils. C'est en recevant le Divin Enfant des bras de Marie que les prophètes du Temple, Siméon et Anne, proclamèrent devant les âmes pieuses de Jérusalem l'apparition du Christ tant attendu ; c'est le miracle obtenu par Marie à Cana qui confirma la foi des cinq premiers apôtres. C'est à Marie que Jésus mourant confia celui qui représentait les douze apôtres et les apôtres de tous les temps ; enfin, c'est après leur retraite faite en union avec Marie que les Douze reçurent le Saint-Esprit qui consommait leur formation apostolique et les envoyait dans l'univers, puissants en paroles et en œuvres.» Ibid., p. 205.

[730] Les chrétiens des premiers siècles gardèrent le sentiment de la mission de Marie dans l'Eglise, comme l'atteste, par exemple, le récit de Grégoire de Nysse dans lequel le saint raconte l'apparition de la Vierge à saint Grégoire le Thaumaturge, pour lui faire donner, par saint Jean, le symbole de la foi orthodoxe. Cf. PG 57, p. 992.

[731] A cause de la beauté de cette méditation nous la reproduisons partiellement : «Honneur et gloire a toi, ô sainte Trinité, qui nous as conviés à cette fête ! Honneur à toi aussi, sainte Mère de Dieu ! […] Par toi la Trinité est vénérée, par toi la croix précieuse est célébrée et adorée dans l'univers entier. Par toi le ciel exulte, les anges et les archanges se réjouissent, les démons sont mis en fuite et l'homme lui-même est rappelé au ciel. Par toi toute créature, plongée dans les ténèbres de l'idolâtrie, est amenée à la connaissance de la vérité, les croyants sont arrivés au saint baptême et dans tout l'univers se sont élevées des églises. Par ton aide, les nations viennent à la pénitence. Quoi encore ? Par toi le Fils de Dieu unique, lumière véritable, a brillé devant ceux qui sont assis dans les ténèbres et à l'ombre de la mort. Par toi les prophètes ont prédit, les apôtres ont prêché le salut aux peuples. Qui pourra énumérer toutes tes grandeurs, ô Marie, Mère et Vierge.» PG 67, 992, cité in Marie dans le Dogme1954, pp. 206-207.

[732] Ce texte ayant été repris par saint Bernard et d’autres auteurs, il vaut la peine d’en recevoir la présentation par Emile Neubert : «Dans ce panégyrique, le grand défenseur de la Maternité divine mêle les merveilles accomplies par Marie pendant la vie du Rédempteur et celles qu'elle opère depuis sa mort. C'est qu’en fait, ces merveilles sortent de la même source : la coopération de Marie à notre Rédemption. Les Pères et les écrivains ecclésiastiques des siècles suivants donnent à Marie les titres les plus variés et les plus curieux, plusieurs intraduisibles dans leur concision énergique, pour exalter l'universalité et la toute-puissance de son action en faveur des âmes. Ils l'appellent la terreur des démons, la destructrice de l'enfer, notre bouclier de défense, la protection du monde, la force du peuple chrétien, notre unique remède, la guérison de la misère humaine, notre ancre, notre asile, notre avocate, la patronne des pécheurs, le retour des égarés, la solution de toutes les questions.» Marie dans le dogme 1954, p. 207.

[733] Ibid., pp. 208-209. Sensible à la piété populaire Emile Neubert va jusqu’àu bout de son analyse par cette réflexion qui n’a pas perdu de son actualité si nous considérons l’appel des papes Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI à réciter le Rosaire : «C'est du reste un fait facile à constater que les milieux où la dévotion à Marie est en honneur, par exemple par la fidélité à réciter le Rosaire, la foi est restée ferme et active, tandis que chez les catholiques où cette dévotion est peu estimée, il n'y a plus guère qu'un christianisme de surface, gardant certaines pratiques extérieures avec des mœurs à peine meilleures que celles des incroyants qu' ils coudoient, et grand danger pour leurs enfants de perdre leur foi tout à fait.»

[734] Ibid., pp. 211-212.

[735] Ibid., p. 217. Benoît XV, à l'occasion du premier centenaire de la société de Marie, écrivait au T. R. P. Hiss, Supérieur général de cette Société, une lettre qui est comme l'approbation des vues du P. Chaminade au sujet de l'apostolat marial. «Ce n'est pas sans une disposition divine, y déclare-t-il, que M. Chaminade s'en alla en exil à Saragosse. Là, visitant le sanctuaire de notre auguste Souveraine, il comprit le dessein de la miséricorde divine de ramener sa patrie à Jésus par Marie. Et sentant, sans ombre d'hésitation, qu'une part importante lui était réservée dans cet apostolat, il se prépara à cette mission aux pieds de l'auguste Image, par la méditation et la prière. Ce n'est pas en effet, une vaine louange qu'on décerne à Marie par le titre de Reine des apôtres mais de même qu'elle assista, par son aide et ses conseils, les apôtres, éducateurs de l'Eglise naissante de même, il faut l'affirmer, elle assiste à tout jamais les héritiers de l'office apostolique qui s'efforcent dans l'Eglise adulte, ou de préparer des conquêtes, ou de réparer des désastres.» AAS, 1921, 173.

[736] Emile Neubert précise :«Qu'on se rappelle les supplications adressées à la Vierge avant les victoires de Lépante (1571), de Vienne (1683), de Peterwardein (1716), et les fêtes du Saint Nom de Marie et du Rosaire instituées à ces occasions. Celles de Notre-Dame de la Merci et de Marie Secours des chrétiens ont été instituées pour des raisons analogues ; l'Eglise a approuvé la messe et l'office de "Marie, Reine des apôtres"». Ibid., p. 215.

[737] Ibid., p. 220.

[738] Emile Neubert précise : «En elle, maternité et action apostolique se confondent : toute sa maternité s’exerce par son action apostolique et toute son action apostolique se rapporte à sa maternité.» La mission, p. 191.

[739] Emile Neubert commente : «Affirmer l'universelle mission apostolique de Marie dans le monde, qu'est-ce sinon affirmer que Dieu est fidèle et constant à l'égard de sa Mère, que "ses dons et ses vocations sont sans repentance", qu'il continue à la Corédemptrice la mission qu'il lui avait confiée en l'associant à l'œuvre de son Fils ?» Marie dans le dogme 1954, p. 221.

[740] Emile Neubert précise : «Sa maternité consiste tout entière à donner la vie surnaturelle : ou elle nous fait vivre de la vie du Christ, - en d'autres termes, elle est apôtre, - ou elle n'est pas mère. Si donc Dieu a voulu que ce titre de Mère des hommes fût une réalité et non un vain mot, il a nécessairement confié à Marie une universelle mission apostolique.» Ibid., p. 222.

[741] Emile Neubert ajoute : «Ou il faut lui attribuer une mission suréminemment apostolique ou il faut nier sa maternité spirituelle. Etre mère de Jésus et de nous, c’est toute la raison d’être de Marie. C’est aussi toute la raison d’être de ses autres fonctions. Elle n’est pas mère parce qu’elle a été appelée à être corédemptrice et distributrice de toutes les grâces, mais elle est corédemptrice et distributrice de toutes les grâces parce qu’elle a été appelée à être Mère.» La mission, p. 192.

[742] Marie dans le dogme 1954, p. 223.

[743] Emile Neubert commente : «Elle soumet les esprits à Jésus en leur faisant comprendre, aimer et professer ses enseignements ; elle lui soumet leurs volontés en portant les hommes doucement, maternellement, mais très efficacement à pratiquer ses commandements, même les plus difficiles, comme celui de la pureté et celui du pardon des injures.» La mission, p. 192.

[744] Ibid., p. 194, note 2.

[745] Emile Neubert précise : «Par ailleurs, le domaine de cette action est le même pour la Mère et pour le Fils. Il n’y a pas un domaine réservé à Jésus et un autre, moindre, réservé à Marie. Tout l’apostolat chrétien s’exerce à la fois par Jésus et par Marie ; ici comme dans ses autres fonctions, Marie est la socia Christi, participant à l’action du Christ selon sa condition de femme et de mère et tirant son efficacité de celle de son Fils.» Ibid., p. 194.

[746] Marie dans le dogme 1954, pp. 223-224.

[747] La mission, p. 212.

[748] Ibid., pp. 212-214. Emile Neubert ajoute : «Puisqu’elle a besoin de nous, Marie ne peut réaliser ces fins sans notre concours […] La Maternité de Marie consiste tout entière dans le fait de faire vivre un être humain de (la) vie divine […] Pour qu’elle puisse vraiment être sa Mère et le rendre participant de la vie de son Premier-né, elle a besoin de notre concours. De quel désir ne le désire-t-elle pas ?»

[749] Ibid., pp. 217-219. Emile Neubert commente : «Cette obligation dépend de la vocation et des facilités personnelles d’un chacun. L’important, c’est que chaque âme soit fidèle à sa grâce mariale et «à toute sa grâce mariale» !

[750] Ibid., pp. 203-205.

[751] Cf. Louis-Marie Grignion de Monfort : «Quand le Saint-Esprit, son Epoux, l'a trouvée dans une âme, il y vole, il y entre pleinement, il se communique à cette âme abondamment et autant qu'elle donne place à son Epouse ; et une des grandes raisons pourquoi le Saint-Esprit ne fait pas maintenant des merveilles éclatantes dans les âmes, c'est qu'il n'y trouve pas une assez grande union avec sa fidèle et indissoluble Epouse. Je dis : indissoluble Epouse, car depuis que cet Amour substantiel du Père et du Fils a épousé Marie pour produire Jésus‑Christ, le chef des élus, et Jésus‑Christ dans les élus, il ne l'a jamais répudiée, parce qu'elle a toujours été fidèle et féconde». Traité de la vraie dévotion, n° 36.

[752] Cf. Etudes Mariales, Bulletin de la Société Française d’Etudes Mariales, 8. 1950, pp. 147-160.

[753] Ferdinando Maggioni, La Magnificentissimus Deus e i problemi teologici connessi, in Problemi e Orientamenti di Teologia Dommatica, Milano, 1957, vol. II, pp. 477-544. L’étude est complétée par une critique bibliographique exhaustive et intéressante.

[754] Cf. par exemple : Bernard Capelle osb, «L’Assunzione e la liturgia», in Marianum, 15, 1953, pp. 241-276 ; G. Filograssi sj, «L’Assunzione di Marie alla luce del progresso dei dogmi», in Echi e Commenti della proclamazione dell’Assunzione, Roma, 1954, pp 26-27 ; Cf. Clement Dillenschneider, Le sens de la foi et le progrès dogmatique du mystère marial, Rome, 1954 ; Karl Rahner, «Zur Frage der Dogmenentwicklung», in Schriften zur Theologie, I Einsiedeln, 1954, pp. 49-90

[755] Marie dans le dogme 1954, p. 377.

[756] Ibid., p. 378.

[757] Ibid., p. 379.

[758] De la découverte, p. 176.

[759] Jugié I, op. cit., p. 463.

[760] De la découverte, p. 181.

[761] Emile Neubert précise : «Elle prononce le Oui qui nous sauve. Le rachat se fera par le sacrifice sanglant de son Fils. Or, déjà Siméon lui prédit qu’elle aura part à ce sacrifice ; et, quand l’heure est venue, nous la voyons au pied de la croix rédemptrice… Marie ne serait- elle pas la nouvelle Eve à côté du nouvel Adam pour concourir à notre salut ?» Marie dans le dogme 1954, p. 381.

[762] Ibid., p. 381.

[763] Ibid., pp. 392-393.

[764] Ibid., p. 400.

[765] « On reconnaît un auteur mystique à la saveur, la plénitude de la vérité et à la précision dogmatique » confiait un jour le Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, à Rome, dans une conversation à bâtons rompus. (cf Enregistrement privé du Père Marcel Gendrot, S.M.M.)

[766] Cf. Mon idéal, pp. 10-11. Ce livre a été traduit dans presque toutes les langues européennes, y compris le slovaque, le slovène, le croate, le hongrois, le polonais et le letton ; il l’a été également dans bien des langues asiatiques : en chinois, en japonais, en malayalam, en hindi, en tamil, [et dans d’autres langues encore].

A quoi tient ce succès mondial ? D’abord à son style clair, concis, direct, personnel, rappelant celui de l’Imitation de Jésus-Christ.

Ensuite à sa valeur doctrinale.

Dès le premier chapitre, ce livre rappelle en effet que la vraie dévotion à Marie est la reproduction la plus parfaite possible de la piété filiale de Jésus envers sa Mère.

Le second livre montre comment le chrétien doit aimer Marie, l’honorer, lui obéir, se confier à elle.

Dans les deux derniers livres, c’est Marie qui prend la parole pour nous apprendre à penser comme Jésus, à vouloir sa volonté et à toujours agir en son nom.

La quatrième partie constitue l’élément le plus original de l’ouvrage. Elle est consacrée à la mission apostolique de Marie.

L’idée de la mission apostolique de Marie s’est imposée avec une netteté et une force croissantes à travers le XIXe siècle et plus encore au XX e.

Les congrégations de la Sainte Vierge ont retrouvé ou accru leur influence là où elles ont pris conscience du sens de leur consécration à Marie, Reine des apôtres. Parmi les sociétés mariales récentes, la Légion de Marie en particulier a exercé et exerce une influence qui tient du miracle presque dans le monde entier. C’est que tous ses membres sont conscients de faire non leur œuvre, mais l’œuvre de Marie, ce qui est précisément la doctrine de Mon idéal.

[767] Lettre du Cardinal Maglione pour l’édition de 2003, in Mon idéal.

[768] Cf. Autobiographie, pp. 59-61.Voici comment il en parle dans son autobiographie : «Je désirais faire connaître la doctrine si profonde et si dynamique du Père Chaminade. Depuis le début du XXe siècle, surtout à partir du Congrès Marial international d’Einsiedeln en 1906, les Pères Montfortains s’étaient appliqués à répandre le Traité de la vraie dévotion à Marie de leur Saint Fondateur et son petit chef d’œuvre commençait à être connu partout. Le Père Chaminade prêchait une dévotion à Marie aussi totale dans son esprit que celle de Saint L.M. de Montfort et elle se présentait sous la forme de l’imitation de la piété filiale de Jésus même envers sa Mère ; de plus elle impliquait un engagement apostolique pour tout chrétien, et non pas seulement pour certains, les prêtres en particulier. Elle répondait donc plus parfaitement à l’esprit du XXe siècle par l’imitation du Christ remplaçant l’esclavage, et l’esprit apostolique qui doit animer tout chrétien. Mais comment porter ces idées à la connaissance des fidèles en général ? Une dissertation sur la question ne les eût pas touchés. Boudon avait écrit un traité sur le saint esclavage avant Saint L. M. de Montfort, et si les fidèles pour s’initier à cette forme de dévotion n’avaient eu que le traité de Boudon, le saint esclavage ne serait plus pour eux qu’une curieuse relique du passé. C’est la présentation de cette pratique dans le style vif, direct, incisif, convaincu, passionné et tout simple à la fois de Saint L.M. Grignion de Monfort, avec, évidemment, sa sainteté, qui convainc, enflamme, gagne le lecteur et la force, pour peu qu’il croie à la Vierge, à se faire son esclave d’amour.

Mais je n’étais pas un prédicateur populaire comme Saint Grignon et ne pouvais parler comme lui. Il me souvint alors d’une lecture entendue au réfectoire de Nivelles, avant mon départ pour l’Amérique, sur la vie et l’activité de Gerson. L’auteur lui attribuait la paternité de l’Imitation de Jésus-Christ et montrait le charme venant de son style direct. "Si j’essayais d’imposer de cette façon la doctrine mariale du Père Chaminade" ?

Je m’étais quelque peu fait la main dans la composition de ma Vie Intérieure destinée aux novices d’Amérique. A la fin de chaque chapitre je leur adresse, en style direct et concis, des conseils et des mises en garde.

J’essayai : je ne pensai d’abord qu’à trois parties :

1° - L’idéal, Jésus, Fils de Marie, sa Mère dont il a fait ma Mère.

2° - Les exigences de l’idéal, c'est-à-dire la reproduction des différentes manifestations de la piété filiale de Jésus envers Marie.

3° - L’apostolat en union avec Marie : Jésus avait associé sa Mère à sa mission.

Cette troisième partie est aussi une exigence de notre idéal, mais vu son importance pour le Père Chaminade et nous et pour tous ceux qui comprennent la mission apostolique de Marie, surtout à l’heure actuelle, je pensais en devoir faire une partie spéciale.

Mais je me rendais compte que cette imitation de la piété filiale de Jésus envers sa Mère et cet esprit marialement apostolique réclamaient, sous peine de ne pouvoir se réaliser, un sérieux travail ascétique ; mais un travail qu’on n’entreprendrait que par une union étroite avec Marie d’où la section : Transformation en Jésus, devenue le livre III.»

[769] Dans une lettre privée à ses supérieurs, Emile Neubert poursuit : «Or, les exemplaires s'enlevaient rapidement à peine sortis de presse. Mon confrère pessimiste me rencontrant vers cette époque m'avoua qu'il s'était bien trompé et me félicita de ce succès. En quelques jours les deux mille exemplaires étaient vendus. Je fis un nouveau contrat, de dix mille cette fois-ci, qui se vendaient rapidement comme les premiers. On me demanda la permission de faire des traductions en allemand et en italien dont les exemplaires s'achetèrent avec le même enthousiasme que les exemplaires français. Des productions en d'autres langues parurent sans qu'on eût songé à m'en demander la permission. Des missionnaires divers le traduisaient dans les dialectes des pays où ils s'efforçaient de prêcher le Christ et trouvaient qu'il était plus facile de parler de Jésus en parlant en même temps de la Mère de Jésus. Mes comptes du 31 décembre 1954, - donc 20 ans après la publication des premiers exemplaires français (1933) -, montrèrent que des traductions en avaient été imprimées, en allemand, anglais, basque, catalan, chinois, espagnol, hollandais, hongrois, italien, japonais, polonais, portugais, slovaque, slovène, vietnamien, breton, congolais, croate, gaélique, hindi, letton, malayalam, tamil, ukrainien : vingt-quatre langues. Et le R.P. Hupperts, sj, directeur de la bibliothèque mariale de Banneux-Louvain, m'apprend qu'à cette bibliothèque se trouvent encore des traductions en quinze autres langues que celles citées plus haut, ce qui ferait un total de trente-neuf langues et dialectes ; il est très probable, on peut dire certain que ces trente-neuf ne représentent pas les deux tiers, même la moitié du nombre des traductions. Le Directeur de la maison éditrice bien connue Felizian Rauch d’Innsbruck (Autriche), en présentant Mon idéal à ses lecteurs de langue allemande, fait la remarque : "Le livre existe en une vingtaine de langues étrangères en environ un million d'exemplaires". Or, si pour une vingtaine de langues étrangères, le Directeur des Editions Félizian Rauch croit pouvoir compter sur un million d'exemplaires vendus, quel nombre total peut-on supposer avoir été vendus dans les trente-neuf ou soixante ou quatre-vingt langues dans lesquelles le petit livre a été traduit ? "Dignare me laudare te, Virgo sacrata ! Rendez-moi digne de vous louer, ô Vierge Sainte ! Sit nomen Virginis Mariae benedictum ex hora nunc et usque in aeternum ! Que le Nom de la Vierge Marie soit béni maintenant et pendant toute l'éternité !"»

[770] Maximilian Kolbe, Scritti, Milizia dell'Immacolata, Roma, 1997, p. 1163.

[771] Mon idéal, p. 176.

[772] Cf. Redemptoris Mater, n° 25 : «Parmi tous les croyants, elle est comme un "miroir", dans lequel se reflètent de la manière la plus profonde et la plus limpide les grandes œuvre s de Dieu.»

[773] Mon idéal, p. 133.

[774] LG 65.

[775] LG 67.

[776] Discours du 21 novembre 1964 (Enchiridon Vaticanum, 1, n° 315*).

[777] Mon idéal, pp. 21-22.

[778] Marie dans le dogme 1954, p. 72.

[779] Ibid., p. 73.

[780] Mon idéal, pp. 29-30.

[781] Ibid., pp. 31-32.

[782] Ibid., p. 21.

[783] Ibid., p. 7.

[784] Adversus Haereses V, 19, 1. Ainsi, on peut dire en toute vérité et sans exagération que, pour Emile Neubert comme pour Irénée, Marie est par son obéissance «cause de salut pour elle-même et pour tout le genre humain» (Adversus haereses III, 22, 4, texte cité par LG 56).

[785] Cf Lumen Gentium : «La Bienheureuse Vierge avança dans son pèlerinage de foi, gardant fidèlement l'union avec son Fils jusqu'à la Croix où, non sans un dessein divin, elle était debout, souffrant cruellement avec son Fils unique, associée d'un cœur maternel à son sacrifice, donnant à l'immolation de la victime, née de sa chair, le consentement de son amour» (LG 58). Ce texte a été longuement repris par Jean-Paul II dans Redemptoris Mater, développant en particulier la comparaison entre Marie et Abraham (n° 14).

[786] Mon idéal, p. 7.

[787] S T III q. 48 art. 2 ad 1.

[788] Mon idéal, p. 7.

[789] Ibid., p. 130.

[790] Lettre aux Familles montfortaines, op.cit., n° 5.

[791] Mon idéal, pp. 28-29.

[792] Ainsi, saint Irénée réfute l'hérésie des Ebionites, qui nient la naissance virginale du Christ, en manifestant précisément ce mystère de la «nouvelle naissance», celle du Christ dans l'Incarnation et la nôtre dans le baptême : «Ils ne veulent pas comprendre que l'Esprit Saint est survenu en Marie et que la puissance du Très-Haut l'a couverte de son ombre, à cause de quoi ce qui est né d'elle est saint et est le Fils du Dieu Très-Haut, le Père de toutes choses ayant opéré l'Incarnation de son Fils et ayant fait apparaître ainsi une naissance nouvelle, afin que, comme nous avions hérité de la mort par la naissance antérieure, nous héritions de la vie par cette naissance-ci [...] Ils ne considèrent pas que, tout comme au début de notre formation en Adam le souffle de vie issu de Dieu, en s'unissant à l'œuvre modelée, a animé l'homme et l'a fait apparaître animal doué de raison, ainsi à la fin le Verbe du Père et l'Esprit de Dieu, en s'unissant à l'antique substance de l'ouvrage modelé, c'est-à-dire d'Adam, ont rendu l'homme vivant et parfait, capable de comprendre le Père parfait [...] Jamais, en effet, Adam n'a échappé aux mains de Dieu, auxquelles parlait le Père lorsqu'il disait "faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance". Et c'est pourquoi, à la fin "non par la volonté de la chair ni par la volonté de l'homme", mais par le bon plaisir du Père, les Mains de Dieu ont rendu l'homme vivant, afin qu'Adam devienne à l'image et à la ressemblance de Dieu.» (Adversus Haereses, V, 1, 3).

[793] Ainsi, en parlant de «l'Emmanuel né de la Vierge», saint Irénée affirme que «Lui qui est pur, il a ouvert de façon pure le sein pur qui régénère les hommes en Dieu, et qu'il a lui-même fait pur». («Purus pure puram aperiens vulvam, eam quae regeneret hominis in Deum, quam ipse puram fecit». Adversus Haereses, IV, 33, 11 ; cf. aussi V, A, 3.)

[794] Mon idéal, p. 71.

[795] Ibid., p. 29.

[796] Ibid., p. 90.

[797] Marie dans le dogme 1954, p. 112.

[798] LG 54 et 69.

[799] LG 56 et 63.

[800] LG 60.

[801] LG 54.

[802] LG 55.

[803] LG 56, Adversus Haereses, III, 22, 4.

[804] LG 53.

[805] LG 58.

[806] LG 61.

[807] LG 62.

[808] LG 63.

[809] LG 65.

[810] LG 60.

[811] LG 62.

[812] Ibid.

[813] Par exemple en Is 49, 14-15 ; 66, 10-13.

[814] Mon idéal, pp. 29-30.

[815] Ibid., p. 147.

[816] Ibid., pp. 150-151.

[817] Ibid., p. 91.

[818] Ibid., p. 106.

[819] Ibid., p. 46. Emile Neubert fait dire à Jésus : «Mon frère, c’est l’amour qui m’a fait fils de Marie. Tout, dans mes relations avec ma Mère, s’explique par l’amour. Veux-tu comprendre ma piété filiale envers elle, comprends avant tout mon amour pour elle.»

[820] Ibid., p. 55. Emile Neubert fait dire à Jésus : «Mon frère, veux-tu, comme moi, montrer ton amour à ma Mère ? Sois-lui obéissant comme moi.

Petit enfant, je me suis laissé faire par elle comme elle l’entendait : je me suis laissé poser dans la crèche, porter dans ses bras, allaiter, emmailloter, emmener à Jérusalem, en Egypte, à Nazareth.

Puis, dès que j’en ai eu la force, je me suis empressé d’exécuter ses désirs, de les deviner même et de les prévenir.

Après avoir étonné les docteurs du Temple, je suis revenu à Nazareth avec elle, et je lui ai été soumis.

Je suis resté près d’elle jusqu’à l’âge de trente ans, toujours déférant à ses moindres désirs.»

[821] Ibid., p. 62. Emile Neubert fait dire à Jésus : «Pour honorer Marie comme je l’ai honorée et veux qu’elle soit honorée, commence par la mieux comprendre.

Ne cesse de contempler sa dignité, ses privilèges, sa perfection, sa mission.

Puis humilie-toi dans ton néant et ta misère ; plus tu te feras petit, plus tu seras apte à comprendre la grandeur de ma Mère. Surtout, fais entrer dans ton âme les dispositions de mon âme : regarde Marie avec mes yeux, admire-la avec mon esprit, réjouis-toi de sa beauté avec mon cœur.»

[822] Ibid., p. 66. Emile Neubert fait dire à Jésus : «Efforce-toi de ressembler à ma Mère comme je lui ai ressemblé. Ressemble-lui dans ton extérieur par ta modestie. Qu’en te voyant on éprouve quelque chose de ce respect et de ce recueillement dont étaient saisis ceux qui voyaient ma Mère. Ressemble-lui surtout par ton intérieur. Copie ses vertus. Elles sont incomparablement sublimes et en même temps incomparablement simples. Car la vie de Marie a été pareille à la tienne, et il t’est facile de comprendre ou de deviner comment elle agissait ou aurait agi à ta place».

[823] Ibid., p. 73. Emile Neubert fait dire à Jésus : «A ma suite, confie-toi à ma Mère.

Aie confiance : elle est toute-puissante. Ne l’ai-je pas faite distributrice de toutes les grâces ? Ne peut-elle pas donner tout ce qu’elle veut, à qui elle veut, quand elle veut ?

Aie confiance : elle est toute bonne. L’ayant faite toute-puissante, pouvais-je ne pas la faire aussi toute clémente ?

Aie confiance : je suis son enfant ; que pourrais-je refuser à ma Mère ?

Aie confiance : tu es son enfant ; une Mère refuse-t-elle jamais à son enfant ce qu’elle peut lui donner ?

Aie confiance : tu t’es donné tout à elle ; pourrait-elle être moins généreuse que toi ?

Aie confiance : en te donnant, c’est à moi qu’elle donne ; car elle sait que je vis en toi et que ce qu’on fait au moindre de mes frères, c’est à moi qu’on le fait. Quand tu l’invoques, tu lui procures la joie de continuer à prendre soin de moi, à me nourrir, à me porter, à me soustraire au danger, à faire mon éducation.

Aie confiance : elle désire plus te donner que tu ne désires recevoir, parce qu’elle t’aime plus, et m’aime plus en toi que tu ne peux t’aimer toi-même.»

[824] Ibid., pp. 79-80. Emile Neubert fait dire à Jésus : «Unis-toi à elle dans la prière. Sois fidèle au renouvellement quotidien de ta consécration à Marie, à la récitation quotidienne de ton chapelet - ou au moins d’une dizaine de chapelet - et aux prières que tu as résolu de lui offrir chaque jour. Et plusieurs fois à travers la journée, élève ton regard vers celle qui constamment tient son regard fixé sur son enfant. Mais en la priant, rappelle-toi que c’est en mon nom que tu t’adresses à elle ; que c’est moi qui, par ton cœur et ta bouche, continue d’honorer et d’aimer ma Mère. Même quand tu veux parler au Père ou à l’Esprit ou à moi, commence par t’unir à ta Mère. A côté d’elle, ton recueillement sera plus profond, ta foi plus ferme, ta confiance plus entière, ton amour plus ardent. C’est que, aux dispositions de ton pauvre cœur, s’uniront les dispositions toutes parfaites de ta Mère. Aie recours à Marie en particulier quand tu me reçois dans le sacrement de mon amour. Demande-lui de te prêter sa foi, son espérance, sa confiance, sa charité. Prie-la de me donner à toi et de te transformer en moi.

Unis-toi à elle dans l’action. Je travaillais pour ma Mère et avec ma Mère. Fais de même. Offre-lui chacune de tes occupations. Mais ne réduis pas cette offrande à une pure formule. Ne fais que ce qu’elle veut, parce qu’elle le veut et comme elle le veut […] Aie soin de renoncer à toute recherche de toi-même pour n’agir que d’après les vues de Marie.

Apprends peu à peu à renouveler ton offrande dans le cours même de tes actions, ne fût-ce que par un regard ou en disant : "Marie !" ou "Ma Mère !" Unis-toi à elle dans toutes les émotions de ton âme. Le cœur de ma Mère et mon cœur vibraient toujours à l’unisson : mes joies étaient ses joies ; mes tristesses, ses tristesses ; mes espoirs, ses espoirs ; mes appréhensions, ses appréhensions ; mon amour, son amour.»

[825] Ibid., p. 84. Emile Neubert fait dire à Jésus : «Ecoute-la avec docilité et obéis-lui avec amour, de même que je lui étais soumis avec un amour infini».

[826] Ibid., pp. 120 ; 123.

[827] Ibid., p. 103.

[828] Ibid., p. 108.

[829] C’est sans doute un point faible dans l’ensemble de sa théologie, qui met en place par ailleurs toutes les conditions de mise en valeur de cette ecclésiologie forte du Concile Vatican II.

[830] Ibid., pp. 131-132.

[831] Discours au Concile du 21 novembre 1964 (n° 302).

[832] Paul VI, Marialis Cultus, n° 29. Dans Mulieris Dignitatem, Jean-Paul II a rappelé que l'Eglise est en même temps «mariale» et «apostolico-pétrinienne» (n° 27). Le Concile a mis en lumière ce visage marial de l’Eglise.

[833] LG 52.

[834] Mon idéal, p. 23.

[835] Discours au Concile du 21 novembre 1964 (n° 303*). Le chapitre 8 de Lumen Gentium insiste beaucoup sur l'union intime de Marie avec le Christ et l'Eglise, et des fidèles avec le Christ (cf. LG 53, 57, 59, 60, 63…).

[836] Mon idéal, p. 22.

[837] Ibid., p. 91.

[838] Ibid., pp. 19-20.

[839] Ibid., pp. 76-78.

[840] Ibid., pp. 132-133.

[841] Ibid., p. 72.

[842] Ibid., p. 79.

[843] LG 57.

[844] LG 58, cité à parti du n° 2 de Redemptoris Mater.

[845] LG 67.

[846] Mon idéal, p. 93.

[847] Ibid., p. 96.

[848] Marie et la famille chrétienne, op. cit., p. 90.

[849] Jean-Paul II, «Novo millennio ineunte», 6 janvier 2001, in AAS 93, 2001, pp. 266-309, n° 27.

[850] Mon idéal, p. 23.

[851] Emile Neubert, La dévotion à Marie, Xavier Mappus, Paris, 1942, p. 71.

[852] Richard Bandler, Un cerveau pour changer, La programmation neuro-linguistique. Interéditions, Paris, 1990.

[853] Cf. Richard Bandler, John Grinder, Les secrets de la communication, Le Jour, Montréal, 1982.

[854] Ignace de Loyola, Exercices spirituels (Christus 5), traduits et annotés par François Courel sj, Paris, Desclée de Brouwer - Bellarmin, 1963, 232 p.

[855] Emile Neubert, Marie et notre sacerdoce, Spes, Paris, 1952, p. 179.

[856] Ibid., p. 217. Dans ses recommandations aux prêtres, Emile Neubert écrit : «Recourez de même aux malades qui vous sont connus. Marie les aime d’un amour spécial, parce qu’ils sont plus semblables à son Fils crucifié et rédempteur. L’offrande de leurs prières et de leurs souffrances vous apporte également un précieux appoint dans vos labeurs. Par ailleurs, vous les rendrez eux-mêmes plus surnaturels, plus résignés, plus conformes à Jésus, en sollicitant leur concours et en leur donnant conscience de leur mission dans le Corps Mystique du Christ.»

[857] Emile Neubert, L’âme de Jésus, contemplée avec Marie, Alsatia, Paris, 1957, p. 311.

[858] Ga 2, 20 ; in Emile Neubert, L’âme de Jésus contemplée avec Marie, Alsatia, Paris 1957, p. 217.

[859] Ibid., p. 183.

[860] Emile Neubert, Marie et notre sacerdoce, Spes, Paris, 1952, p. 177.

[861] Rene Laurentin, La question mariale, Seuil, Paris, 1963, p.19.

[862] Cf. La chronique de la RSPhTh, 46 (1962), pp. 330-331.

[863] Groupe des Dombes, Marie dans le dessein de Dieu et la communion des saints ; dans l’histoire et l’Ecriture. Controverse et conversion, Bayard Le centurion, Paris, 1999.

[864] The Anglican-Roman Catholic International Commission. Mary : Grace and Hope in Christ, Toronto, Novalis, 2005.

[865] Marie dans le dogme 1954, p. 132

[866] Marie dans le dogme 1954, p. 139. Emile Neubert commente : «Au nom d’une impossibilité a priori, des maîtres en Israël ont rejeté l’Immaculée Conception.»

[867] Hans-Urs von Balthasar, Thérèse de Lisieux. Histoire d’une mission, Paris, 1972, p. 18.

[868] Id., «Théologie et sainteté», in Dieu Vivant 12, 1948, p. 17.

[869] Jean-Marie Lustiger, «La pratique théologique dans un monde sécularisé», in Etudes (2000) 1, 50.

[870] Thomas d’Aquin, ST, Ia, q. 1, a. 5, ad. 2. Dans son encyclique Providentissimus Deus (1893) le pape Léon XIII avait jugé opportun de rappeler, en se référant explicitement à l’Aquinate, que «la théologie […] ne tire pas ses principes des autres sciences, mais immédiatement de Dieu par la révélation». Cité in Léon XIII, Providentissimus Deus de studiis Scripturae Sacrae, 18 novembris 1893, in ASS 26 (1893-1894).

[871] D. Sorrentino, Sul rinnovamento della teologia spirituale, in Asprenas 41 (1994) 530-531. [Nous traduisons].

[872] Marie dans le dogme 1954, p. 137.

[873] Joseph Ratzinger, Marie première Eglise, Paris, 21987, p. 26-27.

[874] Ibid., p. 58.

[875] Cf. Stefano de Fiores, Maria nella teologia contemporanea, CCM «Madre della Chiesa», Roma, 1991, p. 315.

[876]Alain Bandelier, A Jésus par Marie - Actualité d’une consécration, Nouan le Fuzelier, 2003, p. 9-15.

[877] Emile Neubert, Marie et la vie religieuse, Alsatia, Paris, 1959, p. 66.

[878] Ibid., p. 143.

[879] Cf. Juan Esquerda Biffet, Mariologia per una chiesa missionaria, Unrbaniana University, Roma, 1988.

[880] Yves-Marie Congar, Marie et l’Eglise dans la pensée patristique, in Revue des sciences philosophiques et théologiques 38 (1954) 5.

[881] Emile Neubert, La dévotion à Marie, Xavier Mappus, Paris, 1942, p. 71

[882] Joseph Ratzinger, Marie première Eglise, Paris, 1987, pp. 13-14. Traduit de l’allemand par R. Givord.

[883] Cf. Rene Laurentin, Court Traité sur la Vierge Marie, Lethielleux, Paris, 1954.

[884] P. Ranwez sj, Présence de Marie, p. 12, note 1, 39.

[885] Marialis Cultus, n°36.

[886] Cf. LG 65.

[887] La mission apostolique, op.cit., ch. XXIII, pp. 197-205.

[888] Ibid., p. 198

[889] Cf. M. Caprioli, Il sacerdozio, teologia e spiritualità, Roma, Teresianum, 1992, p. 262-264 : «Parlando del rapporto Maria e sacerdote, il Concilio usa poche parole, ma sa cogliere in lei l’esempio di piena e totale disponibilità all’azione dello Spirito Santo, accettando di divenire Madre di Cristo, inserendosi cosi pienamente con la fede nel mistero della redenzione […] Le poche righe del PO vanno studiate quindi alla luce del cap.VIII della LG».

[890] La vie d’union, op.cit., ch. X, p. 85.

[891] Ibid., ch VI, pp. 65-70.

[892] Ibid., p. 68.

[893] Cf. Le secret de Marie, op.cit., n° 47.

[894] Cité dans La vie d’union, op.cit., p. 238.

[895] Emile Neubert se contente de mentionner ces grâces étudiées par Severino, M. Ragazzini in Maria, vita dell’anima, 1960.

[896] La mission apostolique, p. 113.

[897] Ibid., pp. 118-119, citant l’Esprit de notre fondation, op.cit., III, p. 238.

[898] Testi Mariani del Primo Milleninio, a cura di G. Gharb, E. Toniolo, Luigi Gambero, G. Di Nola, Citta Nuova Editrice, Roma. -1. Padri e altri autori Greci. Direzione e coordinamento di G. Gharib, 1988 -2. Padri e altri autori latini. Direzione e coordinamento di L. Gambero, Roma 1990.

[899] Cf. note 106 : K. Benrath, G. Herzog, E. Lucius, G. Anrich, G. Rösch. En somme l’attitude du protestantisme par rapport à la Mère de Dieu n’était pas très positive. Au point que Schimmelpfennig eut ces paroles bien significatives : «je weiter die neutestamentliche Kritik und die religionsgeschichtliche Forschung fortschreiten, desto mehr wird das Evangelium seines Inhaltes entleert» (Geschichte der marienverehrung im deutschen Protestantismus, p. 115).

[900] Meyer in Neutest. Apokr., p. 50, cité in Marie dans l’Eglise anteniceenne, pp. 278-279.

[901] Marie dans l’Eglise anteniceenne, pp. 278-279.

[902] Ibid., p. 280.

[903] Ibid., p. 275.

[904] Cf. F.-J. Friedel sm, The Mariology of Newman, New York 1928 ; H.F. Davis, La Mariologie de Newman, in Maria, Etudes sur la Sainte Vierge, sous la direction de Hubert Du Manoir sj, tome III, pp. 533-552. Emile Neubert lui-même publia l’article intitulé La dévotion envers Marie d’après Newman, in l’Apôtre de Marie, 5 (1908), pp. 121-128. Ce que Davis écrivait du fameux converti anglais pourrait tout aussi bien s’appliquer à la recherche d’Emile Neubert, comme du reste à toute la mariologie contemporaine : «Au point de vue intellectuel, l’étude des Pères et de la doctrine de l’évolution l’amèneront à réaliser pleinement que l’Eglise catholique avait toujours et partout été mariale au sens catholique du mot ; si la mariologie s’était développée, c’était tout simplement par une tendance instinctive à rendre à la doctrine de l’Incarnation un témoignage toujours plus grand» (op. cit., p. 538).

[905] Dom B. Lebbe, recension in Revue Bénédictine, 25 (1908), p. 409.

[906] E. Treubert, Revue thomiste, 16° année, (1908).

[907] Cf. Adolf von Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, III Freiburg im Br. Und leipzig 1894-1897 ; G. Herzog, La virginité de Marie après l’enfantement, in Revue d’Histoire et de Littérature religieuse, 1907, pp. 327-340. in Marie dans l’Eglise anténicéenne, pp. 57-120. Emile Neubert précise : «Herzog soutenait entre autres, que l’idée de la virginité dans l’enfantement, outre l’absence de lésion physique pour la mère, était une invention des Docètes du second siècle, lesquels avaient comme objectif de nier la véritable nature humaine du Christ. Selon Emile Neubert par contre, le témoignage des écrits ecclésiastiques les plus anciens démontrait comment la doctrine de la conception virginale appartenait à la plus ancienne Tradition de l’Eglise. C’est ainsi que l’insistance de l’Eglise primitive sur l’aspect dogmatique de la croyance en la conception virginale s’explique par la préoccupation de défendre un point qui était devenu, pour ainsi dire, le critère de la foi en la divinité du Verbe Incarné.»

[908] De la découverte, p. 55.

[909] De la découverte, p. 187.

[910] Dans son autobiographie il déclare : «Dans presque tous mes livres, j’ai au moins un chapitre sur la mission apostolique de Marie et la coopération qu’elle attend de ses dévots. J’ai traité la question ex professo dans La mission apostolique de Marie et la nôtre, Alsatia, 1956. Dans mon apostolat dans la Société de Marie et chez les Filles de Marie et même dans l’Eglise en général, je me suis toujours appliqué à souligner l’importance de la mission apostolique de Marie. Mais, comme je viens de l’affirmer, ce n’est pas moi qui ai découvert cette idée : je l’ai reçue du P. Klobb qui la tient du P. Chaminade, qui l’a reçue de Marie même, à Saragosse.»