SAINT THOMAS D’AQUIN
Docteur de l’Église
COMMENTAIRE DES SENTENCES DE PIERRE LOMBARD
Scriptum super Sententiis
(1254-1256)
© Copyright, traduction et notes par Jacques
MÉNARD 2010
Edition numérique https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique
Les œuvres complètes de saint Thomas d’Aquin
LIVRE III – L’INCARNATION DU VERBE ET SES FRUITS
Le texte latin est en caractère 12, en bleu. En l'absence d'une édition
critique du Commentaire sur le livre des Sentences de Thomas d'Aquin, la
présente traduction française est faite à partir de l'édition électronique des Opera
omnia de Thomas d'Aquin, réalisée par le professeur Enrique Alarcon, dans le
cadre de la publication accessible par ordinateur du Corpus thomisticum (Université
de Navarre, 2004). http://www.corpusthomisticum.org
NOTE LIMINAIRE – Bien qu’il ait été rédigé sur une période de plusieurs
années, le Commentaire sur le livre des Sentences de Pierre Lombard témoigne
du premier enseignement de Thomas d’Aquin. Il a paru intéressant d’en donner
une traduction française, même si plusieurs opinions exprimées par l’auteur
seront corrigées ou abandonnées dans des œuvres ultérieures. Les lecteurs
intéressés pourront ainsi étudier plus facilement comment la pensée de Thomas
d’Aquin a pu évoluer. Par ailleurs, le Commentaire contient aussi des
pages remarquables, que les lecteurs prendront intérêt à lire ou à relire en
français. On se rappellera enfin que le IVe livre des Sentences a
fourni les matériaux du Supplément de la IIIa Pars de la Somme de
théologie, que Thomas d’Aquin a laissée inachevée au moment de sa mort, en
1274 (la rédaction personnelle par Thomas d’Aquin se termine à III, q. 90, a.
4). On trouvera une édition critique des Sentences sous le titre Sententiae,
éd. I. Brady, Grottaferrata, 1971-1981. Il n’existe pas de traduction française
de ce texte pourtant fondamental de la théologie médiévale. Sur Pierre Lombard,
on pourra voir la brève notice «Pierre Lombard», Dictionnaire des Lettres
françaises. Le Moyen Âge, Paris, 1992, p. 1185-1186 (bibl.), ainsi que la
notice «Pierre Lombard», Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, 2002, p.
1106-1107 (bibl.). Pour tout ce qui concerne le contexte historique du Commentaire
de Thomas d’Aquin sur le Livre des Sentences, nous renvoyons à J.-P.
TORRELL, Initiation à saint Thomas d’Aquin. Sa personne et son œuvre, Paris-Fribourg,
2002 (2e éd.), p. 53ss. (bibl.).
Version
préliminaire : En effet, il reste :
1. à vérifier, à compléter et à uniformiser les citations bibliques (que
j'ai laissées telles que les éditeurs du texte latin les avait données);
2. à traduire les expositiones textus, lorsqu’existera une
traduction française de référence des Sentences de Pierre Lombard. Pour
le moment, il n’est pas tenu compte du texte de Pierre Lombard (expositio
textus) présenté au début de chaque distinction. Il a paru préférable
d’attendre une traduction du Livre des
Sentences de Pierre Lombard et, le temps venu, de renvoyer à la traduction
des textes correspondants pour chaque expositio
textus.
Distinction
1 – [L’incarnation, du point de vue de celui qui assume]
Question 1 – [Était-il possible à Dieu de s’incarner ?]
Article 1 – Était-il possible que Dieu s’incarne ?
Article 2 – Était-il convenable que Dieu s’incarne ?
Article 3 – Si l’homme n’avait pas péché, Dieu se
serait-il incarné ?
Article 4 – Convenait-il que Dieu reporte tellement son
incarnation ?
Question 2 – [Qui assume la chair ?]
Article 1 – Une seule personne peut-elle assumer la chair
sans une autre ?
Article 2 – Convenait-il davantage que le Fils s’incarne,
plutôt que le Père ou le Saint-Esprit ?
Article 3 – Le Père pouvait-il prendre chair, de même que
le Saint-Esprit ?
Article 4 – Le Père, le Fils et le Saint-Esprit
peuvent-ils assumer la même nature en nombre ?
Article 5 – Une seule personne peut-elle assumer deux
natures humaines ?
Explication
du texte de Pierre Lombard – Dist. 1
Distinction
2 – [L’incarnation, du point de vue de ce qui est assumé]
Question
1 – [La nature humaine est-elle plus susceptible d’assumée que les autres ?]
Article 1 – La nature humaine peut-elle être assumée
plutôt que les autres ?
Sous-question 3 – [L’univers entier est-il plus
susceptible d’être assumé que la nature humaine ?]
Article 2 – Le Fils de Dieu devait-il assumer la nature
humaine ?
Sous-question 3 – [Le Fils de Dieu devait-il assumer la
nature humaine en Adam lui-même ?]
Article 3 – Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair
humaine ?
Sous-question 1 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair
humaine ?]
Sous-question 2 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la
chair, mais non pas l’âme ?]
Question 2 – [L’ordre de l’assomption]
Article 1 – Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair par
l’intermédiaire de l’âme ?]
Sous-question 1 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair
par l’intermédiaire de l’âme ?]
Sous-question 2 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé l’âme
par l’intermédiaire de l’esprit ?]
Sous-question 3 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé le tout
par l’intermédiaire des parties ?]
Article 2 – La nature humaine est-elle assumée par
l’intermédiaire de la grâce ?
Sous-question 1 – [La nature humaine est-elle assumée par
l’intermédiaire de la grâce ?]
Sous-question 2 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair
par l’intermédiaire du Saint-Esprit ?]
Article 3 – La chair a-t-elle été conçue avant d’être
assumée ?
Sous-question 1 – [La chair a-t-elle été conçue avant
d’être assumée ?]
Sous-question 2 – [La chair a-t-elle été assumée avant
d’être animée ?]
Sous-question 3 – [L’âme a-t-elle été assumée avant
d’être unie au corps ?]
Explication
du texte de Pierre Lombard, Distinction 2
Distinction
3 – [La qualité de ce qui a été assumé]
Question
1 – [La sanctification de la bienheureuse Vierge]
Sous-question 2 – [La bienheureuse Vierge a-t-elle été
sanctifiée avant d’être animée ?]
Sous-question 3 – [La bienheureuse Vierge a-t-elle été
sanctifiée avant sa naissance ?]
Question 2 – [La puissance génératrice de la
bienheureuse Vierge ]
Article 1 – La bienheureuse Vierge a-t-elle contribué
activement à la conception du Christ ?_
Article 2 – La génération du Christ par une vierge
est-elle naturelle ou miraculeuse ?
Question 3 – [L’Annonciation ]
Article 1 – Convenait-il qu’une annonce de la conception
du Sauveur soit faite à la Vierge ?
Sous-question 1 – [Était-il nécessaire que la conception
du Sauveur soit annoncée à la Vierge ?]
Sous-question 2 – [L’annonciation a-t-elle eu lieu sous
forme de vision corporelle ?]
Sous-question 1 – [L’Annonciation devait-elle être faite
par un ange ?]
Sous-question 2 – [L’ange de l’Annonciation faisait-il
partie des ordres les plus élevés ?]
Explication
du texte de Pierre Lombard (Questions 1, 2 et 3)
Question
4 – [Questions sur la condition charnelle que le Christ a reçue de sa mère]
Article 1 – La chair du Christ a-t-elle été exposée au
péché chez les pères anciens ?
Sous-question 1 – [Un descendant d’Abraham a-t-il été
soumis à la dîme en lui ?]
Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il été soumis à la dîme
en Abraham ?]
Question
5 – [La transmission de la chair du Christ depuis sa mère]
Article 1 – Le corps du Christ a-t-il été conçu à partir
du sang très pur de la Vierge ?
Article 2 – La conception du corps du Christ s’est-elle
produite subitement ou successivement ?
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 3
Distinction
4 – [La cause efficiente de l’assomption]
Question
1 – [L’accomplissement de la conception du Christ doit-il être approprié au
Saint-Esprit ?]
Article 1 – La réalisation de la conception du Christ
doit-elle être appropriée au Saint-Esprit ?
Sous-question 1 – [Cette réalisation doit-elle être
appropriée à une personne divine ?]
Sous-question 2 – [La conception du Christ doit-elle être
appropriée au Père ?]
Sous-question 3 – [La conception du Christ doit-elle être
attribuée au Fils ?]
Sous-question 4 – [La conception du Christ doit-elle être
appropriée au Saint-Esprit ?]
Article 2 – Le Christ, en tant qu’homme, peut-il être
appelé le Fils du Saint-Esprit ?
Sous-question 1 – [Le Christ, en tant qu’homme, peut-il
être appelé le Fils du Saint-Esprit ?]
Sous-question 2 – [Le Christ peut-il être appelé le Fils
de la Trinité ?]
Question
2 – [La conception du Christ par rapport à sa mère]
Article 1 – La bienherueuse Vierge peut-elle être appelée
mère de l’homme Jésus, le Christ ?
Article 2 – La bienheureuse Vierge doit-elle être appelée
mère de Dieu ?
Question
3 – [La conception par rapport à la grâce du Christ]
Article 1 – Cette conception a-t-elle été précédée de
mérites de la part des pères anciens ?_
Article 2 – La grâce est-elle naturelle à cet homme ?
Sous-question 1 – [La grâce est-elle naturelle à cet
homme ?]
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 4
Distinction
5 – [Ce qui assume et ce qui est assumé ont-ils raison de nature ou de personne
?]
Question 1 – [Qu’est-ce que l’union ?]
Article 1 – L’union est-elle quelque chose de créé ?
Sous-question 1 – [L’union est-elle une créature ?]
Sous-question 2 – [S’agit-il de la moindre des unions ? ]
Sous-question 3 – [L’union diffère-t-elle de l’assomption
?]
Article 4 – L’union s’est-elle réalisée dans la nature ?
Article 3 – L’union s’est-elle réalisée dans la personne
et le Christ était-il une seule personne ?
Question 2 – [Convient-il à une personne divine
d’assumer ?]
Article 1 – Convient-il à une personne divine d’assumer ?
Article 2 – Convient-il à la nature [divine] d’assumer ?
Article 3 – Convient-il à la nature d’assumer, en mettant
à part les personnes ?
Question 3 – [Ce qui est assumé]
Article 1 – La nature humaine a-t-elle été assumée ?
Article 2 – L’âme séparée est-elle une personne ?
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 5
Distinction
6 – [Les conditions du Dieu incarné]
Question 1 – [Ce qui convient au Dieu incarné]
Article 1 – Y a-t-il deux hypostases dans le Christ ?
Sous-question 1 – [Y a-t-il deux hypostases dans le
Christ ?]
Sous-question 2 – [Y a-t-il deux suppôts dans le Christ
?]
Sous-question 3 – [Y a-t-il deux individus dans le Christ
?]
Sous-question 4 – Y a-t-il deux choses naturelles dans le
Christ ?
Article 2 – Le Fils de Dieu a-t-il assumé un homme ?
Article 3 – Le mot « homme » indique-t-il
seulement le composé de deux substances ?
Question 2 – [La deuxième opinion]
Article 1 – Le Christ est-il deux réalités ?
Article 2 – N’y a-t-il qu’un seul être dans le Christ ?
Article 3 – La personne du Verbe est-elle composée après
l’incarnation ?
Question 3 – [La troisième opinion]
Article 1 – Dans le Christ, une composition a-t-elle eu
lieu entre son âme et son corps ?
Article 2 – La nature humaine est-elle unie au Verbe de
manière accidentelle ?
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 6
Distinction
7 – [Les expressions concernant l’union]
Article 1 – Cette formule : « Dieu est
homme » est-elle vraie ?
Article 2 – Le Christ peut-il être appelé l’homme du
Seigneur ( homo dominicus) ?
Question 2 – [Comment le participe «devenu » (factus) exprime-t-il l’union ?]
Article 1 – Cette proposition est-elle vraie :
« Dieu est devenu homme ?» ?
Article 2 – Cette proposition est-elle vraie :
« L’homme est devenu Dieu » ?
Question 3 – [Les expressions de l’union selon le
participe « prédestiné »]
Article 1 – L’homme Christ a-t-il été prédestiné à être Fils
de Dieu ?
Article 2 – Le Fils de Dieu était-il prédestiné à être
homme ?
Sous-question 1 – [Le Fils de Dieu était-il prédestiné à
être homme ?]
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 7
Distinction
8 – [Les effets de l’union]
Question 1 – [Qu’est-ce que la naissance ?]
Article 1 – La naissance n’existe-t-elle que chez les
vivants ?
Article 2 – La nature humaine est-elle née chez le Christ
?
Article 3 – La nature divine chez le Christ est-elle née
de la Vierge ?
Article 4 – Faut-il affirmer deux naissances du Christ ou
une seule ?
Sous-question 1 – [Faut-il affirmer deux naissances du
Christ ?]
Sous-question 2 – [Le Christ est-il né deux fois ?]
Article 5 – Y a-t-il deux filiations chez le Christ ?
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 8
Distinction
9 – [La nature humaine et son union à la nature divine]
Question 1 – [Qu’est-ce que la latrie ?]
Article 1 – Le culte de latrie est-il une vertu ou un don
?
Sous-question 1 – [Le culte de latrie est-il une vertu ?]
Sous-question 2 – [Le culte de latrie est-il une vertu
générale ?]
Sous-question 3 – [Le culte de latrie est-il une vertu
théologale ?]
Sous-question 4 – [À quelle vertu cardinale se ramène le
culte de latrie ?]
Article 2 – Le culte de latrie doit-il être manifesté à
l’humanité du Christ ?
Sous-question 1 – [Le culte de latrie doit-il être
manifesté à l’humanité du Christ ?]
Sous-question 2 – [Un culte de latrie doit-il être
manifesté aux images du Christ ?]
Sous-question 3 – [Un culte de latrie doit-il être rendu
à la bienheureuse Vierge ?]
Sous-question 4 – [Un culte de latrie doit-il être
manifesté à la croix ?]
Sous-question 5 – [Un culte de latrie doit-il être rendu
aux saints ?]
Sous-question 6 – [Peut-on manifester sans péché à une
créature un culte de latrie ?]
Sous-question 2 – [Le même culte de latrie est-elle dû au
Père et au Fils ?]
Sous-question 3 – [Le culte de latrie doit-elle être
manifesté à Dieu par des rites corporels ?]
Question 2 – [Qu’est-ce que le culte de dulie ?]
Article 1 – Le culte de latrie et le culte de dulie
sont-ils la même chose ?
Article 2 – Le culte de dulie comporte-t-il diverses
espèces ?
Article 3 – Les pécheurs doivent-ils être honorés par un
culte de dulie ?
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 9
Distinction
10 – [Ce qui convient à la personne du Christ en raison de sa nature humaine]
Question 1 – [Le Christ est-il Dieu en tant qu’homme ?]
Article 1 – Le Christ, en tant qu’homme, est-il Dieu ?
Sous-question 1 – [Le Christ, en tant qu’homme, est-il
Dieu ?]
Sous-question 2 – [Est-il Dieu selon qu’il est cet homme
?]
Sous-question 3 – [Le Christ est-il prédestiné en tant
qu’homme ?]
Sous-question 1 – [Le Christ, selon qu’il est homme,
est-il une personne ?]
Sous-question 2 – [Le Christ est-il un individu en tant
qu’homme ?]
Sous-question 3 – [Le Christ, en tant qu’homme, est-il un
suppôt ou une chose de la nature ?]
Question 2 – [La filiation par adoption]
Article 1 – Convient-il à Dieu d’adopter quelqu’un comme
un fils ?
Sous-question 1 – [Convient-il à Dieu d’adopter quelqu’un
comme un fils ?]
Sous-question 2 – [Adopter relève-il seulement de Dieu le
Père ?]
Sous-question 3 – [L’adoption ne se réalise-t-elle que
par le Fils ?]
Sous-question 1 – [Convient-il à toutes les créatures
d’êtres adoptées ?]
Sous-question 2 – [Convient-il aux anges d’être adoptés
?]
Sous-question 3 – [Le Christ est-il un fils adoptif ?]
Question 3 – [La prédestination du Christ porte-t-elle sur la nature ou
sur la personne ?]
Article 1 – La prédestination du Christ porte-t-elle sur
la nature ou sur la personne ?
Sous-question 1 – [La prédestination du Christ
porte-t-elle sur la nature ou sur la personne ?]
Sous-question 2 – [La prédestination du Christ est-elle
conforme à notre prédestination ?]
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 10
Distinction
11 – [L’attribution à Dieu de déficiences de la nature humaine]
Question 1 – [Le Fils de Dieu est-il une créature ?]
Article 1 – Le Fils de Dieu est-il une créature ?
Article 2 – Le Christ est-il une créature ?
Article 3 –Le Christ, en tant qu’homme, est-il une
créature ?
Article 4 – Ce qui appartient à la nature humaine peut-il
être dit du Fils de Dieu ?
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 11
Distinction
12 – [Les carences qui découlent de la nature humaine]
Question
1 – [Cet homme a-t-il commencé à exister ?]
Article 1 – Cette proposition est-elle vraie :
« Cet homme a commencé à exister. »
Question
2 – [Le Christ pouvait-il pécher ?]
Article 1 – Le Christ pouvait-il pécher ?
Article 2 – Le Christ avait-il la capacité de pécher ?
Question
3 – [Quel devait être le sexe du Christ ?]
Article 1 – Le Christ devait-il assumer un sexe ?
Sous-question 1 – [Le Christ devait-il assumer un sexe ?]
Sous-question 2 – [Le Christ devait-il assumer le sexe
féminin ?]
Sous-question 1 – [Le Christ devait-il assumer la chair à
partir des sexes ?]
Sous-question 2 – [Le Christ devait-il assumer un corps
issu d’un homme seulement ?]
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 12
Distinction
13 – [Ce qui convient à l’incarnation selon les deux natures]
Question
1 – [Le Christ avait-il la grâce habituelle ?]
Article 1 – Y avait-il dans le Christ une grâce
habituelle perfectionnant son âme ?
Article 2 – Le Christ a-t-il possédé la plénitude de la
grâce ?
Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il possédé la plénitude
de la grâce ?]
Sous-question 2 – [La grâce du Christ était-elle infinie
?]
Sous-question 3 – [Cette grâce pouvait-elle être
augmentée ?]
Question
2 – [La grâce de la tête]
Article 1 – Le Christ est-il tête de l’Église en tant
qu’homme ?
Article 2 – Le Christ, en tant qu’homme, est-il la tête
des anges ?
Sous-question 2 – [Le Christ est-il la tête de tous les
hommes ?]
Sous-question 3 – [Le Christ est-il la tête des âmes
seulement ?]
Question
3 – [La grâce d’union]
Article 1 – La grâce d’union est-elle créée ?
Article 2 – La grâce d’union est-elle la même chose que
la grâce de la tête ?
Sous-question 1 – [La grâce d’union est-elle la même
chose que la grâce de la tête ?]
Sous-question 2 – [La grâce de la tête est-elle la même
que sa grâce indivuelle ?]
Sous-question 3 – [La grâce de la personne individuelle
précède-t-elle la grâce d’union ?]
La réponse à la deuxième question ressort clairement de
ce qui a été dit.
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 13
Distinction
14 – [Les sciences du Christ]
Question
1 – [La science du Christ]
Article 1 – Existe-t-il une science chez le Christ ?
Sous-question 1 – [Existe-t-il une science créée chez le
Christ ?]
Sous-question 2 – [La connaissance créée chez le Christ
est-elle un habitus ou un acte ?]
Sous-question 3 – [L’âme du Christ a-t-elle connu le
Verbe grâce à un habitus ?]
Article 2 – L’âme du Christ, en voyant le Verbe, le
comprend-elle ?
Sous-question 1 – [L’âme du Christ, en voyant le Verbe,
le comprend-elle ?]
Sous-question 2 – [L’âme du Christ connaît-elle dans le
Verbe tout ce que le Verbe connaît ?]
Sous-question 3 – [L’âme du Christ connaît-elle toutes
choses aussi clairement que Dieu ?]
Sous-question 2 – [Cette science du Christ est-elle
inférieure à celle des anges ?]
Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il eu une science à
caractère délibératif ?]
Sous-question 4 – [Cette connaissance était-elle divisée
en plusieurs habitus ?]
Sous-question 5 – [L’âme du Christ a-t-elle progressé
dans cette science ?]
Sous-question 6 – [A-t-il reçu quelque chose des anges
pour cette science ?]
Article 4 – L’âme du Christ était-elle toute-puissante et
omnisciente ?
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 14
Distinction
15 – [L’assomption des faiblesses de la nature humaine]
Question 1 – [Le Christ devait-il assumer la nature humaine avec ses
faiblesses ?]
Article 1 – Le Christ devait-il prendre la nature humaine
avec ses carences et ses faiblesses ?_
Article 2 – Devait-il assumer toutes les carences, sauf
le péché ?
Article 3 – A-t-il reçu ou contracté ces carences ?
Question 2 – [Les passions de l’âme du Christ]
Article 1 – [La passibilité chez le Christ]
Sous-question 1 – [Le corps est-il sujet à subir ?]
Sous-question 2 – [L’âme est-elle passible ?]
Sous-question 3 – [L’âme du Christ peut-elle être
passible ?]
Article 2 – Le Christ a-t-il connu la tristesse ?
Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il connu la tristesse ?]
Sous-question 2 – [La colère a-t-elle existé chez le
Christ ?]
Sous-question 3 – [La crainte a-t-elle existé chez le
Christ ?]
Article 3 – Une véritable douleur sensible existait-elle
chez le Christ ?
Sous-question 1 – [Une véritable douleur sensible
existait-elle chez le Christ ?]
Sous-question 2 – [La douleur est-elle parvenue jusqu’à
la raison supérieure ?]
Sous-question 3 – [La douleur du Christ était-elle plus
grande que toutes les douleurs ?]
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 15
Distinction
16 – [Les carences dans la nature humaine du Christ]
Question
1 – [Le caractère nécessaire de la mort]
Article 1 – La nécessité de mourir pour l’homme
vient-elle seulement du péché ?
Article 2 – Était-il nécessaire que le Christ meure ?
Question 2 – [L’état de la gloire lors de la
transfiguration]
Article 2 – Cet éclat était-il celui de la gloire ?
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 16
Distinction
17 – [La volonté du Christ]
Question
unique – [Existait-il plusieurs volontés chez le Christ ?]
Article 1 – Existait-il chez le Christ une autre volonté
que la volonté divine ?
Sous-question 1 – [Existait-il une seule volonté chez le
Christ, la volonté divine ?]
Sous-question 3 – [Existait-il chez le Christ plusieurs
volontés de la raison ?]
Sous-question 3 – [La volonté de la raison était-elle
contraire à elle-même ?]
Article 3 – Était-il approprié pour le Christ de prier ?
Sous-question 1 – [Était-il approprié pour le Christ de
prier ?]
Sous-question 4 – [Toutes les prières du Christ ont-elles
été exaucées ?]
Article 4 – Le Christ en tant qu’homme a-t-il douté ?
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 17
Distinction
18 – [Le mérite du Christ]
Article 1 – Existe-t-il chez le Christ une opération
autre que l’opération divine ?
Article 2 – Le Christ pouvait-il mériter ?
Article 3 – Le Christ pouvait-il pu mériter dès l’instant
de sa conception ?
Article 4 – Le Christ a-t-il mérité l’immortalité pour
lui-même ?
Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il mérité l’immortalité
pour lui-même ?]
Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il mérité
l’impassibilité de son âme ?]
Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il mérité d’être élevé
?]
Article 5 – Le Christ a-t-il mérité pour lui-même par la
passion ?
Article 6 – Le Christ pouvait-il mériter pour nous ?
Sous-question 1 – [Le Christ pouvait-il mériter pour nous
?]
Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il mérité pour nous
l’ouverture de la porte du Paradis ?]
Sous-question 3 – [Le Christ nous a-t-il ouvert la porte
du Paradis seulement par sa passion ?]
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 18
Distinction
19 – [La libération par la passion du Christ]
Article 1 – Sommes-nous libérés du péché par la passion
du Christ ?
Sous-question 1 – [Sommes-nous libérés du péché par la
passion du Christ ?]
Sous-question 2 – [Tous les péchés ont-ils été détruits
par la mort du Christ ?]
Article 2 – Sommes-nous libérés du Diable par la passion
du Christ ?
Article 3 – Sommes-nous libérés de la peine éternelle par
la passion du Christ ?
Sous-question 1 – [Sommes-nous libérés de la peine
éternelle par la passion du Christ ?]
Sous-question 2 – [Le Christ nous a-t-il libérés de la
peine temporelle ?]
Article 4 – Le Christ doit-il être appelé le Rédempteur
en raison de la libération mentionnée ?
Sous-question 2 – [Le Fils peut-il seul être appelé le
Rédempteur ?]
Article 5 – Le Christ nous a-t-il réconciliés avec Dieu ?
Sous-question 1 – [Le Christ nous a-t-il réconciliés avec
Dieu ?]
Sous-question 2 – [Le Christ est-il médiateur selon sa
nature humaine ?]
Sous-question 3 – [Convient-il au seul Christ d’être
médiateur ?]
Explication
du texte de Pierre Lombard, Distinction 19
Distinction
20 – [Les causes de la passion]
Question unique – [La nature humaine peut-elle être
restaurée ?]
Article 1 – La nature humaine devait-elle être restaurée
?
Sous-question 1 – [La nature humaine devait-elle être
restaurée ?]
Sous-question 2 – [La nature humaine devait-elle être
restaurée par la satisfaction ?]
Sous-question 3 – [Était-il nécessaire que la nature
humaine soit réparée de la manière dite ?]
Article 2 – Une pure créature aurait-elle pu satisfaire
pour la nature humaine ?
Article 3 – La satisfaction devait-elle être accomplie
par la passion du Christ ?
Article 4 – Un autre mode de satisfaction était-il
possible ?
Sous-question 1 – [Un autre mode de satisfaction était-il
possible ?]
Sous-question 2 – [Une autre mode de satisfaction
aurait-il été plus convenable ?]
Article 5 – Dieu le Père a-t-il livré son Fils à la
passion ?
Sous-question 1 – [Dieu le Père a-t-il livré son Fils à
la passion ?]
Sous-question 2 – [La passion du Christ était-elle bonne
?]
Explication
du texte de Pierre Lombard, Distinction 20
Distinction
21 – [La mort du Christ]
Question 1 – [La divinité a-t-elle été séparée de
l’humanité dans la mort du Christ
?]
Article 1 – La divinité a-t-elle été séparée de la chair
dans la mort du Christ ?
Sous-question 1 – [La divinité a-t-elle été séparée de la
chair dans la mort du Christ ?]
Sous-question 2 – [La divinité a-t-elle été séparée de
l’âme dans la mort ?]
Article 2 – Le corps du Christ devait-il se dissoudre
après la mort ?
Article 3 – Doit-on dire que le Fils de Dieu est mort ?
Question 2 – [La résurrection du Christ]
Article 1 – Était-il nécessaire que le Christ ressuscite
?
Article 2 – Le Christ devait-il ressusciter le troisième
jour ?
Article 3 – Le Christ devait-il prouver sa résurrection
par des arguments ?
Article 4 – L’argument tiré d’une apparition visible
était-il approprié ?
Sous-question 1 – [L’argument tiré d’une apparition
visible était-il approprié ?]
Sous-question 2 – [Le Christ devait-il se laisser palper
par eux ?]
Sous-question 3 – [Le Christ devait-il prouver sa
résurrection par ses cicatrices ?]
Sous-question 4 – [Le Christ devait-il montrer sa
résurrection en mangeant ?]
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 21
Distinction
22 – [Les conséquences de la mort du Christ]
Question 1 – [Le Christ était-il un homme pendant les
trois jours de sa mort
?]
Article 2 – Le Christ était-il partout comme homme ?
Question 2 – [La descente aux enfers]
Article 1 – Le Christ est-il descendu aux enfers ?
Sous-question 1 – [Le Christ est-il descendu aux enfers
?]
Sous-question 2 – [Le Christ est-il descendu jusqu’à
l’enfer des damnés ?]
Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il prolongé son séjour
dans les limbes ?]
Article 2 – Le Christ a-t-il illuminé le limbe des pères
?
Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il illuminé les limbes
des pères ?]
Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il aussi arraché des
âmes de l’enfer des damnés ?]
Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il libéré ceux qui
étaient dans les limbes des enfants ?]
Sous-question 4 – [Le Christ a-t-il libéré ceux qui
étaient au purgatoire ?]
Question 3 – [L’ascension du Christ]
Article 1 – Le Christ devait-il monter [au ciel] ?
Article 2 – Le mouvement de l’ascension était-il violent
?
Sous-question 2 – [L’ascension a-t-elle été un mouvement
subit ?]
Sous-question 3 – [L’ascension devait-elle avoir lieu
aussitôt après la résurrection ?]
Article 3 – Le Christ est-il monté au-dessus de tous les
cieux ?
Sous-question 1 – [Le Christ est-il monté au-dessus de
tous les cieux ?]
Sous-question 2 – [Le Christ est-il monté à la droite du
Père ?]
Sous-question 3 – [Convient-il au seul Christ de siéger à
la droite du Père ?]
Explication
du texte de Pierre Lombard, Distinction 22
Distinction
23 – [Les facteurs de restauration chez le Christ]
Question 1 – [Les habitus sont-ils nécessaires ?]
Article 1 – Avons-nous besoin d’habitus pour les actes
humains ?
Article 2 – Un habitus qui existe en nous peut-il être connu
?
Article 3 – Les vertus sont-elles des habitus ou des
puissances ?
Sous-question 1 – [Les vertus sont-elles des habitus ou
des puissances ?]
Sous-question 2 – [Les vertus sont-elles des passions ?]
Sous-question 3 – [Les vertus sont-elles des habitus ou
des actes ?]
Article 4 – Les habitus intellectuels peuvent-ils être
appelés des vertus ?
Sous-question 1 – [Les habitus intellectuels peuvent-ils
être appelés des vertus ?]
Sous-question 2 – [Les vertus morales sont-elles
distinctes des vertus intellectuelles ?]
Article 5 – N’existe-t-il que trois vertus théologales ?
Article 1 – La définition que donne l’Apôtre de la foi
est-elle en tous points appropriée ?
Article 2 – Est-ce que croire consiste à « penser en
donnant son assentiment » ?
Sous-question 1 – [Est-ce que croire consiste à
« penser en donnant son assentiment » ?]
Sous-question 2 – [La foi comporte-t-elle un seul acte ?]
Sous-question 3 – [L’acte de foi est-il moins certain que
l’acte de la science ?]
Article 3 – La foi a-t-elle la volonté comme sujet ?
Sous-question 1 – [La foi a-t-elle la volonté comme sujet
?]
Sous-question 2 – [La foi relève-t-elle de l’intellect
pratique ?]
Sous-question 3 – [La foi est-elle une vertu
intellectuelle ?]
Article 4 – La foi est-elle une vertu et est-elle un
habitus ?
Sous-question 1 – [La foi est-elle une vertu ?]
Sous-question 2 – [La foi est-elle une seule vertu ?]
Article 5 – La foi est-elle antérieure aux autres vertus
?
Question 3 – [La foi formée par la charité]
Article 1 – La charité est-elle la forme de la foi ?
Sous-question 1 – [La charité est-elle la forme de la foi
?]
Sous-question 2 – [La foi informe est-elle une vertu ?]
Sous-question 3 – [La foi formée et la foi informe
sont-elles d’une espèce différente ?]
Article 2 – La foi informe est-elle un don de Dieu ou un
habitus acquis ?
Article 3 – La foi informe existe-t-elle chez les démons
?
Sous-question 1 – [La foi informe existe-t-elle chez les
démons ?]
Sous-question 2 – [La foi informe demeure-t-elle chez les
hérétiques ?]
Article 4 – La foi informe est-il rejetée lorsque
survient la charité ?
Sous-question 1 – [La foi informe est-elle rejetée
lorsque survient la charité ?]
Sous-question 2 – [L’habitus de la foi informe
demeure-t-il quant à son acte ?]
Sous-question 3 – [La foi informe peut-elle devenir la
foi formée ?]
Explication
du texte de Pierre Lombard, Distinction 23
Distinction
24 – [L’objet de la foi]
Question 1 – [Quel est l’objet de la foi ?]
Article 1 – La Vérité incréée est-elle l’objet de la foi
?
Sous-question 1 – [La Vérité incréée est-elle l’objet de
la foi ?]
Sous-question 2 – [La foi porte-t-elle sur une vérité
complexe ?]
Sous-question 3 – [La foi peut-elle porter sur quelque
chose de faux ?]
Article 2 – La foi porte-t-elle sur ce qui est vu ?
Sous-question 1 – [La foi porte-t-elle sur ce qui est vu
?]
Sous-question 2 – [La foi peut-elle porter sur ce qui est
su ?]
Sous-question 3 – [Ce sur quoi porte la foi est-il ignoré
?]
Article 3 – Est-il nécessaire que l’homme croie quelque
chose dont il n’a pas la science ?
Sous-question 1 – [Est-il nécessaire que l’homme croie
quelque chose dont il n’a pas la science ?]
Sous-question 2 – [Croire ce que nous ne voyons pas
est-il louable et méritoire ?]
Sous-question 3 – [La raison humaine diminue-t-elle le
mérite de la foi ?]
Explication
du texte de Pierre Lombard, Distinction 24
Distinction
25 – [La croissance de la foi chez le croyant]
Question
1 – [Qu’est-ce qu’un article de foi ?]
Article 1 – La définition de l’artile donnée par Richard
de Saint-Victor est-elle appropriée ?_
Sous-question 2 – [Un article peut-il être formé et
informe ?]
Sous-question 3 – [Les articles devaient-il être
rassemblés dans un symbole ?]
Article 2 – Les articles sont-ils distingués de manière
appropriée dans le symbole ?
Question
2 – [Le caractère explicite de la foi]
Article 1 – La foi explicite est-elle nécessaire au salut
?
Sous-question 1 – [La foi explicite est-elle nécessaire
au salut ?]
Sous-question 3 – [Les grands sont-ils davantage obligés
que les petits ?]
Sous-question 4 – [Les petits ont-ils une foi implicite
dans la foi des grands ?]
Article
2 – La foi a-t-elle progressé selon la succession des temps ?
Sous-question 1 – [La foi a-t-elle progressé selon la
succession des temps ?]
Sous-question 2 – [A-t-il toujours été nécessaire d’avoir
une foi explicite dans le Rédempteur ?]
Sous-question 4 – [Était-il nécessaire d’avoir une
connaissance explicite de la Trinité ?]
Explication
du texte de Pierre Lombard, Distinction 25
Distinction
26 – [L’espérance]
Question
1 – [La nature de l’espérance]
Article 1 – L’espoir est-il une passion ?
Article 2 – L’espoir existe-t-il dans une autre puissance
que le concupiscible ?
Article 3 – L’espoir est-il différent des autres
passions, comme la crainte, etc. ?
Article 4 – L’espoir est-il une passion principale, ou
l’amour, le désir, l’audace ou la pénitence ?
Article 5 – L’espoir peut-il exister dans la partie
intellective ?
Question
2 – [L’espérance comme vertu]
Article 1 – L’espérance est-elle une vertu ?
Article 2 – L’espérance est-elle une vertu théologale ?
Article 3 –
L’espérance est-elle une vertu distincte des autres [vertus théologales]
?
Sous-question 1 – [L’espérance est-elle une vertu
distincte des vertus théologales ?]
Sous-question 2 – [L’espérance doit-elle être formée par
la charité ?]
Article 4 – L’acte de l’espérance comporte-il une
certitude ?
Article 5 – L’espérance existait-elle chez le Christ ?
Sous-question 1 – [L’espérance existait-elle chez le
Christ ?]
Sous-question 2 – [Les anges et les âmes des saints
ont-ils l’espérance ?]
Sous-question 3 – [Les pères qui étaient dans les limbes
avaient-ils l’espérance ?]
Sous-question 4 – [Les damnés et les démons ont-il l’espérance
?]
Explication
du texte de Pierre Lombard, Distinction 26
Question
1 – [Qu’est-ce que l’amour ?]
Article 1 – La définition que Denys donne de l’amour
est-elle bonne en toutes ses parties ?_
Article 2 – L’amour se trouve-t-il seulement dans le
concupiscible ?
Article 3 – L’amour est-il la première et la principale
disposition affective de l’âme ?
Article 4 -‑ La connaissance est-elle plus élevée
que l’amour ?
Article 1 – La charité est-elle la même chose que la
concupiscence ou qu’est-ce que la charité ?
Article 2 – La charité est-elle une vertu ?
Article 3 – Le sujet de la charité est-il la raison ?
Article 4 – La charité est-elle une seule vertu ou
plusieurs ?
Sous-question 1 – [La charité est-elle une seule vertu ?]
Sous-question 2 – [La charité est-elle distincte des
autres vertus ?]
Sous-question 3 – [La charité est-elle la forme des
autres vertus ?]
Sous-question 4 – [La charité peut-elle être informe ?]
Question
3 – [L’acte de la charité comme amour de Dieu]
Article 1 – Dieu peut-il être aimé par nous par son
essence dans l’état de cheminement ?
Article 2 – Dieu peut-il être totalement aimé ?
Article 3 – L’amour dont nous aimons Dieu a-t-il un mode
?
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 27
Distinction
28 – [L’objet de la charité]
Question unique – [L’objet de la charité]
Article 1 – Les vertus doivent-elles être aimées par
charité ?
Article 2 – Les créatures sans raison doivent-elles être
aimées par charité ?
Article 3 – Les anges doivent-ils être aimés par charité ?
Article 4 – Devons-nous avoir de la charité envers les
méchants ?
Article 5 – Les démons doivent-ils être aimés par charité ?
Article 6 – L’homme doit-il s’aimer lui-même par
charité ?
Article 7 – Devons-nous aimer nos corps par charité ?
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 28
Distinction
29 – [L’ordre de la charité]
Article 1 – Existe-t-il un ordre de la charité ?
Article 3 – Dieu doit-il être aimé par charité plus que
tout ?
Article 4 – Peut-on tenir compte d’une récompense en
aimant Dieu ?
Article 5 – L’homme doit-il s’aimer lui-même par charité
davantage que son prochain ?
Article 6 – L’homme doit-il aimer davantage par charité
les étrangers que ses proches ?
Article 8 – Les degrés de la charité sont-ils distingués
de manière appropriée ?
Sous-question 1 –
[Les degrés de la charité sont-ils distingués de manière inappropriée ?]
Sous-question 2 –
[Tous sont-ils tenus à une charité parfaite ?]
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 29
Distinction
30 – [L’ordre de la charité du point de vue de l’efficacité du mérite]
Article 1 – Tous sont-ils obligés d’aimer les
ennemis ?
Article 2 – Tous sont-ils obligés de montrer à leurs
ennemis des signes de la charité ?
Article 3 – Y a-t-il plus de mérite à aimer un ami qu’un
ennemi ?
Article 4 – Aimer son prochain est-il plus méritoire
qu’aimer Dieu ?
Article 5 – Le mérite consiste-t-il principalement dans la charité ?
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 30
Distinction
31 – [La durée de la charité]
Question
1 – [La charité peut-elle être perdue ?]
Article 1 – Celui qui possède la charité peut-elle la
perdre ?
Article 2 – Le livre de vie est-il quelque chose de
créé ?
Sous-question 1 –
[Le livre de vie est-il quelque chose de créé ?]
Sous-question 2 –
[Le livre de vie concerne-t-il Dieu ?]
Sous-question 3 –
[Ce qui y est inscrit peut-il en être effacé ?]
Article 3 – N’importe quelle charité peut-elle résister à
n’importe quelle tentation ?
Article 4 – L’homme se relève-t-il toujours avec une charité moindre ?
Sous-question 1 –
[L’homme se relève-t-il toujours avec une charité moindre ?]
Sous-question 2 –
[Celui qui se relève a-t-il toujours une charité plus grande ?]
Sous-question 3 –
[La grâce après le péché est-il au moins aussi grande ?]
Question
2 – [La disparition de la charité en raison de la gloire]
Article 1 – La foi sera-t-elle éliminée dans la
patrie ?
Sous-question 1 –
[La foi sera-t-elle éliminée dans la patrie ?]
Sous-question 2 –
[L’espérance sera-t-elle éliminée ?]
Article 2 – La charité de la route sera-t-elle éliminée
dans la patrie ?
Sous-question 3 –
[Le Christ aimera-t-il davantage Pierre que Jean ?]
Article 4 – La science que nous possédons maintenant
disparaîtra-t-elle totalement ?
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 31
Distinction
32 – [L’amour de Dieu]
Question
unique – [L’amour de Dieu pour ses créatures]
Article 1 – Convient-il à Dieu d’aimer sa créature ?
Article 2 – Dieu aime-t-il toutes les créatures ?
Article 3 – Dieu a-t-il aimé les créatures
éternellement ?
Article 4 – Dieu aime-t-il toutes choses également ?
Sous-question 1 –
[Dieu aime-t-il davantage le juste connu d’avance que le pécheur
prédestiné ?]
Sous-question 2 –
[Dieu aime-t-il davantage celui qui se repent que l’innocent ?]
Sous-question 3 –
[Dieu aime-t-il davantage l’homme que l’ange ?]
Sous-question 4 –
[Dieu aime-t-il davantage le genre humain que le Christ ?]
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 32
Distinction
33 – [Les vertus cardinales]
Question
1 – [Comment les vertus morales se distinguent-elles ?]
Article 1 – Toutes les vertus morales sont-elles une
seule vertu ?
Sous-question 1 –
[Toutes les vertus sont-elles une seule vertu ?]
Sous-question 2 –
[Les autres vertus morales se distinguent-elles de la prudence ?]
Article 2 – Les vertus morales existent-elles en nous
naturellement ?
Sous-question 1 –
[Les vertus morales existent-elles en nous naturellement ?]
Sous-question 2 –
[Les vertus peuvent-elles être acquises par nos actes ?]
Sous-question 3 –
[Est-il nécessaire d’affirmer qu’il existe des vertus morales infuses ?]
Sous-question 4 –
[Les vertus infuses diffèrent-elles des vertus acquises selon l’espèce ?]
Sous-question 1 –
[Les vertus morales consistent-elles dans un milieu ?]
Sous-question 2 –
[Existe-t-il un milieu objectif (medium rei) dans la justice ?]
Sous-question 3 –
[Existe-t-il un milieu dans les vertus intellectuelles ?]
Sous-question 4 –
[Les vertus théologales ont-elles un milieu ?]
Article 4 – Les vertus morales demeurent-elles dans la
patrie ?
Question
2 – [Les vertus cardinales]
Article 1 – Doit-on appeler cardinales certaines
vertus ?
Sous-question 1 –
[Doit-on appeler cardinales certaines vertus ?]
Sous-question 2 –
[D’autres vertus devraient-elles être plutôt appelées cardinales ?]
Sous-question 3 –
[Quel est le nombre des vertus cardinales ?]
Article 2 – La prudence a-t-elle une matière
spéciale ?
Sous-question 1 –
[La prudence a-t-elle une matière spéciale ?]
Sous-question 2 –
[Les passions sont-elles la matière de la tempérance et de la force ?]
Sous-question 3 –
[La justice porte-t-elle sur des opérations ?]
Article 3 – La prudence comporte-t-elle un acte de vertu
distinct des autres ?
Article 4 – Une puissance de l’âme est-elle le sujet
d’une vertu ?
Sous-question 1 –
[Une puissance de l’âme est-elle le sujet d’une vertu ?]
Sous-question 3 –
[La justice se trouve-t-elle aussi dans l’irascible et dans le
concupiscible ?]
Sous-question 4 –
[La prudence se trouve-t-elle dans la raison ?]
Question 3 – [Les parties des vertus cardinales]
Sous-question 3 –
[L’eubulia, la synesis et le gnomen sont-ils des parties de la prudence ?
Sous-question 2 –
[La sobriété et la chasteté sont-elles des parties de la tempérance ?]
Sous-question 1 –
[Tullius [Cicéron] assigne-t-il incorrectement les parties de la force ?]
Sous-question 2 –
[Les sept parties de la force indiquées par Macrobe sont-elles
correctes ?]
Sous-question 3 –
[Les cinq modes que le Philosophe associe à la force sont-ils corrects ?]
Sous-question 1 –
[Ces parties sont-elles attribuées de manière appropriée par Tullius
[Cicéron] ?
Sous-question 2 –
[Macrobe a-t-il bien indiqué les parties de la justice ?]
Sous-question 3 –
[Les cinq parties indiquées par certains sont-elles appropriées ?]
Sous-question 4 –
[La division de la justice en libéralité et sévérité est-elle
appropriée ?]
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 33
Question 1 – [Les dons en général]
Article 1 – Les dons sont-ils des vertus ?
Article 2 – Doit-il y avoir plus que sept dons ?
Article 3 – Les dons demeurent-ils dans la patrie ?
Article 4 – Les béatitudes correspondent-elles à chacun
des dons ?
Article 5 – Les fruits correspondent-ils aux dons ?
Article 6 – Les demandes correspondent-elles aux
dons ?
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 34
Question 2 – [Le don de crainte]
Article 1 – La définition de la crainte donnée par [Jean]
Damascène est-elle bonne ?
Sous-question 1 –
[[Jean] Damascène définit-il la crainte de manière appropriée ?]
Sous-question 2
–[Le Maître distingue-t-il mal les parties de la crainte ?]
Sous-question 3 –
[La crainte doit-elle être comptée parmi les dons ?]
Article 4 – La crainte servile vient-elle du
Saint-Esprit ?
Sous-question 1 –
[La crainte servile vient-elle du Saint-Esprit ?]
Sous-question 2 –
[L’usage de la crainte servile est-il bon ?]
Sous-question 3 –
[La crainte servile disparaît-elle lorsque survient la charité ?]
Article 3 – La crainte chaste est-elle la même chose que
la crainte servile ?
Sous-question 1 –
[La crainte chaste est-elle la même chose que la crainte servile ?]
Sous-question 2 –
[La crainte initiale diffère-t-elle de la crainte chaste par sa
substance ?]
Sous-question 3 –
[La crainte chaste diminue-t-elle lorsque la charité augmente ?]
Sous-question 4 –
[Lorsque surviendra la gloire, la crainte disparaîtra-t-elle ?]
Question 3 – [Le don de force]
Article 1 – La force qui est un don diffère-t-elle de la
force qui est une vertu ?
Sous-question 1 –
[La force qui est un don diffère-t-elle de la force qui est une vertu ?]
Sous-question 2 –
[Quel est l’acte de la force en cours de route ?]
Sous-question 3 –
[Quel est l’acte de la force dans la patrie ?]
Article 2 – La piété est-elle un don ?
Sous-question 1 –
[La piété est-elle un don ?]
Sous-question 2 –
[La piété qui existe sur la route a-t-elle un seul acte selon l’espèce ?]
Sous-question 3 –
[Quel est l’acte du don de piété dans la patrie ?]
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 34
Distinction
35 – [La vie active et la vie contemplative]
Question 1 – [La vie active et la vie contemplative]
Article 1 – La vie est-elle divisée de manière appropriée
en active et contemplative ?
Article 2 – La vie contemplative consiste-t-elle
seulement dans l’acte de la [puissance] cognitive ?
Sous-question 2 –
[La vie contemplative consiste-t-elle dans l’opération de la raison ?]
Sous-question 3 –
[Tout acte de l’intellect relève-t-il de la vie contemplative ?]
Article 3 – La vie active consiste-t-elle seulement dans
ce qui se rapporte à autrui ?
Sous-question 1 –
[La vie active consiste-t-elle principalement dans ce qui se rapporte à
autrui ?]
Sous-question 2 –
[La connaissance a-t-elle un rapport avec la vie active ?]
Sous-question 3 –
[La vie active peut-elle exister en même temps que la vie contemplative ?]
Article 4 – La vie active est-elle plus noble que la vie
contemplative ?
Sous-question 1 –
[La vie active est-elle plus noble que la vie contemplative ?]
Sous-question 2 –
[La vie contemplative est-elle plus méritoire que la vie active ?]
Sous-question 3 –
[La vie contemplative est-elle plus durable que la vie active ?]
Question 2 – [Les dons qui perfectionnent dans les
deux vies]
Article 1 – La sagesse est-elle un don ?
Sous-question 1 –
[La sagesse est-elle un don ?]
Sous-question 2 –
[La sagesse porte-t-elle seulement sur les réalités divines ?]
Article 2 – L’intelligence est-elle un don ?
Sous-question 1 –
[L’intelligence est-elle un don ?]
Sous-question 2 –
[Le don d’intelligence possède-t-il un acte en cours de route ?]
Sous-question 3 –
[L’intelligence se différencie-t-elle de la sagesse ?]
Article 2 – Le don de science porte-t-il seulement sur
les réalités humaines ?
Sous-question 1 –
[Le don de science porte-t-il seulement sur des réalités humaines ?]
Sous-question 2 – [Le
don de science est-il seulement pratique ou aussi spéculatif ?]
Sous-question 3 –
[La science des réalités humaines peut-elle comporter une curiosité
nuisible ?]
Article 4 – Le conseil est-il un don ?
Sous-question 1 –
[Le conseil est-il un don ?]
Sous-question 2 –
[Le don de conseil diffère-t-il du don de science ?]
Sous-question 3 –
[Le don de conseil aura-t-il un acte dans la patrie ?]
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 35
Distinction
36 – [Les vertus sont-elles connexes ?]
Question 1 – [Les vertus politiques sont-elles
connexes ?]
Article 1 – Les vertus politiques sont-elles
connexes ?
Article 2 – Les vertus gratuites sont-elles
connexes ?
Article 3 – Les dons sont-ils connexes ?
Article 4 – Les vertus sont-elles égales ?
Article 5 – Les vices sont-ils connexes ?
Article 6 – Le mode de la charité fait-il partie du
commandement ?
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 36
Distinction
37 – [Les commandements de la loi]
Article 1 – Était-il nécessaire de donner une loi
écrite ?
Article 3 – Les commandements du décalogue sont-ils
présentés de manière appropriée ?_
Sous-question 1 –
[Les commandements du décalogue sont-ils présentés de manière
appropriée ?]
Sous-question 2 –
[Doit-il y avoir dix commandements de la loi ?]
Sous-question 3 –
[Les commandements sont-ils mal ordonnés ?]
Article 3 – Tous les commandements de la loi sont-ils
ordonnés à ces dix [commandements] ?
Article 4 – Peut-il y avoir dispense des commandements du
décalogue ?
Article 5 – Était-il approprié d’ordonner l’observance du
sabbat ?
Sous-question 1 –
[Était-il approprié d’ordonner l’observance du sabbat ?]
Sous-question 2 –
[Le commandement de l’observance du sabbat était-il simplement moral ?]
Sous-question 3 –
[Le commandement sur le sabbat devait-il cesser au temps de la grâce ?]
Article 6 – Recevoir des intérêts est-il un péché ?
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 37
Distinction
38 – [Les commandements de la seconde table]
Article 1 – La définition du mensonge donnée dans le
texte est-elle appropriée ?
Article 2 – La division du mensonge donnée dans le texte
est-elle appropriée ?
Article 3 – Tout mensonge est-il un péché ?
Article 4 – Tout mensonge est-il un péché mortel ?
Article 5 – Les degrés de mensonges sont-ils attribués de
manière appropriée dans le texte ?
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 38
Article 1 – Le serment consiste-t-il à prendre Dieu à
témoin ?
Article 2 – Le serment porte-t-il sur ce qui doit être
désiré par soi ?
Sous-question 1 –
[Le serment porte-t-il sur ce qui doit être désiré par soi ?]
Sous-question 2 –
[Est-il permis de faire serment ?]
Sous-question 3 –
[La véracité, la justice et le jugement doivent-ils accompagner le
serment ?]
Article 4 – Un serment imprudent est-il
obligatoire ?
Sous-question 1 –
[Un serment imprudent est-il obligatoire ?]
Sous-question 2 –
[Le serment forcé est-il obligatoire ?]
Sous-question 3 –
[Le serment oblige-t-il selon l’intention de celui qui le reçoit ?]
Sous-question 1 –
[Tout parjure est-il un péché mortel ?]
Sous-question 2 –
[Est-il permis de recevoir ou d’exiger un serment ?]
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 39
Distinction
40 – [Les commandemenets se rapportant à la convoitise du cœur]
Article 3 – La loi ancienne justifiait-elle ?
Sous-question 3 – [La
loi ancienne était-elle plus lourde que la loi nouvelle ?]
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 40
Textum Parmae 1858 editum ac
automato translatum a Roberto Busa SJ in taenias magneticas denuo recognovit
Enrique Alarcón atque instruxit |
© Copyright,
traduction et notes par Jacques MÉNARD, 2010. |
LIBER 3 |
Livre
III
– [L’INCARNATION DU VERBE ET SES FRUITS]
|
|
|
Prooemium |
Introduction générale |
[7388] Super
Sent., lib. 3 pr. Ad locum unde
exeunt, flumina revertuntur ut iterum fluant. Eccle. 1, 7. Ex verbis istis duo possumus
accipere, in quibus hujus tertii libri materia comprehenditur, scilicet
divinae incarnationis mysterium, et ejus copiosum fructum. Mysterium incarnationis
insinuatur in fluminum reversione, cum dicitur: ad locum unde exeunt
flumina revertuntur. Sed incarnationis fructus ostenditur in iterato
fluxu, cum dicitur: ut iterum fluant. Flumina ista sunt naturales
bonitates quas Deus creaturis influit, ut esse, vivere, intelligere, et
hujusmodi: de quibus fluminibus potest intelligi quod dicitur Isaiae 41, 18: aperiam
in supremis montium flumina. Montes enim supremi sunt nobilissimae
creaturae, in quibus praedicta flumina aperiri dicuntur, quia in eis et
copiosissime recipiuntur, et sine imperfectione ostenduntur. Sed locus unde ista flumina exeunt, est
ipse Deus, de quo potest intelligi quod dicitur Isa. 53, 21: locus
fluviorum rivi latissimi et patentes; ac si diceret: in loco ortus
fluviorum rivi naturalium bonitatum eminenter inveniuntur; unde dicit: latissimi,
quantum ad perfectionem divinae bonitatis, secundum omnia attributa; et patentes,
quantum ad communicationem indeficientem; quia ejus bonitas, ex qua omnia
fluunt, nec exhauriri nec concludi potest. Ista flumina in aliis creaturis
inveniuntur distincta; sed in homine inveniuntur quodammodo aggregata: homo
enim est quasi orizon et confinium spiritualis et corporalis naturae, ut
quasi medium inter utrasque, bonitates participet et corporales et
spirituales; unde et omnis creaturae nomine homo intelligitur Marc. ult. ubi
dicitur: praedicate Evangelium omni creaturae; ut beatus Gregorius
exponit: et ideo quando humana natura per incarnationis mysterium Deo
conjuncta est, omnia flumina naturalium bonitatum ad suum principium reflexa
redierunt, ut possit dici quod legitur Josue 4, 17: reversae sunt aquae in
alveum suum, et fluebant sicut ante consueverant; unde et hic sequitur: ut
iterum fluant: in quo notatur incarnationis fructus: ipse enim Deus, qui
naturalia bona influxerat, reversis quodammodo omnibus per assumptionem humanae
naturae in ipsum, non jam Deus tantummodo, sed Deus et homo hominibus fluenta
gratiarum abundanter influxit: quia de plenitudine ejus omnes accepimus,
gratiam pro gratia: Joan. 1, 16. Et de isto influxu legitur Eccli. 39,
27: benedictio illius quasi fluvius inundabit. Et sic patet materia
tertii libri: in cujus prima parte agitur de incarnatione, in secunda de
virtutibus et donis nobis per Christum collatis. |
Les fleuves retournent à leur source pour couler à nouveau, Qo 1, 7. Nous pouvons tirer deux choses de ces paroles, dans lesquelles la matière de ce troisième livre est comprise, à savoir, le mystère de l’incarnation divine et son fruit abondant. Le mystère de l’incarnation est suggéré par le retour des fleuves, lorsqu’il est dit : Les fleuves retournent à leur source. Mais le fruit de l’incarnation est montré dans la reprise de l’écoulement, lorsqu’il est dit : Pour couler à nouveau. Ces fleuves sont les bontés naturelles que Dieu met dans les créatures, telles que l’être, la vie, l’intelligence et les choses de ce genre. On peut entendre de ces fleuves ce qui est dit en Is 41, 18 : Je ferai couler les fleuves au sommet des montagnes. En effet, les montagnes les plus élevées sont les créatures les plus nobles, chez lesquelles on dit que les fleuves en question coulent, parce qu’ils sont reçus avec la plus grande abondance et se manifestent sans imperfection. Mais le lieu qui est la source de ces fleuves est Dieu lui-même, dont on peut entendre ce qui est dit en Is 53, 21 : La source des fleuves a des rives très larges et bien dégagées, comme s’il disait : « Les rivages des biens naturels se trouvent surtout là où naissent les fleuves. » C’est pourquoi il dit : Très larges, pour ce qui est de la perfection de la bonté divine, selon tous ses attributs, et : Bien dégagées, pour ce qui est d’une communication sans faille, car sa bonté, qui est la source de toutes choses, ne peut être ni s’épuiser ni se terminer. Ces fleuves se trouvent séparés chez les autres créatures, mais, chez l’homme, ils se trouvent pour ainsi dire rassemblés. En effet, l’homme, comme horizon et frontière de la nature spirituelle et de la nature corporelle, participe aux bontés corporelles et aux bontés spirituelles comme un intermédiaire entre les deux. Aussi est-il question de l’homme lorsqu’on parle de toutes les créatures, en Mc 16 : Prêchez à toute créature, comme l’explique Grégoire. Ainsi, lorsque la nature humaine a été unie à Dieu par le mystère de l’incarnation, tous les fleuves des bontés naturelles sont-ils retournés vers leur origine, de sorte qu’on peut dire ce qu’on lit en Jos 4, 18 : Les eaux sont revenues dans leur lit et coulaient comme elles en avaient l’habitude. Aussi conclut-on ici : Pour qu’ils coulent de nouveau, par quoi est indiqué le fruit de l’incarnation. En effet, Dieu, qui avait mis dans la nature humaine des biens naturels, en les ramenant tous d’une certaine manière lorsqu’il a pris en lui la nature humaine, a communiqué une abondance de grâces aux hommes, non seulement en tant que Dieu, mais en tant que Dieu et homme, car nous avons tous reçu de sa plénitude, grâce sur grâce, Jn 1, 16. On lit à propos d’une telle communication en Si 39, 22 : Sa bénédiction recouvrira tout comme un fleuve. Ainsi se manifeste la matière du troisième livre : dans sa première partie, il est question de l’incarnation ; dans la seconde, des vertus et des dons qui nous sont conférés par le Christ. |
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Distinctio 1 |
Distinction 1 – [L’incarnation, du point de vue de celui qui
assume]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Était-il possible à Dieu de s’incarner ?]
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Prooemium |
Prologue |
[7389] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 pr. Postquam Magister in duobus praecedentibus
libris determinavit de rebus divinis secundum exitum a principio, in hoc
libro incipit determinare de rebus quae dicuntur divinae, secundum reditum in
finem, scilicet Deum; unde dividitur haec pars in duas partes: in prima
determinat istum reditum in finem ex parte reducentium; in secunda quantum ad
ea quae exiguntur ex parte reductorum, scilicet sacramenta, quae ad gratiam
disponunt: et hoc in 4 libro. Prima dividitur in duas partes: in prima
determinat de reducente effective, scilicet de Deo incarnato; in secunda de reducentibus
formaliter, ut sunt virtutes et dona, 23 dist.: cum vero supra perhibitum
sit Christum plenum gratia fuisse, non est supervacuum inquirere, utrum fidem
et spem, sicut caritatem habuerit. Prima dividitur in duas partes: in prima
determinat de divina incarnatione; in secunda prosequitur conditiones ipsius
Dei incarnati, dist. 6: ex praemissis autem emergit quaestio plurimum
continens utilitatis. Prima dividitur in tres partes: in prima determinat
de incarnatione ex parte assumentis carnem, quis sit; in secunda ex parte
assumpti, quid sit, dist. 2: et quia in homine tota humana natura corrupta
erat, totam assumpsit; in tertia ex parte utriusque, cujusmodi sit, dist.
5: praeterea inquiri oportet quid horum potius concedendum sit. Prima
dividitur in tres partes: in prima ostendit per auctoritatem apostoli, quae
sit persona assumens, quia filius; in secunda inquirit rationem, quare potius
filius quam alia persona, ibi: diligenter vero annotandum est, quare
filius, non pater vel spiritus sanctus, incarnatus est; in tertia
excludit objectionem, ibi: sed forte aliqui dicent. Diligenter vero annotandum
est et cetera. Hic assignat rationem quare persona filii carnem
assumpsit; et dividitur in duas partes: in prima dicit, quod magis congruum
fuit filium incarnari quam patrem aut spiritum sanctum; in secunda inquirit,
utrum possibile fuerit patrem aut spiritum sanctum incarnari, ibi: si vero
quaeritur, utrum pater vel spiritus sanctus incarnari potuerit, vel etiam
modo possit: sane responderi potest, et potuisse olim et posse nunc carnem
sumere. Circa primum assignat tres rationes, quare filius carnem
assumpsit: quarum prima sumitur ex appropriato filii, quod est sapientia;
secunda ex origine ipsius, quia est ab alio, ibi: ideo est filius; tertio
ex proprio ipsius, quia filius est, ibi: quod ideo factum est ut qui erat
in divinitate Dei filius, in humanitate fieret hominis filius. Hic est
duplex quaestio: prima de incarnatione: secunda de persona carnem assumente.
Circa primum quaeruntur quatuor: 1 utrum Deum incarnari fuerit possibile; 2
utrum fuerit congruum; 3 utrum incarnatio fuisset, si homo non peccasset; 4
de tempore incarnationis. |
Après avoir déterminé dans les deux livres précédents des réalités divines selon qu’elles sortent de leur principe, le Maître commence à déterminer dans ce livre des choses qu’on appelle divines, selon leur retour à leur fin, à savoir, Dieu. Cette partie se divise donc en deux parties : dans la première, il détermine de ce retour à la fin du point de vue de ce qui les ramène; dans la seconde, selon ce qui est exigé du point de vue de ce qui est ramené, à savoir, les sacrements, qui disposent à la grâce. C’est là l’objet du livre IV. La première partie se divise en deux parties : dans la première, il détermine de ce qui ramène à titre de cause efficiente, à savoir, Dieu incarné ; dans la seconde, de ce qui ramène par mode de forme, comme les vertus et les dons, d. 23 : « Alors qu’il a été montré plus haut que le Christ était rempli de grâce, il n’est pas superflu de se demander s’il a eu la foi, l’espérance et la charité. » La première [partie] est divisée en deux parties : dans la première, il détermine de l’incarnation divine ; dans la seconde, il recherche les conditions du Dieu incarné lui-même, d. 6 : « De ce qui a été dit plus haut, ressort une question qui est très utile. » La première [partie] est divisée en trois parties. Dans la première, il détermine de celui qui s’incarne du point de vue de celui qui prend chair. Dans la deuxième, du point de vue de ce qui est assumé, d. 2 : « Et parce que, chez l’homme, toute la nature humaine avait été corrompue, il l’assume en entier. » Dans la troisième, du point de vue de ce qui concerne les deux, d. 5 : « De plus, il faut se demander ce qui doit être plutôt concédé parmi ces choses. » La première [partie] est divisée en trois parties. Dans la première, il montre, selon l’autorité de l’Apôtre, quelle est la personne qui assume, le Fils ; dans la deuxième, il cherche la raison pour laquelle c’est le Fils plutôt qu’une autre personne, à cet endroit : « Il faut relever avec soin pour quelle raison le Fils, et non le Père ou l’Esprit Saint, s’est incarné » ; dans la troisième, il écarte une objection, à cet endroit : « Mais peut-être certains diront-ils… » « Il faut relever avec soin, etc. » Ici, il donne la raison pour laquelle la personne du Fils a pris chair. Il y a deux parties : dans la première, il dit qu’il convenait davantage que le Fils s’incarne, que le Père ou l’Esprit Saint ; dans la deuxième, il demande s’il aurait été possible que le Père ou l’Esprit Saint s’incarnent, à cet endroit : « Mais si on demande si le Père ou l’Esprit Saint pouvait s’incarner ou même s’ils le peuvent maintenant, on peut assurément répondre qu’ils pouvaient autrefois et qu’ils peuvent maintenant prendre chair. » À propos du premier point, il donne trois raisons pour lesquelles le Fils a pris chair. La première vient de ce qui est approprié au Fils, la sagesse ; la deuxième, de son origine, car il vient d’un autre, puisqu’il est le Fils, à cet endroit : « C’est pourquoi il arriva que celui qui était Fils de Dieu par sa divinité devint fils de l’homme par son humanité. » Ici, il y a deux questions : la première, à propos de l’incarnation ; la seconde, à propos de la personne qui prend chair. À propos de la première, quatre questions sont posées : 1 – Était-il possible que Dieu s’incarne ? 2 – Cela était-il convenable ? 3 – L’incarnation aurait-elle eut lieu si l’homme n’avait pas péché ? 4 – À propos du moment de l’incarnation. |
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Articulus 1 [7390] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1
tit. Utrum Deum
incarnari fuerit possibile |
Article 1 – Était-il possible que Dieu s’incarne ? |
[7391] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1
a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod impossibile fuerit Deum assumere carnem. Omne enim quod
est alteri unibile, possibile est ad unionem. Sed omne possibile ad aliquid,
reducitur ad actum per motum vel passionem, et ab aliquo alio primo agente,
cum non sit idem movens et motum, agens et patiens. Cum ergo impossibile sit
Deum mutari vel pati, nec aliquid prius eo esse possit; videtur quod carni
unibilis non fuerit. |
1. Il semble qu’il était impossible que Dieu prenne chair. En effet, tout ce qui peut être uni à quelque chose rend l’union possible. Or, tout ce qui est possible pour quelque chose est amené à l’acte par un mouvement ou une passion, et par un premier agent, puisque ce qui meut et ce qui est mû, l’agent et le patient, ne sont pas la même chose. Puisqu’il est impossible que Dieu soit changé ou subisse, et qu’il ne peut exister quelque chose qui lui soit antérieur, il semble donc qu’il ne pouvait être uni à la chair. |
[7392] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1
arg. 2 Praeterea,
illud quod est perfectum in esse, non unitur alicui unione essentiali: unio
enim essentialis est ex actu et potentia, vel ex forma et materia; quorum
utrumque est imperfectum in esse. Ergo quod omnibus modis perfectum est,
nullo modo alteri uniri potest: quod enim perfectissimum est, additionem non
recipit, cum nihil sibi desit. Sed Deus est omnibus modis perfectus, quia in
se omnem perfectionem praehabet, ut dicit Dionysius, et etiam philosophus, et
Commentator ejus. Ergo ipse unibilis alteri non est. |
2. Ce qui est parfait dans l’être n’est pas uni à quelque chose par une union essentielle. En effet, l’union essentielle vient de l’acte et de la puissance, ou de la forme et de la matière, dont chacun est imparfait dans l’être. Ce qui est parfait de toutes les manières ne peut donc aucunement être uni à autre chose. En effet, ce qui est parfait au plus haut point ne reçoit pas d’ajout, puisqu’il ne lui manque rien. Or, Dieu est parfait de toutes les manières, car il possède déjà en lui-même toute perfection, comme le disent Denys, de même que le Philosophe et son Commentateur. Il ne peut donc être uni à autre chose. |
[7393] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1
arg. 3 Praeterea,
infinite distantium non est aliqua proportio. Quorum autem non est proportio,
non est possibilis unio; unde non quodlibet cuilibet uniri potest. Cum ergo
Deus et creatura in infinitum distent, videtur quod Deus creaturae uniri non
possit. |
3. Il n’existe pas de proportion entre des choses infiniment distantes. Or, l’union n’est pas possible entre des choses qui n’ont pas de proportion ; aussi n’importe quoi ne peut-il donc être uni à n’importe quoi. Puisque Dieu et la créature sont infiniment distants, il semble donc que Dieu ne puisse s’unir à la créature. |
[7394] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1
arg. 4 Praeterea, major est distantia Dei et
creaturae, quam duorum contrariorum; cum contraria in genere conveniant, et
Deus non contineatur in aliquo genere. Sed duo contraria non possunt simul
esse in eodem. Ergo nec natura humana et divina possunt esse in una persona;
et sic idem quod prius. |
4. La distance est plus grande entre Dieu et la créature qu’entre deux contraires, puisque les contraires ont le genre en commun, et que Dieu n’est pas contenu dans un genre. Or, deux contraires ne peuvent se trouver en même temps dans la même chose. Ni la nature humaine ni la nature divine ne peuvent donc exister dans une seule personne. La conclusion est donc la même que précédemment. |
[7395] Super Sent., lib. 3 d. 1
q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, ad infinitatem divinae potentiae exigitur quod neque sit
corpus neque virtus in corpore, ut probatur. Sed potentia Dei nunquam potest esse finita. Ergo nunquam potest Deus
esse corpus vel virtus in corpore. Sed esse incarnatum est corpus, vel virtus
in corpore. Ergo Deus non potest incarnari. |
5. Il est requis que la puissance divine
n’ait ni un corps, ni une puissance dans un corps, comme cela est démontré.
Or, la puissance de Dieu ne peut jamais être finie. Dieu ne peut donc jamais
être un corps ou une puissance dans un corps. Or, être incarné, c’est être un
corps ou une puissance dans un corps. Dieu ne peut donc s’incarner. |
[7396] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 s.
c. 1 Sed contra est
quod Deus plus potest facere quam homo potest dicere. Luc. 1, 37: non erit
impossibile apud Deum omne verbum. Sed hoc homo potest dicere, scilicet
Deum humanam naturam assumere; nec contradictionem implicat, nec aliquem
defectum in Deo ponit hoc dictum. Ergo Deus multo fortius hoc facere potest. |
Cependant, [1] Dieu peut faire plus que l’homme ne peut dire. Lc 1, 37 : Aucune parole n’est impossible pour Dieu. Or, l’homme peut dire que Dieu prend la nature humaine : cela ne comporte pas de contradiction, et ce qui est dit n’introduit pas de carence en Dieu. À plus forte raison, Dieu peut donc faire cela. |
[7397] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 s.
c. 2 Praeterea, eorum quae habent
similitudinem, facilis est unio. Sed homo creatus est ad imaginem et similitudinem
Dei: Genes. 1. Ergo humana
natura divinae aliquo modo unibilis est in persona. |
[2] L’union est facile entre des choses qui ont une similitude. Or, l’homme a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, Gn 1. La nature humaine peut donc d’une certaine manière être unie à la nature divine dans une personne. |
[7398] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, in creaturis
secundum divisionem suppositorum dividitur natura. Sed in divinis possunt esse plures personae
in una natura. Ergo et pari ratione possunt esse plures naturae in una
persona; et sic idem quod prius. |
[3] Chez les créatures, la nature se divine selon les suppôts. Or, en Dieu, il peut exister plusieurs personnes dans une seule nature. Pour la même raison, il peut donc exister plusieurs natures dans une seule personne. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[7399] Super Sent., lib. 3 d. 1
q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod unio aliquorum duorum vel trium potest esse tripliciter. Uno modo secundum quod
aliqua non uniuntur ad invicem nisi per conjunctionem eorum in aliquo uno.
Quaedam vero uniuntur e converso per conjunctionem eorum ad invicem, et
aliquo uno, quod ex eorum conjunctione constituitur. Quaedam vero per conjunctionem
eorum ad invicem, sed non in aliquo uno, quia ex eorum conjunctione nihil resultat.
Primum horum contingit quatuor modis. Quia vel illud unum in quo
conjunguntur, est idem numero, sicut duo brachia conjunguntur in uno pectore,
vel duo rami qui se non tangunt nisi in uno trunco: vel unum secundum speciem,
sicut Socrates et Plato in homine: vel unum genere, sicut homo et asinus in
animali: vel unum analogia sive proportione, sicut substantia et qualitas in
ente: quia sicut se habet substantia ad esse sibi debitum, ita et qualitas ad
esse sui generis conveniens. Quae vero junguntur ad invicem, et in aliquo uno ex eorum conjunctione
constituto, sunt sicut materia et forma: quia forma conjungitur materiae ut
perfectio ejus, et ambo conjunguntur in natura communi: et simile est de
partibus quantitativis continuatis ad invicem, ita quod ex eis proveniat
aliquod totum, in quo duae partes conveniant. Ea vero quae uniuntur ad
invicem et non in aliquo uno, sunt sicut accidens et subjectum, ex quibus non
efficitur unum per se, cujus subjectum et accidens partes dici possint ut
probatur in 8 Metaph. Et quia, ut dicit Hilarius 1 de Trin., comparatio
terrenorum ad Deum nulla est; nec exemplum sufficiens rebus divinis ratio
humana praestabit; sciendum est, quod nullus istorum modorum competit ex toto
ineffabili unioni qua Deus homini unitus est; sed tamen aliqui istorum
modorum quantum ad aliquid repraesentant illum modum unionis. Sciendum est
ergo, quod medius modus quo aliqua conjunguntur ad invicem, ut ex eis aliquod
tertium resultet, omnino non potest Deo convenire: quia duo quae conjunguntur
secundum hunc modum, se habent ad tertium ut partes: ratio autem partis,
sicut et imperfecti, penitus a Deo removetur. Primum vero modum et tertium
quantum ad aliquid possibile est Deo convenire. In incarnatione enim ex parte
assumentis duo possunt considerari; scilicet persona et natura. Si autem
consideremus personam assumentem, sic conjungitur humanae naturae assumptae
tertio modo conjunctionis: quia persona divina fit persona hujus naturae
humanae: sed ex his duobus non resultat aliquod tertium, sicut etiam in
Socrate ex persona ejus et natura non fit aliquod tertium, sed persona ejus
in humana natura subsistit. Si autem consideremus naturam assumentis, sic
conjunctio ejus ad naturam humanam est secundum primum modum conjunctionis,
inquantum duae naturae in una persona conveniunt, quae in naturalibus
proprietatibus nihilominus distinctae sunt. Et ideo incarnatio insertioni comparatur:
sicut enim in insertione in eodem trunco in quo erat unus ramus per naturam,
fit ramus alius per insertionem; ita in eadem persona in qua naturaliter erat
divina natura, est per unionem humana natura. In uno autem genere vel specie Deum et creaturam convenire impossibile
est; sed per analogiam possibile est. Sed hoc ex tunc fuit ex quo creaturae
esse coeperunt: et ideo de hoc non est ad praesens quaestio. |
Réponse. L’union entre deux ou trois choses peut exister de trois façons. D’une manière, parce que des choses ne sont unies entre elles que par l’union avec une autre chose. Mais, en sens inverse, certaines choses sont unies par leur union réciproque et avec une autre chose, qui est réalisée par leur union. Cependant, certaines choses [sont unies] par leur union réciproque, mais non avec une autre chose, car rien ne résulte de leur union. Le premier mode se produit de quatre manières. En effet, soit que cette chose unique en laquelle elles unies est identique en nombre, comme les deux bras sont unis à un seul torse ou comme deux branches qui ne se touchent que par le tronc ; soit que cette chose est une selon l’espèce, comme Socrate et Platon dans l’homme, ou une selon le genre, comme l’homme et l’âme dans l’animal ; soit [qu’elle est] une par une analogie ou une proportion, comme la substance et la qualité dans un être, car le rapport entre la substance et l’être qui lui est dû est le même qu’entre la qualité et l’être qui lui convient selon son genre. Mais ce qui est uni réciproquement et avec une autre chose réalisée par leur union est comme la matière et la forme, car la forme est unie à la matière comme sa perfection, et les deux sont unies dans une nature commune. De même en est-il des parties quantitatives continues les unes par rapport aux autres, de sorte qu’un tout provient d’elles, dans lequel deux parties ont quelque chose en commun. Mais les choses qui sont unies les unes par rapport aux autres, mais non dans une autre, sont comme l’accident et le sujet, par lesquels n’est pas réalisé quelque chose d’un par soi, dont le sujet et l’accident puissent être appelés les parties, comme cela est démontré dans Métaphysique, VIII. Et parce que, ainsi que le dit Hilaire dans La Trinité, I, il n’y a aucune comparaison entre les réalités terrestres et Dieu, et que la raison n’apportera aucun exemple suffisant des réalités divines, il faut savoir qu’aucune de ces manières ne convient entièrement à l’union ineffable par laquelle Dieu est uni à l’homme. Cependant, certaines de ces manières représentent partiellement ce mode d’union. Il faut donc savoir que le mode intermédiaire selon lequel certaines choses sont unies réciproquement, de sorte qu’une troisième chose en résulte, ne peut d’aucune manière convenir à Dieu, car les deux choses qui sont unies de cette manière se trouvent être des parties de la troisième. Or, la raison de partie, comme celle d’imparfait, est totalement écartée de Dieu. En effet, dans l’incarnation, deux choses peuvent être prises en compte du point de vue de celui qui assume : la personne et la nature. Or, si nous considérons la personne qui assume, elle est unie à la nature humaine assumée selon le troisième mode d’union, car la personne divine devient la personne de cette nature humaine ; mais il ne résulte pas de ces deux choses une troisième, comme une troisième chose n’est pas réalisée chez Socrate par sa personne et sa nature, mais sa personne subsiste dans la nature humaine. Toutefois, si nous considérons la nature de celui qui assume, son union à la nature humaine se réalise selon le premier mode d’union, dans la mesure où les deux natures se retrouvent dans une seule personne, alors qu’elles sont néanmoins distinctes par leurs propriétés naturelles. C’est pourquoi l’incarnation est comparée à une greffe : en effet, de même que, par la greffe à un même tronc où se trouvait une branche par nature, une autre branche apparaît par la greffe, de même, dans la même personne où se trouvait naturellement la nature divine, se trouve la nature humaine par l’union. Or, il est impossible que Dieu et la créature se retrouvent dans un seul genre ou une seule espèce, mais cela est possible par analogie. Mais cela a existé depuis le moment où les créatures ont commencé à exister. C’est pourquoi telle n’est pas présentement la question. |
[7400] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 ad
1 Ad primum ergo
dicendum, quod contingit aliquando in relativis aliquid relative dici, non
quia ipsum referatur, sed quia alterum refertur ad ipsum, sicut scibile
relative dicitur ad scientiam: et in talibus aliquid incipit dici de novo
quod prius non dicebatur, nulla mutatione facta circa ipsum, sed circa
alterum: nulla enim mutatione facta circa scibile, incipit esse a me scitum
per mei mutationem: et similiter dicitur res scibilis non per potentiam
passivam quae sit in ipsa, sed per potentiam quae est in sciente: et sic est
in proposito. Non enim
potest esse ut creator ad creaturam referatur nisi quia creatura ad ipsum
refertur, in qua relatio realiter existit, ut in 1 Lib. dictum est, dist. 30;
et ideo Deus dicitur uniri non per mutationem sui, sed ejus cui unitur: et
similiter cum dicitur unibilis, hoc dicitur non per potentiam aliquam
passivam in Deo existentem, sed per potentiam quae in creatura est ut uniri
possit. Vel potest
dici, quod unibile non dicit potentiam passivam, sed activam. Sed haec
responsio non congruit propter duo. Primo ex ipsa significatione nominis:
quia unibile significat possibile uniri; unitivum vero potens unire. Secundo,
quia cujus est actio ejus est potentia: unde cum haec actio quae est unire,
conveniat indifferenter toti Trinitati; et unibile si dicit activam potentiam
unionis, toti Trinitati indifferenter conveniet, et non magis congruet filio,
ut in littera dicitur. |
[1] Il arrive parfois que, dans les choses relatives, on dise quelque chose de manière relative, non pas parce que cela est mis en rapport, mais parce que quelque chose d’autre est mis en rapport avec cela, comme ce qui est connaissable est mis en rapport avec la science. Pour de telles choses, on commence à dire quelque chose qui n’était pas dit auparavant, sans mentionner la chose, mais son rapport à quelque chose d’autre. En effet, sans qu’aucun changement n’ait lieu dans ce qui peut être connu, cela commence à être connu par moi par un changement de ma part. De même, une chose est dite connaissable, non pas par une puissance passive qui est en elle, mais par une puissance qui se trouve dans celui qui connaît. Tel est le cas ici. En effet, il ne peut arriver que le Créateur soit mis en rapport avec la créature que parce que la créature, chez qui la relation existe réellement, est mise en rapport avec lui, comme on l’a dit dans le livre I, d. 30. C’est pourquoi on dit que Dieu est uni, non par un changement de sa part, mais par un changement de la part de ce qui est uni. De même, lorsqu’on dit qu’il peut être uni, on le dit, non pas en raison d’une puissance passive existant en Dieu, mais d’une puissance d’être unie qui existe dans la créature. Ou bien on peut dire que ce qui peut être dit ne signifie pas une puissance passive, mais active. Mais cette réponse ne convient pas pour deux raisons. Premièrement, en raison de la signification même du mot, car ce qu’il est possible d’unir signifie ce qui peut uni, mais ce qui unit, ce qui peut unir. Deuxièmement, parce que la puissance appartient à ce à quoi appartient l’action. Ainsi, puisque cette action, qui consiste à unir, convient de manière indifférenciée à la Trinité, ce qui peut être uni, si on exprime par là la puissance active d’unir, conviendra aussi de manière indifférenciée à la Trinité, et ne conviendra pas plutôt au Fils, comme on le dit dans le texte. |
[7401] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod illud quod est perfectum in se, non unitur alteri ad
acquirendum aliquam perfectionem, sed ad communicandum: et sic Deus homini
uniri voluit non propter se, quia non habet quo crescat ejus perfectio, sed
propter hominem cui subveniendum erat: sicut etiam Deus est in omnibus per
essentiam, praesentiam et potentiam, suam bonitatem in omnibus diffundendo;
ex quo tamen nihil sibi accrescit. |
[2] Ce qui est parfait en soi n’est pas uni à quelque chose d’autre pour acquérir une perfection, mais pour la communiquer. Ainsi, Dieu a voulu être uni, non pas pour lui-même, car sa perfection n’y trouve pas à s’accroître, mais pour l’homme, au secours de qui il devait venir ; comme aussi Dieu existe en toutes choses par son essence, sa présence et sa puissance, en diffusant sa bonté en toutes choses, sans en être en rien accru. |
[7402] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
proportio dicitur dupliciter. Uno modo idem est proportio quod certitudo mensurationis duarum
quantitatum: et talis proportio non potest esse nisi duorum finitorum, quorum
unum excedit secundum aliquid certum et determinatum. Alio modo dicitur
proportio habitudo ordinis, sicut dicimus esse proportionem inter materiam et
formam, quia se habet in ordine, ut perficiatur materia per formam, et hoc
secundum proportionabilitatem quamdam: quia sicut forma potest dare esse, ita
et materia potest recipere idem esse: et hoc modo etiam movens et motum
debent esse proportionabilia, et agens et patiens, ut scilicet sicut agens
potest imprimere aliquem effectum, ita patiens possit recipere eumdem. Nec oportet ut
commensuretur potentia passiva recipientis ad potentiam activam agentis nec
secundum numerum (sicut unus artifex per artem suam potest in ligno inducere
plures formas, ut formam arcae, et formam serrae; sed lignum non potest
recipere nisi unam illarum) nec etiam secundum intentionem: quia artifex per
suam artem potest producere pulchram sculpturam, quam tamen lignum nodosum
non potest recipere. Et ideo non
est inconveniens ut hic modus proportionis inter Deum et creaturam salvetur,
quamvis in infinitum distent: et ideo possibilis est unio utriusque. |
[3] On parle de proportion de deux manières. D’une manière, la proportion est la même chose qu’une mesure assurée entre deux quantités. Une telle proportion ne peut exister qu’entre deux réalités finies, dont l’une dépasse selon quelque chose de précis et de déterminé. D’une autre manière, on appelle proportion un rapport d’ordre, comme lorsque nous disons qu’il existe une proportion entre la matière et la forme, car [la matière] est ordonnée à être perfectionnée par la forme, et cela selon une certaine possibilité de proportion, car, de même que la forme peut donner l’être, de même la matière peut-elle aussi recevoir le même être. De cette manière, même ce qui meut et ce qui est mû doivent être susceptibles de proportion, ainsi que l’agent et le patient, de sorte que, de même que l’agent peut provoquer un certain effet, de même ce qui subit peut-il recevoir ce même [effet]. Et il n’est pas nécessaire que la puissance passive de ce qui reçoit soit égale à la puissance active de l’agent, ni selon le nombre (comme un artisan peut par son art introduire plusieurs formes dans le bois, ainsi la forme d’une arche et la forme d’un charriot; mais le bois ne peut recevoir qu’une seule d’entre elles), ni même selon l’intention, car l’artisan peut par son art produire une belle sculpture, que le bois plein de nœuds ne peut cependant recevoir. C’est pourquoi il n’est pas inapproprié que ce mode de proportion entre Dieu et la créature soit conservé, bien qu’il existe une distance infinie entre eux. C’est la raison pour laquelle l’union des deux est possible. |
[7403] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 ad
4 Ad quartum dicendum, quod contraria
nunquam possunt uniri hoc modo quod insint eidem secundum idem; et sic etiam
nec creatura creatori unitur; quia secundum Damascenum, quod erat increabile,
mansit increabile; et quod erat creabile, mansit creabile. |
[4] Les contraires ne peuvent jamais être unis de manière à être présents dans la même chose sous le même aspect. Aussi la créature n’est-elle pas unie au créateur de cette manière, car, selon [Jean] Damascène, « ce qui ne pouvait être créé demeure impossible à créer, et ce qui pouvait être créé, il demeure possible de le créer ». |
[7404] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 ad
5 Ad quintum dicendum, quod aliquid
dicitur esse virtus in corpore pluribus modis. Uno modo quia est forma
corporis, et non habet operationem nisi mediante corpore; et sic potentiae
sensitivae, et quae infra eas sunt dignitate, dicuntur virtutes in corpore.
Alio modo potest dici virtus in corpore, quia est forma dans esse corpori,
non tamen operans mediante corpore, quamvis indigeat corpore ad suam
operationem, per quod repraesentatur sibi suum objectum: et hoc modo intellectus
possibilis est virtus in corpore. Alio modo posset dici virtus in corpore
quod est forma corporis, quamvis non operetur mediante corpore, nec a corpore
aliquid recipiat; sicut dixerunt de animabus orbium, qui posuerunt caelos
animatos anima intellectuali tantum. Et patet, quia esse virtutem in corpore
significat vel esse formam corporis, vel etiam cum hoc dependere aliquo modo
ejus operationem a corpore: quorum neutrum de Deo dicimus, secundum quod
incarnatus est. Unde ad hoc
quod ponamus eum incarnatum, non oportet quod ponamus eum virtutem in
corpore, vel aliquo modo ad corpus finiri. |
[5] On parle de puissance dans un corps de plusieurs manières. D’une manière, parce qu’elle est la forme du corps et ne possède d’opération que par l’intermédiaire du corps. Les puissances sensibles, et celles qui leur sont inférieures en dignité, sont appelées des puissances dans le corps. D’une autre manière, on parle de puissance dans le corps parce qu’elle est la forme qui donne son être au corps, mais qui n’agit cependant pas par l’intermédiaire du corps, bien qu’elle ait besoin, pour son opération, du corps qui lui présente son objet. C’est de cette manière que l’intellect possible est une puissance dans le corps. D’une autre manière, on peut parler d’une puissance dans le corps qui est la forme du corps, bien qu’elle n’agisse pas par l’intermédiaire du corps ni ne reçoive quelque chose du corps, comme ceux qui affirmaient que le ciel était animé par une âme intellectuelle seulement parlaient des âmes des sphères. Et cela est clair, car être une puissance dans un corps signifie soit être la forme du corps, soit que son opération dépend d’une certaine manière du corps. Nous ne disons aucune des deux choses de Dieu, en tant qu’il s’est incarné. Aussi pour que nous affirmions qu’il s’est incarné, il n’est pas nécessaire que nous affirmions qu’il est une puissance dans un corps ou qu’il est d’une certaine manière limité à un corps. |
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Articulus 2 [7405] Super Sent., lib.
3 d. 1 q. 1 a. 2 tit. Utrum Deum
incarnari fuerit congruum |
Article 2 – Était-il convenable que Dieu s’incarne ? |
[7406] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod
non fuerit congruum Deum incarnari, etsi fuerit possibile. Sicut enim
bonitati opponitur malitia, ita majestati opponitur infirmitas. Sed summam
bonitatem non decet assumere aliquam malitiam. Ergo summae majestati indecens
est omnis infirmitas. Omnis autem sapiens vitat indecentiam. Ergo cum Deus
sit sapientissimus, nullo modo nostram naturam, quae infirma est, assumere
debuit. |
1. Il semble qu’il n’était pas convenable que Dieu s’incarne, même si cela était possible. En effet, de même que la bonté s’oppose à la malice, de même la faiblesse s’oppose-t-elle à la majesté. Or, il ne convient pas que la plus grande bonté assume la malice. Toute faiblesse était donc inappropriée pour la plus haute majesté. Or, tout sage évite ce qui n’est pas approprié. Puisque Dieu est le plus sage, il ne devait donc d’aucune manière assumer notre nature qui est faible. |
[7407] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea, peccatum hominis et
peccatum Angeli fuerunt ejusdem generis, quia uterque per superbiam peccavit.
Sed Deus
Angelorum peccato non subvenit per alicujus naturae assumptionem. Ergo nec
peccato hominis subvenire debuit per incarnationem. |
2. Le péché de l’homme et le péché de l’ange étaient du même genre, car les deux ont péché par orgueuil. Or, Dieu n’est pas venu au secours du péché des anges en prenant de quelque manière leur nature. Il ne devait donc pas venir au secours du péché de l’homme par l’incarnation. |
[7408] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, creatio
recreationi respondet. Sed Deus ad creationem hominis nullam creaturam
assumpsit. Ergo nec ad ejus recreationem incarnari eum congruum fuit. |
3. La création répond à la recréation. Or, Dieu n’a assumé aucune créature pour la création de l’homme. Il ne convenait donc pas qu’il s’incarne pour sa recréation. |
[7409] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, ut in Psalm.
144, 9, dicitur, miserationes ejus super omnia opera ejus. Ergo plus
decuit quod Deus ostenderet immensitatem suae misericordiae quam severitatem
suae justitiae. Sed ad magnitudinem misericordiae pertinet ut peccata sine
satisfactione remittantur: unde et a Deo nobis praecipitur ut debitoribus
nostris gratis dimittamus. Ergo et Deus naturam humanam gratis reparare
debuit, non expetendo satisfactionem: et ita non fuit opportunum ut Deus homo
fieret ad satisfaciendum pro hominibus. |
4. Comme le dit le Ps 144, 9, sa miséricorde l’emporte sur toutes ses œuvres. Il convenait donc davantage que Dieu manifeste l’immensité de sa miséricorde que la sévérité de sa justice. Or, il relève de la grandeur de sa miséricorde qu’il remette les péchés sans satisfaction ; aussi nous est-il ordonné par Dieu de remettre gratuitement à nos débiteurs. Dieu devait donc réparer gratuitement la nature humaine, sans exiger de satisfaction. Ainsi n’était-il pas opportun que Dieu devienne homme afin de satisfaire pour les hommes. |
[7410] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2
arg. 5 Praeterea,
nulla crudelitas Deo est attribuenda, quia summe est misericors. Sed exigere
ab aliquo plus quam potest, est crudele. Ergo Deus non exigit satisfactionem
ab homine quam homo non potest implere; et ita homo per se potest
satisfacere: et sic non fuit necessarium quod Deus incarnaretur. |
5. Aucune cruauté ne doit être attribuée à Dieu, car il est miséricordieux au plus haut point. Or, exiger de quelqu’un plus qu’il ne peut est cruel. Dieu n’exige donc pas de l’homme une satisfaction que l’homme ne peut accomplir. Ainsi, l’homme peut satisfaire par lui-même. Il n’était donc pas nécessaire que Dieu s’incarne. |
[7411] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2
arg. 6 Praeterea,
quicumque potest satisfacere pro majori peccato, potest satisfacere pro
minori. Sed mortale peccatum actuale est majus quam originale, quia habet
plus de voluntario. Ergo cum homo possit pro mortali satisfacere, potest pro
originali multo fortius satisfacere; et sic idem quod prius. |
6. Quiconque peut satisfaire pour un péché plus grand peut satisfaire pour un plus petit. Or, un péché mortel actuel est plus grand que le péché originel, car il comporte plus de volontaire. Puisque l’homme peut satisfaire pour un péché mortel, il peut à bien plus forte raison satisfaire pour le péché originel. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[7412] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2
arg. 7 Praeterea, in
primo parente idem fuit peccatum originale et actuale. Sed ipse per
poenitentiam de peccato actuali satisfecit. Ergo et de originali potuit
satisfacere; et sic idem quod prius. |
7. Chez le premier parent, le péché originel était le même que le péché actuel. Or, il a lui-même satisfait par la pénitence pour le péché actuel. Il pouvait donc satisfaire pour le péché originel. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[7413] Super Sent., lib.
3 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 8 Praeterea, secundum Dionysium, lex divinitatis est ultima per media
reducere. Sed homo per peccatum a Deo abjectus erat. Ergo cum natura angelica inter naturam
divinam et humanam sit media, ut in 4 cap. Cael. Hierar. ostenditur, videtur quod etsi homo sufficienter
satisfacere non poterat, per Angelum hoc fieri debuerit, et non per Deum incarnatum. |
8. Selon Denys, la
loi de la divinité consiste à ramener les dernières choses par les réalités
intermédiaires. Or, l’homme avait été rejeté loin de Dieu par le péché.
Puisque la nature angélique est intermédiaire entre la nature divine et la
nature humaine, comme cela est montré dans La hiérarchie céleste, IV, il semble donc que, même si l’homme ne
pouvait satisfaire suffisamment, cela devait être accompli par un ange, et
non par Dieu incarné. |
[7414] Super Sent., lib.
3 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 9 Praeterea, quodlibet bonum creatum finitum est. Sed bonum totius
humanae naturae est creatum: quolibet autem finito potest Deus facere aliquid
majus. Ergo Deus potest facere unam creaturam, cujus bonitas praeponderet
bonitati totius naturae humanae. Ergo per illam posset recompensari corruptio
totius humanae naturae: et ita videtur quod non oportuit ad reparationem
humani generis Deum incarnari. |
9. Tout bien créé est fini. Or, le bien de toute la nature humaine est créé. Mais Dieu peut faire quelque chose de plus grand que tout ce qui est fini. Dieu peut donc faire une créature dont la bonté l’emporterait sur la bonté de toute la nature humaine. Il pourrait donc compenser par elle la corruption de toute la nature humaine. Il semble ainsi qu’il n’était pas nécessaire que Dieu s’incarne pour restaurer le genre humain. |
[7415] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 s.
c. 1 Sed contra, non erat conveniens ut una
nobilissimarum creaturarum suo fine totaliter frustraretur. Sed humana natura est
inter nobilissimas naturas. Cum ergo tota corrupta fuerit per peccatum in
primo parente, et ita beatitudine privata, ad quam instituta erat, congruum
fuit ipsam reparari. Sed reparatio
humani generis non potest fieri nisi peccatum dimittatur; nec justum est ut
peccatum sine satisfactione dimittatur. Ergo oportuit pro peccato totius
humanae naturae satisfieri. Sed satisfactio decenter fieri non potest nisi ab
eo qui debet satisfacere et potest. Ergo sic debuit fieri. Sed non debet nisi
homo qui peccavit, et non potest nisi Deus: quia quaelibet creatura totum
suum esse Deo debet, nedum ut pro alio satisfacere possit: et sic aliqua
creatura pro homine non potest satisfacere, nec ipse pro se, cum peccato
indignus reddatur. |
Cependant, [1] il ne convenait pas que l’une des créatures les plus nobles fut entièrement dépossédée de sa fin. Or, la nature humaine fait partie des natures les plus nobles. Puisqu’elle avait été tout entière corrompue par le péché chez le premier parent et ainsi, privée de la béatitude pour laquelle elle avait été créée, il convenait qu’elle soit restaurée. Or, la restauration du genre humain ne peut être réalisée que si le péché est enlevé, et il n’est pas juste que le péché soit enlevé sans satisfaction. Il fallait donc qu’il y ait satisfaction pour le péché de toute la nature humaine. Or, la satisfaction ne peut être accomplie comme il convient que par celui qui doit et peut satisfaire. Elle devait donc être ainsi accomplie. Or, ne doit [satisfaire] que l’homme qui a péché, et seul Dieu peut le faire, car toute créature doit son être tout entier à Dieu, de sorte qu’elle peut encore bien moins satisfaire pour quelqu’un d’autre. Ainsi, une créature ne peut satisfaire pour l’homme, ni lui-même pour lui-même, puisqu’il est rendu indigne par le péché. |
[7416] Super Sent., lib.
3 d. 1 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, nullius creaturae bonum excedit bonum naturae humanae, ut
recompensationem pro tota natura possit facere. Ergo opportunum fuit ut Deus
homo fieret ad satisfaciendum pro homine. |
[2] Le bien d’aucune créature ne dépasse pas le bien de la nature humaine, de sorte qu’il puisse compenser pour la nature entière. Il était donc opportun que Dieu devienne homme afin de satisfaire pour l’homme. |
[7417] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 s.
c. 3 Praeterea, Sap. 7, 30, dicitur: sapientia
vincit malitiam. Sed per malitiam Diaboli et hominis humana natura, quae
opus est Dei, abjecta erat quantum dejici potuit in culpam et in miseriam. Ergo decuit ut sapientia Dei ipsam
exaltaret quantum exaltari potuit. Ergo cum humana natura sit assumptibilis
in unitatem divinae personae, ut prius dictum est, videtur congruum fuisse ut
Deus humanam naturam assumeret. |
[3] Il est dit en Sg 7, 30 : La sagesse l’emporte sur la malice. Or, par la malice du Diable et de l’homme, la nature humaine, qui est l’œuvre de Dieu, avait été rejetée autant qu’elle pouvait l’être dans la faute et la misère. Il convenait donc que la sagesse de Dieu l’élève autant qu’elle pouvait être élevée. Puisque la nature humaine peut être assumée dans l’unité d’une personne divine, comme on l’a dit plus haut, il semble donc qu’il était convenable que Dieu assume la nature humaine. |
[7418] Super Sent., lib.
3 d. 1 q. 1 a. 2 s. c. 4 Item Jacob. 4, 6: Deus superbis resistit. Sed per superbiam
Diabolus homini invidens eum servum suum constituit, et injuste in servitute
detinuit, cum ad servitium Dei creatus sit. Ergo decuit ut summe potens Deus
nequitiae Diaboli resisteret, ut non solum hominem de ejus potestate
eriperet, sed etiam e converso hominem dominum Diaboli constitueret. Sed cum nulla creatura sit superior
angelica natura, quae est in Diabolo, hoc non posset esse, nisi homo qui hoc
faceret, Angelorum dominus esset, quod soli Deo convenit. Ergo decuit ut Deus
homo fieret, ut sic in nomine Jesu omne genu flectatur, caelestium,
terrestrium, et Infernorum; Philip. 2, 10. |
[4] Jc 4, 6 dit : Dieu résiste aux orgueilleux. Or, par l’orgueuil, le Diable, envieux de l’homme, l’a rendu esclave et l’a détenu injustement comme esclave, alors qu’il a été créé pour le service de Dieu. Il convenait donc que le Dieu tout-puissant résiste à la méchanceté du Diable, de sorte que non seulement il arrache l’homme à son pouvoir, mais fasse de l’homme le maître du Diable. Or, comme aucune créature n’est supérieure à la nature angélique, qui existe chez le Diable, cela ne pouvait se réaliser que si l’homme qui avait fait cela était le maître des anges, ce qui ne convient qu’à Dieu. Il convenait donc que Dieu devienne homme, afin qu’ainsi au nom de Jésus, tout genou soit fléchi, au ciel, sur terre et dans les enfers, Ph 2, 10. |
[7419] Super Sent., lib.
3 d. 1 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod ad ea quae fidei sunt, ratio demonstrativa haberi non potest,
cum fides de non apparentibus esse dicatur Hebr. 11, et praecipue in illis
quae ex mera Dei voluntate proveniunt, cujusmodi est incarnatio; et ideo ad
incarnationem probandam ratio demonstrativa haberi non potest, nec etiam in
contrarium quia cum demonstratio scire faciat, scientia autem non nisi
verorum sit, oportet omne quod demonstratur verum esse, et ejus contrarium
falsum; et ideo sufficit defendere quod non est impossibile incarnationem
esse, quod in 1 art. ex parte dictum est, et ostendere aliquam congruentiam
ad incarnationem, quod ad hunc articulum pertinet. Sciendum ergo, quod
supposito lapsu humanae naturae, congruentia incarnationis apparet ex tribus:
scilicet ex plenitudine divinae misericordiae, et ex immobilitate justitiae
ipsius, et ex decenti ordine sapientiae ejus. Quia igitur Deus summe bonus et
misericors est, decuit ut nulli negaret hoc cujus capax erat. Ergo cum humana
natura lapsa esset, et nihilominus reparabilis erat, decuit ut eam repararet.
Quia etiam justitia ejus immutabilis est, cujus lege sancitum est ut nunquam
peccatum sine satisfactione dimittatur, decuit ut in humana natura
institueret eum qui satisfacere posset: quia hoc purus homo per se facere non
poterat, ut dicetur. Sed quia summe sapiens est, convenientissimum modum
reparationis debuit adinvenire. Modus autem convenientissimus est ut integre
natura repararetur, et faciliter ad id quod amiserat, homo pervenire posset.
Si autem hominem per Angelum repararet, non integra esset reparatio: quia semper
homo Angelo salutis suae debitor esset; et ita ei in beatitudine adaequari
non posset; quod tamen consecutus fuisset si non peccasset, sicut et nunc
consequuntur homines per gratiam reparationis, ut sint sicut Angeli Dei in
caelo, Matthaei 22. Et ideo decuit ut non Angelus, sed ipse Deus hominem
repararet. Similiter ut esset facilis modus ascendendi in Deum, decuit ut
homo ex his quae sibi cognita sunt tam secundum intellectum quam affectum, in
Deum consurgeret; et quia homini connaturale est secundum statum praesentis
miseriae ut a visibilibus cognitionem accipiat, et circa ea afficiatur; ideo
Deus congruenter visibilis factus est, humanam naturam assumendo, ut ex
visibilibus in invisibilium amorem et cognitionem rapiamur. |
Réponse. On ne peut accéder à ce qui relève de la foi par un argument démonstratif, puisqu’on dit de la foi qu’elle porte sur ce qui n’est pas manifeste, He 11, surtout pour ce qui relève de pure volonté de Dieu, comme c’est le cas de l’incarnation. Il ne peut donc y avoir d’argument démonstratif pour prouver l’incarnation, et pas davantage pour aller en sens contraire, car, puisqu’une démonstration produit la science et que la science ne porte que sur ce qui est vrai, il est nécessaire que le contraire de tout ce qui est démontré vrai soit faux. Il suffit donc de défendre que l’existence de l’incarnation n’est pas impossible, ce qu’on a dit en partie dans l’art. 1, et de montrer qu’il existe une certaine convenance pour l’incarnation, ce qui relève du présent article. Il faut donc savoir qu’en supposant la chute de la nature humaine, la convenance de l’incarnation se montre de trois façons : à partir de la plénitude de la miséricorde divine ; à partir de l’immuabilité de sa justice ; et à partir de l’ordre qui convient à sa sagesse. Ainsi donc, parce que Dieu est bon et miséricordieux au plus haut point, il convenait qu’il ne refuse à personne ce dont celui-ci est capable. Puisque la nature humaine était tombée et n’était pas moins susceptible de restauration, il convenait donc qu’il la restaure. Aussi, parce qu’est immuable la justice de celui qui a établi par une loi que le péché n’est jamais remis sans une satisfaction, il convenait qu’il établisse dans la nature humaine celui qui pourrait satisfaire, car un simple homme ne pouvait réaliser cela par lui-même, comme on le dira. Mais parce qu’il est sage au plus haut point, il devait trouver le monde de restauration le plus convenable. Or, le mode le plus convenanble consiste en ce que la nature soit intégralement restaurée et que l’homme puisse parvenir facilement à ce qu’il avait perdu. S’il restaurait l’homme par un ange, la restauration n’aurait pas été entière, car l’homme serait toujours le débiteur de son salut à un ange. Ainsi, il ne pourrait être son égal pour la béatitude, ce qu’il aurait cependant obtenu s’il n’avait pas péché, comme les hommes obtiennent maintenant par la grâce de la restauration d’être comme les anges de Dieu dans le ciel, Mt 22. Aussi convenait-il que ce ne soit pas un ange, mais Dieu lui-même qui restaure l’homme. De même, pour que la manière de monter vers Dieu soit facile, il convenait que l’homme s’élève vers Dieu à partir de ce qui lui est connu, aussi bien selon l’intellect que selon l’affectivité. Et parce qu’il est connaturel à l’homme, dans l’état de sa misère présente, de tirer la connaissance à partir des réalités sensibles et que son affectivité se porte vers elles, Dieu s’est donc convenablement rendu visible en prenant la nature humaine, afin que nous soyons entraînés à l’amour et à la connaissance des réalités invisibles à partir de réalités visibles. |
[7420] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad
1 Ad primum ergo dicendum, quod
majestatem non decuit infirmitas eam deprimens et quodammodo involvens. Talis autem non fuit illa de qua sermo est;
nec per incarnationem infirmitas humanitatis diminuit potentiam majestatis:
quia duae naturae in una persona inconfuse et inalterabiliter sunt unitae.
Nec est similis ratio de malitia et infirmitate: quia infirmitas de sui
ratione non privat ordinem a fine; et ideo propter aliquem finem assumi
potuit; sed malitia dicitur secundum deordinationem a fine; et ita omnem
congruitatem tollit; unde omnino indecens fuisset ut summa bonitas quocumque
modo malitiam assumeret. |
1. La faiblesse qui l’abaisse et d’une certaine manière l’obscurcit ne convenait pas à la majesté. Mais telle ne fut pas celle dont on parle ici, et, par l’incarnation, la faiblesse de l’humanité ne diminue pas la puissance de la majesté, car les deux natures ont été unies en une seule personne sans confusion et sans altération. Le raisonnement n’est pas le même pour la malice et la faiblesse, car la faiblesse ne prive pas par sa raison même de l’ordre à la fin ; aussi pouvait-elle être assumée pour une certaine fin. Mais on parle de malice pour un désordre par rapport à la fin, et ainsi elle enlève toute convenance. Il aurait donc été tout à fait inapproprié que la bonté suprême assume la malice de quelque manière que ce soit. |
[7421] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad
2 Ad secundum dicendum, quod peccatum
hominis fuit remediabile, non autem peccatum Angeli; cujus ratio
multipliciter assignatur. Primo ex virtute naturali utriusque: quia quantum
ad cognitivam Angelus cognoscit in luce plena per intellectum deiformem, ut
possit totum considerare sine inquisitione quod ad electionem alicujus rei
pertinet, ut sic per ignorantiam non excusetur, sicut homo qui cognoscit quae
agenda sunt deliberando per rationem, quae est quasi quaedam obumbratio
intellectus, ut dicit Isaac in Lib. de definitionibus: quantum ad affectivam
vero, quia voluntas Angeli invertibilis est post electionem, cum sit infra
voluntatem divinam, quae est invertibilis ante et post, et supra voluntatem
humanam, quae est vertibilis ante et post; ideo Angelus malo quod appetiit
peccando, immobiliter inhaeret. Secunda ratio assignatur ex natura utriusque:
quia Angelorum natura non propagatur ex uno, ex quo vitium contrahat, sicut
humana; et ideo nec per unum eam reparari congruit: et hoc est quod videtur
apostolus dicere ad Rom. 5, 12: sicut per unum hominem peccatum in hunc mundum
intravit, et per peccatum mors, et ita in omnes homines mors pertransiit, in
quo omnes peccaverunt. Tertia ex
peccato utriusque: et quantum ad genus peccati; quia homo superbivit ex
appetitu scientiae, cujus natura creata capax est; Angelus vero ex appetitu
potentiae, quam natura creata non ita perfecte potest recipere sicut
scientiam; unde et animae Christi communicata est omniscientia, sed non
omnipotentia: et etiam quantum ad circumstantiam peccati: quia homo peccans
et de venia cogitavit, et in aliquo deceptus est, ut in 2 libro dicitur,
dist. 4 in textu et dist. 22, quaest. 1, art. 2 et 3, non autem Angelus
peccans; et similiter quantum ad occasionem peccati, quam homo habuit, quia
alio suggerente peccavit, non autem Angelus. Quarta ex justitia divina: quia
omnes illi ad quos corruptio peccati primi hominis venire debebat, nondum
erant in actu, sed in virtute tantum; et ideo non decebat ut priusquam
essent, ultimam damnationem reciperent, sicut omnes Angeli actu existentes
proprio arbitrio peccaverunt. Quinta ex misericordia divina: quia tota natura humana lapsa erat in
uno parente, non autem tota natura angelica; et ideo magis indecens erat ut
natura humana tota relinqueretur sub damnatione quam natura angelica, quae
non tota corruerat. Sexta vero et praecipua est ex parte status utriusque:
quia homo non peccavit in termino viae suae sicut Angelus, cui ad propriam
electionem status viae finitus est; et hoc consonat verbo Damasceni qui
dicit, quod hoc est hominibus mors quod Angelis casus; et de hoc in Lib. 2,
dist. 7, qu. 1, art.
2, dictum est. |
2. Il pouvait être rémédié au péché de l’homme, mais non au péché de l’ange, et il y a à cela plusieurs raisons. Premièrement, en vertu de la puissance naturelle des deux. En effet, l’ange connaît selon une pleine lumière par un intellect déiforme, de sorte qu’il peut tout considérer sans recherche ce qui se rapporte au choix d’une certaine chose ; ainsi, il n’est pas excusé par l’ignorance, comme l’homme qui connaît ce qu’il faut faire en délibérant par la raison, qui est comme une ombre de l’intellect, ainsi que le dit Isaac dans le Livre sur les définitions. Mais, pour ce qui est de l’affectivité, la volonté de l’ange ne peut être changée après le choix, puisqu’elle est inférieure à la volonté divine, qui ne peut être changée avant et après, et supérieure à la volonté humaine, qui peut être changée avant et après. C’est pourquoi, en péchant, l’ange adhère de manière immuable au mal qu’il a désiré. La deuxième raison se prend de la nature des deux. En effet, la nature des anges ne se transmet pas à partir d’un seul dont le vice est contracté, comme la nature humaine. C’est pourquoi il ne convenait pas qu’elle soit restaurée par un seul. C’est ce que semble dire l’Apôtre dans Rm 5, 12 : De même que par un seul homme, le péché est entré dans ce monde, et par le péché, la mort, de même la mort est-elle passée chez tous les hommes, en quoi tous ont péché. La troisième raison se prend du péché des deux. Pour le genre du péché, parce que l’homme s’est enorgueilli par le désir de connaître, dont la nature créée est capable, mais l’ange par le désir de puissance, que la nature créée ne peut pas recevoir aussi parfaitement que la science. Ainsi l’omniscience a-t-elle été communiquée à l’âme du Christ, mais non la toute-puissance. Aussi, pour la circonstance du péché, car l’homme, en péchant, a pensé au pardon et a été trompé sur ce point, comme il a été dit dans le livre II, d. 4, dans le texte, et d. 22, q. 1, a. 2 et 3, mais ce ne fut pas le cas de l’ange lorsqu’il a péché. De même, pour l’occasion de pécher qu’a eue l’homme, car il a péché à la suggestion d’un autre, mais non pas l’ange. La quatrième raison se prend de la justice divine, car tous ceux que la corruption du péché du premier homme devait atteindre n’existaient pas encore en acte, mais en puissance seulement. Aussi ne convenait-il pas qu’avant qu’ils n’existent, ils reçoivent une ultime condamnation, comme tous les anges qui existaient en acte ont péché de leur propre arbitre. La cinquième raison se prend de la miséricorde divine, car toute la nature humaine était tombée en un seul parent, mais non pas toute la nature angélique. Il était donc beaucoup moins approprié que la nature humaine soit abandonnée à la damnation, que la nature angélique qui n’était pas tout entière tombée. La sixième raison, et la principale, se prend de l’état des deux, car l’homme n’a pas péché au terme de son cheminement, comme l’ange, pour lequel l’état de cheminement se limitait à son propre choix. Et cela est conforme à la parole de [Jean] Damascène, qui dit que « la mort est pour les hommes ce que la chute est pour les anges ». On a parlé de cela dans le livre II, d. 7, q. 1, a. 2. |
[7422] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
in creatione se habet creatura sicut effectus productus in esse per creationem; et ideo non exigitur
ut a creatura aliquo modo operatio creationis exeat, sed quod ad eam
terminetur; sed in recreatione creatura se habet ut satisfaciens, quod sine
ejus operatione fieri non potest; et ideo quamvis creatio sit opus Dei non
per aliquam creaturam, tamen oportet quod recreatio per modum redemptionis
facta, sit opus Dei naturam creatam assumentis. |
3. Dans la création, la créature se présente comme l’effet amené à l’être par la création. Aussi n’est-il pas nécessaire que l’action de la création provienne de quelque manière de la créature, mais qu’elle se termine à elle. Mais, dans la recréation, la créature se présente comme celle qui satisfait, ce qui ne peut se faire sans son action. C’est pourquoi, bien que la création soit l’œuvre de Dieu sans intervention d’une créature, il est cependant nécessaire que la recréation, accomplie par mode de rédemption, soit l’œuvre de Dieu qui assume une nature créée. |
[7423] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad
4 Ad quartum dicendum, quod quamvis Deus
sit summe misericors, sua tamen misericordia nullo modo justitiae suae
obviat. Misericordia enim quae justitiam tollit, magis stultitia quam virtus
dici debet; et ita Deum non decet: propter quod Deus misericordiam infinitam
sic manifestare voluit, ut in nullo ejus justitiae derogaretur; quod factum
est, dum pro nobis homo factus est, ut pro nobis satisfaceret: in quo etiam
ejus abundantior misericordia ostensa est ad nos, quam si peccatum sine
satisfactione dimisisset, inquantum naturam nostram magis exaltavit, et pro
nobis mortem pertulit. Nec tamen est
simile de homine et de Deo, propter duo. Primo, quia ipse Deus est judex
omnium, ad quem pertinet justitiae ordinem servare, non autem homo quilibet;
unde et judex non debet proprio arbitrio peccata dimittere impunita. Secundo,
quia cum Deus sit ipsa bonitas, ex hoc ipso est aliquod malum quod contra
ipsum est; et ideo cum poena non debeatur actui nisi quia malus est; decet ut
ipse se vindicet puniendo peccatum quod contra ipsum commissum est. Secus
autem est de homine; unde homo non debet punire quasi se vindicans, sed quasi
Deum vindicans, si hoc ex officio habet. Unde dicitur Deut. 32, 35, secundum
aliam litteram: mihi vindictam, et ego retribuam. |
4. Bien que Dieu soit miséricordieux au
plus haut point, sa miséricorde ne s’oppose cependant d’aucune manière à sa
justice. En effet, la miséricorde qui écarte la justice doit plutôt être
appelée une sottise qu’une vertu : elle ne convient donc pas à Dieu. C’est
la raison pour laquelle Dieu a voulu manifester sa miséricorde infinie de
telle sorte qu’il ne soit d’aucune manière dérogé à sa justice, ce qui s’est
réalisé lorsqu’il s’est fait homme pour nous afin de satisfaire pour nous. En
cela, sa miséricorde envers nous s’est aussi montrée plus abondante que s’il
avait remis le péché sans satisfaction, pour autant qu’il a davantage exalté
notre nature et a supporté la mort pour nous. Cependant, il n’en va pas de
même de l’homme et de Dieu pour deux raisons. Premièrement, parce que Dieu
lui-même est le juge de tous, à qui il revient de préserver l’ordre de la
justice, mais ce n’est pas le cas de l’homme. Aussi le juge ne doit-il pas
laisser des péchés impunis de son propre arbitre. Deuxièmement, parce que
Dieu étant la bonté elle-même, quelque chose est mal du fait même que cela
lui est contraire. C’est pourquoi, une peine n’étant due pour un acte que
parce que celui-ci est mauvais, il convient qu’il se venge en punissant le
péché qui a été commis contre lui. Mais il en va autrement de l’homme. Aussi
l’homme ne doit-il pas punir comme s’il se vengeant, mais en vengeant Dieu, s’il
cela relève de sa charge. Aussi est-il dit dans Dt 32, 35, selon
une autre version : À moi la
vengeance : c’est moi qui rends à chacun selon ses mérites ! |
[7424] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad
5 Ad quintum
dicendum, quod quantitas peccati ex duobus potest pensari; scilicet ex parte
Dei, in quem peccatur; et sic infinitatem quamdam habet, prout offensa Dei
est, quia quanto major est qui offenditur, tanto culpa est gravior: vel ex
parte boni quod corrumpitur per peccatum; et sic quantitas culpae finita est,
scilicet inquantum est corruptio naturae; et ideo ad satisfactionem debitam
requiritur actio hominis quae proportionetur quantitati culpae, inquantum
corruptio quaedam est; et gratia, cujus virtus quodammodo infinita est, cum
sufficiat ad merendum praemium infinitum, per quam satisfactio proportionatur
quantitati culpae, prout offensa Dei est; et ideo ex se non sufficit homo ad
satisfaciendum, quia ex se gratiam habere non potest. Nec tamen Deus crudelis
est hanc satisfactionem exigens: quia quamvis gratiam habere non possit ex
se, et ita nec satisfacere; potest tamen satisfacere per id quod Deus paratus
est dare, scilicet per gratiam. |
5. La quantité du péché peut être mesurée de deux points de vue. Du point de vue de Dieu, contre qui l’on pèche, et ainsi [le péché] comporte une certaine infinité en tant qu’offense de Dieu, car plus celui qui est offensé est grand, plus la faute est grave. Du point de vue du bien qui est corrompu par le péché : la quantité de la faute est ainsi finie en tant que corruption de la nature. C’est pourquoi, pour la satisfaction qui est due, sont nécessaires une action de l’homme proportionnée à la quantité de la faute en tant qu’elle est une certaine corruption, et la grâce, dont la puissance est d’une certaine manière infinie, puisqu’elle suffit pour mériter une récompense infinie, et par laquelle la satisfaction est proportionnée à la quantité de la faute en tant qu’elle une offense à Dieu. Aussi l’homme ne suffi-il pas par lui-même pour satisfaire, car il ne peut avoir la grâce par lui-même. Cependant, Dieu n’est pas cruel en exigeant cette satisfaction, car bien que [l’homme] ne puisse avoir la grâce par lui-même et ne puisse pas ainsi satisfaire, il peut cependant satisfaire par ce que Dieu est disposé à donner : par la grâce. |
[7425] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad
6 Ad sextum dicendum, quod quantitas originalis
et actualis mortalis peccati potest dupliciter attendi: vel quantum ad
principium, vel quantum ad bonum quod per utrumque privatur. Principium autem
actualis peccati voluntas propria est; principium autem originalis in isto,
est origo ejus vitiata; unde originale quodammodo est necessarium; sed
actuale est omnino voluntarium: unde plus habet de ratione culpae et
vituperabilis. Bonum autem quod per actuale peccatum corrumpitur, est bonum
hujus personae, cui praeponderat bonum totius naturae, quod per originale
corrumpitur; quia bonum gentis est divinius quam bonum unius hominis, ut
dicitur 1 Ethic. Unde et
originale pejus erit quam actuale, ut sic possit dici, quod actuale est major
culpa, et originale majus malum. Actio autem satisfacientis, ut prius dictum
est, proportionatur quantitati culpae ex parte boni quod per culpam corrumpitur:
et cum omnis actio sit personae, quia actus singularium sunt, ideo ad
satisfactionem pro actuali sufficit actus cujuscumque hominis cum gratia
divina; non autem ad satisfaciendum pro originali peccato, nisi actio illius
hominis plus valeret quam totum bonum humanae naturae: et hoc non posset
esse, si esset purus homo; et ideo oportuit esse Deum et hominem qui pro
originali satisfaceret. Vel dicendum secundum quosdam, quod etiam pro actuali
peccato non sufficit purus homo satisfacere, nisi praesupposita satisfactione
Christi, ex cujus passione etiam antiquorum patrum satisfactio efficax fuit,
qui in fide ejus salvabantur. |
6. La quantité du péché originel et du péché mortel actuel peut être considérée de deux manières : du point de vue du principe, ou du point de vue du bien dont on est privé par les deux. Or, le principe du péché actuel est la volonté propre ; mais le principe du péché originel chez quelqu’un est son origine viciée. Aussi le péché originel est-il d’une certaine manière nécessaire, mais le péché actuel est-il entièrement volontaire ; celui-ci a donc davantage le caractère de faute et est plus répréhensible. Mais le bien qui est corrompu par le péché actuel est le bien de telle personne, sur quoi l’emporte le bien de toute la nature, qui est corrompu par le péché originel, car « le bien du peuple est plus divin que le bien d’un seul homme », comme on le dit dans Éthique, I. Ainsi le péché originel sera-t-il pire que le péché actuel, de sorte qu’on peut dire que le péché actuel est une plus grande faute, et le péché originel un plus grand mal. Or, l’action de celui qui satisfait, comme on l’a dit plus haut, est proportionnée à la quantité de la faute du point de vue du bien qui est corrompu par la faute. Comme toute action est le fait de la personne, parce que les actes portent sur des choses singulières, suffit donc pour la satisfaction l’acte de n’importe quel homme accompagné de la grâce divine. Mais ce n’est pas le cas pour le péché originel, à moins que l’action de cet homme ait plus de valeur que tout le bien de la nature humaine. Or, cela ne pourrait exister s’il s’agissait d’un pur homme. Il fallait donc que celui qui satisferait pour le péché originel fût Dieu et homme. Ou bien il faut dire, selon certains, que, même pour le péché actuel, un pur homme ne peut satisfaire que si l’on présuppose la satisfaction du Christ, par la passion duquel même la satisfaction des anciens pères, qui étaient sauvés par la foi en lui, a été efficace. |
[7426] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad
7 Ad septimum dicendum, quod in peccato
primi hominis persona corrupit naturam: unde illud peccatum potest dupliciter
considerari: vel quantum ad corruptionem boni personalis; et sic primus homo
pro eo satisfecit adjutorio gratiae Dei: vel inquantum fuit corruptio
naturae, et sic pro eo Adam satisfacere non potuit, nec aliquis antiquorum
patrum, nisi solum inquantum corruptio naturae in personam redundabat: ex hac
enim parte originale peccatum in antiquis patribus per fidem, decimas,
circumcisionem et sacrificia solvebatur: et ideo decedentes nondum ad
visionem Dei admittebantur, nisi prius per satisfactionem Christi, naturae
corruptio sanaretur. |
7. Dans le péché du premier homme, la personne corrompt la nature. Aussi ce péché peut-il être envisagé de deux manières : soit quant à la corruption du bien personnel, et ainsi le premier homme a satisfait pour lui avec l’aide de la grâce de Dieu ; soit pour autant qu’il a été une corruption de la nature, et ainsi Adam n’a pu satisfaire pour lui, ni aucun des anciens pères, si ce n’est dans la mesure où la corruption de la nature rejaillissait sur la personne. En effet, de ce point de vue, le péché originel était acquitté chez les anciens pères par la foi, les dîmes, la circoncision et les sacrifices. C’est pourquoi, lorsqu’ils mouraient, ils n’étaient pas encore admis à la vision de Dieu, à moins que n’ait d’abord été guérie la corruption de la nature par la satisfaction du Christ. |
[7427] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad
8 Ad octavum dicendum, quod ipsa
reparatio humani generis aliquo modo mediantibus Angelis facta est: ipsi enim
nasciturum dominum annuntiaverunt, ut dicitur Luc. 1. Non tamen sufficiebat Angelus
reparationem perficere, quia satisfacere non poterat pro tota humana natura;
nec etiam debebat, quia ipse non peccaverat: et ideo oportuit, ut dictum est
Sup., in corp., quod per Deum hominem reparatio humani generis compleretur. |
8. La restauration a été accomplie d’une certaine manière par l’intermédiaire des anges. En effet, ceux-ci ont annoncé que le Seigneur allait naître, comme il est dit dans Lc 1. Cependant, l’ange ne suffisait pas pour réaliser la restauration, car il ne peut satisfaire pour toute la nature humaine. Il ne le devait pas non plus, car lui-même n’avait pas péché. Comme on l’a dit plus haut, dans le corps de l’article, il fallait donc que la restauration du genre humain soit accomplie par un Dieu homme. |
[7428] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod
nulla creatura, in quantacumque bonitate crearetur, potest sufficere ad
reparationem corruptionis humanae naturae per modum satisfactionis: cujus
ratio potest esse triplex. Prima est, quia omnis creatura totum quod potest,
pro se Deo debet: unde non relinquitur sibi ut pro alio satisfacere possit.
Secunda, quia hoc requiritur in satisfactione, ut quod satisfaciens reddit,
praeponderet ei quod per culpam ablatum est, vel saltem sit aequale illi.
Quamvis autem aliqua natura creata sit vel possit esse melior natura humana;
non tamen natura in aliqua persona creata considerata potest adaequare
bonitatem totius naturae humanae: bonum enim humanae naturae quodammodo
infinitum est per comparationem ad supposita, inquantum natura humana in
infinitum per generationem communicabilis est; bonum autem cujuslibet naturae
creatae et in se infinitum est, et finitur secundum quod consideratur in uno
supposito determinato: et ideo cum actus sint suppositorum, non potest esse
ut operatio alicujus creaturae valeat tantum quantum est totum bonum naturae
humanae, ut possit esse digna satisfactio pro ejus reparatione. Tertia est,
quia, ut in 2 Lib., dist. 19, quaest. 1, art. 4, dictum est, humana natura in
prima sua conditione accepit quaedam per quae supra statum suis principiis
congruentem elevabatur, sicut immortalitatem quamdam, quae erat gratiae, non
naturae, et alia hujusmodi sibi ex pura liberalitate divina collata, quae per
peccatum amisit. Unde eam reparare erat ad gradum superiorem ipsam elevare,
in quo prius condita fuerat. Non est autem possibile elevare aliquam naturam ad gradum superiorem
nisi ei qui naturas condidit, et earum gradus ordinavit: et ideo soli Deo
possibile fuit naturam humanam reparare. |
9. Aucune créature, quelle que soit la bonté qu’elle possède par la création, ne peut suffire à la restauration de la corruption de la nature humaine par mode de satisfaction. Une triple raison peut en être donnée. La première est que toute créature doit pour elle-même tout ce qu’elle peut ; il ne lui reste donc rien par quoi elle puisse satisfaire pour une autre. La deuxième est que, pour la satisfaction, il est exigé que celui qui satisfait l’emporte sur ce qui a été enlevé par la faute ou, tout au moins, lui soit égal. Or, bien qu’une nature créée soit ou puisse être meilleure que la nature humaine, la nature, considérée dans une personne créée, ne peut cependant pas égaler la bonté de toute la nature humaine. En effet, le bien de la nature humaine est d’une certaine manière infini si on le compare aux suppôts, pour autant que la nature humaine peut se communiquer à l’infini par la généréation ; mais le bien de n’importe quelle nature créée est infini en soi et fini selon qu’on le considère dans un suppôt déterminé. Puisque les actes sont le fait des suppôts, il ne peut donc arriver que l’action d’une créature ait autant de valeur que tout le bien de la nature humaine, de sorte qu’elle puisse être une digne satisfaction pour sa restauration. La troisième raison est que, ainsi qu’on l’a dit dans le livre II, d. 19, q. 1, a. 4, la nature humaine a reçu, en sa condition première, certaines choses par lesquelles elle était élevée au-dessus de l’état qui convenait à ses principes, telles une certaine immortalité, qui était le fait de la grâce, et non de la nature, et d’autres choses de ce genre, qui lui ont été conférées par la pure libéralité divine, et qu’elle a perdues par le péché. Aussi, la restaurer consistait à l’élever au degré supérieur dans lequel elle avait été d’abord créée. Or, il n’est possible d’élever une nature à un degré supérieur que pour celui qui a créé les natures et a ordonné leurs degrésm. Aussi était-il possible à Dieu seul de restaurer la nature humaine. |
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Articulus 3 [7429] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3
tit. Utrum si homo
non peccasset, Deus fuisset incarnatus |
Article 3 – Si l’homme n’avait pas péché, Dieu se serait-il incarné ? |
[7430] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur.
Videtur quod si homo non
peccasset, Deus incarnatus fuisset. Ut enim dicitur Deuter. 32, 4, Dei
perfecta sunt opera. Sed perfectio non potest esse, nisi ultimum
principio conjungatur, ut sic quasi quidam circulus concludatur, et alterius
additio fieri non possit. Cum ergo ipse Deus sit primum, et homo sit ultima
creaturarum, decuit ad perfectionem universi ut, etiamsi homo non peccasset,
Deus homo fieret. |
1. Il semble que si l’homme n’avait pas péché, Dieu ne se serait pas incarné. En effet, comme il est dit dans Dt 32, 4 : Les œuvres de Dieu sont parfaites. Or, il ne peut exister de perfection que si ce qui vient en dernier est uni au principe, de sorte que le cercle soit ainsi fermé et qu’une addition de quelque chose d’autre ne puisse être faite. Puisque Dieu lui-même est ce qui est premier et que l’homme est la dernière des créatures, il convenait donc à la perfection de l’univers que, même si l’homme n’avait pas péché, Dieu devienne homme. |
[7431] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3
arg. 2 Praeterea, humilitas est perfecta
virtus, ut dicitur in Glossa super Matth. 3, super illud: sic decet nos
implere omnem justitiam. Sed omnis perfectio Deo attribuenda est. Ergo ipse perfectissimam
humilitatem habet. Perfectissimus autem gradus humilitatis est ut aliquis se
inferiori vel conjungat vel subjiciat. Ergo decuisset ut Deus aliquam creaturam
assumeret, etiamsi homo non peccasset. |
2. « L’humilité est une vertu parfaite », comme il est dit dans la Glose à propos de Mt 3 : Ainsi convient-il que nous accomplissions toute justice. Or, toute perfection doit être attribuée à Dieu. Il possède donc l’humilité la plus parfaite. Or, le degré le plus parfait de l’humilité consiste en ce que l’on s’unisse ou se soumette à un inférieur. Il aurait donc convenu que Dieu assume une créature, même si l’homme n’avait pas péché. |
[7432] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, Rom. 1, 20: invisibilia
Dei, per ea quae facta sunt, intellecta conspiciuntur. Sed potentia et sapientia et bonitas Dei
sunt infinita. Ergo decuit, etiamsi homo non peccasset, ut in aliquo effectu
manifestarentur. Sed potentia infinita non manifestatur nisi per effectum
infinitum, nec sapientia infinita nisi per decorem infinitum, nec bonitas
infinita nisi per communicationem infinitam. Cum ergo nulla creatura sit
infinita, nec in ea sit infinitus decor resultans ex forma et proportione partium,
nec iterum aliqua creatura communicationem boni infiniti recipiat; videtur
quod etiam decuit, homine non peccante, uniri Deum homini, ut ex parte
hominis ratio effectus esset, et ex parte Dei infinitas, et ex conjunctione
divinae naturae ad creaturam infinitus decor resplenderet, et infinitum bonum
ipsi naturae humanae communicaretur, scilicet persona increata quae in ea
subsisteret. |
3. Il est dit en Rm 1, 20 : Ce qui est invisible en Dieu se laisse voir par l’intelligence à travers ce qui a été créé. Or, la puissance, la sagesse et la bonté de Dieu sont infinies. Il convenait donc que, même si l’homme n’avait pas péché, elles se fussent manifestées par quelque effet. Or, la puissance infinie n’est manifestée que par un effet infini, la sagesse infinie, par une beauté infinie, la bonté infinie, par une communication infinie. Puisque aucune créature n’est infinie, qu’il n’y a pas en elle une beauté infinie résultant de sa forme et de la proportion de ses parties, et qu’une créature ne reçoit pas la communication d’un bien infini, il semble donc qu’il convenait, même si l’homme n’avait pas péché, que Dieu soit uni à un homme, pour que, du point de vue de l’homme, un effet existe, et que, du point de vue de Dieu, existe l’infinité [de cet effet], que brille une beauté infinie par l’union de la nature divine à une créature, et qu’un bien infini soit communiqué à la nature humaine elle-même, à savoir, une personne incréée qui subsisterait en elle. |
[7433] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3
arg. 4 Item, per peccatum non est in aliquo
capacitas humanae naturae ampliata. Sed post peccatum humana natura inventa
est capax tanti boni ut a Deo assumeretur in unitatem personae. Ergo et ante
peccatum hujus dignitatis capax fuit. Sed ad Deum, qui infinito amore diligit
ea quae sunt, pertinet ut nullum bonum creaturae deneget cujus est capax. Ergo ipse humanam naturam assumpsisset,
etiamsi homo non peccasset. |
4. Par le péché, la capacité de la nature humaine n’est pas accrue chez quelqu’un. Or, après le péché, la nature humaine s’est trouvée capable d’un si grand bien qu’elle a été assumée par Dieu dans l’unité de la personne. Elle était donc aussi capable de cette dignité avant le péché. Or, il convient à Dieu, qui aime d’un amour infini ce qui existe, qu’aucun bien dont une créature est capable ne lui soit refusé. Il aurait donc lui-même assumé la nature humaine, même si l’homme n’avait pas péché. |
[7434] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 5 Item, non est credendum
quod homo ex peccato aliquod commodum reportaverit. Sed maxima dignitas humanae naturae est
in hoc quod assumpta est in unitatem divinae personae. Ergo hoc per peccatum
homo consecutus non est; et sic idem quod prius. |
5. Il ne faut pas croire que l’homme ait tiré quelque bien du péché. Or, la plus grande dignité pour la nature humaine consiste à être assumée dans l’unité d’une personne divine. L’homme n’a donc pas obtenu cela par le péché. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[7435] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 6 Item, cum homo ad
beatitudinem creatus sit, ante peccatum totus homo beatificabilis erat. Sed
beatitudo hominis quantum ad partem sensitivam erit in aspectu humanitatis
assumptae, quantum vero ad partem intellectivam in contuitu deitatis
assumentis: sic enim ingredietur homo et egredietur, ut Augustinus exponit,
ut pascua inveniat, Joan. 10. Ergo etiamsi homo non peccasset, humanitas a Deo assumpta fuisset. |
6. Puisque l’homme a été créé pour la béatitude, l’homme tout entier pouvait être rendu bienheureux avant le péché. Or, la béatitude de l’homme, pour ce qui est de sa partie sensible, consistera à voir l’humanité assumée, mais, pour ce qui est de sa partie intellective, à regarder la divinité qui assume. En effet, « c’est ainsi que l’homme entrera et sortira », comme Augustin explique : pour y trouver la Pâque, Jn 10. Même si l’homme n’avait pas péché, l’humanité aurait donc été assumée par Dieu. |
[7436] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3
arg. 7 Praeterea, Bernardus exponens id quod
dicitur Jonae 1: si propter me orta est tempestas etc., dicit, quod
Diabolus vidit rationalem creaturam assumendam in unitatem personae filii Dei
et invidit, et haec invidia fuit causa casus ejus, et movens ipsum ad
tentandum hominem. Si autem incarnatio non fuisset nisi homine peccante, non
instigasset Diabolus hominem ad peccandum: quia per hoc promovisset eum ad
bonum quod ei invidebat. Ergo etiamsi
homo non peccasset, Deus fuisset incarnatus. |
7. De plus, en expliquant ce qui est dit en Jon 1 : Si la tempête se lève à cause de moi, etc., Bernard dit que « le Diable vit que la créature raisonnable devait être assumée dans l’unité de la personne du Fils de Dieu et l’envia, et que cette envie fut la cause de sa chute et le poussa à tenter l’homme ». Or, si l’incarnation n’avait eu lieu qu’en raison du péché de l’homme, le Diable n’aurait pas incité l’homme à pécher, car il l’aurait ainsi amené au bien qu’il lui enviait. Même si l’homme n’avait pas péché, Dieu se serait donc incarné. |
[7437] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 s.
c. 1 Sed contra,
Augustinus in libro de verbis apostoli exponens illud Matth. 18, 2: venit
filius hominis quaerere et salvum facere quod perierat, dicit: si homo
non peccasset, filius hominis non venisset. Sed ibi dominus loquitur de
adventu in carnem. Ergo si homo non peccasset, filius Dei non esset
incarnatus. |
Cependant, [1] dans le Livre sur les paroles de l’Apôtre, en expliquant Mt 18, 2 : Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui avait péri, Augutin dit : « Si l’homme n’avait pas péché, le Fils de l’homme ne serait pas venu. » Or, le Seigneur parle là de sa venue dans la chair. Si l’homme n’avait pas péché, le Fils de Dieu ne se serait pas incarné. |
[7438] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 s.
c. 2 Item, 1 Tim., 1, 15: Christus Jesus
venit in hunc mundum peccatores salvos facere. Ubi Glossa Augustini
dicit, quod nulla causa fuit domino Christo veniendi, nisi peccatores salvos
facere. Tolle vulnera,
tolle morbos, et nulla est causa medicinae. Sed remota causa removetur effectus. Ergo si peccatum non fuisset,
filius Dei non fuisset incarnatus. |
[2] Il est dit en 1 Tm 1, 15 : Le Christ Jésus est venu dans ce monde pour sauver les pécheurs. Une glose d’Augustin dit en cet endroit qu’il n’existait aucune raison de venir pour le Seigneur Christ, si ce n’est de sauver les pécheurs. « Enlève les blessures, enlève les maladies, et il n’existe aucune raison pour le remède. » Or, la cause enlevée, l’effet est enlevé. S’il n’y avait pas eu de péché, le Fils de Dieu ne se serait donc pas incarné. |
[7439] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 s.
c. 3 Praeterea,
apostolus dicit Hebr. 2, 14: quia pueri communicaverunt carni et sanguini,
et ipse similiter communicavit eisdem, ut per mortem destrueret eum qui
habebat mortis imperium. Sed mors per peccatum in hunc mundum intravit,
Rom. 5. Ergo si peccatum non fuisset, per incarnationem Deus carni et
sanguini non communicasset. |
[3] L’apôtre dit en He 2, 14 : Les enfants avaient en commun le sang et la chair, et lui-même avait cela en commun avec eux, afin que, par la mort, il détruise celui qui avait pouvoir sur la mort. Or, la mort est entrée dans ce monde par le péché, Rm 5. S’il n’y avait pas eu de péché, Dieu n’aurait donc pas partagé la chair et le sang par l’incarnation. |
[7440] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 s.
c. 4 Praeterea,
Gregorius dicit: nihil nobis nasci profuit, nisi redimi profuisset.
Sed redemptio non fuisset, nisi peccati servitus fuisset. Ergo si peccatum
non fuisset, filius Dei temporaliter natus non fuisset. |
[4] Grégoire dit : « Il ne nous servait à rien qu’il naquît, s’il cela n’avait servi à nous racheter. » Or, il n’y aurait pas eu de rédemption s’il n’y avait pas eu la servitude du péché. S’il n’y avait pas eu de péché, le Fils de Dieu ne serait donc pas né dans le temps. |
[7441] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod hujus quaestionis
veritatem solus ille scire potest qui natus et oblatus est, quia voluit. Ea
enim quae ex sola Dei voluntate dependent, nobis ignota sunt, nisi inquantum
nobis innotescunt per auctoritates sanctorum, quibus Deus suam voluntatem
revelavit: et quia in canone Scripturae et dictis sanctorum expositorum, haec
sola assignatur causa incarnationis, redemptio scilicet hominis a servitute
peccati; ideo quidam probabiliter dicunt, quod si homo non peccasset, filius
Dei homo non fuisset: quod etiam ex verbis Leonis Papae in sermone de
Trinitate expresse habetur. Si enim, inquit, homo ad imaginem et
similitudinem Dei factus, in suo honore mansisset, creator mundi creatura non
fieret, aut sempiternus temporalitatem subiret, aut aequalis Deo patri Dei
filius formam servi assumeret. Item Augustinus in oratione ad beatam
virginem: ut quid enim nescium peccati pro peccatoribus pareres, si
deesset qui peccasset ? Aut quid mater fieres salvatoris, si nulla esset indigentia
salutis ? Item super illud Matth. 1: ipse enim salvum faciet populum
suum, Augustinus: si homo non peccasset, virgo non peperisset.
Alii vero dicunt, quod cum per incarnationem filii Dei non solum liberatio a
peccato, sed etiam humanae naturae exaltatio, et totius universi consummatio
facta sit; etiam peccato non existente, propter has causas incarnatio
fuisset: et hoc etiam probabiliter sustineri potest. |
Réponse. Seul celui qui est né et a été offert parce qu’il l’a voulu peut connaître la vérité sur cette question. En effet, ce qui dépend de la seule volonté de Dieu nous est inconnu, sauf dans la mesure où cela vient à notre connaissance par les autorités des saints, à qui Dieu a révélé sa volonté. Parce que, dans le canon de l’Écriture et dans les paroles des saints, une seule cause est donnée pour l’incarnation, à savoir, la rédemption de l’homme de la servitude du péché, certains affirment avec vraisemblance que si l’homme n’avait pas péché, le Fils de Dieu ne serait pas devenu homme. On tire aussi cela expressément des paroles de Léon, dans un sermon sur la Trinité : « En effet, si l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu était demeuré à son rang, le Créateur du monde ne serait pas devenu une créature, l’Éternel ne se serait pas soumis au temps, le Fils égal à Dieu, le Père, n’aurait pas assumé la forme de l’esclave. » De même, Augustin, dans une prière à la bienheureuse Vierge : « En effet, pourquoi aurais-tu enfanté pour les pécheurs celui qui ne connaît pas le péché, s’il n’y avait pas eu de pécheur ? Pourquoi serais-tu devenue la mère du Sauveur, s’il n’y avait aucun besoin de salut ? » A propos de Mt 1 : Celui-ci sauvera son peuple, Augustin dit aussi : « Si l’homme n’avait pas péché, une vierge n’aurait pas enfanté. » Mais d’autres disent que puisque, par l’incarnation du Fils de Dieu, non seulement la libération du péché, mais aussi l’exaltation de la nature humaine et la consommation de tout l’univers ont été réalisées, l’incarnation aurait eu lieu pour ces raisons. Et cela aussi peut être soutenu avec vraisemblance. |
[7442] Super Sent., lib. 3 d. 1
q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod universum perficitur in conjunctione
ultimi ad principium primum; non tamen oportet quod in conjunctione quae est
in unitate personae, sed in conjunctione quae est per ordinem ad finem. |
1. L’univers atteint sa perfection par l’union de ce qui est dernier au principe premier. Cependant, il n’est pas nécessaire que ce soit par l’union qui consiste dans l’unité de la personne, mais par l’union qui vient de l’ordre à la fin. |
[7443] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod aliquid pertinet
ad perfectionem hominis quod omnino derogat perfectioni Dei. Unde quamvis humilitas sit perfecta virtus
in homine, non tamen oportet ut in Deo ponatur, si proprie sumatur humilitas,
quod patet ex speciebus superbiae quae ei opponuntur, quarum prima est, cum
bonum quod habet quis tribuit sibi: hoc quidem in homine vitium est, quia
nihil habet a se; sed in Deo summae perfectionis est, qui nihil habet ab
extrinseco. |
2. Quelque chose est propre à la perfection de l’homme, qui déroge tout à fait à la perfection de Dieu. Aussi, bien que l’humilité soit une vertu parfaite chez l’homme, il n’est donc pas nécessaire qu’on l’affirme en Dieu, si on entend humilité au sens propre, ce qui est clair par les espèces d’orgueuil qui s’y opposent : la première est que quelqu’un s’attribue le bien qui est dans l’homme, car il n’a rien par lui-même ; mais, en Dieu, qui ne reçoit rien de l’extérieur, cela relève de la perfection la plus élevée. |
[7444] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 ad
3 Ad tertium dicendum, quod in
productione minimae creaturae manifestatur infinita potentia, sapientia et
bonitas Dei: quia quaelibet creatura ducit in cognitionem alicujus primi et
summi, quod est infinitum in omni perfectione. Nec oportet ut potentia
infinita per effectum infinitum manifestetur nec bonitas infinita per
communicationem infinitam; sed sufficit ad ostendendum bonitatem infinitam
hoc quod unicuique juxta suam capacitatem largitur. |
3. Dans la création de la plus petite créature, la puissance, la sagesse et la bonté de Dieu sont manifestées, car toute créature conduit à la connaissance de quelque chose de premier et suprême, qui est infini en toute perfection. Et il n’est pas nécessaire qu’une puissance infinie soit manifestée par un effet infini, ni qu’une bonté infinie [soit manifestée] par une communication infinie, mais, pour montrer une bonté infinie, suffit ce qui est accordé à chacun selon selon sa capacité. |
[7445] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 ad
4 Ad quartum dicendum, quod capacitas
alicujus creaturae potest intelligi dupliciter; vel secundum potentiam
naturalem, quae pertinet ad rationem seminalem; et sic nullam capacitatem
creaturae vacuam Deus dimittit in genere, quamvis capacitas alicujus
creaturae particularis non impleatur propter aliquod impedimentum: vel
secundum potentiam obedientiae, secundum quod quaelibet creatura habet ut ex
ea possit fieri quod Deus vult; et hoc modo in natura humana est capacitas
hujus dignitatis, ut in unitatem divinae personae assumatur. Nec oportet quod
omnem talem capacitatem adimpleat; sicut non oportet quod Deus faciat
quidquid potest, sed quod congruit ordini sapientiae ejus. |
4. La capacité d’une créature peut s’entendre de deux manières. Soit selon sa puissance naturelle, qui relève de sa raison séminale : ainsi, Dieu ne laisse vide aucune capacité de la créature dans son genre, bien que la capacité d’une créature particulière ne soit pas comblée en raison d’un empêchement. Soit selon sa puissance obédientielle, selon que n’importe quelle créature possède en elle-même de pouvoir devenir ce que Dieu veut : de cette manière, existe dans la nature humaine la capacité de la dignité qui consiste à être assumée dans l’unité d’une personne divine. Et il n’est pas nécessaire que [Dieu] comble une telle capacité, comme il n’est pas nécessaire que Dieu accomplisse tout ce qu’il peut, mais ce qui convient à l’ordre de sa sagesse. |
[7446] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 ad
5 Ad quintum dicendum, quod, sicut dicit
apostolus Rom. 5, 20, ubi abundavit delictum, superabundavit et gratia.
Unde non est inconveniens ut aliquod bonum Deus ex peccato eliciat quod sine
peccato non fuisset, ut patet in multis virtutibus, ut in patientia,
poenitentia, et hujusmodi; et ita etiam ex peccato hominis hoc optimum Deus
potuit elicere, ut Dei filius incarnaretur: propter quod dicit Gregorius: o
felix culpa, quae talem ac tantum meruit habere redemptorem. |
5. Comme le dit l’Apôtre en Rm 5, 20 : Là où la faute a abondé, la grâce a surabondé. Il n’est donc pas inapproprié que Dieu tire un bien du péché, [bien] qui n’aurait pas existé sans le péché, comme cela ressort pour plusieurs vertus, comme la patience, la pénitence et les choses de ce genre. Ainsi, même du péché de l’homme, Dieu pouvait tirer le bien le plus grand que le Fils soit incarné. Aussi Grégoire dit-il : «Bienheureuse faute, qui a mérité d’avoir rédempteur si grand et d’une telle qualité ! » |
[7447] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 ad
6 Ad sextum dicendum, quod beatitudo
totius hominis est ex ipsa divinitate in quam virtus intellectus immediate
fertur, ex quo redundat gloria in inferiores partes animae, et in ipsum
corpus: in visione autem humanitatis Christi erit quoddam gaudium accidentale,
sicut etiam in victoria passionis ejus: et tamen constat apud omnes quod si
homo non peccasset, Christus passus non fuisset. |
6. La béatitude de l’homme tout entier vient de la divinité elle-même vers laquelle la puissance de l’intellect se porte de manière immédiate, à partir de quoi la gloire rejaillit sur la parties inférieures de l’âme et sur le corps lui-même, car, dans la vision de l’humanité du Christ, il y aura un certaine joie accidentelle, comme dans la victoire de sa passion. Cependant, il est clair pour tous que, si l’homme n’avait pas péché, le Christ n’aurait pas souffert. |
[7448] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 ad
7 Ad septimum dicendum, quod si etiam
ponatur quod Diabolus praeviderit rationalem creaturam a filio Dei
assumendam, non tamen oportet quod praeviderit antecedentia ad ipsam; sicut
etiam, ut ibidem Bernardus dicit, praevidit se futurum principem malorum,
quod per suum casum consecutus est, et tamen suum casum non praevidit, ut in
2 Lib. dist. 4 dictum est. |
7. Si on affirme que le Diable a prévu qu’une créature raisonnable serait assumée par le Fils de Dieu, il n’est cependant pas nécessaire qu’il ait prévu ce qui précédait cela, comme il a prévu, ainsi que le dit Bernard, il a prévu qu’il serait le prince des méchants, ce qu’il a obtenu en vertu de sa chute ; cependant, il n’a pas prévu sa chute, comme on l’a dit dans le livre II, d. 4. |
[7449] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 ad
s. c. Ad ea vero quae in contrarium
objiciuntur, potest responderi secundum aliam opinionem, quod auctoritates
illae loquuntur de adventu in carnem passibilem ad redimendum (redemptio enim
non fuisset, nisi servitus peccati praecessisset) et non de adventu in carnem
simpliciter. |
[1-4] À ce qui est objecté en sens contraire, on peut répondre, selon une autre opinion, que ces autorités parlent de la venue dans une chair passible pour racheter (en effet, il n’y aurait pas eu de rédemption, si la servitude du péché n’avait pas précédé), et non pas simplement de la venue dans la chair. |
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Articulus 4 [7450] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4
tit. Utrum decuerit
Deum tantum differre incarnationem suam |
Article 4 – Convenait-il que
Dieu reporte tellement son incarnation ?
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[7451] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic
proceditur. Videtur quod filius
Dei non debuerit suam incarnationem tantum differre. Tempus enim
incarnationis dicitur tempus plenitudinis: ad Galat. 4, 4: cum venit
plenitudo temporis, misit Deus filium suum. Sed plenitudo perfectionem
importat. Cum ergo perfectio universi consummata sit die septima, ut dicitur
Gen. 1, videtur quod tunc debuit filius Dei incarnari. |
1. Il semble que le Fils de Dieu ne devait pas tellement reporter son incarnation. En effet, le temps de l’incarnation est appelé un temps de plénitude, Ga 4, 4 : Lorsque vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils. Or, la plénitude comporte la perfection. Puisque la perfection de l’univers a été achevée le septième jour, comme il est dit dans Gn 1, il semble donc que le Fils de Dieu devait s’incarner à ce moment. |
[7452] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4
arg. 2 Item, amor
causat donum, et celeritatem doni. Sed Deus ex maxima caritate incarnatus
est. Ergo videtur quod non debuerit tantum incarnationem differre. Prima
probatur per id quod dicitur Prov. 3, 28: ne dicas amico tuo: vade et revertere,
et cras dabo, cum statim possis dare. Secundum per hoc quod dicitur Hier.
31, 3: in caritate perpetua dilexi te; ideo attraxi te miserans. |
2. L’amour cause le don et l’empressement
dans le don. Or, Dieu s’est incarné en raison de la plus grande charité. Il
semble donc qu’il ne devait pas reporter aussi longtemps l’incarnation. La
majeure est démontrée par de ce qui est dit en Pr 3, 28 : Ne dis pas à ton ami : « Va et
reviens ; demain, je te donnerai », alors que tu peux donner
immédiatement. La mineure [est démontrée] par ce qui est dit dans
Jr 31, 3 : Je t’ai aimée
d’une charité perpétuelle. Je t’ai donc attirée par miséricorde. |
[7453] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4
arg. 3 Item, quanto
plus differtur medicina, tanto periculosius invalescit morbus. Sed sapientis
medici est ut morbi periculum evitet. Ergo videtur quod incarnationem suam Dei
filius accelerare debuerit. |
3. Plus le remède est reporté, plus la maladie gagne en danger. Or, le médecin sage évite le danger de la maladie. Il semble donc que le Fils de Dieu devait rapprocher son incarnation. |
[7454] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4
arg. 4 Item, 1 Tim.
2, dicitur quod vult Deus omnes homines salvos fieri. Sed si Christus ante
incarnatus fuisset, multis ad salutem magis via patuisset, ut dicitur Matth.
11, 21: si in Tyro et Sidone factae fuissent virtutes quae factae sunt in
te, olim poenitentiam egissent. Ergo videtur quod Deus ante incarnari
debuerit. |
4. En 1 Tm 2, il est dit que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. Or, si le Christ s’était incarné plus tôt, la chemin vers le salut aurait été ouvert à un plus grand nombre, comme il est dit en Mt 11, 21 : Si les prodiges qui ont été accomplis chez toi l’avaient été à Tyr et à Sidon, elles auraient déjà fait pénitence. Il semble donc que Dieu aurait dû s’incarner plus tôt. |
[7455] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4
arg. 5 Praeterea, ut Boetius dicit in libro 3
de consolatione, natura a perfectioribus initium sumit. Sed opus Dei non est minus ordinatum quam
opus naturae. Cum ergo perfectissimum in operibus Dei sit incarnatio, videtur
quod circa principium Deus incarnari debuerit. |
5. Comme le dit Boèce dans le livre III de La consolation, la nature commence par ce qui est plus parfait. Or, l’œuvre de Dieu n’est pas moins ordonnée que l’œuvre de la nature. Puisque l’incarnation est ce qu’il y a de plus parfait parmi les œuvres de Dieu, il semble donc que Dieu aurait dû s’incarner vers le début. |
[7456] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 s.
c. 1 Sed contra, perfectio gratiae magis
assimilatur perfectioni gloriae quam perfectioni naturae. Sed perfectio
gratiae incarnationi debetur, ut dicit Joan. 1, 17: gratia et veritas per
Jesum Christum facta est. Cum ergo perfectio gloriae fini saeculorum
debeatur, perfectio vero naturae principio, videtur quod versus finem
saeculorum magis quam circa principium Deus incarnari debuerit. |
Cependant, [1] la perfection de la grâce ressemble davantage à perfection de la gloire qu’à la perfection de la nature. Or, la perfection de la grâce est due à l’incarnation, comme le dit Jn 1, 17 : La grâce et la vérité sont apparues en Jésus, le Christ. Puisque la perfection de la gloire est due à la fin des temps, mais la perfection de la nature au début, il semble donc que Dieu devait s’incarner plutôt vers la fin des temps que vers le début. |
[7457] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 s.
c. 2 Praeterea,
Augustinus dicit: institutum est ut jam pactae sponsae non statim
tradantur, ne vilem habeat maritus datam, quam non suspiravit sponsus dilatam.
Sed hoc beneficium,
scilicet incarnationis, debet homo maxime carum habere. Ergo decuit ut
humanum genus ipsum dilatum suspiraret. |
[2] Augustin dit : « Il a été établi que les épouses déjà promises ne seraient pas livrées immédiatement, afin que l’époux ne reçoive pas [une épouse] avilie, que n’attendait pas plus tard l’époux . » Or, ce bienfait, l’incarnation, doit être cher à l’homme au plus haut point. Il convenait donc que le genre humain l’espère alors qu’il était reporté. |
[7458] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, perfectio fini
debetur. Sed tempus
incarnationis est tempus perfectissimum: quia in eo dominus temporis natus
est, unde etiam tempus plenitudinis dicitur. Ergo videtur quod versus finem
temporis incarnari debuerit. |
[3] La perfection est due à la fin. Or, le temps de l’incarnation est un temps très parfait, car c’est alors que le Seigneur du temps est né ; c’est pourquoi il est aussi appelé le temps de la plénitude. Il semble donc qu’il devait s’incarner vers la fin du temps. |
[7459] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod
incarnationi tempus congruissimum temporum dispensator elegit: omnia enim tempus habent,
ut habetur Eccle. 3. Haec autem congruitas non plene a nobis potest cognosci,
quod non omnium temporum proportiones cognoscimus; sed tamen possunt plures
rationes congruitatis assignari quare hoc tempus ad incarnationem elegerit.
Prima, quia homo per superbiam peccaverat; unde oportebat quod per humilitatem
repararetur; ad quam exigebatur ut defectum suum cognosceret in virtute, et
in cognitione. Defectus autem cognitionis innotuit homini tempore legis
naturae, quo tempore multi (lumine naturalis rationis non obstante) in
pessimos errores idolatriae prolapsi sunt, et in nefandissima opera. Defectus
autem virtutis proprie innotuit homini tempore legis scriptae: quia tunc per
legem eruditus, nondum tamen peccati jugum excutere potuit. Et ideo oportuit quod post ista duo tempora
quasi praeparatoria Deus homo fieret, ut in solo Deo spes salutis haberetur. Secunda ratio est, quia
naturalis ordo est ut ab imperfecto ad perfectum veniatur. Perfectissimum
autem in operibus Dei est ipsa incarnatio, per quam creatura Deo unitur in
unitate personae; et ideo oportuit ut non in principio humani generis, sed
postmodum versus finem saeculorum compleretur, ut sic prius esset quod animale,
est, deinde quod spirituale est, 1 Corinth. 15. Et hanc causam Augustinus
assignat in Lib. 83 quaestionum, quaest. 42, dicens: sicut absurdus esset
qui juvenilem tantum vellet aetatem esse in homine; evacuaret enim
pulchritudines quae ceteris aetatibus suas vices atque ordines gerunt; sic
absurdus est qui ipsi universo humano generi unam aetatem desiderat; nam et
ipsum, tamquam unus homo, suas aetates agit; nec oportuit venire divinitus
magistrum, cujus imitatione in mores optimos formaretur, nisi in tempore
juventutis. Et ideo apostolus ad Gal. 3, dicit, homines sub lege quasi
sub paedagogo parvulos custoditos, donec veniret qui per prophetas promissus
erat. Tertia ratio est, quia distantia a principio facit debilitatem in
effectu: unde et propter longe distare a principio, aliquae res perpetuum
esse non possunt retinere, ut maneant semper eaedem secundum numerum. Unde si
hoc maximum remedium incarnationis in principio saeculorum fuisset,
procedente tempore, effectus ejus in homines minus carus fuisset,
refrigescente caritate: et ideo a principio generis humani indita est
mentibus hominum lex naturalis, per quam homines Deo subjecti essent: postmodum
vero invalescente consuetudine peccatorum, lex naturalis adeo tenebrata est
in pluribus, ut jam non videretur ad regimen humani generis sufficere; et
ideo tunc additum est aliud remedium, scilicet vetus lex, et ea quae ad ipsam
pertinent: qua etiam processu temporis in hominum cordibus debilitata,
oportuit aliud perfectius remedium per incarnationem apponi usque ad tempus
illud, cum multorum caritas refrigescet, et tunc succedet per secundum
adventum visio fidei, et status gloriae statui praesentis Ecclesiae: et ideo
dicit Dionysius, 3 cap. Caelest. Hierar., quod sicut se habet hierarchia legis ad nostram
hierarchiam, ita se habet nostra ad caelestem. |
Réponse. Le dispensateur des temps a choisi le temps le plus approprié pour l’incarnation : en effet, toute chose a son temps, comme on lit dans Qo 3. Mais cette convenance ne peut être pleinement connue par nous, du fait que nous ne connaissons pas les proportions de tous les temps. Cependant, plusieurs raisons peuvent être données de la convenance du moment que [le Seigneur] a choisi pour l’incarnation. La première est que l’homme avait péché par orgueuil ; aussi fallait-il qu’il soit restauré par l’humilité. Pour celle-ci, il était requis qu’il connaisse sa carence en sa puissance et en sa connaissance. Or, la carence de sa connaissance a été portée à la connaissance de l’homme au temps de la loi de la nature, un temps durant lequel beaucoup sont tombés dans les pires erreurs et dans les plus indicibles œuvres de l’idolatrie, malgré la lumière de la raison naturelle. Mais la carence de sa puissance a été portée à la connaissance de l’homme au temps de la loi écrite, car, alors instruit par la loi, il n’a quand même pas pu secouer le joug du péché. C’est pourquoi il fallait qu’après ces deux temps pour ainsi dire préparatoires, Dieu devienne homme, afin qu’on place son espoir de salut en Dieu seul. La deuxième raison est que l’ordre naturel consiste à passer de ce qui est imparfait à ce qui est parfait. Or, ce qu’il y a de plus parfait dans les œuvres de Dieu est l’incarnation elle-même, par laquelle la créature est unie à Dieu dans l’unité de la personne ; c’est pourquoi il fallait qu’elle s’accomplisse non pas au début du genre humain, mais vers la fin des siècles, de sorte que vienne en premier ce qui est animal, et ensuite ce qui est spirituel, 1 Co 15. Augustin donne cette raison dans le Livre sur 83 questions, q. 42, lorsqu’il dit : « De même que serait absurde celui qui voudrait que seule la jeunesse existe chez l’homme (en effet, il écarterait les beautés qui en prennent la place et la suitte à d’autres âges), de même est absurde celui qui désire un seul âge pour tout le genre humain, car il traverse lui-même ses âges comme un homme unique, et il n’était pas nécessaire qu’un maître vienne de Dieu, à l’imitation duquel il ne serait formé au meilleur comportement qu’à l’époque de la jeunesse. » Aussi, dans Ga 3, l’Apôtre dit-il que les hommes qui étaient sous la loi étaient placés sous un pédagogue comme de petits enfants, jusqu’à ce que vienne celui qui avait été promis par les prophètes. La troisième raison est que la distance par rapport au principe cause la faiblesse dans l’effet ; aussi, parce qu’elles sont très éloignées du principe, certaines choses ne peuvent-elles conserver l’être éternellement, pour demeurer toujours identiques selon le nombre. Si ce très grand remède de l’incarnation avait existé au début du temps, à mesure que le temps passait, son effet aurait donc été moins précieux pour les hommes en raison du refroidissement de la charité. C’est pourquoi, au début du genre humain, la loi naturelle a été mise dans les esprits des hommes, par laquelle les hommes seraient soumis à Dieu ; mais, par la suite, à mesure que se renforçait l’habitude de pécher, la loi naturelle fut tellement obscurcie chez plusieurs qu’elle ne paraissait plus suffire au gouvernement du genre humain. Un autre remède fut donc alors ajouté : la loi ancienne et ce qui s’y rapporte. À mesure qu’elle s’affaiblit au cours du temps dans les cœurs des hommes, il fallait donc qu’un autre remède soit apporté par l’incarnation jusqu’au moment où la charité se refroidirait : alors succéderaient la vision de la foi par le second avènement et l’état de la gloire pour l’état de l’Église présente. Aussi Denys dit-il, dans La hiérarchie céleste, III, que « le rapport entre la hiérarchie de la loi et notre hiérarchie est le même que le rapport entre de notre [hiérarchie] et la [hiérarchie] céleste ». |
[7460] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 ad
1 Ad primum ergo dicendum, quod est
triplex perfectio, scilicet naturae, gratiae, et gloriae. Perfectio autem
naturae est quae fuit in principio saeculorum; perfectio vero gloriae erit in
fine saeculorum: et quia perfectio gratiae media est inter utramque, ideo
Christus, per quem gratia facta est, circa medium saeculorum venit: unde
dicitur Habac. 3, 2: in
medio annorum notum facies. |
1. Il existe une triple perfection :
celle de la nature, celle de la grâce et celle de la gloire. Or, la
perfection de nature est celle qui existait au début des siècles ; mais
la perfection de la gloire existera à la fin des siècles. Et parce que la
perfection de la grâce est intermédiaire entre les deux, le Christ, par qui grâce
a été faite, est venu vers le milieu des siècles. Aussi est-il dit dans
Ha 3, 2 : Tu nous le
feras connaître au milieu des années. |
[7461] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 ad
2 Ad secundum dicendum, quod amor
discretioni conjunctus non facit accelerare donum, antequam expediat ei cui
datur. Non autem expediebat humano generi hoc donum accipere, antequam
experimento disceret quantum eo indigebat, ut sic acceptum carius haberet. |
2. L’amour uni au discernement ne fait pas accélérer le don avant qu’il ne convienne à celui à qui il est fait. Or, il ne convenait pas au genre humain de recevoir ce don avant qu’il n’ait appris par l’expérience à quel point il en avait besoin, et qu’ainsi il lui accorde un plus grand prix. |
[7462] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 ad
3 Ad tertium dicendum, quod aliter est
in morbo spirituali quam corporali: ad sanationem enim corporalis morbi non
exigitur ut infirmus vim medicinae et periculum morbi cognoscat; quod tamen
maxime est necessarium in morbi spiritualis sanatione, quia per humilitatem
et contritionem spiritus sanatur: et ideo quamvis medicina corporalis non
differatur, medicina tamen spiritualis differri potest. Nec tamen ita dilata
est ut a principio penitus deesset: quia quamdiu fuit morbus, fuit medicina
morbi, ut Hugo de s. Victore dicit, quamvis illa medicina non sit omnino
sufficiens: sic enim et medicus corporali aegroto praeparatoria quaedam
medicamenta praebet, antequam perfectam medicinam det: et hic etiam fuit processus
Dei in sanatione humani generis. |
3. Il en va autrement de la maladie spirituelle et de la maladie corporelle. En effet, pour guérir une maladie corporelle, il n’est pas nécessaire que le malade connaisse la puissance du remède et le danger de la maladie. Cependant, cela est au plus haut point nécessaire pour la guérison de la maladie spirituelle, car elle est guérie par l’humilité et la contrition de l’esprit. C’est pourquoi, bien que le remède corporel ne soit pas reporté, le remède spirituel peut cependant être reporté. Toutefois, il n’a pas été reporté au point de faire complètement défaut au début, car « tant qu’il y avait maladie, il y avait un remède pour la maladie », comme le dit Hugues de Saint-Victor, bien que ce remède ne soit pas tout à fait suffisant. Ainsi, le médecin donne au malade corporel des médicaments préparatoires, avant de donner un remède parfait. Tel fut aussi le comportement de Dieu pour la guérison du genre humain. |
[7463] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 ad
4 Ad quartum
dicendum, quod nullus eorum qui praeordinati erant ab aeterno, etiam ante
Christi incarnationem periit, nec etiam aliquis non praedestinatus,
quandocumque incarnatio fuisset, salvatus esset. Si tamen aliquod remedium
praeberetur non praedestinato, quod praedestinato datur, scilicet finalis
gratia; ille etiam salvaretur. Sed tamen hoc antecedens est incompossibile ei
quod est eum non esse praedestinatum: unde sic est vera ista: si Christus
praedicasset alicui praescito, ille poenitentiam egisset, sicut ista: si
gratia sibi daretur, poenitentiam ageret. Sed utriusque antecedens est
incompossibile praescientiae condemnationis: et ideo quaerere quare Christus
illi non praedicavit, vel quare gratiam illi non apposuit, est idem quod
quaerere praedestinationis causam, quae nulla est nisi voluntas Dei. |
4. Personne de ceux qui avaient été éternellement prédestinés n’a péri, même avant l’incarnation du Christ, ni personne qui n’était pas prédestiné n’aurait été sauvé, quel qu’ait été le moment de l’incarnation. Toutefois, si un remède, destiné au prédestiné, avait été donné à celui qui n’était pas prédestiné, à savoir, la grâce finale, celui-ci aussi serait sauvé. Cependant, un tel antécédent est tout à fait impossible par rapport à celui qui consiste en ce qu’il ne soit pas prédestiné. Aussi cette proposition est-elle vraie : si le Christ avait prêché à quelqu’un qui était prédestiné, celui-là aurait fait pénitence, comme est vraie celle-ci : si la grâce lui était donnée, il ferait pénitence. Mais l’antécédent pour les deux choses est impossible en raison de la prescience de la condamnation. C’est pourquoi se demander pour quelle raison le Christ ne lui a pas prêché ou pourquoi il ne lui a pas accordé la grâce est la même chose que chercher la cause de la prédestination, qui est nulle autre que la volonté de Dieu. |
[7464] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 ad
5 Ad quintum dicendum, quod perfectum
simpliciter praecedit imperfectum; sed accipiendo perfectum et imperfectum
circa idem, imperfectum praecedit perfectum: quia motus est de imperfecto ad
perfectum; et hoc fit aliquo perfecto agente, quod oportet prius esse: et
ideo in humano genere prius fuit adhibita imperfecta medicina quam perfecta
ab ipso perfecto Deo, qui est perfectionis princeps, ut dicit Dionysius. |
5. Ce qui est parfait précède simplement ce qui est imparfait ; mais en considérant ce qui est parfait et ce qui est imparfait pour la même chose, l’imparfait précède ce qui est parfait, car le mouvement va de l’imparfait au parfait. Et cela est le fait d’un agent parfait, qui doit exister antérieurement. C’est pourquoi, pour le genre humain, un remède imparfait fut d’abord proposé, plutôt qu’un remède parfait, par Dieu lui-même qui est parfait, qui est « au premier rang de la perfection », comme le dit Denys. |
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Quaestio 2 |
Question 2 –
[Qui assume la chair ?]
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Prooemium |
Prologue |
[7465] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 pr. Deinde quaeritur de assumente carnem; et
circa hoc quaeruntur quinque; 1 utrum una persona possit assumere carnem alia
non assumente; 2 si sic, quare magis filius carnem assumpsit; 3 utrum pater
vel spiritus sanctus potuerunt vel possint carnem assumere; 4 si sic, utrum
potuerunt eamdem numero humanam naturam assumere; 5 utrum una persona possit
duas numero humanas naturas assumere. |
Ensuite, on s’interroge sur celui qui assume la chair. À ce propos, cinq questions sont posées : 1 – Une seule personne [divine] peut-elle assumer la chair, sans qu’une autre ne l’assume ? 2 – Si c’est le cas, pourquoi le Fils a-t-il plutôt assumé la chair ? 3 – Le Père ou l’Esprit Saint pouvaient-ils ou peuvent-ils assumer la chair ? 4 – Si c’est le cas, pouvaient-ils assumer la même nature humaine numériquement distincte ? 5 – Une seule personne peut-elle assumer deux natures humaines numériquement distinctes ? |
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Articulus 1 [7466] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1
tit. Utrum una
persona sine alia possit carnem assumere |
Article 1 – Une seule personne peut-elle assumer la chair sans une autre ? |
[7467] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod una persona sine alia non possit carnem assumere. Damascenus enim dicit quod in divinis
omnia sunt unum praeter ingenerationem, generationem, et processionem. Sed incarnatio nullum horum est. Ergo
incarnatio communis est tribus. |
1. Il semble qu’une
seule personne ne puisse assumer la chair sans une autre. En effet, [Jean]
Damascène dit qu’« en Dieu, tout est un, sauf le fait de ne pas être
engendré, la génération et la procession ». Or, l’incarnation n’est rien
de cela. L’incarnation est donc commune aux trois. |
[7468] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 2 Item, sicut est una
essentia trium personarum, ita una operatio divina. Sed assumere carnem est quaedam operatio divina. Ergo est communis tribus
personis. |
2. De même qu’il n’existe qu’une seule essence pour les trois personnes, de même existe-t-il une seule opération divine. Or, assumer la chair est une opération divine. Elle est donc commune aux trois personnes. |
[7469] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1
arg. 3 Item,
Damascenus dicit, quod tota natura divina in una suarum hypostasum incarnata
est. Sed quidquid dicitur de natura, commune est tribus. Ergo incarnatio
communis est tribus personis. |
3. [Jean] Damascène dit que « toute la nature divine s’est incarnée dans l’une de ses trois hypostases ». Or, tout ce qui est dit de la nature est commun aux trois. L’incarnation est donc commune aux trois personnes. |
[7470] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1
arg. 4 Item, quaecumque sunt unum secundum
substantiam simplicem, cuicumque unitur unum, et reliquum. Sed tres personae
sunt unum secundum substantiam, quae est communis, et simplex. Ergo si carni unitur filius, necessario et
carni unitur pater. |
4. Pour tout ce qui est un selon une substance simple, ce qui est un est uni à toutes les autres choses. Or, les trois personnes sont une seule réalité selon la substance, qui est commune et simple. Si le Fils est uni à la chair, il est donc nécessaire que le Père aussi soit uni à la chair. |
[7471] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1
arg. 5 Item, major est unio quae est per
gratiam unionis quam quae est per gratiam adoptionis. Sed in unione per gratiam
adoptionis non unitur menti una persona sine alia. Ergo nec una persona
assumpsit carnem sine alia. |
5. L’union qui se réalise par la grâce d’union est plus grande que celle qui se réalise par la grâce d’adoption. Or, par l’union par la grâce d’adoption, une seule personne n’est pas unie à l’esprit sans une autre. Une seule personne n’a donc pas assumé la chair sans une autre. |
[7472] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 s. c. 1 In contrarium videtur
quod Dionysius ea quae ad incarnationem pertinent, computat inter ea quae sunt de discreta
theologia. Haec autem
sunt quae uni personae conveniunt sine alia. Ergo incarnatio convenit uni
personae sine alia, et non omnibus. |
Cependant, [1] il semble que Denys
compte parmi ce qui relève de la théologie « distincte », ce qui se
rapporte à l’incarnation. Or, il s’agit de ce qui convient à une seule
personne sans une autre. L’incarnation convient donc à une seule personne
sans une autre, et non à toutes. |
[7473] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 s. c. 2 Item, incarnatio includit
in suo intellectu missionem, ut in littera dicitur. Sed ad hoc quod una persona mittatur, non
sequitur quod omnes mittantur. Ergo una persona sine alia incarnari potest. |
[2] L’incarnation inclut dans sa signification une mission, comme il est dit dans le texte. Or, il ne découle pas que toutes les personnes soient envoyées pour qu’une seule personne soit envoyée. Une seule personne sans une autre peut donc s’incarner. |
[7474] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 s.
c. 3 Praeterea, major est distinctio rei et
rationis quam distinctio rationis tantum. Sed rationes diversarum rerum in
divinis non distinguuntur nisi ratione; personae autem distinguuntur et re et
ratione. Ergo major est
distinctio personarum in Deo quam rationum idealium. Sed Deus per unam
rationem aliquid operatur quod non operatur per aliam: quia alia ratione
facit hominem, et alia ratione facit equum, ut Augustinus ait. Ergo multo
amplius una persona potest incarnari sine alia. |
[3] Une distinction réelle et de raison est plus grande qu’une distinction de raison seulement. Or, les raisons des diverses réalités en Dieu ne se distinguent que par la raison, mais les personnes sont distinctes réellement et selon la raison. La distinction entre les personnes en Dieu est donc plus grande que celle des raisons idéales. Or, Dieu réalise par une seule raison ce qu’il ne réalise pas par une autre, car « il crée l’homme selon une raison, et il créé le cheval selon une autre raison », comme le dit Augustin. À bien plus forte raison, donc, une seule personne peut-elle s’incarner sans une autre. |
[7475] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quamvis tres
personae sint unum in essentia, non tamen oportet quod si una conjungitur
carni, quod etiam alia. Ad cujus evidentiam sciendum est, quod quando aliqua
in aliquo conjunguntur, et in aliquo distinguuntur; tunc solum necessarium
est ut simul conjungantur, quando conjunctio fit secundum id in quo
communicant, sive illud sit idem numero, sive non; sicut patet quod homo et
asinus communicant in animali: et ideo quidquid communicat cum asino in
genere, communicat etiam cum homine; sed quia homo et asinus differentiis
specificis distinguuntur, non oportet quod quidquid convenit cum asino in
differentia specifica, conveniat cum homine similiter: et ita etiam est in
potentiis animae, quia omnes radicantur in essentia una numero: unde cum
anima uniatur corpori dupliciter, et secundum essentiam, ut est forma ejus,
et secundum potentiam, ut est motor ipsius, vel operans per ipsum;
necessarium est ut anima quae unitur oculo, et quantum ad essentiam animae,
inquantum perficitur oculus in esse specifico, et secundum rationem visivae
potentiae, prout efficitur instrumentum videndi, conjungatur etiam linguae
quantum ad essentiam animae, non quantum ad rationem potentiae ejusdem: eadem
enim essentia animae quae est in oculo, est in lingua; sed ibi secundum potentiam
visivam, hic secundum potentiam gustativam: et, quod plus est, aliqua
potentia est quae nulli parti corporis conjungitur quantum ad rationem
potentiae, ut intellectus, sed solum quantum ad rationem essentiae. Dico
ergo, quod tres personae distinguuntur quidem in personalitate, sed
conveniunt in natura. Unde quidquid uniretur filio in natura, de necessitate
uniretur patri; non autem oportet, si aliquid uniatur filio in persona, quod
uniatur patri. Non enim ponimus incarnationem filii esse hoc modo, ut sit
unio facta in natura, sed solum in persona: et ideo non oportet quod ponamus
patrem incarnatum, sicut non oportet quod si potentia visiva sit actus
corporis, intellectus sit actus corporis, quamvis conveniant in una essentia
animae. |
Réponse. Bien que les trois personnes soient une seule réalité selon l’essence, il n’est cependant pas nécessaire que, si l’une est unie à la chair, une autre le soit aussi. Pour montrer cela, il faut savoir que, lorsque certaines choses sont unies en quelque chose et se distinguent par quelque chose d’autre, il est alors nécessaire qu’elles soient unies seulement lorsque l’union se réalise selon ce qu’elles ont en commun, qu’il s’agisse d’une seule réalité en nombre ou non. Cela ressort dans le fait que l’homme et l’âne ont en commun d’être des animaux : aussi tout ce qui est commun à l’âne selon le genre est aussi commun à l’homme; mais parce que l’homme et l’âne se distinguent selon des distinctions spécifiques, il n’est pas nécessaire que tout ce qui est commuun avec l’âne selon la différence spécifique soit de même commun avec l’homme. De même aussi pour les puissances de l’âme : toutes sont enracinées dans une seule essence numériquement distincte. Aussi, comme l’âme est unie au corps de deux manières : selon l’essence pour en être la forme, et selon la puissance pour en être le moteur ou pour agir par lui, il est nécessaire que l’âme, qui est unie à l’œil tant selon l’essence de l’âme, pour autant que l’œil est perfectionné selon son être spécifique, qu’en tant que puissance de voir, pour autant que [l’œil] devient l’instrument de la vision, soit aussi unie à la langue selon l’essence de l’âme, mais non en raison de sa puissance. En effet, c’est la même essence de l’âme qui se trouve dans l’œil et qui se trouve dans la langue ; mais elle se trouve là selon la puissance de la vision, et elle se trouve ici selon la puissance de goûter. Davantage encore, il existe une puissance qui n’est unie à aucune partie du corps en raison de la puissance : l’intellect, mais seulement selon la raison de l’essence. Je dis donc que les trois personnes sont distinctes selon la personnalité, mais qu’elles ont en commun la nature. De sorte que tout ce qui serait uni au Fils selon sa nature serait nécessairement uni au Père ; mais il n’est pas nécessaire que, si quelque chose est uni au Fils selon la personne, cela soit uni au Père. En effet, nous n’affirmons pas que l’incarnation du Fils se réalise de telle sorte que l’union se fasse selon la nature, mais seulement selon la personne. Il n’est donc pas nécessaire que nous affirmions que le Père s’est incarné, comme il n’est pas nécessaire que, si la puissance de voir est un acte du corps, l’intellect soit un acte du corps, bien qu’ils aient en commun une seule essence de l’âme. |
[7476] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod incarnatio includit in se unum illorum trium: quia incarnatio dicit
unionem in persona filii, cujus personalis proprietas est generatio. |
1. L’incarnation comporte en elle-même une de ces trois choses, car l’incarnation signifie l’union dans la personne du Fils, dont la propriété personnelle est la génération. |
[7477] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 ad
2 Ad secundum dicendum, quod assumere duo
importat, scilicet actionem et terminum unionis: dicitur enim assumere, quasi
ad se sumere. Quidquid ergo actionis importatur in hoc verbo, totum est
commune tribus: verum enim est dicere, quod tota Trinitas univit humanam
naturam filio in persona. Sed terminus
unionis est solum persona filii, et non patris: et ideo filius carnem
assumpsit, et non pater nec spiritus sanctus. |
2. Le fait d’assumer comporte deux choses : l’action et le terme de l’union. En effet, assumer (assumere) veut dire prendre en soi (ad se sumere). Toute ce que ce mot comporte d’action est donc commun aux trois. En effet, il est vrai de dire que toute la Trinité a uni la nature humaine au Fils selon la personne. Mais le terme de l’union est seulement la personne du Fils, et non celle du Père. Aussi le Fils a-t-il assumé la chair, mais non le Père ni le Saint-Esprit. |
[7478] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 ad
3 Ad tertium
dicendum, quod de natura non dicitur incarnatio secundum se, sed ratione
personae, secundum quod tota natura divina incarnata est in una persona
filii; et ideo non oportet quod incarnari de tribus dicatur: hoc enim est
necessarium in illis quae dicuntur de natura ratione ipsius naturae, non de
illis quae dicuntur de natura ratione personae: et hoc propter identitatem
essentiae et personae; sicut essentia divina est persona filii, non tamen
persona patris est persona filii. |
3. De soi, on ne parle pas d’incarnation pour la nature, mais en raison de la personne, selon que toute la nature divine s’est incarnée dans la seule personne du Fils. Il n’est donc pas nécessaire qu’on dise des trois qu’ils se sont incarnés. En effet, cela est nécessaire pour ce qui est dit de la nature en raison de la nature elle-même, mais non pour ce qui est dit de la nature en raison de la personne, et cela en raison de l’identité de l’essence et de la personne. Ainsi, la personne du Fils est l’essence divine, mais la personne du Père n’est cependant pas la personne du Fils. |
[7479] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 ad
4 Ad quartum
dicendum, quod si esset unio in substantia vel natura, sequeretur quod tres
personae essent incarnatae, si una incarnaretur; nunc vero non est unio facta
in natura, ut scilicet ex divina et humana fiat unum: sed in persona, ut sit
una persona in humanitate et divinitate subsistens: et ideo ratio non
procedit, ut ex praedictis patet. |
4. Si l’union se réalisait dans la substance ou dans la nature, il en découlerait que les trois personnes se seraient incarnées, si l’une s’était incarnée. Mais l’union ne s’est pas réalisée selon la nature, de sorte qu’une seule chose ait été réalisée à partir de la nature divine et de la nature humaine ; mais [elle s’est réalisée] selon la personne, de sorte qu’il y ait qu’une seule personne subsistant dans l’humanité et dans la divinité. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant, comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut. |
[7480] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 ad
5 Ad quintum
dicendum, quod in unione quae est per gratiam adoptionis, consideratur unio
per operationem tantum, quia scilicet Deus aliquem effectum in nobis
operatur: et quia operatio est communis tribus, ideo oportet quod etiam unio
illa communis sit; quamvis secundum quod ille effectus appropriatur uni
personae vel alii, dicatur in mentem mitti filius vel spiritus sanctus. Sed
in hac singulari unione divinitatis ad humanitatem non tantum notatur ex
parte Dei operatio vel efficientia, sed etiam terminus, ut dictum est: et
ideo non est simile. |
5. Dans l’union qui se réalise par la grâce de l’adoption, on n’envisage que l’union par l’opération, car Dieu réalise un certain effet en nous. Et parce que l’opération est commune aux trois, il faut donc que cette union aussi soit commune, bien que, selon que cet effet est approprié à l’une ou l’autre personne, on dise que le Fils ou l’Esprit Saint est envoyé dans l’esprit. Mais, dans cette union singulière de la divinité et de l’humanité, on ne relève pas seulement une opération ou un effet de la part de Dieu, mais aussi un terme, comme on l’a dit. Ce n’est donc pas la même chose. |
Articulus 2 [7481] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 tit. Utrum magis
fuerit conveniens filium incarnari vel patrem vel spiritum sanctum |
Article 2 – Convenait-il
davantage que le Fils s’incarne, plutôt que le Père ou le Saint-Esprit ?
|
[7482] Super Sent., lib.
3 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non magis fuit conveniens filium incarnari quam patrem
vel spiritum sanctum. Sicut enim in mysterio incarnationis monstrata est
sapientia in decentia reconciliationis, ita etiam monstrata est potentia in
hoc quod in infinitum distantia conjuncta sunt, et etiam bonitas in hoc quod
non despexit proprii plasmatis infirmitatem, sicut dicit Damascenus. Sed
sicut sapientia attribuitur filio, ita bonitas spiritui sancto, et potentia
patri. Ergo non decebat magis filium incarnari quam patrem vel spiritum
sanctum. |
1. Il semble qu’il ne convenait pas davantage que le Fils s’incarne, plutôt que le Père ou le Saint-Esprit. En effet, de même que, dans le mystère de l’incarnation, la sagesse a été manifestée par ce qui convient à la réconciliation, de même aussi la puissance a-t-elle été manifestée par le fait que des réalités infiniment distantes ont été réunies, et aussi la bonté, par le fait qu’« elle n’a pas méprisé la faiblesse de sa propre créature », comme le dit [Jean] Damascène. Or, de même que la sagesse est attribuée au Fils, de même la bonté l’est-elle à l’Esprit Saint, et la puissance, au Père. Il ne convenait donc pas davantage que le Fils s’incarne plutôt que le Père ou l’Esprit Saint. |
[7483] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2
arg. 2 Item, victoria potentiae attribuitur.
Sed per incarnationem secuta est de hoste victoria. Ergo incarnatio magis
decebat patrem, cui appropriatur potentia. |
2. La victoire est attribuée à la puissance. Or, la victoire a été remportée sur l’ennemi par l’incarnation. L’incarnation convenait donc davantage au Père, à qui la puissance est appropriée. |
[7484] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, recreatio respondet
creationi. Sed creatio appropriatur patri; unde cum dicitur Gen. 1: in principio creavit Deus caelum et
terram, Deus creans exponitur pater. Ergo et incarnatio, per quam
recreatio facta est, patri potissime conveniet. |
3. La recréation répond à la création. Or, la création est appropriée au Père ; ainsi, lorsqu’il est dit dans Gn 1 : Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, on explique que le Dieu qui crée est le Père. L’incarnation, par laquelle la recréation a été accomplie, conviendra donc surtout au Père. |
[7485] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 4 Item, incarnatio ordinata
est ad hoc ut nos adoptionem filiorum reciperemus, ad Gal. 4. Sed adoptare, proprium patris
est. Ergo patrem decebat incarnari. |
4. L’incarnation a été ordonnée à ce que nous recevions l’adoption des fils, Ga 4. Or, adopter est le propre du Père. Il convenait donc que Père s’incarne. |
[7486] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2
arg. 5 Item, videtur quod magis congruum
fuerit spiritum sanctum incarnari. Eorum enim quae magis vicina sunt,
decentior est conjunctio. Sed spiritus sanctus est persona magis nobis vicina, ut dicit Augustinus.
Ergo spiritum sanctum magis decebat incarnari quam filium. |
5. Il semble qu’il convenait davantage que le Saint-Esprit s’incarne. En effet, l’union entre des réalités plus rapprochées convient davantage. Or, l’Esprit Saint est la personne qui est la plus rapprochée de nous, comme le dit Augustin. Il convenait donc davantage que l’Esprit Saint s’incarne plutôt que le Fils. |
[7487] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2
arg. 6 Praeterea,
incarnatio processit ex maxima caritate Dei quam ad nos habuit. Sed caritas
est proprie spiritus sanctus; vel etiam appropriate, si essentialiter
sumatur. Ergo spiritum sanctum potissime decebat incarnari. |
6. L’incarnation est issue de la très grande charité que Dieu a eue à notre endroit. Or, la charité appartient en propre au Saint-Esprit, ou encore, par appropriation, si elle est considérée en son essence. Il convenait donc surtout que le Saint-Esprit s’incarne. |
[7488] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 s.
c. 1 Sed contra, in mente nostra sunt tria,
tres personas repraesentantia: scilicet mens, quae repraesentat patrem; notitia, quae est verbum mentis
repraesentans filium; et amor, qui repraesentat spiritum sanctum. Sed inter
haec tria verbum mentis maxime est corporale, secundum quod per vocem
exterius sonat. Ergo et incarnatio convenientissime verbum aeternum decuit,
quod est ipse filius Dei. |
Cependant, [1] il existe dans notre esprit trois réalités, qui représentent les trois personnes : l’esprit, qui représente le Père ; la connaissance, qui est le verbe de l’esprit, représentant le Fils ; et l’amour, qui représente le Saint-Esprit. Or, parmi ces trois réalités, le verbe de l’esprit est le plus corporel, selon qu’il s’exprime extérieurement par la parole. L’incarnation convenait donc au plus haut point au Verbe éternel, qui est lui-même le Fils de Dieu. |
[7489] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 s.
c. 2 Item, secundum philosophum, id quod
est primum in unoquoque genere, est causa eorum quae sunt post. Sed filiatio
primo in filio Dei invenitur sicut et paternitas in Deo patre, ex quo omnis
paternitas in caelo et in terra nominatur, Ephes. 3. Ergo convenientissime filius Dei incarnatus
est, ut per ipsum adoptionem filiorum Dei reciperemus. |
[2] Ce qui est premier en tout genre est la cause de ce qui suit. Or, la filiation se trouve en premier dans le Fils de Dieu, comme la paternité, en Dieu, le Père, d’après lequel toute paternité au ciel et sur la terre est nommée, Ep 3. Le Fils de Dieu s’est donc incarné avec la plus grande convenance, afin que, par lui, nous recevions l’adoption des fils de Dieu. |
[7490] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 s.
c. 3 Praeterea,
decentissima est conjunctio sapientiae et humilitatis; unde Prov. 11, 2: ubi
humilitas, ibi sapientia. Sed sapientia appropriatur filio. Ergo ipsum
maxime decuit humilitas incarnationis. |
[3] L’union de la sagesse et de l’humilité convient au plus haut point ; aussi Pr 11, 2 dit-il : Là où est l’humilité, là est la sagesse. Or, la sagesse est appropriée au Fils. L’humilité de l’incarnation lui convenait donc le plus. |
[7491] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod decentia
incarnationis filii potest attendi et ex propriis, et ex appropriatis ejus.
In propriis autem ipsius possunt considerari quatuor, scilicet quod filius
est, quod verbum est, quod imago, quod media in Trinitate persona. Secundum
autem quod imago, convenientiam habet cum eo qui reparandus erat, scilicet
cum homine, qui ad imaginem Dei factus est, Gen. 1; unde decuit ut imago
imaginem assumeret, increata creatam. Secundum autem quod filius est,
convenit ad modum reparationis, quae expleta est per incarnationis et
passionis mysteria: secundum enim quod ex alio est, quod quidem sibi et
spiritui sancto commune est, notatur auctoritas patris respectu ipsius: unde
convenit sibi ad patrem, et deprecatio, et satisfactio, et alia hujusmodi,
quae in patre auctoritatem demonstrant. Sed secundum quod in filio
intelligitur determinatus modus originis, convenit sibi nasci, ut qui in
divinitate est Dei filius, in humanitate sit virginis filius, ut non sint
plures filii in Trinitate. Convenit etiam sibi, inquantum filius naturalis
est, ut per eum cujus est naturalis hereditas, alii in filios adoptentur, et
coheredes fiant. Sed inquantum verbum est, congruentiam habet ad officium
praedicationis et doctrinae: quia verbum manifestat dicentem, et ipse
manifestavit patrem, Joan. 17, 6: pater, manifestavi nomen tuum hominibus.
Inquantum vero est media in Trinitate persona, congruit ad ultimum effectum,
qui est reconciliatio hominis ad Deum; decet enim ut qui est medius, etiam
sit mediator. Inveniuntur etiam quatuor filio appropriata: scilicet sapientia
et virtus ab apostolo, 1 Corinth. 1, 24: Christum Dei virtutem et Dei
sapientiam: aequalitas ab Augustino; species et pulchritudo ab Hilario.
Inquantum autem sapientia est, congruit ad restaurationem: quia decet ut quae
in sapientia facta sunt, per sapientiam restaurentur; et etiam servituti a
qua homo liberandus erat, qui in eam seductus quodammodo devenerat: et ideo
decebat ut per sapientiam a seductore liberaretur. Ipse etiam homo peccavit per appetitum
scientiae: unde per sapientiam liberandus erat. Inquantum autem est virtus et brachium
patris, congruit ad victoriam de hoste capiendam; Luc. 1, 51: fecit
potentiam in brachio suo. Inquantum vero est aequalitas, congruit etiam
morbo qui sanandus erat: uterque enim, scilicet homo et Diabolus, peccaverat,
appetendo aequalitatem; ille potentiae, iste scientiae. Inquantum vero
species et pulchritudo est, congruit reparationi, ut per ipsum deturpatio
imaginis per peccatum inducta amoveatur. Patri vero non convenit incarnatio,
praecipue propter proprietatem innascibilitatis: non enim decet ut qui in
deitate est pater, in humanitate sit filius: sic enim filius Dei patris esset
nepos virginis, si ipsa virgo mater esset Dei patris. Similiter etiam nec
spiritui sancto convenit, ne filii nomen in plures personas transferatur. |
Réponse. La convenance de l’incarnation du Fils peut être envisagée selon ce qui lui est propre et selon ce qui lui est appropié. Selon ce qui lui est propre, on peut envisager quatre choses : le fait qu’il est le Fils, qu’il est le Verbe, qu’il est l’Image et qu’il est une personne intermédiaire dans la Trinité. Selon qu’il est l’Image, il a quelque chose en commun avec celui qui devait être restauré, l’homme, qui a été créé à l’image de Dieu, Gn 1. Il convenait donc que l’Image assume l’image, que [l’Image] incréée [assume l’image] créée. Mais selon qu’il est le Fils, cela convient au mode de la restauration, qui a été accomplie par les mystères de l’incarnation et de la passion. En effet, selon qu’il vient d’une autre chose, qui est commune à lui et au Saint-Esprit, l’autorité du Père sur lui est signalée. Ainsi lui convenaient la prière, la satisfaction et les autres choses de ce genre à l’endroit du Père, qui montrent l’autorité chez le Père. Mais, selon qu’on entend un mode déterminé d’origine chez le Fils, il lui convenait de naître, de sorte que celui qui est Fils de Dieu par la divinité soit le fils de la Vierge par l’humanité ; ainsi n’y aura-t-il pas plusieurs Fils dans la Trinité. Il lui convenait aussi, pour autant qu’il est Fils par nature, que, par celui qui possède l’héritage par nature, d’autres fils soient adoptés et deviennent cohéritiers. Mais, en tant qu’il est le Verbe, il a quelque chose en commun avec la fonction de la prédication et de l’enseignement, car la parole manifeste celui qui parle, et il a manifesté le Père, Jn 17, 6 : Père, j’ai manifesté ton nom aux hommes. Mais, en tant qu’il est une personne intermédiaire, cela convenait à l’effet ultime, qui est la réconciliation de l’homme avec Dieu. En effet, il convient que celui qui est intermédiaire soit aussi le médiateur. On trouve aussi que quatre choses sont appropriées au Fils : la sagesse et la puissance, par l’Apôtre, 1 Co 1, 24 : Le Christ, puissance et sagesse de Dieu ; l’égalité par Augustin ; l’éclat et la beauté par Hilaire. En tant qu’il est sagesse, il convenait à la restauration, car il convient que ce qui a été créé avec sagesse soit restauré par la sagesse. Cela convenait aussi à la servitude dont l’homme devait être libéré, lui qui y était tombé par séduction ; il convenait donc qu’il soit libéré du séducteur par la sagesse. L’homme lui-même avait aussi péché par le désir de connaître ; aussi devait-il être libéré par la sagesse. Mais en tant qu’il est la puissance et le bras du Père, il convenait pour remporter la victoire sur l’ennemi, Lc 1, 51 : Il a donné puissance à son bras. En tant qu’il y a égalité, il convenait aussi à la maladie qui devait être guérie. En effet, les deux, l’homme et le Diable, avaient péché en désirant l’égalité, celui-ci, l’égalité de la puissance, celui-là, l’égalité de la science. Mais, en tant qu’il est éclat et beauté, il convenait à la réparation, afin que, par lui, la distorsion de l’image entraînée par le péché soit enlevée. Toutefois, l’incarnation ne convenait pas au Père, surtout en raison de la propriété d’une impossible naissance. En effet, il ne convenait pas que celui qui est Père par la divinité soit fils par l’humanité, car le Fils de Dieu, le Père, serait alors le neveu de la Vierge, si la Vierge elle-même était la mère de Dieu, le Père. Cela ne convient pas non plus au Saint-Esprit, de crainte que le nom de fils ne soit conféré à plusieurs personnes. |
[7492] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 ad
1 Ad primum ergo dicendum, quod in
incarnatione ostenduntur sapientia, potentia et bonitas; et ideo efficientia
incarnationis toti Trinitati attribuitur; sed tamen opus quod Deo incarnato
debebatur, per filium expleri decuit, rationibus dictis in corpore hujus
articuli: et ideo tota Trinitas carnem soli filio univit. |
1. Dans l’incarnation, la sagesse, la puissance et la bonté sont manifestées. C’est pourquoi l’efficacité de l’incarnation est attribuée à toute la Trinité. Cependant, il convenait que l’œuvre qui était due à Dieu incarné soit accomplie par le Fils pour les raisons données dans le corps de cet article. C’est pourquoi toute la Trinité a uni la chair au seul Fils. |
[7493] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 ad
2 Ad secundum dicendum, quod potentis
non est ut per potentiam minus potentem vincat: hoc enim videtur violentum,
et non laudabile, sed per justitiam et sapientiam: et ideo per filium debuit
pater hostem vincere. Vel dicendum, quod quamvis potentia attribuatur patri,
eo quod ipse est principium totius deitatis, tamen filius etiam dicitur
virtus patris, per quam in creatura operatur: unde et brachium patris
dicitur, ut exponit Gregorius illud Job 40: si habes brachium sicut Deus;
et ideo decenter per filium Deus pater Diabolum vicit. |
2. Il ne revient pas à celui qui est puissant de vaincre par sa puissance un moins puissant : en effet, cela semble violent, et non pas louable ; mais [il lui revient de l’emporter] par la justice et la sagesse. Ainsi le Fils devait-il vaincre l’ennemi du Père. Ou bien il faut dire que, bien que la puissance soit attribuée au Père, du fait qu’il est le principe de toute la divinité, le Fils est cependant appelé la puissance du Père, par laquelle il agit dans la créature. Aussi est-il appelé le bras du Père, comme Grégoire explique Jb 40 : Si tu as un bras comme Dieu. Aussi Dieu le Père a-t-il convenablement vaincu le Diable par le Fils. |
[7494] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 ad
3 Ad tertium dicendum, quod tria opera
tribus personis appropriantur: creatio, quasi prima, patri, qui est
principium non de principio: glorificatio, quae est ultimus finis, spiritui
sancto, ratione bonitatis: recreatio, quae media est, filio, qui est media in
Trinitate persona. |
3. Trois œuvres sont appropriées aux trois personnes : la création, comme première, au Père, qui est principe sans principe ; la glorification, qui est la fin ultime, à l’Esprit Saint en raison de sa bonté ; la recréation, qui est intermédiaire, au Fils, qui est une personne intermédiaire dans la Trinité. |
[7495] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 ad
4 Ad quartum dicendum, quod quamvis
patris sit adoptare, tamen decenter nos per filium adoptavit, cujus est
hereditas; ut sic per verum heredem ipsa adoptatio acceptaretur, et firma
ostenderetur; et ut filii adoptivi haberent verum filium ducem, quem
imitarentur illi quos praescivit conformes fieri imagini filii sui, ut ipse
sit primogenitus in multis fratribus: Rom. 8. |
4. Bien qu’il revienne au Père d’adopter, il convenait cependant qu’il nous adopte par le Fils, à qui appartient l’héritage, afin qu’ainsi l’adoption elle-même soit reçue par le véritable héritier et que sa fermeté soit manifestée ; et afin que les fils adoptifs aient comme chef le Fils véritable, qu’imitent ceux qu’il a prédestinés à devenir conformes à l’image de son Fils, de sorte que celui-ci soit premier-né parmi de nombreux frères, Rm 8. |
[7496] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 ad
5 Ad quintum dicendum, quod spiritus
sanctus dicitur persona maxime vicina nobis propter caritatem, per quam nobis
omnia dona donantur; sed filius est magis nobis vicinus quantum ad congruentiam
incarnationis, rationibus dictis. |
5. On dit que l’Esprit Saint est la personne la plus proche de nous en raison de la charité, par laquelle tous les dons nous sont donnés ; mais le Fils est plus proche de nous pour ce qui convient à l’incarnation, pour les raisons données. |
[7497] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 ad
6 Ad sextum dicendum,
quod caritas Dei est causa incarnationis: et ideo causalitas incarnationis,
quamvis sit communis tribus personis, appropriatur tamen spiritui sancto, ut
infra dicetur, dist. 4: non tamen ex hoc sequitur quod spiritus sanctus
debuerit incarnari. |
6. La charité de Dieu est la cause de l’incarnation. Aussi la causalité de l’incarnation, bien qu’elle soit commune aux trois personnes, est-elle cependant appropriée au Saint-Esprit, comme on le dira plus loin, d. 4. Il ne découle toutefois pas de cela que le Saint-Esprit devait s’incarner. |
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Articulus 3 [7498] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3
tit. Utrum pater
potuit carnem assumere, et etiam spiritus sanctus |
Article 3 – Le Père pouvait-il
prendre chair, de même que le Saint-Esprit ?
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[7499] Super Sent., lib.
3 d. 1 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod pater carnem assumere non potuerit. Quia, ut dicit
Anselmus, minimum inconveniens est Deo impossibile. Sed si pater carnem
assumeret, sequeretur inconveniens, ut scilicet essent in Trinitate plures
filii, quod in confusionem quamdam vergeret personarum. Ergo pater carnem
assumere non potuit. |
1. Il semble que le Père ne pouvait pas prendre chair, car, ainsi que le dit Anselme, « ce qui convient le moins est impossible à Dieu ». Or, si le Père avait pris chair, il en découlerait quelque chose qui ne convient pas, à savoir qu’il y aurait plusieurs Fils dans la Trinité, ce qui mènerait à une certaine confusion entre les personnes. Le Père ne pouvait donc pas prendre chair. |
[7500] Super Sent., lib. 3 d. 1
q. 2 a. 3 arg. 2 Item opposita non possunt jungi in eodem, etiam per miraculum. Sed in patre est quaedam proprietas, quae dicitur innascibilitas, secundum quam
dicitur non esse ex alio, cui nascibilitas opponitur. Ergo non potuit pater
de virgine nasci, quod diceretur, si carnem assumeret. |
2. Des opposés ne peuvent être réunis dans une même chose, même par miracle. Or, chez le Père, il existe une propriété, qu’on appelle l’impossibilité de naître, selon laquelle on dit qu’il ne vient pas d’un autre, ce à quoi s’oppose la possibilité de naître. Le Père ne pouvait donc pas naître de la Vierge, ce qu’on dirait, s’il avait pris chair. |
[7501] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3
arg. 3 Item, ut in
littera dicitur, filii missio, est ipsa incarnatio. Sed patri non convenit
mitti, ut in primo Lib. habitum est. Ergo nec incarnari potest |
3. Comme il est dit dans le texte, la mission du Fils est l’incarnation elle-même. Or, il ne convient pas au Père d’être envoyé, comme on l’a vu dans le livre I. Il ne peut donc pas non plus s’incarner. |
[7502] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3
arg. 4 Item, ab eo
qui est infinitae misericordiae, semper optima expectanda sunt quae
contingere possunt. Sed cum totus mundus per incarnationem unius personae
melioratus sit, si etiam pater incarnaretur, multo amplius meliorabitur. Ergo
si possibile est patrem incarnari, hoc expectandum est, sicut et antiqui
patres incarnationem filii expectaverunt: quod est omnino absurdum. |
4. Il faut toujours attendre ce qui peut arriver de mieux de celui qui a une miséricorde infinie. Or, puisque le monde entier a été amélioré par l’incarnation d’une seule personne, si le Père aussi s’incarnait, [le monde] serait encore bien plus amélioré. S’il est possible au Père de s’incarner, il faut donc l’attendre, comme les anciens pères ont attendu l’incarnation du Fils, ce qui est tout à fait absurde. |
[7503] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3
arg. 5 Praeterea, non
est major Dei potentia quam sua voluntas, cum utrumque sit infinitum. Sed
pater nunquam voluit incarnari. Ergo nec incarnari potest. |
5. La puissance de Dieu n’est pas plus grande que sa volonté, puisque les deux sont infinies. Or, le Père n’a jamais voulu s’incarner. Il ne peut donc pas non plus s’incarner. |
[7504] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 s.
c. 1 Sed contra,
sicut dicit Anselmus, omnis necessitas et impossibilitas Deo est subjecta.
Sed ei nihil est impossibile, cujus voluntati omnis impossibilitas subditur.
Ergo patrem incarnari non est impossibile. |
Cependant, [1] comme le dit Anselme, « toute nécessité et toute impossibilité sont soumises à Dieu ». Or, rien n’est impossible pour celui à qui toute impossibilité est soumise. Il n’est donc pas impossible pour le Père de s’incarner. |
[7505] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 s.
c. 2 Item, eorum
quae aeque distant, aeque possibilis est conjunctio. Sed humana natura aequaliter
distat a tribus personis: distat enim a qualibet in infinitum. Ergo si potuit
eam filius assumere, potest et pater. |
[2] L’union de ce qui est également distant est également possible. Or, la nature humaine est également distante des trois personnes : en effet, elle est distante de chacune à l’infini. Si le Fils pouvait l’assumer, le Père aussi le peut donc. |
[7506] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 s.
c. 3 Praeterea,
quidquid dignitatis convenit filio, convenit et patri. Sed posse assumere
carnem est dignitatis in filio. Ergo et patri attribuendum est. |
[3] Toute dignité qui convient au Fils convient aussi au Père. Or, pouvoir prendre chair est une dignité pour le Fils. Il faut donc que cela soit aussi attribué au Père. |
[7507] Super Sent., lib.
3 d. 1 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod cum in agentibus ex libertate voluntatis,
executio potentiae sequatur imperium voluntatis et ordinem rationis, considerandum
est, quando potentiae divinae aliquid ascribitur, utrum attribuatur potentiae
secundum se consideratae; tunc enim dicitur posse illud de potentia absoluta:
vel attribuatur sibi in ordine ad sapientiam et praescientiam et voluntatem
ejus: tunc enim dicitur posse illud de potentia ordinata. Ipsi ergo potentiae absolutae, cum infinita
sit, necesse est attribuere omne id quod in se est aliquid, et quod in
defectum potentiae non vergit. Dico autem in se aliquid esse: quia conjunctio
affirmationis et negationis nihil est, nec aliquem intellectum generat quod
dicitur homo et non homo simul acceptum, quasi in vi unius dictionis: et ideo
potentia Dei ad hoc se non extendit, ut affirmatio et negatio sint simul: et
eadem ratio est de omnibus quae contradictionem includunt. Dico autem in
defectum potentiae vergere quae passionem potentiae important: ex defectu
enim potentiae activae ad resistendum contingit quod aliquid vel corrumpatur
vel dividatur, vel aliquid hujusmodi; unde et mollities impotentia naturalis
dicitur propter facilem divisibilitatem; et ideo non dicimus Deum in natura
divinitatis posse pati vel mori, vel aliquid hujusmodi; sicut non dicimus eum
posse esse impotentem. Huic autem potentiae absolute consideratae quando
attribuitur aliquid quod vult facere et sapientia sua habet ut faciat, tunc
dicitur posse illud secundum potentiam ordinatam; quando autem potentia se
extendit quantum in se est ad illud quod sibi attribuitur, quamvis non habeat
ejus sapientia et voluntas ut ita fiat, tunc dicitur posse illud de potentia
absoluta tantum. Sed in his distinguendum est: quia in his sunt quaedam quae
habent aliquid in se divinae sapientiae et bonitati repugnans inseparabiliter
conjunctum, ut peccare, mentiri, et hujusmodi; et etiam ista dicimus Deum non
posse: quaedam vero sunt quae de se non habent inconvenientiam ad divinam
sapientiam, sed solum ad ordinem aliquem suae praescientiae, quem Deus in
rebus statuit vel praevidit, secundum suam voluntatem, ut quod caput hominis
sit inferius; et haec Deus potest facere, quia potest statuere alium ordinem
in rebus secundum quem sit conveniens quod nunc secundum istum ordinem qui
rebus inest, inconveniens videtur. Sic ergo in his quae divinae potentiae
attribui possunt, est quadruplex distinctio sive ordo. Quaedam enim nec ipsi
potentiae absolutae attribuuntur; unde simpliciter dicendum est, Deum ea non
posse, sicut pati, et contradictoria simul esse. Quaedam vero ex se
sapientiae et bonitati ejus repugnant; et ista non dicimus Deum posse nisi
sub conditione, scilicet si vellet; non enim inconveniens est ut in
conditionali vera antecedens sit impossibile. Quaedam vero de se repugnantiam
non habent, sed solum ab exteriori; et talia absolute concedendum est Deum
posse de potentia absoluta; nec sunt neganda nisi sub conditione, scilicet ut
dicatur: non potest, si voluntati ejus repugnat. Quaedam vero sunt quae
attribuuntur potentiae, ita quod voluntati et sapientiae ejus congruunt; et
haec simpliciter dicendum est Deum posse, et nullo modo ea non posse.
Dicendum est ergo, quod patrem incarnari, non est de illis quae potentiae Dei
absolutae non subduntur; cum neque contradictionem implicet, neque defectum
aliquem incarnatio in persona incarnata ponat: est enim eadem dignitas patris
et filii, et ratio eadem personalitatis in utroque: nec est etiam de illis
quae ex se inconvenientiam habent: sed est de illis quae habent
inconvenientiam propter ordinem alium a Dei sapientia institutum. Sed filium
incarnari est in quarto ordine. Et ideo simpliciter concedendum est quod
pater potuit carnem assumere, et similiter spiritus sanctus, loquendo de
potentia absoluta. |
Répondre. Puisque, chez les agents par libre volonté, la mise en œuvre de la puissance suit le commandement de la volonté et l’ordre de la raison, il faut se demander, lorsque quelque chose est attribué à la puissance divine, si cela est attribué à la puissance considérée en elle-même – on dit alors que cela lui est possible par sa puissance absolue –, ou si cela lui est attribué en rapport avec sa sagesse, sa prescience et sa volonté – on dit alors que cela lui est possible selon sa puissance ordonnée. Il faut donc attribuer à la puissance absolue, puisqu’elle est infinie, tout ce qui est quelque chose en soi et qui ne tourne pas à la carence de la puissance. Je dis : « quelque chose qui est en soi », parce que l’union de l’affirmation et la négation n’est rien, et le fait de dire en même temps homme et non homme n’engendre rien qui soit compris, comme par la puissance d’une seule parole. Aussi la puissance de Dieu ne va-t-elle pas jusqu’à faire que l’affirmation et la négation existent en même temps. Et on fait le même raisonnement pour tout ce qui comporte une contradiction. Mais je dis: « tourner à la carence de la puissance », de tout ce qui comporte une passion de la puissance. En effet, il vient de l’incapacité de la puissance active à résister, que quelque chose soit corrompu ou divisé, ou quelque chose de ce genre. Aussi le fait d’être mou est-il appelé une impuissance naturelle en raison de la possibilité de le diviser facilement. C’est pourquoi nous ne disons pas que Dieu peut souffrir et mourir selon la nature de la divinité, ou quelque de ce genre, comme nous ne disons pas qu’il est impuissant. Mais lorsqu’est attribué à cette puissance envisagée de manière absolue quelque chose qu’elle veut faire et que sa sagesse entend faire, alors on dit qu’elle peut faire cela selon sa puissance ordonnée ; mais lorsque la puissance s’étend autant qu’elle le peut à ce qui lui est attribué, bien que sa sagesse et sa volonté ne soient pas disposées à le faire, alors on dit qu’elle peut faire cela par sa seule puissance absolue. Mais il faut ici faire une distinction, car, parmi ces choses, il y en a qui ont en elles-mêmes quelque chose qui répugne de manière inséparable à la sagesse et à la bonté divines, comme pécher, mentir et les choses de ce genre. Même cela, nous disons que Dieu ne le peut pas. Mais il y en a qui n’ont pas en elles-mêmes quelque chose qui ne convient pas à la sagesse divine, mais seulement à un certain ordre de sa prescience, que Dieu a établi ou prévu selon sa volonté, par exemple, que la tête de l’homme soit en bas. Cela, Dieu peut le faire, parce qu’il peut établir un autre ordre dans les choses, selon lequel serait convenable ce qui, maintenant, selon l’ordre qui existe dans les choses, ne semble pas convenir. Ainsi donc, parmi les choses qui peuvent être attribuées à la puissance divine, il existe une distinction ou un ordre quadruple. En effet, certaines choses ne sont même pas attribuées à la puissance absolue ; aussi faut-il dire que Dieu ne les peut pas, comme être passif et le fait que des contradictoires existent en même temps. Mais certaines choses répugnent à sa sagesse et à sa bonté : nous ne disons pas que Dieu ne peut pas ces choses quà une condition : qu’il le veuille. En effet, il n’est pas inapproprié que, dans une proposition conditionnelle, la proposition vraie qui précède soit quelque chose d’impossible. Mais certaines choses ne répugnent pas en soi, mais seulement en raison de quelque chose d’extérieur. Il faut concéder de manière absolue que Dieu peut de telles choses par sa puissance absolue, et elles ne doivent être niées qu’à condition de dire qu’il ne les peut pas, si cela répugne à sa volonté. Mais certaines choses sont attribuées à sa puissance, de telle sorte qu’elles conviennent à sa volonté et à sa sagesse. Il faut dire que Dieu les peut tout simplement et qu’il ne les peut pas d’aucune manière. Il faut donc dire que le fait pour le Père de s’incarner ne fait pas partie des choses qui ne sont pas soumises à la puissance absolue de Dieu, puisque cela ne comporte pas de contradiction et que l’incarnation ne montre aucune carence chez la personne incarnée. En effet, la dignité du Père et du Fils est la même, et la raison de personne est la même chez les deux. Cela ne fait pas non plus partie de ces choses qui comportent en elles-mêmes quelque chose d’inapproprié, mais cela fait partie des choses qui comportent quelque chose d’inapproprié en raison d’un ordre établi par la sagesse de Dieu. Mais que le Fils s’incarne fait partie du quatrième ordre. C’est pourquoi il faut simplemenet concéder que le Père pouvait prendre chair, de même que le Saint-Esprit, si l’on parle de leur puissance absolue. |
[7508] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 ad
1 Ad primum ergo
dicendum, quod hoc est impossibile, ut aliquid faciat Deus, et hoc sit
inconveniens; sed tamen potest facere ut illud quod modo est inconveniens
secundum unum ordinem, secundum alium ordinem fiat conveniens; sicut potest
carnem hoc modo formando assumere, sicut corpus viri de terra formavit: sic
enim filii nomen patri non conveniret: nec etiam si pater filius diceretur,
esset de se repugnantiam habens, cum secundum diversas naturas haec sibi
attribuerentur. |
1. Il est impossible que Dieu fasse quelque chose et que cela soit inapproprié. Cependant, il peut faire que ce qui est maintenant inapproprié selon un ordre devienne approprié selon un autre ordre : ainsi, il peut prendre chair en la formant de la manière dont il a formé le corps de l’homme à partir de la terre. En effet, le nom de Fils ne conviendrait pas ainsi au Père, pas plus que, si le Père était appelé Fils, cela répugnerait de soi, puisque cela lui serait attribué selon diverses natures. |
[7509] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod secundum idem non possunt opposita eidem inesse; sed secundum
diversa nihil prohibet. Unde quamvis patri conveniat innascibilitas secundum
naturam divinam, posset tamen eidem inesse nativitas secundum naturam
humanam; sicut filio secundum naturam divinam inest quod sit pater virginis
cujus secundum naturam humanam est filius. |
2. Des contraires ne peuvent se trouver dans une même chose sous le même aspect ; mais rien n’empêche qu’ils s’y trouvent sous des aspects différents. Bien que l’impossibilité de naître convienne au Père selon la nature divine, il pourrait cependant se trouver en lui une naissance selon la nature humaine, de même que, selon la nature divine, il appartient au Fils d’être le père de Vierge, dont il est le fils selon la nature humaine. |
[7510] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 ad
3 Ad tertium
dicendum, quod incarnatio filii dicitur missio, quia filius ab alio est. Si
autem pater incarnaretur, ejus incarnatio missio dici non posset: sicut
ostensio spiritus sancti in columba, missio visibilis ipsius dicitur; non
autem ostensio patris in sono vocis. |
3. L’incarnation du Fils est appelée une mission parce que le Fils vient d’un autre. Mais si le Père s’incarnait, son incarnation ne pourrait s’appeler une mission. De même, la manifestation de l’Esprit Saint dans une colombe est-elle appelée sa mission visible, mais non la manifestation du Père dans le son de la voix. |
[7511] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 ad
4 Ad quartum
dicendum, quod tres personae non sunt majoris bonitatis quam una tantum; et
ideo nihil plus universo accresceret per incarnationem omnium personarum,
quam de incarnatione unius tantum; unde fuisset superfluum; et ideo quamvis
sit possibile patrem incarnari, non tamen est expectandum. |
4. Les trois personnes n’ont pas une plus grande bonté qu’une seule. C’est pourquoi l’univers ne gagnerait rien à l’incarnation des trois personnes, plutôt qu’à l’incarnation d’une seule. Elle aurait donc été superflue. C’est pourquoi, bien qu’il soit possible que le Père s’incarne, il ne faut cependant pas l’espérer. |
[7512] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 ad
5 Ad quintum
dicendum, quod potentia Dei non est major quantum ad essentiam quam voluntas;
tamen ad plura objecta se extendit potentia quam voluntas; unde non sequitur,
si aliquid Deus non vult, quod illud absoluta potentia non possit. |
5. La puissance de Dieu n’est pas plus grande du point de vue de son essence que du point de vue de sa volonté. Cependant, sa puissance s’étend à plus de choses que sa volonté. Si Dieu ne veut pas quelque pas quelque chose, il n’en découle donc pas qu’il ne le puisse pas selon sa puissance absolue. |
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Articulus 4 [7513] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4
tit. Utrum pater et
filius et spiritus sanctus possit eamdem numero naturam assumere |
Article 4 – Le Père, le Fils et
le Saint-Esprit peuvent-ils assumer la même nature en nombre ?
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[7514] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic
proceditur. Videtur quod
pater et spiritus sanctus non possunt unam et eamdem numero naturam assumere.
Primo per hoc quod dicit Anselmus in Lib. de incarnatione verbi, quod plures
personae non possunt assumere unum eumdemque hominem. Sed si unam naturam
assumerent, unus homo assumptus esset a pluribus personis. Ergo primum est
impossibile. |
1. Il semble que le Père et le Saint-Esprit ne puissent assumer la même nature en nombre. Premièrement, du fait que Anselme dit, dans le livre Sur l’incarnation du Verbe, que « plusieurs personnes ne peuvent assumer un seul et même homme ». Or, s’ils assumaient une seule nature, un seul homme serait assumé par plusieurs personnes. La première chose est donc impossible. |
[7515] Super Sent., lib. 3 d. 1
q. 2 a. 4 arg. 2 Item, assumptio humanae naturae terminatur ad aliquam unionem. Non
autem ad unionem in natura: quia oporteret vel alteram tantum remanere, sicut
patet in conjunctione cibi ad cibatum; vel etiam neutrum, ut patet in
conjunctione elementorum. In
incarnatione vero utraque natura manet, ut Damascenus dicit, et sic patet
quod non potest esse unio in natura. Ergo oportet quod terminetur ad unionem
in persona. Non ergo possunt esse plures personae unam naturam assumentes. |
2. La prise d’une nature humaine a comme terme l’union. Or, [elle] ne [se termine] pas à l’union selon la nature, car il faudrait soit qu’une autre chose seulement reste, comme cela ressort de l’union de la nourriture et de celui qui est nourri, soit qu’aucune des deux [ne restent], comme cela ressort de l’union d’éléments. Or, « dans l’incarnation, les deux natures demeurent », comme le dit [Jean] Damascène, et ainsi il est clair qu’il ne peut y avoir d’union selon la nature. Il ne peut donc y avoir plusieurs personnes qui assument une seule nature. |
[7516] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4
arg. 3 Praeterea, ut
Damascenus dicit, in incarnatione uniens et unitum communicant sibi sua
idiomata, ut quidquid dicitur de filio hominis possit dici de filio Dei. Ergo
si eadem natura humana a tribus personis assumpta esset, demonstrato illo
homine, possemus eum dicere filium Dei, et quidquid de filio Dei dicitur; et
e converso filium Dei esse hunc hominem, et natum de virgine, et hujusmodi
omnia. Sed stante
eadem positione, possemus dicere, quod hic homo esset pater. Ergo esse patrem, et quidquid est patris,
posset praedicari de filio Dei; quod manifeste confusionem induceret
personarum. |
3. Comme le dit [Jean] Damascène, « dans l’incarnation, ce qui unit et ce qui est uni se communiquent leurs idiomes, de sorte que tout ce qui est dit du fils de l’homme peut être dit du Fils de Dieu ». Si la même nature humaine avait été assumée par les trois personnes, en montrant cet homme, nous pourrions dire qu’il est le Fils de Dieu et tout ce qui est dit du Fils de Dieu ; en sens inverse, [nous pourrions dire que] le Fils de Dieu est cet homme, né de la Vierge, et toutes les choses de ce genre. Or, en maintenant la même position, nous pourrions dire que cet homme est le Père. Être le Père et tout ce qui appartient au Père pourrait donc être attribué au Fils de Dieu, ce qui entraînerait manifestement la confusion des personnes. |
[7517] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4
arg. 4 Praeterea,
tres personae distinguuntur relationibus. Ergo quod attribuitur alicui
personae primo et per se ratione ejus quod ad alterum est, nullo modo tribus
personis potest esse commune. Sed humanam naturam assumere convenit filio secundum
id quod ad alterum est: quia primo et per se convenit personae, naturae autem
prout est in persona. Ergo assumere hanc naturam non potest esse commune
tribus personis. |
4. Les trois personnes se distinguent par leurs relations. Ce qui est attribué à une personne en premier lieu et par soi en raison de ce qu’elle est pour une autre ne peut donc d’aucune manière être commun aux trois personnes. Or, assumer la nature humaine convient au Fils selon ce qu’il est pour un autre, car cela convient en premier et par soi à la personne, mais, à la nature, en tant qu’elle se trouve dans la personne. Assumer cette nature ne peut donc être commun aux trois personnes. |
[7518] Super Sent., lib.
3 d. 1 q. 2 a. 4 arg. 5 Praeterea, ut in 1 Lib. dictum est, dist. 8, qu. 1, art. 1, omnis quidditas vel natura
quae non est suum esse, dividitur secundum divisionem suppositorum in ea
subsistentium, quia esse habet secundum quod in supposito est. Sed humana natura est quidditas vel natura
quae non est suum esse: hoc enim solius Dei est. Ergo oportet quod dividatur secundum esse
ad divisionem suppositorum in ea subsistentium. Sed si tres assumerent humanam naturam,
essent tria supposita in humana natura subsistentia. Ergo essent tres humanae
naturae: non ergo una numero humana natura a tribus personis assumi potest. |
5. Comme on l’a dit dans le livre I, d. 8, q. 1, a. 1, toute quiddité ou nature qui n’est pas son propre être se divise selon la division des suppôts qui subsistent en elle, car elle a l’être selon qu’il se trouve dans le suppôt. Or, la nature humaine est une quiddité ou une nature qui n’est pas son propre être : en effet, cela appartient à Dieu seul. Il faut donc qu’elle soit divisée selon l’être d’après la division des suppôts qui subsistent en elle. Or, si les trois assumaient la nature humaine, il y aurait trois suppôts subsistant dans la nature humaine. Il y aurait donc trois natures. Il n’y a donc pas une seule nature humaine en nombre qui puisse être assumée par les trois personnes. |
[7519] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4
arg. 6 Praeterea, si tres personae unam
naturam humanam assumerent, aut essent unus homo, aut plures. Sed non plures, quia non haberent nisi unam
animam et unum corpus. Ergo esset unus homo, et posset demonstrari: iste homo
est pater et filius et spiritus sanctus. Sed ille homo non potest supponere
nisi personam patris vel filii vel spiritus sancti. Ergo persona patris esset
pater et filius et spiritus sanctus, vel persona filii, vel persona spiritus sancti;
quod est impossibile. Ergo impossibile est talem assumptionem esse. |
6. Si les trois personnes assumaient une seule nature humaine, soit elles seraient un seul homme, soit elles en seraient plusieurs. Or, elles ne peuvent en être plusieurs, car elles n’auraient qu’une seule âme et un seul corps. Il y aurait donc un seul homme, et on pourrait démontrer que cet homme est le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Or, cet homme ne peut avoir comme suppôt que la personne du Père, du Fils et ou du Saint-Esprit. La personne du Père serait donc le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ou la personne du Fils et la personne du Saint-Esprit, ce qui est impossible. Il est donc impossible qu’une telle prise [de la nature humaine] existe. |
[7520] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 s.
c. 1 Sed contra,
humanae naturae convenit esse assumptibilem secundum quod est ad imaginem
Dei. Sed eadem
numero humana natura est ad imaginem trium personarum. Ergo humana natura
eadem numero a tribus assumi potest. |
Cependant, [1] il convient à la nature humaine de pouvoir être assumée du fait qu’elle est à l’image de Dieu. Or, une même nature humaine identique en nombre est à l’image des trois personnes. Une nature humaine identique en nombre peut donc être assumée par les trois [personnes]. |
[7521] Super Sent., lib.
3 d. 1 q. 2 a. 4 s. c. 2 Praeterea, major est distantia diversarum potentiarum animae ad invicem (quae etiam in
absolutis distinguuntur) quam divinarum personarum quae distinguuntur solum
in eo quod ad alium est. Sed anima unitur eidem membro secundum diversas
potentias: quod patet, quia organa aliorum sensuum sunt etiam organa tactus,
qui per totum corpus diffunditur. Ergo et Deus potest uniri homini, ita quod tres personae unam naturam
humanam assumant. |
[2] La distance est plus grande entre les diverses puissances de l’âme (qui sont distinctes de manière absolue) qu’entre les personnes divines, qui se distinguent seulement par ce qu’elles sont par rapport à une autre. Or, l’âme est unie au même membre selon diverses puissances, ce qui ressort du fait que les organes des autres sens sont aussi les organes du toucher, qui est répandu dans tout le corps. Dieu peut donc être uni à l’homme, de telle sorte que les trois personnes assument une seule nature humaine. |
[7522] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 s.
c. 3 Praeterea,
eorum quae magis conveniunt, facilior est unio. Sed humana natura assumpta a
filio non minus convenit cum patre, sed etiam magis quam aliqua alia. Ergo si
pater potuit assumere aliam humanam naturam, ut dictum est qu. 1, art. 2,
multo magis eamdem. |
[3] L’union avec ce qui a davantage en commun est plus facile. Or, la nature humaine assumée par le Fils n’a pas moins en commun avec le Père, mais plutôt davantage qu’une autre [nature]. Si le Père pouvait assumer une autre nature humaine, comme on l’a dit à la q. 1, a. 2, il pouvait à bien plus forte raison assumer la même. |
[7523] Super Sent., lib.
3 d. 1 q. 2 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod tres personas divinas assumere unam humanam naturam in unitate unius
personae, est impossibile, quia contradictionem implicat. Cum enim unio Dei
et hominis non possit fieri in natura, ut infra, distin. 5, probabitur, oportet quod fiat in
persona, ut scilicet sit eadem personalitas assumentis et assumpti; unde
ponere unam personam ex parte assumpti et tres ex parte assumentis est
incompossibile. Et non potest etiam similiter esse una unitate unius hypostasis
vel suppositi, ad minus quantum ad secundam opinionem, quae ponitur infra
dist. 6, quae ponit unionem non tantum in persona, sed etiam in supposito et
hypostasi. Sed quod natura assumpta a tribus personis sit una unitate singularis
naturae, non est impossibile, loquendo de potentia absoluta; quamvis non sit
congruum secundum ordinem divinae sapientiae; cum unius personae incarnatio
ad reparationem mille mundorum sufficiat. Dico autem unitatem singularis
naturae, si assumeretur unum corpus et una anima sibi unita, ex quorum unione
una humanitas resultaret, ut sic tres personae in una natura assumpta
convenirent sicut conveniunt in natura aeterna. Quidam vero e converso contrariam opinionem
tenent; et secundum utramque potest ad objecta responderi. |
Réponse. Il est impossible que les trois personnes divines assument une seule nature humaine dans l’unité d’une seule personne, car cela comporte une contradiction. En effet, puisque l’union de Dieu et de l’homme ne peut se réaliser selon la nature, comme on le montrera plus loin, d. 5, il est nécessaire qu’elle se réalise selon la personne, de sorte que la personnalité de celui qui assume et de celui qui est assumé soit la même. Aussi affirmer une seule personne du point de vue de celui qui est assumé et trois [personnes] du point de vue de celui qui assume est-il impossible. Elle ne peut non plus être unique selon l’unité d’une seule hypostase ou suppôt, du moins, selon la seconde opinion, présentée plus loin, d. 6, qui affirme que l’union ne se réalise pas seulement selon la personne, mais aussi selon le suppôt et l’hypostase. Mais il n’est pas impossible que la nature assumée par les trois personnes soit une selon l’unité d’une seule nature, si l’on parle de puissance absolue, bien que cela ne soit pas approprié selon l’ordre de la sagesse divine, puisque l’incarnation d’une seule personne suffit à la restauration de mille mondes. Or, je parle de l’unité d’une seule nature, si étaient assumés un seul corps et une seule âme qui lui est unie, dont résulterait une seule humanité par leur union, de sorte que les trois personnes se trouveraient dans une seule nature assumée, comme elles se trouvent dans [leur] nature éternelle. Mais, en sens inverse, certains soutiennent l’opinion contraire. Et l’on peut répondre aux objections selon les deux [opinions]. |
[7524] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 ad
1 Ad primum ergo dicendum, quod Anselmus
ibi accipit unum hominem, unam personam humanam: hoc enim est incompossibile ei quod ponitur tres
personas assumentes esse. |
1. Anselme parle ici d’un seul homme pour une seule personne humaine. En effet, cela est impossible par rapport à l’affirmation que les trois personnes assument. |
[7525] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod assumptio illa terminaretur ad aliquid unum in persona, non
ita quod uni tantum personae uniretur, sed quia a qualibet trium personarum
assumeretur in unitatem personae, ut non esset alia persona hominis assumpti
a tribus personis patris et filii et spiritus sancti, quasi homo per se,
inquantum homo, sit persona; esset tamen alia persona patris, alia filii,
alia spiritus sancti humanitatem eamdem assumentium. |
2. Cette prise [de la nature humaine] aurait comme terme quelque chose d’unique dans la personne, non pas qu’elle serait unie seulement à une seule personne, mais parce qu’elle serait assumée dans l’unité de la personne par chacune des trois personnes, de sorte qu’il n’y aurait pas une autre personne de l’homme, assumé comme homme par soi, par les trois personnes du Père, du Fils et du Saint-Esprit, en tant que l’homme est une personne. Cependant, ce serait une autre personne du Père, une autre du Fils et une autre du Saint-Esprit qui assument la même humanité. |
[7526] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 ad
3 Ad tertium
dicendum, quod communicatio idiomatum intelligitur respectu alterius naturae;
unde praedicta positione facta, hic homo non communicaret filio idiomata
patris, sed solum idiomata humanae naturae. |
3. La communication des idiomes s’entend par rapport à une autre nature. Aussi, si on adoptait cette position, cet homme ne communiquerait pas au Fils les idomes du Père, mais seulement les idiomes de la nature humaine. |
[7527] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 ad
4 Ad quartum
dicendum, quod, sicut supra in primo libro dictum est, in divinis duplex est
communitas, rei et rationis. Communitate rei nihil est ibi commune nisi
absolutum; sed communitate rationis est ibi commune hoc nomen persona, vel
relatio: et ita per hunc modum communitatis potest communiter convenire patri
et filio et spiritui sancto ut unusquisque eorum trahat humanam naturam
eamdem numero in unitatem personae suae. |
4. Comme on l’a dit plus haut dans le livre I, il existe dans la divinité quelque chose de commun sous deux aspects : selon la réalité et selon la raison. Il ne s’y trouve quelque chose de commun selon la réalité que ce qui est absolu. Mais il s’y trouve quelque chose de commun selon la raison : les mots de « personne » ou de « relation ». Et ainsi, selon cette manière d’être en commun, il peut convenir au Père, au Fils et à l’Esprit Saint que chacun d’eux attire la même nature humaine dans l’unité de sa personne. |
[7528] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 ad
5 Ad quintum
dicendum, quod tres personae non distinguuntur secundum esse; immo earum est
unum esse, vivere et intelligere, cum esse non nisi ad essentiam pertineat;
et ideo non oporteret quod natura humana a tribus personis assumpta secundum
esse multiplicaretur, sicut multiplicatur in tribus personis humanis, quarum
non est unum esse. |
5. Les trois personnes ne se distinguent pas selon l’être ; bien plus, elles n’ont qu’un seul être, une seule vie et une seule intelligence, puisque l’être ne relève que de l’essence. C’est pourquoi il ne serait pas nécessaire que la nature humaine assumée par les trois personnes soit multipliée selon l’être, comme elle est multipliée dans trois personnes humaines, dont il n’y a pas un seul être. |
[7529] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 ad
6 Ad sextum
dicendum, quod cum termini substantivi significentur vel consignificentur
pluraliter ex unitate seu pluralitate formae signatae, dicerentur tres unus
homo, si unam humanam naturam assumpsissent, sicut propter unam naturam
divinam dicuntur unus Deus: et sicut dicitur tota Trinitas unus solus verus
Deus, secundum Augustinum, et Baruch 3, 36: hic est Deus, et non
aestimabitur alius ab illo; ita posset dici: iste solus homo, est pater
et filius et spiritus sanctus; et tunc iste terminus homo supponeret rem
humanae naturae sine distinctione trium personarum, sicut iste terminus Deus
supponit in praedictis locutionibus rem naturae divinae indistincte; et haec
est suppositio sua naturalis, et quasi termini communis respectu trium
personarum; suppositio autem qua supponit pro patre vel filio, est sibi
accidentalis, et quasi termini discreti. |
6. Puisque les termes substantifs tirent leur sens ou leur sens multiple de l’unité ou de la pluralité de la forme désignée, les trois seraient appelés un seul homme, s’ils assumaient une seule nature humaine, de même qu’on ne parle que d’un seul Dieu en raison de la nature divine. Et de même qu’on dit que toute la Trinité est un seul vrai Dieu, selon Augustin et Ba 3, 36 : Voici Dieu, et on ne pensera pas qu’il en existe un autre que lui, de même on pourrait dire : « Ce seul homme est le Père, le Fils et l’Esprit Saint. » Ce mot « homme » serait alors le suppôt réel de la nature humaine, sans distinction entre les trois personnes, comme le mot « Dieu » est, dans les expressions mentionnées, le suppôt de la réalité de la nature divine de manière indistincte. Tel est le sens naturel et pour ainsi dire commun du mot par rapport aux trois personnes. Mais le sens selon lequel il signifie le Père ou le Fils lui est accidentel et pour ainsi dire celui d’un mot distinct. |
[7530] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 ad
s. c. Ad ea quae in
oppositum objiciuntur, secundum alios potest responderi, quod ad unitatem
naturae sequeretur aliquo modo unitas suppositi secundum eos; et hoc esse non
potest, ut dictum est, in corpore hujus articuli. |
[1-3] Aux objections en sens contraire, on peut répondre, selon d’autres, que, de l’unité de nature, découlerait d’une certaine manière l’unité de suppôt selon eux. Et cela ne peut pas être le cas, comme on l’a dit dans le corps de cet article. |
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Articulus 5 [7531] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5
tit. Utrum una
persona possit assumere duas humanas naturas |
Article 5 – Une seule personne
peut-elle assumer deux natures humaines ?
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[7532] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic
proceditur. Videtur quod
una persona non possit duas humanas naturas assumere. Natura enim communis
non multiplicatur nisi secundum pluralitatem suppositorum. Sed una persona
est tantum unum suppositum, ut infra, dist. 6, quaest. 1, art. 1, patebit.
Ergo non potest in una persona esse duplex natura ejusdem speciei. |
1. Il semble qu’une seule personne ne puisse assumer deux natures humaines. En effet, une nature commune n’est multipliée que par la pluralité des suppôts. Or, pour une seule personne, il n’existe qu’un seul suppôt, comme cela ressortira plus loin, d. 6, q. 1, a. 1. Il ne peut donc y avoir une double nature de la même espèce dans une seule personne. |
[7533] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5
arg. 2 Item, si
filius Dei assumeret plures humanas naturas, vocaretur secundum unam naturam
Jesus, et secundum aliam Petrus; inde sic. Supposito filio Dei, supponitur
Jesus: et eadem ratione, supposito filio Dei, supponitur Petrus. Ergo
supposito Jesu, supponitur Petrus: ergo haec est vera: Jesus est Petrus. Sed
impossibile est quod duorum hominum unus de alio praedicetur. Ergo Jesus et
Petrus non sunt duo homines. Sed impossibile est duas humanas naturas numero
differentes esse nisi per hoc quod sunt in duobus hominibus. Ergo in Jesu et
Petro non erunt duae humanae naturae, sed una tantum: ergo ad hanc positionem
quod filius Dei duas humanas naturas assumpserit, sequitur suum contrarium,
scilicet quod sit una tantum natura humana assumpta: ergo positio illa est
impossibilis. |
2. Si le Fils de Dieu assumait plusieurs natures humaines, il serait appelé Jésus, selon une nature, et selon l’autre, Pierre. La conséquence serait la suivante : en supposant le Fils de Dieu, on suppose Jésus ; pour la même raison, en supposant le Fils de Dieu, on suppose Pierre. Donc, en supposant Jésus, on suppose Pierre, et cette proposition est vraie : « Jésus est Pierre. » Or, il est impossible que l’un soit prédiqué de l’autre pour deux hommes. Jésus et Pierre ne sont donc pas deux hommes. Or, il est impossible que deux natures humaines différentes en nombre existent, si ce n’est parce qu’elles existent dans deux hommes. En Jésus et en Pierre, il n’y aurait donc pas deux natures humaines, mais une seule seulement. Son contraire découle donc de cette position que le Fils de Dieu aurait assumé deux natures humaines : il n’y aurait qu’une seule nature humaine assumée. Cette position est donc impossible. |
[7534] Super Sent., lib. 3 d. 1
q. 2 a. 5 arg. 3 Praeterea, plus distat natura humana a divina quam una humana natura
ab alia. Sed quamvis
Dei filius subsistat in duabus naturis, divina scilicet et humana, non tamen
duo, sed unus, et unum est. Ergo etsi subsisteret in duabus naturis humanis
assumptis, non tamen duo homines dici posset; ergo nec essent duae humanae
naturae; et sic idem quod prius. |
3. Il existe une plus grande distance entre la nature humaine et la nature divine qu’entre une nature humaine et une autre. Or, bien que le Fils de Dieu subsiste dans deux natures, la nature divine et la nature humaine, il n’est cependant pas deux, mais un seul, et il est une seule réalité. Même s’il subsistait en deux natures humaines assumées, il ne pourrait donc pas être appelé deux hommes. Il ne serait donc pas non deux natures humaines. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[7535] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5
arg. 4 Praeterea, si
filius Dei duas humanas naturas assumpsisset, secundum quarum unam diceretur
Petrus, et secundum aliam Jesus; oporteret quod de Jesu et Petro hoc verbum
sum, es, est, singulariter praedicaretur: quia utrumque esset unum suppositum.
Sed de patre et filio praedicatur pluraliter, ut patet Joan. 10, 30: ego
et pater unum sumus. Ergo major est unitas aliqua quam unitas trium personarum:
quod est impossibile: ergo et positio praedicta. |
4. Si le Fils de Dieu avait assumé deux natures, selon l’une des deux, il serait appelé Pierre, et selon l’autre, Jésus. Il faudrait que les mots « je suis », « tu es », « il est » soient prédiqués au singulier de Jésus et de Pierre, car les deux ne seraient qu’un seul suppôt. Or, il est prédiqué du Père et du Fils au pluriel, comme cela ressort de Jn 10, 30 : Moi et le Père, nous sommes un. Il existe donc une unité plus grande que l’unité des trois personnes, ce qui est impossible. La position précédente [s’impose] donc. |
[7536] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5
arg. 5 Praeterea,
negatur haec propositio: filius Dei assumpsit hominem, ne videatur personam
assumpsisse. Sed sicut filius Dei non assumpsit personam, ita filius Dei non
est duae personae. Ergo nullo modo potest dici, quod filius Dei sit duo homines. Hoc autem sequitur si duas humanas naturas
assumpsit. Ergo est impossibile. |
5. On refuse cette proposition : « Le Fils de Dieu a assumé un homme », pour qu’il ne semble pas avoir assumé une personne. Or, de même que le Fils de Dieu n’a pas assumé une personne, de même le Fils de Dieu n’est-il pas deux personnes. On ne peut donc dire d’aucune manière que le Fils de Dieu est deux hommes. Or, telle serait la conséquence s’il assumait deux natures humaines. Cela est donc impossible. |
[7537] Super Sent., lib. 3 d. 1
q. 2 a. 5 s. c. 1 Sed contra, quidquid potest pater, potest filius. Sed pater potest aliam
humanam naturam assumere ab ea quam filius assumpsit. Ergo et filius potest
aliam assumere ab ea quam assumpsit. Ergo una persona potest plures assumere
naturas. |
Cependant, [1] tout ce que peut le Père, le Fils le peut. Or, le Père peut assumer une autre nature humaine que celle que le Fils a assumée. Le Fils peut donc assumer une autre nature humaine que celle qu’il a assumée. Une seule personne peut donc assumer plusieurs natures. |
[7538] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 s.
c. 2 Praeterea, majoris bonitatis et
dignitatis ostensiva est unio qua filius Dei humanam naturam in unitatem
personae assumpsit, quam illa qua mentem hominis per gratiam sibi unit. Sed haec secunda unio
quae est per gratiam, non est filii ad unum tantum, sed ad multos, quia
sapientia in animas sanctas se transfert; Sap. 7. Cum ergo bonum sit
diffusivum et communicativum, videtur quod illa unio quae est in unitate
personae, possit esse in persona filii ad multas humanas naturas. |
[2] L’union par laquelle le Fils de Dieu a assumé une nature humaine dans l’unité de sa personne manifeste davantage sa bonté et sa dignité, que celle par laquelle il s’unit l’esprit de l’homme par la grâce. Or, cette seconde union par la grâce n’en est pas une avec un seul seulement, mais avec plusieurs, car la sagesse vient dans les âmes saintes, Sg 7. Puisque le bien se diffuse et se communique, il semble donc que cette union dans l’unité de la personne puisse exister dans la personne du Fils par rapport à plusieurs natures humaines. |
[7539] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 s. c. 3 Praeterea, potentia filii
per incarnationem in nullo minorata est. Sed filius ante incarnationem poterat
humanam naturam aliam ab ea quam assumpsit, assumere. Ergo et nunc potest: et sic idem quod
prius. |
[3] La puissance du Fils n’a été en rien diminuée
par l’incarnation. Or, avant l’incarnation, le Fils pouvait assumer une autre
nature humaine que celle qu’il a assumée. Il le peut donc maintenant. La
conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[7540] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod hoc fere ab
omnibus conceditur, quod una persona divina potest plures humanas naturas
assumere; et rationabiliter. Non est enim contra rationem divinae personae
quod ipsa in pluribus naturis subsistat; alias non potuisset fieri unio divinae
et humanae naturae in una persona filii. Si autem esset contra rationem
personae ut in pluribus quam in duabus naturis subsisteret, hoc non posset
contingere nisi ita quod tota facultas unius personae quae in pluribus
naturis subsisteret, per naturam secundam advenientem terminaretur, et
quodammodo impleretur; quod est impossibile: quia natura assumpta adveniens
nullo modo commensurabilis est virtuti divinae personae, cum distet ab ea
sicut finitum ab infinito. Unde sicut Deus potest semper novas creaturas
condere quia ejus potentia per creaturas non exhauritur; ita etiam filius
potest, qualibet natura assumpta, iterum aliam assumere: quia potestas assumendi
per naturam assumptam non terminatur. |
Réponse. Il est concédé par presque tous qu’une seule personne divine peut assumer plusieurs natures humaines, et avec raison. En effet, il n’est pas contraire à la raison d’une personne divine qu’elle subsiste dans plusieurs natures, autrement l’union de la nature divine et de la nature humaine n’aurait pu être réalisée dans la seule personne du Fils. Or, s’il était contraire à la raison de personne qu’elle subsiste dans un plus grand nombre de natures que deux, cela ne pourrait se produire que si toute la capacité d’une seule personne qui subsisterait dans plusieurs natures était limitée par la deuxième nature qui survient et, d’une certaine manière, saturée, ce qui est impossible, car la nature assumée qui survient n’a d’aucune manière la même mesure que la puissance de la personne divine, puisqu’il existe entre elles la distance entre le fini et l’infini. De même donc que Dieu peut toujours crééer de nouvelles créatures, parce que sa puissance n’est pas épuisée par les créatures, de même aussi le Fils peut-il, après avoir assumé n’importe quelle nature, en assumer encore une autre, car la pouvoir d’assumer n’est pas limité par la nature assumée. |
[7541] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 ad
1 Ad primum ergo
dicendum, quod natura ab eodem habet ut individuetur et dividatur: unde cum
principium individuationis sit materia aliquo modo sub dimensionibus
terminatis considerata, ex ejusdem divisione humana natura dividitur et multiplicatur.
Unde si assumpsisset duo corpora et duas animas, duas humanas naturas
assumpsisset; non tamen sequeretur quod essent duo supposita, vel duae
hypostases: non enim materia quolibet modo divisa constituit diversitatem
suppositorum, sed solum quando utrobique invenitur esse discretum, et
subsistens per se: unde non potest dici, quod duae manus sunt duae
hypostases; sed conveniunt in eadem hypostasi hominis. Ita etiam et duae
humanae naturae, quia non haberent esse discretum, sed unitum in una persona
filii Dei, non esset naturarum illarum divisio secundum duo supposita, sed
solum per divisionem materiae. |
1. La nature tient de la même chose d’être individuée et d’être divisée. Puisque le principe d’individuation est la matière envisagée, d’une certaine manière, sous ses dimensions limitées, la nature humaine est donc divisée et multiplieé par sa division. Aussi, s’il avait assumé deux corps et deux âmes, aurait-il assumé deux natures humaines. Il n’en découlerait cependant pas qu’il y aurait deux suppôts ou deux hypostases. En effet, la matière divisée de quelque manière que ce soit ne constitue pas la diversité des suppôts, mais seulement lorsque se trouve dans les deux un être distinct et subsistant par lui-même. On ne peut donc dire que deux mains sont deux hypostases, mais elles se trouvent dans la même hypostase de l’homme. De même aussi, les deux natures humaines, parce qu’elles n’auraient pas un être distinct, mais uni dans la seule personne du Fils de Dieu : il n’y aurait pas de division de ces natures selon deux suppôts, mais seulement selon la division de la matière. |
[7542] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod stante praedicta positione, Petrus et Jesus non sunt duo
supposita, sed unum; et haec est vera: Petrus est Jesus; et tamen Petrus et
Jesus non sunt unus homo, sed duo homines: singularitas enim et pluralitas
termini substantivi attenditur secundum unitatem vel pluralitatem naturae
signatae per terminum, et non secundum unitatem vel pluralitatem
suppositorum: quamvis enim pater et filius et spiritus sanctus sint tria
supposita, tamen propter unitatem divinae naturae, quam significat hoc nomen
Deus, dicuntur unus Deus. Ita e contrario, quamvis Jesus et Petrus essent
unum suppositum, tamen propter pluralitatem naturarum assumptarum dicerentur
duo homines; sed diversitas naturarum, manente unitate suppositi, non
impediret quin de se invicem praedicarentur: quia identitas suppositi sufficeret
ad veritatem praedicationis. |
2. En maintenant la position rappelée, Pierre et Jésus ne sont pas deux suppôts, mais un seul, et cette proposition est vraie : « Pierre est Jésus ». Cependant, Pierre et Jésus ne sont pas un seul homme, mais deux hommes. En effet, le singulier et le pluriel d’un terme substantif se prennent de l’unité ou de la pluralité de la nature signifiée par le terme, et non selon l’unité ou la pluralité des suppôts, car bien que le Père, le Fils et le Saint-Esprit soient trois suppôts, ils sont cependant appelés un seul Dieu en raison de l’unité de la nature divine que signifie ce nom de Dieu. De même, en sens contraire, bien que Jésus et Pierre soient un seul suppôt, on parlerait cependant de deux hommes en raison de la pluralité des natures assumées ; mais la diversité des natures, alors que demeure l’unité de suppôt, n’empêcherait pas qu’ils soient prédiqués l’un de l’autre, car l’identité de suppôt suffirait à la vérité de l’attribution. |
[7543] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 ad
3 Ad tertium
dicendum quod humana natura assumpta habet quantum ad aliquid rationem
accidentis: quamvis, simpliciter loquendo, unio non sit accidentalis, ut
infra, dist. 6, quaest. 3, art. 2, patebit: et ideo propter assumptionem
illius naturae, Dei filius non potest dici duo, sicut nec Socrates potest
dici duo propter humanitatem et albedinem. Sed si filius Dei assumeret duas
humanas naturas, quamvis utraque illarum haberet rationem accidentis in
comparatione ad naturam divinam, tamen neutra haberet rationem accidentis in
comparatione ad alteram; et ita plures homines, et non unus homo diceretur;
sicut albus et musicus magis possunt dici duo, quam homo et albus. |
3. La nature humaine assumée a sous un aspect la raison d’accident, bien que, à parler simplement, l’union ne soit pas accidentelle, comme cela ressortira plus loin, d. 6, q. 3, a. 2. C’est pourquoi, parce qu’il a assumé cette nature, le Fils de Dieu ne peut pas être dit deux, comme Socrate non plus ne peut pas être dit deux en raison de l’humanité et de la blancheur. Mais si le Fils de Dieu assumait deux natures humaines, bien que les deux auraient la raison d’accident si on les comparait à la nature divine, aucune d’elles n’aurait cependant la raison d’accident si on la comparait à l’autre. Ainsi, elles seraient appelées plusieurs hommes, et non un seul homme, comme le blanc et le musicien peuvent être davantage appelés deux, que l’homme et le blanc. |
[7544] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 ad
4 Ad quartum dicendum,
quod sicut est in divinis personis quod propter unitatem essentiae et
pluralitatem personarum, quidquid ibi praedicatur ad essentiam pertinens,
praedicatur singulariter, ut cum dicitur, pater et filius sunt unus Deus;
quod vero ad personam pertinet, pluraliter praedicatur, ut pater et filius
sunt personae: ita e contrario esset hic: quia quidquid ad naturam pertinet,
praedicaretur pluraliter; quod vero ad personam, singulariter. Et quamvis
summa sit unitas trium personarum propter essentiae simplicitatem, non est
tamen inconveniens ut pater et filius ad invicem non habeant aliquam unitatem
quae in creatura aliqua invenitur, scilicet personalem, cum sint vere
particulariter distincti. Tamen sciendum, quod hoc verbum sum, es, est, non
solum pluraliter praedicatur propter pluralitatem suppositorum realiter
distinctorum, sed etiam propter pluralitatem suppositorum locutionis. Dicimus
enim in divinis, quod persona et essentia sunt sic vel sic, quamvis persona
et essentia ibi nullo modo realiter differant. Multo ergo magis praedicaretur
hoc verbum sum, es, est, de Jesu et Petro pluraliter, cum differrent secundum
rem propter diversitatem naturarum; quamvis non sint diversa supposita. |
4. De même que, pour les personnes divines, tout ce qui se rapporte à l’essence leur est attribué au singulier, en raison de l’unité d’essence et de la pluralité des personnes, comme lorsqu’on dit que le Père et le Fils sont un seul Dieu, mais que ce qui se rapporte à la personne est attribué au pluriel, comme le Père et le Fils sont des personnes ; de même, en sens contraire, en serait-il ici, car tout ce qui se rapporte à la nature serait attribué au pluriel, mais ce qui se rapporte à la personne serait attribué au singulier. Et bien que l’unité des trois personnes soit la plus grande en raison de la simplicité de leur essence, il n’est cependant pas inapproprié que le Père et le Fils n’aient pas une certaine unité qui se trouve chez une créature, à savoir, [l’unité] personnelle, puisqu’ils sont en vérité distincts d’une manière particulière. Il faut cependant savoir que ces paroles : « Je suis », « tu es », « il est » ne sont pas seulement prédiquées au pluriel en raison de la pluralité des suppôts réellement distincts, mais aussi en raison de la pluralité des suppôts dans l’expression. Nous disons en effet, pour les réalités divines, que la personne et l’essence sont telle ou telle chose, bien la personne et l’essence n’y diffèrent réellement d’aucune manière. À bien plus forte raison, ces mots : « Je suis », « tu es », « il est » seraient-ils prédiqué de Jésus et de Pierre au pluriel, puisqu’ils diffèrent réellement selon la diversité des natures, bien qu’il n’y ait pas des suppôts différents. |
[7545]
Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod terminus in praedicato positus tenetur
formaliter, quod non est necessarium de termino ad quem terminatur actus alicujus
verbi; et ideo cum dicitur, Dei filius est duo homines, importatur pluralitas
formarum seu naturarum; cum autem dicitur, filius Dei assumpsit hominem, ly
hominem non tenetur formaliter: unde magis stat pro supposito hominis quam
pro natura suppositi; et ideo non est simile. |
5. Dans ce qui est
prédiqué, le terme est pris formellement, ce qui n’est pas nécessaire pour le
terme auquel se termine l’acte d’un verbe. Aussi, lorsqu’on dit :
« Le Fils de Dieu est deux hommes », cela comporte la pluralité des
formes ou des natures ; mais lorsqu’on dit : « Le Fils de Dieu
a assumé un homme », le mot « homme » n’est pas pris
formellement. Aussi vise-t-il plutôt le suppôt de l’homme que la nature du
suppôt. Ce n’est donc pas la même chose. |
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Expositio
textus [7546] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 expos. Plenitudo
temporis. Sciendum, quod tempus incarnationis dicitur tempus plenitudinis
multis de causis. Primo propter perfectionem universi, quia tunc ad maximam
completionem universum venit quando omnes creaturae in homine ad suum
principium redierunt, humana natura a Deo assumpta; sicut ponitur Ephes. 1,
10: in dispensatione plenitudinis. Secundo propter abundantiam gratiae
quae tunc propalata est: Joan. 1, 16: de plenitudine ejus omnes accepimus.
Tertio propter
adimpletionem legis: Matth. 5, 17: non veni solvere legem, sed adimplere.
Quarto propter
magnitudinem ejus quod in illo tempore accidit: quia in illo tempore natus
est dominus temporis, et ita factum est aliquid majus tempore, quod tempus
implevit. Quinto, quia tempore illo impletum est quod Deus ab aeterno
praevidit, et quod ante per suos prophetas praedixerat; Roman. 1. Factum
de muliere. Contra. In symbolo dicitur: genitum, non factum.
Praeterea, mulier corruptionem importat. Sed Christus de incorruptissima
virgine natus est. Ergo inconvenienter dicitur: factum de muliere. Sed
dicendum ad primum, quod filius Dei secundum divinam naturam nullo modo factus
est, sed genitus: sed secundum humanam naturam quam assumpsit, creatura
quaedam est. Non tamen Christus potest dici proprie factus simpliciter
loquendo: sed dicitur filius Dei factus homo. Ad secundum dicendum, quod mulier
ponitur hic ad designationem sexus, et non ad designandum corruptionem; sicut
costa assumpta de Adam dicitur formata in mulierem, quamvis Eva tunc virgo
sit facta. Factum sub lege. Sed contra. 1 Tim. 1, 9: justo lex non
est posita. Sed Christus fuit justissimus. Ergo non est factus sub lege.
Sed dicendum, quod aliquid dicitur esse sub lege tripliciter. Vel quantum ad
motivum: et hoc modo sunt sub lege quasi compressi et coacti illi qui timore
poenae quam lex infligit, praecepta legis custodiunt: et hoc modo justus non
est sub lege, quia amore justitiae operatur, etiam si nulla sit lex, ut
dicitur Rom. 2. Alio modo dicitur quis sub lege esse quantum ad causam: et
sic omnes in peccato nati sub lege sunt: quia propter peccatum tollendum
sacramenta legis instituta sunt. Alio modo dicitur aliquis esse sub lege
quantum ad observationem legis; et hoc modo Christus factus est sub lege:
quia sacramenta et praecepta legis implevit, non necessitate, sicut alii, sed
sola voluntate. Ut eos qui sub lege erant redimeret. Contra, 1 Tim.
12, 4: qui vult omnes homines salvos fieri: et ita non solum ad
redimendum Judaeos, qui erant sub lege, sed etiam ad redimendum alios venit. Sed dicendum, quod
quamvis venerit ad redemptionem totius humani generis, tamen quodam speciali
modo operatus est ad redemptionem filiorum Israel, quia eis personaliter
praedicavit; unde Matth. 15, 24: non
sum missus nisi ad oves quae perierunt domus Israel: et per eos verbum
vitae diffusum est inter gentes; Isa. 27: qui egredientur impetu a Jacob,
et implebunt faciem orbis semine. Haec est mulier evangelica, de qua Luc.
15. Sciendum, quod divina sapientia mulier dicitur, non propter fragilitatem,
sed propter fecunditatem: Eccli. 24: a generationibus meis adimplemini. Nec eamdem Trinitatem in
specie columbae descendisse super Jesum. Sed contra. In illa columba
nihil fuit quod non toti Trinitati esset commune; cum non sit assumpta in
unitatem alicujus personae, quia eam communi operatione tota Trinitas fecit;
et in ea tota Trinitas fuit, sicut in ceteris creaturis per essentiam,
praesentiam, et potentiam; et ita videtur quod ad totam Trinitatem pertineat.
Sed dicendum, quod illa columba potest considerari dupliciter. Vel inquantum
est res quaedam, sive fuerit animal, sive fuerit tantum similitudinem
animalis habens; et sic ad totam Trinitatem pertinet, ut communis effectus;
vel secundum quod est signum; et hoc modo tantum ad spiritum sanctum
pertinet, cujus invisibilis missio per adventum columbae designatur et de hac
missione visibili: et aliis dictum est in 1 Lib., dist. 16. |
Explication du
texte de Pierre Lombard – Dist. 1
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Distinctio 2 |
Distinction 2 – [L’incarnation,
du point de vue de ce qui est assumé]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La nature humaine est-elle plus susceptible d’assumée
que les autres ?]
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Prooemium |
Prologue |
[7547] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 pr. Postquam determinavit de incarnatione ex
parte assumentis, in ista parte determinat ex parte naturae assumptae; et
dividitur in tres partes: in prima ostendit quid sit assumptum; in secunda
quale fuerit illud assumptum, dist. 3: quaeritur etiam de carne verbi, an
priusquam conciperetur, obligata fuerit peccato; in tertia ostendit quo
agente id quod assumptum est, formatum sit, dist. 4: cum vero incarnatio
verbi operatio vere sit patris et filii et spiritus sancti, investigatione
dignum nobis videtur, quare in Scriptura spiritui sancto hoc opus saepius
tribuatur. Prima dividitur in duas partes: in prima ostendit quid sit
assumptum, quia humana natura integra, ex partibus suis, scilicet corpore et
anima constans; in secunda determinat ordinem assumptionis, ibi: assumpsit
ergo Dei filius carnem et animam. Prima dividitur in duas partes: in
prima ostendit naturam humanam integram assumptam esse ratione suarum
partium; in secunda, ratione naturalium proprietatum, ibi: totam igitur hominis
naturam (...) assumpsit Deus. Circa primum tria facit: primo ostendit
omnes partes humanae naturae assumptas esse per hoc quod humana natura
assumpta est; secundo ostendit quod per humanam naturam significentur omnes
partes ejus, scilicet anima et corpus, ibi: quod autem humanae naturae
sive humanitatis vocabulo anima et caro intelligi debeant, aperte docet Hieronymus;
tertio excludit quorumdam errorem, ibi: errant igitur qui nomine
humanitatis non substantiam sed proprietatem quamdam a qua homo nominatur
significari contendunt. Assumpsit ergo Dei filius carnem et animam. Hic
ostendit quomodo partes humanae naturae assumptae sunt; et dividitur in duas
partes: in prima inquirit ordinem naturae; in secunda inquirit ordinem
temporis, ibi: si autem quaeritur utrum verbum carnem simul et animam
assumpserit et cetera. Circa primum tria facit: primo ostendit ordinem
naturae, ostendens carnem esse assumptam mediante anima; secundo ostendit
modum illius unionis esse inexplicabilem, ibi: illa autem unio inexplicabilis
est adeo ut etiam Joannes ab utero sanctificatus se non esse dignum fateatur
solvere corrigiam calceamenti Jesu; tertio excludit quorumdam errorem,
ibi: non sunt ergo audiendi qui non verum hominem filium Dei suscepisse dicunt.
Hic est duplex quaestio: prima de ipso assumpto; secunda de ordine assumptionis.
Circa primum quaeruntur tria: 1 utrum natura humana prae aliis sit
assumptibilis; 2 in quo assumi debuit; 3 quid in humana natura assumi debuit. |
Après avoir déterminé de l’incarnation du point de vue de celui qui assume, [l’auteur] en détermine dans cette partie du point de vue de la nature assumée. Il y a trois parties : dans la première, il montre ce qui est assumé ; dans la deuxième, la qualité de ce qui devait être assumé, d. 3 : « On s’interroge à propos de la chair du Verbe, si, avant qu’elle soit conçue, elle était liée par le péché » ; dans la troisième, il montre par quel agent ce qui a été assumé a été formé, d. 4 : « Puisque, à la vérité, l’incarnation du Verbe est véritablement l’opération du Père, du Fils et du Saint-Esprit, il nous semble digne de chercher pourquoi, dans l’Écriture, cette œuvre est attribuée le plus souvent à l’Esprit Saint. » La première [partie] est divisée en deux parties : dans la première, il montre ce qui a été assumé, car il s’agit de la nature humaine dans son entier, constituée de ses parties, à savoir, un corps et une âme ; dans la seconde, il détermine de l’ordre selon lequel elle a été assumée, à cet endroit : « Le Fils de Dieu a donc assumé la chair et l’âme. » La première [partie] est divisée en deux parties : dans la première, il montre que la nature humaine dans son entier a été assumée en raison de ses parties ; dans la seconde, en raison de ses propriétés naturelles, à cet endroit : « Dieu a donc assumé… la nature humaine dans son entier. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il montre que toutes les parties de la nature humaine ont été assumées du fait que la nature humaine a été assumée. Deuxièmement, il montre que, par la nature humaine, toutes ses parties, à savoir, l’âme et le corps, sont signifiées, à cet endroit : « Jérôme enseigne ouvertement que, par l’expression nature humaine ou humanité, il faut entendre l’âme et la chair. » Troisièmement, il écarte l’erreur de certains, à cet endroit : « Ceux-là donc se trompent qui, par le mot humanité, soutiennent que ce n’est pas la substance qui est signifiée, mais une propriété par laquelle l’homme est désigné. » « Le Fils de Dieu a assumé la chair et l’âme. » Ici, il montre comment les parties de la nature humaine ont été assumées, et cela se divise en deux parties : dans la première, il s’interroge sur l’ordre de nature ; dans la seconde, il s’interroge sur l’ordre dans le temps, à cet endroit : « Mais si on se demande si le Verbe a assumé la chair en même temps que l’âme, etc. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il montre l’ordre de nature, en montrant que la chair a été assumée par l’intermédiaire de l’âme. Deuxièmement, il montre que le mode de cette union est inexplicable, à cet endroit : « Mais cette union est inexplicable, au point où Jean lui-même, sanctifié dès le sein, affirme qu’il n’est pas digne de détacher la courroie de la sandale de Jésus. » Troisièmement, il écarte l’erreur de certains, à cet endroit : « Il ne faut pas écouter ceux qui disent que le Fils de Dieu n’a pas assumé un homme véritable. » Ici, il y a une double question : la première, sur ce qui est assumé ; la seconde, sur l’ordre selon lequel cela a été assumé. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1 – La nature humaine est-elle plus susceptible d’être assumée que les autres ? 2 – En qui devait-elle être assumée ? 3 – Que devait-il être assumé de la nature humaine ? |
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Articulus 1 [7548] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1
tit. Utrum natura humana sit prae aliis assumptibilis |
Article 1 – La nature humaine peut-elle être assumée plutôt que les autres ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La nature humaine est-elle plus susceptible d’être assumée qu’une créature sans raison ?] |
[7549] Super Sent., lib.
3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod humana natura non sit magis
assumptibilis quam creatura irrationalis. Sicut enim dicit Augustinus ad Volusianum,
in rebus mirabilibus tota ratio facti est potentia facientis. Sed omnium
mirabilium mirabilius est creaturam assumi in unitatem personae increatae. Ergo tota assumptibilitatis ratio est ex
potentia ejus qui assumptionem facit. Sed cum illa potentia sit infinita, ex
parte ipsius aequaliter est humanam naturam, vel etiam irrationalem naturam
assumere. Ergo non magis dicenda est humana natura assumptibilis quam natura
irrationalis. |
1. Il semble que la nature humaine ne soit pas plus susceptible d’être assumée qu’une créature sans raison. En effet, comme le dit Augustin à Volusien, « pour les choses prodigieuses, toute la raison du fait est la puissance de celui qui les réalise ». Or, parmi toutes les choses prodigieuses, la plus prodigieuse est qu’une créature humaine soit assumée dans l’unité d’une personne incréée. Toute la raison de ce qui peut être assumé vient donc de la puissance de celui qui assume. Or, puisque cette puissance est infinie, de son point de vue, c’est la même chose d’assumer une nature humaine ou une nature sans raison. Il ne faut donc pas dire que la nature humaine est plus susceptible d’être assumée qu’une nature sans raison. |
[7550] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut in humana natura est
similitudo Dei ratione imaginis; ita in creatura irrationali est similitudo
Dei ratione vestigii. Sed similitudo et convenientia aliquorum ad invicem,
est causa unibilitatis ipsorum. Ergo sicut humana natura unibilis est Deo;
ita et creatura irrationalis. |
2. De même que, dans la nature humaine, existe une similitude de Dieu en raison de l’image, de même, dans la créature sans raison, existe une similitude de Dieu en raison du vestige. Or, la similitude et la communauté réciproque sont la cause de la possibilité d’union. De même que la nature humaine peut être unie à Dieu, de même, donc, la créature sans raison. |
[7551] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 3 Praeterea, illud videtur esse
simillimum alteri in quo maxime proprietates alterius repraesentantur. Sed, sicut dicit Dionysius, in igne inter
omnia corporalia magis divinae proprietates repraesentantur: et idem dicit de
radio solari. Ergo istae creaturae videntur Deo simillimae; et ita etiam ei
magis unibiles quam humana natura. |
3. Ce en quoi sont le mieux représentées les propriétés d’une autre chose semble le plus semblable à cette autre chose. Or, comme le dit Denys, « dans tout ce qui est corporel, les propriétés divines sont surtout représentées par le feu », et il dit la même chose du rayonnement solaire. Ces créatures semblent donc les plus semblables à Dieu, et ainsi peuvent davantage lui être unies que la nature humaine. |
[7552] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
nobilioris doni nobilior creatura est capax. Ergo ad istud donum, quod est
nobilissimum inter dona nobilioris naturae, inferior natura capacitatem non
habet. Sed humana natura est nobilior creatura irrationali. Cum ergo inter
omnia quae humanae naturae sunt collata, assumptio ipsius in unitatem divinae
personae sit nobilissimum; videtur quod hujus creatura irrationalis capax non
sit, et ita non erit assumptibilis. |
Cependant, une créature plus noble est capable d’un don plus noble. La créature inférieure n’est donc pas capable du don qui est le plus noble parmi les dons d’une nature plus noble. Or, la nature humaine est plus noble que la créature sans raison. Puisque, parmi toutes les choses qui ont été données à la nature humaine, le fait pour celle-ci d’être assumée dans l’unité d’une personne divine est ce qu’il y a de plus noble, il semble donc qu’une créature sans raison n’en soit pas capable, et qu’ainsi elle ne puisse pas être assumée. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La nature angélique est-elle moins susceptible d’être assumée que la nature humaine ?] |
[7553] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc.
2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod angelica natura non sit minus assumptibilis quam natura humana. Deus enim propter suam
misericordiam humanam naturam assumpsit, ut humanae miseriae subveniret. Sed
sicut est miseria in humana natura, ita etiam in angelica. Cum ergo summa
misericordia sit omni miseriae subvenire, videtur quod angelica sit natura
assumptibilis sicut et humana. |
1. Il semble que la nature angélique ne soit pas moins susceptible d’être assumée que la nature humaine. En effet, Dieu a assumé la nature humaine en raison de sa miséricorde, afin de venir au secours de la misère humaine. Or, de même qu’il existe de la misère dans la nature humaine, de même en existe-t-il dans la nature angélique. Puisqu’il relève donc de la plus grande miséricorde de venir au secours de toute misère, il semble donc que la nature angélique soit susceptible d’être assumée, comme la nature humaine. |
[7554] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 2 Praeterea, ea quae magis sunt similia,
facilius uniuntur. Sed angelica est divinae similior quam natura humana, quia, ut dicit Gregorius,
quanto in Angelo natura est subtilior, eo magis imago Dei in illo insinuatur
expressa. Ergo angelica natura est magis assumptibilis quam humana. |
2. Les réalités qui sont plus semblables s’unissent plus facilement. Or, la nature angélique est plus semblable à la nature divine que la nature humaine, car, ainsi que le dit Grégoire, « plus la nature de l’ange est subtile, plus l’image de Dieu est imprimée en elle ». La nature angélique est donc plus susceptible d’être assumée que la nature humaine. |
[7555] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, assumptio
humanae naturae ideo facta est, ut peccato hominis remedium praeberet. Sed peccatum Angeli est irremediabile, ut supra,
Lib. 2, dist. 7, qu. 1, art. 2, dictum est. Ergo angelica natura non est assumptibilis. |
Cependant, la nature humaine a été assumée pour remédier au péché de l’homme. Or, le péché de l’ange est sans remède, comme on l’a dit plus haut, livre II, d. 7, q. 1, a. 2. La nature angélique n’est donc pas susceptible d’être assumée. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [L’univers entier est-il plus susceptible d’être assumé que la nature humaine ?] |
[7556] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod totum universum sit magis assumptibile quam humana natura. Effectus enim
universalis maxime causae universali assimilatur. Sed universum est effectus
universalis Dei qui universalis causa est. Ergo universum Deo magis
assimilatur quam humana natura, quae est quidam particularis effectus: et ita
est magis assumptibile. |
1. Il semble que l’univers entier soit plus susceptible d’être assumé que la nature humaine. En effet, un effet universel ressemble au plus haut point à une cause universelle. Or, l’univers est l’effet universel de Dieu, qui est la cause universelle. L’univers est donc plus semblable à Dieu que la nature humaine, qui est un effet particulier. Il est donc plus susceptible d’être assumé. |
[7557] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 2 Praeterea, per
assumptionem consummatio totius universi est perfecta. Sed magis esset
universum perfectum si omnes partes ejus essent assumptae. Ergo universum est
magis assumptibile. |
2. La consommation de tout l’univers est achevée par le fait qu’il est assumé. Or, l’univers serait plus parfait si toutes ses parties avaient été assumées. L’univers est donc plus susceptible d’être assumé. |
[7558] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1
qc. 3 s. c. 1 Sed contra, ex
hoc est aliquid assumptibile Deo quod ad imaginem Dei est. Sed non potest
dici quod totum universum sit ad imaginem, nisi forte poneretur universum
animatum anima rationali, sicut Platonici posuerunt, quod a fide alienum est.
Ergo universum non est assumptibile. |
Cependant, quelque chose est susceptible d’être assumé par Dieu du fait que cela est à l’image de Dieu. Or, on ne peut pas dire que tout l’univers est à l’image [de Dieu], sauf peut-être en affirmant que l’univers est animé par une âme raisonnable, comme l’ont affirmé les platoniciens, ce qui est étranger à la foi. L’univers n’est donc pas susceptible d’être assumé. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[7559] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod assumptibile
dicitur quod potest assumi. Cum autem dicitur, creatura potest assumi, non
signatur aliqua potentia activa creaturae: quia sola potentia infinita hoc facere
potuit, ut in infinitum distantia conjungerentur in unitatem personae. Similiter non signatur etiam potentia
passiva naturalis creaturae, quia nulla potentia passiva naturalis est in
natura cui non respondeat potentia activa alicujus naturalis agentis. Unde
relinquitur quod dicat in creatura solam potentiam obedientiae, secundum quam
de creatura potest fieri quidquid Deus vult, sicut de ligno potest fieri
vitulus, Deo operante. Haec autem potentia obedientiae correspondet divinae
potentiae, secundum quod dicitur, quod ex creatura potest fieri quod ex ea
Deus facere potest. Sed potentia Dei dupliciter consideratur: vel ut
absoluta, vel ut ordinata. Quod qualiter intelligendum sit, ex dictis, 1
dist., qu. 2 art. 3, patet. Loquendo autem de potentia Dei absoluta, Deus
potest assumere quamcumque creaturam vult. Unde secundum hoc non est una
creatura magis assumptibilis quam altera. Loquendo autem de potentia
ordinata, illam creaturam assumere potest quam congruit eum assumere ex
ordine suae sapientiae. Unde illa creatura dicitur assumptibilis in qua
hujusmodi congruitas invenitur. Invenitur autem in humana natura congruitas prae aliis quantum ad
tria, quae in assumptione requiruntur. Primo quantum ad similitudinem
unibilium: in humana enim natura invenitur expressior similitudo divina quam
in aliqua creatura irrationali: quia homo secundum quod habet mentem, ad
imaginem Dei factus dicitur; cum in creaturis irrationalibus non nisi
similitudo vestigii inveniatur; et etiam quantum ad quaedam in ea est divina
similitudo magis quam in angelica natura, ut post dicetur. Secundo quantum ad
terminum assumptionis; terminatur enim assumptio ad unitatem personae;
personalitas autem non invenitur in irrationalibus naturis, cum persona sit
rationalis naturae individua substantia, ut Boetius dicit. In Angelis vero est quidem persona, sed non
secundum originem distincta; cum unus Angelus ab alio non trahat originem. In
humana vero natura est persona distincta etiam secundum originem; et ideo
convenientissime humana natura in unitatem divinae personae assumitur; quae
distinguuntur secundum relationem originis. Tertio quantum ad finem assumptionis.
Si enim perfectio universi dicatur assumptionis finis praecipuus, ut quidam
dicunt, nulla natura particularis assumi potuisset, per quam ita universum
perfici posset sicut per assumptionem humanae naturae: tum quia homo est
ultima creaturarum, quasi ultimo creatus, cujus natura assumpta, ultimum est
conjunctum primo principio per modum circuli, quae est figura perfecta ex eo
quod additamentum non recipit: tum etiam quia in homine quodammodo omnes naturae
confluunt: quia cum omnibus creaturis aliquid commune habet, ut dicit Gregorius;
unde homine unito, quodammodo omnis creatura unita est. Si vero finis
assumptionis ponatur liberatio a peccato, sic etiam sola humana natura
congrue assumi potuit: quia in irrationali creatura peccatum non erat; in
angelica vero erat quidem peccatum, sed irremediabile, ut patet ex dictis in
1 dist., qu. 1, art. 2; in homine vero erat remediabile; et ideo solam
humanam naturam congruum fuit assumere; et sic ea reparata, creatura
irrationalis, quae propter ipsius peccatum quodammodo deteriorata dicitur,
secundum quod in usum hominis cedit, restaurata est. |
On dit que quelque chose est susceptible d’être assumé du fait que cela peut être assumé. Or, lorsqu’on dit : « Une créature peut être assumée », on n’indique pas une puissance active de la créature, car seule une puissance infinie a pu faire que des réalités infiniment distantes soient unies dans l’unité d’une personne. On n’indique pas non plus une puissance passive naturelle de la créature, car aucune puissance passive naturelle n’existe dans la nature, à laquelle ne corresponde la puissance active d’un agent naturel. Il reste donc qu’on affirme dans la créature seulement une puissance obédientelle, selon laquelle Dieu peut faire de la créature tout ce qu’il veut, comme un veau peut être fait à partir du bois par l’action de Dieu. Or, cette puissance obédientielle correspond à la puissance divine pout autant qu’on dit qu’il peut être fait de la créature ce que Dieu peut faire d’elle. Or, la puissance de Dieu est envisagée de deux manières : en tant qu’elle est absolue, ou en tant qu’elle est ordonnée ; comment cela doit être compris, on l’a dit à la d. 1, q. 2, a. 3. Pour parler de la puissance absolue de Dieu, Dieu peut assumer n’importe quelle créature qu’il veut. De ce point de vue, une créature n’est pas davantage susceptible d’être assumée qu’une autre. Mais pour parler de sa puissance ordonnée, il peut assumer la créature qu’il lui convient d’assumer selon l’ordre de sa sagesse. On dit donc qu’est susceptible d’être assumée la créature chez laquelle cette convenance se trouve. Or, une convenance préférentielle par rapport aux autres se trouve dans la nature humaine sous trois aspects, qui sont nécessaires pour qu’elle soit assumée. Premièrement, pour ce qui est de la similitude de ce qui est susceptible d’être uni. En effet, il existe dans la nature humaine une similitude divine plus expresse que dans une créature sans raison, car on dit que l’homme a été créé à l’image de Dieu pour autant qu’il possède un esprit, alors que, dans les créatures sans raison, on ne trouve que la similitude du vestige. Sous certains aspects même, une similitude avec Dieu existe en elle davantage que dans la créature angélique, comme on le dira plus loin. Deuxièmement, pour ce qui est du terme. En effet, le terme de ce qui est assumé est l’unité de la personne. Or, on ne trouve pas de personnalité dans les créatures sans raison, puisque « la personne est une substance individuelle de nature raisonnable », comme le dit Boèce. Cependant, la personne existe chez les anges, mais sans être distincte par l’origine, puisqu’un ange ne tire pas son origine d’un autre. Mais, dans la nature humaine, la personne est aussi distincte par l’origine. C’est ainsi que la nature humaine est assumée dans l’unité d’une personne divine avec la plus grande convenance, ces personnes divines se distinguant selon une relation d’origine. Troisièmement, pour ce qui est de la fin. En effet, si on dit que la perfection de l’univers est la fin de l’assomption, comme le disent certains, aucune nature particulière n’aurait pu être assumée par laquelle l’univers pourrait être ainsi perfectionné, comme c’est le cas par la nature humaine assumée, car l’homme est la dernière des créatures, comme si celui qui a été créé en dernier lieu, et dont la nature a été assumée, était uni en dernier au principe premier à la manière d’un cercle, qui est la figure parfaite du fait qu’elle ne reçoit aucun ajout ; et aussi parce que toutes les natures se rencontrent d’une certaine manière dans l’homme, car « il a quelque chose en commun avec toutes les créatures », comme le dit Grégoire. Aussi, une fois l’homme uni, toutes les créatures sont-elles unies d’une certaine manière. Mais si l’on dit que la fin de l’union est la libération du péché, alors seule la nature humaine pouvait être convenablement unie, car il n’y avait pas de péché chez la créature sans raison ; mais, chez la créature angélique, le péché existait, irrémédiable cependant, comme cela ressort de ce qui a été dit dans la d. 1, q. 1, a. 2. Chez l’homme, un remède pouvait toutefois lui être apporté. C’est pourquoi il était convenable que seule la nature humaine soit assumée ; celle-ci restaurée, la créature sans raison a été restaurée, dont on dit qu’elle a été détériorée d’une certaine manière à cause du péché [de l’homme], pour autant qu’elle est à l’usage de l’homme,. |
[7560] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 1 Ad primam ergo
quaestionem dicendum, quod Deus de potentia absoluta creaturam irrationalem
assumere potuit. Nec impedit quod creatura irrationalis personalitatem non
habet: quia personalitas non debetur etiam humanae naturae assumptae ratione
sui, ut infra patebit, dist. 6, quaest. 1, art. 1 et 2, sed ratione
assumentis; unde non est ibi nisi personalitas increata. Et praeterea quamvis
in natura irrationali non inveniatur persona, invenitur tamen in ea
hypostasis et suppositum. Unio autem non tantum facta est in persona, sed
etiam in hypostasi et supposito. Sed congruum non erat ut assumeretur, et
praecipue quia natura assumpta maxime beatificatur, ut in Psalm. 64, 5,
dicitur: beatus quem elegisti et assumpsisti; beatitudinis vero, quae
in actu mentis consistit, creatura irrationalis particeps esse non potest.
Unde patet responsio ad primam objectionem, quae procedit de potentia
absoluta, et non de potentia ordinata. |
1. Dieu pouvait assumer une créature sans raison en vertu de sa puissance absolue, et le fait que la créature sans raison n’ait pas de personnalité n’est pas un empêchement, car la personnalité n’est pas due non plus par elle-même à la nature humaine assumée, comme cela ressortira à la d. 6, q. 1, a. 1 et 2, mais en raison de celui qui assume. Il n’y a donc là qu’une personnalité incréée. De plus, bien qu’on ne trouve pas de personne dans la créature sans raison, on trouve cependant en elle une hypostase et un suppôt. Or, l’union ne s’est pas réalisée seulement dans la personne, mais aussi dans l’hypostase et dans le suppôt. Mais il n’était pas convenanble qu’elle soit assumée, surtout parce que la nature assumée est rendue bienheureuse, ainsi qu’il est dit en Ps 64, 5 : Bienheureux celui que tu as choisi et assumé. Or, la créature sans raison ne peut participer à la béatitude, qui consiste dans un acte de l’esprit. La réponse à la première objection ressort ainsi : celle-ci vient de la puissance absolue, et non de la puissance ordonnée. |
[7561] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod ad congruitatem assumptibilitatis requiritur similitudo
imaginis, quia per hanc creatura rationalis particeps est divinae beatitudinis.
Unde ad hanc
congruitatem non sufficit similitudo vestigii, qualis in creaturis
irrationalibus invenitur. |
2. La similitude de l’image est nécessaire pour qu’il soit convenable [à une créature] de pouvoir être assumée, car, par elle, la créature raisonnable participe à la béatitude divine. La similitude du vestige, telle qu’on la trouve chez les créatures sans raison, ne suffit donc pas à cette convenance. |
[7562] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
duplex est similitudo creaturae ad Deum. Una secundum participationem alicujus divinae bonitatis
sicut ab eo vivente omnia vitam participant: et sic creatura rationalis in
qua invenitur esse, vivere et intelligere, maxime Deo assimilatur; et haec
similitudo requiritur ad assumptibilitatem. Alia similitudo est secundum
proportionem, ut si dicatur similitudo inter Deum et ignem, quia sicut ignis
consumit corpus, ita Deus consumit nequitiam; et haec similitudo requiritur
in figurativis locutionibus, et appropriationibus: quam Dionysius in secundo
cap. Cael.
Hierarch. vocat dissimilem similitudinem: et de hac similitudine procedit
objectio. |
3. Il existe une double similitude entre la créature et Dieu. L’une, selon une participation à une certaine bonté divine, comme tout participe à la vie dont il vit. Ainsi, la créature raisonnable, chez laquelle on trouve l’être, la vie et l’intelligence, est-elle assimilée à Dieu au plus haut point, et une telle similitude est nécessaire pour qu’elle soit assumée. Mais il existe une autre similitude selon la proportion, comme si l’on dit qu’il existe une similitude entre Dieu et le feu, car de même que le feu consume un corps, de même Dieu consume-t-il la méchanceté. Une telle similitude est nécessaire dans les expressions figurées et dans les appropriations ; dans le deuxième chapitre de La hiérarchie céleste, Denys l’appelle une « similitude dissemblable ». L’objection vient d’une telle similitude. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[7563] Super Sent., lib.
3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam
quaestionem dicendum est, quod de absoluta potentia loquendo, Deus potuit
angelicam naturam assumere; sed natura angelica non habebat aliquam congruentiam
ut assumeretur, praecipue propter duo. Primo, quia ejus peccatum non erat remediabile.
Secundo, quia non decet ut aliquam perfectionem creaturae Deus assumendo
auferat. Personalitas autem quaedam perfectio creaturae est. Sed si natura
assumpta personalitatem propriam haberet post assumptionem, non posset esse
unio in persona, quia essent duae personae; unde oportet quod id quod
assumptum est, personalitatem non habeat, natum tamen habere. In angelica
autem natura non invenitur potentia ad personalitatem sine actu, cum non per
generationem procedat in esse; et ideo non fuit congruum ut angelica natura
assumeretur. |
Si l’on parle de sa puissance absolue, Dieu pouvait assumer une nature angélique ; mais la nature angélique ne possédait pas de convenance à être assumée, surtout pour deux raisons : premièrement, parce qu’il ne pouvait être rémédié à son péché ; deuxièmement, parce qu’il ne convient pas que Dieu enlève une perfection à une créature en l’assumant. Or, la personnalité est une perfection d’une créature. Mais si la nature assumée avait une personnalité propre après avoir été assumée, il ne pourrait y avoir d’union dans la personne, car il y aurait deux personnes ; aussi faut-il que ce qui est assumé n’ait pas de personnalité, alors qu’il en a une par nature. Or, chez la nature angélique, on ne trouve pas de puissance à une personnalité sans acte, puisqu’elle ne vient pas à l’être par généréation. C’est pourquoi il n’était pas convenable que la nature angélique soit assumée. |
[7564] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo, cum opponitur quod angelica natura est Deo
similior quam humana, dicendum quod verum est, si natura divina in se
absolute consideretur; si autem consideretur secundum quod est in personis
per relationes originis distinctis, sic magis convenit cum homine, ut dictum
est. Similiter etiam si consideretur secundum quod est exemplar totius
creaturae; in homine enim invenitur similitudo cum qualibet creatura, ut
dictum est, non autem in Angelo. Similiter etiam si consideretur inquantum
gubernat universum: sicut enim Deus totus est in qualibet parte universi per
essentiam, praesentiam, et potentiam; sic et anima in qualibet parte
corporis. |
1. Lorsqu’on objecte que la nature angélique est plus semblable à Dieu que la nature humaine, il faut dire que cela est vrai si la nature divine est envisagée en elle-même de manière absolue. Mais si elle est envisagée selon qu’elle existe dans des personnes distinctes par des relations d’origine, elle a alors plus en commun avec l’homme, comme on l’a dit. De même aussi, si elle est envisagée selon qu’elle est le modèle de toute créature : en effet, chez l’homme, on trouve une similitude de toute créature, comme on l’a dit, mais non chez l’ange. De même aussi, si elle est envisagée selon qu’elle gouverne l’univers : en effet, de même que Dieu est tout entier en toute partie de l’univers par son essence, par sa présence et par sa puissance, de même l’âme [l’est-elle] dans toutes les parties du corps. |
[7565] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod causa miseriae Angelorum, idest peccatum, remedium non habet;
et ideo nec eorum miseriae congrue subveniri potest. |
2. La cause de la misère des anges, le péché, n’a pas de remède. C’est pourquoi leur misère ne peut être convenablement secourue. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
|
[7566] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod
alicui toti potest convenire aliquid dupliciter: vel ratione partis, sicut
homo dicitur canus propter capillos; vel ratione sui, quod scilicet ipsi toti
primo convenit; et hoc est, ut in 6 Physic. probatur, quod convenit toti, et
omnibus ejus partibus. Universum ergo potest assumi dupliciter: vel ratione
partis; et sic assumptibile fuit, et assumptum est humana natura assumpta:
vel ratione sui; et sic assumi non potuit, quia non omnes partes ejus
assumptibiles erant, ut ex dictis patet. |
Quelque chose peut convenir à un tout de deux manières : soit en raison d’une partie, comme on dit d’un homme qu’il est blanc en raison de ses cheveux ; soit en raison de lui-même, à savoir qu’il convient d’abord au tout lui-même : comme on le démontre dans Physique, VI, cela veut dire qu’il convient au tout et à toutes ses parties. L’univers peut donc être envisagé de deux manières : soit en raison d’une partie, et ainsi il pouvait être assumé et il a été assumé dans la nature humaine assumée ; soit en raison de lui-même, et ainsi il ne pouvait être assumé, car toutes ses parties ne pouvaient pas être assumées, comme cela ressort de ce qui a été dit. |
[7567] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
circa hoc objectum dicendum, quod quamvis Deus sit causa universalis, est
tamen maxime simplex; et ideo cum eo magis convenit universalis effectus
unitus, scilicet humana natura, in qua omnes naturae congregantur quodammodo,
quam effectus universalis non simpliciter unitus, sicut est universum, ex
cujus partibus non efficitur unum simpliciter, cum remaneant distinctae in
actu. |
1. Bien que Dieu soit une cause universelle, il est cependant simple au plus haut point. C’est pourquoi l’effet commun uni, à savoir, la nature humaine, a davantage en commun avec lui ‑ en elle, toutes les natures se rencontrent d’une certaine manière ‑, plutôt qu’un effet universel qui n’est pas simplement uni, comme l’est univers, dont les parties ne donnent pas un tout simple, puisqu’elles demeurent distinctes en acte. |
[7568] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod non decet in omnibus partibus universi eamdem perfectionem
esse; et ideo magis congruum fuit ut una parte universi assumpta, in totum
universum perfectio redundaret. |
2. Il ne convient pas que la même perfection existe dans toutes les parties de l’univers. C’est pourquoi il était plus convenable que la perfection rejaillisse sur tout l’univers à partir d’une partie de l’univers assumée. |
Articulus 2 [7569] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2
tit. Utrum filius
Dei humanam naturam assumere debuit |
Article 2 – Le Fils de Dieu devait-il assumer la nature humaine ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le Fils de Dieu devait-il assumer la nature humaine chez tous les suppôts de la nature humaine ?] |
[7570] Super Sent., lib.
3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod filius Dei humanam naturam
assumere debuit in omnibus suppositis humanae naturae. Quia, ut Damascenus
dicit, quod est inassumptibile est incurabile. Sed humana natura curabilis
est in omnibus suis suppositis. Ergo in omnibus assumi debuit. |
1. Il semble que le Fils de Dieu devait assumer la nature humaine dans tous les suppôts de la nature humaine, car, ainsi que le dit [Jean] Damascène, « ce qui ne peut être assumé ne peut être guéri ». Or, la nature peut être guérie dans tous ses suppôts. Elle devait donc être assumée dans tous les suppôts. |
[7571] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2
qc. 1 arg. 2 Praeterea,
bonum est diffusivum et communicativum sui, ut ex Dionysio patet. Cum ergo
Deus sit summe bonus, et maxime in incarnatione suam bonitatem ostenderit,
videtur quod naturam quae assumptibilis erat, communiter in omnibus suis
suppositis assumere debuerit. |
2. « Le bien se diffuse et se communique lui-même », comme cela ressort de Denys. Puisque Dieu est bon au plus haut point et qu’il a surtout montré sa bonté dans l’incarnation, il semble donc qu’il devait assumer en tous ses suppôts la nature qui pouvait être assumée. |
[7572] Super Sent., lib.
3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Christus venit ad satisfaciendum praecipue pro
peccato naturae, quod per unum hominem in mundum intravit. Sed id quod
naturae secundum se debetur, debetur communiter et aequaliter in omnibus suis
suppositis. Ergo filius Dei naturam humanam in omnibus suis suppositis
assumere debuit. |
3. Le Christ est venu satisfaire pour le péché de nature, qui est entré dans le monde par un seul homme. Or, ce qui revient à la nature en elle-même revient à tous ses suppôts d’une manière générale et égale. Le Fils de Dieu devait donc assumer la nature humaine en tous ses suppôts. |
[7573] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2
qc. 1 arg. 4 Sed contra, filius Dei ad hoc carnem
assumpsit, ut pro nobis satisfaciendo principium humanae salutis esset. Cum ergo principium in
quolibet genere unum inveniatur, videtur quod in uno tantum supposito humanam
naturam assumere debuit. |
4. Cependant, le Fils de Dieu a assumé la chair afin qu’en satisfaisant pour nous, il soit le principe du salut des hommes. Puisque le principe en n’importe quel genre est unique, il semble donc qu’il devait assumer la nature humaine en un seul suppôt. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le Fils de Dieu devait-il assumer la nature humaine en quelqu’un engendré de la descendance d’Adam ?] |
[7574] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod non debuerit assumere naturam humanam in aliquo ex stirpe Adae
generato. Sicut enim dicit apostolus ad Hebr. 7, talis decebat ut nobis esset
pontifex qui esset segregatus a peccatoribus. Sed magis esset segregatus a
peccatoribus, si de stirpe peccatorum carnem non assumpsisset. Ergo non
debuit carnem assumere de stirpe Adae. |
1. Il semble que [le Fils de Dieu] ne devait pas assumer la nature humaine en quelqu’un engendré de la descendance d’Adam. En effet, comme l’a dit l’Apôtre en He 7, il convenait que notre pontife soit séparé des pécheurs. Or, il serait davantage séparé des pécheurs s’il n’avait pas assumé la chair selon la descendance des pécheurs. Il ne devait donc pas assumer la chair selon la descendance d’Adam. |
[7575] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
peccatum originale est peccatum naturae, et non personae, nisi per accidens.
Non ergo requiritur ad satisfactionem, nisi quod aliquis sit de humana
natura. Sed si aliquis homo fieret non de stirpe Adae, constat quod ad
humanam naturam pertineret. Ergo congrue pro natura humana satisfacere posset. |
2. Le péché originel est un péché de nature, et non personnel, si ce n’est par accident. Il est donc seulement nécessaire pour la satisfaction que quelqu’un fasse partie de la nature humaine. Or, si un homme apparaissait sans être de la descendance d’Adam, il est clair qu’il appartiendrait à la nature humaine. Il pourrait donc satisfaire adéquatement pour la nature humaine. |
[7576] Super Sent., lib. 3 d. 2
q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Sed contra, medicina in loco vulneris debet apponi. Sed humana natura
est vitiata tantum in his qui ex genere Adae descendunt, in quo omnes
moriuntur, 1 Corinth. 15. Ergo in aliquo ad ejus stirpem pertinente, natura
humana assumi debuit. |
3. Cependant, le remède doit être appliqué sur la blessure. Or, la nature humaine n’a été viciée que chez ceux qui descendent de la famille d’Adam, en qui tous meurent, 1 Co 15. La nature humaine devait donc être assumée par quelqu’un qui appartenait à sa descendance. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Le Fils de Dieu devait-il assumer la nature humaine en Adam lui-même ?] |
[7577] Super Sent., lib.
3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod naturam humanam assumere
debuit in ipso Adam. Assumptio enim carnis ad satisfactionem ordinatur. Sed
decet ut idem qui peccavit, satisfaciat. Ergo naturam humanam in ipso Adam
assumere debuit. |
1. Il semble que [le Fils de Dieu] devait assumer la nature humaine en Adam lui-même. En effet, l’assomption de la chair est ordonnée à la satisfaction. Or, il convient que celui-là même qui a péché satisfasse. Il devait donc assumer la nature humaine en Adam lui-même. |
[7578] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2
qc. 3 arg. 2 Praeterea,
talis debuit esse humanae naturae reparatio, ut nihil homini de sua dignitate
periret. Sed Adam in
primo statu hoc habuit ut nullius hominis auxilio ad suam salutem indigeret.
Hoc autem non sibi restituitur, in alio homine humana natura assumpta: quia
beneficio illius hominis indiget ad suam salutem. Ergo non decuit humanam
naturam in alio quam in ipso Adam assumi. |
2. La restauration de la nature humaine devait être telle que l’homme ne perde rien de sa dignité. Or, en son premier état, Adam n’avait besoin de l’aide de personne pour son salut. Or, cela ne lui est pas rendu, si la nature humaine est assumée dans un autre homme, car il a besoin d’un bienfait de cet homme pour son salut. Il ne convenait donc pas que la nature humaine soit assumée dans un autre qu’Adam lui-même. |
[7579] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2
qc. 3 arg. 3 Sed contra, contrariorum non est eadem
causa. Sed Adam causa fuit perditionis humanae naturae. Ergo non decuit ut ipse esset causa salutis
humanae naturae. Hoc autem contingeret, si humana natura in ipso Adam
assumpta esset. Ergo hoc decens non fuit. |
3. Cependant, les contraires n’ont pas la même cause. Or, Adam a été la cause de la perte de la nature humaine. Il ne convenait donc pas qu’il soit la cause du salut de la nature humaine. Or, cela serait arrivé si la nature humaine avait été assumée en Adam lui-même. Cela ne convenait donc pas. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[7580] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo ad
primam quaestionem dicendum,
quod non fuit decens quod humanam naturam in omnibus suis suppositis
assumeret: et hoc propter quatuor rationes. Primo, quia omnia supposita
humanae naturae non reducerentur ad plus quam ad tria supposita. Cum enim
assumens et assumptum uniantur in eodem supposito, non possent esse plura
supposita naturae assumptae quam naturae assumentis. Secundo propter finem
assumptionis: est enim ad reparationem humani generis ordinata per modum
cujusdam mediationis inter Deum et hominem. Mediator autem qui unitatem pacis
facere intendit, unus congrue debet esse. Tertio propter unitatem ipsius
assumentis: sicut enim decuit ut divina natura tantum in uno supposito
incarnaretur, ita decuit ut una natura individua assumeretur: sic enim unius
ad unum decenter facta est conjunctio. Quarto propter dignitatem ipsius filii
incarnati, ut sit ipse primogenitus in multis fratribus, Rom. 8, 29,
in spirituali generatione, sicut etiam est primogenitus creaturae in rerum
emanatione ab uno principio. Haec autem primogenitura sibi non competeret, si plures numero humanae
naturae assumptae essent. |
Il ne convenait pas que [le Fils de Dieu] assume la nature humaine en tous ses suppôts, et cela pour quatre raisons. Premièrement, parce que tous les suppôts de la nature humaine ne seraient pas ramenés à plus de trois suppôts. En effet, puisque celui qui assume et celui qui est assumé sont unis dans un même suppôt, il ne pourrait y avoir plus de suppôts de la nature assumée que de la nature de qui assume. Deuxièmement, en raison de la fin de l’assomption. En effet, elle est ordonnée à la restauration du genre humain par mode d’une médiation entre Dieu et l’homme. Or, il convient que le médiateur qui cherche à établir l’unité de la paix soit unique. Troisièmement, en raison de l’unité de celui-là même qui assume. En effet, de même qu’il convenait que la nature divine ne s’incarne que dans un seul suppôt, de même convenait-il que assumée une seule nature individuelle : en effet, l’union s’est ainsi réalisée convenablement d’un seul avec un seul. Quatrièmement, en raison de la dignité du Fils incarné lui-même, afin qu’il soit le premier-né de nombreux frères, Rm 8, 29, en vue de la génération spirituelle, comme il est aussi le premier-né de la création par l’émanation à partir d’un seul principe. Or, cette aînesse ne lui appartiendrait pas si plusieurs natures humaines individuelles avaient été assumées. |
[7581] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod per incarnationem proprie assumitur natura, ut infra patebit:
proprie etiam et primo curatur peccatum naturae. Unde si aliqua natura
assumptibilis non est, curabilis non est. Non tamen oportet ut si haec natura
individua non assumitur, quod suppositum hujus naturae non curetur: quia per
hoc quod natura in aliquo individuo assumpta est, praeparatur curatio omnibus
qui similem naturam habent; sicut e contra per hoc quod una persona infecit
naturam humanam quae in ipso erat, in omnes homines peccatum transmisit. |
1. Par l’incarnation, la nature est assumée au sens propre, comme cela ressortira plus loin ; au sens propre aussi et en premier lieu, le péché de nature est guéri. Si donc une nature ne peut être assumée, elle ne peut être guérie. Cependant, il n’est pas nécessaire que si telle nature individuelle n’est pas assumée, le suppôt de cette nature ne soit pas guéri, car, par le fait que la nature a été assumée dans un individu, la guérison est préparée pour tous ceux qui ont une nature semblable ; de même, en sens contraire, par le fait qu’une seule personne a infecté la nature humaine qui se trouvait en lui, a-t-elle transmis le péché à tous les hommes. |
[7582] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut bonitas divina, quae in creatione
rerum se manifestat, omnibus se communicat, non tamen aequaliter; ita etiam
prout se in incarnatione manifestat, praecipue quantum ad dilectionem humani
generis, omnibus se communicat, non tamen eodem modo et aequaliter, sed uni
per gratiam unionis, aliis per gratiam adoptionis, qui gratiae non repugnant. |
2. De même que la bonté divine, qui se manifeste par la création des choses, se communique à toutes, mais non pas également, de même, en tant qu’elle se manifeste dans l’incarnation surtout par amour du genre humain, elle se communique à tous, mais non pas de la même manière et également, mais à l’un par la grâce de l’union, aux autres, qui ne s’opposent pas à la grâce, par la grâce de l’adoption. |
[7583] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod aliquid debetur humanae naturae dupliciter: vel ut sibi
essentiale, et hoc invenitur communiter in omnibus naturam habentibus
humanam; vel ut superadditum essentialibus principiis, sive sit per gratiam
acceptum, sive operibus acquisitum; et hoc non invenitur communiter in
omnibus naturam habentibus: unde ratio non procedit. |
3. Quelque chose est dû à la nature humaine de deux manières : soit comme quelque chose qui lui est essentiel, et cela se trouve d’une manière générale chez tous ceux qui ont la nature humaine ; soit comme quelque chose d’ajouté aux principes essentiels, que cela soit reçu par la grâce, ou que ce soit acquis par des oeuvres ; et cela ne se trouve pas de manière générale chez tous ceux qui ont la nature humaine. Le raisonnement n’est donc pas concluant. |
[7584] Super Sent., lib. 3 d. 2
q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Quartum concedimus. |
4. Nous concédons le quatrième argument. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[7585] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
dicendum, quod non fuit decens ut aliunde quam de stirpe Adae, filius Dei
humanam naturam assumeret, praecipue propter tria. Primo ad servandum
justitiam satisfactionis. Si enim de genere Adae non fuisset, ad eum non
pertineret pro peccato Adae satisfacere. Secundo ad perfectam reintegrationem dignitatis Adae, qui hoc habuit
ut ipse et suum genus nulla alia creatura indigeret, quasi sustentante et salvante:
et hoc generi ejus redditum non fuisset, si redemptus fuisset per aliquem qui
ad genus ejus non pertineret. Tertio ad servandum dignitatem specialiter
ipsius Adae, qui in hoc quodam modo imaginem Dei singulariter habuit, ut
sicut Deus, cum sit ens primum, omnium entium principium est per creationem;
ita etiam Adam, cum sit primus homo, est principium omnium hominum per
generationem; quod sibi deperiret, si Christus non de ejus genere homo
fieret. |
Il ne convenait pas que le Fils de Dieu assume une nature humaine venue d’ailleurs que de la descendance d’Adam, surtout pour trois raisons. Premièrement, pour respecter la justice de la satisfaction. En effet, s’il n’avait pas fait partie de la descendance d’Adam, il ne lui serait pas revenu de satisfaire pour le péché d’Adam. Deuxièmement, pour un parfait rétablissement de la dignité d’Adam, qui était tel que lui-même et sa descendance n’avaient besoin d’aucune autre créature pour le soutenir et le sauver. Cela n’aurait pas été rendu à sa descendance s’il n’avait pas été racheté par quelqu’un qui n’appartenait pas appartenu à sa descendance. Troisièmement, pour respecter d’une manière particulière la dignité d’Adam lui-même, qui possédait d’une manière singulière l’image de Dieu, de telle sorte que, comme Dieu, qui est l’être premier et le principe de tous les êtres par la création, Adam, qui est le premier homme, soit le principe de tous les hommes par la génération. Cela lui serait enlevé, si le Christ n’était pas devenu homme par sa descendance. |
[7586] Super Sent., lib.
3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo quod objicitur, quod debet esse segregatus a
peccatoribus, dicendum, quod verum est, inquantum peccatores sunt, non
inquantum homines sunt: venit enim peccatum destruere et naturam salvare:
unde convenientiam habuit in his quae ad naturam pertinent, sed
contrarietatem in his quae ad peccatum spectant: quia neque contraxit neque
commisit peccatum. |
1. Il est vrai qu’il doit être séparé des pécheurs en tant qu’ils sont pécheurs, mais non en tant qu’ils sont hommes. En effet, il est venu détruire le péché et sauver la nature. Il les rejoignait donc pour ce qui relève de la nature, mais il s’opposait à eux pour ce qui concerne le péché, car il n’a ni contracté ni commis le péché. |
[7587] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod natura
humana non fuit infecta originali peccato nisi secundum quod ab Adam
trahitur: unde si Deus unum hominem de limo terrae formaret, peccatum originale
in eo non esset; et ideo satisfactio de originali non pertinebat
indifferenter ad quemlibet hominem, sed ad quemlibet de genere Adae. |
2. La nature humaine n’a été infectée par le péché originel que selon qu’elle est tirée d’Adam. Si donc Dieu n’avait formé qu’un seul homme à partir du limon de la terre, il n’y aurait pas eu de péché originel en lui. La satisfaction pour le péché originel ne concernait donc pas n’importe quel homme de manière indifférenciée, mais n’importe quel homme de la descendance d’Adam. |
[7588] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Tertium concedimus. |
3. Nous concédons le troisième argument. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[7589] Super Sent., lib.
3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod nullo modo fuit decens ut filius
Dei in ipso Adam humanam naturam assumeret propter duo. Primo, quia Adam
propria personalitate perfectus fuit; unde in unitatem personae assumi non
posset, nisi illa personalitas destrueretur, quod non decebat, ut supra, art.
1, quaestiunc. 2, de Angelis
dictum est. Secundo, quia cum per assumptionem fiat communicatio
proprietatum, ut quidquid de homine dicitur, de Deo dicatur; sequeretur ut
diceretur, quod Deus peccasset, quia Adam peccavit: quod est absurdum. |
Il ne convenait d’aucune manière que le Fils de Dieu assume la nature humaine en Adam lui-même pour deux raisons. Premièrement, parce que Adam était parfait achevé en propre personnalité ; il ne pouvait donc être assumé dans l’unité de la personne [du Fils de Dieu], à moins que cette personnalité ne soit détruite, ce qui ne convenait pas, comme on l’a dit plus haut, a. 1, q. 2, à propos des anges. Deuxièmement, parce que la communication des propriétés se réalisant par l’assomption, de sorte que tout ce qui est dit de l’homme se dise de Dieu, il en découlerait qu’on dirait de Dieu qu’il a péché parce que Adam a péché, ce qui est absurde. |
[7590] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod per peccatum Adae fuit infectio
personalis in ipso, et infectio naturae creatae in ipso et propagandae ab
ipso: et pro infectione personali ipse gratia adjutus satisfacere potuit
secundum quosdam; sed requirebatur aliquis qui pro peccato naturae
satisfaceret; et ideo non oportuit quod esset idem in persona cum Adam, sed
idem in natura. |
1. Par le péché d’Adam, il y eut en lui une infection personnelle et une infection de la nature créée en lui et de celle qui devait se transmettre à partir de lui. Selon certains, il pouvait, avec l’aide de la grâce, satisfaire pour l’infection personnelle ; mais il était nécessaire que quelqu’un satisfasse pour le péché de nature. Il n’était donc pas nécessaire que celui-ci soit la même personne qu’Adam, mais qu’il lui soit identique par la nature. |
[7591] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod non est inconveniens quod de dignitate illius personae aliquid
pereat ex culpa sua; sed inconveniens est ut aliquid naturae deperiret, quae
cum bona esset, homo male utendo ipsam corrupit. |
2. Il n’est pas inapproprié qu’une personne perde quelque chose de sa dignité par sa faute ; mais il est inapproprié que se perde quelque chose de la nature, que l’homme a corrompue en en faisant usage, alors qu’elle était bonne. |
[7592] Super Sent., lib.
3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Tertium concedimus. |
3. Nous concédons le troisième argument. |
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Articulus 3 [7593] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3
tit. Utrum filius
Dei carnem humanam assumpserit |
Article 3 – Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair humaine ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair humaine ?] |
[7594] Super Sent., lib.
3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod filius Dei carnem non
assumpserit. Galat. 5, 17: caro concupiscit adversus spiritum. Sed in
Christo talis pugna non fuit. Ergo ipse veram carnem non habuit. |
1. Il semble que le Fils de Dieu n’ait pas assumé la chair, Ga 5, 17 : Le désir de la chair va contre l’esprit. Or, il n’y a pas eu un tel combat chez le Christ. Il n’a donc pas eu une chair véritable. |
[7595] Super Sent., lib. 3 d. 2
q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in carne tantum est similitudo vestigii. Sed similitudo
vestigii tantum
non sufficit ad assumptibilitatem, ut supra, art. 1, in corp., dictum est.
Ergo caro assumptibilis non fuit. |
2. Dans la chair, il n’existe que la similitude du vestige. Or, la seule similitude du vestige ne suffit pas pour que quelque chose puisse être assumé, comme on l’a dit plus haut, a. 1, c. La chair ne pouvait donc être assumée. |
[7596] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea,
major est gratia unionis quam gratia fruitionis. Sed caro nullo modo potest
conjungi Deo per fruitionem. Ergo non potest conjungi per unionem. |
3. La grâce d’union est plus grande que la grâce de la fruition. Or, la chair ne peut d’aucune manière être unie à Dieu par la fruition. Elle ne peut donc pas lui être unie par l’union. |
[7597] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3
qc. 1 arg. 4 Sed contra, ad Hebr. 2, 16: semen
Abrahae apprehendit; et Rom. 1, 3: factus est ei ex semine David
secundum carnem. Sed semen non pertinet ad animam, sed ad carnem. Ergo filius Dei in
humana natura non solum animam, sed etiam carnem assumpsit. |
[4] Cependant, He 2, 16 dit : Il a pris la semence d’Abraham, et Rm 1, 3 : Il est venu de la descendance de David selon la chair. Or, la semence ne se rapporte pas à l’âme, mais à la chair. Par la nature humaine, le Fils de Dieu n’a donc pas assumé seulement l’âme, mais aussi la chair. |
[7598] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3
qc. 1 arg. 5 Praeterea, homo non nascitur ex homine nisi per traductionem
carnis. Sed Christus non solum dicitur homo, immo etiam filius hominis, non
nisi quia de virgine natus est. Ergo assumpsit carnem in humana natura. |
[5] L’homme ne naît de l’homme que par la transmission de la chair. Or, le Christ n’est pas appelé seulement homme, mais aussi le Fils de l’homme parce qu’il est né de la Vierge. Il a donc assumé la chair dans la nature humaine. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair, mais non pas l’âme ?] |
[7599] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod carnem assumpserit, et non animam. Joan. 1, 14: verbum caro factum est.
Non autem per conversionem in carnem, sed per assumptionem carnis. Ergo solam
carnem assumpsisse videtur. |
1. Il semble qu’il a assumé la chair,
mais non pas l’âme. Jn 1, 14 : Le verbe s’est fait chair. Or, ce n’est pas pas conversion en la
chair, mais par le fait d’assumer la chair. Il semble donc n’avoir assumé que
la chair. |
[7600]
Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, corpus non indiget
ut uniatur sibi anima, nisi ad hoc ut per ipsam vivificetur. Sed ad hoc quod corpus
vivificetur, sufficit quod corpori vivificabili principium vitae uniatur. Cum ergo Deus, qui est principium vitae, corpus
sibi univerit, videtur quod unio corporis ad animam superflua fuisset. |
2. Le corps n’a besoin qu’une âme lui soit unie que pour être vivifié par elle. Or, pour que le corps soit vivifié, il suffit que la principe de la vie soit uni au corps qui peut être vivifié. Puisque Dieu, qui est le principe de la vie, s’est uni un corps, il semble donc que l’union du corps à l’âme aurait été superflue. |
[7601] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3
qc. 2 arg. 3 Praeterea, habito aliquo quod est
sufficiens operationis principium, non requiritur ad eamdem operationem aliud
principium; sicut ad illuminationem aeris, qui illuminatur lumine solis, non
requiritur lumen candelae. Sed Christus per intellectum divinum sibi unitum
sufficienter omnia cognoscere poterat. Ergo non requirebatur anima cognoscitiva
et intellectiva ad unionem illam. |
3. À supposer que quelque chose suffise comme principe d’une opération, un autre principe n’est pas nécessaire pour la même opération ; ainsi, pour l’illumination de l’air, qui est illuminé par la lumière du soleil, la lumière d’une chandelle n’est pas nécessaire. Or, le Christ, par l’intellect divin qui lui était uni, pouvait connaître tout. Une âme cognitive et intellectuelle n’était donc pas nécessaire pour cette union. |
[7602] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra,
Christus curavit naturam nostram per hoc quod eam assumpsit. Sed
principaliter venit ad curandum animas. Ergo animam assumpsit. |
Cependant, [1] le Christ a soigné notre nature du fait qu’il l’a assumée. Or, il est venu principalement pour soigner les âmes. Il a donc assumé une âme. |
[7603] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3
qc. 2 s. c. 2 Praeterea, mors
corporalis non est nisi per separationem corporis a principio vitae. Si ergo
in Christo non fuisset aliud principium vitae quam ipsa deitas, cum caro a
divinitate nunquam fuerit separata, nunquam Christus fuisset mortuus: quod
expresse contradicit Scripturae. |
[2] La mort corporelle ne vient que de la séparation du corps du principe de la vie. Si donc, dans le Christ, il n’y avait d’autre principe de vie que la divinité elle-même, puisque la chair n’a jamais été séparée de la divinité, le Christ ne serait jamais mort, ce qui contredit expressément l’Écriture. |
[7604] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3
qc. 2 s. c. 3 Praeterea, sequeretur quod Deus esset immediatus motor corporis
Christi, si anima caruisset; et sic nunquam Christus fuisset fatigatus ex
itinere, ut dicitur Joan. 4, cum fatigatio non accidat nisi ex debilitate
virtutis moventis. |
[3] S’il n’avait pas eu d’âme, il en découlerait que Dieu serait le moteur immédiat du corps du Christ. Ainsi, le Christ n’aurait jamais été fatigué de la route, comme le dit Jn 4, puisque la fatigue ne vient que de la faiblesse de la puissance qui meut. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la forme du tout qui résulte de la composition des parties ?] |
[7605] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod non assumpserit formam totius ex compositione partium
resultantem. Forma enim totius est illa in qua sicut in natura communi particularia
conveniunt. Sed Damascenus dicit, et habetur in littera, quod in domino
nostro Jesu Christo non est communem speciem accipere. Ergo in eo forma
totius non fuit. |
1. Il semble qu’il n’ait pas assumé la forme du tout qui résulte de la composition des parties. En effet, la forme du tout est celle dans laquelle les éléments particuliers se retrouvent comme dans une nature commune. Or, [Jean] Damascène dit, et on le lit dans le texte, que, dans notre Seigneur Jésus, le Christ, il ne faut pas concevoir d’espèce commune. La forme du tout n’existait donc pas en lui. |
[7606] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3
qc. 3 arg. 2 Praeterea, ut
dicit Boetius, species est totum esse individuorum. Sed nihil in Christo fuit
ex parte carnis et animae quod totum esse ipsius Christi concluderet: quia
habuit esse divinum non per animam neque per corpus. Ergo cum forma totius sit species in
potentia, videtur quod in Christo forma totius non fuerit. |
2. Comme le dit Boèce, l’espèce est l’être entier des individus. Or, il n’existait rien dans le Christ, en raison de la chair et de l’âme, pour inclure l’être entier du Christ lui-même, car il avait un être divin, mais non par l’âme ni par le corps. Puisque la forme du tout est l’espèce en puissance, il semble donc que la forme du tout ne se trouvait pas dans le Christ. |
[7607] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3
qc. 3 arg. 3 Praeterea, in littera dicitur, quod nomine humanae naturae
corpus et anima intelligitur, cum dicitur, Christum humanam naturam assumpsisse.
Sed constat quod neque corpus neque anima est forma totius, ad minus secundum
opinionem communiorem. Ergo in Christo forma totius non fuit. |
3. Il est dit dans le texte que, par les mots « nature humaine », on entend le corps et l’âme, lorsqu’on dit que le Christ a assumé la nature humaine. Or, il est clair que ni le corps ni l’âme n’est la forme du tout, du moins selon l’opinion commune. Il n’y avait donc pas de forme du tout chez le Christ. |
[7608] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3
qc. 3 s. c. 1 Sed contra, forma
totius in rebus animatis resultat ex unione vel conjunctione animae ad corpus.
Sed in Christo
anima fuit conjuncta corpori; alias corpus illud vivum non fuisset. Ergo in
Christo fuit forma totius. |
Cependant, [1] la forme du tout dans les réalités animées résulte de l’union ou de l’association de l’âme et du corps. Or, dans le Christ, l’âme a été unie au corps, autrement, ce corps n’aurait pas été vivant. La forme du tout se trouvait donc dans le Christ. |
[7609] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea,
homines conveniunt specie ad invicem secundum convenientiam in forma totius. Sed
Christus fuit ejusdem speciei cum aliis hominibus; alias pro hominibus non
satisfecisset. Ergo in Christo fuit forma totius. |
[2] Les hommes ont une espèce commune selon qu’ils se rejoignent dans la forme du tout. Or, le Christ avait la même espèce que les autres hommes, autrement, il n’aurait pas satisfait pour les hommes. La forme du tout se trouvait donc dans le Christ. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[7610] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod,
secundum philosophum 8 Metaph., definitio in hoc convenit cum numero, quod
sicut in numeris contingit quod semper subtracta vel addita unitate, fit
alius numerus; ita etiam in definitionibus, si addatur vel subtrahatur aliqua
differentia, semper fit alia species. Cum ergo omnes differentiae sumantur ex essentialibus principiis,
oportet quod si homini subtrahatur aliquid de essentialibus ejus, non
remaneat eadem species. Cum ergo Christus fuerit ejusdem speciei cum aliis
hominibus; (alias enim verus homo non fuisset, sed aequivoce homo diceretur;
nec pro hominibus satisfaceret congruenter): oportet quod omnia essentialia
homini in Christo fuerint, et corpus et anima vegetabilis, sensibilis et
rationalis, et ulterius forma totius resultans ex conjunctione corporis et
animae, quae humanitas dicitur: et quia proprietates naturales ex principiis
essentialibus causantur, oportet quod in ipso fuerint omnes naturales
proprietates speciem humanam consequentes. De aliis autem quae per accidens
speciem humanam consequuntur, sive sint defectus sive perfectiones, infra suo
loco dicetur. Ad primam ergo quaestionem sciendum, quod circa hoc fuerunt duo
errores. Unus fuit Manichaeorum, qui dicebant, quod Christus verum corpus non
habuit, sed tantum phantasticum. Et ratio hujus positionis videtur fuisse,
quia omnium visibilium auctorem posuerunt Diabolum; et ideo nihil hujus
secundum veritatem in Christo fuit, in quo princeps mundi hujus nihil habuit,
Joan. 14. Patet autem quod positio ista est falsa: et quantum ad radicem
positionis: quia Deum creatorem omnium visibilium et invisibilium, et fides
tenet et ratio demonstrat, cum a primo ente oporteat omnia entia esse, ut
patet ex 2 Metaph.: et etiam in se positio falsa est, quia veritatem
humanitatis tollit, ut ex dictis patet: esset enim invenire aliquam
falsitatem vel simulationem in eo qui de se dicit Joan. 14, 6: ego sum
via, veritas et vita. Alius error fuit Marcionitarum, qui dicebant
Christum corpus de virgine non assumpsisse, sed de caelo apportasse: quod
forte ortum habuit ex opinione Platonicorum, qui dicebant, animae corpus
terrestre omnino fugiendum esse, ut beatitudinem consequatur. Non enim
credebant posse fieri ut anima corpori terrestri unita beata fieret. Ponebant
tamen animas corporibus caelestibus unitas, ut soli, et stellis, et lunae,
beatas fore, ut Augustinus recitat in libro 10 de Civ. Dei; et ideo animam
Christi, quae summe beata fuit, non terrestri, sed caelesti corpori unitam
putaverunt. Sed haec etiam positio veritatem humanitatis tollit: quia
quaelibet forma naturalis determinatam materiam requirit: et ideo anima
humana non ex qualibet materia quam perficit, hominem facit, sed inquantum
est forma talis corporis, elementati scilicet, et debita proportione
complexionati. Unde si Christus corpus terrestre non habuit, verus homo non
fuit. His autem idem defectus contingit qui et antiquis philosophis, ut 1 de
anima dicitur, qui de anima dicentes nihil de corpore dixerunt, opinantes
quamlibet animam cuilibet corpori adaptari; quod esse non potest, cum
propriae formae respondeat propria materia, et unicuique agenti determinata
instrumenta: et ideo fides Catholica, quae Christum verum hominem confitetur,
eum habuisse corpus ex quatuor elementis compositum, sicut nos habemus,
firmiter tenet. |
Selon le Philosophe, dans Métaphysique, VIII, la définition a en commun avec le nombre que, de même que, dans les nombres, un autre nombre vient de la soustraction ou de l’addition d’une unité, de même, dans les définitions, si l’on ajoute ou soustrait une différence, une autre espèce apparaît toujours. Puisque toutes les différences viennent des principes essentiels, il est donc nécessaire que, si l’on soustrait de l’homme quelque chose qui lui est essentiel, la même espèce ne demeure pas. Puisque le Christ a eu la même espèce que les autres hommes (autrement, il n’aurait pas été un homme véritable, mais on l’appellerait un homme de manière équivoque ; il n’aurait pas non plus satisfait pour les hommes de manière appropriée), il est donc nécessaire que tout ce qui essentiel à l’homme se soit trouvé chez le Christ : le corps, l’âme végétative, sensible et raisonnable, et aussi la forme du tout résultant de l’union du corps et de l’âme, qu’on appelle « humanité ». Et parce que les propriétés naturelles sont causées par les principes essentiels, il est nécessaire que se soient trouvées en lui toutes les propriétés naturelles qui découlent de l’espèce humaine. Pour ce qui est des autres choses qui découlent par accident de l’espèce humaine, qu’il s’agisse de carences ou de perfections, il en sera question plus loin à leur place. Pour ce qui est de la première question, il faut donc savoir qu’à ce sujet, il y a eu deux erreurs. L’une était celle des manichéens, qui disaient que le Christ n’avait pas un corps véritable, mais illusoire. La raison de cette position semble avoir été qu’ils ont fait du Diable l’auteur de toutes les réalités visibles. C’est pourquoi rien de cela ne se trouvait véritablement chez le Christ, chez qui le Prince de ce monde n’avait aucune part, Jn 14. Mais il est clair que cette position est fausse. D’abord, pour ce qui est de la source de cette position, car la foi tient et la raison démontre que Dieu est le créateur de toutes les choses visibles et invisibles, puisqu’il est nécessaire que tous les êtres reçoivent l’être du premier être, comme cela ressort de Métaphysique, II. Cette position est aussi fausse en elle-même, car elle enlève la vérité de l’humanité, comme cela ressort de ce qui a été dit. En effet, elle reviendrait à trouver une certaine fausseté ou simulation chez celui qui dit de lui-même en Jn 14, 6 : Je suis le chemin, la vérité et la vie. L’autre erreur était celle des marcionites, qui disaient que le Christ n’avait pas assumé un corps de la Vierge, mais l’avait emporté du ciel. Cela avait peut-être sa source dans l’opinion des platoniciens, qui disaient qu’il fallait fuir complètement le corps terrestre de l’âme afin de rechercher la béatitude. En effet, ils ne croyaient pas que l’âme unie à un corps terrestre puisse devenir bienheureuse. Ils affirmaient cependant que les âmes unies aux corps célestes, comme le soleil, les étoiles et la lune, pouvaient devenir bienheureuses, comme le raconte Augustin dans le livre X de La cité de Dieu. C’est pourquoi ils pensaient que l’âme du Christ, qui était au plus haut point bienheureuse, était unie, non pas à un corps terrestre, mais à un corps céleste. Mais cette position aussi enlève la vérité de l’humanité, car toute forme naturelle requiert une matière déterminée. C’est pourquoi l’âme humaine réalise l’homme, non pas à partir de n’importe quelle matière qu’elle perfectionne, mais en tant qu’elle est la forme de tel corps, à savoir, d’ [un corps] composé d’éléments et doté d’une complexion adéquatement proportionnée. Si le Christ n’a pas eu de corps terrestre, il n’était donc pas un homme véritable. La même carence se trouve ici que chez les philosophes anciens, comme le dit Sur l’âme, qui, en parlant de l’âme, n’ont rien dit du corps, étant d’opinion que n’importe quelle âme peut s’adapter à n’importe quel corps, ce qui ne peut être le cas, puisque des formes propres correspondent à une matière propre, et à n’importe quel agent, ses instruments déterminés. Aussi la foi catholique, qui confesse que le Christ est un homme véritable, tient-elle fermement qu’il a eu un corps composé des quatre éléments, comme nous en avons un. |
[7611] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod concupiscentia carnis contra spiritum non causatur ex ipsa carnis
natura, sed ex vitiosa corruptione ejus, quae ex peccato primi parentis
provenit, sine qua filius Dei veram carnis naturam assumpsit. |
1. La concupiscence de la chair contre l’esprit n’est pas causée par la nature même de la chair, mais par sa corruption vicieuse, qui vient des premiers parents, sans laquelle le Fils de Dieu a assumé la vraie nature de la chair. |
[7612] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod similitudo attenditur secundum formam. Corporis autem humani forma est
anima rationalis, in qua imago Dei consistit; et ideo in corpore humano non
tantum est similitudo vestigii, sed etiam similitudo imaginis, inquantum
animam habet. Non enim corpus humanum habet esse quoddam distinctum ab esse
quod dat sibi anima, quasi ab alia forma, per quam sit in eo similitudo
vestigii tantum, sicut est in corporibus inanimatis: quia sic anima esset ens
in subjecto, secundum quod subjectum nominat ens subsistens in actu; quod ad
rationem accidentis pertinet, ut in 2 de anima dicit Commentator. |
2. La similitude se prend de la forme. Or, la forme du corps humain est l’âme raisonnable, en laquelle se trouve l’image de Dieu. Aussi ne trouve-t-on pas seulement la similitude du vestige dans le corps humain, mais aussi la similitude de l’image, pour autant qu’il a une âme. En effet, le corps humain n’a pas un être distinct de l’être que lui donne l’âme, comme s’il venait d’une autre forme, en vertu de laquelle existerait la similitude du vestige seulement, comme c’est le cas pour les corps inanimés, car alors l’âme serait un être dans un sujet, selon qu’on entend par « sujet » un être subsistant en acte, ce qui relève de la raison d’accident, comme le dit le Commentateur dans Sur l’âme, II. |
[7613] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
conjunctio animae ad Deum per fruitionem consistit in operatione intellectus
et voluntatis, in qua corpus nullo modo communicat, quia exercetur talis
operatio sine organo corporali, ut probatur in 3 de anima et ideo per
fruitionem nullo modo corpus Deo uniri potest. Sed conjunctio unionis est ad
esse in persona una: corpus autem et anima in uno esse communicant, quia
anima est quod quid erat esse hujusmodi corpori, ut in 2 de anima dicitur: et
ideo per modum unionis in persona una corpus Deo conjungi potest. |
3. L’union de l’âme à Dieu par la fruition consiste dans une opération de l’intellect et de la volonté, à laquelle le corps ne prend aucune part, car une telle opération s’accomplit sans organe corporel, comme cela est démontré dans Sur l’âme, III. Aussi le corps ne peut-il d’aucune manière être uni à Dieu par la fruition. Mais le lien de l’union vise l’être dans une personne unique. Or, le corps et l’âme se rejoignent dans un même être puisque l’âme est ce qu’était l’être pour ce corps, comme il est dit dans Sur l’âme, II. C’est pourquoi le corps peut être uni à Dieu par mode d’union dans une seule personne. |
[7614] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3
qc. 1 ad 4 Quartum et
quintum concedimus. |
4-5. Nous concédons le quatrième et le cinquième argument. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[7615] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam
quaestionem est sciendum, quod circa hoc etiam fuerunt duo errores. Unus fuit
Arii et Eunomii, qui dicebant filium Dei carnem sine anima assumpsisse: quia
opinabantur divinitatem sine anima corpus ejus vivificare. Alius fuit error Apollinaris, qui dicebat
in Christo corpus animatum fuisse cum anima carente sensu et intellectu.
Uterque autem error et veritati humanitatis derogat, et dignitati corporis
Christi. Non enim potest esse ut materia in aliquo esse perficiatur, nisi per
aliquid quod sit forma ejus: unde cum Deus nullo modo forma corporis esse
possit (quia oporteret eum esse partem, et non immaterialissimum), sequeretur
quod corpus Christi, si omnino careret anima, esset sicut corpus non vivum;
et si careret anima sensibili et rationali, esset sicut corpus plantae: unde
esset multo minus nobile quam corpus nostrum. Similiter etiam cum de ratione
hominis sit rationalem animam habere, si ea Christus caruisset, verus homo
non fuisset. Hoc autem videtur eis contigisse ex hoc quod credebant animam
corpori non uniri sicut formam, sed magis sicut indumentum, ut Plato dicit,
secundum quod Gregorius Nissenus narrat: per quem modum si Deus corpori
uniretur, homo non diceretur; praecipue si ponatur, ut quidam posuerunt,
animam de substantia Dei esse: quae omnia manifestam falsitatem continent. Et
ideo horum et aliorum praedictorum error excluditur in Lib. Gennadii de ecclesiasticis
dogmatibus, cap. 2, sic: natus est Dei filius ex homine, non per hominem,
idest viri coitum, sicut Ebion dicit; sed carnem de virgine trahens, non de
caelo afferens, sicut Marcion affirmat; neque in phantasia, idest absque
carne, ut Valentinus dicebat; sed verum corpus, non tantum carnem ex carne,
ut Martianus dicit; sed verus Deus et verus homo, in deitate verbum patris et
Deus, in homine anima et caro; non sine sensu et ratione, ut Apollinaris
posuit; neque caro sine anima, ut Eunomius dixit; neque sic natus de virgine,
ut antequam de virgine nasceretur, Deus non fuerit, sicut Antemon et
Marcellus dixerunt. |
À ce sujet aussi, il y a eu deux erreurs. L’une était celle d’Arius et d’Eunomius, qui disaient que le Fils de Dieu a assumé la chair sans l’âme, parce qu’ils étaient d’avis que la divinité vivifiait son corps sans l’âme. L’autre erreur était celle d’Apollinaire, qui disait que, chez le Christ, le corps avait été animé par une âme à laquelle faisaient défaut le sens et l’intellect. Or, ces deux erreurs dérogent à la vérité de l’humanité et à la dignité du corps du Christ. En effet, il ne peut se faire que la matière soit perfectionnée dans un être, si ce n’est par sa forme. Puisque Dieu ne peut d’aucune manière être forme d’un corps (car il faudrait qu’il soit une partie, et non ce qu’il y a de plus immatériel), il en découlerait que le corps du Christ, si l’âme lui faisait complètement défaut, serait comme un corps sans vie. Et si lui faisait défait une âme sensible et raisonnable, il serait comme le corps d’une plante. Il serait donc beaucoup moins noble que notre corps. De même, puisqu’il est de la raison de l’homme d’avoir une âme raisonnable, si celle-ci avait fait défaut au Christ, il n’aurait pas été un homme véritable. Or, cela semble venir de ce qu’ils croyaient que l’âme n’était pas unie au corps comme sa forme, mais plutôt comme un vêtement, comme le dit Platon, d’après ce que raconte Grégoire de Nysse. Si Dieu était uni à un corps de cette manière, on ne dirait pas qu’il est un homme, surtout si l’on affirme, comme certains l’ont affirmé, que l’âme fait partie de la substance de Dieu. Tout cela comporte une fausseté manifeste. Aussi l’erreur de ceux-ci et des autres est-elle écartée dans le livre de Gennade sur Les enseignements de l’Église, II : « Le Fils de Dieu est né de l’homme, non pas par l’intervention d’un homme, à savoir, par l’union sexuelle avec un homme, comme le dit Ébion, mais en tirant sa chair de la Vierge, et sans l’apporter du ciel, comme l’affirme Marcion. [Sa chair] n’est pas une illusion, c’est-à-dire sans chair, comme le disait Valentin, mais il a un corps véritable, et non seulement une chair venue de la chair, comme le disait Martien. Il est Dieu véritable et homme véritable, Verbe du Père dans la divinité et Dieu, âme et chair dans l’homme. Il n’est pas sans sensation ni raison, comme l’affirmait Appollinaire, ni chair sans âme, comme le disait Eunomius. Il n’est pas né de la Vierge de telle sorte qu’il n’était pas Dieu avant de naître de la Vierge, comme Antémon et Marcel le disaient. » |
[7616] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo circa hoc
objectum dicendum, quod cum dicitur, verbum caro factum est, sumitur
pars pro toto, idest caro pro toto homine; sicut anima ponitur aliquando pro
toto homine, Gen. 46, 27: omnes animae domus Jacob quae ingressae sunt in
Aegyptum, fuere septuaginta. Ideo autem carnem, quae inferior pars est,
dicere voluit, ut ostenderet per locum a minori nihil in hominis natura esse
quod filius Dei non assumpserit. |
1. Lorsqu’on dit : « Le Verbe s’est
fait chair », la partie est prise pour le tout, à savoir, la chair pour
l’homme tout entier, comme l’âme est parfois prise pour l’homme tout entier.
Gn 46, 27 : Toutes les
âmes de la maison de Jacob qui étaient entrées en Égypte étaient au nombre de
soixante-dix. Il a donc voulu parler de la chair, qui est la partie
inférieure, pour montrer a minori qu’il
n’existe rien dans la nature de l’homme que le Fils de Dieu n’ait pas assumé. |
[7617] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3
qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ad hoc quod corpus vivificetur,
requiritur quod sibi conjungatur principium vitae per modum formae, ut ex eis
efficiatur una natura communis. Divinitas autem forma corporis esse non potest: non enim ex deitate et
corpore una communis natura resultat: et ideo ad hoc ut corpus Christi unum
esse possit, requiritur anima quae sit ejus forma. |
2. Pour que le corps soit vivifié, il faut que lui soit joint le principe de vie par mode de forme, afin que, par ces réalités, soit réalisée une seule nature. Or, la divinité ne peut pas être la forme du corps : en effet, une nature commune ne résulte pas de la divinité et du corps. Pour que le corps du Christ puisse être une seule réalité, l’âme, qui est sa forme, est donc nécessaire. |
[7618] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod, sicut in 2 de anima dicitur, illud quo aliquid operatur
primo, est forma ejus; unde cum intellectus divinus non possit esse forma in
humanitate Christi, oportet quod illud quo homo sentit et intelligit, sit
anima sensitiva et intellectiva. |
3. Comme on le dit dans Sur l’âme, II, ce par quoi quelque chose agit en premier est sa forme. Puisque l’intellect divin ne peut être forme dans l’humanité du Christ, il est donc nécessaire que ce par quoi l’homme sent et comprend soit l’âme sensible et intellectuelle. |
[7619] Super Sent., lib.
3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 ad s. c. Alia duo concedimus. |
Nous concédons les deux autres arguments en sens contraire. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[7620] Super Sent., lib.
3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem sciendum est, quod quidam posuerunt Deum
assumpsisse animam et corpus, non ita quod ex eorum conjunctione aliqua
humanitas resultaret; et haec opinio similiter veritatem humanitatis tollit,
et dignitatem corporis Christi: non enim Christus verus homo esse potuit, nec
corpus ejus vere vivum, nisi anima corpori unita fuisset ut forma ejus, ita
quod ex eis unum quid efficeretur. Sed de hac opinione infra dicetur, dist.
3, qu. 2, art. 2. Unde dicendum quod sicut in Christo verum corpus et vera
anima fuit; ita et vera humanitas, id est natura humana, ex conjunctione
utriusque resultans. |
Certains ont affirmé que Dieu a assumé une âme et un corps, mais non pas de telle sorte que, de l’union des deux, résulterait une humanité. Cette opinion enlève semblablement la vérité et la dignité de l’humanité [du Christ]. En effet, le Christ ne pouvait être un homme véritable et son corps ne pouvait être vivant, que si son âme était unie à son corps comme sa forme, de telle sorte qu’une seule réalité soit réalisée par eux. Mais on parlera de cette opinion plus loin, d. 3, q. 2, a. 2. De même que, dans le Christ, il y avait un corps véritable et une âme véritable, de même donc y avait-il une humanité véritable, c’est-à-dire une nature humaine qui résultait de l’union des deux. |
[7621] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3
qc. 3 ad 1 Ad primum circa hoc objectum dicendum, quod Damascenus dicere
intendit, quod non est facta unio in una natura, ut Eutychiani posuerunt; et
ideo vult quod ex conjunctione divinitatis ad humanitatem non resultet aliqua
natura communis tertia: quia illa nec esset divinitas nec humanitas, sicut
humanitas nec est anima neque corpus; unde Christus neque esset Deus neque
homo, sed tantum Christus. Non autem intendit, quod ex conjunctione animae ad
corpus non resultet forma totius, per quam in specie cum aliis hominibus
communicet. |
1. [Jean] Damascène veut dire que l’union ne s’est pas réalisée dans une seule nature, comme l’affirmaient les eutychiens. C’est pourquoi il veut que, de l’union de la divinité à l’humanité, ne résulte pas une troisième nature commune car celle-ci ne serait ni la divinité ni l’humanité, de même que l’humanité n’est ni l’âme ni le corps. Le Christ ne serait donc ni Dieu ni homme, mais seulement le Christ. Mais il ne veut pas dire que, de l’union de l’âme au corps, ne résulte pas la forme d’un tout, par laquelle il a une espèce commune avec les autres hommes. |
[7622] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod verbum Boetii veritatem habet in quolibet individuo quod
subsistit in una natura tantum: quia species comprehendit omnia essentialia
principia subsistentis individui in natura speciei; et sic etiam humanitas comprehendit
omnia essentialia Christi, secundum quod in humanitate subsistit. Sed illa
persona hoc singulariter habet ut in duabus naturis subsistat; et ideo
species humana non colligit omnia quae illi personae essentialiter conveniunt. |
2. La parole de Boèce est vraie pour tout individu qui subsiste dans une seule nature seulement, car l’espèce comprend tous les principes essentiels d’un individu subsistant dans la nature de l’espèce. L’humanité comprend donc tous les [principes] essentiels du Christ, pour autant qu’il subsiste dans l’humanité. Mais cette personne a en propre de subsister dans deux natures. L’espèce humaine ne rassemble donc pas tout ce qui convient à cette personne de manière essentielle. |
[7623] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3
qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum dicitur, nomine humanitatis corpus
et animam intelligi, intelligendum est materialiter, sicut nomine totius
intelliguntur partes; et non quod totum proprie loquendo sint suae partes,
sed aliquid ex partibus constitutum. |
3. Lorsqu’on dit que, par le mot « humanité », on entend le corps et l’âme, il faut l’entendre d’un point de vue matériel, comme dans le nom de « tout » les parties sont comprises. Mais [il ne faut pas comprendre] qu’il y a deux parties au sens propre, mais quelque chose constitué de deux parties. |
[7624] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 3 ad s. c. Alia duo concedimus. |
Nous concédons les deux autres arguments en sens contraire. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [L’ordre de l’assomption]
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Prooemium |
Prologue |
[7625] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 pr.
Deinde quaeritur de ordine assumptionis; et circa hoc quaeruntur tria: 1
utrum unam partem humanae naturae assumpserit mediante alia; 2 utrum humanam
naturam assumpserit mediante aliquo alio; 3 utrum omnes partes humanae
naturae simul tempore assumpserit. |
Ensuite, on s’interroge sur l’ordre de l’assomption. À ce propos, trois questions sont posées : 1 – [Le Fils de Dieu] a-t-il assumé une partie de la nature humaine par l’intermédiaire de l’autre ? 2 – A-t-il assumé la nature humaine par l’intermédiaire de quelque chose d’autre ? 3 – A-t-il assumé toutes les parties de la nature humaine en même temps ? |
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Articulus 1 [7626] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1
tit. Utrum
assumpserit carnem mediante anima |
Article 1 – Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair par l’intermédiaire de l’âme ?] |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair par l’intermédiaire de l’âme ?] |
[7627] Super Sent., lib.
3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod carnem
non assumpserit mediante anima. Remoto enim medio quo aliqua conjunguntur,
extrema separantur, sicut patet in tabulis quae per clavum conjunguntur. Sed in morte Christi separata est anima a
carne; nec tamen separata est deitas a carne. Ergo anima non est medium quo
deitas unitur carni. |
1. Il semble qu’il n’ait pas assumé la chair par l’intermédiaire de l’âme. En effet, une fois enlevé l’intermédiaire par lequel certaines choses sont unies, les extrêmes sont séparés, comme cela ressort pour les planches unies par un clou. Or, dans la mort du Christ, l’âme a été séparée de la chair ; cependant, la divinité n’a pas été séparée de la chair. L’âme n’est donc pas l’intermédiaire par lequel la divinité est unie à la chair. |
[7628] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, unum
extremorum quae conjunguntur per medium, magis conjungitur medio quam alteri
extremo. Sed caro non magis conjungitur animae quam deitati: est enim caro ab
anima separata in morte, non tamen a deitate. Ergo divinitas non est unita
carni mediante anima. |
2. L’un des extrêmes qui sont unis par un intermédiaire est plus uni à l’intermédiaire qu’à l’autre extrême. Or, la chair n’est pas plus unie à l’âme qu’à la divinité : en effet, la chair a été séparée de l’âme dans la mort, mais non de la divinité. La divinité n’est donc pas unie à la chair par l’intermédiaire de l’âme. |
[7629] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
Deus in qualibet creatura est immediate per essentiam, praesentiam, et
potentiam: similiter etiam animae sanctae conjungitur immediate per gratiam. Cum ergo major sit
conjunctio unionis quam aliqua praedictarum, videtur quod quidquid assumitur
ad unitatem personae, immediate divinitati conjungatur. |
3. Dieu existe en chaque créature par son essence, sa présence et sa puissance ; de même, est-il uni de manière immédiate à l’âme sainte par la grâce. Puisque l’association par l’union est plus grande que n’importe quelle de celles qui ont été mentionnées, il semble donc que tout ce qui assumé dans l’unité de la personne est uni à Dieu de manière immédiate. |
[7630] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Augustinus ad Volusianum dicit: filius Dei
assumpsit animam rationalem, et per eam sibi corpus aptavit; et ita
videtur quod mediante anima filius Dei carnem assumpserit. |
Cependant, [1] Augustin dit à Volusien: «Le Fils de Dieu a assumé une âme raisonnable et, par l’intermédiaire de celle-ci, il s’est approprié un corps. » Il semble donc que le Fils de Dieu a assumé la chair par l’intermédiaire de l’âme. |
[7631] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, multum
distantia non conjunguntur nisi per medium, quod minus distat ab extremis
quam extrema ad invicem. Sed corpus plus distat a deitate quam anima. Ergo corpus unitur
deitati mediante anima. |
[2] Les choses très distantes ne sont unies que par un intermédiaire, qui est moins distant des extrêmes que les extrêmes entre eux. Or, le corps est plus distant de la divinité que l’âme. Le corps est donc uni à la divinité par l’intermédiaire de l’âme. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé l’âme par l’intermédiaire de l’esprit ?] |
[7632] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non assumpserit animam mediante spiritu.
Impossibile enim est ut per idem medium uniatur aliquid superiori et inferiori;
quia illud quo unitur inferiori, est infra ipsum; illud quo unitur superiori,
est supra ipsum. Sed anima
mediante spiritu unitur corpori, quod est infra ipsum, ut quidam dicunt. Ergo
non unitur Deo, qui est supra eam, mediante spiritu. |
1. Il semble qu’il n’ait pas assumé l’âme par l’intermédiaire de l’esprit. En effet, il est impossible que quelque chose de supérieur et d’inférieur soit uni par le même intermédiaire, car ce par quoi cela est uni à ce qui est inférieur lui est inférieur, et ce par quoi il est uni à ce qui est supérieur lui est supérieur. Or, l’âme est unie au corps, qui lui est inférieur, par l’intermédiaire de l’esprit, comme certains le disent. Elle n’est donc pas unie à Dieu, qui lui est supérieur, par l’intermédiaire de l’esprit. |
[7633] Super Sent., lib.
3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, medium oportet differre ab extremis.
Sed mens quae spiritus dicitur ab Augustino, non est extra essentiam animae,
immo est id quod in anima nostra est sublimius, in qua imago Dei invenitur,
ut idem Augustinus dicit. Ergo non assumpsit animam mediante spiritu. |
2. Il est nécessaire que l’intermédiaire diffère des extrêmes. Or, la mens, qui est appelée esprit par Augustin, n’est pas en dehors de l’âme ; bien plutôt, elle est ce qu’il y a de plus sublime dans notre âme, où se trouve l’image de Dieu, comme le dit le même Augustin. Il n’a donc pas assumé l’âme par l’intermédiaire de l’esprit. |
[7634] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1
qc. 2 arg. 3 Praeterea, spiritus humanus differt in hoc ab angelico quod est
animae unitus et carni: quod Angelo non convenit. Sed spiritus angelicus non est assumptibilis:
ut supra dictum est, qu. 2, art. 1, quaestiunc. 3. Ergo quod spiritus humanus
sit assumptibilis, est ex ratione animae, vel ex ratione carnis. Ergo magis
assumpsit spiritum mediante carne vel anima, quam e converso. |
3. L’esprit humain diffère de l’esprit angélique par le fait qu’il est aussi uni à la chair, ce qui ne convient pas à l’ange. Or, l’esprit angélique ne peut pas être assumé, comme on l’a dit plus haut, q. 2, a. 1, qa 3. Que l’esprit humain puisse être assumé, c’est donc soit en raison de l’âme, soit en raison de la chair. Il a donc plutôt assumé l’esprit par l’intermédiaire de la chair ou de l’âme, que l’inverse. |
[7635] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1
qc. 2 s. c. 1 Sed contra, ea
quae sunt distantia, per aliquid utrique proximum conjunguntur. Sed spiritus
proximus est Deo per similitudinem imaginis, quia et ipse Deus spiritus est,
ut dicitur Joan. 4: similiter etiam cum anima convenit in hoc quod pars
quaedam animae est. Ergo Deus animam mediante spiritu assumpsit. |
Cependant, [1] les réalités qui sont distantes sont réunies par quelque chose qui est proche des deux. Or, l’esprit est plus proche de Dieu par la similitude de l’image, car Dieu lui-même est esprit, comme il est dit en Jn 4 ; de même aussi, il a quelque chose en commun avec l’âme du fait qu’il est une partie de l’âme. Dieu a donc assumé l’âme par l’intermédiaire de l’esprit. |
[7636] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1
qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut anima corpore, ita aliis partibus animae
spiritus superior est. Sed Deus assumpsit corpus mediante anima. Ergo eadem ratione assumpsit
animam mediante spiritu. |
[2] De même que l’âme est supérieure au corps, de même l’esprit l’est-il aux autres parties de l’âme. Or, Dieu a assumé le corps par l’intermédiaire de l’âme. Pour la même raison, il a donc assumé l’âme par l’intermédiaire de l’esprit. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé le tout par l’intermédiaire des parties ?] |
[7637] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non assumpserit totum mediantibus
partibus. Illud enim quod convenit toti ratione partium, non solum convenit
toti, sed etiam partibus. Sed deitas non praedicatur de partibus humanae
naturae (non enim dicimus quod anima sit Deus, vel quod corpus sit Deus):
praedicatur autem de toto cum dicimus Deum hominem esse. Ergo cum per
assumptionem humanae naturae praedicetur Deus de homine, et e converso,
videtur quod partes non assumpserit nisi mediante toto. |
1. Il semble qu’il n’ait pas assumé le tout par l’intermédiaire des parties. En effet, ce qui convient au tout en raison des parties ne convient pas seulement au tout, mais aussi aux parties. Or, la divinité n’est pas prédiquée des parties de la nature humaine (en effet, nous ne disons pas que l’âme est Dieu, ou que le corps est Dieu), mais elle est prédiquée du tout, lorsque nous disons que Dieu est homme. Puisque, par l’assomption de la nature humaine, Dieu est prédiqué de l’homme et inversement, il semble donc qu’il n’ait assumé les parties que par l’intermédiaire du tout. |
[7638] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1
qc. 3 arg. 2 Praeterea,
alia est singularitas uniuscujusque partis hominis, et singularitas divinae
personae vel incommunicabilitas, quia partes sunt plures, sed persona
assumens una est. Est autem eadem singularitas personae assumentis et totius
hominis, quia eadem est hypostasis utriusque, ut dicit Damascenus. Ergo
videtur quod partes non assumpserit nisi mediante toto. |
2. Autre est la singularité de n’importe quelle partie de l’homme, et la singularité d’une personne divine ou son incommunicabilité, car il y a plusieurs parties, mais la personne qui assume est unique. Or, la singularité de la personne qui assume et celle de tout l’homme sont la même, car l’hypostase est la même pour les deux, comme le dit [Jean] Damascène. Il semble donc qu’il n’ait assumé les parties que par l’intermédiaire du tout. |
[7639] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1
qc. 3 arg. 3 Praeterea, creaturae cui est unita divinitas debetur honor
latriae, ut infra dicetur, dist. 9, qu. 1, art. 2. Sed aliquibus partibus
corporis Christi, si essent separatae, non deberetur honor latriae. Ergo
partibus separatis a toto non est unita divinitas. Ergo non est unita
partibus nisi mediante toto. |
3. L’honneur de latrie est dû à la créature à laquelle est unie la divinité, comme on le dira plus loin, d. 9, q. 1, a. 2. Or, l’honneur de latrie ne serait pas dû aux parties du corps du Christ, si elles étaient séparées. La divinité n’a donc pas été unie aux parties séparées du tout. Elle n’a donc été unie aux parties que par l’intermédiaire du tout. |
[7640] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1
qc. 3 arg. 4 Sed contra, in
morte Christi divinitas partibus hominis, scilicet corpori et animae, unita
mansit. Sed tunc ex partibus, cum conjunctae non essent, totum non constabat.
Ergo non assumpsit partes mediante toto. |
4. Dans la mort du Christ, la divinité est restée unie aux parties de l’homme, à savoir, au corps et à l’âme. Or, le tout n’était pas constituté des parties, alors que celles-ci n’étaient pas unies. Il n’a donc pas assumé les parties par l’intermédiaire du tout. |
[7641] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1
qc. 3 arg. 5 Praeterea,
quidquid convenit parti et toti, per prius convenit parti quam toti. Sed
dicimus humanam naturam assumptam esse, et similiter partes ejus, scilicet
animam et carnem. Ergo per prius assumpsit partes quam totum; et ita non
partes mediante toto assumpsit. |
5. Tout ce qui convient à la partie et au tout convient d’abord à la partie plutôt qu’au tout. Or, nous disons que la nature humaine a été assumée, de même que ses parties, à savoir, l’âme et la chair. Il a donc d’abord assumé les parties plutôt que le tout, et ainsi n’a-t-il pas assumé les parties par l’intermédiaire du tout. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[7642] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod est duplex medium,
scilicet congruentiae, et necessitatis. Medium congruentiae est quod facit ad
decentem conjunctionem extremorum, quae tamen nihilominus sine illo esse
posset, sicut pulchritudo facit ad decentem conjunctionem matrimonii, qua
tamen amissa, matrimonium non solvitur. Medium autem necessitatis est sine
quo conjunctio extremorum esse non potest, sicut lumen conjungitur aeri mediante
diaphaneitate. Hoc tamen contingit dupliciter: quia vel est causa
conjunctionis, vel est ad conjunctionem consequens. Conjunctionis causa est
medium, sicut aqua et aer in visu: quia per aerem redditur species visibilis
ipsi visui. Consequens autem conjunctionem est quod ex conjunctorum
dispositione causatur, sicut aer vel aqua est medium in tactu: propter hoc
oportet extremitates corporum se tangentium humidas esse; et ita oportet
humiditatem aliquam intermediam esse. Medium autem quod est causa
conjunctionis, est duplex: quia vel conjungit effective, sicut homo reconcilians
inimicos, dicitur medius inter eos: vel conjungit formaliter, sicut amor
conjungit amicos, ut medium quoddam inter eos. Sed utrumque horum adhuc
dupliciter contingit: quia medium necessitatis vel causa conjunctionis est in
actu, ut patet in vinculo quo aliqua colligantur, vel est causa
conjungibilitatis, sicut siccitas in lignis causat conjungibilitatem ad
ignem. His igitur visis, ad primam quaestionem dicendum, quod anima est
quodammodo medium quo corpus divinitati unitur. Sed sciendum, quod si anima
comparetur ad unionem in actu, est medium congruentiae tantum: non enim decet
ut divinitas corpori uniatur, nisi habeat animam: tum quia est Deo
propinquior, tum quia pluribus modis est Deo unibilis quam corpus, quia etiam
per gratiam et gloriam; tum etiam quia corpori unitur propter reparationem
animae. Si vero comparetur ad unibilitatem, sic est medium necessitatis,
sicut causans formaliter unibilitatem in corpore; non enim corpus est unibile
servato ordine ad finem unionis (secundum quod creatura rationalis prae aliis
assumptibilis dicta est) nisi per hoc quod particeps est imaginis Dei
mediante anima; unde corpora inanimata unibilia non sunt. |
Il existe un double intermédiaire : de convenance et de nécessité. L’intermédiaire de convenance est celui qui réalise l’union appropriée des extrêmes, laquelle pourrait néanmoins exister sans lui, comme la beauté contribue à l’union appropriée du mariage, mais si elle est en retirée, le mariage n’est pas dissous. Mais l’intermédiaire nécessaire est celui sans lequel l’union des extrêmes ne peut exister, comme la lumière est unie à l’air par l’intermédiaire du diaphane. Cela se produit cependant de deux manières, car soit il est la cause de l’union, soit il découle de l’union. L’intermédiaire est cause de l’union comme l’eau et l’air pour la vision, car l’espèce est rendue visible à la vue elle-même par l’air. Mais découle de l’union ce qui est causé par la disposition de ce qui est uni, comme l’air ou l’eau est l’intermédiaire du toucher. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire que les extrémités des corps qui se touchent soient humides : ainsi est-il nécessaire qu’une humidité soit intermédiaire. Or, l’intermédiaire qui est cause de l’union est double : soit il unit effectivement, comme l’homme qui réconcilie des ennemis est appelé un intermédiaire entre eux ; soit il unit formellement, comme l’amour unit des amis en tant qu’il est un certain intermédiaire entre eux. Mais ces deux choses se produisent encore d’une double manière, car l’intermédiaire nécessaire est soit la cause de l’union dans l’acte, comme cela ressort pour le lien par lequel certaines choses sont attachées ; soit il est la cause du fait de pouvoir être uni, comme la sécheresse du bois cause sa capacité d’être uni au feu. Après avoir vu cela, il faut donc dire, à propos de la première question, que l’âme est d’une certaine manière l’intermédiaire par lequel la divinité est unie au corps. Mais il faut savoir que si l’âme est comparée à l’union en acte, elle est un intermédiaire de convenance seulement. En effet, il ne sied pas que la divinité soit unie au corps s’il n’a pas d’âme, tant parce que celle-ci est plus proche de Dieu, que parce qu’elle peut être unie à Dieu de plus de manières que le corps, car elle le peut aussi par la grâce et par la gloire ; soit aussi parce que [la divinité] est unie au corps en vue de la restauration de l’âme. Mais si elle est comparée à la possibilité d’union, elle est ainsi un intermédiaire nécessaire, en tant qu’elle est cause formellement la possibilité d’union dans le corps. En effet, en respectant l’ordre, le corps ne peut être uni à la fin de l’union (selon que la créature raisonnable a été dite plus apte à être assumée que les autres), que parce qu’il participe à l’image de Dieu par l’intermédiaire de l’âme. C’est pourquoi les corps inanimés ne sont pas susceptibles d’union. |
[7643] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod si tollatur medium quod est causa conjunctionis in actu,
necesse est unita dissolvi, sicut subtracto amore, hominum corda ulterius
unum non erunt: semper enim ablata causa aufertur effectus. Subtracto tamen medio
congruentiae, quod ad decentiam unionis faciebat, non est necessarium unita
dissolvi. Similiter autem non est necessarium ut si tollatur medium, quod est
causa conjungibilitatis, unio dissolvatur: potest enim esse ut causet
conjungibilitatem etiam postquam abscesserit, dummodo remaneat ordo et
possibilitas ad ipsum, quia forte conjunctio actualis medii non est causa
conjungibilitatis ad extremum, sed potius conjungibilitas medii; sicut
actualis consideratio principiorum est medium quo habitus conclusionum acquiritur;
non tamen transeunte actuali consideratione principiorum, transit habitus conclusionis,
eo quod adhuc manet habilitas ad considerandum principia. Unde cum anima sit
medium congruentiae, et causans unibilitatem in corpore, non oportet quod
abscedente anima conjunctio divinitatis ad carnem dirimatur: quia adhuc
remanet in corpore habilitas et ordo ad animam, ratione cujus remanet in
carne convenientia unionis, et unibilitas ad divinitatem. |
1. Si on enlève l’intermédiaire qui est cause de l’union en acte, il est nécessaire que ce qui est uni soit dissous, de même que, si l’amour est enlevé, les cœurs des hommes ne seront plus une seule réalité : en effet, lorsque la cause est enlevée, l’effet est toujours enlevé. Cependant, si on enlève l’intermédiaire de convenance, qui donnait sa convenance à l’union, il n’est pas nécessaire que ce qui est uni soit dissous. De même n’est-il pas nécessaire qu’une fois enlevé l’intermédiaire qui est la cause de l’aptitude à d’union, l’union soit dissoute : en effet, il peut arriver qu’il cause l’aptitude à l’union même après qu’il ait été écarté, pourvu que demeurent l’ordre et la possibilité par rapport à lui, car peut-être l’union actuelle avec l’intermédiaire n’est-elle pas cause de l’aptitude à l’union avec un extrême, mais plutôt de l’aptitude à l’union avec l’intermédiaire : ainsi, la considération actuelle des principes est l’intermédiaire par lequel l’habitus des conclusions est acquis ; cependant, l’habitus de la conclusion ne passe pas, alors que la considération actuelle des principes passe, du fait que demeure encore la capacité de considérer les principes. Puisque l’âme est un intermédiaire de convenance, qui cause la capacité d’union dans le corps, il n’est donc pas nécessaire que, lorsque l’âme se retire, l’union de la divinité avec la chair soit abolie, car demeurent encore dans le corps l’aptitude et l’ordre à l’âme, en raison de quoi demeurent dans la chair la convenance de l’union et la possibilité d’union avec la divinité. |
[7644] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1
qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aliqua duo possunt esse magis conjuncta
quam alia, dupliciter. Vel quia
pluribus modis conjunguntur; et sic anima magis unitur carni quam deitas,
quia anima est forma ejus; et hoc modo est medium formaliter unibilitatem in
ipso causans: vel quia fortiori vinculo conjunguntur; et sic deitas magis
unitur carni quam anima, quae unitur ei naturali unione, propter quod separabilis
est; divinitas autem unitur carni per gratiam increatam, quae immutabilis
est; et ideo illa unio nunquam separatur. |
2. Deux choses peuvent être plus unies que d’autres de deux manières. Soit parce qu’elles sont unies d’un plus grand nombre de manières, et ainsi l’âme est davantage unie à la chair que la divinité, parce que l’âme est sa forme ; de cette manière, elle est l’intermédiaire qui cause formellement en lui la possibilité d’union. Soit parce qu’elles sont unies par un lien plus fort, et ainsi la divinité est davantage unie à la chair que l’ame, qui lui est unie selon une union naturelle, en raison de quoi elle peut en être séparée, alors que la divinité est unie à la chair par une grâce incréée, qui est immuable. Aussi cette union n’est-elle jamais séparée. |
[7645] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod creatura ex seipsa receptibilis est divini influxus in ipsam;
et ideo non indiget medio quod faciat eam possibilem ad hoc quod Deus in ea
sit per essentiam, praesentiam et potentiam: neque etiam indiget medio
congruentiae, quia decentissimum est ut creatura a creatore non deseratur.
Similiter etiam anima secundum sui naturam capax est Dei; corpus autem non
est assumptibile per naturam corporis, sed inquantum est perfectum anima
rationali; et ideo non est simile. |
3. La créature est par elle-même capable de recevoir l’influence divine en elle. Aussi n’a-t-elle pas besoin d’un intermédiaire qui la rende capable que Dieu existe en elle par son essence, sa présence et sa puissance ; elle n’a pas non plus besoin d’un intermédiaire de convenance, car il convient au plus haut point que la créature ne soit pas abandonnée par son Créateur. De même aussi, l’âme est-elle capable de Dieu par sa nature. Mais le corps n’est pas susceptible d’ête assumé par la nature du corps, mais pour autant qu’il est perfectionné par l’âme raisonnable. Ce n’est donc pas la même chose. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[7646] Super Sent., lib.
3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
dicendum, quod secundum Augustinum, spiritus multipliciter dicitur. Uno modo
ipsum corpus subtile, ut aer. Alio modo corpus animae omnino subjectum, sicut
corpora sanctorum in resurrectione, 1 Corinth. 15. Tertio modo quaelibet
anima brutorum; Eccle. 3: quis novit (...) si spiritus jumentorum
descendat deorsum ? Quarto virtus imaginaria, 1 Corinth., 14, 15: psallam
spiritu, psallam mente. Quinto ipsa mens hominis vel Angeli, Ephes. 4,
23: renovamini spiritu mentis vestrae. Sexto ipsa divina substantia,
Joan. 4, 24: spiritus est Deus. Nunc autem loquimur de spiritu
secundum quod pro mente ponitur. Unde dicendum, quod divinitas mediante
spiritu animam assumpsit, sicut anima mediante, corpus; sicut enim corpus non
est assumptibile nisi per hoc quod habet animam; ita anima non est assumptibilis
nisi per hoc quod mens in ea est, per quam imaginem Dei habet. |
Selon Augustin, on parle de l’esprit de plusieurs manières. D’une manière, un corps est lui-même subtil, tel l’air. D’une autre manière, un corps est entièrement soumis à l’âme, comme les corps des saints lors de la résurrection, 1 Co 15. D’une troisième manière, n’importe quelle âme d’animaux sans raison. Si 3 : Qui sait… si l’esprit des animaux ne descend pas sous terre ? Quatrièment, la puissance imaginative, 1 Co 14, 15 : Que je chante avec l’esprit, que je chante avec l’intelligence. Cinquièmement, l’esprit même de l’homme ou de l’ange, Ep 4, 23 : Que votre esprit soit spirituellement restauré. Sixièmement, la substance divine elle-même, Jn 4, 24 : Dieu est esprit. Mais ici, nous parlons de l’esprit (spiritu) qui signifie l’âme (mente). Il faut donc dire que la divinité a assumé l’âme par l’intermédiaire de l’esprit, comme elle a assumé le corps par l’intermédiaire de l’âme. En effet, de même que le corps n’est susceptible d’être assumé que s’il a une âme, de même l’âme n’est-elle susceptible d’être assumée que s’il y a en elle un esprit, par lequel elle possède l’image de Dieu. |
[7647] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo circa hoc objectum dicendum, quod ratio illa
procedit ex aequivocatione spiritus, ut ex dictis patet. |
1. Cet argument vient du caractère équivoque d’esprit, comme cela ressort de ce qui a été dit. |
[7648] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod quamvis spiritus, idest mens, non differat ab anima per
essentiam, nisi mens dicatur potentia animae, quae quodammodo ab anima per
essentiam differt, sicut proprietas a subjecto; tamen anima non ex hoc quod
est anima, assumptibilis est modo praedicto, sed ex hoc quod mentem habet; et
ideo mens est medium in anima assumptibilitatem causans. |
2. Bien que l’esprit, c’est-à-dire la mens, ne soit pas essentiellement différent de l’âme, si ce n’est qu’il est appelé une puissance de l’âme, qui diffère essentiellement de l’âme d’une certaine manière comme la propriété de son sujet, cependant, l’âme n’est pas susceptible d’être assumée de la manière dite du fait qu’elle est âme, mais du fait qu’elle possède une mens. Ainsi, la mens est-elle, à l’intérieur de l’âme, un intermédiaire qui cause l’aptitude à être assumée. |
[7649] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1
qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis forma materialis non possit esse
sine materia, tamen materia non dat esse formae, sed e converso; ita etiam
quamvis spiritus carni non unitus assumptibilis non sit, magis tamen spiritus
causat assumptibilitatem in corpore quam e converso. |
3. Bien qu’une forme matérielle ne puisse exister sans la matière, la matière ne donne cependant pas l’être à la forme, mais c’est l’inverse. De même aussi, bien qu’un esprit qui n’est pas uni à la chair ne soit pas susceptible d’être assumé, l’esprit cause cependant davantage l’aptitude à être assumé dans le corps que l’inverse. |
[7650] Super Sent., lib.
3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 ad s. c. Alia duo concedimus. |
Nous concédons les deux arguments en sens contraire. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[7651] Super Sent., lib.
3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod partes originaliter sunt priores
toto, quasi constituentes ipsum; totum autem completive est prius partibus,
quia ratio naturae completae invenitur prius in ipso toto, et ad partes ejus
pervenit mediante toto, inquantum ejus partes sunt; unde etiam sunt in genere
per reductionem. Et ideo dicendum est, quod quodammodo mediantibus partibus
assumpsit totum, inquantum scilicet partes originaliter humanam naturam
constituebant, cui per se assumptio debebatur; quodammodo autem partes
mediante toto, inquantum ratio humanae naturae, quae per se assumptibilis
est, per prius invenitur in toto, et per hoc in partibus. |
Selon l’origine, les parties sont antérieures au tout en tant qu’elles le constituent ; mais, du point de vue de l’achèvement, le tout est antérieur aux parties, car la raison de la nature achevée se trouve d’abord dans le tout lui-même et elle parvient à ses parties par l’intermédiaire du tout, pour autant qu’elles sont ses parties. Aussi sont-elles dans le [même] genre par réduction. Il faut donc dire que, d’une certaine manière, il a assumé le tout par l’intermédiaire des parties, pour autant que les parties constituaient à l’origine la nature humaine, à laquelle est due le fait d’être assumée. Mais, d’une certaine manière, [il a assumé] les parties par l’intermédiaire du tout, pour autant que la raison de la nature humaine, qui est susceptible d’être assumée par elle-même, se trouve d’abord dans le tout, et dans les parties par l’intermédiaire de celui-ci. |
[7652] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis de partibus humanae naturae
Deus non praedicetur, tamen partes illae causant originaliter
assumptibilitatem in toto; sicut homo dicitur animal, non autem corpus vel
anima dicitur animal, quamvis ex corpore et anima causetur in homine quod
animal sit. |
1. Bien que Dieu ne soit pas prédiqué des parties de la nature humaine, ces parties causent cependant selon l’origine l’aptitude à être assumé dans le tout ; ainsi dit-on que l’homme est un animal, mais ni le corps ni l’âme ne sont appelés un animal, bien que le corps et l’âme causent en l’homme qu’il soit un animal. |
[7653] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1
qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod est duplex
singularitas: scilicet singularitas naturae, ut haec humanitas; et singularitas
subsistentis in natura, ut hic homo. Non autem est facta unio in
singularitate naturae, quia naturae inalterabiliter unitae sunt; sed est
facta unio in singularitate personae subsistentis in natura, quia idem
Christus in utraque natura subsistit. Singularitas autem partium, inquantum
partes sunt, ad naturam pertinet; et ideo non est eadem singularitas partium
hominis et Dei; sed est eadem persona hominis et Dei: nec tamen sequitur quod
partes non causent assumptibilitatem in toto. |
2. Il existe une double singularité : la singularité de nature, comme cette humanité ; et la singularité de ce qui subsiste dans une nature, comme cet homme. Or, l’union n’a pas été réalisée dans la singularité de la nature, car les natures sont unies d’une manière inaltérable ; mais l’union a été faite dans la singularité de la personne subsistant dans la nature, car le même Christ subsiste dans les deux natures. Mais la singularité des parties, en tant qu’elles sont des parties, relève de la nature. C’est pourquoi la singularité des parties de l’homme et de Dieu n’est pas la même ; mais la personne de l’homme et de Dieu est la même. Il n’en découle cependant pas que les parties ne causent pas l’aptitude à être assumé dans le tout. |
[7654] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc.
3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in omnibus partibus quae sunt de veritate
humanae naturae, etiam separatis, manet ordo ad totam naturam; et ideo remanet
in eis assumptibilitas, et per consequens unio, sicut in corpore Christi
remansit anima separata; unde et eis latria deberetur. Si autem separarentur aliquae partes quae
non essent de veritate humanae naturae, non remaneret in eis ordo ad naturam
humanam, cui principaliter assumptio debetur; et ideo non remaneret unio, nec
debitum latriae. |
3. Dans toutes les parties qui appartiennent à la vérité de la nature humaine, même dans celles qui sont séparées, demeure un ordre à la nature tout entière. C’est pourquoi l’aptitude à être assumé demeure en elles et, par conséquent, l’union, comme l’âme séparée est demeurée dans le corps du Christ ; pour cette raison, la latrie leur serait due. Mais si certaines parties qui n’appartiendraient pas à la vérité de la nature humaine étaient séparées, il ne resterait pas en elles un ordre à la nature humaine, auquel le fait d’être d’assumé est principalement dû. Aussi l’union ne demeurerait-elle pas ni la dette de la latrie. |
[7655] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1
qc. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod sicut corpus remanet unitum post animam, quamvis mediante
anima uniatur, propter hoc quod remanet in corpore ordo ad animam; ita etiam
remanet ordo in partibus ad totum; et propter hoc, dissoluto toto adhuc
remanent partes unitae. |
4. De même que le corps demeure uni après l’âme, bien qu’il soit uni par l’intermédiaire de l’âme, parce que demeure dans le corps un ordre à l’âme, de même demeure l’ordre des parties au tout. Pour cette raison, une fois le tout dissous, les parties demeurent encore unies. |
[7656] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1
qc. 3 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod quamvis partes sint priores toto et causent totum, tamen
aliquid est quod non convenit partibus nisi in ordine ad totum, sicut quod
ordinentur in praedicamento: unde ratio ex falsis procedit. |
5. Bien que les parties soient antérieures au tout et causent le tout, il existe cependant quelque chose qui ne convient aux parties que selon l’ordre au tout, comme le fait qu’elles soient ordonnées dans un prédicament. Aussi l’argument vient-il de [prémisses] fausses. |
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Articulus 2 [7657] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2
tit. Utrum natura humana sit assumpta mediante
gratia |
Article 2 – La nature humaine est-elle assumée par l’intermédiaire de la grâce ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La nature humaine est-elle assumée par l’intermédiaire de la grâce ?] |
[7658] Super Sent., lib.
3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod
natura humana assumpta sit mediante gratia. Sicut enim dicit Augustinus, in
rebus per tempus exortis summa gratia est quod Deus in unitate personae
homini nullis meritis praecedentibus copulatur. Sed in his quae fiunt per
gratiam gratia medium cadit. Ergo natura humana unitur divinitati mediante gratia. |
1. Il semble que la nature humaine soit assumée par l’intermédiaire de la grâce. En effet, comme le dit Augustin, « parmi les choses apparues dans le temps, la plus grande grâce est que Dieu soit uni à un homme dans l’unité de la personne sans aucun mérite qui ait précédé ». Or, dans ce qui est réalisé par la grâce, la grâce joue le rôle d’intermédiaire. La nature humaine est donc unie à la divinité par l’intermédiaire de la grâce. |
[7659] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea,
major est unio in persona quam unio animae beatae ad Deum per fruitionem. Sed
anima non potest uniri Deo per modum fruitionis nisi mediante gratia. Ergo
nec natura humana potest assumi in unitatem divinae personae nisi mediante
gratia. |
2. L’union dans la personne est plus grande que l’union de l’âme bienheureuse à Dieu par la fruition. Or, l’âme ne peut être unie à Dieu par mode de fruition que par l’intermédiaire de la grâce. La nature humaine ne peut donc pas non plus être assumée dans l’unité d’une personne divine sans l’intermédiaire de la grâce. |
[7660] Super Sent., lib. 3 d. 2
q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, in illud
quod facultatem naturae excedit, natura non potest pervenire nisi mediante
gratia. Sed assumi in
unitatem divinae personae est maxime excedens facultatem naturae. Ergo in hoc natura non potest pervenire,
nisi per gratiam elevetur; et sic idem quod prius. |
3. La nature ne peut parvenir que par l’intermédiaire de la grâce à ce qui dépasse la capacité de la nature. Or, être assumée dans l’unité d’une personne divine dépasse au plus haut point la capacité de la nature. La nature ne peut donc parvenir à cela que si elle est élevée par la grâce. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[7661] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, corpus humanum non est susceptibile gratiae, et
tamen assumptum est sicut et anima. Ergo assumptio humanae naturae non est
facta mediante gratia. |
Cependant, [1] le corps humain n’est pas apte à recevoir la grâce, et il est cependant assumé comme l’âme. L’assomption de la nature humaine n’a donc pas été réalisée par l’intermédiaire de la grâce. |
[7662] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, in his quae
miraculose fiunt, non requiritur aliquod medium disponens. Sed assumptio humanae
naturae miraculose est facta. Ergo non oportuit quod esset ibi gratia aliqua,
quasi disponens humanam naturam in unionem. |
[2] Dans ce qui est accompli miraculeusement, un intermédiaire qui dispose n’est pas nécessaire. Or, l’assomption de la nature humaine a été réalisée miraculeusement. Il n’était donc pas nécessaire qu’il y ait là quelque grâce qui aurait disposé la nature humaine à l’union. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair par l’intermédiaire du Saint-Esprit ?] |
[7663] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod filius Dei carnem assumpsit mediante
spiritu sancto. Verbum enim creatum non unitur voci, nisi mediante spiritu.
Sed sicut verbum mentis humanae unitur voci, ita verbum divinum unitur carni,
ut dicit Augustinus. Ergo illa unio facta est mediante spiritu sancto. |
1. Il semble que le Fils de Dieu ait assumé la chair par l’intermédiaire du Saint-Esprit. En effet, le verbe créé n’est uni à la voix que par l’intermédiaire de l’esprit. Or, « de même que le verbe de l’esprit humain est uni à la voix, de même le Verbe divin est-il uni à la chair », comme le dit Augustin. Cette union a donc été réalisée par la médiation du Saint-Esprit. |
[7664] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in omni
conjunctione quae fit per gratuitam voluntatem, amor medium cadit. Sed unio filii Dei ad
humanam naturam est hujusmodi. Ergo in ea spiritus sanctus, qui est amor,
medium est. |
2. Dans toute union qui est réalisée par une volonté gratuite, l’amour joue le rôle d’intermédiaire. Or, l’union du Fils de Dieu à la nature humaine est de ce genre. En elle, l’Esprit Saint, qui est amour, est donc un intermédiaire. |
[7665] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 3 Praeterea, secundum Augustinum et Hilarium, inter tres personas
spiritus sanctus
est nobis propinquior. Sed id quod alicui magis propinquat, est medium quo
magis distanti unitur. Ergo spiritus sanctus est medium quo unitur humana
natura divinae. |
3. Selon Augustin et Hilaire, l’Esprit Saint est la plus proche de nous des trois personnes. Or, ce qui est plus rapproché de quelqu’un est un intermédiaire par lequel il est uni à ce qui est plus éloigné. L’Esprit Saint est donc un intermédiaire par lequel la nature humaine est unie à la nature divine. |
[7666] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, medium magis
unitur utrique extremorum quam extrema ad invicem. Sed spiritus sanctus non unitur humanitati
in persona. Ergo non est medium unionis. |
Cependant, l’intermédiaire est plus uni aux deux extrêmes que les extrêmes entre
eux. Or, l’Esprit Saint n’est pas uni à l’humanité dans sa personne. Il n’est
donc pas l’intermédiaire de l’union. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [L’union joue-t-elle le rôle d’intermédiaire entre la nature humaine et la nature divine ?] |
[7667] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nec unio cadat medium inter humanam
naturam et divinam. Nullum enim accidens cadit medium in aliqua substantiali
unione. Sed unio, cum sit relatio, accidens quoddam est. Ergo cum unio
divinitatis ad humanitatem non sit accidentalis, sed in substantia, quae
hypostasis dicitur, videtur quod in illa unione medium cadere non possit. |
1. Il semble que l’union non plus ne joue pas le rôle d’intermédiaire entre la nature humaine et la nature divine. En effet, aucun accident ne joue le rôle d’intermédiaire dans une union substantielle. Or, l’union, puisqu’elle est une relation, est un accident. Puisque l’union de la divinité à l’humanité n’est pas accidentelle, mais se réalise dans la substance, qu’on appelle hypostase, il semble donc qu’elle ne puisse jouer le rôle d’intermédiaire dans cette union. |
[7668] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2
qc. 3 arg. 2 Praeterea, si
unio illa res aliqua est, aut est aeterna, aut temporalis. Si aeterna, cum
compositionem non sit intelligere sine componentibus, ut dicit philosophus,
oporteret quod homo ab aeterno Deo unitus fuisset. Si temporalis, cum unio
sit in utroque extremorum, videtur quod aliquod temporale in Deo sit; quod
est impossibile. Ergo unio non est aliqua res cadens medium inter humanam
naturam et divinam. |
2. Si cette union est une réalité, elle est soit éternelle, soit tempoelle. Si elle est éternelle, puisque la composition ne peut se comprendre sans les composantes, comme le dit le Philosophe, il faudrait que l’homme ait été éternellement uni à Dieu. Si elle est temporelle, puisque l’union existe dans les deux extrêmes, il semble que quelque chose de temporel existe en Dieu, ce qui est impossible. L’union n’est donc pas une réalité qui joue le rôle d’intermédiaire entre la nature humaine et la nature divine. |
[7669] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2
qc. 3 arg. 3 Praeterea, si sit temporalis, cum omnia temporalia praecesserint
in operibus sex dierum, oportet quod et unio ista in operibus illis
praecesserit, quod non videtur. Ergo unio non est aliqua res temporalis quae
medium inter divinitatem et humanitatem cadere possit. |
3. De plus, si elle est temporelle, puisque toutes les réalités temporelles ont précédé dans les œuvres des six jours, il faut que cette union aussi ait précédé parmi ces œuvres, ce qui ne semble pas être le cas. L’union n’est donc donc pas une réalité temporelle qui pourrait jouer le rôle d’intermédiaire entre la divinité et l’humanité. |
[7670] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2
qc. 3 s. c. 1 Sed contra, relatio
cadit medium inter extrema. Sed unio relatio quaedam est, qua humanitas et divinitas uniri
dicuntur. Ergo mediante unione, humana natura divinae unita est. |
Cependant, la relation joue le rôle d’intermédiaire entre des extrêmes. Or, l’union est une relation, en vertu de laquelle on dit que l’humanité et la divinité sont unies. La nature humaine a donc été unie à la nature divine par l’intermédiaire de l’union. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[7671] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo, supposita
distinctione in
praedicto articulo praemissa, sciendum est, quod in unione humanae naturae ad
divinam nihil potest cadere medium formaliter unionem causans, cui per prius
humana natura conjungatur quam divinae personae: sicut enim inter materiam et
formam nihil cadit medium in esse quod per prius sit in materia quam forma
substantialis; alias esse accidentale esset prius substantiali, quod est impossibile;
ita etiam inter naturam et suppositum non potest aliquid dicto modo medium cadere,
cum utraque conjunctio sit ad esse substantiale. Sed sicut adventum formae in
materiam praecedunt ordine fiendi disponentia formaliter et materialiter, quibus
materia redditur idonea ad susceptionem formae; ita etiam in humana natura
inveniuntur quaedam superaddita, quibus redditur decens ut assumatur a divina
persona, ut scientiae et virtutes et hujusmodi: unde ista possunt quodammodo
dici medium congruentiae. Ad primam ergo quaestionem dicendum, quod sicut in
2 Sentent., 26 dist., Magister dicit, gratia dupliciter dicitur: uno modo
ipse Deus gratis dans, vel gratuita voluntas ejus; alio modo donum aliquod
gratis datum. Primo ergo
modo accipiendo gratiam, gratia est medium unionis quasi unionem efficaciter
causans: quia gratuita sua voluntate sine meritis praecedentibus carnem
assumpsit. Secundo modo accipiendo gratiam, non cadit ibi aliquod medium
habituale donum, sicut unionem vel unibilitatem formaliter causans; sed solum
est sicut medium congruitatis, sicut etiam scientia, et perfectio corporis,
et hujusmodi, quae decuit naturae assumptae non deesse. Nisi forte gratia ipsa unio dicatur, quae
est quoddam donum gratiae gratis datum: quae quomodo sit medium, post
dicetur. |
En supposant la distinction faite dans l’article précédent, il faut savoir que, dans l’union de la nature humaine à la nature divine, rien ne peut jouer le rôle d’intermédiaire en causant l’union d’une manière formelle, et à quoi la nature humaine serait uni avant de l’être à la personne divine. En effet, de même qu’entre la matière et la forme, rien ne joue le rôle d’intermédiaire dans l’être, qui existerait dans la matière avant la forme substantielle (autrement, un être accidentel serait antérieur à l’être substantiel, ce qui est impossible), de même aussi, entre la nature et le suppôt, rien ne peut jouer le rôle d’intermédiaire de la manière dite, puisque les deux unions existent en fonction d’un être substantiel. Mais, de même que certaines choses, par lesquelles la matière est rendue apte à recevoir la forme, disposent formellement et matériellement dans l’ordre du devenir à l’arrivée de la forme dans la matière, de même aussi, dans la nature humaine, trouve-t-on certaines choses ajoutées, par lesquelles elle est rendue apte à être assumée par une personne divine, telle les sciences et les vertus, et les choses de ce genre. Ces choses peuvent donc d’une certaine manière être appelées un intermédiaire de convenance. Il faut donc répondre à la première question que, ainsi que le dit le Maître dans le livre II des Sentences, d. 26, on parle de grâce de deux manières : d’une manière, comme de Dieu lui-même qui donne gratuitement, ou de sa volonté gratuite ; d’une autre manière, comme d’un don fait gratuitement. En prenant le premier sens de la grâce, la grâce est l’intermédiaire de l’union en tant qu’elle cause efficacement l’union, car [le Fils de Dieu] a assumé la chair par sa volonté gratuite, sans mérite antérieur [de la part de la nature humaine]. En prenant la grâce au second sens, un don habituel ne joue pas là le rôle d’intermédiaire, en tant qu’il cause l’union et la capacité d’union de manière formelle, mais il est seulement un intermédiaire de convenance, comme aussi la science, la perfection du corps et les choses de ce genre, dont il convenait que la nature assumée ne soit pas privée. À moins que l’on appelle grâce l’union elle-même, qui est un don de grâce gratuitement donné. On dira plus loin de quelle manière elle est un intermédiaire. |
[7672] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod, sicut ipsemet se exponit, assumptio illa ad maximam gratiam
pertinet: quia tam maximum donum collatum est homini ut esset filius Dei
nullis praecedentibus meritis. Unde gratia divina ibi significat voluntatem divinam, unionem gratis
facientem, et non habitum aliquem, quo interveniente unio completa sit. |
1. Comme il s’en explique lui-même, cette assomption relève de la plus grande grâce, car le si grand don d’être le Fils de Dieu a été donné à un homme sans mérites antérieurs. La grâce divine signifie donc la volonté divine qui réalise gratuitement l’union, et non un habitus par l’intervention duquel l’union a été réalisée. |
[7673] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod fruitio operationem quamdam dicit: unde per fruitionem anima
unitur Deo, sicut operans operationis objecto. Hoc autem ad rationem
perfectae operationis pertinet ut a potentia mediante habitu eliciatur; et
ideo oportet quod unio fruitionis mediante habitu gratuito fiat. Unio autem
in persona est ad unum esse personale; habitus autem non potest esse
principium personae subsistentis, sed est ad esse consequens; et ideo gratia
non est medium in unione personali, sicut unionem formaliter causans. |
2. La jouissance (fruitio) exprime une certaine opération. Ainsi, par la jouissance, l’âme est-elle unie à Dieu comme celui qui opère à l’objet d’une opération. Or, il appartient à la raison d’opération parfaite d’être issue d’une puissance par l’intermédiaire d’un habitus ; aussi est-il nécessaire que l’union par la jouissance se réalise par l’intermédiaire d’un habitus gratuit. Or, l’union à une personne [divine] est une union à son être personnel. Or, un habitus ne peut être le principe d’une personne subsistante, mais il découle de l’être. C’est pourquoi la grâce n’est pas un intermédiaire dans l’union personnelle, en tant que cause formelle de l’union. |
[7674] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
quamvis assumi in unitatem divinae personae sit supra facultatem humanae
naturae, non tamen exigitur aliquid formaliter humanam naturam elevans ad
talem assumptionem: tum quia quocumque addito, talis natura a persona divina
in infinitum distaret: tum quia cum assumi per se naturae conveniat; omnia
autem accidentia praeter rationem naturae sint, ideo non poterit humana natura
secundum id quod assumptibilis est, elevari per aliquod accidens additum ad
hoc ut assumptibilior fiat: sed ad hoc quod assumatur, exigitur benignitas
divina humanam naturam ad tantam dignitatem gratis elevans. |
3. Bien qu’être assumée dans l’unité d’une personne divine dépasse la capacité de la nature humaine, il n’est cependant pas nécessaire que quelque chose élève formellement la nature humaine à une telle assomption, tant parce que, quoi qu’on ajoute, une telle nature serait infiniment distante de la personne divine, que parce que le fait d’être assumée convient par soi à la nature [humaine]. Or, tous les accidents dépassent la raison de la nature. La nature humaine ne pourra donc pas, selon ce par quoi elle peut être assumée, être élevée par un accident ajouté pour qu’elle devienne apte à être assumée. Mais, pour qu’elle soit assumée, est nécessaire la bienveillance divine qui élève gratuitement la nature humaine à une telle dignité. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[7675] Super Sent., lib.
3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod spiritus sanctus non potest
dici in illa unione medium, nisi sicut unionem effective causans: quae quamvis
effectus totius Trinitatis sit, tamen spiritui sancto appropriatur, ut infra
dicetur, dist. 4, quaest. 1, art. 2, quaestiunc. 1. |
1. On ne peut dire que l’Esprit Saint est un intermédiaire dans cette union, si ce n’est en tant qu’il est cause efficiente de cette union. Bien qu’elle soit l’effet de la Trinité tout entière, elle est cependant appropriée à l’Esprit Saint, comme on le dira plus loin, d. 4, q. 1, a. 2, qa 1. |
[7676] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod etiam verbum creatum voci non unitur
mediante spiritu, nisi sicut per medium effectivum unionis: quia, sicut dicit
philosophus, percussio respirati aeris ad arteriam est causa vocis: et per
hunc etiam modum spiritui sancto appropriatur efficientia carnis, cui verbum
increatum unitur. |
2. Même le verbe créé n’est uni à la voix par l’intermédiaire de l’esprit qu’en tant qu’intermédiaire qui réalise l’union, car, ainsi que le dit le Philosophe, l’air respiré qui frappe la trachée est la cause de la voix. C’est de cette manière qu’est appropriée à l’Esprit Saint la réalisation de la chair à laquelle le Verbe incréé est uni. |
[7677] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod ea quae per voluntatem fiunt, etiam mediante amore fiunt, sicut
efficiente causa; et sic etiam est in praedicta unione. |
2. Ce qui est accompli par la volonté est aussi accompli par l’intermédiaire de l’amour comme cause efficiente. De même en est-il pour l’union dont il a été question. |
[7678] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
spiritus sanctus etiam dicitur propinquior nobis, inquantum per ipsum omnia
dona nobis donantur, ut in 1 Lib., dist. 18, dictum est; et sic in idem redit
cum praedictis. |
3. On dit que l’Esprit Saint est plus proche de nous pour autant que tous les dons nous sont donnés par lui, comme on l’a dit dans le livre I, d. 18. Cela revient donc à la même chose que ce qui précède. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
|
[7679] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam
quaestionem dicendum est, quod
inter humanam naturam et divinam necesse est cadere unionem mediam, non sicut
causam, sed sicut effectum conjunctionem naturarum consequentem. Est enim natura relationis ut in aliis
rerum generibus causam habeat, quia minimum habet de natura entis, ut
Commentator 12 Metaph. dicit. Unde quamvis relatio per se non terminet motum,
quia in ad aliquid non est motus, ut probatur in 5 Physic., tamen ex hoc quod
motus per se terminatur ad aliquod ens, de necessitate consequitur relatio
aliqua; sicut ex hoc quod motus alterationis terminatur ad albedinem,
consequitur relatio similitudinis ad omnia alba: similiter etiam ex hoc quod
motus generationis terminatur ad formam, consequitur haec relatio secundum
quam materia sub forma esse dicitur; ita etiam ex hoc quod motus assumptionis
humanae naturae terminatur ad personam, consequitur haec relatio quae dicitur
unio; unde unio est medium non sicut assumptionem causans, sed potius sicut
eam consequens; sicut etiam dictum est supra, quod aqua est medium in tactu
ex hoc quod tangentia humectata sunt. |
Entre la nature humaine et la nature divine, il est nécessaire qu’intervienne une union intermédiaire, non pas en tant que cause, mais en tant qu’effet découlant de l’union des natures. C’est en effet la nature de la relation d’avoir sa cause dans d’autres genres de choses, car elle possede la nature de l’être au plus faible degré, comme le dit le Commentateur dans Métaphysique, XII. Bien que la relation ne termine pas par elle-même le mouvement, car il n’y a pas de mouvement vers ce qui est relatif, comme cela est démontré dans Physique, V, toutefois, du fait que le mouvement se termine par soi à un être, il en découle nécessairement une relation. Ainsi, du fait que le mouvement d’altération se termine à la blancheur, il en découle une relation de ressemblance avec tout ce qui est blanc. De même aussi, du fait que le mouvement de la génération se termine à une forme, il en découle la relation selon laquelle on dit que la matière a une forme. Et encore, de même que le mouvement d’assomption de la nature humaine se termine à la personne, il en découle cette relation qu’on appelle l’union. L’union est donc intermédiaire, non pas en tant qu’elle cause l’assomption, mais plutôt en tant qu’elle en découle, comme on a dit plus haut que l’eau est intermédiaire pour le toucher du fait que ce qui est contact avec elle est humide. |
[7680] Super Sent., lib.
3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod nihil prohibet accidens esse medium in
conjunctione substantiali sicut conjunctionem sequens; impossibile est tamen
ut sit medium conjunctionem causans. |
1. Rien n’empêche qu’un accident soit intermédiaire comme conséquence de l’union dans l’union substantielle. Il est cependant impossible qu’il soit intermédiaire comme cause de l’union. |
[7681] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2
qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod unio relatio quaedam temporalis est:
quae quidem realiter est in ipsa natura assumpta, sed in persona assumente
secundum rationem tantum; sicut et de aliis relationibus ex tempore de Deo
dictis, ut dominus, et hujusmodi, in 1 Lib., dist. 30, dictum est. Et tamen
sicut dominus realiter dicitur Deus, non propter relationem dominii realiter
in ipso existentem, sed propter potestatem coercendi creaturam, ex qua talis
relatio causatur; ita etiam dicitur realiter unitus, quia in eo realiter est
personalitas, ad quam unio terminatur. |
2. L’union est une relation temporelle : elle se trouve ainsi réellement dans la nature assumée elle-même, mais dans la personne qui assume selon la raison seulement, comme c’est le cas des autres relations temporelles attribuées à Dieu, tel Seigneur et les choses de ce genre, comme on l’a dit dans le livre I, d. 30. Cependant, de même que Dieu est appelé réellement Seigneur réellement, non pas en raison d’une relation de souveraineté existant réellement en lui, mais en raison de son pouvoir de coercition sur la créature, par lequel cette relation est causée, de même aussi est-il dit uni parce qu’existe réellement en lui une personnalité à laquelle se termine l’union. |
[7682] Super Sent., lib.
3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod unio illa praecessit in operibus sex dierum, non in
ratione seminali, sed in potentia obedientiae tantum; sicut in costa Adae
fuit ut ex ea Eva nasci posset. |
3. Cette union a précédé les œuvres des six jours, non pas dans une raison séminale, mais dans la puissance obédientielle seulement, comme le fait qu’Ève pouvait naître se trouvait dans la côté d’Adam. |
Articulus 3 [7683] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3
tit. Utrum caro
prius fuerit concepta quam assumpta |
Article 3 – La chair a-t-elle été conçue avant d’être assumée ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La chair a-t-elle été conçue avant d’être assumée ?] |
[7684] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur.
Videtur quod caro prius
fuerit concepta quam assumeretur. Quod enim non est, non potest assumi. Sed caro per conceptionem
efficitur ens. Caro ergo prius fuit concepta quam assumeretur. |
1. Il semble que la chair ait été conçue avant d’être assumée. En effet, ce qui n’existe pas ne peut pas être assumé. Or, la chair devient un être par la conception. La chair a donc été conçue avant d’être assumée. |
[7685] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, motus semper
praecedit tempore terminum motus. Sed conceptio carnis terminata est ad
unionem, sicut motus ad terminum. Ergo conceptio unionem praecessit. |
2. Le mouvement précède toujours dans le temps le terme du mouvement. Or, la conception de la chair s’est terminée à l’union, comme un mouvement à son terme. La conception a donc précédé l’union. |
[7686] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, sola unione communicatio proprietatum efficitur, ut
quod de homine dicitur, de filio Dei dicatur. Sed concipi proprie carnis est.
Si ergo conceptio carnis unionem praecederet, filius Dei de virgine conceptus
non esset; quod est contra symbolum. Ergo conceptio carnis unionem non
praecessit. |
Cependant, [1] la communication des idômes existe seulement en vertu de l’union, de sorte que ce qui est dit de l’homme est dit du Fils de Dieu. Or, être conçu relève au sens propre de la chair. Si donc la conception de la chair avait précédé l’union, le Fils de Dieu n’aurait pas été conçu par la Vierge, ce qui est contraire au symbole. La conception de la chair n’a donc pas précédé l’union. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La chair a-t-elle été assumée avant d’être animée ?] |
[7687] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod caro prius fuerit assumpta quam animata.
Quod enim est primum in resolutione, est ultimum in compositione. Sed anima
separata est a carne, adhuc manente unione carnis ad divinitatem. Ergo caro
prius est assumpta a divinitate quam animaretur. |
1. Il semble que la chair ait été assumée avant d’être animée. En effet, ce qui est premier dans la séparation est dernier dans la composition. Or, l’âme a été séparée de la chair, alors que demeurait l’union de la chair à la divinité. La chair a donc été assumée par la divinité avant d’être animée. |
[7688] Super Sent., lib.
3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, anima, cum sit forma, requirit
propriam materiam, scilicet
corpus organicum in quo sit. Hoc autem fit per conceptionem carnis. Ergo
conceptio praecedit animationem. Sed conceptio carnis simul est cum ipsius
assumptione, ut probatum est. Ergo caro prius fuit assumpta quam animata
anima rationali. |
2. Puisque l’âme est une forme, elle demande une matière propre, à savoir un corps organique dans lequel elle puisse exister. Or, cela se réalise par la conception de la chair. La conception précède donc l’animation. Or, la conception de la chair se réalise en même temps que l’assomption elle-même, comme on l’a démontré. La chair a donc été assumée avant d’être animée par une âme raisonnable. |
[7689] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3
qc. 2 s. c. 1 Sed contra,
caro unitur divinitati mediante anima, ut supra habitum est. Sed extremum non prius
extremo conjungitur quam medio. Ergo caro non prius est divinitati unita quam
animata. |
Cependant, la chair est unie à la divinité par l’intermédiaire de l’âme, comme on l’a vu. Or, un extrême n’est pas uni à un [autre] extrême avant d’être uni à l’intermédiaire. La chair n’a donc pas été unie à la divinité avant d’être animée. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [L’âme a-t-elle été assumée avant d’être unie au corps ?] |
[7690] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod anima sit prius assumpta quam corpori conjuncta. Extremum enim
prius conjungitur medio quam alteri extremorum. Sed divinitas unitur carni mediante anima.
Ergo prius unitur animae quam carni. Sed simul divinitas et anima carni
uniuntur. Ergo divinitas prius unitur animae quam carni. |
1. Il semble que l’âme ait été assumée avant d’être unie au corps. En effet, un extrême est d’abord uni à un intermédiaire avant de l’être à un autre extrême. Or, la divinité est unie à la chair par l’intermédiaire de l’âme. Elle est donc unie à l’âme avant la chair. Or, la divinité et l’âme sont unies à la chair en même temps. La divinité est donc unie à l’âme avant de l’être à la chair. |
[7691] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3
qc. 3 arg. 2 Praeterea, persona Christi ex tribus substantiis componi
dicitur, scilicet ex divinitate, anima et carne: quorum supremum est deitas,
et infimum est caro, anima autem est medium. Sed prius divinitas fuit quam
animae et carni uniretur. Ergo si medium cum extremis communicat, videtur
quod anima sit posterior deitate, et prior carne. Sed simul anima creata est
et assumpta. Ergo anima prius est assumpta quam carni uniatur. |
2. On dit que la personne du Christ est composée de trois substances : la divinité, l’âme et la chair. La plus élevée d’entre elles est la divinité, la plus infime est la chair, mais l’âme est intermédiaire. Or, la divinité existait avant d’être unie à l’âme et à la chair. Si l’intermédiaire a quelque chose en commun avec les extrêmes, il semble donc que l’âme soit postérieure à la divinité et antérieure à la chair. Or, l’âme a été créée en même temps qu’elle a été assumée. L’âme a donc été assumée avant d’être unie à la chair. |
[7692] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3
qc. 3 s. c. 1 Sed contra,
anima non est prius assumpta quam creata; nec creata quam corpori infusa:
quia creando corpori infunditur, et infundendo creatur. Ergo anima non est
prius assumpta quam carni unita. |
Cependant, l’âme n’a pas été assumée avant d’être créée, et elle n’a pas été
créée avant d’être infusée dans le corps, car elle est infusée dans le corps
en étant créée, et elle est créée en étant infusée. L’âme n’a donc pas été
assumée avant d’être unie à la chair. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[7693] Super Sent., lib.
3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod nulla natura habet esse nisi in supposito
suo: non enim humanitas potest esse nisi in homine: unde quidquid est in
genere substantiae per se existens, rationem hypostasis habet, vel suppositi:
et quia unio divinitatis et humanitatis fit in hypostasi, ut dicit
Damascenus, ideo non potest esse ut quod assumptum est, prius fuerit quam
assumeretur: nisi forte poneretur quod assumptio rationem hypostasis rei
assumptae tolleret, quod est inconveniens; hoc enim sine corruptione assumpti
accidere non posset. Et ideo nullum horum trium est possibile: scilicet nec
ut caro concepta prius fuerit, et postmodum assumpta; nec ut anima prius
creata, et postmodum assumpta; neque ut homo prius ex suis partibus
constitutus sit, et postmodum assumptus. Sicut autem ex dictis patet, corpus
assumptibilitatem habet ab anima; similiter etiam partes essentiales
assumptibilitatem habent ex ratione, cujus sunt partes naturae. Unde etiam
utrumque horum est impossibile, ut scilicet anima prius sit creata et
assumpta, et postmodum corpori conjuncta; et etiam quod caro prius sit
concepta et assumpta, et postmodum animae unita: sed haec quatuor necesse est
simul fuisse, scilicet conceptionem carnis, creationem animae, conjunctionem
utriusque, et unionem ad deitatem. Unde patet responsio ad primam
quaestionem: non enim fuit possibile quod caro prius fuerit concepta, et
postmodum assumpta; quia si ante assumptionem concepta fuisset, propriam
hypostasim habuisset; et tunc post assumptionem, vel mansisset illa
hypostasis, et sic non potuisset fieri unio in hypostasi; vel non mansisset,
et hoc sine corruptione carnis prius conceptae accidere non posset: ratio
enim hypostasis non est accidentalis rei, ut re eadem numero manente alia
hypostasis esse possit. |
Aucune nature n’a l’être que dans son suppôt. En effet, l’humanité ne peut exister que dans un homme. Tout ce qui fait partie du genre de la substance existant par soi a donc raison d’hypostase ou de suppôt. Et parce que « l’union de la divinité et de l’humanité se réalise dans l’hypostase », comme le dit [Jean] Damascène, il ne peut donc se faire que ce qui a été assumé ait existé avant d’être assumé, sans affirmer que l’assomption enlèverait la raison d’hypostase à la réalité assumée, ce qui est inapproprié. En effet, cela ne pourrait arriver sans corruption de ce qui est assumé. Aussi aucune de ces trois choses n’est-elle possible : que la chair ait d’abord été conçue, puis assumée ; que l’âme ait d’abord été créée, et ensuite assumée ; que l’homme ait d’abord été constitué de ses parties, et ensuite assumé. Or, comme il ressort de ce qui a été dit, le corps tient de l’âme son aptitude à être assumé. De même aussi, les parties essentielles tiennent leur aptitude à être assumées de la raison, dont elles sont naturellement les parties. Aussi ces deux choses sont-elles aussi impossibles : que l’âme ait été créée et assumée, et ensuite unie au corps ; que la chair ait été conçue et assumée, et ensuire unie à l’âme. Mais ces quatre choses doivent s’être réalisées en même temps : la conception de la chair, la création de l’âme, l’union des deux et l’union à la divinité. La réponse à la première question est donc claire. En effet, il n’était pas possible que la chair soit d’abord conçue, et ensuite assumée, car si elle avait été conçue avant d’être assumée, elle aurait eu une hypostase propre ; et alors, après l’assomption, soit cette hypostase serait demeurée, et ainsi l’union dans l’hypostase n’aurait pas pu se réaliser ; soit elle ne serait pas demeurée, et cela ne pourrait se produire sans la corruption de la chair d’abord assumée : en effet, la raison d’hypostase n’appartient pas à une réalité accidentelle, de sorte que, une chose demeurant numériquement la même, il pourrait y avoir une autre hypostase. |
[7694] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quamvis illud quod non est, non possit assumi, tamen possibile
est ut in eodem instanti in quo esse habet, assumatur, ut sic esse rei
assumptae non praecedat assumptionem tempore, sed natura. |
1. Bien que ce qui n’existe pas ne puisse être assumé, il est cependant possible que, dans le même instant où cela obtient l’être, cela soit assumé, de sorte que l’être de la chose assumée ne précède pas l’assomption dans le temps, mais par nature. |
[7695] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3
qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis motus secundum principium sui
vel medium, non possit esse simul cum eo ad quod motus terminatur, tamen
ultimum motus potest esse simul cum eo; sicut alteratio terminatur ad
generationem, ita quod in eodem instanti in quo alteratio terminatur, forma
substantialis introducitur: ita etiam in eodem instanti in quo conceptio
terminatur, quando caro primo concepta est, tunc assumi potest. Et quia
conceptio in instanti facta est, non differebat in ea primum medium et
terminus: et ideo simpliciter loquendo conceptio simul fuit cum assumptione. |
2. Bien que le mouvement, selon son principe ou son milieu, ne puisse exister en même temps que ce à quoi se termine le mouvement, le point ultime du mouvement peut cependant exister en même temps que lui, comme l’altération se termine à la génération, de sorte que, dans le même instant où l’altération se termine, la forme substantielle soit introduite. De même aussi, dans le même instant où se termine la conception, la chair peut-elle être assumée au premier instant où elle a d’abord été conçue. Et parce que la conception s’est réalisée dans l’instant, il n’y avait pas de différence entre un premier intermédiaire et le terme. À parler simplement, la conception s’est donc réalisée en même temps que l’assomption. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[7696] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
patet etiam responsio ex praedictis. Non enim est possibile ut caro prius
assumpta sit, et postmodum animata, propter duo: tum quia assumptibilitatem
habet ab anima, quam sibi anima conferre non potest antequam ei uniatur; tum
etiam quia partes assumptibilitatem habent a toto, ut prius dictum est. |
La réponse ressort aussi de ce qui a été dit. En effet, il n’est pas possible que la chair soit d’abord assumée, et ensuite animée, pour deux raisons : parce qu’elle tient de l’âme son aptitude à être assumée, que l’âme ne peut lui donner avant de lui être unie ; et parce que les parties tiennent du tout leur aptitude à être assumées, comme on l’a dit antérieurement. |
[7697] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod corpus
assumptibile est, secundum quod ordinem habet ad animam et ad totum; quem
ordinem habere non potest nisi postquam animae unitum est, et actu pars
humanae naturae effectum; et tamen separata anima et dissoluto toto, adhuc
remanet ille ordo in corpore secundum spem resurrectionis; sicut et habitus
acquisitus, ut virtus politica, causatur per actualem operationem, et tamen
transeunte actuali operatione remanet habitus. Unde patet quod corpus non potest assumi antequam animae uniatur; et
tamen si anima separaretur post unionem, remanebit caro nihilominus assumpta,
et divinitati unita. |
1. Le corps peut être assumé selon qu’il est ordonné à l’âme et au tout ; il ne peut avoir cet ordre qu’après avoir été uni à l’âme et être devenu une partie de la nature humaine. Cependant, une fois l’âme séparée et le tout dissous, cet ordre demeure encore dans le corps par l’espérance de la résurrection, comme un habitus acquis, telle la vertu politique, est causé par une opération actuelle, et cependant, l’opération actuelle passant, l’habitus demeure. Il est donc clair que le corps ne peut être assumé avant d’être uni à l’âme ; cependant, si l’âme est séparée après l’union, la chair demeurera assumée et unie à la divinité. |
[7698] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3
qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod forma praesupponit materiam propriam et
dispositam, non ordine temporis, sed ordine naturae: quia in eodem instanti
in quo materiae fit necessitas, idest in ultimo instanti dispositionis,
inducitur forma substantialis: et ideo non oportet quod prius tempore caro
sit concepta quam animae uniatur. |
2. La forme présuppose une matière propre et disposée, non pas selon un ordre temporel, mais selon un ordre de nature, car, dans le même instant où une nécessité apparaît dans la matière, c’est-à-dire dans l’instant ultime de la disposition, la forme substantielle est introduite. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que la chair soit d’abord conçue dans le temps avant d’être unie à l’âme. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[7699] Super Sent., lib.
3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem patet responsio ex praedictis. Non enim potuit
anima prius assumi quam carni uniretur, cum assumptibilis sit per hoc quod
est pars humanae naturae. |
La réponse ressort de ce qui a été dit. En effet, l’âme ne pouvait être assumée avant d’être unie à la chair, puisqu’elle est apte à être assumée par le fait qu’elle est une partie de la nature humaine. |
[7700] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod extremum non semper prius tempore
conjungitur medio quam alteri extremorum: simul enim tempore aer patitur a
colore, et visus; sed tamen aer prius patitur ordine naturae, quia passio
aeris causat passionem visus. Similiter etiam non est necessarium quod prius tempore deitas sit
unita animae quam carni. |
1. Un extrême n’est pas toujours d’abord uni dans le temps avec un intermédiaire avant de l’être à l’autre extrême. En effet, l’air et la vue subissent en même temps la couleur ; cependant, l’air le subit en premier selon l’ordre temporel, car ce que subit l’air cause ce que subit la vision. De même aussi, il n’est pas nécessaire que la divinité soit d’abord unie dans le temps à l’âme plutôt qu’à la chair. |
[7701] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod anima quamvis sit dignior corpore, est tamen forma corporis. Formae autem non est ut tempore materiam
praecedat, sed dignitate tantum. Divinitas autem non unitur humanae naturae ut
forma. Unde non est similis ratio utrobique. |
2. Bien que l’âme soit plus digne que le corps, elle est cependant la forme du corps. Or, il ne revient pas à la forme de précéder la matière dans le temps, mais en dignité seulement. Or, la divinité n’est pas unie à la nature humaine en tant que forme. Le raisonnement n’est donc pas le même dans les deux cas. |
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Expositio textus |
Explication du
texte de Pierre Lombard, Distinction 2
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[7702] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3
qc. 3 expos. Quod autem
humanae naturae sive humanitatis vocabulo anima et caro intelligi debeant,
aperte docet Hieronymus. Non est
intelligendum per humanitatem anima et corpus, quasi proprie dici possit,
humanitas est anima et corpus; sed sicut in toto intelliguntur partes, ut in
domo paries et tectum, quae tamen de toto non praedicantur: unde etiam in
auctoritate beati Hieronymi subditur: humanitas, quae ex anima continetur
et corpore; non dicit: quae est anima et corpus. Errant ergo qui
nomine humanitatis non substantiam, sed proprietatem quamdam a qua homo
nominatur, significari contendunt. Per hanc proprietatem, quae ab eis
humanitas dicitur, potest intelligi forma consequens partium compositionem,
scilicet corporis et animae, in qua sicut in natura communi omnia individua
communicant. Forte enim qui hoc posuerunt, sapiebant opinionem Platonis, qui
posuit formas universales in actu habere esse in natura praeter materiam. Sic
enim secundum eum, ut philosophus in 1 Metaph. dicit, forma hominis erat sine
carnibus et ossibus, et sine aliis partibus ejus; et talem humanitatem sine
corpore et anima isti assumptam ponebant: et contra tales Damascenus dicit in
Lib. 3 cap. 11: neque eam quae nuda contemplatione consideratur, naturam
assumpsit: non enim incarnatio esset, sed deceptio et fictio incarnationis.
Vel tangit, ut quidam dicunt, opinionem eorum qui dicebant, Christum,
secundum quod est homo, non esse quid, sed qualiter se habens: quod infra
tangetur, dist. 6. Quod evidenter idem Joannes ostendit. Sciendum,
quod Magister accipit verba Joannis Damasceni, sed non sensum: inducit enim
Damascenus haec verba ad confutandum errorem eorum qui dicebant in Christo
unam tantum naturam esse, quasi confectam ex divinitate et humanitate, sicut
una quaedam natura conficitur ex anima et corpore; quae signatur cum dicitur
omnes homines esse ejusdem naturae: non ita quod in quolibet eorum anima et
corpus sint unius naturae ad invicem comparata, sed quia ex his duobus una
natura conficitur, in qua omnes conveniunt. Sed non ita est in Christo quod
ex humanitate et divinitate una communis natura resultet, quae sit quasi
communis species de pluribus praedicata, quae divinitatem et humanitatem
simul habeant. Magister autem assumit haec verba ad impugnandum positionem
eorum qui proprietatem quae humanitas dicitur, assumptam dicebant. Humanitas
enim si consideretur ut communis, species est quae in pluribus invenitur;
secundum quem modum omnium hominum dicitur una natura. Sic autem communis
species humanitatis in Christo non est: non enim humanitas Christi est
communis in actu, sed est humanitas singularis. Neque enim factus est, nec
est, nec aliquando fiet alius. Videtur quod haec probatio nulla sit:
multae enim species sunt quae non nisi de uno individuo praedicantur, ut sol
et luna. Sed dicendum ad hoc, quod secundum intentionem Magistri facile est
respondere. Omnis enim species quae participatur a multis individuis,
praedicatur de omnibus eis: unde si species humana, prout est communis, esset
quid subsistens praeter singularia, ipsa de omnibus praedicaretur; unde si
talem humanitatem Christus assumpsisset, homo qui est Christus, de omnibus
hominibus praedicaretur. Secundum intentionem vero Damasceni aliter est
dicendum, quod omnis natura communis inquantum hujusmodi, in multis inveniri
potest: sed si aliqua species sit quae in uno tantum est individuo, hoc est
propter aliquid aliud, quod non est de intellectu illius naturae: unde
possibile est intelligere plures soles. Sed singulare habet incommunicabilitatem
per id quod est de ratione ejus, scilicet per materiam, quae esset pars definitionis
ejus, si definiretur, ut ex 8 Metaph. patet. Unde non est possibile intelligi
hunc hominem de pluribus praedicari. Unde patet quod illud quod nec actu nec
intellectu de pluribus dici potest, est singulare. Hujusmodi autem est Christus:
quare hoc nomen Christus non significat unam naturam communem resultantem ex
unione divinitatis et humanitatis, sed unam hypostasim subsistentem in
utraque natura. Omnia quae in nostra natura plantavit Deus, verbum
assumpsit. Intelligendum est de his quae sunt de ratione humanae naturae
sicut principia essentialia ipsius, vel etiam ea quae ex principiis
essentialibus consequuntur ut naturales proprietates: unde non est instantia
de immortalitate, quae gratis primo homini concessa est. Et tamen praedicant
istum visibilem solem radios suos per omnes faeces et sordes corporum
spargere, et eos mundos et sinceros servare. Responsio, quare sol non
inficitur ex hoc quod radios suos per faeces spargit, haec est: quia non communicat
cum aliis corporibus in materia, ut simul agens patiatur, sicut ea quae in
materia communicant, dum agunt, patiuntur, ut in 1 de Gener. dicitur. Anima
autem communicat corpori in materia, non ex qua fit anima, sed in qua fit; et
ideo ex conjunctione ad corpus inficitur. Divinitas autem non communicat cum
corpore neque in materia ex qua, cum omnino sit immaterialis, neque sicut
materia in qua, cum non uniatur corpori sicut forma ejus. |
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Distinctio 3 |
Distinction 3 – [La
qualité de ce qui a été assumé]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La sanctification de la bienheureuse Vierge]
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Prooemium |
Prologue |
[7703] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 pr. Ostenso quid filius Dei in humana natura,
et quo ordine assumpserit, hic ostendit quale sit quod assumptum est; et
dividitur in duas partes: in prima parte determinat veritatem; in secunda
movet quasdam dubitationes circa veritatem determinatam, ibi: cum autem
illa caro, cujus excellentia verbis explicari non valet, antequam esset verbo
unita, obnoxia fuerit peccato in Maria, et in aliis a quibus propagatione
traducta est, non immerito videri potest in Abraham peccato subjacuisse.
Prima dividitur in duas partes: in prima determinat conditionem carnis
assumptae, quae fuit in ea per operationem spiritus sancti; in secunda
determinat conditionem matris de qua assumpta est, ibi: Mariam quoque
totam spiritus sanctus in eam superveniens purgavit. Circa primum duo facit:
primo movet quaestionem; secundo determinat eam, ibi: sane dici potest.
Mariam quoque totam spiritus sanctus (...) purgavit. Hic ostendit conditionem
matris; et circa hoc tria facit: primo determinat conditionem ejus ante
conceptionem carnis assumptae; secundo conditionem ipsius in ipsa conceptione,
ibi: potentiam quoque generandi absque viri semine virgini praeparavit;
tertio conditionem ejus post conceptionem, ibi: quod autem sacra virgo ex
tunc ab omni peccato immunis extiterit, Augustinus evidenter ostendit.
Circa secundum duo facit: primo determinat quid collatum fuerit beatae
virgini in conceptione salvatoris; secundo ex dictis quamdam conclusionem
elicit, ibi: ex his perspicuum fit quod ante diximus. Hic est triplex
quaestio: prima de sanctificatione beatae virginis. Secunda de potentia
generativa qua salvatorem concepit. Tertia de Annuntiatione quae per Angelum
facta est. De conditione
enim carnis assumptae in sequenti parte distinctionis quaeretur. Circa primum
quaeruntur duo: 1 de tempore sanctificationis; 2 de effectu ipsius. De
sanctificatione enim aliorum quaestio pertinet ad quartum librum dist. 6. |
Après avoir montré ce que le Fils de Dieu a assumé dans la nature humaine et selon quel ordre, ici, [le Maître] montre la qualité de ce qui a été assumé. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de la vérité ; dans la seconde, il soulève certains doutes à propos de la vérité déterminée, à cet endroit : « Puisque cette chair, dont l’excellence ne peut être expliquée par des paroles, avant d’être unie au Verbe, a été exposée au péché en Marie et chez les autres dont elle a été tirée par génération, il peut donc sembler juste qu’elle ait été soumise au péché en Abraham. » La première partie est divisée en deux parties : dans la première, il détermine de la condition de la chair assumée, qui se trouva en [Marie] par l’opération de l’Esprit Saint ; dans la seconde, il détermine de la condition de la mère dont elle a été assumée, à cet endroit : « L’Esprit Saint a, par sa venue en elle, purifié Marie tout entière. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il soulève une question ; deuxièmement, il en détermine, à cet endroit : « On peut dire correctement… » « L’Esprit Saint a, par sa venue en elle, purifié Marie tout entière. » Ici, il montre la condition de la mère. À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il détermine de sa condition avant la conception de la chair assumée ; deuxièmement, de sa condition lors de sa conception même, à cet endroit : « Il a préparé pour la Vierge la capacité d’engendrer sans la semence d’un homme » ; troisièmement, de sa condition après sa conception, à cet endroit : « Augustin montre clairement que la Vierge sainte a été exempte de tout péché à partir de ce moment. » À propos du deuxieme point, il fait deux choses : premièrement, il détermine de ce qui a été donné à la bienheureuse Vierge dans la conception du Sauveur ; deuxièmement, il tire une conclusion de ce qui a été dit, à cet endroit : « À partir de cela, ce que nous avons dit plus haut devient manifeste. » Ici, il y a trois questions : la première, sur la sanctification de la bienheureuse Vierge ; la deuxième, sur la puissace génératrice par laquelle elle a conçu le Sauveur ; la troisième, sur l’Annonciation qui a été faite par l’ange. En effet, on s’interrogera sur la condition de la chair assumée dans la partie suivante. À propos du premier point, deux questions sont posées : 1 – Sur le moment de la sancntification ; 2 – Sur son effet. En effet, la question de la sanctification des autres relève du livre IV, d. 6. |
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Articulus 1 [7704] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1
tit. Utrum beata
virgo fuerit ante sanctificata quam conceptio ejus finiretur |
Article 1 – La bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant que sa conception ne soit terminée ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant que la conception de sa chair ne soit terminée ?] |
[7705] Super Sent., lib.
3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod beata virgo sanctificata
fuerit antequam conceptio carnis ejus finiretur. Sicut enim dicit apostolus
Roman. 11, 16: si radix sancta, et rami. Sed parentes comparantur ad prolem
conceptam, sicut radix ad ramos. Ergo sanctificatis parentibus virginis sanctificatio
ad ipsam pervenisset. Sed si in parentibus sanctificata esset, sanctificatio
conceptionem ejus praecessisset. Cum ergo credendum sit ei collatum esse
quidquid conferri potuit, videtur quod ante conceptionem sanctificata sit. |
1. Il semble que la bienheureuse Vierge n’ait pas été sanctifiée avant que la conception de sa chair n’ait été terminée. En effet, comme le dit l’Apôtre, Rm 11, 16 : Si la racine est sainte, le rameau l’est aussi. Or, les parents se comparent à la descendance conçue comme la racine aux rameaux. La sanctification de la Vierge lui serait donc parvenue depuis ses parents sanctifiés. Or, si elle avait été sanctifiée dans ses parents, sa sanctification aurait précédé sa conception. Puisqu’il faut croire que lui a été donné tout ce qui pouvait être donné, il semble donc qu’elle ait été sanctifiée avant sa conception. |
[7706] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 2 Praeterea, bonum est efficacius ad agendum quam malum, cum malum
non agat nisi in virtute boni, ut dicit Dionysius. Sed per peccatum primi
parentis infectio originalis peccati in omnes homines pertransit. Ergo multo
fortius per sanctificationem parentum beata virgo sanctificari potuit; et sic
idem quod prius. |
2. Le bien a une action plus efficace que le mal, puisque « le mal n’agit qu’en vertu du bien », comme le dit Denys. Or, par le péché du premier parent, l’infection du péché originel est passée dans tous les hommes. À bien plus forte raison, la bienheureuse Vierge a donc pu être sanctifiée par la sanctification de ses parents. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[7707] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 3 Praeterea, id
quod est meritorium, gratiae sanctificationi non repugnat. Sed actus
matrimonialis meritorius esse potest. Ergo in ipso concubitu matrimoniali parentum beatae virginis ipsa
sanctificari potuit. |
3. Ce qui est méritoire ne s’oppose pas à la sanctification de la grâce. Or, l’acte matrimonial peut être méritoire. La bienheureuse Vierge a donc pu être sanctifiée par l’union charnelle même de ses parents. |
[7708] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
quod non est, non potest sanctificari. Sed beata virgo non fuit antequam
conciperetur in utero matris suae. Ergo non potuit ante conceptionem
sanctificari. |
Cependant, [1] ce qui n’existe pas ne peut pas être sanctifié. Or, la bienheureuse Vierge n’existait pas avant d’avoir été conçue dans le sein de sa mère. Elle ne pouvait donc pas être sanctifiée avant d’avoir été conçue. |
[7709] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1
qc. 1 s. c. 2 Praeterea,
unigenito Dei filio singularis conceptio et partus debebatur. Sed Christi
conceptio ex virgine matre fuit sine commixtione viri. Ergo non decuit ut
mater ejus conciperetur nisi per sexuum commixtionem. Sed post statum naturae
corruptae non potuit esse commixtio sexuum sine libidine. Cum ergo libido
illa quae est filia peccati, ex peccato primorum parentum proveniens, sit causa
originalis peccati in prole, ut Augustinus dicit, videtur quod non potuit
beata virgo sanctificari nisi post conceptionem. |
[2] Une conception et un enfantement uniques étaient dus au Fils unique de Dieu. Or, la conception du Christ par sa mère vierge a été réalisée sans l’intervention d’un homme. Il ne convenait donc pas que sa mère n’ait été conçue que par l’union des sexes. Or, après l’état de la nature corrompue, il ne pouvait y avoir d’union des sexes sans dépravation. Puisque la dépravation, qui est fille du péché et provient du péché des premiers parents, est la cause du péché originel dans leur descendance, ainsi que le dit Augustin, il semble donc que la bienheureuse Vierge ne pouvait être sanctifiée qu’après sa conception. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant d’être animée ?] |
[7710] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod ante animationem sanctificata fuerit. Ambrosius enim dicit Lucae
1 de Joanne Baptista: nondum illi inerat spiritus vitae, et jam inerat
spiritus gratiae. Sed spiritus vitae anima est. Ergo in Joanne Baptista
gratia animam praevenit. Sed quod Joanni Baptistae concessum est, dubitari
non debet beatae virgini concessum esse. Ergo et ipsa ante animationem
sanctificata fuit. |
1. Il semble qu’elle ait été sanctifiée avant d’être animée. En effet, Ambroise dit à propos de Jean-Baptiste, Lc 1 : « L’esprit de vie n’était pas encore en lui, et déjà l’Esprit de la grâce était en lui. » Or, l’esprit de vie est l’âme. La grâce a donc précédé l’âme chez Jean-Baptiste. Or, ce qui a été accordé à Jean-Baptiste, on ne doit pas douter que cela ait été accordé à la bienheureuse Vierge. Elle aussi a donc été sanctifiée avant d’être animée. |
[7711] Super Sent., lib. 3 d. 3
q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Hierem. 1, 5, dicitur:
ante quam te formarem in utero, novi te: nec loquitur ibi de notitia
qua bonos et malos cognoscit: quia per hoc nulla praerogativa ostenderetur
ipsius Hieremiae, ad quem dicta verba proferuntur. Ergo oportet intelligi de
notitia approbationis. Sed haec notitia est solum bonorum et habentium
gratiam. Ergo Hieremias
antequam formaretur, gratiam habuit: ergo et antequam animaretur: quia anima
non infunditur nisi formato puerperio. Ergo multo amplius ante animationem beata virgo sanctificata fuit. |
2. Il est dit en Jr 1, 5 : Je t’ai connu avant de te former dans le sein, et il ne parle pas là de la connaissance par laquelle [le Seigneur] connaît les bons et les méchants, car on ne montrerait ainsi aucune prérogative de Jérémie lui-même, à qui les paroles rappelées sont adressées. Il faut donc l’entendre de la connaissance d’approbation. Or, cette connaissance porte seulement sur les bons et sur ceux qui ont la grâce. Jérémie a donc eu la grâce avant d’être formé, donc, avant d’être animé, car l’âme n’est infusée qu’une fois le fœtus formé. À bien plus forte raison, la bienheureuse Vierge a donc été sanctifiée avant d’être animée. |
[7712] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 3 Praeterea, Anselmus in libro de
conceptu virginali dicit: decebat ut illius hominis conceptio de matre
purissima fieret, quae ea puritate niteret qua major sub Deo nequit intelligi.
Sed major puritas fuisset in ea, si anima ejus nunquam infectionem peccati
originalis habuisset, quam si ad aliquod tempus habuerit et postmodum mundata
fuerit. Ergo anima illa nunquam originali peccato infecta fuit. Aut igitur
caro sanctificata fuit ante animationem; vel saltem in ipso instanti
infusionis anima gratiam suscepit per quam immunis a peccato originali esset. |
3. Dans son livre sur La conception de la Vierge, Anselme dit : « Il convenait que la conception de cet homme s’accomplisse chez la mère la plus pure, qui brillait d’une pureté dont on ne peut comprendre qu’il en existe de plus grande [parmi les êtres] soumis à Dieu. » Or, il aurait existé une pureté plus grande en elle si son âme n’avait jamais été infectée par le péché originel, plutôt que de l’avoir pendant un certain temps et d’en être purifiée par la suite. Cette âme n’a donc jamais été infectée par le péché originel. Sa chair a donc été sanctifiée avant son animation, ou, tout au moins, son âme a reçu, à l’instant même de son infusion, la grâce par laquelle elle serait exempte du péché originel. |
[7713] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1
qc. 2 s. c. 1 Sed contra, in partibus hominis est talis ordo quod anima est
Deo propinquior quam corpus. Sed virtus alicujus agentis prius pervenit ad ea quae sunt sibi propinquiora,
et per ea ad magis distantia. Ergo gratia sanctificationis a Deo venit ad
corpus per animam: ergo antequam animaretur sanctificari non potuit. |
Cependant, [1] il existe dans les parties de l’homme un ordre tel que l’âme est plus proche de Dieu que le corps. Or, la puissance d’un agent parvient d’abord à ce qui est plus proche de lui et, par l’intermédiaire de ceci, à ce qui est plus distant. La grâce de la sanctification vient donc au corps par l’intermédiaire de l’âme. Elle ne pouvait donc être sanctifiée avant d’avoir une âme. |
[7714] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1
qc. 2 s. c. 2 Praeterea,
contraria nata sunt fieri circa idem. Sed gratia sanctificationis praecipue
originali peccato opponitur. Cum ergo ante animationem in prole peccatum
originale esse non possit, quia proprium subjectum culpae est anima rationalis,
videtur quod ante animationem beata virgo sanctificata non fuerit. |
[2] Les contraires doivent exister à propos d’une même chose. Or, la grâce de la sanctification s’oppose surtout au péché originel. Puisqu’il ne pouvait y avoir de péché originel dans la descendance avant l’animation, car le sujet propre de la faute est l’âme raisonnable, il semble donc que la bienheureuse Vierge n’ait pas été sanctifiée avant d’avoir une âme. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant sa naissance ?] |
[7715] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur, quod nec etiam ante nativitatem ex utero. Sicut enim dicit
Augustinus ad Dardanum, sanctificatio qua singuli efficimur templum Dei,
non nisi renatorum est. Nemo autem renascitur nisi prius nascatur. Ergo
nullus habet gratiam antequam nascatur. Sed sanctificatio est effectus
gratiae. Ergo beata virgo in utero matris sanctificata non fuit. |
1. Il semble que [la bienheureuse Vierge n’ait pas été sanctifiée] non plus avant sa naissance. En effet, comme le dit Augustin à Dardanus, « la sanctification par laquelle chacun de nous devient le temple de Dieu n’est le fait que de ceux qui sont nés de nouveau ». Or, personne ne renaît s’il n’est d’abord né. Personne n’a donc la grâce avant de naître. Or, la sanctification est l’effet de la grâce. La bienheureuse Vierge n’a donc pas été sanctifiée dans le sein de sa mère. |
[7716] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 2 Si dicatur
quod est duplex nativitas, scilicet nativitas in utero, quae conceptio
dicitur, et nativitas ex utero, quae communiter nativitas nominatur, et
beatae virginis regenerationem sanctificationis praecessit nativitas in
utero, sed non nativitas ex utero: contra. Dominus Joan. 3, 7, generationem
spiritualem, quae est ex aqua et spiritu, vocat secundam, dicens: oportet
vos nasci denuo. Sed si duae nativitates carnales praecessissent,
spiritualis non diceretur secunda, sed tertia. Ergo non est duplex nativitas,
ut dictum est. |
2. Si l’on dit qu’il y a une double naissance : la naissance dans le sein, qu’on appelle conception, et la naissance hors du sein, qui est généralement appelée naissance, et que sa naissance dans le sein a précédé la régénération sanctificatrice de la bienheureuse Vierge, mais non sa naissance hors du sein, on objectera que le Seigneur, en Jn 3, 7, appelle la seconde naissance une génération spirituelle, réalisée par l’eau et l’Esprit, lorsqu’il dit : Il vous faut naître de nouveau. Or, si deux naissances charnelles avaient précédé, on ne dirait pas que la naissance spirituelle est la seconde, mais la troisième. Il n’existe donc pas deux naissances, ainsi qu’on l’a dit. |
[7717] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 3 Praeterea,
beatus Hieronymus dicit: non mihi credas si tibi aliquid dixero quod ex
veteri vel novo testamento haberi non possit. Sed de sanctificatione
beatae virginis in utero nihil dicitur in veteri vel novo testamento. Ergo
non est credendum eam in utero sanctificatam fuisse. |
3. Le bienheureux Jérôme dit : « Ne me crois pas si je te dis quelque chose qu’on ne peut trouver dans l’Ancien et le Nouveau Testament. » Or, rien n’est dit, dans l’Ancien et le Nouveau Testament, de la sanctification de la bienheureuse Vierge dans le sein. Il ne faut donc pas croire qu’elle a été sanctifiée dans le sein. |
[7718] Super Sent., lib.
3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Ecclesia non solemnizat nisi pro aliquo sancto.
Solemnizat autem nativitatem beatae virginis. Ergo beata virgo sancta nata
fuit. Ergo antequam
ex utero nasceretur, sanctificata fuit. |
Cependant, [1] l’Église ne célèbre solennellement que celui qui est saint. Or, elle célèbre solennellement la naissance de la bienheureuse Vierge. La bienheureuse Vierge est donc née sainte. Avant qu’elle soit née hors du sein, elle a donc été sanctifiée. |
[7719] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1
qc. 3 s. c. 2 Praeterea,
Lucae 1, 15, de Joanne Baptista dicitur: spiritu sancto replebitur adhuc
ex utero matris suae. Sed plus gratiae collatum est beatae virgini quam
alicui sanctorum, ut in littera ex verbis Augustini dicitur. Ergo beata virgo
adhuc in utero matris spiritu sancto repleta fuit: ergo et sanctificata. |
[2] Il est dit de Jean-Baptiste en Lc 1, 15 : Il sera rempli de l’Esprit Saint alors qu’il sera dans le sein de sa mère. Or, la bienheureuse Vierge a reçu une plus grande grâce qu’un autre saint, comme on le dit dans le texte à partir de paroles d’Augustin. La bienheureuse Vierge a donc été remplie de l’Esprit Saint, alors qu’elle était encore dans le sein de sa mère ; elle a donc été sanctifiée. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[7720] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dicit Dionysius,
sanctitas est ab omni immunditia libera et perfecta et immaculata munditia;
unde cum sanctificari sit sanctum fieri, oportet quod sanctificatio emundationem
ab immunditia spirituali ponat, prout nunc de sanctificatione loquimur.
Emundatio autem a spirituali macula, scilicet culpa, sine gratia esse non
potest, sicut et tenebra non nisi per lucem fugatur; unde sanctificatio
tantum ad eos pertinet qui gratiae capaces sunt: et quia proprium subjectum
gratiae est rationalis natura; ideo ante infusionem animae rationalis beata
virgo sanctificari non potuit et cetera. Ad primam ergo quaestionem dicendum,
quod nullo modo in parentibus sanctificari potuit, neque etiam in ipso actu
conceptionis ejus. Conditio enim specialis personalis a parentibus in prolem
non transit, nisi sit ad naturam corporalem pertinens; ut grammatica patris in
filium non transit, quia perfectio personalis est. Unde et sanctificatio
parentum in beatam virginem transfundi non potuit, nisi curatum esset in eis
non solum id quod personae est, sed etiam id quod est naturae inquantum
hujusmodi: quod quidem Deus facere potuit, sed non decuit. Perfecta enim
naturae curatio ad perfectionem gloriae pertinet; et ideo sic in statu viae
parentes ejus curati non fuerunt ut prolem suam sine originali peccato
concipere possent; et ideo beata virgo in peccato originali fuit concepta,
propter quod b. Bernardus ad Lugdunenses scribit conceptionem illius
celebrandam non esse, quamvis in quibusdam Ecclesiis ex devotione celebretur,
non considerando conceptionem, sed potius sanctificationem: quae quando
determinate fuerit, incertum est. |
Comme le dit Denys, « la sainteté est libre de toute impureté et elle est une pureté parfaite et immaculée ». Puisque être sanctifié, c’est devenir saint, il est donc nécessaire que la sanctification comporte une purification de toute impureté, au sens où nous parlons ici de sanctification. Or, la purification d’une souillure spirituelle, la faute, ne peut exister sans la grâce, comme les ténèbres ne sont fuies que par la lumière. Aussi la sanctification ne concerne-t-elle que ceux qui sont capables de la grâce. Et parce que le sujet propre de la grâce est la nature raisonnable, la bienheureuse Vierge ne pouvait pas être sanctifiée avant l’infusion de son âme raisonnable, etc. En ce qui concerne la première question, il faut donc dire qu’elle ne pouvait aucunement être sanctifiée en ses parents, ni même dans l’acte même de sa conception. En effet, une condition personnelle spéciale n’est pas transmise à la descendance par les parents, sauf si elle se rapporte à la nature corporelle ; ainsi, la grammaire du père ne passe pas dans le fils, car c’est une perfection personnelle. Aussi la sanctification de ses parents ne pouvait-elle être infusée dans la bienheureuse Vierge, à moins que n’ait été guéri en eux, non seulement ce qui relève de la personne, mais aussi ce qui relève de la nature en tant que telle, ce que Dieu pouvait faire, mais qui ne convenait pas. En effet, la guérison parfaite de la nature relève de la perfection de la gloire ; c’est pourquoi ses parents n’ont pas été à ce point guéris qu’ils pouvaient concevoir leur descendance sans le péché originel. Aussi la bienheureuse Vierge a-t-elle été conçue avec le péché originel, raison pour laquelle le bienheureux Bernard écrit aux Lyonnais que la conception de celle-ni ne doit pas être célébrée, bien qu’elle ait été célébrée dans certaines églises par dévotion, en ne prenant pas en compte la conception, mais plutôt la sanctification, dont il est incertain à quel moment précis elle a été réalisée. |
[7721] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod si radix est sancta, secundum id quod est radix, et rami sunt
sancti: quia non potest arbor bona fructus malos facere, Matth. 7, 18;
unde apostolus vult ibi probare quod si antiqui patres sancti fuerunt per fidem
et spem, populus ex eis secundum carnem descendens, sanctus erit, quando
corda filiorum convertentur ad patres. Parentes autem beatae virginis radix
ejus fuerunt per actum naturae propagationi deservientem. Unde nisi natura in
eis sanctificata fuisset, non potuit ex eis sancta proles concipi, sed
vitiata propter vitium naturae in eis remanens. Non autem fuit in eis natura
sanctificata. |
1. Si la racine est sainte, en tant qu’elle est une racine, les rameaux aussi sont saints, car un arbre bon ne peut produire des fruits mauvais, Mt 7, 18. Aussi l’Apôtre veut-il démontrer là que si les pères anciens étaient alors saints par la foi et l’espérance, le peuple, qui descend d’eux selon la chair, sera saint lorsque les cœurs des fils retourneront à leurs pères. Or, les parents de la bienheureuse Vierge ont été sa racine par l’acte qui sert à la transmission de la nature. À moins que la nature n’ait été sanctifiée chez eux, une descendance sainte ne pouvait donc être conçue à partir d’eux, mais [une descendance] viciée en raison du vice de nature qui demeurait en eux. Or, la nature n’a pas été sanctifiée chez eux. |
[7722] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod gratia sanctificans non omnino directe opponitur peccato originali,
sed solum prout peccatum originale personam inficit: est enim gratia
perfectio personalis; peccatum vero originale directe est vitium naturae; et
ideo non oportet quod gratia sanctificans a parentibus traducatur, si
peccatum originale traducatur; sicut et originalis justitia, cui directe
opponitur, traducta fuisset. |
2. La grâce sanctifiante ne s’oppose pas tout à fait directement au péché originel, mais seulement dans la mesure où le péché originel infecte la personne : en effet, la grâce est une perfection personnelle. Mais le péché originel est directement un vice de nature. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que la grâce sanctifiante soit transmise par les parents, alors que le péché originel est transmis, de même que la justice originelle, à laquelle elle s’oppose directement, aurait été transmise. |
[7723] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod concubitus quo beata virgo concepta fuit, meritorius creditur,
non per gratiam omnino purgantem naturam, sed per gratiam perficientem
personas parentum; et ideo non oportuit quod in prole concepta, statim
sanctitas esset, non propter repugnantiam actus matrimonii ad sanctitatem,
sed propter repugnantiam vitii naturae nondum curati. |
3. On croit que le rapport sexuel, par lequel la bienheureuse Vierge a été conçue, était méritoire, non pas en raison de la grâce qui purifie entièrement la nature, mais en raison de la grâce qui perfectionne les personnes des parents. C’est pourquoi il n’était pas nécessaire que la sainteté se trouve aussitôt dans la descendance conçue, non pas en raison d’une opposition de l’acte du mariage à la sainteté, mais en raison de l’opposition d’un vice de nature non encore guéri. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[7724] Super Sent., lib.
3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sanctificatio beatae virginis
non potuit esse decenter ante infusionem animae, quia gratiae capax nondum
erat, sed nec etiam in ipso instanti infusionis, ut scilicet per gratiam tunc
sibi infusam conservaretur, ne culpam originalem incurreret. Christus enim
hoc singulariter in humano genere habet ut redemptione non egeat, quia caput
nostrum est, sed omnibus convenit redimi per ipsum. Hoc autem esse non posset, si alia anima
inveniretur quae nunquam originali macula fuisset infecta; et ideo nec beatae
virgini, nec alicui praeter Christum hoc concessum est. |
La sanctification de la Vierge ne pouvait avoir lieu convenablement avant l’infusion de l’âme, car elle n’était pas encore capable de la grâce, ni dans l’instant même de l’infusion, de sorte qu’elle soit préservée par la grâce infusée en elle d’encourir la faute originelle. En effet, le Christ seul dans le genre humain est tel qu’il n’a pas besoin de rédemption, car il est notre tête, mais il convient à tous d’êtres rachetés par lui. Or, cela ne pourrait être le cas si une autre âme se trouvait n’avoir jamais été infectée par la tache originelle. Aussi cela n’a-t-il été accordé ni à la bienheureuse Vierge, ni à quelqu’un d’autre, en dehors du Christ. |
[7725] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod haec verba de Joanne Baptista dicuntur pro tempore illo quando
ad ingressum matris Dei exultavit in utero, quod fuit in sexto mense a
conceptione ejus, ut verba Angeli ostendunt, Luc. 1; unde constat quod tunc
animam rationalem habebat; et ideo vel per spiritum vitae non intelligitur
anima rationalis, sed respiratio exterioris aeris; vel dicitur spiritus vitae
si de anima intelligitur, nondum inesse, quia nondum manifestabatur, per
modum quo dicuntur res fieri quando innotescunt. |
1. Ces paroles sont dites de Jean-Baptiste au moment où il s’est réjoui dans le sein de l’arrivée de la mère de Dieu, ce qui se passa au sixième mois de sa conception, comme le montrent les paroles de l’ange, Lc 1. Il est donc clair qu’il avait alors une âme raisonnable. C’est pourquoi on n’entend pas par « l’esprit de vie » l’âme raisonnable, mais la respiration de l’air extérieur, ou bien on dit de « l’esprit de vie », si on l’entend de l’âme, n’est pas encore en lui parce qu’il n’a pas encore été manifesté, à la manière dont on dit que des choses arrivent lorsqu’elles sont connues. |
[7726] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod loquitur de notitia approbationis, quae quamvis sit tantum
habentium gratiam, non tamen est eorum solum quando gratiam habent, sed ab
aeterno; unde talis notitia potuit esse Hieremiae ante ejus formationem: non
tamen sanctificatio; quae tamen esse potuit ante egressionem ex utero; et
ideo tempus notitiae et sanctificationis distinguit dominus dicens: priusquam
te formarem in utero, novi te; et antequam exires de ventre, sanctificavi te. |
2. Il parle de la connaissance d’approbation, qui, bien qu’elle se trouve seulement chez ceux qui ont la grâce, ne leur appartient pas seulement lorsqu’ils ont la grâce, mais depuis l’éternité. Aussi une telle connaissance pouvait-elle appartenir à Jérémie avant qu’il ne soit formé, mais non la sanctification, qui a cependant pu exister avant la sortie du sein. Aussi le Seigneur distingue-t-il le temps de la connaissance et [le temps] de la sanctification, en disant : Avant que je ne t’aie formé dans le sein et avant que tu ne sortes du ventre, je t’ai sanctifié. |
[7727] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod haec puritas soli homini Deo debebatur, ut ipse quasi unicus redemptor
humani generis nulla peccati servitute teneretur, cui competebat omnes a
peccato redimere; unde non hanc puritatem, sed sub hac maximam virgo mater
ejus habere debuit. |
3. Cette pureté
n’était due qu’à l’homme Dieu, afin que, en tant qu’unique rédempteur du
genre humain, il ne soit lié par aucune servitude du péché, lui à qui il revenait
de racheter tous [les hommes] du péché. Aussi la Vierge mère ne devait-elle
pas posséder cette pureté, mais la plus grande après celle-ci. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
|
[7728] Super Sent., lib.
3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod beata virgo ante nativitatem ex
utero sanctificata fuit, quod colligi potest ex hoc quod ipsa super omnes
alios sanctos a peccato purior fuit, ut ex hac littera habetur, veluti
divinae sapientiae mater electa, in quam nihil coinquinatum incurrit, ut
dicitur Sap. 7. Unde cum haec
puritas in quibusdam fuisse inveniatur ut ante nativitatem ex utero a peccato
mundarentur, sicut de Joanne Baptista, de quo legitur Luc. 1, 15: spiritu
sancto replebitur adhuc ex utero matris suae; et de Hieremia, de quo dicitur
Hierem. 1, 5: priusquam exires de ventre, sanctificavi te; non est
dubitandum hoc multo excellentius matri Dei collatum fuisse. |
La bienheureuse Vierge a été sanctifiée dès le sein avant sa naissance, ce qui peut être tiré du fait qu’elle a été plus pure par rapport au péché que tous les autres saints, comme on le lit dans le texte, en tant que mère choisie par la sagesse divine, en laquelle elle n’encourt rien de souillé , comme il est dit dans Sg 7. Aussi, lorsqu’on trouve qu’une telle pureté se trouvait chez certains avant la naissance du sein, qu’ils étaient purifiés du péché, comme c’est le cas de Jean-Baptiste, dont il est dit en Lc 1, 15 : Il sera rempli de l’Esprit Saint dès le sein de sa mère, et de Jérémie, dont il est dit en Jr 1, 5 : Avant que tu sois sorti du ventre, je t’ai sanctifié, il ne faut pas douter que cela ait été donné de manière plus excellente à la mère de Dieu. |
[7729] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod verbum Augustini intelligendum est de regeneratione quae fit
per legem communem, quod notatur in hoc quod dicit: qua singuli efficimur
templum Dei; haec enim sanctificatio fit per sacramenta, quae per
ministros Ecclesiae dispensantur, quorum operationi qui in maternis uteris
sunt, subjacere non possunt. Sed Deus sacramentis gratiam non alligavit; unde
praeter hunc modum in maternis uteris aliquos quodam privilegio sanctificat. |
1. La parole d’Augustin doit s’entendre
de la régénération qui se réalise selon la loi commune, qui est indiquée par
ce qu’il dit : « … par laquelle nous devenons le temple de
Dieu. » En effet, cette sanctification se réalise par les sacrements qui
sont dispensés par les ministres de l’Église, et à l’action desquels ceux qui
sont dans le sein maternel ne peuvent se soumettre. Or, Dieu n’a pas lié sa
grâce aux sacrements. Aussi, en plus de cette manière, il en sanctifie
certains par privilège dans le sein maternel. |
[7730] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod si
regeneratio quae est per legem communem, sumatur, oportet verbum domini quod dicitur Joannis 3, 5: nisi quis
renatus fuerit, intelligi de nativitate ex utero quae simpliciter
nativitas dicitur, et hoc ipse textus sonare videtur, cum dicitur: ex aqua
et spiritu. Si autem sumatur pro quacumque regeneratione gratiae, sic
oportet intelligi de nativitate in utero. Non tamen oportet quod regeneratio
spiritualis quae est per sacramenta, secunda dici non possit, quia illae duae
in uno conveniunt, secundum quod contra tertiam dividuntur: utraque enim
illarum naturalis est, haec vero spiritualis. |
2. Si l’on prend la régénération qui se réalise selon la loi commune, il faut entendre de la naissance depuis le sein, qu’on appelle simplement naissance, la parole du Seigneur, dite en Jn 3, 5 : À moins qu’il ne soit né de nouveau. C’est cela que ce texte semble signifier, lorsqu’il est dit : De l’eau et de l’Esprit. Mais si on l’entend de n’importe quelle régénération de la grâce, alors il faut l’entendre de la naissance dans le sein. Toutefois, il n’est pas nécessaire que la régénération spirituelle qui se réalise par les sacrements ne puisse être appelée la seconde, pour autant qu’elle s’oppose à une troisième : en effet, ces deux-là sont naturelles, mais celle-là est spirituelle. |
[7731] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quamvis sanctificatio beatae virginis in utero expresse in
Scriptura veteris et novi testamenti non legatur; tamen pro certo haberi
potest ex his quae ibi leguntur. Si enim Joannes et Hieremias, qui Christum
praenuntiaverunt, sanctificati sunt, multo magis virgo quae Christum genuit. |
3. Bien qu’on ne lise pas expressément, dans l’Écriture de l’Ancien et du Nouveau Testament, que la sanctification de la bienheureuse Vierge ait eu lieu dans le sein, on peut cependant le tenir pour certain à partir de ce qu’on y lit. En effet, si Jean et Jérémie, qui ont annoncé le Christ, ont été [ainsi] sanctifiés, à bien plus forte raison la Vierge qui a engendré le Christ. |
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Articulus 2 [7732] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2
tit. Utrum
beatissima virgo per sanctificationem in utero fuerit totaliter ab originali
mundata |
Article 2 – Par la sanctification dans le sein, la bienheureuse Vierge a-t-elle été entièrement purifiée du péché originel ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La mère de Dieu a-t-elle été entièrement purifiée du péché originel dans le sein ?] |
[7733] Super Sent., lib.
3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod
per sanctificationem in utero Dei genitrix a peccato originali totaliter
mundata non sit. Remota enim macula, reatus remanere non potest. Sed post
sanctificationem originalis peccati adhuc reatus mansit in ea: quia si ante
mortem Christi defuncta fuisset, divina visione caruisset. Ergo per sanctificationem
a macula originali liberata non fuit. |
1. Il semble que la mère de Dieu ait été entièrement purifiée du péché originel dès le sein. En effet, une fois la souillure enlevée, la culpabilité ne peut demeurer. Or, après avoir été été sanctifiée du péché originel, la culpabilité est encore demeurée en elle, car, si elle était morte avant la mort du Christ, elle aurait été privée de la vision de Dieu. Elle n’a donc pas été libérée de la souillure originelle par la sanctification. |
[7734] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea,
nihil quod ad virtutem promovet ei subtrahendum fuit cui virtutis perfectio
debebatur. Sed fomes ad virtutem promovet; unde et Paulo petenti a se carnis
stimulum amoveri, dictum est: virtus in infirmitate perficitur, 2
Cor., 12, 9. Ergo cum matrem Dei summa virtutis perfectio deceret, fomes ab ea
per sanctificationem removeri non debuit. |
2. Rien de ce qui meut à la vertu ne
devait être enlevé à celle à qui était due la perfection de la vertu. Or, la
convoitise pousse à la vertu ; aussi a-t-il été dit à Paul, qui
demandait que l’aiguillon de la chair lui soit enlevé : La vertu s’accomplit dans la faiblesse,
2 Co 12, 9. Puisque la plus haute perfection de la vertu était due
à la mère de Dieu, la convoitise ne devait donc pas lui être enlevée par la
sanctification. |
[7735] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2
qc. 1 arg. 3 Praeterea, in littera Magister dicit,
quod caro Christi, antequam conciperetur, obnoxia fuit peccato, sicut et
reliqua caro virginis. Sed caro non est peccato obnoxia nisi ratione fomitis.
Ergo per sanctificationem in utero fomes ab ea remotus non fuit. |
3. Dans le texte, le Maître dit que la chair du Christ, avant d’être conçue, était exposée au péché, comme le reste de la chair de la Vierge. Or, la chair n’est exposée au péché qu’en raison de la convoitise. La convoitise ne lui a donc pas été enlevée par la sanctification dans le sein. |
[7736] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2
qc. 1 arg. 4 Sed contra, beatae virgini aliquid ultra legem communem
conferendum fuit. Sed sanctificatio quae fit per legem communem, aufert
culpae maculam, fomite remanente. Ergo in beata virgine fomitem ex toto removit. |
4. Quelque chose qui dépassait la loi commune devait être donné à la bienheureuse Vierge. Or, la sanctification qui se réalise selon la loi commune enlève la souillure de la faute, alors que la convoitise demeure. Elle a donc entièrement enlevé la convoitise chez la bienheureuse Vierge. |
[7737] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2
qc. 1 arg. 5 Praeterea,
corruptio fomitis est causa quare dicere non possumus: peccatum non habemus;
hoc enim Adam in primo statu dicere potuit. Sed, ut ex littera habetur, beata virgo hoc
dicere potuit. Ergo in ipsa fomes non fuit. |
5. La corruption de la convoitise est la cause pour laquelle nous ne pouvons pas dire : « Nous n’avons pas de péché. » En effet, Adam pouvait dire cela en son premier état. Mais, comme on le lit dans le texte, la bienheureuse Vierge ne pouvait dire cela. Il n’y a donc pas eu de convoitise chez elle. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La bienheureuse Vierge a-t-elle obtenu d’être exempte du péché actuel par la sanctification dès le sein ?] |
[7738] Super Sent., lib.
3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod per sanctificationem in utero,
immunitatem a peccato actuali consecuta non sit. Sicut enim dicit Augustinus,
Maria per quam gestum est mysterium incarnationis salvatoris, in morte domini
dubitavit, non tamen in dubitatione permansit. Sed dubitatio de fide peccatum est. Ergo non fuit a peccato omnino immunis. |
1. Il semble
que la bienheureuse Vierge n’ait pas obtenu d’être exempte du péché actuel
par la sanctification dès le sein. En effet, comme le dit Augustin, Marie,
par laquelle a été accompli le mystère de l’incarnation du Sauveur, a douté
lors de la mort du Seigneur, mais elle n’est pas demeurée dans le doute. Or,
le doute en matière de foi est un péché. Elle n’a donc pas entièrement
exempte de péché. |
[7739] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
Ambrosius dicit super illud Luc. 1: spiritus sanctus superveniet in te,
spiritus sanctus in virginem superveniens mentem ipsius ab omni sorde
vitiorum castificavit. Sed sordes vitiorum ex peccato consequuntur. Ergo
beata virgo post primam sanctificationem peccavit. |
2. Ambroise dit, à propos de ce passage de Lc 1 : L’Esprit Saint viendra sur toi : « L’Esprit Saint, en venant sur la Vierge, a chassé de son esprit toute souillure des vices. » Or, la souillure des vices découle du péché. La bienheureuse Vierge a donc péché après la première sanctification. |
[7740] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 3 Praeterea,
Augustinus dicit in libro de perfectione justitiae: esse sine peccato, de
solo unigenito in hac vita dici potest. Ergo de beata virgine dici non
potest. |
3. Augustin dit dans le livre Sur la perfection de la justice : « Être sans péché, cela ne peut être dit en cette vie que du seul Fils unique. » Cela ne peut donc être dit de la bienheureuse Vierge. |
[7741] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Bernardus
epistola 174 ad Lugdunenses dicit. Puto quod copiosior gratia
sanctificationis in ipsam descendit, quae non solum ortum ejus sanctificavit,
sed eam ab omni peccato deinceps custodivit immunem. Ergo per primam sanctificationem
immunitatem ab omni peccato consecuta est. |
Cependant, [1] Bernard, dans sa lettre 174 aux Lyonnais, dit : « Je pense que la grâce de la sanctification est descendue plus abondante sur celle dont il a non seulement sanctifié l’origine, mais qu’il a gardée par la suite exempte de tout péché. » Elle a donc obenu l’immunité de tout péché par la première sanctification. |
[7742] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2
qc. 2 s. c. 2 Praeterea,
sapientiae 1, 4, dicitur: in malevolam animam non introibit sapientia, nec
habitabit in corpore subdito peccatis. Sed Dei sapientia non solum animam virginis intravit, sicut et de ceteris
dicitur Sap. 7, 27: in animas sanctas se transfert; sed et corpus ejus
inhabitavit, carnem de ea assumens. Ergo in ea nullum peccatum fuit: quod
colligi potest ex eo quod dicitur Cant. 4, 7: tota pulchra es, amica mea,
et macula non est in te. |
[2]
Il est dit en Sg 1, 4 : La
sagesse n’entrera pas dans une âme malveillante, elle n’habitera pas dans un
corps soumis aux péchés. Or, la Sagesse de Dieu est non seulement entrée
dans l’âme de la Vierge, comme il est dit des autres en
Sg 7, 27 : Elle se porte
dans les âmes saintes, mais elle a habité son corps en assumant d’elle sa
chair. Il n’y avait donc aucun péché en elle, ce qui peut être tiré de ce qui
est dit dans Ct 4, 7 : Tu
es toute belle, mon amie, et il n’y a pas de souillure en toi. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La bienheureuse Vierge, par la seconde sanctification qui s’est réalisée par la conception du Sauveur, a-t-elle obtenu d’être confirmée dans le bien ?] |
[7743] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur, quod per secundam sanctificationem, quae in
conceptione salvatoris fuit, confirmationem in bono consecuta non fuerit.
Quod enim quis jam habet adipisci ulterius non potest. Sed si beata virgo ex
prima sanctificatione immunitatem a peccato habuit, ex tunc confirmata fuit:
non enim certitudo impeccabilitatis habetur nisi per justitiam confirmatam.
Ergo per secundam sanctificationem confirmationem gratiae adepta non est. |
1. Il semble que, par la seconde sanctification qui s’est réalisée par la conception du Sauveur, [la bienheureuse Vierge] n’ait pas obtenu d’être confirmée dans le bien. En effet, ce que quelqu’un possède déjà ne peut pas être de nouveau obtenu. Or, si la bienheureuse Vierge a été exempte de péché en vertu de sa première sanctification, elle a été alors confirmée : en effet, la certitude de l’impeccabilité ne vient que d’une justice confirmée. Elle n’a donc pas obtenu la confirmation de la grâce par sa seconde sanctification. |
[7744] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2
qc. 3 arg. 2 Praeterea, in nullo qui purus viator
fuerit liberum arbitrium confirmatum ad justitiam comprobari potest: potentia enim peccandi et
potentia moriendi ex eodem passu currere videntur, ut non prius tollatur
potentia peccandi quam potentia moriendi. Sed beata virgo etiam postquam
salvatorem concepit, ante mortem suam pura viatrix fuit. Ergo in ea
confirmatio justitiae non fuit. |
2. On ne peut démontrer que le libre arbitre a été confirmé dans la justice chez personne qui est simplement en route [viator]. En effet, la capacité de pécher et la capacité de mourir semblent marcher du même pas, de sorte que la capacité de pécher ne soit pas enlevée avant la capacité de mourir. Or, la bienheureuse Vierge, même après avoir conçu le Sauveur, a été pure sur la route avant sa mort. La justice n’était donc pas confirmée en elle. |
[7745] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2
qc. 3 arg. 3 Item, videtur
quod nec tunc penitus a fomite liberata fuerit. Est enim unus effectus
fomitis ut infecti fomite originalem culpam in prolem generando transfundant.
Sed si per impossibile ponatur beatam virginem alium post Christum ex carnali
copula generasse, peccatum originale in illum transfudisset. Ergo in ea
aliquo modo post secundam sanctificationem fomes remansit. Sed confirmatio
unius oppositorum non potest contingere quamdiu aliquid de opposito remanet.
Ergo beata virgo confirmata non fuit per secundam sanctificationem. |
3. Il semble qu’elle n’ait pas non plus été alors libérée de la convoitise. En effet, c’est un effet de la convoitise, que ceux qui sont affectés par la convoitise transmettent la faute originelle à leur descendance en l’engendrant. Or, si l’on affirme par impossible que la bienheureuse Vierge a engendré quelqu’un d’autre par l’union charnelle après le Christ, elle lui aurait transmis le péché originel. La convoitise demeurait donc en elle d’une certaine manière après la seconde sanctification. Or, la confirmation d’un des contraires ne peut survenir aussi longtemps que quelque chose du contraire demeure. La bienheureuse Vierge n’a donc pas été confirmée par sa seconde sanctification. |
[7746] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2
qc. 3 s. c. 1 Sed contra,
Ambrosius dicit in Lib. de Virgin. beatae virginis: impossibile fuit
uterum virginis, quem Dei filius inhabitando consecravit, alienae copulae coitu
incestari. Sed eadem
ratione nec aliud peccatum in ea esse potuit. Ergo confirmata fuit. |
Cependant, [1] Ambroise dit, dans le Livre sur la virginité de la bienheureuse Vierge : « Il était impossible que le sein de la Vierge, que le Fils de Dieu a sanctifié en l’habitant, soit souillé par une autre union sexuelle. » Or, un autre péché ne pouvait se trouver en elle pour la même raison. |
[7747] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2
qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ubi
est plenitudo lucis, habilitas ad tenebram non remanet. Sed in conceptione
Christi beata virgo tota lumine plena fuit, concipiens illum qui est splendor
gloriae patris, Heb. 1; unde dicitur Ezech. 44: ingressa est gloria domini
templum, et resplenduit. Ergo post illam sanctificationem confirmata
fuit. |
[2] Là où il y a plénitude de lumière, il ne reste pas de possibilité d’enténébrement. Or, par la conception du Christ, la bienheureuse Vierge a été complètement remplie de lumière, en concevant celui qui est la splendeur de la gloire du Père, He 1. Aussi est-il dit en Ez 44 : La gloire du Seigneur est entrée dans son temple et y a resplendi. Elle a donc été confirmée après cette sanctification. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[7748] Super Sent., lib.
3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo ad primam quaestionem dicendum, quod duplex sanctificatio
beatae virginis esse dignoscitur: prima qua in utero sanctificata fuit;
secunda in conceptione salvatoris: et quia sanctificatio emundationem a culpa
dicit, quae sine gratia esse non potest, gratiae autem est firmitatem quamdam
facere; ideo effectus sanctificationis in generali est duplex: scilicet
emundare, et confirmare: et quantum ad utrumque secunda sanctificatio
perfecit primam. In prima enim, secundum quod ab omnibus communiter tenetur,
a peccato originali quantum ad maculam et reatum purgata fuit: sed de
emundatione ejus a fomite diversimode opinantur. Quidam enim dicunt, quod per
primam sanctificationem fomes ex toto sublatus est: quibus contradicit quod
in littera ex verbis Damasceni dicitur, quod in secunda sanctificatione
supervenit in eam spiritus sanctus eam purgans: quod non potest intelligi
nisi de purgatione a fomite: quia peccatum actuale non commiserat, ut dicit
Augustinus. Et ideo alii dicunt quod quantum ad aliquid purgata fuit a fomite
in prima sanctificatione, et quantum ad aliquid fomes remansit: quod etiam
diversimode distinguitur. Quidam enim dicunt, quod subtractus fuit inquantum
est inclinans ad malum; remansit autem inquantum difficultatem est praebens
ad bonum: quos duos fomitis effectus apostolus notat Roman. 7, 19, dicens: non
enim quod volo bonum, hoc ago; sed quod odi malum, hoc facio. Hoc autem
non videtur posse stare: quia secundum idem ex quo est pronitas ad unum
contrariorum, est difficultas ad alterum; sive sit habitus aut forma aliqua,
sicut gravitas trahit deorsum, et causat difficultatem in ascensu; sive etiam
sit privatio sive defectus, sicut debilitas virtutis motivae facit pronitatem
ad casum, et difficultatem in progressu. Unde non potest esse ut fomes
tollatur secundum quod inclinat ad malum, et remaneat secundum quod causat
difficultatem ad bonum. Et ideo dicunt alii, quod fomes est corruptio
personae inquantum impellit ad malum, et inquantum facit difficultatem ad
bonum; et sic penitus in prima sanctificatione subtractus est a beata
virgine. Est etiam corruptio naturae, ratione cujus infectio originalis per actum
naturae in prolem transit, et sic remansit post primam sanctificationem; sic
tamen ab eo purgata est in secunda, ut prolem sine omni originali peccato
conciperet. Hoc etiam non
videtur esse conveniens: quia, sicut dictum est in 2 Lib., dist. 31, qu. 1,
art. 2, corruptio originalis quantum ad id quod culpae est, transit in prolem
a patre; quantum vero ad id quod tantum poenae est, sicut sunt corporis passibilitates,
transit in prolem a matre, quae materiam ministrat. Unde non videtur esse
causa quare Christus conceptus sit sine originali, purgatio matris a fomite
secundum quod inficit naturam ejus; sed magis quia sine virili copula natus
est: quam causam Anselmus assignat in libro de conceptu virginali. Defectus
autem poenales non necessitate sed voluntate assumpsit. Et praeterea, cum
idem fomes sit per essentiam qui est naturae et personae corruptio, si
remanet inquantum est corruptio naturae, non potest essentialiter tolli fomes
personam corrumpens. Unde relinquitur, ut alii dicunt, quod fomes per
essentiam post primam sanctificationem remanserit, sed impeditus est per
gratiam sanctificantem ne in peccatum inclinaret aut a bono retraheret;
contingit enim habitum aliquando ligari ne in actum exire possit, sicut scientia
per ebrietatem, ut dicit philosophus. In secunda vero sanctificatione
essentialiter fomes ille subtractus est. |
On reconnaît une double sanctification de la bienheureuse Vierge : la première, par laquelle elle a été sanctifiée dans le sein ; la seconde, par la conception du Sauveur. Parce qu’on appelle sanctification la purification de la faute, qui ne peut exister sans la grâce, et qu’il revient à la grâce de réaliser une certaine fermeté, l’effet de la sanctification, d’une manière générale, est double : purifier et confirmer. Et la seconde sanctification perfectionne la première sous les deux aspects. En effet, dans la première [sanctification], telle qu’elle est comprise par tous, [la bienheureuse Vierge] a été purifiée du péché originel aussi bien pour ce qui est de la souillure que pour ce qui est de la culpabilité ; mais, à propos de sa purification de la convoitise, les opinions divergent. En effet, certains disent que, par la première sanctification, la convoitise a été entièrement enlevée ; à ceux-ci s’oppose ce qui est dit dans le texte à partir de paroles de [Jean] Damascène, que, dans la seconde sanctification, l’Esprit Saint est venu en elle pour la purifier, ce qui ne peut s’entendre que de la purification de la convoitise, car elle n’avait pas commis de péché actuel, comme le dit Augustin. C’est pourquoi d’autres disent qu’elle a été partiellement purifiée de la convoitise lors de la première sanctification, et que la convoitise est demeurée partiellement, selon diverses distinctions. En effet, certains disent qu’elle a été enlevée dans la mesure où elle incline au mal, mais qu’elle est demeurée dans la mesure où elle rend le bien difficile, les deux effets que l’Apôtre indique dans Rm 7, 19 : Je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je hais. Mais cela ne semble pas pouvoir se tenir, car l’inclination à l’un des contraires est une difficulté par rapport à l’autre, qu’il s’agisse d’un habitus ou d’une forme quelconque, comme la gravité attire vers le bas et cause la difficulté de monter ; ou qu’il s’agisse d’une privation ou d’une carence, comme la faiblesse de la puissance motrice incline à la chute et à la difficulté de progresser. Il ne peut donc se faire que la convoitise soit enlevée en tant qu’elle incline au mal, et qu’elle demeure en tant qu’elle cause une difficulté pour le bien. C’est pourquoi d’autres disent que la convoitisie est une corruption de la personne en tant qu’elle pousse au mal et en tant qu’elle rend le bien difficile ; elle a ainsi été totalement enlevée de la bienheureuse Vierge lors de sa première sanctification. Il existe aussi une corruption de la nature en raison de laquelle l’infection originelle est transmise à la descendance par un acte de la nature, et ainsi demeure après la première sanctification ; cependant, elle a été à ce point purifiée dans la seconde [sanctification], qu’elle allait concevoir une descendance sans aucun péché originel. Mais cela non plus ne semble pas approprié, car, ainsi qu’on l’a dit dans le livre II, d. 31, q. 1, a. 2, la corruption originelle, pour ce qui est de la faute, est transmise à la descendance par le père ; mais, pour ce qui est de la peine, telles les capacités de souffrir du corps, elle est transmise à la descendance par la mère, qui fournit la matière. La purification de la convoitise chez la mère, en tant qu’elle affecte sa nature, ne semble donc pas être la cause pour laquelle le Christ a été conçu sans le péché originel, mais plutôt le fait qu’il est né sans union avec un homme, cause que Anselme indique dans le Livre sur la conception de la Vierge. Or, il n’a pas assumé par nécessité, mais volontairement les carences qui ont caractère de peines. De plus, puisque c’est essentiellement la même convoitise qui est une corruption de la nature et de la personne, la convoitise qui corrompt la personne ne peut être enlevée selon son essence. Il reste donc, comme d’autres le disent, que la convoitise est demeurée en son essence après la première sanctification, mais que, par la grâce sanctifiante, elle a été empêchée d’incliner au péché ou d’éloigner du bien. En effet, il arrive parfois qu’un habitus soit lié, de telle sorte qu’il ne puisse passer à l’acte, comme c’est le cas de la science à cause de l’ébriété, ainsi que le dit le Philosophe. Mais, lors de la seconde sanctification, la convoitise a été enlevée en son essence. |
[7749] Super Sent., lib.
3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod si beata virgo ante passionem Christi
defuncta fuisset, ad Dei visionem non admitteretur, sicut nec alii antiqui
patres: quamvis enim in eis remotus esset reatus ad personam pertinens, remanebat
tamen reatus naturae, qui per passionem Christi sublatus est. |
1. Si la bienheureuse Vierge était morte avant la passion du Christ, elle n’aurait pas été admise à la vision de Dieu, comme ne le sont pas les pères anciens. En effet, même si la culpabilité se rapportant à la personne avait été écartée d’eux, la culpabilité de nature demeurait cependant, laquelle a été enlevée par la passion du Christ. |
[7750] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fomes non
per se promovet in bonum, sed per accidens, inquantum est in natura corrupta:
ex hoc enim quod inclinat ad malum (quae quidem inclinatio personae parvum
malum est) occasionem praebet vitandi maximum malum, scilicet superbiam. Si
tamen hoc malum aliter vitaretur, simpliciter melius esset fomitem non esse:
sicut comestio serpentis per accidens juvat, inquantum aliquem a lepra liberat,
cujus tamen comestio homini sano simpliciter vitanda est. Et ideo beatae
virgini, quae simpliciter sanata fuit a peccato, fomes ad perfectionem
virtutis non contulisset, si ad malum eam inclinasset. |
2. La convoitise ne pousse pas par elle-même au bien, mais par accident, pour autant qu’elle se trouve dans une nature corrompue : en effet, parce qu’elle incline au mal (inclination de la personne qui est un mal mineur), elle présente l’occasion d’éviter un très grand mal, l’orgueuil. Cependant, si ce mal était évité autrement, il serait mieux que la convoitise n’existe tout simplement pas, comme le fait d’être mangé par un serpent aide par accident, pour autant qu’il libère quelqu’un de la lèpre ; le fait d’être ainsi mangé doit cependant être évité tout simplement. C’est pourquoi, si elle l’avait inclinée au mal, la convoitise n’aurait pas conduit à la perfection de la vertu la bienheureuse Vierge, qui a tout simplement été guérie du péché,. |
[7751] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod caro
virginis ante conceptionem dicitur fuisse peccato obnoxia propter fomitem,
qui essentialiter remanebat; quamvis impeditus esset, ut dictum est. |
3. On dit que la chair de la Vierge avant la conception a été exposée au péché en raison de la convoitise, qui demeurait en son essence, mais qu’elle a été empêchée, comme on l’a dit. |
[7752] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illa
sanctificatio beatae virginis excellentior fuit sanctificationibus aliorum:
quod sic patet. In sanctificatione enim quae fit per legem communem in sacramentis,
tollitur culpa, sed remanet fomes inclinans ad peccatum mortale et veniale;
sed in sanctificatis ex utero non manet fomes, secundum quod inclinans est ad
mortale; sed tamen remanet inclinatio fomitis ad venialia, ut patet in
Hieremia et Joanne Baptista, qui peccatum actuale habuerunt non mortale, sed
veniale. Sed in beata
virgine inclinatio fomitis omnino sublata fuit, et quantum ad veniale, et
quantum ad mortale: et quod plus est (ut dicitur), gratia sanctificationis
non tantum repressit in ipsa motus illicitos, sed etiam in aliis efficaciam
habuit; ita ut quamvis esset pulchra corpore, a nullo unquam concupisci
potuit. |
4. Cette sanctification de la bienheureuse Vierge a été meilleure que les sanctifications des autres. Cela apparaît de la manière suivante. Dans la sanctification qui se réalise selon la loi commune dans les sacrements, la faute est enlevée, mais l’aiguillon inclinant au péché mortel et véniel demeure. Mais, chez ceux qui sont sanctifiés dès le sein, la convoitise ne demeure pas en tant qu’elle incline au péché mortel ; cependant, l’inclination de la convoitise aux péchés véniels demeure, comme cela ressort chez Jérémie et Jean-Baptiste, qui ont eu le péché actuel, non pas mortel, mais véniel. Mais, chez la bienheureuse Vierge, l’inclination de la convoitise a été entièrement enlevée quant au péché véniel et quant au péché mortel ; qui plus est, ainsi qu’on le dit, la grâce de la sanctification n’a pas seulement réprimé en elle les mouvements illicites, mais a aussi eu une efficacité pour les autres, de telle sorte que, même si elle était belle de corps, elle ne pût jamais être désirée par quelqu’un. |
[7753] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod necessitas peccandi saltem venialiter provenit in nobis ex inclinatione
fomitis, quae in beata virgine non fuit fomite ligato, ut dictum est. |
5. Le fait de pécher nécessairement vient en nous de l’inclination de la convoitise, qui n’a pas existé chez la bienheureuse Vierge en raison d’une convoitise liée, comme on l’a dit. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[7754] Super Sent., lib.
3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut in prima sanctificatione
fuit quaedam inchoatio emendationis, remoto peccato originali quantum ad
culpam, et ligato fomite; ita etiam fuit quaedam inchoatio confirmationis:
quia per gratiam sanctificantem immunitatem a peccato deinceps consecuta est:
quae quidem immunitas a tribus causabatur; scilicet ex ligatione fomitis, qui
ad malum non incitabat; ex inclinatione gratiae, quae in bonum ordinabat,
quamvis nondum per eam liberum arbitrium esset in fine ultimo stabilitum,
sicut est in beatis, qui ad finem viae pervenerunt; et iterum ex
conservatione divinae providentiae, quae eam intactam custodivit ab omni
peccato, sicut et in primo statu hominem ab omni nocivo protexisset. |
De même que, lors de la première sanctification, il y eut un début de correction, par l’enlèvement du péché originel quant à la faute et par l’enchaînement de la convoitise, de même aussi, il y eut un début d’affermissement, car, par la grâce sanctifiante, elle a ensuite obtenu l’immunité du péché, immunité qui est causée par trois choses : par l’enchaînement de la convoitise, qui ne l’incitait pas au mal ; par l’inclination de la grâce, qui ordonnait au bien, bien que, par elle, le libre arbitre n’était pas encore affermi dans la fin ultime, comme c’est le cas chez les bienheureux, qui sont parvenus à la fin de leur vie ; et aussi par la préservation de la providence divine, qui l’a gardée intacte de tout péché, comme elle avait protégé l’homme de toute nuisance dans son premier état. |
[7755] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo contra hoc objectum
dicendum, quod dubitatio, quae sonat infirmitatem fidei, sine peccato esse
non potest; nec talis dubitatio in beata virgine fuit in tempore passionis;
sed in ea remansit fides firmissima, etiam apostolis dubitantibus. Sed fuit
in ea quaedam dubitatio admirationis, dum considerabat eum quem tam digne genuerat,
sic ignominiose tractari. |
1. Contre cette objection, il faut dire que le doute, qui signale une faiblesse de la foi, ne peut exister sans péché. Un tel doute n’a pas existé chez la Vierge au moment de la passion, mais la foi la plus solide est demeurée chez elle, même si les apôtres doutaient. Mais il y eut chez elle un doute dû à l’étonnement, alors qu’elle voyait que celui qu’elle avait si dignement engendré était si ignominieusement traité. |
[7756] Super Sent., lib. 3
d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sordes vitiorum, a quibus in conceptione
salvatoris beata virgo castificata dicitur, non fuerunt aliqua peccata
venialia, sed reliquiae quaedam originalis peccati, sicut recedente habitu
adhuc aliquae dispositiones manent. Vel dicendum, quod castificatio a
sordibus vitiorum non intelligitur remotio existentium, sed impedimentum
futurarum sordium. |
2. Les souillures des vices, dont on dit que la bienheureuse Vierge a été purifiée lors de la conception du Sauveur, n’étaient pas des péchés véniels, mais des restes du péché originel, comme lorsque des dispositions demeurent après la disparition d’un habitus. Ou bien il faut dire que la purification des souillures des vices ne s’entend pas de l’enlèvement de celles qui existent, mais de l’empêchement de souillures à venir. |
[7757] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod esse sine peccato dicitur esse proprium Christo, quia ipse
nunquam nec actuali nec originali macula infectus est. Sed virgo mater ejus fuit
quidem peccato originali infecta, a quo emundata fuit, antequam ex utero
nasceretur: sed a peccato actuali omnino immunis fuit. |
3. On dit qu’être sans péché est propre au Christ parce qu’il n’a jamais été infecté ni par le péché originel, ni par un péché actuel. Mais la Vierge, sa mère, a été infectée par le péché originel, dont elle a été purifiée avant de sortir du sein. Mais elle a été entièrement exempte de péché actuel. |
[7758] Super Sent., lib. 3 d. 3
q. 1 a. 2 qc. 2 ad s. c. Alia duo concedimus. |
[1-2] Nous concédons les deux autres objections. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
|
[7759] Super Sent., lib.
3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in secunda sanctificatione et
emundatio et confirmatio in bono quodammodo consummata est secundum
perfectionem viae; sed in assumptione ejus gloriosa consummata est secundum
perfectionem patriae; quod sic patet. In prima enim sanctificatione ablata
fuit inclinatio fomitis remanente essentia ejus. In secunda vero fuit extinctus
ipse fomes per essentiam, remanentibus adhuc poenalitatibus ex peccato
causatis, a quibus plene liberata fuit per gloriam assumptionis. Similiter
etiam est ex parte altera. In prima sanctificatione gratia collata fuit ad
bonum efficaciter liberum arbitrium inclinans, quamvis non esset sufficiens
ad tollendum flexibilitatem liberi arbitrii in malum, quam etiam homo in
primo statu habuit. In secunda vero sanctificatione gratia superaddita fuit,
quae ita potentiam liberi arbitrii impleret ut in contrarium flecti non
posset, non quidem tollendo naturam libero arbitrio, sed defectum; sicut
materia caeli ex eo quod subsistit formae quae omnem privationem ab ea
excludit, non est in potentia ad corruptionem. Sed in tertia exaltatione ejus
per gratiam perfectam in gloriam transeuntem fini conjuncta est, ex quo
perfecta immobilitas causatur. |
Lors de la seconde sanctification, la purification et l’affermissement dans le bien ont été d’une certaine manière consommés selon la perfection de la route ; mais, lors de son assomption glorieuse, selon la perfection de la patrie. Cela apparaît de la manière suivante. Lors de la première sanctification, l’inclination de la convoitise a été enlevée, alors que demeurait son essence. Mais, lors de la seconde, la convoitise elle-même a été éteinte en son essence, alors que demeuraient encore des peines causées par la péché, dont elle a été pleinement libérée par la gloire de l’assomption. Il en va de même d’un autre point de vue. Lors de la première sanctification, la grâce a été conférée pour incliner efficacement le libre arbitre au bien, bien qu’elle n’ait pas été suffisante pour enlever au libre arbitre la capacité de pencher vers le mal, [possibilité] que l’homme avait en son premier état. Mais, lors de la seconde sanctification, une grâce fut ajoutée, qui comblerait tellement la puissance du libre arbitre, qu’il ne pourrait pas être incliné en sens contraire, sans enlever la nature du libre arbitre, mais sa carence, comme la matière du ciel, du fait qu’elle est sous-jacente à une forme qui écarte d’elle toute privation, n’est pas en puissance à la corruption. Mais lors de sa troisième exaltation, elle a été unie à sa fin par une grâce parfaite qui se change en gloire, et une parfaite immobilité est ainsi causée. |
[7760] Super Sent., lib.
3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo contra hoc objectum dicendum, quod in prima sanctificatione consecuta
est immunitatem a peccato, non per gratiam confirmantem, sed per ligationem
fomitis ad malum inclinantis, et per custodiam divinae providentiae, sine
qua, etiam fomite omnino extincto, peccare potuisset, sicut et Adam peccavit,
nisi esset in ea gratia consummata. |
1. Lors de la première sanctification, elle a obtenu d’être exempte de péché, non pas par une grâce qui l’affermissait, mais par la ligature de la convoitise qui incline au mal et par la protection de la providence divine, sans laquelle, même si la convoitise est entièrement éteinte, elle aurait pu pécher, comme Adam a péché, à moins qu’elle n’ait été consommée en grâce. |
[7761] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod potentia peccandi aufertur dupliciter. Vel per hoc quod liberum
arbitrium ultimo fini conjungitur, qui ipsum superimplet, ut nullus defectus
in eo remaneat; et hoc fit per gloriam; unde in nullo puro viatore sic
peccandi potentia solvitur, ut cum ablatione potentiae peccandi tollatur
potentia moriendi, nisi in Christo, in quo dispensative remansit, ad opus
redemptionis complendum. Alio modo aufertur per hoc quod gratia tanta
infunditur, quae omnem defectum tollat; et sic in beata virgine, quando
concepit Dei filium, ablata est peccandi potentia, quamvis in statu viae ipsa
virgo remaneret. |
2. La capacité de pécher est enlevée de deux manières. Par le fait que le libre arbitre est uni à la fin ultime qui le comble, de telle sorte qu’il n’y demeure aucune carence : cela est réalisé par la gloire. Aussi, chez aucun simple voyageur, la puissance de pécher n’est-elle ainsi enlevée, de sorte qu’avec l’enlèvement de la capacité de pécher soit enlevée la capacité de mourir, sauf chez le Christ, en qui elle demeure par dispensation pour l’achèvement de l’œuvre de la rédemption. Elle est enlevée d’une autre manière par le fait qu’une si grande grâce a été versée qu’elle enlève toute carence : c’est le cas chez la bienheureuse Vierge. Lorsque’elle a conçu le Fils de Dieu, la capacité de pécher a été enlevée, bien que la bienheureuse Vierge soit demeurée dans l’état d’itinérance (in statu viae). |
[7762] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod si per impossibile ponatur, beatam virginem post secundam
sanctificationem alium filium ex carnali copula concepisse, ille filius
peccatum originale habuisset, non ex parte matris, sed ex parte patris. Si
vero ponatur illum patrem pari modo sanctificatum fuisse sicut beata virgo in
sanctificatione secunda, ille filius peccatum originale non habuisset. Vel
dicendum secundum aliam opinionem, quod neque in secunda sanctificatione fomes
remotus fuit a beata virgine secundum quod est infectio naturae. Neque hoc prohibet
confirmationem ejus in bono: fomes enim confirmationi opponitur secundum quod
est vitium personae, ad concupiscentiam actualem inclinans. |
3. Si, par impossible, on affirme que la bienheureuse Vierge, après la seconde sanctification, a conçu un autre fils par l’union charnelle, ce fils aurait eu le péché originel, non pas à partir de sa mère, mais à partir de son père. Mais si on affirme que ce père a été également sanctifié comme la bienheureuse Vierge dans la seconde sanctification, ce fils n’aurait pas eu le péché originel. Ou bien il faut dire, selon une autre opinion, que la convoitise, selon qu’elle est une infection de nature, n’a pas été enlevée chez la bienheureuse Vierge après la seconde sanctification,. Mais cela n’empêche pas son affermissement dans le bien : en effet, la convoitise s’oppose à l’affermissement du fait qu’elle est un vice personnel qui incline à la concupiscence actuelle. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [La puissance génératrice de la
bienheureuse Vierge ]
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Prooemium |
Prologue |
[7763] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 pr. Deinde quaeritur de potentia generativa
beatae virginis; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum aliquid ad Christi
conceptionem active operata sit; 2 utrum generatio filii ex ea sit naturalis,
vel miraculosa. |
On s’interroge ensuite sur la puissance génératrice de la bienheureuse Vierge. À ce propos, on soulève deux questions : 1 – A-t-elle contribué activement à la conception du Christ ? 2 – L’engendrement d’un fils par elle a-t-il été naturel ou miraculeux ? |
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Articulus 1 [7764] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1
tit. Utrum virgo
aliquid active ad Christi conceptionem operata fuerit |
Article 1 – La bienheureuse Vierge
a-t-elle contribué activement à la conception du Christ ?
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[7765] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod beata virgo aliquid active in conceptione Christi cooperata sit.
Potentia enim pure passiva est receptiva tantum. Sed Damascenus dicit, ut in
littera habetur, quod non tantum dedit spiritus sanctus virgini potentiam
receptivam verbi, sed simul etiam generativam. Ergo oportet quod per
potentiam generativam intelligatur virtus activa ipsius; et ita in
conceptione Christi aliquid active operata est. |
1. Il semble que la bienheureuse Vierge ait contribué activement à la conception du Christ. En effet, une puissance purement passive n’est que réceptive. Or, [Jean] Damascène dit, comme on le lit dans le texte, que non seulement le Saint-Esprit a donné à la Vierge la capacité de recevoir le Verbe, mais aussi une capacité d’engendrer. Il faut donc entendre par la capacité génératrice une puissance active de sa part. Ainsi a-t-elle contribué activement à la conception du Christ. |
[7766] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1
arg. 2 Praeterea, hoc quod dicitur Luc. 1,
35: virtus altissimi obumbrabit tibi, intelligitur quantum ad collationem alicujus virtutis supra eam quam
naturaliter habebat. Sed beata virgo naturaliter habuit, sicut et aliae virgines,
potentiam generandi per modum passionis, seu receptionis. Ergo potentia quam
sibi Damascenus per spiritum sanctum dicit praeparatam, est potentia activa;
et sic idem quod prius. |
2. Ce qui est dit en Lc 1, 35 : La puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre, s’entend de l’apport d’une puissance dépassant celle qu’elle possédait naturellement. Or, la bienheureuse Vierge avait, comme les autres vierges, la puissance d’engendrer par mode de passion ou de réception. La puissance dont [Jean] Damascène dit qu’elle a été préparée pour lui par le Saint-Esprit est donc une puissance active. La conclusion est ainsi la même que le précédemment. |
[7767] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1
arg. 3 Praeterea,
dicit Augustinus: Christus secundum hoc est filius matris quod accepit a
matre. Sed dicitur filius matris secundum humanam naturam. Ergo humanam
naturam accepit a matre; et sic beata virgo aliquid in conceptione operata
est. |
3. Augustin dit : « Le Christ est le fils de sa mère selon ce qu’il a reçu de sa mère. » Or, il est appelé le fils de sa mère selon sa nature humaine. Il a donc reçu de sa mère la nature humaine . Et ainsi, la bienheureuse Vierge a donc réalisé quelque chose lors de sa conception. |
[7768] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1
arg. 4 Praeterea,
beata virgo fuit vera mater Christi. Sed non esset vera mater ejus, si tantum
materiam ministrasset: non enim dicitur terra proprie mater hominis, quamvis
limus, unde formatur homo, de terra sumptus sit: nec similiter dici potest
lignum mater scamni, eo quod de eo fit. Ergo beata virgo non tantum ministravit materiam
ad conceptionem Christi, sed aliquid active fecit. |
4. La bienheureuse Vierge a été la mère véritable du Christ. Or, elle ne serait pas sa mère véritable si elle n’avait apporté que la matière : en effet, la terre n’est pas appelée au sens propre la mère de l’homme, bien que le limon dont l’homme est formé ait été pris de la terre ; et le bois ne peut pas être non plus appelé la mère de l’escabeau du fait que celui-ci est réalisé à partir de lui. La bienheureuse Vierge n’a donc pas apporté seulement la matière dans la conception du Christ, mais elle a réalisé quelque chose de manière active. |
[7769] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1
arg. 5 Praeterea, Commentator, in 2 de anima,
ponit hanc distinctionem potentiarum animae: quod potentiae nutritivae
partis, omnes sunt activae; potentiae sensitivae, omnes sunt passivae; in
intellectu autem est aliquid activum, ut intellectus agens, et aliquid
passivum, ut intellectus possibilis. Sed potentia generativa ad vegetabilem
animam pertinet; unde etiam plantis inest. Ergo est potentia activa. Cum ergo
per potentiam generativam mater filium concipiat, videtur quod aliquid active
in conceptione agat; et sic idem quod prius. |
5. Dans Sur l’âme, II, le Commentateur affirme une distinction entre les puissancee de l’âme : les puissances de la partie nutritive sont toutes actives ; les puissances sensibles sont toutes passives ; mais, dans l’intellect, il y a quelque chose d’actif, tel l’intellect agent, et quelque chose de passif, tel l’intellect possible. Or, la puissance génératrice relève de l’âme végétative ; aussi est-elle présente dans les plantes. Elle est donc une puissance active. Puisque la mère conçoit son fils par la puissance génératrice, il semble donc qu’elle réalise activement quelque chose dans la conception. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[7770] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1
arg. 6 Praeterea,
motus naturalis est cujus principium est intra. Sed generatio filii ex matre,
est naturalis. Ergo in ipsa materia quam mater ministravit ad formationem
conceptus, est principium aliquod active cooperans ad conceptionem; et sic
idem quod prius. |
6. Un mouvement naturel est celui dont le principe est interne. Or, la génération du fils par sa mère est naturelle. Dans la matière même que la mère apporte pour la formation du fœtus existe donc quelque chose qui coopère activement à la conception. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[7771] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 s.
c. 1 Sed contra, beata virgo non fuit nisi mater Christi. Sed ad matrem non
pertinet nisi ministrare materiam, non autem aliquid active operari, quod est
patris. Ergo beata
virgo nihil active ad conceptionem Christi operata est. Media probatur per hoc quod philosophus
dicit, 15 de animalibus: vir dat animam, formam, et principium motus;
femina dat corpus et materiam; sicut accidit in lacte coagulato, quod corpus
exit ex lacte, et coagulatio ex coagulo; et post pauca subdit: manifestum
est quod mas est operans, et femina patens; sicut erit scamnum ex carpentario
et ligno. |
Cependant, [1] La bienheureuse Vierge n’a été que la mère du Christ. Or, il n’appartient à la mère que d’apporter la matière, et non pas de réaliser quelque chose activement, ce qui appartient au père. La bienheureuse Vierge n’a donc en rien contribué activement à la conception du Christ. La mineure est démontrée par ce que le Philosophe dit, Sur les animaux, XV : « L’homme donne l’âme, la forme et le principe du mouvement ; la femme donne le corps et la matière, comme il arrive dans le lait coagulé : le corps vient du lait, et la coagulation, de la présure. » Peu après, il ajoute : « Il est clair que le mâle est actif et la femme passive, comme ce sera le cas de l’escabeau qui vient du charpentier et du bois. » |
[7772] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 s.
c. 2 Praeterea,
Augustinus dicit, 10 super Genesim ad litteram: Christus visibilem carnis
substantiam de carne virginis assumpsit; ratio vero conceptionis non a virili
semine, sed longe aliter, ac desuper venit. Sed virtus activa in
conceptione dicitur ratio conceptionis. Ergo agens in conceptione Christi
fuit tantum desuper, et non in beata virgine. |
[2] Augustin dit, dans son Commentaire littéral de la Genèse, X : « Le Christ a reçu la substance visible de sa chair de la chair de la Vierge ; mais la raison de la conception ne vient pas d’une semence virile, mais de bien autre chose : elle vient d’en haut. » Or, la raison de la conception dans la conception est appelée la puissance active. L’agent dans la conception du Christ venait donc uniquement d’en haut, et non de la bienheureuse Vierge. |
[7773] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 s.
c. 3 Praeterea,
Anselmus dicit in Lib. de conceptu Virgin.: illud subjectum non creata
natura, non voluntas creaturae, non ulli data potestas producit aut seminat.
Ergo in beata virgine non fuit naturaliter neque divino dono potentia activa
corpus Christi producens. |
[3] Anselme dit, dans le Livre sur la conception de la Vierge : « Ce sujet n’est pas une nature créée, ni une volonté de la créature : une puissance donnée à personne ne le produit pas ni ne le sème. » Une puissance active pour produire le corps du Christ n’existait donc dans la bienheureuse Vierge ni naturellement ni par un don de Dieu. |
[7774] Super Sent., lib. 3 d. 3
q. 2 a. 1 s. c. 4 Praeterea, nulla virtus creata subito operatur. Sed in conceptione Christi simul et subito
factum est quidquid ibi factum est de organizatione, animatione, et
hujusmodi. Ergo non fuit
active nisi per virtutem increatam. |
[4] Aucune puissance créée n’agit d’un coup. Or, dans la conception du Christ, s’est réalisé d’un coup et subitement tout ce qui y a été réalisé : l’organisation, l’animation et les choses de ce genre. Cela n’a donc pas été activement réalisé que par une puissance incréée. |
[7775] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc
diversimode opinatum est. Quidam enim dicunt in conceptione Christi matrem
aliquid active operatam esse; quorum quidam hoc ponunt fuisse per naturalem
modum, quidam vero per supernaturale donum. Cum enim beata virgo vera mater
Christi credatur, oportet sibi attribuere totum illud quod matris est. Ad
officium autem matris pertinere aestimant ut aliquod principium activum ad
conceptionem ministret, et non materiale tantum. Hoc tamen ponitur
diversimode. Quidam enim in materia quam mater ministrat, ponunt esse
virtutem activam principaliter: tum quia ex commixtione seminum conceptionem
fieri ponunt; unde sicut semen viri est activum in generatione, ita et semen
mulieris, quamvis non sit in ea tanta efficacia ad agendum: tum etiam quia
ponunt conceptam prolem sensificari et vegetari per animam matris, ut sic
etiam principalior inveniatur in generatione mater quam pater. Hoc autem philosophus reprobat
in 15 de animalibus. In his enim quae habent vitam perfectam, distinguuntur
agens et patiens in generatione propter perfectam generationem in eis. In plantis autem quae imperfectam vitam
habent, est in eodem utraque virtus, activa scilicet et passiva: quamvis forte
in una planta dominetur virtus activa, et in alia virtus passiva: propter
quod dicitur etiam una planta masculina, et alia feminina. Cum igitur
impossibile sit illud quod est determinatum ut patiens, habere virtutem
activam respectu ejusdem, oportet quod femina non sit agens in conceptione,
sed tantum patiens. Et ideo alii dicunt, quod id quod mater ministrat, se
habet in generatione sicut materia naturalis. In materia autem naturali non
est potentia passiva tantum (alias generatio esset violenta, et non
naturalis), sed oportet inesse materiae ipsam formam quae per generationem
adducenda est, in potentia, et secundum esse incompletum; et ideo non habet
perfectam virtutem ad agendum, sed tantum imperfectam; et ideo per se non
potest agere nisi quodammodo excitetur ab agente exteriori, et sic ei
cooperetur. Hoc autem non potest stare: quia impossibile est idem esse
alterans et alteratum; unde non potest esse quod forma quae est in aliqua
materia, agat in ipsam, sive sit perfecta, sive imperfecta: forma enim quae
per se non existit, non agit, nec proprie patitur, sed compositum agit
ratione formae, et patitur ratione materiae; et ideo non est possibile quod
illa forma imperfecta in agendo cooperetur agenti exteriori. Praeterea agere sequitur
ad esse perfectum, cum unumquodque agat secundum quod est in actu; unde
oportet quod forma imperfecte existens in materia, prius perficiatur in esse
per agens exterius quam detur sibi agere; unde non potest in agendo cooperari
ad generationem per quam forma in esse perfectum adducitur. Et praeterea, si
esset de necessitate matris ut active ad generationem operaretur, beata virgo
non posset dici mater. Cum enim conceptio illa tota sit simul facta, non
potuit per aliquam creatam activam virtutem fieri; unde beata virgo non potuit
active operari ad conceptionem; et sic non habuisset illud quod ad matrem
pertinet; unde nec mater esset. Nec potest dici quod cooperata sit ad
introductionem formae tantum, quae etiam secundum naturam in instanti
inducitur. Inducens enim formam est nobilius quam praeparans materiam per alterationem;
et sic spiritui sancto attribueretur id quod minus est, et virgini id quod
dignius est. Et praeterea forma substantialis ad quam terminatur conceptio,
est anima, quae est actus totius et omnium partium; unde remota ea, nec os
nec caro dicitur nisi aequivoce. Ad animam autem Christi constat nihil active
beatam virginem cooperatam esse. Et ideo alii dicunt, quod beata virgo habuit
aliquid plus ex supernaturali virtute quam aliae matres: materia enim quae ab
aliis ministratur, non potest seipsam complete in actum educere, nisi sit
agens exterius: sed materia corporis Christi, quam beata virgo ministravit,
hoc habuit ex dono divino, ut posset seipsam formare per virtutem
superadditam naturae. Sed non poterat in instanti hoc fieri; et ideo, quia
decebat conceptionem in instanti esse, praevenit spiritus sanctus, subito
formationem corporis Christi complens, quae tamen aliter, licet successive,
completa fuisset. Istud autem non videtur conveniens. Primo, quia si illa
virtus non cooperata est ad formationem corporis Christi, frustra collata
est: quod non contingit in operibus naturae, et multo minus in operibus
miraculosis. Secundo, quia
beata virgo non eligebatur ut esset simul pater et mater Christi, sed ut
esset mater tantum: unde non oportebat ut in materia quam virgo ministravit,
conjungeretur hoc quod in aliis est ex parte patris et matris. Tertio, quia secundum
activam vel passivam potentiam generandi nullus dicitur pater vel mater; sed
secundum quod potentia in actum procedit. Unde si in materia quam virgo ministravit, fuit potentia activa quae
exigitur ad patrem et matrem sine hoc quod virtus illa operata sit, non
diceretur neque pater neque mater, aut eadem ratione pater et mater, quod
absurdum est: nisi forte sufficiat ad esse matrem hoc solum quod materiam
ministravit, quod non sufficit ad esse patrem, propter quod mater dicitur et
non pater: et hoc quidem videtur esse secundum intentionem philosophi,
secundum quam perfectissime salvatur virginitas matris et vera maternitas;
unde et fidei maxime consona est. Hanc igitur viam tenendo, dicendum videtur,
quod in conceptione prolis invenitur triplex actio. Una quae est principalis,
scilicet formatio et organizatio corporis; et respectu hujus actionis, agens
est tantum pater, mater vero solummodo ministrat materiam. Alia actio est
praecedens hanc actionem, et praeparatoria ad ipsam; cum enim generatio
naturalis sit ex determinata materia, eo quod unusquisque actus in propria
materia fit, sicut in 2 de anima dicit philosophus, oportet ut formatio
prolis fiat ex materia convenienti, et non ex quacumque. Unde oportet esse aliquam
virtutem agentem, per quam praeparetur materia ad conceptum. Sicut autem
dicit philosophus, ars quae operatur formam, principatur et imperat ei quae
praeparat materiam, sicut ars compaginans navim ei quae complanat ligna; et
ideo virtus quae praeparat materiam ad conceptum est imperfecta respectu ejus
quae ex materia praeparata prolem format. Haec autem virtus praeparans est matris, quae imperfecta est respectu
virtutis activae quae est in patre; unde dicit philosophus, quod mulier est
sicut puer qui nondum potest generare. Tertia actio est concomitans, vel
sequens actionem principalem. Sicut enim locus facit ad bonitatem
generationis; ita et bona dispositio matricis operatur ad bonam dispositionem
prolis, quasi praebens fomentum: et hoc est quod dicit Avicenna in cap. de
diluviis: matrix non facit nisi ad meliorationem concepti. Secundum
hoc ergo dico, quod in principali actione formationis corporis Christi nihil
fuit ex parte beatae virginis quod esset activum; sed id quod beata virgo
ministravit, se habuit materialiter tantum ad hanc actionem; virtus autem
divina fecit totum quod fit in aliis conceptionibus per virtutem seminis quod
est a patre; et ideo Damascenus divinam virtutem dicit quasi divinum semen,
ut in littera habetur. In secunda vero et tertia actione beata virgo active operata est,
sicut aliae matres; unde et vere mater fuit. |
Réponse. À ce sujet, il a existe diverses opinions. En effet, certains disent que, dans la conception du Christ, sa mère a activement contribué. Parmi eux, certains affirment que cela a été d’une manière naturelle, mais d’autres par un don surnaturel. En effet, puisqu’on croit de la bienheureuse Vierge qu’elle est la mère véritable du Christ, il est nécessaire de lui attribuer tout ce qui relève de la mère. Or, ils estiment que la fonction de la mère est d’apporter un principe actif à la conception, et non pas seulement un principe matériel. Cependant, on affirme cela de diverses manières. En effet, certains disent qu’une puissance active existe principalement dans la matière que la mère apporte, d’abord, parce qu’ils affirment que la conception arrive par le mélange des semences : aussi, comme la semence de l’homme est active dans la génération, de même la semence de la femme, bien qu’il n’existe pas en elle une aussi grande puissance active ; ensuite, parce qu’ils affirment que la descendance engendrée tire sa capacité sensible et végétative de l’âme de la mère, de sorte que la mère est même plus importante que le père dans la génération. Mais le Philosophe réfute cela dans Sur les animaux, XV. En effet, chez ce qui a une vie parfaite, ce qui agit et ce qui subit est distinct dans la génération. Mais, dans les plantes, qui ont une vie imparfaite, les deux puissances, l’active et la passive, existent dans le même sujet, bien que, peut-être, la puissance active l’emporte dans une plante, et la puissance passive dans une autre, raison pour laquelle on parle aussi de plante mâle et de plante femelle. Puisqu’il est impossible que ce qui est déterminé comme subissant ait une puissance active par rapport à la même chose, il est donc nécessaire que la femelle n’ait pas de rôle actif dans la conception, mais seulement un rôle passif. C’est pourquoi d’autres disent que ce que la mère apporte joue le rôle de matière naturelle dans la génération. Or, dans la matière naturelle, il n’existe pas seulement une puissance passive (autrement, la génération serait violente, et non naturelle), mais il est nécessaire qu’y existe, en puissance et selon un être incomplet, la forme même de la matière qui doit être apportée par la génération. C’est pourquoi elle n’a pas une capacité d’agir parfaite, mais seulement imparfaite. Aussi ne peut-elle agir par elle-même que si elle est d’une certaine manière excitée par un agent extérieur et coopère ainsi avec lui. Mais cela ne peut être soutenu, car il est impossible que la même chose en même temps altère et soit altérée. Il ne se peut donc pas que la forme qui existe dans une matière agisse sur elle, qu’elle soit parfaite ou imparfaite. En effet, la forme qui n’existe pas par elle-même n’agit pas, ni ne subit au sens propre ; mais le composé agit en raison de la forme, et il subit en raison de la matière. C’est pourquoi il n’est pas possible que cette forme imparfaite coopère à l’action d’un agent extérieur. De plus, l’action découle d’un être parfait, puisque tout agit selon qu’il est en acte. Il faut donc que la forme qui existe imparfaitement dans la matière soit d’abord amenée à la perfection de l’être par un agent extérieur avant qu’il ne lui soit donné d’agir ; elle ne peut donc pas coopérer activement à la génération par laquelle une forme est amenée à l’être parfait. De plus, si la mère agissait nécessairement d’une manière active en vue de la génération, la bienheureuse Vierge ne pourrait pas être appelée mère. En effet, puisque cette conception a été réalisée tout entière simultanément, elle ne pouvait être réalisée par une puissance créée. La bienheureuse Vierge ne pouvait donc pas agir activement en vue de la conception. Et ainsi, elle n’aurait pas possédé ce qui relève de la mère. Elle ne serait donc pas non plus mère. Et on ne peut pas dire qu’elle a coopéré seulement à l’introduction de la forme, qui est aussi introduite dans l’instant selon la nature. En effet, ce qui introduit la forme est plus noble que ce qui prépare la matière par une altération. On attribuerait ainsi à l’Esprit Saint ce qui est inférieur, et à la Vierge, ce qui est plus digne. De plus, la forme substantielle à laquelle se termine la conception est l’âme, qui est l’acte du tout et de toutes les parties ; aussi, si celle-ci est enlevée, on ne parle de bouche ni de chair que de manière équivoque. Or, il est clair que la bienheureuse Vierge n’a en rien coopéré à l’âme du Christ. C’est pourquoi d’autres disent que la bienheureuse Vierge possédait quelque chose de plus que les autres mères par une puissance surnaturelle. En effet, elle ne peut amener elle-même à l’acte la matière qui est apportée par les autres, à moins qu’il n’y ait un agent extérieur. Or, la matière du corps du Christ, que la bienheureuse Vierge a apportée, elle avait par un don de Dieu de pouvoir en donner elle-même la forme par une puissance ajoutée à la nature. Mais cela ne pouvait se réaliser dans l’instant. Aussi, parce qu’il convenait que la conception se réalise dans l’instant, l’Esprit Saint a-t-il pris les devants pour réaliser d’un coup la formation du corps du Christ, qui aurait néanmoins été achevée autrement, bien que de manière successsive. Mais cela ne semble pas approprié. Premièrement, parce que si cette puissance n’a pas coopéré à la formation du corps du Christ, elle a été donnée en vain, ce qui n’arrive pas dans les œuvres de la nature, et encore moins dans les œuvres miraculeuses. Deuxièmement, parce que la bienheureuse Vierge n’était pas choisie pour être en même temps le père et la mère du Christ, mais pour être sa mère seulement. Il ne fallait donc pas que, dans la matière que la Vierge apportait, soit uni ce qui vient du père et de la mère dans les autres. Troisièmement, parce que personne n’est appelé père ou mère en vertu de la puissance active ou passive d’engendrer, mais selon que la puissance passe à l’acte. Si donc, dans la matière que la Vierge apportait, existait la puissance active qui est requise pour que le père et la mère exercent cette puissance, elle ne serait appelée ni père ni mère, ou, pour la même raison, père et mère, ce qui est absurde, à moins qu’il ne suffise pour être mère que le fait d’avoir fourni la matière, ce qui ne suffit pas pour être père, raison pour laquelle elle est appelée mère, et non pas père. Telle semble être l’intention du Philosophe, selon laquelle la virginité de la mère et la maternité véritable sont sauvegardées. Aussi s’accorde-t-elle au plus haut point avec la foi. En demeurant sur cette voie, il semble donc qu’il faille dire que, dans la conception d’une descendance, se rencontre une triple action. L’une qui est principale : la formation et l’organisation du corps. Par rapport à cette action, l’agent est seulement le père, mais la mère ne fait que fournir la matière. Une autre action précède cette action et la prépare. En effet, puisque la génération naturelle porte sur une matière déterminée, comme le dit le Philosophe dans Sur l’âme, II, il faut que la formation de la descendance se réalise à partir d’une matière convenable, et non pas à partir de n’importe quelle matière. Il faut donc qu’il existe une puissance active, par laquelle est préparée la matière en vue du fœtus, comme le Philosophedit que l’art qui réalise la forme ordonne et commande à celui qui prépare la matière ; ainsi l’art qui assemble le navire [commande-t-il] à celui qui aplanit le bois. Ainsi, la puissance qui prépare la matière pour le fœtus est-elle imparfaite par rapport à celle qui forme la descendance à partir de la matière préparée. Or, cette puissance qui prépare est celle de la mère, qui est imparfaite par rapport à la vertu active qui existe chez le père. Aussi le Philosophe dit-il que la femme est comme un enfant qui ne peut pas encore engendrer. La troisième action est concomitante, ou elle découle de l’action principale. En effet, de même que le lieu contribue à la bonté de la génération, de même la bonne disposition de la matrice contribue-t-elle à la bonne disposition de la descendance, en lui apportant la nourriture. C’est ce que dit Avicenne dans le chapitre sur les déluges : « La matrice ne contribue qu’à l’amélioration du fœtus. » D’après cela, je dis donc que, dans l’action principale de la formation du corps du Christ, rien d’actif n’est venu de la part de la bienheureuse Vierge ; mais ce que la bienheureuse Vierge a apporté n’a joué que le rôle de matière pour cette action. Mais la puissance divine a réalisé tout ce qui est réalisé dans les autres conceptions par la puissance de la semence qui vient du père. C’est pourquoi [Jean] Damascène dit de la puissance divine qu’elle est comme une semence divine, ainsi qu’on le lit dans le texte. Mais, dans la deuxième et la troisième action, la bienheureuse Vierge a contribué de manière active, comme les autres mères. Aussi a-t-elle été véritablement mère. |
[7776] Super Sent., lib. 3 d. 3
q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in conceptione Christi fuit duplex miraculum;
unum quod femina
concepit Deum, aliud quod virgo peperit filium. Quantum ergo ad primum beata
virgo se habebat ad conceptionem secundum potentiam obedientiae tantum, et
adhuc multo remotius quam costa viri, ut ex ea mulier formaretur. In talibus
autem simul dantur actus et potentia ad actum, secundum quam dici posset quod
hoc est possibile. Sed quantum ad secundum, habebat virgo potentiam passivam,
naturalem tamen, quae per agens naturale in actum reduci posset. Unde quantum
ad primum dicit: potentiam acceptivam verbi Dei; quantum vero ad
secundum dicit: simul autem et generativam. Utramque enim potentiam in
actum reduxit spiritus sancti virtus. |
1. Dans la conception du Christ, il y a eu un double miracle : l’un, qu’une femme conçoive Dieu ; l’autre, qu’une vierge enfante un fils. Pour ce qui est du premier, la bienheureuse Vierge n’avait par rapport à la conception qu’une puissance obédientielle, et encore beaucoup plus éloignée que la côte de l’homme dont serait formée la femme. Or, dans de tels cas, l’acte et la puissance à l’acte, selon laquelle on pourrait dire que cela est possible, sont donnés en même temps. Mais, pour le second point, la Vierge avait une puissance passive, mais cependant naturelle, qui pouvait être amenée à l’acte par un agent naturel. Aussi dit-il, en rapport avec le premier point : « Une capacité de recevoir le Verbe de Dieu » ; mais, par rapport au second point, il dit : « En même temps qu’une capacité génératrice. » En effet, la puissance de l’Esprit Saint a amené à l’acte les deux puissances. |
[7777] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 ad
2 Ad secundum dicendum, quod potentia
passiva potest accipi dupliciter: vel secundum substantiam potentiae; et sic
potentia fuerat ante in beata virgine: vel secundum quod potentia passiva
suae operationi conjungitur; et tale posse non habet patiens nisi ab agente;
sicut dicimus, quod visibile movendo visum, dat sibi posse videre in actu; et
per hunc modum potentiam generandi spiritus sanctus virgini dedit. |
2. On peut entendre la puissance passive de deux manières : selon la substance de la puissance, et ainsi la puissance avait existé antérieurement chez la Vierge ; ou selon que la puissance est unie à son opération, et un patient ne reçoit cette capacité que de l’agent, comme nous disons que ce qui est visible, en mouvant la vue, lui donne le pouvoir de voir en acte. C’est de cette manière que l’Esprit Saint a donné à la Vierge le pouvoir d’engendrer. |
[7778] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
Christus accepit humanam naturam a matre, non tamen sicut a principio agente,
sed sicut a materiam ministrante. |
3. Le Christ a reçu sa nature humaine de sa mère, mais non pas cependant comme d’un principe actif, mais en tant qu’elle apportait la matière. |
[7779] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
praebere materiam simpliciter ad generationem alicujus non facit matrem, sed
praebere talem materiam sic praeparatam, est id quod matrem facit. In ligno enim non est potentia naturalis ut
ex eo fiat scamnum, cum per agens naturale in actum non compleatur: similiter
nec in limo terrae ut ex ea fiat homo; unde quod inducitur, non est simile. |
4. Apporter simplement la matière pour la génération ne fait pas la mère, mais apporter telle matière préparée de telle manière est ce qui fait la mère. En effet, il n’existe pas dans le bois une puissance naturelle à devenir un escabeau, puisque cela n’est pas réalisé en acte par un agent naturel. De même, cela n’existe pas dans le limon de terre pour réaliser l’homme. Aussi n’est-ce pas la même chose pour ce qui est mis de l’avant. |
[7780] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 ad
5 Ad quintum
dicendum, quod potentia generativa activa est; sed haec potentia est perfecte
in viro (unde ejus actio se extendit usque ad formationem generati); in
femina autem est imperfecta; unde non extendit se ejus actio nisi ad
praeparationem materiae. |
5. La puissance génératrice est active ; mais cette puissance existe d’une manière parfaite chez l’homme (c’est pourquoi son action va jusqu’à la formation de ce qui est engendré). Mais, chez la femme, elle est imparfaite ; aussi son action ne va-t-elle que jusqu’à la préparation de la matière. |
[7781] Super Sent., lib.
3 d. 3 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cujuslibet motus naturalis principium est in
eo quod movetur, non tamen eodem modo, ut in 2 Physic. dicit Commentator. In
quibusdam enim est principium activum, ut in motu gravium et levium; in
quibusdam vero principium passivum, ut in generatione simplicium corporum.
Unde et philosophus naturam, quam principium motus in eo quod movetur
definit, statim subdividit in materiam et formam. Unde non oportet, quamvis
generatio perfecti animalis sit naturalis, quod in materia quam femina ministrat,
sit principium activum, sed passivum tantum. |
6. Le principe de n’importe quel mouvement naturel existe dans ce qui est mû, mais non pas de la même manière, comme le dit le Commentateur dans Physique, II. En effet, il s’agit pour certains choses d’un principe actif, comme dans le mouvement des choses lourdes et légères ; mais, pour certaines choses, il s’agit d’un principe passif, comme dans la génération des corps simples. Aussi le Philosophe divise-t-il immédiatement en matière et forme la nature, qu’il définit comme le principe du mouvement dans ce qui est mû. Bien que la génération d’un animal parfait soit naturelle, il n’est donc pas nécessaire qu’existe un principe actif, mais seulement [un principe] passif dans la matière que la femelle apporte. |
Articulus 2 [7782] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2
tit. Utrum
generatio Christi ex virgine sit naturalis vel miraculosa |
Article 2 – La génération du
Christ par une vierge est-elle naturelle ou miraculeuse ?
|
[7783] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur, quod generatio Christi ex virgine sit naturalis.
Filiatio enim nativitatem consequitur. Sed Christus dicitur naturalis filius
matris, sicut et naturalis filius patris, ut dicit Augustinus in Lib. de fide
ad Petrum. Ergo generatione naturali nascitur ex matre. |
1. Il semble que la génération du Christ par une vierge soit naturelle. En effet, la filiation découle de la naissance. Or, « le Christ est appelé le fils naturel de sa mère, comme [il est appelé] le Fils naturel de son Père », ainsi que le dit Augustin dans le Livre adressé à Pierre sur la foi. Il naît donc de sa mère selon une génération naturelle. |
[7784] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2
arg. 2 Praeterea, virtus naturalis passiva
completa ab agente naturaliter exit in suam operationem, sicut visus motus a
colore naturaliter videt. Sed in beata virgine fuit naturalis potentia ad
generandum, quamvis incompleta, ut ex dictis patet. Ergo postquam fuit
perfecta virtute spiritus sancti, naturaliter generavit. |
2. La puissance passive achevée par l’agent aboutit naturellement à son opération, comme la vue mue par la couleur voit naturellement. Or, chez la bienheureuse Vierge, existait une puissance naturelle à engendrer, bien qu’elle ait été incomplète, comme cela ressort de ce qui a été dit. Après qu’elle a été achevée par la puissance de l’Esprit Saint, elle a donc engendré naturellement. |
[7785] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2
arg. 3 Praeterea, in illuminatione caeci
quamvis potentia visiva miraculose detur, tamen post acceptam potentiam
naturaliter videt. Sed spiritus sanctus virgini potentiam generativam dedit. Ergo postea
naturaliter generavit. |
3. Bien que la puissance de voir soit donnée miraculeusement dans l’illumination de l’aveugle, il voit cependant naturellement après l’avoir reçue. Or, l’Esprit Saint a donné à la Vierge la puissance d’engendrer. Elle a donc engendré naturellement par la suite. |
[7786] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2
arg. 4 Praeterea, si generatio Christi ex
virgine esset miraculosa, sicut formatio hominis de limo terrae; tunc ita se
haberet materia quam virgo ministravit ad Christum, sicut limus de terra
sumptus ad Adam. Sed talis materia non sufficit ad rationem matris, ut prius
dictum est. Ergo beata virgo non esset vera mater Christi; quod dicere est
haereticum. |
4. Si la génération du Christ par la Vierge était miraculeuse, comme la formation de l’homme à partir du limon de la terre, la matière que la Vierge a apportée au Christ jouerait donc le même rôle que le limon de la terre utilisé pour Adam. Or, une telle matière ne suffit pas à la raison de mère, comme on l’a dit plus haut. La bienheureuse Vierge ne serait donc pas la mère véritable du Christ, ce qu’il est hérétique de dire. |
[7787] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2
arg. 5 Praeterea, operatio miraculosa non est
ab aliqua creatura. Sed vere dicitur quod virgo genuit Christum. Ergo generatio talis non
est miraculosa. |
5. L’opération miraculeuse n’est pas le fait d’une créature. Or, il est vrai de dire que la Vierge a engendré le Christ. Une telle génération n’est donc pas miraculeuse. |
[7788] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 s.
c. 1 Sed contra, Dionysius dicit in
epistola 4 ad Gajum, de Jesu loquens: super homines, inquit, operatur
ea quae sunt hominis; et hoc monstrat virgo supernaturaliter concipiens, et
aqua instabilis, materialium et terrenorum pedum sustinens gravitatem. Sed hoc quod fit supernaturaliter, dicimus
esse miraculosum. Ergo conceptio Christi ex virgine miraculosa fuit. |
Cependant, [1] dans sa quatrième lettre à Gaïus, Denys dit en parlant de Jésus : « Ce qui relève de l’homme est accompli d’une manière plus élevée que les hommes. On montre ainsi que la Vierge a conçu de manière surnaturelle, et que l’eau instable a soutenu le poids des pieds matériels et terrestres. » Or, nous disons que ce qui est accompli surnaturellement est miraculeux. La conception du Christ par la Vierge a donc été miraculeuse. |
[7789] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 s.
c. 2 Praeterea,
Anselmus dicit in Lib. de conceptu virginis, cap. 22: spiritus sanctus
virtus altissimi de muliere virgine virum virginem mirabiliter propagavit.
Ergo generatio Christi ex virgine miraculosa est. |
[2] Anselme dit, dans le Livre sur la conception de la Vierge, XXII : « La puissance de l’Esprit Saint d’en haut a tiré de manière admirable un homme vierge de la Vierge. » La génération du Christ par la Vierge est donc miraculeuse. |
[7790] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 s.
c. 3 Praeterea, sicut est contra naturae
ordinem ut caecus videat; ita etiam ut virgo manens virgo pariat. Sed illuminationem caecorum dicimus
miraculosam esse. Ergo et conceptio Christi ex virgine miraculosa est. |
[3] De même qu’il est contraire à l’ordre de la nature qu’un aveugle voie, de même aussi l’est-il qu’une vierge enfante tout en demeurant vierge. Or, nous disons que l’illumination des aveugles est miraculeuse. La conception du Christ par la Vierge est donc aussi miraculeuse. |
[7791] Super Sent., lib.
3 d. 3 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod praeter unionem duarum naturarum in unam
hypostasim, quae completa est in conceptione Christi, quae est miraculum
omnium miraculorum, est etiam aliud miraculum ut virgo manens virgo concipiat
hominem Deum. Ad hoc enim quod generatio aliqua naturalis dicatur, oportet
quod fiat ab agente naturaliter, et ex materia naturali ad hoc proportionata.
Quodcumque autem horum
defuerit, non potest dici generatio naturalis, sed miraculosa; si virtute
fiat supernaturali. Agens autem naturale, cum sit finitae virtutis, non
potest ex materia non naturaliter proportionata effectum producere: agens
vero supernaturale, cum sit infinitae virtutis, potest ex utraque materia
operari, naturali scilicet et non naturali; et ideo duobus modis contingit
esse miraculum. Uno modo quando neque agens est naturale neque materia
naturaliter proportionata ad talem formam, ut patet in formatione hominis de
limo terrae. Alio modo quando materia est naturalis, sed agens est
supernaturale, ut quando aliquis miraculose a febre sanatur: corpus enim
hominis est naturalis materia sanitatis, quae per supernaturale agens confertur
ei. Et similiter fuit in conceptione hominis Christi. Materia enim quam virgo
ministravit, fuit materia ex qua naturaliter corpus hominis formari potuit;
sed virtus formans fuit divina. Unde simpliciter dicendum est, conceptionem
illam miraculosam esse, naturalem vero secundum quid: et propter hoc Christus
dicitur naturalis filius virginis, quia naturalem materiam ad ejus conceptum
praeparavit. |
Réponse. En plus de l’union des deux natures dans une seule hypostase, qui a été accomplie lors de la conception du Christ et qui est le miracle des miracles, il y a aussi un autre miracle : qu’une vierge conçoive un homme Dieu, tout en demeurant vierge. En effet, pour qu’une génération soit appelée naturelle, il faut qu’elle soit réalisée par un agent de manière naturelle et à partir d’une matière naturelle qui y est proportionnée. Or, si l’une de ces choses fait défaut, la génération ne peut pas être appelée naturelle, mais miraculeuse, si elle est accomplie par une puissance surnaturelle. Or, un agent naturel, puisqu’il possède une puissance finie, ne peut produire un effet à partir d’une matière qui n’est pas naturellement proportionnée ; mais un agent surnaturel, puisqu’il possède une puissance infinie, peut agir à partir des deux matières, la naturelle et celle qui n’est pas naturelle. Aussi un miracle peut-il exister de deux manières. D’une manière, lorsque ni l’agent n’est naturel, ni la matière n’est naturellemenet proportionnée à une telle forme, comme cela ressort dans la formation de l’homme à partir du limon de la terre. D’une autre manière, lorsque la matière est naturelle, mais que l’agent est surnaturel, comme lorsque quelqu’un est guéri de la fièvre miraculeusement : en effet, le corps de l’homme est naturellement la matière de la santé, qui lui est conférée par un agent surnaturel. De même en a-t-il été pour la conception de l’homme Christ. En effet, la matière que la Vierge a apportée a été une matière dont le corps d’un homme pouvait être formé ; mais la puissance formatrice a été divine. Aussi faut-il dire qu’à parler simplement, cette conception a été miraculeuse, mais qu’à parler d’une manière relative, elle a été naturelle. Pour cette raison, le Christ peut être appelé le fils naturel de la Vierge, car elle a préparé la matière naturelle de son fœtus. |
[7792] Super Sent., lib.
3 d. 3 q. 2 a. 2 ad 1 Inde patet responsio ad primum. |
1. De là ressort la réponse à la première objection. |
[7793] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 ad
2 Ad secundum dicendum, quod quando
potentia passiva completur per operationem naturalis agentis, tunc operatio
sequens est naturalis. Hoc autem non fuit in proposito; et ideo ratio non sequitur. |
2. Lorsque la puissance passive est achevée par l’action de l’agent naturel, l’opération qui en découle est alors naturelle. Mais tel n’est pas le cas ici. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant. |
[7794] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 ad
3 Ad tertium dicendum, quod caeco nato
illuminato datur potentia visiva sine omni dispositione contraria visioni; et
ideo operatio seu visio sequens est naturalis. Sed potentia generandi data est virgini manente virginitate, quae est
dispositio contraria ad conceptum: et ideo sicut potentia miraculose data
est, ita et actus sequens miraculosus fuit. Vel dicendum, quod caeco
illuminato datur potentia passiva, cujus operatio est per hoc quod movetur ab
agente naturali, scilicet colore; et ideo visio ipsa naturalis est. Sed
virgini dicitur data potentia generativa per hoc quod mota est ejus potentia
passiva ad generandum ab agente supernaturali; et ideo operatio sequens est
miraculosa. |
3. La puissance de voir est donnée à l’aveugle-né sans aucune disposition contraire à la vision ; aussi l’opération ou la vision subséquente est-elle naturelle. Mais la puissance d’engendrer a été donnée à la Vierge alors que demeurait sa virginité, qui est une disposition contraire à la conception. Aussi, de même que la puissance [lui] a été miraculeusement donnée, de même l’acte qui en est découlé a-t-il été miraculeux. Ou bien il faut dire qu’a été donnée à l’aveugle illuminé une puissance passive, dont l’action vient de ce qu’elle est mue par un agent naturel, la couleur ; c’est pourquoi la vision elle-même est naturelle. Mais on dit que la puissance d’engendrer a été donnée à la Vierge par le fait que sa puissance passive a été mue à engendrer par un agent surnaturel. Aussi l’opération subséquente est-elle miraculeuse. |
[7795] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 ad
4 Ad quartum dicendum, quod formatio hominis de limo terrae fuit miraculosa
quantum ad agens et quantum ad materiam; sed conceptio est miraculosa quantum
ad agens, et non quantum ad materiam; et ideo non est simile de utroque. |
4. La formation de l’homme à partir du limon de la terre était miraculeuse quant à l’agent et quant à la matière. Cependant, la conception est miraculeuse quant à l’agent, mais non pas quant à la matière. Ce n’est donc pas la même chose dans les deux cas. |
[7796] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 ad
5 Ad quintum
dicendum, quod beata virgo dicitur genuisse Christum, non sicut principium
activum ad generationem praebens, sed sicut ministrans materiam naturalem;
unde non est inconveniens quod generatio illa miraculosa fuerit. Operatio
vero miraculosa non est alicujus creaturae sicut agentis, est tamen alicujus
creaturae sicut materiae, ut patet ex eo quia miraculose ex aliqua creata materia
Deus quandoque aliquid facit. |
5. On dit que la bienheureuse Vierge a engendré le Christ, non pas en tant que principe actif menant à la génération, mais en tant qu’elle a apporté la matière naturelle. Il n’est donc pas inapproprié que cette génération ait été miraculeuse. Mais l’opération miraculeuse ne relève pas d’une créature comme d’un agent ; elle relève cependant d’une créature comme de sa matière, comme cela ressort du fait que Dieu réalise parfois quelque chose miraculeusement à partir d’une matière créée. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [L’Annonciation ]
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Prooemium |
Prologue |
[7797] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 pr. Deinde quaeritur de Annuntiatione facta per
Angelum ad beatam virginem; et circa hoc quaeruntur duo: 1 de convenientia
Annuntiationis; 2 de convenientia nuntii. |
On s’interroge ensuite sur l’Annonciation faite par l’ange à la bienheureuse Vierge. À ce propos, deux questions sont soulevées : 1 – Sur la convenance de l’Annonciation. 2 – Sur la convenance du messager. |
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Articulus 1 [7798] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1
tit. Utrum
conveniebat virgini salvatoris conceptionem nuntiari |
Article 1 – Convenait-il qu’une
annonce de la conception du Sauveur soit faite à la Vierge ?
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Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Était-il nécessaire que la conception du Sauveur soit annoncée à la Vierge ?] |
[7799] Super Sent., lib.
3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod non
oportebat virgini salvatoris annuntiari conceptionem. Ipsa enim fidem habebat.
Sed semper ad fidem pertinuit credere incarnationem futuram. Ergo non
oportebat ulterius quod per modum Annuntiationis sibi patefieret. |
1. Il semble qu’il ait été nécessaire que la conception du Sauveur soit annoncée à la Vierge. En effet, celle-ci avait la foi. Or, il a toujours relevé de la foi de croire à l’incarnation à venir. Il n’était donc pas nécessaire que celle-ci lui soit encore manifestée sous forme d’annonce. |
[7800] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1
qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut dicit Gregorius, fides non habet meritum cui
humana ratio praebet experimentum. Sed in collocutione Angeli ad virginem quaedam persuasiva ratiocinatio
facta est. Ergo meritum
fidei in ipsa vel evacuavit vel diminuit, quod videtur inconveniens. |
2. Comme le dit Grégoire, la foi n’a pas de mérite pour celui à qui la raison humaine donne une confirmation. Or, par l’échange entre l’ange et la Vierge, un certain raisonnement à caractère persuasif a été réalisé. Il a donc annulé ou diminué en elle le mérite de la foi, ce qui semble inapproprié. |
[7801] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1
qc. 1 arg. 3 Praeterea, in
his quae sine hominis arbitrio Deus in homine complet, non requiritur aliquis
consensus ex parte hominis. Sed prophetia praedestinationis est de his quae
sine nostro complentur arbitrio, ut habetur ex Hieronymo in Glossa Matth. 1
super illud: ecce virgo in utero habebit; cujusmodi dicit esse hanc
prophetiam Isai. 7, 14: ecce virgo concipiet. Ergo non requirebatur
aliquis consensus ex parte virginis, ratione cujus oporteret Annuntiationem
fieri. |
3. Dans ce que Dieu accomplit dans l’homme sans la volonté de l’homme, un consentement n’est pas requis de la part de l’homme. Or, une prophétie de prédestination fait partie de ce qui est accompli sans notre volonté, comme on le lit chez Jérôme, dans sa glose sur Mt 1 : Voici qu’une vierge portera, dont il dit qu’il s’agit de la prophétie de Is 7, 14 : Voici qu’une vierge concevra. Un consentement n’était donc pas requis de la part de la Vierge, raison pour laquelle il fallait qu’une annonce [lui] soit faite. |
[7802] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
majoris sapientiae ostensivum est miraculum factum in conceptione Christi ex
virgine quam in conceptione Joannis ex sterili. Sed conceptio Joannis per Angelum
praenuntiata fuit, ne fortuito, sed ex Dei providentia accidere putaretur.
Ergo multo amplius conceptionem Christi Annuntiatio praecedere debuit. |
Cependant, [1] le miracle accompli lors de la conception du Christ par une vierge manifeste une plus grande sagesse que lors de la conception de Jean par une femme stérile. Or, la conception de Jean a été annoncée à l’avance par un ange, de sorte qu’on ne la croie pas fortuite, mais survenue par la providence de Dieu. À bien plus forte raison, une annonce devait-elle donc précéder la conception du Christ. |
[7803] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, in
conceptione Christi est factum quoddam matrimonium per indivisibilem
conjunctionem divinae et humanae naturae. Sed in matrimonio requiritur
consensus, qui per verba nuntiorum et requiritur et reconciliatur. Ergo et
decuit ut Deus per Angelum suum consensum exquireret virginis, de qua humanam
naturam assumeret. |
[2] Lors de la conception du Christ, s’est réalisé une sorte de mariage par l’union indivisible de la nature divine et de la nature humaine. Or, dans le mariage, le consentement est requis : il est exigé et confirmé par les paroles des messagers. Il convenait donc que, par l’intermédiaire de son ange, Dieu exige le consentement de la Vierge à ce qu’il assume la nature humaine. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [L’annonciation a-t-elle eu lieu sous forme de vision corporelle ?] |
[7804] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur, quod Annuntiatio non fuerit per modum corporalis visionis. Ut enim
dicit Augustinus, inter tria visionis genera, quae sunt corporale,
spirituale, et intellectuale, intellectualis visio est praestantior. Sed quod
dignius est, matrem Dei magis decet. Ergo per intellectualem visionem, et non
per corporalem, facta est Annuntiatio. |
1. Il semble que l’Annonciation ait eu lieu sous forme de la vision corporelle. En effet, comme le dit Augustin, parmi les trois genres de visions : corporelle, spirituelle et intellectuelle, la vision intellectuelle l’emporte. Or, ce qu’il y a de plus digne convient à la mère de Dieu. L’Annonciation a donc eu lieu sous forme de vision intellectuelle, et non pas corporelle. |
[7805] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
apparitiones corporales Angelorum eo quod insolitae sunt, et praeter communem
cursum naturae, inter signa et mirabilia computari possunt. Signa autem data sunt non
fidelibus, sed infidelibus, ut dicit apostolus, 1 Corinth., 14. Cum igitur
beata virgo fidelissima fuerit, non videtur ad eam apparitio corporalis
Angeli fuisse facta. |
2. Du fait qu’elles sont inhabituelles et étrangères au cours général de la nature, les apparitions corporelles d’anges peuvent être comptées parmi les signes et les choses étonnantes. Or, les signes n’ont pas été donnés pour les croyants, mais pour les incroyants, comme le dit l’Apôtre, 1 Co 14. Puisque la bienheureuse Vierge était croyante au plus haut point, il ne semble donc pas que l’apparition corporelle d’un ange lui ait été faite. |
[7806] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1
qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Luc. 1, super illud: quae cum audisset turbata
est, dicit Glossa: trepidare virginum est, et omnem viri ingressum
pavere, omnesque viri affatus vereri. Non autem hoc virginibus efficitur ex intellectuali consideratione
viri vel ex imaginatione, sed ex corporali aspectu. Ergo Angelus in corporali
visione virgini apparuit et eam collocutus est. |
Cependant, à propos de Lc 1 : Elle fut troublée en entendant cela, la Glose dit : « C’est le propre des vierges de trembler, de craindre chaque fois qu’un homme approche et de redouter tout ce que dit un homme. » Or, cela n’arrive pas aux vierges du fait d’une vision intellectuelle ou de l’imagination, mais du fait de l’aspect corporel. L’ange est donc apparu sous forme de vision corporelle et lui a parlé. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[7807] Super Sent., lib.
3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod congruum fuit virgini suam conceptionem
annuntiari, multis de causis. Primo, quia cum mens Deo sit vicinior quam
corpus, non decebat ut Dei sapientia ejus uterum inhabitaret sine hoc quod
mens ejus cognitione summae sapientiae resplenderet; et ideo non decuit eam
ignorare quod in ea fiebat, sed oportuit hoc sibi annuntiari. Secundo, quia
ipsa futura erat certissima testis inusitatae conceptionis; unde oportuit
quod de tam magno mysterio per Annuntiationem erudiretur. Tertio, quia Deus
non diligit coacta sed voluntaria servitia, ut qui obsequuntur ex ipso
ministerio mereantur. Unde cum beata virgo singulariter et excellenter in Dei
ministerium eligeretur, quem in utero portavit, lacte aluit, et brachiis
bajulavit, decuit ut consensus ejus Angelo nuntiante requireretur, quem
humiliter praebens, ad obsequium se sedulam et promptam obtulit dicens: ecce
ancilla domini. |
Il convenait que sa conception soit
annoncée à la Vierge pour plusieurs raisons. Premièrement, parce que l’esprit
est plus proche de Dieu que le corps, il ne convenait pas que la Sagesse de
Dieu habite en son sein sans que son esprit brille de la connaissance de la
sagesse divine ; c’est pourquoi il ne convenait pas qu’elle ignore ce
qui s’accomplissait en elle, mais il fallait que cela lui soit annoncé.
Deuxièmement, parce qu’elle devait être un témoin très certain d’une conception
inhabituelle ; il fallait donc qu’elle soit informée d’un si grand
mystère par l’Annonciation. Troisièmement, parce que Dieu n’aime pas qu’on l’honore
de force, mais volontairement, de sorte que ceux qui lui obéissent tirent un
mérite de leur service. Puisque la bienheureuse Vierge allait être choisie d’une
manière singulière et excellente pour le service de Dieu, qu’elle a porté en
son sein, a nourri de son lait et a tenu dans ses bras, il convenait donc que
son consentement soit demandé lors de l’annonce par un ange : en le donnant
humblement, elle s’est offerte avec promptitude et empressement, en
disant : Voici la servante du
Seigneur. |
[7808] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non erat
determinate sub fide cadens tempus incarnationis, et per quam virginem hoc
esset implendum; unde de hoc instruenda erat per Annuntiationem. Incarnationem enim futuram esse, quod
antiquorum fidei subjacebat, firmissima fide tenebat. |
1. Le moment de l’incarnation ne tombait pas sous la foi de manière déterminée, ni par quelle vierge cela devait s’accomplir. Elle devait donc être informée de cela par l’Annonciation. En effet, elle croyait très fermement en l’incarnation à venir, qui tombait sous la foi des anciens. |
[7809] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod allocutio Angeli non ex humana ratione persuasit, sed ex
omnipotentia divina, cui fides maxime innititur: dixit enim: non erit
impossibile apud Deum omne verbum. |
2. Le discours de l’ange ne persuadait
pas par un raisonnement humain, mais par la puissance divine, sur laquelle s’appuie
la foi au plus haut point. En effet, il disait : Rien ne sera impossible à Dieu. |
[7810] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod ea de quibus est prophetia praedestinationis complentur sine
nostro arbitrio causante; non tamen oportet quod sine arbitrio consentiente. |
3. Ce sur quoi porte la prophétie de prédestination s’accomplit sans notre libre arbitre ; il n’est cependant pas nécessaire que cela soit sans le consentement de notre libre arbitre. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[7811] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
dicendum, quod convenientissime per corporalem visionem Annuntiatio facta
est. Primo ut Annuntiatio esset certior. In his enim quae visibiliter
cernimus minus decipimur. Secundo, quia, ut dicit Dionysius in epistola 9 ad
Titum, haec est causa quare nobis divina per corporales figuras proponuntur,
ut utraque vita hominis secundum suam proprietatem divina cognitione
illuminetur; sensitiva scilicet imaginatione figurarum; intellectiva vero
contemplatione spiritualis veritatis. Similiter etiam decuit ut virginis
aspectus uterque suo modo nobilitaretur, interior scilicet per revelationem
tanti mysterii, et exterior per corporalem Angeli visionem. Tertio, quia
Annuntiatio debebat proportionari ei quod annuntiabatur. Annuntiabatur autem
visibilis missio filii Dei in mundum; unde decenter Angelus nuntians
corporali visione apparuit. |
C’est d’une manière très appropriée que l’Annonciation a été faite sous forme de vision corporelle. Premièrement, afin que l’Annonciation soit plus certaine. En effet, nous nous trompons moins dans ce que nous distinguons visiblement. Deuxièmement, parce que, comme le dit Denys dans sa lettre 9 à Tite, « la raison pour laquelle les réalités divines nous sont proposées sous forme de figures corporelles est que la double vie de l’homme soit illuminée selon ce qui lui est propre par la connaissance divine : la [vie] sensitive, par la vision imaginative des figures ; la vie intellectuelle, par la contemplation de la vérité spirituelle ». De même aussi, il convenait que le double regard de la Vierge soit ennobli à sa manière : le regard intérieur, par la révélation d’un si grand mystère ; le regard extérieur, par la vision corporelle de l’ange. Troisièmement, parce que l’Annonciation devait être proportionnée à ce qui était annoncé. Or, c’était la mission visible du Fils de Dieu dans le monde qui était annoncée. Un ange est donc apparu de manière appropriée, annonçant sous la forme d’une vision corporelle. |
[7812] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo contra hoc objectum
dicendum, quod quamvis intellectualis visio sit melior corporali, tamen
utraque simul efficacior invenitur quam altera, propter connaturalitatem
humanae cognitionis ad sensum. |
1. Bien que la vision intellectuelle soit meilleure que la vision corporelle, les deux ensemble sont cependant plus efficaces qu’une seule, en raison de la connaturalité de la connaissance humaine par rapport au sens. |
[7813] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1
qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod corporalis
apparitio ad virginem facta est, non propter confirmationem fidei, sed
propter significationem mysterii, vel propter dignitatem ipsius, ut sibi
singulari modo divina panderentur. |
2. L’apparition corporelle à la Vierge n’a pas été faite pour l’affermissement de sa foi, mais en vue de la signification du mystère ou en raison de sa dignité, de sorte que les réalités divines lui soient manifestées d’une manière unique. |
Articulus 2
[7814] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 tit. Utrum Annuntiatio debuit
fieri per Angelum |
Article 2 – L’Annonciation devait-elle être faite par
un ange ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [L’Annonciation devait-elle être faite par un ange ?] |
[7815] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur, quod Annuntiatio per Angelum fieri non debuit. Missio
enim qua filius mittitur ut sit homo, est excellentior ea qua mittitur ut sit
cum homine, ex parte effectus. Sed missio qua mittitur in mentem ut sit cum
homine, non completur mediante Angelo, qui menti non illabitur, ut in 2 Lib.,
dist. 11, art. 4, dictum est. Ergo nec quando missus est ut esset homo,
oportuit per Annuntiationem Angeli fieri. |
1. Il semble que l’Annonciation ne devait pas être faite par un ange. En effet, la mission par laquelle le Fils est envoyé pour être un homme est plus grande que celle par laquelle il est envoyé pour être avec l’homme, du point de vue de l’effet. Or, la mission par laquelle il est envoyé dans l’esprit pour être avec l’homme ne se réalise pas par l’intermédiaire d’un ange, qui ne s’insinue pas dans l’esprit, comme on l’a dit dans le livre II, d. 11, a. 4. Il ne fallait donc pas non plus qu’elle soit faite par l’Annonciation lorsque qu’il a été envoyé pour être un homme. |
[7816] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, superior non
instruitur per inferiorem. Sed beata virgo fuit Angelis superior quia Deo acceptior. Ergo non
debuit sibi per Angelum Christi conceptio nuntiari. |
2. Un supérieur n’est pas informé par un inférieur. Or, la bienheureuse Vierge était supérieure aux anges parce qu’elle était plus agréable à Dieu. La conception du Christ ne devait donc pas lui être annoncée par un ange. |
[7817] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ordo
reparationis debet respondere ordini primae conditionis. Sed in prima conditione praeceptum
divinum ad mulierem per virum venit. Ergo et per aliquem virum prophetam annuntiari debuit virgini
conceptio filii. |
3. L’ordre de la restauration doit correspondre à l’ordre de la condition première. Or, dans la condition première, le commandement divin est parvenu à la femme par l’homme. Sa conception d’un fils devait donc être annoncée à la Vierge par un prophète humain. |
[7818]
Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in littera: missus
est Gabriel Angelus. |
Cependant, [1] il est dit dans le texte : L’ange Gabriel fut envoyé. |
[7819]
Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, ut probat Dionysius, Angeli sunt
medii inter Deum et nos. Sed ab uno extremo in aliud devenitur per medium. Ergo ea quae beatae
virgini divinitus nuntianda erant, per Angelum nuntiari decuit. |
[2] Comme le montre Denys, les anges sont des intermédiaires entre Dieu
et nous. Or, on parvient d’un extrême à l’autre en passant par ce qui est
intermédiaire. Il convenait donc que ce qui devait être annoncé à la
bienheureuse Vierge lui soit annoncé par un ange. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [L’ange de l’Annonciation faisait-il partie des ordres les plus élevés ?] |
[7820]
Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Angelus nuntians
fuerit de supremis ordinibus. Dicit enim Gregorius in Homil. de centum ovibus. Summum nuntium
mitti decuit, qui summum omnium nuntiaret. Sed illi qui sunt in ordine
Seraphim, sunt summi inter Angelos. Ideo per aliquem eorum Annuntiatio facta
est. |
1. Il semble que l’ange de l’Annonciation faisait partie des ordres les plus élevés. En effet, Grégoire dit dans une homélie sur les cent brebis : « Il convenait que l’envoyé le plus élevé soit envoyé, lui qui devait annoncer ce qui était le plus grand de tout. » Or, ceux qui font partie des l’ordre des Séraphins sont les plus élevés parmi les anges. L’Annonciation a donc été faite par l’un d’entre eux. |
[7821]
Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Hieronymus dicit, quod ista est
quaestio inferiorum Angelorum mysterium incarnationis non plene
cognoscentium, quae ponitur Isai. 63, 1: quis est iste qui venit de Edom ?
Sed non potuit nuntiari mysterium incarnationis nisi per illos quibus plene
revelatum est. Ergo Annuntiatio per aliquem de supremis Angelis facta est. |
2. Jérôme dit que cette question porte sur les anges inférieurs qui ne connaissaient pas pleinement le mystère de l’incarnation : elle apparaît dans Is 63 : Qui est celui-ci qui vient d’Édom ? Or, le mystère de l’incarnation ne pouvait être annoncé que par ceux à qui il a été pleinement révélé. L’Annonciation a donc été faite par un des anges les plus élevés. |
[7822] Super Sent., lib. 3 d. 3
q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod
Ecclesia cantat: Gabrielem Archangelus scimus divinitus te esse affatum.
Ordo autem Archangelorum
est penultimus caelestis hierarchiae, ut patet ex Gregorio, et ex Dionysio.
Ergo Angelus nuntians non fuit de supremis ordinibus. |
Cependant, l’Église chante le contraire : « Nous savons que l’archange Gabriel a été informé par Dieu. » Or, l’ordre des archanges est l’avant-dernier de la hiérarchie céleste, comme cela ressort de Grégoire et de Denys. L’ange qui annonce ne faisait donc pas partie des ordres les plus élevés. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[7823] Super Sent., lib.
3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad
primum quaesitum, quod Annuntiatio per Angelum facta est: cujus ratio
multipliciter accipi potest. Primo, quia ut dicit Hieronymus, Angelis est
cognata virginitas; unde decuit ut ad virginem nuntiandam Angelus mitteretur.
Secundo, quia perditio humana initium sumpsit ex hoc quod Diabolus mulierem
allocutus est; unde dicit Beda: congruum apparet ad humanae naturae
reparationis exordium ut Angelus virginem alloqueretur. Tertio, quia ille
annuntiabatur qui est rex hominum et Angelorum; et ejus nativitas sicut in
salutem hominum fuit, ita et in reparationem ruinae angelicae; et ideo decuit
ut tam homines quam Angeli huic mysterio ministerium exhiberent. |
L’Annonciation a été faite par un ange : de multiples raisons peuvent en être données. Premièrement, parce que, comme le dit Jérôme, la virginité est connue des anges ; aussi convenait-il qu’un ange soit envoyé pour faire l’annonce à une vierge. Deuxièmement, parce que la perdition humaine a pris origine dans le fait que le Diable a parlé à la femme ; aussi Bède dit-il : « Il semble convenable qu’un ange parle à une vierge au début de la restauration de l’homme. » Troisièmement, parce que c’est le roi des hommes et des anges qui était annoncé ; de même que sa naissance avait pour but le salut des hommes, de même était-elle pour la restauration de la ruine des anges. Il convenait donc que les hommes comme les anges soient au service de ce mystère. |
[7824] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis
quando filius in mentem mittitur, Angelus in mentem non illabatur; tamen
filio venienti obsequitur praeparans mentem purgando, illuminando, et
perficiendo ad divinae sapientiae susceptionem. Ita etiam et quando filius in
carnem missus est, Angelus non venit ut carnem assumeret, sed ut virginem
instrueret, de qua caro assumenda erat. |
1. Bien qu’un ange ne s’insinue pas dans l’esprit lorsque le Fils est envoyé à l’esprit, il est cependant au service du Fils qui vient, par la préparation de l’esprit en le purifiant, l’illuminant et le perfectionnant pour recevoir la sagesse divine. Aussi, lorsque le Fils a été envoyé dans la chair, l’ange n’est-il pas venu pour prendre chair, mais pour informer la Vierge dont il devait prendre chair. |
[7825] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod quamvis beata virgo superior Angelis fuerit secundum acceptionem divinae
praedestinationis, tamen eis inferior erat quantum ad statum: quia ipsa in
statu viae erat, Angeli autem in statu patriae. Unde non est inconveniens
quod Angelus virginem instrueret. |
Bien que la bienheureuse Vierge ait été supérieure aux anges du point de vue de la prédestination divine, elle leur était cependant inférieure par son état, car elle était dans l’état du cheminement, alors que les anges sont dans l’état de la patrie. Il n’est donc pas inapproprié qu’un ange ait informé la Vierge. |
[7826] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod in prima conditione mulier prima non accepit divinum
praeceptum nisi per illum virum qui erat principium totius carnalis
generationis; unde hoc solum debetur homini Christo, qui est spiritualis
regenerationis principium, ut matrem doceat ex qua vita spiritualis in omnes
quodammodo processit. |
3. Dans la condition primitive, la première femme n’a reçu le commandement divin que par l’homme, qui était le principe de toute la génération charnelle. Il revient donc seulement à l’homme Christ, qui est le principe de la régénération spirituelle, d’enseigner à sa mère, de laquelle la vie spirituelle est passée chez tous. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[7827] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem ergo dicendum est
quod Angelus nuntians non fuit de suprema nec de media hierarchia, sed de
infima; nec de primo ordine ejusdem hierarchiae, sed de medio, qui est ordo
Archangelorum. Cujus ratio multiplex patet: primo, quia cum Christus
nasceretur, ut inordinationem quae in Angelis acciderat repararet, decuit ut
in sua conceptione ordo ille caelestis hierarchiae maxime servaretur, ut
scilicet supremi Angeli mediantibus infimis homines illuminarent. Secundo, ut
tantum mysterium incarnationis conveniens esset. Cum enim inferiores Angeli
agant secundum id quod a superioribus recipiunt, et non e converso, dum
inferiores Angeli nuntiant, Annuntiatio per superiores ad inferiores
expletur: quod non esset, si superiores immediate annuntiarent. Tertio, quia
sic salvatur proprietas ordinum, sicut in 2, dist. 9, art. 3 et 4 et 7,
dictum est. Infima enim hierarchia officium habet dirigendi homines secundum
quamdam limitationem; vel unius provinciae sicut ordo principatuum; vel unius
hominis, sicut ordines Angelorum et Archangelorum: sed differunt: quia ad
Angelos pertinet dirigere in actibus alicujus hominis qui ad ipsum tantum
pertinent; unde dicuntur minima nuntiare: ad Archangelos vero pertinet
dirigere in actibus alicujus hominis, qui tamen in totam multitudinem redundant;
unde et medii sunt inter principatus et Angelos; quod et eorum nomen
ostendit; dicuntur enim Archangeli, quasi principes Angeli. Quia ergo
consensus beatae virginis, qui per Annuntiationem requirebatur, actus
singularis personae erat in multitudinis salutem redundans, immo totius
humani generis, Angelus nuntians de ordine Archangelorum esse debuit, et
inter eos summus. |
L’ange qui a fait l’annonce ne faisait partie ni d’une hiérarchie suprême, ni d’une hiérarchie intermédiaire, mais de la hiérarchie la plus basse ; et il ne faisait pas partie du premier ordre de cette même hiérarchie, mais d’un ordre intermédiaire, qui est l’ordre des archanges. Il y a à cela plusieurs raisons. Premièrement, puisque le Christ est né pour réparer le désordre qui s’était produit chez les anges, il convenait que, lors de sa conception, l’ordre de la hiérarchie céleste soit respecté au mieux, à savoir que les anges supérieurs illuminent les hommes par l’intermédiaire des anges les plus inférieurs. Deuxièmement, afin que le si grand mystère de l’incarnation convienne. En effet, puisque les anges inférieurs agissent selon ce qu’ils reçoivent des anges supérieurs, et non l’inverse, lorsque les anges inférieurs l’annoncent, l’Annonciation est faite aux anges inférieurs par l’intermédiaire des anges supérieurs, ce qui ne serait pas le cas si les anges supérieurs annonçaient de manière immédiate. Troisièmement, parce que ce qui est propre aux ordres est ainsi respecté, comme on l’a dit dans le livre II, d. 9, aa. 3, 4 et 7. En effet, la hiérarchie la plus inférieure a la fonction de diriger les hommes à l’intérieur de certaines limites : à l’intérieur d’une province, comme l’ordre des principautés, ou à l’égard d’un homme, comme les ordres des anges et des archanges. Mais ils sont différents, car il appartient aux anges de diriger les actes d’un homme qui le concernent lui seul ‑ aussi dit-on qu’ils annoncent les plus petites choses ; mais il appartient aux archanges de diriger les actes d’un homme qui rejaillissent sur toute une multitude. Aussi sont-ils intermédiaires entre les principautés et les anges, ce que montre leur nom. En effet, on les appelle archanges dans le sens d’anges dirigeants. Parce que le consentement de la bienheureuse Vierge, qui était demandé par l’Annonciation, était l’acte d’une seule personne rejaillissant sur le salut d’une multitude, bien plus, de tout le genre humain, l’ange qui annonçait devait donc faire partie des archanges, et il devait être le premier d’entre eux. |
[7828] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
contra hoc objectum dicendum, quod Gregorius non intelligit summum
simpliciter, sed summum inter Angelos, secundum quod quilibet Archangelus
summus nuntius dici potest: quod patet ex hoc quod praemittit: Archangeli
dicuntur quasi summi nuntii. |
1. Grégoire n’entend pas le plus élevé tout simplement, mais le plus élevé parmi les anges, selon que n’importe quel archange peut être appelé l’envoyé le plus élevé, ce qui ressort de ce qui est dit auparavant : « Ils sont appelés archanges au sens d’envoyés les plus élevés. » |
[7829] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod Angeli inferiores non penitus mysterium incarnationis
ignoraverunt; sed quia non totam profunditatem consilii divini super salutem humani
generis capere poterant, inquirebant plenius edoceri, et de hoc in 2 Lib.,
dist. 11, plenius dictum est. |
2. Les anges inférieurs n’ignoraient pas complètement le mystère de l’incarnation ; mais parce qu’ils ne pouvaient saisir toute la profondeur du dessein de Dieu pour le salut du genre humain, ils demandaient d’en être davantage instruits. On a parlé plus longuement de cela dans le livre II, d. 11. |
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Expositio textus |
Explication du
texte de Pierre Lombard (Questions 1, 2 et 3)
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[7830] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2
qc. 2 expos. Virtus
altissimi obumbrabit tibi. Virtus altissimi, secundum expositionem Damasceni sequentem
intelligitur filius, de quo Corinth. 1, dicitur: Christum Dei virtutem, et
Dei sapientiam; ut sic in verbis Angeli praenuntietur duarum personarum
adventus in virginem, scilicet spiritus sancti ad purgandum et potentiam
generativam praestandum, et filii ad carnem assumendum: propter quod dicit: obumbrabit
tibi virtus. Virtus enim altissimi per susceptionem nostrae infirmitatis obumbrata
est. Vel dicitur: obumbrabit tibi, ad signandum extinctionem omnimodam
fomitis: quia per adventum filii in ipsam omnes reliquiae fomitis ab ea
extirpatae sunt; et haec extirpatio obumbratio dicitur, sicut et fomes
incendium: umbra enim contra aestum refrigerium praestat. Sicut divinum
semen. Non dicit simpliciter semen, ut caveret errorem
Apollinaristarum qui ponebant spiritum sanctum in uterum virginis vere sicut
semen venisse. In hoc tamen similitudinem seminis habet quod sicut semen est
activum in generatione, ita et spiritus sanctus in conceptione Christi, vel
filius quem virtutem altissimi dicit. Nostrae antiquae aspersionis: non quantum ad
vetustatem culpae, sed poenae. Per spiritum sanctum creans. Contra,
creare est ex nihilo aliquid facere. Sed corpus Christi de materia formatum
est. Ergo non est per spiritum sanctum in conceptione creatum. Sed dicendum,
quod creatio hic large accipitur pro qualibet operatione supernaturali, quae
ipsius tantum Dei est. Si dixerimus quia peccatum non habemus, nos ipsos
seducimus. Videtur
instantia esse de puero baptizato, et de adulto, qui statim vere confessus
est. Sed dicendum,
quod ad hoc ut veritatem in omnibus habeat dictum apostoli, dupliciter potest
accipi. Uno modo ut per peccatum non tantum intelligatur macula et reatus
peccati, sed etiam causa et sequela peccati. In puero enim baptizato, et
adulto poenitente manet fomes incitans ad peccandum, et ulterius aliquae
dispositiones ex actuali peccato relictae; in Christo autem neutrum horum
fuit: caro enim ejus sine corruptione fomitis concepta est; et cum peccatum
non fecerit, reliquiae peccati in eo non fuerunt: similiter nec in beata
virgine, quae immunis a peccato actuali fuit; fomes autem etsi essentialiter
in ea remansit post primam sanctificationem, tamen ut ligatus, et non ut
incitans ad peccatum, ut dictum est. Alio modo potest verificari, ut intelligatur
etiam de peccato actuali quo ad reatum et maculam. Etsi enim homo ad breve
tempus sine actuali peccato esse possit, non tantum diu sic perseverare potest,
ut saltem in veniale peccatum non cadat; ut sic hoc verbum habemus non
determinatum, sed confusum praesens importet. In Christo vero et matre ejus nullo modo peccatum actuale locum
habuit, nec mortale nec veniale. |
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Quaestio 4 |
Question 4 – [Questions sur la condition charnelle que le
Christ a reçue de sa mère]
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Prooemium |
Prologue |
[7831] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 pr. Postquam ostendit Magister conditionem
carnis assumptae, et matris de qua assumpta est, hic movet quasdam
dubitationes circa determinata; et dividitur in duas partes: in prima movet
dubitationem circa propagationem carnis Christi ex remotis parentibus,
scilicet Abraham et Adam; in secunda movet dubitationem circa conceptionem
carnis ejus in proxima matre, ibi: illi autem sententiae qua supra
diximus, carnem verbi non ante fuisse conceptam quam assumptam, videtur
obviare quod Augustinus ait. Circa primum tria facit: primo movet
dubitationem; secundo solvit eam, ibi: quia ea decimatione sicut Abraham
minor Melchisedech ostenditur (...) ita et leviticus ordo; tertio ex
solutione elicit quamdam conclusionem, ibi: quocirca primitias nostrae
massae recte assumpsisse dicitur Christus. Secunda dubitatio dividitur in
quaestionem et solutionem. Solutio incipit ibi: sed alia ratio illius dicti
extitit. Hic est duplex quaestio. Prima de propagatione carnis Christi ex
antiquis patribus. Secunda de propagatione ejus ex matre. Circa primum
quaeruntur tria: 1 utrum caro Christi in antiquis patribus fuerit peccato
obnoxia, vel ab alia eorum carne secundum differentiam puritatis et
infectionis distincta; 2 utrum caro Christi fuerit in antiquis patribus
secundum quantitatem aliquid determinatum, et materialiter in eis existens; 3
utrum Christus singulariter habeat inter filios Abrahae ut in eo decimatus
non sit. |
Après avoir montré la condition de la chair assumée et de la mère dont elle a été assumée, le Maître soulève ici certains doutes sur ce qui a été déterminé. Il y a deux parties : dans la première, il soulève un doute à propos de la transmission de la chair du Christ depuis ses parents éloignés, Abraham et Adam ; dans la seconde, il soulève un doute sur la conception de sa chair par sa mère proche, en cet endroit : « Ce que dit Augustin semble s’opposer à la sentence que nous avons énoncée plus haut, que la chair du Verbe n’a pas été conçue avant d’être assumée. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il soulève le doute ; deuxièmement, il le résout, à cet endroit : « Parce que, par ce carnage, il est montré que Melchisédech est inférieur à Abraham…, de même en est-il de l’ordre lévitique » ; troisièmement, il tire une conclusion de la solution, en cet endroit : « On dit donc correctement que le Christ a assumé les prémices de notre affluence. » Le second doute se divise en une question et une solution. La solution débute en cet endroit : « Mais il existe une autre raison de ce qui a été dit. » Ici, il y a une double question : la première, à propos de la descendance de la chair du Christ des pères anciens ; la seconde, à propos de sa descendance de sa mère. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1 – La chair du Christ a-t-elle été exposée aux péchés chez les pères anciens, ou était-elle distincte de leur chair selon une différence de pureté et d’infection ? 2 – La chair du Christ était-elle chez les pères anciens quelque chose de déterminé selon la quantité, et qui existait matériellement ? 3 – Le Christ a-t-il été le seul parmi les fils d’Abraham à n’avoir pas été soumis à la dîme en lui ? |
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Articulus 1 [7832] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1
tit. Utrum caro
Christi in antiquis patribus fuerit peccato obnoxia |
Article 1 – La chair du Christ a-t-elle été exposée au péché chez les pères anciens ? |
[7833] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod caro Christi in antiquis patribus peccato infecta non fuerit.
Corpus enim caeleste non inficitur nec alteratur ex conjunctione ad aliud
corpus. Sed corpus
Christi naturae caelestis fuit: quod videtur ex hoc quod dicitur de ipso
Joan. 3, 31: qui de caelo venit super omnes est. Ergo caro Christi in
antiquis patribus infecta esse non potuit. |
1. Il semble que la chair du Christ n’ait pas été infectée dans les pères anciens. En effet, un corps céleste n’est pas infecté ni altéré par son union avec un autre corps. Or, le corps du Christ était de nature céleste, ce qui ressort de ce qui est dit de lui en Jn 3, 31 : Lui qui est venu du ciel pour tous. La chair du Christ ne pouvait donc être infectée chez les pères anciens. |
[7834] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1
arg. 2 Praeterea, in littera dicitur, quod
Christus primitias nostrae carnis assumpsit. Sed caro humana in primo statu
infecta non fuit. Ergo Christus assumpsit carnem nunquam prius infectam. |
2. Il est dit dans le texte que le Christ a assumé les prémices de notre chair. Or, la chair humaine n’était pas infectée dans son premier état. Le Christ a donc assumé une chair qui n’avait jamais été infectée. |
[7835] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 3 Praeterea, Augustinus,
dicit, quod natura humana semper habuit simul cum vulnere vulneris medicinam.
Sed quod est corruptum, non potest corruptionis esse medicina. Ergo in humana
natura semper fuit aliquid non corruptum vel infectum, unde caro Christi
formata est, quae medicina facta est totius humani generis. |
3. Augustin dit que la nature humaine a toujours eu un remède pour la blessure en même temps qu’une blessure. Or, ce qui est corrompu ne peut être un remède pour la corruption. Il y a donc toujours eu dans la nature humaine quelque chose qui n’était pas corrompu ou infecté, à partir de quoi la chair du Christ a été formée et est devenue un remèce pour tout le genre humain. |
[7836] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1
arg. 4 Praeterea, nihil sanatur a
corruptione, nisi in eo aliquid incorruptum remanserit; sicut in aegritudine
animalis, cum cor remaneat sanum, ejus virtute membra prius aegra sanantur.
Sed corruptio humani generis sanabilis fuit. Ergo in humana natura aliquid
incorruptum remanserat. Sed nihil est mundius in humana natura quam caro
Christi. Ergo illud de
quo formata est caro Christi nunquam in patribus fuit infectum. |
4. Rien ne guérit de la corruption s’il n’y est pas resté quelque chose d’incorrompu, comme pour la maladie d’un animal, si le cœur demeure sain, les membres qui était malades sont guéries par sa puissance. Or, la corruption du genre humain pouvait être guérie. Il était donc resté quelque chose d’incorrompu dans la nature humaine. Or, rien n’est plus pur dans la nature humaine que la chair du Christ. Ce dont a été formée la chair du Christ n’a donc jamais été infecté chez les pères. |
[7837] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1
arg. 5 Praeterea, in divinam sapientiam nihil
coinquinatum incurrit, ut dicitur Sap. 7. Sed Christus est Dei virtus, et Dei
sapientia, ut dicitur 1 Cor. 1. Ergo caro ejus nunquam coinquinata fuit. |
5. Rien ne survient de souillé dans la sagesse divine, comme il est dit en Sg 7. Or, le Christ est la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu, comme il est dit en 1 Co 1. Sa chair n’a donc jamais été souillée. |
[7838] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 s.
c. 1 Sed contra est
quod Magister in littera dicit, carnem Christi, priusquam assumeretur, peccato
fuisse obnoxiam: et idem habetur ab Hugone de sancto Victore in Lib. de
sacramentis. |
Cependant, [1] le Maître dit dans le texte que la chair du Christ a été exposée
au péché avant qu’elle ne soit assumée. Et on trouve la même chose chez
Hugues de Saint-Victor dans le livre Sur
les sacrements. |
[7839] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 s.
c. 2 Praeterea,
caro Christi non processit ab Abraham nisi per semen ex quo conceptus est
Isaac. Sed semen illud propter carnalem coitus concupiscentiam pollutum est
originali infectione. Ergo caro Christi, antequam assumeretur, infecta fuit
peccato originali. |
[2] La chair du Christ n’est venue d’Abraham que par l’intermédiaire de la semence par laquelle Isaac a été conçu. Or, cette semence a été souillée par l’infection originelle en raison de la concupiscence charnelle de l’union sexuelle. La chair du Christ a donc été infectée par le péché originel avant d’être assumée. |
[7840] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 s.
c. 3 Praeterea,
distinctio qualitatis praesupponit distinctionem naturae subjectae; cum
contraria non sint simul in eodem, nec ex eisdem principiis causentur. Sed
caro Christi non fuit distincta secundum naturam a carne parentum, a quibus
propagata est. Ergo nec secundum qualitatem puritatis et impuritatis; et sic
idem quod prius. |
[3] La distinction de la qualité présuppose la distinction de la nature sous-jacente, puisque les contraires ne se trouvent pas ensemble dans la même chose, et qu’ils ne sont pas causés par les mêmes principes. Or, la chair du Christ n’était pas distincte par nature de la chair de ses parents, à partir de qui elle s’est transmise. [Elle n’était donc pas non plus distincte] selon la qualité de la pureté et de l’impureté. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[7841] Super Sent., lib. 3 d. 3
q. 4 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc fuit duplex haeresis. Una illorum
qui dixerunt, corpus Christi non esse formatum ex eodem ex quo alia caro hominum
formatur; sed quod filius Dei corpus caeleste secum attulit, et hoc modo per
uterum virginis transivit, nihil ex ea sumens. Hoc autem est haereticum dupliciter. Primo, quia derogat veritati
Scripturae, quae Christum ex muliere factum et natum dicit; non enim ex ea
factus diceretur, nisi ex ea aliquid traxisset unde materialiter ejus caro
fieret; et sic nec beata virgo mater Dei dici posset. Secundo, quia derogat
veritati humanitatis Christi. Cum enim omnis forma determinatam materiam
requirat, si corpus Christi formaretur ex materia alterius generis ab illa materia
de qua formatur corpus alterius hominis, non esset corpus ejusdem speciei cum
corporibus aliorum hominum; et ita homo aequivoce diceretur, cum sit
essentialis pars hominis. Alius error fuit dicentium, quod caro Christi
secundum quod in parentibus erat, infecta non fuit. Dicunt enim, quod
peccante Adam, Deus conservavit in illo aliquid incorruptum et non infectum,
per quod humana natura sanari posset: et hoc quidem transfusum est sine
aliqua infectione usque ad beatam virginem, et exinde formatum est corpus
Christi. Hoc autem erroneum reputatur praecipue propter duo. Primo, quia
secundum hanc positionem Christus non esset vere filius virginis, nec vere ex
stirpe alicujus patrum progenitus, nisi solum ex Adam: illa enim pars quae
incorrupta in humana natura remansit in hominibus aliis ab Adam, fuisset
quasi extraneum ab eis, soli autem Adae connaturale quantum ad primum statum.
Secundo, quia tollitur congruus satisfactionis ordo. Sicut enim non erat
decens ut pro Adam et ejus successione corrupta aliquis satisfaceret qui ex
illo genere non esset; ita etiam non esset congruum ut naturam infectam
satisfaciendo sanaret Dei filius, nisi hoc ipsum quod prius infectum fuerat,
assumpsisset. Et ideo dicendum est, quod caro Christi, secundum quod fuit in
patribus, et etiam in ipsa beata virgine, peccato infecta fuit antequam
assumeretur; sed in ipsa assumptione ab omni infectione peccati purgata est,
ut secundum quod est actu caro Christi, in ea nihil maculae inveniatur. |
Réponse. Il y a eu une double hérésie sur ce point. La première était celle de ceux qui disaient que le corps du Christ n’a pas été formé de la même chose dont est formée une autre chair humaine, mais que le Fils de Dieu a traversé le sein de la Vierge, en ne prenant rien d’elle. Cela est hérétique pour deux raisons. Premièrement, parce que cela s’écarte de la vérité de l’Écriture, qui dit que le Christ a été fait et est né d’une femme. En effet, on ne dirait pas qu’il a été fait à partir d’elle, à moins qu’il n’ait tiré d’elle quelque chose dont sa chair serait matériellement faite. Et ainsi, la bienheureuse Vierge ne pourrait pas non plus être appelée la mère de Dieu. Deuxièmement, parce que cela s’écarte de la vérité de l’humanité du Christ. En effet, puisque toute forme exige une matière déterminée, si le corps du Christ était formé d’une matière d’un autre genre que la matière dont est formé le corps d’un autre homme, son corps ne serait pas de la même espèce que les corps des autres hommes. Ainsi, il serait appelé un homme de manière équivoque, puisque c’est une partie essentielle de l’homme. L’autre erreur était celle de ceux qui disaient que la chair du Christ, selon qu’elle existait chez les pères, n’a pas été infectée. En effet, ils disent que, lorsque Adam a péché, Dieu a préservé en lui quelque chose d’incorrompu et de non infecté, par quoi la nature humaine pourrait être guérie ; cela s’est transmis sans infection jusqu’à la bienheureuse Vierge, et le corps du Christ en a été formé. Or, cela est estimé faux pour deux raisons. Premièrement, parce que, selon cette position, le Christ ne serait pas le fils véritable de la Vierge et il ne serait pas vraiment engendré de la descendance d’un des pères, sauf Adam. En effet, cette partie qui est demeurée incorrompue dans la nature humaine chez d’autres hommes qu’Adam, aurait été pour ainsi dire quelque chose d’extérieur à eux, et cela n’aurait été connaturel qu’à Adam en son premier état. Deuxièmement, parce que l’ordre approprié de la satisfaction est enlevé. En effet, de même qu’il n’était pas convenable que quelqu’un qui ne serait pas de sa descendance satisfasse pour Adam et pour sa descendance corrompue, de même aussi ne serait-il pas convenable que le Fils de Dieu guérisse la nature infectée en satisfaisant, s’il n’avait pas d’abord assumé cela même qui avait été d’abord infecté. Il faut donc dire que la chair du Christ, pour autant qu’elle existait chez les pères et même chez la bienheureuse Vierge elle-même, a été infectée avant d’être assumée ; mais elle a été purifiée de toute infection du péché par l’assomption elle-même, de sorte qu’on ne trouve aucune souillure dans ce qui est en acte la chair du Christ. |
[7842] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 ad
1 Ad primum ergo
dicendum, quod Christus dicitur de caelo venisse, non ratione naturae
assumptae, quasi anima vel corpus ejus prius in caelo fuerit assumpta, et
postmodum per uterum virginis ad nos pervenerit; sed quantum ad personam
assumentem, quae quidem de caelo ad nos venisse dicitur, non loci mutatione,
sed visibilis naturae assumptione. |
1. On dit que le Christ est venu du ciel, non pas en raison de la nature assumée, comme si son âme ou son corps avait été d’abord assumé dans le ciel et nous serait ensuite parvenu à travers le sein de la Vierge, mais en raison de la personne qui assume, dont on dit qu’elle est venu du ciel vers nous, non pas par un changemenet local, mais par l’assomption d’une nature visible. |
[7843] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod Christus dicitur primitias nostrae carnis assumpsisse, non
secundum identitatem rei, ut scilicet natura carnis quam assumpsit, semper in
conditione primi status remanserit, sed quantum ad similitudinem; quia caro
assumpta, prout consideratur actu caro Christi, sine infectione culpae fuit,
sicut et caro primi hominis ante peccatum, ut Magister in littera exponit. |
2. On dit que le Christ a assumé les prémices de notre chair, non pas selon l’identité de la chose, à savoir que la nature de la chair qu’il a assumée serait toujours demeurée dans la condition du premier état, mais selon une similitude, car la chair assumée, en tant qu’elle est considérée comme la chair du Christ en acte, n’était pas infectée par la faute, comme la chair du premier homme avant le péché, ainsi que l’explique le Maître dans le texte. |
[7844] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 ad
3 Ad tertium
dicendum, quod caro Christi in Abraham non fuit ut medicina vulneris in actu,
sed solum in potentia, secundum scilicet quod ex eo propagari poterat illa
caro ex qua medicina nostri vulneris facta est: et ideo non oportet quod
fuerit ibi actu sine infectione vulneris, sed solum in potentia secundum
ordinem quo caro Christi ex ea propaganda erat. |
3. La chair du Christ n’a pas existé en Abraham comme un remède à la blessure en acte, mais seulement en puissance, selon qu’à partir de lui, la chair d’où est venu le remède de notre blessure pouvait se transmettre à partir de lui. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle y ait existé en acte sans l’infection de la blessure, mais seulement en puissance, selon l’ordre par lequel la chair du Christ devait se transmettre à partir d’elle. |
[7845] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 ad
4 Ad quartum
dicendum, quod aliquod corruptum est reparabile dupliciter. Vel secundum
potentiam passivam tantum; et sic oportet ut remaneat in eo aliquid non
corruptum, idest non per corruptionem annihilatum, sicut dicitur contrarium
corrumpi per adventum contrarii: oportet enim subjectum remanere cum
possibilitate ad salutem quae recuperanda est. Vel secundum potentiam
passivam et activam simul, sicut homo infirmus curabilis est quandoque
virtute activa naturae suae; et quia idem non patitur a seipso, necesse est
ut in eo quod sic reparabile est, sit aliqua pars non corrupta, nec
corruptioni subjecta, sicut cor. Dicendum est ergo quod humana natura non
erat reparabilis nisi secundum potentiam passivam tantum; et ideo non
oportuit quod in ipsa remaneret aliqua pars corruptioni non subjecta; sed
sufficit quod in ea remanserit id quod naturae est cum possibilitate ad
reparationem, subjectum tamen corruptioni. |
4. Quelque chose de corrompu peut être restauré de deux manières. Soit selon une puissance passive seulement ; ainsi, il est nécessaire qu’y reste quelque chose de non corrompu, c’est-à-dire qui n’ait pas été anéanti par la corruption, comme on dit qu’un contraire est corrompu par l’apparition de son contraire. En effet, il est nécessaire que demeure un sujet ayant la possibilité du salut qui doit être retrouvé. Soit une puissance passive et active en même temps, comme un homme malade peut être parfois guéri par la puissance active de sa nature. Et parce qu’une chose ne subit pas ce qui vient d’elle-même, il est nécessaire que chez ce qui peut être ainsi restauré, existe une partie non corrompue ni sujette à la corruption, comme le cœur. Il faut donc dire que la nature humaine ne pouvait être restaurée que selon sa puissance passive seulement. Aussi n’était-il pas nécessaire que demeure en elle une partie qui n’était pas soumise à la corruption, mais il suffisait que demeure en elle ce qui appartient à une nature qui comporte une possibilité de restauration, mais cependant sujet à la corruption. |
[7846] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 ad
5 Ad quintum dicendum, quod caro Christi
actu existens caro Christi, nullo modo fuit infecta; ejus enim emundatio a
praecedenti infectione saltem intellectu praecedit assumptionem; unde in
divinam sapientiam nihil inquinatum incurrere potuit. |
5. La chair du Christ, existant en acte comme chair du Christ, n’a été infectée d’aucune manière. En effet, sa purification d’une infection antérieure ne précède l’assomption que selon l’intellect. Rien de souillé ne pouvait donc être encouru par la sagesse divine. |
Articulus 2 [7847] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2
tit. Utrum caro
Christi fuit in antiquis patribus secundum quantitatem determinatam |
Article 2 – La chair du Christ
existait-elle chez les pères anciens selon une quantité déterminée ? |
[7848] Super Sent., lib.
3 d. 3 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod caro Christi fuerit in
antiquis patribus secundum aliquid demonstrabile determinatum. Ut enim in
littera ex Augustino habetur, caro Christi fuit in Abraham secundum
corpulentam substantiam. Sed corpulenta substantia nominat aliquid
determinatum demonstrabile. Ergo per hunc modum fuit caro Christi in Abraham
et in aliis. |
1. Il semble que la chair du Christ existait chez les pères anciens selon quelque chose d’identifiable et de déterminé. En effet, comme Augustin le dit dans le texte, « la chair du Christ existait en Abraham selon une substance corporelle ». Or, une substance corporelle désigne quelque chose de déterminé et d’identifiable. La chair du Christ a donc existé de cette manière chez Abraham et chez les autres. |
[7849] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2
arg. 2 Praeterea, in formatione corporis
Christi duo inveniuntur: scilicet ratio formationis, quae est principium
activum in conceptione, et materia de qua corpus Christi formatum est. Sed ratio formationis non descendit ab
Adam, ut Augustinus dicit, sed desuper venit: quia quod in ea natum est,
de spiritu sancto est; Matth. 1, 20. Si ergo ista materia determinata in
Adam vel Abraham non fuerit, ullo modo corpus Christi ex primis parentibus
non venit: quod est inconveniens, quia non pertineret ad eum satisfacere pro
peccato Adae, sicut dictum est. Ergo oportet carnem Christi fuisse in Abraham
et Adam secundum materiam determinatam. |
2. Dans la formation du corps du Christ, on trouve deux choses : la raison de la formation, qui est le principe actif de la conception, et la matière dont le corps du Christ a été formé. Or, la raison de la formation ne descend pas d’Adam, comme le dit Augustin, mais vient d’en haut, car ce qui est apparu en elle vient de l’Esprit Saint, Mt 1, 20. Si donc cette matière déterminée n’a pas existé chez Adam ou Abraham, le corps du Christ ne vient d’aucune manière des premiers parents, ce qui est inapproprié, car il ne lui reviendrait pas de satisfaire pour le péché d’Adam, comme on l’a dit. Il est donc nécessaire que la chair du Christ ait existé chez Abraham et chez Adam selon une matière déterminée. |
[7850] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2
arg. 3 Praeterea, si
haec materia determinata ex qua corpus Christi formatum est non fuit in Adam,
hoc non potest esse, nisi quia ex alimento sumpta est. Alimentum autem
extraneum est a natura humana. Ergo caro Christi non est vere de natura
humana: quod haereticum est. Videtur ergo quod materia carnis Christi non sit
ex superfluo alimenti sumpta, sed ex primis parentibus descenderit. |
3. Si la matière déterminée dont le corps du Christ a été formé n’a pas existé chez Adam, ce ne peut être que parce qu’elle a été prise de la nourriture. Or, l’aliment extérieur vient de la nature humaine. La chair du Christ ne vient donc pas véritablement de la nature humaine, ce qui est hérétique. Il semble donc que la matière de la chair du Christ ne soit pas venue du superflu de la nourriture, mais qu’elle est descendue des premiers parents. |
[7851] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2
arg. 4 Praeterea, major est convenientia quae est secundum identitatem rei
quam quae est secundum proportionem principii ad principiatum. Sed si materia
corporis Christi ex superfluo alimenti sumpta est, realiter fuit quandoque
materia cibi comesti. Non autem potest dici, quod realiter fuerit in avo vel
proavo; etsi forte dicatur, quod ibi fuerit sicut principiatum est virtute in
suo principio. Ergo major
esset convenientia carnis Christi ad animalia, quorum carnes in cibum sumptae
sunt, quam ad Adam vel Abraham; quod est inconveniens. Ergo idem quod prius. |
4. Le caractère commun selon l’identité est plus grand pour une chose que selon la proportion entre un principe et ce qui vient de ce principe. Or, si la matière du corps du Christ est venu d’un superflu de nourriture, elle a donc réellement été à un certain moment la matière de la nourriture mangée. Or, on ne peut dire qu’elle est réellement venue d’un aïeul ou d’un ancêtre, même si l’on dit qu’elle s’y trouvait en puissance dans son principe, comme ce qui vient d’un principe. La chair du Christ a donc davantage en commun avec les animaux, dont la chair a été prise en nourriture, qu’avec Adam ou Abraham, ce qui est inapproprié. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[7852] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2
arg. 5 Praeterea, illud quod in se mundum
est, non est natum inficere aliud contraria infectione. Sed beata virgo mundata
fuit per primam sanctificationem ab originali infectione. Ergo virtute animae
ejus nutrimentum assumptum infici non potuit, nec alias infectum erat tali
infectione quae extra humanam naturam non invenitur. Ergo caro Christi non in beata virgine
peccato subjacuisset; quod est erroneum, ut dictum est. Ergo caro Christi ex
superfluo alimenti non fuit materialiter; et sic idem quod prius. |
5. Ce qui est pur en soi ne peut infecter autre chose par une infection contraire. Or, la bienheureuse Vierge a été purifiée de l’infection originelle par une première sanctification. La nourriture qu’elle a prise n’a donc pas pu être infectée par la puissance de son âme, et elle n’était pas infectée par une infection qui existe en dehors de la nature humaine. La chair du Christ n’aurait donc pas été soumise au péché à cause de la bienheureuse Vierge, comme on l’a dit. La chair du Christ n’est donc pas venue matériellement d’un superflu de nourriture. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[7853] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 s.
c. 1 Sed contra,
Christus non aliquo modo fuit in parentibus quo alii homines ibi non fuerunt;
sed e converso alii homines aliquo modo ibi fuerunt quo Christus non fuit. Sed alii homines non
fuerunt in primis parentibus secundum materiam determinatam. Ergo nec
Christus in eis hoc modo fuit. Probatio mediae. Alii homines non descendunt a suis parentibus nisi
mediante semine. Semen autem, ut probat philosophus, non est aliquid decisum
quod fuerit actu pars, sed est superfluum alimenti, quod est potentia totum.
Ergo aliorum hominum materia non fuit determinate in Adam quasi actu pars
ejus existens. |
Cependant, [1] le Christ n’a pas existé chez ses parents autrement que les autres hommes n’y ont été ; mais, en sens inverse, les autres hommes s’y sont trouvés d’une autre manière que le Christ. Or, les autres hommes ne se sont pas trouvés chez les premiers parents selon une matière déterminée. Le Christ ne s’y est donc pas trouvé de cette manière. Démonstration de la mineure. Les autres hommes ne descendent de leurs parents que par l’intermédiaire de la semence. Or, la semence, comme le démontre le Philosophe, n’est pas quelque chose de divisé qui serait une partie en acte, mais elle est un superflu de nourriture, qui est le tout en puissance. La matière des autres hommes ne s’est donc pas trouvée chez Adam comme une de ses parties existant en acte. |
[7854] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 s.
c. 2 Praeterea,
generatio secundum naturam in infinitum possibilis est secundum naturam, hoc
modo quod homo ex homine generetur. Si ergo aliqua materia determinata sumatur ex qua omnis caro decisa
sit, oportet quod infinitorum materia in aliquo finito fuerit. Hoc autem est
impossibile. Ergo impossibile est quod omnium hominum caro et Christi fuerit
in Adam secundum determinatam vel signatam materiam. Quod autem impossibile
sit, sic probatur. Cujuslibet rei naturalis materia determinatam quantitatem
exigit; non enim in quacumque parva materia potest induci quaecumque forma.
Sed infinita non possunt esse in aliquo finito, nisi secundum quantitatem non
determinatam accipiantur divisione facta, sed semper secundum eamdem
proportionem, ut scilicet totius sumatur dimidium, et dimidii dimidium, et
sic in infinitum: sic enim secundum eamdem proportionem secundo acceptum erit
alterius quantitatis quam primo acceptum. Ergo impossibile est quod
infinitorum corporum naturalium materia sumatur ex aliquo uno finito in actu. |
[2] Selon la nature, la génération est possible à l’infini selon la nature, de la manière dont un homme est engendré par un homme. Si donc une matière déterminée est prise de laquelle toute chair a été divisée, il est nécessaire que la matière de réalités infinies se soit trouvée dans quelque chose de fini. Or, cela est impossible. Il est donc impossible que la chair de tous les hommes et celle du Christ aient existé en Adam selon une matière déterminée et bien marquée. Que cela soit impossible, on le démontre de la manière suivante. La matière naturelle de n’importe quelle chose exige une quantité déterminée. En effet, n’importe quelle forme ne peut pas être introduite dans n’importe quelle petite matière. Or, des infinis ne peuvent se trouver dans quelque chose de fini, à moins de les concevoir selon une quantité non déterminée, une fois la division faite, mais toujours selon la même proportion, de sorte que l’on prenne la moitié du tout, puis la moitié de la moitié, et ainsi de suite à l’infini. En effet, ce qui est pris en second lieu selon la même proportion aura une autre quantité que ce qui est pris en premier. Il est donc impossible que la matière de corps naturels infinis soit prise de quelque chose de fini en acte. |
[7855] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 s.
c. 3 Praeterea, in
omni generatione naturale agens univocum inducit formam suam in materiam quae
prius tali formae subjecta non erat, sicut ignis in materiam aeris, quae
prius formae ignis subjecta non erat. Sed si materia ex qua ille homo
formatur secundum aliquid signatum in Adam fuerit, et in ceteris parentibus;
nunquam ejus materia fuisset humanae naturae non subjecta. Ergo iste modus
generationis non esset conveniens secundum viam generationis naturalis: et
sic idem quod prius. |
[3] En toute génération, l’agent naturel univoque introduit sa forme dans une matière qui n’avait pas été antérieuremenet soumise à une telle forme, comme le feu dans la matière de l’air, qui n’avait pas été antérieurement soumise à la forme du feu. Or, si la matière dont cet homme est formé existait selon quelque chose de déterminé en Adam et chez les autres parents, sa matière n’aurait jamais été soumise à la nature humaine. Ce mode de génération n’aurait donc rien de commun avec le mode de la génération naturelle. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[7856] Super Sent., lib. 3 d. 3
q. 4 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt duae opiniones. Una opinio
dicit, quod caro Christi et omnium aliorum hominum fuit in Adam secundum
determinatam materiam hoc modo quod aliqua pars corporis Adae fuit de qua per
multiplicationem quamdam omnium hominum corpora formata sunt, aut sine permixtione
alicujus extranei, ut quidam dicunt, aut permixto illi materiae aliquo quod
ex alimento conversum est: et de hoc qualiter improbabile videatur, in 2
Lib., dist. 30, qu. 2, art. 2 et 3, dictum est. Alia opinio est (quae
probabilior videtur), quod alii homines non fuerunt in primo parente nisi
secundum materiam originalem; et Christus hoc modo in primis parentibus fuit.
Sed in hoc differt, quod alii homines fuerunt in primo parente secundum
rationem seminalem, Christus autem non: quod sic videri potest. In his qui
per concubitum generantur, duo concurrunt ad formationem corporis: scilicet
principium activum, quod est in semine, quod ratio seminalis dicitur: aliud
autem est materia ex qua corpus formatur, quam mater ministrat: utrumque
autem horum originaliter reducitur in primum parentem. Quod enim in semine
patris sit virtus activa ad conceptionem corporis humani, est per virtutem
naturae humanae, quam pater prolis procreandae a suo patre accepit, et ille
ab alio, et sic usque ad Adam. Et sic patet quod ratio seminalis eorum qui sunt ex semine viri
concepti, originaliter ab Adam descendit. Similiter etiam materia quam mater
ministrat, oportet quod sit praeparata per virtutem generativam ejus: rei
enim generatio naturalis requirit materiam propriam et determinatam: virtus
autem generativa ipsius matris originaliter ab Adam descendit, sicut et
virtus generativa viri; et ideo illi qui ex mare et femina generantur,
descendunt originaliter ab Adam et secundum rationem seminalem, et secundum
materiam: et quia unus modus essendi in est secundum quod dicitur effectus
esse in sua causa efficiente, ut dicitur 4 Phys.; ideo homines sic concepti
dicuntur fuisse in Adam et secundum rationem seminalem, et secundum materiam
originalem. In conceptione autem Christi virtus activa non fuit nisi spiritus
sanctus; materia autem est per virginem ministrata debito modo praeparata.
Unde patet quod originaliter materia corporis Christi descendit ab Adam, non
autem ratio activa in conceptione ejus ab Adam descendit originaliter; et
ideo Christus fuit in Adam secundum materiam originalem, sed non secundum
rationem seminalem. |
Réponse. À ce propos, il existe deux opinions. Une opinion dit que la chair du Christ et de tous les autres hommes se trouvait en Adam selon une matière déterminée à la manière dont une partie du corps d’Adam existait, avec laquelle les corps de tous les hommes ont été formés par une certaine multiplication, ou sans mélange avec quelque chose d’étranger, comme certains le disent, ou par un mélange avec cette matière de quelque chose qui a été converti à partir de la nourriture. Comment cela semble improbable, on l’a dit dans le livre II, d. 30, q. 2, aa. 2 et 3. L’autre opinion (qui semble plus probable) dit que les autres hommes n’existaient dans le premier parent que selon la matière originelle, et que le Christ a existé de cette manière dans les premiers parents. Mais il diffère en cela que les autres hommes se trouvaient dans le premier parent selon une raison séminale, mais non pas le Christ, ce qu’on peut voir de cette manière. Chez ceux qui sont engendrés par une relation sexuelle, deux choses concourent à la formation du corps : le principe actif, qui existe dans la semence, qu’on appelle la raison séminale ; l’autre chose est la matière de laquelle le corps est formé, que la mère fournit. Ces deux choses se sont retrouvées à l’origine chez le premier parent. En effet, qu’il existe une puissance active dans la semence du père pour la conception du corps humain, cela existe par la puissance de la nature humaine, que le père de la descendance à procréer a reçue de son père, et celui-ci d’un autre, et ainsi jusqu’à Adam. Il ressort ainsi que la raison séminale de ceux qui ont été conçus par la semence d’un homme descend d’Adam. De même, il est nécessaire que la matière fournie par la mère soit préparée par sa puissance génératrice : en effet, la génération naturelle d’une chose exige une matière propre et déterminée. Or, la puissance génératrice de la mère elle-même descend originellement d’Adam, comme la puissance génératrice de l’homme. Ceux qui sont engendrés par un homme et une femme descendent donc originellement d’Adam par une raison séminale et par la matière. Parce qu’une manière d’exister en quelque chose consiste à dire que cela existe dans sa cause efficiente, ainsi que le dit Physique, IV, on dit que les hommes ainsi engendrés existaient en Adam selon une raison séminale et selon leur matière originelle. Or, dans la conception du Christ, la puissance active n’existait que chez le Saint-Esprit ; mais la matière préparée de la manière appropriée a été fournie par la Vierge. Aussi est-il clair que la matière du corps du Christ descend d’Adam par son origine, mais que la raison active dans sa conception ne descend pas d’Adam par son origine. Le Christ existait donc en Adam selon sa matière originelle, mais non selon sa raison séminale. |
[7857] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 ad
1 Ad primum ergo
dicendum, quod cum dicitur Christus fuisse in Adam secundum corpulentam
substantiam, non est intelligendum quod in Adam fuerit per modum corpulentae
substantiae; sed quia ipsa corpulenta substantia corporis Christi aliquo modo
fuerit in Adam sicut in originali principio. |
1. Lorsqu’on dit que le Christ existait en Adam selon sa substance corporelle, il ne faut pas comprendre qu’il existait en Adam à la manière d’une substance corporelle, mais que la substance corporelle du corps du Christ elle-même se trouvait en Adam comme dans son principe originel. |
[7858] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod materia corporis Christi, non autem ratio conceptionis ejus,
fuit in Adam: non tamen materia illa fuit in Adam in actu, quasi aliqua
determinata pars ejus, sed virtute tantum, sicut res dicitur esse in suo
principio effectivo unius speciei. |
2. La matière du corps du Christ, mais non la raison de sa conception, se trouvait en Adam. Mais cette matière ne se trouvait cependant pas en Adam en acte, comme une partie déterminée de lui, mais en puissance seulement, comme on dit qu’une chose existe dans son principe efficient de même espèce. |
[7859] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 ad
3 Ad tertium
dicendum, quod materia corporis Christi assumpta est ex eo quod de cibis a
beata virgine sumptis in purissimos sanguines ejus conversum est. Alimentum
autem quamvis in principio sit extraneum et dissimile, tamen in fine est
conveniens et simile, ut in 2 de anima dicitur; unde non sequitur quod
materia corporis Christi sit extranea humanae naturae. |
3. La matière du corps du Christ a été reçue de ce qui a été converti en sang très pur de la Vierge à partir de la nourriture qu’elle a prise. Or, un aliment, bien qu’il soit au départ extérieur et dissemblable, devient finalement commun et semblable, comme il est dit dans Sur l’âme, II. Il n’en découle donc pas que la matière du corps du Christ soit extérieure à la nature humaine. |
[7860] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 ad
4 Ad quartum
dicendum, quod similitudo et convenientia, magis attenditur secundum formam
quam materiam; ut si ignis generet ex aere ignem, ignis generatus magis
convenit cum igne generante, cum quo convenit secundum formam, quam cum aere
ex quo materialiter generatus est. Similiter etiam materia corporis Christi
magis convenit cum beata virgine et aliis patribus, quorum virtute effecta
est propria materia corporis humani, quam cum rebus illis quae in cibum
sumptae sunt. |
4. La similitude et le partage se prennent davantage de la forme que de la matière ; ainsi, si le feu engendrait du feu à partir de l’air, le feu engendré aurait plus en commun avec le feu qui engendre, puisqu’il a en commun avec lui la forme, plutôt qu’avec l’air à partir duquel il a été matériellement engendré. De même aussi, la matière du corps du Christ a plus en commun avec la bienheureuse Vierge et les autres pères, par la puissance desquels elle est devenue la matière propre du corps humain, qu’avec les choses prises comme nourriture. |
[7861] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 ad
5 Ad quintum
dicendum, quod per primam sanctificationem, ut supra dictum est, beata virgo
a fomite mundata fuit secundum quod inclinat ad actus personales, non autem
remota est illa inclinatio secundum quam fomes est infectivus naturae: sed
hoc factum est per secundam sanctificationem, ut quidam dicunt; et ideo illud
quod erat in beata virgine ut ordinatum ad propagationem naturae, peccato
obnoxium erat; quamvis erat a peccato mundatum, secundum quod ad personam
pertinebat. |
5. Comme on l’a dit, par la première santification, la bienheureuse Vierge a été purifiée de la convoitise, selon que celle-ci incline à des actes personnels, mais l’inclination selon laquelle la convoitise infecte la nature n’a pas été enlevée. Cela a été réalisé par la seconde sanctification, comme le disent certains. C’est pourquoi ce qui, chez la bienheureuse Vierge, était ordonné à la transmission de la nature était exposé au péché, bien que cela ait été purifié du péché selon que cela concernait sa personne. |
Articulus 3 [7862] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3
tit. Utrum solus
Christus in Abraham non fuerit decimatus |
Article 3 – Le Christ est-il le seul à n’avoir pas été
soumis à la dîme en Abraham ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Un descendant d’Abraham a-t-il été soumis à la dîme en lui ?] |
[7863] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur, quod
nullus qui de stirpe Abrahae descendit, in ipso decimatus sit. Quia, ut dicit
Augustinus, quod in eo decimabatur, curabatur. Sed nullus in parentibus
curari vel sanctificari potest, ut supra dictum est. Ergo nullus in Abraham
decimari potuit. |
1. Il semble qu’aucun descendant d’Abraham n’ait été soumis à la dîme en lui, car, ainsi que le dit Augustin, ce qui était imposé en lui était guéri. Or, personne ne peut être guéri ou sanctifié en ses parents, comme on l’a dit plus haut. Personne ne pouvait donc être soumis à la dîme en Abraham. |
[7864] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3
qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut post tempora Abrahae
in illis qui ex ejus stirpe descenderunt, valuit circumcisio ad peccati
originalis curationem; ita etiam ante ipsius tempora valuit ad idem virtus
sacrificiorum, decimarum, et oblationum, ut dicit Gregorius in Moral. Sed quando Abraham circumcisus est, non
propter hoc aliquis de stirpe ejus descendens circumcisus fuit: alias eos non
oportuisset iterum circumcidi. Ergo nec Abraham dante decimas, ejus filii
decimati sunt. |
2. De même qu’après l’époque d’Abraham, la circoncision pouvait guérir du péché originel, pour ceux qui descendaient de sa lignée, de même, avant son époque, la puissance des sacrifices, des dîmes et des offrandes pouvait la même chose, comme le dit Grégoire dans ses Morales. Or, lorsque Abraham a été circoncis, personne de sa lignée n’a pour autant été circoncis, autrement il n’aurait pas été nécessaire qu’ils soient de nouveau circoncis. Les fils d’Abraham n’ont donc pas été soumis à la dîme du fait qu’Abraham a payé la dîme. |
[7865] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
decimari aut est decimas dare, aut ad decimas obligari, aut decima parte
privari, sicut dicitur granum decimatum a quo jam decima pars ablata est. Sed
primo modo non potest dici quod aliquis in patre suo decimetur. Dare enim
decimas est quidam actus personalis. Sed actus personales non transfunduntur
a parentibus in filios, sicut nec peccata actualia. Ergo Abraham dante decimas, non propter hoc
filius ejus decimatus est quasi dans decimas. Similiter nec secundo modo. Levitae
enim et sacerdotes veteris legis ab Abrahae stirpe descenderunt, qui tamen ad
decimas dandum non obligabantur, sed eas a populo accipiebant. Ergo nec sic
omnes filii Abrahae praeter Christum in ipso decimati sunt, quasi ad decimas
obligati. Similiter nec tertio modo. Quia decimatio respicit id quod est in
actu distinctum; unde triticum non potest esse decimatum ex hoc quod semen
decimatum fuit. Sed filii Abrahae non erant in eo actu distincti, sed tantum
virtute. Ergo nullo modo in eo decimari potuerunt. |
3. Être soumis à la dîme, c’est soit être obligé de payer la dîme, soit être privé en partie de la dîme, comme on dit du grain dont une partie a déjà été offerte qu’il a été soumis à la dîme. Or, de la première manière, on ne peut dire que quelqu’un a été soumis à la dîme en son père. En effet, payer la dîme est un acte personnel. Or, les actes personnels ne se transmettent pas des parents aux fils, pas davantage que les péchés actuels. Du fait qu’Abraham a payé la dîme, son fils n’a donc pas été soumis à la dîme au sens où il aurait payé la dîme. De même aussi, selon le second sens. En effet, les lévites et les prêtres de la loi ancienne descendaient de la lignée d’Abraham. Or, ils n’étaient pas tenus de payer la dîme, mais la recevaient plutôt du peuple. Tous les fils d’Abraham, sauf le Christ n’ont donc pas été soumis à la dîme en [Abraham], au sens où ils auraient été tenus [de payer] la dîme. De même encore, selon la troisième manière, car le paiement de la dîme porte sur quelque chose qui est distinct en acte ; aussi le blé ne peut-il être soumis à la dîme du fait qu’une semence a été soumise à la dîme. Or, les fils d’Abraham n’étaient pas distincts en lui en acte, mais seulement en puissance. Ils ne pouvaient donc d’aucune manière être soumis à la dîme. |
[7866] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3
qc. 1 arg. 4 Sed contra est, quod apostolus, ad Heb. 7, dicit, et in littera
ex verbis Augustini habetur. |
Cependant, [4] ce que dit l’Apôtre en He 7 va en sens contraire, et on le lit dans le texte à partir des paroles d’Augustin. |
[7867] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 arg. 5 Praeterea, decimatio
quoddam signum servitutis divinae est, cum ad latriam pertineat. Sed proles in parente ad
servitutem obligatur: servi enim sunt filii, si ex servis parentibus
nascantur. Ergo Abraham dante decimas, filii ejus decimati sunt. |
[5] La dîme est un signe du service de Dieu, puisqu’elle se rapporte à la latrie. Or, la descendance est obligée au service en son parent : en effet, les fils sont des serfs, s’ils naissent de parents qui sont serfs. Les fils d’Abraham ont donc été soumis à la dîme du fait qu’Abraham a payé la dîme. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il été soumis à la dîme en Abraham ?] |
[7868] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod etiam Christus in Abraham decimatus sit. Christus enim non habet
habitudinem ad Abraham nisi mediante beata virgine. Sed beata virgo fuit in Abraham decimata.
Ergo et Christus. |
1. Il semble que le Christ aussi ait été soumis à la dîme en Abraham. En effet, le Christ n’a de rapport avec Abraham que par l’intermédiaire de la bienheureuse Vierge. Or, la bienheureuse Vierge a été soumise à la dîme en Abraham. Donc, le Christ aussi. |
[7869] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3
qc. 2 arg. 2 Praeterea, decimatio convenit filiis
Abrahae ex eo, ut in littera habetur, ratione peccati originalis: quia per
concupiscentiam ex eo propagandi erant. Sed caro Christi in Abraham fuit peccato
obnoxia, ut in littera dicitur. Ergo et in eo Christus decimatus fuit. |
2. La dîme était appropriée pour les fils d’Abraham en raison du péché originel, comme le dit le texte, parce qu’ils devaient se propager à partir de lui par la concupiscence. Or, la chair du Christ a été exposée au péché en Abraham, comme le dit le texte. Le Christ a donc été soumis à la dîme en lui. |
[7870] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3
qc. 2 arg. 3 Praeterea,
decimatio est quidam actus figuralis. Sed Christus videtur maxime per decimam
figurari ratione perfectionis Christi, quae denario competit. Ergo Christus praecipue
in Abraham fuit decimatus. |
3. La dîme est un acte qui a le sens d’une figure. Or, le Christ semble être figuré par la dîme, surtout en raison de la perfection du Christ qui convient à l’argent. Le Christ a donc été surtout soumis à la dîme en Abraham. |
[7871] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3
qc. 2 s. c. 1 Sed contra,
apostolus, Heb. 7, praefert sacerdotium Christi sacerdotio Aaron per hoc quod
levi ex cujus stirpe Aaron descendit, Abraham dante decimas decimatus est. Sed Christus in hoc nihil
amplius haberet quam Aaron, si in Abraham similiter decimatus esset. Ergo
nullo modo in eo decimatus fuit. |
Cependant, [1] en He 7, l’Apôtre place le sacerdoce du Christ au-dessus du sacerdoce d’Aaron du fait que Lévi, de la lignée de qui Aaron descendait, a été soumis à la dîme puisque Abraham a été soumis à la dîme en payant la dîme. Or, le Christ n’aurait sur ce point rien de plus que Aaron, s’il avait été soumis à la dîme de la même manière en Abraham. Il n’a donc été d’aucune manière soumis à la dîme en lui. |
[7872] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3
qc. 2 s. c. 2 Praeterea,
quod multiplicatur miraculose, et non virtute naturae, non est decimabile, ut
patet 4 regum 4: quia Elisaeus non praecepit viduae, ut de oleo quod
miraculose multiplicatum erat, decimas daret. Sed caro Christi ex Abraham
miraculose propagata est. Ergo Christus in Abraham decimatus non fuit. |
[2] Ce qui est multiplié miraculeusement, et non en vertu de la nature, ne peut être soumis à la dîme, comme cela ressort de 2 R 4, car Élisée n’a pas ordonné à la veuve de payer la dîme de l’huile qui avait été multipliée miraculeusement. Or, la chair du Christ s’est propagée miraculeusement depuis Abraham. Le Christ n’a donc pas été soumis à la dîme en Abraham. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[7873] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 co.
Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod illi qui ex Abraham per
concubitum descenderunt, in Abraham decimati sunt; Christus autem in eo
decimatus non est. Cujus ratio est, quia decimatio non tantum erat actus
moralis, sed etiam figuralis; est enim actus moralis secundum hoc quod pars
quaedam terrae nascentium, et aliorum, in usum ministrorum Dei et pauperum
conferebatur, ut esset cibus in domo domini, ut habetur Malach. 3. Actus
autem figuralis est secundum hoc quod figurat imperfectionem in eo qui
decimas dat, qui perfectionem ab eo cui dat expectat. In numero enim denario
est quaedam perfectionis ratio, secundum quod limes quidam est; unde
novenarius imperfectionem signat, secundum quod a denario deficit; et ideo
qui decimas dat, in hoc quod novem sibi retinet, et decem alteri dat,
confitetur se imperfectum esse, et perfectionem ab altero expectare; et inde
est quod etiam decimatio quodammodo actus sacramentalis erat, secundum quod
dicta realis confessio ex fide mediatoris procedebat, per cujus perfectionem
ablata est humani generis imperfectio quae erat per originale peccatum; hoc
enim figurabat remedium quod contra originale peccatum praestabat per modum
sacramenti. Illa ergo
decimatio qua Abraham decimas dedit ostendens se liberatore indigere, ad
illos tantum pertinet ex ejus stirpe descendentes qui imperfectionem
originalis peccati ex eo traxerunt, ut similiter sicut ipse liberationem ab
alio expectarent. Non autem originale peccatum ab eo traxerunt nisi qui per
concubitum ex eo descenderunt; solum enim hi naturam humanam ab eo sicut a
principio activo acceperunt. Unde et in eo secundum rationem seminalem fuisse
dicuntur: et propter hoc etiam simul cum natura, naturae vitium contraxerunt
ab Adam vel Abraham. Christus vero
ab Adam vel Abraham non per concubitum descendens materiam humanae naturae ab
eis habuit, quae virtute spiritus sancti in humanam naturam formata est; et
ideo non contraxit originale peccatum; et ideo non potuit figurari ut
imperfectionem habens, et liberatore indigens; et propter hoc non est
decimatus in Abraham. |
Ceux qui descendaient d’Abraham par l’union sexuelle ont été soumis à la dîme. Or, le Christ n’a pas été soumis à la dîme en lui. La raison en est que la dîme n’était pas seulement un acte moral, mais aussi figuratif. En effet, elle est un acte moral pour autant qu’une partie de la terre de ceux qui naissent et des autres était donnée pour l’usage des ministres de Dieu et des pauvres, afin qu’il y ait à mangrer dans la maison du Seigneur, comme on lit en Ml 3. Mais elle est un acte figuratif selon qu’elle figure une imperfection chez celui qui donne la dîme, qui attend la perfection de celui à qui il donne. En effet, dans le nombre dix, existe une certaine raison de perfection, selon qu’il est pour ainsi dire une limite. Le nombre neuf indique donc une imperfection, pour autant qu’il n’atteint pas le nombre dix. Celui qui paye la dîme confesse donc qu’il est imparfait et attend d’un autre la perfection, du fait qu’il retient neuf [parts] pour lui-même et donne à un autre la dixième. De là vient que la dîme était d’une certaine manière un acte sacramentel, selon que ladite confession réelle venait de la foi au Médiateur, par la perfection de qui l’imperfection du genre humain, qui venait du péché originel, a été enlevée. En effet, cela était la figure du remède qu’il apportait au péché originel sous forme de sacrement. La dîme, par laquelle Abraham a payé la dîme pour montrer qu’il avait besoin d’un libérateur, concerne donc seulement à ceux qui descendent de sa lignée, qui avaient reçu de lui l’imperfection du péché originel, afin que, de la même manière, ils attendent d’un autre la libération comme il [l’a fait]. Or, n’ont reçu de lui le péché originel que ceux qui sont issus de lui par l’union sexuelle. En effet, seuls ceux-là ont reçu de lui la nature comme d’un principe actif. Aussi dit-on qu’ils existaient en lui selon une raison séminale. Pour cette raison, en même temps que la nature, ils ont reçu d’Adam et d’Abraham un vice de nature. Mais le Christ, qui ne descend pas d’Adam ou d’Abraham par l’union sexuelle, a reçu d’eux la matière de la nature humaine, qui a reçu la forme de la nature humaine par la puissance du Saint-Esprit. C’est pourquoi il n’a pas contracté le péché originel. Il ne pouvait donc être figuré comme imparfait et ayant besoin d’un libérateur. Pour cette raison, il n’a pas été soumis à la dîme en Abraham. |
[7874] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod in verbo Augustini hoc quod dicit, curabatur, non designat curationem in actu; sed
curationis necessitatem: qui enim sic in eo erant ut curatione indigerent, in
eo decimati sunt. |
1. Dans la citation d’Augustin, lorsqu’il dit « était guéri », il ne désigne pas une guérison en acte, mais la nécessité d’une guérison. En effet, ceux qui étaient en lui de manière à avoir besoin d’une guérison ont été soumis à la dîme en lui. |
[7875] Super Sent., lib. 3 d. 3
q. 4 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod nullus dicitur circumcidi nisi secundum quod actu aliquid
patitur. Decimari autem
dicitur aliquis etiam secundum praefigurationem. Unde non est simile de
decimatione et circumcisione. |
2. On ne dit de personne qu’il est circoncis que s’il supporte quelque chose en acte. Or, on dit que quelqu’un est soumis à la dîme selon une préfiguration. Il n’en va donc pas de même de la dîme et de la circoncision. |
[7876] Super Sent., lib. 3 d. 3
q. 4 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod decimari nullo horum modorum accipitur: sed decimari nihil aliud est,
prout hic accipitur, quam praefigurari liberatione indigere. Hoc autem
praefigurabatur in Abraham dante decimas de omnibus qui peccatum originale ab
eo contracturi erant, sicut ipse a suis parentibus contraxerat, ut eadem
ratione imperfectio liberatione indigens in illis figuraretur qua in se esse
per decimarum collationem confitebatur. |
3. Être soumis à la dîme ne s’entend d’aucune de ces manières ; mais être soumis à la dîme, selon que cela est entendu ici, n’est rien d’autre que de préfigurer un besoin de libération. Or, était préfiguré en Abraham, qui payait la dîme pour tous ceux qui devaient recevoir de lui le péché originel, comme lui-même l’avait reçu de ses parents, que l’imperfection, qui, pour la même raison, aurait besoin d’une libération, serait figurée par celle par laquelle il confessait, par le paiement de la dîme, qu’elle se trouvait en lui. |
[7877]
Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 ad 4 Quartum et quintum concedimus. |
4. Nous concédons le quatrième et le cinquième argument. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[7878] Super Sent., lib.
3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod Christus nullo modo in Abraham
decimatus fuit: cujus ratio patet ex praedictis. |
Le Christ n’a été d’aucune
manière soumis à la dîme en Abraham. La raison en ressort de ce qui a été
dit. |
[7879] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum contra hoc objectum, quod quia Christus non descendit ab Abraham
nisi mediante beata virgine; ideo sicut descendit a beata virgine, ita
descendit ab Abraham; unde cum a beata virgine descenderit non per
concubitum, nec ab Abraham per concubitum descendit; quamvis beata virgo ab
Abraham per concubitum descenderit. Unde non sequitur quod si beata virgo in Abraham decimata fuit, in eo
Christus decimatus fuerit. |
1. À l’encontre de cette objection, il faut dire que le Christ ne descendait d’Abraham que par l’intermédiaire de la bienheureuse Vierge. Il descendait donc d’Abraham comme il descendait de la Vierge. Puisqu’il descendait de la Vierge sans union sexuelle, il ne descendait donc pas non plus d’Abraham par l’union sexuelle, bien que la bienheureuse Vierge soit descendue d’Abraham par l’union sexuelle. Il n’en découle donc pas que si la bienheureuse Vierge a été soumise à la dîme en Abraham, le Christ y fut soumis en lui. |
[7880] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc.
2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod id quod est
in potentia, potest praefigurari mundum vel immundum. Esse autem mundum vel immundum non convenit
nisi rei actu existenti. Quia ergo quod in Abraham actu erat, totum peccato subjacebat; ideo
caro Christi in Abraham peccato obnoxia fuit. Quia vero ex Abraham caro
Christi non sic propaganda erat ut ex eo infectionem originalem contraheret;
ideo in eo Christus decimatus esse non dicitur; cum decimatio, inquantum figurale
quoddam est, referri possit etiam ad illud quod virtute erat in Abraham. |
2. Ce qui est en puissance peut être préfiguré comme pur ou comme impur. Or, être pur ou impur ne convient qu’à une chose qui existe en acte. Parce que ce qui existait en acte en Abraham était entièrement soumis au péché, la chair du Christ a donc été exposée au péché en Abraham. Mais parce que la chair du Christ ne s’est pas transmise à partir d’Abraham de telle sorte qu’elle contracte par lui l’infection originelle, on ne dit pas que le Christ a été soumis à la dîme en lui, puisque la soumission à la dîme, en tant qu’elle était quelque chose de figuratif, peut se réferer à ce qui existait en puissance en Abraham. |
[7881] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3
qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod decima pars quae Deo redditur, non
dicitur proprie decimari; sed magis novem partes, a quibus decima separatur;
et ideo Christus per decimam signatus decimari non dicitur, sed alii
imperfectionem contrahentes per novenarium designati. |
3. On ne dit pas que la dîme qui est donnée à Dieu est, au sens propre, une soumission à la dîme, mais plutôt les neuf parties dont la dîme est séparée. C’est pourquoi on ne dit pas que le Christ signalé par la dîme est soumis à la dîme, mais les autres qui contractent une imperfection et sont signalés par les neuf [parties]. |
[7882] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 2 ad s. c. Alia duo concedimus. |
[4 et 5] Nous concédons les deux autres arguments. |
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Quaestio 5 |
Question 5 – [La transmission de la chair du Christ depuis sa
mère]
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Prooemium |
Prologue |
[7883] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 pr.
Deinde quaeritur de propagatione carnis Christi ex matre ejus; et circa hoc
quaeruntur tria: 1 de materia ex qua conceptum est corpus ejus; 2 de tempore
conceptionis; 3 de sanctificatione concepti. |
Ensuite, on s’interroge sur la transmission de la chair du Christ à partir de sa mère. À ce propos, trois questions sont posées : 1 – À propos de la matière dont le corps a été formé. 2 – À propos du moment de la conception. 3 – À propos de la sanctification de ce qui a été conçu. |
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Articulus 1 [7884] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1
tit. Utrum corpus
Christi fuerit ex purissimis virginis sanguinibus |
Article 1 – Le corps du Christ a-t-il été conçu à partir du sang très pur de la Vierge ? |
[7885] Super Sent., lib.
3 d. 3 q. 5 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod corpus Christi non fuerit formatum solum ex purissimis
sanguinibus virginis, sicut Damascenus dicit. Eorum enim quae specie
conveniunt, est materia ejusdem rationis: quia forma naturalis materiam determinatam
requirit. Sed aliorum hominum materia est ex eo quod ex viro et muliere
deciditur. Cum ergo Christus, inquantum homo, fuerit ejusdem speciei cum
aliis hominibus, videtur quod corpus ejus non solum ex sanguinibus matris
virginis formatum sit. |
1. Il semble que le corps du Christ n’ait pas été conçu seulement à partir du sang très pur de la Vierge, comme le dit [Jean] Damascène. En effet, les choses qui ont l’espèce en commun ont une matière de même nature, car la forme naturelle exige une matière déterminée. Or, la matière des autres hommes vient de ce qui est séparé de l’homme et de la femme. Puisque le Christ, en tant qu’homme, avait la même espèce que les autres hommes, il semble donc que son corps n’ait pas été formé seulement à partir du sang très pur de la Vierge. |
[7886] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1
arg. 2 Praeterea, ad
Rom. 1, 3, dicitur: factus est ei ex semine David secundum carnem. Sed
id ex quo fit aliquid, est materia ejus. Ergo materia corporis Christi non
est sanguis, sed semen. |
2. Il est dit en Rm 1, 2 : Issu de la lignée de David selon la chair. Or, ce dont quelque chose est fait est sa matière. La matière du corps du Christ n’est donc pas le sang, mais la semence. |
[7887] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1
arg. 3 Praeterea, in
collecta dicitur, quod Deus verbum suum de virgine carnem sumere voluit. Sed
de illo corpus Christi formatum est quod de virgine sumpsit. Ergo corporis
Christi materia non est sanguis, sed caro. |
3. Dans une collecte, on dit que « Dieu a voulu que son Verbe tire sa chair de la Vierge ». Or, le corps du Christ a été formé de ce qu’il a tiré de la Vierge. La matière du corps du Christ n’est donc pas le sang, mais la chair. |
[7888] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1
arg. 4 Praeterea, ut
in 2 de Generat. dicitur, quae magis conveniunt, facilius invicem
transmutantur. Sed magis convenit cum carne caro quam sanguis. Ergo
convenientius est dicere corpus Christi ex carne virginis formatum esse quam
ex ejus sanguine. |
4. Comme il est dit dans Sur la génération, II, « les choses qui ont davantage en commun se changent plus facilement l’une en l’autre ». Or, la chair a plus en commun avec la chair que le sang. Il est donc plus approprié de dire que le corps du Christ a été formé de la chair de la Vierge que de son sang. |
[7889] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1
arg. 5 Praeterea, generativa non operatur
nisi ex eo quod residuum est nutritivae virtuti; cum nutritiva generativae
deserviat. Sanguis autem
non est residuum ab opere nutritivae; immo est quo nutritiva indiget in via
existens ad nutriendum membra. Ergo sanguis non potest esse materia a virtute
generativa ministrata ad conceptionem prolis: et sic idem quod prius. |
5. La puissance génératrice n’agit qu’à partir d’un reste de la puissance nutritive, puisque la puissance nutritive est au service de la puissance génératrice. Or, le sang n’est pas un reste de l’action nutritive ; bien plutôt, il est ce dont la puissance nutritive a besoin, alors qu’elle se met à nourrir les membres. Le sang ne peut donc pas être la matière fournie par la puissance génératrice en vue de la conception d’une descendance. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[7890] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 s.
c. 1 Sed contra est
quod dicit Damascenus, quod divina sapientia ex purissimis sanguinibus
virginis carnem sibi copulavit. |
Cependant, [1] [Jean] Damascène dit que « la Sagesse divine s’est unie à la chair à partir du sang très pur de la Vierge ». |
[7891] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 s.
c. 2 Praeterea, corpus Christi non est
formatum nisi ex materia quam virgo ministravit, talem in natura qualem aliae
matres ministrant ad conceptum prolis. Sed, ut in 15 de animalibus dicitur, materia ex qua corpus conceptum
formatur, quam mater ministrat, est sanguis, qui menstruum dicitur. Ergo et
corpus Christi ex sanguine formatum est. |
[2] Le corps du Christ n’a été formé que de la matière que la Vierge a fournie, identique en nature à celle que les autres mères fournissent pour concevoir une descendance. Or, ainsi qu’il est dit dans Sur les animaux, XV, la matière dont le corps conçu a été formé et que fournit la mère est le sang, appelé menstruation. Le corps du Christ a donc été formé à partir du sang. |
[7892] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa materiam de
qua corpus hominis formatum est, variae sunt opiniones. Quidam enim dicunt,
quod corpus humanum formatur ex commixtione seminum, scilicet matris et
patris simul, cum sanguine menstruo; ita quod totum hoc sit materia corporis.
Hoc autem philosophus, in 15 de animalibus, multipliciter destruit,
ostendens, quod id quod ex viro descendit, non est materia humani corporis,
sed solum principium activum, et per rationem, et experimenta sensibilia,
quae magis in rebus naturalibus faciunt fidem: et hoc patet inspicienti verba
ejus. Similiter etiam ostendit quod semen mulieris nihil facit ad
generationem; unde etiam et quaedam mulieres concipiunt sine hoc quod
seminent. Sed sanguis qui menstruum dicitur, est in mulieribus loco seminis
in viris. Et secundum hanc philosophi opinionem convenientissime potest
salvari partus virginis, si ad conceptionem humani corporis non nisi sanguis
mulieris materialiter requiritur: non enim credendum est quod materiae
corporis Christi, quod sine semine viri conceptum est, aliquid defuerit quod
materialiter ad formationem humani corporis requiratur. Constat etiam omnibus
virginitatem matris confitentibus, absque omni humano semine conceptionem
illam peractam esse. Et ideo materia ex qua corpus formatur, et in Christo et
in aliis hominibus est sanguis per virtutem generativam matris praeparatus.
Ille enim sanguis in mulieribus est sicut semen in viris; unde et in eodem
tempore hoc in viris et illud in mulieribus incipit, scilicet apud ortum
pilorum, et aliorum accidentium quae sunt signa pubertatis. Sed quia in
muliere est calor generativae deserviens diminutus respectu caloris viri,
ideo non potest in mulieribus superfluum alimenti ad tantam digestionem
perduci sicut in viris: propter quod remanet in forma sanguinis, sicut
deficiens a completa digestione seminis; unde accidit in aliquo multum
coeunte ut sanguinem loco seminis emittat, ut in 15 de animalibus dicitur;
quasi natura non sufficiat ad tantum seminis digerendum quantum incontinentia
quaerit. |
Réponse. Il existe plusieurs opinions à propos de la matière dont le corps de l’homme a été formé. En effet, certains disent que le corps humain est formé du mélange des semences, à savoir, celles de la mère et du père en même temps, avec le sang menstruel, de sorte que tout cela est la matière du corps. Mais le Philosophe réfute cela de plusieurs manières dans Sur les animaux, XV, en disant que ce qui provient de l’homme n’est pas la matière du corps humain, mais seulement son principe, selon la raison et selon des expériences sensibles, qui font plutôt foi dans les choses naturelles. Cela ressort clairement pour celui qui lit ce qu’il dit. De même aussi, il montre que la semence de la femme ne contribue en rien à la génération ; ainsi certaines femmes conçoivent sans fournir de semence. Mais le sang qu’on appelle menstrue existe chez les femmes à la place de la semence chez les hommes. Selon cette opinion du Philosophe, la conception de la Vierge peut être préservée de la manière la plus appropriée, si le sang de la femme n’est requis que matériellement pour la conception du corps humain. En effet, on ne doit pas croire que quelque chose de matériellement nécessaire à la formation du corps humain ait fait défaut à la matière du corps du Christ, qui a été conçu sans la semence d’un homme. Il est clair aussi, pour tous ceux qui confessent la virginité de la mère, que cette conception s’est réalisée sans semence de l’homme. C’est pourquoi la matière dont ce corps a été formé est le sang préparé par la puissance génératrice de la mère. En effet, ce sang, chez les femmes, est comme la semence chez les hommes. Aussi celle-ci et celui-là commencent-ils au même moment chez les hommes et chez les femmes, à savoir, à la naissance des poils et des autres accidents qui sont les signes de la puberté. Mais parce que, chez la femme, existe une chaleur déservant la puissance génératrice moindre que la chaleur de l’homme, le superflu de nourriture ne peut être amené à une digestion aussi grande que chez les hommes. C’est la raison pour laquelle il demeure à l’état de sang, auquel fait défaut la digestion complète de la semence. Aussi arrive-t-il, chez celui qui pratique beaucoup l’union sexuelle, qu’il émette du sang à la place de la semence, comme il est dit dans Sur les animaux, XV, comme si la nature ne suffisait pas à digérer une aussi grande quantité de semence que l’exige l’incontinence. |
[7893] Super Sent., lib. 3 d. 3
q. 5 a. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod secundum philosophum in 15 et 16 de animalibus, illud quod a
viro emittitur, non efficitur materia in generatione, sed tantum activum;
unde relinquitur quod ex solo sanguine mulieris materialiter corpus humanum
formetur, tam in Christo quam in aliis hominibus. |
1. Selon le Philosophe, dans Sur les animaux, XV et XVI, ce qui est émis par l’homme ne devient pas matière dans la génération, mais seulement [un principe] actif. Il reste donc que le corps humain est formé matériellemenet du seul sang de la femme, tant chez le Christ que chez les autres hommes. |
[7894]
Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Christus ex semine David dicitur factus
secundum carnem, non sicut ex immediata materia; sed quia materia ex qua
corpus Christi formatum est, originaliter ex semine David descendit. |
2. On dit que le Christ est venu de la semence de David selon la chair, non pas comme d’une matière immédiate, mais parce que la matière dont le corps du Christ a été formé provient à l’origine de la semence de David. |
[7895] Super Sent., lib. 3 d. 3
q. 5 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod assumptio habet duos terminos, scilicet a quo, et in quem. Dicitur ergo
Dei verbum ex virgine carnem assumpsisse, non quantum ad terminum a quo,
quasi prius esset in specie carnis quam assumeretur; sed quantum ad terminum
ad quem: quia materia illa simul assumpta est et in carnem formata. |
3. L’assomption a deux termes : a quo et in quem. On dit que le Verbe de Dieu a assumé la chair à partir de la Vierge, non pas du point de vue du terme a quo, comme s’il avait d’abord existé dans l’espèce de la chair avant qu’elle ne soit assumée, mais du point de vue du terme ad quem, car cette matière a été en même temps assumée et a reçu la forme de la chair. |
[7896]
Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis caro cum carne magis conveniat secundum
similitudinem speciei; tamen sanguis, ex quo formatur corpus, magis convenit
cum carne et reliquis partibus corporis secundum proportionem potentiae ad
actum, quam caro cum carne; sanguis enim ille est potentia totum, secundum
potentiam passivam, sicut et semen est potentia totum secundum potentiam
activam; caro autem non est potentia totum, cum sit actu pars ultimum
complementum habens jam per ultimam digestionem. Haec autem convenientia
praecipue requiritur ad hoc quod aliquid ex aliquo fiat: domus enim facilius
construitur ex caemento et lapidibus specie differentibus, quam ex alia domo
ejusdem speciei; ex qua domus construi non potest, nisi in lapides
resolvatur. |
4. Bien que la chair ait plus en commun avec la chair selon la similitude de l’espèce, le sang, dont est formé le corps, a cependant davantage en commun avec la chair et les autres parties du corps selon la proportion entre la puissance et l’acte, que la chair avec la chair. En effet, ce sang n’est qu’une puissance, en tant que puissance passive, comme aussi la semence est entièrement puissance, en tant que puissance active ; mais la chair n’est pas entièrement puissance, puisqu’elle est en acte une partie possédant déjà un achèvement complet par une digestion ultime. Or, un tel caractère commun est nécessaire pour que quelque chose devienne à partir d’une autre chose. En effet, une maison est plus facilement construite de ciment et de pierres différents par l’espèce, qu’à partir d’une autre maison de la même espèce, à partir de laquelle la maison ne peut être construite que si elle est ramenée aux pierres. |
[7897] Super Sent., lib. 3 d. 3
q. 5 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod sanguis qui humani corporis materia ponitur, non est absolute talis
qualis per actum nutritivae generatur ex cibo; sed hoc quod de illo sanguine
residuum est ab ultima digestione nutritiva, in feminis generativae
ministrat, quae ipsum praeparat, ut sit debita materia corporis humani. |
5. Le sang, qui est présenté comme la matière du corps humain, n’est pas absolument le même que celui qui est engendré par l’acte de la partie nutritive ; mais ce qui reste de ce sang après l’ultime digestion nutritive est au service de la [puissance] génératrice chez les femmes, qui le prépare à être la matière appropriée du corps humain. |
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Articulus 2 [7898] Super Sent., lib.
3 d. 3 q. 5 a. 2 tit. Utrum conceptio corporis Christi fuerit subito, vel successive |
Article 2 – La conception du corps du Christ s’est-elle produite subitement ou successivement ? |
[7899] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod conceptio corporis Christi non fuerit subito, sed
successive completa. Heb. 2 dicitur, quia Christus debuit per omnia fratribus
similari. Sed alii
homines, qui fratres ejus dicuntur ibidem, successive concipiuntur. Ergo et
Christi conceptio debuit esse successiva. |
1. Il semble que la conception du corps du Christ ne s’est pas produite subitement, mais qu’elle s’est achevée successivement. Il est dit en He 2 que le Christ devait être en tout semblable à ses frères. Or, les autres hommes, qui sont appelés là ses frères, sont conçus successivement. La conception du Christ devait donc se produire successivement. |
[7900]
Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 arg. 2 Praeterea, tempus generationis cujuslibet rei
est determinatum secundum speciem suam, ut ex 2 de generatione haberi potest.
Sed Christus
fuit ejusdem speciei cum aliis hominibus. Ergo sicut aliorum hominum
generatio determinato tempore perficitur, ita et Christi. |
2. Le moment de la conception de n’importe quelle chose est déterminé selon son espèce, comme on peut le lire dans Sur la génération, II. Or, le Christ faisait partie de la même espèce que les autres hommes. De même que la conception des autres hommes se réalise à un moment déterminé, de même aussi la conception du Christ. |
[7901] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2
arg. 3 Praeterea, ut in 2 de anima dicitur,
cuicumque rei naturali debetur determinata magnitudo. Sed corpus Christi non
potuit in principio conceptionis suae habere tantam magnitudinem quantum
naturae hominis debetur: alias tempore illo non crevisset in utero virginis
in quo alii crescunt, vel minori tempore a virgine portatus esset quam alii
homines portantur; quod non tenet Ecclesia. Ergo in principio suae conceptionis nondum
erat in specie humana, in qua fuit in termino conceptionis. Ergo principium conceptionis est aliud a
termino ejus. Omnis autem mutatio quae habet prius et posterius, est
successiva. Ergo conceptio Christi fuit successiva. |
3. Comme on le dit dans Sur l’âme, II, une grandeur déterminée est due à chaque chose naturelle. Or, le corps du Christ ne pouvait pas, au début de sa conception, avoir la grandeur qui est due à la nature humaine, autrement, il ne se serait pas développé dans le sein de la Vierge, où les autres se développent, ou bien il aurait été porté moins longtemps que les autres hommes par la Vierge, ce que l’Église ne soutient pas. Au début de sa conception, il ne faisait donc pas partie de l’espèce humaine, dont il était au terme de sa conception. Le début de la conception est donc différent de son terme. Or, tout changement qui comporte un avant et un après est successif. La conception du Christ a donc été successive. |
[7902] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2
arg. 4 Praeterea,
corpus Christi ex virginis sanguinibus formatum est. Aut ergo in eodem
instanti fuit sanguis et caro; et sic eadem materia simul erit sub duabus
formis substantialibus disparatis, quod est impossibile: aut in alio et in
alio instanti. Sed inter
quaelibet instantia est tempus medium, ut in 6 Physic. probatur. Ergo conceptio Christi tempore mensuratur,
et non est subito peracta. |
4. Le corps du Christ a été formé du sang de la Vierge. Donc, soit que le sang et la chair aient existé dans le même instant, et ainsi la même matière se trouvera sous deux formes substantielles disparates, ce qui est impossible ; soit [qu’ils aient existé] dans des instants différents. Or, il existe un temps intermédiaire entre n’importe quels instants, comme cela est démontré dans Physique, VI. La conception du Christ est donc mesurée par le temps et elle n’a pas été réalisée subitement. |
[7903] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2
arg. 5 Praeterea,
concipi est quoddam fieri, sicut conceptum est quoddam factum esse. Nihil
autem in permanentibus simul fit et factum est: alias simul aliquid esset et
non esset: quod enim fit in permanentibus non est: quod autem factum est, jam
est. Ergo in carne Christi non simul fuit concipi et conceptum esse: et sic
fuit ibi prioris et posterioris successio. |
5. Être conçu est un certain devenir, comme avoir été conçu est être devenu. Or, rien ne survient en même temps chez ce qui devient et ce qui est devenu, autrement quelque chose serait et ne serait pas en même temps. En effet, ce qui devient dans les choses permanentes n’existe pas, et ce qui est devenu existe déjà. Pour la chair du Christ, être conçue et avoir été conçue n’ont donc pas existé en même temps, et ainsi il y a eu là une succession entre ce qui est antérieur et ce qui est postérieur. |
[7904] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 s.
c. 1 Sed contra: conceptionis principium
esse non potuit antequam conceptionis activum in virgine esset. Sed conceptionis activum fuit in ipsa
divina sapientia, quae ex sanguinibus virginis carnem sibi copulavit, ut
dicit Damascenus. Ergo non potuit prius conceptio incipere quam in uterum
virginis divina sapientia descendisset. Sed, sicut dicit Gregorius in Moral.,
spiritu adveniente, mox verbum in utero, mox intrat verbum caro factum. Ergo
conceptio carnis incipere non potuit antequam caro esset. Sed ad speciem
carnis terminata est conceptio. Ergo non prius incepit conceptio quam
terminata esset; et ita sine successione fuit. |
Cependant, [1] le début de la conception ne pouvait pas exister avant que le principe actif de la conception ait existé dans la Vierge. Or, le principe actif de la conception se trouvait dans la sagesse divine elle-même, qui s’est uni la chair à partir du sang de la Vierge, comme le dit [Jean] Damascène. La conception n’a donc pas pu commencer avant que la sagesse divine soit descendue dans le sein de la Vierge. Or, ainsi que le dit Grégoire dans les Morales, « dès la venue de l’Esprit, le Verbe se trouva aussitôt dans le sein, le Verbe devenu chair est aussitôt entré ». La conception de la chair ne pouvait donc pas commencer avant que n’existe la chair. Or, la conception s’est terminée à l’espèce de la chair. La conception n’a donc pas commencé avant qu’elle ne se soit terminée. Elle s’est donc réalisée sans succession. |
[7905] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 s.
c. 2 Praeterea, conceptio Christi facta est
virtute divina, quae infinita est. Sed virtutis infinitae est subito suum
effectum producere. Ergo conceptio
Christi subitanea fuit. |
[2] La conception du Christ a été réalisée par la puissance divine, qui est infinie. Or, il revient à une puissance infinie de réaliser d’un coup son effet. La conception du Christ a donc été subite. |
[7906] Super Sent., lib. 3 d. 3
q. 5 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod conceptio Christi secundum fidem oportet quod
subito facta ponatur: non enim humana natura prius assumpta fuit quam in sua
specie perficeretur, cum partes ejus non sint assumptibiles nisi ratione
totius, ut patet ex dictis in 2 dist., quaest. 2, art. 3, quaestiunc. 1.
Proprietates autem et accidentia humanae naturae non dicuntur de filio Dei
ante assumptionem. Ergo quidquid humanum de filio Dei dicitur, completionem
humanae naturae non praecessit. Conceptio autem de filio Dei dicitur, ut
patet in symbolo: qui conceptus est de spiritu sancto etc. ergo
oportet ut conceptio in Christo non praecedat tempore completam naturam
carnis ejus: et ita relinquitur quod simul concipiebatur et concepta est:
propter quod oportet illam conceptionem subitaneam ponere, ita quod haec in
eodem instanti fuerunt, scilicet conversio sanguinis illius materialis in
carnem et alias partes corporis Christi, et formatio membrorum organicorum et
animatio corporis organici, et assumptio corporis animati in unitatem divinae
personae. In aliis autem haec successive contingunt, ita quod maris conceptio
non perficitur nisi usque ad quadragesimum diem, ut philosophus in 9 de
animalibus dicit, feminae autem usque ad nonagesimum. Sed in completione
corporis masculi videtur Augustinus superaddere sex dies, qui sic
distinguuntur, secundum eum in epistola ad Hieronymum. Semen primis sex
diebus quasi lactis habet similitudinem; novem diebus vertitur in sanguinem;
deinde duodecim diebus solidatur; decem et octo diebus formatur usque ad
perfecta membrorum lineamenta; et hinc jam reliquo tempore usque ad tempus
partus magnitudine augetur; unde versus: sex in lacte dies, ter sunt in
sanguine terni, bis seni carnem, ter seni membra figurant. In Christi
autem conceptione materia quam virgo ministravit, statim formam et figuram
humani corporis accepit, et animam, et in unitatem divinae personae assumpta
est. |
Réponse. Selon la foi, il est nécessaire d’affirmer que la conception du Christ a été réalisée subitement. En effet, la nature humaine a d’abord été assumée avant d’être perfectionnée dans son espèce, puisque ses parties ne peuvent être assumées qu’en raison du tout, comme cela ressort de la d. 2, q. 2, a. 3, qa 1. Or, les propriétés et les accidents de la nature humaine ne sont pas attribués au Fils de Dieu avant l’assomption. Tout ce qui est dit d’humain du Fils de Dieu n’a donc pas précédé l’achèvement de la nature humaine. Or, la conception est attribuée au Fils de Dieu, comme cela ressort du symbole : « … qui a été conçu du Saint-Esprit, etc. ». Il est donc nécessaire que la conception chez le Christ ne précède pas dans le temps la nature achevée de sa chair. Il reste donc qu’elle est conçue et a été conçue. Pour cette raison, il est nécessaire d’affirmer que cette conception a été subite, de telle sorte que se sont réalisées dans le même instant la conversion de ce sang matériel en chair et dans les autres parties du corps du Chist, la formation des membres organiques, l’animation du corps organique et l’assomption du corps animé dans l’unité de la personne divine. Mais, chez les autres, ces choses se produiseent successivement, de telle sorte que la conception du mâle n’est achevée qu’au quarantième jour, comme le dit le Philosophe dans Sur les animaux, IX, mais celle de la femelle, pas avant le quatre-vingt dixième jour. Mais, pour l’achèvement du corps du mâle, Augustin semble ajouter six jours, qui se répartissent ainsi, d’après ce qu’il dit dans une lettre à Jérôme. Les six premiers jours, la semence a pour ainsi dire l’apparence du lait ; après neuf jours, elle se transforme en sang ; ensuite, après douze jours, elle se coagule ; après dix-huit jours, elle acquiert les contours parfaits des membres ; à partir de là et pour le reste du temps jusqu’au moment de la délivrance, elle augmente en grandeur. D’où vient le vers : « L’apparence du lait en six jours, trois fois trois pour le sang, deux fois six pour la chair, trois fois six pour l’apparition des membres. » Mais, lors de la conception du Christ, la matière que la Vierge a fournie a reçu aussitôt la forme et la figure du corps humain et l’âme, et elle a été assumée dans l’unité de la personne divine. |
[7907] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod Christus per omnia fratribus assimilari debuit in his quae necessaria erant ad eorum
reparationem. Hujusmodi
autem sunt ea in quibus veritas humanae naturae consistit, scilicet partes
essentiales ejus, et proprietates naturales, et passiones quibus opus
redemptionis explendum erat. In aliis autem excellere debuit ut hominum
salvator. |
1. Le Christ devait devenir semblable en tout à ses frères pour ce qui était nécessaire à leur restauration. Or, ces choses sont celles en lesquelles consiste la vérité de la nature humaine, à savoir, ses parties essentielles, ses propriétés naturelles et les passions par lesquelles l’œuvre de la rédemption devait se réaliser. Pour les autres choses, il devait dépasser [ses frères] en tant que Sauveur des hommes. |
[7908] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 ad
2 Ad secundum dicendum, quod
determinatum tempus generationis alicui speciei debitum non sequitur veritatem
speciei in re generata, sed virtutem generantis in specie illa; et ideo
quamvis Christus in veritatem humanae naturae conceptus fuit, quia tamen
conceptio illa non est facta per actionem alicujus virtutis humanae, ideo non
oportet quod idem tempus debeatur conceptioni Christi quod conceptionibus
aliorum. |
2. Le moment
déterminé pour la génération pour une espèce ne découle pas de la vérité de l’espèce
dans la chose engendrée, mais de la puissance de celui qui engendre dans
cette espèce. Aussi, bien que le Christ ait été conçu selon la vérité de la nature
humaine, parce que cette conception ne s’est cependant pas réalisée par l’action
d’une puissance humaine, il n’est pas nécessaire que le même temps soit
requis pour la conception du Christ que pour les conceptions des autres. |
[7909] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 ad
3 Ad tertium dicendum, quod quantitas
determinata alicujus speciei non est determinata secundum aliquid
indivisibile; sed habet aliquam latitudinem: quia in specie humana invenitur
major et minor quantitas, et in eodem individuo secundum diversa tempora, et
in diversis, ut ad sensum patet. Minimum autem quantitatis in uno individuo est in primo instanti suae
figurationis et animationis; quae quantitas adeo parva est quod parum excedit
quantitatem formicae, ut dicit philosophus, quod in quadragesima die muliere
pariente abortum, inventum est corpus prolis omnia membra distincta habere,
quamvis in quantitate esset sicut magna formica. Maxima autem quantitas in
aliquo individuo est in ultimo termino augmenti: et sicut maximum differt in
diversis, ita etiam proportionaliter illud minimum. Potuit ergo esse ut
corpus Christi in primo instanti conceptionis perfecte figuratum, haberet
quantitatem sufficientem suae speciei; minorem tamen quam sibi deberetur in
principio suae humanitatis si naturaliter conceptus esset, respectu
quantitatis quam habuit in completa aetate proportionaliter aliis hominibus;
ita quod usque ad quadragesimum aut quadragesimum sextum diem crescendo
pervenerit usque ad quantitatem illam quae in eo debuit esse minima
proportionaliter aliis hominibus; et deinceps crevit sicut et alii homines
crescunt; ita quod totum tempus quo in utero matris fuit, augmento corporis
ejus servivit, quod in aliis servit conversioni, figurationi, animationi, et
augmento. |
3. La quantité déterminée d’une espèce n’est pas déterminée selon quelque chose d’indivisible, mais elle a une certaine latitude, car, dans l’espèce humaine, on trouve une quantité plus ou moins grande, ainsi que chez le même individu à divers moments et en diverses conditions, comme cela tombe sous le sens. Or, la plus petite quantité chez un individu existe au premier instant de sa conformation et de son animation. Cette quantité est si petite qu’elle dépasse à peine la quantité d’une fourmi. Le Philosophe dit qu’on a trouvé chez avorton, au quarantième jour de la grossesse d’une femme, que son corps possédait tous les membres distincts, bien que, en quantité, il ressemblât à une grosse fourni. Mais la plus grande quantité d’un individu se trouve au terme ultime de sa croissance. Et de même que ce qu’il y a de plus grand est différent chez divers individus, de même ce qu’il y a de plus petit de manière proportionnelle. Il pouvait donc arriver que le corps du Christ, conformé au premier instant de sa conception, possède une quantité suffisante pour son espèce, mais plus petite qu’il ne lui reviendrait au début de son humanité, s’il avait été conçu naturellement, par rapport à la quantité qu’il avait à l’âge adulte d’une manière proportionnelle aux autres hommes. De telle sorte que jusqu’au quarantième ou au quarantième-sixième jour, sa croissance serait parvenue à la quantité la plus petite qui devait lui revenir proportionnellement aux autres hommes. Par la suite, il se développa comme les autres hommes se développent, de telle sorte que tout le temps où il fut dans le sein de sa mère servit à la croissance de son corps, alors que [ce temps] sert aux autres à la conversion, à la conformation, à l’animation et à la croissance. |
[7910] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 ad
4 Ad quartum
dicendum, quod hoc est universaliter verum in quolibet motu continuo, quod
non est accipere ultimum instans in quo id quod movetur distet a termino ad
quem, quamvis posset accipi primum instans in quo est in termino ad quem, ut
patet ex 8 Physic. Verbi gratia, si aliquid movetur de nigredine in
albedinem, in ultimo instanti temporis mensurantis motum illum albedo inest
mobili: ultimus etenim terminus temporis respondet ultimo termino motus; sed
in omni eo quod de dicto tempore accipitur ante ultimum instans, mobile ab
albedine distat. Non est autem accipere ante ultimum instans temporis,
secundo ultimum instans; cum inter quaelibet duo instantia sit tempus medium,
ut 6 physicorum probatur; unde non est accipere instans in quo id quod fit
album, sit non album. Et similiter est in mutationibus, quae quamvis non sint
motus, tamen aliquem motum consequuntur; sicut generatio sequitur
alterationem, et illuminatio motum localem solis; non est enim accipere
ultimum instans in quo id quod fit ignis sit non ignis; neque instans in quo
aer qui illuminatur, sit tenebrosus: eo quod terminus a quo in istis
mutationibus inest transmutato in toto tempore mensurante motum, cui mutatio
non conjungitur sicut terminus, nisi in ultimo instanti illius temporis. Dico
ergo, quod conceptio Christi quamvis non sit motus, quia successionem non
habet; tamen conjungitur quidam motui locali, saltem motui locali sanguinis
materialis ad locum generationis, ubi undique congregatus est; et in ultimo
termino illius motus materia illa fuit sub specie corporis Christi; et sic
est accipere primum instans in quo corpus Christi fuit; sed in toto tempore
praecedenti hoc instans, erat sanguis; unde non est accipere ultimum instans
in quo sanguis erat, sed ultimum tempus. Tempus autem continuatur instanti
sine hoc quod cadat aliquod medium, sicut nec inter lineam et punctum necesse
est medium cadere; unde forma sanguinis et forma corporis Christi continue
successerunt sibi in illa materia: neque oportet aliquod medium tempus
ponere, ut conceptio successiva judicetur. |
4. Cela est universellement vrai pour tous les mouvements continus, qu’on ne peut saisir l’instant ultime dans lequel ce qui est mû est distant du terme ad quem, bien qu’on puisse saisir le premier instant dans lequel il se trouve dans le terme ad quem, comme cela ressort de Physique, VIII. Par exemple, si quelque chose est mû du noir au blanc, dans l’instant ultime du temps mesurant ce mouvement, la blancheur est présente dans le mobile. En effet, le terme ultime du temps correspond au terme ultime du mouvement. Or, pendant tout ce qu’on perçoit de ce temps avant l’instant ultime, le mobile est distant de la blancheur. Mais on ne peut saisir, avant l’instant ultime du temps, l’avant-dernier instant ultime, puisque, entre deux instants, il existe un temps intermédiaire, comme cela est démontré dans Physique, VI. Aussi ne peut-on pas saisir l’instant dans lequel ce qui devient blanc n’est pas blanc. Et de même en est-il dans les changements qui, bien qu’ils ne soient pas des mouvements, découlent cependant d’un mouvement : c’est le cas de la génération qui découle d’une altération et de l’illumination [qui découle] d’une mouvement local du soleil. En effet, on ne peut saisir l’instant ultime dans lequel ce qui devient feu n’est pas du feu, ni l’instant dans lequel l’air qui est illuminé est ténébreux. De telle sorte que le terme a quo, dans ces mouvements, demeure dans ce qui est changé pendant tout le temps qui mesure le mouvement auquel le changement n’est pas uni comme un terme, sauf dans l’instant ultime de ce temps. Je dis donc que la conception du Christ, bien qu’elle ne soit pas un mouvement, puisqu’elle ne comporte pas de succession, est cependant unie à un mouvement local, du moins àu mouvement local du sang matériel vers le lieu de la génération, où il a été recueilli de toutes parts. Au terme ultime de ce mouvement, cette matière avait l’apparence du corps du Christ. C’est ainsi qu’il faut concevoir le premier instant où le corps du Christ a existé. Mais, pendant tout le temps précédant cet instant, c’était du sang. Aussi ne faut-il pas comprendre l’instant ultime où le sang existait, mais le temps ultime. Or, le temps est en continuité avec l’instant sans qu’intervienne un intermédiaire, de même qu’il n’est pas nécessaire qu’intervienne un intermédiaire entre la ligne et le point. Aussi la forme du sang et la forme du corps du Christ se sont-elles succédé dans cette matière, et il n’est pas nécessaire d’introduire un temps intermédiaire pour que la conception soit estimée successive. |
[7911] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 ad
5 Ad quintum
dicendum, quod fieri dupliciter potest accipi. Uno modo secundum quod
pertinet ad motum praecedentem esse rei quae fieri dicitur; et sic oportet
quod fieri rei praecedat duratione factum esse, ut objectio probat. Alio modo
dicitur fieri ipsa terminatio motus, esse inducentis; sicut illuminari
signatur per modum fieri, et hoc ipsum quod dicitur terminari; et hujusmodi
fieri non praecessit tempore factum esse, nec differt ab eo nisi ratione: hoc
enim quod est esse illuminatum, si consideretur secundum se, signatur ut
factum esse, ut cum dicitur illuminatum; si autem consideretur prout est
aliquid motus praecedentis, scilicet terminus, sic signatur ut in fieri, ut
cum dicitur illuminari: et ideo non est verum hoc dicere nisi in primo
instanti in quo motus praecedens terminatur; quamvis semper postea verum sit
dicere, hoc factum esse. Sic autem acceptum fieri non oportet quod sit non
esse, sed quod sit nunc primo esse; et per hunc modum de Christo verum est
dicere, simul concipi et conceptum esse; unde non oportet quod conceptio
fuerit successiva. |
5. « Devenir » peut s’entendre de deux manières. D’une manière, selon que cela se rapporte au mouvement précédant l’être de la chose dont on dit qu’elle devient : il est ainsi nécessaire que le devenir d’une chose précède dans la durée le fait d’avoir été, comme le démontre l’objection. D’une autre manière, on appelle « devenir » la fin d’un mouvement qui entraîne l’être : ainsi, le fait d’être éclairé est signalé sous la forme d’un devenir, ainsi que cela même dont on dit qu’il se termine. Un devenir de cette sorte n’a pas précédé dans le temps le fait d’être devenu, et il ne diffère de lui que par la raison. En effet, le fait même d’être éclairé, s’il est envisagé en lui-même, est signalé comme quelque chose qui est devenu, comme lorsqu’on dit que cela est éclairé. Mais si on l’envisage comme quelque chose du mouvement précédent, comme un terme, il est alors signalé comme en devenir, comme lorsqu’on dit que cela s’éclaire. Aussi n’est-il vrai de dire cela que pour le premier instant où le mouvement qui précède se termine, bien qu’il soit toujours vrai par la suite de dire que cela est devenu. Or, il n’est pas nécessaire que le devenir ainsi conçu soit du non-être, mais qu’il consiste maintenant à exister pour la première fois. Il est ainsi vrai de dire du Christ qu’il est conçu et qu’il a été conçu. Il n’est donc pas nécessaire que sa conception ait été successive. |
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Articulus 3 [7912] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3
tit. Utrum Christo
sanctificari conveniat, scilicet ut indigeret sanctificatione |
Article 3 – La sanctification convient-elle au Christ, au sens où il avait besoin de sanctification ? |
[7913] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur, quod
Christo sanctificari non conveniat. Quia, ut dicitur Hebr. 7, 26: talis
decebat ut esset pontifex nobis qui non habet necessitatem, quemadmodum
sacerdos, prius pro suis delictis hostias offerre, deinde pro populo. Sed
Christus sicut venit orare et hostiam offerre pro populo; ita et sanctificare
populum. Ergo nec indiguit ut ipse sanctificaretur. |
1. Il semble que la sanctification ne convienne pas au Christ, car, ainsi que le dit He 7, 26, il convenait que nous ayons un grand-prêtre qui n’avait pas besoin, comme un prêtre, d’offrir des victimes d’abord pour lui-même, ensuite pour le peuple. Or, le Christ, de même qu’il est venu prier et offrir une victime pour le peuple, est aussi venu sanctifier le peuple. Il n’avait donc pas besoin d’être lui-même sanctifié. |
[7914] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3
arg. 2 Praeterea, in
quolibet ordine primum movens est immobile. Sed Christus est principium
totius humanae sanctificationis. Ergo ipse sanctificatus non est. |
2. En tout ordre, le premier moteur est immobile. Or, le Christ est le principe de toute la sanctification humaine. Lui-même n’a donc pas été sanctifié. |
[7915] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3
arg. 3 Praeterea, omne quod fit, fit ex
contrario: generationes enim, secundum philosophum, ex contrariis sunt. Sed Christus ab omni peccato, quod
sanctitati contrariatur, immunis fuit. Ergo Christus sanctificari non
dicitur. |
3. Tout ce qui devient, devient à partir de son contraire : en effet, les générations, selon le Philosophe, se font à partir des contraires. Or, le Christ a été exempt de tout péché, qui est le contraire de la sainteté. On ne dit donc pas que le Christ est sanctifié. |
[7916] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3
arg. 4 Si dicatur, quod caro ejus antequam
esset assumpta, fuit obnoxia peccato, ut in littera dicitur, unde ratione
emundationis ejus Christus sanctificari dicitur: contra. Hoc nomen Christus est hypostasis in duabus
naturis subsistentis. Ergo nihil potest dici de Christo quod unionem illam
praecesserit. Sed infectio cui in patribus caro ejus obnoxia fuerat, solum
ante unionem fuit. Ergo ratione illa non potest dici Christus sanctificatus. |
4. Si l’on dit qu’avant d’avoir été assumée, sa chair a été exposée au péché, comme le dit le texte, on dit donc que le Christ est sanctifié en raison de la purification [du péché]. En sens contraire, le nom de Christ est celui d’une hypostase qui subsiste en deux natures. Rien ne peut donc être dit du Christ, qui ait précédé cette union. Or, l’infection à laquelle sa chair a été exposée dans les pères n’a existé qu’avant l’union. Pour cette raison, on ne peut donc dire que le Christ a été sanctifié. |
[7917] Super Sent., lib. 3, d. 3, q. 5, a.
3, s. c. 1 Sed contra est , quod dicitur Joann. 10, 36 : Quem pater sanctificavit et misit in
mundum. Ergo Christus sanctificatus est. |
Cependant, [1] il est dit en Jn 10, 36 : Celui que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde. Le Christ a donc été sanctifié. |
[7918] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 s.
c. 2 Praeterea,
Christus dicitur unctus. Sed spiritualis unctio causa est sanctitatis. Ergo
et sanctificatus dici potest. |
[2] « Christ » veut dire oint. Or, l’onction spirituelle est la cause de la sainteté. On peut donc dire qu’il a été sanctifié. |
[7919] Super Sent., lib. 3 d. 3
q. 5 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod sanctificari est sanctum fieri. Potest autem aliquis sanctus
fieri dupliciter: vel ex sancto, vel ex non sancto. Ex sancto iterum
dupliciter: vel ex minus sancto magis sanctum, ut dicitur Joan. 17, 17: pater
sanctifica eos in veritate; apostoli enim tunc sancti erant: vel secundum
continuationem sanctitatis eadem quantitate servata, et hoc modo Christus
potest esse sanctificatus, sicut ipse ibidem, 20, dicit: ego pro eis
sanctifico meipsum; eo quod continuatio ratione successionis quemdam
modum sanctificationis habet. Sed hic modus loquendi non videtur consuetus;
unde sic de sanctificatione non loquimur. Ex non sancto etiam dicitur aliquis
sanctus fieri dupliciter; vel ex non sancto contrarie aut privative, sicut
per gratiam peccator sanctificari dicitur; et hoc modo Christus non potest
dici esse sanctificatus, quia non potest accipi cum consistentia subjecti
defectus sanctitatis in eo fuisse: simul enim fuit homo et sanctus homo: vel
ex non sancto negative: et hoc adhuc distinguendum est: quia vel dicitur ex
non sancto sanctus factus ratione creatae sanctitatis, quae hominis est; et
sic dicitur Christus sanctus factus, sicut et homo factus: aut ratione
sanctitatis increatae; et sic dicitur sanctus factus per modum quo homo
dicitur factus Deus; quae vel est falsa, vel minus proprietatis habens quam
prima, scilicet, Deus factus est homo, ut infra, distinct. 7, patebit: et ita
concedi potest in aliquo sensu Christum sanctificatum esse. |
Réponse. Être sanctifié, c’est devenir saint. Or, quelqu’un peut devenir saint de deux manières : soit qu’il ait été saint [auparavant], soit qu’il n’ait pas été saint. S’il était saint, [il peut être sanctifié] encore de deux manières. Soit qu’il devienne plus saint alors qu’il était moins saint, comme Jn 17, 17 dit : Père, sanctifie-les en vérité ; en effet, les apôtres étaient alors saints. Soit que la sainteté se poursuive en conservant la même quantité : le Christ peut être sanctifié de cette manière, comme il le dit lui-même au même endroit, 17, 20 : Je me sanctifie moi-même pour eux, du fait que la continuation est un mode de sanctification en raison de la succession. Mais cette manière de parler n’est pas coutumière ; aussi ne parlons-nous pas ici de sanctification de cette manière. S’il n’était pas saint, on peut aussi dire que quelqu’un peut devenir saint de deux manières. Soit qu’il n’était pas saint en un sens contraire ou privatif, comme on dit que le pécheur est sanctifié par la grâce. On ne peut pas dire que le Christ a été sanctifié de cette manière, car on ne peut concevoir qu’ait existé en lui un manque de sainteté, compte tenu du sujet subsistant. En effet, il était en même temps un homme et un homme saint. Soit qu’il n’était pas saint négativement. Il faut encore faire ici une distinction. Soit il est devenu saint, alors qu’il ne l’était pas, en raison d’une sainteté créée, ce qui est propre à l’homme : ainsi, on dit que le Christ est devenu saint, de même qu’il est devenu homme. Soit en raison d’une sainteté incréée : on dit ainsi qu’il est devenu saint à la manière dont on dit qu’un homme est devenu Dieu, ce qui est faux ou est moins propre que la première [formulation], à savoir, que Dieu est devenu homme, comme cela ressortira plus loin, d. 7. On peut donc ainsi concéder qu’en un sens, le Christ a été sanctifié. |
[7920] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 ad
1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut
Christus non indiguit ut pro se oraret, vel hostias offerret; ita nec
indiguit ut hoc modo sanctificaretur quo alios sanctificare venerat, scilicet
per purgationem peccatorum. Per
hoc tamen non removetur quin ipse a tota Trinitate sanctus sit factus homo,
cum prius nec homo, nec sanctus homo fuerit. |
1. De même que le Christ n’avait pas besoin de prier ou d’offrir des victimes pour lui-même, de même n’avait-il pas besoin d’être sanctifié de la manière dont il était venu sanctifier les autres, à savoir, par la purification des péchés. Toutefois, cela n’empêche pas que toute la Trinité fasse de lui un homme saint, alors qu’il n’était pas un homme ni un homme saint antérieurement. |
[7921] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 ad
2 Ad secundum dicendum, quod primum
movens in aliquo ordine mobilium non oportet esse immobile simpliciter, sed
immobile secundum idem genus motus; sicut caelum quod est primum alterans,
movetur quidem, sed non alteratur: non enim est primum movens simpliciter. Similiter etiam Christus, secundum quod
homo, non est primum sanctificans simpliciter, sed Deus Trinitas; est autem
primum sanctificans inquantum homo, per modum satisfacientis pro peccato; et
sic sanctificatus non est; aliquo tamen modo sanctificatus est. |
2. Il n’est pas nécessaire que le premier moteur dans un ordre de mobiles soit tout simplement immobile, mais qu’il soit immobile selon le même genre de mouvement ; ainsi, le ciel, qui est le premier [agent] de l’altération est mû, mais il n’est pas altéré : en effet, il n’est pas tout simplement le premier moteur. De même aussi, le Christ, en tant qu’homme, n’est pas tout simplement la première [cause] de sanctification, mais le Dieu Trinité. Mais [le Christ] est le premier [agent] de sanctification en tant qu’homme par mode de satisfaction pour le péché. Ainsi n’a-t-il pas été sanctifié. Cependant, il a été sanctifié d’une certaine manière. |
[7922] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 ad
3 Ad tertium dicendum, quod non oportet
omne quod fit, ex contrario fieri, sed solum quod fit per viam generationis
et alterationis; oportet tamen omne quod fit, ex incontingenti fieri, ut in 1
Physic. dicitur, idest quod non contingit simul inesse. Sic autem contingens
non est solum contrarium vel privatio quae requirunt subjectum, sed etiam
negatio, quae consistentiam subjecti non requirit: et sic ex non sancto
Christus factus est sanctus, ut dictum est. |
3. Il n’est pas nécessaire que tout ce qui devient devienne à partir d’un contraire, mais seulement ce qui devient par voie de génération et d’altération. Il est cependant nécessaire que tout ce qui devient devienne à partir de quelque chose qui n’est pas contingent, comme il est dit dans Physique, I, c’est-à-dire, de quelque chose à quoi il n’arrive pas d’y être présent en même temps. Ce qui arrive de cette manière n’est pas seulement un contraire ou une privation, qui exigent un sujet, mais aussi une négation, qui n’exige pas d’exister dans un sujet. Ainsi le Christ est-il devenu saint à partir de quelqu’un qui n’était pas saint, comme on l’a dit. |
[7923] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 ad
4 Quartum
concedimus: quia responsio illa non valet. |
4. Nous concédons la quatrième objection, car cette réponse n’a pas de valeur. |
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Expositio
textus |
Explication du texte
de Pierre Lombard, Dist. 3
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[7924] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3
expos. Obnoxia fuit
peccato in Maria. Sed contra.
Quod non est, non potest esse peccato obnoxium. Sed caro Christi non fuit
nisi in ipso. Ergo falsum est quod dicitur. Dicendum, quod quamvis caro
Christi actu non fuerit nisi in ipso, tamen materialiter fuit in beata
virgine et in aliis, sed differenter: quia in beata virgine praeexistebat
materia illa essentialiter, sed in aliis prioribus originaliter tantum, ut
dictum est; et secundum illum modum quo in unoquoque fuit, sic peccato
obnoxia erat. Ita et leviticus ordo. Videtur quod ratio apostoli non
valeat. Potest enim contingere quod pater Papae alicui simplici sacerdoti
decimas solverit: nec propter hoc Papa sacerdote illo minor esset; et sic non
videtur sequi, si Abraham Melchisedech decimas solverit, quod propter hoc
leviticus ordo Melchisedech minor fuerit. Sed dicendum secundum quosdam, quod
apostolus procedit ex suppositione hujus quod Abraham tota posteritate sua
major fuerit; unde si Melchisedech major fuerit quam Abraham, per consequens
major fuit quam levi vel Aaron. Sed quia haec suppositio vel dubia est, vel
falsa, saltem propter beatam virginem; ideo melius dicendum, quod apostolus
non intendit probare quod Melchisedech personaliter major fuerit quam Aaron,
sed quod sacerdotium Christi figuratum per sacerdotium Melchisedech majus est
quam sacerdotium Aaron. Unde virtus rationis apostoli fundatur super figuram. Figuravit enim
Abraham decimas Melchisedech dans, quod ipse cum tota sua posteritate minor
esset sacerdotio Christi per Melchisedech figurati. Secundum rationem
seminalem erat. Semen, ut dicit philosophus 5 physicorum, est in genere
causae efficientis; unde illi dicuntur in Abraham secundum rationem seminalem
fuisse qui concepti sunt per virtutem activam ex Abraham originaliter
descendentem: quod de Christo dici non potest, ut ex dictis patet. Non eum mater concupiscentia, sed gratia
concepit. Istud potest
intelligi dupliciter. Vel ita quod concupiscentia et gratia sint nominativi
casus: sic enim concupiscentia dicitur mater eorum qui per concupiscentiam
nascuntur, et gratia mater Christi, quia per gratiam natus est. Vel potest
intelligi quod sint ablativi casus, ut intelligatur quod mater Christi non
genuit eum per concupiscentiam, sed per gratiam; et sic locutio propria et
plana est. Quia, ut dicunt physici, tot diebus forma humani corporis
perficitur. Hoc potest aliter exponi quam Magister infra exponit, ut
intelligatur completio corporis humani non solum quantum ad figuram, sed
etiam quantum ad debitam quantitatem, ut per hos quadraginta sex dies totum
tempus usque ad partum intelligatur: quadraginta enim et sex si per senarium
(qui numerus est perfectus) multiplicentur, resultant ducenti septuaginta et
sex dies; et tot dies computantur ab octavo Kalendas Aprilis, quando Christus
conceptus est, usque ad octavum Kalendas Januarii, quando Christus natus est;
et hoc accipitur ab Augustino. |
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Distinctio 4 |
Distinction 4 – [La
cause efficiente de l’assomption]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [L’accomplissement de la conception du Christ
doit-il être approprié au Saint-Esprit ?]
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Prooemium |
Prologue |
[7925] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 pr. Postquam determinavit de incarnatione ex
parte assumpti, ostendens quid assumptum est, et cujus conditionis fuerit
antequam assumeretur, in ista parte determinat de effectivo ipsius assumpti;
et dividitur in duas partes: in prima ostendit quare efficientia naturae
assumptae spiritui sancto appropriatur; in secunda movet quamdam dubitationem
ex dictis consequentem, ibi: sed non est in hoc diutius immorandum.
Circa primum tria facit: primo movet quaestionem; secundo determinat eam,
ibi: non enim ideo operatio incarnationis spiritui sancto saepius
attribuitur, quod ipse solus eam fecerit; tertio confirmat per
auctoritatem, ibi: cum illam creaturam quam virgo concepit et peperit,
quamvis ad solam personam filii pertinentem tota Trinitas fecerit (...) cur
in ea facienda spiritus sanctus solus nominatus est ? Sed non est in hoc
diutius immorandum. Hic determinat quamdam dubitationem ex praedictis
ortam. Si enim Christus, inquantum homo, de spiritu sancto natus est, videtur
quod spiritus sancti filius sit inquantum homo. Circa hoc ergo duo facit:
primo movet dubitationem; secundo determinat eam, ibi: proinde cum
fateamur, Christum natum de spiritu sancto ex Maria virgine, quomodo non sit
filius spiritus sancti, et sit filius virginis (...) explicare difficile est.
Circa quod duo facit: primo ostendit quod Christus non dicitur natus de
spiritu sancto, sicut de patre; secundo exponit qua ratione de spiritu sancto
natus dicatur, ibi: profecto modus iste quo natus est Christus de Maria
virgine sicut filius, et de spiritu sancto non sicut filius, insinuat nobis
gratiam Dei. Circa hoc duo facit: primo ostendit quod hoc dicitur ad
signandum rationem illius nativitatis, quia per gratiam est, ut ly de denotet
quasi rationem operis. Secundo ostendit aliam rationem qua hoc dici possit,
scilicet quia spiritus sanctus fecit Christum inquantum est homo, ut ly de
denotet habitudinem causae efficientis, ibi: potest etiam dici Christus
secundum hominem ideo natus de spiritu sancto, quia eum fecit. Circa quod
iterum duo facit; primo prosequitur rationem secundo assignatam; secundo
movet quamdam quaestionem circa verbum apostoli inductum, ibi: sed quaeri
potest, cum nos salvatorem natum profiteamur, cur apostolus factum eum dicat
ex semine David, et alio loco factum ex muliere; cum aliud sit fieri, aliud
nasci. Hic est triplex quaestio: prima de conceptione Christi in
comparatione ad efficientiam spiritus sancti; secunda de ipsa in comparatione
ad matrem concipientem; tertia de ipsa per comparationem ad gratiam, per quam
conceptio facta dicitur. Circa primum quaeruntur duo: 1 utrum efficientia
conceptionis Christi spiritui sancto appropriari debeat; 2 utrum ratione
hujus efficientiae Christi secundum quod homo, spiritus sanctus possit dici
pater. |
Après avoir déterminé de l’incarnation du point de vue de ce qui a été assumé et montré ce qui a été assumé et quelle était sa condition avant d’être assumé, [le Maître] détermine, dans cette partie, de la cause efficiente de cela même qui est assumé. Cela se divise en deux parties : dans la première, il montre pourquoi la réalisation de la nature assumée est appropriée au Saint-Esprit ; dans la seconde, il soulève un doute qui découle de ce qui a été dit, à cet endroit : « Mais il ne faut pas s’arrêter plus longtemps sur cela. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il soulève la question ; deuxièmement, il en détermine, à cet endroit : « En effet, l’opération de l’incarnation n’est pas attribuée d’habitudde à l’Esprit Saint au sens où lui seul l’aurait accomplie » ; troisièmement, il confirme par une autorité, à cet endroit : « Puisque la Trinité entière a réalisé cette créature que la Vierge a conçue et enfantée, et qui se rapporte à la seule personne du Fils…, pourquoi l’Esprit Saint a-t-il été seul nommé pour l’accomplir ? » « Mais il ne faut pas s’arrêter plus longtemps sur cela. » Il détermine ici d’un doute soulevé par ce qui a été dit auparavant. En effet, si le Christ, en tant qu’homme, est né du Saint-Esprit, il semble que, en tant qu’homme, il soit le Fils du Saint-Esprit. À ce propos, [le Maître] fait donc deux choses : premièrement, il soulève un doute ; deuxièmement, il en détermine, à cet endroit : « Aussi, lorsque nous disons que le Christ est né du (de) Saint-Esprit et de (ex) la Vierge Marie, comment n’est-il pas le Fils de l’Esprit Saint et est-il le fils de la Vierge ?... Il est difficile de l’expliquer. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre qu’on ne dit pas du Christ qu’il est né de l’Esprit Saint, comme il l’esst du Père ; deuxièmement, il explique pour quelle raison on dit qu’il est né du Saint-Esprit, à cet endroit : « La manière dont il est né de la Vierge Marie comme fils, et de l’Esprit Saint, mais non comme fils, nous suggère une grâce de Dieu. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre que cela est dit pour indiquer la raison de cette naissance, car elle vient de la grâce, de sorte que le de indique pour ainsi dire la raison de l’action ; deuxièmement, il montre une autre raison pour laquelle on peut dire cela, à savoir que le Saint-Esprit a fait le Christ en tant qu’homme, de sorte que le de indique le rapport à la cause efficiente, à cet endroit : « On peut aussi dire que le Christ en tant qu’homme est né du Saint-Esprit, car celui-ci l’a fait. » À ce propos, il fait de nouveau deux choses : premièrement, il élabore la raison indiquée en second lieu ; deuxièmement, il soulève une question à propos d’une parole de l’Apôtre qui a été invoquée, à cet endroit : « Mais on peut se demander, puisque nous confessons que le Sauveur est né, pourquoi l’Apôtre dit qu’il est venu de la semence de David et, en un autre endroit, qu’il est venu d’une femme, puisque « être fait » et « naître » sont des choses différentes. » Ici, il y a trois questions. La première [porte] sur la conception du Christ en rapport avec l’action efficiente du Saint-Esprit ; la deuxième, sur [la conception du Christ] en rapport avec sa mère qui le concevait ; la troisième, sur [la conception du Christ] en rapport avec la grâce par laquelle on dit que la conception s’est réalisée. À propos du premier point, il y a deux questions : 1 – La réalisation de la conception du Christ doit-elle être appropriée au Saint-Esprit ? 2 – Est-ce que, en raison de cette réalisation, le Saint-Esprit peut être appelé le Père du Christ en tant qu’homme ? |
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Articulus 1 [7926] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1
tit. Utrum
efficientia conceptionis Christi debeat appropriari alicui personae |
Article 1 – La réalisation de la conception du Christ doit-elle être appropriée au Saint-Esprit ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Cette réalisation doit-elle être appropriée à une personne divine ?] |
[7927] Super Sent., lib.
3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod nulli personae efficientia
illa appropriari debeat. Operatio enim Dei est sua essentia. Sed essentia est
communis tribus personis, et nulli eorum appropriabilis. Ergo nec operatio
divina, qua conceptio hominis Christi perfecta est, alicui personae debet
appropriari. |
1. Il semble que cette réalisation ne doive être appropriée à aucune personne [divine]. En effet, l’action de Dieu est son essence. Or, l’essence est commune aux trois personnes et ne peut être appropriée à aucune d’entre elles. L’action divine par laquelle la conception de l’homme Christ a été accomplie ne doit donc pas non plus être appropriée à une personne [divine]. |
[7928] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 2 Praeterea,
Damascenus dicit 1 capitulo 3 libri, quod incarnatione manifestabantur simul
bonitas, potentia, justitia, et sapientia Dei. Sed sicut bonitas appropriatur
spiritui sancto, ita potentia patri, et sapientia filio. Ergo efficientia
carnis assumptae non magis uni personae quam alteri appropriari debet. |
2. [Jean] Damascène dit, dans le premier chapire du livre III, que la bonté, la puissance, la justice et la sagesse de Dieu étaient manifestées ensemble dans l’incarnation. Or, de même que la bonté est appropriée au Saint-Esprit, de même, la puissance l’est-elle au Père et la sagesse, au Fils. La réalisation de la chair assumée ne doit donc pas être appropriée à une personne plutôt qu’à une autre. |
[7929] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Sed contra, omnis
operatio divina procedit ab eo secundum rationem alicujus attributi, sicut et
operatio creaturae procedit ab ea secundum suam formam. Sed quodlibet divinorum attributorum est
alicui personae appropriabile. Ergo et quodlibet divinum opus alicui personae
appropriari debet sicut causae efficienti; et ita opus incarnationis. |
3. Toute action divine procède de lui selon la nature d’un attribut, de même que l’action de la créature procède d’elle selon sa forme. Or, chacun des attributs divins peut être approprié à une personne divine. Toute action divine doit donc être appropriée à une personne comme à sa cause efficiente ; il en va donc de même pour l’œuvre de l’incarnation. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La conception du Christ doit-elle être appropriée au Père ?] |
[7930] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod debeat appropriari patri: ipsi enim attribuitur potentia.
Potentia autem activa quae in solo Deo est, est principium efficiendi. Ergo
omnis efficientia patri praecipue appropriari debet. |
1. Il semble que [la conception du Christ] doive être appropriée au Père : en effet, c’est à lui que la puissance est attribuée. Or, la puissance active, qui existe en Dieu seul, est le principe de la réalisation. Toute réalisation doit donc être surtout appropriée au Père. |
[7931] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
sicut supra Magister dicit, filii missio est ejus incarnatio. Sed aeterna
missio filii proprie attribuitur patri. Ergo et efficientia incarnationis
debet patri attribui. |
2. Comme le dit le Maître plus haut, la mission du Fils est son incarnation. Or, la mission éternelle du Fils est attribuée en propre au Père. La réalisation de l’incarnation doit donc être attribuée au Père. |
[7932] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 3 Sed contra, secundum Origenem, sicut
generatio filii aeterna est a patre sine matre, ita generatio ejus temporalis
est a matre sine patre. Hoc autem non
contingeret, si efficientia incarnationis patri attribuatur. Ergo non est
sibi convenienter attribuenda. |
3. Selon Origène, « de même que la génération est accomplie éternellement par le Père sans mère, de même sa génération temporelle s’accomplit-elle par sa mère sans père ». Or, cela ne se produirait pas si la réalisation de l’incarnation était attribuée au Père. Elle ne doit pas lui être attribuée de manière appropriée. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La conception du Christ doit-elle être attribuée au Fils ?] |
[7933] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod sit attribuenda filio. Sicut enim ex verbis Damasceni, 3 dist.,
habitum est, divina sapientia, sicut divinum semen, ex purissimis sanguinibus
virginis sibi carnem copulavit. Sed semen, ut dicit philosophus 2 Physicor.,
est principium activum. Ergo efficientia incarnationis filio appropriari
debet. |
1. Il semble qu’elle doive être attribuée au Fils. En effet, comme on l’a vu par les paroles de [Jean] Damascène, « la sagesse divine, comme une semence divine, s’est uni la chair à partir du sang très pur de la Vierge ». Or, comme le dit le Philosophe dans Physique, II, la semence est un principe actif. La réalisation de l’incarnation doit donc être appropriée au Fils. |
[7934] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 2 Praeterea,
Bernardus in 5 de Consid. dicit, quod Dei sapientia est illa mulier
evangelica, quae fermento fidei gloriosae virginis tria sata commiscuit,
scilicet novum, antiquum, et aeternum: novum in creatione animae de nihilo:
antiquum in assumptione corporis de natura Adae: aeternum in unione deitatis.
Sed sapientia attribuitur filio. Ergo efficientia incarnationis filio
attribuenda est. |
2. Dans Sur la considération, V, Bernard dit que « la sagesse de Dieu est cette femme de l’évangile, qui a mêlé au ferment de la foi de la glorieuse Vierge trois mesures, la nouvelle, l’ancienne et l’éternelle : la nouvelle, par la création de l’âme à partir de rien ; l’ancienne, par l’assomption du corps à partir de la nature d’Adam ; l’éternelle, par l’union à la divinité ». Or, la sagesse est attribuée au Fils. La réalisation de l’incarnation doit donc être attribuée au Fils. |
[7935] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 3 Sed contra,
inconveniens videtur quod aliqua res seipsam faciat, vel seipsam generet, ut
dicit Augustinus. Sed appropriationes secundum rationem convenientiae fiunt.
Cum ergo ipse filius factus sit homo, non debet sibi efficientia
incarnationis appropriari, sed alteri personae. |
3. Il ne semble « pas approprié qu’une chose se réalise elle-même ou s’engendre elle-même », comme le dit Augustin. Or, les appropriations sont faites selon une certaine convenance [entre une personne et une action]. Puisque le Fils lui-même s’est fait homme, la réalisation de l’incarnation ne doit donc pas lui être appropriée, mais à une autre personne. |
Quaestiuncula
4 |
Sous-question 4 – [La conception du Christ doit-elle être appropriée au Saint-Esprit ?] |
[7936] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1
qc. 4 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod non debet etiam appropriari spiritui sancto, ut dicatur de
spiritu sancto conceptus. Spiritus enim sanctus caritas est, et donum Dei, ut
in 1 Lib., dist. 1, habitum est. Sed non convenienter dicitur Christus
conceptus de caritate vel dono Dei. Ergo nec de spiritu sancto conceptus dici
debet. |
1. Il semble qu’elle ne doive pas être appropriée au Saint-Esprit, de sorte qu’on dise qu’il a été conçu du Saint-Esprit. En effet, le Saint-Esprit est charité et don de Dieu, comme on l’a vu dans le livre I, d. 1. Or, il n’est pas convenable de dire que le Christ a été conçu de la charité ou du don de Dieu. On ne doit donc pas dire non plus qu’il a été conçu du Saint-Esprit. |
[7937] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1
qc. 4 arg. 2 Praeterea, ut
ex verbis Augustini habitum est 36 dist., 1 Lib., haec praepositio de denotat
consubstantialitatem: unde non dicimus aliquid de aliquo fieri, nisi de ejus
substantia sit: dicimus enim esse filium de patre; non autem caelum et terram
de Deo. Sed Christus secundum hominem non est consubstantialis spiritui
sancto. Ergo non debet dici de spiritu sancto natus. |
2. Comme on l’a vu d’après les paroles d’Augustin dans la d. 36 du livre I, cette préposition « de » indique la consubstantialité ; aussi ne disons-nous qu’une chose vient d’une autre, que si elle vient de sa substance. En effet, nous disons que le fils vient du Père, mais non que le ciel et la terre viennent de Dieu. Or, le Christ en tant qu’homme n’est pas consubstantiel à l’Esprit-Saint. On ne doit donc pas dire qu’il est né de l’Esprit Saint. |
[7938] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1
qc. 4 arg. 3 Sed contra est
quod dicitur Matth. 1, 20: quod enim in ea natum est, de spiritu sancto
est. |
Cependant,
[3] il est dit en Mt 1, 20 : Ce qui est né en elle, vient du
Saint-Esprit. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[7939] Super Sent., lib.
3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo ad primam quaestionem dicendum, quod, sicut dicit Dionysius,
2 cap. de Div. Nom., omne nomen Dei operationem in creaturam designans,
convenit toti Trinitati: et ideo in qualibet operatione divina, appropriata
trium personarum ostenduntur, scilicet sapientia, potentia, et bonitas: quae
etiam in operatione incarnationis ostensa sunt, ut Damascenus dicit: bonitas
quidem, inquantum proprii plasmatis non despexit infirmitatem; potentia vero,
inquantum maxime distantia conjunxit; sapientia vero, inquantum convenientem
modum invenit ejus quod impossibile videbatur: justitia etiam in eo quod per
modum satisfactionis salutem humani generis reparavit. Unaquaeque tamen
operatio divina huic personae magis quam illi est appropriabilis, secundum
quod in ea magis manifestatur attributum quod illi personae appropriatur.
Bonitas autem divina secundum hoc in operatione Dei manifestatur quod sine
sui indigentia ea quae sunt sua, creaturae communicat; et quanto ea quae
communicantur, minus sunt creaturae debita, et quasi magis Deo propria, tanto
magis bonitas Dei ostenditur, sicut sunt ea quae gratis naturae superadduntur:
et propter hoc gratiae spiritui sancto attribuuntur, cui bonitas
appropriatur. Cum ergo hoc praecipue supra conditionem humanae naturae sit ut
in unitatem divinae personae assumatur, hoc opus praecipue spiritui sancto
appropriandum est. |
Comme le dit Denys dans Sur les noms divins, II, « tout nom désignant une opération de Dieu dans la créature convient à la Trinité entière ». Aussi, en toute opération divine, ce qui est approprié aux trois personnes est manifesté, à savoir, la sagesse, la puissance et la bonté, qui ont aussi été manifestées dans l’opération de l’incarnation, comme le dit [Jean] Damascène : la bonté, en tant qu’elle n’a pas méprisé la faiblesse de sa propre œuvre ; la puissance, en tant qu’elle a uni ce qui est le plus distant ; mais la sagesse, en tant qu’elle a trouvé le mode convenable de ce qui paraissait impossible ; la justice aussi, du fait qu’elle a restauré le salut du genre humain par mode de satisfaction. Cependant, chaque opération divine peut être appropriée à telle personne plutôt qu’à telle autre selon que se manifeste davantage en elle ce qui est approprié à cette personne. Or, la bonté divine se manifeste dans l’action divine selon que, sans qu’elle en ait besoin, elle communique ce qui lui appartient à la créature. Et moins ce qui est communiqué est dû à la créature et, pour ainsi dire, est davantage propre à Dieu, plus la bonté de Dieu se manifeste, comme c’est le cas de ce qui est gratuitement ajouté à la nature. Pour cette raison, les grâces sont attribuées au Saint-Esprit, à qui la bonté est appropriée. Puisque surtout le fait qu’elle soit assumée dans l’unité d’une personne divine dépasse la condition de la nature humaine, cette réalisation doit donc être surtout appropriée au Saint-Esprit. |
[7940] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
attributa appropriata personis praesupponunt rationem essentiae; sed
operationes divinae praesupponunt attributa secundum intellectum: et ideo
propter appropriationem attributorum, essentia non appropriatur alicui
personae, sed operatio: quia judicium posterioris dependet a priori, et non e
converso. |
1. Les attributs appropriés aux personnes présupposent la raison de l’essence ; mais les opérations divines présupposent les attributs selon l’intellect. C’est pourquoi, en raison de l’appropriation des attributs, l’essence n’est pas appropriée à une personne, mais l’opération, car le jugement sur cette dernière dépend d’un jugement antérieur, et non inversement. |
[7941] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis illa quatuor in incarnatione
ostendantur, tamen praecipue manifestatur ibi bonitas divina, ut ex dictis
patet. |
2. Bien que ces quatre choses soient manifestées dans l’incarnation, la bonté divine s’y manifeste surtout, comme cela ressort de ce qui a été dit. |
[7942] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Tertium concedimus. |
3. Nous concédons le troisième argument. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[7943] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam
quaestionem dicendum videtur, quod patri appropriandae sunt illae operationes
divinae in quibus praecipue manifestatur potentia, propter quod opus
creationis appropriatur patri. Attenditur enim potentia patris operantis in
productione effectus; bonitas autem in liberali collatione. In opere ergo
creationis res in esse productae sunt, non autem tunc aliquid eis collatum
est supra id quod naturae ratio exigit, sicut est in opere recreationis, in
quo res non omnino ex non esse producuntur, sed aliquid supra earum conditionem
eis confertur: et ideo ea quae ad recreationem pertinent, spiritui sancto
appropriantur, et non patri. |
Les actions divines dans lesquelles se manifeste surtout la puissance doivent être appropriées au Père : pour cette raison, l’œuvre de la création est appropriée au Père. En effet, on relève la puissance du Père dans la production de l’effet, mais sa bonté, dans le don libéral. Dans l’œuvre de la création, les choses ont donc été amenées à l’être, mais il ne leur a pas été donné plus que ce qu’exige la raison de leur nature, comme c’est le cas dans l’œuvre de la recréation, dans laquelle les choses ne sont pas entièrement tirées du non-être, mais quelque chose de supérieur à leur condition leur est donné. Aussi ce qui se rapporte à la recréation est-il approprié au Saint-Esprit, et non au Père. |
[7944] Super Sent., lib. 3 d. 4
q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
contra hoc objectum dicendum est, quod quamvis potentia principium activum
per se nominet, tamen in agentibus per voluntatem voluntas est imperans quod
potentia exequitur. Voluntatis
autem objectum est bonum; et ideo principale in operatione agentis per
voluntatem est bonitas, et quasi secundarium exequens est potentia; et
praecipue quando tota ratio effectus est bonitas agentis: et ideo hujusmodi
opera spiritui sancto appropriantur. |
1. Contre cette objection, il faut dire que, bien que la puissance désigne par elle-même un principe actif, dans les agents volontaires, c’est la volonté qui commande ce qu’exécute la puissance. Or, l’objet de la volonté est le bien. C’est pourquoi la bonté est ce qui est principal chez l’agent volontaire, et la puissance qui exécute, ce qui est pour ainsi dire secondaire, surtout lorsque toute la raison de l’effet est la bonté de l’agent. Les œuvres de ce genre sont donc appropriées au Saint-Esprit. |
[7945]
Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in incarnatione
duo sunt, scilicet persona assumens, et natura assumpta. Missio igitur
nominat incarnationem ex parte personae assumentis praecipue: et quia ad
personam filii assumentem solus pater auctoritatem habet, ideo missio activa
patri attribuitur. Conceptio autem vel nativitas temporalis nominat
incarnationem ex parte naturae assumptae, cui gratuito collatum est ut in
unitatem talis personae assumeretur: et ideo efficientia conceptionis non
patri, sed spiritui sancto appropriatur. |
2. Dans l’incarnation, il y a deux choses : la personne qui assume et la nature assumée. La mission désigne donc l’incarnation surtout du point de vue de la personne qui assume. Et parce que seul le Père a autorité sur la personne du Fils qui assume, la mission active est donc attribuée au Père. Mais la conception ou la naissance temporelle désigne l’incarnation du point de vue de la nature assumée, à qui il a été gratuitement donné d’être assumée dans l’unité de telle personne. C’est pourquoi la réalisation de la conception est appropriée non pas au Père, mais à l’Esprit Saint. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
|
[7946] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem
dicendum, quod
sicut dicit philosophus, 1 Metaph., sapientis est ordinare: unde illae
operationes divinae quae ad ordinationem Dei pertinent, sicut gubernatio, et
hujusmodi, filio attribuuntur, cui sapientia appropriatur. In opere autem
incarnationis attenditur quaedam gratuita collatio, qua humanae naturae datum
est in unitatem divinae personae assumi, et omni gratia repleri, sicut
primum, et executio illius doni, sicut secundum, quae ad ordinationem Dei
pertinent: et ideo spiritui sancto convenit esse factivum incarnationis; sed
exequi mysterium incarnationis convenit filio. |
Comme le dit le Philosophe dans Métaphysique, I, il appartient au sage d’ordonner. Les opérations divines qui se rapportent à l’imposition d’un ordre par Dieu, comme le gouvernement et les choses de ce genre, sont donc attribuées au Fils, à qui la sagesse est appropriée. Or, dans l’œuvre de l’incarnation, on remarque un don gratuit par lequel il a été donné à la nature humaine d’être assumée dans l’unité d’une personne divine et d’être remplie de toute grâce : en premier lieu, l’accomplissement de ce don, en second lieu, ce qui se rapporte à l’imposition d’un ordre par Dieu. Aussi convient-il à l’Esprit Saint d’être la cause de l’incarnation ; mais l’exécution du mystère de l’incarnation convient-elle au Fils. |
[7947] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo contra hoc objectum dicendum
quod in naturali conceptione hominis, semen habet rationem activi, et iterum
rationem termini, inquantum virtus quae est in semine, attrahit sibi id unde
nutriatur, et in quantitatem perfectam proficiat. Quantum ergo ad primum
operatio seminis appropriatur spiritui sancto; sed quantum ad secundum
appropriatur filio, quia conceptio ad hypostasim filii terminata est. |
1. Dans la conception naturelle de l’homme, la semence a raison de [principe] actif et aussi raison de terme, pour autant que la puissance qui est dans la semence attire à elle-même ce par quoi elle se nourrit et progresse jusqu’à la quantité parfaite. Pour ce qui est du premier aspect, l’opération de la semence est appropriée à l’Esprit-Saint ; mais, pour ce qui est du second, elle est appropriée au Fils, parce que la conception se termine dans l’hypostase du Fils. |
[7948] Super Sent., lib. 3 d. 4
q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod commixtio illa illorum trium, ordinationem signat unionis
ipsorum: non enim ibi proprie commixtio est. Haec autem ordinatio
praesupponit divinam acceptationem, qua hoc donum creaturae dare voluit, ut
per unionem personae aeternae coordinaretur: et ideo quamvis commixtio
sapientiae possit attribui, tamen ipsa incarnatio principaliter spiritui
sancto approprianda est. |
2. Le mélange de ces trois choses indique l’ordre de leur union ; en effet, il n’y a pas là un véritable mélange. Or, une telle mise en ordre présuppose une acceptation divine, par laquelle il a voulu faire à la créature le don d’être coordonnée à une personnelle éternelle par l’union. Bien que le mélange puisse être attribué à la sagesse, l’incarnation elle-même doit donc être appropriée principalement à l’Esprit Saint. |
[7949] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Tertium concedimus. |
3. Nous concédons le troisième argument. |
Quaestiuncula
4 |
Réponse à la sous-question 4
|
[7950] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod
ratione jam dicta efficientia incarnationis spiritui sancto appropriatur: et
ideo potest dici Christus conceptus de spiritu sancto, sive haec praepositio
de dicat causae efficientis habitudinem, sive etiam designet rationem
faciendi: ipsa enim ratio faciendi incarnationem est bonitas spiritui sancto
appropriata. |
Pour la raison déjà dite, la réalisation de l’incarnation est appropriée à l’Esprit Saint. Aussi peut-on dire que le Christ a été conçu du Saint-Esprit, soit que la préposition « de » exprime un rapport de cause efficiente, soit qu’elle désigne la raison de la réalisation. En effet, la raison de réaliser l’incarnation est la bonté appropriée à l’Esprit Saint. |
[7951]
Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo contra hoc objectum
dicendum, quod quamvis spiritus sanctus sit caritas et donum, tamen nomine
caritatis et doni non signatur ut persona subsistens, cujus est agere; et
ideo non potest dici Christus conceptus de caritate vel dono, si ly de dicat
habitudinem causae efficientis: quamvis forte posset concedi secundum quod ly
de signat rationem faciendi. |
1. Bien que l’Esprit Saint soit charité et don, il n’est cependant pas désigné comme personne subsistante, à qui il revient d’agir, par les mots « charité » et « don ». Aussi ne peut-on pas dire que le Christ a été conçu de la charité ou du don, si le « de » indique un rapport de cause efficiente, bien que, peut-être, on puisse le concéder selon que le « de » indique la raison de [la conception]. |
[7952]
Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod de largo modo accipitur
pro ex. |
2. Au sens large, il est pris pour ex. |
[7953] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 3 Tertium concedimus. |
3. Nous concédons le troisième argument. |
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Articulus 2 [7954] Super Sent.,
lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 tit. Utrum Christus, secundum quod homo, possit
dici filius spiritus sancti |
Article 2 – Le Christ, en tant qu’homme, peut-il être appelé le Fils du Saint-Esprit ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le Christ, en tant qu’homme, peut-il être appelé le Fils du Saint-Esprit ?] |
[7955] Super Sent., lib.
3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod
Christus, secundum quod homo, possit dici filius spiritus sancti. Humanam
enim naturam quam assumpsit Christus, tota per indifferentiam Trinitas
operata est. Sed homo
Christus Jesus convenienter dicitur filius Dei patris. Ergo etiam potest dici
filius spiritus sancti, vel totius Trinitatis. |
1. Il semble que le Christ, en tant qu’homme, puisse être appelé le Fils du Saint-Esprit. En effet, la nature que le Christ a assumée a été réalisée par toute la Trinité, sans différenciation [des personnes]. Or, l’homme Christ Jésus est convenablement appelé le Fils de Dieu le Père. Il peut donc être aussi appelé le Fils du Saint-Esprit ou de toute la Trinité. |
[7956] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2
qc. 1 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum in 15
de Anim. Lib., in generatione humana materiam ministrat mater; actio vero ex
semine patris est. Sed omnem
actionem quam facit semen hominis patris in generatione humana, facit in
conceptione Christi spiritus sanctus, et multo efficacius. Si ergo ratione
illarum actionum dicitur unus homo pater alterius, videtur quod spiritus
sanctus dicitur pater Christi secundum humanam naturam. |
2. Selon le Philosophe, dans le livre Sur l’âme, XV, la mère fournit la matière dans la génération ; mais l’action vient de la semence du père. Or, toute action qu’accomplit la semence du père humain dans la génération humaine, l’Esprit Saint l’accomplit dans la conception du Christ, et beaucoup plus efficacement. Si donc, en raison de ces actions, un homme est appelé le père d’un autre, il semble que l’Esprit Saint soit appelé le père du Christ selon sa nature humaine. |
[7957] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2
qc. 1 arg. 3 Praeterea, ex
hoc homo dicitur pater hominis, quia genuit eum ex matre similem in sua
natura. Sed potest dici, ut videtur, quod spiritus sanctus genuit Christum ex
Maria virgine, sicut etiam dicitur in Glossa Matth. 3, quod Deus ex Sara
genuerit filium. Cum ergo Christus et spiritus sanctus sint ejusdem naturae,
videtur quod spiritus sanctus possit dici pater Christi. |
3. Un homme est appelé le père d’un homme parce qu’il l’a engendré de sa mère, semblable à sa nature. Or, il semble qu’on puisse dire que l’Esprit Saint a engendré le Christ de la Vierge Marie, comme on dit aussi, dans la Glose à propos de Mt 3, que Dieu a engendré un fils de Sara. Puisque le Christ et l’Esprit Saint ont la même nature, il semble donc que l’Esprit Saint puisse être appelé le père du Christ. |
[7958] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2
qc. 1 arg. 4 Sed contra est
auctoritas Augustini in littera. |
Cependant, [4] dans le texte, l’autorié d’Augustin va en sens contraire. |
[7959] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2
qc. 1 arg. 5 Praeterea,
sicut supra, 1 dist., dixit Magister, ideo filius, et non pater aut spiritus
sanctus, assumpsit carnem, ne nomen filii transiret ad aliam personam. Sed
non est minus inconveniens quod nomen patris transeat ad aliam personam quam
nomen filii. Ergo nomen patris non debet transire ad personam spiritus
sancti, ut dicatur pater Christi. |
[5] Comme l’a dit le Maître plus haut, d. 1, le Fils, et non le Père ou l’Esprit Saint, a assumé la chair pour que le nom de Fils ne passe pas à une autre personne. Or, il n’y a pas moins d’inconvénient à ce que le nom du Père passe à une autre personne que le nom du Fils. Le nom du Père ne doit pas passer à la personne de l’Esprit Saint, de sorte qu’il soit appelé le père du Christ. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le Christ peut-il être appelé le Fils de la Trinité ?] |
[7960] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod possit Christus dici filius Trinitatis. Christus enim, secundum
quod homo, creatura est. Sed nos dicimur filii Trinitatis per creationem;
Deut. 32, 6: numquid non ipse est pater tuus ? Ergo et Christus potest
dici filius Trinitatis, secundum quod homo. |
1. Il semble que le Christ puisse être appelé le Fils de la Trinité. En effet, le Christ, en tant qu’homme, est une créature. Or, nous sommes appelés fils de la Trinité en vertu de la création, Dt 32, 6 : N’est-il pas ton père ? En tant qu’homme, le Christ peut donc être appelé le Fils de la Trinité. |
[7961] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
Rom. 8, 29: ut sit ipse primogenitus in multis fratribus: Glossa: secundum
humanam naturam, secundum quam fratres habet; secundum autem divinam non
habet. Sed fratres dicuntur qui ex eodem patre nascuntur. Cum ergo pater
eorum qui dicuntur fratres Christi, sit tota Trinitas, videtur quod etiam
Christi hominis secundum humanam naturam. |
2. À propos de Rm 8, 29 : Afin qu’il soit le premier-né de nombreux frères, la Glose dit : « Selon sa nature humaine, selon laquelle il a des frères ; selon la nature divine, il n’en a pas. » Or, on appelle frères ceux qui naissent d’un même père. Puisque le Père de ceux qui sont appelés frères du Christ est la Trinité entière, il semble donc qu’elle soit aussi [Père] du Christ homme, selon sa nature humaine. |
[7962] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 3 Praeterea,
cujuslibet gratiam habentis dicitur pater tota Trinitas: Joan. 1: dedit
eis potestatem filios Dei fieri. Sed Christus plenissime habuit gratiam.
Ergo potest dici filius totius Trinitatis, inquantum est homo. |
3. La Trinité toute entière est appelée père de tous ceux qui ont la grâce, Jn 1 : Il leur a donné le pouvoir de devenir fils de Dieu. Or, le Christ a eu la grâce dans toute sa plénitude. En tant qu’homme, il peut donc être appelé le fils de toute la Trinité. |
[7963] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2
qc. 2 s. c. 1 Sed contra,
sicut infra probatur, dist. 10, Christus non est filius nisi naturalis. Sed
naturalis filius non est Trinitatis, sed patris tantum. Ergo Christus non
potest dici filius Trinitatis. |
Cependant, [1] comme on le démontre plus loin, d. 10, le Christ n’est Fils que par nature. Or, il n’est pas Fils par nature de la Trinité, mais seulement du Père. Le Christ ne peut donc être appelé Fils de la Trinité. |
[7964] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2
qc. 2 s. c. 2 Praeterea,
secundum Damascenum, filiatio non determinat naturam, sed personam. Sed in
Christo quamvis sint duae naturae, non est ibi nisi una persona aeterna. Cum
igitur secundum personam aeternam non possit dici filius Trinitatis, nullo
modo potest dici filius Trinitatis. |
[2] Selon [Jean] Damascène, la filiation ne détermine pas la nature, mais la personne. Or, dans le Christ, bien qu’il y ait deux natures, il n’y a qu’une seule personne éternelle. Puisqu’il ne peut pas être appelé Fils de la Trinité selon sa personne éternelle, il ne peut donc d’aucune manière être appelé Fils de la Trinité. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[7965] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum
ad primam quaestionem, quod secundum Augustinum in littera, Christus non est
filius neque spiritus sancti, neque Trinitatis, sed tantum Dei patris. Sed
hoc diversa ratione a diversis negatur. Quidam negant hoc non tamquam
simpliciter falsum, sed tamquam inconvenienter dictum, utpote praestans
occasionem errandi et circa aeternam generationem filii, in qua sequeretur
quaedam confusio relationum, si filius diceretur sui ipsius filius, et
spiritus sancti; et circa generationem ejus temporalem, ne videatur spiritus
sanctus de sua substantia Christum genuisse secundum hominem, si pater ejus
diceretur. Et sicut non potest dici filius Trinitatis simpliciter, ita nec
per creationem, ut evitetur error Arii, qui dixit Christum puram creaturam,
neque per gratiam, ut evitetur error Nestorii, qui dixit duas personas in
Christo, et unionem divinitatis ad hominem Christum esse tantum per gratiam,
non in persona. Concedunt tamen aliqui quod potest dici iste homo filius Trinitatis
per creationem, si ly iste homo dicit suppositum, sive individuum hominis,
non personam filii Dei. Nullo tamen modo filius Dei potest dici filius
Trinitatis propter repugnantiam relationum. Concedunt etiam quod quantum ad
gratiam habitualem, per quam tota Trinitas habitat in anima Christi, potest
dici iste homo filius Dei, etiam secundum quod homo, non tamen Trinitatis: quia
secundum hoc non habet ipse comparationem ad relationes quibus distinguitur
Trinitas; sed quantum ad gratiam unionis dicitur tantum filius patris
naturalis. Sed haec
opinio non est conveniens dictis Augustini, qui simpliciter negat dici
Christum esse filium Trinitatis, aut spiritus sancti. Non enim hoc potest
esse ad vitandum confusionem relationum: cum enim confusio sit ex inordinata
permixtione aliquorum, nulla sequeretur confusio si secundum diversas naturas
oppositas relationes filio attribueremus, vel spiritui sancto ratione
diversorum, cum etiam de filio ratione diversarum naturarum sine aliqua
inconvenientia contraria praedicentur, ut quod est passibilis, et
impassibilis; et etiam relationes oppositae, ut quod est minor et aequalis
patri, et etiam major et minor seipso. Neque etiam negant hoc ad evitandum
errorem qui posset sequi: non enim magis patrocinatur errori Arii, si dicatur
quod est filius Trinitatis per creationem, quam quod dicatur, secundum quod
homo, creatura; quod tamen conceditur. Et est simile de aliis erroribus.
Praeterea hoc quod conceditur iste homo filius Trinitatis per creationem,
secundum quod dicit suppositum vel individuum hominis, non personam filii
Dei, non convenit secundae opinioni, quae infra ponitur, dist. 6, secundum
quod ille homo non potest supponere nisi suppositum aeternum. Similiter etiam
quod Christus per gratiam habitualem non comparetur ad relationes
distinguentes personas, non videtur esse ratio quod non possit dici filius
Trinitatis: quia nos dicimur per gratiam filii Trinitatis, et tamen gratia
quae in nobis est, est effectus essentiae divinae, non habens respectum ad
distinctionem personarum. Et ideo dicendum aliter cum aliis, scilicet quod
Augustinus hoc negat tamquam simpliciter falsum et impossibile. Filiatio enim
est relatio consequens generationem; generatio autem est via ad esse: esse
autem est quid suppositi a forma, sive a natura; unde cum filiatio secundum
Damascenum sit determinativa suppositi vel hypostasis, non potest aliquis
dici filius alicujus, nisi a quo accipit esse. Esse autem Christi est unum,
ad minus quantum ad secundam opinionem, ut infra, dist. 6, qu. 2, art. 2,
dicetur: hoc autem esse non habet Christus ab aliqua persona divina nisi a
patre. Unde non potest dici filius nisi patris. Similiter etiam non potest
dici quod sit filius Trinitatis per creationem vel gratiam: quia quando in
aliquo invenitur perfecta ratio alicujus nominis, nullo modo recipitur illud
nomen de eo cum determinatione diminuente, ut patet ex verbis Augustini in
littera; sicut planta dicitur vivens imperfectum propter animam vegetabilem,
quia non habet esse cum anima sensibili; animal autem quamvis habeat eamdem
animam, non dicitur vivens imperfectum, quia habet eam cum anima sensibili.
Christus autem habet veram rationem filiationis ad Deum. Unde non est
dicendus filius per creationem neque per gratiam: quia per hoc significatur
filiatio imperfecta ad Deum, quae est secundum quid, et non simpliciter. |
Selon ce que dit Augustin dans le texte, le Christ n’est le Fils ni de l’Esprit Saint ni de la Trinité, mais seulement de Dieu, le Père. Mais cela est nié par plusieurs pour différentes raisons. Certains le nient non pas comme étant tout simplement faux, mais comme étant formulé de manière inappropriée, comme prêtant occasion à l’erreur, tant sur la génération éternelle du Fils, où en découlerait une certaine confusion des relations si on disait que le Fils est son propre Fils et celui du Saint-Esprit, que sur sa génération temporelle, de crainte que s’il était appelé son Père, le Saint-Esprit ne semble avoir engendré de sa propre substance le Christ en tant qu’homme,. Et de même qu’il ne peut pas être appelé simplement le Fils de la Trinité, de même ne le peut-il pas en raison de la création, afin que soit évitée l’erreur d’Arius, qui disait que le Christ était une pure créature, ni en raison de la grâce, afin que soit évitée l’erreur de Nestorius, qui disait que les deux personnes dans le Christ et l’union de la divinité à l’homme Christ n’existaient qu’en vertu de la grâce, et non dans la personne. Certains concèdent cependant que cet homme peut être appelé le Fils de la Trinité en vertu de la création, si « cet homme » exprime le suppôt ou l’individu humain, mais non la personne du Fils de Dieu. Le Fils de Dieu ne peut cependant aucunement être appelé le Fils de la Trinité en raison de l’incompatibilité des relations. Ils concèdent aussi que, pour ce qui est de la grâce habituelle par laquelle la Trinité entière habite dans l’âme du Christ, cet homme peut être appelé fils de Dieu, même comme homme, mais non pas cependant [Fils] de la Trinité, car ainsi il ne peut se comparer aux relations par lesquelles se distingue la Trinité ; mais, pour ce qui est de la grâce d’union, il est appelé seulement le Fils naturel du Père. Mais cette opinion n’est pas conforme aux paroles d’Augustin, qui nie simplement que le Christ soit appelé Fils de la Trinité ou du Saint-Esprit. En effet, cela ne peut être le cas afin d’éviter la confusion des relations : puisque la confusion vient du mélange désordonné de certaines choses, aucune confusion n’en découlerait si nous attribuions au Fils des relations opposées selon les diverses natures, ou au Saint-Esprit en raison de diverses choses, puisque des choses contraires sont attribuées sans inconvénient au Fils en raison de ses diverses natures, comme le fait qu’il est passible et impassible, et même des relations opposées, comme le fait qu’il est inférieur et égal au Père, et aussi plus grand et inférieur à lui-même. Ils ne nient pas non plus cela pour éviter l’erreur qui pourrait en découler : en effet, on n’encourage plus l’erreur d’Arius si l’on dit qu’il est le Fils de la Trinité en vertu de la création, que si l’on dit qu’il est une créature en tant qu’il est homme, ce qui est cependant concédé. Et il en va de même des autres erreurs. De plus, le fait de concéder que cet homme est le Fils de la Trinité en vertu de la création, pour autant qu’on exprime le suppôt ou l’homme individuel, et non la personne du Fils de Dieu, n’est pas conforme à la seconde opinion, qui sera présentée plus loin, d. 6, selon laquelle cet homme ne peut avoir qu’un suppôt éternel. De même encore, le fait que le Christ ne soit pas comparé par la grâce habituelle aux relations qui distinguent les personnes ne semble pas être la raison qu’il ne puisse pas être appelé le Fils de la Trinité, car nous-mêmes sommes appelés fils de la Trinité par la grâce, et cependant la grâce qui est en nous est l’effet de l’essence divine, sans rapport avec la distinction des personnes. Il faut donc parler autrement avec d’autres : Augustin nie cela comme étant simplement faux et impossible. En effet, la filiation est une relation qui découle de la génération. Or, la génération est le chemin vers l’être. Mais l’être est le fait du suppôt par la forme ou la nature. Puisque, selon [Jean] Damascène, la filiation détermine le suppôt ou l’hypostase, quelqu’un ne peut être appelé le fils d’un autre que s’il reçoit l’être de lui. Or, l’être du Christ est unique, du moins selon la seconde opinion, comme on le dira plus loin, d. 6, q. 2, a. 2. Or, le Christ ne tient cet être que d’une seule personne divine, le Père. Il ne peut donc être Fils que du Père. De même, on ne peut pas dire qu’il est le Fils de la Trinité par la création ou par la grâce, car lorsqu’on trouve en quelque chose la raison parfaite d’un nom, ce nom n’est d’aucune manière reçu avec une détermination diminutive, comme cela ressort des paroles d’Augustin dans le texte. Ainsi, la plante est appelé un vivant imparfait en raison de l’âme végétative, parce qu’elle ne possède pas l’être avec une âme sensible ; mais l’animal, bien qu’il possède la même âme, n’est pas appelé un vivant imparfait parce qu’il la possède avec une âme sensible. Or, le Christ possède la raison véritable de la filiation par rapport à Dieu. Il ne doit donc pas être Fils en vertu de la création ni de la grâce, car une filiation imparfaite, partielle et non entière par rapport à Dieu est ainsi signifiée, |
[7966] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod non est dicendum, Christum hominem esse filium patris per
creationem, neque ratione formationis corporis Christi, nisi quatenus illa
formatio terminatur ad unionem personalem, per quam iste homo est naturalis
filius Dei patris. |
1. Il ne faut pas dire que le Christ homme est le Fils du Père par création, ni en raison de la formation du corps du Christ, si ce n’est en tant que cette formation se termine à l’union personnelle, par laquelle cet homme est le Fils naturel de Dieu, le Père. |
[7967] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod spiritus sanctus facit illas actiones non mediante semine ex se deciso,
quod ad patrem pertinet, sed quasi artifex operando in materiam exteriorem. |
2. L’Esprit Saint accomplit ces actions non par une semence séparée de lui, ce qui est propre au père, mais comme un artisan qui agit sur une matière extérieure. |
[7968] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod spiritus sanctus non genuit Christum de beata virgine: quia
secundum Damascenum, generare est ex sua substantia alium producere: et
Glossa illa sic exponenda est: genuit, idest fecit ut nasceretur. Nec iterum
spiritus sanctus est similis Christo in natura illa quam in utero virginis
formavit; unde non potest spiritus sanctus dici pater Christi secundum
humanitatem. |
3. L’Esprit Saint n’a pas engendré le Christ de la bienheureuse Vierge, car, selon [Jean] Damascène, engendrer consiste à en produire un autre à partir de sa propre substance. Et cette glose doit être ainsi interprétée : il a engendré, c’est-à-dire qu’il a fait en sorte qu’il naisse. De plus, l’Esprit Saint n’est pas semblable au Christ selon la nature qu’il a formée dans le sein de la Vierge. L’Esprit Saint ne peut donc pas être appelé le père du Christ selon son humanité. |
[7969] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 4 Quartum et
quintum concedimus. |
4. Nous concédons le quatrième et le cinquième argument. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[7970] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
patet responsio ex dictis. [7971] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 1 Ad primum dicendum, quod creatura respicit communiter naturam et
suppositum; filiatio autem respicit tantum suppositum; unde humana natura in
Christo dicitur creata, non autem filia; et ideo in quantum homo, non potest
dici filius per creationem; potest autem dici creatura. |
La réponse à la deuxième question ressort clairement de ce qui a été dit. 1. La créature concerne aussi bien la nature que le suppôt, mais la filiation ne concerne que le suppôt. Aussi la nature humaine dans le Christ est-elle dite créée, mais non pas fille. C’est pourquoi, en tant qu’homme, il ne peut être appelé fils en vertu de la création ; mais il peut cependant être appelé une créature. |
[7972] Super Sent., lib. 3 d. 4
q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod Christus dicitur primogenitus in multis fratribus secundum
humanam naturam, non quasi univoce filius cum aliis, sed per analogiam: quia
ipse est filius naturalis propter unionem in persona, alii autem filii
adoptivi per assimilationem ad Deum quae est per gratiam; sicut etiam dicitur
primogenitus creaturae inquantum, secundum Basilium, accipere commune habet
cum creatura. Unde non
oportet quod ad eumdem patrem omnino referantur. |
2. Le Christ est appelé premier-né d’un grand nombre de frères selon sa nature humane, non pas comme fils de manière univoque par rapport aux autres, mais par analogie, car il est le Fils naturel en raison de l’union dans la personne, mais les autres sont fils adoptifis par l’assimilation avec Dieu qui se réalise par la grâce, comme il est appelé premier-né parmi les créatures pour autant que, selon Basile, il reçoit quelque chose de commun aux créatures. Il n’est donc pas nécessaire qu’ils se rapportent entièrement au mère Père. |
[7973] Super Sent., lib. 3 d. 4
q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod alii dicuntur filii adoptivi, Christus autem dicitur per gratiam unionis
filius naturalis; per gratiam autem habitualem non potest dici filius
adoptivus, ut dicetur infra, dist. 10, neque etiam naturalis; unde nullo modo potest dici filius per
gratiam. |
3. Les autres sont appelés fils adoptifs, mais le Christ est appelé le Fils naturel par la grâce d’union. Mais, par la grâce habituelle, il ne peut être appelé fils adoptif, comme on le dira plus loin, d. 10, ni Fils naturel. Aussi ne peut-il être d’aucune manière appelé Fils par la grâce. |
[7974] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 ad s. c. Alia concedimus. |
Nous concédons les autres arguments. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [La conception du Christ par rapport à sa mère]
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Prooemium |
Prologue |
[7975] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 pr. Deinde quaeritur de conceptione Christi in
comparatione ad matrem concipientem; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum
beata virgo possit dici mater hominis Jesu Christi; 2 utrum debeat dici mater
Dei. |
Ensuite, on s’interroge sur la conception du Christ par rapport à la mère qui l’a conçu. À ce propos, deux questions sont posées : 1 – La bienheureuse Vierge peut-elle être appelée mère de l’homme Jésus, le Christ ? 2 – Doit-elle être appelée mère de Dieu ? |
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Articulus 1 [7976] Super Sent., lib.
3 d. 4 q. 2 a. 1 tit. Utrum beata
virgo possit dici mater hominis Christi Jesu |
Article 1 – La bienherueuse Vierge peut-elle être appelée mère de l’homme Jésus, le Christ ? |
[7977] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod beata virgo
non possit dici mater illius hominis. In conceptione enim Christi beata virgo
ministravit tantum materiam, quia totam actionem fecit spiritus sanctus. Sed
propter materiam non potest aliquid dici mater, sicut arbor non est mater
scamni. Ergo beata virgo non potest dici mater illius hominis. |
1. Il semble que la bienheureuse Vierge ne puisse être appelée mère de cet homme. En effet, dans la conception du Christ, la bienheureuse Vierge n’a fourni que la matière, car l’Esprit Saint a accompli toute l’action. Or, quelqu’un ne peut être appelé mère en raison de la matière, comme l’arbre n’est pas la mère de l’escabeau. La bienheureuse Vierge ne peut donc pas être appelée mère de cette homme. |
[7978] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, matris est
decidere semen ad conceptum. Sed materia
conceptionis Christi
separata est a reliqua carne virginis operatione spiritus sancti. Ergo non
potest dici mater. |
2. Il revient à la mère de séparer la semence pour le fœtus. Or, la matière de la conception du Christ n’a pas été séparée du reste de la chair de la Vierge par l’opération du Saint-Esprit. Elle ne peut donc pas être appelée sa mère. |
[7979]
Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut caro Christi
operatione spiritus sancti formata est de materia sumpta a beata virgine; ita
Eva formata est operatione divina de materia sumpta ab Adam. Sed Adam non potest dici pater Evae, nec
mater. Ergo nec beata virgo potest dici mater Christi. |
3. De même que la chair du Christ a été formée par l’opération du Saint-Esprit de la chair prise de la bienheureuse Vierge, de même Ève a-t-elle été formée par l’opération divine de la matière prise d’Adam. Or, Adam ne peut pas être appelé le père d’Ève ni sa mère. La bienheureuse Vierge non plus ne peut donc être appelée la mère du Christ. |
[7980] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1
arg. 4 Praeterea,
multo plus contulit ad conceptionem Christi spiritus sanctus quam beata
virgo: quia agens est praestantior in actione quam materia. Ergo si spiritus
sanctus non potest dici pater Christi, nec beata virgo potest dici mater
ejus. |
4. L’Esprit-Saint a contribué beaucoup plus que la bienheureuse Vierge à la conception du Christ, car l’agent est plus important que la matière dans l’action. Si l’Esprit Saint ne peut être appelé père du Christ, la bienheureuse Vierge non plus ne peut donc être appelée sa mère. |
[7981]
Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, filiatio, ut dictum est, respicit hypostasim. Sed
hypostasis in Christo est una tantum, quae est aeterna, secundum quam
Christus non est a beata virgine. Ergo nullo modo potest dici filius beatae
virginis. |
5. Comme on l’a dit, la filiation concerne l’hypostase. Or, l’hypostase dans le Christ est unique et elle est éternelle : selon elle, le Christ ne vient pas de la bienheureuse Vierge. Il ne peut donc être aucunement appelé le fils de la bienheureuse Vierge. |
[7982] Super Sent., lib. 3 d. 4
q. 2 a. 1 arg. 6 Praeterea, in
Christo est tantum unum esse ex parte hypostasis, quam consequitur filiatio. Sed illud esse non habuit Christus a matre.
Ergo non potest dici filius ejus. |
6. Dans le Christ, il n’y a qu’un seul être du point de vue de l’hypostase, dont découle la filiation. Or, le Chrit ne tient pas cet être de sa mère. Il ne peut donc pas être appelé son fils. |
[7983]
Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 s. c. 1 Contra est auctoritas Evangelii, Matth. 1, 18: cum esset desponsata
mater Jesu Maria Joseph etc.; et in pluribus aliis locis. |
Cependant, [1] l’autorité de l’évangile va en sens contraire, Mt 1, 18 : Alors que la mère de Jésus, Marie, était fiancée à Joseph, etc., et en plusieurs autres endroits. |
[7984] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut supra
dictum est, dist. 3, beata virgo in generatione Christi contulit quidquid
alia mulier conferre debet ad generationem filii sui. Si ergo aliae mulieres vere dicuntur
matres, et beata virgo vere potest dici mater Christi. |
[2] Comme on l’a dit plus haut, d. 3, la bienheureuse Vierge a apporté à la génération du Christ tout ce qu’une autre femme doit apporter à la génération de son fils. Si donc les autres femmes sont appelées véritablement mères, la bienheureuse Vierge aussi peut être la mère du Christ. |
[7985] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1
co. Respondeo dicendum, quod beata virgo vere potest dici mater Christi, cum
quidquid sit de necessitate generationis ex parte matris inveniatur in beata
virgine; maxime secundum opinionem Aristotelis, qui vult quod formatio et
organizatio corporum non fiat per virtutem activam mulieris, sed solum per
virtutem activam viri; et quod semen mulieris non est de necessitate
conceptionis, quia quandoque contingit impraegnari mulierem sine emissione
seminis, per hoc quod sanguinem menstruum ministrat, qui est materia
conceptus. Et hoc
consonat ei quod dicit Damascenus, quod ex purissimis sanguinibus virginis
formatum est corpus Christi non seminaliter, sed virtute divina. Sed huic
verae maternitati derogatur per duos errores. Quorum unus ponit Christum non
veram carnem sed phantasticam assumpsisse, et beatam virginem non mulierem
sed Angelum fuisse; unde nec vera mater esset. Alius vero ponit Christum non
carnem naturae nostrae assumpsisse, sed caelestem secum portasse; et secundum
hoc beata virgo non vere mater ejus esset, quia quamvis in ea natus esset,
non tamen de ea. Hi autem
errores veram humanitatem Christi negant; unde a fide Catholica sunt alieni. |
Réponse. La bienheureuse Vierge peut vraiment être appelée mère du Christ, puisque tout ce qui est nécessaire à la génération du côté de la mère se trouve dans la bienheureuse Vierge, surtout selon l’opinion d’Aristote, qui veut que la formation et l’organisation des corps ne se fasse pas par la puissance active de la femme, mais seulement par la puissance active de l’homme, et que la semence de la mère ne soit pas nécessaire à la conception, car il arrive parfois qu’une femme devienne enceinte sans émission de sperme, du fait qu’elle fournit le sang menstruel, qui est la matière du fœtus. Et ceci est en accord avec ce que dit [Jean] Damascène, que le corps du Christ a été formé du sang très pur de la Vierge, non pas par une semence, mais par la puissance divine. Or, on s’écarte de cette maternité véritable par deux erreurs. L’une affirme que le Christ n’a pas assumé une chair véritable, mais imaginaire, et que la bienheureuse Vierge n’était pas une femme, mais un ange. Aussi ne pouvait-elle être une véritable mère. Mais l’autre erreur affirme que le Christ n’a pas assumé la chair de notre nature, mais a apporté une chair céleste avec lui ; la bienheureuse Vierge ne serait donc pas vraiment sa mère, car, bien qu’il soit né en elle, il n’est cependant pas né d’elle. Mais ces erreurs nient l’humanité véritable du Christ. Elles sont donc étrangères à la foi catholique. |
[7986] Super Sent., lib. 3 d. 4
q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod non solum materiam praestitit beata virgo ad conceptionem
Christi, sed materiam convenientem ad producendum aliquid simile in specie,
et locum convenientem, et nutrimentum conveniens conceptioni fetus: et hoc
sufficit ad rationem matris. |
1. La bienheureuse Vierge n’a pas seulement apporté la matière à la conception du Christ, mais une matière appropriée pour produire quelque chose de semblable selon l’espèce, un endroit approprié et une nourriture appropriée à la conception du fœtus. Cela suffit à la raison de mère. |
[7987] Super Sent., lib. 3 d. 4
q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum philosophum, semen
mulieris non est de necessitate generationis, sed sanguis quem femina
ministrat ad conceptionem: qui quidem in aliis mulieribus separatur per
virtutem mulieris motam a viro; sed in beata virgine per virtutem spiritus
sancti. Nec hoc
diminuit rationem matris, quia ista actio est praeambula ad conceptionem. |
2. Selon le Philosophe, la semence de la femme n’est pas nécessaire à la génération, mais le sang que la femme apporte pour la concepton. Celui-ci est séparé chez les autres femmes par la puissance de la femme mue par l’homme, mais, chez la bienheureuse Vierge, par la puissance du Saint-Esprit. Et cela n’amoindrit pas la raison de mère, car cette action est un préambule à la conception. |
[7988] Super Sent., lib. 3 d. 4
q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod pater est principium activum in generatione; et ideo ad esse patrem non sufficit quod materiam
ministret, sicut sufficit ad esse matrem. |
3. Le père est le principe actif de la génération. Aussi ne suffit-il pas que le père fournisse la matière, comme cela suffit pour être mère. |
[7989]
Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod licet spiritus sanctus plus fecerit active
in conceptione Christi quam beata virgo, non tamen potest dici pater: quia
non inveniuntur in eo conditiones quae requiruntur ad conditionem patris,
sicut quod ex sua substantia et similem sibi in specie filium producat, et
alia hujusmodi. |
4. Bien que l’Esprit Saint ait fait davantage pour la conception du Christ que la bienheureuse Vierge, il ne peut cependant pas être appelé père, car on ne trouve pas en lui les conditions qui sont requises pour la condition de père, comme le fait qu’il produise à partir de sa substance un fils semblable à lui selon l’espèce, et d’autres choses de ce genre. |
[7990] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod
filiatio respicit hypostasim consequentem ad generationem. Quamvis ergo
hypostasis filii Dei secundum generationem ejus aeternam non sit a virgine,
tamen secundum generationem ejus temporalem, ex ea est. |
5. La filiation concerne l’hypostase qui découle de la génération. Bien que l’hypostase du Fils de Dieu selon sa génération éternelle ne vienne pas de la Vierge, elle vient cependant d’elle selon sa génération temporelle. |
[7991]
Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod esse geniti est ab agente; mater autem non
est agens in generatione, sed pater; unde non oportet quod esse filii sit a
matre, sed a patre; et ideo philosophus dicit, quod in generatione mater dat
corpus, et pater formam a qua est esse. |
6. L’être de ce qui est engendré vient de l’agent. Or, la mère n’est pas l’agent dans la génération, mais le père. Il n’est donc pas nécessaire que l’être du fils vienne de la mère, mais du père. C’est pourquoi le Philosophe dit que, dans la génération, la mère donne le corps, et le père, la forme dont vient l’être. |
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Articulus 2 [7992] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2
tit. Utrum debeat dici mater Dei |
Article 2 – La bienheureuse Vierge doit-elle être appelée mère de Dieu ? |
[7993] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2
arg. 1 Ad secundum
sic proceditur. Videtur, quod
beata virgo non debeat dici mater Dei. Non enim est mater nisi secundum quod
ab ea accepit esse. Sed non accepit ab ea divinitatem, sed humanitatem. Ergo non debet
dici mater Dei, sed mater hominis. |
1. Il semble que la bienheureuse Vierge ne doive pas être appelée mère de Dieu. En effet, elle n’est mère que pour autant qu’il a reçu d’elle l’être. Or, il n’a pas reçu d’elle sa divinité, mais son humanité. Elle ne doit donc pas être appelée mère de Dieu, mais mère de l’homme. |
[7994]
Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, in Deo non differt Deus et deitas. Sed non potest dici
mater deitatis. Ergo nec potest dici mater Dei. |
2. En Dieu, il n’y a pas de différence entre Dieu et la divinité. Or, elle ne peut être appelée mère de la divinité. Elle ne peut donc pas être appelée mère de Dieu. |
[7995] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2
arg. 3 Praeterea,
Deus est commune tribus personis. Sed beata virgo non est mater patris neque
spiritus sancti. Ergo non debet dici mater Dei. |
3. Dieu est une réalité commune aux trois personnes. Or, la bienheureuse Vierge n’est pas la mère du Père ni du Saint-Esprit. Elle ne doit donc pas non plus être appelée mère de Dieu. |
[7996] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut naturam
produxit assumptam virgo generando, ita etiam produxit eam Deus creando. Sed
ratione naturae assumptae non dicimus Trinitatem creatricem Dei. Ergo nec debemus
dicere virginem matrem Dei. |
4. De même que la Vierge en engendrant a produit la nature assumée, de même Dieu l’a-t-il produite en créant. Or, en raison de la nature assumée, nous ne disons pas que la Trinité est créatrice de Dieu. Nous ne devons donc pas dire que la Vierge est la mère de Dieu. |
[7997] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2
arg. 5 Praeterea, magis debet concedi id quod
est verum per se quam id quod est verum per accidens. Sed in hoc nomine
Christus importatur humana natura, quam generando virgo per se produxit, quae
in hoc nomine Deus non importatur. Ergo magis debet dici mater Christi quam mater Dei. |
5. On doit davantage concéder ce qui est vrai par soi que ce qui est vrai par accident. Or, par ce nom « Christ », est signifiée la nature humaine que la Vierge a produite en engendrant, laquelle n’est pas comprise dans le nom de « Dieu ». Elle doit donc être plutôt appelée mère du Christ que mère de Dieu. |
[7998] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 s.
c. 1 Sed contra, Damascenus, dicit: theotocon,
idest Dei genitricem, vere et principaliter virginem praedicamus. |
Cependant, [1] [Jean] Damascène dit : « Nous affirmons que la Vierge est vraiment et principalement théotokos, c’est-à-dire mère de Dieu. » |
[7999] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 s.
c. 2 Praeterea, secundum Augustinum, talis
fuit illa unio quae Deum faceret hominem, et hominem Deum. Sed virgo genuit hominem. Ergo et genuit
Deum; ergo est mater Dei. |
[2] Selon Augustin, « cette union a été telle qu’elle a fait de Dieu un homme, et d’un homme, Dieu ». Or, la Vierge a engendré l’homme. Elle a donc engendré Dieu. Elle est donc la mère de Dieu. |
[8000] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 s.
c. 3 Praeterea, propter unionem naturarum
in persona una, vere dicimus Deum passum, quamvis hoc fuerit secundum humanam
naturam: et sic potest dici Deus vere ex virgine natus. Ergo etiam mater Dei dici potest. |
[3] En raison de l’union des natures en une seule personne, nous disons vraiment que Dieu a souffert, bien que cela ait été selon la nature humaine. On peut ainsi dire que Dieu est vraiment né de la Vierge. Elle peut donc être aussi appelée mère de Dieu. |
[8001] Super Sent., lib. 3 d. 4
q. 2 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod humanitas Christi et maternitas virginis adeo sibi connexa
sunt, ut qui circa unum erraverit, oporteat etiam circa aliud errare. Unde
quia Nestorius circa humanitatem errabat, aliam esse asserens in Christo
humanitatis et divinitatis personam, oportebat quod diceret virginem non
matrem Dei, sed hominis: quia secundum eum, Deus et homo non est unus
Christus. Quidam vero moderni errantes dicunt, non posse virginem dici matrem
Dei, ne mater patris et spiritus sancti intelligatur; concedunt tamen eam
esse matrem filii Dei. Sed hi trepidant timore ubi non est timor: quia
quamvis hoc nomen Deus commune sit tribus personis, potest tamen reddere
locutionem veram pro una persona, secundum quod dicitur, Deus generat; sicut
cum dicitur, homo currit, solo Petro currente. Unde simpliciter concedendum
est virginem esse matrem Dei, sicut confitemur Jesum esse verum Deum. |
Réponse. L’humanité du Christ et la maternité de la Vierge ont été à ce point unies, que celui qui a erré à propos de l’une doit nécessairement errer à propos de l’autre. Ainsi, parce que Nestorius errait à propos de l’humanité, en affirmant que la personne de l’humanité et celle de la divinité dans le Christ étaient différentes, il était nécessaire qu’il dise que la Vierge n’était pas la mère de Dieu, mais de l’homme, car, selon lui, Dieu et l’homme ne sont pas un seul Christ. Mais certains modernes se trompent en disant que la Vierge ne peut pas être appelée la mère de Dieu, de crainte qu’on n’entende qu’elle est la mère du Père et du Saint-Esprit ; ils concèdent cependant qu’elle est la mère du Fils de Dieu. Mais ceux-ci tremblent de crainte alors qu’il n’y a pas de crainte, car, bien que le nom de Dieu soit commun aux trois personnes, on peut cependant rendre vraie la formulation pour une personne, comme on dit que Dieu engendre ; ainsi on dit que l’homme court, alors que seul Pierre court. Il faut donc concéder tout simplement que la Vierge est la mère de Dieu, comme nous confesson que Jésus est vrai Dieu. |
[8002] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 ad
1 Ad primum ergo dicendum, quod quia una
persona est quae subsistit in humanitate et divinitate; ideo naturae
communicant sibi sua idiomata, idest proprietates, ut dicit Damascenus. Unde sicut dicuntur Judaei crucifixisse
dominum gloriae, quamvis non secundum quod est dominus gloriae; ita debet
dici, virgo est mater Dei, quamvis eum secundum divinitatem non genuerit. |
1. « Parce qu’une seule personne subsiste dans l’humanité et la divinité, les natures se communiquent donc leurs idiomes, c’est-à-dire leurs propriétés », comme le dit [Jean] Damascène. Ainsi, de même qu’on dit que les Juifs ont crucifié le Seigneur de gloire, bien que ce soit pas en tant que Seigneur de gloire, de même doit-on dire que la Vierge est la mère de Dieu, bien qu’elle ne l’ait pas engendré selon sa divinité. |
[8003] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 ad
2 Ad secundum dicendum, quod quamvis
deitas et Deus non differant re, differunt tamen secundum modum significandi:
quia deitas signat divinam naturam in abstracto; unde non potest supponere
pro persona; Deus autem quia signat naturam divinam per modum concreti, idest
habentem divinitatem, potest reddere locutionem veram pro supposito; et ideo,
quia beata virgo est mater filii Dei, potest dici mater Dei, non autem
divinitatis. |
2. Bien que la divinité et Dieu ne diffèrent pas en réalité, ils diffèrent cependant selon la manière de signifier, car la divinité signale la nature divine dans l’abstrait ; aussi ne peut-elle être le suppôt pour la personne. Mais parce que Dieu indique la nature divine de manière concrète, c’est-à-dire comme possédant la divinité, il peut rendre vraie la formulation pour le suppôt. Ainsi, parce que la bienheureuse Vierge est la mère du Fils de Dieu, elle peut être appelée la mère de Dieu, mais non de la divinité. |
[8004] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
quamvis Deus sit commune tribus, potest tamen reddere locutionem veram pro
uno eorum, ut dictum est; sicut cum dicitur, Deus generat, reddit locutionem
veram pro patre. |
3. Bien que « Dieu » soit commun aux trois [personnes], il peut cependant rendre vraie la formulation pour l’une d’entre elles, comme on l’a dit, comme lorsqu’on que Dieu engendre, il rend vraie la formulation pour le Père. |
[8005] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 ad
4 Ad quartum dicendum, quod Christum non
dicimus creaturam simpliciter, ut infra patebit; dicimus tamen simpliciter
eum natum; et ideo nativitas potest transferri ad Deum, et non creatio. Et praeterea nasci non est contra rationem
deitatis sicut creari. |
4. Nous ne disons pas que le Christ est tout simplement une créature, comme cela ressortira plus loin. Nous disons cependant tout simplement qu’il est né ; aussi la naissance peut-elle être reportée sur Dieu, mais non la création. De plus, naître n’est pas contraire à la raison de divinité, comme être créé. |
[8006] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 ad
5 Ad quintum dicendum, quod beata virgo
est vere mater Christi, non tamen dicimus eam christotocon, idest Christi
genitricem: quia hoc nomen inventum est a Nestorio ad abolendum nomen
theotocon: cum haereticis autem nec nomina debemus habere communia, ut dicit
Hieronymus super Oseae 3. |
5. La bienheureuse Vierge est vraiment la mère du Christ ; nous ne disons cependant pas qu’elle est christotokos, c’est-à-dire mère du Christ, car ce nom a été inventé par Nestorius pour abolir le nom théotokos, et que nous ne devons pas avoir les mêmes noms que les hérétiques, comme le dit Jérôme à propos de Os 3. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [La conception par rapport à la grâce du Christ]
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Prooemium |
Prologue |
[8007] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 pr. Deinde quaeritur de conceptione in
comparatione ad gratiam Christi, per quam facta est conceptio; et circa hoc
quaeruntur duo: 1 utrum illam conceptionem vel unionem aliqua merita
praecesserint; 2 utrum gratia sit illi homini naturalis. |
Ensuite, on s’interroge sur la conception par rapport à la grâce du Christ, par laquelle s’est réalisée la conception. À ce propos, deux questions sont posées : 1 – Cette conception ou union a-t-elle été précédée de mérites ? 2 – La grâce est-elle naturelle à cet homme ? |
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Articulus 1 [8008] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1
tit. Utrum illam
conceptionem aliqua merita praecesserunt in antiquis patribus |
Article 1 – Cette conception a-t-elle été précédée de mérites de la part des pères anciens ? |
[8009] Super Sent., lib.
3 d. 4 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod antiqui patres incarnationem meruerunt. Isa. 26, 8: in
semita judiciorum tuorum sustinuimus te. Sed ad judicium pertinet ut aliquid pro
meritis reddatur. Ergo adventus filii Dei in carnem quem sancti patres expectabant,
eis pro meritis reddendus erat. |
1. Il semble que les pères anciens aient mérité l’incarnation. Is 26, 8 : Nous avons été fidèles sur les sentiers de tes jugements. Or, il revient au jugement de rendre quelque chose pour des mérites. L’avènement du Fils de Dieu dans la chair que les saints pères attendaient devait donc leur être rendu pour leurs mérites. |
[8010] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, Psalm. 32, 22: fiat misericordia tua, domine,
super nos. Glossa: insinuatur desiderium prophetae de incarnatione et
meritum impletionis. |
2. À propos de Ps 32, 22 : Seigneur, que ta miséricorde soit sur nous ! la Glose dit : « Le désir de l’incarnation qu’avait le prophète et le mérite de son accomplissement sont suggérés. » |
[8011] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1
arg. 3 Praeterea, qui
meretur aliquid, meretur et hoc sine quo non potest illud haberi: alias
meritum cassum esset. Sed sancti patres merebantur vitam aeternam, ad quam
pervenire non poterant nisi filio Dei veniente. Ergo merebantur ejus
incarnationem. |
2. Celui qui mérite quelque chose mérite aussi ce sans quoi cela ne peut être obtenu, autrement, le mérite serait vain. Or, les saints pères méritaient la vie éternelle, à laquelle ils ne pouvaient parvenir que par la venue du Fils de Dieu. Ils méritaient donc son incarnation. |
[8012] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1
arg. 4 Praeterea,
oratio quae fit ab aliquo pure et perseveranter, pro se, et ad salutem
pertinens, meretur sui impletionem. Sed sancti patres hoc modo orabant pro
incarnatione, ut patet Isa. 64, 1: utinam dirumperes caelos, et
descenderes. Ergo eam
merebantur. |
3. La prière qui est faite par quelqu’un pour lui-même d’une manière pure et persévérante et qui se rapporte au salut mérite son accomplissement. Or, les saints père priaient de cette manière pour l’incarnation, comme cela ressort de Is 64, 1 : Puisses-tu ouvrir les cieux et descendre ! Ils la méritaient donc. |
[8013] Super Sent., lib. 3 d. 4
q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, nos per fidem operantem per dilectionem, quam habemus de
vita aeterna quam expectamus, meremur eam. Sed similiter antiqui patres
habebant fidem per dilectionem operantem de incarnatione. Ergo eam merebantur. |
4. Nous méritons la vie éternelle que nous attendons par la foi agissant par l’amour. Or, les anciens pères avaient de la même manière la foi agissant par l’amour envers l’incarnation. Ils la méritaient donc. |
[8014] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1
arg. 6 Praeterea, hoc
videtur ad minus de beata virgine de qua cantatur: quae dominum omnium
portare meruisti. |
5. Cela semble être le cas au moins pour la bienheureuse Vierge, de laquelle on chante : « Toi qui as mérité de porter le Seigneur. » |
[8015] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1
arg. 7 Praeterea,
Bernardus dicit, quod fermentum quod mulier abscondit sub tribus farinae
satis, est fides beatae virginis, quae tres substantias in unam personam
conjunxit. Sed hoc non
potuit facere nisi per modum meriti. Ergo beata virgo meruit incarnationem
per eam fieri. |
6. Bernard dit que « le ferment que la femme cache dans trois mesures de farine est la foi de la bienheureuse Vierge, qui a uni trois substances en une seule personne ». Or, elle n’a pu faire cela que par mode de mérite. La bienheureuse Vierge a donc mérité que l’incarnation se réalise par elle. |
[8016] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 s.
c. 1 Sed contra, ad
Tit. 3, 4: apparuit benignitas et humanitas salvatoris nostri Dei non ex
operibus justitiae quae fecimus nos. Sed benignitatem nominat apostolus
ostensam in Christi incarnatione. Ergo non est secundum merita. |
Cependant, [1] Tt 3, 4 dit : La bonté et l’humanité de Dieu, notre Sauveur, ne viennent pas des œuvres de justice que nous avons accomplies. Or, l’Apôtre parle de la bonté manifestée dans l’incarnation du Christ. Elle ne dépend donc pas des mérites. |
[8017] Super Sent., lib. 3 d. 4
q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, ad hoc est quod Augustinus dicit in littera. |
[2] Ce que dit Augustin dans le texte va dans ce sens. |
[8018] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 s.
c. 3 Praeterea, incarnatio Christi est
beneficium impensum toti naturae. Sed meritum nullius hominis praeter meritum
Christi, extendit se ad totam naturam. Ergo sancti patres non meruerunt incarnationem. |
[3] L’incarnation du Christ est un bienfait imparti à la nature entière. Or, le mérite d’aucun homme, à part le mérite du Christ, ne s’étend à la nature entière. Les saints pères n’ont donc pas mérité l’incarnation. |
[8019] Super Sent., lib. 3 d. 4
q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod Augustinus videtur intendere in littera quod
nulla merita illius
hominis praecesserint, ut filio Dei in persona uniretur: nihilominus tamen
verum est quod nulla merita etiam aliorum, filii Dei incarnationem meruerunt,
proprie loquendo, propter tres rationes. Prima est quod meritum puri hominis non extendit se ad totam naturam,
sicut supra dictum est, dist. 1, qu. 1, art. 2 ad 9; unde cum incarnatio sit quoddam medicamentum
totius naturae, non potest sub merito alicujus cadere. Secunda autem ratio
est, quia illud quod est principium merendi, non potest cadere sub merito;
incarnatio autem est quodammodo principium omnium humanorum meritorum: quia
omnia nostra merita a Christo efficaciam habent, per quem veritas et gratia
facta est. Tertia ratio
est, quia meritum humanum non se extendit ultra conditionem humanam, quae in
hoc consistit ut quis mereatur aliquam divinitatis et beatitudinis
participationem. Sed quod tota plenitudo divinitatis habitet in homine, hoc
excedit et conditionem et meritum humanum. Unde nullo modo potest cadere sub
merito, nisi large meritum dicamus omnem praeparationem ad aliquid habendum
quod praecessit in humano genere. |
Réponse. Augustin semble vouloir dire, dans le texte, qu’aucun mérite de la part de cet homme n’a précédé pour qu’il soit uni dans la personne du Fils de Dieu ; néanmoins, il est néanmoins vrai qu’aucun mérite, même de la part d’autres personnes, n’a mérité l’incarnation du Fils de Dieu au sens propre, pour trois raisons. La première est que le mérite d’un pur homme ne s’étend pas à la nature entière, comme on l’a dit plus haut, d’ 1, q. 1, a. 2, ad 9. Puisque l’incarnation est un remède pour la nature entière, elle ne peut donc tomber sous le mérite de quelqu’un. La deuxième raison est que ce qui est le principe du mérite ne peut tomber sous le mérite. Or, l’incarnation est, d’une certaine manière, le principe de tous les mérites humains, car tous nos mérites tirent leur efficacité du Christ, par lequel la vérité et la grâce se sont accomplies. La troisième raison est que le mérite humain ne s’étend pas au dehors de la condition humaine, qui consiste en ce que quelqu’un mérite une certaine participation à la divinité et à la béatitude. Or, que toute la plénitude de la divinité habite dans un homme, cela dépasse la condition humaine et le mérite humain. Cela ne peut donc aucunement tomber sous le mérite, à moins que nous n’appellions mérite toute préparation pour obtenir quelque chose qui a précédé dans le genre humain. |
[8020] Super Sent., lib.
3 d. 4 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod per judicium redditur aliquid alicui quod prius sibi debebatur.
Nobis autem non debebatur
filii incarnatio quasi ex merito, sed ex divina promissione; et quantum ad
hoc salvatur ratio judicii. |
1. Par le jugemeent, quelque chose qui lui était d’abord dû est rendu à quelqu’un. Or, l’incarnation du Fils ne nous était pas due pour ainsi dire selon un mérite, mais selon une promesse divine. Sous cet aspect, la raison de jugement est sauvegardée. |
[8021] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod Glossa illa loquitur de merito congrui, et non de merito
condigni, quod proprie dicitur meritum. Vel dicendum quod completio
incarnationis consistit in ultimo effectu ejus, scilicet in ultima
reparatione humani generis, quae aliquo modo cadebat sub merito, maxime
secundum quod reparationis terminus consistit in perventione ad vitam
aeternam. |
2. Cette glose parle du mérite de convenance, et non du mérite de ce qui est dû, qui est appelé mérite au sens propre. Ou bien il faut dire que l’accomplissement de l’incarnation consiste dans son effet ultime : la restauration ultime du genre humain, qui tombait d’une certaine manière sous le mérite, surtout selon que le terme de la restauration consiste dans l’atteinte de la vie éternelle. |
[8022] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 ad
3 Ad tertium
dicendum, quod aliqua sunt sine quibus vita aeterna haberi non potest, quae
sunt concomitantia ipsam, sicut visio Dei, et impassibilitas; et de his verum
est quod meretur ea qui meretur vitam aeternam. Quaedam vero sunt quae sunt
ducentia ad vitam aeternam sicut principia merendi; et talia non cadunt sub
merito, sicut gratia, et hujusmodi; et inter illa potest computari incarnatio
filii. Vel dicendum, quod sine incarnatione poterat perveniri ad vitam
aeternam: quia fuit alius modus possibilis nostrae salutis, ut dicunt sancti. |
3. Il existe certaines choses sans lesquelles la vie éternelle ne peut être possédée et qui l’accompagnent, comme la vision de Dieu et l’impassibilité. Il est vrai de dire de ces choses que celui qui mérite la vie éternelle les mérite. Mais il existe d’autres choses qui conduisent à la vie éternelle en tant qu’elles sont les principes du mérite. Ces choses ne tombent pas sous le mérite, comme la grâce et les choses de ce genre. Parmi elles, on peut compter l’incarnation du Fils. Ou bien il faut dire que, sans l’incarnation, on pouvait parvenir à la vie éternelle, car il existait un autre moyen possible pour notre salut, comme le disent les saints. |
[8023] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 ad
4 Ad quartum
dicendum, quod ipsi non petebant incarnationem, quam indubitanter credebant
futuram; sed petebant ejus accelerationem. Vel dicendum, quod non petebant
pro se, quia non petebant aliquid fiendum in ipsis petentibus. |
4. Ils ne demandaient pas l’incarnation,
qu’ils savaient devoir arriver sans aucun doute, mais ils demandaient qu’elle
soit accélérée. Ou bien il faut dire qu’ils ne la demandaient pas pour
eux-mêmes, car ils ne demandaient pas que quelque chose soit accompli pour
ceux qui demandaient. |
[8024] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod
quamvis mereamur vitam aeternam per fidem operantem per dilectionem, non
tamen oportet hoc dicere de incarnatione: quia vita aeterna est beneficium
praestitum tantum personae merentis, incarnatio autem beneficium praestitum
toti humanae naturae. |
5. Bien que nous méritions la vie éternelle par la foi agissant par l’amour, on ne doit cependant pas dire cela de l’incarnation, car la vie éternelle est un bienfait accordé seulement à la personne qui la mérite, mais l’incarnation est un bienfait accordé a la nature humaine tout entière. |
[8025] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 ad
6 Ad sextum dicendum, quod beata virgo
non meruit incarnationem; sed praesupposita incarnatione meruit quod per eam
fieret, non quidem merito condigni, sed merito congrui, inquantum decebat
quod mater Dei esset purissima et perfectissima virgo. |
6. La bienheureuse Vierge n’a pas mérité l’incarnation, mais, l’incarnation étant présupposée, elle a mérité qu’elle s’accomplisse par elle, non pas selon un mérite de ce qui est dû, mais selon un mérite de convenance, pour autant qu’il convenait que la mère de Dieu soit la vierge la plus pure et la plus parfaite. |
[8026] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 ad 7 Et per hoc patet etiam
solutio ad alia. |
7. La solution des autres arguments ressort ainsi clairement de cela. |
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Articulus 2 [8027] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2
tit. Utrum gratia
sit naturalis illi homini |
Article 2 – La grâce est-elle naturelle à cet homme ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La grâce est-elle naturelle à cet homme ?] |
[8028] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod
gratia non sit illi homini naturalis. Gratia enim et natura dividuntur ex
opposito. Sed unum oppositorum non denominat aliud. Ergo gratia non debet
dici naturalis. |
1. Il semble que la grâce ne soit pas naturelle à cet homme. En effet, la grâce et la nature se distinguent comme des contraires. Or, l’un des contraires ne désigne pas l’autre. La grâce ne doit donc pas être appelée naturelle. |
[8029] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2
qc. 1 arg. 2 Praeterea,
naturale est quod ex principiis naturae causatur, sicut igni ferri sursum.
Sed ex humana natura non causatur gratia. Ergo non debet dici naturalis. |
2. Est naturel ce qui est causé par les principes de la nature, comme pour le feu d’être porté vers le haut. Or, la grâce n’est pas causée par la nature humaine. Elle ne doit donc pas être appelée naturelle. |
[8030] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
Christus est ejusdem naturae cum aliis hominibus. Sed aliis hominibus gratia
non est naturalis. Ergo nec sibi. |
3. Le Christ a la même nature que les autres hommes. Or, la grâce n’est pas naturelle aux autres hommes. Elle ne l’est donc pas pour lui non plus. |
[8031] Super Sent., lib. 3 d. 4
q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, per naturalia non meremur. Sed Christus meruit per gratiam quam
habuit, ut infra dicetur, dist. 18, art. 2, 3, 4, 6. Ergo non fuit ei naturalis. |
4. Nous ne méritons pas par ce qui est naturel. Or, le Christ a mérité par la grâce qu’il avait, comme on le dira plus loin, d. 18, aa. 2, 3, 4, 6. Elle ne lui était donc pas naturelle. |
[8032] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, causae
proximae rerum naturalium sunt naturales. Sed Christus per gratiam est naturalis filius. Ergo gratia est ei
naturalis. |
Cependant, les causes prochaines des choses naturelles sont naturelles. Or, le Christ est par grâce le Fils naturel. La grâce lui est donc naturelle. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il été corporellement rempli par la grâce divine ou par la divinité ?] |
[8033] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod Christus divina gratia vel divinitate non sit repletus corporaliter,
quod in littera dicitur. Omne enim quod est in aliquo corporaliter, est in eo
per circumscriptionem. Sed divinitas non potest esse circumscripta. Ergo non
potest habitare in Christo corporaliter. |
1. Il semble que le Christ n’ait pas été corporellement rempli par la grâce ou par la divinité, comme il est dit dans le texte [du Maître]. En effet, tout ce qui se trouve corporellement dans quelqu’un est en lui de manière circonscrite. Or, la divinité ne peut pas être circonscrite. Elle ne peut donc habiter corporellement dans le Christ. |
[8034] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
Deus magis elongatur a corporeitate quam Angelus, qui in comparatione Dei
corporeus est, ut dicit Damascenus Lib. 1 de fide, cap. 3. Sed Angelus non est in
aliquo loco, vel corpore, corporaliter. Ergo multo minus divinitas. |
2. Dieu est plus éloigné de la corporéité que l’ange, qui, par comparaison avec Dieu, est corporel, comme le dit [Jean] Damascène, Sur la foi, I, 3. Or, l’ange n’est pas corporellement dans un lieu ou dans un corps. Donc, encore bien moins la divinité. |
[8035] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2
qc. 2 arg. 3 Praeterea,
deitas in homine non habitat nisi per gratiam. Sed gratia non est in corpore.
Ergo deitas non potest habitare in aliquo corporaliter. |
3. La divinité n’habite dans l’homme que par la grâce. Or, la grâce n’habite pas dans un corps. La divinité ne peut donc pas habiter corporellement dans quelqu’un. |
[8036] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2
qc. 2 s. c. 1 Sed contra,
divinitas juncta est toti humanae naturae. Sed corpus est pars humanae
naturae. Ergo unita est corpori; ergo habitat in Christo etiam corporaliter. |
Cependant, la divinité a été unie à la nature humaine tout entière. Or, le corps est une partie de la nature humaine. Elle a donc été unie au corps. Elle habite donc dans le Christ, même corporellement. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[8037] Super Sent., lib.
3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod de gratia Christi possumus
loqui dupliciter: aut de gratia unionis, aut de gratia habituali, qua anima
ejus perfecta est. Gratia autem unionis dicitur Christo naturalis, quia
ordinatur ad unionem in personam divinam, secundum quod ille homo dicitur
naturalis filius patris. Gratia vero habitualis potest etiam dici Christo
naturalis dupliciter. Uno modo quia ad modum proprietatum naturalium se
habet, quae suum subjectum inseparabiliter consequuntur. Alio modo quia ex altera
suarum naturarum causatur, scilicet ex divina natura, non autem ex humana. |
Nous pouvons parler de la grâce du Christ de deux manières : soit de la grâce d’union, soit de la grâce habituelle, par laquelle son âme a été perfectionnée. Or, la grâce d’union est dite naturelle pour le Christ parce qu’elle est ordonnée à l’union dans la personne divine ; en conséquence, cet homme est appelé le Fils naturel du Père. Mais la grâce habituelle peut aussi être dite naturelle pour le Christ de deux manières. D’une manière, parce qu’elle se comporte à la manière des propriétés qui découlent inséparablement de leur sujet. D’une autre manière, parce qu’elle est causée par l’une de ses deux natures, la nature divine, mais non par sa nature humaine. |
[8038] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod gratia unionis dicitur quidem gratia quantum ad causam, quia
eam nulla merita praecesserunt; sed dicitur naturalis quantum ad effectum,
quod est esse filium naturalem, ut dictum est. Gratia autem habitualis
dicitur gratia ratione humanae naturae; naturalis ratione divinae, vel
ratione humanae naturae inquantum inseparabiliter inest. |
1. La grâce est appelée grâce quant à sa cause, car aucun mérite ne l’a précédée. Mais elle est appelée naturelle quant à son effet, qui consiste à être le Fils naturel, comme on l’a dit. Mais la grâce habituelle est appelée grâce en raison de la nature humaine, mais elle est appelée naturelle en raison de la nature divine, ou en raison de la nature humaine pour autant que celle-ci existe en lui de manière inséparable. |
[8039] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 Et per hoc patet solutio
ad alia. |
La solution des autres arguments ressort clairement de cela. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[8040] Super Sent., lib.
3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad id quod ulterius quaeritur, dicendum quod plenitudo divinitatis
dicitur corporaliter habitare in Christo tripliciter. Primo modo quia deitas
non tantum animae, sed etiam carni unita est. Secundo per similitudinem ad
tres dimensiones corporis, quia divinitas est tribus modis in Christo. Uno
modo generali, sicut est in omnibus creaturis, per essentiam, praesentiam et
potentiam; et in hoc consistit quasi longitudo. Alio modo speciali, prout est
in sanctis per gratiam; per quam est latitudo caritatis. Tertio modo in proprio
filio, scilicet per unionem; in quo est sublimitas et profundum. Tertio
dicitur corporaliter habitare ad similitudinem corporis, secundum quod
dividitur contra umbram. In sacramentis enim veteris legis fuit quasi in
umbris et signis, Heb. 10, 1: umbram habens lex futurorum bonorum: in
Christo autem secundum rem et veritatem; unde Christus se habet ad illas
figuras sicut corpus ad umbram. |
On dit que la plénitude de la divinité habite corporellement dans le Christ de trois manières. Premièrement, parce que la divinité est unie non seulement à l’âme, mais aussi à la chair. Deuxièmement, par ressemblance avec les trois dimensions du corps, parce que la divinité existe dans le Christ de trois manières : d’une manière générale, comme elle existe dans toutes les créatures par son essence, par sa présence et par sa puissance – il s’agit pour ainsi dire de la longueur ; d’une manière spéciale, pour autant qu’elle est présente dans les saints – il s’agit de la largeur de la charité ; de la troisième manière, dans le Fils lui-même, c’est-à-dire par l’union – il s’agit de la hauteur et de la profondeur. Troisièmement, on dit que [la divinité] habite corporellement par ressemblance avec un corps, selon qu’il s’oppose à l’ombre. En effet, il se trouvait dans les sacrements de la loi ancienne comme par des ombres et des signes, He 10, 1 : La loi était comme l’ombre des biens à venir. Mais, dans le Christ, elle existe en vérité et en réalité. Aussi le Christ est-il, par rapport à ces figures, comme le corps par rapport à l’ombre. |
[8041] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
corporaliter secundum primam expositionem non dicit modum existendi
divinitatem in Christo, sed magis id cui divinitas conjungitur; secundum
autem alios modos est similitudinarie dictum. |
1. Selon la première explication, « corporellement » n’indique pas une manière d’exister dans le Christ pour la divinité, mais plutôt ce à quoi la divinité est unie. Mais, selon les autres modes, le mot est employé par mode de similitude. |
[8042] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 Unde patet solutio ad
secundum. |
2. Ainsi ressort la solution du deuxième argument. |
[8043] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2
qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in aliis
hominibus sanctis est Deus per gratiam acceptationis, sive habitualem, quae
est tantum in anima; in Christo autem est per gratiam unionis, quae est ad
animam et corpus. |
3. Dieu se trouve chez les autres hommes saints par la grâce d’acceptation ou habituelle, qui se trouve seulement dans l’âme. Mais, dans le Christ, il se trouve par la grâce d’union, qui englobe l’âme et le corps. |
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Expositio textus |
Explication du texte
de Pierre Lombard, Dist. 4
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[8044] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2
qc. 2 expos. Uno nominato tres intelliguntur. Contra. Dicimus filium Dei incarnatum, quod non intelligitur de patre et
spiritu sancto. Et dicendum, quod hoc est intelligendum de his quae ad
essentiam pertinent: quorum si aliquid de una tantum persona dicatur, oportet
quod de alia intelligatur. Non est autem concedendum, quidquid de aliqua
re nascitur, continuo ejusdem rei filium nuncupandum. Sciendum est ergo,
quod haec praepositio ex denotat causam efficientem, vel materialem. Ad hoc
autem quod aliquid natum ex aliquo materialiter, filiationis nomen accipiat,
oportet quod in similitudinem speciei producatur cum eo ex quo nascitur,
sicut filius matri; et ideo capilli et lumbricus non dicuntur filii ejus ex
quo materialiter nascuntur. Ad hoc etiam quod aliquid natum de alio active
dicatur filius ejus, oportet quod producatur de substantia agentis, et in
similitudinem ejusdem speciei, et quod non sit agens instrumentale, sed
principale. Primae autem duae conditiones deficiunt in spiritu sancto; unde
Christus non potest dici filius ejus. Secunda autem et tertia deficiunt in
aqua: quia renatus spiritualiter non assumit similitudinem aquae, sed
similitudinem Dei; et aqua est instrumentum divinae virtutis operantis in eo:
tamen Dionysius, 2 cap. Eccles. Hierarch., vocat aquam Baptismi matrem filialitatis:
sed non proprie dicitur. Dicuntur filii Gehennae. Sciendum, quod hoc
dicitur secundum modum loquendi consuetum in Scripturis, ut illud quod magnam
habet affinitatem ad alterum, filius ejus dicatur; sicut Isai. 5, 1, dicitur:
in cornu filio olei; idest in monte, ubi abundat oleum; et similiter,
1 Reg. 26, dixit David de Abner, quod filius mortis esset, quia mortem valde
merebatur. Conceptus et natus de spiritu sancto. Quamvis utrumque
horum possit dici et de spiritu sancto et de matre; tamen magis proprie
dicitur conceptus de spiritu sancto, quia conceptionem in instanti spiritus
sanctus operatus est; natus autem magis proprie dicitur de matre, quae eum ex
utero produxit: unde in symbolo dicitur conceptus de spiritu sancto, natus ex
Maria virgine. Factum ex semine David: Roman. 1. Contra. Damascenus, 3
Lib., cap. 2: non seminaliter, sed conditive per spiritum sanctum. Ad
quod dicendum, quod Damascenus loquitur quantum ad proximam Christi
generationem ex virgine; verbum autem apostoli intelligendum est quantum ad
remotos parentes, ex quibus seminaliter mater Christi processit. Cum aliud
sit fieri, aliud nasci. Contra. Fieri videtur esse commune ad omnem
productionem, qua aliquid incipit esse. Ad quod dicendum, quod hoc est verum
de facere, secundum quod communiter sumitur: proprie tamen dicitur facere,
exercere aliquam actionem in exteriorem materiam, secundum quod dicit
philosophus in 6 Ethic., quod ars est recta ratio agibilium. Unde ad
ostendendum quod conceptio Christi est ex principio agente extrinseco, non
naturaliter agente, sicut est in nostra conceptione, ideo dicit apostolus eum
factum; quamvis et natus et conceptus dici possit quantum est ex parte
matris. |
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Distinctio 5 |
Distinction 5 – [Ce
qui assume et ce qui est assumé ont-ils raison de nature ou de personne ?]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Qu’est-ce que l’union ?]
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Prooemium |
Prologue |
[8045] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 pr.
Postquam determinavit Magister circa incarnationem divinam, quid sit
assumens, et quid assumptum; hic determinat de utroque simul cujusmodi sit
quantum ad intentiones eorum, utrum scilicet assumens et assumptum habeant
rationem naturae vel personae; et dividitur in tres partes: in prima movet
quaestionem; in secunda determinat eam, ibi: haec inquisitio, sive
quaerendi ratio, juxta sacrarum auctoritatum testimonia, partim implicita
atque perplexa, partim vero explicita est et aperta; in tertia movet
quasdam dubitationes, ibi: sed quaeritur, utrum eadem divina natura debeat
dici caro facta sicut dicitur verbum factum caro. Prima dividitur in
duas: primo determinat quaestionem quantum ad id quod manifestat veritatem;
secundo quantum ad id quod est magis dubium in quaestione, ibi: de quarto
vero quaestionis articulo scrupulosa etiam inter doctos quaestio est. Et
haec pars dividitur in tres: in prima ponit auctoritates ad utramque partem
dubitationis; in secunda solvit, ibi: nos autem omnis mendacii et
contradictionis notam a sacris paginis secludere cupientes, orthodoxis
patribus (...) consentimus; in tertia solutionem per auctoritates
Damasceni confirmat, ibi: qui sensus ex verbis Joannis Damasceni
confirmatur. Circa primum tria facit: primo inducit auctoritatem ad
partem negativam, scilicet quod natura non assumpsit naturam; secundo ad
partem affirmativam, ibi: cui videtur obviare quod Augustinus ait;
tertio ex auctoritatibus inductis colligit dubitationem, ibi: ex verbis
autem Augustini (...) innui videtur, solum verbum carnem factum. Sed quaeritur utrum eadem
divina natura debeat dici caro facta sicut verbum dicitur factum caro. Hic movet quasdam
dubitationes circa praedictam determinationem: et primo quantum ad hoc quod
dixit naturam divinam incarnatam; secundo quantum ad hoc quod dixit personam
non esse assumptam, ibi: ideo vero non personam hominis assumpsit, quia
caro illa et anima illa non erant unita in unam personam quam assumpserit.
Circa primum duo facit: primo quaerit, utrum divina natura possit dici caro
facta; secundo utrum possit dici facta homo, ibi: si autem natura divina
naturam hominis accepit, quare non dicitur facta homo ? Ideo vero non
personam hominis assumpsit et cetera. Hic movet dubitationes circa hoc
quod dictum est personam hominis non esse assumptam; et circa hoc duo facit:
primo assignat hujus dicti causam; secundo objicit in contrarium, ibi: hic
a quibusdam opponitur. Et dividitur
haec pars in duas objectiones, quas ponit; secunda incipit, ibi: aliter
quoque nituntur probare, verbum Dei assumpsisse personam. Et utraque
dividitur in objectionem et solutionem; prima solutio incipit ibi: quod
ideo non sequitur, quia anima non est persona, quando alii rei est unita
personaliter; secunda ibi: quia nefas est hoc dicere. Hic est
triplex quaestio. Prima est de unione. Secunda de assumente unionem. Tertia de assumpto. Circa
primum quaeruntur tria: 1 quid sit unio; 2 utrum unio sit facta in natura; 3
utrum sit facta in persona. |
Après avoir déterminé, à propos de l’incarnation, ce qui assumait et ce qui était assumé, le Maître détermine ici des deux en même temps pour ce qui est de leurs intentions : ce qui assume et ce qui est assumé a-t-il raison de nature ou de personne ? Il y a trois parties. Dans la première, il soulève la question. Dans la deuxième, il en détermine, à cet endroit : « Cette question ou la raison de cette question est en partie implicite et obscure selon les témoignages des saintes autorités, et en partie explicite et manifeste. » Dans la troisième, il soulève certains doutes, à cet endroit : « Mais on se demande si on doit dire que cette même nature divine s’est faite chair, comme on dit que le Verbe s’est fait chair. » La première partie se divise en deux : premièrement, il détermine de la question pour ce qui est de la mise en lumière de la vérité ; deuxièmement, pour ce qui est plus douteux dans la question, à cet endroit : « À propos du quatrième élément de la question, les docteurs soulèvent une question minutieuse. » Cette partie se divise en trois parties. Dans la première, il présente des autorités pour les deux parties de la question. Dans la deuxième, il résout la question, à cet endroit : « Mais nous, désireux d’écarter de la Sainte Écriture toute indication de mensonge et de contradiction, nous donnons notre accord… aux pères orthodoxes. » Dans la troisième partie, il confirme la solution par des autorités de [Jean] Damascène, à cet endroit : « Ce sens est confirmé par les paroles de Jean Damascène. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il invoque une autorité pour la partie négative, à savoir que la nature n’a pas assumé la nature ; deuxièmement, pour la partie positive, à cet endroit : « À cela semble s’opposer ce que dit Augustin » ; troisièmement, il tire un doute des autorités invoquées, à cet endroit : « Par les paroles d’Augustin…, on semble suggérer que seul le Verbe s’est fait chair. » « Mais on se demande si on doit dire que cette même nature divine s’est faite chair, comme on dit que le Verbe s’est fait chair. » Ici, il soulève quelques doutes à propos de la détermination mentionnée : premièrement, parce qu’il a dit que la nature divine s’est incarnée ; deuxièmement, parce qu’il a dit que la personne n’a pas été assumée, à cet endroit : « C’est pourquoi il n’a pas vraiment assumé la personne d’un homme, car cette chair et cette âme n’étaient pas unies dans la personne unique qu’il a assumée. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il se demande si on peut dire que la nature divine s’est faite chair ; deuxièmement, si on peut dire qu’elle s’est faite homme, à cet endroit : « Mais si la nanture divine a reçu la nature de l’homme, pourquoi ne dit-on pas qu’elle s’est faite homme ? » « C’est pourquoi il n’a pas assumé la personne de l’homme, etc. » Ici, il soulève des doutes à propos de ce qui a été dit, à savoir que la personne de l’homme n’a pas été assumée. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il indique la cause de ce qui a été dit ; deuxièmement, il fait une objection en sens contraire, en cet endroit : « Ici, certains soulèvent une objection. » Cette partie se divise en deux objections qu’il présente ; la seconde commence à cet endroit par : « Ils s’efforcent par ailleurs de montrer que le Verbe de Dieu a assumé la personne. » Les deux parties se divisent en objection et réponse : la première réponse commence à cet endroit : « Ce qui n’est pas concluant, car l’âme n’est pas la personne lorsqu’elle est unie personnellemenet à une autre chose » ; la seconde [commence] à cet endroit : « Parce qu’on ne doit pas dire… » Ici, il y a trois questions. La première porte sur l’union. La deuxième, sur celui qui assume l’union. La troisième, sur ce qui est assumé. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1 – Qu’est-ce que l’union ? 2 – L’union s’est-elle réalisée dans la nature ? 3 – L’union s’est-elle réalisée dans la personne ? |
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Articulus 1 [8046] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1
tit. Utrum unio sit
aliquid creatum |
Article 1 – L’union est-elle quelque chose de créé ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [L’union est-elle une créature ?] |
[8047] Super Sent., lib.
3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod unio
non sit aliqua creatura. Unio enim est in eo quod per eam unum dicitur. Sed divina
natura dicitur unita humanae. Ergo unio est in divina natura. Sed nihil est
in Deo creatum. Ergo unio non est aliquid creatum. |
1. Il semble que l’union ne soit pas une créature. En effet, l’union se trouve chez ce qui est appelé un en raison d’elle. Or, on dit que la nature divine a été unie à la nature humaine. L’union se trouve donc dans la nature divine. Or, il n’existe rien de créé en Dieu. L’union n’est donc pas quelque chose de créé. |
[8048] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 2 Praeterea,
unio est relativum aequiparantiae. Sed hujusmodi relativa similiter se habent
ad utrumque extremum. Ergo vel est in divina natura et humana; et sic idem
quod prius: vel in neutra; et sic nusquam est, et ita non esset creatura. |
2. L’union est une relation d’égalité. Or, les relatifs de ce genre portent toujours sur les deux extrêmes. Elle se trouve donc soit dans la nature divine, soit dans la nature humaine : on a ainsi la même conclusion que précédemment ; ou elle ne se trouve en aucune : elle n’existe alors jamais, et ainsi elle ne serait pas créée. |
[8049] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 3 Praeterea, nihil creatum dicitur de
Deo nisi vel per causam, ut cum dicitur aliquid scire, quia facit nos scire;
vel per assumptionem, ut cum dicitur homo; vel per similitudinem, ut cum
dicitur leo vel agnus Dei. Sed cum
dicitur divina natura unita humanae naturae, hoc non tantum per causam
dicitur, quia sic pater diceretur unitus, quia hanc facit unionem: nec per
assumptionem; quia si assumpsit unionem, aliqua unio esset Dei ad unionem, et
sic in infinitum: nec iterum per similitudinem, quia tunc unio non diceretur
secundum veritatem rei, sed secundum metaphoram; et sic Deus homo diceretur
metaphorice, sicut dicitur leo vel agnus. Ergo unio non est quid creatum. |
3. On n’affirme rien de créé de Dieu, sinon en tant qu’il est cause, comme lorsqu’on dit qu’il connaît quelque chose parce qu’il nous fait connaître ; ou en vertu de l’assomption, comme lorsqu’on l’appelle un homme ; ou par ressemblance, comme lorsqu’on l’appelle un lion ou l’agneau de Dieu. Or, lorsqu’on dit que la nature divine a été unie à la nature humaine, cela n’est pas affirmé seulement selon la cause, car ainsi on dirait que le Père est uni, puisqu’il réalise cette union ; ni en vertu de l’assomption, car s’il assumait l’union, il existerait une union de Dieu à l’union, et ainsi à l’infini ; ni en vertu d’une ressemblance, car on ne parlerait pas alors de l’union selon la vérité de la chose, mais selon une métaphore ; ainsi Dieu serait appelé un homme métaphoriquement, comme il est appelé un lion ou un agneau. L’union n’est donc pas quelque chose de créé. |
[8050] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
omne quod est et non est creatum, est aeternum. Sed unio est, quia per eam
secundum rem unitae sunt duae naturae in una persona, et non est ab aeterno,
sed in tempore incepit. Ergo est creatum. |
Cependant, tout ce qui existe sans être créé est éternel. Or, l’union existe, car, en vertu d’elle, deux natures sont unies dans une seule personne, et cela n’existe pas depuis l’éternité, mais a commencé dans le temps. Cela est donc créé. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [S’agit-il de la moindre des unions ? ] |
[8051] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur, quod sit minima
unionum. Quia quanto unita magis distant, tanto est minor unio. Sed divina natura et humana quae dicuntur
unita, maxime distant. Ergo unio est minima. |
1. Il semble qu’elle soit la moindre des unions, car plus des choses unies sont distantes, moindre est l’union. Or, la nature divine et la nature humaine, dont on dit qu’elles sont unies, sont au plus haut point distantes. L’union est donc la moindre. |
[8052] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 2 Praeterea, quanto major est
compositio, tanto minor unio. Sed in Christo est maxima compositio: quia post
compositionem quam natura facit in homine, quae est maxima inter omnes naturales
compositiones, est ibi conjunctio divinitatis et humanitatis. Ergo est ibi minima unio. |
2. Plus grande est la composition, plus petite est l’union. Or, dans le Christ, existe la plus grande composition, car, après la composition que la nature réalise dans l’homme, qui est la plus grande de toutes les compositions naturelles, il y a là l’union de la divinité et de l’humanité. L’union est donc là la moindre. |
[8053] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 3 Praeterea,
quod est omnibus modis unum, est magis unum quam quod est quodammodo unum, et
quodammodo non. Sed quaedam sunt unita et in natura et in persona, sicut
quatuor elementa in corpore humano. Cum igitur in Christo facta sit unio in
persona, et non in natura, videtur quod ad minus multae uniones sint majores
ista unione. |
3. Ce qui est un sous tous les modes est plus un que ce qui est un d’une certaine manière, et non d’une autre. Or, certaines choses sont unies et dans la nature et dans la personne, comme les quatre éléments dans le corps humain. Puisque l’union dans le Christ a été réalisée dans la personne, et non dans la nature, il semble donc qu’il existe au moins plusieurs unions plus grandes que cette union. |
[8054] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1
qc. 2 s. c. 1 Sed contra
est, quod dicit Bernardus in libro de consideratione, quod inter omnes
unitates arcem tenet unitas Trinitatis, et post ipsam est unitas dignativa
quae est in Christo. Ergo videtur quod post unitatem divinae naturae ista sit maxima. |
Cependant, Bernard dit, dans le livre Sur la considération, que, « parmi toutes les unités, le sommet est occupé par l’unité de la Trinité et, après elle, vient l’unité de dignité qui existe dans le Christ ». Il semble donc qu’après l’unité de la nature divine, celle-ci soit la plus grande. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [L’union diffère-t-elle de l’assomption ?] |
[8055] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod unio non
differat ab assumptione. Assumptio enim dicitur quasi ad se sumptio. Sed quidquid ad se sumitur,
aliquo modo sumenti unitur. Ergo assumptio est idem quod unio. |
1. Il semble que l’union ne diffère pas de l’assomption. En effet, l’assomption veut dire prendre en soi. Or, tout ce qui est pris en soi est uni d’une certaine manière à celui qui prend. L’assomption est donc la même chose que l’union. |
[8056] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 2 Si dicatur,
quod differunt, quia uniens est unitum, sed assumens non est assumptum;
contra. Uniens est agens unionem. Sed non omne agens unionem est unitum,
sicut patet de patre et spiritu sancto. Ergo illa differentia nulla est. |
2. Elles diffèrent, car ce qui unit est ce qui est uni, mais ce qui assume n’est pas ce qui est assumé. Objection : ce qui unit est ce qui réalise l’union. Or, ce n’est pas tout ce qui réalise une union qui est uni, comme cela ressort pour le Père et l’Esprit Saint. Cette différence est donc nulle. |
[8057] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 3 Si dicatur,
quod assumptio praecedat unionem; contra. Ante primum non potest esse aliquod
prius. Sed in primo
instanti suae conceptionis fuit unio in Christo. Ergo assumptio non praecedit unionem; et
ita non videtur quod differant. |
3. Si on dit que l’assomption précède l’union, on objectera qu’avant la première, il ne peut exister quelque chose d’antérieur. Or, dans le premier instant de sa conception, l’union a été réalisée dans le Christ. L’assomption ne précède donc pas l’union. Ainsi, il ne semble pas qu’elles soient différentes. |
[8058] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc.
3 s. c. 1 Sed contra,
divina natura dicitur unita humanae naturae. Non autem dicitur assumpta. Ergo assumptio et unio differunt. |
Cependant, on dit que la nature divine est unie à la nature humaine. Or, on ne dit pas qu’elle a été assumée. L’assomption et l’union diffèrent donc. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[8059] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad
primam quaestionem, quod unio relatio quaedam est. Omnis autem relatio, secundum philosophum,
fundatur vel supra quantitatem, secundum quod reducitur ad genus quantitatis,
aut supra actionem vel passionem. Unum autem reducitur ad genus quantitatis quasi principium quantitatis
discretae; et supra ipsam fundatur identitas, secundum quod est unum in
substantia; aequalitas, secundum quod est unum in quantitate; similitudo,
secundum quod est unum in qualitate. Unitio autem est quaedam actio vel
passio qua ex multis efficitur aliquo modo unum; et hanc actionem sequitur
ista relatio quae est unio. Relationum autem tam harum quam illarum quaedam
innascuntur ex motu utriusque: et tunc oportet quod illae relationes sint
realiter in utroque extremorum, sicut paternitas, et hujusmodi: quaedam autem
innascuntur ex motu unius sine immutatione alterius, quod accidit in his quorum
unum dependet ad alterum, et non e converso, sicut scientia ad scitum; et in
talibus relatio est secundum rem in eo quod dependet ad alterum, in altero
vero est secundum rationem tantum. Cum igitur in incarnatione non sit aliqua mutatio facta in natura divina,
sed in humana quae tracta est ad unitatem in persona divina, erit haec
relatio, scilicet unio, secundum rem in natura humana, in divina autem
secundum rationem tantum, secundum quod dicit philosophus quod aliqua sunt
relativa, non quia ipsa referuntur, sed quia alia referuntur ad ipsa. Unde
unio secundum rem creatura quaedam est. |
L’union est une relation. Or, selon le Philosophe, toute relation se fonde soit sur la quantité, pour autant qu’elle se ramène au genre de la quantité, ou sur l’action ou la passion. Or, ce qui est un se ramène au genre de la quantité comme principe de la quanité discrète : sur elle sont fondées l’identité, pour autant que cela est un par la substance ; l’égalité, pour autant que cela est un par la quantité ; la ressemblance, pour autant que cela est un par la qualité. Or, l’union est une action ou une passion, par laquelle quelque chose d’un est réalisé en quelque manière à partir de plusieurs choses ; cette relation qu’est l’union découle donc de cette action. Or, certaines de ces relations viennent d’un mouvement des deux choses : il est alors nécessaire que ces relations existent réellement dans les deux extrêmes, comme la paternité et [les relations] de ce genre ; mais certaines viennent du mouvement d’un seul, sans mouvement de l’autre, ce qui arrive dans les choses dont l’une dépend de l’autre, et non inversement, comme la science par rapport à ce qui est su : dans ces cas, la relation est réelle dans ce qui dépend de l’autre, mais elle est de raison seulement chez l’autre. Puisque, dans l’incarnation, aucun changement ne s’est produit dans la nature divine, mais [qu’il s’en est produit un] dans la nature humaine qui a été attirée à l’unité dans la personne divine, cette relation, l’union, sera réelle dans la nature humaine, selon que le Philosophe dit que certains choses sont relatives, non parce qu’elles-mêmes se rapportent [à quelque chose d’autre], mais parce que d’autres choses se rapportent à elles. L’union réelle est donc une créature. |
[8060] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod unio
illa est in Deo secundum rationem tantum, et non secundum rem. |
1. Cette union n’existe en Dieu que selon la raison seulement, et non en réalité. |
[8061] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod unio est relatio aequiparantiae in rebus creatis, sed non in creatore et
creatura: quia non eodem modo se habent in unione: sicut etiam similitudo non
ordinatur in Deo ad creaturam secundum aequiparantiam, sicut dicit Dionysius,
quamvis in aliis sit relatio aequiparantiae. |
2. L’union est une relation d’égalité dans les choses créées, mais non entre le Créateur et la créature, car ils se comportent pas de la même manière dans l’union, de même que « la ressemblance en Dieu n’est pas ordonnée à la créature selon l’égalité », comme le dit Denys, bien que, chez les autres, existe une relation d’égalité. |
[8062] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod unio quae de
Deo praedicatur non est neque creator neque creatura: quia prout in ipso est,
non est aliquid secundum rem, sed secundum rationem tantum. Non tamen ratio falsa est, quia fundatur
super relationem creaturae ad creatorem: sicut etiam est de aliis relativis
quae ex tempore de Deo dicuntur, ut dominus et hujusmodi. |
3. L’union qui est attribuée à Dieu n’est ni créatrice ni une créature, car, en elle-même, elle n’est pas quelque chose de réel, mais de raison seulement. Cependant, un raisonnement n’est pas faux parce qu’il se fonde sur la relation de la créature au Créateur, comme c’est le cas des autres relations qui sont affirmées de Dieu de manière temporelle, comme Seigneur et les choses de ce genre. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[8063] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 2
co. Ad secundam
quaestionem dicendum, quod unio ista potest dupliciter considerari: vel
quantum ad id in quo fit unio, vel quantum ad ea quae uniuntur. Si primo
modo; cum unio fiat in persona divina, quae est maxime unum et simplicissimum;
sic est maxima unio post unionem essentiae in tribus personis: quamvis enim
persona sit ita simplex et unum sicut essentia, tamen quaelibet trium personarum
est idem re cum ipsa essentia, in qua uniuntur; non autem utraque natura in
Christo est idem re cum persona divina, quamvis altera natura, scilicet divina,
sit omnino idem re cum ipsa; et ita unio personarum in una essentia est major
quam unio naturarum in una persona. Si secundo modo, sic non est maxima unio. Sed prima consideratio est
unionis secundum se, quia secundum id quod unum est; haec autem est
consideratio unionis, non secundum quod unio. Et ideo dicendum, quod unio est
maxima simpliciter, quamvis sit non maxima secundum quid. |
Cette union peut
être envisagée de deux manières : du point de vue de ce en quoi se réalise
l’union, ou du point de vue des choses qui sont unies. Si on l’envisage de la
première manière, puisque l’union se réalise dans la personne divine, qui est
au plus haut point quelque chose d’un et de très simple, elle est ainsi l’union
la plus grande, après l’union de l’essence dans les trois personnes. En
effet, bien que la personne soit aussi simple et une que l’essence, chacune
des trois personnes est cependant réellement la même chose que l’essence
elle-même dans laquelle elles sont unies ; mais les deux natures dans le Christ ne sont
pas réellement la même chose que la personne divine, bien que l’une des
natures, la divine, soit tout à fait réellement la même chose que [la
personne divine]. Ainsi, l’union des personnes dans une seule essence est plus
grande que l’union des natures dans une seule personne. Si on envisage [cette
union] de la seconde manière, elle n’est pas alors l’union la plus grande.
Mais le premier point de vue porte sur l’union en elle-même, car il porte sur
ce qui est un ; mais celui-ci porte sur l’union, mais non en tant qu’elle est union.
Il faut donc dire que l’union est tout simplement la plus grande, bien qu’elle
ne soit pas la plus grande sous un aspect. |
[8064] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet
responsio ad ea quae objiciuntur. |
La réponse aux objections ressort ainsi clairement. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[8065] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem,
dicendum, quod prima differentia assumptionis et unionis est quod assumptio
est actio vel passio; unio autem est relatio tantum, quamvis unitio etiam sit
actio. Secunda differentia est quia assumptio dicitur per comparationem ad
terminum a quo separatur vel accipitur secundum quod uniendum est; sed unio
dicitur per comparationem ad terminum vel effectum conjunctionis, qui est
esse unum. Et inde sumitur tertia differentia, quod uniens est unitum: quia unitum
significatur secundum quod jam factum est unum; assumptum autem secundum quod
est in via ad hoc: et ideo assumens non est assumptum. Quarta differentia
est, quia assumptio determinat id ad quod fit conjunctio, secundum quod
dicitur assumptio, quasi ad se sumptio: unio autem non; et ideo quicumque
facit conjunctionem, potest dici unire; non autem potest dici assumere, nisi
sibi conjungat; unde pater univit humanam naturam cum divina, non autem
assumpsit. Quinta
differentia est quod unio, quantum est de se, aequaliter respicit utrumque
extremorum; assumptio autem non, immo requirit esse fixum et stans in uno, ad
quod aliud trahatur; et inde est quod natura divina potest dici unita in
persona humanae naturae, non autem potest dici assumpta. |
La première différence entre l’assomption et l’union est que l’assomption est une action ou une passion, mais que l’union est seulement une relation, bien que la réalisation de l’union soit une action. La deuxième différence est qu’on parle d’assomption par rapport au terme dont est séparé ou reçu ce qui doit être uni, mais on parle d’union par rapport au terme ou à l’effet de l’union, qui consiste à être un. De là vient la troisième différence : que ce qui unit est ce qui est uni, car être uni signifie quelque chose qui est déjà devenu un, mais être assumé, quelque chose qui est en voie de l’être. Aussi ce qui assume n’est-il pas ce qui est assumé. La quatrième différence est que l’assomption détermine ce avec quoi se réalise l’union, selon que le mot « assomption » signifie « prendre en soi » ; mais ce n’est pas le cas de l’union. Ainsi on peut dire de quiconque réalise l’union qu’il unit ; mais on ne peut dire qu’il assume que s’il unit à lui-même. Ainsi le Père a-t-il uni la nature humaine et la nature divine, mais il ne l’a pas assumée. La cinquième différence est que l’union, en elle-même, concerne également les deux extrêmes, mais non l’assomption ; bien plus, elle exige quelque chose de fixe et stable chez l’un, à quoi l’autre est attiré. De là vient qu’on peut dire que la nature divine est unie à la nature humaine dans la personne, mais non qu’elle a été assumée. |
[8066] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod quamvis assumptio ordinetur ad unionem, non tamen includit in sua significatione
terminum, qui est fieri unum, sicut includitur in significatione unionis. |
1. Bien que l’assomption soit ordonnée à l’union, elle n’inclut cependant pas dans sa signification le terme, qui consiste à devenir un, comme cela est inclus dans la signification de l’union. |
[8067] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod hoc quod dicitur, quod uniens est unitum, intelligendum est de
eo quod est uniens sibi, et in se: pater autem non univit sibi; nec divina
natura univit in se, sed in persona, nec humana natura signatur ut unitum in
persona, sed homo. Et ideo neque pater est homo, neque divina natura est
humana. |
2. Lorsqu’on dit que ce qui unit est ce qui est uni, il faut l’entendre de ce qui unit à soi-même et en soi-même ; mais le Père n’a pas uni à soi-même, ni la nature divine en elle-même, mais dans la personne. On ne veut pas dire non plus que la nature humaine est quelque chose d’uni dans la personne, mais que c’est le cas de l’homme. Aussi le Père n’est-il pas homme, ni la nature divine n’est-elle la nature humaine. |
[8068] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc.
3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis in
Christo assumptio non praecedat unionem tempore, praecedit tamen natura, et
secundum modum intelligendi. |
3. Bien que, dans le Christ, l’assomption ne précède pas l’union dans le temps, elle la précède cependant par nature et selon la manière de comprendre. |
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Articulus 2 [8069] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2
tit. Utrum unio sit
facta in natura |
Article 4 – L’union s’est-elle
réalisée dans la nature ?
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[8070] Super Sent., lib.
3 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod unio sit facta in natura.
Quod enim constat ex duabus naturis, videtur habere unam naturam mediam inter
illa, sicut mixtum quod constat ex quatuor elementis. Sed Christus constat ex duabus naturis,
secundum Augustinum, qui dicit, quod ex utraque substantia, scilicet divina
et humana, est unus Dei et hominis filius. Ergo videtur habere unam naturam
ex utrisque compactam. |
1. Il semble que l’union se soit réalisée dans la nature. En effet, ce qui comporte deux natures semble avoir une nature intermédiaire entre ces choses, comme quelque chose de mixte est fait des quatre éléments. Or, le Christ comporte deux natures, selon Augustin qui dit qu’« il n’y a qu’un seul Fils de Dieu et de l’homme constitué des deux substances, à savoir la divine et l’humaine ». Il semble donc posséder une seule nature composée des deux. |
[8071] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea, natura, secundum quod hic
loquimur, est unumquodque informans specifica differentia, ut dicit Boetius
in Lib. de duabus naturis. Sed philosophus dicit, quod semper una differentia addita mutat
speciem, sicut in numeris quaelibet unitas addita facit novam speciem numeri.
Ergo humana
natura addita divinae facit novam naturam secundum speciem. |
2. Selon ce que nous disons ici, « la nature est tout ce qui donne forme selon une différence spécifique », comme le dit Boèce dans le livre Sur les deux natures. Or, le Philosophe dit qu’une différence ajoutée change toujours l’espèce, comme une unité ajoutée dans les nombres donne une nouvelle espèce de nombre. La nature humaine ajoutée à la nature divine donne donc une nouvelle nature selon l’espèce. |
[8072] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2
arg. 3 Si dicatur, quod non potest una natura constitui ex duabus, quia
oportet utramque naturam servari in incarnatione; contra. Anima et corpus
constituunt humanam naturam. Utrumque tamen, scilicet corpus et anima,
intransmutatum permanet in sua natura. Ergo ex duabus naturis potest tertia
constitui, utraque remanente salva. |
3. Si on dit qu’une seule nature ne peut être constituée des deux [natures], parce qu’il est nécessaire que les deux natures soient préservées dans l’incarnation, on objectera que l’âme et le corps constituent la nature humaine. Cependant, les deux, le corps et l’âme, demeurent inchangés dans leur nature. Une troisième nature peut donc être constituée de deux natures, les deux étant préservées. |
[8073] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2
arg. 4 Praeterea,
proprietas sequitur naturam ejus cujus est proprietas. Sed proprietates
divinae naturae dicuntur de illo homine: dicitur enim, quod ille homo creavit
stellas; et e converso dicitur, quod filius Dei est passus. Ergo videtur quod
aliquid divinae naturae est in humana natura, et aliquid humanae sit in
divina; et sic videtur esse facta quaedam conjunctio naturarum in unam
naturam. |
4. Une propriété suit la nature de ce dont elle est la propriété. Or, on attribue les propriétés de la nature divine à cet homme : en effet, on dit que cet homme a créé les étoiles ; en sens inverse, on dit que le Fils de Dieu a souffert. Il semble donc qu’il y ait quelque chose de la nature divine dans la nature humaine, et quelque chose de la nature humaine dans la nature divine. Il semble ainsi qu’une certaine union des natures se soit réalisée dans une seule nature. |
[8074] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2
arg. 5 Praeterea,
quando aliqua duo conjunguntur quorum unum multum superat alterum, hoc quod
superatur transit in naturam superantis, sicut si gutta vini in mille
amphoras projiciatur aquae. Sed natura divina in infinitum superat humanam. Ergo humana natura
conjuncta divinae, tota convertitur in divinam. |
5. Lorsque deux choses sont unies, dont l’une dépasse de beaucoup l’autre, ce qui est dépassé passe à la nature de ce qui dépasse, comme lorsqu’une goutte de vin est jetée dans mille amphores d’eau. Or, la nature divine dépasse infiniment la nature humaine. La nature humaine unie à la nature divine est donc entièrement changée en la nature divine. |
[8075] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2
arg. 6 Praeterea, hoc videtur per hoc quod
caro Christi dicitur deificata a sanctis, sicut Damascenus narrat. |
6. Cela semble être le cas du fait que les saints disent que la chair du Christ a été divinisée, comme le raconte [Jean] Damascène. |
[8076] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, filiatio requirit
similitudinem in natura. Sed Christus
dicitur filius Dei patris et virginis matris. Ergo est similis in natura
utrique. Sed virgo et Deus pater non communicant in aliqua natura. Ergo
oportet Christum ponere duarum naturarum. |
Cependant, [1] la filiation exige une ressemblance de nature. Or, le Christ est appelé le Fils de Dieu le Père et de la Vierge, sa mère. Il est donc semblable aux deux par nature. Or, la Vierge et Dieu le Père n’ont pas de nature commune. Il faut donc affirmer deux natures dans le Christ. |
[8077] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 s.
c. 2 Praeterea, per proprietates naturales
in cognitionem naturae devenimus. Sed in Christo invenimus proprietates
duarum naturarum, ut humanae et divinae. Ergo oportet Christum duarum naturarum ponere. |
[2] Nous parvenons à la connaissance d’une nature par les propriétés naturelles. Or, nous trouvons dans le Christ les propriétés des deux natures : l’humaine et la divine. Il est donc nécessaire d’affirmer que le Christ possède deux natures. |
[8078] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod
ad hujus quaestionis
evidentiam oportet scire, quid nomen naturae significet. Natura autem a
nascendo nomen accepit; quae proprie dicitur generatio viventium ex similibus
similia in specie producentium; unde secundum primam sui institutionem natura
significat generationem ipsam viventium, scilicet nativitatem. Item
translatum est nomen naturae ad significandum principium activum illius generationis:
quia virtutes agentes ex actibus nominari consueverunt. Inde ulterius
procedit nomen naturae ad significandum principium activum cujuslibet motus
naturalis: et ulterius ad significandum etiam principium materiale cujuslibet
generationis: et inde etiam ad significandum principium formale, quod est
terminus generationis. Sed quia non solum generatio terminatur ad formam, sed
ad substantiam compositam; ideo translatum est ad significandum quamlibet
substantiam, secundum quod dicit philosophus in 5 Metaph., et ad significandum
etiam quodlibet ens, sicut dicit Boetius. Substantia autem, praeter
significationes quibus forma vel materia dicitur substantia, dicitur duobus
modis, secundum philosophum 5 Metaph. Uno modo subjectum ipsum quod dicitur
hoc aliquid, et de altero non praedicatur, ut hic homo, secundum quod
substantia significatur nomine hypostasis; et secundum hanc significationem
substantia dicitur natura secundum quod natura est quod agere vel pati
potest, ut dicit Boetius in praedicto libro. Alio modo dicitur substantia
quod quid erat esse, idest quidditas et essentia, quam significat definitio
cujuslibet rei, prout significatur nomine usiae; et sic etiam substantia
dicitur natura, secundum quod Boetius dicit, quod natura est unumquodque
informans specifica differentia: quia ultima differentia est quae
definitionem complet. Relictis ergo
omnibus aliis significationibus naturae, secundum hanc tantum significationem
quaeritur, utrum in Christo sit una natura vel plures. Si autem sit una tantum,
vel altera earum tantum, vel composita ex utrisque. Si altera earum tantum,
hoc erit dupliciter. Uno modo nulla adjunctione interveniente unius ad
alteram; et sic si sit divina tantum, nihil novum accidit in hoc quod verbum
caro factum est, et incarnatio nihil est. Si vero sit humana tantum, non
differt Christus ab aliis hominibus, et perit incarnatio. Alio modo altera
naturarum transeunte in alteram; quod non potest esse: quia quae non
communicant in materia, non possunt in invicem transire; divina autem natura
penitus est immaterialis, nedum ut communicet humanae in materia. Praeterea
si divina natura transiret in humanam, tolleretur simplicitas et
immutabilitas divinae naturae; si vero humana verteretur in divinam,
tolleretur veritas passionis, et omnium quae corporaliter operatus est
Christus. Si autem esset una natura composita ex duabus, hoc posset esse
dupliciter. Uno modo quia tertia natura componeretur ex duabus naturis non
manentibus, sicut ex quatuor elementis componitur mixtum; et secundum hoc
poneretur divina natura passibilis et materialis, quia mixtio non est nisi
eorum quae communicant in materia, et nata sunt agere et pati ad invicem; et
tolleretur fides confitens Christum esse verum Deum et verum hominem. Alio
modo quod componeretur ex duabus naturis manentibus: et hoc dupliciter. Uno
modo secundum commensurationem vel continuationis vel contiguationis; et
secundum hoc poneretur divina natura corporea: quia continuatio et contactus
corporum est. Alio modo secundum informationem, sicut ex anima et corpore fit
unum; et hoc etiam non potest esse: quia per modum istum non fit unum ex
duobus actibus nec ex duabus potentiis, sed ex actu et potentia, secundum
philosophum: divina autem natura et humana, utraque est ens actu. Praeterea
divina natura non habet aliquid potentialitatis, nec potest esse actus
veniens in compositionem alicujus, cum sit esse primum infinitum per se
subsistens. Patet igitur quod quocumque modo ponatur una natura in Christo,
sequitur error: et ideo Eutyches, qui hoc posuit, ut haereticus condemnatus
est. |
Réponse. Pour éclairer cette question, il faut savoir ce que signifie le mot « nature ». Le mot « nature » vient de « naître » : il s’agit de la génération des vivants qui produisent des réalités semblables à partir de réalités semblables selon l’espèce. En son sens premier, « nature » signifie donc la génération même des vivants, à savoir, la naissance. Le mot de « nature » a aussi été reporté sur le principe actif de cette génération, car les puissances agissantes ont coutume d’être nommées à partir de leurs actes. Le mot de « nature » a ainsi été amené à signifier le principe actif de tout mouvement naturel, à signifier aussi le principe matériel de toute génération ; et, de plus, à signifier le principe formel qui est le terme de la génération. Mais parce que la génération ne se termine pas seulement à la forme, mais à la substance composée, [le mot « nature »] a été amené à signifier n’importe quelle substance, selon ce que dit le Philosophe dans Métaphysique, V, et à signifier aussi n’importe quel être, comme le dit Boèce. Or, au-delà des sens selon lesquels la forme et la matière sont appelées une substance, on parle de « substance » de deux manières, selon ce que dit le Philosophe dans Métaphysique, V. D’une manière, [« substance » signifie] le sujet lui-même qui est appelé telle chose et qui n’est pas attribué à quelque chose d’autre, comme cet homme, selon que la substance est signifiée par le nom « hypostase ». En ce sens, « on appelle substance une nature, selon que la nature est ce qui peut agir ou subir », comme le dit Boèce dans le livre mentionné. D’une autre manière, on appelle « substance » ce qui existe, c’est-à-dire la quiddité et l’essence, que signifie la définition de n’importe quelle chose, pour autant qu’elle est signifiée par le mot ousia. Ainsi la nature est-elle appelée substance, comme Boèce dit que « la nature est tout ce qui donne une forme par une différence spécifique », car la différence ultime est celle qui complète la définition. En laissant donc de côté tous les autres sens de « nature », on se demande, selon cette seule signification, si il y a une seule ou plusieurs natures dans le Christ. Mais s’il n’y en a qu’une seule, elle est ou bien l’une des deux, ou bien une qui est composée des deux autres. S’il n’y a qu’une des deux, ce sera de deux manières. D’une manière, sans qu’aucune union n’intervienne de l’une avec l’autre. Si donc c’est la nature divine, rien de nouveau ne se produit par le fait que le Verbe est devenu chair, et l’incarnation n’est rien. Mais si c’est seulement la nature humaine, le Christ ne diffère pas des autres hommes, et l’incarnation disparaît. D’une autre manière, l’une des natures passe dans l’autre. Cela ne peut avoir lieu, car là où il n’y a pas de matière commune, une chose ne peut passer à une autre, ni inversement. Or, la nature divine est entièrement immatérielle, de sorte qu’elle n’a pas de matière commune avec la nature humaine. De plus, si la nature divine passait à la nature humaine, la simplicité et l’immuabilité de la nature divines seraient enlevées. Mais si la nature humaine passait à la nature divine, la vérité de la passion serait enlevée et tout ce que le Christ a accompli corporellement. Mais s’il n’y avait qu’une seule nature composée à partir des deux [natures], cela pourrait exister de deux manières. D’une manière, parce que la troisième nature serait composée de deux natures qui ne demeurent pas, comme un corps mixte est composé des quatre éléments. On affirmerait ainsi que la nature divine est passible et matérielle, car il n’existe de mélange qu’entre des choses qui ont une matière commune et qui peuvent agir et subir réciproquement. Ainsi serait enlevée la foi qui qui confesse que le Christ est vrai Dieu et vrai homme. D’une autre manière, cela serait composé des deux natures qui demeurent, et cela, de deux manières. D’une manière, selon la mesure de ce qui est continu ou contigu. On affirmerait ainsi que la nature divine est corporelle, car ce qui est continu suppose le contact entre les corps. D’une autre manière, comme une seule chose est réalisée à partir de l’âme et du corps. Cela ne peut pas non plus être le cas, car, de cette manière, une seule chose n’est pas constituée de deux actes ni de deux puissances, mais d’un acte et d’une puissance, selon le Philosophe. Or, la nature divine et la nature humaine sont toutes les deux un être en acte. De plus, la nature divine ne comporte aucune puissance, et elle ne peut être un acte issu de la composition de quelque chose, puisqu’elle est l’être premier infini subsistant par soi. Il est donc clair que de quelque manière qu’on affirme une seule nature dans le Christ, en découle une erreur. C’est pourquoi Eutychès a été condamné comme hérétique. |
[8079] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 ad
1 Ad primum ergo
dicendum, quod aliquid constat ex duabus naturis, non tamen ex duabus sicut
mixtum ex elementis: quia et in talibus oportet quod sit media natura
constituta ex duabus non manentibus. Christus autem constat ex duabus naturis
ita quod in duabus naturis salvatis subsistit: est enim naturae divinae et
humanae: et ideo ratio non sequitur. |
1. Quelque chose est composé de deux natures, mais non comme le corps mixte [est composé] d’éléments, car, pour ces choses, il est nécessaire qu’il existe une nature intermédiaire constituée de deux natures qui ne persistent pas. Or, le Christ existe en deux natures, de telle manière qu’il subsiste dans deux natures qui persistent : en effet, il est constitué de la nature divine et de la nature humaine. Le raisonnement n’est donc pas concluant. |
[8080] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 ad
2 Ad secundum dicendum, quod, sicut
dicit Avicenna, differentia nominat totam naturam speciei; alias non
praedicaretur de specie; sed non nominat ex toto, sed ex parte, scilicet
formali principio: dicitur enim rationale habens rationem. Genus autem e converso
nominat totum ex principio materiali. Unde differentia non additur differentiae
per hoc quod natura additur naturae, sed per hoc quod ulterius principium
formale additur, sicut intellectivum supra sensitivum. Talis autem additio
non est in Christo: non enim una natura additur alteri sicut formalis
respectu illius, ut dictum est. |
2. Comme le dit Avicenne, la différence désigne toute la nature de l’espèce, autrement elle ne serait pas attribuée à l’espèce ; cependant, elle ne la désigne pas en totalité, mais en partie, à savoir selon son principe formel : en effet, « raisonnable » désigne celui qui possède la raison. Mais, en sens inverse, le genre désigne le tout selon son principe matériel. Aussi la différence n’est-elle pas ajoutée à la différence comme une nature est ajoutée à une nature, mais comme un ultime principe formel est ajouté, ainsi « intelligent » [est-il ajouté] à « sensible ». Or, semblable ajout n’existe pas dans le Christ : en effet, une nature n’est pas ajoutée à l’autre comme son principe formel, comme on l’a dit. |
[8081] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 ad
3 Ad tertium dicendum, quod anima et
corpus secundum quod sunt partes hominis, proprie loquendo, non sunt duae naturae,
prout in proposito de natura loquimur; sed utrumque est pars naturae, alterum
sicut forma, alterum autem sicut materia; unde non est instantia. |
3. L’âme et le corps, selon qu’ils sont des parties de l’homme, ne sont pas deux natures au sens propre, au sens où nous parlons de nature dans le cas présent ; mais les deux sont des parties d’une nature, l’une comme forme, l’autre comme matière. Il n’y a donc pas de problème. |
[8082] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 ad
4 Ad quartum
dicendum, quod proprietates humanae naturae nunquam dicuntur de divina, nec e
converso, nisi secundum quamdam participationem; sed dicuntur utraeque de
habente naturam, vel humanam vel divinam, quae significatur hoc nomine Deus,
et hoc nomine homo: idem enim est qui utrasque naturas habet. |
4. Les propriétés de la nature humaine ne sont jamais attribuées à la nature divine, ni inversement, sauf selon une certaine participation ; mais les deux sont attribuées à celui qui possède la nature divine ou la nature humaine, qui sont signifiées par le mot « Dieu » et par le mot « homme ». En effet, c’est le même qui possède les deux natures. |
[8083] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 ad
5 Ad quintum
dicendum, quod ratio ista procedit in illis quae communicant in materia, et
agunt et patiuntur ad invicem: et ideo non est ad propositum. |
5. Cet argument porte sur les choses qui ont une matière commune, et agissent et subissent réciproquement. Il ne porte donc pas sur la question en cause. |
[8084] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 ad
6 Ad sextum
dicendum, quod caro dicitur deificata, non quia sit facta ipsa divinitas, sed
quia facta est Dei caro, et etiam quia abundantius dona divinitatis
participat ex hoc quod est unita divinitati, et quia est quasi instrumentum
per quod divina virtus salutem nostram operatur: tangendo enim leprosum carne
sanavit per divinitatis virtutem, et moriendo carne mortem vicit per virtutem
divinitatis. Virtus autem agentis aliquo modo est in instrumento, quo
mediante aliquid agit. |
6. La chair est dite divinisée, non parce qu’elle est devenue la divinité elle-même, mais parce qu’elle est devenue la chair de Dieu, en participant plus abondamment aux dons de la divinité du fait qu’elle est unie à la divinité, et parce qu’elle est pour ainsi dire un instrument par lequel la puissance divine réalise notre salut. En effet, en touchant le lépreux, [le Christ] a guéri par sa chair en vertu de la puissance de la divinité, et, en mourant, il a vaincu par sa chair en vertu de la puissance de la divinité. Or, la puissance de l’agent se trouve d’une certaine manière dans l’instrument par l’intermédiaire duquel il réalise quelque chose. |
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Articulus 3 [8085] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3
tit. Utrum unio sit
facta in persona, et si Christus est una persona |
Article 3 – L’union s’est-elle
réalisée dans la personne et le Christ était-il une seule personne ?
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[8086] Super Sent., lib.
3 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod in Christo non sit una tantum
persona, et sic non sit unio facta in persona. Nulla enim natura invenitur
sine illis quae per se consequuntur ad naturam illam. Sed personalitas per se
consequitur naturam humanam, et similiter divinam. Ergo utraque natura tenet
suam personalitatem. |
1. Il semble qu’il n’y ait pas une seule personne dans le Christ, et ainsi que l’union ne se soit pas réalisée dans la personne. En effet, aucune nature ne se trouve sans ce qui découle de cette nature. Or, la personne découle par soi de la nature humaine et de même en est-il de la nature divine. Les deux natures gardent donc leur personnalité. |
[8087] Super Sent., lib. 3 d. 5
q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, natura humana est dignior in Christo quam in Petro. Sed
personalitas ad dignitatem pertinet: unde in substantiis ignobilibus non invenitur
persona. Ergo sicut
humanitas Petri habet suam personalitatem, ita et humanitas Christi. |
2. La nature humaine est plus digne dans le Christ qu’en Pierre. Or, la personnalité concerne la dignité ; ainsi ne trouve-t-on pas de personne dans les substances sans noblesse. Donc, de même que l’humanité de Pierre possède sa personnalité, de même aussi l’humanité du Christ. |
[8088] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3
arg. 3 Praeterea, in
persona non videtur aliquid esse nisi natura, et distinguentia suppositum
naturae ab aliis suppositis. Sed naturae in Christo sunt diversae, et
distinctiva diversa, quia per relationes aeternas distinguitur a patre et
spiritu sancto; per divisionem autem materiae et accidentium distinguitur ab
aliis hominibus. Ergo est ibi duplex personalitas. |
3. Dans la personne, il ne semble exister que la nature et ce qui distingue le suppôt de la nature des autres suppôts. Or, les natures dans le Christ sont différentes et distincts les éléments différents, car, par les relations éternelles, [le Christ] se distingue du Père et du Saint-Esprit, mais, par la division de la matière et des accidents, il se distingue des autres hommes. Il y a donc là une double personnalité. |
[8089] Super Sent., lib. 3 d. 5
q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, major est convenientia in persona quam in genere vel
specie: quia illa est
in aliquo quod secundum rem unum est, hoc autem est secundum rationem unum.
Sed propter maximam distantiam naturae divinae et humanae non potest esse
earum convenientia in genere vel in specie. Ergo multo minus possunt convenire
in una persona. |
4. Il y a plus en commun par la personne que par le genre ou l’espèce, car celle-là est ce qui rend quelqu’un réellement unique, mais ceci n’est unique que selon la raison. Or, en raison de la très grande distance entre la nature divine et la nature humaine, elles ne peuvent avoir rien en commun selon le genre ou selon l’espèce. Elles peuvent donc encore beaucoup moins avoir en commun une seule personne. |
[8090] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, philosophus
dicit in 5 Metaph., quod ad diversitatem in genere sequitur diversitas in
specie, et ad hanc diversitas secundum numerum. Sed in Christo invenitur
diversitas secundum speciem: quia sunt diversae naturae secundum illam acceptionem
qua natura dicitur unumquodque informans specifica differentia. Ergo etiam
secundum numerum differentia invenitur. Sed ubi est eadem persona, est idem
secundum numerum. Ergo in Christo non est una persona. |
5. Le Philosophe dit dans Métaphysique, V, que « la diversité selon l’espèce découle de la diversité selon le genre, et que la diversité selon le nombre découle de [la diversité selon l’espèce] ». Or, dans le Christ, on trouve une diversité selon l’espèce, car il existe des natures diverses, au sens où « nature » signifie tout ce qui confère une forme selon une différence spécifique. On trouve donc aussi [en lui] une différence selon le nombre. Or, là où la personne est la même, on a la même réalité selon le nombre. Il n’existe donc pas une seule personne dans le Christ. |
[8091] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, non est minor
affinitas naturae ad personam quam formae ad materiam. Sed secundum diversitatem formarum
est diversitas materiae: quia proprius actus fit in propria materia. Ergo
secundum diversitatem naturarum est etiam diversitas in persona; et sic idem
quod prius. |
6. L’affinité entre la nature et la personne n’est pas moindre qu’entre la forme et la matière. Or, la diversité de la matière vient de la diversité des formes, car l’acte propre se réalise dans une matière propre. La diversité selon la personne se prend donc de la diffénce des natures, et ainsi la conclusion est la même que précédemment. |
[8092] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 s.
c. 1 Sed contra, ea
quae secundum personam differunt et naturam, quod dicitur de uno, non dicitur
de altero. Sed ea quae sunt Dei, in Scripturis attribuuntur homini: Psalmus
86, 5: homo natus est in ea, et ipse fundavit eam altissimus; et quae
sunt hominis, attribuuntur Deo; 1 Corinth., 2, 8: nunquam dominum gloriae
crucifixissent. Ergo Deus et homo conveniunt in persona. |
Cependant, [1] là où des choses diffèrent selon la personne et selon la nature, ce qui est dit de l’un n’est pas dit de l’autre. Or, dans l’Écriture, ce qui appartient à Dieu est attribué à l’homme, Ps 86, 5 : Un homme est né en elle, et le Très-Haut l’a lui-même établie ; et ce qui appartient à l’homme est attribué à Dieu, 1 Co 2, 8 : Ils n’auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire. Dieu et l’homme se rejoignent donc dans la personne. |
[8093] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 s.
c. 2 Praeterea,
quod attribuitur filio et non patri, convenit ei secundum id in quo a patre
distinguitur. Sed unio passive accepta convenit filio, et non patri. Ergo
convenit ei secundum id in quo a patre distinguitur. Sed hoc est in persona. Ergo unio facta est
in persona. |
[2] Ce qui convient au Fils, et non au Père, lui convient selon ce par quoi il se distingue du Père. Or, l’union entendue au sens passif convient au Fils, et non au Père. Elle lui convient donc selon ce par quoi il se distingue du Père. Or, cela se trouve dans la personne. L’union s’est donc réalisée dans la personne. |
[8094] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 s.
c. 3 Praeterea, ad hoc quod fiat redemptio
humani generis, oportet quod sit agens satisfactionem unus Deus qui potest,
et homo qui debet, ut patet ex dictis in 1 dist., quaest. 1, art. 2. Sed nullo modo
duae personae possunt esse unum agens. Ergo si sunt duae personae, nondum facta est satisfactio; et ita adhuc
sumus in servitute peccati, quod est contra sacram Scripturam novi
testamenti. |
[3] Pour que soit réalisée la rédemption du genre humain, il est nécessaire que celui qui accomplit la satisfaction soit Dieu seul qui le peut et l’homme qui le doit, comme cela ressort de ce qui a été dit, d. 1, a. 2. Or, deux personnes ne peuvent être un seul agent. S’il y a deux personnes, la satisfaction n’est donc pas accomplie, et ainsi nous sommes encore dans l’esclavage du péché, ce qui va à l’encontre de la Sainte Écriture de la Nouvelle Alliance. |
[8095] Super Sent., lib.
3 d. 5 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod Nestorius, qui ponit duas in Christo
personas, ex hoc deceptus fuit, ut dicit Boetius, quia credidit idem esse
personam et naturam; unde credidit, cum sint duae naturae in Christo, quod
sint duae personae: et ex eodem fonte processit error Eutychetis, qui cum
audivit unam personam in Christo, aestimavit unam naturam: et ex eodem fonte
contra Trinitatem processit error Arii et Sabellii. Sciendum est ergo, quod
in quibusdam differunt natura et persona secundum rem, in quibusdam vero secundum
rationem tantum. Natura enim, secundum quod hic loquimur, est quidditas rei
quam signat sua definitio; persona autem est hoc aliquid quod subsistit in
natura illa. In simplicibus
autem quae carent materia, ut dicit Avicenna, ipsum simplex est sua
quidditas; quidditas vero compositi non est ipsum compositum: humanitas enim
non est homo. Cujus ratio est, quia in significatione humanitatis, sive
quidditatis, sive naturae, continentur tantum essentialia principia hominis,
secundum quod homo est; non autem ea quae pertinent ad determinationem
materiae, per quam natura individuatur, quae tantum continentur in
significatione Socratis, quia per ea Socrates est hic, et divisus ab aliis:
et ideo, quia humanitas non includit in sua significatione totum quod est in
re subsistente in natura, cum sit quasi pars, non praedicatur: et quia non
subsistit nisi quod est compositum, et pars habetur a suo toto, ideo anima
non subsistit, sed Socrates, et ipse est habens humanitatem. Homo autem
significat utrumque, et essentialia, et individuantia, sed diversimode: quia
significat essentialia determinate, individuantia vero indeterminate haec vel
illa: et ideo homo, cum sit totum, potest praedicari de Socrate, et dicitur
habens humanitatem; sed quia esse indistinctum est incompletum, quasi ens in
potentia, ideo homo non subsistit, sed hic homo, cui convenit ratio personae.
Est ergo ratio personae quod sit subsistens distinctum et omnia comprehendens
quae in re sunt; natura autem essentialia tantum comprehendit. In simplicibus
autem non differt re natura et persona: quia natura non recipitur in aliqua
materia per quam individuetur, sed est per se subsistens: tamen inquantum
considerantur essentialia rei, sic dicimus ibi naturam; inquantum autem
invenitur ibi aliquid subsistens, sic dicimus ibi personam. Patet igitur quod
ex quo de ratione personae est quod comprehendit omnia quae in re sunt, si
aliquid est extra illud quod comprehendit persona, hoc non est unitum rei,
nisi forte secundum similitudinem in genere vel in specie vel accidente: et
ideo, ut Boetius dicit, si non est una persona in Christo, nulla unio facta
est divinitatis et humanitatis, nisi secundum similitudinem gratiae; quod
etiam Nestorius posuit: et hoc non est novum, nec Christo proprium; neque per
eum redemptio fieri potuisset, nec ipse esset verus Deus, sed per
participationem, sicut alii sancti. Unde simpliciter est concedendum, in
Christo esse unam personam. |
Réponse. Comme le dit Boèce, Nestorius, qui affirme deux personnes dans le Christ, s’est trompé parce qu’il a cru que la personne est la même chose que la nature. Puisqu’il y a deux natures dans le Christ, il a donc cru qu’il y a deux personnes. Et l’erreur d’Eutychès, qui, entendant qu’il y avait une seule personne dans le Christ, a pensé qu’il n’y avait qu’une seule nature, est venue de la même source. Et l’erreur d’Arius et de Sabellius contre la Trinité est venue de la même source. Il faut donc savoir que la personne et la nature diffèrent réellement par certaines choses, et, par certaines, selon la raison seulement. En effet, la nature, comme nous en parlons ici, est la quiddité d’une chose, que sa définition indique ; mais la personne est ce qui subsiste dans cette nature. Or, dans les choses simples, auxquelles la matière fait défaut, comme le dit Avicenne, cela même qui est simple est sa quiddité ; mais la quiddité de ce qui est composé n’est pas le composé lui-même : en effet, l’humanité n’est pas l’homme. La raison en est que, dans la signification de l’humanité, de la quiddité ou de la nature, ne sont contenus que les principes essentiels de l’homme, selon qu’il est homme ; mais [n’est pas contenu] ce qui se rapporte à la détermination de la matière, par laquelle la nature est individuée, et qui est contenu seulement dans la signification de Socrate, car, par cela, Socrate est cet individu-ci, divisé des autres. Parce que l’humanité n’inclut pas dans sa signification le tout qui existe dans la chose qui subsiste dans la nature, puisqu’elle en est comme une partie, elle n’est donc pas attribuée [à l’individu] ; et parce que ne subsiste que ce qui est composé et que la partie vient du tout, l’âme ne subsiste donc pas, mais Socrate, et c’est lui qui possède l’humanité. Mais « homme » signifie les deux : ce qui est essentiel et ce qui est individuant, mais de manière différente, car il signifie ce qui est essentiel de manière déterminé, mais ce qui est individuant de manière indéterminée. C’est pourquoi « homme », puisqu’il est le tout, peut être attribué à Socrate et on dit qu’il possède l’humanité ; mais parce que l’être indistinct est incomplet et comme un être en puissance, l’homme ne subsiste donc pas, mais cet homme, à qui convient la notion de personne. La raison de personne consiste donc en ce qu’elle est un être subsistant distinct et qui comprend tout ce qui existe dans une chose ; mais la nature comprend seulement ce qui est essentiel. Or, dans les réalités simples, la nature ne diffère pas de la personne, car la nature n’est pas reçue dans une matière par laquelle elle est individuée, mais elle subsiste par elle-même. Cependant, si l’on envisage les principes essentiels de la chose, nous disons qu’il y a là une nature ; mais, pour autant qu’on y trouve quelque chose qui subsiste, nous disons alors qu’il y a là une personne. Il est donc clair que, parce qu’il fait partie de la raison de personne de comprendre tout ce qui existe dans une chose, s’il existe quelque chose en dehors de ce que comprend la personne, cela n’est pas uni à la chose, sinon peut-être par une ressemblance selon le genre, l’espèce ou l’accident. Aussi, comme le dit Boèce, s’il n’y a pas une seule personne dans le Christ, aucune union n’a été réalisée entre la divinité et l’humanité, si ce n’est selon la ressemblance de la grâce, ce que même Nestorius a affirmé. Cela n’est ni nouveau ni propre au Christ, et la rédemption n’aurait pu être accomplie par lui ; il ne serait pas non plus vrai Dieu, mais [Dieu] par participation, comme les autres saints. Il faut donc tout simplement concéder qu’il n’existe qu’une seule personne dans le Christ. |
[8096] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 ad
1 Ad primum ergo
dicendum, quod humana natura in Christo non est sine personalitate, sed est
in persona una verbi cum natura divina. |
1. La nature humaine n’existe pas sans personnalité dans le Christ, mais elle existe dans la seule personne du Verbe, avec la nature divine. |
[8097] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod ex hoc natura Christi maxime nobilis est quod est in persona
divina. |
2. La nature du Christ est la plus noble parce qu’elle existe dans la personne divine. |
[8098] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 ad
3 Ad tertium
dicendum, quod de ratione personae est quod comprehendat omnia essentialia,
et proprietates individuantes simul conjunctorum; unde non sequitur quod si
sint duae naturae et diversae proprietates, sint diversae personae. Si enim
essent naturae cum suis proprietatibus seorsum positae, utrinque esset
totalitas, quam requirit ratio personae, non est autem nisi una totalitas,
quando conjunguntur; et ideo est una persona. |
3. Il fait partie de la notion de personne qu’elle comprenne tout ce qui est essentiel et les propriétés individuantes unis ensemble. Il n’en découle donc pas que, s’il existe deux natures et des propriétés différentes, elles appartiennent à des personnes différentes. En effet, s’ils appartenaient à la nature avec ses propriétés prises séparément, il y aurait une totalité de part et d’autre, ce qu’exige la notion de personne. Or, il n’existe qu’une seule totalité, lorsqu’elles sont unies. C’est pourquoi il n’existe qu’une seule personne. |
[8099] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 ad
4 Ad quartum
dicendum, quod ea quae differunt genere vel specie, differunt numero
essentiae vel naturae; non autem oportet quod differant numero suppositi vel
subjecti: quia ea quae secundum se considerata diversorum sunt generum vel
specierum, in unum suppositum vel subjectum congregari possunt; sicut caro et
os ad constituendum corpus, et albedo et longitudo in eodem subjecto sunt; et
similiter quamvis divina natura et humana differant plus quam specie vel
genere, in unam tamen personam uniri possunt. |
4. Les choses qui diffèrent par le genre et par l’espèce diffèrent en nombre selon l’essence ou la nature ; mais il n’est pas nécessaire qu’elles diffèrent en nombre selon le suppôt ou le sujet, car ce qui, envisagé en soi, relève de genres ou d’espèces différents, peut être réuni dans un seul suppôt ou sujet, comme la chair et les os existent dans le même sujet pour constituer un corps, ainsi que la blancheur et la longueur. De la même manière, bien que la nature divine et la nature humaine diffèrent davantage que l’espèce ou le genre, elles peuvent cependant être unies dans une seule personne. |
[8100] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 ad
5 Ad quintum
dicendum, quod, sicut dicit Boetius, species est totum esse individuorum, et
etiam genus aliquo modo, ut dicit Avicenna, secundum quod indistincte
significat totum: et quia natura humana non comprehendit totum esse Christi,
ideo non habet in Christo naturam speciei; et ideo non sequitur quod in
Christo sint diversae species. Vel dicendum, quod illud philosophi est
intelligendum quando naturae diversorum generum non conjunguntur: accidens
enim et subjectum, quia conjunguntur (quamvis sint diversa genere), non
faciunt numerum. |
5. Comme le dit Boèce, « l’espèce est l’être entier des individus », de même que l’est le genre d’une certaine manière, comme le dit Avicenne, selon qu’elle signifie indistincte le tout. Et parce que la nature humaine ne comprend pas l’être entier du Christ, de même ne possède-t-elle pas chez le Christ la nature de l’espèce. Il n’en découle qu’il existe chez le Christ diverses espèces. Ou bien il faut dire que ce que dit le Philosophe doit s’entendre du cas où les natures de divers genres ne sont pas réunies : en effet, l’accident et le sujet, parce qu’ils sont réunis (bien qu’ils soient de genres différents), ne font pas nombre. |
[8101] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 ad
6 Ad sextum
dicendum, quod forma adunatur materiae informando eam; et ideo oportet quod
ad diversas formas diversae sint materiae dispositae; sed ad rationem
personae requiritur tantum adunatio, quae potest esse etiam quantumcumque
diversorum; et ideo non oportet quod diversae naturae habeant diversas
personas. |
6. La forme est unie à la matière en donnant forme à celle-ci. Aussi est-il nécessaire qu’existent diverses matières disposées à diverses formes. Mais seule leur union est nécessaire à la raison de personne, laquelle peut affecter n’importe quel nombre de choses différentes. Il n’est donc pas nécessaire que des natures différentes aient des personnes différentes. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [Convient-il à une personne divine d’assumer
?]
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Prooemium |
Prologue |
[8102] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 pr. Deinde quaeritur de assumente; et circa hoc
quaeruntur tria: 1 utrum assumere conveniat divinae personae; 2 utrum
naturae; 3 utrum naturae, remota persona. |
On s’interroge ensuite sur celui qui assume. À ce propos, trois questions sont posées : 1 – Convient-il à une personne divine d’assumer ? 2 ‑ Cela convient-il à la nature [divine] ? 3 – Cela convient-il à la nature [divine], en écartant la personne [divine] ? |
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Articulus 1 [8103] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1
tit. Utrum assumere
conveniat divinae personae |
Article 1 – Convient-il à une personne divine d’assumer ? |
[8104] Super Sent., lib.
3 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod personae non conveniat assumere. Sicut enim dictum est,
persona significat aliquid completum et totum. Sed ultima completione
completo non potest fieri additio. Ergo persona non potest ad se aliquid
assumere. |
1. Il semble qu’il ne convienne pas à une personne divine d’assumer. En effet, comme on l’a dit, la personne signifie quelque chose de complet et d’entier. Or, on ne peut faire d’ajout à ce qui est achevé par un ultime achèvement. La personne ne peut donc pas assumer quelque chose en elle-même. |
[8105] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, quod assumitur
per participationem alicujus, aliquo modo communicat illud. Sed de ratione personae est omnimoda
incommunicabilitas. Ergo non potest persona assumere ad se aliquid in
participationem sui. |
2. Ce qui est assumé par la participation à quelque chose a quelque chose en commun avec cela. Or, l’incommunicabilité totale fait partie de la raison de personne. La personne ne peut donc assumer en elle-même quelque chose pour le faire participer à elle. |
[8106] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1
arg. 3 Praeterea,
persona, inquantum supponitur naturae, habet aliquam similitudinem materiae,
sicut natura habet similitudinem formae. Sed magis elongatur a perfectione materia
quam forma, quae est pars rei. Si ergo natura divina propter sui perfectionem
non potest esse forma alicujus rei, multo minus persona divina poterit esse
persona alicujus alterius naturae. Ergo non potest persona naturam assumere. |
3. La personne, en tant qu’elle est le suppôt de la nature, a une certaine ressemblance avec la matière, comme la nature a une certaine ressemblance avec la forme. Or, la matière est plus éloignée de la perfection que la forme qui fait partie d’une chose. Si donc la nature divine, en raison de sa perfection, ne peut être la forme d’une chose, à bien moins forte raison une personne divine pourra-t-elle être une personne d’une autre nature. Une personne [divine] ne peut donc pas assumer une nature. |
[8107] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1
arg. 4 Praeterea,
plus repugnat simplicitati diversitas naturae et personae, quam diversitas
subjecti et accidentis: quia in substantiis simplicibus creatis non differt
secundum Avicennam persona a natura secundum rem, quamvis in eis differat
accidens a substantia. Sed persona divina verbi non potest distingui propter
suam simplicitatem proprietate quae non sit quod ipsa, nec potest esse
subjectum alicujus accidentis. Ergo multo minus potest esse suppositum
extraneae naturae. |
4. La diversité de nature et de personne s’oppose davantage à la simplicité que la diversité de sujet et d’accident, car, dans les substances simples créées, selon Avicenne, la personne ne diffère pas en réalité de la nature, bien que l’accident y diffère de la substance. Or, en raison de sa simplicité, la personne divine du Verbe ne peut être distinguée d’une propriété qui ne saurait être qu’elle-même, et elle ne peut être le sujet d’un accident. Encore bien moins peut-elle donc être le suppôt d’une nature étrangère. |
[8108] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 s.
c. 1 Sed contra,
Joan. 1, 14: verbum caro factum est; idest homo factus est. Sed non
nisi per assumptionem. Cum ergo verbum sit nomen personale, oportet dicere quod persona assumat. |
Cependant, [1] Jn 1, 14 : Le Verbe s’est fait chair, c’est-à-dire qu’il est devenu homme. Or, ce ne peut être que par assomption. Puisque « Verbe » est un nom personnel, il faut donc dire qu’une personne [divine] assume. |
[8109] Super Sent., lib.
3 d. 5 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, assumptio terminatur ad unionem. Unio autem in persona est, ut probatum
est in solutione articuli praecedentis. Ergo persona assumens est; cum
assumptio, ut dictum est, dicat terminum in quo fit unio. |
[2] L’assomption a comme terme l’union. Or, l’union se réalise dans la personne, comme on l’a montré dans la réponse de l’article précédent. C’est donc la personne qui assume, puisque l’assomption, ainsi qu’on l’a dit, exprime le terme dans lequel l’union se réalise. |
[8110] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod,
sicut dictum est, persona requirit completionem. In conjunctione autem
aliquorum aliquando ita est quod utrumque incompletum est, sicut patet in
unione materiae et formae, quorum utrumque non habet esse completum, et in
mixtione, quando utrumque mixtorum partim corrumpitur; unde in talibus haec
completio quam requirit persona, neutri debetur, sed composito. Aliquando
autem unum praeexistit in se completum, et aliud additur et completur per
completionem ejus, sicut cibus qui adjungitur homini jam completo; unde
completio personalis non debetur cibo, sed homini; et hoc proprie dicitur
assumi quod sic in personalitatem alterius trahitur. Cum igitur divina natura
et humana quae conjunguntur, non se habeant aequaliter ad perfectionem, sed
divina natura completionem habeat personalem in quo differt a forma, et in ea
incorrupta permaneat, in quo differt ab his quae miscentur; oportet, si
debeat fieri conjunctio, quod humana natura trahatur ad divinam personam virtute
divina: alias essent duae personae, et nulla conjunctio. Et ita concedendum est, quod persona
assumit. |
Réponse. Comme on l’a dit, la personne exige l’achèvement. Or, dans l’union de certaines choses, il arrive que les deux choses soient incomplètes, comme cela ressort pour l’union de la matière et de la forme, dont les deux n’ont pas un être complet, et pour le mélange, lorsque les deux corps mixtes sont en partie corrompus. Dans de tels cas, l’achèvement qu’exige la personne ne revient à aucune des deux choses, mais au composé. Mais, parfois, l’une des deux choses préexiste complète en elle-même, alors que l’autre est ajoutée et devient complète par l’achèvement de la chose, comme la nourriture est ajoutée à un homme déjà achevé ; aussi l’achèvement personnel n’est-il pas dû à la nourriture, mais à l’homme, et on parle d’être assumé dans le cas où quelque chose est attiré dans la personnalité d’un autre. Puisque la nature divine et la nature humaine, qui sont unies, n’ont pas le même rapport à la perfection, mais que la nature divine a un achèvement personnel, ce par quoi elle diffère d’une forme, et demeure incorrompue en elle, ce par quoi elle diffère de ce qui est mélangé, il est donc nécessaire, si une union doit être réalisée, que la nature humaine soit attirée vers la personne divine par la puissance divine, autrement, il y aurait deux personnes et aucune union. Il faut donc concéder que la personne [divine] assume. |
[8111] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 ad
1 Ad primum ergo
dicendum, quod persona non recipit additionem distinguentium ipsam, et
complentium in esse personae, secundum quae completa esse dicitur; sed
aliorum quae personalitatem non causant, non est inconveniens ut additionem
recipiat: sicut Socrates recipit additionem scientiae, nutrimenti, et
hujusmodi; et tamen haec non individuant ipsum. Ita etiam natura humana quae additur
divinae personae, non causat personalitatem in ipsa, sed ad personalitatem
ejus praeexistentem trahitur. |
1. La personne ne reçoit pas l’ajout de choses qui la distinguent et qui l’achèvent dans son être de personne, par quoi on la dit achevée ; mais, pour les autres choses, qui ne causent pas la personnalité, il n’est pas inapproprié qu’elle reçoive un ajout, comme Socrate reçoit l’ajout de la science, de la nourriture et des choses de ce genre. Toutefois, ces choses n’en font pas un individu. De même aussi, la nature humaine qui est ajoutée à la personne divine ne cause-t-elle pas la personnalité en elle, mais elle est attirée vers sa personnalité qui préexistait. |
[8112] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod triplex incommunicabilitas est de ratione personae: scilicet
partis, secundum quod est completum; et universalis, secundum quod est
subsistens; et assumptibilis secundum quod id quod assumitur transit in
personalitatem alterius et non habet personalitatem propriam. Non est autem
contra rationem personae communicabilitas assumentis. |
2. Une triple incommunicabilité fait partie de la raison de personne : celle de la partie, en tant qu’elle est un être complet ; [l’incommunicabilité] de l’universel, en tant qu’elle est un être subsistant ; [l’incommunicabilité] de ce qui est apte à être assumé, en tant que ce qui est assumé passe dans la personnalité d’un autre et n’a pas de personnalité propre. Mais la communicabilité de celui qui assume n’est pas contraire à la raison de personne. |
[8113] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 ad
3 Ad tertium
dicendum, quod persona divina non supponitur humanae naturae quasi sub ea
posita, sicut materia sub forma; sed quasi subsistens in ea, inquantum habet
eam sibi unitam; unde non habet similitudinem materiae. |
3. La personne divine n’est pas le suppôt de la nature humaine comme si elle lui était sous-jacente, comme la matière est sous-jacente à la forme, mais en tant qu’elle subsiste en elle en l’ayant unie à elle. Elle ne ressemble donc pas à la matière. |
[8114] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 ad
4 Ad quartum
dicendum, quod subjectum subjicitur accidenti, quod divinae personae
convenire non potest, cum non habeat aliquid potentialitatis; sed non dicitur
supponi humanae naturae, quasi ei subjiciatur, ut dictum est. |
4. Le sujet est sous-jacent à l’accident, ce qui ne peut convenir à la personne divine, puisqu’elle ne comporte aucune potentialité. Mais on ne dit pas qu’elle est sous-jacente à la nature humaine, comme si elle lui était soumise, ainsi qu’on l’a dit. |
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Articulus 2 [8115] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2
tit. Utrum assumere
conveniat naturae |
Article 2 – Convient-il à la
nature [divine] d’assumer ?
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[8116] Super Sent., lib.
3 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod naturae non conveniat assumere. Quod enim convenit
naturae divinae, commune est tribus personis. Sed assumere non convenit patri
et spiritui sancto. Ergo nec divinae naturae. |
1. Il semble qu’il ne convienne pas à la nature d’assumer. En effet, ce qui convient à la nature divine est commun aux trois personnes. Or, assumer ne convient pas au Père ni au Saint-Esprit. Donc, ni à la nature divine. |
[8117] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2
arg. 2 Praeterea,
actus personales non dicuntur de natura, sicut generare, ut dictum est, 5
dist. 1 libri. Sed assumere proprie convenit personae. Ergo natura non
assumit. |
2. Les actes personnels ne sont pas attribués à la nature, comme le fait d’engendrer, ainsi qu’on l’a dit à la d. 1, a. 5. Or, assumer convient en propre à la personne. La nature n’assume donc pas. |
[8118] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, verbum,
secundum hoc quod carnem assumpsit, dicitur caro factum. Sed natura divina non
dicitur caro facta. Ergo natura divina non assumpsit. |
3. On dit que le Verbe s’est fait chair en tant qu’il a assumé la chair. Or, on ne dit pas que la nature divine s’est faite chair. La nature divine n’a donc pas assumé. |
[8119] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2
arg. 4 Praeterea,
ratione assumptionis fit communicatio idiomatum, ut dicit Damascenus. Sed ea
quae sunt naturae humanae, non dicuntur de divina: non enim dicitur passa vel
mortua. Ergo ejus non est assumere. |
4. La communication des idiomes se réalise en vertu de l’assomption. Or, ce qui appartient à la nature humaine n’est pas affirmé de la nature divine : en effet, on ne dit pas qu’elle a souffert ou qu’elle est morte. Il ne lui appartient donc pas d’assumer. |
[8120] Super Sent., lib. 3 d. 5
q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, assumere est ad se sumere. Sed divina natura non traxit naturam
humanam ad se, quia non est unio facta in natura divina. Ergo divina natura non
potest dici assumere. |
5. Assumer, c’est prendre en soi. Or, la nature divine n’attire pas la nature humaine à elle-même, car l’union ne s’est pas réalisée dans la nature divine. On ne peut donc pas dire que la nature divine assume. |
[8121] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 s.
c. 1 Sed contra
sunt auctoritates quae jacent in littera. |
Cependant, [1] les autorités invoquées dans le texte vont en sens contraire. |
[8122] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 s.
c. 2 Praeterea, in
Christo quidquid est unitum, potest dici assumens vel assumptum. Sed divina
natura est unita humanae. Ergo, cum non sit assumpta, debet dici assumens. |
[2] Dans le Christ, on peut dire de tout ce qui est uni qu’il l’assume ou que cela est assumé. Or, la nature divine est unie à la nature humaine. Puisqu’elle n’a pas été assumée, on doit donc dire qu’elle assume. |
[8123] Super Sent., lib.
3 d. 5 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod assumere dicitur tripliciter. Uno modo communiter pro sumere, et
sic tota Trinitas assumpsit humanam naturam filio. Secundo dicitur proprie
quasi ad se: sumere ut sibi quocumque modo uniatur; et hoc modo natura divina
in persona filii assumpsit humanam naturam. Tertio dicitur propriissime, quasi ad se, et in se sumere; et sic
convenit tantum personae, in qua facta est unio. |
Réponse. On parle d’« assumer » de trois manières. Premièrement, d’une manière générale, au sens de « prendre » ; ainsi, la Trinité entière assume la nature humaine pour le Fils. Deuxièmement, « assumer » est employé au sens propre d’« attirer à soi », quelle que soit la manière dont se fait l’union ; de cette manière, la nature divine dans la personne du Fils a assumé la nature humaine. Troisièmement, au sens le plus propre pour « attirer à soi » et « prendre en soi » ; de cette manière, cela ne convient qu’à la personne en qui s’est réalisée l’union. |
[8124] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 ad
1 Ad primum ergo
dicendum, quod hoc verum est de his quae conveniunt naturae secundum se, et
non ratione personae hujus vel illius, sicut assumere. |
1. Cela est vrai pour ce qui convient à la nature en elle-même, et non en raison de telle ou telle personne, comme le fait d’assumer. |
[8125] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod assumere tertio modo dictum, est proprium personae, et sic non
convenit naturae. |
2. « Assumer », utilisé dans le troisième sens, est propre à une personne, et ainsi il ne convient pas à la nature. |
[8126] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 ad
3 Ad tertium
dicendum, quod natura divina assumit humanam, et unitur ei: non tamen in
nomine naturae importatur suppositum, sicut in hoc nomine Deus vel verbum; et
ideo dicitur Deus vel verbum, caro, idest homo, factum, non per
transmutationem naturae, sed per unionem in supposito; non autem potest dici
de natura divina. |
3. La nature divine assume la nature humaine et est unie à elle ; cependant, dans le mot de « nature », on ne comprend pas le suppôt, comme dans le mot « Dieu » et « Verbe ». C’est pourquoi on dit que Dieu ou le Verbe s’est fait chair, c’est-à-dire homme, non pas par un changement de nature, mais par une union dans le suppôt. Mais on ne peut dire cela de la nature divine. |
[8127] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 ad
4 Ad quartum
dicendum, quod communicatio idiomatum fit ratione unionis in supposito: et
quia suppositum non importatur nomine naturae, sicut hoc nomine Deus vel
filius; ideo non potest dici natura passa, sicut Deus passus: dicitur tamen
natura incarnata: quia per hoc non importatur aliqua proprietas humanae
naturae, sed sola unio ad ipsam. |
4. La communication des idiomes se fait en raison de l’union dans le suppôt. Parce que le suppôt n’est pas indiqué par le mot « nature », comme par le mot « Dieu » ou « Fils », on ne peut donc pas dire que la nature [divine] a souffert, comme Dieu a souffert. On dit cependant que la nature [divine] s’est incarnée parce qu’on n’indique pas par là une propriété de la nature humaine, mais seulement l’union à elle. |
[8128] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 ad
5 Ad quintum
dicendum, quod natura divina sumit humanam ad se, idest ut sibi uniatur; non
tamen ut in se unio fiat. |
5. La nature divine attire à elle la nature humaine, c’est-à-dire qu’elle lui est unie, mais non au sens où l’union se réalise en elle. |
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Articulus 3 [8129] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3
tit. Utrum
conveniat naturae, remotis personis |
Article 3 – Convient-il à la
nature d’assumer, en mettant à part les personnes ?
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[8130] Super Sent., lib.
3 d. 5 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur, quod natura, circumscriptis personis, assumere non possit.
Natura enim sine suppositis est in nuda contemplatione tantum. Sed quod est
tantum in contemplatione, non habet esse; et quod non est, non agit. Ergo
natura sine personis assumere non posset. |
1. Il semble que la nature ne puisse assumer, en meettant à part les personnes. En effet, la nature n’est sans les suppôts existe dans la simple contemplation. Or, ce qui est simplement contemplé n’a pas d’être, et ce qui n’existe pas n’agit pas. La nature sans les personnes ne pourrait donc pas assumer. |
[8131] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3
arg. 2 Praeterea, secundum philosophum,
actiones sunt individuorum sive suppositorum. Sed assumere est actio quaedam. Cum igitur supposita divinae
naturae sint ipsae personae, videtur quod natura sine personis assumere non
possit. |
2. Selon le Philosophe, les actions sont le fait des individus ou des suppôts. Or, assumer est une action. Puisque les suppôts de la nature divine sont les personnes elles-mêmes, il semble donc que la nature ne puisse assumer sans les personnes. |
[8132] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3
arg. 3 Praeterea,
filius ex hoc quod assumit dicitur mitti. Sed si non essent personae
distinctae, non remaneret ratio missionis: quia mittitur qui ab alio est,
secundum Augustinum. Ergo sine personis distinctis non posset esse assumptio. |
3. On dit que le Fils est envoyé du fait qu’il assume. Or, si les personnes n’étaient pas distinctes, la raison de mission ne persisterait pas, car est envoyé celui qui vient d’un autre, selon Augustin. Il ne pourrait donc y avoir d’assomption sans les personnes distinctes. |
[8133] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, assumptio
oportet quod terminetur ad aliquam unionem. Sed circumscriptis
personis non remaneret in quo fieret unio: quia in natura non potest fieri.
Ergo natura non potest sine personis assumere. |
4. Il est nécessaire que l’assomption ait comme terme une certaine union. Or, en mettant à part les personnes, il ne resterait rien en quoi l’union se réaliserait, car elle ne peut se réaliser dans la nature. La nature ne peut donc assumer sans les personnes. |
[8134] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 s.
c. 1 Sed contra,
Angelus, Luc. 1, probavit incarnationem per Dei omnipotentiam: quia non est
impossibile apud Deum omne verbum. Sed circumscriptis personis, adhuc in
essentia remaneret omnipotentia. Ergo adhuc in essentia poterat fieri
assumptio. |
Cependant, [1] En Lc 1, l’ange a montré que l’incarnation se réalisait par la toute-puissance de Dieu, car aucune parole n’est impossible pour Dieu. Or, si l’on met les personnes à part, la toute-puissance demeurerait encore dans l’essence [divine]. L’assomption pouvait donc encore se réaliser dans l’essence. |
[8135] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 s.
c. 2 Praeterea,
Damascenus dicit, quod propter philanthropiam, idest amorem hominum, filius
Dei naturam accepit. Sed circumscriptis personis adhuc conveniret Deo suam
creaturam diligere. Ergo adhuc poterit esse assumptio. |
[2] [Jean] Damascène dit qu’« en raison de sa philanthropie, c’est-à-dire de son amour des hommes, le Fils de Dieu a reçu leur nature ». Or, si les personnes sont mises à part, il serait encore approprié que Dieu aime sa créature. L’assomption pourrait donc encore exister. |
[8136] Super Sent., lib. 3 d. 5
q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod circumscriptio personae a natura divina
potest dupliciter intelligi. Uno modo quod circumscribatur omnis ratio
personalitatis; et sic ipsa natura neque erit subsistens in se, neque erit in
aliquo subsistente; et sic non habebit esse in re, sed in intellectu; et sic
non conveniet ei neque assumere, neque aliquid agere. Alio modo potest intelligi quod
circumscribantur personae distinctae quas fides ponit. Eis autem
circumscriptis adhuc remaneret divina natura subsistens, sicut Deum
intelligunt qui non habent fidem Trinitatis, sine hoc quod intelligant ibi
patrem vel filium vel spiritum sanctum; unde adhuc remanebit ibi personalitas
aliqua; et secundum hoc quaestio procedit de circumscriptione personarum
distinctarum, quas fides supponit; et hoc modo dicendum, quod circumscriptis
personis, adhuc divinae naturae conveniet assumere. |
Réponse. La mise à part d’une personne par rapport à la nature divine peut s’entendre de deux manières. D’une manière, toute raison de personnalité est mise à part : ainsi, la nature elle-même ne subsistera pas en elle-même et elle ne se trouvera pas en quelque chose qui subsiste. Elle n’aura donc pas ainsi d’existence réelle, mais [une existence] dans l’intellect. Il ne sera donc pas approprié ni qu’elle assume ni qu’elle fasse quelque chose. D’une autre manière, on peut entendre que les personnes divines sont mises à part selon les personnes distinctes que la foi affirme. Or, celles-ci mises à part, la nature divine demeurerait encore subsistante, comme ceux qui n’ont pas la foi en la Trinité entendent Dieu, sans entendre que s’y trouvent le Père, le Fils ou le Saint-Esprit. Il demeurera donc encore là une certaine personnalité. Sous cet aspect, la question vient de la mise à part des personnes distinctes, telles que la foi les suppose. De cette manière, il faut dire que, les personnes étant mises à part, il serait encore approprié que la nature divine assume. |
[8137] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 ad
1 Ad primum
ergo, secundum et quartum patet solutio: quia procedunt secundum primum
intellectum. |
1-2 et 4. La réponse au premier, au deuxième et au quatrième argument ressort ainsi clairement, car ils viennent de la première interprétation. |
[8138] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 ad
3 Ad tertium
dicendum, quod missio non est de necessitate incarnationis simpliciter, sed
de necessitate incarnationis filii; unde supra, distinct. 1, Magister dicit,
quod pater potuit incarnari, qui tamen non potest mitti. |
3. La mission ne fait pas nécessairement partie de l’incarnation, mais elle fait nécessairement partie de l’incarnation du Fils. C’est ainsi que, plus haut, d. 1, le Maître dit que le Père pouvait s’incarner, alors qu’il ne peut être envoyé. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [Ce qui est assumé]
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Prooemium |
Prologue |
[8139] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 pr. Deinde quaeritur de assumpto; et circa hoc
quaeruntur tria: 1 utrum natura humana sit assumpta; 2 utrum anima sit
persona; 3 utrum persona hominis sit assumpta. |
Ensuite, on s’interroge sur ce qui est assumé. À ce propos, on pose trois questions : 1 – La nature humaine a-t-elle été assumée ? 2 – L’âme est-elle unehhh personne ? 3 – La personne de l’homme a-t-elle été assumée ? |
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Articulus 1 [8140] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1
tit. Utrum humana
natura sit assumpta |
Article 1 – La nature humaine
a-t-elle été assumée ?
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[8141] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod humana natura non sit
assumpta. Quia, secundum Boetium, natura, prout hic loquimur de ea, est
unumquodque informans specifica differentia. Sed differentia specifica est naturam nudam
significans: non enim significat eam ut in aliquo. Cum ergo secundum Damascenum, non
assumpserit Deus naturam quae in nuda est contemplatione, videtur quod non
assumpsit naturam. |
1. Il semble que la nature humaine n’ait pas été assumée, car, selon Boèce, « la nature », comme nous en parlons ici, « est tout ce qui confère une forme par une différence spécifique ». Or, la nature spécifique signifie la simple nature : en effet, elle ne la signifie en tant qu’elle existe dans quelque chose. Puisque, selon [Jean] Damascène, Dieu n’a pas assumé la nature qui existe dans la simple contemplation, il semble qu’il n’a pas assumé la nature. |
[8142] Super Sent., lib.
3 d. 5 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, quod assumitur, oportet praeexistere. Sed humana natura non praeextitit unioni:
quia simul fuit caro, et Dei verbi caro. Ergo natura non assumitur. |
2. Il est nécessaire que ce qui est assumé préexiste. Or, la nature humaine n’a pas préexisté à l’union, car la chair et la chair du Verbe de Dieu ont existé simultanément. La nature n’est donc pas assumée. |
[8143] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1
arg. 3 Praeterea,
natura est idem quod essentia. Sed non potest dici, quod essentiam
assumpserit: quia essentia dicitur ab essendo; esse autem personae est, quam
non assumpsit. Ergo nec naturam assumpsit. |
3. La nature est la même chose que l’essence. Or, on ne peut pas dire qu’il a assumé l’essence, car le mot « essence » vient d’« être », et être est le fait de la personne, qu’il n’a pas assumée. Il n’a donc pas non plus assumé la nature. |
[8144] Super Sent., lib. 3 d. 5
q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, natura humana est ipsa humanitas. Sed humanitas non potest esse sine homine.
Cum igitur id quod assumptum est, non fuerit homo, ut dicitur in littera,
videtur quod nec humanitas, et ita nec humana natura. |
4. La nature humaine est l’humanité elle-même. Or, l’humanité ne peut exister sans l’homme. Puisque ce qui a été assumé n’était pas l’homme, comme le dit le texte [du Maître], il semble donc que ce n’ait pas non plus été l’humanité. Ainsi, il n’a pas non plus assumé la nature humaine. |
[8145] Super Sent., lib.
3 d. 5 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, assumptio terminatur ad unionem. Sed humana natura non est unita: quia
uniens est unitum; natura autem humana non est filius Dei. Ergo natura humana
non est assumpta. |
5. L’assomption a
comme terme l’union. Or, la nature humaine n’a pas été unie, car celui qui
unit est ce qui est uni. Or, la nature humaine n’est pas le Fils de Dieu. La
nature humaine n’a donc pas été assumée. |
[8146] Super Sent., lib. 3 d. 5
q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Augustinus in Lib. de fide ad Petrum: Deus humanam
naturam in unitatem
personae accepit. |
Cependant,
[1] Augustin dit dans le livre Sur la foi adressé à Pierre : Dieu a reçu la nature humaine dans l’unité
de la personne. |
[8147] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Deus per
assumptionem fit homo. Sed non est
homo in quo non sit humana natura. Ergo Deus humanam naturam assumpsit. |
[2] Dieu devient homme par l’assomption. Or, il n’existe pas d’homme dans lequel n’existe pas la nature humaine. Dieu a donc assumé la nature humaine. |
[8148] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 s.
c. 3 Praeterea,
Philip. 2, 7: formam servi accipiens, idest naturam. |
[3] Ph 2, 7 dit : En prenant la forme de l’esclave, c’est-à-dire la nature [de l’esclave]. |
[8149] Super Sent., lib.
3 d. 5 q. 3 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod quicumque confitetur incarnationem, ponit humanam naturam
assumptam: et quamvis secundum omnes modos quibus dicitur natura superius
positos, possit dici natura assumpta, non oportet discurrere per singula, cum
naturam omnes intelligant, qui dicunt naturam humanam assumptam, secundum
quod natura significat quidditatem. |
Réponse. Quiconque confesse l’incarnation affirme que la nature humaine a été assumée. Bien que, selon toutes les manières de parler de la nature qui ont été exposées plus haut, on puisse dire que la nature a été assumée, il n’est pas nécessaire de discuter de chacune, puisque tous ceux qui disent que la nature humaine a été assumée l’entendent selon que la nature signifie la quiddité. |
[8150] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 ad
1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut genus est quaedam intentio quam
intellectus ponit circa formam intellectam; ita etiam differentia, et omnia
quae significant secundas intentiones. Tamen huic intentioni intellectae
respondet natura quaedam quae est in particularibus; quamvis secundum quod
est in particularibus, non habeat rationem generis vel speciei. Secundum hoc
dico, quod Boetius non intendit dicere, quod differentia secundum quod
accidit ei intentio differentiae, sit natura, sed quantum ad id quod est in
re ipsa, scilicet quidditas rei quam differentia complet. |
1. De même que le genre est une intention que l’intellect applique à une forme intelligée, de même la différence l’est-elle, et tout ce qui signifie les intentions secondes. Toutefois, à cette intention intelligée correspond une nature qui existe dans les choses particulières, bien que, selon qu’elle existe dans les choses particulières, elle n’ait pas la raison de genre ou d’espèce. Je dis ainsi que Boèce n’entend pas dire que la différence, selon que lui est appliquée l’intention de la différence, est la nature, mais selon qu’elle existe dans la chose elle-même, c’est-à-dire la quiddité de la chose que la différence complète. |
[8151] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod quamvis non praeexistat tempore, praeexistit tamen secundum
modum intelligendi; et hoc sufficit. |
2. Bien qu’elle ne préexiste pas dans le temps, elle préexiste cependant selon la manière d’intelliger, et cela suffit. |
[8152] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 ad
3 Ad tertium
dicendum, quod essentia non habet se ad esse sicut consequens ipsum, sed
sicut id per quod est esse, sicut et natura; unde similiter concedo quod
assumpsit essentiam sicut assumpsit naturam, quamvis non assumpserit
suppositum. |
3. Le rapport de l’essence à l’être ne consiste pas en ce qu’elle en découle, mais en ce qu’elle est ce par quoi existe l’être, de même que la nature. Je concède donc aussi qu’il a assumé l’essence comme il assumé la nature, bien qu’il n’ait pas assumé le suppôt. |
[8153] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 ad
4 Ad quartum
dicendum, quod quamvis humanitas non sit sine homine, tamen est prius
naturaliter quam homo, quia per eam dicitur aliquis esse homo; unde est eadem
ratio sicut de essentia. |
4. Bien que l’humanité n’existe pas sans l’homme, elle est cependant naturellement antérieure à l’homme, car c’est par elle qu’on dit que l’homme est. Il en va donc de même que pour l’essence. |
[8154] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 ad
5 Ad quintum
dicendum, quod quamvis natura humana non sit unita, idest facta unum
simpliciter, cum divina; est tamen ei unita in aliquo, id est in persona. |
5. Bien que la nature humaine n’ait pas été unie, c’est-à-dire qu’elle ne soit pas devenue une seule chose avec la nature divine, elle lui a cependant été unie en quelqu’un, à savoir dans la personne. |
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Articulus 2 [8155] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2
tit. Utrum anima
separata sit persona |
Article 2 – L’âme séparée
est-elle une personne ?
|
[8156] Super Sent., lib.
3 d. 5 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod anima separata sit persona.
Persona enim, secundum Boetium, est rationalis naturae individua substantia.
Sed hoc convenit animae separatae. Ergo est persona. |
1. Il semble que l’âme séparée soit une personne. En effet, selon Boèce, « la personne est la substance individuelle de nature raisonnable ». Or, cela convient à l’âme séparée. Elle est donc une personne. |
[8157] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2
arg. 2 Praeterea,
propter quod unumquodque tale, et illud magis. Sed homo dicitur persona propter animam:
unde quae carent anima, non dicuntur personae. Ergo anima separata est
persona. |
2. Ce par quoi toute chose est ce qu’elle est est encore davantage. Or, l’homme est appelé une personne en raison de son âme ; aussi les réalités à qui l’âme fait défaut ne sont-elles pas appelées des personnes. L’âme séparée est donc une personne. |
[8158] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2
arg. 3 Praeterea,
conceditur quod anima rationalis est hoc aliquid. Sed hoc aliquid in natura
rationali est persona. Ergo anima separata est persona. |
3. On concède que l’âme raisonnable est telle chose. Or, telle chose dans une nature raisonnable est une personne. L’âme séparée est donc une personne. |
[8159] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2
arg. 4 Praeterea,
Angelus et anima separata non videntur differre nisi per hoc quod anima est
unibilis. Sed unibilitas
non impedit rationem personae. Ergo cum Angelus sit persona, etiam anima
separata erit persona. Probatio mediae. Id quod potest fieri per divinam
virtutem, non immutat aliquid de ratione rei; sicut quod Deus possit assumere
aliquem hominem, ut Petrum, non aufert Petro rationem personalitatis. Sed
anima separata non potest uniri corpori nisi per resurrectionem, quae non
erit naturalis, sed per divinam virtutem tantum. Ergo anima propter unibilitatem
rationem personae non amittit. |
4. L’ange et l’âme séparée ne semblent diffèrer que par le fait que l’âme est apte à être unie. Or, l’aptitude à l’union n’empêche pas la raison de personne. Puisque l’ange est une personne, l’âme séparée aussi sera une personne. Démonstration de la mineure. Ce qui peut être accompli par la puissance divine n’enlève rien à la raison d’une chose, comme le fait pour Dieu de pouvoir assumer un homme, ainsi Pierre, n’enlève pas à Pierre la raison de personnalité. Or, l’âme séparée ne peut être unie au corps que par la résurrection, qui ne sera pas naturelle, mais sera accomplie par la puissance divine seulement. En raison de son aptitude à l’union, l’âme ne perd donc pas la raison de personne. |
[8160] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2
arg. 5 Praeterea,
sola unibilitas qua aliquid potest uniri nobiliori, tollit rationem personae;
alias verbum non haberet ab aeterno rationem personae. Sed unibilitas quae
est in anima separata, non est respectu alicujus dignioris, immo minus
nobilis. Ergo propter hoc non perdit rationem personae. |
5. Seule l’aptitude à l’union, par laquelle une chose peut être unie à quelque chose de plus noble, enlève la raison de personne, autrement le Verbe ne posséderait pas éternellement la raison de personne. Or, l’aptitude à l’union qui existe dans l’âme séparée n’est pas en rapport avec quelque chose de plus digne, mais plutôt avec quelque chose de moins noble. Elle ne perd donc pas pour cela la raison de personne. |
[8161] Super Sent., lib. 3 d. 5
q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra, nulla forma est persona. Sed anima est forma. Ergo non est persona. |
Cependant, [1] aucune forme n’est une personne. Or, l’âme est une forme. Elle n’est donc pas une personne. |
[8162] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 s.
c. 2 Praeterea,
persona habet rationem completi et totius. Sed anima est pars. Ergo anima non
habet rationem personae. |
[2] La personne possède la raison d’achevé et de tout. Or, l’âme est une partie. L’âme n’a donc pas la raison de personne. |
[8163] Super Sent., lib. 3 d. 5
q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod de unione animae ad corpus apud antiquos duplex fuit opinio.
Una quod anima unitur corpori sicut ens completum enti completo, ut esset in
corpore sicut nauta in navi: unde, sicut dicit Gregorius Nyssenus, Plato
posuit quod homo non est aliquid constitutum ex corpore et anima, sed est
anima corpore induta: et secundum hoc tota personalitas hominis consisteret
in anima, adeo quod anima separata posset dici homo vere, ut dicit Hugo de s.
Victore: et secundum hanc opinionem esset verum quod Magister dicit, quod
anima est persona quando est separata. Sed haec opinio non potest stare: quia sic corpus animae
accidentaliter adveniret: unde hoc nomen homo, de cujus intellectu est anima
et corpus, non significaret unum per se, sed per accidens; et ita non esset
in genere substantiae. Alia est opinio Aristotelis quam omnes moderni
sequuntur, quod anima unitur corpori sicut forma materiae: unde anima est
pars humanae naturae, et non natura quaedam per se: et quia ratio partis
contrariatur rationi personae, ut dictum est, ideo anima separata non potest
dici persona: quia quamvis separata non sit pars actu, tamen habet naturam ut
sit pars. |
Réponse. Chez les anciens, une double opinion sur l’union de l’âme au corps a existé. L’une était que l’âme est unie au corps comme comme quelque chose de complet à une être complet, de sorte qu’elle serait dans le corps comme un marin dans un navire. Comme le dit Grégoire de Nysse, Platon affirmait que l’homme n’est pas quelque chose qui est constitué d’un corps et d’une âme, mais qu’il est une âme revêtue d’un corps. Toute la personnalité de l’homme consisterait ainsi dans l’âme, au point où l’âme séparée pourrait être appelée véritablement un homme, comme le dit Hugues de Saint-Victor. Selon cette opinion, ce que dit le Maître serait donc vrai : l’âme est une personne lorsqu’elle est séparée. Mais cette opinion ne peut être tenue, car ainsi le corps adviendrait à l’âme de manière accidentelle. Ce mot « homme », que l’on comprend être une âme et un corps, ne signifierait donc pas quelque chose d’un par soi, mais par accident. Il ne ferait donc pas partie du genre de la substance. L’opinion d’Aristote, suivie par tous les modernes, est différente : l’âme est unie au corps comme une forme à sa matière. L’âme est donc une partie de la nature humaine, et non pas une nature par elle-même. Et parce que la raison de partie s’oppose à la raison de personne, comme on l’a dit, l’âme séparée ne peut donc être appelée une personne, car, bien que l’âme séparée ne soit pas une partie en acte, elle est cependant une partie par nature. |
[8164] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 ad
1 Ad primum ergo
dicendum, quod anima separata, proprie loquendo, non est substantia alicujus
naturae, sed est pars naturae. |
1. À proprement parler, l’âme séparée n’est pas la substance d’une nature, mais elle est une partie d’une nature. |
[8165] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 ad
2 Ad secundum dicendum, quod non tantum ab anima habet homo quod sit persona,
sed ex ea et corpore; cum ex utrisque subsistat. |
2. L’homme ne tient pas seulement de l’âme d’être une personne, mais d’elle et du corps, puisqu’il subsiste par les deux. |
[8166] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 ad
3 Ad tertium
dicendum, quod anima rationalis dicitur hoc aliquid per modum quo esse
subsistens est hoc aliquid, etiam si habeat naturam partis; sed ad rationem
personae exigitur ulterius quod sit totum et completum. |
3. On dit que l’âme raisonnable est telle chose, à la manière d’une être subsistant, même si elle a la nature de partie ; mais, il est requis pour la raison de personne qu’elle soit quelque chose d’entier et de complet. |
[8167] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 ad
4 Ad quartum
dicendum, quod quamvis unio animae separatae ad carnem non possit fieri nisi
per virtutem supernaturalem, tamen in ea est naturalis aptitudo ad hoc: et
quod non potest unio compleri per virtutem naturalem, est ex defectu
corporis, non ex defectu animae. |
4. Bien que l’union de l’âme séparée à la chair ne puisse être réalisée que par une puissance surnaturelle, il existe cependant en elle une aptitude naturelle à cela. Que l’union ne puisse être réalisée par une puissance naturelle, cela vient d’une carence du corps, et non d’une carence de l’âme. |
[8168] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 ad
5 Ad quintum
dicendum, quod quamvis anima sit dignior corpore, tamen unitur ei ut pars
totius hominis, quod quodammodo est dignius anima, inquantum est completius. |
5. Bien que l’âme soit plus digne que le corps, elle lui est cependant unie comme une partie de l’homme tout entier, ce qui est d’une certaine manière plus digne que l’âme, pour autant que cela est plus complet. |
Articulus 3 [8169] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3
tit. Utrum persona
sit assumpta |
Article 3 – La personne a-t-elle été assumée ? |
[8170] Super Sent., lib.
3 d. 5 q. 3 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod persona hominis sit assumpta.
Damascenus enim dicit, quod Deus assumpsit humanam naturam in atomo, idest in
individuo. Sed humana natura in individuo, est natura in persona. Ergo
assumpsit naturam in persona. |
1. Il semble que la personne de l’homme ait été assumée. En effet, [Jean] Damascène dit que « Dieu a assumé la nature humaine dans quelque chose d’indivis » (atomo), c’est-à-dire dans un individu. Or, la nature humaine dans l’individu est une nature dans une personne. Il a donc assumé la nature dans la personne. |
[8171] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3
arg. 2 Praeterea,
Christus non est similis matri nisi in hoc quod accepit a matre. Sed est
similis matri quantum ad personam: unde dicit Cassianus, quod Christus
propter personarum diversitatem reddidit utrique parenti similitudinem,
scilicet patri et matri. Ergo assumpsit personam. |
2. Le Christ n’est semblable à sa mère que pour ce qu’il a reçu de sa mère. Or, il est semblable à sa mère pour ce qui est de la personne ; c’est ainsi que Cassien dit que le Christ, en raison de la diversité des personnes, a manifesté une similitude à ses deux parents, à son Père et à sa mère. Il a donc assumé la personne. |
[8172] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3
arg. 3 Praeterea,
ponatur quod Christus deponat hoc quod assumpsit: constat quod Jesus erit
quidam homo, et persona. Sed ex separatione nihil acquisitum est ei quod
prius non haberet; nec habuit aliquid ex parte humanitatis nisi assumptum.
Ergo assumpsit personam. |
3. À supposer que le Christ se sépare de ce qu’il a assumé, il est clair que Jésus sera un homme et une personne. Or, par la séparation, il n’a rien reçu qu’il n’ait d’abord possédé, et il n’a rien reçu du point de vue de l’humanité que ce qui a été assumé. Il a donc assumé la personne. |
[8173] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3
arg. 4 Praeterea, non
consumitur nisi quod est. Sed dicit Innocentius quartus in decretali, quod persona consumpsit
personam. Ergo natura humana habuit personalitatem propriam. Sed non ante
assumptionem, quia non fuit ante. Ergo in ipsa assumptione habuit
personalitatem propriam: ergo persona fuit assumpta. |
4. N’est consumé que ce qui existe. Or, Innocent IV dit dans une décrétale que « la personne a consumé la personne ». La nature humaine avait donc une personnalité propre. Or, ce n’était pas avant l’assomption, car elle n’existait pas auparavant. Elle a donc eu une personnalité propre dans l’assomption même. La personne a donc été assumée. |
[8174] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 s.
c. 1 Sed contra, Augustinus dicit, quod
verbum non accepit personam hominis, sed naturam. |
Cependant, [1] Augustin dit que le Verbe n’a pas reçu la personne de l’homme, mais sa nature. |
[8175] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 s. c. 2 Praeterea, quod
assumitur, aliquo modo unitur. Sed persona non unitur personae: quia sic essent duae personae, quod
esse non potest, ut supra dictum est, quaest. 1, art. 5: vel una composita ex
duabus, quod etiam est impossibile, cum persona pars esse non possit. Ergo
persona non est assumpta. |
[2] Ce qui est assumé est uni d’une certaine manière. Or, la personne n’est pas unie à la personne, car il y aurait ainsi deux personnes, ce qui ne peut être le cas, comme on l’a dit plus haut, q. 1, a. 5 ; ou il y aurait une seule personne composée des deux, ce qui est aussi impossible, puisque la personne ne peut être une partie. La personne n’a donc pas été assumée. |
[8176] Super Sent., lib. 3 d. 5
q. 3 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod, sicut supra dictum est, quaest. 1, art. 1, quaestiunc. 3,
assumens non est assumptum: unde si persona Dei assumpsisset personam
hominis, persona Dei non esset persona hominis; et sic essent duae personae,
quod est haereticum: unde non conceditur quod persona sit assumpta: et etiam
quod assumitur, trahitur ad aliquod completius, ipsum incompletum existens,
ut patet ex praedictis, et hoc est contra rationem personae, quae maximam
completionem importat. |
Réponse. Comme on l’a dit plus haut, q. 1, a. 1, qa 3, ce qui assume n’est pas assumé. Si une personne de Dieu avait assumé la personne d’un homme, la personne ne Dieu ne serait pas la personne de l’homme. Il y aurait donc ainsi deux personnes, ce qui est hérétique. On ne concède donc pas que la personne a été assumée, et aussi ce qui est assumé est attiré à quelque chose de plus complet, alors qu’il est lui-même incomplet, comme cela ressort de ce qui a été dit. Et cela est contraire à la raison de personne, qui est ce qu’il y a de plus complet. |
[8177] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 ad
1 Ad primum ergo
dicendum, quod humana natura non praeexistit ante unionem; sed postquam unita
est, fuit in atomo, vel persona verbi. |
1. La nature humaine n’a pas préexisté à l’union ; mais, après avoir été unie, elle a existé dans quelque chose d’indivis (atomo), la personne du Verbe. |
[8178] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod hoc quod dicit: propter personarum diversitatem, non
est referendum ad Christum, sed ad parentes; quia diversae sunt personae
patris et matris ejus. |
2. Ce qu’il dit : « En raison de la diversité des personnes », ne doit pas être mis en rapport avec le Christ, mais avec ses parents, car les personnes de son Père et de sa mère sont différentes. |
[8179] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 ad
3 Ad tertium
dicendum, quod separatio dat utrique partium totalitatem, et in continuis dat
etiam utrique esse in actu: unde supposito quod hominem deponeret,
subsisteret homo ille per se in natura rationali, et ex hoc ipso acciperet
rationem personae. |
3. La séparation confère à chacune des parties une totalité et, dans les réalités continues, elle donne même à chacune des deux l’être en acte. À supposer qu’il se séparerait de l’homme, cet homme subsisterait par soi dans sa nature raisonnable, et il recevrait de cela même la raison de personne. |
[8180] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 ad
4 Ad quartum
dicendum, quod consumere dicitur proprie destruere quod extitit; et secundum
hoc persona consumpsisset personam, si persona verbi assumpsisset hominem
primo existentem. Sed improprie dicitur etiam consumi quod impeditur ne fiat.
Et quia persona divina, quae assumpsit humanam naturam impedit quod natura
humana habeat propriam personalitatem, ideo dicitur consumpsisse personam,
quamvis improprie: unde non est ex hoc extendendum. |
4. Consumer veut dire, au sens propre, détruire ce qui existait. Ainsi, la personne consumerait une personne, si la personne du Verbe assumait un homme qui existait déjà. Mais on dit en un sens impropre que ce qui est empêché d’être est consumé. Et parce que la personne divine, qui a assumé la nature humaine, empêche que la nature humaine n’ait sa personnalité propre, on dit, bien qu’improprement, qu’elle a consumé la personne [humaine]. Il ne faut donc pas étendre la portée de cela. |
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Expositio textus |
Explication du texte
de Pierre Lombard, Dist. 5
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[8181] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3
expos. Nec divinitas
(inquit) Christi, aliena est a natura patris, nec humanitas a natura matris. Contra. Christus communicat cum patre in
una natura numero, cum matre vero non. Ergo non est recta similitudo.
Dicendum, quod non oportet quod sit similitudo quantum ad omnia, sed sufficit
quod sit quantum ad aliquid. Cum (inquit) de Christo audis, quia in forma
Dei erat, oportet agnoscere firmissimeque tenere, in illo formae nomine
naturalem plenitudinem debere intelligi. Sciendum, quod natura divina
dicitur forma, non quod sit actus alicujus naturae, sed quia non habet partem
sui naturam, nec aliquid potentialitatis in ipsa est. Natura vero humana
dicitur forma, non quia comprehendit principia tantum formalia (comprehendit
enim et formam et materiam), sed per modum quo quidditas compositi dicitur
forma totius. Solum verbum carnem Trinitas fecit. Pars ponitur hic pro
toto, quia caro pro homine: et ponit infirmiorem, de qua minus videtur, ut
totam naturam nostram videatur assumpsisse, et etiam defectus humanae naturae
quos decuit. Omnem et perfectam naturam divinitatis. Contra. Omnis
signum distributivum est. Sed natura divina est indivisa. Dicendum, quod
omnis ponitur pro toto, secundum quod totum dicitur cui nihil deest, et non
ex parte illa quo totum comparatur ad partes, quia natura divina non habet
partes. Ideoque non sic dicitur divina natura esse homo, sicut Dei filius.
Contra. De quocumque praedicatur filius Dei, praedicatur homo. Sed natura
divina est filius Dei. Ergo est homo. Dicendum, quod differentia est inter
nomina substantiva et adjectiva. Substantiva enim significant non tantum
formam, sed etiam suppositum formae, unde possunt praedicari ratione
utriusque; et quando praedicantur ratione suppositi, dicitur praedicatio per
identitatem; quando autem ratione formae, dicitur per denominationem, sive
informationem: et haec est magis propria praedicatio, quia termini in
praedicato tenentur formaliter. Adjectiva autem tantum significant formam; et
ideo non possunt praedicari, nisi per informationem: unde haec est falsa:
essentia est generans; quamvis haec sit vera: essentia est pater. Cum igitur
dicitur, filius Dei est homo, est praedicatio per informationem et
identitatem; cum vero dicitur: essentia divina est homo, est praedicatio per
identitatem, quia est idem secundum rem cum supposito hominis; non autem per
informationem, quia natura divina non significatur ut suppositum subsistens
in humana natura. Et ideo dicit Magister, quod non est una vera sicut alia;
sed nec tamen dicit eam simpliciter esse falsam. |
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Distinctio 6 |
Distinction 6 – [Les
conditions du Dieu incarné]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Ce qui convient au Dieu incarné]
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Prooemium |
Prologue |
[8182] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 pr. Postquam Magister determinavit de
incarnatione Dei, hic determinare incipit conditiones Dei incarnati. Dividitur autem haec pars
in duas: in prima determinat de his quae conveniunt Deo incarnato ratione
unionis; in secunda de his quae pertinent ad naturam assumptam absolute,
dist. 13, ibi: praeterea sciendum est. De his enim quae absolute
pertinent ad divinam naturam, determinatum est in 1 Lib. Prima autem pars dividitur
in duas: primo determinat de his quae dicuntur de Deo incarnato, exprimentia
ipsam unionem, sicut quod dicitur: Deus est homo, vel factus est homo; in
secunda determinat de his quae conveniunt ei consequenter ad unionem, dist. 8, ibi: post praedicta, inquiri debet,
utrum de natura divina concedendum sit quod de virgine sit nata. Prima
dividitur in tres partes: in prima movet quaestionem de locutionibus
exprimentibus unionem; in secunda ponit diversas opiniones de modo unionis,
ibi: alii enim dicunt; in tertia ostendit quomodo intelliguntur
diversimode praedictae locutiones secundum diversas opiniones, dist. 7, ibi: secundum
primam vero dicitur Deus factus homo, et homo factus Deus. Alii enim dicunt
in ipsa verbi incarnatione hominem quemdam ex anima rationali et humana carne
constitutum. Hic ponit opiniones, et dividitur in tres partes secundum
tres opiniones quas ponit; secunda incipit ibi: sunt autem alii qui istis
in parte consentiunt; tertia ibi: sunt etiam alii qui in incarnatione
verbi non solum personam ex naturis compositam negant, verum etiam hominem
aliquem, sive etiam aliquam substantiam ibi ex anima et carne compositam vel
factam diffitentur. Quaelibet autem trium partium dividitur in duas
partes, in opinionem et confirmationem. Confirmatio primae opinionis incipit
ibi: et ne de suo sensu tantum loqui putentur, hanc sententiam pluribus
muniunt testimoniis; secunda autem ibi: de hoc Augustinus in libro
sententiarum prosperi ait. Confirmatio autem tertii ibi: ne autem et
isti de suo sensu influere videantur, testimoniis in medium productis quod
dicunt confirmant. Ad evidentiam autem eorum quae dicuntur, oportet primo tria videre.
Primo in quo istae tres opiniones conveniant. Secundo in quo una harum opinionem
ab alia differat. Tertio quid unaquaeque ponat. In quo tres illae opiniones
conveniant. Quantum ad primum sciendum, quod istae opiniones conveniunt in
quatuor: primo, quia quaelibet harum ponit unam personam in Christo, scilicet
divinam, per quod recedunt ab haeresi Nestorii: secundo ponunt in Christo
duas naturas, et tres substantias, scilicet divinitatem, animam, et corpus,
ex quibus duobus dicunt constare naturam humanam, et per hoc recedunt ab
errore Eutychetis, qui posuit unam naturam in Christo: tertio has duas substantias
in quibus humana natura consistit, dicunt assumptas a verbo, per quod
recedunt ab errore Manichaei, qui negabat carnis assumptionem. Quarto, quod
hoc quod assumptum est, non praeexistit ante unionem tempore, sed natura
solum; per quod evadunt errorem quem tangit Damascenus dicentium, quod primo
assumpserit intellectum, et ex tunc fuisse hominem; postea autem assumpsisse
carnem in utero virginis: quod videtur esse error Origenis, qui ponebat
animas creatas ante corpora. In quo una harum opinionum ab alia differat. Quantum
vero ad secundum, scilicet differentiam harum opinionum, sciendum est, quod
cum in Christo sint tres substantiae, invenitur duplex comparatio harum
substantiarum: una animae et corporis ad invicem, secundum quod in eis
consistit humana natura; altera vero harum duarum ad personam divinam,
secundum quod illa assumpsit has duas. Et quaelibet harum opinionum differt
ab altera quantum ad utramque comparationem. Differt autem tertia opinio a
primis duabus quantum ad comparationem animae et corporis: quia primae duae
opiniones ponunt aliquid compositum ex anima et corpore, quod est assumptum:
tertia vero ponit has duas substantias esse divisas ad invicem, et sine
aliqua compositione a persona verbi assumptas esse; unde cum dicitur natura
humana assumpta a verbo, sumit naturam humanam materialiter, idest partes
humanae naturae, sicut partes domus dicuntur domus. Differt autem a primis
duabus quantum ad comparationem harum duarum substantiarum ad tertiam: quia
ponit has duas substantias conjunctas verbo accidentaliter, sicut vestis
conjungitur homini, et sicut Angelus assumit corpus, ut in eo videatur;
primae vero duae opiniones dicunt, non accidentaliter sed substantialiter
quantum ad esse personale verbo conjunctas esse. Similiter etiam secunda
opinio differt a prima secundum has duas comparationes. Quantum enim ad
comparationem animae et corporis differunt in hoc quod cum utraque ponit
animam et corpus praeexistere secundum intellectum ad unionem, et ex eis conjunctis
effici aliquod unum, non uniusmodi unum ex his conjunctis constitui dicit
utraque: ex conjunctione enim animae ad corpus resultat et hic homo et
humanitas. Et haec duo qualiter differant, patere potest ex praedictis in
praecedenti dist.: quia hic homo dicit quid subsistens in natura humana,
humanitas autem colligit tantum ea in sua significatione ex quibus homo habet
quod sit homo. Prima ergo
opinio dicit, quod illud unum constitutum ex anima et corpore quod
praeintelligitur unioni et assumitur est hic homo. Secunda vero dicit quod
hoc quod sit humanitas, et hoc quod sit hic homo non habet ex conjunctione
animae ad corpus, sed ex conjunctione utriusque ad divinam personam, quae
subsistit in eis. Differunt etiam quantum ad secundam comparationem utriusque
substantiae ad divinam personam. Nam secunda opinio dicit, quod istae duae
substantiae assumptae ita conjunguntur divinae personae quod pertinent ad
personalitatem ipsius: adeo quod sicut persona verbi ante incarnationem
subsistebat in natura divina; ita post incarnationem subsistit in humana et
divina; et ideo ante incarnationem erat simplex, sed post est composita. Prima vero opinio dicit, quod illa
substantia composita ex anima et corpore non pertinet ad personalitatem
verbi; ita quod in ea persona verbi subsistat; sed per assumptionem factum
est ut persona verbi esset illa substantia composita ex anima et corpore, et
e converso; unde persona verbi sicut fuit simplex ante incarnationem, ita est
et simplex post incarnationem. Quid unaquaeque harum opinionum ponat. Quantum
ad tertium autem, scilicet ad positiones quas quaelibet opinio ponit,
sciendum est quod prima opinio ex hoc quod ponit duas substantias, scilicet
animam et corpus, secundum quod praeintelliguntur unioni, esse conjunctas ad
constituendum hominem, oportet quod primo ponat hominem assumptum; secundo
quod homo non significet nisi compositum ex duabus substantiis, scilicet
anima et corpore, non autem deitate. Et quia hic homo est suppositum vel hypostasis;
ideo ponit tertio in Christo esse duo supposita: unum creatum quod est homo,
et alterum increatum, quod est filius Dei; et similiter duas hypostases. Et
quia suppositum praedicatur in recto, non in obliquo, sicut natura (Socrates
enim est suppositum humanae naturae); ideo quarto dicit, quod Christus est
neutraliter duo; unus tamen masculine, propter unitatem personae. Et quia
dicit hominem assumptum, et filius Dei est homo; ideo dicit quinto, quod
assumens est assumptum. Et quia in Christo dicit duo supposita; ideo dicit
sexto, quod supposito filio Dei non supponitur hic homo, quamvis hic homo sit
filius Dei, sicut supposita essentia non supponitur pater, quamvis essentia
sit pater. Et quia hic homo non supponit suppositum aeternum; ideo dicit
septimo, quod sicut Deus factus est homo, ita homo factus est Deus: quod non
posset dici si supponeret suppositum aeternum, quia suppositum aeternum non
incipit esse Deus. Et quia proprietates aeternae non determinant suppositum
temporale, nec e converso; ideo dicit octavo, quod omnia nomina adjectiva
quae significant aliquid aeternum, non possunt dici de filio virginis nisi
cum implicatione; ut si dicatur: filius virginis est aeternus; idest est ille
qui est aeternus: et similiter adjectiva quae significant aliquod temporale,
non possunt dici proprie de filio Dei. Substantiva autem hinc inde praedicantur
propter unionem; sicut et adjectiva personalia non dicuntur de essentia,
quamvis substantiva dicantur de ea. Secunda vero opinio, quia ponit, quod
humana natura, quae est assumptum, non significat quid subsistens, sed potius
in ea subsistit divina persona per unionem; ideo primo dicit, hominem (quod
significat per modum subsistentis), non esse assumptum, sed humanam naturam.
Et quia hypostasis vel suppositum, dicit aliquid per se subsistens, ideo
secundo non ponit in Christo nisi unum suppositum vel hypostasim. Et per
consequens ponit tertio, quod Christus est unum tantum, et non solum unus. Et
quia humana natura non substantificatur, ut subsistat, nisi per unionem ad
divinam personam; ideo homo, qui significat per modum subsistentis, non solum
dicit naturam et corpus, sed etiam divinitatem. Et haec est quarta positio.
Et quia divina persona, quae ante incarnationem subsistebat in una natura,
post illam subsistit in duabus naturis et tribus substantiis; ideo quinto
dicit, quod persona verbi ante incarnationem fuit simplex, sed post
incarnationem est composita. Et quia est unum suppositum quod subsistit in
duabus naturis; ideo sexto ponit, quod de illo supposito proprie dici possunt
adjectiva significantia proprietates utriusque naturae, sive denominetur per unam
naturam, sive per aliam; unde secundum eos proprie dicitur: iste puer est
aeternus; et Deus est passus. Tertia vero opinio, quia negat
unionem animae ad carnem in Christo, ideo primo ponit, quod homo non
praedicat de Christo aliquid compositum ex anima et corpore, sed partes
humanae naturae; ut sit sensus: homo est; idest habet animam et corpus sibi
unita accidentaliter. Et ideo ponit secundo, quod homo praedicatur de Christo
accidentaliter, non in quid, sed in quomodo se habens; ut cum dicitur homo indutus.
Et ideo tertio ponit, quod duae substantiae non pertinent ad personalitatem
filii Dei, sed extrinsecus se habent ad ipsam. Et multa alia ex his
opinionibus sequuntur, si quis radicem opinionum consideret. Ex praedictis autem patet
quod quaelibet harum duarum opinionum convenit cum alia in aliquo in quo
differt a tertia. Primae enim duae opiniones conveniunt in hoc quod utraque
ponit, quod homo de Christo praedicatur in quid; in quo differunt a tertia
quae hoc negat. Similiter tertia convenit cum secunda in hoc quod in Christo
non sunt duo supposita, quamvis differenter: quia secunda ponit, quod
supponitur utrique naturae substantialiter; tertia vero quod divinae
substantialiter, et humanae accidentaliter, sicut album et homo non est aliud
et aliud suppositum; sed idem quod supponit homo, copulat album: in quo differunt
a prima, quae ponit in Christo duo supposita. Similiter etiam prima et tertia
conveniunt in hoc quod humana natura non pertinet ad personalitatem divinae
personae, quamvis differenter: quia prima ponit, quod substantificatur per
se; tertia autem quod nullo modo; unde utraque ponit, quod divina persona
sicut fuit simplex ante incarnationem, ita est simplex post incarnationem; in
quo differunt a secunda. His visis, circa veritatem harum opinionum est triplex quaestio. Prima
de his quae dicit prima opinio. Secunda de his quae dicit secunda. Tertia de
his quae dicit tertia. Circa primam quaestionem quaeruntur tria: 1 utrum in
Christo sint duae hypostases; 2 utrum homo sit assumptus; 3 utrum homo
significet substantiam compositam ex duabus substantiis tantum. |
Après avoir déterminé de l’incarnation de Dieu, le Maître commence ici à déterminer des conditions du Dieu incarné. Cette partie se divise en deux parties : dans la permière, il détermine de ce qui convient au Dieu incarné en raison de l’union ; dans la seconde, de ce qui appartient à la nature assumée de manière absolue, d. 13, à cet endroit : « De plus, il faut savoir… » De ce qui appartient à la nature divine de manière absolue, il a été déterminé dans le livre I. La première partie se divise en deux : premièrement, il détermine de ce qu’on dit du Dieu incarné, qui exprime l’union elle-même, comme lorsqu’on dit : « Dieu est homme » ou « [Dieu] s’est fait homme » ; dans la seconde, il détermine de ce qui lui convient en conséquence de l’union, d. 8, à cet endroit : « Après ce qui a été dit, on doit se demander si on doit concéder que la nature divine est née de la Vierge. » La première partie se divise en trois parties. Dans la première, il soulève une questions à propos des formules qui expriment l’union. Dans la deuxième, il présente diverses opinions à propos du mode de l’union, à cet endroit : « En effet, d’autres disent… » Dans la troisième, il montre comment les formules rappelées s’entendent de diverses manières selon les diverses opinions, d. 7, à cet endroit : « Selon la première opinion, on dit vraiment que Dieu s’est fait homme et que l’homme est devenu Dieu. » « En effet, d’autres disent que, dans l’incarnation même du Verbe, un homme a été formé d’une âme raisonnable et d’une chair humaine. » Ici, il présente les opinions, et cela se divise en trois parties selon les trois opinions qu’il présente. La deuxième partie début en cet endroit : « Mais il y en d’autres qui sont partiellement d’accord avec cela. » La troisième partie [débute] à cet endroit : « Il y en a aussi d’autres qui, dans l’incarnation du Verbe, non seulement nient que la personne est composée de natures, mais qu’elle est aussi un homme, ou encore qui récusent qu’une substance y ait été composée ou faite d’âme et de chair. » Chacune de ces trois parties se divise en deux parties : une opinion et sa confirmation. La confirmation de la première opinion débute à cet endroit : « De crainte qu’on ne croie qu’ils parlent selon leur propre opinion, ils appuient cette position sur plusieurs témoignages. » La [confirmation] de la deuxième opinion [début] à cet endroit : « À ce propos, dans le livre sur Les positions de Prospère, Augustin dit. » La confirmation de la troisième [opinion débute] à cet endroit : « Mais de crainte que ceux-ci ne paraissent être portés par leur propre opinion, ils confirment ce qu’ils disent par des témoignages ouvertement invoqués. » Mais, pour mettre en lumière ce qui est dit, il faut d’abord voir trois choses. Premièrement, [il faut voir] ce sur quoi ces trois opinions sont d’accord. Deuxièmement, en quoi une de ces opinions diffère d’une autre. Troisièmement, ce qu’affirme chacune d’elles. En quoi ces trois opinions sont-elles d’accord ? À propos de ce premier point, il faut savoir que ces opinions sont d’accord sur quatre points. Premièrement, chacune d’elles affirme une seule personne dans le Christ, à savoir, une personne divine, par quoi elles s’éloignent de l’hérésie de Nestorius. Deuxièmement, elles affirment qu’il existe deux natures et trois substances dans le Christ : la divinité, l’âme et le corps, ces deux derniers formant la nature humaine. En cela, ils s’éloignent de l’erreur d’Eutychès, qui affirmait une seule nature dans le Christ. Troisièmement, ils disent que les deux substances en lesquelles consiste la nature humaine ont été assumées par le Verbe, en quoi ils s’éloignent de l’erreur de Mani, qui niait l’assomption de la chair. Quatrièmement, ils disent que ce qui a été assumé n’a pas préexisté à l’union dans le temps, mais par nature seulement : en cela, ils échappent à l’erreur de ceux qui, selon [Jean] Damascène, disaient qu’il avait d’abord assumé l’intellect, puis, à partir de là, qu’il était devenu homme, et qu’ensuite, il aurait assumé la chair dans le sein de la Vierge, ce qui semble être l’erreur d’Origène, qui affirmait que les âmes ont été créées avant les corps. En quoi l’une de ces opinions diffère-t-elle d’une autre ? À propos de la différence entre ces opinions, il faut savoir que, puisqu’il existe trois substances dans le Christ, on trouve une double comparaison entre ces substances : l’une, entre l’âme et le corps réciproquement, selon que la nature humaine consiste en eux ; l’autre, entre ces deux [substances] et la personne divine, selon qu’elle a assumé ces deux [substances]. Et chacune de ces opinions diffère d’une autre selon les deux comparaisons. Mais la troisième opinion diffère des deux premières à propos de la comparaison entre l’âme et le corps, car les deux premières opinions affirment quelque chose de composé d’âme et de corps, qui est assumé ; mais la troisième affirme que ces deux substances sont divisées l’une de l’autre et qu’elles ont été assumées par la personne du Verbe sans composition. Aussi, lorsqu’on dit que la nature humaine a été assumée par le Verbe, elle entend la nature humaine de manière matérielle, c’est-à-dire les parties de la nature humaine, comme les parties d’une maison sont appelées une maison. Mais elle diffère des deux premières [opinions] à propos de la comparaison entre ces deux substances et la troisième, car elle affirme que ces deux substances sont unies au Verbe de manière accidentelle, comme un vêtement est uni à un homme, et comme un ange assume un corps, de sorte qu’on le voie en lui ; mais les deux premières opinions disent qu’elles ont été unies au Verbe, non pas accidentellement mais substantiellement, selon l’être personnel. De même aussi, la deuxième opinion diffère de la première selon ces deux comparaisons. En effet, à propos de la comparaison entre l’âme et le corps, elles diffèrent en ce que les deux affirment que l’âme et le corps préexistent à l’union selon l’intellect et que, de ces deux unis, quelque chose d’unique est réalisé, mais elle affirme que quelque chose d’unique n’est pas constitué d’une manière unique à partir de l’union de ceux-ci : en effet, de l’union de l’âme et du corps, résultent cet homme et l’humanité. Comment ces deux choses diffèrent, on peut le voir clairement par ce qui a été dit dans la distinction précédente, car « cet homme » signifie quelque qui subsiste dans la nature humaine, mais « l’humanité » ne regroupe dans sa signification que ce dont l’homme tient d’être homme. La première opinion dit donc que cette réalité unique constituée d’une âme et d’un corps, dont on pense qu’elle précède l’union et qui est assumée, est cet homme. Mais la deuxième affirme qu’elle ne tient pas de l’union de l’âme et du corps d’être humanité et d’être cet homme, mais de l’union des deux à la personne divine, qui subsiste en elles. Elles diffèrent aussi à propos de la comparaison des deux substances à la personne divine, car la deuxième opinion dit que ces deux substances assumées sont unies à la personne divine de telle manière qu’elles relèvent de sa personnalité, au point que, de même que la personne du Verbe, avant l’incarnation, subsistait dans la nature divine, de même, après l’incarnation, elle subsiste dans la nature humaine et dans la nature divine. Ainsi, avant l’incarnation, elle était simple, mais, après, elles est composée. Mais la première opinion dit que cette substance composée de l’âme et du corps ne concerne pas la personnalité du Verbe, de telle sorte qu’elle subsiste dans cette personne du Verbe ; mais, par l’assomption, il est arrivé que la personne du Verbe soit cette substance composée d’âme et de corps, et inversement. Ainsi, la personne du Verbe, de même qu’elle était simple avant l’incarnation, de même était-elle simple après l’incarnation. Qu’affirme chacune de ces opinions ? À propos du troisième point, c’est-à-dire les positions que chaque opinion soutient, il faut savoir que la première opinion, du fait qu’elle affirme que deux substances, l’âme et le corps, ont préexisté à l’union, doit d’abord affirmer qu’un homme a été assumé ; deuxièmement, que « homme » signifie seulement le composé de ces deux substances, l’âme et le corps, et non avec la divinité. Et parce que cet homme est un suppôt ou une hypostase, elle affirme donc, en troisième lieu, qu’il existe deux suppôts dans le Christ : l’un créé, qui est l’homme ; l’autre incréé, qui est le Fils de Dieu, et semblablement, deux hypostases. Et parce que le suppôt est prédiqué directement, et non indirectement, comme la nature (en effet, Socrate est le suppôt de la nature humaine), elle dit donc, en quatrième lieu, que le Christ n’est pas deux au neutre, mais qu’il est un au masculin, en raison de l’unité de la personne. Parce qu’elle dit qu’un homme a été assumé et que le Fils de Dieu est un homme, elle dit donc, en cinquième lieu, que celui qui assume est ce qui est assumé. Et parce qu’elle affirme deux suppôts dans le Christ, elle dit donc, en sixième lieu, que cet homme n’est pas le suppôt du suppôt qu’est le Fils de Dieu, bien que cet homme soit le Fils de Dieu, comme le Père n’est pas le suppôt de l’essence, bien que l’essence soit le Père. Et parce que cet homme n’est pas le suppôt d’un suppôt éternel, elle dit donc, en septième lieu, que, de même que Dieu est devenu homme, de même l’homme est devenu Dieu : ce qui ne pourrait être affirmé s’il était le suppôt du suppôt éternel, car un suppôt éternel ne commence pas à être Dieu. Et parce que les propriétés éternelles ne déterminent pas un suppôt temporel, ni inversement, [cette position] dit donc, en huitième lieu, que tous les adjectifs qui signifient quelque chose d’éternel ne peuvent être affirmés du Fils de la Vierge que par implication : ainsi, si l’on dit : « Le Fils de la Vierge est éternel », c’est-à-dire : « Celui qui est éternel » ; de même, les adjectifs qui signifient quelque chose de temporel ne peuvent-ils pas être attribués en propre au Fils de Dieu. Mais les substantifs sont ensuite prédiqués en raison de l’union, de la même manière dont les adjectifs personnels ne sont pas attribués à l’essence, bien que les substantifs soient affirmés d’elle. Mais la seconde opinion, parce qu’elle affirme que la nature humaine, qui est ce qui est assumé, ne signifie pas quelque chose de subsistant, mais plutôt que la personne divine subsiste en elle en raison de l’union, affirme donc, en premier lieu, que l’homme (qui signifie quelque chose de subsistant) n’est pas assumé, mais la nature humaine. Et parce que l’hypostase ou le suppôt signifie quelque chose de subsistant par soi, elle n’affirme en second lieu dans le Christ, qu’un seul suppôt ou hypostase. Par conséquent, en troisième lieu, elle affirme que le Christ est une seule réalité, et non pas seulement qu’il est unique. Et parce que la nature humaine n’est pas donnée comme une substance, de telle sorte qu’elle subsiste, si ce n’est par l’union à la personne divine, le mot « homme », désignant quelque chose qui subsiste, n’exprime pas seulement la nature et le corps, mais aussi la divinité. Telle est la quatrième position. Et parce que la personne divine, qui subsistait en une seule nature avant l’incarnation, subsiste après en deux natures et trois substances, [cette opinion] affirme donc que la personne du Verbe avant l’incarnation était simple, mais qu’elle est composée après l’incarnation. Et parce qu’il n’y a qu’un seul suppôt qui subsiste en deux natures, [cette opinion] affirme donc, en sixième lieu, que les adjectifis signifiant des deux natures peuvent être attribués à ce suppôt, qu’ils tirent leurs noms d’une seule nature ou de l’autre. Selon eux, on peut donc dire au sens propre : « Cet enfant est éternel » et « Dieu a souffert ». Mais la troisième opinion, parce qu’elle nie l’union de l’âme à la chair dans le Christ, affirme donc, en premier lieu, que « homme » n’attribue pas au Christ un composé d’âme et de corps, mais des parties de la nature humaine ; le sens serait donc : «L’homme existe », c’est-à-dire qu’il a une âme et un corps qui lui sont unis accidentellement. [Cette opinion] affirme en deuxième lieu que « homme » est attribué au Christ de manière accidentelle, n’indiquant pas ce qu’est [le Christ], mais comment il est, comme lorsqu’on dit d’un homme qu’il est habillé. C’est pourquoi [cette opinion] affirme, en troisième lieu, que deux substances n’appartiennent pas à la personnalité du Fils de Dieu, mais ont un rapport extrinsèque avec elle. Et beaucoup d’autres choses découlent de ces opinions, si l’on considère la racine des ces opinions. Or, il ressort de ce qui a été dit que deux de ces opinions ont quelque chose en commun avec l’autre, par quoi elles diffèrent de la troisième. En effet, les deux premières opinions se rejoignent dans ce que les deux affirment : « homme » est attribué au Christ selon l’essence ; en cela, elles diffèrent de la troisième qui nie cela. De même, la troisième rejoint la deuxième sur le point qu’il n’y a pas deux suppôts dans le Christ, bien que d’une manière différente, car la deuxième affirme qu’il est le suppôt des deux natures d’une manière substantielle, mais la troisième qu’il l’est d’une manière substantielle pour la nature divine et d’une manière accidentelle pour la nature humaine, comme blanc et homme ne sont pas des suppôts différents, mais le même homme qui est le suppôt est uni au blanc. En cela, elles diffèrent de la première [opinion], qui affirme deux suppôts dans le Christ. De même aussi, la première et la troisième se rejoignent sur le point que la nature humaine n’appartient pas à la personnalité de la personne divine, bien que de manière différente, car la première affirme qu’elle est une substance par elle-même, mais la troisième qu’elle ne l’est d’aucune manière. Les deux affirment donc que la personne divine, de même qu’elle était simple avant l’incarnation, de même est-elle simple après l’incarnation. En cela, elles diffèrent de la deuxième. Après avoir vu cela, il y a trois questions portant sur la vérité de ces opinions : la première porte sur ce que dit la première opinion ; la deuxième, sur ce que dit la deuxième ; la troisième, sur ce que dit la troisième. À propos de la première [opinion], trois questions sont posées : 1 – Y a-t-il deux hypostases dans le Christ ? 2 – L’homme a-t-il été assumé ? 3 – « Homme » signifie-t-il la substance composée de deux substances seulement ? |
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Articulus 1 [8183] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
tit. Utrum in
Christo sint duae hypostases |
Article 1 – Y a-t-il deux hypostases dans le Christ ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Y a-t-il deux hypostases dans le Christ ?] |
[8184] Super Sent., lib.
3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in
Christo sint duae hypostases. Sicut enim dicit Boetius, omnis substantia
particularis secundum proprietatem vocabuli potest dici hypostasis, quamvis secundum
usum dicatur tantum de substantiis nobilioribus. Sed in Christo sunt plures
substantiae, sicut ab omnibus conceditur, et non sunt universales, sed
particulares. Ergo in Christo sunt plures hypostases. |
1. Il semble qu’il y ait deux hypostases dans le Christ. En effet, comme le dit Boèce, toute substance particulière peut être appelée une hypostase au sens propre du mot, bien que, selon l’usage, le mot soit utilisé pour les substances plus nobles. Or, dans le Christ, il existe plusieurs substances, comme cela est est concédé par tous, et elles ne sont pas universelles, mais particulières. Il existe donc plusieurs hypostases dans le Christ. |
[8185] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 2 Praeterea, Christus, secundum quod est
homo, est hypostasis quaedam in genere substantiae: quia de quocumque
praedicatur species, et genus. Sed hypostasis verbi non est in genere substantiae.
Ergo in Christo est alia hypostasis praeter hypostasim verbi; et ita in
Christo sunt duae hypostases. |
2. Le Christ, en tant qu’homme, est une hypostase du genre de la substance, car le genre est attribué à tout ce à quoi est attribuée l’espèce. Or, l’hypostase du Verbe ne fait pas partie du genre de la substance. Dans le Christ, il existe donc une autre hypostase en plus de l’hypostase du Verbe, et ainsi il existe deux hypostases dans le Christ. |
[8186] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sicut se habet
species ad genus, ita se habet hypostasis ad speciem. Sed una species non potest esse in diversis
generibus non subalternatis. Ergo una hypostasis non potest esse in duabus
speciebus: ergo multo minus in natura humana et divina, quae plus quam specie
differunt. |
3. Le rapport de l’espèce au genre est le même que celui de l’hypostase à l’espèce. Or, une espèce ne peut se trouver dans divers genres non subalternés [les uns autres autres]. Une seule hypostase ne peut donc se trouver dans deux espèces. Encore bien moins, dans la nature humaine et la nature divine, qui diffèrent plus que par l’espèce. |
[8187] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
qc. 1 s. c. 1 Sed contra est
quod dicit Damascenus duas naturas unitas esse in unam hypostasim. |
Cependant, [1] [Jean] Damascène dit que deux natures ont été unies dans une seule hypostase. |
[8188] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
qc. 1 s. c. 2 Praeterea,
secundum Boetium, persona est rationalis naturae individua substantia.
Hypostasis autem, secundum eumdem, est individua substantia. Ergo persona non
addit supra hypostasim nisi hoc quod est rationalis naturae: ergo hypostasis
rationalis naturae est persona. Humana autem natura et divina utraque est
rationalis. Si ergo sint duae hypostases harum duarum naturarum, oportet
diversas personas ponere; et sic esset error Nestorii. |
[2] Selon Boèce, « la personne est une substance individuelle de nature raisonnable ». Or, selon le même, l’hypostase est une substance individuelle. La personne n’ajoute donc à l’hypostase que le fait qu’elle est de nature raisonnable ; l’hypostase de nature raisonnable est donc une personne. Or, la nature humaine et la nature divine sont toutes deux raisonnables. Si donc il existe deux hypostases de ces deux natures, il est nécessaire d’affirmer des personnes diverses, ce qui serait l’erreur de Nestorius. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Y a-t-il deux suppôts dans le Christ ?] |
[8189] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Quaeritur, utrum in Christo sint duo supposita. Videtur quod sic. Suppositum
enim dicit respectum ad naturam communem. Sed in Christo sunt duae naturae. Ergo duo
supposita. |
1. Il semble que ce soit le cas. En effet, le suppôt exprime un rapport une nature commune. Or, dans le Christ, il y a deux natures. Il y a donc deux suppôts. |
[8190] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
suppositum dicitur, quasi sub alio positum. Sed inconveniens est dicere, quod
divina persona ponatur sub humana. Ergo oportet aliud esse humanae naturae suppositum quam persona
divina. Sed persona divina est suppositum naturae divinae. Ergo in Christo sunt duo
supposita. |
2. « Suppôt » vient de « placé sous un autre ». Or, il est inapproprié de dire que la personne divine est placée sous la [personne] humaine. Il est donc nécessaire que le suppôt de la nature humaine soit différent de la personne divine. Or, la personne divine est le suppôt de la nature divine. Il y a donc dans le Christ deux suppôts. |
[8191] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 3 Praeterea, unio ad alterum non tollit
alicui rationem suppositi: quia etiam pars, ut manus, alicui naturae communi
supponitur, cum sit in specie manus. Sed nihil aliud potest impedire ne
humana natura in Christo habeat proprium suppositum, nisi unio. Ergo habet
proprium suppositum praeter suppositum divinae naturae; et sic idem quod
prius. |
3. L’union à autre chose n’enlève pas à une chose la raison de suppôt, car même une partie, comme la main, est un suppôt pour une nature commune, puisqu’elle fait partie de l’espèce de la main. Or, rien d’autre ne peut empêcher que la nature humaine ait son propre suppôt dans le Christ, sauf l’union. Elle a donc son propre suppôt en plus du suppôt de la nature divine. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[8192] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
qc. 2 s. c. 1 Sed contra,
quod est unitum alteri digniori, non habet rationem suppositi: alias in
Christo essent tria supposita secundum tres substantias, vel etiam plura
secundum omnes partes corporis. Si ergo in Christo sunt duo supposita, non
erit aliqua unio divinitatis ad carnem. |
Cependant, ce qui est uni à quelque chose de plus digne n’a pas raison de suppôt, autrement, dans le Christ, il y aurait trois suppôts en raison de trois substances, ou même davantage en raison de toutes les parties du corps. Si donc il y a deux suppôts dans le Christ, il n’y aura pas d’union de la divinité à la chair. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Y a-t-il deux individus dans le Christ ?] |
[8193] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod in Christo sint duo individua. Sicut enim dicit Damascenus,
filius Dei assumpsit humanam naturam in atomo, idest individuo. Sed quia
natura assumpta est in Christo, dicimus duas naturas. Ergo et dicere possumus
in Christo duo individua. |
1. Il semble qu’il y ait deux individus dans le Christ. En effet, comme le dit [Jean] Damascène, le Fils de Dieu a assumé la nature humaine dans quelque chose d’indivis (atomo), c’est-à-dire dans un individu. Or, parce que la nature [humaine] a été assumée dans le Christ, nous parlons de deux natures. Nous pouvons donc dire qu’il y a deux individus dans le Christ. |
[8194] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 2 Praeterea,
omne quod est, aut est universale, aut particulare. Sed humana natura est in
Christo. Ergo cum non sit universalis, erit particularis. Sed omne
particulare est individuum. Ergo sunt ibi duo individua. |
2. Tout ce qui existe est soit universel, soit particulier. Or, la nature humaine existe dans le Christ. Puisqu’elle n’est pas universelle, elle sera donc particulière. Or, tout ce qui est particulier est un individu. Il y a donc là deux individus. |
[8195] Super Sent., lib. 3 d. 6
q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, secundum Porphyrium, individuum facit collectio accidentium. Sed accidentia
humanae naturae non sunt in persona divina, quae subjectum accidentis esse
non potest. Ergo oportet quod sit ibi aliquod individuum; et sic idem quod
prius. |
3. Selon Porphyre, ce sont les accidents rassemblés qui font l’individu. Or, les accidents de la nature humaine n’existent pas dans la personne divine, qui ne peut être le sujet d’un accident. Il est donc nécessaire qu’il y ait là un individu. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[8196] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
qc. 3 s. c. 1 Sed contra, nihil
est aliud persona quam individuum rationalis naturae. Sed in Christo non possunt
esse duae personae. Ergo in Christo non sunt duo individua. |
Cependant, la personne n’est rien d’autre que l’individu de nature raisonnable. Or, dans le Christ, il ne peut y avoir deux personnes. Il n’y a donc pas deux individus dans le Christ. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 – Y a-t-il deux choses naturelles dans le Christ ? |
[8197] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sint ibi duae res naturae. Res
enim naturae est quod constituitur per naturam. Sed divina persona non
constituitur per humanam naturam. Ergo persona verbi non est res humanae
naturae in Christo. Ergo in Christo sunt duae res naturae. |
1. Il semble qu’il
y ait deux choses naturelles. En effet, une chose naturelle est ce qui est
constitué par la nature. Or, la personne divine n’est pas constituée par la
nature humaine. La personne du Verbe n’est donc pas une chose de nature humaine
dans le Christ. Il existe donc dans le Christ deux choses naturelles. |
[8198] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
qc. 4 arg. 2 Praeterea, res
naturae idem videtur esse quod naturale. Sed naturale, ut dicitur 2 Physic.,
est proprietas causata ex principiis naturae, vel compositum ex principiis
naturalibus. Sed neutrum istorum convenit divinae personae. Ergo persona
divina non est res naturae humanae; et sic idem quod prius. |
2. Une chose naturelle semble être la même chose que ce qui est naturel. Or, ce qui est naturel est une propriété causée par les principes de la nature ou un composé de principes naturels. Or, aucune de ces deux choses ne convient à la personne divine. La personne divine n’est donc pas une chose de nature humaine. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[8199] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
qc. 4 s. c. 1 Sed contra,
res naturae est completum subsistens in natura. Sed nullum tale est
assumptibile, quamvis possit aliud assumi ad ipsum. Ergo si esset in Christo
aliqua res naturae praeter divinam personam, non esset assumpta a divina
persona, et ita nec unita; et sic non esset in Christo. |
Cependant, une chose de la nature est quelque chose de complet subsistant par nature. Or, rien de tel ne peut être assumé, bien que quelque chose d’autre puisse être assumé par cela. Si donc il y avait dans le Christ une chose de la nature en plus de la personne divine, elle ne serait pas assumée par la personne divine, et donc ne lui serait pas non plus unie. Elle ne se trouverait donc pas dans le Christ. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[8200] Super Sent., lib.
3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod cum omne particulare habeat respectum ad naturam communem et ad
proprietates, potest secundum utrumque respectum nominari, tum per nomen
primae impositionis, tum per nomen secundae intentionis. Hoc enim nomen res
naturae est nomen primae impositionis, significans particulare per respectum
ad naturam communem; hoc vero nomen suppositum est nomen secundae
impositionis, significans ipsam habitudinem particularis ad naturam communem,
inquantum subsistit in ea; particulare vero, inquantum exceditur ab ea. Sed
quia accidentia consequuntur naturam; ideo omne nomen designans particulare
secundum respectum ad proprietates, designat etiam ipsum per respectum ad naturam
communem. Hoc ergo potest fieri dupliciter: vel per nomen primae
impositionis; et sic est hypostasis communiter in omnibus substantiis, persona
vero in omnibus rationalibus; vel per nomen secundae impositionis, et sic est
individuum inquantum est indivisum in se, singulare vero inquantum est
divisum ab aliis; unde singulare est idem quod divisum. Est etiam alia
differentia attendenda inter ista: quia quaedam istorum significant
communiter particulare in quolibet genere, sicut particulare, individuum,
singulare; quaedam vero tantum particulare in genere substantiae, sicut res
naturae, suppositum, hypostasis, et persona. Quia vero ratio substantiae est quod per se subsistat, inde est quod
nullum istorum dicitur nisi de re completa per se subsistente: unde non dicuntur
neque de parte neque de accidente, de quibus alia dici possunt quae in
omnibus generibus inveniuntur; quamvis enim haec albedo vel haec manus
dicatur individuum vel singulare, non tamen potest dici hypostasis, suppositum,
vel res naturae. Impossibile est autem, si ponantur duo quorum utrumque per
se subsistat, quod unum sit alterum: quia secundum hoc quod numerantur,
differunt (cum differentia sit causa numeri); et non praedicantur de se
invicem, nisi secundum quod unum sunt. Unde cum divina persona sit quiddam
per se subsistens, si etiam ponatur compositum ex anima et carne unum quid
completum subsistens, quod est homo, vel hic homo, impossibile est quod unum
praedicetur de altero, ut dicatur: filius Dei est hic homo. Et quia prima opinio hoc
ponit, ideo non tenetur modo ab aliquo. Sed secundum hoc quod est compositum tantum ex anima et carne, non
dicit esse quid subsistens, sed dicit esse humanam naturam, in qua divina
persona subsistit. Et ideo secundum hanc opinionem dicendum est, quod omnia
illa nomina quae significant particulare in quolibet genere, possunt dici
esse duo in Christo; sicut enim haec manus dicitur individuum, vel singulare,
vel particulare; ita humana natura in Christo est individuum, singulare vel
particulare. Et cum natura humana non sit divina natura, neque divina
persona, nihil prohibet dici in Christo duo individua vel duo singularia vel
particularia, aut etiam plura secundum numerum partium corporis Christi,
quarum quaelibet potest dici individuum, nisi fiat vis in hoc quod in divinis
non proprie inveniuntur hujusmodi nomina. Haec tamen plura individua de
Christo non praedicantur; quia de eo non praedicatur natura humana, neque
partes ejus. Non autem contingit dicere in Christo esse duas hypostases, vel
res naturae, vel supposita: natura enim humana in Christo non est res naturae
vel suppositum, sed ipsa natura: nulla enim natura composita est res vel
suppositum sui ipsius: similiter non est hypostasis, sed usia. Nihilominus
tamen sicut dicimus unionem factam in persona, sic dicimus in hypostasi,
supposito, re naturae, individuo, singulari, vel particulari; quia quamvis
haec ultima tria possint dici de non per se subsistentibus, nihilominus
dicuntur etiam de per se subsistentibus: dicimus enim hypostasim esse
individuum; unde inquantum est unio facta in hypostasi, est etiam facta in
individuo: et sic possumus dicere Christum unum individuum, et tamen in eo
duo vel plura individua, sicut etiam et de quolibet alio homine contingit: et
eadem est ratio de singulari et particulari. |
Puisque tout particulier a un rapport avec la nature commune et ses propriétés, il peut être désigné selon les deux rapports : parfois par un nom de première imposition, parfois par uun nom de seconde intention. En effet, ce nom « réalité naturelle » est un nom de première imposition signifiant le particulier par rapport à la nature commune ; mais le nom de « suppôt » est un nom de seconde imposition signifiant le rapport du particulier avec la nature commune, pour autant qu’il subsiste en elle, mais [signifiant] le particulier, pour autant qu’il est dépassé par elle. Mais parce que les accidents découlent de la nature, tout nom désignant un particulier par rapport à ses propriétés le désigne aussi par rapport à une nature commune. Cela peut donc se faire de deux manières : soit par un nom de première imposition, et ainsi il y a une hypostase d’une manière générale dans toutes les substances, mais une personne dans toutes [les substances] raisonnables ; soit par un nom de seconde imposition, et ainsi il y a un individu, pour autant qu’il est indivis en lui-même, mais un singulier, pour autant qu’il est divisé des autres. Aussi « singulier » est-il la même chose que « divis ». Il faut aussi prendre en compte une autre différence entre ces choses, car certaines signifient d’une manière générale un particulier dans n’importe quel genre, comme particulier, individu, singulier ; mais certaines [signifient] seulement un particulier dans le genre de la substance, comme réalité naturelle, suppôt, hypostase et personne. Mais parce que la raison de substance consiste à subsister par soi, de là vient qu’aucun de ces termes n’est utilisé que pour une chose complète subsistant par soi. Ils ne sont donc attribués ni à une partie ni à un accident, dont d’autres choses peuvent être dites qui se trouvent dans tous les genres. En effet, bien que cette blancheur ou cette main exprime quelque chose d’individuel et de singulier, elles ne peuvent cependant être appelées une hypostase, un suppôt ou une réalité naturelle. Or, si l’on suppose deux choses dont chacune subsiste par soi, il est impossible que l’une soit l’autre, car, selon qu’elles sont dénombrées, elles diffèrent (puisque la différence est la cause du nombre) ; elles ne sont pas non plus prédiquées l’une de l’autre, sauf selon ce qu’elles ont de commun. Puisque la personne divine est quelque chose de subsistant par soi, si l’on suppose aussi un composé d’âme et de corps qui est quelque chose de subsistant, qui est l’homme ou cet homme, il est impossible que l’un soit prédiqué de l’autre, pour dire : « Le Fils de Dieu est cet homme. » Parce que la pemière opinion affirme cela, elle n’est plus tenue par personne maintenant. Mais, le fait que [l’homme] est seulement composé d’âme et de corps ne dit pas qu’il est un être subsistant, mais dit qu’il est une nature humaine, dans laquelle subsiste une personne divine. Aussi, selon cette opinion, il faut dire que tous les noms qui signifient quelque chose de particulier dans n’importe quel genre peuvent signifer qu’il y a deux choses dans le Christ. En effet, de même que cette main est appelée quelque chose d’individuel, de singulier ou de particulier, de même la nature humaine dans le Christ est-elle quelque chose d’individuel, de singulier ou de particulier. Et puisque la nature humaine ne se trouve pas dans la nature divine ni dans la personne divine, rien n’empêche qu’on dise qu’il y ait dans le Christ deux individus, deux singuliers ou particuliers, ou encore davantage, selon le nombre des parties du corps du Christ, qui toutes peuvent être appelées des individus, à moins qu’on ne fasse valoir que, dans les choses divines, on ne trouve pas ce genre de noms au sens propre. Cependant, ces nombreux individus ne sont pas prédiqués du Christ, parce que la nature humaine ni ses parties ne sont pas prédiquées d’eux. Mais il ne peut arriver qu’on dise qu’il y a deux hypostases, deux réalités naturelles ou deux suppôts dans le Christ : en effet, la nature humaine dans le Christ n’est pas une réalité naturelle ou un suppôt, mais la nature elle-même. Car aucune réalité composée n’est une chose ou un suppôt d’elle-même ; de même n’est-elle pas une hypostase ou ousia. Néanmoins, comme nous disons que l’union s’est réalisée dans la personne, de même disons-nous qu’elle s’est réalisée dans une hypostase, un suppôt, une réalité naturelle, un individu, un singulier ou un particulier, car même si ces trois derniers termes peuvent être attribués à des choses qui ne subsistent pas par soi, ils sont néanmoins attribués à des choses qui subsistent par soi. Nous disons, en effet, que l’hypostase est un individu. Pour autant que l’union s’est réalisée dans l’hypostase, elle s’est donc aussi réalisée dans un individu. Nous pouvons ainsi dire que le Christ est un seul individu, et qu’il existe cependant en lui plusieurs individus, comme cela arrive pour n’importe quel homme. Et le raisonnement est le même pour le singulier et le particulier. |
[8201] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod substantia, secundum quod est genus, non proprie praedicatur
de parte: manus enim si esset substantia, cum sit animata, esset animal;
nihil enim est in genere quasi directe contentum sub ipso, nisi quod habet
naturam aliquam complete: tamen dicitur manus esse substantia, secundum quod
substantia dividitur contra accidens: et similiter dico de natura humana in
Christo. Cum igitur dicitur, quod omnis substantia particularis est
hypostasis, intelligendum est de illis quae directe recipiunt praedicationem
generis; et haec sunt quae significantur ut res completae per se
subsistentes. |
1. La substance, selon qu’elle est un genre, n’est pas prédiquée de la partie au sens propre. En effet, si la main était une substance, puisqu’elle est animée, elle serait un animal, car rien n’est dans un genre, pour ainsi dire directement contenu en lui, que ce qui possède une nature complète. Toutefois, on dit que la main est une substance selon que la substance se distingue de l’accident. Je dis la même chose de la nature humaine du Christ. Lorsqu’on dit que toute substance particulière est une hypostase, il faut donc l’entendre de celles dont un genre est prédiqué directement. Telles sont celles qui sont signifiées comme des choses complètes subsistant par elles-mêmes. |
[8202] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod hypostasis verbi, quamvis non sit in genere substantiae
simpliciter, inquantum est hypostasis verbi; tamen inquantum est hypostasis
humanae naturae, est in genere substantiae, sicut in specie hominis: non enim
hypostasis ordinatur ad genus vel speciem, nisi per naturam quam habet. |
2. L’hypostase du Verbe, bien qu’elle ne soit pas tout simplement dans le genre de la substance en tant qu’hypostase du Verbe, est cependant dans le genre de la substance, comme dans l’espèce de l’homme, en tant qu’hypostase de la nature humaine. En effet, l’hypostase n’est ordonnée à un genre ou à une espèce que par la nature qu’elle possède. |
[8203] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod genus quodammodo est pars speciei similis materiae: unde sicut
in natura ex pluribus materiis sufficientibus non ordinatis non fit aliquid
unum; ita etiam plura genera non possunt venire ad constitutionem unius
speciei. Sed natura hypostasis non est pars: unde non est similis ratio:
dicitur enim hypostasis alicujus naturae, inquantum subsistit in ea. |
3. Le genre est d’une certaine manière une partie de l’espèce semblable à la matière. De même que, dans une nature, n’est pas réalisé quelque chose d’unique à partir de plusieurs matières suffisantes non ordonnées, de même plusieurs genres ne peuvent-ils concourir à la constitution d’une seule espèce. Mais la nature de l’hypostase n’est pas une partie. Le raisonnement n’est donc pas le même. En effet, on parle de l’hypostase d’une nature pour autant qu’elle subsiste en elle. |
[8204] Super Sent., lib.
3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 ad s. c. Et quae in contrarium objiciuntur, concedimus.
Sciendum tamen est, quod
prima opinio quamvis poneret duas hypostases, non tamen diversas personas
posuit: ex hoc enim quod persona est individuum rationalis naturae, quae est
completissima, et ubi stat tota intentio naturae, habet quod significet
completissimum ultima completione, post quam non est alia: unde cum poneret
hominem assumptum unum verbo, non dabat ei rationem personae; dabat ei tamen
rationem hypostasis, inquantum erat subsistens: nec tamen ponebat quod homo
ille uniretur divinae personae in accidente: quia sic non diceret quod
praedicaret quid, sed quod esset accidentaliter unitum, sicut dicit tertia
opinio; sed ponebat quod persona verbi erat illa hypostasis; quod tamen non
est intelligibile, ut duorum distinctorum unum de altero praedicetur, ut
prius dictum est. |
[1-2] Nous concédons les arguments en sens contraire. Cependant, il faut savoir que la première opinion, bien qu’elle affirme deux hypostases, n’a cependant pas affirmé deux personnes. En effet, du fait que la personne est un individu de nature raisonnable, qui est la plus complète, et où réside toute l’intention de la nature, elle signifie ce qu’il y a de plus complet selon un achèvement ultime, après lequel il n’y en a pas d’autre. Aussi, lorsqu’elle affirmait qu’un seul homme a été assumé par le Verbe, elle ne lui donnait pas la raison de personne ; elle lui donnait cependant la raison d’hypostase pour autant qu’il était subsistant. Elle n’affirmait cependant pas que cet homme était uni à la personne divine de manière accidentelle, car ainsi elle ne dirait pas qu’on en prédiquerait le quid, mais qu’il [lui] serait uni accidentellement, comme le dit la troisième opinion ; mais elle affirmait que la personne du Verbe était cette hypostase. Il n’est cependant pas compréhensible que l’une des deux choses distinctes soit prédiquée de l’autre, comme on l’a dit plus haut. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[8205] Super Sent., lib.
3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in Christo tantum unum est
suppositum ratione jam dicta; nisi dicatur suppositum locutionis: quia sic de
quocumque potest fieri sermo est suppositum. |
Dans le Christ, il n’existe qu’un seul suppôt, pour la raison déjà donnée, à moins qu’on parle de suppôt du langage, car ainsi tout ce dont on peut parler est un suppôt. |
[8206] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 1 Ad primum autem contra hoc objectum
dicendum, quod quamvis sint ibi duae naturae, tamen est unum habens respectum
ad duas naturas: et ideo est ibi suppositum unum. |
1. Bien qu’il y ait là deux natures, il n’y a cependant qu’une seule chose qui ait un rapport avec ces deux natures. Il n’y a donc là qu’un seul suppôt. |
[8207] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod suppositum
non importat suppositionem indignitatis vel potentialitatis (alias personae
non dicerentur supposita divinae naturae), sed solum suppositionem quantum ad
communitatem, inquantum natura communis excedit praedicatione suppositum vel
actu vel potentia. |
2. Le suppôt ne comporte pas d’indignité ou de potentialité sous-jacente (autrement on ne dirait pas que les personnes [divines] sont des suppôts de la nature divine), mais seulement quelque chose de commun, pour autant que la nature commune déborde en prédication le suppôt, en acte ou en puissance. |
[8208] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod pars, proprie, non habet genus neque speciem: unde non
convenit sibi proprie suppositum esse, loquendo simpliciter; nisi forte cum
additione, ut dicatur haec manus, suppositum manus: quamvis manus, proprie
loquendo, non sit genus neque species. |
3. Au sens propre, la partie n’a pas de genre ni d’espèce. Il ne lui convient donc pas d’être un suppôt au sens propre et à parler simplement, sauf peut-être si l’on ajoute quelque chose, comme si on dit : « Cette main », « le suppôt de la main », bien que la main, à parler proprement, ne soit pas un genre ni une espèce. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[8209] Super Sent., lib.
3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in Christo sunt duo individua, non tamen per se subsistentia;
et ipse Christus est unum individuum subsistens, ut dictum est. |
Il y a deux individus dans le Christ, mais qui ne subsistent pas par eux-mêmes. Le Christ lui-même est un seul individu subsistant, comme on l’a dit. |
[8210] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod Damascenus intendit dicere, quod assumpsit humanam naturam particularem,
non autem subsistentem, sed quod in ea divina persona subsistit. |
1. [Jean] Damascène veut dire qu’il a assumé une nature humaine particulière, qui n’est cependant pas subsistante, mais que la personne divine subsiste en elle. |
[8211] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod humana
natura est particulare et individuum; non tamen subsistens. |
2. La nature humaine est quelque chose de particulier et d’individuel, mais non de subsistant. |
[8212] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis
divina natura sit quoddam individuum in Christo, tamen etiam Christus est
individuum humanae naturae. Nec tamen oportet quod accidentia humanae naturae insint divinae
personae, nisi natura mediante. |
3. Bien que la nature divine soit quelque chose d’individuel dans le Christ, le Christ aussi est cependant un individu de nature humaine. Il n’est toutefois pas nécessaire que les accidents de la nature humaine soient présents dans la personne divine, sauf par l’intermédiaire de la nature. |
[8213] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
qc. 3 ad s. c. 1 Ad id quod in
contrarium objicitur dicendum, quod in Christo est aliquod individuum, quod non est rationalis
naturae individuum, sed ipsa rationalis natura individua, vel pars ejus;
sicut manus Christi. |
[1] Dans le Christ, il y a quelque chose d’individuel,
qui n’est pas un individu de nature raisonnable, mais la nature raisonnable
individuelle elle-même ou une de ses parties, comme la main du Christ. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la sous-question 4
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[8214] Super Sent., lib.
3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod in Christo non sunt duae res
naturae; sed ipse est res una duarum naturarum. |
Dans le Christ, il n’y
a pas deux réalités naturelles, mais il est lui-même une réalité comportant
deux natures. |
[8215] Super Sent., lib.
3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis verbum non sit constitutum per
naturam humanam ut sit simpliciter, tamen per naturam humanam constituitur
quod sit homo. |
1. Bien que le Verbe ne soit pas constitué par la nature humaine de telle sorte qu’il existe tout simplement, il est cependant constituté par la nature humaine de telle sorte qu’il soit un homme. |
[8216] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1
qc. 4 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod res naturae, per se loquendo est quod habet naturam; sed quod
hoc sit compositum, accidit, inquantum ipsum compositum ex materia et forma,
quae sunt principia naturae, non adjungitur alteri subsistenti simplici; si
autem alteri subsistenti conjungatur, quod est in se simplex, erit quidem
illud simplex ut res subsistens in natura composita; non tamen erit
compositum, nisi per modum qui infra dicetur; secundum quem secunda opinio
ponit personam verbi incarnati esse compositam. |
2. À parler en soi, une réalité naturelle en est une qui possède une nature ; mais que cela soit composé, cela vient du fait que le composé de matière et de forme, qui sont les principes de la nature, n’est pas uni à quelque chose d’autre qui est un subsistant simple. Mais s’il est uni à un autre subsistant qui est simple par soi, ce [subsistant] simple sera une chose subsistant dans une nature composée ; mais il ne sera un composé que de la manière qui sera dite plus loin, selon laquelle la deuxième opinion affirme que la personne du Verbe incarné est composée. |
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Articulus 2 [8217] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2
tit. Utrum filius
Dei assumpserit hominem |
Article 2 – Le Fils de Dieu
a-t-il assumé un homme ?
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[8218] Super Sent., lib.
3 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod filius Dei assumpserit hominem. Psalm. 44, 5: beatus
quem elegisti et assumpsisti; et loquitur de Christo homine. Ergo homo
est assumptus. |
1. Il semble que le Fils de Dieu ait assumé un homme. Ps 44, 5 : Bienheureux celui que tu as choisi et assumé ! Et il parle du Christ homme. Un homme a donc été assumé. |
[8219] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea, si
filius Dei est homo, aut homo quem assumpsit, aut homo quem non assumpsit. Si
homo quem non assumpsit, ergo non magis potest dici homo qui est Jesus, quam
homo qui est Petrus. Si autem homo quem assumpsit, ergo assumpsit hominem. |
2. Si le Fils de
Dieu est un homme, c’est soit un homme qu’il a assumé, soit un homme qu’il n’a
pas assumé. Si c’est un homme qu’il n’a pas assumé, ce ne pourra pas être davantage
l’homme qu’on appelle Jésus, que l’homme qui est Pierre. Mais si c’est un
homme qu’il a assumé, il a donc assumé un homme. |
[8220] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2
arg. 3 Praeterea, filius Dei assumpsit animam et corpus unita: quia corpus
non unitum animae est corpus inanimatum, quod non est assumptibile, ut in 2
dist., quaest. 2, art. 1, dictum est. Unio autem illa non est minoris
efficaciae in homine Christo quam in aliis hominibus. Sed in aliis hominibus
facit non solum humanitatem, sed etiam hominem. Ergo in Christo facit
hominem. |
3. Le Fils de Dieu a assumé une âme et un corps unis, car un corps qui n’est pas uni à l’âme est un corps inanimé, qui ne peut est assumé, comme on l’a dit dans la d. 2, q. 2, a. 1. Or, cette union n’est pas moins efficace chez l’homme Christ que chez les autres hommes. Or, chez les autres hommes, elle réalise non seulement l’humanité, mais aussi l’homme. Elle réalise donc un homme chez le Christ. |
[8221] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2
arg. 4 Praeterea, in
Christo non est nisi assumens et assumptum. Sed non habet quod sit homo ex
parte assumentis: quia sic ab aeterno fuisset homo. Ergo habet ex parte
assumpti; ergo homo est assumptus. |
4. Dans le Christ, il n’y a que celui qui assume et ce qui est assumé. Or, [le Christ] ne tient pas d’être un homme de celui qui assume, car il aurait ainsi été un homme éternellement. Il le tient donc de ce qui a été assumé. Un homme a donc été assumé. |
[8222] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2
arg. 5 Praeterea,
secundum Damascenum, Christus assumpsit quidquid in nostra natura plantavit.
Sed id quod unitum est ex corpore et anima, facit hominem, cum fit de
naturalibus, quae Dei verbum in nostra natura plantavit. Hoc ergo assumpsit
hominem; quia posita causa sufficienti ponitur effectus. |
5. Selon [Jean] Damascène, « le Christ a assumé tout ce qu’il a implanté dans notre nature ». Or, ce qui a été uni par le corps et par l’âme réalise un homme, puisque cela est fait de réalités naturelles que le Verbe de Dieu a implantées dans notre nature. Cela a donc assumé l’homme, car, si une fois donnée une cause suffisante, mée, l’effet est donné. |
[8223] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 s.
c. 1 Sed contra,
assumens non est assumptum. Sed Deus est homo. Ergo non assumpsit hominem. |
Cependant, [1] celui qui assume n’est pas ce qui est assumé. Or, Dieu est homme. Il n’a donc pas assumé un homme. |
[8224] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 s.
c. 2 Praeterea, si
assumpsit hominem, constat quod non assumpsit hominem universalem. Ergo
assumpsit hunc hominem. Sed hic homo est persona. Ergo assumpsit personam; quod falsum est:
ergo et primum. |
2. S’il a assumé l’homme, il est clair qu’il n’a pas assumé l’homme universel. Il a donc assumé tel homme. Or, cet homme est une personne. Il a donc assumé une personne, ce qui est faux. La première proposition est donc aussi fausse. |
[8225] Super Sent., lib. 3 d. 6
q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod id quod assumitur, secundum intellectum praecedit unionem. Si ergo dicatur homo
assumptus, oportet quod intelligatur homo antequam intelligatur assumptus. Homo autem particularis (quia universalem
non assumpsit, cum non habeat esse in rerum natura), est quid subsistens,
habens esse completum. Quod autem habet esse completum in quo subsistit, non
potest uniri alteri nisi tribus modis: vel accidentaliter, ut tunica homini;
et hunc modum unionis ponit tertia opinio: vel per modum aggregationis, sicut
lapis lapidi in acervo: vel aliquo accidente, sicut homo unitur Deo per
amorem vel gratiam; et neutra harum est unio simpliciter, sed secundum quid:
quarum primam posuit Dioscorus, alteram Nestorius haeretici, ut dicit
Damascenus, 3 cap., 3 libri. Unde nullo modo concedendum est, quod homo sit
assumptus. Sciendum tamen, quod prima opinio nullum praedictorum modorum
unionis ponebat, unde non est haeretica; sed ponebat, quod erat facta unio
secundum hoc quod persona verbi incepit esse illa substantia: quod quidem non
est intelligibile, ut duorum unum fiat alterum, nisi per conversionem unius
ad alterum; immo impossibile est, ut prius dictum est; et ideo non
sustinetur. |
Réponse. Ce qui est assumé précède l’union selon l’intellect. Si donc on parle d’homme assumé, il est nécessaire qu’on entende l’homme avant d’entendre qu’il a été assumé. Or, l’homme particulier (car [le Fils de Dieu] n’a pas assumé [l’homme] universel, puisqu’il n’existe pas dans la nature des choses) est quelque chose de subsistant, qui possède un être complet. Du fait qu’il possède un être complet dans lequel il subsiste, il ne peut être uni à un autre que de trois manières : accidentellement, comme la tunique l’est à l’homme, et c’est cette manière qu’affirme la troisième opinion ; par mode de regroupement, comme la pierre [est unie] à la pierre dans un amas ; par un accident, comme l’homme est uni à Dieu par l’amour ou la grâce, et aucune de celles-ci n’est une union à parler simplement, mais une union relative (secundum quid). Dioscore a affirmé la première, Nestorius a affirmé l’autre, tous deux hérétiques, comme le dit [Jean] Damascène, III, 3. On ne doit donc aucunement concéder qu’un homme a été assumé. Il faut cependant savoir que la première opinion n’affirmait aucun de ces modes d’union ; elle n’est donc pas hérétique. Mais elle affirmait que l’union avait été réalisée selon que la personne du Verbe a commencé d’être cette substance ; mais cela est impensable que, de deux choses, l’une devienne l’autre, sauf par conversion de l’une en l’autre. Bien plus, cela est impossible, comme on l’a dit. Aussi ne le soutient-on pas. |
[8226] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod omnes auctoritates quae dicunt hominem assumptum, exponi debent, ut
ponatur concretum pro abstracto, idest homo pro humana natura. |
1. Toutes les autorités qui disent qu’un homme a été assumé doivent être interprétées dans le sens où quelque chose de concret est affirmé à la place de quelque chose d’abstrait, c’est-à-dire un homme à la place de la nature humaine. |
[8227] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 ad
2 Ad secundum dicendum, quod Christus
est homo, non quem assumpsit, sed cujus humanam naturam assumpsit. |
2. Le Christ est homme, non pas parce qu’il l’a assumé, mais parce qu’il en a assumé la nature humaine. |
[8228] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
non est propter inefficaciam unionis animae ad corpus quod eorum conjunctio,
secundum quod praeintelligitur unioni ad divinam personam, non facit hominem,
sed humanam naturam in Christo; sed est ex hoc quod non fuerunt, ut conjuncta
per se subsisterent, sed ut divina persona in eis subsisteret. |
3. Ce n’est pas en raison de l’inefficacité de l’union de l’âme au corps que leur union, selon qu’on l’entend avant l’union à la personne divine, ne réalise pas un homme, mais la nature humaine dans le Christ ; mais cela vient de ce qu’elles n’ont pas été pas telles qu’elles ont subsisté par leur union, mais que la personne divine a subsisté en eux. |
[8229] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 ad
4 Ad quartum dicendum, quod homo
significat humanam naturam, et supponit pro supposito subsistente in natura
illa: quorum unum est ex parte assumpti, alterum ex parte assumentis. |
4. « Homme » signifie la nature haumaine et joue le rôle de suppôt pour le suppôt qui subsiste dans cette nature : l’un d’eux se prend du point de vue de ce qui est assumé, l’autre, de celui qui assume. |
[8230] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 ad
5 Ad quintum
dicendum, quod hoc quod facit conjunctum ex anima et corpore esse hominem,
non est praeter animam et corpus et unionem, aliquid positive; sed ex hoc
ipso quod ipsum compositum ex anima et corpore non adjungitur alteri
subsistenti in natura composita, sequitur quod conjunctum sit homo. Unde si
Christus humanam naturam quam assumpsit deponeret, ex hoc ipso esset homo
illud conjunctum ex duabus substantiis. |
5. Ce qui fait que le composé d’âme et de corps est un homme n’est pas de manière positive quelque chose de plus que l’âme, le corps et l’union ; mais, du fait même que le composé d’âme et de corps n’est pas uni à quelque chose d’autre qui subsiste dans une nature composée, il en découle que le composé est un homme. Si donc le Christ déposait la nature humaine qu’il a assumée, ce composé des deux substances serait un homme par le fait même. |
Articulus 3 [8231] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3
tit. Utrum homo
dicat ibi compositum ex duabus substantiis tantum |
Article 3 – Le mot
« homme » indique-t-il seulement le composé de deux substances ?
|
[8232] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur, quod
homo non dicat nisi compositum ex duabus substantiis. Homo enim praedicatur
de Christo et de Petro, et non aequivoce dicitur. Sed cum dicitur de Petro,
nihil praedicatur nisi compositum ex duabus naturis vel substantiis. Ergo et
cum dicitur de Christo. |
1. Il semble qu’« homme » ne veuille dire que le composé des deux substances. En effet, « homme » est prédiqué du Christ et de Pierre, et n’est pas employé de manière équivoque. Or, lorsqu’il est dit de Pierre, rien n’est prédiqué que le composé des deux natures ou substances. Donc, aussi lorsqu’il est dit du Christ. |
[8233] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3
arg. 2 Praeterea, in
symbolo Athanasii dicitur: sicut anima rationalis et caro unus est homo,
ita Deus et homo unus est Christus. Sed anima non includit in sua
significatione carnem, nec e converso. Ergo nec homo dicit divinitatem, nec e
converso. |
2. Dans le symbole d’Athanase, on dit : « De même que l’âme raisonnable et la chair sont un seul homme, de même Dieu et l’homme sont-ils un seul Christ. » Or, l’âme n’inclut pas la chair dans sa signification, ni inversement. « Homme » ne dit donc pas la divinité, ni inversement. |
[8234] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3
arg. 3 Praeterea, nihil est in Christo
praeter tres substantias. Si ergo homo diceret tres substantias, tunc Christus
erit tantum homo, quod est falsum. |
3. Il n’y a rien dans le Christ à part les trois substances. Si donc « homme » exprimait les trois substances, le Christ serait seulement un homme, ce qui est faux. |
[8235] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3
arg. 4 Praeterea, totum non dicitur uniri parti; sed pars toti, vel parti. Si
ergo homo diceret tres substantias, videretur quod non posset dici homo uniri
Dei filio. |
4. On ne dit pas que le tout s’unit à la partie, mais que la partie [s’unit] au tout ou à une partie. Si donc « homme » exprimait les trois substances, il semblerait qu’on ne pourrait pas dire que l’homme est uni au Fils de Dieu. |
[8236] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, homo est
habens humanitatem. Sed habens humanitatem est divina persona. Ergo cum
humanitate, quae continet duas substantias, hoc nomen homo, dictum de
Christo, dicit etiam divinam personam; et sic dicit tres substantias. |
Cependant, [1] l’homme est ce qui possède l’humanité. Or, celui qui possède l’humanité est la personne divine. Donc, avec l’humanité, qui contient deux substances, ce mot « homme », dit du Christ, dit aussi la personne divine. Il dit ainsi les trois substances. |
[8237] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 s.
c. 2 Praeterea, omne praedicatum
substantiale continet aliquo modo suum subjectum. Sed hoc nomen homo
praedicatur de filio Dei non accidentaliter. Ergo continet personam filii Dei; et sic non dicit tantum compositum
ex duabus substantiis. |
[2] Tout prédicat substantiel contient d’une certaine manière son sujet. Or, ce mot « homme » est prédiqué du Fils de Dieu d’une manière non accidentelle. Il contient donc la personne du Fils de Dieu, et ainsi il ne dit pas seulement le composé de deux substances. |
[8238] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod in quolibet nomine
est duo considerare: scilicet id a quo imponitur nomen, quod dicitur qualitas
nominis; et id cui imponitur, quod dicitur substantia nominis: et nomen,
proprie loquendo, dicitur significare formam sive qualitatem, a qua imponitur
nomen; dicitur vero supponere pro eo cui imponitur. Prima ergo opinio dicit,
quod hoc nomen homo, quantum ad significatum et quantum ad suppositum, non
dicit nisi constitutum ex duabus substantiis: quia hoc constitutum ex duabus
substantiis est hypostasis subsistens, pro qua potest fieri suppositio hujus
nominis homo. Secunda vero opinio dicit, quod constitutum ex duabus
substantiis tantum, non est hypostasis subsistens, sed natura, in qua
subsistit verbum Dei; unde non potest ponere, quod constitutum ex duabus
substantiis tantum sit suppositum cui nomen imponitur, sed forma a qua
imponitur, scilicet humanitas: illud vero cui nomen imponitur, quod est
subsistens in humana natura, est persona verbi; et ideo hoc nomen homo
comprehendit tres substantias; sed duas ex parte significati, tertiam ex
parte suppositi. |
Réponse. En tout nom, il faut considérer deux choses : ce à partir de quoi le nom est imposé, qu’on appelle la qualité du nom ; ce à quoi le nom est imposé, qu’on appelle la substance du nom. On dit que le nom, à proprement parler, signifie la forme ou la qualité à partir de laquelle le nom est imposé ; mais on dit qu’il joue le rôle de suppôt pour ce à quoi il est imposé. La première opinion dit donc que ce nom « homme », quant à ce qui est signifié et quant au suppôt, n’exprime que le composé de deux substances, car ce composé de deux substances est une hypostase qui subsiste, pour laquelle peut être faite la supposition de ce mot « homme ». Mais la deuxième opinion dit que le composé des deux substances seulement n’est pas une hypostase subsistante, mais une nature dans laquelle subsiste le Verbe de Dieu ; elle ne peut donc pas affirmer que le composé des deux substances seulement est le suppôt auquel le mot est imposé, mais la forme à partir de laquelle il est imposé, à savoir, l’humanité. Mais ce à quoi le mot est imposé, qui est ce qui subsiste dans la nature humaine, est la personne du Verbe. Ce mot « homme » comprend donc trois substances : deux du point de vue de ce qui est signifié, la troisième du point de vue du suppôt. |
[8239] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 ad
1 Ad primum ergo dicendum, quod
diversitas suppositionis non facit aequivocationem; sed diversitas
significationis. |
1. La diversité de supposition ne crée pas d’équivoque, mais une diversité de signification. |
[8240] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod Athanasius accipit hominem ex parte naturae significatae. |
2. Athanase comprend «homme» du point de vue de la nature signifiée. |
[8241] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
termini in praedicato positi tenentur formaliter, in subjecto vero
materialiter; unde hoc nomen homo supponit suppositum aeternum, quod
subsistit in duabus naturis et tribus substantiis; praedicat vero tantum naturam
humanam. Unde si diceretur quod est tantum homo, excluderetur omnis natura
alia ab humana; et propter hoc non conceditur, quod sit homo tantum. |
3. Les termes placés dans le prédicat sont pris formellement ; mais, [placés] dans le sujet, ils sont pris matériellement. Aussi ce mot « homme » suppose-t-il un suppôt éternel, qui subsiste en deux natures et en trois substances, mais il n’est le prédicat que de la nature humaine. Aussi, si on disait qu’il est seulement un homme, on exclurait donc toute autre nature que la nature humaine. Pour cette raison, on ne concède pas qu’il est un homme seulement. |
[8242] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 ad
4 Ad quartum
dicendum, quod homo dicitur proprie et simpliciter unitus filio Dei: quia
dicit id quod unitur, seu conjungitur, scilicet humanam naturam, quae est
quasi pars in hac unione; et id in quo fit unio, scilicet suppositum unum. |
4. On dit que l’homme est uni en un sens propre et simple au Fils de Dieu, car il signifie ce qui est uni ou réuni, la nature humaine, qui est comme une partie de cette union, et ce en quoi est réalisée l’union, à savoir, le suppôt unique. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [La deuxième opinion]
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Prooemium |
Prologue |
[8243] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 pr. Deinde quaeritur de his quae pertinent ad
secundam opinionem; et circa hoc quaeruntur tria: 1 utrum Christus sit unum;
2 utrum habeat unum esse; 3 utrum persona Christi post incarnationem fuerit
composita. |
On s’interroge ensuite sur la deuxième opinion. À ce propos, trois questions sont posées : 1 – Le Christ est-il une seule réalité ? 2 – Le Christ a-t-il un seul être ? 3 – La personne du Christ était-elle composée après l’incarnation ? |
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Articulus 1 [8244] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1
tit. Utrum Christus
sit duo neutraliter |
Article 1 – Le Christ est-il deux réalités ? |
[8245] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod Christus sit duo neutraliter.
Isidorus enim dicit in Lib. de Trinit.: mediator Dei et hominum, homo
Jesus Christus, quamvis aliud sit de patre, aliud de virgine, non tamen alius.
Sed ubicumque est aliud et aliud, ibi sunt duo. Ergo Christus est duo. |
1. Il semble que le Christ soit deux réalités. En effet, Isidore dit, dans le livre Sur la Trinité : « Le médiateur entre Dieu et les hommes, l’homme Jésus, le Christ, bien qu’il soit quelque chose une chose pour autant qu’il vient du Père et une autre chose pour autant qu’il vient de la Vierge, n’est cependant pas quelqu’un d’autre. » Or, partout où l’on trouve des choses différentes, il y a deux réalités. Le Christ est donc deux réalités. |
[8246] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1
arg. 2 Praeterea,
Christus est unum unitate increata, et est unum unitate creata. Unitas autem
creata non est unitas increata. Ergo Christus est duo. |
2. Le Christ et une réalité selon une unité incréée et une réalité selon une unité créée. Or, l’unité créée n’est pas l’unité incréée. Le Christ est donc deux réalités. |
[8247] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut in
Trinitate sunt tres personae in una essentia; ita in Christo sunt duae naturae in una persona. Sed propter unitatem naturae dicuntur pater
et filius unum, quamvis non unus. Ergo et propter unitatem personae Christus
debet dici unus, et non unum, sed duo propter dualitatem naturarum. |
3. De même que, dans la Trinité, existent trois personnes dans une seule essence, existent dans le Christ deux natures dans une seule personne. Or, en raison de l’unité de nature, on dit que le Père et le Fils sont une seule réalité, bien qu’ils ne soient pas une seule personne. En raison de l’unité de personne, on doit donc dire que le Christ est une seule personne, et non pas une seule réalité, mais deux réalités en raison de la dualité des natures. |
[8248] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1
arg. 4 Praeterea,
Christus secundum quod est Deus, est aliquid quod est pater; et secundum quod
est homo, est aliquid quod est mater. Sed hoc quod est pater, non est hoc
quod est mater. Ergo Christus est aliquid et aliquid; et ita est duo. |
4. Le Christ, en tant qu’il est Dieu, est quelque chose qu’est son Père ; en tant qu’homme, il est quelque chose qu’est sa mère. Or, ce qu’est son Père n’est pas ce qu’est sa mère. Le Christ est donc une chose et l’autre, et ainsi il est deux réalités. |
[8249] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1
arg. 5 Praeterea,
Christus est aliquid passibile et aliquid impassibile. Sed passibile non est
impassibile. Ergo Christus est aliquid et aliquid. Ergo non est unum. |
5. Le Christ est quelque chose de passible et d’impassible. Or, le passible n’est pas l’impassible. Le Christ est donc une chose et l’autre. Il n’est donc pas une seule réalité. |
[8250] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1
arg. 6 Praeterea,
secundum Damascenum, Christus totus est ubique, non tamen totum. Sed est
ubique secundum quod est Deus. Ergo Christus non est totum Deus. Sed ex hoc
quod est Deus, est aliquid. Ergo est aliquid et aliquid; et sic idem quod
prius. |
6. Selon [Jean] Damascène, « le Christ est tout entier partout, mais il n’y est cependant pas en totalité ». Or, il est partout en tant qu’il est Dieu. Le Christ n’est donc pas Dieu en totalité. Or, du fait qu’il est Dieu, il est quelque chose. Il est donc deux réalités, et ainsi la conclusion est la même que précédemment. |
[8251] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1
arg. 7 Praeterea,
Christus non est tantum homo. Sed homo praedicat aliquid unum de ipso. Ergo
Christus non est tantum unum aliquid: ergo est duo. |
7. Le Christ n’est pas seulement homme. Or, le mot « homme » prédique de lui quelque chose d’unique. Le Christ n’est donc pas seulement une seule réalité. Il est donc deux réalités. |
[8252] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 s.
c. 1 Sed contra,
quidquid est, ideo est, quia unum numero est. Si ergo Christus non est unum,
nihil est; quod falsum est. |
Cependant, [1] tout ce qui existe existe de telle manière que cela est unique en nombre. Si donc le Christ n’est pas une seule réalité, il n’est rien, ce qui est faux. |
[8253] Super Sent., lib.
3 d. 6 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, major est convenientia naturae humanae in Christo ad naturam
divinam, quam accidentis ad subjectum. Sed accidens cum subjecto non facit
numerum. Ergo nec ratione naturae humanae et divinae dicetur Christus esse
duo. |
[2] La nature humaine et la nature divine se rejoignent davantage dans le Christ que l’accident dans un sujet. Or, l’accident ne fait qu’un en nombre avec le sujet. On ne dira donc pas que le Christ est deux réalités en raison de sa nature humaine et de sa nature divine. |
[8254] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 s.
c. 3 Praeterea, ea
quae non sunt unum, non possunt de se invicem praedicari. Sed Deus
praedicatur de homine Christo, et e converso. Ergo Christus est unum. |
[3] Des choses qui ne sont pas une seule réalité ne peuvent être les prédicats l’une de l’autre. Or, Dieu est un prédicat de l’homme Christ, et inversement. Le Christ est donc une seule réalité. |
[8255] Super Sent., lib. 3 d. 6
q. 2 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod neutrum genus est informe et indistinctum; masculinum vero est
formatum et determinatum; unde masculinum non praedicatur absolute nisi de re
perfecta subsistente; neutrum vero genus de re perfecta subsistente, et de
non perfecta; unde non potest dici, quod albedo vel humanitas Petri est
aliquis, sed quod est aliquid; de Petro autem possumus dicere, quod est
aliquis, et quod est aliquid. Similiter in Christo de persona potest dici est
aliquis, et est aliquid: de natura autem quod est aliquid, et non quod est
aliquis. Secundum igitur secundam opinionem, de qua agitur, illud aliquid
quod est natura assumpta, non praedicatur de Christo: quia non habet rationem
hominis, sed humanitatis. Aliquid ergo, secundum quod praedicatur de Christo,
non significat tantum naturam, sed suppositum naturae: et quia plurale est
geminatum singulare, ideo Christus non posset dici aliqua, nisi essent in eo
duo supposita naturarum; quod negat secunda opinio, et similiter tertia; et
ideo utraque opinio dicit, quod Christus est unum; sed secunda dicit, quod
est unum per se; tertia vero, quod est unum per accidens, sicut albus homo.
Sed prima opinio dicit, quod assumptum non tantum habet rationem humanitatis,
sed etiam hominis; et tamen non potest dici aliquis, quia est alteri digniori
adjunctum, sed dicitur aliquid, et illud aliquid praedicatur de persona
assumente; et ideo sequitur quod Christus sit aliquis, scilicet assumens, et
aliquod, scilicet assumptum; et quod sit duo neutraliter, sed non masculine. |
Réponse. Aucun des deux genres [masculin et neutre] n’est sans forme et indistinct ; mais le genre masculin a une forme et est déterminé. Aussi le masculin n’est-il prédiqué de manière absolue que d’une réalité parfaite qui subsiste ; cependant, les deux genres ne sont pas prédiqués d’une réalité parfaite subsistante et d’une réalité imparfaite. On ne peut donc dire que la blancheur et l’humanité de Pierre sont quelqu’un, mais qu’elle sont quelque chose ; mais nous pouvons dire de Pierre qu’il est quelqu’un et qu’il est quelque chose. De même, dans le Christ, on peut dire de la personne qu’elle est quelqu’un et qu’elle est quelque chose ; mais [on peut dire] de la nature qu’elle est quelque chose, et non qu’elle est quelqu’un. Selon la deuxième opinion, dont il est question, ce quelque chose qu’est la nature assumée n’est pas prédiqué du Christ, car cela n’a pas la raison d’homme, mais d’humanité. Donc, quelque chose qui est prédiqué du Christ ne signifie pas seulement la nature, mais le suppôt de la nature, et parce que le pluriel est un double singulier, le Christ ne pourrait être appelé diverses choses que si existaient en lui deux suppôts pour les natures, ce que nie la deuxième opinion, de même que la troisième. Les deux opinions disent donc que le Christ est une seule réalité ; mais la deuxième dit qu’il est une réalité par soi, alors que la troisième dit qu’il est une seule réalité par accident, comme un homme blanc. Cependant, la première opinion dit que ce qui est assumé n’a pas seulement la raison d’humanité, mais aussi d’homme. Cependant, cela ne peut être appelé quelqu’un parce que cela est uni à un autre qui est plus digne ; mais cela est appelé quelque chose, et ce quelque chose est prédiqué de la personne qui assume. Il en découle donc que le Christ est quelqu’un, à savoir, celui qui assume, et quelque chose, à savoir, ce qui est assumé, et qu’il est double au neutre, mais non au masculin. |
[8256] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 ad
1 Ad primum ergo
dicendum, quod aliud partitivum est; unde requiritur aliquod a quo dividatur.
Cum autem dicitur, Christus est aliud et aliud, cum aliud non praedicet
naturam tantum, sed suppositum naturae (quia humana natura de Christo non
praedicatur), requiritur quod sit ibi aliquid distinctum vel divisum a
supposito humanae naturae, quod de Christo praedicetur. Hoc autem non potest
esse secundum secundam opinionem: quia suppositum divinae naturae non est
aliud a supposito humanae naturae; nec divina natura, quae de Christo
praedicatur, est aliud a supposito ejus, nec per consequens a supposito
humanae naturae. Unde secundum hanc opinionem Christus non dicitur proprie
aliud et aliud; sed exponendum est, alterius et alterius naturae. Prima vero
opinio, quae distinguit supposita naturarum, potest dicere quod Christus est
aliud et aliud. |
1. « Autre » est un partitif. Aussi quelque chose dont cela est séparé est-il nécessaire. Lorsqu’on dit que le Christ est une chose et une autre, puisque « autre » n’est pas seulement le prédicat de la nature, mais du suppôt de la nature (car la nature humaine n’est pas prédiquée du Christ), il est nécessaire qu’il y ait là quelque chose de distinct ou de divisé du suppôt de la nature humaine, qui sera prédiqué du Christ. Or, cela ne peut être le cas selon la deuxième opinion, car le suppôt de la nature divine n’est pas autre chose que le suppôt de la nature humaine ; et la nature divine, qui est prédiquée du Christ, n’est pas autre chose que son suppôt, ni, par conséquent, que le suppôt de la nature humaine. Selon cette opinion, on ne dit donc pas que le Christ est deux réalités, mais il faut expliquer qu’il a une double nature. Mais la première opinion, qui fait une distinction entre les suppôts des natures, peut dire que le Christ est deux réalités. |
[8257] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod termini numerales, ut in 1 dictum est, se habent communiter ad
personam et naturam; unde loquendo de unitate personali, est tantum una in
Christo, secundum quam dicitur unus Christus; loquendo autem de unitate
naturali, est duplex unitas. Non tamen sequitur quod Christus sit unum et
unum: quia unum quod de Christo praedicatur, non refertur tantum ad naturam,
sed ad suppositum naturae, quod non geminatur. |
2. Comme on l’a dit dans le livre I, les termes numériques sont communs pour la personne et la nature. Parlant de l’unité personnelle, il n’en existe qu’une seule dans le Christ, selon laquelle on dit que le Christ est unique ; mais, parlant de l’unité naturelle, il existe une double unité. Il n’en découle cependant pas que le Christ soit deux réalités, car l’unité qui est prédiquée du Christ ne se rapporte pas seulement à la nature, mais au suppôt de la nature, qui n’est pas double. |
[8258] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 ad
3 Ad tertium
dicendum, quod natura divina praedicatur in recto de personis propter
identitatem rei; sed duae naturae quae sunt in Christo, non praedicantur de
eo in recto: quamvis enim divina natura praedicetur de eo in recto, non tamen
humana, sicut nec de aliquo alio homine. Si autem tres personae differrent
secundum rem a natura, quamvis esset una numero in eis, non tamen posset
propter hoc dici, quod tres personae essent unum simpliciter; sed forte quod
essent unus Deus; sicut multi homines dicuntur unus populus. |
3. La nature divine est prédiquée directement des personnes en raison d’une identité réelle ; mais les deux natures qui existent dans le Christ ne sont pas prédiquées de lui directement. En effet, bien que la nature divine soit prédiquée de lui directement, ce n’est pas le cas de la nature humaine, ni d’un autre homme. Mais si les trois personnes différaient en réalité de la nature, bien que celle-ci serait unique en nombre en elles, on ne pourrait cependant pas dire que les trois personnes sont simplement une seule réalité, mais qu’elles sont un seul Dieu, comme on dit que plusieurs hommes sont un seul peuple. |
[8259] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 ad
4 Ad quartum
dicendum, quod cum dicitur, Christus est aliquid quod est mater, ly aliquid
non praedicat tantum naturam, sed suppositum naturae, ut patet ex praedictis;
relativum autem refert suum antecedens, non gratia suppositi, sed gratia
naturae: mater enim non convenit cum filio in supposito, sed in natura:
relativum autem non refert idem secundum suppositum, sed quandoque idem
secundum naturam speciei. Cum vero dicitur: est aliquid quod est pater, ly
aliquid praedicat naturam divinam: unde ex hoc sequitur quod humana natura
non sit divina natura, non autem quod Christus sit duo. |
4. Lorsqu’on dit que le Christ est quelque chose qu’est sa mère, « quelque chose » n’est pas le prédicat de la seule nature, mais du suppôt de la nature, comme cela ressort de ce qui a été dit ; mais le relatif se rapporte à son antécédent, non pas en raison du suppôt, mais en raison de la nature. En effet, la mère et le fils n’ont pas en commun le suppôt, mais la nature ; mais le relatif ne se rapporte pas à la même chose selon le suppôt, mais parfois à la même chose selon la nature de l’espèce. Mais lorsqu’on dit : « Il est quelque chose qu’est son Père », « quelque chose » est le prédicat de la nature divine. Il découle donc de cela que la nature humaine n’est pas la nature divine, mais non pas que le Christ soit une double réalité. |
[8260] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 ad
5 Ad quintum
dicendum, quod cum dicitur, Christus est aliquid passibile, ly aliquid non
praedicat naturam, sed suppositum humanae naturae; quia proprietates naturae
denominative praedicantur de supposito, quamvis natura de eo non praedicetur,
et etiam proprietates partium. Petrus enim quamvis non sit capillus, est
tamen Crispus. Cum vero dicitur, Christus est aliquid impassibile, ly aliquid
praedicat suppositum divinae naturae, quod non est aliud quam suppositum
humanae naturae; vel etiam divinam naturam, quae non est aliud a suo
supposito. Unde non sequitur quod sit ibi aliud et aliud: media enim falsa
est quae dicit quod aliquid passibile non est aliquid impassibile: idem enim
suppositum quod est passibile secundum unam naturam, est impassibile secundum
aliam. |
5. Lorsqu’on dit : « Le Christ est quelque chose de passible », « quelque chose » n’est pas le prédicat de la nature, mais du suppôt de la nature humaine, car les propriétés de la nature sont prédiquées du suppôt par dérivation (bien que la nature ne soit pas prédiquée de lui), et aussi les propriétés des parties. En effet, Pierre, bien qu’il ne soit pas un cheveu, est cependant crépu. Mais lorsqu’on dit: « Le Christ est quelque chose d’impassible», «quelque chose» est le prédicat du suppôt de la nature divine, qui n’est pas autre que le suppôt de la nature humaine ; ou encore, [il est le suppôt] de la nature divine, qui n’est pas différente de son suppôt. Il n’en découle donc pas qu’il y ait là des réalités différentes. En effet, la mineure qui dit que quelque chose de passible n’est pas quelque chose d’impassible est fausse : le même suppôt, qui est passible selon une nature, est cependant impassible selon l’autre. |
[8261] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod
totus refertur ad personam, totum autem ad naturam. Totum autem, secundum quod hic sumitur, est cui nihil deest: et quia
nihil deest de personalitate filii, quam significat nomen Christi, secundum
quod est ubique, quia est persona aeterna; ideo dicitur totus ubique. Deest
autem aliquid de natura ei, secundum quod non est ubique; sed tamen illud
aliquid non praedicatur de Christo. Unde non sequitur quod Christus sit
aliquid et aliquid; sed quod in eo sit aliquid et aliquid. |
6. « Tout entier » (totus) se rapporte à la personne, mais « en totalité » (totum) se rapporte à la nature. « En totalité », selon qu’on l’entend ici, signifie ce à quoi rien ne fait défaut ; parce que rien ne fait défaut à la personnalité du Fils, que signifie le mot « Christ », selon qu’il est partout puisqu’il est une personne éternelle, on dit donc qu’il est tout entier partout. Mais quelque chose lui fait cependant défaut par nature selon qu’il n’est pas partout ; toutefois, ce quelque chose n’est pas prédiqué du Christ. Il n’en découle donc pas que le Christ soit deux réalités, mais qu’existent en lui deux réalités. |
[8262] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 ad
7 Ad septimum
dicendum, quod termini in praedicato positi tenentur formaliter: unde non
conceditur ista, quod Christus sit tantum homo; quia excluderetur omnis alia
natura. Ly aliquid autem, et ly unum non determinant aliquam formam vel
naturam; sed determinatum suppositum, secundum quod de Christo praedicantur:
non enim determinant nisi illud circa quod ponuntur. Unde si diceretur:
Christus est tantum unum, vel tantum aliquid, non excludit aliam naturam, sed
aliud suppositum: et ideo haec est vera: Christus est tantum aliquid unum; et
est in processu illo fallacia consequentis, quia aliquid unum est superius ad
hominem. Procedit ergo
negative ab inferiori ad superius, cum dictione exclusiva. |
7. Les termes positifs de ce qui est prédiqué sont pris formellement ; aussi ne concède-t-on pas que le Christ est seulement homme, car toute autre nature serait exclue. Mais « quelque chose » et « un seul » ne déterminent pas une forme ou une nature, mais un suppôt déterminé, lorsqu’ils sont prédiqués du Christ. En effet, ils ne déterminent que ce dont ils sont affirmés. Si l’on disait : « Le Christ n’est qu’une seule chose ou seulement telle chose », cela n’exclut pas une autre nature, mais un autre suppôt. Cette proposition : « Le Christ est seulement quelque chose d’unique », est donc vraie, et il en découle un raisonnement faux, car ce quelque chose d’unique est supérieur à l’homme. Sous une forme exclusive, on raisonne donc négativement de l’inférieur au supérieur. |
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Articulus 2 [8263] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2
tit. Utrum in
Christo non sit tantum unum esse |
Article 2 – N’y a-t-il qu’un
seul être dans le Christ ?
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[8264] Super Sent., lib.
3 d. 6 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod in Christo non sit tantum
unum esse. Omnis enim forma substantialis dat esse. Sed anima est forma substantialis.
Ergo dat esse. Sed non
dat esse divinae personae, quia hoc est aeternum. Ergo dat aliud esse: ergo
in Christo non tantum est unum esse. |
1. Il semble que, dans le Christ, il n’y ait pas seulement un seul être. En effet, toute forme substantielle donne l’être. Or, l’âme est une forme substantielle. Elle donne donc l’être. Or, elle ne donne pas l’être de la personne divine, car celle-ci est éternelle. Elle donne donc un autre être. Dans le Christ, il n’y a donc pas seulement un être. |
[8265] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2
arg. 2 Praeterea,
unum est esse filii Dei et patris. Si ergo unum est esse hujus hominis et
filii Dei, unum erit esse hujus hominis et Dei patris. Sed nulla est major
unio quam ea quae est aliquorum secundum esse unum. Ergo humanitas est unita
Deo patri. |
2. L’être du Fils de Dieu et du Père est unique. Si donc il n’y a qu’un être de cet homme et du Fils de Dieu, l’être de cet homme et de Dieu le Père sera unique. Or, il n’existe pas d’union plus grande que celle de certaines choses selon un seul être. L’humanité est donc une avec Dieu, le Père. |
[8266] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2
arg. 3 Praeterea, in
divinis non est esse nisi essentiale. Si ergo unio humanae naturae ad divinam
facta est in esse filii Dei, facta est in essentia: quod est impossibile. |
3. En Dieu, il
n’y a qu’un être essentiel. Si donc l’union de la nature humaine à la nature
divine s’est réalisée dans l’être du Fils de Dieu, elle s’est réalisée dans l’essence,
ce qui est impossible. |
[8267] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2
arg. 4 Praeterea,
definitio est oratio indicans quid est esse. Sed homo secundum eamdem
definitionem praedicatur de Christo et de Petro. Ergo est idem esse humanitas
illius hominis cum esse Petri secundum speciem. Sed esse filii Dei non est
idem specie cum esse Petri. Ergo in Christo non est tantum unum esse. |
4. La définition est un discours indiquant ce qu’est l’être. Or, « homme » est prédiqué du Christ et de Pierre selon la même définition. L’être de l’humanité de cet homme est donc le même que l’être de Pierre selon l’espèce. Or, selon l’espèce, l’être du Fils de Dieu n’est pas le même que l’être de Pierre. Dans le Christ, il n’y a donc pas un seul être. |
[8268] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2
arg. 5 Praeterea, de
quocumque responderi potest ad quaestionem factam per an est, habet proprium
esse. Sed haec quaestio fit non tantum de persona, sed etiam de natura. Ergo esse non tantum est
personae, sed etiam naturae. In Christo autem sunt duae naturae. Ergo in
Christo sunt duo esse. |
5. De quoi qu’on puisse répondre à la question : « Cela existe-t-il ?», cela a son être propre. Or, cette question se pose non seulement pour la personne, mais aussi pour la nature. L’être n’est donc pas seulement celui de la personne, mais aussi celui de la nature. Or, il y a deux natures dans le Christ. Il y a donc un double être dans le Christ. |
[8269] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 s.
c. 1 Sed contra,
omne quod habet per se esse, est subsistens. Si ergo in Christo est duplex
esse, sunt ibi duo subsistentia: ergo duae hypostases: quod supra improbatum
est. |
Cependant, [1] tout ce qui a l’être par soi subsiste. Si donc il y a un double être dans le Christ, il y a deux réalités subsistantes, et donc deux hypostases, ce qui a été repoussé plus haut. |
[8270] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 s.
c. 2 Praeterea,
quaecumque differunt secundum esse, unum eorum non praedicatur de altero. Sed
Deus est homo, et e converso. Ergo est esse unum Dei et hominis. |
[2] De tout ce qui diffère selon l’être, rien n’est prédiqué de l’autre. Or, Dieu est homme, et inversement. Il y a donc un seul être de Dieu et de l’homme. |
[8271] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 s.
c. 3 Praeterea,
unius non est nisi unum esse. Sed Christus est unum, ut dictum est. Ergo
habet unum esse tantum. |
[3] Il n’y a qu’un seul être pour une seule réalité. Or, le Christ est une seule réalité, comme on l’a dit. Il n’a donc qu’un seul être. |
[8272] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2
co. Respondeo dicendum, quod
secundum philosophum 5 Metaph., esse duobus modis dicitur. Uno modo secundum
quod significat veritatem propositionis, secundum quod est copula; et sic, ut
Commentator ibidem dicit, ens est praedicatum accidentale; et hoc esse non
est in re, sed in mente, quae conjungit praedicatum cum subjecto, ut dicit
philosophus in 6 Metaph. Unde de hoc non est hic quaestio. Alio modo dicitur
esse, quod pertinet ad naturam rei, secundum quod dividitur secundum decem
genera; et hoc quidem esse est in re, et est actus entis resultans ex
principiis rei, sicut lucere est actus lucentis. Aliquando tamen sumitur esse
pro essentia, secundum quam res est: quia per actus consueverunt significari
eorum principia, ut potentiae vel habitus. Loquendo igitur de esse secundum
quod est actus entis, sic dico, quod secundum secundam opinionem oportet
ponere tantum unum esse; secundum alias autem duas oportet ponere duo esse.
Ens enim subsistens, est quod habet esse tamquam ejus quod est, quamvis sit
naturae vel formae tamquam ejus quo est: unde nec natura rei nec partes ejus
proprie dicuntur esse, si esse praedicto modo accipiatur; similiter autem nec
accidentia, sed suppositum completum, quod est secundum omnia illa. Unde
etiam philosophus dicit in 2 Metaph., quod accidens magis proprie est entis
quam ens. Prima ergo opinio, quae ponit duo subsistentia, ponit duo esse
substantialia; similiter tertia opinio, quia ponit quod partes humanae
naturae adveniunt divinae personae accidentaliter, ponit duo esse, unum
substantiale, et aliud accidentale; secunda vero opinio, quia ponit unum
subsistens, et ponit humanitatem non accidentaliter advenire divinae
personae, oportet quod ponat unum esse. Impossibile est enim quod unum
aliquid habeat duo esse substantialia; quia unum fundatur super ens: unde si
sint plura esse, secundum quae aliquid dicitur ens simpliciter, impossibile
est quod dicatur unum. Sed non est inconveniens quod esse unius subsistentis
sit per respectum ad plura, sicut esse Petri est unum, habens tamen respectum
ad diversa principia constituentia ipsum: et similiter suo modo unum esse
Christi habet duos respectus, unum ad naturam humanam, alterum ad divinam. |
Réponse. Selon le Philosophe, dans Métaphysique, V, « être » est employé de deux manières. D’une manière, selon qu’il signifie la vérité d’une proposition en tant que copule ; ainsi, comme le dit le Commentateur, ce qui existe (ens) est un prédicat accidentel. Cet être n’existe pas dans la réalité, mais dans l’esprit, qui unit le prédicat et le sujet, comme le dit le Philosope dans Métaphysique, VI. Il n’est donc pas question de cela ici. D’une autre manière, on parle de l’être qui concerne la nature d’une chose, selon qu’il se divise en dix genres. Cet être se trouve dans la réalité et il est un acte de ce qui existe résultant des principes de la chose, comme luire est l’acte de ce qui luit. Cependant, « être » est parfois pris pour l’essence selon laquelle une chose existe, car on a coutume de signifier les principes des choses, comme les puissances ou les habitus, par les actes. Parlant donc de l’être selon qu’il est l’acte de ce qui existe, je dis que, selon la deuxième opinion, il faut affirmer qu’il n’y a qu’un être [dans le Christ], mais, selon les deux autres, il faut affirmer qu’il y en a deux. En effet, l’être qui subsiste est ce qui possède l’être comme appartenant à ce qui est, bien qu’il appartienne à la nature ou à la forme comme à ce par quoi cela est. Aussi, au sens propre, ne dit-on ni de la nature d’une chose, ni de ses parties, ni des accidents qu’ils existent, si on entend être de la manière dite, mais [on le dit] du suppôt complet, qui est selon toutes ces choses. Aussi le Philosophe dit-il, dans Métaphysique, II, que l’accident appartient plutôt à ce qui est qu’il n’est lui-même un être. La première opinion, qui affirme deux [êtres] subsistants, et aussi la troisième opinion, parce qu’elle affirme que les parties de la nature humaine s’ajoutent à la personne divine de manière accidentelle, affirment donc qu’il y a deux êtres : l’un substantiel et l’autre accidentel. Mais la deuxième opnion, parce qu’elle affirme qu’il n’y a qu’un seul [être] subsistant et affirme aussi que l’humanité ne s’ajoute pas de manière accidentelle à la personne divine, doit affirmer qu’il n’y a qu’un seul être. En effet, il est impossible qu’une chose ait deux êtres substantiels, car le fait d’être un se fonde sur l’être. Si donc il y a plusieurs êtres, selon lesquels on dit que quelque chose est tout simplement, il est impossible de dire que cela est un. Mais il n’est pas inapproprié que l’être d’une chose qui subsiste ait un rapport avec plusieurs choses, comme l’être de Pierre est un, et cependant il a un rapport avec plusieurs principes qui le constituent. De même, à sa manière, l’être unique du Christ a deux rapports : l’un à sa nature humaine, l’autre à sa nature divine. |
[8273] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 ad
1 Ad primum ergo
dicendum, quod forma facit esse; non ita quod illud esse sit materiae aut
formae, sed subsistentis. Quando ergo compositum ex materia et forma est per
se subsistens, acquiritur ex forma illi composito esse absolutum per se;
quando autem non est per se subsistens, non acquiritur per formam esse illi
composito; sed subsistenti cui hoc adjungitur, acquiritur respectus secundum
esse ad hoc quod ei additur: sicut si ponamus hominem nasci sine manu, et
manum per se separatim fieri, et postea ei miraculose conjungi, constat quod
forma manus causabit esse manus per se subsistentis: sed postquam conjungitur
homini, non acquiritur ex forma manus aliquod esse manui, quia manus non
habet esse proprium; sed acquiritur homini respectus ad manum secundum suum
esse. Ita etiam dico, quod anima in Christo non acquirit proprium esse
humanae naturae; sed filio Dei acquirit respectum secundum suum esse ad
naturam humanam, qui tamen respectus non est aliquid secundum rem in divina
persona, sed aliquid secundum rationem, ut dictum est de unione, supra, dist.
2, qu. 2, art. 2, quaestiunc. 3, ad 3. |
1. La forme fait être, mais non de telle manière que cet être soit celui de la matière ou de la forme, mais de ce qui subsiste. Lorsqu’un composé de matière et de forme subsiste par soi, il reçoit donc d’être un absolu par soi de la forme qui est composée avec lui ; mais lorsqu’il n’est pas subsistant, l’être ne vient pas à ce composé par la forme, mais ce qui subsiste, et à quoi cela est ajouté, acquiert un rapport selon l’être avec ce qui lui est ajouté. Ainsi, si nous affirmons qu’un homme naît sans main et que la main est produite séparément, et que, par la suite, elle lui est miraculeusement unie, il est clair que la forme de la main causera l’être de la main qui subsiste par soi. Mais, après qu’elle est unie à l’homme, un être ne s’ajoute pas à la main, car la main n’a pas d’être propre, mais l’homme acquiert un rapport à la main selon son être. Ainsi, je dis aussi que l’âme chez le Christ ne reçoit pas l’être propre de la nature humaine ; mais elle acquérir donne au Fils de Dieu un rapport selon son être à la nature humaine, rapport qui n’est cependant pas quelque chose de réel dans la personne divine, mais quelque chose de raison, comme on l’a dit plus haut de l’union, d. 2, q. 2, a. 2, qa 3, ad 3. |
[8274] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod aliud est de Deo et de omnibus aliis rebus: quia in Deo ipsa
essentia subsistens est, unde sibi secundum se debetur esse; immo ipsa est
suum esse subsistens: unde essentia a persona non differt secundum rem: et
ideo esse essentiae est etiam personae; et tamen persona et essentia ratione
differunt. Quamvis ergo unum sit esse, potest tamen esse considerari vel
prout est essentiae; et sic non unitur humanitas in esse divino, unde non
unitur patri: vel potest considerari prout est personae; et sic unitur in
esse divino. |
2. Il en va autrement de Dieu et de toutes les autres choses, car, en Dieu, l’essence elle-même subsiste ; aussi l’être lui revient-il par elle-même, bien plus, elle est son être subsistant. Aussi l’essence ne diffère-t-elle pas en réalité de la personne. L’être de l’essence est donc aussi l’être de la personne, et cependant la personne et l’essence diffèrent selon la raison. Bien que l’être soit une seule réalité [en Dieu], il peut donc être considéré soit comme appartenant à l’essence, et ainsi l’humanité n’est pas unie à l’être divin, elle n’est donc pas unie au Père ; soit il peut être considéré comme appartenant à la personne, et ainsi [l’humanité] est-elle unie à l’être divin. |
[8275] Super Sent., lib.
3 d. 6 q. 2 a. 2 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium. |
3. La réponse au troisième argument est ainsi claire. |
[8276] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 ad
4 Ad quartum dicendum, quod philosophus
accipit ibi esse pro essentia, vel quidditate, quam signat definitio. |
4. Le Philosophe parle là de l’être comme essence ou quiddité, que la définition exprime. |
[8277] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 ad
5 Ad quintum dicendum, quod illa
objectio procedit de esse secundum quod signat veritatem propositionis: sic
enim potest dici non tantum de his quae sunt in re, sed de his quae sunt in
intellectu: de quibus potest locutio formari. |
5. Cette objection vient de l’être selon qu’il indique la vérité d’une proposition. En effet, il peut ainsi être employé non seulement pour ce qui existe en réalité, mais pour ce qui existe dans l’intellect, à propos de quoi on peut parler. |
Articulus 3 [8278] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3
tit. Utrum persona
verbi post incarnationem sit composita |
Article 3 – La personne du Verbe
est-elle composée après l’incarnation ?
|
[8279] Super Sent., lib.
3 d. 6 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur, quod persona verbi post incarnationem non sit composita. Omne
enim compositum est melius componentibus: quia bonum additum bono facit magis
bonum. Sed divinitate non potest esse aliquid melius. Ergo ex divinitate et
humanitate non potest fieri una persona composita. |
1. Il semble
que la personne du Verbe ne soit pas composée après l’incarnation. En effet,
tout composé est meilleur que ses composants, car un bien ajouté à un bien
donne un plus grand bien. Or, il ne peut rien y avoir de meilleur que la
divinité. La divinité et l’humanité ne peuvent donc pas donner une personne
composée. |
[8280] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3
arg. 2 Praeterea, in
Christo non est nisi persona aeterna. Sed nullum aeternum est compositum.
Ergo persona Christi nullo modo est composita. |
2. Dans le Christ, il n’y a qu’une personne éternelle. Or, rien d’éternel n’est composé. La personne du Christ n’est donc aucunement composée. |
[8281] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3
arg. 3 Praeterea, ad
simplicitatem divinae essentiae pertinet quod non sit composita, nec alteri
componibilis. Sed persona divina est aequalis simplicitatis cum essentia.
Ergo nec in se potest dici composita, nec alteri componibilis. |
3. Il appartient à l’essence divine de ne pas être composée et de ne pas pouvoir être composée avec une autre. Or, la personne divine est égale en simplicité avec l’essence. On ne peut donc pas dire qu’elle est composée ni qu’elle peut être composée avec une autre. |
[8282] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3
arg. 4 Praeterea,
sicut dicit philosophus, pars habet rationem materiae et imperfecti. Sed
omnis imperfectio et materialitas a deitate est aliena. Ergo non potest esse
pars alicujus. Sed omnis compositio est ex partibus. Ergo persona Christi non
potest esse composita ex divinitate et humanitate. |
4. Comme le dit le Philosophe, la partie a raison de matière et d’imparfait. Or, toute imperfection et toute matérialité sont étrangères à la divinité. Elle ne peut donc être une partie de quelque chose. Or, toute composition vient de parties. La personne du Christ ne peut donc être composée de divinité et d’humanité. |
[8283] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3
arg. 5 Sed contra est
quod dicit Damascenus, duas naturas unitas invicem in unam compositam
hypostasim filii Dei. |
Cependant, [5] [Jean] Damascène dit en sens contraire qu’il y a deux natures unies l’une à l’autre dans une seule hypostase composée du Fils de Dieu. |
[8284] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3
arg. 6 Praeterea,
Levitici 5 super illud: decimam partem ephi, Glossa: idest Christi
humanitatem; ephi enim tres modios capiens significat Trinitatem. Ergo
humanitas Christi est pars alicujus personae in Trinitate. |
[6] À propos de Lv 5 : La dixième partie de l’ephum, la Glose dit : « C’est-à-dire l’humanité du Christ : en effet, prendre trois mesures de l’ephum signifie la Trinité. » L’humanité du Christ est donc une partie d’une personne de la Trinité. |
[8285] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3
arg. 7 Praeterea,
Athanasius in symbolo: sicut anima rationalis et caro unus est homo; ita
Deus et homo unus est Christus. Sed anima rationalis et caro sunt partes
hominis. Ergo Deus et homo sunt partes Christi. |
[7] Dans le symbole, Athanase dit : « De même que l’âme raisonnable et la chair sont un seul homme, de même Dieu et l’homme sont un seul Christ. » Or, l’âme raisonnable et la chair sont des parties de l’homme. Dieu et l’homme sont donc des parties du Christ. |
[8286] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3
arg. 8 Praeterea,
omne totum est compositum ex partibus. Sed Damascenus dicit, quod Christus
totus fuit in Inferno, non tamen totum: et similiter ubique est non totum,
sed totus: quia non est ubique nisi secundum alteram naturam. Ergo duae
naturae sunt partes personae Christi compositae ex eis. |
[8] Chaque tout est composé de parties. Or, [Jean] Damascène dit que tout le Christ était en enfer, mais cependant pas en totalité ; de même, il est n’est pas entier partout , mais tout [le Christ] y est, car il n’est pas partout seulement selon l’autre nature. Les deux natures sont donc des parties de la personne du Christ qui est composée d’elles. |
[8287] Super Sent., lib.
3 d. 6 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod ad rationem totius pertinent duo. Unum scilicet quod esse totius compositi
pertinet ad omnes partes: quia partes non habent proprium esse, sed sunt per
esse totius, ut dictum est. Aliud est quod partes componentes causant esse
totius. Secundum autem tertiam et primam opinionem neutrum horum invenitur in
Christo: quia opinio prima dicit, quod hic homo habet esse suum proprium;
unde esse divinae personae ad ipsum non pertinet; similiter tertia opinio
dicit, quod est esse superadditum ad esse divinae personae accidentaliter;
unde anima et corpus non dicuntur partes personae, sicut nec accidentia
subjecti; unde neutra ponit personam verbi compositam. Sed secunda ponit unum
esse in Christo; unde esse divinae personae pertinet ad utramque naturam. Non
tamen illud esse causatur ex conjunctione naturarum, sicut esse compositi
causatur ex conjunctione componentium. Unde secundum hanc opinionem persona
Christi post incarnationem potest dici aliquo modo composita, inquantum ibi
salvatur aliqua conditio compositi: non tamen est ibi vera ratio
compositionis, quia deficit ibi altera conditio; unde etiam non est in usu
modernorum hanc opinionem tenentium, quod dicant personam compositam. Nec dicendum, quod
dicatur composita secundum expositionem nominis quasi cum alio posita: quia
sic prima opinio et tertia ponerent personam compositam sicut et secunda. |
Réponse. Deux choses se rapportent à la raison du tout. L’une, que l’être du tout composé se rapporte à toutes les parties, car les parties n’ont pas d’être propre, mais elles existent par l’être du tout, comme on l’a dit. L’autre est que les parties qui composent [le tout] causent l’être du tout. Or, selon la troisième et la première opinion, aucune de ces deux choses ne se trouve dans le Christ, car la première opinion dit que cet homme a son être propre : l’être de la personne divine ne le concerne donc pas. De même, la troisième opinion dit qu’il y a un être ajouté à l’être de la personne divine de manière accidentelle ; aussi l’âme et le corps ne sont-ils pas appelés des parties de la personne, comme les accidents du sujet ne le sont pas. Aucune des deux positions n’affirme donc que la personne du Verbe est composée. Mais la deuxième [opinion] affirme qu’il y a un seul être dans le Christ ; l’être de la personne divine se rapporte donc aux deux natures. Cependant, cet être n’est pas composé de l’union des natures, comme l’être d’un composé est causé par l’union des composants. Selon cette opinion, on peut donc dire que la personne du Christ, après l’incarnation, est composée d’une certaine manière, pour autant qu’y est préservée une condition du composé ; cependant, la raison de la composition n’existe pas là véritablement, car il y manque une autre condition. Aussi la position de ceux qui soutiennent que la personne est composée n’est-elle plus en usage chez les modernes. Il ne faut pas dire non plus qu’elle est appelée composée, selon l’interprétation du mot, au sens de « placée avec », car la première et la troisième positions affirmeraient ainsi que la personne est composée, comme la deuxième. |
[8288] Super Sent., lib.
3 d. 6 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in persona composita quamvis sint plura
bona quam in persona simplici, quia est ibi bonum increatum et bonum creatum;
tamen persona composita non est majus bonum quam simplex: quia bonum creatum
se habet ad bonum increatum sicut punctus ad lineam, cum nulla sit proportio
unius ad alterum; unde sicut lineae additum punctum, non facit majus; ita nec
bonum creatum additum in persona bono increato facit melius: vel etiam quia
tota ratio bonitatis omnium bonorum est in Deo; unde et ipse dicitur omne
bonum; unde non potest sibi fieri additio alicujus boni quod in ipso non sit. |
1. Dans la personne composée, bien qu’il y ait davantage de biens que dans la personne simple, car il y a le bien incréé et le bien créé, la personne composée n’est cependant pas un bien plus grand que la personne simple, car le rapport entre le bien créée et le bien incréé est celui du point à la ligne, puisqu’il n’y a aucune proportion entre l’un et l’autre. De même qu’un point ajouté à la ligne ne donne pas quelque chose de plus grand, de même le bien créé ajouté au bien incréé dans la personne ne donne pas quelque chose de meilleur. Aussi, parce que toute la raison de bonté de tous les biens existe en Dieu, il est appelé tout bien. On ne peut donc lui ajouter un bien qui n’existe pas en lui. |
[8289] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod persona non dicitur composita quasi esse suum sit ex multis
constitutum (hoc enim est contra rationem aeterni), sed quia ad multa se
extendit, quae assumuntur in illud esse. |
2. On ne parle pas de personne composée au sens où son être serait constitué de plusieurs choses (en effet, cela va contre la raison de ce qui est éternel), mais parce qu’il s’étend à plusieurs choses, qui sont assumées dans son être. |
[8290] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 ad
3 Ad tertium
dicendum, quod de ratione summae simplicitatis est quod nec sit composita ex
partibus nec componibilis alteri tamquam pars. Sic autem persona non est
composita, quia neque est pars neque ex partibus constituta. |
3. Il fait partie de la raison de la plus grande simplicité de n’être ni composée de parties, ni de pouvoir être composée d’autre chose comme d’une partie. Mais la personne n’est pas composée de cette manière, car elle n’est pas une partie et elle n’est pas constituée de parties. |
[8291] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 ad
4 Ad quartum
dicendum, quod quamvis compositio quantum ad aliquid salvetur in incarnatione
verbi, nullo tamen modo est ibi ratio partis. Divinitas enim pars esse non
potest, propter imperfectionem quae est de ratione partis: humana autem
natura similiter non potest esse pars, quia compartem non habet, vel etiam quia
non causat esse personae quae dicitur composita. Et ideo Magister dicit in
sequenti dist., quod inexplicabilis est illa compositio quae non est partium.
Ratio autem dicitur a magistris unio exigitiva: quia tot comprehenduntur in
persona quot exiguntur ad opus redemptionis, ut sit Deus qui possit, et homo
qui debeat satisfacere. |
4. Bien que la composition soit maintenue d’une certaine façon dans l’incarnation du Verbe, la raison de partie ne s’y trouve cependant aucunement. En effet, la divinité ne peut pas être une partie, en raison de l’imperfection impliquée dans la raison de partie. La nature humaine ne peut donc pas être une partie, car elle n’est pas accompagnée d’autres parties ou encore elle ne cause pas l’être de la personne qu’on dit composée. Aussi le Maître dit-il dans la distinction suivante que la composition qui n’est pas faite de parties est inexplicable. Mais la raison est appelée par les maîtres une union d’exigence, car autant de choses sont comprises dans la personne, qu’elles sont exigées pour l’œuvre de la rédemption, de telle sorte qu’il y ait Dieu qui puisse et l’homme qui doive satisfaire. |
[8292] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 ad
5 Ad quintum
dicendum, quod Damascenus dicit compositam hypostasim, inquantum est ibi
aliquid de ratione compositionis, non quod sit simpliciter composita quantum
est ad perfectam rationem compositionis. |
5. [Jean] Damascène parle d’hypostase composée pour autant qu’il s’y trouve quelque chose qui fait partie de la composition, et non parce qu’elle est tout simplement composée, au sens de la parfaite raison de composition. |
[8293] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 ad
6 Ad sextum
dicendum, quod allegatio illa sumitur quantum ad similitudinem numeri, non
quantum ad similitudinem totius et partis. |
6. Cette allégation vient de la ressemblance avec le nombre, et non de la ressemblance entre le tout et la partie. |
[8294] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 ad
7 Ad septimum
dicendum, quod similitudo illa est quantum ad aliquid, et non quantum ad
omnia, ut patet ex dictis. |
7. Cette ressemblance porte sur une chose, et non sur tout, comme cela ressort de ce qui a été dit. |
[8295] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 ad
8 Ad ultimum
dicendum, quod totum, praeter hoc quod est compositum ex partibus, habet
aliud de ratione sui, scilicet quod ei nihil deest eorum quae debet habere;
et secundum hoc sumitur a Damasceno. |
8. Le tout, en plus d’être composé de parties, comporte un autre aspect qui fait partie de sa raison : que rien ne lui manque de ce qu’il doit avoir. C’est en ce sens qu’il est utilisé par [Jean] Damascène. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [La troisième opinion]
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Prooemium |
Prologue |
[8296] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 pr. Deinde quaeritur de his quae pertinent ad
tertiam opinionem; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum ex anima et corpore
Christi fuerit aliquid compositum; 2 utrum anima et corpus fuerint unita
divinae personae accidentaliter. |
On s’interroge ensuite sur ce qui se rapporte à la troisième opinion. À ce propos, deux questions sont soulevées : 1 – Un composé a-t-il été formé de l’âme et du corps du Christ ? 2 – L’âme et le corps ont-il été unis à la personne divine de manière accidentelle ? |
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Articulus 1 [8297] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1
tit. Utrum in
Christo fuerit aliqua compositio animae et corporis |
Article 1 – Dans le Christ, une composition a-t-elle eu lieu entre son âme et son corps ? |
[8298] Super Sent., lib.
3 d. 6 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non fuerit aliqua compositio animae et corporis in
Christo. Supra enim, dist. 2, probavit Magister, quod nomine humanae naturae
intelligitur anima et corpus; nec ita accipitur in Christo sicut in aliis.
Cum ergo in aliis hominibus accipiatur humana natura pro eo quod compositum
est ex anima et corpore; videtur quod in Christo accipiatur pro partibus non
compositis. |
1. Il semble qu’il n’y ait pas eu de composition d’âme et de corps dans le Christ. En effet, plus haut, à la d. 2, le Maître a démontré que, par l’expression « nature humaine », sont entendus l’âme et le corps, et qu’ils ne sont pas entendus de la même manière pour le Christ et pour les autres. Puisque, chez les autres hommes, on entend « nature humaine » de ce qui est un composé d’âme et de corps, il semble donc que, chez le Christ, cela soit entendu de parties non composées. |
[8299] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1
arg. 2 Praeterea,
Damascenus dicit, quod in domino Jesu non est communem speciem accipere. Sed
ex anima et corpore unitis consurgit natura speciei. Ergo videtur quod non
fuerunt ad invicem unita in Christo. |
2. [Jean] Damascène dit que, dans le Seigneur Jésus, il ne faut pas concevoir une spèce commune. Or, la nature de l’espèce vient de l’union de l’âme et du corps. Il semble donc qu’ils n’ont pas été unis l’un à l’autre dans le Christ. |
[8300] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1
arg. 3 Praeterea, post ultimam compositionem
non potest esse alia compositio. Sed ultima compositio in natura est animae
rationalis ad corpus. Ergo si ista unio esset in Christo, non posset sequi unio ad divinam
personam. |
3. Après l’ultime composition, il ne peut y avoir d’autre composition. Or, la composition ultime dans la nature est celle de l’âme raisonnable au corps. Si cette union existait dans le Christ, l’union à la personne divine ne pourrait donc pas suivre. |
[8301] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1
arg. 4 Praeterea,
anima non conjungitur carni nisi ut vivificet ipsam. Sed caro poterat
vivificari ex unione ad ipsam vitam, scilicet verbum. Ergo non oportuit quod
carni uniretur. |
4. L’âme n’est unie au corps que pour le vivifier. Or, la chair pouvait être vivifiée par l’union à la vie elle-même, le Verbe. Il n’était donc pas nécessaire qu’elle soit unie à la chair. |
[8302] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 s.
c. 1 Sed contra, homo univoce dicitur de Christo et aliis hominibus; alias
non esset ejusdem speciei, nec per eum deberet satisfieri pro peccatis humani
generis. Sed de ratione hominis, secundum quod praedicatur de aliis, est
compositio animae et corporis. Ergo et in Christo fuit unio animae et carnis. |
Cependant, [1] « homme » est utilisé de manière univoque pour le Christ et pour les autres hommes, autrement, ils ne seraient pas de la même espèce et il ne devrait pas satisfaire pour les péchés du genre humain. Or, selon qu’elle est prédiquée des autres, la raison d’homme est la composition de l’âme et du corps. Il y a donc eu union de l’âme et du corps dans le Christ. |
[8303] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 s.
c. 2 Praeterea,
corpus non est animatum, nisi anima conjungatur ei quasi forma. Si ergo anima
non fuisset unita corpori Christi quasi forma, fuisset corpus illud
inanimatum; et ita non fuisset assumptibile. |
[2] Le corps n’est pas animé, à moins que l’âme
ne lui soit unie comme une forme. Si donc l’âme n’avait pas été unie au corps
du Christ comme une forme, ce corps aurait été inanimé, et ainsi il n’aurait
pu être assumé. |
[8304] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod
unio animae ad carnem constituit rationem hominis, et omnium partium ejus;
unde remota anima, non dicitur homo nec oculus nec caro nisi aequivoce, sicut
homo pictus; et ideo si tollatur unio animae Christi ad carnem ejus, sequitur
quod non sit homo verus, nec caro ejus vera; quod est contra articulum fidei;
et ideo haec opinio tertia non solum est falsa, sed haeretica, et in Concilio
Ephesino sub Caelestino I Papa condemnata. Tamen ista opinio videtur ex eodem fonte processisse cum prima,
scilicet ex hoc quod credebant omne compositum ex anima et corpore habere
rationem hominis; et ideo, quia prima opinio posuit animam et corpus unita ad
invicem, esse assumpta, coacta fuit ponere hominem esse assumptum, et
Christum esse duo. Haec autem opinio, ut hoc negaret, posuit animam et corpus
esse assumpta non unita. Secunda vero utrumque evitat, ut dictum est. |
Réponse. L’union de l’âme à la chair constitue la raison d’homme et de toutes ses parties. Si on enlève l’âme, on ne parle plus d’homme, ni d’œil, ni de chair que de manière équivoque, comme dans le cas d’un homme peint. Si donc est enlevée l’union de l’âme du Christ à sa chair, il en découle qu’il n’est pas un homme véritable et que sa chair n’est pas vraie, ce qui va à l’encontre d’un article de foi. Aussi cette troisième opinion est-elle non seulement fausse, mais hérétique, et a-t-elle été condamnée au troisième concile d’Éphèse, sous le pape Célestin I. Cependant, cette opinion semble venir de la même source que la première, du fait qu’on croyait que tout composé d’âme et de corps avait la raison d’homme. Parce que la première opinion affirmait que l’âme et le corps unis l’un à l’autre ont été assumés, elle a donc été forcée d’affirmer que l’homme a été assumé et que le Christ était deux réalités. Pour nier cela, cette opinion affirmait que l’âme et le corps ont été assumés alors qu’ils n’étaient pas unis. Mais la deuxième opinion évite les deux choses, comme on l’a dit. |
[8305] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 ad
1 Ad primum ergo dicendum, quod non fuit
intentio Magistri dicere, quod per humanam naturam in Christo significentur
corpus et anima non unita; non enim quantum ad hoc assignat differentiam, sed
quantum ad hoc quod humana natura in aliis consurgit ex omnibus quae
substantialiter in ipsis sunt: in Christo autem non, sed solum ex corpore et
anima. |
1. Ce n’était pas l’intention du Maître de dire que, par la nature humaine, étaient signifiés le corps et l’âme non unis dans le Christ. En effet, il n’indique pas de différence sur ce point, mais sur le point que la nature humaine apparaît chez les autres à partir de tout ce qui se trouve de manière substantielle en eux. Or, chez le Christ, ce n’est pas le cas, mais seulement à partir de ce qui vient du corps et de l’âme. |
[8306] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 ad
2 Ad secundum dicendum, quod Damascenus
loquitur quantum ad unionem divinitatis ad humanam naturam, ex qua non
consurgit tertia natura speciei quantum ad unionem animae ad corpus. |
2. [Jean] Damascène parle de l’union de la divinité à la nature humaine, à partir de laquelle n’apparaît pas une troisième nature de l’espèce pour ce qui est de l’union de l’âme au corps. |
[8307] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
compositio animae rationalis ad carnem est ultima in operibus naturae; sed
compositio humanitatis ad personam verbi non fit operatione naturae, sed
virtute divina. |
3. La composition d’âme raisonnable et de chair est ultime dans les œuvres de la nature ; mais la composition de l’humanité à la personne du Verbe n’est pas réalisée par une opération de la nature, mais par la puissance divine. |
[8308] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 ad
4 Ad quartum dicendum, quod verbum vivificat carnem Christi active, et non
formaliter: et ideo requiritur anima, quae formaliter vivificet. |
4. Le Verbe vivifie la chair du Christ de manière active, et non de manière formelle. Aussi l’âme, qui vivifie de manière formelle, est-elle nécessaire. |
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Articulus 2 [8309] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2
tit. Utrum humana
natura verbo accidentaliter uniatur |
Article 2 – La nature humaine
est-elle unie au Verbe de manière accidentelle ?
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[8310] Super Sent., lib.
3 d. 6 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod humana natura accidentaliter verbo uniatur. Ad Philip. 2,
7: habitu inventus ut homo. Ergo cum habitus sit genus accidentis,
videtur quod Deus fuerit homo accidentaliter. |
1. Il semble que la nature humaine soit unie au Verbe de manière accidentelle. Ph 2, 7 : Il a été reconnu comme homme à son vêtement. Puisque le vêtement (habitus) est un genre de l’accident, il semble donc que Dieu ait été homme de manière accidentelle. |
[8311] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2
arg. 2 Praeterea,
omne quod advenit post esse completum, est accidens. Sed humana natura
advenit filio Dei post esse completum ipsius. Ergo advenit ei accidentaliter. |
2. Tout ce qui arrive après l’être complet est un accident. Or, la nature humaine survient chez le Fils de Dieu après son être complet. Elle survient donc chez lui de manière accidentelle. |
[8312] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2
arg. 3 Praeterea,
secundum philosophum, in subjecto dicitur esse quod est in aliquo non sicut
pars. Sed humanitas in Christo non est sicut pars, ut dictum est. Ergo est in eo sicut in
subjecto. Sed in subjecto esse est proprium accidentis. Ergo unitur verbo accidentaliter. |
3. Selon le Philosophe, on dit qu’être dans un sujet, c’est être dans un autre, mais non comme une partie. Or, l’humanité du Christ n’existe pas comme une partie, comme on l’a dit. Elle existe donc en lui comme dans un sujet. Or, être dans un sujet est propre à l’accident. Elle est donc unie au Verbe de manière accidentelle. |
[8313] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2
arg. 4 Praeterea,
accidens est quod adest et abest praeter subjecti corruptionem. Sed humana natura hoc
modo se habet ad personam filii Dei. Ergo unitur ei accidentaliter. |
4. Un accident est ce qui survient et disparaît sans corruption du sujet. Or, c’est la manière dont existe la nature humaine par rapport à la personne du Fils de Dieu. Elle lui est donc unie de manière accidentelle. |
[8314] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 s.
c. 1 Sed contra est
decretalis Alexandri Papae: cum (inquit) Christus sit perfectus
Deus et perfectus homo; qua temeritate audent quidam dicere, quod Christus,
secundum quod homo, non est aliquid ? Sed praedicatum accidentale non
praedicat aliquid, sed aliqualiter se habens. Ergo homo non est praedicatum
accidentale. |
Cependant, [1] une décrétale du pape Alexandre va en sens contraire : « Puisque le Christ est complètement Dieu et complètement homme, par quelle témérité certains osent-ils dire que le Christ, selon qu’il est homme, n’est pas quelque chose ? » Or, un prédicat accidentel ne prédique pas quelque chose, mais comment est une chose. « Homme » n’est donc pas un prédicat accidentel. |
[8315] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 s.
c. 2 Praeterea,
Aristoteles in 1 Physic., dicit: quod vere est, idest substantia, fit
accidens nulli. Sed humanitas est substantia. Ergo non potest dici
accidens alicui. |
[2] Aristote dit, dans Physique, I : « Ce qui existe vraiment (c’est-à-dire, la substance) ne devient un accident pour rien. » Or, l’humanité est une substance. Elle ne peut donc être appelée un accident pour rien. |
[8316] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 s.
c. 3 Praeterea, si
est accidens, oportet quod alicui accidat. Non homini, quia per se convenit
ei humanitas. Ergo accidit filio Dei; quod est contra Boetium, qui dicit,
quod in Deo non est aliquod accidens. |
[3] S’il s’agit d’un accident (accidens), il est nécesssaire qu’il survienne (accidat) à quelque chose. Non pas à l’homme, car l’humanité lui convient par soi. Elle survient donc au Fils de Dieu, ce qui est contraire à Boèce, qui dit qu’en Dieu, il n’y a pas d’accident. |
[8317] Super Sent., lib.
3 d. 6 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quamvis hoc quod est accidens in se, possit
esse aliquo modo substantia alicui, ut color albedini; tamen quod est in se
substantia, non potest esse accidens alicujus, quamvis conjunctio unius
substantiae ad alteram possit esse accidens, ut sic una substantia alteri
accidentaliter advenire dicatur, sicut vestis homini. Sed hoc non potest esse nisi dupliciter:
vel quod conjungatur ei secundum contactum, sicut vestis homini, vel sicut
dolium vino; aut sicut mobile motori, sicut Angelus conjungitur corpori quod
assumit. Et cum contactus non sit nisi corporum, oportet dicere, quod humana
natura non potest advenire divinae personae nisi sicut mobile motori, ut
dicatur Christus hoc modo assumpsisse naturam humanam, sicut Angelus assumit
corpus, ut oculis mortalium videatur, sicut dicitur in littera; et sic
spiritus sanctus visus est in columba. Haec autem assumptio non vere facit
praedicari assumptum de assumente, nec proprietates assumpti vere transfert
in assumentem: non enim Angelus assumens corpus ad hominis similitudinem,
vere est homo, nec vere habet aliquas proprietates hominis; neque spiritus
sanctus potest dici minor seipso propter speciem columbae in qua apparuit, ut
dicit Augustinus. Unde patet quod haec opinio non potest dicere, quod filius
Dei vere sit homo, vel vere sit passus: et ideo cum neget veritatem
articulorum, condemnata est quasi haeretica. Tamen etiam quantum ad hanc
positionem procedit ab eodem fonte cum prima, scilicet ex hoc quod humana
natura non assumeretur ad esse divinae personae. Unde prima opinio ponebat,
quod assumptum habebat esse per se, in quo subsistebat; haec autem tertia
opinio ponit, quod non subsistit assumptum, neque persona in eo, sed est esse
accidentale superadditum. |
Réponse. Bien que ce qui est un accident par soi puisse être d’une certaine manière une substance pour quelque chose, comme la couleur pour la blancheur, cependant ce qui est en soi une substance ne peut être un accident pour quelque chose, bien que l’union d’une substance à une autre puisse être un accident, de sorte qu’on dise qu’une substance est survenue à quelque chose d’autre de manière accidentelle, comme un vêtement à l’homme. Mais cela ne peut être le cas que de deux manières : soit que cela lui est uni par contact, comme le vêtement pour l’homme, ou le tonneau pour le vin ; soit comme un mobile à ce qui le meut : ainsi l’ange est-il uni au corps qu’il assume. Puisqu’il n’y a de contact qu’entre des corps, il faut donc dire que la nature humaine ne peut advenir à la personne divine que comme un mobile à ce qui le meut, pour dire que « le Christ a assumé la nature humaine comme l’ange a assumé un corps afin d’être visible aux yeux des mortels », comme on le dit dans le texte. C’est ainsi que le Saint-Esprit a été vu sous la forme d’une colombe. Or, une telle assomption ne permet pas que ce qui est assumé soit prédiqué de ce qui l’assume, ni ne reporte les propriétés de ce qui est assumé sur ce qui les assume. En effet, « l’ange qui assume un corps à la ressemblance de l’homme n’est pas vraiment un homme et il n’a pas certaines qualités de l’homme ; l’Esprit-Saint non plus ne peut être dit plus petit que lui-même en raison de la forme de la colombe sous laquelle il est apparu », comme le dit Augustin. Il est donc clair que cette opinion ne peut dire que le Fils de Dieu est vraiment homme ou qu’il a vraiment souffert. Puisqu’elle nie la vérité de certains articles, elle a donc été condamnée comme hérétique. Cependant, cette opinion procède de la même source que la première, à savoir que la nature humaine ne serait pas assumée dans l’être de la personne divine. Aussi la première opinion affirmait-elle que ce qui est assumé avait un être par soi dans lequel il subsistait ; mais cette troisième opinion [dont il esst question] affirme que ce qui est assumé ne subsiste pas, et que la personne y subsiste, mais qu’elle est un être accidentel ajouté. |
[8318] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 ad
1 Ad primum ergo
dicendum, quod humana natura in Christo habet aliquam similitudinem cum
accidente, et praecipue cum habitu, quantum ad tria. Primo, quia advenit
personae divinae post esse completum, sicut habitus, et omnia alia
accidentia. Secundo, quia est in se substantia, et advenit alteri, sicut
vestis homini. Tertio, quia melioratur ex unione ad verbum, et non mutat
verbum; sicut vestis formatur secundum formam vestientis, et non mutat
vestientem. Unde antiqui dixerunt, quod vergit in accidens; et quidam propter
hoc addiderunt, quod degenerat in accidens: quod tamen non ita proprie
dicitur; quia natura humana in Christo non degenerat, immo magis nobilitatur. |
1. La nature humaine dans le Christ a une certaine ressemblance avec l’accident, surtout avec le vêtement, sous trois aspects. Premièrement, parce qu’elle advient à la personne divine après que son être est achevé, comme le vêtement et tous les autres accidents. Deuxièmement, parce qu’elle est une substance en soi et qu’elle advient à quelque chose d’autre, comme un vêtement à l’homme. Troisièmement, parce qu’elle est améliorée par l’union au Verbe et ne change pas le Verbe, comme le vêtement prend la forme de celui qu’il revêt et ne change pas celui qui le revêt. Aussi les anciens disaient-ils que [la nature humaine du Christ] tend vers l’accident. À cause de cela, certains ont ajouté qu’elle dégénère en accident, ce qui n’est cependant pas dit en un sens aussi propre, car la nature humaine dans le Christ ne dégénère pas, mais elle est plutôt ennoblie. |
[8319] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod quamvis adveniat post esse completum, non tamen est
accidentaliter adveniens: quia trahitur ad unionem in illo esse, sicut corpus
adveniet animae in resurrectione. |
2. Bien qu’elle advienne alors que l’être est complet, elle n’advient cependant pas de manière accidentelle, car elle est attirée à l’union avec cet être, comme le corps adviendra à l’âme lors de la résurrection. |
[8320] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 ad
3 Ad tertium
dicendum, quod quamvis non proprie possit dici pars, tamen aliquid habet de
ratione partis; quod non habet accidens, ut patet ex dictis. |
3. Bien qu’elle ne puisse être appelée une partie au sens propre, elle possède cependant quelque chose de la raison de partie, ce que n’a pas l’accident, comme cela ressort de ce qui a été dit. |
[8321] Super Sent., lib.
3 d. 6 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum sicut ad secundum. |
4. La réponse est la même que pour le deuxième argument. |
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Expositio textus |
Explication du texte
de Pierre Lombard, Dist. 6
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[8322] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2
expos. Quaeritur, an
his locutionibus, Deus factus est homo etc (...) dicatur Deus factus esse aliquid. Hic ponit tres
quaestiones. Prima est, utrum homo aliquid praedicet de Christo. Et secundum
primam et secundam opinionem praedicat aliquid, quia de eo praedicatur in
quid, quia est unio substantialis; secundum vero tertiam opinionem non
praedicat aliquid, sed aliquo modo se habens. Secundam quaestionem ponit ibi:
et an ita conveniat dici: utrum homo factus sit Deus, sicut Deus
factus est homo: quod prima opinio concedit; secunda et tertia non, proprie
loquendo, ut in sequenti dist. patebit. Tertia quaestio est: si per hujusmodi
locutiones non dicitur Deus factus aliquid, quis erit in his intellectus ? Et
hanc ponit ibi: et si ex his locutionibus non dicitur Deus factus esse
aliquid, vel esse aliquid, quae sit intelligentia harum locutionum, et
similium. Alii enim dicunt, in ipsa verbi incarnatione hominem quemdam ex
anima rationali et humana carne constitutum. Hic ponit positiones primae
opinionis, non omnes, sed quae sufficiunt ad intellectum ejus: et prima
positio est radix opinionis, scilicet quod anima et corpus assumuntur unita
(quod est contra tertiam), non solum ad constituendam humanitatem, sed etiam
hominem (quod est contra secundam), et hoc est quod dicit: hominem quemdam;
et quod ista unio animae ad carnem, ex qua constituitur homo, praecedit
unionem ad verbum secundum intellectum; et hoc est quod dicit: et ille
homo coepit esse Deus; non autem tempore; et hoc est quod dicit: in
ipsa verbi incarnatione. Secundam positionem ponit ibi: concedunt
etiam hominem illum assumptum a verbo, et unitum verbo; et hoc est quod
homo est assumptus, et quod assumens est assumptum, quod notatur in hoc quod
dicit: tamen esse verbum; et quod per assumptionem Deus factus est
homo; unde dicit: et ea ratione tradunt dictum esse Deum factum hominem.
Tertia est quod homo factus est Deus, et e converso, ibi: unde vere
dicitur: Deus factus est homo, et homo factus est Deus. Quarta est quod
homo dicit compositum ex duabus substantiis, ibi: cumque dicant illum
hominem ex anima rationali et humana carne subsistere, non tamen fatentur ex
duabus naturis esse compositum. Et ne de suo tantum loqui putentur, hanc
sententiam pluribus muniunt testimoniis. Hic inducuntur auctoritates ad
probandum primam opinionem. Et sciendum, quod quatuor probant per praedictas
auctoritates. Primum est, quod Christus est duo; quod probant per primam
auctoritatem, quae incipit ibi: cum legitur, ex illo verbo, utrumque
simul unam personam. Item per secundam, quae incipit, ibi, Jesus
Christus, ex illo verbo, utraque substantia, scilicet divina et
humana, filius est unicus Dei patris omnipotentis, ex illo, aliud
propter verbum, et aliud propter hominem. Item per quartam, quae incipit
ibi: agnoscamus geminam substantiam, ex illo verbo, utrumque autem
simul, non duo, sed unus est Christus. Quod autem dicitur, utrumque
Christus, intelligendum est non proprie dici, sed materialiter; sicut
paries et tectum dicitur domus. Quod vero dicit, aliud et aliud,
intelligendum est, alterius et alterius naturae. Secundum quod probant, est
quod homo factus est Deus: et hoc probant per tertiam auctoritatem, quae
incipit ibi: quid natura humana in Christo homine meruit ? Ex illo verbo, quibus
mereretur iste homo una fieri persona cum Deo. Item ex quinta, quae incipit
ibi: ille homo, ut a verbo patri coaeterno in unitatem personae assumptus
filius Dei unigenitus esset, unde hoc meruit ? Ex illo verbo, ex quo
ille homo esse cepit. Item ex sexta, quae incipit ibi: homo quicumque,
ex illo verbo, homo ille ab initio factus est Christus. Item ex
septima, quae incipit ibi, gratia Dei nobis in homine Christo commendatur,
ex illo verbo, una cum illo persona filius Dei fieret; quod qualiter
intelligendum sit, in sequenti dist. dicetur. Tertium est, quod homo sit
assumptus; et hoc probant per auctoritatem quintam, quae incipit ibi: ille
homo ut a verbo patri coaeterno in unitatem personae assumptus, filius Dei
unigenitus esset, unde hoc meruit ? Quae expresse hoc dicit: et hoc in praecedenti dist. solutum est: quia
homo dicitur assumptus, idest natura hominis. Quartum quod probant, est quod
homo constat ex duabus substantiis, per octavam auctoritatem, quae incipit
ibi: Christum non ambigimus esse Deum verbum; quae expresse hoc dicit;
sed Hilarius loquitur quantum ad formam significatam, non quantum ad
suppositum. Sunt autem
alii. In hoc
capite ponit positiones secundae opinionis. Ponit ergo duas positiones ejus, in quibus tota consistit: prima est,
quod assumptum est compositum ex anima et corpore per modum naturae humanae,
quod patet ex hoc quod humanam naturam, ex qua, et divina dicit Christum
constare, statim exponit per animam et corpus, ex quibus non constat natura
humana, nisi secundum quod sunt conjuncta ad invicem; et quod hoc compositum
sit homo, habet ex unione ad divinam personam; unde dicit, quod homo ille non
tantum constat ex anima et corpore, sed ex his et divinitate. Quod autem
dicit: in parte consentiunt, intendit quantum ad hoc quod utraque
ponit quod homo praedicat de Christo quid, et quod anima et corpus sint unita
ad invicem. Secunda positio est, quod persona verbi ante incarnationem fuit
simplex, sed post est composita. Et post hoc removet duo inconvenientia quae
videntur sequi: primum est quod persona verbi sit alia quam primo: quod
removet ibi: nec est ideo alia persona quam prius; secundum quod
persona sit facta: quod removet ibi: nec tamen persona illa debet dici
facta persona. De hoc Augustinus in Lib. sententiarum prosperi ait. Hic
ponit auctoritates probantes secundam opinionem; et probant duo: scilicet
quod est una hypostasis, et quod persona post incarnationem est composita,
quod satis patet in littera. Sunt etiam alii qui in incarnatione verbi non
solum personam ex naturis compositam negant, verum etiam hominem aliquem,
sive etiam aliquam substantiam, ibi ex anima et carne compositam vel factam
diffitentur. Hic ponit positiones tertiae opinionis; et ponit quatuor, in
quibus tota consistit: prima est, quod ex anima et corpore non sit aliquid
unum; et hoc ponitur statim in principio; secunda, quod haec duo adveniunt
divinae personae accidentaliter, sicut indumentum; et hoc ibi: sed sic
illa duo, scilicet animam et carnem, verbi personae vel naturae unita esse
ajunt, ut non ex illis duobus vel ex his tribus, aliqua substantia vel
persona fieret. Et deinde removet duo inconvenientia. Unum quod sequitur
ex prima positione, scilicet quod Deus non sit verus homo; et hoc ibi: qui
ideo dicitur verus factus homo, quia veritatem carnis et animae accepit.
Sed constat quod non potest evitare: quia remota unione animae ad corpus, non
invenitur veritas carnis; et praeterea adhuc si sit vera caro et vera anima, non
erit verus homo, nisi sint unita. Secundum est quod sequitur ex secunda
positione, scilicet, quod si anima et corpus advenerint accidentaliter, non
pertineant ad singularitatem divinae personae; quod removet ibi: quae duo
etiam in singularitatem vel unitatem suae personae accepisse legitur.
Patet etiam quod non potest hoc inconveniens evitare: quia non sequitur: si
non addit ad numerum personarum, ergo pertinet ad singularitatem divinae
personae: sicut etiam columba in qua spiritus sanctus apparuit, non auget
numerum personarum, non tamen pertinet ad singularitatem personae spiritus
sancti. Tertia positio est, quod persona verbi est simplex post incarnationem
sicut ante; in quo convenit cum prima; et hoc ibi: et quia ipsa persona
verbi quae prius erat sine indumento, assumptione indumenti non est divisa,
vel mutata. Quarta, quod homo de Deo non praedicat quid sed habitum: et
hoc ibi: qui secundum habitum Deum hominem factum dicunt; et hoc
probat ad inconveniens ducendo, ibi: nam si essentialiter, inquiunt illi,
Deus esset homo, vel homo esse Deus intelligeretur; tunc si Deus assumpsisset
hominem in sexu muliebri, et mulier essentialiter Deus esset et e converso;
quod tamen patet non esse inconveniens. Ne autem et isti de suo sensu
influere videantur, testimoniis in medium productis quod dicunt confirmant.
Hic ponit auctoritates probantes hanc tertiam opinionem: primum quod probant,
est quod persona ista non fuit mutata per incarnationem, et quod humana
natura non auget numerum personarum; et hoc per primam auctoritatem. Sed hoc
non est contra secundam opinionem, quae quamvis ponat personam compositam,
non tamen mutatam: nec sufficit ad probandum quod anima et corpus non
pertineant ad singularitatem divinae personae, quia non est auctus numerus
personarum. Secundum quod probant est, quod homo dicitur de Deo secundum
habitum; et hoc per secundam auctoritatem, ibi: multis modis habitum
dicimus, quae expresse dicere hoc videtur. Item per tertiam, quae incipit
ibi: si quaeritur ipsa incarnatio quomodo facta sit, ipsum verbum Dei dico
carnem factum, ex illo verbo, indutum. Item ex quinta, sexta, et
septima, quae Deum dicunt suscepisse hominem, aut humanam naturam, ut
visibilis esset. Sed non oportet quod omne quod suscipitur, sit accidens.
Item ex ultima, quae incipit ibi: quomodo Dei filius ex Maria est ? Ex
illo verbo: non fuit habitus ille tantum hominis; idest puri hominis, sed
ut hominis: quia purus homo videbatur propter habitum. Sed omnia haec per
similitudinem dicuntur, et non per proprietatem, sicut ex praedictis patet.
Tertium est, quod Christus dicatur homo, quia habuit corpus et animam sibi
unita, ex quarta auctoritate, quae incipit ibi: Dei filius, cum sit Deus
aeternus et verus, pro nobis factus est homo verus et plenus, ex illo
verbo: in eo vero plenus. Sed haec auctoritas non negat unionem animae
et corporis, immo magis ponit, per hoc quod dicit veram naturam: non enim est
natura humana nisi ex compositione animae et corporis. |
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Distinctio 7 |
Distinction 7 – [Les
expressions concernant l’union]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Dans la proposition : « Dieu
est homme », comment le verbe « est » exprime-t-il l’union ?]
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Prooemium |
Prologue |
[8323] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 pr. Postquam distinxit Magister tres opiniones
circa modum unionis, hic secundum eas ostendit qualiter locutiones quibus
unio significatur, sunt intelligendae; et dividitur in duas partes: in prima
exponit eas secundum singulas opiniones; in secunda relinquit auditori
judicium de dictis opinionibus, ibi: satis diligenter juxta diversorum
sententias supra positam absque assertione et praejudicio tractavimus
quaestionem. Prima dividitur in tres partes: in prima exponit dictas
locutiones secundum primam opinionem; in secunda secundum secundam, ibi: in
secunda vero sententia hujus distinctionis talis videtur ratio; in tertia
secundum tertiam, ibi: in hac igitur sententia sic dicitur Deus factus
homo, quia hominem accepit. Circa primum duo facit: primo exponit propositiones dictas secundum
primam opinionem; secundo objicit contra, ibi: huic autem sententiae
opponitur. Exponit autem illas propositiones in prima parte, in quibus
fit mutua praedicatio Dei et hominis mediante hoc participio factus, quas
primo exponit; et illas in quibus fit praedicatio mediante hoc participio
praedestinatus, quas secundo exponit, ibi: et hoc gratia non natura.
Objectionis autem solutionem ponit ibi: quod et illi concedunt. In secunda
vero sententia hujus distinctionis talis videtur ratio. Hic exponit eas
quae sunt secundum secundam opinionem: et primo exponit propositiones;
secundo solvit quae videntur esse contra hanc opinionem, ibi: determinant
etiam auctoritates quae primae conveniunt sententiae, et huic videntur
contradicere. Circa primum tria facit: primo exponit illas in quibus fit
praedicatio mediante hoc participio factus; secundo illas in quibus fit
mediante hoc verbo est, ibi: variatur autem intelligentia; tertio
illas in quibus fit praedicatio mediante hoc participio praedestinatus, ibi: isti
dicunt Christum praedestinatum esse. Determinant etiam auctoritates quae primae conveniunt sententiae, et
huic videntur contradicere. Hic solvit tria quae videntur esse contra hanc secundam opinionem;
et tria facit circa hoc: primo solvit auctoritates quae videntur probare quod
homo sit assumptus; secundo illas quae videntur probare quod Christus sit
duo, ibi: sed his videntur adversari quae subditis continentur capitulis;
tertio illas, quae probant quod persona non sit composita, ibi: est autem
et aliud quod huic sententiae plurimum videtur obviare. Secunda pars
dividitur in duas partes: in prima solvit auctoritates quae dicunt Christum
esse aliud et aliud, ex quo sequitur ipsum esse duo; in secunda solvit illas
quae dicunt Christum esse duo, vel utrumque duorum esse Christum, ibi: quod
etiam dictum est, utrumque est Christus, et una persona, movere potest
lectorem. Circa primum tria facit: primo objicit; secundo solvit, ibi: haec
autem in hunc modum determinant; tertio solutionem confirmat, ibi: aperte
enim Hilarius ait, et similiter dividitur pars secunda: quia primo objicit;
secundo solvit, ibi: sed haec omnia ex tali sensu dicta fore tradunt;
tertio solutionem confirmat, ibi: quia, ut ait Hieronymus, verbum est
Deus, non caro assumpta. Est autem et aliud quod huic sententiae plurimum
videtur obviare. Hic objicit contra positionem personae: et primo
objicit; secundo solvit, ibi: ad quod etiam illi dicunt. In hac igitur
sententia sic dicitur Deus factus homo, quia hominem accepit. Hic exponit
dictas propositiones secundum tertiam opinionem; et dividitur in duas partes:
in prima exponit propositiones; in secunda infert corollarium ex dictis, ibi:
et quia secundum habitum accipienda est incarnationis ratio; ideo Deum
humanatum, non hominem deificatum dici tradunt. Circa primum tria facit:
primo exponit qualiter dicatur Deus factus homo; secundo quomodo dicatur
Christus praedestinatus, ibi: secundum istos dicitur Christus, secundum
quod homo, praedestinatus esse filius Dei; tertio quomodo dicatur minor
seipso, ibi: hi etiam cum dicitur Christus minor patre, secundum quod
homo, secundum habitum hoc intelligunt dictum. Et quia secundum habitum
accipienda est incarnationis ratio; ideo Deum humanatum, non hominem
deificatum dici tradunt. Hic concludit ex dictis quod homo potest
denominative praedicari de Deo ut dicatur Deus humanatus, non autem Deus de
homine; et circa hoc duo facit: primo ostendit quod non potest dici homo
deificatus; secundo quod non potest dici homo dominicus, ibi: et licet
dicatur homo Deus, non tamen congrue dicitur homo dominicus. Hic est
quaestio de locutionibus exprimentibus unionem: et primo quaeritur de
locutionibus exprimentibus unionem per hoc verbum est simpliciter; secundo de
his quae exprimunt unionem cum hoc participio factus; tertio de illis quae
exprimunt unionem cum hoc participio praedestinatus. Circa primum quaeruntur
duo: 1 de hac: Deus est homo, et e converso; 2 de hac: Christus est homo
dominicus. |
Après avoir distingué trois opinions à propos de l’union, le Maître montre ici comment, selon elles, les expressions par lesquelles l’union est signifiée doivent être comprises. Il y a deux parties : dans la première, il les explique selon chacune des opinions ; dans la seconde, il laisse à l’auditeur le jugement sur ces opinions, à cet endroit : « Nous avons traité avec assez de soin la question formulée plus haut selon les diverses positions. » La première partie se divise en trois. Dans la peremière partie, il explique les expressions selon la première opinion. Dans la deuxième, selon la deuxième, à cet endroit : « Mais, selon la deuxième position, la raison d’une telle distinction semble être la suivante. » Dans la troisième, selon la troisième [opinion], à cet endroit : « Selon cette position, on dit que Dieu est devenu homme parce qu’il a accueilli l’homme. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il explique les propositions en question selon la première opinion ; deuxièmement, il soulève une objection, à cet endroit : « On objecte à cette position… » Dans la première partie, il explique les propositions dans lesquelles est faite une prédication réciproque entre Dieu et l’homme au moyen du participe « devenu », en les présentant tout d’abord ; puis, celles dans lesquelles est faite une prédication au moyen du participe « prédestiné », qu’il expose en second lieu, à cet endroit : « Et cela, par grâce, et non selon la nature. » Il présente la réponse à l’objection à cet endroit : « Ce qu’ils concèdent... » « Mais, selon la deuxième position, la raison d’une telle distinction semble être la suivante » Ici, il présente les [propositions] conformes à la deuxième opinion. Premièrement, il présente les propositions ; deuxièmement, il répond à ce qui semble s’opposer à cette opinion, à cet endroit : « Ils déterminent aussi des autorités qui sont d’accord avec la première position et de celles qui semblent la contredire. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il présente celles dans lesquelles est faite une prédication au moyen du participe « devenu » ; deuxièmement, celles dans lesquelles elle est faite par l’intermédiaire du verbe « est », à cet endroit : « Mais le sens varie… » ; troisièmement, celles dans lesquelles une prédication est faite au moyen du participe « prédestiné », à cet endroit : « Ceux-ci disent que le Christ a été prédestiné. » « Ils déterminent aussi des autorités qui sont d’accord avec la première position et de celles qui semblent la contredire. » Ici, il résout trois choses qui semblent aller contre la deuxième opinion. À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il résout les autorités qui semblent démontrer qu’un homme a été assumé. Deuxièmement, celles qui semblent démontrer que le Christ est deux réalités, à cet endroit ; « Mais ce qui est contenu dans les chapitres suivants semble contredire cela. » Troisièmement, celles qui démontrent que la personne n’est pas composée, à cet endroit : « Mais il y a quelque chose qui semble s’opposer fortement à cette position. » La seconde partie est divisée en deux parties. Dans la première, il résout les autorités qui disent que le Christ est une chose et une autre, d’où il découle qu’il est deux réalités. Dans la seconde, il résout celles qui disent que le Christ est deux choses ou que deux choses sont le Christ, à cet endroit : « Ce qui a été dit, que les deux choses sont le Christ et une seule personne, peut ébranler le lecteur. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il soulève une objection ; deuxièmement, il la résout, à cet endroit : « Ils en déterminent de cette manière » ; troisièmement, il confirme la solution, à cet endroit : « Hilaire dit ouvertement… ». La seconde partie est divisée de la même manière : premièrement, elle soulève une objection ; deuxièment, elle la résout, à cet endroit : « Mais ils disent que tout cela aura été dit dans un même sens» ; troisièmement, il confirme la solution, à cet endroit : « Comme le dit Jérôme, le Verbe est Dieu, non la chair assumée. » « Mais il y a quelque chose qui semble s’opposer fortement à cette position. » Ici, il soulève une objection contre l’affirmation de la personne : premièrement, il soulève l’objection ; deuxièment, il résout l’objection, à cet endroit : « Ceux-là disent aussi à ce sujet. » « Selon cette position, on dit que Dieu est devenu homme parce qu’il a accueilli l’homme. » Ici, il présente les propositions en cause selon la troisième opinion. Il y a deux parties : dans la première, il présente les propositions ; dans la seconde, il tire un corollaire de ce qui a été dit, à cet endroit : « Parce que la raison d’incarnation doit s’entendre selon le vêtement, ils enseignent qu’on doit dire que Dieu s’est humanisé, non que l’homme a été divinisé. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il présente comment on dit que le Christ est devenu homme ; deuxièmement, comment on dit que le Christ a été prédestiné, à cet endroit : « Selon eux, on dit que le Christ, en tant qu’homme, a été prédestiné à être le Fils de Dieu » ; troisièmement, comment on dit qu’il est inférieur à lui-même, à cet endroit : « Ceux-là encore comprennent que, lorsque le Christ est dit inférieur à son Père, en tant qu’homme, cela a été dit selon le vêtement. » « Parce que la raison d’incarnation doit s’entendre selon le vêtement, ils enseignent qu’on doit dire que Dieu s’est humanisé, non que l’homme a été divinisé. » Ici, il conclut de ce qui a été dit que « homme » peut être prédiqué de Dieu comme un nominatif, de sorte qu’on dit de Dieu qu’il s’est humanisé, mais non que Dieu vient de l’homme. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre qu’on ne peut pas dire que l’homme a été divinisé ; deuxièmement, que l’homme ne peut pas être appelé « Seigneur », à cet endroit : « Et bien que l’homme soit appelé Dieu, l’homme n’est cependant pas appelé Seigneur. » Ici, il est question des formules qui expriment l’union. Premièrement, on s’interroge sur les formules exprimant l’union par le mot « est » tout simplement ; deuxièmement, sur celles qui expriment l’union par le participe « devenu » ; troisièmement, sur celles qui expriment l’union par le participe « prédestiné ». À propos du premier point, deux questions sont soulevées : 1 – À propos de cette [formule] : « Dieu est homme », et inversement. 2 – À propos de cette [formule] : « Le Christ est-il l’homme du Seigneur (homo dominicus) ? » |
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Articulus 1 [8324] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1
tit. Utrum haec sit
vera, Deus est homo |
Article 1 – Cette formule : « Dieu est homme » est-elle vraie ? |
[8325] Super Sent., lib.
3 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod haec sit falsa, Deus est homo.
Magis enim conveniunt quae uniuntur in personam et naturam unam, quam ea quae
uniuntur in personam, et non in naturam unam. Sed anima et corpus uniuntur in
naturam et personam unam; Deus autem et homo in personam, et non in naturam. Cum ergo anima non possit praedicari de
corpore, nec e converso, videtur quod Deus non possit praedicari de homine,
nec e converso. |
1. Il semble que cette formule soit fausse : « Dieu est homme. » En effet, ce qui est uni dans la personne et dans une seule nature a plus en commun que ce qui est uni dans la personne, et non dans une nature unique. Or, l’âme et le corps sont unis dans une nature et une personne uniques, mais Dieu et l’homme, dans la personne, et non dans la nature. Puisque l’âme ne peut être prédiquée du corps, ni inversement, il semble donc que Dieu ne puisse être prédiqué de l’homme, ni inversement. |
[8326] Super Sent., lib.
3 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, major est unitas trium personarum in natura divina quam unitas duarum
naturarum in persona Christi. Sed una persona non praedicatur de alia. Ergo nec homo praedicatur de
Deo, nec e converso. |
2. L’unité des trois personnes dans la nature divine est plus grande que l’unité des deux natures dans la personne du Christ. Or, une personne n’est pas prédiquée d’une autre. « Homme » n’est donc pas prédiqué de Dieu, ni inversement. |
[8327] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1
arg. 3 Praeterea,
nihil praedicatur univoce de creatore et creatura. Sed homo univoce
praedicatur in Christo et in nobis. Ergo non praedicatur de Deo. |
3. Rien n’est prédiqué de manière univoque du Créateur et de la créature. Or, « homme » est prédiqué de manière univoque du Christ et de nous. Il n’est donc pas prédiqué de Dieu. |
[8328] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1
arg. 4 Praeterea,
quidquid praedicatur de Deo, aut est absolutum, aut relativum. Sed homo non
est relativum, quia non dicitur ad aliquid; et praeterea praedicat aliquid
secundum duas opiniones: quod non convenit relativis, quae, secundum
Augustinum non praedicant aliquid, sed ad aliquid: nec potest praedicari de
Deo tamquam absolutum; quia absoluta quae veniunt in divinam praedicationem
dicuntur de tribus personis; quod non est de hoc nomine homo. Ergo non
possumus dicere, quod Deus sit homo. |
4. Tout ce qui est prédiqué de Dieu est soit absolu, soit relatif. Or, « homme » n’est pas un relatif, car cela n’est pas dit en rapport avec quelqu’un ; de plus, cela est prédiqué selon deux opinions : que cela ne convient pas à ce qui est relatif, qui, selon Augustin, n’est pas attribué à quelque chose, mais à propos de quelque chose ; cela ne peut pas non plus être prédiqué de Dieu comme quelque chose d’absolu, car les absolus qui sont prédiqués de Dieu se disent des trois personnes, ce qui n’est pas le cas du mot « homme ». Nous ne pouvons donc pas dire que Dieu est homme. |
[8329] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1
arg. 5 Praeterea,
quod praedicatur, aut praedicatur per se, aut per accidens. Sed homo non
praedicatur per se de Deo, quia sic conveniret omni supposito divinae
naturae; nec iterum praedicatur per accidens, quia Deo nihil accidit. Ergo
homo nullo modo praedicatur de Deo. |
5. Ce qui est prédiqué est prédiqué soit par soi, soit par accident. Or, « homme » n’est pas prédiqué par soi de Dieu, car il conviendrait ainsi à tout suppôt de la nature divine ; il n’est pas non plus prédiqué par accident, car rien n’advient à Dieu. « Homme » n’est donc prédiqué de Dieu d’aucune manière. |
[8330] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1
arg. 6 Praeterea,
omnis praedicatio vel est per essentiam, sicut, homo est animal; vel per
inhaerentiam, sicut, homo est albus; vel per causalitatem, sicut haec: si
dies est, sol lucet super terram. Sed cum dicitur: Deus est homo, non est
praedicatio per causam, ut sit sensus, Deus est causa hominis: quia sic
posset dici: Deus est leo vel stella; nec est praedicatio per inhaerentiam:
quia humanitas non accidentaliter inhaeret Deo, ut supra dictum est; nec per
essentiam, quia alia est essentia hominis et Dei. Ergo propositio est falsa. |
6. Toute prédication
est faite soit en raison de l’essence, comme : «L’homme est un animal»,
soit selon l’inhérence, comme : «L’homme est blanc», soit selon la causalité,
comme : « S’il fait jour, le soleil luit sur la terre. » Mais
lorsqu’on dit : « Dieu est homme », ce n’est pas une prédication
selon la cause, car on pourrait ainsi dire : « Dieu est un lion ou
une étoile » ; ni une prédication selon l’inhérence, car l’humanité
n’inhère par à Dieu de manière accidentelle, comme on l’a dit plus
haut ; ni selon l’essence, car l’essence de l’homme et celle de Dieu
sont différentes. La proposition est donc fausse. |
[8331] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1
arg. 7 Praeterea, secundum artem philosophi
quatuor sunt genera praedicatorum; scilicet essentiale non conversum, ut genus; et essentiale conversum, ut
definitio; accidentale non conversum, ut accidens; accidentale conversum, ut
proprium. Sed nullo
istorum modorum se habet homo ad Deum, ut patet per se. Ergo nullo modo
potest praedicari de ipso. |
7. Selon l’art du
Philosophe, il existe quatre genres de prédicats : essentiel non
convertible, comme le genre ; essentiel convertible, comme la
définition ; accidentel non convertible, comme l’accident ;
accidentel convertible, comme ce qui est propre. Or, l’homme n’est en rapport
avec Dieu selon aucune de ces manières, comme cela ressort de soi. Il ne peut
donc aucunement être prédiqué de lui. |
[8332] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1
arg. 8 Praeterea,
propositio dicitur esse in materia remota, quando formae significatae sunt
diversae. Sed formae significatae per hoc nomen Deus et per hoc nomen homo,
sunt diversae maxima diversitate. Ergo haec propositio, Deus est homo, est in materia remota: ergo est
falsa: quia in remota materia omnes affirmativae sunt falsae. |
8. On dit qu’une
proposition porte sur une matière éloignée lorsque les formes signifiées sont
diverses. Or, les formes signifiées par le nom « Dieu » et par le
nom « homme » sont ce qu’il y a de plus divers. Cette
proposition : « Dieu est homme » porte donc sur une matière
éloignée ; elle est donc fausse, car, en matière éloignée, toutes les
propositions affirmatives sont fausses. |
[8333] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 s.
c. 1 Sed contra, Rom. 9, 5: quorum patres ex quibus est Christus secundum
carnem, qui est Deus benedictus in saecula. Sed Christus secundum carnem
natus, est homo quidam. Ergo homo est Deus. |
Cependant, [1] en sens contraire, Rm 9, 5 dit : Leurs pères, dont est issu le Christ selon la chair, qui est le Dieu béni dans les siècles. Or, le Christ né selon la chair est un homme. Donc, cet homme est Dieu. |
[8334] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 s.
c. 2 Praeterea,
Bernardus dicit, 5 de Consid.: tantam et expressam vim unionis in se
praefert illa persona qua Deus et homo unus est Christus, ut si alterum de
altero praedices, non erres. Ergo Deus est homo, et e converso. |
[2] Bernard dit dans Sur la considération, V : « Cette personne en qui Dieu et l’homme sont un seul Christ met de l’avant une si grande et si expresse force d’union que, si tu affirmes l’un de l’autre, tu ne te tromperas pas. » Dieu est donc homme, et inversement. |
[8335] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 s.
c. 3 Praeterea,
quaecumque uni et eidem sunt eadem, sibi invicem sunt eadem. Sed Christus est
Deus, et ipsemet est homo. Ergo Deus est homo. |
[3] Tout ce qui est identique à une seule et même chose est réciproquement identique. Or, le Christ est Dieu et il est homme. Dieu est donc homme. |
[8336] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 s.
c. 4 Praeterea,
quaecumque sunt unum secundum suppositum, unum de altero praedicatur. Sed
idem est suppositum Dei et hominis, ut dictum est supra. Ergo Deus est homo. |
[4] Tout ce qui est un selon le suppôt est prédiqué réciproquement. Or, le suppôt de Dieu et de l’homme est le même, comme on l’a dit plus haut. Dieu est donc homme. |
[8337] Super Sent., lib. 3
d. 7 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod haec propositio, Deus est homo, ab omnibus
conceditur, sed diversimode a diversis. Secundum enim tertiam opinionem est
praedicatio per inhaerentiam, sicut cum dicitur, homo est albus: quia ponit,
quod humana natura accidentaliter advenit divinae: et adhuc est valde impropria
ex duabus partibus. Primo, quia
partes humanae naturae vocat hominem, scilicet corpus et animam; quod
improprie dicitur; non enim proprie dicitur quod partes sunt totum, sed quod
totum est ex partibus: unde non proprie potest dici, quod anima et corpus
sint homo. Secundo, quia si etiam proprie hoc diceretur, tamen cum haec duo
secundum hanc opinionem adveniant filio Dei quasi habitus, non potest homo
proprie praedicari de eo nisi denominative, sicut nec vestis de homine; sed
dicitur homo vestitus. Ita etiam haec opinio dicit, quod dicitur homo, quia
habet hominem, et partes humanae naturae: unde non proprie diceretur homo,
sed humanatus, sicut homo vestitus non vestis dicitur. Unde est contra
veritatem sacrae Scripturae, et symboli, quae Deum hominem factum dicit; et
propter hoc est haeretica. Secundum vero primam opinionem, est praedicatio
per identitatem, non per informationem: Deus enim supponit suppositum
aeternum: quod quidem non informatur per formam significatam per hoc nomen
homo, sed informatur per ipsum suppositum humanae naturae, quod est aliud a
supposito divinae naturae: et quia illa supposita sunt eadem persona, ratione
hujus identitatis potest fieri praedicatio de se invicem, ut sit sensus: Deus
est homo; idest, ille, scilicet Christus, qui est homo; et est similis modus
praedicandi, sicut cum dicitur: essentia est pater: quia essentia divina est
eadem secundum rem cum supposito quod informatur paternitate; quamvis ipsa
essentia paternitate non informetur. Sed hoc non potest stare: quia hoc quod
dicit, duo supposita esse eamdem personam, non potest intelligi nisi duobus
modis. Primo, quod ex duobus suppositis constituatur una persona; et sic
neutrum illorum suppositorum esset illa persona: quia quod constituitur ex
aliquibus, non praedicatur de illis, ut dictum est dist. 6, quaest. 1, art.
1: unde expositiva istius, Deus est homo, scilicet, ille qui est Deus est
homo, erit falsa quantum ad utramque partem: quia neque Deus esset illa
persona, nec illa persona esset Deus. Sed hoc non est intellectus ejus, quia
non ponit personam compositam sed simplicem. Alio modo potest intelligi ut
suppositum divinae naturae sit illa persona simplex secundum rem, et illa persona
simplex sit illud suppositum humanae naturae, quod ei advenit per
assumptionem. Sed hoc est omnino impossibile, cum implicet contradictionem,
scilicet quod illud quod advenit, sit distinctum in sua singularitate, et sit
idem illi existenti cui advenit: idem enim est quod est secundum substantiam
unum; unum autem est in se indivisum, et ab aliis divisum: unde suppositum
humanae naturae, quod advenit divinae personae, esset distinctum a divina
persona, inquantum est singulare, per se; et esset non distinctum, inquantum
est idem ei: unde persona illa invenitur habere identitatem cum uno
suppositorum, scilicet cum supposito divinae naturae, non autem cum supposito
humanae naturae: et propter hoc expositiva hujus locutionis, Deus est homo,
scilicet, ille qui est Deus, est homo, est falsa quantum ad alteram partem:
quia ista persona non est homo, quamvis Deus sit illa persona; unde non
potest eam verificare. Et ideo sola opinio secunda vera est, quae verificat
eam: potest enim ponere, quod cum dicitur, Deus est homo, est praedicatio per
informationem essentialem, quia ly Deus supponit suppositum personae filii;
et hoc idem est suppositum humanae naturae per illam naturam informatum,
secundum modum intelligendi, inquantum subsistit in ea. Unde sicut haec est
vera et propria, Petrus est homo; ita et ista, Deus est homo. Est tamen in
hoc differentia: quia in ista, Petrus est homo, homo praedicatur inesse
subjecto ratione suppositi, et ratione formae importatae per subjectum; sed
in hac, Deus est homo, praedicatum non inest subjecto ratione formae
significatae per subjectum: non enim convenit ei ratione divinitatis, sed
ratione suppositi. Hoc autem sufficit ad hoc quod sit vera: quia propositio
non verificatur ratione formae significatae in supposito, sed ratione suppositi,
sicut patet infra in respons. ad quintum. |
Réponse. Cette proposition : « Dieu est homme », est concédée par tous, mais diversement. En effet, selon la troisième opinion, il s’agit d’une prédication par inhérence, comme lorsqu’on dit : « L’homme est blanc », car elle affirme que la nature humaine est advenue à la [nature] divine de manière accidentelle, et elle est aussi très impropre sous deux aspects. Premièrement, elle appelle « homme » les parties de la nature humaine, à savoir, le corps et l’âme, ce qui est dit de manière impropre. En effet, on ne dit pas au sens propre que les parties sont le tout, mais que le tout est composé de parties. On ne peut donc pas dire au sens propre que l’âme et le corps sont l’homme. Deuxièmement, même si cela était dit au sens propre, puisque, selon cette opinion, ces deux choses adviennent au Fils de Dieu comme un vêtement, « homme » ne peut être prédiqué de lui au sens propre que d’une manière descriptive, comme le vêtement ne le peut pas de l’homme ; mais on dit que l’homme est vêtu. Cette opinion dit aussi qu’il est appelé « homme » parce qu’il a un homme et les parties de la nature humaine ; aussi ne serait-il pas appelé « homme » au sens propre, mais « humanisé » (humanatus), comme on dit que l’homme est vêtu, mais non qu’il est vêtement. Cela va donc à l’encontre de la vérité de la Sainte Écriture et du symbole, qui dit que Dieu est devenu homme ; pour cette raison, elle est hérétique. Mais, selon la première opinion, il s’agit d’une prédication selon l’identité, et non selon la forme : en effet, Dieu est un suppôt éternel, qui ne reçoit donc pas la forme signifiée par ce nom « homme », mais il reçoit la forme du suppôt de la nature humaine, qui est autre que le suppôt de la nature divine. Et parce que ces suppôts sont la même personne, en raison de cette identité, une prédication réciproque peut être faite, de sorte que le sens est : « Dieu est homme », c’est-à-dire, ce Christ, qui est homme. Il s’agit de la même manière de prédiquer que lorsqu’on dit : « L’essence est le Père », car l’essence divine est en réalité identique au suppôt qui reçoit la forme de la paternité, bien que l’essence elle-même ne reçoive pas la forme de la paternité. Mais cela n’est pas acceptable, car dire que deux suppôts sont la même personne ne peut s’entendre que de deux manières. Premièrement, une seule personne est constituée des deux suppôts ; et ainsi aucun de ces suppôts ne serait cette personne, car ce qui est constitué de certaines choses n’est pas prédiqué d’elles, comme on l’a dit à la d. 6, q. 1, a. 1. Aussi l’interprétation de cette proposition : « Dieu est homme », c’est-à-dire celui qui est Dieu est homme, sera fausse des deux côtés, car ni Dieu ne serait cette personne, ni cette personne ne serait Dieu. Or, ce n’est pas être ce qu’elle veut dire, car elle n’affirme pas que la personne est composée, mais qu’elle est simple. D’une autre manière, elle peut être comprise au sens où le suppôt de la nature divine est en réalité cette personne simple, et que cette personne simple est ce suppôt de la nature humaine, qui lui est advenu par l’assomption. Or, cela est tout à fait impossible, puisque cela implique une contradiction, à savoir que ce qui est advenu est distinct dans sa singularité et est identique à l’existant à qui cela est advenu : en effet, est identique ce qui est un selon la substance ; or, ce qui est un est indivis en lui-même et est divisé des autres. En conséquence, le suppôt de la nature humaine, qui est advenu à la personne divine, serait par soi distinct de la personne divine en tant qu’il est singulier, et il n’en serait pas distinct en tant qu’il lui est identique. Cette personne se trouve donc être identique à l’un des suppôts, à savoir, au suppôt divin, mais non avec le suppôt de la nature humaine. Pour cette raison, l’interprétation de cette formule : « Dieu est homme », à savoir, celui qui est Dieu est homme, est fausse pour la seconde partie, car cette personne n’est pas un homme, bien que Dieu soit cette personne. Cela ne peut donc la rendre vraie. C’est pourquoi seule la deuxième opinion est vraie, qui la rend vraie. En effet, elle peut affirmer que lorsqu’on dit : « Dieu est homme », il s’agit d’une prédication selon une forme essentielle, car « Dieu » joue le rôle de suppôt de la personne du Fils ; et cela même est le suppôt de la nature humaine qui a reçu la forme de cette nature, en comprenant qu’il subsiste en elle. Aussi, de même que cette proposition est vraie au sens propre : « Pierre est homme », de même celle-ci : « Dieu est homme. » Il y a cependant ici une différence, car, dans celle-ci : « Pierre est homme », « homme » est prédiqué comme étant présent dans le sujet en raison du suppôt et en raison de la forme reçue par le sujet ; mais, dans celle-là : « Dieu est homme », le prédicat n’est pas présent dans le sujet en raison de la forme signifiée par le sujet. En effet, il ne lui convient pas en raison de la divinité, mais en raison du suppôt. Mais cela suffit pour que cette proposition soit vraie, car elle n’est pas rendue vraie en raison de la forme signifiée dans le sujet, mais en raison su suppôt, comme cela ressort plus loin dans le réponse au cinquième argument. |
[8338] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 ad
1 Ad primum ergo
dicendum, quod sicut anima et corpus non praedicantur de se invicem; sic nec
divina natura et humana. Sed Deus et homo non tantum naturam, sed etiam
suppositum naturae designant: et ideo possunt praedicari de se invicem; sicut
ex illa parte habens animam et habens corpus praedicantur de se invicem. |
1. De même que l’âme et le corps ne sont pas prédiqués l’un de l’autre, de même non plus la nature divine et la nature humaine. Or, « Dieu » et « homme » ne désignent pas seulement la nature, mais aussi le suppôt de la nature. C’est pourquoi ils peuvent être prédiqués l’un de l’autre, comme, par ailleurs, celui qui a une âme et celui qui a un corps peuvent être prédiqués l’un de l’autre. |
[8339] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod secundum hoc quod personae divinae sunt unum, praedicantur de
se invicem: dicitur enim, quod natura patris est natura filii. Sed quia non sunt unum in
persona, ideo nomina personalia de se invicem non praedicantur. Et similiter
hic, quia naturae sunt diversae et persona eadem, nomina quae significant vel
supponunt personas, praedicantur de se invicem, non autem nomina quae
significant naturas tantum. |
2. Selon que les personnes divines sont une seule réalité, elles se prédiquent l’une de l’autre : en effet, on dit que la nature du Père est la nature du Fils. Mais parce qu’elles ne sont pas une seule réalité selon la personne, les noms personnels ne sont donc pas prédiqués l’un de l’autre. De même ici, parce que les natures sont différentes et que la personne est la même, les noms qui signifient ou sont les sujets des personnes sont prédiqués l’un de l’autre, mais non les noms qui signifient seulement les natures. |
[8340] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 ad
3 Ad tertium
dicendum, quod homo univoce praedicatur de Deo et aliis hominibus. Quod autem
dicitur, quod nihil dicitur univoce de Deo et creaturis, intelligendum est de
illis quae praedicantur de ipso inquantum est Deus. |
3. « Homme » est prédiqué de manière univoque de Dieu et des autres hommes. Lorsqu’on dit que rien n’est dit de manière univoque de Dieu et des créatures, il faut comprendre qu’il s’agit de ce qui est prédiqué de Dieu en tant qu’il est Dieu. |
[8341] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 ad
4 Ad quartum dicendum, quod cum dicitur, Deus est homo, ly homo quantum ad
formam significatam est absolutum, sed quantum ad suppositum habet relationem
implicitam: supponit enim pro persona filii Dei. |
4. Lorsqu’on dit : « Dieu est homme », « homme » est absolu pour ce qui est de la forme signifiée, mais il comporte une relation implicite pour ce qui est du suppôt. En effet, il joue le rôle de suppôt pour la personne du Fils de Dieu. |
[8342] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 ad
5 Ad quintum
dicendum, quod cum dicitur, Deus est homo, Deus supponit personam filii, et
significat divinitatem. Propositio autem non verificatur ratione significati,
sed ratione suppositi: et cum hoc suppositum sit subsistens in humana natura,
hoc nomen homo per se praedicatur de ipsa: unde secundum quod vera est, est
per se praedicatio, sicut ista, Petrus est homo. Unde non sequitur quod
possit praedicari de omnibus quibus inest forma significata per hoc nomen
Deus; quia non est per se ex parte formae significatae; sed ex parte
suppositi. Et hoc est singulare in ista materia: quia nunquam alibi invenitur
quod sit suppositum unum essentialiter in duabus naturis subsistens: et ideo
non potest dici quod sit per accidens, sicut hoc album est homo; id enim quod
est per se suppositum hominis non est pars significationis hujus nominis
album: album enim solam qualitatem significat, cum nomen significet unum: ex
albedine autem et subjecto non fit unum simpliciter: unde hoc nomen album
copulat suum subjectum quasi extrinsecum. Deus autem importat suppositum
divinae naturae, quod etiam idem est humanae, non quasi extrinsecum, sed
sicut clausum in significatione hujus nominis homo; et ideo haec non est per
accidens, Deus est homo; sed habet aliquid simile cum illis quae sunt per
accidens, inquantum praedicatum non inest subjecto ratione formae importatae
per subjectum. |
5. Lorsqu’on dit : « Dieu est homme », « Dieu » joue le rôle de suppôt pour la personne du Fils et signifie la divinité. Or, une proposition n’est pas vraie en raison de ce qui est signifié, mais en raison du suppôt et, lorsque ce suppôt subsiste dans la nature humaine, ce nom « homme » est prédiqué d’elle par soi. Aussi selon qu’elle est vraie, elle est une prédication par soi, comme celle-ci : « Pierre est homme. » Il n’en découle donc pas qu’il puisse être prédiqué de tous ceux chez qui se trouvent la forme signifiée par ce nom « Dieu », car, en lui-même, il ne signifie pas selon la forme signifiée, mais selon le suppôt. Et cela est singulier en cette matière, car on ne trouve jamais ailleurs qu’il existe un seul suppôt qui subsiste de manière essentielle en deux natures. On ne peut donc dire que cela soit par accident, comme : « Ce blanc est un homme ». En effet, ce qui est par soi le suppôt de l’homme n’est pas une partie de la signification de ce mot « blanc », car « blanc » signifie seulement une qualité, alors que le nom signifie quelque chose d’un. Or, quelque chose d’un n’est pas réalisé par la blancheur et par le sujet. Aussi ce mot « blanc » est-il uni à son sujet comme de l’extérieur. Or, « Dieu » implique le suppôt de la nature divine, qui est le même que celui de la nature humaine, non pas comme de l’extérieur, mais comme inclus dans la signification de ce nom « homme ». Cette proposition : « Dieu est homme » n’exprime donc pas quelque chose d’accidentel, mais elle a quelque chose de semblable avec celles qui reposent sur un accident, pour autant que ce qui est prédiqué n’est pas présent dans le sujet en raison de la forme reçue par le sujet. |
[8343] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 ad
6 Ad sextum
dicendum, quod est praedicatio per essentiam, non quod divinitas sit
humanitas, sed quia suppositum divinae naturae essentialiter est suppositum
humanae naturae: et hoc significat locutio. |
6. Il s’agit d’une prédication selon l’essence, non pas que la divinité soit l’humanité, mais parce que le suppôt de la nature divine est essentiellement le suppôt de la nature humaine. C’est ce que signifie la formule. |
[8344] Super Sent., lib. 3 d. 7
q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod reducitur ad praedicatum de genere, sicut
ista, Petrus est homo; quia eadem est ratio veritatis in utraque. |
7. Elle se ramène à un prédicat selon le genre, comme celle-ci : « Pierre est homme », car la raison de vérité est la même dans les deux. |
[8345] Super Sent., lib. 3 d. 7
q. 1 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod non est in materia remota, sed
in materia naturali: quia propositio verificatur non ratione naturae, sed
ratione suppositi humanae naturae. Nec est simile in hoc et in aliis: quia in
aliis ad diversitatem naturarum sequitur diversitas in suppositis: unde si
formae sunt diversae quae significantur per subjectum et praedicatum,
supposita non possunt esse eadem. In Christo autem sunt duae naturae et unum suppositum. |
8. Ce n’est pas en matière éloignée, mais en matière naturelle, car la proposition est vraie non pas en raison de la nature, mais en raison du suppôt de la nature humaine. Et ce n’est pas la même chose dans ce cas et dans les autres, car, dans les autres, il résulte de la diversité des natures une diversité des suppôts. Si donc les formes signifiées par le sujet et le prédicat sont diverses, les suppôts ne peuvent être les mêmes. Mais, dans le Christ, il existe deux natures et un seul suppôt. |
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Articulus 2 [8346] Super Sent.,
lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 tit. Utrum Christus
possit dici homo dominicus |
Article 2 – Le Christ peut-il
être appelé l’homme du Seigneur ( homo dominicus)
?
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[8347] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 arg.
1 Ad secundum
sic proceditur. Videtur quod
Christus possit dici homo dominicus. Augustinus enim dicit in Lib. 83 qq.: monendum
est ut illa bona aeterna expectentur quae fuerunt in homine dominico; et
loquitur de Christo. Ergo potest dici dominicus. |
1. Il semble que le Christ puisse être appelé l’homme du Seigneur (homo dominicus). En effet, Augustin dit dans le Livre sur 83 questions : « Il faut avertir que sont attendus les biens éternels qui se trouvaient dans l’homme du Seigneur », et il parle du Christ. On peut donc l’appeler l’homme du Seigneur. |
[8348] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea, homo Christus Jesus est
magis in participatione divinae bonitatis quam alii sancti. Sed alii sancti
propter participationem divinae bonitatis dicuntur dominici, ut patet per
Glossam 1 Reg. 1: quis est homo, nisi homo dominicus ? Ergo multo magis Christus potest dici homo
dominicus. |
2. L’homme Jésus, le Christ, participe
davantage à la bonté divine que les autres saints. Or, les autres saints sont
appelés hommes du Seigneur en raison de leur participation à la bonté divine,
comme cela ressort de la Glose à propos de 1 S 1 : « Qui
est cet homme, sinon l’homme du Seigneur ? » À bien plus forte raison,
le Christ peut-il donc être appelé l’homme du Seigneur. |
[8349] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2
arg. 3 Praeterea, sicut dominicus dicitur
denominative a domino, ita divinus dicitur denominative a Deo. Sed Dionysius frequenter nominat Christum
divinissimum Jesum. Ergo et potest dici ille dominicus. |
3. Comme « du Seigneur » (dominicus) vient de « Seigneur » (dominus), de même, « divin » vient de « Dieu ». Or, Denys appelle fréquemment le Christ « Jésus, le très divin ». Il peut donc être appelée [l’homme] du Seigneur. |
[8350] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2
arg. 4 Praeterea,
sicut haec est vera, Deus est homo: ita haec, homo est Deus. Sed dicimus Deum
humanatum. Ergo possumus dicere hominem dominicum. |
4. De même que cette proposition est vraie : « Dieu est homme », de même celle-ci : « Cet homme est Dieu. » Or, nous parlons de Dieu fait homme (humanatum). Nous pouvons donc dire que cet homme est l’homme du Seigneur. |
[8351] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2
arg. 5 Praeterea,
conditio servitutis magis exprimitur nomine servi quam nomine dominici. Sed
apostolus nomen servitutis in Christo ponit Philipp. 2, 7, formam servi
accipiens. Ergo etiam possumus dicere eum dominicum. |
5. La condition de servitude est davantage exprimée par le mot « serviteur » que par le mot « du Seigneur ». Or, l’Apôtre a employé le mot de servitude pour le Christ, Ph 2, 7 : Prenant la forme de serviteur. Nous pouvons donc dire aussi qu’il est « du Seigneur ». |
[8352] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 s.
c. 1 Sed contra,
quod praedicatur de aliquo essentialiter, non potest de eo praedicari
denominative. Sed Deus praedicatur de homine Christo essentialiter: quia haec
est vera, hic homo est Deus. Ergo videtur quod non debeat praedicari
denominative. |
Cependant, [1] ce qui est prédiqué de quelque chose de manière essentielle ne peut être prédiqué de lui par dérivation. Or, « Dieu » est prédiqué de l’homme Christ de manière essentielle, car cette proposition est vraie : « Cet homme est Dieu. » Il semble donc qu’elle ne doive pas être prédiquée par dérivation. |
[8353] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 s.
c. 2 Praeterea, ad
idem est auctoritas Augustini in littera posita. |
[2] L’autorité d’Augustin rapportée dans le texte va dans le même sens. |
[8354] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod
hoc adjectivum dominicus potest duo importare: uno modo id quod habet aliquam
participationem domini; alio modo rem quae est domini sicut possessio; vel
sicut effectus, sicut dicuntur verba dominica; vel sicut pars, sicut dicitur
pes dominicus. Quantum ergo
ad secundam opinionem pertinet, nullo modo ille homo potest dici homo
dominicus: homo enim importat suppositum aeternum, cui essentialiter natura
dominii competit, non per participationem: nec est quasi possessio vel
effectus vel pars domini; sed est ipse dominus, quia dominus pater, dominus
filius, dominus spiritus sanctus. Similiter etiam tertia opinio, cum ponit
hominem quasi habitum Dei filio advenire, non potest ponere quod homo
denominetur per Deum, sed magis Deus per hominem: quia habitus denominat
habentem, et non convertitur. Tamen inquantum dominicum dicitur possessive,
posset ponere quod dicitur homo dominicus, sicut dicitur vestis Socratica.
Sed prima opinio posset ponere quod diceretur homo dominicus etiam per
participationem, inquantum hoc nomine homo non importatur suppositum aeternum
secundum eos. |
Réponse. L’adjectif dominicus peut signifier deux choses : premièrement, ce qui participe d’une certaine manière au seigneur ; deuxièmement, une chose qui appartient au seigneur comme étant sa possession, comme son effet, comme on parle de « paroles du seigneur (dominica) » ou comme une de ses parties, comme on dit « le pied du seigneur ». Pour ce qui est de la deuxième opinion, cet homme ne peut d’aucune manière être appelé l’homme du Seigneur : en effet, « homme » implique un suppôt éternel, à qui revient de manière essentielle la nature du pouvoir (dominium), et non par participation. Il n’est pas non plus comme une possession, un effet ou une partie du Seigneur, mais il est le Seigneur lui-même, car on apelle le Père Seigneur, le Fils Seigneur et l’Esprit Seigneur. De même aussi, la troisième opinion, lorsqu’elle dit que l’homme survient comme un vêtement au Fils de Dieu, ne peut-elle affirmer que l’homme porte le nom de Dieu, mais plutôt que Dieu porte le nom d’homme, car le vêtement désigne celui qui le porte, et non l’inverse. Cependant, dans la mesure où dominicus est utilisé en un sens possessif, on pourrait parler de l’homme du Seigneur (homo dominicus), comme on parle du vêtement de Socrate (vestis socratica). Mais la première opinion pourrait parler de l’homme du Seigneur même par participation, pour autant que, par ce nom « homme », on ne désigne pas un suppôt éternel selon eux. |
[8355] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 ad
1 Ad primum ergo
dicendum, quod Augustinus illud retractavit sicut in littera ponit Magister;
et cum dixit, non intellexit quasi diceretur dominicus ratione suppositi, sed
ratione naturae, quae fit in participatione dominii, sicut et divinitatis,
per hoc quod assumitur in unitatem personae filii Dei, qui est Deus et
dominus. |
1. Augustin a rétracté cela, comme le Maître le dit dans le texte. Et lorsqu’il l’a dit, il n’entendait pas employer dominicus en raison du suppôt, mais en raison de la nature, qui se réalise par participation au pouvoir seigneurial (dominium) comme à la divinité, du fait qu’il est assumé dans l’unité de la personne du Fils de Dieu, qui est Dieu et Seigneur. |
[8356] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod ille homo non participat, proprie loquendo, divinitatem vel
dominium; sed est plene dominus: quia homo importat suppositum aeternum, ut
dictum est; et ideo non est similis ratio de ipso et de aliis. |
2. Cet homme ne participe pas, au sens propre, à la divinité ou au pouvoir seigneurial, mais il est pleinement Dieu, car « homme » implique un suppôt éternel, comme on l’a dit. C’est pourquoi il n’en va pas de même de lui et des autres. |
[8357] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 ad
3 Ad tertium
dicendum, quod divinum potest dici aliquid, etiam si habeat plenam
divinitatis rationem (dicimus enim divinam essentiam, divinas personas); et
ideo hic homo, quia est divina persona, potest etiam dici divinus. Sed
dominicus non dicitur de illis qui habent plenam rationem dominii: non enim
dicimus dominicas personas. |
3. On peut parler de divin pour quelque chose, même si cela a la pleine raison de la divinité (en effet, nous parlons d’essence divine, de personnes divines). C’est pourquoi cet homme, parce qu’il est une personne divine, peut être aussi appelé divin. Mais dominicus ne se dit pas de choses qui ont la pleine raison du pouvoir seigneurial (dominium) : en effet, nous ne parlons pas de personnes seigneuriales (personae dominicae). |
[8358] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 ad
4 Ad quartum
dicendum, quod quia natura humana in Christo habet quamdam similitudinem cum
habitu, ut prius dictum est, dist. 6, quaest. 3, art. 2 ad 1; ideo ea quae
pertinent ad humanam naturam, inveniuntur quandoque praedicari de Christo per
modum habitus, quamvis non ita proprie; et ideo Cassiodorus addit: ut ita
dixerim. Non tamen est
similis ratio ex alia parte: quia divina natura non habet similitudinem cum
habitu. Vel dicendum, quod cum dicitur Deus humanatus, non sumitur humanatus
in vi nominis denominativi, sed in vi participii; unde tantum valet
humanatus, quantum homo factus; et hoc patet per auctoritatem Damasceni
positam in littera. |
4. Parce que la nature humaine dans le Christ possède une certaine ressemblance avec le vêtement, comme on l’a dit plus haut, d. 6, q. 3, a. 2, ad 1, ce qui concerne la nature humaine se trouve être parfois prédiqué du Christ comme un vêtement, bien que ce ne soit pas en un sens aussi propre. C’est pourquoi Cassiodore ajoute : « Pour ainsi dire. » Cependant, il n’en va pas de même pour l’autre aspect, car la nature divine n’a pas de ressemblance à un vêtement. Ou bien il faut dire que, lorsqu’on dit que Dieu est humanatus, humanatus n’est pas pris en vertu du nom dont il procède, mais en vertu d’un participe. Humanatus a donc la même valeur que « devenu homme ». Et cela ressort de l’autorité de [Jean] Damascène invoquée dans le texte. |
[8359] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 ad
5 Ad quintum
dicendum, quod apostolus non dicit Christum, vel filium Dei, esse servum, sed
quod formam servi accepit, quia humana natura Christi si separaretur, ut
dicit Damascenus, subtilibus intelligentiis, a filio Dei, et serva est, et
ignorans est; et ideo de natura bene potest dici hoc adjectivum dominicus, ut
dicatur dominica natura. |
5. L’Apôtre ne dit pas que le Christ ou le Fils de Dieu est un esclave, mais qu’il a pris la forme d’un esclave, car si « la nature humaine du Christ, si elle était séparée du Fils de Dieu par des intelligences subtiles, comme le dit [Jean] Damascène, serait esclave et ignorante ». Aussi cet adjectif dominicus peut-il être correctement dit de la nature, comme dans dominica natura. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [Comment le participe «devenu » (factus) exprime-t-il l’union ?]
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Prooemium |
Prologue |
[8360] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 pr. Deinde quaeritur de locutionibus quae
exprimunt unionem per hoc participium factus; et quaeruntur duo: 1 utrum Deus
factus sit homo; 2 utrum homo factus sit Deus. |
On s’interroge ensuite sur les expressions qui expriment l’union en utilisant le participe « devenu ». Deux questions sont soulevées : 1 – Dieu est-il devenu homme ? 2 – L’homme est-il devenu Dieu ? |
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Articulus 1 [8361] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1
tit. Utrum haec sit
vera, Deus factus est homo |
Article 1 – Cette proposition est-elle vraie : « Dieu est devenu homme ?» ? |
[8362] Super Sent., lib. 3 d. 7
q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod haec sit falsa: Deus factus est homo. Mutari enim genus
est ad fieri. Sed Deus nullo modo potest dici mutatus. Ergo non potest dici
factus aliquid. |
1. Il semble que cette [proposition] soit fausse : « Dieu est devenu homme ». En effet, être changé est un genre de devenir. Or, on ne peut dire d’aucune manière que Dieu est changé. On ne peut donc pas dire qu’il est devenu quelque chose. |
[8363] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1
arg. 2 Praeterea,
factum esse, terminus est fieri, quod significatur esse circa id quod factum
dicitur. Sed circa Deum, qui dicitur factus homo, non potest poni aliquod
fieri; suppositum enim factionis esse non potest. Ergo haec est falsa: Deus
factus est homo. |
2. Être devenu est le terme du devenir, qui signifie être pour ce dont on dit qu’il est devenu. Or, à propos de Dieu, dont on dit qu’il est devenu homme, on ne peut affirmer aucun devenir : en effet, le sujet du devenir ne peut être. Cette proposition est donc fausse : « Dieu est devenu homme. » |
[8364] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1
arg. 3 Praeterea,
terminus factionis est perfectio ejus quod fit, quia est finis factionis. Sed
cum dicitur: Deus factus est homo, terminus factionis importatae per
participium est homo. Ergo significatur quod esse hominem sit perfectio Dei,
qui factus homo dicitur. Hoc autem est impossibile. Ergo haec est falsa: Deus
factus est homo. |
3. Le terme du devenir est une perfection de ce qui devient, car c’est la fin du devenir. Or, lorsqu’on dit que Dieu est devenu homme, le terme du devenir impliqué par le participe est l’homme. On signifie donc qu’être homme est une perfection de Dieu, dont on dit qu’il est devenu homme. Or, cela est impossible. Cette [proposition] est donc fausse : « Dieu est devenu homme. » |
[8365] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1
arg. 4 Praeterea, in
hoc nomine homo non possunt intelligi nisi duo, scilicet suppositum naturae,
et natura humana. Sed dicta propositio non potest verificari ratione naturae,
quia Deus nunquam fuit neque est natura humana; similiter nec ex parte
suppositi; quia hoc nomen homo, secundum quod de Christo praedicatur, non importat
nisi suppositum aeternum filii; et semper verum fuit dicere, quod Deus est
persona filii. Ergo nullo modo praedicta locutio verificari potest. |
4. Par ce nom « homme », on ne peut entendre que deux choses : un suppôt de la nature et la nature humaine. Or, la proposition énoncée ne peut être vraie en raison de la nature, car Dieu n’a jamais été et n’est pas la nature humaine. Elle ne peut pas non plus être vraie du point de vue du suppôt, car ce nom « homme », selon qu’il est prédiqué du Christ, n’implique que le suppôt éternel du Fils, et il a toujours vrai de dire que Dieu est la personne du Fils. L’expression déjà formulée ne peut donc être vraie d’aucune manière. |
[8366] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1
arg. 5 Praeterea, homo non est conditio diminuens de ratione factionis. Ergo
si Deus factus est homo, possum inferre quod Deus sit factus. Hoc autem est
falsum. Ergo et primum. |
5. Homme n’est pas une condition qui diminue en raison du devenir. Si donc Dieu est devenu homme, je peux en conclure que Dieu est devenu. Or, cela est faux. La conclusion est donc la même que pour le premier argument. |
[8367] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 s.
c. 1 Sed contra,
Joan. 1, 14: verbum caro factum est. Verbum autem Deus est. Ergo Deus
factus est caro, idest homo. |
Cependant, [1] Jn 1, 14 dit en sens contraire : Le Verbe est devenu chair. Or, le Verbe est Dieu, Donc, Dieu est devenu chair, c’est-à-dire homme. |
[8368] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 s.
c. 2 Praeterea, in
symbolo Nicaeno dicitur de filio, quod est Deus de Deo, et quod homo factus
est. Ergo Deus factus est homo. |
[2] Dans le symbole de Nicée, il est dit du Fils qu’il Dieu issu de Dieu, et qu’il est devenu homme. Dieu est donc devenu homme. |
[8369] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 s.
c. 3 Praeterea,
omne quod est et non fuit prius, dicitur esse factum. Sed haec est vera, Deus
est homo, ut supra dictum est, et non fuit semper vera. Ergo Deus factus est
homo. |
[3] De tout ce qui est et n’était pas antérieurement, on dit que cela est devenu. Or, cette [proposition] est vraie : « Dieu est homme », comme on l’a dit plus haut, et elle n’a pas toujours été vraie. Dieu est donc devenu homme. |
[8370] Super Sent., lib. 3 d. 7
q. 2 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod cum dicitur, Deus factus est homo, hoc participium factus
tripliciter potest se habere in ista locutione. Uno modo, ut feratur ad totam
propositionem, ut sit sensus: factum est quod Deus est homo; et sic est vera:
quamvis hic intellectus non possit haberi secundum proprietatem locutionis:
tum quia non est de illis quae habent determinare compositionem, sicut
necessarium et contingens; tum etiam quia, cum sit adjectivum masculini
generis, requirit substantivum. Secundo, dictum participium potest
determinare alterum extremum compositionis absolute; et sic, sive determinet
praedicatum sive subjectum, locutio est falsa. Omnis enim determinatio potest
praedicari de determinato. Haec autem falsa est, Deus factus est: et
similiter illa: ille homo factus est, demonstrato Christo, nisi aliud
addatur: quia supponit suppositum aeternum secundum secundam opinionem.
Tertio modo dictum participium potest determinare subjectum in comparatione
ad praedicatum; et sic locutio vera est secundum omnes opiniones. Et non
obstat quod videtur ponere fieri circa Deum: quia hoc fieri quod participium
importat, non est nisi fieri rationis: dictum est enim supra, quod unio qua
Deus dicitur esse homo, est quidem secundum rem in humana natura, sed
secundum rationem in Deo, sicut sunt aliae relationes quae ex tempore de Deo
dicuntur. Et quia non dicitur factus homo nisi secundum quod relatio unionis
de novo advenit ei postquam non fuit; ideo, sicut relatio illa non ponit
aliquam rem novam in Deo, sed dicitur secundum rationem tantum intelligentis;
ita etiam et factus non importat circa Deum nisi fieri rationis, sicut etiam
cum dicitur Psal. 89, 1: domine refugium factus es nobis. |
Réponse.
Lorsqu’on dit : « Dieu est devenu
homme », le participe « devenu » peut avoir trois sens dans
cette formule. Premièrement, il peut se rapporter à toute la proposition, d’où
le sens : « Il est arrivé que Dieu soit homme ». En ce sens,
elle est vraie, bien que ce sens ne puisse être tiré du sens propre de la
formule, tant parce qu’elle ne porte pas sur des choses qui entraînent une
composition, comme le nécessaire et le contingent, que parce que, étant un
adjectif de genre masculin, il exige un substantif. Deuxièmement, le
participe en question peut déterminer l’autre extrême d’une composition d’une
manière absolue ; et ainsi, qu’il détermine le prédicat ou le sujet, l’expression
est fausse. En effet, toute détermination peut être prédiquée de ce qui est
déterminé. Or, cette proposition est fausse : « Celui-ci est devenu
Dieu », de même que celle-ci : « Celui-ci est devenu homme »,
en montrant le Christ, à moins qu’on ajoute : « parce qu’il joue le
rôle de suppôt éternel selon la deuxième opinion ». Troisièmement, le
participe en question peut déterminer le sujet par rapport au prédicat ;
ainsi, la formule est vraie selon toutes les opinions. Et le fait qu’on
semble affirmer un devenir à propos de Dieu n’a pas d’importance, car ce
devenir qu’implique le participe n’est qu’un devenir de raison. En effet, on
a dit plus haut que l’union par laquelle Dieu est appelé homme se trouve en
réalité dans la nature humaine, mais en Dieu selon la raison, comme le sont
les autres relations à caractère temporel qui sont attribuées à Dieu. Et
parce qu’on ne dit : « est devenu homme », que parce que la
relation d’union lui est advenue après n’avoir pas été, de même que cette relation
n’affirme pas de réalité nouvelle en Dieu, mais est exprimée seulement selon
la raison de celui qui intellige, de même « devenu » n’implique-t-il
pour Dieu qu’un devenir de raison, comme on dit aussi dans le
Ps 89, 1 : Seigneur, tu
es devenu un refuge pour nous ! |
[8371] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod mutari proprie dicitur per remotionem a termino a quo; fieri autem per accessum
ad terminum. Quia igitur nihil remotum est a Deo neque secundum rem neque secundum
rationem; aliquid autem advenit ei secundum rationem, etsi non secundum rem;
ideo potest dici fieri sed non mutari; sicut etiam sciens quando considerat,
non mutatur, proprie loquendo, sed perficitur, ut dicit philosophus. |
1. « Être changé » se dit, à proprement parler, de l’éloignement d’un terme a quo, mais « devenir », du rapprochement d’un terme. Parce que rien ne s’éloigne de Dieu ni en réalité ni selon la raison, mais que quelque chose lui arrive selon la raison, même si ce n’est pas selon la réalité, on peut donc dire « devenir », mais non « être changé », de même que celui qui sait, lorsqu’il considère, n’est pas changé à proprement parler, mais est perfectionné, comme le dit le Philosophe. |
[8372] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod illud fieri est tantum rationis; et ideo non est inconveniens
quod circa Deum ponatur. |
2. Ce devenir relève n’est qu’un devenir de raison. Aussi n’est-il pas inapproprié qu’il soit affirmé de Dieu. |
[8373] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 ad
3 Ad tertium
dicendum, quod objectio illa procedit quando est fieri reale; tunc enim
oportet quod aliquid realiter adveniat; et hoc aliquo modo est perfectio ejus
cui advenit. Sic autem non est in proposito, ut dictum est. |
3. Ce raisonnement est concluant lorsqu’il y a un devenir réel. En effet, il faut alors que quelque chose survienne réellement, et cela est, d’une certaine manière, une perfection de celui à qui cela survient. Mais il n’en est pas de même dans la question en cause, comme on l’a dit. |
[8374] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 ad
4 Ad quartum dicendum, quod dicta locutio verificatur ratione utriusque
simul, scilicet suppositi et naturae: quamvis enim suppositum illud semper
fuerit, non tamen semper fuit suppositum humanae naturae, secundum quod
significatur hoc nomine homo. |
4. L’expression en cause est vraie en raison des deux en même temps, à savoir, du suppôt et de la nature. En effet, bien que ce suppôt ait toujours existé, il ne fut pas toujours le suppôt de la nature humaine, selon qu’elle est signifiée par le mot « homme ». |
[8375] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 ad
5 Ad quintum
dicendum, quod humana natura habet similitudinem cum accidente in Christo,
inquantum advenit divinae naturae post esse completum. Non enim sequitur:
Petrus est factus albus; ergo est factus; quia album diminuit de ratione
facti simpliciter: quod enim factum est, nunc est, et prius non fuit: non
autem sequitur, si prius non fuit albus, quod non fuerit simpliciter: quia
album advenit post completum esse: et ita non sequitur: Deus factus est homo;
ergo Deus est factus simpliciter. |
5. La nature humaine a une ressemblance avec l’accident dans le Christ, pour autant qu’elle arrive à la nature divine après son être complet. En effet, on ne conclut pas de : « Pierre est devenu blanc », qu’il est devenu, parce qu’être blanc est moins que le simple fait de devenir : en effet, ce qui est devenu, existe maintenant et n’existait pas auparavant. Mais on ne conclut pas du fait qu’il n’était pas blanc auparavant qu’il n’existait tout simplement pas, car le blanc est survenu après l’être complet. Ainsi, on ne conclut pas de : « Dieu est devenu homme », que Dieu est tout simplement devenu. |
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Articulus 2 [8376] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2
tit. Utrum haec sit
vera, homo factus est Deus |
Article 2 – Cette proposition
est-elle vraie : « L’homme est devenu Dieu » ?
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[8377] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur, quod
haec non sit vera: homo factus est Deus. Dicit enim Damascenus, et habetur in
littera, quod non dicimus hominem deificatum. Sed idem est dicere hominem
deificatum et factum Deum. Ergo homo non est factus Deus. |
1. Il semble que cette proposition ne soit pas vraie : « L’homme est devenu Dieu. » En effet, [Jean] Damascène dit, on le trouve dans le texte, que « nous ne disons pas que l’homme a été divinisé ». Or, c’est la même chose de dire que l’homme a été divinisé et qu’il est devenu Dieu. L’homme n’est donc pas devenu Dieu. |
[8378] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 arg.
2 Praeterea, cum
dicitur: homo factus est Deus, aut homo tenetur pro natura, aut pro persona.
Si pro natura, natura autem humana non est facta Deus, quia nunquam est nec
fuit Deus; ergo est falsa. Si pro persona, persona autem filii Dei fuit semper Deus: ergo nullo
modo haec est vera: homo factus est Deus. |
2. Lorsqu’on dit : « L’homme est devenu Dieu », soit l’homme signifie la nature, soit la personne. S’il signifie la nature, alors que la nature humaine n’est pas devenue Dieu, car elle n’est pas et n’a jamais été Dieu, la proposition est donc fausse. S’il signifie la personne, alors que la personne du Fils de Dieu a toujours été Dieu, cette proposition n’est donc vraie d’aucune manière : « L’homme est devenu Dieu. » |
[8379] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2
arg. 3 Praeterea,
secundum Damascenum, homo et Deus communicant sibi idiomata, ut quidquid
dicitur de homine, possit dici de filio Dei. Sed haec est falsa: filius Dei
est factus Deus. Ergo haec est falsa: homo factus est Deus. |
3. Selon [Jean] Damascène, l’homme et Dieu s’échangent leurs idiomes, de sorte que tout ce qui est de l’homme peut être dit du Fils de Dieu. Or, cette proposition est fausse : « Le Fils de Dieu est devenu Dieu. » Cette proposition est donc fausse : « L’homme est devenu Dieu. » |
[8380] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2
arg. 4 Praeterea,
quia Deus factus est homo, possum arguere, quod Deus est homo recens. Si ergo
homo factus est Deus, homo erit recens Deus: quod est contra Psalm. 80, 10: non
erit in te Deus recens. |
4. Puisque Dieu est devenu homme, je peux
soutenir que Dieu est un homme depuis peu. Si donc l’homme est devenu Dieu, l’homme
sera Dieu depuis peu, ce qui va contre le Ps 80, 10 : Il n’y aura pas de Dieu en toi depuis peu. |
[8381] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 arg.
5 Praeterea,
quod dicitur fieri aliquid, praesupponitur secundum intellectum ad hoc quod
fieri dicitur. Sed Christus non prius intelligitur homo quam Deus. Ergo non
potest dici, quod homo factus sit Deus. |
5. Ce dont on dit que quelque chose devient est présupposé, selon l’intelligence, pour qu’on dise que cela devient. Or, on n’entend pas que le Christ ait été homme avant d’être Dieu. On ne peut donc pas dire que « l’homme est devenu Dieu ». |
[8382] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2
arg. 6 Sed contra,
Augustinus: talis fuit unio quae hominem faceret Deum, et Deum hominem. |
Cependant, [6] Augustin dit : « L’union a été telle qu’elle a fait de l’homme un Dieu, et de Dieu un homme. » |
[8383] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2
arg. 7 Praeterea,
homo est Deus, et non semper fuit Deus. Ergo factus est Deus. |
[7] L’homme est Dieu et il n’a pas toujours été Dieu. Il est donc devenu Dieu. |
[8384] Super Sent., lib.
3 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 8 Praeterea, factio quae importatur per participium, secundum rem non ponitur in
Deo, sed in humana natura. Sed homo significat humanam naturam. Cum ergo hoc
participium ponat rem suam circa subjectum in comparatione ad praedicatum,
videtur quod magis sit haec vera: homo factus est Deus, quam haec: Deus
factus est homo. |
[8] Le devenir qui est impliqué par le participe n’est pas affirmé de Dieu en réalité, mais de la nature humaine. Or, l’homme signifie la nature humaine. Puisque ce participe affirme du sujet de qu’il est par rapport au prédicat, il semble donc que cette proposition soit plus vraie : « L’homme est devenu Dieu », que celle-ci : « Dieu est devenu homme. » |
[8385] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod haec propositio
similiter tripliciter potest accipi sicut praecedens. Et in primo sensu est vera,
sicut et prima, et eadem ratione: sicut enim factum est ut Deus sit homo, ita
factum est ut homo sit Deus. In secundo vero sensu est falsa, sicut et prima,
et eadem ratione: quia iidem sunt termini, sed conversim positi. In tertio
autem sensu, secundum quod determinat subjectum in comparatione ad
praedicatum, diversimode judicatur a diversis opinionibus. Prima enim opinio,
quia ponit quod homo supponit suppositum creatum, dicit quod haec est vera,
sicut et prima: quia sicut persona divina non semper fuit illud suppositum,
et modo est illud suppositum; ita illud suppositum non semper fuit persona
divina, et modo est. Secunda autem opinio et tertia ponunt, quod homo, prout
de Christo praedicatur, non habet aliquod aliud suppositum quam suppositum
aeternum: sed secunda dicit, quod homo supponit suppositum aeternum; tertia
autem, quod homo copulat ipsum, sicut termini accidentales: et quia illud
suppositum nunquam non fuit Deus, ideo haec est falsa secundum hoc, homo
factus est Deus: concedunt tamen eam in primo sensu, qui non est proprius
sensus ejus. Ideo secundum has opiniones magis est falsa quam alia: secundum
autem primam simpliciter est vera. Quia tamen aliquo modo conceditur,
respondendum est ad utrasque objectiones. |
Réponse. Cette proposition peut aussi s’entendre de trois façons, comme la précédente. Dans le premier sens, elle est vraie, comme la première [opinion] et pour la même raison : en effet, de même qu’il est arrivé que Dieu soit homme, de même est-il arrivé que l’homme soit Dieu. Mais, dans le deuxième sens, elle est fausse, comme la première [opinion] et pour la même raison, car les termes sont les mêmes, mais inversés. Dans la troisième sens, selon qu’elle détermine le sujet par rapport au prédicat, elle est appréciée différemment selon les diverses opinions. En effet, la première opinion, parce qu’elle affirme que l’homme joue le rôle de suppôt créé, dit que cette proposition est vraie, comme la première opinion, car, de même que la personne divine ne fut pas toujours ce suppôt et est maintenant ce suppôt, de même ce suppôt n’a pas toujours été la personne divine et l’est maintenant. Mais la deuxième et la troisième opinion affirment que l’homme, en tant qu’il est prédiqué du Christ, n’a pas d’autre suppôt que le suppôt éternel ; mais la deuxième dit que l’homme joue le role de suppôt éternel, alors que la troisième, que l’homme est uni à lui comme les termes accidentels. Et parce que ce suppôt a toujours été Dieu, cette proposition est donc fausse sous cette forme : « L’homme est devenu Dieu » ; cependant, ils la concèdent selon le premier sens, qui n’est pas son sens propre. C’est pourquoi, selon ces opinions, [cette proposition] est plus fausse que l’autre ; mais selon la première [opinion], elle est simplement vraie. Cependant, parce qu’elle est concédée d’une certaine manière, il faut répondre aux deux objections. |
[8386] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 ad
1 Ad primum ergo
dicendum, quod Damascenus loquitur secundum proprietatem propositionis, et
sic est falsa. |
1. [Jean] Damascène s’exprime selon le caractère propre de la proposition, et ainsi elle est fausse. |
[8387] Super Sent., lib.
3 d. 7 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod prima opinio diceret, quod teneretur pro
supposito, non pro persona; aliae vero duae dicerent, quod teneretur pro
persona; quam tamen non determinat participium, sed totam locutionem: quia
factum est ut persona divina in humanitate existens etiam esset Deus. |
2. La première opinion dirait qu’il serait pris pour le suppôt, non pour la personne ; mais les deux autres diraient qu’il n’est pas pris pour la personne, mais qu’il ne détermine cependant pas le participe, mais toute l’expression, car il est arrivé que la personne divine existant dans l’humanité était aussi Dieu. |
[8388] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 ad
3 Ad tertium
dicendum, quod hoc intelligendum est de illis quae conveniunt naturae
secundum se, et non habent repugnantiam ad alteram naturam. Quod autem
dicitur factus Deus, non convenit naturae secundum se, sed ratione unionis;
unde non sequitur: homo factus est Deus: ergo filius Dei factus est Deus;
sicut non sequitur: homo unitus est Deo; ergo Deus unitus est Deo. |
3. Cela doit s’entendre des choses qui ont une nature en commun et ne s’opposent pas à une autre nature. Or, le fait qu’on dise qu’il est devenu Dieu ne convient pas à la nature par soi, mais selon la raison d’union. Aussi ne peut-on conclure : « L’homme est devenu Dieu, donc le Fils de Dieu est devenu Dieu », de même qu’on ne peut conclure : « L’homme a été uni à Dieu, donc Dieu a été uni à Dieu. » |
[8389] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 ad
4 Ad quartum
dicendum, quod non sequitur ex virtute locutionis. Deus factus est homo: ergo
est homo recens: quia si homo assumptus secundum primam opinionem, vel humana
natura, ab aeterno fuisset, nihilominus diceretur: Deus factus est homo.
Unde, sicut in littera dicitur, non sequitur quod sit Deus recens; sed quod
Deus sit recenter, idest de novo: et hoc non est inconveniens secundum primam
opinionem. |
4. Cela ne découle pas de la formule : « Dieu est devenu homme ; donc, il est homme depuis peu », car si l’homme assumé ou la nature humaine, selon la première opinion, avait existé depuis toujours, on le dirait néanmoins. Aussi, comme le dit le texte, il n’en découle pas que Dieu existe depuis peu, mais que Dieu existe depuis peu, que Dieu est depuis peu, c’est-à-dire d’une nouvelle manière. Or, cela ne convient pas selon la première opinion. |
[8390] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 ad
5 Ad quintum dicendum, quod quantum ad
tertium intellectum propositionis praedictae, procedit illud argumentum: unde
prima opinio, quae secundum illum intellectum concedit propositionem, dicit,
quod homo praeintelligitur ad unionem, ut dictum est dist. 6, in Princ.: secundum
autem primum sensum, in quo concedit eam secunda opinio et tertia, non
sequitur. |
5. Pour ce qui est de la troisième manière de comprendre la proposition en question, cet argument est concluant. Ainsi, la première opinion, qui concède la proposition selon cette manière de comprendre, dit que l’homme est présupposé intellectuellement à l’union, comme on l’a dit à la d. 6, au début ; mais au premier sens où la deuxième et la troisième opinion la concèdent, [l’argument] n’est pas concluant. |
[8391] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 ad
6 Ad sextum dicendum,
quod dictum Augustini intelligendum est secundum primum modum: quia illa unio
fecit ut Deus esset homo, et e converso. |
6. Ce que dit Augustin doit être compris de la première manière, car cette union a fait en sorte que Dieu soit homme, et inversement. |
[8392] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 ad
7 Ad septimum dicendum, quod cum
dicitur, homo non semper fuit Deus, negatio potest negare totam
propositionem, ut sit sensus: homo non semper fuit Deus, idest, non semper
fuit verum dicere, quod homo sit Deus: et secundum hoc sequitur veritas hujus
propositionis secundum primum sensum, scilicet factum est ut homo esset Deus.
Vel potest negare
praedicatum a subjecto, et sic falsa est; quia in propositione illa
subjicitur suppositum aeternum, quod semper fuit Deus. |
7. Lorsqu’on dit que l’homme n’a pas toujours été Dieu, la négation peut nier toute la proposition, avec le sens : « L’homme n’a pas toujours été Dieu », c’est-à-dire qu’il n’a pas toujours été vrai de dire que l’homme est Dieu ; de cette manière, découle la vérité de cette proposition selon le premier sens, à savoir qu’il est arrivé que l’homme soit Dieu. Ou bien elle peut nier le prédicat du sujet, et ainsi elle est fausse, car, dans cette proposition, est sous-jacent le suppôt éternel, qui a toujours été Dieu. |
[8393] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 ad
8 Ad octavum dicendum, quod factio
ponitur secundum rem circa naturam humanam: sed hoc nomen homo non supponit
naturam humanam, sed suppositum aeternum; circa quod non ponitur factio
secundum rem, sed secundum rationem tantum; non respectu Dei, quia semper ei
infuit, sed respectu hominis; et ideo semper dicitur: Deus factus est homo;
sed non convertitur. |
8. Le devenir est affirmé comme une réalité pour la nature humaine ; cependant, ce nom « homme » ne joue pas le rôle de suppôt pour la nature humaine, mais le suppôt éternel, à propos duquel on n’affirme pas le devenir comme une réalité, mais selon la raison seulement, non pas par rapport à Dieu, car il y a toujours été présent, mais par rapport à l’homme. Aussi dit-on toujours : « Dieu est devenu homme », mais non l’inverse. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [Les expressions de l’union selon le
participe « prédestiné »]
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Prooemium |
Prologue |
[8394] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 pr. Deinde quaeritur de locutionibus
exprimentibus unionem cum hoc participio praedestinatus; et circa hoc
quaeruntur duo: 1 utrum hic homo sit praedestinatus esse filius Dei; 2 utrum
filius Dei sit praedestinatus. |
On s’interroge ensuite sur les formules qui expriment l’union par le participe « prédestiné ». À ce propos, deux questions sont posées : 1 – Cet homme a-t-il été prédestiné à être le Fils de Dieu ? 2 – Le Fils de Dieu est-il prédestiné ? |
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Articulus 1 [8395] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 tit. Utrum homo
Christus sit praedestinatus filius Dei |
Article 1 – L’homme Christ a-t-il été prédestiné à être Fils de Dieu ? |
[8396] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod homo
Christus non sit praedestinatus esse filius Dei. Quia sicut illud quod semper
fuit, non fit, ita id quod semper fuit, non praedestinatur, quia
praedestinatio importat antecessionem. Sed homo Christus supponit suppositum
aeternum, quod semper fuit filius Dei. Ergo sicut ratione ista non potest
dici quod homo sit factus Deus; ita non potest dici quod sit praedestinatus
filius Dei. |
1. Il semble que l’homme Christ n’ait pas été prédestiné à être Fils de Dieu, car, de même que tout ce qui a toujours existé ne devient jamais, de même ce qui a toujours été n’est pas prédestiné, puisque la prédestination implique une anticipation. Or, l’homme Christ est un suppôt éternel, qui a toujours été le Fils de Dieu. Donc, de même qu’on ne peut pour cette raison dire que l’homme est devenu Dieu, de même ne peut-on pas dire qu’il a été prédestiné à être le Fils de Dieu. |
[8397] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1
arg. 2 Praeterea,
homo non importat nisi humanam naturam et suppositum aeternum. Sed humana
natura non est praedestinata esse filius, quia nunquam fuit nec est nec erit
filius Dei: similiter haec est falsa: divina persona, quae est suppositum
aeternum, est praedestinata esse filius Dei: quia naturaliter et ab aeterno
hoc habet. Ergo et haec est falsa: hic homo est praedestinatus filius Dei. |
2. L’homme ne
comporte que la nature humaine et le suppôt éternel. Or, la nature humaine n’a
pas été prédestinée à être Fils [de Dieu], car elle n’a jamais été, n’est pas
et ne sera pas le Fils de Dieu ; de même, cette proposition est
fausse : « La personne divine, qui est le suppôt éternel, est
prédestinée à être le Fils de Dieu », car elle possède cela
naturellement et depuis toujours. Donc, cette proposition aussi est
fausse : « Cet homme a été prédestiné à être le Fils de
Dieu. » |
[8398] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1
arg. 3 Praeterea,
praedestinatio praecedit illud respectu cujus est. Sed aeternum non
praeceditur ab aliquo. Ergo non potest esse praedestinatio respectu aeterni.
Sed filius Dei est aeternus. Ergo homo non potest esse praedestinatus filius
Dei. |
3. La prédestination précède ce sur quoi elle porte. Or, ce qui est éternel n’est pas précédé par quelque chose. Il ne peut donc pas y avoir de prédestination à propos de ce qui est éternel. Un homme ne peut donc pas avoir été prédestiné à être le Fils de Dieu. |
[8399] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1
arg. 4 Praeterea, quidquid est
praedestinatum, ab aeterno fuit praedestinatum. Si ergo iste homo est
praedestinatus esse filius Dei, vel Christus, secundum quod homo; oportet
quod ab aeterno homo fuerit praedestinatus. Ergo ab aeterno fuit homo:
praedestinatus enim est participium praeteriti temporis; et hujusmodi
participia vel verba restringunt nomen substantivum sibi adjunctum ad supponendum
pro praeteritis. |
4. Tout ce qui est prédestiné a été prédestiné depuis l’éternité. Si donc cet homme a été prédestiné à être le Fils de Dieu ou le Christ en tant qu’homme, il faut que cet homme ait été prédestiné depuis l’éternité. Donc, cet homme a existé depuis l’éternité : en effet, « prédestiné » est un participe passé, et ces participes ou verbes limitent le substantif qui lui sont associés à jouer le rôle de suppôt pour des choses passées. |
[8400] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, praedestinatio
etiam secundum nomen importat directionem in finem. Sed non potest aliquod dirigi in
finem nisi ad minus secundum intellectum sit ante finem illum. Cum igitur secundum
secundam opinionem, etiam secundum intellectum, Christus non prius intelligatur
homo quam filius Dei; videtur quod ille homo non possit dici praedestinatus
esse filius Dei. |
5. La prédestination, même par son nom, comporte une orientation vers une fin. Or, quelque chose ne peut être dirigé vers une fin, au moins selon l’intelligence, à moins d’exister avant cette fin. Puisque, selon la deuxième opinion et même selon l’intelligence, on n’entend pas que le Christ a été homme avant d’être le Fils de Dieu, il semble donc qu’on ne puisse dire que cet homme a été prédestiné à être le Fils de Dieu. |
[8401] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 s.
c. 1 Sed contra, Rom. 1, 4: qui praedestinatus
est filius Dei in virtute. |
Cependant, [1] Rm 1, 4 dit : Lui qui a été prédestiné à être le Fils de
Dieu en puissance. |
[8402] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 s.
c. 2 Praeterea, Christus est filius Dei per
gratiam unionis, et hoc est praevisum ab aeterno, et a Deo propositum. Ergo Christus est praedestinatus esse
filius Dei. |
[2] Le Christ est le Fils de Dieu par la grâce d’union, et cela a été prévu depuis l’éternité et a été le dessein de Dieu. Le Christ a donc été prédestiné à être le Fils de Dieu. |
[8403] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod praedestinatio
proprie accepta tria importat ex parte ejus qui dicitur praedestinari. Unum
est quod hoc ad quod praedestinari dicitur, aliquando sibi conveniat; secundum
autem est quod conveniat sibi per gratiam; tertium vero est quod sequatur
praedestinationem: ex hoc enim dicitur praedestinatus quod est praevisus et
praeordinatus habiturus aliquid per gratiam. Quantum ad primum ergo horum,
manifeste in Christo praedestinatio supposito convenit: quia hic homo est
filius Dei; sed hoc non invenitur in natura humana, quae nunquam fuit nec est
nec erit filius Dei: unde non proprie potest dici esse praedestinatus filius
Dei, sed ut assumatur a filio Dei: hoc enim sibi convenit. Secundum autem
invenitur in Christo secundum secundam opinionem et tertiam, non ratione suppositi,
quod naturaliter est filius Dei, sed ratione naturae assumptae, quae per
gratiam unionis unitur filio Dei: ex qua unione contingit hanc esse veram,
homo est filius Dei. Sed secundum primam opinionem, etiam ratione suppositi:
quia hoc quod supponitur per hoc nomen homo, non habet per naturam quod sit
filius Dei, sed per gratiam unionis, quia non est suppositum aeternum.
Similiter etiam tertium quantum ad primam opinionem convenit homini ratione
suppositi humanae naturae, quod quidem non fuit semper filius Dei; secundum
autem secundam et tertiam opinionem non convenit homini ratione suppositi,
sed ratione naturae: quia suppositum illud semper fuit filius Dei, sed non
semper in humanitate existens fuit. Unde quantum ad duas ultimas conditiones
magis propria est praedicta locutio secundum primam opinionem quam secundum
alias, sed quantum ad primam conditionem est propria secundum alias, non
autem secundum primam, secundum quam, ut praedictum est, quaest. 1, art. 1,
non potest homo proprie praedicari de Deo, vel e converso. |
Réponse. La prédestination entendue au sens propre comporte trois choses du point de vue de celui dont on dit qu’il est prédestiné. L’une est que ce dont on dit que cela est prédestiné doit lui convenir à un certain moment ; la deuxième est que cela lui convienne par grâce ; la troisième est que cela découle de sa prédestination. En effet, on parle de prédestiné du fait qu’il est prévu et préordonné que cela possédera quelque chose par grâce. Pour ce qui est du premier aspect, il est clair que, chez le Christ, la prédestination convenait au suppôt, car cet homme est le Fils de Dieu ; mais cela ne se trouve pas dans la nature humaine, qui n’a jamais été, n’est pas et ne sera pas Fils de Dieu. Aussi ne peut-on pas dire au sens propre qu’elle a été prédestinée à être le Fils de Dieu, mais à être assumée par le Fils de Dieu. En effet, cela lui convient. Le second aspect se trouve chez le Christ selon la deuxième et la troisième opinion, non pas en raison du suppôt, qui est naturellement le Fils de Dieu, mais en raison de la nature assumée, qui est unie au Fils de Dieu par la grâce d’union. Par cette union, il se fait que cette proposition est vraie : « Cet homme est Fils de Dieu. » Mais, selon la première opinion, [cet aspect se trouve chez le Christ] même en raison du suppôt, car ce qui est signifié par ce nom « homme » n’est pas le Fils de Dieu par nature, mais par la grâce d’union, car ce n’est pas un suppôt éternel. De même aussi, pour ce qui est de la première opinion, le troisième aspect convient à l’homme en raison du suppôt de la nature humaine, qui n’a pas toujours été le Fils de Dieu ; mais, selon la deuxième et la troisième opinion, cela ne convient pas à l’homme en raison du suppôt, mais en raison de la nature, car ce suppôt a toujours été le Fils de Dieu, mais n’a pas toujours existé dans l’humanité. Aussi, pour ce qui est des deux dernières conditions, la formule en question est-elle plus propre selon la première opinion que selon les autres, mais, pour ce qui est de la première condition, elle est propre selon les autres [opinions], mais non selon la première, selon laquelle, comme on l’a dit, q. 1, a. 1, « homme » ne peut être au sens propre prédiqué de Dieu, ni inversement. |
[8404] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod diversa consideratio nihil variat eorum quae sunt in re, variat autem ea quae pertinent ad actum
animae. Hoc autem
participium factus imponitur ab actu qui est in re. Ergo cum supposito
aeterno secundum se non conveniat quod sit factus Deus, neque conveniet ei
secundum quod consideratur subsistens in humana natura. Praedestinatus autem
est participium quod imponitur ab actu animae, scilicet praevidere, vel
praeordinare: et ideo quamvis supposito aeterno non conveniat secundum se
praedestinari esse filium Dei, convenit tamen sibi secundum quod est humanae
naturae suppositum; sicut si homo fiat albus, haec est falsa, homo albus
incipit esse homo; sed haec potest esse vera, homo albus incipit cogitari
quod sit homo. |
1. La manière différente de les envisager ne change rien à ce qui existe dans la réalité, mais elle change ce qui se rapporte à l’acte de l’âme. Or, ce participe « devenu » vient d’un acte qui existe en réalité. Puisqu’il ne convient pas par soi au suppôt divin d’être devenu Dieu, cela ne lui conviendra pas non plus selon qu’il est envisagé comme subsistant dans la nature humaine. Mais « prédestiné » est un participe qui est imposé à partir d’un acte de l’âme : la prévision ou l’ordonnancement préalable. Bien qu’il ne convienne pas par soi au suppôt éternel d’être prédestiné à être le Fils de Dieu, cela lui convient cependant selon qu’il est le suppôt de la nature humaine, comme si un homme devient blanc, cette proposition est fausse : « L’homme blanc commence à être homme » ; mais cette proposition peut être vraie : « On commence à penser que l’homme blanc est un homme. » |
[8405] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 ad
2 Ad secundum dicendum, quod, sicut
dictum est, praedestinatio non est naturae, neque personae secundum se, sed
personae ratione naturae assumptae. |
2. Comme on l’a dit, la prédestination n’est pas le fait de la nature ni de la personne par elle-même, mais de la personne en raison de la nature assumée. |
[8406] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 ad
3 Ad tertium dicendum, quod quamvis
filius Dei sit aeternus, tamen unio ad filium Dei non est aeterna: et
secundum hoc potest homo praedestinari esse filius Dei, sicut Petrus praedestinatur
ut conjungatur Deo aeterno per gratiam vel gloriam. |
3. Bien que le Fils de Dieu soit éternel, l’union au Fils de Dieu n’est cependant pas éternelle. De ce point de vue, l’homme peut être destiné à être le Fils de Dieu, comme Pierre est prédestiné à être uni au Dieu éternel par la grâce ou par la gloire. |
[8407] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 ad
4 Ad quartum dicendum, quod duplici
ratione hoc participium praedestinatus non cogit hominem stare pro
praeterito. Primo, quia
licet secundum vocem sit praeteriti temporis, tamen includit participium
futuri temporis: praedestinatus enim idem est quod praescitus habiturus
aliquid per gratiam. Secundo, quia pertinet ad actum animae, et ex hoc habet
vim ampliandi ad quodlibet temporis; sicut cum dicitur, homo laudatur, potest
intelligi de praesenti, praeterito, vel futuro: actus enim animae se extendit
etiam ad ea quae non sunt. |
4. Pour une double raison, ce participe « prédestiné » ne force pas l’homme à être quelque chose de passé. Premièrement, parce que, bien que le mot soit au passé, il inclut cependant un participe au futur. En effet, être prédestiné est la même chose qu’être connu d’avance pour devoir posséder quelque chose par grâce. Deuxièmement, parce qu’il relève d’un acte de l’âme et qu’il tient de là la capacité de s’étendre à n’importe quel temps, comme lorsqu’on dit : « Un homme est louangé », on peut l’entendre du présent, du passé ou du futur. En effet, l’acte de l’âme s’étend à ce qui n’existe pas. |
[8408] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 ad
5 Ad quintum
dicendum, quod licet homo non praeintelligatur ad filium Dei ratione
suppositi, tamen praeintelligitur ratione naturae. |
5. Bien que « homme » ne soit pas compris avant le Fils de Dieu en raison du suppôt, il est cependant compris d’avance en raison de la nature. |
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Articulus 2 [8409] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2
tit. Utrum filius
Dei sit praedestinatus esse homo |
Article 2 – Le Fils de Dieu
était-il prédestiné à être homme ?
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Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le Fils de Dieu était-il prédestiné à être homme ?] |
[8410] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur, quod filius Dei non sit praedestinatus esse homo.
Praedestinatio enim praecedit praedestinatum. Sed filium Dei nihil praecedit.
Ergo ipse non est praedestinatus esse homo. |
1. Il semble que le Fils de Dieu n’ait pas été prédestiné à être homme. En effet, la prédestination précède ce qui est prédestiné. Or, rien ne précède le Fils de Dieu. Celui-ci n’a donc pas été prédestiné à être homme. |
[8411] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2
qc. 1 arg. 2 Praeterea,
homo non dicitur aequivoce de filio Dei et Petro. Sed Petrus non est
praedestinatus esse homo. Ergo nec filius Dei. |
2. « Homme » ne se dit pas du Fils de Dieu et de Pierre de manière équivoque. Or, Pierre n’a pas été prédestiné à être homme. Donc, ni le Fils de Dieu. |
[8412] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2
qc. 1 arg. 3 Praeterea, hoc
dicitur alicui praedestinari quod convenit ei per gratiam. Sed non est gratia
filio Dei quod sit homo. Ergo filius Dei non est praedestinatus esse homo. |
3. On dit de quelqu’un qu’il est prédestiné à quelque chose pour ce qui lui convient par grâce. Or, ce n’est pas une grâce pour le Fils de Dieu d’être homme. Le Fils de Dieu n’a donc pas été prédestiné à être homme. |
[8413] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
omne quod est praevisum et ordinatum ab aeterno est praedestinatum. Sed
filius Dei ab aeterno praevisus est esse filius hominis. Ergo est
praedestinatus esse filius hominis. |
Cependant, tout ce qui est prévu et ordonné depuis l’éternité est prédestiné. Or, il a été prévu depuis l’éternité que le Fils de Dieu serait fils d’homme. Il a donc été prédestiné à être fils d’homme. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La proposition : « Le Fils de Dieu a été prédestiné à être le Fils de Dieu » est-elle vraie ? |
[8414] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod haec sit vera: filius Dei praedestinatus est esse filius Dei. Quaecumque enim
praedicantur de filio hominis, praedicantur de filio Dei. Sed haec est vera: filius hominis
praedestinatus est esse filius Dei, ut dictum est. Ergo et haec: filius Dei
praedestinatus est esse filius Dei. |
1. Il semble que la proposition : « Le Fils de Dieu a été prédestiné à être le Fils de Dieu » soit vraie. En effet, tout ce qui est dit du fils de d’homme, est prédiqué du Fils de Dieu. Or, cette proposition est vraie : « Le fils d’homme a été prédestiné à être le Fils de Dieu», comme on l’a dit. Donc, celle-ci aussi : « Le Fils de Dieu a été prédestiné à être le Fils de Dieu. » |
[8415] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
filius Dei, inquantum est homo, praedestinatus est esse filius Dei. Sed alia
quae praedicantur de filio Dei inquantum homo, praedicantur de ipso etiam
sine reduplicatione; sicut filius Dei, inquantum homo, est mortuus; et tamen
haec conceditur: filius Dei est mortuus. Ergo similiter haec debet concedi:
filius Dei est praedestinatus esse filius Dei. |
2. Le Fils de Dieu, en tant qu’il est homme, a été prédestiné à être le Fils de Dieu. Or, les autres choses qui sont prédiquées du Fils de Dieu en tant qu’homme sont prédiquées de lui-même sans explicitation, comme : « Le Fils de Dieu, en tant qu’homme, est mort. » Cependant, cette proposition est concédée : « Le Fils de Dieu est mort. » De la même façon, cette proposition doit donc être concédée : « Le Fils de Dieu a été prédestiné à être le Fils de Dieu. » |
[8416] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2
qc. 2 arg. 3 Praeterea, ad
veritatem locutionis non oportet quod praedicatum per se subjecto conveniat,
nisi circa subjectum reduplicatio ponatur. Sed praedestinatum esse aliquo modo
convenit filio Dei, quia inquantum homo. Ergo potest concedi simpliciter: filius Dei est praedestinatus esse
filius Dei; quamvis non concedatur, quod filius Dei, inquantum filius Dei,
est praedestinatus esse filius Dei. |
3. Pour la vérité d’une proposition, il n’est pas nécessaire que le prédicat convienne par soi au sujet, à moins qu’il n’y ait explicitation du sujet. Or, « avoir été prédestiné » convient d’une certaine manière au Fils de Dieu, car c’est en tant qu’homme. On peut donc concéder simplement : « Le Fils de Dieu a été prédestiné à être le Fils de Dieu », bien qu’on ne concède pas que le Fils de Dieu, en tant que Fils de Dieu, ait été prédestiné à être le Fils de Dieu. |
[8417] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2
qc. 2 s. c. 1 Sed contra,
quod semper inest alicui, non praedestinatur ei. Sed esse filium Dei ab
aeterno convenit filio Dei. Ergo non praedestinatur ei; ergo haec est falsa:
filius Dei est praedestinatus esse filius Dei. |
Cependant, ce qui se trouve toujours dans quelque chose ne lui est pas prédestiné. Or, être Fils de Dieu depuis l’éternité convient depuis l’éternité au Fils de Dieu. Cela ne lui est donc pas prédestiné. Donc, cette proposition est fausse : « Le Fils de Dieu a été prédestiné à être le Fils de Dieu. » |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Cette proposition est-elle vraie : « Le Fils de Dieu a été prédestiné tout simplement » ? |
[8418] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur, quod haec sit vera: filius Dei praedestinatus est simpliciter. Sicut
enim praedestinatus importat effectum temporalem; ita mittitur et datur. Sed
conceditur quod filius Dei est missus et datus. Ergo etiam debet concedi quod
filius Dei est praedestinatus. |
1. Il semble que cette proposition soit vraie : « Le Fils de Dieu a été prédestiné tout simplement. » En effet, de même que « prédestiné » comporte un effet temporel, de même est-il envoyé et donné. Or, on concède que le Fils de Dieu a été envoyé et donné. On doit donc aussi concéder que le Fils de Dieu a été prédestiné. |
[8419] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2
qc. 3 arg. 2 Praeterea, in aliis qui sunt praedestinati
ad vitam aeternam, non oportet quod addatur ad quid praedestinati sunt; sed
sufficit eos dicere esse praedestinatos. Sed filius Dei est praedestinatus esse homo. Ergo filius Dei debet
dici esse praedestinatus simpliciter. |
2. Chez les autres qui ont été prédestinés à la vie éternelle, il n’est pas nécessaire d’ajouter à quoi ils ont été prédestinés, mais il suffit de dire qu’ils ont été prédestinés. Or, le Fils de Dieu a été prédestiné à être homme. On doit donc dire que le Fils de Dieu a été prédestiné tout simplement. |
[8420] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2
qc. 3 arg. 3 Praeterea, in
Christo non est nisi unum suppositum. Sed de illo supposito potest dici
simpliciter, quod sit praedestinatum: dicitur enim, quod homo est
praedestinatus. Ergo potest filius Dei esse praedestinatus. |
3. Dans le Christ, il n’y a qu’un seul suppôt. Or, on peut dire simplement de ce suppôt qu’il a été prédestiné : en effet, on dit que l’homme a été prédestiné. Le Fils de Dieu peut donc être prédestiné. |
[8421] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2
qc. 3 s. c. 1 Sed contra,
aeternum non praedestinatur. Sed filius Dei est aeternus. Ergo non est
praedestinatus. |
Cependant, ce qui est éternel n’est pas prédestiné. Or, le Fils de Dieu est éternel. Il n’a donc pas été prédestiné. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[8422] Super Sent., lib.
3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo, ad primam
quaestionem dicendum, quod praedestinatio importat ordinem ad finem (quia
praedestinare est mittere vel ordinare in aliquid); unde quando simpliciter
ponitur, intelligitur praeordinatio ad finem ultimum, qui est in conjunctione
ad Deum per gratiam vel gloriam, vel unionem in persona: sed quando additur
ei aliquid, tunc importat praeordinationem tantum in illud quod ei
adjungitur; et per hunc modum conceditur quod filius Dei est praedestinatus
esse homo, quia hoc ab aeterno praeordinatum est. |
La prédestination comporte un ordre à la fin (car « prédestiner », c’est envoyer ou ordonner vers quelques chose). Aussi, lorsqu’elle est employée simplement, l’entend-on de l’ordonnancement préalable à la fin ultime, qui consiste dans l’union à Dieu par la grâce ou par la gloire, ou dans l’union dans la personne. Mais lorsqu’on y ajoute quelque chose, elle comporte alors un ordonnancement préalable seulement à ce qui lui est associé. De cette manière, on concède que le Fils de Dieu a été prédestiné à être homme, car cela a été préalablement ordonné depuis l’éternité. |
[8423] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod praedestinatio non importat antecessionem ad praedestinatum simpliciter,
sed in comparatione ad illud quod sibi praedestinari dicitur. Quamvis autem
filius Dei sit ab aeterno, non tamen ab aeterno fuit homo. |
1. La prédestination n’est pas simplement une anticipation de celui qui est prédestiné, mais de ce à quoi on dit qu’il a été prédestiné. Or, bien que le Fils de Dieu existe depuis l’éternité, il n’a cependant pas été homme depuis l’éternité. |
[8424] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod suppositum Petri non fuit antequam esset Petrus homo; et ideo
non potest dici quod sit praedestinatus esse homo: sed suppositum filii Dei
fuit antequam ipse esset homo; et ideo non est similis ratio. Et iterum
Petrus nullo modo habet esse homo per gratiam; filius autem Dei habet esse
homo per gratiam unionis, non quidem sibi factam, sed humanae naturae. |
2. Le suppôt de Pierre n’a pas existé avant que Pierre soit homme ; aussi ne peut-on dire qu’il a été prédestiné à être homme. Mais le suppôt du Fils de Dieu a existé avant d’être homme ; c’est pourquoi le raisonnement n’est pas le même. De plus, Pierre ne tient nullement de la grâce d’être homme, mais le Fils de Dieu tient de la grâce d’union, non pas faite à lui-même, mais à sa nature humaine, d’être homme. |
[8425] Super Sent., lib.
3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis non sit gratia filio Dei quod sit homo, tamen hoc
habet per gratiam unionis, per quam humana natura assumpta est in unitatem
divinae naturae. |
3. Bien que ce ne soit pas une grâce pour le Fils de Dieu d’être homme, il tient cependant cela de la grâce d’union, par laquelle la nature humaine a été assumée dans l’unité de la nature divine. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[8426] Super Sent., lib.
3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in sacra Scriptura dicitur
aliquando aliquid fieri, quando innotescit. Hoc ergo quod est esse filium
Dei, potest accipi vel secundum rei veritatem, vel secundum evidentiam, prout
scilicet manifestatur. Si primo modo,
tunc falsum est quod filius Dei sit praedestinatus esse filius Dei, cum non
ponatur in locutione aliquid respectu cujus possit denotari antecessio, quam
importat praedestinatio. Si autem accipiatur secundo modo, sic Glossa super
illud Rom. 1: qui praedestinatus est filius Dei in virtute, concedit
quod filius Dei praedestinatus sit ut sit filius Dei, idest ut evidenter
appareat; quod fuit in resurrectione factum; unde et ipse tunc dixit: data
est mihi omnis potestas in caelo et in terra; et secundum hunc sensum est
eadem ratio de ista sicut de praecedenti, qua dicitur: filius Dei
praedestinatus est esse homo: quia praedestinatio simpliciter importat
praeordinationem. Quantum ergo ad primum sensum haec est falsa: filius Dei
est praedestinatus esse filius Dei. |
Dans la Sainte Écriture, on dit parfois que quelque chose devient lorsque cela est connu. Être Fils de Dieu peut s’entendre soit selon la vérité de la chose, soit selon que cela est dévoilé, pour autant que cela est manifesté. Si on l’entend de la première manière, alors il est faux que le Fils de Dieu ait été prédestiné à être le Fils de Dieu, puisque rien n’est affirmé dans la proposition par rapport à quoi une anticipation peut être indiquée, ce que comporte la prédestination. Mais si on l’entend de la seconde manière, alors la Glose sur Rm : Lui qui a été prédestiné comme Fils de Dieu en puissance, concède que le Fils de Dieu a été prédestiné à être le Fils de Dieu, c’est-à-dire à apparaître manifestement, ce qui a été accompli dans la résurrection. Aussi lui-même a-t-il alors dit : Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. En ce sens, il en va de même que pour ce qui précède, où l’on dit : « Le Fils de Dieu a été prédestiné à être homme », car la prédestination comporte simplement un ordonnancement préalable. Par rapport au premier sens, cette proposition est fausse : « Le Fils de Dieu a été prédestiné à être le Fils de Dieu. » |
[8427] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod eorum quae dicuntur de homine, illa tantum dicuntur de filio
Dei quae non habent repugnantiam intellectuum ad filium Dei. Sed
praedestinatus habet repugnantiam: quia filius Dei aeternus est;
praedestinatio autem importat antecessionem, quae non est respectu aeterni. |
1. Parmi ce qui est dit de l’homme, cela seul est dit du Fils de Dieu qui ne s’oppose pas intellectuellement au Fils de Dieu. Mais être prédestiné comporte une opposition, car le Fils de Dieu est éternel. Or, la prédestination comporte une anticipation, qui n’est pas le fait de ce qui est éternel. |
[8428] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod illa quae praedicantur de filio Dei inquantum est homo, non
habent aliquam repugnantiam ad filium Dei; et ideo non est similis ratio. |
2. Ce qui est prédiqué du Fils de Dieu en tant qu’il est homme ne comporte pas d’opposition au Fils de Dieu. Le raisonnement n’est donc pas le même. |
[8429] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2
qc. 2 ad 3 Et similiter
dicendum est ad tertium. |
3. Il faut dire la même chose pour le troisième argument. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[8430] Super Sent., lib.
3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod haec similiter est falsa: filius
Dei est praedestinatus, cum non ponatur aliquid respectu cujus possit antecessio
denotari; sed haec: filius Dei est praedestinatus inquantum est homo, est
vera: quia potest importari antecessio respectu hominis quantum ad naturam. |
Cette proposition aussi est fausse : « Le Fils de Dieu est prédestiné », puisqu’elle n’affirme pas quelque chose dont une anticipation puisse être indiquée. Mais cette proposition : « Le Fils de Dieu est prédestiné en tant qu’homme », est vraie, car elle peut comporter une anticipation par rapport à l’homme pour ce qui est de sa nature. |
[8431] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod missio non importat temporalitatem in eo qui mitti dicitur,
sed magis in eo ad quem mitti dicitur, in quo per novum effectum inhabitat;
et ideo mitti dicitur persona divina. Sed praedestinatus ponit posterioritatem respectu praedestinationis in
eo qui praedestinatur; et ideo non est similis ratio. |
1. La mission ne comporte pas de temporalité chez celui qui est envoyé, mais plutôt chez celui vers qui on dit qu’il est envoyé, chez qui il habite selon un nouvel effet. C’est ainsi qu’on dit d’une personne divine qu’elle est envoyée. Mais être prédestiné affirme une postériorité par rapport à la prédestination chez celui qui est prédestiné. Le raisonnement n’est donc pas le même. |
[8432] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod in aliis praedestinatis potest antecessio importari respectu
ipsorum qui praedestinati dicuntur; quod non est de filio Dei; et ideo non
est similis ratio. |
2. Chez les autres prédestinés, il peut exister une anticipation par rapport à ceux-là mêmes qu’on dit prédestinés, ce qui n’est pas le cas pour le Fils de Dieu. Le raisonnement n’est donc pas le même. |
[8433] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quamvis non sit nisi unum suppositum, tamen est duarum
naturarum suppositum; et potest sibi aliquid convenire respectu unius naturae
quod non convenit sibi absolute, sicut esse creaturam. |
3. Bien qu’il n’y ait qu’un seul suppôt, celui-ci est cependant le suppôt de deux natures, et quelque chose peut lui convenir par rapport à une nature, qui ne lui convient pas de manière absolue, comme le fait d’être une créature. |
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Expositio textus |
Explication du
texte de Pierre Lombard, Dist. 7
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[8434] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2
qc. 3 expos. Factus est
sine dubio id quod prius non erat. Haec locutio est impropria; quia non potest intelligi neque de
natura, quia Deus non est factus humana natura; neque de persona, sive de
supposito, quia illud suppositum semper fuit, secundum secundam opinionem;
unde exponenda est: illud quod prius non erat, idest, habens naturam quam
prius non habebat. Quia Deus assumpsit hominem, idest humanam naturam,
ut supra, dist. 5, glossavit; alias esset contra hanc opinionem quae dicit,
hominem non esse assumptum, sed humanam naturam. Variatur autem
intelligentia, cum dicitur, Deus est homo, et homo est Deus. Ratio
variationis est quia divina natura praedicatur de Christi persona, non autem
humana. Quod etiam dictum est utrumque est, Christus, et una persona,
movere potest lectorem. Hoc positum est supra in illo capitulo: sed his videntur adversari.
Hic etiam cum
dicitur, minor est patre Christus secundum quod homo, secundum habitum hoc
intelligunt dictum. Ideo hoc
exponit secundum hanc opinionem, quia haec opinio non potest hoc sustinere,
cum supra dixerit Augustinus in 1 Lib., quod spiritus sanctus non est minor
seipso propter columbam in qua visibiliter apparuit. Hoc firmiter tenens
quod Deus hominem assumpsit. Exponendum est ut supra, ut homo ponatur pro
natura humana, sicut ipse docuit supra, dist. 5, exponere. |
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Distinctio 8 |
Distinction 8 – [Les
effets de l’union]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Qu’est-ce que la naissance ?]
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Prooemium |
Prologue |
[8435] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de his quae
conveniunt Deo incarnato, quasi exprimentia unionem, hic determinat de his
quae conveniunt ei consequentia unionem; et dividitur in duas partes: in
prima determinat de his quae conveniunt uni naturae ex unione ad alteram; in
secunda de his quae conveniunt personae ratione naturae assumptae, 10 dist.,
ibi: solet autem a quibusdam inquiri utrum Christus secundum quod homo,
sit persona, vel etiam sit aliquid. Prima dividitur in duas: in prima
determinat quid conveniat divinae naturae ex unione ad humanam; in secunda
quid conveniat humanae ex unione ad divinam, dist. 9, ibi: praeterea investigari oportet
utrum caro Christi et anima una eademque cum verbo debeat adoratione adorari.
Prima dividitur in duas partes: in prima inquirit, utrum divina natura debeat
dici nata in Christo ex unione ad humanam; in secunda quomodo Christus
dicatur natus, ibi: quaeri etiam solet, utrum debeat dici Christus bis
genitus. Circa primum duo facit: primo movet quaestionem, et solvit;
secundo objicit in contrarium, et solvit, ibi: videtur tamen posse probari
quod sit nata de virgine. Hic quaeruntur quinque: 1 quid sit nativitas, et quorum proprie est
nasci; 2 utrum humana natura in Christo debeat dici nata; 3 utrum natura
divina debeat dici nata de virgine; 4 de duplici Christi nativitate; 5 utrum
sint in Christo duae filiationes. |
Après avoir déterminé de ce qui convient au Dieu incarné en tant que cela exprime l’union, ici, le Maître détermine de ce qui lui convient comme découlant de l’union. Il y a deux parties : dans la première, il détermine de ce qui convient à une nature en raison de son union à l’autre ; dans la seconde, de ce qui convient à la personne en raison de la nature assumée, d. 10, à cet endroit : « Certains ont coutume de demander si le Christ, en tant qu’homme, est une personne, ou même s’il est quelque chose. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de ce qui convient à la nature divine en raison de son union à la nature humaine ; dans la seconde, de ce qui convient à la nature humaine en raison de son union à la nature divine, d. 9, à cet endroit : « De plus, il faut se demander si la chair et l’âme du Christ, une et la même que le Verbe, doit être adorée d’adoration. » La première partie se divise en deux : dans la première, il se demande si on doit dire que la nature divine est née chez le Christ en raison de son union à la nature humaine ; dans la seconde, comment on dit du Christ qu’il est né, à cet endroit : « On a aussi coutume de se demander si l’on doit dire que le Christ est né deux fois. » À propos du premier point, [le Maître] fait deux choses : premièrement, il soulève une question et y répond ; deuxièmement, il soulève une objection en sens contraire et y répond, à cet endroit : « Il semble cependant qu’on puisse démontrer qu’elle est née de la Vierge. » Ici, cinq questions sont posées : 1 – Qu’est-ce que la naissance et à qui revient-il de naître au sens propre ? 2 – Doit-on dire que la nature humaine est née ? 3 – Doit-on dire que la nature humaine chez le Christ est née ? 4 – À propos de la double naissance du Christ. 5 – Y a-t-il deux filiations chez le Christ ? |
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Articulus 1 [8436] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 tit. Utrum solummodo in
viventibus sit nativitas |
Article 1 – La naissance n’existe-t-elle que chez les vivants ? |
[8437] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod non
solummodo viventium debeat dici nativitas. Natum enim idem videtur quod
genitum. Sed generatio invenitur in omnibus corporibus a lunari globo
inferius, quae non omnia vivunt. Ergo videtur quod non solum viventium sit
nativitas. |
1. Il semble qu’on ne doive pas parler de naissance seulement chez les vivants. En effet, être né semble être la même chose qu’avoir été engendré. Or, la génération se trouve dans tous les corps inférieurs au globe lunaire, qui ne sont pas tous vivants. Il semble donc que la naissance ne soit pas le fait des vivants seulement. |
[8438] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1
arg. 2 Praeterea,
idem videtur esse oriri et nasci. Sed dicimus ea oriri quae non vivunt; sicut
dicimus quod sol oritur, et fons oritur. Ergo nativitas non solum in
viventibus reperitur. |
2. Être issu (oriri) et naître (nasci) semblent être la même chose. Or, nous disons de ce qui ne vit pas que cela est issu, comme nous disons que le soleil est issu (oritur) et que la fontaine est issue (oritur). La naissance ne se trouve donc pas seulement chez les vivants. |
[8439] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1
arg. 3 Praeterea,
vivere substantiarum solum est. Sed nasci, sive oriri, invenitur in
accidentibus: dicimus enim splendorem oriri a sole, et calorem ab igne. Ergo
nasci non solum viventium est. |
3. Vivre est le fait des substances seulement. Or, naître ou être issu se trouve dans les accidents : en effet, nous disons que l’éclat est issu du soleil et la chaleur, du feu. Naître n’est donc pas le fait des vivants seulement. |
[8440] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1
arg. 4 Praeterea, hoc
solum est ingenitum quod non est natum. Sed illa sola dicuntur ingenita quae semper
fuerunt, sicut philosophus ponit caelum ingenitum, quia secundum eum semper
fuit. Ergo solum
illa non sunt nata; ergo quaecumque incipiunt esse, dicuntur nasci. |
4. De plus, seulement ce qui n’est pas engendré n’est pas né. Or, on dit seulement de ce qui a toujours existé que cela n’a pas été engendré, comme le Philosophe affirme que le ciel n’a pas été engendré, car, selon lui, il a toujours existé. Seules ces choses ne sont donc pas nées. On dit donc que tout ce qui commence à exister naît. |
[8441] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1
arg. 5 Sed contra,
videtur quod non omnium viventium sit nasci. Nativitas enim causat
filiationem. Sed filiatio non invenitur in plantis, quae tamen vivunt. Ergo
nec nativitas. |
5. Cependant, il semble que tous les vivants ne naissent pas. En effet, la naissance cause la filiation. Or, on ne trouve pas de filiation chez les plantes, qui cependant vivent. On ne trouve donc pas non plus de naissance. |
[8442] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 arg.
6 Praeterea,
constat quod embria vivunt; nec tamen dicuntur nata. Ergo non omnium
viventium est nativitas. |
6. Il est clair que les embryons vivent, mais on ne dit cependant pas qu’ils sont nés. La naissance n’est donc pas le fait de tous les vivants. |
[8443] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, sicut
inanimata corpora generantur ex causa extrinseca; ita etiam animalia generata
per putrefactionem. Sed inanimata non dicuntur proprie nasci ratione
praedicta. Ergo nec animalia generata ex putrefactione. |
7. De plus, de même que les corps inanimés sont engendrés par une cause extrinsèque, de même aussi les animaux sont-ils engendrés par putréfaction. Or, on ne dit pas des corps inanimés qu’ils naissent au sens propre, pour la raison déjà donnée. [On ne le dit donc pas] non plus des animaux engendrés par putréfaction. |
[8444] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1
arg. 8 Praeterea,
spiritus sanctus procedit a patre ut vivens a vivente; nec tamen nasci
dicitur. Ergo nec omnis processus rei viventis est nativitas. |
8. L’Esprit Saint procède du Père comme un vivant d’un vivant, mais on ne dit cependant pas qu’il est né. Toute apparition d’une chose vivante n’est donc pas une naissance. |
[8445] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod
cum generatio sit communis omnibus corporibus corruptibilibus, tamen in corporibus
animatis est specialis modus generationis; et propter hoc etiam habent
specialiter inter alias vires animae vim generativam: in viventibus enim
primo ex generante deciditur aliquid quod est sufficiens ad generationem
quantum ad principium activum et passivum; quamvis in quibusdam idem generans
sit quod utrumque ministrat, sicut in plantis, quae non habent sexum
distinctum. In quibusdam autem, scilicet quae habent sexum distinctum, a mare
ministratur principium activum, a femina principium materiale: et animalia in
coitu, secundum philosophum, sunt quasi unum generans, sicut dicitur Genes.
11, 24: erunt duo in carne una. Et ideo sequitur secundum, scilicet
quod generatio est per modum exitus a generante, quod non est in generatione
inanimatorum. Tertium autem
est quod generatum exiens a generante, in principio generationis adhaeret ei,
et est in eo vel per contactum, vel per consolidationem, sicut dicit
philosophus, ut patet in fructibus, qui colligantur plantis; et de embrione,
qui adhaeret secundum contactum matrici. Et quantum ad tres has conditiones
res viva, inquantum generatur, habet tria nomina sibi propria. Secundum enim
quod principia sufficientia suae generationi ministrantur a generante,
dicitur gigni, vel genita esse; secundum autem quod generatur per modum
exitus, dicitur oriri; secundum autem quod generatur ut conjunctum generanti,
dicitur nasci; sic enim generans et generatum est quasi res una; et ideo, cum
nomen naturae a nascendo sumatur, illa dicuntur esse per naturam quorum
principium intus est in ipsis. Et sic patet quod nasci proprie dicitur illud
quod egreditur a generante conjunctum ei, habens ab ipso principia
sufficientia generationi. |
Réponse. La génération est commune à tous les corps corruptibles, mais il existe cependant un mode spécial de génération chez les corps animés et, à cause de cela, ils possèdent, parmi d’autres puissances de l’âme, la puissance génératrice. En effet, quelque chose se détache d’abord de ce qui engendre, qui suffit à la génération pour ce qui est de son principe actif et passif, bien que, chez certaines choses, ce soit le même engendrant qui fournisse les deux, comme chez les plantes, qui n’ont pas de sexe distinct. Mais, chez certaines choses, qui possèdent un sexe distinct, le principe actif est fourni par le mâle, et le principe matériel par la femelle, et, dans l’union sexuelle, les animaux sont comme un seul engendrant, selon le Philosophe, ainsi qu’il est dit en Gn 11, 24 : Ils seront deux en une seule chair. De là découle un second point : la génération se produit par mode de sortie de l’engendrant, ce qui n’est pas le cas dans la génération des corps inanimés. Le troisième point est que l’engendré qui sort de l’engendrant est rattaché à lui au début de la génération et qu’il existe en lui soit par contact, soit par consolidation, comme le dit le Philosophe, ainsi que cela ressort pour les fruits, qui sont attachés aux plantes, et pour l’embryon, qui est attaché à la matrice par contact. Selon ces trois conditions, une chose vivante, en tant qu’elle est engendrée, porte trois noms qui lui sont propres. En effet, selon que les principes suffisants à sa génération sont fournis par l’engendrant, on dit qu’elle est engendrée ou qu’elle a été engendrée. Mais selon qu’elle est engendrée par mode de sortie, on dit qu’elle est issue. Mais selon qu’elle est engendrée comme unie à l’engendrant, on dit qu’elle naît. En effet, l’engendrant et l’engendré sont ainsi comme une seule chose. C’est pourquoi, le mot « nature » venant de « naîtr », on dit qu’existe selon la nature ce dont le principe est intérieur. Il ressort ainsi qu’on parle de naître au sens propre pour ce qui sort de l’engendrant en lui étant uni et qui tient de lui les principes qui suffisent à la génération. |
[8446] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 ad
1 Ad primum ergo
dicendum, quod genitum, secundum quod est idem quod natum, non dicitur a
generando, sed a gignendo; unde quamvis inanimata proprie dicantur generata,
non tamen proprie dicuntur genita neque nata. |
1. Engendré, selon que cela est la même chose que ce qui est né, ne vient pas de d’engendrer (generando) mais d’enfanter (gignendo). Bien qu’on parle de corps engendrés pour les corps inanimés, on ne dit cependant pas au sens propre qu’ils sont enfantés ni nés. |
[8447] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod sol et aqua fontis dicitur per similitudinem oriri, inquantum
scilicet egreditur de occulto in manifestum. |
2. On dit que le soleil et la fontaine sont issus par ressemblance avec une naissance, pour autant qu’ils passent de ce qui est caché à ce qui est manifeste. |
[8448] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 ad
3 Ad tertium
dicendum, quod similiter accidentia inquantum sunt virtute in principiis
essentialibus, causantur per modum exitus; et ideo dicuntur oriri per
similitudinem, et possunt etiam dici nasci, inquantum adhaerent subjecto quod
est causa ipsorum. |
3. De même, les accidents, pour autant qu’ils existent en puissance dans les principes essentiels, sont-ils causés par mode de sortie. Aussi est-ce par ressemblance qu’on dit d’eux qu’ils apparaissent et qu’on peut même dire qu’ils naissent, pour autant qu’il sont attachés au sujet qui est leur cause. |
[8449] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 ad
4 Ad quartum
dicendum, quod, sicut dicit Damascenus, ingennitum per duplex n
scriptum, est idem quod increatum, sive aeternum; et sic accipit philosophus;
ingenitum autem per unum n scriptum idem est quod non generatum; et
sic hic loquimur. |
4. Comme le dit [Jean] Damascène, ingennitum, avec deux « n » est la même chose qu’incréé ou éternel, et c’est ainsi que l’entend le Philosophe ; mais ingenitum, avec un seul « n », est la même chose que non engendré. C’est ainsi que nous en parlons ici. |
[8450] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 ad
5 Ad quintum
dicendum, quod ad filiationem requiritur plus quam ad nativitatem vel ortum,
scilicet ut quod exit per generationem a generante, sit completum in specie
generantis; et ideo fructus arborum et ova avium et capilli et hujusmodi non
habent rationem filiationis, quamvis dicantur nasci. |
5. La filiation exige plus que la naissance ou l’apparition : ce qui sort de l’engendrant par la génération doit être achevé quant à l’espèce de l’engendrant. Aussi les fruits des arbres, les œufs des oiseaux, les cheveux et les choses de ce genre n’ont-ils pas raison de filiation, bien qu’on dise qu’ils naissent. |
[8451] Super Sent., lib.
3 d. 8 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod genitum exit a generante dupliciter. Uno modo secundum quod procedit
in esse distinctum a generante, clausum tamen infra terminos generantis; et
hoc proprie dicitur conceptio. Alio modo secundum quod procedit in esse
distinctum et manifestum. Et quia res nominatur secundum id quod apparet: ideo
ille modus exeundi facit nativitatem secundum communem usum loquendi, quamvis
etiam primus aliquo modo faciat nativitatem, secundum quod dicitur duplex
nativitas, scilicet in utero, et ex utero. Et quia in plantis simul aliquid
procedit in esse distinctum et manifestum; ideo non proprie in eis est conceptio,
sed nativitas; et ideo etiam verbum secundum quod distinguitur in intellectu,
dicitur concipi; secundum autem quod extra pronuntiatur, potest dici per
similitudinem nasci. |
6. L’engendré sort de l’engendrant de deux manières. D’une manière, selon qu’il atteint un être distinct de l’engendrant, mais cependant enfermé dans les limites de l’engendrant. C’est ce qu’on appelle la conception au sens propre. D’une autre manière, selon qu’il atteint un être distinct et manifeste. Et parce qu’une chose tire son nom de ce qui apparaît, ce mode de sortie donne la naissance selon la manière commune de parler, bien que le premier [mode] donne aussi une naissance, selon qu’on parle d’une double naissance : à l’intérieur du sein et en dehors du sein. Et parce que, dans les plantes, quelque chose atteint en même temps un être distinct et manifeste, c’est la raison pour laquelle il n’y a pas en elles de conception, mais une naissance. C’est pourquoi aussi on dit que le verbe est conçu, selon qu’il est distinct dans l’intellect ; mais selon qu’il est prononcé à l’extérieur, on peut parler de naître par ressemblance. |
[8452] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 ad
7 Ad septimum
dicendum, quod in animalibus generatis ex putrefactione virtus solis et
aliorum corporum caelestium supplet vicem virtutis formativae quae est in
semine in generatione eorum quae ex semine nascuntur. Et quia hujusmodi
virtutes corporum caelestium sunt per omnia inferiora corpora diffusae; ideo
dicit philosophus, quod omnia plena sunt virtutibus animae; et ideo sicut
animalia quae generantur ex semine, se habent ad feminam, ita ista se habent
ad terram, quae sine semine generantur; et sicut illa se habent ad patrem,
ita ista se habent ad corpora caelestia: propter quod dixit quidam
philosophus, quod sol est pater plantarum, terra vero mater. Unde patet quod
hujusmodi quae sine semine generantur, sive sint plantae, sive animalia,
proprie dicuntur nasci, oriri et gigni. |
7. Chez les animaux engendrés par putréfaction, la puissance du soleil et des autres corps célestes remplace la puissance formatrice qui se trouve dans la semence dans la génération de ce qui naît d’une semence. Parce que les puissances de ces corps célestes sont répandues sur tous les corps inférieurs, le Philosophe dit donc que tous sont remplis des puissances de l’âme. De même que les animaux qui sont engendrés d’une semence ont un rapport avec une femelle, de même ceux qui sont engendrés sans semence ont-ils un rapport avec la terre, et de même que ceux-là ont un rapport avec un père, de même ceux-ci ont-ils un rapport avec les corps célestes. C’est la raison pour laquelle un philosophe a dit que le soleil est le père des plantes, mais la terre, leur mère. Il est ainsi clair qu’on dit des corps qui sont engendrés sans semence, que ce soient des plantes ou des animaux, qu’ils naissent, sont issus et sont engendrés. |
[8453] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 ad
8 Ad octavum
dicendum, quod quamvis spiritus sanctus procedat vivens ex vivente, non tamen
hoc convenit ei secundum rationem suae processionis: procedit enim ut amor;
amor autem consideratus in genere inquantum amor, non habet quod sit res
viva, sed operatio vel passio rei viventis; habet tamen quod sit res viva et
subsistens, inquantum est amor divinus; et ideo non dicitur nasci, ut in 1
Lib., dist. 13, qu. 1, art. 3, ad 3, dictum est. |
8. Bien que l’Esprit Saint procède vivant d’un vivant, cela ne lui convient cependant pas en raison de sa procession. En effet, il procède en tant qu’amour. Or, l’amour, envisagé d’une manière générale en tant qu’amour, n’est pas une chose vivante, mais une opération ou une passion d’une chose vivante. Cependant, il peut être une réalité vivante et subsistante en tant qu’il est l’Amour divin. Aussi ne dit-on pas qu’il est né, comme on l’a dit dans le livre I, d. 13, q. 1, a. 3, ad 3. |
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Articulus 2 [8454] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2
tit. Utrum humana
natura sit nata in Christo |
Article 2 – La nature humaine
est-elle née chez le Christ ?
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[8455] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur, quod
humana natura sit nata in Christo. Sicut enim supra dictum est, illa de
persona vel supposito, et non de natura, dicuntur, quae per se existenti
solum conveniunt, sicut hypostasis, res naturae, et hujusmodi. Sed nasci non
est solum per se existentium, cum sit partium: supra enim, dist. 4, habitum
est quod capillus nascitur. Ergo nasci non solum est personae vel suppositi,
sed etiam naturae. |
1. Il semble que la nature humaine soit née chez le Christ. En effet, comme on l’a dit plus haut, on dit de la personne ou du suppôt, et non de la nature, ce qui convient seulement à ce qui existe par soi, comme d’une hypostase, d’une chose naturelle et des choses de ce genre. Mais naître n’est pas seulement le fait de ce qui existe par soi, puisque cela vaut aussi pour les parties. En effet, on a vu plus haut, d. 4, que le cheveu naît. Naître n’est donc pas seulement le fait de la personne ou du suppôt, mais aussi de la nature. |
[8456] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea, id
quod est per se intentum a natura generante, verissime dicitur nasci. Sed
natura quamvis generet hunc hominem, intendit tamen hominem generare, ut
dicit Avicenna. Homo autem naturam communem significat. Ergo naturae humanae
maxime convenit nasci. |
2. Ce qui est visé par la nature qui engendre est dit naître au sens le plus vrai. Mais la nature, bien qu’elle engendre tel homme, tend cependant à engendrer l’homme, comme le dit Avicenne. Or, « homme » signifie la nature commune. Il convient donc au plus haut point à la nature humaine de naître. |
[8457] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2
arg. 3 Praeterea,
secundum philosophum, idem specie est quod generat et quod generatur. Sed
naturae est generare. Ergo ipsius est etiam generari sive nasci. |
3. Selon le Philosophe, ce qui engendre et ce qui est engendré est identique selon l’espèce. Or, il revient à la nature d’engendrer. Il lui revient donc d’être engendrée ou de naître. |
[8458] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2
arg. 4 Praeterea, Christus non dicitur natus de virgine, nisi secundum hoc
quod de virgine accepit. Sed non accepit nisi humanam naturam. Ergo humana
natura dicitur nasci de virgine. |
4. On dit que le Christ est né de la Vierge seulement pour ce qu’il a reçu de la Vierge. Or, il n’a reçu que la nature humaine. C’est donc la nature humaine qui est née de la Vierge. |
[8459] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2
arg. 5 Praeterea,
omne quod coepit esse ex aliqua materia, dicitur generari. Sed humana natura in Christo
coepit esse ex aliqua materia. Ergo humana natura in Christo dicitur nasci. |
5. On dit de tout ce qui a commencé à exister à partir d’une matière que cela est engendré. Or, la nature humaine chez le Christ a commencé à exister à partir d’une matière. C’est donc de la nature humaine chez le Christ qu’on dit qu’elle est née. |
[8460] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 s.
c. 1 Sed contra est
quod dicit Damascenus, quod nasci est tantum hypostasis. Ergo non est
naturae. |
Cependant, [1] [Jean] Damascène dit que « naître relève seulement de l’hypostase ». Cela ne relève donc pas de la nature. |
[8461] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 s.
c. 2 Praeterea,
sicut se habet divina natura Christi ad aeternam ejus generationem; ita et
humana natura ad temporalem. Sed natura divina non est nata aeterna generatione. Ergo nec humana
temporali. |
[2] Le rapport entre la nature divine du Christ et sa génération éternelle est le même que celui de la nature humaine et de sa [génération] temporelle. Or, la nature divine n’est pas née par une génération éternelle. Donc, ni la [nature] humaine d’une [génération] temporelle. |
[8462] Super Sent., lib. 3 d. 8
q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod nasci fieri quoddam est; nihil autem fit nisi ut sit; unde
secundum quod alicui convenit esse, ita et convenit ei fieri. Esse autem
proprie subsistentis est; unde dicitur proprie nasci et fieri. Forma autem et
natura dicitur esse ex consequenti: non enim subsistit; sed inquantum in ea
suppositum subsistit, esse dicitur; unde et ex consequenti convenit ei fieri
vel nasci; non quasi ipsa nascatur, sed quia per generationem accipitur.
Accidentia autem non dicuntur esse nisi per accidens; unde et per accidens
fieri dicuntur. |
Réponse. Naître est un certain devenir. Or, rien ne devient que pour être. Selon que l’être convient à quelqu’un, de même le devenir lui convient donc aussi. Or, exister est propre à ce qui subsiste ; c’est ainsi qu’on parle, à proprement parler, de naître et de devenir. Or, on dit que la forme et la nature sont par mode de conséquence : en effet, elles ne subsistent pas. Mais, pour autant que le suppôt subsiste en elles, on dit qu’elles sont. Il leur convient donc de devenir et de naître par mode de conséquence, non pas comme si elles naissaient elles-mêmes, mais parce qu’elles sont reçues par la génération. Or, on dit des accidents qu’ils existent par accident seulement ; aussi dit-on qu’ils deviennent par accident. |
[8463] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 ad
1 Ad primum ergo
dicendum, quod est duplex pars. Est enim pars substantiae secundum
quantitatem; et hoc vel subsistit in potentia, ut in continuis: vel in actu,
ut in his quae per tactum junguntur; unde tales partes possunt dici fieri vel
nasci, et praecipue quando adduntur toti praeexistenti; secus autem esset, si
generarentur generatione totius: quia tunc totum diceretur fieri, et non
ipsa. Sunt etiam partes substantiae, in quas dividitur totum secundum
rationem, sicut materia et forma: et hujusmodi, cum non subsistant neque in
actu neque in potentia, non dicuntur per se fieri; nisi forte forma sit
subsistens, sicut est anima, quae dicitur fieri per creationem, praeter
factionem qua fit compositum per generationem. Natura autem humana, quae ut
pars significatur, non est nata subsistere, cum non possit in rerum natura esse
nisi in atomo, idest in suo supposito; et ideo ipsa non potest dici nasci. |
1. Il existe une double partie. En effet, il y a une partie de la substance selon la quantité : elle subsiste soit en puissance, comme dans ce qui est continu, soit en acte, comme ce qui se rejoint par contact. On peut donc dire de telles parties qu’elles deviennent ou naissent, surtout lorsqu’elles s’ajoutent à un tout préexistant. Cependant, il en serait autrement si elles étaient engendrées par la génération du tout, car alors on dirait que le tout devient, et non cette [partie]. Il y a aussi les parties de la substance, entre lesquelles le tout se divise selon la raison, comme la matière et la forme. On ne dit pas de celles-ci qu’elles deviennent par elles-mêmes, puisqu’elles ne subsistent ni en acte ni en puissance, à moins que la forme ne soit subsistante, comme l’est l’âme, dont on dit qu’elle est faite par création, en plus de la réalisation par laquelle le composé est fait par la génération. Or, la nature humaine, qui est signifiée comme une partie, n’a pas par elle-même de subsister, puisqu’elle ne peut exister dans la nature des choses que dans quelque chose d’indivis, à savoir, dans son suppôt. On ne peut donc dire d’elle qu’elle naît. |
[8464] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod homo non significat tantum naturam, prout hic loquimur, sicut
patet ex dictis in 5 dist., qu. 1, art. 3; et ideo non sequitur ratio. Non
enim natura intendit naturam producere nisi in supposito; et ideo non intendit
generare humanitatem, sed hominem. |
2. « Homme » ne signifie pas seulement la nature, tel que nous l’entendons ici, comme cela ressort de ce qui a été dit dans la d. 5, q. 1, a. 3. Le raisonnement n’est donc pas concluant. En effet, la nature n’entend produire une nature que dans un suppôt ; aussi n’entend-elle pas engendrer l’humanité, mais un homme. |
[8465] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 ad
3 Ad tertium
dicendum, quod sicut esse suppositi est, ita et agere: et ideo sicut naturae
est generare, non quasi ipsa generet, sed quia virtute ejus fit generatio;
ita non est ipsius generari, quasi ipsa generetur, sed quia per generationem
accipitur. |
3. De même qu’exister relève du suppôt, de même aussi agir. Ainsi, de même qu’il relève de la nature d’engendrer, non pas parce qu’elle engendre elle-même, mais parce que la génération se réalise par sa puissance, de même ne relève-t-il pas d’elle d’être engendrée, comme si elle était elle-même engendrée, mais parce qu’elle est reçue par la génération. |
[8466] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 ad
4 Ad quartum dicendum, quod sicut Christus dicitur homo ratione humanae
naturae, et tamen humana natura non est homo; ita etiam dicitur nasci ratione
humanae naturae quam accepit a virgine, et tamen ipsa humana natura non generatur:
sicut enim dicit Dionysius, non oportet quod eodem modo causa et causatum
recipiant praedicationem alicujus generis vel speciei; sicut calor est quo
aliquis dicitur calidus; et tamen ipse non est calidus, sed calor. |
4. Comme on dit du Christ qu’il est homme en raison de la nature humaine, alors que la nature humaine n’est pas l’homme, de même dit-on qu’il est né en raison de la nature humaine qu’il a reçue de la Vierge. Cependant, la nature humaine elle-même n’est pas engendrée : en effet, comme le dit Denys, il n’est pas nécessaire que la cause et ce qui est causé reçoivent de la même façon la prédication d’un genre ou d’une espèce, comme la chaleur est ce par quoi on dit que quelqu’un est chaud ; cependant, il n’est pas lui-même chaud, mais la chaleur [l’est]. |
[8467] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 ad
5 Ad quintum
dicendum, quod cum esse non sit naturae sed suppositi, humana natura proprie
non coepit esse, sed Christus coepit esse in humana natura; et sic per
consequens natura coepit esse. |
5. Puisque exister n’est pas le fait de la nature mais du suppôt, la nature humaine n’a pas commencé à exister à proprement parler, mais le Christ a commencé à exister dans la nature humaine. Ainsi la nature a-t-elle commencé à exister par mode de conséquence. |
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Articulus 3 [8468] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3
tit. Utrum divina
natura in Christo nata sit de virgine |
Article 3 – La nature divine chez le Christ est-elle née de la Vierge ? |
[8469] Super Sent., lib.
3 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod natura divina in Christo sit nata de virgine. Filius enim
Dei non dicitur natus de virgine, nisi inquantum est incarnatus. Sed natura
divina dicitur incarnata, ut supra, dist. 5, qu. 2, art. 2 ad 4, dictum est.
Ergo ipsa debet dici nata de virgine. |
1. Il semble que la nature humaine chez le Christ soit née de la Vierge. En effet, on ne dit du Fils de Dieu qu’il est né de la Vierge que pour autant qu’il est incarné. Or, on dit de la nature divine qu’elle est incarnée, comme on l’a dit plus haut, d. 5, q. 2, a. 2, ad 4. Il faut donc dire qu’elle est née de la Vierge. |
[8470] Super Sent., lib.
3 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, quidquid in recto praedicatur de Petro, dicitur nasci ipso
nato: sequitur enim: Petrus est natus: ergo homo, ergo animal, ergo
substantia. Sed natura
divina in recto praedicatur de filio Dei. Ergo cum filius Dei sit natus de
virgine, etiam divina natura debet dici nata de virgine. |
2. On dit de tout ce qui est prédiqué directement de Pierre que cela est né, lorsque celui-ci est né. En effet, on enchaîne : Pierre est né ; donc, l’homme, donc l’animal, donc la substance [sont nés]. Or, la nature divine est prédiquée directement du Fils de Dieu. Puisque le Fils de Dieu est né de la Vierge, on doit donc aussi dire que la nature divine est née de la Vierge. |
[8471] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3
arg. 3 Praeterea, in
filio Dei non est accipere nisi essentiam et proprietatem. Sed absurdum esset
dicere, quod ratione proprietatis tantum dicatur natus de virgine: quia proprietas
illa relatio est secundum quam ad patrem, qui generat sine matre, refertur.
Ergo est natus ratione divinae naturae; et sic idem quod prius. |
3. Dans le Fils de Dieu, on ne conçoit que l’essence et la propriété. Or, il serait absurde de dire qu’en raison de la propriété seulement, il est né de la Vierge, car cette propriété est la relation par laquelle il est en rapport avec le Père, qui engendre sans mère. Il est donc né en raison de la nature divine. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[8472] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3
arg. 4 Praeterea,
Bernardus dicit, quod in incarnatione est fortitudo infirmata. Sed infirmari
magis est remotum a natura divina quam nasci. Ergo etiam potest dici nasci. |
4. Bernard dit que, « dans l’incarnation, la force s’est affaiblie ». Or, s’affaiblir est plus éloigné de la nature divine que naître. On peut donc aussi dire qu’elle est née. |
[8473] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 s.
c. 1 Sed contra,
natura divina magis convenit cum generatione Christi aeterna quam cum
temporali. Sed ipsa non est nata generatione aeterna, ut in 1 Lib., dist. 5,
qu. 2, art. 3 ad 2, et 3, dictum est. Ergo multo minus est nata generatione
temporali. |
Cependant, [1] la nature divine a plus en commun avec la génération éternelle du Christ qu’avec sa [génération] temporelle. Or, celle-ci n’est pas née par une génération éternelle, comme on l’a dit dans le livre I, d. 5, q. 2, a. 3, ad 3. Encore bien moins est-elle donc née par une génération temporelle. |
[8474] Super Sent., lib. 3 d. 8
q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, humana natura non proprie dicitur nasci generatione humana.
Ergo multo minus natura divina. |
[2] On ne dit pas au
sens propre que la nature humaine naît par une génération humaine. Donc, encore bien moins la nature divine. |
[8475] Super Sent., lib. 3 d. 8
q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod natura humana quamvis non dicatur proprie
nasci in Christo de virgine, eo quod nasci non est naturae sed hypostasis;
tamen consequenter ad generationem se habet, quia est per generationem accepta.
Divina autem natura non est a Christo per temporalem generationem accepta;
unde nullo modo debet dici nata de virgine, nec per se, nec per consequens,
si natura proprie accipiatur, secundum quod pro essentia supponit. Tamen quia
aliquando proprie trahitur ad supponendum pro persona, sicut in 5 dist. 1
libri dictum est; ideo etiam aliquando invenitur quod natura divina sit nata,
sicut patet in littera; unde exponendum est sicut Magister exponit. |
Réponse. Bien qu’on ne dise pas qu’au sens propre, la nature humaine est née de la Vierge chez le Christ, parce que naître n’est pas le fait de la nature mais de l’hypostase, cela a cependant un rapport avec la génération par mode de conséquence, car [la nature] est reçue par génération. Or, la nature divine n’est pas reçue par le Christ en vertu d’une génération temporelle. Aussi ne faut-il aucunement dire qu’elle est née de la Vierge , ni par soi, ni par mode de conséquence, si on entend nature au sens propre, selon lequel elle signifie l’essence. Cependant, parce qu’elle est parfois attirée au sens propre à signifier la personne, comme on l’a dit dans la d. 5 du livre I, on trouve donc parfois que la nature divine est née, comme cela ressort du texte. Aussi faut-il l’expliquer comme le Maître l’explique. |
[8476] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 ad
1 Ad primum ergo dicendum, quod filius
Dei univit sibi humanam naturam, et in se: quia unio terminata est ad
personam. Non autem ita
est de divina natura, ut patet ex dictis supra, dist. 1, qu. 2, art. 1; unde
non est simile. |
1. Le Fils de Dieu s’est uni une nature humaine, et en lui-même, car l’union se termine à la personne. Mais il n’en va pas de même de la nature divine, comme cela ressort de ce qui a été dit, d. 1, q. 2, a. 1. Ce n’est donc pas la même chose. |
[8477] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod natura divina non habet inquantum est natura, quod praedicetur
in recto de persona filii Dei, sed ratione simplicitatis divinae, quae non
permittit aliquam realem diversitatem in ipso; sed differentia est in modo
significandi, qui facit quod aliquid de persona dicatur quod de natura dici
non potest. |
2. En tant que nature, la nature divine ne peut être prédiquée directement de la personne du Fils de Dieu, mais [elle peut l’être] en raison de la simplicité divine, qui ne permet pas de diversité réelle en lui. la différence se trouve dans la manière de parler, qui fait que quelque chose est dit de la personne, qui ne peut être dit de la nature. |
[8478] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 ad
3 Ad tertium
dicendum, quod in filio Dei non solum est accipere naturam et proprietatem,
sed etiam hypostasim, sive personam; quamvis unum illorum ab altero secundum
rem non differat; et ratione hypostasis dicitur filius incarnatus, inquantum
sibi carnem sociavit in unitate personae. |
3. Dans Fils de Dieu, on ne conçoit pas seulement la nature et la propriété, mais aussi l’hypostase ou la personne, bien que, en réalité, une de ces choses ne soit pas différente de l’autre. C’est en raison de l’hypostase qu’on dit du Fils qu’il est incarné, pour autant qu’il s’est associé la chair dans l’unité de sa personne. |
[8479] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 ad
4 Ad quartum
dicendum, quod fortitudo dicitur infirmata, id est infirmitatem assumpsisse;
et ideo impropria est locutio, nec ad consequentiam trahenda. |
4. On dit que la force s’est affaiblie, c’est-à-dire qu’elle a assumé la faiblesse. C’est donc une manière de parler impropre, dont il ne faut pas tirer de conséquences. |
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Articulus 4 [8480] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4
tit. Utrum ponendae
sint duae nativitates Christi vel una |
Article 4 – Faut-il affirmer
deux naissances du Christ ou une seule ?
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Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Faut-il affirmer deux naissances du Christ ?] |
[8481] Super Sent., lib.
3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod non sint ponendae duae Christi
nativitates. Nasci enim non est naturae, sed personae. Sed in Christo est tantum
una persona. Ergo et una nativitas. |
1. Il semble qu’il ne faille pas affirmer deux naissances du Christ. En effet, naître n’est pas le fait de la nature, mais de la personne. Or, chez le Christ, il n’y a qu’une seule personne. Il y a donc une seule naissance. |
[8482] Super Sent., lib. 3 d. 8
q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, cum nativitas sit generatio quaedam, per nativitatem aliquis ad
esse tendit. Sed in Christo est tantum unum esse. Ergo tantum una nativitas. |
2. Puisque la naissance est une certaine génération, on tend donc à l’être par la naissance. Or, chez le Christ, il n’y a qu’un seul être. Il y a donc une seule naissance. |
[8483] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4
qc. 1 arg. 3 Praeterea, ea quae non sunt unius rationis, non debent
connumerari, sicut canis caelestis et terrestris non dicuntur duo canes. Sed generatio
Christi temporalis et aeterna non sunt unius rationis. Ergo non debent dici
duae nativitates. |
3. Ce qui n’a pas la même raison ne doit pas être compté ensemble, comme on ne dit pas que le chien céleste et le chien terrestre sont deux chiens. Or, la génération temporelle et la génération éternelle du Christ n’ont pas la même raison. Il ne faut donc pas parler de deux naissances. |
[8484] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
nullus dicitur filius alicujus nisi ratione alicujus nativitatis. Sed
Christus dicitur filius patris, et etiam matris. Ergo utrumque est secundum
aliquam nativitatem, et non secundum eamdem; ergo in Christo sunt duae
nativitates. |
Cependant, personne n’est appelé le fils de quelqu’un qu’en raison d’une naissance. Or, le Christ est appelé le Fils du Père et aussi de sa mère. Les deux choses existent donc [chacune] en raison d’une naissance, et non en raison de la même [naissance]. Chez le Christ, il y a donc deux naissances. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le Christ est-il né deux fois ?] |
[8485] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Christus non debet dici bis natus.
Ratione enim ejus quod advenit alicui post completum esse, non dicitur
aliquis natus: sicut homo non dicitur nasci, quamvis capillus per aliquam
nativitatem adveniat. Sed humanitas Christi advenit filio Dei post completum
esse. Ergo propter hoc non debet dici ipse natus, quod humanam naturam
acceperit. |
1. Il semble qu’on ne doive pas dire que le Christ est né deux fois. En effet, en raison de ce qui arrive à quelqu’un après que son être est achevé, on ne dit pas qu’il est né, comme on ne dit pas qu’un homme est né, bien que sa chevelure survienne par une certaine naissance. Or, l’humanité du Christ survient au Fils de Dieu après que son être est achevé. Pour cette raison, on ne doit donc pas dire qu’il est né parce qu’il a reçu la nature humaine. |
[8486] Super Sent., lib.
3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, hoc adverbium
bis importat successionem actuum. Sed generationi aeternae non succedit temporalis: quia aeterna semper
est; unde est simul cum temporali. Ergo ratione duplicis nativitatis non
debet dici bis natus. |
2. L’adverbe « deux fois » comporte une succession d’actes. Or, la génération temporelle ne succède pas à la génération éternelle, car la [génération] éternelle existe toujours ; elle existe donc toujours simultanément avec la [génération] temporelle. On ne doit donc pas dire qu’il est né deux fois en raison d’une double naissance. |
[8487] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4
qc. 2 arg. 3 Praeterea, hoc
adverbium bis importat interruptionem; unde qui tota die loquitur, non
dicitur bis loqui. Sed aeterna generatio non habet interruptionem. Ergo
ratione ejus non debet dici bis natus. |
3. De plus, l’adverbe «deux fois» comporte une interruption ; ainsi, on ne dit pas que celui qui parle pendant toute une journée parle deux fois. Or, la génération éternelle ne comporte pas d’interruption. On ne doit donc pas dire qu’il est né deux fois en raison de celle-ci. |
[8488] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4
qc. 2 s. c. 1 Sed contra, hoc
adverbium bis numerat actum cui adjungitur. Sed duplex est Christi nativitas. Ergo secundum eas
debet dici bis natus. |
Cependant, l’adverbe « deux fois » compte un acte auquel on ajoute. Or, il y a deux naissances chez le Christ. On doit donc dire qu’il est né deux fois en fonction d’elles. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[8489] Super Sent., lib.
3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem,
quod Christus processit a patre aeternaliter, et a matre temporaliter; et
utraque processio habet rationem nativitatis. Secundum enim processionem
aeternam filius est de substantia patris, et exit ab eo in personam
distinctam; et tamen est conjunctus patri propter indivisionem substantiae,
quia verbum apud Deum est; unde patet quod salvantur suo modo tria illa quae
dicebantur supra, art. 1, esse de ratione nativitatis; et propter hoc dicitur
oriri, et gigni, et nasci. Sed processio ejus temporalis, qua procedit a
matre, habet nativitatis rationem, sicut cujuslibet alterius qui ex sua matre
nascitur. Unde sicut
duae sunt ejus processiones, ut dictum est, in 1 libro, dist. 14, qu. 1, art.
2, ita etiam sunt duae nativitates. |
Le Christ a procédé du Père éternellement et de sa mère temporellement, et les deux processions ont raison de naissance. En effet, selon la procession éternelle, le Fils vient de la substance du Père et en sort comme une personne distincte ; cependant, il est uni au Père en raison de l’indivision de la substance, car le Verbe existe en Dieu. Ainsi ressort-il que les trois choses mentionnées plus haut, a. 1, et qui font partie de la raison de naissance, sont-elles préservées. Pour cette raison, on dit qu’il est issu de, qu’il est engendré et qu’il naît. Mais sa procession temporelle, par laquelle il procède de sa mère, a raison de naissance, comme c’est le cas de n’importe qui qui naît de sa mère. Puisqu’il y a deux processions, comme on l’a dit, livre I, d. 14, q. 1, a. 2, il y a donc aussi deux naissances. |
[8490] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis
nasci sit personae, est tamen ejus ratione naturae; unde secundum duas
naturas quas per generationem accepit, habet duas nativitates. |
1. Bien que naître soit le fait de la personne, cela en est cependant le fait en raison de la nature. Aussi [le Christ] a-t-il eu deux naissances selon les deux natures qu’il a reçues par génération. |
[8491] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4
qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis in
Christo sit unum esse, tamen secundum illud habet respectum ad duas naturas,
ut supra, dist. 6, qu. 2, art. 2, dictum est; et ita nativitas est duplex
secundum duplicem respectum qui acquiritur personae ad duas naturas acceptas
per generationem. |
2. Bien qu’il n’y ait qu’un seul être dans le Christ, cependant, selon celui-ci, il possède un rapport avec les deux natures, comme on l’a dit plus haut, d. 6, q. 2, a. 2. Ainsi, la naissance est double selon le double rapport qu’acquiert la personne avec les deux natures reçues par génération. |
[8492] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4
qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis non
sit una ratio per univocationem aeternae et temporalis nativitatis, est tamen
una per analogiam. |
3. Bien qu’il n’y ait pas une seule raison de la naissance éternelle et de la naissance temporelle, elles sont cependant une seule par analogie. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[8493] Super Sent., lib.
3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod bis, cum sit adverbium, ponit
numerum circa actum. Cum autem
motus et actus numerentur tripliciter: scilicet ex subjecto, quia est alius
et alius agens; et ex terminis, quia est aliud et aliud quod agitur; et ex
mensura actus, quia nunc et tunc agit: hoc adverbium bis non importat
numerum, nisi qui causatur ex diversa mensura; unde non dicitur bis lectum
esse, si duo legant, nec si duo libri simul legantur; sed quando diversis
horis legitur. Quia autem in his quae aguntur in tempore non est alia mensura
nisi tempus, et hoc non est aliud et aliud, nisi quando discontinuatur; ideo
bis dicitur factum esse, quando aliquid cum interruptione factum est.
Aeternitas autem et tempus sunt diversae mensurae secundum diversam naturam,
et non per discontinuationem; unde quod fit in aeternitate et tempore, potest
dici bis factum esse; quamvis id quod aeternum est, non interrumpatur nec
cesset. |
Puisque « deux fois » est un adverbe, cela affirme le nombre d’un acte. Puisque le mouvement et l’acte sont comptés de trois manières : selon le sujet, car il y a deux agents ; selon les termes, car il y a deux termes ; selon la mesure de l’acte, car on agit à tel et tel moment, cet adverbe « deux fois » ne comporte de nombre que selon ce qui est causé par une mesure différente. Ainsi ne dit-on pas qu’on a lu deux fois si on lit deux choses, ni si deux livres sont lus en même temps, mais lorsqu’on lit à des heures différentes. Mais parce que, pour les choses qui sont faites dans le temps, il n’existe pas d’autres mesure que le temps, et qu’il n’y a deux choses, sauf lorsqu’elles sont discontinues, on dit que quelque chose a été fait deux fois lorsque quelque chose a été fait avec une interruption. Or, l’éternité et le temps sont des mesures différentes selon une nature différente, et non selon une discontinuité. On peut donc dire que ce qui est fait dans l’éternité et dans le temps a été fait deux fois, bien que ce qui est éternel ne soit pas interrompu ni ne cesse. |
[8494] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quamvis humana natura adveniat filio Dei post esse completum,
tamen filius Dei totus subsistit in utraque natura: non autem ita est de toto
homine ad capillum; et ideo ratio non procedit. |
1. Bien que la nature humaine survienne au Fils de Dieu après que son être est achevé, le Fils de Dieu subsiste cependant entièrement dans les deux natures ; mais il n’en est pas de même pour la totalité de l’homme par rapport à la chevelure. Le raisonnement n’est donc pas concluant. |
[8495] Super Sent., lib. 3 d. 8
q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit de his quae aguntur in
tempore. |
2. Ce raisonnement vient de ce qui se fait dans le temps. |
[8496] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 Et
similiter ad tertium; et ideo non sunt ad propositum. |
3. De même en est-il pour le troisième argumenet. Ils ne portent donc pas sur la question en cause. |
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Articulus 5 [8497] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5
tit. Utrum in
Christo sint duae filiationes |
Article 5 – Y a-t-il deux
filiations chez le Christ ?
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[8498] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic
proceditur. Videtur, quod
in Christo sint duae filiationes. Multiplicata enim causa, multiplicatur
effectus. Sed nativitas est causa filiationis. Ergo cum in Christo sint duae nativitates,
erunt in ipso duae filiationes. |
1. Il semble qu’il y ait deux filiations chez le Christ. En effet, si la cause est multipliée, l’effet est multiplié. Or, la naissance est la cause de la filiation. Puisqu’il y a deux naissances chez le Christ, il y aura donc aussi chez lui deux filiations. |
[8499] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5
arg. 2 Praeterea,
relativa sunt quorum esse est ad aliud se habere. Sed esse filiationis
aeternae non est ad matrem Christi se habere. Ergo per eam non refertur ad matrem. Sed
aliqua filiatione refertur ad matrem. Ergo in Christo sunt duae filiationes. |
2. Les choses relatives sont celles dont l’être consiste à exister par rapport à autre chose. Or, l’être de la filiation éternelle ne consiste pas à exister par rapport à la mère du Christ. Il n’est donc pas en rapport avec sa mère par [cette filiation]. Or, il est en rapport avec sa mère par une certaine filiation. Il existe donc chez le Christ deux filiations. |
[8500] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5
arg. 3 Praeterea,
relativa posita se ponunt, et interempta, se interimunt. Sed maternitate
interempta a virgine, non interimitur filiatio aeterna. Ergo oportet ponere
aliam filiationem, quae ponatur posita maternitate, et interimatur ea remota. |
3. Les choses relatives s’affirment lorsqu’elles existent, et elles s’effacent lorsqu’elles disparaissent. Or, si la maternité disparaît de la Vierge, la filiation éternelle ne disparaît pas. Il est donc nécessaire d’affirmer une autre filiation, qui existe lorsque la maternité existe, et qui disparaît lorsque celle-ci est enlevée. |
[8501] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5
arg. 4 Praeterea,
motus diversificatur per terminos. Sed sicut motus habet speciem a terminis,
ita relatio. Ergo cum Christus sit filius patris et
matris, oportet quod alia filiatione ad utrumque referatur. |
4. Un mouvement se diversifie par ses termes. Or, de même que le mouvement tire son espèce de ses termes, de même une relation. Puisque le Christ est le Fils de son Père et de sa mère, il est donc nécessaire qu’il soit en rapport avec les deux selon une filiation différente. |
[8502] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5
arg. 5 Praeterea,
philosophus probat, quod scientia non refertur ad scientem: quia cum
referatur ad scibile, et hoc sit suum esse inquantum ad aliquid est,
oporteret, si diceretur ad scientem, quod haberet duplex esse. Si ergo
filiatione refertur Christus ad patrem et matrem, oportet quod sint duae
filiationes secundum esse. |
5. Le Philosophe démontre que la science n’a pas de rapport avec celui qui connaît, car, puisqu’elle est en rapport avec ce qui peut être connu et que cela est son être en tant qu’elle est en rapport avec quelque chose, il faudrait qu’elle ait un double être, si elle était en rapport avec celui qui connaît. Si donc le Christ est en rapport avec son Père et sa mère par la filiation, il est nécessaire qu’il y ait deux filiations selon l’être. |
[8503] Super Sent., lib.
3 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 6 Praeterea, sicut supra, dist. 1, Magister dixit, pater posset carnem assumere. Sed si de virgine
carnem assumpsisset, filius virginis diceretur. Non autem referretur ad
virginem filiatione aeterna, quia eam non habet. Ergo filiatione temporali. Ergo eadem
ratione oportet in Christo ponere filiationem temporalem. |
6. Comme le Maître l’a dit, d. 1, le Père pourrait assumer la chair. Or, s’il avait assumé la chair de la Vierge, il serait appelé le fils de la Vierge. Mais il n’aurait pas de rapport à la Vierge par une filiation éternelle, car il n’en a pas. Ce serait donc par une filiation temporelle. Il faudrait donc que, pour la même raison, on affirme du Christ une filiation temporelle. |
[8504] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 s.
c. 1 Sed contra, filiatio est proprietas
personalis. Sed in Christo est tantum una persona. Ergo tantum una filiatio. |
Cependant, [1] la filiation est une propriété personnelle. Or, dans le Christ, il n’y a qu’une seule personne. Il n’y a donc qu’une seule filiation. |
[8505] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 s.
c. 2 Praeterea,
sicut Christus est filius patris et matris, ita quilibet alius homo. Sed non alia filiatione
refertur homo ad patrem et matrem. Ergo nec in Christo sunt duae filiationes. |
[2] De même que le Christ est le fils de son Père et de sa mère, de même tout autre homme. Or, un homme n’est pas en rapport avec son père et sa mère par une autre filiation. Il n’y a donc pas non plus deux filiations dans le Christ. |
[8506] Super Sent., lib.
3 d. 8 q. 1 a. 5 s. c. 3 Praeterea, duo accidentia ejusdem rationis non possunt esse in eodem subjecto:
unde eadem paternitate homo refertur ad multos filios. Sed suppositum
filiationis in Christo est unum tantum. Ergo in eo non possunt esse plures
filiationes, sed una tantum. |
[3] Deux accidents ayant la même raison ne peuvent exister dans le même sujet : aussi est-ce par la même paternité qu’un homme est en rapport avec ses fils. Or, le suppôt de la filiation chez le Christ est unique. Il ne peut donc y avoir chez lui plusieurs filiations, mais seulement une. |
[8507] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 s.
c. 4 Praeterea,
quodlibet continuum est majus omnibus suis partibus. Sed in quolibet continuo
sunt infinitae partes in potentia. Ergo ad hoc quod aliquid referatur ad
diversa per diversas relationes, oportet quod sint infinitae relationes in
aliquo continuo, quod est inconveniens; et iterum quod in quolibet continuo
sint tot aequalitates quot rebus aequale est. |
[4] Tout continu est plus grand que ses parties. Or, en tout continu, il y a un nombre infini de parties en puissance. Pour que quelque chose soit en rapport avec diverses choses par des relations différentes, il est donc nécessaire qu’existent des relations infinies dans un continu, ce qui est inapproprié. De plus, [il est nécessaire] qu’existent en tout continu autant d’égalités qu’il est égal aux choses. |
[8508] Super Sent., lib.
3 d. 8 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod, sicut in 1 Lib. dist. 26, qu. 2, art. 2, dictum est,
relatio non habet ex hoc quod ad alterum dicitur, quod sit aliquid in rerum
natura; sed hoc habet ex eo quod relationem causat, quod est in re quae ad
alterum dicitur. Et quia ex eo
res habet unitatem et multitudinem ex quo habet esse; ideo secundum id in quo
relatio fundatur, judicandum de ea est, utrum sit secundum rem una, vel
plures. Sunt ergo quaedam relationes quae fundantur super quantitatem, sicut
aequalitas, quae fundatur super unum in quantitate; et cum unitas quantitatis
non sit nisi una in re una, inde est quod per unam aequalitatem est res aequalis
omnibus quibus dicitur aequalis. Aliae vero relationes fundantur super
actionem et passionem: et in istis considerandum est, quod una passio
respondet duabus actionibus, quando neutrum agens sufficit per se ad actionem
complendam, sicut est in eo qui una nativitate nascitur ex patre et matre;
unde in patre et matre sunt duae relationes secundum rem, sicut et duae
actiones; sed in nato est una relatio secundum rem, secundum quam refertur ad
patrem et ad matrem, sicut et passio una. Item considerandum est quod quaedam
relationes non innascuntur ex actionibus secundum quod sunt in actu, sed
magis secundum quod fuerunt; sicut aliquis dicitur pater postquam ex actione
est effectus consecutus; et tales relationes fundantur super id quod ex
actione in agente relinquitur, sive sit dispositio, sive habitus, sive
aliquod jus aut potestas, vel quidquid aliud est hujusmodi. Sed quia hoc quod
relinquitur ex actionibus unius speciei, non potest esse nisi unum; inde est
quod tales relationes etiam secundum rem non multiplicantur secundum diversas
actiones, sed magis sunt unum secundum id quod ex actione relinquitur: et
propter hoc non sunt diversae relationes secundum rem in patre uno qui
generat plures filios, nec in magistro uno qui docet plures discipulos. Si
autem sint plures actiones secundum speciem, causant etiam plures relationes
specie differentes. Unde cum Christus non per unam generationem passivam se
habeat ad generationem activam patris et ad generationem activam matris, sed
per aliam et aliam; et hae duae generationes non sint unius generis, nedum
unius speciei: nihil (ut videtur) impediret quin in Christo possent esse duae
filiationes secundum rem differentes, nisi immediatum subjectum filiationis
esset suppositum; quod quidem, secundum secundam opinionem, non est nisi
suppositum aeternum in Christo. Et quia ex nullo temporali advenit rei
aeternae aliqua realis relatio, sed rationis tantum; ideo filiatio quae
consequitur Christum ex generatione temporali, non est realis, sed rationis
tantum; et tamen realiter filius est; sicut et Deus realiter dominus ex hoc
est quod creatura realiter refertur ad ipsum. Unde concedo, quod in Christo
non est nisi una filiatio realis, qua refertur ad patrem, et respectus quidam
rationis quo refertur ad matrem. Tamen prima opinio, quae ponit duo
supposita, posset ponere duas filiationes; nec tamen poneret duos filios
masculine, sed duo filia neutraliter, si Latine diceretur. |
Réponse. Comme on l’a dit dans le livre I, d. 26, q. 2, a. 2, la relation ne tient pas du fait qu’on la définit par rapport à autre chose d’être quelque chose dans la nature des choses, mais elle le tient du fait qu’elle cause une relation qui se trouve dans ce qui cause la relation, ce qui existe dans la chose qui est en rapport avec quelque chose d’autre. Et parce qu’une chose tire son unité et sa multitude de ce par quoi elle a l’être, il faut donc juger si elle a une seule ou plusieurs [relations] à partir de ce sur quoi la relation se fonde. Il y a donc des relations qui se fondent sur la quantité, comme l’égalité, qui se fonde sur ce qui est un en quantité. Et parce qu’il n’y a qu’une seule unité de la quantité dans une chose unique, de là vient que, par une seule égalité, une chose est égale à tout ce dont on dit qu’elle est égale. Mais d’autres relations se fondent sur l’action et la passion. Dans celles-ci, il fait considérer qu’une seule passion correspond à deux actions, lorsque aucun des deux agents ne suffit par soi à accomplir l’action, comme c’est le cas chez celui qui, par une seule naissance, naît de son père et de sa mère. Aussi, chez le père et chez la mère existe-t-il deux relations réelles, comme il existe deux actions ; mais, chez celui qui est né, il n’existe qu’une seule relation réelle, selon qu’il est en rapport avec son père et sa mère, de même qu’une seule passion. De même faut-il considérer que certaines relations ne proviennent pas des actions selon qu’elles existent en acte, mais plutôt selon qu’elles ont existé, comme quelqu’un est appelé père après qu’un effet a suivi l’action. Ces relations se fondent sur ce qui reste de l’action dans l’agent, qu’il s’agisse d’une disposition, d’un habitus, d’un droit ou d’un pouvoir, ou de n’importe quoi de ce genre. Mais parce que ce qui est laissé par les actions d’une seule espèce ne peut être qu’un, de là vient aussi que de telles relations ne se multiplient pas en réalité selon les diverses actions, mais qu’elles sont une seule chose selon ce qui est laissé de l’action. Pour cette raison, il n’y a pas diverses relations réelles chez un père qui engendre plusieurs fils, ni chez un seul maître qui enseigne à plusieurs disciples. Mais s’il existe plusieurs actions selon l’espèce, elles causent aussi plusieurs relations différentes selon l’espèce. Ainsi, puisque le Christ n’a pas un rapport avec la génération active de son Père et avec la génération active de sa mère selon une seule génération passive, mais selon deux [générations passives], et puisque ces deux générations ne sont ni du même genre ni de la même espèce, il semble que rien n’empêcherait qu’il puisse exister chez le Christ deux filiations réellement différentes, que le fait pour le sujet immédiat de la filiation d’être le suppôt, lequel, selon la deuxième opinion, n’est que le suppôt éternel chez le Christ. Et parce qu’aucune relation réelle , mais de raison seulement, n’advient à une réalité éternelle depuis une réalité temporelle, c’est pourquoi la filiation qu’obtient le Christ par sa génération temporelle n’est pas réelle, mais de raison seulement. Cependant, il est réellement fils, comme Dieu est réellement Seigneur du fait que la créature est réellement en rapport avec lui. Je concède donc que, chez le Christ, il n’existe qu’une seule filiation réelle, par laquelle il est en rapport avec son Père, et un rapport de raison par lequel il est en rapport avec sa mère. Cependant, la première opinion, qui affirme deux suppôts, pourrait affirmer deux filiations, mais elle n’affirmerait cependant pas deux fils au masculin, mais deux fils au neutre, si elle était exprimée en latin. |
[8509] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 ad
1 Ad primum ergo
dicendum, quod nativitas temporalis, sive generatio passiva, Christi est
quaedam relatio quae secundum rem fundatur in humana natura; et ex hoc
nominatur natus, sicut et homo: sed subjectum filiationis non potest esse
natura, cum sit ejus quod habet complementum speciei, ut supra dictum est; et
ideo duae nativitates causant duas filiationes; sed unam tantum secundum rem,
et aliam secundum rationem. |
1. La naissance temporelle ou la génération passive du Christ est une relation qui se fonde en réalité sur la nature humaine ; pour cette raison, on dit aussi qu’il est né, comme un homme. Mais le sujet de la filiation ne peut être la nature, puisqu’elle est le fait de ce qui possède une espèce achevée, ainsi qu’on l’a dit plus haut. Aussi deux naissances causent-elles deux filiations, mais une seule [filiation] réelle, et l’autre selon la raison. |
[8510] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod philosophus non accepit esse secundum quod dicitur actus entis
(sic enim relatio non habet esse ex eo ad quod dicitur, sed ex subjecto,
sicut omnia alia accidentia), sed accipit esse pro quidditate, vel ratione,
quam significat definitio. Ratio autem relationis est ex respectu ad alterum.
Unde ex hoc quod filius Dei refertur ad matrem, non oportet quod habeat aliam
filiationem secundum rem, sed alium respectum relationis. |
2. Le Philosophe n’entend pas l’être selon qu’on parle de l’acte de ce qui est (actus entis) : en effet, une relation ne tient pas son être de ce dont elle affirmée, mais de son sujet, comme tous les autres accidents ; mais il entend l’être de la quiddité ou de la raison que signifie la définition. Or, la raison de relation vient du rapport à une autre chose. Du fait donc que le Fils de Dieu est en rapport avec sa mère, il n’est pas nécessaire qu’il possède une autre relation réelle, mais un autre rapport de relation. |
[8511] Super Sent., lib.
3 d. 8 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod maternitas posita ponit alium respectum in Christo, et remota
removet illum respectum; sed non oportet quod ponat aliam filiationem realem. |
3. La maternité affirmée établit un autre rapport chez le Christ et, si on l’enlève, on enlève ce rapport ; mais il n’est pas nécessaire qu’elle affirme une autre filiation réelle. |
[8512] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 ad
4 Ad quartum dicendum, quod omnis motus
est aliquid secundum rem, non autem omnis relatio. Ergo quamvis ex terminis multiplicentur
respectus relationis, non tamen oportet quod multiplicentur relationes
secundum rem, sicut motus multiplicantur secundum rem ex diversitate
terminorum. |
4. Tout mouvement est quelque chose de réel, mais non pas toute relation. Bien que les rapports de relation se mltiplient selon les termes, il n’est cependant pas nécessaire que les relations réelles se multiplient, comme les mouvemments se multiplient réellement selon la diversité des termes. |
[8513] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 ad
5 Ad quintum
dicendum, quod respectus scientiae ad scientem et ad scibile, non est unius
rationis; sed respectus ejus ad scientem inest ei ex hoc quod est accidens;
respectus autem ejus ad scibile inest ei ex hoc quod est scientia; unde si
referretur, inquantum est scientia, ad utrumque, oportet quod essent
respectus diversi secundum speciem. Sed respectus filii ad patrem et ad
matrem est ad terminos unius rationis; unde non oportet quod sit diversa
relatio secundum speciem, neque secundum rem. |
5. Le rapport de la science à celui qui connaît et à l’objet de la science ne relève pas de la même raison ; mais le rapport à celui qui connaît existe chez lui du fait qu’elle est un accident, alors que son rapport à l’objet de la science lui vient de ce qu’elle est science. Si donc elle se rapportait aux deux en tant qu’elle est science, il faudrait qu’il y ait des rapports différents selon l’espèce. Or, le rapport du Fils à son Père et à sa mère existe par rapport à des termes qui ont une seule raison. Il n’est donc pas nécessaire qu’existe une relation différente selon l’espèce ni selon la réalité. |
[8514] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 ad
6 Ad sextum
dicendum, quod si pater carnem assumpsisset de virgine, esset filius
virginis, non quidem per aliquam realem filiationem, cujus suppositum
aeternum subjectum esset, sed per respectum rationis tantum. |
6. Si le Père avait assumé la chair de la Vierge, il serait le fils de la Vierge, non pas par une filiation réelle, dont le suppôt éternel serait le sujet, mais selon un rapport de raison seulement. |
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Expositio textus |
Explication du texte
de Pierre Lombard, Dist. 8
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[8515] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5
expos. Hoc est Deum
nasci de virgine, scilicet hominem assumere. Verum est, si humana natura dicatur homo; et si assumere dicatur ad
se sumere, vel in se, quod divinae naturae non convenit. |
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Distinctio 9 |
Distinction 9 – [La
nature humaine et son union à la nature divine]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Qu’est-ce que la latrie ?]
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Prooemium |
Prologue |
[8516] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 pr. Postquam Magister determinavit quid
conveniat naturae divinae ex unione ad humanam, hic determinat quid conveniat
humanae ex unione ad divinam, quod scilicet adoratur adoratione latriae.
Dividitur autem haec pars in duas partes: in prima movet quaestionem; in
secunda determinat eam, ibi: ideo quibusdam videtur non illa adoratione
quae latria dicitur, carnem Christi vel animam esse adorandam. Et haec
dividitur in duas partes secundum quod duas opiniones ponit; secunda incipit
ibi: aliis autem placet Christi humanitatem una adoratione cum verbo esse
adorandam. Et haec dividitur in tres: in prima ponit solutionem; in
secunda respondet ad objectionem factam in contrarium, ibi: nec qui hoc
facit, idolatriae reus judicari potest; in tertia confirmat solutionem,
ibi: de hoc Joannes Damascenus ita ait. Hic est duplex quaestio. Primo enim
quaeritur de latria. Secundo de dulia. Circa primum quaeruntur tria: 1 quid
sit latria; 2 cui debetur; et habito quod soli Deo, quaeritur; 3 qualiter sit
ei exhibenda. |
Après avoir déterminé de ce qui convient à la nature divine du fait de l’union à la nature humaine, le Maître détermine ici de ce qui convient à la nature humaine du fait de son union à la nature divine, à savoir, qu’elle est adorée d’une adoration de latrie. Cette partie se divise en deux : dans la première, il soulève une question ; dans la seconde, il en détermine, à cet endroit : « C’est ainsi qu’il semble à certains que la chair ou l’âme du Christ ne doive pas être adorée selon l’adoration qu’on appelle latrie. » Celle-ci se divise en deux parties, selon les deux opinions qu’elle présente ; la seconde commence à cet endroit : « D’autres acceptent que l’humanité du Christ soit adorée comme le Verbe selon une seule adoration. » Celle-ci se divise en trois parties : dans la première, il présente la solution ; dans la deuxième, il répond à l’objection soulevée en sens contraire, à cet endroit : « Et celui qui fait cela ne doit pas être jugé coupable d’idolatrie » ; dans la troisième, il confirme la solution, à cet endroit : « À ce propos, Jean Damascène parle ainsi. » Ici, il y a deux questions. En effet, en premier lieu, on s’interroge sur [le culte] de latrie ; en second lieu, sur [le culte] de dulie. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1 – Qu’est-ce que [le culte] de latrie ? 2 – À qui est-il dû, et une fois reconnu qu’il est dû à Dieu seulement, 3 – On se demande comment il doit être manifesté ? |
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Articulus 1 [8517] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
tit. Utrum latria
sit virtus, vel donum |
Article 1 – Le culte de latrie est-il une vertu ou un don ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le culte de latrie est-il une vertu ?] |
[8518] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod latria non sit virtus. Omnis enim virtus in libera voluntate
consistit. Sed servitus libertati opponitur. Cum ergo latria sit servitus, ut
dicitur in littera, videtur quod non sit virtus. |
1. Il semble que le culte de latrie ne soit pas une vertu. En effet, toute vertu existe dans la volonté libre. Or, la servitude s’oppose à la liberté. Puisque le culte de latrie est une servitude, comme il est dit dans le texte, il semble donc qu’il ne soit pas une vertu. |
[8519] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 2 Praeterea, omnis virtus consistit principaliter in actu
voluntatis. Sed latria consistit in actu exteriori, scilicet in exhibitione sacrificiorum.
Ergo videtur
quod non sit virtus. |
2. Toute vertu consiste principalement dans un acte de la volonté. Or, le culte de latrie consiste dans un acte extérieur : l’offrande de sacrifices. Il semble donc qu’il ne soit pas une vertu. |
[8520] Super Sent., lib. 3 d. 9
q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ad latriam
pertinet reverentiam Deo exhibere. Hoc autem ad donum timoris pertinet. Ergo
latria est donum, et non virtus. |
3. Il relève du culte de latrie de manifester une révérence envers Dieu. Or, cela relève du don de crainte. Le culte de latrie est donc un don et non une vertu. |
[8521] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 4 Praeterea,
latria dicitur alio nomine pietas, ut habetur ex littera. Sed pietas est
donum. Ergo latria non est virtus, sed donum. |
4. Le culte de latrie porte un autre nom : la piété, comme on le lit dans le texte. Or, la piété est un don. Le culte de latrie n’est donc pas une vertu, mais un don. |
[8522] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
laudabile, secundum philosophum, est proprium virtutis. Sed actus latriae est
maxime laudabilis. Ergo latria est virtus. |
Cependant, [1] être louable est propre à la vertu, selon le Philosophe. Or, l’acte de latrie est louable au plus haut point. La latrie est donc une vertu. |
[8523] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, omnis actus qui cadit in praecepto legis, est actus
virtutis: quia intentio legislatoris est inducere hominem ad virtutem, ut
dicitur 2 Ethic. Sed actus latriae praecipitur per primum mandatum. Ergo
latria est virtus. |
[2] Tout acte qui tombe sous un précepte de la loi est un acte de vertu, car « l’intention du législateur est d’inciter l’homme à la vertu », comme il est dit dans Éthique, II. Or, l’acte de latrie est ordonné par le premier commandement. La latrie est donc une vertu. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le culte de latrie est-il une vertu générale ?] |
[8524] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod sit virtus generalis. Augustinus enim dicit: verum
sacrificium est omne opus quod geritur, ut sancta societate Deo jungamur.
Sed hujusmodi est omne opus virtutis. Ergo omne opus virtutis est verum
sacrificium. Sed sacrificium
Deo offerre proprie pertinet ad latriam. Ergo ad ipsam pertinent omnes actus
virtutum; et sic ipsa est virtus generalis. |
1. Il semble que [le culte de latrie] soit une vertu générale. En effet, Augustin dit : « Le vrai sacrifice est l’acte qui est fait afin que nous soyons unis en une sainte société avec Dieu. » Or, tout acte de vertu est de cette sorte. Tout acte de vertu est donc un sacrifice véritable. Or, offrir à Dieu un sacrifice relève à proprement parler du culte de latrie. Tous les actes des vertus relèvent donc de clui, et ainsi il est une vertu générale. |
[8525] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 2 Praeterea, per omne opus virtutis Deo
servitur Luc. 17, 10: sic et vos, cum feceritis omnia quae praecepta sunt
vobis, dicite: servi inutiles sumus. Sed latria est servitus Deo debita. Ergo
omne opus virtutum pertinet ad latriam; et sic idem quod prius. |
2. Dieu est servi par tout acte de vertu. Lc 17, 10 : Ainsi, vous, lorsque vous accomplirez tout ce qui vous est ordonné, dites : « Nous sommes des serviteurs inutiles. » Or, le culte de latrie est un service dû à Dieu. Tous les actes des vertus relèvent donc du culte de latrie. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[8526] Super Sent., lib. 3 d. 9
q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, quicumque facit aliquid ad gloriam alicujus, exhibet ei reverentiam.
Sed apostolus, 1 Corinth. 10, docet omnia in gloriam Dei facere. Ergo per
omnia opera virtutis recte facta exhibetur Deo reverentia. Sed reverentiam
Deo exhibere pertinet ad latriam. Ergo ipsa est virtus generalis. |
3. Quiconque fait quelque chose pour la gloire d’un autre lui manifeste de la révérence. Or, en 1 Co 10, l’Apôtre enseigne de tout faire pour la gloire de Dieu. La révérence envers Dieu est donc manifestée par tous les actes de vertu correctement accomplis. Or, manifester de la révérence envers Dieu relève du culte de latrie. Celle-ci est donc une vertu générale. |
[8527] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
qc. 2 s. c. 1 Sed contra, virtus
generalis non praecipitur speciali legis praecepto, sed tota lege, sicut
patet de justitia legali. Sed latria praecipitur speciali praecepto, scilicet per primum primae
tabulae. Ergo est virtus specialis. |
Cependant, [1] une vertu générale n’est pas ordonnée par un précepte de la loi, mais par toute la loi, comme cela ressort pour la justice légale. Or, le culte de latrie est ordonné par un précepte particulier, le premier de la première table. Il est donc une vertu spéciale. |
[8528] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
qc. 2 s. c. 2 Praeterea, vitio speciali opponitur virtus specialis; unde
philosophus probat justitiam esse specialem virtutem propter hoc quod ei
opponitur avaritia, quae est speciale vitium. Sed latriae opponitur speciale vitium,
scilicet idolatria. Ergo est specialis virtus. |
[2] Une vertu spéciale s’oppose à un vice particulier ; ainsi le Philosophe démontre-t-il que la justice est une vertu particulière parce qu’elle s’oppose à l’avarice, qui est un vice particulier. Or, un vice particulier s’oppose au culte de l’idolatrie. Il est donc une vertu particulière. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Le culte de latrie est-il une vertu théologale ?] |
[8529] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sit virtus theologica. Augustinus enim
dicit in Enchir.: si quaeratur quomodo colitur Deus, respondetur, fide
spe, et caritate. Sed latria dicitur cultus Dei, ut ex littera habetur.
Ergo latria est fides, spes, et caritas; quae sunt virtutes theologicae. |
1. Il semble qu’il soit une vertu
théologale. En effet, Augustin dit dans l’Enchiridion :
« Si on se demande comment un culte est rendu à Dieu, qu’on
réponde : par la foi, l’espérance et la charité. » Or, « on
appelle latrie le culte rendu à Dieu », comme on le lit dans le texte. Le
culte de latrie est donc la foi, l’espérance et la charité, qui sont des vertus
théologales. |
[8530] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 2 Praeterea,
virtus theologica est quae habet Deum pro objecto, sicut fides qua creditur
Deus; et sic de aliis. Sed latria habet Deum pro objecto, quia ea colitur. Ergo latria est
virtus theologica. |
2. Une vertu théologale est celle qui a Dieu pour objet, comme la foi par laquelle on croit en Dieu, et ainsi des autres. Or, le culte de latrie a Dieu pour objet, car il lui rend un culte. Le culte de latrie est donc une vertu théologale. |
[8531] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 3 Praeterea,
omnis virtus cardinalis tenet medium inter superfluum et diminutum. Sed
latria non est hujusmodi; quia Deus non potest nimis coli. Ergo latria non
est virtus cardinalis, sed theologica. |
3. Toute vertu cardinale garde le milieu entre le superflu et le manque. Or, le culte de latrie n’est pas de cette sorte, car on ne peut pas trop rendre de culte à Dieu. Le culte de latrie n’est donc pas une vertu cardinale, mais théologale. |
[8532] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, nulla virtus
theologica habet actum exteriorem. Sed latriae actus est sacrificium offerre, qui est actus exterior.
Ergo non est virtus theologica. |
Cependant, aucune vertu théologale ne possède d’acte extérieur. Or, l’acte du culte de latrie consiste à offrir un sacrifice, qui est un acte extérieur. Elle n’est donc pas une vertu théologale. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 – [À quelle vertu cardinale se ramène le culte de latrie ?] |
[8533] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc.
4 arg. 1 Ulterius. Quaeritur, ad quam virtutem
cardinalium reducatur; et videtur quod non ad justitiam, de qua magis
videtur. Justitia enim
secundum quod est specialis virtus una de quatuor cardinalibus, consistit,
secundum philosophum, in communicatione activae vitae. Sed in praesenti vita
non est nobis communicatio cum Deo: unde dicitur Danielis cap. 10: exceptis
diis, quorum non est cum hominibus conversatio. Ergo non potest esse
species justitiae. |
1. À quelle vertu cardinale se ramène [le culte de latrie]. Il semble que ce ne soit pas à la justice, dont il semble davantage relever. En effet, la justice, selon qu’elle est une vertu particulière, l’une des quatre vertus cardinales, consiste dans les échanges de la vie active. Or, dans la vie présente, il n’y a pas d’échanges avec Dieu. Ainsi est-t-il dit en Dn 10 : Les dieux mis à part, qui n’ont pas d’échanges avec les hommes. [Le culte de latrie] ne peut donc pas être une partie de la justice. |
[8534] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
qc. 4 arg. 2 Praeterea,
secundum philosophum, 5 Ethic., non est justitia proprie dicta inter dominum
et servum: sicut nec alicujus ad se: quia servus quod est et quod habet,
domini est: similiter nec patris ad filium, qui est quasi pars ejus. Sed nos
habemus nos ad eum sicut servi ad dominum, et filii ad patrem. Ergo non est
justitia nostri ad Deum; et ita latria non est pars justitiae. |
2. Selon le Philosophe, Éthique, V, il n’existe pas de justice au sens propre entre le seigneur et le serviteur, pas davantage entre quelqu’un et lui-même, car ce qu’est et ce que possède le serviteur appartiennent au seigneur ; et pas davantage entre le père et le fils, qui est une partie de lui. Or, nous sommes par rapport à [Dieu] comme des serviteurs par rapport à leur seigneur et des fils par rapport à leur père. Il n’existe donc pas de justice entre nous et Dieu, et ainsi la latrie n’est pas une partie de la justice. |
[8535] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
qc. 4 arg. 3 Praeterea,
justitia proprie in aequalitate consistit, sicut dicit philosophus 5 Ethic.
Sed non est possibile nos aequari Deo secundum opus nostrum. Ergo non potest
esse justitia nostri ad Deum; et sic idem quod prius. |
3. La justice consiste au sens propre dans l’égalité, comme le dit le Philosophe dans Éthique, V. Or, nous ne pouvons pas nous égaler à Dieu par un de nos actes. Il ne peut donc y avoir de justice entre nous et Dieu. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[8536] Super Sent., lib. 3 d. 9
q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, Tullius in rhetorica, ponit religionem speciem justitiae.
Sed religio, secundum quod ipse accipit, est idem quod latria: quia religio,
secundum eum, est quae superiori cuidam naturae (quam divinam vocant) cultum
caeremoniamque affert. Ergo latria est species justitiae. |
Cependant, [1] Tullius [Cicéron], dans la Rhétorique, affirme que « la religion est une partie de la justice ». Or, la religion, selon qu’il l’entend, est la même chose que le culte de latrie, car la religion, selon lui, est « celle qui rend un culte et des cérémonies à une nature (qu’on appelle divine) ». Le culte de latrie est donc une espèce de la justice. |
[8537] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
qc. 4 s. c. 2 Praeterea,
reddere debitum, actus est justitiae. Sed latria est cultus Deo debitus; unde
exhibet Deo quod ei debetur. Ergo latria est pars justitiae. |
[2] Rendre ce qu’on doit est un acte de
justice. Or, la latrie est un culte dû à Dieu. Elle manifeste donc à Dieu ce
qui lui est dû. Le culte de latrie est donc une partie de la justice. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[8538] Super Sent., lib.
3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad
primam quaestionem, quod quando aliquid commune in multis invenitur, si in
aliquo eorum secundum specialem modum inveniatur, habet etiam nomen speciale,
sicut nasus curvus dicitur simus. Similiter cum obsequium diversis possit
exhiberi, speciali quodam et supremo modo Deo debetur, quia in eo est suprema
ratio majestatis et dominii; et ideo servitium vel obsequium quod ei debetur,
speciali nomine nominatur et dicitur latria. Hoc autem nomen tripliciter
sumitur: quandoque enim pro eo quod Deo in obsequium exhibetur, sicut
sacrificium, genuflexiones, et hujusmodi; quandoque autem pro ipsa
exhibitione; quandoque vero pro habitu quo exhibetur obsequium; et primo modo
latria non est virtus, sed materia virtutis; secundo modo est actus virtutis;
tertio modo est virtus; et nominatur haec virtus quatuor nominibus: dicitur
enim pietas quantum ad effectum devotionis, quod primum occurrit. Dicitur
etiam theosebia, idest divinus cultus vel eusebia, idest bonus cultus,
quantum ad intentionem attentam; illud enim coli dicitur cui studiose
intenditur, sicut ager vel animus, vel quidquid aliud. Dicitur etiam latria,
idest servitus, quantum ad opera quae exhibentur in recognitionem dominii
quod Deo competit ex jure creationis. Dicitur etiam religio quantum ad
determinationem operum ad quae homo se obligando in cultum Dei determinat. Quibus tamen nominibus una et eadem virtus
nominatur secundum diversa quae ad ipsa concurrunt. |
Lorsque quelque chose de commun se trouve dans plusieurs choses, si on le trouve d’une manière particulière dans l’une d’elles, cela porte un nom particulier, comme le nez courbe est appelé camus. De même, alors qu’une soumission peut être manifestée à plusieurs, elle est due à Dieu d’une manière particulière et suprême, car la raison de majesté et de seigneurie existe en lui d’une manière suprême. Le service ou la soumission qui lui est dû porte donc un nom particulier : le culte de latrie. Or, ce nom a un triple sens. En effet, il s’entend parfois de ce qui est manifesté à Dieu comme une soumission : ainsi, le sacrifice, les génuflexions et les choses de ce genre. Mais il s’entend parfois de la manifestation elle-même. Parfois encore, [il s’entend] de l’habitus par lequel la soumission est manifestée. Selon le premier sens, le culte de latrie n’est pas une vertu, mais la matière d’une vertu. Selon le deuxième sens, il est un acte de vertu. Selon le troisième sens, il est une vertu, et cette vertu porte quatre noms. En effet, elle est appelée « piété » du point de vue de l’effet de la dévotion qui se présente en premier. Elle s’appelle aussi theosebia, c’est-à-dire culte divin ou eusebia, c’est-à-dire culte bon, du point de vue de l’intention visée : en effet, on dit que quelque chose est traité avec soin (coli) lorsqu’on s’y adonne avec application, comme un champ ou un animal, ou n’importe quoi d’autre. Elle s’appelle aussi « latrie », c’est-à-dire service, du point de vue des actes qui sont manifestés en reconnaissance de la seigneurie qui appartient à Dieu par droit de création. Elle s’appelle encore « religion » du point de vue de la détermination des actes auxquels l’homme s’applique en s’obligeant au culte de Dieu. Une seule et même vertu est cependant exprimée par ces quatre noms, selon les diverses choses qui y concourent. |
[8539] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum philosophum in principio
Metaph., liber est qui sui causa est; unde servus dicitur qui causa alterius
est, et servitium quod causa alterius agitur. Sed alterius causa agi est
dupliciter: vel sicut finis, sicut servus non lucratur sibi sed domino: vel
sicut moventis, sicut servus non proprio motu, sed motus sicut instrumentum
domini, operatur. Servitium ergo quantum ad hoc secundum tollit libertatem
voluntatis, et per consequens virtutem; sed quantum ad primum non, quia homo
potest propter alterum operari quod ei debet, etiam propria voluntate; et
secundum hoc latria dicitur servitus. |
1. Selon le Philosophe, au début de la Métaphysique, est libre celui qui est cause de lui-même ; aussi celui qui agit pour un autre est-il appelé « serviteur », et ce qui est accompli pour un autre, « service ». Mais on agit pour un autre de deux manières : soit à titre de fin, comme le serviteur ne gagne pas pour lui-même mais pour le seigneur ; soit à titre de moteur, comme le serviteur n’agit pas de sa propre initiative, mais il est mû comme un instrument du maître. Le service, en ce second sens, enlève donc la liberté de la volonté et, par conséquent, la vertu ; mais non au premier sens, parce qu’un homme peut faire pour autre ce qu’il lui doit, même de sa propre volonté. C’est en ce sens que le culte de latrie est appelé un service. |
[8540] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod quamvis virtus habeat quod sit virtus ex actu interiori,
scilicet ex electione; tamen quod sit determinata virtus, habet ex actu
exteriori: quia nostra electio determinatur per actum exteriorem qui elicitur,
secundum quem attingit virtus proprium objectum, vel materiam, ex quo
specificatur actus vel habitus; ideo virtutes quaedam habent actus
exteriores, non solum interiores, sicut patet de fortitudine et justitia. |
2. Bien que la vertu tienne son caractère de vertu d’un acte intérieur, le choix, elle tient d’un acte extérieur d’être une vertu déterminée, car notre choix est déterminé par l’acte extérieur qui est choisi, selon lequel la vertu atteint son objet propre ou sa matière, dont l’acte ou l’habitus reçoit son espèce. C’est pourquoi certaines vertus ont des actes extérieurs, et non seulement intérieurs, comme cela est clair pour la force et la justice. |
[8541] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod revereri, inquantum hujusmodi, est actus timoris; sed exhibere
reverentiam, inquantum est Deo debitum, est proprie latriae; unde non
sequitur idem esse latriam et timoris donum; sicut etiam pugnare viriliter
est actus fortitudinis, inquantum hujusmodi; sed pugnare in acie regis
inquantum miles, hoc debet ei propter feudum quod tenet ab eo; et est actus
justitiae. |
3. Révérer, en tant que tel, est un acte de crainte ; mais manifester de la révérence, en tant que cela est dû à Dieu, relève au sens propre du culte de latrie. Il n’en découle donc pas que la latrie et le don de crainte soient la même chose, de même aussi que combattre fortement est un acte de la force en tant que tel, mais combattre comme soldat dans l’armée du roi lui est dû en raison du fief tenu de lui, et cela est un acte de justice. |
[8542] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod pietas, inquantum est donum, consistit in quadam benevolentia
supra modum humanum ad omnes: sed pietas secundum quod hic accipitur,
consistit in quadam devotione ad Deum, cui latria exhibetur; et hoc infra in
tractatu de donis melius patebit. |
4. La piété, en tant que don, consiste dans une certaine bienveillance envers tous dépassant la mesure humaine ; mais la piété, selon qu’on l’entend ici, consiste dans une certaine dévotion envers Dieu, à qui le culte de latrie est manifesté. Cela deviendra plus clair plus loin, dans le traité sur les dons. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[8543] Super Sent., lib.
3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod aliqua virtus dicitur generalis
quatuor modis. Uno modo quia praedicatur de qualibet virtute, sicut justitia
legalis, quae convertitur cum virtute, et est idem subjecto, ratione
differens, ut dicit philosophus: et sic dicitur generalis quantum ad suam
essentiam. Secundo modo dicitur generalis, inquantum ab ea dependent aliae
virtutes participantes ejus actum; et hoc modo prudentia generalis dicitur,
quia ex ea omnes aliae virtutes morales rectitudinem electionis participant,
et sic actus ejus immiscetur actibus omnium aliarum virtutum: nihilominus
ipsa in se est specialis secundum quod habet specialem rationem objecti,
scilicet eligibile ad opus. Tertio modo dicitur generalis, inquantum operatur
circa actus omnium virtutum, ita quod omnes cedunt ei pro materia; sicut
magnanimitas, quae operatur magna in omnibus virtutibus, ut dicitur 4 Eth.;
et tamen in se specialis virtus est, quia rationem specialem objecti in
omnibus attendit, scilicet dignum magno honore. Quarto dicitur aliqua virtus
generalis, inquantum ad eam concurrunt diversae virtutes, quia scilicet actus
ejus praeexigit actus multarum virtutum; sicut etiam ad magnanimitatem praeexiguntur
aliae virtutes, quia nullus potest dignificari magnis nisi virtuosus sit. Prima ergo generalitas,
est quasi universalis; secunda quasi causae dantis esse; tertia quasi moventis
per imperium; quarta quasi totius integralis comprehendentis multa. Sic ergo
dicendum est, quod latria in se considerata est specialis virtus, quia habet
specialem rationem objecti et actus, scilicet ut exhibeatur aliquid Deo in
recognitionem servitutis, sicut feudatarius aliquid reddit domino suo in
recognitionem dominii: unde actum et objectum habet formaliter unum et specialem
quantum ad praedictam rationem; quamvis materialiter sint multi actus et
multa objecta. Potest autem dici generalis quantum ad duos ultimos modos.
Potest enim uti actibus aliarum virtutum materialiter sub praedicta ratione
proprii objecti; et iterum ad actum ejus praeexiguntur multae virtutes aliae,
sicut fides quae ostendit cui exhibenda sit latria, et caritas, quae afficit
ad eum cui exhibenda est; et sic possunt multae aliae concurrere. Quamvis autem utatur materialiter actibus
aliarum virtutum sub ratione proprii actus, tamen utitur quibusdam actibus
qui non sunt proprii alicujus alterius virtutis elicitive, sicut offerre
sacrificia, facere protestationes, et hujusmodi: nisi forte sicut imperantur
a caritate et ostenduntur a fide, non autem eliciuntur; et isti videntur
proprie actus esse latriae. |
Une vertu est appelée générale de quatre manières. D’une manière, parce qu’elle est prédiquée de toute vertu, comme « la justice légale, qui est convertible avec la vertu et est la même chose par leur sujet, mais diffère selon la raison », comme le dit le Philosophe. Une vertu est ainsi appelée générale quant à son essence. D’une deuxième manière, une vertu est appelée générale dans la mesure où dépendent d’elle d’autres vertus qui participent à son acte. De cette manière, la prudence est appelée générale, car toutes les autres vertus morales participent à la rectitude du choix, et ainsi son acte est mêlé aux actes de toutes les autres vertus ; toutefois, elle est en elle-même une vertu particulière selon qu’elle possède une raison spéciale quant à son objet, à savoir, ce qui peut être choisi comme action. D’une troisième manière, [une vertu] est appelée générale dans la mesure où elle agit sur les actes de toutes les vertus, de telle sorte que toutes deviennent pour elle une matière. Ainsi, « la magnanimité, qui fait de grandes choses en toutes les vertus », comme il est dit dans Éthique, IV. Cependant, elle est en elle-même une vertu particulière, car elle considère en toutes [les vertus] la raison spéciale de son objet, à savoir, ce qui est digne d’un grand honneur. Une vertu est appelée générale d’une quatrième manière pour autant que diverses vertus y concourent, car ses actes exigent au préalable des actes de plusieurs vertus. Ainsi, d’autres vertus sont exigées au préalable pour la magnanimité, car personne ne peut être louangé pour de grandes choses à moins d’être vertueux. Le premier caractère général est donc pour ainsi dire universel ; le deuxième est celui d’une cause qui donne l’être ; le troisième est celui de ce qui meut par mode de commandement ; le quatrième, celui d’un tout intégral qui comprend plusieurs choses. Il faut donc dire que le culte de latrie, considéré en ;ui-même, est une vertu particulière, car il a une raison particulière pour son objet et son acte, à savoir, une certaine manifestation adressée à Dieu en reconnaissance d’une servitude, comme un feudataire rend quelque chose à son seigneur en reconnaissance de sa seigneurie. [Le culte de latrie] possède donc formellement un seul acte et objet selon la raison déjà mentionnée, bien que, du point de vue de la matière, il y ait plusieurs actes et plusieurs objets. Mais il peut être appelé général selon les deux derniers modes [de généralité]. En effet, il peut utiliser comme son objet propre et à titre de matière les actes d’autres vertus ; de plus, plusieurs autres vertus sont exigées au préalable pour son acte, comme la foi qui montre à qui il doit être manifesté. Plusieurs autres [vertus] peuvent ainsi y concourir. Mais, tout en utilisant comme matière les actes d’autres vertus selon la raison de son acte propre, [le culte de latrie] utilise cependant certains actes qui ne relèvent pas à proprement parler d’une autre vertu, comme offrir des sacrifices, témoigner et les choses de ce genre ; bien qu’ils soient commandés par la charité et désignés par la foi, ils n’en sont cependant pas issus. De tels actes semblent être au sens propre les actes du culte de latrie. |
[8544] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod offerre sacrificia est tantum de illis quae pertinent ad
latriam elicitive; unde hoc quod dicitur, omne opus quo Deo jungimur, esse
sacrificium, est metaphorice dictum; inquantum Deum placabilem reddit, ad
quod sacrificium offertur. |
1. Offrir des sacrifices fait seulement partie des actes qui sont choisis par le culte de latrie. Aussi ce qui est dit, que « tout acte par lequel nous sommes unis à Dieu est un sacrifice », est-il dit métaphoriquement, pour autant que cela rend Dieu favorable, raison pour laquelle le sacrifice est offert. |
[8545] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod aliud est Deo servire, et aliud exhibere aliquid in
recognitionem servitutis: primum enim omnis virtutis commune est; secundum
autem proprium est latriae; unde latria includit servitium in ratione sui
objecti; et propter hoc per se inest ei, et a serviendo nominatur: aliis
autem virtutibus accidit, et non pertinet ad proprias rationes ipsarum. |
2. Une chose est de servir Dieu, une autre, manifester quelque chose en reconnaissance d’une servitude. En effet, la première chose est commune à toute vertu ; la seconde chose est le propre du culte de latrie. Aussi le culte de latrie inclut-il le service dans la raison de son objet. Pour cette raison, il en fait partie par soi et son noom vient de « servir ». Mais il s’ajoute aux autres vertus et ne relève pas de leurs raisons propres. |
[8546] Super Sent., lib.
3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
secundum quod actus aliarum virtutum in gloriam Dei fiunt, sic materialiter
assumuntur a latria, ut dictum est. |
3. Selon que les actes des autres vertus sont accomplis pour la gloire de Dieu, ils sont ainsi pris comme matière par le culte de latrie, comme on l’a dit. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[8547] Super Sent., lib.
3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod virtutes theologicae dicuntur
proprie illae quae habent Deum pro objecto et fine; unde nulla virtus
theologica habet actum circa rem creatam proprie loquendo: caritas enim nihil
in homine diligit nisi Deum. Objectum autem circa quod agit latria est id
quod reddit Deo in recognitionem servitutis, quod non est Deus; unde non est
virtus theologica, sed ad cardinales reducitur. |
On appelle au sens propre vertus théologales celles qui ont Dieu pour objet et pour fin. Aussi aucune vertu théologale n’a-t-elle au sens propre un acte portant sur une chose créée : en effet, la charité n’aime que Dieu dans l’homme. Mais l’objet sur lequel le culte de latrie agit est ce qu’il rend à Dieu à titre de reconnaissance d’une servitude, ce qui n’est pas Dieu. Elle n’est donc pas une vertu théologale, mais se ramène aux vertus théologales. |
[8548] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus
dicitur coli fide, spe, et caritate, non quasi cultus eliciatur his
virtutibus, sed quia dictae virtutes ordinant ad cultum, vel etiam quia actus
dictarum virtutum materialiter cedunt in cultum modo praedicto. |
1. On dit qu’un culte est rendu à Dieu par la foi, l’espérance et la charité, non pas parce qu’un culte est choisi par ces vertus, mais parce que ces vertus ordonnent au culte, ou encore parce que les actes de ces vertus deviennent matière du culte de la manière indiquée plus haut. |
[8549] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod cum dicitur, colo vel adoro Deum, quamvis actus videatur transire in
Deum sicut in objectum, transit tamen in rem aliam sicut in objectum, et in
Deum sicut in finem: quia colere Deum est aliquid exhibere Deo in protestationem
servitutis. |
2. Lorsqu’on dit : « Je rends un culte ou j’adore Dieu », bien que l’acte semble atteindre Dieu comme objet, il atteint cependant une autre chose chose comme objet et Dieu comme fin, car rendre un culte à Dieu est manifester quelque chose à Dieu comme attestation d’une servitude. |
[8550] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod superfluum
et diminutum, inter quae media virtus moralis, non attenditur secundum
quantitatem absolutam, sed in comparatione ad rationem rectam; ut scilicet
fiat aliquid, secundum quod debet quantum ad omnes circumstantias. Unde contingit quod quantum ad aliquam
circumstantiam virtus aliqua ponit in maximo, sicut magnanimitas, quae est
circa maximos honores, et magnificentia, quae est circa maximos sumptus. Unde
et in latria superfluum est non quod Deus colatur nimis, sed quantum ad has
circumstantias; exhibere cultum latriae cui non debet cultus exhiberi, et sic
est idolatria; vel quando non debet, et sic est superstitio, quae est religio
supra modum observata. |
3. Le trop et le trop peu entre lesquels se situe le milieu de la vertu morale ne se prend pas selon une quantité absolue, mais par rapport à la raison droite, de sorte que quelque chose soit accompli comme il se doit, compte tenu de toutes les circonstances. Aussi arrive-t-il que, compte tenu d’une circonstance, une vertu se situe dans ce qu’il y a de plus grand, comme la magnanimité, qui porte sur les plus grands honneurs, et la magnificence, qui porte sur les plus grandes dépenses. Le superflu dans la latrie ne vient donc pas de ce qu’un trop grand culte est rendu à Dieu, mais de ces circonstances : manifester un culte de latrie à qui ce culte ne doit pas être manifesté – il s’agit alors de l’idolatrie –, ou lorsqu’il ne le doit pas – il s’agit alors de la superstition, qui une religion observée de manière démesurée. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la sous-question 4
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[8551] Super Sent., lib.
3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod secundum philosophum, justitia,
secundum quod est specialis virtus, consistit in bonis quibus homines sibi
invicem communicant in vita ista, sicut sunt pecunia, honores, et hujusmodi,
secundum quod unus alteri hujusmodi communicare potest: in quibus judex
secundum legem aequalitatem constituit, ut unusquisque habeat quod sibi
debetur, non plus nec minus: et in hac aequalitate consistit justitia; unde
justitia sic accepta, ut ipse dicit, non est nisi in illis qui nati sunt
regulari eadem lege, et sub eodem principe esse, et aequaliter principari.
Unde secundum ipsum, talis justitia non est domini ad servum, nec patris ad
filium: quia servus et filius res eorum sunt; unde non est ad eos justitia,
sicut nec ad seipsum: tamen est ibi quidam modus justitiae, secundum quod dominus
reddit servo quod sibi debetur, vel e converso; quod appellatur justum
dominatum: et hoc modo se habet ad justitiam latria, quia consistit in hoc
quod reddit Deo quod sibi debetur; unde reducitur ad justitiam non quasi
species ad genus, sed sicut virtus annexa ad principalem, quae participat
modum principalis. |
En tant que vertu particulière, la justice consiste dans les biens par lesquels les hommes échangent entre eux en cette vie, comme l’argent, les honneurs et les choses de ce genre, selon que quelqu’un peut échanger avec un autre les choses de ce genre. Le juge établit en cela une égalité selon la loi, de sorte que chacun ait ce qui lui est dû, ni plus ni moins. C’est dans cette égalité que consiste la justice. Aussi la justice ainsi entendue, comme il le dit lui-même, ne porte-t-elle que sur ce qui doit être mesuré par cette même loi, être soumis au même dirigeant et être dirigé avec égalité. Selon lui, une telle justice n’est donc pas celle du seigneur envers son serviteur, ni du père envers son fils, car le serviteur et le fils sont leur chose ; il n’y a donc pas de justice pour eux, comme il n’y en a pas envers soi-même. Cependant, il y là un certain mode de justice selon que le seigneur rend à son serviteur ce qui lui est dû ou inversement, ce qu’on appelle un juste exercice de la seigneurie. C’est de cette manière que la latrie relève de la justice, car elle consiste à rendre à Dieu ce qui lui est dû. Elle se ramène donc à la justice comme une espèce au genre, mais en tant que vertu annexe d’une vertu principale et qui participe au mode de la [vertu] principale. |
[8552] Super Sent., lib.
3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 1 Et per hoc patet responsio ad duo prima, quae secundum istam viam
procedunt. |
1-2. Ainsi ressort la réponse aux deux premiers arguments, qui se présentent de cette manière. |
[8553] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1
qc. 4 ad 3 Ad tertium autem dicendum, quod
praedictus modus justitiae, qui est filii ad patrem, et hominis ad Deum, non
requirit aequalitatem ut exhibeatur secundum dignitatem ejus cui exhibetur,
sed secundum possibilitatem reddentis; unde dicit philosophus, quod non in
omnibus reddendum est quod est secundum dignitatem, quemadmodum in his qui ad
deos et parentes honoribus: nullus enim secundum dignitatem alteri retribuit.
Secundum potentiam autem
famulans justus esse videtur. |
3. Le mode de justice mentionné plus haut : celui du fils par rapport à son père et de l’homme par rapport à Dieu, n’exige pas l’égalité pour être manifesté conformément à la dignité de celui à qui il est manifesté, mais [il exige d’être manifesté] selon ce qui est possible à celui qui le rend. Aussi le Philosophe dit-il qu’il n’est pas nécessaire de rendre en tout à la mesure de la dignité, lorsqu’il s’agit d’honorer les dieux et les parents : en effet, personne ne rend [ici] à l’autre à la mesure de sa dignité. Mais le serviteur paraît être juste selon ce qu’il peut. |
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Articulus 2 [8554] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
tit. Utrum
humanitati Christi exhibenda sit latria |
Article 2 – Le culte de latrie doit-il être manifesté à l’humanité du Christ ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le culte de latrie doit-il être manifesté à l’humanité du Christ ?] |
[8555] Super Sent., lib.
3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod
humanitati Christi non sit latria exhibenda. Dicitur enim in Glossa super
illud Psalm. 98: adorate scabellum pedum ejus: caro Christi non est
adoranda illa adoratione latriae quae soli Deo debetur. |
1. Il semble que le culte de latrie ne doive pas être manifesté à l’humanité du Christ. En effet, il est dit dans la Glose sur Ps 98 : Adorez l’escabeau de ses pieds : « La chair du Christ ne doit pas être adorée de cette adoration de latrie qui est due à Dieu seul. » |
[8556] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ea quae ad
naturam pertinent in Christo distincta sunt. Sed reverentia non solum debetur personae.
Sed naturae. Cum igitur natura humana sit alia a divina, alia sibi debetur
reverentia: ergo non debetur sibi latria, quae tantum Deo debetur. |
2. Ce qui se rapporte à la nature chez le Christ est distinct. Or, la révérence n’est pas due seulement à la personne, mais à la nature. Puisque la nature humaine est autre que la nature divine, une autre révérence lui est donc due. Le culte de latrie, qui est dû à Dieu seulement, ne lui est donc pas dû. |
[8557] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 1 arg. 3 Praeterea, sicut dictum est, latria exhibetur Deo, inquantum est
ipse dominus per creationem. Sed creare non convenit humanitati Christi. Ergo non est ei exhibenda latria. |
3. Comme on l’a dit, le culte de latrie est manifestée à Dieu en tant qu’il est Seigneur par la création. Or, créer ne convient pas à l’humanité du Christ. Le culte de latrie ne doit donc pas lui être manifesté. |
[8558] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, sicut
anima rationalis et caro unus est homo, ita Deus et homo unus est Christus.
Sed eadem reverentia exhibetur animae hominis et carni ejus. Ergo eadem
reverentia exhibenda est filio Dei et humanitati assumptae; et sic adoranda
est latria. |
Cependant, [1] « de même que l’âme raisonnable et la chair sont un seul homme, de même Dieu et l’homme sont-ils un seul Christ ». Or, la même révérence est due à l’âme d’un homme et à sa chair. La même révérence doit donc être manifestée au Fils de Dieu et à l’humanité assumée. Ainsi doit-elle être adorée par un culte de latrie. |
[8559] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, hoc
idem patet per auctoritates et exempla in littera posita. |
[2] La même chose ressort des autorités et des exemples donnés dans le texte. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Un culte de latrie doit-il être manifesté aux images du Christ ?] |
[8560] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur, quod nec imaginibus Christi sit exhibendus cultus latriae. Exod. 20,
4: non facies tibi sculptile neque ullam similitudinem. Ergo multo
minus licet adorare imaginem Christi. |
1. Il semble qu’un culte de latrie ne doit pas non plus être rendu aux images du Christ. Ex 20, 4 : Tu ne te feras pas d’objet sculpté ni d’autre ressemblance. Encore bien moins est-il permis d’adorer une image du Christ. |
[8561] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 2 Praeterea, de nullo alio irridentur in Scripturis idolatrae,
nisi quia opera manuum suarum
adoraverunt, quibus ipsi facientes meliores erant. Sed similiter imagines quas Ecclesia
adorat, sunt opera manuum hominum. Ergo videtur in similem derisionem
incidere. |
2. Les idolâtres ne sont tournés en dérision dans les Écritures que parce qu’ils ont adoré les œuvres de leurs mains, alors qu’en les faisant, ils étaient meilleurs qu’elles. Or, les images que l’Église adore sont aussi des œuvres de main d’homme. Il semble donc qu’elles tombent dans la même dérision. |
[8562] Super Sent., lib. 3 d. 9
q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in cultu divino non sunt exhibenda nisi ea quae per legem
Dei determinantur. Sed non invenitur in sacris Scripturis institutum de
imaginum adoratione. Ergo videtur nimis praesumptuosum fuisse imaginum
adorationem inducere. |
3. Il ne faut manifester dans le culte divin que ce qui a été déterminé par la loi de Dieu. Or, on ne trouve pas dans les Saintes Écritures qu’ait été instituée l’adoration des images. Il semble donc pour le moins présomptueux d’avoir introduit l’adoration d’images. |
[8563] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 2 s. c. 1 Sed contra, imago,
inquantum hujusmodi, ducit in imaginatum. Sed imaginatum harum imaginum quas adoramus, est
Christus, qui est adorandus adoratione latriae. Ergo et imago ejus. |
Cependant, [1] en tant que telle, l’image conduit à ce qui est représenté. Or, ce qui est représenté dans ces images que nous adorons est le Christ, qui doit être adoré d’une adoration de latrie. Donc, son image aussi. |
[8564] Super Sent., lib. 3 d. 9
q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Basilius dicit, quod honor imaginis ad prototypum refertur,
idest ad principalem figuram, scilicet ad imaginatum. Ergo idem honor utrique exhibendus est, et
sic idem quod prius. |
[2] Basile dit que l’honneur de l’image se rapporte au prototype, c’est-à-dire à la figure principale, c’est-à-dire à ce qui est représenté. Le même honneur doit donc être manifesté aux deux. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Un culte de latrie doit-il être rendu à la bienheureuse Vierge ?] |
[8565] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur, quod beatae virgini sit latria exhibenda. Quia Damascenus dicit,
quod honor matris refertur ad filium. Si ergo filius latria est adorandus,
similiter et mater. |
1. Il semble qu’un culte de latrie doive être rendu à la bienheureuse Vierge, car [Jean] Damascène dit que l’« honneur de la mère se rapporte au Fils ». Si donc le Fils doit être adoré par latrie, de même en est-il de la mère. |
[8566] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 3 arg. 2 Praeterea, de
ipsa cantatur: secumque faciet matrem participem patris imperii; et ab
omnibus dicitur domina mundi, et regina Angelorum. Sed Deo exhibetur latria,
inquantum est dominus et rex. Ergo et virgini matri oportet latriam exhiberi. |
2. On chante d’elle : « Il fera aussi participer sa mère avec lui au gouvernement du Père » ; tous l’appellent aussi « maîtresse du monde » et « reine des anges ». Or, le culte de latrie est manifesté à Dieu en tant qu’il est Seigneur et Roi. Il faut donc aussi manifester un culte de latrie à la Vierge Marie. |
[8567] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 3 arg. 3 Praeterea, Augustinus probat quod
corpus virginis non est incineratum, quia est ejusdem naturae cum corpore
filii, quod ex suo sumptum est. Ergo si corpus filii est adorandum adoratione latriae, videtur quod
similiter mater. |
3. Augustin démontre que le corps de la Vierge n’est pas devenu poussière parce qu’il est de la même nature que le corps que le Fils a assumé d’elle. Si le corps du Fils doit être adoré d’une adoration de latrie, il semble donc que sa mère doive aussi l’être. |
[8568] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 3 s. c. 1 Sed contra,
beata virgo est pura creatura. Sed latria soli creatori debetur. Ergo ei non
debetur latria. |
Cependant, [1] la bienheureuse Vierge est une simple créature. Or, le culte de latrie n’est dû qu’au seul Créateur. Le culte de latrie n’est donc pas dû [à la bienheureuse Vierge]. |
[8569] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ipsa
adorat Deum latria. Sed non est ejusdem latriam exhibere et recipere; sicut
nec creari et creare. Ergo latria
non est exhibenda beatae virgini. |
[2] Elle-même adore Dieu par latrie. Or, il ne revient pas au même de manifester et de recevoir un culte de latrie, de même que d’être créé et de créer. Un culte de latrie ne doit donc pas être manifesté à la bienheureuse Vierge. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 – [Un culte de latrie doit-il être manifesté à la croix ?] |
[8570] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur, quod non sit exhibenda cruci. Sicut enim
secundum humanitatem passus est in cruce, ita secundum divinitatem caelum est
sedes ejus. Sed caelum propter hoc non est adorandum latria. Ergo multo minus
crux, cum latria debeatur Christo ratione divinitatis, non ratione
humanitatis. |
1. Il semble qu’un [culte de latrie] ne doive pas être manifesté à la croix. En effet, de même que [le Christ] a souffert sur la croix selon son humanité, de même est-il assis au ciel selon sa divinité. Or, le ciel ne doit pas pour cela être adoré par latrie. Donc, encore bien moins la croix, puisque le culte de latrie est dû au Christ en raison de sa divinité, non en raison de son humanité. |
[8571] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 4 arg. 2 Praeterea, res
inanimata indignior est homine. Sed honor latriae non est exhibendus ab
homine nisi ei qui est supra hominem. Ergo crux non debet latria adorari. |
2. Une chose inanimé est moins digne que l’homme. Or, l’honneur de latrie ne doit être manifesté par l’homme qu’à ce qui est au-dessus de l’homme. La croix ne doit donc pas être adorée par latrie. |
[8572] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 3 Praeterea, majorem
affinitatem habet ad Christum beata virgo quam crux ejus. Sed virgo non adoratur latria.
Ergo multo minus crux. |
3. La bienheureuse Vierge a une plus grande affinité avec le Christ que sa croix. Or, la Vierge ne doit pas être adorée par latrie.Donc, encore bien moins la croix. |
[8573] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 4 s. c. 1 Sed contra,
reliquiae aliorum sanctorum honorantur eodem honore quo ipsi sancti. Sed crux est de reliquiis Christi. Ergo est
adoranda latria sicut Christus. |
Cependant, [1] les reliques des autres saints doivent être honorées du même honneur que les saints eux-mêmes. Or, la croix fait partie des reliques du Christ. Elle doit donc être adorée par latrie, comme le Christ. |
[8574] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 4 s. c. 2 Praeterea, crux est imago Christi crucifixi. Sed imago
crucifixi Christi est adoranda latria. Ergo et crux. |
[2] La croix est l’image du Christ crucifié. Or, l’image du Christ crucifié doit être adorée par latrie. Donc, la croix aussi. |
Quaestiuncula 5 |
Sous-question 5 – [Un culte de latrie doit-il être rendu aux saints ?] |
[8575] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 5 arg. 1 Ulterius.
Quaeritur, utrum viris sanctis sit exibendus honor latriae, et videtur quod
sic. Quia latria
exhibetur Deo ratione divinitatis. Sed sancti participatione dicuntur dii.
Ergo eis debet latria exhiberi. |
1. On se demande si l’honneur de latrie doit être manifesté aux saints, et il semble que ce soit le cas, car le culte de latrie est manifesté à Dieu en raison de sa divinité. Or, les saints sont appelés des dieux par participation. Un culte de latrie doit donc leur être manifesté. |
[8576] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 5 arg. 2 Praeterea, imago impressa divinitus
est nobilior quam quae facta est humanitus. Sed imagines Dei quas homo fecit,
adorantur latria. Ergo multo
fortius viri sancti, in quibus Deus suam imaginem impressit, et reformavit. |
2. L’image imprimée par Dieu est plus noble que celle réalisée par des hommes. Or, les images de Dieu faites par l’homme sont adorées par latrie. À bien plus forte raison, les saints en qui Dieu a imprimé et rétabli son image. |
[8577] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 5 arg. 3 Praeterea,
Abraham, ut legitur Gen. 18, tres viros, qui Angeli erant, ut dicit
Augustinus, adoravit adoratione latriae. Ergo videtur quod et aliis sanctis
latria exhiberi possit. |
3. Comme on le lit en Gn 18, Abraham a adoré d’une adoration de latrie trois hommes qui étaient des anges, ainsi que le dit Augustin. Il semble donc qu’un culte de latrie puisse être aussi manifesté à d’autres saints. |
[8578] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 5 s. c. 1 Sed contra est
quod legitur Act. 14 de Paulo et Barnaba: qui prohibuerunt illos qui eis
sacrificare volebant: et in Esther 13, legitur de Mardochaeo quod noluit
adorare Aman, ne honorem Dei videretur transferre ad homines. |
Cependant, [1] va en sens contraire ce qu’on lit en Ac 15 de Paul et de Barnabé, qui se sont opposés à ceux qui voulaient leur offrir des sacrifices ; et en Est 13, on lit de Mardochée qu’il ne voulait pas adorer Aman, de crainte de paraître reporter sur des hommes l’honneuer dû à Dieu. |
Quaestiuncula 6 |
Sous-question 6 – [Peut-on manifester sans péché à une créature un culte de latrie ?] |
[8579] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 6 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod sine peccato alicui creaturae possit latria exhiberi. Legitur
enim Apoc. ult., quod Joannes voluit Angelum adorare, et prohibitus est ab
eo. Non autem prohibuisset, si eum dulia adorare voluisset, quia haec Angelis
sanctis debetur. Ergo volebat eum adorare latria: et ita hoc potest fieri
sine peccato, ut videtur. |
1. Il semble qu’un culte de latrie puisse être manifesté sans péché à une créature. En effet, dans Ap 22, on lit, que Jean voulut adorer un ange et que celui-ci le lui interdit. Or, il ne le lui aurait pas interdit si [Jean] avait voulu l’adorer par dulie, car celle-ci est due aux anges saints. Il voulait donc l’adorer par latrie, et ainsi cela peut être accompli sans péché, semble-t-il. |
[8580] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 6 arg. 2 Praeterea, opus secundum intentionem
judicatur. Sed aliquis adorans Angelum, qui in forma Christi apparet, habet
intentionem bonam, credens ipsum esse Christum. Ergo adorando non peccat. |
2. Une action est jugée d’après l’intention. Or, celui qui adore un ange, qui apparaît sous la figure du Christ, a une bonne intention, croyant que celui-ci est le Christ. Il ne pèche donc pas en adorant. |
[8581] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 6 arg. 3 Praeterea,
aliquis adorat hostiam non consecratam adoratione latriae, credens ipsam esse
consecratam; et non peccat, quia ignorantia facti excusat eum; sed tamen
idolatria est; quia decretalis dicit, quod sacerdos qui non consecrat, et
fingit se consecrare, facit populum idolatrare. Ergo videtur quod homo possit creaturae
latriam exhibere sine peccato. |
3. Quelqu’un adore une hostie non consacrée d’une adoration de latrie, croyant qu’elle a été consacrée, et il ne pèche pas, car l’ignorance du fait l’excuse ; cependant, c’est de l’idolatrie, car une décrétale dit que « le prêtre qui ne consacre pas et fait semblant de consacrer rend le peuple idolâtre ». Il semble donc que l’homme puisse manifester sans péché un culte de latrie à une créature. |
[8582] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 6 s. c. 1 Sed contra, si
aliquis hoc quod debet temporali domino in recognitionem dominii, alteri
exhiberet, reus esset infidelitatis apud ipsum. Ergo multo amplius peccat, si cultum Deo
debitum creaturae impendat. |
Cependant, si quelqu’un manifestait à un autre ce qu’il doit à son seigneur temporel en reconnaissance de sa seigneurie, il serait coupable d’infidélité envers lui. À bien plus forte raison pèche-t-il, s’il rend à une créature le culte dû à Dieu. |
Quaestiuncula 7 |
Sous-question 7 – [Si un culte de latrie est manifesté à une créature, est-il univoque par rapport à celui qui est manifesté à Dieu ?] |
[8583] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 7 arg. 1 Ulterius. Videtur quod si creaturae
exhibeatur, univoce dicatur cum ea quae exhibetur Deo. Materia enim non
diversificat speciem. Sed cultus exhibitus Deo et creaturae non differt, ut videtur,
nisi materialiter. Ergo non
differt secundum speciem, et ita dicitur univoce. |
1. Il semble que si un culte de latrie est manifesté à une créature, il soit univoque par rapport à celui qui est manifesté à Dieu. En effet, la matière ne différencie pas l’espèce. Or, le culte manifesté à Dieu et à la créature ne diffèrent que matériellement, semble-t-il. Il n’est donc pas différent par l’espèce, et ainsi il est univoque. |
[8584] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 7 arg. 2 Praeterea,
beatitudo univoce dicitur, quamvis a quibusdam quaeratur ubi est, scilicet in
Deo, a quibusdam ubi non est, scilicet in divitiis. Igitur similiter latria
dicetur univoce, sive exhibeatur cui est exhibenda, sive cui non est
exhibenda. |
2. On parle de béatitude de manière univoque, bien que certains la cherchent où elle est, en Dieu, et d’autres là où elle n’est pas, dans les richesses. De même parle-t-on de latrie de manière univoque, qu’elle soit manifestée à qui elle doit être manifestée ou à qui elle ne doit pas l’être. |
[8585] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 7 arg. 3 Praeterea,
omnis cultus Deo debitus est latria. Sed idolatria est cultus Deo debitus,
idolo exhibitus. Ergo est latria; et sic idem quod prius. |
3. Tout culte rendu à Dieu est un culte de latrie. Or, l’idolâtrie est un culte rendu à Dieu, mais manifesté à une idole. C’est donc un culte de latrie. La conclusion est donc la même que précédemment. |
[8586] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 7 s. c. 1 Sed contra,
idem univoce sumptum non potest esse virtus et vitium. Sed latria quae Deo
exhibetur, est virtus; quae autem creaturae, est vitium. Ergo non dicitur
univoce. |
Cependant, [1] si on les considère de manière univoque, la vertu ne peut pas être un vice. Or, le culte de latrie qui est manifesté à Dieu est une vertu, mais celui qui est manifesté à une créature est un vice. On n’en parle donc pas de manière univoque. |
[8587] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 7 s. c. 2 Praeterea,
Deus non univoce dicitur de Deo vero et idolo. Sed uterque movetur ex
divinitate ejus cui latriam exhibet. Ergo videtur quod nec latria univoce
dicatur. |
[2] On ne parle pas de manière univoque de Dieu et d’une idole. Or, [l’idolatrie et le culte de latriet] sont mus par la divinité de ce à quoi le culte de latrie est manifesté. Il semble donc qu’on ne parle pas non plus de culte de latrie de manière univoque. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[8588] Super Sent., lib.
3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod duplex est modus quod
aliquid honoratur: aliquid enim honoratur ratione sui, et ratione alterius.
Secundum philosophum enim in 1 Ethic. laus et honor in hoc differunt quod
laus debetur alicui propter bonitatem quam habet ex ordine ad alterum, ut
quando facit actum congruentem fini; honor autem debetur alicui propter
bonitatem quam habet secundum se. Unde, secundum ipsum, laus debetur homini
propter actus virtutum, qui ordinantur ad felicitatem; honor autem debetur
Deo et divinis; unde sicut laus non debetur nisi actui, vel agenti qui est
dominus actus, quasi per electionem agens; ita etiam nec honor; quamvis etiam
honor ita debeatur actui sicut laus, sed magis agenti. Ergo ratione sui
honoratur illud cujus est per electionem agere, sed ratione alterius honoratur
quod de ratione honorati est; unde parti hominis secundum se consideratae non
debetur honor nisi ratione alterius. Id autem cujus est agere, persona est,
vel suppositum: quia actus sunt individuorum. Unde quantum ad primum modum
honoris non debetur humanitati Christi honor separatim a persona divina; sed
in ipsa et cum ipsa adoratur, sicut manus cum homine; et ideo secundum hoc
debetur sibi honor latriae. Quantum autem
ad secundum modum honoris, qui partibus et etiam rebus inanimatis exhibetur,
debetur sibi per se reverentia et honor; et ideo non debetur sibi latria, sed
dulia excellens, propter singularem modum dignitatis quem habet ex unione ad
verbum. Patet ergo
quod honor quo honoratur aliquid ratione sui, ad humanitatem Christi non
pertinet ut per se consideratam, sed solum ut honoratur uno honore cum
supposito in quo est; et sic debetur ei latria; sed honor qui debetur ei ratione
alterius, pertinet ad eam etiam in se consideratam; et sic debetur ei dulia.
Et quia secundum primum modum magis proprie dicitur aliquid honorari quam
secundum secundum modum; ideo magis proprie dicitur quod humanitas Christi
adoretur latria quam dulia, et hoc secundum secundam opinionem; sed secundum
primam opinionem magis proprie diceretur, quod sit adoranda dulia; quia prima
opinio ponit humanitati aliud suppositum agens praeter suppositum aeternum,
cui debetur latria. |
Il existe une double manière d’honorer une chose : en effet, une chose honorée pour elle-même et pour autre chose. Selon le Philosophe, dans Éthique, I, la louange et l’honneur diffèrent en effet par le fait que la louange est due à quelqu’un en raison de la bonté qu’il possède par rapport à quelque chose d’autre, comme lorsqu’il pose un acte qui convient à la fin ; mais l’honneur est dû à quelqu’un en raison de la bonté qu’il possède en lui-même. Selon lui, la louange est donc due à un homme en raison d’actes vertueux qui sont ordonnés à la félicité, mais l’honneur est dû à Dieu et aux réalités divines. Aussi, de même que la louange n’est due qu’à un acte ou à un agent qui est maître de son acte, comme agent qui agit par choix, de même aussi est-ce le cas de l’honneur, bien que l’honneur soit aussi dû à un acte, comme la louange, mais plutôt à l’agent. On honore donc ce à quoi il appartient d’agir par choix, mais on honore pour une autre raison que celle de celui qui est honoré. Aussi l’honneur n’est-il dû à une partie de l’homme, considérée en elle-même, qu’en raison d’autre chose. Or, la personne ou le suppôt est ce à quoi il appartient d’agir, car les actes relèvent des individus. Aussi, selon le premier mode d’honneur, l’honneur n’est-il pas dû à l’humanité du Christ séparément de la personne divine, mais elle est adorée en elle et avec elle, comme la main avec l’homme. L’honneur de latrie lui est donc dû de cette manière. Mais pour ce qui est du second mode d’honneur, qui est aussi manifesté aux parties et aux choses inanimées, lui sont dus par eux-mêmes respect et honneur. Un culte de latrie ne lui est donc pas dû, mais un culte de dulie de premier ordre, en raison du mode de dignité unique que [l’humanité du Christ] possède du fait de l’union au Verbe. Il est donc clair que l’honneur dont est honorée une chose pour elle-même ne concerne pas l’humanité du Christ considérée en elle-même, mais qu’elle est seulement honorée d’un seul honneur avec le suppôt dans lequel elle se trouve ; ainsi lui est dû un culte de latrie. Mais l’honneur qui lui est dû en raison d’autre chose concerne aussi [l’humanité du Christ] en tant qu’elle est considérée en elle-même ; ainsi lui est dû un culte de dulie. Et parce qu’on dit qu’une est davantage honorée au sens prope selon le premier mode que selon le second mode, on dit donc en un sens plus propre que l’humanité du Christ est adorée par latrie que par dulie, et cela, selon la deuxième opinion ; mais, selon la pemière opinion, on dirait en un sens plus propre que [l’humanité du Christ] doit être adorée d’un culte de dulie, car la première opinion affirme pour l’humanité un autre suppôt agissant, en plus du suppôt éternel, à qui un culte de latrie est dû. |
[8589] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod humanitas potest considerari dupliciter. Vel prout
intelligitur non conjuncta verbo; et sic non debetur sibi latria, sed haec
consideratio est in intellectu tantum. Vel prout intelligitur unita verbo; et
sic potest honorari honore uno cum verbo, et sic debetur ei latria; vel alio,
et sic debetur ei dulia: et sic loquitur praedicta Glossa. |
1. L’humanité peut être considérée de deux manières. Soit on l’entend comme non unie au Verbe. Ainsi ne lui est pas dû un culte de latrie. Mais cette manière de l’entendre se trouve dans l’intellect seulement. Soit on l’entend comme unie au Verbe : elle peut alors être honorée du même honneur que le Verbe. Ainsi lui est dû un culte de latrie. Ou autrement, et ainsi lui est dû un culte de dulie. C’est ainsi que s’exprime la glose déjà mentionnée. |
[8590] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod honor non debetur alicui ratione sui, nisi personae; unde
ratio procedit ex falsis. |
2. L’honneur n’est dû à quelqu’un en raison de lui-même que s’il s’agit d’une personne. Le raisonnement repose donc sur de fausses prémisses. |
[8591] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis
creare non sit humanitatis Christi, est tamen personae verbi, cum qua simul
adoratur. |
3. Bien que créer ne relève pas de l’humanité du Christ, cela est cependant le fait que la personne du Verbe, avec laquelle elle est simultanément adorée. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[8592] Super Sent., lib.
3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod imago potest dupliciter
considerari, vel secundum quod est res quaedam, et sic nullus honor ei debetur
(sicut nec alii lapidi vel ligno); vel secundum quod est imago. Et quia idem motus est in imaginem
inquantum est imago, et in imaginatum; ideo unus honor debetur imagini et ei
cujus est imago; et ideo cum Christus adoretur latria, similiter et ejus
imago. |
On peut envisager l’image de deux manières. Soit selon qu’elle est une chose, et ainsi aucun honneur ne lui est dû (comme il ne l’est pas à une autre pierre ou à un autre bois). Soit en tant qu’image. Et parce que c’est le même mouvement qui porte vers l’image en tant qu’image et vers ce qui est représenté, un seul honneur est donc dû à l’image et à ce dont elle est l’image. Puisque le Christ est adoré d’un culte de latrie, de même en est-t-il aussi pour son image. |
[8593] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ante incarnationem Christi, cum Deus
incorporeus esset, non poterat ei imago poni, sicut dicitur Isai. 40; et ideo
prohibitum est in veteri lege ne imagines fierent ad adorandum; et praecipue
quia proni erant ad idolatriam ex hoc quod totus mundus idolatriae
insistebat. Sed postquam Deus factus est homo, potest habere imaginem, cum
habeat ratione humanitatis assumptae, quae simul cum eo adoratur, figuram
corporalem; et ideo permissum est in nova lege imagines fieri. |
1. Avant l’incarnation du Christ, puisque Dieu est incorporel, on ne pouvait en proposer une image, comme il est dit en Is 40. Sous la loi ancienne, il a donc été défendu de faire des images pour les adorer, surtout qu’on était enclin à l’idolâtrie du fait que le monde entier s’adonnait à l’idolâtrie. Mais après que Dieu est devenu homme, une image peut en être donnée, puisqu’il a une figure corporelle en raison de l’humanité assumée, laquelle est adorée en même temps que lui. |
[8594] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod idolatrae
credebant in ipsis imaginibus aliquod numen esse, quod ex vi syllabarum ipsis
imaginibus acquireretur, sub quibus fiebant imagines; sicut Hermes dixit,
quod datum hominibus erat facere deos, ut Augustinus narrat, de Civ. Dei. Unde deserviebant imaginibus non solum ut
imaginibus, sed ut rebus, et praeterea non solum ut imaginibus Dei, sed ut
imaginibus creaturarum, solis aut lunae. Unde patet quod non est simile. |
2. Les idolâtres croyaient qu’il existait dans les images elles-mêmes une puissance qui venait aux images en vertu des syllabes elles-mêmes qui en accompagnaient la réalisation. Ainsi Hermès disait-il qu’il avait été donné aux hommes de faire des dieux, comme le raconte Augustin dans La cité de Dieu. Aussi ne servaient-ils pas les images seulement comme des images, mais comme des réalités, et pas seulement comme des images de Dieu, mais comme des images de créatures, du soleil et de la lune. Il est donc clair que ce n’est pas la même chose. |
[8595] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod apostoli
multa tradiderunt quae scripta non sunt in canone, inter quae unum est de usu
imaginum; unde Damascenus dicit, quod Lucas depinxit imaginem Christi et
beatae virginis, et Christus suam imaginem Abagaro regi direxit, ut dicitur
in ecclesiastica historia. Fuit autem triplex ratio institutionis imaginum in
Ecclesia. Primo ad instructionem rudium, qui eis quasi quibusdam libris
edocentur. Secundo ut incarnationis mysterium et sanctorum exempla magis in
memoria essent, dum quotidie oculis repraesentantur. Tertio ad excitandum devotionis affectum
qui ex visis efficacius incitatur quam ex auditis. |
3. Les apôtres ont transmis beaucoup de choses qui n’ont pas été écrites dans le canon, dont l’une est l’usage d’images. Aussi [Jean] Damascène dit-il que Luc a peint une image du Christ et de la bienheureuse Vierge, et que le Christ a envoyé son image à Abagar, comme on le dit dans l’Histoire ecclésiastique. Il y avait trois raisons d’établir des images dans l’Église. Premièrement, pour instruire les illettrés, qui sont enseignés par elles comme par des livres. Deuxièmement, pour que le mystère de l’incarnation et les exemples des saints restent davantage en mémoire du fait que leur représentation tombe quotidiennement sous les yeux. Troisièmement, pour exciter un sentiment de dévotion, qui est plus efficacement suscité par ce qui est vu que par ce qui est entendu. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
|
[8596] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod cum
beata virgo sit per se quaedam persona agens, ei debetur honor per se: unde
alia adoratione adoratur quam filius ejus; unde non potest adorari latria,
sed dulia. Quia tamen non solum honoratur ratione sui, sed etiam ratione
filii, ut mater Dei; ideo inquantum pertinet ad Christum, honoratur
hyperdulia. |
1. Puisque la bienheureuse Vierge est par elle-même une personne agissante, un honneur lui est dû pour elle-même. Aussi est-elle adorée selon une autre adoration que son Fils. Elle ne peut donc être adorée par latrie, mais par dulie. Mais parce qu’elle n’est pas honorée seulement pour elle-même, mais aussi comme mère de Dieu en raison de son Fils, pour autant qu’elle est en rapport avec le Christ, elle est honorée par hyperdulie. |
[8597] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum
dicendum, quod honor matris refertur ad filium, non sicut ad subjectum,
scilicet ut sit unus motus in matrem et in filium, sicut est in imaginibus,
sed refertur in filium sicut in finem, quia propter filium mater honoratur. |
1. L’honneur de la mère est en rapport avec son Fils, non pas comme avec un sujet, de sorte qu’il n’y ait qu’un seul mouvement vers la mère et vers le Fils, comme c’est le cas pour les images, mais elle est en rapport avec son Fils comme avec une fin, car la mère est à cause du Fils. |
[8598] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Deus est
dominus et rex quasi creator, sed virgo non est creatrix, sed quasi creatoris
mater; unde non oportet quod latria adoretur. |
2. Dieu est Seigneur et Roi en tant que Créateur ; tooutefois, la Vierge n’est pas créatrice, mais pour ainsi dire mère du Créateur. Aussi n’est-il pas nécessaire qu’elle soit adorée par latrie. |
[8599] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod incorruptio
quae opponitur incinerationi, debetur Christo etiam ratione carnis quam
assumpsit de virgine, non autem latria; et ideo non est similis ratio. |
3. L’incorruption, qui s’oppose à la réduction en cendres, est aussi due au Christ même en raison de la chair qu’il a assumée de la Vierge, mais non le culte de latrie. Le raisonnement n’est donc pas le même. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la sous-question 4
|
[8600] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc.
4 co. Ad quartam
quaestionem dicendum, quod crux Christi, etiam ipsa in qua Christus pependit,
potest dupliciter considerari; vel inquantum crucifixi imago, et sic adoratur
eadem adoratione sicut crucifixus, scilicet latria; unde eam alloquimur sicut
crucifixum, dicentes: o crux ave spes unica: vel inquantum est res
quaedam, et sic cum non pertineat ad personam verbi sicut pars ejus, non
potest eadem adoratione adorari cum verbo, sed adoratur inquantum est res
quaedam Christi ratione ipsius, hyperdulia; sed aliae cruces non adorantur
nisi ut imago; et ideo adorantur tantum latria. |
La croix du Christ, même celle à laquelle le Christ a été suspendu, peut être envisagée de deux manières. Soit en tant qu’image du Crucifié, et ainsi elle est adorée de la même adoration que le Crucifié, à savoir, par latrie – aussi nous adressons-nous à elle comme au Crucifié : « Ô Croix, notre unique espérance, salut ! ». Soit en tant qu’elle est une chose, et ainsi, puisqu’elle n’appartient pas à la personne du Verbe comme une de ses parties, elle ne peut être adorée de la même adoration que le Verbe ; mais elle est adorée par hyperdulie en raison de lui, comme quelque chose du Christ. Mais les autres croix ne sont adorées qu’en tant qu’images ; aussi sont-elles adorées par latrie seulement. |
[8601] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis caelum sit sedes Dei, non
tamen unitum est Deo in persona, sicut caro Christi; unde caelum nec latria
nec hyperdulia honoratur, nec etiam dulia, cum non sit res viva; sed
humanitas Christi vel latria vel hyperdulia adoratur, et similiter ea quae ad
humanitatem Christi referuntur, ut crux, et vestis et hujusmodi. |
1. Bien que le ciel soit le siège de Dieu, il n’est cependant pas uni à Dieu en sa personne, comme la chair du Christ ; aussi le ciel n’est-il adoré ni par latrie ni par hyperdulie, ni même par dulie, puisqu’il n’est pas une chose vivante. Mais l’humanité du Christ est adorée soit par latrie, soit par hyperdulie, de même que ce qui se rapporte à l’humanité du Christ, comme la croix, un vêtement et des choses de ce genre. |
[8602] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod crux,
inquantum est res quaedam in se considerata, est indignior homine, nec
ratione sui adoratur; sed ratione alterius qui in ea crucifixus est. |
2. La croix, pour autant qu’elle est une chose considérée en elle-même, est plus indigne que l’homme, et elle n’est pas adorée pour elle-même, mais en raison de quelqu’un d’autre qui a été crucifié sur elle. |
[8603] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 4 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod si consideretur honor qui exhibetur cruci inquantum est res
quaedam, ratione Christi, non est tantus quantus ille qui exhibetur virgini;
sed cruci exhibetur quidam honor, inquantum est imago, qui non exhibetur
matri. |
3. Si on envisage l’honneur qui est manifesté à la croix en tant qu’elle est une chose, il n’est pas aussi grand que celui qui est manifesté à la Vierge en raison du Christ. Mais un certain honneur est manifesté à la croix en tant qu’image, [honneur] qui n’est pas manifesté à la mère. |
Quaestiuncula 5 |
Réponse à la sous-question 5
|
[8604] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem dicendum, quod Deus
est principium et finis omnium; et inquantum est principium, adoramus eum
latria: inquantum vero finis ultimus, fruimur eo. In redeundo autem ad ipsum
juvamur per alias creaturas rationales, scilicet Angelos et homines; et ideo,
quamvis solo Deo fruendum sit, tamen possumus frui homine in Deo, sicut dicit
apostolus, et Augustinus. Sed in exeundo ab ipso sicut a principio creante,
non juvamur per aliquam creaturam, quia immediate creavit nos; et ideo honor
latriae est sibi soli exhibendus, non alicui in ipso, quantumcumque sit in
participatione suae bonitatis, nisi honoretur uno honore cum eo, sicut caro
Christi, et imagines. |
Dieu est principe et fin de toutes choses. En tant que principe, nous l’adorons d’un culte de latrie ; mais en tant que fin ultime, nous jouissons (fruimur) de lui. Or, pour retourner à lui, nous sommes aidés par les autres créatures raisonnables, les anges et les hommes. C’est pourquoi, bien qu’on ne doive jouir (fruendum) que de Dieu seul, nous pouvons cependant jouir (frui) d’un homme en Dieu, comme le disent l’Apôtre et Augustin. Mais, pour sortir de lui comme du principe créateur, nous ne sommes pas aidés par une créature, car il nous a créés de manière immédiate. Aussi l’honneur de latrie n’est-il dû qu’à lui, et non à quelqu’un en lui, aussi grande soit sa participation à sa bonté, à moins d’être honoré d’un seul honneur avec lui, comme la chair du Christ et les images. |
[8605] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod viri
sancti per participationem illam non efficiuntur primum principium nostri
esse; et ideo non debetur eis latria. |
1. Les saints ne deviennent pas par cette participation le premier principe de notre être. Aussi le culte de latrie ne leur est-il pas dû. |
[8606] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod homines
sunt imagines Dei per participationem suae bonitatis, facientem expressam
similitudinem, et hoc dat rei bonitatem in se; et ideo ratione hujus est res
ipsa secundum se honoranda. Sed imagines pictae non sunt imagines per similitudinem in natura, sed
per institutionem ad significandum; unde et ex hoc non acquiritur eis nisi
honor relatus ad alterum. |
2. Les hommes sont des images de Dieu par une participation à sa bonté, qui réalise une ressemblance expresse, et cela donne à la chose une bonté en soi. En raison de celle-ci, cette réalité même doit donc être honorée. Mais les images peintes ne sont pas des images par une ressemblance de nature, mais parce qu’elles ont été instituées pour signifier. Aussi n’ont-elles acquis par là que l’honneur qui se rapporte à un autre. |
[8607] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Angeli illi
non apparuerunt Abrahae in propria natura, sed in quibusdam corporibus quasi
imaginibus assumptis; unde inquantum erant imagines repraesentantes Trinitatem,
poterant adorari latria; non autem inquantum repraesentabant Angelos ipsos. |
3. Ces anges ne sont pas apparus à Abraham dans leur propre nature, mais dans des corps assumés pour ainsi dire comme des images. Aussi, pour autant qu’ils étaient des images représentant la Trinité, pouvaient-ils être adorés par latrie, mais non en tant qu’ils représentaient les anges eux-mêmes. |
Quaestiuncula 6 |
Réponse à la sous-question 6
|
[8608] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 6 co. Ad sextam quaestionem
dicendum, quod cum creaturae non sit exhibenda latria, si exhibetur ei, est
exhiberi eam cui non est exhibenda: et hoc facit vitium contrarium latriae
sicut superfluum medio: unde sine peccato fieri non potest. |
Puisqu’il ne faut pas manifester de culte de latrie à une créature, s’il lui est manifesté, il est manifesté à quelqu’un à qui il ne doit pas être manifesté. Cela est un vice contraire au culte de latrie, comme quelque chose de superflu par rapport au milieu. Cela ne peut donc être fait sans péché. |
[8609] Super Sent., lib. 3 d. 9
q. 1 a. 2 qc. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Joannes volebat adorare Angelum dulia,
sed prohibitus fuit propter tria. Primo ad ostendendum dignitatem ipsius
Joannis, qui multis Angelis dignior fuit; secundo ad evitandum speciem
idolatriae; tertio ad ostendendum exaltationem humanae naturae super Angelos
in homine assumpto. |
1. Jean voulait adorer l’ange d’uun culte de dulie, mais il en fut empêché pour trois raisons. Premièrement, pour montrer la dignité de Jean lui-même, qui est plus digne que beaucoup d’anges. Deuxièmement, pour éviter l’apparence d’idolâtrie. Troisièmement, pour montrer l’exaltation de la nature humaine au-dessus des anges dans l’homme assumé. |
[8610] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc.
6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod qui adorat
hostiam non consecratam, adorare eam oportet cum conditione, scilicet si est
consecrata. Non tamen oportet quod haec conditio semper sit actu explicita,
sed sufficit quod habitu teneat illam; unde non peccat adorans eam, quia non
adorat puram creaturam, sed Christum secundum intentionem suam. Sacerdos autem, quantum
in se est, facit populum idolatrare, quia offert ei puram creaturam ad adorandum. |
2. Celui qui adore une hostie non consacrée doit l’adorer sous condition, à savoir qu’elle soit consacrée. Il n’est cependant pas nécessaire que cette condition soit tooujours explicite en acte, mais il suffit qu’il la respecte de manière habituelle. Il ne pêche donc pas en l’adorant, car, selon son intention, il n’adore pas une pure créature, mais le Christ. Mais, de son côté, le prêtre rend le peuple idolâtre, car il lui offre une pure créature à adorer. |
[8611] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 6 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod non potest Diabolus in specie Christi apparens sine peccato
adorari, nisi sit conditio actu explicita: non enim sufficit solo habitu:
quia ipsa novitas rei insolitae, considerationem et attentionem requirit;
sicut dicitur de beata virgine Luc. 1, quod cogitabat qualis esset illa
salutatio. |
3. Le Diable qui apparaît sous l’aspect du Christ ne peut pas être adoré sans péché, à moins que la condition ne soit explicite en acte. En effet, la condition [posée de manière habituelle] ne suffit pas, car la nouveauté même d’une chose insolite exige considération et attention, comme il est dit de la bienheureuse Vierge, Lc 1, qu’elle se demandait quelle était cette salutation. |
Quaestiuncula 7 |
Réponse à la sous-question 7
|
[8612] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 7 co. Ad septimam quaestionem dicendum, quod quandocumque
aliquod nomen imponitur alicui actui vel accidenti secundum quod determinatur
ad aliquod unum, non potest dici de alio nisi improprie vel metaphorice:
sicut simitas imponitur curvitati nasi; unde non potest dici, quod crux sit
simum, vel lignum quod est curvum, nisi metaphorice. Similiter cum latria sit
nomen impositum servituti divinae, non potest quaecumque alia servitus alteri
exhibita dici latria nisi improprie vel metaphorice; unde latria non dicitur
univoce de cultu Dei veri et de idolatria. |
Chaque fois qu’un nom est donné à une chose, en acte ou par accident, selon qu’il est déterminé à quelque chose d’unique, il ne peut être utilisé pour une autre chose qu’improprement ou métaphoriquement, comme on parle de camus pour la courbure du nez. Ainsi ne peut-on dire que la croix est camus ou que le bois est courbe, si ce n’est métaphoriquement. De même, puisque le culte de latrie est un nom donné au service de Dieu, on ne peut parler de latrie pour n’importe quelle autre servitude que de manière impropre ou métaphorique. Aussi ne parle-t-on pas de latrie de manière univoque pour le culte du vrai Dieu et pour l’idolâtrie. |
[8613] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod materia
quae includitur in ratione speciei, bene diversificat speciem, et impedit
univocationem, sicut patet in exemplo posito de curvitate nasi; et ita est in
proposito. |
1. La matière qui fait partie de la raison de l’espèce différencie bien l’espèce et empêche le caractère univoque, comme cela ressort de l’exemple donné pour la courbure du nez. Ainsi en est-il pour la question en cause. |
[8614] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc nomen
beatitudo significat aliquid propter quod omnia alia sunt eligenda, et ipsum
propter se tantum eligatur omnis boni sufficientiam habens, sine hoc quod
concernat aliquam materiam; et ideo semper remanet beatitudo univoce dicta,
quamvis in diversis rebus quaeratur. Sed non est sic in proposito, quia nomen
latriae materiam concernit. |
2. Ce mot « béatitude » signifie une chose en vue de laquelle toutes les autres choses doivent être choisies, et qui est choisie seulement pour elle-même parce qu’elle possède tout bien de manière suffisante, sans avoir de rapport avec une matière. Aussi [le mot] « béatitude » est-il toujours utilisé de manière univoque, bien qu’elle soit cherchée dans des choses différentes. Mais il n’en va de même pour ce qui est en cause, car le mot « latrie » concerne une matière. |
[8615] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2
qc. 7 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum dicitur,
quod idolatria sit cultus Deo debitus idolo exhibitus, hoc quod dicitur,
idolo exhibitus, diminuit de ratione praecedenti; unde non sequitur: ergo est
latria: sicut aratio dicitur scissio quae debetur terrae: si quis autem vomere
scindit aquam, illa scissio est terrae debita, non tamen dicitur aratio nisi
aequivoce. |
3. Lorsqu’on dit que l’idolâtrie est le culte dû à Dieu manifesté à une idole, ce qu’on dit : « manifesté à une idole », diminue la raison qui précède. On ne conclut donc pas : « Donc, c’est un culte de latrie », comme le labourage est une séparation due à la terre. Mais si quelqu’un en vomissant sépare l’eau, cette séparation est due à la terre, mais elle n’est appelée « labourage » que de manière équivoque. |
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Articulus 3 [8616] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3
tit. Utrum latria
debeatur Deo ratione potentiae, an sapientiae ac bonitatis |
Article 3 – Le culte de latrie est-il dû à Dieu en raison de sa puissance, de sa sagesse et de sa bonté ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le culte de latrie est-il dû à Dieu en raison de sa puissance, de sa sagesse et de sa bonté ?] |
[8617] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod latria debeatur Deo ratione potentiae. Servitus enim
dominium respicit. Sed Deus dicitur dominus propter potentiam coercendi
subditam creaturam, ut dicit Boetius. Cum igitur latria sit servitus, videtur
quod debeatur Deo ratione potentiae. |
1. Il semble que le culte de latrie soit dû à Dieu en raison de sa puissance. En effet, la servitude est en rapport avec la seigneurie. Or, « Dieu est appelé Seigneur en raison de sa capacité de forcer la créature qui lui est soumise », comme le dit Boèce. Puisque le culte de latrie est un service, il semble donc qu’il soit dû à Dieu en raison de sa puissance. |
[8618] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3
qc. 1 arg. 2 Item, videtur quod ratione sapientiae.
Debetur enim Deo latria inquantum est Deus. Sed Deus, secundum Damascenum, dicitur
ex hoc quod omnia videt, quod ad sapientiam pertinet. Ergo videtur quod
debeatur ei latria ratione sapientiae. |
2. Il semble que ce soit en raison de sa sagesse. En effet, le culte de latrie est dû à Dieu en tant qu’il est Dieu. Or, on parle de Dieu, selon [Jean] Damascène, parce qu’Il voit tout, ce qui relève de sa sagesse. Il semble donc que le culte de latrie lui soit dû en raison de sa sagesse. |
[8619] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3
qc. 1 arg. 3 Item, videtur quod ratione bonitatis.
Quia latriam ei exhibemus, inquantum ab ipso sumus. Sed quia bonus est, sumus, ut dicit
Augustinus. Ergo latria debetur ei ratione bonitatis. |
3. Il semble que ce soit en raison de sa bonté, car nous lui manifestons un culte de latrie pour autant que nous existons par lui. Or, « nous existons parce qu’il est bon », comme le dit Augustin. Le culte de latrie lui est donc dû en raison de sa bonté. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le même culte de latrie est-elle dû au Père et au Fils ?] |
[8620] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod alia latria debeatur patri et alia filio. Latriam enim dirigit
fides. Sed fides alium articulum habet de patre, et alium de filio. Ergo alia
latria est utrique exhibenda. |
1. Il semble qu’un autre culte de latrie soit dû au Père et au Fils. En effet, la foi dirige le culte de latrie. Or, la foi comporte un article différent pour le Père et le Fils. Un autre culte de latrie doit donc être manifesté aux deux. |
[8621] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, honor, ut
dictum est, debetur personae agenti. Sed pater et filius sunt duae personae. Ergo duplex honor eis debetur. |
2. Comme on l’a dit, l’honneur est dû à la personne qui agit. Or, le Père et le Fils sont deux personnes. Un double honneur leur est donc dû. |
[8622] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3
qc. 2 arg. 3 Praeterea,
humanitati Christi exhibetur unus honor qui et verbo. Sed non potest hoc
intelligi, ut videtur, ratione naturae: quia naturae distinctae sunt. Ergo
intelligitur ratione personae. Sed alia est persona patris, alia filii. Ergo
et alius honor debetur utrisque. |
3. Le même honneur est manifesté à l’humanité du Christ qu’au Verbe. Or, cela ne peut se comprendre, semble-t-il, en raison de la nature, car les natures [divine et humaine] sont distinctes. Cela se comprend donc en raison de la personne. Or, la personne du Père et celle du Fils sont différentes. Un autre honneur est donc dû aux deux. |
[8623] Super Sent., lib. 3 d. 9
q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, remota distinctione personarum, adhuc debetur Deo latria. Ergo debetur ei ratione naturae. Sed natura
est una. Ergo et latria est una. |
Cependant, si on écarte la distinction des personnes, le culte de latrie est encore dû à Dieu. Il lui est donc dûe en raison de sa nature. Or, la nature [divine] est unique. Le culte de latrie est donc unique. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Le culte de latrie doit-elle être manifesté à Dieu par des rites corporels ?] |
[8624] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debeat Deo
exhiberi latria secundum aliquos corporales ritus. Sicut enim dicit apostolus
ad Galat. 4, homines in veteri lege sub elementis hujus mundi servientes,
erant quasi pueri sub paedagogo positi. Sed, sicut ipse dicit, veniente plenitudine
temporis jam non sumus sub paedagogo. Ergo non debemus Deo latriam exhibere
secundum corporales actus. |
1. Il semble qu’on ne doive pas manifester à Dieu un culte de latrie par des rites corporels. En effet, l’Apôtre dit, Ga 4, que les hommes, rendant un culte, alors qu’ils étaient dominés par les éléments de ce monde sous la loi ancienne, étaient comme des enfants sous l’autorité d’un pédagogue. Or, comme il le dit lui-même, lorsque la plénitude du temps est venue, nous ne sommes plus sous l’autorité d’un pédagogue. Nous ne devons donc pas manifester à Dieu un culte de latrie par des rites corporels. |
[8625] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3
qc. 3 arg. 2 Praeterea,
Joan. 4, 24, dicitur: spiritus est Deus; et eos qui adorant eum, in
spiritu et veritate oportet adorare. Ergo non oportet quod eum adoremus
corporalibus actibus, vel genuflectendo vel cantando. |
2. Il est dit en Jn 4, 24 : Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent doivent l’adorer en esprit et en vérité. Il ne faut donc pas que nous l’adorions par des actes corporels, par des génuflexions ou des chants. |
[8626] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3
qc. 3 arg. 3 Praeterea,
Deus ubique est. Ergo non magis debemus ad orientem
adorare quam ad aliam partem. |
3. Dieu est partout. Nous ne devons donc pas l’adorer davantage vers l’orient que vers une autre partie du monde. |
[8627] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3
qc. 3 s. c. 1 Sed contra,
nos et spiritum et corpus habemus a Deo. Sed secundum hoc quod ab eo sumus
eum adoramus. Ergo et spiritualiter et corporaliter eum debemus adorare. |
Cependant, nous tenons notre esprit et notre corps de Dieu. Or, nous l’adorons selon ce que nous tenons de lui. Nous devons donc l’adorer spirituellement et corporellement. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[8628] Super Sent., lib.
3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad
primam quaestionem, quod latria profitetur servitutem quam debemus Deo, quia
fecit nos; unde debetur sibi latria inquantum creator, secundum quod ipse est
finis et origo prima nostri esse; et hoc est quod dicit Glossa super illud
Psalm. 7: domine
Deus meus, in te speravi: Deus per creationem, cui latria debetur. Et
quia ipse creator est, inquantum bonus, sapiens et potens, et secundum omnia
hujusmodi; ideo ratione omnium debetur sibi latria, et non secundum unum
horum tantum. |
Le culte de latrie témoigne du service que nous devons à Dieu parce qu’Il nous a créés. Le culte de latrie lui est donc dû pour autant qu’il est le Créateur, selon qu’il est la fin et l’origine première de notre être. C’est ce que dit la Glose sur Ps 7 : Seigneur, mon Dieu, en toi j’ai espéré : « Dieu, par la création, à qui un culte de latrie est dû. » Et parce qu’il est le Créateur en tant qu’Il est bon, sage et puissant, et selon toutes les choses de ce genre, le culte de latrie lui est dû en raison de toutes ces choses, et non pas selon d’une de ces choses seulement. |
[8629] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 ad arg. Unde patet responsio ad
objecta. |
La réponse aux objections est ainsi claire. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[8630] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
dicendum, quod quia pater et filius et spiritus sanctus sunt unus creator,
ideo debetur eis una latria; cum Deo debeatur latria inquantum creator. |
Parce que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul Créateur, un seul culte de latrie leur est donc dû, puisque le culte de latrie est dû à Dieu en tant qu’Il est le Créateur. |
[8631] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod fides
debetur Deo, inquantum est res cogitabilis: et quia quaecumque secundum rem
distinguuntur, possunt seorsim cogitari, sed non convertitur; ideo tres
personae, quae sunt tres res diversae, diversos fidei articulos habent: sed
omnes tres personae sunt unus creator: unde et una latria eis debetur. |
1. La foi est due à Dieu en tant qu’il est une réalité qui peut être objet de pensée. Parce que tout ce qui est distinct en réalité peut être pensé à part, mais que l’inverse n’est pas vrai, des articles de foi différents portent sur les trois personnes, qui sont trois réalités différentes ; mais toutes les trois personnes sont un seul Créateur. C’est pourquoi un seul culte de latrie leur est dû. |
[8632] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod natura divina est per se subsistens, etiam circumscriptis
personis distinctis quas fides supponit; unde agere competit ei et
circumscripta distinctione personarum, et per consequens latria. |
2. La nature divine est subsistante en elle-même, même en mettant à part les personnes distinctes que suppose la foi. Aussi lui convient-il d’agir, même en mettant à part la distinction des personnes et, par conséquent, un culte de latrie [lui convient-il]. |
[8633] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3
qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis duae
naturae sint distinctae secundum se, tamen sunt unitae in persona; et quia
unus honor debetur divinae naturae et personae; ideo per consequens unus
honor debetur divinae naturae et humanae, cui debetur unus honor qui et
personae divinae. |
3. Bien que les deux natures soient distinctes par elles-mêmes, elles sont cependant unies dans la personne. Et parce qu’un seul honneur est dû à la nature divine et aux personnes, par conséquent, un seul honneur est dû à la nature divine et à la nature humaine, à qui est dû le même honneur qu’à la personne divine. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[8634] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3
qc. 3 co. Ad tertiam
quaestionem dicendum, quod in nobis est triplex bonum; scilicet spirituale,
corporale, et extrinsecum; et quia haec omnia in nobis a Deo sunt, ideo
secundum omnia debemus Deo latriam exhibere: et secundum spiritum exhibemus
ei debitam dilectionem; secundum corpus prostrationes et cantus; secundum exteriora
autem, sacrificia, luminaria, et hujusmodi: quae Deo non propter ejus
indigentiam exhibemus, sed in recognitionem quod omnia ab ipso habemus: et
sicut eum ex omnibus recognoscimus, ita etiam eum ex omnibus honoramus. |
Il existe en nous un triple bien : spirituel, corporel et extérieur. Et parce que toutes ces choses en nous viennent de Dieu, nous devons lui manifester le culte de latrie pour toutes ces choses. Selon l’esprit, nous lui devons l’amour qui convient ; selon le corps, des inclinations et des chants ; mais, selon les réalités extérieures, des sacrifices, des cierges et des choses de ce genre, que nous n’offrons pas à Dieu en raison de son indigence, mais en reconnaissance du fait que nous tenons tout de lui. Et de même que nous le reconnaissons pour tout, de même aussi l’honorons-nous pour tout. |
[8635] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod corporalia erant in veteri lege pure corporalia, quia gratiam non
continebant; erant tamen signa spiritualium: sed corporalia quae nos Deo
exhibemus, non sunt pure corporalia; sed sunt sacramenta continentia gratiam,
et sacramentalia. Unde non est
simile de nova et veteri observantia. |
1. Sous la loi ancienne, les réalités corporelles étaient purement corporelles, car elles ne contenaient pas la grâce. Cependant, elles étaient des signes de réalités spirituelles. Toutefois, les réalités corporelles que nous présentons à Dieu ne sont pas purement corporelles, mais sont des sacrements contenant la grâce et des sacramentaux. Il n’en va donc pas de même de la loi nouvelle et de la loi ancienne. |
[8636] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3
qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis
Deus sit spiritus, est tamen creator corporis; et ideo principaliter ei in
spiritu servire debemus; secundario autem in corpore; et ideo etiam vocaliter
oramus, ut sibi non solum spiritus, sed etiam lingua carnis obsequatur, ut
nos ipsos et alios ad laudem Dei excitemus. |
2. Bien que Dieu soit esprit, il est cependant le Créateur du corps. Aussi devons-nous le servir principalement en esprit, mais, de manière secondaire, par le corps. C’est pourquoi nous prions aussi oralement, afin que non seulement notre esprit, mais aussi notre langue de chair se soumette, pour nous inciter nous-mêmes et les autres à la gloire de Dieu. |
[8637] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3
qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis Deus
ubique sit, tamen institutum est ab Ecclesia ut sacrificium Missae ei
offeratur versus orientem, propter tria. Primo propter significationem: quia a Deo est nobis mentis
illuminatio, sicut lumen corporale ab oriente. Secundo, quia est nobilior
pars orbis; et omne quod est nobilius apud nos, Deo debemus. Tertio, propter
opera quaedam notabilia ipsius in oriente: quia ipse movet caelum, cujus motus
ab oriente incipit; ipse etiam Paradisum in oriente constituit; ipse etiam ab
oriente ad judicium veniet, sicut ad orientem ascendit. |
3. Bien que Dieu soit partout, il a cependant été établi par l’Église que le sacrifice de la messe lui serait offert en direction de l’orient pour trois raisons. Premièrement, pour signifier quelque chose, car l’illumination de l’esprit nous vient de Dieu, comme la lumière corporelle de l’orient. Deuxièmement, parce que c’est la partie la plus noble du monde et que tout ce qui est plus noble chez nous nous vient de Dieu. Troisièmement, en raison de certaines de ses actions remarquables à l’orient, car lui-même meut le ciel, dont le mouvement commence à l’orient ; lui-même a aussi établi le Paradis à l’orient, et lui-même viendra aussi de l’orient pour le jugement, comme il est montré vers l’orient. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [Qu’est-ce que le culte de dulie ?]
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Prooemium |
Prologue |
[8638] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 pr. Deinde quaeritur de dulia; et circa hoc
quaeruntur tria: 1 quid sit; 2 utrum habeat diversas species; 3 cui debeatur. |
On s’interroge ensuite sur [le culte] de dulie. À ce propos, trois questions sont posées : 1 – Qu’est-ce que [le culte de dulie] ? 2 – Comporte-t-il plusieurs espèces ? 3 – À qui est-il dû ? |
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Articulus 1 [8639] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1
tit. Utrum latria
et dulia sint idem |
Article 1 – Le culte de latrie et le culte de dulie sont-ils la même chose ? |
[8640] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur, quod dulia sit idem quod latria. Deo enim non debetur nisi unus
honor. Sed debetur ei dulia et latria, sicut dicit Glossa super illud Psalm.
7: domine Deus meus, in te speravi. Dominus omnium per potentiam; cui
debetur dulia: Deus omnium per creationem, cui debetur latria. Ergo dulia et latria sunt idem. |
1. Il semble que [le culte] de dulie soit la même chose que [le culte] de latrie. En effet, un seul honneur est dû à Dieu. Or, le culte de dulie et le culte de latrie lui sont dus, comme le dit la Glose à propos de Ps 7 : Seigneur, mon Dieu, en toi j’ai espéré : « Le Seigneur de tout par sa puissance, à qui est dû [le culte] de dulie ; le Seigneur de tout par la création, à qui est dû [le culte] de latrie. » Le culte de dulie et le culte de latrie sont donc la même chose. |
[8641] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1
arg. 2 Praeterea,
eadem virtus caritatis est qua diligitur Deus, et proximus. Sed latria honoratur
Deus, dulia proximus. Ergo est eadem virtus. |
2. C’est par la même vertu de charité que nous aimons Dieu et le prochain. Or, par le culte de latrie, Dieu est honoré et, par le culte de dulie, le prochain. Il s’agit donc de la même vertu. |
[8642] Super Sent., lib. 3 d. 9
q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, differentia secundum materiam non diversificat speciem, ut
dicitur 10 Metaphys. Sed honor qui debetur Deo et proximo non differunt nisi
secundum materiam. Ergo non sunt diversi in specie; et sic idem quod prius. |
3. La différence selon la matière ne différencie pas l’espèce, comme il est dit dans Métaphysique, X. Or, l’honneur qui est dû à Dieu et au prochain ne diffèrent que par la matière. Ils ne sont donc pas différents par l’espèce. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[8643] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1
arg. 4 Praeterea,
magis et minus non diversificant speciem. Ergo quamvis sit Deus magis
honorandus quam proximus, non propter hoc sunt diversae species. |
4. Le plus et le moins ne différencient pas l’espèce. Donc, même si Dieu doit être davantage honoré que le prochain, il ne s’agit pas là d’espèces [d’honneur] différentes. |
[8644] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 s.
c. 1 Sed contra,
sapientia et scientia sunt diversa dona: quia unum est de aeternis, alterum
de temporalibus. Ergo simili ratione latria et dulia sunt diversae virtutes. |
Cependant, [1] la science et la sagesse sont des dons différents, car l’un porte sur les réalités éternelles, l’autre sur les réalités temporelles. Pour une raison semblable, le culte de latrie et le culte de dulie sont donc des vertus différentes. |
[8645] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 s.
c. 2 Praeterea,
habitus distinguuntur per actus, et actus per objecta. Sed dulia et latria
habent diversa objecta. Ergo sunt diversae virtutes. |
[2] Les habitus se distinguent par leurs actes, et les actes par leurs objets. Or, le culte de dulie et le culte de latrie ont des objets différents. Ce sont donc des vertus différentes. |
[8646] Super Sent., lib. 3 d. 9
q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod honor debetur alicui ratione excellentiae
quae in ipso est. Non est autem
unius rationis excellentia divina et humana, et ideo non est honor unius
rationis. Unde oportet quod latria et dulia differant speciem. |
Réponse. L’honneur
est dû à quelqu’un en raison de l’excellence qui se trouve en lui. Or, l’excellence
divine et l’excellence humaine n’ont pas la même raison ; c’est pourquoi
l’honneur n’a pas la même raison. Il est donc nécessaire que le culte de
latrie et le culte de dulie diffèrent par l’espèce. |
[8647] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod dulia, quantum ad proprietatem vocabuli, dicit servitutem communiter,
cuicumque debeatur: et quia Deo debetur honor vel servitus secundum modum
perfectiorem; ideo nomen duliae commune contrahitur et quodammodo
appropriatur ad honorem creaturae, quia non addit aliquam differentiam ad
dignitatem pertinentem supra commune; sicut nomen proprium trahitur ad
conversum accidentale; conversum autem essentiale proprio nomine dicitur definitio.
Et quia in Deo est omnis
ratio honoris qui invenitur in creatura, sed non convertitur; ideo latria
debetur sibi secundum id quod est sibi proprium; dulia autem secundum id quod
est commune sibi et creaturae per analogiam. |
1. Au sens propre du
terme, le culte de dulie exprime d’une manière générale un service, à qui qu’il
soit rendu. Et parce qu’un honneur ou un service est dû à Dieu selon un mode
plus parfait, le terme commun de « dulie » est réduit et est d’une
certaine manière approprié à l’honneur [dû à] la créature, car il n’ajoute
pas de différence à la dignité qui s’y rapporte au-delà de ce qui est commun,
comme le nom propre est tiré en direction de ce qui est convertible avec lui de
manière accidentelle, alors que ce qui est convertible de manière essentielle
selon le nom propreest appelé la définition. Et parce qu’existe en Dieu toute
la raison de l’honneur qui se trouve dans la créature, mais non l’inverse, [le
culte] de latrie lui est donc dû selon ce qui lui est propre, mais [le culte]
de dulie, selon ce qui est commun à lui et à la créature par analogie. |
[8648] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 ad
2 Ad secundum dicendum, quod objectum
caritatis, cum sit virtus theologica, est bonitas divina, quae eadem est,
sive in se, sive in altero consideretur; et ideo dilectio Dei et proximi ad
unam virtutem pertinent. Sed honor
exhibetur excellentiae absolutae, quae non est unius rationis in Deo et
creaturis, sed variatur. |
2. Parce qu’elle est
une vertu théologale, l’objet de la charité est la bonté divine, qui est la
même, qu’elle soit envisagée en elle-même ou dans un autre. C’est pourquoi l’amour
de Dieu et celui du prochain relèvent d’une seule vertu. Mais l’honneur est
manifesté à l’excellence absolue, qui n’a pas la même raison en Dieu et dans
les créatures, mais qui est différent. |
[8649] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 ad
3 Ad tertium dicendum, quod haec non est
tantum materialis differentia, sed formalis: quia alia ratio reverentiae et
honoris invenitur in Deo et in homine, et ideo causatur diversitas secundum
speciem. |
3. Ce n’est pas là
seulement une différence matérielle, mais [une différence] formelle, car on
trouve une raison différente de révérence et d’honneur pour Dieu et pour l’homme.
Une différence selon l’espèce est donc causée. |
[8650] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 ad
4 Ad quartum dicendum, quod magis et
minus non causant diversitatem secundum speciem, sed aliquando consequuntur
eam, quando scilicet magis et minus causantur ex diversitate eorum quae
speciem diversificant. |
4. Le plus et le
moins ne causent pas de différence selon l’espèce, mais parfois en découlent,
lorsque le plus et le moins sont causés par la différence de ce qui
différencie l’espèce. |
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Articulus 2 [8651] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2
tit. Utrum dulia
habeat diversas species |
Article 2 – Le culte de dulie comporte-t-il diverses espèces ? |
[8652] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur, quod dulia non habeat diversas species. Dulia enim
dividitur contra latriam. Sed latria non dividitur per species. Ergo nec
dulia. |
1. Il semble que le culte de dulie ne comporte pas diverses espèces. En effet, le culte de dulie s’oppose au culte de latrie. Or, le culte de latrie ne se divise pas selon des espèces. Donc, ni le culte de dulie. |
[8653] Super Sent., lib. 3 d. 9
q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, dulia attendit bonitatem vel excellentiam creatam. Sed hoc invenitur in omnibus communiter quibus
debetur dulia. Ergo non habet diversas species. |
2. Le culte de dulie porte sur la bonté ou l’excellence créée. Or, cela se trouve pas d’une manière générale en tout ce à quoi un culte de dulie est dû. Il ne comporte donc pas des espèces différentes. |
[8654] Super Sent., lib. 3 d. 9
q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, sicut dulia respicit debitum honoris; ita obedientia
debitum praecepti. Sed obedientia non differt specie secundum diversos quibus
debetur. Ergo nec
dulia. |
3. De même que le culte de dulie porte sur une dette d’honneur, de même l’obéissance sur ce qui est dû en vertu d’un commandement. Or, l’obéissance ne diffère pas par l’espèce selon les différentes choses auxquelles elle est due. Donc, ni le culte de dulie. |
[8655] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2
arg. 4 Praeterea, cum
dulia debeatur diversis secundum infinitos gradus excellentiae, si secundum
diversos quibus debetur, species diversas haberet, essent infinitae species
duliae. Sed hoc est impossibile. Ergo dulia non habet plures species. |
4. Si le culte de dulie comportait des espèces différentes selon les différentes choses auxquelles il est dû, puisque celles-ci comportent une infinité de degrés d’excellence, il y aurait une infinité d’espèces de culte de dulie. Or, cela est impossible. Le culte de dulie ne comporte donc pas plusieurs espèces. |
[8656] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 s.
c. 1 Sed contra, dulia debetur Deo et
creaturae, ut ex dictis, art. 1, patet. Sed non est eadem ratio honoris in utroque. Ergo est ibi diversa
species duliae. |
Cependant, [1] le culte de dulie est dû à Dieu et à la créature, comme cela ressort de ce qui a été dit, a. 1. Or, la raison de l’honneur n’est pas la même chez les deux. Il y a donc là une espèce différente de dulie. |
[8657] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 s.
c. 2 Praeterea,
dulia exhibetur rebus inanimatis, sicut cruci, et reliquiis, et etiam
hominibus. Sed in his non
potest esse una ratio honoris. Ergo dulia habet diversas species. |
[2] Le culte de dulie est manifesté à des choses inanimées, comme la croix, les reliques et même des hommes. Or, il y ne peut y avoir pour ceux-ci la même raison d’honneur. Le culte de dulie comporte donc des espèces différentes. |
[8658] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2
co. Respondeo dicendum, quod
habitus diversificantur per actus, et actus per objecta; unde ubi invenitur
diversa ratio objecti, oportet quod sint actus et habitus specie differentes.
Cum ergo honor debeatur alicui ratione excellentiae quam habet, et non sit
ejusdem rationis excellentia in diversis; ideo oportet quod sit alia ratio
honoris, et alia virtus secundum speciem, quae diversos honores exhibet: non
enim idem honor debetur patri, regi et magistro, et sic de aliis, ut dicit
philosophus in 9 Ethic. Inter omnes autem alias rationes excellentiae illa
est praecipua qua creatura honoratur ratione unionis ad creatorem, sicut
humanitas Christi, et quae ad ipsam pertinent; et ideo speciali nomine
hyperdulia nominatur, quasi superdulia ad latriam accedens. |
Réponse. Les habitus se différencient par leurs actes, et les actes par leurs objets. Là où on trouve une raison différente pour l’objet, il faut donc qu’il y ait des actes et des habitus différents par l’espèce. Puisque l’honneur est dû à quelqu’un en raison de l’excellence qu’il possède, et que l’excellence n’a pas la même raison dans les différentes choses, il faut donc qu’il y ait une autre raison d’honneur et une vertu selon l’espèce, qui rendent des honneurs différents. En effet, le même honneur n’est pas dû au père, au roi et au maître, et ainsi de suite pour les autres choses, comme le dit le Philosophe, dans Éthique, IX. Parmi toutes les raisons d’excellence, la principale est celle par laquelle une créature est honorée en raison de l’union au Créateur, comme l’humanité du Christ et ce qui s’y rapporte. Aussi est-elle désignée par le mot particulier d’« hyperdulie », ou « superdulie », qui s’approche du culte de latrie. |
[8659] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 ad
1 Ad primum ergo dicendum, quod
excellentia creatoris est unius rationis; et ideo latria, quae hoc attendit,
est una tantum. Nec est simile
de dulia, cum in creaturis sint diversae rationes excellentiae. |
1. L’excellence du Créateur a une raison unique. C’est pourquoi il n’existe qu’un seul culte de latrie, qui porte sur cela. Mais ce n’est pas la même chose pour le culte de dulie, puisqu’il existe diverses raisons d’excellence parmi les créatures. |
[8660] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 ad
2 Ad secundum dicendum, quod excellentia
creata non est unius rationis in specie, licet sit una secundum genus; et
ideo etiam dulia per species dividitur. |
2. L’excellence créée ne comporte pas une raison unique par l’espèce, bien qu’elle soit unique par le genre. Aussi même le culte de dulie se divise par espèces. |
[8661] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 ad
3 Ad tertium dicendum, quod obedientia respicit dominum, secundum hoc quod
servus est quasi instrumentum domini, et movetur ad imperium ejus. Sed dulia non considerat
rationem unam excellentiae tantum, sed omnes. |
3. L’obéissance a rapport au seigneur, selon que le serviteur est pour ainsi dire un instrument du seigneur et est mû sur son ordre. Or, le culte de dulie ne porte pas sur une seule raison d’excellence, mais sur toutes. |
[8662] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 ad
4 Ad quartum
dicendum, quod gradus excellentiae possunt accipi dupliciter: vel secundum
quantitatem tantum; et sic sunt infiniti, et non diversificant speciem
duliae; vel secundum rationem, et sic diversificant, et non sunt infiniti. |
4. Les degrés d’excellence peuvent être envisagés de deux manières : selon la quantité seulement, et ainsi ils sont infinis et ne différencient pas l’espèce de dulie ; selon leur raison, et ainsi ils les différencient et ne sont pas infinis. |
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Articulus 3 [8663] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3
tit. Utrum
peccatores debeant honorari dulia |
Article 3 – Les pécheurs doivent-ils être honorés par un culte de dulie ? |
[8664] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur, quod peccatores non debeant honorari dulia. Honor enim
duliae, ut dicit philosophus, est reverentia exhibita alicui in testimonium
virtutis. Sed peccatores, etiam praelati, non habent virtutem. Ergo qui eos
honorant, falsum testimonium perhibent, quod est peccatum. |
1. Il semble que les pécheurs ne doivent pas être honorés par un culte de dulie. En effet, « l’honneur de dulie, comme le dit le Philosophe, est une révérence manifestée à quelqu’un en témoignage rendu à sa vertu ». Or, les pécheurs, même les prélats, n’ont pas de vertu. Ceux qui les honorent rendent donc un faux témoignage, ce qui est un péché. |
[8665] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, Gregorius in
Pastor. dicit, quod in exemplum culpae vehementer extenditur, quando pro
reverentia ordinis peccator honoratur. Hoc autem fieri non
debet ut in exemplum culpa trahatur. Ergo neque praelatus peccator debet honorari. |
2. Dans le Pastoral, Grégoire dit : « On répand fortement l’exemple
de la faute lorsqu’un pécheur est honoré par révérence pour son ordre. »
Or, cela ne doit pas être fait, de crainte que la faute devienne un exemple.
Un prélat pécheur ne doit donc pas être honoré. |
[8666] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3
arg. 3 Praeterea, subditus bonus magis est
Deo similis quam praelatus malus. Sed honor non exhibetur homini, nisi
inquantum habet Dei similitudinem: quia rebus divinis tantum debetur honor,
ut dicit philosophus. Ergo minus honorandus est praelatus malus quam subditus bonus. |
3. Un bon sujet ressemble plus à Dieu qu’un mauvais prélat. Or, un honneur n’est dû à un homme que pour autant qu’il ressemble à Dieu, car « l’honneur n’est dû qu’aux réalités divines », comme le dit le Philosophe. Un mauvais prélat doit donc être moins honoré qu’un bon sujet. |
[8667] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3
arg. 4 Sed contra est quod Abraham honoravit
peccatores habitantes in Sichem, quando voluit emere speluncam duplicem. |
4. Cependant, Abraham a honoré des pécheurs qui habitaient Sichem lorsqu’il voulut acheter une double caverne. |
[8668] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3
arg. 5 Item, videtur quod Daemonibus dulia
debeat exhiberi. Quia in eis manet divina imago: quia bona naturalia eis data
manent lucidissima, ut dicit Dionysius. Sed ratione imaginis, homini dulia exhibetur. Ergo et Daemoni est
exhibenda. |
5. Il semble qu’un culte de dulie doive être rendu aux démons, car « l’image de Dieu demeure en eux, puisque les biens naturels demeurent de la manière la plus manifeste », comme dit Denys. Or, un culte de dulie est rendu à un homme en raison de l’image [de Dieu]. Il doit donc aussi être rendu au Démon. |
[8669] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3
arg. 6 Item, videtur
quod irrationabilibus. Quia in eis est vestigium, quod est similitudo Dei, sicut
imago, etsi non adeo expressa. Magis autem et minus non diversificant
speciem. Ergo debetur eis dulia. |
6. Il semble qu’ [un culte de dulie doive être rendu] aux êtres non raisonnables, car il y a en eux un vestige, qui est une ressemblance de Dieu, comme l’image, bien qu’elle ne soit pas aussi expresse. Or, le plus et le moins ne différencient pas l’espèce. Un culte de dulie leur est donc dû. |
[8670] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3
arg. 7 Sed contra, videtur quod nec etiam
hominibus bonis; quia dulia servitus est. Sed non hominibus servitutem
debemus. Ergo nec
duliam. |
7. Il semble qu’ [un culte de dulie ne doive pas non plus être rendu] aux hommes bons, car le culte de dulie est un service. Or, nous ne sommes pas dans un état de servitude par rapport aux hommes. Donc, [à eux non plus n’est pas dû] un culte de dulie. |
[8671] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod dulia
reverentiam et honorem importat quae creaturae exhiberi potest. Cum autem honor ut dicit philosophus, non debeatur
nisi rebus divinis, non debetur proprie et directe nisi habenti gratiam et
virtutem, quae divinos facit. Sed habet aliquis virtutem multipliciter: vel
sicut actu virtuosus; et huic directe debetur et proprie et secundum se
honor: vel sicut habens aptitudinem naturalem ad virtutem; et sic cuilibet
habenti imaginem est exhibendus honor, nisi sit confirmatus in malo, quia
ligatus est in illo ordo ad virtutem: vel sicut ordinatus ad inducendum vel
conservandum virtutem; et sic debetur omnibus praelatis, qui ad hoc ordinati
sunt ut alios dirigant in virtutem. |
Réponse. Le culte de dulie comporte la révérence et l’honneur qui peuvent être manifestés à une créature. Or, comme le dit le Philosophe, puisque « l’honneur n’est dû qu’aux réalités divines », il n’est dû, au sens propre et directement, qu’à celui qui a la grâce et la vertu, qui rendent [les hommes] divins. Or, quelqu’un possède la vertu de deux manières : soit il est vertueux en acte, et l’honneur lui est alors dû directement, au sens propre et en lui-même ; soit il possède une aptitude naturelle à la vertu, et ainsi l’honneur doit être manifesté à quiconque possède l’image, à moins qu’il ne soit confirmé dans le mal, car l’ordre à la vertu a été lié en lui ; soit il est ordonné à acquérir ou à conserver la vertu, et ainsi [l’honneur] est dû à tous les prélats, qui ont été ordonnés à diriger les autres vers la vertu. |
[8672] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod peccatores quamvis non habeant virtutem in actu, tamen habent
in habilitate; et praelati habent etiam in hoc quod sunt ordinati ad ipsam
causandam, vel conservandam. |
1. Les pécheurs, bien qu’ils ne possèdent pas la vertu en acte, y sont cependant habilités ; et les prélats aussi la possèdent du fait qu’ils sont ordonnés à la causer ou à la conserver. |
[8673] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 ad
2 Ad secundum dicendum, quod praelato,
dum est in actu peccati, non debet exhiberi dulia, quia apparet in eo aliquid
honori contrarium: sed ante vel post sibi dulia debet exhiberi, quia nescitur
in quo statu sit. |
2. Le culte de dulie ne doit pas être manifesté à un prélat alors qu’il est en acte de péché, car quelque chose de contraire à l’honneur apparaît en lui ; mais un culte de dulie doit lui être rendu avant ou après, car on ne sait en quel état il est. |
[8674] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
subdito bono debetur secundum se major reverentia; sed ratione praelationis
debetur major malo praelato. Et est triplex ratio: primo, quia praelatus
gerit vicem Dei, unde Deus in ipso honoratur; secundo, quia ipse est persona
publica, et honoratur in ipso bonitas Ecclesiae vel reipublicae, quae est
major quam merita unius singularis personae; tertio, quia praelatio se habet
ad virtutem sicut causa efficiens in aliis virtutem; et dignius est alterius
virtutis causam existere, inquantum hujusmodi, quam virtuosum esse, ut dicit
philosophus. |
3. Une plus grande révérence est due en soi à un sujet bon, mais, en raison de la fonction de prélat, un plus grand honneur est dû à un mauvais prélat. Il y a à cela trois raisons. Premièrement, parce que le prélat tient la place de Dieu, de sorte que Dieu est honoré en lui. Deuxièmement, parce qu’il est un personnage public et qu’est honorée en lui la bonté de l’Église ou de la chose publique, qui est plus grande que les mérites d’une seule personne particulière. Troisièmement, parce que le rapport de la fonction de prélat à la vertu est celui d’une cause efficiente par rapport aux autres vertus et que, en tant que tel, « il est plus digne d’être cause de la vertu d’un autre que d’être vertueux », comme le dit le Philosophe. |
[8675] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 ad 4 Quartum concedimus. |
4. Nous concédons le quatrième argument. |
[8676] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 ad
5 Ad quintum dicendum, quod in
Daemonibus est ligata aptitudo naturalis ad virtutem; et ideo non debet eis
dulia exhiberi. |
5. Chez les démons, l’aptitude naturelle à la vertu est liée. C’est pourquoi un culte de dulie ne doit pas leur être rendu. |
[8677] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod
similitudo vestigii non ponit aptitudinem ad virtutem, sicut similitudo
imaginis; et ideo dulia non debetur ei. |
6. La ressemblance du vestige ne confère pas d’aptitude à la vertu, comme la ressemblance de l’image. C’est pourquoi un culte de dulie ne doit pas lui être rendu. |
[8678] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 ad
7 Ad septimum dicendum, quod sanctis non
servimus quasi obnoxii eis, sed servitute reverentiae; quia sunt nostri ductores
vel per doctrinam, vel per administrationem, vel per intercessionem et
exemplum: et salvatur in hoc ratio servitutis quantum ad hoc quod est causa
alterius agere, sicut finis; non autem sicut moventis per coactionem vel imperium. |
7. Nous ne servons pas les saints parce que nous leur sommes soumis, mais selon un service de révérence, car ils nous conduisent soit par l’enseignement, soit par l’administration, soit par l’intercession et l’exemple. La raison de service est en cela sauvegardée du fait qu’il revient à un autre d’agir en tant que fin, mais non à ce qui meut par coercition ou par commandement. |
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Expositio textus |
Explication du
texte de Pierre Lombard, Dist. 9
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[8679] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3
expos. In dilectione,
sacrificii exhibitione, et reverentia. Dilectio refertur ad honorem interiorem
Deo exhibitum; sacrificia ad bona exteriora quae in ejus honorem assumuntur;
reverentia, secundum quod corpus nostrum ei in obsequium damus, sicut in
prostrationibus, et hujusmodi. Una adoratione cum incontaminata carne ejus. Ergo videtur quod filius sit magis
adorandus quam pater vel quam ipsemet ante incarnationem. Dicendum, quod humanitas
ejus non adoratur latria nisi propter divinitatem: et ideo non facit ipsum
magis adorabilem, sed plura in ipso adorari; quia hoc quod additur, ut supra
dictum est, non additur ad bonitatem divinam. Nemo carnem ejus manducat,
nisi prius adoret. Loquitur de manducatione spirituali, quae sine
reverentia esse non potest: non autem de sacramentali, quia potest aliquis
irreverenter manducare. Vel dicendum, quod loquitur quantum ad id quod debet
fieri secundum institutionem Ecclesiae, quae prius proponit carnem Christi
adorandam quam tribuat manducandam; et non secundum quod abusive potest
fieri. |
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Distinctio 10 |
Distinction 10 –
[Ce qui convient à la personne du Christ en raison de sa nature humaine]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Le Christ est-il Dieu en tant qu’homme ?]
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Prooemium |
Prologue |
[8680] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister, quid
conveniat vel non conveniat uni naturae ex hoc quod est alteri sociata in
persona Christi, hic determinat quid conveniat ipsi personae Christi ratione
humanae naturae. Quid enim sibi conveniat ratione divinae naturae, dictum est
in 1 Lib. Dividitur autem haec pars in duas: primo quaerit, utrum conveniant
Christo ratione humanae naturae ea quae ad dignitatem humanae naturae
pertinere videntur; in secunda de illis quaerit quae pertinent ad defectum,
dist. 11, ibi: solet etiam quaeri, utrum debeat simpliciter dici atque
concedi Christum esse factum, vel creatum, vel creaturam. Prima in duas:
primo inquirit de illis quae pertinent ad dignitatem naturalem humanae
naturae, sicut est personalitas; secundo de his quae pertinent ad dignitatem
gratiae, ibi: si vero quaeritur, an Christus sit adoptivus filius secundum
quod homo, an alio modo, respondemus Christum non esse adoptivum filium
aliquo modo. Circa primum duo facit: primo movet quaestionem; secundo
objicit ad utramque partem, et solvit, ibi: quod enim persona sit, his
edisserunt rationibus. Et haec pars dividitur in duas, secundum duas vias
in quibus ad propositam quaestionem argumentatur; secunda incipit ibi: sed
adhuc aliter nituntur probare, Christum secundum hominem esse personam. Circa primum duo facit:
primo ponit objectionem; secundo solvit, ibi: propter haec inconvenientia.
Circa primum duo facit: primo objicit ad partem affirmativam; secundo ad
partem negativam, ibi: sed contra. Si secundum quod homo, persona est; vel
tertia in Trinitate persona, vel alia. Propter haec inconvenientia et alia quidam
dicunt, Christum secundum hominem non esse personam. Hic solvit; et circa
hoc duo facit: primo respondet ad quaestionem; secundo ad objectum, ibi: illud
tamen non sequitur quod in argumento superiori inductum est. Sed adhuc aliter
nituntur probare Christum secundum hominem esse personam. Hic ponit aliam
objectionem: et primo objicit; secundo solvit, ibi: ad quod dici potest.
Si vero quaeritur, an Christus sit adoptivus filius secundum quod homo, an
alio modo; respondemus, Christum non esse adoptivum filium aliquo modo. Hic inquirit de illis quae pertinent ad
dignitatem gratiae; et primo de filiatione secundum adoptionem; secundo de
praedestinatione, ibi: deinde si quaeritur. Circa primum duo facit:
primo ostendit quod Christus non sit filius adoptivus; secundo objicit in
contrarium, ibi: sed adhuc opponitur. Et circa hoc tria facit: primo
ponit objectionem; secundo solvit, ibi: ad hoc dici potest; tertio
solutionis confirmationem quantum ad duo: primo quantum ad hoc quod Christus
est naturalis filius virginis, ibi: quod vero naturaliter sit hominis
filius, Augustinus ostendit; secundo quantum ad hoc quod non sit filius
per adoptionem, ibi: quod autem non sit filius adoptivus, et tamen gratia
sit filius, ex subditis probatur testimoniis. Hic est triplex quaestio. Prima quid
conveniat Christo, secundum quod homo. Secunda de adoptione. Tertia de
praedestinatione. Circa primum quaeruntur duo: 1 utrum Christus, secundum
quod homo, sit Deus; 2 utrum Christus, secundum quod homo, sit persona. |
Après avoir déterminé de ce qui convient ou ne convient pas à une nature du fait qu’elle est associée à l’autre dans la personne du Christ, le Maître détermine ici de ce qui convient à la personne même du Christ en raison de sa nature humaine. En effet, ce qui lui convient en raison de sa nature divine a été dit au livre I. Cette partie se divise en deux : dans la première, il se demande si ce qui semble appartenir à la dignité de la nature humaine convient au Christ ; dans la seconde, il s’interroge sur ce qui relève de sa carence, d. 11, à cet endroit : « On a aussi l’habitude de se demander si l’on doit tout simplement concéder que le Christ a été fait ou créé, ou qu’il est une créature. » La première partie se divise en deux : premièrement, il s’interroge sur ce qui relève de la dignité de la nature humaine, comme la personnalité ; deuxièmement, sur ce qui relève de la dignité de la grâce, à cet endroit : « Si on se demande si le Christ est un fils adoptif selon qu’il est homme ou autrement, nous répondons que le Christ n’est d’aucune manière un fils adoptif. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il soulève la question ; deuxièmement, il présente des objections des deux côtés et les résout, à cet endroit : « Qu’il soit une personne, ils l’ont enseigné par ces raisons. » Et cette partie se divise en deux, selon les deux façons d’argumenter pour la question proposée ; la seconde commence à cet endroit : « Mais ils s’efforcent encore de démontrer que le Christ est une personne en tant qu’il est homme. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il présente une objection ; deuxièmement, il la résout, à cet endroit : « En raison de ces inconvenances… » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il présente une objection à la partie affirmative ; deuxièmement, à la partie négative, à cet endroit : « En sens contraire, s’il est une personne en tant qu’homme, ou la troisième personne de la Trinité ou une autre… » « En raison de ces inconvenances et d’autres, certains disent que le Christ n’est pas une personne en tant qu’homme. » Ici, il résout. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il répond à la question ; deuxièmement, à l’objection, à cet endroit : « Cependant, ce qui a été invoqué dans le raisonnement antérieur n’est pas concluant. » « Mais il s’efforcent encore de démontrer autrement que le Christ est une personne en tant qu’homme. » Ici, il présente une autre objection. Premièrement, il présente l’objection ; deuxièment, il la résout, à cet endroit : « On peut dire à ce propos… » « Mais si on se demande si le Christ est un fils adoptif en tant qu’il est homme ou autrement, nous répondons que le Christ n’est un fils adoptif d’aucune manière. » Ici, il s’interroge sur ce qui relève de la dignité de la grâce : premièrement, sur la filiation par adoption ; deuxièmement, par prédestination, à cet endroit : « Ensuite, si on se demande… » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre que le Christ n’est pas un fils adoptif ; deuxièmement, il présente une objection en sens contraire, à cet endroit : « Mais on objecte encore… » À ce propos, il fait trois choses : premièrement, il présente l’objection ; deuxièmement, il la résout, à cet endroit : « À ce sujet, on peut dire… » ; troisièmement, il présente une confirmation de la solution sous deux aspects : premièrement, à propos du fait que le Christ est le fils naturel de la Vierge, à cet endroit : « Mais qu’il soit un fils d’homme de manière naturelle, Augustin le montre » ; deuxièmement, à propos du fait qu’il n’est pas fils par adoption, à cet endroit : « Mais qu’il ne soit pas un fils adoptif et soit cependant fils par grâce, on le montre par les témoignages qui suivent. » Ici, il y a trois questions : la première, qu’est-ce qui convient au Christ en tant qu’homme ? ; la deuxième, à propos de l’adoption ; la troisième, à propos de la prédestination. À propos du premier point, deux questions sont posées : 1 – Le Christ en tant qu’homme est-il Dieu ? 2 – Le Christ en tant qu’homme est-il une personne ? |
Articulus 1 [8681] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1
tit. Utrum Christus
secundum quod homo, sit Deus |
Article 1 – Le Christ, en tant qu’homme, est-il Dieu ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le Christ, en tant qu’homme, est-il Dieu ?] |
[8682] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod Christus,
secundum quod homo, sit Deus. Philip. 2, 9: dedit illi nomen quod est
super omne nomen. Glossa: inquantum homo, assumpsit nomen Dei non
usurpative, sed vere. Sed nomen quod habet vere, vere dicitur de eo. Ergo
vere dicitur quod Christus, secundum quod homo, est Deus. |
1. Il semble que le Christ, en tant qu’homme, soit Dieu. Ph 2, 9 : Il lui a donné un nom au-dessus de tout nom. Glose : « En tant qu’homme, il a pris le nom de Dieu, non par usurpation, mais en vérité. » Or, il est vraiment désigné par le nom qu’il porte en vérité. On dit donc en vérité que le Christ, en tant qu’homme, est Dieu. |
[8683] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 2 Praeterea, Christus est Deus per
gratiam unionis. Sed gratia unionis non convenit ei nisi secundum quod est
homo. Ergo est Deus
secundum quod homo. |
2. Le Christ est Dieu par la grâce d’union. Or, la grâce d’union ne lui convient que selon qu’il est homme. Il est donc Dieu selon qu’il est homme. |
[8684] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
Christus, secundum quod homo, dimittit peccata, ut patet Matth. 9, 6: ut
autem sciatis quia filius hominis habet potestatem in terra dimittendi
peccata. Sed hoc est tantum Dei, ut dicitur Isaiae 43, 25: ego sum qui
deleo iniquitates tuas propter me. Ergo secundum quod homo, est Deus. |
3. Le Christ, selon qu’il est homme, remet les péchés, comme cela ressort de Mt 9, 6 : Afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir de remettre les péchés sur terre. Or, cela ne relève que de Dieu, comme il est dit en Is 43, 25 : C’est moi qui détruis tes iniquités à cause de moi. Donc, selon qu’il est homme, il est Dieu. |
[8685] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
Christus, secundum quod Deus, fuit ab aeterno. Si igitur secundum quod homo,
est Deus; secundum quod homo, fuit ab aeterno: quod falsum est. |
Cependant, [1] le Christ, en tant qu’il est
Dieu, est éternel. Si donc, selon qu’il est homme, il est Dieu, il a existé
depuis l’éternité selon qu’il est homme, ce qui est faux. |
[8686] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1
qc. 1 s. c. 2 Praeterea,
Deus et homo significant naturas disparatas. Sed in talibus non potest unum eorum
secundum alterum alicui convenire. Ergo Christus non est Deus secundum quod homo. |
[2] « Dieu » et « homme » signifient des natures différentes. Or, en de telles choses, l’un d’eux ne peut convenir à l’autre au sens de l’autre. Le Christ n’est donc pas Dieu selon qu’il est homme. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Est-il Dieu selon qu’il est cet homme ?] |
[8687] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit Deus, secundum quod iste homo. Omne
enim quod praedicatur de altero secundum quod aliquid, oportet quod sit
definitio, vel pars definitionis, aut per se accidens illius secundum quod
praedicatur: sicut cum dicitur: Petrus, secundum quod homo, est animal
rationale mortale, vel, secundum quod homo, est risibile. Sed Deus nullo
dictorum modorum se habet ad istum hominem. Ergo haec est falsa: Christus,
secundum quod iste homo, est Deus. |
1. Il semble qu’il ne soit pas Dieu selon qu’il est cet homme. En effet, tout ce qui est prédiqué d’un autre selon qu’il est quelque chose doit en être la définition ou une partie de la définition, ou en être un accident par soi selon qu’il est prédiqué, comme lorsqu’on dit : « Pierre, selon qu’il est un homme, est un animal raisonnable mortel » ou « selon qu’il est un homme, il est [un animal] risible ». Or, Dieu n’a aucun rapport de ce genre avec cet homme. Cette proposition est donc fausse : « Le Christ, selon qu’il est cet homme, est Dieu. » |
[8688] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
Christus, secundum quod Deus, caret matre. Si ergo Christus, secundum quod
iste homo, est Deus; secundum quod iste homo, caret matre: quod falsum est. |
2. Le Christ, selon qu’il est Dieu, n’a pas de mère. Si donc le Christ, selon qu’il est cet homme, est Dieu, selon qu’il est cet homme, il n’a pas de mère, ce qui est faux. |
[8689] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 3 Praeterea, remoto eo secundum quod aliquid
alicui convenit, ulterius non convenit ei. Sed remoto a Christo quod sit hic
homo, adhuc convenit sibi esse Deum: quia ab aeterno fuit Deus: non autem ab
aeterno fuit hic homo. Ergo Christus,
secundum quod hic homo, non est Deus. |
3. En écartant
ce selon quoi une chose convient à une autre, elle ne lui convient plus. Or,
en écartant du Christ qu’il soit cet homme, il lui convient encore d’être
Dieu, car il est Dieu depuis l’éternité, mais il n’a pas été cet homme depuis
l’éternité. Le Christ, selon qu’il est homme, n’est donc pas Dieu. |
[8690] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1
qc. 2 s. c. 1 Sed contra,
sicut supra, dist. 7, qu. 1, art. 1, dictum est, ista propositio: iste homo
est Deus, non est praedicatio accidentalis, sed essentialis. Sed praedicatum
essentiale potest praedicari de subjecto quocumque cum reduplicatione, sicut
Socrates in quantum est homo, est animal: quia animal per se de homine
praedicatur. Ergo haec est vera: Christus, secundum quod est hic homo, est
Deus. |
Cependant, [1] comme on l’a dit à la d. 7, q. 1, a. 1, cette proposition : « Cet homme est Dieu » n’est pas une prédication accidentelle, mais essentielle. Or, un prédicat essentiel peut être prédiqué de n’importe quel sujet avec une explicitation, comme : « Socrate, en tant qu’il est homme, est un animal », parce que « animal » est prédiqué de l’homme par soi. Cette proposition est donc vraie : « Le Christ, selon qu’il est cet homme, est donc Dieu. » |
[8691] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, hic homo
demonstrat suppositum aeternum. Sed haec est vera: Christus, secundum quod est suppositum aeternum,
est Deus. Ergo et haec est vera: Christus secundum quod hic homo, est Deus. |
[2] Cet homme indique un suppôt éternel. Or, cette proposition est vraie : « Le Christ, selon qu’il est un suppôt éternel, est Dieu. » Donc, cette proposition est vraie : « Le Christ, selon qu’il est cet homme, est Dieu. » |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Le Christ est-il prédestiné en tant qu’homme ?] |
[8692] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod Christus non sit praedestinatus secundum quod homo. Quod enim
convenit Petro secundum quod homo, oportet quod cuilibet homini conveniat.
Sed esse praedestinatum non convenit cuilibet homini. Ergo nec convenit
Christo secundum quod homo. |
1. Il semble que le Christ ne soit pas prédestiné en tant qu’homme. En effet, ce qui convient à Pierre en tant qu’homme doit convenir à n’importe quel homme. Or, être prédestiné ne convient pas à n’importe quel homme. Cela ne convient donc pas non plus au Christ en tant qu’homme. |
[8693] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 2 Praeterea,
effectus praedestinationis conformiter respondet praedestinationi: alias
esset praedestinatio falsa. Sed cum Christus sit praedestinatus esse filius
Dei, effectus hujus praedestinationis est esse filius Dei. Si ergo Christus,
secundum quod homo, non est filius Dei, nec secundum quod homo, est
praedestinatus. |
2. L’effet de la prédestination correspond exactement à la prédestination, autrement la prédestination serait fausse. Or, puisque le Christ a été prédestiné à être le Fils de Dieu, l’effet de cette prédestination est qu’il est le Fils de Dieu. Si donc le Christ, selon qu’il est homme, n’est pas le Fils de Dieu, il n’est donc pas non plus prédestiné selon qu’il est homme. |
[8694] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1
qc. 3 s. c. 1 Sed contra,
Christus est praedestinatus, ut dicit apostolus Rom. 1. Sed non secundum quod
Deus, ut patet ex dictis in 7 dist. Ergo secundum quod homo. |
Cependant, le Christ est prédestiné, comme le dit l’Apôtre en Rm 1. Or, ce n’est pas en tant qu’il est Dieu, comme cela ressort de ce qui a été dit à la d. 7. C’est donc en tant qu’il est homme. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[8695] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod id quod in
aliqua propositione reduplicatur cum hoc quod dico, secundum quod, est illud
per quod praedicatum convenit subjecto; unde oportet quod aliquo modo sit
idem cum subjecto, et aliquo modo idem cum praedicato; sicut medius terminus
in syllogismo affirmativo ad praedicatum quidem habet comparationem sicut ad
id quod per se consequitur ipsum (nihil enim convenit alicui secundum quod
est animal, nisi illud animali per se conveniat secundum quemcumque modum dicendi
per se); ad subjectum autem comparatur sicut ad id quod aliquo modo
includitur in subjecto. Includitur autem in subjecto ipsa substantia
subjecti, et antecedentia, sicut causae, et consequentia, sicut accidentia.
Substantia autem subjecti est et ipsum subjectum et natura ejus. Et ratione omnium istorum potest aliquid
attribui Christo, et cuilibet homini. Si enim aliquid attribuitur homini
ratione principiorum praecedentium; sic dicimus quantum ad causam materialem,
quod homo, secundum quod est compositum ex contrariis, est corruptibilis;
quantum ad causam formalem dicimus, quod homo, secundum quod habet animam
rationalem, est ad imaginem Dei; quantum vero ad causam efficientem dicimus
quod Petrus, secundum quod natus de tali patre, est heres ejus. Quantum autem ad causam
finalem dicimus, quod homo, secundum quod est ad beatitudinem ordinatus,
oportet quod sit immortalis quantum ad animam. Si autem attribuatur alicui homini aliquid ratione accidentium, sic
dicimus, quod homo, secundum quod est coloratus, est visibilis; si autem
attribuatur sibi aliquid ratione suppositi, sic dicimus, quod Socrates,
secundum quod Socrates, est individuum: si autem ratione naturae, sic
dicimus, quod homo, secundum quod homo, est animal. Secundum hoc ergo dicendum
ad primam quaestionem, quod cum dicitur: Christus, secundum quod homo, est
Deus, ly homo potest replicari ratione naturae; et sic est falsa, quia
naturae humanae non per se convenit, inquantum talis natura, ut divinae
uniatur: si autem replicatur ratione suppositi (cum suppositum humanae
naturae in Christo sit suppositum aeternum, cui per se convenit esse Deum),
erit vera. Quia tamen hoc nomen homo non importat aliquod suppositum
determinatum humanae naturae, nisi per demonstrationem adjunctam, et solum
cuidam determinato supposito humanae naturae convenit per se esse Deum; ideo
nisi aliquid aliud addatur, vel intelligatur, simpliciter non est concedendum,
quod Christus, secundum quod homo, est Deus. |
Ce qui est explicité dans une proposition par rapport à ce que je dis est d’après cela ce par quoi le prédicat convient au sujet ; il faut donc que, d’une certaine manière, ce soit la même chose que le sujet et, d’une certaine manière la même chose que le prédicat, comme le moyen terme, dans un syllogisme affirmatif se compare à ce qui en découle par soi (en effet, rien ne convient à quelqu’un selon qu’il est animal que ce qui convient par soi à l’animal selon n’importe quelle manière de parler par soi) ; mais [le moyen terme] se compare au sujet comme ce qui est inclus d’une certaine manière dans le sujet. Or, sont inclus dans le sujet la substance même du sujet, ses antécédents, en tant que causes, et ses conséquents, en tant qu’accidents. Or, la substance du sujet est le sujet lui-même et sa nature. Et en raison de tout cela, une chose peut être attribuée au Christ et à n’importe quel homme. En effet, si une chose est attribuée à l’homme en raison des principes précédents, nous disons ainsi, du point de vue de la cause matérielle, que l’homme, en tant qu’il est composé de contraire, est corruptible ; du point de vue de la cause formelle, nous disons que l’homme, en tant qu’il a une âme rasonnable, est à l’image de Dieu ; du point de vue de la cause efficiente, nous disons que Pierre, selon qu’il est né de tel père, est son héritier. Du point de vue de la cause finale, nous disons que l’homme, selon qu’il est ordonné à la béatitude, doit être immortel quant à son âme. Mais si une chose est attribuée à un homme en raison des accidents, nous disons que l’homme, selon qu’il est coloré, est visible ; mais si une chose lui est attribuée en raison du suppôt, nous disons alors que Socrate, en tant que Socrate, est un individu ; mais si c’est en raison de sa nature, nous disons alors que l’homme, selon qu’il est homme, est un animal. Compte tenu de cela, il faut répondre à la première question que, lorsqu’on dit que le Christ, selon qu’il est homme, est Dieu, « homme » peut être explicité en raison de la nature. La proposition est ainsi fausse, car il ne convient pas par soi à la nature humaine, en tant qu’elle est telle nature, d’être unie à Dieu ; mais si elle est explicitée en raison du suppôt (puisque le suppôt de la nature humaine chez le Christ est un suppôt éternel, à qui il convient d’être par soi Dieu), elle sera vraie. Cependant, parce que ce nom « homme » ne comporte pas de suppôt déterminé de la nature humaine, sauf par une indication ajoutée, et qu’il ne convient qu’à un suppôt déterminé de la nature humaine d’être par soi Dieu, si rien d’autre n’est ajouté ou entendu, il ne faut pas concéder tout simplement que le Christ, selon qu’il est homme, est Dieu. |
[8696] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod assumptio, ut supra, dist. 5, dictum est, significatur per modum motus.
Cui autem convenit per se moveri ad aliquid, non convenit esse illud; sicut
nigro convenit per se moveri ad albedinem, non tamen convenit ei per se esse
album. Similiter
assumere nomen Dei, potest convenire Christo secundum quod homo; et tamen
esse Deum non convenit ei secundum quod homo. |
1. Comme on l’a dit plus haut, d. 5, l’assomption est signifiée par mode de mouvement. Or, s’il ne convient pas à une chose d’être mue vers quelque chose, il ne lui convient pas d’être cette chose ; ainsi, il convient à ce qui est noir d’être mû vers la blancheur, mais il ne lui convient cependant pas d’être blanc par soi. De même, prendre le nom de Dieu peut convenir au Christ selon qu’il est homme ; cependant, être Dieu ne lui convient pas selon qu’il est homme. |
[8697] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod hoc nomen Christus significat personam in duabus naturis; unde non
convenit ei per gratiam quod sit Deus, sed ab aeterno; sed quod sit simul
Deus et homo, hoc est per gratiam unionis. Vel dicendum, quod quamvis gratia unionis
faciat hominem Deum, non tamen ad idem refertur gratia unionis et esse Deum:
quia esse Deum convenit huic homini ratione personae, gratia autem fit ei
ratione naturae; unde secundum quod homo, habet gratiam unionis, si fiat
reduplicatio ratione humanae naturae; non autem secundum quod homo, est Deus,
sed secundum quod talis persona. |
2. Le nom de « Christ » signifie la personne en deux natures. Aussi ne lui convient-il pas d’être Dieu par grâce, mais depuis l’éternité. Mais qu’il soit en même temps Dieu et homme, cela résulte de la grâce d’union. Ou bien il faut dire que bien que la grâce d’union rende un homme Dieu, la grâce d’union et le fait d’être Dieu ne se rapportent pas à la même chose, car être Dieu convient à cet homme en raison de sa personne, mais la grâce lui est donnée en raison de sa nature. Aussi, selon qu’il est homme, possède-t-il la grâce d’union, s’il est explicité que c’est en raison de la nature humaine ; mais il n’est pas Dieu selon qu’il est homme, mais selon qu’il est telle personne. |
[8698] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc.
1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dimittere
peccata est dupliciter: vel per auctoritatem; et sic, cum sit solius Dei, non
est Christi inquantum est homo, si fiat reduplicatio ratione naturae: vel per
ministerium; et sic convenit Christo etiam ratione humanae naturae. |
3. Remettre les péchés se réalise de deux manières : par autorité, et ainsi, comme cela relève seulement de Dieu, cela ne relève pas du Christ en tant qu’il est homme, si l’on explicite que c’est en raison de la nature ; soit par ministère, et ainsi cela convient aussi au Christ en raison de sa nature humaine. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[8699] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam
quaestionem dicendum, quod ad hoc quod aliqua praedicatio sit per se, non oportet
quod praedicatum per se conveniat subjecto secundum omne quod in nomine
subjecti implicatur; sed sufficit si secundum aliquid eorum per se sibi
conveniat; sicut ratiocinari per se convenit homini, non inquantum habet
corpus, sed inquantum animam habet; unde haec est per se: homo ratiocinatur.
Cum autem dicitur: iste homo, demonstrato Christo, includitur ex vi
demonstrationis suppositum determinatum humanae naturae, quod est suppositum
aeternum, secundum secundam opinionem; cui supposito per se convenit esse
Deum; unde haec est per se secundum secundam opinionem: iste homo est Deus. Et quia ad veritatem hujusmodi locutionum
non exigitur nisi quod praedicatum per se conveniat ei quod replicatur; ideo
haec est vera: Christus secundum quod iste homo, est Deus. |
Pour qu’une prédication soit faite par soi, il n’est pas nécessaire que le prédicat convienne par soi au sujet selon tout ce que comporte le nom du sujet, mais il suffit qu’une de ces choses lui convienne par soi. Ainsi, raisonner convient par soi à l’homme, non pas en tant qu’il a un corps, mais en tant qu’il a une âme. Aussi cette [proposition] est-elle par soi : « L’homme raisonne. » Mais lorsqu’on dit : « Cet homme », en montrant le Christ, le suppôt déterminé de la nature humaine est inclus en vertu de l’indication ; selon la deuxième opinion, il s’agit d’un suppôt éternel, à qui il convient par soi d’être Dieu. Aussi la proposition suivante est-elle par soi : « Cet homme est Dieu. » Et parce qu’il est seulement requis pour la vérité de ces formulations que le prédicat convienne par soi à ce qui est explicité, la proposition suivante est donc vraie : « Le Christ, selon qu’il est cet homme, est Dieu. » |
[8700] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod sicut aliquid est de definitione speciei quod non est de
definitione generis; ita aliquid esset de definitione individui, si
definiretur, quod non est de definitione speciei, sicut pars materiae, ut
dicit philosophus. Unde licet Deus non sit pars definitionis hominis, esset
tamen pars definitionis hujus hominis Christi, si definiri posset ratione
personae verbi. Unde patet quod est per se. |
1. De même qu’une chose fait partie de la définition de l’espèce sans faire partie de la définition du genre, de même une chose ferait partie de la définition de l’individu, s’il était défini, sans faire partie de la définition de l’espèce, comme une partie de la matière, ainsi que le dit le Philosophe. Bien que Dieu ne fasse pas partie de la définition de l’homme, il ferait cependant partie de la définition de ce nom « Christ », s’il pouvait être défini, en raison de la personne du Verbe. Il est donc clair qu’il s’agit [d’une prédication] par soi. |
[8701] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod cum dicitur, iste homo, demonstratur suppositum duarum
naturarum; quarum utraque caderet in definitione ejus, si definiri posset; et
ideo ea quae sunt utriusque naturae, per se ei conveniunt; et ideo Christus,
secundum quod iste homo, est Deus; et secundum quod iste homo, est homo: et
similis ratio est de illis quae consequuntur ad alteram naturam; unde
secundum quod iste homo, est habens matrem, et carens matre: nec unum
excludit aliud, cum non sint opposita, quia non conveniunt secundum idem. |
2. Lorsqu’on dit : « Cet homme », on montre le suppôt des deux natures, dont les deux ferait partie de sa définition, s’il pouvait être défini. C’est pourquoi ce qui relève des deux natures lui convient par soi. Ainsi, le Christ, selon qu’il est cet homme, est Dieu, et selon qu’il est cet homme, il est homme. Le raisonnement est le même pour ce qui découle des deux natures. Ainsi, selon qu’il est cet homme, il a une mère et une mère lui fait défaut, et une chose n’exclut pas l’autre, puisqu’elles ne sont pas opposées, n’ayant en commun rien de semblable. |
[8702] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod remoto a
Christo toto hoc quod importatur cum dicitur, iste homo, non conveniet ei
esse Deum: quia includitur ibi natura divina et humana, ut dictum est. Sed remota altera, scilicet humana natura,
sequitur quod filius Dei non possit dici iste homo. Ratione tamen illius,
scilicet humanae naturae, non verificatur praedicta locutio; et est simile
sicut si dicatur: Petrus, inquantum homo, sentit: quia remoto rationali per
intellectum, non erit homo, et remanebit sentiens, ut dicitur in libro de
causis. |
3. Si on enlève du Christ tout ce qui est compris lorsqu’on dit : « Cet homme », il ne lui conviendrait pas d’être Dieu, car la nature divine et la nature humaine y sont incluses, comme on l’a dit. Mais si on enlève une des deux, la nature humaine, il en découle qu’on ne peut pas parler de « cet homme » pour le Fils de Dieu. Cependant, en raison de celle-ci, la nature humaine, la formulation mentionnée n’est pas vraie. Et c’est la même chose si l’on dit : « Pierre, en tant qu’homme, sent », car, si on enlève le caractère raisonnable dû à l’intellect, il ne sera pas un homme et continuera de sentir, comme on le dit dans le Sur les causes. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[8703] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quia
praedestinatio importat antecessionem, ideo per consequens includit factionem:
quia omne quod est, postquam non fuit, dicitur factum: unde dicitur aliquis
praedestinatus, inquantum praevisus est fieri beatus. Omnia autem quae
actionem important et motum, conveniunt per se ei quod accedit ad terminum;
cui tamen per se non convenit esse in termino; sicut moveri ad albedinem, per
se convenit non albo, cui non convenit esse album. Praedestinatio autem quae de Christo
dicitur, est respectu gratiae unionis, secundum quam factum est ut homo esset
Deus; cujus factionis terminus est esse Deum. Accedens autem ad terminum est
quod assumitur ad unionem, scilicet humana natura; et ideo ratione humanae
naturae convenit Christo esse praedestinatum, non autem esse Deum; unde haec
est vera: Christus secundum quod homo, est praedestinatus, haec autem est
falsa: Christus secundum quod homo, est Deus. |
Parce que la prédestination comporte une anticipation, elle comporte par conséquent un accomplissement, car on dit de tout ce qui est, après n’avoir pas été, que cela est arrivé. Ainsi dit-on de quelqu’un qu’il est prédestiné pour autant qu’il a été prévu à son sujet qu’il deviendrait bienheureux. Or, tout ce qui comporte une action et un mouvement convient par soi à ce qui atteint le terme ; cependant, il ne lui convient pas par soi de se trouver dans le terme, comme être mû vers la blancheur convient par soi à ce qui n’est pas blanc, alors qu’il ne lui convient pas d’être blanc. Or, la prédestination attribuée au Christ se réalise pour ce qui est de la grâce d’union, du fait qu’il est arrivé qu’un homme soit Dieu, le terme de cette action consistant à être Dieu. Or, ce qui atteint le terme est ce qui est assumé en vue de l’union, la nature humaine. Aussi, en raison de la nature humaine, convient-il au Christ d’avoir été prédestiné, mais non d’être Dieu. Ainsi, cette proposition est-elle vraie : « Le Christ, selon qu’il est homme, est prédestiné », mais celle-ci est-elle fausse : « Le Christ, selon qu’il est homme, est Dieu. » |
[8704] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa procedit de illis quae
conveniunt alicui ratione humanae naturae secundum rationem speciei. Sed praedestinari
convenit Christo ratione humanae naturae particulatae in ipso. Unde objectio non est ad propositum. |
1. Ce raisonnement découle de ce qui convient à quelqu’un en raison de la nature humaine selon la raison de l’espèce. Or, être prédestiné convient au Christ en raison de la nature humaine individualisée en lui. L’objection ne porte donc pas sur ce qui est en cause. |
[8705] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod effectus praedestinationis respondet praedestinationi
conformiter quantum ad id de quo est praedestinatio, non autem quantum ad
conditiones praedestinationis: quia praedestinatio est aeterna, effectus
autem est temporalis; et sic est in proposito: quia Christus non est
praedestinatus ut sit, secundum quod homo, filius Dei; sed ipsa
praedestinatio convenit ei secundum quod homo. Unde patet quod hujusmodi
locutiones sunt duplices, ex hoc quod implicatio potest ferri ad hoc quod est
praedestinatum, vel ad hoc quod est esse filium Dei, de quo est
praedestinatio. |
2. L’effet de la prédestination correspond exactement à la prédestination pour ce qui est l’objet de la prédestination, mais non pour ce qui est des conditions de la prédestination, car la prédestination est éternelle, mais son effet est temporel. C’est cela qui est en cause, car le Christ n’a pas été prédestiné pour être Fils de Dieu selon qu’il est homme, mais la prédestination elle-même lui convient selon qu’il est homme. Il est donc clair que les formules de ce genre sont doubles du fait que leur contenu peut porter sur le fait qu’il est prédestiné ou sur le fait qu’il est le Fils de Dieu, dont il y a prédestination. |
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Articulus 2 [8706] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2
tit. Utrum Christus,
secundum quod homo, sit persona |
Article
2 – Le Christ, selon qu’il est homme, est-il une personne ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le Christ, selon qu’il est homme, est-il une personne ?] |
[8707] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur, quod Christus, secundum quod homo, sit persona. Persona
enim, ut dicit Boetius est rationalis naturae individua substantia. Sed
Christus, secundum quod homo, est hujusmodi. Ergo secundum quod homo est
persona. |
1. Il semble que le Christ, selon qu’il est homme, soit une personne. En effet, la personne, comme le dit Boèce, est « une substance individuelle de nature raisonnable ». Or, le Christ, selon qu’il est homme, est de cette sorte. Selon qu’il est homme, il est donc une personne. |
[8708] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2
qc. 1 arg. 2 Praeterea,
quod convenit alicui secundum quod homo, convenit omni homini secundum quod
est homo. Sed Petrus, secundum quod est homo, est persona. Ergo et Christus. |
2. Ce qui convient à quelqu’un selon qu’il est homme convient à tout homme selon qu’il est homme. Or, Pierre, selon qu’il est homme, est une personne. Donc, le Christ aussi. |
[8709] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2
qc. 1 arg. 3 Praeterea, dicimus, quod Christus, secundum quod homo, aliquid
operatus est, sicut quod comedit: et similiter secundum quod Deus; sicut quod
mortuum suscitavit. Nec sequitur
propter hoc quod Christus sit duo. Ergo videtur similiter quod si dicamus,
Christum, secundum quod hominem, esse personam, et similiter secundum quod
Deum, non sequitur ipsum esse duo; et ita nullum aliud inconveniens. |
3. Nous disons que le Christ, selon qu’il est homme, a accompli quelque chose, comme le fait de manger ; de même, selon qu’il est Dieu, comme le fait de ressusciter un mort. Mais il n’en découle pas que le Christ soit deux. De même, semble-t-il, si nous disons que le Christ, selon qu’il est homme, est une personne, et la même chose selon qu’il est Dieu, il n’en découle pas qu’il soit deux. Il n’y a donc rien d’inapproprié. |
[8710] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, quidquid
convenit Christo secundum quod homo, hoc est assumptum. Sed persona non est assumpta, ut ex 5
dist., qu. 2, art. 1, patet. Ergo Christus non est persona secundum quod homo. |
Cependant, [1] tout ce qui convient au Christ en tant qu’homme a été assumé. Or, la personne n’a pas été assumée, comme cela ressort de la d. 5, q. 2, a. 1. Le Christ n’est donc pas une personne selon qu’il est homme. |
[8711] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2
qc. 1 s. c. 2 Praeterea,
impossibile est quod idem numero conveniat alicui secundum duas diversas
naturas. Sed in Christo est tantum una persona. Ergo cum secundum naturam
divinam conveniat ei esse personam, secundum naturam humanam non conveniet
ei; et sic non erit persona inquantum est homo. |
[2] Il est impossible que le même chose en nombre convienne à quelqu’un selon deux natures différentes. Or, il n’y a dans le Christ qu’une seule personne. Puisqu’il lui convient d’être une personne selon la nature divine, cela ne lui conviendra donc pas selon la nature humaine. Ainsi, il ne sera pas une personne en tant qu’homme. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le Christ est-il un individu en tant qu’homme ?] |
[8712] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sit, secundum
quod homo, individuum. Christus enim, secundum quod homo, est aliquid. Sed non est aliquid universale. Ergo est
aliquid particulare: ergo secundum quod homo, est individuum. |
1. Il semble que [le Christ] soit un individu en tant qu’homme. En effet, selon qu’il est homme, le Christ est quelque chose. Or, il n’est pas quelque chose d’universel. Il est donc quelque chose de particulier. Donc, en tant qu’homme, il est un individu. |
[8713] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 2 Praeterea, in individuo nihil est nisi
natura speciei, et accidentia individuantia ipsam. Sed Christus, secundum quod homo, habet
naturam humanam, et accidentia individuantia ipsam. Ergo secundum quod homo,
est individuum. |
2. Dans l’individu, il n’y a rien que la nature de l’espèce et les accidents qui individuent celle-ci. Or, le Christ, en tant qu’homme, possède la nature humaine et les accidents qui individuent celle-ci. En tant qu’homme, il est donc un individu. |
[8714] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 3 Praeterea,
quidquid convenit naturae humanae, convenit Christo inquantum est homo, sicut
esse passibile et mortale. Sed humana natura in Christo est quoddam
individuum. Ergo Christus, inquantum homo, est individuum. |
3. Tout ce qui convient à la nature humaine convient au Christ en tant qu’il est homme, comme le fait d’être passible et mortel. Or, la nature humaine dans le Christ est quelque chose d’individuel. Le Christ, en tant qu’homme, est donc un individu. |
[8715] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2
qc. 2 s. c. 1 Sed contra,
individuum in genere rationalis naturae nihil aliud est quam persona. Sed Christus, secundum quod homo, non est
persona. Ergo nec individuum. |
Cependant, [1] l’individu dans le genre de la nature raisonnable n’est rien d’autre qu’une personne. Or, le Christ, en tant qu’homme, n’est pas une personne. Il n’est pas non plus un individu. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Le Christ, en tant qu’homme, est-il un suppôt ou une chose de la nature ?] |
[8716] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Christus,
secundum quod homo, sit suppositum, vel res naturae. Suppositum enim vel res naturae dicitur
aliquis ex hoc quod habet naturam humanam. Sed Christus, secundum quod homo,
habet humanam naturam. Ergo, secundum quod homo, est suppositum, vel res
naturae. |
1. Il semble que le Christ, en tant qu’homme, ne soit pas un suppôt ou une chose de la nature. En effet, quelqu’un est appelé un suppôt ou une chose de la nature du fait qu’il a la nature humaine. Or, le Christ, en tant qu’homme, possède une nature humaine. En tant qu’homme, il est donc un suppôt ou une chose de la nature. |
[8717] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, humana natura
ita vere est in Christo, sicut accidentia humanae naturae. Sed Christus,
secundum quod homo, est subjectum accidentium humanae naturae. Ergo et secundum
quod homo, est suppositum, vel res naturae. |
2. La nature humaine existe dans le Christ avec autant de vérité que les accidents de la nature humaine. Or, le Christ, en tant qu’homme, est le sujet des accidents de la nature humaine. En tant qu’homme, il est donc un suppôt ou une chose de la nature. |
[8718] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2
qc. 3 arg. 3 Praeterea, Christus, secundum quod homo, est res quaedam. Sed
non est res nullius naturae. Ergo est, secundum quod homo, res naturae. |
3. En tant qu’homme, le Christ est une chose. Or, il n’existe aucune chose qui n’ait pas de nature. En tant qu’homme, il est donc une chose de la nature. |
[8719] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2
qc. 3 s. c. 1 Sed contra, suppositum humanae naturae est idem quod hypostasis
vel persona. Sed Christus,
secundum quod homo, non est hypostasis vel persona. Ergo nec suppositum, vel
res naturae. |
Cependant, [1] un suppôt de nature humaine est la même chose qu’une hypostase ou une personne. Or, le Christ, en tant qu’homme, n’est pas une hypostase ou une personne. Il n’est donc pas un suppôt ou une chose de la nature. |
[8720] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, in Christo est
tantum unum suppositum. Sed Christus, secundum quod Deus, est suppositum. Ergo non secundum quod homo, est
suppositum. |
[2] Il n’y a qu’un seul suppôt dans le Christ. Or, le Christ, en tant que Dieu, est un suppôt. [Le Christ] n’est donc pas un suppôt en tant qu’homme. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[8721] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad
primam quaestionem, quod in Christo non est nisi una persona, quae est ab
aeterno; nullum autem aeternum convenit Christo secundum quod homo, proprie
loquendo, ut patet ex praedictis, dist. 5, quaest. 1, art. 1; unde haec non est vera: Christus, secundum quod
homo, est persona; nisi replicetur suppositum hominis, ut dicatur: Christus,
secundum quod iste homo, est persona; hoc enim verum est. |
Dans le Christ, il n’y a qu’une seule personne, qui existe éternellemenet. Or, au sens propre, rien d’éternel ne convient au Christ en tant qu’homme, comme cela ressort de ce qui a déjà été dit, d. 5, q. 1, a. 1. Aussi cette proposition n’est-elle pas vraie : « Le Christ, en tant qu’homme, est une personne », à moins d’expliciter le suppôt de l’homme pour dire : « Le Christ, en tant qu’il est cet homme, est une personne. » En effet, cela est vrai. |
[8722] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
Christus, secundum quod homo, est substantia rationalis naturae; sed secundum
quod iste homo, est individua substantia rationalis naturae; unde secundum
quod iste homo, est persona; sicut secundum quod iste homo, est Deus. |
1. Le Christ, en tant qu’homme, est une substance de nature raisonnable ; mais, en tant qu’il est cet homme, il est une substance individuelle de nature raisonnable. Aussi est-il une personne selon qu’il est cet homme, de même que, selon qu’il est cet homme, il est Dieu. |
[8723] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam nec Petrus, inquantum homo, est
persona, sed secundum quod iste homo: quia haec non est per se: homo est
persona; sed haec: iste homo est persona. |
2. Pierre non plus n’est pas une personne en tant qu’homme, mais selon qu’il est cet homme, car cette [proposition] n’est pas [une proposition] par soi : « L’homme est une personne », mais celle-ci : « Cet homme est une personne. » |
[8724] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex hoc quod
Christus operatus est secundum quod homo et secundum quod Deus, sequitur quod
in Christo sint duae operationes; ita etiam si Christus esset persona
secundum quod homo et secundum quod Deus, sequeretur quod in ipso essent duae
personae. |
3. Du fait que le Christ a agi en tant qu’homme et en tant que Dieu, découle que, dans le Christ, il y a deux opérations. De même, si le Christ était une personne en tant qu’homme et [une autre personne] en tant que Dieu, il en découlerait qu’il y aurait en lui deux personnes. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[8725] Super
Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum,
quod, sicut supra, dist. 6, quaest. 1, art. 1, dictum est, individuum
invenitur in substantiis et accidentibus. Secundum autem quod in substantiis
est, habet de ratione sui quod sit subsistens: non autem secundum quod in
accidentibus invenitur: et utroque modo invenitur in Christo; tamen altero
tantum modo praedicatur. Humana enim natura in Christo est quoddam
individuum; sed Christus non est illud individuum, sed est individuum
subsistens: et hoc modo accipiendo individuum, secundum quod de Christo
praedicatur, est in Christo unum tantum individuum sicut et una persona. Unde sicut Christus non est persona
secundum quod homo, ita nec individuum. |
Comme on l’a dit plus haut, d. 6, q. 1, a. 1, l’individu se trouve dans les substances et dans les accidents. Selon qu’il se trouve dans les substances, le fait qu’il soit subsistant fait partie de sa raison, mais non selon qu’il se trouve dans les accidents. Et il se trouve des deux manières chez le Christ, cependant, il n’est prédiqué que d’une seule. En effet, la nature humaine chez le Christ est un individu, mais le Christ n’est pas cet individu, car il est un individu subsistant. En entendant ainsi individu, selon qu’il est prédiqué du Christ, il n’existe chez le Christ qu’un seul individu comme aussi une seule personne. De même donc que le Christ n’est pas une personne en tant qu’homme, de même n’est-il pas un individu. |
[8726] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
Christus, secundum quod homo, est aliquid; non tamen sequitur: ergo secundum
quod homo, est aliquid universale vel particulare: quia homini accidit esse
universale vel particulare: unde haec est per accidens: homo est aliquid
particulare; haec autem per se: iste homo est aliquid particulare. Unde Christus non est aliquid particulare
secundum quod homo, sed secundum quod iste homo. |
1. Le Christ en tant qu’homme est une chose, mais il n’en découle pas : « Donc, en tant qu’homme, il est quelque chose d’universel ou de particulier », car il se fait que l’homme est quelque chose d’universel ou de particulier. Cette [proposition] est donc par accident : « L’homme est quelque chose de particulier » ; mais celle-ci est par soi : « Cet homme est quelque chose de particulier. » Le Christ n’est donc pas quelque chose de particulier en tant qu’homme, mais selon qu’il est cet homme. |
[8727] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod de ratione
individui, secundum quod de Christo praedicatur, est quod sit per se
subsistens; et hoc non convenit Christo secundum quod homo, sed secundum quod
hic homo: unde non oportet quod sit individuum secundum quod homo. |
2. Il fait partie de la raison d’indidivu, selon qu’il est prédiqué du Christ, qu’il soit subsistant par soi, et cela ne convient pas au Christ selon qu’il est homme, mais selon qu’il est cet homme. Aussi n’est-il pas nécessaire qu’il soit un individu en tant qu’homme. |
[8728] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ea quae conveniunt
humanae naturae, non oportet quod eodem modo quo de natura praedicantur, de
Christo praedicentur: quia ipsa natura de eo non praedicatur in recto et in
abstracto; sed oblique vel concretive; unde non sequitur, si humana natura
est individuum, quod Christus, secundum quod homo, sit individuum; sed quod
habeat individuam naturam. |
3. Il n’est pas nécessaire que ce qui convient à la nature humaine soit prédiqué du Christ de la même manière qu’il l’est de la nature, car la nature elle-même n’est pas prédiquée de lui directement et dans l’abstrait, mais de manière oblique ou concrète. Aussi ne découle-t-il pas, si la nature humaine est un individu, que le Christ, en tant qu’homme, soit un individu, mais qu’il ait une nature individuelle. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[8729] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in
propositionibus per se aliter est ex parte subjecti, et ex parte praedicati:
quia ex parte subjecti sufficit quod secundum unum tantum eorum quae in
subjecto continentur, praedicatum per se subjecto conveniat; ex parte autem
praedicati oportet quod quidquid est in praedicato, per se conveniat
subjecto; unde haec non est per se: homo est animal album; haec autem est per
se: albus homo est animal. Secundum hoc dico, quod in hoc quod dico,
suppositum, vel res naturae, duo importantur; scilicet respectus ad naturam
communem; et aliud subsistens, cui inest respectus ille: quorum unum inest
Christo secundum quod homo, scilicet respectus ad naturam communem; non autem
alterum, ut patet ex praedictis, et ideo haec est falsa: Christus secundum
quod homo, est suppositum, vel res naturae; tamen magis accedit ad veritatem
quam aliqua praedictarum, inquantum ista nomina imponuntur per respectum ad
naturam communem: unde si suppositum sumatur adjective, est vera: Christus
enim, secundum quod homo, supponitur humanae naturae, vel est aliquod
suppositum humanae naturae; et hoc etiam valet ad ea quae dicta sunt de
persona et individuo. |
Dans les propositions par soi, il en va différemment du côté du sujet et du côté du prédicat, car, du côté du sujet, il suffit que le prédicat convienne par soi au sujet selon une seule des choses contenues dans le sujet ; mais, du côté du prédicat, il est nécessaire que tout ce qui se trouve dans le prédicat convienne par soi au sujet. Aussi cette [proposition] n’est-elle pas vraie : « L’homme est un animal blanc » ; mais celle-ci est par soi : « L’homme blanc est un animal. » Compte tenu de cela, je dis que deux choses sont contenues dans ce que j’appelle le suppôt ou une chose de la nature : un rapport à la nature commune, et une autre chose qui subsiste, dans laquelle se trouve ce rapport. Une de ces choses se trouve dans le Christ en tant qu’homme, le rapport à la nature commune, mais non pas l’autre, comme cela ressort de ce qui a déjà été dit. Aussi cette [proposition] est-elle fausse : « Le Christ, en tant qu’homme, est un suppôt ou une chose de la nature » ; cependant, elle s’approche davantage de la vérité que l’une des précédentes, dans la mesure où ces noms se fondent sur le rapport à la nature commune. Aussi, si « suppôt » est pris comme un adjectif, [la proposition] est-elle vraie. En effet, le Christ, en tant qu’homme, est le sujet de la nature humaine ou il est quelque chose qui sert de sujet à la nature humaine. Cela vaut aussi pour ce qui a été dit de la personne et de l’individu. |
[8730] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Et per hoc etiam patet
solutio ad primum. |
1. La réponse au premier argument ressort ainsi. |
[8731] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2
qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quia accidentia
non pertinent ad esse rei sicut natura communis, ideo in nomine subjecti non
includitur nisi respectus ad accidens; non autem ratio per se existentis, ut
significatum ejus, sed sicut praesuppositum; et ideo non est similis ratio de
subjecto et supposito. |
2. Parce que les accidents n’appartiennent pas à l’être d’une chose selon sa nature commune, n’est donc inclus dans le nom du sujet que le rapport à l’accident, mais non la raison de ce qui existe par soi selon ce qu’il signifie, mais comme ce qui est présupposé. Il n’en va donc pas de même du sujet et du suppôt. |
[8732] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2
qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Christus,
secundum quod homo, est quaedam res, et etiam secundum quod homo, est
alicujus naturae; non tamen sequitur quod sit res naturae secundum quod homo;
quia plus est in significatione compositi quam in significationibus
componentium: quod et in istis accidit; sicut non omnis arma gerens est
armiger. |
3. Le Christ, en tant qu’homme, est une certaine chose, et aussi en tant qu’homme, il a une certaine nature. Il n’en découle cependant pas qu’il soit une chose de la nature en tant qu’homme, car il y a plus dans la signification du composé que dans les significations des composantes, ce qui se produit dans celles-ci. De la même manière, tous ceux qui portent des armes ne sont pas des guerriers. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [La filiation par adoption]
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Prooemium |
Prologue |
[8733] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 pr.
Deinde quaeritur de filiatione per adoptionem: et circa hoc quaeruntur duo: 1
quaeritur de ea ex parte adoptantis; 2 ex parte adoptati. |
On
s’interroge ensuite sur la filiation par adoption. À ce propos, deux
questions sont posées : 1 – On s’interroge à son sujet du point de vue
de celui qui adopte. 2 – Du point de vue de celui qui est adopté. |
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Articulus 1 [8734] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1
tit. Utrum Deo
conveniat aliquem in filium adoptare |
Article 1 – Convient-il à Dieu d’adopter quelqu’un comme un fils ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Convient-il à Dieu d’adopter quelqu’un comme un fils ?] |
[8735] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod Deo non competat aliquem in filium adoptare. Adoptio enim est
alicujus extraneae personae in filium vel nepotem, vel deinceps, legitima assumptio.
Sed Deo non est aliqua
persona extranea, quia omnes ipse condidit. Ergo ei non competit adoptare. |
1.
Il semble qu’il ne convienne pas à Dieu d’adopter quelqu’un comme un fils. En
effet, l’adoption comme fils ou neveu, ou ensuite, une légitime assomption,
porte sur une personne étrangère. Or, aucune personne n’est étrangère à Dieu,
car Il les a toutes créées. Il ne lui convient donc pas d’adopter. |
[8736] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1
qc. 1 arg. 2 Praeterea,
apud nos adoptans non est principium essendi adoptato. Sed Deus est omnibus
principium essendi. Ergo non competit ei aliquem adoptare. |
2. Chez nous, celui
qui adopte n’est pas le principe de l’être de celui qui est adopté. Or, Dieu
est pour tous le principe de l’être. Il ne lui convient donc pas d’adopter
quelqu’un. |
[8737] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
ille qui filios naturales habet, non adoptat aliquem, nisi ut condividat
hereditatem cum filiis naturalibus. Sed hereditas Dei patris indivisibilis
est, quia est ipsemet. Ergo cum ipse habeat naturalem filium, non competit ei
aliquem adoptare. |
3. Celui qui a des
fils naturels n’adopte quelqu’un que pour qu’il partage l’héritage avec les
fils naturels. Or, l’héritage de Dieu le Père est indivisible, car c’est
lui-même. Puisqu’il a une Fils naturel, il ne lui convient donc pas d’adopter
quelqu’un. |
[8738] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, adoptio
contingit ex benignitate adoptantis ad adoptatum. Sed Deus maxime benignus et
amator est hominum. Ergo ipsi
maxime competit adoptare. |
Cependant, [1] l’adoption vient de la bienveillance de celui qui adopte à l’endroit de celui qui est adopté. Or, Dieu aime les hommes au plus haut point et est bienveillant envers eux. Il lui convient donc au plus haut point d’adopter. |
[8739] Super Sent., lib. 3 d.
10 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, quicumque facit aliquos filios per gratiam, adoptat. Sed hoc Deo competit;
Joan. 1, 12: dedit eis potestatem filios Dei fieri. Ergo ipse adoptat. |
[2] Quiconque fait de certains ses fils par grâce [les] adopte. Or, cela convient à Dieu. Jn 1, 12 : Il leur a donné le pouvoir de devenir fils de Dieu. Il adopte donc. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Adopter relève-il seulement de Dieu le Père ?] |
[8740] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod adoptare sit tantum Dei patris. Quia secundum leges, illius est adoptare
cujus est filios generare. Sed solius patris in Trinitate est filium generare
naturalem. Ergo ejus solius est filios adoptare. |
1. Il semble qu’adopter relève seulement de Dieu le Père, car, selon le droit, il revient à celui qui peut engendrer des fils d’adopter. Or, à l’intérieur de la Trinité, il ne revient qu’au Père d’engendrer un Fils naturel. Il relève donc seulement de lui d’adopter des fils. |
[8741] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1
qc. 2 arg. 2 Praeterea, per adoptionem efficimur
fratres Christi; Rom. 8, 29: ut sit ipse primogenitus in multis fratribus.
Sed Christus non est
filius nisi Dei patris, ut supra, dist. 3, quaest. 1, art. 2, dictum est.
Ergo et nos per adoptionem solius patris filii sumus. |
2. Par l’adoption, nous devenons les frères du Christ. Rm 8, 29 : Afin qu’il soit lui-même le premier-né d’un grand nombre de frères. Or, le Christ n’est le Fils que de Dieu le Père, comme on l’a dit plus haut, d. 3, q. 1, a. 2. Donc, par l’adoption, nous sommes donc les fils du seul Père. |
[8742] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut supra,
dist. 1, quaest. 2, art. 2, dictum est, ideo solus filius incarnatus est, ne nomen filii transiret ad
alterum. Sed non est magis inconveniens nomen filii transire ad aliam personam
quam nomen patris. Ergo non debet dici adoptare nisi Deus pater, ne nomen
patris ad aliam personam transeat. |
3. Comme on l’a dit plus haut, d. 1, q. 2, a. 2, le Fils seul s’est incarné afin que le nom de fils passe à un autre. Or, il n’est pas plus inapproprié que le nom de fils passe à une autre personne que le nom de père. On ne doit donc pas dire qu’adopter ne relève que de Dieu le Père, de sorte que le nom de Père ne passe pas à une autre personne. |
[8743] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1
qc. 2 s. c. 1 Sed contra, omne nomen
effectum significans in creatura, dictum de Deo, est commune toti Trinitati. Sed adoptare importat
effectum in creatura. Ergo toti Trinitati competit. |
Cependant, [1] tout nom dit de Dieu et signifiant un effet dans la créature est commun à la Trinité entière. Or, adopter comporte un effet dans la créature. Il convient donc à la Trinité entière. |
[8744] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1
qc. 2 s. c. 2 Praeterea, secundum
hoc quod adoptamur in filios Dei, Deus pater noster dicitur. Sed tota Trinitas dicitur
pater noster, sicut in 1 Lib., dist. 18, dictum est. Ergo totius Trinitatis
est adoptare. |
[2] Dieu est appelé notre Père pour autant
que nous sommes adoptés comme fils de Dieu. Or, la Trinité entière est
appelée notre Père, comme on l’a dit dans le livre I, d. 18. Il
appartient donc à la Trinité entière d’adopter. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [L’adoption ne se réalise-t-elle que par le Fils ?] |
[8745] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc.
3 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod per filium tantum fiat adoptio; per hoc quod dicitur ad Galat.
4, 4: misit Deus filium suum factum ex muliere (...) ut adoptionem
filiorum reciperemus. |
1. Il semble que l’adoption ne se réalise que par le Fils, selon ce qui est dit en Ga 4, 4 : Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme…, afin que nous recevions l’adoption des fils. |
[8746] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1
qc. 3 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum, 5 Metaph.,
illud quod est primum in quolibet genere, est causa eorum quae sunt post. Sed
filiatio primo invenitur in filio. Ergo per ipsum omnes efficimur filii,
sicut per bonitatem filii Dei omnes efficimur boni; et sic ex patre caelesti
omnis paternitas in caelis et in terra nominatur: ad Ephes. 3. |
2. Selon le Philosophe, Métaphysique, V, ce qui est premier dans tous les genres est cause de ce qui vient par la suite. Or, la filiation se trouve d’abord chez le Fils. Nous devenons donc tous fils par [le Fils], comme nous devenons tous bons par la bonté de Dieu. Ainsi, toute paternité au ciel et sur la terre tire-t-elle son nom du Père céleste, Ep 3. |
[8747] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Sed videtur quod fiat per
spiritum sanctum: per hoc quod dicitur Roman. 8, 15: accepistis spiritum
adoptionis filiorum, in quo clamamus, abba, pater. |
3. Mais il semble que [l’adoption] soit
réalisée par l’Esprit Saint, selon ce qui est dit dans
Rm 8, 15 : Vous avez
reçu l’Esprit d’adoption des fils, par lequel nous crions :
« Abba !», « Père !». |
[8748] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1
qc. 3 arg. 4 Praeterea, per caritatem efficimur
filii Dei: 1 Joan. 3, 1: videte qualem caritatem dedit nobis pater, ut
filii Dei nominemur et simus. Sed caritas est spiritus sanctus. Ergo per ipsum adoptamur. |
4. Nous devenons fils de Dieu par la charité, Jn 3, 1 : Voyez quelle charité le Père nous a donnée pour que nous soyons appelés et soyons fils de Dieu. Or, la charité est l’Esprit Saint. Nous sommes donc adoptés par lui. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[8749] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad
primam quaestionem, quod adoptatio transfertur ad divina ex similitudine
humanorum. Homo enim dicitur aliquem in filium adoptare, secundum quod ex
gratia dat jus percipiendae hereditatis suae, cui per naturam non competit.
Hereditas autem hominis dicitur illa qua homo dives est; id autem quo Deus
dives est, est perfruitio sui ipsius, quia ex hoc beatus est, et ita haec est
hereditas ejus; unde inquantum hominibus, qui ex naturalibus ad illam
fruitionem pervenire non possunt, dat gratiam per quam homo illam beatitudinem
meretur, ut sic ei competat jus in hereditate illa, secundum hoc dicitur aliquem
in filium adoptare. |
L’adoption est reportée sur les réalités divines à partir d’une ressemblance avec les réalités humaines. En effet, on dit qu’un homme adopte quelqu’un comme fils parce que, par bienveillance, il lui donne le droit de recevoir son héritage, qui ne lui revient pas par nature. Or, l’héritage d’un homme est ce par quoi un homme est riche. Mais ce par quoi Dieu est riche est la jouissance de lui-même, parce qu’il est ainsi bienheureux. Tel est donc son héritage. Ainsi, pour autant que les hommes ne peuvent parvenir à cette jouissance par leurs [puissances] naturelles, Dieu leur donne-t-il la grâce par laquelle l’homme mérite cette béatitude, de sorte que revienne [à l’homme] un droit à cet héritage. De cette manière, on dit de Dieu qu’il adopte quelqu’un comme un fils. |
[8750] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis nulla persona sit sibi extranea
quantum ad esse quod ab eo participat, est tamen sibi extranea aliqua persona
quantum ad jus percipiendae hereditatis. |
1. Bien qu’aucune personne ne lui soit étrangère quant à l’être qu’elle tient de lui par participation, une personne lui est cependant étrangère pour ce qui est du droit de recevoir l’héritage. |
[8751] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1
qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex hoc ipso
quod aliquis homo ex alio nascitur, habet jus in hereditate paterna; unde non
est extraneus, ut adoptari possit. Sed non ex hoc quod aliquis habet esse a
Deo, competit sibi jus in hereditate caelesti; et ideo potest qui habet esse
a Deo per creationem, ab eo per gratiam in filium adoptari. |
2. Du fait même qu’un homme naît de quelqu’un, il possède un droit à l’héritage paternel ; aussi n’est-il pas étranger, de sorte qu’il puisse être adopté. Mais du fait que quelqu’un tient de Dieu l’être, le droit à l’héritage céleste ne lui revient pas. C’est pourquoi celui qui tient de Dieu l’être en vertu de la création peut être adopté par lui comme fils par grâce. |
[8752] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1
qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod accidit
adoptioni quae est apud nos, ut per eam dividatur hereditas, inquantum a
multis simul tota haberi non potest. Sed hereditas caelestis tota simul habetur a patre adoptante, et ab
omnibus filiis adoptatis; unde non est ibi divisio nec successio. |
3. Il arrive, pour l’adoption qui existe chez nous, que l’héritage soit divisé par elle, dans la mesure où il ne peut être reçu par tous en même temps. Or, l’héritage céleste est obtenu du Père qui adopte par tous en même temps et par tous les fils adoptifs. Il n’y a donc pas là de division ni de succession. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[8753] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
dicendum, quod adoptare convenit toti Trinitati: quia una est operatio totius
Trinitatis, sicut et una essentia; sed tamen potest appropriari patri,
inquantum habet similitudinem cum proprio ejus. |
Il convient à la Trinité entière d’adopter, car il n’existe qu’une seule opération de la Trinité entière, comme il n’existe qu’une seule essence. Cependant, [l’adoption] peut être appropriée au Père pour autant qu’elle a une ressemblance avec ce qui lui est propre. |
[8754] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis
sit solius patris generare filium qui sit Deus, tamen totius Trinitatis est
producere filios per creationem; et ideo est etiam totius Trinitatis per gratiam
filios adoptare. |
1. Bien qu’il appartienne au Père seul d’engendrer un Fils qui soit Dieu, cependant il appartient à la Trinité entière de donner naissance à des fils par création. Il appartient donc aussi à la seule Trinité entière d’adopter des fils par grâce. |
[8755] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod ex adoptione quae est per gratiam, efficimur fratres Christi,
inquantum per hoc efficimur filii Dei patris; non autem inquantum efficimur
filii Christi, vel spiritus sancti. |
2. Nous devenons les frères du Christ par l’adoption qui se réalise par la grâce, pour autant que nous devenons les fils de Dieu le Père, mais non pour autant que nous devenons les fils du Christ ou du Saint-Esprit. |
[8756] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1
qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod filiatio est
relatio ejus quod est a principio; paternitas autem est relatio principii.
Tota autem Trinitas est principium creaturae. Unde magis potest trahi nomen
paternitatis ad alias personas respectu creaturae, quam filiationis nomen. |
3. La filiation est la relation de celui qui vient d’un principe ; mais la paternité est la relation de principe. Or, la Trinité entière est le principe de la créature. Par rapport à la créature, le nom de « paternité » peut donc davantage être attiré du côté des autres personnes, que le nom de « filiation ». |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
|
[8757] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum,
quod haec praepositio per potest denotare duplicem causam: scilicet agentem
mediam; et sic sumus adoptati a Deo patre per filium, ut appropriate
loquamur: quia per eum Deus pater multos filios in gloriam adduxit, ut
dicitur ad Hebr. 2, secundum quod eum misit in mundum salvatorem. Potest etiam
notare formalem causam; et hoc dupliciter; vel inhaerentem, vel exemplarem.
Si inhaerentem, sic adoptati sumus per spiritum sanctum, cui appropriatur
caritas, secundum quam formaliter meremur. Ideo dicitur Ephes. 1, 13: signati estis spiritu promissionis
sancto, qui est pignus hereditatis nostrae. Si vero designat causam
exemplarem formalem, sic sumus adoptati per filium; unde Rom. 8, 29: quos
praescivit conformes fieri imaginis filii sui, ut sit ipse primogenitus in
multis fratribus. |
La préposition « par »
peut indiquer une double cause : un agent intermédiaire, et ainsi nous
avons été adoptés par Dieu le Père par l’intermédiaire du Fils, pour parler
par appropriation, parce que, par lui, Dieu le Père a conduits un grand
nombre de fils à la gloire, comme il est dit dans He 2, en l’envoyant
dans le monde comme Sauveur. Elle peut aussi indiquer la cause formelle, et
cela, de deux façons : inhérente ou exemplaire. S’il s’agit d’une cause
inhérente, nous avons ainsi été adoptés par l’Esprit Saint, à qui est
appropriée la charité, selon laquelle nous méritons par mode de forme. Aussi
est-il dit dans Ep 1, 13 : Vous
avez été marqués par l’Esprit Saint de la promesse, qui est un gage de notre
héritage. Mais si [la préposition « par » désigne une cause
exemplaire formelle, nous avons ainsi été adoptés par le Fils. Aussi est-il
dit en Rm 8, 29 : Ceux
qu’il a connus d’avance pour qu’ils deviennent conformes à l’image de son
Fils, afin qu’il soit le premier-né d’un grand nombre de frères. |
[8758] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet
responsio ad objecta. |
La réponse aux objections est ainsi claire. |
Articulus 2 [8759] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2
tit. Utrum omnibus
creaturis conveniat adoptari, et an homines ex ipsa creatione adoptet |
Article 2 –
Convient-il à toutes les créatures d’être adoptées et [Dieu le Père]
adopte-t-il les hommes du fait même de la création ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Convient-il à toutes les créatures d’êtres adoptées ?] |
[8760] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur, quod
omnibus creaturis conveniat adoptari. Deus enim dicitur pater noster, quia
creavit nos, sicut dicitur Deut. 32, 6: numquid non ipse est pater tuus ?
Sed non est pater creaturarum per naturam, quia sic solius Christi pater est.
Ergo est pater per adoptionem; ergo omnibus creaturis convenit adoptari. |
1. Il semble qu’il convienne à toutes les créatures d’être adoptées. En effet, Dieu est appelé notre Père parce qu’il nous a créés, comme il est dit en Dt 32, 6 : N’est-il pas ton père ? Or, il n’est pas le père des créatures par sa nature, car ainsi il est le Père du seul Christ. Il est donc père par adoption. Il convient donc à toutes les créatures d’être adoptées. |
[8761] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2
qc. 1 arg. 2 Praeterea, ex hoc quod Deus aliquid creat, assumit illud in
communicationem suorum bonorum ex mera sua bonitate. Sed nihil aliud videtur esse adoptio. Ergo
cuilibet creaturae convenit adoptari. |
2. Du fait que Dieu
crée, il assume cela en communiquant ses propres biens par sa pure bonté. Or,
l’adoption ne semble être rien d’autre. Il convient donc à toutes les
créatures d’être adoptées. |
[8762] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2
qc. 1 arg. 3 Praeterea, ex ipsa creatione Deus
imprimit rationali creaturae imaginem suam, secundum quam dicitur filius Dei.
Sed non adoptat nos nisi
inquantum nos filios suos facit. Ergo ex ipsa creatione ad minus homines
adoptat. |
3. Par la création
même, Dieu imprime dans la créature raisonnable son image, selon laquelle
elle est appelée fils de Dieu. Or, il ne nous adopte que dans la mesure où il
fait de nous ses fils. Il adopte donc au moins les hommes par la création
elle-même. |
[8763] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, sicut ex
dictis patet, adoptio filiorum fit per spiritum sanctum. Sed non datur spiritus sanctus ratione
creationis. Ergo nec adoptio est ratione creationis tantum. |
Cependant, l’adoption
des fils est réalisée par l’Esprit Saint. Or, l’Esprit Saint n’est pas donné
en raison de la création. Donc, l’adoption n’est pas non plus donnée en
raison de la création seulement. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Convient-il aux anges d’être adoptés ?] |
[8764] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod nec Angelis conveniat adoptari. Quia illi convenit adoptari qui
non est in domo patrisfamilias, et in ipsam inducitur. Sed Angeli semper fuerunt
in domo Dei, quia in caelo Empyreo creati sunt. Ergo eis non convenit adoptari. |
1. Il semble qu’il ne
convienne pas non plus aux anges d’être adoptés, car il convient d’être
adopté à celui qui n’est pas dans la maison du père de famille et y est
introduit. Or, les anges ont toujours été dans la maison de Dieu, car ils ont
été créés dans le ciel empyrée. Il ne leur convient donc pas d’être adoptés. |
[8765] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 2 Praeterea, sicut in littera dicitur,
nos ideo filii Dei adoptivi dicimur, quia cum nati fuerimus filii irae, per
gratiam facti sumus filii Dei. Sed Angeli nunquam fuerunt filii irae. Ergo
nunquam fuerunt non filii, ad minus secundum illos qui dicunt, quod Angeli
fuerunt creati in gratia. Ergo Angelis non convenit adoptari. |
2. Comme il est dit
dans le texte, nous sommes appelées fils adoptifs parce que, nés fils de la
colère, nous sommes devenus par grâce fils de Dieu. Or, les anges n’ont
jamais été fils de la colère. Ils ont donc toujours été des fils, du moins
selon ceux qui disent que les anges ont été créés dans la grâce. Il ne
convient donc pas aux anges d’être adoptés. |
[8766] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 3 Praeterea, Galat. 4, 4, dicitur: misit Deus filium suum (...) ut adoptionem
filiorum reciperemus. Sed ad Angelos
non fuit missus filius Dei: quia non est factus Angelus sicut est factus
homo, secundum quem modum ad homines missus dicitur. Ergo Angelis non
convenit adoptare. |
3. Il est dit en
Ga 4, 4 : Dieu a envoyé
son Fils… afin que nous recevions l’adoption des fils. Or, le Fils de
Dieu n’a pas été envoyé aux anges, car il n’est pas devenu un ange, comme il est
devenu un homme, manière selon laquelle il a été envoyé aux hommes. Il ne
convient donc pas aux anges d’être adoptés [corr. adoptare/adoptari]. |
[8767] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2
qc. 2 s. c. 1 Sed contra,
per spiritum sanctum, qui hominibus datur, dicuntur homines adoptari, ut
patet ex dictis. Sed spiritus
sanctus habitat in Angelis, sicut etiam in hominibus. Ergo Angeli, sicut et homines, dicuntur
adoptari. |
Cependant, [1] par l’Esprit Saint qui est donné aux hommes, on dit que des hommes qu’ils sont adoptés, comme cela ressort de ce qui a été dit. Or, l’Esprit Saint habite dans les anges comme dans les hommes. Comme des hommes, on dit donc des anges qu’ils sont adoptés. |
[8768] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2
qc. 2 s. c. 2 Praeterea,
Angeli dicuntur fratres et consortes nostri. Sed hoc non est nisi secundum quod ab eodem
patre et ad eamdem hereditatem nobiscum sunt adoptati. Ergo eis convenit adoptari. |
[2] Les anges sont appelés nos frères et nos cohéritiers. Or, cela n’existe que parce qu’ils ont été adoptés avec nous par le même Père et pour le même héritage. Il leur convient donc d’être adoptés. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Le Christ est-il un fils adoptif ?] |
[8769] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur etiam quod Christus
sit filius adoptivus. Quia Hilarius,
dicit: potestatis dignitas non amittitur dum carnis humilitas adoptatur;
et loquitur de humanitate Christi. Ergo Christus, secundum quod homo, est
filius adoptivus. |
1. Il semble que le Christ aussi soit un fils adoptif, car Hilaire dit : « La dignité du pouvoir n’est pas perdue lorsque l’humilité de la chair est adoptée », et il parle de l’humanité du Christ. Donc, le Christ, en tant qu’homme, est un fils adoptif. |
[8770] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2
qc. 3 arg. 2 Praeterea, non videtur sequi aliquod
inconveniens, si dicamus Christum filium adoptivum: neque enim sequitur quod
fuerit filius irae, neque aliquando fuerit non filius: quia Angeli nunquam
filii irae fuerunt, et tamen dicuntur filii adoptivi. Ergo nihil prohibet Christum dicere filium
adoptivum. |
2. Il ne semble pas que quelque chose d’inapproprié découle du fait que nous disions que le Christ est un fils adoptif. En effet, il n’en découle pas non plus qu’il ait été un fils de la colère, ni qu’il y eut un temps où il n’était pas Fils, car les anges n’ont jamais été des fils de la colère, et cependant ils sont appelés fils adoptifs. Rien n’empêche donc d’appeler le Christ un fils adoptif. |
[8771] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2
qc. 3 arg. 3 Praeterea, major est dignitas filii
adoptivi quam servi. Sed Christus, secundum quod homo, dicitur servus, ut
patet Philip. 2. Ergo multo
fortius potest dici filius adoptivus. |
3. La dignité de fils adoptif est plus grande que celle de serviteur. Or, le Christ, en tant qu’homme, est appelé serviteur, comme cela ressort de Ph 2. À bien plus forte raison donc, peut-il être appelé un fils adoptif. |
[8772] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2
qc. 3 arg. 4 Praeterea, per inhabitationem spiritus
sancti homo efficitur filius adoptivus. Sed super Christum requievit spiritus
sanctus, ut dicitur Isai. 11. Ergo ipse debet dici filius adoptivus. |
4. L’homme devient fils adoptif par l’habitation en lui du Saint-Esprit. Or, l’Esprit Saint a reposé sur le Christ, comme il est dit en Is 11. Il doit donc être lui-même appelé un fils adoptif. |
[8773] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2
qc. 3 arg. 5 Praeterea, Augustinus, dicit: ea gratia
fit ab initio fidei suae homo quicumque Christianus qua gratia ille homo ab
initio suo factus est Christus. Sed quicumque homo fit ab initio Christianus fit per gratiam
adoptionis. Ergo et ille
homo factus est Christus per gratiam adoptionis, et ita est filius adoptivus. |
5. Augustin dit : « Tout homme devient chrétien par grâce dès qu’il croit, selon la grâce par laquelle cet homme est devenu le Christ dès le début. » Or, tout homme devient chrétien dès le départ par la grâce d’adoption. Cet homme est donc devenu le Christ par la grâce d’adoption, et ainsi il est un fils adoptif. |
[8774] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2
qc. 3 s. c. 1 Sed contra, super
illo Rom. 1: qui praedestinatus est filius Dei in virtute, dicit
Ambrosius: volvi et revolvi Scripturas: Christum nunquam filium adoptivum
inveni. Ergo non est
dicendus filius adoptivus. |
Cependant, [1] à propos de Rm 1 : Lui qui a été prédestiné à être Fils de Dieu dans la puissance, Ambroise dit : « J’ai tourné et retourné les Écritures : je n’ai jamais trouvé que le Christ est un fils adoptif. » Il ne faut donc pas dire que [le Christ] est un fils adoptif. |
[8775] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2
qc. 3 s. c. 2 Praeterea,
adoptare totius Trinitatis est. Si ergo Christus esset filius adoptivus,
esset filius Trinitatis, quod esse non potest, ut supra, dist. 4, dictum est. |
[2] Adopter appartient à la Trinité entière.
Si donc le Christ était un fils adoptif, il serait le fils de la Trinité, ce
qui ne peut être le cas, comme on l’a dit plus haut, d. 4. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[8776] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo
dicendum, ad primam
quaestionem, quod sicut supra, dist. 8, dictum est, de ratione filiationis
est ut filius producatur in similitudinem speciei ipsius generantis. Homo
autem inquantum per creationem producitur in participationem intellectus,
producitur quasi in similitudinem speciei ipsius Dei: quia ultimum eorum
secundum quae natura creata participat similitudinem naturae increatae, est
intellectualitas; et ideo sola rationalis creatura dicitur ad imaginem, ut in
2 Lib., dist. 16, dictum est, unde sola rationalis creatura per creationem
filiationis nomen adipiscitur. Sed adoptio, ut dictum est, requirit ut
adoptato jus acquiratur in hereditatem adoptantis. Hereditas autem ipsius Dei est ipsa sua beatitudo,
cujus non est capax nisi rationalis creatura: nec ipsi acquiritur ex ipsa creatione;
sed ex dono spiritus sancti, ut dictum est. Et ideo patet quod creatio
irrationalibus creaturis nec adoptionem nec filiationem dat; creaturae autem
rationali dat quidem filiationem, sed non adoptionem. |
Comme on l’a dit plus haut, d. 8, il fait partie de la raison de filiation qu’un fils soit produit à la ressemblance de l’espèce de celui qui engendre. Or, l’homme, pour autant qu’il est produit avec une participation à l’intelligence, est produit pour ainsi dire selon une ressemblance à l’espèce de Dieu lui-même, car la manière ultime pour la nature créée de participer à la ressemblance de la nature incréée est l’intellectualité. Aussi dit-on de la seule la créature raisonnable qu’elle est « à l’image », comme on l’a dit dans le livre II, d. 16 ; donc, seule la créature raisonnable reçoit le nom de fils en vertu de la création. Mais, comme on l’a dit, l’adoption exige qu’un droit à l’héritage de celui qui adopte soit acquis par celui qui est adopté. Or, l’héritage de Dieu lui-même est sa béatitude elle-même, dont seule la créature raisonnable est capable, et il ne lui est pas acquis par la création elle-même, mais par le don du Saint-Esprit, comme on l’a dit. C’est pourquoi il est clair que la création ne donne aux créatures sans raison ni l’adoption ni la filiation ; mais elle donne assurément à la créature raisonnable la filiation, mais non l’adoption. |
[8777] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
filiatio per adoptionem addit supra filiationem per creationem sicut
perfectum supra diminutum, et sicut gratia super naturam; unde per creationem
homo non efficitur filius naturalis neque adoptivus, sed tantum dicitur
filius creatione; creaturae autem irrationales nullo modo. |
1. La filiation par adoption ajoute à la filiation par création, comme le parfait à ce qui est moindre, et comme la grâce à la nature. Aussi l’homme ne devient-il pas un fils naturel ni un fils adoptif par la création, mais il est seulement appelé fils en vertu de la création. Toutefois, les créatures sans raison ne le sont d’aucune manière. |
[8778] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2
qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod
communicatio quorumcumque bonorum non sufficit ad adoptionem; sed
communicatio hereditatis; unde nec aliqua creatura dicitur adoptari ex hoc
quod sibi aliqua bona communicantur a Deo, nisi communicetur ei hereditas
quae est divina beatitudo. |
2. La communication de n’importe quel bien ne suffit pas à l’adoption, mais la communication de l’héritage. Aussi ne dit-on pas d’une créature qu’elle est adoptée parce que certains biens lui sont communiqués par Dieu, à moins que l’héritage qui est la béatitude divine ne lui soit communiqué. |
[8779] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum sicut ad primum. |
3. La réponse au troisième argument est la même que pour le premier argument. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[8780] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod beata
fruitio sicut excedit naturam humanam, ita et naturam angelicam; unde sicut
hoc homini datur ex gratia, et non ex debito suae naturae; ita Angelo; et
propter hoc sicut competit homini adoptari; ita et Angelo. |
De même que la jouissance bienheureuse (beata fruitio) dépasse la nature humaine, de même aussi [dépasse-t-elle] la nature angélique. De même que cela est donné à l’homme par grâce, et non parce que cela est dû à sa nature, de même aussi, à l’ange. Pour cette raison, de même qu’il convient à l’homme d’être adopté, de même aussi [cela convient-il] à l’ange. |
[8781] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod domus
Dei, inquantum filii adoptivi inducuntur, non dicitur caelum Empyreum, sed
ipsa beatitudo divina, secundum quam Deus in semetipso quiescit, et facit
alios in se quiescere; et in hac domo non semper fuerunt, quia non fuerunt
creati beati. |
1. La demeure de Dieu dans laquelle les fils adoptifs sont introduits ne s’appelle pas le ciel empyrée, mais la béatitude divine elle-même, selon laquelle Dieu se repose en lui-même et fait se reposer les autres en lui. Ils n’ont pas toujours été dans cette demeure, parce qu’ils n’ont pas été créés bienheureux. |
[8782] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod accidit adoptioni quod adoptatus fuerit filius irae, vel quod
fuerit prius tempore non filius; unde ponitur in littera magis ad evidentiam
adoptionis quam ad necessitatem. Sed hoc est de necessitate adoptionis ut prius natura sit non filius
quam filius, ut filiatio sibi ex natura sua non competat, sed ex gratia
quacumque collata; et hoc bene invenitur in Angelo. |
2. Il arrive pour l’adoption que celui qui est adopté ait été un fils de la colère ou qu’il n’ait pas été un fils auparavant ; aussi cela est-il signalé dans le texte plutôt pour éclairer l’adoption que parce que cela est nécessaire. Mais il est nécessaire pour l’adoption de n’avoir pas été fils par nature avant d’être fils, afin que la filiation ne convienne pas par sa nature, mais par une grâce qui lui est conférée. Et on trouve bien cela chez l’ange. |
[8783] Super Sent., lib. 3 d.
10 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis missio filii in carnem non fuerit
facta ad Angelos; fuit tamen facta ad eos missio quae est in mentem, ut in 1
Lib., dist. 3, dictum est. |
3. Bien que la mission du Fils dans la chair n’ait pas été accomplie pour les anges, une mission spirituelle leur a cependant été adressée, comme on l’a dit dans le livre I, d. 3. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
|
[8784] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod Christus
nullo modo dicendus est filius adoptionis: quia ei competit ex sua natura,
secundum quam aeternaliter a patre nascitur, habere jus in hereditate paterna:
quia omnia quae habet pater, sua sunt, ut dicitur Joan. 16: unde hoc jus non
acquiritur ei per gratiam advenientem, ut possit dici filius adoptivus. |
Il ne faut nullement dire que le Christ est fils par adoption, car il lui convient par sa nature, selon qu’il naît éternellement du Père, d’avoir droit à l’héritage paternel, puisque tout ce que le Père possède lui appartient, comme il est dit en Jn 16. Il ne lui est donc pas acquis de pouvoir être appelé fils adoptif par une grâce ajoutée. |
[8785] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
humanitas adoptatur non in ipso capite, sed in membris ejus; et sic
intelligendum est verbum Hilarii. Vel dicendum, quod etsi adoptio aliquo modo
possit dici de natura creata, quae per gratiam trahitur in participationem
divinae bonitatis in unitate divinae personae; non tamen oportet quod
supposito conveniat, cui naturaliter convenit esse beatum. |
1. L’humanité est adoptée, non pas dans la tête elle-même, mais dans ses membres. C’est ainsi que doit être comprise la parole d’Hilaire. Ou bien il faut dire que, même si l’adoption peut est dite d’une certaine manière d’une nature créée, qui, par grâce, est attirée à la participation de la bonté divine dans l’unité de la personne divine, il n’est cependant pas nécessaire qu’elle convienne au suppôt à qui il convient naturellement d’être bienheureux. |
[8786] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2
qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sequitur
inconveniens, quod Christus, ad minus natura vel intellectu, esset prius non
filius quam filius, sicut est de Angelis: quod nullo modo stare potest
quantum ad secundam opinionem, quae ponit, quod nullum suppositum
praeintelligitur unioni; nec filiatio convenire potest nisi supposito
perfecto. |
2. Une conclusion inappropriée découle du fait que le Christ, au moins par nature ou selon l’intellect, ne serait pas d’abord le Fils avant d’être le Fils, comme c’est le cas pour les anges. Cela ne peut être soutenu selon la deuxième opinion, qui affirme qu’aucun suppôt n’est intellectuellement présupposé à l’union ; et la filiation ne peut convenir qu’à un suppôt parfait. |
[8787] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2
qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Christus cum
dicitur servus, importat subjectionem tantum; unde Christus, secundum quod
homo, dicitur servus, sicut minor patre: non autem importat acquisitionem per
gratiam ejus quod ei convenit per naturam, sicut filius adoptivus; et ideo
nomen servitutis aliquo modo conceditur in Christo, non autem nomen
adoptionis. |
3. Lorsqu’il est appelé serviteur, le Christ comprend seulement la sujétion. Le Christ, en tant qu’homme, est donc appelé serviteur, selon qu’il est inférieur au Père. Mais il ne comprend pas l’acquisition par grâce de ce qui lui convient par nature, comme c’est le cas pour un fils adoptif. C’est pourquoi le mot « servitude » est concédé pour le Christ d’une certaine manière, mais non le mot « adoption ». |
[8788] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2
qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod aliis
hominibus per spiritum sanctum inhabitantem acquiritur jus in hereditate
caelesti de novo, quod eis non competit per naturam, sicut filio Dei
competit; unde per spiritum sanctum inhabitantem non dicitur adoptari. |
4. Le droit à l’héritage céleste est acquis aux autres hommes par le Saint-Esprit qui habite en eux, ce qui ne leur convient pas par nature, comme cela convient au Fils de Dieu. Aussi ne dit-on pas qu’il est adopté par le Saint-Esprit qui habite en lui. |
[8789] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2
qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod est
similitudo quantum ad rationem gratiae, quia utraque est sine meritis
praecedentibus, non autem quantum ad effectum: quia illa est gratia unionis,
secundum quam efficitur naturalis filius; sed gratia qua homo fit Christianus
non facit filium naturalem, sed facit tantum adoptivum. |
5. Il existe une
ressemblance pour ce qui est de la raison de grâce, car les deux existent
sans mérites antérieurs, mais non pour ce qui est de l’effet, car celle-ci
est la grâce d’union, par laquelle il est établi comme Fils naturel ; cependant,
la grâce par laquelle l’homme devient chrétien n’en fait pas un fils naturel,
mais en fait seulement un fils adoptif. |
|
|
Quaestio 3 |
Question 3 – [La prédestination du Christ
porte-t-elle sur la nature ou sur la personne ?]
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Articulus 1 [8790] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1
tit. Utrum
praedestinatio Christi sit de natura, an de persona |
Article 1 – La prédestination du Christ porte-t-elle sur la nature ou sur la personne ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La prédestination du Christ porte-t-elle sur la nature ou sur la personne ?] |
[8791] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1
qc. 1 arg. 1 Deinde
quaeritur de praedestinatione Christi. Et videtur quod non sit de persona.
Praedestinatio enim Christi est ad filiationem, quia praedestinatus est
filius Dei in virtute; Rom. 1, 4. Sed filiatio non competit naturae. Ergo
praedestinatio non est de natura. |
1. Ensuite, on s’interroge sur la prédestination du Christ, et il semble qu’elle ne porte pas sur la personne. En effet, [la prédestination] du Christ vise la filiation, car il a été prédestiné comme Fils de Dieu avec puissance, Rm 1, 4. Or, la filiation ne convient pas à sa nature. La prédestination ne porte donc pas sur la nature. |
[8792] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1
qc. 1 arg. 2 Praeterea,
ejus videtur praedestinari cujus est agere, quia ejus est etiam felicitari.
Sed agere est suppositi, et non naturae. Ergo praedestinatio non est de
natura. |
2. Il semble qu’être prédestiné convient à celui à qui il appartient d’agir, car c’est à lui aussi qu’il appartient de devenir bienheureux. Or, agir est le fait du suppôt, et non de la nature. La prédestination ne porte donc pas sur la nature. |
[8793] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1
qc. 1 arg. 3 Praeterea, humana natura est unius rationis in Christo et in
aliis hominibus. Sed in aliis
hominibus praedestinatio non est de natura. Ergo nec in Christo. |
3. La nature humaine a la même raison chez le Christ et chez les autres hommes. Or, chez les autres hommes, la prédestination ne porte pas sur la nature. Donc, ni chez le Christ. |
[8794] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Rom. 1,
dicit Glossa, quod praedestinatio est uno modo de eo quod non semper fuit. Sed nihil est in ipso Christo quod non
semper fuerit, nisi humana natura. Ergo praedestinatio est de natura. |
Cependant, [1] à propos de Rm 1, la Glose dit que « la prédestination porte d’une seule manière sur ce qui n’a pas toujours été ». Or, il n’y a rien chez le Christ qui n’ait toujours existé, sauf sa nature humaine. La prédestination porte donc sur la nature. |
[8795] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, ex hoc
aliquis praedestinatur quod praevidetur Deo uniendus per gratiam unionis. Sed humana natura ab aeterno
est praevisa Deo unienda per gratiam unionis. Ergo humana natura est praedestinata in Christo. |
[2] Quelqu’un est prédestiné du fait que Dieu voit à l’avance qu’il doit être uni par la grâce d’union. Or, Dieu voit éternellement à l’avance que la nature humaine doit être unie par la grâce d’union. La nature humaine a donc été prédestinée chez le Christ. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La prédestination du Christ est-elle conforme à notre prédestination ?] |
[8796] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur, quod praedestinatio Christi non sit conformis
praedestinationi nostrae. Quia, secundum Augustinum, praedestinatio qua nos
praedestinamur, est propositum miserendi. Sed hoc non competit praedestinationi
Christi, quia ipse nunquam fuit miser. Ergo praedestinatio sua et nostra non
sunt unius rationis. |
1. Il semble que la prédestination du Christ ne soit pas conforme à notre prédestination, car, selon Augustin, « la prédestination par laquelle nous sommes prédestinés est le dessein d’avoir pitié ». Or, cela ne convient pas à la prédestination du Christ, car il n’a jamais été misérable. Sa prédestination et la nôtre n’ont donc pas la même raison. |
[8797] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1
qc. 2 arg. 2 Praeterea, effectus praedestinationis
est gratia. Sed gratia Christi est alterius rationis quam gratia nostra: quia
nostra gratia non est unionis in persona, sicut sua. Ergo nec praedestinatio ejus et nostra sunt
ejusdem rationis. |
2. L’effet de la prédestination est la grâce. Or, la grâce du Christ a une autre raison que notre grâce, car notre grâce n’en est pas une d’union dans la personne, comme la sienne. Sa prédestination et la nôtre n’ont donc pas non plus la même raison. |
[8798] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, operationes
differunt penes terminos. Sed filiatio naturalis, ad quam terminatur praedestinatio
Christi, non est unius rationis cum filiatione adoptionis, ad quam terminatur
nostra praedestinatio. Ergo non sunt unius rationis
praedestinationes. |
3. Les opérations diffèrent selon leurs termes. Or, la filiation naturelle, qui est le terme de la prédestination du Christ, n’a pas la même raison que la filiation par adoption, qui est le terme de notre prédestination. Ces prédestinations n’ont donc pas la même raison. |
[8799] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1
qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod utrique praedestinationi competit una
definitio, scilicet praedestinatio est praeparatio gratiae in praesenti,
et gloriae in futuro. Ergo sunt
unius rationis. |
Cependant, [1] une seule définition convient aux deux prédestinations : « La prédestination est la préparation à la grâce dans le présent et à la gloire dans l’avenir. » Elles ont donc la même raison. |
[8800] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1
qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Rom. 1
dicit Glossa, quod praeclarissimum exemplar nostrae praedestinationis praecessit
in Christo. Ergo est unius
rationis: quia exemplar et exemplatum sunt unius rationis. |
[2] À propos de Rm 1, la Glose dit que « le modèle le plus éclatant de notre prédestination a précédé chez le Christ ». Elles ont donc la même raison, car le modèle et sa reproduction ont la même raison. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La prédestination du Christ est-elle la cause efficiente de notre prédestination ?] |
[8801] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod praedestinatio ejus sit causa efficiens nostrae
praedestinationis. Ephes. 1, 5, dicitur: praedestinavit nos in adoptionem
filiorum per Jesum Christum. Sed per denotat causam efficientem, quando dicitur pater operari per
filium. Ergo ejus
praedestinatio est causa efficiens nostrae praedestinationis. |
1. Il semble que la prédestination [du Christ] soit la cause efficiente de notre prédestination. Ep 1, 5 : Il nous a prédestinés à l’adoption des fils par Jésus, le Christ. Or, « par » indique la cause efficiente, lorsqu’on dit que le Père agit par le Fils. Sa prédestination est donc la cause efficiente de notre prédestination. |
[8802] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1
qc. 3 arg. 2 Item, videtur
quod sit causa exemplaris, per illud quod dicitur Rom. 8, 29: quos
praedestinavit conformes fieri imaginis filii sui. Sed imago ad
exemplaritatem pertinet. Ergo est causa exemplaris nostrae praedestinationis;
sicut etiam sua resurrectio nostrae resurrectionis. |
2. Il semble qu’elle soit la cause exemplaire, selon ce qui est dit en Rm 8, 29 : Ceux qu’il a prédestinés à devenir conformes à l’image de son Fils. Or, l’image se réfère à l’exemplarité. Elle est donc la cause exemplaire de notre prédestination, comme aussi sa résurrection l’est de notre résurrection. |
[8803] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1
qc. 3 arg. 3 Item, videtur quod finalis. Quia
nostra praedestinatio videtur esse ordinata ad impletionem corporis Christi,
ut patet Ephes. 4, unde ipse
videtur esse finis nostrae salutis. Ergo et ejus praedestinatio nostrae
praedestinationis. |
3. Il semble qu’elle soit la cause finale, car notre prédestination semble avoir été ordonnée à l’achèvement du corps du Christ, comme cela ressort de Ep 4. Aussi semble-t-elle être la fin de notre salut. Sa prédestination est doncaussi [la cause finale] de notre prédestination. |
[8804] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1
qc. 3 s. c. 1 Sed contra,
aeternum non habet causam. Sed praedestinatio nostra est aeterna. Ergo non
habet causam, Christi praedestinationem. |
Cependant, [1] ce qui est éternel n’a pas de cause. Or, notre prédestination est éternelle. Elle n’a donc pas la prédestination du Christ comme cause. |
[8805] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1
qc. 3 s. c. 2 Praeterea,
Christus non est praedestinatus nisi secundum quod homo. Sed ipse, secundum quod
homo, non est causa nostri, sed secundum quod Deus. Ergo praedestinatio ejus non est causa
praedestinationis nostrae. |
[2] Le Christ n’a été prédestiné qu’en tant qu’homme. Or, selon qu’il est homme, il n’est pas notre cause, mais selon qu’il est Dieu. Sa prédestination n’est donc pas la cause de notre prédestination. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[8806] Super Sent., lib.
3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod praedestinatio
accipitur communiter et proprie. Communiter pro praescientia et
praeordinatione cujuscumque; et sic patet quod praedestinatio potest esse de
natura. Secundum autem quod proprie accipitur importat ordinem praedestinati
ad gratiam. Gratia autem creaturae facit unionem ad Deum: quae quidem duplex
est: scilicet per operationem, secundum quam nos unimur Deo cognoscendo et
amando ipsum: et in persona; et secundum hoc humana natura fuit unita Deo; et
ideo, cum praedestinatio Christi ordinetur ad gratiam unionis in persona,
potest dici, quod natura est praedestinata, vel persona ratione naturae. |
La prédestination s’entend en un sens général et en un sens propre. Au sens général, elle signifie toute prescience et toute disposition préalable. Il ressort ainsi que la prédestination peut avoir comme objet la nature. Mais si elle est entendue au sens propre, elle comporte l’ordre de celui qui est prédestiné à la grâce. Or, la grâce de la créature réalise l’union à Dieu, qui existe de deux manières : par une opération, selon que nous sommes unis à Dieu en vue de le connaître et de l’aimer ; dans la personne, selon que la nature humaine a été unie à Dieu. Puisque la prédestination du Christ est ordonnée à la grâce d’union dans la personne, on peut donc dire que la nature est prédestinée ou la personne en raison de la nature. |
[8807] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod praedestinatio Christi primum effectum habet ipsam unionem:
unde cum unio sit naturae, potest etiam dici praedestinata; quamvis sibi
filiatio non conveniat, quia filiatio non est primus effectus
praedestinationis, sed consequitur ad unionem. |
1. La prédestination du Christ a comme premier effet l’union elle-même. Puisqu’il s’agit de l’union de la nature, on peut donc aussi dire qu’elle est prédestinée, bien que la filiation ne lui convienne pas, car la filiation n’est pas le premier effet de la prédestination, mais elle découle de l’union. |
[8808] Super Sent., lib.
3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit de felicitate creaturae
ex hoc quod Deo unitur per operationem; sed ipsa natura beatificatur ex hoc
quod Deo unitur in persona. |
2. Cet argument porte sur la félicité de la créature du fait qu’elle est unie à Dieu par une opération ; mais la nature elle-même est rendue bienheureuse du fait qu’elle est unie à Dieu dans la personne. |
[8809] Super Sent., lib.
3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 Et per hoc etiam patet responsio ad tertium: quia praedestinatio
aliorum hominum non est ad unionem in persona, sed ad unionem per operationem. |
3. Ainsi ressort aussi la réponse au troisième argument, car la prédestination des autres hommes n’a pas comme fin l’union dans la personne, mais l’union par une opération. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[8810] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod multa
requiruntur in praedestinatione et ex parte praedestinantis, et ex parte
praedestinati, et secundum terminum a quo, et secundum terminum ad quem,
secundum quod potest attendi diversitas inter praedestinationem Christi et
nostram. Ex parte autem praedestinantis, qui Deus est, non est diversitas
inter praedestinationem Christi et nostram; est autem differentia ex parte
praedestinati: quia in nobis est de persona, in Christo autem de natura, ut
dictum est. Similiter est differentia ex parte termini a quo: quia in nobis
est ut liberemur a peccato, sicut dicit Glossa super illud Rom. 8: quos
praedestinavit, hos vocavit: in Christo autem non; quia neque contraxit,
neque fecit peccatum. Sed neutra istarum differentiarum diversificat rationem
praedestinationis; sed solum illa quae est essentialis et specifica. Specifica
autem differentia cujuslibet motus vel operationis, accipitur penes terminum
ad quem. Illud autem ad quod est praedestinatio, non est unius rationis in
Christo et in nobis: quia praedestinatio Christi est ad unionem in persona;
praedestinatio autem nostra ad unionem per operationem, aut per habitum
assimilantem; et haec duae uniones non sunt unius rationis, sed se habent
secundum prius et posterius, et perfectum et diminutum; et ideo
praedestinatio Christi et nostra non est unius rationis secundum univocationem,
sed secundum analogiam. |
Plusieurs choses
sont requises dans la prédestination, tant du côté de celui qui prédestine
que du côté de celui qui est prédestiné, et du terme a quo comme du terme ad
quem, selon qu’on peut envisager une différence entre la prédestination
du Christ et la nôtre. Du côté de celui qui prédestine, qui est Dieu, il n’existe
pas de différence entre la prédestination du Christ et la nôtre ; mais il existe une différence du côté de celui qui est
prédestiné, car, pour nous, elle porte sur la personne, mais chez le Christ,
sur la nature, comme on l’a dit. De même existe-t-il une différence du côté
du terme a quo, car, pour nous,
elle existe pour que nous soyons libérés du péché, comme le dit la Glose sur
Rm 8 : Ceux qu’il a
prédestinés, il les a appelés ; mais, chez le Christ, ce n’est pas
le cas, car il n’en a ni contracté ni accompli. Mais aucune de ces
différences ne différencie la raison de prédestination, mais seulement celle
qui est essentielle et spécifique. Or, la différence spécifique de tout
mouvement ou de toute opération se prend du terme ad quem. Mais la fin de la prédestination n’a pas la même raison
chez le Christ et chez nous, car la prédestination du Christ a comme fin l’union
dans la personne, mais notre prédestination, l’union par une opération ou par
un habitus réalisant une ressemblance. Mais elles ont un rapport d’antérieuriorité
et de postériorité, de parfait et de moindre. C’est pourquoi la
prédestination du Christ et la nôtre n’ont pas une même raison par univocité,
mais par analogie. |
[8811] Super Sent., lib.
3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 2 ad arg. Et per hoc facile est respondere ad
objecta. |
Il est ainsi facile de répondre aux objections. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à
la sous-question 3
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[8812] Super Sent., lib.
3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in ipsa praedestinatione duo
sunt; unum aeternum, scilicet ipsa Dei operatio; et aliud temporale, scilicet
praedestinationis effectus. Praedestinatio ergo nostra quantum ad illud quod
est aeternum in ipsa, causam non habet; sed quantum ad effectum potest habere
causam, inquantum scilicet ejus effectus producitur mediantibus aliquibus
causis creatis: et secundum hoc praedestinationis nostrae causa efficiens est
praedestinatio Christi inquantum ipse est mediator nostrae salutis; et
formalis, in quantum in filios Dei ad imaginem ejus praedestinamur, et
finalis, inquantum nostra salus in ejus gloriam redundat. |
Dans la prédestination même, il existe deux choses : l’une éternelle, à savoir, l’opération même de Dieu ; l’autre temporelle, à savoir, l’effet de la prédestination. Notre prédestination, du point de vue de ce qui est éternel en elle, n’a donc pas de cause ; mais, du point de vue de l’effet, elle peut avoir une cause, pour autant que son effet est réalisé par l’intermédiaire de causes créées. Sous cet aspect, la cause efficiente de notre prédestination est la prédestination du Christ, en tant qu’il est le médiateur de notre salut ; la cause formelle, pour autant que nous sommes prédestinés à devenir des fils de Dieu à son image ; et la cause finale, pour autant que notre salut rejaillit sur sa gloire. |
[8813] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio
ad objecta. |
La solution des
objections ressort ainsi clairement. |
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Expositio textus |
Explication du
texte de Pierre Lombard, Dist. 10
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[8814] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1
qc. 3 expos. Christum
secundum hominem non esse personam, nec aliud. Primum horum conceditur ab omni opinione;
secundum autem non, sed a tertia tantum; quia primae duae opiniones dicunt
quod secundum quod Christus est homo, est aliquid. Hoc autem negare est
error. Secundum enim multiplicem habet rationem. Ista divisio
accipitur ex comparatione replicationis ad subjectum propositionis: quia
potest fieri replicatio vel ejus quod antecedit subjectum, et sic notat
causam; vel ejus quod sequitur, et sic notat habitum, aut quodcumque aliquid
accidens; sed specialiter nominat habitum propter rationem tertiae opinionis:
vel ipsius subjecti, et hoc vel quantum ad naturam, et sic exprimit
conditionem naturae; vel quantum ad suppositum, et sic notat unitatem
personae in Christo. Illa tamen personae descriptio non est data pro
divinis personis. Contra est quod directe ponit eam Boetius in materia
ista in Lib. de Duab. Nat. Dicendum, quod Magister verum dicit, si capiantur
stricte ea quae in divisione ponuntur; sed Boetius large accipit; et hoc
patet in 1 Lib., dist. 25. Non autem sic dicitur filius natura.
Dicitur enim Deus natura quasi formaliter; sed dicitur filius natura, non
formaliter, sed quantum ad modum originis, quia per modum naturae procedit. Christus
nunquam fuit filius; nec prius tempore, sicut nos, nec prius natura aut
intellectu, sicut Angeli, si in gratia creati sunt. Christum filium
virginis esse natura et gratia. Contra. Natura et gratia ex opposito
dividuntur. Ergo quod est per gratiam, non est per naturam. Praeterea,
Christus est filius matris, sicut et quilibet alius homo. Sed alii homines non sunt
filii matrum suarum per gratiam. Ergo nec Christus. Dicendum ad primum quod
gratia unionis non opponitur contra naturam: quia per eam una persona fit
duarum naturarum: et sic quod inest per gratiam unionis, inest per alterutram
naturarum naturaliter. Ad secundum
dicendum, quod Christum, inquantum hominem nasci ex matre, non fuit per
gratiam, sed nasci simul Deum et hominem; et hoc fuit per gratiam unionis. Non
talis hic filius. Ergo videtur quod filiatio dicatur aequivoce. Dicendum,
quod non univoce, nec aequivoce, sed analogice, sicut et alia quae dicuntur
de Deo et creaturis. Origine, non adoptione. Hoc dicitur contra
Nestorium, qui cum poneret in Christo duas personas, non potuit ponere
unionem nisi per gratiam: et sic sequeretur quod persona hominis non sit
filius Dei nisi per gratiam habitualem adoptionis, sicut et nos. Veritate,
vel nuncupatione. Hoc dicitur contra Sabellium, qui posuit distingui
personas tantum nominaliter. Nativitate, non creatione. Et hoc dicitur
contra Arium, qui dicebat filium Dei esse creaturam. |
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Distinctio 11 |
Distinction 11 –
[L’attribution à Dieu de déficiences de la nature humaine]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Le Fils de Dieu est-il une créature ?]
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Prooemium |
Prologue |
[8815] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister, qualiter ea
quae sunt dignitatis in humana natura, de Christo possunt vel non possunt
dici; hic determinat quomodo de Deo dici possunt ea quae ad defectum naturae
humanae pertinent; et dividitur in duas partes: in prima inquirit, utrum
nomen creaturae quod de humana natura dicitur, de Christo dici possit; in
secunda, utrum illi defectus qui consequuntur ipsam, inquantum creatura, vel
alio modo ipsi convenire possint, dist. 12, ibi: post praedicta quaeritur,
utrum homo ille coeperit esse, vel semper fuerit. Prima in tres: in prima
movet quaestionem; in secunda determinat eam, ibi: ad quod potest dici;
in tertia excludit objectiones quae contra solutionem fieri possunt, ibi: etsi
ergo Christus secundum hominem dicitur creatura, non tamen simpliciter
praedicandus est creatura. Circa primum duo facit: primo determinat
propositam quaestionem; secundo confirmat determinationem; et primo quantum
ad hoc quod Christus non possit simpliciter dici creatura, ibi: qui
Christum vel Dei filium, non esse factum vel creatum, in Lib. 1 de Trin.
ostendit; secundo quantum ad hoc quod possit dici creatura cum
determinatione, scilicet inquantum est homo, ibi: sed addita
determinatione recte dici potest. Hic quaeruntur quatuor: 1 utrum filius
Dei sit creatura; 2 utrum Christus, vel iste homo, possit dici creatura; 3
utrum sit creatura, secundum quod homo; 4 utrum omnia quae humanae naturae
conveniunt, de Christo possint praedicari. |
Après avoir déterminée de la manière dont ce qui relève de la dignité de la nature humaine peut être ou non attribué au Christ, le Maître détermine ici de la manière dont ce qui se rapporte aux déficiences de la nature humaine peut être attribué à Dieu. Cela se divise en deux parties : dans la première, il se demande si la nom de créature qui est attribué à la nature humaine peut être attribué au Christ ; dans la seconde, si les déficiences qui en découlent en tant que créature ou d’une autre manière peuvent lui convenir, d. 12, à cet endroit : « Après ce qui a été dit, on se demande si cet homme a commencé à être ou a toujours existé. » La première partie se divise en trois : dans la premièrement, il soulève une question ; dans la deuxième, il en détermine, à cet endroit : « À cela on peut répondre… » ; dans la troisième, il écarte les objections qui peuvent être soulevées contre la réponse, à cet endroit : « Même si on dit du Christ en tant qu’homme qu’il est une créature, on ne peut pas dire de lui tout simplement qu’il est une créature. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il détermine de la question mise de l’avant ; deuxièmement, il confirme la détermination. Premièrement, que le Christ ne peut pas être appelé tout simplement une créature, à cet endroit : « Que le Christ ou le Fils de Dieu n’ait pas été fait ou créé, il le montre dans le livre I sur la Trinité. » Deuxièmement, qu’il peut être appelé une créature avec une précision, à savoir, en tant qu’il est homme, à cet endroit : « Si l’on ajoute la précision, on peut le dire correctement. » Ici, quatre questions sont posées : 1 – Le Fils de Dieu est-il une créature ? 2 – Le Christ ou cet homme peut-il être appelé une créature ? 3 – Est-il une créature en tant qu’il est homme ? 4 – Tout ce qui convient à la nature humaine peut-il être attribué au Christ ? |
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Articulus 1 [8816] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1
tit. Utrum filius
Dei sit creatura |
Article 1 – Le Fils de Dieu est-il une créature ? |
[8817] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur, quod filius Dei
sit creatura. Eccli. 24, 14: ab initio et ante saecula creata sum: et
loquitur de divina sapientia. Sed filius Dei est Dei sapientia. Ergo ipse est
creatura. |
1. Il semble que le Fils de Dieu soit une créature. Si 24, 14 : Au commencement et avant les siècles, j’ai été créée, et il parle de la Sagesse divine. Or, le Fils de Dieu est la Sagesse de Dieu. Il est donc une créature. |
[8818] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1
arg. 2 Praeterea,
omne quod est subjectum Deo, vel minus eo, est creatura. Sed filius Dei est
hujusmodi, ut patet Joan. 14, 28: pater major me est; et 1 Corinth.
15, dicitur quod filius erit subjectus patri, qui subjecit ei omnia. Ergo
filius Dei est creatura. |
2. Tout ce qui est soumis à Dieu ou
moindre que lui est une créature. Or, le Fils de Dieu est de cette sorte,
comme cela ressort de Jn 14, 28 : Le Père est plus grand que moi ; et en 1 Co 15, il
est dit que le Fils se soumettra au Père, qui lui a tout soumis. Le Fils de
Dieu est donc une créature. |
[8819] Super Sent., lib. 3 d.
11 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, hoc modo se habent actiones ad invicem, sicut termini actionum.
Sed esse, quod est terminus creationis, est prius quacumque alia forma ad
quam terminantur aliae actiones. Ergo creatio est prior omnibus aliis
actionibus vel productionibus. Sed posterius semper praesupponit prius. Cum
ergo generatio conveniat filio Dei, secundum quam dicitur natus, videtur quod
etiam creatio conveniat ei, ut dicatur creatus. |
3. Les actions ont entre elles le même rapport que les termes des actions. Or, l’être, qui est le terme de la création, est antérieur à toute autre forme à laquelle se terminent les autres actions. La création est donc antérieure à toutes les autres actions ou réalisations. Or, ce qui vient après présuppose toujours ce qui est antérieur. Puisque la génération, selon laquelle on dit qu’il est né, convient au Fils de Dieu, il semble donc que la création lui convienne aussi, de sorte qu’on dise de lui qu’il est créé. |
[8820] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1
arg. 4 Praeterea, ut
probat Avicenna in sua Metaph., id cujus essentia est suum esse, est per se
necesse esse. Sed quod est hujusmodi, non habet esse ab alio: quia hoc quod
est necesse esse absolute, non est propter aliquid aliud, ut etiam dicit
philosophus in 5 Metaph. Ergo id cujus essentia est suum esse, non habet esse
ab alio. Sed filius habet esse ab alio. Ergo non est necesse esse; nec sua
essentia est suum esse. Ergo est creatura. |
4. Comme le démontre Avicenne dans sa Métaphysique, « ce dont l’essence est son être doit nécessairement exister ». Or, ce qui est de cette sorte ne tient pas son existence d’un autre, car le fait qu’exister lui soit absolument nécessaire fait en sorte qu’il ne vient pas d’autre chose, comme le dit aussi le Philosophe dans Métaphysique, V. Donc, ce dont l’essence est son propre être ne tient pas son existence d’un autre. Or, le Fils tient son existence d’un autre. Il n’existe donc pas nécessairement et son essence n’est pas son être. Il est donc une créature. |
[8821] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1
arg. 5 Praeterea, omne quod habet causam sui
esse, est creatura. Sed filius habet causam sui esse: quia pater est causa
filii, ut dicit Chrysostomus, et omnes Graeci doctores concedunt. Ergo filius est creatura. |
5. Tout ce dont l’existence a une cause est une créature. Or, le Fils a une cause de son existence, car le Père est cause du Fils, comme le dit [Jean] Chrysostome et le concèdent tous les docteurs grecs. Le Fils est donc une créature. |
[8822] Super Sent., lib. 3 d.
11 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, omne quod gignitur, ad hoc gignitur ut sit. Sed quod est, non gignitur ad hoc quod sit, quia jam est. Ergo omne quod gignitur,
antequam gignatur non est. Sed omne quod non fuit et postea est, creatum est.
Ergo filius, cum genitus sit, creatus est. |
6. Tout ce qui est engendré est engendré afin d’exister. Or, ce qui existe n’est pas engendré afin d’exister, car cela existe déjà. Tout ce qui est engendré n’existe donc pas avant d’être engendré. Or, tout ce qui n’existait pas et existe par la suite a été créé. Puisqu’il est engendré, le Fils a donc été créé. |
[8823] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1
arg. 7 Praeterea, omne quod habet aliquid ab alio, in se consideratum non
habet illud; et caret illo, si sibi relinquatur. Sed filius habet esse ab
alio. Ergo in se consideratus non habet esse; et si sibi relinquatur, non
esset. Sed haec est conditio creaturae, secundum quam dicitur vertibilis in
nihilum: quia omnia in nihilum reverterentur, nisi ea manus conditoris
teneret. Ergo filius est creatura. |
7. Tout ce qui tient quelque chose d’un autre, ne possède pas cette chose considérée en elle-même, et elle lui fait défaut, s’il est laissé à lui-même. Or, le Fils tient son existence d’un autre, et s’il était laissé à lui-même, il n’existerait pas. Or, telle est la condition de la créature, dont on dit qu’elle est susceptible de retourner au néant, car tout retournerait au néant, si la main du Créateur ne le tenait pas. Le Fils est donc une créature. |
[8824] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1
s. c. 1 Sed contra, nulla creatura est
consubstantialis creatori. Sed filius est consubstantialis patri, ut dicitur
Joan. 10, 30: ego et pater unum sumus. Ergo filius non est creatura. |
Cependant, [1]
aucune créature n’est consubstantielle au Créateur. Or, le Fils est
consubstantiel au Père, comme il est dit en Jn 10, 30 : Moi et le Père, nous sommes un. Le
Fils n’est donc pas une créature. |
[8825] Super Sent., lib. 3 d.
11 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, omnis creatura portatur per potentiam creatoris. Sed id quod omnia portat non portatur. Ergo
id quod omnia portat, non est creatura. Sed hoc est filius: Hebr. 1, 3: portans
omnia verbo virtutis suae. Ergo filius non est creatura. |
[2] Toute créature est soutenue par la
puissance du Créateur. Or, ce qui soutient tout n’est pas soutenu. Ce qui
soutient tout n’est donc pas une créature. Or, tel est le Fils,
He 1, 3 : Lui qui
soutient tout par la parole de sa puissance. Le Fils n’est donc pas une
créature. |
[8826] Super Sent., lib. 3 d.
11 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, nihil est in Deo quod sit creatura. Sed filius est in Deo patre, cum sit verbum
ejus, et omne verbum est in dicente. Ergo filius non est creatura. |
[3] Il n’existe rien en Dieu qui soit
créature. Or, le Fils existe en Dieu le Père, puisqu’il est son Verbe et que
tout verbe existe dans celui qui le dit. Le Fils n’est donc pas une créature. |
[8827] Super Sent., lib. 3 d.
11 q. 1 a. 1 s. c. 4 Praeterea, omne quod dicitur per similitudinem, reducitur ad id quod proprie
dicitur. Sed homines dicuntur filii Dei per assimilationem ad unicum filium;
Roman. 8, 29: conformes
fieri imaginis filii sui. Ergo ipse proprie filius dicitur. Sed nullus
dicitur proprie filius alicujus nisi habeat eamdem naturam specie quam habet
pater, et vere; ergo filius est vere Deus. Sed nulla creatura est hujusmodi.
Ergo filius non est creatura. |
[4] Tout ce qui est nommé selon une
ressemblance se ramène à ce qui est nommé de manière propre. Or, les hommes
sont appelés fils de Dieu par ressemblance au Fils unique,
Rm 8, 29 : Pour être
conformes à l’image de son Fils. Il est donc appelé Fils au sens propre.
Or, personne n’est appelé fils de quelqu’un au sens propre à moins d’avoir
vraiment la même nature qu’a son père selon l’espèce. Le Fils est donc
vraiment Dieu. Or, aucune créature n’est de cette sorte. Le Fils n’est donc
pas une créature. |
[8828] Super Sent., lib. 3 d.
11 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod filius naturaliter a patre procedit: hoc enim ipsum nomen
filiationis demonstrat, si vera filiatio sit: quod oportet maxime esse in
illa filiatione et paternitate, ex qua omnis paternitas et filiatio in caelo
et in terra nominatur: ad Eph. 3. Maxime enim vera sunt quae sunt causa esse
veritatis in aliis, ut dicitur 2 Metaph. Omne autem quod naturaliter procedit
ab altero, duo habet. Unum est quod aequatur ei a quo procedit: quia natura
non postponit facere opus suum, nisi sit ex defectu agentis: qui quidem
defectus est in eo, quod agens naturaliter non habet perfectam virtutem ad
agendum; sicut pueri ad generandum: vel in eo quod agit per transmutationem
exterioris materiae, unde effectus non sequitur nisi in fine transmutationis,
et sic oportet quod duratione sequatur suam causam agentem: quae longe sunt a
Deo, cujus virtus non augetur, neque materiam ex qua operetur requirit.
Restat ergo quod omne naturaliter a Deo procedit, coaeternum sit ei; et ita
filius est ab aeterno. Aliud est quod oportet esse in eo quod naturaliter
procedit ab altero, quod sit simile ei a quo procedit; quia natura intendit
sibi simile producere inquantum potest; unde quod aliquid naturaliter
procedens non habeat perfectam similitudinem ejus a quo procedit, contingit
vel ex defectu virtutis agentis, sicut in semine in quo debilitatur calor
naturalis, unde non sufficit ad generandum masculum, sed feminam; vel ex
defectu materiae, quae non potest recipere totam virtutem agentis, sicut accidit
in partubus monstruosis. Haec autem duo a Deo longe sunt, ut dictum est, unde oportet quod hoc
quod naturaliter a Deo procedit, perfectam similitudinem ad eum habeat. Perfecta autem similitudo esse non potest
ubi non est eadem natura secundum speciem. Natura autem divina non potest
esse eadem specie nisi sit eadem numero, cum omnino sit immaterialis. Unde
oportet quod filius qui naturaliter a Deo patre procedit, habeat eamdem
numero naturam cum ipso, et per consequens idem esse; et ita omnibus modis ei
erit aequalis. Et quia natura et esse Dei patris nullo modo dependet ad
nihil, vel ad non esse, ut scilicet non esse praecedat eam tempore vel
natura; ideo nec natura nec esse filii ad nihil aliquo modo dependet. Ex quo
patet quod filius nullo modo potest esse creatura, neque secundum quod fides
de creatione loquitur, secundum quam ponimus quod non esse duratione
creaturam praecessit; nec secundum quod quidam philosophi posuerunt
creationem, dicentes illud creari quod esse habet post non esse, non tempore,
sed natura: et hoc est cujus esse dependens est ad non esse, quia in se
consideratum et sibi relictum non est, cum solum ab altero esse habeat. Sed
de hoc in 2 Lib., distinct. 2, dictum est plenius. |
Réponse.
Le Fils procède du Père naturellement. En effet, c’est ce qu’indique le mot
« filiation », s’il s’agit d’une vraie filiation, ce qui doit
exister au plus haut point dans cette filiation et cette paternité à partir
desquelles toute paternité et toute
filiation sont nommées au ciel et sur la terre, Ep 3. En effet, « est
vrai au plus haut point ce qui est cause que cela soit vrai chez les autres »,
comme il est dit dans Métaphysique,
II. Or, tout ce qui procède naturellement d’un autre a deux choses. L’une est
qu’il est égal à celui dont il procède, car la nature ne reporte pas l’accomplissement
de son œuvre, si ce n’est en raison d’une carence de l’agent ; cette
carence est en lui parce que l’agent ne possède pas naturellement une puissance
parfaite pour agir, comme les enfants pour engendrer, ou elle se trouve chez
celui qui agit par la transformation d’une matière extérieure, l’effet ne
découlant qu’à la fin de la transformation. Il est ainsi nécessaire qu’il
découle de sa cause efficiente dans la durée. Cela est très éloigné de Dieu,
dont la puissance n’est pas augmentée et qui ne requiert pas de matière pour
agir. Il reste donc que tout ce qui procède de Dieu naturellement lui soit
coéternel ; ainsi le Fils existe-t-il éternellement. L’autre chose est
que ce qui ressemble à ce dont cela procède soit présent dans ce qui procède
naturellement d’un autre, car la nature vise à produire quelque chose qui lui
est semblable autant que possible. Qu’une chose qui procède naturellement n’ait
pas une parfaite ressemblance avec ce dont elle procède, cela vient soit d’une
carence de la puissance de l’agent, comme dans la semence où la chaleur
naturelle est affaiblie, de sorte qu’elle ne suffit pas en engendrer un mâle,
mais une femelle ; soit d’une carence de la matière, qui ne peut
recevoir toute la puissance de l’agent, comme cela se produit dans les
naissances de monstres. Or, ces deux choses sont très éloignées de Dieu,
comme on l’a dit. Aussi est-il nécessaire que ce qui procède naturellement de
Dieu ait une parfaite ressemblance avec lui. Or, il ne peut y avoir de
parfaite ressemblance là où il n’y a pas une même nature selon l’espèce. Mais
la nature divine ne peut être de la même espèce que si elle est la même en
nombre, puisqu’elle est complètement immatérielle. Il est donc nécessaire que
le Fils qui procède naturellement de Dieu le Père ait la même nature que lui
et, par conséquent, le même être. Ainsi lui sera-t-il égal de toutes les
manières. Et parce que la nature et l’être de Dieu le Père ne dépendent de
rien ni du néant, de sorte que le néant les précède dans le temps ou par
nature, la nature et l’être du Fils non plus ne dépendent de rien d’aucune
manière. Il est ainsi clair que le Fils ne peut d’aucune manière être une
créature, ni selon ce qu’affirme la foi en la création, selon laquelle nous
affirmons que le néant a précédé la créature dans la durée, ni selon ce que
certains philosophes ont affirmé de la création, en disant qu’est créé ce qui
possède l’être après le non-être, non pas dans le temps, mais par nature. C’est
là faire dépendre l’être du non-être, car, considéré en soi et laissé à
soi-même, cela n’est pas, puisque cela tient l’être d’un autre seulement. |
[8829] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1
ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod istud verbum
vel intelligitur de sapientia creata, scilicet angelica natura, quae est ante
tempora saecularia, etsi non duratione, tamen ordine naturae; vel intelligitur
de filio Dei quantum ad naturam assumptam, quae etsi ante saecula creata non
fuerit, fuit tamen ab aeterno praevisa creari. |
1. Ce verbe s’entend
soit de la sagesse créée, à savoir, la nature angélique, qui existe avant le
temps des siècles, même si ce n’est pas par la durée, cependant selon l’ordre
de la nature ; soit il s’entend du Fils de Dieu pour ce qui est de la
nature assumée, qui, même si elle n’a pas été créée avant les siècles, a
cependant été éternellement prévue. |
[8830] Sper Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 ad
2 Ad secundum dicendum, quod sicut Augustinus docet in 1 de Trin., omnia quae
minorationem aut subjectionem circa filium Dei ponere videntur, vel referenda
sunt ad naturam assumptam secundum quam minor est patre, in forma Dei manens
aequalis patri, ut dicitur ad Philip. 2; vel referendum est ad commendationem
principii, secundum quod pater dicitur principium filii : et secundum
hoc dicitur major, quamvis filius non sit minor, ut dicit Hilarius. |
2. Comme l’enseigne
Augustin dans Sur la Trinité, I,
tout ce qui semble affirmer une infériorité ou un sujétion à propos du Fils
de Dieu doit être rapporté à la nature assumée, selon laquelle il est
inférieur au Père, tout en demeurant égal au Père quant à la nature divine,
comme il est dit dans Ph 2. Ou bien il faut le rapporter à la mise en
évidence du principe, selon lequel on dit que le Père est le principe du
Fils ; on dit ainsi qu’il est plus grand, bien que le Fils ne soit pas
inférieur, comme le dit Hilaire. |
[8831] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1
ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum Basilium, accipere a patre filius
habet commune cum omni creatura; sed habere per naturam est sibi proprium;
unde processio filii a patre in aliquo convenit cum processione quae est in
creaturis, communitate analogiae, et in aliquo differt. Convenit quidem in
respectu originis, qui est esse ab aliquo; differt autem in hoc quod processio
filii a patre est per naturam; aliorum autem per voluntatem. Ex hoc sequitur
triplex differentia, ut ex dictis patet. Prima, quod filius est
consubstantialis patri; secunda, quod est coaeternus; tertia, quod esse suum
nullo modo dependet ad nihil: et haec sequitur ex prima. Unde considerandum
est, quod omnia nomina vel verba quae important respectum originis absolute,
recipiuntur in processionem divinam, sicut procedit, exit, est ab alio; illa
autem quae important aliquid contrarium tribus praedictis, nullo modo
dicuntur, sicut factus, quod repugnat consubstantialitati: quia facere
dicitur proprie secundum operationem quam agens exercet in id quod est extra:
et similiter verbum incipiendi repugnat coaeternitati, et similiter verbum
creandi importat dependentiam ad non esse. Sed nativitas ad respectum originis
absolute addit aliquid magis pertinens ad consubstantialitatem quam ad
differentiam substantiae: quia, sicut supra, dist. 8, dictum est, nascitur proprie quod
procedit conjunctum ei a quo procedit: et ideo omnia illa quae pertinent ad
generationem vivorum, quorum est nasci, dicuntur in processione filii, sicut
oriri et nasci, gigni et generari; et haec est causa quare processio filii
potuit habere nomen proprium, non autem processio spiritus sancti, qui non
procedit per modum nascentis. Unde generatio vel nativitas non transumitur ad divina secundum quod
praesupponit creationem, sed secundum quod importat consubstantialitatem. |
3. Selon Basile, le Fils a en commun avec toutes les créatures de recevoir du Père ; mais le posséder par nature lui est propre. Aussi la procession du Fils à partir du Père a quelque chose en commun avec la procession qui se réalise pour les créatures selon une communauté d’analogie, mais elle en diffère sur un point. Elle a commun ce qui concerne l’origine, qui consiste à exister par un autre ; mais elle diffère par le fait que la procession du Fils se réalise par nature, mais celle des autres, par volonté. Il en découle une triple conséquence. La première est que le Fils est consubstantiel au Père ; la deuxième est qu’il lui est coéternel ; la troisième est que son existence ne dépend en rien du néant, et cette dernière découle de la première. Il faut donc considérer que tous les noms ou verbes qui comportent un rapport d’origine de manière absolue sont acceptés pour la procession divine : ainsi, il « procède », « vient de » ou « tient son être d’un autre » ; mais ceux qui comportent quelque chose de contraire aux trois [conséquences] mentionnées ne se disent d’aucune manière [de la procession divine] : ainsi, « il a été fait », qui s’oppose à la consubstantialité, car « faire » se dit au sens propre de l’opération qu’un agent exerce sur ce qui est extérieur ; de même, le verbe « commence » s’oppose à la coéternité, et de même le verbe « créer » comporte une dépendance par rapport au non-être. Mais « naissance » ajoute de manière absolue quelque chose qui concerne davantage la consubstantialité que la différence de substance, car, ainsi qu’on l’a dit plus haut, d. 8, naît au sens propre ce qui procède en étant uni à ce dont il procède. C’est pourquoi tout ce qui se rapporte à génération des vivants, à qui il appartient de naître, se dit de la procession du Fils, comme « être issu de » et « naître », « être enfanté » et « être engendré ». Telle est la raison pour laquelle la procession du Fils a pu porter une nom propre, mais non la procession de l’Esprit Saint, qui ne procède pas par mode de naissance. Aussi la « génération » et la « naissance » ne sont-elles pas reportées sur les réalités divines selon qu’elles présupposent la création, mais selon qu’elles comportent la consubstantialité. |
[8832] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1
ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio illa
sequitur de eo quod est ab alio, habens aliam naturam ab ipso: quia sic
naturae ejus quod est ab alio, non debetur esse ex se ipsa; unde ipsa non est
suum esse, ut habeat necessitatem essendi ex se. Sed filius est a patre, habens eamdem
numero naturam; unde sicut natura patris est suum esse, ac per hoc necesse
esse; ita et natura filii: nec ejus esse est aliquo modo dependens ad nihil,
sicut nec esse patris. |
4. Cet argument découle de ce qui existe à partir d’un autre et posséde une autre nature que lui, car ainsi l’être n’est pas dû par la nature même de ce qui vient de l’autre ; aussi [cette nature] n’est-elle pas son propre être, de sorte qu’il soit nécessaire qu’elle existe par elle-même. Mais le Fils vient du Père en ayant la même nature en nombre. Aussi, de même que le Père est son propre être et ainsi existe nécessairement, de même aussi la nature du Fils. Et son être ne dépend aucunement du néant, pas davantage que l’être du Père. |
[8833] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1
ad 5 Ad quintum dicendum, quod esse filii non est creatum: unde filius non
habet causam sui esse; nec suum esse habet principium: quamvis enim secundum
nos ipse filius habeat principium a quo est, non tamen causam: quia secundum
nos nomen principii importat relationem originis absolute; nomen autem causae
importat respectum originis per comparationem ad esse rei quod a causa
procedit: unde terminus a quo, dicitur principium motus, non tamen causa. Sed secundum Graecos
nomen causae importat simplicem formae originem, sicut nomen principii
secundum nos. Et quamvis
dicamus patrem principium filii, non tamen dicimus filium principiatum a
patre; quia nomine principiati non utimur nisi in his quae sunt constituta in
esse per principium: unde linea non dicitur esse principiatum puncti, sicut
nec motus termini a quo; sed tamen dicitur esse a principio. |
5. L’être du Fils n’est pas créé. Aussi
le Fils n’a-t-il pas une cause de son être et son être n’a-t-il pas de
principe. En effet, bien que, pour nous, le Fils lui-même ait un principe par
lequel il existe, il n’a cependant pas de cause, car, pour nous, le mot
« principe » comporte une relation d’origine de manière absolue, mais
le mot « cause » comporte un rapport d’origine se référant à l’existence
d’une chose qui procède d’une cause. Ainsi le terme a quo est-il appelé le principe d’un mouvement, mais non sa
cause. Mais, selon les Grecs, le mot « cause » comporte une simple
origine de la forme, comme le mot « principe » selon nous. Et bien
que nous disions que le Père est principe du Fils, nous ne disons cependant
pas que le Fils dépende du principe qu’est le Père, car nous n’employons l’expression
« dépendre du principe » que pour les choses qui sont amemnés à l’existence
par un principe. Ainsi on ne dit pas que la ligne dépend du principe qu’est
le point, pas davantage que le mouvement [dépend] du principe qu’est le terme
a quo ; on dit cependant qu’ils
viennent d’un principe. |
[8834] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1
ad 6 Ad sextum
dicendum, quod filius non habuit esse antequam generaretur. Sed quia
generatio ejus est aeterna, et esse ejus aeternum est. |
6. Le Fils n’avait pas d’être avant d’être engendré. Mais parce que sa génération est éternelle, son être aussi est éternel. |
[8835] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1
ad 7 Ad septimum dicendum, quod sicut
creatura non habet esse nisi a Deo, ita nec filius habet esse nisi a patre. Sed in hoc est differentia, quod creatura
non est illa relatio secundum quam dicitur esse a Deo, per quam habet esse;
et ideo potest considerari in se, sine respectu ejus ad Deum; et sic
invenitur non habens esse. Sed filius Dei est ipsa relatio secundum quam
habet esse a patre, et ipsa relatio est ipsum esse: et ideo non potest filius
considerari sine respectu ad patrem, ut inveniatur in se non habens esse, vel
potens in nihilum decidere. |
7. De même que la
créature ne tient son être que de Dieu, de même le Fils ne tient-il son être
que du Père. Mais il y a la différence que la créature n’est pas la relation
selon laquelle on dit qu’elle vient de Dieu, par laquelle elle a l’être. Elle
peut donc être considérée en elle-même, sans son rapport à Dieu. Ainsi
voit-on qu’elle n’a pas d’être. Mais le Fils de Dieu est la relation même
selon laquelle il tient son être du Père, et la relation elle-même est son être.
Aussi le Fils ne peut-il être considéré sans rapport au Père, de sorte qu’il
se trouveerait sans possder l’être ou poouvant tomber dans le néant. |
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Articulus 2 [8836] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2
tit. Utrum Christus
sit creatura |
Article 2 – Le Christ est-il une créature ? |
[8837] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2
arg. 1 Ad secundum
sic proceditur, videtur quod Christus sit creatura. Leo Papa: nova et inaudita conventio:
Deus qui erat et qui est, fit creatura. Sed illud quod Deus fit, potest
de Christo praedicari. Ergo Christus est creatura. Damascenus etiam dicit de
Christo, quod non scandalizabitur ad nomen creaturae. |
1. Il semble que le
Christ soit une créature. Le pape Léon dit : « Nouvelle entente
inouie ! Le Dieu qui était et qui est devient une créature. » Or,
ce que Dieu devient peut être attribué au Christ. Le Christ est donc une créature.
[Jean] Damascène dit aussi, à propos du Christ, qu’« il ne se
scandalisera pas du nom de créature ». |
[8838] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea, de
quocumque praedicatur inferius, et superius. Sed creatura est superius ad hominem. Ergo
cum homo praedicetur de Christo, creatura de ipso praedicabitur. |
2. Ce dont on
prédique ce qui est inférieur, [on prédique] aussi ce qui est supérieur. Or, « créature »
est quelque chose de supérieur à « homme ». Puisqu’on prédique
« homme » du Christ, « créature » sera donc prédiqué de
lui. |
[8839] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2
arg. 3 Praeterea, omne quod est, vel est
creatum vel increatum. Si ergo Christus est homo, vel erit homo creatus vel
increatus. Sed non est homo increatus, sicut nec homo aeternus, quia omne
increatum est. Ergo est homo creatus: ergo est creatura. |
3. Tout ce qui existe
est soit créé, soit incréé. Si donc le Christ est homme, il sera soit un
homme créé, soit un homme incréé. Or, l’homme incréé n’existe pas, pas plus
que l’homme éternel, car tout ce qui est incréé est. Il est donc un homme
créé, et donc, il est une créature. |
[8840] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, id quod
convenit parti, transumitur
ad praedicationem totius; sicut homo dicitur Crispus propter capillos. Sed humana natura est quasi pars personae
compositae, pro qua supponit hoc nomen Christus. Ergo cum humana natura sit
creatura, Christus potest dici creatura. |
4. Ce qui convient à
une partie est repris comme prédication du tout, comme on dit
« homme » de Crispus à cause de ses cheveux. Or, la nature humaine
est pour ainsi dire une partie d’une personne composée, à laquelle est
attribué ce nom « Christ ». Puisque la nature humaine est une
créature, le Christ peut donc être appelé une créature. |
[8841] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2
arg. 5 Praeterea,
principalior pars hominis Christi est anima quam corpus. Sed ratione corporis
quod de virgine traxit, simpliciter dicitur natus de virgine. Ergo ratione animae, quae
creata est a Deo, debet dici creatura. |
5. La partie
principale de l’homme Christ est plutôt son âme que son corps. Or, en raison
du corps qu’il qu’il a tiré de la Vierge, on dit tout simplement qu’il est né
de la Vierge. En raison de son âme, qui a été créée par Dieu, on doit donc l’appeler
une créature. |
[8842] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, sicut repugnat
nomen creaturae filio increato; ita repugnat temporaliter nasci aeternaliter
nato. Sed tamen dicimus Christum temporaliter natum. Ergo et simpliciter
possumus ipsum dicere creaturam. |
6. De même que le nom
de « créature » s’oppose au Fils incréé, de même le fait de naître
dans le temps s’oppose-t-il à celui qui est né éternellement. Cependant, nous
disons que le Christ est né dans le temps. Nous pouvons donc dire tout
simplement qu’il est une créature. |
[8843] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2
s. c. 1 Sed contra, creatura non potest
praedicari de aliquo aeterno. Sed Christus supponit suppositum aeternum. Ergo non potest dici
creatura. |
Cependant, [1]
on ne peut prédiquer « créature » d’une réalité éternelle. Or,
« Christ » est attribué à un suppôt éternel. On ne peut donc dire
qu’il est une créature. |
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[8844] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, in Christo
nihil creatum est, nisi humana natura. Sed humana natura non praedicatur de Christo. Ergo Christus non potest
dici creatura. |
[2] Il n’y a rien de créé dans le Christ, si
ce n’est la nature humaine. Or, la nature humaine n’est pas prédiquée du
Christ. On ne peut donc pas dire que le Christ est une créature. |
[8845] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2
s. c. 3 Praeterea,
omnis creatura rationalis est filius Trinitatis per creationem. Sed Christus
si est creatura, est creatura rationalis. Ergo est filius Trinitatis per creationem:
quod supra improbatum est, dist. 4. |
[3] Toute créature raisonnable est fils de
la Trinité en vertu de la création. Or, le Christ, s’il est une créature, est
une créature raisonnable. Il est donc fils de la Trinité en vertu de la
création, ce qui a été rejeté plus haut, d. 4. |
[8846] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod
creatio proprie respicit esse rei: unde dicitur in Lib. de causis, quod esse
est per creationem, alia vero per informationem. Esse autem simpliciter et per se est
suppositi subsistentis; alia vero dicuntur esse, inquantum suppositum in eis
subsistit, vel essentialiter, sicut materia et forma, et sic natura ipsa
dicitur esse; vel accidentaliter, sicut accidentia dicuntur esse. Esse ergo
dictum simpliciter de supposito significat esse personale ipsius; esse vero,
secundum quod convenit parti vel accidenti, non dicitur simpliciter de
supposito, sed suppositum dicitur esse in eo; unde cum dico: Christus est,
significatur esse ipsius, non autem esse ipsius naturae, vel accidentis, vel
partis. Cum autem fiat unio naturarum in esse suppositi secundum secundam
opinionem, esse, secundum quod Christus simpliciter esse dicitur, est esse
increatum; unde non potest dici creatura, non tantum ad evitandum errorem
Arii, ut quidam dicunt, sed etiam ad vitandum falsitatem. Potest tamen dici,
quod aliquid creatum est in Christo, scilicet humana natura; quia esse
quamvis sit unum, tamen respectum habet ad naturam et ad partes ejus,
secundum quas humana natura dicitur esse in Christo, vel partes aut
accidentia ejus, ut supra, dist. 6, dictum est. Unde sicut esse aliquo modo
ad naturam pertinet, et ad partes et accidentia ejus, ita et creatio. |
Réponse. La
création concerne au sens propre l’être d’une chose. Aussi est-il dit dans le
Livre sur les causes, que « l’être
vient de la création, mais les autres choses, de la réception d’une forme ».
Or, l’être est tout simplement et par soi le fait d’un suppôt
subsistant ; on dit que les autres choses sont pour autant que le suppôt
subsiste en elles, soit essentiellement, comme la matière et la forme, et
ainsi on dit que la nature elle-même existe ; soit accidentellement,
comme lorsqu’on dit que des accidents existent. L’être, affirmé simplement
d.un suppôt, signifie donc son être personnel ; mais l’être, selon qu’il
convient à une partie ou à un accident, n’est pas attribué tout simplement au
suppôt, mais on dit que le suppôt existe en eux. Ainsi, lorsque je dis :
« Le Christ est », cela signifie son être, mais non l’être de sa
nature, d’un accident ou d’une partie. Puisque l’union des natures se réalise
dans l’être du suppôt selon la deuxième opinion, l’être, selon lequel on dit
que le Chrit est tout simplement, est un acte d’être incréé. On ne peut donc l’appeler
une créature, non seulement pour éviter l’erreur d’Arius, comme le disent
certains, mais aussi pour éviter une fausseté. On peut cependant dire qu’il
existe quelque chose de créé dans le Christ : la nature humaine, car l’être,
bien qu’il soit unique, concerne cependant la nature et les parties selon
lesquelles on dit qu’existent dans le Christ une nature humaine, ses parties
ou ses accidents, comme on l’a dit plus haut, d. 6. Comme l’être
concerne d’une certaine manière la nature, ses parties et ses accidents, de
même en est-il de la création. |
[8847] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2
ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verba
illa intelligenda sunt cum determinatione, ut dicit Magister in littera;
quamvis illa determinatio causa brevitatis intermittatur. |
1. Ces paroles
doivent s’entendre en y ajoutant une précision, comme le dit le Maître dans
le texte, bien que cette précision soit laissée de côté pour cause de
brièveté. |
[8848] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2
ad 2 Ad secundum dicendum, quod creatura
non est superius ad hominem: quia creatio magis respicit esse quam naturam.
Esse autem non est genus, nec inducitur in significatione alicujus generis,
ut dicit Avicenna, cum ea quae sunt in uno genere, non conveniant in uno
esse, sed in natura communi. Vel dicendum, quod creatura non est superius ad hominem, significans
quid est homo: quia creatio non respicit naturam vel essentiam, nisi mediante
actu essendi; qui est primus terminus creationis. Humana autem natura in
Christo non habet aliud esse perfectum, quod est esse hypostasis, quam esse
divinae personae; et ideo, simpliciter loquendo, creatura dici non potest:
quia intelligeretur quod esse perfectum hypostasis Christi per creationem
esset acquisitum. |
2. La créature n’est
pas quelque chose de supérieur à l’homme, car la création concerne davantage
l’être que la nature. Or, l’être n’est pas un genre et n’est invoqué dans la
signification d’aucun genre, comme le dit Avicenne, puisque ce qui existe
dans un genre ne se rejoint pas dans un seul être, mais dans une nature
commune. Ou bien il faut dire que la créature n’est pas quelque chose de
supérieur à l’homme, en parlant de ce qu’est l’homme, car la création ne
concerne la nature ou l’essence qu’à travers l’être, qui est le premier terme
de la création. Or, la nature humaine dans le Christ n’a pas d’autre être parfait,
qui est l’être de l’hypostase, que l’être de la personne divine. Ainsi, à
parler tout simplement, il ne peut pas être appelé une créature, car on comprendrait
que l’être parfait de l’hypostase du Christ serait obtenu par création. |
[8849] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2
ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum dicitur, Christus est homo creatus,
locutio est duplex: ex eo quod hoc participium creatus potest determinare
praedicatum in comparatione ad subjectum, et sic potest esse vera, sicut et
ista: Christus est factus homo. Si autem determinat absolute praedicatum, tunc est falsa: quia in
homine non intelligitur tantum natura, sed suppositum aeternum, cui non
convenit esse creatum: quod enim determinat praedicatum in ordine ad subjectum,
est determinatio ipsius inquantum est praedicatum; unde oportet quod
respiciat praedicatum formaliter: quia termini in praedicato ponuntur
formaliter; determinatio autem quae determinat absolute ponitur circa
praedicatum sicut circa subjectum quoddam; unde magis respicit suppositum
quam formam. Similiter etiam haec est falsa: Christus est homo increatus:
quia privatio creationis ponitur circa praedicatum ratione utriusque; et ideo
utraque falsa est, nec sibi contradicunt, sed haec est vera: Christus est
homo qui non est creatus sed aeternus ex parte deitatis, non tamen aeternus
homo, ut aeternitas determinet praedicatum in ordine ad subjectum. |
3. Lorsqu’on
dit : « Le Christ est un homme créé », on exprime deux choses.
Ce participe « créé » peut déterminer le prédicat par rapport au
sujet : cette proposition peut alors être vraie, comme celle-ci :
« Le Christ est devenu un homme. » Mais s’il détermine le sujet de
manière absolue, alors la proposition est fausse, car, dans l’homme, on ne
comprend pas seulement la nature, mais le suppôt éternel, auquel un être créé
ne convient pas. En effet, ce que détermine un prédicat par rapport à un sujet
est une détermination de lui-même en tant qu’il est un prédicat. Il faut donc
que cela concerne le prédicat de manière formelle, car les termes d’un
prédicat sont affirmés de manière formelle. Mais la détermination qui
détermine de manière absolue est affirmée du prédicat comme d’un sujet ;
elle concerne donc davantage le suppôt que la forme. De même aussi, cette
proposition est fausse : « Le Christ est un homme incréé »,
car la privation de création est affirmée du prédicat en raison des
deux ; aussi les deux sont-elles fausses et ne se contredisent
pas ; mais la proposition suivante est vraie : « Le Christ est
un homme qui n’est pas créé, mais qui est éternel en raison de sa
divinité ; mais il n’est pas un homme éternel, pour autant que l’éternité
détermine le prédicat par rapport au sujet. » |
[8850] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod totum denominatur a proprietate partis, quando illa proprietas
nullo modo nata est convenire nisi parti illi, sicut crispitudo capillis, et
claudicatio pedi. Sed creatio non tantum naturae, sed etiam personae nata est
convenire, et etiam personae et supposito magis proprie; et ideo non potest
dici de supposito quod sit creatum, quia natura est creata. |
4. Le tout est désigné par ce qui est propre à la partie lorsque ce qui est propre ne peut aucunement convenir à autre chose qu’à cette partie, comme le fait d’être crépus pour des cheveux et de boiter pour un pied. Mais la création ne peut pas convenir seulement à la nature, mais aussi à la personne, et même d’une manière plus propre à la personne et au suppôt. C’est pourquoi on ne peut pas dire d’un suppôt qu’il est créé parce que sa nature est créée. |
[8851] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2
ad 5 Et per hoc patet solutio ad quintum: quia nasci de matre non est natum
convenire supposito hominis, nisi per hoc quod corpus traducit a matre; unde
non habet repugnantiam temporaliter nasci ad aeternaliter nasci: quia unum
naturam humanam respicit, et alterum divinam: quarum habet unam Christus a
patre aeternaliter, alteram a matre temporaliter. Sed creatum et increatum
utrumque potest respicere suppositum ratione esse quod est suppositi. |
5. La réponse au cinquième argument ressort ainsi clairement, car naître d’une mère n’est une naissance qui convient au suppôt de l’homme que par le fait qu’il tire son corps de sa mère. Ainsi le fait de naître temporellement ne s’oppose pas au fait de naître éternellement, car une chose concerne la nature humaine et l’autre, la nature divine : le Christ tient l’une de son Père éternellement, et l’autre, de sa mère temporellement. Or, ce qui est créé et ce qui est incréé peuvent tous deux concerner le suppôt en raison de l’être qui est le fait du suppôt. |
[8852] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 ad 6 Unde patet solutio ad
sextum. |
6. Ainsi ressort la réponse au sixième argument. |
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Articulus 3 [8853] Super Sent.,
lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 tit. Utrum Christus secundum quod homo, sit creatura |
Article 3 –Le Christ, en tant qu’homme, est-il une créature ? |
[8854] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod
Christus non possit dici creatura secundum quod homo. Quidquid enim
praedicatur de altero secundum quod ipsum est, praedicatur de eo simpliciter.
Sed quod praedicatur de Christo secundum quod homo, praedicatur de eo
secundum quod ipsum est, quia ipse est essentialiter homo. Ergo cum esse
creaturam non praedicetur simpliciter, non potest praedicari de eo secundum
quod homo. |
1. Il semble que le Christ ne soit pas une créature selon qu’il est homme. En effet, tout ce qui est attribué à un autre selon ce qu’il est lui est simplement attribué. Or, ce qui est attribué au Christ selon qu’il est un homme lui est attribué selon ce qu’il est, car il est un homme par essence. Puisque le fait d’être une créature ne lui est pas attribué simplement, il ne peut donc lui être attribué en tant qu’il est homme. |
[8855] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3
arg. 2 Praeterea,
magis est esse filium adoptivum quam esse creaturam. Sed non potest dici quod
Christus, secundum quod homo, sit filius adoptivus. Ergo multo minus potest dici quod, secundum
quod homo, sit creatura. |
2. Être fils adoptif est plus grand qu’être une créature. Or, on ne peut pas dire que le Christ, en tant qu’homme, est un fils adoptif. Donc, encore bien moins qu’il est une créature selon qu’il est homme. |
[8856] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3
arg. 3 Praeterea, secundum quod Magister
dicit in littera, haec est tropica locutio: Christus est creatura. Ergo si Christus, secundum quod homo, sit
creatura, et haec etiam erit impropria, Christus est homo, quod est falsum. |
3. D’après ce que dit le Maître dans le texte, la proposition suivante est figurée : « Le Christ est une créature. » Si donc le Christ, en tant qu’homme, est une créature, cette proposition aussi sera impropre : « Le Christ est un homme », ce qui est faux. |
[8857] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, nihil est
creatum in Christo nisi humana natura. Sed haec est falsa: Christus, secundum quod homo est humana natura. Ergo et haec: Christus
secundum quod homo, est creatura. |
4. Rien n’est créé dans le Christ que la nature humaine. Or, cette proposition est fausse : « Le Christ, selon qu’il est homme, est la nature humaine. » Donc, celle-ci aussi sera fausse : « Le Christ, selon qu’il est homme, est une créature. » |
[8858] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3
arg. 5 Praeterea, ista
se compatiuntur, ut Christus sit homo, et sit Deus. Ergo quod non compatitur
secum hoc quod est esse Deum, non potest praedicari de Christo secundum quod
homo, sicut hoc quod est carere divinitate. Sed esse creaturam non compatitur
secum hoc quod est esse Deum. Ergo Christus non est creatura, secundum quod
homo. |
5. Le fait que le Christ soit homme et le fait qu’il soit Dieu sont compatibles. Donc, ce qui n’est pas compatible selon qu’il esst Dieu ne peut être attribué au Christ selon qu’il est homme, comme le fait que la divinité lui fasse défaut. Or, être une créature n’est pas compatible avec le fait d’être Dieu. Le Christ n’est donc pas une créature selon qu’il est homme. |
[8859] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3
s. c. 1 Sed contra,
omne quod non est aeternum, est creatum. Sed Christus, secundum quod homo,
non est aeternus, sicut nec Deus. Ergo secundum quod homo, est creatura. |
Cependant, [1] tout ce qui n’est pas éternel est créé. Or, le Christ en tant qu’homme n’est pas éternel, de même qu’il n’est pas Dieu non plus. Selon qu’il est homme, il est donc une créature. |
[8860] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3
s. c. 2 Praeterea, omne quod factum est,
creatum est. Sed Christus secundum quod homo, est factus. Ergo est creatus secundum quod homo. |
2. Tout ce qui est devenu a été créé. Or, selon qu’il est homme, le Christ est devenu. Il a donc été créé en tant qu’homme. |
[8861] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3
s. c. 3 Praeterea, omnis conditio alicujus
naturae potest praedicari de aliquo secundum nomen significans naturam illam.
Sed homo significat
naturam humanam, cujus conditio est quod sit creatura. Ergo Christus potest
dici creatura secundum quod homo. |
3. Toute condition d’une créature peut être attibuée à uune chose par un nom signifiant cette nature. Or, « homme » signifie la nature humaine, dont la condition est d’être une créature. Le Christ peut donc être appelé une créature selon qu’il est homme. |
[8862] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod humana natura se habet
ad compositam personam Christi sicut pars; quamvis proprie pars dici non
possit, nec proprie persona composita, ut supra, dist. 6, qu. 2, art. 3,
dictum est. Pars autem aliquando habet aliquam dispositionem quae nata est
convenire toti; aliquando vero aliam quae non est nata convenire toti: sicut
albedo quae inest capillis, potest etiam toti convenire: crispitudo autem ita
convenit capillis quod nullo modo toti, vel alicui alteri parti. Ergo
secundum dispositiones illas quae insunt tantum parti, denominatur totum
simpliciter et proprie per dispositionem partis, nullo addito; sicut homo
dicitur Crispus; sed quantum ad illas dispositiones quae natae sunt parti et
toti convenire, non denominatur totum a parte simpliciter, sed addita parte,
ut cum dicitur homo albus secundum capillos; nec proprie, sed figurative per
sinecdochen. Unde patet quod cum creatio naturae et personae nata sit
convenire, sicut et esse; utrique aliquo modo convenit: non tamen potest dici
de Christo, quod sit creatura, quia humana natura creata est, nisi fiat
additio, ut si dicatur: secundum hominem, vel secundum quod homo; et tunc
etiam tropica est et figurativa, ut dicit Magister, sicut et haec: Aethiops
est albus secundum dentem. |
Réponse. La nature humaine est comme une partie de la personne composée du Christ, bien qu’elle ne puisse être appelée une partie au sens propre, ni une personne composée, comme on l’a dit plus haut, d. 6, q. 2, a. 3. Or, une partie a parfois une disposition par laquelle elle est destinée à convenir au tout, mais parfois une autre disposition qui n’est pas destinée à convenir au tout. Ainsi, la blancheur des cheveux peut aussi convenir à un tout, mais le fait pour les cheveux d’être crépus ne convient d’aucune manière au tout ou à une autre partie. Selon les dispositions qui sont inhérentes seulement à une partie, le tout est donc désigné tout simplement et au sens propre par la disposition de la partie, sans aucun ajout, comme un homme est appelé Crispus ; mais, selon les dispositions qui peuvent convenir à une partie et au tout, le tout n’est pas désigné par la partie tout simplement, mais en ajoutant la partie, comme lorsqu’on dit qu’un homme est blanc par ses cheveux ; cependant, il ne l’est pas au sens propre, mais au sens figuré par synecdoque. Puisque la création peut convenir à la nature et à la personne, de même que l’être, elle convient donc aux deux d’une certaine manière ; mais on ne peut cependant pas dire du Chirst qu’il est une créature ‑ car la nature humaine a été créée ‑, sans un ajout, comme dire : « selon l’homme », ou « selon qu’il est homme ». Et même alors, il s’agit d’une expression figurée, comme celle-ci : « L’Éthiopien est blanc par sa dent. » |
[8863] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3
ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa
ratio procedit in his quae praedicantur proprie et per se; sed haec non est
propria praedicatio, ut dictum est. |
1. Cet argument vaut pour ce qui est attribué au sens propre et par soi ; mais [l’attribution en cause] n’est pas une attribution au sens propre, comme on l’a dit. |
[8864] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3
ad 2 Ad secundum dicendum, quod esse filium
adoptivum, nullo modo natum est convenire nisi personae; et ideo non potest
dici filius adoptivus secundum humanam naturam, sicut dicitur creatura: quia
creaturae nomen et personae et naturae aptatur. |
2. Être un fils adoptif ne peut convenir qu’à la personne. C’est pourquoi on ne peut dire qu’il est fils adoptif selon la nature humaine, comme on dit qu’il est une créature, car le nom de « créature » est adapté à la personne et à la nature. |
[8865] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3
ad 3 Ad tertium dicendum, quod quando cum reduplicatione est propria
praedicatio, tunc praedicatum per se convenit ei quod replicatur: sicut
Christus, secundum quod homo, est animal; haec enim est per se et proprie:
homo est animal; et ideo simili modo praedicatum et reduplicatio de subjecto
praedicatur. Haec autem
reduplicatio non est nota per se praedicationis: haec enim non est propria:
hic homo, scilicet Christus, est creatura, nec etiam est per se, quia
creatura non est superius ad hominem, significans quid est homo, ut dictum
est; et ideo non oportet quod si creatura improprie dicatur de Christo, etiam
ipse improprie dicatur homo. |
3. Lorsqu’il y a une attribution propre avec une explicitation, le prédicat convient alors à ce qui est explicité, comme : « Le Christ, en tant qu’homme, est un animal ». En effet, la proposition suivante est propre et par soi : « L’homme est un animal » ; de même, le prédicat et ce qui est explicité sont-ils attribués au sujet. Mais cette explicitation n’est pas par soi une note de l’attribution. En effet, la proposition suivante n’est pas propre : « Cet homme, à savoir le Christ, est une créature » ; elle n’est pas non plus par soi, car la créature n’est pas quelque chose de supérieur à l’homme, signifiant ce qu’est l’homme, comme on l’a dit. C’est pourquoi, si on dit de manière impropre que le Christ est une créature, on dira aussi de manière impropre qu’il est un homme. |
[8866] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3
ad 4 Ad quartum dicendum, quod natura
humana in abstracto non praedicatur de Christo secundum quod homo; sed
conditiones ejus et in concreto possunt de Christo praedicari secundum quod
homo, vel proprie vel improprie. Creatura autem in concretione dicitur, quia omne creatum est creatura. |
4. La nature humaine n’est pas attribuée au Christ dans l’abstrait, mais ses conditions peuvent être attribuées au concret au Christ en tant qu’il est homme, soit au sens propre, soit au sens impropre. Mais on parle de créature au concret, car tout ce qui a été créé est créature. |
[8867] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3
ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis
illud quod convenit parti, aliquo modo possit dici de toto, non tamen oportet
ut quod removetur a parte, removeatur a toto; unde quamvis Aethiops secundum
dentem habeat albedinem, non potest tamen dici quod sit carens nigredine:
quia quod non convenit sibi secundum unam partem, potest sibi convenire
secundum aliam; et similiter quamvis Christus sit creatura, secundum quod
homo, non tamen potest dici quod, secundum quod homo, careat divinitate quae
sibi competit per aliam naturam. |
5. Bien que ce qui convient à la partie puisse être attribué d’une certaine manière au tout, il n’est cependant pas nécessaire que ce qui est enlevé à la partie soit enlevé au tout. Ainsi, bien que l’Éthiopien possède la blancheur par sa dent, on ne peut cependant pas dire que le noir lui fait défaut, car ce qui ne lui convient pas selon une partie peut lui convenir selon une autre. De même, bien que le Christ soit une créature selon qu’il est homme, on ne peut cependant pas dire que, selon qu’il est homme, la divinité lui fait défaut, celle-ci lui convenant par une autre nature. |
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Articulus 4 [8868] Super Sent., lib.
3 d. 11 q. 1 a. 4 tit. Utrum ea quae
sunt humanae naturae possint dici de filio Dei |
Article 4 – Ce qui appartient à la nature humaine peut-il être dit du Fils de Dieu ? |
[8869] Super Sent., lib.
3 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur, quod ea quae sunt humanae naturae, non possint dici de filio
Dei. Omnis enim proprietas vel accidens naturae humanae, est quid creatum.
Sed filius Dei non informatur aliquo creato. Ergo non potest praedicari de
filio Dei aliquod accidens humanae naturae. |
1. Il semble que ce qui appartient à la nature humaine ne puisse être dit du Fils de Dieu. En effet, toute propriété ou accident de la nature humaine est quelque chose de créé. Or, le Fils de Dieu ne reçoit pas forme de quelque chose de créé. On ne peut donc attribuer au Fils de Dieu un accident de la nature humaine. |
[8870] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4
arg. 2 Praeterea,
quod proprietates divinae naturae dicuntur de filio Dei, contingit ex hoc
quod filius Dei est natura divina. Sed filius Dei non est natura humana. Ergo
proprietates humanae naturae non praedicantur de filio Dei. |
2. Que les propriétés de la nature divine soient dites du Fils de Dieu, cela vient de ce que le Fils de Dieu est la nature divine. Or, le Fils de Dieu n’est pas la nature humaine. Les propriétés de la nature humaine ne sont donc pas attribuées au Fils de Dieu. |
[8871] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4
arg. 3 Praeterea, humanae naturae convenit
assumi a filio Dei, et homini convenit esse unitum. Sed hoc non convenit filio Dei. Ergo non
oportet quod ea quae conveniunt naturae humanae, dicantur de filio Dei. |
3. Il convient que la nature humaine soit assumée par le Fils de Dieu et il [lui] convient d’être unie à l’homme. Or, cela ne convient pas au Fils de Dieu. Il n’est donc pas nécessaire que ce qui convient à la nature humaine soit dit du Fils de Dieu. |
[8872] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4
arg. 4 Praeterea,
haec est vera: iste homo est praedestinatus. Sed haec est falsa: filius Dei
est praedestinatus. Ergo idem quod prius. |
4. Cette proposition est vraie : « Cet homme est prédestiné. » Or, celle-ci est fausse : « Le Fils de Dieu est prédestiné. » La conclusion est donc la même que précédemment. |
[8873] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4
arg. 5 Praeterea, omnis proprietas humanae
naturae est quid creatum. Sed creatura non praedicatur de filio Dei. Ergo nec proprietas humanae naturae. |
5. Toute propriété de la nature humaine est quelque chose de créé. Or, la créature n’est pas attribuée au Fils de Dieu. Donc, ni une propriété de la nature humaine. |
[8874] Super Sent., lib. 3 d.
11 q. 1 a. 4 arg. 6 Praeterea, ea quae praedicantur de Christo secundum quod homo, non
praedicantur de ipso secundum quod filius Dei. Ergo videtur eadem ratione quod ea quae praedicantur de homine, non
praedicentur de filio Dei. |
6. Ce qui est attribué au Christ en tant qu’il est homme ne lui est pas attribué en tant qu’il est le Fils de Dieu. Pour la même raison, il semble donc que ce qui est attribué à l’homme ne soit pas attribué au Fils de Dieu. |
[8875] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4
arg. 7 Sed contra, de quocumque praedicatur
aliquid, praedicantur de eo omnia consequentia ad ipsum, etiamsi sit
praedicatio accidentalis; sicut si homo est albus, sequitur quod sit
coloratus. Sed homo praedicatur
de Deo. Ergo quidquid praedicatur de homine, praedicatur de filio Dei. |
7. Cependant, tout ce à quoi quelque chose est attribué se voit attribuer tout ce qui en découle, même s’il s’agit d’une attribution accidentelle ; ainsi, si un homme est blanc, il en découle qu’il est coloré. Or, « homme » est attribué à Dieu. Tout ce qui est attribué à l’homme est donc attribué au Fils de Dieu. |
[8876] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4
arg. 8 Praeterea, quaecumque consequuntur
naturam, praedicantur de suppositis naturae illius. Sed filius Dei est
suppositum humanae naturae. Ergo
consequentia naturam humanam possunt praedicari de filio Dei. |
8. Tout ce qui découle de la nature est attribué aux suppôts de cette nature. Or, le Fils de Dieu est un suppôt de la nature humaine. Tout ce qui découle de la nature humaine peut donc être attribué au Fils de Dieu. |
[8877] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4
arg. 9 Praeterea, Christus est persona
subsistens in duabus naturis, divina et humana. Sed omnia quae conveniunt
divinae naturae, possunt praedicari de Christo. Ergo pari ratione omnia ea quae conveniunt
naturae humanae. |
9. Le Christ est une personne subsistant en deux natures : la divine et l’humaine. Or, tout ce qui donvient à la nature divine peut être attribué au Christ. Donc, pour la même raison, tout ce qui convient à la nature humaine. |
[8878] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4
arg. 10 Praeterea, nihil magis repugnat divinae naturae quam mori. Sed
dicitur, quod filius Dei est mortuus. Ergo et omnia alia possunt dici de filio Dei quae conveniunt humanae
naturae. |
10. Rien ne s’oppose davantage à la nature divine que de mourir. Or, on dit que le Fils de Dieu est mort. Donc, toutes les autres choses qui conviennent à la nature humaine peuvent être attribuées au Fils de Dieu. |
[8879] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod
natura et suppositum naturae in quibusdam differunt re et ratione, sicut in
compositis; in quibusdam autem ratione et non re, sicut in divinis. Sed
differentia quae est secundum rationem, est differentia oppositionis: quia
natura et suppositum habent intentiones oppositas; et ideo ea quae pertinent
ad rationem naturae, nullo modo praedicantur de supposito neque in abstracto
neque in concreto, neque in divinis neque in humanis; sicut pater non dicitur
commune tribus, nec Petrus dicitur forma totius. Differentia autem quae est
secundum rem, non est oppositionis, sed est sicut principii formalis ad
formatum; et ideo quae secundum rem ad naturam pertinent, possunt praedicari
de supposito, sicut natura praedicatur, scilicet in concreto. Quia autem unio
facta est in supposito, ut scilicet sit unum et idem suppositum divinae et
humanae naturae; ideo de illo supposito possunt praedicari ea quae consequuntur
secundum rem utramque naturam, sicut et ipsae naturae de ipso praedicantur:
quia enim divina natura praedicatur de filio Dei in concreto et in abstracto;
ideo proprietates ejus possunt utroque modo praedicari de ipso: quia vero
humana natura praedicatur in concreto tantum; ideo humanae naturae proprietates
in concreto tantum praedicantur. Nec differt utrum fiat praedicatio de
supposito secundum nomen quod significat divinam naturam, ut verbum; vel
humanam, ut Jesus, vel utrumque, sicut Christus; quia per omnia supponitur
idem suppositum: sed tamen hoc suppositum non constituitur per naturam
humanam, sed humana natura advenit ei jam ab aeterno praeexistenti in alia
natura. Unde duo singulariter inveniuntur in compositione humanae naturae ad
istud suppositum, scilicet quod unitur ei, et quod se habet ad ipsum per
modum partis, secundum quod istud suppositum in duabus naturis subsistit; et
ideo a praedicta generalitate excluduntur ea quae unionem important, et
iterum ea quae nata sunt de se et personae et naturae convenire, quae non
possunt praedicari de supposito nisi cum additione, sicut ea quae sunt partis
de toto. |
Réponse. La nature et le suppôt de la nature se différencient en réalité et selon la raison par certains aspects, comme c’est le cas pour les composés, mais, selon d’autres aspects, selon la raison et non pas en réalité, comme c’est le cas pour les réalités divines. Or, la différence qui existe selon la raison est une différence d’opposition, car la nature et le suppôt ont des intentions opposées. Ce qui appartient à la raison de la nature n’est donc aucunement attribué au suppôt ni abstraitement ni concrètement, ni pour les réalités divines ni pour les réalités humaines. Ainsi, on ne dit pas que le Père est quelque chose de commun au trois [personnes], et on ne dit pas que Pierre est la forme du tout. Mais la différence qui existe en réalité n’en est pas une d’opposition, mais elle est pour ainsi dire celle du principe formel par rapport à ce qui reçoit la forme. Aussi ce qui appartient réellement à la nature peut-il être attribué au suppôt, comme la nature est attribuée, à savoir, concrètement. Or, parce que l’union s’est réalisée dans le suppôt, de sorte que soit un et le même le suppôt de la nature divine et de la nature humaine, ce qui découle réellement des deux natures peut donc être attribué à ce suppôt, de la même manière que les natures elles-mêmes lui sont attribuées. En effet, parce que la nature divine est attribuée au Fils de Dieu concrètement et abstraitement, ses propriétés peuvent donc lui être attribuées des deux manières. Mais parce que la nature humaine est attribuée concrètement seulement, les propriétés de la nature humaine peuvent donc lui être attribuées concrètement seulement. Et cela ne fait pas de différence que l’attribution soit faite au suppôt selon le nom qui signifie la nature divine, comme le Verbe, ou la nature humaine, comme Jésus, ou les deux, comme le Christ, car le même suppôt est sous-jacent en tout. Cependant, ce suppôt n’est pas constitué par la nature humaine, mais la nature humaine se joint à lui, qui préexiste éternellement dans une autre nature. Aussi deux choses se trouvent-elles dans la composition de la nature humaine avec ce suppôt : le fait qu’elle est unie à lui, et le fait que son rapport avec celui-ci est celui d’une partie, selon que ce suppôt subsiste en deux natures. Aussi sont exclues de l’ensemble qui vient d’être rappelé les choses qui comportent l’union, et aussi celles qui doivent par elles-mêmes convenir à la personne et à la nature, qui ne peuvent être attribuées au suppôt qu’avec un ajout, comme celles qui appartiennent à la partie d’un tout. |
[8880] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4
ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
proprietates creatae dicuntur de filio Dei, non quasi ipsa persona aeterna
his informetur, sed quia natura assumpta informatur eis; sicut proprietates
quibus informantur partes, praedicantur de toto. |
1. Les propriétés créées sont attribuées au Fils de Dieu, non pas comme si la personne éternelle en recevait la forme, mais parce que la nature assumée reçoit leur forme, comme les propriétés qui donnent forme aux parties sont attribuées au tout. |
[8881] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4
ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa ratio
concludit, quod proprietates humanae naturae non praedicantur in abstracto de
Christo; quod et verum est. |
2. Ce raisonnement conclut que les propriétés de la nature humane ne sont pas attribuées au Christ dans l’abstrait, ce qui est vrai. |
[8882] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod assumi est de illis quae unionem important; et ideo non
oportet quod dicatur de filio Dei. |
3. Le fait d’être assumées appartient aux choses qui comportent l’union. Aussi n’est-il pas nécessaire que cela soit dit du Fils de Dieu. |
[8883] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod praedestinatio Christi est respectu unionis; unde
praedestinatus includit unionem sicut terminum praedestinationis; et ideo
sicut homo unitus dicitur, ita et praedestinatus uniri; non autem filius Dei.
Et praeterea praedestinatus includit factionem, ut patet ex praedictis; unde
sicut esse factum non dicitur de filio Dei absolute, ita nec esse
praedestinatum. |
4. La prédestination du Christ porte sur l’union. Aussi le fait qu’il soit prédestiné inclut-il l’union comme terme de la prédestination. C’est pourquoi, de même qu’on parle d’homme qui est uni, de même parle-t-on de prédestiné qui est uni, mais non du Fils de Dieu. De plus, le fait d’être prédestiné inclut la création, comme cela ressort de ce qui a été dit. De même que le fait d’être créé n’est pas attribué au Fils de Dieu de manière absolue, de même donc le fait qu’il soit prédestiné. |
[8884] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod sicut humana natura est creatura, et tamen cum praedicetur de
Christo in concreto, non sequitur quod Christus sit creatura; ita etiam non
sequitur propter hoc quod proprietates naturae humanae in concreto de Christo
praedicentur, quod Christus sit creatura. |
5. De même que la
nature humaine est une créature et que, cependant, lorsqu’elle est attribuée
au Christ de manière concrète, il n’en découle pas que le Christ soit une
créature, de même il ne découle pas que, lorsque les propriétés de la nature
humaine sont attribuées concrètement au Christ, le Christ soit une créature. |
[8885] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4
ad 6 Ad sextum
dicendum, quod ad veritatem propositionis sufficit quod praedicatum conveniat
subjectis quocumque modo; sed ad hoc quod propositio sit per se, oportet quod
conveniat sibi ratione formae importatae per subjectum; unde haec est vera:
Deus est passus; non tamen est per se: et quia reduplicatio exigit locutionem
per se veram; ideo non est similis ratio de reduplicationibus et propositionibus
quae sunt sine reduplicatione. |
6. Pour qu’une
proposition soit vraie, il suffit que le prédicat convienne aux sujets de n’importe
quelle manière. Mais pour qu’une proposition soit [une proposition] par soi,
il faut qu’elle leur convienne en raison de la forme amenée par le sujet.
Ainsi, cette proposition est vraie : « Dieu a souffert » ;
elle n’est cependant pas [une proposition] par soi ; et parce que l’explicitation
exige une formulation qui soit vraie par soi, le raisonnement n’est donc pas
le même pour les explicitations et pour les propositions qui sont sans implication. |
[8886] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4
ad 7 Ad septimum
dicendum, quod aliqua consequuntur humanam naturam, non secundum quod
praedicatur de filio Dei; et illa non oportet quod de Christo praedicentur. |
7. Certaines choses
découlent de la nature humaine, mais non selon qu’elle est attribuée au Fils
de Dieu. Il n’est pas nécessaire qu’elles soient attribuées au Christ. |
[8887] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4
ad 8 Et ex dictis
patet solutio ad consequentia. |
8. La solution des
arguments suivants ressort ainsi clairemenet de ce qui a été dit. |
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Expositio textus |
Explication du
texte de Pierre Lombard, Dist. 11
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[8888] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4
expos. Omnia per
ipsum facta sunt. Videtur hoc
non esse ad propositum: quia Augustinus intendit de filio Dei, inquantum est
filius Dei. Et dicendum, quod quia non est in Christo aliud suppositum nisi
persona filii Dei; ideo sicut de filio Dei dici non potest quod sit creatura;
ita nec de Christo. Nam si creatura esset, sibi mandaret praedicari
Evangelium. Videtur quod hoc non sequatur: quia Angeli, et lapides sunt
creaturae, quibus non est Evangelium praedicandum. Dicendum, quod
intelligitur de creaturis quae sunt homines, quibus est praedicandum
Evangelium, vel ut emundentur, vel ut perficiantur, vel ut conserventur.
Christus autem homo est. Vanitati subjecta. Intelligitur de illa
vanitate secundum quam omnia in nihil tenderent, nisi manu omnipotenti
continerentur. Non unum de multis. Contra: Rom. 8, 20: ut sit ipse
primogenitus in multis fratribus. Et dicendum, quod unus est de multis
quantum ad similitudinem filiationis, secundum quod etiam dicitur
primogenitus, sed non unum de multis, proprietate nativitatis, secundum quod
dicitur unigenitus. In Deo creatura esse non potest. Contra, Rom. 11, 36: in ipso sunt omnia.
Dicendum, quod sunt in ipso creaturae, non per essentiam, sed sicut in causa,
per similitudines ideales, quae secundum quod in Deo sunt, creaturae non
sunt. Sed ex tropicis locutionibus non est recta argumentationis processio.
Cujus ratio est, quia non sunt simpliciter verae, sed secundum quid; unde
etiam Dionysius dicit in epistola ad Titum, quod symbolica theologia non est
argumentativa. |
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Distinctio 12 |
Distinction 12 –
[Les carences qui découlent de la nature humaine]
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Prooemium |
Prologue |
[8889] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 pr. Postquam ostendit Magister quod nomen
creaturae non praedicatur de Christo simpliciter, sed cum determinatione, hic
inquirit de defectibus qui consequuntur naturam humanam, secundum quod
creatura est; et dividitur in duas partes: primo inquirit de defectu qui
communiter consequitur omnem creaturam, scilicet incipere esse; secundo de
defectibus qui consequuntur specialiter humanam naturam, ibi: solet etiam
quaeri, utrum alium hominem, vel aliunde hominem quam de genere illius Adae,
Deus assumere potuerit. Circa primum tria facit: primo movet quaestionem;
secundo objicit ad utramque partem, ibi: de hoc Augustinus inquit ita;
tertio determinat eam, ibi: his autem auctoritatibus in nullo reluctantes,
dicimus, hominem illum, inquantum homo est, esse coepisse. Solet etiam
quaeri, utrum alium hominem (...) Deus assumere potuerit. Hic prosequitur
de defectibus qui pertinent ad humanam naturam tantum; et dividitur in duas
partes: primo inquirit de defectu culpae; secundo de defectu naturae, qui est
sexus femineus, ibi: solet etiam quaeri, quamvis curiose, a nonnullis, si
Deus humanam naturam potuit assumere secundum muliebrem sexum. Circa
primum duo facit: primo quaerit de defectu culpae quantum ad originem,
scilicet utrum aliunde quam de peccatoribus carnem assumere potuisset;
secundo de defectu culpae quantum ad actum, utrum scilicet peccare potuisset,
ibi: ideo non immerito quaeritur utrum homo ille potuerit peccare. Et
circa hoc tria facit: primo movet quaestionem; secundo determinat, ibi: hic
distinctione opus est; tertio objicit contra determinationem, ibi: quidam
tamen probare conantur eam, etiam unitam verbo, posse peccare: et primo
objicit per rationem; secundo per auctoritatem, ibi: inducunt quoque
auctoritatem ad probandum idem, et utrumque solvit, ut patet in littera. Solet
etiam quaeri, quamvis curiose, a nonnullis, si Deus humanam naturam potuit
assumere secundum muliebrem sexum. Hic inquirit de defectu naturae, qui
est sexus femineus: et primo movet quaestionem; secundo solvit, ibi: quidam
arbitrantur eum potuisse assumere hominem in femineo sexu. Hic quaeruntur tria.
Primo de inceptione. Secundo de potentia peccandi. Tertio de congruitate
assumptionis respectu sexus feminei. De congruitate tamen assumptionis
respectu generis Adae, dist. 2, qu. 1, art. 2, dictum est. Circa primum
quaeruntur duo: 1 utrum iste homo, demonstrato Christo, incepit esse; 2 utrum
incepit esse Deus. |
Après avoir montré que le nom de créature n’est pas attribué au Christ de manière simple, mais avec une précision, le Maître s’interroge ici sur les carences qui découlent de la nature humaine selon qu’elle est une créature. Il y a deux parties : premièrement, il s’interroge sur la carence qui découle d’une manière générale de toute créature, à savoir qu’elle commence à exister ; deuxièmement, sur les carences qui découlent d’une manière particulière de la nature humaine, à cet endroit : « On a aussi coutume de demander si Dieu pouvait assumer un autre homme ou un homme venu d’ailleurs que de la descendance de cet Adam. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il soulève une question ; deuxièmement, il présente des objections pour les deux positions, à cet endroit : « À ce sujet, Augustin parle ainsi » ; troisièmement, il détermine de cette [question [, à cet endroit : « Sans nullement résister à ces autorités, nous disons que cet homme, en tant qu’il est homme, a commencé à exister. » « On a aussi coutume de demander si Dieu pouvait… » Ici, il continue [à traiter] des carences qui relèvent de la nature humaine seulement, et cela se divise en deux parties : premièrement, il s’interroge sur la carence de la faute ; deuxièmement, sur une carence de la nature, qui est le sexe féminin, à cet endroit : « Certains ont aussi coutume de se demander, bien que par curiosité, si Dieu pouvait assumer la nature humaine selon le sexe féminin. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il s’interroge sur la carence de la faute quant à son origine, à savoir s’il pouvait assumer la chair d’autres que de pécheurs ; deuxièmement, sur la carence de la faute quant à l’acte, à savoir s’il pouvait pécher, à cet endroit : « C’est pourquoi on se demande non sans raison si cet homme pouvait pécher. » À ce propos, il fait trois choses : premièrement, il soulève une question ; deuxièmement, il en détermine, à cet endroit : « Ici, il faut faire une distinction » ; troisièmement, il présente une objection contre la détermination, à cet endroit : « Cependant, certains s’efforcent de démontrer que, même unie au Verbe, [la nature humaine] pouvait pécher. » Premièrement, il présente une objection selon un raisonnement ; deuxièmement, selon une autorité, à cet endroit : « Certains invoquent aussi une autorité pour le prouver » ; puis, il la résout, comme cela ressort du texte. « Certains ont aussi coutume de se demander, bien que par curiosité, si Dieu pouvait assumer la nature humaine selon le sexe féminin. » Ici, trois questions sont posées. Premièrement, à propos du commencement [de l’existence de cet homme]. Deuxièmement, de sa capacité de pécher. Troisièmement, de la convenance d’assumer le sexe féminin. On a toutefois parlé de la convenance de l’assomption par rapport à la descendance d’Adam à la d. 2, q. 1, a. 2. À propos du premier point, deux questions sont posées : 1 – Cet homme (en montrant le Christ) a-t-il commencé à exister ? 2 – A-t-il commencé à être Dieu ? |
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Question 1 |
Question 1 – [Cet homme a-t-il commencé à exister ?]
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Articulus 1 [8890] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1
tit. Utrum haec sit
vera: iste homo incepit esse |
Article 1 – Cette proposition est-elle vraie : « Cet homme a commencé à exister. » |
[8891] Super Sent., lib.
3 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod haec sit vera: iste homo incepit esse. Omne enim quod
non semper fuit, et est, incepit esse. Sed sicut dicit Augustinus in littera,
mediator Dei et hominum, homo Christus, non fuit prius quam mundus esset.
Ergo incepit esse. |
1. Il semble que cette proposition soit vraie : « Cet homme a commencé à exister. » En effet, tout ce qui n’a pas toujours existé a commencé à exister. Or, comme le dit Augustin dans le texte, « le médiateur entre Dieu et les hommes, l’homme Christ, n’existait pas avant que le monde ne fût ». Il a donc commencé à exister. |
[8892] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1
arg. 2 Praeterea,
iste demonstrat suppositum utriusque naturae, divinae scilicet et humanae. Sed ratione divinae
naturae potest dici: iste homo semper fuit. Ergo cum incipere conveniat
humanae naturae, sicut etiam esse ab aeterno divinae, ratione humanae naturae
potest dici: iste homo incepit esse. |
« Cet » montre le suppôt des deux natures, de la divine et de l’humaine. Or, on peut dire, en raison de la nature divine : « Cet homme a toujours existé. » Puisque commencer convient à la nature humaine, comme être à la nature divine, on peut donc dire, en raison de la nature humaine : « Cet homme a commencé à exister. » |
[8893] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1
arg. 3 Praeterea, antequam mundus fieret, erat verum dicere: nullus homo est.
Ergo haec erat falsa: aliquis homo est, vel iste homo est. Nunc autem est
vera. Ergo iste homo coepit esse. |
3. Avant que le monde ne soit créé, il était vrai de dire : « Aucun homme n’existe. » Cette proposition était donc fausse : « Un homme existe, ou cet homme existe. » Or, maintenant, elle est vraie. Cet homme a donc commencé à exister. |
[8894] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1
arg. 4 Praeterea,
quod incepit esse in aliqua specie, incepit esse simpliciter. Sed iste homo
incepit esse in specie humana. Ergo incepit esse simpliciter. |
4. Ce qui a commencé à exister selon une certaine espèce a commencé à exister tout simplement. Or, cet homme a commencé à exister selon l’espèce humaine. Il a donc commencé à exister tout simplement. |
[8895] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1
arg. 5 Praeterea,
nasci temporaliter, est mutari de non esse in esse. Sed iste homo est natus
in tempore. Ergo est mutatus de non esse in esse. Sed omne tale incepit esse.
Ergo iste homo incepit esse. |
5. Naître temporellement, c’est passer du non-être à l’être. Or, cet homme est né dans le temps. Il est donc passé du non-être à l’être. Or, tout ce qui est tel a commencé à être. Cet homme a donc commencé à être. |
[8896] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1
arg. 6 Praeterea, iste homo supponit personam compositam. Sed persona
composita non fuit ab aeterno: quia quando non est compositio, non potest
esse aliquod compositum. Ergo iste homo non fuit semper; ergo incepit esse. |
6. « Cet homme » renvoie à une personne composée. Or, la personne composée n’a pas existé depuis l’éternité, car, lorsqu’il n’y a pas composition, un composé ne peut être. Cet homme n’a donc pas toujours été. Il a donc commencé à être. |
[8897] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1
arg. 7 Sed contra, nullum aeternum incepit
esse. Sed iste homo supponit suppositum aeternum. Ergo non incepit esse. |
7. Cependant, rien d’éternel n’a commencé à être. Or, cet homme renvoie à un suppôt éternel. Il n’a donc pas commencé à être. |
[8898] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1
arg. 8 Praeterea,
omne quod incepit esse, est creatura. Sed iste homo non est creatura, ut
dictum est supra, dist. 11, art. 3. Ergo iste homo non incepit esse. |
8. Tout ce qui a commencé à être est une créature. Or, cet homme n’est pas une créature, comme on l’a dit plus haut, d. 11, a. 3. Cet homme n’a donc pas commencé à être. |
[8899] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1
arg. 9 Praeterea,
Joan. 8, 58, dicit ille homo de quo loquimur: antequam Abraham fieret, ego
sum; et simili ratione potuisset vere dicere: antequam mundus fieret, ego
sum. Sed nullum tale incepit esse. Ergo iste homo non incepit esse. |
9. En Jn 8, 58, cet homme dont nous parlons dit : Avant qu’Abraham soit, je suis. Pour la même raison, il aurait pu dire : « Avant que le monde soit, je suis. » Or, rien de tel n’a commencé à être. Cet homme n’a donc pas commencé à être. |
[8900] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod
quidam distinguunt istam: iste homo incepit esse, ex hoc quod pronomen
iste potest demonstrare personam verbi, vel singulare hominis: et primo modo
est falsa, secundo modo vera. Sed cum dicitur: iste homo, hoc pronomen iste
non potest demonstrare nisi id quod supponitur per hoc nomen homo. Suppositum
autem per hoc nomen homo non est aliud quam persona verbi secundum secundam
opinionem; unde secundum eam non potest stare: quia quamvis ponat in Christo
esse aliquid singulare praeter personam verbi, scilicet humanam naturam;
tamen illud singulare non supponitur per hoc nomen homo, nec praedicatur de
Christo, sicut 6 dist., qu. 1, art. 1, dictum est; et ideo patet quod ista
distinctio est secundum primam opinionem bona. Et ideo hac omissa, quidam dicunt, quod hoc verbum incipit potest
notare inceptionem respectu suppositi simpliciter; et sic est falsa, quia
suppositum illud est aeternum: vel respectu suppositi ratione formae
significatae; et sic est vera; et ponunt exemplum de hac: scutum album
incipit esse hodie, supposito quod scutum ab heri factum hodie dealbetur.
Sed hoc dictum non videtur habere efficaciam propter duo: primo, quia etsi
humana natura habeat aliquid simile accidenti in Christo, tamen hoc nomen
homo non est adjectivum, sed substantivum, etiamsi natura humana esset pure
accidentaliter adveniens; et in talibus plus facit modus significandi quam
proprietas rei significatae: secundo, quia dato quod esset adjectivum,
oportet quod praedicatum conveniret ei quod copulatur vel supponitur per
nomen positum in subjecto, vel ratione alicujus quod in eo est. Illa autem
praedicata quae nata sunt ipsi supposito convenire, non praedicantur
simpliciter de eo ratione alicujus quod in ipso est, neque secundum partem,
neque secundum accidens aut naturam, nisi ei secundum se conveniat: quia tunc
sequeretur quod affirmatio et negatio verificentur de eodem, si ratione
alicujus existentis in ipso verificaretur quod ratione sui de eo vere
negatur: et hoc patet in proposito. Ei enim quod supponitur cum dicitur: isti
homini, convenit esse semper; unde de eo non potest verificari negatio, ut
dicatur, non fuit semper, simpliciter loquendo; et per consequens nec aliquid
quod negationem dictam implicet, sicut verbum incipiendi. Unde dicendum est
quod haec est simpliciter falsa: iste homo incepit esse; et est secundum quid
vera, scilicet cum determinatione humanae naturae; sicut et haec: iste homo
est creatura, est falsa, nisi ei determinatio addatur; et tunc etiam est
tropica, ut supra dixit Magister. Unde hic non intendit eam distinguere
tamquam multiplicem, sed dicere quomodo potest esse vera et falsa. |
Réponse. Certains font une distinction à l’intérieur de cette proposition : « Cet homme a commencé à être », du fait que le pronom « cet » peut indiquer la personne du Verbe ou un homme particulier. Dans le premier cas, elle est fausse ; dans le second, elle est vraie. Mais lorsqu’on dit : « Cet homme », ce pronom ne peut indiquer que ce à quoi renvoie le nom « homme ». Or, ce à quoi renvoie le nom « homme » n’est rien d’autre que la personne du Verbe, selon la deuxième opinion ; aussi, selon elle, [la proposition] ne peut-elle tenir, car, bien qu’elle affirme qu’il existe dans le Christ quelque chose de singulier en plus de la personne du Verbe, à savoir la nature humaine, cependant, cette réalité singulière n’est pas sous-jacente au nom « homme » et n’est pas attribuée au Christ, comme on l’a dit à la d. 6, q. 1, a. 1. Il est donc clair que cette distinction est bonne selon la première opinion. En omettant celle-ci, certains disent donc que le verbe « a commencé » peut indiquer un commencement en rapport avec le suppôt simplement ; ainsi la proposition est-elle fausse, car ce suppôt est éternel ; ou en rapport avec le suppôt en raison de la forme signifiée, et ainsi elles est vraie. Ils en donnent un exemple : « Un bouclier blanc a commencé à exister aujourd’hui », en supposant qu’un bouclier d’hier est devenu blanc aujourd’hui. Or, cette manière de parler ne semble pas correcte pour deux raisons. Premièrement, parce que, même si la nature humaine avait quelque chose de semblable à un accident chez le Christ, ce nom « homme » n’est pas un adjectif, mais un substantif, même si la nature humaine survenait de manière purement accidentelle. Dans de tels cas, la manière de signifier importe davantage qu’une propriété de la chose signifiée. Deuxièmement, parce que, en admettant que [« homme »] soit un adjectif, il faut que le prédicat convienne à ce à quoi il est uni ou à ce à quoi il renvoie par le nom qui joue le rôle de sujet, ou en raison de quelque chose qui se trouve en lui. Or, les prédicats qui conviennent par nature au suppôt ne lui sont pas simplement attribués en raison de quelque chose qui se trouve en lui, ni selon une partie, ni selon un accident ou une nature, à moins que cela ne lui convienne de soi, car alors il en découlerait que l’affirmation et la négation s’appliquent à la même chose, si, en raison de quelque chose qui existe en elle, ce qui est nié d’elle en raison d’elle-même était vrai. Et cela est clair dans le cas présent. En effet, on dit : « Il convient à cet homme de toujours exister » pour ce qui est un. La négation à ce sujet peut donc être vraie, en disant simplement : « Il n’a pas toujours été », à parler simplement. Par conséquent, [ne sera pas non davantage vrai] quelque chose qui implique la négation exprimée, comme le verbe « commencer ». Il faut donc dire que la proposition suivante est simplement fausse : « Cet homme a commencé à être », et elle est partiellement vraie avec la précision de la nature humaine. De même, cette proposition est fausse : « Cet homme est une créature », si on n’y ajoute pas une précision. Aussi, [la proposition] figurée l’est-elle aussi, comme le Maître l’a dit plus haut. Aussi ne veut-il pas y faire une distinction comme entre plusieurs [propositions], mais dire comment elle peut être vraie ou fausse. |
[8901] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1
ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum regulam a Magistro praecedenti
distinctione datam intelligenda est illa auctoritas cum determinatione,
quamvis causa brevitatis non apponatur. |
1. Selon la règle donnée par le Maître dans la distinction précédente, cette autorité doit s’entendre avec une précision, bien que celle-ci ne soit pas donnée pour cause de brièveté. |
[8902] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1
ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis
illud suppositum sit utriusque naturae suppositum, tamen quantum ad aliqua se
habet aliter ad naturam divinam quam ad humanam: quia est idem re cum divina
et constitutum in esse per ipsam secundum modum intelligendi; unde
quandocumque fuit natura divina, fuit ipsum suppositum. Non autem ita se habet ad naturam humanam;
et ideo non oportet quod incipiente humana natura, ipsum incipiat. |
2. Bien que ce suppôt soit le suppôt des deux natures, il a cependant un rapport différent avec la nature divine et avec la nature humaine, car il est en réalité identique avec la nature divine et établi dans l’être par elle selon la manière de comprendre. Aussi, autant qu’ait existé la nature divine, le suppôt lui-même a-t-il existé. Mais il n’en va pas de même pour la nature humaine. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il commence lorsque commence la nature humaine. |
[8903] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1
ad 3 Ad tertium dicendum, quod ab aeterno
verum fuisset dicere: nullus homo est: quia suppositum aeternum nondum erat
suppositum humanae naturae; unde non poterat sumi sub dicta distributione,
sicut nunc potest propter unionem. Unde quamvis ab aeterno non erat verum dicere: aliquis homo est
aeternus; modo tamen est verum dicere: aliquis, vel iste homo est ab aeterno. |
3. Il aurait été vrai de dire depuis l’éternité : « Ce n’est pas un homme », car le suppôt éternel n’était pas encore le suppôt de la nature humaine. Aussi ne peut-il pas être placé dans la distribution en question, comme il le peut maintenant en raison de l’union. Bien qu’il n’ait pas été vrai de dire depuis l’éternité : « L’homme est éternel », il est cependant maintenant vrai de dire : « Quelqu’un ou cet homme existe depuis l’éternité. » |
[8904] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod nasci temporaliter ex matre non est natum convenire supposito
nisi ratione corporis, ut supra dictum est, et ideo ratione ejus verificatur
simpliciter de supposito. Sed incipere esse non potest verificari de eo
ratione corporis simpliciter, sed cum determinatione; et ideo haec est vera
simpliciter: iste homo est natus temporaliter; non tamen ista: iste homo
incepit esse, sed est vera secundum quid. |
4. Naître temporellemenet d’une mère ne convient par soi à un suppôt qu’en raison du corps, comme on l’a dit plus haut ; pour cette raison, cela est donc simplement vrai du suppôt. Mais commencer à être ne peut être vrai pour lui en raison du corps simplement, mais avec une précision. C’est pourquoi cette proposition est vraie simplement : « Cet homme est né temporellement », cependant celle-ci ne l’est pas : « Cet homme a commencé à être », mais elle est vraie sous un aspect. |
[8905] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1
ad 5 Ad quintum dicendum, quod in aliis
suppositis quae sunt supposita tantum unius naturae, sequitur quod si incipiunt
esse in aliqua specie, incipiunt esse simpliciter; sed non est ita in
proposito; unde quantum ad hoc similitudinem habet humana natura in Christo
cum accidente; et ideo sicut non sequitur: iste homo incepit esse albus, ergo
incepit esse; ita nec sequitur: iste incepit esse homo, ergo incepit esse. |
2. Chez les autres suppôts, qui sont des suppôts d’une seule nature seulement, il découle du fait qu’ils commencent à être dans une espèce, qu’ils commencent à être tout simplement. Mais il n’en va pas de même pour ce qui est en cause. Aussi la nature humaine chez le Christ a-t-elle sur ce point une ressemblance avec un accident. Ainsi, de même que le raisonnement suivant n’est pas concluant : « Cet homme commence à être blanc ; donc, il a commencé à être », de même celui-ci n’est pas concluant : « Celui-ci a commencé à être un homme ; donc, il a commencé à être. » |
[8906] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1
ad 6 Ad sextum dicendum, quod quia
compositio non semper fuit, ideo haec est falsa: persona semper fuit
composita; sed tamen haec est vera: persona composita semper fuit: quia ad
veritatem propositionis sufficit, quod praedicatum conveniat subjecto; nec
oportet quod conveniat ei ratione formae significatae vel appositae, nisi sit
praedicatio per se; et ideo, quia personae convenit semper fuisse, quamvis
non ratione compositionis; haec est simpliciter vera: persona composita
semper fuit. Sed ad
veritatem propositionis exigitur quod totum quod est in praedicato, conveniat
subjecto; et ideo compositio quam significat hoc nomen compositum non
convenit ab aeterno personae; et ideo haec est falsa: persona ista semper
fuit composita. |
6. Parce que la composition n’a pas toujours existé, cette proposition est donc fausse : « La personne a toujours été composée » ; cependant, celle-ci est vraie : « La personne composée a toujours existé », car il suffit pour la vérité de la proposition que le prédicat convienne au sujet, et il n’est pas nécessaire qu’il lui convienne en raison de la forme signifiée ou indiquée, à moins qu’il ne s’agisse d’une attribution par soi. Aussi, parce qu’il convient à la personne d’avoir toujours existé, bien que ce ne soit pas en raison de la composition, cette proposition est tout simplement vraie : « La personne composée a toujours existé. » Mais il est requis pour la vérité de la proposition que tout ce qui se trouve dans le prédicat convienne au sujet. C’est pourquoi la composition que signifie ce mot « composé » ne convient pas éternellement à la personne. C’esst pourquoi cette proposition est fausse : « Cette personne a toujours été composée. » |
[8907] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1
ad 7 Ad septimum
dicendum, quod idem judicium est de ista: homo incepit esse Deus, et homo
factus est Deus; et eaedem rationes utrobique fieri possunt; et ideo
requiratur supra, dist. 7, quaest. 2, art. 2, ubi inquisitum est, utrum homo
factus sit Deus. |
7. Il faut porter le même jugement sur cette proposition : « Un homme a commencé à être Dieu » et sur : « Un homme est devenu Dieu. » Les mêmes raisonnements peuvent être faits dans les deux cas. Il faut donc se reporter à la d. 7, q. 2, a. 2, où l’on s’est demandé : « L’homme est-il devenu Dieu ? » |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [Le Christ pouvait-il pécher ?]
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Prooemium |
Prologue |
[8908] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 pr. Deinde quaeritur de potentia peccandi; et
circa hoc duo quaeruntur: 1 utrum iste homo potuit peccare; 2 utrum habuit
potentiam peccandi. |
On s’interroge ensuite sur la capacité de pécher. À ce propos, deux questions sont posées : 1 – Cet homme pouvait-il pécher ? 2 – Avait-il la capacité de pécher ? |
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Articulus 1 [8909] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1
tit. Utrum Christus
potuit peccare |
Article 1 – Le Christ pouvait-il pécher ? |
[8910] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur, quod potuit
peccare. Bernardus enim dicit quod tantum descendit filius Dei, quantum
descendere potuit praeter peccatum. Sed ultimus gradus circa peccatum est
posse peccare. Ergo ipse potuit peccare. |
1. Il semble qu’il pouvait pécher. En effet, Bernard dit que « le Fils de Dieu est descendu autant qu’il le pouvait, le péché excepté ». Or, à propos du péché, le dernier degré est de pouvoir pécher. Il pouvait donc pécher. |
[8911] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1
arg. 2 Praeterea,
nihil laudis Christo homini subtrahendum est. Sed in laudem viri justi
dicitur Eccli. 31, 10: qui potuit transgredi, et non est transgressus.
Ergo hoc
Christo convenire debet. |
2. Aucune louange ne doit être soustraite au Christ homme. Or, il est dit pour la louange de l’homme juste, Si 31, 10 : Lui qui pouvait transgresser, et n’a pas transgressé. Cela doit donc convenir au Christ. |
[8912] Super Sent., lib. 3 d.
12 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut peccatum requirit voluntatem, ita et meritum. Sed secundum
Augustinum, nullus peccat in eo quod non potest vitare. Ergo etiam nullus
meretur vel laudatur de hoc quod dimittere non potest. Si ergo Christus non potuit peccare, non
est laudandus de hoc quod non peccavit. |
3. De même que le péché requiert la volonté, de même aussi le mérite [la requiert-il]. Or, selon Augustin, « personne ne pèche pour ce qu’il ne peut pas éviter ». Donc, personne ne mérite ou n’est louangé pour ce qu’il ne peut pas écarter. Si donc le Christ ne pouvait pas pécher, il ne doit pas être louangé pour n’avoir pas péché. |
[8913] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1
arg. 4 Praeterea,
philosophus dicit, quod Deus et studiosus potest prava agere. Sed in Christo
non invenitur aliquid quare non potuerit peccare, nisi quia Deus est, et quia
bonus perfecte fuit. Ergo potuit peccare. |
4. Le Philosophe dit que Dieu et l’homme appliqué peuvent mal agir. Or, chez le Christ, on ne trouve pas de raison pour laquelle il ne pouvait pas pécher, en dehors du fait qu’il était Dieu et qu’il était parfaitement bon. Il pouvait donc pécher. |
[8914] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1
arg. 5 Praeterea, Joan. 8, 55, dicitur a Christo: si dixero quia non novi
eum, ero similis vobis mendax. Sed potuit illa verba dicere sine additione, sicut dixit cum
additione. Ergo potuit
mentiri: ergo et peccare. |
5. Il est dit du Christ en Jn 8, 55 : Si je dis que je ne le connais pas, je serai un menteur comme vous. Or, il pouvait dire ces paroles sans rien ajouter, comme il les a dites en y ajoutant. Il pouvait donc mentir, et donc, pécher. |
[8915] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1
s. c. 1 Sed contra, Hebr. 2, 9: eum qui
paulo minus quam Angeli minoratus est, videmus Jesum (...) gloria et honore
coronatum; dicit Glossa: quia natura humanae mentis, quam Deus
assumpsit, et quae nullo modo peccato depravari potuit, solus Deus major est.
Sed quicumque potest
peccare, mens ejus potest peccato depravari. Ergo Christus non potuit
peccare. |
Cependant, [1] à propos de He 2, 9 : Nous voyons Jésus, devenu un peu moins qu’un ange…couronné de gloire et d’honneur, la Glose dit : « Car Dieu seul est plus grand que la nature de l’esprit humain que Dieu a assumée et qui ne pouvait d’aucune manière être déformée par le péché. » Or, l’esprit de tous ceux qui peuvent pécher peut être déformé par le péché. Le Christ ne pouvait donc pas pécher. |
[8916] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1
s. c. 2 Praeterea, haec est perfectio naturae
glorificatae ut jam peccare non possit. Sed Christus ab instanti suae
conceptionis fuit verus comprehensor. Ergo nunquam peccare potuit. |
[2] La perfection de la nature glorifiée est telle qu’elle ne peut pas pécher. Or, le Christ a été un véritable comprehensor[1] dès l’instant de sa conception. Il ne pouvait donc pas pécher. |
[8917] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1
s. c. 3 Praeterea,
quidquid fecit ille homo, potest dici Deus fecisse. Si ergo ille homo
peccasset, sequeretur quod Deus peccasset; quod est impossibile. Ergo et
primum. |
[3] Tout ce que cet homme a fait, on peut dire que Dieu l’a fait. Si donc cet homme avait péché, il en découlerait que Dieu aurait péché, ce qui est impossible. Donc, la conclusion est la même que la première. |
[8918] Super Sent., lib. 3 d.
12 q. 2 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod simpliciter loquendo, Christus nullo modo peccare potuit; unde
Damascenus dicit in 3 Lib., quod impeccabilis est dominus Jesus. Potest enim
considerari ut viator, vel ut comprehensor, et ut Deus. Ut viator quidem, dux
videtur esse, dirigens nos secundum viam rectam. In quolibet autem genere
oportet primum regulans torqueri non posse: quia alias esset error in omnibus
quae ad ipsum regulantur; et ideo ipse Christus tantam gloriae plenitudinem
habuit, ut etiam inquantum viator peccare non posset; unde etiam et illi qui
proximi sibi fuerunt, confirmati sunt, ut apostoli etiam viatores existentes,
mortaliter peccare non potuerint, quamvis potuerint peccare venialiter.
Secundum vero quod fuit comprehensor, mens ejus totaliter est conjuncta fini,
ut agere non posset nisi secundum ordinem ad finem, sicut in 2 Lib., dist. 7,
de Angelis confirmatis dictum est. Secundum autem quod fuit Deus, et anima
ejus et corpus fuerunt quasi organum deitatis, secundum quod, ut dicit
Damascenus, deitas regebat animam, et anima corpus; unde non poterat peccatum
accidere, sicut nec Deus potest peccare. Tamen sub conditione potest concedi
quod peccare potuit, scilicet si voluisset; quamvis hoc antecedens sit
impossibile; quia ad veritatem conditionalis non requiritur neque veritas
antecedentis neque consequentis, sed necessaria habitudo unius ad alterum. |
Réponse. À parler simplement, le Christ ne pouvait aucunement pécher. Aussi, [Jean] Damascène dit-il, dans le livre III, que le Seigneur Jésus ne pouvait pas pécher. En effet, on peut le considérer comme un viator ou comme un comprehensor, et comme Dieu. En tant qu’il est un viator, il se présente comme le chef qui nous dirige sur le droit chemin. Or, en tout genre, il est nécessaire que celui qui impose le premier une règle ne soit pas détourné, car, autrement, il y aurait erreur chez tous ceux qui sont réglés selon lui. Aussi le Christ lui-même a-t-il eu une telle plénitude de gloire que, même en état de cheminement, il ne pouvait pécher. Ainsi, ceux-là aussi qui étaient proches de lui ont-ils été affermis, comme les apôtres qui, encore en état de cheminement, ne pouvaient pas pécher mortellement, bien qu’ils aient pu pécher véniellement. Mais, en tant que comprehensor, l’esprit [du Christ] était entièrement uni à la fin, de sorte qu’il ne pouvait agir que selon l’ordre à la fin, comme on l’a dit des anges affermis, dans le livre II, d. 7. Mais, selon que [le Christ] était Dieu, son corps et son âme étaient pour ainsi dire un instrument de la divinité, pour autant que la divinité dirigeait l’âme, et l’âme le corps, ainsi que le dit [Jean] Damascène ; aussi ne pouvait-il survenir de péché, comme Dieu ne peut pas pécher. Cependant, on peut concéder sous condition qu’il pouvait pécher, à savoir, s’il l’avait voulu, bien que cet antécédent soit impossible, car, pour la vérité d’une conditionnelle, ne sont exigées ni la vérité d’un antécédent, ni celle d’un conséquent, mais un rapport nécessaire entre l’une et l’autre. |
[8919] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod sicut Deus non potuit descendere ad hoc quod peccaret; et ideo
Christus nunquam peccavit; ita etiam non potuit descendere ad hoc quod
peccare posset; et ideo etiam Christus nunquam peccare potuit; et etiam si
Deus ad hoc descendere potuisset, non tamen conveniebat: quia hoc magis
impediebat finem incarnationis, secundum quam est dux et rex nostrorum
operum, quam juvaret. |
[1] De même que Dieu ne pouvait s’abaisser jusqu’à pécher et que le Christ n’a ainsi jamais péché, de même aussi ne pouvait-il pas s’abaisser jusqu’à pouvoir pécher. Aussi le Christ ne pouvait-il non plus jamais pécher. Et même si Dieu avait pu s’abaisser jusque-là, cela ne convenait cependant pas, car cela était plutôt un empêchement qu’une aide pour la fin de l’incarnation, selon laquelle il est le chef et le roi de nos actions. |
[8920] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod aliquid potest pertinere ad laudem inferioris, quod attributum superiori magis
est in vituperium, ut dicit Dionysius, sicut furibundum laudabile est in
cane, sed vituperabile in homine. Unde etiam philosophus dicit, quod laudes
hominum translatae in deos, derisiones videntur. Tamen hoc quod posse peccare
pertinet ad laudem, est per accidens, inquantum ostendit, opus quod laudatur,
ex necessitate factum non esse. Sed quamvis removeatur a Christo potentia
peccandi, non tamen ponitur coactio, quae voluntario contrariatur, et laudis
rationem tollit. |
[2] Une chose peut se rapporter à la louange d’un inférieur, qui, attribuée au supérieur, est plutôt un motif de blâme, comme le dit Denys ; comme la rage est louable chez le chien, mais blâmable chez l’homme. Aussi le Philosophe dit-il encore que les louanges des hommes, reportées sur les dieux, paraissent des moqueries. Toutefois, le fait que pouvoir pécher relève de la louange est accidentel, pour autant qu’il montre que l’action louangée n’a pas été accomplie par nécessité. Mais bien que la capacité de pécher soit écartée du Christ, on n’affirme pas pour autant la coercition, qui s’oppose au volontaire et enlève la raison de louanger. |
[8921] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod impotentia coactionis, quae opponitur voluntario, tollit
rationem meriti et demeriti, non impotentia quae est ex perfectione in
bonitate, vel malitia: quia hoc voluntarium non tollit, sed ponit voluntatem
confirmatam ad unum. |
[3] L’impuissance due à la coercition, qui s’oppose au volontaire, enlève la raison de mérite et de démérite, mais non l’impuissance qui vient de la perfection dans la bonté ou la malice, car cela n’enlève pas le volontaire, mais affirme que la volonté a été confirmée dans une seule chose. |
[8922] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod, sicut dicit Rabbi Moyses, verbum philosophi intelligendum est
cum conditione, quia scilicet posset, si vellet. |
[4] Comme le dit rabbi Moïse, la parole du Philosophe doit se comprendre selon une condition, à savoir qu’il aurait pu s’il l’avait voulu. |
[8923] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod Christus potuisset, si voluisset, illa verba exprimere; sed
velle non potuit. |
[5] Le Christ aurait pu exprimer ces paroles, s’il l’avait voulu, mais il ne pouvait pas le vouloir. |
Articulus 2 [8924] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2
tit. Utrum Christus
habuit potentiam peccandi |
Article 2 – Le Christ avait-il la capacité de pécher ? |
[8925] Super Sent., lib.
3 d. 12 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Christus non habuit potentiam peccandi. Secundum enim
quamlibet potentiam est aliquis potens. Sed Christus non potuit peccare. Ergo
non habuit peccandi potentiam. |
1. Il semble que le Christ n’avait pas la capacité de pécher. En effet, quelqu’un a une capacité selon n’importe quelle puissance. Or, le Christ ne pouvait pas pécher. Il n’avait donc pas la capacité de pécher. |
[8926] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2
arg. 2 Praeterea,
potentia peccandi, secundum Anselmum, non est libertas arbitrii, nec pars
libertatis, sed diminuit libertatem. Sed in Christo libertas non fuit
diminuta. Ergo ipse non habuit potentiam peccandi. |
2. La capacité de pécher, selon Anselme, n’est pas la liberté de l’arbitre, ni une partie de la liberté, mais elle diminue la liberté. Or, chez le Christ, la liberté n’a pas été diminuée. Il n’avait donc pas la capacité de pécher. |
[8927] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2
arg. 3 Praeterea, potentia peccandi est radix peccati, et principium. Sed in
Christo non fuit aliquod principium et radix peccati. Ergo ipse non habuit
potentiam peccandi. |
3. La capacité de pécher est la racine du péché et son principe. Or, chez le Christ, il n’y avait pas de principe ni de racine du péché. Il n’avait donc pas la capacité de pécher. |
[8928] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2
arg. 4 Praeterea,
Christus, etiam secundum quod homo, fuit maxime Deo similis. Sed Deus non
potest peccare, nec potentiam peccandi habet. Ergo nec Christus secundum quod
homo. |
4. Le Christ, même en tant qu’homme, était au plus haut point semblable à Dieu. Or, Dieu ne peut pécher et n’a pas la capacité de pécher. Donc, ni le Christ en tant qu’homme. |
[8929] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2
arg. 5 Sed contra,
philosophus dicit, quod potestates pravorum sunt eligendae. Sed omnia bona
hominum Christus habuit. Ergo et potentiam peccandi. |
5. Cependant, le Philosophe dit que les capacités de choses mauvaises doivent être choisies. Or, le Christ a possédé tous les biens. Il avait donc aussi la capacité de pécher. |
[8930] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2
arg. 6 Praeterea,
sicut dicit Damascenus, filius Dei assumpsit quidquid in nostra natura
plantavit. Plantavit autem in ea potentiam peccandi: quia potentia peccandi a
Deo est, quamvis voluntas peccandi non sit ab eo. Ergo potentiam peccandi
habuit. |
6. Comme le dit [Jean]
Damascène, « le Fils de Dieu a assumé tout ce qu’il avait semé dans
notre nature ». Or, il avait semé en elle la capacité de pécher, car la
capacité de pécher vient de Dieu, bien que la volonté de pécher ne vienne pas
de lui. Il avait donc la capacité de pécher. |
[8931] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2
arg. 7 Praeterea,
potentia peccandi est potentia qua peccatur. Hoc autem est liberum arbitrium.
Cum igitur Christus habuerit liberum arbitrium secundum quod homo, ut dicit
Damascenus, oportet quod habuerit potentiam peccandi. |
7. La capacité de pécher est la puissance par laquelle on pèche. Or, cela est le libre arbitre. Puisque, en tant qu’homme, le Christ a possédé le libre arbitre, comme le dit [Jean] Damascène, il est nécessaire qu’il ait eu la capacité de pécher. |
[8932] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2
arg. 8 Praeterea,
anima Christi creatura est. Sed secundum Damascenum, omnis creatura
vertibilis est vel secundum electionem vel secundum substantiam. Ergo anima
Christi vertibilis est secundum electionem, cum vim electivam habeat. Sed
vertibilitas electionis est potentia peccandi. Ergo Christus habuit potentiam
peccandi. |
8. L’âme du Christ est une créature. Or, selon [Jean] Damascène, toute créature peut aller dans un sens ou dans l’autre, soit selon son choix, soit selon sa substance. L’âme du Christ peut donc aller dans un sens ou dans l’autre par son choix, puisqu’elle possède la capacité de choisir. Or, la possibilité d’aller dans un sens ou dans l’autre par le choix est la capacité de pécher. Le Christ a donc eu la capacité de pécher. |
[8933] Super Sent., lib. 3 d.
12 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod actus se habet ad potentiam dupliciter: quia
actus egreditur a potentia, et iterum per actus specificatur potentia; et
ideo cum dicitur potentia aliquid agendi, ut potentia videndi, dupliciter
potest intelligi: quia potest designari vel ordo potentiae ad actum, secundum
quod actus sumitur ut effectus potentiae; vel designatur potentia ipsa
specificata per actum, secundum quod actus sumitur loco differentiae. Et primo modo non potest dici quod ille qui
habet visum impeditum, habeat potentiam videndi, sicut non potest dici quod
possit videre. Secundo modo potest dici quod habeat potentiam videndi, sicut
quod habeat potentiam visivam. Haec autem distinctio, ut ex dictis patet,
habet locum in illis actibus quibus specificantur potentiae. Hujusmodi autem
sunt actus ad quos potentiae ordinantur. Sed liberum arbitrium non ordinatur
ad peccatum, immo peccatum incidit ex defectu ejus; unde peccare non
specificat potentiam liberi arbitrii; et ideo cum dicitur quod aliquis habet
potentiam peccandi, non intelligitur quod habeat liberum arbitrium, sed quod
habeat ipsum ordinatum ad peccandum, ita ut peccare possit; et ideo sicut de
Christo non dicitur quod possit peccare, ita nec quod habeat potentiam
peccandi, proprie loquendo, et secundum se; sed potest concedi sub hoc sensu,
ut dicatur habere potentiam peccandi, quia habet potentiam quae in aliis est
potentia peccandi. |
Réponse. L’acte est en rapport avec la puissance de deux manières : parce que l’acte sort de la puissance, et aussi parce que la puissance reçoit son espèce de l’acte. C’est pourquoi lorsqu’on parle de la capacité de faire quelque chose, comme la capacité de voir, on peut l’entendre de deux manières. Cela peut désigner l’ordre de la puissance à l’acte, selon que l’acte est considéré comme l’effet de la puissance. Ou bien cela désigne la puisssance elle-même qui reçoit son espèce de l’acte, selon que l’acte est considéré à la place de la différence [spécifique]. De la première manière, on ne peut dire que celui dont la vision est empêchée a la puissance de voir, pas davantage qu’on peut dire qu’il peut voir. De la seconde manière, on peut dire qu’il a la capacité de voir, de même qu’on peut dire qu’il a la puissance de voir. Or, cette distinction, comme cela ressort de ce qui a été dit, a lieu pour les actes par lesquels les puissances reçoivent leur espèce. Cependant, de tels actes sont les actes auxquels les puissances sont ordonnées. Toutefois, le libre arbitre n’est pas ordonné au péché, bien plus, on tombe dans le péché en raison d’une carence de sa part. Pécher ne confère donc pas son espèce à la puissance du libre arbitre. C’est pourquoi, lorsqu’on dit que quelqu’un a la capacité de pécher, on ne comprend pas qu’il a le libre arbitre, mais que celui-ci est en lui ordonné à pécher, de sorte qu’il puisse pécher. De même qu’on ne dit pas du Christ qu’il peut pécher, de même donc [ne dit-on pas] qu’il a la capacité de pécher, à parler au sens propre et de soi ; mais on peut concéder le fait de dire qu’il a la capacité de pécher, parce qu’il possède la capacité qui, chez les autres, est la capacité de pécher. |
[8934] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2
ad 1 Et hoc modo
sustinendo, facile respondetur ad primas quatuor rationes. |
1-4. En adoptant cette approche, on répond facilement aux quatre premiers arguments. |
[8935] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2
ad 5 Ad quintum dicendum, quod potestates
malorum sunt eligendae per accidens, non quia sunt malorum; sed quia eaedem sunt ad bona; magis autem essent
eligendae, si essent bonorum tantum. |
5. Les capacités des méchants doivent être choisies par accident, non pas parce qu’elles appartiennent aux méchants, mais parce que les mêmes puissances portent sur des biens. Mais elles devraient être encore plus choisies si elles portaient seulement sur des biens. |
[8936] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2
ad 6 Ad sextum
dicendum, quod potentia peccandi, inquantum peccandi, non est a Deo, ut in 2
Lib., dist. ultima, dictum est, sed inquantum ad subjectum potentiae tantum. |
6. La puissance de pécher, en tant qu’elle est puissance de pécher, ne vient pas de Dieu, comme on l’a dit dans le livre II, dernière distinction, mais en tant seulement qu’il y a un sujet de cette puissance. |
[8937] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2
ad 7 Ad septimum
dicendum, quod liberum arbitrium, ut ex dictis patet, non potest dici
simpliciter potentia peccandi, nisi in his qui peccare possunt. |
7. Comme cela ressort de ce qui a été dit, on ne peut dire simplement que le libre arbitre est une capacité de pécher que pour ceux qui peuvent pécher. |
[8938] Super Sent., lib.
3 d. 12 q. 2 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod illa vertibilitas in Christo perficitur per
gratiae plenitudinem; sicut et potentia materiae terminatur per actum formae
totam potentialitatem materiae tollentis, ut patet in caelo. |
8. Cette capacité d’aller dans un sens ou dans l’autre chez le Christ est perfectionnée par la plénitude de la grâce, comme la puissance de la matière est achevée par l’acte d’une forme qui enlève toute la potentialité de la matière, ainsi que cela ressort pour le ciel. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [Quel devait être le sexe du Christ ?]
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Prooemium |
Prologue |
[8939] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 pr. Deinde quaeritur de congruitate quantum ad
sexum; et circa hoc quaeruntur duo: 1 in quo sexu humanam naturam assumere
debuit; 2 de quo sexu, utrum scilicet de viro, vel de muliere. |
On s’interroge ensuite sur la convenance du sexe [du Christ]. À ce propos, deux questions sont posées : 1 – Selon quel sexe [le Christ] devait-il assumer la nature humaine ? 2 – De quel sexe devait-il l’assumer : d’un homme ou d’une femme ? |
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Articulus 1 [8940] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1
tit. Utrum Christus
debuit aliquem sexum accipere |
Article 1 – Le Christ devait-il assumer un sexe ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le Christ devait-il assumer un sexe ?] |
[8941] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur, quod non
debuerit aliquem sexum accipere. Quia ipsum corpus Christi verum praesignat
corpus mysticum. Sed in corpore mystico, quod est Ecclesia, non est
differentia sexuum: quia, sicut dicit apostolus Galat. 3, 28, in Christo
non est masculus neque femina. Ergo nec ipse sexum assumere debuit. |
1. Il semble qu’il ne devait pas assumer de sexe, car le corps même du Christ annonce le corps mystique. Or, dans le corps mystique, qui est l’Église, il n’y a pas de différence entre les sexes, car, comme le dit l’Apôtre, Ga 3, 28 : Dans le Christ, il n’y a pas d’homme ni de femme. Il ne devait donc pas assumer un sexe. |
[8942] Super Sent., lib. 3 d.
12 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sexus ordinatur ad generationem carnalem. Sed Christus non
venerat ut esset principium humani generis per generationem carnalem, sed
spiritualem. Ergo sexum sumere non debuit. |
2. Le sexe est ordonné à la génération charnelle. Or, le Christ n’était pas venu pour être le principe du genre humain par la génération charnelle, mais par [la génération] spirituelle. Il ne devait donc pas assumer un sexe. |
[8943] Super Sent., lib. 3 d.
12 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, spiritus creatus indifferenter se habet ad utrumque sexum. Sed plus distat
spiritus increatus a differentia sexuum quam spiritus creatus. Ergo ipse Deus
se habet indifferenter ad utrumque sexum. Ergo vel utrumque assumere debuit,
vel neutrum. |
3. L’esprit créé est indifférent à un sexe ou à l’autre. Or, l’esprit incréé est plus éloigné de la différence des sexes que l’esprit créé. Dieu lui-même est donc indifférent à un sexe ou à l’autre. Donc, soit il devait assumer les deux, soit aucun. |
[8944] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Christus
debuit fratribus assimilari quantum ad naturalia, ut dicitur Hebr. 2. Sed sexus est de naturalibus hominis. Ergo
debuit sexum assumere. |
Cependant, [1] le Christ devait être semblable à ses frères par ses attributs naturels, comme le dit He 2. Or, le sexe fait partie des attributs naturels de l’homme. Il devait donc assumer un sexe. |
[8945] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, quod est inassumptibile, est incurabile, ut dicit
Damascenus. Sed sexus praecipue curatione indigebat, in quo maxime peccatum
originale regnat. Ergo debuit assumere sexum. |
[2] « Ce qui ne peut être assumé ne peut être guéri », comme le dit [Jean] Damascène. Or, surtout le sexe, dans lequel règne le plus le péché originel, avait besoin d’être guéri. [Le Christ] devait donc assumer un sexe. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le Christ devait-il assumer le sexe féminin ?] |
[8946] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod
debuit assumere
femineum. Reparatio enim respondet ruinae. Sed prima ruina fuit per feminam. Ergo et principium reparationis debuit esse
per feminam. Hoc autem est Christus. Ergo et cetera. |
1. Il semble qu’il devait assumer le sexe féminin. En effet, la restauration correspond à la chute. Or, la première chute a été le fait de la femme. Le principe de la restauration devait donc être une femme. Or, tel est le Christ. Donc, etc. |
[8947] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
Christus assumpsit defectus naturae nostrae. Sed fragilitas sexus feminei est
quidam defectus. Ergo debuit ipsum assumere. |
2. Le Christ a assumé les carences de notre nature. Or, la fragilité du sexe féminin est une carence. Il devait donc l’assumer. |
[8948] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1
qc. 2 arg. 3 Praeterea, dicitur in quodam sermone
de virginibus: quanto infirmius vasculum quod reportat ab hoste triumphum,
tanto magis Deus laudatur. Sed in victoria Christi est Deus maxime laudandus. Ergo decuit quod
sexum infirmiorem, scilicet femineum, assumeret. |
3. Il est dit dans un sermon sur les vierges : « Plus le vase qui triomphe de l’ennemi est faible, plus Dieu est loué. » Or, Dieu doit être loué au plus haut point par la victoire du Christ. Il convenait donc qu’il assume le sexe le plus faible, le sexe féminin. |
[8949] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1
qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Christus
fuit caput Ecclesiae. Sed mulier non est caput viri, sed e converso, secundum
apostolum. Ergo non
debuit esse mulier. |
Cependant, [1] le Christ était la tête de l’Église. Or, la femme n’est pas la tête de l’homme, mais c’est l’inverse, selon l’Apôtre. Il ne devait donc pas être une femme. |
[8950] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1
qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Christus, ut esset doctor Ecclesiae, promittitur
Joel. 2. Sed mulieri non convenit docere in Ecclesia, ut patet 1 Corinth. 14.
Ergo Christus non debuit sexum femineum assumere. |
[2] Jl 2 promettait que le Christ serait le docteur de l’Église. Or, il ne convient pas à la femme d’enseigner dans l’Église, comme cela ressort de 1 Co 14. Le Christ ne devait donc pas assumer le sexe féminin. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[8951] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo, ad primam quaestionem, quod
Christus venit ad reparandam humanam naturam, quam per assumptionem
reparavit; et ideo oportuit quod quidquid per se consequitur ad humanam naturam,
assumeret, scilicet omnes proprietates et partes humanae naturae, inter quas
est etiam sexus; et ideo decuit quod sexum assumeret. |
Le Christ est venu restaurer la nature humaine, qu’il a restaurée en l’assumant. Il fallait donc qu’il assume tout ce qui découle de la nature humaine, c’est-à-dire toutes les propriétés et les parties de la nature humaine, parmi lesquelles se trouve aussi le sexe. Il convenait donc qu’il assume un sexe. |
[8952] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in
corpore mystico dicitur non esse masculus aut femina, non quia non sit
differentia sexuum, sed quia indifferenter se habet uterque sexus ad ipsum
corpus mysticum: quia corpus mysticum non est una persona, sicut est ipse
Christus; unde in eo non potuit esse uterque sexus, quia hoc esset
monstruosum et innaturale. |
1. On dit qu’il n’y a pas d’homme ni de femme dans le corps mystique, non pas parce qu’il n’y a pas de différence des sexes, mais parce que les deux sexes se rapportent indifféremment au corps mystique, car le corps mystique n’est pas une personne, comme le Christ lui-même l’est. Aussi les deux sexes ne pouvaient-ils se trouver en lui, parce que cela serait monstrueux et non conforme à la nature. |
[8953] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod non assumpsit sexum ad usum, sed ad perfectionem naturae; sicut
etiam erit in sanctis post resurrectionem, quando neque nubent neque nubentur. |
2. Il n’a pas assumé un sexe pour en faire usage, mais pour la perfection de sa nature, comme [le sexe] se trouvera chez les saints après la résurrection, alors qu’on n’épousera pas et qu’on ne sera pas épousé. |
[8954] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
aequaliter se habet quantum ad potentiam, sed non quantum ad congruentiam. |
3. Il est égal quant à la puissance, mais non quant à la convenance. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[8955] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod non
loquimur hic de potentia Dei: quia ipse potuit assumere quale corpus voluit.
De congruitate autem loquendo, quia Christus venit ut doctor et rector et
propugnator humani generis, quae mulieri non competunt; ideo nec competens
fuit quod sexum femineum assumeret. |
Nous ne parlons pas ici de la puissance de Dieu, car celui-ci pouvait assumer le corps qu’il voulait. Mais nous parlons de convenance, car le Christ est venu comme docteur, dirigeant et défenseur du genre humain, ce qui ne convient pas à la femme. Il ne lui convenait donc pas d’assumer le sexe féminin. |
[8956] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
reparatio debet respondere ruinae per oppositum: unde sicut principium
perditionis fuit natura fragilior; ita principium reparationis debet esse
natura fortior; sicut sanatio in corpore hominis est per virtutem cordis quod
habet fortiorem sanitatem. Vel dicendum quod per mulierem non intravit in
mundum peccatum originale, sed per virum, sicut in Lib. 2 dictum est, quamvis
a muliere initium habuit peccatum; ita etiam per virum habuit perfici opus
salutis nostrae, quod aliquo modo initiatum est per mulierem, scilicet beatam
virginem. |
1. La restauration doit correspondre à la chute par opposition. Ainsi, de même que le principe de la perdition avait une nature plus fragile, de même le principe de la restauration devait-il avoir une nature plus forte, comme la guérison dans le corps de l’homme se réalise par la puissance d’un cœur qui est en meilleure santé. Ou bien il faut dire que le péché originel n’est pas entré dans le monde par la femme, mais par l’homme, comme on l’a dit dans le livre II, bien que le péché ait commencé avec la femme. L’œuvre de notre salut, amorcée d’une certaine manière par une femme, la bienheureuse Vierge, devait donc s’achever par un homme. |
[8957] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1
qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Christus
non assumpsit omnes defectus, sed illos qui conveniebant ad finem
assumptionis, scilicet ad opus redemptionis, ut infra dicetur. |
2. Le Christ n’a pas assumé toutes les carences, mais celles qui convenaient à la fin de l’assomption, c’est-à-dire à l’œuvre de la rédemption, comme on le dira plus loin. |
[8958] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod laus Dei non tantum est ex infirmitate victoris, sed etiam ex
magnitudine victoriae, et congruentia pugnae, secundum quae in victoria
Christi Deus maxime laudatur. |
3. La louange de Dieu ne vient pas seulement de la faiblesse du vainqueur, mais aussi de la grandeur de la victoire et de la convenance du combat, en raison de quoi Dieu est loué au plus haut point par la victoire du Christ. |
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Articulus 2 [8959] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2
tit. Utrum debuerit
carnem assumere ab utroque sexu |
Article 2 – Le Christ devait-il assumer la chair à
partir des deux sexes ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le Christ devait-il assumer la chair à partir des sexes ?] |
[8960] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur, quod debuit ab utroque sexu carnem assumere. Quia, ut
dicit apostolus, Hebr. 2, 17, debuit per omnia fratribus assimilari,
et praecipue in naturalibus. Sed naturaliter alii homines generantur ab utroque sexu. Ergo et
Christus ab utroque sexu carnem assumere debuit. |
1. Il semble que [le Christ] devait assumer la chair à partir des deux sexes, car, comme le dit l’Apôtre, He 2, 17 : Il devait ressembler en tout à ses frères, surtout pour ce qui est des attributs naturels. Or, les autres hommes sont engendrés naturellement par les deux sexes. Le Christ aussi devait donc assumer la chair à partir des deux sexes. |
[8961] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea,
illa solum videntur in humana natura Christo repugnare quae ad peccatum pertinent.
Sed commixtio sexuum
potest esse sine omni peccato, et sine omni corruptela, cum in Paradiso ante
peccatum fuisset, secundum Augustinum. Ergo debuit per commixtionem sexuum carnem
assumere. |
2. Seul ce qui se rapporte au péché dans la nature humaine semble être incompatible avec le Christ. Or, l’union sexuelle peut exister sans aucun péché et sans aucune corruption, puisqu’elle aurait été telle au Paradis avant le péché, selon Augustin. [Le Christ] devait donc assumer la chair par l’union sexuelle. |
[8962] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Christus
praecipue venit ad tollendum
originale peccatum. Sed per commixtionem sexuum traducitur originale. Ergo
debuit per commixtionem sexuum carnem assumere. |
3. Le Christ est venu surtout pour enlever le péché originel. Or, le péché originel est transmis par l’union sexuelle. [Le Christ] devait donc assumer la chair par l’union sexuelle. |
[8963] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Anselmus
dicit, quod decuit ut mater Christi ea puritate niteret qua major sub Deo non
potest intelligi. Sed maxima
puritas est virginalis. Ergo de virgine nasci debuit; et ita non per
commixtionem sexuum. |
Cependant, [1] Anselme dit qu’il convenait que la mère du Christ tende à une pureté telle qu’on ne puisse en comprendre de plus grande après Dieu. Or, la pureté la plus grande est la pureté virginale. [Le Christ] devait donc naître d’une vierge, et non de l’union sexuelle. |
[8964] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2
qc. 1 s. c. 2 Praeterea,
sequeretur quod Christus haberet duos patres, quod nusquam invenitur. |
[2] Il en découlerait que le Christ aurait deux pères, ce qu’on ne trouve jamais. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le Christ devait-il assumer un corps issu d’un homme seulement ?] |
[8965] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod debuit assumere corpus de viro tantum. Quia reparatio debet
respondere conditioni. Sed in conditione humani generis est aliquid formatum
ex viro tantum. Ergo et sic debuit esse in reparatione. |
1. Il semble que [le Christ] devait assumer un corps issu d’un homme seulement, car la restauration doit correspondre à la création. Or, dans la création du genre humain, il y a quelque chose qui est formé à partir de l’homme seulement. De même devait-il donc en être pour la restauration. |
[8966] Super Sent., lib.
3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, generans est simile generato. Sed Christus debuit esse masculini sexus.
Ergo de masculo debuit ejus corpus assumi. |
2. Celui qui engendre est semblable à celui qui est engendré. Or, le Christ devait être de sexe masculin. Il devait donc assumer son corps à partir d’un homme seulement. |
[8967] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2
qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Christus
venit utrumque sexum salvare. Sed ipse fuit vir. Ergo debuit ex muliere carnem assumere. |
Cependant, le Christ est venu sauver les deux sexes. Or, lui-même était un homme. Il devait donc assumer sa chair à partir d’une femme. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[8968] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam
quaestionem, quod nullo modo congruebat quod per commixtionem sexuum carnem
assumeret. Primo propter
dignitatem matris, ut purissima esset, et ita virgo. Secundo propter
dignitatem patris, ut non esset alius pater sui filii. Tertio propter
dignitatem concepti: quia non decuit ut illa caro formaretur nisi a spiritu
sancto. Quarto propter unitatem personae, ad quam caro illa assumpta est. Unde decuit ut sicut per
virtutem infinitam assumpta est; ita per virtutem infinitam formaretur. Hoc autem esse non potuisset, si per
commixtionem sexus concepta fuisset: quia vel semen viri fuisset ibi pro
nihilo, vel fuisset agens in conceptione. |
Il ne convenait pas du tout que [le Christ] assume sa chair par l’union sexuelle. Premièrement, en raison de la dignité de sa mère, afin qu’elle soit la plus pure, et ainsi vierge. Deuxièmement, en raison de la dignité de son Père, pour qu’il n’y ait pas un autre père de son Fils. Troisièmement, en raison de la dignité de celui qui a été conçu, car il ne convenait pas que cette chair soit formée par un autre que l’Esprit Saint. Quatrièmement, en raison de l’unité de sa personne, pour laquelle cette chair a été assumée. Il convenait donc que, de même qu’elle a été assumée par une puissance infinie, de même elle soit formée par une puissance infinie. Or, cela n’aurait pu être le cas si elle avait été conçue par l’union sexuelle, car soit la semence de l’homme n’y aurait été pour rien, soit elle aurait été active dans la conception. |
[8969] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod debuit
fratribus assimilari in his quae non derogant dignitati ejus vel perfectioni
naturae assumptae, vel quae faciunt ad opus redemptionis. Sed hoc non est hujusmodi. |
1. Il devait ressembler à ses frères pour ce qui ne dérogeait pas à sa dignité ou à la perfection de la nature assumée, ou à ce qui contribue à l’œuvre de la rédemption. Mais cela n’est pas de cette sorte. |
[8970] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2
qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod commixtio
sexuum, quamvis possit fieri sine peccato, tamen non potest esse in statu
naturae corruptae sine vitiosa libidine, quae est principium peccati. Christus autem non venerat
reparare naturam tunc quantum ad actum naturae, quia hoc erit in
resurrectione gloriosa, sed quantum ad actum personae. |
2. Bien qu’elle puisse être accomplie sans péché, l’union sexuelle ne peut cependant exister, dans l’état de la nature corrompue, sans une convoitise viciée, qui est principe de péché. Or, le Christ n’était pas venu restaurer la nature pour ce qui est de l’acte de la nature, car cela se fera lors de la résurrection glorieuse, mais pour ce qui est de l’acte de la personne. |
[8971] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2
qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut
Christus per suam innocentiam culpam nostram abstulit; ita purissimum
oportuit esse ejus conceptum qui conceptionis vitium tollere venerat. |
3. De même que le Christ a enlevé notre faute par son innocence, de même la conception de celui qui était venu enlever ce que la conception avait de vicié devait-elle être la plus pure. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[8972] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod
decuit ut de muliere carnem assumeret. Primo ut uterque sexus glorificaretur
Christi incarnatione, ut in objectione tactum est. Secundo ad completionem
universi: quia generatio viri de muliere tantum nusquam fuerat; sed mulieris
de viro fuerat, scilicet in Eva, et viri de utroque, sicut in Abel, et aliis;
et viri de neutro, sicut in Adam. Tertio, ut naturalem habitudinem haberet ad
genus humanum: si enim ex viro fuisset non per actionem viri, non esset
filius ejus, nec naturalis nepos Abrahae; sicut est naturalis filius virginis
ex hoc solo quod carnem ab ea sumpsit. |
Il convenait qu’il assume sa chair d’une femme. Premièrement, afin que les deux sexes soient glorifiés par l’incarnation du Christ, comme on l’a abordé dans l’objection. Deuxièmement, pour l’achèvement de l’univers, car la génération d’un homme à partir d’une femme seulement ne s’était jamais produite ; mais la génération d’une femme par un homme [seulement] s’était produite, à savoir, dans le cas d’Ève, et d’un homme à partir des deux, à savoir, en Abel et chez les autres ; et la généréation d’un homme à partir d’aucun des deux, comme dans le cas d’Adam. Troisièmement, afin que [le Christ] ait un rapport naturel avec le genre humain. En effet, s’il était venu d’un homme sans action de l’homme, il ne serait pas son fils, ni le rejeton naturel d’Abraham, comme il est le fils naturel de la Vierge par le seul fait qu’il a reçu d’elle sa chair. |
[8973] Super Sent., lib.
3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non oportet quod per omnia reparatio similis
sit conditioni, sed quantum attinet ad finem reparationis. |
1. Il n’est pas nécessaire que la restauration soit en tout semblable à la création, mais pour autant qu’elle concerne la fin de la restauration. |
[8974] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod non oportet quod in sexu generans assimiletur genito, sed in
natura speciei. |
2. Il n’est pas nécessaire que celui qui engendre soit semblable par le sexe à celui qui est engendré, mais [qu’il lui ressemble] par la nature de l’espèce. |
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Expositio
textus |
Explication du texte
de Pierre Lombard, Dist. 12
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[8975] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2
qc. 2 expos. Hic
distinctione opus est. Hoc non
dicit Magister, quia locutio sit simpliciter falsa, sed ut ostendat quantum
potest habere de veritate. An de ea secundum quod potuit esse, et non
unita verbo. Patet quod hoc quod potuit esse aliter, non mutat aliquid de
veritate ejus quod est: nec ista consideratio humanae naturae, ut non unitae,
est in re, sed in intellectu tantum. Quidam arbitrantur eum potuisse
assumere hominem in femineo sexu. Hoc dicit sub dubitatione propter
inconveniens ad quod tertia opinio ducebat, ut supra, dist. 8, habitum est.
Et tamen simpliciter concedendum est, quod potuit assumere sexum femineum de
potentia absoluta loquendo; quamvis non fuisset ita congruum. |
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Distinctio 13 |
Distinction 13 –
[Ce qui convient à l’incarnation selon les deux natures]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Le Christ avait-il la grâce habituelle ?]
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Prooemium |
Prologue |
[8976] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 pr. Postquam Magister determinavit de his quae conveniunt
Deo incarnato ratione unionis, hic determinat ea quae consequuntur ipsum
secundum alteram naturarum. Et quia de his
quae conveniunt ei ratione divinae naturae, quae in incarnatione minorata non
est, determinatum est in primo Lib.; restat ut hic determinetur de his quae
conveniunt Christo secundum naturam quae per incarnationem est exaltata. Dividitur autem haec pars
in tres partes: in prima determinat de his quae cum humana natura assumpsit;
in secunda de his quae per naturam humanam operatus est, dist. 17: post
praedicta considerari oportet, utrum Christus aliquid voluerit vel oraverit
quod factum non sit; in tertia de morte quam in humana natura sustinuit,
dist. 21: post praedicta considerandum est, utrum in morte Christi a verbo
sit separata anima, vel caro. Prima dividitur in duas partes: primo
determinat de perfectionibus cum humana natura assumptis, quantum ad earum
plenitudinem; secundo per comparationem ad perfectionem divinae naturae,
dist. 14, ibi: hic
quaeri opus est, cum anima Christi esset sapiens sapientia gratuita (...)
utrum habuerit sapientiam aequalem Deo. Prima in duas: primo determinat
plenitudinem perfectionis quantum ad gratiam affectus et scientiam
intellectus, quam Christus accepit in instanti conceptionis; secundo objicit
in contrarium, ibi: huic autem sententiae videtur obviare quod in Lucae
Evangelio legitur. Et haec dividitur in duas partes: in prima objicit in
contrarium per auctoritates canonis; in secunda per auctoritates sanctorum,
ibi: alibi tamen scriptum reperitur quod secundum sensum hominis profecerit.
Circa primum tria facit: primo facit objectionem; secundo solvit eam, ibi: ad
quod sane dici potest; tertio solutionem per auctoritatem confirmat et
explanat, ibi: unde Gregorius in quadam homilia ait. Alibi tamen scriptum
est. Hic objicit per auctoritatem Ambrosii, et tria facit: primo ponit
auctoritatem; secundo exponit et ostendit quomodo proposita auctoritate
partim aedificatur fides, partim potest sumi errandi materia, ibi: sed
verba Ambrosii pia diligentia inspicienda sunt; tertio ostendit quomodo
exponenda sit, ne error inde sequatur, ibi: sed ex qua causa illius dicti
intelligentia (...) assumenda est ? Hic incipit quaestio de gratia
Christi, quia de scientia ejus in sequenti distinctione quaeretur; et
quaeruntur tria. Primo de
gratia ejus secundum quod est singularis homo. Secundo de gratia, secundum
quod est caput Ecclesiae. Tertio de gratia unionis. Circa primum quaeruntur
duo: 1 utrum in eo sit gratiam habitualem ponere, qua anima ejus perficiebatur,
quae dicitur singularis hominis; 2 de plenitudine illius gratiae. |
Après avoir déterminé de ce qui convient au Dieu incarné en raison de l’union, le Maître détermine ici de ce qui découle chez lui selon l’une ou l’autre des natures. Et parce qu’on a déterminé dans le livre I de ce qui lui convient en raison de la nature divine, qui n’a pas été diminuée par l’incarnation, il reste à déterminer ici de ce qui convient au Christ selon la nature qui a été élévée par l’incarnation. Or, cette partie se divise en trois parties : dans la première, il détermine de ce qu’il a assumé avec la nature humaine ; dans la deuxième, de ce qu’il a réalisé par la nature humaine, d. 17 : « Après ce qui a été dit, il faut se demander si le Christ a voulu ou a prié [pour quelque chose] qui ne s’est pas réalisé » ; dans la troisième, [il détermine] de la mort qu’il a supportée en sa nature humaine, d. 21 : « Après ce qui a été dit, il faut se demander si l’âme ou la chair a été séparée du Verbe dans la mort du Christ. » La première partie se divise en deux parties : premièrement, il détermine des perfections assumées avec la nature humaine, du point de vue de leur plénitude ; deuxièmement, par comparaison avec la perfection de la nature divine, d. 14, à cet endroit : « Il fait se demander ici, puisque l’âme du Christ était sage d’une sagesse gratuite…, si elle avait une sagesse égale à Dieu. » La première partie se divise en deux : premièrement, il détermine de la plénitde de la perfection, reçue par le Christ à l’instant de sa conception, pour ce qui est de la grâce de la partie affective et de la science de l’intellect, que le Christ a reçues à l’instant de sa conception ; deuxièmement, il présente une objection en sens contraire, à cet endroit : « À cette position semble s’opposer ce qu’on lit dans l’évangile de Luc. » Cette partie se divise en deux : dans la première, il présente une objection en sens contraire selon des autorités du canon ; dans la seconde, selon des autorités des saints, à cet endroit : « Cependant, il est écrit ailleurs qu’il a progressé selon le jugement de l’homme. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il présente une objection ; deuxièmement, il la résoout, à cet endroit : « À cela, on peut assurément répondre… » ; troisièment, il confirme et explique la solution par une autorité, à cet endroit : « Aussi Grégoire dit-il dans une homélie… » « Cependant, il est écrit ailleurs… » Ici, il présente une objection qui vient d’une autorité d’Ambroise, et il fait trois choses : premièrement, il présente l’autorité ; deuxièmement, il explique et montre comment la foi est partiellement édifiée par l’autorité invoquée, et comment elle peut devenir matière à erreur, à cet endroit : « Mais les paroles d’Ambroise doivent être examinées avec un soin pieux » ; troisièmement, il montre qu’elle doit être interprétée afin qu’il n’en découle pas une erreur, à cet endroit : « Mais comment faut-il interpréter cette parole ? » Ici débute la question sur la grâce du Christ, car on examinera sa science dans la distinction suivante. Trois questions sont posées. Premièrement, à propos de sa grâce en tant qu’homme particulier. Deuxièmement, à propos de sa grâce en tant que tête de l’Église. Troisièmement, à propos de la grâce d’union. À propos du premier point, deux questions sont posées : 1 – Faut-il affirmer en lui la grâce habituelle, par laquelle son âme, dont on dit qu’elle est celle d’un homme particulier, était perfectionnée ? 2 – À propos de la plénitude de cette grâce. |
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Articulus 1 [8977] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1
tit. Utrum in
Christo fuerit gratia habitualis perficiens animam ejus |
Article 1 – Y avait-il dans le Christ une grâce habituelle perfectionnant son âme ? |
[8978] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod in Christo gratia dicta non fuerit. Sicut enim se habet filiatio
adoptionis ad filiationem naturalem; ita se habet bonitas gratuita ad
bonitatem naturalem. Sed Christus,
sicut ex unione habuit quod esset filius naturalis, ita habuit quod esset
naturaliter bonus. Ergo sicut non ponitur in eo filiatio adoptionis; ita non
debet poni bonitas gratuita. |
1. Il semble que ladite grâce n’existait pas dans le Christ. En effet, le rapport entre la filiation par adoption et la filiation naturelle est le même que celui de la bonté gratuite par rapport à la bonté naturelle. Or, de même que le Christ a obtenu par l’union d’être le Fils naturel, de même a-t-il eu d’être bon naturellement. De même qu’on n’affirme pas en lui de filiation par adoption, de même ne doit-on donc pas affirmer une bonté gratuite. |
[8979] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1
arg. 2 Praeterea, gratia datur hominibus ut
assimilentur Deo. Sed Christus nunquam fuit dissimilis Deo. Ergo gratia nunquam indiguit. |
2. La grâce est donnée à l’homme pour qu’il soit assimilé à Dieu. Or, le Christ n’a jamais été dissemblable de Dieu. Il n’a donc jamais eu besoin de la grâce. |
[8980] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1
arg. 3 Praeterea, ubi
est lux solis, non indigetur lumine candelae: quia major lux offuscat minorem.
Sed in Christo fuit lux divinitatis, quasi lux solaris. Ergo non oportuit in
eo ponere lumen gratiae. |
3. Là où existe la lumière du soleil, la lumière d’une bougie n’est pas nécessaire, car une lumière plus grande obscurcit une lumière plus faible. Or, la lumière de la divinité, qui est comme la lumière solaire, existait chez le Christ. Il n’était donc pas nécessaire d’affirmer en lui la lumière de la grâce. |
[8981] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1
arg. 4 Praeterea, Damascenus dicit, quod
sicut anima regit carnem, et operatur per eam sicut per instrumentum, ita
divinitas regebat animam Christi. Sed instrumentum non indiget aliquo habitu quo regatur in opere, quia
regitur per agens principale. Ergo et anima Christi non indigebat habitu. |
4. [Jean] Damascène dit que, « de même que l’âme dirige la chair et agit par elle comme par un instrument, de même la divinité dirigeait-elle l’âme du Christ ». Or, l’instrument n’a pas besoin d’un habitus pour être dirigé dans l’action, car il est dirigé par l’agent principal. L’âme du Christ n’avait donc pas besoin d’un habitus. |
[8982] Super Sent., lib. 3 d.
13 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, gratia ad hoc datur hominibus, ut per eam peccatum vitetur,
et gloria adipiscatur. Sed ex hoc ipso quod Christus fuit Deus, habuit quod
peccare non posset, ut in praecedenti distinctione dictum est; et iterum
habuit plenum jus in gloria divina, ut dictum est distinct. 10. Ergo gratia
non indiguit. |
5. La grâce est donnée aux hommes pour que, par elle, le péché soit évité et la gloire, obtenue. Or, du fait même que le Christ était Dieu, il était dans l’état de ne pouvoir pécher, comme on l’a dit dans la distinction précédente ; de plus, il possédait un plein droit à la gloire divine, comme l’a dit à la distinction 10. Il n’avait donc pas besoin de la grâce. |
[8983] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1
s. c. 1 Sed contra, sicut anima est perfectio corporis ita gratia est
perfectio animae. Sed non minus debuit habere animam perfectam quam corpus perfectum.
Ergo sicut assumpsit corpus cum anima, ita assumere debuit animam cum gratia. |
Cependant, [1] de même que l’âme est la perfection du corps, de même la grâce est-elle la perfection de l’âme. Or, [le Christ] ne devait pas avoir une âme moins parfaite qu’un corps parfait. De même qu’il a assumé un corps avec une âme, de même devait-il donc assumer une âme avec la grâce. |
[8984] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1
s. c. 2 Praeterea, omne meritum est per
gratiam. Sed Christus meruit sibi et nobis, ut infra, dist. 18, dicetur. Ergo ipse
habuit gratiam. |
[2] Tout mérite vient de la grâce. Or, le Christ a mérité pour lui-même et pour nous, comme on le dira à la d. 18. Il avait donc la grâce. |
[8985] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1
s. c. 3 Praeterea, de ipso in Psal. 44, 3, dicitur: diffusa est gratia in
labiis tuis; et vers. 8: unxit te oleo laetitiae: quae omnia gratiam in ipso
ostendunt. Ergo et ipse habuit gratiam. |
[3] Il est dit de lui dans le Ps 44, 3 : La grâce s’est répandue sur tes lèvres, et au v. 8 : Il t’a oint d’une huile d’allégresse. Tout cela montre en lui la grâce. Donc, lui aussi avait la grâce. |
[8986] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod
gratia principaliter duo facit in anima. Primo enim perficit ipsam formaliter in esse
spirituali, secundum quam Deo similatur; unde et vita animae dicitur. Secundo perficit eam ad
opus, secundum quod a gratia emanant virtutes sicut vires ab essentia: quia
non potest esse operatio perfecta, nisi progrediatur a potentia perfecta per
habitum. Et propter haec duo oportet ponere gratiam in anima Christi: quia
cum sit perfectissima in esse spirituali, oportet quod sit aliquid perficiens
illam formaliter in esse illo. Deitas autem non est formaliter, sed effective
perficiens ipsam; unde oportet aliam formam creatam in ipso ponere, qua
formaliter perficiatur; et haec est gratia. Similiter etiam cum alia sit ejus
operatio secundum humanitatem et secundum divinitatem, sicut et alia natura,
oportet quod operatio ejus humana habeat habitum perficientem; alias esset
imperfecta: et ideo in Christo oportet ponere gratiam et virtutes. |
Réponse. La grâce fait principalement deux choses dans l’âme. En effet, en premier lieu, elle la perfectionne comme une forme dans l’existence spirituelle, par laquelle elle est rendue semblable à Dieu ; aussi est-elle appelée la vie de l’âme. Deuxièmement, elle la perfectionne en vue de l’action, selon que des vertus émanent de la grâce comme les puissances [émanent] de l’essence, car il ne peut y avoir d’action parfaite si elle ne provient pas d’une puissance perfectionnée par un habitus. Pour ces deux raisons, il faut affirmer la grâce dans l’âme du Christ, car, puisqu’elle est la plus parfaite dans l’existence spirituelle, il est nécessaire qu’il y ait quelque chose qui la perfectionne comme une forme dans cette existence. Or, la divinité ne la perfectionne pas comme une forme, mais elle la perfectionne par mode d’efficience. Aussi est-il nécessaire de placer une autre forme créée en elle, par laquelle elle est perfectionnée. Telle est la grâce. De même aussi, puisque son action selon l’humanité est différente de son action selon la divinité, comme une autre nature, il est nécessaire que son action humaine possède un habitus qui la perfectionne, autrement elle serait imparfaite. Aussi faut-il reconnaître dans le Christ la grâce et les vertus. |
[8987] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1
ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod filiatio
refertur ad personam; et quia extraneitas respectu divinae gloriae, quam
nomen adoptionis importat, nullo modo convenit personae illi, ideo nomen
adoptionis de Christo non conceditur. Sed gratia est perfectio naturae, cum
subjectum ejus sit anima quae est pars humanae naturae; ideo quamvis gratia
importet aliquid etiam non naturaliter inhaerens, tamen potest ratione
humanae naturae Christo convenire. |
1. La filiation se rapporte à la personne. Et parce que le fait d’être étranger à la gloire divine, que comporte le mot « adoption », ne convient d’aucune manière à cette personne, le mot « adoption » n’est donc pas reconnu au Christ. Mais la grâce est une perfection de la nature, puisque son sujet est l’âme qui est une partie de la nature humaine. Aussi, bien que la grâce comporte aussi quelque chose qui n’est pas inhérent naturellement, elle peut convenir au Christ en raison de la nature humaine. |
[8988] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1
ad 2 Ad secundum dicendum, quod gratiae est
facere Deo similem: nec oportet ut de dissimili faciat similem, sed de non
simili similem: nec ita quod semper negatio similitudinis similitudinem tempore
praecedat, sed natura; sicut potentia est ante actum, et sicut sol praecedit
lucem suam. |
2. Il revient à la grâce de rendre semblable à Dieu, et il n’est pas nécessaire qu’elle rende semblable ce qui est dissemblable, mais semblable ce qui n’est pas semblable. De même [n’est-il pas nécessaire] que la négation de la ressemblance précède dans le temps la ressemblance, mais par nature, comme la puissance existe avant l’acte, et comme le soleil précède sa lumière. |
[8989] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1
ad 3 Ad tertium dicendum, quod lux solis et lux candelae, utrumque est active
illuminans; sed deitas et gratia non sic se habent; sed unum illuminat
active, alterum formaliter; et ideo sicut solem et lumen solis in aere
necesse est esse simul, et unum alterum efficit, et non offuscat; ita ex
divinitate Christi sequitur ipsa gratia, et non offuscatur. |
3. La lumière du soleil et la lumière de la bougie illuminent toutes deux de manière active. La divinité et la grâce n’ont cependant pas le même rapport, car l’une illumine activement et l’autre, à la manière d’une forme. C’est pourquoi, de même qu’il est nécessaire que le soleil et la lumière du soleil soient dans l’air simultanément, et que l’un produise l’autre et ne l’obscurcisse pas, de même la grâce elle-même découle-t-elle de la divinité du Christ et n’est pas obscurcie. |
[8990] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1
ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut
philosophus dicit, duplex est instrumentum, scilicet animatum et inanimatum:
inanimatum sicut securis; animatum sicut servus qui movetur ad imperium domini.
Instrumentum ergo inanimatum ita agitur quod non agit; et dicitur inanimatum
anima rationali; et ideo non indiget habitu regente in operatione: sed
instrumentum animatum agit et agitur; unde sicut servus indiget habitu ad hoc
ut imperium domini sui debito modo exequatur; ita etiam anima Christi ad hoc
quod perfecte divina operaretur. |
4. Comme le dit le Philosophe, il existe deux instruments : l’animé et l’inanimé, l’inanimé, comme la scie, l’animé, comme le serviteur qui est mû par le commandement du maître. L’instrument inanimé est donc mû sans agir (on l’appelle inanimé par rapport à l’âme raisonnable). Aussi n’a-t-il pas besoin d’un habitus pour le diriger dans son opération. Mais l’instrument animé agit et est mû. De même donc que le serviteur a besoin d’un habitus pour exécuter de manière appropriée le commandement du maître, de même aussi l’âme du Christ [en a-t-elle besoin] pour accomplir parfaitement les choses divines. |
[8991] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1
ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut omnis
forma est per se ordinata ad perficiendum (quod autem abjiciat contrarium,
est ei per accidens); ita etiam est de gratia respectu peccati. Unde quamvis
Christus nunquam peccaverit, nec peccare potuisset, etiam si gratiam
habitualem non habuisset ex unione ad verbum, tamen gratia indiguit ad
perfectionem, ut dictum est; et iterum, quamvis ex hoc ipso quod Deus erat,
sibi gloria debebatur, tamen oportuit quod esset aliquid formaliter
perficiens ipsam animam ad actus gloriae; et haec fuit gratia: quia gratia
consummata in anima, est idem quod gloriae lumen, et etiam perficiens eam ad
actus viae. |
5. Comme toute forme est ordonnée par elle-même à perfectionner (qu’elle rejette ce qui lui est contraire relève d’elle par accident), de même en est-il aussi de la grâce par rapport au péché. Bien que le Christ n’ait jamais péché et n’aurait pas pu pécher en vertu de l’union au Verbe, même s’il n’avait pas eu la grâce habituelle, il avait cependant besoin de la grâce comme perfection, ainsi qu’on l’a dit. De plus, bien que, du fait même qu’il était Dieu, la gloire lui était due, il était cependant nécessaire qu’il existe quelque chose qui perfectionne comme une forme son âme elle-même en vue des actes de la gloire. Telle était la grâce, car la grâce achevée dans l’âme est la même chose que la lumière de la gloire, et elle la perfectionne aussi pour les actes du cheminement. |
Articulus 2 [8992] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
tit. Utrum Christus
habuerit gratiae plenitudinem |
Article 2 – Le Christ a-t-il possédé la plénitude de la grâce ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il possédé la plénitude de la grâce ?] |
[8993] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur, quod Christus non habuit gratiae plenitudinem. Christus
enim non habuit fidem nec spem, sicut infra, dist. 26, qu. 2, art. 3,
determinabitur: nec iterum poenitentiam, quia nunquam peccavit. Sed haec
omnia ad gratiam pertinent. Ergo ipse non habuit gratiae plenitudinem. |
1. Il semble que le Christ n’ait pas possédé la plénitude la grâce. En effet, le Christ n’a pas eu la foi ni l’espérance, comme on le précisera plus loin, d. 26, q. 2, a. 3 ; il n’a pas eu non plus la pénitence, car il n’a jamais péché. Or, tout cela se rapporte à la grâce. Il n’a donc pas possédé la plénitude de la grâce. |
[8994] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
qc. 1 arg. 2 Praeterea, philosophus dicit, quod
virtutes morales non sunt in diis. Sed Christus fuit verus Deus. Ergo non habuit virtutes
morales, scilicet temperantiam et cetera. |
2. Le Philosophe dit que les vertus morales n’existent pas chez les dieux. Or, le Christ était vrai Dieu. Il n’a donc pas eu les vertus morales, à savoir, la tempérance, etc. |
[8995] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, virtutes
ordinantur ad actum. Sed actus quarumdam virtutum Christo non conveniunt, sicut
magnificentia, quae consistit in magnis sumptibus, quia pauper pro nobis
factus est. Ergo non
habuit omnes virtutes; et ita nec gratiae plenitudinem. |
3. Les vertus sont ordonnées aux actes. Or, les actes de certaines vertus ne conviennent pas au Christ, comme la magnificence, qui consiste dans de grandes dépenses, puisqu’il s’est fait pauvre pour nous. Il n’a donc pas eu toutes les vertus morales, et donc non plus la plénitude de la grâce. |
[8996] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
Joan. 1, 14: vidimus eum plenum gratiae et veritatis. |
Cependant, [1] Jn 1, 14 dit : Nous l’avons vu plein de grâce et de vérité. |
[8997] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, major gratia
fuit in Christo quam in aliquo alio homine. Sed de quibusdam aliis legitur, quod fuerunt gratia pleni, sicut de
matre ejus Luc. 1, et de Stephano Act. 6. Ergo multo magis Christus habuit gratiae
plenitudinem. |
[2] La grâce a été plus grande chez le Christ que chez un autre homme. Or, on lit de certains autres hommes qu’ils furent remplis de grâce, comme c’est le cas de sa mère, Lc 1, et d’Étienne, Ac 6. À bien plus forte raison, donc, le Christ a-t-il eu la plénitude de la grâce. |
[8998] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 3 Praeterea, spiritus
sanctus in homine per gratiam inhabitare dicitur. Sed Luc. 3 dicitur quod Christus plenus spiritu sancto regressus est a
Jordane. Ergo ipse habuit gratiae plenitudinem. |
[3] On dit que le Saint-Esprit habite dans l’homme par la grâce. Or, il est dit en Lc 3 que le Christ revint du Jourdain rempli de l’Esprit Saint. Il avait donc la plénitude la grâce. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La grâce du Christ était-elle infinie ?] |
[8999] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod gratia ejus fuerit infinita. Joan. 3, dicitur quod non ad
mensuram dat ei Deus spiritum sanctum. Sed omne finitum mensuram habet. Ergo
cum spiritus sanctus dicatur dari hominibus secundum quod gratiam accipiunt,
videtur quod gratia ejus fuerit infinita. |
1. Il semble que sa grâce ait été infinie. Il est dit en Jn 3 que Dieu ne lui mesure pas l’Esprit Saint. Or, tout ce qui est fini a une mesure. Puisqu’on dit que les hommes reçoivent l’Esprit Saint par la grâce, il semble donc que sa grâce ait été infinie. |
[9000] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
omni finito potest aliquid majus intelligi, et Deus aliquid majus facere. Sed
in littera dicitur, quod Deus illi majorem gratiam conferre non potuit, nec
potest plenior intelligi. Ergo est infinita. |
2. On peut comprendre quelque chose de plus grand, et Dieu peut faire quelque chose de plus grand que tout ce qui est fini. Or, il est dit dans le texte que Dieu ne pouvait lui donner une plus grande grâce, et qu’on ne peut en comprendre de plus grande. Elle est donc infinie. |
[9001] Super Sent., lib. 3 d.
13 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, omne finitum multoties sumptum, aequatur alteri finito, vel
excedit ipsum. Si ergo gratia Christi fuit finita, tunc gratia alterius
hominis posset tantum augeri quod aequaretur gratiae Christi, vel excederet
ipsam; quod est inconveniens. Ergo gratia Christi est infinita. |
3. Tout ce qui est fini, si on le prend plusieurs fois, est égal à une autre chose qui est finie ou la dépasse. Si la grâce du Christ était finie, la grâce d’un autre homme pourrait donc être augmentée jusqu’à égaler la grâce du Christ ou à la dépasser, ce qui est inappropriée. La grâce du Christ est donc infinie. |
[9002] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 4 Praeterea, a
causa finita non est effectus infinitus. Sed meritum Christi fuit infinitum,
quia sufficiens ad redemptionem totius humani generis, quod est infinitum
potentia. Ergo et gratia, quae est causa meriti, fuit infinita. |
4. Un effet infini ne vient pas d’une cause finie. Or, le mérite du Christ était infini puisqu’il a suffi à la rédemption de tout le genre humain, qui est infini en puissance. Donc, la grâce aussi, qui est la cause du mérite, était infinie,. |
[9003] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
qc. 2 s. c. 1 Sed contra, nullum
creatum est infinitum. Sed gratia Christi fuit creata. Ergo non fuit infinita. |
Cependant, [1] rien de créé n’est infini. Or, la grâce du Christ était créée. Elle n’était donc pas infinie. |
[9004] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
qc. 2 s. c. 2 Praeterea,
nullo infinito est aliquid majus. Si igitur Christus, secundum quod homo,
habuisset gratiam infinitam; secundum quod homo, non fuisset minor patre,
quod est contra fidem. |
[2] Rien n’est plus grand que l’infini. Si donc le Christ, en tant qu’homme, avait eu une grâce infinie, en tant qu’homme, il n’aurait pas été inférieur au Père, ce qui est contraire à la foi. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Cette grâce pouvait-elle être augmentée ?] |
[9005] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod gratia illa potuerit augmentari. Omni
enim finito possibilis est additio. Si ergo gratia Christi finita fuit, quia
creata est, potuit ei fieri additio; et ita potuit augeri. |
1. Il semble que cette grâce ne pouvait pas être augmentée. En effet, une addition à tout ce qui est fini est possible. Si donc la grâce du Christ était finie parce qu’elle était créée, une addition pouvait lui être faite. Elle pouvait ainsi être augmentée. |
[9006] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
qc. 3 arg. 2 Praeterea,
quantumcumque additur intellectuali naturae de perfectione, tanto magis
augetur ejus capacitas; unde secundum philosophum in 3 de anima, quanto
intellectus magis intelligit difficilia, plus etiam potest intelligere. Sed
capacitas amplioris gratiae facit possibilitatem ad augmentum. Ergo
quantumcumque homo habeat perfectam gratiam, remanet possibilitas ad
augmentum; et ita videtur quod Christus potuit proficere in gratia. |
2. Plus grande est la perfection ajoutée à une puissance intellectuelle, plus sa capacité est augmentée. Ainsi, selon le Philosophe, Sur l’âme, III, plus l’intellect comprend des choses difficiles, plus aussi il peut comprendre. Or, la capacité d’une grâce plus grande rend possible une augmentation. Donc, autant un homme a une grâce parfaite, il reste une possibilité de l’augmenter. Et ainsi, il semble que le Christ pouvait croître en grâce. |
[9007] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
qc. 3 arg. 3 Praeterea,
missio visibilis est signum missionis invisibilis. Sed ad Christum facta est
visibilis missio spiritus sancti in trigesimo anno, ut supra, Luc. 3. Ergo
tunc fuit ei facta invisibilis missio spiritus sancti. Sed spiritus sanctus
non mittitur visibiliter ad aliquem nisi ratione novae gratiae datae, vel
ratione augmenti gratiae. Ergo Christus crevit in gratia, cum primum gratiam
habuerit. |
3. Une mission
visible est le signe d’une mission invisible. Or, une mission visible de l’Esprit
Saint a été adressée au Christ en sa trentième année, Lc 3, comme on l’a
dit plus haut. Une mission invisible de l’Esprit Saint lui a donc alors été
faite. Or, l’Esprit Saint n’est envoyé visiblement à quelqu’un qu’en raison du
don d’une nouvelle grâce ou en raison de l’augmentation de la grâce. Le
Christ a donc crû en grâce, alors qu’il possédait auparavant la grâce. |
[9008] Super Sent., lib.
3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, sicut requirebatur in ipso perfectio
animae, ita et
perfectio corporis. Sed ipse crevit in perfectione corporis. Ergo et crevit quantum ad gratiam, quae est perfectio
animae. |
4. De même qu’était nécessaire chez lui la perfection de l’âme, de même la perfection du corps. Or, il a crû dans la perfection de son corps. Il a donc crû en grâce, qui est la perfection de l’âme. |
[9009] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
qc. 3 s. c. 1 Sed contra est
quod dicit Hieremias 31, 22: mulier circumdabit virum: ubi dicunt
sancti, quod Christus ab initio conceptionis fuit plenus omni gratia. Ergo gratia non crevit in
ipso. |
Cependant, [1] Jr 31, 32 dit en sens contraire : La femme entourera l’homme. À cet endroit, les saints disent que le Christ fut rempli de toute grâce dès le début de sa conception. La grâce n’a donc pas augmenté chez lui. |
[9010] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Christus
fuit ab instanti conceptionis suae perfectus comprehensor. Sed comprehensores
sunt in statu, non in augmento gratiae. Ergo gratia in ipso non crevit. |
[2] Le Christ a été un parfait comprehensor dès l’instant de sa conception. Or, les comprehensores sont dans un état, et non en accroissement de grâce. La grâce n’a donc pas augmenté chez lui. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[9011] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem,
quod illud plene haberi dicitur quod secundum omnes differentias et modos et
effectus suos habetur; et secundum hoc Christus plenitudinem gratiae habuit.
Haec autem plenitudo potest attendi secundum rationem causae finalis,
efficientis et formalis. Finis autem gratiae est ut conjungat nos Deo. Quia
igitur Christus, secundum quod homo, conjunctus fuit divinitati non solum per
cognitionem, amorem et fruitionem, sed etiam per unionem in persona; ideo
gratia ipsius plenissime consecuta est finem suum. Et haec est plenitudo
causae finalis. Item videmus quod aliquid habet lucem corporalem tantum ut
luceat, sicut quidam vermes, et putredines quercus, vel carbunculus; aliquid
autem ut alia illuminet, sicut lumen candelae; aliquid autem ut omnis
illuminatio ab eo sit, sicut est de sole. Ita etiam est et de gratia Christi:
quia ipse habet gratiam per quam in se perfectus est, et ex ipso in alios
redundat: et eorum in quos redundat, quosdam facit cooperatores Dei, ut et
ipsi alios per ministerium ad gratiam inducant, ut dicitur 1 Cor. 3: et
iterum ex ipso in omnes redundat, quia de plenitudine ejus omnes accepimus;
Joan. 1, 16. Et haec est plenitudo causae efficientis. Similiter etiam aliqui
formaliter gratia perfecti sunt quantum ad omnes virtutes, et quantum ad
expulsionem omnium peccatorum mortalium. Et haec est plenitudo sufficientiae,
quae fuit in Stephano et aliis sanctis, secundum quod aliquis impletur Deo, ita
ut nihil in eo a Deo aversum maneat. In tota autem Ecclesia est plenitudo
copiae: quia nulla gratiarum ei deest, quin sit in aliquo membrorum suorum:
de qua plenitudine dicitur Ephes. 4, 16: ut impleret omnia. Alicui
etiam data est gratia quae non solum omnia mortalia, sed etiam venialia
repelleret. Et haec est plenitudo specialis praerogativae, quae fuit in beata
virgine, secundum quam plena Deo fuit, ut nihil in ea esset quod ad Deum non
ordinaretur. Sed Christo ulterius data est gratia perficiens ipsum, non solum
quantum ad omnes virtutes, sed etiam quantum ad omnes usus virtutum, et
quantum ad omnes effectus gratiae gratis datae, et iterum ad omnis peccati
remotionem, non solum actualis, sed etiam originalis, et potentiae peccandi.
Et haec est plenitudo Christi singularis secundum rationem causae formalis. Prima igitur plenitudo
respicit gratiam unionis; secunda gratiam capitis; tertia gratiam singularem
ipsius. |
On dit que quelque chose est possédé pleinement lorsque cela est possédé avec tous ses différences, ses modes et ses effets. Sous cet aspect, le Christ a possédé la plénitude de la grâce. Or, cette plénitude peut être envisagée selon la raison de la cause finale, de la cause efficiente et de la cause formelle. La fin de la grâce est de nous unir à Dieu. Parce que le Christ, en tant qu’homme, était uni à la divinité, non seulement par la connaissance, l’amour et la jouissance (fruitio), mais aussi par l’union dans sa personne, sa grâce a donc atteint sa fin de la manière la plus plénière. Telle est la plénitude de la cause finale. De même, nous voyons qu’une chose possède la lumière corporelle pour luire seulement, comme certains vers, les pourritures de chêne et le charbon, mais qu’une autre chose [la possède] pour éclairer d’autres choses, comme la lumière de la bougie ; une autre encore, pour que tout éclairage vienne d’elle, comme c’est le cas du soleil. Il en est de même de la grâce du Christ, car il possède la grâce par laquelle il est parfait en lui-même, et celle-ci rejaillit sur les autres à partir de lui. Parmi ceux sur lesquels elle rejaillit, il en rend certains coopérateurs de Dieu, afin qu’eux-mêmes, par leur ministère, en conduisent d’autres à la grâce, comme il est dit en 1 Co 3 ; de plus, elle rejaillit sur tous à partir de lui, car nous avons tous reçu de sa plénitude, Jn 1, 16. Telle est la plénitude de la cause efficiente. De même encore, certains ont été perfectionnés par la grâce comme par une forme pour ce qui est de toutes les vertus et du rejet de tous les péchés mortels. Telle est la plénitude de suffisance, qui existait chez Étienne et d’autres saints, par laquelle quelqu’un est comblé par Dieu, de telle sorte qu’il ne reste en lui rien qui soit détourné de Dieu. Mais, dans l’Église entière, il existe une plénitude d’abondance, car aucune grâce ne lui fait défaut, qui ne se trouve dans l’un de ses membres. Il est question de cette plénitude dans Ep 4, 16 : Afin de remplir tout. La grâce a aussi été donnée à quelqu’un pour chasser non seulement tous les péchés mortels, mais aussi les péchés véniels. C’est là une plénitude privilégiée, qui existait chez la bienheureuse Vierge parce qu’elle était remplie de Dieu, de telle sorte qu’il n’existait en elle rien qui ne fût ordonné à Dieu. Mais au Christ a été en plus donnée la grâce qui le perfectionnait lui-même, non seulement pour toutes les vertus, mais aussi pour tous les usages des vertus et pour tous les effets des charismes, et aussi pour écarter tout péché, non seulement actuel, mais encore originel, ainsi que la capacité de pécher. Telle est la plénitude singulière du Christ en raison de la cause formelle. La première plénitude concerne donc la grâce d’union ; la deuxième, la grâce de la tête ; la troisième, sa grâce singulière. |
[9012] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illae
virtutes habent aliquid perfectionis, et hoc in Christo praecipue est; et
aliquid imperfectionis, et secundum hoc Christo non conveniunt. Sed hoc infra melius
patebit. |
1. Ces vertus ont quelque chose de la perfection,, et cela se trouve surtout chez le Christ ; elles ont aussi quelque chose de l’imperfection, et, sous cet aspect, elles ne conviennent pas au Christ. Mais cela apparaîtra plus clairement plus loin. |
[9013] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virtutes
morales Christo non conveniunt quantum ad usus quosdam qui in nobis sunt,
sicut quod per eas domantur passiones quibus caro contra spiritum concupiscit,
quod in Christo non fuit; sed quantum ad alios usus, secundum quos erunt in
patria, plenissime fuerunt in Christo; et etiam quantum ad quosdam usus viae,
qui ejus perfectioni non derogabant, inquantum erat viator et comprehensor. |
2. Les vertus morales ne conviennent pas
au Christ selon certains usages qui existent chez nous, comme le fait que,
par elles, les passions sont domptées, par lesquelles le désir de la chair va
à l’encontre de l’esprit, ce qui n’existait pas chez le Christ. Mais, pour d’autres
usages, qui existeront dans la patrie, elles existaient de la manière la plus
complète chez le Christ, et aussi pour certaines usages en cours de
cheminement, qui ne dérogeaient pas à sa perfection, dans la pour autant qu’il
était viator et comprehensor. |
[9014] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non est de
necessitate magnificentiae, secundum quod a philosopho accipitur, quod homo
habeat multas divitias; sed ut sit sic dispositus, quod quando oportet et decet,
optime eas dispensare velit: et hoc in Christo perfecte fuit. |
3. Il n’est pas nécessaire pour la magnificence, comme elle est comprise par le Philosophe, qu’un homme ait de grandes richesses, mais qu’il soit ainsi disposé que, lorsque cela est nécessaire et convient, il veuille les dispenser au mieux. Et cela existait parfaitement chez le Christ. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[9015] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam
quaestionem dicendum, quod gratia dicitur donum gratis homini collatum. Donum autem hujusmodi Christo sine meritis
praecedentibus collatum fuit, et creatum, et increatum. Increatum fuit ipse
spiritus sanctus, quia in ejus anima requievit, ut dicitur Isaiae 2: et ipsa
persona verbi, quia datum est naturae humanae ut persona verbi esset ejus; et
secundum hoc est datum ei nomen quod est super omne nomen, Philip. 2, et sic
simpliciter gratia Christi est infinita. Creatum autem donum ejus est ipsa
gratia, qua formaliter anima ejus perficiebatur: et haec quodam modo fuit
finita, et quodam modo infinita: quia secundum essentiam finita fuit; sed tribus
modis infinita dici potest. Uno modo ex conjunctione ad divinitatem inquantum
concurrit ad eumdem actum cum ipsa, ut actus gratia illa informatus non
tantum sit actus hominis, sed etiam Dei. Secundo quantum ad rationem gratiae.
In his enim quae mole magna non sunt, non est accipere finitum et infinitum
secundum numeralem vel dimensivam quantitatem, sed secundum aliquid quod est
limitatum et non limitatum. Limitatur autem aliquid ex capacitate
recipientis; unde illud quod non habet esse receptum in aliquo, sed
subsistens, non habet esse limitatum, sed infinitum, sicut Deus. Si autem
esset aliqua forma simplex subsistens quae non esset suum esse, haberet
quidem finitatem quantum ad esse, quod esset particulatum ad formam illam;
sed illa forma non esset limitata, quia non esset in aliquo recepta; sicut si
intelligatur calor per se existens. Sed secundum hoc etiam formae universales
intellectae habent infinitatem. Sed si forma talis sit recepta in aliquo, de
necessitate limitata est quantum ad esse debitum illi formae, non solum
quantum ad esse simpliciter: quia non solum non habet plenitudinem essendi
simpliciter, sed totum esse, quod naturae illius est possibile fore. Sed
possibile est ut non sit limitata quantum ad rationem illius formae, ut scilicet
habeat illam formam secundum omnem modum completionis ipsius, ut nihil sibi
desit de pertinentibus ad perfectionem illius formae; et hoc erit, si ex
parte recipientis non sit defectus, vel ex parte agentis. Et hoc modo dicitur
gratia Christi infinita: quia quidquid ad gratiae perfectionem pertinere
potest, totum in Christo fuit. Tertio quantum ad effectus: quia non limitatur
ad aliquos determinatos effectus, sed potest per gratiam infinitis operari
redemptionem; sicut dicitur in Lib. de causis, quod virtus intelligentiae est
infinita inferius. Et hic modus respicit gratiam capitis; secundus autem
gratiam singularis hominis; sed primus gratiam unionis. |
La grâce signifie un don gratuitement conféré à l’homme. Or, un tel don, créé et incréé, a été conféré au Christ sans mérites préalables. Le don incréé était l’Esprit Saint lui-même, car il a reposé dans son âme, comme le dit Is 2, ainsi que la personne même du Verbe, car il a été donné à la nature humaine que la personne du Verbe soit sienne. Comme tel, un nom qui est au-dessus de tout nom lui a été donné, Ph 2, et ainsi la grâce du Christ est simplement infinie. Mais le don créé qui est le sien est la grâce elle-même, par laquelle son âme est perfectionnée comme par une forme. Celle-ci était d’une certaine manière finie et d’une certaine manière infinie, car, selon son essence, elle était finie, mais on peut dire qu’elle est infinie de trois manières. D’une manière, en raison de l’union à la divinité, pour autant qu’elle concourt au même acte que celle-ci, de sorte que l’acte qui a la forme de cette grâce ne soit pas seulement l’acte d’un homme, mais aussi celui de Dieu. Deuxièmement, quant à la raison de la grâce. En effet, pour ce qui n’a pas un grand poids, on ne considère pas le fini et l’infini selon la quantité numérique ou dimensionnelle, mais selon quelque chose qui est limité et non limité. Or, une chose est limitée en raison de la capacité de ce qui reçoit. Aussi ce qui ne possède pas un être reçu dans quelque chose, mais un être subsistant, n’a pas un être limité, mais infini, tel Dieu. Or, s’il existait une forme simple subsistante qui ne fût pas son propre être, elle aurait cependant une finitude quant à son être, qui serait particulier à cette forme ; mais cette forme ne serait pas limitée parce qu’elle ne serait pas reçue par quelque chose, comme si on pensait à une chaleur qui existerait par soi. Or, sous cet aspect, les formes universelles intelligées possèdent une infinité. Mais si une telle forme est reçue dans quelque chose, elle est nécessairement limitée quant à l’être qui revient à cette forme, et non seulement quant à son être seulement, car elle ne possède pas simplement la plénitude de l’être, mais quant à tout l’être qui est possible à sa nature. Mais il est possible qu’elle ne soit pas limitée quant à la raison de cette forme, de sorte qu’elle possède cette forme selon sa mesure complète, rien ne lui manquant ainsi de ce qui appartient à la perfection de cette forme. Cela sera le cas s’il n’y a pas de carence ni du côté de ce qui reçoit, ni du côté de ce qui agit. Or, on dit que la grâce du Christ est infinie de cette manière, car tout ce qui peut appartenir à la perfection de la grâce existait en totalité chez le Christ. Troisièmement, quant à l’effet, car il n’est pas limité à des effets déterminés, mais il peut par grâce réaliser la rédemption pour un nombre infini [de personnes], comme on dit dans le Livre sur les causes que la puissance de l’intelligence est infinie pour ce qui est inférieur. Ce mode concerne la grâce de la tête ; le deuxième, la grâce de l’homme considéré individuellement ; mais le premier, la grâce d’union. |
[9016] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod videtur
intelligi illa auctoritas quantum ad secundum modum dictum. Hoc enim intendit
dicere, quod in Christo non est gratia limitata quantum ad aliquem modum
perfectionis ejus; sed habet ipsam quantum ad omnes. Vel intelligitur de gratia unionis, per
quam elevatur ad infinitum bonum, scilicet ut sit verus Deus. |
1. Il semble que cette autorité s’entende du deuxième mode indiqué. En effet, elle veut dire que, chez le Christ, la grâce n’est pas limitée à un mode de sa perfection, mais qu’elle les possède tous. Ou bien elle s’entend de la grâce d’union, par laquelle il est élevé au bien infini, à savoir à être le vrai Dieu. |
[9017] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod verba illa intelligenda sunt quantum ad
rationem gratiae: quia omne quod pertinet ad perfectionem gratiae, collatum
ei fuit. Unde multa
alia posset Deus facere, sed non pertinerent ad rationem gratiae; sicut
posset homini multas alias perfectiones naturales et essentiales addere, sed
haec non essent de ratione hominis, et esset tunc alia species et non homo.
Vel dicendum, quod licet, quantum est in se, posset facere majorem gratiam,
quantum ad essentiam, quam sit Christi; tamen nulla major posset esse, cujus
capacitas creata sit capax; nec posset facere aliquam capacitatem quae non
esset creata. |
2. Ces paroles doivent s’entendre selon la raison de la grâce, car tout ce qui se rapporte à la perfection de la grâce lui a été donné. Aussi Dieu pourrait-il faire beaucoup d’autres choses, mais elles ne se rapporteraient pas à la raison de la grâce. Ainsi, il pourrait ajouter beaucoup d’autres perfections naturelles et essentielles à l’homme, mais celles-ci ne feraient pas partie de la raison de l’homme : il s’agirait d’une autre espèce, et de non de l’homme. Ou bien il faut dire que même si, en lui-même, il pouvait réaliser une plus grande grâce que celle du Christ quant à son essence, aucune ne pourrait être plus grande que celle dont la capacité créée est capable, et il ne pourrait réaliser une capacité qui ne serait pas créée. |
[9018] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod diversis speciebus aptantur diversae quantitates: et hoc patet
de quantitatibus dimensivis: quia est aliqua quantitas determinata homini,
ultra quam non invenitur aliqua quantitas hominis major; sed invenitur
quantitas arboris major illa, quae quamvis finita sit, nullo modo ad eam
pertingere potest homo, quantumcumque crescat. Similiter est in quantitatibus
virtualibus: quamvis enim caliditas ignis non excedat in infinitum
caliditatem aeris, tamen est aliquis terminus caliditatis aeris, quem non
transgreditur manens aer; unde nullo modo potest tantum intendi quod aequetur
caliditati ignis, nisi aer fiat ignis: et similiter est in omnibus
qualitatibus quae consequuntur alias perfectiones, vel disponunt ad eas: quia
diversis perfectionibus secundum speciem respondent diversi gradus
perfectionum, vel dispositionum. Perfectio autem ad quam disponit gratia, est
conjunctio ad Deum; et haec est multiplex: scilicet in aenigmate, et per
speciem. Unde quantumcumque crescat gratia viatoris, non potest esse similis
gratiae comprehensoris secundum actum, quamvis virtute possit esse major; et
eadem ratione, quantumcumque crescat gratia purae creaturae, non potest
pervenire in gratiam creaturae assumptae in unitatem personae, quae ad
unionem disponit quodammodo, nisi et ipsa assumeretur. Et quia non est altior
modus possibilis creaturae, quo conjungatur Deo, quam per unitatem personae;
ideo dictum est supra, quod capacitas creata non potest ampliorem gratiam
recipere. |
3. Diverses quantités s’adaptent à diverses espèces. Cela ressort pour les quantités dimensionnelles, car il existe une quantité déterminée pour l’homme, au-delà de laquelle on ne trouve pas de quantité plus grande pour l’homme. Mais on trouve une quantité de l’arbre plus grande que celle-là ; bien qu’elle soit finie, l’homme ne peut d’aucune manière l’atteindre, quelle que soit sa croissance. De même en est-il pour les quantités virtuelles. En effet, bien que la chaleur du feu ne dépasse pas infiniment la chaleur de l’air, il existe cependant un terme pour la chaleur de l’air, que ne dépasse pas la chaleur restante. Aussi ne peut-il tendre jusqu’à égaler la chaleur du feu, à moins que l’air ne devienne feu. Et il en est de même de toutes les qualités qui découlent des autres perfections ou y disposent, car divers degrés dans les perfections et les dispositions correspondent aux diverses perfections qui découlent de l’espèce. Or, la perfection à laquelle dispose la grâce est l’union à Dieu, et celle-ci est multiple : en énigme et face à face. Autant donc qu’augmente la grâce du viator, elle ne peut être semblable en acte à la grâce du comprehensor, bien qu’elle puisse être plus grande en puissance. Pour la même raison, autant qu’augmente la grâce d’une pure créature, elle ne peut parvenir à la grâce de la créature assumée dans l’unité de la personne (qui dispose d’une certaine manière à l’union), à moins d’être elle-même assumée. Et parce qu’il n’existe pas pour la créature de plus haut mode possible d’union à Dieu que par l’unité de la personne, c’est la raison pour laquelle on a dit plus haut qu’une capacité créée ne peut recevoir de grâce plus grande. |
[9019] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod infinitas efficaciae quae est in merito, contingit ex hoc quod
ad actionem illam concurrit divina persona, quia non est tantum hominis
actio, sed Dei et hominis; secundum quod Dionysius actionem Christi nominat
deivirilem. |
4. L’infinité de l’efficacité qui se trouve dans le mérite vient de ce qu’une personne divine concourt à cette action, car elle n’est pas seulement l’action d’un homme, mais de Dieu et d’un homme. C’est ainsi que Denys appelle l’action du Christ « divino-humaine » [théandrique]. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[9020] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem
dicendum, quod augmentum non competit rei secundum quod est in termino, sed
secundum quod est in via ad terminum: quia secundum quod res est in termino,
tota potentialitas capacitatis ejus est impleta ex fine implente; et ideo non
habet ulterius quo crescat. Et quia anima Christi fuit ab initio conceptionis
fini ultimo unita, non solum per fruitionem perfectam, sed etiam communicando
in persona verbi; ideo gratia ejus crescere non potuit. |
L’augmentation ne convient pas à une chose selon qu’elle a atteint le terme, mais selon qu’elle est en marche vers le terme, car, selon que la chose a atteint le terme, tout ce que pouvait sa capacité est rempli par la fin qui la comble. Aussi n’y a-t-il plus rien qui puisse la faire croître. Et parce que l’âme du Christ a été unie à la fin ultime dès le début de sa conception, non seulement par la jouissance parfaite, mais en étant jointe à la personne du Verbe, sa grâce ne peut donc augmenter. |
[9021] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod cuilibet
finito potest fieri additio, mathematice loquendo: quia ratio quantitatis,
quam solam mathematicus considerat, non prohibet quin possit infinito aliquid
addi. Prohibet autem additionem talem forma quam considerat naturalis; et
ideo secundum naturalem non est verum, sed secundum imaginationem tantum; et
similiter est in proposito, ut ex dictis patet, quia nec gratia potest esse
major quam comprehensoris, nec gloria major quam creaturae unitae Deo in
persona. |
1. Mathématiquement parlant, une addition peut être faite à tout ce qui est fini, car la raison de quantité, que le mathématicien prend seule en compte, n’interdit pas que quelque chose puisse être ajouté à l’infini. Mais la forme naturelle qu’il considère empêche une telle addition. Aussi, selon [la forme] naturelle, cela n’est pas vrai, mais seulement selon l’imagination. De même en est-il pour ce qui est en cause, comme cela ressort de ce qui a été dit, car la grâce ne peut pas être plus grande que celle du comprehensor, ni la gloire plus grande que celle de la créature unie à Dieu dans la personne. |
[9022] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod hoc intelligendum est de capacitate intellectualis naturae
circa finem, ultra quam nulla capacitas alicujus rei extenditur; sicut
intellectus in statu viae, quantumcumque proficiat, nunquam pervenit ad modum
intelligendi qui erit in patria. |
2. Cela doit s’entendre de la capacité intellectuelle de la nature en ce qui concerne la fin, au-delà de laquelle aucune capacité d’une chose ne peut aller, comme l’intellect, dans l’état de cheminement, autant qu’il progresse, ne parvient jamais à la manière de comprendre qui existera dans la patrie. |
[9023] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod missio
visibilis signum fuit invisibilis missionis, non tunc factae, sed ab initio
conceptionis. |
3. La mission visible a été le signe de la mission invisible, qui n’a pas été faite alors, mais dès le début de la conception. |
[9024] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2
qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Christus non
assumpsit corpus gloriosum, ita quod esset in ultima sui perfectione: accepit
autem animam gloriosam; et ideo secundum corpus proficere potuit, non autem
secundum animam. |
4. Le Christ n’a pas assumé un corps glorieux, de sorte qu’il se serait trouvé dans sa perfection ultime ; il a cependant assumé une âme glorieuse. C’est pourquoi il a pu progresser selon son corps, mais non selon son âme. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [La grâce de la tête]
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Prooemium |
Prologue |
[9025] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 pr. Deinde quaeritur de gratia capitis; et
circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum Christus, secundum quod homo, habeat talem
gratiam quod sit caput; 2 quorum sit caput. |
On s’interroge ensuite sur la grâce de la tête. À ce propos, deux questions sont posées : 1 – Le Christ, en tant qu’homme, avait-il une grâce telle qu’il était la tête ? 2 – De qui est-il la tête ? |
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Articulus 1 [9026] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1
tit. Utrum Christus
sit caput Ecclesiae, secundum quod homo |
Article 1 – Le Christ est-il tête de l’Église en tant qu’homme ? |
[9027] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur, quod Christus non sit caput Ecclesiae secundum quod homo. A capite
enim spiritus animalis ad membra diffunditur. Sed spiritus sanctus non
diffunditur in Ecclesiam a Christo secundum quod homo, sed inquantum Deus:
quia, ut dicit Augustinus, ipse accepit spiritum sanctum ut homo, et effudit
ut Deus. Ergo ipse non
est caput ut homo, sed ut Deus. |
1. Il semble que le Christ ne soit pas tête de l’Église en tant qu’homme. En effet, l’esprit animal se répand dans les membres à partir de la tête. Or, l’Esprit Saint ne se répand pas dans l’Église à partir du Christ en tant qu’homme, mais en tant que Dieu, car, ainsi que le dit Augustin, « il a reçu l’Esprit Saint en tant qu’homme et l’a répandu en tant que Dieu ». Il n’est donc pas tête en tant qu’homme, mais en tant que Dieu. |
[9028] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1
arg. 2 Praeterea, sensus et motus traducuntur
a capite in membra. Sed gratia, quae motum vitae facit in corpore Ecclesiae,
non est per traductionem ab uno in alium. Ergo Christus, secundum quod homo, non est caput Ecclesiae. |
2. Le sens et le mouvement sont transmis depuis la tête vers les membres. Or, la grâce, qui donne le mouvement de la vie dans le corps de l’Église, n’est pas transmise de l’un à l’autre. Le Christ, en tant qu’homme, n’est donc pas la tête de l’Église. |
[9029] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, gratia a solo
Deo creatur in nobis; quia, secundum Augustinum, natura mentis humanae
immediate a Deo formatur. Sed vita Ecclesiae est per gratiam. Cum igitur de
ratione capitis sit ut membra quantum ad aliquem actum vivificet, videtur
quod Christus, secundum quod homo, non possit dici caput Ecclesiae. |
3. La grâce est créée en nous par Dieu seul, car, selon Augustin, « la nature de l’esprit humain est formée immédiatement par Dieu ». Or, la vie de l’Église se réalise par la grâce. Puisqu’il est de la raison de la tête qu’elle vivifie les membres en vue d’un acte, il semble donc que le Christ, en tant qu’homme, ne puisse être appelé la tête de l’Église. |
[9030] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1
arg. 4 Praeterea,
capitis non est aliud caput. Sed caput Christi est Deus; 1 Cor. 11. Ergo
Christus non est caput. |
4. Il n’y a pas une autre tête de la tête. Or, la tête du Christ est Dieu, 1 Co 11. Le Christ n’est donc pas tête. |
[9031] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1
arg. 5 Praeterea, caput recipit influentiam
ab alio membro, scilicet a corde. Sed Christus non recipit influentiam ab
alio membro Ecclesiae. Ergo Christus
non debet dici caput. |
5. La tête reçoit l’influence d’un autre membre, le cœur. Or, le Christ ne reçoit pas l’influence d’un autre membre de l’Église. Le Christ ne doit donc pas être appelé tête. |
[9032] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1
arg. 6 Praeterea, caput potest dici membrum
totius corporis et commembrum aliis membris. Sed Christus, ut videtur, non
potest dici membrum Ecclesiae: quia sic virtus ejus partialitatem haberet
respectu totius Ecclesiae, et Ecclesia esset perfectior Christo. Ergo Christus non debet dici caput. |
6. La tête peut être appelé le membre de toute le corps et un comembre pour les autres membres. Or, semble-t-il, le Christ ne peut être appelé membre de l’Église, car ainsi sa puissance aurait le caractère de partie par rapport à toute l’Église et l’Église serait plus parfaite que le Christ. Le Christ ne doit donc pas être appelé tête. |
[9033] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1
s. c. 1 Ad oppositum est Eph. 1: ipsum
dedit caput super omnem Ecclesiam, quae est corpus ejus. Ergo cum
Ecclesia sit corpus ejus secundum humanam naturam, prout sibi conformis est,
videtur quod ipse secundum humanam naturam sit caput. |
Cependant, [1] Ep 1 dit : Il l’a donné comme tête à toute l’Église qui est son corps. Puisque l’Église est son corps selon sa nature humaine, pour autant qu’elle le rejoint selon sa forme, il semble donc qu’il soit tête selon sa nature humaine. |
[9034] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1
s. c. 2 Praeterea, rex
dicitur esse caput regni, et pontifex Ecclesiae sibi commissae. Sed Christus,
secundum quod homo, est rex et pontifex totius humani generis. Ergo ipse,
secundum quod homo, est caput. |
[2] On dit du roi qu’il est la tête du royaume, et du pontife qu’il est la tête de l’Église qui lui a été confiée. Or, le Christ, en tant qu’homme, est roi et pontife de tout le genre humain. En tant qu’homme, il est donc la tête. |
[9035] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1
s. c. 3 Praeterea, illud quod est dignissimum
in quolibet genere, dicitur caput, sicut leo est caput animalium. Sed Christus, etiam secundum humanam
naturam, praecellit omnes homines. Ergo etiam secundum quod homo, est caput
totius Ecclesiae. |
[3] Ce qui est le plus digne dans chaque genre est appelé tête, comme le lion est la tête des animaux. Or, le Christ, même selon sa nature humaine, l’emporte sur tous les hommes. Même comme homme, il est donc la tête de toute l’Église. |
[9036] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod
Christus dicitur caput Ecclesiae per similitudinem capitis naturalis. Inveniuntur
enim in capite naturali tres conditiones respectu aliorum membrorum
singulariter. Prima est quod excellit ea dignitate in tribus, scilicet in
altitudine situs, in nobilitate propriae virtutis (quia scilicet nobiliores
vires, scilicet imaginatio et memoria, et hujusmodi, habent locum in capite):
et etiam in perfectione, quia in capite congregantur omnes sensus, cum in
aliis membris sit solus tactus. Secunda est quod a capite sunt omnes vires animales in aliis membris;
et sic dicitur esse principium aliorum membrorum, dans aliis sensum et motum.
Tertia est quod dirigit omnia membra in suis actibus, propter imaginationem
et sensus, qui in eo abundant formaliter. Habet autem quartam proprietatem
communem cum aliis membris, quod est conformis cum eis in natura. Ratione
ergo primae proprietatis, scilicet perfectionis, omne quod est perfectissimum
in quacumque natura, dicitur caput, sicut leo in animalibus. Ratione autem
secundae, omne principium dicitur caput, sicut fons caput fluminum; et sicut
dicitur caput libri, vel caput viae. Ratione autem proprietatis tertiae,
omnis rector dicitur caput, sicut rex, dux, vel pontifex. Quantum igitur ad
has tres proprietates capitis, potest Christus dici caput et secundum humanam
naturam, et secundum divinam: quia secundum divinam naturam in eo est
plenitudo omnis deitatis, ut dicit apostolus Coloss. 1; unde est super omnes
Deus benedictus in saecula, Rom. 9: et similiter ab ipso, inquantum Deus, est
nobis omnis spiritualis gratia. Item inquantum Deus, dirigit nos in seipsum.
Sed etiam haec conveniunt ei secundum humanam naturam, quae in Christo
dignissima est ratione altitudinis, quia est usque ad unionem in divina
persona exaltata: ratione propriae operationis, quia dignissimum actum habuit
in Ecclesia, scilicet redimere ipsam, et aedificare eam in sanguine suo: et
etiam ratione perfectionis, quia omnis gratia in eo est, sicut omnes sensus
in capite. Similiter etiam dicitur caput ratione secundae proprietatis, quia
per ipsum, sensum fidei et motum caritatis accepimus, quia gratia et
veritas per Jesum Christum facta est; Joan. 1, 17: et similiter direxit
nos doctrina et exemplo: quia coepit Jesus facere et docere, Act. 1,
1. Sed quarta conditio Christo convenit secundum humanam naturam tantum; et
haec complet in ipso rationem capitis: quia Christus secundum humanam naturam
habet perfectionem aliis homogeneam, et est principium quasi univocum, et est
regula conformis, et unius generis. Unde communiter loquendo, Christus
secundum quod Deus, potest dici caput Ecclesiae simul cum patre et spiritu
sancto; sed proprie loquendo est caput secundum humanam naturam. Et dicitur gratia
capitis, secundum quam praedictae proprietates ei conveniunt praecipue
secundum quod influit aliis membris. |
Réponse. Le Christ est appelé tête de l’Église par ressemblance avec le corps naturel. En effet, on trouve dans la tête naturelle trois conditions par rapport aux autres membres considérés un à un. La première est qu’elle les dépasse en dignité sur trois points : par son élévation, par la noblesse de sa propre puissance (car les puissances les plus nobles : l’imagination, la mémoire et celles de ce genre, se situent dans la tête) et aussi par sa perfection, car tous les sens sont regroupés dans la tête, alors qu’il n’y a que le toucher dans les autres membres. La deuxième [raison] est que les autres membres reçoivent de la tête toutes les puissances animales ; elle est ainsi appelée le principe des autres membres, qui donne aux autres sens et mouvement. La troisième [raison] est qu’elle dirige tous les membres dans leurs actes en raison de l’imagination et du sens, qui abondent en elle à la manière d’une forme. Elle a encore une quatrième propriété commune avec les autres membres, qui consiste à leur être conforme par la nature. En raison de la première propriété, à savoir la perfection, tout ce qui est le plus parfait dans n’importe quelle nature est appelé tête, comme le lion par rapport aux animaux. En raison de la deuxième, tout principe est appelé tête, comme la source est la tête des rivières, et comme on parle de la tête d’un livre ou de la tête d’une route. Mais en raison de la troisième propriété, tout dirigeant est appelé tête, comme le roi, le chef de guerre ou le pontife. Selon ces trois propriétés de la tête, le Christ peut donc être appelé tête tant selon sa nature humaine que selon sa nature divine, car, selon sa nature divine, existe en lui la plénitude de toute la divinité, comme le dit l’Apôtre en Col 1 ; aussi est-il Dieu béni pour les siècles par-dessus tous, Rm 9. De même, toute grâce spirituelle nous vient de lui en tant qu’il est Dieu. De même, en tant que Dieu, il nous dirige vers lui. Mais ces choses lui conviennent aussi selon sa nature humaine, qui est chez le Christ la plus digne en raison de son élévation, car elle a été élevée jusqu’à l’union dans la personne divine ; en raison de son opération propre, car elle a exercé l’acte le plus digne dans l’Église, en la rachetant et en l’édifiant dans son sang ; et aussi en raison de sa perfection, car toute grâce se trouve en lui, comme tous les sens dans la tête. De même aussi, est-il appelé tête en raison de la deuxième propriété, car nous recevons par lui le sens de la foi et le mouvement de la charité, car la grâce et la vérité sont apparues par Jésus, le Christ. Jn 1, 17 ; de même, il nous a dirigés par son enseignement et son exemple, car Jésus se mit à agir et à enseigner, Ac 1, 1. Mais la quatrième condition convient au Christ selon sa nature humaine seulement, et elle achève en lui la raison de tête, car le Christ, selon sa nature humaine, possède une perfection homogène par rapport aux autres, et il est le principe pour ainsi dire univoque, la règle possédant la même forme, et il est du même genre. Aussi, à parler de manière générale, le Christ en tant que Dieu peut-il être appelé tête de l’Église solidairement avec le Père et l’Esprit Saint ; mais, à parler au sens propre, il est tête selon sa nature humaine. Et on parle de grâce de la tête selon que les propriétés mentionnées lui conviennent principalement selon qu’il influe sur les autres membres. |
[9037] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1
ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dare
spiritum sanctum contingit dupliciter: scilicet auctoritate et ministerio.
Auctoritate quidem tantum Dei est; sed ministerio dicuntur etiam homines
dare, inquantum scilicet per ministerium eorum datur a Deo, sicut dicit
Paulus Galat. 3, 5: qui tradidit vobis spiritum, ut supra in 1 Lib.,
dist. 15, Magister dixit: et hoc modo Christus, secundum quod homo, spiritum
sanctum ministerio dare potuit, ut dicitur Rom. 15, 8: dico enim Christum
Jesum ministrum fuisse circumcisionis. |
1. Donner le Saint-Esprit s’accomplit de deux manières : par autorité et par ministère. Par autorité, cela relève de Dieu seulement ; mais, par ministère, on dit que les hommes aussi le donnent, pour autant qu’il est donné par Dieu à travers leur ministère, comme Paul le dit en Ga 3, 5 : Lui qui vous a transmis l’Esprit, ainsi que le Maître l’a dit dans le livre I, d. 15. De cette manière, le Christ, en tant qu’homme, pouvait donner l’Esprit saint par ministère, comme il est dit en Rm 15, 8 : En effet, je dis que le Christ Jésus a été ministre de la circoncision. |
[9038] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1
ad 2 Ad secundum dicendum, quod in hoc quod
de Christi plenitudine omnes accepimus, est aliquid simile traductioni,
quamvis non sit proprie traductio. Est igitur similitudo quantum ad ipsum
spiritum sanctum increatum, qui idem numero est in capite et in membris, et
aliquo modo a capite ad membra descendit, non divisus, sed unus. Est autem
dissimilitudo quantum ad ipsum donum, secundum quod spiritus sanctus in nobis
inhabitat, quia istud non traducitur de subjecto in subjectum. |
2. Du fait que nous avons tous reçu de la plénitude du Christ, il existe quelque chose de semblable à la transmission (traductio), bien que ce ne soit pas une transmission au sens propre. Il existe donc une similitude pour ce qui est l’Esprit Saint incréé, qui est le même en nombre dans la tête et dans les membres et, d’une certaine manière, descend de la tête dans les membres sans être divisé, mais en [demeurant] un. Mais il y a une différence pour ce qui du don lui-même, selon que l’Esprit saint habite en nous, car celui-ci n’est pas transmis d’un sujet à un autre. |
[9039] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1
ad 3 Ad tertium dicendum, quod in aliqua
actione potest aliquid esse medium dupliciter; scilicet quantum ad
perfectionem, et quantum ad dispositionem tantum: sicut natura est medium in
operatione qua Deus producit animam sensibilem, quia ipsa perfectio ultima
fit mediante natura; sed in operatione qua producit animam rationalem, natura
non est medium, nisi quantum ad dispositionem. Similiter dico, quod Deus
immediate format mentem nostram quantum ad ipsam perfectionem gratiae; et
tamen potest ibi cadere medium disponens; et sic gratia fluit a Deo mediante
homine Christo: ipse enim disposuit totum humanum genus ad susceptionem
gratiae; et hoc tripliciter. Uno modo secundum operationem nostram in ipsum: quia secundum quod
credimus ipsum Deum et hominem, justificamur; Rom. 3, 25: quem posuit Deus
propitiatorem per fidem in sanguine ipsius. Alio modo per operationem ipsius
in nos, inquantum scilicet obstaculum removet, pro peccatis totius humani
generis satisfaciendo; et etiam inquantum nobis suis operibus gratiam et
gloriam meruit; et inquantum pro nobis interpellat apud Deum. Tertio modo ex
ipsa ejus affinitate ad nos; quia ex hoc ipso quod humanam naturam assumpsit,
humana natura est magis Deo accepta. |
3. Dans une action, quelque chose peut servir d’intermédiaire de deux manières : pour la perfection et pour la disposition seulement, comme la nature est l’intermédiaire dans l’opération par laquelle Dieu produit un animal sensible, car la perfection ultime elle-même se réalise par l’intermédiaire de la nature ; mais, dans l’opération par laquelle elle produit un animal raisonnable, la nature est n’est un intermédiaire que pour la disposition. De même, je dis que Dieu donne forme de manière immédiate à notre esprit pour ce qui est de la perfection de la grâce ; cependant, un intermédiaire peut intervenir pour le disposer : la grâce coule ainsi depuis Dieu par l’intermédiaire de l’homme Christ. En effet, il a disposé tout le genre humain à recevoir la grâce, et cela de trois façons. D’une façon, selon notre action dans sa direction, car, selon que nous croyons Dieu lui-même et l’homme, nous sommes justifiés, Rm 3, 25 : Lui dont Dieu a fait un instrument de propitiation par la foi dans son propre sang. D’une autre façon, par son action sur nous, dans la mesure où il enlève un obstacle en satisfaisant pour les péchés de tout le genre humain et aussi parce qu’il nous a mérité la grâce et la gloire par ses actes et qu’il intercède pour nous auprès de Dieu. De la troisième façon, en raison de son affinité avec nous, car, par le fait qu’il a assumé la nature humaine, la nature humaine est plus agréable à Dieu. |
[9040] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1
ad 4 Ad quartum dicendum, quod caput
Christi dicitur Deus, non secundum completam rationem capitis (est enim caput
ipsius secundum quod est principium ejus, principium autem ejus est secundum
divinitatem et secundum humanitatem); sed inquantum est principium ejus
secundum humanitatem; et sic deficit quarta conditio capitis, quae est
conformitas in natura: inquantum autem est principium ejus secundum
divinitatem, sic deficit prima conditio, quia sic non habet majorem dignitatem. |
4. Dieu est appelé la tête du Christ, non pas selon la raison complète de tête (en effet, il est sa tête en tant qu’il est son principe ; or, il est son principe selon la divinité et selon l’humanité), mais en tant qu’il est son principe selon son humanité ; ainsi, la quatrième condition de la tête fait défaut, la conformité par la nature. Mais en tant qu’il est son principe selon la divinité, la première condition fait ainsi défaut, car il n’a pas ainsi une dignité plus grande. |
[9041] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1
ad 5 Ad quintum dicendum, quod cor est
principium virium vitalium in toto corpore, et est primum principium omnium
membrorum quantum ad esse ut dicit philosophus: sed caput est principium
virium animalium quae pertinent ad sensum et ad motum. Et quia cum dicimus
Christum principium esse membrorum Ecclesiae, non intendimus quantum ad esse
naturale, secundum quod sunt homines, sed quantum ad fidem et caritatem, per
quam Ecclesiae membra uniuntur; ideo accommodatius dicitur caput quam cor. |
5. Le cœur est le principe des puissances vitales dans tout le corps et il est le premier principe de tous les membres pour leur être, comme le dit le Philosophe. Mais la tête est le principe des puissances animales qui se rapportent au sens et au mouvement. Et parce que, lorsque nous disons que le Christ est le principe des membres de l’Église, nous ne voulons pas parler de leur être naturel, selon qu’ils sont des hommes, mais pour ce qui est de la foi et de la charité, par lesquelles les membres de l’Église sont unis, on dit donc de manière mieux accommodé qu’il est la tête plutôt que le cœur. |
[9042] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1
ad 6 Ad sextum dicendum, quod in nomine
capitis importatur principium et origo alicujus rei; in nomine autem membri importatur
partialitas, quae repugnat rationi primae originis: quia in prima origine
sunt omnia virtute quae inveniuntur in originatis; et ideo non potest dici
membrum, quia non recipit ab aliquo alio influentiam. Quia in corpore
naturali caput non solum influit aliis membris, sed etiam ab aliis recipit,
ut nutrimentum, et alia obsequia; ideo et caput dicitur, et commembrum: sed
Christus, secundum quod homo, non recipit aliquid ab aliis membris Ecclesiae,
sed a solo Deo; unde non potest dici commembrum, secundum quod caput
Ecclesiae dicitur ipse secundum humanitatem. Potest autem dici membrum secundum humanitatem, secundum quod ipse est
caput Ecclesiae secundum divinitatem: et sic dicit apostolus, 1 Corinth. 12,
26: vos estis corpus ejus et membrum de membro. |
6. Par le mot « tête », on
signifie le principe et l’origine d’une chose ; par le mot
« membre », on signifie le caractère partiel, qui s’oppose à la
raison d’origine première, car tout ce qui existe dans ce qui vient de l’origine
première existe en puissance dans cette origine. [Le Christ] ne peut donc pas
être appelé « membre », car il ne reçoit d’influence de personne.
Parce que, dans le corps naturel, la tête non seulement influe sur les autres
membres, mais reçoit aussi des autres, comme la nourriture et d’autres
services, elle est donc appelée tête et comembre. Mais le Christ, en tant qu’homme,
ne reçoit rien des autres membres de l’Église, mais de Dieu seul. Il ne peut
donc pas être appelé « comembre », selon qu’il est appelé tête de l’Église
en vertu de son humanité. Il peut cependant être appelé membre selon son
humanité, selon qu’il est la tête de l’Église en vertu de sa divinité. C’est
ainsi que parle l’Apôtre, 1 Co 12, 27 : Vous êtes son corps et un membre du
membre. |
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Articulus 2 [9043] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
tit. Utrum
Christus, secundum quod homo, sit caput Angelorum |
Article 2 – Le Christ, en tant qu’homme, est-il la tête des anges ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question
1 – [Le Christ, en tant qu’homme, est-il la tête des anges ?] |
[9044] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod
Christus, secundum quod homo, non sit caput Angelorum. De ratione enim
capitis est conformitas ad membra, ut dictum est. Sed Christus non est
conformis Angelis in natura: quia nusquam Angelos apprehendit, ut dicitur
Heb. 2. Ergo non est
caput Angelorum. |
1. Il semble que, selon qu’il est homme, il ne soit pas la tête des anges. En effet, le fait d’être conforme aux membres fait partie de la raison de tête, comme on l’a dit. Or, le Christ n’est pas conforme aux anges par nature, car il n’a jamais assumé les anges, comme il est dit en He 2. Il n’est donc pas tête des anges. |
[9045] Super Sent., lib. 3 d.
13 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Christus dicitur Hebr. 2, caput hominum, secundum quod ab ipso aliquam
influentiam recipiunt. Sed Angeli, cum sint beati, non indigent ut eis
aliquid influatur. Ergo Christus, secundum quod homo, non est caput Angelorum. |
2. En He 2, le Christ est appelé tête des hommes selon qu’ils reçoivent une influence de lui. Or, puisqu’ils sont bienheureux, les anges n’ont pas besoin d’une influence. Le Christ, en tant qu’homme, n’est donc pas tête des anges. |
[9046] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 1 arg. 3 Praeterea, sicut dicitur in Lib. de motu cordis, intelligentiae
sunt receptivae earum illuminationum quae sunt a Deo, prima receptione;
animae autem secunda. Sed quod recipit prima receptione, non recipit ab eo
quod recipit secunda receptione. Ergo Angeli, qui intelligentiae dicuntur,
non recipiunt ab aliqua anima; et ita nec a Christo secundum quod homo. Ergo Christus, secundum
quod homo, non est caput Angelorum. |
3. Comme on le dit dans le Livre sur le mouvement du cœur, les intelligences sont capables de recevoir les illuminations qui viennent de Dieu selon une première réception, mais les âmes, selon une deuxième. Or, ce qui reçoit selon une première réception ne reçoit pas de lui ce qu’il reçoit selon une deuxième réception. Les anges, qui sont appelés « intelligences », ne reçoivent donc pas d’une âme, et donc, ni du Christ en tant qu’homme. Le Christ, en tant qu’homme, n’est donc pas la tête des anges. |
[9047] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Coloss. 2, 10: qui est caput omnis principatus
et potestatis; et loquitur de Christo secundum quod homo; et ita
Christus, secundum quod homo, est caput Angelorum. |
Cependant, [1] il est dit en Col 2, 10 : Lui qui est la tête de toutes les Principautés et Puissances, et on parle du Christ en tant qu’homme. Ainsi, le Christ, en tant qu’homme, est-il la tête des anges. |
[9048] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 1 s. c. 2 Praeterea,
Dionysius dicit, quod Seraphim a Christo Jesu quaerunt, et discunt, et
illuminantur. Ergo influit Angelis; et ita videtur esse caput eorum. |
[2] Denys dit que les Séraphins s’interrogent, apprennent et sont illuminés par le Christ Jésus. Il influe donc sur les anges, et ainsi il semble être leur tête. |
[9049] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 1 s. c. 3 Praeterea, Ecclesia una est constituta ex Angelis et hominibus.
Sed unius corporis non sunt duo capita. Ergo Christus etiam est caput Angelorum. |
[3] Une seule Église a été constituée des anges et des hommes. Or, il n’existe pas deux têtes pour un seul corps. Le Christ est donc aussi la tête des anges. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le Christ est-il la tête de tous les hommes ?] |
[9050] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit caput omnium
hominum. Caput enim unum refertur ad unum corpus. Sed omnes homines non conveniunt in aliquo
uno secundum numerum, quia et ipsi differunt; et fides et spes et caritas,
qua connectuntur ad invicem, numero diversae sunt in diversis. Ergo non est
caput omnium hominum. |
1. Il semble qu’il
ne soit pas la tête de tous les hommes. En effet, une seule tête se rapporte
à un seul corps. Or, tous les hommes ne se rejoignent pas dans une seule
chose par le nombre, car eux-mêmes sont différents ;
et la foi, l’espérance et
la charité, par lesquelles ils sont reliés entre eux, sont différentes numériquement
chez ceux qui sont différents. Il n’est donc pas la tête de tous les hommes. |
[9051] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 2 Praeterea, corpus Christi verum est
figura corporis Christi mystici. Sed in corpore vero non est aliquod membrum
impurum. Ergo cum multi
homines sint corrupti per peccata, videtur quod eorum caput non sit Christus. |
2. Le corps véritable du Christ est la figure du corps mystique du Christ. Or, dans le corps véritable, il n’y a pas de membre impur. Puisque beaucoup d’hommes sont corrompus par des péchés, il semble donc que leur tête ne soit pas le Christ. |
[9052] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 3 Praeterea, corpus Christi verum totum
fuit glorificatum. Sed sunt multi etiam existentes in gratia, qui nunquam
erunt in gloria, quia non persistent. Ergo Christus non est caput omnium. |
3. Le corps véritable du Christ a été entièrement glorifié. Or, beaucoup se trouvent en grâce, qui ne seront jamais dans la gloire, parce qu’ils ne persévéreront pas. Le Christ n’est donc pas la tête de tous. |
[9053] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 4 Praeterea, caput, cum sit principium
membrorum, non sequitur alia membra. Sed multi sancti praecesserunt Christi
incarnationem. Ergo Christus,
secundum quod homo, non est caput omnium hominum. |
4. Puisqu’elle est le principe des membres, la tête ne suit pas les autres membres. Or, beaucoup de saints ont précédé l’incarnation du Christ. Le Christ, en tant qu’homme, n’est donc pas la tête de tous les hommes. |
[9054] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 5 Sed contra, Christus satisfecit pro
tota humana natura. Sed omnes homines communicant in natura humana. Ergo Christus omnibus influit; et ita
videtur quod ipse sit caput omnium. |
5. Le Christ a satisfait pour toute la nature humaine. Or, tous les hommes se rejoignent dans la nature humaine. Le Christ influe donc sur tous, et ainsi il semble qu’il soit la tête de tous. |
[9055] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 6 Praeterea, per Christum omnes resurgemus.
Sed hoc non esset, nisi esset caput omnium. Ergo ipse est omnium caput, secundum quod homo. |
6. Nous ressusciterons tous par le Christ. Or, ce ne serait pas le cas s’il n’était pas la tête de tous. Il est donc la tête de tous en tant qu’homme. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Le Christ est-il la tête des âmes seulement ?] |
[9056] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sit caput
tantum animarum. Quia capitis ad membrum oportet esse continuationem. Sed
corpora aliorum hominum non continuantur ad corpus Christi. Ergo et ipse non
est caput hominum quantum ad corpus, sed quantum ad animas tantum. |
1. Il semble qu’il soit la tête des âmes seulement, car il doit exister une continuité entre un membre et la tête. Or, les corps des autres hommes ne sont pas en continuité avec le corps du Christ. Il n’est donc pas tête des hommes quant à leur corps, mais quant à leurs âmes seulement. |
[9057] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 3 arg. 2 Praeterea, ipse influit sensum
spiritualem, secundum quod est caput. Sed hujusmodi sensus, non sunt
susceptiva corpora. Ergo Christus, secundum quod homo, non est caput hominum quantum ad
corpus, sed quantum ad animas tantum. |
2. Il donne le sens spirituel selon qu’il est la tête. Or, les corps ne sont pas capables de recevoir ce sens. Le Christ, en tant qu’homme, n’est donc pas la tête des hommes quant à leurs corps, mais quant à leurs âmes seulement. |
[9058] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 3 arg. 3 Praeterea, secundum corpus non differimus a brutis, sed solum
secundum animam rationalem. Sed Christus
non dicitur caput irrationalium, secundum quod homo. Ergo ipse non est caput
nostrum quantum ad corpora. |
3. Nous ne différons pas des animaux sans raison selon notre corps, mais seulement selon notre âme raisonnable. Or, on ne dit pas que le Christ, en tant qu’homme, est la tête des êtres non- raisonnables. Il n’est donc pas notre tête quant à nos corps. |
[9059] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Philip.
3, 21: reformabit corpus humilitatis nostrae, configuratum corpori
claritatis suae; et sic influit nobis quantum ad corpus. Ergo ipse non est tantum caput animarum. |
Cependant, [1] Ph 3, 21 dit : Il réformera notre corps de misère pour le conformer à son corps de gloire. Il exerce ainsi sur nous une influence quant au corps. Il n’est donc pas seulement la tête des âmes. |
[9060] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ipse est
caput nostrum secundum quod est conformis nobis in natura. Sed humana natura
non consistit solum in anima, sed in anima et corpore simul. Ergo Christus
est caput nostrum secundum corpora, et non secundum animas tantum. |
[2] Il est notre tête selon qu’il est conforme à notre nature. Or, la nature humaine ne consiste pas seulement dans l’âme, mais dans l’âme et le corps en même temps. Le Christ est donc notre tête selon nos corps, et non pas selon nos âmes seulement. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[9061] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam
quaestionem, quod Christus, secundum quod homo, est caput Angelorum; non tamen
ita proprie, nec eodem modo sicut hominum, propter duas conditiones. Primo
quantum ad conformitatem naturae: quia cum hominibus convenit etiam secundum
speciem in natura: cum Angelis autem non secundum speciem, sed secundum genus
intellectualis naturae. Secundo quantum ad influentiam: quia non influit
Angelis removendo prohibens, aut merendo gratiam, aut orando pro eis, quia
jam beati sunt; sed in his quae ad actus hierarchicos pertinent, secundum
quod unus Angelus illuminat alium, purgat, et perficit, ut in 2 Lib., dist.
6, dictum est; hoc enim multo eminentius a Christo recipiunt. |
Le Christ, selon qu’il est homme, est la tête des anges; cependant, il ne l’est pas en un sens aussi propre, ni de la même manière que pour les hommes en raison de deux conditions. Premièrement, en raison de sa conformité à notre nature, car il a une espèce commune avec les hommes pour ce qui est de la nature ; il ne rejoint cependant pas les anges selon l’espèce, mais selon le genre de la nature intellectuelle. Deuxièmement, en raison de son influence, car il n’influe pas sur les anges en enlevant un obstacle, en méritant la grâce ou en priant pour eux, car ils sont déjà bienheureux, mais, pour ce qui concerne les actes hiérarchiques, en faisant en sorte qu’un ange en illumine, en purifie et en perfectionne un autre, comme on l’a dit dans le livre II, d. 6. En effet, ils reçoivent cela du Christ d’une manière bien plus éminente. |
[9062] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis
non sit eis conformis in natura speciei, est tamen eis conformis in natura
generis, ut dictum est. |
1. Bien qu’il ne leur soit pas conforme par la nature de l’espèce, il leur est cependant conforme par la nature du genre, comme on l’a dit. |
[9063] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod beatitudo
Angelorum non excludit quin unus ab alio recipiat, vel etiam a Christo; sed
excludit indigentiam recipiendi: quia praesto est eis omne id quo indigent,
ne alicujus rei penuriam patiantur. |
2. La béatitude des anges n’empêche pas que l’un reçoive de l’autre ou même du Christ, mais elle exclut une indigence dans la réception, car ce dont ils ont besoin leur est immédiatement accessible, de sorte qu’ils ne manquent de rien. |
[9064] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc intelligitur quantum ad receptionem
naturalium; et tamen anima Christi, inquantum Deo unita fuit, etiam quantum
ad naturalia, lumen ab Angelis non recipit, sed immediate a Deo. |
3. Cela s’entend de la réception de ce qui est naturel ; cependant, l’âme du Christ, en tant qu’elle était unie à Dieu, ne reçoit pas pas non plus de lumière de la part des anges pour ce qui est naturel, mais immédiatement de Dieu. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[9065] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
dicendum, quod in corpore naturali invenitur quadruplex unio membrorum ad
invicem. Prima est
secundum conformitatem naturae, quia omnia membra constant ex eisdem
similibus partibus, et sunt unius rationis, sicut manus et pes ex carne et
osse; et sic dicuntur membra unum genere vel specie. Secunda est per
colligationem eorum ad invicem per nervos et juncturas, et sic dicuntur unum
continuatione. Tertia est, secundum quod diffunditur vitalis spiritus et
vires animae per totum corpus. Quarta est, secundum quod omnia membra perficiuntur per animam, quae
est una numero in omnibus membris. Et hae quatuor uniones inveniuntur in
corpore mystico. Prima est, inquantum omnia membra ejus sunt unius naturae
vel specie vel genere. Secunda est, inquantum colligata sunt ad invicem per
fidem, quia sic continuantur in uno credito. Tertia est, secundum quod
vivificantur per gratiam et caritatem. Quarta est, secundum quod in eis est spiritus sanctus, qui est ultima
perfectio et principalis totius corporis mystici, quasi anima in corpore
naturali. Prima autem dictarum unionum non est unio simpliciter: quia illud
in quo est unio haec, non est unum numero, sicut est in tribus sequentibus:
quia per fidem et caritatem in uno credito et amato secundum numerum
uniuntur: similiter spiritus sanctus unus numero omnes replet. Homines igitur
infideles non pertinent ad unionem corporis Ecclesiae, secundum quod est unum
simpliciter; et ideo respectu horum Christus caput non est nisi in potentia,
secundum scilicet quod sunt unibiles corpori. Homines autem fideles
peccatores pertinent quidem aliquo modo ad unitatem Ecclesiae inquantum
continuantur ei per fidem, quae est unitas materialis; non tamen possunt dici
membra proprie, nisi sicut membrum mortuum, scilicet aequivoce. Et quia
unitas corporis ex membris consistit, ideo quidam dicunt, quod non pertinent
ad unitatem corporis Ecclesiae, quamvis pertineant ad unitatem Ecclesiae; et
sicut operationes quae sunt ad alterum, possunt aliquo modo fieri per membra
arida, ut percutere, vel aliquid hujusmodi, non tamen operationes quae sunt
animae in membris; ita nec mali recipiunt spiritualis vitae operationes a
spiritu sancto; sed tamen spiritus sanctus per eos operatur spiritualem vitam
in aliis, secundum quod aliis sacramenta ministrant, vel alios docent. Sed
homines fideles in gratia existentes uniuntur secundum tertiam unionem, quae
est formalis respectu hujus secundae; et iterum secundum quartam, quae est
completiva totius. Et ideo horum proprie dicitur Christus caput. |
Dans le corps naturel, on trouve une quadruple union des membres entre eux. La première se réalise selon une conformité de nature, car tous les membres sont constitués des mêmes parties semblables et ils ont le même caractère : ainsi, la main et le pied sont constitués de chair et d’os. On dit ainsi que les membres sont une seule chose selon le genre ou l’espèce. La deuxième se réalise par leur assemblage réciproque par les nerfs et les articulations ; on dit ainsi qu’ils sont une seule chose par mode de continuité. La troisième se réalise selon que l’esprit vital et les puissances de l’âme sont répandus dans tout le corps. La quatrième se réalise selon que tous les membres sont perfectionnés par l’âme, qui est unique dans tous les membres. Ces quatre unions se trouvent dans le corps mystique. La première existe selon que tous ses membres ont une seule nature par l’espèce ou par le genre. La deuxième existe pour autant qu’ils sont unis les uns aux autres par la foi, parce qu’ainsi ils se rejoignent dans un même objet de foi. La troisième existe selon qu’ils sont vivifiés par la grâce et la charité. La quatrième existe selon que l’Esprit saint se trouve en eux, lui qui est la perfection ultime et principale de tout le corps mystique, comme l’âme dans le corps naturel. La première de ces unions n’est pas une union à parler simplement, car ce en quoi se réalise l’union n’est pas une seule chose en nombre, comme c’est le cas pour les trois suivantes, car ils sont unis selon le nombre par la foi et la charité dans un seul objet de foi et d’amour ; de même, l’Esprit Saint, unique en nombre, les remplit tous. Les infidèles n’appartiennent donc pas à l’union du corps de l’Église, selon qu’elle est tout simplementune seule chose ; c’est pourquoi, par rapport à eux, le Christ n’est tête qu’en puissance, selon qu’ils peuvent être unis au corps. Mais les pécheurs appartiennent cependant d’une certaine manière à l’unité de l’Église pour autant qu’ils sont en continuité avec elle par la foi, qui est une unité selon la matière ; mais ils ne peuvent être appelés des membres au sens propre que comme un membre mort, c’est-à-dire de manière équivoque. Et parce que l’unité du corps est constitué des membres, certains disent donc qu’ils n’appartiennent pas à l’unité du corps de l’Église, bien qu’ils appartiennent à l’unité de l’Église. Et comme les opérations qui en concernent un autre peuvent être accomplies d’une certaine manière par des membres desséchés, comme frapper ou quelque chose de ce genre, mais non pas cependant les opérations accomplies par l’âme dans les membres, ainsi les méchants ne reçoivent-ils pas du Saint-Esprit les opérations de la vie spirituelle. Toutefois, l’Esprit Saint réalise par eux la vie spirituelle chez d’autres, selon qu’ils administrent à d’autres les sacrements ou leur enseignent. Mais les fidèles se trouvant en grâce sont unis selon la troisième union, qui a un caractère formel en regard de la deuxième, et aussi selon la quatrième, qui complète l’ensemble. Aussi le Christ est-il appelé la tête de ceux-ci au sens propre. |
[9066] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut in corpore naturali vires
diffusae per omnia membra, differunt numero secundum essentiam, sed
conveniunt in radice una secundum numerum, et praeter hoc habent formam unam
ultimam numero; ita etiam omnia membra corporis mystici habent pro ultimo
complemento spiritum sanctum, qui est unus numero in omnibus: et ipsa caritas
diffusa in eis per spiritum sanctum, quamvis differat in diversis secundum
essentiam, convenit tamen in una radice secundum numerum. Radix autem
operationis proprie est ipsum objectum, ex quo speciem trahit: et ideo,
inquantum est idem numero amatum et creditum ab omnibus, secundum hoc unitur
omnium fides et caritas in una radice secundum numerum, non solum prima, quae
est spiritus sanctus, sed etiam proxima, quae est proprium objectum. |
1. De même que, dans le corps naturel, les puissances répandues dans tous les membres diffèrent en nombre selon leur essence, mais se rejoignent dans une seule source en nombre et, en plus de cela, possèdent une seule forme ultime en nombre, de même aussi tous les membres du corps mystique possèdent-ils comme complément ultime l’Esprit Saint, qui est unique en nombre chez tous. Et la charité même, répandue en eux par l’Esprit Saint, bien qu’elle diffère en chacun selon l’essence, a cependant une seule racine en nombre. Or, la source d’une opération est, au sens propre, son objet, dont elle tire son espèce. C’est pourquoi, pour autant qu’il y a un seul objet d’amour et de foi pour tous, la foi et la charité de tous est unifiée en une seule source en nombre, non seulement dans la [source] première, qui est l’Esprit Saint, mais dans la [source] rapprochée, qui est l’objet propre. |
[9067] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per corpus
Christi verum significantur ea quae sunt membra corporis mystici; non autem
ea quae sunt membra aequivoce, idest secundum similitudinem tantum et situm. |
2. Ceux qui sont membres du corps mystique sont signifiés par le corps véritable du Christ, mais non pas ceux qui [en] sont membres de manière équivoque, c’est-à-dire seulement par une ressemblance et selon la position. |
[9068] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod membrum non
judicatur secundum id quod de eo fieri potest, sed secundum id quod est; unde
manus, antequam abscindatur, membrum est, quamvis sit futura abscindi: et
similiter qui est in gratia, membrum est, quamvis postea abscindatur. |
3. Un membre n’est pas jugé selon ce qu’il peut devenir, mais selon ce qu’il est. Aussi la main, avant d’être coupée, est-elle un membre, bien qu’elle doive être coupée. De même, celui qui est en grâce est-il un membre, bien qu’il soit retranché par la suite. |
[9069] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis Christus
nondum fuisset incarnatus tempore patrum veteris testamenti secundum rem,
erat tamen jam incarnatio ipsa in Dei ordinatione, et in fide ipsorum,
secundum quam fidem justificabantur: quia tempora mutata sunt, et non fides,
ut dicit Augustinus. Sed
tamen non fuit tanta influentia ante incarnationem, quanta est modo: quia
tunc non erat remotum obstaculum, nec sacramenta gratiae exhibita erant,
sicut modo sunt. |
4. Bien que le Christ n’ait pas été réellement incarné au temps des pères de l’Ancien Testament, l’incarnation existait cependant déjà dans le dessein de Dieu et dans leur foi, par laquelle ils étaient justifiés, car « les temps ont changé, mais non la foi », comme le dit Augustin. Cependant, l’influx n’était pas aussi grand avant l’incarnation qu’il l’est maintenant, car l’obstacle n’avait pas alors été enlevé ni les sacrements de la grâce, donnés, comme ils le sont maintenant. |
[9070] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 2 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod Christus satisfecit pro tota humana natura sufficienter, non
tamen efficienter: quia non omnes illius satisfactionis participes fiunt;
quod ex eorum importunitate est, non ex ipsius insufficientia satisfactionis. |
5. Le Christ a satisfait pour toute la nature humaine de manière suffisante, mais non pas cependant de manière effective, car tous ne deviennent pas participants de cette satisfaction, en raison de leur obstination, et non de l’insuffisance de la satisfaction elle-même. |
[9071] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod
resurrectio ad vitam naturalem erit omnibus communis, non autem ad vitam
gloriae: quia mali in vita naturali tantum conformitatem habuerunt cum
membris Ecclesiae, non autem in vita gratiae. Unde ex hoc non sequitur quod sint membra, proprie loquendo. |
6. La résurrection pour la vie naturelle sera commune à tous, mais non pour la vie de la gloire, car les méchants n’ont eu qu’une conformité dans la vie naturelle avec les membres de l’Église, mais non dans la vie de la grâce. Il n’en découle donc pas qu’ils soient des membres, à parler au sens propre. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[9072] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam
quaestionem dicendum, quod Christus est caput hominum quantum ad animas et
quantum ad corpora; sed principaliter animarum et secundario corporum: tum
ratione conformitatis ad membra, quae per assumptionem humanae naturae est;
quia corpus assumpsit anima mediante: tum etiam ratione spiritualis influentiae,
quae pervenit ad corpus mediante anima, inquantum corpus est instrumentum
animae secundum gratiam operantis: et ex hoc relinquitur ordo in corpore ad
gloriosam resurrectionem. |
Le Christ est la tête des hommes pour les âmes et pour les corps, mais principalement pour les âmes et secondairement pour les corps, tant en raison de la conformité avec les membres, qui s’est réalisée par l’assomption de la nature humaine, car il a assumé le corps par l’intermédiaire de l’âme, qu’en raison de l’influence spirituelle, qui est parvenue au corps par l’intermédiaire de l’âme, pour autant que son corps est l’instrument de l’âme qui opère selon la grâce. Et un ordre à la résurrection glorieuse est ainsi laissé dans le corps. |
[9073] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod corpora
nostra aliquo modo habent continuationem cum corpore Christi, non quidem
secundum quantitatem, aut secundum perfectionem naturalem, sed inquantum
spiritus sanctus habitat in nobis, qui plenissime fuit in Christo, 1 Corinth.
6, 15: nescitis
quoniam membra vestra templum sunt spiritus sancti. |
1. Nos corps ont d’une certaine manière
une continuité avec le corps du Christ, non pas selon la quantité ou selon la
perfection naturelle, mais en tant que l’Esprit Saint habite en nous, lui qui
se trouvait dans le Christ avec la plus grande plénitude,
1 Co 6, 15 : Ne
savez-vous pas que vos membres sont le temple de l’Esprit Saint ? |
[9074] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2
qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis
corpus non recipiat influentiam spiritualem immediate, recipit tamen mediante
anima, ut dictum est. |
2. Bien que le corps ne reçoive pas de manière immédiate l’influx spirituel, il le reçoit cependant par l’intermédiaire de l’âme, comme on l’a dit. |
[9075] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc.
3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod etiam
secundum corpora a brutis differimus, inquantum corpora nostra sunt perfecta
anima rationali, non autem corpora brutorum. |
3. Nous différons des animaux sans raison même par le corps, dans la mesure où nos corps sont perfectionnés par une âme raisonnable, mais non les corps des animaux sans raison. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [La grâce d’union]
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Prooemium |
Prologue |
[9076] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 pr. Deinde quaeritur de gratia unionis: et
circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum gratia unionis sit aliqua gratia creata; 2
de comparatione istius gratiae ad alias Christi gratias. |
On s’interroge ensuite sur la grâce d’union. À ce propos, deux questions sont posées : 1 – La grâce d’union est-elle une grâce créée ? 2 – La comparaison entre cette grâce et les autres grâces du Christ. |
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Articulus 1 [9077] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1
tit. Utrum gratia
unionis sit creata |
Article 1 – La grâce d’union est-elle créée ? |
[9078] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod gratia unionis
non sit creata. Gratia enim creata, est gratia habitualis. Sed habitus ordinatur ad
operationem. Cum ergo unio in persona non sit secundum operationem, sed
secundum esse, videtur quod gratia unionis non sit gratia creata. |
1. Il semble que la grâce d’union ne soit pas créée. En effet, la grâce créée est la grâce habituelle. Or, les habitus sont ordonnés à l’opération. Puisque l’union dans la personne n’est pas selon l’opération, mais selon l’être, il semble donc que la grâce d’union ne soit pas créée. |
[9079] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, quilibet
nostrum Deo unitur per gratiam creatam. Si igitur gratia unionis in Christo fuisset
creata gratia, tunc non alio modo esset Deo unitus quam nos; et sic sequeretur
error Nestorii. |
2. Chacun de nous est uni à Dieu par la grâce créée. Si donc la grâce d’union chez le Christ était une grâce créée, il ne serait pas alors uni à Dieu autrement que nous, et l’erreur de Nestorius découlerait de cela. |
[9080] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1
arg. 3 Praeterea, unio est humanitatis ad
divinitatem secundum corpus et animam. Sed corpus non est susceptivum creatae
gratiae. Ergo gratia
unionis non est aliqua gratia creata. |
3. L’union de l’humanité à la divinité se réalise selon le corps et l’âme. Or, le corps n’est pas apte à recevoir la grâce créée. La grâce d’union n’est donc pas une grâce créée. |
[9081] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1
arg. 4 Praeterea, in his quae fiunt per
miraculum, non requiritur aliqua dispositio ex parte facti, sed totum est ex
parte infinitae virtutis agentis: ita Deus potuit de lapide sicut de aqua
vinum facere. Sed unio
humanitatis ad divinitatem est maxime miraculosa. Ergo non requiritur aliqua
gratia creata quae disponat ad hanc unionem. |
4. Pour les choses qui sont réalisées par miracle, une disposition n’est pas requise de la part de ce qui est fait, mais cela vient entièrement de la puissance infinie qui agit ; ainsi, Dieu pouvait faire du vin à pasrtir d’une pierre comme à partir de l’eau. Or, l’union de l’humanité à la divinité est miraculeuse au plus haut point. Une grâce créée n’est donc pas nécessaire pour disposer à cette union. |
[9082] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1
arg. 5 Praeterea,
inter personam et naturam non cadit aliquid accidens medium, sicut nec inter
materiam et formam: quia secundum formam substantialem et materiam est esse
substantiale, quo non est prius aliquid esse accidentale. Sed unio humanae naturae
est ad Deum sicut naturae ad personam. Ergo non cadit aliquid medium. Sed gratia creata est accidens. Ergo
gratia unionis non est gratia creata. |
5. Entre la personne et la nature, n’intervient pas d’accident intermédiaire, pas davantage qu’entre la matière et la forme, car l’être substantiel vient de la forme substantielle et de la matière, que ne précède pas un être accidentel. Or, l’union de la nature humaine à à Dieu est comme celle de la nature à la personne. Aucun intermédiaire n’intervient donc. Or, la grâce est un accident. La grâce d’union n’est donc pas une grâce créée. |
[9083] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1
arg. 6 Sed contra, Augustinus dicit, quod quidquid convenit filio Dei per
naturam, convenit filio hominis per gratiam. Sed esse Deum convenit filio Dei
per naturam. Ergo non convenit filio hominis per gratiam: et haec est gratia
unionis, quae non semper fuit: ergo est gratia creata. |
Cependant, [6] Augustin dit que « tout ce qui convient au Fils de Dieu par nature convient au fils de l’homme par grâce ». Or, être Dieu convient au Fils de Dieu par nature. Cela ne convient donc pas au fils de l’homme par grâce. Et telle est la grâce d’union, qui n’a pas toujours existé. Elle est donc une grâce créée. |
[9084] Super Sent., lib. 3 d.
13 q. 3 a. 1 arg. 7 Praeterea, major est unio in persona quam per fruitionem. Sed humana
natura non potest
exaltari ad unionem fruitionis nisi per gratiam habitualem. Ergo multo minus
ad unionem in persona. |
[7] L’union dans la personne est plus grande que celle de la jouissance (fruitio). Or, la nature humaine ne peut être élevée à l’union de la jouissance que par une grâce habituelle. Donc, encore bien moins à l’union dans la personne. |
[9085] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1
arg. 8 Praeterea, cum sit in qualibet
creatura per essentiam, praesentiam et potentiam, et in animabus sanctis per
gratiam; aut in anima Christi est alio modo, aut non. Si non, ergo non est
magis assumpta a divina persona quam anima Petri. Si autem alio modo; sed
Deus quantum in se est, habet se eodem modo ad omnia, sed res diversimode se
habent ad ipsum, ut dicitur in libro de causis; et secundum hoc quod diversa
diversimode se habent ad ipsum, secundum hoc diversis diversimode ipse
comparatur: ergo oportet quod in anima Christi sit aliqua alia dispositio per
quam Deus est in eo per unionem: ergo oportet ponere aliquam aliam gratiam
creatam. |
[8] Puisque [Dieu] se trouve en toute créature par son essence, sa présence et sa puissance, et dans les âmes saintes par la grâce, soit il se trouve dans l’âme du Christ d’une autre manière, soit non. Si ne s’y trouve pas, [l’âme du Christ] n’a pas été plus assumée par une personne divine que l’âme de Pierre. Mais si c’est d’une autre manière, Dieu, en tant qu’il existe en lui-même, a le même rapport avec toutes choses, mais les choses ont un rapport différent avec lui, comme on le dit dans le Livre sur les causes. Et selon qu’elles ont un rapport différent avec lui, lui-même a un rapport différent [avec elles]. Il faut donc qu’il y ait dans l’âme du Christ une autre disposition par laquelle Dieu est en lui par l’union. Il est donc nécessaire d’affirmer une autre grâce créée. |
[9086] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1
arg. 9 Praeterea, cum spiritus sanctus datur
hominibus, aliquis novus effectus in creatura intelligitur. Ergo et similiter
secundum quod persona filii carni unitur, oportet aliquem effectum de novo
intelligi; et ita videtur quod gratia unionis sit quid creatum. |
9. Lorsque l’Esprit Saint est donné aux hommes, on comprend qu’il y a un nouvel effet dans la créature. De même, selon que la personne du Fils est unie à la chair, il faut donc comprendre qu’il existe un nouvel effet. Ainsi, il semble que la grâce d’union soit quelque chose de créé. |
[9087] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut Magister
dixit supra, 2 Lib., dist. 26, gratia dicitur dupliciter. Uno modo gratia
gratis dans, quod est ipsa gratuita Dei voluntas aliquid sine meritis dans.
Alio modo dicitur gratia donum aliquod gratis datum. Secundum ergo primum
modum, gratia unionis dicitur ipsa divina voluntas, sine aliquibus meritis
naturam humanam filio Dei uniens in persona; et sic gratia unionis est gratia
increata. Si autem dicatur gratia donum aliquod gratis datum, sic gratia
unionis potest intelligi dupliciter. Uno modo potest dici ipsa unio, quae est
quid creatum, ut supra, dist. 5, artic. 1, dictum est. Alio modo potest
intelligi gratia unionis, aliqua qualitas ad unionem disponens. Sed aliquid
potest disponere ad aliquam perfectionem tripliciter. Uno modo ita quod cadat
medium inter subjectum et perfectionem illam, quasi stramentum perfectionis
illius, sicut diaphaneitas disponit ad lucem; et hoc modo non potest aliquid
naturam disponere ad unionem, quia natura unitur personae immediate quantum
ad esse. Alio modo disponit aliquid ad formam, sicut praeparando materiam ad
receptionem formae, ita quod praeexistat in materia ante formam ordine
fiendi, non ordine essendi: sicut calor disponit ad formam ignis, non quia
medium cadit inter formam et materiam, sed materia appropriatur ad formam
ignis per adventum caloris; et sic etiam non potest aliquid disponere naturam
ad unionem in persona: quia natura humana, secundum id quod est talis natura,
assumptibilis est a divina persona. Tertio modo aliquid disponit aliud ad
perfectionem aliquam, sicut quod facit ad bonitatem et decentiam perfectionis
illius, sicut decor personae facit ad dignitatem regiam, secundum quod dictum
est: species Priami digna est imperio; et hoc modo gratia unionis
potest dici omne illud quod decet naturam humanam Deo unitam sic ex parte
corporis, sicut ex parte animae; et sic etiam gratia unionis est quid
creatum. Tamen sancti loquentes de gratia unionis, videntur intelligere
secundum primum modum, prout gratia dicitur divina voluntas gratis et sine
meritis dans: et sic secundum diversas vias, ad argumenta utriusque partis
oportet respondere. |
Réponse. Comme le Maître l’a dit plus haut, livre II, d. 26, la grâce s’entend de deux manières. D’une manière, la grâce qui donne gratuitement, qui est la volonté gratuite de Dieu, qui donne quelque chose sans aucun mérite. D’une autre manière, on parle de grâce pour le don gratuitement donné. Selon la première manière, on appelle grâce d’union la volonté divine elle-même, qui unit dans la personne du Fils de Dieu la nature humaine sans aucun mérite ; la grâce d’union est ainsi une grâce incréée. Mais si on appelle grâce un don donné gratuitement, on peut ainsi parler de grâce d’union de deux manières. D’une manière, elle peut désigner l’union elle-même, qui est quelque chose de créé, comme on l’a dit plus haut, d. 5, a. 1. D’une autre manière, on peut entendre la grâce d’union d’une qualité qui dispose à l’union. Or, quelque chose peut disposeer à une perfection de trois manières. D’une manière, de telle sorte qu’intervienne un intermédiaire entre le sujet et la perfection, comme une couverture pour cette perfection : ainsi, le milieu diaphane dispose à la lumière. De cette manière, une chose de peut disposer la nature à l’union, car la nature est unie de manière immédiate à la personne dans son être. D’une autre manière, une chose dispose à la forme en préparant la matière à la réception de la forme, de sorte qu’elle préexiste dans la matière avant la forme dans l’ordre du devenir, mais non dans l’ordre de l’être : ainsi, la chaleur dispose à la forme du feu, non pas parce qu’un intermédiaire intervient entre la forme et la matière, mais parce que la matière est disposée à la forme du feu par l’arrivée de la chaleur. De cette manière aussi, une chose ne peut disposer la nature à l’union dans la personne, car la nature humaine, selon ce qu’est une telle nature, peut être assumée par une personne divine. D’une troisième manière, une chose dispose quelque chose d’autre à une perfection, comme ce qui contribue à la bonté et à la convenance de cette perfection ; ainsi la grâce de la personne contribue à la dignité royale, selon l’adage : « L’aspect de Priam le rend digne du commandement. » De cette manière, on peut parler de grâce d’union pour tout ce qui convient à la nature humaine unie à Dieu, de la part du corps comme de la part de l’âme. De cette manière encore, la grâce d’union est quelque chose de créé. Toutefois, en parlant de la grâce d’union, les saints semblent l’entendre de la première manière, pour autant qu’est appelée grâce la volonté divine qui donne gratuitement et sans mérites. Selon les diverses approches, il faut donc répondre aux arguments des deux parties. |
[9088] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod gratia creata disponit ad operationem sicut operationis principium; sed ad unionem non
quasi principium unionis, sed sicut faciens ad congruentiam unionis. |
1. La grâce créée dispose à l’opération comme un principe de l’opération, mais à l’union, non pas comme un principe de l’union, mais comme contribuant à la convenance de l’union. |
[9089] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1
ad 2 Ad secundum dicendum, quod unio nostri
ad Deum est per gratiam habitualem creatam sicut per causam, et sicut per id
in quo est unio: quia in ipsa similitudine gratiae anima Deo conformatur et
unitur. Sed si gratia unionis dicatur aliquid creatum, ipsa non est id in quo
est unio, cum unio sit in persona, et non solum in aliqua similitudine: neque
etiam facit unitatem, sed consequitur unitatem in persona, secundum quod ipsa
unio gratia unionis dicitur; vel est id quod naturam unitam decet, si gratia
habitualis, gratia unionis dicatur; et ideo non est simile de Christo et de
nobis. |
2. L’union de nous à Dieu se réalise par une grâce habituelle créée comme par sa cause et comme ce en quoi consiste l’union, car l’âme est conformée et unie à Dieu par la similitude même de la grâce. Mais si on dit que la grâce d’union est quelque chose de créé, elle n’est pas ce en quoi consiste l’union, puisque l’union se réalise dans la personne, et non pas seulement par une similitude ; elle ne réalise pas non plus l’unité, mais elle suit l’unité dans la personne, selon que l’union elle-même est appelée grâce d’union ; ou bien elle est ce qui convient à la nature unie, si on dit que la grâce d’union est une grâce habituelle. Il n’en va donc pas de même du Christ et de nous. |
[9090] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1
ad 3 Ad tertium dicendum, quod gratia illa
habitualis etiam quodammodo redundat in corpus, secundum quod est stramentum
animae, ut supra dictum est, qu. 2, art. 2, quaestiunc. 3; unde sicut in
corpore perfecto anima rationali manet post mortem ordo ad resurrectionem, et
ulterius ad gloriam, si anima quae fuit ejus perfectio, gratiam habuit; ita
etiam corpus Christi, inquantum est tali anima perfectum, habet quemdam ordinem
ad unionem. |
3. Cette grâce habituelle rejaillit aussi d’une certaine manière sur le corps, selon qu’elle est une couverture pour l’âme, comme on l’a dit, q. 2, a. 2, qa 3. De même qu’après la mort, un ordre à la résurrection et, au-delà, à la gloire demeure dans le corps perfectionné par l’âme raisonnable, si l’âme qui était sa perfection possédait la grâce, de même aussi le corps du Christ, en tant qu’il est perfectionné par une telle âme, possède-t-il un certain ordre à l’union. |
[9091] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
ratio illa procedit de dispositione secundum medium modum. |
4. Cet argument s’appuie sur la disposition selon la manière intermédiaire. |
[9092] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1
ad 5 Ad quintum dicendum, quod illa ratio procedit secundum primum modum
dispositionis, ut per se patet. |
5. Cet argument s’appuie sur le premier mode de disposition, comme cela est évident par soi. |
[9093] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1
ad 6 Ad sextum dicendum, quod cum dicitur,
quod esse Deum convenit filio hominis per gratiam unionis, vel gratia
unionis, intelligitur ipsa unio gratis facta, quae non semper fuit, et creata
est: vel intelligitur ipsa gratuita Dei voluntas, quae quidem in se semper
fuit, sed effectus ejus non semper fuit. |
6. Lorsqu’on dit qu’être Dieu convient au fils de l’homme par la grâce d’union ou grâce à l’union, on entend l’union elle-même gratuitement réalisée, qui n’a pas toujours existé et a été créée. Ou bien on entend la volonté gratuite de Dieu elle-même, qui a toujours existé en elle-même, mais dont l’effet n’a pas toujours existé. |
[9094] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1
ad 7 Ad septimum dicendum, quod unio quae
est per fruitionem, est unio per operationem; et quia ad operationem
perfectam non potest natura humana nisi mediante aliquo habitu; ideo oportet
ibi esse aliquam habitualem gratiam, quae sit principium illius unionis; sed
unio in persona, est unio ad esse: inter humanam autem naturam, et esse quod
habet in persona, non potest cadere medium, quod sit principium illius esse;
et ideo non potest ibi esse alia gratia quae sit principium illius unionis,
vel sicut disponens, nisi per modum dictum in corp. art. |
7. L’union qui consiste dans la jouissance est une union par une opération ; parce que la nature humaine n’est capable d’une opération parfaite que par l’intermédiaire d’un habitus, il faut donc qu’il y ait là une grâce habituelle qui soit le principe de cette union. Mais l’union dans la personne est une union dans l’être. Or, entre la nature humaine et l’être qu’elle a dans la personne, un intermédiaire ne peut intervenir qui soit le principe de cet être. Aussi ne peut-il pas exister une autre grâce qui serait le principe de cette union ou y disposerait, si ce n’est de la manière dite dans le corps de l’article. |
[9095] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod
hoc quod Deus est in anima Christi, vel in natura assumpta alio modo quam in
aliis creaturis, non est per aliquam dispositionem advenientem, sed per ipsum
esse personae divinae, quod communicatur naturae humanae. |
8. Le fait que Dieu existe d’une autre manière dans l’âme du Christ ou dans la nature assumée que dans les autres créatures ne vient pas d’une disposition qui surviendrait, mais de l’être même de la personne divine, qui est communiqué à la nature humaine. |
[9096] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1
ad 9 Ad nonum dicendum, quod spiritus sanctus dicitur dari de novo, non
secundum mutationem suam, sed secundum mutationem creaturae, quae est in
perceptione doni ipsius; et ita etiam filius Dei dicitur uniri naturae
humanae, non per mutationem filii Dei, sed per mutationem humanae naturae,
sive exaltationem ipsius non ad aliquod donum creatum, sed ad ipsum esse
increatum divinae personae. |
9. On dit que l’Esprit Saint est donné de nouveau, non pas selon un changement de sa part, mais selon un changement de la créature, qui se réalise par la réception du don lui-même. Ainsi dit-on que le Fils de Dieu est uni à la nature humaine, non pas en vertu d’un changement du Fils de Dieu, mais en vertu d’un changement de la nature humaine, ou par son élévation, non pas à quelque don créé, mais à l’être incréé même de la personne divine. |
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Articulus 2 [9097] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2
tit. Utrum gratia
unionis sit idem quod gratia capitis |
Article 2 – La grâce d’union est-elle la même chose que la grâce de la tête ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La grâce d’union est-elle la même chose que la grâce de la tête ?] |
[9098] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod gratia unionis sit idem quod gratia capitis.
Christus enim dicitur caput Ecclesiae, secundum quod de ejus plenitudine
omnes accepimus. Sed plenitudo
ejus est secundum quod ipse est unigenitus a patre, ut dicitur Joan. 1. Cum
igitur unigenitus sit a patre per gratiam unionis, videtur quod gratia
unionis sit idem quod gratia capitis. |
1. Il semble que la grâce d’union soit la même chose que la grâce de la tête. En effet, le Christ est appelé tête de l’Église selon que nous recevons tous de sa plénitude. Or, sa plénitude vient de ce qu’il est lui-même le Fils unique du Père, comme il est dit en Jn 1. Puisque le Fils unique vient du Père par la grâce d’union, il semble donc que la grâce d’union soit la même chose que la grâce de la tête. |
[9099] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea,
medium communicat cum extremis. Sed Christus,
secundum quod caput est Ecclesiae, medium est inter Deum et homines: quia
caput viri Christus, caput Christi Deus. Ergo est caput, secundum quod communicat cum utroque. Sed hoc habet
per gratiam unionis, per quam est Deus et homo. Ergo gratia unionis est
gratia capitis. |
2. Le milieu a quelque chose en commun avec les extrêmes. Or, le Christ, en tant qu’il est la tête de l’Église, est l’intermédiaire entre Dieu et les hommes, car la tête de l’homme est le Christ, et la tête du Christ est Dieu. Il est donc la tête en tant qu’il a quelque chose de commun avec les deux. Or, il a cela par la grâce d’union, par laquelle il est Dieu et homme. La grâce d’union est donc la grâce de la tête. |
[9100] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Christus est
caput Ecclesiae, secundum quod homines excedit. Sed excedit humanam naturam per gratiam unionis.
Ergo est caput per gratiam unionis. |
3. Le Christ est la tête de l’Église selon qu’il dépasse les hommes. Or, il dépasse la nature humaine par la grâce d’union. Il est donc la tête par la grâce d’union. |
[9101] Super Sent., lib. 3 d.
13 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, gratia capitis convenit Christo in comparatione ad alios:
sed gratia unionis in seipso tantum. Ergo una non est alia. |
Cependant, [1] la grâce de la tête convient au Christ par
rapport aux autres. Or, la grâce d’union [lui convient] en lui-même
seulement. L’une n’est donc pas l’autre. |
[9102] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, gratia capitis operata est a constitutione mundi, ex
quo homines membra ejus esse coeperunt, non autem gratia unionis. Ergo una
non est alia. |
[2] La grâce de la tête a été réalisée depuis la création du monde, alors que les hommes ont commencé à être ses membres. Or, ce n’est pas le cas de la grâce d’union. L’une n’est donc pas l’autre. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La grâce de la tête est-elle la même que sa grâce indivuelle ?] |
[9103] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod sit eadem gratia capitis, et gratia singularis ipsius. Quia
eadem scientia est qua quis est sciens, et alios docens; et secundum
philosophum, eadem per essentiam est virtus qua quis in se perfectus est, et
justitia legalis qua perficitur in ordine ad bonum commune. Ergo similiter
eodem habitu Christus fuit in seipso perfectus, et in alios perfectionem
influens. |
1. Il semble que la grâce de la tête soit la même que sa grâce individuelle, car c’est par la même science que quelqu’un connaît et en enseigne d’autres, et, selon le Philosophe, la vertu par laquelle quelqu’un est parfait en lui-même est essentiellement la même que la justice légale par laquelle il est perfectionné en vue du bien commun. De même, le Christ était-il parfait en lui-même par le même habitus qu’il a donné aux autrres la perfection. |
[9104] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
gratia est vita animae. Sed unius subjecti est una vita. Ergo et gratia una:
et sic idem quod prius. |
2. La grâce est la vie de l’âme. Or, un seul sujet possède une seule vie. La grâce est donc unique, et ainsi la conclusion est la même que précédemment. |
[9105] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut caput
comparatur ad alia membra, ita alia membra ad caput. Sed non distinguitur in
membris Christi gratia per quam perficiuntur in se, a gratia secundum quam
sunt membra. Ergo nec in Christo debet distingui gratia per quam est caput, a
gratia singulari ipsius secundum quam perficitur in se. |
3. De même que la tête est comparée aux autres membres, de même les autres membres le sont-ils à la tête. Or, on ne fait pas de distinction chez les membres du Christ entre la grâce par laquelle ils sont perfectionnés en eux-mêmes et la grâce par laquelle ils sont des membres. On ne doit pas non plus faire de distinction chez le Christ entre la grâce par laquelle il est la tête et sa grâce individuelle, selon laquelle il est parfait en lui-même. |
[9106] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2
qc. 2 arg. 4 Sed contra, sicut per Adam intravit peccatum in mundum; ita per
Christum gratia et justitia; Rom. 5. Sed in Adam distinguitur aliud peccatum
actuale, quod est singulare ipsius, aliud originale quod transfudit in posteros.
Ergo in Christo debet alia et alia gratia distingui. |
4. Cependant, de même que le péché est entré dans le monde par Adam, de même la grâce et la justice le sont-elles par le Christ, Rm 5. Or, chez Adam, on fait une distinction entre le péché actuel, qui lui est propre, et le péché originel, qu’il a transmis aux autres. Il faut donc faire chez le Christ une distinction entre l’une et l’autre grâce. |
[9107] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2
qc. 2 arg. 5 Praeterea, ad diversos actus diversi
habitus ordinantur. Sed alius actus est bene operari, et alius influere. Ergo et alius habitus gratiae; et sic idem
quod prius. |
5. Des habitus différents sont ordonnés à des actes différents. Or, c’est un acte de bien agir, et un autre d’influer [sur les autres]. L’habitus de la grâce est donc différent, et ainsi la conclusion est la même que précédemment. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La grâce de la personne individuelle précède-t-elle la grâce d’union ?] |
[9108] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod gratia singularis personae praecedat gratiam unionis. Quia
gratia singularis personae facit ad congruitatem unionis. Sed anima, quae
facit ad congruitatem unionis corporis, prius intelligitur uniri corpori quam
ipsa unita ad invicem intelligantur uniri divinae personae. Ergo similiter
prius etiam secundum intellectum est gratia singularis in natura humana quam
gratia unionis. |
1. Il semble que la
grâce de la personne individuelle précède la grâce d’union, car la grâce de
la personne individuelle contribue à la convenance de l’union. Or, on
comprend que l’âme, qui contribue à la convenance de l’union du corps, est d’abord
unie au corps, avant que les deux ne soient unis à la personne divine. Dans
la nature humaine, la grâce individuelle précède donc la grâce d’union selon
l’intellect. |
[9109] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2
qc. 3 arg. 2 Item, videtur quod sit prius gratia
capitis. Quia prius consideratur aliquid in se perfectum quam alteri
perfectionem largiens. Sed gratia singularis est qua in se perfectus est;
gratia autem capitis secundum quam perfectionem alteri largitur. Ergo gratia singularis est
prior quam gratia capitis. |
2. Il semble que la grâce de la tête soit antérieure, car on envisage d’abord quelque chose comme parfait en soi avant [de l’envisager] comme donnant sa perfection à quelque chose d’autre. Or, la grâce individuelle est celle par laquelle il est parfait en lui-même, mais la grâce de la tête, par laquelle il confère à un autre sa perfection. La grâce individuelle est donc antérieure à la grâce de la tête. |
[9110] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2
qc. 3 arg. 3 Item, videtur quod gratia unionis sit
prior quam gratia capitis. Quia ex hoc
est caput quod justificat. Sed per fidem incarnationis justificat, ut supra
dictum est. Ergo incarnatio praecedit gratiam capitis. |
3. Il semble que la grâce d’union soit antérieure à la grâce de la tête, car il est la tête parce qu’il justifie. Or, il justifie par la foi en l’incarnation, comme on l’a dit plus haut. L’incarnation précède donc la grâce de la tête. |
[9111] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2
qc. 3 arg. 4 Sed contra, gratia capitis operata est
ante incarnationem; non autem gratia unionis, nec gratia singularis personae.
Ergo gratia capitis est
prior illis duabus. |
4. Cependant, la grâce de la tête a agi avant l’incarnation, mais non la grâce d’union ni la grâce de la personne individuelle. La grâce de la tête est donc antérieure à ces deux autres. |
[9112] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2
qc. 3 arg. 5 Item, videtur
quod gratia unionis sit prior quam gratia singularis. Quia ex hoc quod fuit
unigenitus a patre, fuit plenus gratia et veritate. Sed unigenitus a patre
fuit per gratiam unionis. Ergo gratiam singularis personae habuit per gratiam
unionis; et sic illa est prior. |
5. Il semble que la grâce d’union soit antérieure à la grâce individuelle, car il était rempli de grâce et de vérité par le fait qu’il était le Fils unique du Père. Or, il a été le Fils unique du Père par la grâce d’union. Il possédait donc la grâce de la personne individuelle en vertu de la grâce d’union ; celle-ci était donc antérieure. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[9113] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad
primam quaestionem, quod si gratia unionis dicatur gratia habitualis
quodammodo disponens ad unionem, sic eadem est per essentiam gratia unionis,
capitis, et singularis illius hominis, solum ratione differens: quia
inquantum perficiebat animam Christi ad actus meritorios, dicitur gratia
illius singularis hominis; inquantum vero tanta erat hujus gratiae copia ut
in alios redundare posset, dicitur gratia capitis; inquantum vero gratiam tam
plenam decebat inesse assumptae naturae, potest quodammodo dici gratia
unionis. Si vero gratia
dicatur voluntas Dei gratuita, sic iterum constat quod est una. Aliis autem
modis accipiendo gratiam unionis, constat quod per essentiam differt, nisi
quatenus intelligitur caput, ut Deus. |
Si on appelle grâce d’union une grâce habituelle qui dispose d’une certaine manière à l’union, alors la grâce d’union, la grâce de la tête et la grâce individivuelle de cet homme sont essentiellement les mêmes, et elles ne diffèrent que selon la raison, car, en tant qu’elle perfectionnait l’âme du Christ en vue d’actes méritoires, elle est appelée la grâce de cet homme individuel ; mais en tant que cette grâce était d’une telle abondance qu’elle pouvait rejaillir sur d’autres, elle est appelée grâce de la tête ; en tant qu’il convenait qu’une grâce aussi totale soit présente dans la nature assumée, elle peut d’une certaine manière être appelée grâce d’union. Mais si on appelle grâce la volonté gratuite de Dieu, il est encore clair qu’elle est unique. Cependant, en prenant la grâce d’union selon les autres modes, il est clair qu’elle diffère par essence, à moins qu’on ne donne à « tête » le sens de Dieu. |
[9114] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quamvis ex hoc quod est unigenitus, habeat plenitudinem
capitis, non tamen ipsa unio est illa plenitudo. |
1. Bien qu’il ait la plénitude de la tête du fait qu’il est Fils unique, l’union elle-même n’est cependant pas cette plénitude. |
[9115] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2
qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum
aliam rationem Deus dicitur caput Christi, et Christus viri, ut supra dictum
est, qu. 2, art. 1, ad 4; et praeterea ipse, secundum quod est homo, est
medium, et sapit naturam extremorum, inquantum est Deo similior aliis hominibus
per majorem gratiam quam habet. |
2. Dieu est appelé tête du Christ et le Christ, tête de l’homme pour une raison différente, comme on l’a dit plus, q. 2, a. 1, ad 4. De plus, selon qu’il est homme, il est un intermédiaire et éprouve la nature des extrêmes, en tant qu’il est plus semblable à Dieu que les autres hommes en raison de la grâce plus grande qu’il possède. |
[9116] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2
qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non solum
excedit alios homines secundum quod Deus, sed secundum quod pleniorem gratiam
creatam omnibus aliis habet. |
3. Il ne dépasse pas seulement les autres hommes en tant qu’il est Dieu, mais selon qu’il possède une plus grande grâce créée que tous les autres. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[9117] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
patet solutio ex dictis. |
La réponse à la deuxième question ressort clairement de ce qui a été dit. |
[9118] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2
qc. 2 ad 1 Et similiter ad duo prima argumenta,
quae procedunt de unitate secundum essentiam. |
1. De même en est-il pour les deux premiers arguments, qui reposent sur l’unité selon l’essence. |
[9119] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2
qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis
gratia membri habeat diversas operationes, non tamen ex hoc quod est membrum,
requiritur aliqua abundantior plenitudo; et ideo non distinguitur gratia
membri a gratia singulari. |
3. Bien que la grâce du membre comporte diverses opérations, du fait qu’il est un membre, une plénitude plus abondante n’est cependant pas nécessaire à cause de cela. Aussi n’y a-t-il pas de différence entre la grâce de membre et la grâce individuelle. |
[9120] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2
qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod peccatum
actuale Adae fuit causa originalis in ipso et in aliis: et iterum duo illa
peccata non sunt respectu ejusdem; sed unum est per se naturae, alterum est
per se personae, ut in 2 Lib., dist. 31, qu. 1, art. 1, dictum est. Non sic autem est in proposito: quia
neutra gratia est causa alterius, et utraque respicit personam Christi
mediante humana natura; et ideo non oportet quod differant per essentiam. |
4. Un péché actuel d’Adam a été la cause [du péché] originel en lui-même et chez les autres. De plus, ces deux péchés ne portent pas sur la même chose, car l’un relève par soi de la nature et l’autre relève par soi de la personne, comme on l’a dit dans le livre II, d. 31, q. 1, a. 1. Mais il n’en va pas de même dans la question en cause, car aucune des deux grâces n’est la cause de l’autre et les deux concernent la personne du Christ par l’intermédiaire de la nature humaine. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’elles soient différentes selon l’essence. |
[9121] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2
qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod secundum
illos actus cuilibet meruit, et etiam in alios influxit: quia merendo pro
aliis satisfecit, et aliis gratiam meruit, secundum quod caput nostrum
dicitur. |
5. Il a mérité pour tous par ces actes et il a aussi exercé une inflence sur les autres, car il a satisfait pour les autres en méritant et il a mérité la grâce pour les autres, selon qu’il est appelé notre tête. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
|
[9122] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem
dicendum, quod istae tres gratiae Christo attribuuntur secundum diversas
ipsius considerationes. Potest enim considerari in se, vel in comparatione ad
alios. Si in se
consideratur, sic vel inquantum Deus, et sic attribuitur ei gratia unionis;
vel inquantum homo, et sic attribuitur ei gratia singularis. Si autem in
comparatione ad alios, sic attribuitur ei gratia capitis. Et quia prius
consideratur aliquis in se quam in comparatione ad alios, ideo gratia
secundum quam est caput, sequitur alias duas gratias. Et quia omnis gratia et
perfectio humanitatis ex hoc sibi debetur, quia Deo unitus est homo ille in
persona; ideo gratia unionis praecedit, secundum ordinem naturae et
intellectus, gratiam singularem; quamvis simul in eodem tempore sint istae tres
gratiae. |
Ces trois grâces sont attribuées au Christ selon diverses manières de l’envisager. En effet, il peut être envisagé en soi ou par rapport aux autres. Si on l’envisage en soi, c’est alors soit en tant que Dieu, et ainsi lui est attribuée la grâce d’union ; soit en tant qu’homme, et ainsi lui est attribuée une grâce individuelle. Mais si on l’envisage par rapport aux autres, la grâce de la tête lui est alors attribuée. Et parce que quelqu’un est d’abord envisagé en lui-même plutôt qu’en rapport avec les autres, la grâce [qui lui vient] selon qu’il est tête découle des deux autres grâces. Et puisque que toute grâce et perfection de l’humanité lui sont ainsi dues, parce qu’il a été uni à Dieu dans la personne, la grâce d’union précède donc la grâce individuelle, selon l’ordre de la nature et de l’intellect, bien que ces trois grâces existent simultanément dans le temps. |
[9123] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod anima complet rationem humanae naturae; et ideo praeintelligitur
unio animae ad carnem, unioni humanae naturae ad deitatem: quia prius est
considerare aliquid in se quam alteri unitum: sed gratia nihil facit ad
rationem humanae naturae, quia inquantum hujusmodi assumptibilis est; et ideo
non est simile. |
1. L’âme parachève la raison de la nature humaine. C’est pourquoi l’union de l’âme à la chair est intelligée avant l’union de la nature humaine à la divinité, car il faut d’abord envisager quelque chose en soi avant [de l’envisager] comme quelque chose d’uni à une autre chose. Mais la grâce n’intervient aucunement dans la raison de la nature humaine, car, en tant que telle, elle peut être assumée. Ce n’est donc pas la même chose. |
[9124] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2
qc. 3 ad 2 Secundum et
tertium patet. |
2-3. La réponse au deuxième et au troisième argument est claire. |
[9125] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2
qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod etiam in antiquis patribus non
operabatur gratia capitis, nisi secundum quod praesupponebatur in fide ipsorum
gratia unionis, quia per fidem incarnationis justificabantur. |
4. Même chez
les pères anciens, la grâce de la tête n’agissait que selon que la grâce d’union
était présupposée dans leur foi, car ils étaient justifiés par leur foi en l’incarnation. |
[9126] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2
qc. 3 ad 5 Quintum patet. |
5. La réponse au cinquième argument est claire. |
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Expositio textus |
Explication du
texte de Pierre Lombard, Dist. 13
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[9127] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2
qc. 3 expos. In sanctis vero
quasi solus tactus est. Hoc videtur
esse falsum: quia Origenes super Levit. distinguit quinque sensus
spirituales, dicens, quod visus spiritualis est, ut videamus Deum; auditus
autem, ut audiamus qui loquitur; odoratus, per quem odoramus bonum odorem Christi;
gustus, ut gustemus ejus dulcedinem; tactus, ut palpemus cum Joanne verbum
vitae. Haec autem omnia sunt in omnibus sanctis. Ergo non solum habent
tactum. Dicendum, quod sensus spirituales possunt distingui per similitudinem
ad actus sensuum corporalium; et sic sunt in omnibus sanctis, ut dicit
Origenes: vel per similitudinem ad quasdam proprietates sensuum, secundum
quod tactus est necessarius, alii autem non: et sic, quia in aliis sanctis
sunt omnia quae sunt de necessitate salutis, in Christo autem omnia
simpliciter quae pertinent ad perfectionem gratiae; ideo in Christo dicuntur
omnes sensus esse, in aliis autem solus tactus. Quibus datus est spiritus
ad mensuram. Contra: Jac. 1, 5: qui dat omnibus affluenter, dicit
Glossa: omnia dat non in mensura: quia dona ejus non sunt ad mensuram.
Et dicendum, quod cum mensura dari, potest accipi vel ex largitate dantis; et
sic nulli dat cum mensura, quia omnibus dat ex largitate infinita: vel ex
capacitate recipientis; et sic dat cuilibet cum mensura, quia nulli dat ultra
quam capax sit, vel secundum rationem dati: et sic Christo non dat cum
mensura: quia gratia ejus, quantum ad rationem gratiae, non est limitata; sed
aliis dat cum mensura, ut patet ex dictis. Non secundum essentiam, sed
secundum similitudinem. Contra. Ergo pari ratione Petrus potest dici
caput: quia quilibet sanctus est alii similis in gratia. Dicendum, quod
sumitur ibi similitudo active, inquantum scilicet Christus sibi alios
assimilat in gratia, ut dictum est, quod alii non convenit. Ut quantum ad
visum hominum et sui sensus ostensionem Christus profecisse dicatur.
Videtur quod haec non fuit intentio Ambrosii: quia per hoc nihil probaret:
nam sic etiam Dei sapientia proficit, secundum quod se magis ostendit.
Dicendum, quod quamvis Dei sapientia magis se quam prius ostendit in
aliquibus effectibus: tamen ipsa semper creditur esse aequalis: quod non fuit
de sapientia Christi, qui videbatur quandoque sapientior quam prius fuisset. Et ideo dicit duo: ad
visum hominum, et sensus ostensionem. Tamen utrum aliquo alio modo profecerit
in sapientia, in sequenti distinctione dicetur. |
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Distinctio 14 |
Distinction 14 –
[Les sciences du Christ]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La science du Christ]
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Prooemium |
Prologue |
[9128] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de
plenitudine perfectionis Christi quantum ad gratiam et scientiam, hic
comparat perfectionem Christi secundum quod est homo, ad perfectionem
divinam; et dividitur in duas partes: primo comparat perfectionem animae
Christi ad perfectionem divinam quantum ad scientiam; secundo quantum ad
potentiam, ibi: si vero quaeritur, quare Deus non dederit ei potentiam
faciendi omnia, ut scientiam; responderi potest et cetera. Prima
dividitur in duas: primo movet quaestionem; secundo determinat eam, ibi: quibusdam
placet quod nec parem cum Deo habeat scientiam. Et haec pars dividitur in
duas: primo ponit determinationem aliorum; secundo determinationem suam, ibi:
quibus respondentes dicimus. Et circa hoc tria facit: primo respondet
ad quaestionem, et solvit rationes pro prima determinatione positas; secundo
confirmat suam determinationem tum per rationem ab aliis inductam, quae est
contra eos, ibi: illud vero apostoli quod inducunt (...) pro nobis facit;
tum etiam per auctoritatem, ibi: Fulgentius etiam in sermone quodam multa
inducit; tum ex ratione, ibi: quod etiam ex ratione ostendi potest;
tertio docet evitare quoddam inconveniens, ad quod illi inducebant, si anima
Christi omnia sciret, ibi: ad id vero quod dicunt (...) respondemus. Si
vero quaeritur, quare Deus non dederit ei potentiam faciendi omnia, ut
scientiam, responderi potest et cetera. Hic comparat animam Christi ad
Deum secundum potentiam; et tria facit: primo determinat veritatem; secundo
objicit in contrarium, ibi: sed si illa anima non habet tantam potentiam
quantam et Deus, quomodo (...) ergo intelligitur illud Ambrosii ? Tertio
solvit, ibi: ad quod dicimus. Hic quaeruntur quatuor: 1 quam scientiam
habuit; et quia habuit divinam et humanam, de divina in primo libro dictum
est; propter hoc 2 quaeritur de perfectione humanae scientiae ipsius, qua
videt verbum; 3 de perfectione scientiae ipsius, qua videt res in proprio
genere; 4 de ipsius potentia. |
Après avoir déterminé de la plénitude de la perfection du Christ pour ce qui est de la grâce et de la science, il compare ici la perfection du Christ, selon qu’il est homme, à la perfection divine. Il y a deux parties : premièrement, il compare la perfection de l’âme du Christ à la perfection divine pour ce qui est de la science ; deuxièmement, pour ce qui est de la puissance, à cet endroit : « Mais si on demande pourquoi Dieu ne lui a pas donné la puissance de tout faire, comme [il l’a fait] pour la science, on peut répondre, etc. » La première partie se divise en deux : premièrement, il soulève une question ; deuxièmement, il en détermine à cet endroit : « Certains sont d’avis qu’il n’a pas une connaissance égale à Dieu. » Et cette partie se divise en deux : premièrement, il présente la détermination d’autres ; deuxièmement, sa détermination, à cet endroit : « Pour leur répondre, nous disons… » À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il répond à la question et résout les arguments présentés dans la première détermination. Deuxièmement, il confirme sa détermination par un argument invoqué par d’autres, mais qui leur est contraire, à cet endroit : « Ce passage de l’Apôtre qu’ils invoquent… va dans notre sens » ; par une autorité, à cet endroit : « Fulgence invoque aussi plusieurs choses dans un sermon… » ; par un raisonnement, à cet endroit : « Cela peut aussi être démontré par la raison… » Troisièmement, il enseigne comment éviter quelque chose d’inapproprié à ce qu’ils invoquaient, si l’âme du Christ connaissait tout, à cet endroit : « Mais, à ce qu’ils disent, nous répondons… » « Mais si on demande pourquoi Dieu ne lui a pas donné la puissance de tout faire, comme [il l’a fait] pour la science, on peut répondre, etc. » Ici, il compare l’âme du Christ à Dieu du point de vue de la puissance, et il fait trois choses. Premièrement, il détermine ce qui est vrai. Deuxièmement, il fait une objection en sens contraire, à cet endroit : « Mais si cette âme n’a pas une puissance aussi grande que Dieu, comment donc… se comprend ce passage d’Ambroise ? » Troisièmement, il donne la solution, à cet endroit ; « Nous répondons à cela… » Ici, quatre questions sont posées : 1 – Quelle connaissance [le Christ] a-t-il eue ? Parce qu’il a eu une connaissance divine et une connaissance humaine, et qu’il a été traité de la connaissance divine dans le livre I, pour cette raison, 2 – On s’interroge sur la perfection de sa connaissance humaine, par laquelle il voit le Verbe ; 3 – Sur la perfection de sa connaissance, par laquelle il voit choses selon leur propre genre ; 4 – Sur sa puissance. |
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Articulus 1 [9129] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
tit. Utrum in
Christo sit aliqua scientia creata |
Article 1 – Existe-t-il une science chez le Christ ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Existe-t-il une science créée chez le Christ ?] |
[9130] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod in Christo
non sit aliqua scientia creata. Ubi enim est cognitio perfecta, non est opus
cognitione imperfecta; sicut qui scit aliquid per demonstrationem, non
indiget scire illud per syllogismum dialecticum. Sed omnis cognitio creata, est imperfecta
respectu scientiae divinae. Ergo cum in Christo sit scientia Dei increata, videtur
quod non oportet ponere in ipso aliquam aliam scientiam. |
1. Il semble qu’il n’y ait pas de science créée chez le Christ. En effet, là ou existe une connaissance parfaite, une connaissance imparfaite n’est pas nécessaire; ainsi, celui qui sait quelque chose par une démonstration n’a pas besoin de le savoir par un syllogisme dialectique. Or, toute connaissance créée est imparfaite en regard de la science divine. Puisque la science incréée de Dieu existe chez le Christ, il ne semble donc pas qu’il faille affirmer chez lui une autre science. |
[9131] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 2 Praeterea luminare minus offuscatur per luminare majus. Sed scientia non solum se habet ut lux, sed
ut luminare illuminans. Ergo scientia minor offuscatur per scientiam majorem;
et ita scientia creata non debet esse in eodem cum scientia increata Dei. |
2. Un plus petit luminaire est obscurci par un plus grand luminaire. Or, la science n’est pas seulement une lumière, mais elle est comme un luminaire qui illumine. Une science plus petite est donc obscurcie par une science plus grande, et ainsi la science créée ne doit pas se trouver chez le même en même temps que la science incréée de Dieu. |
[9132] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 3 Praeterea, omnis perfectio est nobilior perfectibili. Sed omnis
scientia est perfectio scientis. Cum igitur nihil creatum sit nobilius anima
Christi, nulla creata scientia est in eo. |
3. Toute perfection est plus noble que ce qui est perfectible. Or, toute science est une perfection de celui qui connaît. Puisque rien de créé n’est plus noble que l’âme du Christ, aucune science créée n’existe donc chez lui. |
[9133] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
plus convenit natura sensitiva et intellectiva in homine, quam natura divina
et humana in Christo. Sed cognitio intellectiva in homine non excludit
sensitivam, quae est minus perfecta. Ergo nec divina cognitio in Christo
excludit humanam. |
Cependant, [1] la nature sensible et [la nature intellectuelle] ont plus en commun chez l’homme que la nature divine et la [nature] humaine chez le Christ. Or, la connaissance intellectuelle chez l’homme n’exclut pas la connaissance sensible, qui est moins parfaite. Donc, la connaissance divine chez le Christ n’exclut pas non plus la connaissance humaine. |
[9134] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, non
est substantia sine sua operatione, ut dicit Damascenus, et philosophus. Sed
in Christo est intellectus creatus, scilicet anima rationalis. Ergo et
cognitio creata, quae est ejus operatio. |
[2] Il n’existe pas de substance sans
opération, comme le disent [Jean] Damascène et le Philosophe. Or, il existe
chez le Christ une intelligence créée : l’âme raisonnable. Il existe
donc aussi une connaissance créée, qui est son opération. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La connaissance créée chez le Christ est-elle un habitus ou un acte ?] |
[9135] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod si est in eo
aliqua cognitio creata, illa non sit habitus, sed actus tantum. Ad Hebr. 2,
dicit Glossa quod natura mentis humanae in Christo nihil est altius vel
excellentius. Sed quaedam creaturae propter sui perfectionem non indigent
aliquo habitu ad cognoscendum, sicut Angeli; ut dicit maximus super Cael. Hierar. Dionysii. Ergo multo minus anima
Christi. |
1. Il semble que, s’il existe chez [le Christ] une connaissance créée, celle-ci ne soit pas un habitus, mais un acte seulement. La Glose dit, à propos de He 2, qu’il n’existe rien de plus élevé ou de plus excellent que la nature de l’esprit humain chez le Christ. Or, certaines créatures, comme les anges, n’ont pas besoin d’habitus pour connaître en raison de leur perfection, comme le dit Maxime à propos de La hiérarchie céleste de Denys. Donc, encore bien moins l’âme du Christ. |
[9136] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 2 Praeterea, anima Christi est nobilior
quam intellectus agens alicujus alterius hominis. Sed intellectus agens non
facit operationem suam mediante habitu aliquo. Ergo nec anima Christi aliqua habituali scientia cognoscit. |
2. L’âme du Christ est plus noble que l’intellect agent d’un autre homme. Or, l’intellect agent n’exerce pas son opération grâce à un habitus. Donc, l’âme du Christ non plus ne connaît pas grâce à une science habituelle. |
[9137] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 3 Praeterea, vires naturales non exeunt
in actum mediante aliquo habitu, sicut patet in calore ignis; similiter nec
Deus. Sed anima Christi magis accedit ad Dei similitudinem quam aliqua res
creata. Ergo et ipsa non habet operationem cognitionis mediante aliquo
habitu. |
3. Les puissances naturelles ne passent pas à l’acte grâce à un habitus, comme cela est clair pour la chaleur du feu ; de même, Dieu non plus. Or, l’âme du Christ s’approche davantage de la ressemblance avec Dieu qu’une chose créée. Elle n’exerce donc pas son opération de connaissance grâce à un habitus. |
[9138] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Christus
assumpsit integre naturam nostram. Sed de integritate naturae est intellectus
possibilis. Ergo assumpsit
intellectum possibilem. Sed possibilis intellectus non intelligit perfecte
nisi perficiatur aliquo habitu. Ergo cum Christus perfecte intellexerit, in
eo fuit habitualis scientia. |
Cependant, [1] le Christ a assumé notre nature en totalité. Or, l’intellect possible fait partie de [notre] nature. Il a donc assumé l’intellect possible. Or, l’intellect possible n’intellige pas parfaitement à moins d’être perfectionné par un habitus. Puisque le Christ a intelligé parfaitement, il existait donc en lui une science habituelle. |
[9139] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Christus vere dormivit; nec tunc aliquid amisit
eorum quae scivit. Cum ergo scientia dormientis sit scientia in habitu,
videtur quod Christus habuit habitualem scientiam. |
[2] Le Christ a vraiment dormi et il n’a alors rien perdu de ce qu’il connaissait. Puisque la science de celui qui dort est une science à l’état habituel, il semble donc que le Christ a eu une science habituelle. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [L’âme du Christ a-t-elle connu le Verbe grâce à un habitus ?] |
[9140] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod anima Christi mediante aliquo habitu non cognoverit verbum. Ad
cognitionem enim non requiritur aliud nisi ut cognoscibile cognoscenti
uniatur. Sed verbum unitum est animae Christi non mediante aliquo habitu.
Ergo cognovit verbum non per aliquem habitum. |
1. Il semble que l’âme du Christ n’ait pas connu le verbe grâce à un habitus. En effet, rien d’autre n’est requis pour la connaissance que l’union de ce qui peut être connu et de celui qui connaît. Or, le Verbe a été uni à l’âme du Christ sans intervention d’un habitus. Elle a donc connu le Verbe sans intervention d’un habitus. |
[9141] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 2 Praeterea, habitus scientiae consistit
ex speciebus, quae sunt similitudines rerum cognitarum. Sed anima Christi non
videt verbum per aliquam similitudinem, sed per seipsum. Ergo non cognoscit ipsum per aliquem
habitum creatum. |
2. L’habitus de la science comporte des espèces, qui sont des similitudes des choses connues. Or, l’âme du Christ ne voit pas le Verbe à travers une espèce, mais par lui-même. Elle ne le connaît donc pas par une habitus créé. |
[9142] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 3 Praeterea, propter quod unumquodque,
illud magis. Igitur si cognoscit anima Christi verbum mediante aliquo habitu,
ille habitus, magis cognoscit verbum, et erit ei magis proximus quam anima
Christi; quod est inconveniens. |
3. Ce pour quoi tout existe l’emporte [sur le reste]. Donc, si l’âme du Christ connaît le Verbe par l’intermédiaire d’un habitus, cet habitus connaît davantage le Verbe et en sera plus rapproché que l’âme du Christ, ce qui est inapproprié. |
[9143] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 3 s. c. 1 Sed contra, gloria
correspondet gratiae. Sed in Christo fuit habitus gratiae. Ergo et habitus
gloriae. Sed tota gloria consistit in visione verbi, ut dicit Augustinus.
Ergo anima Christi aliquo habitu cognoscit verbum. |
Cependant, [1] la gloire correspond à la grâce. Or, chez le Christ, existait l’habitus de la grâce. Donc aussi, l’habitus de la gloire. Or, « toute la gloire consiste dans la vision du Verbe », comme le dit Augustin. L’âme du Christ connaît donc le Verbe par un habitus. |
[9144] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 3 s. c. 2 Praeterea,
ejusdem naturae est anima Christi et anima nostra. Sed anima nostra non potest pertingere per
naturalia sua ad videndum Deum. Ergo nec anima Christi; et ita oportet quod
sit aliquid superadditum naturae, quo videt Deum; ergo videt mediante aliquo
habitu. |
[2] L’âme du Christ et notre âme sont de même nature. Or, notre âme ne peut parvenir à la vision de Dieu par sa capacité naturelle. Donc, ni l’âme du Christ. Aussi est-il nécessaire qu’il s’y trouve quelque chose ajouté à la nature, par quoi il voit Dieu. [L’âme du Christ] voit donc grâce à un habitus. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 – [L’âme du Christ connaît-elle le Verbe et les choses dans le Verbe par le même habitus ?] |
[9145] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod oporteat alium
habitum scientiae ponere, quo cognoscit verbum, et quo cognoscit res in
verbo. Verbum enim repraesentat
res quae in eo cognoscuntur, sicut speculum species in eo resultantes. Sed
qui videt speculum non tantum imprimitur in eo similitudo speculi, sed etiam
rerum similitudines in speculo resultantes. Ergo et in eo qui videt res in
verbo, oportet ponere alium habitum specierum rerum visarum in verbo, et
ipsius verbi. |
1. Il semble qu’il faille affirmer un autre habitus de science par lequel [l’âme du Christ] connaît le Verbe et par lequel elle connaît les choses dans le Verbe. En effet, le Verbe représente les choses qui sont connues en lui, comme un miroir les espèces qui ressortent en lui. Or, ne s’imprime pas seulement en celui qui voit le miroir la similitude du miroir, mais aussi les similitudes des choses qui ressortent dans le miroir. Il faut donc affirmer, chez celui qui voit les choses dans le Verbe, un autre habitus pour les choses vues dans le Verbe et pour le Verbe lui-même. |
[9146] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 4 arg. 2 Praeterea, omnis scientia est secundum
assimilationem scientis ad rem scitam, ut dicunt philosophi. Si igitur
aliquis videt res alias in verbo, oportet quod intellectus assimiletur illis
rebus; et sic cum habitus cognitivus consistat in praedicta assimilatione,
quae est per species intellectuales, sequitur idem quod prius. |
2. Toute science se réalise par la ressemblance entre celui qui connaît et la chose connue, comme le disent les philosophes. Si donc quelqu’un voit les autres choses dans le Verbe, il faut que son intellect devienne semblable à ces choses, et ainsi, puisque l’habitus cognitif consiste dans l’assimiliation déjà mentionnée et qui se réalise par les espèces intellectuelles, il en découle la même chose que précédemment. |
[9147] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 4 arg. 3 Praeterea,
ponamus quod aliquis videns in verbo, desinat videre verbum (sicut Paulo
contigit, ut dicitur): constat quod iste non obliviscitur eorum quae vidit in
verbo. Ergo cognoscit ea non in verbo, quia non vidit verbum; ergo cognoscit
ea in speciebus propriis; et sic idem quod prius. |
3. Supposons que quelqu’un qui voit dans le Verbe cesse de voir le Verbe (comme cela est arrivé à Pierre, ainsi qu’on le dit), il est clair que celui-ci n’oublie pas ce qu’il a vu dans le Verbe. Il ne connaît donc pas ces choses dans le Verbe, puisqu’il ne voit pas le Verbe. Il les connaît donc par leurs propres espèces, et ainsi, la conclusion est la même que précédemment. |
[9148] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 4 s. c. 1 Sed contra, ubi unum propter alterum, ibi tantum unum, ut dicit
philosophus. Sed qui videt res in verbo, non cognoscit eas nisi per verbum
cognitum. Ergo non est ibi nisi unus habitus. |
Cependant, [1] là où une chose existe en raison d’une autre, il n’y a qu’une seule chose, comme le dit le Philosophe. Or, celui qui voit les choses dans le Verbe ne les connaît que par la connaissance du Verbe. Il n’y a donc là qu’un seul habitus. |
[9149] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 4 s. c. 2 Praeterea, ubi
est unus actus, non sunt plures habitus. Sed eodem actu cognoscit anima
verbum, et ea quae videt in verbo. Ergo non est ibi quantum ad hoc diversus
habitus. |
[2] Là où il n’y a qu’un seul acte, il n’y a pas plusieurs habitus. Or, l’âme [du Christ] a connu par un même acte le Verbe et ce qu’elle voit dans le Verbe. Il n’y a donc pas là divers habitus. |
Quaestiuncula 5 |
Sous-question 5 – [L’âme du Christ a-t-elle une autre science des choses, en plus de la science par laquelle elle connaît les choses dans le Verbe ?] |
[9150] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod praeter hanc
scientiam qua cognoscit res in verbo, non habeat aliam scientiam de rebus. Unius enim, et secundum idem, et respectu
ejusdem, est tantum una perfectio. Sed Christus secundum humanam naturam habet cognitionem in verbo de
rebus creatis. Ergo ipse secundum humanam naturam non habet earumdem rerum
aliam cognitionem vel scientiam. |
1. Il semble que, en plus de la science par laquelle elle connaît les choses dans le Verbe, [l’âme du Christ] n’ait pas une autre science des choses. En effet, il n’existe qu’une seule perfection pour ce qui est unique, selon la même chose et par rapport à la même chose. Or, le Christ a, selon sa nature humaine, une connaissance des choses créées dans le Verbe. Selon sa nature humaine, il n’a donc pas une autre connaissance ou science des autres choses. |
[9151] Super Sent., lib.
3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 2 Praeterea, 1 Corinth. 13, 10: cum venerit quod perfectum est,
evacuabitur quod ex parte est. Sed cognitio qua cognoscuntur res in
verbo, est perfecta respectu alterius modi cognitionis rerum. Ergo cum ipsa
non est alia in Christo cognitio. |
2. 1 Co 13, 10 dit : Lorsque ce qui est parfait sera venu, ce qui est partiel sera supprimé. Or, la connaisance par laquelle les choses sont connues dans le Verbe est parfaite en regard d’un autre mode de connaissance des choses. Il n’existe donc pas, en plus de celle-ci, une autre connaissance chez le Christ. |
[9152] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 5 arg. 3 Praeterea,
propter hoc quod Christus habet visionem comprehensoris, non ponitur in eo fides,
quae est viatoris cognitio divinorum. Sed scientia rerum in verbo, est
propria comprehensoris. Ergo cum ea non oportet ponere aliam cognitionem quae
competit viatoribus. |
3. Parce que le Christ a la vision d’un comprehensor, on n’affirme pas chez lui la foi, qui est la connaissance des réalités divines du viator. Or, la science des choses dans le Verbe est propre au comprehensor. Il ne faut donc pas affirmer en même temps une autre connaissance qui convient aux viatores. |
[9153] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 5 s. c. 1 Sed contra, cognitio
matutina in Angelis, qua cognoscunt res in verbo, non excludit vespertinam,
qua cognoscunt res in propria natura. Sed anima Christi perfectior est in cognoscendo quam aliquis Angelus.
Ergo et ipsa habet duas cognitiones. |
Cependant, [1] la connaissance du matin chez les anges, par laquelle ils connaissent les choses dans le Verbe, n’exclut pas la connaissance du soir, par laquelle ils connaissent les choses dans leur propre nature, Or, l’âme du Christ est plus parfaite en connaissance qu’un ange. Elle a donc deux connaissances. |
[9154] Super Sent., lib. 3 d.
14 q. 1 a. 1 qc. 5 s. c. 2 Praeterea, plus distat a perfectione cognitionis in verbo cognitio sensitiva quam
cognitio intellectiva in proprio genere. Sed cognitio in verbo non excludit
in Christo sensitivam cognitionem. Ergo multo minus cognitionem rerum in
proprio genere. |
[2] La connaissance sensible est plus éloignée de la perfection de la connaissance dans le Verbe, que la connaissance intellectuelle selon son genre propre. Or, la connaissance dans le Verbe n’exclut pas chez le Christ la connaissance sensible. [L’âme du Christ] exclut donc encore bien moins la connaissance des choses selon son propre genre. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[9155] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem,
quod cum in Christo sit una persona et duae naturae, considerandum est, utrum
ea quae attribuuntur Christo, pertineant ad rationem personae, vel ad
rationem naturae. Et si quidem ad rationem personae, sic oportet in Christo
illud tantum unum ponere, sicut unum tantum esse, unum suppositum, unam
hypostasim, et sic de aliis. Si autem pertinet ad naturam; aut ad alteram
tantum, aut ad utramque. Si ad alteram tantum, sic iterum est unum tantum,
sicut una immensitas et una anima. Si autem ad utramque, sic quia naturae in
Christo sunt integrae, oportet ponere talia esse duo, sicut duas voluntates,
duo libera arbitria. Unde cum scientia pertineat ad divinam naturam et humanam,
oportet in Christo ponere duas scientias, unam creatam, et aliam increatam. |
Puisqu’il existe dans le Christ une seule personne et deux natures, il faut se demander si ce qui est attribué au Christ relève de la raison de la personne ou de la raison de la nature. Si [cela relève] de la raison de la personne, il faut alors affirmer que cela est unique chez le Christ, comme un seul être, un seul suppôt, une seule hypostase, et ainsi des autres choses. Mais si [cela relève] de la nature, soit cela relève d’une des deux [natures], soit cela relève des deux. Si [cela relève] d’une des deux natures, cela est de nouveau unique, comme une seule immensité et une seule âme. Mais si [cela relève] des deux, parce que les natures chez les Christ sont complètes, il faut affirmer que ces choses sont doubles, comme deux volontés, deux libres arbitres. Puisque la science appartient à la nature divine et à la nature humaine, il faut donc affirmer chez le Christ deux sciences, l’une créée et l’autre incréée. |
[9156] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod scientia est de his quae
consequuntur humanam naturam secundum animam, quae est pars ejus: unde licet
in Christo sit scientia divina, quae est perfectissima; tamen ea non formaliter
perficitur humana natura; et ideo oportet creatam cognitionem vel scientiam
in ea ponere. |
1. La science fait partie des choses qui découlent de la nature humaine selon l’âme, qui en est une partie. Bien qu’il y ait chez le Christ une science divine, qui est la plus parfaite, la nature humaine n’est cependant pas perfectionnée par elle de manière formelle. Aussi faut-il affirmer une connaissance ou une science créée en elle. |
[9157] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod diversa
luminaria per radios suos sunt nata informare easdem res, et sunt ejusdem
rationis in illuminando; unde effectus minoris lucis non perficitur, quia
sensus repletur luce majori. Sed scientia creata et increata non sunt unius rationis, nec idem
informant; et ideo non est simile. |
2. Divers luminaires peuvent par leurs rayons donner forme aux mêmes choses et ils possèdent la même raison en illuminant ; aussi l’effet du plus petit luminaire n’est-il pas perfectionné parce que le sens est rempli de la plus grande lumière. Mais la science créée et la [science] incréée n’ont pas la même raison et ne donnent pas forme à la même chose. Il n’en va donc pas de même. |
[9158] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod nihil
prohibet aliquid esse dignius alio secundum quid, quod est indignius
simpliciter: sicut etiam color corporis Christi secundum quid est dignior
ipso corpore, inquantum se habet ad ipsum sicut actus ad potentiam, cum sit
forma accidentalis ipsius: tamen corpus Christi est dignius simpliciter: et
similiter se habet scientia creata ad animam Christi. |
3. Rien n’empêche qu’une chose soit plus digne qu’une autre chose sous un aspect, alors qu’elle est simplement moins digne, comme la couleur du corps du Christ est plus digne sous un aspect que le corps lui-même pour autant qu’elle est par rapport à lui comme l’acte par rapport à la puissance, puisqu’elle en est une forme accidentelle. Cependant, le corps du Christ est simplement plus digne. De même en est-il pour la science créée par rapport à l’âme du Christ. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[9159] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
dicendum, quod nulla potentia passiva potest in actum exire nisi completa per
formam activi, per quam fit in actu: quia nihil operatur nisi secundum quod
est in actu. Impressiones
autem activorum possunt esse in passivis dupliciter. Uno modo per modum
passionis, dum scilicet potentia passiva est in transmutari: alio modo per
modum qualitatis et formae, quando impressio activi jam facta est
connaturalis ipsi passivo; sicut etiam philosophus in praedicamentis
distinguit passionem, et passibilem qualitatem. Sensus autem potentia passiva
est: quia non potest esse in actu omnium ad quae se extendit sua operatio per
naturam potentiae: non enim potest esse aliquid quod actu habeat omnes
colores: et sic patiendo a coloribus fit in actu, et eis assimilatur, et
cognoscit eos. Similiter etiam intellectus est cognoscitivus omnium entium:
quia ens et verum convertuntur, quod est objectum intellectus. Nulla autem
creatura potest esse in actu totius entitatis, cum sit ens finitum: hoc enim
solius Dei est, qui est fons omnium entium, omnia quodammodo in se
praehabens, ut dicit Dionysius; et ideo nulla creatura potest intelligere
sine aliquo intellectu, qui sit potentia passiva, idest receptiva: unde nec sensus
nec intellectus possibilis operari possunt, nisi per sua activa perficiantur
vel moveantur. Sed quia sensus non sentit nisi ad praesentiam sensibilis,
ideo ad ejus operationem perfectam sufficit impressio sui activi per modum
passionis tantum. In intellectu autem requiritur ad ejus perfectionem quod
impressio sui activi sit in eo non solum per modum passionis, sed etiam per
modum qualitatis et formae connaturalis perfectae: et hanc formam habitum
dicimus. Et quia quod est naturale, firmiter manet; et in promptu est homini
uti sua naturali virtute, et est eidem delectabile, quia est naturae
conveniens; ideo habitus est difficile mobilis, sicut scientia; et eo potest
homo uti cum voluerit, et reddit operationem delectabilem. Sicut autem in
sensu visus est duplex activum: unum quasi primum agens et movens, sicut lux;
aliud quasi movens motum, sicut color factus visibilis actu per lucem: ita in
intellectu est quasi primum agens lumen intellectus agentis; et quasi movens
motum, species per ipsum facta actu intelligibilis; et ideo habitus
intellectivae partis conficitur ex lumine et specie intelligibili eorum quae
per speciem cognoscuntur. Quia igitur intellectus Christi perfectissimus fuit
in cognoscendo, oportebat quod in Christo habitus esset quo cognosceret; ut
sic impressio activi non solum esset in ipso per modum passionis, sed etiam
per modum formae. |
Aucune puissance passive ne peut passer à l’acte à moins d’être achevée par la forme de ce qui est actif, par laquelle elle passe à l’acte, car rien n’agit à moins d’être en acte. Or, les impressions des réalités actives peuvent se trouver dans des réalités passives de deux manières. D’une manière, par mode de passion, lorsque la puissance passive est en voie d’être changée ; d’une autre manière, par mode de qualité ou de forme, lorsque l’impression de ce qui est actif est déjà devenue connaturelle à cela même qui est passif, de la même manière que, dans les prédicaments, le Philosophe fait une distinction entre la passion et la qualité sujette à la passion. Or, le sens est une puissance passive, car il ne peut être en acte de tout ce à quoi s’étend son opération par la nature de sa puissance. En effet, il ne peut être quelque chose qui aurait en acte toutes les couleurs ; ainsi, il passe à l’acte en subissant les couleurs, il leur est assimilé et il les connaît. De la même manière, l’intellect peut connaître tous les êtres, car l’être et la vérité, qui est l’objet de l’intellect, sont convertibles. Or, aucune créature ne peut être en acte de la totalité de l’être, puisqu’elle est un être fini. En effet, cela appartient à Dieu seul, qui est la source de tous les êtres, qui, d’une certaine manière, les possède d’avance en lui-même, comme le dit Denys. Aussi aucune créature ne peut-elle intelliger sans un intellect qui soit une puissance passive, c’est-à-dire réceptive. C’est pourquoi ni le sens ni l’intellect possible ne peuvent agir que s’ils sont perfectionnés ou mus par ce qui les active. Or, parce que le sens ne sent qu’en présence du sensible, l’impression de ce qui l’active par mode de passion seulement suffit à son opération parfaite. Mais, dans le cas de l’intellect, il est nécessaire pour sa perfection que l’impression de ce qui l’active soit en lui, non seulement par mode de passion, mais aussi par mode de qualité et de forme connaturelle parfaite, et c’est cette forme que nous appelons habitus. Et parce que ce qui est naturel demeure fermement, que l’homme peut rapidement en faire usage par sa puissance naturelle et que cela lui est délectable, car cela convient à sa nature, un habitus, comme la science, est donc difficilement changeable, l’homme peut en faire usage lorsqu’il le veut et il rend l’opération délectable. Or, de même que, dans le sens, il existe un double principe actif : l’un, comme premier agent et moteur, comme la lumière ; l’autre, comme moteur mû, comme la couleur rendue visible en acte par la lumière, de même, dans l’intellect, existe comme premier agent la lumière de l’intellect agent, et comme moteur mû, l’espèce rendue par lui intelligible en acte. C’est pourquoi l’habitus de la partie intellective est réalisé par la lumière et par l’espèce intelligible de ce qui est connu par l’espèce. Donc, parce que l’intellect du Christ était le plus parfait pour connaître, il fallait que, chez le Christ, existe un habitus par lequel il connaîtrait, de sorte que l’impression de ce qui l’activerait n’existe pas seulement en lui par mode de passion, mais aussi par mode de forme. |
[9160] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod homo indiget ad intelligendum lumine intellectuali et in
naturali cognitione rerum naturalium, ut per ipsum fiant intelligibiles actu,
cum sint intelligibiles in potentia; et in cognitione supernaturali, ut per
lumen infusum ad ea quae sunt supra se elevetur. Angelus autem non indiget
lumine in cognitione naturali, quia non abstrahit a phantasmatibus species,
sed habet eas innatas; indiget tamen eo in cognitione supernaturali; unde
dicitur Job 25, 3: numquid est numerus militum ejus, et super quem non
fulget lumen illius ? Et ideo Angeli in cognitione naturali non indigent
habitu, secundum quod ad habitum requiritur lumen; exigitur autem secundum
quod requiritur species rerum, propter hoc quia habent esse limitatum: unde
dicitur in libro de causis, quod omnis intelligentia est plena formis. Anima
autem Christi, quod sit superior Angelis, non habet ex natura animae, quia
sic quaelibet anima esset superior Angelo; sicut nec corpus ejus habet ex
natura corporis quod sit nobilius nostris animabus; sed habet ex unione. Unde omnia quae
superadduntur a Deo in anima Christi et in Angelis, sunt eminentius in anima
Christi quam in Angelis. |
1. Pour intelliger, l’homme a besoin de la lumière intellectuelle tant pour la connaissance des réalités naturelles, afin qu’elles deviennent par elle intelligibles en acte, puisqu’elles sont intelligibles en puissance, que pour la connaissance surnaturelle, de sorte que, par la lumière infuse, il soit élevé jusqu’aux réalités qui lui sont supérieures. Or, l’ange n’a pas besoin de lumière pour la connaissance naturelle, car il n’abstrait pas des espèces à partie des phantasmes, mais il les possède à l’état inné ; il en a cependant besoin pour la connaissance surnaturelle. Aussi est-il dit en Jb 25, 3 : Ses soldats ne sont-ils pas nombreux, et sa lumière ne brillera-t-elle pas sur lui ? C’est pourquoi les anges n’ont pas besoin, pour leur connaissance naturelle, d’un habitus, pour autant que la lumière soit nécessaire à l’habitus, mais [un habitus] est nécessaire pour autant que des espèces des choses sont nécessaires, parce qu’ils ont un être limité. Ainsi est-il dit dans le Livre sur les causes, que toute intelligence est remplie de formes. Mais l’âme du Christ ne tient pas de la nature de l’âme d’être supérieure aux anges, car ainsi toute âme serait supérieure aux anges, pas davantage que son corps ne tient de la nature du corps d’être plus noble que nos âmes, mais il tient cela de l’union. Aussi tout ce qui est ajouté par Dieu dans l’âme du Christ et chez les anges est-il plus éminent dans l’âme du Christ que chez les anges. |
[9161] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod anima intellectiva comparatur ad res
intelligendas dupliciter. Uno modo ut faciens eas intelligibiles actu: quia
non omnes res, prout sunt in sua natura, sunt actu intelligibiles; sed solum
res immateriales; unde et res materiales intelligibiles efficiuntur per hoc
quod abstrahuntur a materia particulari et a conditionibus ejus, ut sic
quodammodo intellectui, qui immaterialis est, assimilentur. Alio modo
comparatur ad res ut cognoscens eas; et secundum hoc oportet quod sit similis
ipsis rebus, ut per propriam rationem cujuslibet rei de ea determinatam
cognitionem habeat. Ad hoc autem quod aliquid assimilet sibi multa, sufficit
quod habeat in actu illam solam formam secundum quam dicitur esse similitudo;
sicut per calorem, ignis multa sibi assimilat: sed ad hoc quod aliquid sit
simile multis, oportet quod actu omnium illorum multorum formas habeat; sicut
si in pariete sint diversarum rerum similitudines. Et ideo anima intellectiva
potest facere omnia intelligibilia per unam naturam luminis quam actu habet,
sine hoc quod aliquid aliud ab alio recipiat; et ideo potentia quae haec
efficit, est simpliciter activa, et dicitur intellectus agens, qui non
operatur aliquo habitu mediante. Sed cum essentia animae sit limitata, non
potest per eam assimilari omnibus quidditatibus rerum intellectarum: unde
oportet quod ista assimilatio compleatur per hoc quod aliquid aliunde
recipit: et ideo potentia qua perficitur, quasi passiva est, secundum quod
omne recipere dicitur pati, et vocatur possibilis intellectus qui operatur
aliquo habitu mediante. Quamvis autem possibilis intellectus in Christo sit
nobilior simpliciter ex unione, quam intellectus agens in nobis, tamen non
est nobilior ex ratione potentiae; sicut nec sensus ejus nobilior est
intellectu nostro ex ratione potentiae. Unde non sequitur quod si intellectus
agens in nobis non est subjectum alicujus habitus, nec possibilis intellectus
in Christo. |
2. L’âme intellective se compare aux réalités intelligibles de deux manières. D’une manière, comme les rendant intelligibles en acte, car toutes les réalités, selon qu’elles existent dans leur nature, ne sont pas intelligibles en acte, mais seulement les réalités immatérielles. Aussi les réalités matérielles sont-elles rendues intelligibles par le fait qu’elles sont abstraites de leur matière particulière et de leurs conditions, afin d’être en quelque sorte rendues semblables à l’intellect, qui est immatériel. D’une autre manière, [l’âme intellective] se compare aux réalités selon qu’elle les connaît. De ce point de vue, il est nécessaire qu’elle soit semblable aux réalités elles-mêmes, afin que, par la raison propre de chaque chose, elle en ait une connaissance déterminée. Or, pour qu’une chose se rende semblables plusieurs réalités, il suffit qu’elle possède en acte cette seule forme selon laquelle on dit qu’elle y a ressemblance ; ainsi, par la chaleur, le feu se rend-il semblables plusieurs choses. Mais, pour qu’une chose soit semblable à plusieurs réalités, il est nécessaire qu’elle possède en acte les formes de toutes ces réalités, comme si se trouvaient sur un mur les ressemblances des différentes choses. C’est pourquoi l’âme intellectuelle peut rendre intelligibles toutes les réalités par la lumière d’une seule nature qu’elle possède en acte, sans recevoir rien d’autre d’une autre réalité. Aussi la puissance qui réalise cela est-elle simplement active : on l’appelle l’intellect agent, qui n’agit pas par l’intermédiaire d’un habitus. Cependant, puisque l’essence de l’âme est limitée, elle ne peut être par elle rendue semblable à toutes les quiddités des réalités intelligées. Il faut donc que cette assimilation soit réalisée par le fait qu’elle reçoit quelque chose d’ailleurs. Aussi la puissance par laquelle cela s’accomplit est-elle pour ainsi dire passive, selon que toute réception implique une passivité : elle est appelée l’intellect possible, qui agit par l’intermédiaire d’un habitus. Or, bien que l’intellect possible chez le Christ soit simplement plus noble, en raison de l’union, que l’intellect agent chez nous, il n’est cependant pas plus noble en raison de sa puissance, comme son sens n’est pas plus noble que notre intellect en raison de sa puissance. Aussi n’en découle-t-il pas que si l’intellect agent chez nous n’est pas le sujet d’un habitus, ce ne soit pas non plus le cas de l’intellect possible chez le Christ. |
[9162] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potentiae
naturales operantur circa aliqua determinata: unde possunt secundum naturam
suam esse in actu simpliciter respectu illorum: et ideo non oportet quod eis
aliquid addatur ad producendum suum effectum. Sed anima humana habet operationem circa
ens simpliciter: et ideo, cum habeat possibilitatem in suo esse, oportet quod
ejus possibilitas perficiatur per aliquid additum, ad hoc quod operetur. |
3. Les opérations des puissances naturelles portent sur des choses déterminées ; aussi peuvent-elles être simplement en acte selon leur nature par rapport à ces choses. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que leur soit ajouté quelque chose pour produire leur effet. Mais l’opération de l’âme humaine porte simplement sur l’être. C’est pourquoi, puisqu’elle en a la possibilité par son être, il faut, pour qu’elle opère, que sa possibilité soit réalisée par quelque chose d’ajouté. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[9163] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod
habitus scientiae ex duobus constat, ut dictum est, scilicet ex lumine
intellectuali, et ex similitudine rei cognitae. In cognitione autem qua anima
Christi, vel quaelibet anima, videt verbum per essentiam, non potest esse
habitus quantum ad speciem, quae sit similitudo cogniti: cum enim omne quod
recipitur in aliquo, sit in eo per modum recipientis, essentiae divinae
similitudo non potest in aliqua creatura recipi, quae perfecte repraesentet
ipsam, propter infinitam distantiam creaturae ad Deum: et inde est quod illud
quod est in Deo unum et simplex, creaturae diversis formis et perfectionibus
repraesentant, unaquaque earum deficiente a perfecta repraesentatione divinae
essentiae. Similitudo autem alicujus rei recepta in vidente non facit eum
videre rem illam, nisi perfecte eam repraesentet; sicut similitudo coloris in
oculo existens, non facit videre lucem perfectam, quia in colore non est nisi
quaedam obumbrata participatio lucis. Et ideo quicumque intellectus
cognosceret verbum per similitudinem aliquam, non diceretur videre essentiam
verbi. Et ita patet quod anima Christi et quaelibet alia anima quae videt
verbum per essentiam, non videt ipsum mediante aliqua similitudine. Similiter
non potest ex parte luminis in illa visione esse habitus quantum ad effectum
lucis intellectualis, cujus est intelligibilia facere in actu: quia res
immateriales secundum se sunt intelligibiles in actu: sed oportet quod sit
ibi quantum ad alium effectum, qui est perficere intellectum possibilem ad
cognoscendum; quod in nobis faciunt species illuminatae lumine intellectus
agentis. Sed quia illa visio excedit omnem facultatem naturae creatae, ideo
ad illam visionem non sufficit lumen naturae, sed oportet ut superaddatur
lumen gloriae. |
L’habitus de la science vient de deux choses, comme on l’a dit : la lumière intellectuelle et une similitude de la chose connue. Or, dans la connaissance par laquelle l’âme du Christ ou n’importe quelle âme voit le Verbe par essence, il ne peut y avoir, pour ce qui est de l’espèce, d’habitus qui soit une similitude de ce qui est connu. En effet, puisque tout ce qui est reçu dans une chose y est présent selon le mode de ce qui reçoit, une similitude de l’essence divine qui la représente parfaitement ne peut être reçue dans une créature, en raison de la distance infinie entre la créature et Dieu. De là vient que les créatures représentent ce qui est unique et simple en Dieu par diverses formes, dont aucune ne représente parfaitement l’essence divine. Or, la similitude d’une chose reçue par celui qui voit ne lui permet pas de voir cette chose, à moins que [la similitude] ne la représente parfaitement ; ainsi, la similitude de la couleur qui existe dans l’œil ne permet pas de voir la lumière parfaite, parce qu’il n’y a dans la couleur qu’une participation obscurcie à la lumière. C’est pourquoi on ne dirait pas que tout intellect qui connaîtrait le Verbe par une similitude voit l’essence du Verbe. Il est ainsi clair que l’âme du Christ et toute autre âme qui voit le Verbe par essence ne le voient pas à travers une similitude. De même, du côté de la lumière, il ne peut y avoir dans cette vision un habitus pour ce qui est de l’effet de la lumière intellectuelle, à qui il revient de rendre les choses intelligibles en acte, car les réalités immatérielles sont intelligibles en acte par elles-mêmes ; mais il est nécessaire qu’il y en ait un pour ce qui est d’un autre effet, qui consiste à perfectionner l’intellect possible pour qu’il connaisse, ce que réalisent en nous les espèces illuminées par la lumière de l’intellect agent. Cependant, parce que cette vision dépasse toute faculté de la nature créée, la lumière de la nature ne suffit donc pas pour cette vision, mais il est nécessaire que soit ajoutée la lumière de la gloire. |
[9164] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod non eadem est unio qua unitur verbum animae Christi in
persona, et qua unitur ei ut visibile videnti: quia unitur corpori in
persona, non tamen videtur a corpore. Et ideo licet in unione illa qua unitur
anima verbo in persona, non cadat aliquod medium; non tamen oportet quod in
visione non cadat aliquod medium: non quidem dico medium sicut in quo
videtur, ut speculum vel species; sed sicut sub quo videtur, sicut lumen. |
1. Ce n’est pas la même union par laquelle le Verbe est uni à l’âme du Christ dans la personne et par laquelle il lui est uni comme ce qui peut être vu [est uni] à celui qui voit, car il est uni au corps dans la personne, il n’est cependant pas vu par le corps. Bien que, dans cette union par laquelle l’âme est unie au Verbe dans la personne, n’intervienne aucun intermédiaire, il n’est donc pas nécessaire qu’intervienne un intermédiaire dans la vision : je ne parle pas d’un intermédiaire dans lequel il est vu, comme un miroir ou une espèce, mais par lequel il est vu, telle la lumière. |
[9165] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod habitus scientiae non tantum consistit in speciebus, sed etiam
in lumine, ut dictum est. |
2. L’habitus de science ne consiste pas seulement dans des espèces, mais aussi dans une lumière, comme on l’a dit. |
[9166] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod illud lumen non est quid subsistens, ut possit uniri verbo,
quasi cognoscens verbo; sed est illud quo assimilatur anima verbo formaliter,
ut possit in visionem verbi; sicut in gratia est similitudo quaedam animae ad
Deum; et haec est nobilior anima secundum quid, et non simpliciter, ut dictum
est. |
3. Cette lumière n’est pas quelque chose de subsistant, de sorte qu’elle puisse être unie au Verbe comme celui qui connaît [l’est] au Verbe. Mais elle est ce par quoi l’âme est rendue semblable au Verbe de manière formelle, afin de rendre possible la vision du Verbe. Ainsi, par la grâce, existe une certaine similitude de l’âme avec Dieu, et celle-ci est plus noble que l’âme sous un aspect, et non pas simplement, comme on l’a dit. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la sous-question 4
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[9167] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc.
4 co. Ad quartam
quaestionem dicendum, quod illud in quo aliquid videtur, est ratio
cognoscendi illud quod in eo videtur. Ratio autem cognoscendi est forma rei
inquantum est cognita, quia per eam fit cognitio in actu: unde sicut ex
materia et forma est unum esse; ita ratio cognoscendi et res cognita sunt
unum cognitum: et propter hoc utriusque, inquantum hujusmodi, est una
cognitio secundum habitum et secundum actum: et ita non est alius habitus quo
cognoscitur verbum et ea quae in verbo videntur; sicut nec alius habitus quo
cognoscitur medium demonstrationis et conclusio, secundum quod medium ad
conclusionem ordinatur. |
Ce en quoi quelque chose est vu est la raison de connaître ce qui est vu en cela. Or, la raison de connaître est la forme d’une chose en tant qu’elle est connue, car, par elle, la connaissance se réalise en acte. De même qu’il n’existe qu’un seul être de la matière et de la forme, de même, la raison de connaître et la chose connue sont-elles une seule chose connue. Aussi, en tant que tel, n’existe-t-il qu’une seule connaissance des deux selon l’habitus et selon l’acte. Il n’existe donc pas un autre habitus par lequel sont connus le Verbe et ce qui est vu dans le Verbe, comme il n’y a pas un autre habitus par lequel la mineure d’une démonstration et sa conclusion sont connues, pour autant que la mineure est ordonnée à la conclusion. |
[9168] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
quando videntur res in speculo, species istarum rerum non imprimuntur a rebus
in sensum, sed a speculo: unde imprimuntur omnes istae species in sensum, ut
conclusae in una specie speculi; non quia sit alia species speculi et alia
species rei visae in speculo. Sed in visione verbi non imprimitur aliqua
similitudo a verbo in animam, per quam videatur, ut dictum est, sed ipsum per
essentiam suam animae unitur: et ideo in ipsa essentia verbi videntur aliae
res, quia essentia verbi habet rationem speciei quae fit in visu a speculo. |
1. Lorsque des choses sont vues dans un miroir, les espèces de ces choses ne sont pas imprimées par les choses dans le sens, mais par le miroir. Aussi toutes ces espèces sont-elles imprimées dans le sens en tant qu’elles sont incluses dans une seule espèce du miroir, et non parce qu’il y aurait une espèce du miroir et une autre espèce de la chose vue dans le miroir. Mais, dans la vision du Verbe, une similitude par laquelle elle verrait n’est pas imprimée dans l’âme par le Verbe, comme on l’a dit, mais il est lui-même uni à l’âme par son essence. Aussi les autres réalités sont-elles vues dans l’essence du Verbe, car l’essence du Verbe possède la raison de l’espèce qui se réalise dans la vision à partir du miroir. |
[9169] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod anima
assimilatur rebus quas cognoscit in verbo, non per aliquas formas illarum
rerum impressarum in anima, sed per hoc quod verbum ipsum efficitur ut forma
animae videnti, inquantum videtur ab ea, et ipsum verbum est similitudo
omnium illarum rerum. |
2. L’âme est rendue semblable aux choses qu’elle connaît dans le Verbe, non pas par des formes de ces choses imprimées dans l’âme, mais par le fait que le Verbe lui-même devient comme une forme pour l’âme qui voit, pour autant qu’il est vu par elle et que le Verbe lui-même est la similitude de toutes choses. |
[9170] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut
abeuntibus rebus sensibilibus remanent impressiones rerum, secundum quas est
imaginatio; ita etiam abeunte verbo, in ipso qui desinit videre verbum,
remanet impressio in anima ejus a verbo, per quam cognoscuntur ea quae in
verbo viderat per species illarum rerum; et haec erit quasi reliquia
praeteritae visionis. |
3. De même que, lorsque les choses sensibles se retirent, demeurent leurs impressions, par lesquelles se réalise l’imagination, de même, lorsque le Verbe se retire, demeure en son âme une impression venue du Verbe chez celui qui cesse de voir le Verbe. [Par cette impression], sont connues les choses qu’il avait vues dans le Verbe par les espèces de ces choses. Ce seront comme des restes de la vision passée. |
Quaestiuncula 5 |
Réponse à la sous-question 5
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[9171] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem
dicendum, quod secundum philosophum in 3 de anima, intellectus possibilis est
in potentia ad omnia intelligibilia; omne autem quod est in potentia ad
formam aliquam, remanet imperfectum, nisi illa forma fiat in eo: unde cum
intellectus Christi non sit imperfectus, oportet quod formae rerum ad quas
intellectus possibilis est in potentia, sint descriptae in eo; sed secundum
quod cognoscit verbum, non depingitur in eo neque similitudo verbi, neque res
quae videntur in verbo, ut dictum est; unde oportet quod praeter visionem qua
videt res in verbo, habeat aliam scientiam de rebus, secundum quod cognoscit
eas per proprias similitudines in propria natura. Et sic habemus tres scientias Christi. Una
est divina, quae est increata. Alia qua cognoscit res in verbo, et verbum
ipsum, quae est scientia comprehensoris. Tertia qua cognoscit res in propria
natura, quae competit ei secundum quod est homo in solis naturalibus
consideratus. |
Selon le Philosophe, dans Sur l’âme, III, l’intellect possible est en puissance de tous les intelligibles. Or, tout ce qui est en puissance par rapport à une forme demeure inachevé, à moins que cette forme n’apparaisse en lui. Puisque l’intellect du Christ n’est pas imparfait, il est donc nécessaire que les formes des choses par rapport auxquelles l’intellect possible est en puissance soient inscrites en lui. Mais, parce qu’il connaît le Verbe, ne sont représentées en lui ni une similitude du Verbe, ni les choses qui sont vues dans le Verbe, comme on l’a dit. Il faut donc qu’en plus de la vision par laquelle il voit les choses dans le Verbe, il ait une autre connaissance des choses, selon qu’il les connaît par leur propres similitudes dans leur propre nature. Nous avons ainsi trois sciences dans le Christ. L’une est divine, qui est incréée ; une autre, par laquelle il connaît les choses dans le Verbe et le Verbe lui-même, qui est la science du comprehensor ; une troisième, par laquelle il connaît les choses dans leur nature propre, et qui lui convient selon qu’il est un homme envisagé selon ses seules capacités naturelles. |
[9172] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod istae
duae scientiae ultimae non sunt unius rationis, nec unius speciei; et ideo
non est inconveniens quod sint in eodem, non ratione ejusdem. |
1. Ces deux dernières sciences n’ont pas la même raison ni la même espèce. C’est pourquoi il n’est pas inapproprité qu’elles existent chez le même, mais non en raison de la même chose. |
[9173] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1
qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod verbum apostoli intelligendum est de
perfecto et imperfecto in eadem specie: non tamen est inconveniens quod in
eodem sint perfectiones diversarum specierum, quarum una sit major altera.
Vel dicendum, quod scientia rerum in proprio genere non habet aliquam
imperfectionem ex parte cognoscentis: unde etiam in beatis est, quamvis sit
inferior illa scientia qua videntur res in verbo propter ignobilius medium
cognoscendi. Unde non est
simile de fide, quae importat imperfectionem ex parte credentis. |
2. La parole de l’Apôtre doit s’entendre de ce qui est parfait et imparfait dans la même espèce ; cependant, il n’est pas inapproprié que, chez le même, existent des perfections d’espèces différentes, dont l’une est plus grande que l’autre. Ou bien il faut dire que la science des choses dans leur propre genre ne comporte pas d’imperfection du côté de celui qui connaît. Aussi existe-t-elle, même chez les bienheureux, bien que cette science soit inférieure à celle par laquelle les choses sont vues dans le Verbe en raison d’un moyen de connaissance moins noble. Ce n’est donc pas la même chose pour la foi, qui comporte une imperfection du côté de celui qui croit. |
[9174] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 3 Et per hoc patet
responsio ad tertium. |
3. La réponse au troisième argument est ainsi claire. |
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Articulus 2 [9175] Super Sent., lib. 3
d. 14 q. 1 a. 2 tit. Utrum anima
Christi videndo verbum comprehendat ipsum |
Article 2 – L’âme du Christ, en voyant le Verbe, le comprend-elle ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [L’âme du Christ, en voyant le Verbe, le comprend-elle ?] |
[9176] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod
anima Christi verbum videndo comprehenderit. Sicut enim dicit Isidorus,
Trinitas sibi soli nota est, et homini assumpto. Sed visio qua Deus videtur,
soli Deo est conveniens, et nulli alii purae creaturae, quia est visio
comprehensionis. Ergo homo assumptus comprehendit Trinitatem. |
1. Il semble que l’âme du Christ, en voyant le Christ, le comprenne. En effet, comme le dit Isidore, « la Trinité est connue de Dieu seul et de l’homme assumé ». Or, la vision par laquelle Dieu est vu convient à Dieu seul et à aucune simple créature, car il s’agit de la vision de compréhension. L’homme assumé comprend dont la Trinité. |
[9177] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 1 arg. 2 Praeterea, majus est uniri Deo quantum
ad esse personae quam quantum ad visionem. Sed, sicut dicit Damascenus, tota
divina natura unita est carni in persona filii. Ergo multo fortius tota
divina natura unita est animae per modum visibilis; et ita anima Christi
comprehendit deitatem verbi. |
2. Il est plus grand d’être uni à Dieu pour ce qui est de l’être de la personne que pour ce qui est de la vision. Or, comme le dit [Jean] Damascène, « la nature divine entière à été unie à la chair en la personne du Fils ». À bien plus forte raison, donc, la nature divine entière a-t-elle été unie à l’âme selon le mode de ce qui est visible. Ainsi, l’âme du Christ comprend-elle la divinité du Verbe. |
[9178] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
verbum est simplex, non divisibile. Sed simplex non potest ab aliquo capi
quin comprehendatur: quia non potest esse partim intra capientem et partim
extra. Cum igitur anima Christi verbum videndo capiat, videtur quod ipsum
comprehendat. |
3. Le Verbe est simple et non divisible. Or, ce qui est simple ne peut être saisi par quelqu’un sans être compris, car cela ne peut être en partie à l’intérieur de celui qui saisit et en partie en dehors. Puisque l’âme du Christ saisit en voyant, il semble donc qu’elle comprenne. |
[9179] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, secundum
Augustinum, illud proprie comprehenditur cujus fines conspiciuntur. Sed
verbi, cum sit infinitum, fines conspici non possunt. Ergo non potest comprehendi ab anima
Christi. |
Cependant, [1] selon Augustin, « est compris ce dont les limites tombent sous le regard ». Or, puisqu’il est infini, les limites du Verbe ne peuvent tomber sous le regard. Il ne peut donc être compris par l’âme du Christ. |
[9180] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 1 s. c. 2 Praeterea,
nulla potentia substantiae finitae est infinita. Sed anima Christi, cum sit
creata, est substantia finita. Ergo omnis virtus ejus est finita; ergo et
capacitas ejus. Sed capacitas finita non comprehendit infinitum. Cum igitur
verbum sit infinitum, non potest comprehendi ab anima Christi. |
[2] Aucune puissance d’une substance finie n’est infinie. Or, l’âme du Christ, puisqu’elle est créée, est une substance finie. Toutes ses puissances sont donc finies, et donc leur capacité. Or, une capacité finie ne comprend pas ce qui est infini. Puisque le Verbe est infini, il ne peut donc être compris par l’âme du Christ. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [L’âme du Christ connaît-elle dans le Verbe tout ce que le Verbe connaît ?] |
[9181] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod in verbo non cognoscat omnia quae cognoscit verbum. Marci 13,
32: de die illa nemo scit, neque filius, sed solus pater. Sed non loquitur de filio
secundum divinam naturam, secundum quam habet eamdem scientiam cum patre.
Ergo loquitur de filio secundum humanam naturam; ergo Christus secundum
animam non scit omnia quae scit Deus. |
1. Il semble que [l’âme du Christ] ne connaisse pas dans le Verbe tout ce que le Verbe connaît. Mc 13, 32 : Ce jour, personne ne le connaît, sauf le Père. Or, il ne parle pas du Fils selon sa nature divine, selon laquelle il possède la même connaissance que le Père. Il parle donc du Fils selon sa nature humaine. Le Christ ne connaît donc pas par son âme tout ce que Dieu connaît. |
[9182] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 2 Praeterea, Deus scit infinita. Sed
anima Christi, cum sit finita, non
potest comprehendere infinita. Ergo non omnia scit quae Deus scit. |
2. Dieu connaît les réalités infinies. Or, l’âme du Christ, puisqu’elle est finie, ne peut comprendre les réalités infinies. Elle ne connaît donc pas tout ce que Dieu connaît. |
[9183] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 3 Praeterea, ex
infinitate divinae potentiae est quod potest infinita facere. Sed anima
Christi non comprehendit infinitatem divinae potentiae. Ergo non comprehendit
omnia quae Deus potest facere. Sed Deus scit omnia quae potest facere. Ergo
anima Christi non habet scientiam omnium quae scit Deus. |
3. C’est en raison de l’infinité de la puissance divine que celle-ci peut faire des réalités infinies. Or, l’âme du Christ ne comprend pas l’infinité de la puissance divine. Elle ne comprend donc pas tout ce que Dieu peut faire. Or, Dieu connaît tout ce qu’il peut faire. L’âme du Christ n’a donc pas la science de tout ce que Dieu sait. |
[9184] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 4 Praeterea,
quanto aliquis intellectus est altior, tanto potest ex uno plura cognoscere:
et propter hoc dicitur scientia superiorum esse universalior quam inferiorum
in Lib. de causis et a Dionysio. Sed intellectus divinus est altior in
infinitum quam anima Christi. Ergo in infinitum plura potest ex seipso
cognoscere quam anima Christi ex visione unius divinae essentiae. |
4. Plus un intellect est élevé, plus il peut connaître de choses à partir d’une seule ; pour cette raison, le Livre des causes et Denys disent que la science des êtres supérieurs est plus universelle que celle des inférieurs. Or, l’intellect divin est infiniment plus élevé que l’âme du Christ. Il peut donc à l’infini connaître davantage de choses par lui-même, que l’âme du Christ par la vision de la seule essence divine. |
[9185] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Apoc. 5, 12: dignus est agnus qui occisus est
accipere divinitatem et sapientiam; Glossa: idest omnem cognitionem.
Ergo cum agnus sit occisus secundum humanam naturam, videtur quod Christus
secundum humanam naturam omnem cognitionem habeat. |
Cependant, [1] à propos de Ap 5, 12 : L’agneau qui a été tué est digne de recevoir la divinité et la sagesse, la Glose dit : « C’est-à-dire toute connaissance. » Puisque l’agneau a été tué selon sa nature humaine, il semble donc que le Christ ait toute connaissance selon sa nature humaine. |
[9186] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc.
2 s. c. 2 Praeterea,
nullum bonum est quod anima Christi non amet, quia habet perfectam caritatem.
Sed non amatur nisi cognitum. Ergo nullum bonum est quod non cognoscat. Sed
omne quod est, inquantum est, bonum est. Ergo cognoscit omnia. |
[2] Il n’y aucun bien que l’âme du Christ n’aime, car elle possède une charité parfaite. Or, n’est aimé que ce qui est connu. Il n’existe donc aucun bien qu’elle ne connaisse. Or, tout ce qui est, dans la mesure où cela est, est bon. Elle connaît donc toutes choses. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [L’âme du Christ connaît-elle toutes choses aussi clairement que Dieu ?] |
[9187] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod cognoscat omnia
ita limpide ut Deus. Limpiditas enim visionis impeditur per obscuritatem
potentiae videntis, aut ipsius medii. Sed in potentia intellectiva Christi non est aliqua obscuritas, cum
ejus anima sit speculum clarissimum et mundissimum; medium autem est idem in
quo videt Deus et ipsa anima Christi, scilicet ipsa essentia divina. Ergo
anima Christi non minus limpide videt quam Deus. |
1. Il semble que [l’âme du Christ] connaisse toutes choses aussi clairement que Dieu. En effet, la clarté de la vision est empêchée par l’obscurité de la puissance de celui qui voit ou de son moyen. Or, dans la puissance intellective du Christ, il n’y a pas d’obscurité, puisque son âme est un miroir très clair et très pur ; par ailleurs, le moyen est le même par lequel Dieu voit et l’âme du Christ [voit], à savoir, l’essence divine elle-même. L’âme du Christ ne voit donc pas moins clairement que Dieu. |
[9188] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 3 arg. 2 Praeterea, si Deus magis limpide videt
quam anima Christi, limpiditas in infinitum limpiditatem excedit. Sed inter infinite distantia possunt esse
infinita media. Ergo possunt esse infinitae creaturae magis limpide
cognoscentes quam anima Christi. |
2. Si Dieu voit plus clairement que l’âme du Christ, sa clarté dépasse infiniment la clarté [de l’âme du Christ]. Or, entre des choses infiniment distantes, il peut exister des intermédiaires à l’infini. Il peut donc exister des créatures en nombre infini qui connaissent plus clairement que l’âme Christ. |
[9189] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 3 arg. 3 Praeterea,
limpiditatis defectus in intelligendo contingit ex hoc quod virtus
intellectiva non potest sufficienter supra rem intelligendam, sive contingat
ex excellentia rei intelligendae, ad quam non pertingit intellectus; sive ex
defectu ejus, quia intellectus agens non potest perfecte ei dare rationem
intelligibilis; sicut sunt ea quae non habent esse perfectum, sicut tempus et
motus. Sed anima Christi sufficienter potest super omnem naturam creatam.
Ergo omnia quae in verbo videt, videt in termino limpiditatis; ergo Deus non
magis limpide videt quam anima Christi. |
3. Le manque de clarté dans la compréhension vient de ce que la puissance intellective n’a pas un pouvoir suffisant sur la chose à comprendre, soit que cela vienne de l’excellence de la chose à intelliger, que l’intellect ne rejoint pas, soit que cela vienne de sa carence, car l’intellect agent ne peut lui fournir parfaitement la raison de ce qui est intelligible ; c’est par exemple le cas de ce qui n’a pas un être parfait, comme le temps et le mouvement. Or, l’âme du Christ a un pouvoir suffisant sur toute nature créée. Tout ce qu’elle voit dans le Verbe, elle le voit donc jusqu’à la limite de la clarté. Dieu ne voit donc pas plus clairement que l’âme du Christ. |
[9190] Super Sent., lib. 3 d.
14 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, quanto visus
est acutior, tanto visio limpidior. Sed visus divinus est in infinitum
acutior et potentior in intelligendo quam visus animae Christi. Ergo in
infinitum limpidius videt. |
Cependant, [1] plus la vue est précise, plus la vision est claire. Or, la vision divine est infiniment plus précise et puissante pour comprendre, que la vision de l’âme du Christ. Elle voit donc infiniment plus clair. |
[9191] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 3 s. c. 2 Praeterea, major lux
majorem visionis claritatem causat. Sed lux increata, qua videt Deus, in
infinitum est major quam lux creata intellectus Christi. Ergo Deus in infinitum limpidius videt. |
[2] Une plus grande lumière produit une plus grande clarté de la vision. Or, la lumière incréée par laquelle Dieu voit est infiniment plus grande que la lumière créée de l’intellect du Christ. Dieu voit donc infiniment plus clair. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 – [L’âme du Christ voit-elle d’un seul regard tout ce qu’elle connaît dans le Verbe ?] |
[9192] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod anima Christi
non uno intuitu omnia videat quae in verbo cognoscit. Quia, sicut dicit philosophus, scimus
plura, intelligimus vero unum. Sed non videt anima Christi aliqua in verbo
nisi intelligendo. Ergo non potest uno intuitu omnia videre. |
1. Il semble que l’âme du Christ ne voie pas d’un seul regard tout ce qu’elle connaît dans le Verbe, car, ainsi que le dit le Philosophe, « nous savons plusieurs choses, mais nous en comprenons une seule ». Or, l’âme du Christ ne voit certaines choses dans le Verbe qu’en les intelligeant. Elle ne peut donc pas voir tout d’un seul regard. |
[9193] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 4 arg. 2 Praeterea, anima Christi in verbo
videt omnia quae videt verbum. Sed verbum videt infinita. Ergo et anima Christi videt infinita. Si
igitur simul actu omnia videret quae ibi videt, esset pertransire actu
infinita; quod non contingit. |
2. L’âme du Christ voit dans le Verbe tout ce que le Verbe voit. Or, le Verbe voit infiniment de choses. L’âme du Christ aussi voit donc infiniment de choses. Si donc elle voyait en même temps en acte tout ce qu’elle y voit, elle passerait en acte à infiniment de choses, ce qui n’est pas le cas. |
[9194] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc.
4 arg. 3 Praeterea,
quantitas virtutis commensuratur operationi. Sed anima Christi est finita. Ergo non potest in
operationem infinitam, nec in infinitas operationes simul. Sed si omnia infinita videt simul anima
Christi diversis operationibus secundum diversa objecta, habet infinitas
operationes simul. Si autem una operatione, habet infinitam operationem, quod
est impossibile. Ergo non videt actu omnia simul quae videt in verbo. |
3. La quantité de la puissance est proportionnée à l’opération. Or, l’âme du Christ est finie. Elle n’a donc pas une puissance portant sur une opération infinie, ni sur des opérations infinies simultanées. Or, si l’âme du Christ voit toutes les réalités infinies simultanément par des opérations différentes selon les différents objets, elle pose donc en même temps des opérations infinies. Mais si elle le fait par une seule opération, elle a une opération infinie, ce qui est impossible. Elle ne voit donc pas simultanément en acte tout ce qu’elle voit dans le Verbe. |
[9195] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 4 arg. 4 Praeterea, Angeli beati non vident simul actu quidquid vident in
verbo: unde et unus alium illuminat. Sed visio qua anima Christi videt in
verbo, est similis illi visioni. Ergo non omnia simul videt in verbo. |
4. Les anges bienheureux ne voit pas simultanément en acte tout ce qu’ils voient dans le Verbe ; c’est ainsi que l’un illumine l’autre. Or, la vision par laquelle l’âme du Christ voit dans le Verbe est semblable à cette vision. Elle ne voit donc pas toutes choses simultanément dans le Verbe. |
[9196] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 4 s. c. 1 Sed contra,
philosophus dicit, quod felicitas non consistit in habitu, sed in operatione.
Sed Christus est perfecte
felix et beatus. Ergo est in actu omnium eorum quae cognoscit. |
Cependant, [1] le Philosophe dit que la félicité ne consiste pas dans un habitus, mais dans une opération. Or, le Christ est parfaitement heureux et bienheureux. Il est donc en acte de tout ce qu’il connaît. |
[9197] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 4 s. c. 2 Praeterea,
quaecumque cognoscuntur, cognoscuntur vel habitu vel actu. Sed Christus non
videt per aliquem habitum specierum ea quae videt in verbo. Si ergo non videt actu,
nullo modo cognoscit nisi in potentia. |
[2] Tout ce qui est connu est connu soit par un habitus, soit par un acte. Or, le Christ ne voit pas par un habitus des espèces ce qu’il voit dans le Verbe. Si donc il ne voit pas en acte, il ne connaît d’aucune manière, si ce n’est en puissance. |
[9198] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 4 s. c. 3 Praeterea,
quaecumque videntur in una specie simul videntur, sicut homo simul videt
quantitatem et colorem. Sed omnia quae videt anima Christi in verbo, videt in
una essentia verbi quasi in una specie. Ergo anima Christi omnia simul videt. |
[3] Tout ce qui est vu dans une seule espèce est vu simultanément, comme un homme voit simultanément la quantité et la couleur. Or, tout ce que voit l’âme du Christ dans le Verbe, elle le voit dans la seule essence du Verbe comme dans une seule espèce. L’âme du Christ voit donc tout simultanément. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[9199] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad
primam quaestionem, quod illud proprie comprehenditur quod attingitur ab intellectu
secundum totam rationem suae cognoscibilitatis, et hoc est fines ejus
conspici: non quidem rei, quia sic Deus seipsum non comprehenderet, quia
fines non habet; sed quia secundum omnem rationem qua cognoscibilis est
seipsum cognoscit, ideo comprehendere seipsum dicitur. Et quia unumquodque est cognoscibile
secundum quod est ens, ideo dicta comprehensio contingit quando adaequatur ad
essentiam rei efficacia intellectus in intelligendo. Cum autem intellectus
duo habeat in intelligendo, scilicet lumen intellectuale, quo intelligere
potest, et similitudinem rei intellectae, qua sua intellectualis operatio
determinatur ad hanc rem cognitam; quodcumque horum excedatur a re secundum
quod est in suo esse, intellectus illam rem non comprehendet. Sed in hoc differt.
Quia si excedat res similitudinem intellectus, qua rem ipsam intelligit; tunc
intellectus non attingit ad videndum essentiam illius rei: quia ut dictum
est, per similitudinem illam intellectus determinatur ad rem cognitam; sicut
si species intelligibilis repraesentet hominem inquantum est sensibilis, et
non inquantum est rationalis: tunc enim non videtur essentia hominis:
quocumque enim subtracto de essentialibus rei, manet essentia alterius
speciei. Si autem res excedat lumen intellectus, et non speciem; tunc
videbitur quidem essentia rei, sed non modo perfecto ut cognoscibilis est; eo
quod, ut dictum est, ex lumine intellectuali est efficacia intelligendi. Sed
quia esse quod recipitur in creatura, deficit ab eminentia esse creatoris;
ideo omnis intellectus creatus cognoscens Deum per similitudinem aliquam sive
impressam, sive a rebus acceptam, non videt essentiam Dei; sed ad hoc quod
videat Deum oportet quod ipsa Dei essentia conjungatur intellectui ut forma
qua cognoscit determinate: quod est in omnibus beatis. Sed quia lumen
intellectuale facit intelligentem simpliciter, ideo oportet quod omnis
intellectus intelligat per lumen quod sit in ipso. Unde per lumen
intellectuale quod est in intellectu creato receptum, quo Deum videt, deficit
ab esse divino; et ideo quamvis essentiam Dei videat, non tamen perfecto modo
videt; et propter hoc intellectui creato communicari non potest quod Deum
comprehendat. |
Est compris au sens propre ce qui est atteint par l’intellect selon toute la raison de ce qui peut en être connu : c’est ainsi que ses limites tombent sous le regard, non pas celles de la réalité, car ainsi Dieu ne se comprendrait pas puisqu’il n’a pas de limites, mais parce qu’il se connaît lui-même selon toute la raison de ce qui peut en être connu, on dit qu’il se comprend. Et parce que tout est connaissable dans la mesure où cela est un être, la compréhension en cause survient donc lorsque l’efficacité de l’intellect pour intelliger est égale à l’essence de la chose. Or, comme l’intellect comporte deux choses en intelligeant : la lumière intellectuelle, par laquelle il peut intelliger, et une similitude de la chose intelligée, par laquelle son opération intellectuelle est déterminée à cette chose connue, tout ce qui en cela est dépassé par la chose telle qu’elle est dans son être, l’intellect ne le comprendra pas. En effet, si la chose dépasse la similitude de l’intellect, par laquelle il intellige la chose elle-même, l’intellect n’atteint pas alors la vision de l’essence de cette chose, car, ainsi qu’on l’a dit, l’intellect est déterminé à la chose connue par cette similitude. Ainsi, si l’espèce intelligible représente l’homme en tant qu’il est sensible, et non en tant qu’il est raisonnable, alors, l’essence de l’homme n’est pas vue, puisque, en enlevant des éléments essentiels de la chose, cela demeure l’essence d’une autre espèce. Mais si la chose dépasse la lumière de l’intellect, et non pas l’espèce, on verra alors l’essence de la chose, mais non d’une manière aussi parfaite qu’elle peut être connue, du fait que, ainsi qu’on l’a dit, l’efficacité pour intelliger vient de la lumière intellectuelle. Or, parce que l’être qui est reçu dans la créature n’a pas l’éminence de l’être du Créateur, tout intellect créé qui connaît Dieu par une similitude soit impresse, soit reçue des choses, ne voit pas l’essence de Dieu ; pour qu’elle voie Dieu, il faut que l’essence de Dieu elle-même soit unie à l’intellect comme une forme par laquelle il connaît de manière déterminée, ce qui est le cas pour tous les bienheureux. Mais parce que c’est la lumière intellectuelle qui fait qu’on intellige tout simplement, il est donc nécessaire que tout intellect intellige par la lumière qui est en lui. Aussi, par la lumière intellectuelle qui est reçue par un intellect créé et par laquelle il voit Dieu, il n’est pas égal à l’être divin. C’est pourquoi, bien qu’il voie l’essence de Dieu, il ne la voit cependant pas d’une manière parfaite. Pour cette raison, ce que Dieu comprend ne peut pas être communiqué à un intellect créé. |
[9200] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Isidorus loquitur de perfecta
cognitione Trinitatis; quae Trinitas de seipsa perfectam cognitionem habet
simpliciter; sed anima Christi habet de ea cognitionem perfectam in genere creaturae.
Vel dicendum, quod non loquitur de comprehensione ipsius Trinitatis secundum
se, sed quantum ad omnia quae in seipsa Trinitas cognoscit: quia omnia illa
cognoscit in ea anima Christi, non autem aliqua alia creatura. Vel si
intelligatur de comprehensione Trinitatis in se; tunc homini assumpto
convenit, non ratione naturae humanae, sed ratione divinae. |
1. Isidore parle de la connaissance parfaite de la Trinité. La Trinité a cette connaissance parfaite d’elle-même, mais l’âme du Christ a d’elle une connaissance parfaite dans le genre de la créature. Ou bien il faut dire qu’il ne parle pas de la compréhension de la Trinité même en elle-même, mais selon tout ce qu’elle connaît dans la Trinité même, car l’âme du Christ connaît cela en elle, mais aucune autre créature. Ou bien, si on l’entend de la compréhension de la Trinité en elle-même, alors elle convient à l’homme assumé, non pas en raison de sa nature humaine, mais en raison de sa nature divine. |
[9201] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod sicut nihil est de divina natura quod non sit humanae naturae
unitum in persona verbi, non tamen humana natura adaequatur divinae naturae,
propter quod divina natura tota dicitur unita humanae naturae, non conclusa
in humana natura; similiter quia nihil est de natura verbi quod anima Christi
non videat, nec tamen ei adaequatur, potest dici quod anima Christi totam
naturam verbi videt, non tamen eam comprehendit, quia eam non totaliter
videt. Illud enim totaliter videtur cujus visibilitas non excedit modum
videntis, ut scilicet videns ita perfecte videat sicut res perfecte visibilis
est. Unde qui habet opinionem tantum de quo scientia haberi potest, non
totaliter cognoscit illud. Et ideo nullus intellectus creatus potest essentiam
Dei totaliter videre: quia ejus efficacia non est tanta in intelligendo,
quanta est veritas sive claritas divinae essentiae, secundum quam visibilis
est; quod solius divini est intellectus; et ideo ipse solus seipsum totaliter
cognoscit. |
2. Parce qu’il n’y a rien de la nature divine qui ne soit uni à la nature humaine dans la personne du Verbe, alors que la nature humaine n’est pas égale à la nature divine, raison pour laquelle on dit que la nature divine a été unie à la nature humaine dans sa totalité, et non enfermée dans la nature humaine ; et parce qu’il n’y a rien de la nature du Verbe que ne voie l’âme du Christ, sans cependant lui être égale, on peut dire que l’âme du Christ voit toute la nature du Verbe, sans cependant la comprendre, parce qu’elle ne la voit pas totalement. En effet, est vu totalement ce dont la visibilité ne dépasse pas la mesure de celui qui voit, de sorte que celui qui voit voie aussi parfaitement que la chose est parfaitement visible. Aussi celui qui n’a qu’une opinion de ce dont on peut avoir la science ne connaît pas cela parfaitement. C’est pourquoi aucun intellect créé ne peut voir totalement l’essence de Dieu, car son efficacité n’est pas aussi grande en intelligeant que la vérité ou la clarté de l’essence divine, autant qu’elle puisse être vue, ce qui relève seulement de l’intellect divin. C’est pourquoi il est le seul à se connaître totalement. |
[9202] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod non negatur verbum ab anima Christi comprehendi quia partem
ejus videat et partem ejus non videat; sed quia non ita perfecte videt sicut
visibile est; sicut etiam duorum qui unam conclusionem sciunt, unus perfecte
scit, non quia alter conclusionis partem sciat et partem ignoret; sed quia
unus scit per medium efficacius quam alter. |
3. On ne nie pas que le Verbe soit compris par l’âme du Christ parce qu’il en voit une partie et n’en voit pas une autre partie, mais parce qu’elle ne la voit pas aussi parfaitement qu’il est visible. Ainsi, de deux qui savent une conclusion, l’un la sait parfaitement, non pas parce que l’autre en connaît une partie et en ignore une partie, mais parce que l’un sait par un moyen plus efficace que l’autre. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[9203] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quidam
dixerunt, omnem intellectum videntem Deum videre omnia quae videt Deus. Sed
hoc non est necessarium: quia cum res videntur in Deo, Deus est quasi medium
cognoscendi illas res. Non est autem necessarium quod qui cognoscit aliquod
medium, cognoscat omnia illa quae per medium illud cognosci possunt, nisi
plenarie medium illud, secundum totam virtutem suam, cognoscat: et ideo ipse
Deus, qui seipsum comprehendit, omnia quae in eo sunt qualitercumque,
cognoscit, sed diversimode. Quia ea quae sunt, erunt, vel fuerunt secundum
quodcumque tempus, scit scientia visionis: quia illud proprie videtur quod
habet esse extra videntem. Et quamvis essentia, per quam videt, sit una;
tamen quia per distinctas rationes ideales ea videt, ideo distinctam
cognitionem de eis habet, dum unumquodque cognoscit secundum propriam ideam,
sicut bonum; vel per oppositi ideam, sicut malum. Distinctio autem harum
rationum est ex diverso respectu exemplaris, scilicet divinae essentiae, ad
res visas. Sed ea quae nec sunt nec fuerunt nec erunt, et tamen potuissent
esse vel fuisse vel futura esse, cum in seipsis non sint, nullam in seipsis
distinctionem habent, nec sunt nisi in potentia ipsius Dei, in qua unum sunt:
unde non possunt esse respectus diversi secundum quos distinguantur rationes
horum possibilium; et ideo haec Deus non cognoscit per ideas distinctas, sed
per cognitionem suae potentiae, in qua sunt: et ideo dicitur haec cognoscere
simplici intelligentia, quia intelligentiae est concipere etiam ea quae non
sunt extra concipientem. Sed quia omne quod agit aliquid vel potest agere,
agit illud secundum quod est ens actu; ideo impossibile est quod aliquis
sciat omnia quae ex aliqua causa possunt produci, nisi comprehendat ejus
entitatem. Et quia nullus intellectus creatus comprehendit essentiam divinam,
ideo nullus creatus intellectus potest scire omnia quae Deus potest facere:
et haec sunt illa quae Deus scit simplici intelligentia. Sed ea quae sunt,
fuerunt, vel erunt, deficiunt ab infinitate divinae potentiae, quia plura
facere posset; unde non prohibetur aliquis creatus intellectus cognoscere ea
omnia; sed unusquisque tanto plura eorum in verbo cognoscit, quanto
perfectius verbum intuetur. Et quia anima Christi perfectissime inter
creaturas verbum intuetur, ad terminum hujus cognitionis pervenit, scilicet
quod scit omnia quae fuerunt vel erunt, non solum facta, sed cogitata vel
dicta. Et quia comprehendit quamlibet essentiam creatam, ideo scit omnia quae
sunt in potentia seminali creaturae cujuscumque, eo modo quo Deus scit quae
sunt in potentia sua. Sic ergo dicendum est, quod videt in verbo omnia quae
videt verbum scientia visionis. |
Certains ont dit que tout intellect qui voit Dieu voit tout ce que Dieu voit. Mais cela n’est pas nécessaire, car lorsque les choses sont vues par Dieu, Dieu est comme le moyen de connaître ces choses. Or, il n’est pas nécessaire que celui qui connaît un moyen connaisse tout ce qui peut être connu par ce moyen, à moins de connaître pleinement ce moyen. C’est pourquoi Dieu même, qui se comprend, connaît tout ce qui est en lui de quelque façon que ce soit, mais de manière différente. En effet, il sait d’une science de vision ce qui est, sera ou a été en tous les temps, car est vu ce qui a l’être en dehors de celui qui voit. Et bien que l’essence par laquelle il voit soit unique, parce qu’il voit ces choses par des raisons idéales distinctes, il en a donc une connaissance distincte, alors qu’il connaît chacune selon sa propre idée, comme le bien, ou par l’idée de ce qui y est opposé, comme le mal. Or, la distinction de ces raisons vient d’un rapport différent entre l’exemplaire, à savoir, l’essence divine, et les choses vues. Mais ce qui n’est pas, n’a pas été et ne sera pas, mais aurait pu être, n’a pas été ou aurait pu être, puisque cela n’existe pas en soi, ne comporte en soi aucune distinction et n’existe que dans la puissance de Dieu, dans laquelle c’est une seule chose. Ces choses ne peuvent pas avoir de rapports différents, selon lesquels se distinguent les raisons de ces possibles. C’est pourquoi Dieu ne connaît pas ces choses par des idées distinctes, mais par la connaissance de sa puissance où elles se trouvent. On dit donc qu’il les connaît par simple intelligence, car il relève de l’intelligence de concevoir même ce qui n’existe pas en dehors de celui qui conçoit. Mais parce que tout ce qui fait quelque chose ou peut faire quelque chose le fait selon qu’il est en acte, il est donc impossible que quelqu’un sache tout ce qui peut être produit par une cause, à moins d’en comprendre l’entité. Et parce qu’aucun intellect créé ne comprend l’essence divine, aucun intellect créé ne peut savoir tout ce que Dieu peut faire. Telles sont les choses que Dieu sait par simple intelligence. Or, l’infinité de la puissance divine fait défaut aux choses qui sont, ont été ou seront ; il n’est donc pas impossible qu’un intellect créé les connaisse toutes. Mais chacun en connaît d’autant plus dans le Verbe qu’il regardera le Verbe plus parfaitement. Et parce que l’âme du Christ, parmi les créatures, regardera le Verbe de la manière la plus parfaite, elle parvient au terme de cette connaissance : elle connaît tout ce qui a été ou sera, et non seulement ce qui a été, mais ce qui a été pensé ou dit. Et parce qu’elle comprend n’importe quelle essence créée, elle connaît donc tout ce qui existe dans la puissance séminale de toute créature, à la manière dont Dieu sait tout ce qui existe dans sa puissance. Il faut donc dire que [l’âme du Christ] voit dans le Verbe tout ce que le Verbe voit selon la science de vision. |
[9204] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dicitur
filius nescire, quia non facit nos scire, ex eo quod ad nos mittitur. Similiter nec spiritus sanctus, sed solus
pater scire dicitur, quia ipse non mittitur. Unde scientia patris
intelligitur quantum ad hoc quod in se scit, a qua scientia non excluditur
filius et spiritus sanctus; ut sic intelligatur de filio non solum inquantum
homo, sed etiam inquantum Deus. Vel potest intelligi de filio secundum humanam naturam secundum eumdem
modum loquendi. |
1. On dit que le Fils ne connaît pas parce qu’il ne nous fait pas savoir, du fait qu’il nous est envoyé. De même, on ne dit pas que l’Esprit Saint [connaît], mais que seul le Père connaît, car il n’est pas lui-même envoyé. Ainsi la connaissance du Père s’entend-elle de ce qu’il connaît en lui-même, connaissance dont ne sont pas écartés le Fils et le Saint-Esprit, de sorte que cela s’entend du Fils, non seulement en tant qu’il est homme, mais aussi en tant qu’il est Dieu. Ou bien on peut l’entendre du Fils selon sa nature humaine, selon la même manière de parler. |
[9205] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Deus
infinita non scit per visionis scientiam; sciret tamen si generatio in
futurum nunquam cessaret, quod Deo est possibile: et hac positione facta,
anima Christi sciret infinita scientia visionis, ut quidam dicunt; nunc autem
scit infinita simplici intelligentia, inquantum scit omnia quae fieri possunt
per potentiam creaturae, quae infinita sunt, ad minus secundum numerum. Nec
hoc impeditur per hoc quod est ejus substantia finita, propter duo. Primo,
quia ista infinita quae sciret, si generatio semper duratura esset, non
cognosceret per infinita, sed per unum, scilicet verbum. Nec tamen comprehenderet
illud verbum: quia ex illo uno possent adhuc multo plura educi; posset enim
aliquas alias species facere. Ea autem infinita quae sunt in potentia
creaturarum, iterum cognoscit comprehendendo ipsas creaturas, quae infinitae
non sunt. Virtus autem cognoscentis proportionatur medio cognoscendi magis
quam ipsis cognitis. Secundo, quia contingit aliquam virtutem limitatam esse
quantum ad esse, sed non quantum ad rationem illius virtutis; sicut supra,
dist. 13, quaest. 1, art. 2, quaestiunc. 2, de gratia dictum est. Et quia
ratio virtutis determinatur ad objectum, ideo contingit aliquam virtutem
finitam quantum ad essentiam, posse in infinita objecta; sed non operari modo
infinito: quia efficacia infinita in agendo non potest esse nisi ab essentia
infinita; cum unumquodque agat secundum quod est ens actu: sicut virtus solis
est ad producendum infinitas herbas, quia quantumcumque producat, nunquam
virtus sua exhauritur; non tamen agit efficacia infinita. Ita etiam anima
Christi, quamvis finita sit in essentia, non tamen prohibetur quin infinita
cognoscere possit; sed quod non possit cognoscere ea limpiditate infinita. |
2. Dieu ne connaît pas les réalités infinies par sa science de vision ; cependant, il les connaîtrait si leur génération ne cessait jamais à l’avenir, ce qui est possible pour Dieu. Ceci étant acquis, l’âme du Christ connaîtrait les réalités infinies par la science de vision, comme le disent certains ; mais, maintenant, il connaît les réalités infinies par simple intelligence, dans la mesure où il connaît tout ce qui être réalisé par la puissance de la créature, qui est infini, du moins, en nombre. Et cela n’est pas empêché par le fait que sa substance soit finie, pour deux raisons. Premièrement, parce ces réalités infinies qu’il connaîtrait, si la génération durait toujours, il ne les connnaîtrait pas par des réalités infinies, mais par une seule réalité, le Verbe. Cependant, il ne comprendrait pas ce Verbe, car beaucoup plus de choses pourraient encore en être tirées : en effet, il pourrait faire d’autres espèces. Mais les infinis qui existent dans la puissance des créatures, il les connaît en comprenant ces créatures, qui ne sont pas infinies. Or, la puissance de celui qui connaît est proportionnée au moyen de connaître plus qu’à cela même qui est connu. Deuxièmement, parce qu’il arrive qu’une puissance soit limitée du point de vue de son être, mais non du point de vue de la raison de cette puissance, comme on l’a dit plus haut à propos de la grâce, d. 13, q. 1, a. 2, qa 2. Et parce que la raison de la puissance est déterminée par son objet, il arrive donc qu’une puissance finie par son essence puisse se porter sur des objets infinis, mais non pas agir d’une manière infinie, car l’efficacité infinie de l’action ne peut être le fait que d’une essence infinie, puisque chaque chose agit selon qu’elle est un être en acte. Ainsi, la puissance du soleil est capable de produire une infinité de plantes, car, autant qu’elle en produise, sa puissance n’est jamais épuisée ; mais elle n’agit pas avec une efficacité infinie. De même aussi, l’âme du Christ, bien qu’elle ait une essence finie, n’est-elle pas empêchée de pouvoir connaître des réalités infinies, mais de pouvoir les connaître avec une clarté infinie. |
[9206] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus potest facere multa quae nunquam
faciet: et illa scit Deus scientia simplicis notitiae, non autem scientia
visionis. Scientia autem animae Christi non parificatur etiam in numero
scitorum, scientiae divinae quae est simplicis notitiae, sed solum scientiae
visionis, ut dictum est. |
3. Dieu peut faire beaucoup de choses qu’il ne fera jamais ; Dieu connaît ces choses d’une science de simple intelligence, mais non d’une science de vision. Mais la science de l’âme du Christ n’est pas égale, même par le nombre de choses connues, à la science divine de simple intelligence, mais seulement à sa science de vision, comme on l’a dit. |
[9207] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod Deus scit ex ipsa sua essentia quae potest Deus facere, quae
tamen anima Christi non scit: et ideo quantum ad hoc Deus plura scit.
Praeterea hoc habet locum in illis quae minor intellectus non comprehendit.
Si enim omnia comprehendit, tunc omnia scit inferior intellectus in illis
quae superior, non tamen ita bene: et ideo cum anima Christi comprehendit
creaturas, scit omnia quae sunt in creatura vel actu vel potentia ipsius, non
tamen ita limpide sicut Deus. |
4. Dieu sait par son essence ce que Dieu peut faire, ce que ne sait pas l’âme du Christ. C’est pourquoi Dieu en sait davantage sous cet aspect. De plus, cela se produit pour ce qu’une intelligence inférieure ne comprend pas. En effet, s’il comprend tout, l’intellect inférieur sait alors tout de ce que sait [l’intellect] supérieur, mais non pas aussi bien. Puisque l’âme du Christ comprend les créatures, elle sait donc tout ce qui existe dans la créature soit en acte, soit dans sa puissance, mais non pas aussi clairement que Dieu. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3 |
[9208] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod claritas vel limpiditas visionis
contingit ex tribus. Primo ex efficacia virtutis visivae: quia qui sunt
fortioris visus, magis limpide vident. Secundo ex claritate lucis sub qua
claritate visibile videtur; sicut clarius videtur aliquid in lumine solis
quam in lumine lunae. Tertio ex comparatione visibilis, vel ejus in quo
aliquid videtur, ad videntem: quia quod a remotiori videtur, minus clare
videtur. Et propter haec tria non potest anima Christi ita limpide videre ea
quae videt in verbo, sicut ipsum verbum. Primo, quia non habet tantum
virtutem in intelligendo; secundo, quia lumen sub quo videt, deficit a lumine
increato; tertio quia essentia divina, quae est exemplar rerum, in quo res
videntur, est magis conjuncta Deo quam alicui creaturae, quia est idem
secundum rem. |
La clarté ou la limpidité de la vision vient de trois choses. Premièrement, de l’efficacité de la puissance de la vision, car ceux qui ont une vision plus puissante voient avec plus de limpidité. Deuxièmement, de la clarté de la lumière par laquelle ce qui peut être vu est vu ; ainsi, quelque chose est vu plus clairement à la lumière du soleil qu’à la lumière de la lune. Troisièmement, de la comparaison entre ce qui peut être vu ou ce en quoi quelque chose est vu, et celui qui voit, car ce qui est vu de loin est vu moins clairement. Pour ces trois raisons, l’âme du Christ ne peut voir aussi clairement que le Verbe lui-même ce qu’elle voit dans le Verbe. Premièrement, parce qu’elle n’a pas une aussi grande puissance d’intellection ; deuxièmement, parce que la lumière par laquelle elle voit n’est pas égale à la lumière incréée ; troisièmement, parce que l’essence divine, qui est le modèle de toutes choses dans lequel les choses sont vues, est plus unie à Dieu qu’une créature, car elle est en réalité identique. |
[9209] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod anima Christi
est speculum clarissimum respectu creaturarum; non tamen pertingit ad claritatem
divinam. Nec ex hoc sequitur quod sit in eo aliqua obscuritas, sicut nec in
minus albo est aliqua nigredo, sed albedo minus intensa. |
1. L’âme du Christ est un miroir très clair par rapport aux créatures ; elle n’égale cependant pas la clarté divine. Il ne découle pas de cela qu’il existe en elle quelque obscurité, comme du noir dans ce qui est moins blanc, mais une blancheur moins intense. |
[9210] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis
limpiditas cognitionis divinae in infinitum excedat limpiditatem cognitionis
animae Christi; non tamen sequitur quod possit esse alia creatura limpidius
cognoscens quam anima Christi: quia pervenit ad ultimum gradum creaturae
possibilem, sicut supra dictum est de gratia ejus. |
2. Bien que la limpidité de la connaissance divine dépasse infiniment la limpidité de la connaissance de l’âme du Christ, il n’en découle cependant pas qu’il puisse exister une autre créature qui connaisse de manière plus limpide que l’âme du Christ, car elle atteint le degré ultime possible pour une créature, comme on l’a dit plus haut à propos de sa grâce. |
[9211] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod limpiditas
intelligendi non est tantum ex parte intelligibilis; sed etiam ex parte
intelligentis. Unde quamvis aliqua res ab anima Christi sciatur secundum
omnem suam cognoscibilitatem, tamen melius cognoscitur ab ipso Deo quantum ad
modum intelligentis; eo quod minimum intelligibile intelligit claritate
infinita, sicut etiam rem parvam creat potentia infinita. |
3. La limpidité de l’intelligence ne vient pas seulement de ce qui est intelligible, mais aussi de celui qui comprend. Bien qu’une chose soit connue par l’âme du Christ selon tout ce en quoi elle peut être connue, elle est cependant mieux connue par Dieu lui-même pour ce qui est du mode de celui qui connaît, du fait qu’il intellige ce qui est le moins intelligible avec une clarté infinie, comme il crée aussi une petite chose par sa puissance infinie. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la sous-question 4 |
[9212] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 4 co. Ad quartam
quaestionem dicendum, quod ratio quam assignant philosophi, quare intellectus
noster non potest simul plura intelligere, est haec, quia oportet quod
intellectus figuretur specie rei intelligibilis. Impossibile est autem quod
simul figuretur pluribus speciebus, sicut impossibile est quod corpus simul
figuretur pluribus figuris. Et ideo si aliqua cognoscuntur per unam speciem,
illa nihil prohibet simul cognosci; sicut homo intelligens quidditatem
hominis, simul intelligit animal et rationale: et propter hoc etiam
intelligens propositionem, simul intelligit praedicatum et subjectum, quia
intelligit ea ut unum. Et ideo, cum anima Christi intelligit omnia quae sunt
in uno, scilicet verbo, etiam simul et uno intuitu omnia cognoscit actu. Et
similiter est de aliis beatis quantum ad omnia quae in verbo vident; secus
autem est de illis quae vident per species diversas, quae simul videre non
possunt. |
La raison que donnent les philosophes pour expliquer que notre intellect ne peut intelliger plusieurs choses en même temps est celle-ci : il est nécessaire que l’intellect soit formé par l’espèce de la réalité intelligible. Or, il est impossible qu’il soit simultanément formé par plusieurs espèces, comme il est impossible qu’un corps prenne la forme de plusieurs figures. C’est pourquoi, si certaines choses connues par une seule espèce, rien n’empêche que ces choses soient simultanément connues, comme un homme qui intellige la quiddité de l’homme intellige simultanément « animal » et « raisonnable ». Pour la même raison, celui qui intellige une proposition intellige simultanément le prédicat et le sujet, car il les intellige comme une seule chose. Puisque l’âme du Christ intellige toutes les choses qui se trouvent dans une seule, le Verbe, il connaît donc tout en acte simultanément et d’un seul regard. De même en est-il des bienheureux pour tout ce qu’ils voient dans le Verbe. Mais il en va autrement de ceux qui voient par des espèces différentes, qui ne peuvent voir simultanément. |
[9213] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quando plura intelliguntur in uno,
omnia illa sunt ut unum intelligibile: et per hoc servatur verbum philosophi. |
1. Lorsque plusieurs choses sont intelligées dans une seule chose, toutes ces choses sont comme un seul intelligible. Ainsi est sauvegardée la parole du Philosophe. |
[9214] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 4 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod verbum non videt infinita per scientiam visionis, ut dictum
est et de hac verum est quod anima Christi videt quaecumque videt verbum. Si
tamen infinita videret, praedicta positione facta quod generatio semper
duraret, non sequeretur quod transiret in infinita: quia non videret ea
pertranseundo de uno in alius; sed in uno simplici tam Deus quam anima
Christi. |
2. Le Verbe ne voit pas des choses infinies par la science de vision, comme on l’a dit, et il est vrai de celle-ci que l’âme du Christ voit tout ce que voit le Verbe. Cependant, s’il voyait des choses infinies, en supposant que la génération durerait toujours, il n’en découlerait pas qu’elle passerait par des choses infinies, car elle ne les verrait pas en passant de l’une à l’autre, mais aussi bien Dieu que l’âme du Christ [les verraient] dans une seule réalité simple. |
[9215] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 4 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod omnia quae anima Christi videt in verbo, videt una operatione;
non tamen illa operatio est infinita in se, sed materialiter, quia transit
super infinita, praedicta positione stante de duratione mundi, sicut etiam
dictum est de virtute intelligendi. |
3. Tout ce que voit l’âme du Christ dans le Verbe, elle le voit par une seule opération ; cependant, cette opération n’est pas infinie en elle-même, mais d’un point de vue matériel, car elle passe par des choses infinies, en maintenant la position à propos de la durée du monde, comme on l’a aussi dit de la puissance d’intellection. |
[9216] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2
qc. 4 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod unus Angelus non illuminatur ab alio de his quae illuminatus
videt in verbo, sed de his quae non videt, quae superior videt vel in verbo,
vel in lumine alterius Angeli magis sibi proportionato, in quo sunt formae
magis particulares; sicut inferiores Angeli illuminantur a mediis de his quae
ipsi in verbo non vident; medii autem vident vel in verbo, vel per illuminationem
superiorum Angelorum. |
4. Un ange n’en éclaire pas un autre à propos de ce qu’il voit dans le Verbe en étant éclairé, mais à propos de ce qu’il ne voit pas, que [l’ange] supérieur voit soit dans le Verbe, soit par la lumière d’un autre ange qui lui est plus proportionnée, dans lequel existent des formes plus particulières. Ainsi, les anges sont illuminés par les anges intermédiaires à propos de qu’ils ne voient pas dans le Verbe, mais les anges intermédiaires voient soit dans le Verbe, soit par une illumination par des anges supérieurs. |
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Articulus 3 [9217] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
tit. Utrum anima
Christi, secundum illam scientiam qua cognoscit res in propria natura,
cognoscat omnia |
Article 3 – L’âme du Christ connait-elle tout de la connaissance par laquelle elle connaît les choses dans leur nature propre ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [L’âme du Christ connait-elle tout de la connaissance par laquelle elle connaît les choses dans leur nature propre ?] |
[9218] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod
secundum illam scientiam qua anima Christi scit res in propria natura, sciat
omnia. Omnis enim potentia quae non est reducta ad actum, est imperfecta. Sed
intellectus possibilis animae Christi est in potentia ad omnia intelligibilia:
quia est quodammodo omnia fieri, ut dicit in 3 de anima. Ergo si non omnia
sciret per proprias similitudines, remaneret imperfectus. |
1. Il semble que l’âme du Christ connaît tout de la connaissance par laquelle elle connaît les choses dans leur nature propre. En effet, toute puissance qui n’est pas amenée à l’acte est imparfaite. Or, l’intellect possible de l’âme du Christ est en puissance à tous les intelligibles, car il devient en quelque sorte toutes choses, comme on le dit dans Sur l’âme, III. Si [l’âme du Christ] ne connaissait pas toutes choses par leurs propres similitudes, elle demeurerait donc imparfaite. |
[9219] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 1 arg. 2 Praeterea,
haec est natura intellectus, per quam differt a sensu, quod quanto intellectus
plura et difficiliora intelligit, tanto magis potest alia leviora
intelligere. Sed quod est hujusmodi, nihil prohibet quin omnia capere posset.
Ergo anima Christi etiam in propria natura omnia cognoscit. |
2. La nature de l’intellect, par laquelle elle diffère du sens, est telle que plus l’intellect intellige de choses et des choses plus difficiles, plus il peut en intelliger de plus légères. Or, rien n’empêche que ce qui est ainsi puisse tout saisir. L’âme du Chrit connaît donc toutes choses selon leur propre nature. |
[9220] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
magis impediunt se opposita, ut non possint esse simul, quam quaelibet alia.
Sed species oppositorum non impediunt se quin sint simul in anima: quia simul
homo habet scientiam albi et nigri. Ergo multo minus aliquae aliae species
impediunt se invicem ut non possint esse simul; et sic idem quod prius. |
3. Les choses opposées s’empêchent d’exister
simultanément davantage que toutes les autres choses. Or, es espèces des
choses opposées n’empêchent pas qu’elles existent simultanément dans l’âme,
car l’homme possède en même temps la connaissance du blanc et du noir. Encore
bien moins certaines autres espèces s’empêchent-elles donc d’exister
simultanément. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[9221] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
non possunt omnia cognosci in quo non sunt omnia. Sed omnia non possunt esse
in uno habitu creato. Ergo cum scientia quam habet Christus de rebus in
propria natura, sit per aliquem habitum creatum, non potest per illam
scientiam omnia cognoscere. |
Cependant, [1] tout ne peut être connu là où
tout n’existe pas. Or, tout ne peut exister dans un seul habitus créé.
Puisque la connaissance que le Christ possède des choses selon leur nature
propre vient d’un habitus créé, il ne peut donc tout connaître par cette
science. |
[9222] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, per
illam scientiam Christus conformatur nobis. Sed nos non possumus scire omnia.
Ergo nec Christus secundum hanc scientiam scivit omnia. |
[2] Le Christ nous est conforme par cette connaissance. Or, nous ne pouvons pas nous-mêmes connaître tout. Donc, ni le Christ ne connaît tout selon cette science. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Cette science du Christ est-elle inférieure à celle des anges ?] |
[9223] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod hanc scientiam Christus habuit minorem
Angelis. Quia quanto intellectus est simplicior, tanto ejus naturalis scientia
est major. Sed intellectus angelicus est simplicior quam anima Christi: quia
intellectus Christi non excedit terminos humanae naturae, ultra quos est
simplicitas intellectus angelici. Ergo intellectus angelicus habet majorem
scientiam quam est scientia naturalis animae Christi. |
1. Il semble que cette science du Christ soit inférieure à celle des anges, car plus un intellect est simple, plus grande est sa science. Or, l’intellect angélique est plus simple que l’âme du Christ, car l’intellect du Christ ne dépasse pas les limites de la nature humaine, au-delà desquelles se trouve la simplicité de l’intellect angélique. L’intellect angélique possède donc une science plus grande que la science naturelle de l’âme du Christ. |
[9224] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 2 arg. 2 Praeterea, quanto intellectus est
magis propinquus materiae, tanto est debilior in cognoscendo. Sed intellectus
Christi, cum sit forma materialis corporis Christi, est magis propinquus
materiae quam angelicus. Ergo debilius cognoscit; et sic idem quod prius. |
2. Plus un intellect est proche de la matière, plus il est faible pour connaître. Or, l’intellect du Christ, puisqu’il est la forme du corps matériel du Christ, est plus proche de la matière que [l’intellect] angélique. Il connaît donc plus faiblement. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[9225] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut dicit
Isaac, ratio oritur in umbra intelligentiae. Intelligentiam autem vocat Angelum. Cum ergo
Christus habeat intellectum rationalem, videtur quod ejus scientia sit minor
quam Angelorum. |
3. Comme le dit Isaac, « la raison apparaît dans l’ombre de l’intelligence ». Or, il appelle « intelligence » celle des anges. Puisque le Christ possède une intelligence raisonnable, il semble donc que sa science soit inférieure à celle des anges. |
[9226] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Hebr. 2
dicitur, quod Christus minoratus est ab Angelis solum propter passionem. Ergo scientiam habet eis
potiorem. |
Cependant, [1] il est dit en He 2 que le Christ a été inférieur aux anges seulement en raison de sa passion. Il possède donc une science plus puissante que la leur. |
[9227] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut
dicit Dionysius, ipse Christus secundum quod homo, docet Angelos. Ergo majorem scientiam
habet quam illi. |
[2] Comme le dit Denys, « le Christ
lui-même, en tant qu’homme, enseigne aux anges ». Il a donc une science
plus grande qu’eux. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il eu une science à caractère délibératif ?] |
[9228] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Christus non
habuit scientiam per modum collationis. Quia, sicut dicit Damascenus, in
Christo non inquirimus consilium neque electionem. Sed haec pertinent ad collationem practicam.
Ergo eadem ratione non fuit in eo collatio quantum ad speculativam. |
1. Il semble que le Christ n’ait pas eu une science à caractère délibératif, car, ainsi que le dit [Jean] Damascène, « nous ne cherchons chez le Christ ni conseil ni choix ». Or, ceci relève de la délibération pratique. Pour la même raison, il n’a pas existé en lui de délibération à propos de la science spéculative. |
[9229] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 3 arg. 2 Praeterea,
discursus rationis opponitur deiformitati. Sed anima Christi tota fuit
deiformis. Ergo non habet scientiam collativam. |
2. Le discours de la raison est contraire au caractère divin. Or, l’âme du Christ était tout entière déiforme. Elle ne possède donc pas de science délibérative. |
[9230] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 3 arg. 3 Praeterea, discursus rationis, ut dicit Isaac, contingit ex hoc
quod habet lumen obumbratum. Sed in anima Christi nulla fuit obumbratio nec obscuritas. Ergo nec
habuit scientiam per modum collationis. |
3. « Le discours de la raison, comme le dit Isaac, provient de ce qu’elle possède une lumière ombragée. » Or, il n’y avait rien d’ombragé ni aucune obscurité dans l’âme du Christ. Il n’avait donc pas la science par mode de délibération. |
[9231] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Christus
assumpsit omnia naturalis quae consequuntur naturam humanam. Ergo assumpsit
rationem. Sed rationis
actus est inquirere et conferre. Ergo ipse habuit scientiam collativam. |
Cependant, [1] le Christ a assumé tous les éléments naturels (corr. naturalis/naturalia) qui découlent de la nature humaine. Or, l’acte de la raison consiste à rechercher et à délibérer. Il avait donc une science délibérative. |
[9232] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 3 s. c. 2 Praeterea, opponere
et respondere pertinent ad scientiam collativam. Sed Christus exercuit
officium opponentis et respondentis, ut dicitur Luc. 2. Ergo ipse habuit scientiam collativam. |
[2] S’opposer et répondre appartiennent à la science délibérative. Or, le Christ a exercé la fonction d’opposant et de répondant, comme il est dit en Lc 2. Il avait donc une science délibérative. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 – [Cette connaissance était-elle divisée en plusieurs habitus ?] |
[9233] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 4 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod per plures habitus haec scientia divisa fuerit. Quia scientia
sua fuit univoca scientiae nostrae. Sed nostra scientia est de omnibus quae
Christus scivit, per plures habitus. Ergo et scientia Christi. |
1. Il semble que cette connaissance ait été divisée en plusieurs habitus, car sa connaissance était univoque par rapport à notre connaissance. Or, notre connaissance se porte par plusieurs habitus sur tout ce que le Christ a connu. Donc, la connaissance du Christ aussi. |
[9234] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 4 arg. 2 Praeterea, sicut dicit philosophus,
scientiae secantur sicut et res. Sed Christus habuit scientiam de diversis
rebus. Ergo habuit
diversos habitus scientiarum. |
2. Comme le dit le Philosophe, les sciences se divisent comme les réalités. Or, le Christ avait la science de différentes choses. Il avait possédait donc les divers habitus des sciences. |
[9235] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 4 arg. 3 Praeterea, scientiae dividuntur secundum diversas rationes
cognoscendi. Sed quantum ad hanc scientiam pertinet, ipse non eadem specie
sive ratione omnia cognovit, sed pluribus. Ergo non habuit unum tantum habitum scientiae, sed plures. |
3. Les sciences se divisent selon diverses raisons de connaître. Or, en ce qui concerne cette science, il ne connaissait pas tout par une même espèce ou raison, mais par plusieurs. Il ne possédait donc pas seulement un seul habitus de science, mais plusieurs. |
[9236] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 4 s. c. 1 Sed contra,
scientia Christi fuit perfectissima, sed scientia quanto magis est una, tanto
magis est perfecta, ut patet per Dionysium, et per librum de causis. Ergo
magis scivit omnia per unum habitum. |
Cependant, [1] la science du Christ était très parfaite. Or, plus une science est une, plus elle est parfaite, comme cela ressort de Denys et du Livre sur les causes. Il a donc tout connu par un seul habitus. |
[9237] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 4 s. c. 2 Praeterea, scientia
regitiva plurium artium non diversificatur per illas artes, sed est unus
habitus; sicut patet de militari respectu omnium scientiarum quae sub ea
sunt. Sed scientia Christi fuit regitiva, et quasi architectonica, respectu
omnium humanarum scientiarum. Ergo ipse per unum habitum omnia scivit quae ad
hanc scientiam pertinent. |
[2] La science qui dirige plusieurs arts ne se diversifie pas selon ces arts, mais elle est un seul habitus, comme cela ressort des rapports entre [la science] militaire et toutes les sciences qui lui sont subordonnées. Or, la science du Christ était rectrice et, pour ainsi dire, architectonique par rapport à toutes les sciences. Il a donc connu tout ce qui releve de cette science par un seul habitus. |
Quaestiuncula 5 |
Sous-question 5 – [L’âme du Christ a-t-elle progressé dans cette science ?] |
[9238] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 5 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in ista scientia profecerit. Hebr. 5, 8: didicit
ex iis quae passus est, obedientiam. Sed discere est in scientia proficere. Ergo
in scientia profecit. |
1. Il semble qu’il n’ait pas progressé dans cette science. He 5, 8 : Il a appris l’obéissance par ce qu’il a souffert. Or, apprendre, c’est progresser dans la science. Il a donc progressé dans la science. |
[9239] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 5 arg. 2 Praeterea, non proficere in his quae
quis proficere potest, est magnus defectus. Sed in omni scientia qua quis non
omnia scit, potest proficere. Ergo cum Christus secundum hanc scientiam non
omnia sciverit, videtur quod potuerit proficere, et ita profecerit in ea. |
2. Ne pas progresser là où quelqu’un peut progresser est une grande carence. Or, en toute science par laquelle quelqu’un ne connaît pas tout, il peut progresser. Puisque le Christ n’aura pas connu tout selon cette science, il semble qu’il aura pu progresser, et ainsi qu’il aura progressé en elle. |
[9240] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 5 arg. 3 Praeterea, intellectus agens in ipso
abstrahebat species a phantasmatibus; et hic est actus ejus, alias frustra
assumpsisset eum. Sed species abstracta a phantasmatibus recipitur in intellectu
possibili. Ergo semper in Christo plures species recipiebantur in intellectu
possibili ejus. Ergo proficiebat in scientia. |
3. L’intellect agent abstrayait les espèces à partir des phantasmes: tel est son acte, autrement, il l’aurait assumé en vain. Or, l’espèce abstraite des phantasmes est reçue dans l’intellect possible. Plusieurs espèces étaient donc toujours reçues chez les Christ par son intellect possible. Il progressait donc dans la science. |
[9241] Super Sent., lib. 3 d.
14 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 4 Praeterea, hoc patet per auctoritatem Ambrosii superius inductam. |
4. Cela ressort de l’autorité d’Augustin invoquée plus haut. |
[9242] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 5 s. c. 1 Sed contra, Damascenus dicit: qui dicunt Christum proficere
sapientia et gratia, ut additamentum suscipientem, non eam quae secundum hypostasim
est, unionem venerantur. Sed illa unio omnino veneranda est. Ergo non debemus dicere, quod in
scientia profecerit. |
Cependant, [Jean] Damascène dit : « Ceux qui
disent que le Christ a progressé en sagesse et en grâce, comme s’il recevait
un ajout, ne vénèrent pas l’union qui est réalisée selon l’hypostase. »
Or, cette union doit être en tout vénérée. Nous ne devons donc pas dire qu’il
a progressé en science. |
Quaestiuncula 6 |
Sous-question 6 – [A-t-il reçu quelque chose des anges pour cette science ?] |
[9243] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 6 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ab Angelis quantum
ad hanc scientiam accepit. Dionysius enim dicit: per Angelos videmus eum
sub paternis legibus ordinatum. Sed quod ordinatur, aliquid ab ordinante accipit. Ergo Christus
aliquid ab Angelis accepit. |
1. Il semble qu’il n’ait rien reçu des anges pour cette science. En effet, Denys dit : « Nous voyons qu’il a été soumis par les anges aux lois ancestrales. » Or, ce qui est soumis reçoit quelque chose de celui qui soumet. Le Christ a donc reçu quelque chose des anges. |
[9244] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 6 arg. 2 Praeterea,
Luc. 22, 43, dicitur, quod apparuit Angelus domini confortans eum. Sed
confortatus accipit aliquid a confortante. Ergo et Christus ab Angelo. |
2. Il est dit en Lc 22, 43 qu’un ange du Seigneur lui est apparu pour le réconforter. Or, celui qui est réconforté reçoit quelque chose de celui qui réconforte. Le Christ aussi a donc reçu quelque chose d’un ange. |
[9245] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 6 arg. 3 Praeterea, Christus, dum fuit in
terra, voluit subdi legalibus ordinationibus, factus sub lege, Galat. 4. Sed
legalis observantia est minoris dignitatis quam caelestis hierarchia. Ergo et
ordini caelestis hierarchiae subdi debuit. Haec autem est lex caelestis
hierarchiae ut homines ab Angelis suscipiant, ut dicit Dionysius. Ergo ipse ab Angelis suscepit. |
3. Pendant qu’il était sur la terre, le Christ a voulu être soumis aux ordonnances légales : soumis à la loi, Ga 4. Or, l’observance de la loi est d’une moindre dignité que la hiérarchie céleste. Il devait donc être soumis à l’ordre de la hiérarchie céleste. Or, la loi de la hiérarchie céleste est que les hommes reçoivent de la part des anges, comme le dit Denys. Il a donc reçu de la part des anges. |
[9246] Super Sent., lib. 3 d.
14 q. 1 a. 3 qc. 6 arg. 4 Praeterea, corpus ejus impressionem suscepit a corporibus caelestibus.
Ergo pari ratione anima a spiritibus
caelestibus. |
4. Son corps a reçu l’influence des corps célestes. Pour la même raison, son âme en a-t-elle reçu une des esprits célestes. |
[9247] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 6 s. c. 1 Sed contra,
superioris non est ab inferiori recipere. Sed Christus etiam secundum humanam
naturam Angelis superior fuit, et caput, ut supra dictum est, dist. 13, quaest. 2, art. 2, quaestiunc. 2. Ergo
ab eis non recepit. |
Cependant, [1] un supérieur n’a pas à recevoir d’un inférieur. Or, le Christ, même selon sa nature humaine, était supérieur aux anges et leur tête, comme on l’a dit plus haut, d. 13, q. 2, a. 2, qa 2. Il ne reçoit donc pas d’eux. |
[9248] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 6 s. c. 2 Praeterea, quod
immediate accipit a verbo non habet necesse ab Angelis accipere. Sed anima Christi immediate accipit a verbo
sibi unito. Ergo non recipit ab Angelis. |
[2] Ce qui reçoit immédiatement du Verbe n’a pas nécessairement à recevoir de la part des anges. Or, l’âme du Christ reçoit immédiatement du Verbe qui lui est uni. Elle ne reçoit donc pas de la part des anges. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[9249] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo ad primam quaestionem
dicendo, quod cognitio rerum in proprio genere et cognitio rerum in verbo
differunt, non quantum ad res cognitas, sed quantum ad medium cognoscendi,
quod est id in quo res cognoscitur: quia cognitio quae est rerum in verbo,
habet medium cognoscendi ipsum verbum; cognitio autem rerum in proprio
genere, habet medium cognoscendi rerum similitudines, quae sunt in
intellectu. Medium autem cognoscendi, quod est lumen sub quo res videtur,
utrobique creatum est: hoc enim vel est lumen naturale, sicut in his quae
cognoscuntur per rationem naturalem: vel lumen gratiae, sicut in his quae cognoscuntur
per fidem et revelationem. Christus autem
perfectus fuit secundum animam, et secundum naturam, et secundum gratiam. Non autem perfectio
animae quantum ad naturam esset in ipso, nisi omnia cognosceret hoc genere
cognitionis quae per rationem naturalem cognosci possunt; nec etiam esset
perfectus in gratia, nisi omnia quae ad revelationem gratiae pertinent in hominibus,
sive in Angelis, cognovisset; et ideo anima ejus hoc genere cognitionis omnia
cognovit. Sed quia similitudo creata deficit a repraesentatione substantiae
increatae, ideo hoc genere cognitionis non cognovit ipsam essentiam
increatam; nec alia omnia quae ad perfectionem intellectivae partis non pertinent,
neque secundum naturam neque secundum gratiam, sicut sunt gesta particularium
hominum, et hujusmodi; quae tamen omnia cognovit in verbo. Et ideo dicendum, quod hoc genere
cognitionis non cognovit omnia simpliciter. |
La connaissance des choses selon leur genre propre et la connaissance des choses dans le Verbe diffèrent non pas par les choses connues, mais par le moyen de connaître, qui est ce en quoi une chose est connue. En effet, la connaissance des choses dans le Verbe a comme moyen de connaître le Verbe lui-même ; mais la connaissance des choses selon leur genre propre a comme moyen de connaître des similitudes des choses qui sont dans l’intellect. Or, le moyen de connaître, qui est la lumière sous laquelle une chose est vue, est créé dans les deux cas. En effet, il est soit la lumière naturelle, comme pour ce qui est connu par la raison naturelle, soit la lumière de la grâce, comme pour ce qui est connu par la foi et la révélation. Or, le Christ était parfait dans son âme, tant selon la nature que selon la grâce. Mais la perfection de l’âme n’existerait pas chez lui pour ce qui est de la nature, s’il ne connaissait pas tout ce qui peut être connu par le genre de connaissance qui se réalise par la raison naturelle ; il ne serait pas non plus parfait en grâce, s’il n’avait connu tout ce qui se rapporte à la révélation de la grâce pour les hommes comme pour les anges. Aussi son âme a-t-elle connu tout par ce genre de science. Or, parce qu’une similitude créée ne parvient pas à représenter la substance incréée, il ne connaissait donc pas, par ce genre de science, l’essence incréée elle-même, ni toutes les autres choses qui ne sont pas en rapport avec la perfection de la partie intellective, ni selon la nature ni selon la grâce, tels les actes des hommes particuliers et les choses de ce genre, qu’il a cependant connus dans le Verbe. Il faut donc dire qu’il n’a pas simplement tout connu par ce genre de science. |
[9250] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ex hac
ratione non concluditur nisi quod cognoverit omnia quae per rationem
naturalem cognosci possunt: quia sicut materia prima est in naturali potentia
tantum ad illas formas quae per agens naturale produci possunt, quamvis Deus
alia ex materia illa facere possit; ita etiam intellectus possibilis est in
potentia naturali eorum tantum quae per lumen intellectus agentis cognosci
possunt: et si haec tantum cognosceret, imperfectus non esset; sed Deus ex
liberalitate sua infundit amplius lumen gratiae, per quod etiam plura intellectus
possibilis cognoscit. |
1. De ce raisonnement, on ne conclut pas qu’il connaissait tout ce qui peut être connu par la raison naturelle, car, de même que la matière première n’est que naturellement en puissance par rapport aux formes qui peuvent être produites par un agent naturel (bien que Dieu puisse réaliser autre chose à partir de cette matière première), de même aussi l’intellect possible n’est-il naturellement en puissance que de ce qui peut être connu par la lumière de l’intellect agent, et s’il ne connaissait que cela, il ne serait pas imparfait. Mais Dieu, en sa libéralité, a versé en plus la lumière de la grâce, par laquelle l’intellect possible connaît aussi davantage de choses. |
[9251] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per ea quae intellectus intelligit, non
ampliatur capacitas, nisi respectu eorum intelligibilium quae sunt ejusdem
generis; sicut quantumcumque homo sit instructus in scientiis physicis,
nunquam pervenit ad cognitionem eorum quae sunt fidei, vel prophetiae, nisi
lumen amplius addatur; et ita quantumcumque amplietur capacitas ejus ad
intelligendum res in proprio genere, nunquam perveniet ad videndum divinam
essentiam, vel res aliquas in ea. |
2. Par ce que l’intellect intellige, sa capacité n’est agrandie que par rapport aux intelligibles qui sont du même genre ; ainsi, aussi souvent qu’un homme reçoive un enseignement dans les sciences physiques, il ne parvient jamais à la connaissance de ce qui relève de la foi ou de la prophétie, à moins qu’une lumière plus grande ne soit ajoutée. Ainsi, aussi grande que devienne sa capacité de comprendre des choses dans son propre genre, il ne parviendra jamais à voir l’essence divine ou certaines choses en elle. |
[9252] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non negatur
omnia cognoscere hujusmodi cognitionis genere anima Christi, quia species se
invicem in intellectu impediant; sed quia quaedam cognoscibilia excedunt
omnem speciem creatam, sicut essentia divina; quorumdam vero similitudines et
cognitiones non sunt de perfectione intellectus humani. |
3. On ne nie pas que l’âme du Christ connaisse tout par ce genre de connaissance, parce que les espèces se contrarient l’une l’autre dans l’intellect, mais parce que certaines choses qui peuvent être connues dépassent toute espèce créée, comme l’essence divine, dont les similitudes et les connaissances ne relèvent pas de la perfection de l’intellect humain. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[9253] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
dicendum, quod ad cognitionem intellectivam tria requiruntur; scilicet
potentia intellectus, lumen quo intelligit, et similitudo rei per quam
cognitio rei determinatur; et secundum haec tria potest aliqua cognitio esse
altera potior tripliciter. Primo quantum ad efficaciam cognoscendi, sive
certitudinem cognitionis, sive limpiditatem, quod idem est, quae ex ipso
lumine consequitur; et sic cum Christus abundanter lumen gratiae habuerit
magis quam Angeli, habuit limpidiorem cognitionem quam Angeli. Secundo potest
esse aliqua cognitio potior alia quantum ad similitudinem cognitorum, quae attenditur
secundum species; et secundum hoc etiam Christus perfectiorem cognitionem habuit
quam Angeli: quia plurium species sibi infusae fuerunt quam Angelis
concreatae et infusae; unde etiam de his quae ad illuminationes hierarchicas
pertinent, Christus Angelos illuminavit, ut dicit Dionysius. Tertio potest esse aliqua cognitio altera
nobilior quantum ad genus cognitionis, quod consequitur naturam potentiae
intellectivae; et quia Christus cognovit intellectu possibili, cujus est
objectum phantasma, ideo cognovit ea cum continuo et tempore, utens
phantasmatibus quasi objectis intellectus, non quidem sicut ab eis speciem
accipiens, sed sicut species circa ea ponens, sicut contingit in eo qui habet
habitum, et actu aliqua considerat. Hoc autem genere cognitionis Angeli non
cognoscunt; sed aliquo altiori secundum ordinem naturae, scilicet sine continuo
et tempore. |
Pour la connaissance intellectuelle, trois choses sont requises : la puissance de l’intellect, la lumière par laquelle il intellige et une similitude d’une chose, par laquelle la connaissance d’une chose est déterminée. Selon ces trois choses, une connaissance peut être plus puissante de trois manières. Premièrement, pour ce qui est de l’efficacité de la connaissance, ou de la certitude ou de la limpidité de la connaissance, ce qui est la même chose, qui découlent de la lumière elle-même : et ainsi, puisque le Christ a eu en abondance la lumière de la grâce plus que les anges, il a eu une connaissance plus limpide que les anges. Deuxièmement, une connaissance peut être plus puissante qu’une autre pour ce qui est de la similitude des choses connues, qui se prend des espèces : de cette manière, le Christ aussi a eu une connaissance plus parfaite que les anges, car il a possédé un plus grand nombre d’espèces infuses concréées et infuses que les anges ; aussi, même pour ce qui relève des illuminations hiérarchiques, le Christ a-t-il illuminé les anges, comme le dit Denys. Troisièmement, une connaissance peut être plus noble qu’une autre pour ce qui est du genre de connaissance, ce qui découle de la nature de la puissance intellective. Et parce que le Christ a connu par l’intellect possible, dont l’objet est le phantasme, il a donc connu ces choses de manière continue et dans le temps, en recourant aux phantasmes comme objets de l’intellect, non pas en recevant d’eux une espèce, mais en proposant des espèces à leur sujet, comme cela se produit chez celui qui possède un habitus et considère quelque chose en acte. Or, les anges ne connaissent pas par ce genre de connaissance, mais selon un genre plus élevé dans l’ordre de nature, à savoir sans continu et sans temps. |
[9254] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ista
cognitio non fuit solum in Christo secundum proportionem virtutis quae
debetur humanae naturae; sed secundum quod humana natura perfecta est per gratiam,
quae fuit potior in Christo quam in Angelis; unde et perfectiorem scientiam
habuit simpliciter. |
1. Cette connaissance n’a pas existé chez le Christ seulement selon la proportion de puissance qui revient à la nature humaine, mais selon que la nature humaine a été perfectionnée par la grâce, qui était plus puissante chez le Christ que chez les anges. Il a donc eu une science simplement plus parfaite. |
[9255] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex hoc quod
intellectus possibilis est propinquius materiae, non habet defectum in
cognoscendo, nisi quantum ad genus cognitionis; quia enim talis est natura
ejus ut corpori uniatur ut forma, ideo tali genere cognitionis cognoscit,
utendo scilicet corporis instrumentis. Sed multitudo cognitorum non est ex natura intellectus possibilis, sed
ex speciebus intelligibilibus; limpiditas vero ex lumine intellectus agentis,
vel ex aliquo superiori lumine. |
2. Du fait que l’intellect possible est plus proche de la matière, il n’a de déficience pour connaître que pour ce qui est du genre de connaissance : en effet, parce que sa nature est telle qu’il est uni au corps comme forme, il connaît donc par ce genre de connaissance, en utilisant des intruments du corps. Mais la multitude des choses connues ne vient pas de la nature de l’intellect possible, mais des espèces intelligibles ; cependant, la limpidité vient de la lumière de l’intellect agent ou d’une lumière supérieure. |
[9256] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod obumbratio
illa intelligitur quantum ad hoc quod intelligit cum continuo et tempore. |
3. Ce caractère ombragé s’entend du fait qu’il intellige de manière continue et dans le temps. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
|
[9257] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem
dicendum, quod ex hoc ipso quod intellectus noster accipit a phantasmatibus,
sequitur in ipso quod scientiam habeat collativam, inquantum ex multis
sensibus fit una memoria, et ex multis memoriis unum experimentum, et ex
multis experimentis unum universale principium, ex quo alia concludit; et sic
acquirit scientiam, ut dicitur in 1 Metaph., et in fine posteriorum, Lib. 2,
text. 37; unde secundum quod se habet intellectus ad phantasmata, secundum
hoc se habet ad collationem. Habet autem se ad phantasmata dupliciter. Uno modo sicut accipiens a phantasmatibus
scientiam, quod est in illis qui nondum scientiam habent, secundum motum qui
est a rebus ad animam. Alio modo secundum motum qui est ab anima ad res,
inquantum phantasmatibus utitur quasi exemplis, in quibus inspicit quod
considerat, cujus tamen scientiam prius habebat in habitu. Similiter etiam
est duplex collatio: una qua homo procedit ex notis ad inquisitionem ignoti;
et talis collatio non fuit in Christo; alia secundum quam homo ea quae habitu
tenet, in actum ducens, ex principiis considerat conclusiones sicut ex causis
effectus; et talis collativa scientia fuit in Christo. |
Du fait que notre intellect reçoit à partir des phantasmes, découle pour lui qu’il possède une science délibérative, pour autant qu’à partir de plusieurs connaissance se réalise une seule mémoire, à partir de multiples mémoires une seule expérience, et à partir de multiples expériences un seul principe universel, à partir duquel il conclut d’autres choses. C’est ainsi qu’il acquiert la science, comme on le dit dans Métaphysique, I, et à la fin des Postérieurs [analytiques], II, texte 37. Aussi, selon le rapport de l’intellect aux phantasmes, tel est son rapport avec le rapprochement. Or, son rapport aux phantasmes est double. D’une manière, il reçoit la connaissance à partir des phantasmes selon un mouvement qui va des choses vers l’âme, ce qui se produit chez ceux qui n’ont pas encore la science. D’une autre manière, selon le mouvement qui va de l’âme aux choses, pour autant qu’elle utilise des phantasmes comme des exemples, dans lesquels elle observe ce qu’elle regarde, dont elle avait cependant la science antérieurement. De même aussi, existe-t-il une double rapprochement. L’un, par lequel l’homme procède de ce qu’il connaît vers la recherche de ce qui est inconnu : un tel rapprochement n’existait pas chez le Christ. L’autre, selon lequel l’homme, en amenant à l’acte ce qu’il possède par habitus, considère des conclusions à partir des principes comme des effets à partir des causes : une telle science comparative existait chez le Christ. |
[9258] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Damascenus loquitur quantum ad
primum modum collationis; unde subdit: non enim habuit ignorantiam. |
1. [Jean] Damascène parle du premier mode de rapprochement. Aussi ajoute-t-il : « En effet, il n’était pas ignorant. » |
[9259] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod discursus
rationis non opponitur deiformitati quae est per gratiam, sed quae est per
ordinem naturae. Deus enim non accipit cognitionem a phantasmatibus; unde
anima recedit a Dei similitudine quantum ad hoc magis quam Angeli, inquantum
est forma corporis. |
2. Le discours de la raison ne s’oppose pas à la déiformité qui vient de la grâce, mais à celle qui vient de l’ordre de la nature. En effet, Dieu ne tire pas sa connaissance des phantasmes ; aussi l’âme ne s’éloigne-t-elle pas de Dieu plus que de l’ange sur ce point, pour autant qu’elle est la forme du corps. |
[9260] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
umbra illa, ut dictum est, refertur ad genus cognitionis, non ad limpiditatem
in cognoscendo. |
3. Comme on l’a dit, cette ombre est en rapport avec le genre de connaissance, et non avec la limpidité de la connaissance. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la sous-question 4
|
[9261] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod ex
limpiditate cognitionis contingit quod scientia est magis unita et simplex:
quia quanto limpidius videt intellectus, tanto ex paucioribus potest
cognoscere plura. Unde cum anima Christi habuerit limpidissimam cognitionem
inter omnes creaturas, scientia ejus fuit magis unita, et per formas magis
universales quam aliqua scientia creaturae. Divisio autem habituum in
diversis rebus cognoscendis contingit in nobis ex hoc quod formae
intelligibiles in nobis sunt minime universales; unde oportet quod diversas
res per diversas species cognoscamus; et diversae species secundum genus
faciunt diversos habitus scientiarum; et propter hoc Angeli qui habent
scientiam magis universalem, utpote non acceptam a rebus, non habent
cognitionem de rebus per diversos habitus. Quia ergo anima Christi habuit
scientiam magis universalem quam aliquis Angelus, ideo non habuit diversos
habitus quibus cognosceret, sed uno habitu omnia cognovit quae ad hanc
scientiam pertinent, quamvis diversis speciebus. |
Par la limpidité de la connaissance, il arrive que la science soit plus unie et plus simple, car plus l’intellect voit clairement, plus il peut connaître de choses à partir d’un plus petit nombre [de choses]. Puisque l’âme du Christ a eu la connaissance la plus limpide parmi toutes les créatures, sa science était donc plus unie et [se réalisait] par des formes plus universelles que la science de la créature. Or, la division des habitus pour la connaissance de diverses choses vient en nous de ce que les formes intelligibles en nous sont moins universelles ; il faut donc que nous connaissions diverses choses par diverses espèces, et les diverses espèces selon leur genre donnent les divers habitus des sciences. Pour cette raison, les anges, qui ont une science plus universelle, parce qu’elle n’est pas tirée des choses, n’ont pas une connaissance des choses par divers habitus. Donc, parce que l’âme du Christ possédait une science plus universelle qu’un ange, il n’a pas eu divers habitus par lesquels il connaissait, mais il a tout connu de ce qui se rapporte à cette science par un seul habitus, bien que par diverses espèces. |
[9262] Super Sent., lib.
3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod scientia Christi, etiam rerum in proprio genere, fuit multo
altior quam scientia nostra. |
1. La science du Christ, même celle des choses selon leur genre propre, était beaucoup plus élevée que notre science. |
[9263] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non omnis
diversitas rerum facit diversas scientias, sed diversitas quae requirit
diversam rationem cognoscendi, sicut naturalia distinguuntur a mathematicis. Sed ratio cognoscendi in
Christo fuit magis unibilis quam in nobis; et ideo per unam rationem potuit
plura cognoscere. |
2. Ce n’est pas n’importe quelle diversité des choses qui donne plusieurs sciences, mais la diversité qui exige une raison différente de connaître, comme les choses naturelles se distinguent des réalités mathématiques. Or, la raison de connaître chez le Christ était plus susceptible d’unité chez le Christ que chez nous. C’est pourquoi il pouvait en connaître davantage par une seule raison [de connaître]. |
[9264] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 4 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod non quaelibet specierum diversitas facit habitum diversum
(alias oporteret quod quot sunt res, tot essent scientiae); sed diversitates
specierum quae non reducuntur ad eumdem modum cognitionis secundum genus;
quae quidem diversitas contingit ex hoc quod lumen intellectus nostri est
particulatum et debile; et ideo in Christo non fuit talis divisio habituum,
propter luminis claritatem. |
3. Ce n’est pas n’importe quelle diversité des espèces qui donne un habitus différent (autrement, il faudrait qu’il y ait autant de sciences que de réalités), mais les diversités des espèces qui ne se ramènent pas au même mode de connaissance selon leur genre. Une telle diversité se produit du fait que la lumière de notre intellect est divisé et faible. Chez le Christ, il n’y a donc pas eu une telle division d’habitus en raison de la clarté de la lumière. |
Quaestiuncula 5 |
Réponse à la sous-question 5
|
[9265] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem
dicendum, quod cum eminentia scientiae, ut dictum est, consistat in tribus,
scientia Christi nunquam crevit quantum ad genus cognitionis; quia illud
genus cognitionis sequitur naturam humanam, quae in ipso semper permansit;
nec iterum quantum ad numerum scitorum, quia omnia scivit a primo instanti
suae conceptionis quae ad hanc scientiam pertinent: crevit autem quantum ad
aliquem modum certitudinis. Cum enim anima
nostra secundum naturam sit media inter intellectum purum, qualis est in
Angelis, et sensus; dupliciter certificatur de aliquibus. Uno modo ex lumine
intellectus, qualis est certitudo in demonstrationibus illorum quae nunquam visa
sunt: alio modo ex sensu, sicut cum aliquis est certus de his quae videt
sensibiliter; et talis certitudo acquiritur alicui, etiam quantumcumque per
certissimam demonstrationem aliquid sciat, quando videt sensibiliter quod
prius non viderat; unde anima delectatur in visis etiam quae scivit; et haec
vocatur certitudo experimentalis: et quantum ad hanc crevit scientia Christi,
inquantum quotidie aliqua videbat sensibiliter quae prius non viderat; non
autem crevit quantum ad essentiam. |
Puisque l’élévation de la science, comme on l’a dit, vient de trois choses, la science du Christ n’a donc jamais progressé pour ce qui est du genre de la connaissance, car ce genre de connaissance découle de la nature humaine, qui est toujours demeuré en lui. Elle n’a pas non plus [progressé] du point de vue du nombre de choses connues, car il a tout connu de ce qui rapporte à cette science dès le premier instant de sa conception. Mais il a progressé selon un certain mode de certitude. En effet, puisque notre âme est par nature intermédiaire entre l’intellect pur, comme c’est le cas chez les anges, et le sens, elle acquiert une certitude sur certaines choses de deux manières. D’une manière, par la lumière de l’intellect, comme c’est le cas de la certitude pour les démonstrations portant sur des choses qui n’ont jamais été vues ; d’une autre manière, par le sens, comme lorsque quelqu’un est certain de ce qu’il voit de manière sensible. Une telle certitude est acquise par quelqu’un, aussi certaine que soit la démonstration par laquelle il connaît quelque chose, lorsqu’il voit de manière sensible ce qu’il n’avait pas vu antérieurement. C’est ainsi que l’âme se délecte même des choses vues qu’elle connaissait. Cette certitude est appelée expérimentale. La science du Christ a progressé selon cette [certitude], pour autant que, chaque jour, il voyait de manière sensible des choses qu’il n’avait pas vues antérieurement ; mais elle n’a pas progressé selon son essence. |
[9266] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod illud discere est referendum ad experientiam. |
1. Apprendre ainsi doit être mis en rapport avec l’expérience. |
[9267] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod anima
Christi quamvis hoc genere cognitionis non omnia scivisset, tamen non poterat
quantum ad ea proficere: tum quia quaedam sunt quae hoc genere cognitionis
cognosci non possunt, sicut essentia Dei: tum quia quaedam contingentia
singularia non sunt de perfectione scientiae, ut dictum est. |
2. L’âme du Christ, bien qu’elle n’ait pas tout connu par ce genre de connaissance, ne pouvait cependant pas progresser sur ce point, tant parce qu’il existe certaines choses de cette sorte qui ne peuvent être connues par ce genre de connaissance, comme l’essence de Dieu, que parce que certains contingents singuliers ne relèvent pas de la perfection de la science, comme on l’a dit. |
[9268] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod per lumen
intellectus agentis in Christo, non fuit aliqua species de novo recepta in
intellectu possibili ejus; sed fuit facta conversio nova ad species quae
erant in phantasia; sicut est in eo qui habet habitum sciendi eorum quae
imaginatur vel videt. |
3. Chez le Christ, une espèce n’a pas été de nouveau reçue dans son intellect possible par la lumière de l’intellect agent, mais il s’est de nouveau tourné vers les espèces qui se trouvaient dans l’imagination, comme c’est le cas de celui qui possède l’habitus de la science de ce qu’il imagine ou voit. |
[9269] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Ambrosius
intelligit profectum scientiae Christi quantum ad experientiam secundum novam
conversionem ad sensibile praesens, vel sicut supra Magister determinavit. |
4. Ambroise entend le progrès de la science du Christ selon l’expérience obtenue par une nouvelle conversion vers un objet sensible présent, ou comme le Maître l’a déterminé. |
Quaestiuncula 6 |
Réponse à la sous-question 6
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[9270] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 6 co. Ad sextam quaestionem
dicendum, quod secundum doctrinam Dionysii, in Cael. Hier., Angeli a quibus
alii cognitionem accipiunt, abundantiori lumine pleni sunt, quasi propinquius
divinam claritatem contemplantes. Oportet enim recipiens esse in potentia respectu
ejus a quo recipit, et ita minus in actu ejus quod recipere debet. Unde cum
anima Christi abundantius intellectuale lumen habuerit quam Angeli, ut patet
ex praedictis, constat etiam quod Christus mortale corpus gerens, nihil
cognitionis accepit ab Angelis; sed ipse non solum secundum deitatem, sed
etiam secundum animam omnes Angelos illuminavit sicut etiam nunc illuminat.
Non enim minoris gloriae erat illa anima aut minoris cognitionis in statu
illo quam modo sit, cum a principio suae conceptionis perfectus comprehensor
fuerit. |
Selon l’enseignement de Denys, dans La hiérarchie céleste, les anges de qui les autres reçoivent une connaissance sont remplis d’une lumière plus abondante, pour autant qu’ils contemplent de plus près la clarté divine. En effet, il faut que celui qui reçoit soit en puissance par rapport à celui de qui il reçoit, et ainsi moins en acte de ce qu’il doit recevoir. Puisque l’âme du Christ a eu une lumière intellectuelle plus abondante que les anges, comme cela ressort de ce qui a été dit, il est aussi clair que le Christ, alors qu’il avait un corps mortel, n’a rien reçu des anges en fait de connaissance ; mais lui-même, non seulement selon sa divinité, mais aussi selon son âme, a illuminé tous les anges, comme il les illumine aussi maintenant. En effet, cette âme n’avait pas une gloire moindre ou une moindre connaissance en cet état, qu’elle n’en a maintenant, puisque, dès le début de sa conception, elle a été un parfait comprehensor. |
[9271] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut
ipsemet Dionysius se ibidem exponit, dicitur Christus per Angelos ordinatus,
non quia ipse ab eis illuminationem accipit, sed quia de his quae ad ipsum
pertinebant circa ipsum gerenda, per Angelos alii instruebantur, sicut Joseph
de fuga in Aegyptum, et de reditu de Aegypto, ut dicitur Matth. 2: ipse enim
per se in his eos instruere non volebat; ut ab aliis pueris non differret, et
ulterius ut veritas assumptae naturae probaretur. |
1. Comme Denys lui-même l’explique au même endroit, on dit que le Christ est ordonné par les anges, non pas parce qu’il reçoit d’eux une illumination, mais parce que les autres étaient enseignés par les anges sur ce qui le concernait et devait être accompli à son sujet, comme Joseph à propos de la fuite en Égypte et du retour en Égypte, ainsi qu’il est dit en Mt 2. En effet, lui-même ne voulait pas leur enseigner par lui-même à ce sujet afin de ne pas se différencier des autres enfants et pour que, par la suite, la vérité de la nature assumée soit démontrée. |
[9272] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis
Angeli Christum non illuminarent, tamen ei ministraverunt, ut patet Matth. 4,
et ad hoc ministerium illa confortatio pertinebat; non enim confortabatur instruendo,
sed eo modo quo ex colloquio et praesentia amicorum et familiarium homo naturaliter
confortatur in tristitiis, ut in hoc quoque veritas assumptae naturae
appareret. |
2. Bien que les anges n’aient pas illuminé le Christ, ils l’ont cependant servi, comme cela ressort de Mt 4 : un tel réconfort relevait de ce service. En effet, il n’était pas réconforté par l’enseignement, mais de la manière dont un homme est naturellement réconforté dans la tristesse par la conversation et la présence d’amis et de proches, et cela afin que la vérité de la nature assumée soit encore ainsi manifestée. |
[9273] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus venerat
nos liberare, sicut a morte, ita et a legis onere; et ideo sicut mortem pro nobis
subiit, ut nos a morte liberaret, ita et legalia in seipso recepit ut eos
qui sub lege erant, redimeret; ad Gal. 4, 5. Non autem venit ut nos ab ordine caelestis
hierarchiae educeret; et ideo non est similis ratio. Et praeterea Christus a
legalibus nihil accepit secundum animam; sed tantum in corpore ejus
gerebantur exterius, sicut circumcisio, et hujusmodi; sed leges caelestis
hierarchiae ad animam pertinent: Christi autem anima non subjacebat alicui
imperfectioni, sicut corpus subjacebat passibilitati. |
3. Dieu était venu nous libérer de la mort mais aussi du poids de la loi. C’est pourquoi, de même qu’il a subi la mort pour nous, afin de nous libérer de la mort, de même a-t-il reçu en lui-même les [obligations] de la loi, afin de racheter ceux qui étaient soumis à la loi, Ga 4, 5. Mais il n’était pas venu nous tirer de l’ordre de la hiérarchie céleste. Le raisonnement n’est donc pas le même. De plus, le Christ n’a reçu aucune prescription légale en son âme, mais elles étaient accomplies extérieurement seulement en son corps, comme la circoncision et les choses de ce genre. Mais les lois de la hiérarchie céleste se rapportent à l’âme. Or, l’âme du Christ n’était soumise à aucune imperfection, comme son corps était soumis à la passibilité. |
[9274] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3
qc. 6 ad 4 Et per hoc patet solutio ad quartum: quia enim corpus ejus nondum
erat glorificatum, poterat aliquam impressionem a corporibus caelestibus
accipere; anima autem quae glorificata erat et super Angelos exaltata, nihil
poterat ab eis accipere. |
4. La solution du quatrième argument est ainsi claire. En effet, parce que son corps n’était pas encore glorifié, il pouvait recevoir une certaine impression des corps célestes. Mais l’âme, qui avait été glorifiée et élevée au-dessus des anges, ne pouvait rien recevoir d’eux. |
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Articulus 4 [9275] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4
tit. Utrum anima
Christi habuit omnipotentiam, sicut et omnium scientiam |
Article 4 – L’âme du Christ était-elle toute-puissante et omnisciente ? |
[9276] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic
proceditur. Videtur quod anima Christi habuit omnipotentiam, sicut et omnium
scientiam. Primo per hoc quod dicitur Matth. ult.; 18: data est mihi omnis
potestas in caelo et in terra; et loquitur secundum humanam naturam. Ergo
secundum humanam naturam habuit omnipotentiam. |
1. Il semble que l’âme du Christ était toute-puissante et omnisciente. Premièrement, en raison de ce qui est dit en Mt 28, 18 : Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre, et il parle selon sa nature humaine. Il avait donc, selon sa nature humaine, la toute-puissance. |
[9277] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, Christus
habuit omnium scientiam. Sed scientia est
practica et speculativa. Ergo et ipse habuit de omnibus rebus scientiam
practicam. Sed scientia practica est secundum quam aliquis scit facere
aliquid, et potest facere: quia scientia practica est causa rerum. Ergo anima
Christi habuit omnipotentiam. |
2. Le Christ était omniscient. Or, la science est pratique et spéculative. Il a donc eu une science pratique pour tout. Or, la science pratique consiste en ce que quelqu’un sache faire quelque chose et ait la capacité de le faire, car la science pratique est cause des choses. L’âme du Christ a donc eu la toute-puissance. |
[9278] Super Sent., lib. 3 d.
14 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, anima humana est imago Trinitatis per potentiam,
voluntatem, et scientiam. Sed anima Christi,
inquantum fuit imago Dei, capax fuit omnis scientiae. Ergo pari ratione omnipotentiae. |
3. L’âme humaine est l’mage de la Trinité par sa puissance, sa volonté et sa science. Or, l’âme du Christ, du fait qu’elle était l’image de Dieu, était capable de toute science. Pour la même raison, donc, de la toute-puissance. |
[9279] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4
arg. 4 Praeterea, sicut potentia Dei est infinita, ita et scientia. Sed
infinitas scientiae non prohibet quin omnium scientia Christo communicata
sit. Ergo nec infinitas potentiae prohibet quin sibi omnipotentia communicata
sit. |
4. De même que la puissance de Dieu est infinie, de même, sa science. Or, l’infinité de la science n’empêche pas que la science de toutes choses ait été communiquée au Christ. Donc, l’infinité de la puissance n’empêche pas non plus que la toute-puissance lui ait été communiquée. |
[9280] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4
arg. 5 Praeterea, sicut in anima humana est
possibilitas ad recipiendum omnia per intellectum possibilem, quo est omnia
fieri; ita est in ea possibilitas ad faciendum omnia per intellectum agentem,
quo est omnia facere. Sed Christo
est communicata omnium scientia, inquantum anima ejus est receptiva omnium.
Ergo similiter debuit sibi communicari omnipotentia. |
5. De même qu’il existe dans l’âme humaine une possibilité de tout recevoir par l’intellect possible, par lequel elle peut devenir tout, de même existe-t-il en elle une possibilité de tout faire par l’intellect agent, par qui elle peut tout faire. Or, la science de toutes choses a été communiquée au Christ, pour autant que son âme pouvait recevoir toutes choses. De la même manière, la toute-puissance devait-elle lui être communiquée. |
[9281] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, potentia
habet rationem principii,
ut dicitur in 5 Metaph. Sed non potuit
communicari animae Christi quod esset principium omnium: quia sic esset
primum principium, quod est solius Dei. Ergo non potuit communicari
omnipotentia. |
Cependant, [1] la puissance a raison de principe, comme il est dit dans Métaphysique, V. Or, il ne pouvait être communiqué à l’âme du Christ qu’elle soit le principe de tout, car elle serait ainsi le premier principe, ce qui appartient à Dieu seul. La toute-puissance ne pouvait donc pas lui être communiquée. |
[9282] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4
s. c. 2 Praeterea, per potentiam Dei, anima Christi conservatur in esse. Sed
non potuit sibi communicari ut ipsa seipsam conservaret in esse: quia sic non
esset creatura. Ergo non potuit sibi omnipotentia communicari. |
[2] L’âme du Christ est maintenue dans l’être par la puissance de Dieu. Or, il ne pouvait lui être être communiqué qu’elle se maintienne elle-même dans l’être, car ainsi elle ne serait pas une créature. La toute-puissance ne pouvait donc pas lui être communiquée. |
[9283] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 s.
c. 3 Praeterea,
nullius substantiae finitae est virtus activa infinita. Sed anima Christi est
substantia finita. Ergo non potuit sibi communicari infinita potentia, quae
est omnipotentia. |
[3] Une puissance active infinie n’est le fait d’aucune substance finie. Or, l’âme du Christ est une substance finie. Une puissance infinie, qui est la toute-puissance, ne pouvait donc pas lui être communiquée. |
[9284] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod unumquodque est
activum, secundum quod est ens actu; unde quanto aliqua habent deficientius
esse, tanto minus sunt activa; sicut patet de materia prima in qua non est
activa potentia, quia tenet ultimum gradum in entibus; et ideo potentia
activa commensuratur essentiae. Et propter hoc, sicut animae Christi non
potuit communicari quod haberet infinitatem essentiae, ita nec omnipotentia
sibi communicari potuit nec alicui creaturae communicari potest. Credo tamen
quod omnis potentia quae alicui creaturae communicari potest, sibi
communicata fuit multo abundantius, ut scilicet materia elementaris magis
obediret sibi ad nutum quam activis qualitatibus, vel etiam virtuti caelesti:
et quod magis potuisset movere caelum quam aliquis Angelus; si tamen Angeli
movent orbes. |
Réponse. Toute chose est active selon qu’elle est un être en acte. Aussi, plus faiblement certaines choses possèdent l’être, moins elles sont actives, comme cela ressort pour la matière première dans laquelle il n’y a pas de puissance active, puisqu’elle occupe le dernier degré des êtres. La puissance active est donc mesurée par l’essence. Pour cette raison, de même qu’il ne pouvait être communiqué à l’âme du Christ d’avoir une essence infinie, de même la toute-puissance ne pouvait pas lui être communiquée, et elle ne peut être communiquée à aucune créature. Cependant, je crois que toute la puissance qui peut être communiquée à une créature lui a été communiquée de manière beaucoup plus abondante, de sorte que la matière élémentaire lui obéisse à volonté plus qu’aux qualités actives ou encore à une puissance céleste, et qu’il aurait pu mouvoir le ciel plus facilement qu’un ange, à supposer que les anges meuvent le monde. |
[9285] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod omnis potentia data est Christo quantum ad personam ab aeterno,
sed quantum ad naturam humanam in ipsa conceptione: non quod natura humana,
vel aliqua pars ejus, omnipotentia informaretur, ut omnipotens dici possit:
sed secundum modum quo et alias proprietates communicant sibi naturae propter
unitatem hypostasis: tamen in resurrectione manifestata est; et ideo tunc
data dicitur, secundum illum modum loquendi quo res dicitur fieri quando
innotescit. |
1. Toute puissance a été donnée éternellement au Christ pour ce qui est de sa personne, mais lors de sa concpetion, pour ce qui est de la nature humaine, non pas que sa nature humaine ou une de ses parties ait reçu la forme de la toute-puissance, de sorte qu’elle puisse être appelée toute-puissante, mais de la manière dont les natures se communiquent par ailleurs leurs propriétés en raison de l’unité de l’hypostase. Cependant, [sa toute-puissance] a été manifestée lors de la résurrection. C’est pourquoi on dit qu’elle a été donnée, selon cette manière de parler où l’on dit qu’elle « devient » lorsqu’elle est connue. |
[9286] Super Sent., lib.
3 d. 14 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Christus habuit omnium rerum scientiam, non
tantum speculativam, sed etiam practicam, non quidem qua ipsas res faceret,
sed scivit qualiter a Deo sunt factae. Scientia autem practica, quamvis sit
quodammodo causa operationis, inquantum dirigit in opere, non tamen est
sufficienter causa: quia ab ipsa non producitur res, nisi adsit potentia
activa rei: unde Christus habuit omnem scientiam practicam quidem, sed non
practice, quia non ordinavit ad opus. |
2. Le Christ eu la science de toutes choses, non pas seulement spéculative, mais aussi pratique, non pas celle par laquelle il réaliserait les choses elles-mêmes, mais il a su comment elles ont été faites par Dieu. Or, la science pratique, bien qu’elle soit d’une certaine manière cause de l’opération pour autant qu’elle dirige l’opération, n’est cependant pas une cause suffisante, car une chose n’est produite par elle que si la puissance active de la chose est présente. Le Christ a donc eu toute la science pratique, mais non de manière pratique, car elle n’ordonnait pas à la réalisation d’une œuvre. |
[9287] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod universalitas possibilium Deo, commensuratur divinae
essentiae: quia secundum hoc infinita potest, quia habet esse non limitatum.
Sed universalitas eorum quae scit scientia visionis, non commensuratur
essentiae ejus, etiam si mundus duraret semper, per hunc modum quo modo est:
quia semper posset plura facere secundum unumquodque tempus quam quae fecit,
et plures species, et plura rerum genera, et plures mundos. Et ideo quamvis
omnium scientia qua Deus scit scientia visionis, sit communicata animae
Christi: non tamen omnipotentia qua Deus potest facere, sibi communicari
potuit, sicut nec essentia infinita. |
3. L’universalité des possibles pour Dieu se mesure selon l’essence divine, car elle peut réaliser des choses infinies parce qu’elle a un être non limité. Mais l’universalité de ce qu’elle sait par la science de vision ne se mesure pas à son essence, même si le monde durait toujours comme il est maintenant, car elle pourrait faire toujours plus de choses à chaque moment qu’au moment où elle les a faites, et davantage d’espèces, davantage de genres de choses et davantage de mondes. C’est pourquoi, bien que la science par laquelle Dieu connaît par la science de vision ait été communiquée à l’âme du Christ, il ne pouvait cependant lui communiquer la toute-puissance par laquelle Dieu peut réaliser, pas davantage que son essence infinie. |
[9288] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4
ad 4 Ad quartum dicendum, quod in omnipotentia includuntur omnia ad quae
divina potentia se extendit ex infinitate suae essentiae, secundum quam est
activa infinitorum secundum quemlibet modum; sed in scientia omnium, quae
dicitur Christo communicata, non includuntur omnia quae Deus potest facere,
ut dictum est; et ideo omnipotentia communicari non potuit nisi habenti essentiam
infinitam, sicut nec scientia omnium simpliciter quae Deus potest facere,
nisi comprehendenti essentiam infinitam, ut prius dictum est. |
4. Dans la toute-puissance, est compris tout ce à quoi s’étend la puissance divine en raison de l’infinité de son essence, selon laquelle elle peut réaliser des choses infinies de n’importe quelle manière. Mais, dans la science de toutes choses, dont on dit qu’elle a été communiquée au Christ, n’est pas inclus tout ce que Dieu peut faire, comme on l’a dit. C’est pourquoi la toute-puissance ne pouvait être communiquée qu’à celui qui a une essence infinie, comme ce n’était pas non plus simplement le cas pour la science de tout ce que Dieu peut faire, sauf à celui qui comprend l’essence divine, comme on l’a dit plus haut. |
[9289] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod potentia intellectus agentis non est ut faciat omnia
simpliciter, sed ut faciat omnia esse intelligibilia; et ideo ratio non est
ad propositum. |
5. La puissance de l’intellect agent ne consiste pas à réaliser tout simplement, mais à faire que tout soit intelligible. L’argument porte donc à faux. |
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Expositio
textus |
Explication du
texte de Pierre Lombard, Dist. 14
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[9290] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4
expos. In nullo
creatura creatori aequatur. Intelligendum
est quantum ad rationem rei habitae, et quantum ad modum habendi: quia etsi
aliquid idem conveniat Deo et creaturae; non tamen secundum eumdem modum, vel
eamdem rationem. Nemo novit quae sunt Dei nisi spiritus Dei. Non
excluduntur per hoc pater et filius, qui habent eamdem cognitionem quam et
spiritus sanctus. Naturaliter capax est scientiae. Est enim facta
anima ad cognoscendum omnia, non autem ad faciendum omnia. |
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Distinctio 15 |
Distinction 15 – [L’assomption
des faiblesses de la nature humaine]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Le Christ devait-il assumer la
nature humaine avec ses faiblesses ?]
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Prooemium |
Prologue |
[9291] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 pr. Postquam Magister determinavit de his quae
Christus cum natura humana assumpsit ad dignitatem pertinentia, hic
determinat de his assumptis quae pertinent ad defectum; et dividitur in duas
partes: primo determinat de defectibus quos Christus cum humana natura
assumpsit; secundo determinat modum quo hujusmodi defectus in Christo
fuerunt, dist. 16, ibi: hic oritur quaestio ex praedictis ducens originem.
Prima in duas: primo determinat veritatem, secundo excludit errorem, ibi: sed
quia nonnulli de sensu in passione humanitatis Christi male sensisse
inveniuntur (...) indubitabile faciamus quod supra diximus. Prima in
duas: primo ostendit quos defectus cum humana natura assumpsit Christus; secundo
ostendit quae fuit causa assumptionis, ibi: hos autem defectus non
conditionis suae necessitate, sed miserationis voluntate suscepit. Prima
iterum in duas partes: primo ostendit quod Christus in natura nostra accepit
defectus poenales, et non culpae; secundo ostendit quos de poenalibus
defectibus non assumpsit, ibi: tradit auctoritas quod dominus noster in se
suscepit omnia infirmitatis nostrae praeter peccatum. Circa quod duo
facit: primo ostendit quos defectus poenales non suscepit ex parte animae;
secundo quos defectus corporales non suscepit, ibi: sunt enim plura
aegritudinum genera, et corporis vitia, a quibus omnino immunis extitit.
Circa primum duo facit: primo ostendit quod Christus non suscepit
ignorantiam, aut difficultatem ad bonum faciendum; secundo ostendit quod haec
non sunt culpa, sed poena, ibi: sed forte dicet aliquis illa esse
peccatum. Sed quia nonnulli de sensu in passione humanitatis Christi male
sensisse inveniuntur (...) indubitabile faciamus quod supra diximus. Hic
excludit errorem, et duo facit: primo objicit contra errantes; secundo solvit
illa quae pro se illi inducebant, ibi: quaedam tamen reperiuntur in
sanctorum tractatibus quae praemissis adversari videntur. Et haec
dividitur in duas: primo solvit objectiones de passionibus, quas dixerant
esse animae tantum, sicut tristitia, et hujusmodi; secundo solvit de illis
quae sunt animae per corpus, sicut est dolor sensibilis, ibi: verumtamen
magis movent ac difficiliorem afferunt quaestionem verba Hilarii. Circa
primum tria facit: primo ponit objectionem; secundo solvit, ibi: ne autem
in sacris litteris aliqua adversa diversitas esse putetur, harum auctoritatum
verba in hunc modum accipienda dicimus; tertio solutionem confirmat, ibi:
unde Augustinus ex his causis volens assumi dictorum intelligentiam,
dicit. Verumtamen magis movent ac difficiliorem afferunt quaestionem verba
Hilarii. Haec pars etiam dividitur in duas: primo ponit objectionem;
secundo solvit, ibi: sed si excussa sensus et impietatis hebetudine,
praemissis diligenter intendas (...) dictorum rationem, atque virtutem
percipere utcumque poteris. Hic est duplex quaestio. Primo de his
defectibus in generali. Secundo specialiter de passionibus animae. Circa
primum quaeruntur tria: 1 utrum Christus debuerit assumere naturam humanam
cum hujusmodi infirmitatibus; 2 utrum omnes nostros defectus suscipere debuerit;
3 utrum hos defectus quos assumpsit, contraxerit. |
Après avoir déterminé de ce que le Christ a assumé avec la nature humaine et qui concernait sa dignité, le Maître détermine ici de ce qui a été assumé et qui concerne les carences [de celle-ci]. Il y a deux parties : premièrement, il détermine des carences que le Christ a assumées avec la nature humaine; deuxièmement, il détermne du mode selon lequel ces carences étaient présentes chez le Christ, d. 16, à cet endroit : « Une question vient de ce qui a été dit plus haut, portant sur l’origine. » La première partie se divise en deux : premièrement, il détermine de la vérité; deuxièmement, il écarte une erreur, à cet endroit : « Mais parce qu’il se trouve que certains ont eu une opinion mauvaise à propos de la sensibilité durant la passion de l’humanité du Christ…, rendons indubitable ce que nous avons dit plus haut. » La première partie se divise en deux : premièrement, il montre quelles carences le Christ a assumées avec la nature humaine; deuxièmement, il montre quelle a été la cause de cette assomption, à cet endroit : « Il a pris ces carences, non par une nécessité de sa condition, mais par sa volonté de compatir. » La première partie se divise à nouveau en deux parties : premièrement, il montre que le Christ a pris dans notre nature les carences ayant caractère de peines, et non la faute; deuxièmement, il montre quelles carences à caractère de peines il n’a pas assumées, à cet endroit : « L’autorité enseigne que notre Seigneur a pris sur lui tout ce qui faisait partie de notre faiblesse, sauf le péché. » À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il montre quelles carences à caractère de peines il n’a pas prises du point de vue de l’âme; deuxièmement, quelles carences corporelles il n’a pas prises, à cet endroit : « Il existe plusieurs genres de maladies et de déficiences corporels dont il a été complètement exempté. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre que le Christ n’a pas pris l’ignorance ou la difficulté à faire le bien; deuxièmement, il montre que celles-ci ne sont pas des fautes, mais des peines, à cet endroit : « Mais peut-être quelqu’un dira-t-il que celles-ci sont des péchés. » « Mais parce qu’il s’en trouve certains qui ont eu une opinion mauvaise à propos de la sensibilité durant la passion de l’humanité du Christ…, rendons indubitable ce que nous avons dit plus haut. » Ici, il écarte une erreur, et il fait deux choses : premièrement, il présente une objection contre ceux qui se trompent; deuxièmement, il répond à ce qu’ils invoquaient en leur faveur, à cet endroit : « Cependant, on trouve certaines choses dans les traités des saints qui semblent s’opposer à ce qui a été dit. » Cette partie est divisée en deux : premièrement, il résout les objections à propos des passions dont ils disaient qu’elles étaient le fait de l’âme seulement, comme la tristesse et celles de ce genre; deuxièmement, il résout [les objections] à propos de celles qui sont le fait de l’âme par l’intermédiaire du corps, comme la douleur sensible, à cet endroit : « À la vérité, les paroles d’Hilaire ébranlent davantage et soulèvent une question plus difficile. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il présente l’objection. Deuxièmement, il la résout, à cet endroit : « Mais afin qu’on ne croie pas qu’il existe dans les Saintes Écritures de différence contraire, nous disons que les paroles de ces autorités doivent s’entendre de cette manière. » Troisièmement, il confirme la solution, à cet endroit : « Aussi Augustin, voulant que l’on comprenne de cette manière ce qui a été dit, affirme-t-il… » « À la vérité, les paroles d’Hilaire ébranlent davantage et soulèvent une question plus difficile. » Cette partie se divise aussi en deux : premièrement, il présente l’objection; deuxièmement, il la résout, à cet endroit : « Mais si, après avoir secoué un esprit émoussé et l’impiété, tu portes une attention appliquée à ce qui a été dit…, tu pourras saisir de quelque manière la raison et la puissance de ce qui a été dit. » Ici, il y a une double question : premièrement, à propos des carences en général; deuxièmement, à propos des passions de l’âme d’une manière particulière. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1 – Le Christ devait-il assumer la nature humaine avec des faiblesses de ce genre ? 2 – Devait-il prendre toutes nos carences ? 3 – A-t-il contracté toutes les carences qu’il a assumées ? |
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Articulus 1 [9292] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 tit. Utrum Christus
naturam humanam cum defectibus et infirmitatibus accipere debuit |
Article 1 – Le Christ devait-il prendre la nature humaine avec ses carences et ses faiblesses ? |
[9293] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod Christus humanam naturam cum infirmitatibus hujusmodi defectuum suscipere non debuit.
Christus enim per suam incarnationem votis antiquorum patrum satisfecit.
Isaiae 61, 9, dicitur ad exprimendum desiderium sanctorum patrum: consurge
consurge: induere fortitudinem brachium domini. Ergo non debuit venire
indutus infirmitate carnis. |
1. Il semble que le Christ ne devait pas assumer la nature humaine avec les faiblesses de telles carences. En effet, par son incarnation, le Christ a comblé les désirs des anciens pères. Is 61, 9 exprime ainsi le désir des anciens pères : Lève toi! Lève-toi! Que le bras du Seigneur se revête de force! Il ne devait donc pas venir revêtu de la faiblesse de la chair. |
[9294] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, hujusmodi
defectus poenae sunt. Sed poena non
est justa nisi ubi culpa est. Cum igitur absque omni culpa fuerit, videtur
quod poenales defectus suscipere non debuit. |
2. Ces carences sont des peines. Or, la peine n’est juste que là où il y a faute. Puisqu’il était sans aucune faute, il semble donc qu’il ne devait pas assumer les carences à caractère de peines. |
[9295] Super Sent., lib. 3 d.
15 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, contraria contrariis curantur. Sed Christus venerat curare nostras
infirmitates. Ergo debuit contraria assumere, scilicet robur et fortitudinem. |
3. Les contraires sont guéris par les contraires. Or, le Christ était venu guérir nos faiblesses. Il devait donc en assumer les contraires : la force et la puissance. |
[9296] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1
arg. 4 Praeterea, ipse
venerat ad vincendum Diabolum. Sed vincere est opus fortitudinis. Ergo non
debuit assumere infirmitatem. |
4. Il était venu pour vaincre le Diable. Or, vaincre est l’œuvre de la force. Il ne devait donc pas assumer la faiblesse. |
[9297] Super Sent., lib. 3 d.
15 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, sicut culpa derogat justitiae, ita infirmitas derogat virtuti. Sed
Christus non debuit assumere defectus culpae, ne derogaretur divinae
justitiae. Ergo similiter nec debuit suscipere infirmitates poenales, ne
derogaretur divinae virtuti. |
5. De même que la faute déroge à la justice, de même la faiblesse déroge-t-elle à la puissance. Or, le Christ ne devait pas assumer la carence de la faute pour ne pas déroger à la justice divine. Il ne devait donc pas non plus assumer les carences à caractère de peines pour ne pas déroger la puissance divine. |
[9298] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, ipse venerat
ad hoc quod homines in divinam cognitionem adduceret. Sed per infirmitates magis
a sui cognitione abducebat, ut dicitur Isai. 53, 2: vidimus eum (...)
despectum; et sequitur: unde nec reputavimus eum. Ergo non debuit hujusmodi infirmitates assumere. |
6. Il était venu pour conduire les hommes à la connaissance de Dieu. Or, il les éloignait plutôt de sa connaissance par ses carences, comme il est dit en Is 53, 2 : Nous l’avons vu… méprisé. Puis il poursuit : Aussi ne l’avons-nous pas respecté. Il ne devait donc pas assumer ces faiblesses. |
[9299] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1
s. c. 1 Sed contra, Hebr. 2, 18: in eo in quo passus est, et tentatus,
potens est et his qui tentantur, auxiliari. Sed Christus ad auxiliandum
hominibus venerat. Ergo debuit eorum defectus suscipere. |
Cependant, [1] He 2, 18 dit : Du fait qu’il a souffert et a été tenté, il est capable de venir en aide à ceux qui sont tentés. Or, le Christ était venu pour aider les hommes. Il devait donc assumer leurs faiblesses. |
[9300] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1
s. c. 2 Praeterea,
Christus venerat ad redimendum genus humanum. Sed opus redemptionis congrue
compleri non poterat nisi per passionem, ut infra dicetur. Ergo debuit defectus assumere, secundum
quos passibilis fuit. |
[2] Le Christ était venu racheter le genre humain. Or, l’œuvre de la rédemption ne pouvait être convenablement accomplie que par la passion, comme on le dira plus loin. Il devait donc assumer les carences selon lesquelles il était susceptible de souffrir. |
[9301] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1
s. c. 3 Praeterea,
Christus ad hoc venerat ut esset mediator inter nos et Deum. Ergo debuit communicare cum utroque. Cum
Deo communicavit in justitia. Ergo nobiscum debuit communicare in poena. |
[3] Le Christ était venu pour être le médiateur entre nous et Dieu. Il devait donc être en communion avec les deux. Il était en communion avec Dieu par la justice. Il devait donc être en communion avec nous par la peine. |
[9302] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod
Christus ad hoc venit, ut humanum genus in Deum reduceret, a quo per peccatum abductum
erat. Et ideo sicut mediator, ea quae Dei sunt, in nos transfundit, scilicet
gratiam et justitiam; et ea quae nostra sunt, quodammodo in Deum: non autem
nostra quae a nobis tantum sunt, non a Deo, scilicet peccata, quia per haec
ad Deum non ordinamur, sed magis deordinamur ab eo; sed ea quae a Deo in
nobis sunt, quae omnia in se ordinata sunt, et ad ipsum nos ordinantia. Et
ideo ea quae fecit in nobis Deus, transtulit in Deum, non quidem in naturam
divinam, sed in personam ea assumendo. Fecit autem Deus in nobis naturam, et
perfectiones naturae, et defectus poenales, et etiam quosdam naturales, sicut
indigentiam cibi, quam etiam homo in statu innocentiae habuisset: et ideo hos
defectus simul cum natura in sua persona suscepit: haec enim in sua persona
suscipere, est ipsa Deo repraesentare ad placandum ipsum nobis. |
Réponse. Le Christ était venu pour ramener le genre humain à Dieu, dont il s’était éloigné par le péché. C’est pourquoi, en tant que médiateur, il a fait passer en nous ce qui appartient à Dieu : la grâce et la justice, et [il a] pour ainsi dire [fait passer] en Dieu ce qui nous appartient; non pas ce qui nous appartient sans que cela vienne de Dieu : les péchés, car, par eux, nous ne sommes pas ordonnés à Dieu, mais nous sommes plutôt détournés de lui; mais ce qui est en nous comme venant de Dieu, qui, de soi, lui est entièrement ordonné et nous ordonne à Dieu. Ainsi, ce que Dieu a fait en nous, [le Christ] l’a fait passer en Dieu, en l’assumant, non pas dans la nature divine, mais dans sa personne. Or, Dieu a fait en nous la nature, les perfections de la nature, les carences à caractère de peines et même certaines carences naturelles, comme le besoin de nourriture, que l’homme aurait eu même dans l’état d’innocence. C’est pourquoi [le Christ] a assumé dans sa personne ces carences en même temps que la nature [humaine]. En effet, assumer ces choses dans sa personne, c’est les présenter de nouveau à Dieu afin de nous le rendre favorable. |
[9303] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod desiderium sanctorum patrum fuit ut veniret in fortitudine
spirituali, scilicet gratiae et scientiae et virtutis, quae per hos defectus
quos Christus assumpsit non impeditur. |
1. Le désir des saints pères était qu’il vienne dans la force spirituelle, celle de la grâce, de la science et de la vertu, qui n’est pas empêchée par les carences que le Christ a assumées. |
[9304] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod quamvis culpa non praecesserit in ipso, tamen praecessit in natura
humana, quam Deo reconciliare venerat; et ideo inquantum consideratur ut
gerens vicem totius naturae in satisfaciendo pro ipsa, quidquid in natura
humana ad defectum pertinens, rationem justae poenae habet, etiam in ipso
habuit. |
2. Bien que la faute n’ait pas précédé chez lui, elle a cependant précédé dans la nature humaine qu’il était venu réconcilier avec Dieu. C’est pourquoi, en tant qu’il est considéré comme représentant toute la nature afin de satisfaire pour elle, tout ce qui se rapporte à la carence de la nature humaine et a raison de juste peine, il l’a aussi eu en lui-même. |
[9305] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod infirmitas curatur optime per curationem suae causae, et per consequens per contraria
causae. Causa autem horum defectuum in nobis est culpa; et ideo per contraria
culpae hos defectus curare debuit, scilicet per gratiam et virtutes. |
3. Une maladie est traitée au mieux par le traitement de sa cause et, par conséquent, par les contraires de sa cause. Or, la cause de ces carences en nous est la faute. C’est pourquoi il devait traiter ces carences par les contraires de la faute, c’est-à-dire par la grâce et par les vertus. |
[9306] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod venerat vincere fortem per justitiam, satisfaciendo; et ideo
oportuit quod haberet defectus, secundum quod satisfaceret. Et praeterea per fortitudinem oppositam
istis defectibus non vincitur Diabolus, sed per fortitudinem virtutis et gratiae. |
4. Il était venu pour vaincre le fort par la justice en satisfaisant. C’est pourquoi il fallait qu’il ait des carences selon lesquelles il satisferait. De plus, le Diable n’est pas vaincu par la force opposée à ces carences, mais par la force de la vertu et de la grâce. |
[9307] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1
ad 5 Ad quintum dicendum, quod culpa non
solum repugnat Deo, quia in ipsum non cadit, sed etiam quia ab ipso separat: quia est perversitas voluntatis,
secundum quam anima nata est Deo conjungi: sed infirmitas quamvis in Deum non
cadat, tamen a Deo non separat; et ideo non est similis ratio. |
5. La faute n’est pas incompatible avec Dieu seulement parce qu’elle ne lui convient pas, mais aussi parce qu’elle sépare de lui, car elle est une perversion de la volonté par laquelle l’âme est destinée à être unie à Dieu. Mais la maladie, bien qu’elle ne convienne pas à Dieu, ne sépare cependant pas de lui. Le raisonnement n’est donc pas le même. |
[9308] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1
ad 6 Ad sextum
dicendum, quod Christus non venerat manifestare se secundum humanam naturam,
sed secundum divinam; unde dixit: ergo non quaero gloriam meam, sed ejus
qui me misit. Gloriam autem
Dei magis clarificavit per assumptam infirmitatem, inquantum inventum est
quod id quod est infirmius Dei, est potentius hominibus; 1 Corinth. 1. |
6. Le Christ n’était pas venu se manifester selon sa nature humaine, mais selon [sa nature] divine. Aussi a-t-il dit : Je ne cherche donc pas ma propre gloire, mais la gloire de Celui qui m’a envoyé. Or, il a davantage mis en lumière la gloire de Dieu par la faiblesse assumée, pour autant qu’il s’est trouvé que ce qui est plus faible chez Dieu est plus puissant que les hommes, 1 Co 1. |
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Articulus 2 [9309] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2
tit. Utrum omnes defectus praeter peccatum accipere debuit |
Article 2 – Devait-il assumer toutes les carences, sauf le péché ? |
[9310] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur, quod Christus debuit omnes defectus praeter peccatum
assumere. Heb. 2, 17, dicitur, quod debuit per omnia fratribus assimilari
ut misericors fieret. Sed misericordia respicit omnem miseriam. Ergo debuit omnes nostros
defectus assumere. |
1. Il semble que le Christ devait assumer toutes les carences, sauf le péché. Il est dit en He 2, 17 : Il devait en tout être semblable à ses frères afin de devenir compatissant. Or, la miséricorde concerne toute misère. Il devait donc assumer toutes nos carences. |
[9311] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea,
sicut dicit Damascenus, quod est inassumptibile, est incurabile. Sed ipse venerat omnes
nostros defectus curare, ergo debuit omnes suscipere. |
2. Comme le dit [Jean] Damascène, « ce qui ne peut pas être assumé ne peut pas être guéri ». Or, il était venu guérir toutes nos carences. Il devait donc toutes les assumer. |
[9312] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2
arg. 3 Praeterea, in
susceptione nostrorum defectuum manifestatur Christi humilitas. Sed ipse
humiliatus est quantumcumque humiliari potuit; ut dicit Bernardus. Ergo ipse
debuit omnes nostros defectus suscipere. |
3. L’humilité du Christ est manifestée par le fait qu’il a assumé nos carences. Or, « il s’est humilié autant qu’il pouvait s’humilier », comme le dit Bernard. Il devait donc assumer toutes nos carences. |
[9313] Super Sent., lib. 3 d.
15 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, omnes defectus aequaliter dedecent Dei majestatem. Si ergo aliquos suscepit, eadem ratione
omnes suscipere debuit. |
4. Toutes les carences sont également dignes de la majesté de Dieu. Si donc il en a assumé certaines, il devait pour la même raison toutes les assumer. |
[9314] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2
arg. 5 Praeterea, ipse
curavit naturam nostram per gratiam et infirmitatem quam accepit. Sed ipse
accepit omnem gratiam. Ergo omnem
defectum suscipere debuit. |
5. Il a guéri notre nature par la grâce et par la faiblesse qu’il a assumée. Or, il a reçu toute grâce. Il devait donc assumer toute carence. |
[9315] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2
s. c. 1 Sed contra,
Christus, qui totam humanam naturam curare venerat, debuit integram habere. Sed quidam defectus sunt qui integritati
naturae repugnant, sicut caecitas, et defectus membrorum. Ergo non omnes
defectus debuit habere. |
Cependant, [1] le Christ, qui était venu guérir toute la nature humaine, devait la posséder intégralement. Or, il existe certaines carences qui répugnent à l’intégrité de la nature, comme la cécité et les difformités des membres. Il ne devait donc pas posséder toutes les carences. |
[9316] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2
s. c. 2 Praeterea,
Christus debuit esse perfectus in gratia. Sed quidam defectus sunt qui
perfectioni gratiae repugnant, sicut ignorantia, et difficultas ad bonum. Ergo non omnes defectus habere debuit. |
[2] Le Christ devait être parfait en grâce. Or, il existe certaines carences qui s’opposent à la perfection de la grâce, comme l’ignorance et la difficulté de faire le bien. Il ne devait donc pas posséder toutes les carences. |
[9317] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2
s. c. 3 Praeterea,
contraria nata non sunt fieri in eodem. Sed quaedam infirmitates sunt sibi
contrariae ex contrariis causis causatae. Ergo non potuit omnes nostras infirmitates habere. |
[3] Les contraires ne sont pas destinés à apparaître chez le même. Or, certaines carences ont été causées chez lui par des causes contraires. Il ne pouvait donc pas posséder toutes nos carences. |
[9318] Super Sent., lib. 3 d.
15 q. 1 a. 2 co. Respondeo,
dicendum, quod, sicut dicit Damascenus, Christus habuit in se omnes naturales
et indetractibiles passiones. Dicuntur autem passiones naturales quaecumque
universaliter humanam naturam consequuntur, sive ex conditione naturae, sicut
indigentia cibi et potus, sive quae pro peccato primi parentis in totam
naturam devenerunt ex principiis naturae sibi relictae causat, sicut fames,
sitis, labor, dolori, et hujusmodi. Indetractibiles autem passiones sunt quae
defectum gratiae non important, sicut importat pronitas ad malum, et
difficultas ad bonum, et hujusmodi, quae ex carentia gratiae vel perfectionis
contingunt. Ex hoc enim laus Christi minueretur, si perfectus in virtutibus
non fuisset, secundum quas est laus, et vituperium sive detrectatio secundum
earum opposita. Unde duo genera defectuum non assumpsit, illa scilicet quae
non universaliter humanam naturam consequuntur, sicut lepra, caecitas,
febris, et hujusmodi: contingunt enim ex particularibus corruptionibus in
singulis personis; et hos defectus assumere non debuit, quia ad curandum
naturae morbum venit. Item illa non assumpsit quae ad imperfectionem gratiae
pertinent, sicut ignorantiam, difficultatem ad bonum, et hujusmodi: quia ipse
venerat ad hoc ut de plenitudine suae gratiae omnes acciperemus. |
Réponse. Comme le dit [Jean] Damascène, « le Christ a possédé toutes les passions naturelles et qui n’avilissent pas ». Or, on appelle passions naturelles toutes celles qui découlent universellement de la nature humaine, soit de la condition de la nature, comme le besoin de nourriture et de boisson, soit qu’elle cause ce qui est arrivé à toute la nature en raison du péché du premier parent, tels la faim, la soif, le labeur, la douleur et les choses de ce genre. Les passions qui n’avilissent pas sont celles qui ne comportent pas un manque de grâce, comme le comportent le penchant au mal, la difficulté de faire le bien et les choses de ce genre, qui surviennent en raison d’un manque de grâce ou de perfection. En effet, la louange du Christ serait diminuée s’il n’avait pas été parfait dans les vertus qui suscitent la louange, ainsi que le blâme ou le refus selon leurs contraires. Ainsi, il n’a pas assumé deux genres de carences : celles qui ne découlent pas universellement de la nature humaine, comme la lèpre, la cécité, la fièvre et les choses de ce genre – elles surviennent en effet en raison de corruptions particulières chez des individus, et il ne devait pas assumer ces carences parce qu’il était venu guérir une maladie de la nature. De même n’a-t-il pas assumé celles qui sont en rapport avec une imperfection de la grâce, comme l’ignorance, la difficulté à faire le bien et celles de ce genre, car il était venu pour que nous recevions tous de la plénitude de sa grâce. |
[9319] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod debuit fratribus assimilari quantum ad illa in quae omnes
fratres conveniunt, quae ad defectum gratiae non pertinent: non enim fuit
fratribus similis nisi in natura speciei; et ideo quantum ad actus et
defectus qui consequuntur totam speciem, debuit fratribus assimilari. |
1. Il devait être semblable à ses frères pour ce qui était commun à tous ses frères et qui ne relève pas d’un manque de grâce. En effet, il n’était semblable à ses frères que pour la nature de l’espèce. C’est pourquoi il devait être semblable à ses frères pour les actes et les carences qui découlent de l’espèce entière. |
[9320] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod sicut Deus curavit omnes in hoc quod assumpsit naturam, in qua
omnes conveniunt; ita curavit omnes defectus in hoc quod assumpsit illos
defectus in quibus omnes conveniunt, ex quibus quasi causis primordialibus
alii oriuntur: ex passibilitate enim naturae quam assumpsit, sequitur febris,
et omnia hujusmodi. |
2. De même que Dieu a guéri tous [les hommes] du fait qu’il a assumé la nature que tous ont en commun, de même a-t-il guéri toutes les carences du fait qu’il a assumé les carences que tous en commun, dont les autres proviennent comme de causes primordiales. En effet, la fièvre et toutes les choses de ce genre découlent de la passibilité de la nature qu’il a assumée. |
[9321] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
humiliari debuit inquantum potuit decenter. Non autem fuit decens ut qui
venerat alios in gratiam adducere, defectum vel imperfectionem gratiae
pateretur; neque qui naturam in aliis integrare venerat, ipse in his in
quibus alii integri sunt, defectum pateretur. |
3. Il devait s’humilier autant qu’il le pouvait décemment. Or, il n’était pas décent que celui qui était venu apporter la grâce souffre d’un manque ou d’une imperfection de la grâce. De même, [il n’était pas convenable] que celui qui était venu rétablir la nature chez les autres souffre lui-même d’une carence là où les autres sont intacts. |
[9322] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod quamvis omnes defectus aequaliter sint indecentes divinae
majestati quantum ad suam naturam, non tamen quantum ad naturam assumptam, ut
patet ex dictis. |
4. Bien que toutes les carences ne conviennent pas également à la majesté divine du point de vue de leur nature, ce n’est cependant pas le cas de la nature assumée, comme cela ressort de ce qui a été dit. |
[9323] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2
ad 5 Ad quintum dicendum,
quod aliqui defectus sunt qui plenitudini gratiae repugnant; et ideo ex hoc
quod habuit omnem gratiam, magis debet concludi quod non habuit omnes
defectus quam quod habuit. Vel dicendum, quod quia alios reintegrare venerat,
debuit in perfectionibus potentior esse, non in defectibus, quia plus
indiguisset ipse reformari quam reformare; et ideo habuit omnem gratiam, non
tamen, omnem defectum. |
5. Certaines carences sont incompatibles avec la plénitude de la grâce. Du fait qu’il possédait toute grâce, on doit donc plutôt conclure qu’il n’a pas eu toutes les carences en plus de celles qu’il a eues. Ou bien il faut dire que, parce qu’il était venu rétablir les autres, il devait être plus puissant pour ce qui est des perfections, et non pour ce qui est des carences, car il aurait plutôt eu besoin de retrouver lui-même forme (reformari) que de redonner forme (reformare). C’est pourquoi il a eu toute la grâce, mais non toutes les carences. |
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Articulus 3 [9324] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 tit. Utrum hujusmodi
defectus susceperit, vel contraxerit |
Article 3 – A-t-il reçu ou contracté ces carences ? |
[9325] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod
hujusmodi defectus contraxerit. Illud enim proprie contrahitur quod cum alio
trahitur. Sed ipse hos
defectus cum natura traxit. Ergo eos contraxit. |
1. Il semble qu’il ait contracté ces carences. En effet, est contracté au sens propre ce qui est tiré d’un autre. Or, il a reçu ces carences avec la nature. Il les a donc contractés. |
[9326] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3
arg. 2 Praeterea, id
quod ex ratione originis habetur, proprie contrahitur. Sed ex ratione suae
originis Christus habuit hos defectus: quia ex ratione suae originis matri
similis est natus, quae his defectibus subjacuit. Ergo ipse istos defectus
contraxit. |
2. Est contracté au sens propre ce qu’on tient en raison de son origine. Or, le Christ a eu ces carences en raison de son origine, car, en raison de son origine, il est né semblable à sa mère, qui a été soumise à ces carences. Il a donc contracté ces carences. |
[9327] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3
arg. 3 Praeterea,
illud cum natura contrahitur quod ex principiis naturae causatur. Sed
hujusmodi defectus, ut fames, sitis, et hujusmodi, ex principiis naturae
causantur: quia ex actibus contrariorum in invicem, ex quibus homo
naturaliter constat. Ergo hos defectus contraxit. |
3. Est contracté avec la nature ce qui est causé par les principes de la nature. Or, les carences comme la faim, la soif et celles de ce genre sont causées par les principes de la nature, car elles le sont par les actes de choses qui sont réciproquement contraires, dont l’homme est composé. Il a donc contracté ces carences. |
[9328] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3
arg. 4 Praeterea, verbum
contrahendi, secundum quod hic loquimur, videtur traductionem importare. Sed
Christus habuit hujusmodi defectus per traductionem corporis ex corpore, non
ex conditione animae. Ergo Christus
hos defectus contraxit. |
4. Le verbe « contracter », tel que nous l’employons ici, semble comporter une transmission. Or, le Christ a reçu ces carences par la transmission de son corps à partir d’un corps, et non pas en raison de la condition de son âme. Le Christ a donc contracté ces carences. |
[9329] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3
arg. 5 Praeterea, sicut
culpa originalis contrahitur a patre, ita istae poenalitates contrahuntur ex
matre, sicut dictum est in 2 Lib. Sed Christus ex matre passibilis natus est, quamvis non ex patre
peccatore. Ergo hujusmodi poenalitates contraxit. |
5. De même que la faute originelle est contractée à partir du père, de même ces peines sont-elles sontractées à partir de la mère, comme on l’a dit dans le livre II. Or, le Christ est né passibile en raison de sa mère, bien que ce ne soit pas en raison de son père pécheur. Il a donc contracté ces peines. |
[9330] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3
s. c. 1 Sed contra, quod
voluntarie assumitur, non contrahitur. Sed Christus voluntarie assumpsit hos
defectus, sicut et ipsam naturam. Ergo non contraxit eos. |
Cependant, [1] ce qui est assumé volontairement n’est pas contracté. Or, le Christ a assumé volontairement ces carences, comme la nature elle-même. Il ne les a donc pas contractées. |
[9331] Super Sent., lib. 3 d.
15 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, nos dicimur contrahere hos defectus quia nobis debentur propter culpam originalem.
Sed in Christo culpa
originalis non fuit. Ergo Christus hos defectus non contraxit. |
[2] Noous disons que nous contractons ces carences parce qu’elles nous sont dues en raison de la faute originelle. Or, il n’y avait pas de faute originelle chez le Christ. Le Christ n’a donc pas contracté ces carences. |
[9332] Super Sent., lib. 3 d.
15 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod illud proprie contrahitur quod ex necessitate alio tracto trahitur; et
quia ex hoc ipso quod humanam naturam trahimus ex parentibus per vitiatam
originem, sequitur de necessitate quod hos defectus habeamus; ideo dicimur
hos defectus contrahere. Christus autem potuit humanam naturam sine his
defectibus assumere, sicut cum defectibus assumpsit; et ideo non fuerunt in
eo ex hoc ipso quod humanam naturam a parentibus traxit; sed sicut voluntarie
assumpsit naturam humanam, ita et hos defectus: et propter hoc dicitur
assumpsisse hos defectus, non contraxisse. |
Réponse. À proprement parler, est contracté ce qui est nécessairement entraîné en même temps qu’une autre chose. Parce que nous tirons la nature humaine de nos parents en vertu d’une origine viciée, il en découle nécessairement que nous avons ces carences. C’est pourquoi on dit que nous contractons ces carences. Or, le Christ pouvait assumer la nature humaine sans ces carences, comme il l’a assumée avec ces carences. Aussi elles ne se trouvaient pas en lui du seul fait qu’il a tiré sa nature humaine de ses parents, mais, de même qu’il a volontairement assumé la nature humaine, de même en a-t-il été pour ces carences. C’est la raison pour laquelle on dit qu’il a assumé ces carences, mais ne les a pas contractées. |
[9333] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod haec conjunctio con non solum notat simultatem temporis in hoc quod dicitur aliquid
contrahi, sed ordinem necessariae consecutionis unius ad alterum. |
1. La conjonction con [avec] n’exprime pas seulement une simultanéité dans le temps lorsqu’on dit que quelque chose a été contracté, mais un ordre par rapport à la provenance nécessaire d’une chose par rapport à une autre. |
[9334] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod generatum, inquantum hujusmodi, assimilatur ei quod generat
ipsum active, quia agens similat sibi patiens; quod autem aliquando natus
assimilatur matri, ex qua generatur materialiter, est ex defectu virtutis
activae, quae non potest materiam contrahere ad sui similitudinem; unde
vincunt motus materiae, et assimilatur filius matri. Neutro istorum modorum
fuit necessarium quod Christus matri assimilaretur: tum quia mater non fuit
agens in generatione, sed solum materiam ministravit: tum quia non fuit
aliquis defectus ex parte virtutis agentis, scilicet spiritus sancti; et ideo
quod assimilatus est matri in his defectibus, hoc fuit ex sola ejus
voluntate. |
2. En tant que tel, ce qui est engendré est semblable à ce qui l’engendre activement, car un agent s’assimile le patient. Mais que, parfois, ce qui naît soit assimilé à sa mère, par laquelle cela est engendré de manière matérielle, cela vient d’une carence de la puissance active, qui ne peut attirer la matière à lui ressembler. Les mouvements de matière l’emportent alors, et le fils ressemble à sa mère. Il n’a été nécessaire d’aucune de ces manières que le Christ ressemble à sa mère, tant parce que sa mère n’a pas été un agent dans sa génération, mais n’a apporté que la matière, que parce qu’il n’y a eu aucune carence du côté de la puissance active, le Saint-Esprit. C’est pourquoi il n’a été rendu semblable à sa mère pour ces carences que par sa seule volonté. |
[9335] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod ex principiis naturae sibi relictae, idest privatae illo dono
gratiae quod naturae primo conditae datum fuerat, ut in 2 Lib. dictum est,
hujusmodi defectus causantur. Sed Christus poterat naturam humanam accipere
cum illa perfectione quam gratis in sua conditione natura humana acceperat;
et ideo non de necessitate contraxit, sed voluntarie assumpsit. |
3. Ces carences sont causées par les principes de la nature laissée à elle-même, c’est-à-dire privée du don de la grâce qui lui avait d’abord été accordé, comme on l’a dit dans le livre II. Mais le Christ pouvait assumer la nature humaine avec cette perfection que la nature humaine avait gratuitement reçue lors de son création. Aussi n’a-t-il pas nécessairement contracté [ces carences], mais les a-t-il volontairement assumées. |
[9336] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
verbum contrahendi non solum importat traductionem, sed necessarium ordinem
ad aliud tractum, ut dictum est. |
4. Le verbe « contracter » ne comporte pas seulement la transmission, mais un ordre nécessaire à quelque chose d’autre qui est contracté, comme on l’a dit. |
[9337] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod illud habet veritatem in illis qui secundum legem naturae
nascuntur; Christus autem non sic ex virgine natus est, sed supra naturam; et
ideo ratio non sequitur. |
5. Cela est vrai pour ce qui naît selon la loi de la nature, mais le Christ n’est pas né ainsi de la Vierge, mais d’une manière qui dépasse la nature. Aussi le raisonnement n’est-il pas concluant. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [Les passions de l’âme du Christ]
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Prooemium [9338] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 pr. Deinde quaeritur de
passionibus quas assumpsit ex parte animae; et circa hoc quaeruntur tria: 1
si anima Christi fuerit passibilis, et cujus proprie sit pati; 2 de passionibus
animalibus quae consequuntur ex interiori apprehensione, ut tristitia, et
hujusmodi; 3 de passionibus quae sunt secundum sensum corporalem, sicut est
dolor. |
PrologueOn s’interroge ensuite sur les passions que [le Christ] a assumées dans son âme. À ce propos, trois questions sont posées : 1 – L’âme du Christ était-elle sujette à la douleur et à qui revient-il de souffrir au sens propre ? 2 – À propos des passions de l’âme qui découlent d’une perception intérieure, comme la tristesse et celles de ce genre. 3‑ À propos des passions reliées aux sens corporels, comme la douleur. |
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Articulus 1 [9339] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 tit. Utrum corpus
pati possit |
Article 1 – [La passibilité chez le
Christ]
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Quaestiuncula
1 |
Sous-question 1 – [Le corps est-il sujet à subir ?] |
[9340] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur, quod omne corpus possit pati. Omne enim quod movetur, patitur: quia motus in eo
quod movetur est passio, ut dicitur in 3 Phys. Sed omne corpus movetur. Ergo
omne corpus patitur. |
1. Il semble que tout corps soit sujet à subir. En effet, tout ce qui est mû subit, car « le mouvement est passion chez ce qui est mû », comme il est dit dans Physique, III. Or, tout corps est mû. Tout corps est donc sujet à subir. |
[9341] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1
qc. 1 arg. 2 Praeterea, omne
quod recipit, patitur, cum pati dicatur a patim, quod est recipere. Sed corpora caelestia
aliquid recipiunt, scilicet illuminationem. Ergo patiuntur: ergo et alia multo
magis quae sunt sub eis. |
2. Tout ce qui reçoit subit, puisque subir (pati) vient de patim, qui signifie recevoir. Or, les corps célestes reçoivent quelque chose : l’illumination. Ils subissent donc. Donc, encore bien davantage les choses qui leur sont soumises. |
[9342] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
omne quod est potentius, natum est agere in minus potens. Sed omni corpore
est aliquid potentius, et omni substantia creata. Ergo omnis creaturae est
pati. |
3. Tout ce qui est plus puissant est destiné à agir sur ce qui est moins puissant. Or, il y a quelque chose de plus puissant que tout corps et que toute substance créée. Toute créature peut donc subir. |
[9343] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
omne passibile est corruptibile, quia passio magis facta abjicit a substantia,
ut dicitur Topic., Lib. 6. Sed non omne corpus est corruptibile. Ergo non
omne corpus est passibile. |
Cependant, [1] tout ce qui est passible est corruptible, car « une passion plus intense dégrade une substance », comme il est dit dans Topiques, VI. Or, tout corps n’est pas corruptible. Tout corps n’est donc pas passible. |
[9344] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut
dicitur in 1 de generatione, omne agens est contrarium patienti. Sed non omne corpus habet contrarium. Ergo
non etiam omne patitur. |
[2] Comme on le dit dans Sur la génération, I, tout agent est contraire au patient. Or, tout corps n’a pas de contraire. Tout corps ne subit donc pas. |
Quaestiuncula
2 |
Sous-question 2 – [L’âme est-elle passible ?] |
[9345] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Quaeritur, utrum anima sit passibilis; et videtur quod non. Sicut etiam
formae est agere, ita materiae est pati. Sed anima non est composita ex
materia, ut in 1 Lib., distinct. 8, qu. 5, art. 2, dictum est. Ergo non
potest pati. |
1. Il semble que non. De même qu’il revient à la forme d’agir, de même revient-il à la matière de subir. Or, l’âme n’est pas composée de matière, comme on l’a dit dans le livre I, d. 8, q. 5, a. 2. Elle ne peut donc pas subir. |
[9346] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1
qc. 2 arg. 2 Si dicatur, quod patitur per accidens ad passionem corporis;
contra. Passionis terminus est corruptio. Sed anima non corrumpitur corrupto corpore. Ergo etiam non patitur corpore
patiente. |
2. Si l’on dit qu’elle subir par accident suite à une passion du corps, on répondra que le terme de la passion est la corruption. Or, l’âme n’est pas corrompue lorsque le corps est corrompu. Elle ne subit donc pas lorsque le corps subit. |
[9347] Super Sent., lib. 3 d.
15 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, ex hoc anima movetur per
accidens localiter ad motum corporis, quia est in loco corporis per accidens.
Sed nullo modo habet qualitatem corpoream, neque per se neque per accidens.
Ergo nullo modo alteratur, corpore per accidens alterato. Sed passio proprie
dicitur in motu alterationis, ut dicitur. Ergo anima non patitur per accidens
passo corpore. |
3. L’âme est mue localement par accident selon le mouvement du corps parce qu’elle se trouve dans le lieu du corps par accident. Or, elle ne possède d’aucune manière une qualité corporelle, ni par soi ni par accident. Elle n’est donc altérée d’aucune manière lorsque le corps est altéré par accident. Or, la passion consiste au sens propre dans un mouvement d’altération, comme on le dit. L’âme ne subit donc pas par accident, lorsque le corps subit. |
[9348] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, ad motum
totius, per accidens
movetur pars. Sed anima est
pars totius compositi, quod patitur. Ergo et ipsa aliquo modo patitur. |
Cependant, lorsqu’un tout se meut, la partie est mue par accident. Or, l’âme est une partie d’un tout composé qui est passible. Elle-même est donc passible d’une certaine manière. |
Quaestiuncula
3 |
Sous-question 3 – [L’âme du Christ peut-elle être passible ?] |
[9349] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod anima Christi non possit pati. Quia nihil est dignius quam anima
Christi. Sed agens est dignius patiente, secundum Augustinum. Ergo anima
Christi non fuit passibilis. |
1. Il semble que l’âme du Christ ne puisse être passible, car rien n’est plus digne que l’âme du Christ. Or, l’agent est plus digne que ce qui subit, selon Augustin. L’âme du Christ ne pouvait donc pas être passible. |
[9350] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1
qc. 3 arg. 2 Praeterea, virtus
reddit animam quietam a passionum tumultibus; et quanto virtus est
perfectior, tanto passiones in animam minus dominantur. Sed in Christo fuit
perfectissima virtus. Ergo nullo modo fuit in anima ejus passio. |
2. La vertu apaise l’âme du tumulte des passions, et plus la vertu est parfaite, moins les passions l’emportent sur l’âme. Or, la vertu la plus parfaite existait chez le Christ. Il n’y avait donc aucune passion dans son âme. |
[9351] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1
qc. 3 arg. 3 Praeterea,
impassibilitas est de ratione beatitudinis; unde ponitur inter dotes
corporis. Sed anima Christi fuit beata. Ergo non fuit passibilis. |
3. L’impassibilité fait partie de la béatitude; aussi est-elle mise parmi les dots du corps. Or, l’âme du Christ était bienheureuse. Elle n’était donc pas passible. |
[9352] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1
qc. 3 s. c. 1 Sed contra.
Joannes Damascenus dicit, quod anima corpori inciso compatitur et dolet; et
hoc est, quia unitur corpori passibili. Sed anima Christi conjuncta est
corpori passibili. Ergo anima ejus fuit passibilis: quia nihil compatitur
quod non est passibile. |
Cependant, [1] Jean Damascène dit que, lorsque le corps est coupé, l’âme en souffre et est affligée; cela vient de ce qu’elle est unie à un corps passible. Or, l’âme du Christ était unie à un corps passible. Son âme était donc passible, car rien ne compatit qui ne soit passible. |
[9353] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1
qc. 3 s. c. 2 Praeterea,
Christus assumpsit in natura nostra defectus qui totam naturam consequuntur,
qui imperfectionem gratiae non important. Sed passibilitas animae est hujusmodi.
Ergo Christus passibilem animam assumpsit. |
[2] Le Christ a assumé avec notre nature les carences qui ne comportent pas d’imperfection de la grâce. Or, la passibilité de l’âme en fait partie. Le Christ a donc assumé une âme passible. |
[9354] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1
qc. 3 s. c. 3 Praeterea, Christus
venit magis curare defectus animae in nobis quam defectus corporis. Sed ipse suscepit naturam
passibilem, ut impassibilitatem nobis acquireret. Ergo debuit assumere animam
passibilem, ut per hoc impassibilitatem animae acciperemus. |
[3] Le Christ est venu guérir en nous plutôt les carences de l’âme que les carences du corps. Or, il a lui-même assumé une nature passible afin d’obtenir pour nous l’impassibilité. Il a donc dû assumer une âme passible afin que nous recevions ainsi l’impassibilité de l’âme. |
Quaestiuncula
1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[9355] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem,
quod cum dicit Damascenus, quod passio est motus ab uno in aliud, non
quilibet motus est passio, sed solum alteratio, proprie loquendo, ut dicit
philosophus: quia in hoc solo motu aliquid a re abjicitur et aliquid imprimitur,
quod est de ratione passionis. Motus enim localis est secundum id quod est
extra rem, quod est locus; motus autem augmenti est secundum hoc quod ex eo
quod jam est, scilicet nutrimento, producitur augmentatum in majorem
quantitatem. Ad hoc autem quod sit alteratio, requiritur ex parte alterati
quod sit res per se subsistens (aliter enim subjectum motus esse non posset),
et quod sit corpus (quia solum tale movetur, ut in 5 Physic., text. 32,
probatur), et ulterius quod habeat naturam contrarietati subjectam, quia
alteratio est motus inter contrarias qualitates. Ex parte vero terminorum
alterationis requiritur quod una qualitate expulsa, alia introducatur: sic
enim de qualitate in qualitatem transitur. Sed ulterius ad rationem passionis
requiritur quod qualitas introducta sit extranea, et qualitas abjecta sit
connaturalis: quod contingit ex hoc quod passio importat quamdam victoriam
agentis super patiens: omne autem quod vincitur, quasi trahitur extra
terminos proprios ad terminos alienos; et ideo alterationes quae contingunt
praeter naturam alterati, magis proprie dicuntur passiones, sicut
aegrotationes quam sanationes, sicut patet per Damascenum et per philosophum.
Unde patet quod illorum corporum tantum est proprie pati quae possunt extra
naturam suam trahi; et haec sunt corruptibilia. |
Ainsi que le dit [Jean] Damascène, « la passion est un mouvement exercé par une chose sur une autre. Tout mouvement n’est donc pas une passion, mais seulement l’altération au sens propre, comme le dit le Philosophe, car c’est seulement par ce mouvement que quelque chose est enlevé à une chose et que quelque chose y est empreint, ce qui fait partie de la raison de la passion ». En effet, le mouvement local se réalise par quelque chose qui est extérieur à une chose, le lieu; le mouvement d’accroissement se réalise selon que, à partir de ce qui existe déjà, la nourriture, est produite l’augmentation en une quantité plus grande. Mais pour qu’il y ait altération, il est nécessaire, du côté de ce qui est altéré, qu’il s’agisse d’une chose qui subsiste par elle-même (en effet, il ne pourrait y avoir autrement de sujet du mouvement), qui est un corps (car seule une telle chose est mue, comme on le démontre dans Physique, V, text. 32) et qui, de plus, possède une nature sujette au contraire, car l’altération est un mouvement entre des qualités contraires. Mais, du côté des termes de l’altération, il est requis que, lorsqu’une qualité est rejetée, une autre soit introduite : en effet, c’est ainsi qu’on passe de qualité en qualité. Mais, en plus, il est nécessaire à la raison de passion que la qualité introduite vienne de l’extérieur et que la qualité rejetée soit connaturelle, ce qui se produit du fait que la passion comporte une certaine victoire de l’agent sur le patient. Or, tout ce qui est vaincu est comme tiré hors de ses termes propres vers des termes différents. C’est pourquoi les altérations qui vont au-delà de la nature de ce qui est altéré sont appelées des passions au sens propre, comme les maladies plutôt que les guérisons, comme cela ressort de [Jean] Damascène et du Philosophe. Il est donc clair qu’il revient seulement de subir au sens propre aux corps qui peuvent être tirés hors de leur nature, et ceux-ci sont corruptibles. |
[9356] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod non omne moveri est pati, nisi communiter et large loquendo,
sicut etiam omne moveri quoddam corrumpi est, secundum Augustinum, et
secundum philosophum, 8 Physic. |
1. Le fait d’être mû n’est pas une passion, si ce n’est d’une manière générale et au sens large, comme tout fait d’être mû est une certaine corruption, selon Augustin et selon le Philosphe, Physique, VIII. |
[9357] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod in illuminatione non abjicitur aliqua qualitas, sed tantum
recipitur: et ideo non est passio. |
2. Par l’illumination, une qualité n’est pas rejetée, mais seulement reçue. Ce n’est donc pas une passion. |
[9358] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod Deus qui est superior omni substantia creata, influit rebus ad
perfectionem naturae ipsarum; et ideo secundum quod ab ipso recipiunt, non
dicuntur proprie pati; neque secundum quod corporalia a quibuscumque
spiritualibus recipiunt. |
3. Dieu, qui est supérieur à toute substance créée, influe sur les choses en vue de la perfection de leur nature. C’est pourquoi on ne dit pas qu’elles subissent au sens propre en recevant de lui, ni selon que les réalités corporelles reçoivent de n’importe quelle réalité spirituelle. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[9359] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ex
dictis de facili potest patere qualiter in anima possit esse passio. Quia cum
anima sit quid incorporeum, sibi proprie non accidit pati, nisi secundum quod
corpori applicatur. Applicatur autem corpori et secundum essentiam suam,
secundum quod est forma corporea, et secundum operationem suarum potentiarum,
prout est motor ejus. Secundum autem quod applicatur corpori ut forma, sic
non consideratur ut quid subsistens, sed ut adveniens alteri: unde sic non
patitur per se, sed per accidens, sicut aliae formae moventur motis subjectis
compositis. In viribus autem animae quantum ad operationem applicantur
corpori solum vires partis sensitivae et nutritivae. Sed quia operatio virium
nutritivae partis est in movere, non in moveri; ideo secundum eas anima non patitur,
sed magis agit. Relinquitur ergo quod pati sit proprie animae secundum partem
sensitivam, ut dicitur in 7 Phys. Sed quia hujusmodi vires non sunt
subsistentes, sed formae organorum corporalium; ideo non dicuntur pati per
se, nec anima secundum eas, sed per accidens, inquantum compositum patitur,
ut dicitur in 1 de anima. Sed quia potentiae apprehensivae sensitivae sunt tantum in recipiendo
speciem, quae quidem non recipitur in sensu per modum rei, sed per modum
intentionis; ideo in operatione harum virium est quidem aliquo modo pati,
quantum ad hoc quod sunt vires materiales, et quantum ad hoc quod aliquid
recipitur (et propter hoc dicitur in 2 de anima text. 52, quod sentire est quoddam pati). Sed
quia sensus non movetur a sensibili secundum conditionem moventis, cum forma
sensibilis non recipiatur in sensu secundum esse materiale prout est in
sensibili, sed secundum esse spirituale, quod est proprium sensui (unde non
habet contrarietatem ad sensum, sed est perfectio ejus, nisi secundum quod
excedit proportionem sensus); ideo non proprie dicitur pati, nisi secundum
quod excellentia sensibilium corrumpit sensum, aut debilitat. Relinquitur
ergo quod passio proprie dicatur secundum vires appetitivas sensitivas: quia
hae vires et materiales sunt, et moventur a rebus secundum proprietatem rei:
quia non est appetitus intentionis, sed ipsius rei; et secundum hoc habet res
convenientiam ad animam, vel contrarietatem: et ideo dicit philosophus, quod
passio est quam sequitur delectatio vel tristitia: et Remigius dicit, quod passio
est motus animae per susceptionem boni vel mali. Sed quia accidit delectatio
secundum conjunctionem convenientis et connaturalis; ideo adhuc magis proprie
dicuntur passiones illae affectiones sensitivae ad quas sequitur tristitia,
vel etiam quae sunt cum vehementia sive delectationis sive tristitiae, ut
dicit philosophus 5 Metaphysic.; quia sic trahitur anima extra modum suum
naturalem. Et sic loquimur hic de passionibus. Sed in viribus intellectivae
partis, quamvis non sit proprie passio, quia immateriales sunt; tamen ibi est
aliquid de ratione passionis: quia in apprehensione intellectus creati est
receptio; et secundum hoc dicitur in 3 de anima quod intelligere est pati
quoddam. In appetitu autem intellectivo adhuc est plus de ratione passionis:
quia voluntas movetur a re secundum quod est bona vel mala, quae sunt
conditiones rei; intellectus autem movetur secundum apprehensionem veri vel
falsi; quae non sunt rei per se, sed secundum quod sunt in anima: quia bonum
et malum sunt in rebus; verum et falsum sunt in anima, ut dicitur in 6
Metaph.; unde magis recipit anima a re secundum affectum, et vehementius
movetur, quam secundum intellectum; sicut dicit Dionysius, 2 cap. de Div.
Nom., quod Hierotheus patiendo didicit divina, idest ex affectu circa divina
in intellectum devenit. Et quia movetur affectus a re secundum proprietatem
rei quam res habet in se ipsa, ideo per hunc modum contingit quod res habeat
contrarietatem vel convenientiam ad animam; sed secundum quod apprehenditur
ab intellectu, omnis res habet convenientiam, inquantum apprehenditur ut
verum: et ideo in operatione apprehensivae semper est delectatio; in
operatione autem affectivae est delectatio et tristitia: et sic etiam
tristitia magis adhuc proprie dicitur passio, sicut in affectu sensibili
dictum est, et similiter accipitur hic passio. De passione autem animae
secundum quod ab igne infernali patitur, dicendum est in quarto libro: sic
enim anima per se patitur. |
À partir de ce qui a été dit, on peut facilement montrer comment il peut exister une passion dans l’âme, car, l’âme étant quelque chose d’incorporel, elle ne connaît pas de passion au sens propre, si ce n’est selon qu’elle est liée à un corps. Or, elle est liée au corps selon son essence, en tant qu’elle est une forme corporelle, et selon l’opération des ses puissances, en tant qu’elle en est le moteur. Or, selon qu’elle est liée au corps comme sa forme, elle n’est pas considérée comme une réalité subsistante, mais comme survenant à quelque chose d’autre. Aussi ne subit-elle pas par elle-même, mais par accident, comme les autres formes sont mues lorsque leurs sujets composés sont mus. Mais ne sont liées aux puissances de l’âme pour leur opération que les puissances de la partie sensible et de la partie nutritive. Mais parce que l’opération des puissances de la partie nutritive consiste en ce qu’elle meuve, et non en ce qu’elle soit mue, l’âme ne subit donc pas à cause d’elles, mais plutôt agit. Il reste donc que subir relève au sens propre de l’âme selon sa partie sensible, comme on le dit dans Physique, VII. Toutefois, parce que ces puissances ne sont pas subsistantes, mais sont des formes des organes corporels, on ne dit donc pas qu’elles subissent par elles-mêmes, ni que l’âme subit à travers elles, mais [qu’elle subit] par accident, pour autant que le composé subit, comme il est dit dans Sur l’âme, I. Mais parce que les puissances perceptives sensibles consistent seulement à recevoir une espèce, qui n’est cependant pas reçue par le sens à la manière d’une chose, mais par mode d’intention, il existe donc une certaine passion dans l’opération de ces puissances, pour autant qu’elles sont des puissances matérielles et pour autant que quelque chose est reçu (pour cette raison, il est dit, dans Sur l’âme, II, text. 52, que « sentir est une certaine passion »). Cependant, parce que le sens n’est pas mû par l’objet sensible selon la condition de ce qui meut, puisque la forme sensible n’est pas reçue par le sens selon son être matériel, telle qu’elle existe dans le sensible, mais selon un être spirituel qui est propre au sens (aussi ne comporte-t-elle pas de contrariété par rapport au sens, mais est-elle sa perfection, à moins qu’elle ne dépasse la proportion du sens), on ne parle donc de passion au sens propre que si la grandeur des réalités sensibles corrompt le sens ou l’affaiblit. Il reste donc qu’on parle de passion pour les puissances appétitives sensibles, car ces puissances sont à la fois matérielles et elles sont mues par les choses selon le caractère propre de la chose, puisque l’appétit ne porte pas sur une intention, mais sur la chose elle-même. C’est de cette manière qu’une chose convient ou est contraire à l’âme. C’est pourquoi le Philosophe dit que « la passion est celle qui suit le plaisir ou la tristesse. Et Rémi dit que « la passion est un mouvement de l’âme dû à la réception d’un bien ou d’un mal ». Or, parce que la délectation se produit par l’union de ce qui convient et est connaturel, on parle donc encore plus proprement de passions pour les affections sensibles dont découle la tristesse, ou encore qui sont accompagnées par l’intensité de la délectation ou de la tristesse, comme le dit le Philosophe dans Métaphysique, V, car l’âme est ainsi attirée hors de son mode naturel. C’est en ce sens que nous parlons ici de passions. Or, bien qu’il n’y ait pas de passion au sens propre dans les puissance de la partie intellectuelle, car elles sont immatérielles, il s’y trouve cependant quelque chose de la nature de la passion, car il y a une réception dans la perception de l’intellect créé. C’est ainsi qu’on dit, dans Sur l’âme, III, qu’« intelliger, c’est subir d’une certaine manière ». Or, la raison de passion est encore plus présente dans l’appétit intellectuel, car la volonté est mue par une chose selon qu’elle est bonne ou mauvaise, qui sont des conditions de la chose; mais l’intellect est mû par l’appréhension du vrai ou du faux, qui ne sont pas des choses en soi, mais selon qu’elles existent dans l’âme. En effet, « le bien et le mal se trouvent dans les choses, mais le vrai et le faux se trouvent dans l’âme », comme on le dit dans Métaphysique, VI. L’âme reçoit donc davantage d’une chose selon l’affectivité et elle est mue par elle de manière plus intense, que selon l’intellect. Denys dit ainsi, Les noms divins, II, que « Hiérothée a appris les réalités divines en les subissant », c’est-à-dire qu’il est parvenu à l’intelligence des réalités divines à partir de l’affectivité. Et parce que l’affectivité est mue par une chose selon ce qui est propre à celle-ci en elle-même, il arrive que, de cette manière, une chose convienne ou soit contraire à l’âme; mais, selon qu’elle est appréhendée par l’intellect, toute chose convient [à l’âme], en tant qu’elle est appréhendée comme vraie. C’est pourquoi, dans l’opération de la [partie] connaissante, il existe toujours une délectation; mais, dans l’opération de la [partie] affective, existent la délectation et la tristesse. Ainsi donc, la tristesse est appelée une passion en un sens encore plus propre, comme on l’a dit pour l’affectivité sensible; de même entend-on ici la passion. Mais on parlera de la passion de l’âme, par laquelle elle souffre du feu de l’enfer, dans le livre IV. C’est ainsi que l’âme est passible par elle-même. |
[9360] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod ratio illa procedit de passione proprie dicta; et concludit
quod anima hoc modo passionis non patitur per se, sed per accidens. |
1. Ce raisonnement s’appuie sur la passion au sens propre, et il conclut que l’âme ne subit pas ce genre de passion par elle-même, mais par accident. |
[9361] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod quamvis per corruptionem corporum, anima non corrumpatur
simpliciter quantum ad substantiam; corrumpitur tamen compositio, secundum
quam actu est forma corporis; et etiam vires affixae organis, ut quidam
dicunt. |
2. Bien que l’âme ne soit pas simplement corrompue dans sa substance par la corruption des corps, la composition est cependant corrompue, selon laquelle elle est la forme du corps en acte. C’est aussi le cas des puissances liées à des organes, comme le disent certains. |
[9362] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod anima dicitur esse in loco per accidens, inquantum est pars
compositi, quod est in loco per se; et sic movetur per accidens in loco: et
sic etiam valetudo, quae est compositi, est animae per accidens, inquantum
est pars ejus; et sic etiam per accidens patitur ad passionem corporis. |
3. On dit que l’âme est dans un lieu par accident, pour autant qu’elle est une partie du composé qui est par soi dans un lieu. Elle est ainsi mue par accident dans un lieu. Il en est de même pour la santé, qui est le fait du composé, mais de l’âme par accident, pour autant qu’elle en est une partie. C’est ainsi qu’elle subit par accident la passion du corps. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[9363] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1
qc. 3 co. Ad tertiam
quaestionem dicendum, quod anima Christi media fuit inter divinitatem et
carnem. Et quia beatitudo inerat illi animae ex divinitate, corpus autem ejus
erat passibile; ideo passibilitas inerat illi animae ex parte illa qua
conjungibilis erat corpori; beatitudo autem ex parte illa qua conjungebatur
divinitati. Conjungebatur autem corpori dupliciter: scilicet secundum
essentiam, inquantum est forma et secundum potentias, non tamen omnes, sed
quasdam; unde anima Christi secundum essentiam tota patiebatur ex laesi
corporis passione; sed quantum ad potentias patiebatur quidem passione
imperfectionis, secundum operationes virium affixarum organis: secundum alias
vero vires, quibus anima convertebatur in Deum, qualiter pateretur, dicetur
infra, 3 art. |
L’âme du Christ était intermédiaire entre la divinité et la chair. Parce que la béatitude était présente dans cette âme en raison de la divinité, alors que son corps était passible, la passibilité était donc présente dans cette âme selon qu’elle pouvait être unie au corps, et la béatitude, selon qu’elle était unie à la divinité. Or, elle était unie au corps de deux manières : selon l’essence, pour autant qu’elle est sa forme, et selon les puissances, non pas selon toutes, mais selon certaines. Aussi l’âme du Christ souffrait-elle tout entière selon son essence en raison de la souffrance du corps blessé; mais, pour ce qui est des puissances, elle souffrait d’une une passion d’imperfection, selon les opérations des puissances liées à des organes. Mais, selon les autres puissances, par lesquelles l’âme était tournée vers Dieu, on dira plus loin, a. 3, comment elle souffrait. |
[9364] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quamvis anima Christi nihil sit dignius, non tamen impedit
quin per accidens possit pati alio patiente. |
1. Bien qu’il n’y ait rien de plus digne que l’âme du Christ, il n’empêche qu’elle puisse par accident souffrir lorsqu’un autre souffre. |
[9365] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod perfecta virtus omnino non tollit animales passiones, quia
etiam aliquando utitur eis, sicut fortitudo ira, ut dicit philosophus: sed
facit ut nulla passio in eo surgat quae rationem impediat. In Christo autem amplius
fuit: quia enim fuit perfecta obedientia virium inferiorum ad superiores;
ideo nulla passio surgebat in eo nisi ex ordine rationis. |
2. La vertu parfaite n’enlève pas complètement les passions de l’âme, car elle les utilise même parfois, comme « la force [recourt] à la colère », ainsi que le dit le Philosophe. [La vertu parfaite] fait cependant qu’aucune passion ne surgisse en lui pour empêcher la raison. Elle existait encore davantage chez le Christ : en effet, il y avait [chez lui] une parfaite obéissance des puissances inférieures aux puissances supérieures. Aussi aucune passion ne surgissait-elle en lui que sur ordre de la raison. |
[9366] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod anima Christi habuit utrumque statum, scilicet viatoris, et
comprehensoris; unde secundum aliquid fuit beata, et secundum aliquid non
fuit beata. Ex illa enim
parte qua nata est anima corpori conjungi, non erat beatificata; alias ex
anima in corpus claritas gloriae descendisset, sicut erat in aliis
glorificatis; et ideo ex parte ista poterat pati, et habebat statum viatoris.
Sed ex parte illa qua conjungebatur verbo per fruitionem, erat glorificata,
et habebat statum comprehensoris. |
3. L’âme du Christ avait les deux états : celui du viator et celui du comprehensor. Aussi, sous un aspect, était-elle bienheureuse, et, sous un autre, elle n’était pas bienheureuse. En effet, du point de vue où elle était destinée à être unie à un corps, elle n’était pas bienheureuse, autrement l’éclat de la gloire serait descendu de l’âme vers le corps, comme c’était le cas pour les autres qui possédaient la gloire. Sous cet aspect, elle pouvait donc souffrir et était dans l’état de viator. Mais, sous l’aspect où elle était unie au Verbe par la jouissance (fruitio), elle était glorifiée et elle était dans l’état de comprehensor. |
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Articulus 2 [9367] Super Sent., lib. 3 d.
15 q. 2 a. 2 tit. Utrum Christus tristitiam habuerit |
Article 2 – Le Christ a-t-il connu la tristesse ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il connu la tristesse ?] |
[9368] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod
Christus non habuerit tristitiam. Isa. 42, 4, dicitur de eo: non erit
tristis, neque turbulentus. |
1. Il semble que le Christ n’ait pas
connu la tristesse. Is 42, 4 : Il ne sera ni triste, ni troublé. |
[9369] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2
qc. 1 arg. 2 Praeterea, omnis tristitia est perturbatio quaedam. Sed in
sapientem non cadit perturbatio. Ergo neque in Christo, qui fuit maxime
sapiens, fuit tristitia. Secundam probat Seneca tripliciter. Primo sic.
Fortius non perturbatur a debiliori. Sed virtus est fortior malitia. Ergo non
perturbatur ab ea; nec a virtute, quia virtus non est virtuti contraria: ergo
nullo modo. Secundo sic. Nullus perturbatur nisi de eo quod bonum suum perdit
vel diminuit. Sed sapiens non perdit bona sua, nec ei possunt auferri, quae
sunt bona animae, quia bona corporis non reputat sua. Ergo non perturbatur.
Tertio sic. Quia fortuna nihil eripit nisi quod dedit. Sed non dedit
virtutem. Ergo ipsam auferre non potest; et sic idem quod prius. |
2. Toute tristesse est un trouble de l’âme. Or, le sage ne connaît pas le trouble. La tristesse n’a donc pas non plus existé chez le Christ, qui était sage au plus haut point. Sénèque démontre la mineure de trois manières. Premièrement, ce qui est plus fort n’est pas troublé par ce qui est plus faible. Or, la vertu est plus forte que la malice. Elle n’est donc pas troublée par elle, ni par une [autre] vertu, parce qu’une vertu n’est pas contraire à [une autre] vertu. Elle n’est donc troublé d’aucune manière. Deuxièmement, personne n’est troublé que par la perte ou la diminution de son bien. Or, le sage ne perd pas ses biens, et ceux-ci ne peuvent pas lui être enlevés, puisqu’ils sont des biens de l’âme et qu’il ne considère pas comme siens les biens du corps. Troisièmement, parce que la fortune n’enlève que ce qu’elle a donné. Or, elle n’a pas donné la vertu. Elle ne peut donc pas la retirer. Et ainsi, la conclusion est la même que précédemment. |
[9370] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
philosophus: idem sine tristitia quam cum tristitia magis eligendum est.
Sed Christus, cum fuerit sapientissimus, optime scivit eligere. Ergo non
elegit aliquid pati cum tristitia. |
3. Le Philosophe dit : « Une même chose sans tristesse doit être choisie plutôt qu’avec tristesse. » Or, le Christ, puisqu’il était le plus sage, a su choisir au mieux. Il n’a donc pas choisi de subir quelque chose avec tristesse. |
[9371] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Matth. 26, 38: tristis est anima mea usque ad
mortem. |
Cependant,
[1] Mt 26, 38 dit en sens
contraire : Mon âme est triste
jusqu’à la mort. |
[9372] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, fletus
est signum tristitiae. Sed Christus flevit: Joan. 11. Ergo ipse fuit tristis. |
[2] Pleurer est un signe de la tristesse. Or, le Christ a pleuré, Jn 11. Il a donc été triste. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La colère a-t-elle existé chez le Christ ?] |
[9373] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod in Christo non fuerit ira. Ira enim vitium est. Sed in Christo nullum
fuit vitium, sed summa mansuetudo; Matth. 11, 29: discite a me, quia mitis sum et humilis corde. Ergo in
Christo non fuit ira. |
1. Il semble que la colère n’ait pas existé chez le Christ. En effet, la colère est un vice. Or, chez le Christ, il n’y avait aucun vice, mais la plus grande douceur, Mt 11, 29 : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. Il n’y avait donc pas de colère chez le Christ. |
[9374] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea,
sicut Gregorius dicit, ira per vitium excaecat oculum mentis, ira per zelum turbat.
Sed in Christo oculus mentis neque excaecatus neque perturbatus fuit. Ergo in
Christo non fuit ira. |
2. Comme le dit Grégoire, « la colère aveugle le regard de l’esprit par le vice, la colère trouble par l’emportement ». Or, chez le Christ, le regard de l’esprit n’a été ni aveuglé ni troublé. Il n’y a donc pas eu de colère chez le Christ. |
[9375] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 3 Praeterea,
secundum philosophum, et Damascenum, ira est appetitus vindictae. Sed Christus non fecit
aliquid ad vindictam. Ergo in Christo non fuit ira. |
3. Selon le Philosophe et [Jean] Damascène, la colère est un désir de vengeance. Or, le Christ n’a rien fait par vengeance. Il n’y a donc pas eu de colère chez le Christ. |
[9376] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, in Christo
fuit ira per zelum, ut patet Joan. 2. Ergo in eo fuit ira. |
Cependant, [1] chez le Christ, la colère a existé en raison de la ferveur, Jn 2. La colère a donc existé chez lui. |
[9377] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2
qc. 2 s. c. 2 Praeterea, nulla
virtus defuit Christo, nec aliqua virtutis perfectio. Sed de perfectione
aliquarum virtutum est ira, sicut fortitudinis, ut dicitur in 3 Eth. Ergo in Christo fuit ira. |
[2] Aucune vertu ni perfection d’une vertu n’a fait défaut au Christ. Or, la colère fait partie de la perfection de certaines vertus, comme de la force, ainsi qu’on le dit dans Éthique, III. La colère a donc existé chez le Christ. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La crainte a-t-elle existé chez le Christ ?] |
[9378] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod in Christo non fuerit timor. Timor enim maxime opponitur fortitudini. Sed in Christo fuit
perfectissima fortitudo. Ergo in ipso non fuit aliquis timor. |
1. Il semble que la crainte n’ait pas existé chez le Christ. En effet, la crainte s’oppose au plus haut point à la force. Or, chez le Christ, la force la plus parfaite a existé. Il n’y a donc eu chez lui aucune crainte. |
[9379] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2
qc. 3 arg. 2 Praeterea,
Augustinus dicit, quod signum perfectionis est absque timore esse. Sed
Christus fuit perfectissimus. Ergo in eo non fuit passio timoris. |
2. Augustin dit que le signe de la perfection est de vivre sans crainte. Or, le Christ était parfait au plus haut point. La passion de la crainte n’a donc pas existé chez lui. |
[9380] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2
qc. 3 arg. 3 Praeterea, si
dicatur, quod timor inerat ei secundum sensualitatem; contra. Timor est de
futuro malo. Sed
sensualitas in Christo non poterat futurum comprehendere. Ergo in Christo non
poterat esse timor, sed tantum dolor de praesenti. |
3. Si on dit que la crainte existait chez lui selon la sensualité, on objectera que la crainte porte sur un mal futur. Or, la sensualité chez le Christ ne pouvait comprendre l’avenir. Il ne pouvait donc exister de crainte chez le Christ, mais seulement une douleur pour le présent. |
[9381] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2
qc. 3 s. c. 1 Sed contra,
Marc. 14: coepit Jesus pavere et taedere. Ergo et cetera. |
Cependant, [1] Mc 14 dit en sens contraire : Jésus se mit à ressentir effroi et angoisse. |
[9382] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ejusdem est
dolor et timor. Sed in Christo fuit verus dolor. Ergo et verus timor. |
[2] La douleur et la crainte se trouvent chez le même. Or, il y a eu une vraie douleur chez le Christ. Il y a donc eu une crainte véritable. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[9383] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod
hic quaeritur de tristitia secundum quod est passio animalis in parte sensitiva;
et ideo dicendum, quod quia Christus voluntarie assumpsit naturam nostram, ut
per eam nos redimeret, ideo talem assumpsit qualem oportuit esse ad finem
redemptionis nostrae; unde quamvis in aliis beatis per quamdam redundantiam
ex glorificatione superiorum virium glorificentur etiam inferiores, et ex
gloria animae descendat gloria corporis; tamen in Christo non fuit sic: quia
gloria ejus quae inerat ei secundum fruitionem Dei, non impediebat
passibilitatem animae ejus, secundum quod erat pars humanae naturae: et
similiter laetitia quae inerat in superiori parte per fruitionem, non
redundabat in inferiores; et ideo cum accidebat aliquid contrarium delectationi
inferiorum partium, erat de eo tristitia; sed tamen aliter in ipso et in
nobis: quia in nobis inferiores vires non sunt perfecte subjectae rationi; et
ideo quandoque praeter ordinem rationis insurgunt in nobis passiones
tristitiae, quas quidem virtus refrenat in virtuosis, sed in aliis etiam
rationi praevalent: sed in Christo nunquam surgebat motus tristitiae nisi
secundum dictamen superioris rationis, quando scilicet dictabat ratio quod
sensualitas tristaretur secundum convenientiam naturae suae; et ideo non fuit
in eo tristitia rationem pervertens, nec fuit necessaria, sed voluntaria
quodammodo. |
On s’interroge ici sur la tristesse qui est une passion de l’âme en partie sensible. Il faut donc dire que, parce que le Christ a assumé volontairement notre nature afin de nous racheter par elle, il l’a assumée telle qu’elle devait être en regard de notre rédemption. Bien que, chez les autres bienheureux, les puissances inférieures soient aussi glorifiées par un certain rejaillissement de la glorification des puissances supérieures, et que la gloire du corps provienne de la gloire de l’âme, cependant, chez le Christ, il n’en était pas ainsi : en effet, sa gloire, qui était en lui par la jouissance de Dieu (secundum fruitionem Dei), n’empêchait pas la passibilité de son âme, selon qu’elle était partie de la nature humaine. De la même façon, la joie qui se trouvait dans la partie supérieure par la jouissance, ne rejaillissait pas sur les puissances inférieures. Aussi, lorsque survenait quelque chose de contraire à la délectation des parties inférieures, il en résultait de la tristesse, mais autrement chez lui et chez nous, car, chez nous, les puissances inférieures ne sont pas parfaitement soumises à la raison. C’est pourquoi des passions de tristesse se lèvent parfois en nous en dehors de l’ordre de la raison, que la vertu réfrènent chez les vertueux, mais qui l’emportent aussi chez les autres. Mais, chez le Christ, jamais ne se levait un mouvement de tristesse, si ce n’est selon l’ordre de la raison supérieure, alors que la raison ordonnait que la sensualité soit attristée selon ce qui convenait à sa nature. C’est pourquoi il n’y a pas eu chez lui de tristesse qui troublait la raison, elle n’était pas non plus nécessaire, mais [il y a eu une tristesse] qui était pour ainsi dire volontaire. |
[9384] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod per illam auctoritatem Isaiae excluditur a Christo tristitia rationem
impediens. |
1. Selon cette autorité d’Isaïe, une tristesse empêchant la raison est écartée du Christ. |
[9385] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2
qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod perturbari dicitur ex toto turbari; et
hoc est quando turbatio inferioris partis ad superiorem pervenit, ut ejus
ordo turbetur: et hoc non est in aliquo sapiente, nec in Christo fuit; et sic
concludunt rationes Senecae. |
2. Être troublé signifie être complètemenet bouleversé. Cela se produit lorsque le trouble de la partie inférieure atteint la partie supérieure, de sorte que son ordre est bouleversé. Cela n’existe pas chez le sage et n’a pas existé chez le Christ. C’est aussi en ce sens que vont les arguments de Sénèque. |
[9386] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod omnis tristitia, ut dicitur in 7 Ethic., inquantum in se est,
fugienda est, inquantum hujusmodi: potest tamen eligi tristitia inquantum ad
aliquod bonum ordinat, sicut tristitia poenitentis ad salutem; et ita etiam
Christus elegit tristitiam, inquantum utilis erat ad redemptionem humani
generis. |
3. Comme on le dit dans l’Éthique, VII, « toute tristesse, en tant que telle, doit en elle-même être fuie ». La tristesse peut cependant être choisie pour autant qu’elle ordonne à un bien, comme la tristesse du pénitent [ordonne] au salut. De cette manière aussi, le Christ a choisi la tristesse pour autant qu’elle était utile à la rédemption du genre humain. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[9387] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2
qc. 2 co. Ad secundam
quaestionem dicendum, quod ira tripliciter dicitur. Quandoque enim ira
ponitur pro habitu vel actu vitii, quod opponitur mansuetudini, quod
irascibilitas dicitur: quod contingit ex hoc quod virtus, ut in 2 Ethic.
dicitur, quandoque magis opponitur uni extremorum, sicut mansuetudo
superfluitati irae, magis quam diminutioni; et ideo oppositum vitium
nominatur ira: et sic ira non fuit in Christo. Alio modo dicitur ira voluntas
vindicandi aliquod malefactum; et sic ira non est passio, proprie loquendo,
nec est in irascibili, sed in voluntate: et sic ira est in Deo et beatis, et
in Christo fuit. Tertio modo dicitur ira proprie quaedam passio vis
irascibilis, quae contingit ex hoc quod vis irascibilis tendit ad destructionem
alicujus quod apprehenditur contrarium volito vel desiderato: et si quidem
sit ex ordine rationis insurgens, vel ordinata ratione, sic dicitur ira per
zelum, et sic fuit in Christo; si autem sit inordinata, sic erit ira per
vitium, quae in Christo nullo modo fuit. |
On parle de colère de trois manières. En effet, on parle de colère pour l’habitus ou l’acte du vice qui est opposé à la douceur, et qu’on appelle irascibilité. Cela vient de ce que la vertu, comme on le dit dans l’Éthique, II, s’oppose parfois davantage à l’un des extrêmes, comme la douceur [s’oppose] à un excès de colère, plutôt qu’à une diminution. C’est pourquoi le vice opposé s’appelle la colère. Il n’y avait pas une telle colère chez le Christ. D’une autre manière, on parle de colère pour la volonté de venger un tort. La colère n’est pas ainsi une passion au sens propre, et elle ne se situe pas dans l’irascible, mais dans la volonté. La colère existe sous cette forme en Dieu et chez les bienheureux, et elle existait chez le Christ. Troisièmement, on parle de colère au sens propre pour une passion de la puissance irascible, qui survient lorsque la puissance irascible vise la destruction de quelque chose qui est perçu comme contraire à ce qui est voulu ou désiré. Si elle surgit d’un ordre de la raison ou de la raison ordonnée, on parle alors d’une colère due à la ferveur : elle a existé sous cette forme chez le Christ. Mais si elle est désordonnée, ce sera une colère due à un vice, qui n’a aucunement existé chez le Christ. |
[9388] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod ratio illa procedit de ira secundum primum modum dicendi: sic
enim opponitur mansuetudini: secundum autem quod est passio, non opponitur,
sed est materia ejus circa quam, quia etiam mitis irascitur quando oportet. |
1. Ce raisonnement vient de la colère au premier sens. En effet, elle s’oppose ainsi à la douceur. Mais selon qu’elle est une passion, elle ne s’y oppose pas : elle est plutôt la matière sur laquelle [elle s’exerce], car même le doux se met en colère lorsqu’il le faut. |
[9389] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod sicut in Christo delectatio superioris partis non tollebat
tristitiam sensitivae partis; ita etiam et ira sensitivae partis non impediebat
in aliquo usum rationis: quia quando divinitas permittebat unicuique partium
humanitatis Christi agere quae sunt ei propria, ut dicit Damascenus, una pars
aliam non impediebat, sicut in nobis accidit quod una pars impedit aliam. |
2. De même que, chez le Christ, la délectation de la partie supérieure n’enlevait pas la tristesse de la partie sensible, de même aussi la colère de la partie sensible n’empêchait-elle pas l’usage de la raison, car « lorsque la divinité permettait à chaque partie de l’humanité du Christ de faire ce qui lui était propre, comme le dit [Jean] Damascène, une partie n’empêchait pas l’autre, comme il arrive chez nous qu’une partie en empêche une autre ». |
[9390] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod ira inordinata consistit in vindicta; sed ira ordinata vindictam
ad justitiam ordinat, ut scilicet vindictam non quaerat, sed justitiam; et
tantum puniat, quantum justitiae ordo permittit. |
3. La colère désordonnée consiste dans la vengeance. Mais la colère ordonnée ordonne la vengeance à la justice, de sorte qu’elle ne cherche pas la vengeance, mais la justice, et elle punit autant que l’ordre de la justice le permet. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[9391] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod timor etiam multipliciter
dicitur. Uno modo
nominat habitum vel doni vel vitii quod opponitur fortitudini, et dicitur
timiditas: et sic habitus doni fuit in Christo, non autem habitus vitii. Alio
modo sumitur pro actu vel vitii vel doni; et sic similiter dicendum ut prius.
Alio modo dicitur quaedam passio in irascibili, quae consurgit ex hoc quod
appetitus sensitivus refugit aliquod nocivum apprehensum; et sic loquimur hic
de timore. Unde dicendum, quod hoc modo fuit timor in Christo per eumdem
modum sicut et de tristitia et ira dictum est, inquantum scilicet ex
dictamine rationis et deitatis adjunctae, appetitus sensibilis refugiebat ea
quae sunt sibi contraria. |
On parle aussi de crainte de multiples manières. D’une manière, elle désigne l’habitus d’un don ou d’un vice qui s’oppose à la force : on l’appelle alors timidité. Ainsi n’existait pas chez le Christ l’habitus d’un don, pas plus que l’habitus d’un vice. D’une autre manière, elle est prise pour l’acte d’un vice ou d’un don : il faut ainsi parler comme pour le premier cas. D’une autre manière, elle désigne une passion de l’irascible, qui provient de ce que l’appétit sensible fuit une nuisance appréhendée : c’est ainsi que nous parlons de crainte. Il faut donc dire que la crainte existait de cette manière chez le Christ de la même manière qu’on l’a dit pour la tristesse et pour la colère, selon que l’appétit sensible fuyait ce qui lui était contraire sur un ordre de la raison et de la divinité qui était unie. |
[9392] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod ratio illa procedit de timore secundum quod est vitium, quia
passio timoris est materia circa quam est fortitudo. |
1. Ce raisonnement provient de la crainte en tant qu’elle est un vice, car la passion de crainte est la matière sur laquelle s’exerce la force. |
[9393] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod omnis timor ex aliqua imperfectione est: quia ex imperfectione
est quod aliquid ab aliquo laedi possit. Christus autem quamvis fuerit
secundum animam perfectissimus, tamen laedi poterat ex parte corporis; et
ideo ex parte ista patiebatur imperfectionem, et timere poterat. |
2. Toute crainte provient d’une certaine imperfection, car le fait qu’une chose puisse faire tort à une autre vient d’une imperfection. Or, le Christ, bien qu’il ait été parfait au plus haut point en son âme, pouvait subir un tort en son corps. De ce point de vue, celui-ci souffrait d’une imperfection et pouvait craindre. |
[9394] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
in homine appetitus sensibilis movetur ex imaginationis sive aestimationis
apprehensione immediate; sed mediate etiam ex apprehensione rationis,
inquantum ejus conceptio in imaginatione imprimitur; et ideo quando ratio in
Christo praevidebat laesionem corporis, fiebat species laesivi in
imaginatione, et appetitus sensibilis ad timorem movebatur. |
3. Chez l’homme, l’appétit sensible est mû de manière immédiate par une perception de l’imagination ou de l’estimative, mais, de manière médiate, aussi par une perception de la raison, pour autant que sa conception s’imprime dans l’imagination. C’est pourquoi lorsque la raison chez le Christ prévoyait une blessure corporelle, une image de ce qui blessait apparaissait dans l’imagination et l’appétit sensible était mû à la crainte. |
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Articulus 3 [9395] Super Sent., lib. 3 d.
15 q. 2 a. 3 tit. Utrum in Christo fuerit verus dolor in sensu |
Article 3 – Une véritable douleur sensible existait-elle chez le Christ ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Une véritable douleur sensible existait-elle chez le Christ ?] |
[9396] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod in Christo non fuerit verus dolor in sensu. Quantumcumque enim est vis resistens
laesivo, tantum dolor diminuitur ex laesione proveniens. Sed in Christo fuit
infinita vis ad resistendum laesivo, scilicet virtus divinitatis. Ergo in eo
dolor esse non poterat. |
1. Il semble qu’il n’y ait pas eu de véritable douleur sensible chez le Christ. En effet, plus une puissance résiste à ce qui blesse, plus la douleur provenant de ce qui blesse est diminuée. Or, chez le Christ, existait une capacité infinie de résister à ce qui blessait, à savoir la puissance de la divinité. Il ne pouvait donc pas y avoir de douleur chez lui. |
[9397] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 1 arg. 2 Praeterea,
dolor non est de re voluntaria. Sed Christus voluntarie passionem sustinuit. Ergo in eo dolor
passionis non fuit. |
2. La douleur ne porte pas sur une chose volontaire. Or, le Christ a supporté volontairement la passion. La douleur de la passion n’existait donc pas chez lui. |
[9398] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
Christus magis perfecte videbat Deum quam Paulus. Sed Paulus in raptu propter
visionem Dei non sentiebat ea quae in corpore gerebantur. Ergo nec Christus dolorem
habebat ex corporis laesione. |
3. Le Christ voyait Dieu plus parfaitement que Paul. Or, Paul, durant son rapt, ne ressentait pas ce qui se passait dans son corps en raison de la vision de Dieu. Le Christ non plus n’avait donc pas de douleur provenant d’une blessure du corps. |
[9399] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Isa. 53,
4: vere dolores nostros ipse tulit. |
Cependant,
[1] Is 53, 4 dit : Il a vraiment supporté nos douleurs. |
[9400] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, ad
veritatem doloris non requiritur nisi laesio et sensus. Sed corpus Christi
laesum fuit, et sensum laesionis habuit. Ergo fuit in eo verus dolor. |
[2] Pour la vérité de la douleur, ne sont requises qu’une blessure et le sens. Or, le corps du Christ a été blessé et il a eu la sensation de la blessure. Une véritable douleur existait donc chez lui. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La douleur est-elle parvenue jusqu’à la raison supérieure ?] |
[9401] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod
dolor usque ad superiorem rationem non pervenerit. Judicare enim de dolore
non est pati dolorem. Sed in sanctis est tantum judicium de doloribus secundum
rationem, ut patet per Dionysium in epistola ad Joannem Evangelistam. Cum
ergo Christus in sanctitate perfectus fuerit, ipse secundum superiorem partem
rationis dolorem non habuit. |
1. Il semble que la douleur ne soit pas parvenue jusqu’à la raison supérieure. En effet, juger de la douleur n’est pas supporter la douleur. Or, chez les saints, il existe un jugement aussi élevé des douleurs selon la raison, comme cela ressort de Denys, dans sa lettre à Jean l’évangéliste. Puisque le Christ était d’une sainteté parfaite, il n’a donc pas connu la douleur selon la partie supérieure de la raison. |
[9402] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
secundum philosophum, intellectus nullius partis corporis est actus. Sed
dolor passionis non est in anima nisi ex conjunctione ad corpus. Ergo in
parte intellectiva non fuit dolor passionis. |
2. Selon le Philosophe, l’intellect n’est l’acte d’aucune partie du corps. Or, la douleur de la passion n’existe dans l’âme qu’en raison de son union au corps. La douleur de la passion n’a donc pas existé dans la partie intellective. |
[9403] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 2 arg. 3 Praeterea,
secundum philosophum, delectationi quae est secundum intellectum, non est
aliquid contrarium. Sed dolor est contrarius delectationi. Ergo non est in
parte intellectiva. |
3. Selon le Philosophe, rien n’est contraire à la délectation intellectuelle. Or, la douleur est contraire à la délectation. Elle n’existe donc pas dans la partie intellective. |
[9404] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 2 arg. 4 Praeterea, tunc
anima perturbatur, quando usque ad rationem pervenit passio. Sed in Christo
nulla fuit perturbatio. Ergo dolor non
pervenit usque ad rationem. |
4. L’âme est troublée lorsque la passion parvient jusqu’à la raison. Or, chez le Christ, n’existait aucun trouble. La douleur ne parvenait donc pas jusqu’à la raison. |
[9405] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 2 arg. 5 Praeterea,
impossibile est eidem secundum idem contraria inesse. Sed dolor est delectationi
contrarius. Ergo
impossibile est quod secundum superiorem partem, qua gaudebat de Dei visione,
doleret. |
5. Il est impossible que des contraires existent chez le même selon la même chose. Or, la douleur est contraire à la délectation. Il est donc impossible qu’il ait souffert selon la partie supérieure par laquelle il se réjouissait de la vision de Dieu. |
[9406] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, major est
colligatio potentiarum animae ad invicem quam membrorum. Sed uno membro patiente
alia compatiuntur; 1 Corinth. 12. Ergo una potentia animae patiente, multo
fortius aliae compatiuntur. |
Cependant, [1] la liaison des puissances de l’âme l’une avec l’autre est plus grande que la liaison des membres. Or, si un membre souffre, les autres souffrent avec lui, 1 Co 12. Si une puissance de l’âme souffre, à plus forte raison les autres souffrent-elles. |
[9407] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, major est affinitas potentiarum
animae ad essentiam quam animae ad corpus. Sed anima secundum essentiam suam
compatitur patienti corpori. Ergo et omnes potentiae patiuntur simul cum
essentia. |
[2] L’affinité des puissances de l’âme avec son essence est plus grande que celle de l’âme avec le corps. Or, l’âme compatit selon son essence lorsque le corps souffre. Toutes les puissances souffrent donc en même temps que l’essence [de l’âme]. |
[9408] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 3 Praeterea, in Psalm. 87, 4: repleta est malis anima mea,
dicit Glossa exponens de Christo: idest doloribus. Ergo secundum omnes
partes animae dolor inerat. |
[3] À propos de Ps 87, 4 : Mon âme est remplie de maux, la Glose dit, en l’appliquant au Christ : « C’est-à-dire, de douleurs. » La douleur était donc présente dans toutes les parties de l’âme. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La douleur du Christ était-elle plus grande que toutes les douleurs ?] |
[9409] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod dolor Christi non fuerit major omnibus doloribus. Quia quanto
poena est acerbior et diuturnior, tanto poena ex dolore resultans est major.
Sed aliqui sancti diuturniorem et acerbiorem poenam perpessi sunt, sicut
patet de Laurentio et Vincentio. Ergo Christi dolor non fuit maximus. |
1. Il semble que la douleur du Christ n’était pas plus grande que toutes les douleurs, car, plus la peine est aiguë et durable, plus la peine qui résulte de la douleur est grande. Or, certains saints ont enduré une peine plus longue et plus aiguë, comme cela ressort pour Laurent et Vincent. La douleur du Christ n’a donc pas été la plus grande. |
[9410] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 3 arg. 2 Praeterea, in
aliis sanctis dolor mitigabatur ex contemplatione divina et amore, sicut de
Stephano cantatur: lapides torrentis illi dulces fuerunt. Sed in
Christo fuit maxima caritas, et perfecta Dei contemplatio. Ergo dolor ejus
maxime mitigabatur; et ita fuit minimus. |
2. Chez les autres saints, la douleur était diminuée par la contemplation et l’amour de Dieu, comme on chante à propos d’Étienne : « Les pierres du torrent lui étaient douces. » Or, chez le Christ, la charité était la plus grande, ainsi que la contemplation de Dieu. Sa douleur a donc été atténuée au plus haut point, et ainsi était-elle la moins grande. |
[9411] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 3 arg. 3 Praeterea, innocentia patientis minuit dolorem poenae; unde
pueri qui sunt in Limbo, non affliguntur de carentia visionis divinae, quia
eis redditur non pro culpa quam ipsi commiserunt. Sed Christus sine culpa passus est. Ergo
videtur quod dolor suus fuit mitissimus. |
3. L’innocence de celui qui souffre diminue la douleur de la peine; ainsi, les enfants qui sont dans les limbes ne sont pas affligés par le fait que la vision de Dieu leur fait défaut, car cela ne leur est pas rendu en fonction d’une faute qu’ils ont eux-mêmes commise. Or, le Christ a souffert sans avoir commis de faute. Il semble donc que sa douleur était la plus adoucie. |
[9412] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 3 arg. 4 Praeterea, quanto
major est recompensatio de bono amisso, tanto levius damnum amissionis
portatur. Sed Christus habebat recompensationem maximam de amissione
corporalis vitae per passionem, scilicet salutem humani generis. Ergo dolor
ille fuit minimus. |
4. Plus grande est la compensation pour un bien enlevé, plus est léger le tort de l’enlèvement. Or, le Christ avait la plus grande compensation de l’enlèvement de la vie corporelle par la passion : le salut du genre humain. Cette douleur fut donc la plus petite. |
[9413] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 3 arg. 5 Praeterea, quanto
est pretiosius quod amittitur, tanto est major dolor de amissione. Sed Deus, quem homo per peccatum amittit,
est dignior quam vita corporalis Christi. Ergo dolor qui est de amissione
Dei, est major quam dolor Christi de amissione vitae corporalis. |
5. Plus ce qui est enlevé est précieux, plus grande est la douleur de sa perte. Or, Dieu, que l’homme a perdu par le péché, est plus digne que la vie corporelle du Christ. La douleur de la perte de Dieu est donc plus grande que la douleur du Christ pour la perte de sa vie corporelle. |
[9414] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 3 arg. 6 Praeterea,
quanto aliquid est magis dispositum ad patiendum, tanto minus dolet de
passione. Sed Christi corpus magis fuit dispositum ad patiendum quam corpus
Adae. Ergo Adam magis doluisset, dato quod laesus fuisset. |
6. Plus une chose est disposée à souffrir, moins elle souffre de la passion. Or, le corps du Christ était davantage disposé à souffrir que le corps d’Adam. Adam aurait donc souffert davantage, s’il avait été blessé. |
[9415] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 3 arg. 7 Praeterea, quanto
natura est perceptibilior, tanto est major dolor. Sed natura animae perceptibilior
est quam natura cujuslibet corporis. Ergo dolor animae de passione Inferni, quam in seipsa patitur ab igne,
est major quam dolor Christi. |
7. Plus une nature est capable de perception, plus grande est la douleur. Or, la nature de l’âme est plus capable de perception que la nature de n’importe quel corps. La douleur de l’âme au sujet de la passion de l’enfer, qui vient du feu qu’elle souffre en elle-même, est donc plus grande que la douleur du Christ. |
[9416] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Thren. 1, 12: o vos omnes qui transitis per
viam, attendite et videte si est dolor sicut dolor meus; quasi diceret,
non. Ergo dolor suus fuit maximus omnium dolorum. |
Cependant, [1] Lm 1, 12 dit : Vous tous qui passez, arrêtez-vous et voyez s’il existe une douleur plus grande que la mienne! Comme s’il disait qu’il n’y en a pas. Sa douleur fut donc la plus grande de toutes les douleurs. |
[9417] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 3 s. c. 2 Praeterea,
Christus fuit optime complexionatus; quod patet ex hoc quia habuit
nobilissimam animam, cui respondet aequalitas complexionis in corpore. Sed quanto homo habet
meliorem complexionem in corpore, tanto magis sentit laesiones corporis, quia
habet meliorem tactum. Cum igitur dolor sit sensus laesionis, videtur quod in
Christo fuerit maximus dolor. |
[2] Le Christ avait une complexion admirable, ce qui ressort du fait qu’il a eu l’âme la plus noble, à laquelle correspond une égale complexion du corps. Or, meilleure est la complexion corporelle d’un homme, plus il ressent les blessures de son corps, car il possède un meilleur toucher. Puisque la douleur est la sensation d’un blessure, il semble donc que la plus grande douleur a existé chez le Christ. |
[9418] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 3 s. c. 3 Praeterea,
virtuosi hominis est suam vitam diligere; unde et peccatores seipsos odiunt
intantum quod seipsos interficiunt, ut probat philosophus in 9 Ethic. Sed Christus fuit virtuosissimus. Ergo
maxime suam vitam dilexit: ergo dolor de amissione vitae suae fuit maximus. |
[3] C’est le propre de l’homme vertueux d’aimer sa propre vie. Aussi les pécheurs se haïssent-ils, dans la mesure où ils se suicident, comme le montre le Philosophe dans Éthique, IX. Or, le Christ a été le plus vertueux. La douleur de perdre sa propre vie a donc été la plus grande. |
Quaestiuncula
1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[9419] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem,
quod sicut delectatio sensibilis causatur ex conjunctione convenientis
secundum sensum; ita dolor sensibilis causatur ex conjunctione ejus quod non
est conveniens sensui. Sed inter omnes alios sensus solus tactus est
discretivus eorum ex quibus consistit temperamentum corporis: unde quod est
conveniens secundum tactum, est conveniens ipsi temperamento corporis; et
propter hoc completa delectatio sensibilis est in sola perceptione tactus; et
similiter illud quod est inconveniens tactui, est contrarium temperamento
corporis: et ideo dicit philosophus in 3 de anima, quod corrumpentia tactum
corrumpunt animal, non autem corrumpentia auditum, nisi simul contingat ex
accidenti et tactum corrumpi; et ideo in solo tactu est dolor, qui accidit ex
laesione temperamenti ipsius corporis. Unde cum in corpore Christi fuerit
vera laesio, quia fuit divisio continui per clavos, et fuerit ibi verus
tactus; de necessitate oportet dicere, quod fuerit ibi verus dolor. Qualiter
autem exponenda sint verba Hilarii, in fine dicetur. |
De même que la délectation sensible est causée par l’union avec ce qui convient selon le sens, de même la douleur sensible est-elle causée par l’union de ce qui ne convient pas avec le sens. Or, parmi tous les autres sens, seul le toucher discerne ce en quoi consiste la complexion du corps. Aussi ce qui convient selon le toucher convient-il à la complexion même du corps. Pour cette raison, la délectation sensible complète n’existe-t-elle que dans la perception du toucher; de même aussi, ce qui ne convient pas au toucher est-il contraire à la complexion du corps. C’est pourquoi le Philosophe dit, dans Sur l’âme, III, que « ce qui corrompt le toucher corrompt l’animal, mais non ce qui corrompt l’ouïe, à moins que le toucher aussi n’en soit par accident corrompu ». Aussi la douleur n’existe-t-elle que dans le toucher : elle provient d’une lésion de la complexion du corps lui-même. Puisque, chez le Christ, a existé une blessure véritable, car il y eu un déchirement du continu par des clous, et qu’il y avait là un véritable toucher, il faut donc nécessairement dire qu’il y avait une douleur véritable. Comment il faut interpréter les paroles d’Hilaire, on le dira à la fin. |
[9420] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quamvis in corpore Christi esset vis deitatis, infinitam ad resistendum
potestatem habens; non tamen resistebat, sed dimittebat carnem pati quidquid
proprium, ut dicit Damascenus: et ideo fuit ibi laesio, et per consequens
dolor. |
1. Bien qu’ait existé dans le corps du Christ la puissance de la divinité, infinie dans sa résistance à ce qui possède un pouvoir, elle ne résistait cependant pas, mais laissait la chair supporter tout ce qui lui est propre, comme le dit [Jean] Damascène. C’est pourquoi il y a eu là blessure et, par conséuent, douleur. |
[9421] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod voluntas rationis non excludit dolorem sensus; sicut aliquis
vult secundum rationem comburi, ut sanetur, sed tamen in combustione dolorem
sensibilem experitur; ita et fuit in Christo. |
2. La volonté de la raison n’exclut pas la douleur du sens. Ainsi, on veut selon la raison être brûlé pour être guéri; cependant, on éprouve de la douleur sensible du fait de la combustion. De même en était-il chez le Christ. |
[9422] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod non potest esse tanta vis contemplationis quod dolorem
sensibilem ex laesione corporis tollat, si corpus laedatur, nisi per eam
abstrahantur vires inferiores omnino a suis actibus, per modum quo una
potentia intense operans abstrahit aliam a suo actu: et hoc modo accidit in
raptu Pauli. Sed in Christo una vis non tollebat aliam a suo actu, nisi
secundum quod ratio et deitas conjuncta ordinabat: et ideo perfectio
contemplationis dolorem sensibilem non tollebat. |
3. Il ne peut exister une telle puissance de la contemplation qu’elle enlève la douleur sensible qui vient d’une blessure du corps, si le corps est blessé, à moins que, par elle, les puissances inférieures ne soient entièrement détournées de leurs actes, à la manière dont une puissance qui agit intensément en détourne une autre à son acte. C’est ce qui est arrivé dans le rapt de Paul. Mais, chez le Christ, une puissance n’en écartait pas une autre de son acte, si ce n’est selon que la raison et la divinité qui était unie l’ordonnaient. C’est pourquoi la perfection de la contemplation n’écartait pas la douleur sensible. |
Quaestiuncula
2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[9423] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in
dolore et tristitia duo inveniuntur; scilicet contrarietas contristantis et
dolorem inferentis ad contristatum et dolentem et perceptio ejus: et quantum
ad haec duo tripliciter differunt. Primo quantum ad contrarietatem: quae quidem in dolore attenditur
quantum ad ipsam naturam dolentis, quae per laesivum corrumpitur; sed in
tristitia quantum ad repugnantiam appetitus ad aliquid quod quis odit.
Secundo quantum ad perceptionem: quae quidem in dolore semper est secundum
sensum tactus, ut dictum est, in tristitia autem secundum apprehensivam
interiorem. Tertio quantum ad ordinem istorum duorum: quia dolor incipit in
laesione, et terminatur in perceptione sensus, ibi enim completur ratio
doloris; sed ratio tristitiae incipit in apprehensione, et terminatur in
affectione; unde dolor est in sensu sicut in subjecto, sed tristitia in
appetitu. Ex quo patet
quod tristitia est passio animalis, sed dolor est magis passio corporalis.
Quandoque tamen tristitia, large loquendo, dolor dicitur; unde Augustinus
distinguit dolorem animae secundum se, qui proprie dicitur tristitia, et
dolorem animae per corpus, qui proprie dicitur dolor. Loquendo igitur de
dolore proprie dicto, sic quantum ad laesionem, quae est materiale in ipso,
se extendit in Christo ad omnes potentias animae, secundum quod in essentia
animae radicantur, ad quam etiam laesio corporis pervenit, secundum quod est
ejus forma; sed quantum ad perceptionem laesionis, quae est formale in
dolore, sic consistit in solo tactu, cujus est solus percipere laesivum
inquantum laedit, scilicet inquantum corporaliter conjungitur. Loquendo autem
de dolore secundum quod large etiam tristitia dolor dicitur, sicut ex dictis
patet, tristitia non potest esse in ratione sicut in subjecto, sed solum
sicut in ostendente id quod est voluntati repugnans; nisi ratio accipiatur
prout comprehendit vim apprehensivam et affectivam, in qua est tristitia
sicut in subjecto, quamvis non tristitia quae est passio, quae solum est in
sensitiva parte, ut prius dictum est. Nulla autem virtus apprehensiva ostendit
nisi suum objectum. Objectum autem superioris rationis sunt bona aeterna, ex
quibus nihil erat contrarium voluntati Christi; unde in ratione superiori,
secundum quod ad objectum suum comparatur, non poterat esse tristitia in
Christo; poterat autem esse quantum ad rationem inferiorem, cujus objectum
sunt res temporales; in quibus aliquid contrarium voluntati ejus aliquo modo
accidere poterat, ut infra, dist. 17, qu. 1, art. 2, quaestiuncul. 2,
patebit. Sic ipsa laesio erat contra aliquam voluntatem Christi, qua naturaliter
mortem refutabat, et similiter etiam mala humani generis ei displicebant;
unde in ratione inferiori poterat esse tristitia etiam secundum quod ad
objecta sua comparatur. Et quia unaquaeque potentia ad naturam pertinet
secundum quod in essentia animae radicatur, quae est essentialis pars naturae
totius, rationem autem potentiae habet secundum comparationem ad objecta;
ideo dicitur a quibusdam, quod passio doloris perveniebat usque ad rationem
superiorem, inquantum est natura, secundum quod laesio corporis ad essentiam
animae perveniebat; et ulterius ad omnes potentias, secundum quod in essentia
animae radicantur: non autem perveniebat ad eam inquantum est ratio: quia
secundum quod ad objectum suum comparatur, nullum detrimentum ex passione
corporis sentiebat, cum in contemplatione divinorum non impediretur. Et hoc
etiam quidam aliis verbis dicunt, scilicet quod patiebatur ut est natura
corporis, non autem ut est principium humanorum actuum; et sic etiam dicunt
quod inferior ratio compatiebatur et ut est natura, et ut est ratio. Quamvis
etiam aliter possit intelligi distinctio qua distinguitur ratio ut natura et
ut ratio: quia ratio ut natura dicitur secundum quod judicat de eo quod est
secundum se bonum vel malum, naturae conveniens vel noxium; ratio autem ut
ratio, secundum quod judicat de eo quod est bonum vel malum in ordine ad alterum.
Contingit enim quandoque aliquid in se consideratum, esse naturae noxium,
quod tamen in ordine ad finem aliquem eligendum est, sicut ustionem quae est propter
sanitatem. Et sic etiam mors Christi erat quidem in se mala, inquantum erat
nocumentum naturae; in ordine autem ad finem redemptionis humani generis,
erat optima: et sic etiam ratio inferior ut ratio non tristabatur de morte,
sed solum ut natura: et sic dicta distinctio erit de ratione secundum quod
comparatur ad objectum. |
On trouve deux choses dans la douleur et dans la tristesse : la contrariété de ce qui contriste et la douleur de ce afflige celui qui est contristé et souffre, et sa perception. Or, les deux diffèrent sur ces points de deux manières. Premièrement, quant à la contrariété. Dans la douleur, elle provient de la nature même de celui qui souffre, qui est corrompue par ce qui blesse; mais, dans la tristesse, elle se prend de la répugnance de l’appétit pour ce que quelqu’un déteste. Deuxièmement, du point de vue de la perception. Dans la douleur, elle provient toujours du sens du toucher, comme on l’a dit; mais, dans la tristesse, d’une perception intérieure. Troisièmement, du point de vue de l’ordre entre les deux. La douleur commence par la blessure et se termine dans la perception du sens : en effet, c’est là que s’achève la raison de douleur. Mais la raison de tristesse commence par une perception et se termine dans l’affectivité : aussi la douleur se trouve-t-elle dans le sens comme dans son sujet, mais la tristesse se trouve-t-elle dans l’appétit. Il ressort de cela que la tristesse est une passion de l’âme, mais que la douleur est plutôt une passion corporelle. Parfois, cependant, la tristesse, entendue au sens large, est appelée une douleur. De là vient que Augustin fait une distinction entre la douleur de l’âme en soi, qu’on appelle tristesse au sens propre, et la douleur de l’âme à travers le corps, qu’on appelle douleur au sens propre. Si donc on parle de douleur au sens propre, du point vue de de la blessure, qui a en elle le caractère de matière, elle s’étend chez le Christ à toutes les puissances de l’âme, selon qu’elles sont enracinées dans l’essence de l’âme, à laquelle parvient aussi la blessure du corps, selon qu’elle en est la forme. Mais, du point de vue de la perception de la blessure, qui a le caractère de forme dans la douleur, elle se trouve alors dans le seul toucher, à qui seul il revient de percevoir ce qui blesse en tant que tel, à savoir, en tant que cela est uni corporellement. Mais si on parle de douleur au sens large où la tristesse est appelée une douleur, comme cela ressort de ce qui a été dit, la tristesse ne peut exister dans la raison comme dans son sujet, mais seulement comme dans ce montre ce qui répugne à la volonté, à moins qu’on ne conçoive la raison comme comprenant la puissance perceptive et la puissance affective, dans laquelle se trouve la tristesse comme dans son sujet, bien qu’il ne s’agisse pas de la tristesse qui est une passion, qui réside seulement dans la partie sensible, comme on l’a dit plus haut. Or, aucune puissance de perception ne montre autre chose que son objet. Or, l’objet de la raison supérieure, ce sont les biens éternels, dont aucun n’était contraire à la volonté du Christ. Aussi ne pouvait-il y avoir de tristesse chez le Christ dans la raison supérieure, selon qu’on la compare à son objet; mais il pouvait y en avoir pour ce qui était de la raison inférieure, dont les réalités temporelles sont l’objet, dans lesquelles quelque chose de contraire à sa volonté pouvait se produire de quelque manière, comme cela ressortira plus loin, d. 17, q. 1, a. 2, qa 2. La blessure elle-même allait donc à l’encontre de la volonté du Christ, qui refusait naturellement la mort, et de même, les maux du genre humain lui déplaisaient-ils. Aussi pouvait-il exister de la tristesse dans sa raison inférieure, même si on la compare à ses propres objets. Et parce que chaque puissance se rapporte à la nature selon qu’elle est enracinée dans l’essence de l’âme, qui est une partie essentielle de la nature du tout, elle a aussi raison de puissance selon qu’on la compare avec ses objets. C’est pourquoi certains disent que la passion de la douleur parvenait à la raison supérieure, en tant qu’elle est une nature, selon que la blessure du corps parvenait à l’essence de l’âme; elle parvenait en plus à toutes les puissances, selon qu’elle sont enracinées dans l’essence de l’âme. Mais elle ne parvenait pas jusqu’à elle selon qu’elle est raison, car, selon qu’on la compare à son objet, il ne ressentait aucun tort par la passion du corps, puisqu’il n’était pas empêché de contempler les réalités divines. C’est cela aussi que disent certains en d’autres mots : [son âme] souffrait pour ce qui est de la nature du corps, mais non en tant qu’elle est principe des actes humains. Et ainsi ils disent aussi que la raison inférieure compatissait en tant que nature et aussi en tant que raison. Bien qu’on puisse comprendre autrement la distinction selon laquelle on fait une distinction entre la raison comme nature et comme raison, car on dit que la raison est nature selon qu’elle juge de ce qui bon ou mauvais en soi, qui convient à la nature ou lui est nuisible; mais on dit que la raison est raison selon qu’elle juge de ce qui bon ou mauvais par rapport à autre chose. Il arrive parfois en effet qu’une chose considérée en elle-même soit nuisible à la nature, alors qu’elle doit être choisie par rapport à une fin, comme la brûlure qui est ordonnée à la santé. De même, la mort du Christ, qui était mauvaise en soi, en tant qu’elle était une nuisance pour la nature, était ce qu’il y avait de meilleur par rapport à la fin de la rédemption du genre humain. Ainsi, la raison inférieure en tant que raison n’était pas attristée par la mort, mais seulement en tant que nature. La même distinction sera faite pour la raison selon qu’elle est comparée à son objet. |
[9424] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod intentio Dionysii fuit dicere, quod sancti nullo modo quantum
ad rationem moventur a rectitudine rationis, quod omnium virtuosorum est; et
etiam a tranquillitate mentis, quod perfectorum est; et ideo dicit eos
quantum ad rationem non pati, non quin experientia doloris aliquo modo usque
ad rationem perveniat; et hanc experientiam judicium de passionibus nominat. |
1. L’intention de Denys était de dire que les saints n’étaient d’aucune manière détournés de la rectitude de la raison, pour ce qui est de la raison, ce qui est le propre de tous ceux qui sont vertueux; ils n’étaient pas non [détournés] de la tranquillité d’esprit, qui est le propre des parfaits. Il dit donc qu’ils ne souffrent pas pour ce qui est de la raison, bien que ce ne soit pas sans que l’expérience de la douleur parvienne d’une certaine manière à la raison. C’est cette expérience qu’il appelle « jugement sur les passions ». |
[9425] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod intellectus dupliciter potest considerari. Vel ut est potentia
quaedam; et sic potentia determinatur ad actum: quia cum operatio intellectus
non exerceatur mediante aliquo organo corporali, dicitur, quod intellectus
non est actus alicujus partis corporis. Vel potest considerari inquantum haec
potentia radicatur in essentia animae; et sic, cum anima secundum suam
essentiam sit forma corporis; et intellectus et omnes aliae vires sunt actus
corporis, et per accidens ad passionem corporis patiuntur dupliciter, tum ex
ordine rationis ad essentiam, tum ex ordine intellectus ad alias potentias
quae operantur per organum corporale, ex quarum impedimento accidit
impedimentum in operatione intellectus, sicut in phreneticis patet. |
2. L’intellect peut être envisagé de deux manières. Soit en tant qu’il est une puissance. Ainsi, la puissance est déterminée à un acte, car, l’intellect n’étant pas exercé par l’intermédiaire d’une organe corporel, on dit que l’intellect n’est pas l’acte d’une partie du corps. Soit on peut l’envisager en tant que cette puissance est enracinée dans l’essence de l’âme. Ainsi, puisque l’âme est par son essence forme du corps, et que l’intellect et toutes les autres puissances sont des actes du corps, elles supportent aussi par accident une passion du corps, tant en raison de l’ordre de la raison par rapport à l’essence, qu’en raison de l’ordre de l’intellect par rapport aux autres puissances qui agissent par l’intermédiaire d’un organe corporel : par l’empêchement de celles-ci, un empêchement survient dans l’opération de l’intellect, comme cela est clair chez les fous. |
[9426] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod delectatio intellectus dicitur dupliciter. Uno modo ita quod
sit intellectus quantum ad subjectum et quantum ad objectum; et haec est illa
delectatio qua intellectus delectatur in hoc quod intelligi. Et quia utrumque contrariorum intelligitur
secundum quod est intelligibile et perfectio intellectus, nec aliquam
laesionem intellectui afferre potest, sicut in sensu accidit; ideo tali
delectationi non est tristitia contraria. Alio modo delectatio intellectus
dicitur quantum ad subjectum, sed non quantum ad objectum: quia non
delectatur per hoc quod intelligit, sed de aliquo delectabili apprehenso,
quando scilicet intellectiva pars delectatur de aliquo quod in ipsis rebus
accidit consonum voluntati; et sic haec delectatio non est de uno
contrariorum secundum quod est in anima, secundum quod non habet contrarium,
quia intentiones contrariorum in anima non sunt contrariae, cum sint simul;
sed secundum quod est in re, secundum quod habet contrarietatem; unde et tali
delectationi rationis potest esse tristitia contraria in parte intellectiva
existens, sicut est in Daemonibus, et animabus damnatorum. |
3. On parle de délectation de l’intellect de deux manières. D’une manière, il s’agit de l’intellect quant à son sujet et quant à son objet : c’est là la délectation par laquelle l’intellect se délecte dans le fait d’intelliger. Et parce que les deux contraires sont intelligés selon qu’ils sont intelligibles et une perfection de l’intellect, et qu’ils ne peuvent entraîner de blessure pour l’intellect, comme c’est le cas pour le sens, il n’y a donc pas de tristesse contraire à la délectation. D’une autre manière, on parle de délectation de l’intellect par rapport à son sujet, mais non par rapport à son objet, car il ne se délecte pas du fait qu’il intellige, mais de quelque chose de délectable qu’il a perçu, alors que la partie intellective se délecte d’une chose qui se trouve être en accord avec la volonté. Ainsi, cette délectation ne porte pas sur l’un des contraires selon qu’il existe dans l’âme et selon quoi il n’a pas de contraire, car les intentions des contraires dans l’âme ne sont pas contraires, puisqu’elles existent en même temps; mais selon qu’il existe en réalité, selon quoi il comporte une contrariété. Aussi peut-il exister dans la partie intellective une tristesse contraire à une telle délectation de la raison, comme c’est le cas chez les démons et dans les âmes des damnés. |
[9427] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum quod homo dicitur perturbari, quando pervenit passio usque ad
rationem, immutans ipsam a sui aequabilitate; non autem quando pervenit
experientia doloris vel passionis ad rationem. |
4. On dit qu’un homme est troublé lorsque la passion atteint la raison pour modifier en elle son égalité, mais non lorsque l’expérience de la douleur ou de la passion parvient jusqu’à la raison. |
[9428] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 2 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod fruitio deitatis, et gaudium consequens, erat in superiori
parte rationis in ordine ad suum objectum; dolor autem non perveniebat ad
superiorem rationem, ut dictum est, nisi secundum quod fundatur in essentia
animae; sed in ratione inferiori et in sensualitate et in sensu erat tristitia
et dolor, etiam secundum comparationem ad objecta, inquantum secundum has
potentias dolebat de poena corporis, et aliis hujusmodi: qui tamen dolor erat
quodammodo materia gaudii fruitionis, inquantum gaudium illud se extendebat
ad omnia illa quae apprehenduntur ut Deo placita. Et sic patet quod dolor qui
erat in anima Christi, nullo modo gaudium fruitionis impediebat, neque per
modum contrarietatis, neque per modum redundantiae. Tristitia enim contrarium
gaudium impedit, sicut quodlibet contrarium impeditur a suo contrario:
tristitia autem quae erat in anima Christi, nullo modo gaudio fruitionis
contraria erat: quod patet ex tribus. Primo, quia non inerat eidem secundum
idem, sed vel in diversis potentiis erat, vel in eadem secundum diversam operationem;
secundo, quia non erat de eodem; tertio, quia unum erat materia alterius,
sicut accidit in poenitente qui dolet, et de dolore gaudet. Sed ulterius omnis
tristitia, secundum philosophum in 7 Ethic., impedit omnem delectationem per
quamdam redundantiam, secundum quod nocumentum unius potentiae redundat in
aliam. Talis autem redundantia, ut dictum est, non fuit in Christo, nisi
quando ipse volebat; unde gaudium quod erat in superiori ratione per
comparationem ad objectum, non redundabat in vires inferiores, ut ab eis
dolor et tristitia tollerentur; neque ulterius in corpus, ut a laesione
immune esset, nec per consequens in animam nec in potentias secundum quod in
essentia animae radicantur, prout laesio corporis ad essentiam animae et ad
potentias in ea radicatas pertingit. |
5. La jouissance de la divinité et la joie qui en découle se trouvaient dans la partie supérieure de la raison en rapport avec son objet; mais la douleur ne parvenait pas jusqu’à la raison supérieure, comme on l’a dit, si ce n’est selon que celle-ci a son fondement dans l’essence de l’âme. Mais il y avait de la tristesse et de la douleur dans la raison inférieure, dans la sensualité et dans le sens, même par rapport à leurs objets, dans la mesure où il souffrait selon ces puissances de la peine du corps et des autres choses du genre. Cependant, cette douleur était matière à la joie de la jouissance (materia gaudii fruitionis), dans la mesure où cette joie s’étendait à tout ce qui était appréhendé comme agréable à Dieu. Il est ainsi clair que la douleur qui se trouvait dans l’âme du Christ n’empêchait aucunement la joie de la jouissance, ni par mode de contrariété, ni par mode de rejaillissement. En effet, la tristesse empêche la joie contraire, comme tout contraire empêche son contraire; mais la tristesse qui se trouvait dans l’âme du Christ n’était aucunement contraire à la joie de la jouissance, ce qui ressort de trois manières. Premièrement, parce qu’elle n’était pas en lui selon la même chose, mais se trouvait soit dans d’autres puissances, soit dans la même selon une opération différente. Deuxièmement, parce qu’elle ne portait pas sur la même chose. Troisièmement, parce qu’une chose était la matière de l’autre, comme chez le pénitent qui est affligé et se réjouit de sa douleur. De plus, selon le Philosophe, dans Éthique, VII, toute tristesse empêche toute délectation par un rejaillissement, selon que la nuisance à une puissance rejaillit sur une autre. Or, comme on l’a dit, un tel rejaillissement n’existait pas chez le Christ, si ce n’est lorsqu’il le voulait. Aussi la joie qui se trouvant dans la raison supérieure par rapport à son objet ne rejaillissait-elle pas sur les puissances inférieures pour en enlever la douleur et la tristesse, ni non plus sur le corps, pour qu’il soit exempt de blessure, ni par conséquent sur l’âme, ni sur ses puissances, selon qu’elles sont enracinées dans l’essence de l’âme, dans la mesure où la blessure du corps atteint l’essence de l’âme et les puissances enracinées en elle. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[9429] Super Sent., lib. 3 d.
15 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam
quaestionem dicendum, quod magnitudo doloris sensibilis Christi potest
considerari ex tribus. Primo ex ipsa natura passionis; et sic habuit magnam
acerbitatem: tum ex complexione patientis, quae erat temperatissima; unde
habebat optimum tactum, et per consequens erat in eo vehemens sensus
laesionis (bonitas enim tactus attestatur etiam bonitati complexionis et
bonitati mentis, ut dicitur in 2 de anima, text. 94): tum ex genere poenae,
quia in locis maxime sensibilibus fuit laesus, scilicet in manibus et
pedibus: tum etiam ex multitudine passionum, quia per totum corpus laesionem
sustinuit. Secundo ex puritate doloris: quia in aliis patientibus mitigatur
dolor sensibilis ex influxu superiorum virium in inferiores, propter
contemplationem quae abstrahit inferiores vires aliqualiter a suis actibus,
vel etiam propter complacentiam voluntatis ex amore ejus propter quod
patitur. In Christo autem non fuit talis habitudo potentiarum ad invicem, ut
dictum est; immo unicuique permittebatur agere quae propria sibi erant, ut
dicit Damascenus; et ideo dolor suus fuit absque omni admixtione alicujus
mitigantis. Tertio ex voluntate patientis: quia enim voluntarie patiebatur,
ut satisfaceret pro peccato totius humani generis, ideo dolorem excedentem
omnes alios dolores assumpsit. Similiter etiam dolor animalis, qui tristitia
dicitur, qui erat in appetitu sensitivo, vel in ratione ut natura, ex his
duobus ultimis habebat magnitudinem; et tertio ex turpitudine mortis, et ex
dilectione vitae corporalis quae optima erat; et ex magnitudine eorum qui eum
laedebant; et ex defectibus humani generis, quibus ex maxima caritate
compatiebatur. |
La grandeur de la douleur sensible du Christ peut être envisagée sous trois aspects. Premièrement, en raison de la nature même de la passion. Ainsi, elle avait un caractère aigu, en raison de la complexion de celui qui souffrait, qui était la plus équilibrée : son toucher était donc le meilleur et, par conséquent, il y avait en lui un sensation aiguë de la blessure (en effet, la bonté du toucher est aussi attestée par la bonté de la complexion et la bonté de l’esprit, comme on le dit dans Sur l’âme, II, texte 94); en raison aussi du genre de la peine, car il fut blessé aux endroits le plus sensibles, les mains et les pieds; en raison encore du grand nombre des blessures, car il a enduré des blessures sur tout le corps. Deuxièmement, en raison de la pureté de la douleur, car, chez les autres qui souffrent, la douleur sensible est atténuée par l’influence des puissances supérieures sur les puissances inférieures à cause de la contemplation qui arrache dans une certaine mesure les puissances inférieures à leurs actes ou même en raison de la volonté qui se complaît dans l’amour de ce pour quoi on souffre. Mais, chez le Christ, un tel rapport des puissances entre elles n’existait pas, comme on l’a dit; bien plus, « il était permis à chaque [puissance] de faire ce qui lui était propre », comme le dit [Jean] Damascène. C’est pourquoi la douleur [du Christ] n’était pas mélangée à quelque chose qui l’atténuait. Troisièmement, en raison de la volonté de celui qui souffrait : en effet, parce qu’il souffrait volontairement afin de satisfaire pour le péché de tout le genre humain, il a assumé une douleur qui dépassait toutes les autres douleurs. De même aussi, la douleur de l’âme, qu’on appelle tristesse, qui se trouvait dans l’appétit sensible ou dans la raison comme nature, tirait son ampleur des deux dernières choses. Et, en troisième lieu, en raison du caractère honteux de sa mort et de l’amour de la vie corporelle qui était très grand, de la grandeur de ceux qui le blessaient et des carences du genre humain, pour lequel il avait de la compassion en vertu de la plus grande charité. |
[9430] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod potest inveniri passio alicujus
sancti quae fuerit magis dolorosa quantum ad aliquid, vel quantum ad
diuturnitatem, vel aliquid hujusmodi; sed non simpliciter, omnibus pensatis. |
1. On peut trouver une souffrance d’un saint qui était plus douloureuse sous un aspect : par sa durée ou par quelque chose du genre; mais non pas tout simplement, tout bien pesé. |
[9431] Super Sent., lib. 3 d.
15 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in Christo non refundebatur gaudium
contemplationis in sensum, sicut in aliis accidit, ut dictum est. |
2. Chez le Christ, la joie de la contemplation ne rejaillissait pas sur le sens, comme cela se produit chez lez autres, ainsi qu’on l’a dit. |
[9432] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod innocentia
patientis minuit quidem dolorem secundum numerum, quia non dolet de tot,
sicut peccator, qui dolet de poena et de laesa conscientia; sed addit dolorem
quantum ad intensionem poenae, per se loquendo, et inquantum apprehendit eam
ut magis indebitam. Sed pueri non
affliguntur de carentia divinae visionis, quia non est carentia alicujus eis
proportionati, ut in 2 Lib., dist. 33, qu. 2, art. 2, dictum est, cum gratiam
non habeant, nec ex eis fuit quod non habuerunt. |
3. L’innocence de celui qui souffre diminue effectivement la douleur quant à la quantité, car il ne souffre pas pour autant de choses que le pécheur, qui est affligé de la peine et de sa conscience blessée; mais elle ajoute à la douleur par l’intensité de la souffrance, à parler de soi, et dans la mesure où il la perçoit davantage comme injuste. Mais les enfants ne sont pas affligés par le défaut de vision divine, car ce n’est pas une carence de quelque chose de proportionné [à la nature], comme on l’a dit dans le livre II, d. 33, q. 2, a. 2, puisqu’ils n’ont pas la grâce et que ce n’est pas leur faute s’ils ne l’ont pas eue. |
[9433] Super Sent., lib. 3 d.
15 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod recompensatio facit gaudium in ratione ut
ratio considerata, quae apprehendit hoc malum in ordine ad aliud bonum; et
inquantum gaudium ejus refunditur in alias vires, secundum hoc mitigatur
dolor aliarum virium. In Christo autem hoc non fuit; et ideo non sequitur. |
4. La récompense donne joie à la raison en tant qu’elle est envisagée comme la raison qui perçoit ce mal en rapport avec un autre bien; et, en tant que sa joie se déverse sur les autres puissances, la douleur des autres puissances est atténuée. Mais, chez le Christ, tel n’a pas été le cas. Le raisonnement n’est donc pas concluant. |
[9434] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 3 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod sicut gaudium comprehensoris superat omne gaudium viatoris;
ita dolor vel tristitia damnati superat omnem dolorem viatoris; unde cum
Christus non assumpserit nisi dolorem viatoris, dolor damnati, sive quem
habet quantum ad poenam damni, sive quem habet quantum ad poenam sensus, est
major quam fuerit dolor Christi: quia ille dolor facit damnatum miserum, quod
absit ut de Christo dicatur. Sed dolor quem habet aliquis viator de peccato, non est tantus,
quantus est dolor Christi: tum quia mitigatur ex spe veniae, tum quia non est
tanta perceptibilitas dolentis, quamvis sit majus bonum amissum. |
5. De même que la joie du comprehensor dépasse toute joie du viator, de même la douleur ou la tristesse du damné dépasse-t-elle toute douleur du viator. Puisque le Christ n’a assumé que la douleur du viator, la douleur du damné, que ce soit celle de la peine du dam ou que ce soit celle de la peine du sens, est plus grande que ne l’a été la douleur du Christ, car cette douleur rend le damné misérable, ce qu’on ne peut dire du Christ. Mais la douleur qu’un viator a de son péché n’est pas aussi grande que la douleur du Christ, tant parce qu’elle est mitigée par l’espérance du pardon, que parce que parce que celui qui souffre n’a pas une aussi grande capacité de la percevoir, bien qu’il s’agisse de la perte d’un plus grand bien. |
[9435] Super Sent., lib. 3 d.
15 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis in Christo fuerit major dispositio ad
patiendum quam in Adam fuisset, tamen in eo etiam fuit major sensus laesionis
quam in Adam fuisset, et ideo major dolor. |
6. Bien qu’ait existé chez le Christ une plus grande disposition à supporter que ce n’était le cas chez Adam, il y avait cependant chez lui une plus grande sensation de la blessure qu’il n’y en aurait eu chez Adam. C’est pourquoi sa douleur est plus grande. |
[9436] Super Sent., lib. 3 d.
15 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 7 Ad septimum dicendum sicut ad quintum. |
7. Il faut donner ici la même réponse qu’au cinquième argument. |
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Expositio
textus |
Explication du
texte de Pierre Lombard, Dist. 15
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[9437] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3
qc. 3 expos. Non sentit
corpus, sed anima. Contra.
Sentire est conjuncti, secundum philosophum. Ergo neque corporis neque
animae, sed omnis. Dicendum, quod eorum quae sunt conjuncti, quaedam insunt
toti ratione animae, ut sentire, et hujusmodi; et haec attribuuntur animae eo
modo loquendi quo dicitur calor calefacere, quia est principium calefaciendi:
quaedam autem insunt toti ratione corporis, ut dormire, et hujusmodi; et haec
attribuuntur corpori, et non animae. Quaedam autem non per corpus, immo
etiam sine corpore sentit. Contra. In 1 de anima dicitur: destructo
corpore, anima non reminiscitur neque amat; et est similis ratio de illis
quae hic inducuntur. Dicendum, quod amor, timor, et hujusmodi, omnia
aequivoce sumuntur: quandoque enim nominant passionem proprie dictam; et sic
sunt in parte sensitiva; et ideo non possunt esse sine corpore: quandoque
autem sumuntur pro actu voluntatis aliquid eligentis vel repudiantis; et sic
possunt esse sine corpore sicut et voluntas. Suscepit nostram vetustatem; contra. Simile non consumit
suum simile. Ergo vetustas vetustatem consumere non potuit. Dicendum, quod duplex
vetustas est; scilicet culpae, et poenae, quae ad veterem hominem pertinent.
Vetustas ergo poenae non opponitur novitati gratiae, immo materialiter se
habet ad ipsam, inquantum meritum consistit in poena decenter tolerata; et
ita vetustas poenae cum novitate gratiae, opponitur vetustati culpae, et
delet eam, et per consequens vetustatem poenae quae ex vetustate culpae
causatur consumet in statu gloriae; propter hoc simplex vetustas potuit delere
duplam, quod dupla vetustas non potuisset, quia non habuisset novitatem adjunctam.
Non enim assumpsit
ignorantiam. Contra.
Damascenus: naturam ignorantem et servilem accepit. Praeterea, Leo Papa in
Serm. 4 Epiphan.: adoraverunt infantem in nullo ab aliis pueris segregatum.
Ergo ignorantem sicut
alii. Dicendum ad primum, quod ipsemet Damascenus seipsum exponit: dicit enim
naturam assumptam ignorantem, si secundum intellectum separetur assumptum ab
assumente; idest, si consideretur illa natura assumpta quasi non fuisset
assumpta: et tunc ignorans fuisset, sicut est in aliis hominibus. Ad secundum dicendum,
quod intelligitur quantum ad corporalia, vel secundum apparentiam. Numquid
in eo essent defectus ? Scilicet culpae: alias auctoritas non probaret
intentionem Magistri. Quos enim defectus habuit, vel ad ostensionem verae
humanitatis (...) vel ad impletionem operis ad quod venerat (...) vel ab
immortalitatis desperatione erigendam spem nostram (...) suscepit. Et videtur quod prima causa non valeat:
quia vera humanitas potuit esse sine his defectibus, sicut fuit in primo
statu, et erit in ultimo. Item videtur quod nec secunda: quia opus redemptionis, ad quod
venerat, per mortem implevit. Ergo non oportebat quod famem, sitim, et alia
hujusmodi assumeret. Item videtur quod nec tertia: quia magis videtur
desperationem salutis inducere infirmitas ejus qui salvare venerat. Ad primum
ergo dicendum, quod veritas humanitatis necessarium erat quod ostenderetur:
quia exigebatur ad redemptionem quod esset Deus et homo: nec humanitas
secundum statum primum et ultimum erat nobis nota, sed secundum statum
secundum: et ideo oportuit quod assumeret defectus qui nobis insunt secundum
istum statum. Ad secundum dicendum, quod alii defectus quos assumpsit,
fundantur super eamdem causam, scilicet supra passibilitatem naturae: et ideo
simul cum defectibus quibus opus redemptionis completum est illi assumpti
fuerunt. Ad tertium dicendum, quod infirmitas carnis desperationem non
inducit, propter divinitatis virtutem adjunctam; sed magis spem erigit: quia
sicut in ipso, ita et in nobis infirmitas tolletur. Doles ergo, domine Jesu, non tua, sed mea
vulnera. Contra.
Etiam sua vulnera doluit; ut dictum est. Item quaeritur, si sua et nostra
vulnera doluit, quis fuerit major dolor. Dicendum ad primum, quod ratio ut
ratio, non dolebat de suis vulneribus propter bonum quod sequebatur: dolebat
autem sensualitas, et ratio considerata ut natura. Ad secundum dicendum, quod
non sunt unius rationis dolor corporalis passionis Christi, et dolor animalis,
qui tristitia dicitur, secundum quem nostris defectibus compatiebatur; et
ideo non sunt comparabiles. Si autem sumatur dolor passionis animalis, tunc
dicendum, quod fuit major dolor compassionis quam passionis: quia caritas qua
de nostris malis dolebat, praeponderat aequalitati complexionis suae, qua
dolebat de passione sua: et iterum pretiosior ei erat honor divinus, qui
laedebatur culpis nostris, quantum ex nobis erat, quam sua vita corporalis:
et etiam in hujus signum illum dolorem sustinuit, ut istum tolleret. Aut
contristatur quis per passionem. Videtur quod in Christo non fuit
propassio. Matth. 7, dicit Glossa, quod propassio est subitus motus cui non
consentitur. Hoc autem est veniale peccatum. Item tristitia semper videtur
esse passio, quia est in genere passionis. Item videtur quod nunquam sit
passio, ut dicit Damascenus, sed passionis sensus. Dicendum, quod passio
importat immutationem patientis. Non autem dicitur aliquis immutari
simpliciter, quando id quod est principale in ipso, permanet immutatum: et
ideo simpliciter loquendo, quando ratio non immutatur a sui aequalitate, vel
aequitate, non dicitur passio, sed propassio, quasi imperfecta passio: et hoc
modo fuit in Christo. Et ideo dicendum ad primum, quod proprie loquendo, est
immutatio inferioris partis tantum; et quando talis immutatio in nobis
accidit, non praeordinatur a ratione: ideo Glossa secundum statum potentiarum
in nobis loquens, dicit propassionem subitum motum. In Christo autem aliter
fuit, ut ex dictis patet. Nec tamen est verum quod omnis subitus motus
sensualitatis sit peccatum veniale; sed tunc tantum quando est tendens in
illicitum, quod in Christo nullatenus fuit. Ad secundum dicendum, quod
dicitur non esse passio, quia non est perfecta passio, quamvis sit de genere
passionis; sicut ea quae parva sunt, quasi pro nihilo reputantur; sicut dicit
Damascenus, quod proprie passio est, quando habet aliquam magnitudinem
perceptibilem. Ad tertium dicendum, quod Damascenus loquitur de passionibus
corporalibus, non animalibus. Unigenitus Deus hominem verum secundum
similitudinem nostri hominis non deficiens a se Deo assumpsit: in quo quamvis
aut ictus incideret, aut vulnus descenderet, aut nodi concurrerent, aut
suspensio elevaret, afferrent quidem haec impetum passionis, non tamen passionis
dolorem inferrent. Verba haec Hilarii videntur a Christo dolorem
passionis et timorem excludere: quae tripliciter solvuntur. Quidam enim
dicunt, Hilarium hoc retractasse: et hoc dicebat Willelmus episcopus
Parisiensis, quod viderat epistolam retractationis, et fuerat sibi scriptum a
quodam qui eam legerat. Et hoc videtur probabile ex his auctoritatibus quas
in littera Magister inducit: quarum una incipit, ibi: interroga quid sit:
alia est notula quae incipit ibi: cum haec passionum genera; quibus
expresse dicit, humanitatem Christi his infirmitatibus subjacuisse; quod
tamen littera negat, ut videtur. Alii dicunt, quod loquitur de Christo
quantum ad deitatem; quia disputat contra illos in his verbis qui Dei filium
creaturam dicebant. Sed huic non consonant verba auctoritatis, quae faciunt
mentionem de Christi carne. Solutio autem Magistri consistit in hoc quod simpliciter noluit
removere a Christo dolorem, sed tria quae sunt circa dolorem. Primo dominium
doloris; quod patet ex hoc quod dicit: quam igitur infirmitatem dominatam
hujus corporis credis, cujus tantam habuit natura virtutem ? Secundo meritum doloris,
quod patet ex hoc quod dicit: non tamen vitiosa infirmitatis nostrae forma
erat in corpore. Tertio necessitatem doloris; quod patet ex hoc quod dicit:
videamus an ille ordo passionis infirmitatem in domino doloris permittat
intelligi. Et secundum
hoc solvuntur tria difficilia quae in verbis ejus videntur esse. Primum est
quod dicit: poena in eo desaevit sine sensu poenae; et hoc nominat
supra naturam passionis, quae scilicet sensum poenae infert, qui est dolor:
quod non potest intelligi de sensu exteriori, quia sic poneretur corpus illud
insensibile esse; sed oportet quod intelligatur quantum ad sensum rationis,
qui non fuit immutatus per hujusmodi passiones a sua aequalitate: et propter
hoc dicitur, quod poena in ipso dominium non habuit; vel etiam quod ipsum
verbum non est affectum hujusmodi passionibus secundum secundam solutionem,
ut videtur dicere in notula affixa. Aliud difficile est quod dicit: non
habens naturam ad dolendum; et hoc dicitur, quia non erat in natura illa
ordo ad dolorem ex aliquo merito peccati, sicut est in nobis: et per hunc
modum dixit supra, quod dominici corporis ista est natura, ut feratur in
undis; hoc enim non est de natura corporis in se considerati, sed ex
virtute adjunctae divinitatis. Tertium difficile est quod dicit: neque
enim fieri potest ut timor ejus significetur in verbis cujus fiducia
contineatur in factis; ubi videtur ab ipso excludere timorem, et
tristitiam consequenter. Sed vel hoc solvendum est sicut in supra dicta auctoritate,
scilicet quod loquitur de timore prout est passio, et non prout est
propassio. Vel dicendum, quod excludit necessitatem timoris. Habebat enim in
ratione, unde timorem et tristitiam a sensualitate excluderet, si voluisset:
quia, ut supra dictum est, sensualitas nata est moveri ad tristitiam et
timorem, et ad opposita, non solum ex apprehensione imaginationis, sed etiam
ex apprehensione rationis. Pati potuit, et passibilis esse non potuit.
Contra. Philosophus in Lib. de Somn. et Vigil.: cujus est potentia, ejus
est actus. Ergo quod patitur, est passibile. Dicendum, quod pati
significat passionem per modum actus: unde ad suppositum refertur, secundum
quod suppositum est cujuscumque naturae: et quia passio inest sibi ratione
humanae naturae, ideo dicitur quod pati potuit. Passibile autem potentiam
significat ad patiendum ut informantem id de quo dicitur: et quia verbum
secundum se non informatur potentia patiendi, ideo dicitur, quod passibile
esse non potuit, scilicet secundum se, quamvis passibile fuerit ratione
naturae assumptae. |
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Distinctio 16 |
Distinction 16 –
[Les carences dans la nature humaine du Christ]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Le caractère nécessaire de la mort]
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Prooemium |
Prologue |
[9438] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de
defectibus quos Christus cum natura assumpsit, hic inquirit per quem modum
illi defectus fuerunt in Christo, utrum scilicet in Christo fuerit necessitas
patiendi vel moriendi; et dividitur in duas partes: primo determinat
quaestionem, ostendens quod Christus necessitatem moriendi assumpsit. Et quia
necessitas moriendi ad secundum statum pertinet, ideo gratia hujus, secundo
ostendit quod Christus de singulis statibus aliquid accepit, ibi: et est
hic notandum. Circa primum tria facit: primo ponit dubitationem; secundo
solvit, ibi: ad quod dici potest; tertio solutionem confirmat, ibi: unde
super epistolam ad Hebraeos auctoritas dicit et cetera. Hic oritur duplex
quaestio: primo de necessitate moriendi, quam Christus ex secundo statu
assumpsit. Secundo de his quae Christus habuit de ultimo statu. De immunitate
enim peccati, et de plenitudine gratiae, quae ad alios status pertinet, supra
dictum est. Circa primum
quaeruntur tria: 1 utrum necessitas moriendi sit tantum ex peccato, vel etiam
ex natura; 2 utrum in Christo fuerit necessitas moriendi; 3 utrum illa necessitas
fuerit sub voluntate humana. |
Après avoir déterminé des carences que le Christ a assumées avec la nature [humaine], le Maître s’interroge ici sur la manière dont ces carences existaient chez le Christ, à savoir, sur le caractère nécessaire de sa souffrance ou de sa mort. Il y a deux parties. Premièrement, il détermine de la question en montrant que le Christ a assumé le caractère nécessaire de la mort. Et parce que le caractère nécessaire de la mort appartient au second état, celui de la grâce, il montre en second lieu que le Christ a assumé quelque chose de tous les états, à cet endroit : « Et il faut remarquer ici… » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il soulève un doute. Deuxièmement, il le résout, à cet endroit : « Sur cela, on peut dire… » Troisièmement, il confirme la solution, à cet endroit : « Aussi, à propos de l’épître au Hébreux, l’autorité dit, etc… » Deux questions sont soulevées ici. Premièrement, à propos du caractère nécessaire de la mort, que le Christ a assumée en son second état. Deuxièmement, à propos de ce que le Christ a possédé de l’état ultime. En effet, on a parlé plus haut de l’exemption du péché et de la plénitude de la grâce, qui se rapportent aux autres états. À propos du premier point, il pose trois questions : 1 – La nécessité de mourir vient-elle seulement du péché ou aussi de la nature ? 2 – Était-il nécessaire que le Christ meure ? 3 – Cette nécessaité dépendait-elle de sa volonté humaine ? |
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Articulus 1 [9439] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 1 a. 1 tit. Utrum necessitas moriendi tantum sit homini ex peccato |
Article 1 – La nécessité de mourir pour l’homme vient-elle seulement du péché ? |
[9440] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod necessitas moriendi sit tantum
homini ex peccato. Rom. 8, 10: corpus quidem mortuum est propter peccatum,
id est necessitati mortis addictum. Ergo. |
1. Il semble que la nécessité de mourir pour l’homme vienne seulement du péché. Rm 8, 10 : Le corps est mort déjà en raison du péché, c’est-à-dire qu’il est soumis à la nécessité de mourir. Donc… |
[9441] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, in humana natura est mors consecuta culpam; Rom. 5, 12: per peccatum mors.
Sed necessitas peccati inducta est homini per peccatum tantum. Ergo et
necessitas moriendi. |
2. Pour la nature humaine, la mort a découlé de la faute. Rm 5, 12 : La mort [est venue] du péché. Or, la nécessité du péché a été introduite dans l’homme par le péché seulement. Donc aussi, la nécessité de la mort. |
[9442] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1
arg. 3 Praeterea,
materia debet esse secundum naturam proportionata formae. Sed forma corporis
humani, anima scilicet rationalis, est incorruptibilis. Ergo et ipsum corpus humanum: ergo
necessitas moriendi non est ex natura, sed ex peccato. |
3. La matière doit être par nature proportionnée à la forme. Or, la forme du corps humain, l’âme raisonnable, est incorruptible. Donc aussi, le corps humain. La nécessité de mourir ne vient donc pas de la nature, mais du péché. |
[9443] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, corpus humanum maxime ad aequalitatem commixtionis pervenit,
sicut philosophi tradunt. Sed ubi est aequalitas commixtionis, unum
contrarium, cum non praedominetur alteri, non potest agere ad corruptionem
mixti. Ergo corpus hominis per naturam est incorruptibile; et sic idem quod
prius. |
4. Le corps humain est parvenu au plus haut point à l’égalité du mélange, comme l’enseignent les philosophes. Or, là où existe l’égalité du mélange, un contraire ne peut agir dans le sens de la corruption de ce qui est mélangé, puisqu’il ne l’emporte pas sur un autre. Le corps de l’homme est donc incorruptible par nature. La conclusion est donc la même que précédemment. |
[9444] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1
arg. 5 Praeterea,
poena non est inducta nisi propter peccatum. Sed mors et necessitas moriendi
quaedam poena est: quia omne terribile poenale est, finis autem terribilium
mors, ut dicitur in 3 Ethic. Ergo sunt tantum ex peccato. |
5. La peine n’est donnée qu’en raison du péché. Or, la mort et la nécessité de mourir sont une peine, car tout ce qui provoque la terreur a le caractère de peine. Or, le terme de ce qui provoque la terreur est la mort, comme on le dit dans Éthique, III. [La mort et la nécessité de mourir] viennent donc seulement du péché. |
[9445] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1
s. c. 1 Sed contra, omne
compositum ex contrariis est secundum naturam necessitatem habens ad
corruptionem. Sed corpus
humanum est hujusmodi. Ergo ex natura habet necessitatem moriendi. |
Cependant, [1] tout composé de contraires est nécessairement destiné par nature à la corruption. Or, le corps humain est de cette sorte. Il doit donc nécessairement mourir par nature. |
[9446] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1
s. c. 2 Praeterea, sicut
probatur in 1 Cael. et Mun., generabile naturaliter est corruptibile, et
corruptionis necessitatem habens. Sed corpus humanum est generatum per naturam. Ergo naturaliter est
necessitatem corruptionis habens. |
[2] Comme on le démontre dans Sur le ciel et le monde, I, ce qui est sujet à la génération est sujet à la corruption et comporte la nécessité de la corruption. Or, le corps humain est engendré par nature. Il doit donc par nature nécessairement se corrompre. |
[9447] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, elementa quae sunt in corpore humano, sunt ejusdem speciei cum aliis elementorum
partibus. Sed elementa in commixtionem aliorum corporum venientia, sunt de
necessitate corruptibilia secundum naturam. Ergo et elementa quae sunt in
corpore humano. Sed corruptis componentibus corrumpitur compositum. Ergo
corpus hominis secundum naturam habet necessitatem moriendi. |
[3] Les éléments qui se trouvent dans le corps humain sont de la même espèce que les autres parties des éléments. Or, les éléments qui entrent dans la composition des autres corps sont naturellement corruptibles. Donc aussi, les éléments qui se trouvent dans le corps humain. Or, lorsque les composantes se corrompent, le composé se corrompt. Le corps de l’homme doit donc nécessairement mourir par nature. |
[9448] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod necessitas moriendi partim homini est ex natura, partim ex
peccato. Ex natura quidem, quia corpus hominis compositum est ex contrariis,
quae nata sunt agere et pati ad invicem, ex quo accidit dissolutio compositi.
Sed tamen in statu innocentiae donum quoddam a Deo gratis datum animae
inerat, ut ipsa praeter modum aliarum formarum, secundum modum suum vitam
indeficientem corpori largiretur, sicut ipsa incorruptibilis est, et non
secundum modum corporis corruptibilem, quamdiu ipsa manebat Deo subdita, et
corpus ei omnino subdebatur, nec aliqua dispositio in corpore accidere
poterat quae vivificationem animae impediret. Sed propter peccatum istud
donum ablatum est; et ideo relicta est humana natura, ut dicit Dionysius in
Eccl. Hier., in statu qui debetur ei ex natura suorum principiorum, secundum
quod dictum est ei, Gen. 3, 19: terra es, et in terram ibis. Et ideo
post peccatum, necessitas moriendi inest homini ex peccato, sicut ex
removente prohibens, quod erat gratia innocentiae; ex natura autem materiae,
sicut ex eo quod per se necessitatem mortis inducit. |
Réponse. La nécessité de mourir vient à l’homme en partie de la nature et en partie du péché. De la nature, parce que le corps de l’homme est composé de contraires, qui sont destinés à agir et à subir réciproquement, ce dont provient la dissolution du composé. Cependant, dans l’état d’innocence, existait dans l’âme un don gratuit donné par Dieu, faisant en sorte que, par-delà le mode des autres formes, il apporterait au corps une vie durable selon son mode, puisque [l’âme] est elle-même incorruptible, et non selon le mode corruptible du corps, et cela, aussi longtemps qu’elle demeurerait soumise à Dieu et que le corps lui serait entièrement soumis, et que ne pourrait survenir dans le corps une disposition qui empêcherait qu’il ne soit vivifié par l’âme. Or, à cause de ce péché, ce don a été enlevé. Comme le dit Denys dans La hiérarchie ecclésiastique, la nature humaine a donc été laissée dans l’état qui lui était dû selon la nature de ses principes, selon qu’il lui a été dit, Gn 3, 19 : Tu es terre, et tu retourneras à la terre. C’est pourquoi, après le péché, la nécessité de mourir existe pour l’homme en raison du péché, comme si un empêchement était enlevé, qui était la grâce de l’innocence; et en raison de la nature de la matière, comme ce qui de soi entraîne nécessairement la mort. |
[9449] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc dicitur, inquantum per peccatum
prohibens mortem remotum est. |
1. On dit cela pour autant que, par le péché, ce qui empêchait la mort a été enlevé. |
[9450] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod peccatum non inest homini ex aliquo principiorum naturalium,
immo est contra naturam rationis; unde non est simile de peccato et morte,
quae ex principio materiali consequitur. |
2. Le péché n’est pas dans l’homme en raison d’un de ses principes naturels, bien plus, il est contraire à la nature de la raison. Il n’en va donc pas de même pour le péché et pour la mort, qui découle d’un principe matériel. |
[9451] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod materia debet esse proportionata formae, non ut habeat
conditiones formae, sed ut sit disposita ad recipiendum formam secundum modum
suum: unde non oportet si anima hominis est immortalis, quod etiam corpus
secundum naturam sit immortale. |
3. La matière doit être proportionnée à la forme, non pas pour qu’elle ait les conditions de la forme, mais pour qu’elle soit disposée à recevoir la forme selon son mode. Si l’âme de l’homme est immortelle, il n’est donc pas nécessaire que le corps lui aussi soit immortel selon sa nature. |
[9452] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod impossibile est quod complexio perveniat ad tantam
aequalitatem, quin alterum contrariorum praedominetur: quia alias non fieret
mixtio, nisi unum in alterum ageret dominans ad medium reducendo, altero
resistente; et praecipue hoc oportet in corpore humano quod calor dominetur
propter operationes animae, quae indigent calore sicut instrumento, ut
dicitur in 2 de anima. |
4. Il est impossible qu’un mélange parvienne à une telle égalité que l’un des contraires ne prédomine pas, car, autrement, il ne se ferait pas de mélange si un élément dominant n’agissait pas sur un autre pour le ramener au milieu, alors que l’autre résiste. Il est surtout nécessaire pour le corps humain que la chaleur l’emporte en raison des opérations de l’âme, qui ont besoin de la chaleur comme d’un instrument, comme on le dit dans Sur l’âme, II. |
[9453] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod mors, vel necessitas moriendi, dicitur esse poena per comparationem
ad statum innocentiae, in quo inerat ei posse non mori. Si tamen in principio
conditionis naturae humanae, dictum donum gratiae humanae naturae non fuisset
collatum, necessitas quidem moriendi fuisset, sed tamquam naturalis defectus,
non poena, ut supra probavit Magister ex verbis Augustini in praecedenti
distinctione. Et ideo, quia
philosophi illud donum non cognoverunt, dixit Seneca, quod mors est hominis
natura, non poena. |
5. On dit que la mort ou la nécessité de mourir est une peine par comparaison avec l’état d’innocence, où existait pour lui la possibilité de ne pas mourir. Cependant, si, au début de la condition de la nature humaine, le don de la grâce en question n’avait pas été fait à la nature humaine, la nécessité de mourir aurait existé, mais comme une carence naturelle, et non comme une peine, comme l’a montré plus haut le Maître par les paroles d’Augustin, dans la distinction précédente. Parce que les philosophes n’ont pas connu ce don, c’est pourquoi Sénèque a dit que la mort est la nature de l’homme, et non une peine. |
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Articulus 2 [9454] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 1 a. 2 tit. Utrum in Christo fuit necessitas moriendi |
Article 2 – Était-il nécessaire que le Christ meure ? |
[9455] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod in Christo non fuerit
necessitas moriendi. Necessitas enim coactionem importat. Sed quod est in
potestate alicujus constitutum non est coactum. Cum igitur Christus de seipso
dicat, Joan. 10, 18: potestatem habeo ponendi animam meam; non fuit in
eo, ut videtur, necessitas moriendi. |
1. Il semble qu’il n’ait pas été nécessaire de mourir pour le Christ. En effet, la nécessité comporte une coercition. Or, ce qui est au pouvoir de quelqu’un n’est pas forcé. Puisque le Christ dit de lui-même, Jn 10, 18 : J’ai le pouvoir de déposer mon âme, il semble donc qu’il n’existait pas en lui de nécessité de mourir. |
[9456] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea,
Christus mortuus est quia voluit, ut dicitur Isai. 43. Sed non fuit in eo
necessitas volendi. Ergo nec necessitas moriendi. |
2. Le Christ est mort parce qu’il l’a voulu, comme il est dit en Is 43. Or, il n’existait pas en lui de nécessité de vouloir. Donc, ni de nécessité de mourir. |
[9457] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2
arg. 3 Praeterea,
necessitas moriendi venit ex peccato. Rom. 8: corpus quidem mortuum est
propter peccatum; Glossa: idest, necessitati mortis addictum. Sed in Christo non fuit
peccatum. Ergo nec necessitas moriendi. |
3. La nécessité de mourir vient du péché. Rm 8 : Le corps est mort en raison du péché. Glose : « C’est-à dire qu’il a été soumis à la nécessité de la mort. » Or, il n’y avait pas de péché chez le Christ. Donc, ni de nécessité de mourir. |
[9458] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, supra dixit Magister, in praecedenti distinctione, quod Hilarius
a Christo necessitatem dolendi removit. Sed dolorem passionis secuta est
mors. Ergo nec in eo fuit necessitas moriendi. |
4. Le Maître a dit plus haut, dans la distinction précédente, que Hilaire a écarté chez le Christ la nécessité de souffrir. Or, la mort découle de la douleur de la passion. Il n’y avait donc pas non plus chez lui de nécessité de mourir. |
[9459] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2
arg. 5 Praeterea,
potentius non de necessitate ab aliquo minus potente patitur. Sed Christus fuit
potentior quolibet alio passionem vel mortem inducente. Ergo ipse non habuit
necessitatem moriendi, vel patiendi. |
5. Ce qui est plus puissant ne souffre pas nécessairement de la part de ce qui est moins puissant. Or, le Christ était plus puissant que n’importe qui d’autre qui entraînait la souffrance ou la mort. Il n’y avait donc pas chez lui de nécessité de mourir ou de souffrir. |
[9460] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Rom. 8, 3: Deus misit filium suum in similitudinem carnis peccati. Sed conditio carnis
peccati est quod habeat necessitatem moriendi, quae tamen peccatum non est.
Ergo fuit in carne Christi. |
Cependant, [1] Rm 8, 3 dit : Dieu a envoyé son Fils semblable à la chair de péché. Or, la condition de la « chair de péché » est qu’elle meurt nécessairement, ce qui n’est cependant pas un péché. [La nécessité de mourir] ne se trouvait donc pas dans la chair du Christ. |
[9461] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2
s. c. 2 Praeterea, Hebr.
2, dicitur, quod ipse in passione assimilatus est fratribus, idest aliis
hominibus. Sed mater, de
qua Christus carnem sumpsit, et alii homines habent necessitatem moriendi et
patiendi. Ergo etiam in Christo talis necessitas fuit. |
[2] He 2 dit qu’il est devenu semblable à ses frères par la souffrance, c’est-à-dire aux autres hommes. Or, la mère, de laquelle le Christ a assumé sa chair, et les autres hommes meurent et souffrent nécessairement. Une telle nécessité se trouvait donc aussi chez le Christ. |
[9462] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2
s. c. 3 Praeterea, necessitas moriendi vel
patiendi est defectus totam humanam naturam consequens, nec est culpa
diminutionem gratiae importans, quia est tantum ex parte corporis. Sed omnes tales defectus assumpsit, ut
supra, dictum est. Ergo assumpsit necessitatem moriendi. |
[3] La nécessité de mourir ou de souffrir est une carence qui suit toute la nature humaine, et elle n’est pas une faute comportant une diminution de la grâce, car elle est le fait du corps seulement. Or, [le Christ] a assumé toutes ces carences, comme on l’a dit plus haut. Il a donc assumé la nécessité de mourir. |
[9463] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod secundum philosophum, necessarium idem est quod impossibile non
esse; unde necessitas excludit potentiam ad oppositum. Haec autem potentia ad
oppositum excluditur triplici ratione. Primo ex hoc quod talis potentia
repugnat naturae illius rei, sicut potentia deficiendi repugnat naturae
divinae; et ideo dicimus Deum necessario aeternum: et haec est necessitas
absoluta. Secundo
excluditur ex aliquo impediente; et sic est necessitas coactionis. Tertio
quia hoc cujus dicitur esse potentia, repugnat fini intento, sicut non curari
repugnat ei quod est sanari: unde dicimus, quod non potest non curari, si
debeat sanari: et haec est necessitas ex conditione finis. Necessitas autem
patiendi vel moriendi, dupliciter potest attribui Christo. Quia potest
removere potentiam non moriendi a natura humana; et sic vere ei attribuitur:
quia natura humana, quantum ad statum suae passibilitatis, in quo statu
Christus eam assumpsit, non habet potentiam non moriendi; unde in Christo
quantum ad humanam naturam fuit necessitas moriendi. Item potest removere
potentiam non moriendi a Christo ratione personae; et sic ei falso
attribuitur, quia virtus divinitatis Christi repellere poterat omne inducens
mortem vel passionem. Erat tamen in Christo necessitas patiendi, etiam
ratione personae, ex conditione finis, scilicet si humanum genus redimendo
liberare vellet; et ideo quidam dicunt Christum habuisse necessitatem
patiendi, attendentes naturam humanam; quidam vero dicunt non habuisse talem
necessitatem, nisi ex conditione finis, attendentes personam divinam. Sed
quia mors inest Christo ratione humanae naturae, ideo sicut simpliciter
concedimus quod Christus mortuus est, ita similiter concedere possumus
simpliciter quod necessitatem moriendi habuit, non solum ex causa finali, sed
etiam necessitatem absolutam, ut moreretur, etiam si non occideretur, ut
quidam dicunt. Unde Augustinus: si non occisus fuisset, naturali morte
dissolutus fuisset; et idem opus redemptionis fuisset, quod per passionem
fecit: et cum hoc necessitatem coactionis habuit quantum ad mortem violentam
quam sustinuit. |
Réponse. Selon le Philosophe, être nécessaire est la même chose que ne pas être impossible d’être; ainsi, la nécessité exclut la puissance à des choses opposées. Or, cette puissance pour des choses opposées est exclue de trois manières. Premièrement, par le fait qu’une telle puissance répugne à la nature de cette chose, comme la puissance de cesser répugne à la nature divine. C’est pourquoi nous disons que Dieu et nécessairement éternel. Une telle nécessaité est absolue. Deuxièmement, [cette puissance pour des choses opposées] est exclue par quelque chose qui l’empêche : il s’agit alors d’une nécessité par coercition. Troisièmement, parce que ce dont on dit que c’est la puissance répugne à la fin visée, comme ne pas être soigné répugne au fait d’être guéri. Nous disons ainsi qu’il ne peut pas ne pas être soigné, s’il doit être guéri. Cette nécessité vient de la condition de la fin. Or, la nécessité de souffrir et de mourir peut être attribuée au Christ de deux manières. En effet, elle peut enlever la puissance de ne pas mourir de la nature humaine : de cette manière, elle lui est attribuée avec vérité, car la nature humaine, pour ce qui est de son état de passibilité, dans lequel le Christ l’a assumée, n’a pas la puissance de ne pas mourir. Aussi la nécessité de mourir existait-elle chez le Christ pour ce qui est de sa nature humaine. [La nécessité de souffrir et de mourir] peut aussi enlever au Christ la puissance de ne pas mourir en raison de sa personne : elle est ainsi faussement attribuée au Christ, car la puissance de la divinité du Christ pouvait enlever tout ce qui entraîne la mort et la souffrance. Cependant, il existait chez le Christ une nécessité de souffrir, même en raison de sa personne, selon la condition de la fin, à savoir s’il voulait libérer le genre humain en le rachetant. C’est pourquoi certains disent que le Christ devait nécessairement souffrir, en prenant en compte sa nature humaine; mais d’autres disent qu’il ne le devait pas nécessairement, si ce n’est selon la condition de la fin, en prenant en compte sa personne divine. Mais parce que la mort est présente chez le Christ en raison de sa nature humaine, de même que concédons simplement qu’il était nécessaire qu’il meure, de même nous pouvons concéder simplement qu’il lui était nécessaire de mourir, non seulement en raison de la cause finale, mais aussi par une nécessité absolue, même s’il n’avait pas été tué, comme certains le disent. Aussi Augustin dit-il : « S’il n’avait pas été tué, il serait disparu de mort naturelle. » Et l’œuvre de la rédemption aurait été la même que celle qu’il a accomplie par la passion. Il était ainsi nécessaire qu’il supporte une nécessité de coercition quant à la mort violente qu’il a supportée. |
[9464] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod, sicut infra, 21 dist.; dicit Magister, hoc Christus dixit de
potestate in se manentis divinitatis. |
1. Comme le dit le Maître plus loin, d. 21, le Christ a dit cela du pouvoir de la divinité qui demeurait en lui. |
[9465] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod cum dicitur: Christus mortuus est, quia voluit, ly quia potest
dicere causam: et hoc vel respectu mortis absolute, et sic referendum est ad
voluntatem divinitatis; vel respectu mortis violenter illatae, et sic potest
referri ad voluntatem humanam, per quam voluntarie se obtulit persecutoribus.
Potest etiam
dicere concomitantiam; et sic refertur etiam ad voluntatem humanam, per quam
mortem acceptavit: et hoc excludit necessitatem moriendi, quia hoc idem
accidit in Petro, et in aliis sanctis. |
2. Lorsqu’on dit que le Christ est mort parce qu’il l’a voulu, « parce que » peut exprimer la cause, et cela, soit par rapport à la mort d’une manière absolue – il faut alors le mettre en rapport avec la volonté de la divinité; soit par rapport à la mort donnée de manière violente – et ainsi, cela peut être mis en rapport avec la volonté humaine, par laquelle il s’est lui-même volontairement offert aux persécuteurs. [« Parce que »] peut aussi exprimer la concomitance : il est alors mis en rapport avec la volonté humaine par laquelle il a accepté la mort. Et cela exclut la nécessité de mourir, car la même chose est arrivée à Pierre et aux autres saints. |
[9466] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod necessitas moriendi non solum venit in humanam naturam ex
peccato, sed etiam alias potuisset esse in humana natura, ut supra dictum
est: et ideo Christus potuit hunc defectum assumere sine peccato, et alios
hujusmodi. |
3. La nécessité de mourir ne vient pas à la nature humaine du péché seulement, mais elle aurait pu exister aussi dans la nature humaine d’une autre manière, comme on l’a dit plus haut. C’est pourquoi le Christ a pu assumer sans péché cette carence et les autres de ce genre. |
[9467] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Magister voluit supra excludere a Christo
necessitatem patiendi ratione personae. |
4. Plus haut, le Maître a voulu exclure chez le Christ la nécessité de souffrir en raison de sa personne. |
[9468] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2
ad 5 Ad quintum dicendum, quod corpore
Christi fuit secundum quid potentior clavus et lancea: inquantum scilicet
clavus fuit durus, quod pertinet ad potentiam naturalem; et caro Christi
mollis, quod pertinet ad naturalem impotentiam, secundum philosophum in
praedicamentis. |
5. Le clou et la lance ont été plus puissants que le corps du Christ d’une certaine manière, pour autant que le clou était dur, ce qui relève de sa puissance naturelle, et que la chair du Christ était tendre, ce qui relève de son impuissance naturelle, selon le Philosophe dans Les prédicaments. |
Articulus 3 [9469] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 1 a. 3 tit. Utrum necessitas moriendi vel patiendi subsit in Christo voluntati
humanae |
Article 3 – La nécessité de mourir et de souffrir est-elle soumise chez le Christ à sa volonté humaine ? |
[9470] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod necessitas patiendi vel
moriendi subfuerit in Christo voluntati humanae. Nihil enim sequitur ad
voluntatem praecedentem, nisi quod voluntati subest. Sed Damascenus dicit in
3 Lib. de fide, quod naturalia in Christo sequebantur ad voluntatem. Ergo si
necessitas moriendi fuit in Christo aliquo modo naturalis, suberat voluntati
Christi. |
1. Il semble que la nécessité de souffrir et de mourir ait été soumise chez le Christ à sa volonté humaine. En effet, rien ne suit une volonté antécédente, que si cela est soumis à la volonté. Or, [Jean] Damascène dit, dans le livre III de Sur la foi, que ce qui était naturel chez le Christ suivait sa volonté. Si la nécessité de mourir était d’une certaine manière naturelle chez le Christ, elle était donc soumise à la volonté du Christ. |
[9471] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3
arg. 2 Praeterea, sicut
inferiores vires sunt sub ratione, ita corpus est sub anima. Sed inferiores
vires in Christo obediebant et omnino subjiciebantur voluntati rationis. Ergo et corpus quantum ad
omnia quae in ipso accidere poterant, subdebatur voluntati animae. |
2. De même que les puissances inférieures sont soumises à la raison, de même le corps l’est-il à l’âme. Or, les puissances inférieures chez le Christ obéissaient et étaient entièrement soumises à la volonté de la raison. Le corps aussi était donc soumis à la volonté de l’âme pour tout ce qui pouvait se produire en lui. |
[9472] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3
arg. 3 Praeterea,
Avicenna dicit, quod animae alicujus spiritualis viri magis obedit materia
quam contrariis agentibus in natura. Sed anima Christi maxime fuit
spiritualis. Ergo cum mors in corpore ejus acciderit ex aliquo agente
contrario, videtur quod voluntas ejus humana poterat repellere mortem in illis
passionibus inductam. |
3. Avicenne dit que la matière obéit davantage à l’âme d’un homme spirituel qu’aux agents contraires dans la nature. Or, l’âme du Christ était au plus haut point spirituelle. Puisque la mort est survenue dans son corps par un agent contraire, il semble donc que sa volonté humaine pouvait repousser la mort entraînée par ces souffrances. |
[9473] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, ex voluntate sua humana per gratiam sanitatis, quam
abundantissime habuit, aliis sanitatem conferebat, sicut Matth. 8, 3, dicit
leproso: volo; mundare. Sed non minus poterat in corpus proprium quam
in alienum. Ergo et poterat secundum humanam suam voluntatem praeservare
corpus a laesione et morte. |
4. Par sa volonté humaine, [le Christ] conférait à d’autres la santé en raison de la grâce de la santé, qu’il possédait avec la plus grande abondance, ainsi qu’il le dit au lépreux en Mt 8, 3 : Je le veux : sois purifié! Or, il n’avait pas moins de pouvoir sur son propre corps que sur un autre corps. Selon sa nature humaine, il pouvait donc préserver son corps de la blessure et de la mort. |
[9474] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3
arg. 5 Praeterea, major virtus fuit in anima Christi quam in qualibet alia
creatura. Sed aliqua virtus creaturae potest praeservare corpus a morte,
sicut lignum vitae. Ergo multo fortius poterat hoc anima Christi. |
5. Une puissance plus grande existait dans l’âme du Christ que dans n’importe quelle créature. Or, une certaine puissance de la créature peut préserver le corps de la mort, comme l’arbre de vie. À bien plus forte raison, l’âme du Christ le pouvait-elle donc. |
[9475] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3
arg. 6 Praeterea, Moyses
ex vi contemplationis divinae jejunavit quadraginta diebus, quibus, ut
videtur, conservabatur corpus a consumptione ex virtute animae. Sed in
Christo fuit anima multo potentior quam in Moyse: quia amplioris gloriae prae
Moyse habitus est, ut dicitur Heb. 3. Ergo ejus anima poterat conservare corpus immune ab omni corruptione. |
6. Par la puissance de la contemplation, Moïse a jeûné quarante jours, pendant lesquels il semble que son corps était préservé de la destruction par la puissance de l’âme. Or, chez le Christ, l’âme était beaucoup plus puissante que chez Moïse, car il a possédé une gloire plus grande que Moïse, comme il est dit dans He 3. Son âme pouvait donc garder son corps exempt de toute corruption. |
[9476] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3
s. c. 1 Sed contra,
corpus humanum non praeservatur omnino a morte, nisi per gratiam innocentiae,
sicut in primo statu, vel per gloriam, sicut in ultimo statu. Sed utrumque istorum dare solius Dei est.
Ergo anima Christi corpus suum non poterat a corruptione praeservare; et ita
necessitas moriendi sibi non subdebatur. |
Cependant, [1] le corps humain n’est entièrement préservé de la mort que par la grâce de l’innocence, comme dans le premier état, ou par la gloire, dans l’état ultime. Or, Dieu seul peut donner ces deux choses. L’âme du Chrit ne pouvait donc pas préserver son corps de la corruption. Ainsi, la nécessité de mourir ne lui était donc pas soumise. |
[9477] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3
s. c. 2 Praeterea,
secundum naturam corruptibile non potest fieri incorruptibile. Sed anima
Christi non poterat in ea quae sunt supra naturam. Ergo cum corpus suum esset
corruptibile, non poterat eam a corruptione praeservare. |
[2] Selon la nature, ce qui est corruptible ne peut être rendu incorruptible. Or, l’âme du Christ n’avait pas pouvoir sur ce qui dépasse la nature. Puisque son corps était corruptible, [son âme] ne pouvait donc pas le préserver de la corruption. |
[9478] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3
s. c. 3 Praeterea, facere
miracula est signum omnipotentiae. Sed anima Christi non habuit
omnipotentiam. Ergo non
potuit propria virtute aliquod miraculum facere. Sed quod corpus corruptibile
non corrumpatur, est maximum miraculum. Ergo hoc non subjacebat voluntati
animae Christi. |
[3] Faire des miracles est un signe de toute-puissance. Or, l’âme du Christ n’avait pas la toute-puissance. Elle ne pouvait donc pas par sa propre puissance faire un miracle. Or, qu’un corps corruptible ne soit pas corrompu est le plus grand des miracles. Cela n’était donc pas soumis à la volonté de l’âme du Christ. |
[9479] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod ejus solius est immutare legem et cursum naturae impositum,
qui naturam instituit et ordinavit; quod solus Deus fecit: et ideo neque
aliqua virtus corporalis, nec spiritualis, aut animae aut Angeli, nec etiam
animae Christi, potuit ad immutationem legis naturae impositae divinitus,
nisi per modum orationis aut intercessionis; et ideo hoc fuit signum deitatis
Christi, quod imperando signa perficiebat, et non orando, sicut alii sancti.
Et ideo cum secundum legem et cursum naturae mors Christi corpus consequeretur,
ut dictum est, et ut dicit Magister in littera; dicendum, quod necessitas
moriendi in Christo non subdebatur voluntati ejus humanae, sed solum divinae,
ut una opinio dicit. |
Réponse. Il appartient à celui-là seul qui a établi et ordonné la nature – ce
que Dieu seul a fait ‑ de changer la loi et le cours imposés à la
nature. C’est pourquoi ni une puissance corporelle, ni [une puissance]
spirituelle, que ce soit celle de l’âme ou de l’ange, ni même celle de l’âme
de Christ n’avaient pouvoir sur le changement de la loi divinement imposée à
la nature, si ce n’est pas mode de prière ou d’intercession. C’était donc un
signe de la divinité du Christ qu’il accomplissait des signes en commandant,
et non en priant, comme les autres saints. Puisque, selon la loi et le cours
de la nature, la mort découlerait du corps du Christ, comme on l’a dit, et
comme le dit le Maître dans le texte, il faut donc dire que la nécessité de
mourir chez le Christ n’était pas soumise à sa volonté humaine, mais seulement
à [sa volonté] divine, comme le dit une opinion. |
[9480] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod verbum Damasceni est intelligendum de voluntate divina, quae
fuit illius personae. |
1. La parole de [Jean] Damascène doit s’entendre de la volonté divine qui appartenant à cette personne. |
[9481] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod sensibiles vires natae sunt obedire rationi; et quanto ratio
magis fuerit virtute perfecta, tanto magis sibi obediet. Et quia Christus
perfectissimam virtutem habuit; ideo hujusmodi vires omnino sibi subdebantur
quantum ad rationem. Sed vires naturales vel animae vegetabilis, vel etiam
corporis, non sunt natae obedire rationi; et ideo non est similis ratio. |
2. Les puissances sensibles obéissent naturellement à la raison, et plus parfaite sera la puissance de la raison, plus elles lui obéiront. Parce que le Christ avait ainsi la puissance la plus parfaite, les puissances de ce genre lui étaient entièrement soumises pour ce qui est de la raison. Mais les puissances naturelles, celles de l’âme végétative et aussi celles du corps, n’obéissent pas naturellement à la raison. Le raisonnement n’est donc pas le même. |
[9482] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3
ad 3 Ad tertium dicendum,
quod Avicenna ponit, quod mundus factus est a Deo mediantibus Angelis; unde
ponit quod spiritui angelico materia obedit ad nutum, et per consequens
animae inquantum Angelis assimilatur. Haec autem repugnant fidei, et dictis
aliorum philosophorum, qui dicunt, quod Angeli non possunt in haec inferiora
effectum aliquem nisi mediante motu caeli: quod etiam repugnat fidei quantum
ad aliqua quae possunt Angeli facere utendo virtutibus rerum naturalium in
movendo inferiora, ut patet ex 2 Lib. dist. 8, qu. 2, art. 5. Unde in hoc non est standum auctoritati Avicennae. |
3. Avicenne affirme que le monde a été créé par Dieu par l’intermédiaire des anges. Il affirme donc que la matière obéit à un esprit angélique au moindre signe et, par conséquent, à l’âme, pour autant qu’elle ressemble aux anges. Mais cela est contraire à la foi et aux affirmations des autres philosophes, qui disent que les anges ne peuvent réaliser aucun effet sur ces réalités inférieures que par l’intermédiaire du mouvement du ciel, ce qui s’oppose aussi à la foi pour certaines choses que les anges peuvent accomplir en utilisant les puissances de choses naturelles pour mouvoir les choses inférieures, comme cela ressort du livre II, d. 8, q. 2, a. 5. Sur ce point, il ne faut donc pas s’appuyer sur l’autorité d’Avicenne. |
[9483] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod Christus etiam miracula sanitatis non poterat facere virtute
humanitatis, sed divinitatis sibi conjunctae. |
4. Le Christ ne pouvait aussi accomplir les miracles de la santé en vertu de son humanité, mais en vertu de la divinité qui lui est unie. |
[9484] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod lignum vitae non poterat immortalitatem conferre
principaliter; sed removebat quoddam ex quo sequitur corruptio, scilicet
extraneitatem a cibo assumpto, ut in 2 Lib., dist. 19, dictum est. |
5. L’arbre de vie ne pouvait pas conférer l’immortalité à titre principal; mais il enlevait quelque chose dont pouvait découler la corruption, à savoir le caractère extérieur de la nourriture prise, comme on l’a dit dans le livre II, d. 19. |
[9485] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3
ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis
Moyses non affligeretur ex jejunio quadraginta dierum, quia vires sensibiles
suspensae erant propter contemplationem Dei; tamen calor naturalis agebat, et
fiebat deperditio, quamvis non tanta; quia quando vires intellectivae
vehementer contemplantur, etiam vires naturales in suis actibus impediuntur. Vel si nulla fiebat consumptio, hoc non
fuit nisi virtute divina per miraculum. |
6. Bien que Moïse n’ait pas été affligé par son jeûne de quarante jours, parce que ses puissances sensibles avaient été suspendues en raison de la contemplation de Dieu, la chaleur naturelle agissait cependant et une déperdition se produisait, bien qu’elle ne fût pas aussi grande, car lorsque les puissances intellectuelles contemplent avec intensité, les actes des puissances naturelles sont aussi empêchés. Ou bien, si aucune déperdition ne se produisait, cela n’était dû qu’à un miracle de la puissance divine. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [L’état de la gloire lors de la
transfiguration]
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Prooemium |
Prologue |
[9486] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 pr. Deinde quaeritur, utrum cum necessitate
moriendi potuit habere ea quae pertinent ad statum gloriae. Et quia supra
dictum est de his quae pertinent ad gloriam animae; ideo quaeritur de his
quae pertinent ad statum gloriae corporis, quam in transfiguratione ostendit
Matth. 17; et circa
hoc quaeruntur duo: 1 utrum illa claritas fuerit vera vel imaginaria; 2 utrum
fuerit gloriosa. |
On se demande ensuite si [le Christ] pouvait avoir ce qui concerne l’état de la gloire en même temps que la nécessité de mourir. Parce qu’on a parlé plus haut de ce qui concerne la gloire de l’âme, on s’interroge donc sur ce qui concerne l’état de la gloire du corps, qu’il a montrée lors de la tranfiguration, Mt 17. À ce propos deux questions sont posées : 1 – Cet éclat était-il vrai ou imaginaire ? 2 – Cet éclat était-il celui de la gloire ? |
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Articulus 1 [9487] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 2 a. 1 tit. Utrum claritas quae fuit in Christi corpore in
transfiguratione, fuerit vera, et utrum fuerit imaginaria |
Article 1 – L’éclat qui émanait du corps du Christ lors de la transfiguration était-il vrai ou était-il imaginaire ? |
[9488] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod illa claritas non fuerit vera. In illud enim dicitur
aliquid transfigurari quod non secundum veritatem ei inest, sicut dicitur 2
Corinth. 11, quod Angelus Satanae transfigurat se in Angelum lucis. Sed
Christus dicitur transfiguratus, secundum quod illam claritatem demonstravit,
ut patet Matth. 17. Ergo claritas illa non secundum veritatem ei inerat. |
1. Il semble que cet éclat n’était pas vrai. En effet, on dit qu’une chose est transfigurée en quelque chose qui n’est pas en elle selon la vérité de la chose, comme il est dit en 2 Co 11, que l’ange de Satan se transfigure en ange de lumière. Or, on dit que le Christ a été transfiguré parce qu’il a montré cet éclat, comme cela ressort de Mt 17. Cet éclat n’était donc pas véritablement présent en lui. |
[9489] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1
arg. 2 Praeterea, Luc.
9: non gustabunt mortem nisi videant regnum Dei. Glossa Bedae: idest
glorificationem corporis in imaginaria repraesentatione futurae beatitudinis.
Sed quod est imaginarium,
non est verum. Ergo illa claritas non secundum veritatem ei inerat. |
2. Lc 9 : Ils ne goûteront pas la mort avant que ne vienne le règne de Dieu. Glose de Bède : « C’est-à-dire la glorification du corps selon une représentation imaginaire de la béatitude future. » Or, ce qui est imaginaire n’est pas vrai. Cet éclat n’était donc pas véritablement présent en lui. |
[9490] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1
arg. 3 Praeterea,
impossibile est quod idem corpus sit simul opacum et lucidum. Sed secundum veritatem
rei corpus. Christi opacum erat. Ergo claritas non inerat ei secundum rei veritatem. |
3. Il est impossible que le même corps soit en même temps opaque et lumineux. Or, selon la vérité de la chose, le corps du Christ était opaque. La clarté n’était donc pas présente en lui selon la vérité de la chose. |
[9491] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1
arg. 4 Praeterea, claritas sensibilis maxime corrumpit visum. Sed claritas
illa fuit maxima: quia super illud Matth. 17: resplenduit facies ejus sicut sol, dicit Glossa Hieronymi: Deus
non potest in hac vita tam clarum quid facere. Cum ergo oculi apostolorum
non fuerint laesi in visione illius claritatis, non fuit illa claritas
sensibilis, sed solum imaginaria. |
4. L’éclat sensible corrompt la vue au plus haut point. Or, cet éclat était le plus grand, car, à propos de Mt 17 : Son visage replendissait comme le soleil, une glose de Jérôme dit : « Dieu ne peut pas faire en cette vie quelque chose d’aussi éclatant. » Puisque les yeux des apôtres n’ont pas été blessés par la vision de cet éclat, cet éclat n’était donc pas sensible, mais seulement imaginaire. |
[9492] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1
arg. 5 Praeterea,
testes transfigurationis transfigurationi conformantur. Sed super illud Lucae
9: apparuerunt Moyses et Elias, dicit Glossa: sciendum est, non
corpora vel animas Moysi et Eliae ibi apparuisse; sed ex subjecta creatura
illa corpora fuisse formata. Potest etiam credi ut angelico ministerio hoc factum esset, ut Angeli
eorum personas assumerent. Ergo nec ipsa
claritas secundum quam fuit facta transfiguratio, fuit vera, sed imaginaria. |
5. Les témoins de la transfiguration se conforment à la transfiguration. Or, à propos de Lc 9 : Moîse et Élie apparurent, la Glose dit : « Il faut savoir que ce ne sont pas les corps, mais les âmes de Moïse et d’Élie qui sont apparues, mais que ces corps ont été formés par une créature sous-jacente. » On peut aussi croire que le fait que des anges ont assumé leurs personnes a été accompli par le ministère angélique. L’éclat même par lequel la transfiguration a été réalisée ne fut donc pas non plus vrai, mais imaginaire. |
[9493] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1
s. c. 1 Sed contra,
Augustinus dicit, et supra habitum est, dist. praeced., quod si unum eorum
quae Evangelium de Christo dicit, verum non fuit, nec alia oportet dicere
vera fuisse. Si ergo non fuit vera claritas, cum Evangelium hoc dicat,
relinquitur quod non vere comederit, nec vere passus sit; quod est haereticum. |
Cependant, [1] Augustin dit, et on l’a vu plus haut, à la distinction précédente, que « si une seule chose qui est dite dans l’évangile à propos du Christ n’était pas vraie, il ne faut pas dire non plus que les autres étaient vraies ». Si donc ce n’était pas un éclat véritable, puisque l’évangile le dit, il reste qu’il n’a pas mangé vraiment et qu’il n’a pas vraiment souffert, ce qui est hérétique. |
[9494] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1
s. c. 2 Praeterea, in
operibus veritatis non est credendum aliquid false et praestigiose factum. Sed si illa claritas non fuisset vera,
fuisset quoddam praestigium illudens oculos. Ergo nullo modo hoc dicendum
est. |
[2] Dans les actions de la Vérité, il ne faut pas croire que quelque chose de faux et qui relève de l’artifice ait été accompli. Or, si cet éclat n’était pas vrai, il y eut un artifice qui trompait les yeux. Il ne faut donc dire cela d’aucune manière. |
[9496] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod claritas illa fuit sensibilis, secundum veritatem in
corpore Christi existens, ad ostensionem claritatis quam promiserat in
sanctis post resurrectionem futuram, dicens: fulgebunt justi tamquam sol
in regno patris eorum; Matth. 13, 43. |
Répondre. Cet éclat était sensible, selon la vérité qui existait dans le corps du Christ, afin de montrer l’éclat qu’il avait promis chez les saints après la résurrection à venir, en disant : Ils brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père, Mt 13, 43. |
[9497] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod figura dupliciter dicitur. Uno modo dicitur qualitas resultans ex
terminatione quantitatis; et sic non dicitur Christus transfiguratus, quia
eadem lineamenta corporis in ipso erant. Et quia figura alicujus rei signum
ipsius ponitur, sicut patet de imaginibus, quae praecipue fiunt secundum
repraesentationem figurae; inde translatum est nomen figurae ut ponatur pro
quodlibet signo, quod instituitur ad aliquid significandum, secundum
assimilationem ad aliud. Hoc autem potest fieri et de eo quod est in rei
veritate, sicut una res est imago vel figura alterius, et de eo quod est in
imaginatione tantum. Dicitur autem Christus figuratus quia claritatem sibi veraciter
inhaerentem assumpsit ad tempus, in figuram futurae claritatis quae erit in
sanctis. |
1. On parle de figure de deux manières. D’une manière, on parle de la qualité résultant de délimitation de la quantité. On ne dit pas que le Christ a été ainsi transfiguré, car ces délimitations du corps existaient chez lui. Et parce qu’on dit que la figure d’une chose est le signe d’une chose, comme cela ressort pour les images, qui sont faites principalemenet selon la représentation de la figure, le nom de « figure » a été transposé pour désigner un signe établi pour signifier quelque chose en raison de sa ressemblance avec une autre chose. Or, cela peut être fait soit en raison de ce qui existe dans la vérité de la chose, comme une chose est l’image ou la figure d’une autre, soit [en raison] de ce qui existe dans l’imagination seulement. Or, on dit que le Christ a été transfiguré parce qu’il a véritablement assumé pour un temps la clarté qui se trouve en lui et qui existera chez les saints. |
[9498] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod Beda dicit imaginarium non quod est tantum in imaginatione,
sed quod est imago et figura alterius. |
2. Bède appelle imaginaire, non pas seulement ce qui n’existe que dans l’imagination, mais ce qui est l’image et la figure d’autre chose. |
[9499] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod non est inconveniens id quod est in se opacum in intrinsecis,
habere claritatem in superficie, vel extensione, sicut aes politum; vel ex
aliquo extrinseco superinducto, sicut ex reverberatione solis, vel alicujus
hujusmodi: et sic fuit claritas in Christo, non quidem superinducta ex aliquo
corpore superlucenti, sed miraculose ab ipso Deo. |
3. Il n’est pas inapproprié que ce qui est en soi opaque à l’intérieur ait de l’éclat en surface ou en extension, comme le cuivre poli; ou par quelque chose d’extrinsèque qui y est ajouté, comme par le reflet du soleil ou de quelque chose de ce genre. L’éclat se trouvait ainsi chez le Christ, non pas comme le reflet d’un corps très brillant, mais par Dieu d’une manière miraculeuse. |
[9500] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod claritas illa erat similis gloriosi corporis claritati, quae
visum non corrumpit, sed demulcet. Unde Apoc. 21, comparatur claritati jaspidis, quae visum demulcet, et
delectat. Et hoc quidem contingit, quia est alterius generis quam ista
claritas naturalis: provenit enim ex claritate spirituali animae, quae quidem
non corrumpit proportionem oculi ad vim animae, sed magis confortat. Unde hoc
quod dicit Hieronymus, quod Deus non posset in hac vita tam clarum quid
facere, intelligendum est ideo dictum esse, quia claritas hujus vitae,
scilicet naturalis, non est proportionabilis claritati patriae, sed alterius
generis existens. |
4. Cet éclat était semblable à l’éclat du corps glorieux, qui ne corrompt pas la vue, mais la charme. Aussi Ap 21 le compare-t-elle à l’éclat du jaspe, qui charme la vue et la délecte. Cela se produit parce qu’il est d’un autre genre que cet éclat naturel. En effet, il provient de l’éclat spirituel de l’âme, qui ne corrompt pas la proportion qui existe entre l’œil et la puissance de l’âme, mais la renforce plutôt. C’est pourquoi ce que dit Jérôme, que Dieu ne pourrait en cette vie faire quelque chose d’aussi éclatant, doit s’entendre au sens où on a dit que l’éclat de cette vie, c’est-à-dire naturel, ne peut être comparé à l’éclat de la patrie, mais relève d’un autre genre. |
[9501] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod illa Glossa punctata est a magistris; unde dicendum, quod
uterque illorum vere ibi apparuit; sed Elias in anima et corpore, Moyses
autem in anima tantum; quae apparere potuit vel per aliquod corpus assumptum,
sicut Angeli apparent, vel quia est potens, maxime Deo ordinante, facere
aliquam in oculis speciem, illum hominem cujus est anima, repraesentantem. |
5. Cette glose a été soulignée par les maîtres. Il faut donc dire que les deux sont vraiment apparus, mais Élie, dans son âme et dans son corps, alors que Moïse l’a été dans son âme seulement, qui pouvait apparaître soit dans un corps assumé, comme apparaissent les anges, soit parce que, sur l’ordre de Dieu, il pouvait faire apparaître dans les yeux une image représentant l’homme dont c’était l’âme. |
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Articulus 2 [9502] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 2 a. 2 tit. Utrum claritas illa fuerit gloriosa |
Article 2 – Cet éclat était-il celui de la gloire ? |
[9503] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod claritas illa non fuit gloriosa. Matth. 17 super illud: transfiguratus
est et cetera. Glossa Bedae dicit: in corpore mortali ostendit non immortalitatem,
sed claritatem similem futurae immortalitati. Sed claritas gloriosa est claritas
immortalitatis. Ergo illa claritas non fuit gloriosa. |
1. Il semble que cet éclat n’était pas celui de la gloire. À propos de Mt 17 : Il fut transfiguré, etc., une glose de Bède dit : « Dans son corps mortel, il montre non pas l’immortalité, mais un éclat semblable à l’immortalité future. » Or, l’éclat de la gloire est l’éclat de l’immortalité. Cet éclat ne fut donc pas celui de la gloire. |
[9504] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2
arg. 2 Praeterea,
idem non potest esse subjectum poenalitatis et gloriae. Sed corpus Christi
erat subjectum poenalitatibus. Ergo non poterat in eo esse claritas gloriosa. |
2. Le même ne peut pas être sujet de la peine et de la gloire. Or, le corps du Christ était sujet à des peines. Il ne pouvait donc pas y avoir en lui d’éclat glorieux. |
[9505] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2
arg. 3 Si dicatur,
quod claritas illa redundabat ex gloria animae; contra, 2 Corinth. 3, tanta
erat claritas in facie Moysi, quod non poterat inspici nisi velaretur; et
Matth. 1, super illud: non cognoscebat eam donec peperit, dicit
Glossa: Joseph Mariam facie ad faciem videre non poterat, quam spiritus
sanctus repleverat. Sed Maria et Moyses non habebant animam glorificatam.
Ergo non est verum quod illa claritas ex glorificatione animae processit. |
3. Cet éclat rejaillissait depuis la gloire de l’âme. Par contre, 2 Co 3, l’éclat du visage de Moïse était tel qu’il ne pouvait être regardé sans être voilé. Et à propos de Mt 1 : Il ne la connut pas jusqu’à ce qu’elle eut enfanté, la Glose dit : « Joseph ne pouvait regarder Marie face à face, elle que l’Esprit Saint avait remplie. » Or, Marie et Moïse n’avaient pas une âme glorifiée. Il n’est donc pas vrai que cet éclat provenait de la glorification de l’âme. |
[9506] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2
arg. 4 Praeterea, proprietas corporis gloriosi non solum est claritas, sed
etiam agilitas et impassibilitas et subtilitas. Si igitur claritatem
assumpsisset, quae est gloriosi corporis proprietas, debuisset etiam alias
proprietates assumere. |
4. Le corps glorieux n’est pas seulement éclatant, mais aussi agile, impassible et subtil. Si donc il avait assumé l’éclat qui est une propriété du corps glorieux, il aurait dû aussi assumer les autres propriétés. |
[9507] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2
arg. 5 Praeterea,
claritas gloriosa non videtur ab oculo non glorificato. Sed oculi
apostolorum, qui viderunt Christi claritatem, non erant glorificati. Ergo
illa claritas non fuit gloriosa. |
5. L’éclat de la gloire n’est pas vu pas un œil non glorifié. Or, les yeux des apôtres, qui ont vu l’éclat du Christ, n’étaient pas glorifiés. Cet éclat n’était donc pas l’éclat de la gloire. |
[9508] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2
arg. 6 Praeterea,
claritas gloriosa non est corpori naturalis. Sed claritas illa fuit corpori
Christi naturalis; quod patet per verba Hilarii superinducta, ubi dicit: si
domini corporis solum ista natura sit ut sua virtute feratur in humidis, et
sistat in liquidis, et extructa transcurrat: quid per naturam humani corporis
carnem ex spiritu sancto conceptam judicamus ? Et Glossa, Matth. 17,
dicit: speciem quam habebat per naturam ostendit, non amittens carnem, quam
assumpserat voluntate. Ergo claritas illa non fuit gloriosa. |
6. L’éclat de la gloire n’est pas naturel
au corps. Or, cet éclat était naturel au corps du Christ, ce qui ressort des
paroles d’Hilaire déjà invoquées, lorsqu’il dit : « Si la nature du
corps du Christ est telle que, par sa puissance, il est porté par ce qui est
humide, se dépose sur ce qui est liquide et traverse ce qui est construit,
que penserons-nous de la chair conçue du Saint-Esprit selon la nature du
corps humain ? » Et la Glose dit, à propos de Mt 17 :
« Il montre l’aspect qu’il avait par nature, sans écarter la chair qu’il
avait volontairement assumée. » Cet éclat n’était donc pas celui de la
gloire. |
[9509] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2
arg. 7 Praeterea,
claritas illa non solum fuit in corpore Christi, sed etiam in vestibus ejus,
ut patet ex textu Evangelii. Sed in vestimentis non potest esse gloriosa claritas. Ergo nec in
corpore Christi tunc fuit. |
7. Cet éclat ne se trouvait pas seulement dans le corps du Christ, mais aussi dans ses vétements, comme cela ressort du texte de l’évangile. Or, il ne peut y avoir d’éclat de la gloire dans les vêtements. Il n’y en avait donc pas non plus dans le corps du Christ. |
[9510] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2
s. c. 1 Sed contra, Philip.
3, super illud: configuratum corpori claritatis, dicit Glossa: assimilabimur
claritati quam habuit in transfiguratione. Sed assimilabimur claritati gloriosae. Ergo tunc habuit claritatem
gloriosam. |
Cependant, [1] à propos de Ph 3 : Configuré au corps de gloire, la Glose dit : « Nous serons rendus semblables à l’éclat qu’il eut lors de la transfiguration. » Or, nous serons rendus semblables à l’éclat de la gloire. Il a donc eu l’éclat de la gloire. |
[9511] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Matth. 17, dicit Glossa, quod apparuit in ea claritate quam habebit,
peracto judicio. Sed tunc habebit claritatem gloriae. Ergo et in ea tunc
apparuit. |
[2] À propos de Mt 17, la Glose dit qu’il est apparu dans la gloire qu’il aura, une fois que le jugement aura eu lieu. Or, il aura alors l’éclat de la gloire. Il est donc alors apparu dans cet éclat. |
[9512] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2
s. c. 3 Praeterea, claritas non gloriosa non
ostendit gloriam resurrectionis. Sed ad hoc Christus transfiguratus est ut
gloriam resurrectionis ostenderet, ut dictum est. Ergo erat claritas gloriosa. |
[3] L’éclat qui n’est pas celui de la gloire ne montre pas la glorie de la résurrection. Or, le Christ a été transfiguré afin de montrer la gloire de la résurrection, comme on l’a dit. C’était donc l’éclat de la gloire. |
[9513] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod Hugo de sancto Victore dicit, quod Christus assumpsit
omnes proprietates seu dotes corporis glorificati adhuc corpus passibile
gerens, quamvis in Christo non proprie habebant rationem dotis; sicut
subtilitatem in nativitate, quando egressus est de utero virginali, claustris
pudoris manentibus clausis; agilitatem autem, quando super undas maris
ambulavit; claritatem autem in transfiguratione; impassibilitatem in coena,
quando corpus suum ad edendum discipulis sine hoc quod divideretur dedit. Et hoc quidem non potest intelligi quantum
ad ipsas qualitates sive habitus gloriosi corporis, quia contrariantur
conditionibus et proprietatibus corporis passibilis. Christus autem semper
ante resurrectionem corpus passibile habuit. Nec hoc quod corpus ejus a
discipulis edentibus non dividebatur, fuit propter impassibilitatem; sed quia
non in propria specie comedebatur, sed in specie panis in qua fiebat fractio.
Unde cum contraria non sint simul in eodem, non poterat tunc habere
qualitates corporis gloriosi; sed actus illarum proprietatum fuerunt in eo
non quidem procedentes ex aliquo inhaerente, sed supernaturaliter divino
miraculo, ut dicit Dionysius in epistola 4 ad Cajum: super hominem
operatur ea quae sunt hominis: et hoc monstrat virgo supernaturaliter
concipiens, et aqua instabilis materialium et terrenorum pedum sustinens
gravitatem. Dicendum ergo, quod ille fulgor non fuit proveniens ex aliqua
proprietate corporis gloriosi existente in corpore Christi, sed fuit miraculose
et divinitus inductus in corpore Christi. Fuit tamen ille fulgor ejusdem
generis cum fulgore corporum glorificatorum, non tamen ita perfectus; sicut
caritas viae assimilatur caritati patriae. In Moyse autem fuit claritas
similis claritati patriae sicut fides visioni, non ejusdem generis; et ideo
aspectum intuentium offendebat; quod non fuit de claritate Christi. Et hujus
ratio est, quia anima Christi glorificata erat, non autem anima Moysi; unde
et corpori ejus poterat convenienter attribui claritas gloriosa; non autem
corpori Moysi, ne prius esset gloria in corpore quam in anima. |
Réponse. Hugues de Saint-Victor dit que le Christ a assumé toutes les propriétés ou dots du corps glorifié, alors qu’il avait encore un corps passible, bien que, chez les Christ, elles n’aient pas eu le caractère de dot. Ainsi, [il a assumé] la subtilité lors de la nativité, lorsqu’il est sorti du sein virginal, les portes de la pudeur demeurant closes; [il a assumé] l’agilité lorsqu’il a marché sur les eaux de la mer; mais [il a assumé] l’éclat dans la transfiguration; et [il a assumé] l’impassibilité lors de la cène, lorsqu’il a donné aux disciples son corps à manger, sans qu’il soit divisé. Et cela ne peut s’entendre des qualités mêmes ou habitus du corps glorieux, car elles sont contraires aux conditions et propriétés du corps passible. Or, le Christ a toujours eu un corps passible avant la résurrection. Et le fait que son corps n’était pas divisé entre les disciples qui mangeaient n’était pas dû à l’impassibilité, mais au fait qu’il n’était pas mangé selon sa propre espèce, mais sous l’espèce du pain qui était rompu. Puisque les contraires n’existent pas dans la même chose, il ne pouvait donc pas avoir là les qualités du corps glorieux. Mais les actes de ces propriétés existaient en lui, non pas comme s’ils provenaient de quelque chose d’inhérent, mais de manière surnaturelle par un miracle divin, comme le dit Denys, dans sa quatrième lettre à Caïus : « Il accomplit par-delà l’homme ce qui est propre à l’homme, et la Vierge le montre en concevant surnaturellement, ainsi que l’eau instable soutenant le poids de pieds matériels et terrestres. » Il faut donc dire que ce resplendissement ne provenait pas d’une propriété du corps glorieux existant dans le corps du Christ, mais il fut miraculeusement et divinement introduit dans le corps du Christ. Cependant, ce resplendissement était du même genre que le resplendissement des corps glorifiés, mais pas aussi parfait, comme la charité du cheminement ressemble à la charité de la patrie. Mais, chez Moïse, existait un éclat semblable à l’éclat de la patrie comme la foi l’est à la vision, mais qui n’était pas du même genre. Aussi offensait-il le regard de ceux qui regardaient, ce qui n’était pas le cas de l’éclat du Christ. La raison en est que l’âme du Christ avait été glorifiée, mais non l’âme de Moïse. Aussi l’éclat de la gloire pouvait-il être convenablement attribué à son corps, mais non au corps de Moïse, de sorte que la gloire ne se trouve pas d’abord dans le corps avant de l’être dans l’âme. |
[9514] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod ex Glossa ista habetur, quod non fuerit habitus claritatis
sicut in corporibus immortalibus, sed fuit actus splendoris similis ex divino
miraculo. |
1. On peut conclure de cette glose que l’habitus de l’éclat n’était pas le même que celui des corps immortels, mais qu’il était un acte de resplendissement semblable en raison d’un miracle divin. |
[9515] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 2 a. 2 ad 2 Per quod patet etiam solutio ad secundum. |
2. La réponse au deuxième argument est ainsi claire. |
[9516] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod non potest esse quod claritas fuerit in corpore ex gloria
animae: quia anima Christi adhuc erat passibilis ex illo respectu, quod est
forma corporis: unde gloriam in corpus non transfundebat, ut dictum est. |
3. Il ne pouvait se faire que l’éclat soit dans le corps en raison de la gloire de l’âme, car l’âme du Christ, qui est la forme du corps, était encore passible sous cet aspect. Aussi ne communiquait-elle pas la gloire au corps, comme on l’a dit. |
[9517] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod etiam actum aliarum dotium Christus ostendit, sed aliter, ut
dictum est. Sed tamen secundum illa non dicitur transfiguratus: quia aliae
dotes non pertinent ad aspectum, secundum quem praecipue de figura alicujus
judicamus, sicut claritas, per quam aliquid in seipso videtur. |
4. Le Christ manifeste aussi l’acte des autres dots, mais autrement, comme on l’a dit. Cependant, on ne dit pas qu’il a été transfiguré selon elles parce que les autres dots ne concernent pas l’aspect selon lequel nous jugeons principalement de la figure de quelqu’un, comme l’éclat par laquel une chose est vue en elle-même. |
[9518] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod hoc intelligitur quando corpus gloriosum non vult se
ostendere. |
5. Cela s’applique au corps glorieux qui ne veut pas se montrer. |
[9519] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2
ad 6 Ad sextum
dicendum, quod illa claritas dicitur sibi fuisse naturalis, inquantum corpus
illud ordinatum erat ad illam claritatem habendam, sicut virtutes dicuntur
animae naturales; vel inquantum erat conformis claritati animae; vel ratione
divinitatis. |
6. On dit que cet éclat lui était naturel pour autant que ce corps était ordonné à posséder cet éclat, comme on dit que ses puissances sont naturelles à l’âme. Ou bien, pour autant qu’il était conforme à l’éclat de l’âme, ou en raison de la divinité. |
[9520] Super Sent., lib. 3 d.
16 q. 2 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in vestibus erat splendor ex claritate
corporis procedens. |
7. Le resplendissement qui provenait du corps affectait les vêtements. |
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Expositio textus |
Explication du texte de Pierre
Lombard, Dist. 16
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[9521] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2
expos. Sicut aliis
hominibus. Similitudo
attenditur inquantum aliis hominibus necessitas moriendi inest natura, non
inquantum est ex peccato. Sunt enim quatuor status hominis. Contra.
Boetius assignat tres. Dicendum, quod Boetius assignat status humanae naturae
quantum ad conditiones corporis principaliter: quod quidem in primo statu
erat animale, in secundo corruptibile, in tertio spirituale. Magister autem
assignat principaliter quatuor status quantum ad conditiones animae, ut
patet. Immunitatem peccati. Non quantum ad potentiam peccandi, sed
quantum ad actum. Boetius vero dicit, quod de primo statu accepit ea quae ad
vitam animalem pertinent, scilicet, comedere, dormire, et hujusmodi. |
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Distinctio 17 |
Distinction 17 – [La volonté du
Christ]
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Quaestio 1 |
Question
unique – [Existait-il plusieurs volontés chez le Christ ?]
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Prooemium |
Prologue |
[9522] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 pr. Postquam Magister determinavit de his quae
Christus cum natura humana assumpsit, hic determinat de his quae per humanam
naturam fecit. Operis autem humani voluntas principium est, sine quo opus nec
meritorium nec laudabile est; et ideo dividitur haec pars in duas partes:
primo determinat de voluntate Christi; secundo de merito ejus quod ex
voluntate processit, 18 dist., ibi: de merito quoque Christi
praetermittendum non est. Prima in duas: primo determinat de voluntate
Christi; secundo removet quaedam dubia quae ex dictis oriri possent, ibi: ceterum
non parum nos movent verba Ambrosii. Prima in tres: primo ponit
dubitationem de efficacia voluntatis Christi, et orationis, quae est signum
voluntatis; secundo solvit, distinguendo voluntatem Christi, ibi: quocirca
ambigendum non est diversas in Christo fuisse voluntates; in tertia
solutionem confirmat, ostendens diversas voluntates esse in Christo, ibi: ex
affectu ergo humano, quem de virgine traxit, volebat non mori. Ceterum non
parum nos movent verba Ambrosii. Hic removet quaedam quae possent esse ex
dictis dubia: et primo removet dubium quod oritur ex dictis Ambrosii; secundo
dubium quod oritur ex dictis Hilarii, ibi: illud etiam non est ignorandum
quod Hilarius asserere videtur Christum non sibi, sed suis orasse, cum dixit:
transfer a me calicem hunc. Hic quaeruntur quatuor: 1 de pluralitate
voluntatum Christi; 2 de conformitate vel contrarietate earum ad invicem; 3
de oratione, quae voluntatem exprimit; 4 de dubitatione quam ponit Ambrosius
in Christo quantum ad aliquam voluntatem Christi. |
Après avoir déterminé de ce que le Christ a assumé avec la nature humaine, le Maître détermine ici de ce qu’il a fait par sa nature humaine. Or, la volonté est le principe de l’acte humain, sans lequel un acte n’est ni méritoire ni louable. C’est pourquoi cette partie est divisée en deux : premièrement, il détermine de la volonté du Christ; deuxièmement, de son mérite qui procède de sa volonté, d. 18, à cet endroit : « Il ne faut pas négliger le mérite du Christ. » La première partie se divise en deux : premièrement, il détermine de la volonté du Christ; deuxièmement, il écarte certains doutes qui peuvent venir de ce qui a été dit, à cet endroit : « Au reste, les paroles d’Ambroise ne nous émeuvent pas peu. » La première partie se divise en trois : premièrement, il présente un doute sur l’efficacité de la volonté du Christ et aussi de sa prière, qui est le signe de sa volonté; deuxièmement, il le résout en faisant une distinction dans la volonté du Christ, à cet endroit : « À ce propos, on ne peut douter qu’il y ait eu diverses volontés chez le Christ »; dans la troisième partie, il confirme sa solution en montrant qu’il existe diverses volontés chez le Christ, à cet endroit : « Par le sentiment humain qu’il tenait de la Vierge, il ne voulait pas mourir. » « Au reste, les paroles d’Ambroise ne nous émeuvent pas peu. » Ici, il écarte certaines choses douteuses qu’on pourrait tirer de ce qui a été dit. Premièrement, il écarte un doute qui pourrait naître des paroles d’Ambroise; deuxièmement, un doute qui naît des paroles d’Hilaire, à cet endroit : « Il ne faut pas aussi ignorer que Hilaire semble affirmer que le Christ n’a pas prié pour lui-même, mais pour les siens, lorsqu’il dit : ‘Éloigne de moi ce calice.’ » Ici, quatre questions sont posées : 1 – Sur la pluralité des volontés du Christ. 2 – Sur la conformité ou l’opposition de l’une à l’autre. 3 – Sur la prière, qui exprime la volonté. 4 – Sur la doute qu’émet Ambroise chez le Christ à propos d’une volonté du Christ. |
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Articulus 1 [9523] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 1 tit. Utrum in Christo fuerit voluntas alia quam divina |
Article 1 – Existait-il chez le Christ une autre volonté que la volonté divine ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Existait-il une seule volonté chez le Christ, la volonté divine ?] |
[9524] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Christo non sit nisi una
voluntas, scilicet divina. Velle enim, cum sit agere, personae est. Sed in
Christo est tantum una persona, scilicet divina. Ergo et tantum una voluntas, scilicet
divina. |
1. Il semble qu’il n’existe chez le Christ qu’une seule volonté, la volonté divine. En effet, vouloir, puisqu’il s’agit d’un acte, est le fait de la personne. Or, chez le Christ, il n’existe qu’une seule personne, la personne divine. Donc aussi, une seule volonté, la volonté divine. |
[9525] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 2 Praeterea,
voluntatis est ducere, et non duci. Sed in Christo affectus humanus divina voluntate ducebatur, quae eo
sicut ministro utebatur, ut dicit Damascenus. Ergo affectus humanus non debet dici voluntas in Christo. |
2. Il appartient à la volonté de diriger, et non d’être dirigée. Or, chez le Christ, l’affectivité humaine était dirigé par la volonté divine, qui l’utilisait comme un ministre, ainsi que le dit [Jean] Dasmascène. L’affectivité humaine ne doit donc pas être appelée volonté chez le Christ. |
[9526] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
quanto aliquis homo est magis sanctus, tanto sua voluntas magis unitur
divinae: quia qui adhaeret Deo, unus spiritus est. 1 Cor., 6, 17. Sed Christus homo fuit
sanctissimus. Ergo voluntas sua humana fuit perfecte una cum voluntate
divina. |
3. Plus un homme est saint, plus sa volonté est unie à Dieu, car celui qui adhère à Dieu est un seul esprit, 1 Co 6, 17. Or, le Christ a été l’homme le plus saint. Sa volonté humaine était donc parfaitement une avec la volonté divine. |
[9527] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
Christus assumpsit naturam nostram ut eam curaret: quia quod inassumptibile
est, incurabile est, ut dicit Damascenus. Sed voluntas nostra, per quam peccatum
intraverat, maxime curatione indigebat. Ergo ipsam assumpsit; ergo est in
Christo aliqua voluntas praeter voluntatem divinam. |
Cependant, [1] le Christ a assumé notre volonté pour la guérir, car ce qui ne peut être assumé est incurable, comme le dit [Jean] Damascène. Or, notre volonté, par laquelle le péché était entré [dans le monde], avait au plus haut point besoin de guérison. Il l’a donc assumée. Il existe donc chez le Christ une volonté autre que la volonté divine. |
[9528] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut se
habet unitas voluntatis ad unitatem naturae, ita se habet pluralitas ad
pluralitatem. Sed in tribus personis est una voluntas, quia est una natura.
Ergo et in Christo sunt plures voluntates, quia sunt plures naturae, quamvis
sit una persona. |
[2] Le rapport entre l’unité de volonté et l’unité de nature est le même que celui de la pluralité à la pluralité. Or, chez les trois personnes, il n’existe qu’une seule volonté parce qu’il n’existe qu’une seule nature. Il existe donc plusieurs volontés chez le Christ, parce qu’il existe en lui plusieurs natures, bien qu’il n’existe qu’une seule personne. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Existe-t-il chez le Christ une volonté humaine autre que la volonté raisonnable ?] |
[9529] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in Christo non sit aliqua voluntas humana
praeter voluntatem rationis. Quia, sicut dicit Damascenus in 3 Lib., voluntas naturam sequitur. Sed
in Christo sunt tantum duae naturae. Ergo et tantum duae voluntates. Ergo non est tertia praeter voluntatem
divinam et rationis. |
1. Il semble qu’il n’existe pas chez le Christ une volonté humaine autre que la volonté raisonnable, car, ainsi que le dit [Jean] Damascène dans le livre III, « la volonté suit la nature ». Or, chez le Christ, il n’existe que deux natures. Il existe donc aussi seulement deux natures. Il n’en existe donc pas une troisième en plus de la volonté divine et de la volonté de la raison. |
[9530] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 2 Praeterea, sicut
ratio est alia virtus apprehensiva a sensitiva apprehensione, ita sensus
interior a sensu exteriori. Sed non est alia voluntas consequens
apprehensionem sensus exterioris ab ea quae consequitur apprehensionem sensus
interioris. Ergo non oportet ponere aliam voluntatem quae consequatur
apprehensionem rationis, et sensitivae partis. |
2. De même que la raison est une
puissance de perception autre que la perception sensible, de même le sens
intérieur est-il différent du sens extérieur. Or, il n’existe pas une autre
volonté découlant de la perception du sens extérieur, différente de celle qui
découle de la perception du sens intérieur. Il n’est donc pas nécessaire
d’affirmer une autre volonté qui découle de la perception de la raison et de
celle de la partie sensible. |
[9531] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 3 Praeterea,
philosophus dicit in 3 de Anim., et Damascenus, quod voluntas solum in
ratione est, in sensibilis autem desiderium et animus, idest irascibilis et
concupiscibilis. Sed sensualitas est a ratione discreta, ut patet dist. 24 2
Lib. Ergo non est aliqua voluntas sensualitatis. |
3. Le Philosophe dit, dans Sur l’âme, III, et aussi [Jean] Damascène, que la volonté n’existe que dans la raison, mais que seuls existent le désir et la passion dans [la partie] sensible, à savoir, l’irascible et le concupiscible. Or, la sensualité est distincte de la raison, comme cela ressort du livre II, d. 24. Il n’existe donc pas une volonté de la sensualité. |
[9532] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 4 Praeterea,
sensualitas significatur per serpentem, in qua est primus motus peccati. Sed
in Christo non est aliquid serpentinum, nec aliquod peccatum. Ergo in ipso non est voluntas
sensualitatis. |
4. La sensualité est signifiée par le serpent : elle est le siège du premier mouvement du péché. Or, chez le Christ, il n’y a rien qui ressemble au serpent, ni aucun péché. Chez lui, il n’y a donc pas de volonté de la sensualité. |
[9533] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 5 Praeterea, motus
sensualitatis sunt subiti. Sed in Christo non est aliquid subitum, quia totum
ab ipso fuit praevisum. Ergo in ipso
non fuit voluntas sensualitatis. |
5. Les mouvement de la sensualité sont soudains. Or, chez le Christ, il n’y a rien de soudain, car tout a été vu d’avance par lui. Il n’y a donc pas de volonté de la sensualité chez lui. |
[9534] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 2 s. c. 1 Sed contra,
sensualitas est medium inter corpus et rationem. Sed positis extremis ponitur
medium. Cum igitur in
Christo fuerit corpus humanum et anima rationalis, oportet quod in ipso
fuerit sensualitas. |
Cependant, [1] la sensualité est l’intermédiaire entre le corps et la raison. Or, si on affirme les extrêmes, on affirme ce qui est intermédiaire. Puisque, chez le Christ, existaient un corps humain et une âme raisonnable, il est donc nécessaire qu’ait existé chez lui la sensualité. |
[9535] Super Sent., lib.
3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, philosophus dicit in 2 de anima: sicut
trigonum in tetragono, et tetragonum in pentagono, sic nutritivum in sensitivo,
et sensitivum in intellectivo. Sed in Christo fuit anima intellectiva.
Ergo in Christo fuit sensitiva quantum ad omnes sui partes: ergo et voluntas
sensualitatis, quae est pars sensitivae. |
[2] Le Philosophe dit, dans Sur l’âme, II : « De même que le trigone s’inscrit dans le tétragone et le tétragone, dans le pentagone, de même la fonction nutritive, à l’intérieur de la fonction sensible, et la fonction sensible s’inscrivent-elles à l’intérieur de la fonction intellective. » Or, chez le Christ, existait une âme intellective. Il existait donc chez le Christ une [âme] sensible avec toutes ses parties. Il existait donc en lui une volonté de la sensualité, qui est une partie de [la partie] sensible. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Existait-il chez le Christ plusieurs volontés de la raison ?] |
[9536] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod in Christo sint plures voluntates rationis. Quia Damascenus in 2 Lib.,
distinguit duas voluntates rationis, scilicet thelesin, quae est voluntas
naturalis. Et bulesin, quae est voluntas rationalis. Sed nihil eorum quae ad
perfectionem humanae naturae pertinent, Christo defuit. Ergo in Christo fuit
duplex rationis voluntas. |
1. Il semble qu’il y ait chez le Christ plusieurs volontés raisonnables, car [Jean] Damascène, dans le livre II, distingue deux volontés de la raison, à savoir, la thelesis, qui est la volonté naturelle, et la boulèsis, qui est la volonté raisonnable. Or, rien de ce qui concerne la perfection de la nature humaine n’a fait défaut au Christ. Il existait donc une double volonté de la raison chez le Christ. |
[9537] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 2 Praeterea,
peccatum proprie est in voluntate. Dicitur autem esse aliquando in superiori
ratione, aliquando autem in inferiori. Ergo utrique rationi respondet sua voluntas, quas oportet in Christo
ponere. |
2. Le péché réside à proprement parler dans la volonté. Or, on dit parfois qu’il réside dans la raison supérieure, et parfois dans la raison inférieure. Sa propre volonté correspond donc aux deux raisons, qu’il est nécessaire d’affirmer chez le Christ. |
[9538] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 3 Praeterea,
philosophus in 6 Ethic. ponit diversas potentias apprehensivas in parte
intellectiva; scilicet scientificum, quod cognoscit necessaria, et
ratiocinativum, sive opinativum, per quod comprehendimus contingentia
operabilia a nobis. Sed apprehensionem sequitur suus appetitus. Ergo in parte intellectiva
sunt plures voluntates. |
3. Dans Éthique, VI, le Philosophe affirme plusieurs puissances d’appréhension dans la partie intellective : la scientifique, qui connaît les réalités nécessaires, et la raisonnable ou celle qui opine, par laquelle nous comprenons les réalités contingentes qui peuvent être faites par nous. Or, son appétit découle de l’appréhension. Il existe donc plusieurs volontés dans la partie intellective. |
[9539] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 4 Praeterea, omnis
virtus humana est in ratione, ex qua habet homo quod sit homo. Sed dicitur a magistris quod est quaedam
irascibilis et concupiscibilis humana. Ergo oportet eas ponere in ratione. Sed
haec pertinent ad voluntatem. Ergo in ratione sunt plures voluntates. |
4. Toute vertu humaine réside dans la raison, dont l’homme tient d’être homme. Or, les maîtres disent qu’il existe un irascible humain et un concupiscible humain. Il faut donc les situer dans la raison. Or, ceux-ci se rapportent à la volonté. Il existe donc plusieurs volontés dans la raison. |
[9540] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 5 Praeterea, in
parte intellectiva est liberum arbitrium, quod est electivum eorum quae sunt
ad finem, et voluntas, quae est finis, ut dicitur in 3 Ethic. Neutrum autem horum
defuit Christo. Ergo idem quod prius. |
5. Dans la partie intellective, existent le libre arbitre, qui choisit ce qui se rapporte à la fin, et la volonté, qui porte sur la fin, comme on le dit dans Éthique, III. Or, aucun des deux n’a fait défaut au Christ. La conclusion est donc la même que précédemment. |
[9541] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 6 Praeterea, Hugo
de sancto Victore ponit in Christo praeter voluntatem sensualitatis et
rationis, et divinam, voluntatem pietatis. Pietas autem in ratione est. Ergo videtur
quod sint plures voluntates in ratione. |
6. Hugues de Saint-Victor affirme chez le Christ, en plus de la volonté de la sensualité, de [la volonté] de la raison et de la volonté divine, la volonté de la piété. Or, la piété se situe dans la raison. Il semble donc qu’il y ait plusieurs volontés dans la raison. |
[9542] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 3 s. c. 1 Sed contra est
quod philosophus in 3 de anima voluntatem rationis non distinguit, sicut
distinguit appetitum partis sensitivae. |
Cependant, [1] dans Sur l’âme, III, le Philosophe ne fait pas de distinction dans la volonté de la raison, comme il fait une distinction pour la partie sensible. |
[9543] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, homo dicitur minor mundus, quia assimilatur universo. Sed
in universo est tantum unus primus motor. Ergo et in homine. Sed primus motor
est voluntas rationis quae movet omnes alias vires secundum Anselmum. Ergo
oportet ponere unam tantum voluntatem rationis in Christo, et in omnibus
aliis hominibus. |
[2] L’homme est appelé un microcosme parce qu’il ressemble à l’univers. Or, dans l’univers, il n’existe qu’un premier moteur, Donc aussi, chez l’homme. Or, le premier moteur est la volonté de la raison, qui meut toutes les autres puissances, selon Anselme. Il faut donc affirmer une seule volonté de la raison chez le Christ et chez tous les autres hommes. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[9544] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod voluntas consequitur
naturam humanam: quod quidem Damascenus in 3 Lib., probat quinque rationibus.
Primo, quia quaelibet natura habet motum proprium: motus autem rationalis
naturae proprius est ut libere in aliquid tendat, quod voluntatis est.
Secundo, quia nullus addiscit velle, sicut nec alia naturalia. Tertio, quia
natura in homine non ducit sicut in aliis, sed ducitur; unde oportet homini
libertatem inesse in suo motu: et hoc est voluntatis. Quarto, quia homo
secundum suam naturam ad imaginem Dei factus est: consistit autem imago in
memoria, intelligentia, et voluntate. Quinto, quia invenitur in omnibus
habentibus naturam; unde Christus cum naturam nostram integram assumpserit
(alias non esset verus homo), constat quod voluntatem assumpsit; et ita in
Christo est voluntas humana et divina: non quidem componentes unam
voluntatem, sicut Eutyches dixit, quia tunc neutra esset in eo; sed utraque
distincta manens in ipso; et sic in Christo sunt duae voluntates. |
La volonté découle de la nature humaine, ce que [Jean] Damascène démontre par cinq arguments dans le livre III. Premièrement, parce que toute nature possède un mouvement qui lui est propre. Or, le mouvement propre de la nature raisonnable consiste en ce qu’elle tende librement vers quelque chose, ce qui est le propre de la volonté. Deuxièmement, parce que personne n’apprend à vouloir, pas plus que les autres choses naturelles. Troisièmement, parce que la nature chez l’homme ne dirige pas, comme chez les autres choses, mais qu’elle est mue; il est donc nécessaire que la liberté soit présente dans son mouvement chez l’homme, ce qui est la volonté. Quatrièmement, parce que, selon sa nature, l’homme a été créé à l’image de Dieu; or, l’image consiste dans la mémoire, l’intelligence et la volonté. Cinquièmement, parce qu’elle se trouve dans tous ceux qui possèdent la nature [humaine]; puisque le Christ a assumé intégralement notre nature (autrement, il ne serait un homme véritable), il est donc clair qu’il a assumé la volonté. Ainsi, il existe chez le Christ une volonté humaine et une volonté divine, qui ne composent pas une seule volonté, comme l’a dit Eutychès ‑ car alors aucune des deux n’existerait chez lui ‑, mais les deux demeurent distinctes chez lui. Il existe ainsi chez le Christ deux volontés. |
[9545] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod quamvis velle sit personae, tamen hoc est per potentiam naturalem, quae
est principium illius actus: et ideo, quia in Christo sunt duae naturae, sunt
duae voluntates; tamen est unus volens propter unitatem personae. |
1. Bien que vouloir relève de la personne, cela vient cependant d’une puissance naturelle, qui est le principe de cet acte. C’est pourquoi, parce que deux natures existent chez le Christ, il existe deux volontés. Cependant, il n’y en a qu’un seul qui veut en raison de l’unité de la personne. |
[9546] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod voluntas divina non ducit affectum humanum cogendo ipsum, sed
dirigendo; et hoc non excludit rationem voluntatis. |
2. La volonté divine ne conduit pas la volonté humaine en la forçant, mais en la dirigeant, et cela n’exclut pas le caractère volontaire. |
[9547] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod voluntas dicitur tribus modis. Aliquando ipsa potentia volendi; aliquando
ipse actus volendi; aliquando autem ipsum volitum; et quantum ad hoc unitur
voluntas sancti hominis voluntati Dei, non autem quantum ad duo prima. |
3. On parle de volonté de trois manières. Parfois, [on parle] de la puissance même de vouloir; parfois, de l’acte de vouloir; mais parfois, de ce qui est voulu. Sous ce dernier aspect, la volonté d’un saint homme est unie à la volonté de Dieu, mais non sous les deux premiers. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[9548] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in Christo fuerunt omnia quae sunt de perfectione
humanae naturae. Sicut autem de perfectione humanae naturae, inquantum homo
est homo, est rationis voluntas; ita de perfectione hominis, inquantum
animal, est appetitus sensibilis; et ideo oportet appetitum sensitivae partis
in Christo ponere. Sed iste appetitus in aliis animalibus non habet rationem
voluntatis, quia aguntur instinctu naturae potius quam agant, ut dicit
Damascenus, et ita non habent liberum motum, quem voluntas requirit. Tamen
appetitus sensibilis potest in homine dici voluntas, inquantum est obediens
rationi, ut dicitur in 1 Ethic.; et ideo participat aliqualiter libertatem
voluntatis, sicut et rectitudinem rationis, ut possit dici voluntas participative,
sicut dicitur ratio per participationem. Et ita in Christo quantum ad humanam
naturam dicimus duas voluntates, scilicet sensualitatis et rationis. |
Tout ce qui fait partie de la perfection de la nature humaine existait chez le Christ. Or, de même que la volonté de la raison fait partie de la perfection de la nature humaine, pour autant que l’homme est homme, de même, l’appétit sensible fait-il partie de la perfection de l’homme, pour autant qu’il est animal. Il faut donc affirmer chez le Christ l’appétit de la partie sensible. Mais cet appétit, chez les autres animaux, n’a pas raison de volonté, car « ils sont mus par un instinct de la nature plutôt qu’ils n’agissent », comme le dit [Jean] Damascène; ainsi, ils n’ont pas de mouvement libre, ce qu’exige la volonté. Cependant, l’appétit sensible peut être appelé volonté chez l’homme pour autant qu’il obéit à la raison, comme on le dit dans Éthique, I. Il participe ainsi d’une certaine manière à la liberté de la volonté, de même qu’à la rectitude de la raison, de sorte qu’on peut l’appeler volonté par participation, comme on l’appelle raison par participation. Ainsi, nous parlons de deux volontés chez le Christ selon la nature humaine : celle de la sensualité et celle de la raison. |
[9549] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod in Christo sunt duae naturae integrae, quarum una non est pars
alterius, ex quibus immediate persona componitur; sed tamen altera naturarum,
scilicet humana, dividitur in multas partiales naturas, sicut in naturam
corporis et animae, in sensitivam et rationalem; et secundum hoc etiam
voluntas humana dividitur in duas voluntates. |
1. Chez le Christ, il existe deux natures complètes, dont l’une n’est pas une partie de l’autre, et dont la personne est immédiatement composée. Cependant, l’une des natures, la nature humaine, est divisée en plusieurs natures partielles, comme la nature du corps et celle de l’âme, celle de la partie sensible et celle de la partie rationnelle. Sous cet aspect aussi, la volonté humaine est divisée en deux volontés. |
[9550] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod sicut appetitus rationis non sequitur quamlibet apprehensionem
rationis, sed quando aliquid apprehenditur ut bonum, ita et appetitus sensibilis
non surgit nisi quando apprehenditur ut conveniens. Hoc autem non fit per exteriorem sensum,
qui apprehendit formas sensibiles; sed per aestimationem, quae apprehendit rationem
convenientis et nocivi quam sensus exterior non apprehendit; et ideo in parte
sensitiva non est nisi unus appetitus secundum genus; qui tamen dividitur,
sicut in species, in irascibilem et concupiscibilem, quarum utraque sub
sensualitate computatur. |
2. De même que l’appétit de la raison ne suit pas n’importe quelle saisie de la raison, mais celle où quelque chose est saisi comme bon, de même aussi l’appétit sensible ne s’éveille-t-il que lorsqu’une chose est saisie comme bonne. Or, cela n’est pas le fait du sens extérieur, qui saisit les formes sensibles, mais de l’estimation, qui saisit le caractère convenable et nuisible, que le sens extérieur ne saisit pas. C’est pourquoi, dans la partie sensible, il n’existe qu’un appétit selon le genre; il se divise cependant comme en des espèces en irascible et en concupiscible, dont les deux sont comptés sous la sensualité. |
[9551] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod voluntas per essentiam, est in ratione per essentiam; et
voluntas participative, est in ratione per participationem. |
3. La volonté par essence existe dans la raison par essence, et la volonté par participation existe dans la raison par participation. |
[9552] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod sensualitas dicitur serpens, et principium peccati, non quantum
ad naturam potentiae, quam Christus assumpsit, sed quantum ad corruptionem
fomitis, quae in Christo non fuit. |
4. La sensualité est appelée un serpent en tant qu’elle est principe de péché, non selon la nature de la puissance que le Christ a assumée, mais selon la corruption de la convoitise (corruptionem fomitis)[2], qui n’existait pas chez le Christ. |
[9553] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod in Christo aliquid accidit non praevisum a sensu interiori vel
exteriori, quamvis praevisum ab eo per rationem, vel per scientiam divinam:
et ideo in ipso motus sensualitatis fuit quidem subitus respectu sensus, sed
non respectu rationis vel divinitatis. |
5. Chez le Christ, survient quelque chose d’imprévu à partir du sens intérieur ou du sens extérieur, bien que cela ait été prévu par lui par la raison ou par la science divine. C’est pourquoi, dans le mouvement même de la sensualité, il fut soudain par rapport au sens, mais non par rapport à la raison ou la divinité. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
|
[9554] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod distinctio potentiarum
attenditur secundum diversas rationes: objectum autem voluntatis est bonum
secundum rationem boni; unde cum ista ratio sit communis omnibus, non potest
esse quod appetitus rationis secundum diversas potentias distinguatur; et
ideo in Christo et in aliis hominibus est tantum una potentia voluntatis. Possunt autem esse diversi respectus illius
voluntatis, secundum quos invenitur aliquando distingui voluntas rationis. Magister autem attendens
ad naturam potentiae, voluntatem rationis in Christo non distinguit. |
La distinction entre les puissances s’envisage selon diverses raisons. Or, l’objet de la volonté est le bien selon la raison de bien. Puisque cette raison est commune à toutes les choses, il ne peut arriver que des distinctions existent dans l’appétit de la raison selon diverses puissances. C’est pourquoi, chez le Christ et chez les autres hommes, il n’existe qu’une seule puissance de la volonté. Mais il peut exister divers rapports de cette volonté, selon lesquels on trouve parfois des distinctions à l’intérieur de la volonté de la raison. Or, le Maître, en s’en tenant à la nature de la puissance, ne fait pas de distinctions dans la volonté de la raison chez le Christ. |
[9555] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod thelesis secundum Damascenum est voluntas naturalis, quae
scilicet in modum naturae movetur in aliquid secundum bonitatem absolutam in
eo consideratam; bulesis autem est appetitus rationalis, qui movetur in
aliquod bonum ex ordine alterius: et haec duo a Magistro aliis nominibus
dicuntur voluntas ut natura, et voluntas ut ratio: secundum quae tamen non
diversificatur potentia voluntatis: quia diversitas ista est ex eo quod
movemur in aliquid sine collatione, vel cum collatione. Conferre autem non
est per se voluntatis, sed rationis. Unde illa divisio voluntatis non est per
essentialia, sed per accidentalia: et propter hoc non sunt diversae
potentiae, sed una differens secundum respectum ipsius ad apprehensionem
praecedentem, quae potest esse cum collatione, vel sine collatione. Tamen utraque istarum in Christo fuit,
scilicet voluntas ut natura, quae est thelesis et voluntas ut ratio, quae est
bulesis. |
1. La thélésis,
selon [Jean] Damascène, est la volonté naturelle, qui est mue selon le mode
de la nature vers quelque chose selon la bonté absolue qui y est envisagée.
Mais la boulèsis est l’appétit
raisonnable, qui est mû vers un bien en raison de quelque chose d’autre. Le
Maître exprime ces deux choses sous d’autres mots : la volonté comme nature
et la volonté comme raison. Mais la puissance de la volonté n’est pas
diversifiée par elles, car cette diversité vient du fait qu’elle est mue vers
quelque chose sans rapprochement ou avec un rapprochement. Or, le rapprochement
n’est pas par soi le fait de la volonté, mais de la raison. Cette division de
la volonté n’est donc pas faite selon quelque chose d’essentiel, mais selon
quelque chose d’accidentel. Pour cette raison, elles ne sont pas des
puissances différentes, mais une seule [puissance] différant selon son
rapport à une compréhension antérieure, qui peut se réaliser avec ou sans
rapprochement. Cependant, ces deux choses existaient chez le Christ : la
volonté comme nature, qui est la thélésis,
et la volonté comme raison, qui est la boulèsis. |
[9556] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod peccatum dicitur esse in ratione, non quia in ipsa completur,
sed in voluntate consequente rationem. Ratio autem superior et inferior non
sunt diversae potentiae: quia non distinguuntur secundum rationem objecti, ut
in 2, dist. 24, quaest. 2, art. 2, dictum est; sed illa distinctio est
rationis secundum ordinem ad habitus diversos, secundum quod ex diversis
mediis ad idem procedit, scilicet rationibus temporalibus et aeternis. Medium
autem ex quo proceditur ad aliquid, pertinet ad rationem, non ad voluntatem:
unde quamvis in ratione faciat aliquam diversitatem vel distinctionem, saltem
per officia, in voluntate nullam distinctionem causat. |
2. On dit que le péché se situe dans la raison, non pas parce qu’il s’accomplit en elle, mais dans la volonté qui découle de la raison. Or, la raison supérieure et la raison inférieure ne sont pas des puissances différentes, parce qu’elles ne se distinguent pas selon la raison de leur objet, comme on l’a dit dans le livre II, d. 24, q. 2, a. 2. Mais cette distinction est une distinction de raison selon le rapport à des habitus différents, en tant qu’elle accède à la même chose par des moyens différents, à savoir, les raisons temporelles et les raisons éternelles. Or, le moyen par lequel on accède à une chose relève de la raison, et non de la volonté; bien qu’il réalise une certaine diversité ou distinction dans la raison, du moins pour ce qui est des fonctions, il ne cause aucune distinction dans la volonté. |
[9557] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod objectum intellectus est verum, cujus
differentiae sunt necessarium et contingens; non autem sunt differentiae boni
inquantum hujusmodi, quod est objectum appetitus: et ideo necessarium et
contingens magis possunt diversificare intellectum quam voluntatem. |
3. L’objet de l’intellect est le vrai, dont les différences sont le nécessaire et le contingent. Mais il n’existe pas de différences du bien en tant que tel, qui est l’objet de l’appétit. Aussi le nécessaire et le contingent peuvent-ils plutôt apporter une diversité dans l’intellect que dans la volonté. |
[9558] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod objectum appetitus sensibilis non est bonum simpliciter, sed
est bonum particulare: et quia aliam rationem particularis boni habet
delectabile et arduum; ideo penes has duas rationes boni dividitur appetitus
sensibilis, et non rationalis, qui habet pro objecto bonum simpliciter; unde
irascibilis et concupiscibilis, non sunt humanae per essentiam, sed per
participationem. |
4. L’objet de l’appétit sensible n’est pas le bien tout simplement, mais un bien particulier. Parce que ce qui est délectable et ce qui est difficile ont des raisons différentes comme biens particuliers, l’appétit sensible se divise donc selon ces deux raisons de bien, mais non l’appétit raisonnable, qui a comme objet le bien tout simplement. Aussi l’irascible et le concupiscible ne sont-ils pas humains par essence, mais par participation. |
[9559] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod voluntas quae est finis, et liberum arbitrium, non sunt
diversae potentiae, sicut in 2 Lib., dist. 24, quaest. 1, art. 3, dictum est; sed
differunt bulesis et thelesis, quia ad liberum arbitrium pertinet eligere
aliquid in ordine ad finem, voluntas autem est de fine absolute. Ex his quae
dicta sunt, potest videri quomodo voluntas in Christo distinguatur. Voluntas
enim aliqua, vel attribuitur sibi ratione personae suae, vel ratione
membrorum, quorum personam in se transfert. Si autem ratione personae suae, aut secundum divinam naturam, aut
secundum humanam. Si secundum humanam, aut sensualitatis aut rationis. Si
rationis, aut secundum absolutam, aut secundum collativam. |
5. La volonté qui porte sur la fin et le libre arbitre ne sont pas des puissances différentes, comme on l’a dit dans le livre II, d. 24, q. 1, a. 3; mais la boulèsis et la thélésis diffèrent parce qu’il relève du libre arbitre de choisir quelque chose en vue de la fin, alors que la volonté porte sur la fin de manière absolue. À partir de ce qui a été dit, on peut voir comment la volonté se distingue chez le Christ. En effet, une volonté [lui] est attribuée soit en raison de sa personne, soit en raison de [ses] membres, dont il inclut la personne en lui. Si c’est en raison de sa personne, c’est soit selon la nature divine, soit selon la nature humaine. Si c’est selon la nature humaine, c’est soit selon la sensualité, soit selon la raison. Si c’est selon la raison, c’est soit selon la raison absolue, soit selon la raison qui réalise des rapprochements. |
[9560] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 6 Ad sextum
dicendum, quod voluntas pietatis est voluntas ut natura, inquantum refugit ea
quae sunt nociva sibi, vel aliis, non considerato ordine rerum ad finem. |
6. La volonté de la piété est la volonté comme nature, pour autant qu’elle fuit ce qui est nuisible à soi-même ou aux autres, sans prendre en compte l’ordre des choses par rapport à la fin. |
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Articulus 2 [9561] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 2 tit. Utrum voluntas humana in Christo divinae voluntati semper conformis
fuerit in volito |
Article 2 – La volonté humaine chez le Christ a-t-elle toujours été conforme [à la volonté divine] du point vue de ce qui était voulu ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La volonté humaine chez le Christ était-elle toujours conforme à la volonté divine du point de vue de ce qui était voulu ?] |
[9562] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod voluntas humana in Christo
semper divinae voluntati conformabatur in volito. Quanto enim est major
conformitas humanae ad divinam, tanto est major rectitudo voluntatis, quae in
hoc consistit, sicut patet per Glossam super illud Psalm. 32: rectos decet
collaudatio. Sed Christus habuit rectissimam voluntatem. Ergo
conformabatur divinae voluntati etiam quantum ad volita. |
1. Il semble que la volonté humaine chez le Christ était toujours conforme à la volonté divine du point de vue de ce qui était voulu. En effet, plus est grande la conformité de la volonté humaine à la volonté divine, plus est grande la rectitude de la volonté qui consiste en cela, comme cela ressort de la Glose sur Ps 32 : La louange convient à ceux qui sont droits. Or, le Christ avait la volonté la plus droite. Il se conformait donc aussi à la volonté divine du point de vue de ce qui était voulu. |
[9563] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, voluntas beatorum conformatur Deo quantum ad volita: quia
omnia habent quae volunt. Sed Christus fuit verus comprehensor. Ergo quantum ad volitum divinae
voluntati ejus voluntas conformis erat. |
2. La volonté des bienheureux se conforme à Dieu du point de vue de ce qui est voulu, car ils ont tout ce qu’ils veulent. Or, le Christ était un véritable comprehensor. Du point de ce qui était voulu, sa volonté était donc conforme à la volonté divine. |
[9564] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2
qc. 1 arg. 3 Praeterea, ex
hoc licet nobis aliud velle quam Deus vult, quia nescimus quid Deus velit in
aliquibus. Sed Christus
sciebat in omnibus quid Deus vellet. Ergo quantum ad omnia volita voluntatem
humanam divinae conformabat. |
3. Il nous est permis de vouloir autre chose que ce que Dieu veut parce que nous ne savons pas ce que Dieu veut dans certains cas. Or, le Christ savait ce que Dieu voulait en tout. Il conformait donc en tout sa volonté humaine à la volonté divine. |
[9565] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
Christus flevit de destructione Hierusalem. Ergo volebat eam non destrui. Sed Deus volebat eam destrui. Ergo voluit
aliquid quod Deus non voluit. |
Cependant, [1] le Christ a pleuré sur le destruction de Jérusalem. Il voulait donc qu’elle ne soit pas détruite. Or, Dieu voulait qu’elle soit détruite. Il a donc voulu quelque chose que Dieu que Dieu ne voulait pas. |
[9566] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, ipse
dixit Luc. 22, 42: non mea voluntas, sed tua fiat. Ergo volebat
secundum voluntatem humanam aliquid quod non volebat secundum divinam. |
[2] Lui-même a dit en Lc 22, 42 : Non pas ma volonté, mais que la tienne s’accomplisse! Il voulait donc quelque chose selon sa volonté humaine, qu’il ne voulait pas selon la volonté divine. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La volonté de la sensualité était-elle contraire à la volonté de la raison chez le Christ ?] |
[9567] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod voluntas sensualitatis sit contraria voluntati rationis in Christo.
Sicut enim dicit Augustinus in Lib. de Trinit., voluntatum contrarietas est
ex contrarietate volitorum, non ex contrarietate naturarum, ut Manichaei
dicunt. Sed volita sensualitatis et rationis in Christo fuerunt contraria:
quia sensualitas refutabat mortem, quam ratio eligebat. Ergo contrariabatur
voluntas sensualitatis voluntati rationis in Christo. |
1. Il semble que la volonté de la sensualité soit contraire à la volonté de la raison chez le Christ. En effet, comme le dit Augustin dans le livre Sur la Trinité, « l’opposition des volontés vient de l’opposition de ce qui est voulu, non de l’opposition des natures, comme le disent les manichéens ». Or, ce qui est voulu par la sensualité et par la raison chez le Christ est opposé, car la sensualité refusait la mort, que la raison choisissait. La volonté de la sensualité s’opposait donc à la volonté de la raison chez le Christ. |
[9568] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 2 Praeterea, sicut
dicit Damascenus, in Christo unicuique potentiae permittebatur agere quod
erat sibi proprium et naturale. Sed naturale est appetitui sensualitatis ut appetat hoc quod est
delectabile secundum sensum. Ergo hoc appetebat in Christo. Sed ex hoc est
pugna sensualitatis contra rationem in nobis quod sensualitas appetit
delectabilia secundum sensum. Ergo in Christo hujusmodi pugna fuit. |
2. Comme le dit [Jean] Damascène, « chez le Christ, il était permis à chaque puissance d’agir selon ce qui lui était propre et naturel ». Or, il est naturel à l’appétit de la sensualité de désirer ce qui est délectable selon le sens. Il désirait donc cela chez le Christ. Or, un combat de la sensualité contre la raison (pugna sensualitatis contra rationem) existe chez nous du fait que la sensualité désire des choses délectables selon le sens. Un tel combat existait donc chez le Christ. |
[9569] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, quicumque affligitur in hoc in quo alius delectatur, habet contrariam voluntatem
illi. Sed voluntas rationis Christi delectabatur in jejunio, sicut in opere
virtutis, in quo sensualitas affligebatur, quia esuriit, ut dicitur Matth. 4.
Ergo sensualitas rationi contrariabatur in Christo. |
3. Tous ceux qui sont affligés par ce en quoi un autre se délecte possèdent une volonté qui lui est opposée. Or, la volonté de la raison du Christ se délectait dans le jeûne, comme dans un acte de vertu, ce par quoi la sensualité était affligée parce qu’elle avait faim, comme on le dit dans Mt 4. La sensualité s’opposait donc à la raison chez le Christ. |
[9570] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2
qc. 2 s. c. 1 Sed contra, in
rebellione sensualitatis ad rationem consistit primus motus, qui est peccatum
veniale. Sed in Christo
non fuit aliquod peccatum. Ergo non fuit in Christo contrarietas
sensualitatis ad rationem. |
Cependant, [1] le premier mouvement, qui est un péché véniel, consiste dans la rébellion de la sensualité (in rebellione sensualitatis) contre la raison. Or, chez le Christ, il n’y avait aucun péché. Chez le Christ, il n’y avait donc pas d’opposition de la sensualité à la raison. |
[9571] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2
qc. 2 s. c. 2 Praeterea,
Augustinus super Gen., dicit: omne animal fuit in arca Noe, quia omnes
motus fuerunt peccati in Christo. Sed hoc non contingit in illis in quibus est pugna sensualitatis
contra rationem. Ergo in Christo talis pugna non fuit. |
[2] Augustin dit à propos de la Genèse : « Tous les animaux se trouvaient avec Noé dans l’arche parce que tous les mouvements du péché se trouvaient chez le Christ. » Or, cela ne se produit pas chez ceux où il n’existe pas de combat de la sensualité contre la raison. Il n’y eut donc pas un tel combat chez le Christ. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La volonté de la raison était-elle contraire à elle-même ?] |
[9572] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod voluntas rationis erat sibi contraria.
Medium enim communicat cum utroque extremorum. Sed voluntas rationis media erat in Christo
inter voluntatem divinam et sensualitatem. Ergo conformabatur utrique. Sed sensualitas volebat contrarium ejus
quod Deus volebat. Ergo voluntas rationis volebat contraria. |
1. Il semble que la volonté de la raison était contraire à elle-même. Or, la volonté de la raison était l’intermédiaire, chez le Christ, entre la volonté divine et la sensualité. Elle se conformait donc aux deux. Or, la sensualité voulait le contraire de ce que Dieu voulait. La volonté de la raison voulait donc des choses contraires. |
[9573] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, voluntas ut natura vult illud quod est ad conservationem
naturae. Sed voluntas ut ratio in Christo volebat mortem, et alia hujusmodi
quae ad corruptionem naturae pertinent. Ergo in voluntate rationis erat contrarietas
in Christo. |
2. La volonté comme nature veut ce qui est ordonné à la conservation de la nature. Or, la volonté comme raison chez le Christ voulait la mort et d’autres choses de ce genre, qui concernent la corruption de la nature. Il existait donc une opposition à l’intérieur de la volonté de la raison chez le Christ. |
[9574] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2
qc. 3 arg. 3 Sed contra,
contraria non possunt esse in eodem simul. Sed voluntas rationis est tantum
una potentia, ut dictum est, art. praec. Ergo non potest esse in ea aliqua contrarietas. |
3. Il ne peut exister de choses contraires chez le même. Or, la volonté de la raison n’est qu’une seule puissance, comme on l’a dit à l’article précédent. Il ne peut donc exister d’opposition à l’intérieur d’elle. |
[9575] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, voluntas sequitur apprehensionem rationis. Sed in ratione Christi non fuit
aliqua contrarietas, sed fuit determinata ad unum. Ergo nec in voluntate. |
4. La volonté suit la compréhension de la raison. Or, il n’y avait pas d’opposition à l’intérieur de la raison du Christ, mais elle était déterminée à une seule chose. Donc, ni à l’intérieur de sa volonté. |
[9576] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 5 Praeterea, sicut dicit Augustinus in Lib. Confess.,
contrarietas voluntatis causatur ex imperfectione voluntatis: quia voluntas
non est perfecta neque istius neque illius. Sed in Christo non fuit voluntas imperfecta.
Ergo voluntas rationis
non contrariabatur sibi. |
5. Comme le dit Augustin dans le livre des Confessions, la contrariété à l’intérieur de la volonté est causée par l’imperfection de la volonté, car il n’y a de volonté parfaite ni de ceci ni de cela. Or, chez le Christ, il n’existait pas de volonté imparfaite. La volonté de la raison ne s’opposait donc pas à elle-même. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[9577] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod cum voluntas sequatur rationem, processus
voluntatis proportionatur processui rationis. Ratio autem habet aliquod
principium per se notum, ad quod resolvendo, reducit illud cujus cognitionem
quaerit: et quando ad illud reducere potuerit, habet certitudinem de re, et
sententiat quod ita est; sed antequam ad illud principium reducere possit,
movetur aliquibus verisimilitudinibus: et si quidem rationibus illis
detineatur tamquam certis, decipitur et errat; si autem illis non detineatur,
tunc habet opinionem unius partis cum formidine alterius. Finis autem, ut
dicit philosophus, 7 Ethic., se habet in voluntariis sicut principium in
speculativis: unde quando voluntas reducit aliquid consiliabile in finem in
quo totaliter quiescit, sententialiter acceptat illud; si autem reducat in
finem in quo non totaliter quiescit, trepidat inter utrumque. Sed si
consideretur hoc quod est ad finem sine ordine ad finem, movetur voluntas in
ipsum secundum bonitatem vel malitiam, quam in eo absolute inveniet. Sed quia
voluntas non sistit in motu quem habet circa hujusmodi, cum non feratur in
ipsum sicut in finem; ideo non sententiat finaliter secundum praedictum motum
suum de illo, quousque finem in quem illud ordinat, non consideret: unde
voluntas non simpliciter vult illud; sed vellet, si nil inveniretur
repugnans. Voluntas autem ut natura movetur in aliquid, ut dictum est, absolute:
unde si per rationem non ordinetur in aliquid aliud, acceptabit illud
absolute, et erit illius tamquam finis; si autem ordinet in finem, non
acceptabit aliquid absolute, quousque perveniat ad considerationem finis,
quod facit voluntas ut ratio. Patet igitur quod voluntas ut natura imperfecte
vult aliquid, et sub conditione, nisi feratur in ipsum sicut in finem; sed
eorum quae ordinantur ad finem, habet voluntas ut ratio ultimum judicium et
perfectum. His visis, potest patere, qualiter voluntas rationis, divinae
voluntati in Christo conformatur in volito; quia voluntas ut natura nunquam
in Christo movebatur in aliquid sicut in finem, nisi quod Deus vult. Et cum
voluntas ut ratio nunquam moveatur in aliquid nisi ex ratione finis, patet
quod etiam voluntas ut ratio conformabatur divinae voluntati in volito; sed
voluntas ut natura, mota in aliquid non sicut in finem (quod quidem non eodem
modo se habet in bonitate et malitia secundum se consideratum, et in ordine
ad finem), non conformabatur divinae voluntati in volito: quia Christus
volebat non pati, Deus autem volebat eum mori; mors autem secundum se mala
erat, sed relata ad finem, bona. Hoc autem, ut dictum est, non est perfecte velle aliquid, sed sub
conditione: unde a magistris velleitas appellatur. Patet igitur quod secundum
voluntatem rationis conformabatur divinae voluntati in volito quantum ad omne
quod perfecte et absolute volebat, non autem quantum ad id quod volebat
imperfecte. Similiter etiam nec voluntas sensualitatis conformabatur divinae
voluntati in volito in his quae erant nociva naturae: quia sensualitatis non
est ordinare ad finem, ex quo illa habebant quod essent bona, et Deo accepta:
tamen sensualitatis voluntas et rationis conformabatur divinae voluntati in
actu volendi, quamvis non in volito; quia quamvis Deus non vellet hoc quod
sensualitas vel voluntas ut natura volebat in Christo, volebat tamen illum
actum utriusque, inquantum, secundum Damascenum, permittebat unicuique
partium animae pati et agere quod sibi erat naturale et proprium, quantum
expediebat ad finem redemptionis, et ostensionem veritatis naturae. |
Puisque la volonté suit la raison, la démarche de la volonté est proportionnée à la démarche de la raison. Or, la raison possède un principe connu par lui-même, auquel elle ramène ce dont elle cherche la connaissance en l’y ramenant, et lorsqu’elle a pu l’y ramener, elle possède la certitude à propos de cette chose et juge qu’il en est ainsi. Mais avant de pouvoir la ramener à ce principe, elle est mue par des vraisemblances : si elle est retenue par ces raisonnements comme s’ils étaient certains, elle se trompe et erre; mais si elle n’est pas retenue par eux, elle a alors une opinion à propos d’un aspect, en en craignant un autre. Or, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VII, la fin joue, pour les choses volontaires, le rôle du principe pour les choses spéculatives. Lorsque la volonté ramène ce qui est l’objet du conseil à la fin dans laquelle elle se repose entièrement, elle l’accepte par mode de jugement; mais si elle le ramène à une fin dans laquelle elle ne se repose pas entièrement, elle s’affole des deux côtés. Mais si ce qui est ordonné à la fin est envisagé sans ordre à la fin, la volonté est mue vers cela selon sa bonté ou sa malice, qu’elle trouvera en cela de manière absolue. Mais parce que la volonté ne s’arrête pas dans le mouvement qu’elle a vers les choses de ce genre, puisqu’elle n’y est pas portée comme vers la fin, elle n’en décide donc pas de manière définitive selon le mouvement mentionné, jusqu’à ce qu’elle ne considère plus la fin vers laquelle elle l’ordonne; la volonté ne veut donc pas cela tout simplement, mais elle le voudrait si rien ne s’y opposait. Or, la volonté comme nature est mue vers quelque chose de manière absolue, comme on l’a dit; si donc elle n’est pas ordonnée vers quelque chose d’autre par la raison, elle l’acceptera de manière absolue et cela sera comme sa fin; mais si elle l’ordonne vers la fin, elle ne l’acceptera pas de manière absolue avant de parvenir à considération de la fin, ce que fait la volonté comme raison. Il est donc clair que la volonté comme nature veut quelque chose de manière imparfaite et sous condition, à moins d’y être portée pour ainsi dire vers la fin; mais la volonté comme raison porte un jugement dernier et parfait sur ce qui est ordonné à la fin. Après avoir vu cela, il peut apparaître comment, chez le Christ, la volonté de la raison se conforme à la volonté divine pour ce qu’elle veut, car la volonté comme nature n’était jamais mue chez le Christ vers quelque chose comme fin, à moins que Dieu ne le veuille. Puisque la volonté comme raison n’était jamais mue vers quelque chose qu’en raison de la fin, il est donc clair que même la volonté comme raison se conformait à la volonté divine pour ce qu’elle voulait; mais la volonté comme nature, mue vers quelque chose comme vers une fin – ce qui n’a pas le même caractère de bien ou de mal considéré en soi que ce qui est ordonné à une fin ‑, ne se conformait pas à la volonté divine pour ce qu’elle voulait, car le Christ voulait ne pas souffrir, mais Dieu voulait qu’il meure. Or, en elle-même, la mort était mauvaise, mais, par rapport à la fin, elle était bonne. Cependant, comme on l’a dit, c’est là ne pas vouloir quelque chose de manière parfaite, mais sous condition. Aussi des maîtres l’appellent-ils velléité. Il est donc clair que, selon la volonté de la raison, [le Christ] se conformait à la volonté divine pour ce qu’il voulait en tout ce qu’il voulait de manière parfaite et absolue, mais non pour ce qu’il voulait de manière imparfaite. De même aussi, la volonté de la sensualité ne se conformait-elle pas à la volonté divine pour ce qu’elle voulait parmi les choses qui étaient nuisibles à la nature, car il ne relève pas de la sensualité d’ordonner à une fin par laquelle elles seraient bonnes et agréables à Dieu. Cependant, la volonté de la sensualité et de la raison se conformaient à la volonté divine dans l’acte de vouloir, bien que non pour ce qui était voulu, car, bien que Dieu ne voulût pas ce que voulait la sensualité ou la volonté comme nature chez le Christ, ìl voulait cependant l’acte des deux, pour autant que, selon [Jean] Damascène, il permettait à chacune des parties de l’âme de subir et de faire ce qui lui était naturel et propre, dans la mesure où cela convenait à la fin de la rédemption et à la manifestation de la vérité de la nature. |
[9578] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod conformitas quae est in volitione, non facit rectitudinem
voluntatis: quia aliquis potest peccando velle illud volitum quod vult Deus,
et meretur in hoc quod illud non vult, ut in fine 1 Lib., distinct. 48, dictum est. Sed rectitudo voluntatis causatur
ex conformitate in modo volendi, ut scilicet velit ex caritate sicut Deus; et
iterum in causa finali, ut propter idem velit; et iterum in causa efficiente,
ut scilicet Deus velit ipsum velle, ut dictum est. |
1. La conformité qui se trouve dans l’acte de vouloir ne réalise pas la rectitude de la volonté, car quelqu’un peut en péchant vouloir ce que Dieu veut et mérite par le fait de ne pas le vouloir, comme on l’a dit à la fin du livre I, d. 48. Mais la rectitude de la volonté est causée par la conformité dans la manière de vouloir, à savoir, de vouloir par charité comme le fait Dieu, et donc en fonction de la cause finale, de manière à vouloir en vue de la même chose, et donc de la cause efficiente, à savoir que Dieu veuille qu’il veuille, comme on l’a dit. |
[9579] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod in beatis, qui sunt solum comprehensores, quando erunt dotati
impassibilitate, nihil eis quantum ad sensitivam partem laesivum occurret: et
ideo non erit aliquid in quo eorum sensualitas a divina voluntate discordet. Secus autem fuit in Christo, qui simul
beatus et passibilis fuit. Et similiter nec voluntas ut natura, quantum ad ea
quae ad ipsos pertinent, quia ab omni malo liberati erunt. Sed mala
damnatorum vellent imperfecte modo praedicto, scilicet voluntate
conditionata, non esse; in quo etiam, quamvis non conformentur quantum ad
volitum divinae voluntati consequenti, conformantur tamen divinae voluntati
antecedenti, quae vult omnes homines salvos fieri: et quantum ad hoc est
similitudo inter voluntatem hominis Christi et voluntatem beatorum. |
2. Chez les bienheureux, qui ne que comprehensores, alors qu’ils seront dotés de l’impassibilité, rien ne surviendra pour blesser la partie sensible; c’est pourquoi il n’y aura rien en eux qui mettra leur sensualité en désaccord avec la volonté divine. Mais il en était autrement chez le Christ, qui était en même temps bienheureux et passible. De même en sera-t-il pour la volonté comme nature, pour ce qui les concerne, car ils ont été libérés de tout mal. Mais ils voudront que les maux des damnés n’existent pas de la manière dite plus haut, en quoi, bien qu’ils ne se conforment pas à la volonté divine conséquente pour ce qui est voulu, ils se conforment cependant à la volonté divine antécédente, qui veut que tous les hommes soient sauvés. Sur ce point, il existe une ressemblance entre la volonté de l’homme Christ et la volonté des bienheureux. |
[9580] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quamvis Christus sciret quid Deus vellet in quolibet, non
tamen qualibet sua vi apprehendebat divinam voluntatem, nec rationem quare
Deus id vellet secundum ordinem ad finem aliquem: et ideo non oportebat quod
quaelibet vis ejus conformaretur divinae voluntati in volito. |
3. Bien que le Christ ait su ce que Dieu voulait en toutes choses, il ne saisissait cependant pas la volonté divine par toutes ses puissances, ni la raison pour laquelle Dieu voulait cela en regard d’une fin. Il n’était donc pas nécessaire que chacune de ses puissances se conforme à la volonté divine pour ce qui était voulu. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[9581] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod pugna sive contrarietas sensualitatis ad rationem,
causatur in nobis ex tribus. Primo ex diversitate volitorum; secundo, quia sensualitas
in suum volitum effrenate et sine regimine rationis fertur; tertio ex hoc
quod sensualitas effrenata tendens in suum volitum, retardat motum rationis,
et impedit vel in toto vel in parte: et haec duo ultima in Christo non
fuerunt, quia nunquam motus sensualitatis in aliquid ferebatur nisi praeordinaretur
a ratione: et sic quamvis voluntas rationis non vellet illud volitum in quod
sensualitas tendebat, volebat tamen quod sensualitas in id tenderet, sicut
dictum est de voluntate divina et humana. Similiter nec motus sensualitatis
impediebat motum rationis, quia non erat violenta refusio in Christo de potentia
in potentiam. |
Le combat ou l’opposition entre la sensualité et la raison est causée chez nous par trois choses. Premièrement, par la diversité de ce qui est voulu; deuxièmement, parce que la sensualité est portée vers ce qu’elle veut de manière effrénée et sans direction de la raison; troisièmement, par le fait que la sensualité effrénée tendant vers ce qu’elle veut retarde le mouvement de la raison et l’empêche en totalité ou en partie. Ces deux derniers aspects n’existaient pas chez le Christ, car jamais un mouvement de la sensualité ne fut porté [chez lui] vers quelque chose sans avoir d’abord été ordonné par la raison, et ainsi, bien que la volonté de la raison n’ait pas voulu ce vers quoi la sensualité tendait, elle voulait cependant que la sensualité y tende, comme on l’a dit de la volonté divine et de la volonté humaine. De même, le mouvement de la sensualité n’empêchait pas le mouvement de la raison, car il n’existait pas chez le Christ de débordement violent d’une puissance sur une autre puissance. |
[9582] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod contraria nata sunt fieri circa idem: unde quamvis motus
sensualitatis et rationis in contraria tendant, non tamen sunt contrarii,
nisi quatenus ex sensualitate redundat in rationem aliquod impedimentum, vel
quantum ad actum quo regit alias potentias, et hoc est quando effrenate
sensualitas in suum objectum fertur; vel quantum ad proprium actum rationis,
et hoc est quando sensualitas extinguit vel retardat motum rationis: quae duo
in Christo non fuerunt, sicut in nobis sunt; et ideo nulla fuit in Christo
pugna vel contrarietas sensualitatis ad rationem. |
1. Les contraires sont destinés à porter sur la même chose; bien que le mouvement de la sensualité et de la raison tendent vers des contraires, ils ne sont cependant contraires que pour autant qu’un empêchement rejaillise sur la raison à partir de la sensualité, ou pour ce qui est de l’acte par lequel elle dirige les autres puissances ‑ et cela se produit lorsque la sensualité est portée vers son objet de manière effrénée, ou pour ce qui est de l’acte propre de la raison; et cela se produit lorque la sensualité éteint ou retarde le mouvement de la raison. Ces deux choses n’éxistaient pas chez le Christ, comme elles existent chez nous. C’est pourquoi il n’y avait pas chez le Christ de combat ou d’opposition entre la sensualité et la raison. |
[9583] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod naturale est sensualitati humanae quod feratur in delectabile
sensus secundum regimen rationis; sed quod immoderate feratur, hoc facit corruptio
fomitis; et hinc est peccatum veniale in sensualitate. |
2. Il est naturel pour la sensualité d’être portée vers ce qui est délectable pour le sens sous la direction de la raison; mais qu’elle y soit portée de manière immodérée, c’est le fait de la convoitise. De là vient un péché véniel dans la sensualité. |
[9584] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa ratio probat diversitatem volitorum
tantum. |
3. Ce raisonnement démontre seulement la diversité de ce qui est voulu. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
|
[9585] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod secundum voluntatem rationis,
Christus diversa volebat, non tamen uno modo, sed alterum absolute, alterum
autem sub conditione, et imperfecte; et ideo non erat contrarietas in
voluntate: quia contrarietas in habitu vel in actu est ex contraria ratione
objecti: ratio autem secundum quam unum contrariorum volebat voluntas ut
ratio, et alterum volebat ut natura, non habet contrarietatem: quod enim
aliquid ex ordine ad finem bonitatem habeat, quod sine illo ordine in se
malum esset, non habet aliquam repugnantiam, secundum quam, ut dictum est, in
diversa ferantur voluntas ut ratio, et voluntas ut natura. |
Selon la volonté de la raison, le Christ voulait diverses choses, non pas d’une seule manière, mais l’une de manière absolue, et l’autre de manière conditionnelle et imparfaite. Aussi n’existait-il pas d’opposition dans sa volonté, car l’opposition à l’état habituel ou en acte vient de la raison contraire de l’objet. Or, la raison selon laquelle la volonté comme raison voulait l’un des contraires et la volonté comme nature en voulait un autre n’a pas un caractère contraire : en effet, le fait qu’une chose comporte une bonté par l’ordre à la fin, alors qu’elle serait mauvaise en elle-même sans cet ordre, ne comporte pas le caractère opposé selon lequel, comme on l’a dit, la volonté comme raison et la volonté comme nature sont portées vers des choses différentes. |
[9586] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Unde patet responsio ad duas primas rationes, quae concludunt
diversitatem volitorum. |
1. La réponse aux deux premiers arguments, qui concluent à partir de la diversité de ce qui est voulu, est ainsi claire |
[9587] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2
qc. 3 ad 3 Et similiter ad
tertiam, quae est ad oppositum, quae concludit de contrarietate voluntatis. |
3. De même en est-il pour le troisième, qui conclut à partir de l’opposition entre les volontés. |
[9588] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2
qc. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod sicut in Christo erat ratio determinata ad unum, quantum ad
ultimum judicium, ita et voluntas erat determinata tantum ad unum, quantum ad
ultimum consensum et absolutum: tamen in ratione erat apprehensio diversarum
et contrariarum rationum circa eamdem rem diversimode consideratam: et sic
etiam erat de motu voluntatis. |
4. De même que, chez le Christ, la raison était déterminée à une seule chose, pour ce qui est du jugement ultime, de même aussi la volonté était-elle déterminée seulement à une seule chose, pour ce qui est du consentement ultime et absolu. Cependant, il existait dans la raison une saisie de raisons différentes ou contraires à propos de la même chose envisagée de diverses manières. Il en allait aussi de même pour le mouvement de la volonté. |
[9589] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2
qc. 3 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod Augustinus loquitur quando voluntas tendit in duo quantum ad
ultimum et absolutum consensum, quod in Christo non fuit. |
5. Augustin parle de la volonté qui tend vers deux choses pour ce qui est du consentement ultime et absolu, ce qui n’existait pas chez le Christ. |
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Articulus 3 [9590] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 3 tit. Utrum Christo fuerit conveniens orare |
Article 3 – Était-il approprié pour le Christ de prier ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Était-il approprié pour le Christ de prier ?] |
[9591] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod orare non fuerit competens Christo. Quia, sicut dicit
Damascenus, oratio est ascensus intellectus in Deum. Sed ascendere in Deum,
cum sit distantis a Deo, non competit intellectui Christi, qui semper Deo
conjunctus erat. Ergo Christo non competit orare. |
1. Il semble qu’il n’ait pas été approprié pour le Christ de prier, car, ainsi que le dit [Jean] Damascène, « la prière est une élévation de l’intellect vers Dieu ». Or, s’élever vers Dieu, puisque c’est le fait de celui qui est éloigné de Dieu, n’est pas approprié à l’intellect du Christ, qui avait toujours été uni à Dieu. Il ne convient donc pas que le Christ prie. |
[9592] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 1 arg. 2 Praeterea,
nullus petit aliquid a seipso. Sed, sicut Damascenus dicit, oratio est
petitio decentium a Deo. Cum ergo Christus sit Deus, et non sit alius Deus
praeter eum, orare non pertinet ad ipsum. |
2. Personne ne se demande quelque chose à lui-même. Or, comme le dit [Jean] Damascène, « la prière consiste à demander à Dieu ce qui convient ». Puisque le Christ est Dieu et qu’il n’existe pas d’autre Dieu que lui, il ne lui convient donc pas de prier. |
[9593] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
oratio est expressio voluntatis, quia est de eo quod quis absolute vult;
alias est fictio. Sed Christus quidquid absolute volebat, hoc sciebat Deum
velle. Ergo non oportebat quod de hoc ipso rogaret. |
3. La prière est une manifestation de sa volonté, car elle porte sur une chose que quelqu’un veut absolument, autrement, elle est une feinte. Or, le Christ savait que Dieu voulait tout ce qu’il voulait de manière absolue. Il n’était donc pas nécessaire qu’il le lui demande. |
[9594] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
ejus qui non potest omnia de se est orare. Sed Christus, secundum quod homo,
omnia non poterat, ut supra, dist. 14, quaest. 1, art. 4, dictum est. Ergo
ejus, secundum quod homo, est orare. |
Cependant, [1] prier est le fait de celui qui ne peut pas tout par lui-même. Or, le Christ, en tant qu’homme, ne pouvait pas tout, comme on l’a dit plus haut, d. 14, q. 1, a. 4. Il lui revient donc de prier en tant qu’homme. |
[9595] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, officium
pontificis est preces ad Deum fundere. Sed Christus est pontifex, ut dicitur Hebr. 2. Ergo ejus est orare. |
[2] La fonction du pontife est d’adresser des prières à Dieu. Or, le Christ est pontife, comme il est dit dans He 2. Il lui revient donc de prier. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Convenait-il que le Christ prie pour lui-même, et non seulement pour les autres ?] |
[9596] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod non sit ejus orare pro se, sed tantum pro aliis: officium enim
sacerdotis est eodem modo orare et hostias offerre. Sed Christus obtulit hostiam non pro se,
sed pro aliis, ut dicitur Hebr. 7. Ergo nec pro se oravit. |
1. Il semble qu’il ne revient pas [au Christ] de prier pour lui-même, mais seulement pour les autres. En effet, la fonction du prêtre consiste à prier de la même manière qu’il offre des victimes. Or, le Christ a offert une victime, non pour lui-même, mais pour les autres, comme on le dit dans He 7. Il n’a donc pas prié pour lui-même. |
[9597] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in quolibet genere moventium est devenire ad primum movens
quod non movetur secundum illum motum, sicut alterantia reducuntur ad primum
alterans non alteratum. Sed Christus
est primus inter orantes. Ergo ipse est orans, et pro eo non oratur. |
2. En tout genre de moteurs, il faut en arriver à un premier moteur qui n’est pas mû selon ce mouvement, comme ce qui altère se ramène à un premier altérant qui n’est pas altéré. Or, le Christ est le premier parmi ceux qui prient. Il prie donc sans prier pour lui-même. |
[9598] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 2 arg. 3 Praeterea, nullus
sapiens orat contrarium ejus quod vult. Sed in Christo nihil accidebat nisi
quod ipse volebat. Ergo ipse non
pro se oravit. |
3. Aucun sage ne demande le contraire de ce qu’il veut. Or, chez le Christ, rien n’arrivait que ce qu’il voulait. Il ne priait donc pas pour lui-même. |
[9599] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, oratio fit non tantum contra infirmitatem culpae, sed
etiam contra infirmitatem poenae. Sed Christus circumdatus erat infirmitate poenae, quamvis non
infirmitate culpae. Ergo pro se orare poterat. |
Cependant, [1] la prière est faite non seulement contre la maladie de la faute, mais aussi contre la maladie de la peine. Or, le Christ était entouré par la maladie de la peine, bien qu’il ne l’ait pas été par la maladie de la faute. Il pouvait donc prier pour lui-même. |
[9600] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, per orationem aliquis sibi meretur. Sed Christus sibi meruit
claritatem corporis. Ergo Christus pro se orare potuit. |
[2] Par la prière, on mérite pour soi-même. Or, le Christ a mérité pour lui-même l’éclat de son corps. Le Christ pouvait donc prier pour lui-même. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La prière par laquelle le Christ a prié pour lui-même était-elle un acte de la sensualité ?] |
[9601] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod oratio qua pro se oravit, fuit actus sensualitatis. Ejus enim
est orare, cujus est velle. Sed non mori in Christo absolute non volebat nisi
sensualitas. Ergo oratio qua mortem petebat a se excludi, erat actus
sensualitatis. |
1. Il semble que la prière par laquelle il a prié pour lui-même était un acte de la sensualité. En effet, il revient de prier à ce qui veut. Or, seule la sensualité chez le Christ ne voulait absolument pas mourir. La prière par laquelle il demande d’être exempté de la mort était donc un acte de la sensualité. |
[9602] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 3 arg. 2 Praeterea,
Magister dicit in littera, quod ex affectu humano quem ex virgine contraxit
calicem transire orabat. Sed affectum rationis non traxit ex virgine: quia
anima rationalis fit per creationem, et non ex traduce. Ergo hoc oravit per
affectum sensualitatis. |
2. Le Maître dit dans le texte qu’il priait pour que le calice s’éloigne par l’affectivité humaine qu’il avait reçue de la Vierge. Or, il n’a pas reçu de la Vierge l’affectivité de la raison, car l’âme raisonnable apparaît par création, et non par transmission. Il n’a donc pas prié par l’affectivité de la sensualité. |
[9603] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 3 arg. 3 Praeterea, catuli
leonum quaerunt a Deo escam sibi, et pulli corvorum invocant eum, ut dicitur
in Psalm. 103 et 146.
Sed in eis non est nisi affectus sensualitatis. Ergo et Christus orare potuit
per sensualitatem tantum. |
3. Les lionceaux demandent à Dieu leur nourriture et les petits des corbeaux font appel à lui, comme il est dit dans Ps 103 et 146. Or, il n’existe chez eux que l’affectivité de la sensualité. Le Christ pouvait donc prier par sa sensualité seulement. |
[9604] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 3 s. c. 1 Sed contra, ejus est orare, cujus est Deum cognoscere. Hoc
autem est tantum rationis. Ergo rationis
est tantum orare in Christo. |
Cependant, [1] il appartient de prier à celui qui connaît Dieu. Or, cela relève seulement de la raison. Chez le Christ, il relève donc seulement de la raison de prier. |
[9605] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, oratio ad vitam contemplativam pertinet. Sed vita contemplativa non habet aliquam communitatem cum sensualitate. Ergo oratio
Christi non fuit actus sensualitatis. |
[2] La prière relève de la vie contemplative. Or, la vie contemplative n’a rien de commun avec la sensualité. La prière du Christ n’était donc pas un acte de sensualité. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 – [Toutes les prières du Christ ont-elles été exaucées ?] |
[9606] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod non omnis Christi oratio fuit exaudita, per id quod dicitur in Psalm. 21, 3: clamabo per diem, et non exaudies,
quod Glossa exponit de Christo. |
1. Il semble que toutes les prières du Christ n’aient pas été exaucées, d’après ce qui est dit en Ps 21, 3 : Je crierai tout le jour, et tu n’écouteras pas! que la Glose interprète du Christ. |
[9607] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 4 arg. 2 Praeterea, oravit
ut discipuli servarentur a malo, ut patet Joan. 17, et omnes qui credituri
erant per verbum eorum in ipsum. Hoc autem non fuit impletum nec quantum ad ipsos apostolos, nec
quantum ad alios credentes; nec de malo culpae, nec de malo poenae. Ergo non omnis Christi oratio fuit
exaudita. |
2. [Le Christ] a prié pour que ses disciples, ainsi que tous ceux qui devaient croire en lui grâce à leur parole, soient protégés du mal, comme cela ressort de Jn 17, Or, cela ne s’est réalisé ni pour les apôtres eux-mêmes, ni pour les autres croyants, que ce soit pour le mal de faute ou pour le mal de peine. Toutes les prières du Christ ne sont donc pas exaucées. |
[9608] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 4 arg. 3 Praeterea, ut dicitur Lucae 23, oravit pro crucifixoribus, ut
peccatum eis non imputaretur, sed ut parceretur. Sed non omnibus remissum fuit illud
peccatum: quia non omnes conversi sunt ad fidem, sine qua non est peccatorum
remissio. Ergo sua oratio non fuit exaudita. |
3. Comme il est dit en Lc 23, [le Christ] a prié pour ceux qui le crucifiaient afin que le péché ne leur en soit pas imputé, mais qu’il leur soit épargné. Or, ce péché n’a pas été remis à tous, car tous ne se sont pas convertis à la foi, sans laquelle il n’y a pas de rémission des péchés. Sa prière n’a donc pas été exaucée. |
[9609] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 4 Praeterea, oravit ut calix ab eo transferretur, ut patet Matth. 26. Hoc
autem non fuit factum. Ergo et cetera. |
4. [Le Christ] a prié pour que le calice s’éloigne de lui, comme cela ressort de Mt 26. Or, cela ne s’est pas réalisé. Donc, etc. |
[9610] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, Heb. 5, 7: exauditus est pro sua reverentia. |
Cependant, [1] He 5, 7 dit : Il a été exaucé en raison de sa piété. |
[9611] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 4 s. c. 2 Praeterea, oratio
sua non fuit minus efficax quam aliorum sanctorum. Sed aliis sanctis ipse
dicit: petite et accipietis; Joan. 16, 24. Ergo et ipse quod petiit accepit. |
[2] Sa prière n’a pas été moins efficace que celle des autres saints. Or, il a lui-même dit aux autres saints : Demandez et vous recevrez! Jn 16, 24. Il a donc lui-même reçu ce qu’il a demandé. |
[9612] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 3 Praeterea, Joan. 11, 42: ego autem sciebam quia semper me audis. |
[3]
Jn 11, 42 dit : Je
savais que tu m’écoutes toujours. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[9613] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo ad primam quaestionem dicendum, quod Christo, secundum quod
Deus, non competit orare nec obedire, nec aliquid quod minorationem sonat,
aut quod ad diversitatem voluntatis pertinet: sed secundum quod homo,
competit sibi orare propter tria, ut dicit Damascenus. Primo propter veritatem humanae naturae
insinuandam, secundum quam minor est patre, et obediens ei, et orans ipsum.
Secundo ad exemplum orandi nobis praebendum: quia omnis ejus actio, nostra
est instructio; cum sit nobis datus quasi exemplum virtutis. Tertio ad
ostendendum quod a Deo venerat, et sibi contrarius non erat, dum eum orando
principium recognoscebat. |
Il ne convient pas au Christ, en tant qu’il est Dieu, de prier ni d’obéir, ni de rien faire qui ait l’apparence d’un abaissemenet, ni ce qui relève de la diversité de volonté. Mais, selon qu’il est homme, il lui convient de prier pour trois raisons, comme le dit [Jean] Damascène. Premièrement, afin de suggérer la vérité de sa nature humaine, selon laquelle il est inférieur au Père, lui obéit et le prie. Deuxièmement, pour nous donner l’exemple de la prière, car toutes ses actions sont pour nous un enseignement, puisqu’il nous a été donné comme exemple de vertu. Troisièmement, pour montrer qu’il était venu de Dieu et qu’il ne lui était pas opposé, puisqu’il le reconnaissait comme principe en le priant. |
[9614] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ascendere est proprie tendere in aliquid quod supra
ipsum erat. Intellectus
autem Christi non tendit in aliquid quod supra ipsum esset quantum ad
contemplationem, quia quidquid de Deo unquam contemplatus est, hoc
contemplatus est a primo instanti conceptionis; et secundum hoc dicit
Damascenus, quod intellectus Christi ascensione quae est in Deum non
indigebat: sed tamen potentia divina, quam orando implorabat, supra ipsum
erat; et sic ascendens in Deum orabat. |
1. S’élever, c’est au sens propre tendre vers quelque chose qui était au-dessus de soi. Or, l’intellect du Christ ne tend pas vers quelque chose qui lui serait supérieur en vue de le contempler, car, tout ce qu’on a contemplé de Dieu, il l’a contemplé dès le premier instant de sa conception. C’est ainsi que [Jean] Damacène dit que l’intellect du Christ n’avait pas besoin d’élévation vers Dieu; cependant, la puissance divine qu’il implorait en priant était au-dessus de lui. En s’élevant ainsi, il priait Dieu. |
[9615] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod in aliis hominibus est una intellectualis voluntas cujus est
orare, quae habet etiam imperium super alias vires in ipsis existentes; et
ideo ejus non est orare, sed imperare respectu eorum quae per ipsos fieri
possunt. Sed non omnia quae erant in Christo, erant subjecta rationi, et
voluntati rationis, sed aliquid supra ipsam, scilicet deitas: unde sicut in
aliis hominibus ratio et voluntas imperant aliis viribus; ita in Christo
orabant deitatem. |
2. Chez les autres hommes, il existe une seule volonté intellectuelle à qui il revient de prier; elle possède aussi le pouvoir de commander aux autres puissances qui existent chez eux. C’est pourquoi il ne lui revient pas de prier, mais de commander à propos de ce qui peut être accompli par eux. Or, tout ce qui existait chez le Christ n’était pas soumis à la raison et à la volonté de la raison, mais il existait quelque chose de supérieur à la raison, la divinité. De même que, chez les autres hommes, la raison et la volonté commandent aux autres puissances, de même, chez le Christ, elles priaient la divinité. |
[9616] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliquid oravit Christus quod absolute
fieri rationis voluntate volebat, quamvis non omnia, ut dicetur: et quamvis
sciret hoc esse in Dei voluntate, nihilominus orabat quia sciebat Deum velle
hoc impleri per suam orationem; sicut etiam Deus vult aliquem salvare
orationibus alicujus sancti; unde non est superfluum quod ille sanctus pro eo
orat. |
3. Le Christ a prié pour que ce qu’il voulait de manière absolue par la volonté de la raison s’accomplisse, bien que ce ne soit pas toutes choses, comme on le dira. Et bien qu’il ait su que cela était la volonté de Dieu, il priait néanmoins parce qu’il savait que Dieu voulait que cela s’accomplisse par sa prière, comme Dieu veut que quelqu’un soit sauvé par les prières d’un saint. Ainsi n’est-il pas superflu que ce saint prie pour lui. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[9617] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod oratio semper est ad supplendum
aliquem defectum. Christus autem non patiebatur aliquem defectum quantum ad
bona spiritualia, quia beatus erat; patiebatur autem defectum, inquantum
passibilis erat in anima et in corpore: unde omnis oratio Christi quae erat
pro bonis spiritualibus, non erat pro se, sed pro aliis; sicut illud: ut
sint unum in nobis sicut et nos unum sumus, Joan. 17: sed oratio quae
erat pro his quae pertinent ad corpus, etiam erat ipsi pro seipso, sicut
patet per illud Psal. 40, 11: resuscita me, et retribuam eis; quae
quidem oratio, etsi sit pro se, idest ut ipse resuscitaretur; tamen est pro
aliis, inquantum ad aliorum salutem tendit: quia resurrexit propter
justificationem nostram, Rom. 4, 25, et instructionem, quia ejus exemplo
ab ipso Deo petere debemus. |
La prière vise toujours à combler une carence. Or, le Christ ne souffrait d’aucune carence pour ce qui était des biens spirituels, car il était bienheureux; mais il souffrait d’une carence pour autant qu’il était passible dans son âme et dans son corps. Aussi toute prière du Christ, qui avait pour objet les biens spirituels, n’était-elle pas pour lui-même, mais pour les autres, comme celle-ci : Afin qu’ils soient un comme nous-mêmes nous sommes un! Jn 17. Mais il priait aussi pour ce qui se rapportait [à son] corps, comme cela ressort de Ps 40, 11 : Ressuscite-moi, et je les récompenserai, prière qui, même si elle le concerne, à savoir, qu’il ressuscite, concerne cependant aussi les autres, pour autant qu’elle tend au salut des autres, car il est ressuscité pour notre justification, Rm 4, 25, et pour notre enseignement, car nous devons demander à Dieu selon son exemple. |
[9618] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod oratio effunditur pro quolibet
defectu amovendo; sed hostia praecipue contra peccatum offertur, ut per eam
Deus placatus, aliquid concedat. Christus autem quamvis aliquem defectum
poenae habuerit; non tamen habuit defectum culpae; et ideo pro se oravit, non
autem pro se hostiam obtulit. |
1. La prière est faite pour l’enlèvement de n’importe quelle carence; mais la victime est offerte principalement pour le péché, afin que Dieu, apaisé par elle, accorde quelque chose. Or, le Christ, bien qu’il ait eu la carence de la peine, n’a cependant pas eu la carence de la faute. Il a donc prié pour lui-même, mais il ne s’est pas offert comme victime pour lui-même. |
[9619] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod orans pro quo non oratur, est ipse Christus, secundum quod
beatus, non autem secundum ea quae ad statum viatoris pertinent. |
2. Prier sans prier pour soi-même est le fait du Christ lui-même, selon qu’il est bienheureux, mais non selon ce qui relève de l’état de viator. |
[9620] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod in Christo non erat aliquid quod voluntate rationis absolute
et simpliciter non vellet tunc esse in se; erat tamen in ipso passibilitas,
quam volebat, peracto redemptionis opere, per gloriam resurrectionis a se
removere; et erat in eo aliquid, scilicet passio imminens, quam volebat etiam
tunc non inesse voluntate sensualitatis, et rationis ut naturae. |
3. Chez le Christ, il n’y avait rien qu’il ne voulût pas, de manière absolue et tout simplement, voir exister chez lui selon la volonté de sa raison; il existait cependant chez lui une passibilité dont il voulait qu’une fois accomplie l’œuvre de la rédemption, elle lui soit enlevée par la gloire de la résurrection. Et il y avait chez lui quelque chose, à savoir, la passion imminente, dont il voulait qu’elle ne l’affecte pas, selon la volonté de sa sensualité et de sa raison comme nature. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3 |
[9621] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod actus sensualitatis dicitur
dupliciter. Uno modo sensualitatis sicut principii elicientis actum: et sic
oratio non potest esse actus sensualitatis in Christo, ut probant rationes
secundo inductae. Alio modo
dicitur sensualitatis ut objecti, idest de eo quod sensualitas volebat: et
sic erat aliqua ejus oratio sensualitatis: quia ratio orans, erat quasi
advocatus sensualitatis, proponens Deo appetitum sensualitatis. Hoc autem non
faciebat quasi ratio vellet hoc quod pro sensualitate petebat; sed ut doceret
omnem hominis voluntatem Deo subdendam esse, et in omnibus necessitatibus ad
eum recurrendum; unde subdit: non mea voluntas, sed tua fiat; Luc. 22,
42. |
On parle d’acte de la sensualité de deux manières. D’une manière, [d’un acte] de la sensualité comme principe provoquant l’acte : la prière ne peut ainsi être un acte de la sensualité chez le Christ, comme le montrent les arguments invoqués en second lieu. D’une autre manière, [on parle d’un acte] de la sensualité du point de vue de l’objet, c’est-à-dire de ce que la sensualité voulait : il existait ainsi [chez lui] une prière de la sensualité, car la raison qui priait était comme l’avocate de la sensualité, proposant à Dieu ce que désirait la sensualité. Mais il ne faisait pas cela comme si la raison voulait ce qu’elle demandait pour la sensualité, mais pour enseigner que toute volonté de l’homme doit être soumise à Dieu et qu’il faut recourir à lui pour tous nos besoins. Aussi ajoute-t-il : Non pas ma volonté, mais que ta volonté s’accomplisse! Lc 22, 42. |
[9622] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quando aliquis orat propter suam utilitatem, ratio non petit
nisi hoc quod vult; et ideo tunc cujus est orare ejus est velle. Sed Christus
hoc non petebat propter suam utilitatem, ut scilicet ipse effectum hujus
petitionis consequeretur, sed propter utilitatem aliorum, ut dictum est; et
ideo ratio non petebat hoc, secundum quod ipsa volebat, sed secundum quod
sensualitas appetebat. |
1. Lorsque quelqu’un prie pour ses propres besoins, la raison ne demande que ce qu’elle veut; c’est pourquoi il appartient de prier à celui à qui il appartient de vouloir. Mais le Christ ne demandait pas cela pour sa propre utilité, à savoir pour que lui-même obtienne l’effet de cette demande, mais pour l’utilité des autres, comme on l’a dit. C’est pourquoi la raison ne demandait pas cela selon ce qu’elle-même voulait, mais selon ce que désirait la sensualité. |
[9623] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod ex sensualitate oravit, quamvis sensualitas non oraret: quia
appetitus sensualitatis erat causa quare orationem proponebat. |
2. Il a prié par sensualité, bien que la sensualité n’ait pas prié, car l’appétit de la sensualité était la cause pour laquelle il proposait une prière. |
[9624] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illud quaerere et invocare non designat
orationem proprie dictam, sed ordinationem quae est in his, sicut et in
omnibus aliis creaturis, ad recipiendum a Deo ea quae ad conservationem sui
pertinent. |
3. Cette recherche et cette demande ne désignent pas une prière proprement dite, mais la disposition, qui existe en elles comme chez toutes les autres créatures, à recevoir de Dieu ce qui concerne la conservation de soi. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la sous-question 4 |
[9625] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod omnis oratio quam Christus
obtulit hac intentione, ut ipsam impetraret, fuit exaudita. Sed cum aliquis
impetrare non intendat quod absolute non vult; haec sola oratio Christi
exaudita fuit quae erat de eo quod Christus absolute voluit. Hoc autem dicitur aliquis simpliciter et
absolute velle in quo ultimus ejus consensus stat. Ultimus autem consensus
est secundum supremam partem appetitus in homine. Appetitus autem rationis
est supra appetitum sensus, et in appetitu rationis est supremum quod in
finem tendit, vel in aliquid conjunctum fini. Et ideo hoc solum Christus
absolute voluit quod secundum rationem voluit ut finem, et ut in ordine ad
finem; et omnis talis sua oratio fuit exaudita. Quod autem secundum
sensualitatem voluit, absolute non voluit; et ideo ratio non hoc, orando
proposuit ut impetraret. Nec tamen fuit simulatio, quia appetitum
sensualitatis exprimebat ratione jam dicta: similiter quod volebat ratio ut
natura, si in eo non sicut in fine quiescebat, non simpliciter volebat, ut
prius dictum est; et ideo etiam haec non hoc proposuit orando ut impetraret;
et propter hoc hujusmodi orationes non fuerunt exauditae. |
Toute prière que le Christ a offerte avec l’intention d’être lui-même exaucé a été exaucée. Mais puisque quelqu’un n’a pas l’intention d’obtenir ce qu’il ne veut pas de manière absolue, seule a été exaucée la prière du Christ pour ce que le Christ voulait de manière absolue. Or, on dit de ce à quoi s’arrête son consentement ultime, que quelqu’un veut quelque chose tout simplement et de manière absolue Or, le consentement ultime est celui qui relève de la partie la plus élevée de l’appétit chez l’homme. Or, l’appétit de la raison est plus élevé que l’appétit du sens et, dans l’appétit de la raison, est plus élevé ce qui tend vers la fin ou vers quelque chose qui est uni à la fin. C’est pourquoi le Christ a voulu de manière absolue ce qu’il a voulu comme fin et selon l’ordre à la fin selon la raison : toute prière de ce genre de sa part a été exaucée. Mais ce qu’il a voulu selon sa sensualité, il ne l’a pas voulu de manière absolue : c’est pourquoi la raison n’a pas proposé cela pour l’obtenir. Ce ne fut cependant pas une simulation, car il exprimait l’appétit de la sensualité pour la raison déjà mentionnée. De même, ce que voulait la raison comme nature, si elle ne s’y reposait pas comme dans la fin, elle ne le voulait pas tout simplement, comme on l’a dit plus haut. Il n’a donc pas proposé cela en priant afin de l’obtenir. Pour cette raison, les prières de ce genre n’ont pas été exaucées. |
[9626] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc dixit Christus in persona Ecclesiae, ut dicit Glossa. Vel loquitur de oratione exprimente
voluntatem sensualitatis, aut velleitatem rationis ut naturam. |
1. Le Christ a dit cela en la personne de l’Église, comme le dit la Glose. Ou bien il parle de la prière qui exprime la volonté de la sensualité ou d’une velléité de la raison comme nature. |
[9627] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 4 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod voluntas rationis ut natura, est de eo quod habet in se
bonitatem, non considerato ordine ejus ad aliud; unde voluntas talis in
Christo fuit de salute omnium hominum, sicut voluntas fuit in Deo; sed
secundum hanc simpliciter et absolute non dicitur aliquis velle. Hanc autem voluntatem
Hugo de sancto Victore dicit voluntatem pietatis. Sed voluntas ut ratio, est de eo quod habet
bonitatem etiam in ordine ad aliud; et secundum hanc voluntatem non volebat
Christus omnes salvari, sicut nec Deus voluntate consequente; et secundum
hanc dicitur aliquis simpliciter et absolute velle; et ideo oratio Christi
quae fuit secundum hanc voluntatem, fuit exaudita; non autem quae fuit
secundum primam; et ideo dicit Hieronymus, quod Christus exauditus est pro
praedestinatis, non autem pro non praedestinatis. |
2. La volonté de la raison comme nature porte sur ce qui est bon en soi, sans prendre en compte son ordre à autre chose; aussi une telle volonté chez le Christ avait-elle comme objet le salut de tous les hommes, telle que la volonté en existait en Dieu. Mais on ne dit pas que quelqu’un veut tout simplement et de manière absolue selon [une telle volonté]. Or, c’est cette volonté que Hugues de Saint-Victor appelle « volonté de la piété ». Mais la volonté comme raison porte sur ce qui est bon même par rapport à autre chose. Selon une telle volonté, le Christ ne voulait pas que tous soient sauvés, comme Dieu ne le veut pas d’une volonté conséquente. Selon une telle volonté, on dit que quelqu’un veut tout simplement et de manière absolue. C’est pourquoi la prière du Christ, faite selon cette volonté, a été exaucée, mais non celle qui a été faite selon la première [volonté]. Aussi Jérôme dit-il que le Christ a été exaucé pour ce qui est des prédestinés, mais non pour ceux qui ne sont pas prédestinés. |
[9628] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 4 ad 3 Et similiter
dicendum est ad tertium. |
3.Il faut répondre de la même manière au troisième argument. |
[9629] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3
qc. 4 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod in illa oratione ratio expressit motum sensualitatis, et non
suum; unde illud quod orabat, non simpliciter voluit. |
4. Dans cette prière, la raison a exprimé un mouvement de la sensualité, et non son propre mouvement. Aussi ne voulait-elle pas tout simplement ce pour quoi elle priait. |
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Articulus 4 [9630] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 tit. Utrum Christus,
secundum quod homo, dubitaverit |
Article 4 – Le Christ en tant qu’homme a-t-il douté ? |
[9631] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic
proceditur. Videtur quod Christus, secundum quod homo, dubitavit, per hoc
quod dicit Ambrosius in littera, quod ut homo dubitabat. |
1. Il semble que le Christ, en tant qu’homme, ait douté, selon ce que dit Ambroise dans le texte, qu’« il doutait en tant qu’homme ». |
[9632] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4
arg. 2 Praeterea,
quicumque nescit omnia, potest dubitare. Sed Christus secundum aliquam
scientiam nescivit omnia, ut supra, distinct. 14, quaest. 1, art. 3, dictum est. Ergo
secundum illam potuit dubitare. |
2. Quiconque ne connaît pas tout peut douter. Or, le Christ n’a pas connu tout selon une certaine science, comme on l’a dit plus haut, d. 14, q. 1, a. 3. Il pouvait donc douter selon cette [science]. |
[9633] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4
arg. 3 Praeterea,
ubicumque est timor, ibi est dubitatio. Sed in Christo fuit verus timor, ut supra dictum est,
dist. 15, qu. 2, art. 2. Ergo in Christo fuit dubitatio. |
3. Partout où il y a crainte, il y a doute. Or, chez le Christ, une véritable crainte a existé, comme on l’a dit plus haut, d. 15, q. 2, a. 2. Le doute existait donc chez le Christ. |
[9634] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4
arg. 4 Si dicatur,
quod dubitabat secundum sensualitatem et non secundum rationem; contra.
Sensualitas sequitur apprehensionem sensitivae partis. Sed futurum periculum,
de quo erat passio, non praesciebat sensus. Ergo sensualitas de ipso non
dubitabat, sed ratio. |
4. Si l’on dit qu’il doutait selon la sensualité et non selon la raison, on objectera que la sensualité suit la perception de la partie sensible. Or, le sens ne connaissait pas à l’avance un danger futur, ce dont il s’agissait pour la passion. La sensualité n’en doutait donc pas, mais la raison. |
[9635] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4
arg. 5 Si dicatur,
quod sensualitas dubitabat ex apprehensione rationis vel ex scientia
deitatis; contra. Christus, non praescivit magis tunc sibi futuram passionem
quam a principio. Sed a principio sensualitas in ipso non trepidabat. Ergo nec tunc. |
5. Si l’on dit que la sensualité doutait en raison de la perception de la raison ou de la science de la divinité, on objectera que le Christ n’a pas alors davantage connu à l’avance sa passion à venir qu’au départ. Or, la sensualité ne s’agitait pas chez lui depuis le début. Donc, alors non plus. |
[9636] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4
s. c. 1 Sed contra,
dubitare est ignorantis. Sed in Christo non
fuit ignorantia, sicut
supra dictum est. Ergo nec dubitatio. |
Cependant, [1] douter est le fait de celui qui ignore. Or, chez le Christ, il n’y avait pas d’ignorance, comme on l’a dit plus haut, Donc, pas de doute non plus. |
[9637] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, dubitatio ligat rationem ne possit procedere, sicut dicitur in 3
Metaph. Sed in Christo non fuit ratio ligata. Ergo non fuit in ipso dubitatio
rationis. |
[2] Le doute lie la raison, de sorte qu’elle ne peut pas aller de l’avant, comme il est dit dans Métaphysique, III. Or, chez le Christ, la raison n’a pas été liée. Il n’existait donc pas chez lui de doute de la raison. |
[9638]
Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, ubi est summa securitas, ibi non
est aliqua dubitatio. Sed in Christo fuit summa securitas. Psal. 26, 3: si
consistant adversum me castra, non timebit cor meum. Ergo in ipso non
fuit dubitatio. |
[3] Là où existe la plus grande sécurité, il n’y a aucun doute. Or, chez le Christ, existait la plus grande sécurité. Ps 26, 3 : Si des armées campent contre moi, mon cœur ne craindra pas. Il n’existait donc pas de doute chez lui. |
[9639] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 4 co. Respondeo
dicendum, quod dubitatio dupliciter dicitur. Primo enim et principaliter
significat motum rationis super utraque parte contradictionis cum formidine
determinandi. Iterum secundo
translatum fuit hoc nomen ad significandum formidinem affectus in aggrediendo
vel sustinendo aliquod terribile. Primo autem modo dicta dubitatio contingit
ex defectu medii sufficientis ad veritatem inveniendam; et ideo contingit ex
defectu scientiae; et propter hoc in Christo non fuit. Secundo autem modo dicta
contingit ex infirmitate ejus quod laesivum imminens evadendi facultatem non
videt. Et quia Christus habebat infirmitatem in carne, ut supra dictum est,
et laesivum mortis imminens, sensualitas trepidabat; ideo erat talis
dubitatio in Christo quantum ad sensualitatem, quamvis esset summa securitas
quantum ad rationem, quae auxilium divinum imminere videbat, quod sensualitas
apprehendere non poterat. |
Réponse. On peut parler de doute de deux manières. En effet, il signifie, premièrement et de manière principale, un mouvement de la raison à propos des deux parties d’une contradiction, accompagné de la crainte de trancher. En second lieu, ce mot en est venu à signifier une crainte de l’affectivité d’affronter ou de supporter quelque chose de terrible. Selon le premier sens, le doute en question vient du manque d’une mineure suffisante pour trouver la vérité; elle vient donc d’un manque de science et, pour cette raison, elle n’existait par chez le Christ. Mais, selon le deuxième sens, [le doute] en question vient de la faiblesse de celui qui ne voit pas de possibilité d’éviter ce qui peut blesser de manière imminente. Et parce que le Christ avait une faiblesse en sa chair, comme on l’a dit plus haut, et qu’il y avait quelque chose pouvant entraîner la mort de manière imminente, sa sensualité tremblait; il existait donc un tel doute chez le Christ pour ce qui était de sa sensualité, bien que la plus grande sécurité ait existé pour ce qui était de sa raison, qui voyait que le secours divin était tout proche, ce que sa sensualité ne pouvait pas percevoir. |
[9640] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod Ambrosius loquitur quantum ad sensualitatis timorem; quem dum
ostendit, videbatur hominibus dubitare etiam quantum ad rationem. |
1. Ambroise parle de la crainte de la sensualité; lorsque [le Christ] l’exprimait, il semblait aux hommes qu’il doutait selon sa raison. |
[9641] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod non omnis nescientia dubitationem causat, sed quando aliquis
rationem ejus quod quaerit, et de quo contraria apparent, videre non potest;
et ideo in Christo non fuit talis dubitatio. |
2. Toute ignorance ne cause pas le doute, mais [c’est le cas] lorsque quelqu’un ne peut pas voir la raison de ce qu’il cherche et dont des contraires se présentent. Aussi, chez le Christ, un tel doute n’a-t-il pas existé. |
[9642] Super Sent., lib. 3 d.
17 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dubitatio pro ut pro timore ponitur, in
Christo fuit quantum ad
sensualitatem. |
3. Le doute, en tant qu’il est considéré comme une crainte, existait chez le Christ pour ce qui est de sa sensualité. |
[9643] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod sensualitas movetur etiam ex his quae ratio apprehendit: quia
formantur formae particulares in imaginatione, ex quibus sensualitas nata est
moveri. |
4. La sensualité est mue aussi par ce que la raison perçoit, car des formes particulières sont formées par l’imagination; à partir d’elles, la sensualité est naturellement destinée à être mue. |
[9644] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod quamvis mors a principio conceptionis esset praevisa, non
tamen praevidebatur ut imminens; et ideo dubitationem non faciebat, sed solum
quando jam imminebat. |
5. Bien que la mort ait été prévue dès le début de sa conception, elle n’était cependant pas prévue comme imminente. Elle ne suscitait donc pas de doute, mais seulement lorsque qu’elle devenait toute proche. |
[9645] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4
ad s. c. Alia
concedimus: quia procedunt de rationis dubitatione. |
Nous concédons les autres arguments, car ils sont issus du doute de la raison. |
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Expositio
textus |
Explication du texte
de Pierre Lombard, Dist. 17
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[9646] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4
expos. Anima per
aurem audit; idest est
principium audiendi homini per aurem. Sicut in viris sanctis fuit.
Videtur quod magis fuit in impiis, quia seipsos interficiunt suorum peccatorum
pondere afflicti, ut dicitur in 9 Ethic. Dicendum, quod voluntas
sensualitatis semper refugit mortem, similiter voluntas rationis ut natura;
sed voluntas rationis ut ratio quandoque appetit mortem; et hoc dupliciter:
vel propter amorem futurae vitae, et hoc est in sanctis; vel propter remorsum
laesae conscientiae; et hoc fit in peccatoribus. Pius mentis affectus quo
vellet mori. Contra. 2 Corinth. 5, 4: nolumus expoliari, sed
supervestiri. Dicendum, quod pius affectus bonorum refugit vestitum
corporis quantum ad corruptionem, sed amat quantum ad naturam. Vel dicendum,
quod non vult expoliari propter se, sed ut cum Christo sit; cum quo si esse
posset non expoliatus, sed supervestitus, melius vellet. Sed quia modum
gessit dubitantis. Contra est quod supra dixit Augustinus, dist. 15, quia
eadem ratione omnia quae de Christo dicuntur, non fuerunt vera. Dicendum,
quod erat vera dubitatio quantum ad sensualitatem quae faciebat apparere
dubitationem in ratione, in qua dubitatio non erat. Intende, lector, his
verbis pia diligentia. Verba Hilarii sunt exponenda secundum quod ratio
pro se, non pro sensualitate proponebat: sic enim non pro se, sed pro suis
orabat. Secundum autem quod pro sensualitate proponebat, sic orabat pro se,
ut jam dictum est. |
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Distinctio 18 |
Distinction 18 – [Le mérite du
Christ]
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Prooemium |
Prologue |
[9647] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de voluntate
Christi, quae est principium merendi, hic determinat de merito ipsius. Dividitur autem haec pars
in duas: primo determinat de merito ipsius Christi secundum quod ordinatur ad
consecutionem boni; secundo secundum quod ordinatur ad remotionem mali, dist.
19, ibi: nunc igitur quaeramus, quomodo per mortem ipsius a Diabolo et a
peccato et a poena redempti sumus. Prima adhuc dividitur in duas: primo
determinat de merito Christi, secundum quod sibi aliquid meruit; secundo de
merito ipsius pro ut nobis meruit, ibi: ad quid ergo pati voluit ? Prima in duas: primo ostendit quid sibi
meruit; secundo inquirit, utrum hoc sine merito habere potuisset, ibi: si
vero quaeritur, utrum Christus et cetera. Prima in duas: primo ostendit
quid sibi meruit in seipso; secundo quid meruit in aliis, ibi: nec tantum
gloriam impassibilitatis et immortalitatis meruit, sed etiam meruit donari
sibi nomen quod est super omne nomen. Prima in duas: primo ostendit
quomodo Christus sibi meruit glorificationem corporis, et impassibilitatem animae
et corporis in instanti suae conceptionis; secundo ostendit quomodo hoc
meruit per passionem, ibi: nec solum hoc meruit Christus. Circa primum
duo facit: primo determinat veritatem; secundo movet quamdam dubitationem,
ibi: utrum autem anima sit facta impassibilis, quando caro facta est
immortalis (...) de auctoritate certum nobis non est. Ad quid igitur voluit
pati et mori ? Hic ostendit quid nobis meruit per passionem; circa quod
duo facit: primo enumerat utilitates quae nobis ex passione Christi proveniunt;
secundo prosequitur unam, quae pertinet ad consecutionem boni, ibi: decreverat
Deus in mysterio. Hic quaeruntur sex: 1 utrum in Christo sit aliqua operatio praeter
divinam; 2 utrum per illam potuit mereri; 3 utrum ab instanti conceptionis
meruit; 4 quid sibi meruit; 5 utrum per passionem mereri potuit; 6 utrum
nobis meruit apertionem januae. |
Après avoir déterminé de la volonté du Christ, qui est le principe du mérite, le Maître détermine ici du mérite lui-même. Cette partie se divise en deux : premièrement, il détermine du mérite du Christ lui-même selon qu’il est ordonné à l’obtention d’un bien; deuxièmement, selon qu’il est ordonné à l’enlèvement d’un mal, d. 19, à cet endroit : « Cherchons maintenant comment, par sa mort, nous avons été rachetés du Diable, du péché et de la peine. » La première partie se divise à nouveau en deux : premièrement, il détermine du mérite du Christ, selon qu’il a mérité quelque chose pour lui-même; deuxièmement, de son mérite selon qu’il a mérité pour nous, à cet endroit : « Pourquoi donc a-t-il voulu souffrir ? » La première partie [se divise] en deux : premièrement, il montre ce qu’il a mérité pour lui-même; deuxièmement, il demande s’il pouvait obtenir cela sans mérite, à cet endroit : « Mais si on se demande si le Christ, etc. » La première partie [se divise] en deux : premièrement, il montre ce qu’il a mérité pour lui-même en lui-même; deuxièmement, ce qu’il a mérité par rapport aux autres, à cet endroit : « Il n’a pas seulement mérité la gloire de l’impassibilité et de l’immortalité, mais il a aussi mérité qu’un nom plus élevé que tout nom lui soit donné. » La première partie [se divise] en deux : premièrement, il montre comment le Christ a mérité pour lui-même la glorification de son corps et l’impassibilité de son âme et de son corps à l’instant de sa conception; deuxièmement, il montre comment il a mérité cela par la passion, à cet endroit : « Le Christ n’a pas mérité seulement cela. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il détermine de la vérité; deuxièmement, il soulève un doute, à cet endroit : « Que son âme ait été créée impassible, alors que sa chair a été créée immortelle…, cela n’est pas certain pour nous par voie d’autorité. » « Pourquoi donc a-t-il voulu souffrir et mourir ? » Il montre ici ce qu’il nous a mérité par la passion. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il énumère les avantages qui nous viennent de la passion du Christ; deuxièmement, il en examine plus attentivement un qui concerne l’obtention d’un bien, à cet endroit : « Dieu avait décrété en mystère… » Il pose ici six questions : 1 – Existe-t-il chez le Christ une opération autre que l’opération divine ? 2 – A-t-il pu mériter par celle-là ? 3 – A-t-il mérité dès l’instant de sa conception ? 4 – Qu’a-t-il mérité pour lui-même ? 5 – A-t-il pu mériter par la passion ? 6 – A-t-il mérité pour nous l’ouverture de la porte [du ciel] ? |
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Articulus 1 [9648] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 tit. Utrum in Christo sit
aliqua operatio praeter divinam |
Article 1 – Existe-t-il chez le Christ une opération autre que l’opération divine ? |
[9649] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Christo sit tantum una
actio. Dionysius enim actionem Christi nominat theandricam, idest deivirilem.
Hoc autem non diversas actiones, sed unam significat. Ergo in Christo est tantum
una actio divinitatis et humanitatis. |
1. Il semble que, chez le Christ, il n’y ait qu’une seule action. En effet, Denys appelle l’opération du Christ « théandrique », c’est-à-dire divino-humaine. Or, cela signifie non pas des actions différentes, mais une seule action. Chez le Christ, il n’existe donc qu’une seule action de la divinité et de l’humanité. |
[9650] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, actiones, ut dicit philosophus, suppositorum singularium sunt. Sed in
Christo est tantum unum suppositum. Ergo tantum una actio. |
2. Comme le dit le Philosophe, les actions sont le fait des suppôts singuliers. Or, chez le Christ, il n’existe qu’un seul suppôt. Il n’existe donc qu’une seule action. |
[9651] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1
arg. 3 Praeterea,
cujus est esse, ejus est agere. Sed in Christo propter unitatem hypostasis est tantum unum esse. Ergo
tantum una actio. |
3. L’action est le fait de ce qui est. Or, chez le Christ, il n’y a qu’un seul acte d’être en raison de l’unité d’hypostase. Il n’y a donc qu’une seule action. |
[9652] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1
arg. 4 Praeterea,
instrumenti et principalis agentis est tantum una actio. Sed, sicut dicit
Damascenus, caro est instrumentum divinitatis. Ergo est una actio Christi
secundum divinitatem et humanitatem. |
4. Il n’existe qu’une seule action de l’instrument de l’agent principal. Or, ainsi que le dit [Jean] Damascène, la chair est l’instrument de la divinité. Il n’y a donc qu’une seule action du Christ selon sa divinité et son humanité. |
[9653] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1
arg. 5 Praeterea, ubi est idem activum, est eadem actio: quia actiones
diversificantur penes terminos. Sed in Christo est idem opus operatum
divinitatis et humanitatis: sicut mundatio leprosi, quem divinitas tactu
corporali mundavit, ut dicitur Matth. 8. Ergo in ipso est tantum una actio. |
5. Là où il y a un même agent, il y a la même action, car les actions se diversifient selon leurs termes. Or, chez le Christ, la même action est accomplie par la divinité et l’humanité, comme la guérison d’un lépreux, que la divinité à purifié par un contact corporel, comme il est dit en Mt 8. Il n’y a donc qu’une seule action chez lui. |
[9654] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1
s. c. 1 Sed contra, sicut
se habet unitas actionis ad unitatem naturae, ita pluralitas ad pluralitatem.
Sed in divinis personis propter unitatem naturae est una actio. Ergo et in persona
Christi propter diversitatem naturarum est diversa actio. |
Cependant, [1] le rapport de l’unité d’action à l’unité de la nature est le même que celui de la pluralité à la pluralité. Or, chez les personnes divines, il n’existe qu’une seule action en raison de l’unité de nature. Donc, dans la personne du Christ aussi, il existe une action différente selon la diversité des natures. |
[9655] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1
s. c. 2 Praeterea, magis
distant divina natura et humana in Christo, quam diversae potentiae animae in
Christo. Sed diversarum
potentiarum in Christo sunt diversae actiones. Ergo multo fortius duarum
naturarum sunt diversae actiones. |
[2] La nature divine et la nature humaine sont plus éloignées chez le Christ que les diverses puissances de l’âme chez le Christ. Or, il existe des actions différentes pour les diverses puissances chez le Christ. À bien plus forte raison, les actions des diverses natures sont-elles différentes. |
[9656] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1
s. c. 3 Praeterea,
actio divinae naturae est ipsa divina essentia, et est aeterna. Actio autem
humanae naturae in ipso est accidens, et aliquid tempore mensuratum. Ergo
sunt duae actiones in Christo. |
[3] L’action de la nature divine est l’essence divine elle-même et elle est éternelle. Or, l’acte de la nature humaine est chez lui un accident et quelque chose de mesuré par le temps. Il existe donc deux actions chez le Christ. |
[9657] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quidam negaverunt in Christo duas esse actiones; et ad
hoc ponendum diversi diversis rationibus moti sunt. Quidam enim Eutychiani
dicebant in Christo unam tantum naturam esse, compositam ex divina et humana;
et ideo sequebatur quod etiam Christus haberet unam tantum actionem
compositam. Sed ex hoc
sequitur quod sua actio non fuerit neque divina neque humana, neque nobis
neque patri conformis; et ita frustratur opus redemptionis, ad quod exigitur
divina actio, et humana. Unde hoc est haereticum, sicut et primum, ut dicitur dist., 5, qu. 1,
art. 1. Alii vero negaverunt duas actiones in Christo, dicentes in comparatione
ad divinam, humanam operationem non esse dicendam actionem, sed potius passionem:
quod refellit Damascenus. Quia si propterea
humana operatio Christi non est dicenda actio, quia divina est actio, eadem
ratione quia natura divina est bona, natura humana non esset bona: non enim
oportet, si divina natura excedit humanam in bonitate, quod propter hoc
humana sit mala aut non bona. Alii vero viderunt quod actio dependet a
natura, quae est principium actionis, et a persona quae agit; ideo voluerunt
in Christo non esse dicendum unam actionem, ne unitatem naturae ponere
videantur; similiter nec esse plures, ne videantur ponere personarum
pluralitatem. Sed ex hoc sequitur, ut dicit Damascenus, quod Christus non sit
neque unius neque duarum naturarum, quod est absurdum. Et dicendum propter
hoc, quod simpliciter in Christo oportet concedere duas actiones: quia ad
diversitatem causarum sequitur diversitas in effectibus. Causa autem actionis
est species, ut dicitur in 3 Physic.: quia unumquodque agit ratione alicujus
formae quam habet; et ideo ubi sunt diversae formae, sunt etiam diversae
actiones; sicut ignis desiccat et calefacit per caliditatem et siccitatem; et
homo audit et videt per visum et auditum. Et similiter Christus ratione
diversarum naturarum habet diversas actiones. |
Réponse. Certains ont nié qu’il y ait deux actions dans le Christ et, pour affirmer cela, des gens différents étaient mus par différentes raisons. En effet, certains eutychiens disaient que, chez le Christ, il n’existait qu’une seule nature composée de la [nature] humaine et de la [nature] humaine; il en découlait donc que le Christ aussi avait une seule action composée. Mais il découle de cela que son action n’était ni divine ni humaine, et qu’elle n’était conforme ni à nous ni au Père. Ainsi se trouvait faussée l’œuvre de la rédemption, pour laquelle une action divine et une action humaine sont requises. Cela est donc hérétique, comme le premier point, ainsi qu’on le dit à la d. 5, q. 1, a. 1. Mais d’autres ont nié l’existence de deux actions chez le Christ en disant qu’en regard de l’action divine, l’action humaine ne doit pas être appelée une action, mais plutôt une passion, ce que repousse [Jean] Damascène, car si l’action humaine du Christ ne peut pas être appelée une action parce qu’elle est une action divine, pour la même raison que la nature divine est bonne, la nature humaine ne serait pas bonne. En effet, il n’est pas nécessaire que, parce que la nature divine dépasse en bonté la nature humaine, la nature humaine soit mauvaise ou non bonne. Mais d’autres ont vu que l’action dépend de la nature, qui est le principe de l’action, et de la personne qui agit. Ils ont donc voulu qu’on ne dise pas qu’il y a une seule action chez le Christ, de crainte d’affirmer l’unité de nature; de même, [ils ont voulu] qu’il n’y en ait pas plusieurs, de crainte d’affirmer la pluralité des personnes. Mais il découle de cela, comme le dit [Jean] Damascène, que le Christ n’a ni une seule ni deux natures, ce qui est absurde. Aussi faut-il dire, pour cette raison, qu’il faut reconnaître tout simplement deux actions chez le Christ, car la diversité des effets découle de la diversité des causes. Or, la cause de l’action est l’espèce, comme il est dit dans Physique, III, car tout agit en raison d’une forme qu’il possède. Aussi, là où existent des formes diverses, existent aussi diverses actions, comme le feu dessèche et réchauffe par la chaleur et la sécheresse, et l’homme entend et voit par vue et par l’ouïe. De même, en raison de ses natures différentes, le Christ a-t-il des actions diverses. |
[9658] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod actionem Christi dicit Dionysius deivirilem, non quia sit
simpliciter una actio deitatis et humanitatis in Christo; sed quia actiones
duarum naturarum quantum ad tria uniuntur. Primo quantum ad ipsum suppositum
agens actionem divinam et humanam, quod est unum. Secundo quantum ad unum
effectum, qui dicitur opus operatum, vel apotelesma secundum Damascenum,
sicut mundatio leprosi. Tertio quantum ad hoc quod humana actio ipsius
Christi participabat aliquid de perfectione divinae naturae, sicut
intellectus ejus aliis eminentius intelligebat ex virtute divini intellectus
sibi in persona conjuncti; quamvis divina actio in nullo infirmaretur ex
consortio humanae. |
1. Denys appelle l’action du Christ « théandrique », non pas parce qu’elle est tout simplement une seule action de la divinité et de l’humanité chez le Christ, mais parce que les actions des deux natures sont unies sous trois aspects. Premièrement, quant au suppôt lui-même qui accomplit l’action divine et l’action humaine, qui est un. Deuxièmement, quant à l’effet unique, qui est appelé l’action accomplie ou apotelesma, selon [Jean] Damascène, comme la purification du lépreux. Troisièmement, quant au fait que l’action humaine du Christ participait de quelque manière à la perfection de la nature divine, comme son intellect avait une intelligence plus élevée en vertu de l’intellect divin qui lui était uni dans la personne, bien que l’action divine n’ait été en rien affaiblie par son association à l’action humaine. |
[9659] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod quamvis agere sit suppositi, tamen forma sive natura est
principium vel causa agendi in supposito, sicut et aliarum proprietatum in
supposito existentium; unde sicut idem suppositum est subjectum diversarum
proprietatum propter diversa ejus principia causantia illas proprietates; ita
idem suppositum habet diversas actiones propter diversas formas sive naturas. |
2. Bien que l’action soit le fait du suppôt, la forme ou la nature est cependant le principe ou la cause de l’action chez le suppôt, comme des autres propriétés qui existent dans le suppôt. Comme le même suppôt est le sujet des diverses propriétés en raison des divers principes causant ces propriétés, le même suppôt a donc diverses actions en raison des diverses formes ou natures. |
[9660] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod unitas rei consequitur esse suum: unde eodem modo praedicatur
de re ens, et unum, quod convertitur cum ente. Non autem ex actione sua habet res unitatem: et ideo non potest esse
quod sit suppositum unum, et esse ejus non sit unum; potest autem esse quod
sit suppositum unum, et actio ejus non sit una. |
3. L’unité d’une chose découle de son acte d’être. Aussi le fait d’être et celui d’être un, qui est convertible avec l’être, sont-ils prédiqués de la même manière. Or, une chose ne tient pas son unité de son action. C’est pourquoi il ne peut arriver qu’un suppôt soit un et que son acte d’être ne soit pas pas un; mais il peut arriver qu’il y ait un seul suppôt et que son action ne soit pas une. |
[9661] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod non potest esse eadem actio numero per essentiam, principalis
agentis et instrumenti, quia idem accidens non est in diversis subjectis; sed
dicitur una secundum quid, inquantum scilicet instrumentum non agit nisi
motum a principali agente, et agit in virtute principalis agentis: et hoc
modo in ipsa actione humanitatis Christi est aliqua virtus, inquantum ipsa
humanitas est instrumentum deitatis. |
4. L’action d’un agent principal et d’un instrument ne peut être une en nombre parce que le même accident ne se trouve dans divers sujets; mais elle peut être dite une de manière relative, pour autant que l’instrument n’agit que s’il est mû par l’agent principal et agit par la puissance de l’agent principal. De cette manière, il existe dans l’action même de l’humanité du Christ une certaine puissance, dans la mesure où l’humanité elle-même est l’instrument de la divinité. |
[9662] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod actionis unitas non solum dependet ex termino, sed etiam ex
multis aliis causis; et ideo non oportet, si sit idem activum, quod sit eadem
actio. Contingit autem quod idem activum ex diversis actionibus causatur
quadrupliciter. Uno modo quando unus agens non est sufficiens ad complendum
effectum, sed multi simul; sicut multi simul trahunt navem, quam nullus per
se trahere posset; et tunc omnes illi sunt quasi unus agens non simpliciter,
sed unitate aggregationis; et similiter actio eorum non est una simpliciter,
sed quasi una congregata ex multis. Alio modo quando unus agens potest
perficere effectum, sed non simul una operatione, sed multis operationibus
successivis; sicut est in generatione habituum acquisitorum; et tunc ultima
complens effectum agit in virtute omnium praecedentium disponentium ad illum
effectum. Et his duobus modis non fuerunt in Christo plures actiones ad unum
effectum. Tertio modo quando effectus non est unus simpliciter, sed unus
subjecto, sicut vulnus adustum, et ideo actiones causantes sunt diversae
simpliciter, conveniunt tamen in supposito, scilicet incisio et adustio; et a
diversis formis per essentiam causantur, scilicet ab acumine ferri, et a
caliditate. Quarto modo, quando duae actiones sunt diversorum agentium
ordinatorum, quorum unum movet aliud, et unum est instrumentum alterius. Et
hi duo ultimi modi sunt in Christo, secundum quod diversae ejus actiones ad
idem opus operatum terminabantur. |
5. L’unité de l’action dépend non seulement du terme, mais aussi de plusieurs autres causes. Il n’est donc pas nécessaire, si ce qui est actif est la même chose, que ce soit la même action. Or, il arrive qu’une même chose active résulte de diverses actions de quatre manières. D’une manière, lorsqu’un seul agent ne suffit pas à accomplir l’effet, mais que plusieurs en même temps [suffisent], comme lorsque plusieurs tirent un navire que personne ne pourrait seul tirer. Tous ceux-là sont alors comme un seul agent, non pas de manière simple, mais selon une unité d’association; de même, leur action n’est pas unique tout simplement, mais comme associée à partir de plusieurs. D’une autre manière, lorsqu’un seul agent peut réaliser l’effet, mais pas en même temps par une seule opération, mais par plusieurs opérations successives, comme c’est le cas pour la génération des habitus acquis. Alors, la dernière [opération] qui réalise l’effet agit en vertu de toutes les [opérations] précédentes disposant à cet effet. Selon ces deux modes, il n’a pas exissté chez le Christ plusieurs actions en vue d’un seul effet. D’une troisième manière, lorsque l’effet n’est pas simplement unique, mais unique par son sujet, comme une blessure brûlée. Ainsi les actions qui causent sont simplement différentes, mais elles se rejoignent dans le suppôt, telles une coupure et une brûlure; et elles sont causées par des formes essentiellement différentes, à savoir, la pointe du fer et la chaleur. D’une quatrième manière, lorsque deux actions relèvent de divers agents ordonnés, dont l’un meut l’autre et l’un est l’instrument de l’autre. Ces deux derniers modes existent chez le Christ, selon que ses diverses actions se terminaient à la réalisation de la même œuvre. |
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Articulus 2 [9663] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 2 tit. Utrum Christus potuerit mereri |
Article 2 – Le Christ pouvait-il mériter ? |
[9664] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod
Christus non meruerit. Christus enim semper fuit comprehensor. Sed
comprehensoris qui est in termino, non est mereri: quia meritum est via ad
terminum. Ergo Christus non meruit. |
1. Il semble que le Christ n’a pas mérité. En effet, le Christ a toujours été un comprehensor. Or, il n’appartient pas de mériter au comprehensor qui se trouve au terme, car le mérite existe sur le chemin vers le terme. Le Christ n’a donc pas mérité. |
[9665] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea, non
potest esse idem meritum et praemium, sicut nec causa et causatum. Sed actus
caritatis perfectae est praemium, quia est ipsa fruitio. Ergo cum in Christo
fuerit caritas consummata, per ipsam mereri non potuit; et ita nullo modo
merebatur, cum omnis meriti principium sit caritas. |
2. Le mérite et la récompense ne peuvent pas être la même chose, pas plus que la cause et ce qui est causé. Or, l’acte d’une charité parfaite est une récompense, car il est la jouissance (fruitio) elle-même. Puisqu’une charité consommée a existé chez le Christ,, il ne pouvait donc pas mériter par elle. Et ainsi, il ne méritait d’aucune manière, puisque le principe de tout mérite est la charité. |
[9666] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2
arg. 3 Praeterea, anima
Christi a principio suae conceptionis fuit beata, sicut modo est. Sed modo
non meretur. Ergo nec
unquam mereri potuit. |
3. L’âme du Christ a été bienheureuse dès le début de sa conception, comme elle l’est maintenant. Or, maintenant, elle ne mérite pas. Elle n’a donc jamais pu mériter. |
[9667] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2
arg. 4 Praeterea,
quicumque meretur, merendo proficit quantum ad illud quod est merendi principium:
quia caritas per meritum augetur. Sed Christi caritas augeri non potuit, nec ipse in spiritualibus bonis
proficere. Ergo ipse non merebatur. |
4. Quiconque mérite progresse en méritant pour ce qui est le principe du mérite, car la charité est augmentée par le mérite. Or, la charité du Christ ne pouvait être augmentée et il ne pouvait pas faire de progrès pour ce qui est des biens spirituels. Il ne méritait donc pas. |
[9668] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, naturalibus
non meremur, propter hoc quod sunt determinata ad unum. Sed liberum arbitrium
in Christo erat determinatum ad bonum. Ergo ipse per liberum arbitrium mereri
non potuit; et ita nullo modo, cum omne meritum sit ex libero arbitrio. |
5. Nous ne méritons pas par les [biens] naturels parce qu’ils sont déterminés à une seule chose. Or, le libre arbitre chez le Christ était déterminé à une seule chose. Il ne pouvait donc pas mériter par son libre arbitre, et ainsi [il ne le pouvait] d’aucune manière, puisque tout mérite vient du libre arbitre. |
[9669] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2
arg. 6 Praeterea, nullus
meretur id quod suum est: et propter hoc apud homines filii non merentur a
patribus, sed servi, quia ea quae patris sunt, hereditario jure competunt
filio. Sed omnia quae
patris sunt, Christi sunt, ut dicitur Matth. 12, et Joan. 16. Ergo ipse apud
patrem non merebatur. |
6. Personne ne mérite ce qui lui appartient; pour cette raison, chez les hommes, les fils ne méritent pas de leurs pères, mais les serviteurs, car ce qui appartient au père revient au fils par droit d’héritage. Or, tout ce qui appartient au Père appartient au Christ, comme il est dit en Mt 12 et Jn 16. Il ne méritait donc pas de la part du Père. |
[9670] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 2 arg. 7 Praeterea, nullus meretur a seipso. Sed quicumque meretur, meretur aliquid a
filio Dei. Cum ergo Christus sit filius Dei, ipse nullo modo mereri poterat. |
7. Personne ne mérite de lui-même. Or, quiconque mérite mérite quelque chose du Fils de Dieu. Puisque le Christ est le Fils de Dieu, il ne pouvait donc aucunement mériter. |
[9671] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2
s. c. 1 Sed contra, super
illud Psal. 15: conserva me domine, quoniam speravi in te, Glossa: ecce
meritum quo servari debet; et loquitur de Christo. Ergo Christus aliquid
meruit. |
Cependant, [1] à propos de Ps 15 : Protège-moi, Seigneur, car j’ai espéré en toi, la Glose dit, en parlant du Christ : « Voici le mérite par lequel il doit être préservé! » Le Christ a donc mérité quelque chose. |
[9672] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, omnis viator habens caritatem meretur. Sed Christus fuit hujusmodi. Ergo. |
[2] Tout viator possédant la charité mérite. Or, tel était le Christ. Donc… |
[9673] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2
s. c. 3 Praeterea,
ubicumque est difficultas in operatione virtutum, ibi est meritum. Sed
Christus habuit difficultatem in operibus virtuosis, non quidem ex parte
animae, sed ex parte corporis, quod affligebatur. Ergo ipse merebatur. |
[3] Partout où il y a une difficulté dans l’acte des vertus, là est le mérite. Or, le Christ a connu des difficultés pour les actes vertueux, non pas du côté de l’âme, mais du côté du corps, qui était affligé. Il méritait donc. |
[9674] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod in justitia duae personae requiruntur, scilicet faciens
justitiam, et patiens justitiam. Facientis autem justitiam, reddere unicuique
quod suum est, actio est propria; patientis autem justitiam actio propria est
facere sibi debitum quod est ei per justitiam reddendum: et hoc proprie
mereri est; unde et id quod secundum justitiam redditur, merces dicitur. Sed
quia justitia reddit unicuique quod ei debetur et in bonis et in malis; bona
autem simpliciter sunt ea quae ad vitam aeternam pertinent, et mala simpliciter
ea quae ad miseriam aeternam pertinent; inde est quod secundum theologos meritum
proprie dicitur respectu horum; quamvis magis proprie respectu bonorum
dicatur meritum, demeritum vero respectu malorum. Ad hoc igitur quod aliquis
mereatur, tria necessaria sunt: scilicet agens qui meretur, actio per quam
meretur, et merces quam meretur. Et ideo ad meritum tria requiruntur. Primum
est secundum comparationem merentis ad mercedem, ut scilicet ille qui
meretur, sit in statu acquirendi mercedem: et propter hoc illi qui sunt
omnino in termino, nihil merentur, quia nihil acquirere possunt. Secundum est
ex comparatione agentis ad actionem, ut scilicet sit dominus suae actionis:
alias per actionem suam non dignificatur ad aliquid habendum, nec laudatur;
et ideo ea quae agunt per necessitatem naturae, vel etiam per violentiam, non
merentur. Tertium est secundum comparationem actionis ad mercedem, ut
scilicet aequiparetur mercedi: non quidem secundum aequalitatem quantitatis,
quia hoc requiritur in justitia commutativa, quae consistit in emptionibus et
venditionibus; sed secundum aequalitatem proportionis, quae requiritur in
justitia distributiva, secundum quam Deus aeterna praemia partitur. Actio
autem proportionata ad vitam aeternam est actio ex caritate facta: et ideo
per eam ex condigno meretur quis ea quae ad vitam aeternam pertinent: opera autem
bona quae non sunt ex caritate facta, deficiunt ab ista proportione; et ideo
per ea ex condigno non meretur quis vitam aeternam, sed improprie dicitur
aliquis mereri, secundum quod habent aliquam similitudinem cum operatione
informata a caritate. Et si quidem sit similitudo illa in substantia actus et
in intentione, ut cum aliquis existens in mortali peccato dat eleemosynam
propter Deum; dicitur meritum congrui: si vero sit, similitudo in substantia
actus, et non in intentione; sic dicitur meritum interpretatum, sicut cum
quis dat pauperi eleemosynam propter inanem gloriam. Et haec tria in Christo
reperiuntur: ipse enim quamvis quantum ad aliquid in termino perfectionis
fuerit, scilicet quantum ad operationes animae, quibus erat beatus et
comprehensor; tamen quantum ad aliquid defectum patiebatur eorum quae ad
gloriam pertinent, inquantum scilicet erat passibilis anima et corpore, et
inquantum erat corpore mortalis: et ideo secundum hoc erat viator in statu
acquirendi. Similiter et omnis actus ejus informatus erat caritate: et iterum
actus sui dominus erat per libertatem voluntatis; et ideo omni actu suo
meruit. |
Réponse. Dans le cas de la justice, deux personnes sont nécessaires, à savoir, celui qui rend la justice et celui qui subit la justice. Or, l’action de celui qui rend la justice : rendre à chacun ce qui lui appartient, lui est propre; mais l’action propre de celui qui subit la justice est de faire en sorte que ce qui lui est dû lui soit rendu par la justice. Et c’est là mériter au sens propre. Aussi ce qui est rendu selon la justice est-il appelé une récompense. Mais parce que la justice rend à chacun ce qui lui est dû en bien et en mal, et que les biens sont simplement ce qui a trait à la vie éternelle et les maux, simplement ce qui a trait à la misère éternelle, de là vient que, selon les théologiens, on parle de mérite au sens propre à leur sujet, bien que, en un sens plus propre, on parle de mérite pour les biens, mais de démérite pour les maux. Pour que quelqu’un mérite, trois choses sont donc nécessaires : un agent qui mérite, une action par laquelle il mérite et la récompense qu’il mérite. Trois choses sont donc nécessaires pour le mérite. La première tient aux rapports entre celui qui mérite et la récompense : celui qui mérite doit être en état d’acquérir la récompense; pour cette raison, ceux qui sont tout à fait au terme ne méritent rien parce qu’ils ne peuvent rien acquérir. La deuxième vient du rapport entre l’agent et l’action : il doit être maître de son action, autrement il n’est pas rendu digne par son action de posséder quelque chose et il n’est pas loué. C’est pourquoi ce qui agit par nécessité naturelle ou même par violence ne mérite pas. La troisième chose tient au rapport entre l’action et la récompense : elle doit équivaloir à la récompense, non pas selon une égalité quantitative, car cela est exigé par la justice commutative qui porte sur les achats et les ventes, mais selon une égalité proportionnelle, qui est exigée pour la justice distributive, selon laquelle Dieu octroie des récompenses éternelles. Or, l’action proportionnée à la vie éternelle est l’action accomplie par charité. Aussi mérite-t-on par elle en justice (ex condigno) ce qui se rapporte à la vie éternelle. Or, les actes bons qui ne sont pas accomplis par charité sont dépourvus de cette proportion. C’est pourquoi on ne mérite pas en justice (ex condigno) la vie éternelle en les accomplissant, mais on dit en un sens impropre qu’on mérite selon qu’ils ont une certaine ressemblance avec l’action à laquelle la charité donne forme. Si cette ressemblance se trouve dans la substance de l’acte et dans l’intention, comme lorsque quelqu’un se trouvant dans le péché mortel donne une aumône à cause de Dieu, le mérite est appelé de convenance (ex congruo); mais si la ressemblance se trouve dans la substance de l’acte, mais non dans l’intention, on parle de mérite par interprétation (meritum interpretatum), comme lorsque quelqu’un donne une aumône à un pauvre par vaine gloire. Or, ces trois choses se trouvent chez le Christ. En effet, bien qu’il ait été à la limite de la perfection sous un aspect : les opérations de l’âme par lesquelles il était bienheureux et comprehensor, cependant, sous un [autre] aspect, il lui manquait ce qui est se rapporte à la gloire, pour autant qu’il était passible dans son âme et dans son corps et pour autant qu’il avait un corps mortel. Aussi, sous cet aspect, était-il un viator en état d’acquérir. De même, tous ses actes avaient la forme de la charité et il était aussi maître de lui-même par la liberté de sa volonté. Aussi a-t-il mérité par tous ses actes. |
[9675] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quamvis esset comprehensor quantum ad aliquid, erat etiam
viator quantum ad aliquid; et sic mereri potuit. |
1. Bien qu’il ait été comprehensor sous un aspect, il était aussi viator sous un [autre] aspect. Il pouvait ainsi mériter. |
[9676] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod idem non potest esse meritum et praemium respectu ejusdem et
secundum idem; unde ipse motus caritatis hominis Christi, in quo consistit
praemium ejus quantum ad beatitudinem animae, potest esse meritum respectu
beatitudinis corporis: quod in aliis beatis non contingit, quia non sunt in
statu acquirendi secundum aliquid sui: et ideo nec sibi nec aliis merentur:
quia quod impetrant modo nobis, contingit ex hoc quod prius dum viverent,
meruerunt ut hoc impetrarent. |
2. Le mérite et la récompense ne peuvent pas être la même chose par rapport à la même chose et selon la même chose. Aussi le mouvement même de la charité de l’homme Christ, en quoi consiste sa récompense quant à la béatitude de l’âme, peut-il être un mérite par rapport à la béatitude du corps, ce qui ne se produit pas chez les autres bienheureux parce qu’ils ne sont pas en état d’acquérir selon quelque chose d’eux-mêmes. Aussi ne méritent-ils ni pour eux-mêmes ni pour les autres, car ce qu’ils obtiennent maintenant pour nous vient de ce que, alors qu’ils vivaient, ils ont mérité de l’obtenir. |
[9677] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod Christus est modo tantum comprehensor; tunc autem erat et
viator et comprehensor: et ideo tunc mereri potuit, nunc autem non. |
3. Le Christ n’est maintenant que comprehensor; mais alors, il était à la fois viator et comprehensor. Il pouvait donc alors mériter, mais pas maintenant. |
[9678] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod ille qui meretur, non oportet quod proficiat quantum ad
rationem merendi: hoc enim accidit sibi ex hoc quod radix merendi, scilicet
caritas, non est in ipsius merito: sed oportet quod omnis qui meretur,
proficiat quantum ad mercedem quam meretur, ut scilicet eam sibi debitam
faciat vel simpliciter, vel quantum ad aliquem modum quo sibi prius debita
non erat. |
4. Celui qui mérite ne doit pas nécessairement progresser pour ce qui se rapporte à la raison du mérite : en effet, cela lui vient de ce que la racine du mérite, la charité, ne se trouve pas dans son mérite. Mais il est nécessaire que tous ceux qui méritent progressent quant à la récompense qu’ils méritent, à savoir qu’il se la rendent due tout simplement ou d’une manière selon laquelle elle ne leur était pas due antérieurement. |
[9679] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod liberum arbitrium Christi non erat determinatum ad unum
secundum numerum, sed ad unum secundum genus, scilicet ad bonum, quia in
malum non potest; sed tamen hoc potest facere et non facere; et hoc non
excludit libertatem arbitrii, quia posse peccare non est libertas arbitrii
nec pars libertatis, ut dicit Anselmus. Et haec quidem determinatio ex
perfectione liberi arbitrii contingit secundum quod per habitum gratiae et
gloriae terminatur in eo ad quod est naturaliter ordinatum, scilicet in bono:
quia liberum arbitrium, quamvis in nobis se habeat ad bonum et ad malum, non
tamen est propter malum, sed propter bonum. Vel dicendum, quod si etiam esset determinatum ad unum numero, sicut
ad diligendum Deum (quod non facere non potest), tamen ex hoc non amittit
libertatem, aut rationem laudis sive meriti: quia in illud non coacte, sed
sponte tendit; et ita est actus sui dominus. |
5. Le libre arbitre du Christ n’était pas déterminé à une seule chose numériquement, mais à une seule chose selon le genre, à savoir, le bien, parce qu’il ne pouvait être porté vers le mal. Cependant, il pouvait faire ou ne pas faire cela, et cela n’exclut pas la liberté de l’arbitre, car « pécher n’est pas la liberté de l’arbitre ni une partie de la liberté », comme le dit Anselme. Cette détermination vient de la perfection du libre arbitre selon que, par l’habitus de la grâce ou de la gloire, il se termine en ce à quoi il est naturellement ordonné, à savoir, le bien, car le libre arbitre, bien qu’il puisse chez nous aller vers le bien ou vers le mal, n’existe pas pour le mal, mais pour le bien. Ou bien il faut dire que s’il était aussi déterminé à une seule chose numériquement, comme aimer Dieu (ce qu’il ne peut pas ne pas faire), il ne perd cependant pas par là sa liberté ou la raison de la louange ou du mérite, car il y tend, non pas par coercition, mais spontanément. Et ainsi, il agit en tant que maître de soi. |
[9680] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2
ad 6 Ad sextum dicendum, quod Christus non meretur secundum divinitatem,
secundum quam habet quod omnia sunt sua; sed meretur secundum humanitatem, ex
qua non habet quod omnia sunt sua. |
6. Le Christ ne mérite pas selon sa divinité, selon laquelle il possède tout ce qui lui appartient; mais il mérite selon son humanité, par laquelle il ne possède pas tout ce qui lui appartient. |
[9681] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2
ad 7 Et per hoc patet
solutio ad septimum: quia a filio Dei meremur ratione divinitatis suae, ex
qua parte ipse non merebatur. |
7. La réponse au septième argument est ainsi claire, car nous méritons par le Fils de Dieu en raison de sa divinité, par laquelle lui-même ne méritait pas. |
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Articulus 3 [9682] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 3 tit. Utrum Christus ab instanti suae conceptionis potuerit
mereri |
Article 3 – Le Christ pouvait-il pu mériter dès l’instant de sa conception ? |
[9683] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Christus non potuerit mereri in instanti suae
conceptionis. Nullus enim meretur nisi agendo. Sed prius est esse rei quam
ejus agere. Ergo in primo instanti conceptionis quando Christus primo habuit
esse secundum humanam naturam, non potuit mereri. |
1. Il semble que le Christ ne pouvait pas mériter dès l’instant de sa conception. En effet, personne ne mérite qu’en agissant. Or, l’être d’une chose précède son action. Au premier instant de sa conception, alors que le Christ a d’abord eu l’être selon sa nature humaine, il ne pouvait donc pas mériter. |
[9684] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3
arg. 2 Praeterea, opus meritorium cum
deliberatione est, cum sit ex electione liberi arbitrii, quae sequitur
consilium. Sed
deliberatio, cum sit quidam motus, requirit tempus. Ergo in primo instanti
conceptionis mereri non potuit. |
2. L’acte méritoire est accompli délibérément, puisqu’il vient du choix du libre arbitre, qui suit le conseil. Or, la délibération, puisqu’elle est un mouvement, exige du temps. Au premier instant de sa conception, il ne pouvait donc pas mériter. |
[9685] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3
arg. 3 Praeterea, quidquid
Christus habuit in primo instanti suae conceptionis, habuit ab alio, non a
se. Sed meriti sui ipse causa
fuit. Igitur in primo instanti conceptionis non meruit. |
3. Tout ce que le Christ a eu au premier instant de sa conception, il l’a reçu d’un autre, et non de lui-même. Or, il a lui-même été la cause de son mérite. Il n’a donc pas mérité dès le premier instant de sa conception. |
[9686] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3
arg. 4 Praeterea, sicut
meritum est per liberum arbitrium, ita et peccatum. Sed Diabolus non potuit
peccare in primo instanti suae creationis. Ergo nec anima Christi in primo instanti
creationis suae potuit mereri. Sed primum instans
conceptionis fuit primum instans creationis animae. Ergo in illo instanti mereri non potuit. |
4. De même que le mérite vient du libre arbitre, de même aussi le péché. Or, le Diable n’a pas pu pécher dès le premier instant de sa création. Donc, ni l’âme du Christ n’a-t-elle pu pécher dès le premier instant de sa création. Or, le premier instant de sa conception fut le premier instant de la création de son àme. Il n’a donc pas pu mériter en cet instant. |
[9687] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, Christus quantum ad corpus, in pueritia erat similis aliis pueris. Sed
alii pueri propter imbecillitatem organorum corporalium non habent perfectam
imaginationem, nec usum liberi arbitrii. Per consequens ergo nec Christus: et
ita tunc, ut videtur, mereri non potuit. |
5. Le Christ était semblable aux autres enfants pour son corps durant son enfance. Or, les autres enfants, en raison de la faiblesse des organes corporels, n’ont pas une imagination parfaite ni l’usage du libre arbitre. Par conséquent, ni le Christ, et ainsi, il semble qu’il ne pouvait pas alors mériter. |
[9688]
Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, Christus in primo instanti suae
conceptionis fuit vir. Hierem. 31, 22: novum faciet dominus super terram:
femina circumdabit virum. Sed perfecti viri est mereri. Ergo Christus in primo instanti suae
conceptionis potuit mereri. |
Cependant, [1] le Christ a été un homme dès le premier instant de sa conception. Je 31, 22 : Le Seigneur fera du nouveau sur la terre : la femme entourera l’homme! Or, il relève de l’homme parfait de mériter. Le Christ pouvait donc mériter dès le premier instant de sa conception. |
[9689]
Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, perfectior est anima perfecta
prima et secunda
perfectione, quam perfecta solum perfectione prima. Sed Christo non accrevit aliqua spiritualis
perfectio. Ergo cum operatio sit perfectio secunda, et habitus perfectio
prima; quandocumque habuit habitum virtutis, habuit actum ejus. Sed actu virtutis merebatur.
Ergo Christus in instanti conceptionis merebatur. |
[2] L’âme perfectionnée selon la première et la seconde perfection est plus parfaite que l’âme parfaite seulement selon la première perfection. Or, une perfection spirituelle ne s’est pas ajoutée au Christ. Puisque l’opération est une perfection seconde et l’habitus une perfection première, chaque fois qu’il a possédé l’habitus d’une vertu, il en possédait donc l’acte. Or, c’est par un acte de vertu qu’on mérite. Le Christ méritait donc dès l’instant de sa conception. |
[9690]
Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod Christo debemus
attribuere secundum animam, omnem perfectionem spiritualem quae sibi potest
attribui; unde, cum possibile sit ipsum in primo instanti suae conceptionis
actum meritorium perfecisse, dicendum est, Christum in primo instanti suae
conceptionis meruisse. Quod enim aliqua res in primo instanti in quo est non
possit suam actionem habere, non potest contingere nisi tribus modis. Primo
ex hoc quod deest sibi aliqua perfectio quae requiritur ad agendum; sicut
catulus in primo instanti suae nativitatis non potest videre, quia non habet
organum videndi completum. Alio modo propter aliquod impediens extrinsecum;
sicut aqua generata in aliquo loco concluso impeditur ut non possit proprio
motu moveri. Tertio ex
natura operationis quae successionem habet; et tunc in primo instanti quo res
est, incipit illam actionem, non tamen illa actio est in illo instanti, sed
in tempore; sicut patet quod primum instans in quo ignis est ignis, quod est
ultimum instans suae generationis, est primum instans motus sui sursum; sed
tamen motus ejus non est in illo instanti, quia motus successivorum est.
Constat autem quod in Christo non deficiebat aliqua perfectio ex parte ipsius
agentis, quae est necessaria ad meritorium actum; et iterum nihil erat quod
impedire posset; ipse etiam motus caritatis, quo movebatur, indivisibilis
erat, non successivus; et ideo in ipso instanti conceptionis mereri potuit.
Quidam autem dicunt, quod in ipso instanti conceptionis non meruit quantum ad
usum virtutum; sed solum habuit meritum in radice, scilicet in habitu caritatis
et aliarum virtutum ex quibus dignus fuit gloria; sed quantum ad usum
virtutum non meruit in ipso instanti, sed post ipsum instans. Et ad hoc
moventur rationibus inductis in objiciendo. Sed prima opinio magis mihi
placet, et secundum eam respondendum est ad argumenta in contrarium facta. |
Réponse. Nous devons attribuer au Christ, selon son âme, toute la perfection spirituelle qui peut lui être attribuée. Puisqu’il est possible qu’il ait accompli, dès le premier instant de sa conception, un acte méritoire, il faut donc dire que le Christ a mérité dès le premier instant de sa conception. En effet, qu’une chose ne puisse exercer son action dès le premier instant où elle existe, cela ne peut arriver que de trois façons. Premièrement, [cela peut arriver] parce qu’il lui manque une perfection qui est requise pour agir, comme le petit chien ne peut voir dès le premier instant de sa naissance parce qu’il n’a pas un organe parfait pour voir. D’une autre façon, en raison d’un empêchement extérieur, comme l’eau engendrée dans un endroit fermé est empêchée de se mouvoir selon son propre mouvement. Troisièmement, en raison de la nature de l’opération qui possède une succession; alors, dès le premier instant où la chose existe, elle commence cette action; cependant, cette action n’existe pas dans cet instant, mais dans le temps, comme il est clair que le premier instant où le feu existe est l’instant ultime de sa généréation et le premier instant de son mouvement vers le haut; cependant, son mouvement ne se réalise pas dans cet instant, car le mouvement est le fait des réalités successives. Or, il est clair que, chez le Christ, ne manquait, du point de vue de l’agent, aucune perfection qui est nécessaire à l’acte méritoire. De plus, il n’existait rien qui pût l’empêcher. Le mouvement de charité par lequel il était mû était aussi indivisible, et non successif. C’est pourquoi il a pu mériter dès l’instant de sa conception. Mais certains disent qu’il n’a pas mérité dès l’instant de sa conception pour ce qui est de l’usage des vertus, mais qu’il n’eut de mérite que dans sa racine, à savoir, par l’habitus de la charité et des autres vertus par lesquels il était digne de la gloire; toutefois, pour ce qui était de l’usage des vertus, il n’a pas mérité dès le premier instant, mais après ce même instant. Il sont amenés à cette position par les arguments invoqués dans les objections. Mais la première opinion me plaît davantage, et, dans sa foulée, il faut répondre aux arguments invoqués en sens contraire. |
[9691] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod esse est prius quam agere natura, non tempore de necessitate. |
1. L’être est antérieur à l’action naturelle, mais non pas nécessairement dans le temps. |
[9692]
Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod deliberatio et
consilium, ut dicit philosophus, non sunt de his quae sunt ad finem, quando
non est certum quae expediant ad finem intentum. In ipsa autem intentione finis aliquis
meretur; unde non exigitur deliberatio ad meritum, etiam in aliis hominibus,
quantum ad appetitum finis. Et praeterea in Christo non exigebatur
deliberatio etiam quantum ad ea quae sunt ad finem, quia de his certus erat. |
2. Comme le dit le Philosophe, la délibération et le conseil ne portent pas sur ce qui se rapporte à la fin, lorsque ce qui convient à la fin visée n’est pas certain. Or, par l’intention même de la fin, on mérite. Aussi la délibération n’est-elle pas nécessaire au mérite, même chez les autres hommes, pour ce qui est du désir de la fin. De plus, chez le Christ, la délibération n’était pas requise non plus pour ce qui est en rapport avec la fin, parce qu’il en était certain. |
[9693]
Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illud quod Christus
habuit in primo instanti suae conceptionis, scilicet meritum, et ab alio
habuit, inquantum scilicet exigitur gratia, et a seipso habuit, inquantum
meritum procedit ex libero arbitrio. Non enim semper necessarium est ut causa causatum praecedat tempore,
sed quandoque sufficit quod praecedat natura. |
3. Ce que le Christ a eu dès le premier instant de sa conception, le mérite, et a reçu d’un autre, pour autant que la grâce est requise, il l’a par lui-même, pour autant que le mérite procède du libre arbitre. En effet, il n’est pas toujours nécessaire que la cause précède dans le temps ce qui est causé, mais il suffit parfois qu’elle précède par nature. |
[9694]
Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod motus voluntatis
in finem bonum, est sibi naturalis; unde in primo instanti creationis suae
potest habere motum in bonum finem, quia ad finem naturaliter desideratum
appetendum non indigemus deliberatione; et in hoc potest esse meritum. Sed
peccatum contingit ex hoc quod voluntas movetur in aliquid quod non competit
fini naturaliter desiderato; unde oportet quod contingat ex falsa collatione
illius ad finem: et ideo requiritur ad peccatum collatio ejus quod habet
apparentem bonitatem ad id quod est per se bonum naturaliter desideratum.
Unde in primo instanti creationis non potest mens peccare. |
4. Le mouvement de la volonté vers une fin bonne lui est naturel. Aussi peut-elle avoir dès le premier instant de sa création un mouvement vers la fin bonne, parce que nous n’avons pas besoin de délibération pour désirer une fin naturellement désirée; et il peut y avoir mérite en cela. Mais le péché survient du fait que la volonté est mue vers quelque chose qui ne convient pas à la fin naturellement désirée. Il est donc nécessaire qu’il survienne du fait d’un faux rapprochement entre cela et la fin. C’est pourquoi est nécessaire au péché un rapprochement entre ce qui a l’apparence de la bonté et ce qui est en soi le bien naturellement désiré. Aussi l’esprit ne peut-il pécher dès le premier instant de sa création. |
[9695]
Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Christus non habebat
a sensibus acceptam scientiam, sed infusam; et ita habitus scientiae
perfectae poterat esse etiam cum infirmitate organorum; et iterum dictum est,
quod infirmitas corporis in ipso non refundebatur in mentem, sicut nec mentis
gloria corporis infirmitatem tollebat: et ideo imperfectio organorum corporalium,
usum rationis non tollebat in ipso. |
5. Le Christ ne possédait pas la science reçue des sens, mais [une science] infuse. Ainsi l’habitus de la science parfaite pouvait-il exister en même temps que la faiblesse des organes. De plus, on a dit que la faiblesse du corps ne rejaillissait pas sur l’esprit, comme la gloire de l’esprit n’enlevait pas non plus la faiblesse du corps. L’imperfection des organes corporels n’enlevait donc pas chez lui l’usage de la raison. |
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Articulus 4 [9696] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 tit. Utrum Christus
meruit sibi immortalitatem |
Article 4 – Le Christ a-t-il mérité l’immortalité pour lui-même ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il mérité l’immortalité pour lui-même ?] |
[9697] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Christus non meruerit sibi immortalitatem corporis.
Mereri enim est extranei, cui non debetur merces nisi per meritum; sicut et
adoptari est extranei, cui non debetur hereditas nisi per adoptionem. Sed
Christus ad bona patris, quae sunt sua, non dicitur adoptari quasi extraneus.
Ergo eadem ratione nec immortalitatem, vel aliquid hujusmodi, meruit. |
1. Il semble que le Christ n’ait pas mérité l’immortalité pour lui-même. En effet, mériter est le fait d’un étranger, à qui n’est due la récompense qu’en vertu du mérite, de la même façon qu’être adopté est le fait d’un étranger, à qui n’est dû l’héritage que par l’adoption. Or, on ne dit pas que le Christ a été adopté comme un étranger en vue des biens du Père qui lui appartiennent. Pour la même raison, n’a-t-il pas mérité l’immortalité ou quelque chose de ce genre. |
[9698] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 1 arg. 2 Praeterea,
praemium est dignius merito. Sed bonus motus animae Christi quo merebatur,
est dignior quolibet corporali. Ergo non merebatur immortalitatem corporis. |
2. La récompense est plus digne que le mérite. Or, le mouvement bon de l’âme du Christ, par lequel il méritait, est plus digne que n’importe quelle réalité corporelle. Il n’a donc pas mérité l’immortalité de son corps. |
[9699] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
Christus non erat debitor mortis: quia non habebat peccatum, quod mortis
debitores facit. Ergo cum nullus mereatur illud malum evitare cujus non est
debitor, videtur quod ipse immortalitatem non meruit. |
3. Le Christ n’était pas débiteur de la mort, car il n’avait pas de péché, qui rend débiteur de la mort. Puisque personne ne mérite d’éviter un mal dont il n’est pas débiteur, il semble donc qu’il n’a pas lui-même mérité l’immortalité. |
[9700] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 1 s. c. 1 Sed contra est
quod in littera dicitur, quod claritas corporis est praemium humiliationis. Sed immortalitas corporis
ad claritatem corporis pertinet. Ergo etiam immortalitatem meruit. |
Cependant, [1] il est dit dans le texte que l’éclat du corps est la récompense de l’humiliation. Or, l’immortalité du corps relève de l’éclat du corps. Il a donc aussi mérité l’immortalité. |
[9701] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, bona gloriae nulla creatura habet sine merito. Sed
immortalitas pertinet ad gloriam. Ergo ipsam Christus meruit. |
[2] Aucune créature ne possède sans mérite les biens de la gloire. Or, l’immortalité relève de la gloire. Le Christ l’a donc méritée. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il mérité l’impassibilité de son âme ?] |
[9702] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod impassibilitatem animae Christus non meruerit. Id enim quod nobis est
naturale, non meremur. Sed anima
secundum suam naturam est impassibilis. Ergo impassibilitatem non meruit. |
1. Il semble que le Christ n’ait pas mérité l’impassibilité de son âme. En effet, ce qui nous est naturel, nous ne le méritons pas. Or, l’âme est impassible par sa nature. Il n’a donc pas mérité l’impassibilité de son âme. |
[9703]
Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, omne quod inest alicui per
accidens, ex hoc ipso quod accidens removetur, ei non inest. Sed anima
patitur, sicut et movetur, per accidens, scilicet per corpus. Ergo ex hoc
ipso quod separatur a corpore, fit impassibilis. Sed Christus non meruit
animam a corpore separari: quia meritum mortis peccatum est, ut dicitur Rom.
6. Ergo non meruit impassibilitatem animae. |
2. Tout ce qui existe dans quelque chose par accident n’y existe plus par le fait même que l’accident est enlevé. Or, l’âme souffre, de même qu’elle est mue, par accident, à savoir, en raison du corps. Par le fait même qu’elle est séparée du corps, elle devient donc impassible. Or, le Christ n’a pas mérité que son âme soit séparée de son corps, car la mort est le salaire du péché, comme il est dit en Rm 6. Il n’a donc pas mérité l’impassibilité de son âme. |
[9704]
Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, impassibilitas animae pertinet
ad beatitudinem animae, sicut impassibilitas corporis ad beatitudinem
corporis. Sed anima Christi a principio fuit beata. Ergo impassibilitatem
animae non meruit. |
3. L’impassibilité de l’âme relève de la béatitude de l’âme, comme l’impassibilité du corps [relève de] la béatitude du corps. Or, l’âme du Christ a été bienheureuse dès le début. Il n’a donc pas mérité l’impassibilité de son âme. |
[9705]
Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, anima Christi post resurrectionem
fuit impassibilis. Sed ante fuit passibilis. Ergo sicut gloriam resurrectionis, ita et
animae impassibilitatem meruit. |
Cependant, [1] l’âme du Christ a été impassible après la résurrection. Or, elle était passible auparavant. De même qu’il a mérité la gloire de la résurrection, de même a-t-il aussi mérité l’impassibilité de son âme. |
[9706]
Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, animae damnatorum sunt passibiles,
quia impassibilitatem non meruerunt. Ergo cum anima Christi non fuerit
passibilis post resurrectionem, videtur quod impassibilitatem meruerit. |
[2] Les âmes des damnés sont passibles, car ils n’ont pas mérité l’impassibilité. Puisque l’âme du Christ n’était pas passible après la résurrection, il semble donc qu’il ait mérité l’impassibilité. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il mérité d’être élevé ?] |
[9707]
Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non meruerit
exaltationem. Quia ex hoc ipso quod humana natura assumpta fuit, exaltata
est, et nomen divinitatis sibi debetur. Sed assumptionem non meruit, ut
supra, dist. 4, dictum est. Ergo nec exaltationem. |
1. Il semble que [le Christ] n’ait pas mérité d’être élevé, car, par le fait même que la nature humaine a été assumée, elle a été élevée et le nom de la divinité lui est due. Or, il n’a pas mérité d’assumer, comme on l’a dit plus haut, d. 4. Il n’a pas non plus mérité d’être élevé. |
[9708]
Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, nomen quod est super omne nomen,
est nomen in quo flectitur omne genu. Sed hoc est nomen Jesus, ut dicitur
Philip. 2. Cum ergo hoc nomen non meruerit, sed ante conceptionem sibi
impositum fuerit; videtur quod non meruerit nomen quod est super omne nomen. |
2. Le nom qui est au-dessus de tout nom est le nom devant lequel tout genou fléchit. Or, tel est le nom de Jésus, comme il est dit en Ph 2. Puisqu’il n’a pas mérité ce nom, il semble donc qu’il n’ait pas mérité le nom qui est au-dessus de tout nom. |
[9709] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 3 arg. 3 Si dicatur,
quod meruit quantum ad manifestationem; contra. Hoc etiam ante manifestum
erat; unde Daemones ante eum confessi fuerunt, et pueri et prophetae
praedixerunt. Ergo hoc ipse
non meruit. |
3. Si l’on dit qu’il a mérité pour ce qui est de la manifestation, on opposera que cela était manifeste aussi auparavant; c’est ainsi que le démons l’ont confessé auparavant et que des enfants et des prophètes l’ont prédit. Il n’a donc pas lui-même mérité. |
[9710] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 4 Praeterea, meritum ordinatur ad praemium. Sed facere aliquid propter aestimationem
hominum pertinet ad vanam gloriam, quae in ipso non fuit. Ergo exaltationem quantum ad
manifestationem hominum non meruit. |
4. Le mérite est ordonné à la récompense. Or, faire quelque chose à cause de l’opinion des hommes relève de la vaine gloire, qui n’existait pas chez [le Christ]. Il n’a donc pas mérité d’être élevé pour être manifesté aux hommes. |
[9711] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 3 s. c. 1 Sed contra,
Luc. 14, 2: qui se humiliat, exaltabitur. Sed Christus se humiliavit.
Ergo exaltari meruit. |
Cependant, [1] on lit en Lc 14, 2 : Celui qui s’humilie sera élevé. Or, le Christ s’est humilié. Il a donc mérité d’être élevé. |
[9712] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ipse
fecit se dignum tali exaltatione quae est in manifestatione ad homines per ea
quae gessit. Ergo meruit
ipse hanc exaltationem. |
[2] [Le Christ] s’est rendu digne de l’élévation qui consiste dans la manifestation aux hommes par ce qu’il a fait. Il a donc lui-même mérité cette élévation. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 – [Le Christ a-t-il mérité la récompense substantielle de l’âme, la jouissance de Dieu ?] |
[9713] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod etiam praemium substantiale animae, scilicet fruitionem divinam, ipse
meruit. Majoris enim
meriti majus est praemium. Sed meritum Christi fuit majus omnium sanctorum
meritis. Ergo et major fuit merces quam meruit. Nihil autem majus cadit sub
merito quam fruitio Dei, quam sancti merentur. Ergo ipse etiam meruit ipsam. |
1. Il semble que [le Christ] ait mérité la récompense substantielle de l’âme, la jouissance de Dieu. En effet, plus une récompense est grande, plus le mérite est grand. Or, le mérite du Christ a été plus grand que les mérites de tous les saints. La récompense qu’il a méritée a donc été plus grande. Or, rien ne tombe sous le mérite que la jouissance de Dieu que les saints méritent. Il l’a donc lui-même méritée. |
[9714] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 4 arg. 2 Praeterea,
gloriosius est aliquid per seipsum habere quam ab alio habere omnia. Sed quod
quis meretur, quodammodo habet per seipsum. Cum igitur Christus fruitionem
divinam gloriosissime habuerit, videtur quod eam meruerit. |
2. Il est plus glorieux d’avoir quelque chose par soi-même que de tout avoir par un autre. Or, ce que quelqu’un mérite, il le possède d’une certaine manière par lui-même. Puisque le Christ possédait la jouissance de Dieu de la manière la plus glorieuse, il semble donc qu’il l’ait méritée. |
[9715] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 4 arg. 3 Praeterea,
secundum illos qui ponunt Angelos in solis naturalibus creatos, simul in eis
fuit meritum et praemium. Sed nihil prohibet Christum meruisse fruitionem
divinam, nisi quia ab initio suae conceptionis eam habuit. Ergo videtur quod
in ipso instanti suae conceptionis mereri potuerit ut simul in eo esset
meritum et praemium. |
3. Selon ceux qui affirment que les anges ont été créés avec leurs seules propriétés naturelles, le mérite et la récompense existaient en eux en même temps. Or, rien n’empêche que le Christ ait mérité la jouissance de Dieu, si ce n’est qu’il l’ait possédée dès le commencement de sa conception. Il semble donc qu’il ait pu mériter à l’instant même de sa conception qu’existent en même temps en lui le mérite et la récompense. |
[9716] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 4 s. c. 1 Sed contra,
nullus meretur secundum quod est comprehensor. Sed Christus quantum ad
fruitionem erat comprehensor. Ergo nunquam fruitionem meruit. |
Cependant, [1] personne ne mérite alors qu’il est comprehensor. Or, le Christ était comprehensor pour ce qui est de la jouissance (quantum ad fruitionem). Il n’a donc jamais mérité la jouissance [de Dieu]. |
[9717] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 4 s. c. 2 Praeterea, ex hoc
ipso quod intellectus ejus erat Deo conjunctus in persona, sibi debebatur
fruitio. Sed unionem
non meruit. Ergo nec fruitionem. |
[2] La jouissance lui était due du fait même que son intelligence était unie à Dieu en sa personne. Or, il n’a pas mérité l’union. Donc, la jouissance non plus. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[9718] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum
ad primam quaestionem, quod, sicut praedictum est, meritum secundum se, est
operatio ejus qui justitiam patitur, secundum quam facit suum id quod sibi
reddendum est. Non autem datur aliquid alicui qui habet illud eo modo quo
habet, nec aliquis facit suum quod suum est eo modo quo suum est; unde ad
meritum, secundum quod theologi de ipso loquuntur, in ordine ad ea quae sunt bona
simpliciter, quatuor requiruntur quantum ad id quod aliquis mereri dicitur.
Primum est quod illud sit de pertinentibus ad beatitudinem. Secundum est quod
illud sit non habitum quod per meritum acquiritur reddendum justitia
mediante. Tertium est
quod illud sit non debitum quod merendo quis sibi debitum facit. Quartum,
quod id quod quis mereri dicitur, sequatur ad minus ordine naturae ad ipsum
meritum: et ideo gratia quae est merendi principium, et alia naturalia quae
exiguntur ad meritum, sub merito non cadunt. Haec autem quatuor in Christi
immortalitate inveniuntur. Quia est de his quae pertinent ad beatitudinem
corporis. Item non fuit ab eo semper habitum, quia a principio mortale corpus
assumpsit. Item non fuit sibi debitum ratione naturae, quamvis esset sibi
debitum ratione personae. Item immortalitas non exigitur ad merendum. Et
propter hoc immortalitatem meruit. |
Comme on l’a dit plus haut, le mérite est en lui-même une opération de celui qui est soumis à la justice, selon laquelle il fait sien ce qui doit lui être rendu. Or, on ne donne pas à quelqu’un ce qu’il possède de la même manière dont il le possède, et on ne fait pas sien ce qui est sien de la manière dont cela est sien. Aussi, pour le mérite, selon que les théologiens en parlent et pour ce qui est bien tout simplement, y a-t-il quatre exigences pour ce dont on dit que quelqu’un le mérite. La première est que cela porte sur ce qui se rapporte à la béatitude. La deuxième est que l’on ne possède pas ce qui doit être acquis par la mérite comme devant être rendu par l’intervention de la justice. Troisièmement, que ne soit pas dû ce que l’on rend dû à soi-même en le méritant. Quatrièmement, que ce dont on dit que quelqu’un le mérite découle, au moins selon un ordre de nature, du mérite lui-même. Aussi, la grâce, qui est le principe du mérite, et les autres réalités naturelles, qui sont requises pour le mérite, ne tombent-elles pas sous le mérite. Or, ces quatre choses se trouvent dans l’immortalité du Christ, car elle fait partie de ce qui se rapporte à la béatitude du corps. De même, ne l’a-t-il pas toujours eue, car, au départ, il a assumé un corps mortel. De même, elle ne lui était pas due en raison de la nature, bien qu’elle lui ait été due en raison de sa personne. De même, l’immortalité n’est pas nécessaire pour mériter. Pour ces raisons, il a mérité l’immortalité. |
[9719] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis immortalitas, et omnia alia
bona quae sunt in potestate patris, essent in potestate filii quantum ad
divinam personam, non tamen ratione humanae naturae; unde nos merendo facimus
nobis debitum de eo quod non erat debitum neque naturae neque personae;
Christus autem fecit merendo debitum naturae de non debito naturae, quamvis
esset debitum personae. Nec est simile de adoptione: quia adoptio respicit
personam, sicut et filiatio; meritum autem in operatione consistit, quae
variatur secundum varietatem naturae, ut prius dictum est. |
1. Bien que l’immortalité et tous les autres biens qui sont au pouvoir du Père aient été au pouvoir du Fils pour ce qui est de la personne divine, ils ne l’étaient cependant pour ce qui est était de sa nature humaine. Aussi, en méritant, rendons-nous dû pour nous ce qui n’était dû ni à la nature ni à la personne; mais le Christ en méritant a rendu dû à la nature ce qui n’était pas dû à la nature, bien que cela ait été dû à la personne. Et il n’en va pas de même de l’adoption, car l’adoption concerne la personne, comme la filiation; mais le mérite consiste dans une opération, qui varie selon la variété de la nature, comme on l’a dit antérieurement. |
[9720] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod quamvis actus mentis, quo Christus merebatur, sit simpliciter
melius quam immortalitas corporis; tamen illa est melior quantum ad statum,
inquantum scilicet pertinet ad statum beatitudinis; actus vero mentis,
secundum quod in eo consistit meritum, pertinet ad statum viatoris. Vel dicendum, quod hoc habet veritatem in
praemio substantiali animae, et non in aliis. |
2. Bien que l’acte de l’esprit par lequel le Christ méritait soit simplement quelque chose de meilleur que l’immortalité du corps, celle-ci est cependant meilleure pour ce qui est de l’état, pour autant qu’elle relève de l’état de la béatitude; mais l’acte de l’esprit, selon que le mérite consiste en lui, relève de l’état du viator. Ou bien il faut dire que cela est vrai pour la récompense substantielle de l’âme, mais non pour les autres. |
[9721] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod Christus quamvis non haberet necessitatem moriendi ex peccato,
habebat tamen ex principiis naturalibus, ut supra, dist. 16, qu. 1, art. 2 dictum est; et ideo
humanae naturae in Christo immortalitas non erat debita. Vel dicendum, quod
privatio culpae quamvis auferat meritum mortis, non tamen dat immortalitatem
qua impossibile est mori, qualis est immortalitas quam meruit Christus; sicut
patet in Adam quantum ad primum statum, in quo non erat praedicta
immortalitas. |
3. Le Christ, bien qu’il n’ait pas dû mourir à cause du péché, le devait cependant en raison des principes naturels, comme on l’a dit plus haut, d. 16, q. 1, a. 2. Aussi l’immortalité n’était-elle pas due à la nature humaine chez le Christ. Ou bien il faut dire que la privation de la faute, bien qu’elle enlève le mérite de la mort, ne donne cependant pas l’immortalité par laquelle il est impossible de mourir, comme l’est l’immortalité que le Christ a méritée, ainsi que cela ressort chez Adam en son premier état, où l’immortalité en question n’existait pas. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[9722]
Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod
anima dupliciter dicitur passibilis. Uno modo secundum justitiam divinam,
sicut patitur in Inferno ab igne corporali; et hic est communis animae et
omni spiritui creato in suis tantum naturalibus considerato. Alio modo dicitur anima passibilis secundum
naturam; et hoc vel per accidens ex passione corporis, ut supra, dist. 15,
qu. 2, art. 3, dictum est, quod laesio corporis ad animam pertingit
quodammodo, inquantum est forma ejus; vel per operationem propriam; sive illa
sit communis animae et corpori, sicut in delectationibus et tristitiis, quae
sunt secundum partem sensitivam; sive sit propria ipsi animae, sicut in
delectationibus et tristitiis intellectivae partis. Quia autem anima secundum
suam naturam est forma corporis, formae autem est ut sit materiae
proportionata; ideo in ipsa natura animae etiam sine corpore existentis, est
ut sit nata pati ad passionem corporis, quamvis non patiatur actu sine
corpore quantum ad illas passiones quae naturaliter ei inesse possunt vel ex
corpore vel cum corpore. Haec autem aptitudo non tollitur per id per quod
natura per gratiam reformatur: quamvis enim homo reformetur quantum ad actus
personales per gratiam, non tamen reformatur quantum ad naturam nisi per
gloriam, quae omnes defectus naturae tollit: cujus signum est quod reformati
per gratiam, in actu naturali defectum patiuntur, quia in originali peccato
generant. Unde oportet quod istam aptitudinem naturalem ab anima habitus
gloriae tollat, per quem anima perficitur non solum in potentiis quantum ad
actus personales, sed inquantum est natura quaedam: unde ex ipsa glorificata
in corpus gloria transfunditur. Per habitum etiam gloriae excluditur et
tristitia intellectivae partis, et iterum possibilitas peccandi, per quam est
possibilitas ad passionem ex justitia divina. Unde constat quod
impassibilitas animae ad gloriam pertinet; et quod Christus gloriam animae,
inquantum est natura corporis, non habuit a principio suae conceptionis, quia
corpus passibile fuit: quamvis haberet animam gloriosam quantum ad
operationes quibus Deo fruebatur. Ideo sicut meruit immortalitatem corporis, ita etiam meruit impassibilitatem
animae. |
On dit de l’âme qu’elle est passible de deux manières. En premier lieu, selon la justice divine; ainsi, elle souffre dans l’enfer par le feu corporel. Ce mode est commun à l’âme et à toutes les créature spirituelles envisagées seulement selon leurs propriétés naturelles. En second lieu, on dit que l’âme est passible selon sa nature, et cela, soit par accident en raison de la passion du corps, comme on a dit plus haut, d. 15, q. 2, a. 3, qu’une blessure du corps atteint l’âme d’une certaine manière, pour autant qu’elle en est la forme, soit par sa propre opération, que celle-ci soit commune à l’âme et au corps, comme les plaisirs et les tristesses de la partie sensible, ou qu’elle soit propre à l’âme elle-même, comme les plaisirs et les tristesses de la partie intellectuelle. Or, parce que l’âme est par sa nature forme du corps, et qu’il revient à la forme d’être proportionnée à la matière, il fait donc partie de la nature de l’âme, même lorsqu’elle existe sans le corps, d’être destinée à souffrir lorsque le corps souffre, bien qu’elle ne souffre pas en acte sans le corps pour les passions qui peuvent exister en elle et viennent du corps ou sont associées au corps. Or, une telle capacité n’est pas enlevée par le fait que la nature retrouve sa forme par la grâce (per id quod natura per gratiam reformatur). En effet, bien que l’homme retrouve sa forme (reformetur) par la grâce pour ce qui est des actes personnels, il ne retrouve cependant sa forme que par la gloire pour ce qui est de sa nature, [gloire] qui enlève toutes les carences de la nature. Le signe en est que ceux qui ont retrouvé leur forme par la grâce supportent une carence dans un acte naturel, car ils engendrent dans le péché originel. Il faut donc que l’habitus de la gloire enlève de l’âme cette disposition naturelle par laquelle l’âme est perfectionnée, non seulement dans ses puissances pour ce qui est des actes personnels, mais pour autant qu’elle est une certaine nature. C’est ainsi qu’elle-même étant glorifiée, elle transmet la gloire au corps. Par l’habitus de la gloire, sont aussi écartées la tristesse de la partie intellectuelle et aussi la possibilité de pécher, dont provient la possibilité de souffrir en vertu de la justice divine. Il est donc clair que l’impassibilité de l’âme relève de la gloire et que le Christ n’a pas possédé dès le début de sa conception la gloire de l’âme, en tant qu’elle est par nature celle du corps, car son corps était passible, bien qu’il ait possédé une âme glorieuse pour ce qui est des opérations par lesquelles elle jouissait de Dieu. C’est pourquoi il a mérité l’impassibilité de l’âme comme il a mérité l’immortalité du corps. |
[9723] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod anima secundum suam naturam est
impassibilis, ut pati non possit, quantum ad passiones proprie dictas de
quibus loquimur, sine corpore; est tamen secundum naturam suam passibilis,
idest potens pati has passiones in corpore, et per corpus. Unde haec determinatio per naturam potest
determinare passibilitatem vel quantum ad potentiam, et sic falsa est
propositio; vel quantum ad actum; et sic vera est, quia passibile est potens
pati. |
1. Selon sa nature, l’âme est impassible, de sorte qu’elle ne peut souffrir sans le corps pour les passions au sens propre dont nous parlons. Cependant, elle est passible selon sa nature, c’est-à-dire qu’elle peut subir ces passions dans le corps et par le corps. Aussi cette détermination par la nature peut déterminer la passibilité soit selon la puissance, et ainsi il s’agit d’une proposition fausse, soit selon l’acte, et ainsi elle est vraie, car ce qui peut subir est passible. |
[9724]
Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis per
accidens inesset animae passio, non tamen per accidens aptitudo ad patiendum
simul cum corpore: et ideo quamvis ea separata a corpore, tollatur passio
secundum actum, non tamen tollitur aptitudo patiendi. Unde si iterum corpori uniretur, non
faceret conjunctum sibi corpus impassibile, sed in eo per accidens pateretur,
sicut et prius, nisi quando glorificata est: tunc enim si corpori unitur,
corpus impassibile facit. |
2. Bien que la passion existe dans l’âme par accident, la capacité de subir n’existe cependant pas par accident lorsque [l’âme] est unie au corps. Bien que la passion soit écartée selon l’acte lorsque [l’âme] est séparée du corps, la capacité de subir n’est cependant pas enlevée. Aussi, si elle était de nouveau unie au corps, elle ne rendrait pas impassible le corps qui lui est uni, mais elle souffrirait en lui par accident, comme autrefois, à moins qu’elle ne soit glorifiée. En effet, si elle est alors unie au corps, elle rend le corps impassible. |
[9725] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod impassibilitas animae pertinet ad beatitudinem animae,
inquantum natura et forma corporis: et talem beatitudinem anima Christi non
habuit a principio suae conceptionis, sed beatitudinem quae consistit in actu
fruitionis. |
3. L’impassibilité de l’âme relève de la béatitude de l’âme, en tant qu’elle est nature et forme du corps. Et l’âme du Christ n’a pas possédé une telle béatitude dès le début de sa conception, mais la béatitude qui consiste dans l’acte de jouissance. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3 |
[9726] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, sicut dicit philosophus in 1
Ethic., in felicitate aliquid invenitur essentiale ipsius, sicut virtutes
quae faciunt operationem perfectam; aliquid autem quod facit ad bene esse
felicitatis, sicut divitiae, et amici, et hujusmodi. Similiter dico, quod aliqua sunt quae sunt
de substantia beatitudinis, sicut dotes animae et corporis; aliquid autem
quod est de bene esse ipsius, sicut manifestatio beatitudinis ad alios, in
quo etiam gloria consistit, quia gloria est clara cum laude notitia: Glossa
Rom. ult.: sicut etiam philosophus dicit, quod de bene esse ipsius
felicitatis est ut felix etiam post mortem vivat in memoriis hominum. Quia
ergo in Christo debuit esse completissima beatitudo, ideo non solum in seipso
beatificatus est, sed ad perfectionem suae beatitudinis etiam sua beatitudo
aliis ostensa fuit: et secundum hoc dicitur exaltationem meruisse: quae
quidem exaltatio in tribus consistit; scilicet in notitia cordis, secundum quod
dicitur accepisse nomen super omne nomen, quia nomen de re notitiam facit:
item in reverentia corporis, quantum ad genuflexionem: item in confessione
oris; et hoc est quod dicit apostolus: et omnis lingua confiteatur quia
dominus Jesus Christus in gloria est Dei patris. |
Comme le dit le Philosophe dans Éthique, I, on trouve dans la félicité
quelque chose qui lui est essentiel, comme les vertus qui rendent l’opération
parfaite, et quelque chose qui la rend meilleure, comme les richesses, les
amis et les choses de ce genre. Je dis de même que certaines choses font
partie de la substance de la béatitude, comme les dots de l’âme et du corps,
mais certaines choses qui la rendent meilleure, comme la manifestation de la
béatitude aux autres ‑ en quoi consiste aussi la gloire, car la gloire
est « une manifestation éclatante accompagnée de louanges ». La
Glose sur Rm 16 dit : « Comme le dit aussi le Philosophe, il
fait partie d’une félicité meilleure que le bienheureux vive même après sa
mort dans la mémoire des hommes. » Parce que la béatitude la plus
complète devait exister chez le Christ, il n’a donc pas été rendu bienheureux
seulement en lui-même, mais sa béatitude a aussi été montrée aux autres pour
la perfection de sa béatitude. On dit ainsi qu’il a mérité d’être élevé,
élévation qui consiste en trois choses : dans la connaissance du cœur,
selon qu’on dit de lui qu’il a reçu un nom au-dessus de tout nom, car le nom
fait connaître une chose; dans le respect du corps, pour ce qui est de la
génuflexion; et dans la confession par la bouche, et c’est ce que dit
l’Apôtre : Que toute langue
confesse que le Seigneur Jésus, le Christ, est dans la gloire de Dieu le
Père. |
[9727] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis
fuerit exaltatus ab initio suae conceptionis, non tamen sua exaltatio fuit
tunc manifesta: et res in sacra Scriptura tunc fieri dicitur, quando
innotescit. |
1. Bien qu’il ait été exalté dès le début de sa conception, son exaltation n’était cependant pas manifeste et, dans l’Écriture, on dit qu’une chose apparaît lorsqu’elle est connue. |
[9728] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nomen super
omne nomen dicitur esse vel quantum ad id a quo imponitur; et sic est nomen
Jesus vel Christus, quia utrumque imponitur ex unione humanae naturae ad
divinam: quia secundum hoc unctus dicitur quod Deo est unitus; et secundum
hoc etiam a peccatis salvos facere potest: vel quantum ad id cui nomen
imponitur; et sic hoc nomen Deus est super omne nomen, quia imponitur sibi
secundum divinam naturam. Et haec omnia quamvis fuerint in eo secundum rei veritatem a principio
conceptionis, non tamen erant in notitia hominum. |
2. On parle de nom au-dessus de tout nom soit en raison de celui par qui il est donné: ainsi en est-il pour le nom de Jésus ou de Christ, parce que les deux ont été donnés en raison de l’union de la nature humaine à la nature divine, car on dit qu’il a été oint selon qu’il a été uni à Dieu. Sous cet aspect aussi, il peut sauver des péchés. [On parle aussi de nom au-dessus de tout nom] en raison de ce pour quoi le nom a été imposé, et ainsi le nom de Dieu est au-dessus de tout nom parce qu’il lui a été donné selon la nature divine. Et même si tout cela était vraiment présent en lui dès le début de sa conception, cela n’était pas connu des hommes. |
[9729] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod ante resurrectionem erat quidem manifesta Christi exaltatio
non omnibus, sed paucis: et quibusdam etiam non per certitudinem, sed per
quamdam conjecturam, sicut Daemonibus, et aliquibus Judaeis: sed post
resurrectionem suam altitudo illius toti mundo innotuit per certitudinem
fidei. |
3. Avant la résurrection, l’exaltation du Christ était manifeste non pas à tous, mais à un petit nombre, et à certains aussi, non pas de manière certaine, mais selon une conjecture, tels les démons et certains juifs. Mais, après la résurrection, son élévation fut connue de tout le monde par la certitude de la foi. |
[9730] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod meritum non fit propter praemium, nisi ad quod ordinatur
principaliter: hoc autem est illud quod est de substantia beatitudinis. Unde
etiam quamvis honor civilis sit quo praemiatur virtus civilis; tamen cives
propter illum honorem non operantur virtutis opera, sed propter bonum ipsius
virtutis. |
4. Le mérite n’existe en vue de la récompense que pour ce à quoi il est principalement ordonné. Or, cela est ce qui fait partie de la substance de la béatitude. Aussi, même si l’honneur civil est ce par quoi la vertu civile est récompensée, les citoyens n’accomplissent cependant pas les actes des vertus en vue de cet honneur, mais pour le bien de la vertu elle-même. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la sous-question 4 |
[9731] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod
gloria animae consistit in hoc quod anima ipsi Deo unitur per visionem et
amorem; et quia posterior unio praesupponit priorem, sicut hoc quod Deus est
in sanctis per gratiam, praesupponit hoc quod in omnibus est per essentiam,
praesentiam, et potentiam; ideo eadem ratione unio quae est in persona, quae
est ultima et completissima, praesupponit omnem aliam unionem ad Deum: unde
ex hoc ipso quod anima Christi erat Deo in persona conjuncta, debebatur sibi
fruitionis unio, et non per operationem aliquam ei facta debita: et ideo,
quia meritum consistit in operatione quae facit nobis aliquid debitum, Christus
fruitionem non meruit. Secus autem
est de gloria corporis: quia de gloria corporis non consistit in unione ad
Deum; unde sine ea corpus divinitati unitum esse potuit, et fuit dispensative
propter opus redemptionis implendum. Et propter hoc fruitionem, in qua
consistit gloria animae, Christus semper habuit, et ipsam non meruit, sicut
meruit gloriam corporis. |
La gloire de l’âme consiste en ce que l’âme est unie à Dieu lui-même par la vision et l’amour. Parce que l’union ultérieure présuppose l’union antérieure, comme le fait que Dieu est dans les saints par la grâce présuppose qu’il est en tout par son essence, sa présence et sa puissance, pour la même raison, l’union qui se réalise dans la personne, qui est l’union ultime et la plus complète, présuppose toute autre union à Dieu. Par le fait même que l’âme du Christ était unie à Dieu dans la personne unie, l’union par la jouissance lui était donc due, et elle ne lui est pas devenue due par une opération. Parce que le mérite consiste dans une action qui nous rend quelque chose dû, le Christ n’a donc pas mérité la jouissance. Mais il en va autrement de la gloire du corps, car la gloire du corps ne consiste pas dans l’union à Dieu. Le corps a donc pu être uni à la divinité sans elle, et cela a existé par mode de dispensation en vue d’accomplir l’œuvre de la rédemption. Pour cette raison, le Christ a toujours eu la jouissance en laquelle consiste la gloire de l’âme, et il ne l’a pas méritée, comme il a mérité la gloire du corps. |
[9732] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 4 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod hoc quod Christus sibi beatitudinem quae est in fruitione non
meruit, non fuit ex insufficientia meriti, sed ex perfectione merentis. |
1. Le fait que le Christ n’ait pas mérité pour lui-même la béatitude qui consiste dans la jouissance ne venait pas de l’insuffisance du mérite, mais de la perfection de celui qui méritait. |
[9733] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 4 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod Christus magis habuit ex seipso quod ex unione habuit quam
aliquis habeat id quod ex operatione acquirit: quia habuit illud naturaliter;
et ideo etiam gloriosius habuit fruitionem quam aliquis alius. |
2. Le Christ possédait davantage par lui-même ce qu’il possédait par l’union que ce qu’on acquiert par l’opération, car il possédait cela naturellement. C’est pourquoi il possédait aussi la gloire de manière plus glorieuse qu’un autre. |
[9734] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4
qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum illam opinionem, Angeli non
semper habuerunt beatitudinem, nec iterum aliquid erat in eis unde eis
deberetur; et ideo mereri potuerunt simul quando acceperunt gratiam, ut in 2
Lib., dist. 5, quaest. 2,
art. 2, dictum est. Non est autem ita de Christo, qui semper beatus secundum
animam fuit, et cui ex ipsa unione debebatur gloria. |
3. Selon cette opinion, les anges n’ont pas toujours possédé la béatitude, et il n’y avait pas chez eux de raison qu’elle leur soit due. Ils ont donc pu mériter en même temps qu’ils ont reçu la grâce, comme on l’a dit dans le livre II, d. 5, q. 2, a. 2. Mais il n’en va pas de même du Christ, qui a toujours été bienheureux en son âme et à qui la gloire était due en raison même de l’union. |
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Articulus 5 [9735] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 5 tit. Utrum Christus meruerit sibi per passionem |
Article 5 – Le Christ a-t-il mérité pour lui-même par la passion ? |
[9736] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod Christus per passionem non meruerit sibi. Mereri enim est
aliquid sibi debitum facere. Sed qui sibi semel aliquid debitum fecit, puta
emendo, non ulterius emit illud. Ergo et qui meruit aliquid semel, ulterius
non potest mereri illud. Sed Christus ab instanti conceptionis meruit sibi ea
quae dicta sunt. Ergo per passionem nihil sibi meruit. |
1. Il semble que le Christ n’ait pas mérité pour lui-même par la passion. En effet, mériter, c’est faire en sorte qu’une chose nous soit due. Or, celui qui a une fois fait en sorte qu’une chose lui soit due, par exemple, en l’achetant, n’achète plus cette chose. Celui qui a mérité une chose une fois ne peut donc plus la mériter. Or, le Christ a mérité pour lui-même ce qu’on a dit dès l’instant de sa conception. |
[9737] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, meritum facit vel de non debito debitum, vel de debito
magis debitum. Sed ea quae Christus meruit, non fuerunt sibi magis debita per
passionem quam ante: quia per primum meritum fuerunt sibi facta sufficienter
debita. Ergo per
passionem sibi Christus nihil meruit. |
2. Le mérite rend dû ce qui n’était pas dû ou fait de ce qui était dû quelque chose qui est dû encore davantage. Or, ce que le Christ a mérité ne lui était pas davantage dû par la passion qu’antérieurement, car cela lui est devenu dû d’une manière suffisante par son premier mérite. Le Christ ne s’est donc rien mérité par sa passion. |
[9738] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, passio in
corpore Christi fuit. Sed meritum non est
nisi in anima. Ergo per passionem
Christus nihil sibi meruit. |
3. La passion a eu lieu dans le corps du Christ. Or, le mérite ne se trouve que dans l’âme. Le Christ ne s’est donc rien mérité par sa passion. |
[9739] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5
arg. 4 Praeterea, meriti
principium est in nobis: quia voluntarium est cujus principium est intra, ut
dicitur in 3 Ethic. Sed principium passionis non est in patiente, sed in agente. Ergo Christus
per passionem non meruit. |
4. Le principe du mérite est en nous, car le volontaire est ce dont le principe est intérieur, comme il est dit dans Éthique, III. Or, le principe de la passion n’est pas dans celui qui la subit, mais dans l’agent. Le Christ n’a donc pas mérité par sa passion. |
[9740] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5
arg. 5 Praeterea, omne
meritum consistit in caritate. Sed pati passiones laudabiliter, non est opus
caritatis, sed patientiae, vel fortitudinis. Ergo Christus per passionem non meruit. |
5. Tout mérite consiste dans la charité. Or, supporter des souffrances de manière louable n’est pas un acte de charité, mais de patience ou de force. Le Christ n’a donc pas mérité par sa passion. |
[9741] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5
s. c. 1 Sed contra est
quod dicitur in littera, quod passio claritatis est meritum. |
Cependant, [1] il est dit dans le texte que la passion mérite l’éclat. |
[9742] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, actibus virtutum meremur. Sed Christus est passus ex maxima caritate; Joan. 15, 13: majorem
hac dilectionem nemo habet. Ergo ipse per suam passionem meruit. |
[2] Nous méritons par les actes des vertus. Or, le Christ a souffert par la plus grande charité, Jn 15, 13 : Personne n’a un plus grand amour. Il a donc mérité par sa passion. |
[9743] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5
s. c. 3 Praeterea, passio
sua major fuit aliorum sanctorum passionibus, ut supra, distinct. 15, qu. 2,
art. 3, quaestiunc. 3, dictum est. Sed
alii sancti suis passionibus meruerunt. Ergo et Christus per suam passionem
meruit. |
[3] Sa passion a été plus grande que les passions des autres saints, comme on l’a dit plus haut, d. 15, q. 2, a. 3. Or, les autres saints ont mérité par leurs passions. Le Christ aussi a donc mérité par sa passion. |
[9744] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 5 co. Respondeo
dicendum, quod mereri, sicut dictum est, est facere aliquid sibi debitum. Hoc
autem contingit tribus modis. Uno modo quando aliquis facit de non debito
debitum; sicut aliquis primo motu caritatis meretur vitam aeternam, faciens
eam debitam sibi, quae prius ei debita non erat. Alio modo quod erat minus debitum faciendo
sibi magis debitum: quod contingit in eo in quo caritas augetur. Tertio
contingit, quando aliquid quod est uno modo debitum sibi, facit alio modo debitum
sibi; sicut puer baptizatus, cui debetur vita aeterna ex habitu gratiae in
Baptismo infusae, quando usum liberi arbitrii habere incipit, facit sibi
debitam eam ex actu. Primo igitur modo Christus meruit in primo instanti suae
conceptionis claritatem corporis: quae quidem non erat ei debita neque ex
conditione naturae in se consideratae, neque consequebatur ex necessitate
unionis, sicut gloria fruitionis, ut dictum est. Secundo autem modo Christus mereri non
potuit, quia caritas non est augmentata in Christo. Tertio modo meruit in
omnibus actibus suis post primum instans suae conceptionis: quia fecit sibi
debitum aliquibus actibus quod prius ex aliis actibus debebatur. Actus autem
quo quis meretur, est ille cujus agens est dominus, ut supra dictum est, et
qui est proportionatus mercedi. Est autem homo dominus suorum actuum per
voluntatem; quam quia caritas perficit in ordine ad finem ultimum, ideo actum
fini proportionatum facit, scilicet beatitudini quae proprie merces est
nostrorum meritorum; et ideo omnis actus voluntarius caritate informatus, est
meritorius. Cum igitur Christus passionem suam voluntarie sustinuerit (oblatus
enim est quia ipse voluit, Isai. 53), et voluntas ista caritate fuerit
informata, non est dubium quod per suam passionem meruerit. |
Réponse. Comme on l’a dit, mériter c’est faire en sorte qu’une chose nous devienne due. Or, cela se produit de trois manières. Premièrement, lorsque quelqu’un fait en sorte que ce qui n’est pas dû devienne dû, comme lorsque quelqu’un mérite la vie éternelle par le premier mouvement de charité en faisant en sorte qu’elle lui devienne due, alors qu’elle ne lui était pas due antérieurement. Deuxièmement, en faisant en sorte que ce qui était moins dû devienne davantage dû, ce qui se produit chez celui dont la charité est augmentée. Troisièmement, cela se produit lorsqu’une chose qui nous est due d’une manière nous devient due d’une autre manière, comme l’enfant baptisé, à qui la vie éternelle est due par l’habitus de la grâce infuse lors du baptême, fait en sorte qu’elle lui devienne due en acte, lorsqu’il commence à avoir l’usage de son libre arbitre. De la première manière, le Christ a donc mérité l’éclat de son corps dès le premier instant de sa conception; celui-ci ne lui était dû ni en raison d’une condition de la nature considérée en elle-même, il ne découlait pas non plus nécessairement de l’union, comme la gloire de la jouissance , ainsi qu’on l’a dit. De la deuxième manière, le Christ n’a pas pu mériter parce que la charité n’a pas été augmentée chez le Christ. De la troisième manière, il a mérité par tous ses actes après le premier instant de sa conception, car il a fait en sorte que lui soit dû pour certains actes ce qui lui était dû auparavant par d’autres actes. Or, l’acte par lequel quelqu’un mérite est, comme on l’a dit plus haut, celui dont l’agent est maître, et qui est proportionné à la récompense. Or, l’homme est maître de ses actes par sa volonté. Parce que la charité perfectionne celle-ci par rapport à la fin ultime, elle rend donc son acte proportionné à la fin, c’est-à-dire à la béatitude qui est au sens propre la récompense de nos actes. C’est pourquoi tout acte volontaire qui a reçu la forme de la charité est méritoire. Puisque le Christ a supporté volontairement sa passion (en effet, il s’est offert parce qu’il l’a voulu, Is 53), et que cette volonté a reçu la forme de la charité, il n’y a pas de doute qu’il a mérité par sa passion. |
[9745] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod emptio est principaliter propter habendam rem quae emitur: et
ideo postquam semel empta est, ulterius non emitur: sed actio qua quis
meretur non est principaliter propter praemium consequendum, sed propter
bonum caritatis. Unde homo habens caritatem etiam operaretur, si nulla
retributio sequeretur; unde etiam postquam meruit aliquid operatur; et id
quod sibi primo uno modo debebatur, postea alio modo sibi debetur. |
1. Le but principal de l’achat est de posséder la chose qui est achetée. Aussi, une fois qu’elle a été achetée, elle n’est plus achetée. Mais l’action par laquelle on mérite n’a pas comme but principal l’obtention de la récompense, mais le bien de la charité. Aussi l’homme qui a la charité agirait-il, même s’il n’obtenait aucune récompense. C’est pourquoi, même après avoir mérité quelque chose, il agit, et ce qui lui était d’abord dû d’une manière lui est dû d’une autre manière par la suite. |
[9746] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod non oportet quod faciat sibi magis debitum, quia hoc est
secundum intensionem caritatis, quae est radix merendi; sed facit sibi
pluribus modis debitum. |
2. Il n’est pas nécessaire qu’il fasse en sorte qu’une chose lui soit davantage due, car il s’agit de l’intensité de la charité, qui est la racine du mérite. Toutefois, il fait en sorte que cette chose lui soit due de plusieurs manières. |
[9747] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5
ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis passio sit in corpore, tamen voluntas
acceptans passionem fuit in anima. |
3. Bien que la passion se trouve dans le corps, la volonté qui accepte la passion se trouvait dans l’âme. |
[9748] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod passio, inquantum passio, non est meritoria, quia sic
principium ejus est extra: sed est meritoria inquantum est acceptata per
voluntatem: sic enim est voluntaria, et principium ejus est intra. Acceptatur
autem passio a voluntate dupliciter: vel sicut voluntarium absolute, sicut in
Christo, qui se voluntarie obtulit passioni, ut nostrae redemptionis opus
expleretur: vel sicut voluntarium mixtum, sicut quando aliquis etsi vellet
non pati, tamen magis vult sustinere passionem quam aliquid contra Deum
faciat. |
4. La passion en tant que passion n’est pas méritoire, car son principe se trouve alors à l’extérieur; mais elle est méritoire pour autant qu’elle est acceptée par la volonté. En effet, elle est ainsi volontaire et son principe se trouve à l’intérieur. Or, la passion est acceptée par la volonté de deux manières : soit comme une chose volontaire de manière absolue, comme chez le Christ, qui s’est volontairement offert à la passion afin d’accomplir l’œuvre de notre rédemption; soit comme une chose volontaire mixte, comme lorsque quelqu’un, même s’il ne voulait pas souffrir, veut cependant souffrir une passion plutôt que de faire quelque chose de contraire à Dieu. |
[9749] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod quamvis meritum sit in caritate sicut in radice, non tamen
meremur sola caritate, sed etiam aliis virtutibus, inquantum earum actus sunt
a caritate imperati. |
5. Bien que le mérite se trouve dans la charité comme en sa racine, nous ne méritons cependant pas par la seule charité, mais aussi par les autres vertus, pour autant que leurs actes sont commandés par la charité. |
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Articulus 6 [9750] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 6 tit. Utrum Christus potuerit nobis mereri |
Article 6 – Le Christ pouvait-il mériter pour nous ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le Christ pouvait-il mériter pour nous ?] |
[9751] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 6 qc. 1 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod Christus nobis mereri non
potuit. Sicut enim laus requirit voluntarium, ita et meritum. Sed propter hoc
quod laus requirit voluntarium in laudato, ideo unus non laudatur propter
actum alterius. Ergo similiter
nec unus alteri mereri potest: et sic Christus nihil nobis meruit. |
1. Il semble que le Christ ne pouvait pas mériter pour nous. En effet, de même que la louange exige le caractère volontaire, de même aussi le mérite. Or, du fait que la louange exige le caractère volontaire chez celui qui est louangé, l’un n’est pas louangé pour l’acte d’un autre. De la même manière, l’un ne peut-il mériter pour un autre, et ainsi, le Christ n’a rien mérité pous nous. |
[9752] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 6 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Ezech. 18, 4, dicitur: anima quae peccaverit, ipsa
morietur. Ergo eadem ratione anima quae operatur, ipsa praemiabitur; et
ita videtur quod Christus nobis mereri non potuit. |
2. Il est dit dans Ez 18, 4 : Celui qui aura péché, c’est lui qui mourra. Pour la même raison, c’est celui qui agit qui sera récompensé. Il semble ainsi que le Christ n’a pas pu mériter pour nous. |
[9753] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
Christus non meruit secundum quod Deus, sed secundum quod homo habens
caritatem. Sed unus
habens caritatem non meretur alteri nisi ex congruo, quod non est per se
loquendo meritum. Ergo et cetera. |
3. Le Christ n’a pas mérité en tant qu’il est Dieu, mais en tant qu’il est un homme possédant la charité. Or, quelqu’un qui a la charité ne mérite pour une autre que par un mérite de convenance (ex congruo), qui n’est pas un mérite à parler en soi. Donc, etc. |
[9754] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
Christus, secundum quod homo, est caput nostrum. Ergo nobis aliquid influit. Sed non nisi meritorie. Ergo Christus nobis
aliquid meruit. |
Cependant, [1] le Christ, en tant qu’homme, est notre tête. Il a donc exercé une influence sur nous, mais seulement par le mérite. Le Christ a donc mérité quelque chose pour nous. |
[9755] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 6 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, nullus pervenit ad gloriam sine merito. Sed pueri baptizati pervenient ad gloriam.
Ergo cum non perveniant per meritum proprium, pervenient per meritum Christi;
et ita Christus nobis aliquid meruit. |
[2] Personne ne parvient à la gloire que par le mérite. Or, les enfants baptisés parviennent à la gloire. Puisqu’il n’y parviennent pas par leur propre mérite, ils y parviendront donc par le mérite du Christ. Le Christ a donc mérité quelque chose pour nous. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il mérité pour nous l’ouverture de la porte du Paradis ?] |
[9756] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod non meruit nobis januae apertionem. Quia Enoch et Elias ante Christi
incarnationem in Paradisum introierunt. Ergo ante Christum janua erat aperta. |
1. Il semble que [le Christ] ne nous ait pas mérité l’ouverture de la porte [du Paradis], car Énoch et Élie sont entrés au Paradis avant l’incarnation du Christ. La porte était donc ouverte avant le Christ. |
[9757] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 6 qc. 2 arg. 2 Praeterea, quicumque meretur Paradisum, meretur etiam apertionem januae Paradisi. Sed antiqui patres meruerunt Paradisum, cum
haberent caritatem ita perfectam sicut et nos, et cum propter Paradisum omnia
operarentur. Ergo meruerunt
apertionem januae Paradisi. |
2. Quiconque mérite le Paradis mérite aussi l’ouverture de la porte du Paradis. Or, les pères anciens ont mérité le Paradis, puisqu’ils avaient une charité aussi parfaite que nous et ont tout fait en vue du Paradis. Ils ont donc mérité l’ouverture de la porte du Paradis. |
[9758] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6
qc. 2 arg. 3 Praeterea, posita
causa sufficienti non requiritur aliquid aliud ad effectum. Si ergo Christus
sufficienter meruit nobis apertionem januae Paradisi, videtur quod non
oporteat nos aliquid propter Paradisum operari; quod est falsum. Ergo et primum. |
3. Une fois donnée une cause suffisante, rien d’autre n’est requis pour l’effet. Si donc le Christ a suffisamment mérité pour nous l’ouverture de la porte du Paradis, il semble qu’il ne nous faille pas faire autre chose en vue du Paradis, ce qui est faux. C’est donc la même conclusion que pour le premier argument. |
[9759] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6
qc. 2 s. c. 1 Sed contra, ante
Christum nullus in Paradisum intravit, quia sancti patres ad Limbum
descendebant. Sed postea homines
in Paradisum intraverunt, sicut dicitur Luc. 23: hodie mecum eris in
Paradiso. Ergo Paradisi apertionem Christus meruit. |
Cependant, [1] personne n’est entré au Paradis avant le Christ, car les saints pères descendaient dans les limbes. Or, après, les hommes sont entrés au Paradis, comme il est dit en Lc 23 : Aujourd’hui, tu seras avec moi au Paradis. Le Christ a donc mérité l’ouverture du Paradis. |
[9760] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6
qc. 2 s. c. 2 Praeterea, per
peccatum Adae clausa est janua Paradisi, ut patet Gen. 3. Sed Christus pro peccato
Adae satisfecit. Ergo ipse apertionem januae nobis meruit. |
[2] Après le péché d’Adam, la porte du Paradis a été fermée, comme cela ressort de Gn 3. Or, le Christ a satisfait pour le péché d’Adam. Il a donc mérité pour nous l’ouverture de la porte [du Paradis]. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Le Christ nous a-t-il ouvert la porte du Paradis seulement par sa passion ?] |
[9761] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod non tantum per passionem apertionem januae nobis meruit. Caritas enim
ejus in passione non fuit major quam ante. Si ergo per passionem meruit, etiam ante meruit. |
1. Il semble que [le Christ] ne nous ait pas ouvert la porte [du Paradis] seulement par sa passion. En effet, sa charité n’était pas plus grande dans sa passion qu’antérieurement. Si il a mérité par la passion, il a donc aussi mérité antérieurement. |
[9762] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 3 arg. 2
Praeterea, in Baptismo caeli aperti sunt super eum. Sed Baptismus passionem
praecessit. Ergo ante passionem caeli apertionem nobis meruit. |
2. Lors du baptême [par Jean-Baptiste], les cieux se sont ouverts sur lui. Or, le baptême a précédé la passion. Il nous a donc mérité l’ouverture du ciel avant sa passion. |
[9763] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 6 qc. 3 arg. 3 Praeterea, videtur quod per ascensionem; per id quod dicitur Mich. 2, 13: ascendet
pandens iter ante eos. |
3. Il semble [qu’il nous ait ouvert la
porte du Paradis] par son ascension, selon ce qui est dit en
Mi 2, 13 : Il montera en
montrant le chemin devant eux. |
[9764] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6
qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Christus satisfaciendo, nobis januam aperuit. Sed
satisfecit per passionem. Ergo per passionem januae apertionem meruit. |
Cependant, [1] le Christ nous a ouvert la porte en satisfaisant. Or, il a satisfait par sa passion. Il a donc mérité l’ouverture de la porte par sa passion. |
[9765] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 6 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, clausio januae fuit decretum quod erat contrarium nobis. Sed hoc tulit
Christus de medio affigens illud cruci; Coloss. 2. Ergo per passionem januae
apertionem nobis meruit. |
[2] La fermeture de la porte était un décret qui nous était contraire. Or, le Christ l’a écarté en le fixant sur le croix, Col 2. Il a donc mérité pour nous l’ouverture de la porte par sa passion. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[9766] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 6 qc. 1 co. Respondeo
dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut dicit Damascenus, caro Christi et
anima erat quasi instrumentum deitatis, unde quamvis esset alia operatio Dei
et hominis, tamen operatio humana habebat in se vim divinitatis sicut
instrumentum agit vi principalis agentis: et propter hoc dicit Damascenus
quod ea quae hominis sunt, supra hominem agebat; unde et actio Christi
meritoria, quamvis esset actio humana, tamen agebat in virtute divina: et
ideo erat potestas ei supra totam naturam, quod non poterat esse de aliqua
operatione puri hominis, quia homo singularis est minus dignus quam natura
communis: quia divinius est bonum gentis quam bonum unius hominis. Et quia
omnes homines sunt unus homo in natura communi, ut dicit Porphyrius, inde est
quod meritum Christi, quod ad naturam se extendebat, etiam ad singulos se
extendere poterat; et ita aliis mereri potuit. |
Comme le dit [Jean] Damascène, « la chair et l’âme du Christ étaient comme l’instrument de la divinité ». Ainsi, bien que l’opération de Dieu et de l’homme ait été différente, l’opération humaine avait cependant en elle-même la puissance de la divinité, comme un instrument agit par la puissance de l’agent principal. Pour cette raison, [Jean] Damascène dit que « ce qui relève de l’homme agissait en dépassant l’homme ». Ainsi l’action méritoire du Christ, bien qu’elle ait été une action humaine, agissait cependant avec une puissance divine. Sa puissance dépassait donc la nature entière, ce qui ne pouvait être le cas de l’opération d’un pur homme, parce qu’un homme considéré individuellement est moins digne que la nature commune, puisque le bien du peuple est plus divin que le bien d’un seul homme. Et parce que « tous les hommes sont un seul homme par leur nature commune », comme le dit Porphyre, de là vient que le mérite du Christ, qui s’étendait à la nature, pouvait aussi s’étendre à chacun et ainsi pouvait mériter pour les autres. |
[9767] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 6 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Christum mereri pro alio dicitur
dupliciter. Aut ita quod ipse mereatur loco alterius, idest quod pertinet ad
alium ut mereatur; et sic Christus pro aliis non meruit: quia meritum oportet
quod procedat ex voluntate merentis, ut objectio procedebat. Aut ita quod ipse aliquid alteri mereatur
quod sub merito illius non cadit; et sic Christus aliis meruit ea quae ipsi
sibi mereri non potuerunt. |
1. On dit que le Christ mérite pour un autre de deux manières. Soit qu’il mérite à la place d’un autre, c’est-à-dire selon qu’il appartient à un autre de mériter : ainsi le Christ n’a-t-il pas mérité pour les autres, parce qu’il faut que le mérite procède de la volonté de celui qui mérite, comme l’objection l’affirmait. Soit qu’il mérite lui-même pour un autre ce qui ne tombe pas sous le mérite de celui-ci : ainsi le Christ a mérité pour les autres ce qu’ils ne pouvaient pas mériter pour eux-mêmes. |
[9768] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod membra et caput ad eamdem personam pertinent; unde cum
Christus fuerit caput nostrum propter divinitatem, et plenitudinem gratiae in
alios redundantem, nos autem simus membra ejus; meritum suum non est
extraneum a nobis, sed in nos redundat propter unitatem corporis mystici. |
2. Les membres et la tête appartiennent à la même personne. Puisque le Christ était notre tête en raison de sa divinité et de la plénitude de sa grâce qui rejaillissait sur les autres, et que nous sommes ses membres, son mérite ne nous est pas étranger, mais rejaillit sur nous en raison de l’unité du corps mystique. |
[9769] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 6 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Christus ea quae sunt hominis agebat supra
hominem, ut dictum est. |
3. Le Christ faisait ce qui relève de l’homme en dépassant l’homme, comme on l’a dit. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[9770] Super Sent., lib. 3 d. 18
q. 1 a. 6 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut clausio januae est
obstaculum prohibens ab ingressu domus; ita per similitudinem dicitur janua
Paradisi clausa, inquantum est aliquod obstaculum prohibens ab introitu
Paradisi. Obstaculum autem
potest esse duplex: unum ex parte personae, quod est per peccatum actuale;
aliud ex parte naturae, quod est per peccatum originale. Primum quidem
obstaculum non est commune omnibus, sed tantum peccatoribus; sed secundum
obstaculum est omnibus commune; et hoc quidem obstaculum auferri non potuit
nisi per eum cujus operatio in totam naturam potuit, scilicet Christum: et
ideo ipse nobis quantum ad hoc apertionem januae meruit, quae per peccatum
primi hominis toti vitiatae naturae clausa erat. |
De même que la fermeture de la porte est un obstacle empêchant d’entrer dans la maison, de même dit-on par similitude que la porte du Paradis a été fermée, pour autant qu’il y a un obstacle qui empêche l’entrée au Paradis. Or, il peut y avoir un obstacle de deux manières : l’un, du côté de la personne, qui provient du péché actuel; l’autre, du côté de la nature, qui vient du péché originel. Le premier obstacle n’est pas commun à tous, mais aux pécheurs seulement; mais le second obstacle est commun à tous, et cet obstacle ne peut être enlevé que par celui dont l’opération pouvait s’exercer sur la nature entière, le Christ. C’est pourquoi celui-ci nous a mérité sous cet aspect l’ouverture de la porte, qui avait été fermée à toute la nature viciée par le péché du premier homme. |
[9771] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod est duplex Paradisus; scilicet caelestis, quae est ipsa visio
Dei, et terrestris. Per peccatum autem primi hominis clausa fuit janua
Paradisi terrestris in signum quod humanae naturae claudebatur ostium
Paradisi caelestis. Enoch ergo et Elias, quamvis Paradisum terrestrem ante
passionem ingressi sint, non tamen Paradisum caelestem, de cujus janua hic
loquitur. |
1. Il existe un double Paradis : céleste, qui est la vision de Dieu, et terrestre. Or, par le péché du premier homme, la porte du Paradis terrestre a été fermée comme un signe que la porte du Paradis céleste était fermée à la nature humaine. Énoch et Élie, bien qu’ils soient entrés dans le Paradis terrestre avant la passion, n’étaient cependant pas entrés au Paradis céleste. C’est de la porte de celui-ci que nous parlons ici. |
[9772] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod antiqui patres meruerunt introitum Paradisi quantum ad id quod
personae est, sicut et nos; tamen quod removeretur impedimentum, quod erat ex
parte naturae, mereri non potuerunt; et ideo semper remanebat eis janua
clausa. |
2. Les pères anciens ont mérité l’entrée au Paradis pour ce qui est de la personne, comme c’est aussi notre cas; cependant, ils ne pouvaient mériter que soit enlevé l’empêchement qui venait de la nature. Aussi la porte demeurait-elle toujours fermée pour eux. |
[9773] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 6 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis remotum sit impedimentum quod erat
ex parte naturae, per Christum; tamen oportet quod per actum meritorium
efficiatur homini Paradisus debitus quantum ad id quod est personae: et ideo
oportet quod homo agat ad hoc ut Paradisum intrare mereatur. |
3. Bien qu’ait été enlevé par le Christ l’empêchement qui venait de la nature, il est cependant nécessaire que, par l’acte méritoire, le Paradis devienne dû pour l’homme pour ce qui est de la personne. Il est donc nécessaire que l’homme agisse de manière à mériter d’entrer au Paradis. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3 |
[9774] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 6 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod obstaculum quod januam Paradisi
claudebat, ut dictum est, fuit peccatum totam naturam inficiens: et quia
peccatum per satisfactionem tollitur, neque satisfactio potuit congrue aliter
fieri nisi per passionem Christi, ut infra dicetur: ideo per passionem ipsius
tantum aperta est nobis janua, et non per alia quae prius operatus est. Tamen per alia quae prius operatus est
meruit nobis conversionem ad ipsum, inquantum meruit se nobis manifestari;
per quam nos proficimus, et non ipse. |
Comme on l’a dit, l’obstacle qui fermait la porte du Paradis était le péché qui affectait la nature entière. Parce que le péché est enlevé par la satisfaction, la satisfaction non plus ne pouvait être accomplie de manière adéquate que par la passion du Christ, comme on le dira plus loin. C’est pourquoi la porte ne nous a été ouverte que par sa passion, et non par ce qu’il avait fait antérieurement. Toutefois, par ce qu’il a fait antérieurement, il a mérité notre conversion à lui, pour autant qu’il a mérité de nous être manifesté, dont nous qui tirons bénéfice, et non lui. |
[9775] Super Sent., lib. 3 d.
18 q. 1 a. 6 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod meritum satisfactionis non consistit
tantum in caritate, sed requirit passionem Christi, ut infra dicetur. Per
satisfactionem autem oportebat nobis januam aperiri. |
1. Le mérite de la satisfaction ne consiste pas seulement dans la charité, mais exige la passion du Christ, comme on le dira plus loin. Or, il était nécessaire que la porte nous soit ouverte par la satisfaction. |
[9776] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod in Baptismo aperti sunt caeli, quia Baptismus est id per quod
efficimur participes passionis Christi, consepulti cum ipso in mortem; Rom.
6; unde Baptismus non aperit januam nisi supposita passione. |
2. Lors du baptême, les cieux se sont ouverts parce que le baptême est ce par quoi nous devenons participants de la passion du Christ, ensevelis que nous sommes avec lui dans la mort, Rm 6. Le baptême n’ouvre donc la porte qu’en supposant la passion. |
[9777] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod ascensio non aperuit januam quantum ad id quod est essentiale
in Paradiso, scilicet visionem Dei (quia etiam ante ascensionem Deum viderunt
sancti educti de Limbo); sed quantum ad locum congruentem beatis. |
3. L’ascension n’a pas ouvert la porte pour ce qui est essentiel dans le Paradis, la vision de Dieu (car, même avant l’ascension, les saints tirés des limbes ont vu Dieu), mais pour ce qui d’un lieu qui convienne aux bienheureux. |
Expositio textus |
Explication du texte de Pierre
Lombard, Dist. 18
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[9778] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6
qc. 3 expos. Ut amota ignea
rhomphaea: quae quidem
posita in Paradiso terrestri significabat impedimentum quod prohibebat
ingressum Paradisi caelestis. Sed vel mox post carnis separationem anima
impassibilitate donata est. Hoc probabilius est: quia etiam aliae animae
sanctorum, quae nihil purgabile habent, mox post separationem a corpore
impassibiles fiunt. In qua forma crucifixus est, in ea exaltatus est;
contra. Exaltatio est usque ad aequalitatem patris, quod non convenit sibi
secundum humanam naturam, in qua crucifixus est. Dicendum, quod exaltatio
potest dupliciter intelligi: aut quantum ad cognitionem nostram; et sic
debetur personae ratione utriusque naturae: aut quantum ad rem; et sic cum
exaltatio duo importet, terminum ad quem, et motum ad ipsum; terminus
convenit personae, secundum quod dicitur exaltari usque ad aequalitatem
patris; naturae autem assumptae, secundum quod dicitur exaltari ad potiora
bona patris; motus autem convenit tantum naturae: et ideo exaltatio convenit
personae ratione naturae. Non est autem inventus inter homines aliquis qui
id posset implere. Quia meritum unius puri hominis non poterat in totam
naturam. Vix unicuique sua sufficiebat virtus: quia justitiae nostrae
imperfectionem habent admixtam; et ideo vix valent quantum ad personale
meritum; nullo autem modo ad merendum pro tota natura. Impleto autem Dei
decreto aperire valuit. Decretum dicitur Dei praeceptum, quod Adam
transgressus est, quod Christus obediendo implevit. Vel decretum dicitur sententia
mortis, quam in Adam tulit; et hoc etiam decretum Christus implevit quando
mortem sustinuit. Chirographum autem dicitur memoria praevaricationis Adae, sive reatus
ipsius, quod Christus pro nobis satisfaciendo delevit. Tantum enim fuit
peccatum nostrum ut salvari non possemus, nisi unigenitus Dei filius pro
nobis mereretur. De hoc infra, dist. 20, quaere. |
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Distinctio 19 |
Distinction 19 – [La libération
par la passion du Christ]
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Prooemium |
Prologue |
[9779] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de merito
Christi secundum quod ordinatur ad bonum consequendum sibi et nobis, hic
determinat de merito ipsius secundum quod ordinatur ad remotionem mali in
nobis: ipse enim in se nec subjectus est culpae neque debitor est poenae.
Dividitur autem in duas partes: in prima ostendit quomodo per passionem
Christi liberamur a malis; in secunda de causa passionis Christi, dist. 20: si
vero quaeritur. Prima in duas: primo ostendit quomodo per meritum
passionis Christi sumus liberati a malo; secundo determinat de his quae
dicuntur de Christo ratione hujus liberationis, ibi: unde ipse vere
dicitur mundi redemptor. Prima in duas: primo ostendit quomodo per passionem Christi liberati
sumus a malo culpae, et a potestate instigantis ad culpam, scilicet Daemonis;
secundo ostendit quomodo per dictam passionem sumus liberati a malo poenae,
ibi: a poena redemit. Circa primum duo facit: primo ponit intentum;
secundo exequitur propositum, ibi: sed quomodo a peccatis per ejus mortem
soluti sumus ? Circa quod duo facit: primo prosequitur modum quo per
Christi passionem et mortem liberati sumus a peccato; secundo quomodo
liberati sumus a potestate Diaboli, ibi: a Diabolo liberamur. Circa
quod tria facit: primo ostendit quantum ad quid liberati sumus a potestate
Diaboli; secundo exponit modum liberationis, ibi: unde Augustinus causam
et modum nostrae redemptionis insinuans ait; tertio quod hoc fieri non
poterat nisi per Deum et hominem, ibi: factus est igitur homo mortalis. Et
a poena redemit. Hic ostendit quomodo sumus liberati a poena per Christi
passionem; circa quod duo facit: primo ostendit a qua poena nos liberavit;
secundo modum liberationis, ibi: peccata quoque nostra, idest poenam
peccatorum nostrorum, dicitur in corpore suo super lignum portasse. Unde ipse
vere mediator dicitur. Hic determinat de his quae dicuntur de Christo
ratione dictae liberationis: et circa hoc duo facit: primo ostendit quare dicatur
redemptor; secundo quare dicatur mediator, ibi: qui solus dicitur mediator.
Circa quod tria facit: primo ostendit rationem quare dicitur mediator;
secundo ostendit quod ipse solus est mediator, non pater vel spiritus
sanctus, ibi: sed cum peccata deleat non solus filius, sed et pater et
spiritus sanctus (...) quare solus filius dicitur mediator ? Tertio ostendit secundum
quam naturam ipse sit mediator, ibi: unde et mediator dicitur secundum
humanitatem. Hic quaeruntur quinque: 1 utrum per passionem Christi simus
liberati a peccato; 2 utrum per ipsum simus liberati a potestate Diaboli; 3
utrum per ipsum simus liberati a poena; 4 utrum ratione illius liberationis,
Christus dicendus sit redemptor; 5 utrum eadem ratione sit mediator. |
Après avoir déterminé du mérite du Christ
selon qu’il est ordonné à obtenir un bien pour lui-même et pour nous, le
Maître détermine ici de son mérite selon qu’il est ordonné à l’enlèvement du
mal en nous : en effet, lui-même n’a pas été soumis à la faute et n’est
pas débiteur de la peine. Cela se divise en deux parties : dans la
première, il montre comment nous sommes libérés des maux par la passsion du
Christ; dans la seconde, il est question de la cause de la passion du Christ,
d. 20 : « Mais si on s’interroge… » La première partie se
divise en deux : premièrement, il montre comment nous sommes libérés du
mal par la passion du Christ; deuxièmement, il détermine de ce qui est dit du
Christ en raison de cette libération, à cet endroit : « Aussi
est-il appelé le rédempteur du monde. » La première partie se divise en
deux : premièrement, il montre comment, par la passion du Christ, nous
sommes libérés du mal de la faute et du pouvoir qui incite à la faute, le
Démon; deuxièmement, il montre comment nous sommes libérés du mal de la
peine, à cet endroit : « Il a racheté de la peine… » À propos
du premier point, il fait deux choses : premièrement, il présente ce
qu’il a en vue; deuxièmement, il le met en œuvre, à cet endroit :
« Mais comment sommes-nous libérés des péchés par sa mort ? » À ce
propos, il fait deux choses : premièrement, il élabore le mode selon
lequel nous sommes libérés du péché par la passion et la mort du Christ;
deuxièmement, comment nous sommes libérés du pouvoir du Diable, à cet
endroit : « Nous sommes libérés du Diable. » À ce propos, il
fait trois choses : premièrement, il montre comment nous sommes libérés
du pouvoir du Diable; deuxièmement, il explique le mode de la libération, à
cet endroit : « Aussi Augustin dit-il en suggérant la cause et le
mode de notre rédemption… »; troisièmement, [il montre] que cela ne
pouvait être réalisé que par Dieu et un homme, à cet endroit : « Il
est donc devenu un homme mortel. » « Il a racheté de la
peine. » Il montre ici comment nous avons été libérés de la peine par la
passion du Christ. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il
montre de quelle peine il nous a libérés; deuxièmement, [il montre] le mode
de la libération, à cet endroit : « On dit qu’il a porté nos
péchés, c’est-à-dire la peine de nos péchés, en son corps sur la
croix. » « Aussi est-il vraiment appelé le médiateur. » Il
détermine ici de ce qu’on dit du Christ en raison de ladite libération. À ce
propos, il fait deux choses : premièrement, il montre pourquoi il est
appelé le rédempteur; deuxièmement, pourquoi il est appelé médiateur, à cet
endroit : « Lui qui est appelé le seul médiateur. » À ce
propos, il fait trois choses : premièrement, il montre la raison pour
laquelle il est appelé médiateur; deuxièmement, il montre que lui seul est le
médiateur, et non le Père ni le Saint-Esprit, à cet endroit :
« Mais puisque non seulement le Fils détruit nos péchés, mais aussi le
Père et le Saint-Esprit…, pourquoi seul le Fils est-il appelé médiateur ? »;
troisièmement, il montre selon quelle nature il est médiateur, à cet
endroit : « Aussi est-il appelé médiateur selon son
humanité. » Ici, cinq questions sont posées : 1 – Sommes-nous
libérés du péché par la passion du Christ ? 2 – Sommes-nous libérés par lui
du pouvoir du Diable ? 3 – Sommes-nous libérés par lui de la peine ? 4 – Le
Christ doit-il être appelé rédempteur en raison de cette libération ?
5 – Est-il médiateur pour la même raison ? |
Articulus 1 [9780] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 1 tit. Utrum per passionem Christi simus liberati a peccato |
Article 1 – Sommes-nous libérés du péché par la passion du Christ ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Sommes-nous libérés du péché par la passion du Christ ?] |
[9781] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod per passionem Christi non simus
liberati a peccato. Christus enim non est passus secundum divinam naturam,
sed secundum humanam. Sed peccata
delere solius est Dei, ut patet Isai. 43, quia ipsius solius est gratiam
dare, per quam delentur peccata. Ergo per passionem Christi, peccata nostra
deleri non potuerunt. |
1. Il semble que nous ne soyons pas libérés du péché par la passion du Christ. En effet, le Christ n’a pas souffert selon sa nature divine, mais selon sa nature humaine. Or, détruire les péchés relève de Dieu seul, comme cela ressort de Is 43, car lui seul peut donner la grâce par laquelle les péchés sont détruits. Nos péchés ne pouvaient donc pas être détruits par la passion du Christ. |
[9782] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 2 Praeterea,
corporale non potest agere in spirituale. Sed passio Christi fuit quoddam
corporale. Ergo non
potuit agere in animas nostras ad delenda peccata. |
2. Ce qui est corporel ne peut agir sur ce qui est spirituel. Or, la passion du Christ était quelque chose de corporel. Elle ne pouvait donc pas agir sur nos âmes pour détruire les péchés. |
[9783] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
liberatio a peccato dicitur esse justificatio. Sed haec attribuitur
resurrectioni: resurrexit enim propter justificationem nostram; Rom.
4. Ergo liberatio
a peccato non debet attribui passioni, sed resurrectioni. |
3. La libération du péché s’appelle la justification. Or, celle-ci est attribuée à la résurrection : En effet, il est ressuscité pour notre justification, Rm 4. La libération du péché ne doit donc pas être attribuée à la passion, mais à la résurrection. |
[9784] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 4 Praeterea, sicut
passio Christi excitat in nobis caritatem, ita et alia beneficia Dei: quia
ipse nobis temporalia et spiritualia bona tribuit. Similiter etiam sanctorum
exempla nos ad caritatem excitant. Et tamen non dicitur quod per omnia
beneficia Dei a peccato liberemur. Ergo neque debet dici quod per passionem liberemur a peccato quia nos
ad caritatem excitat, ut dicit Magister. |
4. De même que la passion du Christ excite en nous la charité, de même aussi les autres bienfaits de Dieu, car il nous a lui-même accordé les bienfaits temporels et spirituels. De même aussi, les exemples des saints nous incitent-ils à la charité. Cependant, on ne dit pas que nous sommes libérés du péché par tous les bienfaits de Dieu. On ne doit donc pas non plus dire que nous sommes libérés du péché par la passion parce qu’elle nous incite à la charité, comme le dit le Maître. |
[9785] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 5 Praeterea, sicut
habemus fidem de passione, sic etiam habemus fidem de creatione mundi; et
tamen non dicitur quod per bona creationis a peccato mundemur, quamvis fides
corda purificet, ut dicitur Act. 15. Ergo videtur quod nec etiam ista ratione
dicendum sit quod per passionem a peccatis liberati simus, ut dicit Magister. |
5. De même que nous avons foi en la passion, de même avons-nous foi en la création du monde; cependant, on ne dit pas que nous sommes purifiés du péché par les biens de la création, bien que la foi purifie les cœurs, Ac 15. Il ne semble donc pas que, pour cette même raison, on doive dire que nous sommes libérés des péchés par la passion, comme le dit le Maître. |
[9786] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Apoc.
1, 5: lavit nos a peccatis nostris in sanguine suo. Sanguinem autem in
passione fudit. Ergo per passionem a peccatis nos liberavit. |
Cependant, [1] Ap 1, 5 dit : Il nous a lavés de nos péchés dans son sang. Or, le sang est répandu dans la passion. Il nous a donc libérés des péchés par sa passion. |
[9787] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, signum respondet signato. Sed ritus veteris legis fuit
signum et figura Christi. Cum igitur in veteri lege non fuerit sine sanguinis
effusione remissio, ut dicitur Hebr. 9, nec peccatorum remissio fit nisi per
sanguinis Christi effusionem. |
[2] Le signe correspond à ce qui est signifié. Or, le rite de la loi ancienne est un signe et une figure du Christ. Puisque, sous la loi ancienne, il n’y avait pas de rémission sans effusion de sang, comme le dit He 9, la rémission des péchés n’est pas non plus réalisée sans effusion de sang. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Tous les péchés ont-ils été détruits par la mort du Christ ?] |
[9788] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod non omnia peccata per Christi mortem deleta sint. Nullus enim damnatur
nisi pro peccato. Sed multi post
Christi passionem damnantur. Ergo non quidquid culparum erat, delevit. |
1. Il semble que tous les péchés n’aient pas été détruits par la mort du Christ. En effet, personne n’est damné que pour le péché. Or, beaucoup sont damnés après la passion du Christ. Il n’a donc pas détruit tout ce qui se rattachait aux fautes. |
[9789] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
quod semel deletum est, ulterius deleri non potest. Sed peccata praecedentium patrum deleta
erant et quantum ad actualia per poenitentiam, et quantum ad originale per
circumcisionem. Ergo per
passionem Christi non omnia peccata humani generis deleta sunt. |
2. Ce qui a été détruit une fois ne peut être à nouveau détruit. Or, les péchés des pères qui ont précédé avaient été détruits, tant les péchés actuels par la pénitence, que le péché originel par la circoncision. Tous les péchés du genre humain n’ont donc pas été détruits par la passion du Christ. |
[9790] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 3 Praeterea,
peccatum non potest deleri antequam fiat, quia tunc nunquam fieret. Sed multa peccata facta
sunt post Christi passionem. Ergo non omnia peccata delevit. |
3. Le péché ne peut être détruit avant d’être commis, car alors il ne serait jamais commis. Or, beaucoup de péchés ont été commis après la passion du Christ. Il n’a donc pas détruit tous les péchés. |
[9791] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 4 Praeterea, poenitentia et Baptismus et alia bona opera nobis
indicuntur ad peccatorum remissionem. Hoc autem non esset, si omnia peccata per mortem Christi deleta
essent. Ergo videtur quod non omnia deleta fuerunt. |
4. La pénitence, le baptême et toutes les actions bonnes nous sont prescrits en vue de la rémission des péchés. Or, ce ne serait pas le cas si tous les péchés avaient été détruits par la mort du Christ. Il semble donc qu’il n’aient pas tous été détruits. |
[9792] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 5 Praeterea, eorum quae sunt aequalia,
unum non destruit alterum. Sed quantum bonum fuit passio Christi ex parte
patientis, tantum malum fuit occasio ipsius ex parte occidentium: quia
occidebatur Deus, qui erat infinitum bonum. Ergo videtur quod illud peccatum per Christi mortem expiari non
potuit. |
5. Une parmi des choses égales n’en détruit pas une autre. Or, autant la passion du Christ était un bien du point de vue de celui qui la subissait, autant était-elle cause de chute du point de vue de ceux qui tuaient, car Dieu était tué, lui qui était le bien infini. Il semble donc que ce péché ne pouvait être expié par la mort du Christ. |
[9793] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Coloss. 2, 13: vivificavit nos cum illo, donans nobis omnia delicta.
Sed donare delicta est remittere peccata. Ergo per Christum omnia peccata sunt
dimissa. |
Cependant, [1] Col 2, 13 dit : Il nous a ramenés à la vie avec lui, en nous pardonnant toutes nos fautes. Or, pardonner les fautes, c’est remettre les péchés. Tous les péchés ont donc été remis par le Christ. |
[9794] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1
qc. 2 s. c. 2 Praeterea, passio
Christi, quantum in se est, aequaliter se habet ad omnia peccata delenda. Si ergo aliqua peccata non delevit, nulla
delevit: quod est absurdum. |
[2] En elle-même, la passion du Christ a un rapport égal avec tous les péchés qui doivent être détruits. Si donc elle n’a pas détruit certains péchés, elle n’en a détruit aucun, ce qui est absurde. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[9795] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod delere peccatum dicitur dupliciter.
Uno modo formaliter, sicut albedo dicitur delere nigredinem per hoc quod
advenit in subjecto; et sic gratiae est delere peccatum. Alio modo dicitur effective; et hoc
contingit tripliciter, secundum tria genera causae efficientis. Dicitur enim
causa efficiens, uno modo perficiens effectum, et hoc est principale agens
inducens formam; et sic solus Deus peccatum delet, quia ipse solus gratiam
infundit. Alio modo dicitur efficiens disponens materiam ad recipiendum
formam: et sic dicitur peccatum delere ille, qui meretur peccati deletionem:
quia ex merito efficitur aliquis dignus quasi materia disposita ad recipiendum
gratiam, per quam peccata deleantur. Hoc autem contingit dupliciter: vel
sufficienter, vel insufficienter. Sufficienter quidem disposita est materia,
quando fit necessitas ad formam: et similiter aliquis sufficienter per
meritum disponitur ad aliquid, quando illud efficitur sibi debitum; et hoc
est meritum condigni; et sic nullus homo neque sibi neque alteri potest
mereri gratiam vel peccati deletionem. Non sibi, quia antequam gratiam
habeat, non est in statu merendi, ut patet ex dictis: aliis non, quia actio
unius non potest sufficienter transire in alterum, nisi inquantum habet
aliquam communitatem cum illo, quae potest esse vel per communionem in
natura, vel per conjunctionem affectus. Sed prima conjunctio est essentialis,
secunda autem accidentalis. Purus autem homo non potest in naturam, quia, ut
supra dictum est, dist., 18, qu. 2, art. 6, quaestiunc. 1, est inferior quam
natura; et ideo non potest actio ejus in alium hominem transire secundum quod
conjungitur ei in natura, sed solum quantum ad conjunctionem affectus, quae
est conjunctio accidentalis; et propter hoc non potest alteri sufficienter
mereri, sed ex congruo. Solus autem Christus aliis potest sufficienter
mereri: quia potest in naturam, inquantum Deus est, et caritas sua quodammodo
est infinita, sicut et gratia, ut supra dictum est, dist. 13, qu. 1, art. 2,
quaestiunc. 2. In hoc autem pro tota natura meruit, in quo debitum naturae,
scilicet mortis, quae pro peccato ei debebatur, exsolvit ipse peccatum non
habens; ut sic non pro se mortem solvere teneretur, sed pro natura solveret;
unde satisfaciendo pro tota natura, sufficienter meruit peccatorum
remissionem aliis qui peccata habebant. Tertio modo dicitur agens instrumentale; et
hoc modo sacramenta delent peccata, quia sunt instrumenta divinae
misericordiae salvantis. |
On parle de détruire le péché de deux manières. Premièrement, d’une manière formelle, comme on dit de la blancheur qu’elle détruit le noir du fait qu’elle apparaît dans un sujet; il revient ainsi à la grâce de détruire le péché. Deuxièmement, d’une manière efficiente, et cela se produit de trois manières, selon les trois genres de cause efficiente. En effet, on appelle cause efficiente celle qui réalise un effet. Tel est l’agent principal qui amène une forme : seul Dieu détruit ainsi le péché, car lui seul infuse la grâce. D’une autre manière, on parle de cause efficiente pour celle qui dispose la matière à recevoir la forme : on dit ainsi de celui qui mérite la destruction du péché qu’il détruit le péché parce que, par le mérite, quelqu’un est rendu digne de recevoir comme une matière disposée la grâce par laquelle les péchés sont détruits. Or, cela se produit de deux manières : suffisante ou insuffisante. La matière est suffisamment disposée lorsque apparaît la nécessité de la forme; de la même manière, quelqu’un est suffisamment disposé à quelque chose par le mérite lorsque cela lui devient dû : c’est là mériter en justice (meritum condigni). Aucun homme ne peut ainsi mériter la grâce ou la destruction du péché ni pour lui-même ni pour un autre. Ni pour lui-même, car, avant qu’il n’ait la grâce, il n’est pas en état de mériter, comme cela ressort de ce qui a été dit; ni pour les autres, parce que l’action d’un seul ne peut passer de manière suffisante dans un autre, à moins qu’il n’ait quelque chose en commun avec lui, soit par une nature commune, soit par une union affective. Or, la première union est essentielle, mais la seconde, accidentelle. Un pur homme n’a pas pouvoir sur la nature, car, ainsi qu’on l’a dit plus haut, d. 18, q. 2, a. 6, qa 1, il est inférieur à la nature; aussi son action ne peut-elle passer dans un autre homme selon qu’il lui est uni par la nature, mais seulement selon une union affective, qui est une union accidentelle. Pour cette raison, il ne peut mériter suffisamment pour un autre, mais [mériter] par convenance (ex congruo). Or, seul le Christ peut mériter suffisamment pour les autres, car il peut agir sur la nature en tant que Dieu, et sa charité est d’une certaine manière infinie, comme sa grâce, comme on l’a dit plus haut, d. 13, q. 1, a. 2, qa 2. Or, il a mérité pour toute la nature du fait que lui qui n’avait pas de péché a acquitté la dette de la nature, c’est-à-dire la mort, qui lui était due en raison du péché, de telle sorte que, n’étant pas tenu d’acquitter la mort pour lui-même, il l’a acquittée pour toute la nature. En satisfaisant pour toute la nature, il a donc mérité suffisamment la rémission des péchés pour les autres qui avaient des péchés. Troisièmement, on parle d’agent instrumental. De cette manière, les sacrements détruisent les péchés parce qu’ils sont des instruments de la miséricorde divine salvatrice. |
[9796] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod ea quae hominis erant, Christus supra hominem faciebat,
secundum quod ejus actio habebat virtutem ex divino consortio, ut supra
dictum est; et ideo quamvis passio ejus esset secundum quod homo, tamen per
passionem peccata delevit, sicut per contactum corporalem leprosum mundavit. |
1. Le Christ dépassait l’homme pour ce qui faisait partie de l’homme parce que son action possédait une puissance en vertu de son association avec Dieu, comme on l’a dit plus haut. Même si sa passion lui est arrivée en tant qu’homme, il a cependant détruit les péchés par sa passion, comme il a purifié le lépreux par un contact corporel. |
[9797] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis passio esset in corpore, tamen erat in spiritu
acceptare passionem; et ideo per passionem meruit nostrorum spirituum
emundationem. |
2. Bien que la passion se soit réalisée dans le corps, il relevait cependant de l’esprit d’accepter la passion. Par sa passion, il a donc mérité la purification de nos esprits. |
[9798] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod Christus est unius naturae nobiscum; unde ejus actio in nos
est aliquo modo univoca, idest similitudinem habens cum effectu. Quamvis
autem in justificatione peccata deleantur, tamen justificatio nominat illam
mutationem de culpa in gratiam secundum terminum ad quem; peccati autem
deletio secundum terminum a quo: et ideo attribuitur peccati deletio morti,
quae vitam passibilem, vitae peccatrici similem in poena, a Christo ademit;
justificatio autem resurrectioni, per quam nova vita in Christo inchoata est;
et hoc est quod apostolus dicit, Rom. 4, 25, quod resurrexit propter
justificationem nostram, et traditus est propter delicta nostra. |
3. Le Christ a la même nature que nous.
Aussi son action sur nous est-elle d’une certaine manière univoque,
c’est-à-dire qu’elle a une ressemblance avec son effet. Or, bien que les
péchés soient détruits par la justification, la justification désigne
cependant le changement de la faute à la grâce selon le terme ad quem, mais la destruction du péché
selon le terme a quo. C’est
pourquoi la destruction du péché est attribuée à la mort, qui a enlevé au
Christ la vie passible, semblable à [la vie] péchéresse pour la peine; mais
la justification [a été attribuée] à la résurrection, par laquelle une vie
nouvelle a commencé pour le Christ. C’est là ce que l’Apôtre dit,
Rm 4, 25 : Il a
ressuscité pour notre justification, et il a été livré à cause de nos fautes. |
[9799] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod Christus, inquantum nobis influxit per meritum, dicitur caput
nostrum, ut supra, dist. 13, qu. 2,
art. 1, dictum est. Ex capite autem non recipitur influxus in membris
divisis, sed in membris conjunctis capiti, quantumcumque caput ex se
sufficiens sit ad influendum. Unde quamvis meritum Christi sit sufficiens ad
delendum peccata, tamen ad efficientiam deletionis requiruntur ea quae capiti
conjungunt. Hujusmodi autem sunt fides et caritas. Et ideo Magister assignat
fidem passionis, et caritatem quasi causas efficientiae deletionis culpae;
causam tamen sufficientiae assignat in hoc quod dicit, quod mors Christi est
verum sacrificium, per quod peccata delentur. Unde quamvis ex aliis divinis
beneficiis et sanctorum exemplis caritas excitetur, non tamen conjungit
merito sufficienti ad culpae deletionem inquantum ex eis excitatur, sed
inquantum excitatur ex passione Christi. |
4. En tant qu’il a influé sur nous par son mérite, le Christ est appelé notre tête, comme on l’a dit plus haut, d. 13, q. 2, a. 1. Or, l’influx n’est pas reçu par les membres séparés, mais par les membres unis à la tête, aussi suffisante que soit la tête pour influer. Bien que le mérite du Christ soit suffisant pour détruire les péchés, est requis ce qui relie la tête pour l’efficacité de la destruction. Or, telles sont la foi et la charité. C’est pourquoi le Maître indique la foi en la passion et la charité comme causes de l’efficacité de la destruction de la fauteé. Mais il indique la cause de la suffisance lorsqu’il dit que la mort du Christ est un vrai sacrifice par lequel les péchés sont détruits. Bien que la charité soit stimulée par les autres bienfaits de Dieu et par les exemples des saints, elle ne relie cependant pas à un mérite suffisant pour détruire la faute pour autant qu’elle est strimulée par eux, mais pour autant qu’elle est stimulée par la passion du Christ. |
[9800] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 5 Similiter
dicendum ad quintum de fide. |
5. Il faut répondre de la même manière à propos de la foi. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[9801] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ad hoc quod aliquid in alterum
effectum inducere possit, duo requiruntur: unum ex parte agentis, scilicet
quod habeat virtutem sufficientem ad inducendum illum effectum; alterum ex
parte recipientis, ut scilicet dispositum sit ad suscipiendum actionem. Christi autem qui nobis meruit deletionem
peccatorum, invenitur sufficientia ad delendum omnia peccata nostra ex
duobus: scilicet ex actione, in qua meritum consistit, quae agit ut divina,
eo quod est actio Dei et hominis, ut dictum est; et ex hoc habet infinitam in
merendo efficaciam; et iterum ex eo quod passio abstulit, scilicet animam Deo
unitam, quae etiam habebat infinitum valorem ex hoc quod est Deo unita; et ex
hoc est infinita efficacia in satisfaciendo. Ex parte autem nostra requiritur
ut nos praeparemus ad meriti Christi effectum in nobis suscipiendum per fidem
intellectus, et caritatem affectus, et per imitationem operis, quod quidem
non contingit in omnibus; et ideo quo ad sufficientiam satisfactionis et
meriti, omnia peccata per Christi passionem deleta sunt, non autem quantum ad
efficientiam. |
Pour qu’une chose puisse produire un effet sur une autre, deux choses sont nécessaires : l’une, du point de vue de l’agent, à savoir qu’il ait une puissance suffisante pour entraîner cet effet; l’autre, du point de vue de ce qui reçoit, à savoir qu’il soit disposé à recevoir l’action. Or, la suffisance du Christ qui nous a mérité la destruction des péchés vient de deux choses : de l’action en laquelle consiste le mérite, qui agit comme une action divine du fait qu’elle est l’action de Dieu et de l’homme, comme on l’a dit; et du fait qu’elle a une efficacité infinie pour mériter, et, de plus, du fait que la passion a emporté l’âme unie à Dieu, qui avait aussi une valeur infinie par son union à Dieu. De là vient l’efficacité infinie de la satisfaction. Mais, de notre point de vue, il est nécessaire que nous nous préparions à recevoir l’effet du mérite du Christ par la foi de l’ntelligence et la charité de l’affectivité, et par l’imitation de son action, ce qui ne se produit pas chez tous. C’est pourquoi, pour ce qui est de la suffisance de la satisfaction et du mérite, tous les péchés ont été détruits par la passion du Christ, mais non pour ce qui est de l’efficacité. |
[9802] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod in illis qui damnantur, est indispositio ad recipiendum
effectum meriti Christi; unde ex hoc contingit quod eorum peccata non
delentur, non ex insufficientia meriti passionis Christi. |
1. Chez ceux qui sont damnés, il existe un manque de disposition à recevoir l’effet du mérite du Christ. De là vient que leurs péchés ne sont pas détruits, et non de l’insuffisance du mérite de la passion du Christ. |
[9803] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod etiam in sanctis qui fuerunt ante incarnationem, habuit
effectum passio Christi, inquantum fidem habebant passionis ipsius, per quam
justificabantur. Quia autem passio nondum erat in rerum natura, sed in fide
eorum, inquantum personali actione in Christum credebant: ideo illa
justificatio qua per fidem passionis Christi justificabantur, non se
extendebat nisi ad removendum personale impedimentum, non autem ad removendum
impedimentum naturae: et propter hoc ipsi quidem a peccato mundabantur, sed
Paradisi januam non intrabant, quia nondum erat amotum impedimentum naturae. |
2. Même chez les saints qui ont précédé l’incarnation, la passion du Christ a été efficace pour autant qu’ils ont eu la foi en sa passion, par laquelle ils étaient justifiés. Mais parce que la passion n’existait pas encore en réalité, mais dans leur foi, pour autant qu’ils croyaient à l’action personnelle chez le Christ, cette justification, par laquelle ils étaient justifiés par la foi en la passion du Christ, ne s’étendait qu’à l’enlèvement de l’empêchement personnel, mais non à l’enlèvement de l’empêchement de nature. Pour cette raison, ils étaient purifiés, mais ils n’entraient pas par la porte du paradis, car l’empêchement de nature n’était pas encore enlevé. |
[9804] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod passio Christi quantum ad sufficientiam potest delere peccata
etiam antequam fiant; sed efficientia deletionis non est nisi postquam
aliquis a peccato commisso avertitur; sicut medicina sufficiens ad sanandum
paratur interdum antequam aliquis infirmetur; sed non sanatur per ipsam actu,
nisi postquam infirmus fuerit. |
3. La passion du Christ, du point de vue de sa suffisance, peut détruire les péchés même avant qu’ils ne soient commis; mais l’efficacité de la destruction ne se réalise qu’après que quelqu’un s’est détourné du péché commis, comme un remède suffisant pour guérir est parfois préparé avant que quelqu’un soit malade, mais il n’est guéri par lui en acte qu’après être devenu malade. |
[9805] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Baptismus, poenitentia, et alia sacramenta
exiguntur ad deletionem peccatorum, sicut instrumentaliter agentia ad
deletionem culpae: unde agunt in virtute passionis dominicae, et ipsam
passionis virtutem in nos quodammodo transfundunt. |
4. Le baptême, la pénitence et les autres sacrements sont nécessaires pour la destruction des péchés comme des agents instrumentaux de la destruction de la faute, Ils agissent donc par la puissance de la passion du Seigneur et versent d’une certane manière en nous la puissance de la passion. |
[9806] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod quamvis ille qui occidebatur, esset Deus, non tamen
cognoscebant occisores ipsum esse Deum: quia si cognovissent, nunquam
dominum gloriae crucifixissent: 1 Corinth. 2, 8; unde eorum peccatum ex
ignorantia minuitur, quamvis non ex toto excusetur. Et etiam quamvis habeant
aequalitatem, eorum peccatum et meritum Christi, secundum quid, scilicet
quantum ad objectum actus: quia vitam corporalem, quam Christus caritative
dedit, illi nequiter extinxerunt: non tamen habent aequalitatem quantum ad
modum: quia multo major fuit caritas ex parte Christi animam ponentis, quam
nequitia ex parte illorum qui illam animam nequiter extorserunt: et iterum
bonum est efficacius quam malum, quod non nisi virtute boni agit, ut dicit
Dionysius. |
5. Bien que celui qui était tué ait été Dieu, ceux qui le tuaient ne savaient pas qu’il était Dieu, car s’ils l’avaient su, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de gloire, 1 Co 2, 8. Leur péché est donc diminué par l’ignorance, bien qu’il ne soit pas entièrement excusé. Et bien que leur péché et le mérite du Christ soient égaux d’un certain point de vue, à savoir, pour ce qui est de l’objet de l’acte, parce qu’ils n’ont pas méchamment éteint la vie corporelle que le Christ donnait par charité, ils n’ont cependant pas une égalité pour ce qui est de la manière, car la charité qui livrait son âme était bien plus grande du côté du Christ, que la méchanceté du côté de ceux qui arrachaient cette âme avec méchanceté. De plus, « le bien est plus efficace que le mal, qui n’agit que par la puissance du bien », comme le dit Denys. |
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Articulus 2 [9807] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 2 tit. Utrum simus liberati a Diabolo per passionem Christi |
Article 2 – Sommes-nous libérés du Diable par la passion du Christ ? |
[9808] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod per Christi passionem non
simus liberati a Diabolo. Libertas enim hominis in hoc consistit quod cogi
non potest. Sed sicut nunc liberum arbitrium cogi non potest a Diabolo, ita
nec ante Christi passionem. Ergo passio Christi non liberavit nos a potestate
Daemonis. |
1. Il semble que nous ne soyons pas libérés du Diable par la passion du Christ. En effet, la liberté de l’homme consiste en ce qu’il ne puisse être forcé. Or, de même que maintenant le libre arbitre ne peut pas être forcé par le Diable, de même non plus avant la passion du Christ. La passion du Christ ne nous a donc pas libérés du pouvoir du Diable. |
[9809] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, Diabolus non habuit potestatem in res ipsius Job, neque in
carnem ejus, nisi cum
accepit eam a Deo. Sed modo etiam accepta potestate a Deo, potest homines
affligere in rebus et in personis. Ergo in nullo sumus modo magis liberi ab
ejus potestate quam ante. |
2. Le Diable n’avait pas pouvoir sur les biens de Job lui-même, ni sur sa chair, avant de l’avoir reçu de Dieu. Or, maintenant, par un pouvoir aussi reçu de Dieu, il peut affliger les hommes dans leur biens et dans leurs personnes. Nous ne sommes donc en rien plus libres de son pouvoir qu’antérieurement. |
[9810] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2
arg. 3 Praeterea, ante
passionem Christi, Daemon aliter non nocebat hominibus, nisi tentando quantum
ad animam, et vexando quantum ad corpora. Sed hoc etiam quotidie facit. Ergo in nullo ejus virtus est diminuta. |
3. Avant la passion du Christ, le Démon ne nuisait pas autrement aux hommes qu’en les tentant dans leur âme et en les tourmentant dans leurs corps. Or, il fait encore cela tous les jours. Sa puissance n’a donc pas été diminuée. |
[9811] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2
arg. 4 Praeterea, illi proprie sub Diaboli servitute detinentur qui ipsi
servitutem latriae impendunt. Sed adhuc hodie sunt idolatrae multi. Ergo humanum genus non est liberatum
a servitute Diaboli. |
4. Sont à proprement parler détenus au pouvoir du Diable ceux qui lui accordent un culte de latrie. Or, il y a encore aujourd’hui beaucoup d’idolâtres. Le genre humain n’a donc pas été libéré de la servitude du Diable. |
[9812] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2
arg. 5 Praeterea,
apostolus dicit, 2 Tim. 3, 1, quod in novissimis diebus instabunt tempora
periculosa, et erunt homines seipsos amantes; et etiam tempore
Antichristi magis praevalebit quam nunquam fecerit. Ergo videtur quod per passionem Christi non
sit virtus Daemonis extincta. |
5. L’Apôtre dit, 1 Tm 3, 1 : Dans les derniers jours, se présenteront des moments dangereux et les hommes s’aimeront eux-mêmes; et aussi, au temps de l’Antéchrist, il l’emportera davantage qu’il ne l’a jamais fait. Il semble donc que la puissance du Démon n’ait pas été anéantie. |
[9813] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2
s. c. 1 Sed contra, Joan. 12, 31, instante passione dixit dominus: princeps
mundi hujus ejicietur foras. Ergo per passionem Christi principatus sui dominium amisit. |
Cependant, [1] alors que la passion était imminente, le Seigneur a dit : Le prince de ce monde sera jeté dehors! Par la passion du Christ, il a donc perdu la puissance par laquelle il dominait. |
[9814] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, victoris est adversarium a potestate dominii ejicere. Sed
Christus per passionem victor fuit: Apoc. 5, 5: vicit leo de tribu Juda.
Ergo potestatem Daemonibus abstulit. |
[2] Il appartient au vainqueur d’écarter son adversaire du pouvoir. Or, le Christ a été victorieux par sa passion. Ap 5, 5 : Le lion de la tribu de Juda l’a emporté. Il a donc arraché le pouvoir du Diable. |
[9815] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, Diabolus per peccatum homini dominatur. Sed Christus per passionem homines
a peccato liberavit. Ergo et a potestate Daemonis. |
[3] Le Diable l’emporte sur l’homme par le péché. Or, le Christ a libéré les hommes du péché par sa passion. Il les a donc [libérés] aussi de son pouvoir. |
[9816] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod potestas Daemonis in duobus consistit, scilicet in impugnando,
et detinendo devictos. Ex eo autem quod quis impugnatur, nondum servus factus
est, sed ex eo quod victus est, ut patet 2 Petr., 2, 19. Devicerat autem
Diabolus totum humanum genus in primis parentibus, et eis dominabatur, dum
eos ad hoc secundum suum votum deduxerat ut nullus Paradisi januam introiret:
devincit etiam unumquemque singulariter, dum eum ad peccatum inclinat, quia qui
facit peccatum, servus est peccati; Joan. 8, 34. Potestatem igitur
Diaboli qua victos detinet, Christus per passionem ex toto amovit quantum ad
sufficientiam, licet non quantum ad efficientiam nisi in illis qui vim
passionis suscipiunt per fidem, caritatem, et sacramenta: et per hoc dicitur
dominium Diaboli evacuasse. Sed potestatem qua impugnat, non ex toto
evacuavit, sed debilitavit, dum ipsum hostem vicit, et hominibus auxilia
multa ad resistendum tribuit, sicut sacramenta, gratiam abundantiorem, et
alia hujusmodi. |
Réponse.
Le pouvoir du Démon consiste en deux
choses : à combatre et à retenir les vaincus. Or, du fait que quelqu’un
est assailli, il n’est pas encore devenu esclave, mais [il l’est devenu] en
étant vaincu, comme cela ressort de 2 P 2, 19. Or, le Diable
avait vaincu tout le genre humain dans les premiers parents et ils les
dominait, alors qu’il les avait conduits, comme il le voulait, à ce que
personne n’entrerait par la porte du Paradis; il l’emporte aussi sur chacun
en particulier lorsqu’il l’incline au péché, car celui qui commet le péché est l’esclave du péché,
Jn 8, 34. Le Christ a donc écarté entièrement par sa passion, pour
ce qui est de sa suffisance, le pouvoir par lequel le Diable retient les
vaincus, bien que, du point de vue de l’efficacité, chez ceux-là seulement
qui reçoivent la puissance de la passion par la foi, la charité et les
sacrements. En ce sens, on dit qu’il a anéanti le pouvoir du Diable. Mais il
n’a pas entièrement anéanti le pouvoir par lequel [celui-ci] assaille; il l’a
cependant affaibli lorsqu’il a vaincu l’ennemi et a donné aux hommes beaucoup
de secours pour résister, comme les sacrements, une grâce plus abondante et
les autres choses de ce genre. |
[9817] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2
ad 1 Ad primum igitur
dicendum, quod quamvis ante passionem Christi non posset cogere liberum
arbitrium, sicut nec modo, tamen poterat magis inclinare, inquantum homo erat
debilior ad resistendum. |
1. Bien qu’il n’ait pas pu forcer le libre arbitre avant la passion, comme il ne le peut pas maintenant, il pouvait cependant l’incliner davantage, pour autant que l’homme était plus faible pour résister. |
[9818] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod hoc quod homines in rebus et personis affligit, vel est ex
merito culpae ipsorum, vel ad probationem justorum, et exercitium patientiae
ipsorum; et non est ex insufficientia passionis Christi. |
2. Le fait qu’il afflige les hommes dans leurs biens et dans leurs personnes vient soit de ce que leur faute a mérité, soit de la mise à l’épreuve des justes et de l’exercice de leur patience; et cela ne vient pas de l’insuffisance de la passion du Christ. |
[9819] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quamvis modo tentet sicut et ante, non tamen ita de facili superat,
inquantum homo plura remedia habet. |
3. Bien qu’il tente maintenant comme auparavant, il ne l’emporte cependant pas aussi facilement, dans la mesure où l’homme a plusieurs remèdes. |
[9820] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod hoc quod idolatrae adhuc manent sub servitute Daemonis,
contingit ex hoc quod auxilia quae sunt ex passione Christi, accipere
negligunt. |
4. Le fait que les idolâtres demeurent encore sous la servitude du Démon se produit parce qu’ils négligent de recevoir les secours qui viennent de la passion du Christ. |
[9821] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod multitudo malorum qui erunt in ultimis temporibus, non erit ex
hoc quod virtus passionis Christi deficiat, sed quia armaturam Dei qua armati
sunt per passionem Christi abjicient, vel contemnent: quia refrigescet
caritas multorum; Matth. 24, 12; et ideo non est mirum, si devincantur. |
5. La multitude des maux des derniers temps ne viendra pas du fait que la puissance de la passion du Christ fait défaut, mais parce que ceux qui ont été armés par la passion du Christ rejetteront leur armure ou la mépriseront, car la charité de beaucoup se refroidira, Mt 24, 12. Il n’est donc pas étonnant qu’ils soient défaits. |
Articulus 3 [9822] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 3 tit. Utrum per passionem Christi a poena aeterna liberati sumus |
Article 3 – Sommes-nous libérés de la peine éternelle par la passion du Christ ? |
Quaestiuncula
1 |
Sous-question 1 – [Sommes-nous libérés de la peine éternelle par la passion du Christ ?] |
[9823] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod per passionem Christi non
sumus liberati a poena aeterna. Poena enim aeterna est poena Inferni. Sed in
Inferno nulla est redemptio. Igitur a poena aeterna Christi passio non liberat. |
1. Il semble que nous ne soyons pas libérés de la peine éternelle par la passion du Christ. En effet, la peine éternelle est la peine de l’enfer. Or, il n’y a pas de rédemption dans l’enfer. La passion du Christ ne nous libère donc pas de la peine éternelle. |
[9824] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3
qc. 1 arg. 2 Praeterea, si
Christus non fuisset passus, nullus in Infernum ivisset, nisi peccasset
mortaliter. Sed nunc etiam
Christo passo, solum mortaliter peccantes in Infernum vadunt. Ergo Christi passio non liberavit nos a
poena aeterna. |
2. Si le Christ n’avait pas souffert, personne ne serait allé en enfer que ceux qui auraient péché mortellement. Or, maintenant aussi, après que le Christ a souffert, seuls ceux qui pèchent mortellement vont en enfer. La passion du Christ ne nous donc pas libérés de la peine éternelle. |
[9825] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
poena quae finiri potest, aeterna non fuit. Sed poena a qua Christus homines liberavit,
finita est. Ergo a poena aeterna non liberavit. |
3. Une peine qui peut se terminer n’était pas éternelle. Or, la peine par laquelle le Christ a libéré les hommes s’est terminée. Elle n’a donc pas libéré d’une peine éternelle. |
[9826] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, peccatum est causa mortis aeternae. Sed Christus liberavit
a peccato. Ergo et a poena aeterna. |
Cependant, [1] le péché est la cause de la mort éternelle. Or, le Christ a libéré du péché. Donc aussi, de la peine éternelle. |
[9827] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3
qc. 1 s. c. 2 Praeterea,
Zach. 9, 11: tu autem in sanguine testamenti eduxisti vinctos de lacu in
quo non est aqua. |
[2] Za 9, 11 : Par le sang de l’Alliance, tu as tiré les vaincus de l’étang où il n’y avait point d’eau. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le Christ nous a-t-il libérés de la peine temporelle ?] |
[9828] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod non liberavit nos a poena temporali. Quia adhuc pro peccatis poena temporalis
injungitur poenitentibus. Ergo ab ea per Christum non sumus liberati. |
1. Il semble qu’il ne nous ait pas libéré de la peine temporelle, car une peine temporelle est encore imposée aux pénitents. Nous n’avons donc pas été libérés d’elle par le Christ. |
[9829] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3
qc. 2 arg. 2 Praeterea, 1
Petr., 2, 21: Christus passus est pro nobis, vobis relinquens exemplum, ut
sequamini vestigia ejus. Hoc autem non est nisi patiendo. Ergo Christus
per suam passionem nos obligavit ad patiendum poenam temporalem, magis quam
ab ea liberavit. |
2. 1 P 2, 21 dit : Le Christ a souffert pour nous, en vous laissant un exemple pour que vous suiviez ses traces. Or, cela n’existe que par la patience. Par sa passion, le Christ nous a donc obligés à supporter la peine temporelle, plutôt qu’il ne nous en a libérés. |
[9830] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, per resurrectionem mortuorum liberamur ab omni poena
temporali. Sed etiam si
Christus non fuisset passus, mortui resurgerent: quia resurrectio mortuorum
est articulus fidei. Ergo passio Christi non liberat nos a poena temporali. |
3. Nous sommes libérés de toute peine temporelle par la résurrection des morts. Or, même si le Christ n’avait pas souffert, les morts auraient ressuscité, car la résurrection des morts est un article de foi. La passion du Christ ne nous libère donc pas de la peine temporelle. |
[9831] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3
qc. 2 arg. 4 Praeterea,
posita causa sufficienti ponitur effectus. Sed adhuc in illis qui vim
passionis Christi omnibus modis in se excipiunt, manet poena temporalis. Ergo
passio Christi non liberat a poena temporali. |
4. Une fois mise en place une cause suffisante, l’effet suit. Or, la peine temporelle demeure encore pour ceux qui se soustraient de toutes les manières à la puissance de la passion du Christ. La passion du Christ ne libère donc pas de la peine temporelle. |
[9832] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, per claves Ecclesiae remittitur poena temporalis. Sed claves Ecclesiae
virtutem habent a passione Christi. Ergo per passionem Christi tollitur poena
temporalis. |
Cependant, [1] la peine temporelle est remise par les clés de l’Église. Or, les clés de l’Église tirent leur puissance de la passion du Christ. La peine temporelle est donc enlevée par la passion du Christ. |
[9833] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3
qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Deus
non punit bis in idipsum: Naum, 1. Sed Deus posuit in Christo iniquitates
omnium nostrum, dum ipse dolores nostros portavit; Isai. 53. Ergo nos a poena
temporali per suam passionem liberavit. |
[2] Dieu ne punit pas deux fois pour la même chose, Ne 1. Or, Dieu a fait porter au Christ les fautes de nous tous, alors qu’il a porté nos douleurs, Is 53. Il nous a donc libérés de la peine temporelle par sa passion. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[9834] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod poena aeterna dicitur per oppositum
ad vitam aeternam; unde poena per quam vita aeterna privantur, dicitur poena
aeterna. Homo autem vitam aeternam amittere potest dupliciter: scilicet per
peccatum naturae, scilicet originale, cujus poena est carentia visionis
divinae, et per peccatum personale actuale, scilicet mortale. Poenam igitur
aeternam, secundum quod ex originali consequitur, omnes incurrerunt: sed
quidam secundum reatum tantum, sicut qui adhuc vivebant in carne: quidam
autem secundum experientiam illius poenae, sicut qui jam mortui erant.
Similiter etiam poenam aeternam quae debetur peccato actuali, non omnes incurrerunt;
sed quidam, vel quantum ad reatum tantum, sicut existentes in mortali, vel
quantum ad experientiam, sicut damnati. Christus igitur per passionem suam a
poena aeterna quae debetur originali, quod omnes contrahunt, dupliciter
absolvit: scilicet auferendo reatum quantum ad illos qui participes
efficiebantur redemptionis ejus, et adhuc vivebant; et auferendo poenam
quantum ad illos qui mortui erant: ab omnibus quidem quantum ad
sufficientiam; sed quantum ad efficientiam ab illis in quibus nullum inveniebatur.
Sed a poena debita mortali actuali dupliciter absolvit: uno modo, praebendo
auxilium, ne aliquis reatum illum incurreret; alio modo, praebendo etiam
medicamenta quibus reatus posset auferri ab illis qui in se vim passionis
ejus receperunt. Sed quod a
poena illa jam actualiter suscepta aliquis liberetur esse non potest: quia
non est in statu viatoris, ut gratiam et caritatem suscipere possit, per quam
vis passionis Christi in homines transfunditur. |
Réponse. On parle de peine éternelle par opposition à la vie éternelle; la peine par laquelle on est privé de la vie éternelle est donc appelée la peine éternelle. Or, l’homme peut perdre la vie éternelle de deux manières : par le péché de nature, c’est-à-dire originel, dont la peine est la carence de la vision de Dieu; et par le péché personnel actuel, c’est-à-dire mortel. Tous ont donc encouru une peine éternelle selon qu’elle découle du péché originel; mais certains, selon la culpabilité seulement, comme c’est le cas de ceux qui vivaient dans la chair, et d’autres par l’expérience de cette peine, comme ceux qui sont déjà morts. De même aussi, tous n’ont pas encouru la peine éternelle qui est due au péché actuel, mais certains, selon la culpabilité seulement, comme ceux qui vivent dans le péché mortel, ou par l’expérience, comme les damnés. Par sa passion, le Christ a donc absous de deux manières la peine éternelle qui est due au péché originel que tous contractent : en enlevant le péché chez ceux qui devenaient participants de sa rédemption et étaient encore vivants; et en enlevant la peine chez ceux qui étaient morts, chez tous, cependant, d’une manière suffisante, mais par mode d’efficacité chez ceux où il ne s’en trouvait aucun. Mais il absout de la peine due pour le péché mortel actuel de deux manières. D’une manière, en portant secours pour que personne n’encoure ce péché; d’une autre manière, en fournissant les remèdes par lesquels le péché pourrait être enlevé de ceux qui n’ont pas reçu la puissance de sa passion. Mais il ne pourrait libérer quelqu’un de cette peine déjà effectivement reçue, car celui-ci n’est pas dans l’état de viator pour pouvoir recevoir la grâce et la charité, par lesquelles la puissance de la passion du Christ est versée dans les hommes. |
[9835] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod poena aeterna non solum dicitur poena Inferni, in qua sunt
damnati, a qua non potest esse redemptio (quia illi nec gratiam habent nec
gratiae capaces sunt, ut possit eis continuari passio Christi), sed dicitur
poena aeterna etiam Limbi, in quo erant sancti patres, a qua poterat esse
redemptio propter gratiam et caritatem quae in illis sanctis erat per quam
eis Christi passio continuabatur. |
1. On ne parle pas de peine éternelle seulement pour la peine de l’enfer, dans lequel se trouvent les damnés et pour laquelle il ne peut y avoir de rédemption (car ceux-là n’ont pas la grâce et ne sont pas capables de grâce, de sorte que la passion du Christ ne peut être en contact avec eux), mais on parle aussi de la peine éternelle des limbes, où se trouvaient les saints pères et dont il peut y avoir rédemption par la grâce et la charité qui existaient chez ces saints, grâce auxquelles ils étaient en contact avec la passion du Christ. |
[9836] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod quamvis illi qui peccant mortaliter post passionem Christi, in
Infernum vadunt, tamen passio Christi poterat eos praeservare a peccato, et
etiam sanare vulnus peccati in ipsis; et ideo quantum in se est, a poena
infernali liberat. |
2. Bien que ceux qui pêchent mortellement après la passion du Christ aillent en enfer, la passion du Christ pouvait cependant les préserver du péché et même guérir en eux la blessure du péché. En elle-même, elle libère donc de la peine de l’enfer. |
[9837] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod poena Inferni dicitur aeterna, tum quia in eo qui punitur, non
est virtus ad liberandum se a poena illa: tum quia non est dispositio, ut
virtus liberans in eo effectum habere possit; et ideo nullo modo terminari
potest. Sed poena Limbi erat aeterna inquantum deficiebat in punito virtus ad
liberandum; unde in aeternum durasset, nisi liberatio affuisset; quamvis
esset dispositio ad recipiendum effectum liberantis, et ideo terminari
poterat. Sed poena Purgatorii neutro modo est aeterna: quia per virtutem
gratiae, quam ille qui punitur, habet, poena illa purgat, et terminatur
purgatione completa. |
3. On dit que la peine de l’enfer est éternelle parce que celui qui y est puni n’a pas la capacité de se libérer de cette peine et parce qu’il n’existe pas de disposition pour que la puissance libératrice puisse avoir un effet en lui. Aussi [cette peine] ne peut-elle se terminer d’aucune manière. Mais la peine des limbes était éternelle dans la mesure où il manquait chez celui qui est puni la capacité de se libérer. Aussi aurait-elle duré éternellement, s’il n’y avait pas eu de libération, bien qu’une disposition à recevoir l’effet de celui qui libérait ait existé. Elle pouvait donc se terminer. Mais la peine du purgatoire n’est éternelle d’aucune de ces manières, car, par la puissance de la grâce que possède celui qui est puni, cette peine purifie et se termine par une purification complète. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[9838] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod poena temporalis dicitur per quam privatur aliquod
bonum temporale: quia bonum temporale non est natum manere semper. Haec autem
temporalis poena in homine est duplex. Quaedam quae universaliter invenitur
in tota humana natura, sicut necessitas moriendi, passibilitas, inobedientia
carnis ad spiritum, et hujusmodi: et haec quidem poena naturae humanae
debetur ex originali peccato: nihilominus hujusmodi ex principiis naturae
consequuntur gratia innocentiae destitutae. Has igitur poenas per suam
passionis poenam Christus ab omnibus sufficienter exclusit, quamvis non
efficaciter ab omnibus, scilicet illis qui ejus passionis participes non
sunt; nec tamen ita quod statim post passionem ab omnibus auferantur, vel ita
quod auferantur ab illis qui sacramenta passionis ejus percipiunt, statim
post perceptionem sacramenti: sed in fine mundi ab omnibus sanctis simul
auferentur: quia istae poenae debentur naturae, in qua omnes sunt unum; unde
tunc non solum hominum, sed totius mundi natura reparabitur per
resurrectionem: quia et ipsa creatura liberabitur a servitute corruptionis
in libertatem gloriae filiorum Dei: Rom. 8, 21. Aliae autem poenae sunt
quae aliquibus hominibus specialiter infliguntur; et hae poenae dupliciter ad
eos comparantur. Uno modo ut vindicantes culpam, secundum quod culpa facit
debitum hujus poenae: et hoc modo Christus omnes istas poenas sua morte quantum
ad sufficientiam abstulit, removendo causam. Sed ad hoc quod aliquis his
poenis quantum ad efficaciam liberetur, exigitur quod passionis Christi
particeps fiat; quod quidem contingit dupliciter. Primo quidem per
sacramentum passionis, scilicet Baptismum, in quo consepelimur Christo in mortem,
ut dicitur Rom. 6, in quo divina virtus quae inefficaciam nescit, operatur
salutem; et ideo omnis talis poena in Baptismo tollitur. Secundo aliquis fit
particeps Christi per realem conformitatem ad ipsum, scilicet inquantum
Christo patiente patimur, quod quidem fit per poenitentiam. Et quia haec conformatio fit per nostram
operationem, ideo contingit quod est imperfecta, et perfecta. Et quando
quidem est perfecta conformatio secundum proportionem ad reatum culpae, tunc
poena totaliter tollitur, sive hoc sit in contritione tantum, sive etiam sit
in aliis partibus poenitentiae. Quando autem non est perfecta conformatio,
tunc adhuc manet obligatio ad aliquam poenam vel hic vel in Purgatorio. Non
tamen oportet quod sit conformatio ad passionem Christi secundum experientiam
tantae poenae ad quantam aliquis obligatur ex culpa: quia passio capitis in
membra redundat; et tanto plus, quanto est ei aliquis per caritatem magis
conjunctus; unde ex vi passionis Christi diminuitur quantitas debitae poenae;
et secundum hoc dicitur has poenas auferre, inquantum eas diminuit. Alio modo
dictae poenae comparantur ad eos quibus infliguntur, ut medicinae: quia
poenae sunt quaedam medicinae, ut dicitur 2 Ethic., vel sibi, inquantum
scilicet praeservant a culpa, seu ad virtutem promovent; vel aliis, inquantum
scilicet est aliis exemplum, ut unus pro aliis aliqualiter satisfaciat: et
hoc modo per passionem Christi poena temporalis non est neque totaliter
ablata, neque diminuta, sed magis augmentata caritate crescente, quantum ad
praesentem statum, in quo et peccare possumus, et proficere nobis et aliis;
sed in futuro, quando erit terminus viae, omnino poena tolletur per virtutem
passionis Christi. |
La peine temporelle est celle par laquelle on est privé d’un bien temporel, car le bien temporel n’est pas destiné à demeurer pour toujours. Or, cette peine temporelle chez l’homme est double. L’une est celle qui se trouve dans toute la nature humaine, comme la nécessité de mourir, la passibilité, l’insoumission de la chair à l’esprit et celles de ce genre. Cette peine de la nature humaine est due en raison du péché originel; néanmoins, [les peines] de ce genre découlent des principes de la nature déchue de la grâce de l’innocence. Le Christ a donc écarté ces peines pour tous de manière suffisante par la peine de sa passion, bien que non pour tous de manière efficace, à savoir, chez ceux qui ne participent pas à sa passion. Cependant, [il ne les a pas écartées] de telle sorte qu’elles soient immédiatement enlevées pour tous, ni de telle sorte qu’elles soient enlevées de ceux qui reçoivent les sacrements de sa passion, aussitôt après la réception du sacrement; mais elles seront enlevées pour tous les saints à la fin du monde, car ces peines sont dues à la nature, dans laquelle tous sont unis. Aussi, non seulement la nature des hommes, mais la nature du monde entier seront-elles restaurées par la résurrection, car la création même sera libérée de la servitude de la corruption en vue de la liberté de la gloire des fils de Dieu, Rm 8, 21. Il existe d’autres peines par lesquelles certains hommes sont affligés de manière particulière, et ces peines sont en rapport avec eux de deux manières. D’une manière, en tant qu’elles tirent vengeance de la faute, selon que la faute crée la dette de cette peine. Ainsi, le Christ a enlevé toutes ces peines par sa mort d’une manière suffisante en en enlevant la cause. Mais pour que quelqu’un soit libéré de manière efficace de ces peines, il est requis qu’il devienne participant de la passion du Christ, ce qui se produit de deux manières. Premièrement, par le sacrement de la passion, le baptême, par lequel nous sommes ensevelis avec le Christ dans la mort, comme il est dit dans Rm 6, dans lequel la puissance divine, qui ne connaît pas l’inefficacité, réalise le salut. C’est pourquoi toute peine de ce genre est enlevée par le baptême. Deuxièmement, quelqu’un devient participant du Christ par sa conformité réelle à lui, pour autant que nous souffrons avec le Christ souffrant, ce qui se réalise par la pénitence. Et parce que cette conformité se réalise par notre opération, il arrive qu’elle soit imparfaite et parfaite. Lorsque la conformité est parfaite selon la proportion de la culpabilité de la faute, alors la peine est entièrement enlevée, soit par la contrition seulement, soit aussi par les autres parties de la pénitence. Mais lorsque la conformité n’est pas parfaite, il reste alors l’obligation d’une peine soit ici, soit au purgatoire. Il n’est cependant pas nécessaire qu’il y ait conformité à la passion du Christ par l’expérience d’une peine égale à celle à laquelle on est obligé en raison de la faute, car la passion de la tête rejaillit sur les membres, et dans une mesure d’autant plus grande qu’on lui est davantage uni par la charité. Par la puissance de la passion du Christ, la quantité de la peine due est donc diminuée; sous cet aspect, on dit qu’elle enlève ces peines dans la mesure où elle les diminue. D’une autre manière, les peines indiquées se comparent à ceux à qui elles sont infligées comme des remèdes, car, ainsi que le dit Éthique, II, les peines sont des remèdes soit pour soi-même, pour autant qu’elles préservent de la faute ou poussent à la vertu, soit pour les autres, pour autant qu’elles sont un exemple pour les autres, de sorte qu’un seul satisfasse d’une certaine manière pour les autres. De cette manière, la peine temporelle n’est ni totalement enlevée ni diminuée par la passion du Christ, mais elle est plutôt augmentée alors qu’augmente la charité, dans l’état présent où nous pouvons pécher et progresser pour nous-mêmes et pour les autres; mais, à l’avenir, alors que ce sera le terme de la vie, la peine sera entièrement enlevée par la puissance de la passion du Christ. |
[9839] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod poena temporalis injungitur vel ut satisfactoria; et hoc sive
ut aliquis passionis Christi per imitationem conformetur, unde ubi est
conformitas per sacramentum Baptismi, non injungitur aliqua poena
satisfactoria: vel etiam injungitur ut medicina praeservans vel promovens, et
non tamquam debita. |
1. La peine temporelle est imposée soit comme une satisfaction, et cela, pour que quelqu’un se conforme à la passion du Christ par l’imitation – aussi, là où existe une conformité par le sacrement de baptême, une peine satisfactoire n’est pas imposée ‑; ou encore, elle est imposée comme un remède qui préserve ou incite, et non parce qu’elle est due. |
[9840] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Et per hoc patet etiam solutio ad secundum. |
2. La réponse au deuxième argument est ainsi claire. |
[9841] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod sicut causalitas justificationis attribuitur resurrectioni
quantum ad terminum ad quem, passioni autem quantum ad terminum a quo; ita
glorificationis causalitas attribuitur resurrectioni quantum ad gloriam quae
dabitur, sed passioni quantum ad poenalitates quae tolluntur. |
3. De même que la causalité de la justification est attribuée à la résurrection pour ce qui est du terme ad quem, et à la passion pour ce qui est du terme a quo, de même la causalité de la glorification est-elle attribuée à la résurrection pour ce qui est de la gloire qui sera donnée, mais à la passion pour ce qui est des peines qui sont enlevées. |
[9842] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3
qc. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod in causis quae agunt ex ordinatione sapientiae, non est
necessarium quod posita causa statim ponatur effectus; sed tunc effectus
ponitur, quando sapientiae ordo requirit; et taliter agit passio Christi. |
4. Pour les causes qui agissent en étant ordonnées par la sagesse, il n’est pas nécessaire qu’une fois la cause donnée, l’effet en découle immédiatement, mais l’effet est donné lorsque l’ordre de la sagesse l’exige. C’est ainsi que la passion du Christ agit. |
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Articulus 4 [9843] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 4 tit. Utrum Christus debeat dici redemptor ratione praedictae liberationis |
Article 4 – Le Christ doit-il être appelé le Rédempteur en raison de la libération mentionnée ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le Christ doit-il être appelé le Rédempteur en raison de la raison de la libération mentionnée ?] |
[9844] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod ratione praedictae
liberationis Christus non debeat dici redemptor. Redemptio enim emptionem
significat iteratam. Sed Christus nos nunquam alias emerat. Ergo nec redimere dicendus est
ex hoc quod nos liberavit. |
1. Il semble qu’il ne faille pas appeler le Christ le Rédempteur en raison de la libération mentionnée. En effet, la rédemption signifie un nouvel achat. Or, le Christ ne nous pas déjà achetés. Il ne faut donc pas dire qu’il nous rachète du fait qu’il nous a libérés. |
[9845] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4
qc. 1 arg. 2 Praeterea,
nullus quod suum est emit, nisi forte solvendo pretium ei qui injuste
detinebat. Sed Diabolus injuste nos detinebat; ei autem Christus proprii
sanguinis pretium non solvit. Ergo nullo modo nos redemit. |
2. Personne n’achète ce qui lui appartient, si ce n’est en acquittant un prix à celui qui le détenait injustement. Or, le Diable nous détenait injustement, mais le Christ ne lui a pas acquitté le prix de son propre sang. Il ne nous a donc rachetés d’aucune manière. |
[9846] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4
qc. 1 arg. 3 Praeterea, ab
eo qui aliquid usurpavit, non oportet quod suum est emere, sed violenter
auferre, si facultas adsit. Sed Christo nos liberandi de potestate Diaboli
facultas non defuit. Ergo non liberavit nos per modum emptionis. |
3. Il n’est pas nécessaire que quelqu’un achète ce qui lui appartient à celui qui a usurpé quelque chose, mais de le lui enlever par la violence, si cela est possible. Or, la possibilité de nous libérer du pouvoir du Diable n’a pas manqué au Christ. Il ne nous a donc pas libérés par mode d’achat. |
[9847] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
Apocal., 5, 9, dicitur de Christo: redemisti nos Deo in sanguine tuo. Ergo ipse est redemptor. |
Cependant, [1] il est dit du Christ en Ap 5, 9 : Tu nous a rachetés à Dieu par ton sang. Il est donc le Rédempteur. |
[9848] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4
qc. 1 s. c. 2 Praeterea,
ubicumque est aliqua commutatio, ibi videtur emptio. Sed in passione Christi
fuit quaedam commutatio: quia accepit mortem, et largitus est vitam. Ergo
fuit ibi emptio. |
[2] Partout où il y a échange, il semble qu’il y ait achat. Or, il y a eu un échange dans la passion du Christ, car il a reçu la mort et il a généreusement accordé la vie. Il y a donc eu achat. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le Fils peut-il seul être appelé le Rédempteur ?] |
[9849] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod non solus filius sit dicendus redemptor. Ejus enim est redimere
cujus est pretium dare. Sed Deus pater dedit nobis filium in pretium
redemptionis: Galat. 4, 4: misit Deus filium suum (...) factum sub lege,
ut eos qui sub lege erant redimeret. Ergo Deus pater redemit. |
1. Il semble que le Fils ne doive pas seul être appelé le Rédempteur. En effet, il revient de racheter à celui à qui il revient de payer le prix. Or, Dieu le Père nous a donné son Fils comme prix de la rédemption. Ga 4, 4 : Dieu a envoyé son Fils…, soumis à la loi afin de racheter ceux qui étaient soumis à la loi. Dieu le Père a donc racheté. |
[9850] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4
qc. 2 arg. 2 Praeterea, ejus
est redimere ab hoste cujus est hostem vincere. Sed Christus per potentiam
quam habet simul cum patre, hostem, qui nos detinebat vicit. Ergo pater nos redemit. |
2. Il revient à celui à qui il revient de vaincre l’ennemi de racheter à l’ennemi. Or, le Christ a vaincu l’ennemi qui nous détenait par la puissance qu’il a en commun avec le Père. Le Père nous a donc rachetés. |
[9851] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4
qc. 2 arg. 3 Praeterea, omne
nomen significans effectum in creatura, est commune toti Trinitati. Sed
redemptor est hujusmodi. Ergo et cetera. |
3. Tout mot signifiant un effet chez la créature est commun à la Trinité entière. Or, « rédempteur » est de cette sosrte. Donc, etc. |
[9852] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4
qc. 2 s. c. 1 Sed contra,
redempti sumus per passionem Christi: 1 Petr. 1, 18: redempti estis
pretioso sanguine agni. Sed solus
filius passus est. Ergo solus filius nos redemit. |
Cependant, [1] nous avons été rachetés par la passion du Christ, 1 P 1, 18 : Vous avez été rachetés par la sang précieux de l’Agneau. Or, seul le Fils a souffert. Seul le Fils nous a donc rachetés. |
[9853] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4
qc. 2 s. c. 2 Praeterea, ad hoc incarnatus est, ut nos redimeret. Solus autem
filius incarnatus est. Ergo ipse est redemptor. |
[2] Il s’est incarné pour nous racheter. Or, seul le Fils s’est incarné. Il est donc le Rédempteur. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[9854] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod per peccatum primi parentis totum humanum genus
alienatum erat a Deo, ut dicitur Ephes. 2, non quidem a potestate Dei, sed a visione faciei Dei, ad quam filii
et domestici admittuntur; et iterum in potestatem Diaboli usurpantis
deveneramus, cui consentiendo homo se subdiderat, quantum in ipso erat,
quamvis de jure non posset: quia suus non erat, sed alterius. Et ideo per
suam passionem Christus duo fecit: liberavit enim nos a potestate hostis,
vincendo ipsum per contraria eorum quibus hominem vicerat, scilicet
humilitatem, obedientiam, et austeritatem poenae, quae delectationi cibi
vetiti opponitur: et iterum, satisfaciendo pro culpa, Deo conjunxit, et domesticos
Dei et filios fecit. Unde ista liberatio duas rationes habuit emptionis:
inquantum enim a potestate Diaboli eripuit, dicitur nos redemisse, sicut rex
regnum occupatum ab adversario, per laborem certaminis redimit; inquantum
vero Deum nobis placavit, dicitur nos redemisse, sicut pretium solvens suae
satisfactionis pro nobis, ut a poena et a peccato liberemur. |
Par le péché du premier parent, tout le genre humain était devenu étranger à Dieu, comme il est dit dans Ep 2, non pas au pouvoir de Dieu, mais à la vision de la face de Dieu, à laquelle les fils et les serviteurs sont admis. De plus, nous étions passés au pouvoir du Diable usurpateur, à qui l’homme s’était soumis en lui consentant, pour autant que cela relevait de lui et même s’il ne le pouvait pas en droit, car [l’homme] ne lui appartenait pas, mais [il appartenait] à un autre. C’est pourquoi le Christ a fait deux choses par sa passion. En effet, il nous a libérés du pouvoir de l’ennemi en l’emportant sur lui par le contraire de ce par quoi il avait vaincu l’homme, à savoir, l’humilité, l’obéissance et la rigueur de la peine, qui s’opposait au plaisir de la nourriture défendue. De plus, en satisfaisant pour la faute, il a uni à Dieu les serviteurs et en a fait des fils. Aussi cette rédemption possédait-elle deux raisons d’achat. En effet, on dit qu’il nous a rachetés pour autant qu’il nous a arrachés àu pouvoir du Diable, comme le roi rachète par l’effort du combat son royaume occupé par un adversaire. Mais, pour autant qu’il nous a rendu Dieu favorable, on dit qu’il nous a rachetés parce qu’il a acquitté pour nous le prix de sa satisfaction afin que nous soyons libérés de la peine et du péché. |
[9855] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod iteratio importata per praepositionem,
non refertur ad actum emptionis, quasi alias empti fuerimus; sed ad terminum
actus, quia alias sui fueramus in statu innocentiae. Emere enim est aliquid suum facere. Vel
dicendum, quod dicitur redemptio habito respectu ad illam venditionem qua nos
Diabolo per consensum peccati vendideramus; a qua venditione haec emptio
secunda est. |
1. La répétiton impliquée par la préposition ne se rapporte pas à l’acte de l’achat, comme si nous avions été rachetés de nouveau, mais au terme de l’acte, car autrement nous lui avions appartenu dans l’état d’innocence. En effet, acheter, c’est rendre quelque chose sien. Ou bien il faut dire qu’on parle de récemption par rapport à la vente par laquelle nous nous étions vendus au Diable en lui consentant. Par rapport à cette vente, l’achat présent est le deuxième. |
[9856] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod pretium sanguinis sui non Diabolo, sed Deo obtulit, ut pro
nobis satisfaceret. A Diabolo
autem nos per victoriam suae passionis eripuit, ut dictum est. |
2. Il a offert le prix de son sang non pas au Diable, mais à Dieu, afin de satisfaire pour nous. Mais il nous a arrachés au Diable par la victoire de sa passion, comme on l’a dit. |
[9857] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quamvis Diabolus nos injuste usurpaverit, nos tamen in ejus
potestatem devenimus ex quo ab eo victi sumus: et ideo oportuit etiam ut ipse
vinceretur per contraria eorum quibus vicit: non enim violenter vicit, sed ad
peccatum fraudulenter inducens. |
3. Bien que le Diable se soit emparé de nous injustement, nous sommes cependant tombés en son pouvoir par le fait que nous avons été vaincus par lui. Il fallait donc aussi qu’il soit vaincu par le contraire de ce par quoi il nous a vaincus : en effet, il n’a pas vaincu par la violence, mais en incitant au péché trompeusement. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[9858] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
dicendum, quod effectus redemptionis potest attribui causae proximae, et
causae remotae. Si attribuatur causae proximae, sic Christus nos redimit per
ea quae in humana natura fecit et sustinuit; quibus et patri satisfecit pro
omnibus hominibus, et hostem vicit, ejus tentationibus resistendo. Si autem
referatur ad causam primam et remotam, sic attribuitur toti Trinitati,
inquantum tota Trinitas acceptavit nostram redemptionem, et filium dedit
nobis redemptorem, inquantum per virtutem divinitatis habuit passio
efficaciam ad satisfaciendum pro toto genere humano. Sed quia ille proprie
dicitur emere qui emptionis pretium solvit, magis quam ille qui emptorem
mittit; ideo proprie loquendo dicitur Christus tantum redemptor; quamvis
etiam tota Trinitas possit dici redemptor. |
L’effet de la rédemption peut être attribué à la cause prochaine et à la cause éloignée. S’il est attribué à la cause prochaine, le Christ nous a ainsi rachetés par ce qu’il a fait et supporté dans la nature humaine; il a satisfait par cela auprès du Père pour tous les hommes et il a vaincu l’ennemi, en résistant à ses tentations. Mais si on s’en reporte à la cause première et éloignée, [l’effet de la rédemption] est ainsi attribué à la Trinité entière, pour autant que la Trinité entière a accepté notre rédemption et nous a donné le Fils comme rédempteur, dans la mesure où la passion a eu par la puissance de la divinité une efficacité pour satisfaire pour tout le genre humain. Mais parce que celui-là est dit acheter qui acquitte le prix de l’achat, plutôt que celui qui envoie l’acheteur, à proprement parler, le Christ seul est appelé rédempteur, bien que la Trinité entière puisse être appelée rédemptrice. |
[9859] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 4 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio ad utramque partem. |
La réponse aux arguments des deux parties est ainsi claire. |
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Articulus 5 [9860] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 5 tit. Utrum Christus reconciliaverit nos Deo |
Article 5 – Le Christ nous a-t-il réconciliés avec Dieu ? |
Quaestiuncula
1 |
Sous-question 1 – [Le Christ nous a-t-il réconciliés avec Dieu ?] |
[9861] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod Christus non reconciliaverit nos Deo; quod mediatoris est
officium. Nullus enim reconciliatur diligenti, sed odienti. Sed Deus pater
nos diligebat: quia ipse diligit omnia quae sunt, et nihil odit eorum quae
fecit; Sapient. 11. Ergo Christus nos ei non reconciliavit. |
1. Il semble que le Christ ne nous ait pas réconciliés avec Dieu, ce qui est la fonction d’un médiateur. En effet, personne ne se réconcilie avec celui qui l’aime, mais avec celui qui le hait. Or, Dieu le Père nous aimait, car il aime tout ce qui existe et il ne hait rien de ce qu’il a fait, Sg 11. Le Christ ne nous a donc pas réconciliés avec lui. |
[9862] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5
qc. 1 arg. 2 Praeterea, Joan. 3, 16: sic Deus
dilexit mundum, ut filium suum unigenitum daret. Ergo magis
amor patris est causa passionis quam e converso: et ita videtur quod per
mortem Christi non simus Deo reconciliati. |
2. Jn 3, 16 : Dieu a tellement aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique. L’amour du Père est donc davantage cause de la passion que le contraire. Il semble ainsi que nous n’ayons pas été réconciliés avec Dieu. |
[9863] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Matth. 22, dicitur,
quod homo rex, cujus filium cultores vineae occiderant, veniens perdidit
homicidas illos: et per illum hominem significatur Deus pater, cujus filius
occisus est. Ergo per mortem Christi sunt inimicitiae magis auctae quam
ablatae. |
3. Il est dit en Mt 22, qu’un roi, dont les ouvriers de la vigne avaient tué le fils, est venu abattre ces homicides; par cet homme, Dieu le Père est signifié, dont le Fils a été tué. Par la mort du Christ, les inimitiés ont donc été plutôt augmentées qu’enlevées. |
[9864] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Rom.
5, 10: cum inimici essemus, reconciliati sumus Deo per mortem filii ejus. |
Cependant,
[1] Rm 5, 10 : Alors que nous étions ennemis, nous avons
été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils. |
[9865] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, per satisfactionem Deo reconciliamur. Sed Christus per
passionem suam pro nobis satisfecit. Ergo nos Deo reconciliavit. |
[2] Nous sommes réconciliés avec Dieu par la satisfaction. Or, le Christ a satisfait pour nous par sa passion. Il nous a donc réconciliés avec Dieu. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le Christ est-il médiateur selon sa nature humaine ?] |
[9866] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc.
2 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod ipse non sit mediator secundum humanam naturam. Non enim est idem
extremum et medium. Sed humana natura est extremum istius reconciliationis
quae fit hominis ad Deum. Secundum ergo quod homo, Christus non est mediator. |
1. Il semble que [le Christ] ne soit pas médiateur selon sa nature humaine. En effet, l’extrême et l’intermédiaire ne sont pas la même chose. Or, la nature humaine est le point extrême de cette réconciliation qui est réalisée entre l’homme et Dieu. Selon qu’il est homme, le Christ n’est donc pas médiateur. |
[9867] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
medium compositum est ex extremis. Sed compositum ex humana natura et divina
non est in Christo nisi persona. Ergo non ratione humanae naturae, sed
ratione compositae personae est mediator. |
2. L’intermédiaire est composé des extrêmes. Or, le composé de nature humaine et de nature divine chez le Christ n’est rien d’autre que la personne. Ce n’est donc pas en raison de sa nature humaine, mais en raison de sa personne composée qu’il est médiateur. |
[9868] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 3 Praeterea, secundum hoc est mediator secundum quod nos Deo conjunxit. Sed non potuisset nos Deo conjungere, nisi
inquantum est Deus. Ergo secundum quod Deus, est mediator. |
3. [Le Christ] est médiateur selon qu’il nous a unis à Dieu. Or, il n’aurait pas pu nous unir à Dieu si ce n’est en tant qu’il est Dieu. Il est donc médiateur en tant qu’il est Dieu. |
[9869] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5
qc. 2 s. c. 1 Sed contra,
mediator non est unum cum his inter quos mediat. Sed Christus,
secundum quod Deus, est unum cum patre, Joan. 11. Ergo secundum quod Deus,
non est mediator. |
Cependant, [1] le médiateur n’est pas une seule chose avec ceux entre qui il exerce sa médiation. Or, le Christ, selon qu’il est Dieu, est un avec le Père, Jn 11. Selon qu’il est Dieu, il n’est donc pas médiateur. |
[9870] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5
qc. 2 s. c. 2 Praeterea,
secundum hoc est mediator secundum quod est redemptor. Sed redemit nos
secundum humanam naturam. Ergo et
secundum ipsam est mediator. |
[2] [Le Christ] est médiateur selon qu’il est rédempteur. Or, il nous a rachetés selon sa nature humaine. Il est donc médiateur selon elle. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Convient-il au seul Christ d’être médiateur ?] |
[9871] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod non soli Christo convenit esse mediatorem. Ille enim est
mediator qui inter nos et Deum pacem facit. Hic autem est spiritus sanctus,
qui est amor, quo Deus nos diligit, et in quo nos Deum diligimus, quantum ad
caritatis donum, in quo ipse nobis datur. Ergo videtur quod spiritus sanctus
debeat dici mediator. |
1. Il semble qu’il ne convienne pas au seul Christ d’être médiateur. En effet, est médiateur celui qui fait la paix entre nous et Dieu. Or, celui-là est l’Esprit Saint, qui est amour, par lequel Dieu nous aime et par lequel nous-mêmes aimons Dieu par le don de la charité, par lequel il nous est lui-même donné. Il semble donc que l’Esprit Saint doive être appelé médiateur. |
[9872] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea, medium est quod convenit cum extremis. Sed Daemones conveniunt cum Deo in
hoc quod sunt immortales, nobiscum autem in hoc quod sunt miseri. Ergo
Daemones sunt mediatores, non solum Christus. |
2. L’intermédaire est ce qui a quelque chose en commun avec les extrêmes. Or, les démons ont quelque chose en commun avec Dieu du fait qu’ils sont immortels, mais avec nous du fait qu’ils sont misérables. Les démons sont donc des médiateurs, et non seulement le Christ. |
[9873] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5
qc. 3 arg. 3 Praeterea, Angeli
beati conveniunt etiam nobiscum, et cum Deo: cum Deo quidem, inquantum sunt
immortales et beati; nobiscum vero, inquantum sunt creaturae. Ergo et ipsi sunt
mediatores. |
3. Les anges bienheureux ont aussi quelque chose en commun avec nous et avec Dieu : avec Dieu, pour autant qu’ils sont immortels et bienheureux; mais avec nous, pour autant qu’ils sont des créatures. Ils sont donc des médiateurs. |
[9874] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5
qc. 3 arg. 4 Praeterea,
Dionysius probat, quod divinae illuminationes non deferuntur ad nos nisi
mediantibus Angelis. Ergo ipsi sunt mediatores. |
4. Denys démontre que les illuminations divines ne sont portées jusqu’à nous que par l’intermédiaire des anges. Ils sont donc des médiateurs. |
[9875] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5
qc. 3 arg. 5 Praeterea,
sacerdos est medium inter Deum et populum; et similiter alii sancti; inquantum
pro peccatoribus intercedunt. Ergo non solum Christus est mediator. |
5. Le prêtre est un intermédiaire entre Dieu et le peuple; de même, les autres saints, pour autant qu’ils intercèdent pour les pécheurs. Le Christ n’est donc pas seul médiateur. |
[9876] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5
qc. 3 s. c. 1 Sed contra,
officium mediatoris est reconciliare discordes. Sed solus Christus solvit
inimicitias quae erant inter nos et Deum; Coloss. 1. Ergo ipse solus est mediator. |
Cependant, [1] la fonction du médiateur est de réconcilier ceux qui ont un désaccord. Or, seul le Christ a délié les inimités qui existaient entre nous et Dieu, Col 1. Il est donc seul médiateur. |
[9877] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 5 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ex hoc dicitur mediator, quia pro nobis satisfecit. Sed solus Christus pro humana natura
satisfecit. Ergo ipse solus est mediator. |
[2] On l’appelle médiateur parce qu’il a satisfait pour nous. Or, seul le Christ a satisfait pour la nature humaine. Il est donc seul médiateur. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[9878] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 5 qc. 1 co. Respondeo
dicendum ad primam quaestionem, quod dilectio Dei ad nos secundum effectum
indicatur. Cum enim ipse, quantum in se est, ad omnes aequaliter se habeat, secundum
hoc aliquos dicitur diligere secundum quod eos suae bonitatis participes
facit. Ultima autem et completissima participatio suae bonitatis consistit in
visione essentiae ipsius, secundum quam ei convivimus socialiter, quasi
amici, cum in ea suavitate beatitudo consistat. Unde illos dicitur
simpliciter diligere quos admittit ad dictam visionem vel secundum rem, vel
secundum causam, sicut patet in illis quibus dedit spiritum sanctum quasi
pignus illius visionis. Ab hac igitur participatione divinae bonitatis,
scilicet a visione essentiae ipsius, homo per peccatum amotus erat; et
secundum hoc homo dicebatur privatus Dei dilectione. Et ideo inquantum
Christus per passionem suam satisfaciens pro nobis, ad visionem Dei homines
admitti impetravit, secundum hoc dicitur nos Deo reconciliasse. |
L’amour de Dieu pour nous se manifeste par son effet. En effet, puisque lui-même, pour ce qui le concerne, a un égal rapport avec tous, on dit qu’il en aime certains selon qu’il les fait participer à sa bonté. Or, la participation ultime et la plus complète à sa bonté consiste dans la vision de son essence, selon laquelle nous vivons avec lui amicalement comme des amis, puisque la béatitude consiste dans cette douceur. Aussi dit-on qu’il aime tout simplement ceux qu’il admet à cette vision, soit en réalité, soit selon la cause, comme cela ressort chez ceux auxquels il a donné l’Esprit Saint comme gage de cette vision. Par le péché, l’homme avait donc été écarté d’une telle participation à la bonté divine, à savoir, de la vision de son essence; on disait donc que l’homme était ainsi privé de l’amour de Dieu. C’est pourquoi, dans la mesure où le Christ, en satisfaisant pour nous par sa passion, a obtenu que les hommes soient admis à la vision de Dieu, dans la même mesure dit-on qu’il nous réconciliés avec Dieu,. |
[9879] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod omnes creaturas diligit quantum ad aliquem modum, quo
communicat eis bonitatem suam; sed illas dicitur simpliciter diligere quibus seipsum
videndum communicat. Joan. 14, 21: ego
diligam eum, et manifestabo ei me ipsum. |
1. Il aime toutes les créatures dans une
certaine mesure, selon laquelle il leur communique sa bonté. Mais on dit
qu’il aime tout somplement celles à qui il communique de pouvoir le voir
lui-même, Jn 14, 21 : Moi,
je l’aimerai, et je me manifesterai moi-même à lui. |
[9880] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod sicut Deus dicitur diligere creaturas quando jam sunt,
inquantum eis actu suam bonitatem communicat, quas antequam essent, dilexit
secundum propositum communicandi eis suam bonitatem; ita etiam dicitur Deus
homines dilexisse secundum propositum communicandi vel concedendi hominibus
suam visionem, ex qua dilectione filium dedit. Sed per mortem filii dilexit eos quasi
actualiter ad visionem sui admittens, remoto impedimento quod eos a visione
Dei impediebat. |
2. Comme on dit que Dieu aime les créatures, alors qu’elles existent déjà, dans la mesure où il leur communique en acte sa bonté, et qu’il les a aimées avant qu’elles n’existent selon son propos de leur communiquer sa bonté, ainsi dit-on aussi que Dieu a aimé les hommes selon son propos de communiquer ou de concéder aux hommes sa vision, amour par lequel il a donné son Fils. Mais, par la mort de son Fils, il les a aimés en les admettant effectivement à cette vision, en enlevant l’obstacle qui s’opposait à la vision de Dieu. |
[9881] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod ex parte illorum qui occiderunt Christum, non fuit aliquid
quod misericordiam provocaret, sed magis iram; sed ex parte Christi qui pro
nobis mortem sustinuit, fuit immensa caritas, quae fecit passionem ex parte
patientiae Deo acceptam: et sic per ipsam sumus reconciliati. |
3. Du point de vue de ceux qui ont tué le Christ, il n’existait rien qui pouvait provoquer la miséricorde, mais plutôt la colère; mais, du point de vue du Christ, qui a supporté la mort pour nous, existait une charité sans mesure, qui a fait que Dieu a accepté la passion en raison de sa patience. C’est ainsi que nous avons été réconciliés par elle. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[9882] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in medio est duo considerare, scilicet
rationem quare dicatur medium, et actum medii. Dicitur autem aliquid medium ex hoc quod est inter extrema. Actus
autem medii est extrema conjungere. Mediator igitur dicitur aliquis ex hoc
quod actum medii exercet conjungendo disjunctos. Non potest autem actum medii
exercere nisi aliquo modo natura medii in ipso inveniatur, ut scilicet sit
inter extrema. Esse autem inter extrema convenit quantum ad duo; scilicet
quantum ad hoc quod medium participat utrumque extremorum; et secundum
ordinem, inquantum est sub primo, et supra ultimum: et hoc exigitur ad
rationem medii proprie dicti: quia medium dicitur secundum respectum ad
primum et ultimum, quae ordinem dicunt. Christo autem secundum humanam
naturam haec tria conveniunt. Ipse enim secundum humanam naturam pro
hominibus satisfaciens, homines Deo conjunxit: ipse etiam ab utroque
extremorum aliquid participat, inquantum homo; a Deo quidem beatitudinem, ab
hominibus autem infirmitatem: ipse etiam inquantum homo, supra homines fuit
per plenitudinem gratiarum, et unionem; et infra Deum propter naturam creatam
assumptam. Et ideo, proprie loquendo, ratione humanae naturae est mediator.
Ratione autem compositae personae potest etiam dici mediator quantum ad duas
dictarum conditionum, scilicet inquantum conjunxit homines Deo, et inquantum
utrique extremorum communicat in natura plenarie, non participative; sed
tertia conditio deficit, quia secundum personam non fuit minor patre. Sed quantum ad divinam
naturam nullo modo competit sibi ratio mediatoris: quia secundum divinam
naturam, neque est inter extrema participative, neque secundum ordinem, neque
iterum conjungit ut causa proxima, sed ut causa prima, ut dictum est. |
Dans l’intermédiaire, il faut considérer deux choses : la raison pour laquelle il est appelé intermédiaire et l’acte de l’intermédiaire. Or, une chose est appelée intermédiaire du fait qu’elle se situe entre des extrêmes. Mais l’acte de l’intermédaire est d’unir les extrêmes. On appelle donc intermédiaire celui qui exerce l’acte de l’intermédiaire en unissant ceux qui sont désunis. Mais il ne peut exercer l’acte de l’intermédiaire que si la nature de l’intermédaire se trouve en lui de quelque manière, à savoir qu’il se situe entre les extrêmes. Or, se trouver entre des extrêmes convient de deux manières : selon que l’intermédiaire participe aux deux extrêmes, et selon l’ordre par lequel il se situe en-dessous du premier et au-dessus du dernier; cela est requis pour la raison d’intermédiaire au sens propre, car on l’appelle intermédiaire selon son rapport au premier et au dernier, qui expriment un ordre. Or, ces trois choses conviennent au Christ selon sa nature humaine. En effet, en satisfaisant pour les hommes selon sa nature humaine, il a uni les hommes à Dieu. Il participe aussi à quelque chose des deux extrêmes en tant qu’homme : à la béatitude de la part de Dieu, à la faiblesse de la part des hommes. En tant qu’homme, il était aussi supérieur aux hommes par la plénitude des grâces et par l’union, et inférieur à Dieu, en raison de la nature humaine assumée. C’est pourquoi, au sens propre, il est médiateur en raison de la nature humaine. Mais, en raison de la personne composée, on peut aussi dire qu’il est médiateur selon deux des conditions mentionnées : en tant qu’il a uni les hommes à Dieu, et en tant qu’il possède pleinement, et non par mode de participation, la nature des deux extrêmes; mais la troisième condition fait défaut, car il n’était pas inférieur au Père par sa personne. Mais, selon sa nature divine, la raison de médiateur ne lui convient d’aucune manière, car, selon la nature divine, il ne se situe pas entre les extrêmes par mode de participation, ni selon un ordre; de plus, il n’unit pas en tant que cause prochaine, mais en tant que cause première, comme on l’a dit. |
[9883] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod humana natura prout est in Christo, non est extremum, quia
ipsa non eget reconciliatione, cum in ipsa peccatum non sit. |
1. La nature humaine, telle qu’elle existe chez le Christ, n’est pas un extrême, car elle n’a pas besoin de réconciliation, puisqu’elle n’a pas de péché. |
[9884] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum patet solutio per id quod dictum est. |
2. La réponse à cet argument est claire d’après ce qui a été dit. |
[9885] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5
qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis nos
Deo conjungere non potuisset nisi Deus fuisset, quia humana natura ex divina
sibi conjuncta in persona majorem efficaciam habebat, tamen satisfactionem,
qua Deo reconciliati et conjuncti sumus, non exhibuit nisi per humanam
naturam; et ideo secundum ipsam est proxima causa conjunctionis. |
3. Bien qu’il n’aurait pu nous unir à Dieu si Dieu n’avait pas existé, puisque sa nature humaine avait une plus grande efficacité par la nature divine qui lui était unie, il n’a cependant manifesté la satisfaction, par laquelle nous avons été réconciliés et unis à Dieu, que par sa nature humaine. C’est la raison pour laquelle elle est par elle-même la cause rapprochée de l’union. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[9886] Super Sent., lib. 3 d.
19 q. 1 a. 5 qc. 3 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quantum ad hanc
reconciliationem qua humana natura reconciliata est Deo, solus Christus est
mediator: quia in ipso solo est reperire conditiones mediatoris praedictas. |
1. Pour ce qui est de la réconciliation par laquelle la nature humaine a été réconciliée avec Dieu, seul le Christ est médiateur, car c’est en lui seul qu’on trouve les conditions indiquées pour le médiateur. |
[9887] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod spiritus sanctus quamvis conjungat sicut causa prima, non
tamen est medium inter extrema, nec conjungens proximum: et ideo non est,
proprie loquendo, mediator. |
2. Bien qu’il unisse en tant que cause première, l’Esprit Saint n’est cependant pas un intermédiaire entre des extrêmes, ni celui qui unit de manière rapprochée. C’est pourquoi il n’est pas à proprement parler médiateur. |
[9888] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc.
3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod Daemones communicant cum Deo in immortalitate, nobiscum autem
in miseriis; unde ad hoc se medios interponunt ut nos ad immortalitatem et
aeternam miseriam adducant; et hoc faciunt, a Deo nos sejungendo, et non
conjungendo. Et quia recedendo
ab uno primo invenitur multitudo; ideo ipsi non sunt unus, sed plures medii;
non mediatores, sed separatores. Christus autem cum Deo habuit communem
beatitudinem, nobiscum autem mortalitatem; et ideo ad beatitudinem nos ducit
aeternam, mortalitate quam habuit ad tempus consumpta; et hoc est quod dicit
Augustinus 9 de Civ. Dei. |
2. Les démons ont en commun avec Dieu l’immortalité, mais avec nous les misères. Aussi s’interposent-ils comme intermédiaires pour nous conduire à l’immortalité et à la misère éternelle; ils réalisent cela, non pas en nous unissant à Dieu, mais en nous en séparant. Et parce qu’en s’éloignant de ce qui est unique et premier, on trouve la multitude, ils ne sont donc pas un seul, mais plusieurs intermédiaires; ils ne sont pas des médiateurs, mais des séparateurs. Mais le Christ, en ayant en commun avec Dieu la béatitude, mais avec nous la mortalité, nous conduit à la béatitude éternelle, alors que la mortalité qu’il avait a été consommée au moment voulu. C’est ce que dit Augustin dans La cité de Dieu, IX. |
[9889] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod Angeli sunt beati et immortales: unde non conveniunt nobiscum
in hoc quod a nobis amovendum est per actum mediatoris; non enim ad hoc datur
mediator, ut faciat nos non esse creaturas. Et ideo quamvis conveniant nobiscum in hoc
quod sunt creaturae, non tamen competit eis ratio mediatoris. |
3. Les anges sont bienheureux et immortels. Aussi n’ont-ils pas en commun avec nous ce qui doit nous être enlevé par l’acte du médiateur. En effet, le médiateur n’est pas donné pour faire en sorte que nous ne soyons pas des créatures. C’est pourquoi, bien qu’ils aient en commun avec nous d’être des créatures, la raison de médiateur ne leur convient pas. |
[9890] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5
qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud quod
Angeli nobis a Deo deferunt, quasi medii inter nos et Deum, non est hoc per
quod Deo conjungimur: quia gratia non est nobis ab Angelis, nec satisfactio;
sed illa transfusio conjunctionem praesupponit vel eam praeparat; et ideo
ipsi non sunt mediatores, sed eorum officium sequitur vel disponit ad
officium mediatoris; et ideo ipsi sunt ministri mediatoris. |
4. Le fait que les anges nous éloignent de Dieu en tant qu’intermédiaires entre nous et Dieu n’est pas ce par quoi nous sommes unis à Dieu, car la grâce ne nous vient pas des anges, ni la satisfaction. Mais cette transfusion présuppose l’union ou la prépare. C’est pourquoi ils ne sont pas médiateurs, mais leur fonction découle de la fonction de médiateur ou y dispose. Aussi sont-ils les ministres du médiateur. |
[9891] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5
qc. 3 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod aliquis sanctorum non potest esse mediator, conjungens totam
humanam naturam Deo, quamvis unam specialem personam Deo possit conjungere,
non quidem merendo ei gratiam ex condigno, sicut Christus fecit, sed ex
congruo tantum inducendo ad bonum. |
5. L’un des saints ne peut pas être médiateur pour unir toute la nature humaine à Dieu, bien qu’une personne particulière puisse unir à Dieu, non pas en lui méritant la grâce en justice (ex condigno), comme le Christ l’a fait, mais seulement par convenance (ex congruo), en l’incitant au bien. |
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Expositio textus |
Explication du texte de Pierre
Lombard, Distinction 19
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[9892] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5
qc. 3 expos. Morte quippe sua uno verissimo sacrificio quidquid culparum erat (...)
Christus extinxit. Hic est tertius modus quo per passionem a peccatis liberamur: duo
enim prius positi pertinent ad efficientiam justificationis ex parte nostra:
hic autem pertinet ad sufficientiam ex parte sua: quia sua satisfactio fuit
sicut quoddam sacrificium ad delendum omnia peccata, quantum in se est,
sufficiens. Culparum chyrographa. Chyrographum dicitur a chyros, quod
est manus et graphos, quod est Scriptura; quasi manualis Scriptura, quae
memoriam debitorum facit, et obligationem ad solvendum. Dicuntur autem
chyrographa nostrorum peccatorum per mortem Christi deleta, inquantum memoria
nostrorum delictorum amota est, secundum quod Deus eorum non recordatur ad
puniendum, vel inquantum obligatio poenae, sive reatus amotus est. In
Baptismo penitus laxatur. Contra. Requiritur gemitus interior. Dicendum,
quod non requiritur inquantum est poena, sed inquantum consequitur ex
displicentia veteris vitae; cujus si non poeniteat, non potest novam vitam
inchoare, sed victus abscedit. Implevit illa sacramenta. Sacramentum
hic dicitur, non sacrum signum, sicut Baptismus, et hujusmodi, sed sacrum
secretum, sicut passio, incarnatio, et hujusmodi. Si ergo Christus secundum
vos, o haeretici, unam tantum habet naturam, unde medius erit ? Haec sunt
verba Vigilii, qui ponit Christum mediatorem ratione personae compositae, ut
dictum est. Possumus tamen dicere, quod si haberet humanam naturam tantum,
secundum illam non esset sufficiens mediator: quia non haberet unde
satisfaceret pro tota natura humana, sicut nec alii qui sunt puri homines. |
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Distinctio 20 |
Distinction 20 – [Les causes de
la passion]
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Question unique – [La nature humaine peut-elle être
restaurée ?]
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Prooemium |
Prologue |
[9893] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister quomodo per
passionem Christi liberamur a malis, hic determinat de causis passionis.
Dividitur autem in duas partes: primo assignat passionis congruentiae causam;
secundo determinat de causa ipsius efficiente, ibi: Christus ergo est
sacerdos, idemque hostia et pretium nostrae reconciliationis. Prima in
duas: in prima assignat causam congruentiae ex utilitate nostra; in secunda
ex decentia justitiae ipsius, ibi: est et alia ratio. Et circa hoc
tria facit: primo assignat congruentiam passionis ex justitia Dei; secundo
prosequitur justitiae ordinem, ibi: sed qua justitia ? Jesu Christi;
tertio ostendit quod, etiam isto ordine praetermisso, nulli injuria fieret;
ut sic justitiae processus commendabilior appareat inquantum non fuit
necessarius, ibi: si enim tres illi in causam venirent, scilicet Deus,
Diabolus, et homo; Diabolus et homo quid adversus Deum dicerent non haberent.
Christus ergo est sacerdos, idemque hostia et pretium nostrae
reconciliationis. Hic determinat de causa efficiente passionis: et primo
quantum ad ipsam operationem causae efficientis; secundo quantum ad opus
operatum, ibi: passio ergo Christi et opus dicitur Judaeorum (...) et opus
Dei. Et circa hoc duo facit: primo ostendit quomodo opus operatum ex
diversis causis processit; secundo inquirit utrum ipsum opus operatum sit
licitum, vel malum, ibi: cum autem passio Christi opus Dei sit, et ideo
bonum est, eamdemque operati sint Judas et Judaei; quaeritur, an concedendum
sit eos operatos ibi esse bonum. Hic quaeruntur quinque: 1 de
reparabilitate humanae naturae; 2 an alius quam Christus potuit satisfacere
pro humana natura; tertio utrum satisfactio convenienter facta sit per
Christi passionem; 4 utrum potuit humanum genus alio modo liberari; 5 de
passione Christi per comparationem ad causam efficientem. |
Après avoir déterminé comment nous sommes libérés du mal par la passion du Christ, le Maître détermine ici des causes de la passion. Cela se divise en deux parties : premièrement, il signale la cause de la convenance de la passion; deuxièmement, il détermine de sa cause efficiente, à cet endroit : « Le Christ est donc prêtre et aussi victime et prix de notre réconciliation. » La première partie se divise en deux : dans la première, il signale la cause de la convenance en regard de ce qui nous est utile; dans la seconde, en raison de la convenance de sa propre justice, à cet endroit : « Il y a aussi une autre raison… » À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il indique la convenance de la passion du point de vue de la justice de Dieu; deuxièmement, il décrit l’ordre de la justice, à cet endroit : « Mais selon quelle justice ? Celle de Jésus, le Christ »; troisièmement, il montre que, même en outrepassant cet ordre, aucun tort ne serait fait, de sorte que le déroulement de la justice apparaisse plus louable parce qu’il n’était pas nécessaire, à cet endroit : « En effet, si ces trois entraient en procès : Dieu, le Diable et l’homme, le Diable et l’homme n’auraient rien à redire contre Dieu. » « Le Christ est donc prêtre et aussi victime et prix de notre réconciliation. » [Le Maître] détermine ici de la cause efficiente de la passion. Premièrement, quant à l’action même de la cause efficiente; deuxièmement, quant à l’œuvre accomplie, à cet endroit : « On dit donc que la passion du Christ est à la fois l’œuvre des Juifs… et l’œuvre de Dieu. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre comment l’œuvre accomplie vient de diverses causes; deuxièmement, il se demande si cette œuvre accomplie est permise ou mauvaise, à cet endroit : « Puisque la passion du Christ est l’œuvre de Dieu, et donc bonne, et que Judas et les Juifs ont accompli la même œuvre, on se demande s’il faut concéder que ce qu’ils ont fait là est bon. » Cinq questions sont soulevées ici : 1 – La possibilité de restaurer la nature humaine. 2 – Un autre que le Christ pouvait-il satisfaire pour la nature humaine ?; 3 – La satisfaction a-t-elle été convenablement accomplie par la passion du Christ ? 4 – Le genre humaine pouvait-il être libéré d’une autre manière ? 5 – La passion du Christ dans son rapport à sa cause efficiente. |
Articulus 1 [9894] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 1 tit. Utrum humana natura fuerit reparanda |
Article 1 – La nature humaine devait-elle être restaurée ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La nature humaine devait-elle être restaurée ?] |
[9895] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod humana natura non fuerit reparanda. Peccatum enim hominis
non fuit gravius quam peccatum Angeli. Sed post peccatum Angeli, bona naturalia
ipsius integra remanserunt, ut dicit Dionysius. Ergo in homine natura integra permansit, et
ita reparatione non indiguit. |
1. Il semble que la nature humaine ne devait pas être restaurée. En effet, le péché de l’homme n’était pas plus grave que le péché de l’ange. Or, après le péché de l’ange, ses biens naturels sont restés intacts, comme le dit Denys. Chez l’homme, la nature est donc demeurée intacte et ainsi elle n’avait pas besoin d’être restaurée. |
[9896] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, id quod consequitur humanam naturam, invenitur in omnibus habentibus
humanam naturam. Sed non omnes
homines erant reparandi, cum multi fuerint praevisi damnati. Ergo naturae
humanae reparatio non debetur. |
2. Ce qui découle de la nature humaine se trouve chez tous ceux qui ont la nature humaine. Or, tous les hommes ne devaient pas être restaurés, puisqu’il était prévu que beaucoup seraient damnés. Une restauration n’est donc pas due à la nature humaine. |
[9897] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
natura angelica non est minus pretiosa quam natura humana. Sed natura angelica
post peccatum reparata non fuit. Ergo nec humana natura reparanda erat. |
3. La nature angélique n’est pas moins précieuse que la nature humaine. Or, la nature angélique n’a pas été restaurée après le péché. La nature humaine ne devait donc pas non plus être restaurée. |
[9898] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, primus homo per peccatum meruit ut ipse et sua posteritas in aeternum a
divina visione separaretur. Sed ad justitiam Dei pertinet ut reddat unicuique
secundum sua merita. Ergo hoc reddere debuit, ut in aeternum excluderetur
humana natura et humanum genus a divina visione; et sic reparari non debuit
humana natura. |
4. Par son péché, le premier homme a mérité que lui-même et sa postérité soient éternellement séparés de la vision de Dieu. Or, il convient à la justice de Dieu de rendre à chacun selon ses mérites. Elle ne devait donc pas rendre de telle manière que la nature humaine et le genre humain soient exclus de la vision de Dieu. La nature humaine ne devait donc pas être ainsi restaurée. |
[9899] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, non
decet divinam sapientiam ut aliqua creatura suo fine frustretur: quia tunc
vane facta esset. Sed finis ad
quem facta est humana natura, est ut videat Deum, et fruatur eo. Cum igitur
ad hunc finem pervenire non potuisset nisi reparata fuisset, quia per
peccatum primi hominis ab hoc fine deordinata fuit, congruum fuit ut
repararetur. |
Cependant, [1] il ne convient pas à la sagesse divine qu’une créature soit privée
de sa fin, car alors elle aurait été créée en vain. Or, la fin pour laquelle
la nature humaine a été créée est de voir Dieu et d’en jouir. Puisqu’elle
n’aurait pu parvenir à cette fin que si elle était réparée, car elle a été
détournée de cette fin par le péché du premier homme, il était convenable
qu’elle soit restaurée. |
[9900] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, non
est decens ut aliqua perfectio universo deesset. Sed de perfectione universi
est creatura rationalis beata, composita ex anima et corpore. Ergo congruum fuit ad
perfectionem universi quod natura talis, scilicet humana, repararetur ad
beatitudinem, a qua per peccatum abducta erat. |
[2] Il n’est pas convenable qu’une perfection fasse défaut à l’univers. Or, une créature raisonnable bienheureuse, composée d’âme et de corps, fait partie de la perfection de l’univers. Il était donc convenable pour la perfection de l’univers qu’une telle nature, la nature humaine, soit restaurée en vue de la béatitude dont elle avait été chassée par le péché. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La nature humaine devait-elle être restaurée par la satisfaction ?] |
[9901] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod non debuerit per satisfactionem reparari. Per eadem enim res reparatur
per quae constituitur. Sed humana natura instituta fuit solo verbo Dei: quia dixit, et facta
sunt. Ergo solo
verbo debuit reparari, et mandato; et non per aliquam satisfactionem
creaturae. |
1. Il semble que [la nature humaine] ne devait pas être restaurée par la satisfaction. En effet, une chose est restaurée par cela même dont elle est constituée. Or, la nature humaine a été établie par la seule parole de Dieu, puisqu’il dit, et cela fut. Elle devait donc être restaurée par la seule parole et un commandement, et non par la satisfaction d’une créature. |
[9902] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, sicut in opere conditionis maxime manifestatur potentia,
ita in opere reparationis maxime manifestatur divina misericordia. Sed
majoris misericordiae est peccatum absque omni poena satisfactionis dimittere
quam satisfactionem requirere. Ergo absque omni satisfactione debuit humana
natura reparari. |
2. De même que, dans l’œuvre de la création, la puissance est au plus haut point manifestée, de même, dans l’œuvre de la restauration, la miséricorde divine est au plus haut point manifestée. Or, c’est le propre d’une plus grande miséricorde de remettre le péché sans aucune peine satisfactoire, plutôt que d’exiger une satisfaction. La nature humaine devait donc être restaurée sans aucune satisfaction. |
[9903] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 3 Praeterea, ejus
est pro peccato satisfacere cujus est peccatum facere. Sed humana natura non
est corrupta per actum quem natura fecit, sed per actum quem fecit persona. Ergo satisfactio aliqua
non debet exigi pro natura, sed solum pro persona. |
3. Il revient de satisfaire à celui qui a commis le péché. Or, la nature humaine n’a pas été corrompue par un acte que la nature a fait, mais par un acte qu’une personne a fait. Une satisfaction ne doit donc pas être exigée pour la nature, mais seulement pour une personne. |
[9904] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, culpa ordinatur per poenam. Sed si peccatum remitteretur
absque omni satisfactione, remaneret culpa sine poena. Ergo remaneret aliquid
inordinatum in universo, quod est inconveniens. |
Cependant, [1] la faute reçoit son ordre de la peine. Or, si le péché était remis sans aucune satisfaction, la faute resterait sans peine. Il resterait donc quelque chose de désordonné dans l’univers, ce qui est inapproprié. |
[9905] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, satisfactio est medicina peccati. Sed dimittere morbum absque medicina, non est sapientis medici. Ergo non decuit Deum naturam humanam sine
satisfactione reparare. |
[2] La satisfaction est un remède pour le péché. Or, écarter une maladie sans [y apporter] de remède n’est pas le propre d’un médecin sage. Dieu ne devait donc pas restaurer la nature humaine sans satisfaction. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Était-il nécessaire que la nature humaine soit réparée de la manière dite ?] |
[9906] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non fuerit necessarium naturam humanam reparari
modo dicto. Solus enim Deus naturam reparare potest. Sed in Deum non cadit
necessitas, sicut nec coactio. Ergo non fuit necessarium naturam humanam
reparari modo dicto. |
1. Il semble qu’il n’était pas nécessaire que la nature humaine soit restaurée de la manière dite. En effet, seul Dieu peut restaurer la nature humaine. Or, Dieu n’est pas soumis à la nécessité, pas davantage qu’à la coercition. Il n’était donc pas nécessaire que la nature humaine soit réparée de la manière dite. |
[9907] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 2 Praeterea, quanto
aliquid est magis necessarium, tanto est minus voluntarium; et quanto est
minus voluntarium, tanto est minus gratiarum actione dignum. Sed opus reparationis
humanae est maxime dignum unde gratias Deo agamus. Ergo nullo modo est
necessarium. |
2. Plus une chose est nécessaire, moins elle est volontaire, et moins elle est volontaire, moins elle digne d’action de grâce. Or, l’œuvre de la restauration humaine est au plus haut point digne que nous en rendions grâce à Dieu. Elle n’est donc aucunement nécessaire. |
[9908] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 3 Praeterea, ad
misericordiam Dei pertinet ut peccatum citra condignum puniat, aliquid de
poena peccato debita diminuens. Sed per quam rationem dimittit partem, per eamdem potest dimittere
totam. Ergo non est necessarium quod per satisfactionem humanam naturam
reparaverit. |
3. Il convient à la miséricorde de Dieu de punir le péché moins qu’il ne le mérite, en réduisant quelque chose de la peine due pour le péché. Or, il peut remettre toute la peine pour la même raison qu’il en remet une partie. Il n’est donc pas nécessaire qu’il restaure la nature humaine par la satisfaction. |
[9909] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 4 Praeterea, eadem
ratione dona gratis dantur, et debita gratis remittuntur; unde sicut judex
non potest rem unius alteri dare, ita non potest offensam alteri factam sine
poena dimittere. Princeps autem
cujus sunt omnia, potest poenas relaxare. Sed Deus gratis dat dona hominibus,
nec ex hoc sequitur aliqua inordinatio. Ergo et potest poenas debitas
dimittere, praecipue cum poena ex hoc debeatur, quia per culpam ipse
offenditur. |
4. Le dons gratuitement donnés le sont pour la même raison que les dettes sont gratuitement remises; de même donc qu’un ne peut donner une chose qui appartient à quelqu’un d’autre, il ne peut remettre sans peine une offense faite à quelqu’un d’autre. Or, le dirigeant à qui tout appartient peut annuler les peines. Or, Dieu, donne gratuitement des dons aux hommes et il n’en découle pas un désordre. Il peut donc remettre les peines dues, surtout lorsque la peine est due parce qu’il est lui-même offensé par la faute. |
[9910] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1
qc. 3 s. c. 1 Sed contra,
impossibile est aliquid esse frustra factum a sapiente et omnipotente et
optimo artifice. Sed si natura
humana non repararetur, esset frustra facta. Ergo necesse est eam reparari. |
Cependant, [1] il est impossible que quelque chose soit fait en vain par le Créateur sage, tout-puissant et très bon. Or, si la nature humaine n’était pas restaurée, elle aurait été créée en vain. Il est donc nécessaire qu’elle soit restaurée. |
[9911] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1
qc. 3 s. c. 2 Praeterea,
impossibile est aliquid esse inordinatum in universo. Sed si culpae humanae
naturae non adhiberetur poena vel satisfactionis vel condemnationis, esset
aliquid inordinatum in universo. Ergo necessarium est, si a damnatione humana
natura reparatur, quod hoc fiat per modum satisfactionis, cum culpa per
poenam ordinetur. |
[2] Il est impossible qu’il y ait quelque chose de désordonné dans l’univers. Or, si une peine de satisfaction ou de condamnation n’était pas donnée pour la faute de la nature humaine, il y aurait quelque chose de désordonné dans l’univers. Si la nature humaine est restaurée de la damantion, il est donc nécessaire que cela soit fait par mode de satisfaction, puisque la faute est ordonnée par la peine. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[9912] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod congruentissimum fuit
humanam naturam, ex quo lapsa fuit, reparari. Fuit enim conveniens quantum ad
ipsum Deum: quia in hoc manifestatur misericordia Dei, potentia, et
sapientia. Misericordia quidem sive bonitas, quia proprii plasmatis non despexit
infirmitatem: potentia vero inquantum ipse omnium nostrorum defectum sua
virtute vicit: sapientia autem inquantum nihil frustra fecisse invenitur.
Conveniens etiam fuit quantum ad humanam naturam, quia generaliter lapsa
erat. Similiter etiam ex perfectione universi, quod totum quodammodo ad
salutem hominis ordinatur. |
Il était au plus haut point convenable que la nature humaine soit restaurée par là où elle est tombée. En effet, cela était convenable pour ce qui est de Dieu, car la miséricorde, la puissance et la sagesse de Dieu sont par là manifestées. La miséricorde ou la bonté, parce qu’il n’a pas méprisé la faiblesse de sa propre créature; mais sa puissance, dans la mesure où il a lui-même vaincu les carences de nous tous par sa puissance; sa sagesse enfin, pour autant qu’il se trouve à n’avoir rien fait en vain. Cela est aussi convenable pour ce qui est de la nature humaine, car elle elle était universellement tombée. De même aussi, pour ce qui est de la perfection de l’univers, qui est d’une certaine manière entièrement ordonné au salut de l’homme. |
[9913] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod naturale dupliciter dicitur. Uno modo id quod consequitur ex
principiis speciei; et hoc non mutatur per peccatum nec in homine nec in
Daemone, sicut nec species. Alio modo dicitur
naturale id ad quod natura est ordinata: et quantum ad hoc, naturale per
peccatum tollitur, inquantum aufertur beatitudo ad quam natura ordinata est,
et diminuitur habilitas ad ipsam: et sic natura corrupta erat, quia non
poterat perduci ad beatitudinem ab aliquo illius naturae corruptae, nisi
natura reparata esset. |
1. On parle de naturel de deux manières. D’abord, pour ce qui découle des principes de l’espèce : et cela n’est pas changé par le péché ni chez l’homme, ni chez le démon, pas davantage que l’espèce. Ensuite, on appelle naturel ce à quoi la nature est ordonnée : sous cet aspect, ce qui est naturel est enlevé par le péché dans la mesure où est enlevée la béatitude à laquelle la nature a été ordonnée et l’aptitude à celle-ci est réduite. Et ainsi la nature avait-elle été corrompue, car elle ne pouvait être conduite à la béatitude par quelqu’un de cette nature corrompue, à moins que la nature ait été restaurée. |
[9914] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod hoc quod omnes homines non reparantur, non est ex
insufficientia medicinae reparantis, cum sit sufficiens, quantum in se est,
ad reparandum omnes qui naturam humanam habent, vel habere possunt; sed ex
defectu eorum qui reparationis effectum in seipsis impediunt; sicut etiam
carentia visus, qui humanam naturam consequitur, causatur in caecis natis ex
defectu materiae. |
2. Le fait que tous les hommes ne soient pas restaurés ne vient pas de l’insuffisance du remède qui restaure, puisqu’il est suffisant en lui-même pour restaurer tous ceux qui ont la nature humaine ou peuvent l’avoir; mais cela vient de la carence de ceux qui empêchent l’effet de la restauration en eux-mêmes, comme la carence de la vue, qui découle de la nature humaine, est causée chez les aveuglés nés par une carence de la matière. |
[9915] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod natura Angeli non tota corruerat; et iterum Angelus peccans,
statim in malo confirmatus fuit, non autem homo; et ideo natura humana
reparari debuit, non autem natura angelica. De hoc etiam sunt plura notata supra. |
2. La nature de l’ange n’était pas entièrement déchue; de plus, l’ange qui péchait était immédiatement confirmé dans le mal, mais non l’homme. C’est pourquoi la nature humaine devait être restaurée, mais non la nature angélique. À ce sujet, on a indiqué plusieurs choses plus haut. |
[9916] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod exclusio a visione Dei potest dici aeterna propter duo. Aut
quia in eo qui excluditur, non est virtus ad finiendum istam exclusionem,
neque dispositio ad recipiendum effectum alicujus terminantis; et sic efficitur
aeterna in obstinatis qui sunt in Inferno, unde ipsi nunquam reparabuntur.
Aut dicitur aeterna, quia non est virtus in excluso, ad terminandum
exclusionem, quamvis sit in eo dispositio ad recipiendum effectum alicujus
terminantis; et sic homo per peccatum etiam actuale mortale meretur
exclusionem aeternam, quamdiu est in vita ista; sed quando transit a vita
ista, si sine gratia transit, efficitur aeterna secundum primum modum. |
4. On peut appeler éternelle l’exclusion de la vision de Dieu de deux manières. Soit parce que, chez celui qui est exclu, n’existe pas la capacité de mettre un terme à cette exclusion, ni de disposition à recevoir l’effet de quelqu’un qui y met un terme : ainsi est-elle rendue éternelle chez ceux qui sont obstinés dans l’enfer; ils ne seront donc jamais restaurés. Soit elle est appelée éternelle parce que n’existe pas chez celui qui est exclu la capacité de mettre un terme à l’exclusion, bien qu’existe chez lui une disposition à recevoir l’effet de celui qui y met un terme : ainsi l’homme, même par le péché mortel actuel, mérite l’exclusion éternelle aussi longtemps qu’il est dans cette vie; mais lorsqu’il quitte cette vie, s’il quitte sans la grâce, [l’exclusion] devient éternelle de la première manière. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[9917] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod congruum etiam fuit quod natura
humana per satisfactionem repararetur. Primo ex parte Dei, quia in hoc divina justitia manifestatur, quod
culpa per poenam diluitur. Secundo ex parte hominis, qui satisfaciens, perfectius
integratur: non enim tantae gloriae esset post peccatum, quantae erat in
statu innocentiae, si non plenarie satisfecisset: quia magis est homini
gloriosum ut peccatum commissum satisfaciendo plenarie expurget, quam si sine
satisfactione dimitteretur; sicut etiam magis homini gloriosum est quod vitam
aeternam ex meritis habeat, quam si sine meritis ad eam perveniret: quia quod
quis meretur, quodammodo ex se habet, inquantum illud meruit. Similiter
satisfactio facit ut satisfaciens sit quodammodo causa suae purgationis.
Tertio etiam ex parte universi, ut scilicet culpa per poenam satisfactionis
ordinetur; et sic nihil inordinatum in universo remaneat. |
Il était aussi convenable que la nature humaine soit restaurée par la satisfaction. Premièrement, du point de vue de Dieu, parce que la justice divine se manifeste par le fait que la faute est dissoute par la peine. Deuxièmement, du point de vue de l’homme, qui, en satisfaisant, est plus parfaitement rétabli : en effet, il n’aurait pas une gloire aussi grande après le péché que celle qui existait dans l’état d’innocence, s’il n’avait pas pleinement satisfait, car il est plus glorieux pour l’homme de se purifier du péché commis par la satisfaction, que si celui-ci était remis sans satisfaction, de même qu’il est plus glorieux pour l’homme d’obtenir la vie éternelle par des mérites, que d’y parvenir sans mérites, car ce que quelqu’un mérite, il l’obtient en quelque sorte de lui-même, pour autant qu’il a mérité cela. De même, la satisfaction fait en sorte que celui qui satisfait est en quelque manière cause de sa purification. Troisièmement, du point de vue de l’univers, de telle sorte que la faute soit ordonnée par la peine satisfactoire, et ainsi, que rien ne demeure désordonné dans l’univers. |
[9918] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod esse rei praecedit operari ipsius; et ideo non potest esse
quod aliquis per suam operationem in esse constituatur, nec quod sit aliquo
modo causa sui ipsius; sed sicut homo est causa suae corruptionis peccando,
ita et decens est ut sit quodammodo causa suae purgationis satisfaciendo. |
1. L’être d’une chose précède son opération. C’est pourquoi il ne peut arriver que quelqu’un soit établi dans l’être par sa propre opération, ni qu’il soit d’une certaine manière cause de lui-même. Mais de même que l’homme est cause de sa corruption en péchant, de même est-il convenable qu’il soit d’une certaine manière cause de sa purification en satisfaisant. |
[9919] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in hoc quod Deus per satisfactionem hominem reparari
voluit, maxime manifestatur ejus misericordia: quia non tantum culpam ab eo
voluit removere, sed etiam ad pristinam dignitatem humanam naturam
integraliter reducere: quae quidem dignitas perpetuo in natura manet, sed
poena ad modicum transit; unde magis manifestatur misericordia in perducendo
ad aeternam dignitatem, quam in dimittendo temporalem culpam. |
2. Par le fait que Dieu a voulu que l’homme soit restauré par la satisfaction, sa miséricorde est manifestée au plus haut point, car il n’a pas voulu seulement en enlever la faute, mais aussi ramener intégralement la nature humaine à sa dignité première, dignité qui demeure pour toujours dans la nature, alors que la peine passe en peu de temps. Aussi la miséricorde est-elle davantage manifestée par le fait de le conduire à une dignité éternelle, que de lui remettre une faute temporelle. |
[9920] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod naturae, prout consideratur in nuda contemplatione, non est
agere; sed agere est personae subsistentis in natura. Sicut igitur peccatum naturae inductum est
ex actione personae peccantis, ita oportet quod actus personae
satisfacientis, pro natura satisfaciat. |
3. Il ne revient pas à la nature d’agir, si elle est envisagée dans sa nudité; mais il revient d’agir à la personne qui subsiste dans une nature. De même donc que le péché de nature a été entraîné par l’action personnelle de celui qui a péché, de même il est nécessaire que l’acte d’une personne qui satisfait satisfasse pour la nature. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
|
[9921] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam
quaestionem dicendum, quod reparatio humanae naturae a Deo facta est; unde
potest dupliciter considerari: scilicet ex parte Dei, et ex parte ipsius
naturae reparandae. Ex parte autem Dei potest attendi triplex necessitas. Una
est necessitas coactionis: et haec respectu nullius potest Deo attribui, quia
non potest in eo aliquid violentum esse, neque extra naturam, cum sit
immutabilis, ut dicit philosophus. Alia necessitas est absoluta; et haec
quidem cadit in Deo respectu illorum quae in ipso sunt, quae scilicet naturam
suam consequuntur, quia impossibile est ea aliter se habere, sicut
necessarium est Deum esse, vel esse bonum, et alia hujusmodi: sed haec
necessitas non est Dei respectu alicujus effectus: quia non agit ex
necessitate naturae, sed ex libertate voluntatis. Tertia necessitas est ex
suppositione, non quidem finis, quia non est dubium quin Deus ad aliquem
finem posset inducere multis aliis viis etiam quam illis quae modo
determinatae sunt ad finem aliquem; sed ex suppositione alicujus quod est in
ipso, scilicet praescientiae, vel voluntatis, quae mutari non possunt:
secundum quem modum dicitur, quod necessarium est praedestinatum salvari; et
haec dicitur necessitas immutabilitatis a quibusdam; et per hunc modum
necessarium fuit ex parte Dei humanam naturam separari, quia ipse praeviderat
et ordinaverat reparandam. Sed haec necessitas, ut dictum est, est necessitas
conditionis, non absoluta; sive consequentiae, non consequentis. Et similiter
ex parte hominis potest considerari triplex necessitas. Una necessitas
absoluta, quae est respectu eorum quae naturaliter homini insunt, sicut
hominem necessarium est esse risibilem, et alia hujusmodi: et sic non est
necessarium humanam naturam reparari, quia reparatio non sequitur ex
principiis naturalibus. Alia est necessitas coactionis; et haec quidem est
respectu eorum quae homo majori virtute coactus facit, et involuntarius
simpliciter, vel secundum quid: et talis necessitas non fuit in natura humana
respectu reparationis, quia Deus ad virtutem non cogit. Tertia vero
necessitas est ex suppositione finis, sicut necessarium est homini habere
navem, si debet ire ultra mare; et hac necessitate necessarium fuit humanam
naturam reparari, si scilicet ad visionem Dei admitti debuit. |
La restauration de la nature humaine a été réalisée par Dieu. Aussi peut-elle être envisagée de deux manières : du point de vue de Dieu, et du point de vue de la nature même qui doit être restaurée. Or, du point de vue de Dieu, on peut envisager une triple nécessité. L’une est la nécessité de coercition : celle-ci ne peut être d’aucune manière attribuée à Dieu, car il ne peut exister en lui rien de violent ni d’extérieur à sa nature, puisqu’il est immuable, comme le dit le Philosophe. Une autre nécessité est absolue. Une telle nécessité se rencontre en Dieu par rapport à ce qui existe en lui et qui découle de sa nature, car il est impossible que cela existe autrement : ainsi, il est nécessaire que Dieu existe ou qu’il soit bon, et les autres choses de ce genre. Mais une telle nécessité n’existe pas en Dieu par rapport à l’un de ses effets, car il n’agit pas par nécessité de nature, mais par la liberté de sa volonté. Une troisième nécessité est celle qui vient d’une supposition, non pas [d’une supposition] de la fin, car il n’est pas douteux que Dieu pourrait conduire à une fin par d’autres moyens que ceux qui sont maintenant déterminés en vue d’une certaine fin, mais de la supposition de quelque chose qui existe en lui-même, à savoir, sa prescience ou sa volonté, qui ne peuvent être changées : de cette manière, on dit qu’il est nécessaire que celui qui est prédestiné soit sauvé. Cette nécessité est appelée par certains nécessité par immutabilité. De cette manière, il était nécessaire, du point de vue de Dieu, que la nature humaine soit restaurée, car il avait prévu et ordonné qu’elle devait être restaurée. Mais, comme on l’a dit, cette nécessité est une nécessité conditionnelle, et non absolue, ou encore une nécessité selon la conséquence, et non selon le conséquent. De même, du point de vue de l’homme, on peut envisager une triple nécessité. Une nécessité absolue, qui porte sur ce qui existe naturellement dans l’homme : ainsi, il est nécessaire que l’homme soit capable de rire, et les autres choses de ce genre. De cette manière, il n’est pas nécessaire que la nature humaine soit restaurée, car la restauration ne découle pas des principes naturels. Une autre nécessit est [la nécessité] de coercition : celle-ci existe pour les choses que l’homme réalise par une puissance plus grande et de manière involontaire, que ce soit simplement ou relativement. Une telle nécessité n’existait pas dans la nature humaine en regard de la restauration, parce que Dieu ne force pas à la vertu. Mais la troisième nécessité est celle qui vient de la supposition d’une fin : ainsi, il est nécessaire que l’homme ait un navire, s’il doit aller outre-mer. Et, selon une telle nécessité, il était nécessaire que la nature humaine soit restaurée, si elle devait être admise à la vision de Dieu. |
[9922] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod non omnis necessitas est coactionis, ut patet ex dictis; et
ideo in processu est fallacia consequentis. |
1. Toute nécessité n’est pas coercitive, comme cela ressort de ce qui a été dit. C’est pourquoi la conclusion du raisonnement est fausse. |
[9923] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod necessitas quae est ex suppositione voluntatis, immutabiliter
aliquid volentis, non minuit rationem voluntarii: sed auget tanto magis, quanto
ponitur firmius inhaerens volito, ut moveri non possit. |
2. La nécessité qui vient d’une supposition de la volonté qui veut de manière immuable ne diminue pas le caractère du volontaire, mais elle l’augmente plutôt, dans la mesure où elle adhère plus fermement à ce qui est voulu, de telle sorte qu’elle ne peut être mue. |
[9924] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quantum est de potentia Dei, Deus posset peccatum absque omni
poena dimittere, nec injustus esset, si hoc faceret: sed quantum est ex parte
illius qui peccavit, secundum ordinem quem nunc Deus imposuit rebus, non
potest peccatum congrue sine poena dimitti. Nec sequitur, si congrue pars
poenae dimittitur, quod etiam congrue tota dimittatur, propter duo. Primo, quia
effectus habet aliquid et ab agente et a recipiente; unde sicut in collatione
divinorum donorum, donum ex parte dantis elevat recipientem supra statum
suum, ex parte autem recipientis est infra modum quo Deus influit; ita in
remissione peccatorum oportet quod sit aliquid ex parte misericordiae
remittentis, ut aliquid de poena debita dimittatur, et aliquid ex parte
recipientis, ut scilicet in aliquo puniatur. Secundo, quia remissio poenae
quae fit aliis hominibus, praecipue poenae satisfactoriae, fundatur supra
virtutem satisfactoriam Christi, quae superabundavit ad amovendas omnes
poenas quantum in se fuit; unde oportet quod particulata satisfactio fundetur
supra satisfactionem Christi condignam, sicut imperfectum in quolibet genere
oritur ex perfecto. |
3. Pour ce qui est de la puissance de Dieu, Dieu pourrait remettre le péché sans aucune peine, et il ne serait pas injuste s’il faisait cela; mais, du point de celui qui a péché, selon l’ordre que Dieu a maintenant établi pour les choses, le péché ne peut être remis convenablement sans peine. Et il n’en découle pas, si une partie de la peine est remise de manière convenable, que la totalité de la peine soit remise convenablement, pour deux raisons. Premièrement, parce que l’effet reçoit quelque chose de l’agent et de ce qui reçoit. Comme dans l’octroi des dons divins, le don, du point de vue de celui qui donne, élève celui qui reçoit au-dessus de son état, mais, du point de vue de celui qui reçoit, il est inférieur à la manière dont Dieu le donne, de même, pour la rémission des péchés, il est nécessaire qu’il existe quelque chose du point de vue de la miséricorde qui remet, et quelque chose du point de vue de celui qui reçoit, à savoir qu’il puni par quelque chose. Deuxièmement, parce que la rémission de la peine accordée aux hommes, principalement de la peine satisfactoire, s’appuie sur la puissance satisfactoire du Christ, qui a surabondé en elle-même pour enlever toutes les peines. Il est donc nécessaire qu’une satisfaction particulière se fonde sur la juste satisfaction du Christ, comme ce qui est imparfait dans n’importe quel genre vient de ce qui est parfait. |
[9925] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod in eo cui Deus dat sua dona gratis, non est aliquid quod donis
illis repugnet, faciens collationem donorum indecentem; sed in eo qui
peccavit, est aliquod quod repugnat impunitati; et ideo ex parte creaturae
non est simile. |
3. Chez celui à qui Dieu donne ses dons gratuitement, il n’existe rien qui s’oppose à ces dons et qui rende la collation des dons inappropriée; mais chez celui qui a péché, il existe quelque chose qui s’oppose à l’impunité. C’est pourquoi ce n’est pas la même chose du point de vue de la créature. |
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Articulus 2 [9926] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 2 tit. Utrum aliqua pura creatura potuerit satisfacere pro
humana natura |
Article 2 – Une pure créature aurait-elle pu satisfaire pour la nature humaine ? |
[9927] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod aliqua pura creatura satisfacere poterat pro humana
natura. Sicut enim pro peccato debetur satisfactio, ita pro beneficio debetur
gratiarum actio. Sed sufficit Deo gratiarum actio quantum homo potest sibi
reddere, etiam si non sit suis beneficiis aequalis: quia, ut dicit
philosophus, secundum potentiam famulans homo diis et patribus, videtur
justus esse, quamvis ad aequalia non possit. Ergo videtur quod similiter sit sufficiens
satisfactio quam homo potest reddere ad expiandum peccatum. |
1. Il semble qu’une pure créature pouvait satisfaire pour la nature humaine. En effet, de même qu’une satisfaction est due pour un péché, de même une action de grâce est-elle due pour un bienfait. Or, l’action de grâce, autant que l’homme puisse la rendre, suffit pour Dieu, même si elle n’est pas égale à ses bienfaits, car, ainsi que le dit le Philosophe, « l’homme qui sert les dieux et les ancêtres autant qu’il le peut semble juste, même s’il ne peut le faire selon l’égalité ». Il semble donc que soit de même suffisante la saitsfaction que l’homme peut rendre en vue d’expier le péché. |
[9928] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea, bonum
est potentius ad agendum quam malum: quia malum agit virtute boni, ut dicit
Dionysius. Sed una pura
creatura potuit per actum malum totam humanam naturam inficere. Ergo multo
fortius potest per unum bonum actum pro tota humana natura satisfacere pura
creatura. |
2. Le bien est plus puissant pour agir que le mal, car « le mal agit en vertu du bien », comme le dit Denys. Or, une seule pure créature a pu infecter toute la nature humaine. À bien plus forte raison, une pure créature peut donc par un seul acte bon satisfaire pour toute la nature humaine. |
[9929] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2
arg. 3 Praeterea,
magnae crudelitatis videtur esse in domino vel judice, exigere ab aliquo plus
quam possit. Sed a Deo longe est omnis crudelitas. Ergo non exigit ab aliquo
plus quam possit. Ergo satisfactionem quam Deus ab homine requirebat, purus
homo facere poterat. |
3. Ce semble être une grande cruauté pour un seigneur ou pour un juge d’exiger de quelqu’un plus qu’il ne peut. Or, la cruauté est très éloignée de Dieu. Il n’exige donc pas de quelqu’un plus qu’il ne peut. Un pur homme pouvait donc accomplir la satisfaction que Dieu exigeait de l’homme. |
[9930] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2
arg. 4 Praeterea,
natura non reparatur nisi in individuis, ut supra dictum est. Sed unus homo
est ita bonus sicut humana natura quae est in ipso. Ergo unus homo
satisfacere poterat pro natura humana quae est in ipso, et omnes pro humana
natura in omnibus individuis existente. |
4. La nature n’est restaurée que chez les individus, comme on l’a dit plus haut. Or, un seul homme est aussi bon que la nature humaine qui se trouve en lui. Un seul homme pouvait donc satisfaire pour la nature humaine qui se trouve en lui, et tous pour la nature humaine qui existe chez tous les individus. |
[9931] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, natura angelica est supra humanam. Sed quod melius est, potest accipi pro recompensatione
minus boni. Ergo Angelus
poterat pro humana natura satisfacere. |
5. La nature angélique est supérieure à la nature humaine. Mais ce qui est meilleur peut être accepté en compensation pour ce qui est moins bon. L’ange pouvait donc satisfaire pour la nature humaine. |
[9932] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2
s. c. 1 Sed contra,
ille solus reparare potuit qui potuit condere. Sed solus Deus humanam naturam
condere potuit: ergo ipse solus potuit reparare. Ergo ad hoc quod naturam
aliquis satisfaciendo repararet, oportuit quod esset Deus. |
Cependant, [1] seul pouvait restaurer celui qui avait créé. Or, seul Dieu pouvait créer la nature humaine. Seul, il pouvait donc la restaurer. Pour que quelqu’un restaure la nature en satisfaisant, il fallait donc qu’il soit Dieu. |
[9933] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2
s. c. 2 Praeterea, homo
in instanti suae conditionis tantae erat dignitatis quod nulli creaturae
debitor erat ratione suae beatitudinis. Sed est debitor et obnoxius ratione
suae beatitudinis ei qui ipsum ad beatitudinem reparavit. Ergo si per aliquam
puram creaturam facta esset reparatio, non esset homo redditus pristinae
dignitati. |
[2] Dès l’instant de sa création, l’homme avait une telle dignité qu’il n’était débiteur d’aucune créature pour sa béatitude. Or, il est débiteur et redevable de sa béatitude à celui qui l’a rétabli dans la béatitude. Si donc la restauration avait été accomplie par une pure créature, l’homme n’aurait pas été rendu à sa dignité première. |
[9934] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, nullus pro alio reddere potest quod pro se ipso debet. Sed
quaelibet creatura totum quod est, Deo debet. Ergo nulla pura creatura potest
pro alia sufficienter satisfacere. |
[3] Personne ne peut rendre à un autre ce qu’il doit pour lui-même. Or, toute créature doit à Dieu tout ce qu’elle est. Aucune pure créature ne peut donc satisfaire suffisamment pour une autre. |
[9935] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut dictum est, oportebat quod pro peccato
humanae naturae
fieret condigna satisfactio: tum quia aliter homo non restitueretur pristinae
dignitati: tum quia est conveniens esse unum primum in genere satisfactionis
perfectum, supra quod omnes aliae imperfectae satisfactiones fundentur. Ad
hoc autem quod satisfactio esset condigna, oportebat quod haberet virtutem
infinitam: quia peccatum pro quo fiebat satisfactio, infinitatem quamdam
habebat ex tribus. Primo ex infinitate divinae majestatis, inquantum offensa
fuerat per contemptum inobedientiae: quanto enim major est in quem peccatur,
tanto est gravior culpa. Secundo ex bono quod per peccatum auferebatur, quod
est infinitum, idest ipse Deus, cujus participatione fiunt homines beati.
Tertio ex ipsa natura quae corrupta erat, quae quidem infinitatem quamdam
habet, inquantum in ea possunt supposita in infinitum multiplicari. Actio autem purae creaturae non potest
habere infinitam efficaciam: et ideo nulla pura creatura poterat sufficienter
satisfactionem facere. |
Réponse. Comme on l’a dit, il fallait qu’une juste satisfaction soit accomplie pour la nature humaine, tant parce que l’homme ne serait pas autrement rétabli dans sa dignité première, que parce qu’il est convenable qu’il existe un premier parfait dans le genre de la satisfaction, sur lequel toutes les autres satisfactions seraient fondées. Or, pour que la satisfaction soit juste, il fallait qu’elle possède une puissance infinie, car le péché pour lequel la satisfaction était accomplie avait une certaine infinité sous trois aspects. Premièrement, en raison de l’infinité de la majesté divine, dans la mesure où l’offense avait été faite par le mépris de la désobéissance. En effet, plus est grand celui contre qui l’on pèche, plus la faute est grave. Deuxièmement, en raison du bien qui est infini et qui était enlevé par le péché, à savoir, Dieu, par la participation à qui les hommes sont rendus bienheureux. Troisièmement, en raison de la nature elle-même qui avait été corrompue, qui possède une certaine infinité dans la mesure où les suppôts peuvent être multipliés en elle à l’infini. Or, l’action d’une pure créature ne peut avoir une efficacité infinie. C’est pourquoi aucune simple créature ne pouvait accomplir une satisfaction suffisante. |
[9936] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod impossibile est ut homo ad hoc perducatur ut semper Deo
debitor non sit gratiarum actionis, quasi ab eo habens totum quod est: ideo
non exigitur in gratiarum actione ut sit aequivalens donis perceptis. Sed
possibile est hominem esse in tanta dignitate, quanta fuit in statu
innocentiae: et ideo ad perfectam reparationem, per quam totum reparatur quod
reparari potest, exigitur quod satisfactio sit aequivalens culpae. |
1. Il est impossible que l’homme soit amené au point de ne pas être toujours débiteur envers Dieu d’une action de grâce, dans la mesure où il tient de lui tout ce qu’il est. C’est pourquoi il n’est pas requis pour l’action de grâce qu’elle soit équivalente aux dons reçus. Mais il est possible que l’homme ait une dignité telle que celle qui existait dans l’état d’innocence. C’est pourquoi, pour la restauration parfaite par laquelle est restauré tout ce qui peut être restauré, il est requis que la satisfaction soit équivalente à la faute. |
[9937] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod comparando bonum et malum ad effectus ejus proportionabiliter
respondentes, bonum potentius est quam malum: quia bonum agit virtute sua,
malum autem non nisi per virtutem boni. Sed tamen homo potest facilius in actum
malum quam in actum perfecte bonum: quia plura requiruntur ad bonum quam ad
malum, quod ex uno singulari defectu contingit. Et ideo purus homo potuit in
actum malum qui erat proportionatus ad corrumpendum totam humanam naturam;
non autem potuit in actum bonum ita perfecte quod esset proportionatus ad
reparationem. |
2. En comparant le bien et le mal qui correspondent proportionnellement à leurs effets, le bien est plus puissant que le mal, car le bien agit par sa propre puissance, alors que le mal n’agit que par la puissance du bien. Cependant, l’homme peut plus facilement accomplir un acte mauvais qu’un acte parfaitement bon, car plus de choses sont nécessaires pour le bien que pour le mal, qui survient en raison d’une seule carence particulière. C’est pourquoi un pur homme pouvait accomplir un acte mauvais qui était susceptible de corrompre toute la nature humaine, mais il ne pouvait pas accomplir aussi parfaitement un acte bon, qui serait proportionné à la restauration. |
[9938] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod esset crudelitas in domino exigere plus quam possit, nisi cum
hoc etiam servo detur unde solvere possit quod exigitur; unde in hoc maxime
ejus misericordia commendatur quod ab homine perfectam satisfactionem exigit,
ut perfecte reparetur: et quia hoc per se non poterat, ei filium suum, qui
posset, dedit. |
3. Ce serait de la cruauté pour un maître d’exiger plus que [le serviteur] ne peut, à moins que ne soit donné en même temps au serviteur ce par quoi il puisse acquitter ce qui est exigé. Aussi sa miséricorde est-elle louée au plus haut point du fait qu’il exige de l’homme une parfaite satisfaction, de sorte qu’il soit parfaitement restauré, et parce que ce que celui-ci ne pouvait pas accomplir, son Fils, qui le pouvait, le lui donnerait. |
[9939] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod quamvis natura non sit corrupta, nec reparatione indigens,
nisi secundum quod est in persona; tamen aliqua corruptio debetur naturae,
non secundum quod est determinata in hac persona, sed secundum hoc quod est
in omnibus illis qui per vitiatam originem ab Adam humanam naturam
acceperunt; unde pro ista communi corruptione non potest unus solus
satisfacere, nec etiam simul omnes: quia natura excedit etiam illos omnes qui
naturam humanam habent, cum ad plures se extendere possit. |
4. Bien que la nature n’ait pas été pas corrompue et n’ait pas besoin d’être restaurée, si ce n’est qu’elle se trouve dans la personne, une certaine corruption revient cependant à la nature, non pas selon qu’elle est déterminée dans cette personne, mais selon qu’elle se trouve chez tous ceux qui ont reçu d’Adam la nature humaine par une origine viciée. Aussi un seul homme ne peut-il satisfaire pour cette corruption commune, ni tous ensemble, car la nature dépasse même tous ceux qui possèdent la nature humaine, puisqu’elle peut s’étendre à un plus grand nombre. |
[9940] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod Angelus quamvis sit homine superior quantum ad naturam, non
tamen quantum ad gloriam, in qua aequales Angelis erimus: et ideo Angelus ad
gloriam non potest humanam naturam reparare: et etiam, cum sit creatura,
quidquid potest, Deo debet. |
5. Bien que l’ange soit supérieur à l’homme quant à sa nature, il ne l’est pas quant à la gloire, par laquelle nous serons égaux aux anges. C’est pourquoi l’ange ne peut rétablir la nature humaine dans la gloire, et même, puisqu’il est une créature, tout ce qu’il peut, il le doit à Dieu. |
Articulus 3 [9941] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 3 tit. Utrum debuerit fieri satisfactio per passionem Christi |
Article 3 – La satisfaction devait-elle être accomplie par la passion du Christ ? |
[9942] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod satisfactio non debuit fieri
per passionem Christi. Minus enim peccatum non expiatur per majus, sed magis
aggravatur. Sed majus fuit peccatum occidentium Christum quam comestio pomi
vetiti, qua natura humana corrupta est. Ergo corruptio humanae naturae non potest expiari per passionem
Christi. |
1. Il semble que la satisfaction ne devait pas être accomplie par la passion du Christ. En effet, un péché moindre n’est pas expié par un plus grand, mais plutôt aggravé. Or, le péché de ceux qui ont tué le Christ était plus grand que le fait de manger un fruit défendu, par quoi la nature humaine a été corrompue. La corruption de la nature humaine ne peut donc être expiée par la passion du Christ. |
[9943] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3
arg. 2 Praeterea, nihil
corporale est aequivalens rei spirituali. Sed vita Christi, quam per
passionem Christus dedit, fuit vita corporalis. Ergo non fuit sufficiens ad recompensandum
vitam spiritualem, quae per peccatum amissa erat. |
2. Rien de corporel n’a la même valeur qu’une réalité spirituelle. Or, la vie du Christ, que celui-ci a donnée par sa passion, était la vie corporelle. Elle ne suffisait donc pas à compenser la vie spirituelle, qui avait été perdue par le péché. |
[9944] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3
arg. 3 Praeterea,
peccatum primi hominis, per quod natura humana corrupta est, fuit peccatum
superbiae, ut in 2 Lib., distinct. 22, quaest. 1, art. 1, dictum est. Sed
major fuit humilitas Christi in assumptione humanae naturae, quando
exinanivit semetipsum, formam servi accipiens, quam superbia Adae. Ergo ex
ipsa assumptione humanae naturae sufficienter fuit satisfactum pro peccato
hominis, et ita non fuit conveniens quod Christus pateretur. |
3. Le péché du premier homme, par lequel la nature humaine a été corrompue, était un péché d’orgueuil, comme on l’a dit dans le livre II, d. 22, q. 1, a. 1. Or, l’humilité du Christ a été plus grande, dans l’assomption de la nature humaine, que l’orgueuil d’Adam, alors qu’il s’est dépouillé de lui-même en prenant la forme de l’esclave. Par l’assomption même de la nature humaine, la satisfaction pour le péché de l’homme était donc suffisante, et ainsi il ne convenait pas que le Christ souffre. |
[9945] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3
arg. 4 Praeterea,
Bernardus dicit, quod una gutta sanguinis Christi fuit sufficiens pretium
nostrae redemptionis. Sed aliquid de sanguine Christi effusum est in circumcisione. Ergo non
oportebat quod ulterius pateretur. |
4. Bernard dit qu’une goutte du sang du Christ était un prix suffisant pour notre rédemption. Or, un peu de sang du Christ a été versé lors de sa circoncision. Il n’était donc pas nécessaire qu’il souffre davantage. |
[9946] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3
arg. 5 Praeterea, tanta
potest esse contritio in nobis peccantibus quod totum peccatum dimittatur et
quantum ad poenam, et quantum ad culpam. Sed in Christo ab instanti suae conceptionis fuit perfectissima
caritas, quae contritioni vim tribuit expurgandi peccatum. Ergo Christus ab
instanti suae conceptionis sufficienter satisfecit pro omnibus peccatis
nostris; et ita non oportuit quod per passionem mortis satisfaceret. |
5. La contrition en nous qui péchons peut être assez grande pour que la totalité du péché soit remise quant à la peine et quant à la faute. Or, chez le Christ, la charité la plus parfaite a existé dès l’instant de sa conception, [charité] qui donne à la contrition la capacité de purifier du péché. Le Christ a donc satisfait suffisamment pour tous nos péchés dès l’instant de sa conception; ainsi, il n’était pas nécessaire qu’il satisfasse en supportant la mort. |
[9947] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3
arg. 6 Praeterea, poena,
qua quis punitur, quantitatem accipit, quantum ad virtutem satisfaciendi, ex
conditione patientis. Sed Christus,
inquantum Deus est et homo, habet infinitam dignitatem. Ergo quaelibet poena
quam sustinuit, scilicet fames, fatigatio, et hujusmodi, fuit sufficiens ad
satisfaciendum pro toto humano genere: ergo non oportuit quod mortem
pateretur. |
6. La peine, par laquelle quelqu’un est puni, reçoit une quantité, pour ce qui est de sa capacité de satisfaire, par la condition de celui qui la supporte. Or, le Christ, en tant qu’il est Dieu et homme, possède une dignité infinie. Toute peine qu’il a endurée : la faim, la fatigue et les choses de ce genre, suffisait donc à satisfaire pour tout le genre humaine. Il n’était donc pas nécessaire qu’il supporte la mort. |
[9948] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, Hebr. 2, 10: decebat eum (...) per passionem consummari. |
Cependant, [1] He 2, 10 dit : Il convenait… qu’il atteigne sa perfection par la passion. |
[9949] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, homo erat debitor mortis. Ergo si debuit pro aliis satisfacere recompensando, oportuit quod ipse
mortem, quam non debebat, exsolveret. |
[2] L’homme était débiteur de la mort. S’il devait satisfaire pour les autres en compensant, il fallait que [le Christ] acquitte la mort qu’il ne devait pas. |
[9950] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3
s. c. 3 Praeterea,
Christus non solum debuit hostem vincere, sed etiam exemplum vincendi nobis
dare. Ergo debuit in
difficillimis victor existere. Sed difficillimum est mortem sustinere. Ergo
debuit per passionem mortis nos liberare. |
[3] Le Christ ne devait pas seulement vaincre l’ennemi, mais aussi nous donner l’exemple de la victoire. Il devait donc se montrer vainqueur dans les choses les plus difficiles. Or, supporter la mort est ce qu’il y a de plus difficile. Il devait donc nous libérer en supportant la mort. |
[9951] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod Christi satisfactio fuit non pro uno homine tantum, sed
pro tota humana natura; unde duas conditiones concernere debuit: ut esset
universalis respectu omnium satisfactionum quodammodo, et ut esset exemplaris
omnium satisfactionum particularium. Universalis autem erat non per praedicationem de multis, quasi per
multas particulares satisfactiones multiplicata, sed habens virtutem respectu
omnium; unde non oportebat quod ipse omnes poenas quae ex peccato quocumque
modo consequi possent, assumeret in seipso; sed illam ad quam omnes
ordinantur, et quae continet in se virtute omnes poenas, quamvis non actu.
Finis autem omnium terribilium est mors, ut dicit philosophus, 3 Ethic.; et
ideo per passionem mortis debuit satisfacere. Inquantum vero fuit exemplaris
respectu nostrarum satisfactionum, debuit habere magnitudinem excedentem
omnes alias satisfactiones, quia exemplar debet esse praestantius exemplato;
et ideo secundum maximam poenarum debuit satisfacere, scilicet mortem. |
Réponse. La satisfaction du Christ n’était pas uniquement pour un seul homme, mais pour toute la nature humaine. Elle devait donc comporter deux conditions : être d’une certaine manière universelle par rapport à toutes les satisfactions, et être le modèle de toutes les satisfactions particulières. Or, elle n’était pas universelle par attribution à plusieurs, comme si elle était multipliée par plusieurs satisfactions particulières, mais en tant qu’elle possédait une puissance par rapport à tous. Aussi n’était-il pas nécessaire qu’il assume en lui-même toutes les peines qui pourraient découler du péché de quelque façon, mais celle à laquelle toutes sont ordonnées et qui contient en elle-même en puissance toutes les peines, bien que non en acte. Or, la fin de tout ce qui est à craindre est la mort, comme le dit le Philosophe, Éthique, III. Aussi devait-il satisfaire en supportant la mort. Mais, en tant qu’il était le modèle de nos satisfactions, [la satisfaction du Christ] devait avoir une ampleur qui dépassait toutes les autres satisfactions, car le modèle doit l’emporter sur ce qui le reproduit. C’est pourquoi il devait satisfaire selon la plus grande des peines, la mort. |
[9952] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod passio Christi non fuit satisfactoria ex parte occidentium
Christum, sed ex parte ipsius patientis, qui ex maxima caritate pati voluit;
et secundum hoc fuit Deo accepta. |
1. La passion du Christ n’était pas satisfactoire du point de vue de ceux qui ont tué le Christ, mais du point de vue de ce que lui-même supportait, lui qui a voulu souffrir par la plus grande charité. Sous cet aspect, elle fut agréée par Dieu. |
[9953] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod vita corporalis Christi habebat quemdam infinitum valorem ex
divinitate conjuncta, inquantum non erat vita puri hominis, sed Dei et
hominis: et ideo poterat esse sufficiens recompensatio vitae spiritualis, et
praecipue ratione caritatis eximiae ex qua offerebatur. |
2. La vie corporelle du Christ avait une certaine valeur infinie du fait qu’elle était unie à la divinité, pour autant qu’elle n’était pas la vie d’un pur homme, mais de Dieu et de l’homme. La compensation de la vie spirituelle pouvait donc être suffisante, surtout en raison de la charité éminente par laquelle elle était offerte. |
[9954] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod in peccato Adae non solum fuit superbia, sed delectatio: et
ideo in satisfactione non solum debuit esse humilitas, quod in incarnatione
factum est, sed etiam acerbitas doloris, quod in passione accidit. |
3. Dans le péché d’Adam, il n’y avait pas seulement de l’orgueuil, mais du plaisir. Aussi, pour la satisfaction, ne devait-il pas y avoir seulement de l’humilité, ce qui a été réalisé par l’incarnation, mais aussi une douleur aiguë, qui se produisit dans la passion. |
[9955] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod quamvis gutta sanguinis quam in circumcisione fudit, esset
sufficiens ad omnem satisfactionem, considerata conditione personae, non
tamen quantum ad genus poenae: quia pro morte ad quam humanum genus obligatum
erat, oportebat quod mortem exsolveret. |
4. Bien qu’une goutte de sang, qu’il a versée lors de la circoncision, était suffisante pour toute la satisfaction, en prenant en considération la condition de la personne, elle ne l’était cependant pas pour ce qui était du genre de peine, car, pour la mort à laquelle le genre humain avait été obligé, il fallait qu’il acquitte la mort. |
[9956] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod contritio non tantum habet vim ex caritate, sed etiam ex
dolore; et ideo ratione caritatis delet culpam, ratione autem doloris
computatur in satisfactionem poenae. |
5. La contrition ne tient pas sa puissance seulement de la charité, mais aussi de la douleur. Aussi, en raison de la charité, détruit-elle la faute, mais, en raison de la douleur, est-elle comptée comme satisfaction de la peine. |
[9957] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3
ad 6 Ad sextum dicendum, quod aliae poenae quas Christus sustinuit, quamvis
sufficientes essent ad satisfaciendum pro humana natura, considerata
conditione patientis, non tamen considerato genere poenae: quia in poenis
illis non continebantur omnes aliae poenae, sicut in passione mortis
continentur. |
6. Les autres peines que le Christ a supportées, bien qu’elles aient été suffisantes comme satisfaction pour la nature humaine, si l’on prend en compte la condition de celui qui souffrait, [ne l’était] cependant pas, si l’on prend en compte le genre de la peine, car, dans ces peines, n’étaient pas contenues toutes les autres peines, comme elles sont contenues dans la passion de la mort. |
Articulus 4 [9958] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 4 tit. Utrum fuerit possibilis alius modus satisfaciendi |
Article 4 – Un autre mode de satisfaction était-il possible ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Un autre mode de satisfaction était-il possible ?] |
[9959] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur, quod alius modus non fuerit
possibilis. Hebr. 2, 10: decebat eum per passionem (...) consummari;
dicit Glossa: nisi Christus pateretur, homo non redimeretur. |
1. Il semble qu’un autre mode [de satisfaction] n’était pas possible. À propos de He 2, 10 : Il convenait qu’il atteigne la perfection… par la passion, la Glose dit : « À moins que le Christ ne meure, l’homme ne serait pas racheté. » |
[9960] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4
qc. 1 arg. 2 Praeterea,
Anselmus in Lib. cur Deus homo: non potuit transire calix, nisi biberet;
non quia mortem vitare nequiverit, sed quia aliter mundus salvari non posset.
Ergo videtur quod alius modus possibilis non fuit. |
2. Anselme dit dans le livre Pourquoi Dieu s’est-il fait homme ? : « Le calice ne pouvait pas passer sans qu’il le boive : non qu’il n’ait pu éviter la mort, mais parce que le monde ne pouvait pas être sauvé autrement. » Il semble donc qu’un autre mode n’était pas possible. |
[9961] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
minimum inconveniens est Deo impossibile. Sed inconveniens est peccatum
dimittere sine debita satisfactione, ut dictum est. Cum igitur debita
satisfactio non potuerit esse nisi per modum istum, videtur quod alius modus
possibilis non fuit. |
3. La plus petite inconvenance est impossible pour Dieu. Or, il ne convenait pas de remettre le péché sans une juste satisfaction, comme on l’a dit. Puisqu’une juste satisfaction ne pouvait exister sans ce mode, il semble donc qu’un autre mode n’était pas possible. |
[9962] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4
qc. 1 arg. 4 Praeterea,
fidei non potest subesse falsum. Sed antiqui patres crediderunt Christum
passurum. Ergo non potuit aliter esse. |
4. Quelque chose de faux ne peut être objet de la foi. Or, les pères anciens ont cru que le Christ devait souffrir. Il ne pouvait donc en être autrement. |
[9963] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Gregorius, 20 Lib. Moral.: qui fecit nos de nihilo, revocare etiam sine morte et
passione sua nos potuit. |
Cependant, [1] Grégoire dit, dans les Morales, XX : « Celui qui nous a créés de rien, pouvait aussi nous rappeler sans sa mort et sa passion. » |
[9964] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4
qc. 1 s. c. 2 Praeterea,
Luc. 1, 37: non erit impossibile apud Deum omne verbum. Ergo quocumque
alio modo potuisset nos liberare. |
[2] Lc 1, 37 dit : Rien de ce que Dieu dit n’est impossible. Il aurait donc pu nous libérer de n’importe quelle autre façon. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Une autre mode de satisfaction aurait-il été plus convenable ?] |
[9965] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod alius modus fuisset convenientior. Si enim Christus mortem
subiisset naturalem, nihilominus genus humanum redemptum fuisset: quia mortem
solvisset quam non debebat. Sed hoc fuisset sine peccato alicujus. Ergo
videtur quod hic fuisset modus convenientior: quia unumquodque tanto est
convenientius, quanto ad ipsum pauciora inconvenientia sequuntur. |
1. Il semble qu’un autre mode aurait été plus convenable. En effet, si le Christ avait subi une mort naturelle, le genre humain aurait été quand même racheté, car il aurait acquitté une mort qu’il ne devait pas. Or, cela aurait pu être sans péché de la part d’un autre. Il semble donc que ce mode aurait été plus convenable, car une chose est d’autant plus convenable que moins d’inconvénients en découlent. |
[9966] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
Diabolus nos omnino injuste invaserat, nec aliquod jus in nobis habebat. Sed nihil est convenientius quam quod vis vi
repellatur. Ergo convenientissimus modus fuisset ut per potentiam nos
eriperet a potestate Diaboli, non redimendo. |
2. Le Diable nous avait injustement assaillis, alors qu’il n’avait aucun droit sur nous. Or, rien n’est plus approprié que la force soit repoussée par la force. Le mode le plus convenable aurait donc été qu’il nous arrache au pouvoir du Diable par sa puissance, et non en nous rachetant. |
[9967] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4
qc. 2 arg. 3 Praeterea, ipse
venerat a Daemonis potestate hominem liberare, non autem a potestate hominis.
Ergo convenientius
fuisset quod a Daemone passus fuisset, quam ab homine. |
3. Il était venu libérer l’homme du pouvoir du Démon, et non du pouvoir de l’homme. Il aurait donc été plus approprié que le Démon souffre plutôt qu’un homme. |
[9968] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 4 Praeterea, Christus ad hoc venit ut homines ad se traheret. Sed plures eum sequerentur,
si per viam deliciarum incessisset, quam quod per viam passionis de hoc mundo
exivit. Ergo videtur quod ille fuisset convenientior modus. |
4. Le Christ était venu pour attirer les hommes à lui. Or, un plus grand nombre l’aurait suivi s’il avait marché sur un chemin de plaisirs, que ce n’a été le cas du chemin de la passion, par lequel il est sorti de ce monde. Il semble donc que ce mode aurait été plus approprié. |
[9969] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4
qc. 2 s. c. 1 Sed contra, super
illud Psalm. 21: et non ad insipientiam mihi, dicit Glossa: nullus
convenientior modus nostrae redemptionis fuit, quam quod homo, qui per
superbiam ceciderat, per humilitatem resurgeret. |
Cependant, [1] à propos de Ps 21 : Et non pour ma folie, la Glose dit : « Il n’y avait pas de mode plus approprié pour notre rédemption que l’homme, qui était tombé par orgueuil, se relève par l’humilité. » |
[9970] Super Sent., lib.
3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, optimi est optima adducere. Si igitur Deus est optimus, modum optimum
nostrae liberationis elegit. |
[2] Le plus grand apporte ce qu’il y a de meilleur. Si donc Dieu est le meilleur, il a choisi le meilleur mode pour notre libération. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[9971] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo
dicendum ad primam quaestionem, quod quantum ex parte Dei est, fuit alius
modus nostrae liberationis possibilis, quia ejus potentia limitata non est,
quem si elegisset, convenientissimus fuisset: non tamen habuisset rationem
redemptionis, sed liberationis tantum, quia liberatio non fuisset facta per
solutionem pretii. Ex parte autem hominis non fuit alius modus possibilis
nisi quem Deus ei dedit: quia per se satisfacere non poterat, sed solum
divino munere. Sed ex parte nostra simul et Dei fuit quidem alius modus
possibilis, sed nullus ita conveniens. |
Du point de vue de Dieu, un autre mode de
notre libération était possible, car sa puissance n’était pas limitée au mode
qui été avait choisi comme le plus approprié. Cependant, il n’aurait pas eu
le caractère d’une rédemption, mais d’une libération seulement, car la
libération ne serait pas réalisée par l’acquittement d’un prix. Mais, du
point de vue de l’homme, n’était pas possible un autre mode que celui que
Dieu lui a donné, car il ne pouvait satisfaire par lui-même, mais seulement
par un don de Dieu. Mais, de notre point de vue en même temps que de celui de
Dieu, un autre mode était possible, mais aucun qui ne fût aussi approprié. |
[9972] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod si homo alio modo liberaretur, non
redimeretur: quia redemptio sufficientem satisfactionem importat. Sed tamen alio modo liberari potuit. |
1. Si l’homme avait été libéré d’une autre manière, il n’aurait pas été racheté, car la rédemption comporte une satisfaction suffisante. Cependant, il pouvait être libéré d’une autre manière. |
[9973] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4
qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Anselmus
loquitur quantum est ex parte nostra, supposita Dei ordinatione. |
2. Anselme parle de notre point de vue, en supposant une disposition de Dieu. |
[9974] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quamvis sit inconveniens ex parte nostra secundum ordinem quem
Deus rebus posuit, ut peccatum sine satisfactione dimittatur; tamen si ipse
faceret, convenientissimum esset, quia ipse simul cum hoc faceret, aliquam
convenientiam in re poneret. |
3. Bien qu’il soit inapproprié de notre point de vue, selon la manière dont Dieu a disposé les choses, que le péché soit remis sans satisfaction, s’il l’avait fait, cela aurait été ce qui était le plus approprié, car, en même temps qu’il ferait cela, il donnerait une convenance à la chose. |
[9975] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4
qc. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod fides antiquorum fuit de passione Christi futura,
praesupposita Dei ordinatione quod ita fieret; ex cujus suppositione, passio
Christi necessitatem habet, ut dictum est. |
4. La foi des anciens portait sur la passion à venir du Christ, en supposant que cela arriverait par une disposition de Dieu. La passion du Christ est nécessaire selon une telle supposition, comme on l’a dit. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[9976] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam
quaestionem dicendum, quod quantum est ex parte nostra, convenientior modus
esse non potuit. Sed tamen Deo non aufertur potentia, quin potuisset alium
modum convenientiorem fecisse, cujus potentia limitata non est. Sed hoc esset
secundum alium ordinem rebus impositum. |
De notre point de vue, il ne pouvait exister un mode plus convenable. Cependant, Dieu ne perd pas le pouvoir par lequel il aurait pu avoir mis en œuvre un mode plus convenable, lui dont la puissance n’a pas été limitée. Mais cela serait conforme à un autre ordre imposé aux choses. |
[9977] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod Christus pro omnibus peccatis quantum ad sufficientiam debuit
satisfacere, non solum pro originali, sed etiam pro actuali, pro quo
infligitur violenta mors; et ideo, ut sua satisfactio omnem comprehenderet,
decens fuit ut morte turpissima quantum ad genus mortis moreretur, ut sic non
solum sub Angelis descenderet per mortem, sed etiam sub hominibus per genus
mortis, quantum ad acerbitatem simul et turpitudinem. Nec peccatum aliorum aliquid de
convenientia satisfactionis adimit: quia satisfactio non est ex passione ex
parte infligentium passionem, sed ex parte patientis. |
1. Le Christ devait satisfaire d’une manière suffisante pour tous les péchés, non seulement pour le péché originel, mais aussi pour le péché actuel, pour lequel une peine de mort violente est infligé. Pour que sa satisfaction couvre tous [les péchés], il convenait donc qu’il meure de la mort la plus honteuse, pour ce qui est du genre de mort, afin qu’il ne descende pas seulement au-dessous des anges par la mort, mais aussi au-dessous des hommes par le genre de mort, par sa cruauté comme par son ignominie. Et le péché des autres n’enlève rien à la convenance de la satisfaction, car la satisfaction ne vient pas de la souffrance de ceux qui infligent la douleur, mais de celle de celui qui l’endure. |
[9978] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod quamvis Diabolus nos injuste detineret, tamen nos juste ab
ipso detinebamur, ejus tyrannidem propter nostram culpam patientes; unde ex
parte nostra fuit congruum ut satisfaciendo nos eriperet; ut non solum ipse
juste nos liberaret, quod esset si violentia uteretur, sed etiam nos juste
liberaremur. |
2. Bien que le Diable [nous] ait détenus de manière injuste, nous étions cependant justement détenus par lui, en supportant sa tyrannie en raison de notre faute. De notre point de vue, il était donc convenable de nous arracher à lui en satisfaisant, afin que [le Christ] non seulement nous libère justement, ce qui serait le cas s’il faisait usage de la violence, mais aussi que nous soyons libérés justement. |
[9979] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod sicut peccatum hominis fuit commissum ab homine, instigante
Diabolo; ita etiam conveniens fuit, ut medicina morbo responderet, quod
Christus occideretur ab homine suadente Diabolo. |
3. De même que le péché de l’homme a été commis par l’homme à l’instigation du Diable, de même aussi convenait-il, pour que le remède corresponde à la maladie, que le Christ soit tué par l’homme sous la persuasion du Diable. |
[9980] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4
qc. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod satisfactio debet esse poenalis; et ideo, ut pro nobis
satisfaceret, oportuit quod in hoc mundo poenas sustineret, et non deliciis
uteretur. Vel dicendum, quod Christus ad hoc venit ut a terrenis bonis, pro
quibus homines a Deo recesserant, ad caelestia nos revocaret; et ideo decuit
ut terrena bona abjiceret, quatenus ea contemnendi nobis exemplum daret. |
4. La satisfaction doit avoir le caractère de peine. C’est pourquoi, afin qu’il satisfasse pour nous, il fallait qu’il supporte des peines en ce monde et ne fasse pas usage des plaisirs. Ou bien il faut dire que le Christ est venu pour nous détourner des biens terrestres, par lesquels les hommes s’étaient éloignés de Dieu, [en nous tournant] vers les biens célestes. C’est pourquoi il convenait qu’il rejette les biens terrestres afin de nous donner l’exemple de les mépriser. |
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Articulus 5 [9981] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 5 tit. Utrum Deus pater filium tradiderit ad passionem |
Article 5 – Dieu le Père a-t-il livré son Fils à la passion ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Dieu le Père a-t-il livré son Fils à la passion ?] |
[9982] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod Deus pater filium non
tradiderit ad passionem. Maxima enim crudelitas est filium innocentem
tradere. Sed Christus fuit innocentissimus. Cum ergo crudelitas non sit in
Deo, videtur quod ipse Christum ad passionem non tradiderit. |
1. Il semble que Dieu le Père n’ait pas livré son Fils à la passion. En effet, la cruauté la plus grande consiste à livrer son fils innocent. Or, le Christ était innocent au plus haut point. Puisqu’il n’y a pas de cruauté en Dieu, il semble donc qu’il n’ait pas livré le Christ à la passion. |
[9983] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5
qc. 1 arg. 2 Praeterea, si
pater Christum in mortem tradidit, hoc non fuit nisi quia Christus ex
obedientia ad patrem mortuus est. Sed quicumque facit
aliquid ex obedientia, facit ex debito. Ergo Christus debitor mortis fuit, et
sic non fuit mors ejus Deo gratissima: debitum enim diminuit de gratitudine
actus. |
2. Si le Père a livré le Christ à la passion, ce n’était que parce que le Christ est mort par obéissance à son Père. Or, quiconque fait quelque chose par obéissance le fait par obligation. Le Christ était donc débiteur de la mort, et ainsi sa mort n’a pas été la plus agréable à Dieu. En effet, le caractère de dette diminue le caractère agréable d’un acte. |
[9984] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5
qc. 1 arg. 3 Praeterea, si
pater tradidit filium, ergo voluit eum mori. Sed hoc etiam voluerunt Judaei. Ergo conformaverunt voluntatem suam
voluntati divinae, et ita non peccaverunt. |
3. Si le Père a livré son Fils, c’est qu’il voulait qu’il meure. Or, les Juifs aussi ont voulu cela. Ils ont donc conformé leur volonté à la volonté divine, et ainsi ils n’ont pas péché. |
[9985] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5
qc. 1 arg. 4 Praeterea,
philosophus dicit, quod pervenire ad bonum finem per mala media, est mali
consiliatoris. Sed consilium
divinum est optimum. Ergo si ex consilio voluntatis patris Christus esset
mortuus, non esset hoc consilium expletum mediantibus malis actibus
Judaeorum; quod tamen falsum est. Ergo pater filium ad passionem non
tradidit. |
4. Le Philosophe dit que parvenir à une fin bonne par des moyens mauvais est le fait d’un mauvais conseiller. Or, le conseil divin est le meilleur. Si le Christ était mort par le conseil de la volonté du Père, ce conseil n’aurait pas été accompli par l’intermédiaire d’actions mauvaises des Juifs. Le Père n’a donc pas livré son Fils à la passion. |
[9986] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
Rom. 8, 32: proprio filio suo non pepercit et cetera. |
Cependant,
[1] Rm 8, 32 dit : Il n’a pas épargné son propre Fils, etc. |
[9987] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, omnis
poena est a Deo. Sed passio Christi quaedam poena fuit. Ergo fuit a Deo. |
[2] Toute peine vient de Dieu. Or, la passion du Christ a été une peine. Elle venait donc de Dieu. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La passion du Christ était-elle bonne ?] |
[9988] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod passio Christi non fuerit bona. Quia secundum Boetium, cujus
generatio est bona, corruptio est mala. Sed generatio Christi fuit optima.
Ergo passio mortis ipsius fuit pessima. |
1. Il semble que la passion du Christ n’ait pas été bonne, car, selon Boèce, ce dont la génération est bonne, la corruption est mauvaise. Or, la génération du Christ était la meilleure. La passion de sa mort était donc la plus mauvaise. |
[9989] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
omne injustum est malum. Sed Christus injuste passus est; 1 Petr. 2, 23: tradebat
autem judicanti se injuste. Ergo illa passio Christi fuit mala. |
2. Tout ce qui est injuste est mauvais. Or, le Christ a injustement souffert, 1 P 2, 23 : Il s’est livré à celui qui le jugeait injustement. Cette passion était donc mauvaise. |
[9990] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5
qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut
eadem materia non potest esse in naturalibus sub contrariis formis, ita unus
actus in moralibus non potest esse bonus et malus. Sed opus Judaeorum, ut dicitur in littera,
fuit passio Christi. Ergo cum opus
Judaeorum fuerit malum, passio Christi non potest dici bona. |
3. De même que, dans les choses naturelles, la même matière ne peut exister sous des formes contraires, de même un seul acte ne peut, en domaine moral, être bon et mauvais. Or, la passion du Christ a été l’action des Juifs, comme le dit le texte. Puisque l’action des Juifs était mauvaise, on ne peut donc dire que la passion du Christ était bonne. |
[9991] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5
qc. 2 s. c. 1 Sed contra, nihil
est Deo acceptum nisi bonum. Sed mors Christi fuit Deo acceptissima: quia
ipse tradidit semetipsum pro nobis oblationem et hostiam Deo in odorem
suavitatis: Ephes. 5, 2. Ergo
passio Christi fuit bona. |
Cependant, [1] rien n’est agréable à Dieu si cela n’est pas bon. Or, la mort du Christ a été ce qu’il y avait de plus agréable à Dieu, car il s’est livré lui-même comme offrande et comme victime à Dieu avec une odeur suave, Ep 5, 2. La passion du Christ était donc bonne. |
[9992] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5
qc. 2 s. c. 2 Praeterea,
omne quod est ex caritate, est bonum. Sed Christus ex maxima caritate fuit
mortuus et passus. Ergo passio sua fuit optima. |
[2] Tout ce qui vient de la charité est bon. Or, le Christ est mort et a souffert par la plus grande charité. Sa passion était donc la meilleure. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[9993] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in passione Christi
fuit tria considerare. Unum ex parte
patientis, quia scilicet voluntarie passus est ex caritate. Aliud autem ex
parte occidentium, qui ex iniqua voluntate eum occiderunt. Tertium est ex
parte ipsorum pro quibus passus est, scilicet effectus salutis in toto humano
genere. Et secundum
hoc tripliciter Deus pater, immo tota Trinitas, eum tradidit. Uno modo,
praeordinando passionem ejus ad salutem humani generis. Secundo, Christo
homini voluntatem dando, et caritatem, ex qua pati voluit. Tertio, dando
potestatem, et non cohibendo voluntatem occidentium, sicut dicitur Joan. 19,
11: non haberes in me potestatem, nisi data tibi fuisset desuper. |
Dans la passion du Christ, il faut
considérer trois choses. L’une, du point de vue de celui qui souffrait, car
il a volontairement souffert par charité. Une autre, du point de vue de ceux
qui le tuaient, qui l’ont tué par une volonté injuste. La troisième, du point
de vue de ceux pour qui il a souffert, à savoir, l’effet du salut pour tout
le genre humaine. Dieu le Père, bien plus, la Trinité entière l’a ainsi livré
de trois manières. D’une manière, en décidant à l’avance sa passion en vue du
salut du genre humain. Deuxièmement, en donnant au Christ homme la volonté et
la charité par lesquelles il a voulu souffrir. Troisièmement, en donnant la
capacité à la volonté de ceux qui tuaient et en ne la retenant pas, comme il
est dit en Jn 19, 11 : Tu
n’aurais pas pouvoir sur moi s’il ne t’était donné d’en haut. |
[9994] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod Deus pater non tradidit Christum in mortem, quasi cogendo
ipsum mori, sed dando ei voluntatem bonam qua mori vellet; et ideo non
sequitur quod fuerit aliqua crudelitas in Deo. |
1. Dieu n’a pas livré le Christ à la mort comme s’il le forçait à mourir, mais en lui donnant la volonté bonne par laquelle il voudrait mourir. C’est pourquoi il n’en découle pas qu’il y ait de la cruauté en Dieu. |
[9995] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod Christus non fuit debitor mortis ex necessitate, sed ex
caritate ad homines, qua hominis salutem voluit, et ex caritate ad Deum qua
ejus voluntatem implere voluit, sicut dixit Matth. 26, 39: non sicut ego volo, sed sicut tu;
et hoc debitum non diminuit aliquid de gratitudine actus. |
2. Le Christ n’était pas débiteur de la mort par nécessité, mais par la charité envers les hommes, par laquelle il a voulu le salut de l’homme, et par la charité envers Dieu, par laquelle il a voulu accomplir sa volonté, comme le dit Mt 26, 39 : Non pas comme je veux, mais comme tu veux. Aussi cette dette n’a-t-elle en rien diminué le caractère agréable de d’acte. |
[9996] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod conformitas voluntatis humanae ad divinam, non est simpliciter
in volendo quod Deus vult, sed in volendo eodem modo, idest ex caritate,
sicut Deus vult, vel ad eumdem finem; vel in volendo id quod Deus vult nos
velle; et hoc modo Judaei voluntatem suam divinae non conformaverunt: quia
Christum ex nequitia occiderunt ad impediendam salutem, quam ex ejus
praedicatione sequi videbant. |
3. La conformité de la volonté humaine à la volonté divine ne consiste pas seulement à vouloir ce que Dieu veut, mais à le vouloir de la même manière, c’est-à-dire par charité, comme Dieu veut, ou en vue de la même fin; ou bien, à vouloir ce que Dieu veut que nous voulions. De cette manière, les Juifs n’ont pas conformé leur volonté à la volonté divine, car ils ont tué le Christ injustement pour empêcher le salut qu’ils voyaient se réaliser par sa prédication. |
[9997] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5
qc. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod facere aliquod malum propter bonum finem consequendum, est
mali consiliatoris; sed uti malitia aliorum, quam ipse non facit, ad bonum
finem, hoc est summae sapientiae. |
4. Accomplir quelque chose de mauvais pour obtenir une fin bonne relève d’un mauvais conseiller; mais faire usage de la méchanceté des autres, qu’on n’accomplit pas soi-même, en vue d’une fin bonne, relève de la plus grande sagesse. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[9998] Super Sent., lib. 3 d.
20 q. 1 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam
quaestionem dicendum, quod judicium absolutum est de re, quando consideratur
ipsa secundum quod est actu in rerum natura existens; et hoc est quando consideratur
cum omnibus circumstantiis quae sunt in ipsa. Sed quando consideratur res secundum
aliquid quod in re est sine consideratione aliorum; illud judicium non est de
re simpliciter, sed secundum quid. Si igitur consideretur passio secundum
quod est in patiente cum omnibus quae circumstant, scilicet caritate Christi,
et efficacia ipsius, sic est dicenda simpliciter bona. Si autem consideretur
secundum quod est passio tantum, scilicet inquantum adimit vitam, nihil aliud
considerando; sic est malum in genere mali naturae; unde dicenda est bona
simpliciter, et mala secundum quid. |
Le jugement absolu porte sur une chose lorsqu’elle est envisagée selon qu’elle existe en acte dans la nature des choses : c’est le cas lorsqu’elle est envisagée selon toutes les circonstances qui lui appartiennent. Mais lorsqu’une chose est considérée selon un aspect qui existe dans la chose, sans envisager les autres, ce jugement ne porte pas sur la chose simplement, mais sous un aspect. Si donc la passion est envisagée selon qu’elle existe chez celui qui la supporte, avec tout ce qui l’entoure, à savoir, la charité du Christ et son efficacité, elle peut ainsi être appelée bonne simplement. Mais si elle est envisagée selon qu’elle est une passion seulement, c’est-à-dire selon qu’elle enlève la vie, en n’envisageant rien d’autre, elle est alors un mal du genre du mal de nature. Ainsi doit-elle être appelée bonne simplement, et mauvaise sous un aspect. |
[9999] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod passio Christi, inquantum est corruptionis inductiva, sic est
mala; et hoc est considerare ipsam secundum quid: sed inquantum est passio
volita, et ad humanam salutem ordinata, sic est optima. |
1. La passion du Christ, selon qu’elle entraîne une corruption, est ainsi mauvaise : c’est là l’envisager sous un aspect. Mais en tant qu’elle est une passion voulue et ordonnée au salut de l’homme, elle est ainsi très bonne. |
[10000] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod injuste illata est ex parte occidentium: sed ex parte ipsius
patientis ex justissima voluntate procedit. |
2. Elle a été donnée injustement du point de vue de ceux qui tuaient; mais, du point de vue de celui qui la supportait, elle vient de la volonté la plus juste. |
[10001] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod opus operans Judaeorum est malum simpliciter; sed passio, quae
est opus operatum, est quidem simpliciter bona, secundum quod est in
patiente; quamvis possit dici mala secundum quid secundum quod est in actione
illorum sicut in causa, et secundum quod est corruptiva naturae; et ita non
est ponere contraria circa idem. |
3. L’action réalisatrice (opus operans) de la part des Juifs est simplement un mal; mais la passion, qui est l’acte réalisé (opus operatum) est simplement bonne, selon qu’elle se trouve chez celui qui subit, bien qu’elle puisse être appelée mauvaise sous un aspect, selon qu’elle se trouve dans leur action comme dans sa cause et selon qu’elle entraîne une corruption de la nature. Ce n’est donc pas affirmer des contraires à propos de la même chose. |
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Expositio textus |
Explication du
texte de Pierre Lombard, Distinction 20
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[10002] Super
Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 expos. Quia sic justitia superatus est Diabolus, non
potentia. Contra. Justitia Dei
non potest esse sine potentia, nec e converso. Dicendum, quod intelligendum
est: non potentia tantum. Sed si etiam potentia tantum Diabolum superasset,
adhuc esset justitia ex parte nostra. Peccantem peccati auctor illico
invasit. Contra. Magis peccavit Diabolus quam homo. Ergo magis debuit
ipse invadi quam homo. Dicendum, quod ambos invasit sententia judicis
secundum culpae modum, sed hominem invasit et peccati auctor; tum quia homo
illi se subdidit, tum quia homo ex ordine naturae sub Angelis erat; unde
etiam homini ad exercitium datur. Praedestinatis tantum effecit salutem.
Contra. Aliqui etiam non praedestinati gratiam accipiunt. Dicendum, quod loquitur
de salute finali, per quam homo ab omni malo liberatur. Hic distinguendum
est: quia potest intelligi de opere operante; et sic malum operati sunt:
vel de opere operato; et sic bonum operati sunt. |
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Distinction 21 –
[La mort du Christ]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La divinité a-t-elle été séparée de
l’humanité dans la mort du Christ
?]
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Prooemium |
Prologue |
[10003] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de his quae
Christus cum humana natura assumpsit, scilicet gratia et scientia et
defectibus, et de his quae per humanam naturam operatus est, scilicet de
meritis; hic determinat de morte quam in humana natura sustinuit. Dividitur autem haec pars
in duas: primo determinat ea quae ad mortem Christi pertinent; secundo ea
quae ad mortem Christi consequuntur, dist. 22, ibi: hic quaeritur, utrum
in illo triduo mortis Christus fuerit homo. Prima dividitur in duas:
primo inquirit utrum mors fuerit in Christo secundum separationem deitatis a
carne; secundo, supposito quod non, ostenditur qua ratione Christus dicatur
mortuus, ibi: recedente vero anima, mortua est Christi caro. Circa
primum duo facit: primo movet quaestionem; secundo determinat eam, ibi: quidam
putaverunt tunc carnem sicut ab anima, ita a divinitate in morte fuisse
divisam. Et circa hoc duo facit: primo excludit errorem; secundo
veritatem confirmat, ibi: sicut Augustinus super Joan (...) ait. Circa
primum duo facit: primo excludit probationem erroris sumptam ex ratione et
auctoritate Augustini; secundo probationem sumptam ex auctoritate Athanasii,
ibi: alii quoque auctoritati innituntur. Circa primum tria facit:
primo ponit rationem ipsorum; secundo auctoritatem quae videtur pro eis
facere, ibi: huic suae probabilitati addunt auctoritatis testimonium;
tertio solvit, ibi: quibus respondemus. Alii quoque auctoritati innituntur. Hic tria facit: primo ponit objectionem
ex auctoritate Athanasii; secundo ostendit quod illa auctoritas non facit pro
eis, ibi: quibus respondemus; tertio auctoritatem Athanasii exponit,
ibi: sciendum est igitur. Hic est duplex quaestio. Prima de morte
Christi. Secunda de resurrectione ejus. Circa primum quaeruntur tria: 1 utrum
in morte Christi fuerit separata deitas ab humanitate; 2 utrum corpus Christi
fuerit dissolutum, vel incineratum; 3 utrum debeat simpliciter concedi quod
Christus, vel filius Dei, sit mortuus. |
Après avoir déterminé de ce que le Christ a assumé avec la nature humaine : la grâce, la science et les carences, et de ce qu’il a accompli par la nature humaine : les mérites, le Maître détermine ici de la mort qu’il a supportée dans sa nature humaine. Cette partie se divise en deux : premièrement, il détermine de ce qui se rapporte à la mort du Christ; deuxièmement, de ce qui découle de la mort du Christ, d. 22, à cet endroit : « Ici, on se demande si, pendant ces trois jours de sa mort, le Christ était un homme. » La première partie se divise en deux : premièrement, [on se demande] si la mort s’est réalisée chez le Christ par la séparation de la divinité de la chair; deuxièmement, en supposant que non, il montre pour quelle raison on dit que le Christ est mort, à cet endroit : « Lorsque l’âme s’est retirée, la chair du Christ est morte. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il soulève une question; deuxièmement, il en détermine, à cet endroit : « Certains ont pensé qu’alors, de même que la chair fut divisée de l’âme, de même la divinité le fut-elle. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il écarte l’erreur; deuxièmement, il confirme la vérité, à cet endroit : « Comme le dit Augustin en commentant Jean… » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il écarte la démonstration de l’erreur tirée d’un raisonnement et de l’autorité d’Augustin; deuxièmement, la démonstration tirée de l’autorité d’Athanase, à cet endroit : « D’autres s’appuient aussi sur une autorité… » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il présente leur raisonnement; deuxièmement, l’autorité qui semble être en leur faveur, à cet endroit : « À leur démonstration, ils ajoutent le témoignage d’une autorité »; troisièmement, il la résout, à cet endroit : « Nous leur répondons… » « D’autres s’appuient aussi sur une autorité… » Ici, il fait trois choses : premièrement, il présente l’objection tirée de l’autorité d’Athanase; deuxièmement, il montre que cette autorité ne leur est pas favorable, à cet endroit : « Nous leur répondons… »; troisièmement, il explique l’autorité d’Athanase, à cet endroit : « Il faut donc savoir… » Ici, il y a une double question : la première, sur la mort du Christ; la seconde, sur sa résurrection. À propos du premier point, il pose trois questions : 1 – La divinité a-t-elle été séparée de l’humanité dans la mort du Christ ? 2 – Le corps du Christ a-t-il été dissous ou transformé en cendres ? 3 – Faut-il concéder simplement que le Christ ou le Fils de Dieu est mort ? |
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Articulus 1 [10004] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 tit. Utrum in morte
Christi deitas a carne separata sit |
Article 1 – La divinité a-t-elle été séparée de la chair dans la mort du Christ ? |
Quaestiuncula
1 |
Sous-question 1 – [La divinité a-t-elle été séparée de la chair dans la mort du Christ ?] |
[10005] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in morte Christi deitas a carne
separata sit. Remoto enim medio separantur extrema quae per medium
conjunguntur. Sed, sicut in 2 dist., quaest. 2, art. 2, quaestiunc. 1, dictum est,
divinitas conjungebatur carni mediante anima. Ergo separata anima a carne,
separatur etiam divinitas. |
1. Il semble que la divinité ait été séparée de la chair dans la mort du Christ. En effet, si on enlève le milieu, les extrêmes qui sont unis par le milieu sont séparés. Or, comme on l’a dit dans la d. 2, q. 2, a. 2, qa 1, la divinité était unie à la chair par l’intermédiaire de l’âme. Si l’âme est séparée de la chair, la divinité est donc aussi séparée. |
[10006] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut in 2 dist., qu. 1, art. 3, quaestiunc. 2, dictum est, corpus insensibile non est
assumptibile. Sed separata anima, caro remanet quoddam corpus insensibile.
Ergo non potuit remanere deitati unita, cum nihil possit esse unitum quod non
est assumptibile. |
2. Comme on l’a dit dans la d. 2, q. 1, a. 3, qa 2, un corps insensible ne peut être assumé. Or, si l’âme est séparée, la chair demeure un corps insensible. Elle ne pouvait donc pas demeurer unie à la divinité, puisque rien ne peut être uni qui ne puisse être assumé. |
[10007] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
nulla res est mortua quae habet in se vitam. Sed si deitas in morte a carne
separata non fuisset, habuisset in se vitam, quae etiam est fons indeficiens
vitae. Ergo mortua non fuisset. |
3. Aucune chose qui a la vie en elle-même n’est morte. Or, si la divinité n’avait pas été séparée de la chair par la mort, elle aurait eu en elle-même la vie qui est une source de vie intarissable. Elle ne serait donc pas morte. |
[10008] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, unio humanae naturae ad divinam est per gratiam. Sed corpus non est capax gratiae nisi mediante anima. Ergo corpus, separata
anima, non potest remanere deitati unitum. |
4. L’union de la nature humaine à la nature divine se réalise par une grâce. Or, le corps n’est apte à la grâce que par l’intermédiaire de l’âme. Si l’âme est séparée, le corps ne peut donc pas demeurer uni à la divinité. |
[10009] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
filius dicitur jacuisse in sepulcro: alias de hoc non esset fides, quae habet
objectum veritatem increatam. Sed hoc non dicitur nisi quia corpus in sepulcro fuit. Ergo deitas a
corpore separata non fuit. |
Cependant, [1] on dit que le Fils a reposé au sépulcre, autrement, la foi ne porterait pas sur ce point, elle qui a pour objet la Vérité incréée. Or, on ne dit cela que parce que le corps était dans le sépulcre. La divinité n’a donc pas été séparée du corps. |
[10010] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Leo
Papa dicit: tanta fuit unio Dei et hominis, ut nec supplicio posset
diminui, nec morte distingui. Sed supplicium pati et mori corporis est.
Ergo corpus in morte a divinitate non est separatum. |
[2] Le pape Léon dit : « L’union de Dieu et de l’homme était si grande qu’elle ne pouvait être diminuée par le supplice ni séparée par la mort. » Or, subir un supplice et mourir sont le fait du corps. Le corps n’a donc pas été séparé de la divinité dans la mort. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La divinité a-t-elle été séparée de l’âme dans la mort ?] |
[10011] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod deitas sit
separata ab anima. Utraque enim mors, ut dicitur in littera, scilicet qua
separatur corpus ab anima, et qua separatur anima a Deo, Diaboli suasu homini
propinata est. Sed Christus in se accepit mortem, qua separatur corpus ab
anima, ut a nobis excluderet quod suasu Daemonis in nobis devenit. Ergo simpliciter debuit pati mortem, quae
est separatio animae a deitate. |
1. Il semble que la divinité ait été séparée de l’âme. En effet, comme il est dit dans le texte, les deux morts : celle par laquelle le corps est séparée de l’âme et celle par laquelle l’âme est séparée de Dieu, ont été absorbées par l’homme à l’incitation du Diable. Or, le Christ a accepté pour lui-même la mort par laquelle le corps est séparé de l’âme afin d’écarter ce qui nous et arrivé à l’instigation du Démon. Il devait donc tout simplement subir la mort qui est la séparation de l’âme et de la divinité. |
[10012] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
quicumque deponit aliquid, illud a se separat. Sed filius Dei dicit de seipso, Joan. 10,
10: ego pono animam meam. Ergo eam a se separavit. |
2. Quiconque remet une chose la sépare de lui-même. Or, le Fils de Dieu dit de lui-même, Jn 10, 10 : Je remets mon âme. Il l’a donc séparée de lui-même. |
[10013] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut supra, dist. 5, qu. 1, art. 1, quaestiunc. 3, dictum est, uniens est unitum sicut ratione unionis Deus est homo. Si
igitur anima esset Deo unita post mortem; posset dici, quod Deus esset anima. |
3. Comme on l’a dit plus haut, d. 5, q. 1, a. 1, qa 3, ce qui unit est ce qui est uni, comme Dieu est homme en raison de l’union. Si donc l’âme était unie à Dieu après la mort, on pourrait dire que Dieu était l’âme. |
[10014] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 4 Praeterea,
ratione unionis Dei ad hominem est communicatio idiomatum, ut dicit
Damascenus. Sed animae
idiomata non dicuntur de filio Dei: non enim potest dici, quod filius Dei sit
forma corporis. Ergo non remanet post mortem anima verbo unita. |
4. « La communication des idiômes existe en raison de l’union de Dieu à l’homme », comme le dit [Jean] Damascène. Or, les idômes de l’âme ne sont pas affirmés du Fils de Dieu : en effet, on ne peut pas dire que le Fils de Dieu est la forme du corps. L’âme ne demeure donc pas unie au Verbe après la mort. |
[10015] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 5 Praeterea, si
esset verbum unitum animae et corpori, cum illa sint ad invicem divisa,
essent duae uniones verbi ad illa duo. Sed ante mortem erat tantum una unio.
Ergo aliqua unio facta est de novo in morte Christi; quod est inconveniens. |
5. Si le Verbe était uni à l’âme et au corps, puisque ceux-ci sont réciproquement divisés, il existerait deux unions du Verbe à ces deux choses. Or, avant la mort, il n’existait qu’une seule union. Une union a donc de nouveau été réalisée dans la mort du Christ, ce qui est inapproprié. |
[10016] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 6 Praeterea,
anima et corpus separata fuerunt duo quaedam. Si ergo verbum utrique unitum
remansit, videtur quod fuerunt duo vel tria Christus in morte: quia uniens
est unitum. |
6. L’âme et le corps séparés étaient deux réalités. Si donc le Verbe demeurait uni aux deux, il semble qu’il existait deux ou trois Christ dans la mort, car ce qui unit est ce qui est uni. |
[10017] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, major est conjunctio animae ad Deum per unionem in persona quam quae
est per fruitionem. Sed anima Deo conjuncta per fruitionem, nunquam ab ipso separatur.
Ergo multo minus conjuncta ei per unionem in persona. |
Cependant, [1] l’union de l’âme à Dieu par l’union dans la personne est plus grande que celle qui se réalise par la jouissance (fruitionem). Or, l’âme unie à Dieu par la jouissance n’est jamais séparée de lui. Encore bien moins a-t-elle donc été unie à lui par l’union dans la personne. |
[10018] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1
qc. 2 s. c. 2 Praeterea, filius
Dei dicitur descendisse ad Inferos. Sed hoc non convenit sibi nisi ratione
animae. Ergo filius
Dei post mortem habuit animam sibi unitam. |
[2] On dit que le Fils de Dieu est descendu aux enfers. Or, cela ne convient qu’en raison de l’âme. Le Fils de Dieu avait donc une âme qui lui était unie après la mort. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[10019] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo
dicendum ad primam quaestionem, quod corpus Christi in morte non fuit
separatum a deitate: cujus ratio ex tribus accipi potest. Primo ex parte Dei: quia cum sit
immutabilis, ei quod perfecte sibi conjunctum est incommutabilitatem praestat,
ut scilicet immutabiliter ei adhaereat. Secundo ex parte ipsius assumpti:
quia per mortem, quam ex obedientia patris sustinuit, non debuit suam
dignitatem amittere, sed magis clarificari. Tertio ex fine assumptionis: quia
ea quae post mortem ipsius circa ipsum acta sunt, salutaria nobis non
fuissent, nisi deitas adjuncta esset. |
Le corps du Christ n’a pas été séparé de la divinité dans la mort. On peut en donner trois raisons. Premièrement, du point de vue de Dieu : puisqu’il est immuable, il confère l’immuabilité à ce qui lui a été uni, de sorte que cela adhère à lui de manière immuable. Deuxièmement, du point de vue de celui qui est assumé, car il ne devait pas perdre sa dignité, mais plutôt être glorifié par la mort qu’il a supportée par obéissance au Père. Troisièmement, en raison de la fin de l’assomption, car ce qui lui est arrivé après sa mort ne nous aurait pas été salutaire si la divinité n’y avait pas été unie. |
[10020] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut supra, dist. 2, qu. 2, art. 1, quaestiunc. 1,
dictum est, anima quantum ad unibilitatem corporis, est medium necessitatis:
quia corpus non esset unibile nisi inquantum est animatum: sed quantum ad
unionem in actu, est medium congruentiae, quo remoto, non necessario unio
tollitur, ut supra, dist. 2, dictum est; et ideo, quia separata anima a
corpore, adhuc remansit in corpore ordo ad animam, et unibile remansit et
unitum. |
1. Comme on l’a dit plus haut, d. 2, q. 2, a. 1, qa 1, par rapport à la possibilité d’union au corps, l’âme est un intermédiaire nécessaire, car le corps ne serait pas apte à l’union s’il n’était pas animé. Mais, pour ce qui est de l’union en acte, elle est un intermédiaire de convenance : une fois celui-ci enlevé, l’union n’est pas nécessairement enlevée, comme on l’a dit plus haut, d. 2. Une fois l’âme séparée du corps, demeure donc dans le corps un ordre à l’âme, et ce qui peut être uni et ce qui est uni demeurent. |
[10021] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis esset actu insensibile, tamen hoc
habebat supra alia corpora insensibilia quod inerat ei ordo ad animam
humanam. |
2. Bien que cela serait insensible en acte, y demeurerait cependant un ordre à l’âme humaine par-delà les autres corps insensibles. |
[10022] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod deitas non potest esse forma corporis. Ad hoc autem quod
corpus sit vivum, oportet quod sit aliquid vivificans formaliter. |
3. La divinité ne peut pas être forme du corps. Mais pour que le corps soit vivant, il est nécessaire qu’il y ait quelque chose qui le vivifie à la manière d’une forme. |
[10023] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod corpus non est susceptivum gratiae habitualis: quia illa
ordinatur ad actus spirituales, qui non possunt corpori communicari. Haec
autem gratia est medium congruentiae ad unionem ex parte animae. Sed gratia
unionis, quae est ipsa unio gratis facta, potest esse in corpore: quia ista
gratia ordinat ad esse in persona divina, cujus particeps est corpus, sicut
et anima; ideo etiam corpus potest remanere unitum, anima separata; in quo
etiam manet aliquis ordo ad gloriam ex eo quod fuit instrumentum animae
habentis gratiam, ut dictum est; ut sic etiam habitualis gratia quodammodo in
corpus redundet, ut supra, dist. 13, dictum est. |
4. Le corps n’est pas apte à recevoir la grâce habituelle, car celle-ci est ordonnée aux actes spirituels, qui ne peuvent être communiqués au corps. Or, cette grâce est un intermédiaire de convenance pour l’union du point de vue de l’âme. Mais la grâce d’union, qui est l’union elle-même gratuitement réalisée, peut exister dans le corps, car cette grâce ordonne à exister dans la personne divine, ce à quoi le corps participe comme l’âme. Aussi le corps peut-il demeurer uni, alors que l’âme est séparée; en lui demeure aussi un ordre à la gloire du fait qu’il a été l’instrument de l’âme qui possédait la grâce, ainsi qu’on l’a dit, de sorte que la grâce habituelle rejaillit ainsi d’une certaine manière sur le corps, ainsi qu’on l’a dit plus haut, d. 13. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[10024] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam
quaestionem dicendum, quod propter easdem rationes anima a verbo in morte
Christi separata non fuit, et adhuc amplius, inquantum anima immediatius et
pluribus modis verbo unitur quam corpus. |
Pour les mêmes raisons, l’âme n’a pas été séparée du Verbe dans la mort du Christ, d’autant plus que l’âme est unie au Verbe de manière plus immédiate et d’un plus grand nombre de manières que le corps. |
[10025] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod mors animae est secundum separationem
animae a Deo per peccatum, opposita conjunctioni quae est per caritatem; quam
mortem Christum assumere non decuit sicut nec peccatum, ut supra, dist. 15,
qu. 1, art. 1, dictum est; et ideo haec ratio non est ad propositum: quia
etiam si esset separatio perfecta animae a verbo quantum ad conjunctionem
quae est in persona, adhuc anima non esset mortua sed viva, inquantum
remaneret Deo per caritatem conjuncta. |
1. La mort de l’âme vient de la sépartion de l’âme et de Dieu par le péché, contrairement à l’union qui se réalise par la charité. Il ne convenait pas que le Christ assume cette mort, pas plus que le péché, comme on l’a dit plus haut, d. 15, q. 1, a. 1. Ce raisonnement porte donc à faux, car même s’il y avait une séparation complète de l’ame et du Verbe pour ce qui est de l’union qui existe dans la personne, l’âme ne serait pas encore morte mais vivante, dans la mesure où elle demeurerait unie à Dieu par la charité. |
[10026] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod filius Dei dicitur animam ponere, non quidem a se, sed a
carne, a qua in morte separata fuit. |
2. On dit que le Fils dépose son âme, non pas de lui-même, mais de la chair, dont elle a été séparée par la mort. |
[10027] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod anima non nominat personam, sed partem naturae; unde anima non
est unita verbo sicut importans id in quo facta est unio, sicut est de hoc
nomine homo; et ideo non potest dici quod filius Dei sit anima, sicut potest
dici quod sit homo, secundum quod est habens animam. |
3. L’âme ne désigne pas la personne, mais une partie de la nature. L’âme n’est donc pas unie au Verbe comme ce en quoi l’union s’est réalisée, comme c’est le cas pour le mot homme. C’est pourquoi on ne peut dire que le Fils de Dieu est l’âme, comme on peut dire qu’il est homme, selon qu’il a une âme. |
[10028] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod sicut ea quae dicuntur de natura humana secundum rationem
naturae non possunt praedicari de filio Dei, ut quod dicitur esse communis
Christo et aliis hominibus; ita etiam ea quae praedicantur de anima Christi
inquantum est pars naturae, non possunt dici de filio Dei, sicut quod est
forma, vel aliquid hujusmodi. Ea autem quae praedicantur de ipsa inquantum
est quid subsistens, possunt de filio Dei praedicari, sicut quod descendit ad
Inferos, et alia hujusmodi. |
4. De même que ce qu’on dit de la nature humaine selon la raison de nature ne peut être prédiqué du Fils de Dieu, comme le fait qu’elle soit commune au Christ et aux autres hommes, de même aussi ce qui est prédiqué de l’âme du Christ, en tant qu’elle est une partie de la nature, ne peut-il être prédiqué du Fils de Dieu, comme le fait d’être forme ou quelque chose de ce genre. Mais ce qui est attribué [à l’âme] en tant qu’elle quelque chose de subsistant peut être prédiqué du Fils de Dieu, comme le fait de descendre aux enfers et les autres choses de ce genre. |
[10029] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod, sicut supra, dist. 8, quaest. 1, art. 5, dictum est, relationes
secundum rem multiplicantur secundum multiplicationem illorum supra quae
fundantur elationes; unde contingit quod relatio ex parte unius extremi est
una, quae ex parte alterius multiplicatur, sicut de illo qui una paternitate
ad multos filios refertur, qui ad ipsum multis filiationibus referuntur. Ita
etiam est hoc: quia ex parte ipsius filii Dei est una tantum, quamvis non sit
ex parte ipsius relatio realis, sed rationis tantum; ex parte autem
assumptorum, quae divisa sunt, sunt duae uniones in actu post mortem; ante
autem erat una in actu, et multae in potentia: unde non oportet quod aliqua
unio fiat ibi de novo, sicut nec in divisione continui fit aliquid de novo,
inquantum id quod prius erat multa potentia, unum autem actu, fit actu plura. |
5. Comme on l’a dit plus haut, d. 8, q. 1, a. 5, les relations réelles se multitplient selon la multiplication de ce sur quoi se fondent les relations (corr. elationes/relationes). Aussi arrive-t-il que la relation soit une du point de vue d’un des extrêmes, alors qu’elle est multiple du point de vue de l’autre, comme dans le cas de celui qui, par une seule paternité, est en rapport avec plusieurs fils, qui sont en rapport avec lui par plusieurs filiations. De même en est-il dans le cas présent, car, du point de vue du Fils de Dieu lui-même, il n’existe qu’une seule relation, bien qu’elle n’en soit pas une réelle de sa part, mais une relation de raison seulement. Mais, du point de vue de ce qui est assumé, qui est divisé, il existe deux unions en acte après la mort; avant, il n’y en avait qu’une seule en acte et plusieurs en puissance. Aussi n’est-il pas nécessaire qu’une union y soit de nouveau réalisée, comme, dans la division du continu, on ne fait pas non plus quelque chose de nouveau, dans la mesure où ce qui était plusieurs choses en puissance, mais une seule chose en acte, devient plusieurs choses en acte. |
[10030] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 6 Ad sextum
dicendum, quod sicut humana natura non est hypostasis in Christo, quamvis
possit dici singulare et individuum, ut supra, dist. 6, qu. 1, art. 1, dictum est; ita etiam anima et corpus non sunt duae
completae hypostases, sed unitae uni hypostasi filii Dei; quamvis possint
dici duo singularia, vel duo individua. Sed non sequitur ex hoc quod Christus sit duo: quia neutrum illorum de
Christo praedicatur, vel de filio Dei. |
6. De même que la nature humaine n’est pas l’hypostase dans le Christ, bien qu’on puisse en parler au singulier et comme quelque chose d’individuel, comme on l’a dit plus haut, d. 6, q. 1, a. 1, de même aussi l’âme et le corps ne sont-ils pas deux hypostases complètes, mais unies dans la seule hypostase du Fils de Dieu, bien qu’on puisse parler de deux choses au singulier ou de deux choses individuelles. Mais il n’en découle pas que le Christ soit deux, car aucune de ces deux choses n’est prédiquée du Christ ou du Fils de Dieu. |
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Articulus 2 [10031] Super Sent., lib. 3
d. 21 q. 1 a. 2 tit. Utrum corpus Christi post mortem debuerit dissolvi |
Article 2 – Le corps du Christ devait-il se dissoudre après la mort ? |
[10032] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod corpus Christi post mortem
debuit dissolvi, sive incinerari. Hebr. 2, 17, dicitur: Christus debuit
per omnia fratribus assimilari. Sed alii homines, qui dicuntur fratres
Christi, secundum corpus incinerantur. Ergo et corpus Christi incinerari
debuit. |
1. Il semble que le corps du Christ devait se dissoudre ou se transformer en cendres après la mort. He 2, 17 dit : Le Christ devait être en tout semblable à ses frères. Or, les autres hommes, qui sont appelés les frères du Christ, se transforment en cendres selon leur corps. Le corps du Christ devait donc se transformer en cendres. |
[10033] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea, sicut
separatio animae a carne fuit inflicta homini propter peccatum primi
parentis, ita etiam incineratio: quia dicitur Genes. 3, 19: terra es, et
in terram ibis. Sed Christus pro nobis sustinuit mortem, ut debitum
naturae solveret. Ergo similiter corpus ejus incinerari debuit. |
2. De même que la séparation de l’âme de la chair fut infligée à l’homme à cause du péché du premier parent, de même aussi la transformation en cendres, car il est dit en Gn 3, 19 : Tu es terre, et tu retourneras à la terre. Or, le Christ a supporté la mort pour nous, afin d’acquitter la dette de la nature. De la même manière, son corps devait-il donc se transformer en cendres. |
[10034] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2
arg. 3 Praeterea,
humilitas est meritum exaltationis, Philipp. 2. Sed corpus Christi fuit
maxime exaltandum. Ergo debuit usque ad incinerationem humiliari. |
3. L’humilité mérite l’élévation, Ph 2. Or, le corps du Christ devait être élevé au plus haut point. Il devait donc être humilié jusqu’à la transformation en cendres. |
[10035] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2
arg. 4 Praeterea,
omne compositum ex contrariis, naturaliter est dissolubile in contraria. Sed
corpus Christi fuit ex contrariis compositum, quia fuit ejusdem naturae cujus
sunt corpora nostra. Ergo cum incineratio nihil aliud sit quam resolutio
corporis in contraria ex quibus constituitur, videtur quod corpus Christi
incinerari debuit. |
4. Tout composé de contraires est naturellement susceptible de se dissoudre dans les contraires. Or, le corps du Christ était composé de contraires, car il avait la même nature que nos corps. Puisque la transformation en cendres n’est rien d’autre que la dissolution du corps dans les contraires dont il est composé, il semble donc que le corps du Christ devait être transformé en cendres. |
[10036] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, anima non recedit a corpore quamdiu in corpore manet
aequalitas complexionis, quae requiritur ut dispositio in corpore animato:
quia per hanc dispositionem materia fit necessaria ad talem formam. Sed in
morte Christi anima recessit a corpore. Ergo in corpore non remansit illa
aequalitas quae exigitur ad corpoream animationem. Sed ablata aequalitate
complexionis, unum contrarium superat aliud, et sic sequitur corporis
dissolutio et incineratio. Ergo corpus Christi fuit corruptum et incineratum. |
5. L’âme ne se retire pas du corps aussi longtemps que demeure dans le corps l’égalité de sa complexion, qui est nécessaire comme disposition dans le corps animé, car la matière devient nécessaire à telle forme par cette disposition. Or, dans la mort du Christ, l’âme s’est retirée du corps. Cette égalité n’est donc pas demeurée dans le corps, elle qui est requise pour l’animation corporelle. Or, une fois enlevée l’égalité de la complexion, un contraire l’emporte sur l’autre, et la dissolution du corps et sa transformation en cendres en découlent. Le corps du Christ a donc été corrompu et transformé en cendres. |
[10037] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2
s. c. 1 Sed contra,
Psalm. 15, 10: non dabis sanctum tuum videre corruptionem. Hoc autem
non potest intelligi de corruptione mortis, quia ipse mortuus fuit. Ergo
intelligitur de corruptione incinerationis. |
Cependant, [1] le Ps 15, 10 dit : Tu ne permettras pas que ton saint voie la corruption. Or, cela ne peut s’entendre de la corruption de la mort, car il est mort. Cela s’entend donc de la corruption de la transformation en poussière. |
[10038] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2
s. c. 2 Praeterea,
corpori non debetur incineratio nisi propter corruptionem fomitis. Sed in
Christo nunquam fuit corruptio fomitis: quia natus et conceptus fuit sine
originali. Ergo corpus
Christi non debuit incinerari. |
[2] La transformation en cendres n’est due au corps qu’en raison de la corruption de la convoitise. Or, chez le Christ, la corruption de la convoitise n’a jamais existé, car il est né et a été conçu sans le péché originel. Le corps du Christ ne devait donc pas se transformer en cendres. |
[10039] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, anima conjuncta corpori ipsum servat ab incineratione. Sed virtus divina est major quam virtus
animae. Ergo cum
corpori sit conjuncta deitas, videtur quod non debuit incinerari. |
3. L’âme unie au corps le préserve de la transformation en cendres. Or, la puissance divine est plus grande que la puissance de l’âme. Puisque la divinité est unie au corps, il semble donc qu’il ne devait pas être transformé en cendres. |
[10040] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod mors et incineratio et hujusmodi defectus sunt poenae
originalis peccati: in Christo autem nunquam fuit originale: unde Christus
non contraxit hujusmodi defectus ex necessitate suae originis, quia sine
originali conceptus fuit. Nec in eo fuerunt quia ipse esset debitor eorum, quia peccatum in eo
nunquam fuit: sed voluntarie defectus humanae naturae assumpsit ad complendum
opus nostrae redemptionis et ut in his nobis mereretur. Unde cum opus
redemptionis esset in passione completum, quia dixit: consummatum est,
Joan. 19, 30, et corpus sine anima non est in statu merendi, ideo corpus ejus
incineratum non fuit. |
Réponse. La mort, la transformation en cendres et les carences de cette sorte
sont des peines du péché originel. Or, chez le Christ, le péché originel n’a
jamais existé. Le Christ n’a donc pas contracté nécessairement ces carences
par son origine, car il a été conçu sans le péché originel. Elles ne se
trouvaient pas non plus chez lui parce qu’il aurait été leur débiteur, car il
n’y a jamais eu de péché en lui, mais il a assumé volontairement les carences
de la nature humaine pour accomplir l’œuvre de notre dédemption et pour
mériter par elles. Puisque l’œuvre de la rédemption avait été achevée par la
passion, car il a dit : Tout est
consommé, Jn 19, 30, et que le corps sans âme n’est pas en état
de mériter, son corps ne s’est donc pas transformé en cendres. |
[10041] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod assimilatio illa intelligitur quantum ad illa quae sunt de
veritate naturae, et quantum ad ea quae pertinent ad opus redemptionis. |
1. Cette ressemblance s’entend de ce qui constitue la vérité de la nature et pour ce qui concerne l’œuvre de la rédemption. |
[10042] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod per passionem, qua separata est anima a carne, removit a nobis
mortem, et omnes alios defectus humanae naturae, quantum ad sufficientiam
causae; et ideo non oportuit quod ad removendum incinerationem corpus ejus
incineraretur. |
2. Par la passion, à cause de laquelle l’âme a été séparée de la chair, il nous a enlevé la mort et toutes les autres carences de la nature humaine, pour ce qui est de la suffisance de la cause. Il n’était donc pas nécessaire que, pour enlever la transformation en cendres, son corps soit transformé en cendres. |
[10043] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod humilitas illa fuit necessaria ante opus redemptionis, et
quando Christus erat in statu merendi, non autem post, ut dictum est. |
3. Cette humilité était nécessaire avant l’œuvre de la rédemption et lorsque le Christ était en état de mériter, mais non après, comme on l’a dit. |
[10044] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod compositum ex contrariis, necessario in ipsa
resolvitur, nisi sit aliquid prohibens. In Christo autem erat aliquid
prohibens, scilicet virtus divinitatis, et puritas a corruptione fomitis. |
4. Le composé de contraires se dissout nécessairement en eux, à moins que quelque chose l’en empêche. Or, chez le Christ, quelque chose l’empêchait, la puissance de la divinité, et la pureté par rapport à la corruption de la convoitise. |
[10045] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod quamvis illa temperies complexionis, quae est necessitas ad
formam animae, fuerit amota in morte; non tamen inde secuta est dissolutio et
putrefactio corporis, ratione praedicta. |
5. Bien que cette modération de la complexion, qui est une nécessité pour la forme de l’âme, ait été enlevée par la mort, la dissolution et la putréfaction du corps n’en sont cependant pas découlées pour la raison déjà indiquée. |
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Articulus 3 [10046] Super Sent., lib. 3
d. 21 q. 1 a. 3 tit. Utrum filius Dei debeat dici mortuus |
Article 3 – Doit-on dire que le Fils de Dieu est mort ? |
[10047] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Christus, vel filius Dei, non debeat dici mortuus. Ea
enim quae habent repugnantiam intellectuum ad filium Dei, de eo non
praedicantur. Sed cum Dei filius sit vita, sicut dicitur Joan. 14, mortuum
esse habet repugnantiam intellectus cum ipso. Ergo non debet dici quod sit
mortuus. |
1. Il semble qu’on ne doive pas dire que le Christ ou le Fils de Dieu est mort. En effet, ce qui répugne aux intelligences dans le cas du Fils de Dieu n’est pas prédiqué de lui. Or, puisque le Fils de Dieu est la vie, comme il est dit en Jn 14, cela s’oppose à l’intelligence qu’il soit mort. On ne doit donc pas dire qu’il est mort. |
[10048] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3
arg. 2 Praeterea,
esse creatum convenit alicui, secundum quod est a Deo; sed corrumpi, secundum
quod est ex nihilo. Ergo magis pertinent ad defectum creaturae ea quae corruptionem
important, quam nomen creaturae. Sed nomen creaturae non dicitur de Christo, ut supra, dist. 11, dictum
est. Ergo multo minus potest dici quod sit mortuus. |
2. Être créé convient à une chose selon qu’elle vient de Dieu; mais être corrompue [lui convient] selon qu’elle vient du néant. Les choses qui impliquent la corruption concernent donc davantage la carence de la nature, que le nom de créature. Or, on ne parle pas de créature pour le Christ, comme on l’a dit plus haut, d. 11. Encore bien moins peut-on dire qu’il est mort. |
[10049] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3
arg. 3 Praeterea, filius
Dei est divina essentia. Sed non potest dici quod divina essentia sit mortua.
Ergo non debet dici, quod
filius Dei sit mortuus. |
3. Le Fils de Dieu est l’essence divine. Or, on ne peut dire que l’essence divine est morte. On ne doit donc pas dire que le Fils de Dieu est mort. |
[10050] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3
arg. 4 Praeterea, contradictoria non sunt vera de eodem. Sed de filio Dei
vere dicitur quod est immortalis, et per consequens non est mortuus. Ergo non
potest dici quod fuerit mortuus. |
4. Les contraires ne sont pas vrais pour une même chose. Or, on dit avec vérité du Fils de Dieu qu’il est immortel et, par conséquent, qu’il n’est pas mort. On ne peut donc pas dire qu’il était mort. |
[10051] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3
arg. 5 Praeterea,
illud quod est partis, non praedicatur de toto. Sed mori est corporis, a quo
anima separatur. Ergo videtur quod Christus non possit dici mortuus. |
5. Ce qui est le propre de la partie n’est pas prédiqué du tout. Or, mourir est le propre du corps dont l’âme est séparée. Il semble donc qu’on ne puisse dire que le Christ est mort. |
[10052] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3
s. c. 1 Sed contra est
quod dicitur in symbolo: crucifixus, mortuus, et sepultus. |
Cependant, [1] ce qui est dit dans le symbole va en sens contraire : « Il a été crucifié, est mort et a été enseveli. » |
[10053] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3
s. c. 2 Praeterea, nullus
homo dicitur mortuus nisi ex eo quod anima ejus a corpore separata est. Sed anima Christi est a corpore separata.
Ergo ipse est mortuus. |
[2] On ne dit d’aucun homme qu’il est mort que parce que son âme a été séparée de son corps. Or, l’âme du Christ a été séparée de son corps. Il est donc mort. |
[10054] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3
s. c. 3 Praeterea, sicut
supra dictum est, redemptio non potuit convenienter fieri nisi per mortem
filii Dei. Ergo si ipse
non est mortuus, videtur quod non simus adhuc redempti; quod est haereticum. |
[3] Comme on l’a dit plus haut, la rédemption ne pouvait être accomplie de manière appropriée que par la mort du Fils de Dieu. S’il n’est pas mort, il semble donc que nous ne soyons pas encore rachetés, ce qui est hérétique. |
[10055] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod sicut supra, dist. 11, quaest. 1, art. 4,
dictum est, ea quae solum ad naturam pertinent, simpliciter et sine
determinatione de Christo dici possunt. Mors autem in nobis est secundum
separationem animae a corpore, et passio est secundum laesionem corporis, vel
etiam secundum immutationem animae, quae sunt partes humanae naturae: et ideo
simpliciter concedendum est quod Christus mortuus est et passus. |
Réponse. Comme on l’a dit plus haut, d. 11, q. 1, a. 4, ce qui est propre à la nature seulement peut être affirmé du Christ simplement et sans précision. Or, la mort la mort se réalise en nous par la séparation de l’âme du corps et la passion, selon la blessure du corps, ou encore selon un changement de l’âme, lesquels sont des parties de la nature humaine. Il faut donc simplement concéder que le Christ est mort et a souffert. |
[10056] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod non est ibi aliqua repugnantia intellectuum, quia mors, cum
sit conditio naturae, refertur ad humanam; unde non opponitur divinae vitae. |
1. Il n’y a là rien d’incompréhensible, car la mort, puisqu’elle est une condition de la nature, se rapporte à la nature humaine. Elle ne s’oppose donc pas à la vie divine. |
[10057] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod nomen creaturae non magis se habet ad naturam quam ad
personam; et ideo non potest dici simpliciter ratione naturae, sicut supra
dictum est; praecipue cum creatio respiciat esse, quod magis videtur
pertinere ad suppositum quam ad naturam: et ideo quod magis vel minus ad
defectum pertineat, non facit ad propositum. |
2. Le nom de créature ne se rapporte pas davantage à la nature qu’à la personne. Aussi ne peut-il être simplement dit en raison de la nature, comme on l’a dit plus haut, surtout que la création concerne l’être, qui semble davantage se rapporter au suppôt qu’à la nature. Qu’il se rapporte plus ou moins à une carence, cela n’est donc pas à propos. |
[10058] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod unio non est facta in natura, sed in persona; et ideo ea quae
sunt naturae, possunt praedicari de persona, non autem de alia natura. |
3. L’union ne s’est pas réalisée dans la nature mais dans la personne. Ce qui appartient à la nature peut donc être prédiqué de la personne, mais non de l’autre nature. |
[10059] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod haec est simpliciter vera, filius Dei, vel Christus est
immortalis; et similiter, filius Dei est mortuus: quia ea quae sunt utriusque
naturae, possunt affirmari de persona. Sed tamen haec, Christus non est
mortuus, est vera secundum quid, et falsa simpliciter: quia ad veritatem
affirmativae sufficit quod secundum aliquam naturam conveniat quod de persona
dicitur, sed ad veritatem negativae oportet quod secundum neutram conveniat;
unde haec est falsa simpliciter, Christus non est animal, et vera secundum
quid, scilicet secundum divinam. Non est autem inconveniens quod unum
contradictoriorum dicatur de aliquo simpliciter, et alterum secundum quid. |
4. Cette proposition est tout simplement vraie : « Le Fils de Dieu ou le Christ est immortel. » De même : « Le Fils de Dieu est mort », car ce qui appartient aux deux natures peut être affirmé de la personne. Cependant, cette proposition : « Le Christ n’est pas mort », est vraie sous un aspect et fausse simplement, car, pour la vérité d’une proposition affirmative, il suffit que ce qui est dit de la personne convienne selon une nature, mais, pour la vérité d’une proposition négative, il est nécessaire que cela ne convienne selon aucune des deux. Aussi cette proposition est-elle fausse simplement : « Le Christ n’est pas un animal », et elle est vraie sous un aspect, à savoir, selon sa nature divine. Mais il n’est pas inapproprié que l’une des contradictoires soit dite de quelqu’un simplement, et une l’autre sous un autre aspect. |
[10060] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod ea quae sunt partis tantum, et parti nata convenire, dicuntur
de toto ratione partis; sicut homo dicitur Crispus propter capillos: et ita
mors, quae est conditio corporis, de persona potest praedicari. Tamen
sciendum est, quod sicut generari est compositi, ita et corrumpi; quamvis
subjectum generationis et corruptionis sit materia. |
5. Ce qui convient et est destiné à convenir à la partie seulement se dit du tout en raison de la partie; ainsi, on dit d’un homme qu’il est crépu en raison de ses cheveux. La mort, qui est une condition du corps, peut donc être prédiquée de la personne. Il faut cependant savoir que, de même que la génération est le fait du composé, de même en est-il de la corruption, bien que le sujet de la génération et de la corruption soit la matière. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [La résurrection du Christ]
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Prooemium |
Prologue |
[10061] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 pr. Deinde quaeritur de resurrectione Christi;
et circa hoc quaeruntur quatuor: 1 de necessitate resurrectionis; 2 de
tempore; 3 de argumentis resurrectionis in communi; 4 de eis in speciali. |
On s’interroge ensuite sur la résurrection du Christ. À ce sujet, quatre questions sont posées : 1 – La nécessité de la résurrection. 2 – Le moment [de la résurrection]. 3 – Les arguments en faveur de la résurrection d’une manière générale. 4 – Ces arguments d’une manière particulière. |
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Articulus 1 [10062] Super Sent., lib. 3
d. 21 q. 2 a. 1 tit. Utrum necesse fuerit Christum resurgere |
Article 1 – Était-il nécessaire que le Christ ressuscite ? |
[10063] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non fuerit necessarium Christum resurgere. Quia, sicut
dicit Damascenus, resurrectio est ejus quod cecidit et dissolutum est,
iterata surrectio. Sed Christus non cecidit per peccatum, nec ejus corpus
dissolutum est. Ergo non debetur ei resurrectio. |
1. Il semble qu’il n’était pas nécessaire que le Christ ressuscite, car, ainsi que le dit [Jean] Damascène, « la résurrection est le fait de celui qui a péri et s’est dissous, et qui se lève de nouveau ». Or, le Christ n’a pas péri par le péché et son corps ne s’est pas dissous. La résurrection ne lui est donc pas due. |
[10064] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1
arg. 2 Praeterea,
Augustinus dicit, quod per verbum Dei fit resurrectio animarum, per verbum
incarnatum fit resurrectio corporum. Sed verbum caro factum est in incarnatione.
Ergo non fuit necessaria resurrectio neque ad resurrectionem corporum, neque
ad resurrectionem animarum. |
2. Augustin dit que « la résurrection des âmes se réalise par la parole de Dieu, et que la résurrection des corps se réalise par le Verbe incarné ». Or, le Verbe s’est fait chair par l’incarnation. La résurrection n’était donc pas nécessaire, ni pour la résurrection des corps, ni pour la résurrection des âmes. |
[10065] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, post ultimam consummationem non est aliquid necessarium. Sed ultima consummatio facta est in
passione: quia tunc dixit: consummatum est; Joan. 19, 30. Ergo non oportuit quod
postea resurgeret. |
3. Après la consommation ultime, rien n’est nécessaire. Or, la consommation ultime s’est réalisée par la passion, car il a alors dit : [Tout] est consommé, Jn 19, 30. Il n’était donc pas nécessaire qu’il ressuscite par la suite. |
[10066] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, ad hoc Christus humanam naturam assumpsit, ut ipsam restauraret. Sed plena restauratio facta est in
passione; quia et janua aperta est, et liberati sumus a peccato, poena, et
servitute Diaboli. Ergo non oportuit ut iterato corpus assumeret. |
4. Le Christ a assumé la nature humaine afin de la restaurer. Or, la pleine restauration a été réalisée dans la passion, car la porte [du ciel] a été ouverte et nous avons été libérés du péché, de la peine et de la servitude du Diable. Il n’était donc pas nécessaire qu’il assume de nouveau son corps. |
[10067] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, 1 Corinth. 15, 17: si Christus non resurrexit, inanis est fides nostra.
Sed sine fide non justificamur. Ergo necessarium fuit Christum resurgere. |
Cependant,
[1] 1 Co 15, 17 dit : Si le Christ n’est pas ressuscité, notre
foi est vain. Or, sans la foi, nous ne sommes pas justifiés. Il était
donc nécessaire que le Christ ressuscite. |
[10068] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Gregorius dicit quod vitam nostram resurgendo reparavit.
Ergo necessarium
fuit quod Christus resurgeret. |
[2] Grégoire dit que [le Christ] a restauré notre vie en ressuscitant. Il était donc nécessaire que le Christ ressuscite. |
[10069] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod necessitas resurrectionis Christi ex tribus apparet. Primo ex
ipsa conditione naturae assumptae. Anima enim et corpus sunt partes humanae
naturae: omnis autem pars est imperfecta respectu totius, ut patet per
philosophum in 3 Physic., unde nec corpori sine anima, nec animae sine
corpore inest omnis perfectio quam nata sunt habere. Et quia naturae
assumptae debebatur omnis perfectio quam contingit in natura reperire, ideo
ei debebatur quod corpus animae semper esset conjunctum. Quod autem ad tempus
separata fuerunt, hoc fuit propter necessitatem nostrae redemptionis. Secundo
ex merito passionis ejus: quia ex humilitate passionis meruit gloriam resurrectionis.
Tertio ex parte nostra, ut scilicet in capite gloriosa resurrectio
inchoaretur, quae in membris futura erat. Et iterum ut illis qui sunt in patria, non solum sit gloria de visione
divinitatis, sed etiam de visione humanitatis glorificatae in Christo quantum
ad corpus et quantum ad animam. |
Réponse. La nécessité de la résurrection se manifeste de trois manières. Premièrement, en raison de la condition même de la nature assumée. En effet, l’âme et le corps sont les parties de la nature humaine. Or, toute partie est imparfaite en regard du tout, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Physique, III. Toute la perfection qu’ils sont destinés à avoir n’existe donc pas dans l’âme sans le corps, ni dans le corps sans l’âme. Et parce que toute perfection qu’il arrive de trouver dans la nature était due à la nature assumée, il lui était donc dû que le corps soit toujours uni à l’âme. Or, qu’ils aient été séparés pour un temps, c’était en raison de ce qui était nécessaire à notre rédemption. Deuxièmement, en raison du mérite de sa passion, car il a mérité la gloire de la résurrection par l’humilité de la passion. Troisièmement, de notre point de vue, afin que la résurrection glorieuse qui doit exister dans les membres soit amorcée dans la tête. De plus, afin que ceux qui sont dans la patrie n’aient pas seulement la gloire par la vision de la divinité, mais aussi par la vision de l’humanité glorifiée dans le Christ en son corps et en son âme. |
[10070] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1
ad 1 Ad primum igitur
dicendum, quod illa definitio est resurrectionis secundum quod in aliis
hominibus invenitur; sed resurrectio Christi potest sic proprie definiri:
resurrectio est corporis facti incorruptibilis ad animam iterata unio. Vel
potest dici, quod quamvis Christus non ceciderit per peccatum, cecidit tamen
a vita naturae per mortem; et corpus quamvis non sit dissolutum per
incinerationem, est tamen facta dissolutio corporis et animae. |
1. Cette définition de la résurrection est celle qu’on trouve pour les autres hommes; mais la résurrection du Christ peut être ainsi définie au sens propre : « La résurrection est l’union renouvelée à l’âme du corps rendu incorruptible ». Ou bien on peut dire que, bien que le Christ n’ait pas péri par le péché, il a cependant péri selon la vie de la nature par la mort, et que, bien que son corps n’ait pas été dissous par la transformation en cendres, une dissolution du corps et de l’âme s’est cependant réalisée. |
[10071] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod verbum caro factum, non est proxima dispositio ad
resurrectionem nostram, sed verbum caro factum, et a morte resurgens. |
2. Le Verbe fait chair n’est pas une disposition prochaine à notre résurrection, mais le Verbe fait chair et ressuscité de la mort. |
[10072] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod in morte Christi facta est consummatio omnium eorum quae
exigebantur ad satisfactionem; quae quidem per resurrectionem non est facta,
sed magis novae vitae inchoatio. |
3. Dans la mort du Christ, s’est réalisée la consommation de tout ce qui était exigé pour la satisfaction, laquelle ne s’est pas réalisée par la résurrection, mais plutôt le commencement d’une vie nouvelle. |
[10073] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis Christus naturam nostram ad hoc
assumpsit ut eam repararet; non tamen sequitur quod, reparata natura, debeat
eam vel aliquam ejus partem abjicere, sed magis perpetuo tenere, sicut
perpetua est reintegratio facta in natura. Vel dicendum, quod quamvis per
passionem proprie loquendo sit facta reparatio quantum ad amotionem mali,
tamen per resurrectionem oportuit quod consummaretur quantum ad perfectionem
in bono. |
4. Bien que le Christ ait assumé notre nature pour la restaurer, il n’en découle cependant pas que, une fois la nature restaurée, il doive la rejeter ou rejeter une de ses parties, mais plutôt les garder éternellement, comme une réintégration éternelle s’est réalisée dans la nature. Ou bien il faut dire que, bien que, par la passion au sens propre, ait été réalisée la restauration pour l’enlèvement du mal, il fallait cependant que, par la résurrection, elle soit consommée pour la perfection dans la bien. |
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Articulus 2 [10074] Super Sent., lib. 3
d. 21 q. 2 a. 2 tit. Utrum Christus debuerit tertia die resurgere |
Article 2 – Le Christ devait-il ressusciter le troisième jour ? |
[10075] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Christus non debuit tertia die resurgere. Caput enim est
conforme membris in natura. Sed per resurrectionem natura reparatur quantum ad passibilitatem et
mortalitatem. Ergo Christus debuit simul cum aliis resurgere, et non tertia
die. |
1. Il semble que le Christ ne devait pas ressusciter le troisième jour. En effet, il revient à la tête de se conformer aux membres dans leur nature. Or, par la résurrection, la nature est restaurée pour ce qui est de la passibilité et de la mortalité. Le Christ devait donc ressusciter en même temps que les autres, et non pas le troisième jour. |
[10076] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, ut dicit Glossa Hebr. 11, ad hoc est dilata resurrectio omnium in finem mundi, ut
simul resurgentibus sit majus gaudium. Sed de resurrectione nullius sancti est tantum gaudium sicut de
resurrectione Christi. Ergo etiam ipse debuit usque ad finem mundi suam
resurrectionem differre, et non tertia die resurgere. |
2. Comme le dit la Glose sur He 11, «la résurrection de tous a été reportée à la fin du monde pour que la joie de ceux qui ressusciteront ensemble soit plus grande ». Or, on ne se réjouit de la résurrection d’aucun saint autant que de la résurrection du Christ. Il devait donc lui aussi reporter sa résurrection jusqu’à la fin du monde, et ne pas ressusciter le troisième jour. |
[10077] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, separatio animae a corpore in Christo non fuit facta nisi
propter redemptionem
humanae naturae. Sed in instanti mortis, redemptio soluto pretio completa
est. Ergo debuit statim resurgere. |
3. La séparation de l’âme du corps chez le Christ ne s’est réalisée que pour la rédemption de la nature humaine. Or, à l’instant de la mort, la rédemption a été achevée par l’acquittement du prix. Il devait donc ressusciter immédiatement. |
[10078] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2
arg. 4 Praeterea, plus
conferendum fuit Christo quam alicui alteri homini. Sed quidam homines qui
vivi invenientur in fine mundi, statim post mortem resurgent. Ergo multo magis Christus
resurgere debuit statim, et non in tertium diem resurrectionem differre. |
4. Il devait être davantage accorder au Christ qu’à un autre. Or, certains hommes qui se trouveront vivants à la fin du monde ressusciteront immédiatement après leur mort. Encore bien davantage, le Christ devait-il ressusciter aussitôt, et ne pas reporter sa résurrection au troisième jour. |
[10079] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, Matth. 12, 40,
dominus dicit: sicut fuit Jonas in ventre ceti (...) sic erit filius
hominis in corde terrae. Sed non fuit in corde terrae nisi quamdiu fuit
mortuus. Ergo tribus diebus et tribus noctibus mortuus fuit. Ergo non
resurrexit tertia die, sed magis quarta vel quinta. |
5. En Mt 12, 40, le Seigneur dit : Comme Jonas s’est trouvé dans le ventre de la baleine…, ainsi le Fils de l’homme sera-t-il au cœur de la terre. Or, il n’a été au cœur de la terre qu’aussi longtemps qu’il a été mort. Il a donc été mort trois jours et trois nuits. Il n’est donc pas ressuscité le troisième jour, mais plutôt le quatrième ou le cinquième. |
[10080] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, nox contra diem dividitur. Sed Gregorius videtur dicere in
Homil. Paschae,
Christum de nocte resurrexisse, sicut Samson de nocte portas Gazae tulit.
Ergo Christus non resurrexit tertia die, immo magis secunda nocte. |
6. La nuit s’oppose au jour. Or, Grégoire semble dire, dans son homélie de Pâques, que « le Christ est ressuscité de nuit, comme Samson a emporté de nuit les portes de Gaza ». Le Christ n’est donc pas ressuscité le troisième jour, mais bien plutôt la deuxième nuit. |
[10081] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2
s. c. 1 Sed contra, in
symbolo dicitur: resurrexit tertia die secundum Scripturas. |
Cependant, [1] il est dit dans le symbole : « Il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures. » |
[10082] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2
s. c. 2 Praeterea, Rom.
6, dicit Glossa: quievit in sepulcro una die et duabus noctibus: quia
nostram duplicem vetustatem sua simpla consumpsit. Ergo tertia die resurrexit. |
[2] À propos de Rm 6, la Glose dit : « Il a reposé au tombeau un jour et deux nuits, son unicité a consommé notre double vétusté. » Il est donc ressuscité le troisième jour. |
[10083] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 2 s. c. 3 Praeterea, conveniens erat ut veritas mortis nobis manifestaretur. Sed in
ore duorum vel trium testium stat omne verbum; 2 Corinth., 13, 1. Ergo
conveniens fuit ut tertia die resurgeret. |
[3] Il était approprié que la vérité de sa mort nous soit manifestée. Or, toute parole s’appuie sur le témoignage de deux ou de trois, 2 Co 13, 1. Il était donc approprié qu’il ressuscite le troisième jour. |
[10084] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2
co. Respondeo dicendum, quod,
sicut dictum est, Christus non sustinuit mortem quia debitor mortis esset,
sed ut mortem nostram sua morte destrueret. Ad hoc autem quod mors nostra
destrueretur, duo requirebantur: unum scilicet ut ipse non debitor mortis
mortem quam nos debebamus, pro nobis solveret; aliud est ut nos virtutem mortis
ipsius cognosceremus, et per fidem mortis virtus mortis in nobis effectum
haberet. Unde non oportuit quod morte detineretur nisi quantum congruebat ad
ostendendam mortis veritatem: quae sufficienter manifestata fuit et
congruenter per hoc quod tertia die resurrexit: tum quia sua morte duas
nostras mortes destruxit, ut tangit Glossa inducta: tum quia confirmatio,
quae fit per testes, ternario testium approbatur: tum quia perfectio in
ternario consistit, ut dicitur in 1 de caelo et mundo. Alias etiam congruentias
non difficile est assignare. |
Réponse. Comme on l’a dit, le Christ n’a pas supporté la mort parce qu’il avait une dette envers la mort, mais afin de détruire notre mort par sa mort. Or, pour détruire notre mort, deux choses étaient nécessaires : l’une, que celui qui n’était pas débiteur de la mort acquitte la mort que nous devions; l’autre, que nous connaissions la puissance de sa mort et que la puissance de sa mort ait son effet en nous par la foi. Il n’était donc nécessaire que la mort le retienne qu’aussi longtemps que cela convenait pour montrer la vérité de sa mort, qui a été suffisamment et adéquatement manifestée par le fait qu’il est ressuscité le troisième jour, parce qu’il a détruit nos deux morts par sa mort, comme la Glose invoquée le suggère; parce que la confirmation qui vient de trois témoins, est approuvée par le nombre de trois témoins; et parce que la perfection consiste dans le nombre trois, comme il est dit dans Sur le ciel et le monde, I. Il n’est difficile d’indiquer encore d’autres convenances. |
[10085] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod alii homines debitores mortis erant, et mors in eis non fuit
ex necessitate finis, sed ex necessitate culpae; non autem sic est in
Christo; et ideo non oportuit quod Christi resurrectio usque in finem mundi
differretur. Vel dicendum, quod illud quod est ultimum in operatione, oportet
esse primum in intentione; unde oportet quod resurrectionem, quam in fine
mundi consequemur, primo intendamus. Intentio autem et dirigitur et excitatur
et roboratur ex inspectione alicujus exemplaris, in quo finis secundum rem
praecedat; unde sicut intentio nostra qua intendimus in gloriam animae,
excitatur ex inspectione divinae gloriae, quae est exemplar nostrae futurae
beatitudinis; ita oportuit quod gloria resurrectionis in aliquo exemplari
nobis proponeretur, ad cujus conformitatem tenderemus; et hoc est resurrectio
Christi: unde dicitur Philip. 3, 21: reformabit corpus humilitatis nostrae configuratum corpori
claritatis suae. |
1. Les autres hommes étaient débiteurs de
la mort et la mort n’existait pas exigée chez eux par la fin, mais par
l’exigence de la faute. Mais il n’en est pas de même chez le Christ. Aussi
n’était-il pas nécessaire que la résurrection du Christ soit reportée jusqu’à
la fin du monde. Ou bien il faut dire que ce qui est dernier dans l’action
doit être premier dans l’intention. Aussi faut-il que nous ayons d’abord
l’intention de la résurrection, que nous obtenons à la fin du monde. Or,
l’intention est dirigée, stimulée et renforcée par la vue d’un modèle, chez
qui la fin précède réellement. De même donc que l’intention par laquelle nous
tendons vers la gloire de l’âme est stimulée par la vue de la gloire divine,
qui est le modèle de notre béatitude future, de même fallait-il que la gloire
de la résurrection nous soit proposée dans un modèle auquel nous essaierions
à nous conformer. Telle est la résurrection du Christ. Aussi est-il dit en
Ph 3, 21 : Il restaurera
notre corps humilié configuré à son corps glorifié. |
[10086] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod gaudium de resurrectione Christi movet ut exemplar ex quo
dirigimur in finem; non autem ita est de aliis sanctis; et ideo non est
simile de Christo et de illis. |
2. La joie de la résurrection meut en tant que modèle par lequel nous sommes orientés vers la fin; mais il n’en va pas de même des autres saints. Ce n’est donc pas la même chose pour le Christ et pour ceux-ci. |
[10087] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod non solum oportebat quod per mortem fieret redemptio; sed ad
hoc quod redemptionis ejus participes essemus, oportuit ut veritas mortis
nobis ostenderetur; et hoc non fuisset, si statim post mortem resurrexisset. |
3. Non seulement fallait-il que la rédemption soit accomplie par la mort, mais pour que nous participions à la rédemption, il fallait que la mérité de la mort nous soit montré. Ce n’aurait pas été le cas s’il était ressuscité immédiatement après la mort. |
[10088] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod mortis aliorum hominum cognitio non est nobis necessaria ad
salutem, sicut fides de morte Christi; et ideo resurrectio non est similis de
ipso et de illis qui vivi invenientur in fine mundi. |
4. La connaissance de la mort des autres hommes ne nous est pas nécessaire pour le salut, comme la foi en la mort du Christ. Aussi la résurrection n’est-elle pas semblable chez lui et chez ceux qui seront trouvés vivants à la fin du monde. |
[10089] Super Sent., lib. 3 d. 21
q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod dies, ut in 1 Lib., dist. 13, dictum est, diversis modis accipitur.
Aliquando enim pro die naturali, quae continet spatium viginti quatuor
horarum; unde includit diem et noctem; aliquando autem pro die artificiali:
et sic Christus fuit mortuus una die integra, scilicet die sabbati, et duabus
integris noctibus, scilicet praecedente diem sabbati, et sequenti, et adhuc
plus per quamdam partem sextae feriae; et sic loquitur Glossa Rom. 6. Si
autem loquamur de die naturali, sic accipiendo partem pro toto, fuit mortuus
tribus diebus et tribus noctibus. Illa enim pars diei passionis Christi a
nona et deinceps computatur pro tota die naturali cujus est pars: unde
computatur pro una die artificiali, et pro una nocte. Similiter nox post
sabbatum computatur pro tota die naturali sequente; et sic computatur pro una
die, et una nocte artificiali: quibus si conjungatur una dies integra,
scilicet dies sabbati, et una nox integra, scilicet nox praecedens; invenitur
quod Christus fuit mortuus tribus diebus et tribus noctibus. |
5. Comme on l’a dit dans le livre I, d. 13, « jour » s’entend de diverses manières. En effet, il est parfois utilisé pour le jour naturel, qui comporte une durée de vingt-quatre heures; ainsi inclut-il le jour et le nuit. Mais parfois il est utilisé pour un jour artificiel, et ainsi le Christ a été mort une journée complète : le jour du sabbat, et deux nuits complètes : la nuit précédant le jour du sabbat et la suivante, et plus encore par une partie du vendredi. Ainsi s’exprime la Glose sur Rm 6. Mais si nous parlons du jour naturel, en prenant ainsi la partie pour le tout, il a été mort trois jours et trois nuits. En effet, la partie du jour de la passion à partir de la neuvième et par la suite est comptée pour un jour artificiel et pour une nuit. De même, la nuit après le sabbat est-elle comptée pour tout le jour naturel suivant; ainsi est-elle comptée pour un jour et une nuit artificiels. Si on leur joint un jour complet, le jour du sabbat, et une nuit complète, la nuit précédente, on trouve que le Christ a été mort trois jours et trois nuits. |
[10090] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2
ad 6 Ad sextum
dicendum, quod Christus creditur resurrexisse in crepusculo quando adhuc est
lux tenebris permixta; et ideo aliquando dicitur resurrexisse in die, et
aliquando in nocte. |
6. On croit que le Christ est ressuscité au crépuscule, alors qu’il y avait encore de la lumière mêlée aux ténèbres. C’est pourquoi on dit parfois qu’il est ressuscité le jour, et parfois la nuit. |
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Articulus 3 [10091] Super Sent., lib. 3
d. 21 q. 2 a. 3 tit. Utrum Christus debuerit probare resurrectionem suam argumentis |
Article 3 – Le Christ devait-il prouver sa résurrection par des arguments ? |
[10092] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Christus resurrectionem suam
argumentis probare non debuit. Ambrosius enim dicit: tolle argumenta ubi
fides quaeritur. Sed de resurrectione quaeritur fides. Ergo argumenta
fieri ad resurrectionem non debent. |
1. Il semble que le Christ ne devait pas prouver sa résurrection par des arguments. En effet, Ambroise dit : « Écarte les arguments là où la foi est recherchée. » Or, la foi en la résurrection est recherchée. Il ne faut donc pas présenter d’arguments pour la résurrection. |
[10093] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3
arg. 2 Praeterea, aut
argumenta illa fuerunt sufficientia ad probandum resurrectionem, aut non. Si
non, hoc videtur in imperfectionem inducentis argumenta redundare. Si autem fuerunt sufficientia, et
argumentum sufficiens facit scientiam vel agnitionem, quae non stat simul cum
fide, quae est de non apparentibus; videtur quod evacuaverunt fidem, et
abstulerunt meritum ejus. |
2. Ces arguments étaient ou n’étaient pas suffisants pour prouver la résurrection. S’ils ne l’étaient pas, il semble qu’il revient à l’imperfection de celui qui invoque les arguments de se répéter. Mais s’ils étaient suffisants, un argument suffisant donne une science ou une connaissance qui ne cohabitent pas avec la foi, qui porte ce qui n’est pas évident. Il semble donc qu’on ait vidé la foi et qu’on en ait enlevé le mérite. |
[10094] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3
arg. 3 Praeterea,
sicut est fides de resurrectione, ita et de aliis articulis. Sed ad alios articulos
non induxit aliqua argumenta probantia. Ergo neque ad resurrectionem inducere
debuit. |
3. Le rapport entre la foi et la résurrection est le même que celui entre la foi et les autres articles. Or, il n’a pas invoqué d’autres arguments pour prouver les autres articles. Il ne devait donc pas en invoquer pour la résurrection. |
[10095] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3
arg. 4 Praeterea,
argumenta ex quibus contrarium videtur sequi, potius confundunt intellectum
quam elucidant. Sed in argumentis a Christo ostensis quasi contraria
innuebantur: per hoc enim quod comedit, ostendebat in se animalem vitam; per
hoc autem quod januis clausis intravit, ostendit spiritualem vitam. Ergo videtur quod
argumenta incongruenter adducta fuerint. |
4. Les arguments dont semble découler un contraire confondent plutôt l’intellect qu’ils ne l’éclairent. Or, dans les arguments montrés par le Christ, des contraires étaient pour ainsi dire suggérés. En effet, par le fait de manger, il montrait qu’il existait une vie animale en lui; mais par le fait qu’il est entré alors que les portes étaient fermées, il montrait une vie spirituelle. Il semble donc que les arguments aient été invoqués de manière inappropriée. |
[10096] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3
arg. 5 Praeterea,
sicut subtilitas est de gloria resurrectionis; ita et claritas. Sed Christus gloriam
resurrectionis solum per subtilitatem probavit quando intravit ad discipulos
januis clausis. Ergo videtur quod insufficienter ostenderit. |
5. De même que la subtilité fait partie de la gloire de la résurrection, de même en est-il de l’éclat. Or, le Christ a prouvé sa résurrection seulement par la subtilité, lorsqu’il est entré chez les disciples alors que les portes étaient fermées. Il semble donc qu’il l’ait insuffisamment manifestée. |
[10097] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3
s. c. 1 Sed contra est
quod dicitur Actor. 1, 3: praebuit seipsum vivum post passionem suam in
multis argumentis. |
Cependant,
[1] il est dit dans Ac 1, 3: Il se manifesta comme vivant après sa
passion par de multiples arguments. |
[10098] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3
s. c. 2 Praeterea,
apostoli, debebant esse testes resurrectionis. Sed nullus potest esse testis
idoneus eorum de quibus certitudinem per visum et auditum non habet. Ergo
videtur quod ipse eis argumenta praebere debuit, quibus certificarentur de
sua resurrectione. |
[2] Les apôtres devaient être les témoins de la résurrection. Or, personne ne peut être un témoin qualifié de ce dont il n’est pas certain par la vue et par l’ouïe. Il semble donc qu’il ait dû leur fournir des arguments par lesquels ils seraient assurés de sa résurrection. |
[10099] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3
s. c. 3 Praeterea, magis
necessarium erat quod apostoli haberent fidem de resurrectione quam alii
homines: quia ipsi erant qui fidem praedicare debebant. Sed aliis hominibus
facta est fides de resurrectione Christi per argumenta miraculorum: Marc.
ultim., 20: sermonem confirmante sequentibus signis. Ergo apostolis
per argumenta aliqua fides de resurrectione fieri debuit. |
[3] Il était plus nécessaire que les apôtres aient foi dans la résurrection que les autres, car c’étaient eux qui devaient prêcher la foi. Or, la foi en la résurrection du Christ a été donnée à d’autres hommes par les arguments des miracles. Mc 16, 20 : …confirmant la parole par les signes suivants. Une certaine foi en la résurrection devait donc être donnée par des arguments. |
[10100] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dicit Dionysius, lumen divinum non recipitur
in nobis nisi secundum nostram proportionem; fides autem causatur in nobis ex
influentia divini luminis; et ideo oportet quod istud divinum lumen secundum
nostram proportionem in nobis recipiatur. Cognitio autem nostra naturaliter
ex sensu oritur, et per principia rationis procedit; unde licet illa quae
fides tenet, sint supra rationem et sensum, inquantum sunt fidei subjecta,
ratione cujus exigitur ad eorum cognitionem quod infundatur altius lumen,
fidei scilicet; tamen ex parte nostra fuerunt aliqua adminicula fidei exhibenda.
Attenditur autem triplex gradus in credendo. Primus est ut aliquis rationem
transcendens his quae non videntur nec sensu nec ratione, assentire paratus
sit; et sic adminiculantur fidei miracula, quae ex eo quod humana ratione non
comprehenduntur, ostendunt aliquid supra rationem esse ei incomprehensibile. Secundus gradus est ut homini ea quae
credenda sunt, determinentur. Et quia fides non innititur nisi veritati
primae, inde est quod quantum ad hoc adminiculatur fidei auctoritas, per quam
ostenditur divinitus esse dictum. Tertius gradus est ut fidem quam habet,
aliis testificetur; et quantum ad hoc requiritur sensibilis cognitio eorum
quae testificanda sunt; alias non esset idoneum testimonium. Primum gradum
ascendunt qui de novo ad fidem convertuntur; et ideo signa infidelibus data
sunt, 1 Corinth. 14. Secundum autem gradum ascendunt qui in fide instruendi
sunt; et ideo eis ex auctoritate fides confirmatur. Sed apostoli testes
fuerunt fidei; et ideo prius inducti sunt ad credendum per miracula, sicut dicitur
Joan. 2, 11: hoc fecit initium signorum Jesus in Cana Galileae; postea
instructi sunt per auctoritatem, ut patet in discipulis euntibus in Emaus,
Luc. ult., et deinde per visibiles apparitiones idonei testes effecti sunt; 1
Joan. 1, 3: quod vidimus et audivimus. Sed quia ad resurrectionem, cum
sit quaedam mutatio, exigitur quod idem sit quod de uno extremo ad aliud
transivit, ideo dominus duo per apparitiones probare voluit, idest
identitatem resurgentis, et conditionem resurrectionis. Conditionem autem
resurrectionis probavit quantum ad tria: scilicet quantum ad veritatem vitae
per hoc quod cum eis comitatus est; similiter quantum ad veritatem corporis
per hoc quod eis se palpabilem praebuit: et quantum ad gloriam per hoc quod
januis clausis intravit. Identitatem etiam probavit et quantum ad naturam per
hoc quod comedit, et quantum ad personam per hoc quod se eis visibilem
praebuit in eadem effigie in qua prius eum soliti erant videre, et quantum ad
accidentia per hoc quod eis cicatrices ostendit. |
Réponse. Comme le dit Denys, « la lumière divine n’est reçue en nous que selon notre proportion ». Or, la foi est causée en nous par l’influence de la la lumière divine. Il est donc nécessaire que cette lumière divine soit reçue en nous selon notre proportion. Or, notre connaissance prend naissance naturellement dans le sens et se prolonge dans les principes de la raison. Bien que ce que la foi tient soit plus élevé que la raison et que le sens, pour autant que cela est objet de la foi ‑ raison pour laquelle il est nécessaire que, pour le connaître, soit versée une lumière plus élevée, celle de la foi ‑, certaines appuis de la foi étaient cependant nécessaires de notre point de vue. Or, on peut observer trois degrés dans la foi. Le premier est que quelqu’un soit disposé à donner son assentiment à ce qui dépasse la raison et n’est vu ni par le sens ni par la raison; ainsi viennent en aide à la foi les miracles, qui, par le fait qu’ils ne sont pas compris par la raison humaine, montrent qu’il existe quelque chose de plus élevé que la raison et qui lui est incompréhensible. Le deuxième degré consiste en ce que ce qui doit être cru soit précisé à l’homme. Et parce que la foi ne s’appuie que sur la Vérité première, de là vient que, sur ce point, l’autorité par laquelle il est montré que cela a été divinement dit vient en aide à la foi. Le troisième degré consiste en ce que celui qui possède la foi en témoigne devant d’autres. Sous cet aspect, une connaissance sensible de ce dont on doit témoigner est nécessaire, autrement il n’y aurait pas de témoignage adéquat. Ceux qui se convertissent initialement à la foi montent le premier degré, 1 Co 14. Ceux qui doivent être instruits de la foi montent le deuxième degré; aussi la foi leur est-elle confirmée par l’autorité. Mais les apôtres ont été les témoins de la foi. C’est pourquoi ils ont d’abord incités à croire par des miracles, comme il est dit en Jn 2, 11 : Jésus commença ainsi ses signes à Cana en Galilée; par la suite, ils furent instruits par l’autorité, comme cela ressort chez les disciples qui allaient à Emmaüs, Lc 24, et ensuite ils ont été rendus des témoins adéquats par des apparitions visibles, 1 Jn 1, 3 : Ce que nous avons vu et entendu... Mais parce qu’il est nécessaire pour la résurrection, qui comporte un changement, que ce soit la même chose qui soit passée d’un extrême à l’autre, le Seigneur a voulu prouver deux choses par ses apparitions : l’identité de celui qui était ressuscité et la condition de la résurrection. Or, il a prouvé la condition de la résurrection sous trois aspects : pour ce qui est de la vérité de la vie, en les accompagnant; pour ce qui est de la vérité de son corps, en se prêtant à leur toucher; pour ce qui est de la gloire, en entrant alors que les portes étaient closes. Il a aussi prouvé son identité, pour ce qui est de la nature, en mangeant; pour ce qui est de sa personne, en se rendant visible pour eux sous la même forme sous laquelle ils étaient habitués à le voir; et pour ce qui est des accidents, en leur montrant ses cicatrices. |
[10101] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod intentio Ambrosii est dicere, quod fides non assentit alicui
vel dissentit propter argumenta, sed propter veritatem primam; non autem quin
possint induci adminiculantia fidei argumenta. |
1. L’intention d’Ambroise est de dire que la foi ne donne pas ou refuse son assentiment à cause des arguments, mais en raison de la Vérité première, mais non pas sans que puissent être invoqués des arguments qui aident à croire. |
[10102] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod argumenta illa sufficienter probabant illud ad quod probandum
inducebantur, ut dictum est. Sed fides non est directe de illo quod probabatur sicut de objecto,
sed de divinitate, quae probari non potest homini in via: unde Thomas, de quo
dictum est, Joan. 20, 29, quia vidisti, credidisti: vidit hominem, et
Deum confessus est; et propter hoc argumenta illa ex suppositione fidei
procedebant, quod scilicet homo ille, in quo naturae veritas, vel aliquid
hujusmodi ostendebatur, esset Deus; unde non tollebatur neque meritum neque
ratio fidei. |
2. Ces arguments prouvaient suffisamment la démonstration pour laquelle ils étaient invoqués, comme qu’on l’a dit. Mais la foi n’a pas comme objet direct ce qui était prouvé, mais la divinité, qui ne peut être prouvée à l’homme in via. Aussi Thomas, de qui il est dit, Jn 20, 29 : Parce que tu as vu, tu as cru, a-t-il vu l’homme et a-t-il confessé Dieu. Pour cette raison, ces arguments se déroulaient en supposant la foi, à savoir, que cet homme, dans lequel la vérité de la nature ou quelque chose de ce genre était montré, était Dieu. Aussi n’étaient enlevés ni le mérite ni la raison de la foi. |
[10103] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod articuli fidei quidam sunt de divinitate tantum; et isti non
possunt ad sensum probari, sed vel per miracula, vel per auctoritates; et sic
probata sunt. Quidam autem sunt de humanitate unita divinitati; et isti etiam
ad sensum omnes probati sunt. Sed quia passio et ascensio in seipsa visa est,
resurrectio autem non; ideo signa resurrectionis visibiliter ostendi
oportuit, ex quibus conferendo ad veritatem resurrectionis perveniretur: et
propter hoc ista probatio dicta est argumentativa, non autem probatio ascensionis
vel passionis. |
3. Certains articles de foi portent sur la divinité seulement : ceux-ci ne peuvent pas être prouvés au sens que par des miracles ou par des autorités. C’est ainsi qu’ils ont été prouvés. Mais certains portent sur l’humanité unie à la divinité : ceux-là sont tous prouvés aux sens. Mais parce que la passion et l’ascension ont été vues en elles-mêmes, alors que la résurrection ne l’a pas été, il était nécessaire que des signes de la résurrection soient visiblement montrés, par lesquels on parviendrait à la vérité de la résurrection en les rassemblant. Pour cette raison, cette démonstration est appelée argumentative, mais non la preuve de l’ascension et de la passion. |
[10104] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod non erant in argumentis aliquae contrarietates: quia comestio
referebatur ad naturam, et introire januis clausis referebatur ad gloriam; et
non erat respectu ejusdem. |
4. Il n’y avait pas de contraires dans les arguments, car le fait de manger se rapportait à la nature, et le fait d’entrer, alors que les portes étaient fermées, [se rapportait] à la gloire. Ils ne portaient donc pas sur la même chose. |
[10105] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod in aliis corporibus etiam secundum naturam invenitur claritas
et impassibilitas, sicut in corporibus caelestibus; sed subtilitas in nullo
naturali corpore invenitur. Agilitas autem
ostendi visibiliter non potest: quia sensus particularium est; agilitas autem
est ut possit undecumque velit moveri; et praeterea loca multum distantia
videri non possunt; et iterum quia simile agilitati in radio solis invenitur.
Unde dicendum, quod discipulis euntibus in Emaus agilitatem demonstravit in
hoc quod ab oculis eorum statim evanuit; Luc. ult. |
5. On trouve l’éclat et l’impassibilité dans d’autres corps, comme dans les corps célestes; mais la subtilité ne se trouve dans aucun corps naturel. L’agilité ne peut être montrée de manière visible, car le sens porte sur des choses particulières; or, l’agilité consiste en ce qu’on puisse se mouvoir à partir de n’importe où. De plus, des lieux très distants ne peuvent pas être vus, et encore, parce que quelque chose de semblable à l’agilité se trouve dans le rayon du soleil. Il faut donc dire qu’il a démontré son agilité aux disciples qui se rendaient à Emmaüs par le fait qu’il disparut aussitôt à leurs yeux, Lc 24. |
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Articulus 4 [10106] Super Sent., lib. 3
d. 21 q. 2 a. 4 tit. Utrum argumentum sumptum ex visibili apparitione
fuerit conveniens |
Article 4 – L’argument tiré d’une apparition visible était-il approprié ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [L’argument tiré d’une apparition visible était-il approprié ?] |
[10107] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod argumentum sumptum ex visibili apparitione non fuit
conveniens. Quia ad veritatem
resurrectionis exigitur quod sit verum corpus humanum quod resurgit. Sed
Angeli, qui non habent vera corpora humana, apparuerunt multis in veteri
testamento. Ergo per apparitionem visibilem non ostenditur veritas
resurrectionis. |
1. Il semble que l’argument tiré d’une apparition visible ne soit pas approprié, car, pour la vérité de la résurrection, il est nécessaire que le vrai corps humain soit ressuscité. Or, les anges, qui n’ont pas de vrais corps humains, sont apparus à plusieurs dans l’Ancien Testament. La vérité de la résurrection n’est donc pas montrée par une apparition visible. |
[10108] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 1 arg. 2 Praeterea, omne
corpus videtur secundum formam quam habet. Sed forma corporis Christi est
forma gloriosa. Si ergo apparuit eis, in forma gloriosa ipsum viderunt. Sed
claritas gloriosi corporis non est proportionata oculo non glorificato, cum
sit major claritate solis. Ergo Christus
a discipulis videri non potuit. |
2. Tout corps est vu selon la forme qu’il possède. Or, la forme du corps du Christ est la forme glorieuse. Si donc il leur est apparu, ils l’ont vu en sa forme glorieuse. Or, l’éclat du corps glorieux n’est pas proportionné a l’œil non glorifié, puisque son éclat dépasse l’éclat du soleil. Le Christ ne pouvait donc pas être vu. |
[10109] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
discipuli euntes in Emaus, viderunt eum in effigie peregrini. Aut ergo illa
effigies inerat ei secundum veritatem, aut erat tantum in oculis videntium.
Si erat in corpore Christi, cum in eo esset effigies propria, tunc duae
effigies erant simul in uno corpore, quod est impossibile. Si autem erat
tantum in oculis videntium, ergo erat praestigiosa apparitio. Sed ea quae
praestigiose apparent, non demonstrant veritatem rei. Ergo per hoc non poterat demonstrari
veritas resurrectionis. |
3. Les disciples qui allaient à Emmaüs l’ont vu sous la forme d’un pèlerin. Soit cette forme était en lui selon la vérité, soit elle était seulement dans les yeux de ceux qui le voyaient. Si elle se trouvait dans le corps du Christ, puisqu’elle était pour lui une forme propre, deux formes se trouvaient donc simultanément dans un même corps, ce qui est impossible. Mais si elle se trouvait seulement dans les yeux de ceux qui le voyaient, il s’agissait donc d’une apparition trompeuse. Or, les apparitions trompeuses ne démontrent pas la vérité d’une chose. La vérité de la résurrection ne pouvait donc pas être démontrée par cela. |
[10110] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, inter
omnes sensus majorem certitudinem facit visus, ut dicitur in 1 Metaph. Sed apostoli, qui erant testes
resurrectionis, debebant habere certissimam fidem de resurrectione. Ergo
debuit eis fieri argumentum ex visu. |
Cependant, [1] parmi tous les sens, la plus grande certitude vient de la vue, comme il est dit dans Métaphysique, I. Or, les apôtres, qui étaient les témoins de la résurrection, devaient posséder une foi très certaine en la résurrection. On devait donc leur présenter un argument à partir de la vue. |
[10111] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, hoc
patet per id quod dicitur 1 Joan., 1, 3: quod vidimus et audivimus
annuntiamus vobis. |
[2] Cela ressort de ce qui est dit en 1 Jn 1, 3 : Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le Christ devait-il se laisser palper par eux ?] |
[10112] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod non debuit seipsis palpabilem exhibere. Palpabile enim
incorruptibili contrarium est, ut dicit Gregorius. Sed contraria non possunt
esse in eodem. Cum ergo corpus Christi esset incorruptibile, videtur quod non
debuerit ipsum palpabile exhibere. |
1. Il semble qu’il ne devait pas se laisser palper par eux. En effet, « ce qu’on peut toucher est contraire à ce qui est incorruptible », comme le dit Grégoire. Or, les contraires ne peuvent pas exister dans une même chose. Puisque le corps du Christ était incorruptible, il semble donc qu’il ne devait pas se laisser toucher par eux. |
[10113] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
differentiae tangibiles sunt calidum et frigidum, et hujusmodi contraria. Sed
in glorificatis corporibus non erunt hujusmodi contrarietates, ut dicitur,
nec etiam in elementis post mundi innovationem. Ergo corpus Christi palpari
non potuit. |
2. Les différences tangibles sont le chaud et le froid et leurs contraires. Or, ces réalités contraires ne se trouveront pas dans les corps glorieux, comme on dit, ni même dans les éléments après la rénovation du monde. Le corps du Christ ne pouvait donc pas être touché. |
[10114] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 2 arg. 3 Praeterea, hoc
solum palpabile est quod est resistens tactui, et cui tactus resistit; unde
aer quamvis sit tangibilis, non tamen est palpabilis. Sed corpori Christi non
resistebat aliud corpus, quia januis clausis intravit. Ergo palpari non
potuit. |
3. Seul est palpable ce qui résiste au toucher et à quoi le toucher résiste; ainsi, l’air, bien qu’il soit tangible, n’est cependant pas palpable. Or, un autre corps ne résistait pas au corps du Christ, puisqu’il était entré alors que les portes étaient closes. Il ne pouvait donc pas être palpé. |
[10115] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 2 arg. 4 Praeterea,
spiritus Angeli vel Daemonis posset assumere corpus solidum quod palpari
posset. Ergo per
palpationem non sufficienter probatur veritas corporis. |
4. L’esprit d’un ange ou du Démon pourrait assumer un corps solide qui pourrait être palpé. La vérité d’un corps n’est donc pas suffisamment prouvée par la palpation. |
[10116] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 2 arg. 5 Praeterea, alii
sensus sunt magis spirituales quam tactus. Ergo magis per eos debuit veritatem
resurrectionis probare quam per tactum. |
5. Les autres sens sont plus spirituels que le toucher. Il devait donc prouver la vérité de la résurrection par eux plutôt que par le toucher. |
[10117] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 2 s. c. 1 Sed contra,
Luc. ult., 39: palpate et videte; quia spiritus carnem et ossa non habet,
sicut me videtis habere. |
Cependant,
[1] Lc 24, 39 dit : Palpez et voyez, car un esprit n’a pas de
chair ni d’os, comme vous voyez que j’en ai. |
[10118] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 2 s. c. 2 Praeterea, inter
alios sensus homo certissimum habet tactum, ut dicitur in 2 de anima. Cum igitur cognitio resurrectionis debuerit
esse certissima in apostolis, per tactum debuit eis ostendi. |
[2] Parmi les autres sens, l’homme a comme sens le plus certain le toucher, comme il est dit dans Sur l’âme, II. Puisque la connaissance de la résurrection devait être très certaine pour les apôtres, elle devait donc leur être montrée par le toucher. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Le Christ devait-il prouver sa résurrection par ses cicatrices ?] |
[10119] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod non debuerit per cicatrices suam resurrectionem probare. Quia per suam
resurrectionem Christus nostram demonstravit. Sed a resurgentibus omnis
corruptio removebitur. Cum igitur cicatrix sit quaedam corruptio, videtur
quod Christus per cicatrices suam resurrectionem probare non debuit. |
1. Il semble que [le Christ] ne devait pas prouver sa résurrection par ses cicatrices, car, par sa résurrection, le Christ a mis en évidence notre résurrection. Or, toute corruption est enlevée de ceux qui ressuscitent. Puisqu’une cicatrice est une corruption, il semble donc que le Christ ne devait pas prouver sa résurrection par ses cicatrices. |
[10120] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 3 arg. 2 Praeterea, status
resurgentium est status immutabilis. Ergo Christus in seipso non debuit
demonstrare nisi quod semper in se futurum erat. Sed cicatrices non semper in
Christo debebant remanere: quia dicit Damascenus, quod tantum secundum
dispensationem in Christo fuerunt. Ergo cicatrices ostendere non debuit. |
2. L’état de ceux qui ressuscitent est un état d’immuabilité. Le Christ ne devait donc montrer en lui-même que ce qui devait toujours exister à l’avenir. Or, les cicatrices ne devaient pas demeurer pour toujours, car [Jean] Damascène dit qu’elles ne se trouvaient chez le Christ que selon l’économie (dispensatio). Il ne devait donc pas montrer ses cicatrices. |
[10121] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 3 arg. 3 Praeterea, Hieronymus dicit ad Marcellam, quod non meretur
tangere Christum qui resurrectionem ejus non credit; propter quod dictum est
Magdalenae, Joan. 20, 17: noli me tangere. Sed Thomas resurrectionem non credebat. Ergo
Christus cicatrices vulnerum ei palpabiles exhibere non debuit. |
3. Jérôme dit à Marcella que celui qui ne croit pas à sa résurrection ne mérite pas de toucher le Christ; c’est pour cela qu’il a été dit à Madeleine, Jn 20, 17 : Ne me touche pas! Or, Thomas ne croyait pas à la résurrection. Le Christ ne devait donc pas lui donner à palper ses cicatrices. |
[10122] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 3 s. c. 1 Sed contra,
Leo Papa: quis dubitet a mortuis rediisse salvatorem, cujus praesentiam
agnovit oculus, attrectavit manus, digitus perscrutatus est ? Ergo cum
omnem dubitationem suae resurrectionis auferre debuerit, videtur quod
cicatrices digito perscrutandas praebere debuit. |
Cependant, [1] le pape Léon dit : « Qui doute que le Sauveur est revenu des morts, lui dont l’œil a reconnu la présence, la main a touché, que le doigt a palpé ? » Puisqu’il devait enlever tout doute à propos de sa résurrection, il semble donc qu’il devait donner ses cicatrices à scruter avec le doigt. |
[10123] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 3 s. c. 2 Praeterea, decet
victorem insignia suae victoriae et habere et ostendere. Sed, sicut dicit
Augustinus in Lib. de civitate Dei, cicatrices vulnerum Christi fuerunt
victoriae suae indicia. Ergo decuit ut
eas haberet, et ostenderet. |
[2] Il convient que le vainqueur possède et montre les insignes de sa victoire. Or, comme le dit Augustin dans le livre sur La cité de Dieu, « les cicatrices des blessures du Christ étaient des signes de sa victoire ». Il convenait donc qu’il les possède et les montre. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 – [Le Christ devait-il montrer sa résurrection en mangeant ?] |
[10124] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 4 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod
non debuit per manducationem suam resurrectionem ostendere. Comestio enim
spectat ad vitam animalem. Sed per resurrectionem non transitur ad vitam
animalem, ut dicunt Saraceni et Judaei. Ergo Christus per comestionem resurrectionem probare non debuit. |
1. Il semble que [le Christ] ne devait pas montrer sa résurrection en mangeant. En effet, manger se rapporte à la vie animale. Or, par la résurrection, on ne passe pas à la vie animale, comme le disent les Sarrasins et les Juifs. Le Christ ne devait donc pas prouver [sa résurrection] en mangeant. |
[10125] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 4 arg. 2 Praeterea, cibus
comestus convertitur in corpus comedentis. Sed in corpus Christi non potuit
aliquid converti: quia jam erat extra statum generationis et corruptionis. Ergo videtur quod comedere non debuit. |
2. La nourriture mangée se transforme dans le corps de celui qui mange. Or, rien ne pouvait être changé en corps du Christ, car il se trouvait déjà en dehors de l’état de génération et de corruption. Il semble donc qu’il ne devait pas manger. |
[10126] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 4 arg. 3 Praeterea, Angeli qui apparuerunt Abrahae, manducaverunt; nec
tamen in eis fuit veritas humanae naturae. Ergo per comestionem veram resurrectionem
humanae naturae probare non debuit. |
3. Les anges qui sont apparus à Abraham ont mangé; cependant, il n’y avait pas de vérité de la nature humaine en eux. [Le Christ] ne devait donc pas prouver la vraie résurrection de sa nature humaine en mangeant. |
[10127] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 4 s. c. 1 Sed contra, Act.
10, 40: dedit eum notum fieri non omni populo, sed nobis, qui manducavimus
et bibimus cum eo, postquam resurrexit a mortuis; et per hoc testificatus
est Petrus resurrectionem. Ergo et hoc
argumentum debuit exhibere suae resurrectionis. |
Cependant, [1] Ac 10, 40 dit : Il s’est fait connaître, non pas à tout le peuple, mais à nous, qui avons mangé et bu avec lui après qu’il fut ressuscité des morts. Par cela, Pierre a témoigné de la résurrection. Il devait donc présenter cet argument de sa résurrection. |
[10128] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 4 s. c. 2 Praeterea,
veritas incarnationis probatur per id quod est infimum in partibus hominis,
scilicet per carnem; unde dictum est Joan. 1, 14: verbum caro factum est.
Ergo etiam
veritas naturae humanae debuit probari in Christo per id quod est infimum in
operibus animae. Hae autem sunt operationes vegetabilis animae; quarum prima
in animalibus est comestio. Ergo per hoc veritatem resurrectionis probare
debuit. |
[2] La vérité de l’incarnation est prouvée par ce qui est la plus petite partie de l’homme, la chair. Aussi est-il dit en Jn 1, 14 : Le Verbe s’est fait chair. La vérité de la nature humaine devait donc aussi être prouvée chez le Christ par ce qui est la plus petite parmi les œuvres de l’âme. Or, telles sont les opérations de l’âme végétative, dont la première, chez le animaux, est le fait de manger. Il devait donc prouver par cela la vérité de la résurrection. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[10129] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod ad veritatem resurrectionis exigitur
quod idem numero resurgat. Individuatio autem, secundum quam est aliquid unum
numero, ex diversis accidentibus manifestatur, quorum collectio in alio non
invenitur: et quia visus, ut dicit philosophus in principio Metaph., plures
nobis rerum differentias ostendit, ideo quod sit idem numero, nunquam melius
quam per visum manifestatur; et ideo visibilis apparitio fuit unum de
argumentis resurrectionis. |
Pour la vérité de la résurrection, il est requis que le même en nombre ressuscite. Or, l’individuation, selon laquelle une chose est la même en nombre, est manifestée par divers accidents, dont l’assemblage ne se trouve pas chez un autre. Et parce que, comme le dit le Philosophe au début de Métaphysique, la vue nous montre plusieurs différences des choses, le fait qu’une chose soit identique en nombre n’est jamais mieux manifesté que par la vue. C’est pourquoi l’apparition visible a été l’un des arguments de la résurrection. |
[10130] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod apparitio visibilis non inducebatur ad probandum veritatem carnis (quia
hoc per alia argumenta probabatur), sed ad probandum identitatem suppositi,
supposita veritate corporis. |
1. L’apparition visible n’était pas invoquée pour prouver la vérité de la chair (car cela était prouvé par d’autres arguments), mais pour prouver l’identité du suppôt, en supposant la vérité du corps. |
[10131] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod secundum opinionem Praepositini, quae probabilior videtur,
corpus glorificatum, est omnino in potestate animae quantum ad omnes actiones
ejus; visibile autem videtur secundum quod agit in visum; et ideo dicebat,
quod in potestate corporis gloriosi est quod videatur vel non videatur; et
iterum quando videtur, quod videatur sub forma gloriae, vel non. Cum enim sit
in eo forma naturalis corporis, et forma gloriae; potest secundum unam tantum
immutare visum, vel secundum utramque; et immutare visum secundum formam
gloriae secundum proportionem visus; ut non corrumpatur, sed delectetur,
sicut ex visibili proportionato. Alii vero dicunt quod non potest videri nisi per miraculum. Sed primum
est probabilius. |
2. Selon l’opinion de Prévostin, qui semble plus probable, le corps glorifié se trouve complètement au pouvoir de l’âme pour ses actions. Mais le fait qu’il soit visible semble venir de qu’il agit sur la vision. C’est pourquoi il disait qu’il est au pouvoir du corps glorieux d’être vu ou de ne pas être vu, et, de plus, lorsqu’il est vu, d’être vu sous la forme de la gloire ou non. En effet, puisque la forme naturelle du corps et la forme de la gloire existent chez lui, il peut ne changer la vue que selon l’une [des formes] ou selon les deux, et changer la vue sous la forme de la gloire selon la proportion de la vue, de sorte que celle-ci ne soit pas corrompue, mais délectée, comme par une chose visible proportionnée. Mais d’autres disent qu’il ne peut être vu que par miracle. Mais la première position est plus probable. |
[10132] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod discipulis
Christus formam naturalem sui corporis ostendit, qua est quodammodo corpus coloratum, et non formam
claritatis gloriae. Quod autem ipsi eum non cognoverunt, fuit ex interiori
eorum dispositione, quia eum resurrexisse non credebant; unde non ponebant se
ad perquirendum judicia propria, quibus possent ipsum cognoscere: sicut etiam
accideret, si videremus aliquem quem mortuum crederemus, quamvis notus
fuisset nobis; et maxime si videremus illum in alio habitu. Unde quam cito
eis ostendit signum fractionis panis speciale sibi, cognoverunt eum propter
specialem modum frangendi: quia, ut dicitur, sua fractio erat similis
incisioni cultelli. Et hac infidelitate vel dubitatione tenebantur oculi
eorum ne eum cognoscerent; et ista detentio dicitur aorasia, de qua dicitur
in Glossa, Gen. 19, non quod esset aliquod impedimentum ex parte visus
corporalis in discipulis sicut potuit esse in Sodomitis. Vel potest dici quod
quamvis visui repraesentaretur propria species, in qua soliti erant eum
videre; tamen virtute divina impediebantur vires interiores, ne sequerentur
judicium de persona illa quae esset; et sic ea quae exterius agebantur, conformabantur
his quae interius contingebant in ipsis, ut praesentem haberent, et non
cognoscerent: quia amabant, sed dubitabant, ut dicit Gregorius. |
3. Le Christ a montré à ses disciples la forme naturelle de son corps, selon laquelle il est d’une certaine manière un corps coloré, et non la forme de l’éclat de la gloire. Le fait qu’ils ne l’aient pas reconnu venait de leur disposition intérieure, car ils ne croyaient pas qu’il était ressuscité. Aussi ne s’appliquaient-ils pas à interroger leurs propres jugements, par lesquels ils pouvaient le connaître, comme cela arriverait si nous voyions quelqu’un que nous aurions cru mort, aussi connu nous ait-il été, et surtout si nous le voyions habillé autrement. Aussi dès qu’il leur eut montré le signe de la fraction du pain qui lui était particulier, l’ont-ils reconnu à la manière particulière de rompre, car, ainsi qu’on le dit, sa manière de rompre était semblable à la coupure d’un couteau. À cause de cette infidélité ou de ce doute, leurs yeux étaient empêchés de le connaître : cet empêchement est appelé aorasia, dont il est question dans la Glose sur Gn 19, et non pas qu’il y ait eu un empêchement du point de vue de la vision corporelle chez les disciples, comme cela pouvait être le cas pour les gens de Sodome. Ou bien on peut dire que bien que sa forme habituelle ait été représentée à la vue, les puissances intérieures étaient cependant empêchées de suivre le jugement sur l’identité de cette personne. Ainsi, ce qui se passait extérieurement se conformait à ce qui arrivait intérieurement chez eux, de sorte qu’ils le voyaient comme présent, mais ne le reconnaissaient pas, parce qu’« ils aimaient, mais doutaient », comme le dit Grégoire. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[10133] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam
quaestionem dicendum, quod propter vehementiam imaginationis contingit
aliquando quod illud quod imaginatio apprehendit, videtur esse praesens in
visu, non solum in dormiendo, sed etiam in vigilando. Similiter etiam contingit quod ex
oppositione aliquorum corporum videtur aliqua effigies, ac si esset hominum,
vel aliorum animalium. Iterum etiam apparitiones visibiles Daemonum et etiam
Angelorum consueverunt fieri per corpora aerea inspissata; unde statim cum
volunt, dissolvuntur. Et ideo dominus ad ostendendum veritatem
resurrectionis, palpationem visui adjunxit, ut excluderetur visio per
immutationem visus ab imaginatione, et visio umbrarum, et visio spirituum
apparentium. |
En raison de l’emportement de l’imagination, il arrive parfois que ce que l’imagination saisit semble être présent à la vue, non seulement lorsqu’on dort, mais aussi à l’état de veille. De même, il arrive qu’en raison du contraste de certains corps, il semble y avoir une forme ressemblant à des hommes ou à d’autres animaux. De plus, les apparitions visibles de démons et même d’anges ont coutume de se réaliser sous forme de corps aériens serrés, de sorte que, dès qu’ils s’envolent, ils se dissolvent. C’est pourquoi le Seigneur, afin de montrer la vérité de la résurrection, a ajouté la palpation à la vue afin d’écarter la vision provoquée par le changement de la vue par l’imagination, la vision d’ombres et la vision d’esprits qui se manifestent. |
[10134] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 2 ad 1 Ad primum dicendum,
quod omne corpus tangibile est per naturam corruptibile; unde secundum
philosophos caelum est visibile, sed non tangibile. Sed quod est per naturam
corruptibile, potest esse per gloriam incorruptibile. Unde quamvis
corruptibile et incorruptibile sint contraria simpliciter propter quod dicit
Gregorius, quod ostendit in se duo contraria; tamen corruptibile per naturam
et incorruptibile per gratiam non sunt contraria. Unde sicut corpus gloriosum
habet in potestate sua quod possit videri et non videri; ita habet in
potestate quod possit palpari et non palpari, et utrumque sine miraculo: sed
palpatur per naturam corporis; non palpabile autem est, inquantum corpus est
instrumentum animae gloriosae. |
1. Tout corps tangible est par nature corruptible. Aussi, selon les philosophes, le ciel est-il visible, mais il n’est pas tangible. Mais ce qui est par nature corruptible peut être incorruptible en vertu de la gloire. Bien que ce qui est corruptible et ce qui est incorruptible soient simplement des contraires – raison pour laquelle Grégoire dit qu’il a montré en soi deux contraires ‑, ce qui est corruptible par nature et incorruptible par grâce ne sont pas des contraires. De même que le corps glorieux a le pouvoir d’être vu ou de ne pas être vu, de même donc a-t-il le pouvoir de pouvoir être palpé et de ne pas être palpé, et les deux sans miracle : il est palpé selon la nature du corps, mais il n’est pas palpable pour autant que le corps est l’instrument de l’âme glorieuse. |
[10135] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod palpatio non pertinet ad sensum tactus inquantum est
discretivus calidi et frigidi, et hujusmodi contrariorum; sed inquantum est
discretivus corporum solidorum quae habent potentiam naturalem resistendi
dividenti; et haec quidem soliditas est in corporibus gloriosis, etsi non
sint qualitates illae contrariae. Vel dicendum, quod qualitates illae sunt in
corpore glorioso, et erunt in elementis quantum ad substantiam, sed non
quantum ad actionem, qua unum agat in alterum: continebuntur enim per formam
gloriae ne agant, sicut continentur per formam naturalem ne dissolvant
conjunctum. |
2. La palpation ne relève pas du sens du toucher en tant qu’il peut distinguer le chaud et le froid et les contraires de ce genre, mais en tant qu’il peut distinguer les corps solides qui ont le pouvoir naturel de résister à celui qui les divise. Cette solidité existe dans les corps glorieux, même si ces qualités ne sont pas contraires. Ou bien il faut dire que ces qualités existent dans le corps glorieux et existeront dans les éléments quant à leur substance, mais non quant à l’action par laquelle ils agissent l’un sur l’autre. En effet, ils seront retenus d’agir par la forme de la gloire, comme le composé est empêché par la forme naturelle de se dissoudre. |
[10136] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quamvis glorioso corpori nullum corpus non gloriosum possit
resistere; tamen corpus gloriosum potest resistere cuilibet alteri corpori;
et secundum hoc potest palpari quando vult. |
3. Bien qu’aucun corps non glorieux ne puisse résister à un corps glorieux, le glorieux peut cependant résister à n’importe quel autre corps; sous cet aspect, il peut être palpé quand il le veut. |
[10137] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod quamvis spiritus possit corpus solidum accipere; non tamen
potest assumere corpus solidum, in quo appareant omnes operationes vitae,
sicut perfecte in Christi corpore apparebant: quia opus artis non potest esse
simile operationi naturae. Unde quamvis
statim non perciperetur deceptio, si Christus corpus solidum assumpsisset,
tamen ex longa mora, qualem contraxit Christus cum discipulis, non potuisset
latere: quia illa quae fiunt per artem Daemonis praeter viam naturae, non
sunt diuturna. |
4. Bien qu’un esprit puisse recevoir un corps solide, il ne peut cependant pas assumer un corps solide, dans lequel se manifestent toutes les opérations de la vie, comme elles se manifestaient dans le corps du Christ, car l’œuvre de l’art ne peut être semblable à l’opération de la nature. Bien que la supercherie n’aurait pas été immédiatement perçue si le Christ avait assumé un corps solide, à la longue il n’aurait pas pu cacher à ses disciples celui qu’il avait pris, car ce qui est réalisé par l’art du Diable en dehors de la voie de la nature ne dure pas longtemps. |
[10138] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 2 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod per tactum cognoscimus calidum et frigidum, durum et molle, et
hujusmodi qualitates, ex quibus naturaliter constituitur corpus; et ideo
quamvis tactus sit minus spiritualis inter alios sensus, tamen per eum
veritas naturae resurgentis certius probari potuit. |
5. Par le toucher, nous connaissons le chaud et le froid, le dur et le mou, et les qualités de ce genre, dont le corps est naturellement constitué. C’est pourquoi, bien que le toucher soit le moins spirituel des sens, la vérité de la nature ressuscitée peut cependant être plus sûrement prouvée par lui. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
|
[10139] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod cicatrices signa erant mortis
Christi: unde secundum hoc accidens ostendebatur quod ille idem qui mortuus
fuerat resurrexit. |
Les cicatrices étaient les signes de la mort du Christ. Aussi était-il montré par cet accident que celui qui était ressucité était le même que celui qui était mort. |
[10140] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum Augustinum, 22 de Civ. Dei, hujusmodi cicatrices vulnerum remanent
in victoribus, et in Christo remanserunt ad decorem quasi insignia victoriae
suae, et non quod aliqua corruptio vel defectus ex istis cicatricibus in eis
sit. Unde etsi aliquibus sanctis sunt amputata aliqua membra, non oportet
quod sine illis resurgant, sed quod in loco incisionis aliquod vestigium ad
decorem gloriae remaneat. |
1. Selon Augustin, La cité de Dieu, XXII, « ces cicatrices des blessures demeurent chez les vainqueurs et sont demeurées chez le Christ comme un ornement, comme les insignes de sa victoire, et non pas parce qu’une corruption ou une carence s’est trouvée en lui en raison de ces cicatrices. Même si certains membres ont été amputés à des saints, il n’est donc pas nécessaire qu’ils ressuscitent sans eux, mais qu’à l’endroit de l’incision, un vestige demeure comme un ornement glorieux. |
[10141] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cicatrices istae, ut probabilius videtur,
semper in corpore Christi remanebunt ad decorem. Quod autem dicuntur
dispensative assumptae, hoc est, non quia ad tempus assumptae sunt, sed quia
non est de necessitate materiae quod in Christo remaneant, sicut in nobis
accidit, sed propter aliquem finem: in omnibus quidem victoribus propter
decorem, in Christo autem propter hoc et propter alia quatuor. Primo ut
veritatem resurrectionis astrueret; secundo ut eas patris ejus aspectui
praesentaret, pro nobis implorans; tertio ut nobis suae misericordiae et
caritatis monstraret indicia; quarto ut in judicio per eas impiis ostenderet
quam juste damnentur. |
2. Il semble plus probable que ces cicatrices demeureront toujours dans le corps du Christ comme un ornement. On dit qu’elles ont été assumées selon une dispensation, non pas parce qu’elles ont été assumées temporairement, mais parce que ce n’est pas une nécessité de la matière qu’elles demeurent chez le Christ, comme cela arrive chez nous, mais en raison d’une fin : chez tous les vainqueurs, comme un ornement, mais chez le Christ, pour cette raison et pour quatre autres. Premièrement, pour affirmer la vérité de la résurrection; deuxièmement, pour les présenter à la vue de son Père en implorant pour nous; troisièmement, pour nous montrer des signes de sa miséricorde et de sa charité; quatrièmement, afin que, lors du jugement, il les montre aux impies à quel point ils sont justement damnés. |
[10142] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Thomas ad solum aspectum vulnerum credidit;
unde dictum est ei, Joan. 20, 29: quia vidisti me, credidisti. Sed
tamen tetigit eum, ut a nobis omnem dubitationem excluderet: quia testis erat
futurae resurrectionis; unde Leo Papa dicit: suffecerat ad fidem propriam
quod viderat; sed nobis operatus est, ut tangeret quod videbat. Gloriosa autem Magdalena non eligebatur ut
testis resurrectionis in populis: quia non decet mulierem docere in Ecclesia,
1 Corinth. 14, et ideo non est permissa tangere. |
3. Thomas a cru à la seule vue des blessures. Aussi lui a-t-il été dit, Jn 20, 29 : Tu as cru parce que tu m’as vu. Cependant, il l’a touché pour écarter de nous tout doute, car il était un futur témoin de la résurrection. Aussi le pape Léon dit-il : « Il aurait suffi pour sa propre foi qu’il ait vu; mais il a agi pour nous en touchant ce qu’il voyait. » Mais la glorieuse Madeleine n’était pas choisie comme témoin de la résurrection pour le peuple, car il ne convient pas qu’une femme enseigne dans l’Église, 1 Co 14. Aussi ne lui a-t-il pas été permis de toucher. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la sous-question 4
|
[10143] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 4 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod per comestionem ostendit veram
remansisse naturam humanam ex illis vitae operibus quae infima sunt, ut prius
dictum est. |
En mangeant, il a montré que la vraie nature humaine était demeurée par les actes de cette vie qui sont les plus infimes, comme on l’a dit plus haut. |
[10144] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 4 ad 1 Ad primum igitur
dicendum, quod magis difficile erat ad credendum veritas resurrectionis quam
gloria resurgentis resurrectione supposita; et ideo maxime facta sunt
argumenta ad probandum veritatem naturae humanae quae manet in statu gloriae
quantum ad omnes potentias et membra, ut sit natura integra, quamvis non
remaneant omnes usus potentiarum et membrorum, quia non inest necessitas. Et ideo ista comestio non fuit
necessitatis, sicut est in animali vita, sed magis fuit potestatis, idest
naturalis potentiae ostensiva. |
1. La vérité de la résurrection était plus difficile à croire que la gloire du ressuscité, en supposant sa résurrection. Aussi des arguments ont-ils été présentés surtout pour prouver la vérité de la nature humaine qui demeure dans l’état de la gloire pour toutes les puissances et tous les membres, de sorte que la nature soit complète, bien que ne demeurent pas tous les usages des puissances et des membres, car cela n’est pas nécessaire. C’est pourquoi le fait de manger n’était pas nécessaire, comme il l’est pour la vie animale, mais il fut plutôt la manifestation d’une capacité, à savoir qu’il manifestait une puissance naturelle. |
[10145] Super Sent., lib. 3 d.
21 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum quod fuit ibi comestio quantum ad divisionem
cibi, et quantum ad trajectionem in ventrem, non autem quantum ad conversionem
in humores. Cibus autem ille, ut dicit Augustinus, in spiritualem naturam
conversus est, idest in vaporem resolutus, sicut aqua per radium solis. |
2. C’était là une manducation sous l’aspect de division de la nourriture et de passage par la ventre, mais non sous l’aspect de conversion en humeurs. Cependant, comme le dit Augustin, « cette nourriture a été changée en nature spirituelle », c’est-à-dire qu’elle s’est transformée en vapeur, comme l’eau par le rayon du soleil. |
[10146] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 4 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod in Angelis non est comestio ad ostendendum potentiam naturalem
nutritivam, quia eam non habent, sicut Christus eam habuit; et ideo non est
simile. Et quamvis
unum istorum argumentorum ex se non sufficeret, tamen omnia simul
certitudinem faciebant; et ideo etiam argumenta multiplicata sunt. |
3. Chez les anges, il n’y a pas de manducation pour manifester une puissance nutritive naturelle, car ils ne la possèdent pas, comme le Christ l’a possédée. Ce n’est donc pas la même chose. Bien qu’un seul de ces arguments n’aurait pas suffi en lui-même, tous pris ensemble donnaient une certitude. C’est pourquoi les arguments ont été multipliés. |
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Expositio textus |
Explication du texte
de Pierre Lombard, Dist. 21
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[10147] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4
qc. 4 expos. Nemo tollit eam a me. Contra. Ergo
Christus non fuit per violentiam crucifigentium occisus. Dicendum, quod illi
quantum in eis erat, violentiam intulerunt; quamvis Christo violentia inferri
non potuit ex parte personae, sed solum ex parte corporis humani. Item, homo in illo
mutatus est, ut melior fieret quam erat. Contra. Naturae manserunt utrinque
in unitate. Dicendum, quod humana natura in Christo per hoc quod est assumpta
in unitatem divinae personae, non est mutata a sua naturali conditione; sed
accepit ampliorem perfectionem, secundum quam facta est melior. |
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Distinctio 22 |
Distinction 22 –
[Les conséquences de la mort du Christ]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Le Christ était-il un homme pendant
les trois jours de sa mort ?]
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Prooemium |
Prologue |
[10148] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de his quae
pertinent ad mortem Christi, scilicet secundum quam rationem dicatur mortuus,
hic determinat ea quae consequuntur ad mortem Christi. Dividitur autem in
duas partes: in prima determinat de morte Christi per comparationem ad ejus
humanitatem absolute; secundo per comparationem ad locum; ibi: hic
quaeritur si Christus in morte alicubi erat homo. Circa primum tria
facit: primo movet quaestionem, utrum Christus in triduo fuerit homo; secundo
ponit aliorum opinionem, ibi: quod non videtur quibusdam; tertio ponit
opinionem suam, ibi: quibus respondemus. Hic quaeritur, si Christus in
morte alicubi erat homo. Hic inquirit de morte per comparationem ad locum
in quo erat; et duo facit: primo ostendit quod erat secundum humanitatem in
sepulcro et in Inferno, et secundum divinitatem ubique. Secundo inquirit,
utrum de illo homine possit praedicari esse ubique, ibi: solet etiam
quaeri, si congruenter dici possit filius hominis (...) ubique esse.
Circa primum duo facit: primo ostendit quod Christus erat in diversis locis
secundum diversa; secundo inquirit, utrum fuerit in illis locis totus, ibi: et
utique totus eodem tempore erat in Inferno, in caelo totus, ubique totus.
Hic est triplex quaestio. Prima de morte Christi per comparationem ad ejus
humanitatem. Secunda de descensu ad Inferos. Tertia de ascensione ejus in
caelum. Circa primum
quaeruntur duo: 1 utrum Christus in illo triduo mortis fuerit homo; 2 utrum
fuerit ubique homo tunc, vel etiam ante, vel nunc. |
Après avoir déterminé de ce qui se rapporte à la mort du Christ, à savoir, selon quelle raison on dit qu’il est mort, le Maître détermine ici de ce qui découle de la mort du Christ. Cela se divise en deux parties : dans la première, il détermine de la mort du Christ comparée à son humanité de manière absolue; deuxièmement, comparée au lieu, en cet endroit : « Ici, on se demande si le Christ était un homme quelque part, alors qu’il était mort. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il soulève une question : le Christ était-il un homme pendant les trois jours [de sa mort] ? Deuxièmement, il présente l’opinion des autres, à cet endroit : « Il ne semble pas à certains… » Troisièmement, il présente son opinion, à cet endroit : « Nous répondons à cela... » « Ici, on se demande si le Christ était un homme quelque part, alors qu’il était mort. » Il s’interroge ici sur la mort comparée au lieu où [le Christ] se trouvait, et il fait deux choses : premièrement, il montre qu’il se trouvait dans le sépulcre et en enfer selon son humanité, et partout selon sa divinité; deuxièmement, il demande s’il est possible d’affirmer que cet homme est partout, à cet endroit : « On a aussi coutume de demander si on peut affirmer de manière appropriée que le Fils de l’homme… est partout. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre que le Christ se trouvait dans divers lieux sous divers aspects; deuxièmement, il demande s’il se trouve tout entier dans ces lieux, à cet endroit : « Assurément, il se trouvait en même temps tout entier en enfer, tout entier dans le ciel, tout entier partout. » Il y a ici trois questions. La première porte sur la mort du Christ comparée à son humanité. La deuxième, sur sa descente aux enfers. La troisième, sur son ascension au ciel. À propos du premier point, deux questions sont posées : 1 – Le Christ était-il un homme pendant les trois jours de sa mort ? 2 – Était-il partout un homme alors, auparavant ou maintenant ? |
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Articulus 1 [10149] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 tit. Utrum Christus in triduo
quo jacuit in sepulcro, potuerit dici homo |
Article 1 – Peut-on dire que le Christ était un homme pendant les trois jours où il a été dans le sépulcre ? |
[10150] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Christus in illo triduo fuerit
homo. Rationale enim est differentia completiva hominis. Sed Christus poterat
dici rationalis in illo triduo propter animam rationalem sibi unitam. Ergo
poterat dici homo. |
1. Il semble que le Christ était un homme pendant ces trois jours. En effet, le fait d’être raisonnable est la différence qui complète l’homme. Or, on pouvait dire que le Christ était raisonnable pendant ces trois jours en raison de l’âme raisonnable qui lui était unie. On pouvait donc l’appeler un homme. |
[10151] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, omnis persona subsistens in natura humana potest dici homo.
Sed persona filii Dei subsistebat in natura humana, quia habebat omnes partes
humanae naturae sibi unitas. Ergo poterat dici homo. |
2. Toute personne subsistant dans la nature humaine peut être appelée un homme. Or, la personne du Fils de Dieu subsistait dans la nature humaine, car il avait toutes les parties de la nature humaine qui lui étaient unies. On pouvait donc l’appeler un homme. |
[10152] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1
arg. 3 Praeterea, ad hoc
quod aliquis dicatur homo oportet quod anima et corpus sint sibi unita. Sed in illo triduo anima
et corpus erant unita in unam hypostasim filii Dei. Ergo poterat dici homo. |
3. Pour que quelqu’un soit appelé un homme, il faut que l’âme et le corps lui soient unis. Or, pendant ces trois jours, l’âme et le corps était unis dans la seule hypostase du Fils de Dieu. On pouvait donc l’appeler un homme. |
[10153] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1
arg. 4 Praeterea,
omnis sacerdos est homo. Christus in illo triduo fuit sacerdos: quia dictum
est ei, Psalm. 109, 4: tu
es sacerdos in aeternum. Ergo Christus in illo triduo erat homo. |
4. Tout prêtre est un homme. Or, le Christ était prêtre pendant ces trois jours, car il lui a été dit, Ps 109, 4 : Tu es prêtre pour l’éternité. Le Christ était donc un homme pendant ces trois jours. |
[10154] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1
arg. 5 Praeterea, cum
omnia esse desiderent, ut philosophus dicit in 2 de generatione, nullus
desiderat non esse, sed semper verius esse. Sed sancti desiderant mori, ut patet Philipp. 1, 23: cupio
dissolvi, et esse cum Christo. Ergo per mortem non desinunt esse id quod
fuerant, sed verius esse incipiunt; et ita post mortem possunt dici homines. |
5. Puisque « toutes choses désirent exister », comme le dit le Philosophe dans Sur la génération, II, personne ne désire ne pas exister, mais exister avec toujours plus de vérité. Or, les saints désirent mourir, comme cela ressort de Ph 1, 23 : Je désire disparaître et être avec le Christ. Ils ne cessent donc pas d’être ce qu’ils étaient, mais commencent à exister avec plus de vérité. Ainsi peuvent-ils être appelés des hommes après la mort. |
[10155] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1
arg. 6 Praeterea, Petrus
est nomen cujusdam singularis in natura humana. Sed post mortem Petri
invocamus eum dicentes: sancte Petre, ora pro nobis. Ergo post mortem potest dici homo; et sic
videtur quod eadem ratione Christus. |
6. Pierre est le nom d’un individu de nature humaine. Or, après la mort, nous invoquons Pierre en lui disant : « Saint Pierre, priez pous nous. » On peut donc l’appeler un homme après la mort. Ainsi, il semble que, pour le Christ, on puisse aussi le faire pour la même raison. |
[10156] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1
arg. 7 Praeterea,
philosophus dicit in 9 Ethic., quod homo est intellectus suus. Sed
intellectus hominis manet post mortem. Ergo potest post mortem dici homo. |
7. Le Philosophe dit dans Éthique, IX, que l’homme est son intellect. Or, l’intellect de l’homme demeure après la mort. On peut donc l’appeler un homme après la mort. |
[10157] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1
s. c. 1 Sed contra,
pars non praedicatur de toto, nec e contra. Sed post mortem Christi manserunt
tantum partes humanae naturae. Ergo ratione illarum partium Christus non
poterat dici homo. |
Cependant, [1] la partie n’est pas prédiquée du tout, ni le contraire. Or, après la mort du Christ, seules des parties de la nature humaine demeuraient. Le Christ ne pouvait donc être appelé un homme en raison de ces parties. |
[10158] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1
s. c. 2 Praeterea, homo
est nomen speciei. Sed species et genera sumuntur a forma totius; forma autem
totius resultat ex compositione partium. Cum ergo anima et corpus non fuerint in illo triduo ad invicem
composita, Christus non poterat dici homo. |
[2] « Homme » est le nom d’une espèce. Or, les espèces et les genres se prennent de la forme du tout, mais la forme du tout résulte de la composition des parties. Puisque l’âme et le corps n’étaient pas réciproquement composés pendant ces trois jours, le Christ ne pouvait donc pas être appelé un homme. |
[10159] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1
s. c. 3 Praeterea, vivum
est superius ad hominem, ut dicitur in Lib. de causis, mortuum autem
opponitur vivo. Sed Christus
erat mortuus. Ergo non erat homo. |
[3] Le vivant est supérieur à l’homme, comme le dit le livre Sur les causes, mais le mort est le contraire du vivant. Or, le Christ était mort. Il n’était donc pas un homme. |
[10160] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod opinio fuit Magistri, et etiam Hugonis de sancto
Victore, quod Christus in illo triduo fuit homo; sed ad hoc movebantur
diversis viis. Hugo enim dicebat, quod tota personalitas hominis est in
anima, et in ipsa erat homo proprie loquendo: et ideo anima post mortem
potest dici homo non solum in Christo, sed etiam in aliis hominibus. Haec
autem positio non potest esse vera: quia postquam aliquid est completum in
specie sua et personalitate, non potest ei advenire aliquid, ut componat cum
eo naturam aliquam; sed vel adjungitur ei in persona, et non in natura, quod
est singulare in Christo; vel adjungitur ei accidentaliter. Unde ex hac positione sequitur quod vel ex
anima et corpore non efficiatur una natura; et sic anima non erit forma
corporis, nec vivificabit corpus formaliter: vel iterum quod anima adjungatur
corpori accidentaliter, ut nauta navi, vel homo vestimento, sicut dicebant
antiqui philosophi; quorum Plato, ut Gregorius Nyssenus narrat, dicebat, quod
homo non est aliquid compositum ex anima et corpore; sed est anima utens corpore.
Et quia haec inconvenientia sunt; ideo Magister non voluit quod alii post
mortem essent homines, sed solum hoc voluit de Christo: quia etiam post
mortem anima et corpus aliquo modo manent unita in Christo, inquantum
utrumque manet unitum verbo. Sed haec etiam positio non potest stare, si proprie
accipiatur hoc nomen homo, propter duas rationes. Primo, quia ad hoc quod sit
homo, oportet quod sint anima et corpus conjuncta ad constituendum naturam
unam; quod fit per hoc quod informatur anima; quod in illo triduo non fuit. Secundo, quia recedente
anima, illa caro non dicebatur nisi aequivoce caro; unde nec illud corpus
erat humanum corpus, nisi aequivoce. Et ideo omnes moderni tenent, quod Christus in triduo non fuerit homo.
Sciendum tamen, quod Magister non voluit quod Christus in triduo illo diceretur
homo, nisi aequivoce; unde dicit, quod non secundum eamdem rationem dicebatur
homo post mortem, sicut ante, vel sicut alii homines: et secundum hoc ex
opinione Magistri non sequitur aliquod inconveniens secundum rem: quia
secundum philosophum, 4 Metaph., non est inconveniens ut quod nos dicimus
hominem alii dicant non hominem quantum ad convenientiam nominis; sed solum
est improprietas in modo loquendi: quia non est in usu hujus nominis homo
quod significet corpus et animam divisam. |
Réponse. C’était l’opinion du Maître, et aussi celle de Hugues de Saint-Victor, que le Christ était un homme pendant ces trois jours; mais ils étaient conduits à cela par diverses approches. En effet, Hugues disait que toute la personnalité de l’homme se trouvait dans l’âme et que celle-ci était l’homme à proprement parler. Aussi, après la mort, on peut parler d’hommes non seulement pour le Christ, mais aussi pour les autres hommes. Mais cette position ne peut pas être vraie, car, après qu’une chose est achevée dans son espèce et sa personnalité, il ne peut lui advenir quelque chose qui compose avec cela une nature, mais soit cela lui est ajouté dans la personne, et non dans la nature, ce qui est unique au Christ; soit cela lui est ajouté accidentellement. Aussi découle-t-il de cette position soit qu’une seule nature n’est pas réalisée par l’âme et par le coprs, et ainsi l’âme ne sera pas la forme du corps et ne vivifiera pas le corps à la manière d’une forme; soit que l’âme est unie au corps accidentellement, comme le marin à un bateau ou l’homme à un vêtement, ainsi que le disaient des philosophes anciens, parmi lesquels, comme le raconte Grégoire de Nysse, Platon disait que l’homme n’est pas un composé d’âme et de corps, mais qu’il est une âme qui fait usage d’un corps. Parce que cela est inapproprié, le Maître ne voulait donc pas que les autres soient des hommes après la mort, mais il voulait cela seulement pour le Christ, car, même après la mort, les deux [l’âme et le corps] demeurent d’une certaine manière unis dans le Christ, pour autant que les deux demeurent unis au Verbe. Mais cette position ne peut pas non plus être tenue, si l’on prend ce mot « homme » au sens propre, pour deux raisons. Premièrement, pour qu’il y ait un homme, il faut que l’âme et le corps soient unis pour constituer la nature humaine, ce qui se réalise par le fait qu’il reçoit sa forme de l’âme, ce qui n’était pas le cas durant ces trois jours. Deuxièmement, parce que, si l’âme se retire, cette chair n’était appelée chair que de manière équivoque; aussi ce corps n’était-il un corps humain que de manière équivoque. Ainsi tous les modernes soutiennent-ils que le Christ n’était pas un homme pendant ces trois jours. Il faut cependant savoir que le Maître ne voulait pas que le Christ soit appelé un homme pendant ces trois jours, si ce n’est de manière équivoque. Aussi dit-il qu’il n’était pas appelé un homme, après la mort, selon la même raison qu’avant, ou comme les autres hommes. De ce point de vue, il ne découle en réalité de l’opinion du Maître rien d’inapproprié, car, selon le Philosophe, Métaphysique, IV, il n’y a pas d’inconvénient à ce que ce que nous appelons un homme, d’autres l’appellent un non-homme, selon la propriété du terme, mais il n’y a quelque chose d’impropre que dans la manière de parler, car il n’est pas usuel pour ce mot « homme » de signifier un corps et une âme divisée. |
[10161] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod rationale secundum quod est differentia, est ipsius compositi,
ut dicit Avicenna, quamvis sumatur ab anima: et ideo post mortem sicut non
erat homo, ita non erat rationale, secundum quod rationale nominat
differentiam hominis, sed solum secundum quod nominat potentiam animae. |
1. Raisonnable, en tant que différence, appartient au composé lui-même, comme le dit Avicenne, bien que cela vienne de l’âme. C’est pourquoi, après la mort, de même qu’il n’y avait pas d’homme, de même n’y avait-il pas de raisonnable, selon que « raisonnable » désigne la différence de l’homme, mais seulement seulement qu’il désigne une puissance de l’âme. |
[10162] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod non subsistebat in natura humana, quia non erant omnes partes
humanae naturae: non enim erat caro et os, nisi aequivoce, ut dictum est: et
iterum non erat unio animae ad corpus. |
2. Il ne subsistait pas dans la nature humaine, car toutes les parties de la nature humaine ne s’y trouvaient pas. En effet, il n’était de la chair et des os que de manière équivoque, comme on l’a dit. De nouveau, il n’y avait pas d’union de l’âme au corps. |
[10163] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ad hoc quod sit homo, non solum oportet quod anima et
corpus uniantur in persona, sed etiam ad constitutionem unius naturae. |
3. Pour qu’il soit un homme, il ne faut pas seulement que l’âme et le corps soient unis dans la personne, mais aussi constituent une seule nature. |
[10164] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod Christus dicitur sacerdos in aeternum, quia ejus sacerdotio
aliud sacerdotium non succedit. Vel aliter dicendum, quod Christus, ut
dicitur Heb. 9, erat assistens pontifex futurorum bonorum spiritualium; et
ideo illud sacerdotium est etiam animae Christi separatae a corpore. |
4. Le Christ est appelé prêtre pour l’éternité
parce qu’un autre sacerdoce ne succède pas à son sacerdoce. Ou bien il faut
dire que le Christ, ainsi que le dit He 9, 11, était le
grand-prêtre des biens spirituels à venir; ainsi ce sacerdoce est-il aussi
celui de l’âme du Christ séparée du corps. |
[10165] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod Paulus desiderabat verius esse quantum ad animam, quod erat
nobilius, quam esse in mortali corpore. |
5. Paul désirait exister avec plus de vérité pour ce qui est de l’âme, ce qui était plus noble, que d’exister dans son corps mortel. |
[10166] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1
ad 6 Ad sextum
dicendum, quod illae locutiones sunt synecdochicae, quia ponitur totum pro
parte. |
6. Ces manières de parler sont des synecdoques, car le tout est pris pour la partie. |
[10167] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1
ad 7 Ad septimum
dicendum, quod philosophus loquitur figurative, et non proprie: unde ipse
dicit, quod ita homo dicitur intellectus sicut civitas rex, quia totum quod
est in civitate, dependet ex voluntate regis. |
7. Le Philosophe parle au figuré, et non au sens propre. Aussi dit-il que l’homme est appelé intellect comme le roi, la cité, car le tout qui se trouve dans la cité dépend de la volonté du roi. |
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Articulus 2 [10168] Super Sent., lib. 3
d. 22 q. 1 a. 2 tit. Utrum Christus ubique fuerit homo |
Article 2 – Le Christ était-il partout comme homme ? |
[10169] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Christus ubique fuerit homo. Secundum Damascenum enim,
naturae communicant sibi sua idiomata. Sed Christus ubique est Deus. Ergo
ubique est homo. |
1. Il semble que le Christ ait été partout en tant qu’homme. En effet, selon [Jean] Damascène, les natures se communiquent leurs idiomes. Or, le Christ est partout comme Dieu. Il est donc partout comme homme. |
[10170] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea,
quaecumque sunt unum supposito, ubicumque est unum, est aliud. Sed homo et
filius Dei sunt idem supposito. Ergo cum filius Dei sit ubique, ubique etiam erit homo. |
2. Pour tout ce qui est un selon le suppôt, partout où se trouve une [des composantes], se trouve l’autre. Or, l’homme et le Fils de Dieu sont une même chose selon le suppôt. Puisque le Fils de Dieu est partout, l’homme aussi sera donc partout. |
[10171] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2
arg. 3 Praeterea,
sicut Petrus vere est homo, ita et Christus. Sed ubicumque est Petrus, ibi
est homo. Ergo ubicumque est Christus, ibi est homo. Sed Christus est ubique.
Ergo ubique est homo. |
3. De même que Pierre est un homme véritable, de même aussi le Christ. Or, partout où est Pierre, là est un homme. Partout où se trouve le Christ, l’homme se trouve donc. Or, le Christ est partout. L’homme est donc aussi partout. |
[10172] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2
arg. 4 Praeterea,
omne quod est, aut est homo, aut non homo. Si ergo Christus non est ubique
homo, erit alicubi non homo: quod est falsum. |
4. Tout ce qui existe est soit un homme, soit un non-homme. Si donc le Christ n’est pas partout un homme, il sera partout un non-homme, ce qui est faux. |
[10173] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2
arg. 5 Praeterea,
esse ubique, non magis est remotum a creaturis quam aeternitas. Sed dicimus,
quod iste homo fuit ab aeterno. Ergo similiter dicere possumus, quod est
ubique homo. |
5. Être partout n’est pas plus éloigné des créatures que l’éternité. Or, nous disons que cet homme a existé depuis l’éternité. Nous pouvons donc dire de la même façon que l’homme est partout |
[10174] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2
arg. 6 Praeterea,
totalitas rei dicitur respectu illorum ex quibus res componitur. Sed totus
Christus dicitur esse ubique, ut dicitur in littera; et ut Damascenus dicit.
Cum igitur totus ad personam pertineat, et persona sit composita ex
divinitate et humanitate, videtur quod humanitas Christi sit ubique, et sic
ubique est homo. |
6. On parle de la totalité d’une chose par rapport à tout ce dont cette chose est composée. Or, on dit du Christ tout entier qu’il est partout, comme il est dit dans le texte et comme le dit [Jean] Damascène. Puisque « tout » se rapporte à la personne et que la personne est composée de la divinité et de l’humanité, il semble donc que l’humanité du Christ soit partout, et donc qu’il soit partout comme homme. |
[10175] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2
s. c. 1 Sed contra,
humanitas Christi non consistit nisi in anima et carne. Sed neque corpus
Christi neque anima sunt ubique. Ergo ipse secundum humanitatem non est
ubique. |
Cependant, [1] l’humanité du Christ ne consiste que dans l’âme et le corps. Or, ni le corps du Christ, ni son âme ne sont partout. Lui-même n’est donc pas partout selon son humanité. |
[10176] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2
s. c. 2 Praeterea omne
quod movetur de loco ad locum, habet locum determinatum, et non est ubique. Sed Christus, secundum
quod homo, movebatur de loco ad locum. Ergo non erat ubique. |
[2] Tout ce qui est mû d’un lieu à un autre lieu possède un lieu déterminé, et n’est pas partout. Or, le Christ, selon qu’il était homme, se déplaçait d’un lieu à un autre. Il n’était donc pas partout. |
[10177] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2
s. c. 3 Praeterea,
esse ubique solius est Dei. Sed nullum tale convenit Christo secundum quod
homo. Ergo non est ubique secundum quod homo. |
[3] Être partout appartient à Dieu seul. Or, rien de tel ne convenait au Christ selon qu’il était homme. Il n’est donc pas partout selon qu’il est homme. |
[10178] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod humana natura Christi non est ubique, neque quando anima et
corpus fuerunt divisa, neque quando sunt conjuncta; sed persona illa ratione
sui et ratione divinae naturae est ubique. Ad veritatem autem locutionis, ut
supra dictum est, non exigitur quod praedicatum secundum se totum conveniat subjecto;
sufficit autem quod conveniat ei ratione suppositi. Et ideo, quia homo signat
suppositum humanae naturae, et ipsam naturam humanam, inde est quod haec est
falsa: Christus est homo ubique; quia non convenit sibi ubique habere
humanitatem. Adverbium
autem ubique determinat esse hominem in praedicato positum ad id totum quod
in homine importatur, et magis etiam quantum ad naturam, secundum quod
termini in praedicato positi tenentur formaliter. Sed haec est vera: iste homo est ubique:
quia esse ubique convenit personae. Haec autem, Christus secundum quod homo,
est ubique, potest esse vera et falsa: secundum quod enim potest importare
conditionem naturae, sic est falsa; sed unitatem suppositi, et sic est vera. |
Réponse. La nature humaine du Christ n’est pas partout, ni lorsque l’âme et le corps étaient divisés, ni lorsqu’ils étaient unis; mais cette personne est partout en raison d’elle-même et en raison de sa nature divine. Comme on l’a dit plus haut, pour qu’une proposition soit vraie, il n’est pas requis que le prédicat convienne au sujet selon tout ce qu’il est, mais il suffit qu’il lui convienne en raison du suppôt. Parce que « homme » désigne le suppôt de la nature humaine et la nature humaine elle-même, de là vient que cette proposition est fausse : « Le Christ est un homme partout », car il ne lui convient pas d’avoir partout l’humanité. Or, l’adverbe « partout », mis comme prédicat, détermine « homme » par rapport au tout qui est indiqué par « homme », et plutôt selon la nature, selon que les termes mis dans le prédicat sont entendus en un sens formel. Mais cette proposition est vraie : « Cet homme est partout », car être partout convient à la personne. Mais celle-ci : « Le Christ, en tant qu’homme, est partout », peut être vraie ou fausse : en effet, selon qu’elle peut indiquer la condition de la nature, elle est fausse; mais [selon qu’elle peut indiquer] l’unité du suppôt, elle est vraie. |
[10179] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod communicatio idiomatum fit secundum quod naturae uniuntur in
persona, vel in supposito; et ideo oportet quod ista communicatio attendatur
secundum quod nomen significans utramque naturam, in subjecto ponitur, et non
secundum quod ponitur in praedicato; non enim sequitur: factus est homo; ergo
est factus Deus; et similiter non sequitur: est ubique Deus; ergo est ubique
homo. |
1. La communication des idomes se réalise du fait que les natures sont unies dans la personne ou dans le suppôt. Il faut donc que cette communication soit envisagée selon qu’un mot signifiant les deux natures est mis comme sujet, et non selon qu’il est mis comme prédicat. En effet, on ne peut conclure : « Il est devenu homme, donc il est devenu Dieu »; de même, on ne peut conclure : « Dieu est partout, donc l’homme est partout. » |
[10180] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod ubicumque est Deus, hic homo est in illo loco; non est tamen
ibi humana natura; et ideo non oportet quod ibi sit homo. |
2. Partout où est Dieu, cet homme est dans ce lieu; mais la nature humaine n’y est cependant pas. Il n’est donc pas nécessaire que l’homme y soit. |
[10181] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod Petrus non habet nisi humanam naturam: et ideo ubicumque ipse
est, oportet quod sit illa natura. Sed Christus habet plures naturas: et ideo
non oportet quod ubicumque est, ibi habeat utramque naturam; sicut non
oportet quod ubicumque est totum, ibi sint omnes partes ejus; sed in uno loco
secundum manum, et in alio secundum pedem. |
3. Pierre ne possède que la nature humaine; c’est pourquoi partout où il se trouve, il est nécessaire que s’y trouve cette nature. Mais le Christ a plusieurs natures. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que partout où il est, il y ait les deux natures, comme il n’est pas nécessaire que partout où se trouve un tout, s’y trouvent toutes ses parties, mais il est dans un lieu par la main et dans un autre par le pied. |
[10182] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod cum dicitur, filius Dei non est ubique homo, locutio non
verificatur secundum quod negatio absolute fertur ad hominem, sed secundum
quod fertur ad hominem cum hoc quod est esse ubique; sed quando additur sibi
per compositionem, negatio non fertur extra terminum illum; et ideo removet
humanitatem absolute, et non respectu ejus quod dicitur ubique vel alicubi;
et propter hoc haec est falsa: Christus alicubi est non homo; sed haec est
vera: non est ubique homo. |
4. Lorsqu’on dit que le Fils de l’homme n’est pas partout en tant qu’homme, l’expression « n’est pas » est vraie selon que la négation porte de manière absolue sur l’homme; mais selon qu’elle porte sur l’homme associé à « être partout ». Mais lorsqu’elle s’y ajoute par composition, la négation ne va pas au-delà de ce terme. C’est pourquoi elle écarte l’humanité de manière absolue, et non par rapport au fait de dire qu’elle est partout ou quelque part. Pour cette raison, cette proposition est fausse : « Le Christ est partout, mais non en tant qu’homme »; mais celle-ci est vraie : « Il n’est pas partout en tant qu’homme. » |
[10183] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod similiter est de hoc sicut de aeterno: haec enim est vera,
iste homo fuit ab aeterno; sed haec est falsa: Christus fuit ab aeterno homo,
sicut et de ubique dictum est. |
5. Il en va de même que pour « éternel ». En effet, cette proposition est vraie : « Cet homme a existé depuis l’éternité »; mais celle-ci est fausse : « Le Christ a été un homme de toute éternité », comme on l’a dit pour le fait d’être partout. |
[10184] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2
ad 6 Ad sextum
dicendum, quod persona non proprie dicitur composita ex naturis, ut supra
dictum est; unde totus non fertur ad personam, secundum quod totum dicitur
quod habet partes, sed secundum quod totum dicitur perfectum, cui nihil
deest: et secundum hoc dicitur totus ubique, quia nihil deest sibi de sua
personalitate, secundum quod est ubique: totus enim cum sit masculini
generis, ad personam pertinet. Deest ei autem aliquid de his quae ad humanam
naturam pertinent secundum quod est ubique: quia secundum humanam naturam non
est ubique; et ideo dicitur quod non est totum ubique: quia totum cum sit
neutrius generis, ad naturam pertinet. |
6. On ne dit pas qu’au sens propre, la personne est composée des natures, comme on l’a dit plus; « tout » ne porte donc pas sur la personne, au sens où un tout comporte des parties, mais au sens où un tout est dit parfait, à quoi rien ne manque. De cette manière, on dit de ce qui est « tout entier » qu’il se trouve partout parce que rien ne manque à sa personnalité, selon laquelle il est partout : en effet, « tout », lorsqu’il est de genre masculin, se rapporte à la personne. Mais il lui manque quelque chose de ce qui se rapporte à la nature humaine, selon qu’elle est partout, car il n’est pas partout selon sa nature humaine. C’est pourquoi on dit qu’il n’est pas en totalité partout, car « tout », lorsqu’il est de genre neutre, se rapporte à la nature. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [La descente aux enfers]
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Prooemium |
Prologue |
[10185] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 pr. Deinde quaeritur de descensu Christi ad
Inferos; et circa hoc quaeruntur duo: 1 de descensu Christi ad Inferos; 2 de
effectu quem ibi fecit. |
On s’interroge ensuite sur la descente du Christ aux enfers. À ce propos, deux questions sont posées : 1 – Sur la descente du Christ aux enfers; 2 – Sur ce qu’il y a fait. |
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Articulus 1 [10186] Super Sent., lib. 3
d. 22 q. 2 a. 1 tit. Utrum Christus ad Inferos descenderit |
Article 1 – Le Christ est-il descendu aux enfers ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le Christ est-il descendu aux enfers ?] |
[10187] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Christus ad Infernum non debuit
descendere. Sicut enim dicit Augustinus ad Dardanum, nomen Inferni in
Scriptura semper in malo accipitur. Sed id quod semper in malo accipitur,
Christo non competit. Ergo nec descendere ad Infernum. |
1. Il semble que le Christ ne devait pas descendre aux enfers. En effet, comme Augustin le dit à Dardanus, « le mot ‘enfer’ dans l’Écriture est toujours pris en mal ».Or, ce qui est toujours pris en mal ne convient pas au Christ. Donc, ni descendre aux enfers. |
[10188] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1
qc. 1 arg. 2 Praeterea,
Christus non descendit in mundum, nisi ut mundum liberaret. Sed per passionem
non solum liberavit eos qui in mundo erant, sed etiam eos qui in Inferno
detinebantur, soluto pretio pro peccato, pro quo detinebantur. Ergo videtur quod ad Infernum
descendere non debuit. |
2. Le Christ n’est descendu dans le monde que pour libérer le monde. Or, par la passion, il a libéré non seulement ceux qui étaient dans le monde, mais aussi ceux qui étaient retenus en enfer, en acquittant le prix du péché pour lequel ils étaient retenus. Il semble donc qu’il ne devait pas descendre aux enfers. |
[10189] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, descendere ad Infernum importat poenam damnationis pro peccato. Sed in
Christo nullum peccatum fuit. Ergo nec aliqua damnatio sibi competit. Ergo ad
Infernum descendere non debuit. |
3. Descendre aux enfers comporte la peine de la damnation pour le péché. Or, chez le Christ, il n’y avait pas de péché. Aucune damnation ne lui convient donc. Il ne devait donc pas descendre en enfer. |
[10190] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1
qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in symbolo: descendit
ad Inferos. |
Cependant, [1] il est dit dans le symbole : « Il est descendu aux enfers. » |
[10191] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1
qc. 1 s. c. 2 Praeterea,
Act. 2, 24: quem Deus suscitavit solutis doloribus Inferni. Ergo videtur quod in
Inferno fuerit. |
[2] Il est dit dans Ac 2, 24 : Lui que Dieu a relevé en le délivrant des douleurs de l’enfer. Il semble donc qu’il était en enfer. |
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Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le Christ est-il descendu jusqu’à l’enfer des damnés ?] |
[10192] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod descenderit usque ad Infernum damnatorum. Ipse enim sua morte humanum
genus non solum liberavit a peccato originali, sed etiam ab actuali. Sed
Infernus damnatorum est locus poenalis respondens peccato actuali, sicut
Limbus patrum locus debitus pro peccato originali. Ergo videtur quod etiam in
illum Infernum descendere debuerit, sicut in Limbum descendit. |
1. Il semble qu’il soit descendu jusqu’à l’enfer des damnés. En effet, par sa mort, il a non seulement libéré le genre humain du péché originel, mais aussi du [péché] actuel. Or, l’enfer des damnés est un lieu de peine répondant au péché actuel, comme les limbes des pères sont le lieu qui est dû pour le péché originel. Il semble donc que [le Christ] devait descendre aussi dans cet enfer, comme il est descendu aux limbes. |
[10193] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
Christi ascensio respondet suo descensui, quia qui ascendit ipse est et
qui descendit, Eph. 4. Sed ipse ascendit super omnes caelos. Ergo debuit
etiam usque ad inferiorem Infernum descendere. |
2. L’ascension du Christ répond à sa descente, car celui qui est monté est le même que celui qui est descendu, Ep 4. Or, il est lui-même monté au-delà de tous les cieux. Il devait donc descendre jusqu’à l’enfer inférieur. |
[10194] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Eccli. 24, 45, dicitur: penetrabo
omnes inferiores partes terrae et inspiciam omnes dormientes. Sed inferiores partes terrae sunt Infernus
damnatorum, in quo aliqui de dormientibus, idest mortuis, sunt. Ergo videtur
quod ipse in illum Infernum descenderit. |
3. Il est dit dans
Si 24, 45 : Je pénétrerai
dans toutes les régions inférieures de la terre et je regarderai tous ceux
qui dorment. Or, les régions inférieures de la terre sont l’enfer des
damnés, où se trouvent certains de ceux qui dorment, c’est-à-dire les morts.
Il semble donc qu’il soit lui-même descendu dans cet enfer. |
[10195] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1
qc. 2 s. c. 1 Sed contra,
Luc. 16, 26, dicitur: inter nos et vos chaos magnum firmatum est, ut illi
qui volunt illuc ex nobis transire, non possint. Sed illud chaos magis
erat firmatum inter Christum, qui jam erat comprehensor, et damnatos, quam
inter sanctos qui erant in Limbo expectantes beatitudinem, et illos qui erant
in Inferno. Ergo Christus ad illos non descendit. |
Cependant, [1] il est dit en Lc 16, 26 : Entre vous et nous, un grand abîme a été établi, de sorte que ceux qui veulent passer de là à nous ne le puissent pas. Or, ce grand abîme avait été plutôt établi entre le Christ, qui était déjà comprehensor, et les damnés, qu’entre les saints qui étaient dans les limbes à attendre la béatitude et ceux qui étaient en enfer. Le Christ n’est donc pas descendu dans ces [enfers]. |
[10196] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1
qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut
caelum Empyreum est locus aeternae gloriae, ita Infernus est locus aeternae
miseriae. Sed nullus
damnatus potest esse in caelo Empyreo. Ergo nulli beato competit esse in
Inferno; et sic nec Christo. |
[2] De même que le ciel empyrée est le lieu de la gloire éternelle, de même l’enfer est-il le lieu de la misère éternelle. Or, aucun damné ne peut se trouver dans le ciel empyrée. Il ne convient donc à aucun bienheureux de se trouver en enfer, et donc, ni au Christ. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il prolongé son séjour dans les limbes ?] |
[10197] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod in Limbo ullam moram non traxerit. Ad hoc enim descendit in Infernum, ut
sanctos, qui ibi detinebantur, liberaret. Sed statim illuc descendens sanctos
liberavit. Ergo videtur quod moram illic trahere non debuit. |
1. Il semble que [le Christ] n’ait pas prolongé son séjour dans les limbes. En effet, il est descendi en enfer pour libérer les saints qui y étaient retenus. Or, il a libéré les saints dès sa descente. Il semble donc qu’il ne devait pas y prolonger son séjour. |
[10198] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut per peccatum aliquis a caelo excluditur, ita per
emundationem a peccato aliquis ab Inferno liberatur. Sed Diabolus, statim ut
peccavit, de caelo cecidit. Ergo videtur quod sancti statim ut mundati
fuerunt a peccato, de Inferno educti sint, et ita etiam Christus statim
exivit. |
2. De même que, par le péché, on est exclu du ciel, de même, par la purification du péché, est-on libéré de l’enfer. Or, le Diable est tombé du ciel dès qu’il a péché. Il semble donc que les saints soient tirés de l’enfer dès qu’ils ont été purifiés du péché, et ainsi le Christ en est-il aussitôt sorti. |
[10199] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1
qc. 3 arg. 3 Praeterea,
anima Christi non potuit esse simul in diversis locis. Sed Christus in die
mortis suae fuit in Paradiso: quia pendens in cruce latroni dixit: hodie
mecum eris in Paradiso. Ergo videtur quod illa eadem die de Inferno
exierit. |
3. L’âme du Christ ne pouvait pas se trouver en plusieurs endroits. Or, le Christ était au Paradis le jour de sa mort, car, suspendu à la croix, il dit au voleur : Aujourd’hui tu seras avec moi au Paradis. Il semble donc que, ce jour-là, il était sorti de l’enfer. |
[10200] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1
qc. 3 s. c. 1 Sed contra,
Act. 2, 24: quem Deus suscitavit solutis doloribus Inferni. Ergo videtur quod in
Inferno fuerit usque ad horam resurrectionis suae. |
Cependant,
[1] il est dit dans Ac 2, 24 : Lui que Dieu a relevé en le délivrant des
douleurs de l’enfer. Il semble donc qu’il ait été en enfer jusqu’à
l’heure de sa résurrection. |
[10201] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1
qc. 3 s. c. 2 Praeterea, locus
animae separatae est Infernus vel caelum. Sed anima Christi ante diem
ascensionis, in caelum non ascendit, et ita ante resurrectionem in caelo non
fuit. Ergo mansit in
Inferno usque ad diem resurrectionis. |
[2] Le lieu de l’âme séparée est l’enfer ou le ciel. Or, l’âme du Christ n’est pas montée au ciel avant le jour de l’ascension, et ainsi il n’était pas au ciel avant l’ascension. Il est donc resté dans l’enfer jusqu’au jour de la résurrection. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[10202] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod Christus, ut nos ab omnibus defectibus
liberaret, in se nostros defectus qui universaliter omnium erant, et in
defectum gratiae non vergebant, accipere voluit. Hoc autem erat omnibus
hominibus commune ante passionem Christi quod pro debito originalis peccati
ad Infernum descendebant. Sed in nomine Inferni duo importantur, scilicet
locus, et poena vel damni, vel sensus, scilicet afflictiva. Poena autem
damni, scilicet carentia divinae visionis, vergebat in defectum gratiae, quia
scilicet non poterat in eis esse gratia consummata, scilicet gloria. Similiter etiam poena sensus post hanc
vitam non est satisfactoria, quia illi non sunt in statu merendi; sed est vel
purgativa vel damnativa. Purgatio autem debetur alicui impuritati et damnatio
debetur peccato mortali; unde etiam poena sensus post hanc vitam in defectum
gratiae vergit. Et ideo Christo fuit competens in Infernum descendere,
secundum quod Infernus importat locum, non autem secundum quod importat
poenam. |
Pour nous libérer de toutes nos carences, le Christ a voulu prendre sur lui toutes les carences qui étaient d’une manière générale celles de tous et qui ne relevaient pas de la carence de la grâce. Or, avant la passion du Christ, il était commun à tous les hommes de descendre en enfer pour la dette du péché originel. Mais, le mot « enfer » comporte deux choses : le lieu et la peine, soit celle du dam, soit celle du sens, c’est-à-dire celle qui causait une affliction. Or, la peine du dam, c’est-à-dire la carence de la vision de Dieu, relevait de la carence de la grâce, car la grâce consommée ne pouvait exister en eux, à savoir la gloire. De même, la peine du sens n’est pas satisfactoire après cette vie, car ceux-là ne sont pas en état de mériter; mais elle est une peine de purification ou de damnation. Or, la purification est due pour une impureté et la damnation est due pour le péché mortel; aussi même la peine du sens relève-t-elle de la carence de la grâce après cette vie. C’est pourquoi il convenait que le Christ descende en enfer, selon que l’enfer comporte un lieu, mais non selon qu’il comporte une peine. |
[10203] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod nomen Inferni secundum quod importat
locum, non sonat in malum tantum, et sic potest competere Christo: secundum
autem quod importat poenam damni vel sensus, sic Christo competere non
potest, quia sic sonat etiam in malum culpae. Vel dicendum, quod descendere
ad Infernum, quasi sub potestate infernalium deduci, in malum sonat; sed descendere
in Infernum ad expoliandum ipsum per modum domini, sonat in maximam dignitatem;
et sic Christo competit. |
1. Le mot « enfer », selon qu’il comporte un lieu, ne signale pas un mal seulement, et ainsi il peut convenir au Christ; mais selon qu’il comporte la peine du dam ou du sens, il ne peut convenir au Christ, car il indique ainsi le mal de la faute. Ou bien il faut dire que « descendre en enfer » signifie être entraîné au mal, comme sous le pouvoir des [puissances] infernales; mais « descendre en enfer » pour que lui-même dépouille à la manière d’un seigneur indique la plus grande dignité, et cela convient ainsi au Christ. |
[10204] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per passionem ejus solutum erat pretium,
unde amotum erat impedimentum quo sancti prohibebantur a visione Dei, et ideo
statim Deum viderunt; sed tamen oportuit quod in Infernum localiter
descenderet quantum ad liberationem eorum a loco poenali, et iterum ut in se
omnes defectus acciperet. |
2. Le prix avait été acquitté par sa passion. Ainsi l’empêchement par lequel les saints étaient empêchés de voir Dieu avait-il été enlevé; c’est pourquoi ils ont aussitôt vu Dieu. Il fallait cependant qu’il descende en enfer au sens local afin de les libérer du lieu de la peine et de prendre à nouveau sur lui toutes les carences. |
[10205] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod secundum quod nomen Inferni importat poenam sensus vel damni,
sic Christus non dicitur in Infernum descendisse; sed secundum quod tantum
locum nominat. |
3. Selon que le mot « enfer » comporte la peine du sens et celle du dam, on ne dit pas que le Christ est descendu en enfer, mais selon que [le mot] déigne seulement un lieu. |
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Réponse à la sous-question 2 |
Quaestiuncula 2 [10206] Super Sent., lib. 3
d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod quadruplex est Infernus. Unus
est Infernus damnatorum, in quo sunt tenebrae et quantum ad carentiam divinae
visionis, et quantum ad carentiam gratiae, et est ibi poena sensibilis; et
hic Infernus est locus damnatorum. Alius est Infernus supra istum, in quo
sunt tenebrae et propter carentiam divinae visionis, et propter carentiam
gratiae, sed non est ibi poena sensibilis; et dicitur Limbus puerorum. Alius
supra hunc est, in quo sunt tenebrae quantum ad carentiam divinae visionis,
sed non quantum ad carentiam gratiae, sed est ibi poena sensus; et dicitur
Purgatorium. Alius magis supra est, in quo est tenebra quantum ad carentiam
divinae visionis, sed non quantum ad carentiam gratiae, neque est ibi poena
sensibilis; et hic est Infernus sanctorum patrum; et in hunc tantum Christus
descendit quantum ad locum, sed non quantum ad tenebrarum experientiam. |
Il existe un quadruple enfer. L’un est l’enfer des damnés, dans lequel se trouvent les ténèbres pour ce qui est de la carence de la vision de Dieu et pour ce qui est de la carence de la grâce, et il existe là une peine sensible; cet enfer est l’enfer des damnés. Un autre enfer se trouve au-dessus de celui-ci, dans lequel existent les ténèbres en raison de la carence de la vision de Dieu et en raison de la carence de la grâce, mais il n’y a pas là de peine sensible. On l’appelle le limbe des enfants. Un autre existe au-dessus de celui-ci, dans lequel existent les ténèbres pour ce qui est de la carence de la vision de Dieu, mais non pour ce qui est de la carence de la grâce, mais il y a là une peine du sens. On l’appelle le purgatoire. L’autre se trouve bien au-dessus : en lui, existent les ténèbres pour ce qui est de la carence de la vision de Dieu, mais non pour ce qui est de la carence de la grâce, et il n’y a pas là de peine sensible. Celui-ci est l’enfer des saints pères. Le Christ n’est descendu que dans celui-ci pour ce qui est du lieu, mais non pour ce qui est de l’expérience des ténèbres. |
[10207] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod Christus liberavit sua passione a peccato mortali eos qui in
via sunt, ut vel non committant, vel a commisso absolvantur, si velint; non
autem eos qui jam cum mortali peccato decesserunt, quibus debetur ille
Infernus damnatorum. |
1. Le Christ a libéré du péché mortel par sa passion ceux qui sont en route, de sorte qu’ils ne le commettent pas ou soient absous d’un [péché] commis, s’ils le veulent; mais [il n’a pas libéré] ceux qui étaient déjà morts avec un péché mortel et à qui est dû cet enfer des damnés. |
[10208] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod ascensio congruit Christo ratione sui: et ideo quia ipse est
altissimus, super omnes caelos ascendere debuit: sed descendere non competit
sibi nisi pro nobis; ideo tantum descendit quantum expediebat nostrae
liberationi, et non sub omnibus simpliciter. |
2. L’ascension convenait au Christ en raison de lui-même. Parce qu’il est lui-même le Très-Haut, il devait monter au-dessus de tous les cieux. Mais il ne lui convient de descendre que pour nous. C’est pourquoi il est descendu dans la mesure où cela convenait à notre libération, et non pas au plus profond de tous [les enfers]. |
[10209] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod inferiores partes terrae dicuntur etiam illa loca in quibus
sancti patres erant; et qui ibi continebantur, dormientes dicebantur, propter
spem gloriosae resurrectionis; non autem illi qui damnati erant in Inferno. |
3. On appelle aussi « parties inférieures de la terre » les endroits où se trouvaient les saints pères. On disait de ceux qui y étaient confinés qu’ils étaient endormis en raison de l’espérance de la résurrection glorieuse, mais non de ceux qui étaient damnés en enfer. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3 |
[10210] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum; quod cum anima et corpus sint proportionabilia, tantum
debuit anima stare in Inferno quantum corpus in sepulcro, ut per utrumque
fratribus suis similaretur, et ut in resurrectione novam vitam inchoaret et
quantum ad animarum liberationem, et quantum ad corporum resurrectionem, in
suo corpore inchoatam. |
Puisque l’âme et le corps sont sujets à une proportion, l’âme devait rester en enfer aussi longtemps que le corps dans le sépulcre, afin qu’il soit rendu semblable à ses frères par les deux et que, lors de la résurrection, il commence une nouvelle vie, aussi bien pour la libération des âmes que pour la résurrection des corps commencée dans son propre corps. |
[10211] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod liberare Christus nos voluit, defectus nostros in se portando;
et ideo quamdiu mortuus fuit, voluit secundum animam in Inferno esse, sicut
secundum corpus in sepulcro. |
1. Le Christ a voulu nous libérer en portant en lui nos carences. C’est pourquoi, aussi longtemps qu’il a été mort, il a voulu être en enfer par son âme comme il était par son corps dans le sépulcre. |
[10212] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1
qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod
dispensative factum est ut Christus tamdiu mortuus esset, ut veritas mortis
ostenderetur; et tamdiu debuit anima ejus esse in Inferno, et corpus in
sepulcro, quamdiu mortuus fuit, sicut et de aliis ante ejus resurrectionem
fuit. |
2. Il est arrivé par une disposition [de Dieu] que le Christ soit mort aussi longtemps afin de manifester la vérité de sa mort. Et son âme a dû être en enfer et son corps au sépulcre aussi longtemps qu’il a été mort, comme ce fut le cas des autres avant sa résurrection. |
[10213] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Paradisus est triplex. Unus Paradisus terrestris, in quo Adam
positus est; alius corporalis caelestis, scilicet caelum Empyreum; alius
spiritualis, scilicet gloria de visione Dei; et de isto Paradiso intelligitur
quod dominus latroni dixit: quia statim peracta passione et ipse latro et
omnes qui in Limbo patrum erant Deum per essentiam viderunt. |
3. Il existe un triple Paradis. L’un est le Paradis terrestre, dans lequel Adam a été placé. L’autre est [le Paradis] corporel céleste, c’est-à-dire le ciel empyrée. L’autre est spirituel, à savoir, la gloire provenant de la vision de Dieu. C’est de ce Paradis que le Seigneur a parlé au voleur, car, aussitôt la passion accomplie, le voleur et tous ceux qui étaient dans les limbes des pères ont vu Dieu par son essence. |
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Articulus 2 [10214] Super Sent., lib. 3
d. 22 q. 2 a. 2 tit. Utrum Christus Limbum patrum illuminaverit |
Article 2 – Le Christ a-t-il illuminé le limbe des pères ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il illuminé les limbes des pères ?] |
[10215] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Christus Limbum patrum non illuminaverit. De ratione enim
Inferni videtur esse tenebra, sicut de ratione Paradisi lux. Ergo Inferno non
competit illuminari. |
1. Il semble que le Christ n’ait pas illuminé les limbes des pères. En effet, il semble être de l’essence de l’enfer qu’il soit ténèbres, comme de l’essence du Paradis qu’il soit lumière. Il n’est donc pas approprié que l’enfer soit illuminé. |
[10216] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 1 arg. 2 Praeterea, si
locus aliquis illuminatur, omnes qui sunt in loco illo lumen percipiunt. Sed
aliqui erant in Inferno qui non debebant percipere lumen Christi, sicut
Daemones. Igitur videtur quod illum locum non illuminaverit. |
2. Si un lieu est éclairé, tous ceux qui sont dans ce lieu perçoivent la lumière. Or, certains se trouvaient en enfer qui ne devaient pas percevoir la lumière du Christ, tels les démons. Il semble donc qu’il n’ait pas éclairé cet endroit. |
[10217] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, in Psalm. 106, 14,
dicitur: eduxit eos de tenebris et umbra mortis. Sed si Christus locum
illum illuminasset, tenebrae ibi non fuissent. Ergo Christus locum illum non
illuminavit. |
3. Il est dit dans le Ps 106, 14 : Il les a menés hors des ténèbres et de l’ombre de la mort. Or, si le Christ avait éclairé cet endroit, il n’y aurait pas eu de ténèbres. Le Christ n’a donc pas éclairé cet endroit. |
[10218] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
Damascenus dicit: descendit ad Infernum anima deificata, ut quemadmodum
his qui in terra sunt, ortus est sol justitiae, ita et his qui in Inferno et
tenebris et umbra mortis sedent, superlucescat. |
Cependant, [1] [Jean] Damascène dit : « L’âme divinisée est descendue en enfer afin que, de même que le Soleil de justice s’est levé pour ceux qui sont sur la terre, de même reluise-t-il pour ceux qui sont en enfer, dans les ténèbres et à l’ombre de la mort. » |
[10219] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Ambrosius dicit: in Inferno lumen vitae fundebat
aeternae. |
[2] Ambroise dit : « Dans l’enfer, il répandait la lumière de la vie éternelle. » |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il aussi arraché des âmes de l’enfer des damnés ?] |
[10220] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod Christus animas extraxerit etiam de Inferno damnatorum. Ipse enim dixit:
eruisti animam meam ex Inferno inferiori, et Job 17, 16: in
profundissimum Infernum descendent ossa mea. Sed profundissimum Inferni in quod
descendit Job, et de quo fuit eductus, constat quod fuit Infernus inferior:
et Infernus inferior est Infernus damnatorum. Ergo animas eduxit de Inferno damnatorum. |
1. Il semble que le Christ ait aussi arraché des âmes de l’enfer des damnés. En effet, lui-même a dit : Tu as arraché mon âme à l’enfer inférieur, et en Jb 17, 16 : Mes os descendront au plus profond de l’enfer. Or, il s’avère que le plus profond de l’enfer dans lequel Job est descendu et dont il a été ramené était l’enfer inférieur, et l’enfer inférieur est l’enfer des damnés. [Le Christ] a donc ramené de l’enfer des âmes des damnés. |
[10221] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 2 Praeterea, Zachar. 9, 11: tu quoque
in sanguine testamenti tui emisisti vinctos tuos de lacu in quo non est aqua;
dicit Glossa: eos qui tenebantur vincti in carceribus, ubi nulla
misericordia eos refrigerabat, quam dives ille petebat, tu liberasti. Sed tales erant damnati
in Inferno. Ergo ipsi fuerunt liberati. |
2. À propos de Za 9, 11 : Toi aussi, par le sang de ton alliance, tu as arraché tes captifs de la fosse où il n’y a pas d’eau, la Glose dit : « Parmi les détenus captifs dans les prisons où aucune miséricorde ne les rafraîchissait, tu as libéré ceux que ce riche demandait. » Or, ceux-là étaient des damnés en effer. Ceux-ci ont donc été libérés. |
[10222] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Sapient. 7, 30,
dicitur: sapientia vincit malitiam. Sed hoc non esset, si non omnes
qui per malitiam in Infernum descenderant, per sapientiam, quae Christus est,
liberati sunt. Ergo omnes sunt liberati, etiam de Inferno damnatorum. |
3. Il est dit dans Sg 7, 30 : La sagesse l’emporte sur la malice. Or, tel ne serait pas le cas si tous ceux qui étaient descendus en enfer à cause de leur malice étaient libérés par la Sagesse, qui est le Christ. Tous sont donc libérés, même parmi les damnés de l’enfer. |
[10223] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 4 Praeterea, Isai. 24, 22: congregabuntur
congregatione unius fascis in lacum, et claudentur in carcere, et post multos dies visitabuntur; et loquitur ibi de damnatis, quod patet
per hoc quod ipse praemisit de militia caeli. Ergo videtur quod etiam damnati
per Christum visitati et liberati sunt. |
4. Is 24, 22 dit : Ils seront rassemblés en un seul fagot dans une fosse et ils seront enfermés en prison, et longtemps après, ils seront visités. Et il parle là des damnés, ce qui ressort du fait qu’il a lui-même parlé plus haut de la milice du ciel. Il semble donc que même les damnés ont été visités et libérés. |
[10224] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 2 s. c. 1 Sed contra,
Isai. ult., 24: ignis eorum non extinguetur. |
Cependant,
[1] Is 66, 24 dit : Leur feu ne s’éteindra pas. |
[10225] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, in Inferno nulla est redemptio. Ergo inde aliqui liberati non sunt. |
[2] Il n’y a pas de rédemption en enfer. Certains n’en ont donc pas été libérés. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il libéré ceux qui étaient dans les limbes des enfants ?] |
[10226] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod liberaverit illos qui erant in Limbo puerorum. Quia ipsi non
detinebantur nisi pro peccato originali sicut patres sancti. Sed illi sunt educti. Ergo et pueri. |
1. Il semble qu’il ait libéré ceux qui étaient dans les limbes des enfants, car ceux-ci n’étaient détenus qu’en raison du péché originel, comme les saints pères. Or, ces derniers ont été ramenés. Donc, les enfants aussi. |
[10227] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, in eis non est peccatum nisi per alium. Ergo per alium
liberari debuerunt. |
2. Il n’y a de péché chez eux qu’à cause d’un autre. Ils devaient donc être libérés par un autre. |
[10228] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, impotentia maximam meretur indulgentiam. Sed pueri non
potuerunt peccatum originale vitare. Ergo ipsi maxime debuerunt consequi
liberationem. |
3. L’impuissance mérite la plus grande indulgence. Or, les enfants ne pouvaient pas éviter le péché originel. Eux surtout devaient donc obtenir miséricorde. |
[10229] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 3 s. c. 1 Sed contra,
nullus liberatur per Christum nisi membrum Christi. Sed pueri nunquam fuerunt
membrum Christi neque per sacramentum fidei, neque per fidem. Ergo per Christum non
sunt liberati. |
Cependant, [1] personne n’est libéré par le Christ qu’un membre du Christ. Or, les enfants n’ont jamais été un membre du Christ, ni par le sacrement de la foi, ni par la foi. Ils n’ont donc pas été libérés par le Christ. |
[10230] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 3 s. c. 2 Praeterea, post
hanc vitam non datur gratia alicui, nisi habenti. Sed pueri non habuerunt
gratiam cum decesserunt. Ergo non
potest eis dari post vitam; et ita non possunt educi ad gloriam. |
[2] Après cette vie, la grâce n’est donnée qu’à celui qui la possède. Or, les enfants n’avaient pas la grâce lorsqu’ils sont morts. Elle ne peut donc pas leur être donnée après la vie. Ainsi, ils ne peuvent être conduits à la gloire. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 – [Le Christ a-t-il libéré ceux qui étaient au purgatoire ?] |
[10231] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod liberaverit
illos qui erant in Purgatorio. Quia majus erat impedimentum peccati
originalis quam peccati venialis. Sed ab impedimento peccati originalis liberavit trahens de Limbo. Ergo
multo fortius ab impedimento peccati venialis; et ita videtur quod a
Purgatorio animas eduxerit. |
1. Il semble qu’il ait libéré ceux qui étaient au purgatoire, car l’empêchement du péché originel était plus grand que celui qui péché véniel. Or, il a libéré de l’empêchement du péché originel en arrachant aux limbes. À bien plus forte raison [les a-t-il arrachés] à l’empêchement du péché véniel. Ainsi, il semble qu’il ait ramené les âmes du purgatoire. |
[10232] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 4 arg. 2 Praeterea, passio
Christi non minorem habet efficaciam quam sacramentum passionis. Sed per
sacramentum passionis Christi, scilicet per Baptismum, aliquis liberatur ab
omni poena quae debetur in Purgatorio. Ergo videtur quod multo amplius per passionem Christi illi qui ibi
erant, liberati sunt. |
2. La passion du Christ n’a pas une efficacité moindre que le sacrement de la passion. Or, par le sacrement de la passion du Christ, le baptême, on est libéré de toute peine qui est due au purgatoire. Il semble donc que, par la passion du Christ, ceux qui s’y trouvaient aient été bien davantage libérés. |
[10233] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 4 arg. 3 Praeterea,
Christus quod curavit in hac vita, totaliter curavit. Sed illos qui erant in
Purgatorio, curavit Christus a reatu originalis. Ergo similiter curavit a reatu peccati
venialis; et ita videtur quod a Purgatorio eos liberavit. |
3. Le Christ a totalement guéri ce qu’il a guéri en cette vie. Or, le Christ a guéri de la dette du péché originel ceux qui se trouvaient au purgatire. De même donc a-t-il guéri de la dette du péché véniel. Il semble ainsi qu’il les a libérés du purgatoire. |
[10234] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, passio Christi aequalem habet virtutem nunc quam tunc habuit. Sed nunc
virtute passionis non liberantur omnes qui sunt in Purgatorio. Ergo nec tunc. |
Cependant, [1] la passion du Christ a maintenant une puissance égale à celle qu’elle avait alors. Or, maintenant, tous ceux qui sont au purgatoire ne sont pas libérés par la puissance de la passion. Donc, ce n’était pas alors non plus le cas. |
[10235] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 4 s. c. 2 Praeterea,
peccati quod quis per se commisit, per se debet purgationem pati. Sed poenam
Purgatorii sustinet homo pro peccatis quae ex seipso commisit. Ergo per
poenam quam ipse sustinet, purgari debet, et non per poenam tantum Christi. |
[2] Celui qui a commis un péché par lui-même doit par lui-même subir une purification. Or, l’homme supporte la peine du purgatoire pour les péchés qu’il a lui-même commis. Il doit donc être purifié par une peine qu’il supporte lui-même, et non par la seule peine du Christ. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[10236] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod cum tenebrae
exteriores Inferni tenebris interioribus respondeant; ex quo Christus a
patribus qui erant in Limbo, omnes tenebras interiores expulerat per demonstrationem
suae deitatis, congruum etiam fuit per praesentiam suae humanitatis quantum
ad animam etiam tenebras exteriores ab eis excludere, locum illuminando. |
Puisque les ténèbres extérieures de l’enfer correspondent aux ténèbres intérieures, raison pour laquelle le Christ a écarté des pères qui se trouvaient dans les limbes toutes les ténèbres intérieures par la manifestation de sa divinité, il convenait aussi que, par la présence de son humanité quant à l’âme, il écarte d’eux les ténèbres extérieures en éclairant l’endroit. |
[10237] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod jam ille Infernus evacuandus erat, quia post tempus illud
nullus ad illum Limbum descendit: et ideo decens fuit ut aliquid in eo fieret
quod est contra rationem Inferni. |
1. Cet enfer devait être quitté, car, après ce moment, personne n’est descendu dans ces limbes. Il convenait donc que quelque chose de contraire à l’essence de l’enfer se réalise en lui. |
[10238] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut
poena, quae est ignis Inferni, inquantum agit ut instrumentum divinae
justitiae, non affligit nisi illos qui habent reatum poenae, etiam si aliquis
alius ibi esset; ita lux illa ut instrumentum divinae misericordiae agens,
illos tantum illuminabat exterius qui interius illuminati erant. |
2. De même que la peine qui consiste dans le feu de l’enfer, en tant que celui-ci agit comme instrument de la justice divine, n’afflige que ceux qui ont la dette de la peine, même si quelqu’un d’autre se trouvait là, de même cette lumière, en agissant comme instrument de la miséricorde divine, éclairait-elle à l’extérieur seulement ceux qui avaient été éclairés à l’intérieur. |
[10239] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod eduxit eos de tenebris dum eos illuminavit: et educens eos de
loco illo dicitur de tenebris eduxisse, quas locus ille de sui natura prius
habuerat. |
3. Il les a ramenés des ténèbres lorsqu’il les a illuminés. En les ramenant de cet endroit, on dit qu’il les a ramenés des ténèbres que cet endroit possédait auparavant par nature. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[10240] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam
quaestionem dicendum, quod poena non potest tolli manente culpa: illi autem
qui sunt damnati in Inferno, sunt obstinati in malitia, sicut Daemones; et
ideo de poena illi liberari non potuerunt: et hoc non fuit ex insufficientia
liberantis, sed ex indispositione ipsorum. |
La peine ne peut être enlevée alors que la faute demeure. Or, ceux qui ont été damnés dans l’enfer sont obstinés dans la méchanceté, tels les démons. C’est pourquoi ils ne pouvaient être libérés de cette peine, et cela n’était pas dû à l’insuffisance de celui qui libérait, mais à leur absence de disposition. |
[10241] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod Limbus patrum dicitur Infernus inferior, non simpliciter, sed
respectu hujus habitationis, de quo anima David, vel etiam Christi educta
fuit. Similiter etiam ille locus potest dici profundissimum Inferni
comparative, ut profundum sit respectu caeli aer caliginosus, in quo sunt
Daemones, profundius locus habitationis nostrae, profundissimum autem Limbus
patrum, de quo Job liberatus fuit. |
1. On appelle limbes des pères l’enfer inférieur, non pas tout simplement, mais par rapport à cette habitation d’où l’âme de David ou encore celle du Christ a été ramenée. De même encore, cet endroit peut être appelé le plus profond de l’enfer par mode de comparaison, de sorte que l’air embrumé du ciel, où résident les démons, est ce qui est profond, l’endroit où nous demeurons est ce qui est plus profond, mais les limbes des pères, ce qui est le plus profond, d’où Job a été libéré. |
[10242] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod Glossa illa est impropria: loquitur enim de Inferno
communiter, secundum quod comprehendit omnes praedictas distinctiones
Inferni; unde Inferno aliquid attribuit ratione unius partis, aliquid ratione
alterius. Quod autem dicitur: nulla eos misericordia refrigerabat,
intelligitur quantum ad eos qui erant in alia parte Inferni: vel dicitur de
misericordia omnino absolvente, quam etiam dives magis desiderabat, quamvis
aliam peteret. |
2. Cette glose est impropre. En effet, elle parle de l’enfer en un sens général, selon qu’il inclut toutes les distinctions précédentes sur l’enfer. Elle attribue donc quelque chose à l’enfer en raison d’une seule partie, et quelque chose en raison d’une autre partie. Ce qui est dit : « Aucune miséricorde ne les rafraîchissait », s’entend de ceux qui étaient dans une autre partie de l’enfer. Ou bien on parle de la miséricorde qui absout tout, que même le riche désirait davantage, bien qu’il en ait demandé une autre. |
[10243] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quantum in se est, sapientia omnem malitiam vincit; sed quod
in aliquibus non vincitur, est ex eorum indispositione. |
3. En elle-même, la sagesse l’emporte sur toute méchanceté. Mais le fait que celle-ci ne soit pas vaincue chez certains vient de leur manque de disposition. |
[10244] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod loquitur de visitatione quae erit in
generali resurrectione, quando educentur de Inferno, iterum in perpetuum includendi. |
4. Il parle de la visite qui surviendra lors de la résurrection générale, alors qu’ils seront tirés de l’enfer pour y être à nouveau enfermés pour l’éternité. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[10245] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod redemptio Christi non habuit
locum nisi in illis qui fuerunt membra Christi: unde cum pueri qui erant in
Limbo, nunquam fuerint membra Christi neque per propriam fidem, neque per
fidei sacramentum (quod nunc est Baptismus, tunc autem erat circumcisio, vel
sacrificium), constat quod ipsi liberati non fuerunt. |
La rédemption du Christ n’a eu lieu que pour ceux qui étaient membres du Christ. Puisque les enfants qui étaient aux limbes n’ont jamais été membres du Christ, ni par leur foi propre, ni par le sacrement de la foi (qui est maintenant le baptême, mais qui était alors la circoncision ou le sacrifice), il est clair qu’ils n’ont pas été libérés. |
[10246] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod in patribus erat gratia, quae non erat in pueris, per quam
patres erant membra Christi; et ideo effectum redemptionis perceperunt, quod
non fuit de pueris. |
1. Chez les pères, il y avait une grâce qui n’existait pas chez les enfants, par laquelle les pères étaient membres du Christ. C’est pourquoi ils ont reçu l’effet de la rédemption, ce qui n’a pas été le cas des enfants. |
[10247] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod puerorum peccatum, quamvis esset per alium expiabile, quantum
ad genus peccati, non tamen habebant in se fidem et caritatem, per quam
conjungerentur illi per quem potuissent liberari quantum ad genus peccati. |
2. Le péché des enfants pouvait être expié par un autre pour ce qui est du genre du péché. Cependant, ils n’avaient pas en eux-même la foi ni la charité, par lesquelles ils auraient été unis à celui par lequel ils auraient pu être libérés pour ce qui est du genre du péché. |
[10248] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quamvis quantum ad genus peccati esset eorum peccatum
propitiabile, tamen ex dispositione eorum, propitiationis participes esse non
potuerunt; sicut etiam patet de veniali in illis qui mortaliter peccaverunt. |
3. Bien que, pour ce qui était du genre du péché, leur péché pouvait être pardonné, cependant, en raison de leur disposition, ils ne pouvaient pas participer au pardon, comme cela apparaît pour le péché véniel chez ceux qui ont péché mortellement. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la sous-question 4
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[10249] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod quamvis hoc non inveniatur
determinatum a sanctis, potest tamen dici, quod illi qui erant in Purgatorio,
non fuerunt liberati: quia cum poena Purgatorii debeatur peccato actuali;
oportet quod expietur per proprium actum, vel passionem illius qui peccavit,
vel alterius specialis personae agentis pro ipso. In Purgatorio autem non
potest culpa expiari per aliquem actum meritorium, quia non sunt in statu
merendi: unde oportet quod expietur eorum culpa per poenam, quam ipsi sustineant,
nisi per suffragia eorum qui sunt in statu merendi, liberentur. Passio autem
Christi immediate removet impedimentum ex peccato originali proveniens, quod
ex altero contractum est; sed ad removendum poenam debitam actuali peccato,
quod quisque ex seipso commisit, pertingit ejus efficacia mediante aliquo
sacramento circa personam exhibito, aut aliquo actu ipsius personae, vel
alterius ad ipsam relato; et ideo non decebat ut per solam Christi passionem
a Purgatorio liberarentur. Nisi dicatur,
quod in vita sua hoc meruerunt ut per passionem Christi liberarentur. Vel hoc
ex speciali gratia fuit quod illi qui in Purgatorio inventi fuerunt, absoluti
sint per passionem Christi; quamvis nunc illi qui sunt in Purgatorio, non
consequantur effectum plenae liberationis ex sola passione Christi. |
Bien que cela n’ait pas été déterminé par les saints, on peut cependant dire que ceux qui étaient au purgatoire n’ont pas été libérés. En effet, puisque la peine du purgatoire est due pour le péché actuel, il faut qu’il soit expié par un acte propre, par la passion de celui qui a péché ou par celle d’une personne particulière qui agissait pour lui. Or, dans le purgatoire, la faute ne peut être expié par un acte méritoire, car on n’est pas en état de mériter. Il faut donc que leur faute soit expiée par une peine qu’ils supportent eux-mêmes, à moins qu’ils ne soient libérés par les suffrages de ceux qui sont en état de mériter. Or, la passion du Christ enlève de manière immédiate l’empêchement qui vient du péché originel, qui a été contracté d’un autre. Mais pour enlever la peine due pour un péché actuel que quelqu’un a commis par lui-même, son efficacité l’atteint par l’intermédiaire d’un sacrement donné à la personne, ou par un acte de cette personne même ou d’une autre qui est en rapport avec elle. Il ne convenait donc pas qu’ils soient libérés du purgatoire par la seule passion du Christ, à moins de dire qu’ils ont mérité pendant leur vie d’être libérés par la passion du Christ. Ou bien cela venait d’une grâce particulière, que ceux qui se trouvaient au purgatoire ont été absous par la passion du Christ, bien que, maintenant, ceux qui se trouvent au purgatoire, n’obtiennent pas l’effet d’une pleine libération par la seule passion du Christ. |
[10250] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 4 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quamvis impedimentum peccati originalis sit gravius, tamen est
solubile per alium totaliter, quod non est de impedimento venialis peccati
ratione praedicta. |
1. Bien que l’empêchement du péché originel soit plus grave, il peut cependant être absous par un autre en totalité, ce qui n’est pas le cas de l’empêchement du péché véniel pour la raison déjà donnée. |
[10251] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2
qc. 4 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod poena nunquam dimittitur virtute passionis Christi, nisi
inquantum aliquis passioni conformatur: quod potest esse tripliciter. Uno
modo sacramentaliter, sicut fit in Baptismo; alio modo per meritum
dilectionis, et fidei ex passione surgentis; tertio modo per poenae
similitudinem. Primi autem duo modi non possunt esse in Purgatorio, quia non
sunt in statu recipiendi sacramentum, neque in statu merendi: unde oportet,
si passio a veniali eos liberet, quod conformentur Christo passo per poenae
passionem. |
2. La peine n’est jamais remise en vertu de la passion du Christ, que pour autant que l’on est conformé à la passion, ce qui peut se faire de trois manières. Première manière : sacramentellement, comme cela se réalise par le baptême. Deuxième manière : par le mérite de l’amour et de la foi en vertu de la passion de celui qui ressuscite. Troisièmement : par la ressemblance de la peine. Les deux premières manières ne peuvent exister dans le purgatoire, car on n’y est pas en état de recevoir un sacrement, ni en état de mériter. Si la passion les libère du péché véniel, il faut donc qu’ils soient conformés au Christ souffrant par la souffrance de la peine. |
[10252] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quidquid erat in eis curabile per alium, totum curavit;
sed poena purgans non erat eis per alium totaliter remissibilis, ut dictum
est. |
3. Tout ce qui pouvait être guéri par un autre chez eux, il l’a entièrement guéri; mais la peine qui purifie ne pouvait pas être entièrement remise par un autre, comme on l’a dit. |
[10253] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 2 a. 2 qc. 4 ad s. c. Ad ea quae objiciuntur in oppositum, patet solutio ex dictis. |
La réponse aux objections en sens contraire ressort de ce qui a été dit. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [L’ascension du Christ]
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Prooemium |
Prologue |
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[10254] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 pr. Deinde quaeritur de ascensione Christi; et
circa hoc quaeruntur tria: 1 utrum Christus ascenderit; 2 de modo
ascensionis; 3 de termino ipsius. |
On s’interroge ensuite sur l’ascension du Christ. À ce sujet, trois questions sont posées : 1 – Le Christ est-il monté [au ciel] ? 2 – Le mode de l’ascension. 3 – Le terme de l’ascension. |
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Articulus 1 [10255] Super Sent., lib. 3
d. 22 q. 3 a. 1 tit. Utrum Christus debuerit ascendere |
Article 1 – Le Christ devait-il monter [au ciel] ? |
[10256] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Christus non ascenderit. Omnis
enim motus, cum sit exitus de potentia ad actum, est actus imperfecti, et est
propter indigentiam. Sed ascensio motus est. Cum igitur in Christo jam
glorificato totaliter per resurrectionem non fuerit aliqua imperfectio, vel
indigentia, videtur quod ipse non ascenderit. |
1. Il semble que le Christ ne soit pas monté [au ciel]. En effet, tout mouvement, puisqu’il est un passage de la puissance à l’acte, est l’acte de ce qui est imparfait et il existe en raison d’une indigence. Or, l’ascension est un mouvement. Puisque, chez le Christ déjà entièrement glorifié par la résurrection, il n’existait aucune imperfection ni indigence, il semble donc qu’il ne soit pas monté [au ciel]. |
[10257] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1
arg. 2 Praeterea, in
Christo non est nisi duplex natura, scilicet divina, et humana. Sed secundum
divinam naturam Christo non competit ascendere neque localiter, cum ipse,
secundum quod Deus, sit ubique; neque secundum divinitatem, cum divinitas
proficere non possit; neque iterum secundum humanam secundum locum; quia ipse
de caelo non descendit, dicitur autem Joan. 3, 13: nemo ascendit in
caelum, nisi qui descendit de caelo; neque iterum secundum dignitatem,
quia gloria sua post resurrectionem gloriosam non crevit. Ergo videtur quod
Christus nullo modo ascenderit. |
2. Chez le Christ, il n’existe que deux natures: la divine et l’humaine. Or, selon sa nature divine, il ne convient pas au Christ de monter, ni localement, puisque, en tant qu’il est Dieu, il est partout, ni selon sa divinité, puisque la divinité ne peut progresser; [cela ne lui convient pas non plus] selon sa nature humaine par le lieu, car il n’est pas descendu du ciel. Or, il est dit en Jn 3, 13 : Personne ne monte au ciel que celui qui est descendu du ciel, ni non plus selon la dignité, car sa gloire n’a pas augmenté après sa résurrection glorieuse. Il semble donc que le Christ ne soit monté [au ciel] d’aucune manière. |
[10258] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, aliis sanctis competit ascendere ad caelum Empyreum: quia per locum illum
congruentem suae gloriae augetur suum gaudium. Sed gaudium animae Christi non
potuit aliquo modo crescere, sicut nec gratia, vel gloria. Ergo videtur quod
ipse non ascenderit. |
3. Il convient aux autres saints de monter au ciel empyrée, car, par ce lieu qui convient à leur gloire, leur joie est accrue. Or, la joie de l’âme du Christ ne pouvait s’accroître d’aucune manière, comme non plus sa grâce ni sa gloire. Il semble donc qu’il ne soit pas monté [au ciel]. |
[10259] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, omne quod Christus in carne assumpta propter nos fecit, in
nostram utilitatem cedere debuit. Sed per ascensionem nihil nobis accrevit:
quia ante per passionem et descensum ad Inferos omne impedimentum remotum
fuit, et janua per passionem aperta est, et similiter per Baptismum, quando
caeli aperti sunt. Ergo non fuit necessarium quod Christus ascenderet. |
4. Tout ce que le Christ a fait pour nous dans la chair devait tourner à notre utilité. Or, par l’ascension, rien ne nous a été ajouté, car, auparavant, par la passion et la descente aux enfers, tout empêchement a été enlevé et la porte [du ciel] a été ouverte par la passion; de même en a-t-il été par le baptême, alors que les cieux ont été ouverts. Il n’était donc pas nécessaire que le Christ monte [au ciel]. |
[10260] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, omnis actio Christi ad nostram salutem ordinatur. Sed magis esset ad
salutem nostram ejus praesentia corporalis quam ejus absentia. Ergo videtur
quod a nobis per ascensionem discedere non debuit. |
5. Toute action du Christ est ordonnée à notre salut. Or, sa présence corporelle serait plus favorable à notre salut que son absence. Il semble donc qu’il ne devait pas se séparer de nous par l’ascension. |
[10261] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1
s. c. 1 Sed contra est quod in symbolo
dicitur: ascendit ad caelos. |
Cependant, [1] il est dit dans le symbole : « Il est monté au ciel. » |
[10262] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1
s. c. 2 Praeterea,
corpori nobilissimo debetur locus nobilissimus. Sed caelum Empyreum est
locorum nobilissimus. Ergo corpus Christi, quod est nobilissimum, ad locum illum ascendere
debuit. |
[2] Au corps le plus noble est dû le lieu le plus noble. Or, le ciel empyrée est le plus noble des lieux. Le corps du Christ, qui est le plus noble, devait donc monter jusqu’à ce lieu. |
[10263] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1
s. c. 3 Praeterea, in
Christo praemonstrata est gloria resurrectionis, quae membris ejus
promittitur. Sed promittitur etiam membris Christi locus caelestis, unde
Lucifer cecidit. Ergo videtur
quod ipse prius ascendere debuit pandens iter ante eos, ut dicitur
Michaeae 2, 13. |
[3] Chez le Christ, la gloire de la résurrection qui est promise à ses membres a été manifestée par anticipation. Or, un lieu céleste, dont Lucifer est tombé, est aussi promis aux membres du Christ. Il semble donc qu’il devait d’abord monter, en leur ouvrant la voie, comme il est dit dans Mi 2, 13. |
[10264] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 3 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod ascendere in caelum fuit congruum et ipsi Christo, et nobis.
Christo quidem, quoniam ei omne quod ad gloriam pertinet, debebatur; unde cum
caelum Empyreum sit locus congruus gloriae, et aliquod quasi praemium
accidentale, Christo etiam debebatur ut ad locum illum ascenderet. Nobis
autem congruum fuit quantum ad tria. Primo ut nos quasi in corporalem
possessionem induceret caeli, quam nobis pretio sui sanguinis emerat. Secundo
ut spem nostram ad caelum erigeret: quia dum humanam conditionem sideribus importavit,
credentibus caelum posse patere monstravit, ut dicit Augustinus. Tertio ut
jam Christum non secundum carnem cognoscentes, spiritualiter tantum ipsi
conjungamur; et sic idonei efficiamur ad accipienda dona spiritus sancti,
secundum quod dictum est, Eph. 4, 8: ascendit in altum, dedit dona
hominibus. |
Réponse. Monter au ciel était convenable pour le Christ et pour nous. Pour
le Christ, parce que tout ce qui se rapporte à la gloire lui était dû;
puisque le ciel empyrée est un lieu convenable pour la gloire et comme une
récompense accidentelle, il était donc dû aussi au Christ qu’il monte vers ce
lieu. Mais, pour nous, cela était convenable pour trois raisons.
Premièrement, afin qu’il nous introduise en la possession corporelle du ciel,
qu’il avait achetée au prix de son sang. Deuxièmement, afin d’élever notre
espérance vers le ciel, car, « en introduisant la condition humaine
parmi les astres, il a démontré que le ciel pouvait être ouvert », comme
le dit Augustin. Troisièmement, afin que, ne connaissant pas le Christ selon
la chair, nous lui soyons unis spirituellement seulement et qu’ainsi nous
devenions aptes à recevoir les dons de l’Esprit Saint, selon ce qui a été dit
en Ep 4, 8 : Il est
monté dans les hauteurs, il a donné des dons aux hommes. |
[10265] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod motus localis, ut dicit philosophus, non mutat aliquid de eo
quod est intra rem, sed solum est secundum id quod est extra; unde motus
localis non ponit exitum de potentia ad actum aliquem intraneum rei, sed ad
actum extrinsecum; et propter hoc non ponitur per motum localem aliqua
imperfectio per hoc quod desit aliquid eorum quae debent inesse; sed ponit
imperfectionem secundum quid per hoc quod dum est in loco isto non est in
alio. Similiter
dicendum est, quod ascensio Christi non fuit propter aliquam indigentiam, qua
indigeret ipse ex parte sua aliquid in seipso habere, sed propter nostram
indigentiam, et ut esset in loco sibi convenienti, in quo nondum erat. |
1. Comme le dit le Philosophe, le mouvement local ne change rien d’intrinsèque à une chose, mais il concerne seulement ce qui lui est extérieur. Le mouvement local ne représente donc pas un passage de la puissance à l’acte intrinsèque à la chose; pour cette raison, n’est pas affirmée par le mouvement local une imperfection selon ce qui doit être intrinsèque à la chose, mais il affirme une imperfection sous un aspect, selon que, lorsque la chose est dans ce lieu, elle n’est pas dans un autre. De même faut-il dire que l’ascension du Christ n’était pas due à une indigence en vertu de laquelle il aurait eu besoin pour sa part de posséder quelque chose en lui-même, mais en raison de notre indigence, et afin d’être dans un lieu qui lui convenait, alors qu’il n’y était pas encore. |
[10266] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod ascendere et descendere possunt dici proprie, et sic
significant motum localem; unde non conveniunt Christo secundum divinam
naturam, sed secundum humanam, secundum quam descendit ad Inferos et ascendit
localiter ad caelos. Dicitur etiam
metaphorice descendisse secundum divinam naturam inquantum se exinanivit
formam servi accipiens, Philip. 2, et inquantum per novum effectum fuit in
terris, secundum quem ibi ante non fuerat: ascendisse autem quantum ad
notitiam aliorum. Similiter quantum ad humanam naturam ascendit, secundum
quod exaltatus est ad gloriam resurrectionis, et notitiam populorum;
descendit autem secundum passionis ignominiam. Quod autem dicitur, nemo
ascendit, nisi qui descendit, ad personam referendum est, cui secundum
naturam unam convenit descendere de caelo, scilicet secundum divinam,
inquantum sibi carnem in persona copulavit; et secundum aliam, scilicet
humanam, ascendere. |
2. « Monter » et « descendre » peuvent être employés au sens propre : ils signifient alors un mouvement local. Ils ne conviennent donc pas au Christ selon sa nature divine, mais selon sa nature humaine, selon qu’il est descendu aux enfers et est monté localement dans les cieux. On dit aussi métaphoriquement qu’il est descendu selon sa nature divine, pour autant qu’il s’est abaissé en prenant la forme de l’esclave, Ph 2, et pour autant que, par un effet nouveau, il était sur la terre, alors qu’il n’y était pas auparavant; et [on dit] qu’il est monté du point de vue de la connaissance des autres. De même, il est monté selon sa nature humaine, selon qu’il a été élevé à la gloire de la résurrection et porté à la connaissance des peuples; mais il est descendu selon l’ignominie de la passion. Ce qui est dit : Personne ne monte que celui qui est descendu, doit être mis en rapport avec la personne, à qui il convient selon une nature , la nature divine, de descendre du ciel, pour autant qu’il s’est uni la chair dans sa personne; et selon une autre, la nature humaine, [il convient] de monter. |
[10267] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod Christo in ascensione non accrevit aliquod gaudium neque
quantum ad intensionem, neque quantum ad numerum eorum de quibus gaudendum
erat: quia perfectum gaudium de omnibus ab instanti suae conceptionis habuit:
sed accrevit sibi novus modus gaudendi: quia de illo de quo prius gaudebat ut
de futuro, tunc gaudebat ut de praesenti. |
3. Par l’ascension, ne s’est pas ajoutée au Christ une joie, ni selon l’intensité, ni selon le nombre de choses dont il se réjouissait, car il a eu une joie parfaite dès l’instant de sa conception. Mais s’est ajoutée à lui une nouvelle manière de se réjouir, car ce dont il se réjouissait d’abord comme à venir, il s’en réjouissait alors comme présent. |
[10268] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod per passionem Christi omnia impedimenta
fuerunt a nobis amota et omnia bona data quantum ad meritum, quia scilicet
per passionem Christus nobis meruit praedicta; sed oportuit ut per effectum
in illa bona per eum induceremur, quasi in corporalem possessionem eorum quae
jam nobis emerat. Dona autem gloriae in tribus consistunt. Primo in visione
divina, quae est beatitudo animae; et hoc per effectum contulit descendendo
ad Inferos. Secundum est gloria corporis; et hoc inchoavit in sua
resurrectione. Tertium est locus congruus; et hoc praestitit in sua
ascensione. In Baptismo autem caeli aperti sunt in signum quod per Baptismum,
quem tunc inchoabat, in quo passio ejus operatur, plenarie caeli aditus
pateret nobis. |
4. Par la passion du Christ, tous les empêchements ont été écartés de nous et tous les biens ont été donnés pour ce qui est du mérite, car, par la passion, le Christ nous a mérité ce dont il a été question; mais il fallait que nous entrions effectivement dans ces biens, comme par une possession corporelle de ce qu’il avait déjà acheté. Or, les dons de la gloire consistent en trois choses. Premièrement, dans la vision de Dieu, qui est la béatitude de l’âme. Il a effectivement apporté cela en descendant aux enfers. Deuxièmement, la gloire du corps : il a amorcé cela par sa résurrection. Troisièmement, un lieu adéquat : il a fourni cela par son ascension. Mais, par le baptême, les cieux se sont ouverts comme signe que, par le baptême, qu’il commençait alors et dans lequel sa passion agit, l’accès au ciel nous était pleinement ouvert. |
[10269] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod corporalis praesentia Christi in duobus poterat esse nociva.
Primo quantum ad fidem: quia videntes eum in forma in qua erat minor patre,
non ita de facili crederent eum aequalem patri, ut dicit Glossa super
Joannem. Secundo quantum ad dilectionem: quia eum non solum spiritualiter,
sed etiam carnaliter diligeremus conversantes cum ipso corporaliter; et hoc
est de imperfectione dilectionis. |
5. La présence corporelle du Christ pouvait être nuisible sous deux aspects. Premièrement, pour ce qui est de la foi, car, « en le voyant sous une forme qui était inférieure au Père, on ne l’aurait pas cru aussi facilement égal au Père », comme le dit la Glose à propos de Jean. Deuxièmement, pour ce qui est de l’amour, car nous ne l’aimerions pas seulement spirituellement, mais aussi charnellement en entretenant avec lui des rapports corporels, et cela est une imperfection de l’amour. |
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Articulus 2 [10270] Super Sent., lib. 3
d. 22 q. 3 a. 2 tit. Utrum motus ascensionis fuerit violentus |
Article 2 – Le mouvement de l’ascension était-il violent ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [ ]
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[10271] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod motus ascensionis fuerit
violentus. Act. 1: elevatis manibus ferebatur in caelum. Sed latio, ut
dicitur 7 Physic., est species motus violenti. Ergo ascensio sua fuit
violentus motus. |
1. Il semble que le mouvement de l’ascension ait été violent. Ac 1 : Ayant levé les mains, il fut emporté vers le ciel. Or, ainsi que le dit Physique, VII, l’action d’emporter est une espèce de mouvement violent. L’ascension [du Christ] a donc été un mouvement violent |
[10272] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2
qc. 1 arg. 2 Praeterea, in
corpore suo, cum esset solidum, dominabatur terra. Sed omne tale naturaliter
movetur deorsum, et per violentiam sursum. Ergo illa ascensio erat violenta. |
2. Puisque le corps du Christ était solide, la terre l’emportait chez lui. Or, tout ce qui est tel est mû vers le bas et, vers le haut, par violence. Cette ascension a donc été violente. |
[10273] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2
qc. 1 arg. 3 Praeterea, omnis
motus naturalis causatur ex motu caeli. Sed caelum non habebat aliquam
causalitatem supra corpus Christi. Ergo motus ille non erat naturalis. |
3. Tout mouvement naturel est causé par le mouvement du ciel. Or, le ciel n’exerçait aucune causalité sur le corps du Christ. Ce mouvement n’était donc pas naturel. |
[10274] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2
qc. 1 arg. 4 Praeterea,
omnis motus qui est in locum peregrinum mobili, est motus innaturalis. Sed ascensio Christi fuit
hujusmodi: quia dicit Gregorius, super illud: homo quidam peregre
proficiscens: caro ad peregrinandum ducitur, dum per redemptorem in caelo
collocatur. Ergo illa ascensio fuit motus violentus. |
4. Tout mouvement vers un lieu étranger à un mobile est un mouvement non naturel. Or, l’ascension du Christ était de cette sorte, car Grégoire dit à ce sujet : « L’homme qui part à l’étranger : la chair est amenée à se déplacer vers l’étranger, alors qu’elle est placée au ciel par le Rédempteur. » Cette ascension a donc été un mouvement violent. |
[10275] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, omnis
motus violentus inducit lassitudinem. Sed ascensio Christi non fuit talis. Ergo non fuit motus violentus. |
Cependant, [1] tout mouvement violent entraîne une lassitude. Or, l’ascension du Christ n’était pas telle. Elle n’a donc pas été un mouvement violent. |
[10276] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2
qc. 1 s. c. 2 Praeterea,
nullus motus violentus est propria virtute mobilis. Sed Christus propria
virtute ascendit, ut patet Isai. 63, 1: gradiens in multitudine
fortitudinis suae. Ergo ascensio ejus non fuit motus violentus. |
[2] Aucun mouvement violent n’est capable de mouvoir par sa propre puissance. Or, le Christ est monté par sa propre puissance, comme cela ressort de Is 63, 1 : Montant par la grandeur de sa force. Son ascension n’a donc pas été violente. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [L’ascension a-t-elle été un mouvement subit ?] |
[10277] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod ascensionis motus fuerit subitus. Quia Augustinus dicit in
quaestionibus de resurrectione, quod tales sunt motus corporum
glorificatorum, sicut motus radii solis. Sed motus radii est in instanti.
Ergo et motus corporis Christi gloriosi. |
1. Il semble que le mouvement ait été subit, car Augustin dit, dans les Questions sur la résurrection, que « les moouvements des corps glorieux sont comme les mouvements d’un rayon du soleil ». Or, les mouvements du rayon se produisent dans l’instant. Donc aussi le mouvement du corps du Christ glorieux. |
[10278] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2
qc. 2 arg. 2 Praeterea, corpus
Christi gloriosum, omnino erat subjectum voluntati spiritus. Sed voluntas in
instanti potest moveri de loco ad locum. Ergo et corpus Christi glorificatum. |
2. Le corps du Christ glorieux était entièrement soumis à la volonté de l’esprit. Or, la volonté peut être instantanément mue d’un lieu à un autre. Donc aussi le corps glorifié du Christ. |
[10279] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2
qc. 2 arg. 3 Praeterea,
potentia corporis Christi glorificati est improportionabilis potentiae
alicujus corporis mobilis non glorificati. Sed secundum proportionem virtutis
moventis est proportio temporis in quo fit motus: quia major virtus in minori
tempore movet. Ergo si aliqua virtus movet in tanto tempore, virtus corporis
Christi glorificati movebit in instanti ipsum corpus, quod instans tempori
non proportionatur. |
3. La puissance du corps du Christ glorifié est sans proportion par rapport à la puissance d’un corps mobile non glorifié. Or, la proportion du temps dans lequel se réalise le mouvement est proportionnelle à la puissance de celui qui meut, car une plus grande puissance meut dans un temps moindre. Si donc une puissance meut dans un temps déterminé, la puissance du corps du Christ glorifié mouvra son propre corps dans l’instant, instant qui n’a pas de proportion par rapport au temps. |
[10280] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2
qc. 2 s. c. 1 Sed contra,
corpus Christi, cum sit divisibile, habet partem post partem. Sed ubi est una pars, ibi non est alia.
Ergo oportet quod parti succedat pars: ergo motus ille non est subito. |
Cependant, [1] puisqu’il est divisible, le corps du Christ possède une partie après l’autre. Or, là où se trouve une partie, là ne s’en trouve pas une autre. Il faut donc qu’une partie succède à une partie. Ce mouvement n’est pas donc subit. |
[10281] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2
qc. 2 s. c. 2 Praeterea,
motus subitaneus non potest percipi. Sed apostoli viderunt Christi
ascensionem. Ergo non fuit subita. |
[2] Un mouvement subit ne peut pas être perçu. Or, les apôtres ont vu l’ascension du Christ. Elle ne fut donc pas subite. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [L’ascension devait-elle avoir lieu aussitôt après la résurrection ?] |
[10282] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod statim post resurrectionem ascendere debuerit. Quia ascensio sua est
exemplar aliorum sanctorum. Sed alii sancti post resurrectionem corporum futuram ascendent. Ergo
et Christus debuit. |
1. Il semble que [le Christ] devait monter [au ciel] aussitôt après la résurrection, car son ascension est le modèle des autres saints. Or, les autres saints monteront après la résurrection des corps à venir. Le Christ le devait donc. |
[10283] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2
qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut
debuit probari veritas resurrectionis, ita debuit probari veritas mortis. Sed
ipse ut probaret veritatem mortis, distulit resurrectionem usque in tertium
diem. Ergo similiter
debuit ascendere tertia die post resurrectionem. |
2. De même que [le Christ] devait prouver la vérité de la résurrection, de même devait-il prouver la vérité de sa mort. Or, pour prouver la vérité de sa mort, il a reporté la résurrection jusqu’au troisième jour. De la même manière, il devait donc monter [au ciel] le troisième jour après sa résurrection. |
[10284] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2
qc. 3 arg. 3 Praeterea, non
est aliquis locus animarum nisi Infernus vel caelum. Sed animae sanctorum patrum qui erant in
Limbo, Christo resurgente eductae sunt de Inferno. Ergo statim ascenderunt in
caelum. Sed nullus debuit in caelum ascendere ante Christum, sicut nullus
ante ipsum resurgere. Ergo et
Christus statim post resurrectionem debuit ascendere. |
3. Il n’existe pas d’autre lieu des âmes que l’enfer ou le ciel. Or, les âmes des saints pères qui étaient dans les limbes ont été tirées de l’enfer lorsque le Christ est ressuscité. Ils sont donc aussitôt montés au ciel. Or, personne ne devait monter au ciel avant le Christ, comme personne ne devait ressusciter avant lui. Le Christ devait donc aussi monter immédiatement [au ciel] après la résurrection. |
[10285] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 3 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Act. 1, 3: praebuit seipsum vivum per dies quadraginta. |
Cependant,
[1] Ac 1, 3 dit : Il se montra vivant pendant quarante
jours. |
[10286] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 3 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, consolationes divinae excedunt tribulationem humanam. Sed
apostoli fuerunt in angustia post mortem Christi per tres dies. Ergo multo
amplius debuerunt esse in gaudio propter ipsius resurrectionem. |
[2] Les consolations divines dépassent les tribulations humaines. Or, les apôtres ont connu l’angoisse après la mort du Christ pendant trois jours. À bien plus forte raison, devaient-ils être dans la joie en raison de sa résurrection. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[10287] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo
dicendum, quod motus naturalis dicitur cujus principium est natura. Natura
autem dicitur dupliciter: scilicet de forma quae est principium activum
motus, et de materia quae est principium passivum. Secundum hoc igitur
dicitur aliquis motus dupliciter naturalis. Uno modo quia in eo quod movetur
est principium activum motus; et sic corpora gravia et levia moventur
naturaliter. Alio modo quia in eo quod movetur, est dispositio naturalis, per
quam aliquid est mobile ab aliquo movente; et hoc contingit dupliciter. Quia
vel inest ista aptitudo ad hoc quod moveatur ab illo movente cum inclinatione
ad contrarium motum, sicut est in corpore animalis; et tunc motus ille
dicitur violentus quantum ad naturam corporis, inquantum est corpus;
naturalis autem quantum ad naturam corporis, inquantum est animatum, ut dicit
philosophus. Aut non est aptitudo ad contrarium inclinans, sicut patet in
motu caelestium, quae moventur a substantia separata, et tamen dicuntur
moveri naturaliter, ut dicit Commentator in 1 caeli et Mund. Hoc modo motus
ascensionis Christi fuit naturalis: quia cum corpus glorificatum sit omnino
subjectum animae, non potest esse aliqua inclinatio ad contrarium ejus quod
anima vult; unde removetur in eo inclinatio gravitatis et levitatis repugnans
voluntati, sicut inclinatio calidi et frigidi, quae est ad mutuam
corruptionem. Quidam autem dicunt, quod fuit etiam motus naturalis ex hoc
quod principium activum fuit in corporis natura, sicut in motu gravium et
levium: quia in corpore glorificato regnat natura caeli Empyrei, quae est de
compositione corporis humani: quod est impossibile. Quia si aliquid de caelo
Empyreo esset pars corporis nostri, oporteret quod esset commixtum elementis;
alias esset distinctum ab eis, et non esset pars, quia non esset unum, nisi
aggregatione. Praeterea, si esset pars, non inclinaret ad motum rectum sed ad
nullum: quia de natura caeli Empyrei non est quod moveatur nisi ad motum
circularem qui est naturalis quintae essentiae. |
On appelle mouvement naturel celui dont le principe est la nature. Or, on parle de nature de deux manières : à propos de la forme qui est le principe actif du mouvement, et à propos de la matière qui est le principe passif. On parle ainsi de mouvement naturel de deux manières. Premièrement, parce qu’il existe un principe actif de mouvement dans ce qui est mû : ainsi, les corps lourds et légers sont-ils mus naturellement. Deuxièmement, parce que, dans ce qui est mû, existe une disposition naturelle, selon laquelle une chose peut être mue par quelque chose qui la meut. Cela se produit de deux manières. Soit cette aptitude est inhérente à ce que cette chose soit mue par ce qui la meut selon une inclination au mouvement contraire, comme c’est le cas dans le corps de l’animal : alors, on dit que ce mouvement est violent pour ce qui est de la nature du corps en tant qu’il est corps, mais naturel pour ce qui est de la nature du corps en tant qu’il est animé, comme le dit le Philosophe. Soit il n’existe pas d’aptitude inclinant en sens contraire, comme c’est le cas pour le mouvement des corps célestes, qui sont mus par une substance séparée, mais dont on dit cependant qu’ils sont mus naturellement, comme le dit le Commentateur dans Sur le ciel et le monde, I. Le mouvement de l’ascension du Christ fut ainsi naturel, car, le corps glorifié étant entièrement soumis à l’âme, il ne peut exister d’inclination en sens contraire de ce que l’âme veut. Ainsi est enlevée en lui l’inclination à la gravité et à la légèreté qui s’oppose à la volonté, de même que l’inclination au chaud et au froid, qui va vers la corruption mutuelle. Mais certains disent que le mouvement [d’ascension] était naturel du fait qu’il existait un principe actif dans la nature du corps, comme dans le mouvement des corps lourds et légers, car, dans le corps glorifié, règne la nature du ciel empyrée, qui vient de la composition du corps humain, ce qui est impossible. En effet, si quelque chose venant du ciel empyrée était une partie de notre corps, il faudrait que cela soit mêlé aux éléments, autrement cela serait distinct d’eux et n’en serait pas une partie, car cela ne serait une seule chose que par agrégation. De plus, si cela était une partie, elle n’inclinerait pas à un mouvement en ligne droite, mais à aucun [mouvement], car il est de la nature du ciel empyrée de n’être mû qu’à un mouvement circulaire qui est naturel à la quinte essence. |
[10288] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod ferebatur quidem ab Angelis in obsequium dignitatis, non in
adjutorium necessitatis; sicut reges etiam feruntur et episcopi: unde non
sequitur quod fuerit motus violentus. |
1. Il était porté par des anges, non pas en raison de la nécessité d’une aide, mais en hommage à sa dignité, comme les rois et les évêques sont portés. Il n’en découle donc pas que cela était un mouvement violent. |
[10289] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod motus ille non est naturalis corpori inquantum corpus, sed
inquantum instrumentum animae glorificatae, per quam tollebatur inclinatio
qualitatum contrariarum ad actiones et motus suos. |
2. Ce mouvement n’est pas naturel au corps en tant que corps, mais en tant qu’il est un instrument de l’âme glorifiée par laquelle était enlevée à ses actions et à ses mouvements l’inclination des qualités contraires. |
[10290] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod hoc intelligitur de corporibus quamdiu sunt in statu
generationis et corruptionis, et non de corporibus gloriosis. |
3. Cela s’entend des corps pendant qu’ils sont dans un état de génération et de corruption, et non des corps glorieux. |
[10291] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2
qc. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod ille locus est peregrinus carni inquantum est caro, non autem
inquantum est instrumentum animae gloriosae. |
4. Ce lieu est étranger à la chair en tant qu’elle est chair, mais non en tant qu’elle est l’instrument de l’âme glorieuse. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[10292] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod illa opinio est facilior ad
sustinendum quae ponit, quod corpus Christi in ascensione movebatur tempore
perceptibili, sua quidem voluntate; sed poterat moveri tempore
imperceptibili, non autem in instanti: quia oportebat quod corpus Christi in
ascensione transiret per media, cum per suam substantiam determinaretur ad
locum, et impossibile est quod sit in diversis locis simul; et ita oportebat
quod in mediis locis esset in diversis instantibus, et sic oportebat motum
illum esse successivum. |
Il est plus facile de soutenir l’opinion qui affirme que le corps du Christ, lors de l’ascension, était mû selon un temps perceptible, mais selon sa volonté. Toutefois, il pouvait être mû selon un temps imperceptible, mais non dans l’instant, car il fallait que le corps du Christ en ascension passe par des intermédiaires, puisqu’il était déterminé à un lieu par sa substance et qu’il est impossible qu’il soit en plusieurs endroits en même temps. Ainsi fallait-il qu’il se trouve en divers lieux à divers instants; il fallait donc que ce mouvement soit successif. |
[10293] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod similitudo attenditur quantum ad perceptibilitatem, et non
quantum ad genus motus: quia motus radii non est motus alterationis, ut
dicitur in Lib. de sensu et sensato; unde potest esse subitus: motus autem
glorificatorum corporum est motus localis; et ideo oportet quod sit
successivus. |
1. La ressemblance se prend du point de vue de la possibilité de percevoir, et non du point de vue du genre du mouvement, car le mouvement du rayon n’est pas un mouvement d’altération, comme il est dit dans le livre Sur le sens et ce qui est senti. Il peut donc être subit. Or, le mouvement des corps glorifiés est un mouvement local. C’est pourquoi il faut qu’il soit successif. |
[10294] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod quamvis corpus sit subjectum spiritui, tamen esse non potest
ut corpus ad naturam spiritus convertatur. |
2. Bien que le corps soit soumis à l’esprit, il ne peut cependant se faire que le corps soit converti en la nature de l’esprit. |
[10295] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod ratio illa procedit de virtute movente ex necessitate naturae,
non autem de virtute movente per voluntatem, quae movet secundum exigentiam
mobilis. |
3. Cet argument vient de la puissance qui meut par nécessité de nature, mais non de la puissance qui meut par volonté, qui meut selon que l’exige le mobile. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[10296] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 3 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ea quae circa Christum acta
sunt, dispensative facta sunt propter aliquam utilitatem; et ideo ad
ostendendum veritatem suae resurrectionis oportuit quod non statim post
resurrectionem ascenderet, sed diu cum apostolis conversaretur, ut ex magna
familiaritate omnis dubitatio tolleretur: quia si tantum apparuisset semel,
potuisset videri esse aliqua illusio; et ideo pluries in illis quadraginta
diebus illis apparuit. Fuit etiam dilata ascensio ad consolationem
apostolorum, qui de morte contristati fuerunt; et ideo dicit Glossa Act. 1,
quod sicut quadraginta horae fuerunt mortis Christi, ita quadraginta diebus
cum eis conversatus est post resurrectionem, quia consolatio divina excedit
tristitiam humanam. |
Ce qui a été accompli à propos du Christ a été accompli selon une certaine disposition, en raison d’une certaine utilité. Pour montrer la vérité de sa résurrection, il fallait donc qu’il ne monte pas [au ciel] aussitôt après la résurrection, mais qu’il vive pendant un temps avec les apôtres, afin que tout doute soit écarté par sa grande intimité, car s’il était apparu une seule fois, cela aurait pu ressembler à une illusion; aussi leur est-il apparu souvent pendant ces quarante jours. L’ascension a aussi été reportée pour la consolation des apôtres, qui ont été attristés par sa mort. C’est pourquoi la Glose sur Ac 1 dit que, « de même que la mort du Christ a duré quarante heures, de même a-t-il vécu avec eux pendant quarante jours après la résurrection, car la consolation divine dépasse la tristesse humaine ». |
[10297] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod aliorum sanctorum non oportebit resurrectionem probare, quia
omnibus manifesta erit: et ideo non oportet quod differatur. |
1. Il ne sera pas nécessaire de prouver la résurrection des autres saints, car elle sera manifeste pour tous. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle soit différée. |
[10298] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod major poterat esse dubitatio de resurrectione quam de morte;
et ideo oportuit quod longiori tempore confirmaretur. |
2. On pouvait douter davantage de la résurrection que de la mort. C’est pourquoi il fallait qu’elle soit confirmée pendant un temps plus long. |
[10299] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod interim animae sanctorum erant cum Christo, ut de ejus
corporali praesentia gauderent; vel erant in Paradiso terrestri, quamvis
locus ille non sit proprie locus spirituum; sed erant ibi dispensative ad tempus. |
3. Entre-temps, les âmes des saints étaient avec le Christ pour se réjouir de sa présence corporelle; ou bien elles étaient au Paradis terrestre, bien que ce lieu n’ait pas été à proprement parler un lieu pour les esprits, mais elles s’y trouvaient selon une certaine disposition pour un temps. |
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Articulus 3 [10300] Super Sent., lib. 3
d. 22 q. 3 a. 3 tit. Utrum Christus ascenderit super omnes caelos |
Article 3 – Le Christ est-il monté au-dessus de tous les cieux ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le Christ est-il monté au-dessus de tous les cieux ?] |
[10301] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Christus non ascenderit supra
omnes caelos. Corpus enim Christi necessario est in loco. Sed extra omnes
caelos non est locus, secundum philosophum, 1 caeli et mundi. Ergo supra
omnes caelos ascendere non potuit. |
1. Il semble que le Christ ne soit pas monté au-dessus de tous les cieux. En effet, le corps du Christ se trouve nécessairement dans un lieu. Or, en dehors de tous les cieux, il n’y a pas de lieu, selon le Philosophe, Sur le ciel et le monde, I. Il ne pouvait donc pas monter au-dessus de tous les cieux. |
[10302] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3
qc. 1 arg. 2 Praeterea, duo
corpora non possunt esse in eodem loco. Cum igitur non possit fieri motus de
extremo in extremum nisi per medium, videtur quod supra omnes caelos
ascendere non potuit nisi caelum divideretur, quod est impossibile. |
2. Deux corps ne peuvent se trouver dans un même lieu. Puisqu’il ne peut y avoir de mouvement d’un extrême à l’autre qu’en passant par un intermédiaire, il semble donc qu’il ne pouvait monter au-dessus de tous les cieux que si le ciel était divisé, ce qui est impossible. |
[10303] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3
qc. 1 arg. 3 Praeterea, caelum
Empyreum est locus spirituum. Sed diversorum diversa sunt loca. Ergo nec
corpus Christi nec aliud corpus caelum Empyreum ascendit, quod est caelum
ultimum. |
3. Le ciel empyrée est le lieu des esprits. Or, les lieux varient selon les diverses choses. Donc, ni le corps du Christ ni un autre corps n’est donc monté au ciel empyrée, qui est le ciel ultime. |
[10304] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 3 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Hebr. 7, 26: excelsior caelis factus. Praeterea, Ephes. 4, 8: ascendens in
altum; Glossa: loco et dignitate. |
Cependant, à propos de He 7, 26 : Devenu plus élevé que les cieux, la Glose dit : « Par le lieu et par la dignité. » |
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Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le Christ est-il monté à la droite du Père ?] |
[10305] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod non ascenderit ad dexteram patris. Dextera enim vel sinistra sunt
differentiae situs vel positionis. Sed Deus, cum sit summe spiritualis, non habet situm. Ergo non habet
dexteram et sinistram. |
1. Il semble qu’il ne soit pas monté à la droite du Père. En effet, la droite et la gauche sont des différences de site ou de position. Or, Dieu, qui est spirituel au plus haut point, n’a pas de site. Il n’a donc pas de droite ni de gauche. |
[10306] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
metaphorice filius ipse dicitur dextera patris, Psal.: manus tua confregit
inimicum. Sed haec
praepositio ad denotat distinctionem, quia praepositiones transitivae sunt. Cum ergo filius a seipso non distinguatur,
videtur quod ei non conveniat ad dexteram patris sedere. |
2. Le Fils lui-même est appelé la droite du Père. Ps : Ta main a détruit l’ennemi. Or, cette préposition « à » indique une distinction, car les prépositions sont transitives. Puisque le Fils ne se distingue pas de lui-même, il semble donc qu’il ne lui convienne pas de siéger à la droite du Père. |
[10307] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Proverb. 3, 16,
dicitur: in dextera ejus longitudo dierum, et in sinistra illius divitiae
et gloria. Sed omnium bonorum patris Christus habet plenitudinem. Ergo
non magis debet dici sedere ad dexteram quam sinistram. |
3. Il est dit dans Pr 3, 16 : À sa droite se trouve la longueur des jours, et à sa gauche, les richesses et la gloire. Or, le Christ possède la plénitude de tous les biens du Père. Il ne faut donc pas dire qu’il siège à la droite plutôt qu’à la gauche. |
[10308] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3
qc. 2 arg. 4 Praeterea, ipse
dicitur esse in sinu patris, Joan. 1. Ergo non est ad dexteram. |
4. Il est dit [du Fils] qu’il est dans le sein du Père, Jn 1. Il n’est donc pas à sa droite. |
[10309] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 3 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Heb. 1, 7: sedet ad dexteram majestatis in excelsis. |
Cependant,
[1] He 1, 7 dit : Il siège à la droite de la majesté dans
les hauteurs. |
[10310] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3
qc. 2 s. c. 2 Praeterea, in
symbolo dicitur: ascendit ad caelos, sedet ad dexteram Dei patris
omnipotentis. |
[2] Il est dit dans le symbole : « Il est monté aux cieux et il est assis à la droite de Dieu, le Père tout-puissant. » |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Convient-il au seul Christ de siéger à la droite du Père ?] |
[10311] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non soli Christo conveniat ad dexteram patris
sedere. Ad Eph. 2, 6: consedere nos fecit in Christo in caelestibus.
Si ergo Christus sedet ad dexteram, et nos ad dexteram sedere faciet. |
1. Il semble qu’il ne convienne pas au seul Christ de siéger à la droite du Père. Ep 2, 6 : Il nous a fait asseoir avec le Christ dans les cieux. Si le Christ siège à la droite, il nous fera donc siéger à la droite. |
[10312] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Ephes. 1, 20: constituens illum ad dexteram, Glossa:
idest aeternam
beatitudinem. Sed omnibus
sanctis communicatur aeterna beatitudo. Ergo omnibus sanctis convenit ad
dexteram sedere, et non soli Christo. |
2. À propos de Ep 1, 20 : L’établissant à la droite, la Glose dit : « C’est-à-dire dans la béatitude éternelle. » Or, la béatitude éternelle est communiquée à tous les saints. Il convient donc à tous les saints de siéger à la droite, et non pas au seul Christ. |
[10313] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3
qc. 3 arg. 3 Praeterea, beatae
virgini convenit esse in potioribus donis Dei, quae est super omnes choros
Angelorum exaltata; unde et in Psal. 44, 10, a dextris stare dicitur: astitit
regina a dextris tuis. Ergo non soli
Christo convenit sedere ad dexteram. |
3. Il convient à la bienheureuse Vierge de jouir de meilleurs dons de Dieu, elle qui a été élevée au-dessus des chœurs des anges. Aussi dit-on, dans Ps 44, 10, qu’elle siège à la droite : La reine est assise à ta droite. Il ne convient donc pas au seul Christ de siéger à la droite. |
[10314] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3
qc. 3 arg. 4 Praeterea, dextera patris est aequalitas patris. Sed spiritus
sanctus est aequalis patri, sicut filius. Ergo sibi convenit sedere ad
dexteram. |
4. La droite du Père est l’égalité avec le Père. Or, l’Esprit Saint est égal au Père comme au Fils. Il lui convient donc de siéger à la droite. |
[10315] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 3 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, sedere ad dexteram convenit Christo secundum humanam
naturam et divinam. Sed in nullo alio invenitur natura divina et humana simul. Ergo nulli alii convenit
sicut Christo. |
Cependant, [1] Siéger à la droite convient au Christ selon sa nature humaine et sa nature divine. Or, la nature divine et la nature humaine ne se trouvent en aucun autre simultanément. Cela ne convient donc à aucun autre qu’au Christ. |
[10316] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 3 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, aequalitas est in filio, ut dicit Augustinus per appropriationem. Sed dextera
importat aequalitatem. Ergo videtur quod sedere ad dexteram soli filio
conveniat. |
[2] L’égalité se trouve chez le Christ par appropriation, comme le dit Augustin. Or, la droite comporte une égalité. Il semble donc que siéger à la droite convienne au seul Fils. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[10317] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 3 a. 3 qc. 1 co. Respondeo
dicendum ad primam quaestionem, quod terminus ascensionis Christi est et
locus et dignitas, non quam tunc de novo acceperit, sed quae tunc innotuit.
Secundum autem quod terminus est locus, sic est exaltatus usque ad supremum
locorum corporalium; non quod non possit inde moveri, sed secundum
congruentiam debetur sibi altissimus locus etiam ubicumque sit; sed ad id
quod sibi secundum congruentiam debetur, tunc fuit actu exaltatus. |
Le terme de l’ascension du Christ est un lieu et une dignité, non pas qu’il les ait alors reçus pour la première fois, mais ils furent alors connus. Selon que le terme est un lieu, il a ainsi été élevé jusqu’au lieu corporel le plus élevé, non pas qu’il ne puisse en être déplacé, mais le lieu le plus élevé lui est dû par convenance partout où il est. Or, il a été élevé en acte à ce qui lui est dû par convenance. C’est alors qu’il fut élevé en acte. |
[10318] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod non dicitur ascendisse super caelos quia extra caelum Empyreum
sit, sed quia in altissimam partem caeli Empyrei ascendit. |
1. On ne dit pas qu’il est monté au-dessus des cieux parce qu’il se trouve en dehors du ciel empyrée, mais parce qu’il est monté jusqu’à la partie la plus élevée du ciel empyrée. |
[10319] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod quamvis de natura corporis non sit quod possit esse in eodem
loco cum alio corpore, tamen potest hoc Deus facere per miraculum; sicut
etiam fecit corpus Christi de clauso virginali utero exire, ut dicit
Gregorius. |
2. Bien qu’il ne fasse pas partie de la nature d’un corps qu’il puisse être dans le même lieu qu’un autre corps, Dieu peut cependant réaliser cela par miracle, « comme il a aussi fait que le corps du Christ sorte du sein fermé de la Vierge », comme le dit Grégoire. |
[10320] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quamvis natura corporalis sit citra naturam spiritus, tamen
natura corporis Christi transcendit omnes spiritus, inquantum est divinitati
unita, quae est major et dignior unio quam ea quae est per fruitionem: et
ideo altior locus debetur corpori Christi quam etiam ipsis spiritibus
creatis. Unde Glossa
Hebr. 7, super illud: excelsior caelis factus est, dicit: idest
omni rationali creatura. |
3. Bien que la nature corporelle soit en deça de la nature de l’esprit, la nature du corps Christ dépasse cependant tous les esprits en tant qu’elle est unie à la divinité, ce qui est une union plus grande et plus digne que celle qui se réalise par la jouissance (fruitio). C’est pourquoi un lieu plus élevé est dû au corps du Christ qu’aux esprits créés. Aussi, à propos de He 7 : Il est devenu plus élevé que les cieux, la Glose dit : « C’est-à-dire que toute créature raisonnable. » |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[10321] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 3 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod dextera est nobilior pars
corporis; unde qui alteri ad dexteram sedet, nobilissimo modo ei conjungitur.
Nobilissimus autem modus
secundum quem aliquis patri conjungitur, vel est nobilissimus simpliciter, et
sic est esse aequalem sibi, et hoc convenit filio secundum divinam naturam:
vel est nobilissimus quantum possibile est creaturae; et hoc est conjungi ei
in unione personae filii ejus; et sic sedere ad dexteram convenit Christo
secundum humanam naturam: significat enim sessio firmitatem illius
conjunctionis. |
La droite est la partie la plus noble du corps; aussi celui qui siège à la droite d’un autre lui est-il uni de la manière la plus noble. Or, la manière la plus noble dont quelqu’un est uni au Père est soit la plus noble tout simplement, et ainsi elle consiste à lui être égal : cela convient au Fils selon sa nature divine; soit la plus noble selon qui est possible à une créature : cela consiste à lui être uni dans la personne de son Fils. Il convient ainsi au Chrit de siéger à la droite selon sa nature humaine : en effet, le fait d’être assis signifie la stabilité de cette union. |
[10322] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod non dicitur proprie dextera, sed metaphorice. |
1. On ne parle pas de droite au sens propre, mais au sens métaphorique. |
[10323] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod non est inconveniens quod filius dicatur dextera et sedere ad
dexteram secundum diversas similitudines: quia metaphorice utrumque dicitur.
Dextera enim dicitur secundum quod per ipsum pater operatur: sed sedere ad
dexteram dicitur ratione jam dicta. |
2. Il n’est pas inapproprié que le Fils soit appelé la droite et qu’il siège à la droite selon des images différentes, car les deux sont employés métaphoriquement. En effet, il est appelé sa droite selon que le Père agit par lui; mais on dit qu’il siège à la droite pour la raison déjà donnée. |
[10324] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3
qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis sint Christi et majora et minora
bona patris, tamen ipse in majoribus est collocatus; et ideo dicitur ad
dexteram sedere. |
3. Bien que les biens les plus grands et les plus petits du Père appartiennent au Christ, celui-ci a cependant été placé parmi les plus grands. Aussi dit-on qu’il siège à la droite. |
[10325] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3
qc. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod Christus inquantum exit a patre per generationem, dicitur in
sinu patris sedere, per quod significatur generativa potentia; sed inquantum
est aequalis patri, et ei conregnat, dicitur sedere ad dexteram ejus. |
4. On dit que le Christ siège dans le sein du Père en tant qu’il est issu du Père par génération : par cela est signifiée la puissance génératrice; mais, en tant qu’il est égal au Père et règne avec lui, on dit qu’il siège à sa droite. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[10326] Super Sent., lib. 3 d.
22 q. 3 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod nulli creaturae convenit esse
aequalem patri, neque conjungi filio ejus in unitate personae, secundum quod
dicitur Christus ad dexteram sedere; et ideo nulli creaturae convenit. |
Il ne convient à aucune créature d’être égale au Père, ni d’être unie à son Fils dans l’unité de sa personne, selon quoi on dit que le Christ siège à sa droite. Cela ne convient donc à aucune créature. |
[10327] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod fecit nos consedere inquantum nos gloria stabilivit, et
judiciariam potestatem dedit; non autem sedere ad dexteram. Vel dicendum, quod nos
consedere fecit etiam ad dexteram, sed non in nobis, sed in Christo,
inquantum ipse est unius naturae nobiscum, quam, prout est in Christo, ad
dexteram patris collocavit. |
1. Il nous a fait asseoir avec lui pour autant qu’il nous a établis dans la gloire et nous a donné un pouvoir judiciaire, mais non celui de nous asseoir à la droite. Ou bien il faut dire qu’il nous a aussi fait asseoir à la droite, non pas en nous-mêmes, mais dans le Christ, pour autant qu’il a une seule nature avec nous, laquelle, telle qu’elle existe chez le Christ, il a placée à la droite du Père. |
[10328] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3
qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non
quaelibet beatitudo potest dici dextera simpliciter, sed quae debetur illi
naturae assumptae: vel si quaelibet beatitudo dicatur dextera, hoc non erit
secundum excellentissimum modum possibilem creaturae, sed possibilem
creaturae non unitae; et hoc est secundum quid. |
2. Ce n’est pas n’importe quelle béatitude qui peut être appelée la droite, mais celle qui est due à cette nature assumée. Ou bien, si toute béatitude est appelée la droite, ce ne sera pas selon le meilleur mode possible à la créature, mais selon celui qui est possible à la créature non unie; c’est là une manière relative. |
[10329] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quamvis beata virgo sit super Angelos exaltata, non est tamen
exaltata usque ad aequalitatem Dei, vel unionem in persona: et ideo non
dicitur sedere ad dexteram, sed astare dextris, inquantum honor filii aliquo
modo participative, non plenarie, redundat in ipsam, inquantum dicitur mater
Dei, sed non Deus. |
3. Bien que la bienheureuse Vierge ait été élevée au-dessus des anges, elle n’a cependant pas été élevée jusqu’à l’égalité avec Dieu ou à l’union dans la personne. Aussi ne dit-on pas qu’elle siège à la droite, mais qu’elle se tient à la droite, pour autant que l’honneur du Fils rejaillit d’une certaine manière sur elle par participation, mais non de manière plénière, pour autant qu’elle est appelée la mère de Dieu, mais non pas Dieu. |
[10330] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3
qc. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod spiritus sanctus potest dici sedere ad dexteram patris,
inquantum est aequalis patri secundum veritatem; sed non appropriatur ei
aequalitas, sed filio: et ideo nec sessio dexterae. |
4. On peut dire que l’Esprit Saint est assis à la droite du Père pour autant qu’il est véritablement égal au Père; mais l’égalité ne lui est pas appropriée : elle l’est plutôt au Fils. C’est pourquoi le fait de siéger à droite [ne lui est pas non plus approprié]. |
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Expositio textus |
Explication du
texte de Pierre Lombard, Distinction 22
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[10331] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3
qc. 3 expos. Fidei
argumentum a philosophicis argumentis est liberum: quia per ea nec probari nec improbari
potest. Et ipse forte ante mortem hoc etiam modo erat homo, et post
resurrectionem fuit. Hoc dicit propter tertiam opinionem, quae nondum
erat suo tempore damnata, quae dicebat, quod etiam ante mortem erat hoc modo
homo. Quia una eademque unione, quantum ex parte ipsius assumentis,
non quantum ex parte assumptorum. Ad quod dicimus. Hoc dicit, non quia
praemissae locutiones sint simpliciter concedendae, sed ut ostendat quam
causam veritatis habeant. Nemo ascendit in caelum, nisi qui descendit de
caelo. Ergo alii homines in caelum non ascendunt. Dicendum, quod alii non
propria virtute scandunt, quod est ascendere. Vel loquitur de caelo sanctae
Trinitatis, ad quod ascendit ratione divinae naturae. Vel dicendum, quod
loquitur secundum quod caput et membra sunt una persona. Haec de corrigia
calceamenti dominici sufficiant, ne ossa regis Idumaeae consumantur usque in
cinerem. Calceamentum est humanitas tegens pedem, scilicet verbum, quo
quasi omnia portantur, Heb. 2. Corrigia ipsa est unio. Rex Idumaeae,
Christus, qui communicavit carni et sanguini; Hebr. 2. Idumaea enim sanguinea
interpretatur. Ossa ejus sunt fortiora et difficiliora ad intelligendum de
mysteriis humanitatis ejus, quae non sunt igne curiosi studii usque ad minima
inquirenda, quod est ossa in pulverem redigere; sed sunt silentio honoranda,
quasi intellectum excedentia. Et sumitur de Amos 2. |
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Distinctio 23 |
Distinction 23 –
[Les facteurs de restauration chez le Christ]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Les habitus sont-ils nécessaires ?]
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Prooemium |
Prologue |
[10332] Super
Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de his quae ad Christum pertinent,
quibus nos effective reparavit, hic incipit determinare de reparantibus
formaliter, quae sunt habitus gratuiti animam informantes. Dividitur autem haec
pars in duas; in prima determinat de ipsis habitibus gratuitis; in secunda de
praeceptis quibus ipsi habitus in suos actus diriguntur, dist. 37, ibi: sed
jam distributio Decalogi, quae in duobus mandatis completur, consideranda est.
Prima dividitur in duas partes: in prima determinat de ipsis habitibus
secundum se per singula; in secunda determinat connexionem eorum ad invicem,
36 dist., ibi: solet etiam quaeri, utrum virtutes ita sint sibi
conjunctae, ut separatim non possint possideri. Prima in duas: in prima
determinat de habitibus virtutum; in secunda de donis, 34 distinct., ibi: nunc
de septem donis spiritus sancti agendum est. Prima dividitur in duas
partes: in prima determinat de virtutibus theologicis; in secunda de
virtutibus cardinalibus, 33 dist., ibi: post praedicta, de quatuor
virtutibus quae principales vel cardinales vocantur, disserendum est.
Prima dividitur in tres partes: in prima determinat de fide; in secunda de
spe, 26 dist., ibi: est autem spes virtus qua spiritualia et aeterna bona
sperantur; in tertia de caritate, 27 distinct., ibi: cum autem
Christus fidem et spem non habuerit, dilectionem tamen habuit. Prima in
tres: in prima determinat de fide secundum se; in secunda de fide per
comparationem ad ea quae creduntur, 24 dist.: hic quaeritur, si fides
tantum de non visis est, quomodo veritas apostolis ait: nunc dico vobis
priusquam fiat, ut cum factum fuerit, credatis ? In tertia de ipsa per
comparationem ad eos qui credunt, 25 dist., ibi: praedictis adjiciendum
est de sufficientia fidei ad salutem. Circa primum duo facit: primo
continuat se ad praecedentia; secundo prosequitur propositum, ibi: fides
est virtus qua creduntur quae non videntur. Et haec pars dividitur in
duas partes, secundum quod duas definitiones fidei ponit; secunda incipit
ibi: notandum quoque est, quod fides de non apparentibus tantum est.
Circa primum tria facit: primo definit fidem; secundo exponit definitionem
quantum ad hanc particulam, quae non videntur, ibi: quod tamen non
de omnibus quae non videntur, accipiendum est; quantum autem ad hanc
particulam, virtus, ibi: accipitur autem fides tribus modis;
quantum vero ad hanc particulam, qua creduntur, ibi: aliud est
credere in Deum: tertio manifestantur quaedam quae possunt esse dubia ex
praedictis, quae duo sunt; primum ibi: si vero quaeritur; secundum
ibi: cumque diversis modis dicatur fides, sciendum est tamen unam esse
fidem. Notandum quoque est. Hic ponit aliam definitionem fidei; et circa
hoc tria facit; primo venatur definitionem; secundo definit, ibi: ait enim
apostolus; tertio movet quamdam quaestionem circa praedictam
definitionem, ibi: si vero quaeritur. Hic est triplex quaestio: prima
de virtutibus in generali; secunda de fide communiter; tertia de formatione
et informitate fidei. Circa primum quaeruntur quinque; 1 de necessitate
habituum; 2 quomodo habitus qui sunt in nobis cognoscamus; 3 utrum virtutes
sint habitus: 4 de divisione virtutum in intellectuales, morales, et
theologicas; 5 de numero virtutum theologicarum. |
Après avoir déterminé de ce qui concerne le Christ et par quoi il nous a restaurés de manière efficiente, le Maître commence ici à déterminer de ce qui restaure par mode de forme : ce sont les habitus gratuits qui donnent forme à l’âme. Cette partie se divise en deux : dans la première, il détermine des habitus gratuits; dans la seconde, des commandements par lesquels les habitus eux-mêmes sont dirigés dans leurs actes, d. 37, à cet endroit : « Mais il faut déjà considérer la répartition du décalogue, qui s’accomplit en deux commandements. » La première partie se divise en deux parties : dans la première, il détermine des habitus en eux-mêmes en particulier; dans la seconde, il détermine de leur connexion entre eux, d. 36, à cet endroit : « On a aussi l’habitude de se demander si les vertus sont à ce point unies entre elles qu’elle ne peuvent être possédées séparément. » La première partie se divise en deux parties : dans la pemière, il détermine des habitus des vertus; dans la seconde, des dons, d. 35, à cet endroit : « Il faut maintenant traiter des sept dons du Saint-Esprit. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine des vertus théologales; dans la seconde, des vertus cardinales, d. 33, à cet endroit : « Après ce qui a été dit, il faut traiter des quatre vertus qui sont appelées principales ou cardinales. » La première partie se divise en trois parties. Dans la première, il détermine de la foi; dans la deuxième, de l’espérance, d. 26, à cet endroit : « L’espérance est une vertu par laquelle sont espérés les biens spirituels et éternels »; dans la troisième, de la charité, d. 27, à cet endroit : « Alors que le Christ n’avait pas la foi et l’espérance, il a cependant eu l’amour. » La première partie se divise en trois. Dans la première, il détermine de la foi en elle-même; dans la deuxième, de la foi par comparaison avec ce qui est cru, d. 24 : « On se demande ici, si la foi porte seulement sur ce qui n’est pas vu, comment la Vérité a dit aux apôtres : « Je vous le dis maintenant avant que cela n’arrive pour que vous croyiez lorsque cela se sera produit »; dans la troisième, de [la foi] par comparaison avec ceux qui croient, d. 25, à cet endroit : « Il faut ajouter à ce qui a été dit la suffisance de la foi pour le salut. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il s’attache à ce qui précède; deuxièmement, il poursuit son propos, à cet endroit : « La foi est la vertu par laquelle est cru ce qui n’est pas vu. » Cette partie est divisée en deux parties, selon qu’il présente deux définitions de la foi; la seconde commence à cet endroit : « Il faut aussi remarquer que la foi porte seulement sur ce qui n’est pas apparent. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il définit la foi. Deuxièmement, il explique cette partie de la définition : « …qui n’est pas vu », à cet endroit : « Il ne faut pas comprendre cela de tout ce qui n’est pas vu. » [Il explique] cette partie : « …une vertu », à cet endroit : « La foi s’entend de trois manières. » [Il explique] cette partie : « …par laquelle est cru », à cet endroit : « Autre chose est croire en Dieu. » Troisièmement, certaines choses sont expliquées qui peuvent être douteuses selon ce qui précède. Il y en a deux : la première, en cet endroit : « Mais si on demande… »; la deuxième : « Puisqu’on parle de foi de diverses manières, il faut cependant savoir qu’il n’existe qu’une seule foi. » « Il faut aussi remarquer… » Il présente ici une autre définition de la foi. À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il recherche la définition. Deuxièmement, il définit, à cet endroit : « En effet, l’Apôtre dit… » Troisièmement, il soulève une question à propos de cette définition, à cet endroit : « Mais si on demande… » Il y a ici trois questions : la première, sur les vertus en général; la deuxième, sur la foi d’une manière générale; la troisième, sur la formation et l’absence de forme de la foi. À propos du premier point, cinq questions sont posées : 1 – Sur la nécessité des habitus. 2 – Comment connaissons-nous les habitus qui sont en nous ? 3 – Les vertus sont-elles des habitus ? 4 – Sur la division des vertus en intellectuelles, morales et théologales. 5 – Sur le nombre des vertus théologales. |
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Articulus 1 [10333] Super Sent., lib. 3
d. 23 q. 1 a. 1 tit. Utrum indigeamus habitibus in operationibus humanis |
Article 1 – Avons-nous besoin d’habitus pour les actes humains ? |
[10334] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod habitibus non indigeamus in
operibus humanis. Potentiae enim rationales, quae sunt hominis inquantum
homo, sunt nobiliores potentiis naturalibus. Sed potentiae naturales non
indigent habitibus ad suos actus producendos. Ergo nec potentiae rationales
humanae. |
1.Il semble que nous n’ayons pas besoin d’habitus pour les actes humains. En effet, les puissances rationnelles, qui sont celles de l’homme en tant qu’homme, sont plus nobles que les puissances naturelles. Or, les puissances naturelles n’ont pas besoin d’habitus pour produire leurs actes. Donc, ni les puissances rationnelles humaines. |
[10335] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1
arg. 2 Praeterea,
potentiae per se ordinantur ad actum proprium, et non per accidens. Sed
habitus sunt accidentia. Ergo non ordinantur ad suos actus proprios mediantibus habitibus. |
2. Les puissances sont par elles-mêmes ordonnées à leur acte propre, et non par accident. Or, les habitus sont des accidents. [Les puissances] ne sont donc pas ordonnées à leurs actes par l’intermédiaire d’habitus. |
[10336] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, nihil est tam facile quam id quod in sola voluntate
consistit. Sed actus morales ad minus in sola voluntate consistunt. Cum
igitur habitus ponat facilitatem operationis, videtur quod saltem ad dictos
actus habitibus non indigeamus. |
3. Rien n’est aussi facile que ce qui relève de la seule volonté. Or, les actes moraux tout au moins relèvent de la seule volonté. Puisque l’habitus donne une facilité pour agir, il semble donc qu’au moins pour les actes indiqués, nous n’ayons pas besoin d’habitus. |
[10337] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, difficultas cooperatur ad meritum. Sed habitus tollit difficultatem. Ergo ad actus illos quibus meremur, non sunt dandi nobis habitus. |
4. La difficulté contribue au mérite. Or, l’habitus enlève la difficulté. Il ne faut donc pas que nous soient donnés des habitus pour les actes par lesquels nous méritons. |
[10338] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1
arg. 5 Praeterea,
scientia quae est habitus, nihil aliud videtur esse quam generatio specierum
intelligibilium. Sed species
non sunt in parte affectiva, sed in intellectiva tantum. Ergo ad minus in parte affectiva habitibus
non indigemus. |
5. La science, qui est un habitus, ne semble être rien d’autre que la génération d’espèces intelligibles. Or, les espèces ne se trouvent pas dans la partie affective, mais dans la partie intellective seulement. Au moins pour la partie affective, nous n’avons donc pas besoin d’habitus. |
[10339] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1
s. c. 1 Sed contra, Augustinus dicit in libro
de bono conjugali: habitus est quo quis agit cum tempus affuerit; et Commentator dicit in 3 de anima, quod habitus est quo quis agit
cum voluerit: et quasi in idem redit. Sed hoc valde necessarium est homini. Ergo
indigemus habitibus. |
Cependant, [1] Augustin dit dans le livre Sur le bien conjugal : « L’habitus est ce par quoi on agit lorsque le temps se présente. » Et le Commentateur dit, dans Sur l’âme, III, que « l’habitus est ce par quoi quelqu’un agit lorsqu’il le veut », ce qui revient presque au même. Or, cela est très nécessaire à l’homme. Nous avons donc besoin d’habitus. |
[10340] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, ad hoc quod bonum opus operemur, oportet quod in ipso opere
delectemur, quia
nullus est justus, qui non gaudeat justa operatione, ut dicit philosophus 1
Ethic. Sed delectationem in opere facit habitus: quia signum oportet accipere
habitus fientem in opere delectationem, ut dicitur 2 Ethic. Ergo habitibus
indigemus. |
[2] Pour poser une bonne action, il faut que nous prenions plaisir à l’acte lui-même, car « personne n’est juste qui ne se réjouit pas d’une action juste », comme le dit le Philosophe, Éthique, I. Or, l’habitus donne plaisir à agir, car il faut voir le signe d’un habitus dans le plaisir de celui qui agit, comme il est dit dans Éthique, II. Nous avons donc besoin d’habitus. |
[10341] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1
s. c. 3 Praeterea,
bonitas hominis in bonis operationibus consistit: unde ex eis laudatur. Sed
impossibile est semper agere, ut dicitur in Lib. de Somn. et Vigil., nec
sufficit ad laudem quod actus sit tantum in potentia: quia quod est in
potentia bonum, non est bonum simpliciter, sed secundum quid. Ergo indigemus habitibus. |
[3] La bonté de l’homme consiste dans ses actions bonnes; aussi est-il louangé à cause d’elles. Or, il est impossible de toujours agir, comme il est dit dans le livre Sur le sommeil et la veille, et il ne suffit pas, pour être louangé, que l’acte soit seulement en puissance, car ce qui est bon en puissance n’est pas bon de manière absolue, mais relative. Nous avons donc besoin d’habitus. |
[10342] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1
s. c. 4 Praeterea,
oportet quandoque ex impraemeditato bene agere. Sed hoc non contingit nisi in
eo qui habet habitum, sicut de forti dicit philosophus in 3 Ethicor. Ergo indigemus habitibus. |
[4] Il est parfois nécessaire d’agir sans préméditation. Or, cela ne se produit que chez celui qui a un habitus, comme le dit le Philosophe dans Éthique, III, en parlant du fort. Nous avons donc besoin d’habitus. |
[10343] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in omnibus quae habent regulam et mensuram,
eorum bonitas et rectitudo consistit in conformitate ad suam regulam vel
mensuram; malitia autem, secundum quod ab ea discordant. Prima autem mensura
et regula omnium est divina sapientia; unde bonitas et rectitudo sive virtus
uniuscujusque consistit secundum quod attingit ad hoc quod ex sapientia
divina ordinatur, ut dicit Anselmus; et similiter est etiam de aliis secundis
regulis, quod in conformitate ad ipsas bonitas et rectitudo regulatorum consistit.
Sunt autem quaedam potentiae limitatae ad determinatas actiones vel
passiones; et secundum quod illas implent, regulae suae conformantur, quia
per divinam sapientiam ad talia sunt ordinatae. Et quia naturae inclinatio
semper est ad unum, ideo tales potentiae ex ipsa natura potentiae
rectitudinem sufficienter habere possunt et bonitatem; malitia autem in eis
contingit ex defectu potentiae. Potentiae vero altiores et universaliores, cujusmodi sunt potentiae
rationales, non sunt limitatae ad aliquid unum vel objectum vel modum
operandi: quia secundum diversa et diversimode rectitudinem habere possunt:
et ideo ex natura potentiae non potuerunt determinari ad rectum et bonum
ipsarum; sed oportet quod rectificentur, rectitudinem a sua regula
recipientes. Hoc autem
contingit dupliciter. Uno modo ut recipiatur per modum passionis, sicut in
hoc ipso quod regulata potentia a regulante movetur. Sed quia in hoc quod
aliquid patiatur et nihil ad actum conferat, violentiae definitio consistit,
ut patet in 3 Ethic., violentia autem et difficultatem et tristitiam habet,
ut dicitur in 5 Metaph.; ideo praedicta receptio rectitudinis non sufficit ad
perfectam rectificationem potentiae regulatae. Oportet ergo ut alio modo recipiatur, scilicet per modum qualitatis
inhaerentis, ut rectitudo regulae efficiatur forma potentiae regulatae: sic
enim faciliter et delectabiliter quod rectum est, operabitur sicut id quod
est conveniens suae formae: et haec quidem qualitas, sive forma, dum adhuc
est imperfecta, dispositio dicitur; cum autem jam consummata est, et quasi in
naturam versa, habitus nominatur, qui, ut ex 2 Ethic., et 5 Metaphys.,
accipitur, est secundum quem nos habemus ad aliquid bene vel male. Et inde
est quod in praedicamentis dicitur dispositio facile mobilis, et habitus
difficile mobilis: quia quod naturale est non cito transmutatur. Inde est
etiam quod habitus ad unum inclinant, sicut et natura, ut dicitur 5 Ethic. Et
propter hoc, signum generati habitus est delectatio in opere facta, ut
dicitur in 2 Ethic., quia quod est naturae conveniens, delectabile est et
facile. Et propter hoc habitus a Commentatore in 3 de anima definitur, quod
est quo quis agit cum voluerit, quasi in promptu habens quod operandum est.
Et ideo habitus possessioni comparatur in 1 Ethic., secundum quam res
possessa ad nutum habetur; operatio vero usui. Patet ergo quod potentiae
naturales, quia sunt ex seipsis determinatae ad unum, habitibus non indigent.
Similiter
etiam nec apprehensivae sensitivae, quia habent determinatum modum operandi,
a quo non deficiunt nisi per potentiae defectum. Similiter etiam nec voluntas
humana, secundum quod est naturaliter determinata ad ultimum finem, et ad
bonum, secundum quod est objectum ejus. Similiter etiam nec intellectus
agens, qui habet determinatam actionem, scilicet facere intelligibilia in
actu; sicut lux facere visibilia in actu. Similiter etiam nec in ipso Deo est
aliquis habitus, cum ipse sit prima regula ab alio non regulata: unde essentialiter
bonus est, et non per participationem rectitudinis ab alio; nec malum in ipso
incidere potest. Sed
intellectus possibilis qui de se est indeterminatus, sicut materia prima,
habitu indiget, quo participet rectitudinem suae regulae: et naturali quantum
ad ea quae ex naturali lumine intellectus agentis, qui est ejus regula,
statim determinantur, sicut sunt principia prima; et acquisito, quantum ad ea
quae ex his principiis educi possunt; et infuso, quo participat rectitudinem
primae regulae in his quae intellectum agentem excedunt. Similiter etiam in
voluntate quantum ad illa ad quae ex natura non determinatur, et in
irascibili et in concupiscibili, indigemus habitibus, secundum quod
participant rectitudinem rationis, quae est eorum regula, vel rectitudinem
primae mensurae in his quae humanam naturam excedunt, quantum ad habitus
infusos. Et similiter in corpore animato est habitus sanitatis, prout
participat ab anima dispositionem, qua potest suum opus recte perficere: quia
oculus sanus dicitur qui opus oculi recte perficere potest, ut dicitur 10 de
animalibus. Unde patet quod hujusmodi qualitates, quas habitus dicimus, in
rebus animatis inveniuntur, et praecipue in habentibus electionem, ut dicitur
in 5 Metaph. |
Réponse. Dans tout ce qui a une règle et une mesure, la bonté et la rectitude consistent dans la conformité à sa règle ou à sa mesure, mais la malice, dans le fait que cela n’est pas en harmonie avec elles. Or, la première mesure et règle de tout est la sagesse divine. Aussi « la bonté et la rectitude ou vertu de toutes choses consistent à atteindre ce à quoi elles sont ordonnées par la sagesse divine », comme le dit Anselme. De même en est-il aussi pour les règles de deuxième degré : c’est dans sa conformité à elles que la bonté et la rectitude de ce qui est réglé consistent. Or, certaines puissances sont limitées à des actions ou à des passions déterminées : selon qu’elles les accomplissent, elles se conforment à leur règle, car elles ont été ordonnées à cela par la sagesse divine. Et parce que l’inclination de la nature tend toujours vers une seule chose, de telles puissances peuvent donc, par la nature même de la puissance, avoir une rectitude et une bonté suffisantes; mais la malice en elles vient d’une carence de la puissance. Toutefois, les puissances plus élevées et plus universelles, comme le sont les puissances rationnelles, ne sont pas limitées à un seul objet ou à une seule manière d’agir, car elles peuvent tirer leur rectitude de diverses choses et de diverses manières. C’est pourquoi, par la nature de la puissance, elles n’ont pu être déterminées à ce qui est droit et bon pour elles, mais il est nécessaire qu’elles soient redressées en recevant leur rectitude de leur règle. Or, cela se produit de deux manières. D’une manière, que cela soit reçu par mode de passion, comme par le fait même que la puissance réglée est mue par celui qui règle. Mais parce que la définition de la violence consiste dans le fait que quelque chose subit et n’apporte rien à un acte, comme cela ressort d’Éthique, III, et que la violence comporte difficulté et tristesse, comme il est dit dans Métaphysique, V, la réception de la rectitude mentionnée ne suffit donc pas au redressement parfait d’une puissance réglée. Il est donc nécessaire qu’elle soit reçue d’une autre manière : par mode de qualité inhérente, de sorte que la rectitude de la règle devienne la forme de la puissance réglée. En effet, ce qui est droit sera ainsi accompli facilement et de manière délectable, comme ce qui convient à sa forme. Or, cette qualité ou forme, lorsqu’elle est encore imparfaite, est appelée une disposition; mais lorsqu’elle a été achevée et est devenue comme une nature, elle est appelée un habitus, qui, ainsi qu’on l’apprend d’Éthique, II et de Métaphysique, V, est ce d’après quoi nous nous agissons bien ou mal. De là vient que, dans les prédicaments, on dit que la disposition est facilement mobile et l’habitus difficilement mobile, car ce qui est naturel n’est pas facilement changé. De là vient aussi que les habitus inclinent à une seule chose, comme la nature, ainsi qu’on le dit dans Éthique, V. Pour cette raison, le signe qu’un habitus a été engendré est le plaisir de l’action accomplie, comme il est dit dans Éthique, II, car ce qui convient à la nature est délectable et facile. C’est pourquoi l’habitus est défini par le Commentateur, dans Sur l’âme, III : ce par quoi quelqu’un agit lorsqu’il le veut, en sachant immédiatement ce qu’il doit faire. C’est pourquoi aussi l’habitus est comparé à la propriété, dans Éthique, I, selon laquelle on dispose à volonté de la chose possédée; mais l’action est comparée à l’usage. Il est donc clair que les puissances naturelles, parce qu’elles sont par elles-mêmes déterminées à une seule chose, n’ont pas besoin d’habitus. Les [puissances] de connaissance sensible n’en ont pas non plus besoin, parce qu’elles ont une manière déterminée d’agir, dont elles ne s’écartent qu’en raison d’une carence de la puissance. La volonté humaine n’en a pas non plus besoin, selon qu’elle est naturellement déterminée à une fin ultime et au bien, qui est son objet. L’intellect agent n’en a pas non plus besoin, lui qui a une action déterminée : faire passeer à l’acte ce qui est intelligible, comme la lumière fait passer à l’acte ce qui est visible. De même aussi n’y a-t-il pas d’habitus en Dieu, puisqu’il est lui-même la première règle non réglée par un autre; aussi est-il essentiellement bon, et non pas par participation à la rectitude d’un autre, et le mal ne peut-il survenir en lui. Mais l’intellect possible, qui est indéterminé en soi, comme la matière première, a besoin d’un habitus, par lequel il participe à la rectitude de sa règle : d’un [habitus] naturel, pour ce qui est immédiatement déterminé par la lumière naturelle de l’intellect agent qui est sa règle, comme le sont les premiers principes; d’un [habitus] acquis pour ce qui peut être tiré des principes; et d’un habitus infus, par lequel il participe à la rectitude de la première règle pour ce qui dépasse l’intellect agent. De même, avons-nous besoin d’habitus dans la volonté pour ce qui n’est pas déterminé par la volonté, ainsi que dans l’irascible et le concupiscible, selon qu’ils participent à la rectitude de la raison, qui est leur règle, ou, pour les habitus infus, à la rectitude de la première mesure pour ce qui dépasse la nature humaine. De même, l’habitus de la santé existe-t-il dans le corps animé dans la mesure où il participe à la disposition de l’âme par laquelle il peut accomplir correctement son œuvre, car « on appelle un œil sain celui qui peut accomplir parfaitement l’action de l’œil », comme on le dit dans Sur les animaux, X. Il est donc clair que ces qualités, que nous appelons habitus, se trouvent chez les choses animées et, principalement, chez celles qui exercent un choix, comme il est dit dans Métaphysique, V. |
[10344] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod potentiae naturales sunt determinatae ex seipsis ad unum, et
ideo non indigent aliquibus habitibus determinantibus: nec facit hoc
dignitas, sed indignitas earum, inquantum ad pauciora se extendunt. |
1. Les puissances naturelles sont déterminées par elles-mêmes à une seule chose. C’est pourquoi elles n’ont pas besoin d’habitus qui les déterminent; et cela n’est pas dû à leur dignité, mais à leur indignité, pour autant qu’elles portent sur moins de choses. |
[10345] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod ad actum proprium per se rei potest res ipsa ordinari mediante
aliquo accidente, non quidem extraneo, sed quod consequitur ex principiis
rei: quia inter accidentia propinquius est substantiae unum quam aliud, sicut
qualitas quam actio; et ideo ignis mediante calore calefacit. Et similiter erit in proposito, quia
virtutes conformantur principiis naturalibus. |
2. Une chose peut être par elle-même ordonnée à son acte propre par l’intermédiaire d’un accident, non pas externe, mais qui découle des principes de la chose, car, parmi les accidents, l’un est plus proche de la substance qu’un autre, comme la qualité plutôt que l’action. C’est pourquoi le feu réchauffe par l’intermédiaire de la chaleur. De même en sera-t-il pour ce qui est en cause, car les vertus se conforment aux principes naturels. |
[10346] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quamvis producere talem actum sit in potestate voluntatis,
tamen non est in voluntate tantum, sed etiam in inferioribus viribus, ex
quibus potest accidere repugnantia et difficultas; et ideo indigemus
habitibus, quibus omnis difficultas tollatur. |
3. Bien que produire tel acte soit au pouvoir de la volonté, cela ne relève cependant pas de la seule volonté, mais aussi des puissances inférieures, d’où peuvent venir une résistance et une difficulté. C’est pourquoi nous avons besoin d’habitus par lesquels toute difficulté est enlevée. |
[10347] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod sicut dicitur in 2 Metaph., difficultas potest esse ex nobis,
et ex rebus, et similiter facilitas. Facilitas ergo quae est ex ratione
actuum qui non sunt magni ponderis, diminuit, quantum in se est, rationem
meriti; sed facilitas quae est ex promptitudine operantis, meritum non
diminuit respectu praemii essentialis, sed auget: quia quanto majori caritate
facit, tanto facilius tolerat, et magis meretur. Et similiter quanto
delectabilius operatur propter habitum virtutis, tanto actus ejus est
delectabilior, et magis meritorius. |
4. Comme il est dit dans Métaphysique,
II, la difficulté peut venir de nous et des choses; de même en est-il pour la
facilité. La facilité qui vient de la nature des actes qui n’ont pas beaucoup
d’importance diminue par elle-même la raison de mérite. Mais la facilité qui
vient de l’empressement de celui qui agit ne diminue pas le mérite par
rapport à la récompense essentielle, mais l’augmente, car plus grande est la
charité par laquelle on agit, plus facilement supporte-t-on, et plus on
mérite. De même, plus on agit avec plaisir en raison de l’habitus de la
vertu, plus son acte est délectable et plus il est méritoire. |
[10348] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod perfectiones proportionantur suis perfectibilibus; quia
proprius actus est in propria potentia, ut dicitur 2 de anima; et ideo non
oportet quod habitus cognitivae et affectivae partis sint unius modi, sicut
nec ipsae potentiae quae eis perficiuntur. |
5. Les perfections sont proportionnées à ce qu’elles doivent perfectionner, car l’acte propre se trouve dans une puissance propre, comme il est dit dans Sur l’âme, II. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que les habitus de la partie cognitive et de la partie affective soient d’une seule sorte, comme ne le sont pas les puissances qui sont perfectionnées par eux. |
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Articulus 2 [10349] Super Sent., lib. 3
d. 23 q. 1 a. 2 tit. Utrum habitus in nobis existens cognosci possit |
Article 2 – Un habitus qui existe en nous peut-il être connu ? |
[10350] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod habitus in nobis existens cognosci non possit. Inter
alios enim habitus praecipuus est caritas. Sed habens caritatem nescit se habere eam:
quia nemo scit, an amore vel odio dignus sit, ut dicitur Eccle. 9, 1.
Ergo nec alios habitus potest quis cognoscere. |
1. Il semble qu’un habitus qui existe en nous ne puisse être connu. En effet, parmi les autres habitus, la charité est le principal. Or, celui qui a la charité ne sait pas qu’il l’a, car personne ne sait s’il est digne d’amour ou de haine, Si 9, 1. On ne peut donc connaître les autres habitus. |
[10351] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea, magis
sunt spirituales habitus virtutum quam etiam Angeli: quia ipsi per habitus
virtutum spirituales efficiuntur. Sed Angelos in via cognoscere non possumus quantum ad eorum essentiam.
Ergo nec habitus virtutum. |
2. Les habitus des vertus sont plus spirituels que même les anges, car eux-mêmes deviennent spirituels par les habitus des vertus. Or, nous ne pouvons pas connaître les anges dans leur essence alors que nous sommes en route. Donc, ni les habitus des vertus. |
[10352] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2
arg. 3 Si dicatur, quod
habitus cognoscuntur per hoc quod sunt praesentes in anima, non autem Angeli:
contra; per essentiam suam praesentialiter non sunt in intellectu, sed in
affectu, habitus virtutum. Sed affectus non est
cognoscere. Ergo hujusmodi habitus cognosci non possunt per praesentiam. |
3. Les habitus sont connus par leur présence dans l’âme, mais non les anges. En sens contraire : les habitus des vertus ne sont pas présents dans l’intellect par leur essence, mais dans l’affectivité. Or, il ne relève pas de l’affectivité de connaître. Les habitus de ce genre ne peuvent donc être connus par leur présence. |
[10353] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2
arg. 4 Praeterea,
multi sunt qui habent virtutes, et de eis nihil cognoscunt: nesciunt enim
quid sit virtus. Quidam etiam
non habentes virtutem sciunt multa de eis. Ergo non cognoscuntur per sui
praesentiam. |
4. Plusieurs ont des vertus dont ils ne connaissent rien: en effet, ils ne savent pas ce qu’est une vertu. De même, certains qui n’ont pas de vertu en connaissent beaucoup sur elles. Elles ne sont donc pas connues par leur présence. |
[10354] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2
arg. 5 Si dicatur, quod
cognoscuntur per hoc quod habent sui similitudinem in intellectu: contra;
similitudo quae est in intellectu, fundatur in similitudine quae est in
imaginatione vel sensu: quia nequaquam sine phantasmate intelligit anima, ut
dicitur in 5 de anima. Sed hujusmodi habitus non habent similitudinem in imaginatione vel
sensu. Ergo non possunt cognosci per suam similitudinem. |
5. [Les habitus] sont connus par le fait qu’il en existe une similitude dans l’intellect. En sens contraire : la similitude qui se trouve dans l’intellect s’appuie sur la similitude qui se trouve dans l’imagination ou dans le sens, car l’âme n’intellige jamais sans fantasme, comme il est dit dans Sur l’âme, V. Or, il n’existe de similitude de ce genre d’habitus dans l’imagination ou dans le sens. Ils ne peuvent donc pas être connus par leur similitude. |
[10355] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2
arg. 6 Praeterea,
similitudines rerum sunt magis spirituales quam res a quibus abstrahuntur.
Sed ea quae sunt in intellectu, non sunt magis spiritualia quam ea quae sunt
in affectu. Ergo ab
habitibus existentibus in affectu non abstrahit intellectus similitudines, ut
per eas cognoscat; et sic habitus illos nullo modo cognoscit. |
6. Les similitudes des choses sont plus spirituelles que les choses dont elles sont abstraites. Or, les choses qui sont dans l’intellect ne sont pas plus spirituelles que celles qui sont dans l’affectivité. L’intellect n’abstrait donc pas des habitus qui existent dans l’affectivité des similitudes par lesquelles il peut connaître. Ainsi, il ne connaît aucunement ces habitus. |
[10356] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2
s. c. 1 Sed contra
Augustinus dicit in littera, quod fidem ipsam quisque videt esse in corde
suo, si credit. Ergo eadem
ratione et alios habitus. |
Cependant, [1] Augustin dit dans le texte que « chacun voit que la foi elle-même existe dans son cœur s’il croit ». Pour la même raison, voit-il les autres habitus. |
[10357] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2
s. c. 2 Praeterea,
philosophus dicit in Lib. 2 Posterior., quod inconveniens est nos habere habitus
principiorum, et nos latere. Ergo eadem ratione et alios habitus. |
2. Le Philosophe dit, dans les Postérieurs [Analytiques], qu’il est inapproprié que nous ayons les habitus des principes et qu’ils nous soient cachés. Il en va donc de même pour les autres habitus. |
[10358] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2
s. c. 3 Praeterea,
omne illud cujus est accipere signum, est cognoscibile. Sed habituum est accipere
signum fientem in opere delectationem, ut dicitur in 2 Ethic. Ergo habitus cognosci possunt. |
3. Tout ce dont le signe peut être perçu est connaissable. Or, on peut percevoir le signe des habitus chez celui qui trouve plaisir à agir, comme il est dit dans Éthique, II. Les habitus peuvent donc être connus. |
[10359] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod aliqua res potest cognosci dupliciter. Uno modo secundum id quod
est; alio modo quantum ad ea quae ipsam consequuntur. Cognitio autem de re secundum id quod est,
potest dupliciter haberi; scilicet dum cognoscitur quid est, et an est. Quid
autem res est, cognoscitur, dum ipsius quidditas comprehenditur: quam quidem
non comprehendit sensus, sed solum accidentia sensibilia; nec imaginatio, sed
solum imagines corporum; sed est proprium objectum intellectus, ut dicitur in
3 de anima; et ideo Augustinus dicit, quod intellectus cognoscit res per
essentiam suam, quia objectum ejus est ipsa essentia rei. Essentiam autem
alicujus rei, intellectus noster tripliciter comprehendit. Uno modo
comprehendit essentias rerum quae cadunt in sensu, abstrahendo ab omnibus
individuantibus, sub quibus cadebat in sensu et in imaginatione; et sic
remanebit pura essentia rei, puta hominis, quae consistit in his quae sunt
hominis inquantum est homo. Alio modo essentias rerum quas non videmus,
cognoscimus per causas vel effectus eis proportionatos, cadentes in sensu. Si
autem effectus non fuerint proportionati causae, non facient causam
cognoscere quid est, sed quia est tantum, sicut patet de Deo. Tertio modo
cognoscit essentias artificialium nunquam visorum, investigando ex
proportione finis ea quae exiguntur ad illud artificiatum. Similiter an res
sit, tripliciter cognoscit. Uno modo quia cadit sub sensu. Alio modo ex causis et effectibus rerum
cadentibus sub sensu, sicut ignem ex fumo perpendimus. Tertio modo cognoscit
aliquid in seipso esse ex inclinatione quam habet ad aliquos actus: quam quidem
inclinationem cognoscit ex hoc quod super actus suos reflectitur, dum
cognoscit se operari. Loquendo autem de cognitione habituum, qua cognoscuntur
quid sint, eorum cognitio ex duobus ultimis modis commiscetur: quia habitus
ipsos per actus cognoscimus, sicut causam per effectum. Et quia nos sumus
causa actuum, ideo actus cognoscimus per actum rationis investigantis quid
sit necessarium in actu illo ex proportione objecti boni et finis, sicut
dictum est de artificialibus. Similiter cognitio qua cognoscitur an habitus
sint, ex duobus ultimis modis est: quia enim cognoscere quid est, est
principium ad sciendum quia est; ideo aliquis praedicto modo cognoscendo quid
sit aliquis habitus, ex hoc quod videt talem actum exire qualis requiritur ad
illum habitum, cognoscit quod ille habitus est in aliquo, etiam si ipse illum
habitum non habeat; sed ille qui habet habitum, praeter hunc modum, tertio
modo cognoscit se habere habitum, inquantum percipit inclinationem sui ad
actum, secundum quam se habet aliqualiter ad actum illum. Et hoc quidem cognoscit
homo per modum reflexionis, inquantum scilicet cognoscit se operari quae operatur.
Et ideo dicit Augustinus, quod hujusmodi habitus cognoscuntur per suam
potentiam quantum ad hunc modum. Ea vero quae consequuntur ad habitus, idest
proprietates et accidentia ipsorum, cognoscuntur partim ex cognitione naturae
habituum, secundum quod cognitio quid est, est principium ad cognoscendum
quia est; partim vero ex eorum actibus, secundum quod conditiones causarum in
effectibus repraesentantur. |
Réponse. Une chose peut être connue de deux manières : d’une manière, selon ce qu’elle est; d’une autre manière, selon ce qui en découle. Or, la connaissance d’une chose selon ce qu’elle est peut être obtenue de deux manières : lorsqu’en est connue la quiddité et [lorsqu’en est connue] l’existence. Or, on connaît ce qu’est une chose lorsque sa quiddité est comprise. Le sens ne la comprend pas, mais [il comprend] seulement les accidents sensibles. L’imagination non plus ne [la comprend pas], mais [elle comprend] seulement les images des corps. Mais cela est l’objet propre de l’intellect, comme il est dit dans Sur l’âme, III. C’est pourquoi Augustin dit que l’intellect connaît les choses par leur essence parce que son objet est l’essence même d’une chose. Or, notre intellect comprend l’essence d’une chose de trois manières. D’une manière, il comprend les essences des choses qui tombent sous le sens en abstrayant de tout ce qui l’individualise et selon quoi elle tombe sous le sens et sous l’imagination. Ainsi demeurera l’essence pure d’une chose, par exemple, celle de l’homme, qui consiste dans ce qui appartient à l’homme en tant qu’il est homme. D’une autre manière, nous connaissons les essences des choses que nous ne voyons pas par les causes et par les effets qui leur sont proportionnés et qui tombent sous le sens. Mais si les effets ne sont pas proportionnés à la cause, ils ne feront pas connaître de la cause ce qu’elle est, mais seulement qu’elle existe, comme cela ressort pour Dieu. D’une troisième manière, [notre intellect] connaît les essences des œuvres d’art qui n’ont jamais été vues en recherchant, par la proportion à la fin, ce qui est requis pour cette œuvre d’art. De même, [notre intellect] connaît-il l’existence d’une chose de trois manières. D’une manière, parce qu’elle tombe sous le sens. D’une autre manière, à partir des causes et des effets des choses, qui tombent sous le sens, comme nous estimons qu’il existe du feu à partir de la fumée. De la troisième manière, [notre intellect] connaît que quelque chose existe en soi-même par l’inclination qu’on a à certains actes; et il connaît cette inclination par le fait qu’il réfléchit sur ses actes, alors qu’il sait qu’il agit. Pour parler de la connaissance des habitus, par laquelle il est connu qu’ils existent, leur connaissance est un mélange des deux derniers modes, car nous connaissons les habitus par leurs actes, comme [nous connaissons] la cause par l’effet. Et parce que nous sommes la cause des actes, nous connaissons donc les actes par l’acte de la raison qui recherche ce qui est nécessaire pour cet acte comparé à l’objet bon et à la fin, comme on l’a dit pour les œuvres d’art. De même, la connaissance par laquelle on sait qu’il existe un habitus vient des deux derniers modes. En effet, parce que la connaissance de la quiddité est le principe de la connaissance de son existence, en connaissant la quiddité d’un habitus, on voit quel acte est requis pour cet habitus, on sait que cet habitus se trouve chez quelqu’un, même si on n’a pas soi-même cet habitus. Mais celui qui possède l’habitus, en plus de cette manière, sait de la troisième manière qu’il a l’habitus, pour autant qu’il perçoit son inclination à l’acte avec lequel il est en rapport d’une certaine manière. L’homme connaît cela par mode de réflexion, pour autant qu’il sait qu’il accomplit ce qu’il accomplit. C’est pourquoi Augustin dit que ces habitus sont connus de cette manière par leur puissance. Mais ce qui découle des habitus, leurs propriétés et leurs accidents, est connu en partie par la connaissance de la nature des habitus, selon que la connaissance de leur quiddité est le principe de la connaissance de leur existence; mais en partie par leurs actes, selon que les conditions des causes sont représentées dans les effets. |
[10360] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod caritas bene potest cognosci quid est ex hoc quod homo scit
quid requiritur ad actum caritatis ratione instructa auctoritate et fide; sed
an sit caritas, non potest certitudinaliter cognosci neque ab habente, neque
ab alio: quia cum ad actum caritatis requiratur aliquid per quod sit meritorius
vitae aeternae; an hoc sit in actu, videri non potest pro certo; sed ex
aliquibus signis et de se et de alio potest aliquis conjecturare quod caritatem
habeat. |
1. La quiddité de la charité peut tout à fait être connue du fait que l’homme sait ce qui est requis pour l’acte de la charité par la raison éclairée par l’autorité et par la foi. Mais ni celui qui la possède ni un autre ne peuvent savoir avec certitude si la charité existe. En effet, puisqu’est requis pour l’acte de charité ce qui le rend méritoire de la vie éternelle, on ne peut voir avec certitude que cela existe en acte; mais, à partir de certains signes, quelqu’un peut conjecturer de soi-même et d’un autre qu’ils ont la charité. |
[10361] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2
ad 2 Ad secundum dicendum, quod Angelorum
essentiam non comprehendimus nunc,
quia cognoscimus eos per actum nostri intellectus, qui non est proportionatus
actui intellectus ipsorum, cum multo altiori modo cognoscant; sed actus
nostri sunt proportionati habitibus ex quibus educuntur. |
2. Nous ne comprenons pas maintenant l’essence des anges parce que nous les connaissons par l’acte de notre intelligence, qui n’est pas proportionné à l’acte de leur intellect, puisqu’ils connaissent d’une manière beaucoup plus élevée. Mais nos actes sont proportionnés aux habitus dont ils sont tirés. |
[10362] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod animam reflecti per cognitionem supra
seipsam, vel supra ea quae ipsius sunt, contingit dupliciter. Uno modo
secundum quod potentia cognoscitiva cognoscit naturam sui, vel eorum quae in
ipsa sunt; et hoc est tantum intellectus cujus est quidditates rerum
cognoscere. Intellectus
autem, ut dicitur in 3 de anima, sicut alia, cognoscit seipsum, quia scilicet
per speciem non quidem sui, sed objecti, quae est forma ejus; ex qua
cognoscit actus sui naturam, et ex natura actus naturam potentiae cognoscentis,
et ex natura potentiae naturam essentiae, et per consequens aliarum
potentiarum: non quod habeat de omnibus his diversas similitudines, sed quia
in objecto suo non solum cognoscit rationem veri, secundum quam est ejus
objectum, sed omnem rationem quae est in eo, unde et rationem boni: et ideo
consequenter per illam eamdem speciem cognoscit actum voluntatis et naturam
voluntatis, et similiter etiam alias potentias animae et actus earum. Alio modo anima
reflectitur super actus suos cognoscendo illos actus esse. Hoc autem non potest
esse ita quod aliqua potentia utens organo corporali reflectatur super proprium
actum, quia oportet quod instrumentum quo cognoscit se cognoscere, caderet
medium inter ipsam potentiam et instrumentum quo primo cognoscebat. Sed una
potentia utens organo corporali potest cognoscere actum alterius potentiae,
inquantum impressio inferioris potentiae redundat in superiorem, sicut sensu
communi cognoscimus visum videre. Intellectus autem cum sit potentia non
utens organo corporali, potest cognoscere actum suum, secundum quod patitur
quodammodo ab objecto, et informatur per speciem objecti: sed actum
voluntatis percipit per redundantiam motus voluntatis in intellectu ex hoc
quod colligantur in una essentia animae, et secundum quod voluntas quodammodo
movet intellectum, dum intelligo, quia volo; et intellectus voluntatem, dum
volo aliquid, quia intelligo illud esse bonum. Et ita in hoc quod cognoscit intellectus
actum voluntatis, potest cognoscere habitum in voluntate existentem. |
3. La réflexion de l’âme sur elle-même ou sur ce qui relève d’elle se produit de deux manières. D’une manière, selon que la puissance cognitive connaît sa propre nature ou celle de ce qui se trouve en elle : cela n’est le fait que de l’intellect à qui il appartient de connaître les quiddités des choses. Or, comme on le dit dans Sur l’âme, III, l’intellect se connaît, ainsi que les autres choses, non pas par une espèce de lui-même, mais [par une espèce] de l’objet, qui est sa forme. Par elle, il connaît la nature de son acte, et à partir de la nature de son acte, la nature de la puissance qui connaît, et à partir de la nature de la puissance, la nature de l’essence, et, par conséquent, celle des autres puissances. Non pas qu’il ait diverses similitudes de toutes ces choses, mais parce que, dans son objet, il ne connaît pas seulement la raison de ce qui est vrai, selon que cela est son objet, mais toute raison qui se trouve en lui, et donc la raison de bien. C’est pourquoi il connaît en conséquence par cette même espèce l’acte de la volonté et la nature de la volonté, et, de la même manière, les autres puissances de l’âme et leurs actes. D’une autre manière, l’âme réfléchit sur ses actes en connaissant l’existence de ces actes. Or, il ne peut arriver qu’une puissance qui utilise un organe corporel réfléchisse sur son propre acte, car il faut que l’instrument par lequel elle connaît qu’elle connaît soit intermédiaire entre la puissance elle-même et l’instrument par lequel elle connaissait en premier lieu. Mais une puissance utilisant un organe corporel peut connaître l’acte d’une autre puissance pour autant que l’impression d’une puissance inférieure rejaillit sur une puissance supérieure, comme nous connaissons par le sens commun que la vue voit. Or, l’intellect, étant une puissance qui n’utilise pas d’organe corporel, peut connaître son acte selon qu’il subit d’une certaine manière son objet et reçoit une forme par l’espèce de l’objet. Mais il perçoit l’acte de la volonté par un rejaillissement du mouvement de la volonté sur l’intellect du fait qu’ils sont reliés dans une seule essence de l’âme, et selon que la volonté meut l’intellect d’une certaine manière, alors que j’intellige parce que je le veux, et que l’intellect [meut] la volonté, alors que je veux quelque chose parce que je comprends que cela est bon. Et ainsi, du fait que l’intellect connaît l’acte de la volonté, il peut connaître l’habitus qui existe dans la volonté. |
[10363] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod illi qui non habent virtutem, habent apud se aliqua principia
ex quibus possunt cognoscere naturam virtutum modo praedicto, et esse
virtutes non in se, sed in aliis, dum vident aliquos operari tales actus
quales sunt virtutum, et eo modo quo debent virtuosi operari. |
4. Ceux qui n’ont pas la vertu possèdent certains principes par lesquels ils peuvent connaître la nature des vertus de la manière dite, et savoir que les vertus n’existent pas en eux, mais chez d’autres, lorsqu’ils voient que certains accomplissent les actes qui sont ceux des vertus et de la manière dont ceux qui sont vertueux doivent les accomplir. |
[10364] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod, sicut dictum est, tota cognitio qua cognoscit intellectus ea
quae sunt in anima, fundatur super hoc quod cognoscit objectum suum, quod
habet phantasma sibi correspondens: non enim oportet quod solum in
phantasmatibus cognitio stet; sed quod ex phantasmatibus sua cognitio
oriatur, et quod imaginationem in aliquibus relinquat. |
5. Comme on l’a dit, toute connaissance par laquelle l’intellect connaît ce qui se trouve dans l’âme se fonde sur le fait qu’elle connaît son objet, qu’elle en a un fantasme qui lui correspond. En effet, il n’est pas nécessaire que la connaissance s’arrête aux fantasmes, mais que sa connaissance s’amorce dans les fantasmes et qu’elle délaisse l’imagination pour certaines choses. |
[10365] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non cognoscit voluntatem et ea quae ad ipsam
pertinent, per aliquam similitudinem ab eis abstractam, sed solum per
similitudinem objecti sui, ut dictum est. |
6. Il ne connaît pas la volonté et ce qui s’y rapporte par une similitude qui en est abstraite, mais seulement par une similitude de son objet, comme on l’a dit. |
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Articulus 3 [10366] Super Sent., lib. 3
d. 23 q. 1 a. 3 tit. Utrum virtutes sint habitus, vel potentiae |
Article 3 – Les vertus sont-elles des habitus ou des puissances ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Les vertus sont-elles des habitus ou des puissances ?] |
[10367] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod virtutes non sint habitus, sed
potentiae. Nulla enim res habet esse per habitum, sed per potentiam
naturalem. Sed omnes res habent virtutem essendi vel semper, vel determinato
tempore, ut dicitur in 1 Cael. et Mun. Ergo virtus non est habitus. |
1. Il semble que les vertus ne soient pas des habitus, mais des puissances. En effet, aucune chose n’a l’être par un habitus, mais par une puissance naturelle. Or, toutes les choses ont la puissance d’être soit pour toujours, soit pour un temps déterminé, comme il est dit dans Sur le ciel et le monde, I. La vertu n’est donc pas un habitus. |
[10368] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3
qc. 1 arg. 2 Praeterea, eadem
est proportio potentiarum animae ad suos actus, et potentiarum naturalium ad
suos: quia utrobique potentia est principium actus. Sed ipsae potentiae naturales virtutes
dicuntur. Ergo et virtutes sunt ipsae potentiae. |
2. Il existe une proportion entre les puissances de l’âme et leurs actes, et les puissances naturelles et les leurs, car, dans les deux cas, la puissance est le principe de l’acte. Or, les puissances naturelles elles-mêmes sont appelées des « vertus » (virtutes). Les vertus sont donc les puissances elles-mêmes. |
[10369] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, nomen virtutis a vi sumitur. Sed potentiae animae dicuntur vires. Ergo ipsaemet sunt
virtutes. |
3. Le mot « vertu » vient de vis [puissance]. Or, les puissances de l’âme sont appelées des vires [vertus, puissances]. Elles sont donc elles-mêmes des vertus. |
[10370] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, ex
virtutibus laudamur, non tamen ex potentiis; non enim laudatur quis quod
potest ab ira abstinere, sed quod moderate abstineat. Ergo virtutes non sunt
potentiae. |
Cependant, [1] nous sommes louangés pour des vertus, mais non pour des puissances. En effet, on ne louange pas quelqu’un parce qu’il peut s’abstenir de colère, mais parce qu’il s’en abstient avec modération. Les vertus ne sont donc pas des puissances. |
[10371] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3
qc. 1 s. c. 2 Praeterea,
potentiae sunt a natura, et omnibus communes; quod de virtutibus non
contingit. Ergo, et cetera. |
[2] Les puissances viennent de la nature et sont communes à tous, ce qui n’est pas le cas des vertus. Donc, etc. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Les vertus sont-elles des passions ?] |
[10372] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod virtutes sint passiones. Medium enim et extrema sunt unjus generis. Sed quaedam virtutes sunt
medium in passionibus, ut in 2 Ethic. dicitur. Ergo ad minus illae sunt passiones. |
1. Il semble que les vertus soient des passions. En effet, l’intermédiaire et les extrêmes appartiennent au même genre. Or, certaines vertus sont un milieu dans les passions, comme il est dit dans Éthique, II. Au moins celles-là sont donc des passions. |
[10373] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
laudabile est proprietas virtutis. Sed quaedam passiones sunt laudabiles,
sicut verecundia, poenitentia et hujusmodi. Ergo ad minus aliquae passiones sunt
virtutes. |
2. Pouvoir être louangée est une propriété de la vertu. Or, certaines passions sont louables, comme la retenue, la pénitence et celles de cette sorte. Au moins certaines passions sont donc des vertus. |
[10374] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, contraria sunt in eodem genere. Sed quaedam passiones,
sicut primi motus, sunt peccata. Ergo et aliquae passiones sunt virtutes. |
3. Les contraires se situent dans le même genre. Or, certaines passions, comme les premiers mouvements, sont des péchés. Certaines passions sont donc des vertus. |
[10375] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, in omnibus virtutibus requiritur voluntarium, cujus
principium est in nobis, ut dicitur in 3 Ethic. Sed principium passionum non est in nobis.
Ergo virtutes non sunt passiones. Sed secundum virtutes dicimur boni, non
autem secundum passiones: non enim qui irascitur, sed qui recte irascitur,
laudatur. Ergo et cetera. |
Cependant, le volontaire, dont le principe se trouve en nous, est nécessaire pour toutes les vertus, comme on le dit dans Éthique, III. Or, le principe des passions ne se trouve pas en nous. Les vertus ne sont donc pas des passions. Or, nous sommes appelés bons en raison des vertus, et non en raison des passions : en effet, on ne loue pas celui qui se met en colère, mais qui se met en colère correctement. Donc, etc. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Les vertus sont-elles des habitus ou des actes ?] |
[10376] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod virtutes non sint habitus, sed actus. Solis enim virtutibus meremur. Sed non meremur nisi actibus: non enim
optimi et fortissimi coronantur, sed agonizantes qui vincunt, ut dicitur in 1
Ethicor. Ergo virtutes sunt actus. |
1. Il semble que les vertus ne soient pas des habitus, mais des actes. En effet, nous méritons par les seules vertus. Or, nous ne méritons que par des actes : en effet, ce ne sont pas les meilleurs ni les plus forts qui sont couronnés, mais les combattants qui l’emportent, comme on le dit dans Éthique, I. Les vertus sont donc des actes. |
[10377] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3
qc. 3 arg. 2 Praeterea, virtus
est ultimum potentiae, ut dicitur in 1 Cael. et Mund. Sed ultima perfectio
potentiae est actus. Ergo virtus
est actus. |
2. La vertu est le point ultime d’une puissance, comme on le dit dans Sur le ciel et le monde, I. Or, la perfection ultime d’une puissance est l’acte. La vertu est donc un acte. |
[10378] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3
qc. 3 arg. 3 Praeterea,
sicut non laudamur ex hoc quod sumus potentes irasci vel non irasci; ita nec
ex hoc solo quod sumus ad hoc habiles vel ad illud. Sed ex dicta ratione
philosophus probat in 2 Ethic., quod potentiae non sunt virtutes. Ergo neque
habitus virtutes dici possunt eadem ratione; et sic relinquitur quod sint
actus. |
3. De même que nous ne sommes pas louangés parce que nous pouvons nous mettre en colère ou ne pas nous mettre en colère, de même ne le sommes-nous pas du seul faut que nous sommes capables de ceci ou de cela. Or, dans Éthique, II, le Philosophe prouve par cette raison que les puissances ne sont pas des vertus. Les habitus ne peuvent donc pas être appelés des vertus pour la même raison. Il reste donc qu’elles sont des actes. |
[10379] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3
qc. 3 s. c. 1 Sed contra est
quod dicit philosophus in 2 Ethic., quod virtus est habitus voluntarius. |
Cependant, [1] va en sens contraire ce que dit le Philosophe, Éthique, II, que « la vertu est un habitus volontaire ». |
[10380] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit, quod virtutes in nobis solus Deus
operatur. Sed nostrorum
actuum etiam nos causa sumus. Ergo virtutes non sunt actus. |
[2] Augustin dit que Dieu seul réalise les vertus en nous. Or, nous sommes aussi causes de nos actes. Les vertus ne sont donc pas des actes. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[10381] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod nomen virtutis,
secundum sui primam impositionem, videtur in quamdam violentiam sonare; unde
in 3 caeli et Mund. dicitur, quod motus accidentalis, idest violentus, est
qui est a virtute, idest a violentia, non cum auxilio naturae. Sed quia non potest aliquid alteri
violentiam inferre nisi per potentiam perfectam, secundum quam agat et non
patiatur; inde tractum est nomen virtutis ad significandum omnem potentiam
perfectam, sive qua potest aliquid in seipso subsistere, sive qua potest
operari: et sic dicitur in 1 Cael. et Mund. quod virtus est ultimum
potentiae: quia perfectio potentiae mensuratur ex ultimo et maximo quod quis
potest. Et quia malum in actu contingit ex defectu potentiae agentis, ideo ad
perfectionem potentiae exigitur quod bene operetur in suo genere: et propter
hoc in 2 Ethic. dicitur, quod virtus est quae bonum facit habentem, et opus
ejus bonum reddit; et in 6 Physicor. dicitur quod virtus est dispositio
perfecti ad optimum, eorum scilicet ad quae potentia se extendit. Et quia de
virtutibus humanis loquimur; ideo virtus humana erit quae perficiet humanam
potentiam ad actum bonum et optimum. Cum autem homo ex hoc sit homo quod
habet rationem et intellectum, illae potentiae humanae sunt quae aliqualiter
rationales sunt, vel per essentiam, sicut quae sunt in parte intellectiva,
vel per participationem, sicut quae sunt in parte sensitiva rationi
obedientes. Hae autem potentiae, ut prius dictum est, ex natura potentiae non
possunt esse determinatae ad actus bonos, nec perfecte determinantur nisi per
habitus: unde virtutes humanae, de quibus loquimur, non sunt potentiae, sed
habitus. |
Le mot « vertu », selon son premier sens, semble signifier une certaine violence; ainsi, dans Sur le ciel et le monde, III, on dit que le mouvement accidentel, c’est-à-dire violent, est celui qui vient d’une puissance [a virtute], c’est-à-dire de la violence, et non pas de l’aide de la nature. Or, comme une chose ne peut faire violence à une autre que par une puissance parfaite, selon laquelle elle agit et ne subit pas, le mot « vertu » a donc été amené à signifier toute puissance parfaite, par laquelle on peut soit subsister en soi-même, soit agir. Ainsi est-il dit dans Sur le ciel et le monde, I, que la vertu est « le point ultime d’une puissance », car la perfection d’une puissance se mesure par le point ultime et le plus grand que quelqu’un puisse atteindre. Et parce que le mal dans un acte vient de la carence de la puissance d’un agent, il est donc requis pour la perfection d’une puissance qu’elle agisse bien dans son genre. Pour cette raison, dans Éthique, II, il est dit que « la vertu est ce qui rend bon celui qui la possède et qui rend son acte bon ». Et, dans Physique, VI, on dit que la vertu est « la disposition de ce qui est parfait à ce qui est le meilleur de ce sur quoi porte une puissance ». Et parce que nous parlons des vertus humaines, la vertu humaine sera donc celle qui perfectionnera une puissance humaine en vue d’un acte bon et le meilleur. Or, puisque l’homme est homme du fait qu’il possède la raison et l’intellect, les puissances humaines sont celles qui sont raisonnables d’une certaine manière, soit par essence, comme ce qui se trouve dans la partie intellective, soit par participation, comme celles qui se trouvent dans la partie sensible et obéissent à la raison. Or, ces puissances, comme on l’a dit plus haut, ne peuvent être déterminées à des actes bons par la nature de la puissance, et elles n’y sont parfaitement déterminées que par des habitus. Les vertus humaines dont nous parlons ne sont donc pas des puissances, mais des habitus. |
[10382] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod potentia naturalis qua quis potest esse, determinata est ad
unum, scilicet ad esse: ideo ipsius perfectio secundum ipsam naturam
potentiae esse potest; et ideo ipsa potentia virtus dicitur. Et similiter dicendum est de aliis
potentiis naturalibus. Secus autem est de potentiis rationalibus, quae ad
plurima se extendunt. |
1. La puissance naturelle par laquelle quelqu’un peut exister a été déterminée à une seule chose : exister. Sa perfection, selon sa nature même de puissance, peut donc exister. Ainsi, la puissance elle-même est-elle appelée une vertu (virtus). Il faut parler de la même façon des puissances naturelles. Mais il en va autrement pour les puissances raisonnables, qui portent sur un très grand nombre de choses. |
[10383] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Et per hoc patet responsio ad secundum. |
2. La réponse au deuxième argument est ainsi claire. |
[10384] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod vis accipitur pro omni eo quod est principium operationis
perfectae, quod importat nomen virtutis: unde potentiae animae magis possunt
dici vires quam virtutes, et illae praecipue quae habent ordinem ad actus qui
exercentur per corporalia instrumenta. |
3. La force [vis] s’entend de tout ce qui est principe d’une opération parfaite, ce que comporte le mot « vertu ». Aussi les puissances de l’âme pêuvent-elles être appelées des « forces » plutôt que des « vertus », surtout celles qui sont ordonnées aux actes qui sont exercés par des instruments corporels. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[10385] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ratio passionis contrariatur
rationi virtutis: quia virtus in perfectionem potentiae sonat, ut dictum est.
Omnis autem passio contingit ex hoc quod passum vincitur ab agente, et
trahitur ad terminos ejus: unde passio virtus dici non potest. Sed in hoc
perfectio potentiae consistit quod non permittit se trahi ad aliud nisi
secundum quod ei congruit: unde virtutis est potentiam continere, ne per passiones
immoderate distrahatur: et ideo virtus non est passio, sed passionum
ordinatrix. |
La raison de passion s’oppose à la raison de vertu, car la vertu indique la perfection d’une puissance, comme on l’a dit. Or, toute passion vient du fait que ce qui subit est vaincu par un agent et est entraîné à l’intérieur de ses frontières. Aussi la vertu ne peut-elle pas être appelée une passion. Mais la perfection d’une puissance consiste en ce qu’elle ne permet pas qu’elle soit entraînée à autre chose que ce qui lui convient. Il revient donc à la vertu de contenir une puissance afin qu’elle ne soit pas entraînée par des passions de manière immodérée. La vertu n’est donc pas une passion, mais l’ordonnatrice des passions. |
[10386] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus dicitur medium in passionibus
active, inquantum passiones ad medium reducit: unde non oportet quod sit in
genere passionum. |
1. La vertu est appelée un milieu des passions au sens actif pour autant qu’elle ramène les passions à un milieu. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle fasse partie du genre des passions. |
[10387] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod laudabile non solum debetur ei quod habet plenam rationem
virtutis, sed etiam ei quod participat aliquid virtutis; sicut laudantur
actus virtutem praecedentes, si sint ordinati: et hoc modo verecundia,
misericordia, et hujusmodi passiones, laudantur, inquantum ex bona voluntate
consequuntur, quae turpia vitat, et aliorum mala quasi sua reputat. Bona autem voluntas est
eorum quae ad virtutem exiguntur. |
2. Le caractère louable n’est pas dû seulement à ce qui a la pleine raison de vertu, mais aussi à ce qui participe à quelque chose de la vertu. Ainsi les actes qui précèdent la vertu sont-ils louangés, s’ils sont ordonnés. De cette manière, la retenue, la miséricorde et les passions de ce genre sont-elles louangées pour autant qu’elles découlent d’une volonté bonne, qui évite ce qui est honteux et considère comme siens les maux des autres. Or, la volonté bonne porte sur ce qui est exigé pour la vertu. |
[10388] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod peccatum sonat in defectum potentiae operantis: unde passio
magis potest esse peccatum quam virtus: nec tamen plenam rationem peccati
habere potest, inquantum non ex electione procedit: unde primi motus non sunt
peccata mortalia, quae directe virtutibus opponuntur, sed venialia; non tamen
ut habitus, sed ut actus. |
3. Le péché signale une carence de la puissance agissante. Aussi la passion peut-elle être davantage un péché que la vertu. Cependant, elle ne peut avoir la pleine raison de péché pour autant qu’elle ne procède pas d’un choix. Ainsi les premiers mouvements ne sont pas des péchés mortels, qui s’opposent directement aux vertus, mais des péchés véniels, non pas cependant en tant qu’habitus, mais en tant qu’actes. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[10389] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod virtus proprie loquendo includit
respectum ad aliquid cujus principium sit, sicut currendi, vel essendi. Et quia actus, inquantum hujusmodi, cum sit
ultimum, non ordinatur ad aliquid sicut effectus; ideo actus virtus dici non
potest, nisi eo modo loquendi, quo habitus per actus nominantur, sicut causae
per effectus: et de hoc in 2 Lib., dist. 27, quaest. 1, art. 1, plenius
dictum est. |
Au sens propre, l’aptitude (virtus) inclut le rapport à quelque chose dont elle est le principe, comme le fait de courir ou d’exister. Et parce que l’acte en tant que tel, puisqu’il est ce qui est ultime, n’est pas ordonné à quelque chose comme à un effet, l’acte ne peut être appelé vertu, si ce n’est pour dire que les habitus sont désignés par les actes, comme les causes par les effets. On a traité plus longuement de cette question dans le livre II, d. 27, q. 1, a. 1. |
[10390] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod meremur et habitibus et actibus; sed actibus quasi
instrumentis merendi, quia merita essentialiter sunt actus: habitibus autem
quasi principiis meritorum; et sic virtutibus mereri dicimur. |
1. Nous méritons par les habitus et par les actes, mais par les actes comme par des instruments du mérite, car les mérites sont essentiellement des actes; mais [nous méritons] par les habitus comme par des principes des mérites. Ainsi dit-on que nous méritons par les vertus. |
[10391] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod virtus dicitur ultimum potentiae in eodem genere, quod est
genus principii respectu ejus cujus dicitur potentia vel virtus; sed actus
est ultimum extra genus illud: et ideo non oportet quod actus sit virtus. |
2. On appelle vertu le point ultime d’une puissance à l’intérieur du même genre, qui est le genre du principe par rapport à ce dont elle est appelée la puissance ou la vertu. Mais l’acte est le point ultime en dehors de ce genre. Il n’est donc pas nécessaire que l’acte soit une vertu. |
[10392] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod habitus sunt determinati ad actus laudabiles, potentiae autem
non, sed sunt contrariorum, ut dicitur in 5 Ethic.; et ideo non est eadem
ratio de potentiis et habitibus. |
3. Les habitus sont déterminés à des actes louables, mais non les puissances, qui portent sur des choses contraires, comme il est dit dans Éthique, V. C’est pourquoi il n’en va pas de même des puissances et des habitus. |
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Articulus 4 [10393] Super Sent., lib. 3
d. 23 q. 1 a. 4 tit. Utrum habitus intellectuales possint dici virtutes |
Article 4 – Les habitus intellectuels peuvent-ils être appelés des vertus ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Les habitus intellectuels peuvent-ils être appelés des vertus ?] |
[10394] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod habitus intellectuales non possint dici virtutes. Virtus
enim, ut dicitur 2 Ethic., est habitus voluntarius, et circa voluptates et
tristitias optimorum operativa. Sed hoc habitibus intellectualibus non
competit. Ergo non sunt virtutes. |
1. Il semble que les habitus intellectuels ne puissent pas être appelés des vertus. En effet, comme il est dit dans Éthique, II, « la vertu est un habitus volontaire et elle agit sur les voluptés et les tristesses des meilleurs ». Or, cela n’est pas le fait des habitus intellectuels. Ils ne sont donc pas des vertus. |
[10395] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4
qc. 1 arg. 2 Praeterea,
philosophus dividit scientiam contra virtutem, quasi diversa genera non
subalternatim posita. Sed talium
generum unum non praedicatur de alio. Ergo scientia non est virtus, et eadem
ratione neque alii habitus cognitivi. |
2. Le Philosophe oppose la science à la vertu, comme des genres différents qui ne sont pas subordonnés. Or, l’un de ces genres n’est pas prédiqué de l’autre. La science n’est donc pas une vertu et, pour la même raison, les autres habitus cognitifs. |
[10396] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4
qc. 1 arg. 3 Praeterea, virtus
dicitur per ordinem ad bonum, quia virtus est quae bonum facit habentem, et
opus ejus bonum reddit, ut praetactum est. Sed habitus cognitivi, et praecipue
speculativi, non ordinantur ad bonum sed ad verum, ut dicitur in 2 Ethic.
Ergo praedicti habitus non sunt virtutes. |
3. On parle de vertu par rapport au bien, car « la vertu est ce qui rend bon celui qui la possède et rend son action bonne », comme on l’a abordé plus haut. Or, les habitus cognitifs, surtout spéculatifs, ne sont pas ordonnés au bien, mais au vrai, comme on le dit dans Éthique, II. Les habitus mentionnés ne sont donc pas des vertus. |
[10397] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4
qc. 1 arg. 4 Praeterea,
virtutes ordinantur ad operandum, quia ipsa est quae opus bonum reddit, ut
dictum est. Sed praedicti
habitus non ordinantur ad operandum, sed ad cognoscendum. Ergo non sunt
virtutes. |
4. Les vertus sont ordonnées à l’action, car c’est elle qui rend l’action bonne, comme on l’a dit. Or, les habitus en question ne sont pas ordonnés à agir, mais à connaître. Ils ne sont donc pas des vertus. |
[10398] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, vita
contemplativa est nobilior quam activa. Si ergo habitus morales qui perficiunt in vita
activa, dicuntur virtutes, multo fortius habitus intellectuales, qui perficiunt
in contemplativa, virtutes dici debent. |
Cependant, [1] la vie contemplative est plus noble que la vie active. Si donc les habitus moraux qui perfectionnent pour la vie active sont appelés des vertus, à bien plus forte raison les habitus intellectuels, qui perfectionnent pour la vie contemplative, peuvent-ils être appelés des vertus. |
[10399] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4
qc. 1 s. c. 2 Praeterea,
propter quod unumquodque, et illud magis. Sed secundum philosophum in 6 Eth.
temperantia, fortitudo, et hujusmodi, non possunt proprie dici virtutes, nisi
in intellectu accipiantur. Ergo intellectuales habitus debent dici virtutes. |
[2] La raison pour laquelle on [l’attribue] à tout vaut encore davantage pour [ce dont on parle]. Or, selon le Philosophe, Éthique, VI, la tempérance, la force et les habitus de ce genre ne peuvent, au sens propre, être appelées des vertus, que s’ils sont reçus dans l’intellect. Les habitus intellectuels doivent donc être appelés des vertus. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Les vertus morales sont-elles distinctes des vertus intellectuelles ?] |
[10400] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod virtutes morales ab intellectualibus non distinguantur. Morales
enim virtutes a more dicuntur: qui videtur idem quod consuetudo, vel parum
differre, ut dicitur in 2 Ethic. Sed consuetudo facit facilitatem, ut dicit
Victorinus; et hoc patet tam in agendis quam in considerandis. Ergo virtutes
morales ab intellectualibus distingui non debent. |
1. Il semble que les vertus morales ne se distinguent pas des vertus intellectuelles. En effet, les vertus morales tirent leur nom de mos [comportement], qui semble être la même chose que l’habitude ou en différer peu, comme on le dit dans Éthique, II. Or, l’habitude donne de la facilité, comme le dit Victorin, et cela ressort pour ce qui doit être fait comme pour ce qui doit être considéré. Les vertus morales ne doivent donc pas être distinguées des vertus intellectuelles. |
[10401] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ad scientiam moralem nihil pertinet nisi morale. Sed ad eam
pertinent virtutes intellectuales, de quibus philosophus, in 6 Ethicorum,
determinat. Ergo intellectuales virtutes sunt morales. |
2. Ne relève de la science morale que ce qui est moral. Or, les vertus intellectuelles en relèvent; le Philosophe en détermine dans Éthique, VI. Les vertus intellectuelles sont donc des [vertus] morales. |
[10402] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4
qc. 2 arg. 3 Praeterea,
prudentia inter intellectuales ponitur: numeratur etiam et ipsa inter morales,
cum sit una de quatuor cardinalibus. Ergo idem quod prius. |
3. La prudence est placée parmi les vertus intellectuelles; elle est aussi énumérée parmi les vertus morales, puisqu’elle est une des quatre vertus cardinales. La conclusion est donc la même que précédemment. |
[10403] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 4 Praeterea, omnis virtus moralis consistit in medio. Sed medium
determinatur secundum rationem rectam, ut dicitur 2 Ethic. Cum ergo per
intellectuales virtutes rectificetur, videtur quod ipsae intellectuales
virtutes sint morales. |
4. Toute vertu morale consiste dans un milieu. Or, le milieu est déterminé selon la raison droite, comme il est dit dans Éthique, II. Puisque celle-ci est rendue droite par des vertus intellectuelles, il semble donc que les vertus intellectuelles elles-mêmes soient des vertus morales. |
[10404] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4
qc. 2 s. c. 1 Sed contra est
quod philosophus morales contra intellectuales dividit. |
Cependant, [1] en sens contraire, le Philosophe distingue les vertus morales et les vertus intellectuelles. |
[10405] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4
qc. 2 s. c. 2 Praeterea,
diversorum perfectibilium diversae sunt perfectiones. Sed virtutes
intellectuales perficiunt rationale per essentiam, virtutes autem morales
rationale per participationem. Ergo dictae virtutes ad invicem distinguuntur. |
[2] Les perfections de perfectibles différents sont différentes. Or, les vertus intellectuelles perfectionnent ce qui est raisonnable par essence, mais les vertus morales, ce qui est raisonnable par participation. Les vertus indiquées sont donc distinctes les unes des autres. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Les vertus théologales doivent-elles être distinguées des vertus morales et des vertus intellectuelles ?] |
[10406] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod virtutes theologicae non debeant distingui ab utrisque. Ad ea
enim ad quae potentia est naturaliter determinata, non indiget aliquo habitu
superinducto. Sed cognitio Dei omnibus naturaliter est inserta, ut dicit
Damascenus; et similiter desiderium summi boni, ut dicit Boetius 4 de
Consolat. Ergo non
indigemus aliquibus virtutibus quae Deum habeant pro objecto, quod dicitur ad
virtutes theologicas pertinere. |
1. Il semble que les vertus théologales doivent être distinguées [des vertus intellectuelles et des vertus morales]. En effet, il n’est pas besoin d’un habitus ajouté pour ce qui est déterminé par la nature. Or, « la connaissance de Dieu est naturellement donnée à tous », comme le dit [Jean] Damascène; de même en est-il du désir du Bien suprême, comme le dit Boèce dans La consolation, IV. Nous n’avons donc pas besoin de vertus qui ont Dieu comme objet, ce qu’ont dit relever des vertus théologales. |
[10407] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4
qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut nos ponimus fruitionem divinam finem omnium
actuum humanorum, ita philosophi posuerunt felicitatem. Sed ipsi non
posuerunt aliquas virtutes quae haberent felicitatem pro objecto. Ergo nec
nos indigemus aliquibus virtutibus quae Deum habeant pro objecto. |
2. De même que nous mettons la jouissance de Dieu comme fin de tous les actes humains, de même les philosophes mettent-ils la félicité. Or, ils n’ont pas mis de vertus qui auraient la félicité pour objet. Nous n’avons donc pas besoin de vertus qui auraient Dieu pour objet. |
[10408] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4
qc. 3 arg. 3 Praeterea, ad
eumdem habitum pertinet cognoscere principia, et quae ex principiis
cognoscuntur. Sed finis est
principium in operabilibus, ut dicit philosophus in 7 Ethic., et 2 Physic.
Ergo virtutes theologicae quae habent finem pro objecto, non debent distingui
a cardinalibus, quae dirigunt nos in his quae sunt ad finem. |
3. La connaissance des principes et la connaissance de ce qui vient des principes relèvent du même habitus. Or, la fin est le principe pour les actions qui doivent être posées, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VII et dans Physique, II. Les vertus théologales qui ont la fin comme objet ne doivent donc pas être distinguées des vertus cardinales, qui nous dirigent pour ce qui est ordonné à la fin. |
[10409] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4
qc. 3 arg. 4 Praeterea,
perfectiones perfectibilibus proportionantur. Sed in nobis non est aliqua
potentia perfectibilis per virtutem humanam nisi rationale per essentiam,
quod perficitur virtute intellectuali, et rationale per participationem, quod
perficitur virtute morali. Ergo nec potest esse aliud genus virtutum praeter duo praedicta
genera. |
4. Les perfections sont proportionnées à ce qui peut être perfectionné. Or, chez nous, il n’existe de puissance perfectible par une vertu humaine que ce qui est raisonnable par essence, qui est perfectionné par la vertu intellectuelle, et ce qui est raisonnable par participation, qui est perfectionné par la vertu morale. Il ne peut donc y avoir un autre genre de vertus en plus des deux genres mentionnées plus haut. |
[10410] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4
qc. 3 s. c. 1 Sed contra est
quod apostolus, 1 Corinth., 13, ponit has virtutes, fidem, spem et caritatem,
quae nec sunt intellectuales nec morales, ut patet discurrendo per singulas
virtutes quae a sanctis et philosophis numerantur. Ergo oportet ponere
tertium genus virtutum quae theologicae dicuntur. |
Cependant, [1] l’Apôtre affirme en sens contraire, en 1 Co 13, ces vertus : la foi, l’espérance et la charité, qui ne sont ni intellectuelles ni morales, comme cela ressort en parcourant chacune des vertus qui sont énumérées par les saints et les philosophes. Il faut donc affirmer un troisième genre de vertus qu’on appelle théologales. |
[10411] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4
qc. 3 s. c. 2 Praeterea, magis
distat Deus a creaturis quam quaevis creaturae ab invicem. Sed diversitas aliquarum
creaturarum requirit diversitatem habituum. Ergo virtutes quae habent Deum
pro objecto, ab aliis distinguuntur. |
[2] Dieu est plus éloigné des créatures que n’importe quelle créature par rapport à une autre. Or, la diversité entre les créatures exige une diversité d’habitus. Les vertus qui ont Dieu pour objet sont donc distinctes des autres. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[10412] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut ex praedictis
patet, virtus est habitus perficiens potentiam humanam ad bonum actum.
Contingit autem aliquem actum dici bonum dupliciter: uno modo formaliter et
per se; alio modo materialiter et per accidens. Quia enim actus a proprio objecto formam
recipit, ille actus formaliter dicitur bonus cujus objectum est bonum
secundum rationem boni: et quia bonum est objectum voluntatis, ideo per modum
istum actus bonus dici non potest nisi actus voluntatis, aut appetitivae
partis. Materialiter autem actus dicitur bonus qui congruit potentiae
operanti, quamvis ejus objectum non sit bonum sub ratione boni, sicut cum quis
recte intelligit, et oculus clare videt. Et inde est quod voluntas imperat
actus aliarum potentiarum, inquantum actus earum materialiter se habent ad
rationem boni, quod est voluntatis objectum: et secundum hoc aliquid de
formali bonitate voluntatis pervenit ad alios actus qui a voluntate
imperantur, secundum quam laudabiles et meritorii sunt; ut cum quis ex recta
intentione considerat vel ambulat. Tamen ista bonitas est praeter propriam
rationem actus secundum suam speciem. Contingit enim actum alicujus potentiae
non appetitivae esse bonum bonitate voluntatis, non autem bonitate sui
generis: sicut cum quis propter Deum ambulat claudicando, vel ex bona
intentione considerat ea in quibus hebes est. Sic ergo virtus potest dici
dupliciter. Uno modo habitus perficiens ad actum bonum potentiae humanae,
sive sit bonus materialiter, sive formaliter; et sic habitus intellectuales
et speculativi virtutes dici possunt, quibus intellectus et ratio ad verum
determinantur, cujus consideratio bonus actus ipsorum est; et sic loquitur
philosophus in Ethic. de virtute. Alio modo potest dici virtus magis stricte,
et secundum quod est in usu loquendi, habitus perficiens ad actum qui est
bonus non solum materialiter, sed etiam formaliter: et sic solum habitus
respicientes appetitivam partem virtutes dici possunt, non autem
intellectuales, et specialiter speculativi. |
Comme cela ressort de ce qui a été dit, la vertu est un habitus qui perfectionne une puissance humaine en vue d’une action bonne. Or, il arrive qu’un acte est dit bon de deux manières : d’une manière, formellement et par soi; d’une autre manière, matériellemenet et par accident. En effet, parce qu’un acte reçoit sa forme de son objet propre, l’acte dont l’objet est le bien selon la raison de bien est appelé bon formellement; et parce que le bien est l’objet de la volonté, l’acte bon de cette manière ne peut être appelé qu’un acte de la volonté ou de la partie appétitive. Mais un acte est appelé bon matériellement lorsqu’il convient à la puissance qui agit, bien que son objet ne soit pas le bien selon la raison de bien, comme lorsque quelqu’un intellige correctement et que l’œil voit clairement. De là vient que la volonté commande les actes des autres puissances pour autant que leur actes jouent le rôle de matière selon la raison de bien, qui est l’objet de la volonté. Sous cet aspect quelque chose de la bonté formelle parvient aux actes qui sont commandés par la volonté, par laquelle ils sont louables et méritoires, comme lorsque quelqu’un considère ou marche avec une intention droite. Cependant, il arrive que l’acte d’une puissance non appétitive soit quelque chose de bien par la bonté de la volonté, mais non par la bonté de son genre, comme lorsque quelqu’un marche en boîtant pour Dieu ou considère avec une intention bonne ce en quoi il est obtus. On peut donc parler de vertu de deux manières. D’une manière, pour l’habitus qui perfectionne en vue de l’acte bon d’une puissance humaine, qu’il soit bon matériellement ou formellement. De cette manière, les habitus intellectuels et spéculatifs peuvent être appelés des vertus, par lesquelles l’intellect et la raison sont déterminés au vrai et dont la considération est leur acte bon. C’est ainsi que le Philosophe parle de la vertu dans Éthique. D’une autre manière, on peut parler de vertu en un sens plus strict et selon la façon usuelle d’en parler, pour l’habitus qui perfectionne en vue d’un acte qui est bon non seulement matériellement, mais aussi formellement. C’est seulement en ce sens qu’on peut appeler des vertus les actes qui concernent la partie appétitive, mais non les [habitus] intellectuels, en particulier, les [habitus] spéculatifs. |
[10413] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod illa verba intelliguntur de virtute morali, de qua philosophus
ibi agit, quae secundo modo dicitur virtus; et sic etiam accipit virtutem in
4 Topic. |
1. Ces paroles s’entendent de la vertu morale, dont le Philosophe traite à cet endroit, et qui est appelée une vertu selon la seconde manière. Il entend aussi vertu en ce sens dans Topiques, IV. |
[10414] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ex quo patet solutio ad secundum. |
2. La réponse au deuxième argument ressort de cela. |
[10415] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod ipsa virtus est materialiter bonum intellectus, cum sit finis
ejus: finis enim habet rationem boni, ut dicitur 3 Metaph. |
3. La vertu elle-même est matériellement le bien de l’intellect puisqu’elle est sa fin : en effet, la fin a raison de bien, comme il est dit dans Métaphysique, III. |
[10416] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod consideratio veri est quaedam operatio
intellectus, ad quam virtus intellectualis ordinatur: sed habitus qui
operativi dicuntur, ordinantur ulterius ad exteriorem operationem quae
dicitur factio, secundum quod transit in exteriorem materiam transmutandam,
ut patet in operibus mechanicis: et dicitur actio, secundum quod sistit in
operante, prout ejus operationes et passiones modificantur, quod contingit in
operibus virtutum moralium; et ideo prudentia, quae in eis dirigit, dicitur
in 6 Ethic., recta ratio agibilium; ars vero mechanica recta ratio
factibilium. |
4. La considération du vrai est une opération de l’intellect à la laquelle la vertu intellectuelle est ordonnée; mais les habitus qui sont appelés opératifs sont en plus ordonnés à une opération extérieure qu’on appelle réalisation (factio), selon qu’elle passe dans une matière extérieure pour la transformer, comme cela ressort dans les réalisations mécaniques. Et elle est appelée action (actio), selon qu’elle réside dans le sujet agissant, pour autant que ses opérations et passions sont modifiées, ce qui se produit dans les actes des vertus morales. C’est pourquoi la prudence, qui dirige en cette matière, est appelée la raison droite des actions à poser (agibilia), dans Éthique, VI, mais l’art mécanique est appelé la raison des réalisations à faire (factibilia). |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[10417] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod mos dicitur dupliciter. Uno
modo idem est quod consuetudo. Consuetudo autem importat quamdam frequentiam
circa ea quae facere vel non facere in nobis est. Naturalia enim, vel quae
semper fiunt, consueta non dicuntur: sed per voluntatem contingit aliquid in
nobis facere vel non facere. Inde tractum est nomen moris ad significandum
actus voluntarios, vel appetitivae partis, secundum inclinationem appetitus
ad hujusmodi actus: quae quidem inclinatio quandoque est ex natura, quandoque
ex consuetudine, quandoque ex infusione. Unde et dicuntur mores animalium ea
quae proveniunt in ipsis ex passionibus appetitivae partis, sicut quod
solicitantur circa filios, et quod repugnant, et hujusmodi: sicut patet in 9
de animalibus quamvis in eis dicantur mores magis secundum similitudinem quam
secundum proprietatem: quia non agunt quasi dominium suorum actuum habentia,
sed magis a natura aguntur, ut dicit Damascenus. Et sic etiam apud Graecos
hoc nomen ethos dupliciter sumitur: et secundum quod importat diuturnitatem
quamdam, dicitur febris Ethica: secundum autem quod importat morem secundo
modo acceptum, dicitur scientia Ethica, quam nos moralem dicimus. Sic ergo
loquendo de more actus, ita se habet ad hoc quod sit moralis, sicut se habet
ad voluntatem et appetitum. Sunt enim
aliqui actus a parte appetitiva eliciti, sicut velle, eligere, concupiscere,
et hujusmodi; et tales actus essentialiter morales sunt. Alii vero sunt actus
a parte appetitiva non eliciti, sed imperati, sicut ambulare, considerare et
hujusmodi; et isti non sunt morales quantum ad speciem suam, sed solum
quantum ad usum eorum, prout imperantur a voluntate; et ita virtutes, quae
perficiunt appetitivam partem, proprie dicuntur morales. Virtutes autem
perficientes intellectivam, perficiunt eam ad actus perfectos in genere
cognitionis, non autem secundum ordinem ad imperium voluntatis. Per scientiam
enim non fit ut aliquis recta intentione consideret sed ut verum in singulis
videatur ei: et ideo virtutes morales ab intellectualibus distinguuntur. |
On parle de mos de deux manières. D’une manière, c’est la même chose que la coutume (consuetudo). Or, la coutume comporte une certaine fréquence pour ce que nous devons faire ou ne pas faire. En effet, les réalités naturelles ou celles qui sont toujours réalisées ne sont pas appelées coutumières; mais il arrive que nous réalisions ou non quelque chose volontairement. De là, le mot mos a été amené à signifier des actes volontaires ou [des actes] de la partie appétitive, selon l’inclination de l’appétit à des actes de ce genre. Cette inclination vient parfois de la nature, parfois de la coutume et parfois du caractère infus. Ainsi appelle-t-on habitudes des animaux ce qui provient chez eux des passions de la partie appétitive, comme le fait qu’ils s’occupent de leurs petits, qu’ils se battent, et les choses de ce genre, comme cela ressort dans Sur les animaux, IX, bien qu’on parle dans leur cas d’habitudes plutôt par ressemblance qu’en un sens propre, car ils n’agissent pas en tant qu’ils ont la maîtrise de leurs actes, mais plutôt en tant qu’ils sont mus par la nature, comme le dit [Jean] Damascène. Aussi, chez les Grecs, le mot éthos a-t-il deux sens et, selon qu’il comporte une certaine durée, la fièvre est appelé éthique; mais, selon qu’il désigne les mœurs entendues dans le second sens, il signifie la science éthique, que nous appelons morale. Parlant ainsi de l’habitude d’un acte, elle a avec son caractère moral le même rapport qu’avec la volonté et l’appétit. En effet, il existe des actes qui sont issus de la partie appétitive, comme vouloir, choisir, désirer et ceux de ce genre : ces actes sont moraux de manière essentielle. Mais il existe d’autres actes qui ne sont pas issus de la partie appétitive, mais qui sont commandés, comme marcher, considérer et ceux de ce genre : ceux-ci ne sont pas moraux selon leur espèce même, mais seulement selon leur usage, pour autant qu’ils sont commandés par la volonté. Ainsi, les vertus qui perfectionnent la partie appétitive sont-elles appelées morales au sens propre. Mais les vertus perfectionnent la [partie] intellective en vue d’actes parfaits dans le genre de la connaissance, mais non selon leur ordre par rapport au commandement de la volonté. En effet, la science ne fait pas en sorte que quelqu’un considère avec une intention droite, mais qu’il voie en chaque chose ce qui est vrai. C’est ainsi que les vertus morales se distinguent des vertus intellectuelles. |
[10418] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo patet solutio ex aequivocatione moris. |
1. La solution ressort du sens équivoque
de mos. |
[10419] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod virtutes intellectuales non pertinent ad scientiam Ethicam
quasi sint essentialiter morales, sed inquantum earum usus moralis est, quod
a voluntate imperatur. |
2. Les vertus intellectuelles ne se rapportent pas à la science éthique comme s’il s’agissait par essence de vertus morales, mais en tant que leur usage est moral, ce qui est ordonné par la volonté. |
[10420] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod, sicut Commentator dicit in 6 Ethic., prudentia media est
inter morales et intellectuales: est enim essentialiter intellectualis, cum
sit habitus cognitivus, et rationem perficiens; sed est moralis quantum ad
materiam, inquantum est directiva moralium virtutum, cum sit recta ratio
agibilium, sicut dictum est. |
3. Comme le dit le Commentateur dans Éthique, VI, la prudence est intermédiaire entre les [vertus] morales et les vertus intellectuelles. En effet, elle est essentiellement intellectuelle, puisqu’elle est un habitus cognitif et qu’elle parfait la raison; mais elle morale par sa matière, dans la mesure où elle dirige les vertus morales, puisqu’elle est la droite raison des actions à poser, comme on l’a dit. |
[10421] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4
qc. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod medium determinatur per virtutem intellectualem et moralem
secundum prudentiam, sed diversimode: quia prudentia determinat medium per
modum dirigentis et ostendentis; sed virtus moralis per modum exequentis et
inclinantis in medium. Unde dicit Tullius, quod operatur per modum naturae:
et in hoc defecit Socrates, morales ab intellectualibus non distinguens:
posuit enim omnes virtutes esse scientias quasdam, ut dicitur in 6 Ethic. |
4. Le milieu est déterminé par une vertu intellectuelle et morale selon la prudence, mais de manière différente, car la prudence détermine le milieu en dirigeant et en montrant, mais la vertu morale, en exécutant et en inclinant vers le milieu. Aussi Tullius [Cicéron] dit-il qu’elle agit par mode de nature et, en cela, Socrate a manqué en ne distinguant pas les [vertus] morales des [vertus] intellectuelles : en effet, il affirmait que toutes les vertus étaient des sciences, comme on le dit dans Éthique, VI. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[10422] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in omnibus quae agunt propter
finem oportet esse inclinationem ad finem, et quamdam inchoationem finis:
alias nunquam operarentur propter finem. Finis autem ad quem divina largitas hominem ordinavit vel
praedestinavit, scilicet fruitio sui ipsius, est omnino supra facultatem
naturae creatae elevatus: quia nec oculus vidit, nec auris audivit, nec in
cor hominis ascendit, quae praeparavit Deus diligentibus se, ut dicitur 1
Corinth., 2, 9. Unde per naturalia tantum homo non habet sufficienter
inclinationem ad illum finem; et ideo oportet quod superaddatur homini aliquid
per quod habeat inclinationem in finem illum, sicut per naturalia habet
inclinationem in finem sibi connaturalem: et ista superaddita dicuntur
virtutes theologicae ex tribus. Primo quantum ad objectum: quia cum finis ad
quem ordinati sumus, sit ipse Deus, inclinatio quae praeexigitur, consistit
in operatione quae est circa ipsum Deum. Secundo quantum ad causam: quia sicut ille
finis est a Deo nobis ordinatus non per naturam nostram, ita inclinationem in
finem operatur in nobis solus Deus: et sic dicuntur virtutes theologicae,
quasi a solo Deo in nobis creatae. Tertio quantum ad cognitionem, inclinatio
in finem non potest per naturalem rationem cognosci, sed per revelationem
divinam: et ideo dicuntur theologicae, quia divino sermone sunt nobis manifestatae:
unde philosophi nihil de eis cognoverunt. |
Chez tout ce qui agit en vue d’une fin, il est nécessaire qu’existe une inclination à la fin et une certaine amorce de la fin, autrement cela n’agirait jamais en vue d’une fin. Or, la fin à laquelle la générosité divine a ordonné ou prédestiné l’homme : la jouissance de lui-même, est entièrement supérieure à la capacité de la nature créée, car l’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu, ni le cœur de l’homme ne s’est élevé jusqu’à ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment, 1 Co 2, 9. Aussi l’homme ne possède-t-il pas par ce qui lui est naturel une inclination suffisante à cette fin. C’est pourquoi il est nécessaire que soit ajouté à l’homme quelque chose qui l’incline à cette fin, comme il possède par ce qui lui est naturel une inclination à la fin qui lui est connaturelle. Les réalités ainsi ajoutées sont appelées vertus théologales pour trois raisons. Premièrement, en raison de leur objet, car, puisque la fin à laquelle nous avons été ordonnés est Dieu lui-même, l’inclination qui est prérequise consiste dans une opération qui porte sur Dieu lui-même. Deuxièmement, en raison de leur cause, car, de même que cette fin n’a pas été ordonnée pour nous par Dieu par notre nature, de même seul Dieu accomplit-il en nous l’inclination à la fin. Ainsi parle-t-on de vertus théologales comme si elles étaient créées en nous par Dieu seul. Troisièmement, pour ce qui est de la connaissance, l’inclination à la fin ne peut être connue par la raison naturelle, mais par la révélation divine. Elles sont donc appelées théologales parce qu’elles nous ont été manifestées par la parole divine. Aussi les philosophes n’en ont-ils rien connu. |
[10423] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quamvis homo naturaliter ordinetur ad Deum et per cognitionem
et per affectionem, inquantum est naturaliter ejus particeps, tamen quia est
quaedam ejus participatio supra naturam, ideo quaeritur quaedam cognitio et affectio
supra naturam: et ad hanc exiguntur virtutes theologicae. |
1. Bien que l’homme soit naturellement ordonné à Dieu par la connaissance comme par l’affection, pour autant qu’il participe à lui naturellement, toutefois, parce qu’il existe une participation à lui qui dépasse la nature, on recherche une connaissance et un amour qui dépassent la nature. C’est pour ceux-ci que les vertus théologales sont exigées. |
[10424] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod felicitas illa quam philosophi posuerunt, est ad quam per
vires naturales homo pervenire potest; et ideo ex seipso habet inclinationem
naturalem in finem illum: unde non praeexiguntur aliquae virtutes inclinantes
in finem, sed solum dirigentes in operibus quae sunt ad finem. Non sic autem
est in proposito. |
2. La félicité que les philosophes ont affirmée est celle à laquelle l’homme peut parvenir par ses forces naturelles. C’est pourquoi il a par lui-même une inclination naturelle à cette fin et pourquoi des vertus inclinant à une telle fin ne sont pas prérequises, mais seulement [des vertus] qui dirigent les actions qui sont ordonnées à cette fin. Mais il n’en va pas de même dans la question en cause. |
[10425] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod principia speculativa cognoscuntur per alium
habitum naturalem quam conclusiones, scilicet per intellectum; conclusiones
vero per scientiam. Sed in affectu
non praecedit aliquis habitus naturalis, sed ex ipsa natura potentiae est
inclinatio ad finem ultimum naturae proportionatum, ut dictum est. Sed ad
finem supra naturam elevatum oportet habitum gratuitum praecedere alios
habitus et in intellectuali, ut fidem, et in affectu, ut caritatem et spem ad
quam naturalis inclinatio non pertingit. |
3. Les principes naturels sont connus par un autre habitus que les conclusions, à savoir, par l’intelligence, alors que les conclusions [sont connues] par la science. Mais un habitus naturel ne précède pas dans l’affectivité, mais, par la nature même de la puissance, existe une inclination à la fin ultime proportionnée à la nature, comme on l’a dit. Mais pour une fin qui dépasse la nature, il est nécessaire qu’un habitus gratuit précède les autres habitus tant dans la partie intellectuelle, telle la foi, que dans la partie affective, telles la charité et l’espérance, que n’atteint pas l’inclination naturelle. |
[10426] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4
qc. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod non solum habitus distinguuntur ex subjectis, sed etiam ex
objectis. Virtutes ergo morales et intellectuales distinguuntur ab invicem ex
parte subjecti, ut dictum est; sed virtutes theologicae distinguuntur ab
utrisque ex parte objecti, quod est supra naturale posse utriusque partis.
Unde theologicarum virtutum aliqua respicit cognitionem, sicut fides, et
habet communionem quamdam cum intellectualibus virtutibus; et aliqua respicit
affectionem, sicut caritas, et habet communionem cum moralibus. |
4. Les habitus ne se distinguent pas seulement par leurs sujets, mais aussi selon leurs objets. Les vertus morales et intellectuelles se distinguent donc les unes des autres du point de vue de leur sujet, comme on l’a dit; mais les vertus théologales se distinguent des deux du point de vue de leur objet, qui dépasse la capacité naturelle des deux parties. Aussi l’une des vertus théologales concerne-t-elle la connaissance, telle la foi, et elle a quelque chose en commun avec les vertus intellectuelles; et une autre concerne l’affectivité, telle la charité, qui a quelque chose en commun avec les [vertus] morales. |
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Articulus 5 [10427] Super Sent., lib. 3
d. 23 q. 1 a. 5 tit. Utrum virtutes theologicae sint tantum tres |
Article 5 – N’existe-t-il que trois vertus théologales ? |
[10428] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod sint plures virtutes
theologicae quam tres. Quia virtus theologica, ut dictum est, habet Deum pro
objecto. Sed timor Dei habet Deum pro objecto. Ergo est virtus theologica. |
1. Il semble qu’il existe plus que trois vertus théologales, car, ainsi qu’on l’a dit, la vertu théologale a Dieu comme objet. Or, la crainte de Dieu a Dieu comme objet. Elle est donc une vertu théologale. |
[10429] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5
arg. 2 Praeterea,
sapientia est de divinis, scientia autem de creaturis. Ergo sapientia etiam
est virtus theologica. |
2. La sagesse porte sur les réalités divines, mais la science sur les créatures. La sagesse est donc aussi une vertu théologale. |
[10430] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, latria colit Deum. Sed colere Deum habet Deum pro objecto.
Ergo latria est virtus theologica. |
3. La latrie rend un culte à Dieu. Or, rendre un culte à Dieu a Dieu comme objet. La latrie est donc une vertu théologale. |
[10431] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5
arg. 4 Praeterea, fides
habet Deum pro objecto, inquantum est prima veritas; spes vero, inquantum est
summa largitas vel majestas; caritas autem, inquantum est summa bonitas. Cum ergo sint plura attributa in Deo,
videtur quod sint etiam plures virtutes theologicae. |
4. La foi a comme objet Dieu en tant qu’il est la vérité première; l’espérance, en tant qu’il est la suprême générosité ou majesté; mais la charité, en tant qu’il est la bonté suprême. Puisqu’il existe plus d’attributs en Dieu, il semble donc qu’il existe un plus grand nombre de vertus théologales. |
[10432] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5
arg. 5 Sed contra,
videtur quod sint tantum duae. Quia ad operationem finis non praeexigitur
nisi cognitio finis, quod facit fides; et desiderium finis, quod facit
caritas. Ergo videtur
quod sint tantum duae virtutes theologicae. |
5. Il semble qu’il n’y ait que deux [vertus théologales], car, pour l’opération portant sur la fin, ne sont prérequis que la connaissance de la fin, que donne la foi, et le désir de la fin, que donne la charité. Il semble donc qu’il n’existe que deux vertus théologales. |
[10433] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5
arg. 6 Item, videtur
quod sola una. Quia sola caritas Deum attingit. Sed omnis virtus attingit
suum objectum. Ergo sola
caritas habet Deum pro objecto, et ita sola debet dici virtus theologica. |
6. Il semble qu’il n’existe qu’une seule [vertu théologale], car seule la charité atteint Dieu. Or, toute vertu atteint son objet. Donc, seule la charité a Dieu comme objet, et ainsi seule doit-elle être appelée une vertu théologale. |
[10434] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 5 s. c. 1 Item, videtur quod tres; per hoc quod dicitur 1 Corinth. 13, 13: nunc autem manent fides, spes,
caritas, tria haec. |
Cependant,
[1] il semble qu’il en existe trois, selon ce que
dit 1 Co 13, 13 : Maintenant
demeurent la foi, l’espérance et la charité, ces trois choses. |
[10435] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, per virtutes theologicas conformamur Trinitati. Ergo debent
esse tres. |
[2] Par les vertus théologales, nous sommes rendus conformes à la Trinité. Il doit donc en exister trois. |
[10436] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, virtutes theologicae
faciunt in nobis inclinationem in finem, scilicet in Deum. In omni autem
agente propter finem, quod agit per voluntatem, duo praeexiguntur quae circa
finem habet, antequam ad finem operetur; scilicet cognitio finis, et intentio
perveniendi ad finem. Ad hoc autem
quod finem intendat, duo requiruntur; scilicet possibilitas finis, quia nihil
movetur ad impossibile; et bonitas ejus, quia intentio non est nisi boni; et
ideo requiritur fides, quae facit finem cognitum, et spes, secundum quam
inest fiducia de consecutione finis ultimi, quasi de re possibili sibi; et
caritas, per quam finis reputatur bonum ipsi intendenti, inquantum facit quod
homo afficiatur ad finem; alias nunquam tenderet in ipsum. |
Réponse. Comme on l’a dit, les vertus théologales créent en nous une inclination vers la fin : Dieu. Or, en tout ce qui agit en vue d’une fin, et qui agit par la volonté, deux choses sont prérequises qui concernent la fin, avant qu’on agisse en vue de la fin : la connaissance de la fin et l’intention de parvenir à la fin. Or, pour tendre vers la fin, deux choses sont prérequises : la possibilité de la fin, car rien n’est mû vers l’impossible; et sa bonté, car l’intention ne porte que sur ce qui est bon. C’est pourquoi la foi est requise, qui rend la fin connue, ainsi que l’espérance, par laquelle existe en soi la confiance d’atteindre la fin ultime, comme une chose qui nous est possible. La charité est aussi [requise], par laquelle la fin est considérée comme bonne pour celui qui y tend, dans la mesure où elle fait en sorte que l’homme soit affectivement porté (afficiatur) vers la fin, autrement il ne tendrait jamais vers elle. |
[10437] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod timor non dicit motum in Deum, sed magis
fugam ab ipso, inquantum homo ex ipsius majestatis consideratione per
reverentiam resilit in propriam parvitatem: et ideo non dicit aliquid quod
praeexigatur ad motum in finem. |
1. La crainte n’exprime pas un mouvement vers Dieu, mais plutôt le fait de le fuir, pour autant que l’homme, par la considération de sa majesté, se replie vers sa propre petitesse. Aussi n’exprime-t-elle pas quelque chose qui est prérequis au mouvement vers la fin. |
[10438] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod sapientia est de divinis in statu viae per rationem creaturarum
ex quibus creatorem cognoscimus; unde non est circa Deum secundum id quod in
seipso est ut finis supra posse naturae elevatus, sicut fides. |
2. La sagesse porte sur les réalités divines dans l’état de cheminement, selon la raison des créatures à partir desquelles nous connaissons le Créateur. Elle ne porte donc pas sur Dieu selon qu’il est en lui-même la fin qui dépasse la capacité de la nature, comme le fait la foi. |
[10439] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod latria non habet Deum pro objecto, sed id
quod Deo exhibet tamquam debitum Deo: Deum autem habet pro fine proximo; unde
non est virtus theologica, sed cardinalis. |
3. La latrie n’a pas Dieu comme objet, mais ce qui est manifesté à Dieu comme une dette envers Dieu; cependant, elle a Dieu comme fin rapprochée. Elle n’est donc pas une vertu théologale, mais une [vertu] cardinale. |
[10440] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod virtutes theologicae non distinguuntur penes
attributa divina, sed penes ea quae exiguntur in eo qui operatur propter
finem, antequam propter finem operetur. |
4. Les vertus théologales ne se distinguent pas selon les attributs divins, mais selon ce qui est requis chez celui qui agit en vue de la fin avant qu’il n’agisse en vue de la fin. |
[10441] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod cognitio et affectio finis non sufficiunt ad hoc quod homo
incipiat operari propter finem, nisi habeat fiduciam de consecutione finis:
quia alias nunquam inciperet operari; et praecipue quando finis est elevatus
supra naturam operantis. |
5. La connaissance et l’amour de la fin ne suffisent pas pour que l’homme commence à agir en vue de la fin, à moins qu’il n’ait confiance d’obtenir la fin, car autrement il ne commencerait jamais à agir, surtout lorsque la fin dépasse la nature de celui qui agit. |
[10442] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5
ad 6 Ad sextum
dicendum, quod caritas conjungit quodammodo realiter Deo, et sic attingit
ipsum realiter; quod non facit fides et spes. Nec hoc requiritur ad operationem quae est
circa Deum, sed quod operans uniatur ei quasi objecto operationis, sicut
visus visibili etiam distanti. |
6. La charité unit en quelque sorte réellement à Dieu, et ainsi elle l’atteint réellement, ce que ne font pas la foi et l’espérance. Et cela n’est pas requis pour une action qui porte sur Dieu, mais [il est requis] que celui qui agit soit uni à lui en tant qu’objet de l’opération, comme la vue l’est à ce qui est visible, même si cela est éloigné. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [La foi]
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Prooemium |
Prologue |
[10443] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 pr. Deinde quaeritur specialiter de fide; et
circa hoc quaeruntur quinque: 1 quid sit fides, 2 de ejus actu; 3 de
subjecto; 4 utrum sit virtus; 5 de ordine ejus ad alias virtutes. |
On s’interroge ensuite sur la foi. À ce sujet, cinq questions sont posées : 1 – Qu’est-ce que la foi ? 2 – À propos de son acte. 3 – À propos de son sujet. 4 – Est-elle une vertu ? 5 – À propos de son rapport avec les autres vertus. |
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Articulus 1 [10444] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 1 tit. Utrum definitio apostoli quam ponit de fide, sit
conveniens secundum omnem partem |
Article 1 – La définition que donne l’Apôtre de la foi est-elle en tous points appropriée ? |
[10445] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Apostolus Hebr. 11, 1, dicit, quod fides est substantia sperandarum
rerum, argumentum non apparentium; et videtur quod inconvenienter
definiat fidem. Nullus enim habitus est substantia. Fides est habitus. Ergo
non est substantia. |
1. L’Apôtre dit en He 11, 1 : La foi est la substance des réalités espérées, la preuve de ce qui n’est pas visible, et il semble qu’il définisse la foi de manière inappropriée. En effet, aucun habitus n’est une substance. Or, la foi est un habitus. Elle n’est donc pas une substance. |
[10446] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1
arg. 2 Praeterea,
definitio debet dari ex prioribus, et ex his quae per se sunt. Sed objectum per se fidei non est res
speranda, sed res credenda, et spes est posterior fide. Ergo debuit dicere,
rerum credendarum, non, sperandarum. |
2. La définition doit être donnée à partir de choses qui précèdent et de choses qui existent par elles-mêmes. Or, l’objet par soi de la foi n’est pas une réalité espérée, mais une réalité à croire, et l’espérance vient après la foi. Il devait donc dire : « des choses à croire », et non : des réalités espérées. |
[10447] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1
arg. 3 Praeterea,
sicut ad fidem sequitur spes, ita et caritas: quia caritas est magis
propinqua fini quam spes. Ergo debuit dicere, quod est substantia
diligendarum rerum magis quam sperandarum. |
3. De même que l’espérance suit la foi, de même aussi la charité, car la charité est plus rapprochée de la fin que l’espérance. Il devait donc dire : « qui est la substance des choses aimées », plutôt que : des réalités espérées. |
[10448] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1
arg. 4 Praeterea, fides
est de his quae sunt supra rationem. Sed argumentum est actus rationis. Ergo fides non est argumentum. |
4. La foi porte sur ce qui dépasse la raison. Or, la preuve est un acte de la raison. La foi n’est donc pas une preuve. |
[10449] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1
arg. 5 Praeterea, idem
non debet poni in diversis generibus. Sed argumentum est aliud genus quam
substantia. Ergo male
definit per utrumque. |
5. La même chose ne doit pas être placée dans des genres différents. Or, la preuve est d’un autre genre que la substance. [Paul] définit donc mal les deux. |
[10450] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1
arg. 6 Praeterea, ea
quae sunt vera et non apparentia, sunt dubia. Sed non apparentia possunt esse
vera ignota. Ergo cum fides sit cognitio quaedam, videtur quod magis debuit
dicere, dubiorum, quam, non apparentium. |
6. Ce qui est vrai, mais n’est pas manifeste, est douteux. Or, ce qui n’est pas manifeste peut être quelque chose de vrai mais d’ignoré. Puisque la foi est une connaissance, il semble donc qu’il devait plutôt dire : « de ce qui est douteux », que : de ce qui n’est pas visible. |
[10451] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 1 arg. 7 Praeterea, cognitio praecedit affectionem. Sed hoc quod dicit, argumentum
non apparentium, pertinet ad cognitionem; quod autem dicit, substantia
rerum sperandarum, pertinet ad affectionem. Ergo male ordinavit partes
definitionis. |
7. La connaissance précède l’affectivité. Or, ce qu’il dit : la preuve de ce qui n’est pas visible, se rapporte à la connaissance; mais ce qu’il dit : la substance des réalités espérées, se rapporte à l’affectivité. Il a donc mal ordonné les parties de la définition. |
[10452] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1
arg. 8 Praeterea, unius
rei est una definitio sicut unum esse. Sed de fide dantur multae aliae
definitiones. Ergo haec non
videtur esse sufficiens. |
8. Il n’existe qu’une seule définition, comme un seul être, pour une seule réalité. Or, plusieurs autres définitions sont données de la foi. Celle-ci ne semble donc pas suffisante. |
[10453] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod dicta assignatio apostoli est recta et propria definitio fidei
quantum ad ea quae exiguntur ad definitionem, quamvis non quantum ad modum
definitionis, quam auctores, et etiam philosophi, neglexerunt, sicut etiam et
formam syllogismi praetermittunt ponentes ea ex quibus syllogismus formari
potest. Habitus autem quilibet per actum cognoscitur, et actus ex objecto
specificatur, et ex fine bonitatem habet; et ideo apostolus definit fidem per
duo, scilicet per comparationem ad objectum, quod est res non apparens,
scilicet secundum naturalem cognitionem; et per comparationem ad finem, in
hoc quod dicit: substantia rerum sperandarum. Quamvis enim idem sit
objectum et finis fidei, non tamen secundum eamdem rationem: est enim Deus
objectum ejus, inquantum est prima veritas supra posse naturale intellectus
nostri elevata; et sic dicitur non apparens; est vero finis ejus, secundum
quod est quodammodo bonum sua altitudine facultatem humanam excedens, sed sua
liberalitate seipsum communicabilem praebens; et hoc dicitur res speranda. |
Réponse. Cette attribution de l’Apôtre est correcte et elle est une définition propre de la foi, du point de vue de ce qui est requis pour une définition, bien qu’elle ne soit pas conforme à la manière de définir que des auteurs, et même des philosophes, ont négligée, de même qu’ils négligent la forme du syllogisme en exprimant ce dont un syllogisme peut être formé. Or, chaque habitus est connu par son acte, et l’acte est spécifié par son objet et reçoit sa bonté de sa fin. C’est pourquoi l’Apôtre définit la foi par deux choses : par rapport à son objet, qui est une réalité non manifeste selon la connaissance naturelle; et par rapport à la fin, lorsqu’il dit : la substance des réalités espérées. En effet, bien que l’objet et la fin de la foi soient la même chose, ce n’est cependant pas selon la même raison. En effet, Dieu est son objet en tant que Vérité première dépassant la capacité de notre intellect : ainsi est-il appelé non manifeste. Mais il est sa fin selon qu’il est en quelque sorte un bien qui dépasse par son élévation la capacité humaine, mais qui se donne lui-même par sa libéralité : et cela est appelé une réalité espérée. |
[10454] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod fides dicitur substantia, non quia sit in genere substantiae,
sed quia quamdam proprietatem habet substantiae: sicut enim substantia est
fundamentum et basis omnium aliorum entium, ita fides est fundamentum totius
spiritualis aedificii. Et per hunc
modum dicitur etiam quod lux est hypostasis coloris, quia in natura lucis
omnes colores fundantur. |
1. La foi est appelée substance, non pas parce qu’elle est dans le genre de la substance, mais parce qu’elle possède une propriété de la substance. En effet, de même que la substance est le fondement et la base de tous les autres êtres, de même la foi est-elle le fondement de tout l’édifice spirituel. De cette manière, on dit aussi que la lumière est l’« hypostase » de la couleur, parce que, dans la nature, toutes les couleurs se fondent sur la nature de la lumière. |
[10455] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in hoc quod dicit, rerum sperandarum,
non intendit ponere objectum fidei, sed finem. Finis autem fidei ultimus
quamvis sit ipsa veritas, cujus visio pro fide redditur, non tamen verum
dicit rationem finis. Sed cum spes designet quemdam motum tendentis in finem,
res speranda importat terminum illius motus, et ita importat rationem finis.
Finis autem quantum ad intentionem prius est in omnibus habitibus qui ad
voluntatem pertinent, quamvis sit posterius in adeptione. |
2. En parlant de réalités espérées, il n’entend pas exprimer l’objet de la foi, mais sa fin. Or, la fin ultime de la foi, bien qu’elle soit la Vérité elle-même, dont la vision remplace la foi, n’exprime pas la véritable raison de la fin. Cependant, puisque l’espérance désigne un mouvement tendant vers la fin, la réalité espérée comporte le terme de ce mouvement, et ainsi comporte la raison de la fin. Or, la fin, du point de vue de l’intention, est ce qu’il y a de premier dans tous les habitus qui se rapportent à la volonté, bien qu’elle soit ce qui vient après dans l’obtention [de la fin]. |
[10456] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod amor est communiter et rei jam adeptae et rei adipiscendae;
spes autem est tantum rei adipiscendae: quia illud quod videt quis, quid
sperat ? Roman. 8, 24.
Unde cum fides sit de non visis, res speranda importat relationem ad finem
proprium, secundum statum in quo est fides, non autem res diligenda; et ideo
magis dicit, rerum sperandarum quam, diligendarum: quia definitio ex
propriis debet dari. |
3. L’amour porte également sur une chose déjà obtenue et sur une chose à posséder; mais l’espérance ne porte que sur une chose à obtenir, car ce que l’on voit, comment peut-on l’espérer ?Rm 8, 24. Puisque la foi porte sur des réalités qui ne sont pas vues, la réalité espérée comporte donc un rapport à sa fin propre, selon l’état où se trouve la foi, mais non à une chose à aimer. C’est pourquoi [Paul] dit plutôt : des réalités espérées, que « des réalités à aimer », car une définition doit être donnée à partir de ce qui est propre. |
[10457] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod argumentum proprie dicitur processus rationis de notis ad
ignota manifestanda, secundum quod dicit Boetius, quod est ratio rei dubiae
faciens fidem. Et quia tota vis argumenti consistit in medio termino, ex quo
ad ignotorum probationem proceditur; ideo dicitur ipsum medium argumentum,
sive sit signum, sive causa, sive effectus. Et quia in medio termino, vel in
principio ex quo argumentando proceditur, continetur virtute totus processus
argumentationis; ideo tractum est nomen argumenti ad hoc quod quaelibet
brevis praelibatio futurae narrationis dicatur argumentum, sicut in epistolis
Pauli singulis praemittuntur argumenta. Et quia principium vel medium dicitur
argumentum inquantum habet virtutem manifestandi conclusionem, et haec virtus
inest ei ex lumine intellectus agentis, cujus est instrumentum, quia omnia
quae arguuntur, a lumine manifestantur, ut dicitur Ephes. 5; ideo ipsum lumen
quo manifestantur principia, sicut principiis manifestantur conclusiones,
potest dici argumentum ipsorum principiorum. Et his tribus ultimis modis
potest dici fides argumentum. Primo inquantum ipsa fides est manifestativa
alterius, sive inquantum unus articulus manifestat alium, sicut resurrectio
Christi resurrectionem futuram; sive inquantum ex ipsis articulis quaedam
alia in theologia syllogizantur; sive inquantum fides unius hominis confirmat
fidem alterius. Secundo potest dici argumentum, inquantum est praelibatio
futurae visionis, in qua veritas plenarie cognoscitur. Tertio inquantum lumen
infusum, quod est habitus fidei, manifestat articulos, sicut lumen
intellectus agentis manifestat principia naturaliter nota. Sed esse
argumentum secundum primum modum accidit fidei; et ideo in definitione fidei
ponitur argumentum secundum alterum duorum modorum ultimorum. |
4. Un raisonnement est à proprement parler une démarche de la raison à partir de réalités connues, en vue de mettre en lumière des réalités ignorées; ainsi Boèce dit-il que la raison d’une chose douteuse donne la foi. Et parce que toute la force d’un argument consiste dans le moyen terme, à partir duquel on avance vers la preuve de choses ignorées, le moyen terme est lui-même appelé une preuve, qu’il s’agisse d’un signe, d’une cause ou d’un effet. Et parce que toute la démarche d’une argumentation est contenue en puissance dans le moyen terme ou dans le principe à partir duquel on progresse dans le raisonnement, le mot « preuve » a été amené à désigner toute anticipation d’un discours à venir, comme dans chaque épître de Paul des arguments sont placés au début. Et parce que le principe ou le moyen terme est appelé une preuve pour autant qu’il a la capacité de mettre en lumière une conclusion, et que cette capacité lui est inhérente en vertu de la lumière de l’intellect agent dont il est l’instrument, car tout ce qui est objet de démonstration est éclairé par la lumière, comme il est dit dans Ep 5, la lumière même par laquelle les principes sont éclairés, de même que les conclusions sont mises en lumière par les principes, peut être appelées une preuve des principes eux-mêmes. Or, la foi peut être appelée une preuve de ces trois dernières manières. Premièrement, pour autant que la foi éclaire autre chose, soit qu’un article en éclaire un autre, comme la résurrection du Christ [éclaire] la résurrection future, soit qu’à partir des articles eux-mêmes, certaines autres choses font l’objet de syllogismes en théologie, soit que la foi d’un homme confirme la foi d’un autre. Deuxièmement, elle peut être appelée une preuve en tant qu’elle est une anticipation de la vision à venir, dans laquelle la vérité est connue d’une manière plénière. Troisièmement, en tant que la lumière infuse, qui est l’habitus de la foi, éclaire les articles, comme la lumière de l’intellect agent éclaire les principes naturellement connus. Mais il arrive que la foi soit une preuve de la première manière; c’est pourquoi, dans la définition de la foi, le mot « preuve » est mis selon l’une ou l’autre des deux dernières manières. |
[10458] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod argumentum et substantia non ponuntur in definitione fidei
sicut genera, sed quasi actus, sicut consuetum est quod habitus definiuntur per
actus, quia ex eis cognoscuntur; et illorum actuum unus importat
comparationem fidei ab objectum, alius comparationem ejus ad finem ultimum,
ut dictum est. |
5. « Preuve » et « substance » ne sont pas mis dans la définition de la foi en tant que genres, mais en tant qu’actes, de même qu’on a coutume de définir les habitus par leur acte, parce qu’ils sont connus par eux. L’un de ces actes comporte le rapport de la foi à son objet, l’autre son rapport à la fin ultime, comme on l’a dit. |
[10459] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1
ad 6 Ad sextum
dicendum, quod dubietas tollit firmitatem adhaesionis, quod non tollit hoc
quod dicitur non apparens; sed tollit tantum visionem rei creditae; et ideo
non potuit dici, dubiorum, quia fides habet firmam adhaesionem; sed dicitur,
non apparentium, quia non habet plenam visionem. |
6. Le doute enlève la fermeté de l’adhésion, ce que n’enlève pas le fait de dire qu’une chose n’est pas manifeste; mais cela enlève seulement la vision de la réalité crue. On ne pouvait donc pas dire : « [la preuve] des choses douteuses », car la foi comporte une adhésion ferme, mais on dit : de ce qui n’est pas visible, parce que [la foi] n’a pas la pleine vision. |
[10460] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1
ad 7 Ad septimum
dicendum, quod cognitio fidei ex voluntate procedit: quia nullus credit nisi
volens; et ideo non est mirum, si in definitione fidei ea quae ad affectionem
pertinent, his quae pertinent ad cognitionem, praeponuntur. |
7. La connaissance de la foi procède de la volonté, car personne ne croit à moins de le vouloir. Il n’est donc pas étonnant que, dans la définition de la foi, ce qui se rapporte à l’affectivité soit placé avant ce qui se rapporte à la connaissance. |
[10461] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1
ad 8 Ad octavum dicendum,
quod si definitio de re aliqua daretur quae complete comprehenderet omnia
principia rei, non esset unius rei nisi una definitio. Sed quia in quibusdam definitionibus
ponuntur quaedam principia sine aliis, ideo contingit variari definitiones de
una et eadem re. Definitio autem fidei data ab apostolo comprehendit omnia
principia fidei, ex quibus habitus consueverunt definiri, scilicet finem,
objectum, et actum; ex quibus etiam intelligitur genus et subjectum: quia ex
actu cognoscitur quae potentia sit subjectum fidei; et iterum ex actu
cognoscitur habitus, quod est genus fidei remotum; et ex fine cognoscitur
virtus, quod est genus proximum. Et hoc etiam ponit Damascenus dicens, quod fides
est rerum quae sperantur, hypostasis, rerum quae non videntur, redargutio;
et addit quoddam accidens fidei, scilicet certitudinem, subdens: injudicabilis
species, et certa, et quae comprehendi non potest, eorum quae a Deo nobis
annuntiata sunt, et petitionum nostrarum fruitionis, idest adimpletionis.
Facit enim fides certitudinem et de credendis, secundum quod est argumentum,
et de adipiscendis, secundum quod est substantia rerum sperandarum. Dionysius
autem in libro de Divin. Nom., definit fidem dicens: fides est manens
credentium collocatio, quae justos collocat in virtute, et hoc est idem
quod apostolus dicit: substantia rerum sperandarum. Augustinus autem
dicit, quod fides est virtus qua creduntur quae non videntur; et hoc
est idem quod dicit apostolus: argumentum non apparentium; et in idem
redit quod Damascenus dicit, quod fides est non inquisitivus consensus:
quia per hoc quod dicit, non inquisitivus, ostendit quod ea quae fidei
sunt, non sunt pervia rationi inquirenti. Hugo autem de sancto Victore
definit fidem per aliquod ejus accidens, scilicet certitudinem, dicens, quod
fides est certitudo quaedam animi de absentibus supra opinionem et infra
scientiam constituta. Et hoc etiam accidens fidei potest haberi ex
definitione apostoli ex hoc quod fides est argumentum non apparentium:
argumentum enim importat certitudinem; unde ponit scientiam supra opinionem:
non apparentium vero importat absentiam cognoscibilis, per quod ponitur fides
sub scientia. Unde patet
quod definitio apostoli includit omnes alias definitiones de fide datas. |
8. Si on donnait une définition d’une chose qui comporterait tous les principes de la choses, il n’y aurait qu’une seule définition d’une chose. Mais parce que, dans certaines définitions, on met certains principes sans les autres, il arrive que les définitions d’une seule et même chose diffèrent. Or, la définition de la foi donnée par l’Apôtre comporte tous les principes de la foi, à partir desquels les habitus ont coutume d’être définis : la fin, l’objet et l’acte. À partir d’eux, on comprend aussi le genre et l’acte, car, par la connaissance de l’acte, on sait quelle puissance est le sujet de la foi. De plus, à partir de l’acte, on connaît l’habitus, qui est le genre éloigné de la foi, et à partir de la fin, on connaît la vertu, qui en est le genre rapproché. C’est aussi ce qu’exprime [Jean] Damscène lorsqu’il dit : « La foi est l’hypostase de ce qu’on espère, la preuve de ce qui n’est pas visible », et il ajoute un accident de la foi, la certitude, en disant plus loin : « … la représentation indiscutable et certaine, qui ne peut être comprise, de ce qui nous a été annoncé par Dieu et de l’aboutissement de nos demandes», c’est-à-dire de [leur. En effet, la foi donne la certitude de ce qui doit être cru, selon qu’elle est une preuve, et de ce qui doit être obtenu, selon qu’elle est la substance des réalités espérées. Mais Denys, dans le livre sur Les noms divins, définit la foi en disant : « La foi est l’établissement durable des croyants, qui établit les justes dans la vertu », et cela est la même chose que ce que l’Apôtre dit : La substance des réalités espérées. Mais Augustin dit que la foi est « la vertu par laquelle est cru ce qui n’est pas vu ». Cela est la même chose que ce dit l’Apôtre : La preuve de ce qui n’est pas visible. Et cela revient à la même chose que ce que dit [Jean] Damascène, que la foi est « un consentement sans recherche », car lorsqu’il dit : « sans recherche », il montre que ce qui relève de la foi n’est pas accessible à la raison qui recherche. Mais Hugues de Saint-Victor définit la foi par un de ses accidents : la certitude, lorsqu’il dit que la foi est « une certitude de l’esprit à propos de réalités absentes, supérieure à l’opinion et inférieure à la science ». Cet accident de la foi peut être aussi tiré de la définition de l’Apôtre du fait que la foi est la preuve de ce qui n’est pas visible. En effet, la preuve comporte la certitude. Ainsi place-t-il la science au-dessus de l’opinion, mais ce qui n’est pas visible comporte l’absence de ce qui ne peut être connu, par quoi la foi est ainsi placée en-dessous de la science. Il est donc clair que la définition de l’Apôtre inclut toutes les autres définitions données pour la foi. |
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Articulus 2 [10462] Super Sent., lib. 3
d. 23 q. 2 a. 2 tit. Utrum credere sit cum assensu cogitare |
Article 2 – Est-ce que croire consiste à « penser en donnant son assentiment » ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Est-ce que croire consiste à « penser en donnant son assentiment » ?] |
[10463] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod credere non sit cum
assensione cogitare, ut dicit Augustinus. Assentire enim voluntatis esse
videtur, sicut consentire. Sed credere ad cognitionem pertinet. Ergo credere non est assentire. |
1. Il semble que croire consiste à « penser en donnant son assentiment », comme le dit Augustin. En effet, donner son assentiment semble relever de la volonté, comme donner son consentement. Or, croire relève de la connaissance. Croire, ce n’est donc pas donner son assentiment. |
[10464] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2
qc. 1 arg. 2 Praeterea,
cogitare inquisitionem importat; quia cogitare est simul coagitare. Sed
fides, ut dicit Damascenus, est non inquisitivus consensus. Ergo credere,
quod est actus fidei, magis est assentire sine cogitatione, quam cum
cogitatione. |
2. Penser comporte une recherche, car penser (cogitare), c’est remuer (coagitare). Or, « la foi, comme le dit [Jean] Damascène, est un consentement sans recherche ». Croire, qui est l’acte de la foi, c’est donc donner son assentiment sans réflexion, plutôt qu’avec réflexion. |
[10465] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
cogitare est actus cogitativae potentiae, quae ponitur a philosophis in parte
sensitiva, cum habeat organum determinatum. Sed ea quae sunt fidei, solus intellectus percipit. Ergo credere non
habet cogitationem adjunctam. |
3. Penser est l’acte
de la puissance cogitative, qui est placée par les philosophes dans la partie
sensible, puisqu’elle possède un organe déterminé. Or, seule l’intelligence
perçoit ce qui relève de la foi. Croire ne comporte donc pas de réflexion
associée. |
[10466] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2
qc. 1 arg. 4 Praeterea, si
credere est cum assensione cogitare, est scire, et hujusmodi. Ergo scire est
idem quod credere; quod falsum est. |
4. Si croire consiste à penser en donnant son assentiment, c’est ainsi savoir et les choses de ce genre. Donc, savoir est la même chose que croire, ce qui est faux. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La foi
comporte-t-elle un seul acte ?]
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[10467] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod inconvenienter multiplicetur credere, secundum quod est actus
fidei. Unius enim habitus unus est actus, ex quo habitus per actus
discernuntur. Sed fides est unus habitus. Ergo tantum unus actus debet
assignari. |
1. Il semble que multiplier l’acte de croire, selon qu’il est l’acte de la foi, est inapproprié. En effet, un seul habitus a un seul acte, par lequel les habitus sont distingués. Or, la foi est un seul habitus. Il faut donc lui assigner un seul acte. |
[10468] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 2 Praeterea, de
eo quod demonstratur, non est fides, sed scientia: quia quod demonstratur,
non est non apparens. Sed Deum esse, demonstrative probatur etiam a
philosophis. Ergo actus fidei non est credere Deum esse. |
2. Du fait que quelque chose est démontré, il n’y a pas foi, mais science, car ce qui est démontré n’est pas invisible. Or, le fait que Dieu existe est prouvé de manière démonstrative, même par les philosophes. L’acte de foi ne consiste donc pas à croire que Dieu existe. |
[10469] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in actu fidei discernitur fidelis ab infideli. Sed nullus est ita infidelis quin credat
quod Deus non loquitur nisi verum. Ergo credere vera esse quae Deus loquitur,
non est actus fidei; sed magis credere vera esse quae nuntius Dei loquitur:
et sic credere homini magis est actus fidei quam credere Deo. |
3. Le fidèle se distingue de l’infidèle par l’acte de la foi. Or, personne n’est à ce point infidèle au point de croire que Dieu ne dit pas seulement la vérité. Croire que ce que Dieu dit est vrai n’est donc pas un acte de foi, mais plutôt croire que ce que le messager de Dieu dit est vrai. Ainsi, l’acte de foi consiste plutôt à croire un homme qu’à croire en Dieu. |
[10470] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 4 Praeterea,
fides et caritas sunt virtutes distinctae. Sed amare Deum est actus
caritatis. Ergo credendo amare non est actus fidei. |
4. La foi et la charité sont des vertus distinctes. Or, aimer Dieu est un acte de charité. Aimer en croyant n’est donc pas un acte de foi. |
[10471] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 5 Praeterea, per
hoc quod homo Deum amat, in eum tendit et adhaeret ei, et membris ejus
incorporatur. Ergo videtur quod superflue ponatur ista verborum inculcatio. |
5. Par le fait que l’homme aime Dieu, il tend vers lui et adhère à lui, et il est incorporé à ses membres. Il semble donc que cette inculcation de paroles soit superflue. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [L’acte de foi
est-il moins certain que l’acte de la science ?]
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[10472] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod actus fidei habeat minorem certitudinem quam actus scientiae.
Quia, ut dicit Hugo de sancto Victore, fides est certitudo de absentibus,
infra scientiam, et supra opinionem. Ergo sicut fides est certior quam
opinio, ita est minus certa quam scientia. |
1. Il semble que l’acte de foi a une certitude moindre que l’acte de la science, car, ainsi que le dit Hugues de Saint-Victore, « la foi est une certitude de l’esprit à propos de réalités absentes, inférieure à la science et supérieure à l’opinion ». De même que la foi est plus certaine que l’opinion, de même donc est-elle moins certaine que la science. |
[10473] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2
qc. 3 arg. 2 Praeterea,
certius est quod est dubitationi impermixtius, sicut albius est quod est
nigro impermixtius. Sed ea quae sunt scita, nullo modo possunt habere dubitationem; ea
autem quae sunt credita, possunt habere aliquem motum dubitationis salva
fide. Ergo fides non habet tantam certitudinem sicut scientia. |
2. Est plus certain ce qui n’est pas mêlé de doute, comme est plus blanc ce qui n’est pas mélangé avec le noir. Or, ce qui est connu par la science ne peut comporter aucun doute, mais ce qui est cru peut comporter un mouvement de doute, la foi étant sauve. La foi ne comporte donc pas la même certitude que la science. |
[10474] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2
qc. 3 arg. 3 Praeterea, omnis
certitudo nostrae cognitionis procedit ex visione sensus, vel ex visione
intellectus. Sed fides est
de his quae non videntur a sensu neque intellectu. Ergo fides non habet
aliquam certitudinem, ut videtur. |
3. Toute certitude de notre pensée provient de la vision du sens ou de la vision de l’intellect. Or, la foi porte sur ce qui n’est vu ni par le sens ni par l’intellect. La foi ne comporte donc pas de certitude, semble-t-il. |
[10475] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2
qc. 3 s. c. 1 Sed contra,
Augustinus dicit, quod nihil est certius homini sua fide. |
Cependant, [1] Augustin dit que « rien n’est plus certain pour l’homme que sa foi ». |
[10476] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2
qc. 3 s. c. 2 Praeterea, quanto
ratio quae facit fidem, firmior est, tanto fides est certior. Sed scientiam facit ratio
humana, quae in infinitum deficit a ratione divina, quae fidem facit. Ergo fides est multo certior quam scientia. |
[2] Plus la raison qui donne la foi est ferme, plus la foi est certaine. Or, la raison humaine produit la science, qui est infiniment inférieure à la raison divine qui donne la foi. La foi est donc bien plus certaine que la science. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[10477] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut dicit philosophus
in 3 de anima, duplex est operatio intellectus. Una quae comprehendit
quidditates simplices rerum; et haec operatio vocatur a philosophis formatio
vel simplex intelligentia; et huic intellectui respondet vox incomplexa
significans hunc intellectum: unde sicut in voce incomplexa non invenitur
veritas et falsitas, ita nec in hac operatione intellectus: et ideo sicut vox
incomplexa propter hoc quod non est in ea veritas et falsitas, non conceditur
nec negatur; ita secundum hanc operationem intellectus non assentit vel
dissentit: et propter hoc in hac operatione non potest inveniri fides, cujus
est assentire; sed in alia operatione, qua intellectus componit et dividit,
in qua jam invenitur verum et falsum, sicut in enuntiatione: et propter hoc
intellectus in hac sua operatione assentit vel dissentit, sicut et enuntiatio
conceditur aut negatur: et ideo in hac operatione invenitur fides, quae habet
assensum. Cum autem ab assentiendo sententia dicatur, quae, ut dicit Isaac,
est determinata acceptio alterius partis contradictionis; oportet quod qui
assentit, intellectum ad alteram partem contradictionis determinet. Quod quidem contingit tripliciter, secundum
triplicem nostri intellectus considerationem. Potest enim intellectus noster
considerari uno modo secundum se; et sic determinatur ex praesentia
intelligibilis, sicut materia determinatur ex praesentia formae: et hoc
quidem contingit in his quae statim lumine intellectus agentis intelligibilia
fiunt, sicut sunt prima principia, quorum est intellectus: et similiter
determinatur judicium sensitivae partis ex hoc quod sensibile subjacet
sensibus, quorum principalior et certior est visus; et ideo praedicta
cognitio intellectus vocatur visio. Alio modo potest considerari intellectus
noster secundum ordinem ad rationem, quae ad intellectum terminatur, dum
resolvendo conclusiones in principia per se nota, earum certitudinem efficit:
et hoc est assensus scientiae. Tertio modo consideratur intellectus in ordine
ad voluntatem; quae quidem omnes vires animae ad actus suos movet: et haec
quidem voluntas determinat intellectum ad aliquid quod neque per seipsum
videtur, neque ad ea quae per se videntur, resolvi posse determinat, ex hoc
quod dignum reputat illi esse adhaerendum propter aliquam rationem, qua bonum
videtur ei illi rei adhaerere; quamvis illa ratio ad intellectum terminandum
non sufficiat propter imbecillitatem intellectus, qui non videt per se hoc
cui assentiendum ratio judicat; neque ipsum ad principia per se nota
resolvere valet: et hoc assentire proprie vocatur credere. Unde et fides
captivare dicitur intellectum, inquantum non secundum proprium motum ad
aliquid determinatur, sed secundum imperium voluntatis: et sic in credente
ratio per se intellectum non terminat, sed mediante voluntate. Quando vero
ratio quae movet ad alteram partem, neque sufficit ad intellectum
terminandum, quia non resolvit conclusiones in principia per se nota; neque
sufficit ad voluntatem terminandum, ut bonum videatur illi parti adhaerere:
tunc homo opinatur illud cui adhaeret, et non terminatur intellectus ad unum,
quia semper remanet motus ad contrarium: accipit enim unam partem cum
formidine alterius; et ideo opinans non assentit. Quando vero homo non habet
rationem ad alteram partem magis quam ad alteram; vel quia ad neutram habet,
quod nescientis est; vel quia ad utramque habet, sed aequalem, quod
dubitantis est: tunc nullo modo assentit, cum nullo modo determinetur ejus
judicium, sed aequaliter se habeat ad diversas. Patet ergo ex praedictis,
quod cum assensione cogitare separat credentem ab omnibus aliis. Cum enim
cogitatio discursum rationis importet, intelligens assensum sine cogitatione
habet: quia intellectus principiorum est, quae quisque statim probat audita,
secundum Boetium in Lib. de hebdomadibus. Sciens autem et assensum et
cogitationem habet; sed non cogitationem cum assensu, sed cogitationem ante
assensum: quia ratio ad intellectum resolvendo perducit, ut dictum est;
credens autem habet assensum simul et cogitationem; quia intellectus ad
principia per se nota non perducitur: unde, quantum est in se, adhuc habet
motum ad diversa, sed ab extrinseco determinatur ad unum, scilicet ex
voluntate. Opinans autem habet cogitationem sine assensu perfecto; sed habet
aliquid assensus, inquantum adhaeret uni magis quam alii. Dubitans autem
nihil habet de assensu, sed habet cogitationem. Nesciens autem neque assensum
neque cogitationem habet. |
Comme le dit le Philosophe dans Sur l’âme, III, l’opération de l’intellect est double. L’une comprend les quiddités simples des choses : cette opération est appelée par les philosophes la « formation » ou la « simple intelligence »; à cette intelligence correspond un mot simple signifiant cette simple intelligence. De même que, dans un mot simple, on ne trouve pas de vérité ou de fausseté, de même donc [n’en trouve-t-on pas] dans cette opération de l’intellect. De même donc qu’on ne concède pas ni ne nie un mot simple parce qu’il n’y a pas en lui de vérité ni de fausseté, de même l’intellect ne donne-t-il pas son assentiment ou son opposition selon cette opération de l’intellect. Pour cette raison, on ne peut pas trouver de foi, à laquelle il revient de donner son assentiment, dans cette opération, mais dans une autre opération, par laquelle l’intellect compose et divise, et dans laquelle se trouve déjà du vrai et du faux, comme dans l’énonciation. Pour cette raison, l’intellect donne son assentiment ou s’oppose par cette opération, comme une énonciation est aussi concédée ou repoussée. C’est pourquoi la foi, qui comporte un assentiment, se trouve dans cette opération. Comme, en se référant à l’assentiment (assentiendo), on parle d’une position (sententia), qui est l’acceptation déterminée d’une des parties de la contradiction, il faut donc que celui donne son assentiment détermine son intellect à l’une des parties de la contradiction. Or, cela se produit de trois manières, selon une triple considération de notre intellect. En effet, notre intellect peut être considéré en premier lieu en lui-même; ainsi, il est déterminé par la présence de l’intelligible, comme la matière est déterminée par la présence de la forme. Cela se produit pour ce qui devient immédiatement intelligible par la lumière de l’intellect agent, comme c’est le cas des premiers principes, sur lesquels porte l’acte appelé « simple intelligence » (intellectus). De même, le jugement de la partie sensible est-il déterminé par le fait que l’objet sensible est soumis aux sens, dont le principal et le plus certain est la vue. Aussi la connaissance de l’intellect mentionnée plus haut [la simple intelligence] est-elle appelée « vision ». En deuxième lieu, notre intellect peut être considéré selon son rapport à la raison, qui a comme terme l’acte de simple intelligence, lorsque, en ramenant des conclusions à des principes connus par eux-mêmes, il en donne la certitude. C’est là l’assentiment de la science. En troisième lieu, l’intellect est considéré dans son rapport avec la volonté, qui meut toutes les puissances de l’âme à leurs actes. Cette volonté détermine l’intellect à quelque chose qui n’est pas vu par soi et elle ne détermine pas que cela peut se ramener à ce qui est vu par soi, du fait qu’elle estime qu’il est digne d’adhérer pour une autre raison pour laquelle il lui semble bon d’adhérer à cette chose, bien que cette raison ne suffise pas à réaliser la simple intelligence en raison de la faiblesse de l’intellect, qui ne voit pas par lui-même ce à quoi la raison juge devoir donner son assentiment. Elle ne peut pas non plus le ramener à des principes connus par eux-mêmes. C’est cet assentiment qui est appelé au sens propre croire. Aussi dit-on que la foi rend l’intelligence captive, pour autant que celle-ci n’est pas déterminée à quelque chose selon son propre mouvement, mais selon le commandement de la volonté. Ainsi, chez le croyant, la raison n’a-t-elle pas comme terme quelque chose de compris par soi, mais par l’intermédiaire de la volonté. Mais lorsque la raison qui meut à l’une des parties ne suffit pas à parfaire l’acte de comprendre, parce qu’elle ne ramène pas des conclusions aux principes connus par eux-mêmes; lorsqu’elle ne suffit pas non plus à parfaire la volonté de sorte qu’il paraisse bon d’adhérer à cette partie, alors l’homme a une opinion sur ce à quoi il adhère et son intelligence n’a pas comme terme quelque chose d’unique, car le mouvement vers ce qui est contraire demeure toujours : en effet, il accepte une partie en craignant l’autre. C’est pourquoi en ayant une opinion, il ne donne pas son assentiment. Mais lorsqu’un homme n’a pas de raison d’aller dans un sens plutôt que dans l’autre, soit parce qu’il n’en a aucune, ce qui est le cas de l’ignorant, soit parce qu’il en a pour les deux, mais égale, ce qui est le cas de celui qui doute, alors il ne donne son assentiment d’aucune manière, puisque son jugement n’est aucunement déterminé, mais il se trouve devant des [raisons] diverses. Il est donc clair que penser en donnant son assentiment sépare le croyant de tous les autres. En effet, puisque la pensée comporte une démarche de la raison, celui qui intellige (intelligens) a un assentiment sans réflexion, car l’intelligence des principes est celle par laquelle n’importe qui fait aussitôt la preuve de ce qu’il a entendu, selon Boèce dans le Livre sur les semaines. Mais celui qui sait (sciens) a l’assentiment et la pensée, non pas une réflexion avec assentiment, mais une réflexion antérieure à l’assentiment, car la raison conduit à ramener [les conclusions aux premiers principes], comme on l’a dit. Mais le croyant (credens) a en même temps l’assentiment et la réflexion, car la raison n’est pas amenée à des principes connus par eux-mêmes. Par elle-même, elle conserve donc un mouvement vers différentes choses, mais elle est déterminée de l’extérieur à une seule par la volonté. Celui qui opine (opinans) a la réflexion sans un assentiment parfait; mais il a quelque chose de l’assentiment pour autant qu’il adhère davantage à l’une [des parties] qu’à l’autre. Mais celui qui doute (dubitans) n’a rien de l’assentiment, mais il a la réflexion. Cependant, l’ignorant (nesciens) n’a ni l’assentiment ni la réflexion. |
[10478] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quia sensus non habet se ad multa, sed determinate unum
accipit, quia non confert; ideo determinatio potentiae, etiam superioris, a
sensu denominatur, sed differenter: quia determinatio cogitationis ad
aliquid, dicitur assensus, quia aliquid non praecedit; determinatio autem
voluntatis ad unum, dicitur consensus, quia cogitationem praesupponit, cum
qua simul sentit, dum in illud tendit quod ratio bonum esse judicat. Et ideo consentire dicitur voluntatis, sed
assentire intellectus. |
1. Parce que le sens n’a pas de rapport avec plusieurs choses, mais reçoit une seule chose de manière déterminée, puisqu’il n’établit pas de rapport, la détermination d’une puissance, même supérieure, est nommée d’après le sens, mais de manière différente, car la détermination de la réflexion à quelque chose s’appelle assentiment, parce que rien ne précède; mais la détermination de la volonté à une seule chose s’appelle le consentement parce qu’elle présuppose la pensée, avec laquelle elle est d’accord (con-sensus), lorsqu’elle tend vers ce que la raison juge être bon. C’est pourquoi on parle de consentement pour la volonté, mais d’assentiment pour l’intelligence. |
[10479] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod per hoc quod dicit Damascenus, quod fides est non inquisitivus
assensus, excluditur inquisitio rationis intellectum terminantis, non
inquisitio voluntatem inclinans: et ex hoc ipso quod intellectus terminatus
non est, remanet motus intellectui, inquantum naturaliter tendit in sui
determinationem. Unde fides consistit media inter duas cogitationes: quarum
una voluntatem inclinat ad credendum, et haec praecedit fidem; illa vero
tendit ad intellectum eorum quae jam credit: et haec est simul cum assensu
fidei; unde dicitur Isaiae 7, 9: si non credideritis, non intelligetis. |
2. Par ce que dit [Jean] Damascène, que
« la foi est un consentement sans recherche », la recherche de la
raison qui s’achève dans l’intellect est écartée, mais non une recherche qui
incline la volonté. Par le fait même que l’intellect n’a pas atteint son
terme, il demeure un mouvement dans l’intellect, pour autant qu’il tend
naturellement vers sa détermination. La foi se tient donc entre deux
réflexions : l’une incline la volonté à croire, et celle-ci précède la
foi; mais l’autre tend à l’intelligence de ce qu’elle croit déjà, et celle-ci
accompagne l’assentiment de la foi. Aussi est-il dit en Is 7, 9 :
Si vous ne croyez pas, vous ne
comprendrez pas. |
[10480] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod illa potentia quae a philosophis dicitur cogitativa, est in
confinio sensitivae et intellectivae partis, ubi pars sensitiva intellectivam
attingit. Habet enim
aliquid a parte sensitiva, scilicet quod consideret formas particulares; et
habet aliquid ab intellectiva, scilicet quod conferat; unde et in solis
hominibus est. Et quia pars sensitiva notior est quam intellectiva, ideo
sicut determinatio intellectivae partis a sensu denominatur, ut dictum est,
ita collatio omnis intellectus a cogitatione nominatur. |
3. La puissance qui est appelée « cogitative » par les philosophes se situe aux confins de la partie sensible et de la partie intellective, là où la partie sensible est en contact avec la partie intellective. En effet, elle a quelque chose de la partie sensible : le fait de considérer des formes particulières; et elle a quelque chose de la partie intellective : le fait de mettre en rapport. Aussi se trouve-t-elle seulement chez les hommes. Et parce que la partie sensible est plus connue que la partie intellective, puisque la détermination de la partie intellective tire son nom du sens, comme on l’a dit, de même la mise en rapport par tout intellect est-elle appelée « cogitation ». |
[10481] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2
qc. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod jam patet ex dictis quod illa assignatio soli credenti
convenit. |
4. Il ressort déjà de ce qui a été dit que cette attribution convient au seul croyant. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[10482] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam
quaestionem dicendum, quod sicut ex praedictis patet, actus credentis ex
tribus dependet, scilicet ex intellectu, qui terminatur ad unum; ex
voluntate, quae determinat intellectum per suum imperium; et ex ratione, quae
inclinat voluntatem: et secundum hoc tres actus assignantur fidei. Ex hoc
enim quod intellectus terminatur ad unum, actus fidei est credere Deum, quia
objectum fidei est Deus secundum quod in se consideratur, vel aliquid circa
ipsum, vel ab ipso. Ex hoc vero quod intellectus determinatur a voluntate, secundum hoc
actus fidei est credere in Deum, idest amando in eum tendere: est enim
voluntatis amare. Secundum autem quod ratio voluntatem inclinat ad actus
fidei, est credere Deo: ratio enim qua voluntas inclinatur ad assentiendum
his quae non videt, est quia Deus ea dicit: sicut homo in his quae non videt,
credit testimonio alicujus boni viri qui videt ea quae ipse non videt. |
Comme cela ressort de ce qui a été dit, l’acte du croyant dépend de trois choses : la simple intelligence, qui a son terme dans quelque chose d’un; la volonté, qui détermine l’intellect par son commandement; et la raison, qui incline la volonté. Conformément à cela, trois actes sont assignés à la foi. En effet, du fait que la simple intelligence a son terme dans quelque chose d’un, l’acte de foi consiste à croire Dieu, car l’objet de la foi est Dieu selon qu’il est considéré en lui-même ou quelque chose qui le concerne ou qui vient de lui. Mais du fait que l’intellect est déterminé par la volonté, l’acte de foi consiste à croire en Dieu, c’est-à-dire, en aimant, à tendre vers lui : en effet, il relève de la volonté d’aimer. Mais selon que la raison incline la volonté à des actes de foi, [l’acte de foi] consiste à croire à Dieu : en effet, la raison par laquelle la volonté est inclinée à donner son assentiment à ce qu’elle ne voit pas est que Dieu l’a dit, comme l’homme, pour ce qu’il ne voit pas, croit au témoignage d’un homme bon qui voit ce qu’il ne voit pas lui-même. |
[10483] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod per omnia praedicta non nominatur nisi unus completus actus
fidei; sed ex diversis quae in fide inveniuntur diversimode nominatur: illo
enim actu quo credit in Deum, credit Deo, et credit Deum. |
1. Par tout ce qui a été dit, un seul acte de foi complet a été désigné; mais, selon les divers aspects qui se trouvent dans la foi, elle est désignée de diverses manières : en effet, dans l’acte par lequel elle croit en Dieu, elle croit à Dieu et elle croit Dieu. |
[10484] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod quamvis Deum esse, simpliciter possit demonstrari; tamen Deum
esse trinum et unum, et alia hujusmodi, quae fides in Deo credit, non possunt
demonstrari; secundum quae est actus fidei credere Deum. |
2. Bien qu’on puisse simplement démontrer que Dieu existe, on ne peut cependant démontrer que Dieu est trine et un et les autres choses de ce genre, que la foi croit à propos de Dieu, aspects selon lesquels l’acte de foi croit à Dieu. |
[10485] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod fidelis credit homini non inquantum homo, sed inquantum Deus
in eo loquitur, quod ex certis experimentis colligere potest: infidelis autem
non credit Deo in homine loquenti. |
3. Le fidèle croit à l’homme non pas en tant qu’homme, mais en tant que Dieu parle en lui, ce qu’il peut conclure de diverses preuves. Mais l’infidèle ne croit pas à Dieu qui parle dans l’homme. |
[10486] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod amare simpliciter est actus caritatis: sed
amando credere est actus fidei per caritatem motae ad actum suum. |
4. Aimer est simplement un acte de charité; mais croire en aimant est un acte de la foi mue à son acte par la charité. |
[10487] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod illa quatuor pertinent ad fidem secundum
ordinem ad voluntatem, ut dictum est; voluntas autem est finis; et ideo ista
quatuor distinguuntur secundum ea quae exiguntur ad consecutionem finis.
Praeexigitur enim primo affectio ad finem; et ad hoc pertinet credendo amare.
Ex amore autem et desiderio finis aliquis in finem incipit moveri; et ad hoc
pertinet credendo in eum ire. Motus autem ad finem perducit ad hoc quod
aliquis fini conjungatur; et ad hoc pertinet credendo ei adhaerere. Ex
conjunctione autem ad finem aliquis in participationem perfectionum finis
perducitur; et ad hoc pertinet credendo membris ejus incorporari. |
5. Ces quatre choses concernent la foi dans son rapport avec la volonté, comme on l’a dit. Or, la volonté porte sur la fin. Aussi ces quatre choses se distinguent-elles selon ce qui est requis pour l’obtention de la fin. En effet, est d’abord exigée, en premier lieu, l’affection de la fin : à cela se rapporte le fait d’aimer en croyant, Or, à partir de l’amour et du désir de la fin, on commence à être mû vers la fin : à cela se rapporte le fait d’aller vers lui en croyant. Or, le mouvement vers la fin conduit à ce que l’on soit uni à la fin : à cela se rapporte le fait d’adhérer à lui en croyant. Or, a partir de l’union à la fin, on est amené à participer aux perfections de la fin : et à cela se rapporte le fait d’être incorporé à ses membres en croyant. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
|
[10488] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod certitudo nihil aliud est quam
determinatio intellectus ad unum. Tanto autem major est certitudo, quanto est
fortius quod determinationem causat. Determinatur autem intellectus ad unum
tripliciter, ut dictum est. In intellectu enim principiorum causatur determinatio
ex hoc quod aliquid per lumen intellectus sufficienter inspici per ipsum
potest. In scientia vero conclusionum causatur determinatio ex hoc quod
conclusio secundum actum rationis in principia per se visa resolvitur: in
fide vero ex hoc quod voluntas intellectui imperat. Sed quia voluntas hoc
modo non determinat intellectum ut faciat inspici quae creduntur, sicut
inspiciuntur principia per se nota, vel quae in ipsa resolvuntur; sed hoc
modo ut intellectus firmiter adhaereat; ideo certitudo quae est in scientia
et intellectu, est ex ipsa evidentia eorum quae certa esse dicuntur;
certitudo autem fidei est ex firma adhaesione ad id quod creditur. In his
ergo quae per fidem credimus, ratio voluntatem inclinans, ut dictum est, est
ipsa veritas prima, sive Deus, cui creditur, quae habet majorem firmitatem
quam lumen intellectus humani, in quo conspiciuntur principia, vel ratio humana,
secundum quam conclusiones in principia resolvuntur; et ideo fides habet
majorem certitudinem quantum ad firmitatem adhaesionis, quam sit certitudo
scientiae vel intellectus: quamvis in scientia et intellectu sit major
evidentia eorum quibus assentitur. |
La certitude n’est rien d’autre que la détermination de l’intellect à une seule chose. Or, la certitude est d’autant plus grande qu’est plus fort ce qui cause la détermination. Cependant, l’intellect est déterminé à une seule chose de trois manières, comme on l’a dit. En effet, dans la simple intelligence, la détermination des principes est causée par le fait que quelque chose peut être suffisamment regardé par lui à la lumière de l’intellect. Mais, dans la science, la détermination des conclusions est causée par le fait qu’une conclusion se ramène, selon l’acte de la raison, aux principes vus en eux-mêmes. Mais, dans la foi, [la détermination est causée] par le fait que la volonté commande à la raison. Toutefois, parce que la volonté ne détermine pas l’intellect en lui faisant observer ce qui est cru, comme sont regardés les principes connus par soi ou ce qui est ramené à eux, de manière à ce que l’intellect adhère solidement, c’est la raison pour laquelle la certitude qui existe dans la science et dans la simple intelligence vient de l’évidence même de ce qu’on dit être certain, mais la certitude de la foi vient de la ferme adhésion à ce qui est cru. Dans ce que nous croyons par la foi, la raison inclinant la volonté, comme on l’a dit, est la Vérité première elle-même, Dieu, à qui l’on croit, qui a une solidité plus grande que la lumière de l’intellect humain, par lequel les principes sont regardés, ou la raison humaine, selon que les conclusions sont ramenées aux principes. C’est pourquoi la foi possède une plus grande certitude, pour ce qui est de la solidité de l’adhésion, que la certitude de la science ou de la simple intelligence, bien que, dans la science et dans la simple intelligence, existe une plus grande évidence de ce à quoi l’on donne son assentiment. |
[10489] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod certitudo fidei dicitur media inter certitudinem scientiae et
opinionis non intensive per modum quantitatis continuae, sed extensive per
modum numeri. Certitudo enim
scientiae consistit in duobus, scilicet in evidentia, et firmitate
adhaesionis. Certitudo autem fidei consistit in uno tantum, scilicet in
firmitate adhaesionis. Certitudo vero opinionis in neutro. Quamvis certitudo
fidei, de qua loquimur, quantum ad illud unum sit vehementior quam certitudo
scientiae quantum ad illa duo. Vel dicendum, quod loquitur de fide quae est opinio firmata
rationibus, non autem de fide infusa. |
1. On dit que la certitude de la foi est intermédiaire entre la certitude de la science et celle de l’opinion, non pas selon l’intensité, à la manière d’une quantité continue, mais selon l’étendue, à la manière d’un nombre. En effet, la certitude de la science consiste en deux choses : l’évidence et la solidité de l’adhésion. Mais la certitude de la foi consiste dans une seule chose : la solidité de l’adhésion. Mais la certitude de l’opinion [ne consiste] en aucune des deux choses. Bien que la certitude la foi dont nous parlons soit plus intense sous ce seul aspect que la certitude de la science sous les deux aspects. Ou bien il faut dire qu’on parle de la foi qui est une opinion confirmée appuyée sur des arguments, mais non de la foi infuse. |
[10490] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod credenti accidit aliquis motus dubitationis ex hoc quod
intellectus ejus non est secundum se terminatus in sui intelligibilis
visione, sicut est in scientia et intellectu, sed solum ex imperio
voluntatis; et ideo sciens quantum ad id non recedit a dubietate magis quam
credens; sed credens secundum firmitatem adhaesionis magis recedit quam
sciens secundum illa duo. |
2. Le croyant connaît un mouvement de doute du fait que son intellect n’atteint pas son terme dans la vision de son objet intelligible, comme c’est le cas pour la science et pour la simple intelligence, mais seulement par le commandement de la volonté. C’est pourquoi, sur ce point, celui qui sait ne s’éloigne pas du doute plus que celui qui croit; mais le croyant s’éloigne davantage de celui qui sait, selon ces deux choses, par la solidité de son adhésion. |
[10491] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod ratio illa ex insufficienti procedit, ut dictum est. |
3. Cet argument vient de quelque chose d’insuffisant, comme on l’a dit. |
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Articulus 3 [10492] Super Sent., lib. 3
d. 23 q. 2 a. 3 tit. Utrum fides sit in voluntate sicut in subjecto |
Article 3 – La foi a-t-elle la volonté comme sujet ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La foi a-t-elle la volonté comme sujet ?] |
[10493] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod fides sit in voluntate sicut
in subjecto. Quia, secundum Hugonem de Sanct. Vict., fides habet in
cogitatione materiam, sed in affectu substantiam. Sed illud est subjectum accidentis ubi est
sua essentia quae substantia dicitur. Ergo fides est in affectu sicut in
subjecto. |
1. Il semble que la foi n’ait pas la volonté comme sujet, car, selon Hugues de Saint-Victor, « la foi trouve sa matière dans l’intellect, mais sa substance dans l’affectivité ». Or, le sujet d’un accident est là où se trouve son essence, qui est appelée sa substance. La foi se trouve donc dans l’affectivité comme dans son sujet. |
[10494] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3
qc. 1 arg. 2 Praeterea,
sicut certitudo scientiae est ex intellectu, ita certitudo fidei est ex
voluntate: quia credere non potest homo, nisi velit, ut dicit Augustinus. Sed
subjectum scientiae est intellectus. Ergo eadem ratione subjectum fidei est
voluntas. |
2. De même que la certitude de la science se trouve dans l’intellect, de même la certitude de la foi se trouve-t-elle dans la volonté, car « l’homme ne peut croire que s’il le veut », comme le dit Augustin. Or, le sujet de la science est l’intellect. Pour la même raison, le sujet de la foi est donc la volonté. |
[10495] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, meritum in voluntate consistit. Sed actus fidei est meritorius. Ergo est
actus voluntatis. |
3. Le mérite se trouve dans la volonté. Or, l’acte de foi est méritoire. Il est donc un acte de la volonté. |
[10496] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3
qc. 1 arg. 4 Praeterea,
opposita sunt circa idem. Sed infidelitas est in voluntate, quia secundum
quod est in intellectu, habet ignorantiam, quae non est peccatum, sed
excusat. Ergo fides est
in voluntate. |
4. De plus, les contraires concernent la même chose. Or, l’infidélité se trouve dans la volonté, car, selon qu’elle se trouve dans l’intellect, elle comporte une ignorance, qui n’est pas un péché, mais qui l’excuse. La foi se trouve donc dans la volonté. |
[10497] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
objectum habitus concordat objecto potentiae, quae est ejus subjectum. Sed
objectum fidei est verum, quod est objectum intellectus; non autem bonum quod
est objectum voluntatis. Ergo subjectum fidei non est voluntas sed
intellectus. |
Cependant, [1] l’objet d’un habitus coïncide avec l’objet de la puissance qui est son sujet. Or, l’objet de la foi est le vrai, qui est l’objet de l’intellect, mais non le bien, qui est l’objet de la volonté. Le sujet de la foi n’est donc pas la volonté, mais l’intellect. |
[10498] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, ad eamdem vim pertinet fides et id quod fidei succedit in
gloria. Sed id quod fidei succedit, scilicet visio, pertinet ad intellectum. Ergo et fides. |
[2] La foi concerne la même puissance que ce qui succède à la foi dans la gloire. Or, ce qui succède à la foi, la vision, se rapporte à l’intellect. Donc, la foi aussi. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La foi
relève-t-elle de l’intellect pratique ?]
|
[10499] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod pertineat ad intellectum practicum. Sicut enim
dicit philosophus in 3 de anima, intellectus speculativus nihil dicit de
fugiendo vel amabili. Sed per fidem instruimur quid vitare debeamus. Ergo
fides est in intellectu practico. |
1. Il semble que [la foi] relève de l’intellect pratique. En effet, ainsi que le dit le Philosophe dans Sur l’âme, III, l’intellect spéculatif ne dit rien à propos de ce qui doit être fui ou aimé. Or, par la foi, nous sommes instruits de ce que nous devons éviter. La foi se trouve donc dans l’intellect pratique. |
[10500] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
intellectus speculativus proportionaliter respondet imaginationi, sicut
intellectus practicus aestimationi, quae est in parte sensitiva. Sed
imaginatio non facit confidentiam et terrorem, ut dicitur in 2 de anima, immo
per eam nos habemus ad terribilia ac si essemus in pictura considerantes.
Ergo nec intellectus speculativus. Sed fides est principium spei et facit
tremorem: quia Daemones credunt et contremiscunt, ut dicitur Jacob. 1. Ergo fides non est in
intellectu speculativo. |
2. L’intellect spéculatif correspond proportionnellement à l’imagination, comme l’intellect pratique [correspond] à l’estimative, qui se trouve dans la partie sensible. Or, l’imagination ne suscite pas la confiance et la terreur, ainsi qu’il est dit dans Sur l’âme, II, bien plus, nous regardons ce qui est objet de terreur comme si nous étions devant une peinture. Donc, l’intellect spéculatif [ne suscite pas la confiance ni la terreur]. Or, la foi est principe d’espérance et fait trembler, car les démons croient et tremblent, ainsi qu’il est dit en Jc 1. La foi ne se trouve donc pas dans l’intellect spéculatif. |
[10501] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3
qc. 2 arg. 3 Praeterea,
intellectus speculativus non permiscetur voluntati, sed practicus. Fides
autem consistit in intellectu et voluntate, ut dictum est. Ergo subjectum ejus non est intellectus
speculativus sed practicus. |
3. L’intellect spéculatif ne se mêle pas à a volonté, mais l’intellect pratique [le fait]. Or, la foi se trouve dans l’intellect et dans la volonté, comme on l’a dit. Son sujet n’est donc pas l’intellect spéculatif, mais l’intellect pratique. |
[10502] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, intellectus practicus est contingentium operabilium a
nobis. Sed fides est
aeternorum. Ergo fides non est in intellectu practico. |
Cependant, [1] l’intellect pratique porte sur des choses contingentes qui peuvent être accomplies par nous. Or, la foi porte sur des réalités éternelles. La foi ne se trouve donc pas dans l’intellect pratique. |
[10503] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3
qc. 2 s. c. 2 Praeterea,
cognitio practica est causa cognitorum. Sed fides non est causa rerum quae
creduntur. Ergo non est
in intellectu practico. |
[2] La connaissance pratique est cause de ce
qui est connu. Or, la foi n’est pas cause de ce qui est cru. Elle ne se
trouve donc pas dans l’intellect pratique. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La foi
est-elle une vertu intellectuelle ?]
|
[10504] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod sit virtus intellectualis. Virtus enim intellectualis est quae habet pro
subjecto intellectum. Sed fidei subjectum est intellectus. Ergo est virtus
intellectualis. |
1. Il semble que [la foi] soit une vertu intellectuelle. En effet, une vertu intellectuelle est celle qui a l’intellect comme sujet. Or, le sujet de la foi est l’intellect. Elle est donc une vertu intellectuelle. |
[10505] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3
qc. 3 arg. 2 Praeterea,
articuli fidei, quorum est fides, sunt sicut principia in aliis scientiis, ex
quibus procedit theologia. Sed intellectus principiorum est virtus
intellectualis, ut patet per philosophum in 6 Ethic. Ergo et fides
articulorum est virtus intellectualis. |
2. Les articles de foi, sur lesquels porte la foi, sont comme les principes dans les autres sciences : la théologie avance à partir d’eux. Or, l’intelligence des principes est une vertu intellectuelle, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Éthique, VI. La foi qui porte sur les articles [de foi] est donc une vertu intellectuelle. |
[10506] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3
qc. 3 arg. 3 Praeterea, virtus
intellectualis, ut dicit philosophus in 6 Ethic., est per quam non dicitur
nisi verum. Sed fidei
falsum subesse non potest. Ergo fides est virtus intellectualis. |
3. Comme le dit le Philosophe dans Éthique, VI, une vertu intellectuelle est celle par laquelle on ne dit que ce qui est vrai. Or, ce qui est faux ne peut pas relever de la foi. La foi est donc une vertu intellectuelle. |
[10507] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3
qc. 3 s. c. 1 Sed contra est
quod philosophus dicit in 6 Ethic., quod suspicio non est virtus
intellectualis, sicut nec opinio; et eadem ratione nec fides, quae est ex
eorum genere. |
Cependant, [1] le Philosophe dit en sens inverse, dans Éthique, VI, que le soupçon n’est pas une vertu intellectuelle, pas plus que l’opinion. Pour la même raison, la foi non plus, qui fait partie de leur genre. |
[10508] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3
qc. 3 s. c. 2 Praeterea,
virtus est ultimum in re de potentia, ut dicitur in 1 de caelo et Mun. Sed
fides non ponit intellectum in ultimum sui, quia per ipsam intellectus non
terminatur in aliqua visione. Ergo fides non est virtus intellectualis. |
[2] La vertu est le point ultime d’une puissance, comme il est dit dans Sur le ciel et le monde, I. Or, la foi ne fait pas de l’intellect sa réalité ultime, car l’intellect n’aboutit pas par elle à la vision. La foi n’est donc pas une vertu intellectuelle. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[10509] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo
dicendum ad primam quaestionem, quod voluntas importat actum intellectus
sicut et actum irascibilis et concupiscibilis. Ad hoc autem quod actus
irascibilis et concupiscibilis sit perfectus, oportet quod non solum sit
aliquis habitus in voluntate vel ratione imperante, sed etiam quod sit
aliquis habitus in irascibili et concupiscibili exequente, ut faciliter actum
exequatur; unde et oportet aliquem habitum esse in intellectu ad hoc quod
voluntati faciliter obediat in his quae sunt supra rationem; et hoc est
habitus fidei; et ideo subjectum fidei est intellectus. |
La volonté implique un acte de l’intellect, comme un acte de l’irascible et du concupiscible. Or, pour que l’acte de l’irascible et du concupiscible soit parfait, il est nécessaire qu’existe non seulement un habitus dans la volonté ou dans la raison qui commande, mais aussi qu’existe un habitus dans l’irascible et le concupiscible qui exécutent, afin qu’ils exécutent facilement l’acte. Il est donc nécessaire qu’existe dans l’intellect un habitus pour que celui-ci obéisse facilement à la volonté pour ce qui dépasse la raison. C’est là l’habitus de la foi. Le sujet de la foi est donc l’intellect. |
[10510] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod substantia non sumitur ibi pro essentia,
sed pro forma. Fidei autem
forma quodammodo est caritas, ut infra patebit, quae in voluntate est. |
1. « Substance » ne signifie pas là « essence », mais forme. Or, la forme de la foi est d’une certaine manière la charité, comme cela ressortira plus loin, laquelle se trouve dans la volonté. |
[10511] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod scientia et intellectus habent certitudinem per id quod ad
cognitionem pertinet, scilicet evidentiam ejus cui assentitur; fides autem
habet certitudinem ab eo quod est extra genus cognitionis, in genere
affectionis existens; et ideo scientia et intellectus est sicut in subjecto
in eo a quo habet certitudinem, non autem fides. |
2. La science et la simple intelligence obtiennent leur certitude par ce qui se rapporte à la connaissance : l’évidence de ce à quoi elles donnent leur assentiment. Mais la foi tient sa certitude de ce qui se trouve hors du genre de la connaissance, et qui se trouve dans le genre de l’affectivité. C’est pourquoi la science et la simple intelligence se trouvent dans ce dont elles tiennent leur certitude comme dans leur sujet, mais non la foi. |
[10512] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod meritum consistit in voluntate sicut in
causa, inquantum ipsa semper importat actum meritorium; non autem semper in
ipsa est sicut in subjecto: quia actus meritorius quandoque elicitur ab aliis
potentiis. |
3. Le mérite se trouve dans la volonté comme dans sa cause, pour autant qu’elle suscite toujours un acte méritoire; mais il ne se trouve pas toujours en elle comme dans son sujet, car l’acte méritoire est parfois issu d’autres puissances. |
[10513] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3
qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod infidelitas est etiam in intellectu
sicut in subjecto; in voluntate autem sicut in imperante infidelitatis actum
ut est, actus infidelitatis demeritorius. |
4. L’infidélité se trouve aussi dans l’intellect comme dans son sujet; mais l’acte déméritoire se trouve dans la volonté comme celle qui commande l’acte d’infidélité. |
Quaestiuncula
2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[10514] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod intellectus speculativus et
practicus in hoc differunt quod intellectus speculativus considerat verum
absolute, practicus autem considerat verum in ordine ad opus. Contingit autem
quandoque quod verum ipsum quod in se considerabatur, non potest considerari
ut regula operis, sicut accidit in mathematicis, et in his quae a motu
separata sunt; unde hujusmodi veri consideratio est tantum in intellectu
speculativo. Quandoque autem verum quod in re consideratur, potest ut regula
operis considerari: et tunc intellectus speculativus fit practicus per
extensionem ad opus. Hoc autem
contingit dupliciter. Quia aliquando illud verum quod utroque modo potest
considerari, non habet magnam utilitatem, nisi inquantum ordinatur ad opus:
quia cum sit contingens, non habet fixam veritatem: sicut est consideratio de
operibus virtutum; et tunc talis consideratio, quamvis possit esse et
speculativi et practici intellectus, tamen principaliter est practici
intellectus. Aliquando vero illius veri consideratio habet in se dignitatem
quamdam, etiam si nunquam ad opus ordinetur, sicut accidit in consideratione
divinorum, quorum cognitio dirigit in opere; et tamen visio Dei est ultimus
finis operis; et tunc illa consideratio principaliter est in intellectu
speculativo, et secundario in practico. Cum ergo fidei objectum proprium sit
veritas prima, quae, inquantum est finis operis, regulat in opere: fides
principaliter erit in intellectu speculativo, et secundario in practico: quia
intellectus speculativus et practicus non sunt diversae potentiae, sed
differunt fine, ut dicitur in 2 Metaphys., et 3 de anima, inquantum practicus
ordinatur ad opus, speculativus autem ad veritatis inspectionem tantum. |
L’intellect spéculatif et l’intellect pratique diffèrent en ce que l’intellect spéculatif considère le vrai de manière absolue, mais l’intellect pratique considère le vrai en rapport avec une œuvre. Or, il arrive parfois que le vrai qui était considéré en soi ne puisse être considéré comme règle d’une œuvre, comme cela se produit en mathématique et dans ce qui est séparé du mouvement. La considération de ce vrai se trouve donc seulement dans l’intellect spéculatif. Mais parfois le vrai qui est considéré dans une chose peut être considéré comme règle de l’œuvre : l’intellect spéculatif devient alors pratique en allant jusqu’à l’œuvre. Or, cela se produit de deux manières. Parce que ce vrai peut parfois être considéré des deux façons, il n’est d’une grande utilité que s’il est ordonné à l’œuvre, car, s’il est contingent, il ne comporte pas de vérité fixe, comme c’est le cas des actes des vertus. Une telle considération, bien qu’elle puisse relever de l’intellect spéculatif ou de l’intellect pratique, relève principalement de l’intellect pratique. Mais parfois la considération de ce vrai a en elle-même une certaine dignité, même si elle n’est jamais ordonnée à une œuvre, comme cela se produit pour la considération des réalités divines, dont la connaissance dirige l’action; et cependant la vision de Dieu est la fin ultime de l’action. Cette considération se trouve alors principalement dans l’intellect spéculatif et secondairement dans l’intellect pratique. Puisque l’objet propre de la foi est la Vérité première qui, en tant qu’elle est la fin de l’action, joue le rôle de règle pour l’action, la foi se trouvera donc principalement dans l’intellect spéculatif et secondairement dans l’intellect pratique, car l’intellect spéculatif et l’intellect pratique ne sont pas des puissances différentes, mais ils diffèrent par leur fin, comme il dit dans Métaphysique, II, et dans Sur l’âme, III, pour autant que l’intellect pratique est ordonné à l’action, mais l’intellect spéculatif à l’observation de la vérité seulement. |
[10515] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod fides inclinat ad operandum et fugiendum, inquantum illud
verum quod in se considerari potest, accipitur ut regula operis. |
1. La foi incline à agir et à fuir pour autant que cette vérité qui peut être considérée en elle-même est prise comme règle de l’action. |
[10516] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod inquantum verum quod fides considerat, accipitur ut conveniens
vel contrarium, secundum hoc fides inducit vel tremorem vel spem vel aliquid
hujusmodi. |
2. Pour autant que la vérité que considère la foi est prise comme appropriée ou contraire, la foi entraîne ainsi le tremblement, l’espérance ou quelque chose de ce genre. |
[10517] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3
qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod conjunctio intellectus ad voluntatem
non facit intellectum practicum, sed ordinatio ejus ad opus: quia voluntas
communis est et speculativo et practico: voluntas enim est finis; sed finis
invenitur in speculativo et practico intellectu. |
3. L’union de l’intellect à la volonté ne fait pas l’intellect pratique, mais sa mise en rapport avec une action, car la volonté est commune à l’intellect spéculatif et à l’intellect pratique. En effet, la volonté porte sur la fin, mais la fin se rencontre dans l’intellect spéculatif et dans l’intellect pratique. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
|
[10518] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod cum virtus ponat potentiam in
ultimo quantum ad actum, non sufficit ad rationem virtutis quod potentia per
actum ponatur in ultimo quantum ad objectum, sed oportet quod ponatur in
ultimo quantum ad modum agendi, ut scilicet actus sit bonus non solum ex eo
quod bonum est quod fit, sed eo quod bene fit, sicut patet in virtutibus
moralibus. Bonum autem
intellectus est verum, quod est finis et perfectio ejus. Unde non sufficit ad
rationem virtutis intellectualis quod per eam cognoscatur verum; sed oportet
quod actus quo verum consideratur, sit perfectus etiam ex modo, ut bene quis
intelligat. Bene autem
operari intellectum, non contingit ex hoc quod ex bona voluntate ejus
operatio procedit, ut dictum est; sed efficacia intellectus ad objectum
proprium conspiciendum vel in se vel per resolutionem ad id quod in se conspicitur.
Fides autem per actum suum ponit intellectum in ultimo quantum ad objectum,
inquantum facit assentire primae veritati; non autem quantum ad modum
proprium ipsius intellectus: quia intellectus noster non est per fidem tantae
efficaciae, ut id quod credit, inspicere per se possit, vel ad ea quae
inspicit reducere; et ideo fides non est virtus intellectualis. |
Puisque la vertu établit la puissance en son point ultime par rapport à son acte, il ne suffit pas pour la raison de vertu que la puissance soit établie par son acte au point ultime par rapport à son objet, mais il est nécessaire qu’elle soit établie en son point ultime par rapport à sa manière d’agir, de sorte que l’acte soit bon non seulement parce que ce qui est accompli est bon, mais la manière dont cela est accompli, comme cela ressort dans les vertus morales. Or, le bien de l’intellect est le vrai, qui est sa fin et sa perfection. Il ne suffit donc pas pour la raison de vertu intellectuelle que le vrai soit connu par elle, mais il est nécessaire que l’acte qui considère le vrai soit parfait aussi par sa manière, de sorte que l’on intellige bien. Or, la bonne opération de l’intellect ne vient pas du fait que son opération vienne d’une volonté bonne, comme on l’a dit, mais de l’efficacité de l’intellect pour regarder son objet propre en lui-même ou en le ramenant à ce qui est regardé en soi. Or, la foi place par son acte l’intellect en son point ultime du point de vue de son objet, pour autant qu’elle réalise un assentiment à la Vérité première, mais non quant à la manière qui est propre à l’intellect, car notre intellect n’a pas par la foi un telle efficacité qu’il puisse observer ce qu’il croit en soi ou ramener [ce qu’il observe] à ce qu’il observe. Aussi la foi n’est-elle pas une vertu intellectuelle. |
[10519] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod non omnis habitus qui habet pro subjecto intellectum potest
dici virtus intellectualis, nisi perficiat intellectum et quantum ad objectum
et quantum ad modum actus. |
1. Ce n’est pas n’importe quel habitus qui a l’intellect pour sujet et qui peut être appelé une vertu intellectuelle, à moins qu’il ne perfectionne l’intellect quant à son objeet et quant à au mode de son acte. |
[10520] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod ad principia aliarum scientiarum videnda sufficit lumen
intellectus agentis; et ideo habitus illorum principiorum est virtus; sed ad
visionem articulorum neque lumen intellectus agentis sufficit, neque lumen
fidei; et ideo non est virtus intellectualis. |
2. Pour voir les principes des autres sciences, la lumière de l’intellect agent suffit. C’est pourquoi l’habitus qui porte sur ces principes est une vertu. Mais pour la vision des articles [de foi], ne suffisent ni la lumière de l’intellect agent, ni celle de la lumière de la foi. C’est pourquoi [la foi] n’est pas une vertu intellectuelle. |
[10521] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod hoc quod fides non errat, sed semper verum dicit, non est ex
perfecto modo intelligendi, sed magis ex alio quod est extra intellectum,
scilicet ex infallibili ratione, quae dirigit voluntatem. |
3. Le fait que la foi n’erre pas, mais dit toujours ce qui est vrai ne vient pas du mode parfait d’intelliger, mais plutôt de quelque chose d’autre qui est extrinsèque à l’intellect : de la raison infaillible qui dirige la volonté. |
|
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Articulus 4 [10522] Super Sent., lib. 3
d. 23 q. 2 a. 4 tit. Utrum fides sit virtus, et utrum sit habitus |
Article 4 – La foi est-elle une vertu et est-elle un habitus ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La foi est-elle une vertu ?] |
[10523] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod fides nullo modo sit virtus.
Nulla enim virtus praeter intellectualem habet verum pro objecto, nec est
habitus cognitivus, sed operativus. Sed fides est habitus cognitivus, et habet verum pro objecto. Ergo cum
non sit virtus intellectualis, videtur quod nullo modo possit dici virtus. |
1. Il semble que la foi ne soit aucunement une vertu. En effet, aucune vertu, à part une vertu intellectuelle, n’a le vrai comme objet, et elle n’elle pas un habitus cognitif, mais un habitus opératoire. Or, la foi est un habitus cognitif et elle a le vrai comme objet. Puisqu’elle n’est pas une vertu intellectuelle, il semble donc qu’elle ne puisse aucunement être appelée une vertu. |
[10524] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, credere videtur univoce dici, secundum quod dicimur aliis
credere. Sed fides
aliorum non est virtus. Ergo nec fides articulorum. |
2. On parle de croire d’une manière univoque lorsqu’on dit que nous croyons les autres. Or, la foi aux autres n’est pas une vertu. Donc, ni la foi aux articles [de foi]. |
[10525] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
omne quod est contra rationem, est vituperabile: quia malum hominis est
contra rationem esse, ut dicit Dionysius. Sed fides cum faciat abnegare
rationem, videtur contra rationem esse. Ergo credere est vituperabile; ergo
fides non est virtus. |
3. Tout ce qui va contre la raison est blâmable, car le mal pour l’homme consiste à être contraire à la raison, comme le dit Denys. Puisqu’elle fait renoncer la raison, la foi semble donc être contraire à la raison. Croire est donc blâmable. La foi n’est donc pas une vertu. |
[10526] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 4 Praeterea, sicut per fidem cognoscimus ea quae sunt supra rationem,
ita et per prophetiam. Sed prophetia
non dicitur virtus. Ergo nec fides. |
4. De même que, par la foi, nous connaissons ce qui dépasse la raison, de même en est-il pour la prophétie. Or, la prophétie n’est pas appelée une vertu. Donc, ni la foi. |
[10527] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4
qc. 1 arg. 5 Praeterea, in Deo
dicuntur esse virtutes exemplares. Sed fides non habet exemplar in Deo. Ergo fides non est virtus. |
5. On dit qu’en Dieu se trouvent les vertus qui ont caractère de modèles. Or, la foi n’a pas son modèle en Dieu. La foi n’est donc pas une vertu. |
[10528] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, nihil
justificat nisi virtus. Sed fides justificat; Rom. 5, 1: justificati ergo
ex fide. Ergo fides est
virtus. |
Cependant, [1] rien ne justifie à part la vertu. Or, la foi justifie, Rm 5, 1 : Justifiés donc par la foi. La foi est donc une vertu. |
[10529] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, vita
spiritualis est per virtutem. Est autem vita spiritualis per fidem, ut
dicitur Rom. 1 et 2. Ergo fides est
virtus. |
[2] La vie spirituelle se réalise par la vertu. Or, la vie spirituelle existe par la foi, comme il est dit dans Rm 1 et 2. La foi est donc une vertu. |
[10530] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 3 Praeterea, per virtutes efficimur filii Dei. Hoc autem fit per fidem;
Joan. 1, 12: dedit eis potestatem filios Dei fieri, his qui credunt in
nomine ejus. Ergo fides est
virtus. |
[3] Nous devenons fils de Dieu par les vertus. Or, cela se réalise par la foi, Jn 1, 12 : Il a donné de pouvoir devenir fils de Dieu à ceux qui croient en son nom. La foi est donc une vertu. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La foi
est-elle une seule vertu ?]
|
[10531] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod fides non sit una virtus. Quidam enim articuli fidei sunt de
aeternis, ut qui pertinent ad Trinitatem personarum; quidam vero de
temporalibus, sicut qui pertinent ad incarnationem Christi. Sed scientia et
sapientia sunt diversa dona per hoc quod sunt de temporalibus et aeternis.
Ergo fides non est una virtus. |
1. Il semble que la foi ne soit pas une seule vertu. En effet, certains articles portent sur des réalités éternelles, tels ceux qui se rapportent à la Trinité des personnes, mais certains sur des réalités temporelles, tels ceux qui se rapportent à l’incarnation du Christ. Or, la science et la sagesse sont des dons différents par le fait qu’elles portent [respectivement] sur des réalités temporelles et sur des réalités éternelles. La foi n’est donc pas une seule vertu. |
[10532] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4
qc. 2 arg. 2 Praeterea, spes
et timor differunt per hoc quod spes est de bonis futuris, timor vero de
malis. Sed fides est
de utrisque, quia est de suppliciis et praemiis. Ergo fides non est una
virtus. |
2. L’espérance et la crainte diffèrent par le fait que l’espérance porte sur les biens futurs, mais la crainte sur les maux. Or, la foi porte sur les deux, car elle porte sur les supplices et sur les récompenses. La foi n’est donc pas une seule vertu. |
[10533] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4
qc. 2 arg. 3 Praeterea, ad
fidem pertinent multa quae sunt moralis philosophiae, sicut fornicationem
esse mortale peccatum; et quae sunt naturalis, sicut mundum non esse
aeternum; et quae sunt philosophiae primae, sicut Deum habere curam de
actibus humanis. Ergo videtur
quod fides non sit unus habitus. |
3. Beaucoup de choses qui font partie de la philosophie morale se rapportent à la foi, comme le fait que la fornication est un péché mortel; et à la philosophie naturelle, comme le fait que le monde n’est pas éternel; et à la philosophie première, comme le fait que Dieu prend soin des actes humains. Il semble donc que la foi ne soit pas un seul habitus. |
[10534] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Ephes. 4, 5: una
fides. |
Cependant,
[1] Ep 4, 5 dit : Il n’y a qu’une seule foi. |
[10535] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4
qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut
prudentia dirigit intentionem in politicis, ita fides in gratuitis, ut dicit
Augustinus. Sed prudentia
est una, quamvis in diversis intentionem dirigat. Ergo et fides. |
[2] « De même que la prudence dirige l’intention en matière politique, de même la foi pour les réalités gratuites », comme le dit Augustin. Or, la prudence est une, bien qu’elle dirige l’intention en diverses matières. Donc aussi, la foi. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[10536] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut supra dictum
est, cum virtutis sit reddere opus bonum, operatio potest dici bona vel
formaliter, inquantum procedit ex potentia quae movetur in bonum secundum
rationem boni, vel materialiter, secundum quod est congruus et connaturalis
potentiae. Et utroque
modo actus fidei est bonus; quia et congruit intellectui inquantum est
verorum; et iterum procedit a voluntate imperante, quae movetur in bonum
quasi in objectum. Ex parte autem intellectus, quamvis habeat bonitatem
ratione objecti, non tamen habet perfectionem, quia deficit modus, ut dictum
est, eo quod non habeat conspicuam veritatem, cui adhaeret. Sed ex parte
voluntatis potest habere perfectionem; inquantum voluntas perfecta in
appetitu boni firmitatem et certitudinem facit in fide: et ideo Bernardus
dicit, quod fides est voluntaria quaedam et certa praelibatio nondum
propalatae veritatis. Unde patet quod fides est virtus, non quidem
intellectualis, sed eo modo quo communiter loquimur de virtute, quae producit
actum bonum ex bonitate voluntatis procedentem. Nec tamen est virtus moralis:
quia non est ordinativa appetitus sensibilis, ut consistat circa
delectationes et tristitias et operationes, sicut circa materiam et objectum:
sed est virtus theologica; quod quidem genus philosophi non cognoverunt. |
Comme on l’a dit dit plus haut, puisqu’il revient à la vertu de rendre l’action bonne, l’opération peut être appelée bonne soit formellement, pour autant qu’elle est issue d’une puissance qui est mue vers le bien selon la raison de bien, soit matériellement, selon qu’elle est appropriée et connaturelle à une puissance. L’acte de foi est bon des deux manières, car il convient à l’intellect pour autant que celui-ci porte sur ce qui est vrai, et il est issu de la volonté qui commande, qui meut vers le bien comme vers son objet. Mais, du point de vue de l’intellect, bien que [l’acte de foi] soit bon en raison de son objet, il n’atteint cependant pas la perfection, car la manière est déficiente, comme on l’a dit, du fait qu’il n’y a pas de vérité manifeste à laquelle il adhére. Mais, du point de vue de la volonté, [l’acte de foi] peut atteindre la perfection, pour autant que la volonté parfaite dans l’appétit du bien produit dans la foi la fermeté et la certitude. C’est pourquoi Bernard dit que la foi est « une anticipation volontaire et certaine d’une vérité qui n’est pas encore manifestée ». Il est donc clair que la foi est une vertu, non pas intellectuelle, mais au sens général où nous parlons de la vertu qui produit un acte bon provenant de la bonté de la volonté. Elle n’est cependant pas une vertu morale, car elle n’ordonne pas l’appétit sensible, de sorte qu’elle porte sur les plaisirs, les tristesses et les actes comme sur sa matière et son objet. Mais [la foi] est une vertu théologale, un genre que les philosophes n’ont pas connu. |
[10537] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod prima propositio habet veritatem de virtutibus quas philosophi
cognoverunt, qui praeter intellectuales, nullas virtutes nisi morales
posuerunt. |
1. La première proposition est vraie pour les vertus que les philosophes ont connues, eux qui, en plus des vertus intellectuelles, n’ont pas affirmé d’autres vertus que les vertus morales. |
[10538] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod ratio inclinans voluntatem ad credendum articulos, est ipsa
veritas prima, quae est infallibilis; sed ratio quae inclinat voluntatem ad
credendum alia, est vel aliquod signum fallibile, vel dictum alicujus
scientis, qui et falli et fallere potest: unde voluntas non dat infallibilem
veritatem intellectui credenti alia credibilia, sicut dat infallibilem
veritatem credendi articulos fidei: et propter hoc haec fides est virtus et
non alia. |
2. La raison qui incline la volonté à croire les articles est la Vérité première elle-même, qui est infaillible. Mais la raison qui incline la volonté à croire d’autres choses est soit un signe faillible, soit ce que dit quelqu’un qui sait, qui peut se tromper et tromper. C’est pourquoi la volonté ne donne pas une vérité infaillible à l’intellect qui croit les autres choses croyables, comme elle donne une vérité infaillible en croyant aux articles. Pour cette raison, cette foi, et non une autre, est une vertu. |
[10539] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod fides non est contra rationem, sed supra rationem: et ideo non
dicitur abnegare rationem quasi rationem veram destruens, sed quasi eam
captivans in obsequium Christi, ut dicit apostolus 2 Corinth. 10. |
3. La foi n’est pas contraire à la raison, mais elle dépasse la raison. C’est pourquoi on ne dit pas qu’elle renonce à la raison comme si elle détruisait la raison vraie, mais comme si elle la rendait captive pour obéir au Christ, comme le dit l’Apôtre, 2 Co 10. |
[10540] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4
qc. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod prophetia nullo modo potest esse virtus: neque intellectualis,
cum non perficiatur per eam operatio intellectus secundum modum intellectui
connaturalem: quia ea quae per prophetiam revelantur, non possunt resolvi ad
principia naturaliter cognita: neque est virtus theologica, quia non habet
Deum pro objecto, sed res temporales: neque iterum actus intellectus per
prophetam a voluntate imperatur. |
4. La prophétie ne peut être une vertu d’aucune façon : ni une vertu intellectuelle, puisque l’opération de l’intellect n’est pas perfectionnée par elle selon le mode connaturel à l’intellect, car ce qui est révélé par la prophétie ne peut être ramené aux principes naturellement connus; elle n’est pas non plus une vertu théologale, puisqu’elle n’a pas Dieu pour objet, mais des réalités temporelles. Il n’y a pas non plus dans la prophétie d’acte de l’intellect commandé par la volonté. |
[10541] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4
qc. 1 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod fides habet exemplar in Deo quantum ad id quod perfectionis in
ipsa est, scilicet cognitionem et certitudinem, sed non quantum ad id quod
est imperfectionis: ex hoc enim non habet rationem virtutis. |
5. La foi a un modèle en Dieu selon ce qui est parfait en elle : la connaissance et la certitude; mais non selon ce qui est imparfait. En cela, elle n’a pas raison de vertu. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[10542] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam
quaestionem dicendum, quod habitus multitudinem et unitatem habet ex objecto.
Objectum autem fidei est veritas prima, quae est simplex et invariabilis. Et
ideo in fide invenitur duplex unitas: ex hoc enim quod unum et simplex est
cui fides innititur, habitus fidei in habente non dividitur in plures
habitus: ex hoc autem quod veritas est, habet potentiam uniendi diversos
habentes fidem in similitudinem unius fidei, quae attenditur secundum idem
creditum: quia, sicut dicit Dionysius, veritas habet vim colligendi et
uniendi, e contrario error et ignorantia divisiva sunt. |
Un habitus tire sa multiplicité et son unité de son objet. Or, l’objet de la foi est la Vérité première, qui est simple et invariable. C’est pourquoi on trouve une double unité dans la foi. En effet, du fait que ce sur quoi s’appuie la foi est unique et simple, l’habitus de la foi chez celui qui le possède n’est pas divisé en plusieurs habitus; mais du fait que c’est la Vérité, elle a le pouvoir d’unir ceux qui ont la foi dans la similitude d’une seule foi, qui se prend de l’identité de ce qui est cru, car, ainsi que le dit Denys, « la vérité a la capacité de rassembler et d’unir »; en sens contraire, l’erreur et l’ignorance sont facteurs de division. |
[10543] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod fides non est de aliquo temporali sicut de objecto; sed
inquantum pertinet ad veritatem aeternam, quae est objectum fidei, sic cadit
sub fide; sicut fides credit passionem, inquantum Deus passus est. |
1. La foi ne porte pas sur quelque chose de temporel comme sur son objet; mais, dans la mesure où elle se rapporte à la Vérité éternelle, qui est l’objet de la foi, [cette chose temporelle] relève de la foi. Ainsi, la foi croit à la passion pour autant que Dieu a souffert. |
[10544] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod spes et timor ad affectum pertinent, cujus proprium objectum
est bonum et malum, inquantum hujusmodi: et ideo diversificantur secundum
differentiam boni et mali. Sed bonum et
malum non differunt in ratione veri. Et ideo fides, cujus objectum est verum,
non distinguitur ex hoc quod aliquo modo est de bonis et malis. |
2. L’espérance et la crainte concernent l’affectivité, dont l’objet propre est le bien et le mal en tant que tels. C’est pourquoi elles se diversifient selon la différence entre le bien et le mal. Mais le bien et le mal ne diffèrent pas selon la raison de vrai. C’est pourquoi la foi, dont l’objet est le vrai, ne se diversifie pas par le fait qu’elle porte d’une certaine manière sur ce qui est bon et sur ce qui est mauvais. |
[10545] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod fides considerat omnia illa diversa sub una ratione, scilicet
secundum quod innituntur veritati primae: et ideo fides non diversificatur
penes ea, quamvis sint diversae scientiae de eis, quae ea considerant
rationibus propriis, quae diversae sunt. |
3. La foi considère toutes ces différentes choses selon une seule raison : selon qu’elles se fondent sur la Vérité première. C’est pourquoi la foi ne se diversifie pas selon elles, bien que diverses sciences existent à leur propos, qui les considèrent selon leurs raisons propres, qui sont diverses. |
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Articulus 5 [10546] Super Sent., lib. 3
d. 23 q. 2 a. 5 tit. Utrum fides sit prior aliis virtutibus |
Article 5 – La foi est-elle antérieure aux autres vertus ? |
[10547] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod fides non sit prior aliis
virtutibus. Omnes enim virtutes simul infunduntur. Sed eorum quae sunt simul,
unum non est post alterum. Ergo fides non est prior aliis virtutibus. |
1. Il semble que la foi ne soit pas antérieure aux autres vertus. En effet, toutes les vertus sont infusées simultanément. Or, une chose ne vient pas après l’autre pour les choses qui sont simultanées. La foi n’est donc pas antérieure aux autres vertus. |
[10548] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5
arg. 2 Praeterea, fundamentum
est prima pars aedificii. Sed super illud Luc. 11: dico vobis amicis meis,
ne terreamini, dicit Glossa: fortitudo est fundamentum fidei; et
Bernardus dicit, quod in humilitate fundantur aliae virtutes. Et similiter
timor videtur esse fundamentum: quia dicitur, Psalm. 110, 2: initium sapientiae
timor domini. Ergo videtur quod fides non sit prima. |
2. Le fondement est la première partie d’un édifice. Or, à propos de Lc 1 : Je le dis à vous, mes amis, afin que vous ne soyez pas terrorisés, la Glose dit : « La force est le fondement de la foi », et Bernard dit que les autres vertus sont fondées sur l’humilité. De même, la crainte semble être le fondement, car il est dit, Ps 110, 2 : Le commencement de la sagesse est la crainte du Seigneur. Il semble donc que la foi ne vienne pas en premier. |
[10549] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 5 arg. 3 Praeterea, virtutes theologicae, ut prius dictum est, ad hoc sunt ut
fiat quaedam hominis ordinatio ad finem. Sed spes et caritas propinquiores
sunt fini quam fides, quia habent finem pro objecto sub ratione finis. Ergo
fide priores sunt. |
3. Comme on l’a dit, les vertus théologales existent pour que se réalise une certaine orientation de l’homme vers sa fin. Or, l’espérance et la charité, parce qu’elles ont comme objet la fin en tant que fin, sont plus rapprochées de la fin que la foi. Elles sont donc antérieures à la foi. |
[10550] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 5 arg. 4 Praeterea, super Psalm. 36, noli aemulari etc., dicit Glossa,
quod spes introducit ad fidem. Ergo spes est prior fide. |
4. À propos de Ps 36 : N’imitez pas, etc., la Glose dit que « l’espérance introduit à la foi ». L’espérance est donc antérieure à la foi. |
[10551] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5
arg. 5 Praeterea,
secundum ordinem potentiarum est ordo habituum. Sed fides est in intellectu,
secundum quod est motus a voluntate, ut patet ex praedictis. Cum ergo caritas sit in voluntate, videtur
quod caritas sit prior fide; et sic fides non est prima. |
5. L’ordre des habitus suit l’ordre des puissances. Or, la foi se trouve dans l’intellect en tant que celui-ci est mû par la volonté, comme cela ressort de ce qui a été dit. Puisque la charité se trouve dans la volonté, il semble donc que la charité soit antérieure à la foi, et ainsi la foi ne vient pas en premier. |
[10552] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5
arg. 6 Praeterea, fides
est principaliter in intellectu speculativo. Sed speculativa vita sequitur
activam: quia nullus pervenit ad contemplativae otium, nisi prius depuretur
mens per exercitium activae. Ergo virtutes morales, quae pertinent ad vitam activam, sunt priores
fide. |
6. La foi se trouve principalement dans l’intellect spéculatif. Or, la vie spéculative suit la vie active, car personne ne parvient au loisir de la vie contemplative si son esprit n’a pas d’abord été purifié par l’exercice de la vie active. Les vertus morales, qui se rapportent à la vie active, sont donc antérieures à la foi. |
[10553] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5
s. c. 1 Sed contra,
cognitio praecedit affectionem: quia nihil diligitur nisi cognitum, ut dicit
Augustinus. Sed fides est
in cognitione, ceterae autem virtutes in affectione consistunt. Ergo fides
aliis prior est. |
Cependant, [1] la connaissance précède l’affectivité, « car rien n’est aimé qui ne soit connu », comme le dit Augustin. Or, la foi se trouve dans la connaissance, mais les autres vertus se trouvent dans l’affectivité. La foi est donc antérieure aux autres [vertus]. |
[10554] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5
s. c. 2 Praeterea, in
omnibus virtutibus requiritur recta intentio. Sed fides intentionem dirigit,
ut dicit Augustinus. Ergo fides est
ante alias virtutes. |
[2] Pour toutes les vertus, l’intention droite est requise. Or, « la foi dirige l’intention », comme le dit Augustin. La foi est donc antérieure aux autres vertus. |
[10555] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 5 s. c. 3 Praeterea, per omnes virtutes homo accedit ad Deum. Sed accedentem ad
Deum oportet credere, ut dicitur Heb. 11. Ergo fides est ante alias virtutes. |
[3] L’homme approche de Dieu par toutes les vertus. Or, il faut que celui qui approche de Dieu ait la foi, comme le dit He 11. La foi est donc antérieure aux autres vertus. |
[10556] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 5 co. Respondeo
dicendum, quod aliquid potest dici prius altero et tempore et natura. Tempore
quidem omnes virtutes sunt simul, quia simul divinitus infunduntur; sed
secundum naturam ordo virtutum pensandus est ex actibus, sicut et ordo
potentiarum, quae simul in anima concreantur. Actus autem fidei consistit in
cognitione veri, quam praesupponit affectio boni, quae exigitur in omnibus
aliis virtutibus; et ideo fides, quantum ad id quod fidei est, prior est
omnibus aliis virtutibus secundum naturam. |
Réponse. On peut dire qu’une chose est antérieure à une autre dans le temps et par nature. Dans le temps, toutes les vertus sont simultanées, car elles sont toutes infusées par Dieu. Mais, par nature, l’ordre des vertus doit être évalué selon les actes, comme l’ordre des puissances, qui sont concréées dans l’âme. Or, l’acte de la foi consiste dans la connaissance du vrai, présupposée pas l’amour du bien, est requis pour toutes les autres vertus. C’est pourquoi la foi, pour ce qui relève de la foi, est antérieure à toutes les autres vertus par nature. |
[10557] Super Sent., lib. 3 d. 23
q. 2 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod objectio illa procedit de ordine
temporis. |
1. Cette objection vient de l’ordre dans le temps. |
[10558] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 2 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fundamentum dicitur in spiritualibus
metaphorice ad similitudinem fundamenti materialis. Potest autem ista
similitudo attendi quantum ad duo: scilicet quantum ad ordinem, quia
fundamentum praecedit alias partes; et etiam quantum ad virtutem fundamenti,
quia fundamentum totum aedificium sustentat: quorum utrumque per
similitudinem in fide invenitur: quia ipsa omnibus aliis naturaliter prior
est, et aliae in ipsa firmantur: quia sine ipsa, impossibile est placere Deo,
Hebr. 11. Fortitudo autem dicitur fundamentum quantum ad alterum, inquantum scilicet
spirituale aedificium contra adversa firmum reddit; humilitas contra prospera,
quae sunt occasio culpae; sed timor contra ipsam culpam, quia timor domini
expellit peccatum, Eccli., 1, 27; unde timor praecedit alia quae ad
affectionem pertinent, cum caritatem introducat, ut dicit Augustinus. |
2. On parle métaphoriquement de fondement pour les réalités spirituelles, par ressemblance avec un fondement matériel. Or, cette ressemblance peut s’entendre de deux choses : de l’ordre, car le fondement précède les autres parties; et aussi de la puissance du fondement, car le fondement supporte tout l’édifice. Et les deux choses se trouvent dans la foi par ressemblance, car elle est naturellement antérieure à toutes les autres [vertus] et les autres s’appuient sur elle, car, sans elle, il est impossible de plaire à Dieu, He 11. Or, la force est appelée un fondement pour autre chose : en tant qu’elle rend l’édifice spirituel solide contre ce qui s’y oppose; l’humilité, contre la prospérité, qui est une occasion de faute; mais la crainte, contre la faute elle-même, car la crainte du Seigneur chasse le péché, Si 1, 27. La crainte précède donc les autres choses qui se rapportent à l’affectivité, puisqu’elle introduit la charité, comme le dit Augustin. |
[10559] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod spes et caritas sunt propinquiores fini quantum ad consecutionem,
quia caritas quodammodo attingit finem; unde ex hoc non habent quod sint secundum
naturam prius fide; sed consequuntur eam, quia eis finem ostendit. |
3. L’espérance et la charité sont plus rapprochées de la fin quant à son obtention, car la charité atteint d’une certaine manière la fin. Elles ne tiennent donc pas de cela d’être par nature antérieures à la foi, mais elles la suivent, car elle leur montre la fin. |
[10560] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod sicut finis est prior in intentione, et posterior in esse; ita
quanto aliquid est propinquius fini, est prius in proposito, quamvis sit
posterius in esse vel tempore vel natura; et ideo spes, secundum quod magis
propinquat ad consecutionem finis quam fides, praecedit fidem in proposito,
sed non in esse: et secundum hoc dicitur spes introducere ad fidem, non quae
jam sit, sed quae proponitur futura: sicut cum alicui proponuntur aeterna
bona, primo vult ea, secundo vult eis inhaerere per amorem, et tertio vult
sperare ea, et quarto vult credere ea, ut credens possit jam sperare et amare
et habere: unde in essendo fides prior est. |
4. De même que la fin est antérieure dans l’intention, mais postérieure dans la réalité, de même, plus une chose est rapprochée de la fin, plus elle est antérieure dans l’intention, bien qu’elle soit postérieure dans la réalité, soit dans le temps, soit par nature. C’est pourquoi l’espérance, selon qu’elle s’approche davantage de l’obtention de la fin que la foi, précède la foi dans l’intention, mais non dans la réalité. De cette manière, on dit que l’espérance introduit à la foi, non pas qu’elle existe déjà, mais en tant qu’elle est proposée comme à venir. Ainsi, lorsque les biens éternels sont proposés à quelqu’un, d’abord, il les veut; deuxièmement, il veut adhérer à eux par l’amour; troisièmement, il veut les espérer; et quatrièmement, il veut les croire afin, qu’en croyant, il puisse déjà les espérer, les aimer et les posséder. Ainsi la foi est-elle antérieure dans l’ordre de l’être. |
[10561] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod quamvis fides praesupponat voluntatem, non tamen praesupponit
voluntatem jam amantem, sed amare intendentem, inquantum est fides: quia non
potest affectus in aliquo firmari per amorem in quo intellectus non est
firmatus per assensum; sicut etiam non potest tendere in aliquod per
desiderium quod prius intellectus non apprehendit. Unde iste est naturalis
ordo actuum, quod prius apprehenditur Deus, quod pertinet ad cogitationem
praecedentem fidem, deinde aliquis vult ad eum pervenire, deinde amare vult,
et sic deinceps, ut dictum est prius. |
5. Bien que la foi présuppose la volonté, elle ne présuppose cependant pas une volonté qui aime déjà, mais qui a l’intention d’amer, pour autant qu’il y a foi, car l’affectivité ne peut être affermi par l’amour si l’intellect n’est pas affermi par l’assentiment, de même qu’elle ne peut aussi tendre par le désir vers quelque chose que l’intellect n’appréhende pas d’abord. C’est pourquoi l’ordre naturel des actes est le suivant : Dieu est d’abord appréhendé, ce qui relève de la réflexion précédant la foi; ensuite, on veut parvenir jusqu’à lui; ensuite, on veut l’aimer et ainsi de suite, comme on l’a dit antérieurement. |
[10562] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5
ad 6 Ad sextum
dicendum, quod fides non pertinet tantum ad vitam contemplativam; immo est
principium et activae et contemplativae, inquantum ostendit finem utriusque. |
6. La foi ne se rapporte pas seulement à la vie contemplative; bien plus, elle est le principe de la vie active comme de la vie contemplative, pour autant qu’elle montre la fin des deux. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [La foi formée par la charité]
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Prooemium |
Prologue |
[10563] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 pr. Deinde quaeritur de formatione fidei; et
circa hoc quaeruntur quatuor: 1 utrum fides per caritatem formetur; 2 utrum
fides informis sit donum Dei; 3 utrum sit in Daemonibus; 4 utrum remaneat
caritate adveniente. |
On s’interroge ensuite sur la formation de la foi. À ce propos, quatre questions sont posées : 1 – La charité est-elle la forme de la foi ? 2 – La foi informe est-elle un don de Dieu ? 3 – Existe-t-elle chez les démons ? 4 –Demeure-t-elle lorsque survient la charité ? |
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Articulus 1 [10564] Super Sent., lib. 3
d. 23 q. 3 a. 1 tit. Utrum fides formetur per caritatem |
Article 1 – La charité est-elle la forme de la foi ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La charité est-elle la forme de la foi ?] |
[10565] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod fides non formetur per
caritatem. Formae enim est praecedere, cum sit principium rei. Sed caritas
est posterior fide, ut dictum est. Ergo fides non formatur per caritatem. |
1. Il semble que la foi ne reçoive pas sa forme de la charité. En effet, il appartient à la forme de précéder, puisqu’elle est le principe d’une chose. Or, la charité est postérieure à la foi, comme on l’a dit. La foi ne reçoit donc pas sa forme de la charité. |
[10566] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1
qc. 1 arg. 2 Praeterea, omnis
res habet speciem a propria forma. Sed fides secundum suam speciem differt a
caritate. Ergo caritas
non est forma fidei. |
2. Toute chose tire son espèce de sa forme propre. Or, la foi diffère de la charité selon son espèce. La charité n’est donc pas la forme de la foi. |
[10567] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1
qc. 1 arg. 3 Praeterea, unius
rei non sunt diversae formae. Sed fides formatur per gratiam. Ergo non formatur per
caritatem. |
3. Il n’y a pas de formes différentes pour une seule chose. Or, la grâce est la forme de la foi. La charité n’est donc pas la forme de la foi. |
[10568] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, fides
sine caritate non potest elicere actum meritorium, quem caritate veniente
elicit. Ergo caritas
dat fidei aliquam vim; et ita videtur eam aliquo modo formare. |
Cependant, [1] la foi sans la charité ne peut produire un acte méritoire, qu’elle produit si la charité survient. La charité donne donc une certaine force à la foi. Il semble ainsi qu’elle la forme d’une certaine manière. |
[10569] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, forma
rei est decor ejus. Sed fides fit decora, ut Deus eam acceptet, per
caritatem. Ergo caritas
format fidem. |
[2] La forme d’une chose est sa beauté. Or, pour que Dieu l’accepte, la foi devient belle par la charité. La charité forme donc la foi. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La foi
informe est-elle une vertu ?]
|
[10570] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod fides informis sit virtus. Quia dicit Augustinus in Lib. de vera
Innoc., quod ceterae virtutes praeter caritatem possunt inesse bonis et
malis. Ergo fides, secundum quod est virtus, potest esse in malis. Sed fides
quae est in malis, est informis. Ergo fides informis est virtus. |
1. Il semble que la foi informe ne soit pas une vertu, car Augustin dit, dans Livre sur la véritable innocence, que « les autres vertus peuvent se trouver chez les bons et les méchants sans la charité ». La foi, en tant qu’elle est une vertu, peut donc se trouver chez les méchants. Or, la foi qui se trouve chez les méchants est informe. La foi informe est donc une vertu. |
[10571] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
virtus est circa difficilia, et ex hoc habet laudem, ut dicit philosophus.
Sed difficillimum est credere articulos fidei; unde Augustinus dicit et
habetur in sequenti distinctione, quod laus fidei est credere quae non videt.
Ergo videtur quod fides informis, quae omnes articulos credit, sit virtus. |
2. La vertu porte sur des choses difficiles; elle tire de là sa louange, comme le dit le Philosophe. Or, il est très difficile de croire les articles de foi; aussi Augustin dit-il, et on le voit dans la distinction suivante, que la louange de la foi consiste à croire ce qu’elle ne voit pas. Il semble donc que la foi informe, qui croit tous les articles, soit une vertu. |
[10572] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1
qc. 2 arg. 3 Praeterea, nihil
opponitur vitio, nisi sit virtus, aut vitium. Sed infidelitatis vitio
opponitur fides informis. Cum ergo fides
informis non sit vitium, videtur quod sit virtus. |
3. Rien ne s’oppose à un vice si ce n’est une vertu ou un vice. Or, la foi informe s’oppose au vice d’infidélité. Puisque la foi informe n’est pas un vice, il semble donc qu’elle soit une vertu. |
[10573] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1
qc. 2 s. c. 1 Sed contra,
fides informis est mortua, ut dicitur Jacob. 1. Sed nihil mortuum habet
rationem virtutis. Ergo fides informis non est virtus. |
Cependant, [1] la foi informe est morte, comme il est dit en Jc 1, 17. Or, rien de mort n’a raison de vertu. La foi informe n’est donc pas une vertu. |
[10574] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1
qc. 2 s. c. 2 Praeterea,
virtute nullus male utitur, ut dicit Augustinus. Sed fide informi aliquis
male utitur. Ergo fides
informis non est virtus. |
[2] « Personne n’utilise mal une vertu », comme le dit Augustin. Or, on peut mal utiliser la foi informe. La foi informe n’est donc pas une vertu. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La foi formée
et la foi informe sont-elles d’une espèce différente ?]
|
[10575] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod fides formata et informis differant specie. Quia, ut dicit
philosophus 5 Metaph., quaecumque differunt genere, differunt et specie. Sed
fides formata et informis differunt genere: quia fides formata est virtus,
non autem fides informis. Ergo fides formata et informis differunt specie. |
1. Il semble que la foi formée et la foi informe diffèrent par l’espèce, car, ainsi que le dit le Philosophe dans Métaphysique, V, tout ce qui diffère par le genre diffère aussi par l’espèce. Or, la foi formée et la foi informe diffèrent par le genre, car la foi formée est une vertu, mais non la foi informe. La foi formée et la foi informe diffèrent donc pas l’espèce. |
[10576] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1
qc. 3 arg. 2 Praeterea,
species rei est de forma sua. Sed fidei forma est caritas. Ergo fides informis non est illius speciei
cujus est fides formata. |
2. L’espèce d’une chose vient de sa forme. Or, la forme de la foi est la charité. La foi informe n’est donc pas de la même espèce que la foi formée. |
[10577] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, ejusdem formae secundum speciem est idem actus secundum
speciem. Sed fidei formatae actus est credere
in Deum, non autem fidei informis. Ergo fides formata et informis differunt specie. |
3. L’acte d’une espèce est le même que la forme d’une même espèce. Or, l’acte de la foi formée consiste à croire en Dieu, mais non celui de la foi informe. La foi formée et la foi informe diffèrent donc par l’espèce. |
[10578] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1
qc. 3 s. c. 1 Sed contra,
habitus diversificantur ex actibus et objectis. Sed fides informis et formata
non differunt quantum ad objectum proprium fidei, quod est veritas una. Ergo
fides formata et informis non differunt specie. |
Cependant, [1] les habitus se diversifient par leurs actes et leurs objets. Or, la foi informe et la foi formée ne diffèrent pas selon l’objet propre de la foi, qui est la Vérité unique. La foi formée et la foi informe ne diffèrent donc pas par l’espèce. |
[10579] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1
qc. 3 s. c. 2 Praeterea, illud
quod est extra essentiam rei, non variat speciem, sicut lumen adveniens aeri
in corpore lucenti. Sed caritas
est habitus separatus a fide per essentiam. Ergo fides formata caritate non
differt specie a fide informi. |
[2] Ce qui est extérieur à l’essence ne change pas l’espèce, comme la lumière qui survient dans l’air pour un corps lumineux. Or, la charité est par essence un habitus distinct de la foi. La foi formée par la charité ne diffère donc pas de la foi informe par l’espèce. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[10580] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in agentibus ordinatis
fines agentium secundorum ordinantur ad finem agentis primi sicut totum
universum ordinatur ad primum bonum, quod est Deus, ut dicit philosophus,
sicut exercitus ad bonum ducis; et ideo actio primi agentis est et prior et
posterior. Prior in movendo: quia actiones omnium secundorum agentium
fundantur super actionem primi agentis, quae cum sit una, communiter omnes
firmans, specificatur ejus effectus in hoc et in illo secundum exigentiam
illius; sicut uno praecepto ducis praecipientis bellum unus accipit gladium,
alius parat equum, et sic de aliis. Est autem posterior in utendo aliorum actibus
ad finem proprium; et sic omnes actiones aliorum agentium modificantur per
actionem primi agentis. Cum ergo in viribus animae voluntas habeat locum
primi motoris, actus ejus est prior quodammodo actibus aliarum virium,
inquantum imperat eos secundum intentionem finis ultimi, et utitur eis in
consecutione ejusdem. Et ideo vires motae a voluntate, duo ab ea recipiunt. Primo formam aliquam ipsius secundum quod
omne movens et agens imprimit suam similitudinem in motis et patientibus ab
eo. Haec autem forma vel est secundum formam ipsius voluntatis, secundum quod
omnes vires motae a voluntate libertatem ab ea participant; vel est secundum
habitum perficientem voluntatem, qui est caritas; et sic omnes habitus qui
sunt in viribus motis a voluntate perfecta, participant formam caritatis.
Haec tamen forma quam a voluntate vires motae participant, est omnibus
communis; unde praeter eam habitus, qui sunt perfectiones earum, habent
speciales formas, secundum quod congruit potentiae quam perficiunt, per
comparationem ad actus et objecta. Secundo recipiunt a voluntate consummationem in fine; et sic caritas
dicitur finis aliarum virtutum, inquantum per eam fini ultimo conjunguntur.
Quia ergo fides, ut dictum est, est in intellectu secundum quod movetur a
voluntate; ideo per caritatem, quae est perfectio voluntatis, formatur forma
communis sibi et aliis virtutibus; tamen praeter eam habet formam specialem
ex ratione proprii objecti, et potentiae in qua est: et similiter
consummationem per caritatem recipit. |
Dans les agents ordonnés, les fins des agents secondaires sont ordonnés à la fin du premier agent, de même que tout l’univers est ordonné au bien premier, qui est Dieu, comme le dit le Philosophe, et que l’armée [est ordonnée] au bien de celui qui la dirige. L’action de l’agent premier est donc à la fois antérieure et postérieure. Antérieure pour mouvoir, car les actions de tous les agents secondaires sont fondées sur l’action de l’agent premier, unique et les affermissant toutes, dont l’effet est spécifié en telle ou telle chose selon ce qu’elle le requiert. Ainsi, sous le commandement d’un seul qui commande une guerre, l’un reçoit une épée, l’autre prépare le cheval, et ainsi pour les autres. Mais il est postérieur en utilisant les actes des autres en vue de sa fin propre : ainsi, toutes les actions des autres agents sont modifiées par l’action de l’agent premier. Puisque, parmi les puissances de l’âme, la volonté tient lieu de premier moteur, son acte est d’une certaine manière antérieur aux actes des autres puissances, pour autant qu’elle les commande en vue de la fin ultime et les utilise pour son obtention. C’est pourquoi les puissances mues par la volonté en reçoivent deux choses. Premièrement, une certaine forme venue d’elle, selon que tout ce qui meut et tout agent imprime sa ressemblance dans ce qui est mû et subit son action. Or, cette forme reproduit la forme de la volonté elle-même selon que toutes les puissances mues par la volonté participent par elle à la liberté ; ou bien est reproduit l’habitus qui perfectionne la volonté, qui est la charité. Ainsi tous les habitus qui se trouvent dans les puissances mues par une volonté parfaite participent à la forme de la charité. Cependant, cette forme, à laquelle les puissances mues par la volonté participent, est commune à toutes. Aussi, en plus d’elle, les habitus, qui sont leur perfection, reçoivent-ils des formes spéciales, comme il convient à la puissance qu’ils perfectionnent, en rapport avec leurs actes et leurs objets. Deuxièmement, ils reçoivent de la volonté leur achèvement dans la fin. Ainsi la charité est-elle appelée la fin des autres vertus pour autant qu’elles sont unies par elle à la fin ultime. Parce que, ainsi qu’on l’a dit, la foi se trouve dans l’intellect selon qu’il est mû par la volonté, une forme commune à elle et autres vertus est donc formée par la charité, qui est la perfection de la volonté; cependant, en plus d’elle, elle possède une forme spéciale en raison de son objet propre et de la puissance dans laquelle elle se trouve; de même reçoit-elle son achèvement par la charité. |
[10581] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod fides simpliciter caritatem praecedit: quia velle, quod ad
fidem exigitur, sine caritate esse potest: sed fides formata caritatem sequitur. |
1. La foi précède simplement la charité, car le vouloir, qui est prérequis à la foi, peut exister sans la charité. Mais la foi formée suit la charité. |
[10582] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod omnes virtutes conveniunt in fine; unde earum actus non
differunt secundum modum illum quem recipiunt ex ordine ad finem, quem modum
dat eis caritas, sed secundum modum quem habent ex natura potentiae et
objecto proprio; et ideo secundum hanc etiam formam distinguitur a caritate
fides; et secundum hanc non formatur ab ea. |
2. Toutes les vertus se rejoignent dans la fin. Aussi leurs actes ne diffèrent-ils pas selon le mode qu’elles reçoivent par leur rapport à la fin, mode que leur donne la charité, mais selon le mode qu’elles ont par la nature de la puissance et par son objet propre. C’est pourquoi la foi est aussi distincte de la charité selon cette forme. Elle n’est donc pas formée par elle. |
[10583] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod fides formatur a gratia mediante caritate: quia inquantum
actus fidei est ex caritate, secundum hoc est Deo acceptus. |
3. La foi reçoit sa forme de la grâce par l’intermédiaire de la charité, car, dans la mesure où l’acte de foi vient de la charité, il est ainsi agréable à Dieu. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[10584] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod virtutis est facere actum
perfectum. Actus autem potentiae motae ab alia potentia non potest esse
perfectus nisi et superior potentia sit perfecta per habitum, ut non deficiat
in dirigendo vel movendo, et inferior, ut non deficiat in exequendo; sicut
patet in actu concupiscibilis, qui ad hoc quod sit perfectus, requiritur quod
concupiscibilis sit perfecta per habitum temperantiae et ratio per habitum
prudentiae: quod si desit prudentia in ratione, quantumcumque sit dispositio
in concupiscibili ad actum temperantiae, virtutis rationem non habebit, ut
dicit philosophus. Quia ergo
credere est actus intellectus, secundum quod est motus a voluntate; ad hoc
quod iste actus perfectus sit, oportet quod intellectus perfectus sit per
lumen fidei, et voluntas sit perfecta per habitum caritatis; et ideo informis
fides non habet actum perfectum, et ideo non potest esse virtus. |
Il relève de la vertu de rendre un acte parfait. Or, l’acte d’une puissance mue par une autre puissance ne peut être parfait que si la puissance supérieure est parfaite en raison d’un habitus, de sorte qu’elle ne soit pas déficiente dans sa direction et son mouvement, et que [la puissance] inférieure ne soit pas déficiente dans l’exécution, comme cela ressort dans l’acte du concupiscible, qui, pour être parfait, exige que le concupiscible soit perfectionné par l’habitus de la tempérance et la raison, par l’habitus de prudence – si la prudence fait défaut dans la raison, quelle que soit la disposition du concupiscible par rapport à l’acte de la tempérance, elle n’aura pas raison de vertu, comme le dit le Philosophe. Parce que croire est un acte de l’intellect selon qu’il est mû par la volonté, pour que cet acte soit parfait, il est nécessaire que l’intellect soit perfectionné par la lumière de la foi et que la volonté soit perfectionnée par l’habitus de la charité. C’est pourquoi la foi informe n’a pas un acte parfait, et c’est pourquoi elle ne peut pas être une vertu. |
[10585] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod Augustinus large accipit nomen virtutis pro quacumque
dispositione inclinante ad actum quo bonum agitur. |
1. Augustin entend au sens large le mot « vertu » de toute disposition qui incline à un acte par lequel on fait le bien. |
[10586] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod ad hoc quod sit virtus non solum oportet quod homo faciat ea
quae sunt virtutis, ut quod faciat justa vel fortia, sed quod faciat eo modo
quo virtuosus facit; quamvis etiam aliquo modo ex hoc quod facit ea quae
virtutis sunt, laudari possit. Hic autem modus, ut ex dictis patet, deficit in actu fidei informis;
et ideo non est virtus. |
2. Pour qu’il y ait vertu, il n’est pas seulement nécessaire que l’homme accomplisse ce qui relève de la vertu, de sorte qu’il fasse ce qui est juste ou fort, mais qu’il l’accomplisse de la manière dont il est vertueux, bien que, d’une certaine manière, par le fait qu’il accomplit ce qui relève de la vertu, il puisse être loué. Or, cette manière, comme on l’a dit, manque à l’acte de la foi informe. C’est pourquoi elle n’est pas une vertu. |
[10587] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod etiam dispositio ad virtutem opponitur vitio; unde non oportet
quod fides informis quae infidelitati opponitur, sit virtus. |
3. La disposition à la vertu s’oppose aussi au vice. Aussi n’est-il pas nécessaire que la foi informe, qui s’oppose à l’infidélité, soit une vertu. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
|
[10588] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 3 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod differentia habituum pensanda
est ex actibus. Contingit autem aliquos actus dupliciter considerari: vel
secundum speciem naturae, vel secundum speciem moris: et quandoque conveniunt
secundum speciem quantum ad unum dictorum, et differunt secundum aliud; sicut
occidere nocentem et innocentem non differunt secundum speciem naturae, sed
secundum speciem moris: quia unum est actus vitii, scilicet homicidii,
alterum actus virtutis, sive justitiae: sed occidere latronem et liberare
innocentem, sunt actus diversi secundum speciem naturae, et conveniunt secundum
speciem moris, quia sunt actus justitiae. Si ergo actus fidei formatae et
informis considerentur secundum speciem naturae, sic sunt idem specie, quia
speciem naturalem habet actus ex objecto proprio. Si autem considerentur
secundum esse moris, tunc differunt secundum completum et incompletum in
eadem specie; sicut actus quo facit justa non ut justus, et quo facit justa
ut justus. Et similiter fides formata et informis in specie naturae sunt
penitus idem; sed in specie moris differunt, non quasi in diversis speciebus
existentes, sed sicut perfectum et imperfectum in eadem specie, sicut
dispositio et habitus virtutis. |
La différence entre les habtus doit être évaluée en fonction de leurs actes. Or, il se fait que certains habitus peuvent être envisagés de deux manières : selon leur espèce naturelle et selon leur espèce morale. Parfois, ils se rejoignent dans l’une des espèces mentionnées et diffèrent selon l’autre, comme tuer un homme nuisible et un innocent ne diffèrent pas par leur espèce naturelle, mais par leur espèce morale, car l’un est l’acte d’un vice, l’homicide, et l’autre est l’acte d’une vertu, la justice. Mais tuer un voleur et libérer un innocent sont des actes différents selon leur espèce naturelle et se rejoignent selon leur espèce morale, car ils sont des actes de justice. Si donc les actes de la foi formée et de la foi informe sont envisagés selon leur espèce naturelle, ils ont ainsi la même espèce, car un acte tire son espèce naturelle de son objet propre. Mais s’ils sont envisagés selon leur être moral, alors ils diffèrent comme un acte complet et un acte incomplet dans une même espèce, comme l’acte par lequel on accomplit ce qui est juste sans être juste, et par lequel on accomplit ce qui est juste en tant que juste. De même, la foi formée et la foi informe sont-elles tout à fait les mêmes selon leur espèce naturelle, mais elles diffèrent selon leur espèce morale, non pas parce qu’elles se trouvent dans des espèces différentes, mais comme ce qui parfait et ce qui est imparfait dans la même espèce, comme une disposition et l’habitus d’une vertu. |
[10589] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod virtus est genus fidei secundum esse moris; a quo tamen non
penitus fides informis est aliena, sed est sicut imperfectum in illo genere. |
1. La vertu est le genre de la foi selon son être moral; la foi informe ne lui est cependant pas entièrement étrangère, mais elle est comme quelque chose d’imparfait dans ce genre. |
[10590] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod a forma quam habet virtus ex ratione potentiae et objecti
proprii, habet speciem naturae; sed speciem moris habet a forma quam habet a
potentia movente et dirigente: et ideo non sequitur quod differant specie,
nisi sicut dictum est. |
2. La vertu tire son espèce naturelle de la forme qu’elle possède en raison de sa puissance et de son objet propres; mais elle tire son espèce morale de la forme qu’elle possède en raison de la puissance qui la meut et la dirige. C’est pourquoi il n’en découle pas qu’elles diffèrent selon l’espèce, si ce n’est selon ce qu’on a dit. |
[10591] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod, sicut supra dictum est, per illa tria unus numero actus
designatur quantum ad diversa: unde aliquid est in actu fidei formatae quod
non est in actu fidei informis; non tamen est penitus alius. |
3. Comme on l’a dit plus haut, un seul acte en nombre est ainsi désigné selon divers aspects. Aussi existe-t-il dans l’acte de la foi formée quelque chose qui n’existe pas dans l’acte de la foi informe; il n’est cependant pas entièrement différent. |
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Articulus 2 [10592] Super Sent., lib. 3
d. 23 q. 3 a. 2 tit. Utrum fides informis sit donum Dei, vel habitus
acquisitus |
Article 2 – La foi informe est-elle un don de Dieu ou un habitus acquis ? |
[10593] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod fides informis non sit donum Dei, sed habitus acquisitus.
Augustinus enim dicit, quod per scientiam fides acquiritur, nutritur, et
defenditur. Sed nullus habitus acquisitus per scientiam aliquam est donum
Dei, quasi habitus infusus. Ergo fides informis non est habitus infusus. |
1. Il semble que la foi informe ne soit pas un don de Dieu, mais un habitus acquis. En effet, Augustin dit que « la foi est acquise, nourrie et défendue par la science ». Or, aucun habitus acquis par une science n’est un don de Dieu en tant qu’habitus infus. La foi informe n’est donc pas un habitus infus. |
[10594] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2
arg. 2 Praeterea, Rom.
11 dicitur, quod fides ex auditu est; et Joan. 20, 29, dicitur Thomae: quia
vidisti me, credidisti; et Joan. 4, 16: voca virum tuum; Glossa,
intellectum ad credendum; et Augustinus dicit, quod nullus credit nisi
volens. Ex quibus
omnibus habetur quod fides est ex aliquo quod in nobis est. Sed omne tale est
habitus acquisitus. Ergo fides est habitus acquisitus. |
2. Il est dit en Rm 10, 17, que la foi vient de de ce qu’on entend, et en Jn 20, 29, il est dit à Thomas : Parce que tu m’as vu, tu as cru, et en Jn 4, 16 : Appelle ton mari…; la Glose dit : « L’intelligence en vue de croire. » Et Augustin dit que « personne ne croit que celui qui le veut ». Par tout cela, on voit que la foi vient de quelque chose qui est en nous. Or, tout ce qui est tel est un habitus acquis. La foi est donc un habitus acquis. |
[10595] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2
arg. 3 Praeterea,
philosophi crediderunt Deum omnipotentem. Sed non habuerunt habitum infusum. |
3. Les philosophes ont cru que Dieu était tout-puissant. Or, il n’avaient pas d’habitus infus. |
[10596] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2
arg. 4 Praeterea,
habitus per seipsum est sufficiens ad movendum potentiam in actum. Sed in
actum fidei homo fidelis non potest, nisi instruatur. Ergo fides est habitus acquisitus. |
4. L’habitus suffit par lui-même à mouvoir une puissance à l’acte. Or, le croyant ne peut parvenir à l’acte de foi que s’il est instruit. La foi est donc un habitus acquis. |
[10597] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 3 a. 2 arg. 5 Praeterea, Dei perfecta sunt opera; Deuteron. 33, 4. Sed fides informis est quid
imperfectum. Ergo non est a Deo. |
5. Les œuvres de Dieu sont parfaites, Dt 33, 4. Or, la foi informe est quelque chose d’imparfait. Elle ne vient donc pas de Dieu. |
[10598] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2
arg. 6 Praeterea, actio
peccati non dicitur esse a Deo, propter deformitatem quam habet annexam, quae
a Deo non est. Sed ex hoc
ipso quod fides informis est, habet quamdam deformitatem. Ergo fides informis
non est a Deo. |
6. On ne dit pas que l’action du péché vient de Dieu en raison de la difformité qui lui est associée, qui ne vient pas de Dieu. Or, par le fait même que la foi est informe, elle a une certaine difformité. La foi informe ne vient donc pas de Dieu. |
[10599] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra, 1 Corinth. 13, 2: si habuero omnem fidem, dicit Glossa, quod fides quae
est sine caritate, donum Dei est: quia etiam in malis sunt multa dona Dei.
Ergo informis fides est a Deo infusa. |
Cependant, [1] à propos de 1 Co 13, 2 : Même si je possédais la plénitude de la foi, la Glose dit que la foi qui existe sans la charité est un don de Dieu, car, même chez les méchants, il existe bien des dons de Dieu. La foi informe est donc infusée par Dieu. |
[10600] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, nullus potest in his quae sunt supra naturam, nisi per
aliquid divinitus datum. Sed aliquis habens fidem informem assentit his quae
sunt supra naturam. Ergo oportet quod hoc fiat per aliquid divinitus infusum. |
[2] Personne ne peut accomplir ce qui dépasse la nature, que par un don de Dieu. Or, celui qui a une foi informe donne son assentiment à ce qui dépasse la nature. Il est donc nécéssaire que cela se réalise par quelque chose qui est infusé par Dieu. |
[10601] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2
s. c. 3 Praeterea,
altiora sunt ea de quibus est fides, quam ea de quibus est prophetia. Sed
prophetia non potest esse sine lumine infuso, sicut in bonis, similiter in
malis. Ergo multo minus fides. |
[3] La foi porte sur des choses plus élevées que la prophétie. Or, la prophétie ne peut exister sans lumière infuse, chez les méchants comme chez les bons. Donc, encore bien moins la foi. |
[10602] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut supra dictum est, habitus ad hoc sunt
necessarii, ut potentiae quae per naturam non sunt determinatae ad actum
perfectum, determinentur per habitum. Contingit autem quandoque quod inferior
potentia non est determinata ad actum illum perfectum, sed superior potentia
determinatur ad ipsum; sicut concupiscibilis non est determinata ad tenendum
medium in delectatione ex propria natura, sed ratio determinatur per naturam
suam ad illud; et ideo habitus temperantiae acquiritur in concupiscibili ex
vi superioris potentiae. Nulla autem potentia secundum suam naturam determinatur
ad illa quae sunt supra naturam rationis nostrae, quorum est fides; et ideo
ad hunc actum indigemus habitu, qui non est acquisitus: qui quidem in duobus
nos adjuvat: in hoc scilicet quod intellectum facit facilem ad credendum
credenda, contra duritiem, et discretum ad refutandum non credenda, contra
errorem. |
Réponse. Comme on l’a dit plus haut, les habitus sont nécessaires pour que les puissances qui ne sont pas déterminées par nature à un acte parfait soient déterminées par un habitus. Or, il arrive parfois qu’une puissance inférieure ne soit pas déterminée à cet acte parfait, mais qu’une puissance supérieure y soit déterminé : ainsi, la puissance concupiscible n’est pas déterminée par sa propre nature à garder le milieu dans le plaisir, mais la raison y est déterminée par nature. C’est pourquoi l’habitus de la tempérance est acquis par le concupiscible en vertu d’une puissance supérieure. Or, aucune puissance n’est déterminée par sa nature à ce qui dépasse la nature de notre raison, sur quoi porte la foi. C’est pourquoi nous avons besoin pour cet acte d’un habitus qui n’est pas acquis et qui nous aide pour deux choses : contre l’endurcissement, pour que l’intellect puisse facilement croire ce qui doit être cru; et contre l’erreur, pour qu’il discerne afin de repousser ce qui ne doit pas être cru. |
[10603] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod habitus infusus similis est habitui innato: quia sicut
naturalis habitus datur in creatione, ita infusus in reparatione. Naturalis
autem habitus, sicut intellectus principiorum, indiget ut cognitio
determinetur per sensum, quo acquisitus non indiget: quia dum acquiritur, per
actum determinationem recipit. Et similiter oportet quod fidei habitus
determinationem recipiat ex parte nostra: et quantum ad istam determinationem
dicitur fides acquiri per scientiam theologiae, quae articulos distinguit;
sicut habitus principiorum dicitur acquiri per sensum quantum ad
distinctionem principiorum, non quantum ad lumen quo principia cognoscuntur. |
1. L’habitus infus est semblable à un habitus inné, car de même que l’habitus naturel est donné par la création, de même [l’habitus] infus est-il donné par la restauration. Or, l’habitus naturel, telle l’intelligence des principes, a besoin que la connaissance soit déterminée par le sens, ce dont l’habitus acquis n’a pas besoin, car, lorsqu’il est acquis, il reçoit une détermination par son acte. De même est-il nécessaire que l’habitus de foi reçoive une détermination de notre part. Pour ce qui est de cette détermination, on dit que la foi est acquise par la science de la théologie, qui distingue les articles, comme on dit que l’habitus des principes est acquis par le sens pour ce qui est de la distinction des principes, et non pour ce qui est de la lumière par laquelle les principes sont connus. |
[10604] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod in fide quatuor considerantur; scilicet ipsum quod credendum
est, ratio voluntatem determinans ad credendum, voluntas intellectui
imperans, intellectus exequens: et secundum hoc fides quantum ad ejus
determinationem, et quantum ad ejus actum qui in nobis est, quamvis habitus
sit infusus, dicitur esse ex quatuor quae in nobis sunt. Quia quantum ad
ipsum credendum dicitur esse ex auditu: quia determinatio credendorum fit in
nobis per locutionem interiorem qua Deus nobis loquitur, vel vocem exteriorem.
Quantum vero ad rationem, quae inducit voluntatem ad credendum, dicitur esse
ex visione alicujus quod ostendit Deum esse qui loquitur in eo qui fidem
annuntiat. Quantum vero ad imperium voluntatis dicitur fides esse ex
voluntate. Quantum autem ad executionem intellectus, dicitur esse actus fidei
ex intellectu. |
2. Dans la foi, on relève quatre choses : ce qui doit être cru; la raison déterminant la volonté à croire; la volonté commandant à l’intelligence; l’intellect qui s’exécute. Ainsi dit-on que la foi, pour ce qui est de sa détermination et pour ce qui est de son acte, qui est en nous, bien qu’elle soit un habitus infus, vient de quatre choses qui sont en nous. Quant à ce qui doit être cru, on dit que [la foi] vient de ce qu’on entend, car la détermination de ce qui doit être cru se produit en nous par une parole intérieure, par laquelle Dieu nous parle, ou par une parole extérieure. Quant à la raison, qui pousse la volonté à croire, on dit qu’elle vient de la vision de quelque chose qui montre que c’est Dieu qui parle en celui qui annonce la foi. Mais, pour ce qui est du commandement de la volonté, on dit que la foi vient de la volonté. Pour ce qui est de l’intellect qui s’exécute, on dit que l’acte de foi vient de l’intelligence. |
[10605] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod philosophi, proprie loquendo, non crediderunt Deum omnipotentem,
sed sciverunt: quia demonstrative illud probaverunt. Sed si aliqui illud sine demonstratione
crediderunt, non crediderunt illud quasi Deo dicenti hoc, sed alicui signo ex
quo illud conjecturati sunt. |
3. À proprement parler, les philosophes n’ont pas cru au Dieu tout-puissant, mais ils l’ont connu par science, car ils ont démontré cela de manière démonstrative. Mais si certains ont cru cela sans démonstration, ils n’ont pas cru à cela comme si Dieu disait cela, mais par un signe selon lequel ils l’ont conjecturé. |
[10606] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod non potest habitus infusus fidei in actum exire, nisi fides
determinetur vel a Deo per revelationem, vel ab homine per doctrinam: et
simile est de habitu principiorum. |
4. L’habitus infus de la foi ne peut passer à l’acte que si la foi est déterminée par Dieu par révélation ou par l’homme par l’enseignement. Et il en va de même de l’habitus des principes. |
[10607] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod perfectio divinorum operum est ex ipso; sed quod sit in eis
aliqua imperfectio, hoc accidit ex parte recipientis. |
5. La
perfection des œuvres divines vient de lui-même. Mais qu’il y ait quelque
imperfection chez les autres, cela vient de ce qui reçoit. |
[10608] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2
ad 6 Ad sextum
dicendum, quod in actu peccati non solum est defectus debitae circumstantiae,
sed est ibi positio indebitae; et ideo non tantum est imperfectus, sed est
etiam malus; et ideo peccatum non dicitur a Deo esse. Sed in actu fidei
informis est defectus alicujus quod debet esse; non autem est ibi positio
alicujus quod esse non debeat; et ideo actus ille est imperfectus, non autem
malus; et propter hoc a Deo est actus, non autem defectus. |
6. Dans l’acte du péché, il n’y a pas seulement l’absence d’une circonstance qui est due, mais il y là la présence d’une circonstance qui est indue. L’acte n’est donc pas seulement imparfait, mais il est aussi mauvais. C’est pourquoi on ne dit pas que le péché vient de Dieu. Mais, dans l’acte de la foi informe, il y a absence de quelque chose qui doit y être, mais il n’y a pas présence de ce qui ne doit pas être. C’est pourquoi cet acte est imparfait, mais il n’est pas mauvais. Pour cette raison, il est réalisé par Dieu, mais non la carence. |
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Articulus 3 [10609] Super Sent., lib. 3
d. 23 q. 3 a. 3 tit. Utrum fides informis sit in Daemonibus |
Article 3 – La foi informe existe-t-elle chez les démons ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La foi informe existe-t-elle chez les démons ?] |
[10610] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod fides informis non sit in
Daemonibus. Visio enim fidei est in speculo et in aenigmate, ut dicitur 1
Corinth. 13. Sed aenigmatica et specularis cognitio est in nobis ex hoc quod
per sensum naturaliter cognitionem accipimus; quod non est in Daemonibus. Ergo in eis non potest esse fides informis. |
1. Il semble que la foi informe n’existe pas chez les démons. En effet, la vision de la foi se réalise dans un miroir et en énigme, comme il est dit dans 1 Co 13, 12. Or, la connaissance en énigme et dans un miroir vient en nous de ce que nous recevons naturellement notre connaissance des sens, ce qui n’est pas le cas chez les démons. Il ne peut donc exister de foi informe chez eux. |
[10611] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3
qc. 1 arg. 2 Praeterea,
fides informis est donum gratuitum, ut dictum est. Sed post peccatum, Angelo
non est infusum aliquod donum gratuitum; ante autem in eis fides non erat,
sed visio. Ergo non habent fidem informem. |
2. La foi informe est un don gratuit, comme on l’a dit. Or, après le péché, aucun don gratuit n’a été infusé chez l’ange; avant cependant, la foi n’existait pas chez eux, mais la vision. Il n’ont donc pas la foi informe. |
[10612] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3
qc. 1 arg. 3 Praeterea, actus
fidei ex voluntate est. Sed nullus actus Daemonum ex voluntate deliberata
procedens, bonus est, ut in 2 Lib., dist. 7, dictum est. Ergo cum actus fidei informis sit bonus, videtur quod
non habeant fidem informem. |
3. L’acte de foi vient de la volonté. Or, aucun acte provenant de la volonté délibérée des démons n’est bon, comme on l’a dit dans le livre II, d. 7. Puisque l’acte de foi informe est bon, il semble donc qu’ils n’aient pas la foi informe. |
[10613] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3
qc. 1 s. c. 1 Sed contra
Jacob. 11, 19: Daemones credunt, et contremiscunt. |
Cependant,
[1] Jc 11, 19 dit : Les démons croient et tremblent. |
[10614] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Rom.
1, super illud: ex fide in fidem, dicit Glossa: fides informis Daemonum
est. |
[2] À propos de Rm 1 : De la foi à la foi, la Glose dit : « La foi informe est celle des démons. » |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La foi
informe demeure-t-elle chez les hérétiques ?]
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[10615] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod in haereticis maneat fides informis. Ipsi enim credunt Deum trinum et
unum, et Deum factum hominem. Sed haec sunt supra naturam. Cum ergo ea quae
sunt supra naturam, non possint credi sine habitu fidei infuso, videtur quod
in eis maneat fides infusa. |
1. Il semble que la foi informe demeure chez les hérétiques. En effet, ils croient au Dieu trine et unique, et que Dieu est devenu homme. Or, ce sont des réalités qui dépassent la nature. Puisque ce qui dépasse la nature ne peut être cru sans l’habitus de foi infus, il semble donc que la foi infuse demeure chez eux. |
[10616] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3
qc. 2 arg. 2 Praeterea, in
scientiis ita est quod qui obliviscitur unum scibilium quae pertinent ad unam
scientiam, adhuc manet habitus quantum ad alia scibilia. Sed fides est
habitus articulorum. Ergo si aliquis haereticus discredit unum articulum,
adhuc manet fides in eo quantum ad alium articulum. |
2. Dans les sciences, l’habitus par rapport aux autres objets de la science demeure chez celui qui oublie un des objets qui relèvent d’une science. Or, la foi est un habitus en rapport avec les articles [de foi]. Si un hérétique refuse un seul article, la foi demeure donc encore en lui pour ce qui est d’un autre article. |
[10617] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3
qc. 2 arg. 3 Praeterea,
fides informis est principium timoris servilis, qui est in Daemonibus vel
haereticis. Ergo fides informis est in eis. |
3. La foi informe est le principe de la crainte servile, qui existe chez les démons ou les hérétiques. La foi informe existe donc chez eux. |
[10618] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 3 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, omnis habitus infusus expellitur per actum contrarium,
sicut patet inducendo in aliis. Sed haereticus habet actum oppositum fidei. Ergo habitus fidei in eo
non manet. |
Cependant, [1] tout habitus infus est chassé par un acte contraire, comme cela ressort en le concluant à partir d’autres cas. Or, l’hérétique pose un acte contraire à la foi. L’habitus de foi ne demeure donc pas chez lui. |
[10619] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3
qc. 2 s. c. 2 Praeterea,
esset simul fidelis et infidelis quod est impossibile. |
[2] Il serait en même temps fidèle et infidèle, ce qui est impossible. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[10620] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 3 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod de ratione fidei est
quod credens assentiat aliquibus quae non videt nec secundum se, nec
resolvere ea potest ad ea quae videt, sed inclinatur ad credendum ex aliqua
ratione quae sufficit ad determinandum assensum in id quod creditur, quamvis
non sufficiat ad inducendum ad visionem ejus quod creditur. Ratio autem haec
inducens ad credendum potest sumi vel ex aliquo creato, sicut quando per
aliquod signum inducimur ad aliquod credendum vel de Deo vel de aliis rebus;
vel sumitur ab ipsa veritate increata, sicut credimus aliqua quae nobis
divinitus dicta sunt per ministros. Et primo modo dicta fides cogit
intellectum ad credendum per hoc quod non apparet aliquid contrarium; sed
secundo modo intellectus non cogitur, sed ex voluntate inclinatur. Et primo modo est fides in Daemonibus,
inquantum ex ipsa naturali cognitione simul, et ex miraculis quae vident
supra naturam esse multo subtilius quam nos, coguntur ad credendum ea quae
naturalem ipsorum cognitionem excedunt, non autem secundo modo. |
Il fait partie de la raison de la foi que le croyant donne son assentiment à certaines choses qu’il ne voit pas par elles-mêmes et qu’il ne peut pas non plus ramener à ce qu’il voit; mais il est enclin à croire pour une raison qui suffit à déterminer son assentiment à ce qui est cru, bien qu’elle ne suffise pas à mener à la vision de ce qui est cru. Or, la raison qui conduit à croire peut être prise d’une chose créée, comme lorsque, par un signe, nous sommes amenés à croire quelque chose, ou [elle peut être prise] de Dieu ou d’autres réalités; ou bien elle est prise de la Vérité incréée elle-même, comme nous croyons à certaines choses qui nous ont été dites par Dieu par l’intermédiaire de ses ministres. De la première manière, la foi force l’intelligence à croire du fait que ne se présente rien de contraire; mais, de la seconde manière, l’intellect n’est pas forcé, mais il est incliné par la volonté. Selon la première manière, la foi existe chez les démons, dans la mesure où ils voient d’une manière bien plus raffinée que nous que cela dépasse la nature, et où ils sont forcés à croire ce qui dépasse leur connaissance naturelle. Mais [la foi n’existe pas chez eux] de la seconde manière. |
[10621] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quamvis in intellectu Daemonis non sit obscuritas quae est in
nobis ex sensu, est tamen obscuritas alia per hoc quod non possunt per
cognitionem supernaturalem ad visionem veritatis pertingere, quam credere per
aliqua signa compelluntur. |
1. Bien qu’il n’y ait pas dans l’intelligence du Démon l’obscurité qui existe chez nous en raison des sens, il existe cependant une obscurité du fait qu’il ne peuvent atteindre par une connaissance surnaturelle la vision de la vérité, qu’ils sont forcés de croire par certains signes. |
[10622] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod fides quae est in eis non est habitus infusus, sed ex naturali
cognitione procedit. |
2. La foi qui existe en eux n’est pas un habitus infus, mais vient de la connaissance naturelle. |
[10623] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in eis intellectus cogitur ad assentiendum;
unde non omnino ex libera voluntate procedit. |
3. Chez eux, l’intelligence est forcée de donner son assentiment. Il ne vient donc pas entièrement de la volonté libre. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[10624] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 3 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut supra dictum est, fidei
habitus infusus in duobus nos adjuvat, scilicet ut credamus quae credenda
sunt, et ut eis quae non sunt credenda, nullo modo assentiamus. Primum autem homo potest ex ipsa
aestimatione sine habitu infuso; sed secundum, scilicet ut discrete in haec
et non in illa inclinetur, est ex habitu infuso tantum; quae quidem discretio
est secundum quam non credimus omni spiritui: quae quia in haeretico non est,
constat quod habitus fidei in ipso non manet. Et si aliqua credenda credat,
hoc est ex ratione humana: si enim habitu fidei ad haec credenda
inclinaretur, contraria fidei refutaret, sicut omnis habitus renititur eis
quae contra illum habitum sunt. |
Comme on l’a dit plus haut, l’habitus infus de la foi nous aide pour deux choses : pour que nous croyions ce qui doit être cru et pour que nous ne donnions en rien notre assentiment à ce qui ne doit pas être cru. Or, l’homme peut faire la première chose par son propre jugement sans habitus infus; mais la seconde chose, à savoir juger d’incliner à juste titre vers ceci et non vers cela, ne vient que de l’habitus infus. Ce jugement consiste à ne pas croire tout esprit. Parce qu’il ne se trouve pas chez l’hérétique, il est clair que l’habitus de foi ne demeure pas chez lui. Et s’il croit certaines choses qui doivent être crues, cela vient de la raison humaine. En effet, s’il était enclin à croire ce qui doit être cru par l’habitus de foi, il repousserait ce qui est contraire à la foi, comme tout habitus résiste à ce qui contraire à cet habitus. |
[10625] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quamvis credant aliquid quod est supra naturam, non tamen
credunt illud per habitum infusum quo dirigantur, sed per aestimationem
humanam. |
1. Bien qu’ils croient certaines choses qui dépassent la nature, ils ne croient cependant pas cela par un habitus infus, par lequel ils sont dirigés, mais par un jugement humain. |
[10626] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod habitus scientiae inclinat ad scibilia per modum rationis; et
ideo potest habens habitum scientiae aliqua ignorare quae ad illum habitum
pertinent. Sed habitus
fidei cum non rationi innitatur, inclinat per modum naturae, sicut et habitus
moralium virtutum, et sicut habitus principiorum; et ideo quamdiu manet,
nihil contra fidem credit. |
2. L’habitus de la science incline aux objets de connaissance par mode de raisonnement; c’est pourquoi celui qui possède l’habitus de la science peut ignorer certaines choses qui se rapportent à cet habitus. Or, l’habitus de la foi, puisqu’il ne repose pas sur la raison, incline par mode de nature comme les habitus des vertus morales et comme l’habitus des principes. C’est pourquoi, aussi longtemps qu’il demeure, il ne croit rien de contraire à la foi. |
[10627] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ex illa aestimatione humana etiam in eis
timor servilis causatur sicut in Daemonibus. |
3. Par ce jugement humain, est aussi causée en eux la crainte servile, comme chez les démons. |
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Articulus 4 [10628] Super Sent., lib. 3
d. 23 q. 3 a. 4 tit. Utrum fides informis evacuetur adveniente caritate |
Article 4 – La foi informe est-il rejetée lorsque survient la charité ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La foi informe est-elle rejetée lorsque survient la charité ?] |
[10629] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod fides informis evacuetur caritate adveniente. 1 Corinth.
13, 10: cum venerit quod perfectum est, evacuabitur quod ex parte est,
sicut veniente visione evacuabitur fides. Sed fides informis est imperfecta
respectu fidei formatae. Ergo fides informis tollitur adveniente formata. |
1. Il semble que la foi informe soit rejetée lorsque survient la charité. 1 Co 13, 10 : Lorsque surviendra ce qui est parfait, ce qui était imparfait sera rejeté, comme lorsque surviendra la vision, la foi sera rejetée. Or, la foi informe est imparfaite par rapport à la foi formée. La foi informe est donc écartée lorsque la foi formée survient. |
[10630] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4
qc. 1 arg. 2 Praeterea, fides informis est principium timoris servilis. Sed
adveniente caritate tollitur timor servilis. Ergo et fides informis. |
2. La foi informe est le principe de la crainte servile. Or, lorsque survient la charité, la crainte servile est écartée. Donc aussi, la foi informe. |
[10631] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, gratia adveniens non habet minorem efficaciam in fideli
quam in infideli. Sed in infideli totum fidei habitum causat. Ergo et in
fideli qui habet fidem formatam. Sed fides formata et informis sunt unius speciei,
ut patet ex dictis. Ergo cum duae
formae unius speciei non possint simul esse in eodem subjecto, oportet quod
adveniente caritate et gratia, fides informis tollatur. |
3. Lorsque survient la grâce, elle n’a pas une efficacité moindre chez le fidèle que chez l’infidèle. Or, chez l’infidèle, elle cause la totalité de l’habitus de la foi. Donc, chez le fidèle aussi qui a une foi formée. Or, la foi formée et la foi informe appartiennent à une seule espèce, comme cela ressort de ce qui a été dit. Puisque deux formes d’une seule espèce ne peuvent exister en même temps dans le même sujet, il est donc nécessaire que, lorsque surviennent la charité et la grâce, la foi informe soit écartée. |
[10632] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
dona infusa sunt permanentiora quam acquisita. Sed gratia adveniens non
tollit habitus acquisitos. Ergo multo minus tollit habitum infusum fidei. |
Cependant, [1] les dons infus sont plus durables que les [habitus] acquis. Or, lorsque survient la grâce, elle n’enlève pas les habitus acquis. Encore bien moins n’enlève-t-elle donc pas l’habitus infus de la foi. |
[10633] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, nihil
corrumpitur nisi a suo contrario. Sed fides informis non contrariatur
gratiae: quia habitus boni non sunt contrarii ad invicem, sed solum mali, seu
bonus malo. Ergo fides
informis non tollitur secundum habitum adveniente caritate. |
[2] Rien n’est corrompu que par son contraire. Or, la foi informe n’est pas le contraire de la grâce, car les habitus bons ne sont pas contraires les uns aux autres, mais seuls les mauvais ou un [habitus] bon sont contraires au mal. La foi informe n’est donc pas enlevée en tant qu’habitus lorsque survient la charité. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [L’habitus de
la foi informe demeure-t-il quant à son acte ?]
|
[10634] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod etiamsi maneat quantum ad habitum, non maneat quantum ad actum. Per actum enim fidei informis etsi aliquid
fiat quod est bonum, non tamen aliquid bene. Sed per actum fidei formatae
aliquid bene fit. Ergo fides informis non manet quantum ad actum suum
adveniente caritate. |
1. Il semble que, même s’il demeure quant à l’habitus, il ne demeure pas quant à son acte. En effet, même si quelque chose de bon est accompli par l’acte de la foi informe, ce n’est cependant pas bien accompli. Or, par l’acte de la foi formée, quelque chose est bien accompli. La foi informe ne demeure donc pas quant à son acte lorsque survient la charité. |
[10635] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
lumen minus non illuminat praesente majore lumine. Sed fides informis est
minus lumen quam caritas. Ergo praesente caritate actus fidei informis non
manet. |
2. La lumière plus faible n’éclaire pas en présence d’une lumière plus grande. Or, la foi informe est une lumière moindre que la charité. En présence de la charité, l’acte de la foi informe ne demeure donc pas. |
[10636] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4
qc. 2 arg. 3 Praeterea,
unusquisque virtuosus operatur quanto melius potest, sicut et natura. Sed
actus fidei formatae quem virtuosus habens caritatem exercet, melior est actu
fidei informis. Ergo in eo actus fidei informis vacat; sicut ille qui potest
aliquid per syllogismum demonstrativum cognoscere, non curat per syllogismum
dialecticum illud considerare. |
3. Tous les vertueux agissent du mieux qu’ils le peuvent, comme la nature. Or, l’acte de la foi formée qu’accomplit le vertueux qui possède la charité est meilleur que l’acte de la foi informe. L’acte de la foi informe est donc inutile chez lui, comme celui qui peut connaître quelque chose par un syllogisme démonstratif ne s’occupe pas de le considérer par un syllogisme dialectique. |
[10637] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4
qc. 2 s. c. 1 Sed contra, in
moralibus multo minus est aliquid frustra quam in naturalibus, et praecipue
quantum ad habitus infusos. Sed habitus
sine actu frustra est, cum actus sit finis ejus, sicut et potentiae. Ergo non
est habitus fidei sine actu. |
Cependant, [1] dans les réalités morales, quelque chose est encore bien moins inutile que dans les choses naturelles, surtout pour ce qui concerne les habitus infus. Or, un habitus sans acte est inutile, puisque l’acte est sa fin, comme il est celui de la puissance. Il n’y a donc pas d’habitus de foi sans acte. |
[10638] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4
qc. 2 s. c. 2 Praeterea, actus
fidei informis est credere Deo vel Deum. Sed haec manet adveniente caritate. Ergo actus fidei informis
non evacuatur. |
[2] L’acte de la foi informe consiste à croire à Dieu ou Dieu. Or, cela demeure lorsque survient la charité. L’acte de la foi informe n’est donc pas rejeté. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La foi
informe peut-elle devenir la foi formée ?]
|
[10639] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod fides informis non possit fieri fides formata. Fides enim
informis mortua est, ut dicitur Jac. 2. Sed opus mortuum non vivificatur.
Ergo nec fides informis vivificatur per formam caritatis. |
1. Il semble que la informe ne puisse pas devenir la foi formée. En effet, la foi informe est une foi morte, comme il est dit en Jc 2. Or, une œuvre morte n’est pas ramenée à la vie. La foi informe n’est donc pas non plus ramenée à la vie par la foi formée. |
[10640] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4
qc. 3 arg. 2 Praeterea, fides
est accidens. Sed accidentia, ut dicit Boetius, variari non possunt. Ergo videtur quod illa eadem fides quae
fuit informis, non possit fieri formata. |
2. La foi est un accident. Or, les accidents, comme le dit Boèce, ne peuvent être changés. Il semble donc que la même foi qui était informe ne puisse devenir formée. |
[10641] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4
qc. 3 arg. 3 Praeterea, ex
duobus accidentibus non fit unum. Sed gratia adveniens est unum accidens.
Ergo ipsa non format fidem informem prius, sed novum habitum fidei formatae
causat. |
3. Un seul accident ne provient pas de deux accidents. Or, la grâce qui survient est un seul accident. Elle ne donne donc pas forme à la foi qui était d’abord informe, mais elle cause un nouvel habitus de foi formée. |
[10642] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 3 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, natura semper operatur via brevissima. Ergo similiter et gratia. Sed haec via est magis brevis, ut habitus
prius informis formetur, quam novus habitus infundatur. Ergo illa fides quae
prius erat informis, informatur. |
Cependant, [1] la nature agit toujours par le chemin le plus court. Il en va donc de même de la grâce. Or, c’est un chemin plus court que l’habitus d’abord informe soit formé, plutôt que l’infusion d’un nouvel habitus. Donc, la foi qui était d’abord informe est formée. |
[10643] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4
qc. 3 s. c. 2 Praeterea,
habitus infusus plus convenit cum gratia quam potentia naturalis. Sed potentia naturalis
imperfecta et informis per gratiam advenientem formatur. Ergo multo fortius
habitus fidei informis. |
[2] L’habitus infus a plus en commun avec la grâce qu’avec une puissance naturelle. Or, une puissance naturelle imparfaite et informe est formée par la grâce qui survient. À bien plus forte raison donc, l’habitus de la foi informe. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[10644] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 3 a. 4 qc. 1 co. Respondeo ad primam quaestionem dicendum, quod remoto eo quod non
pertinet ad speciem rei, non oportet quod substantia rei tollatur; sicut si
ab aere tollatur tenebra, adhuc manet aer. Informitas autem fidei non
pertinet ad speciem fidei: quia species fidei est per modum quem habet ex
natura potentiae, in qua est sicut in subjecto per relationem ad suum
objectum. Dicitur autem formata et informis per relationem ad aliquid extrinsecum,
scilicet ad voluntatem, ut dictum est; sicut aer formatur lumine per oppositionem
corporis luminosi; et ideo patet quod informitas non pertinet ad speciem
fidei. Cum ergo
caritas adveniens non tollat nisi informitatem a fide, constat quod
substantia habitus fidei adhuc manet. |
Si on enlève ce qui ne se rapporte pas à l’espèce d’une chose, il n’est pas nécessaire que la substance de la chose soit écartée : ainsi, si les ténèbres sont enlevées de l’air, l’air continue de demeurer. Or, le caractère informe de la foi ne se rapporte pas à l’espèce de la foi, car l’espèce de la foi existe selon le mode qu’elle tient de la nature de la puissance, dans laquelle elle existe comme dans son sujet en rapport avec son objet. Or, on parle de foi informe et de foi formée par rapport à quelque chose d’extrinsèque, à savoir à la volonté, comme on l’a dit, de même que l’air est formé par la lumière par opposition au corps lumineux. C’est pourquoi il est clair que le caractère informe ne se rapporte pas à l’espèce de la foi. Puisque la charité qui survient n’enlève que le caractère informe de la foi, il est donc clair que la substance de l’habitus de la foi continue de demeurer. |
[10645] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod imperfectio quam habet fides respectu visionis, est secundum
genus cognitionis; et ideo pertinet ad speciem fidei; et propter hoc visio
adveniens fidem evacuat; non autem ita est in proposito, ut dictum est. |
1. L’imperfection de la foi par rapport à la vision se trouve dans la genre de la connaissance. C’est pourquoi elle se rapporte à l’espèce de la foi. Pour cette raison, la vision qui survient rejette la foi. Mais il n’en va pas de même dans la question en cause, comme on l’a dit. |
[10646] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod etiam timor servilis non tollitur quantum ad habitum, sed
quantum ad servilitatem. |
2. Même la crainte servile n’est pas écartée quant à l’habitus, mais quant au caractère servile. |
[10647] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod gratia in habente fidem non causat alium habitum fidei: et hoc
non est per inefficaciam gratiae, sed accidit ex parte subjecti, quod non
potest recipere id quod jam habet. |
3. La grâce chez celui qui a la foi ne cause pas un autre habitus de foi, et cela ne vient pas de l’inefficacité de la grâce, mais cela vient du sujet, qui ne peut recevoir ce qu’il possède déjà. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[10648] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 3 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam
quaestionem dicendum, quod sicut manet habitus fidei informis sine
informitate, ita et actus sine informitate: quia habitus est quo quis agit,
cum tempus affuerit, ut dicit Augustinus. |
De même que demeure l’habitus de la foi informe sans le caractère informe, de même [demeure] l’acte sans le caractère informe, car « l’habitus est ce par quoi quelqu’un agit, lorsque c’est le temps », comme le dit Augustin. |
[10649] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc quod aliquis per fidem informem
faciat bonum, pertinet ad substantiam habitus; et ideo hoc manet: sed quod
faciat non bene, hoc pertinet ad informitatem, et ideo non manet. |
1. Ce que quelqu’un accomplit de bien par la foi informe se rapporte à la substance de l’habitus; c’est pourquoi cela demeure. Mais ce qu’il n’accomplit pas bien se rapporte au caractère informe; c’est pourquoi cela ne demeure pas. |
[10650] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod lumen fidei informis et caritatis non sunt unius rationis: et
ideo unum non offuscat aliud, sed perficit illud, cum unum sit materiale
respectu alterius. |
2. La lumière de la foi informe et de la charité ne sont pas d’une seule raison. Aussi l’une n’obscurcit-elle pas l’autre, mais la perfectionne, puisqu’elle joue le rôle de matière par rapport à l’autre. |
[10651] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod actus fidei informis deficit ab actu fidei formatae ratione
informitatis, et secundum hoc non manet. |
3. L’acte de la foi informe est en état de carence par rapport à l’acte de la foi formée en raison de son caractère informe; sous cet aspect, il ne demeure pas. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3 |
[10652] Super Sent., lib. 3 d.
23 q. 3 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, sicut dicit philosophus in 6
Ethic., in homine ante completum esse virtutis moralis, existit quaedam
naturalis inclinatio ad virtutem illam, quae dicitur virtus naturalis; et
haec eadem virtutis rationem sumit, secundum quod a superiori potentia,
scilicet ratione, perfectionem accipit; et similiter fides informis
praeexistit in intellectu ante completum esse virtutis; sed rationem virtutis
accipit ex perfectione superioris potentiae, scilicet voluntatis: unde una et
eadem fides quae prius erat informis, postea fit formata. Nec est alia fides quae advenit: quia fides
formata et informis non differunt specie, ut ex dictis patet. Duae autem
formae unius speciei simul esse non possunt: quia formae diversificantur
secundum numerum ex diversitate materiae vel subjecti. |
1. Comme le dit le Philosophe dans Éthique, VI, il existe chez l’homme, avant que n’existe complètement une vertu morale, une inclination naturelle à cette vertu, qu’on appelle une puissance naturelle (virtus naturalis). C’est celle-là même qui reçoit la raison de vertu selon qu’elle est perfectionnée par une puissance supérieure, à savoir, la raison. De même, la foi informe préexiste-t-elle dans l’intelligence avant l’être complet de cette vertu; mais elle reçoit la raison de vertu de la perfection d’une puissance supérieure, à savoir, la volonté. Aussi l’unique et la même foi, qui était d’abord informe, devient-elle par la suite formée. Et ce n’est pas une autre foi qui survient, car la foi formée et la foi informe ne diffèrent pas selon l’espèce, comme cela ressort de ce qui a été dit. Or, deux formes d’une seule espèce ne peuvent exister simultanément, car les formes se diversifient selon le nombre par la diversité de leur matière ou de leur sujet. |
[10653] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod opus mortuum transit, et non potest idem numero iterum sumi,
et ideo vivificari non potest; sed habitus informis manet, et ideo formari
potest. |
1. L’œuvre morte passe, et la même en nombre ne peut être reprise; c’est pourquoi elle ne peut être ramenée à la vie. Mais l’habitus informe demeure : il peut donc être formé. |
[10654] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod accidens non variatur quasi subjectum variationis, sed quia
secundum ipsum, subjectum diversimode se habet, quod subjectum variationis
est, sicut patet in intensione et remissione caloris. |
2. L’accident ne change pas comme sujet du changement, mais parce que le sujet du changement est disposé de manière différente, comme cela ressort dans l’intensification et la diminution de la chaleur. |
[10655] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod ex gratia et fide non fit unum accidens; sed modus caritatis
participatur ad perfectionem fidei, sicut modus prudentiae participatur ad
perfectionem virtutis moralis: et ideo caritas adveniens dicitur formare
fidem praeexistentem. |
3. Un seul accident n’est pas réalisé par la grâce et par la foi, mais le mode de la charité participe à la perfection de la foi, comme le mode de la prudence participe à la perfection de la vertu morale. On dit donc que la charité qui survient donne forme à la foi préexistante. |
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Expositio textus |
Explication du texte de Pierre
Lombard, Distinction 23
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[10656] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4
qc. 3 expos. Accipitur
autem fides tribus modis. Fides
proprie dicitur ex hoc quod aliquis assentit eis quae non videt. Hoc autem
contingit dupliciter. Uno modo secundum quod homo inducitur per rationem
humanam: et sic dicitur fides opinio vehemens. Et adhuc magis extenso nomine
omnis certitudo quae fit per rationem humanam, etiamsi ad visionem inducat,
dicitur fides, secundum quod argumentum dicitur ratio rei dubiae faciens
fidem. Dicitur autem et veracitas hominis fides, inquantum est causa quod
credat quis etiam de his quae non videt; et sic dicit Tullius, quod fides est
fundamentum justitiae, fidem pro fidelitate accipiens. Et ulterius ipsa
conscientia secundum quam aliquis hanc veracitatem tenet, dicitur fides. Rom.
14, 23: omne quod non est ex fide, Glossa: idest ex conscientia.
Alio modo secundum quod homo inducitur per rationem divinam: et sic dicitur
fides ipse habitus quo creditur, sive sit formatus sive informis, et actus,
et objectum, et sacramentum, inquantum est causa et signum hujus fidei, et
quaelibet certitudo quae habetur de divinis, extenso nomine dicitur fides
etiamsi videantur. Non sicut corpora. Sciendum, quod hic Augustinus
experimentalem cognitionem quam quis habet de fide sua separat a quatuor
generibus visionum: scilicet a visione exteriori, per hoc quod dicit: sicut
corpora; et a visione imaginationis quae ex ipsa relinquitur, in hoc quod
dicit: et per ipsorum imaginationem; et a visione imaginativae, quae
ex diversis imaginibus rerum visarum format aliquam rem nunquam visam, in hoc
quod dicit: non sicut ea quae non videmus; et a visione intellectuali
eorum quae sunt extra nos, per hoc quod dixit: nec sicut hominem. Quid est
fides nisi credere quod non vides ? Hic definit habitum fidei per actum
proprium. |
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Distinctio 24 |
Distinction 24 – [L’objet de la
foi]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Quel est l’objet de la foi ?]
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Prooemium |
Prologue |
[10657] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de fide
secundum suam substantiam, hic determinat de ea in comparatione ad suum
objectum; et introducitur pars ista occasione definitionis fidei ab apostolo
datae, qua fidem argumentum non apparentium dicit. Dividitur autem pars haec
in duas: in prima inquirit, utrum fides sit de non visis; in secunda utrum
sit de incognitis, ibi: post haec quaeri solet. Circa primum duo
facit: primo ostendit fidem, proprie loquendo, esse de non visis; secundo
removet quamdam instantiam quae fieri posset, ibi: si vero quaeritur,
utrum Petrus fidem passionis habuerit (...) dicimus eum fidem passionis
habuisse. Hic quaeruntur tria: 1 quid sit objectum fidei; 2 qualiter se
habeat ad cognitionem nostram; 3 de merito et laude fidei. |
Après avoir déterminé de la substance de la foi, le Maître en détermine par rapport à son objet. Cette partie est introduite à cause de la définition donnée par l’Apôtre, selon laquelle il dit que la foi est la preuve de ce qui n’est pas visible. Cette partie se divise en deux : dans la première, il se demande si la foi porte sur ce qui n’est pas vu; dans la seconde, si elle porte sur ce qui n’est pas connu, à cet endroit : « Après cela, on a coutume de s’interroger… » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre qu’à proprement parler, la foi porte sur ce qui n’est pas vu; deuxièmement, il écarte la question insistante qu’on pourrait poser, à cet endroit : « Mais si l’on demande si Pierre a eu foi en la passion…, nous disons qu’il a eu foi en la passion. » Ici, trois questions sont posées : 1 – Quel est l’objet de la foi ? 2 – Quel rapport a-t-elle avec notre connaissance ? 3 – À propos du mérite et de la louange de la foi. |
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Articulus 1 [10658] Super Sent., lib. 3
d. 24 q. 1 a. 1 tit. Utrum veritas increata sit objectum fidei |
Article 1 – La Vérité incréée est-elle l’objet de la foi ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La Vérité incréée est-elle l’objet de la foi ?] |
[10659] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod veritas increata non sit objectum fidei. Fides enim est
de his quae sub symbolo continentur, quod est collectio credendorum. Sed in
symbolo continentur quaedam quae ad creaturam pertinent, sicut passio, et
hujusmodi. Ergo objectum fidei non est veritas increata. |
1. Il semble que la Vérité incréée ne soit pas l’objet de la foi. En effet, la foi porte sur ce qui est contenu dans le symbole, qui est un recueil de ce qui doit être cru. Or, dans le symbole, sont contenues certaines choses qui se rapportent à la créature, comme la passion et les choses de ce genre. L’objet de la foi n’est donc pas la Vérité incréée. |
[10660] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 2 Praeterea, fides,
ut Augustinus dicit, per sanctam Scripturam instruitur. Sed in ea multa de
creaturis continentur. Ergo fidei objectum non est tantum veritas increata. |
2. Comme le dit Augustin, « on intruit de la foi par la Sainte Écriture ». Or, beaucoup de choses portant sur les créatures sont contenues en celle-ci. L’objet de la foi n’est donc pas seulement la Vérité incréée. |
[10661] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 3 Praeterea, fides a prophetica revelatione initium sumpsit. Sed prophetia est de rebus creatis, cum
contineat differentias temporis, quibus creatura subjacet. Ergo et fides. |
3. La foi a son origine dans la révélation prophétique. Or, la prophétie porte sur des réalités créées, puisqu’elle contient des différences de temps auxquelles la créature est soumise. Donc, la foi aussi. |
[10662] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 4 Praeterea,
forma universalis non est principium operandi, quia est a motu remota; unde
ratio universalis, quae est formarum universalium, non movet, sicut patet per
philosophum in 3 de anima. Sed veritas prima est magis a materia et motu
remota quam aliqua forma universalis. Cum ergo fides sit operativus habitus
quodammodo, quia per dilectionem operatur, ut dicitur Galat. 4, videtur quod
objectum fidei non possit esse veritas prima. |
4. Une forme universelle n’est pas un principe d’opération, car elle est éloignée du mouvement. La raison universelle, qui porte sur les raisons universelles, ne meut donc pas, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Sur l’âme, III. Or, la Vérité première est plus éloignée de la matière et du mouvement qu’une forme universelle. Puisque la foi est d’une certaine manière un habitus opératif, car elle agit par l’amour, comme il est dit en Ga 4, il semble donc que l’objet de la foi ne puisse être la Vérité première. |
[10663] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 5 Praeterea,
virtutes theologicae, ut supra dictum est, ordinant nos in finem. Sed finis
noster non tantum est Deus, sed etiam gloria creata. Ergo et fides etiam circa veritatem creatam
est. |
5. Comme on l’a dit plus haut, les vertus théologales nous ordonnent à la fin. Or, notre fin n’est pas seulement Dieu, mais aussi la gloire créée. La foi porte donc aussi sur la vérité créée. |
[10664] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 1 s. c. 1 Sed contra est
quod dicit Dionysius, quod divina fides est circa simplicem et semper
existentem veritatem. Hoc autem est veritas increata. Ergo objectum fidei est
verum increatum. |
Cependant, [1] Denys dit que la foi divine porte sur la Vérité simple et éternelle. Or, c’est là la Vérité incréée. L’objet de la foi est donc le Vrai incréé. |
[10665] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, ab eodem res denominatur a quo recipit speciem. Sed habitus
speciem recipiunt ab objecto. Cum ergo fides dicatur a Deo virtus theologica,
videtur quod objectum proprium ejus est veritas increata. |
[2] Une chose est nommée à partir de ce dont elle reçoit son espèce. Or, les habitus reçoivent leur espèce de leur objet. Puisque la foi est appelée par Dieu une vertu théologale, il semble donc que son objet propre soit la Vérité incréée. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La foi
porte-t-elle sur une vérité complexe ?]
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[10666] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod fides non sit circa verum complexum. Quia, ut dictum est,
objectum fidei est simplex veritas. Sed in simplici non cadit aliqua
complexio. Ergo non est circa verum complexum. |
1. Il semble que la foi ne porte pas sur une vérité complexe, car, ainsi qu’on l’a dit, l’objet de la foi est la Vérité simple. Or, il n’y a pas de complexité dans quelque chose de simple. Elle ne porte donc pas sur une vérité complexe. |
[10667] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 2 Praeterea, fidei
succedit visio. Sed visio patriae erit de incomplexo. Ergo et fides. |
2. La vision succède à la foi. Or, la vision de la patrie portera sur quelque chose de non complexe. Donc, la foi aussi. |
[10668] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 3 Praeterea, fides
formatur caritate. Sed caritas habet pro objecto bonum incomplexum. Ergo et
fides verum incomplexum. |
3. La foi est formée par la charité. Or, la charité a comme objet un bien non complexe. La foi a donc [comme objet] le vrai non complexe. |
[10669] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 4 Praeterea, sicut
dicit philosophus in 3 de anima, in compositione intellectuum cadit tempus. Sed de substantia fidei non videtur esse
tempus; alioquin nullus fuisset tempore nativitatis Christi fidelis, nisi qui
credidisset eum tunc nasci. Ergo fides non est circa verum complexum. |
4. Comme le dit le Philosophe dans Sur l’âme, III, le temps intervient dans la composition des intellects. Or, il ne semble pas que le temps fasse partie de la substance de la foi, autrement personne n’aurait été croyant au temps de la naissance du Christ que celui qui aurait cru qu’il naissait alors. La foi ne porte donc pas sur le vrai complexe. |
[10670] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 5 Praeterea, fides
eadem est semper. Sed enuntiabilia non manent eadem: quia nos credimus
Christum natum, quem patres crediderunt nasciturum. Ergo fides non est enuntiabilium. |
5. La foi est toujours la même. Or, les énoncés ne demeurent pas toujours les mêmes, car nous croyons que le Christ est né, alors que les pères croyaient qu’il devait naître. La foi ne porte donc pas sur des énoncés. |
[10671] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 2 s. c. 1 Sed contra, fides
est media inter opinionem et scientiam. Sed tam scientia quam opinio est
enuntiabilium. Ergo et fides. |
Cependant, [1] la foi est intermédiaire entre l’opinion et la science. Or, tant la science que l’opinion portent sur des énoncés. Donc, la foi aussi. |
[10672] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, per fidem differt fidelis ab infideli. Non autem differt per incomplexum: quia
Judaeus credit adventum Christi sicut et nos; sed in hoc distinguimur, quia
nos credimus eum venisse, quem ipsi expectant venturum. Ergo fides est de
complexis. |
[2] C’est par la foi que le croyant diffère de l’incroyant. Or, il ne diffère pas par quelque chose qui n’est pas complexe, car le Juif a cru à l’avènement du Christ comme nous; mais nous nous distinguons parce que nous croyons qu’il est venu, alors qu’ils attendent sa venue. La foi porte donc sur des réalités complexes. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La foi
peut-elle porter sur quelque chose de faux ?]
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[10673] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod fidei possit subesse falsum. Omne enim verum contingens potest
esse falsum. Sed fidei subest aliquod verum contingens, scilicet passio
Christi, quia fuit voluntaria, et ex libero arbitrio tam Christi quam
Judaeorum dependens. Ergo fidei potest subesse falsum. |
1. Il semble que la foi puisse porter sur quelque chose de faux. En effet, tout contingent vrai peut être faux. Or, la foi porte sur un contingent vrai, la passion du Christ, car elle a été volontaire et elle dépendait tant du libre arbitre du Christ que de celui des Juifs. La foi peut donc porter sur quelque chose de faux. |
[10674] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 2 Praeterea, in
tempore ante passionem Christi postquam credidit Abraham Christi passionem
futuram, constat quod possibile fuit tunc Deo alio modo humanum genus
liberare: quod si fuisset, fides Abrahae falsificata fuisset. Ergo fidei potest subesse falsum. |
2. Avant la passion du Christ, après que Abraham eut cru que à la passion future du Christ, il est clair qu’il était possible pour Dieu de libérer le genre humain d’une autre manière. Si cela avait été le cas, la foi d’Abraham aurait été fausse. La foi peut donc porter sur quelque chose de faux. |
[10675] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 3 Praeterea,
spei potest subesse falsum: quia aliquis sperat se habiturum vitam aeternam
qui nunquam habebit: et similiter caritati: quia aliquis promittit aliquid ex
caritate quod non faciet, sicut de apostolo patet 1 Cor. 1. Ergo et fidei. |
3. L’espérance peut porter sur quelque chose de faux, car quelqu’un espère obtenir la vie éternelle, alors qu’il ne l’obtiendra pas. De même pour la charité, car quelqu’un promet par charité quelque chose qu’il ne fera pas, comme cela ressort de 1 Co 1. C’est donc aussi le cas de la foi. |
[10676] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 4 Praeterea,
latria per fidem dirigitur. Sed in actu latriae aliquis potest errare, sicut
qui credit esse hostiam consecratam quae non est consecrata, et eam adorat.
Ergo et fidei potest subesse falsum. |
4. La latrie est dirigée par la foi. Or, quelqu’un peut se tromper dans l’acte de latrie, comme celui qui croit qu’une hostie non consacrée est consacrée et l’adore. La foi peut donc porter sur quelque chose de faux. |
[10677] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 3 s. c. 1 Sed contra,
fides est certior quam scientia, ut supra dictum est. Sed scientiae non
subest falsum. Ergo multo minus fidei. |
Cependant, [1] la foi est plus certaine que la science, comme on l’a dit plus haut. Or, le faux n’est pas objet de science. Donc, encore bien moins de la foi. |
[10678] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 3 s. c. 2 Praeterea, per
nullam virtutem producitur actus malus: quia bonus usus potentiae est actus
virtutis, ut dicit Augustinus. Sed opinari falsum est malus usus intellectus. Cum ergo fides sit
virtus, non contingit fidei subesse falsum. |
[2] Aucune vertu ne produit un acte mauvais, car « le bon usage d’une puissance est un acte de vertu », comme le dit Augustin. Or, avoir une fausse opinion est un mauvais usage de l’intelligence. Puisque la foi est une vertu, il n’arrive donc pas que la foi porte sur quelque chose de faux. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[10679] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod in objecto alicujus
potentiae contingit tria considerare: scilicet id quod est formale in
objecto, et id quod est materiale, et id quod est accidentale; sicut patet in
objecto visus: quia formale in ipso est lumen, quod facit colorem visibilem
actu; materiale vero ipse color, qui est potentia visibilis; accidentale
vero, sicut quantitas et alia hujusmodi, quae colorem comitantur. Et quia unumquodque agit secundum quod est
in actu et per suam formam, objectum autem est activum in virtutibus
passivis; ideo ratio objecti, ad quam proportionatur potentia passiva, est id
quod est formale in objecto; et secundum hoc diversificantur potentiae et
habitus, qui ex ratione objecti speciem recipiunt: et haec tria est invenire
in objecto fidei. Cum enim fides non assentiat alicui, nisi propter veritatem
primam credibilem, non habet quod sit actu credibile nisi ex veritate prima,
sicut color est visibilis ex luce; et ideo veritas prima est formale in
objecto fidei, et a qua est tota ratio objecti. Quidquid autem est illud quod
de Deo creditur, sicut est passum esse, vel aliquid hujusmodi, hoc est
materiale in objecto fidei; ea autem quae ex istis credibilibus consequuntur,
sunt quasi accidentaliter. Et ideo concedendum est, quod objectum fidei,
proprie loquendo, est veritas prima. |
Dans l’objet d’une puissance, on peut considérer trois choses : ce qui se trouve formellement dans l’objet, ce qui est matériel et ce qui est accidentel, comme cela est clair pour l’objet de la vue : la lumière, qui rend la couleur visible en acte, est ce qui est formel en elle; la couleur elle-même, qui est visible en puissance, est ce qui est matériel; mais la quantité et les autres choses de ce genre, qui accompagnent la couleur, sont ce qui est accidentel. Et parce que toute chose agit selon qu’elle est en acte et par sa forme, mais que l’objet est actif pour les puissances passives, la raison d’objet, à laquelle la puissance passive est proportionnée, est ce qui est formel dans l’objet. Ainsi se différencient les puissances et les habitus, qui reçoivent leur espèce de la raison de l’objet. On trouve aussi ces trois choses dans l’objet de la foi. En effet, puisque la foi ne donne son assentiment à quelque chose qu’en raison de la Vérité première qui est crédible, et que cela n’est objet de la foi en acte qu’en vertu de la Vérité première, comme la couleur est visible par la lumière, la Vérité première est donc ce qui est formel dans l’objet de la foi et toute la raison de l’objet vient d’elle. Or, tout ce que l’on croit à propos de Dieu, comme le fait qu’il a souffert ou quelque chose de ce genre, cela est matériel dans l’objet de la foi; mais ce qui découle de ces objets de foi joue pour ainsi dire le rôle d’accidents. Il faut donc concéder que l’objet de la foi est à proprement parler la Vérité première. |
[10680] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod passio, et alia hujusmodi quae
continentur in symbolo, se habent materialiter ad objectum fidei. |
1. La passion et les autres choses de ce genre, qui sont contenues dans le symbole, jouent le rôle de matière par rapport à l’objet de la foi. |
[10681] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod in sacra Scriptura instruitur fides quantum ad essentialia
fidei, sicut sunt quae de Deo in ipsa dicuntur, et quantum ad accidentalia,
sicut sunt gesta patrum, et alia hujusmodi, quae ad fidem pertinent,
inquantum sunt divinitus inspirata et dicta. |
2. Dans la Sainte Écriture, la foi est enseignée quant aux réalités essentielles de la foi, comme ce qui est dit de Dieu en elle, et quant aux choses accidentelles, comme les actions des pères et les autres choses de ce genre, qui relèvent de la foi pour autant qu’elles sont inspirées et dites par Dieu. |
[10682] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quamvis prophetia et fides sunt de eodem, sicut de passione
Christi, non tamen secundum idem: quia fides formaliter respicit passionem ex
parte illa qua subest aliquid aeternum, scilicet inquantum Deus est passus;
hoc autem quod temporale est, respicit materialiter: sed prophetia e
contrario. |
3. Bien que la prophétie et la foi portent sur la même chose, par exemple, la passion du Christ, [elles ne le font] cependant pas sous le même aspect, car la foi envisage formellement la passion selon que quelque chose d’éternel en fait partie, à savoir, que Dieu a souffert, mais elle envisage matériellement ce qui est temporel. Mais la prophétie fait le contraire. |
[10683] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod formae universales non movent secundum quod in sua
universalitate considerantur, sed secundum quod applicantur ad aliquid
particulare: et similiter prima veritas movet ad operandum, inquantum
applicatur ad hunc vel ad illum, sicut dum consideratur quod est finis ad
quem iste vel ille pervenire potest. Vel dicendum, quod formae universales
non sunt subsistentes in rerum natura; et ideo ad operationem vel ad actionem
se habere non possunt neque sicut principium neque sicut terminus; et ideo
non est similis ratio de Deo, qui in seipso subsistit. |
4. Les formes universelles ne meuvent pas selon qu’elles sont envisagées dans leur universalité, mais selon qu’elles sont appliquées à quelque chose de particulier. De même, la Vérité première meut-elle à agir pour autant qu’elle est appliquée à tel ou tel individu, comme lorsqu’elle est considérée comme la fin à laquelle tel ou tel peut parvenir. Ou bien il faut dire que les formes universelles ne subsistent pas dans la nature des choses. C’est pourquoi elles ne peuvent avoir de rapport avec une opération ou une action ni comme principe, ni comme terme. Le raisonnement n’est donc pas le même pour Dieu, qui subsiste en lui-même. |
[10684] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod beatitudo creata consistit in operatione nostra ad Deum;
operatio autem ex objecto cognoscitur; unde principaliter est fides de ipso
Deo, et secundario de beatitudine creata. |
5. La béatitude créée consiste dans notre opération par rapport à Dieu. Or, l’opération est connue par son objet. Aussi la foi porte-t-elle principalement sur Dieu lui-même et secondairement sur la béatitude créée. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[10685] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod, sicut dicit Augustinus,
credere est cum assensione cogitare; assentire autem non potest aliquis nisi
ei quod verum est; veritas autem non consistit nisi in complexione vel
intellectuum vel vocum; ideo objectum fidei oportet quod sit verum complexum.
Et hoc patet per hoc quod
quidam philosophi illam operationem intellectus qua componit et dividit,
appellaverunt fidem. Unde illi qui dixerunt, quod fidei objectum est
incomplexum, propriam vocem ignoraverunt. Quod enim dicitur, credo incarnationem,
non potest intelligi in formando conceptionem incarnationis: quia sic
quilibet qui intelligit quid significatur per nomen, crederet incarnationem.
Unde sensus est: credo incarnationem esse, vel fuisse. Patet ergo quod fidei
inquantum est fides, convenit circa verum complexum esse: convenit etiam sibi
ex ipsa ratione objecti proprii, quod est veritas prima, de qua non potest
sciri quod est, ut intellectus in ejus cognitione utatur formatione; sed
cognoscitur quia est, quod fit per intellectum componentem et dividentem. |
Comme le dit Augustin, « croire, c’est donner son assentiment en retournant dans son esprit ». Or, quelqu’un ne peut donner son assentiment qu’à ce qui est vrai, mais la vérité ne consiste que dans l’assemblage de pensées ou de paroles. Il faut donc que l’objet de la foi soit quelque chose de vrai qui est complexe. Cela ressort du fait que certains philosophes ont appelé « foi » cette opération de l’intellect par laquelle il compose et divise. Aussi ceux qui ont dit que l’objet de la foi est quelque chose qui n’est pas complexe ont-ils ignoré cela même dont ils parlaient. En effet, lorsque je dis : « Je crois dans l’incarnation », cela ne peut se comprendre en formant le concept de l’incarnation, car alors tous ceux qui comprennent ce qui est signifié par ce mot croiraient à l’incarnation. Le sens est donc : « Je crois que l’incarnation existe ou a existé. » Il est donc clair qu’il est approprié que la foi en tant que foi porte sur quelque chose de vrai qui est complexe. Cela lui convient aussi selon la raison même de son objet propre, qui est la Vérité première, dont on ne peut savoir ce qu’elle est, de sorte que l’intellect utilise une formation pour la connaître; mais on sait qu’elle existe, ce qui se réalise par l’intellect qui compose et divise. |
[10686] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quamvis veritas prima sit simplex secundum rem, tamen in ea
inveniuntur multa secundum rationem, prout intellectus diversas conceptiones
de ipsa format: et secundum hoc etiam illas diversas conceptiones potest
componere et dividere, et enuntiationem de Deo formare. |
1. Bien que la Vérité première soit simple en elle-même, on y trouve cependant beaucoup de choses selon la raison, pour autant que l’intellect forme diverses conceptions à son sujet. Il peut aussi composer et diviser ces diverses conceptions, et former une énonciation à propos de Dieu. |
[10687] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod operatio intellectus componentis et dividentis resolvitur ad
operationem ejus qua respicit aliquod incomplexum: quia quod quid est, est
principium demonstrandi an est simpliciter, et quia est: et ideo etiam illud
quod fidei succedit, in quo fides consummabitur, erit visio incomplexi. |
2. L’opération de l’intellect qui compose et divise se ramène à l’opération par laquelle il considère quelque chose qui n’est pas complexe, car ce qu’est l’essence est le principe de la démonstration de sa simple existence et du fait que cela existe. C’est pourquoi ce qui succède à la foi et en quoi la foi sera consommée sera la vision de quelque chose qui n’est pas complexe. |
[10688] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod objectum caritatis est bonum, quod,
secundum philosophum in 6 Metaph., est in rebus: objectum autem fidei est
verum, quod completur per operationem animae. Et quia compositio et divisio, quae est in enuntiabilibus, non est
nisi per animam; ideo complexum est objectum fidei, quamvis incomplexum sit
objectum caritatis. |
3. L’objet de la charité est le bien, qui existe dans les choses, selon le Philosophe dans Métaphysique, VI. Mais l’objet de la foi est le vrai, qui se réalise par une opération de l’âme. Et parce que la composition et la division, qui se trouvent dans ce qui peut faire l’objet d’énoncés, n’existent que par l’âme, ce qui est complexe est donc objet de la foi, bien que ce qui n’est pas complexe soit l’objet de la charité. |
[10689] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod tempus determinatum, est de his quae accidentaliter se habent
ad fidem, sicut etiam se habet accidentaliter ad praedicatum et ad subjectum,
quae intellectus componit et dividit. Ea autem quae se habent accidentaliter
ad fidem, non sunt de necessitate salutis, nisi postquam determinata sunt per
praedicationem et doctrinam. |
4. Un temps déterminé fait partie de ce qui se rapporte accidentellement à la foi, comme il se rapporte accidentellement au prédicat et au sujet par lesquels l’intellect compose et divise. Or, ce qui se rapporte accidentellement à la foi n’est pas nécessaire au salut, sauf après que cela a été déterminé par la prédication et l’enseignement. |
[10690] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod sustinentium fidem esse circa verum complexum, quidam
dixerunt, quod est idem enuntiabile, quod secundum tria tempora variatur:
quod in 1 libro improbatum est, distinct. 24. Et propter hoc alii dixerunt,
quod articuli fidei non sunt idem quantum ad essentiam, sed quantum ad
utilitatem: quod etiam non bene dictum est: quia sic fides non esset eadem
simpliciter, sed secundum quid. Et ideo dicendum est, quod in ipso articulo qui est objectum fidei
complexum, est aliquid materiale, scilicet ipsa passio; et aliquid formale,
scilicet res divina; et aliquid accidentale, scilicet ipsum tempus: unde
fides variatur non quantum ad essentiam, sed quantum ad accidens. |
5. Parmi ceux qui ont soutenu que la foi porte sur quelque chose de vrai qui est complexe, certains ont dit qu’il s’agit du même énoncé qui varie selon les temps, ce qui a été condamné dans le livre I, d. 24. À cause de cela, d’autres ont dit que les articles de foi ne sont pas la même chose selon l’essence, mais selon leur utilité. Cela non plus n’a pas été formulé correctement, car ainsi la foi ne serait pas la même simplement, mais de manière relative. Il faut donc dire que, dans l’article même qui est un objet complexe de la foi, il y a quelque chose de matériel, la passion elle-même; quelque chose de formel, la réalité divine, et quelque chose d’accidentel, le temps lui-même. La foi ne varie donc pas selon son essence, mais selon quelque chose d’accidentel. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3 |
[10691] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod fides innititur veritati primae;
unde cum illa sit infallibilis, fidei non potest subesse falsum. |
La foi s’appuie
sur la Vérité première. Comme celle-ci est infaillible, la foi ne peut donc
porter sur quelque chose de faux. |
[10692] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod contingens non potest esse objectum fidei nisi secundum quod
stat sub divina praescientia, et secundum hoc habet necessitatem
consequentiae, et sic cadit sub fide; unde sicut praescientia non potest
falli, ita nec fides. |
1. Le contingent ne peut être objet de la foi que dans la mesure où il est soumis à la prescience de Dieu et selon qu’il comporte une nécessité par mode de conséquence, et tombe ainsi sous la foi. Puisque la prescience [divine] ne peut se tromper, la foi ne le peut donc pas non plus. |
[10693] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod post tempus Abrahae Deus potuit alio modo genus humanum
liberare quam per passionem Christi, loquendo de potentia absoluta, sed non
secundum quod consideratur in ordine ad praescientiam: non enim potest Deus
ut aliquid ab eo praescitum sit, et postmodum non fiat, sicut non potest
falli vel mutari; et sic fides Abrahae fuerat de passione Christi, secundum
quod subsistit divinae praescientiae. |
2. Après le temps d’Abraham, Dieu pouvait libérer le genre humain d’une autre manière que par la passion du Christ, si l’on parle de puissance absolue, mais non pas selon que celle-ci est envisagée dans son rapport à la prescience. En effet, Dieu ne peut pas faire que quelque chose soit connu par lui et ne se réalise pas par la suite, de même qu’il ne peut se tromper ni changer. Et ainsi, la foi d’Abraham portait sur la passion du Christ, selon qu’elle est soumise à la prescience divine. |
[10694] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod spes non tendit in beatitudinem nisi ex suppositione
meritorum: alias esset praesumptio, et non spes. Unde si deficientibus
meritis iste ad beatitudinem non pervenit ut speravit, spes non decipitur; et
similiter nec caritas decipitur: quia semper vult id quod Deo placitum est. Unde si aliquis postea comperiat non esse
Deo placitum quod prius placitum aestimabat, aestimatio humana fallitur, non
caritas. |
3. L’espérance ne tend vers la béatitude qu’en supposant les mérites, autrement elle serait de la présomption, et non de l’espérance. Si, en l’absence de mérites, celui-ci ne parvient pas à la béatitude comme il l’espérait, l’espérance n’est pas trompée. De même aussi, la charité n’est pas trompée, car elle veut toujours ce qui plaît à Dieu. Si quelqu’un découvre par la suite que ce qu’il estimait plaire à Dieu ne lui plaisait pas, le jugement humain se trompe, mais non la charité. |
[10695] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod fides non est de hac hostia nisi rite consecrata; sed quod
haec hostia sit rite consecrata, hoc est humanae aestimationis; et ex hac
parte potest accidere error in latria. |
4. La foi ne porte sur telle hostie que si elle est correctement consacrée. Mais le fait que telle hostie soit correctement consacrée relève d’un jugement humain. De ce point, il peut se produire une erreur dans la latrie. |
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Articulus 2 [10696] Super Sent., lib. 3
d. 24 q. 1 a. 2 tit. Utrum fides possit esse de visis |
Article 2 – La foi porte-t-elle sur ce qui est vu ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La foi porte-t-elle sur ce qui est vu ?] |
[10697] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod fides sit de visis; 1 Corinth. 13, 12: videmus nunc
per speculum in aenigmate; et loquitur ibi de fide; ideo fides est visio.
Ergo credita sunt visa. |
1. Il semble que la foi porte sur ce qui est vu. 1 Co 13, 12 : Nous voyons maintenant dans un miroir et en énigme, et il parle ici de la foi. La foi est donc une vision. Ce qui est cru est donc vu. |
[10698] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 1 arg. 2 Praeterea, lumen
fidei se habet ad articulos sicut lumen naturale ad principia naturaliter cognita.
Sed lumen naturale facit
videre principia per se nota. Ergo et lumen fidei facit videre articulos. |
2. La lumière de la foi se rapporte aux articles [de la foi] comme la lumière naturelle aux principes naturellement connus. Or, la lumière naturelle fait voir les principes connus par eux-mêmes. La lumière de la foi fait donc aussi voir les articles. |
[10699] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
intelligere, videre est. Sed oportet eum qui audit intelligere quae dicuntur,
ad hoc quod credat. Ergo fides,
quae ex auditu est, de visis est. |
3. Intelliger, c’est voir. Or, il est nécessaire que celui qui entend comprenne ce qui est dit pour qu’il croie. La foi, qui vient de ce qu’on entend, porte donc sur ce qui est vu. |
[10700] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 1 arg. 4 Praeterea,
prophetia visionis causa est. Sed fides et prophetia in idem concurrunt, ut
supra dictum est. Ergo fides de
visis est. |
4. La prophétie est la cause de la vision. Or, la foi et la prophétie ont quelque chose en commun, comme on l’a dit plus haut. La foi porte donc sur ce qui est vu. |
[10701] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 1 arg. 5 Praeterea, id
quod est materiale in objecto fidei, est res creata, ut dictum est. Sed res
illa creata visui humano subjacet etiam sensibili, sicut passio. Ergo cum
fides sit de toto objecto suo, fides de visis erit. |
5. Ce qui est matériel dans l’objet de foi est une réalité créée, comme on l’a dit. Or, cette réalité créée est soumise à la vision humaine, même sensible, comme la passion. Puisque la foi porte sur l’ensemble de son objet, la foi porte donc sur ce qui est vu. |
[10702] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
Hebr. 11, 1: fides est argumentum non apparentium. Ergo non est de
visis. |
Cependant, [1] He 11, 1 dit : La foi est la preuve de ce qui n’est pas visible. Elle ne porte donc pas sur ce qui est vu. |
[10703] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Deum nemo vidit unquam; Joan. 1, 18. Sed fides proprie est de Deo. Ergo fides
est de non visis. |
[2] Dieu, personne ne l’a vu, Jn 1, 18. Or, la foi porte au sens propre sur Dieu. La foi porte donc sur ce qui n’est pas vu. |
[10704] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 1 s. c. 3 Praeterea, fides
gignit spem: Glossa Matth. 1. Sed spes est de non visis, Roman. 8. Ergo
et fides. |
[3] « La foi engendre l’espérance », dit la Glose sur Mt 1. Or, l’espérance porte sur ce qui n’est pas vu, Rm 8. Donc, la foi aussi. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La foi
peut-elle porter sur ce qui est su ?]
|
[10705] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod fides possit esse de scitis. Deum enim esse, est creditum. Sed
hoc est scitum, quia demonstrative probatum est. Ergo fides est de scitis. |
1. Il semble que la foi puisse porter sur ce qui est su. En effet, on croit que Dieu existe. Or, cela est su, car cela a été prouvé de manière démonstrative. La foi porte donc sur ce qui est su. |
[10706] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 2 Praeterea, unum
de generantibus scientiam est doctrina. Sed fides, quantum ad distinctionem
credendorum, est per doctrinam, quia fides ex auditu est: Rom. 10. Ergo fides est de scitis. |
2. Une des choses qui engendre la science est l’enseignement. Or, la foi dépend de l’enseignement, pour ce qui est de la distinction entre les choses à croire, car la foi vient de ce qu’on a entendu, Rm 10. La foi porte donc sur ce qui est su. |
[10707] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 3 Praeterea, omne
illud ad quod habetur ratio probans, est scitum. Sed ad ea quae sunt fidei,
potest haberi ratio probans: 1 Petr. 3, 15: parati semper ad reddendum
rationem de ea quae in nobis est fide et spe; et Commentator super 1 cap.
de Divin. Nom. dicit, quod ratio est prior auctoritate; et Richardus de
sancto Victore dicit, quod ad nullam veritatem probandam deficit ratio. Ergo fides est de scitis. |
3. Tout ce dont on a un argument probant
est su. Or, il peut y avoir un argument probant pour ce qui relève de la foi.
1 P 3, 15 : Toujours
prêts à rendre compte de ce qui est en nous par la foi et l’espérance. Et
le Commentateur dit, à propos des Noms
divins, chap. 1, que « la raison précède l’autorité ». Et
Richard de Saint-Victor dit que « la raison ne manque pas de démontrer
toute vérité ». La foi porte donc sur ce qui est su. |
[10708] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 2 arg. 4 Praeterea, omnis
probatio convincens intellectum ad assentiendum, facit scientiam. Sed ad
assentiendum his quae sunt fidei, convincitur intellectus per miracula, sicut
supra dictum est de Daemonibus. Ergo fides est de scitis. |
4. Toute démonstration convainquant l’intellect de donner son assentiment est science. Or, pour donner son assentiment à ce qui relève de la foi, l’intellect est convaincu par des miracles, comme on l’a dit plus haut à propos des démons. La foi porte donc sur ce qui est su. |
[10709] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 2 s. c. 1 Sed contra,
scientia ex intellectu principiorum causatur. Sed de his quae fides credit
non possumus habere intellectum fide manente, scilicet in statu viae. Ergo
fides non potest esse de scitis. |
Cependant, [1] la science est causée par l’intelligence des principes. Or, nous ne pouvons comprendre ce que la foi croit aussi longtemps que demeure la foi, c’est-à-dire dans l’état du cheminement. La foi ne peut donc porter sur ce qui est su. |
[10710] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 2 s. c. 2 Praeterea,
scientia est effectus rationis. Sed ea de quibus est fides, sunt supra
rationem. Ergo de his quae sunt fidei, non potest esse scientia. |
[2] La science est l’effet de la raison, Or, ce qui relève de la foi dépasse la raison. Il ne peut donc pas y avoir de science de ce sur quoi porte la foi. |
[10711] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 3 Praeterea, Deum nemo vidit unquam; Joan. 1, 18. Sed fides proprie de Deo est. Ergo est de
non visis et cetera. |
[3] Dieu, personne ne l’a vu, Jn 1, 18. Or, la foi porte au sens propre sur Dieu. Elle porte donc sur ce qui n’est pas vu, etc. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Ce sur quoi
porte la foi est-il ignoré ?]
|
[10712] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod ea de quibus est fides, sint ignota. Quia secundum Gregorium, apparentia non
habent fidem, sed agnitionem. Sed ea quae non habent agnitionem, sunt ignota.
Ergo ea quae fidem habent ignota sunt. |
1. Il semble que ce sur quoi porte la foi soit ignoré, car, selon Grégoire, « ce qui est visible n’est pas objet de foi, mais de connaissance ». Or, ce qui n’est pas objet de connaissance est ignoré. Ce qui relève de la foi est donc ignoré. |
[10713] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, 1 Corinth. 2, 9: oculus non vidit et auris non audivit, et in cor hominis non
ascendit, quae praeparavit Deus diligentibus se. Sed quaecumque cognoscuntur,
in cor ascendunt. Ergo fides, quae est de praedictis, est de ignotis. |
2. 1 Co 2, 9 : L’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu et rien n’est monté dans le cœur de l’homme de ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. Or, tout ce qui est connu monte dans le cœur. La foi qui porte sur ce qui a été dit plus haut porte donc sur ce qui est ignoré. |
[10714] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 3 arg. 3 Praeterea, omnis
nostra cognitio habet ortum a sensu, secundum philosophos. Sed ea quae cadunt
sub fide, nullo modo possunt reduci ad cognitionem sensibilem. Ergo de eis non est cognitio aliqua. |
3. Toute notre connaissance prend son origine dans le sens, selon les philosophes. Or, ce qui relève de la foi ne peut aucunement être ramené à la connaissance sensible. On n’en a donc aucune connaissance. |
[10715] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 3 arg. 4 Praeterea,
omne quod cognoscitur, est praesens aliquo modo cognoscenti. Sed fides, ut
dicit Augustinus, est de absentibus. Ergo ea quae sunt fidei, sunt ignota. |
4. Tout ce qui est connu est présent d’une certaine manière à celui qui connaît. Or, « la foi, comme le dit Augustin, porte sur des réalités qui sont absentes ». Ce qui relève de la foi est donc ignoré. |
[10716] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 3 s. c. 1 Sed contra, omnis
habitus in potentia cognitiva existens facit cognoscere suum objectum. Sed
fides est in cognitiva potentia existens sicut in subjecto, ut prius dictum
est, dist. 23, qu. 1, art., 3. Ergo ea quae sunt fidei aliquo modo
cognoscuntur. |
Cependant, [1] tout habitus qui existe dans une puissance cognitive fait connaître son objet. Or, la foi se trouve dans une puissance cognitive comme dans son sujet, comme on l’a dit plus haut, d. 23, q. 1, a. 3. Ce qui relève de la foi est donc connu d’une certaine manière. |
[10717] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, infidelitas est ignorantia, ut patet 1 Tim. 1, 13: misericordiam
consecutus sum, quia ignorans feci in incredulitate mea. Ergo fides est cognitio; et ita credita
sunt cognita. |
[2] L’infidélité est une ignorance, comme cela ressort de 1 Tm 1, 13 : J’ai obtenu miséricorde, car j’ai agi par ignorance à cause de mon incrédulité. La foi est donc une connaissance, et ainsi ce qui est cru est connu, |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[10718] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, quod visio, proprie
loquendo, est actus sensus visus, sed propter nobilitatem istius sensus
translatum est nomen visionis ad actus aliarum potentiarum cognitivarum
secundum similitudinem ad sensum visus. Potest ergo attendi similitudo quantum ad genus cognitionis tantum; et
sic largo modo, improprie omnis cognitio visio dicetur; et secundum hoc fides
est de visis utcumque, sicut Magister dicit, non quidem visu exteriori, sed
interiori. Potest etiam ulterius attendi haec similitudo non solum quantum ad
genus cognitionis, sed etiam quantum ad modum cognoscendi. Modus autem quo
sensus videt, est inquantum species visibilis in actu per lumen formatur in
visu; unde transferendo nomen visionis ad intellectum, proprie intelligendo,
videmus quando per lumen intellectuale ipsa forma intellectualis fit in
intellectu nostro; sive illud lumen sit naturale; sicut cum intelligimus quidditatem
hominis, aut alicujus hujusmodi; sive sit supernaturale, sicut quo Deum in
patria videbimus. Et ulterius videri per intellectum dicuntur illa complexa
quorum cognitio ex praedicta visione consurgit; sicut per lumen naturale
videmus principia prima quae cognoscimus statim, ut terminos; sive per lumen
supernaturale, sicut est visio prophetiae. Et ulterius etiam ea quae in ista
principia resolvere possumus per rationem dicuntur videri, sicut ea quae
scimus demonstrative probata. Et secundum hoc patet quod fides non potest
esse de visis: quia forma illa intelligibilis quae principaliter est objectum
fidei, idest Deus, formationem intellectus nostri subterfugit, et non est ei
pervius in statu viae, ut dicit Augustinus. Nec iterum ea quae sunt fidei, ad principia
visa reducere possumus demonstrando. |
À proprement parler, la vision est un acte du sens de la vue, mais, en raison de la noblesse de ce sens, le mot « vision » a été transféré aux actes d’autres puissances cognitives à cause d’une ressemblance avec le sens de la vue. La ressemblance peut donc être envisagée quant au genre de connaissance seulement. Ainsi, au sens large, toute connaissance est-elle appelée vision et, de ce point de vue, la foi porte sur ce qui est vu de quelque manière, comme le dit le Maître, non pas d’une vision extérieure, mais intérieure. On peut aussi considérer cette ressemblance, non seulement quant au genre de connaissance, mais aussi quant au mode de connaissance. Or, le mode selon lequel le sens voit consiste en ce que l’espèce visible en acte est formée par la lumière dans la vision. A ussi, en transférant le mot « vision » à l’intellect, en l’entendant au sens propre, nous voyons lorsque, par la lumière intellectuelle, la forme intellectuelle elle-même apparaît dans notre intellect, soit que cette lumière soit naturelle, comme lorsque nous intelligeons la quiddité de l’homme ou quelque chose de ce genre, soit qu’elle soit surnaturelle, comme celle par laquelle nous verrons Dieu dans la patrie. De plus, on dit qu’on voit par l’intelligence les réalités compexes dont la connaissance provient de la vision susdite, comme lorsque nous voyons par la lumière naturelle les principes premiers que nous connaissons immédiatement comme des termes, soit par la lumière surnaturelle, comme la vision de la prophétie. Encore plus, nous disons que nous voyons ce que nous pouvons ramener à ces principes par la raison, comme ce que nous savons comme étant prouvé de manière démonstrative. Il ressort ainsi que la foi ne peut porter sur ce qui est vu, car la forme intelligible qui est principalement l’objet de la foi, Dieu, échappe à la formation de notre intellect et ne lui est pas accessible dans l’état du cheminement, comme le dit Augustin. Nous ne pouvons pas non plus ramener par démonstration à des principes vus ce qui relève de la foi. |
[10719] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod visio accipitur ibi large secundum primum modum. |
1. La vision est entendue là au sens large selon le premier mode. |
[10720] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod termini principiorum naturaliter notorum sunt comprehensibiles
nostro intellectui: ideo cognitio quae consurgit de illis principiis, est
visio: sed non est ita de terminis articulorum. Unde in futuro, quando Deus
videbitur per essentiam, articuli erunt ita per se noti et visi, sicut modo
principia demonstrationis. |
2. Les termes des principes naturellement connus sont compréhensibles par notre intelligence. C’est pourquoi la connaissance qui provient de ces principes est une vision. Mais il n’en va pas de même des termes des articles. Aussi, à l’avenir, lorsque Dieu sera vu par son essence, les articles seront-ils connus et vus par eux-mêmes à la manière des principes d’une démonstration. |
[10721] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod praecedit intellectus, quo intelligimus quid significatur per
nomen, et non quo intelligimus quid sit res ipsa: quia nomina ex effectibus
imponuntur. |
3. L’intelligence, par laquelle nous intelligeons ce qui est signifié par un mot, précède, et non pas celle par laquelle nous intelligeons ce qu’est la chose elle-même, car les noms sont donnés à partir des effets. |
[10722] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod prophetia respicit temporale quasi proprium objectum, quod
intellectu comprehendi potest; et ideo prophetia est visio. |
4. La prophétie porte sur quelque chose de temporel comme son objet propre, qui peut peut être compris par l’intelligence. C’est pourquoi la prophétie est appelée une vision. |
[10723] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 1 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod de eo quod est materiale in objecto fidei, scilicet
incarnatio, non est fides, nisi secundum quod stat sub illo formali; sicut
visus non est de colore nisi secundum quod stat sub lumine; et sic non cadit
sub visu corporali, nec intellectuali. |
5. La foi ne porte sur ce qui est matériel dans l’objet de foi, l’incarnation, que pour autant que cela dépend de ce qui y est formel, comme la vision ne porte sur la couleur que pour autant qu’elle est exposée à la lumière. Et ainsi elle ne tombe pas sous la vision corporelle ni sous [la vision] intellectuelle. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[10724] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod fides, ut dictum est,
comparatur ad aliquid dupliciter, scilicet per se et per accidens. Et quod
per se pertinet ad fidem, pertinet ad eam semper et ubique; ideo quod
pertinet ad fidem ratione hujus vel illius, non est fidei per se, sed per
accidens. Ergo quod simpliciter humanum intellectum excedit ad Deum
pertinens, nobis divinitus revelatum, per se ad fidem pertinet; quod autem
excedit intellectum hujus vel illius, et non omnis hominis, non per se sed
per accidens ad fidem pertinet. Ea autem quae omnem humanum intellectum excedunt non possunt per
demonstrationem probari: quia demonstratio in intellectu principiorum
fundatur; et ideo hujusmodi non possunt esse scita, sed quaedam quae sunt
praecedentia ad fidem, quorum non est fides nisi per accidens, inquantum
scilicet excedunt intellectum illius hominis, et non hominis simpliciter,
possunt demonstrari et sciri; sicut hoc quod est Deum esse: quod quidem est
creditum quantum ad eum cujus intellectus ad demonstrationem non attingit:
quia fides, quantum in se est, ad omnia quae fidem concomitantur vel
sequuntur vel praecedunt sufficienter inclinat. |
Comme on l’a dit, la foi se compare à quelque chose de deux manières : par soi et par accident. Ce qui concerne par soi la foi la concerne toujours et partout; c’est pourquoi ce qui concerne la foi en raison de tel ou tel aspect ne concerne pas la foi par soi, mais par accident. Ce qui dépasse simplement l’intellect humain à propos de Dieu et qui nous est révélé par Dieu concerne la foi par soi; mais ce qui dépasse l’intellect de tel ou tel homme, mais non de tous, ne concerne pas la foi par soi, mais par accident. Or, ce qui dépasse tout intellect humain ne peut pas être prouvé par une démonstration, car la démonstration se fonde sur l’intelligence des principes. Aussi les choses de ce genre ne peuvent-elles être sues, mais certaines qui précèdent la foi, sur lesquelles la foi ne porte que par accident, dans la mesure où elles dépassent l’intelligence de tel homme, et non pas simplement de l’homme, peuvent-elles être démontrées et sues, par exemple, le fait que Dieu existe : cela est cru par celui dont l’intelligence de parvient pas à la démonstration, car la foi en elle-même incline suffisamment à tout ce qui accompagne, suit ou précède la foi. |
[10725] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum. |
1. La solution du premier argument est ainsi claire. |
[10726] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod fides determinatur per auditum doctrinae proponentis quid
evitandum sit et quid tenendum sit, sed non probantis propositum; et ideo
scientiam talis doctrina non facit. |
2. La foi est déterminée par l’écoute de l’enseignement qui propose ce qu’il faut éviter et ce qu’il faut soutenir, mais qui ne prouve pas ce qui est proposé. Un tel enseignement ne donne donc pas la science. |
[10727] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod ratio humana praecedit auctoritatem humanam, et ratio divina
praecedit auctoritatem divinam, cui fides innititur; unde fides nostra ita se
habet ad rationem divinam qua Deus cognoscit, sicut se habet fides illius qui
supponit principia subalternatae scientiae ad scientiam subalternantem, quae
per propriam rationem illa probavit. Unde apostolus non monet humanam
rationem inducere ad probandum fidem, sed divinam, ut ostendatur quod Deus
dixit; humanam autem ad defendendum, ut per eam ostendatur quod ea quae fides
praesupponit, non sunt impossibilia; non ita autem quod sufficienter per
rationem humanam ea quae fidei sunt, probari possint. Et ideo verbum Richardi intelligendum est
de probatione non sufficienti, sed aliquo modo persuadenti. |
3. La raison humaine précède l’autorité humaine et la raison divine précède l’autorité divine, sur laquelle s’appuie la foi. Notre foi a donc, avec la raison divine par laquelle elle connaît Dieu, le même rapport que la foi de celui qui suppose les principes d’une science subalterne avec la science subalternante, qui les a prouvés par sa propre raison. Aussi l’Apôtre n’avertit-il pas de faire appel à la raison humaine pour prouver la foi, mais à la raison divine afin de montrer ce que Dieu a dit. Mais [on doit faire appel à la raison] humaine pour la défendre, afin de montrer par celle-ci que ce que la foi présuppose n’est pas impossible, mais non que ce qui concerne la foi peut être suffisamment prouvé par la raison humaine. Aussi la parole de Richard doit-elle s’entendre d’une preuve qui n’est pas suffisante, mais qui persuade d’une certaine manière. |
[10728] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod argumenta quae cogunt ad fidem, sicut miracula, non probant
fidem per se, sed probant veritatem annuntiantis fidem: et ideo de his quae
fidei sunt, scientiam non faciunt. |
4. Les arguments qui forcent à croire, comme les miracles, ne prouvent pas la foi en elle-même, mais ils prouvent la vérité de celui qui annonce la foi. C’est pourquoi ils ne donnent pas la science de ce qui relève de la foi. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3 |
[10729] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ad perfectam rationem
cognitionis intellectivae tria requiruntur. Primo quod id quod cognoscitur,
intellectui proponatur; secundo quod intellectus illis adhaereat; tertio quod
ea videat. Ea ergo quae fidei sunt, intellectui proponuntur non quidem in
seipsis, sed quibusdam verbis quae ad eorum expressionem non sufficiunt, et
quibusdam similitudinibus ab eorum repraesentatione deficientibus; et ideo
dicuntur cognosci in speculo, et in aenigmate. Et propter hoc non videtur, proprie loquendo, sed tamen intellectus
assentit eis: et propter hoc imperfecte cognoscuntur, nec omnino ignorantur. |
Pour la parfaite raison de la connaissance intellectuelle, trois choses sont requises. Premièrement, que ce qui est connu soit proposé à l’intelligence; deuxièmement, que l’intelligence y adhère; troisièmement, qu’elle les voie. Ce qui relève de la foi est donc proposé à l’intelligence non pas en soi, mais par certaines paroles qui ne suffisent pas à l’exprimer et par certaines ressemblances qui ne parviennent pas à le représenter. C’est pourquoi on dit que cela est connu dans un miroir et en énigme. Pour cette raison, cela n’est pas vu au sens propre, mais l’intelligence y donne cependant son assentiment. Cela est donc imparfaitement connu, mais n’est pas totalement ignoré. |
[10730] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Gregorius loquitur de agnitione
perfecta, quae visionem includit. |
1. Grégoire parle d’une connaissance parfaite qui comporte la vision. |
[10731] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod in cor ascendit quod per operationem cordis formari potest; et
hoc est quod videtur: et per istum modum quae praeparavit Deus diligentibus
se, in cor hominis non ascendunt. |
2. Monte dans le cœur ce qui peut être formé par l’opération du cœur. C’est cela qui est vu. De cette manière, ne monte pas dans le cœur de l’homme ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. |
[10732] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod cognitio fidei ortum habet a sensu, inquantum significationes
nominum, quae proponuntur sensibus, cognovit; sed haec deficiunt a repraesentatione
ejus circa quod est fides proprie; ideo fides non habet cognitionem
perfectam. |
3. La connaissance de la foi prend son origine dans le sens pour autant qu’il a connu les significations des mots qui sont proposés aux sens. Mais ceux-ci sont impuissants à représenter ce sur quoi la foi porte au sens propre. C’est pourquoi la foi n’a pas une connaissance parfaite. |
[10733] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2
qc. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod illud proprie dicitur praesens cujus essentia intellectui vel
sensui praesentatur: et quia hoc facit visionem, ideo dicit Augustinus, quod
videntur praesentia, sed creduntur absentia: et propter hoc etiam fides
assimilatur auditui, quia de absentibus est, sicut auditu cognoscimus quae,
cum sint absentia, nobis recitantur. |
4. On appelle « présent » ce dont l’essence est présentée à l’intelligence ou au sens. Parce que cela donne la vision, Augustin dit donc que « ce qui est présent est vu, mais ce qui est cru est absent ». Pour cette raison aussi, la foi est assimilée à l’ouïe, car celle-ci porte sur ce qui est absent; ainsi nous connaissons par l’ouïe ce qui nous est raconté, alors que cela est absent. |
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Articulus 3 [10734] Super Sent., lib. 3
d. 24 q. 1 a. 3 tit. Utrum necessarium sit homini credere aliquid cujus non habet scientiam |
Article 3 – Est-il nécessaire que l’homme croie quelque chose dont il n’a pas la science ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Est-il nécessaire que l’homme croie quelque chose dont il n’a pas la science ?] |
[10735] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non sit necessarium quod homo
credat aliquid cujus non habet scientiam neque visionem, super naturalem
rationem existens. Nulli enim rei perfecte providetur, nisi sibi conferantur
ea per quae potest in finem suum devenire. Sed humanae naturae in sua creatione
sufficienter divina providentia providit. Ergo ei tribuit ea per quae possit
in finem suum tendere; et ita videtur quod ratio naturalis sufficienter
hominem in finem ordinet; et ita non oportet quod aliqua supra rationem
credat. |
1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire que l’homme croie quelque chose dont il n’a pas la science ni la vision, et qui dépasse la raison naturelle. En effet, on ne prend parfaitement soin d’une chose que si on lui donne ce par quoi elle peut parvenir à sa fin. Or, la providence divine a suffisamment pris soin de la nature humaine lors de sa création. Elle lui a donc attribué ce par quoi elle pourrait tendre vers sa fin; et ainsi, il semble que la raison naturelle ordonne suffisamment l’homme vers sa fin. Il n’est donc pas nécessaire qu’il croie certaines choses qui dépassent la raison. |
[10736] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3
qc. 1 arg. 2 Praeterea, ultimus finis nostrae vitae est Deus, inquantum est
summum bonum. Sed aliquid
esse summum bonum, est probatum per rationem naturalem. Ergo non oportuit
aliquid aliud credere supra rationem naturalem ad ordinationem hominis in
finem. |
2. La fin ultime de notre vie est Dieu, pour autant qu’il est le Bien suprême. Or, qu’il existe un Bien suprême, cela est démontré par la raison naturelle. Il n’était donc pas nécessaire de croire à quelque chose d’autre qui dépasse la raison naturelle pour ordonner l’homme vers sa fin. |
[10737] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sapientia divina in infinitum nostram rationem excedit.
Ergo infinita sunt in sapientia Dei quae nostram rationem excedunt. Sed non de omnibus illis possumus habere
cognitionem. Ergo pari ratione nec de aliquibus quae supra rationem sunt:
quia de similibus est idem judicium. |
3. La sagesse divine dépasse infiniment notre raison. Il existe donc dans la sagesse divine une infinité de choses qui dépassent notre raison. Or, nous ne pouvons connaître toutes ces choses. Pour la même raison, ne pouvons-nous pas avoir la connaissance de certaines choses qui dépassent la raison, car le même jugement est porté sur des choses semblables. |
[10738] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, ubi
est altior vita, debet esse altior operatio vitae. Sed vita gratiae est altior quam vita
naturae. Ergo et cognitio gratiae debet excedere cognitionem naturae, cum
cognitio sit operatio vitae. |
Cependant, [1] là où il existe une vie plus élevée, il doit exister une opération plus élevée de la vie. Or, la vie de la grâce est plus élevée que la vie de la nature. La connaissance de la grâce doit donc dépasser la connaissance de la nature, puisque la connaissance est une opération de la vie. |
[10739] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, fides
est substantia sperandarum rerum, Hebr. 11, 1. Sed ea quae speramus, sunt
supra rationem: quia oculus non vidit nec auris audivit nec in cor hominis
ascendit quae praeparavit Deus iis qui diligunt illum; 1 Corinth. 2, 9. Ergo et fides debet esse de his quae
sunt supra rationem. |
[2] La foi est la substance des choses espérées, He 11, 1. Or, ce que nous espérons dépasse la raison, car l’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu et n’est pas monté dans le cœur de l’homme ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment, 1 Co 2, 9. La foi aussi doit donc porter sur des choses qui dépassent la raison. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Croire ce que
nous ne voyons pas est-il louable et méritoire ?]
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[10740] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod credere his quae non videmus, non sit laudabile neque meritorium. Quia qui cito credit levis est corde,
ut dicitur Eccli. 19, 4. Sed qui credit his quae nullo modo videt, nimis cito credit. Ergo magis est vituperandus quam laudandus. |
1. Il semble que croire ce que nous ne voyons pas ne soit ni louable ni méritoire, car celui qui croit rapidement a un cœur léger, comme il est dit dans Si 19, 4. Or, celui qui croit ce qu’il ne voit aucunement croit trop rapidement. Il doit être blâmé plutôt que loué. |
[10741] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
abnegare rationem, quae est nobilissimum eorum quae in nobis sunt, est
vituperabile. Sed qui credit
ea quae non sunt rationi consona, rationem abnegat. Ergo est vituperabilis. |
2. Renoncer à la raison, qui est ce qu’il y a de plus noble en nous, est répréhensible. Or, celui qui croit ce qui n’est pas conforme à la raison, renonce à la raison. Il mérite donc d’être blâmé. |
[10742] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3
qc. 2 arg. 3 Praeterea,
discretio est illa quae facit omne opus hominis laudabile. Sed cum omnis nostra
discretio sit per rationem, in his quae praeter rationem sunt, non habemus
aliquid quo discernamus. Ergo hoc
credere non est laudabile: quia ita potest aliquis credere falsis sicut
veris. |
3. La discrétion est ce qui rend louable toute action de l’homme. Or, puisque notre discrétion vient entièrement de la raison, nous n’avons pas ce par quoi nous exerçons notre discrétion dans les choses qui dépassent la raison. Croire cela n’est donc pas louable, car on peut ainsi croire des faussetés comme des vérités. |
[10743] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3
qc. 2 s. c. 1 Sed contra est
quod dicitur Joan. 20, 29: beati qui non viderunt, et crediderunt. |
Cependant,
[1] Jn 20, 29 dit : Bienheureux ceux qui n’ont pas vu et qui
ont cru! |
[10744] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3
qc. 2 s. c. 2 Praeterea,
omnis actus virtutis est meritorius et laudabilis, quantum est in se. Sed
credere quae non videntur, est actus fidei, quae est virtus. Ergo est
laudabile et meritorium. |
[2] Tout acte de vertu est méritoire et louable en lui-même. Or, croire ce qu’on ne voit pas est un acte de foi, qui est une vertu. Cela est donc louable et méritoire. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La raison
humaine diminue-t-elle le mérite de la foi ?]
|
[10745] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod ratio humana diminuat meritum fidei. Ratio enim sufficienter probans,
totaliter meritum fidei evacuaret: quia, ut dicit Gregorius: fides non
habet meritum cui humana ratio praebet experimentum. Ergo ratio aliqualiter
persuadens, meritum fidei diminuit. |
1. Il semble que la raison humaine diminue le mérite de la foi. En effet, la raison qui prouve suffisamment enlèverait totalement le mérite de la foi, car, ainsi que le dit Grégoire, « la foi, à laquelle la raison fournit une preuve, n’a pas de mérite, ». La raison qui persuade d’une certaine manière diminue donc le mérite de la foi. |
[10746] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, illud quod inducit ad corruptionem fidei, diminuit meritum
fidei. Sed rationes
et disputationes inducunt corruptionem fidei, ut dicit Averroes in 3 Physic.,
ex hoc quod homo audit alia, et ex hoc minus adhaeret his quae consuevit
audire, et dubitare incipit. Ergo videtur quod ratio humana meritum fidei
diminuat. |
2. Ce qui entraîne la corruption de la foi diminue le mérite de la foi. Or, « les arguments et les disputes entraînent la corruption de la foi », comme dit Averroès dans Physique, III, du fait que l’homme entend d’autres choses et, de ce fait, adhère moins à ce qu’il avait coutume d’écouter et se met à douter. Il semble donc que la raison humaine diminue le mérite de la foi. |
[10747] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3
qc. 3 arg. 3 Praeterea, opus
quod pure propter Deum fit, magis est meritorium quam quando cum hoc fine
admiscetur aliquid aliud temporale. Ergo pari ratione humana ratio fidei admixta meritum fidei diminuit. |
3. L’action qui est accomplie purement pour Dieu est plus méritoire que lorsqu’une autre chose temporelle y est mêlée. Pour la même raison, la raison mêlée à la foi diminue le mérite de la foi. |
[10748] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3
qc. 3 s. c. 1 Sed contra, per
rationes humanas fides elucidatur. Sed elucidantibus vita aeterna
promittitur; ut patet Eccli. 24, 31: qui elucidant me, vitam aeternam habebunt; quod non
esset, si per elucidationem meritum fidei diminueretur. Ergo videtur quod
ratio humana meritum fidei non diminuit. |
Cependant, [1] la foi est mise en lumière par les raisons humaines. Or, la vie éternelle est promise à ceux qui mettent en lumière, comme cela ressort de Si 24, 31 : Ceux qui m’éclairent auront la vie éternelle, ce qui ne serait pas le cas si le mérite de la foi était diminué par la mise en lumière. Il semble donc que la raison humaine ne diminue pas le mérite de la foi. |
[10749] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3
qc. 3 s. c. 2 Praeterea,
quanto virtus est magis propinqua fini, tanto est magis meritoria. Sed finis
fidei, est intelligentia veritatis, ad quam homo propinquat per rationes
humanas. Ergo ratio humana fidei meritum non diminuit, sed auget. |
[2] Plus une vertu est proche de la fin, plus elle est méritoire. Or, la fin de la foi est l’intelligence de la vérité, dont l’homme se rapproche par des raisons humaines. La raison humaine ne diminue donc pas le mérite de la foi, mais l’augmente. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[10750] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod in fide sunt quaedam
quae sunt supra rationem humanam simpliciter, de quibus essentialiter est
fides; et quaedam quae sunt supra rationem humanam alicujus, quamvis non
supra rationem cujuslibet hominis; et ad utraque necessarium fuit dari fidem.
Quia enim homini Deus providit finem qui est supra naturam hominis, scilicet
plenam participationem suae beatitudinis; oportet autem eum qui in finem
tendit, si libero arbitrio agat, cognoscere finem ex cujus consideratione
dirigitur in his quae sunt ad finem; ideo oportuit ut homo alicujus rei
cognitionem haberet quae naturalem cognitionem ejus excedit: quae quidem
cognitio homini datur per gratiam fidei. Sicut autem est in gratia perficiente affectum quod praesupponit naturam,
quia eam perficit; ita et fidei substernitur naturalis cognitio, quam fides
praesupponit, et ratio probare potest; sicut Deum esse, et Deum esse unum,
incorporeum, intelligentem, et alia hujusmodi: et ad hoc etiam sufficienter
fides inclinat, ut qui rationem ad hoc habere non potest, fide eis assentiat.
Quod quidem necessarium fuit propter quinque, ut dicit Rabbi Moyses in prima
parte, capit. 33. Primo propter altitudinem materiae secundum elevationem a
sensibus, quibus vita nostra connutritur; unde non est facile sensum et
imaginationem deserere; quod tamen est necessarium in cognitione divinorum et
spiritualium, ut dicit Boetius. Secundo, quia quamvis intellectus hominis
naturaliter ordinatus sit ad divina cognoscenda, non tamen potest in actum exire
per seipsum. Et quia cuilibet non potest adesse doctor paratus, ideo Deus
lumen fidei providit, quod mentem ad hujusmodi elevet. Tertio, quia ad
cognitionem divinorum per viam rationis multa praeexiguntur, cum fere tota
philosophia ad cognitionem divinorum ordinetur: quae quidem non possunt nisi
pauci cognoscere; et ideo oportuit fidem esse ut omnes aliquam cognitionem
haberent de divinis. Quarto, quia quidam naturaliter sunt hebetes, et tamen
cognitione divinorum indigent qua in vita dirigantur. Quinto, quia homines
occupantur circa necessaria vitae, et retrahuntur a diligenti consideratione
divinorum. |
Dans la foi, il y a des choses qui dépassent simplement la raison humaine, et des choses qui dépassent la raison humaine d’un individu, bien qu’elles ne dépassent pas la raison de tous les hommes. Il était nécessaire que la foi soit donnée pour les deux. En effet, parce que Dieu a préparé à l’homme une fin qui est supérieure à la nature de l’homme, la pleine participation à sa béatitude, il est nécessaire que celui qui tend vers cette fin, s’il agit par libre arbitre, connaisse cette fin, par la considération de laquelle il est dirigé vers ce qui est ordonné à cette fin. Il fallait donc que l’homme ait la connaissance d’une chose qui dépasse sa connaissance naturelle : cette connaissance est donnée par la grâce de la foi. Or, de même que, pour la grâce qui perfectionne l’affectivité, la nature est présupposée, puisqu’elle la perfectionne, de même la connaissance naturelle, que présuppose la foi, est-elle sous-jacente à la foi et la raison peut-elle démontrer le fait que Dieu existe, qu’il est unique, incorporel, intelligent et d’autres choses de ce genre. À cela aussi la foi incline suffisamment, afin que celui qui ne peut en saisir la raison y donne son assentiment par la foi. Or, cela était nécessaire pour cinq raisons, comme le dit rabbi Moïse dans la première partie, c. 33. Premièrement, en raison de l’élévation de la matière par rapport aux sens, par lesquels notre vie est entretenue; ainsi il n’est pas facile de délaisser le sens et l’imagination, ce qui est cependant nécessaire pour la connaissance des réalités divines et spirituelles, comme le dit Boèce. Deuxièmement, parce que, bien que l’intelligence de l’homme soit naturellement ordonnée à la connaissance des réalités divines, elle ne peut cependant passer à l’acte par elle-même. Parce que chacun ne peut compter sur la présence d’un docteur bien disposé, Dieu a donc donné la lumière de la foi qui élève l’esprit jusqu’aux réalités de ce genre. Troisièmement, parce que beaucoup de choses sont prérequises à la connaissance des réalités divines par la voie de la raison, puisque presque toute la philosophie est ordonnée à la connaissance des réalités divines. Or, un petit nombre seulement peut connaître cela. C’est pourquoi il fallait que la foi existe afin que tous aient une certaine connaissance des réalités divines. Quatrièmement, parce que certains sont naturellement obtus et ont cependant besoin de la connaissance des réalités divines par laquelle ils sont dirigés dans la vie. Cinquièmement, parce que les hommes sont occupés par ce qui est nécessaire à la vie et sont retenus de la considération attentive des réalités divines. |
[10751] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod finis humanae vitae est cognitio Dei, etiam secundum
philosophos qui ponunt felicitatem ultimam in actu sapientiae secundum
cognitionem nobilissimi intelligibilis. Cognitio autem Dei quaedam excedit
nostram naturam, sicut visio quae est per essentiam; et ad istum finem non
potuit sufficienter nobis provideri per nostra naturalia; et ideo necessaria
fuit fides eorum quae essentialiter ad fidem pertinent. Alia autem cognitio Dei est commensurata
nostrae naturae, scilicet illa quam de Deo habere possumus per rationem
naturalem. Sed quia haec habetur in ultimo humanae vitae, cum sit finis; et
oportet humanam vitam regulari ex cognitione Dei, sicut ea quae sunt ad finem
ex cognitione finis: ideo etiam per naturam hominis non potuit sufficienter
provideri etiam quantum ad hanc cognitionem Dei. Unde oportuit quod per fidem
a principio cognita fierent, ad quae ratio nondum poterat pervenire; et hoc
quantum ad ea quae ad finem praeexiguntur. |
1. La fin de la vie humaine est la connaissance de Dieu, même selon les philosophes qui place la félicité ultime dans l’acte de la sagesse par la connaissance de ce qui est le plus noble des intelligibles. Or, une certaine connaissance de Dieu dépasse notre nature, comme la vision qui se réalise par son essence, et nous ne pouvions être suffisamment équipés pour cette fin par notre capacité naturelle. Aussi la foi à ce qui relève essentiellement de la foi était-elle nécessaire. Mais une autre connaissance de Dieu est à la mesure de notre nature : celle que nous pouvons avoir de Dieu par la raison naturelle. Or, parce que celle-ci n’est obtenue qu’au terme de la vie humaine, puisqu’elle en est la fin, et parce qu’il est nécessaire que la vie humaine soit réglée par la connaissance de Dieu, comme ce qui est ordonné à une fin par la connaissance de la fin, la nature de l’homme ne pouvait donc pas non plus suffisamment assurer cette connaissance de Dieu. Il fallait donc que, dès le début, soit connu par la foi ce que ne pouvait atteindre la raison, et cela, pour ce qui est prérequis à ce qui est ordonné à la fin. |
[10752] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod bonum, ut dicit Dionysius, est sui diffusivum; unde ubi
cognoscitur alia ratio diffusionis, cognoscitur alia ratio bonitatis. Per
rationem ergo naturalem potest cognosci summum bonum, secundum quod diffundit
se communicatione naturali, non autem secundum quod diffundit se
communicatione supernaturali; et secundum hanc rationem summum bonum est
finis nostrae vitae: de quo oportet haberi fidem, cum ratio in illud non
possit. |
2. Comme le dit Denys, « le bien se répand par lui-même », de sorte que là où est connue une autre raison de diffusion, est connue une autre raison de bien. Le Bien suprême peut donc être connu par la raison naturelle selon qu’il se diffuse par une communication naturelle, mais non selon qu’il se diffuse par une communication surnaturelle. Selon cette raison, le Bien suprême est la fin de notre vie, ce dont il faut en avoir la foi, puisque la raison ne peut y accéder. |
[10753] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3
qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ea quae sunt ad finem, debent
proportionari fini: unde cum finis vitae humanae ultimus sit supra facultatem
naturae, et per consequens rationis, quae ratio ex his quae sunt ad finem, de
fine conjectat; oportet quod etiam illa quae sunt ordinata ad finem illum,
supra facultatem humanae naturae sint et supra rationem; et ita non omnia
quae in divina sapientia supra rationem sunt ad fidem pertinent, sed solum
cognitio finis supernaturalis, et eorum quibus in finem illum
supernaturaliter ordinamur. |
3. Ce qui est ordonné à la fin doit être proportionné à la fin. Puisque la fin ultime de la vie humaine dépasse la capacité de la nature et, par conséquent, de la raison, qui juge de ce qui se rapporte à la fin à partir de la fin, il est nécessaire que même ce qui est ordonné à cette fin dépasse la capacité de la nature humaine et la raison. Ainsi, tout ce qui dépasse la raison dans la sagesse divine ne relève pas de la foi, mais seulement la connaissance de la fin surnaturelle et de ce par quoi nous sommes surnaturellement ordonnés à cette fin. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[10754] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod, sicut philosophus dicit 1
Ethic., laus proprie secundum respectum ad alterum quod dignius est
attenditur; sicut videmus quod actus concupiscibilis laudatur inquantum
ordinate se habet ad rationem; actus vero rationis inquantum ordinate se
habet ad intellectum, quo dirigitur; et actus etiam supremarum potentiarum
secundum quod convenienter se habent ad finem. Et propter hoc illa quae sunt
optima, non laudantur, sed honorantur. Et quia virtus est dispositio perfecti
ad optimum, ut dicitur in 7 Physic.; ideo proprie actus virtutis laudabilis
est. Nostra autem naturalis cognitio se habet ad divinam sicut ad superiorem;
et ideo cum ratio nostra divinae consentit, actus laudabilis est, sicut cum
irascibilis subditur rationi; et ideo credere veritati primae in his quae non
videntur, laudabile est, et opus meritorium, et opus virtutis. |
Comme le dit le Philosophe dans Éthique, I, la louange se prend par rapport à quelque chose de plus digne, comme nous voyons que l’acte du concupiscible est loué pour autant qu’il se comporte de manière ordonnée par rapport à la raison; l’acte de la raison l’est pour autant qu’il se comporte de manière ordonnée par rapport à la simple intelligence, par laquelle il est dirigé; et même l’acte des puissances supérieures, selon qu’elles ont un rapport approprié avec la fin. Pour cette raison, ce qu’il y a de meilleuer n’est-il pas loué, mais honoré. Et parce que « la vertu est la disposition de ce qui est parfait à ce qui est le meilleur », ainsi qu’il est dit dans Physique, VII, l’acte de vertu est au sens propre louable. Or, notre connaissance se rapporte à [la connaissance] divine comme une [connaissance] supérieure; c’est pourquoi, lorsque notre raison consent à la [raison] divine, est-ce un acte louable, comme lorsque l’irascible est soumis à la raison. Ainsi, croire à la Vérité première pour ce que l’on ne voit pas est-il louable, un acte méritoire et un acte vertueux. |
[10755] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod credere homini absque ratione probabili
est nimis cito credere: quia cognitio unius hominis non est naturaliter
ordinata ad cognitionem alterius, ut per ipsam reguletur. Sed hoc modo
ordinata est ad veritatem primam. |
1. Croire à un homme sans raison probable, c’est croire trop rapidement, car la connaissance d’un homme n’est pas naturellement ordonnée à la connaissance d’un autre [homme] d’une manière telle qu’elle soit déterminée par celle-ci. Mais elle a été ordonnée de cette manière à la Vérité première. |
[10756] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod homo dum credit, rationem non abnegat, quasi contra eam
faciens; sed eam transcendit, altiori dirigenti innixus, scilicet veritati
primae: quia ea quae fidei sunt, etsi supra rationem sint, tamen non sunt
contra rationem. Ea autem quae supra hominem sunt quaerere, non est
vituperabile sed laudabile: quia homo debet se erigere ad divina,
quantumcumque potest, ut dicit philosophus. |
2. Lorsqu’il croit, l’homme ne renonce pas à sa raison, comme s’il agissait à l’encontre de celle-ci, mais il la dépasse en s’appuyant sur quelqu’un de plus grand qui la dirige : la Vérité première, car ce qui relève de la foi, même si cela dépasse la raison, n’est cependant pas contraire à la raison. Or, rechercher ce qui dépasse l’homme n’est pas blâmable mais louable, car l’homme doit s’élever jusqu’aux réalités divines, autant qu’il le peut, comme le dit le Philosophe. |
[10757] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod discretionem credendorum habet homo per lumen fidei, sicut
discretionem spirituum per aliquam gratiam gratis datam; unde homo lumen
fidei habens non consentit his quae sunt contra fidem, nisi inclinationem
fidei derelinquat ex sua culpa. |
3. L’homme juge de ce qui doit être cru par la lumière de la foi comme il juge des esprits par un charisme. L’homme qui possède la lumière de la foi ne consent donc pas à ce qui est contraire à la foi, à moins d’abandonner l’inclination de la foi par sa faute. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[10758] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam
quaestionem dicendum, quod quantitas meriti ex duobus potest attendi;
scilicet ex parte operis et ex parte operantis. Opus quidem oportet ut sit
virtuosum. Et quia virtus est circa difficile et bonum, oportet quod habeat
difficultatem et bonitatem quantum in se est; et ideo quod addit ad alterum
eorum addit ad meritum, quantum est ex parte operis. Ex parte vero operantis
requiritur voluntas; unde quanto magis quis voluntate facit, tanto magis meretur;
et semper quantitas meriti attenditur secundum radicem caritatis. Haec autem
quantitas est quasi formale respectu alterius; unde secundum eam certius est
judicium de quantitate meriti. Ratio ergo naturalis dupliciter potest induci
in his quae fidei sunt: vel cum ratio inducitur secundum fidem, vel contra
fidem. Ratio autem inducta contra fidem addit difficultatem actus quantum in
se est; unde manente eadem voluntate credendi magis meretur qui credit ad
quod videt multas rationes naturales in contrarium, quam qui eas non videt:
sicut qui cum tentatur vehementius de luxuria, si resistit aequali voluntate,
plus meretur. Ratio autem quae secundum fidem inducitur non facit videri id
quod creditur; et ideo difficultatem operis, quantum in se est, non diminuit;
sed quantum in se est, facit voluntatem magis promptam ad credendum; et ex
ista parte potest augere meritum fidei, sicut habitus virtutis qui inclinat
ad actum in se difficilem, quem facilem reddit operanti. Unde patet quod tam
causa rationalis pro fide inducta, quam contra fidem, quantum in se est,
meritum fidei auget, quamvis possit etiam diminuere utrumque ex defectu
credentis. |
La quantité du mérite peut être évaluée de deux points de vue : du point de vue de l’acte et du point de vue de celui qui agit. Il faut donc que l’acte soit vertueux. Et parce que la vertu porte sur ce qui est difficile et bon, il est nécessaire que cela comporte une difficulté et une bonté en soi-même. C’est pourquoi ce qui ajoute à l’une de ces deux choses ajoute au mérite du point de vue de l’acte. Mais du point de vue de celui qui agit, est requise la volonté. Plus quelqu’un agit par volonté, plus donc il mérite. Et la quantité du mérite est toujours évaluée selon sa racine : la charité. Or, cette quantité joue pour ainsi dire le rôle de forme par rapport à l’autre; aussi le jugement sur la quantité du mérite est-il plus sûr selon elle. La raison naturelle peut donc être invoquée de deux manières dans ce qui relève de la foi : soit la raison est invoquée selon la foi; soit [elle l’est] contre la foi. Or, un raisonnement invoqué contre la foi ajoute en soi une difficulté à l’acte. Si la même volonté de croire demeure, celui qui croit, alors qu’il voit de multiples raisons naturelles contraires, mérite donc davantage que celui qui ne les voit pas, comme celui qui est fortement tenté par la luxure mérite davantage, s’il résiste. Mais la raison qui est invoquée selon la foi ne fait pas en sorte que ce qui est cru soit vu. Aussi la difficulté de l’acte, considéré en lui-même, ne diminue-t-elle pas, mais, en soi, elle rend la volonté plus disposée à croire et, de ce point de vue, elle peut accroître le mérite de la foi, comme l’habitus de la vertu, qui incline à un acte difficile en lui-même, qu’il rend cependant facile pour celui qui agit. Il est donc clair que tant la cause rationnelle invoquée en faveur de la foi que contre la foi accroît en soi le mérite de la foi, bien qu’elle puisse aussi diminuer les deux en raison d’une carence de celui qui croit. |
[10759] Super Sent., lib. 3 d.
24 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio praebens sufficienter experimentum
fidei facit visionem; et ideo difficultatem credendi evacuat. Sed talis ratio
de his quae per se ad fidem pertinent, haberi non potest. |
1. La raison qui fournit une preuve suffisante de la foi donne la vision; c’est pourquoi elle supprime la difficulté de croire. Mais on ne peut avoir une telle raison à propos de ce qui relève par soi de la foi. |
[10760] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod ex disputationibus corrumpitur fides in eo qui fidem firmam
non habet, ex culpa ipsius. |
2. La foi est corrompue par les disputes chez celui qui n’a pas une foi solide, et par sa faute. |
[10761] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod ratio humana adducta non facit ut homo non pure propter Deum
credat, qua remota nihilominus crederet; unde quantum in se est, non diminuit
meritum nisi ex culpa credentis. |
3. La raison humaine invoquée ne fait pas en sorte que l’homme ne croie pas purement à cause de Dieu; si elle était enlevée, il croirait quand même. En soi, elle ne diminue donc pas le mérite, sauf par la faute de celui qui croit. |
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Expositio textus |
Explication du texte
de Pierre Lombard, Distinction 24
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[10762] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3
qc. 3 expos. Quae non
proprie dicitur fides, sed veritas. Contra. Hic
dividit fidem contra veritatem. Ergo fides veritatem non habet. Dicendum, quod hic accipit veritatem
manifestam quae fidei succedit. Ex fide verborum. Contra. Nunc etiam
non credimus tantum verbis: quia cum apud diversas gentes sint diversa verba,
esset diversa fides. Et dicendum, quod non dicitur esse fides verborum ut
eorum in quae credatur; sed quia ea quae credenda sunt, nobis per verba
proponuntur, insufficienter nobis res creditas ostendentia. Cum fides sit
ex auditu. Contra. Auditus interior a visu non differt. Dicendum, quod
utrumque dicitur in intellectu per similitudinem; unde proprie de illis rebus
intellectus visio habetur quarum formae se ei offerunt, sed auditus de illis
quae non videt. Alia sunt quae nisi intelligamus non credimus, sicut
principia naturaliter cognita: alia quae nisi credamus, non intelligemus,
sicut ea quae supra rationem sunt: et accipit hic credere communiter pro omni
assensu. Nisi aliquid intelligat, scilicet quod significatur per
nomen. |
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Distinctio 25 |
Distinction 25 –
[La croissance de la foi chez le croyant]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Qu’est-ce qu’un article de foi ?]
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Prooemium |
Prologue |
[10763] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 pr. Postquam Magister determinavit de fide
quantum ad suam essentiam, quae per definitionem cognoscitur, et de objecto
fidei; hic determinat de ipsa per comparationem ad habentem ratione
quantitatis, secundum quam crescit in habente fidem. Dividitur autem haec
pars in duas: in prima determinat de fide prout comparatur ad credentes
secundum quantitatem quam habet ex numero credibilium; in secunda secundum
quantitatem quam habet ex intensione habitus, ibi: illud etiam non est
praetermittendum. Circa primum tria facit: primo ostendit quod fides
sufficiens ad salutem, se extendit ad cognitionem deitatis; secundo quod se
extendit ad cognitionem redemptoris, ibi: sed quaeritur, utrum hoc credere
ante adventum et ante legem ad salutem suffecerit; tertio ostendit ad
quos articulos redemptoris fides se extendit, ibi: sed quaeritur, cum sine
fide mediatoris antiquis non fuerit salus, sicut nec modernis, utrum
oportuerit illos credere omnia illa de mediatore quae nos credimus. Sed quaeritur, utrum hoc
credere ante adventum et ante legem ad salutem suffecerit. Hic duo facit: primo
ostendit propositum; secundo removet quamdam quaestionem ex dictis, ibi: quid
ergo dicetur de illis simplicibus quibus non erat revelatum mysterium
incarnationis ? Sed quaeritur,
cum sine fide mediatoris antiquis non fuerit salus et cetera. Hic etiam duo facit: primo
ostendit propositum; secundo movet quaestionem, ibi: solet etiam quaeri de
Cornelio. Illud etiam praetermittendum non est. Hic ostendit quod fides
secundum quantitatem quam habet ex intensione habitus, aequatur spei,
caritati, et operationi; et circa hoc duo facit: primo ostendit propositum;
secundo solvit dubitationem, ibi: huic vero quod hic et superius dictum
est (...) videtur obviare quod ait apostolus. Hic est duplex quaestio. Prima de
definitione articulorum. Secunda de explicita eorum cognitione. Circa primum quaeruntur duo: 1 de articulo
secundum se; 2 de distinctione articulorum ad invicem. |
Après avoir déterminé de l’essence et de l’objet de la foi, le Maître en détermine ici par rapport à celui qui la possède en raison de sa quantité, selon laquelle elle augmente chez celui qui possède la foi. Cette partie se divise en deux : dans la première, il détermine de la foi dans son rapport avec les croyants selon la quantité qu’elle possède en raison du nombre des objets de la foi; dans la seconde, selon la quantité qu’elle possède par l’intensité de l’habitus, à cet endroit : « Cela ne doit pas non plus être omis... » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il montre que la foi suffisante pour le salut va jusqu’à la connaissance de la divinité; deuxièmement, qu’elle va jusqu’à la connaissance du Rédempteur, à cet endroit : « Mais on se demande si le fait de croire avant l’avènement et avant la loi aura suffi au salut »; troisièmement, il montre sur quels articles portant sur le Rédempteur la foi porte, à cet endroit : « Mais on se demande, étant donné qu’il n’y avait pas de salut pour les anciens comme pour les modernes sans la foi au Médiateur, s’il était nécessaire qu’ils croient tout ce que nous croyons du Médiateur. » « Mais on se demande si le fait de croire avant l’avènement et avant la loi aura suffi au salut. » Ici, [le Maître] fait deux choses : premièrement, il montre son propos; deuxièmement, il écarte une question venant de ce qui a été dit, à cet endroit : « Que dira-t-on de ces gens non instruits à qui le mystère de l’incarnantion n’avait pas été révélé ? » « Mais on se demande si, étant donné qu’il n’y avait pas de salut pour les anciens, etc.… » [Le Mâitre] fait encore ici deux choses : premièrement, il monre son propos; deuxièmement, il soulève une question, à cet endroit : « On a aussi coutume de se demander à propos de Corneille… » « Cela ne doit pas non plus être omis. » Il montre ici que la foi, selon la quantité qu’elle possède en raison de l’intensité de l’habitus, est égale à l’espérance, à la charité et à l’acte. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il montre son propos; deuxièmement, il résout un doute, à cet endroit : « À ce qui a été dit ici et plus haut…, semble s’opposer ce que l’Apôtre dit… » Il y a ici deux questions : la première, à propos de la définition des articles; la seconde, à propos de leur connaissance explicite. À propos de la première [question], deux questions sont posées : 1 – À propos de l’article en lui-même. 2 – À propos de la distinction des articles les uns par rapport aux autres. |
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Articulus 1 [10764] Super Sent., lib. 3
d. 25 q. 1 a. 1 tit. Utrum definitio Richardi de s. Victore de articulo
sit competens |
Article 1 – La définition de l’artile donnée par Richard de Saint-Victor est-elle appropriée ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La définition de l’article donnée par Richard de Saint-Victor est-elle appropriée ?] |
[10765] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 1 Ad primum sic
proceditur, et exponitur definitio Richardi de sancto Victore, quae talis
est: articulus est indivisibilis veritas de Deo, arctans nos ad credendum.
Videtur autem quod sit
incompetens. Quia indivisibilis veritas est veritas incomplexi. Sed fides est
de complexi, ut supra dictum est. Ergo articulus fidei non est indivisibilis
veritas. |
1. La définition donnée par Richard de Saint-Victor est la suivante : « Un article est une vérité indivisible à propos de Dieu, qui nous contraint (arctans/articulus) à croire. » Or, il semble qu’elle soit inappropriée, car une vérité indivisible est une vérité non complexe. Or, la foi porte sur quelque chose de complexe, comme on l’a dit plus haut. L’article de foi n’est donc pas une vérité indivisible. |
[10766] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 2 Praeterea, inter
articulos fidei ponuntur aliqua quae non pertinent ad Deum nisi sicut ad
causam, sicut carnis resurrectio. Sed hoc non sufficit ad hoc quod dicatur
veritas esse de Deo: quia sic omnis veritas a Deo est; non tamen omnis
veritas ad articulum fidei pertinet. Ergo videtur quod inconvenienter dicatur de Deo. |
2. Parmi les articles de foi, s’en trouvent certains qui ne se rapportent à Dieu qu’en tant que cause, comme la résurrection de la chair. Mais cela ne suffit pas pour dire que cette vérité vient de Dieu, car toute vérité vient de Dieu, mais toute vérité ne concerne cependant pas un article de foi. Il semble donc qu’on dise de manière inappropriée qu’il vient de Dieu. |
[10767] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, arctatio necessitatem importat. Sed fides voluntaria est: quia nullus
credit nisi volens, ut dicit Augustinus. Ergo male dicit, quod est arctans
ad credendum. |
3. La contrainte comporte une nécessité. Or, la foi est volontaire, car « personne ne croit que s’il le veut », comme le dit Augustin. Il s’exprime donc mal en disant : « qui nous contraint à croire ». |
[10768] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 4 Item, ponitur
alia definitio Isidori: articulus est perceptio divinae veritatis tendens
in ipsam. Quia perceptio
divinae veritatis est etiam per rationem naturalem, sicut quod scimus Deum
esse; et tamen de hoc non est articulus. Ergo male definit articulum. |
4. Une autre définition [de la foi] est donnée par Isidore : « Un article est la perception de la Vérité divine tendant vers celle-ci », car la perception de la Vérité divine se réalise aussi par la raison naturelle, comme nous savons que Dieu existe, et il n’y a cependant pas d’article à ce sujet. Il définit donc mal l’article. |
[10769] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1
qc. 1 arg. 5 Item,
objicitur de definitione Hugonis de sancto Victore: articulus est natura
cum gratia. Quia articulus est res credita. Sed natura cum gratia est
credens. Ergo, cum credens non sit creditum, articulus male definitur. |
5. On objecte la définition de Hugues de Saint-Victor : « L’article est la nature avec la grâce », car un article est la réalité crue. Or, la nature avec la grâce est celui qui croit. Puisque le croyant n’est pas ce qui est cru, l’article est donc mal défini. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Un article
peut-il être formé et informe ?]
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[10770] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod articulus possit dici formatus et informis. Objectum enim
proportionatur habitui. Sed fidei objectum est articulus. Cum ergo fides sit
formata et informis, videtur quod etiam articuli. |
1. Il semble qu’un article puisse être appelé formé et informe. En effet, l’objet est proportionné à l’habitus. Or, l’objet de la foi est un article. Puisque la foi est formée et informe, il semble donc que les articles le soient aussi. |
[10771] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
tendere in Deum est actus fidei formatae. Sed articuli est tendere in Deum,
ut patet per alteram definitionum assignatarum. Ergo articulus potest esse informis, et
formatus. |
2. Tendre vers Dieu est un acte de la foi formée. Or, il revient à un article de tendre vers Dieu, comme cela ressort de l’autre définition donnée. L’article peut donc être informe et formé. |
[10772] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1
qc. 2 arg. 3 Praeterea, unus
articulus est: credo in Deum. Sed hic est actus fidei formatae. Ergo articulus est etiam formatus et
informis. |
3. Un article est : « Je crois en Dieu. » Or, il s’agit d’un acte de la foi formée. L’article est donc aussi formé et informe. |
[10773] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1
qc. 2 s. c. 1 Sed contra, in
articulis fidei non differt peccator et justus. Differt autem secundum
formationem et informitatem. Ergo formatio et informitas non pertinent ad articulos. |
Cependant, [1] le pécheur et le juste ne diffèrent pas par les articles de foi. Or, ils diffèrent par leur caractère formé ou informe. Le caractère formé et informe n’appartiennent donc pas aux articles. |
[10774] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1
qc. 2 s. c. 2 Praeterea, mutare
articulos non est in potestate hominis. Sed informitas est in potestate
hominis, inquantum ex peccato causatur. Ergo informitas non consideratur circa articulum. |
[2] Il n’est pas au pouvoir de l’homme de changer les articles. Or, le caractère informe est au pouvoir de l’homme, dans la mesure où il est causé par le péché. Le caractère informe n’est donc pris en compte à propos de l’article. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Les articles
devaient-il être rassemblés dans un symbole ?]
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[10775] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod articuli non debuerunt colligi in symbolo. Quia tota fides
sufficienter per sacram Scripturam instruitur. Ergo superfluum fuit symbolum
condere. |
1. Il semble que les articles ne devaient pas être rassemblés dans un symbole, car toute la foi est suffisamment enseignée par la Sainte Écriture. Il était donc superflu d’établir un symbole. |
[10776] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 2 Praeterea,
symbolum proponitur ut regula fidei, cujus actus est assentire. Sed, sicut
dicit Augustinus in epistola 19 ad Hieronymum, solis apostolis et prophetis
est hic honor exhibendus, ut quaecumque dixerunt, haec ipsa vera esse
credantur. Ergo post
symbolum apostolorum non debuerunt alia symbola fieri. |
2. Le symbole est proposé comme la règle de foi, dont l’acte consiste à donner son assentiment, Or, comme le dit Augustin dans sa lettre 19 à Jérôme, « il faut manifester aux seuls apôtres et prophètes l’honneur de croire que tout ce qu’ils ont dit est vrai ». D’autres symboles ne devaient donc pas être faits après le symbole des apôtres. |
[10777] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 3 Praeterea,
quaeritur, quare symbolum apostolorum et Nicaenum dividitur in tres partes
secundum tres personas; symbolum autem Athanasii secundum divinitatem et
humanitatem partitur. |
3. On se demande pourquoi les symboles des apôtres et de Nicée sont divisés en trois parties selon les trois personnes, alors que le symbole d’Athanase est divisé selon la divinité et l’humanité. |
[10778] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1
qc. 3 arg. 4 Praeterea,
quaeritur, quare symbolum apostolorum dicitur submisse in prima et
completorio; alia vero duo alte, unum post Evangelium, alterum in prima. |
4. On se demande pourquoi on dit que le symbole des apôtres est dit à voix basse à prime et a complies, mais les deux autres à haute voix, l’un après l’évangile et l’autre à prime. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[10779] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo
dicendum ad primam quaestionem, quod articulus nomen Graecum est; et importat
indivisionem; unde membra quae non dividuntur in alia membra, dicuntur articuli:
et secundum istum modum conclusiones quae inquiruntur in aliqua scientia vel
aliquo tractatu, dicuntur articuli: quia ex eis, sicut ex quibusdam
principiis indivisibilibus, consurgit collectio quae tractatum perficit: et
sic in judiciis ea quae per testes probata sunt vel probanda, dicuntur
articuli. Fides autem non inquirit sed supponit ea quae sunt fidei ex
testimonio Dei ea dicentis: unde illud quod habet specialem difficultatem in
fide, et cujus suppositio non dependet ab alio supposito, proprie dicitur
articulus fidei. Et ideo in definitione praedicta Richardus secutus est et
proprietatem nominis, dicens, quod est indivisibilis veritas, et
etymologiam, secundum quod sonat in lingua Latina, dicens quod arctat nos
ad credendum. |
« Article » est un mot grec : il comporte l’indivision. Aussi les membres qui ne sont pas divisés en d’autres membres sont-ils appelés des articles. De cette manière, les conclusions qui sont recherchées dans une science ou dans un traité sont-elles appelées des articles, car à partir d’elles, comme de principes indivisibles, provient la collection qui réalise le traité. Ainsi, dans les jugements, ce qui a été prouvé ou doit être prouvé par des témoins est-il appelé « articles ». Or, la foi ne recherche pas, mais elle suppose ce qui relève de la foi en vertu du témoignage de Dieu qui le dit. Aussi ce qui comporte une difficulté particulière dans la foi et dont la supposition ne dépend pas de quelque autre supposition, est-il appelé un article de foi. C’est pourquoi, dans la définition susdite, Richard s’est conformé au caractère propre du mot, en disant : « Il est une vérité indivisible », et à l’étymologie, selon son sens latin, en disant : « Qui nous force à croire. » |
[10780] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod in incomplexis, per se loquendo, non est veritas nisi
aequivoce: unde indivisibile intelligendum est non simpliciter, sed in genere
complexorum. |
1. Pour les réalités non complexes, il n’y a à proprement parler pas de vérité, si ce n’est de manière équivoque. Aussi faut-il entendre indivisible non pas simplement, mais à l’intérieur du genre des choses complexes. |
[10781] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod articuli fidei dicuntur esse de Deo, aut quia pertinent ad
divinam naturam, aut quia ad personam (sive ratione sui, sive ratione naturae
assumptae), aut effectus proprius ejus, qui non potest fieri aliqua virtute
creata, nec percipitur ratione humana: et ideo objectio cessat. |
2. On dit que les articles de foi portent sur Dieu soit parce qu’ils concernent la nature divine, soit parce qu’ [ils concernent] la personne (en elle-même ou en raison de la nature assumée) ou son effet propre, qui ne peut être réalisé par une puissance créée et n’est pas perçu par la raison humaine. Ainsi cesse l’objection. |
[10782] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod articulus dicitur arctare ad credendum non de necessitate
coactionis, sed de necessitate finis: quia sine fide articulorum non potest
esse salus. |
3. On dit qu’un article force (articulus/arctare) à croire, non pas par une nécessité coercitive, mais par une nécessité tirée de la fin, car, sans la foi aux articles, il ne peut y avoir de salut. |
[10783] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod perceptio divinae veritatis quae fit per
rationem naturalem, tendit, sicut in id cui innititur, in intellectum
principiorum; sed perceptio divinae veritatis quae est articulus, tendit in
primam veritatem non solum sicut in finem, vel objectum, sed sicut in id in
quod resolvitur sicut in causam suae credulitatis. |
4. La perception de la Vérité divine, qui est réalisée par la raison naturelle, tend à l’intelligence des principes, comme à ce sur quoi elle s’appuie. Mais la perception de la Vérité divine qui est un article tend à la Vérité première, non seulement comme à une fin ou à un objet, mais comme comme à ce à quoi elle se ramène comme à la cause de sa croyance. |
[10784] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1
qc. 1 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod Hugo non intendit definire articulum, sed ostendere quae sunt
ea de quibus est fides: quia est de operibus conditionis, quibus instituta
est natura, et de operibus reparationis, quibus collata est gratia Dei. |
5. Hugues n’entend pas définir l’article, mais montrer ce sur quoi porte la foi, car elle porte sur les œuvres de la création, par lesquelles la nature a été établie, et sur les œuvres de la restauration, par lesquelles la grâce de Dieu a été conférée. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[10785] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
dicendum, quod articulus nominat id quod credendum est quasi objectum fidei.
Diversa autem dispositio operantis nihil variat in objecto operationis; nec
objectum denominatur ex dispositione operantis, sed magis e converso; sicut
color non denominatur ex diversa dispositione videntis, secundum quod quidam
habent lippos oculos, et quidam claros: unde cum formatio fidei et informitas
ad dispositionem credentis pertineant, nec etiam secundum id quod est
proprium intellectus in quo est fides, sed secundum relationem ejus ad
voluntatem, in qua est caritas, non potest proprie dici, quod articulus sit formatus
vel informis. |
L’article désigne ce qui doit être cru comme objet de la foi. Or, une disposition différente de celui qui agit ne change en rien l’objet de l’action, et l’objet n’est pas nommé à partir de la disposition de celui qui agit, mais c’est plutôt l’inverse : ainsi la couleur n’est pas nommée d’après la disposition de celui qui voit, selon que l’un a des yeux chassieux et l’autre, des yeux clairs. Comme le caractère formé et informe de la foi concerne une disposition du croyant, et ne vient pas de ce qui est propre à l’intelligence dans laquelle se trouve la foi, mais de sa relation à la volonté, où se trouve la charité, on ne peut donc dire à propre parler qu’un article soit formé ou informe. |
[10786] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod objectum proportionatur habitui in his quae ad naturam habitus
pertinent, non in his quae accidunt ex dispositione habentis habitum. |
1. L’objet est proportionné à l’habitus pour ce qui concerne la nature de l’habitus, et non pour ce qui survient en raison des dispositions de celui qui possède l’habitus. |
[10787] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod illa definitio est data de articulo per actum fidei; unde
dicit: perceptio divinae veritatis; et ideo ex parte actus accidit ibi
id quod est fidei formatae, non ex parte objecti. |
2. Cette définition de l’article est donnée à partir de l’acte de foi. Ainsi dit-il : « Une perception de la Vérité divine. » C’est pourquoi on y trouve ce qui appartient à la foi formée, mais non du point de vue de son objet. |
[10788] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Et similiter dicendum ad
tertium. |
3. Il faut dire la même chose pour le troisième argument. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[10789] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem
dicendum, quod nomen symboli similitudinem et collectionem importat; unde a
quatuor collectionibus nomen symboli imponitur. Primo a collectione multorum
hominum in unam fidem. Secundo a collectione praedicantium fidem: quia omnes
apostoli collecti hanc regulam fidei ediderunt, unusquisque quod suum est
apponens. Tertio, quia ex diversis locis sacrae Scripturae colliguntur ea
quae credenda sunt, ut in promptu habeantur. Quarto omnia beneficia divinitus
collata ibi colliguntur; unde Dionysius, dicit, quod religionis symbolum
congruentius potest appellari hierarchia eucharistica, quasi bona gratia. |
Le mot « symbole » comporte ressemblance et rassemblement. Aussi le nom de symbole est-il donné à quatre rassemblements. Premièrement, au rassemblement d’un grand nombre d’hommes dans une seule foi. Deuxièmement, au rassemblement de ceux qui prêchent la foi, car tous les apôtres rassemblés ont produit cette rêgle de la foi, chacun lui apportant ce qui lui était propre. Troisièmement, parce que ce qui doit être cru a été rassemblé à partir de nombreux endroits de la Sainte Écriture, afin d’être facilement accessible. Quatrièmement, tous les bienfaits accordés par Dieu y sont rassemblés. Aussi Denys dit-il que « le symbole de la religion peut être appelé une hiérarchie eucharistique, une ‘bonne grâce’ ». |
[10790] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod oportuit ea quae in diversis locis sacrae Scripturae tradita
sunt, in unum colligi locum, ut fides magis in promptu haberetur. |
1. Il fallait que ce qui était transmis dans plusieurs endroits de la Sainte Écriture soit rassemblé en un seul endroit afin que la foi soit commodément accessible. |
[10791] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod patres qui alia symbola post apostolos ediderunt, nihil de suo
apposuerunt; sed ex sacris Scripturis ea quae addiderunt, exceperunt. Et quia
quaedam difficilia sunt in illo symbolo apostolorum, ideo ad ejus
explanationem editum est symbolum Nicaenum, quod diffusius fidem quantum ad
aliquos articulos prosequitur. Et quia quaedam implicite continebantur in illis symbolis, quae
oportebat propter insurgentes haereses explicari; ideo additum est symbolum
Athanasii, qui specialiter contra haereticos se opposuit. |
2. Les pères qui ont formulé d’autres symboles après les apôtres n’y ont rien mis d’eux-mêmes, mais ils ont extrait des Saintes Écritures ce qu’ils ont ajouté. Et parce qu’il y a certaines choses difficiles dans ce symbole des apôtres, on a donc formulé pour l’expliquer le symbole de Nicée, qui expose plus explicitement la foi pour certains articles. Et parce que certaines choses étaient implicitement contenues dans ces symboles, qu’il fallait expliciter à cause des hérésies qui surgissaient, on a ajouté le symbole d’Athanase, qui s’est opposé d’une manière particulière aux hérétiques. |
[10792] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quia tempore Athanasii specialiter haereses insurrexerunt
contra personam filii quantum ad utramque naturam, ideo secundum duas naturas
symbolum illud in duas partes dividitur. Alia autem symbola, quae non sunt ex
principali intentione contra haereticos facta, sed ad doctrinam fidei
propalandam vel elucidandam, dividuntur in tres personas, in quibus
principaliter nostra fides fundatur. |
3. Parce que, à l’époque d’Athanase, des hérésies se sont élevées contre la personne du Fils pour ce qui concerne ses deux natures, ce symbole se divise donc en deux parties selon les deux natures. Mais les autres symboles, qui n’ont pas été faits selon leur intention principale contre les hérétiques, mais pour diffuser ou éclairer l’enseignement de la foi, sont donc divisés selon les trois personnes, sur lesquelles se fonde principalement notre foi. |
[10793] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1
qc. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod symbolum apostolorum fuit editum quando fides nondum erat
propalata, et ideo in occulto dicitur. Et quia editum fuit ad proponendum
fidei doctrinam, ideo quotidie dicitur et in prima et in completorio, quasi
in principio diei et noctis, in signum quod omnis nostra operatio a fine
debet accipere initium: et quia per ipsam contra adversa et in prosperis protegimur.
Alia autem symbola edita fuerunt tempore fidei jam propalatae; et ideo
publice cantantur. Et quia non ad proponendum fidem, sed ad defendendum vel
elucidandum edita fuerunt; ideo non in singulis diebus dicuntur, sed in illis
in quibus homines maxime ad Ecclesiam venire consueverunt, et in illis in
quibus fit aliqua solemnizatio de illis quae ad articulos pertinent. Et quia
symbolum Nicaenum editum est ad manifestationem fidei, ideo dicitur statim
post Evangelium, quasi expositio ipsius. Symbolum autem Athanasii quod contra
haereticos editum est, in prima dicitur, quasi jam pulsis haereticorum tenebris. |
4. Le symbole des apôtres a été formulé alors que la foi n’avait pas encore été diffusée; aussi est-il dit dans le secret. Et parce qu’il a été formulé pour proposer l’enseignement de la foi, c’est pourquoi il est dit tous les jours à prime et à complies, pour ainsi dire au début du jour et de la nuit, comme signe que toutes nos actions doivent s’amorcer à partir de la fin et parce que nous sommes protégés par elle dans l’adversité comme dans la prospérité. Mais les autres symboles ont été formulés au moment où la foi avait déjà été diffusée; aussi sont-ils chantés publiquement. Et parce qu’ils n’ont pas été formulés pour proposer la foi, mais pour la défendre ou l’élucider, ils ne sont donc pas dits tous les jours, mais les jours l’on a surtout coutume de venir à l’église et où est faite une certaine célébration solennelle de ce qui concerne les articles. Et parce que le symbole de Nicée a été formulé pour manifester la foi, c’est pourquoi il est dit aussitôt après l’évangile, comme son explication. Mais le symbole d’Athanase, qui a été formulé contre les hérétiques, est dit à prime, comme si déjà étaient repoussées les ténèbres des hérétiques. |
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Articulus 2 [10794] Super Sent., lib. 3
d. 25 q. 1 a. 2 tit. Utrum articuli convenienter distinguantur in symbolo |
Article 2 – Les articles sont-ils distingués de manière appropriée dans le symbole ? |
[10795] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod inconvenienter articuli distinguantur in symbolo.
Tres enim personae sunt aequales. Sed articuli pertinentes ad personam filii
et spiritus sancti ponuntur plures. Ergo similiter debent poni plures
pertinentes ad personam patris. |
1. Il semble que les articles soient distingués de manière inappropriée dans le symbole. En effet, les trois personnes sont égales. Or, les articles se rapportant à la personne du Fils et du Saint-Esprit sont plus nombreux. Il devrait donc y en avoir plus qui se rapportent à la personne du Père. |
[10796] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea, Deum
esse unum, est probabile per demonstrationem, et similiter Deum esse
creatorem rerum; unde etiam quidam philosophi, ut Avicenna, demonstratione
moti hoc concedunt. Sed articuli qui essentialiter ad fidem pertinent non
possunt per demonstrationem probari, ut ex dictis patet. Ergo inconvenienter
ponuntur in symbolis pro articulis. |
2. Que Dieu soit unique, on peut le prouver par une démonstration; de même en est-il pour le fait que Dieu soit le créateur des choses. Aussi certains philosophes, comme Avicenne, mus par une démonstration, le concèdent-ils. Or, les articles qui relèvent essentiellement de la foi ne peuvent être prouvés par une démonstration, comme cela ressort de ce qui a été dit. Ils sont donc mis de manière inappropriée comme des articles dans les symboles. |
[10797] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2
arg. 3 Praeterea, sicut
potentia appropriatur patri, ita sapientia filio. Ergo sicut fit mentio in
symbolo de omnipotentia, ita debet mentio fieri de sapientia, et aliis etiam
attributis. |
3. De même que la puissance est appropriée au Père, de même la sagesse au Fils. De même donc qu’il est fait mention de la toute-puissance dans le symbole, de même doit-il être fait mention de la sagesse, et aussi des autres attributs. |
[10798] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, in symbolo
debet exponi fides quantum ad omnes credentes. Sed non omnibus credentibus
convenit credere in Deum, sed tantum habentibus fidem formatam. Ergo videtur
quod male dictum sit: credo in unum Deum; et quod habens fidem
informem, hoc dicens peccet mentiendo. |
4. Dans le symbole, la foi doit être exposée pour tous les croyants. Or, il ne convient pas à tous les croyants de croire en Dieu (credere in Deum), mais seulement à ceux qui ont une foi formée. Il semble donc que ce soit une mauvaise formulation : « Je crois en un seul Dieu. » Et celui qui possède une foi informe pèche par mensonge en disant cela. |
[10799] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, cum dicitur
credere in Deum, designatur finis fidei. Sed solus Deus est finis fidei. Ergo
cum in symbolo contineatur aliquid quod est pure creatum, sicut Ecclesia Catholica,
videtur quod inconvenienter ponatur iste modus loquendi. |
5. Lorsqu’on dit croire en Dieu (credere in Deum), on désigne la fin de la foi. Or, seul Dieu est la fin de la foi. Puisque quelque chose de purement créé est contenu dans le symbole, comme l’Église catholique, il semble donc que cette manière de parler soit utilisée de manière inappropriée. |
[10800] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2
arg. 6 Praeterea, sicut
incarnationis sacramentum incepit in conceptione, et terminatum est in
nativitate; ita et mysterium passionis incepit in passione, et terminatum est
in sepultura. Sed assignatur
alius articulus de conceptione et nativitate. Ergo et alius articulus debet
assignari de passione et sepultura. |
6. De même que le sacrement de l’incarnation a débuté par la conception et s’est terminé par la naissance, de même le mystère de la passion a-t-il débuté par la passion et s’est-il terminé par la sépulture. Or, un autre article est attribué à la conception et à la naissance. Un autre article doit donc être attribué à la passion et à sépulture. |
[10801] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2
arg. 7 Praeterea,
sicut patri appropriatur aliquod opus, et spiritui sancto; ita et filio. Ergo
sicut cum fide de patre ponitur aliquod opus divinum, sicut creatio, et cum
articulo spiritus sancti opus remissionis peccatorum; ita et cum articulis
filii deberet aliquod opus divinum poni. |
7. De même qu’une œuvre est appropriée au Père et au Saint-Esprit, de même l’est-elle au Fils. De même donc qu’une œuvre divine est associée à la foi au Père, telle la création, et l’œuvre de la rémission des péchés, à l’article sur le Saint-Esprit, de même aussi une œuvre divine devrait-elle être associée aux articles sur le Fils. |
[10802] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2
arg. 8 Praeterea, in
Nicaeno symbolo nulla fit mentio de descensu ad Inferos. Ergo videtur
insufficienter articulos continere. |
8. Dans le symbole de Nicée, aucune
mention n’est faite de la descente aux enfers. Il semble donc qu’il contienne
les articles de manière insuffisante. |
[10803] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 9 Praeterea, quaeritur
quare in Nicaeno symbolo dicitur, non creatorem, sed factorem. |
9. On se demande pourquoi on ne dit pas « créateur » (creatorem), mais « artisan » (factorem) dans le symbole de Nicée. |
[10804] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2
arg. 10 Praeterea, fides
de corpore Christi in sacramento altaris maximam difficultatem habet. Cum
ergo in nullo symbolorum de hoc dicatur aliquid, videtur quod insufficienter
in eis fides tradatur. |
10. La foi au corps du Christ dans le sacrement de l’autel comporte une très grande difficulté. Puisqu’il n’en est rien dit dans aucun des symboles, il semble donc que la foi y soit insuffisamment transmise. |
[10805] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod articuli fidei distinguuntur
dupliciter. Uno modo quantum ad ipsa credibilia; et sic sunt quatuordecim:
alio modo quantum ad ipsos qui articulos distinxerunt; et sic sunt duodecim
secundum numerum duodecim apostolorum. Quia autem articulus est veritas de
Deo, hoc contingit esse dupliciter: quia aut est de ipso Deo tantum, aut de
Deo ratione naturae assumptae. Si primo modo, contingit esse tripliciter:
quia aut est de eo ratione naturae, aut ratione personarum, aut ratione
effectus proprii. Si ratione naturae, sic habemus primum articulum: credo
in unum Deum. Si ratione personae, aut ratione personae patris, et sic
habemus secundum: patrem omnipotentem; aut ratione filii, et sic
habemus tertium: et in Jesum Christum filium ejus; aut ratione
personae spiritus sancti, et sic habemus quartum: credo in spiritum
sanctum. Si ratione effectus, aut pertinet ad conditionem naturae, et sic
est quintus: creatorem caeli et terrae; aut ad bonum gratiae, et sic
habemus sextum: sanctam Ecclesiam Catholicam, sanctorum communionem,
remissionem peccatorum; aut de perfectione gloriae, et sic habemus
septimum: carnis resurrectionem, vitam aeternam. Quidam autem aliter
distinguunt hos tres articulos: quia opus creationis includunt in primo
articulo, qui pertinet ad veritatem essentiae; et ultimum opus dividunt in
duos articulos, scilicet carnis resurrectionem, unum articulum
dicentes, et vitam aeternam alium. Sed prima distinctio melior
videtur: quia apostolus expresse ponit unum articulum de creatione, Hebr. 11,
3: fide credimus aptata esse saecula verbo Dei. Et iterum completio
vitae aeternae et gloriae includit conjunctionem animae et corporis. Item
sciendum, quod opus creationis conjungitur articulo de persona patris, quia
pertinet ad potentiam, quae appropriatur patri. Duo autem alia opera
adjunguntur articulis de spiritu sancto: unde sibi appropriatur unio
Ecclesiae, quae importatur per hoc quod dicitur: sanctam Ecclesiam
Catholicam, remissionem peccatorum: et communicatio bonorum operum quae
est per caritatem, ut bonum unius alteri prosit. Articuli autem pertinentes
ad naturam assumptam sunt etiam septem. Primus pertinet ad conceptionem: qui
conceptus est de spiritu sancto. Secundus ad nativitatem: natus ex
Maria. Tertius ad passionem: passus sub Pontio Pilato, crucifixus,
mortuus, et sepultus. Quartus ad descensum ad Inferos: descendit ad
Inferna. Quintus ad resurrectionem: tertio die resurrexit a mortuis.
Sextus ad
ascensionem: ascendit in caelos, sedet ad dexteram Dei patris. Septimus ad adventum ad judicium: inde
venturus est judicare vivos et mortuos. Horum autem articulorum tres
Petrus in unum complexus est, scilicet articulum de unitate essentiae, de
omnipotentia patris, et de opere creationis, ideo quia opus creationis
propter potentiam quam indicat, patri appropriatur qui est etiam fons totius
deitatis; et ideo competit Petro, quod est caput apostolorum, sicut pater
Trinitatis. Posuit autem Joannes articulum de persona filii. Articulum autem
de conceptione et nativitate conjunxit in unum Jacobus Zebedaei. Articulum autem de
passione posuit Andreas. Descensum ad Inferos posuit Philippus.
Resurrectionem Thomas. Ascensionem Bartholomeus. Adventum ad judicium
Matthaeus. Articulum de
spiritus sancti persona Jacobus Alphaei. Opus gratiae diviserunt duo
apostoli. Nam Simon
posuit effectum gratiae in consecutione boni, scilicet: sanctam Ecclesiam
Catholicam, sanctorum communionem; Judas Jacobi quantum ad remotionem
mali, scilicet peccatorum remissionem. Effectum gloriae posuit
Matthias, vel iterum Thomas, ut quidam dicunt. Alii autem aliter praedictos
articulos attribuunt apostolis. Sed in hoc non est magna vis. |
Réponse. Les articles de foi se distinguent de deux manières : premièrement, par les objets mêmes de la foi, et ainsi il y en a quatorze; deuxièmement, par ceux qui ont fait une distinction entre les articles, et ainsi il y en a douze selon le nombre des douze apôtres. Or, parce qu’un article est une vérité à propos de Dieu, cela se produit de deux manières : soit il porte sur Dieu seulement, soit il porte sur Dieu en raison de la nature assumée. Si c’est de la première manière, cela peut se produire de trois manières : soit il porte sur [Dieu] en raison de sa nature, soit en raison des personnes, soit en raison de son effet propre. Si c’est en raison de sa nature, nous avons ainsi le premier article : « Je crois en un seul Dieu.» Si c’est en raison de la personne, c’est soit en raison de la personne du Père, et ainsi nous avons le deuxième [article] : « Le Père tout-puissant »; soit en raison [de la personne] du Fils, et ainsi nous avons le troisième [article] : « Et en Jésus, le Christ, son Fils »; soit en raison de la personne de l’Esprit Saint, et ainsi nous avons le quatrième [article] : « Je crois au Saint-Esprit. » Si c’est en raison de l’effet, soit il se rapporte à la création de la nature, et ainsi nous avons le cinquième [article] : « Créateur du ciel et de la terre »; soit au bien de la grâce, et ainsi nous avons le sixième [article] : « À la sainte Église catholique, à la communion des saints, à la rémission des péchés »; soit à la perfection de la gloire, et ainsi nous avons le septième [article] : « À la résurrection de la chair, à la vie éternelle. » Mais certains distinguent ces trois articles d’une autre manière, car ils incluent l’œuvre de la création dans le premier article, qui se rapporte à la vérité de l’essence; et ils divisent la dernière œuvre en deux articles, en disant que : « À la résurrection de la chair» est un article et que : « À la vie éternelle » en est un autre. Mais la première distinction semble meilleure, car l’apôtre fait expressément de la création un article, He 11, 3 : Nous croyons par la foi que les siècles ont été disposés par la parole de Dieu. De plus, l’accomplissement de la vie éternelle et de la gloire inclut l’union de l’âme et du corps. Il faut aussi savoir que l’œuvre de la création est associée à l’article sur la personne du Père parce qu’elle relève de la puissance, qui est appropriée au Père. Mais les deux autres œuvres sont associées aux articles sur l’Esprit Saint. Ainsi l’union de l’Église lui est appropriée, signalée lorsqu’on dit : « À la sainte Église catholique, à la rémission des péchés », et la communication des œuvres bonnes, qui se réalise par la charité, de sorte que le bien de l’un soit utile à un autre. Mais les articles se rapportant à la nature assumée sont aussi au nombre de sept. Le premier se rapporte à la conception : « Qui a été conçu du Saint-Esprit »; le deuxième à la naissance : « Est né de Marie »; le troisième à la passion : « A souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli »; le quatrième à la descente aux enfers : « Est descendu aux enfers »; le cinquième, à la résurrection : « Le troisième jour est ressuscité des morts »; le sixième à l’ascension : « Est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu, le Père »; le septième à sa venue pour le jugement : « D’où il viendra juger les vivants et les morts. » Or, Pierre a regroupé trois de ces articles en un seul : l’article sur l’unité d’essence, sur la toute-puissance du Père et sur l’œuvre de la création. Ainsi, parce que l’œuvre de la création, en raison de la puissance qu’elle signale, est appropriée au Père, qui est aussi la source de toute la divinité, cela convenait aussi à Pierre, qui est la tête des apôtres, comme le Père l’est de la Trinité. Jean a formulé l’article sur la personne du Fils. Jacques, [le fils] de Zébédée, a réuni en un seul l’article sur la conception et sur la naissance. André a formulé l’article sur la passion, Thomas, celui sur la résurrection, Bartholomée, celui sur l’ascension, Matthieu, celui sur la venue [pour le jugement]. Jacques, [fils] d’Alphée, [a formulé] l’article sur l’Esprit Saint. Deux apôtres se sont répartis l’œuvre de la grâce, car Simon a formulé l’effet de la grâce par l’obtention d’un bien : « À la sainte Église catholique, à la communion des saints », et Jude, [fils] de Jacques, par l’enlèvement du mal, « la rémission des péchés ». Matthias a formulé l’effet de la gloire, ou à nouveau Thomas, comme certains le disent. Mais d’autres attribuent différemment aux apôtres les articles en question. Mais cela n’a pas beaucoup de poids. |
[10806] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod pater non est missus sicut aliae personae; et ideo eis propter
effectum missionis plures articuli appropriantur quam patri. |
1. Le Père n’a pas été envoyé comme les autres personnes. Aussi, en raison de l’effet de la mission, un plus grand nombre d’articles leur est-il attribué qu’au Père. |
[10807] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod Deum esse simpliciter, non est articulus; sed Deum esse sicut
fides supponit, scilicet habentem curam de omnibus, remunerantem, et
punientem, ut patet per apostolum Hebr. 11: quia sic determinat, quia est, et
quia remunerator est. Similiter Deum esse creatorem non cognoverunt
philosophi, sicut fides ponit, ut scilicet postquam non fuerunt, in esse
producta sint; sed secundum alium modum accipiunt creationem, ut in Lib. 2,
dist. 1 dictum est. |
2. Que Dieu existe simplement n’est pas un article, mais que Dieu existe tel que la foi le suppose, c’est-à-dire en tant qu’il prend soin de tout, récompense et en punisse, comme cela ressort de ce que dit l’Apôtre en He 11, car il détermine ainsi qu’il existe et qu’il est rémunérateur. De même, les philosophes n’ont pas connu le fait que Dieu est créateur, comme la foi l’affirme, c’est-à-dire qu’après n’avoir pas été, les choses aient été amenées à l’être; mais ils conçoivent la création d’une autre manière, comme on l’a dit dans le livre II, d. 1. |
[10808] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod omnes articuli, praecipue qui pertinent ad opera divina,
probantur per omnipotentiam Dei, sicut et Angelus probavit incarnationem,
veniens ad virginem, Lucae 1, 37: quia non erit impossibile apud Deum omne
verbum; et ideo ponitur praecipue omnipotentia quasi radix fidei. |
3. Tous les articles, surtout ceux qui se rapportent àux œuvres divines, sont prouvés par la toute-puissance de Dieu, comme l’ange prouve l’incarnation en venant vers la Vierge, Lc 1, 37 : Car aucune parole n’est impossible à Dieu. C’est pourquoi la toute-puissance est principalement donnée comme la racine de la foi. |
[10809] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in symbolo proponitur nobis regula fidei, ad
quam omnes debent pertingere. Non autem debent pertingere solum ad actum
fidei informis, sed etiam ad actum fidei formatae, et ideo ponitur in
symbolis actus fidei formatae. Nihilominus habens fidem informem, dicens
symbolum, non peccat: quia hoc dicit in persona Ecclesiae. |
4. Dans le symbole, une règle de foi nous est proposée, à laquelle tous doivent adhérer. Or, ils ne doivent pas adhérer seulement à un acte de foi informe, mais aussi à un acte de foi formée. C’est pourquoi un acte de foi formée se trouve dans les symboles. Néanmoins, celui qui a une foi informe et qui récite le symbole ne pèche pas, car il le fait en la personne de l’Église. |
[10810] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod Leo Papa dicit, quod non debet ibi addi haec praepositio in,
ut dicatur: et in unam sanctam Catholicam etc., sed debet dici: et unam
sanctam et cetera. Anselmus vero dicit, quod potest dici, in unam, inquantum
in isto effectu intelligitur veritas increata, scilicet ut sit sensus in unam
sanctam, idest in spiritum sanctum unientem Ecclesiam. |
5. Le pape Léon dit qu’on ne doit pas ajouter la préposition « en », pour dire : « Et en une seule sainte [Église] catholique, etc. », mais on doit dire : « À une seule sainte [Église], etc. » Mais Anselme dit qu’on peut dire : « en une seule », dans la mesure où on entend sous cet effet la Vérité incréée, de sorte que le sens soit : « En une seule sainte », c’est-à-dire : « Dans l’Esprit Saint qui unit l’Église. » |
[10811] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2
ad 6 Ad sextum dicendum, quod, sicut dictum est, articulus est indivisibilis
veritas supra rationem existens: et ubi occurrunt diversae difficultates,
quibus hoc quod dicitur, est supra rationem, oportet ponere diversos
articulos. Ponere autem Deum sepultum, non habet aliam difficultatem, quam
ponere eum passum vel mortuum; et ideo totum hoc comprehenditur sub uno
articulo. Sed nativitas habet aliam difficultatem praeter difficultatem
conceptionis: quia in conceptione est difficultas ex hoc quod Deus homo
factus est, et quod est facta conceptio sine virili semine: in nativitate
autem ex hoc quod clauso virginis utero exivit: et ideo sunt duo articuli. |
6. Comme on l’a dit, l’article est une vérité indivisible dépassant la raison, et là où se présentent des difficultés distinctes, pour lesquelles ce qui est dit dépasse la raison, il est nécessaire de formuler des articles différents. Or, affirmer que Dieu a été enseveli ne comporte pas une autre difficulté qu’affirmer qu’il a souffert ou qu’il est mort; c’est pourquoi tout cela est compris sous un seul article. Mais la naissance comporte une autre difficulté que la difficulté de la conception, car, pour la conception, la difficulté vient de ce que Dieu s’est fait homme et que la conception s’est accomplie sans semence d’homme; mais, pour la naissance, [elle vient] de ce qu’il est sorti alors que le sein de la Vierge était fermé. C’est pourquoi ce sont deux articles. |
[10812] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2
ad 7 Ad septimum
dicendum, quod ex parte potentiae filii ponitur opus quod in natura assumpta
operatus est quantum ad septem articulos, ut dictum est. |
7. Du point de vue de la puissance du Fils, l’œuvre qu’il a accompli dans la nature assumée est affirmée en sept articles, comme on l’a dit. |
[10813] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2
ad 8 Ad octavum
dicendum, quod, sicut dicit Innocentius tertius, Nicaena synodus praecipue
congregata fuit contra Arium, qui negabat filium esse verum Deum; et ideo
descensus ad Inferos suppressus fuit, in quo maxime videbatur derogari
divinitati filii. Vel dicendum, quod quia illud symbolum editum est ad
manifestandum fidem contra haereticos; nullus autem error acciderat de
descensu ad Inferos: ideo illum articulum explicare non curaverunt, sed
implicite posuerunt in articulo de resurrectione, in quo intelligitur
terminus a quo resurrexit: sicut in articulo conceptionis implicite
tradiderunt articulum nativitatis, quia non fuerat de nativitate aliquis
specialis error. |
8. Comme le dit Innocent III, le symbole de Nicée a été principalement formulé contre Arius, qui niait que le Fils est vrai Dieu. C’est pourquoi la descente aux enfers a été supprimée, par laquelle on semblait le plus déroger à la divinité du Fils. Ou bien il faut dire que parce que ce symbole a été publié afin de manifester la foi contre des hérétiques, et qu’aucune erreur n’était survenue à propos de la descente aux enfers, on n’a pas pris soin d’expliciter cet article, mais on l’a placé implicitement sous l’article concernant la résurrection, dans lequel on comprend le terme d’où il est ressuscité, comme sous l’article de la conception, on a implicitement transmis l’article sur la naissance parce qu’il n’y avait pas d’erreur particulière à propos de la naissance. |
[10814] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2
ad 9 Ad nonum
dicendum, quod quia quidam philosophi posuerunt mundum creatum a Deo et tamen
ab aeterno fuisse, ut Augustinus dicit; ideo symbolum Nicaenum, quod
specialiter ad evacuandos errores editum fuit, posuit factorem, quod magis
ostendit initium durationis mundi, et quod est a Deo agente per voluntatem,
non per necessitatem naturae. |
9. Parce que certains philosophes ont affirmé que le monde a été créé par Dieu et qu’il a cependant toujours existé, comme le dit Augustin, le symbole de Nicée, qui a été particulièrement formulé pour supprimeer des erreurs, a donc affirmé que [Dieu est] l’« artisan » (factorem), ce qui montre davantage le commencement de la durée du monde et qu’il existe par Dieu qui agit selon sa volonté, et non par une nécessité de nature. |
[10815] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2
ad 10 Ad decimum
dicendum, quod fides de corpore Christi et de omnibus sacramentis et de
clavibus et de omnibus hujusmodi includitur in articulo qui est de effectu
gratiae, qui est: sanctam Ecclesiam Catholicam; et ideo in Nicaeno
symbolo additum est: confiteor unum Baptisma. Quidam tamen dicunt,
quod reducitur ad articulum de passione. Sed primum est probabilius. |
10. La foi concernant le corps du Christ, tous les sacrements, les clés et toutes les choses de ce genre est comprise dans l’article qui porte sur l’effet de la grâce, qui est : « À la sainte Église catholique. » C’est pourquoi on a ajouté au concile de Nicée : « Je confesse un seul baptême. » Cependant, certains disent qu’elle se ramène à l’article sur la passion. Mais la première réponse est plus probable. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [Le caractère explicite de la foi]
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Prooemium |
Prologue |
[10816] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 pr. Deinde quaeritur de explicatione fidei; et
circa hoc quaeruntur duo: 1 de necessitate explicationis; 2 quantum ad quae
oportet esse fidem explicitam. |
On s’interroge ensuite sur le caractère explicite de la foi. À ce propos, deux questions sont posées : 1 – Sur la nécessité du caractère explicite. 2 – Sur l’objet du caractère explicite de la foi. |
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Articulus 1 [10817] Super Sent., lib. 3
d. 25 q. 2 a. 1 tit. Utrum explicatio fidei sit de necessitate salutis |
Article 1 – La foi explicite est-elle nécessaire au salut ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La foi explicite est-elle nécessaire au salut ?] |
[10818] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod fidem esse explicitam non sit de necessitate salutis. Ad
salutem enim sufficit gratia et liberum arbitrium. Sed ad explicationem fidei
non sufficit habitus gratuitus fidei infusus, nec etiam liberum arbitrium
gratia informatum; sed oportet quod veniat doctrina fidei determinans, quia
fides ex auditu est, Rom. 10. Ergo explicatio fidei non est de necessitate
salutis. |
1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire au salut que la foi soit explicite. En effet, la grâce et le libre arbitre suffisent au salut. Or, pour l’explicitation de la foi, l’habitus infus gratuit de la foi ne suffit pas, ni même le libre arbitre formé par la grâce, mais il est nécessaire que survienne un enseignement déterminé de la foi, car la foi vient de ce qu’on écoute, Rm 10. L’explicitation de la foi n’est donc pas nécessaire au salut. |
[10819] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 1 arg. 2 Praeterea,
nullus damnatur ex hoc quod vitare non potest. Sed aliquis natus in silvis,
vel inter infideles, non potest distincte de fidei articulis cognitionem
habere: quia doctor fidei non adest, nec unquam de fide audivit mentionem.
Ergo iste non damnatur; et tamen non habet fidem explicitam: ergo videtur
quod explicatio fidei non sit de necessitate salutis. |
2. Personne n’est condamné pour ce qu’il ne peut éviter. Or, celui qui est né dans les forêts ou parmi les infidèles ne peut avoir une connaissance précise des articles de la foi, car il n’y a pas de docteur de la foi et il n’a jamais entendu parler de la foi. Celui-là n’est donc pas condamné, et pourtant il n’a pas une foi explicite. Il semble donc que l’explicitation de la foi ne soit pas nécessaire au salut. |
[10820] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
explicita cognitio de articulis fidei non potest esse nisi in eo qui habet
usum liberi arbitrii. Sed multi salvantur qui usum liberi arbitrii non
habent, sicut pueri baptizati et moriones. Ergo explicatio fidei non est de
necessitate salutis. |
3. Une connaissance explicite des articles de la foi ne peut exister que chez celui qui possède l’usage du libre arbitre. Or, beaucoup sont sauvés sans avoir l’usage du libre arbitre, tels les enfants baptisés et les monstres. L’explicitation de la foi n’est donc pas nécessaire au salut. |
[10821] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, simplicibus non sunt proponenda subtilia, sicut patet per
apostolum 1 Corinth. 3. Sed nihil est subtilius his quae supra rationem sunt,
qualia sunt ea quae ad fidem pertinent. Ergo simplicibus non est explicanda fides, et tamen ipsi salvantur;
ergo explicatio fidei non est de necessitate salutis. |
4. Il ne faut pas proposer de subtilités aux gens sans instruction, comme cela ressort de ce que dit l’Apôtre, 1 Co 3. Or, rien n’est plus subtil que ce qui se rapporte à la foi. Il ne faut donc pas expliciter la foi pour les gens sans instruction, et ils sont pourtant sauvés. L’explicitation de la foi n’est donc pas nécessaire au salut. |
[10822] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Heb.
11, accedentem ad Deum oportet credere quia est, et quia diligentibus se
remunerator est. Sed accedere ad Deum est de necessitate salutis. Ergo et
habere fidem explicitam quantum ad aliqua. |
Cependant, [1] He 11 dit : Il est nécessaire pour celui qui s’approche de Dieu de croire que Dieu existe et qu’il récompense ceux qui l’aiment. Or, s’approcher de Dieu est nécessaire au salut. Avoir une foi explicite en certaines choses [est donc aussi nécessaire au salut]. |
[10823] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, nullus
sine spe salvatur. Sed ad spem oportet adesse explicitam cognitionem rerum
quae sperantur: quia fides est substantia sperandarum rerum, Hebr. 11. Ergo habere fidem explicite de aliquibus
est de necessitate salutis. |
[2] Personne n’est sauvé sans espérance. Or, il est nécessaire à l’espérance que soit présente une connaissance explicite de ce qui est espéré, car la foi est la substance de ce qu’on espère, He 11. Avoir une foi explicite en certaines choses est donc nécessaire au salut. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Tous sont-ils
obligés d’avoir une foi explicite en tout ce qui se rapporte à la foi ?]
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[10824] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod quilibet teneatur habere fidem explicitam de omnibus quae ad
fidem pertinent. Omnes enim articuli fidei aequaliter ad fidem pertinent. Si
ergo de aliquibus oportet habere cognitionem explicitam, pari ratione de
omnibus. |
1. Il semble que tous soient obligés d’avoir une foi explicite en tout ce qui se rapporte à la foi. En effet, tous les articles de la foi se rapportent également à la foi. Si donc il faut avoir une connaissance explicite de certaines choses, pour la même raison [il faut en avoir une] de toutes. |
[10825] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 2 arg. 2 Praeterea,
secundum id quod in universali scitur, non distinguitur unus homo ab alio:
quia cognitio universalium principiorum omnibus hominibus est innata. Sed
habere fidem implicite de aliquo articulo, est habere fidem in universali de
illo articulo. Ergo per hoc quod habet fidem tantum implicitam de aliquo
articulo, non differt quantum ad illum articulum a non credente: ergo oportet
habere fidem explicitam de omnibus articulis. |
2. Selon ce qui est connu dans l’universel, un homme ne se distingue pas d’un autre, car la connaissance des principes universels est inné à tous les hommes. Or, avoir une foi implicite en un article, c’est avoir une foi en cet article dans l’universel. Du fait qu’il a seulement une foi implicite en un article, il ne diffère donc pas d’un non croyant pour ce qui est de cet article. Il est donc nécessaire d’avoir une foi explicite en tous les articles. |
[10826] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut per praecepta legis vitantur peccata mortalia, ita
per articulos vitantur errores haeresum. Sed aliquis ita tenetur servare
praecepta legis ut omnia peccata vitet. Ergo et ita tenetur cognoscere articulos
fidei ut omnes errores et haereses vitet. Sed hoc non potest facere nisi qui habet fidem explicitam de omnibus
articulis: quia qui scit aliquid implicite et in universali, potest errare in
particulari. Ergo habere fidem explicitam de omnibus articulis, est de
necessitate salutis. |
3. De même que les péchés mortels sont évités par les commandements de la loi, de même les erreurs des hérésies sont-elles évitées par les articles. Or, on est obligé de respecter les commandements de la loi afin d’éviter tous les péchés. On est donc ainsi obligé de connaître les articles de foi afin d’éviter toutes les erreurs et hérésies. Or, seul celui qui a une foi explicite en tous les articles de foi peut faire cela, car celui qui sait quelque chose implicitement et dans l’universel peut errer dans le particulier. Avoir une foi explicite en tous les articles est donc nécessaire au salut. |
[10827] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 2 s. c. 1 Sed contra,
explicita cognitio de articulis fidei non habetur nisi per studium. Sed
studere non est de necessitate salutis. Ergo explicita cognitio de omnibus
articulis fidei non est de necessitate salutis. |
Cependant, [1] une connaissance explicite des articles de foi ne s’obtient que par l’étude. Or, étudier n’est pas nécessaire au salut. La connaissance explicite de tous les articles de foi n’est donc pas nécessaire au salut. |
[10828] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 2 s. c. 2 Praeterea,
secundum hoc pauci essent qui haberent fidem, cum vix inveniatur aliquis qui
possit explicare articulos quantum ad omnia quae in articulis implicite
continentur. |
[2] Si c’était le cas, il y en aurait peu qui auraient la foi, puisqu’on en trouve à peine un qui puisse expliciter les articles pour tout ce qui est implicitement contenu dans les articles. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Les grands
sont-ils davantage obligés que les petits ?]
|
[10829] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod majores non magis teneantur quam minores. Quia homines simplices
examinantur de difficilibus articulis, et damnantur haeretici, si male
respondeant. Hoc autem non esset, nisi illos scire tenerentur. Ergo minores
non minus tenentur scire quam majores. |
1. Il semble que les grands (majores) ne soient pas davantage obligés que les petits (minores), car les gens sans instruction sont examinés sur les articles difficiles et les hérétiques sont condamnés s’ils répondent mal. Or, tel ne serait pas le cas, s’ils n’étaient pas obligés de les connaître. Les petits ne sont donc pas moins obligés que les grands. |
[10830] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 3 arg. 2 Praeterea, nullus
tenetur ad plura quam alius, nisi inquantum ad illa se obligavit. Sed majores non obligaverunt se ad
articulos sciendos explicite, ut videtur. Ergo non magis tenentur quam
minores. |
2. Personne n’est obligé à plus qu’un autre, à moins qu’il ne s’y soit obligé. Or, les grands ne se sont pas obligés à connaître les articles de manière explicite, semble-t-il. Ils ne sont donc pas davantage obligés que les petits. |
[10831] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 3 arg. 3 Praeterea,
videntur majores illi qui magis sciunt. Si ergo ad plura credenda obligarentur,
videtur quod ex sua scientia incommodum reportarent. |
3. Les grands semblent être ceux qui en connaissent davantage. Si donc ils s’étaient obligés à croire plus de choses, il semble qu’ils encourraient un désavantage en raison de leur science. |
[10832] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 3 s. c. 1 Sed contra,
majores debent docere fidem minoribus. Sed qui docet, debet plenius scire. Ergo tenentur magis explicite scire quam
minores. |
Cependant, [1] les grands doivent enseigner aux petits. Or, celui qui enseigne doit avoir une connaissance plus complète. Ils sont donc tenus de connaître plus explicitement que les petits. |
[10833] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ei
cui plus est commissum, plus exigetur ab eo. Sed majoribus plus commissum est
quam minoribus. Ergo plus ab eis exigetur de fidei cognitione. |
[2] On exige davantage de celui à qui on a davantage confié. Or, davantage a été confié aux grands qu’aux petits. Il sera donc davantage exigé d’eux à propos de la connaissance de la foi. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 – [Les petits
ont-ils une foi implicite dans la foi des grands ?]
|
[10834] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 4 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod minores non habeant fidem implicitam in fide majorum. Sicut enim
est fides implicita et explicita, ita et scientia. Sed scientiam habet quis
implicitam, non in aliquo sciente, sed in universali rei scibilis. Ergo nec
fidem habet unus implicitam in fide alterius. |
1. Il semble que les petits n’aient pas une foi foi implicite dans la foi des grands. En effet, il en est de la foi implicite et explicite comme de la science. Or, on a une science implicite, non pas en quelqu’un connaît, mais en ce qui est universel dans un objet de connaissance. L’un n’a donc pas une foi implicite dans la foi d’un autre. |
[10835] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 4 arg. 2 Praeterea, illud in quo implicatur cognitio alicujus habentis
cognitionem implicitam, est regula suae cognitionis. Sed regula nostrae fidei
non est cognitio humana, quae potest decipi, sed cognitio divina, quae falli
non potest. Ergo videtur quod homo non debeat habere fidem implicitam in fide
alterius hominis, sed in cognitione Dei. |
2. Ce en quoi la connaissance est implicite chez quelqu’un qui a une connaissance implicite est la règle de sa connaissance. Or, la règle de notre foi n’est pas la connaissance humaine, qui peut être prise en défaut, mais la connaissance divine, qui ne peut errer. Il semble donc qu’un homme ne doive pas avoir une foi implicite dans la foi d’un autre homme, mais dans la connaissance de Dieu. |
[10836] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 4 arg. 3 Praeterea,
nullus peccat si se conformet suae regulae. Sed majores sunt praelati vel
etiam doctores. Si ergo simplices debent habere implicitam fidem in fide
majorum, non peccaret aliquis simplex dicens aliquid contra fidem, si ab
aliquo magistro vel praelato praedicaretur: quod falsum videtur. |
3. Personne ne pèche s’il se conforme à sa règle. Or, les grands sont les prélats ou même les docteurs. Si donc les gens sans instruction doivent avoir une foi implicite dans la foi des grands, quelqu’un qui est sans instruction ne pécherait pas en disant quelque chose de contraire à la foi, si cela était prêché par un maître ou un prélat, ce qui semble faux. |
[10837] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 4 arg. 4 Praeterea, illud
in quo implicatur cognitio alicujus, oportet esse notum; sicut qui habet
scientiam alicujus particularis implicitam in universalibus principiis,
oportet quod illa principia cognoscat. Ergo homo non debet habere implicitam fidem
in cognitione alterius hominis. |
4. Ce en quoi la connaissance de quelqu’un est implicite doit être reconnu, comme celui qui possède la science implicite d’une chose particulière par des principes universels doit connaître ces principes. Un homme ne doit donc pas avoir de foi implicite dans la connaissance d’un autre homme. |
[10838] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 4 s. c. 1 Sed contra, omnis
addiscens habet fidem implicitam in cognitione docentis; quia, secundum
philosophum, oportet credere addiscentem. Sed majores positi sunt ad docendum fidem
minoribus. Ergo minores debent habere fidem implicitam in cognitione majorum. |
Cependant, [1] tous ceux qui apprennent ont une foi implicite dans la connaissance de celui qui enseigne, car, selon le Philosophe, « il est nécessaire que celui qui apprend croie ». Or, les grands ont été établis afin d’enseigner la foi aux petits. Les petits doivent donc avoir une foi implicite dans la connaissance des grands. |
[10839] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 1 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, hoc patet per auctoritatem inductam in littera. |
[2] Cela ressort de l’autorité invoquée dans le texte. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[10840] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod ad salutem aliquis
dupliciter pervenit. Quidam enim non perveniunt merito proprio, sed merito
alieno, sicut pueri et stulti baptizati, quibus suffragatur meritum Christi,
cujus facti sunt participes in perceptione sacramenti: quia meritum proprium
habere non possunt, cum non habeant usum liberi arbitrii, quod exigitur ad
meritum. Quicumque autem usum liberi arbitrii habent, tenentur ad merita
Christi et meritum proprium addere. Meritum autem consistit in actu virtutum;
unde ad salutem ipsorum oportet quod sit et actus et habitus virtutum. Actus
autem omnium virtutum dependet ab actu fidei, quae intentionem dirigit: unde
in omni qui habet liberum arbitrium exigitur ad salutem ejus quod habeat
actum fidei, et non solum habitum. Fides autem non potest exire in actum, nisi aliquid determinate et
explicite cognoscendo quod ad fidem pertineat; et ideo omni ei qui habet usum
liberi arbitrii, habere fidem explicitam quantum ad aliquid, est de
necessitate salutis. |
On parvient au salut
de deux manières. En effet, certains n’y parviennent pas par leur propre mérite,
mais par le mérite d’un autre, comme les enfants et les idiots baptisés, en
faveur de qui le mérite du Christ intervient, auquel ils participent par la
réception du sacrement, car ils ne peuvent avoir de mérite propre, puisqu’ils
n’ont pas l’usage du libre arbitre, qui est requis pour le mérite. Mais tous
ceux qui possèdent l’usage du libre arbitre sont obligés d’ajouter aux
mérites du Christ leur mérite propre. Or, le mérite consiste dans l’acte des
vertus. Il est donc nécessaire pour leur salut qu’existent l’acte et
l’habitus des vertus. Mais l’acte de toutes les vertus dépend de l’acte de la
foi, qui dirige l’intention. Aussi, chez tous ceux qui possèdent le libre
arbitre, est-il requis pour leur salut qu’ils aient l’acte de la foi, et non
seulement l’habitus. Or, la foi ne peut passer à l’acte qu’en connaissant
quelque chose qui se rapporte à la foi de manière déterminée et explicite.
C’est pourquoi, pour tous ceux qui ont l’usage du libre arbitre, il est
nécessaire au salut d’avoir une foi explicite en quelque chose. |
[10841] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod in his quae sunt necessaria ad salutem, nunquam Deus homini
quaerenti suam salutem deest vel defuit, nisi ex culpa sua remaneat; unde
explicatio eorum quae sunt de necessitate salutis vel divinitus homini
provideretur per praedicatorem fidei, sicut patet de Cornelio, Act. 10; vel
per revelationem: qua supposita, in potestate liberi arbitrii est ut in actum
fidei exeat. |
1. Pour ce qui est nécessaire au salut, Dieu ne fait et n’a jamais fait défaut à l’homme qui cherche son salut, à moins que celui-ci ne reste avec sa faute. Aussi l’explicitation de ce qui est nécessaire au salut serait-elle divinement assurée soit par un prédicateur de la foi, comme cela ressort pour Corneille, Ac 10, soit par une révélation. En supposant celle-ci, il est au pouvoir du libre arbitre de passer à l’acte de la foi. |
[10842] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod si talis faceret quod in se est de quaerendo salutem, Deus
illi aliquo dictorum modorum provideret de salute sua. |
2. Si celui-là accomplissait ce qui est en son pouvoir pour la recherche du salut, Dieu pourvoirait à son salut selon l’une des manières indiquées. |
[10843] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium patet solutio per ea quae dicta sunt. |
3. La réponse au troisième argument ressort de ce qui a été dit. |
[10844] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod ea quae sunt supra rationem ad fidem pertinentia, non
proponuntur hominibus simplicibus ita quod res ipsa discutiatur, sed in
verborum aenigmate, quibus assentiant; et ideo dicitur esse fides verborum,
ut supra, distinct. praecedenti, dictum est. |
4. Ce qui dépasse la raison et relève de la foi n’est pas proposé aux gens sans instruction en discutant des réalités elles-mêmes, mais selon l’énigme des mots auxquels ils donnent leur assentiment. C’est pourquoi on dit qu’il s’agit d’une foi dans les mots, comme on l’a dit plus haut à la distinction précédente. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[10845] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod actus fidei ad hoc est
necessarius ad salutem, quia intentionem dirigit in omnibus actibus aliarum
virtutum; et ideo tantum oportet habere unicuique de fide explicita, quantum
sufficit ad dirigendum ipsum in finem ultimum. Unde non est de necessitate salutis ut homo omnes articulos fidei
explicite cognoscat: quia sine aliquorum explicatione potest homo habere
rectam intentionem in finem. |
L’acte de la foi est nécessaire au salut parce qu’il dirige l’intention de tous les actes des autres vertus. C’est pourquoi il est nécessaire pour chacun d’avoir une foi explicite dans la mesure qui suffit à se diriger vers la fin ultime. Aussi n’est-il pas nécessaire qu’on connaisse explicitement tous les articles de foi, car on peut avoir une intention droite vers la fin sans l’explicitation de certains [articles]. |
[10846] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 2 ad 1 Et per hoc patet
responsio ad primum: quia non est eadem ratio de omnibus articulis. |
1. La réponse au premier argument est claire, car il n’en va pas de même pour tous les articles. |
[10847] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod principia universalia, in quibus implicatur cognitio
particularium conclusionum, sunt homini nota per lumen naturale; et ideo
quantum ad implicitam cognitionem scientiae non distinguitur unus homo ab
altero. Sed lumen
fidei, secundum quod habetur cognitio implicita, est lumen infusum, quod uni
infunditur, et alii non; et ideo non est similis ratio. |
2. Les principes universels, dans lesquels est enveloppée la connaissance des conclusions particulières, sont connus de l’homme par une lumière naturelle. C’est pourquoi un homme ne se distingue pas d’un autre pour ce qui est de la connaissance implicite de la science. Mais la lumière de la foi, par laquelle on a une connaissance implicite, est une lumière infuse, qui est infusée chez l’un, et non chez l’autre. C’est pourquoi le raisonnement n’est pas le même. |
[10848] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ad praecepta negativa tenemur semper et ad
semper; et per hoc vitantur sufficienter peccata transgressionis. Sed ad
praecepta affirmativa tenetur homo semper, sed non ad semper, sed loco et
tempore determinato. Praecepta
autem affirmativa sunt de actibus virtutum. Ergo ad actum virtutis semper
exercendum homo non tenetur, nec quantum ad omnes modos quibus potest ille
exerceri; sed sufficit quod homo tempore debito operetur; et ideo etiam non
oportet quod homo habeat explicitam cognitionem de omnibus articulis fidei,
sed de aliquibus qui sunt necessarii secundum tempus illud; et per hoc
sufficienter vitantur omnes errores et dubitationes: quia sicut habitus
temperantiae inclinat ad resistendum luxuriae, ita habitus fidei inclinat ad
resistendum omnibus quae sunt contra fidem. Unde in tempore quando emergit
necessitas explicite cognoscendi vel propter doctrinam contrariam quae
imminet, vel propter motum dubium qui insurgit, tunc homo fidelis ex inclinatione
fidei non consentit his quae sunt contra fidem, sed differt assensum,
quousque plenius instruatur. |
3. Nous sommes obligés aux commandements négatifs toujours et en tout temps; ainsi sont suffisamment évités les péchés de transgression. Mais l’homme est toujours obligé aux commandements affirmatifs, non pas en tout temps, mais en un lieu et à un moment déterminés. Or, les commandements affirmatifs portent sur les actes des vertus. Un homme n’est donc pas obligé de toujours accomplir un acte de vertu, ni selon toutes les manières selon lesquelles celui-ci peut être accompli; mais il suffit qu’il l’accomplisse au moment dû. Il n’est donc pas non plus nécessaire qu’un homme ait une connaissance explicite de tous les articles de foi, mais de certains qui sont nécessaire à ce moment-là. Ainsi sont suffisamment évités toutes les erreurs et tous les doutes, car, de même que l’habitus de tempérance incline à résister à la luxure, de même l’habitus de la foi incline à résister à tout ce qui est contraire à la foi. Ainsi, au moment où apparaît la nécessité de connaître explicitement, soit en raison d’un enseignement contraire menaçant, soit en raison d’un mouvement de doute qui survient, alors le croyant, en vertu de l’inclination de la foi, ne consent pas à ce qui est contraire à la foi, mais il reporte son assentiment jusqu’à ce qu’il soit mieux renseigné. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
|
[10849] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod explicare articulos fidei
contingit dupliciter. Uno modo quantum ad ipsorum articulorum substantiam,
secundum quod ipsos articulos distincte scit. Alio modo quantum ad ea quae in
articulis continentur implicite: quod quidem contingit dum homo scit ea quae
articulis consequuntur, et vim veritatis ipsorum articulorum, per quam
possunt defendi ab omni impugnatione. Ad primam quidem explicationem totaliter tenentur omnes qui habent
officium docendi fidem sive ex gradu dignitatis, sicut sacerdotes; sive ex revelatione,
sicut prophetae; sive ex ministerio, sicut doctores et praedicatores: non
autem alii, quibus non incumbit officium docendi fidem: quia cum ipsi non
habeant nisi seipsos regulare, sufficit eis illos articulos cognoscere per
quos possint propriam intentionem dirigere in finem ultimum. Ad secundam
autem explicationem articulorum non tenetur aliquis totaliter ut sciat omnia
explicare quae in articulis de salute continentur: quia hoc non potest esse
nisi in patria, ubi ipsa articulorum veritas plene videbitur: sed
unusquisque, cui incumbit officium instruendi alios de fide, qui dicuntur
majores, tenetur tantum scire de ista explicatione, quantum pertinet ad suum
officium. Sed ad hanc explicationem minores, quibus officium docendi non
incumbit, non tenentur. |
L’explicitation des articles de la foi se produit de deux manières. Premièrement, pour ce qui concerne la substance des articles eux-mêmes, selon qu’on connaît distinctement les articles eux-mêmes. Deuxièmement, pour ce qui est contenu implicitement dans les articles, ce qui se produit lorsque l’homme connaît ce qui découle des articles et la force de la vérité de ces articles, par laquelle ils peuvent être défendus de toute attaque. À la première explicitation, sont tenus tous ceux qui ont la fonction d’enseigner la foi, soit en raison du degré de leur dignité, comme les prêtres, soit en raison d’une révélation, comme les prophètes, soit en raison d’un ministère, comme les docteurs et les prédicateurs. Mais les autres [n’y sont pas tenus], à qui n’incombe pas la fonction d’enseigner la foi, car, n’ayant qu’eux-mêmes à diriger, il leur suffit de connaître les articles par lesquels ils peuvent diriger leur propre intention vers la fin ultime. Quant à la seconde explicitation, on n’est pas tenu de connaître entièrement tout ce qui est contenu dans les articles à propos du salut, car cela ne peut être le cas que dans la patrie, où la pleine vérité même de ces articles sera vue; mais chacun, à qui il incombe d’en instruire d’autres dans la foi et qui sont appelés les « grands » (majores), est obligé de connaître une telle explicitation dans la mesure seulement où cela relève de sa fonction. Mais les « petits » (minores), à qui n’incombe pas la fonction d’enseigner, n’y sont pas tenus. |
[10850] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod non condemnantur simplices pro haereticis, quia nesciunt
articulos: sed quia pertinaciter defendunt ea quae sunt contraria articulis;
quod non facerent, nisi per haeresim fidem corruptam haberent. |
1. Les gens non instruits ne sont pas condamnés comme hérétiques parce qu’ils ne connaissant pas les articles, mais parce qu’ils défendent avec entêtement ce qui est contraire aux articles, ce qu’ils ne feraient pas s’ils n’avaient pas une foi corrompue par l’hérésie. |
[10851] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc ipso quod aliquis docendi officium
assumit, obligatur ad sciendum ea quae docere debet. |
2. Par le fait même que quelqu’un assume une fonction d’enseignement, il est obligé de connaître ce qu’il doit enseigner. |
[10852] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod majores non dicuntur qui magis sciunt, sed quibus incumbit
officium docendi fidem; qui quandoque peccatis exigentibus minus sciunt,
quibus dicitur Oseae 4, 6: quia scientiam repulisti, repellam te et ego,
ne sacerdotio fungaris mihi. Nec tamen ex scientia quae ab eis exigitur,
aliquod incommodum reportant, quia habere scientiam eis est honorificum. |
3. On n’appelle pas « grands » ceux qui connaissent davantage, mais ceux à qui incombe la fonction d’enseigner la foi. Parfois, sous la pression des péchés, ils connaissant moins; à eux Osée dit, 4, 6 : Parce que tu as rejeté la science, je te rejetterai, moi aussi, de sorte que tu n’exerceras pas le sacerdoce. Toutefois, la science qui est exigée d’eux ne comporte aucun tort, car, pour eux, avoir la science est un honneur. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la sous-question 4
|
[10853] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod illi quibus incumbit officium
docendi fidem, sunt medii inter Deum et homines; unde respectu Dei sunt
homines, et respectu hominum sunt dii, inquantum divinae cognitionis
participes sunt per scientiam Scripturarum, vel per revelationem, ut dicitur
Joan. 10, 35: illos dixit deos ad quos sermo Dei factus est. Et ideo oportet quod minores, qui ab eis de
fide doceri debent, habeant fidem implicitam in fide illorum, non inquantum
homines sunt, sed inquantum sunt participatione dii. |
Ceux à qui incombe la fonction d’enseigner la foi sont des intermédiaires entre Dieu et les hommes. Aussi, par rapport à Dieu, ils sont des hommes, et, par rapport aux hommes, ils sont des dieux, pour autant qu’ils participent à la connaissance divine par la connaissance des Écritures ou par révélation, comme le dit Jn 10, 35 : [La loi] a appelé ‘dieux’ ceux à qui la parole de Dieu a été adressée. C’est pourquoi il est nécessaire que les petits, qui doivent être enseignés par eux à propos de la foi, aient une foi implicite dans leur foi, non pas en tant qu’ils sont des hommes, mais en tant qu’ils sont des dieux par participation. |
[10854] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 4 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod determinata cognitio principiorum demonstrationis ex sensu
acquiritur; unde ad eorum determinationem doctrina non indigemus: et in his
principiis homo habet a principio implicitam scientiam omnium quae sequuntur;
habet nihilominus scientiam implicitam in cognitione alterius scientis,
inquantum oportet eum per doctrinam scientiam accipere: quia oportet
addiscentem credere. Et ideo non
est simile de scientia et fide: quia non sunt nobis innata aliqua principia
naturalia ad quae possint reduci articuli fidei; sed tota determinatio fidei
est in nobis per doctrinam; et ideo oportet in cognitione hominis habere
fidem implicitam. |
1. Une connaissance déterminée des principes de la démonsration est acquise par les sens; aussi n’avons-nous pas besoin d’enseignement pour leur détermination. Par ces principes, l’homme possède dès le départ une science implicite de tout ce qui en découle. Néanmoins, il a une science implicite dans la connaissance d’un autre qui sait, pour autant qu’il lui est nécessaire de recevoir la science par l’enseignement, car il faut que celui qui apprend croie. Aussi n’en va-t-il pas de même de la science et de la foi, car il n’existe pas en nous de principes naturels innés auxquels pourraient être ramenés les articles de foi, mais toute la détermination de la foi nous vient par l’enseignement. C’est pourquoi il est nécessaire d’avoir une foi implicite dans la connaissance de l’homme. |
[10855] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 4 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod sicut in moventibus invenitur primum movens, quod est movens
non motum; et secundum movens, quod est movens et motum, post quod est id
quod est motum tantum; ita etiam est in regulantibus, quod est aliquid quod
est regulans et nullo modo regulatum; et haec est ratio primae regulae, et
tale est Deus: est et regulans regulatum, et talis regula humanae fidei est
homo divinus: sicut etiam philosophus dicit in 3 Ethic., quod virtuosus est
mensura omnium humanorum actuum; regulatum autem tantum sunt ipsi minores. |
2. De même que, dans les choses qui meuvent, on trouve un premier moteur, qui meut sans être mû, et un deuxième moteur, qui meut et est mû, après quoi vient ce qui est mû seulement, de même aussi dans ce qui joue le rôle de règles, qui est quelque chose qui règle et n’est aucunement réglé – telle est la raison de règle première, qui est Dieu; et il y a aussi quelque chose qui règle et est réglé, et une telle règle de la foi humaine est un homme divin. Aussi le Philosophe dit-il dans Éthique, III, que le vertueux est la mesure de tous les actes humains. Mais les petits eux-mêmes sont seulement quelque chose de réglé. |
[10856] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut homo debet obedire inferiori potestati
in his tantum in quibus non repugnat potestas superior; ita etiam debet homo
se primae regulae in omnibus commensurare secundum suum modum; secundae autem
regulae debet se homo commensurare in his in quibus non discordat a prima
regula: quia in his in quibus discordat, jam non est regula; et propter hoc
praelato contra fidem praedicanti non est assentiendum, quia in hoc discordat
a prima regula. Nec per ignorantiam subditus excusatur a toto: quia habitus
fidei facit inclinationem ad contrarium, cum necessario doceat de omnibus
quae pertinent ad salutem, 1 Joan. 1. Unde si homo non sit facilis nimis ad
credendum omni spiritui, quando aliquid insolitum praedicatur, non assentiet,
sed aliunde requiret, vel Deo se committet in ejus secreta supra suum modum
non se ingerendo. |
3. De même que l’homme doit obéir à un pouvoir inférieur seulement pour ce qui ne s’oppose pas à un pouvoir supérieur, de même aussi l’homme doit-il se mesurer en tout à sa manière à la règle première; mais l’homme doit se mesurer à la règle seconde pour ce qui n’est pas en désaccord avec la règle première, car pour ce qui est en désaccord, [la règle seconde] n’est déjà plus une règle. C’est pourquoi il ne faut pas donner son assentiment à un prélat qui prêche contre la foi, car il est par là en désaccord avec la règle première. Et le sujet n’est pas totalement excusé par l’ignorance, car l’habitus de la foi incline en sens contraire, puisqu’il enseigne nécessairement tout ce qui concerne le salut, 1 Jn 1. Si donc un homme ne croit pas trop facilement en tout esprit, lorsque quelque chose d’insolite est prêché, il ne donnera pas son assentiment, mais s’informera par ailleurs ou s’en remettra en secret à Dieu, en ne se mêlant pas de ce qui le dépasse. |
[10857] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1
qc. 4 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod ad hoc datum est hominibus facere miracula, ut ostendatur quod
Deus per illos loquitur. Nec oportet quod in tali homine revelationem habente
aliquis suam fidem implicet, quousque talis homo ad ejus notitiam deveniat
vel divinitus, vel per famam humanam. |
4. Il a été donné aux hommes de faire des miracles afin de montrer que Dieu parle par eux. Et il n’est pas nécessaire que quelqu’un engage sa foi par rapport à un homme qui a une révélation, jusqu’à ce qu’un tel homme vienne à sa connaissance, soit divinement, soit par la renommée humaine. |
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|
Articulus 2 [10858] Super Sent., lib. 3
d. 25 q. 2 a. 2 tit. Utrum per successionem temporum fides profecerit |
Article 2 –
La foi a-t-elle progressé selon la succession des temps ?
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Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La foi
a-t-elle progressé selon la succession des temps ?]
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[10859] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod per successionem temporum
fides non profecerit quantum ad ea quae explicite sunt credenda. Fides enim,
ut dicitur in littera, caritati proportionatur. Sed caritas est eadem et aequalis per omnia
tempora. Ergo et fides. |
1. Il semble que la foi n’ait pas progressé selon la succesion des temps pour ce qui doit être cru explicitement. En effet, comme le dit le texte, « la foi est proportionnée à la charité ». Or, la charité est identique et égale en tous les temps. Donc aussi la foi. |
[10860] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 1 arg. 2 Praeterea, quod
in scientiis crevit humana cognitio, hoc est propter imperfectionem eorum qui
primitus artes adinvenerunt imperfecte, ut dicitur in 2 Elench. Sed fidei
doctrina non habet principium ab inventione humana, sed ab inspiratione Dei,
in quo non cadit aliqua imperfectio. Ergo non debuit per incrementa temporum
proficere. |
2. Le fait que la connaissance humaine ait progressé dans les sciences vient de l’imperfection de ceux qui ont imparfaitement découvert les arts, comme le dit l’Elenchus, II. Or, l’enseignement de la foi n’a pas son principe dans ce que l’homme trouve, mais dans l’inspiration de Dieu, chez qui n’existe aucune imperfection. [La foi] ne devait donc pas progresser selon l’avancée des temps. |
[10861] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, fides quantum ad substantiam semper eadem manet. Si ergo
cognitio fidei secundum diversa tempora proficit, oportet quod in primo
tempore habeatur, saltem implicite tantum, quod in sequenti etiam explicite
cognoscitur. Sed minorum est habere fidem in cognitione majorum. Ergo
quandocumque fides fuit implicita alicujus articuli in aliquo homine, fuit
ejusdem articuli fides explicita in aliquo alio homine. Hoc autem secundum omne tempus convenit,
quod aliqui articuli a quibusdam implicite, et ab aliquibus explicite
cognoscantur. Ergo fides non crevit per successionem temporum. |
3. La foi demeure toujours la même quant à sa substance. Si donc la connaissance de la foi progresse selon les divers temps, il est nécessaire qu’y soit présent en un premier moment, du moins implicitement, ce qui est aussi connu explicitement par la suite. Or, c’est le propre des petits d’avoir foi en la connaissance des grands. À chaque fois que la foi dans un article a été implicite chez un homme, une foi explicite dans le même article a donc existé chez un autre homme. Or, cela convient à tous les temps que certains articles soient connus par certains implicitement, et par certains explicitement. La foi n’a donc pas progressé selon la succession des temps. |
[10862] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 1 arg. 4 Praeterea,
articulus est indivisibilis veritas. Sed quod est indivisibile, non potest
ulterius distingui. Ergo cum semper fuerit fides contenta sub aliquibus
articulis, videtur quod non potuerit magis distingui, ut articuli explicite
cognoscerentur. |
4. L’article est une vérité indivisible. Or, ce qui est indivisible ne peut être divisé davantage. Puisque la foi a toujours été contenue dans certains articles, il semble donc qu’elle ne pouvait être davantage divisée, de sorte que les articles seraient connus explicitement. |
[10863] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 1 arg. 5 Praeterea, per
hoc videtur quod etiam modo eadem ratione possent articuli multiplicari per
successionem temporum; quod falsum esse videtur. |
5. On voit ainsi que, même maintenant, les articles pourraient être multipliés pour la même raison que pour la succession des temps, ce qui semble faux. |
[10864] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
Exod. 6, 2, dominus dixit ad Moysem: ego sum Deus Abraham, Deus Isaac, et
Deus Jacob; et nomen meum Adonai non manifestavi eis. Ergo Moysi fuit
aliquid revelatum de Deo quod patribus revelatum non fuerat. Similiter etiam
David dicit, Psalm. 118, 10: super senes intellexi; et Petrus suo
tempore completum asserit, Act. 11, 17, quod dicitur Joelis 2: effundam de
spiritu meo. |
Cependant, [1] le Seigneur dit à Moïse dans Ex 6, 2 : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isacc et le Dieu de Jacob, et je ne leur ai pas manifesté mon nom : Adonaï. Quelque chose a donc été révélé à Moïse à propos de Dieu, qui n’avait pas été révélé aux pères. De même, David dit, Ps 118, 10 : J’ai compris plus que les anciens. Et Pierre affirme que s’est accompli en son temps, Ac 11, 17, ce qui est dit en Jl 2 : Je verserai mon Esprit. |
[10865] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 1 s. c. 2 Praeterea,
Gregorius dicit, quod per successiones temporum crevit divinae cognitionis
augmentum. |
[2] Grégoire dit que, selon la succession des temps, l’augmentation de la connaissance de Dieu s’est accrue. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [A-t-il
toujours été nécessaire d’avoir une foi explicite dans le Rédempteur ?]
|
[10866] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod non oportuit semper habere fidem explicitam de redemptore. Non
enim cognoverunt homines de eo per fidem quod Angeli ignoraverunt: quia
cognitio fidei per revelationem quae est a Deo, est mediantibus Angelis, ut
dicit Dionysius, 4 cap. Cael. Hier. Sed Angeli mysterium redemptionis non cognoverunt; unde
apostolus dicit Ephes. 3, quod erat absconditum in Deo. Ergo nec homines de
eo fidem explicitam habuerunt. |
1. Il semble qu’il n’ait pas toujours été nécessaire d’avoir une foi explicite dans le Rédempteur. En effet, les hommes n’ont pas connu par la foi celui que les anges ont ignoré, car la connaissance de la foi par la révélation qui vient de Dieu se réalise par l’intermédiaire des anges, comme le dit Denys, La hiérarchie céleste, IV. Or, les anges n’ont pas connu le mystère de la rédemption. Aussi l’Apôtre dit-il, Ep 3, que cela était caché en Dieu. Les hommes non plus n’en ont donc pas eu une foi explicite. |
[10867] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Adam suum casum non praescivit. Sed si non peccasset, humana redemptio non fuisset. Ergo homo non semper
explicite cognovit mysterium redemptionis humanae. |
2. Adam n’a pas connu d’avance sa chute. Or, s’il n’avait pas péché, il n’y aurait pas eu de rédemption humaine. L’homme n’a donc pas toujours connu le mystère de la rédemption humaine. |
[10868] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut
dicit Dionysius, multi etiam de gentilibus ante Christi adventum salvati
sunt. Sed illi non habebant fidem explicitam de redemptione, quia eis
revelatio non fuerat facta; Psalm. 147, 20: non fecit taliter omni nationi.
Nec iterum in fide Judaeorum suam fidem implicitam habebant. Ergo fides
redemptoris non fuit necessaria ad salutem secundum omne tempus. |
3. Comme le dit Denys, plusieurs parmi les Gentils ont été sauvés avant la venue du Christ. Or, ceux-là n’avaient pas la foi explicite en la rédemption, car la révélation ne leur avait pas été faite, Ps 147, 20 : Il n’a pas traité ainsi toutes les nations. Ils n’avaient pas non plus une foi implicite dans la foi des Juifs. La foi au Rédempteur n’a donc pas été nécessaire au salut en tout temps. |
[10869] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 2 arg. 4 Praeterea,
adventus redemptoris non est de dictamine legis naturalis. Sed qui erant in
lege naturali, salvabantur implentes ea quae erant de dictamine legis
naturalis, sicut tempore legis scriptae est de his quae dictat lex scripta.
Ergo non fuit semper necessarium habere fidem explicitam de redemptore. |
4. La venue du Rédempteur n’est pas soumise à un commandement de la loi naturelle. Or, ceux qui étaient sous la loi naturelle étaient sauvés en accomplissant ce qui relevait d’un commandement de la loi naturelle, comme c’est le cas de ce que commande la loi écrite au temps de la loi écrite,. Il n’a donc pas toujours été nécessaire d’avoir une foi explicite dans le Rédempteur. |
[10870] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 2 s. c. 1 Sed contra,
Christus est caput totius Ecclesiae. Nullus autem salvatus est extra
Ecclesiam. Ergo nullus
salvatus est qui non est membrum Christi vel non fuit. Sed nullus fuit
membrum Christi qui in Christum non credidit. Ergo nullus salvatus est unquam
sine fide Christi. |
Cependant, [1] le Christ est la tête de toute l’Église. Or, personne n’est sauvé en dehors de l’Église. Personne n’a donc été sauvé sans être membre du Christ ou sans l’avoir été. Or, personne n’a été membre du Christ sans avoir cru au Christ. Personne n’a donc jamais été sauvé sans la foi au Christ. |
[10871] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut
creator est principium essendi in natura condita, ita etiam redemptor est
principium reparationis naturae lapsae. Sed nullus potest salvari sine reparatione, sicut nec esse sine esse
naturali. Cum ergo fides
de creatore semper fuerit necessaria ad salutem, pari ratione et fides redemptoris
semper fuit necessaria ad salutem post casum hominis. |
[2] De même que le Créateur est le principe de l’être pour la nature créée, de même le Rédempteur est-il aussi le principe de la restauration pour la nature déchue. Or, personne ne peut être sauvé sans la restauration, comme il ne peut exister sans l’acte naturel d’être. Puisque la foi au Créateur a toujours été nécessaire au salut, pour la même raison la foi au Rédempteur a donc toujours été nécessaire au salut après la chute de l’homme. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Était-il
nécessaire de croire, à propos du Rédempteur, les articles que le Maître
indique dans le texte ?]
|
[10872] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod non oportuit istos articulos de redemptore credere quos Magister
tangit in littera. Quia Joannes Baptista inter majores fuit, qui tenebantur
habere fidem explicitam secundum illud tempus. Sed ipse dubitavit de morte
Christi, ut dicit Magister in littera. Ergo non videtur quod de morte Christi
habuerint fidem explicitam antiqui patres. |
1. Il semble qu’il n’ait pas toujours été nécessaire de croire, à propos du Rédempteur, les articles que le Maître indique dans le texte, car Jean-Baptiste comptait parmi les « grands », qui étaient tenus d’avoir une foi explicite en ce temps. Or, lui-même a douté de la mort du Christ, comme le dit le Maître dans le texte. Il ne semble donc pas que les pères anciens aient eu une foi explicite dans la mort du Christ. |
[10873] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, conceptio nativitatem praecedit. Sed non dicitur quod
necessarium fuerit eos habere explicitam fidem de conceptione. Ergo nec fuit
necessarium quod haberent explicitam fidem de nativitate. |
2. La conception a précédé la naissance. Or, il n’est pas dit qu’il leur était nécessaire d’avoir une foi explicite en la conception. Il n’était donc pas nécessaire qu’ils aient une foi explicite en la naissance. |
[10874] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 3 arg. 3 Praeterea, sicut
resurrectio Christi est causa nostrae resurrectionis, ita ascensio causa
nostrae ascensionis. Sed salus nostra consistit in resurrectione corporum, et in ascensione
ad locum gloriae. Ergo necessarium fuit credere ascensionem, sicut et
resurrectionem. |
3. De même que la résurrection du Christ est la cause de notre résurrection, de même son ascension est-elle la cause de notre ascension. Or, notre salut consiste dans la résurrection des corps et dans l’ascension vers le lieu de la gloire. Il était donc nécessaire de croire en l’ascension, comme en la résurrection. |
[10875] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, per descensum ad Inferos nos ab Inferis retraxit. Hoc autem
est necessarium ad salutem. Ergo et credere Christum ad Inferos descendisse. |
4. Par sa descente aux enfers, [le Christ] nous a retirés de l’enfer. Or, cela est nécessaire au salut. Il est donc aussi [nécessaire] de croire que le Christ est descendu aux enfers. |
[10876] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 3 arg. 5 Praeterea, salus
hominum esse poterat sine hoc quod Christus ad judicium veniret: quia per hoc
nihil nobis Christus meretur. Ergo videtur quod non fuerit necessarium credere Christum venturum ad
judicium. |
5. Le salut des hommes pouvait exister sans que le Christ vienne pour le jugement, car, par cela, le Christ n’a rien mérité pour nous. Il semble donc qu’il n’était pas nécessaire de croire que le Christ viendra pour le jugement. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 – [Était-il
nécessaire d’avoir une connaissance explicite de la Trinité ?]
|
[10877] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod non fuerit necessarium habere cognitionem Trinitatis explicitam. Quia
Hebr. 11, 6, dicitur, quod de Deo oportet credere quia est, et
inquirentibus se remunerator sit. Ergo videtur quod non oportuit cognoscere distinctionem personarum. |
1. Il semble qu’il n’était pas nécessaire d’avoir une connaissance explicite de la Trinité, car il est dit en He 11, 6 qu’il est nécessaire de croire à propos de Dieu qu’il existe et qu’il est le rémunérateur de ceux qui le cherchent. Il semble donc qu’il n’était pas nécessaire de connaître la distinction des personnes. |
[10878] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 4 arg. 2 Praeterea,
cognitio fidei est necessaria inquantum nos in finem dirigit. Sed Deus est
finis noster, inquantum est summum bonum, quod ad essentiam pertinet. Ergo videtur quod sufficiebat de Deo
credere essentialia. |
2. La connaissance de la foi est nécessaire dans la mesure où elle nous dirige vers la fin. Or, Dieu est notre fin, pour autant qu’il est le bien suprême, ce qui relève de son essence. Il semble donc qu’il suffisait de croire aux [attributs] essentiels à propos de Dieu. |
[10879] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 4 arg. 3 Praeterea, sacra
Scriptura est regula fidei. Sed in Scriptura veteris testamenti non fuit
mentio expressa facta de Trinitate. Ergo non erat necessaria ad credendum. |
3. La Sainte Écriture est la règle de la
foi. Or, dans l’Écriture de l’Ancien Testament, il n’est pas fait expressément
mention de la Trinité. Il n’était donc pas nécessaire d’y croire. |
[10880] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 4 s. c. 1 Sed contra,
magis est salutifera cognitio de Christo inquantum est Deus quam inquantum
est homo. Sed
necessarium fuit habere cognitionem de humanitate ipsius. Ergo multo fortius
de deitate. Sed secundum
quod est in sua deitate, est filius patris. Ergo necessarium fuit habere
cognitionem de patre et filio. |
Cependant, [1] la connaissance du Christ comme Dieu est plus salutaire que [sa connaissance] comme homme. Or, il était nécessaire d’avoir connaissance de son humanité. À bien plus forte raison, donc, de sa divinité. Or, selon sa divinité, il est le Fils du Père. Il était donc nécessaire d’avoir une connaissance du Père et du Fils. |
[10881] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 4 s. c. 2 Praeterea, missio
divinarum personarum semper fuit de necessitate salutis. Sed Augustinus
dicit, quod mitti est cognosci quod ab alio sit. Ergo semper fuit necessarium cognoscere in
Deo quod sit ibi aliquis ab alio; et ita cognoscere Trinitatem per fidem. |
[2] La mission des personnes divines a toujours été nécesssaire pour le salut. Or, Augustin dit qu’« être envoyé, c’est être connu comme étant d’un autre ». Il a donc toujours été nécessaire de connaître de Dieu qu’il existe en lui quelqu’un qui vient d’un autre, et ainsi de connaître la Trinité par la foi. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[10882] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo
dicendum ad primam quaestionem, quod fides cognitio quaedam est. Quantitas
autem cognitionis dupliciter attenditur: scilicet secundum objecta, et
secundum efficaciam actus circa objectum. Quia autem habitus specificatur ex
objecto, ideo prima quantitas est habitui essentialis; et secundum hanc
attenditur magnitudo fidei, quae est secundum articulorum quantitatem; et
ideo secundum hanc quantitatem fides non crescit nec deficit, cum semper
eadem maneat. Efficacia autem in agendo, est ex conditione agentis; et ideo
quantum ad alias tres magnitudines potest fides proficere, ipsa manente eadem
secundum diversas hominum conditiones. In actu autem fidei tria inveniuntur,
secundum quae potest quantitas efficaciae fidei attendi; duo secundum naturam
propriam: scilicet cogitare, et secundum hoc dicitur fides magna, cognitione;
et assentire, et secundum hoc dicitur fides magna, constantia, quia assensus
certitudinem et determinationem importat, ut supra, dist. 23, art. 2 in corp.
et ad 1, dictum est: tertium autem est in actu fidei secundum quod informatur
caritate; et secundum hoc dicitur fides magna, devotione. Sed quia certitudo
fidei est ex voluntate determinante intellectum ad unum, et similiter
formatio ex caritate, quae est in voluntate; voluntas autem est domina sui
actus etiam secundum quodcumque tempus; ideo per se loquendo magnitudinis
fidei quae est secundum constantiam et devotionem, attenditur profectus
secundum promptitudinem voluntatis quae est ex gratia, non ex successione
temporum nisi per accidens, inquantum in aliquo tempore sit plenior
influentia gratiae quam in alio quantum ad communem statum, quamvis non
quantum ad omnes personas. Sed cogitare ad intellectum pertinet, cujus
virtutes experimento indigent et tempore, ut dicitur 2 Ethic.; et ideo
quantitas fidei quae est secundum cognitionem articulorum, per se loquendo,
crescit secundum diversitatem temporis. |
La foi est une certaine connaissance. Or, la quantité d’une connaissance vient de deux choses : des objets et de l’efficacité de l’acte portant sur l’objet. Mais parce qu’un habitus reçoit son espèce de son objet, la première quantité est donc essentielle à l’habitus, et la grandeur de la foi, qui vient de la quantité des articles, est envisagée selon elle. C’est pourquoi quantité de la foi n’augmente pas et ne diminue pas selon cette quantité, puisqu’elle demeure toujours la même. Mais l’efficacité d’une action vient de la condition de l’agent. Du point de vue des trois autres grandeurs, la foi peut donc croître, alors qu’elle demeure la même selon les diverses conditions des hommes. Or, on trouve dans l’acte de la foi trois choses selon lesquelles la quantité de l’efficacité de la foi peut être envisagée. Deux [viennent] de sa nature propre : penser, et, de ce point de vue, on dit que la foi est grande par la connaissance; et donner son assentiment, et, de ce point de vue, on dit que la foi est grande par sa constance, car l’assentiment comporte la certitude et la détermination, comme on l’a dit plus haut, d. 23, a. 2, c et ad 1. La troisième existe dans l’acte de foi selon que celle-ci reçoit sa forme de la charité : de ce point de vue, on dit que la foi est grande par son attachement. Mais parce que la certitude de la foi vient de la volonté qui détermine l’intellect à une seule chose et que sa forme vient également de la charité, qui se trouve dans la volonté, et que la volonté est aussi maîtresse de son acte en tout temps, à proprement parler, le progrès de la grandeur de la foi qui vient de la constance et de l’attachement s’envisage selon la promptitude de la volonté qui vient de la grâce, et non de la succession des temps, si ce n’est par accident, pour autant que, en un certain temps, l’influence de la grâce a été plus complète que dans un autre pour ce qui est de l’état général, bien que ce n’ait pas été le cas pour toutes les personnes. Mais penser relève de l’intellect, dont les puissances ont besoin de l’expérience et du temps, ainsi qu’il est dit dans Éthique, II. C’est pourquoi, à proprement parler, la quantité de la foi considérée selon la connaissance des articles croît selon la diversité du temps. |
[10883] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod caritas in voluntate est. Ea autem quae ad voluntatem pertinent, non
indigent experimento et tempore, sicut ea quae sunt in intellectu, in quo est
fides, nisi quatenus oportet quod per exercitium acquiratur habitus, quod de
caritate non est. Et ideo profectus caritatis, proprie loquendo, non
attenditur secundum diversa tempora, nisi per accidens, inquantum tempore
redemptionis plenior infunditur gratia quantum ad communem statum, non autem
quantum ad omnes singulares personas. |
1. La charité se trouve dans la volonté. Or, ce qui se rapporte à la volonté n’a pas besoin d’expérience et de temps, comme ce qui se trouve dans l’intelligence, où réside la foi, si ce n’est dans la mesure où un habitus est acquis par l’exercice. À proprement parler, la croissance de la charité n’est pas envisagée selon les divers temps, sauf par accident, pour autant qu’au temps de la rédemption, la grâce à été versée plus abondamment pour ce qui est de l’état général, mais non pour toutes les personnes en particulier. |
[10884] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod hoc quod scientiae profecerunt per successionem temporum non
tantum est ex imperfectione inventorum, sed etiam ex impotentia addiscentium,
qui a principio totum capere non possunt; et ita in his quae fidei sunt
accidit quod oportuit paulatim humanum intellectum assuefieri ad ea quae
fidei sunt; propter quod dominus discipulis dixit Joan. 16, 12: multa
habeo vobis dicere; sed non potestis portare modo. |
2. Le fait que les sciences aient progressé selon la succession des temps ne vient pas seulement de l’imperfection de ce qui a été trouvé, mais aussi de l’impuissance de ceux qui apprennent, qui ne peuvent tout saisir dès le début. Il arrive ainsi, pour ce qui relève de la foi, qu’il était nécessaire pour l’intelligence humaine de s’habituer peu à peu à ce qui relève de la foi. Pour cette raison, le Seigneur a dit à ses disciples, Jn 16, 12 : J’ai beaucoup de choses à vous dire; mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. |
[10885] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod illi qui immediate a Deo fidei cognitionem receperunt, quantum
ad ea quae eis non explicabantur, non habebant fidem implicitam in fide
alterius hominis, sed in cognitione ipsius Dei, cui reponebant id quod de
secretis divinae sapientiae eis fuerat revelatum. |
3. Ceux qui ont reçu immédiatement de Dieu la connaissance de la foi n’avaient pas une foi implicite dans la foi d’un autre homme pour ce qui n’était pas explicite, mais dans la connaissance de Dieu lui-même, à qui ils ramenaient ce qui leur avait été révélé des secrets de la Sagesse divine. |
[10886] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod articulus dicitur indivisibilis veritas quantum ad id quod
actu explicatur in articulo; sed est divisibilis quantum ad ea quae potentia
continentur in articulo, secundum quod qui dicit unum, quodammodo dicit
multa: et haec sunt ea quae praecedunt ad articulum, et consequuntur ad
ipsum: et quantum ad hoc potest explicari et dividi articulus fidei. |
4. On dit que l’article est une vérité indivisible pour ce qui est explicité en acte dans l’article; mais il est divisible pour ce qui est contenu en puissance dans l’article, selon que celui qui dit une seule chose en dit d’une certaine manière plusieurs. Telles sont les choses qui précèdent l’article et en découlent. Sous cet aspect, l’article de foi peut être explicité et divisé. |
[10887] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 1 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod aliquid quod in articulo continetur, explicari potest
dupliciter. Uno modo secundum quod unus articulus continetur quandoque in
alio, vel duo in uno communi; sicut resurrectio mortuorum continetur
quodammodo in resurrectione Christi; et passio et incarnatio in hoc communi
quod est mysterium redemptionis: et sic fides implicita explicatur in
articulis fidei determinatis; et haec explicatio completa est per Christum:
unde ejus doctrinae quantum ad essentialia fidei nec addere nec diminuere
licet, ut dicitur Apocal. ult. Sed ante Christi adventum non erat completa; unde etiam quantum ad
majores crescebat secundum diversa tempora. Alio modo id quod in articulo continetur,
non est articulus, sed aliquid concomitans articulum; et quantum ad hoc
potest fides quotidie explicari, et per studium sanctorum magis et magis
explicata fuit. |
5. Ce qui est contenu dans un article peut être explicité de deux manières. Premièrement, selon qu’un article est parfois contenu dans un autre, ou deux [articles] dans un qui leur est commun, comme la résurrection des morts est d’une certaine manière contenue dans la résurrection du Christ, et la passion et l’incarnation dans cet [article] commun qu’est le mystère de la rédemption. Ainsi la foi implicite est-elle explicitée dans des articles de foi déterminés. Une telle explicitation a été achevée par le Christ. Aussi n’est-il permis de rien ajouter ni de rien enlever à son enseignement pour ce qui concerne l’essentiel de la foi, ainsi qu’il est dit dans Ap 22. Mais, avant la venue du Christ, elle n’était pas achevée. Aussi croissait-elle-même chez les grands selon les divers temps. Deuxièmement, ce qui est contenu dans un article n’est pas l’article, mais quelque chose qui accompagne l’article; de ce point de vue, la foi peut être quotidiennement explicitée et elle a été de plus en plus explicitée par l’étude des saints. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[10888] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod ad fidem redemptoris
tripliciter se habet humanum genus secundum diversa tempora. In primo enim
statu ante peccatum non oportebat ab aliquo homine haberi fidem explicitam de
redemptore, quia nondum servitus erat inducta; sed sufficiebat habere fidem
implicitam in cognitione Dei, ut scilicet homo crederet quod Deus ei
provideret in eis quae essent necessaria ad salutem. In secundo autem statu
post peccatum ante adventum Christi quidam habebant fidem explicitam de
redemptore, quibus revelatio facta erat, qui majores dicebantur: quidam
autem, ut minores, fidem implicitam habebant in fide majorum; unde eis
sacramentum redemptionis sub signis sacrificiorum proponebatur. In tertio autem statu post adventum
Christi, quia jam mysterium redemptionis impletum est corporaliter et
visibiliter, et praedicatum, omnes tenentur ad explicite credendum: et si
aliquis instructorem non haberet, Deus illi revelaret, nisi ex culpa sua
removeret. |
Le rapport du genre humain à la foi au Rédempteur est triple selon les divers temps. En effet, dans le premier état avant le péché, il n’était pas nécessaire qu’un homme ait une foi explicite au Rédempteur, car l’esclavage n’avait pas encore été introduit; mais il suffisait d’avoir une foi implicite dans la connaissance de Dieu, à savoir que l’homme croie que Dieu prendrait soin de lui pour ce qui serait nécessaire au salut. Mais, dans le deuxième état, après le péché et avant la venue du Christ, certains avaient une foi explicite dans le Rédempteur, à qui la révélation [en] avait été faite : on les appelait les grands. Mais certains, comme les petits, avaient une foi implicite dans la foi des grands. Aussi le mystère (sacramentum) de la Rédemption leur était-il proposé par les signes des sacrifices. Dans le troisième état, après la venue du Christ, parce que le mystère de la Rédemption a déjà été accompli corporellement et visiblement et qu’il a été prêché, tous sont obligés de croire explicitemenet, et si quelqu’un n’avait pas de maître, Dieu lui ferait révélation, à moins que celui-ci ne l’écarte par sa faute. |
[10889] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Angeli primitus mysterium incarnationis
sunt edocti quam homines, ut dicit Dionysius, 4 cap. Caelest. Hierar.,
quantum ad ipsam substantiam ejus quod credendum est, quamvis non quantum ad
omnes circumstantias articulorum, quas postea rebus evenientibus cognoverunt.
Et de hoc plenius dictum est in 2 Lib., dist. 11. |
1. Comme le dit Denys, La hiérarchie céleste, IV, les anges ont été informés du mystère de l’incarnation avant les hommes, quant à sa substance qu’on devait croire, mais non quant à toutes les circonstances des articles, qu’ils ont par la suite connues alors que les choses survenaient. On a parlé plus longuement de cela dans le livre II, d. 11. |
[10890] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod auctoritates inductae in littera loquuntur post peccatum, sive
ante legem, sive post. |
2. Les autorités invoquées dans le texte parlent de [l’état] consécutif au péché, soit avant la loi, soit après. |
[10891] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quamvis aliis gentibus non esset data lex divinitus communiter
omnibus sicut Judaeis, ex quibus nasciturus erat Christus, et sic oportebat
in eis potius fidem vigere; tamen multis etiam gentilibus revelationes per
Angelos factae sunt etiam de Christo, sicut patet de Sybilla, quae de Christo
expresse prophetavit. In historiis Romanis etiam legitur, quod temporibus Constantini
imperatoris inventum fuit in Graecia quoddam corpus in sepulcro quodam habens
laminam auream supra pectus, in qua scriptum erat: Christus nascetur ex
virgine et credo in eum. O sol, sub Irenes et Constantini temporibus iterum me videbis. Illi etiam quibus specialis revelatio
facta non fuerat, salvari poterant, etiam si nihil de lege Moysi audissent,
neque aliquid de ea scirent, quia lex illa non erat omnibus data, sed tantum
Judaeis; unde alii non peccabant si legis observantias non servarent. Secus
autem est de lege Christi, quae omnibus pronuntiata est. Salvabantur tamen
fide implicita redemptoris, implicando fidem suam in cognitione Dei, vel
eorum qui a Deo docti erant, indeterminate, quicumque illi essent; sicut
majores Judaeorum quantum ad ea quae eis nondum fuerant revelata, dum
contrarium pertinaciter non tenerent contra praedicantem fidem. |
3. Bien qu’une loi n’ait pas été donnée par Dieu aux autres nations d’une manière générale, comme elle l’a été aux Juifs, dont le Christ devait naître, et qu’ainsi il était nécessaire que la foi soit vigoureuse chez eux, des révélations ont cependant aussi été faites par des anges aux païens à propos du Christ, comme cela ressort pour la Sibylle, qui a prophétisé de manière expresse à propos du Christ. On lit aussi dans l’histoire des Romains qu’au temps de l’empereur Constantin, on a découvert en Grèce dans un sépulcre un corps portant une plaque d’or sur la poitrine, sur laquelle avait été écrit : « Le Christ naîtra d’une vierge et je crois en lui. Ô Soleil, aux temps d’Irène et de Constantin, tu me verras de nouveau! » Ceux-là aussi à qui une révélation spéciale n’avait pas été faite pouvaient être sauvés, même s’ils n’avaient rien entendu de la loi de Moïse et n’en savaient rien, car cette loi n’avait pas été donnée à tous, mais seulement aux Juifs; aussi les autres ne péchaient-ils pas s’ils n’accomplissaient pas les observances de la loi. Mais il en va autrement de la loi du Christ, qui a été annoncée à tous. Ils seront cependant sauvés par une foi implicite au Rédempteur, en plaçant leur foi dans la connaissance de Dieu ou de ceux qui ont été instruits par Dieu de manière indéterminée, quels qu’ils aient été : ainsi les grands parmi les Juifs, quant à ce qui n’avaient pas encore été révélé, pourvu qu’ils ne s’opposent pas de manière entêtée à celui qui prêche la foi. |
[10892] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis ad cognitionem redemptoris non
sufficeret natura per se, sufficiebat tamen cum lege scripta tempore legis;
ante legem vero adjuta per gratiam. |
4. Bien que la nature ne suffirait pas par elle-même à la connaissance du Rédempteur, elle suffisait cependant avec la loi écrite au temps de la loi, mais, avant la loi, avec l’aide de la grâce. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
|
[10893] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod fides explicita ad hoc
necessaria est quod in finem ultimum intentionem dirigat. Et quia per peccatum
homo ab illo fine abductus fuerat, et non poterat reduci nisi per mediatorem
Dei et hominum dominum Jesum Christum; ideo post peccatum oportuit haberi
cognitionem explicitam de redemptore, et praecipue quantum ad ea quibus nos
in finem reduxit victo hoste a quo captivi detinebamur. Ad hoc autem quod nos
in finem reduceret, quatuor requirebantur. Primum est quod propugnator noster
institueretur; quod factum est in nativitate. Secundum est quod propugnaret;
quod factum est in passione. Tertium est quod vinceret; quod factum est in resurrectione, quando
aeternitatis aditum devicta morte reseravit. Quarto quod victoriae suae omnes
suos participes faceret; et hoc erit in judicio, quando bonis bona et malis
mala reddet. Et ideo ista praecipue requirebantur ut de redemptore explicite
scirentur. Tamen possibile est quod secundum diversa tempora horum distinctio
et explicatio ante Christi adventum creverit, ut quanto adventui salvatoris
viciniores existerent, tanto sacramenta salutis plenius perceperint, ut dicit
Gregorius. Et secundum
hoc utraque opinio in littera potest habere veritatem: prima quantum ad
propinquos, secunda quantum ad remotos. |
Une foi explicite est nécessaire afin qu’elle dirige l’intention vers la fin ultime. Parce que l’homme avait été détourné de cette fin par le péché et ne pouvait y être ramené que par le médiateur entre Dieu et les hommes, le Seigneur Jésus, le Christ, après le péché, il était donc nécessaire d’avoir une connaissance explicite du Rédempteur, surtout pour ce par quoi il nous a ramenés à la fin après avoir vaincu l’ennemi par lequel nous étions détenus captifs. Pour qu’il nous ramène à la fin, quatre choses étaient requises. Premièrement, que notre défenseur soit établi, ce qui a été réalisé par sa naissance. Deuxièmement, qu’il combatte pour nous, ce qui a été réalisé par la passion. Troisièmement, qu’il l’emporte, ce qui a été réalisé par sa résurrection, alors qu’il a rendu ouvert l’accès à l’éternité après avoir vaincu la mort. Quatrièmement, qu’il fasse participer tous les siens à sa victoire : cela se réalisera par le jugement, alors qu’il rendra le bien aux bons et le mal aux méchants. C’est pourquoi il était nécessaire que ces choses surtout soient connues à propos du Rédempteur. Cependant, il est possible que, selon les divers temps, leur distinction et leur explicitation aient augmenté avant la venue du Christ, de sorte que « plus on était proche de la venue du Sauveur, plus les sacrements du salut étaient pleinement reçus », comme le dit Grégoire. La double opinion exprimée dans le texte peut donc ainsi être vraie : la première, pour ceux qui étaient proches; la seconde, pour ceux qui étaient éloignés. |
[10894] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod Joannes Baptista hos articulos plenissime scivit; unde de his
non dubitavit. Potuit autem dubitare sine praejudicio salutis de alio
articulo passionis implicito tunc temporis, scilicet de descensu ad Inferos,
non pertinaciter; quod patet, quia doceri quaerebat. Vel dicendum, ut alii dicunt, quod ipse non
dubitavit, sed quasi dubitasse visus est inquantum quaesivit non propter se,
sed propter suos discipulos instruendos. Vel fuit dubitatio non ignorantiae,
sed admirationis et pietatis. |
1. Jean-Baptiste a connu avec le plus de plénitude ces articles; aussi n’en doutait-il pas. Mais il a pu douter sans préjudice pour son salut d’un autre article alors implicite de la passion : la descente aux enfers, mais sans entêtement, ce qui ressort du fait qu’il cherchait à être enseigné. Ou bien il faut dire, comme d’autres le disent, qu’il n’a pas douté, mais a semblé douter dans la mesure où il s’est enquis non pas pour lui, mais pour instruire ses disciples. Ou bien ce fut un doute dû non pas à l’ignorance, mais à l’admiration et à la piété. |
[10895] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod articulus conceptionis implicite continebatur in articulo
nativitatis in quantum est via ad nativitatem; articulus autem de descensu ad
Inferos, in articulo de passione; articulus autem de ascensione, in articulo
de resurrectione, quia ibi terminatur victoria resurgentis. |
2. L’article sur la conception était implicitement contenu dans l’article sur la naissance pour autant qu’elle conduit à la naissance. Mais l’article sur la descente aux enfers [était implicitement contenu] dans l’article sur la passion, et l’article sur l’ascension, dans l’article sur la résurrection, car là se termine la victoire du Ressuscité. |
[10896] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Unde patet responsio ad tertium et quartum. |
3-4. La réponse au troisième et au quatrième arguments ressort d’elle-même. |
[10897] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in judicio Christus nihil nobis merebitur;
sed id quod prius meruit, reddet. |
5. Le Christ ne nous méritera rien par le jugement, mais il rendra ce qu’il a préalablement mérité. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la sous-question 4
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[10898] Super Sent., lib. 3 d.
25 q. 2 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod per missiones divinarum
personarum in nos, homo in finem ultimum ducitur non solum post peccatum, sed
etiam ante peccatum; et ideo explicita cognitio de Trinitate fuit necessaria
non solum post peccatum, sed etiam ante peccatum. Non tamen eodem modo ante adventum Christi
et post: quia ante adventum soli majores de hoc fidem explicitam habuerunt:
post incarnationem vero omnes fidem explicitam de tribus personis habere
tenentur, sicut et de mysterio incarnationis, quod cognosci non potest, nisi
cognoscatur personarum distinctio: et quia sacramenta salutis cum invocatione
Trinitatis conferuntur. |
Par la mission des personnes divines en
nous, l’homme est conduit a sa fin ultime, non seulement après le péché, mais
aussi avant le péché. C’est pourquoi une connaissance explicite de la Trinité
était nécessaire, non seulement après le péché, mais aussi avant le péché.
Cependant, non pas de la même manière avant la venue du Christ et après, car,
avant la venue du Christ, seuls les grands en ont eu une foi explicite; mais,
après l’incarnation, tous sont obligés d’avoir une foi explicite aux trois
personnes, comme au mystère de l’incarnation, qui ne peut être connu que si
la distinction entre les trois personnes est connue, et parce que les
sacrements du salut sont conférés avec une invocation de la Trinité. |
[10899] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 4 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod apostolus posuit illa quae oportuit credi explicite a quolibet
homine in quocumque statu: hoc autem non fuit cognitio Trinitatis. |
1. L’Apôtre a affirmé ce que tout homme devait croire explicitement en tout état, mais il ne s’agissait pas de la connaissance de la Trinité. |
[10900] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 4 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod ad dirigendum in finem non solum oportet cognoscere finem, sed
etiam ea sine quibus in finem iri non potest; et ideo oportuit habere
cognitionem explicitam de fide Trinitatis, quia sine earum missione in finem
beatitudinis veniri non potest. |
2. Pour diriger vers la fin, il faut non seulement connaître la fin, mais aussi ce sans quoi on ne peut aller vers la fin. C’est pourquoi il était nécessaire d’avoir une connaissance explicite de la foi en la Trinité, car, sans la mission [des personnes divines], on ne peut atteindre la fin de la béatitude. |
[10901] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 4 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quia non erat necessarium ut explicite omnes cognoscerent,
ideo non fuit positum mysterium Trinitatis manifeste in veteri testamento,
sed velate ut sapientes capere possent. |
3. Parce qu’il n’était pas nécessaire que tous le connaissent, le mystère de la Trinité n’a donc pas été présenté ouvertement dans l’Ancien Testament, mais de manière voilée afin que les sages puissent le saisir. |
Expositio textus |
Explication du
texte de Pierre Lombard, Distinction 25
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[10902] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2
qc. 4 expos. Sicut in Ecclesia aliqui sunt minus capaces. Contra. Modo non sufficit ad salutem ut
etiam explicite mysterium incarnationis credatur. Dicendum, quod est similitudo
non quantum ad omnia, sed quantum ad quaedam de articulis: quia nesciunt eos
distinguere, quamvis explicite cognoscant illud quod in articulis continetur.
Tenentur autem explicite articulos scire de quibus Ecclesia solemnizat, et
facit continuam mentionem, sicut de Trinitate. Credunt hoc quod ignorant.
Hoc est contra illud quod superius dictum est, quod fides non est de ignotis.
Dicendum, quod sicut implicite creditur, ita et implicite cognoscitur.
Dicitur autem ignorari quod nescitur explicite. Solet etiam quaeri de fide
Cornelii. Sciendum, quod Cornelius habebat fidem explicitam de mysterio
incarnationis, quamvis suffecisset ei ad salutem, etiamsi de hoc fidem
implicitam habuisset: sed non habebat fidem distinctam de tempore
incarnationis; et ideo, quia hoc jam incipiebat esse necessarium ad salutem,
missus fuit Petrus ad eum instruendum. Illud etiam non est
praetermittendum, quod fides, spes, caritas, et operatio secundum aliquid
aequalia sunt in praesenti. De hac aequalitate habituum, et operatione dicitur
infra, distinct. 36. Hic tamen
sciendum est quod operationem hic videtur nominare virtutes regulantes in
opere exteriori, sicut sunt virtutes cardinales, quae etiam habent actus
interiores, secundum quas oportet istam aequalitatem attendi. Vel si loquitur de operibus exterioribus,
attendenda est aequalitas quantum ad formationem operis magis quam secundum
quantitatem actus: quia interdum aliquis ex majori caritate facit opera ex
suo genere minora quam alius majora. Non ideo post fidem et spem ponitur,
quod ex eis oriatur. Contra, Matth. 1, 2: Abraham genuit Isaac, Isaac
Jacob; idest, fides spem, spes caritatem. Dicendum, quod intelligitur
quantum ad actus non quantum ad habitus. Non quod fides et spes causa vel
tempore praecedant. Contra. Aliquis habet fidem qui non habet caritatem,
sicut qui ficte accedit ad Baptismum fidem tantum habens. Dicendum, quod
loquitur de fide et spe secundum quod est virtus. |
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Distinctio 26 |
Distinction 26 –
[L’espérance]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La nature de l’espérance]
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Prooemium |
Prologue |
[10903] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 pr. Postquam Magister determinavit de fide, hic
secundo determinat de spe; et dividitur in duas partes: in prima determinat
de spe; in secunda ostendit in quibus spes invenitur, ibi: post hoc
superest investigare, utrum fides et spes in Christo fuerint. Circa primum duo facit: primo determinat de
spe secundum se; secundo de spe per comparationem ad fidem, ibi: et sicut
fides, ita et spes est de invisibilibus. Et circa hoc duo facit; primo
ostendit convenientiam inter fidem et spem; secundo differentiam, ibi: distinguitur
tamen fides a spe. Post hoc superest investigare, utrum fides et spes in
Christo fuerint. Hic ostendit, quorum sit habere fidem; et circa hoc duo
facit: primo inquirit, utrum in Christo fuerit fides vel spes: secundo utrum
in antiquis patribus in Limbo existentibus, ibi: de antiquis vero patribus
(...) non incongrue dici potest, quod fidem et spem virtutem habuerint.
Hic quaeruntur duo. Primo de spe secundum quod est passio. Secundo de ipsa
secundum quod est virtus. Circa primum quaeruntur quinque: 1 utrum spes sit
passio; 2 in quo sit; 3 de differentia ejus ad alias passiones; 4 utrum sit
una de quatuor passionibus principalibus; 5 utrum possit esse in parte
intellectiva. |
Après avoir déterminé de la foi, le Maître détermine ici de l’espérance. Cela se divise en deux parties : dans la première, il détermine de l’espérance; dans la seconde, il montre chez qui se trouve l’espérance, à cet endroit : « Après cela, il reste à rechercher si la foi et l’espérance existaient chez le Christ. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il détermine de l’espérance en elle-même; deuxièmement, de l’espérance par comparaison avec la foi, à cet endroit : « Comme la foi, l’espérance aussi porte sur des réalités invisibles. » À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il montre ce qu’il y a de commun entre la foi et l’espérance; deuxièmement, leur différence, à cet endroit : « Cependant, la foi se distingue de l’espérance. » « Après cela, il reste à rechercher si la foi et l’espérance existaient chez le Christ. » Ici, il montre à qui il appartient d’avoir la foi. À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il se demande si la foi et l’espérance existaient chez le Christ; deuxièmement, si elle a existé chez les pères anciens qui se trouvent dans les limbes, à cet endroit : « À propos des pères anciens…, on peut dire sans inconvenance qu’ils ont eu la vertu de foi et d’espérance. » Ici, deux questions sont posées. Premièrement, à propos de l’espoir qui est une passion. Deuxièmement, à propos de l’espérance qui est une vertu. À propos du premier point, cinq questions sont posées : 1 – L’espoir est-il une passion ? 2 – En qui réside l’espoir ? 3 – Comment il se diversifie des autres passions. 4 – Est-il l’une des quatre passions principales ? 5 – Peut-il se trouver dans la partie intellective ? |
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Articulus 1 [10904] Super Sent., lib. 3
d. 26 q. 1 a. 1 tit. Utrum spes sit passio |
Article 1 – L’espoir est-il une passion ? |
[10905] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod spes non sit passio. Spes enim est expectatio. Sed
expectatio dicit immobilitatem. Cum ergo omnis passio in motu consistat,
videtur quod spes non sit passio. |
1. Il semble que l’espoir ne soit pas une passion. En effet, l’espoir est une attente. Or, l’attente indique une immobilité. Puisque toute passion consiste dans un mouvement, il semble donc que l’espoir ne soit pas une passion. |
[10906] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, opposita sunt in eodem genere. Sed philosophus, 7
Physicor., dividit spem contra memoriam, dividens actiones utriusque ad
invicem. Cum ergo memoria non sit passio, nec spes passio erit. |
2. Les contraires se trouvent dans le même genre. Or, dans Physique, VII, le Philosophe distingue l’espoir de la mémoire, en distinguant les actions des deux les unes des autres. Puisque la mémoire n’est pas une passion, l’espoir non plus ne sera pas une passion. |
[10907] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, expectare a spectando dicitur. Spectare autem est videre. Cum ergo videre
non sit passio animalis, secundum quod proprie loquimur de passionibus
animae; videtur quod spes, quae est expectatio, non sit passio. |
3. Attendre (expectare) vient de regarder (spectare). Or, regarder, c’est voir. Puisque voir n’est pas une passion animale, au sens propre où nous parlons des passions de l’âme, il semble donc que l’espoir, qui est une attente, ne soit pas une passion. |
[10908] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1
arg. 4 Praeterea, passio
animae in parte sensitiva est, ut dicit philosophus in 7 Physic. Sed spes,
cum sit de futuro bono, non potest esse in parte sensitiva: quia sensus est
praesentium tantum. Ergo spes non
est passio. |
4. Une passion de l’âme se trouve dans la partie sensible, comme le dit le Philosophe dans Physique, VII. Or, l’espoir, puisqu’il porte sur un bien futur, ne peut se trouver dans la partie sensible, car le sens ne porte que sur ce qui est présent. L’espoir n’est donc pas une passion. |
[10909] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1
arg. 5 Praeterea,
nihil patitur nisi ex praesentia agentis. Sed spes non est de praesentibus,
sed de futuris. Ergo non est passio. |
5. Rien ne subit que par la présence d’un agent. Or, l’espoir ne porte pas sur des réalités présentes, mais sur des réalités à venir. Il n’est donc pas une passion. |
[10910] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1
s. c. 1 Sed contra, spes
contra timorem dividitur. Sed timor est passio. Ergo et spes. |
Cependant, [1] l’espoir s’oppose à la crainte. Or, la crainte est une passion. Donc, l’espoir aussi. |
[10911] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, spes ad appetitivam potentiam pertinet: quia habet bonum
pro objecto. Sed motus appetitivae partis dicitur passio animae: quia ad eum
sequitur delectatio et tristitia, quod proprium est passionum, ut dicitur in
2 Ethic. Ergo ut prius. |
[2] L’espoir relève de la puissance appétitive,
car il a le bien comme objet. Or, le mouvement de la partie appétitive
s’appelle une passion de l’âme, car il en découle une délectation et une
tristesse, ce qui est le propre des passions, comme il est dit dans Éthique, II. La conclusion est donc la
même que précédemment. |
[10912] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1
s. c. 3 Praeterea,
praesens et praeteritum non diversificant genus. Sed gaudium, quod est de
praesenti bono, est in genere passionis. Ergo et spes, quae est de bono
futuro. |
[3] Le présent et le passé ne diversifient pas un genre. Or, la joie, qui porte sur un bien présent, fait partie du genre de la passion. Donc, l’espoir aussi, qui porte sur un bien futur. |
[10913] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod, sicut prius, dist. 15, dictum est, quamvis omnis operatio
potentiarum animae, quae per sua objecta in actum reducuntur, sicut
intellectus possibilis, sensus, et appetitus, possint dici passiones, tamen
proprie loquendo passio est in operationibus appetitus sensitivae partis,
secundum quod Damascenus dicit in 2 libro, quod passio est motus appetitivae
virtutis sensibilis, qui est ex imaginatione boni vel mali. Spes autem dicit
extensionem appetitus in illud quod appetibile est. Invenitur autem non solum
in hominibus, sed etiam in aliis animalibus: quod patet, quia inveniuntur
animalia operari propter aliquod bonum futurum aestimatum possibile, sicut
aves faciunt nidum propter filiorum educationem: nec propter finem aliquid
facerent nisi in finem illum quasi eis possibilem tenderent: quia naturalis
appetitus non est impossibilium. Similiter etiam patet quod unum animal
aggreditur aliud non nisi ex spe victoriae. Patet ergo quod spes sit in
appetitu sensitivae partis, quae nobis et brutis communis est; et ita
sequitur quod sit passio. |
Réponse. Comme on l’a dit plus haut à la d. 15, bien que toutes les opérations des puissances de l’âme, qui sont amenées à l’acte par leurs objets, tels l’intellect possible, le sens et l’appétit, puissent être appelées des passions, cependant, à proprement parler, la passion se trouve dans les opérations de la partie sensible, selon ce que dit [Jean] Damascène dans le livre II, que « la passion est un mouvement de la puissance appétitive sensible, qui vient de la représentation du bien ou du mal ». Or, l’espoir désigne un élan de l’appétit vers ce qui est désirable. Mais il se rencontre non seulement chez les hommes, mais aussi chez les autres animaux : cela ressort du fait qu’on trouve que les animaux agissent en vue d’un certain bien futur estimé possible, comme les oiseaux font un nid pour l’éducation de leur progéniture; ils ne feraient rien en vue d’une fin s’ils ne tendaient vers cette fin comme possible pour eux, car l’appétit naturel ne porte pas sur des choses impossibles. De même aussi, il est clair qu’un animal n’en attaque pas un autre sans espoir d’une victoire. Il est donc clair que l’espoir se trouve dans l’appétit de la partie sensible. Il en découle donc qu’il est une passion. |
[10914] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod appetitivae partis duplex est motus: scilicet prosecutio et
fuga. Objectum autem spei, quod est bonum difficile et arduum, ratione suae
bonitatis natum est movere ad prosecutionem: sed ratione suae difficultatis
natum est movere ad fugam. Hic tamen motus retardatur per spem: et ideo spes
importat motum primum, in quo salvatur ratio passionis, tamen cum quiete
privante secundum motum, qui est fuga. |
1. Il existe un double mouvement de la partie appétitive : la poursuite et la fuite. Or, l’objet de l’espoir, qui est un bien difficile et ardu, est naturellement destiné à pousser à la poursuite en raison de sa bonté, mais, en raison de sa difficulté, il est destiné à pousser à la fuite. Cependant, ce mouvement est retenu par l’espoir. Ainsi, l’espoir comporte un premier mouvement, par lequel la raison de passion est sauve; il comporte cependant un repos qui le prive d’un second mouvement, qui est la fuite. |
[10915] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod dividitur spes contra memoriam non quantum ad essentiam suam,
sed quantum ad affectum, qui est communis memoriae et spei, scilicet
delectatio; unde non sequitur quod in genere conveniant. |
2. L’espoir se distingue de la mémoire non par son essence, mais par le mouvement affectif qui est commun à la mémoire et à l’espoir : le plaisir. Il n’en découle donc pas qu’il se rejoignent dans un genre. |
[10916] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod frequenter nomina imponuntur rebus occultis, ex suis signis,
sicut essentiales differentiae ex accidentibus nominantur. Signum autem
alicujus quiescentis cum extensione appetitus in aliquid desideratum solet
esse quod frequenter visum dirigit in illud, ut videat si ex aliqua parte ad
ipsum accedat; et ideo dispositio praedicta quietis cum motu dicitur
expectatio. |
3. Les noms sont fréquemmenet donnés à des réalités occultes à partir de signes, comme les différences essentielles sont nommées à partir des accidents. Or, le signe de quelqu’un qui se repose, en même temps que son appétit tend vers quelque chose de désiré, est habituellement qu’il dirige fréquemment le regard vers cela, pour voir si cela s’approche de lui de quelque manière. C’est pourquoi cette disposition du repos accompagné d’un mouvement est appelée une attente. |
[10917] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1
ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut animalia cognoscunt rationem
convenientis et nocivi non per inquisitionem rationis, ut homo, sed per
instinctum naturae, qui dicitur aestimatio; ita etiam cognoscunt aliquid quod
futurum est, sine hoc quod cognoscant rationem futuri, non conferendo
praesens ad futurum, sed ex instinctu naturali, secundum quod aguntur ad
aliquid agendum vel ex impulsu naturae interioris vel exterioris; sicut
quando agunt aliquid ad praecavendum de futuris quae dependent ex motu caeli,
quasi ex eo impulsa: unde ex eorum operibus homines possunt aliquid scire de
hujusmodi futuris, sicut nautae praesciunt tempestatem futuram ex motu
delphinorum ad superficiem aquae descendentium; et formicae veniente pluvia
reponunt granum in cavernis. |
4. De même que les animaux connaissent la raison de ce qui convient et de ce qui est nuisible, non par une recherche de la raison, comme l’homme, mais par un instinct de la nature, qu’on appelle l’estimation, de même connaissent-ils quelque chose qui est à venir sans connaître la raison de ce qui est à venir, sans mettre en rapport le présent et le futur, mais par un instinct naturel, par lequel ils sont mus à accomplir quelque chose, soit par l’impulsion de leur nature intérieure, soit [par l’impulsion de la nature] extérieure. Ainsi ils font quelque chose afin d’éviter des réalités à venir qui dépendent du mouvement du ciel, comme s’ils étaient poussés par cela. Aussi les hommes peuvent-ils apprendre par leurs actions les choses à venir de ce genre, comme les marins apprennent d’avance qu’une tempête s’en vient par le mouvement des dauphins qui nagent à la surface de l’eau, et [par] les fourmis qui déposent du grain dans des cavernes lorsque s’en vient la pluie. |
[10918] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod id quod est futurum secundum rem, potest esse praesens in
imaginatione. Et quia bonum est natum movere appetitum secundum quod est
imaginatum vel intellectum, ut dicitur in 3 de anima, ideo ex tali praesentia
potest sequi passio in appetitu. |
5. Ce qui est à venir dans la réalité peut être présent par l’imagination. Et parce que « le bien tend naturellement à mouvoir l’appétit selon qu’il est imaginé ou compris », ainsi qu’il est dit dans Sur l’âme, III, une passion peut donc découler dans l’appétit du fait d’une telle présence. |
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Articulus 2 [10919] Super Sent., lib. 3
d. 26 q. 1 a. 2 tit. Utrum spes sit in alia vi quam in concupiscibili |
Article 2 – L’espoir existe-t-il dans une autre puissance que le concupiscible ? |
[10920] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod spes non sit in alia vi quam in concupiscibili. Arduum
enim vel difficile non addit aliquam rationem appetibilis supra bonum: quia
difficile magis habet rationem fugibilis quam appetibilis. Arduum autem non
differt a bono non arduo nisi secundum magis et minus. Sed vis
concupiscibilis est boni quod desideratur. Cum ergo objectum spei sit bonum
arduum vel difficile, videtur quod spes sit in concupiscibili. |
1. Il semble que l’espoir n’existe dans aucune autre puissance que le concupiscible. En effet, ce qui est pénible ou difficile n’ajoute pas quelque raison de désirable au-delà du bien, car ce qui est difficile a davantage raison de ce qui doit être fui que de ce qui doit être désiré. Or, ce qui est pénible ne diffère d’un bien qui n’est pas pénible qu’en plus ou en moins. Or, la puissance concupiscible porte sur le bien qui est désiré. Puisque l’objet de l’espoir est un bien ardu ou difficile, il semble donc que l’espoir se trouve dans le concupiscible. |
[10921] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea, sicut
voluntas est boni appetibilis in parte intellectiva, ita concupiscibilis in
parte sensitiva. Sed in parte intellectiva omne quod ad appetitum pertinet,
est voluntas. Ergo et in parte sensitiva omne quod ad appetitum pertinet, est
vis concupiscibilis; et ita, cum spes ad appetitum pertineat, ut dictum est,
videtur quod sit in concupiscibili. |
2. De même que la volonté porte sur le bien désirable dans la partie intellective, de même le concupiscible [le fait-il] dans la partie sensible. Or, pour la partie intellective, tout ce qui se rapporte à l’appétit est la volonté. Pour la partie sensible aussi, tout ce qui se rapporte à l’appétit est donc la puissance concupiscible. Ainsi, puisque l’espoir se rapporte à l’appétit, comme on l’a dit, il semble donc qu’il se trouve dans le concupiscible. |
[10922] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2
arg. 3 Praeterea,
gaudium et delectatio in concupiscibili sunt. Sed spes facit gaudium; Rom.
12, 12: spe gaudentes; et delectationem, ut dicit philosophus in 7
Physic. Ergo spes est
in concupiscibili. |
3. La joie et le plaisir se trouvent dans le concupiscible. Or, c’est l’espoir qui donne la joie, Rm 12, 12 : [Nous] réjouissant dans l’espérance, ainsi que le plaisir, comme le dit le Philosophe dans Physique, VII. L’espoir se trouve donc dans le concupiscible. |
[10923] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2
arg. 4 Praeterea,
praesens et futurum non diversificant appetitivam potentiam, cum accidant
appetibili inquantum hujusmodi. Sed gaudium et spes non differunt nisi secundum id quod gaudium est de
bono praesenti, spes autem de bono futuro. Ergo cum gaudium sit in concupiscibili, et
spes in eodem erit. |
4. Le présent et le futur ne diversifient pas la puissance appétitive, puisqu’ils surviennent à l’appétit en tant que tels. Or, la joie et l’espoir ne diffèrent que selon que la joie porte sur un bien présent, mais l’espoir sur un bien futur. Puisque la joie se trouve dans le concupiscible, l’espoir aussi s’y trouvera donc. |
[10924] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, ejusdem est moveri ad terminum, et in termino quiescere.
Sed spes importat motum in aliquem terminum, in quem cum aliquis devenerit,
gaudet. Cum ergo gaudere sit concupiscibilis, et sperare erit concupiscibilis. |
5. Il revient à la même chose d’être mue vers un terme et de se reposer dans le terme. Or, l’espoir comporte un mouvement vers un terme; lorsque quelqu’un y parvient, il se réjouit. Puisque se réjouir relève du concupiscible, espérer aussi relèvera donc du concupiscible. |
[10925] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2
s. c. 1 Sed contra,
concupiscibilis, per se loquendo, non ordinatur ad arduum, sed magis irascibilis.
Cum ergo
objectum spei sit arduum, oportet quod spes non sit in concupiscibili, sed in
irascibili. |
Cependant, [1] à parler en soi, le concupiscible n’est pas ordonné à ce qui est pénible, mais c’est plutôt le fait de l’irascible. Puisque l’objet de l’espoir est quelque chose de pénible, il est donc nécessaire que l’espoir ne soit pas dans le concupiscible, mais dans l’irascible. |
[10926] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2
s. c. 2 Praeterea, idem
est subjectum contrariorum. Sed spei opponitur timor. Cum ergo timor sit in
irascibili, non in concupiscibili, sicut et audacia, quae iterum timori
opponitur; videtur quod spes etiam sit in irascibili. |
[2] Le sujet de contraires est une même chose. Or, la crainte s’oppose à l’espoir. Puisque la crainte se trouve dans l’irascible, et non dans le concupiscible, comme l’audace qui s’oppose à la crainte, il semble donc que l’espoir se trouve dans l’irascible. |
[10927] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2
s. c. 3 Praeterea, ira
sine spe esse non potest, ut dicit Avicenna in 6 de naturalibus; unde ex
offensa illa de cujus vindicta non est spes (sicut cum quis a rege
offenditur) non est ira, sed odium magis, vel timor. Ergo cum ira non sit in
concupiscibili, nec spes. |
[3] « La colère ne peut exister sans espoir », comme le dit Avicenne dans Les réalités naturelles, VI; aussi n’y a-t-il pas de colère à propos de l’offense dont on n’espère pas tirer vengeance (comme lorsque quelqu’un est offensé par le roi), mais plutôt de la haine ou de la crainte. Puisque la colère ne se trouve pas dans le concupiscible, l’espoir non plus. |
[10928] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod potentiae passivae variantur, secundum quod sunt natae moveri
a diversis activis, per se loquendo. Proprium autem motivum appetitivae
virtutis est bonum apprehensum; unde oportet quod secundum diversas virtutes
apprehendentes sint etiam diversi appetitus: scilicet appetitus rationis, qui
est de bono apprehenso secundum rationem vel intellectum, unde est de bono
apprehenso simpliciter et in universali: et appetitus sensitivus, qui est de
bono apprehenso secundum vires sensitivas, unde est de bono particulari, et
ut nunc. Sed quia potentia passiva non extendit se ad plura quam virtus sui
activi, secundum quod dicit Commentator in 9 Metaphysic., quod nulla potentia
passiva est in natura, cui non respondeat sua potentia activa naturalis; ideo
appetitus sensitivus ad illa tantum bona se extendit ad quae se extendit
apprehensio sensitiva. Quia autem, ut dicit Dionysius, 7 capit. de Divin.
Nomin., divina sapientia conjungit fines primorum principiis secundorum, quia
omnis natura inferior in sui supremo attingit ad infimum naturae superioris,
secundum quod participat aliquid de natura superioris, quamvis deficienter;
ideo tam in apprehensione quam in appetitu sensitivo invenitur aliquid in quo
sensitivum rationem attingit. Quod enim animal imaginetur formas apprehensas
per sensum, hoc est de natura sensitivae apprehensionis secundum se: sed quod
apprehendat illas intentiones quae non cadunt sub sensu, sicut amicitiam,
odium, et hujusmodi, hoc est sensitivae partis secundum quod attingit
rationem. Unde pars illa in hominibus, in quibus est perfectior propter
conjunctionem ad animam rationalem, dicitur ratio particularis, quia confert
de intentionibus particularibus; in aliis autem animalibus, quia non confert,
sed ex instinctu naturali habet hujusmodi intentiones apprehendere, non
dicitur ratio, sed aestimatio. Similiter etiam ex parte appetitus, quod
animal appetat ea quae sunt convenientia sensui, delectationem facientia,
secundum naturam sensitivam est, et pertinet ad vim concupiscibilem; sed quod
tendat in aliquod bonum quod non facit delectationem in sensu, sed magis
natum est facere tristitiam ratione suae difficultatis, sicut quod animal
appetat pugnam cum alio animali, vel aggredi aliam quamcumque difficultatem,
hoc est in appetitu sensitivo secundum quod natura sensitiva attingit
intellectivam; et hoc pertinet ad irascibilem. Et ideo sicut aestimatio est
alia vis quam imaginatio, ita irascibilis est alia vis quam concupiscibilis.
Objectum enim concupiscibilis est bonum quod natum est facere delectationem
in sensu: irascibilis autem bonum quod difficultatem habet. Et quia quod est
difficile, non est appetibile inquantum hujusmodi, sed vel in ordine ad aliud
delectabile, vel ratione bonitatis quae difficultati admiscetur; conferre
autem unum ad aliud, et discernere intentionem difficultatis et bonitatis in
uno et eodem, est rationis: ideo proprie istud bonum appetere est rationalis
appetitus: sed convenit sensitivae, secundum quod attingit per quamdam
imperfectam participationem ad rationalem, non quidem conferendo vel
discernendo, sed naturali instinctu movendo se in illud, sicut dictum est de
aestimatione. Et per hoc patet etiam quod irascibilis est altior quam
concupiscibilis, et propinquior rationi; et ideo incontinens propter
concupiscentiam, qui nulla lege utitur, magis est turpis quam iracundus, qui
utitur legibus, sed perversis, ut dicitur in 7 Ethic. Unde etiam vitia quae
sunt in concupiscibili, sunt majoris infamiae quam ea quae sunt in
irascibili. Ex his ergo jam planum est videre quae passio sit in irascibili,
et quae in concupiscibili. Omnis enim passio de cujus intellectu est
appetitus in bonum vel conveniens simpliciter, est in concupiscibili, sicut
amor et delectatio et hujusmodi, et eorum opposita. Omnis autem passio de
cujus intellectu est appetitus in bonum cum circumstantia difficultatis, est
in irascibili: et hujusmodi sunt omnia illa quae important bonum vel malum
cum determinatione alicujus quantitatis, sicut ira, quae non ex qualibet
laesione consurgit, sed ex ea quam potest aliquis vindicare, et tamen non
habet in promptu vindictam. Timor etiam non est de quolibet malo, sed de malo
cui non potest resisti, vel difficulter resistitur. Spes autem importat motum
appetitus in aliquod bonum commensuratum appetenti: non enim est de bono
tanto ad quod nullo modo possit perveniri, nec iterum de tam parvo quod pro
nihilo habeatur; sed de eo quod est possibile haberi, et tamen est difficile
ad habendum, propter quod dicitur arduum. Unde patet quod spes, secundum quod
est passio, est in irascibili. |
Réponse. À parler en soi, les puissances passives varient selon qu’elles sont destinées à être mues par diverses réalités actives. Or, l’objet propre qui meut la puissance appétitive est le bien perçu. Il faut donc que, selon les diverses puissances qui perçoivent, existent des appétits différents : l’appétit de la raison, qui porte sur le bien appréhendé par la raison et l’intellect – aussi porte-t-il sur le bien appréhendé simplement et de manière universelle; et l’appétit sensible, qui porte sur le bien appréhendé par les puissances sensibles – aussi porte-il sur un bien particulier et actuel. Or, parce qu’une puissance passive ne s’étend pas à plus de choses que ce qui meut la puissance, selon ce que dit le Commentateur dans Métaphysique, IX, qu’il n’existe dans la nature aucune puissance passive à laquelle ne corresponde sa puissance active naturelle, l’appétit sensible s’étend donc seulement aux biens auxquels s’étend la perception sensible. Puisque, comme Denys le dit dans Les noms divins, VII, la sagesse divine a uni les fins des premières choses aux principes des choses secondes – car toute nature inférieure atteint par ce qu’il y a de supérieur en elle ce qui est inférieur dans la nature supérieure, bien que de manière déficiente ‑, il se trouve donc, tant dans la perception que dans l’appétit sensible, quelque chose par quoi ce qui est sensible atteint la raison. En effet, le fait que l’animal imagine des formes appréhendées par le sens vient de la nature de la perception sensible en elle-même; mais qu’il appréhende les intentions qui ne tombent pas sous le sens, comme l’amitié, la haine et les choses de ce genre, cela vient de la partie sensible selon qu’elle est en contact avec la raison. Chez les hommes, cette partie, qui est plus parfaite en raison de l’union à l’âme raisonnable, est appelée raison particulière, parce qu’elle traite des intentions particulières; mais, chez les autres animaux, parce qu’elle ne les traite pas, mais est en mesure d’appréhender les intentions de ce genre par un instinct naturel, elle n’est pas appelée raison, mais estimative. Il en va aussi de même du côté de l’appétit : c’est par sa nature sensible que l’animal désire ce qui convient au sens et produit du plaisir, et cela relève de la puissance concupiscible; mais qu’il tende à un bien qui ne produit pas de plaisir dans le sens, mais qui, par sa nature, produit plutôt de la tristesse en raison de sa difficulté, comme le fait pour un animal de désirer se battre avec un autre animal ou de s’attaquer à n’importe quelle autre difficulté, cela revient à l’appétit sensible selon que la nature sensible est en contact avec la [nature] intellective, et cela relève de l’irascible. Puisque l’estimative est une autre puissance que l’imagination, de même donc l’irascible est-il une autre puissance que le concupiscible. En effet, l’objet du concupiscible est le bien qui, par sa nature, produit une délectation dans le sens, mais celui qui l’irascible est le bien qui comporte une difficulté. Et parce que ce qui est difficile n’est pas désirable en tant que tel, mais par rapport à quelque chose d’autre qui est désirable ou en raison d’une bonté qui est mêlée à la difficulté, rapprocher une chose de l’autre et discerner l’intention de la difficulté et de la bonté dans une seule et même chose relève de la raison. C’est pourquoi désirer ce bien relève à proprement parler de l’appétit de la raison. Mais cela convient à la partie sensible selon qu’elle parvient à une certaine participation à la partie raisonnable, non pas en comparant ou en discernant, mais en s’y portant par un instinct naturel, comme on l’a dit de l’estimative. De cela ressort que l’irascible est plus élevé que le concupiscible et plus proche de la raison. C’est pourquoi l’incontinent par concupiscence, qui ne recourt à aucune loi, est plus repoussant que le coléreux, qui recourt à des lois, mais qui sont perverses, comme il est dit dans Éthique, VII. Aussi les vices qui se trouvent dans le concupiscible sont-ils plus honteux que ceux qui se trouvent dans l’irascible. Par cela, on peut donc clairement voir quelle passion se trouve dans l’irascible, et laquelle se trouve dans l’irascible. En effet, toute passion où l’on saisit l’appétit d’un bien ou de ce qui convient simplement se trouve dans le concupiscible, tels l’amour, le plaisir, et celles de ce genre, et leurs contraires. Mais toute passion dont on comprend qu’elle est l’appétit d’un bien associé à une difficulté se trouve dans l’irascible : telles sont celles qui comportent un bien ou un mal déterminé par une certaine quantité, comme la colère, qui n’est pas issue de n’importe quelle blessure, mais de celle que quelqu’un peut venger, alors qu’il ne peut la venger facilement. De même, la crainte ne vient pas de n’importe quel mal, mais d’un mal auquel on ne peut résister ou auquel on résiste difficilement. Mais l’espoir comporte un mouvement de l’appétit vers un bien proportionné à celui qui le désire. En effet, elle ne porte pas seulement sur un bien auquel on ne peut parvenir d’aucune manière, ni sur un bien si petit qu’il ne peut être tenu pour rien, mais sur celui qu’il est possible de posséder, mais qu’il est difficile de posséder, ce pour quoi on le dit ardu. Il est donc clair que l’espoir, selon qu’il est une passion, se trouve dans l’irascible. |
[10929] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod difficile vel arduum addit quamdam specialem rationem
bonitatis, scilicet pretiositatem quamdam, ex hoc ipso quod non de facili
habetur, sicut dicitur omne rarum, carum. |
1. La difficulté ou le caractère ardu ajoute une raison particulière de bonté : un certain caractère précieux, par le fait même qu’on ne l’atteint pas facilement, comme tout ce qu’on appelle rare et cher. |
[10930] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod natura rationalis ex seipsa conferre habet et discernere; unde
bonum quod est ex seipso appetibile, vel quod indiget collatione et
discretione ad hoc quod appetatur, secundum naturam rationalis apprehensionis
appetitum rationalem movet; et ideo ex hoc non diversificatur appetitus
rationalis, sed dicitur voluntas universaliter. Non sic autem est de appetitu
sensitivo, ut patet ex dictis. |
2. La nature raisonnable peut par elle-même mettre rapprocher et discerner; aussi le bien qui est désirable par lui-même ou qui a besoin d’être comparé et jugé pour être désiré meut-il l’appétit raisonnable selon la nature de la perception raisonnable. C’est pourquoi l’appétit raisonnable n’est pas par là diversifié, mais il est appelé volonté d’une manière universelle. Mais il n’en va pas de même pour l’appétit sensible, comme cela ressort de ce qui a été dit. |
[10931] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod in quantum spes est de difficili et arduo non delectat, sed
magis affligit, cum ex hoc ipso sit distans; sed inquantum est de bono
possibili acquiri, sic facit delectationem: quia sicut quod est in potentia,
jam habet inchoationem sui esse; ita quod apprehenditur ut possibile adipisci,
apprehenditur ut jam quodammodo praesens: et ideo spes delectationem facit;
et haec delectatio non est in concupiscibili, sed in irascibili. Quaelibet
enim potentia appetit sibi conveniens, et de eo delectatur, ut infra,
dicetur. Bonum autem arduum ex hoc ipso quod est possibile adipisci est
conveniens irascibili; unde in ipsum tendit. |
3. Pour autant que l’espoir porte sur ce qui est difficile et ardu, il ne donne pas de plaisir, mais plutôt de l’affliction, puisque, par là même, il est éloigné. Mais pour autant qu’il porte sur un bien qu’il est possible d’acquérir, il provoque ainsi le plaisir, car de même que ce qui est en puissance possède déjà une amorce de son être, de même ce qui est appréhendé comme possible à acquérir est-il appréhendé comme étant présent d’une certaine manière. Aussi l’espoir provoque-t-il un plaisir, et ce plaisir ne se trouve pas dans le concupiscible, mais dans l’irascible. En effet, toute puissance désire ce qui lui convient et s’en délecte, comme on le dira plus loin. Or, le bien ardu, du fait même qu’il est possible de l’acquérir, convient à l’irascible. Aussi celui-ci tend-il vers lui. |
[10932] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod objectum irascibilis est bonum difficile: quod autem habetur, jam
non est difficile, sed tantum dum non habetur; et ideo non omnes passiones
irascibilis sunt futuri, sicut timor et spes. |
4. L’objet de l’irascible est le bien difficile. Or, ce qui est déjà possédé n’est plus difficile, mais seulement lorsqu’il n’est pas possédé. Aussi toutes les passions de l’irascible ne portent-elles pas sur le futur, comme la crainte et l’espoir. |
[10933] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod objectum irascibilis est bonum difficile, quod quandoque habet
bonitatem ex ordine ad aliud. Unde in actu vel motu irascibilis est duplex
terminus. Primus est proximus, secundum quod terminatur in objectum proprium,
ut quando consequitur victoriam. Et quia proprium objectum irascibilis habet
difficultatem, ideo non est delectabile alicui simpliciter, sed est
delectabile ei secundum hanc vim, cujus actus est perfectus per hoc quod
pertingit ad objectum proprium, quod jam consecutum est; sicut quando aliquis
delectatur de hoc quod vincit, quamvis simpliciter sensibilem dolorem de
vulneribus sustineat, et de fatigatione tristitiam habeat; et ideo haec
delectatio non est concupiscibilis, sed est proprie irascibilis, sicut
delectatio quae est propria in actu videndi est propria ipsius visus.
Secundus terminus est ultimus finis, in quem objectum proprium ordinatum est.
Hoc autem est aliquid quod secundum seipsum est conveniens et delectabile,
sicut quod animal postquam vincit aliud animal, utitur ad libitum propria
voluntate; et haec delectatio pertinet ad concupiscibilem. Irascibilis enim
ad conservationem concupiscibilis ordinatur, ut scilicet propter
difficultatem intervenientem delectatio conveniens non praetermittatur. Et
ideo dicit Damascenus, quod ira est audax concupiscentiae vindex; et propter
hoc etiam dicit philosophus in 6 de animalibus, quod animalia pugnant ad
invicem propter cibum et propter coitum: quia circa has delectationes
praecipue est concupiscibilis. |
5. L’objet de l’irascible est le bien difficile, qui parfois tient sa bonté de son ordre à quelque chose d’autre. Ainsi y a-t-il deux termes dans l’acte ou le mouvement de l’irascible. Le premier est prochain, selon qu’il se termine à son objet propre, comme lorsqu’il remporte la victoire. Et parce que l’objet propre de l’irascible comporte une difficulté, il n’est donc pas délectable en lui-même pour quelqu’un, mais il est délectable pour lui selon la puissance dont l’acte est parfait par le fait qu’il atteint son objet propre, qui est déjà obtenu, comme lorsque quelqu’un tire plaisir du fait de vaincre, bien qu’il supporte simplement une douleur sensible en raison de ses blessures et soit triste en raison de la fatigue. C’est pourquoi un tel plaisir ne relève pas du concupiscible, mais relève à proprement parler de l’irascible, comme le plaisir qui est propre à l’acte de voir est propre à la vue elle-même. Le second terme est la fin ultime, à laquelle l’objet propre est ordonné. Or, c’est là quelque chose qui convient et donne plaisir par soi, comme le fait pour un animal, après qu’il l’a emporté sur un autre animal, de faire usage de sa propre volonté quand il le veut. Une telle délectation relève du concupiscible. En effet, l’irascible est ordonné à la conservation du concupiscible, à savoir qu’en raison d’une difficulté qui survient, on ne laisse pas échapper une délectation appropriée. C’est pourquoi [Jean] Damascène dit que « la colère est l’audacieuse vengeresse de la concupiscence »; pour cette raison aussi, le Philosophe dit, dans Sur les animaux, VI, que « les animaux se battent pour la nourriture et le rapport sexuel, car le concupiscible porte principalement sur ces délectations ». |
Articulus 3 [10934] Super Sent., lib. 3
d. 26 q. 1 a. 3 tit. Utrum spes differat ab aliis passionibus, scilicet
timore et cetera |
Article 3 – L’espoir est-il différent des autres passions, comme la crainte, etc. ? |
[10935] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod spes non differat ab aliis passionibus. Spes enim
importat expectationem. Sed omnis motus appetitus videtur esse expectatio,
quae nihil aliud dicit quam protensionem in aliquod bonum. Ergo spes non
distinguitur ab aliis passionibus quae ad appetitum pertinent. |
1. Il semble que l’espoir ne diffère par des autres passions. En effet, l’espoir comporte une attente. Or, tout mouvement de l’appétit semble être une attente, qui n’exprime rien d’autre que le fait de se projeter vers un bien. L’espoir ne se distingue donc pas des autres passions qui relèvent de l’appétit. |
[10936] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3
arg. 2 Praeterea, expectatum
bonum est objectum spei, quae est expectatio. Sed expectatum bonum
concupiscentiam constituit, ut dicit Damascenus 2 Lib. Ergo concupiscentia est idem quod spes. |
2. Le bien attendu est l’objet de l’espérance, qui est une attente. Or, « le bien attendu constitue la concupiscence », comme le dit [Jean] Damascène dans le livre II. La concupiscence est donc la même chose que l’espoir. |
[10937] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, idem motus est a termino et in terminum. Sed timor dicit
motum appetitus a malo, spes autem dicit motum ejusdem in bonum. Ergo idem
est timor et spes. |
3. Le même mouvement vient d’un terme et va vers un terme. Or, la crainte exprime le mouvement de l’appétit qui s’éloigne d’un mal, mais l’espoir exprime le mouvement du même appétit vers un bien. La crainte est donc la même chose que l’espoir. |
[10938] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3
arg. 4 Praeterea, sicut
se habet album et nigrum ad visum; ita se habet bonum et malum ad appetitum. Sed album et nigrum non diversificant neque
potentiam visivam neque passiones ejus. Ergo nec bonum et malum diversificant
passiones appetitus; et ita timor et spes non sunt diversae passiones,
quamvis sint de bono et malo. |
4. Le rapport entre le blanc et le noir et la vue est le même que celui du bien et du mal avec l’appétit. Or, le blanc et le noir ne diversifient ni la puissance visuelle ni ses passions. Le bien et le mal non plus ne diversifient donc pas les passions de l’appétit. Et ainsi, la crainte et l’espoir ne sont pas des passions différentes, bien qu’ils portent sur le bien et le mal. |
[10939] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, spes, ut dictum est, art. praec. in corp., dicit
protensionem appetitus in aliquod arduum. Sed hoc idem invenitur in audacia,
confidentia, sive fiducia, et ira. Ergo omnia ista sunt idem quod spes. |
5. Comme on l’a dit dans le corps de l’article précédent, l’espoir exprime le fait pour l’appétit de se projeter vers quelque chose d’ardu. Or, la même chose se trouve dans l’audace, dans la confiance ou l’assurance, et dans la colère. Toutes ces choses sont donc identiques à l’espoir. |
[10940] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3
s. c. 1 Sed contra,
quorum definitiones sunt diversae, et ipsa differunt. Sed definitio spei non
convenit aliis passionibus. Ergo et spes
ab aliis passionibus distinguitur. |
Cependant, [1] les choses dont les définitions sont différentes sont différentes. Or, la définition de l’espoir ne convient pas aux autres passions. L’espoir se distingue donc aussi des autres passions. |
[10941] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3
s. c. 2 Praeterea,
quaecumque sunt idem, unum non potest esse sine altero. Sed spes potest esse
sine aliis. Ergo spes ab aliis differt. |
[2] L’une ne peut exister sans l’autre parmi toutes les choses qui sont identiques. Or, l’espoir peut exister sans les autres [passions]. L’espoir diffère donc des autres. |
[10942] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3
s. c. 3 Praeterea,
motus differunt penes terminos. Sed non est idem terminus seu objectum spei,
et aliarum passionum: quia speratum bonum est objectum spei; non autem, per
se loquendo, aliarum passionum. Ergo spes differt ab aliis passionibus. |
[3] Les mouvements se différencient par leurs termes. Or, le terme ou l’objet de l’espérance n’est pas le même que celui des autres passions, car le bien espéré est l’objet de l’espoir, mais non celui des autres passions à proprement parler. L’espoir diffère donc des autres passions. |
[10943] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod passiones animae, de quibus loquimur, primo distinguuntur ex
hoc quod quaedam important bonum et malum absolute; et hae pertinent ad concupiscibilem:
quaedam vero important aliquam mensuram boni vel mali, ut ex praedictis patet;
et hae pertinent ad irascibilem. Passionum ergo in concupiscibili existentium
quaedam important habitudinem concupiscibilis ad suum objectum; quaedam vero
motum ipsius respectu objecti; quaedam vero impressionem relictam in ipsa ex
praesentia objecti. Cum autem objectum appetitus sit bonum vel malum, quodlibet istorum
per haec duo dividitur. Amor enim importat habitudinem concupiscibilis ad
bonum; odium vero ad malum: quia amor amatum ponit connaturale, et quasi unum
amanti; cujus contrarium facit odium. Et quia haec habitudo perficitur ex praesentia objecti, ideo amor
secundum perfectam sui rationem est habiti, ut dicit Augustinus. Motus autem
concupiscibilis in bonum, dicitur desiderium: in malum autem est innominatus,
sed dicatur fuga. Impressio vero relicta in concupiscibili ex praesentia boni, dicitur
delectatio vel gaudium; sed praesentia mali dicitur tristitia vel dolor. Qualiter autem tristitia
et dolor differant, supra, distinct. 15, dictum est. Eodem etiam modo
differunt delectatio sensibilis et gaudium. Laetitia autem dicit effectum
gaudii in dilatatione cordis; unde dicitur laetitia quasi latitia: exultatio
autem effectum ipsius in signis exterioribus, inquantum gaudium interius ad
exteriora prorumpens, quodammodo exilit. Quia autem irascibilis propter concupiscibilem est animalibus data, ut
non deficiat in suo actu; ideo passiones irascibilis ex passionibus
concupiscibilis originem habent. Adjuvat autem concupiscibilem irascibilis et
in bono et malo. In bono quidem, ut delectabile concupiscibili conveniens non
obstante difficultate prosequatur: in malo autem, ut nocivum difficile
repellat. Passio ergo irascibilis vel oritur ex passione concupiscibilis,
quam facit apprehensio appetibilis, vel quam facit praesentia ipsius. Si
primo modo, vel respectu boni, et hoc vel possibilis consequi, in quod
tendendum est, et sic est spes; vel non possibilis, quod dimittendum est, et
sic est desperatio: aut respectu mali, et hoc vel possibilis repelli, cui
resistendum est, et sic est audacia; vel non possibilis repelli, quod
fugiendum est, et sic est timor. Si autem ex praescientia appetibilis, hoc
non potest esse respectu boni: quia ex quo concupiscibilis suo delectabili
fruitur, non indiget irascibili, quia non habet difficultatem in illo; sed
est respectu mali quod repellendum est et difficultatem habens; et sic
causatur ira, si est possibile repelli: alias passio in concupiscibili
sistit. Et ideo ira non habet passionem contrariam, neque secundum
contrarietatem boni vel mali, sicut gaudium et tristitia, quae contrarietas
est propria passionum concupiscibilis, neque secundum contrarietatem
possibilis et non possibilis, sicut spes et desperatio, quae contrarietas est
propria passionum irascibilis. Sciendum tamen, quod ira causatur non solum ex
re inconvenienti praesente, sicut cum quis irascitur de vulneratione, sed
etiam ex inconvenienti aliquando praesente, sicut cum quis irascitur ex
injuriis illatis; et etiam ex apprehensione habiti inconvenientis; et ideo
ira causatur ex dolore quantum ad primum, et ex tristitia, ut dicit
Damascenus, quantum ad secundum. Sic ergo passiones animae per essentiales
differentias dividuntur. Inveniuntur etiam diversificari nomina passionum per
differentias accidentales: quae quidem accidunt vel ipsi passioni, ut
intentio ejus; vel ex objecto. Si primo modo, sic concupiscentia dicit
intensionem desiderii: zelus intensionem amoris, non patiens consortium in
amato: abominatio intensionem odii: exultatio intensionem gaudii, ut in signo
exteriori prorumpat generaliter; et similiter hilaritas quantum ad signum
quod ostenditur in facie; et jucunditas quantum ad signa quae ostenduntur
etiam in actibus; accidia autem intensionem tristitiae, intantum ut
immobilitet hominem, actionem retardans; unde dicitur a Damasceno, quod est
tristitia aggravans, idest immobilitans, vel achos, inquantum prohibet
locutionem: quia, ut dicit Damascenus, est vocem auferens: praesumptio autem
intensionem spei: audacia autem excessum confidentiae in aggrediendo
terribilia; furor autem intensionem irae. Cum autem objectum proprium et per
se istarum passionum sit bonum vel malum apparens: ea quae accidentaliter se
habent ad haec faciunt accidentalem differentiam in passionibus ex parte
objecti: sicut tristitia quae est de malo quod est apparens malum tristanti;
hoc autem accidit esse bonum vel malum alteri. Si ergo tristitia sit de malo
quod est malum alteri, et per hoc apprehenditur malum ipsi tristanti, sic est
misericordia. Si autem sit bonum alteri, et per hoc apprehenditur ut malum
proprium, sic est invidia, quae est tristitia de prosperitate bonorum, vel
Nemesis, quae est tristitia de prosperitate malorum, ut dicitur 2 Ethic.
Similiter etiam timor distinguitur: quia malo difficili superanti facultatem
timentis accidit aliquid dupliciter: vel ex parte ipsius mali, vel ex parte
timentis. Primo modo accidit sibi turpitudo; et hoc vel in se, et sic est
verecundia quae est de turpi actu; vel in opinione, et sic est erubescentia,
quae est timor de convicio, ut dicit Damascenus: vel verecundia de
turpitudine culpae, erubescentia de turpitudine poenae. Ex parte autem
timentis sumuntur accidentales differentiae timoris hoc modo: quia terribile
vel excedit facultatem timentis in agendo, et sic est segnities, vel ignavia,
quae est timor futurae operationis, ut dicit Damascenus; vel in cognoscendo,
et hoc tripliciter: vel propter cognoscibilis altitudinem, et sic est
admiratio quae est timor ex magna imaginatione; vel propter ejus
inconsuetudinem, et sic est stupor, qui est timor ex inassueta imaginatione;
vel propter incertitudinem, et sic est agonia, quae est timor infortunii; et
hoc idem dicitur trepidatio vel dubitatio. Sic ergo patet quomodo spes ab
aliis passionibus differat, et quomodo etiam omnes aliae passiones ab invicem
distinguantur. |
Réponse. Les passions de l’âme dont nous parlons se distinguent premièrement par le fait que certaines comportent le bien et le mal de manière absolue : celles-ci relèvent du concupiscible; mais certaines comportent une certaine mesure de bien ou de mal, comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut : celles-ci relèvent de l’irascible. Parmi les passions qui se trouvent dans le concupiscible, certaines comportent donc un rapport entre le concupiscible et son objet; mais certaines, un mouvement de celui-ci vers son objet, et certaines, l’empreinte laissée en lui par la présence de l’objet. Or, puisque l’objet de l’appétit est le bien ou le mal, chacun d’eux se distingue par ces deux choses. En effet, l’amour comporte un rapport entre le concupiscible et le bien; mais la haine, avec le mal, car l’amour rend ce qui est aimé connaturel et comme un avec celui qui aime; la haine produit le contraire. Et parce que ce rapport se réalise par la présence de l’objet, « l’amour, selon sa parfaite raison, a donc pour objet ce qui est possédé », comme le dit Augustin. Mais le mouvement du concupiscible vers le bien est appelé le désir; vers le mal, il ne porte pas de nom, mais appelons-le la fuite. L’empreinte laissée dans le concupiscible par la présence du bien est appelée délectation ou joie; mais, par la présence du mal, elle est appelée tristesse ou douleur. Comment la tristesse et la douleur diffèrent, on l’a dit plus haut, d. 15. De la même manière aussi diffèrent la délectation sensible et la joie. L’allégresse exprime l’effet de la joie par la dilatation du cœur; on parle donc de l’allégresse (laetitia) comme d’une largeur (latitia). L’exultation (exultatio) est son effet dans des signes extérieurs, pour autant que la joie, jaillissant de l’intérieur vers l’extérieur, s’élance vers le dehors (exilit). Mais parce que l’irascible a été donné aux animaux en fonction du concupiscible, afin que celui-ci ne fasse pas défaut dans son acte, les passions de l’irascible tirent leur origine des passions du concupiscible. Or, l’irascible vient en aide au concupisicible pour le bien et pour le mal. Pour le bien, afin que ce qui est délectable et convient au concupiscible soit poursuivi malgré la difficulté; pour le mal, afin qu’il repousse ce qui est nuisible et difficile. Une passion de l’irascible vient donc d’une passion du concupiscible, que suscite la perception de ce qui est désirable, ou que suscite sa présence. Si c’est de la première manière, [elle porte] sur le bien : celui-ci peut être poursuivi et il faut tendre vers lui, et l’on a alors l’espoir; ou il n’est pas possible et doit être écarté, et l’on a alors le désespoir. Ou bien elle porte sur le mal, qu’il lui est possible de repousser et auquel il faut résister, et l’on a alors l’audace; ou il ne lui est pas possible de le repousseer et il doit être fui, et l’on a alors la crainte. Mais si cela vient d’une prescience de ce qui est désirable, cela ne peut porter sur un bien, car du fait que le concupiscible jouit de ce qui lui est délectable, il n’a pas besoin de l’irascible, puisqu’il n’y rencontre pas de difficulté; on a ainsi la colère, s’il est possible de le repousser; autrement, la passion s’arrête au concupiscible. C’est pourquoi la colère n’a pas de passion contraire, ni selon le caractère contraire du bien ou du mal, comme la joie et la tristesse ‑ un tel caractère contraire est propre aux passions du concupiscible ‑, ni selon le caractère contraire de ce qui est possible et non possible, comme l’espoir et le désespoir – un tel caractère contraire est propre aux passions de l’irascible. Il faut cependant savoir que la colère est causée non seulement par une chose présente qui ne convient pas, comme lorsque quelqu’un se met en colère pour une blessure, mais aussi par une chose qui ne convient pas et est parfois présente, comme lorsque quelqu’un se met en colère en raison de blessures infligées, et aussi en raison de la perception de ce qu’on a et qui ne convient pas. C’est pourquoi la colère est causée par la douleur dans le premier cas, et par la tristesse dans le second, ainsi que le dit [Jean] Damascène. Les passions de l’âme se divisent donc selon leurs différences essentielles. On trouve aussi que les noms des passions se diversifient selon leurs différences essentielles, qui surviennent soit à la passion elle-même, telle son intensité, soit en raison de son objet. S’il s’agit de la première manière, la concupiscence indique ainsi l’intensité du désir; l’ardeur, l’intensité de l’amour, qui ne souffre pas le partage de l’aimé; l’abomination, l’intensité de la haine; l’exultation, l’intensité de la joie, de sorte qu’elle jaillit comme un signe extérieur d’une manière générale; de même, l’hilarité, du point de vue du signe qui se manifeste sur le visage, et la gaieté, du point de vue des signes qui se manifestent aussi dans les actes. Mais le dégoût (accidia/acedia) [manifeste] l’intensité de la tristesse, au point où elle immobilise un homme en retardant son action; aussi est-elle appelée par [Jean] Damascène une tristesse écrasante, c’est-à-dire immobilisante ou achos, dans la mesure où elle empêche de parler, car, ainsi que le dit [Jean] Damascène, « elle enlève la voix »; mais la présomption [indique] l’intensité de l’espoir, alors que l’audace [indique] l’excès de confiance dans l’attaque de réalités épouvantables; la fureur, l’intensité de la colère. Mais lorsque l’objet propre et par soi de ces passions est un bien ou un mal apparent, ce qui se rapporte à ceux-ci donnent aux passions une différence accidentelle du point de vue de l’objet, comme la tristesse qui porte sur un mal qui est un mal apparent pour celui qui s’attriste : il arrive que cela soit un bien ou un mal pour quelqu’un d’autre. Si donc la tristesse porte sur un mal qui est un mal pour un autre et que cela est perçu comme un mal pour celui qui s’attriste, on a alors la miséricorde. Mais s’il s’agit d’un bien pour un autre et que cela est perçu comme son propre mal, on a alors l’envie, qui est une tristesse devant la prospérité des bons, ou la nemesis, qui est une tristesse devant la prospérité des méchants, comme le dit Éthique, II. De même aussi y a-t-il une distinction à l’intérieur de la crainte, car quelque chose est associé de deux manières à un mal difficile qui dépasse la capacité de celui qui craint : soit du point de vue du mal lui-même, soit du point de vue de celui qui craint. Dans le premier cas, l’infamie lui est associée en soi, et l’on a ainsi la honte qui porte sur un acte infâme; ou par l’opinion, et l’on a ainsi « la gêne, qui est la crainte de la raillerie », comme le dit [Jean] Damascène; ou l’embarras à propos du caractère infâme de la faute et la honte à propos du caractère infâme de la peine. Du point de vue de celui qui craint, les différences accidentelles de la crainte sont envisagées de cette manière : soit ce qui est terrible dépasse la capacité d’agir de celui qui craint, et on a la lâcheté ou la faiblesse, qui est une crainte de l’action à venir, comme le dit [Jean] Damascène; soit [sa capacité] de connaître, et cela de trois manières. Soit en raison de l’élévation de ce qui peut être connu : on a ainsi l’étonnement, qui est une crainte venant d’une grande imagination; soit en raison de son caractère inusité : on a ainsi la stupéfaction, qui est la crainte venant d’une représentation imaginative inhabituelle; soit en raison de l’incertitude : on a ainsi l’angoisse, qui est la crainte d’un malheur. On appelle la même chose épouvante ou doute. La manière dont l’espoir diffère des autres passions et aussi la manière dont toutes les autres passions se distinguent les unes des autres sont ainsi claires. |
[10944] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod, sicut supra dictum est, art. 1 hujus quaest. ad 1 et 3,
expectare importat protensionem appetitus in aliquid cum quiete privante
fugam vel recessum. Haec autem
quies contingit ex difficultate ejus in quod motus appetitus tendit, sed non
in promptu est ut habeatur: quod enim in promptu est, sine mora acquiritur.
Et quia bonum cum difficultate, proprie est objectum irascibilis, ideo
expectare proprie ad irascibilem pertinet tendentem in aliquod bonum. Habet
autem se ad spem sicut commune ad proprium, inquantum spes addit certitudinem
circa expectationem. |
1. Comme on l’a dit plus haut, à l’a. 1 de cette question, ad 1 et ad 3, attendre comporte le fait pour l’appétit de se projeter vers quelque chose, accompagné d’une pause qui empêche la fuite ou le retrait. Cette pause vient de la difficulté de ce vers quoi tend le mouvement de l’appétit, mais qui n’est pas à portée d’être obtenu; ce qui est à la portée est obtenu sans délai. Et parce que le bien difficile est à proprement parler l’objet de l’irascible, attendre relève donc à proprement parler de l’irascible qui tend vers un bien. Il se rapporte à l’espérance comme ce qui est général à ce qui est propre, pour autant que l’espérance ajoute la certitude à l’attente. |
[10945] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod Damascenus loquitur large: accipit enim expectatum bonum pro
bono quod nondum habetur, quod quidem commune est concupiscentiae et spei. |
2. [Jean] Damascène parle au sens large : en effet, il considère le bien attendu comme un bien qui n’est pas encore possédé, ce qui est effectivement commun à la concupiscence et à l’espérance. |
[10946] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod motus a termino et in terminum quandoque sunt contrarii,
quandoque idem, quandoque disparati. Si enim termini a quo et ad quem sunt
contrarii, sic motus est contrarius, sicut a nigredine in albedinem. Si autem
sit idem terminus a quo et in quem, sic motus sunt idem, sicut motus ab albedine
et in albedinem. Si autem sint diversi, non contrarii, sic motus sunt diversi
disparati, sicut motus ab albedine et ad calorem. His modis ultimis spes et
timor se habent: quia contrarietas quae attenditur in irascibili, est
secundum facile et difficile, sive possibile et impossibile; non autem circa
bonum et malum, quia circa hoc est concupiscibilis. Unde si consideretur
propria ratio obiecti irascibilis, sic timor contrariatur spei: quia timor
est a difficili, ad quod est spes. Si autem consideretur ratio difficilis,
sic sunt disparata: quia timor a difficili est in genere malorum; spes autem
a difficili in genere bonorum. |
3. Les mouvements depuis un terme et vers un terme sont parfois contraires, parfois identiques et parfois disparates. En effet, si les termes a quo et ad quem sont contraires, le mouvement est ainsi contraire, comme le passage de la noirceur à la blancheur. Mais si les terme a quo et in quem sont identiques, les mouvements sont alors identiques, comme le mouvement de la blancheur à la blancheur. Mais si [les termes] sont divers mais non pas contraires, alors les mouvements sont divers et disparates, comme le mouvement depuis la blancheur et vers la chaleur. L’espoir et la crainte se comportent de ces dernières façons, car la contrariété qui est prise en compte dans l’irascible est celle qui existe entre le facile et le difficile, ou entre le possible et l’impossible, mais non entre le bien et le mal, car c’est le concupiscible qui porte sur cela. Si donc on envisage la raison propre de l’irascible, la crainte est ainsi contraire à l’espoir, car la crainte porte sur ce qui vient de quelque chose de difficile, alors que l’espoir se dirige vers lui. Mais si on envisage la raison de ce qui est difficile, alors ils sont disparates, car la crainte qui vient de ce qui est difficile fait partie du genre des maux, mais l’espoir qui vient de ce qui est difficile fait partie du genre des biens. |
[10947] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod passiones cognitivarum virtutum sunt a rebus secundum esse
spirituale. Et quia
secundum hoc esse non habent contraria contrarietatem, ideo non causantur
contrariae passiones ex contrariis in potentiis cognitivis. Sed passiones
appetitivae sunt ex rebus secundum suum esse naturale: quia appetitus est de
bono et malo, quae sunt in rebus, ut dicit philosophus in 6 Metaph.; et ideo
cum secundum esse naturale contrarietatem habeant, contrarias passiones
causant. |
4. Les passions des puissances cognitives viennent des choses selon un être spirituel. Parce que, selon cet être, les contraires n’ont pas de caractère contraire, les passions contraires ne sont donc pas causées par des contraires dans les puissances cognitives. Mais les passions de l’appétit viennent des choses selon leur être naturel, car l’appétit porte sur le bien et le mal, qui existent dans les choses, comme le dit le Philosophe dans Métaphysique, VI. C’est pourquoi elles causent des passions contraires parce qu’elles ont un caractère contraire selon leur être naturel. |
[10948] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod cum arduum sive difficile sit proprium objectum irascibilis,
differentiae facientes oppositiones in passionibus irascibilis sunt difficile
facultatem superans, vel non superans; et utrumque est vel bonum vel malum.
Fiducia ergo, seu confidentia, importat motum irascibilis, in id quod
aestimatur ut facultatem non excedens, quod quidem specialiter circa bona
importat spes, circa mala autem audacia, nisi quod audacia excessum importat
quandoque, unde in malum quandoque accipitur. Motus autem appetitus in id quod aestimatur
ut superans facultatem sive in bonum sive in malum, est diffidentia. In bonum
autem specialiter est desperatio, in malum autem timor. Ira autem est passio composita ex audacia vel
dolore, et spe, ut ex dictis patere potest. |
5. Puisque ce qui est ardu ou difficile est l’objet propre de l’irascible, les différences qui créent des oppositions entre les passions de l’irascible sont ce qui est difficile dépassant la capacité ou ne la dépassant pas; et les deux sont soit un bien, soit un mal. L’assurance ou la confiance comporte donc un mouvement de l’irascible vers ce qui est estimé ne pas dépasser la capacité, ce que comportent spécialement l’espoir à propos des biens, et l’audace à propos des maux, sauf que l’audace comporte parfois un excès, ce qui la fait parfois considérer comme un mal. Mais le mouvement de l’appétit vers ce qui est estimé dépasser la capacité soit en bien soit en mal est le manque de confiance (diffidentia); en bien d’une manière particulière, ce sera le désespoir; en mal, la crainte. Mais la colère est une passion composée d’audace ou de douleur et d’espoir, comme cela peut ressortir de ce qui a été dit. |
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Articulus 4 [10949] Super Sent., lib. 3
d. 26 q. 1 a. 4 tit. Utrum spes sit principalis passio, vel amor, vel desiderium, vel
audacia, vel poenitentia |
Article 4 – L’espoir est-il une passion principale, ou l’amour, le désir, l’audace ou la pénitence ? |
[10950] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod spes non sit principalis passio. Amor enim vehementius
affectionem immutat quam spes; unde hominem extra se facit, ut dicit
Dionysius, 4 cap. de Div. Nom. Sed amor non ponitur una de principalibus
passionibus. Ergo neque spes. |
1. Il semble que l’espoir ne soit pas une passion principale. En effet, l’amour modifie l’affectivité avec plus de force que l’espoir; aussi fait-il sortir l’homme de lui-même, comme le dit Denys, Les noms divins, IV. Or, l’amour n’est pas donné comme l’une des passions principales. Donc, ni l’espoir. |
[10951] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4
arg. 2 Praeterea,
concupiscere est de futuro bono, sicut et spes. Sed concupiscentia, vel
desiderium, non ponitur passio principalis. Ergo nec spes. |
2. Désirer avec concupiscence porte sur un bien futur, comme aussi l’espoir. Or, la concupiscence ou le désir n’est pas donné comme une passion principale. Donc, ni l’espoir. |
[10952] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4
arg. 3 Praeterea,
denominatio semper fit a principaliori. Sed irascibilis denominatur ab ira.
Ergo est principalior spe, quae est in irascibili. |
3. La dénomination se fait toujours à partir de ce qui est principal. Or, l’irascible tire son nom de la colère. Elle vient donc avant l’espoir, qui se trouve dans l’irascible. |
[10953] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4
arg. 4 Praeterea,
objectum irascibilis est difficile et arduum. Sed audacia tendit in arduum
magis quam spes, vel non minus. Ergo audacia est magis principalis quam spes. |
4. L’objet de l’irascible est une chose difficile et ardue. Or, l’audace tend davantage ou pas moins que l’espoir vers ce qui est ardu. L’audace vient donc avant l’espoir. |
[10954] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4
arg. 5 Praeterea,
sicut spes est de futuro, ita poenitentia est de praeterito. Sed praeteritum
est certius quam futurum. Cum ergo poenitentia non ponatur principalis
passio, nec spes principalis passio debet poni. |
5. De même que l’espoir porte sur le futur, de même la pénitence porte-t-elle sur le passé. Or, le passé est plus sûr que le futur. Puisque la pénitence n’est pas donnée comme une passion principale, l’espoir non plus ne doit pas être donné comme une passion principale. |
[10955] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4
s. c. 1 Sed contra est
quod Boetius in Lib. de Consolat., dicit: gaudia pelle, pelle timorem;
spemque fugato, nec dolor adsit: et ita spes connumeratur aliis
principalibus passionibus. |
Cependant, [1] Boèce dit dans le livre Sur la consolation : « Suscite la joie, suscite la crainte; donne espoir au fuyard et qu’il n’y ait pas de douleur! » Ainsi l’espoir est-il compté parmi les passions principales. |
[10956] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4
s. c. 2 Praeterea,
spes opponitur quodammodo timori. Sed timor est principalis. Ergo et spes. |
[2] L’espoir est opposé d’une certaine manière à la crainte. Or, la crainte est une passion principale. Donc, l’espoir aussi. |
[10957] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4
s. c. 3 Praeterea,
passio quae est in concupiscibili de bono, est principalis, sicut gaudium.
Ergo eadem ratione passio quae est de bono in irascibili, est principalis.
Haec autem est spes. Ergo spes est principalis passio. |
[3] La passion qui se trouve dans le concupiscible et qui porte sur un bien est une passion principale, telle la joie. Donc, pour la même raison, la passion qui porte sur le bien qui se trouve dans l’irascible est-elle aussi principale. Or, tel est l’espoir. L’espoir est donc une passion principale. |
[10958] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 1 a. 4 co. Respondeo
dicendum, quod principalitas passionis in duobus consistit: quorum unum est
ex parte objecti, ut scilicet passio sequatur secundum rationem et
aptitudinem objecti, scilicet ut bonum prosequatur et malum fugiat; secundum
est ex parte ipsius passionis, ut scilicet motus ille perfectus sit quantum
possibile est secundum genus illud. Et ideo in concupiscibili sunt duae
principales passiones tantum, scilicet, gaudium et tristitia: quia motus
concupiscibilis terminatur in ipsa re conjuncta, quae facit gaudium et
tristitiam; et iterum bonum de sua ratione natum est facere gaudium,
inquantum est conveniens; et tristitiam, inquantum nocivum est. In irascibili
etiam sunt tantum duae, scilicet timor et spes; quia in his perficitur motus
irascibilis quantum est possibile in genere illo, unde non important motum
perfectum simpliciter; sed inquantum possibile est in genere irascibilis:
quia motus irascibilis, inquantum hujusmodi, non perficitur ad praesens, ut
prius dictum est, art. praec., sicut concupiscibilis; sed perficitur in certitudine
inclinationis respectu sui objecti. Unde timor et spes habent quamdam certam
inclinationem ad objectum suum: timor ad non posse fugere malum, spes ad
posse consequi bonum; unde confidentia non dicitur principalis passio, quae
habeat certitudinem, nec importat. Similiter etiam timor consequitur ex malo
inquantum est malum, quia de natura sui habet ut fugiatur; spes autem ex
ratione boni inquantum est bonum, quia de natura sui habet ut expectetur. Et
ideo consuevit numerus principalium passionum hoc modo accipi. Quia aut sunt
de praesenti, in quo perficitur motus concupiscibilis; aut de futuro in quo
consistit motus irascibilis, inquantum est de difficili. Si primo modo, aut
de bono, et sic est gaudium; aut de malo, et sic est tristitia. Si secundo modo,
aut de bono, et sic est spes; aut de malo, et sic est timor. |
Réponse. Le caractère principal d’une passion tient à deux choses : l’une vient de l’objet, à savoir que la passion suive la raison et la convenance de l’objet, de sorte qu’elle recherche le bien et fuie le mal; la seconde vient de la passion elle-même, à savoir que ce mouvement soit aussi parfait que possible dans ce genre. C’est pourquoi il n’y a que deux passions principales dans le concupiscible : la joie et la tristesse, car le mouvement du concupiscible se termine dans la chose même qui est unie, et qui donne la joie et la tristesse. De plus, le bien, par sa raison, est destiné à donner la joie pour autant qu’il convient, et la tristesse pour autant qu’il est nuisible. Dans l’irascible aussi il n’y a que deux passions principales : la crainte et l’espoir, car le mouvement de l’irascible atteint en eux sa perfection autant qu’il est possible dans ce genre; il ne comporte donc pas un mouvement parfait simplement, mais autant qu’il est possible dans le genre de l’irascible, car le mouvement de l’irascible, en tant que tel, n’atteint pas sa perfection dans le présent comme le concupiscible, ainsi qu’on l’a dit à l’article précédent, mais il atteint sa perfection dans la certitude de l’inclination à son objet. La crainte et l’espoir ont donc une certaine inclination vers leur objet : la crainte, vers le fait de ne pouvoir obtenir un bien; l’espoir, vers le fait de pouvoir obtenir un bien. Aussi la confiance n’est-elle pas appelée une passion principale, qui aurait une certitude, et elle ne la dénote pas. De même, la crainte découle du mal en tant que mal, car il est de sa nature qu’il soit fui. Mais l’espoir [découle] de la raison du bien en tant que bien, car il est de sa nature qu’il soit attendu. C’est pourquoi on a coutume de comprendre le nombre des passions principales de cette manière. Soit elles portent sur le présent, dans lequel s’accomplit le mouvement du concupiscible; soit sur le futur, dans lequel consiste le mouvement de l’irascible, pour autant qu’il porte sur ce qui est difficile. Dans le premier cas, soit [elles portent] sur le bien : on a alors la joie; soit sur le mal : on a ainsi la tristesse. Dans le second cas, soit sur le bien : on a ainsi l’espoir; soit sur le mal : on a ainsi la crainte. |
[10959] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod amor non dicit terminum in motu concupiscibilis, cum non
sequatur ex conjunctione rei, sicut delectatio vel gaudium. |
1. L’amour n’indique pas le terme du mouvement du concupiscible puisqu’il ne découle pas de l’union avec la chose, comme la délectation ou la joie. |
[10960] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod motus concupiscibilis potest ulterius terminari quantum ad
futurum; et ideo concupiscentia et desiderium non sunt passiones principales:
motus autem irascibilis non; et ideo in futuro terminatur; et propter hoc
spes et timor sunt principales passiones. |
2. Un mouvement du concupiscible peut se terminer par la suite pour ce qui est du futur. C’est pourquoi la concupiscence et le désir ne sont pas des passions principales, mais le mouvement de l’irascible non plus; aussi se termine-t-il dans le futur. Pour cette raison, l’espoir et la crainte sont des passions principales. |
[10961] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod potentia in qua est spes, denominatur ab ira, quia est ultimum
in passionibus ejus: denominatio autem consuevit fieri ab his quae sunt
ultima in re. Non tamen est
principalis, quia habet motum in nocivum, non quidem fugiendum, quod est de
ratione mali et nocivi, sed aggrediendum. |
3. La puissance où réside l’espoir tire son nom de la colère parce qu’elle est ce qu’il y a d’ultime dans ses passions. Or, les dénominations ont coutume d’être faites à partir de ce qui est ultime dans un chose. Elle n’est cependant pas principale parce qu’elle a un mouvement contre ce qui nuit, non pas pour fuir ce qui a caractère de mal et de nuisible, mais pour s’y attaquer. |
[10962] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4
ad 4 Ad quartum
similiter dicendum est de audacia, quod timor qui fugam importat, consequitur
ex ratione mali, quod de se est fugibile, non autem aggressibile, quod
audacia facit; et ideo non est principalis passio. |
4. Il faut dire la même chose de l’audace : la crainte qui comporte la fuite découle de la raison de mal, qui de soi est motif de fuite, mais non d’attaque, ce que fait l’audace. C’est pourquoi elle n’est pas une passion principale. |
[10963] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod poenitentia continetur sub tristitia. Unde sciendum est, quod
omnes praedictae passiones ad has principales passiones reducuntur vel sicut
species ad genus, sicut admiratio ad timorem; vel sicut imperfectum ad
perfectum, sicut concupiscentia ad gaudium; vel sicut effectus ad causam, et
participans ad participatum, sicut audacia et ira ad spem: quia spes tendit
in bonum arduum, quod de se est tale ut in illud debeat tendi; audacia autem
et ira tendunt in arduum nocivum repellendum; quod quidem non est tale ut in
ipsum tendi debeat, sed magis ut fugiatur; tendunt tamen in ipsum inquantum
participat aliquid de ratione boni, quod est victoria ipsius; et ideo etiam
spes participatur quodammodo in audacia et ira, sicut quod est per se, in eo quod
est per accidens. |
5. La pénitence est comprise sous la tristesse. Il faut donc savoir que toutes les passions mentionnées se ramènent à ces passions principales, soit comme une espèce à un genre, comme l’étonnement à la crainte, soit comme ce qui est imparfait à ce qui est parfait, comme la concupiscence à la joie, soit comme un effet à sa cause et ce qui participe à ce qui est participé, comme l’audace et la colère à l’espoir, car l’espoir tend vers un bien ardu, qui de soi est tel qu’on doive y tendre; mais l’audace et la colère tendent vers un bien ardu nuisible qu’il faut repousser : il n’est toutefois pas tel qu’on doive y tendre, mais plutôt qu’on doive le fuir. Cependant, elles tendent à la même chose pour autant que celle-ci participe à la raison de bien, qui est sa victoire. Aussi y a-t-il d’une certaine manière participation à l’espoir dans l’audace et la colère, comme ce qui existe par soi dans ce qui existe par accident. |
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Articulus 5 [10964] Super Sent., lib. 3
d. 26 q. 1 a. 5 tit. Utrum spes possit esse in parte intellectiva |
Article 5 – L’espoir peut-il exister dans la partie intellective ? |
[10965] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod spes non possit esse in parte
intellectiva. Quia passiones sunt tantum in parte sensitiva, ut dicit
philosophus 7 Physic. Sed spes est passio. Ergo est in parte sensitiva. |
1. Il semble
que l’espoir ne puisse exister dans la partie intellective, car « les
passions se trouvent seulement dans la partie sensible », comme le dit
le Philosophe dans Physique, VII.
Or, l’espoir est une passion. Elle se trouve donc dans la partie sensible. |
[10966] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5
arg. 2 Praeterea, ea
quae sunt in parte intellectiva, sunt ipsius animae secundum se sine hoc quod
communicat corpori. Spes vero non
est ipsius animae secundum se, sed cum conjunctione corporis, eadem ratione
qua gaudium et amor, ut dicitur in 1 de anima. Ergo spes non est in parte
intellectiva. |
2. Ce qui se trouve dans la partie intellective fait partie de l’âme même en elle-même, sans qu’elle rejoigne le corps. Or, l’espoir ne fait pas partie de l’âme en elle-même, mais dans son union avec le corps, pour la même raison que la joie et l’amour, ainsi qu’il est dit dans Sur l’âme, I. l’espoir ne se trouve donc pas dans la partie intellective. |
[10967] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5
arg. 3 Praeterea,
subjectum spei est irascibilis. Sed irascibilis non est in parte
intellectiva, sed in sensitiva, quae animus dicitur in 3 de anima. Cum ergo passio non excedat subjectum suum,
nec spes erit in rationali. |
3. Le sujet de l’espoir est l’irascible. Or, l’irascible ne se trouve pas dans la partie intellective, mais dans la partie sensible, qui est appelée animus dans Sur l’âme, III. Puisque la passion ne dépasse pas son sujet, l’espoir ne se trouvera donc pas dans la partie rationnelle. |
[10968] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5
arg. 4 Praeterea, sicut
dicit philosophus in Lib. de Memor., memoria non est in parte intellectiva:
quia concernit determinatam temporis differentiam, scilicet praeteritum. Sed sicut memoria concernit praeteritum,
ita spes concernit futurum. Ergo spes non potest esse in parte intellectiva. |
4. Ainsi que le dit le Philosophe dans Livre sur la mémoire, « la mémoire ne se trouve pas dans la partie intellective, car elle concerne une différence déterminée du temps », à savoir le passé. Or, de même que la mémoire concerne le passé, de même l’espoir concerne-t-il le futur. L’espoir ne peut donc pas se trouver dans la partie intellective. |
[10969] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5
arg. 5 Praeterea, in
parte intellectiva non sunt contrariae passiones: quia delectationi quae est
secundum intellectum, nihil est contrarium, ut dicit philosophus 1 Topic. Cum ergo spes sit passio contrarietatem
habens ad timorem et desperationem, videtur quod non possit esse in parte
intellectiva. |
5. Dans la partie intellective, il n’y a pas de passions contraires, car rien n’est contraire à la délectation qui vient de l’intellect, comme le dit le Philosophe, Topiques, I. Puisque l’espoir est une passion qui est contraire à la crainte et au désespoir, il semble qu’il ne puisse se trouver dans la partie intellective. |
[10970] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5
s. c. 1 Sed contra,
quidquid invenitur communiter in Deo et in nobis de operibus animae, ad
partem intellectivam pertinet, quae solum est immaterialis, et in hoc Deo
similis. Sed delectatio convenit non solum nobis, sed etiam Deo, ut dicitur
in 7 Ethic., quia ipse simplici operatione gaudet. Ergo delectatio est in nobis
etiam in parte intellectiva; et ita eadem ratione spes, quae est de
delectatione futura. |
Cependant, [1] tout ce qu’on trouve de commun entre Dieu et nous dans les opérations de l’âme se rapporte à la partie intellective, qui seule est immatérielle et est en cela semblable à Dieu. Or, la délectation ne convient pas à nous seuls, mais aussi à Dieu, comme on le dit dans Éthique, VII, car il se réjouit par une opération simple. La délectation existe donc aussi en nous dans la partie intellective, et ainsi, pour la même raison, l’espoir, qui porte sur une délectation future. |
[10971] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5
s. c. 2 Praeterea,
quidquid permanet in nobis post separationem animae a corpore, hoc ad partem
intellectivam pertinet, quae sola est separabilis, secundum philosophum. Sed spes est hujusmodi: quia erat in illis
patribus qui in Limbo erant, ut dicitur in littera. Ergo spes est in parte
intellectiva. |
[2] Tout qui ce dure en nous après la séparation de l’âme et du corps se rapporte à la partie intellective, car elle seule peut être séparée, selon le Philosophe. Or, l’espoir est de cette sorte, car il se trouvait chez les pères qui étaient dans les limbes, comme le dit le texte. L’espoir se trouve donc dans la partie intellective. |
[10972] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5
s. c. 3 Praeterea, ad
quamcumque potentiam pertinet objectum passionis, et passio. Sed objectum
spei est arduum bonum, quod etiam ad intellectivam partem pertinere potest. Ergo spes potest esse in parte intellectiva. |
[3] La passion se rapporte à la puissance à laquelle se rapporte l’objet de la passion. Or, l’objet de l’espoir est un bien ardu, qui peut aussi concerner la partie intellective. L’espoir peut donc exister dans la partie intellective. |
[10973] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod operationes sensitivae sunt nobis magis notae
quam operationes partis intellectivae: quia cognitio nostra incipit a sensu,
et terminatur ad intellectum. Et quia ex notioribus minus nota cognoscuntur,
nomina autem ad innotescendum rebus imponuntur; ideo nomina operationum
sensitivae partis transferuntur ad operationes intellectivae partis, et
ulterius ex humanis in divina. Et hoc patet in apprehensivis operationibus: quia illud quod
certitudinaliter quasi praesens tenemus per intellectum, dicimur sentire, vel
videre; et imaginari dicimur, cum quidditatem rei intellectu concipimus; et
sic de aliis: quamvis ista diversimode intelligantur, cum dicuntur de
apprehensione sensitiva quae apprehendit materialiter et in particulari; et
de intellectiva, quae apprehendit immaterialiter et in universali. Et ideo
etiam imponitur nomen intellectivae operationi, per quod discernitur a
sensitiva, sicut intelligere et scire, et hujusmodi. Similiter nomina
operationum appetitivae sensibilis partis transferuntur in operationes
appetitivae intellectivae partis: tamen in sensitiva parte sunt per modum
materialis passionis, in parte autem intellectiva per modum simplicis actus
non materialiter; et ideo etiam aliqua nomina imponuntur appetitui
intellectivo, quae ipsum distinguunt ab aliis, sicut velle, eligere, et
hujusmodi. Sic ergo spes
in parte sensitiva nominat quamdam passionem materialem, sed in parte
intellectiva simplicem operationem voluntatis immaterialiter tendentis in
aliquod arduum. |
Réponse. Les opérations sensibles nous sont mieux connues que les opérations de la partie intellective, car notre connaissance commence par le sens et se termine dans l’intelligence. Et parce que ce qui est moins connu est connu à partir de ce qui est plus connu, et que les noms sont donnés aux choses pour les faire connaître, les noms des opérations sensibles sont transférés aux opérations de la partie intellective, bien plus, des [opérations] humaines aux [opérations] divines. Et cela est manifeste pour les opérations de perception, car ce que nous considérons par l’intelligence comme présent de manière certaine, nous disons que nous le sentons ou le voyons; et nous disons que nous imaginons lorsque nous concevons la quiddité d’une chose par l’intellect, et ainsi de suite. Cela est cependant compris de manière différente lorsque cela est dit de la perception sensible qui perçoit de manière matérielle et particulière, et de la perception intellectuelle, qui perçoit de manière immatérielle et universelle. C’est pourquoi aussi nous donnons un nom à l’opération intellectuelle, par lequel elle est distinguée de l’opération sensible, comme intelliger et savoir, et [les noms] de ce genre. De même, les noms des opérations de la partie appétitive sensible sont-ils transférés aux opérations de la partie appétitive intellectuelle; cependant, dans la partie sensible, elles existent par mode de passion matérielle, mais, dans la partie intellectuelle, par mode d’acte simple et de manière non matérielle. C’est pourquoi certains noms sont aussi donnés à l’appétit intellectuel, qui le distinguent des autres, tels vouloir, choisir et ceux de ce genre. Ainsi donc, l’espoir de la partie sensible désigne une passion matérielle, mais, dans la partie intellectuelle, une opération simple de la volonté tendant de manière immatérielle à quelque chose d’ardu. |
[10974] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod spes, secundum quod est in appetitu rationali, scilicet
voluntate, non est passio proprie loquendo, ut patet ex his quae dicta sunt
15 dist., quaest. 2, art. 1, in corp. |
1. L’espoir, selon qu’il existe dans l’appétit rationnel, c’est-à-dire la volonté, n’est pas une passion à proprement parler, comme cela ressort de ce qui a été dit à la d. 15, q. 2, a. 1, c. |
[10975] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod philosophus loquitur ibi de istis secundum quod sunt passiones
sensitivae partis, et ita indigent corpore materialiter: vel secundum quod
sunt in parte intellectiva, quae indiget corpore, inquantum accipit a
sensibus, vel a sensitivis potentiis, quantum ad statum viae. |
2. Le Philosophe en parle là selon qu’il s’agit de passions de la partie sensible : elles ont ainsi matériellement besoin du corps. Ou bien, [il en parle] selon qu’elles se trouvent dans la partie intellective, qui a besoin du corps pour autant qu’elle reçoit des sens ou des puissances sensibles, pour ce qui est de l’état de cheminement (statum viae). |
[10976] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quidam distinguunt irascibilem humanam et brutalem, similiter
et concupiscibilem; et dicunt, quod brutalis est in parte sensitiva, humana
autem in parte intellectiva. Sed hoc non est verum: quia appetitus rationalis
non dividitur per irascibilem et concupiscibilem, ut prius dictum est art. 2:
unde irascibilis dicitur humana non per essentiam, sed per participationem,
sicut dicit philosophus in 1 Ethic., et etiam Damascenus in 2 Lib. Unde quod objicitur quod spes in irascibili
est; verum est de spe secundum quod est passio. |
3. Certains distinguent l’irascible humain de l’irascible de l’animal sans raison; de même font-ils pour le concupiscible. Ils disent que ceux de l’animal sans raison se trouvent dans la partie sensible, mais que ceux de l’homme [se trouvent] dans la partie intellectuelle. Mais cela n’est pas vrai, car l’appétit rationnel ne se divise pas en irascible et concupiscible, comme on l’a dit plus haut, a. 2. Aussi l’irascible est-il appelé humain non pas par essence, mais par participation, comme le dit le Philosophe dans Éthique, I, et aussi [Jean] Damascène, dans le livre II. L’objection que l’espoir se trouve dans l’irascible est donc vraie de l’espoir selon qu’il est une passion. |
[10977] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod intellectiva apprehensio est secundum motum a rebus in animam;
et quia in anima intellectiva recipitur aliquid abstractum ab omnibus
conditionibus materialibus individuantibus, ideo nulla apprehensio intellectiva
concernit aliquod tempus determinate, quamvis possit esse de quolibet
tempore: unde componendo et dividendo implicat tempus, ut dicitur in 3 de
anima: et ideo etiam memoria cum sit pars imaginis quae est in parte
intellectiva, est omnium temporum, ut dictum est in 1 Lib., dist. 3. Operatio
autem appetitus est secundum motum ab anima in res; et ideo quia res per se
cadunt sub hic et nunc, ideo et operatio intellectivi appetitus potest
aliquod tempus concernere. |
4. La saisie intellectuelle se réalise selon le mouvement des choses vers l’âme; parce qu’est reçu dans l’âme intellectuelle quelque chose qui est abstrait de toutes ses conditions matérielles individuantes, aucune saisie intellectuelle ne concerne donc un temps de manière déterminée, bien que cela puisse exister en n’importe quel temps. Ainsi, la composition et la division impliquent le temps, comme on le dit dans Sur l’âme, III. Puisque la mémoire est elle aussi une partie de l’image qui se trouve dans la partie intellectuelle, elle est donc de tous les temps, comme on l’a dit dans le livre I, d. 3. Or, l’opération de l’appétit se réalise par un mouvement de l’âme vers les choses. Parce que les choses existent par elles-mêmes ici et maintenant, l’opération de l’appétit intellectuel peut donc concerner un temps. |
[10978] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod delectatio, ut prius dictum est, ex duobus consurgit. Uno modo
ex ipso actu qui est conveniens potentiae; et hoc modo delectationi
intellectus non est aliquid contrarium. Cum enim intelligibile omnino
immaterialiter in intellectu recipiatur, non potest aliquam laesionem
intellectui inferre, sicut sensibile excellens, quod corrumpit sensum. Et
ideo omnis actus intellectus est conveniens intellectui, et delectabilis,
quidquid sit illud quod intelligitur; et sic delectationi intellectus non est
aliquid contrarium. Alio modo consurgit delectatio ex conjunctione rei convenientis, circa
quam est operatio. Et quia id
quod apprehenditur, potest esse conveniens intelligenti, vel inconveniens,
inquantum est res quaedam, licet inquantum intellectum, semper sit
conveniens; ideo ex parte ista delectationi quae est in parte intellectiva,
potest esse tristitia contraria, non quae sit passio, ut dictum est. |
5. Comme on l’a dit plus haut, la délectation vient de deux choses. Premièrement, de l’acte lui-même qui convient à la puissance : de cette manière, il n’existe rien de contraire à la délectation de l’intellect. En effet, puisque l’intelligible est reçu dans l’intellect de manière tout à fait immatérielle, il ne peut provoquer une blessure dans l’intellect, comme un objet sensible très puissant, qui corrompt le sens. C’est pourquoi tout acte de l’intellect convient à l’intellect et est délectable, quel qu’en soit l’objet. Il n’y a ainsi rien qui soit contraire à la délectation de l’intellect. D’une autre manière, la délectation provient de l’union avec la chose qui convient et sur laquelle porte l’opération. Parce que ce qui est saisi peut convenir à l’intellect ou ne pas lui convenir, pour autant que c’est une certaine chose, bien que, pour autant que cela est intelligé, cela convienne toujours, de ce point de vue, il peut exister une tristesse, mais qui n’est pas une passion, comme on l’a dit, contraire à la délectation qui existe dans la partie intellectuelle |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [L’espérance comme vertu]
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Prooemium |
Prologue |
[10979] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 pr. Deinde quaeritur de spe secundum quod est
virtus; et circa hoc quaeruntur quinque: 1 utrum spes sit virtus; 2 utrum sit
theologica; 3 quomodo se habeat ad alias virtutes theologicas; 4 de
certitudine ipsius; 5 quorum sit habere spem. |
On s’interroge eensuite sur l’espérance en tant que vertu. À ce propos, cinq questions sont posées : 1 – L’espérance est-elle une vertu ? 2 – Est-elle une vertu théologale ? 3 – Quel rapport a-t-elle avec les autres vertus théologales ? 4 – À propos de sa certitude. 5 – À qui revient-il d’espérer ? |
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Articulus 1 [10980] Super Sent., lib. 3
d. 26 q. 2 a. 1 tit. Utrum spes sit virtus |
Article 1 – L’espérance est-elle une vertu ? |
[10981] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod spes non sit virtus. Spes enim dividitur contra timorem,
gaudium, et tristitiam. Sed nullum istorum ponitur in genere virtutis; quinimmo tristitia
ponitur in genere vitii, quantum ad accidiam et invidiam: ponitur etiam inter
sacramenta quantum ad poenitentiam; gaudium autem in genere fructus, ut patet
Gal. 5; timor autem in genere doni, ut dicitur Isa. 11. Ergo neque spes debet
esse virtus. |
1. Il semble que l’espérance ne soit pas une vertu. En effet, l’espérance se distingue de la crainte, de la joie et de la tristesse. Or, aucune de celles-ci n’est placée dans le genre de la vertu; bien plus la tristesse est placée dans le genre du vice, pour ce qui est de l’acédie et de l’envie; elle est placée aussi parmi les sacrements, pour ce qui est de la pénitence. Mais la joie [est] placée dans le genre du fruit, comme cela ressort de Ga 5, et la crainte, dans le genre du don, comme il est dit en Is 11. L’espérance ne doit donc pas non plus être une vertu. |
[10982] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1
arg. 2 Praeterea, sicut
virtutes infusae ordinantur ad aliquod arduum, quod est vita aeterna; ita et
virtutes acquisitae ad aliquod arduum, quod est felicitas civilis, vel
contemplativa. Sed philosophi
tractantes de virtutibus acquisitis, non posuerunt spem esse virtutem. Ergo
apud theologos spes non debet poni virtus. |
2. De même que les vertus infuses sont ordonnées à quelque chose d’ardu, qui est la vie éternelle, de même aussi les vertus acquises [sont-elles ordonnées] à quelque chose de difficile, qui est la félicité civile ou contemplative. Or, les philosophes qui traitent des vertus acquises n’ont pas affirmé que l’espérance est une vertu. L’espérance ne doit donc pas être donnée comme une vertu chez les théologiens. |
[10983] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1
arg. 3 Praeterea, nulla
virtus provenit ex meritis: quia virtutem Deus operatur in nobis sine nobis,
ut Augustinus ait. Sed spes
provenit ex meritis, ut in littera dicitur. Ergo spes non est virtus. |
3. Aucune vertu ne provient de mérites, car « Dieu réalise en nous la vertu sans nous », comme le dit Augustin. Or, l’espérance provient de mérites, comme il est dit dans le texte. L’espérance n’est donc pas une vertu. |
[10984] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1
arg. 4 Praeterea, nulla
virtus opponitur alicui bono: quia bonum bono non est contrarium, sicut malum
malo, ut dicitur in praedicamentis. Sed spes opponitur timori, quod est bonum et laudabile. Ergo spes non
est virtus. |
4. Aucune vertu ne s’oppose à un bien, car le bien n’est pas contraire au bien, comme le mal au mal, comme il est dit dans les Prédicaments. Or, l’espérance s’oppose à la crainte, ce qui est bien et louable. L’espérance n’est donc pas une vertu. |
[10985] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, nulla virtus habet actum mercenarium: quia virtus operatur
bonum propter seipsum. Sed spes habet actum mercenarium, cum intendat in
remunerationem. Ergo spes non est virtus. |
5. Aucune vertu n’a un acte mercenaire, car la vertu fait le bien pour lui-même. Or, l’espérance a un acte mercenaire, puisqu’elle a en vue une récompense. L’espérance n’est donc pas une vertu. |
[10986] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, nihil inducit ad vitam aeternam, nisi virtus. Sed spes
inducit ad vitam aeternam, ut patet in Psal. 5, 12: laetentur omnes qui
sperant in te: in aeternum exultabunt, et habitabis in eis. Ergo spes est virtus. |
Cependant, [1] rien ne mène à la vie éternelle que la vertu. Or, l’espérance mène à la vie éternelle, comme cela ressort de Ps 5, 12 : Que se réjouissent tous ceux qui espèrent en toi : ils exulteront pour l’éternité et tu habiteras en eux! L’espérance est donc une vertu. |
[10987] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1
s. c. 2 Praeterea,
spes est propinquior caritati, quae est mater omnium virtutum, quam fides,
quia est in affectu. Sed fides est virtus. Ergo et spes. |
[2] L’espérance est plus proche de la charité, qui est la mère de toutes les vertus, que la foi, car elle se trouve dans l’affectivité. Or, la foi est une vertu. Donc, l’espérance aussi. |
[10988] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1
s. c. 3 Praeterea, nihil
est meritorium, nisi actus virtutis. Sed spei actus est meritorius: quia a
confusione liberat. Psal. 30, 1: in
te domine speravi: non confundar in aeternum. Ergo spes est virtus. |
[3] Rien n’est méritoire que l’acte de vertu. Or, l’acte d’espérance est méritoire, car il libère de l’humiliation. Ps 30, 1 : En toi, Seigneur, j’ai espéré : que je ne sois pas confondu pour l’éternité! L’espérance est donc une vertu. |
[10989] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod sicut supra, dist. 23, quaest. 1, art. 2 et
3, dictum est, virtus secundum communem usum loquendi dicitur habitus
inclinans ad actum; qui est bonus dupliciter, scilicet secundum convenientiam
ad potentiam agentem, et secundum objectum; quod habet rationem boni,
inquantum est objectum talis actus. Haec autem duo sunt in actu spei. Cum
enim spes in appetitiva parte sit, oportet quod objectum ejus sit bonum sub
ratione boni; et sic actus spei habet bonitatem ex ratione objecti. Similiter etiam spes
supra expectationem addit certitudinem, ut patet per definitionem in littera
positam. Certitudo autem importat determinationem respectu ejus ad quod
dicitur certitudo. Unde cum certitudo spei sit de bono expectato, importat
determinationem ad bonum. Et ex hoc
aliquis actus est perfectae potentiae conveniens, quod ad bonum ipsius
determinationem habet; sicut actus scientiae, qui determinat intellectum ad
verum, quod est bonum intellectus; non autem actus opinionis, quae est veri
et falsi: propter quod scientia est virtus, et non opinio, ut dicitur in 6
Ethic. Unde patet quod spes virtus debet dici etiam secundum communem usum
loquendi. |
Réponse. Comme on l’a dit plus haut, d’ 23, q. 1, a. 2 et 3, selon la manière habituelle de parler, on appelle vertu un habitus inclinant à un acte qui est bon de deux manières : selon qu’il convient à la puissance agissante, et selon son objet, qui a raison de bien pour autant qu’il est l’objet d’un tel acte. Or, ces deux choses existent dans l’espérance. En effet, puisque l’espoir se trouve dans la partie appétitive, il est nécessaire que son objet soit le bien sous la raison de bien. Ainsi, l’acte d’espérance tire sa bonté de la raison de son objet. De même aussi, l’espérance ajoute à l’attente une certitude, comme cela ressort de la définition donnée dans le texte. Or, la certitude comporte une détermination par rapport à ce sur quoi porte la certitude. Puisque la certitude de l’espérance porte sur le bien attendu, elle comporte donc une détermination au bien. Et l’acte qui comporte une détermination par rapport à son bien convient à une puissance parfaite; ainsi, l’acte de science, qui détermine l’intelligence au vrai, qui est le bien de l’intelligence, mais non l’acte d’opinion, qui porte sur le vrai et sur le faux. C’est « la raison pour laquelle la science est une vertu, et non l’opinion », comme il est dit dans Éthique, VI. Il est donc clair que l’espérance doit être appelée une vertu, même selon qu’on en parle généralement de manière habituelle. |
[10990] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod spes, secundum quod est passio, non est virtus, sed secundum
quod est in appetitu intellectivae partis. Nec aliarum passionum nomina ita
convenienter ad virtutes transumi possunt sicut nomen spei: quia spes dicitur
in ordine ad bonum, et propter hoc importat motum appetitus in bonum tendentis;
et sic habet quamdam similitudinem cum intentione et electione boni, quae
requiruntur in omni virtute; timor autem dicitur in ordine ad malum. Recedere
autem a malo, quamvis ad virtutem pertineat, non tamen in hoc consistit
perfectio virtutis, sed in electione boni. Gaudium autem et tristitia magis
dicunt impressionem boni et mali in appetitum, quam motum appetitus in ea;
unde non habent similitudinem cum electione virtutis. |
1. L’espoir en tant que passion n’est pas une vertu, mais selon qu’il se trouve dans l’appétit de la partie intellectuelle. Et les noms des autres passions ne peuvent pas être transférés aux vertus aussi adéquatement que le nom de l’espérance, car on parle d’espérance en rapport avec le bien et, pour cette raison, elle comporte un mouvement de l’appétit qui tend vers le bien. Elle a ainsi une certaine ressemblance avec l’intention et le choix du bien, qui sont requis en toute vertu. Mais on parle de crainte en rapport avec le mal. Or, s’éloigner du mal, bien que cela relève de la vertu, n’est pas ce en quoi consiste la perfection de la vertu, mais le choix du bien. Mais la joie et la tristesse expriment plutôt l’empreinte du bien et du mal dans l’appétit, que le mouvement de l’appétit vers eux. Aussi n’ont-elles pas de ressemblance avec le choix de la vertu. |
[10991] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod illud arduum in quod ordinant virtutes acquisitae, est finis
proportionatus facultati naturae; et ideo natura per seipsam determinata est
ad sperandum illum finem; unde non indiget aliquo habitu superaddito, per
quem determinetur in illud. Sed hoc arduum quod est vita aeterna, excedit
facultatem naturae. Unde cum ex se natura non sit determinata ad sperandum
illud, oportet quod determinetur per aliquem habitum infusum; et haec est
spes, quae est virtus. |
2. L’ardu auquel ordonnent les vertus acquises est une fin proportionnée à la capacité de la nature. C’est pourquoi la nature a été déterminée par elle-même à espérer cette fin. Elle n’a donc pas besoin d’un habitus ajouté par lequel elle serait déterminée par rapport à lui. Mais l’ardu qu’est la vie éternelle dépasse la capacité de la nature. Puisque la nature n’est pas déterminée par elle-même à l’espérer, il faut donc qu’elle soit déterminée par un habitus infus. Telle est l’espérance, qui est une vertu. |
[10992] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod spes multis modis dicitur. Quandoque enim nominat passionem; et sic
non est virtus. Quandoque nominat habitum inclinantem ad actum voluntatis
similem spei quae est in parte sensitiva, quae est passio; et sic est virtus.
Quandoque vero nominat ipsum actum; et sic est actus virtutis. Quandoque
autem nominat ipsam rem speratam; Tit. 2, 13: expectantes beatam spem;
et sic est objectum virtutis. Quandoque autem nominat certitudinem, quae
consequitur spem; Rom. 5, 4: probatio vero spem, idest spei
certitudinem; et sic nominat statum perfectionis in virtutem, quantum ad
certitudinis intentionem. Habitus ergo spei quae est virtus, ex meritis non
procedit: sed objectum, idest ipsa res sperata, pro meritis redditur; et ideo
etiam actus spei in suum objectum tendit ex praesuppositione meritorum; et
secundum hoc dicitur ex meritis provenire ratione sui actus. |
3. On parle d’espérance de plusieurs manières. En effet, parfois elle désigne une passion : elle n’est pas ainsi une vertu. Parfois, elle désigne un habitus inclinant la volonté à un acte qui ressemble à l’espérance qui se trouve dans la partie sensible, qui est une passion : elle est ainsi une vertu. Mais parfois elle désigne l’acte lui-même : elle est ainsi un acte de la vertu. Parfois elle désigne la chose même qui est espérée. Tt 2, 13 : Dans l’attente d’une bienheureuse espérance : elle est ainsi l’objet de la vertu. Parfois, elle désigne la certitude qui découle de l’espérance, Rm 5, 4 : La mise à l’épreuve, l’espérance, c’est-à-dire la certitude de l’espérance : elle désigne ainsi un état de perfection dans la vertu pour ce qui est visé par la certitude. L’habitus de l’espérance ne vient donc pas de mérites, mais son objet, c’est-à-dire la chose espérée, est rendue en fonction des mérites. Aussi l’acte de l’espérance tend-il vers son objet selon des mérites présupposés. Sous cet aspect, on dit donc qu’elle vient de mérites en raison de son acte. |
[10993] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod spes quae est virtus, non opponitur timori qui est donum: quia
spes extendit se in Deum ex consideratione divinae largitatis, timor vero
dicit resilitionem ex consideratione propriae parvitatis; et ita non est
secundum idem resilitio timoris et extensio spei; unde non sunt contraria. |
4. L’espérance qui est une vertu ne s’oppose pas à la crainte qui est un don, car l’espérance se porte vers Dieu en considération de la générosité divine, mais la crainte exprime un recul en considération de sa propre malice. Ainsi le recul de la crainte et l’élan de l’espérance ne portent-ils pas sur la même chose. Ils ne sont donc pas contraires. |
[10994] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod facere aliquid propter aliquod commodum temporale, facit actum
mercenarium, non autem facere propter remunerationem aeternam; quia
continentia non sibi sufficit ad salutem, si pro solo amore pudicitiae
retinetur, ut dicitur in Lib. de Eccles. Dogmat., et eadem ratio est de aliis humanis actibus. Vel dicendum,
quod actus dicitur esse mercenarius qui propter mercedem fit, non autem qui
est circa ipsam mercedem. Quamvis ergo actus spei sit expectare beatitudinem,
quae est merces; non tamen eam expectat propter ipsam mercedem, sed ex
inclinatione habitus, sicut et in aliis virtutibus contingit. Et praeterea
non expectat eam inquantum est merces, sed inquantum est summum quoddam
arduum: habet enim Deum pro principali objecto. |
5. Faire quelque chose en vue d’un avantage temporel rend un acte mercenaire, mais non le faire en vue d’une récompense éternelle, car la continence ne se suffit pas à elle-même pour le salut, si elle est gardée par le seul amour de la chasteté, comme le dit le Livre sur les enseignements de l’Église. Et il en est de même pour les autres actes humains. Ou bien il faut dire qu’on appelle acte mercenaire celui qui est fait pour une récompense, mais non celui qui porte sur une récompense. Bien que l’acte de l’espérance consiste à attendre la béatitude, qui est une récompense, il ne l’attend cependant pas en raison de la récompense elle-même, mais par l’inclination de l’habitus, comme cela se produit dans les autres vertus. De plus, il ne l’attend pas en tant qu’elle est une récompense, mais en tant qu’elle est un bien suprême ardu : en effet, elle a Dieu comme objet principal. |
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Articulus 2 [10995] Super Sent., lib. 3
d. 26 q. 2 a. 2 tit. Utrum spes sit virtus theologica |
Article 2 – L’espérance est-elle une vertu théologale ? |
[10996] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod spes non sit virtus
theologica. Omnis enim virtus theologica habet Deum pro objecto. Sed irascibilis objectum Deus esse non
potest: quia cum sit appetitus sensitivae partis, non extendit se ultra bonum
sensibile. Cum ergo spes
ad irascibilem pertineat, videtur quod spes non sit virtus theologica. |
1. Il semble
que l’espérance ne soit pas une vertu théologale. En effet, toute vertu théologale
a Dieu comme objet. Or, Dieu ne peut pas être l’objet de l’irascible, car,
étant un appétit de la partie sensible, il ne va pas au-delà d’un bien
sensible. Puisque l’espérance relève de l’irascible, il semble donc que
l’espérance ne soit pas une vertu théologale. |
[10997] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, Isa. 30, 15, dicitur: in spe erit fortitudo vestra.
Sed fortitudo non est virtus theologica, sed cardinalis. Ergo et spes; et
praecipue cum eadem extrema videantur habere, scilicet timiditatem et audaciam. |
2. En Is 30, 15, il est dit : Votre force sera dans votre espérance. Or, la force n’est pas une vertu théologale, mais cardinale. Donc, l’espérance aussi, surtout qu’elles semblent avoir les mêmes extrêmes : la timidité et l’audace. |
[10998] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2
arg. 3 Praeterea,
expectare est longanimitatis: Gal. 5, 22: longanimitas expectationis.
Similiter videtur esse patientiae; Rom. 8, 25: si quae non videmus,
speramus, per patientiam expectamus. Ergo cum spes sit expectatio, videtur
quod spes sit idem quod patientia vel longanimitas: quae quidem non sunt
virtutes theologicae: ergo nec spes. |
3. Attendre relève
de la longanimité. Ga 5, 2 : La longanimité de l’attente. De même cela semble-t-il relever de
la patience. Rm 8, 25 : Si
nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la patience.
Puisque l’espérance est une attente, il semble donc que l’espérance soit la
même chose que la patience ou la longanimité, qui ne sont pas des vertus
théologales. Donc, l’espérance non plus. |
[10999] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, spei est in arduum tendere. Sed hoc est magnanimitatis, quae maxime magnum attendit. Ergo spes est
idem quod magnanimitas. Sed magnanimitas est virtus moralis et non
theologica. Ergo et spes. |
4. Il appartient à l’espérance de tendre vers ce qui est ardu. Or, cela relève de la magnanimité, qui porte surtout sur ce qui est grand. L’espérance est donc la même chose que la longanimité. Or, la magnanimité est une vertu morale, et non théologale. Donc, l’espérance aussi. |
[11000] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2
s. c. 1 Sed contra, spes
dividitur ex opposito aliis virtutibus theologicis; 1 Corinth. 13, 13: nunc
autem manent fides, spes, caritas, tria haec. Ergo est virtus theologica. |
Cependant, [1] l’espérance est opposée aux autres vertus théologales. 1 Co, 13, 13 : Maintenant, la foi, l’espérance et la charité demeurent, ces trois choses. Elle est donc une vertu théologale. |
[11001] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2
s. c. 2 Praeterea, omnis
virtus quae habet finem ultimum pro objecto, est virtus theologica. Talis autem est spes, cum
sit expectatio futurae beatitudinis. Ergo spes est virtus theologica. |
[2] Toute vertu qui a la fin ultime comme objet est une vertu théologale. Or, telle est l’espérance, puisqu’elle est l’attente de la béatitude future. L’espérance est donc une vertu théologale. |
[11002] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2
s. c. 3 Praeterea, omnis
virtus moralis est circa passiones, ut dicitur in 2 Ethic. Hoc autem non competit
spei. Ergo non est
virtus moralis. Neque est intellectualis, quia non pertinet ad cognitionem,
ut prius dictum est. Ergo est virtus theologica. |
[3] Toute vertu morale porte sur les passions, comme il est dit dans Éthique, II. Or, cela ne vaut pas pour l’espérance. Elle n’est donc pas une vertu morale. Elle n’est pas non plus une vertu intellectuelle, car elle ne concerne pas la connaissance, comme on l’a dit plus haut. Elle est donc une vertu théologale. |
[11003] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod spes de ratione sua dicit extensionem
appetitus in aliquod arduum, quod non omnino excedit facultatem sperantis. Ea
enim quae excedunt, et velut excedentia apprehenduntur, desperationem magis
quam spem faciunt; unde secundum hoc quod inest alicui facultas in aliquod arduum,
secundum hoc est inclinatio in illud arduum; et ideo in illud arduum quod
proportionatur facultati naturae sensitivae, inclinatio sensitivi appetitus
spem facit, quae est passio; in illud vero arduum quod proportionatur naturae
intellectivae, inclinatio illius facit spem, quae est actus voluntatis. Sed
quia est aliquod arduum quod excedit facultatem naturae, ad quod homo per
gratiam potest pervenire, scilicet ipse Deus, inquantum est nostra beatitudo;
ideo oportet quod ex aliquo dono gratuito naturae superaddito fiat inclinatio
in illud arduum; et illud donum est habitus spei et quia habet objectum ipsum
Deum, ideo oportet quod sit virtus theologica: et ideo in secunda definitione
spei quam Magister ponit, exprimitur tota ratio spei secundum quod est virtus
theologica. Expectatio enim, ut ex dictis patet, proprie loquendo, dicit extensionem
appetitus in aliquod arduum; certa autem dicit completionem praedictae extensionis,
et quasi determinationem; et in hoc completur ratio spei absolute. Objectum
autem quod facit spem esse theologicam virtutem, est futura beatitudo. Illud
autem unde est facultas perveniendi in finem istum, est gratia, et merita,
sive accipiatur gratia pro divina liberalitate, sive pro dono gratuito. |
Réponse. Par sa raison même, l’espoir exprime une élan de l’appétit vers quelque chose d’ardu, qui ne dépasse pas complètement la capacité de celui qui espère. En effet, ce qui dépasse et est perçu comme dépassant engendre plutôt le désespoir que l’espérance. Du fait donc que la possibilité de quelque chose d’ardu se trouve chez quelqu’un, l’inclination à ce qui est ainsi ardu existe. L’inclination de l’appétit sensible à une chose ardue qui est proportionnée à la capacité de la nature sensible suscite donc l’espoir, qui est une passion; l’inclination à une chose ardue qui est proportionnée à la nature intellectuelle suscite l’espérance, qui est un acte de la volonté. Mais parce qu’il existe quelque chose d’ardu qui dépasse la capacité de la nature, à quoi l’homme peut parvenir par la grâce, à savoir Dieu lui-même en tant qu’il est notre béatitude, il est donc nécessaire que l’inclination à cette chose ardue vienne d’un don gratuit ajouté à la nature. Ce don est l’habitus de l’espérance, et parce qu’il a Dieu comme objet, il est donc nécessaire qu’il soit une vertu théologale. Aussi, dans le seconde définition de l’espérance que le Maître donne, toute la raison de l’espérance, selon qu’elle est une vertu théologale, est donc exprimée. En effet, comme cela ressort de ce qui a été dit, l’attente exprime à proprement parler une élan de l’esprit vers quelque chose d’ardu; [l’attente] certaine exprime l’achèvement de l’élan mentionné et comme sa détermination. C’est en cela que s’accomplit de manière absolue la raison d’espérance. Mais l’objet qui fait de l’espérance une vertu théologale est la béatitude future. Or, ce dont vient la capacité de parvenir à cette fin est la grâce et les mérites, que la grâce soit entendue comme la générosité divine ou comme un don gratuit. |
[11004] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quidam dicunt quod etiam appetitus rationis dividitur per
irascibilem et concupiscibilem: et secundum hoc propositio habet falsitatem. Sed quia omnes auctores distinguentes
irascibilem a concupiscibili, sive sancti, sive philosophi, ponunt
irascibilem et concupiscibilem in appetitu sensitivo; ideo dicendum, quod
subjectum spei, prout dicitur virtus theologica, non est vis irascibilis, sed
voluntas, inquantum actus ejus spes dici potest: nisi forte ipsam voluntatem,
inquantum habet actus similes actibus irascibilis, dicamus irascibilem; sed
tunc irascibilis et concupiscibilis non erunt diversae potentiae, sed
nominabunt eamdem potentiam, scilicet voluntatem, secundum diversos actus. |
1. Certains disent que même l’appétit de la raison se divise en irascible et en concupiscible; de ce point de vue, la proposition comporte une fausseté. Mais parce que tous les auteurs qui font une distinction entre irascible et concupiscible, qu’ils soient des saints ou des philosophes, placent l’irascible et le concupiscible dans l’appétit sensible, il faut donc dire que le sujet de l’espérance, pour autant qu’elle signifie une vertu théologale, n’est pas la puissance irascible, mais la volonté, pour autant que son acte peut être appelé l’espérance, à moins que nous appelions irascible cette volonté elle-même pour autant qu’elle a des actes semblables aux actes de l’irascible. Toutefois, l’irascible et le concupiscible ne seront pas alors des puissances différentes, mais ils désigneront la même puissance, à savoir, la volonté, selon divers actes. |
[11005] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod, sicut supra, praec. quaest., art. 3 et 4 ad 5, dictum est,
extendi in aliquod arduum, est dupliciter: quia vel est bonum in quod
extenditur ut acquiratur; et sic extendi est spei: vel in aliquod arduum, ut
repellatur; et hoc est audaciae. Et similiter resilire ab aliquo arduo est
dupliciter: quia vel est bonum quod propter difficultatem dimittitur; et sic
est desperatio: vel est malum quod propter difficultatem fugitur; et sic est
timor. Et sic patet quod spes non inter audaciam et timiditatem est, sed
inter praesumptionem et desperationem. Fortitudo autem quae habet pericula
pro objecto, est inter timiditatem et audaciam. Et ideo spes et fortitudo non
est idem. Nec fortitudo potest esse virtus theologica: quia Deus, qui est
objectum virtutis theologicae, non habet rationem periculi quamvis habeat
rationem ardui. Sed quia ex
fine diriguntur ea quae sunt ad finem, ideo virtutes theologicae, quae habent
finem ultimum pro objecto, non solum operantur circa ipsum secundum se, sed
ut est directivum aliorum quae sunt ad finem; et ideo sunt quodammodo
principia aliarum virtutum. Sicut fides non solum cognoscit verum primum, sed
etiam alia quae ex veritate prima manifestantur ordinantia in ipsam; unde et
in articulis fidei multa continentur quae ad creaturas pertinent. Similiter et caritas non solum facit
diligere Deum, sed etiam proximum propter Deum. Similiter et spes non facit
tendere in ipsum Deum ut quoddam arduum consequendum, sed etiam ut ex ipso
est auxilium in omnibus aliis arduis, vel bonis acquirendis, vel malis
vincendis. Unde qui habet spem, sperat Deum consequi, speratque per ipsum
omnia necessaria, quantumcumque sint difficilia, obtinere: sperat omnia
nociva, quantumcumque sint difficilia, repellere. Et secundum hoc spes est in homine
principium omnium operationum quae ad bonum arduum ordinantur, sicut caritas
omnium quae in bonum tendunt, et sicut fides omnium quae ad cognitionem
pertinent. Unde fides est
in gratuitis, sicut intellectus principiorum in naturalibus et acquisitis;
unde secundum hoc dicitur: in spe erit fortitudo vestra; non quasi
spes sit ipsa fortitudo, sed quia est principium ipsius fortitudinis. |
2. Comme on l’a dit à la question précédente, a. 3 et 4, ad 5, tendre vers quelque chose d’ardu se réalise de deux manières : soit qu’il s’agisse d’un bien vers lequel on tend pour l’acquérir, et tendre de cette manière relève de l’espérance; ou vers quelque chose d’ardu pour l’écarter, et cela relève de l’audace. De même, reculer devant quelque chose d’ardu se réalise de deux manières : soit il s’agit d’un bien qui est écarté en raison de sa difficulté, et on a ainsi le désespoir; soit il s’agit d’un mal qui est fui en raison des sa difficulté, et on a ainsi la crainte. Il ressort ainsi clairement que l’espérance n’est pas intermédiaire entre l’audace et la timidité, mais entre la présomption et le désespoir. Mais la force, qui a pour objet les dangers, se situe entre la timidité et l’audace. L’espérance et la force ne sont donc pas la même chose. La force ne peut pas non plus être une vertu théologale, car Dieu, qui est l’objet d’une vertu théologale, n’a pas le caractère d’un danger, bien qu’il ait le caractère d’ardu. Mais parce que ce qui tend vers la fin est dirigé par la fin, les vertus théologales, qui ont la fin ultime comme objet, n’agissent pas seulement en vue d’elle pour elles-mêmes, mais comme dirigeant les autres choses qui sont ordonnées à la fin. C’est pourquoi elles sont d’une certaine manière les principes des autres vertus – comme la foi ne connaît pas seulement la Vérité première, mais aussi les autres choses qui sont manifestées par la Vérité première et qui ordonnent à elle; ainsi plusieurs choses qui se rapportent à des créatures sont-elles contenues dans les articles de foi. De même la charité ne fait-elle pas seulement aimer Dieu, mais aussi le prochain à cause de Dieu. De même aussi, l’espérance ne fait-elle pas [seulement] tendre vers Dieu lui-même comme vers quelque chose d’ardu à obtenir, mais aussi comme vers une aide venant de lui-même pour toutes les autres choses difficiles, qu’il s’agisse de biens à acquérir ou de maux à vaincre. Aussi celui qui a l’espérance espère-t-il obtenir Dieu et il espère obtenir par lui tout ce qui est nécessaire, aussi difficile que ce soit, et il espère écarter tout ce qui nuit, aussi difficile que ce soit. De ce point de vue, l’espérance est chez l’homme le principe de toutes les opérations qui sont ordonnées à un bien ardu, comme la charité, de tout ce qui tend vers le bien, et comme la foi, de tout ce qui se rapporte à la connaissance. La foi est donc pour ce qui est gratuit comme l’intelligence des principes pour ce qui est naturel et acquis. Aussi est-il dit : Votre force sera dans l’espérance, non pas que l’espérance soit la force elle-même, mais parce qu’elle est le principe de la force même. |
[11006] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2
ad 3 Ad tertium dicendum,
quod expectatio patientiae est expectatio divini auxilii in periculis;
expectatio autem longanimitatis est expectatio divini auxilii in laboribus
actionis tendentis in aliquod bonum arduum obtinendum. Unde patet ex
praedictis quod expectatio patientiae et longanimitatis est per
participationem expectationis a spe, secundum quod virtutes posteriores
participant aliquid a prioribus; sicut omnes morales a prudentia, et omnes
aliae virtutes participant aliquid a caritate, scilicet desiderium summi boni,
propter quod operantur. |
3. L’attente de la patience est l’attente de l’aide divine dans les dangers; mais l’attente de la longanimité est l’attente de l’aide divine dans les efforts d’une action tendue vers l’obtention d’un bien ardu. Il ressort donc de ce qui a été dit que l’attente de la patience et celle de la longanimité participent à l’attente de l’espérance selon que les vertus secondes participent aux vertus premières, comme toutes les vertus morales [participent] à la prudence et toutes les autres vertus participent à quelque chose de la charité, à savoir le désir du Bien suprême en vue duquel elles agissent. |
[11007] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod magnanimitas magis accedit ad spem quam aliqua dictarum
virtutum: quia est secundum extensionem appetitus in aliquod bonum arduum
obtinendum; et ideo circa spem passionem versatur, et ejus opposita, ut sic
sint in irascibili tres virtutes quantum ad tria genera passionum.
Magnanimitas quidem quantum ad genus spei et aliarum passionum circumstantium
ipsam, quae habent bonum arduum expectatum pro objecto; fortitudo autem circa
timorem et audaciam; mansuetudo autem circa iram. Sed tamen magnanimitas non est idem quod
spes virtus: quia est circa arduum quod consistit in rebus humanis, non circa
arduum quod est Deus; unde non est virtus theologica, sed moralis,
participans aliquid a spe. |
4. La magnanimité se rapproche davantage de l’espérance que l’une des vertus mentionnées, car elle est l’élan de l’appétit vers l’obtention d’un bien ardu; elle porte donc sur la passion de l’espoir et ses contraires, de sorte que les trois vertus se trouvent dans l’irascible selon trois genres de passions : la magnanimité, pour le genre de l’espoir et des autres qui l’entourent, qui ont comme objet un bien ardu attendu; la force, pour la crainte et l’audace; la douceur, pour la colère. Cependant, la magnanimité n’est pas la même chose que la vertu d’espérance, car elle porte sur quelque chose d’ardu dans les choses humaines, et non sur quelque chose d’ardu qui est Dieu. Aussi n’est-elle pas une vertu théologale, mais morale, qui participe à quelque chose de l’espérance. |
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Articulus 3 [11008] Super Sent., lib. 3
d. 26 q. 2 a. 3 tit. Utrum spes sit virtus distincta ab aliis |
Article 3 – L’espérance est-elle une vertu distincte des autres [vertus théologales] ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [L’espérance est-elle une vertu distincte des vertus théologales ?] |
[11009] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod spes non sit virtus distincta
ab aliis virtutibus theologicis. Virtutes enim distinguuntur per actus et
objecta. Sed spes est expectatio futurae beatitudinis, quae est etiam objectum
omnium virtutum theologicarum. Ergo spes non distinguitur ab aliis virtutibus
theologicis. |
1. Il semble que l’espérance ne soit pas une vertu distincte des autres vertus théologales. En effet, les vertus se distinguent par leurs actes et leurs objets. Or, l’espérance est l’attente de la béatitude future, qui est aussi l’objet des autres vertus théologales. L’espérance ne se distingue donc pas des autres vertus théologales. |
[11010] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, virtutes theologicae ordinant nos immediate ad Deum. Sed aliquis sufficienter ordinatur per hoc
quod cognoscit eum, et amat ipsum: quod facit fides et caritas. Ergo spes non
distinguitur ab utraque. |
2. Les vertus théologales nous ordonnent immédiatement à Dieu. Or, on [lui] est suffisamment ordonné par le fait de le connaître et de l’aimer, ce que réalisent la foi et la charité. L’espérance ne se distingue pas des deux autres. |
[11011] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, expectare est actus spei. Sed expectare pertinet ad fidem:
quia in symbolo dicitur: expecto resurrectionem mortuorum. Ergo spes
non differt a fide. |
3. Attendre est un acte d’espérance. Or, attendre relève de la foi, car il est dit dans le symbole : « J’attends la résurrection des morts. » L’espérance ne diffère donc pas de la foi. |
[11012] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3
qc. 1 arg. 4 Praeterea, videtur quod nec a caritate. Quia spei est tendere in
Deum, quod est proprium caritatis. Ergo spes non differt a fide, et caritate. |
4. Il semble [que l’espérance ne se distingue] pas non plus de la charité, car il revient à l’espérance de tendre vers Dieu, ce qui est le propre de la charité. L’espérance ne diffère donc pas de la foi ni de la charité. |
[11013] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, 1 Corinth. 13, spes connumeratur aliis duabus. Ergo differt ab eis. |
Cependant, [1] dans 1 Co 13, l’espérance est énumérée avec les deux autres. Elle diffère donc d’elles. |
[11014] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3
qc. 1 s. c. 2 Praeterea, spes
in voluntate dicitur ad similitudinem spei quae est in irascibili, ut prius
dictum est. Sed spes quae
est passio irascibilis, differt a cognitione quae est fidei, et amore qui est
caritatis. Ergo spes quae est in voluntate, differt a fide et caritate. |
[2] On parle de l’espérance qui se trouve dans la volonté par ressemblance avec l’espoir qui se trouve dans l’irascible, comme on l’a dit antérieurement. Or, l’espoir, qui est une passion de l’irascible, diffère de la connaissance qui est celle de la foi, et de l’amour qui est celui de la charité. L’espérance qui se trouve dans la volonté diffère donc de la foi et de la charité. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [L’espérance
doit-elle être formée par la charité ?]
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[11015] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod spes non possit esse nisi formata caritate. Spes enim
praesupponit merita, ut patet ex definitione ipsius. Sed meritum non potest
esse in habente aliquam virtutem informem. Ergo spes non potest esse
informis. |
1. Il semble que l’espérance ne puisse exister que formée par la charité. En effet, l’espérance présuppose des mérites, comme cela ressort de sa définition. Or, le mérite ne peut exister chez celui qui a une vertu informe. L’espérance ne peut donc exister informe. |
[11016] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3
qc. 2 arg. 2 Praeterea, ex hoc
ipso quod tendit fides in Deum, est fides formata. Sed spes habet in Deum tendere. Ergo semper
est spes formata. |
2. Du fait même que la foi tend vers Dieu, elle est une foi formée. Or, l’espérance comporte de tendre vers Dieu. L’espérance est donc toujours formée. |
[11017] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3
qc. 2 arg. 3 Praeterea,
Augustinus dicit, quod omnis affectio ex amore est. Sed spes est affectio
quaedam. Ergo est ex amore. Sed omne quod est ex amore, est formatum: quia
caritatis est formare alias virtutes. Ergo spes semper est formata. |
3. Augustin dit
que « toute affection vient de l’amour ». Or, l’espérance est une
affection. Elle vient donc de l’amour. Or, tout ce qui vient de l’amour est
formé, car il appartient à la charité de former les autres vertus.
L’espérance est donc toujours formée. |
[11018] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3
qc. 2 s. c. 1 Sed contra, sicut
timor est suppliciorum aeternorum, ita et spes praemiorum. Sed timor potest esse formatus et informis.
Ergo et spes. |
Cependant, [1] de même que la crainte porte sur les supplices éternels, de
même l’espérance [porte-elle] sur les récompenses [éternelles]. Or, la
crainte peut être formée ou informe. Donc, l’espérance aussi. |
[11019] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3
qc. 2 s. c. 2 Praeterea,
quicumque non habet spem, est desperatus. Sed quicumque peccat mortaliter,
non habet spem formatam. Si ergo omnis spes esset formata, quicumque peccat
mortaliter, esset desperatus. Sed desperatio est peccatum in spiritum
sanctum. Ergo quicumque peccaret mortaliter, peccaret in spiritum sanctum,
quod est falsum. |
[2] Quiconque ne possède pas l’espérance est désespéré. Or, quiconque pèche mortellement ne possède pas une espérance formée. Si donc toute espérance était formée, quiconque pèche mortellement serait désespéré. Or, le désespoir est le péché contre l’Esprit Saint. Quiconque pécherait mortellement pécherait donc contre l’Esprit, ce qui est faux. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[11020] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod, sicut supra, dist. 13,
quaest. 1, art. 4, quaestiunc. 2, in corp., dictum est, virtutes theologicae
sunt ad ordinandum nos in finem ultimum. Ad hoc autem quod aliquis incipiat
operari propter finem aliquem, oportet primo quod cognoscat finem illum, et secundo
quod desideret ipsum. Sed quia voluntas est possibilium et impossibilium;
neque aliquis operatur propter aliquid quod est impossibile adipisci, quamvis
illud appetat: ideo oportet quod voluntas ad hoc quod operari incipiat,
tendat in illud sicut in possibile: et haec inclinatio voluntatis tendentis
in bonum aeternum quasi possibile sibi per gratiam, est actus spei. Et ideo spes est aliquid distinctum a fide
et caritate: quia fides facit cognitionem de fine, inquantum ostendit finem
bonum esse, et sic insurgit motus caritatis; inquantum vero ostendit finem
esse possibilem, sic insurgit motus spei: quia fides est fundamentum omnium
virtutum, praecedens omnes quantum ad naturalem ordinem actuum. |
Comme on l’a dit plus haut, d 13, q. 1, a. 4, qa 2, c., les vertus théologales existent afin de nous ordonner à la fin ultime. Or, pour que quelqu’un commence à agir en vue d’une fin, il faut, en premier lieu, qu’il connaisse cette fin, et, en second lieu, qu’il la désire. Mais parce que la volonté porte sur ce qui est possible et sur ce qui est impossible, et que l’on n’agit pas en vue de quelque chose qu’il est impossible d’obtenir, bien qu’on le désire, il est donc nécessaire que, pour que la volonté commence à agir, elle tende vers cela comme vers quelque chose de possible. Cette inclination de la volonté tendant vers le bien éternel comme quelque chose qui nous est possible par la grâce est l’acte de l’espérance. C’est pourquoi l’espérance est quelque chose de distinct de la foi et de la charité, car la foi donne la connaissance de la fin, pour autant qu’elle montre que la fin est bonne, et ainsi se lève le mouvement de la charité; mais, pour autant qu’elle montre que la fin est possible, le mouvement de l’espérance se lève ainsi, car la foi est le fondement de toutes les vertus et les précède toutes selon l’ordre naturel des actes. |
[11021] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod idem secundum rem est objectum omnium virtutum theologicarum,
sed differt secundum rationem: quia inquantum est primum verum, est objectum
fidei; inquantum est summum bonum, est objectum caritatis; inquantum est
altissimum arduum, est objectum spei. Et quia beatitudo nominat maxime
arduum, cum sit status omnium bonorum aggregatione completus, ut dicit
Boetius, ideo in definitione spei praecipue ponitur beatitudo. Virtus autem et potentia non differunt ex
objectis secundum differentiam realem objecti, sed secundum diversas rationes
objecti: quae quidem rationes formaliter complent objectum ipsum. |
1. La même réalité est en réalité l’objet de toutes les vertus théologales, mais elle difère selon la raison, car, en tant qu’elle est la Vérité première, elle est objet de la foi; en tant qu’elle est le Bien suprême, elle est objet de la charité; en tant qu’elle est ce qu’il y a de plus élevé et ardu, elle est objet de l’espérance. Et parce que la béatitude désigne ce qu’il y a de plus ardu, puisqu’elle est « l’état achevé de la concentration de tous les biens », comme le dit Boèce, c’est pourquoi la béatitude est placée comme élément principal dans la définition de l’espérance. Mais la vertu et la puissance ne diffèrent pas par les objets selon une différence réelle de l’objet, mais selon les diverses raisons de l’objet, raisons qui complètent de manière formelle l’objet lui-même. |
[11022] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod illa duo non sufficiunt ad hoc quod aliquis incipiat operari propter
finem, ut dictum est in corp. art. |
2. Ces deux choses ne suffisent pas pour que quelqu’un commence à agir en vue d’une fin, comme on l’a dit dans le corps de l’article. |
[11023] Super Sent., lib. 3 d. 26, q. 2 a. 3
qc. 1 ad 2 Ad tertium dicendum, quod fides dicitur expectare, inquantum est
origo expectationis, ostendendo illud quod est expectandum, ex se possibile
acquiri. |
3. On dit que la foi attend dans la mesure où est elle est l’origine de l’attente, en montrant que ce qui doit être attendu peut en soi être acquis. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[11025] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod, sicut supra dictum est,
quaest. praec., art. 8, in corp., desiderium et amor in hoc differunt quod
amor quodammodo importat quamdam convenientiam et connaturalitatem ad amatum,
quod quidem perficitur dum amatum aliquo modo habetur; desiderium autem
importat motum in ipsum amabile nondum habitum; unde motus appetitus incipit
in desiderio, et terminatur in amore completo; et ideo desiderium est quaedam
inchoatio amoris, et quasi quidam amor imperfectus. Sed quia primum habere
rei est secundum quod est in potentia: quia quod est in facultate habentis,
quasi jam haberi reputatur: ideo primum quod amorem inducit, est facultas habendi
id quod desideratur. In hac autem
facultate spes consistit; et ideo amor rei distantis, quae actu non habetur,
praesupponit spem. Sed quia spes non est nisi boni, et primus motus appetitus
in bonum, est desiderium; ideo spes praesupponit desiderium, et est media
inter amorem et desiderium. Et hoc rationabiliter accidit: quia enim
irascibilis est propter concupiscibilem, ideo actus irascibilis a
concupiscibili incipit, et in concupiscibili terminatur. Amor enim et
desiderium in concupiscibili sunt; spes autem in irascibili; et similis est
eorum ordo secundum quod est in voluntate. Unde patet quod actus fidei
praecedit desiderium, quia omnis actus affectivae praesupponit actum
cognitivae; desiderium autem praecedit spem, spes autem amorem; et ideo sicut
fides potest esse informis, quia actus ejus praecedit actum amoris; ita et
spes. |
Comme on l’a dit plus haut, à la question précédente, a. 8, c., le désir et l’amour diffèrent en ceci que l’amour comporte parfois un certain caractère commun et une connaturalité avec ce qui est aimé, qui se réalise lorsque ce qui est aimé est possédé d’une certaine manière. Mais le désir comporte un mouvement vers cela même qui est aimable, mais non encore possédé. Aussi le mouvement de l’appétit commence-t-il par le désir et se termine-t-il par l’amour achevé. C’est pourquoi le désir est un commencement d’amour et comme un amour imparfait. Mais parce que la possession d’une chose se réalise d’abord selon ce qui existe en puissance – car ce qui existe dans la capacité de celui qui possède est considéré comme si cela était déjà possédé ‑, c’est la raison pour laquelle ce qui suscite en premier l’amour est la capacité de posséder ce qui est désiré. Or, l’espérance consiste dans cette capacité. C’est pourquoi l’amour d’une chose éloignée, qui n’est pas possédée en acte, présuppose l’espoir. Mais parce que l’espoir ne porte que sur le bien, et que le premier mouvement de l’appétit vers le bien est le désir, l’espoir présuppose donc le désir et est intermédiaire entre l’amour et le désir. Cela est d’ailleurs raisonnable. En effet, l’irascible existe en vue du concupiscible et se termine dans le concupiscible, car l’amour et le désir se trouvent dans le concupiscible, mais l’espoir dans l’irascible, et leur ordre est le même que celui qui existe dans la volonté. Il est donc clair que l’acte de la foi précède le désir, car tout acte de la partie affective présuppose un acte de la partie cognitive; mais le désir précède l’espoir, et l’espoir, l’amour. Aussi, de même que la foi peut être informe parce que son acte précède l’acte d’amour, de même en est-il de l’espérance. |
[11026] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod spes non praesupponit merita in actu,
sed in proposito. Non enim aliquis sperat propter merita, quasi merita
existentia producant actum spei; sed quia per merita quae proponit, ad
beatitudinem se pervenire sperat. |
1. L’espérance ne présuppose pas de mérites en acte, mais en intention. En effet, quelqu’un n’espère pas à cause des mérites, comme si les mérites existants produisaient l’acte d’espérance, mais parce que, par les mérites qu’il se propose, il espère parvenir à la béatitude. |
[11027] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod fides formata tendit in Deum ex amore; sed spes informis non
est ex amore, sed ex desiderio. |
2. La foi formée tend vers Dieu par l’amour, mais la foi informe [ne le fait pas] par l’amour, mais par le désir. |
[11028] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ibi accipitur amor large pro amore
imperfecto, quod est desiderium, quod est primus motus appetitivae virtutis:
desiderium autem non sufficit ad formandum actus virtutum. |
3. L’amour est entendu là au sens large pour l’amour imparfait qu’est le désir, qui est le premier mouvement de la puissance appétitive; mais le désir ne suffit pas à donner forme aux actes des vertus. |
Articulus 4 [11029] Super Sent., lib. 3
d. 26 q. 2 a. 4 tit. Utrum spes habeat certitudinem in suo actu |
Article 4 – L’acte de l’espérance comporte-il une certitude ? |
[11030] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod spes non habeat certitudinem
in suo actu. Certitudo enim ad cognitionem pertinet, quia dubitationi
opponitur. Sed spes non pertinet ad cognitionem, sed ad affectionem. Ergo ad
spem non pertinet certitudo. |
1. Il semble que l’acte d’espérance ne comporte pas de certitude. En effet, la certitude concerne la connaissance, car elle s’oppose au doute. Or, l’espérance ne concerne pas la connaissance, mais l’affectivité. La certitude ne concerne donc pas l’espérance. |
[11031] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4
arg. 2 Praeterea, de
eo quod nunquam erit, non potest esse certitudo. Sed aliquis habet spem de vita aeterna,
quam nunquam habebit. Ergo spes non
habet certitudinem. |
2. Il ne peut y avoir de certitude de ce qui n’existera jamais. Or, quelqu’un a l’espérance de la vie éternelle qu’il ne possédera jamais. L’espérance ne comporte donc pas de certitude. |
[11032] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4
arg. 3 Praeterea,
omne quod dependet ex contingenti, non potest habere certitudinem, nisi
quando jam est. Sed hunc habere vitam aeternam, dependet ex meritis, quae
sunt ex libero arbitrio, quod est maxime contingens causa. Ergo non potest
esse certitudo de hoc quod iste habeat vitam aeternam; ergo cum spes sit de
hoc, videtur quod spes non habeat certitudinem. |
3. Tout ce qui dépend de quelque chose de contingent ne peut avoir de certitude que lorsque cela existe déjà. Or, le fait pour quelqu’un d’avoir la vie éternelle dépend de ses mérites provenant du libre arbitre, qui est la cause la plus contingente. Il ne peut donc y avoir de certitude du fait que celui-là possédera la vie éternelle. Puisque l’espérance porte sur cela, il semble donc que l’espérance ne comporte pas de certitude. |
[11033] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4
arg. 4 Praeterea, non
potest de eodem esse certitudo, seu securitas, et timor. Sed homo quamdiu in hac
vita est, habet timorem castum de separatione a Deo. Ergo non potest habere
certitudinem de habendo vitam aeternam. |
4. Il ne peut exister pour une même chose certitude, assurance et crainte. Or, l’homme, aussi longtemps qu’il est en cette vie, a une juste crainte d’être séparé de Dieu. Il ne peut donc avoir la certitude de posséder la vie éternelle. |
[11034] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4
arg. 5 Praeterea, nullus
habebit vitam aeternam, nisi habeat caritatem et gratiam. Sed nullus scit se
habere gratiam et caritatem, necdum ut finaliter habeat. Ergo non potest esse in spe certitudo de
vita aeterna. |
5. Personne ne possédera la vie éternelle à moins d’avoir la charité et la grâce. Or, personne ne sait s’il a la grâce et la charité, ni s’il les aura à la fin. Il ne peut donc y avoir de certitude de la vie éternelle dans l’espérance. |
[11035] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4
s. c. 1 Sed contra, 2
Tim. 1, 12: scio cui credidi, et certus sum quia potens est depositum meum
servare in illum diem. Sed hoc ad spem pertinet. Ergo spes habet certitudinem. |
Cependant, [1] 2 Tm 1, 12 dit : Je sais en qui j’ai mis ma foi, et j’ai la certitude, car il est capable de sauver mon dépôt en ce jour. Or, cela relève de l’espérance. L’espérance a donc une certitude. |
[11036] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4
s. c. 2 Praeterea,
philosophus dicit, quod virtus est certior omni arte. Sed spes est virtus. Ergo habet certitudinem. |
[2] Le Philosophe dit que la vertu est plus certaine que l’art. Or, l’espérance est une vertu. Elle possède donc une certitude. |
[11037] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4
s. c. 3 Praeterea, sicut
fides innititur primae veritati, ita spes summae largitati: quia ex gratia
provenit, ut in littera dicitur. Sed summa largitas non potest alicui
deficere, sicut neque prima veritas aliquem decipere. Ergo sicut fides habet
certitudinem, ita et spes. |
[3] De même que la foi se fonde sur la Vérité première, de même l’espérance [se fonde-t-elle] sur la générosité suprême. Or, la libéralité suprême ne peut faire défaut à quelqu’un, pas plus que la Vérité première ne peut tromper quelqu’un. Donc, de même que la foi comporte une certitude, de même aussi l’espérance. |
[11038] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 4 co. Respondeo
dicendum, quod quidam dixerunt, quod spes non habet aliam certitudinem nisi a
fide; sed in hoc differunt quod certitudo fidei est in universali, sicut quod
quilibet bonus habebit vitam aeternam; certitudo autem spei est in
particulari, sicut quod iste, si bene facit, habebit vitam aeternam; et ideo
certitudo fidei est absoluta et universalis, certitudo autem spei
particularis est, et conditionata. Sed hoc non potest stare: quia universale
et particulare non diversificant potentiam neque habitum; unde secundum hoc
spes a fide non differret secundum habitum, neque in alia potentia esset;
quod omnino falsum est. Et ideo aliter est dicendum, quod certitudo proprie
dicitur firmitas adhaesionis virtutis cognitivae in suum cognoscibile. Sed
omnis operatio et motus cujuscumque tendentis in finem est ex cognitione
dirigente, vel conjuncta, sicut in agentibus per voluntatem, vel remota,
sicut in agentibus per naturam. Quia vero non tenderet determinate in finem
suum nisi ab aliqua cognitione praecedente in ipsum ordinaretur, inde est
quod opus naturae est simile operi artis, inquantum per determinata media
tendit in suum finem. Et hoc habet ex determinatione divinae sapientiae
instituentis naturam; et ideo nomina quae ad cognitionem pertinent, ad
naturales operationes transferuntur; sicut dicitur quod natura sagaciter
operatur et infallibiliter; et sic etiam dicitur certitudo in natura tendente
in finem. Et quia virtus in modum naturae operatur inclinando in determinatum
finem, ideo virtus dicitur esse certior arte; sicut et natura inquantum
inclinat infallibiliter, quantum ex ea est, in finem: et talis est certitudo
spei; aliter tamen quam in aliis virtutibus. Quia enim spes supponit
facultatem in finem perveniendi, quae quidem est ex liberalitate divina
ordinante nos in finem, et ex meritis, secundum quae omnes virtutes in finem
ultimum perveniunt; ideo certitudo spei causatur ex liberalitate divina
ordinante nos in finem, et etiam ex inclinatione omnium aliarum virtutum, et
etiam ex inclinatione ipsius habitus: et ideo praeter certitudinem quam habet
ut quaedam virtus, includit certitudinem quae est in omnibus aliis
virtutibus, et ulterius certitudinem divinae ordinationis. |
Réponse. Certains ont dit que l’espérance n’a de certitude que celle de la foi Mais ils divergent sur le fait que la certitude la foi a un caractère universel. Ainsi, tout homme bon aura la vie éternelle. Mais la certitude de l’espérance a un caractère particulier : ainsi, si celui-ci agit bien, il aura la vie éternelle. C’est pourquoi la certitude de la foi est absolue et universelle, mais la certitude de l’espérance est particulière et conditionnelle. Mais cela ne tient pas, car l’universel et le particulier ne diversifient ni une puissance ni un habitus. Aussi l’espérance ne différerait-elle de la foi pour cette raison et ne se trouverait-elle pas non plus dans une autre puissance, ce qui est tout à fait faux. C’est pourquoi il faut dire autre chose. À proprement parler, on appelle certitude la fermeté de l’adhésion d’une puissance cognitive à ce qui est connaissable par elle. Or, toute opération et tout mouvement de celui qui tend vers une fin vient de la connaissance qui dirige ou qui lui est associée, comme dans le cas des agents volontaires, ou qui en est éloignée, comme dans le cas des agents naturels. Mais parce qu’elle ne tendrait pas de manière déterminée vers sa fin si elle n’était ordonnée vers elle par une connaissance préalable, de là vient que l’action de la nature est semblable à l’œuvre de l’art, pour autant qu’elle tend vers sa fin à travers des intermédiaires déterminés. Et elle tient cela de la détermination de la sagesse divine qui crée la nature. C’est ainsi que les mots qui se rapportent à la connaissance sont transférés aux opérations naturelles; ainsi on dit que la nature agit avec sagesse et de manière infaillible; de même aussi parle-t-on de la certitude de la nature qui tend vers sa fin. Et parce que la vertu agit selon le mode de la nature en inclinant vers une fin déterminée, on dit donc que la vertu est plus certaine que l’art, comme la nature, en tant que, d’elle-même, elle incline infailliblement vers sa fin. Telle est la certitude de l’espérance, mais autrement que pour les autres vertus. En effet, parce que l’espérance suppose la capacité de parvenir à la fin, qui vient de la générosité divine qui nous ordonne à cette fin, et des mérites par lesquels toutes les vertus parviennent à la fin ultime, la certitude de l’espérance est donc causée par la générosité divine qui nous ordonne à la fin, par l’inclination de toutes les autres vertus, et aussi par l’inclination de l’habitus lui-même. C’est pourquoi, en plus de la certitude qu’elle possède comme vertu, elle comporte la certitude qui existe dans toutes les autres vertus et, en plus, la certitude d’une disposition divine. |
[11039] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod certitudo primo et principaliter est in cognitione: sed per
similitudinem et participative est in omnibus operibus naturae et virtutis. |
1. La certitude se trouve en premier et principalement dans la connaissance; mais, par ressemblance et par mode de participation, elle se trouve dans toutes les actions de la nature et de la vertu. |
[11040] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod certitudo cognitionis est ex seipsa; certitudo autem naturae
est ex alio ordinante in finem; et ideo certitudo cognitionis nunquam
deficit, sed certitudo naturae deficit quidem non per se, sed per accidens,
quia talis defectus non est ex ipso directivo in finem, ex quo habet
certitudinem, sed ex aliquo accidente; sicut ignis habet certitudinem
absolutam calefaciendi, et tamen deficit quandoque ex aliquo impedimento. Et
similiter est de spe; unde etiam ipsa inclinationis naturae certitudo dicitur
spes, ut patet Rom. 4, 18: qui contra spem in spem credidit. |
2. La certitude de la connaissance vient
d’elle-même; mais la certitude de la nature vient d’un autre qui ordonne à la
fin. C’est pourquoi la certitude de la connaissance ne fait jamais défaut,
mais la certitude de la nature fait parfois défaut, non pas par elle-même,
mais par accident, car un tel défaut ne vient pas de celui-là même qui dirige
vers la fin et dont elle tient sa certitude, mais d’un accident, comme le feu
possède la certitude absolue de réchauffer, mais y fait cependant parfois
défaut en raison d’un empêchement. De même en est-il de l’espérance. Ainsi,
l’inclination de la nature elle-même est-elle appelée une espérance, comme
cela ressort de Rm 4, 18 : Lui
qui a cru en l’espérance contre toute espérance. |
[11041] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4
ad 3 Et similiter
dicendum ad tertium. |
3. Il faut dire la même chose pour le troisième argument. |
[11042] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod quamdiu in hac vita sumus, potest esse accidentale impedimentum
ne spes, quae de se certitudinem habet, suum finem consequatur; et ideo nunc
cum spe adjungitur timor separationis; sed in futuro, quando non poterit esse
accidentale impedimentum, tunc non erit timor separationis, neque etiam spes;
quia quod sperabatur, tunc habebitur. |
4. Aussi longtemps que nous sommes en cette vie, il peut exister un empêchement accidentel à ce que l’espérance, qui de soi possède la certitude, atteigne sa fin. C’est pourquoi la crainte de la séparation est maintenant associée à l’espérance. Mais, dans l’avenir, alors qu’il ne pourra y avoir d’empêchement accidentel, il n’y aura alors pas de crainte de la séparation, ni non plus d’espérance, car ce qui était espéré sera alors possédé. |
[11043] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod licet nesciam utrum finaliter habiturus sim caritatem, tamen
scio quod caritas et merita quae in proposito habeo, ad vitam aeternam
certitudinaliter perducunt. Ex praedictis
patet quod certitudo spei et fidei in quatuor differunt. Primo in hoc quod
certitudo fidei est intellectus, certitudo autem spei est affectus. Secundo, quia certitudo
fidei non potest deficere; sed certitudo spei per accidens deficit. Tertio, quia certitudo fidei est de
complexo; certitudo autem spei est de incomplexo, quod est appetitus
objectum. Quarto, quia certitudini fidei opponitur dubitatio; certitudini
autem spei opponitur diffidentia vel haesitatio. Ideo sciendum est, quod
certitudo spei, quantum ad inclinationem habitus, est major in habente spem
formatam, etiam praescito ad mortem, quam in praedestinato habente spem
informem; sed inquantum includit certitudinem quae est ex Dei ordinatione, et
ex meritis quae sunt in proposito, est aequalis in utroque. |
5. Bien que je ne sache pas si j’aurai la charité à la fin, je sais cependant que la charité et les mérites que j’ai en vue conduisent avec certitude à la vie éternelle. Il ressort clairement de ce qui a été dit plus haut que la certitude de l’espérance et de la foi diffèrent sur quatre points. Premièrement, par le fait que la certitude de la foi relève de l’intellect, mais la certitude de l’espérance, de l’affectivité. Deuxièmement, parce que la certitude de la foi ne peut faire défaut, mais que la certitude de l’espérance peut faire défaut par accident. Troisièmement, la certitude de la foi porte sur une réalité complexe, mais la certitude de l’espérance sur une réalité non complexe, qui est l’objet de l’appétit. Quatrièmement, parce que la doute s’oppose à la certitude de la foi, mais que le manque de confiance ou l’hésitation s’oppose à la certitude de l’espérance. C’est pourquoi il faut savoir que la certitude de l’espérance, pour ce qui est de l’inclination de l’habitus, est plus grande chez celui qui possède une foi formée, même si l’on sait d’avance qu’il est destiné à la mort, que chez le prédestiné qui possède une foi informe; mais, dans la mesure où elle inclut la certitude qui vient d’une disposition divine et des mérites qu’on a en vue, elle est égale chez les deux. |
Articulus 5 [11044] Super Sent., lib. 3
d. 26 q. 2 a. 5 tit. Utrum in Christo fuerit spes |
Article 5 – L’espérance existait-elle chez le Christ ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [L’espérance existait-elle chez le Christ ?] |
[11045] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod in Christo fuerit spes. Ps.
30, 1: in te domine speravi; et exponitur in persona Christi. Ergo
habuit spem. |
1. Il semble que l’espérance existait chez le Christ. Ps 30, 1 : En toi, Seigneur, j’ai espéré : on l’interprète de la personne du Christ. Il a donc possédé l’espérance. |
[11046] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, deerat ei aliquid ad beatitudinem, scilicet gloria
corporis. Ergo potuit illam sperare, cum spes sit expectatio beatitudinis. |
2. Il lui manquait quelque chose pour la béatitude : la gloire du corps. Il pouvait donc l’espérer, puisque l’espérance est l’attente de la béatitude. |
[11047] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5
qc. 1 s. c. 1 Sed contra,
spes est de non visis, Rom. 8. Sed Christus videbat bona aeterna, quorum est
spes. Ergo non habuit spem. |
Cependant, l’espérance porte sur ce qui n’est pas vu, Rm 8. Or, le Christ voyait les biens éternels, sur lesquels porte l’espérance. Il n’avait donc pas l’espérance. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Les anges et
les âmes des saints ont-ils l’espérance ?]
|
[11048] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5
qc. 2 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod Angeli et animae sanctorum spem habeant. Angelis enim accrescit
gaudium ex salute illorum quos custodiunt: Luc. 15, 10: gaudium est
Angelis Dei super uno peccatore poenitentiam agente; et similiter etiam
sancti gaudent de bonis aliorum, quae quotidie fiunt. Ergo habent aliquid
quod sperent. |
1. Il semble que les anges et les âmes des saints aient l’espérance. En effet, la joie pour le salut de ceux qu’ils gardent augmente chez les anges. Lc 5, 10 : Les anges de Dieu se réjouissent pour un pécheur qui fait pénitence; de même aussi, les saints se réjouissent-ils des biens des autres, qui sont accomplis chaque jour. Ils ont donc quelque chose à espérer. |
[11049] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5
qc. 2 arg. 2 Praeterea, animae
sanctorum expectant stolam corporis; unde dictum est eis, Apoc. 6, 11, ut
expectarent adhuc modicum tempus, donec compleantur conservi eorum. Sed expectatio est spei. Ergo ipsi habent
spem. |
2. Les âmes des saints attendent la tunique du corps. Aussi leur a-t-il été dit, Ap 6, 11 : Afin qu’ils attendent encore un peu, le temps que soient au complet ceux qui ont servi avec eux. Or, l’attente relève de l’espérance. Ils ont donc l’espérance. |
[11050] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5
qc. 2 s. c. 1 Sed contra: cum
venerit quod perfectum est, evacuabitur quod ex parte est, 1 Corinth. 13,
10. Sed spes ex parte est, quia est de non habitis. Ergo cum sanctis venerit
quod perfectum est, videtur quod spem non habeant. |
Cependant, lorsque sera venu ce qui est parfait, ce qui est imparfait sera rejeté, 1 Co 13, 10. Or, l’espérance porte sur ce qui est imparfait, car elle porte sur ce qui n’est pas possédé. Lorsque ce qui est parfait sera venu pour les saints, il semble donc qu’ils n’auront pas l’espérance. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Les pères qui
étaient dans les limbes avaient-ils l’espérance ?]
|
[11051] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5
qc. 3 arg. 1 Videtur quod
nec patres qui erant in Limbo, spem habuerint. Quia spes quae differtur,
affligit animam, ut dicitur in Prov. 13, 12. Sed in sanctis patribus qui
erant in Limbo, non erat aliqua afflictio. Ergo non habebant spem. |
1. Il semble que les pères qui étaient dans les limbes n’avaient pas non plus l’espérance, car, l’espérance qui est reportée afflige l’âme, comme il est dit dans Pr 13, 12. Or, chez les saints pères qui se trouvaient dans les limbes, il n’y avait pas d’affliction. Ils n’avaient donc pas d’espérance. |
[11052] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5
qc. 3 arg. 2 Praeterea, spes
procedit ex meritis. Sed ipsi non erant in statu merendi; similiter nec illi
qui sunt in Purgatorio. Ergo non
habent spem. |
2. L’espérance vient des mérites. Or, ceux-ci n’étaient pas en état de mériter; de même ne le sont pas non plus ceux qui sont au purgatoire. Ils ne possèdent donc pas l’espérance. |
[11053] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5
qc. 3 s. c. 1 Sed contra,
quicumque cupit aliquid quod nondum habet, expectat illud. Sed patres qui
erant in Limbo, cupiebant beatitudinem, quam nondum habebant. Ergo
expectabant illam; ergo habebant spem. |
Cependant, quiconque désire quelque chose qu’il n’a pas encore l’attend. Or, les pères qui étaient dans les limbes désiraient la béatitude, qu’ils ne possédaient pas encore. Ils l’attendaient donc. Ils avaient donc l’espérance. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 – [Les damnés et
les démons ont-il l’espérance ?]
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[11054] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5
qc. 4 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod etiam damnati et Daemones habeant spem. Job 40, 28, dicitur de
ipso: spes ejus frustrabitur eum. Ergo habet spem. |
1. Il semble que les damnés et les démons aient l’espérance. En Jb 40, 28, il est dit de lui-même : Son espoir sera illusoire. Il a donc l’espérance. |
[11055] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5
qc. 4 arg. 2 Praeterea,
sicut fides est informis, ita et spes. Sed habent fidem informem. Ergo et
spem. |
2. De même que la foi est informe, de même aussi l’espérance. Or, ils ont une foi informe. Ils ont donc aussi l’espérance. |
[11056] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5
qc. 4 s. c. 1 Sed contra,
spes non est de impossibili. Sed Daemones et damnati, cum sint in malitia
obstinati, non possunt pervenire ad vitam aeternam. Ergo non possunt habere
spem. |
Cependant, l’espérance ne porte pas sur quelque chose d’impossible. Or, les démons et les damnés, puisqu’ils sont obstinés dans le mal, ne peuvent parvenir à la vie éternelle. Ils ne peuvent donc avoir l’espérance. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[11057] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod Christus non habuit
spem: quia spes imperfectionem importat, cum fundetur supra agnitionem
aenigmaticam; nihil autem imperfectionis ex parte perfectionum animae fuit in
Christo; et ideo non fuit in ipso spes. |
Le Christ n’avait
pas l’espérance, car l’espérance comporte une imperfection, puisqu’elle se
fonde sur une connaissance énigmatique. Or, aucune imperfection n’existait
chez le Christ du côté des perfections de l’âme. C’est pourquoi il n’y avait pas d’espérance
chez lui. |
[11058] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod spes sumitur ibi pro expectatione praemii accidentalis, de quo
non est proprie spes, quae habet Deum pro objecto; et ideo non sequitur quod
Christus proprie spem habuerit. |
1. On entend là l’espérance de l’attente de la récompense accidentelle, sur laquelle ne porte pas à proprement parler l’espérance, qui a Dieu comme objet. Il n’en découle donc pas que le Christ ait eu l’espérance au sens propre. |
[11059] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5
qc. 1 ad 2 Et similiter
dicendum ad secundum: quia gloria corporis non est principalis in
beatitudine. |
2. La gloire du corps n’est pas la principale dans la béatitude. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[11060] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam
quaestionem dicendum, quod Angeli et beatorum animae, proprie loquendo, spem
non habent; et hoc patet ex duobus. Primo, quia cum spes sit virtus
theologica, habet Deum pro objecto; et quia gaudium eorum, quod de Deo
habent, crescere non potest, ideo illud quod eis accrescit, non pertinet ad
spem. Secundo, quia est de arduo et difficili; et quia habenti gloriam
essentialem, quae in Dei visione consistit, quidquid aliud creatum est,
parvum est; et ideo non potest esse spes neque de gaudio quod de salute
aliorum eis accrescit, neque de gaudio quod accrescit animae de gloria
corporis; sed potest esse de eis desiderium; et hoc desiderium expectatio
large dicitur. |
Au sens propre, les anges et les âmes des bienheureux n’ont pas l’espérance, et cela ressort de deux choses. Premièrement, parce l’espérance étant une vertu théologale, elle a Dieu pour objet; et parce que leur joie, qu’ils reçoivent de Dieu, ne peut croître; aussi ce qui s’accroît chez eux ne concerne pas à l’espérance. Deuxièmement, parce que [l’espérance] porte sur ce qui est ardu et difficile, et parce que, pour celui qui possède la gloire essentielle qui consiste dans la vision de Dieu, toute autre réalité créée est peu de chose. C’est pourquoi il ne peut exister d’espérance ni de joie qui s’ajoutent chez eux en raison du salut des autres, ni de joie qui s’ajoute à propos de la gloire du corps, mais il peut en exister le désir. Ce désir est appelé au sens large une attente. |
[11061] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 5 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta. |
1-2. Ainsi ressort la réponse aux objections. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
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[11062] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod illi qui sunt in Purgatorio, et
patres qui erant in Limbo, habebant spem: quia spes non evacuatur nisi
secundum hoc quod aliquis habet actu id quod speravit; sicut fides evacuatur
per id quod videt illud quod credidit. Illi autem qui in Limbo patrum erant, et qui sunt modo in Purgatorio,
nondum habent beatitudinem, de qua est spes; et ideo spes eorum quam in hac
vita habebant, non est evacuata. |
Ceux qui sont au purgatoire et les pères qui étaient dans les limbes avaient l’espérance, car l’espérance n’est rejetée que parce que quelqu’un possède en acte ce qu’il espérait, comme la foi est rejetée du fait qu’il voit ce qu’il croyait. Or, ceux qui se trouvaient dans les limbes des pères et sont maintenant au purgatoire ne possèdent pas encore la béatitude sur laquelle porte l’espérance. C’est pourquoi l’espérance qu’ils avaient en cette vie n’a pas été rejetée. |
[11063] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod dilatio spei antiquis patribus non faciebat afflictionem, quia
afflictionis capaces non erant. Vel dicendum, quod quamvis spes ratione
absentiae speranti afflictionem faciat, tamen ratione certitudinis
delectationem facit. Et quia certitudo spei in eis deficere non poterat, ideo
delectatio quae ex certitudine causabatur, absorbebat omnem afflictionem,
quae ex absentia contingere posset. |
1. Le report de l’espérance ne causait pas d’affliction chez les pères anciens, car ils n’étaient pas capables d’affliction. Ou bien il faut dire que, bien que l’espérance cause une affliction chez celui qui espére en raison de l’absence, elle cause cependant une délectation en raison de sa certitude. Et parce que la certitude de l’espérance ne peut leur faire défaut, la délectation qui était causée par la certitude absorbait toute affliction qui pouvait survenir en raison de l’absence. |
[11064] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod quamvis non sint in statu merendi, tamen prius meruerunt, et
ex illis meritis spes eorum provenit. |
2. Bien qu’ils ne soient pas en état de mériter, ils avaient cependant mérité antérieurement, et leur espérance provenait de ces mérites. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la sous-question 4
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[11065] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 5 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod spes fundatur super facultatem
perveniendi ad illud quod speratur, vel veram vel aestimatam. In Daemonibus
autem et damnatis non est facultas ad beatitudinem perveniendi neque in rei
veritate neque in eorum aestimatione, quia suae damnationis ignari non sunt;
et ideo in eis spes futurae beatitudinis esse non potest. |
L’espérance se fonde sur la capacité vraie ou estimée de parvenir à ce qui est espéré. Or, chez les démons et les damnés, il n’existe pas de capacité de parvenir à la béatitude, ni en vérité ni selon leur estimation, car ils n’ignorent pas leur damnation. C’est pourquoi il ne peut exister chez eux d’espérance de la béatitude future. |
[11066] Super Sent., lib. 3 d.
26 q. 2 a. 5 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod spes ibi improprie sumitur pro
expectatione dilationis judicii: unde etiam Christo dicebant, Matth. 8, 29: venisti ante tempus torquere nos. |
1. L’espérance est entendue là au sens
impropre pour l’attente du report du jugement. Aussi disaient-ils aussi au Christ,
Mt 8, 29 : Tu es venu
avant le temps pour nous torturer. |
[11067] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5
qc. 4 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod fides non est tantum de illis quae pertinent ad se, sicut
spes; et ideo possunt habere fidem de Deo et de aliis, non autem spem de
seipsis. Vel dicendum, quod fides informis nullo modo facit tendere in Deum,
sicut facit spes etiam informis aliquo modo, ut prius dictum est; et ideo non
est simile de fide et spe. |
2. La foi ne porte pas seulement sur ce qui concerne soi-même, comme l’espérance. C’est pourquoi ils peuvent avoir la foi en Dieu et dans les autres, mais l’espérance pour eux-mêmes. Ou bien il faut dire que la foi informe ne fait aucunement tendre vers Dieu, comme le fait aussi d’une certaine manière l’espérance informe, ainsi qu’on l’a dit plus haut. C’est pourquoi il n’en va pas de même de la foi et de l’espérance. |
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Expositio textus |
Explication du
texte de Pierre Lombard, Distinction 26
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[11068] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5
qc. 4 expos. Qua spiritualia
et aeterna bona sperantur. Contra. Aeternum est unum tantum. Ergo non debuit pluraliter dicere
aeterna. Praeterea, spes est de futuro. Omne autem futurum, est temporale;
nullum temporale aeternum. Ergo spes non est de aeternis. Praeterea, nullum
temporale aeternum. Ergo superfluit quod dixit, spiritualia. Et dicendum,
quod illud quod per se est aeternum, est unum tantum; sed ejus aeternitas
participatur quantum ad multa bona in beatis, scilicet quantum ad diversas
dotes; et hae participationes dicuntur bona aeterna, non quia careant
principio, sed quia carent fine. Vel referendum est ad pluralitatem
attributorum. Ad secundum dicendum, quod illud quod in se est aeternum, est
futurum speranti; et sic de Deo potest esse spes. Ad tertium dicendum, quod
spiritualia dicit propter dotes corporis, quae corporalia sunt, et quodammodo
aeterna, inquantum in perpetuum durabunt. Vel dicendum, quod utrumque posuit,
ut quasi gradatim ad objectum proprium spei perveniretur: quia est de bono
spirituali, neque quolibet, sed de aeterno, quod est Deus. Est enim spes
certa expectatio futurae beatitudinis. Haec definitio datur per actum, ut
dictum est. Prima autem data fuit per genus. Quam natura praeit caritas.
Verum est secundum quod est virtus, quod non habet nisi secundum quod est
informata caritate. Vel natura praeit, sicut perfectum imperfecto
prius est natura, tempore posterius. Spes est de invisibilibus.
Contra, aliquis sperat pecuniam quam videt. Dicendum, quod spes, proprie
loquendo, est de non habitis. In spiritualibus autem et aeternis, ea videre,
est ipsa habere; non autem in corporalibus; et ideo dicitur esse de
invisibilibus. Vel dicendum, quod dicitur esse de invisibilibus, inquantum
est de futuris: quia pecunia etsi videatur in se, non tamen videtur ut possessa;
et hoc modo spes in ipsam tendit. Spes autem non nisi bonarum rerum est,
nec nisi futurarum rerum, et ad eum pertinentium qui earum spem gerere
perhibetur. Contra, Luc. 24, 21: nos autem sperabamus quod ipse esset
redempturus Israel. Ergo spes est etiam de alienis. Praeterea, aliquis
desperat de aliquo alio, sicut dicit Augustinus, quod de nemine est
desperandum, quamdiu est in hac vita. Ergo et sperari potest de alienis.
Praeterea, sicut homo expectat bonum proprium, ita et per invidiam malum alienum.
Ergo spes est etiam de malis. Praeterea, beatitudo nec in se est futura, sed aeterna; nec respectu
praesciti, quia nunquam habebit eam. Ergo spes non semper est de futuris. Et dicendum ad primum, quod spes
est de re aliqua, sicut dicitur: spero beatitudinem; et sic non est nisi de
pertinentibus ad se. Est etiam de eventu, sicut dicimus: spero quod hoc
eveniat; et sic est de illis quae ad alios pertinent: tamen de hoc eventu non
est spes nisi inquantum aestimatur ut bonum speranti. Et per hoc patet solutio
ad secundum. Ad tertium dicendum, quod malum alterius invidus aestimat bonum
suum; unde est de malo alieno sicut de bono suo. Ad quartum dicendum, quod
quamvis praescitus non sit habiturus vitam aeternam in rei veritate, et ita
non sit ei futura; est tamen ei futura quantum ad suam aestimationem, alias
non speraret; et iterum inquantum est in ordine divinae largitatis et
possibilitatis istius vel ad recipiendum gratiam vel merendum; sicut dicitur
illud futurum ad cujus eventum sunt causae ordinatae in natura, quamvis
nunquam eveniat, secundum quod dicit philosophus 2 de generatione, quod
futurus quis incedere, non incedet. |
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Distinctio 27 |
Distinction 27 –
[La charité]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Qu’est-ce que l’amour ?]
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Prooemium |
Prologue |
[11069] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de fide et
spe, hic tertio determinat de caritate. Dividitur autem haec pars in duas: in
prima determinat de caritate qua nos diligimus Deum; in secunda de caritate
qua nos diligit Deus, dist. 32: praemissis adjiciendum est de dilectione
Dei qua ipse diligit nos. Prima in duas: in prima determinat de ipsa
caritate; in secunda de caritatis duratione, ibi: illud quoque non est
praetermittendum quod quidam asserunt caritatem semel habitam ab aliquo non
posse excidere. Prima in duas: in prima determinat de ipsa dilectione
caritatis; in secunda de his quae per caritatem diliguntur, dist. 28, ibi: hic
quaeri potest, utrum in illo mandato dilectionis proximi totum proximum (...)
diligere praecipiamur. Prima in tres partes: in prima continuat se ad
praecedentia; in secunda prosequitur suam intentionem, ibi: caritas est
dilectio qua diligitur Deus; in tertia continuat se ad sequentia, ibi: sed
quae hac dilectione diligenda sint, inquiramus. Secunda harum partium
dividitur in duas: in prima determinat de dilectione caritatis, secundum quod
duobus praeceptis imperatur; in secunda ostendit quod illa duo praecepta
mutuo se includunt, ibi: cum autem duo sint praecepta caritatis, pro
utroque saepe unum ponitur. Prima in duas: in prima determinat de
dilectione caritatis, secundum quod per duo praecepta in duo diligenda
dirigitur, scilicet Deum et proximum; in secunda inquirit modum dilectionis
quantum ad utrumque diligibile, ibi: consequenter modum utriusque dilectionis
advertamus. Circa primum duo facit: primo ostendit quod per caritatem
Deus et proximus diligitur; secundo ostendit quod ex eadem caritate, ibi: hic
quaeritur, si ex eadem dilectione diligitur Deus qua diligitur proximus.
Consequenter modum utriusque dilectionis advertamus. Hic ostendit modum
praedictae dilectionis: et primo quantum ad dilectionem proximi; secundo
quantum ad dilectionem Dei, ibi: dilectionis autem Dei modus insinuatur
cum dicitur, ex toto corde. Et circa hoc tria facit: primo ostendit
dilectionis nostrae modum respectu Dei; secundo ostendit ubi modus ille
observari possit, ibi: illud autem praeceptum non penitus impletur ab
homine in hac mortali vita. Tertio movet quamdam quaestionem, ibi: sed
cur praecipitur homini ista perfectio. Hic est triplex quaestio. Prima de
amore in generali. Secunda de caritate. Tertia de actu et modo caritatis.
Circa primum quaeruntur quatuor: 1 quid sit amor; 2 in quo sit; 3 de
comparatione ejus ad alias animi affectiones; 4 de comparatione ejus ad ea
quae in cognitione sunt. |
Après avoir déterminé de la foi et de l’espérance, le Maître détermine ici, en troisième lieu, de la charité. Cette partie se divise en deux : dans la première, il détermine de la charité par laquelle nous aimons Dieu; dans la seconde, de la charité par laquelle Dieu nous aime, d. 32 : « Il faut ajouter à ce qui a été dit plus haut l’amour de Dieu, par lequel lui-même nous aime. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de la charité elle-même; dans la seconde, de la durée de la charité, à cet endroit : « Il ne faut pas omettre que certains affirment que la charité une fois possédée par quelqu’un ne peut être retranchée... » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de l’amour de charité lui-même; dans la seconde, de ceux qui sont aimés de charité, d. 28, à cet endroit : « Ici, on peut se demander si, par ce commandement de l’amour du prochain, il nous est ordonné d’aimer… tout prochain. » La première partie se divise en trois : dans la première, il poursuit ce qui précède; dans la deuxième, il traite de son intention, à cet endroit : « La charité est l’amour par lequel Dieu est aimé »; dans la troisième, il se rattache à ce qui suit, à cet endroit : « Mais recherchons ceux qui doivent être aimés de cet amour. » La seconde partie se divise en deux : dans la première, il détermine de l’amour de charité, selon qu’il relève de deux commandements; dans la seconde, il montre que ces deux commandements s’incluent mutuellement, à cet endroit : « Puisqu’il existe deux commandements de la charité, l’un est souvent pris pour les deux. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de l’amour de charité, selon qu’il est orienté par deux commandements à l’amour de deux réalités : Dieu et le prochain; dans la seconde, il s’enquiert du mode de l’amour selon ces deux objets d’amour, à cet endroit : « En conséquence, tournons-nous vers le mode des deux amours. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre que, par la charité, Dieu et le prochain sont aimés; deuxièmement, il montre que c’est par la même charité, à cet endroit : « Ici, on se demande si Dieu est aimé par la même charité que le prochain. » « En conséquence, tournons-nous vers le mode des deux amours. » Ici, il montre le mode de l’amour dont il a été question : premièrement, pour l’amour du prochain; deuxièment, pour l’amour de Dieu, à cet endroit : « Le mode de l’amour de Dieu est déclaré lorsqu’il est dit : De tout ton cœur. » À ce sujet, il fait trois choses. Premièrement, il montre le mode de notre amour envers Dieu. Deuxièmement, il montre où ce mode peut être observé, à cet endroit : « Mais ce commandement n’est pas pleinement accompli par l’homme en cette vie mortelle. » Troisièmement, il soulève une question, à cet endroit : « Mais pourquoi cette perfection est-elle ordonnée à l’homme ? » Il y a ici une triple question. La première porte sur l’amour en général. La deuxième, sur la charité. La troisième, sur l’acte et le mode de la charité. À propos du premier point, quatre questions sont posées : 1 – Qu’est-ce que l’amour ? 2 – Chez qui existe-t-il ? 3 –Sa comparaison avec les autres affections de l’âme. 4 – Sa comparaison avec ce qui existe dans la connaissance. |
Articulus 1 [11070] Super Sent., lib. 3
d. 27 q. 1 a. 1 tit. Utrum definitio Dionysii de amore, secundum omnem
partem suam sit bona |
Article 1 – La définition que Denys donne de l’amour est-elle bonne en toutes ses parties ? |
[11071] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Dionysius 4 cap. de Div. Nom. sic definit
amorem: amor virtus est unitiva, movens superiora ad providentiam minus
habentium, idest inferiorum: coordinata autem, idest aequalia, rursus
ad communicativam alternam habitudinem: subjecta, idest inferiora, ad
meliorum, idest superiorum, conversionem. Sed videtur quod inconvenienter
definiatur hic amor. Nulla enim passio est virtus, ut dicitur 2 Eth. Sed amor
est passio. Ergo non est virtus. |
1. Denys définit ainsi l’amour dans Les noms divins, IV : « L’amour est une puissance unitive qui meut les réalités supérieures à s’occuper de ceux qui ont moins ‑ c’est-à-dire les inférieures; les réalités ordonnées entre elles, ‑ c’est-à-dire, les réalités égales ‑, à établir un rapport réciproque; celles qui sont soumises – c’est-à-dire les inférieures ‑, à se toourner vers les meilleures – c’est-à-dire les réalités supérieures. » Or, il semble que l’amour soit défini ici de manière inappropriée. En effet, aucune passion n’est une vertu, comme il est dit dans Éthique, II. Or, l’amour est une passion. Il n’est donc pas une vertu. |
[11072] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1
arg. 2 Praeterea,
Augustinus dicit, quod amor est jam habiti. Sed illud quod jam habitum est,
quodammodo est unitum. Ergo amor non est virtus unitiva, sed unionem sequens. |
2. Augustin dit que « l’amour porte sur ce qui est déjà possédé ». Or, ce qui est déjà possédé est uni d’une certaine manière. L’amour n’est donc pas une puissance unitive, mais il découle de l’union. |
[11073] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1
arg. 3 Praeterea, illud
quod magis salvatur in dissimilitudine non habet vim uniendi. Sed amor magis
salvatur in dissimilitudine quam in similitudine. Videmus enim quod artifices
unius artis, sicut figuli, corrixantur ad invicem; cum aliis autem
artificibus pacifice vivunt. Similiter stomachus vacuus cibum amat, quem
plenus abhorret. Ergo amor non
habet vim uniendi. |
3. Ce qui est davantage préservé dans la dissimilitude n’a pas de puissance unitive. Or, l’amour est davantage préservé dans la dissimilitude que dans la similitude. En effet, nous voyons que les artisans d’un art, comme les potiers, se querellent entre eux, mais ils vivent en paix avec les autres artisans. De même, un estomac vide aime la nourriture, que celui qui est rempli déteste. L’amour n’a donc pas la capacité d’unir. |
[11074] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1
arg. 4 Praeterea,
Dionysius, inter proprietates amoris ponit acutum et fervidum; et etiam
liquefactio ponitur effectus amoris; Cant. 5, 6: anima mea liquefacta est.
Dionysius etiam ponit effectum amoris extasim, idest extra se positionem.
Haec autem omnia ad divisionem pertinere videntur, quia acuti est penetrando
dividere; fervidi vero per exhalationem resolvi; liquefactio autem divisio
quaedam est congelationi opposita: quod etiam est extra se positum, a seipso
dividitur. Ergo amor magis est vis divisiva quam unitiva. |
4. Parmi les propriétés de l’amour, on dit qu’il est pénétrant et fervent; la liquéfaction est aussi donnée comme un effet de l’amour, Ct 5, 6 : Mon âme a fondu. Denys donne aussi comme effet de l’amour l’extase, c’est-à-dire le fait d’être hors de soi. Or, toutes ces choses semblent se rapporter à la division, car il revient à ce qui est aigu de diviser en pénétrant, mais à ce qui est fervent, de se dissoudre en rendant l’âme; la liquéfaction est aussi une certaine division opposée à la congélation; et ce qui est mis hors de soi est divisé de soi. L’amour est donc plutôt une puissance de division que d’union. |
[11075] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1
arg. 5 Praeterea, omnis
concretio est quaedam unio. Ergo superfluum fuit utrumque ponere in
definitione amoris, unitivum, et concretivum. |
5. Toute cohésion est une union. Il était donc superflu de placer les deux dans la définition de l’amour : [sa capacité] d’union et de cohésion. |
[11076] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1
arg. 6 Praeterea,
amor est passio. Sed passionis non est movere, immo motionis et actionis
effectum esse. Ergo amor non est movens superiora, ut ipse dicit. |
6. L’amour est une passion. Or, il n’appartient pas à la passion de mouvoir, mais plutôt d’être l’effet d’un mouvement et d’une action. L’amour ne meut donc pas les réalités supérieures, comme il le dit. |
[11077] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1
arg. 7 Praeterea,
superiora inclinantur ad agendum in inferiora ex propriis formis. Sed agendo
in ipsa eis provident. Ergo non est amoris movere superiora ad providendum inferioribus, sed
naturae. |
7. Les réalités supérieures sont inclinées à agir sur les inférieures en raison de leurs propres formes. Or, en agissant sur elles, elles s’en occupent. Il ne revient donc pas à l’amour, mais à la nature, de mouvoir les réalités supérieures afin de s’en occuper. |
[11078] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1
arg. 8 Praeterea, omne
quod communicat aliquid alicui praefertur illi. Ergo non est aequalium ut
sibi mutuo per amorem communicent. |
8. Tout ce qui communique quelque chose à quelqu’un le dépasse. Il ne revient donc pas aux réalités égales de se rejoindre mutuellement par l’amour. |
[11079] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1
arg. 9 Praeterea, omne
quod fit ex amore procedit ex principio intrinseco, quod est voluntarium. Sed
conversio inferiorum ad superiora est ex principio extrinseco, scilicet ex
ipsa actione superiorum, qua sibi ea assimilant. Ergo amor inferiora non
convertit ad superiora. |
9. Tout ce qui est fait par amour provient d’un principe intérieur qui est volontaire. Or, le fait pour les réalités inférieures de se tourner vers les réalités supérieures vient d’un principe extrinsèque : l’action même des réalités supérieures, par laquelle elles se les assimile. L’amour ne tourne donc pas les réalités inférieures vers les réalités supérieures. |
[11080] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod amor ad appetitum pertinet; appetitus autem
est virtus passiva; unde in 3 de anima, dicit philosophus, quod appetibile
movet sicut movens motum. Omne autem
passivum perficitur secundum quod informatur per formam sui activi; et in hoc
motus ejus terminatur et quiescit; sicut intellectus, antequam formetur per
forma intelligibilis, inquirit et dubitat: qua cum informatus fuerit,
inquisitio cessat, et intellectus in illo figitur; et tunc dicitur
intellectus firmiter illi rei inhaerere. Similiter quando affectus vel
appetitus omnino imbuitur forma boni quod est sibi objectum, complacet sibi
in illo, et adhaeret ei quasi fixus in ipso; et tunc dicitur amare ipsum.
Unde amor nihil aliud est quam quaedam transformatio affectus in rem amatam.
Et quia omne quod efficitur forma alicujus, efficitur unum cum illo; ideo per
amorem amans fit unum cum amato, quod est factum forma amantis; et ideo dicit
philosophus 9 Ethic., quod amicus est alter ipse; et 1 Corinth. 6, 17: qui
adhaeret Deo unus spiritus est. Unumquodque autem agit secundum
exigentiam suae formae, quae est principium agendi et regula operis. Bonum
autem amatum est finis: finis autem est principium in operabilibus sicut
prima principia in cognoscendis. Unde sicut intellectus formatus per
quidditates rerum ex hoc dirigitur in cognitione principiorum, quae scitis
terminis cognoscuntur; et ulterius in cognitionibus conclusionum, quae notae
fiunt ex principiis; ita amans, cujus affectus est informatus ipso bono, quod
habet rationem finis, quamvis non semper ultimi, inclinatur per amorem ad
operandum secundum exigentiam amati; et talis operatio est maxime sibi
delectabilis, quasi formae suae conveniens; unde amans quidquid facit vel
patitur pro amato, totum est sibi delectabile, et semper magis accenditur in
amatum, inquantum majorem delectationem in amato experitur in his quae
propter ipsum facit vel patitur. Et sicut ignis non potest retineri a motu
qui competit sibi secundum exigentiam suae formae, nisi per violentiam; ita
neque amans quin agat secundum amorem; et propter hoc dicit Gregorius, quod
non potest esse otiosus, immo magna operatur, si est. Et quia omne violentum
est tristabile, quasi voluntati repugnans, ut dicitur 5 Metaphys.; ideo etiam
est poenosum contra inclinationem amoris operari, vel etiam praeter eam;
operari autem secundum eam, est operari ea quae amato competunt. Cum enim
amans amatum assumpserit quasi idem sibi, oportet ut quasi personam amati
amans gerat in omnibus quae ad amatum spectant; et sic quodammodo amans amato
inservit, inquantum amati terminis regulatur. Sic ergo Dionysius completissime rationem
amoris in praedicta assignatione ponit. Ponit enim ipsam unionem amantis ad
amatum, quae est facta per transformationem affectus amantis in amatum, in
hoc quod dicit amorem esse unitivam et concretivam virtutem; et ponit
inclinationem ipsius amoris ad operandum ea quae ad amatum spectant, sive sit
superius, sive inferius, sive aequale, in hoc quod dicit: movens superiora
et cetera. |
Réponse. L’amour relève de l’appétit; or, l’appétit est une puissance passive. Aussi, dans Sur l’âme, III, le Philosophe dit-il que ce qui est désirable meut comme un moteur qui est mû. Or, tout ce qui est passif est achevé en recevant la forme de ce qui le meut; c’est en cela que son mouvement se termine et se repose, comme l’intellect, avant qu’il ne reçoive une forme par la forme (corr. forma/formam) de l’intelligible, cherche et doute; lorsqu’il en a reçu la forme, la recherche cesse et l’intellect se fixe sur cela. On dit alors que l’intellect adhère fermement à cette chose. De la même manière, lorsque l’affectivité ou l’appétit est entièrement imprégnée par la forme du bien qui est son objet, elle se plaît en lui et y adhère comme si elle était établie en lui. On dit alors qu’elle l’aime. L’amour n’est donc rien d’autre qu’une transformation de l’affectivité en la chose aimée. Et parce que tout ce qui devient la forme de quelque chose devient un avec lui, celui qui aime devient un par l’amour avec ce qui est aimé, qui est devenu la forme de celui qui aime. C’est pourquoi le Philosophe dit, dans Éthique, IX, que « l’ami est un autre soi-même »; et il est dit dans 1 Co 6, 17 : Celui qui adhère à Dieu est un seul esprit [avec lui]. Or, tout agit selon que sa forme l’exige, laquelle est le principe de l’action et la règle de l’œuvre. Or, le bien aimé est une fin, et la fin est, pour ce qui est objet d’action, comme les premiers principes pour ce qui objet de connaissance. De même donc que l’intellect, formé par les quiddités des choses, est ainsi dirigé dans la connaissance des principes, qui sont connus du fait que les termes sont connus, et, par la suite, dans la connaissance des conclusions, qui deviennent connues par les principes, de même celui qui aime, dont l’affectivité a reçu la forme du bien lui-même, qui a raison de fin, bien que ce ne soit pas toujours [le bien] ultime, est incliné par l’amour à agir selon que l’exige celui qui est aimé. Et une telle action lui est au plus haut point délectable, comme si elle convenait à sa forme. Quoi que fasse ou subisse pour l’aimé celui qui aime, tout lui est délectable, et il s’enflamme toujours davantage pour l’aimé, dans la mesure où il éprouve une plus grande délectation pour l’aimé dans ce qu’il fait ou supporte pour lui. Et de même que le feu ne peut être empêché que par la violence dans le mouvement qui lui convient selon que l’exige sa forme, de même celui qui aime [ne peut-il être empêché] d’agir selon son amour. Pour cette raison, Grégoire dit qu’« il ne peut rester inactif, bien plus, il fait de grandes choses, s’il aime ». Et parce que tout ce qui est violent est source de tristesse puisque que cela répugne à la volonté, ainsi qu’il est dit dans Métaphysique, V, il est aussi pénible d’agir à l’encontre de l’inclination de l’amour ou encore indépendamment d’elle; mais agir selon elle, c’est faire ce qui convient à l’aimé. En effet, puisque celui qui aime a considéré l’aimé comme identique à lui-même, il est nécessaire que celui qui aime joue le rôle de l’aimé en tout ce qui concerne l’aimé. Celui qui aime devient ainsi d’une certaine manière l’esclave de l’aimé, pour autant qu’il est soumis aux termes de l’aimé. Ainsi donc, Denys donne-t-il de manière très complète la raison de l’amour dans la définition rappelée. En effet, il indique l’union même de celui qui aime avec l’aimé, qui s’est réalisée par la transformation de l’affectivité de celui qui aime en l’aimé, lorsqu’il dit que l’amour a une capacité d’union et d’assemblage; et il indique l’inclination de l’amour lui-même à faire ce qui concerne l’aimé, qu’il [lui] soit supérieur, inférieur ou égal, lorsqu’il dit : « … qui meut les réalités supérieures, etc. » |
[11081] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus hic non sumitur pro habitu, sicut
in 2 Ethic., sed communiter pro omni eo quod potest esse principium alicujus
operationis vel motus. Et quia amor inclinationem facit ad operandum, ut
dictum est, ideo amorem virtutem dicit. |
1. La vertu n’est pas considérée ici comme un habitus, comme dans Éthique, II, mais, d’une manière générale, pour tout ce qui peut être principe d’une action ou d’un mouvement. Et parce que l’amour donne une inclination à agir, ainsi qu’on l’a dit, il appelle donc l’amour une vertu. |
[11082] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod amor dicitur esse habiti, si ut formatum habet suam formam:
quam quidem formationem desiderium praecedit in ipsam tendens, sicut ratio
intellectum vel scientiam; et ideo dicitur esse non habiti. Unde amor dicitur virtus unitiva formaliter:
quia est ipsa unio vel nexus vel transformatio qua amans in amatum
transformatur, et quodammodo convertitur in ipsum. Vel dicendum, quod
quietatio affectus in aliquo, quam amor importat, non potest esse nisi
secundum convenientiam unius ad alterum: quae quidem convenientia est
secundum quod ab uno participatur id quod est alterius; et sic amans
quodammodo habet amatum; unde conjunctio quae in habere importatur, est conjunctio
rei ad rem, et praecedit unionem rei ad affectum, quae est amor. |
2. On dit que l’amour est le fait de ce qui est possédé comme si ce qui en a reçu la forme possédait sa forme. Le désir précède une telle formation en tendant vers elle, comme la raison [précède] la simple intelligence ou la science. C’est pourquoi on dit qu’il est le fait de ce qui n’est pas possédé. L’amour est ainsi appelé une puissance unitive de manière formelle, car il est l’union même, le nœud ou la transformation par lesquels celui qui aime est transformé en l’aimé et, d’une certaine manière, est changé en lui. Ou bien il faut dire que l’apaisement de l’affectivité en quelqu’un, entraîné par l’amour, ne peut exister que selon une conformité de l’un par rapport à l’autre, conformité qui vient de ce l’un participe à ce qu’est l’autre. Ainsi, celui qui aime possède d’une certaine manière l’aimé. L’union qui est impliquée par le fait de posséder est donc l’union d’une réalité à une autre et elle précède l’union de la réalité à l’affectivité qu’est l’amour. |
[11083] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod amoris radix, per se loquendo, est similitudo amati ad
amantem; quia sic est ei bonum et conveniens. Contingit autem per accidens dissimilitudinem amoris et similitudinem
odii esse causam tripliciter. Uno modo quando affectus amantis non sibi
complacet, neque quiescit in conditione vel aliqua proprietate sui ipsius,
sicut cum quis aliquid in se ipso odit; et tunc oportet quod diligat ipsum
qui in hoc est sibi dissimilis, quia ex hoc ipso quod est dissimilis sibi in
conditione, efficitur similis affectui suo; et e contrario odit illum qui
sibi similatur, et affectui suo non similatur. Secundo quando aliquis ex ipsa
similitudine impedit amantem ab amati fruitione; et hoc invenitur in omnibus
rebus quae non possunt simul a multis haberi, sicut sunt res temporales; unde
qui amat lucrum de aliqua re, vel delectationem, impeditur a fruitione sui
amati per alium, qui sibi vult similiter illud appropriare; et hinc oritur
zelotypia, quae non patitur consortium in amato; et invidia, inquantum bonum
alterius aestimatur impeditivum boni proprii. Tertio secundum quod
dissimilitudo praecedens facit percipi amorem sequentem. Quia enim sentimus
in hoc quod sensus movetur (quae quidem motio cessat, quando sensibile jam
effectum est forma sentientis), ideo ea quae consuevimus, non ita percipimus;
sicut patet de fabris, quorum aures plenae sunt sonis malleorum; et propter
hoc amor magis sentitur, quando affectus de novo per amorem ad aliquid
transformatur. Et ideo etiam quando aliquis non habet praesentiam sui amati,
magis fervet et anxiatur de amato, inquantum magis amorem percipit, quamvis
apud praesentiam amati non sit amor minor, sed minus perceptus. Unde
Augustinus: amor ipse non ita sentitur cum eum non prodit indigentia:
quoniam semper praesto est quod amatur. |
3. À parler en soi, la racine de l’amour est la ressemblance de l’aimé avec celui qui aime, car c’est ainsi qu’il est un bien pour lui et lui convient. Mais il arrive par accident qu’une dissemblance soit cause d’amour et une ressemblance, cause de haine de trois manières. Premièrement, lorsque l’affectivité de celui qui aime ne se plaît pas à elle-même et ne se repose pas dans sa condition ou dans une de ses propriétés, comme lorsque quelqu’un hait quelque chose en lui-même; il faut alors qu’il aime celui qui lui est en cela dissemblable, car par le fait même qu’il lui est dissemblable par sa condition, il lui devient semblable par son affectivité; en sens contraire, il hait celui qui est semblable à lui et n’est pas semblable à son affectivité. Deuxièmement, lorsque quelqu’un, en raison de la ressemblance elle-même, empêche celui qui aime de jouir de l’aimé. Cela se rencontre dans toutes les choses qui ne peuvent être possédées en même temps par plusieurs, comme le sont les choses temporelles; ainsi celui qui aime tirer un gain ou un plaisir d’une chose est empêché de jouir de ce qu’il aime par un autre, qui veut semblablement se l’approprier. De là naissent la jalousie, qui ne souffre pas le partage de ce qui est aimé, et l’envie, pour autant que le bien de l’autre est estimé empêcher son bien propre. Troisièmement, une dissimilitude précédente fait percevoir un amour subséquent. En effet, parce que nous sentons du fait que le sens est mû (ce mouvement cesse lorsque le sensible est devenu la forme de celui qui sent), nous ne percevons pas autant ce à quoi nous sommes habitués, comme cela ressort chez les artisans, dont les oreilles sont remplies par les bruits des marteaux. Pour cette raison, l’amour est davantage ressenti lorsque l’affectivité est transformée en quelque chose pour la première fois par l’amour. C’est pourquoi aussi, lorsque quelqu’un n’a pas la présence de ce qu’il aime, il s’échauffe et s’inquiète davantage de l’aimé, dans la mesure où il perçoit davantage l’amour, bien que, lors de la présence de l’aimé, l’amour ne soit pas plus faible, mais moins perçu. Aussi Augustin dit-il : « L’amour même n’est pas autant ressenti lorsque le manque ne le manifeste pas, car ce qui est aimé est toujours là. » |
[11084] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in amore est unio amantis ad amatum, sed est
ibi triplex divisio. Ex hoc enim quod amor transformat amantem in amatum,
facit amantem intrare ad interiora amati, et e contra; ut nihil amati amanti
remaneat non unitum; sicut forma pervenit ad intima formati, et e converso;
et ideo amans quodammodo penetrat in amatum, et secundum hoc amor dicitur
acutus: acuti enim est dividendo ad intima rei devenire; et similiter amatum
penetrat amantem, ad interiora ejus perveniens; et propter hoc dicitur quod
amor vulnerat, et quod transfigit jecur. Sed quia nihil potest in alterum
transformari nisi secundum quod a sua forma quodammodo recedit, quia unius
una est forma, ideo hanc divisionem penetrationis praecedit alia divisio, qua
amans a seipso separatur in amatum tendens; et secundum hoc dicitur amor
extasim facere, et fervere, quia quod fervet extra se bullit, et exhalat. Quia vero nihil a se recedit nisi soluto eo
quod intra seipsum continebatur, sicut res naturalis non amittit formam nisi
solutis dispositionibus quibus forma in materia retinebatur, ideo oportet
quod ab amante terminatio illa, qua infra terminos suos tantum continebatur,
amoveatur; et propter hoc amor dicitur liquefacere cor, quia liquidum suis
terminis non continetur; et contraria dispositio dicitur cordis duritia. |
4. Dans l’amour, existe l’union de celui qui aime avec ce qui est aimé, mais il s’y trouve une triple division. En effet, parce que l’amour transforme celui qui aime en l’aimé, il fait entrer celui qui aime à l’intérieur de l’aimé, et vice-versa, de sorte que rien de l’aimé ne demeure non uni, comme une forme atteint l’intimité de ce qui est formé, et vice-versa. C’est pourquoi celui qui aime pénètre d’une certaine manière dans l’aimé. Sous cet aspect, on dit que l’amour est acéré. En effet, c’est le propre de ce qui est acéré de parvenir à l’intimité d’une chose en la divisant. De même, l’aimé pénètre dans celui qui aime en parvenant jusqu’à son intimité : pour cette raison, on dit que l’amour blesse et transperce le cœur. Mais parce que rien ne peut être transformé en un autre sans se retirer d’une certaine manière de sa propre forme, puisque il n’y a qu’une seule forme pour un seul être, une autre division précède cette division de la pénétration, par laquelle celui qui aime est séparé de lui-même en tendant vers l’aimé; on dit ainsi que l’amour provoque l’extase et brûle, car ce qui brûle bouillonne hors de soi et expire. Mais parce que rien ne se retire de soi qu’en rompant ce qui était contenu à l’intérieur de soi-même, comme une chose naturelle ne se défait de sa forme qu’en rompant les dispositions par lesquelles la forme était retenue dans la matière, il est nécessaire que soit enlevée par celui qui aime la délimitation par laquelle il était gardé à l’intérieur de ses limites, car un liquide n’est pas maintenu dans ses limites; une disposition contraire est appelée dureté de cœur. |
[11085] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod unio est duplex. Quaedam quae facit unum secundum quid, sicut
unio congregatorum se superficialiter tangentium; et talis non est unio
amoris, cum amans in interiora amati transferatur, ut dictum est. Alia est
unio quae facit unum simpliciter, sicut unio continuorum, et formae et
materiae; et talis est unio amoris, quia amor facit amatum esse formam
amantis; et ideo supra unionem addit concretionem, ad differentiam primae
unionis, quia concreta dicuntur quae simpliciter unum sunt effecta; unde et
alia littera habet continuativa. |
5. L’union est double. L’une qui rend un de manière relative, comme l’union d’aggrégats qui se touchent de manière superficielle. Telle n’est pas l’union d’amour, puisque celui qui aime est transporté à l’intérieur de l’aimé, comme on l’a dit. L’autre est une union qui rend un simplement, comme l’union de ce qui est continu et celle de la forme et de la matière. Telle est l’union d’amour, car l’amour fait en sorte que l’aimé est la forme de celui qui aime. C’est pourquoi il ajoute à l’union l’incorporation, à la différence de la première union, car on dit que les choses qui sont rendues unes simplement sont incorporées. Aussi une autre version porte-t-elle continuativa. |
[11086] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1
ad 6 Ad sextum
dicendum, quod appetitus, ut dictum est, movet motus: unde passio, quia movetur
ab amato, est ulterius movens secundum exigentiam amati. |
6. Comme on l’a dit, l’appétit meut en tant qu’il est mû. Aussi la passion, parce qu’elle est mue par ce qui est aimé, meut-elle par la suite comme l’exige ce qui est aimé. |
[11087] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1
ad 7 Ad septimum
dicendum, quod ipsa inclinatio superiorum ad providendum inferioribus, quae
est eis ex propriis formis, amor eorum dicitur, ut infra patebit. |
7. L’inclination même des réalités supérieures à s’occuper des réalités inférieures, qui se réalise chez elles par leurs propres formes, est appelée leur amour, comme cela ressortira plus loin. |
[11088] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1
ad 8 Ad octavum
dicendum, quod non est inconveniens aequalium simpliciter, unum altero, quo
ad quid, majus esse, secundum quod unum indiget altero. |
8. Il n’est pas inapproprié qu’un égal soit plus grand que l’autre sous un aspect, selon que l’un a besoin de l’autre. |
[11089] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 1 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod conversio qua inferiora ad superiora
convertuntur, est ordinatio eorum ad finem a superioribus intentum. Et
quamvis hujusmodi ordinatio sit a principio extrinseco inquantum ab ipsis
superioribus inferiora ordinantur in fines superiorum; nihilominus est et a principio
intrinseco, inquantum in inferioribus est quaedam inclinatio ad hoc, vel ex
natura, sicut in amore naturali, vel ex voluntate, sicut est in amore
animali; et propter hoc Deus dicitur omnia suaviter disponere, inquantum
singula etiam ex seipsis faciunt hoc ad quod ordinata sunt. |
9. La conversion par laquelle des réalités inférieures se tournent vers des réalités supérieures est leur orientation vers la fin visée par les réalités supérieures. Bien que cette orientation vienne d’un principe extrinsèque, dans la mesure où les réalités inférieures sont ordonnées aux fins des réalités supérieures par celles-ci, elle vient néanmoins aussi d’un principe intrinsèque, dans la mesure où il existe à cela une certaine inclination chez les réalités inférieures, soit par leur nature, comme dans l’amour naturel, soit par volonté, comme dans l’amour animal. Pour cette raison, on dit que Dieu a tout disposé avec douceur, dans la mesure où chaque chose fait aussi par soi-même ce à quoi elle a été ordonnée. |
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Articulus 2 [11090] Super Sent., lib. 3
d. 27 q. 1 a. 2 tit. Utrum amor sit tantum in concupiscibili |
Article 2 – L’amour se trouve-t-il seulement dans le concupiscible ? |
[11091] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod amor non sit tantum in
concupiscibili. Dionysius enim ponit amorem esse divinum, angelicum,
intellectualem, animalem, naturalem. Sed quidquid est in nobis, pertinet ad
intellectum, vel animalitatem, vel naturam. Ergo in omnibus quae sunt in
nobis, invenitur amor. |
1. Il semble que l’amour se trouve seulement dans le concupiscible. En effet, Denys affirme que l’amour est divin, angélique, intellectuel, animal, naturel. Or, tout ce qui est en nous se rapporte à l’intellect, à l’animalité ou à la nature. On trouve donc l’amour dans tout ce qui est en nous. |
[11092] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea,
Commentator ibidem ponit duas definitiones amoris. Prima est haec: amor
est connexio vel vinculum, quo omnium rerum universitas ineffabili amicitia
insolubilique unitate copulatur. Secunda est: amor est naturalis motus
omnium rerum quae in motu sunt, finis, quietaque statio, ultra quam nullius
creaturae progreditur motus. Ex quibus est accipere quod amor in omnibus rebus invenitur. Ergo et
in omnibus quae in nobis sunt, sive sint partes animae, sive corporis. |
2. Le Commentateur donne au même endroit deux définitions de l’amour. La première est celle-ci : « L’amour est une union ou un lien, par lequel l’ensemble de toutes les choses est uni par une amitié ineffable et une unité indissoluble. » La seconde est : « L’amour est un mouvement naturel de toutes les choses qui sont en mouvement, une fin et un repos apaisé, au-delà desquels ne s’avance le mouvement d’aucune créature. » On comprend de cela que l’amour se trouve dans toutes les choses. [Il est donc] dans tout ce qui est en nous, que ce soit les parties de l’âme ou celles du corps. |
[11093] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2
arg. 3 Praeterea, omnis
potentia delectatur in conjunctione sui convenientis. Sed delectatio non est
nisi in re animata. Ergo et
cuilibet potentiae inest amor sui convenientis. |
3. Toute puissance se délecte dans l’union avec ce qui lui convient. Or, la délectation n’existe que dans une chose animée. L’amour de ce qui lui convient se trouve donc dans n’importe quelle puissance. |
[11094] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2
arg. 4 Praeterea, sicut
praedictum est, art. praeced., et ex praedicta definitione colligitur, amor
est finis et quietatio appetitivi motus. Sed cuilibet potentiae quae in nobis
est, inest appetitus proprii boni, et tendit in ipsum. Ergo in qualibet
potentia est invenire amorem. |
4. Comme on l’a dit plus haut, à l’article précédent, et comme on le conclut de la définition rappelée plus haut, l’amour est la fin et l’apaisement d’un mouvement de l’appétit. Or, un appétit de son propre bien est présent dans toutes les puissances qui sont en nous et il tend vers lui. On trouve donc l’amour en toute puissance. |
[11095] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, ad minus irascibilis ad partem appetitivam pertinet.
Appetitivae autem partis universale objectum est bonum. Cum ergo amor sit
boni, videtur quod amor non sit tantum in concupiscibili, sed etiam in
irascibili. |
5. L’irascible appartient au moins à la partie appétitive. Or, l’objet universel de la partie appétitive est le bien. Puisque l’amour porte sur le bien, il semble donc que l’amour ne se trouve pas seulement dans le concupiscible, mais aussi dans l’irascible. |
[11096] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2
s. c. 1 Sed contra est,
quod dicit philosophus in 2 Top., quod amor est in concupiscibili. |
Cependant, [1] le Philosophe dit en sens contraire, dans Topiques, II, que l’amour se trouve dans le concupiscible. |
[11097] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, ordo partium animae proportionatur ordini partium corporis.
Sed in partibus corporis unum membrum officium suum exercet respectu omnium
membrorum, sicut pes non solum se, sed omnia alia membra portat. Ergo et concupiscibilis non solum sibi, sed
omnibus aliis concupiscit et amat; et ita amor eorum quae ad omnes potentias
pertinent, in concupiscibili esse videtur. |
[2] L’ordre entre les parties de l’âme est proportionné à l’ordre entre les parties du corps. Or, dans les parties du corps, un seul membre exerce sa fonction par rapport à tous les membres, comme le pied porte non seulement lui-même, mais tous les autres membres. Le concupiscible ne désire et n’aime donc pas seulement pour lui-même, mais pour tous les autres, et ainsi l’amour de ce qui se rapporte à toutes les puissances semble se trouver dans le concupiscible. |
[11098] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2
s. c. 3 Praeterea,
amor non est nisi cogniti. Si ergo in omnibus viribus esset amor proprii
boni, pari ratione in omnibus esset cognitio proprii boni; quod falsum est. |
[3] L’amour ne peut porter que sur ce qui est connu. Si donc existait un amour de son propre bien dans toutes les puissances, il existerait pour la même raison en toutes une connaissance de leur propre bien, ce qui est faux. |
[11099] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2
s. c. 4 Praeterea,
objectum concupiscibilis est bonum concupiscenti conveniens absolute. Sed
quidquid est bonum secundum unamquamque potentiam est concupiscenti
conveniens. Ergo appetere bonum uniuscujusque potentiae pertinet ad
concupiscibilem, et eadem ratione amor; et ita amor non erit nisi in
concupiscibili. Probatio primae. Si enim objectum concupiscibilis non esset
bonum conveniens concupiscenti simpliciter, esset objectum ejus bonum conveniens
solum concupiscibili. Bonum autem conveniens unicuique potentiae est per
comparationem ad suum actum, sicut bonum conveniens visui, id quod est bonum
ad videndum. Ergo secundum hoc, objectum concupiscibilis esset bonum sub hac
ratione qua est bonum ad concupiscendum. Sed hoc est impossibile: quia
concupiscere id quod est bonum ad concupiscendum, sequitur reflexionem
concupiscibilis super actum suum, secundum quod concupiscit se concupiscere,
vel bene concupiscere: illud enim ad quod aliquid est bonum, per prius
desideratur, cum sit finis. Sed reflexionem potentiae super suum actum praecedit naturaliter
simplex actus ipsius potentiae in suum objectum directe tendens, sicut per
prius video colorem, quam videam me videre. Ergo objectum concupiscibilis non potest esse aliquid sub hac ratione
quod est bonum ad concupiscendum: quia concupiscere hoc esset naturaliter
prius et posterius reflexione concupiscibilis supra suum actum; quod est
impossibile. Ergo necessarium est alterum dare, scilicet quod bonum conveniens
concupiscenti absolute sit objectum concupiscibilis. |
[4] L’objet du concupiscible est un bien qui convient de manière absolue à celui qui désire. Or, tout ce qui est bon en chaque puissance convient à celui qui désire. Désirer le bien de toutes les puissances relève donc du concupiscible et, pour la même raison, l’amour. Ainsi, l’amour ne se trouvera que dans le concupiscible. Démonstration de la majeure. En effet, si l’objet du concupiscible n’était pas un bien qui convient simplement à celui désire, son objet ne conviendrait qu’au seul concupiscible. Or, le bien qui convient à chaque puissance se prend par rapport à son acte, comme le bien qui convient à la vue est ce qui est bon à voir. L’objet du concupiscible serait ainsi bon sous l’aspect où il est bon à désirer. Or, cela est impossible, car désirer ce qui est bon à désirer découle d’un retour du concupiscible sur son propre acte, selon qu’il désire lui-même désirer ou bien désirer. En effet, ce pour quoi quelque chose est bon est désiré en priorité, puisque cela est la fin. Or, l’acte simple de la puissance elle-même qui tend directement vers son objet précède le retour de la puissance sur son prope acte, comme je vois en priorité une couleur avant que je ne me voie voir. L’objet du concupiscible ne peut donc être quelque chose sous l’aspect où cela est bon à désirer, car désirer cela serait naturellement antérieur et postérieur au retour du concupiscible sur son propre acte, ce qui est impossible. Il est donc nécessaire de dire autre chose : le bien qui convient à celui qui désire est de manière absolue l’objet du concupiscible. |
[11100] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod omne quod sequitur aliquem finem, oportet
quod fuerit aliquo modo determinatum ad illum finem: alias non magis in hunc
finem quam in alium perveniret. Illa autem determinatio oportet quod proveniat ex intentione finis,
non solum ex natura tendente in finem: quia sic omnia essent casu, ut quidam
philosophi posuerunt. Intendere autem finem impossibile est, nisi cognoscatur
finis sub ratione finis, et proportio eorum quae sunt ad finem in finem
ipsum. Cognoscens
autem finem et ea quae sunt ad finem, non solum seipsum in finem dirigit, sed
etiam alia, sicut sagittator emittit sagittam ad signum. Sic ergo dupliciter
aliquid tendit in finem. Uno modo directum in finem a seipso, quod est tantum
in cognoscente finem et rationem finis. Alio modo directum ab alio; et hoc modo
omnia secundum suam naturam tendunt in fines proprios et naturales, directa a
sapientia instituente naturam. Et secundum hoc invenimus duos appetitus: scilicet appetitum
naturalem, qui nihil aliud est quam inclinatio rei in finem suum naturalem
qui est ex directione instituentis naturam, et iterum appetitum voluntarium,
qui est inclinatio cognoscentis finem, et ordinem in finem illum; et inter
hos duos appetitus est unus medius, qui procedit ex cognitione finis sine hoc
quod cognoscatur ratio finis et proportio ejus quod est ad finem, in finem
ipsum; et iste est appetitus sensitivus. Et hujusmodi duo appetitus
inveniuntur tantum in natura vivente et cognoscente. Omne autem quod est
proprium naturae viventis, oportet quod ad aliquam potentiam animae reducatur
in habentibus animam; et ideo oportet unam potentiam animae esse cujus sit
appetere, condivisam contra eam cujus est cognoscere, sicut etiam substantiae
separatae dividuntur in intellectum et voluntatem, ut dicunt philosophi. Sic
ergo patet quod in hoc differt appetitus naturalis et voluntarius, quod
inclinatio naturalis appetitus est ex principio extrinseco; et ideo non habet
libertatem, quia liberum est quod est sui causa: inclinatio autem voluntarii
appetitus est in ipso volente; et ideo habet voluntas libertatem. Sed
inclinatio appetitus sensitivi partim est ab appetente, inquantum sequitur
apprehensionem appetibilis; unde dicit Augustinus, quod animalia moventur
visis: partim ab objecto, inquantum deest cognitio ordinis in finem: et ideo
oportet quod ab alio cognoscente finem, expedientia eis provideantur. Et
propter hoc non omnino habent libertatem, sed participant aliquid libertatis.
Omne autem quod est a Deo, accipit aliquam naturam qua in finem suum ultimum
ordinetur. Unde oportet in omnibus creaturis habentibus aliquem finem
inveniri appetitum naturalem etiam in ipsa voluntate respectu ultimi finis;
unde naturali appetitu vult homo beatitudinem, et ea quae ad naturam
voluntatis spectant. Sic ergo dicendum est, quod naturalis appetitus inest
omnibus potentiis animae et partibus corporis respectu proprii boni; sed
appetitus animalis, qui est boni determinati, ad quod non sufficit naturae
inclinatio, est alicujus determinatae potentiae, vel voluntatis vel
concupiscibilis. Et inde est quod omnes aliae vires animae coguntur a suis
objectis praeter voluntatem: quia omnes aliae habent appetitum naturalem
tantum respectu sui objecti; voluntas autem habet praeter inclinationem
naturalem, aliam, cujus est ipse volens causa. Et similiter dicendum est de
amore, qui est terminatio appetitivi motus: quia amor naturalis est in
omnibus potentiis et omnibus rebus; amor autem animalis, ut ita dicam, est in
aliqua potentia determinata, vel voluntate, secundum quod dicit terminationem
appetitus intellectivae partis; vel in concupiscibili, secundum quod dicit
determinationem sensitivi appetitus. |
Réponse. Tout ce qui découle d’une fin doit d’une certaine manière avoir été déterminé à cette fin, autrement cela ne parviendrait pas à cette fin plutôt qu’à une autre [fin]. Or, cette détermination doit provenir de l’intention de la fin, et non seulement de la nature qui tend vers cette fin, car alors tout serait hasard, comme l’ont affirmé certains philosophes. Or, avoir l’intention d’une fin est impossible à moins que la fin ne soit connue sous la raison de fin, ainsi que la proportion de ce qui est ordonné à la fin vers la fin même. Or, celui qui connaît la fin et ce qui est ordonné à la fin ne dirige pas seulement lui-même vers la fin, mais aussi d’autres choses, comme l’archer lance la flèche vers la cible. Ainsi donc, quelque chose tend de deux manières vers la fin. Premièrement, en tant que dirigé vers la fin par lui-même, ce qui n’existe que chez celui qui connaît la fin et la raison de fin. D’une autre manière, en tant que dirigé par un autre, et, de cette manière, toutes choses tendent selon leur nature vers leurs fins propres et naturelles, dirigées par la sagesse qui crée la nature. De sorte que nous trouvons deux appétits : l’appétit naturel, qui n’est rien d’autre que l’inclination d’une chose à sa fin naturelle, qui vient de la direction de celui qui crée la nature; et l’appétit volontaire, qui est l’inclination de celui qui connaît la fin et l’ordre à cette fin. Entre ces deux appétits, il existe un qui est intermédiaire : il vient de la connaissance de la fin sans que la raison de fin ne soit connue, ni proportion à la fin elle-même de ce qui est ordonné à la fin : c’est l’appétit sensible. Ces deux appétits se trouvent seulement dans la nature vivante et connaissante. Or, tout ce qui est propre à la nature du vivant doit se ramener à une puissance de l’âme chez ceux qui ont une âme; aussi est-il nécessaire qu’existe une puissance de l’âme à qui il appartient de désirer, par opposition à celle à laquelle il appartient de connaître, de la même manière que les substances séparées se divisent en intellect et volonté, comme le disent les philosophes. Ainsi donc, il ressort que l’appétit naturel et l’appétit volontaire diffèrent en ceci que l’inclination de l’appétit naturel vient d’un principe extrinsèque : c’est pourquoi il n’a pas de liberté, car est libre ce qui est cause de soi. Mais l’inclination de l’appétit volontaire se trouve à l’intérieur de celui-là même qui veut : la volonté possède donc la liberté. Mais l’inclination de l’appétit sensible vient en partie de celui qui désire, pour autant qu’il découle de la perception de ce qui est désirable. Aussi Augustin dit-il que « les animaux sont mus par ce qui est vu », en partie par l’objet, dans la mesure où la connaissance de l’ordre à la fin leur fait défaut. C’est pourquoi il faut que ce qui leur convient leur soit assuré par un autre qui connaît la fin. Or, tout ce qui vient de Dieu reçoit une certaine nature par laquelle il est ordonné à sa fin ultime. Il faut donc que, dans toutes les créatures qui ont une fin, se trouve aussi dans la volonté elle-même un appétit naturel par rapport à la fin ultime. C’est ainsi que l’homme veut par appétit naturel la béatitude et ce qui concerne la nature de la volonté. Il faut donc dire qu’un appétit naturel est inhérent à toutes les puissances de l’âme et à toutes les parties du corps par rapport à leur propre bien; mais l’appétit animal, qui porte sur un bien déterminé, pour lequel l’inclination de la nature ne suffit pas, relève d’une puissance déterminée, soit de la volonté, soit du concupiscible. De là vient que toutes les puissances de l’âme sont entraînées par leurs objets au-delà de la volonté, car toutes les autres possèdent un appétit naturel seulement par rapport à leur objet, mais la volonté en possède un autre en plus de l’inclination naturelle, dont celui qui veut est lui-même la cause. Il faut dire la même chose de l’amour, qui est l’achèvemenet du mouvement appétitif, car un amour naturel existe dans toutes les puissances et dans toutes les choses; mais l’amour animal, pour ainsi parler, existe dans une puissance déterminée, soit dans la volonté, selon que [cette puissance] exprime l’achèvement de l’appétit de la partie intellectuelle, soit dans le concupiscible, selon qu’elle exprime une détermination de l’appétit sensible. |
[11101] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod Dionysius accipit amorem communiter ad naturalem, sensitivum
quem animalem dicit, et intellectivum, quem dicit intelligibilem, quantum ad
homines; angelicum et divinum, quantum ad substantias separatas. Et ponit
quinque haec, quia non possunt esse plures gradus appetitus: quia in Deo est
voluntarius appetitus tantum, quia ipse determinat omnia et non determinatur
ab aliquo: in Angelis autem voluntarius cum naturali, inquantum determinatur
a Deo ad aliquid volendum naturaliter; in homine autem voluntarius cum
sensibili et naturali; in animalibus sensibilis cum naturali; in aliis
naturalis tantum. |
1. D’une manière générale, Denys entend l’amour de l’amour naturel; sensible, qu’il appelle « animal »; intellectuel, qu’il appelle intelligible, pour ce qui est des hommes; angélique et divin, pour ce qui est des substances séparées. Il présente ces cinq [amours], parce qu’il ne peut y avoir plus de degrés de l’appétit, car, en Dieu, il n’existe qu’un appétit volontaire, puisqu’il détermine lui-même toutes choses et n’est déterminé par rien. Chez les anges, il existe un [appétit] volontaire associé à un appétit naturel, pour autant qu’il est déterminé par Dieu à vouloir quelque chose naturellement; chez l’homme, un [appétit] volontaire associé à un appétit sensible et à un appétit naturel; chez les animaux, un [appétit] sensible associé à un appétit naturel; chez les autres choses, un [appétit] naturel seulement. |
[11102] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2
ad 2 Et similiter
etiam dicendum ad secundum, quod Commentator definit amorem, secundum quod se
habet ad omnes communiter. |
2. Le Commentateur définit l’amour selon qu’il se rapporte à tous d’une manière générale. |
[11103] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod delectatio causatur ex conjunctione convenientis. Conveniens
enim adveniens perficit id cui advenit, et quietat inclinationem in illud; et
haec quietatio, secundum quod est percepta, est delectatio; unde Plato dixit,
quod delectatio est generatio sensibilis, idest cognita, in naturam,
idest connaturalis; unde in his quae cognitionem non habent, non est
delectatio aliquo modo. In quodlibet
autem conveniens habenti cognitionem est duplex inclinatio: scilicet
appetitus naturalis, et appetitus animalis; et utraque inclinatio quietatur
per rem praesentem, et utraque etiam quietatio percipitur; unde ex utraque
parte delectatio causatur. Delectatio ergo quae est quietatio appetitus
naturalis, invenitur in omni potentia cui conjungitur suum objectum;
delectatio vero quae est quietatio appetitus animalis, est tantum in
concupiscibili, vel voluntate. Prima autem delectatio dicitur tantum
delectatio, proprie loquendo, et opposita passio dolor; sed secunda
delectatio habet etiam nomen gaudii, et opposita passio dicitur tristitia.
Unde quamvis delectatio et dolor sint aliquo modo in omnibus potentiis
animae, tamen gaudium et tristitia sunt tantum in concupiscibili vel
voluntate. |
3. La délectation est causée par l’union avec ce qui convient. En effet, la venue de ce qui convient perfectionne ce à quoi cela est advenu et apaise son inclination vers lui. Cet apaisement, selon qu’il est perçu, est la délectation. Aussi Platon disait-il que la délectation est « une génération sensible », c’est-à-dire connue, « à l’intérieur de la nature », c’est-à-dire connaturelle. C’est ainsi que, là où il n’y a pas de connaissance, n’existe de délectation d’aucune manière. Or, il existe une double inclination à tout ce qui convient à celui qui a la connaissance : l’appétit naturel et l’appétit animal. Les deux inclinations sont apaisées par la présence de la chose et les deux apaisements sont aussi perçus. Aussi la délectation est-elle causée des deux côtés. La délectation qui est l’apaisement de l’appétit naturel se trouve donc en toute puissance à laquelle est uni son objet; mais la délection qui est l’apaisement de l’appétit animal existe seulement dans le concupiscible ou dans la volonté. Or, la première délectation s’appelle seulement plaisir (delectatio) au sens propre et la passion opposée est la douleur; mais la seconde délectation porte aussi le nom de joie et la passion opposée est la tristesse. Ainsi, bien que la délectation et la douleur existent d’une certaine manière dans toutes les puissances de l’âme, la joie et la tristesse n’existent cependant que dans le concupiscible ou la volonté. |
[11104] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2
ad 4 Ad quartum
dicendum sicut ad primum: quia ratio procedit de appetitu naturali. |
4. Il faut répondre comme au premier argument, car la raison fonctionne à partir de l’appétit naturel. |
[11105] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod amor animalis non pertinet ad irascibilem; quia objectum
amoris est bonum sine adjunctione ardui vel difficilis, quod est proprium
objectum irascibilis. |
5. L’amour animal ne relève pas de l’irascible, car l’objet de l’amour est le bien sans ajout d’ardu ou de difficile, ce qui est l’objet propre de l’irascible. |
Articulus 3 [11106] Super Sent., lib. 3
d. 27 q. 1 a. 3 tit. Utrum amor sit prima et principalior affectio animae |
Article 3 – L’amour est-il la première et la principale disposition affective de l’âme ? |
[11107] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod amor non sit prima et principalis inter omnes alias
animae affectiones. Motus enim praecedit terminum. Sed amor est determinatio
appetitivi motus, ut patet ex dictis, art. 1. Ergo amor sequitur desiderium
quod motum ipsum appetitus importat. |
1. Il semble que l’amour ne soit pas la première et la principale parmi toutes les autres dispositions affectives de l’âme. En effet, le mouvement précède le terme. Or, l’amour est une détermination du mouvement de l’appétit, comme cela ressort de ce qui a été dit, a. 1. L’amour suit donc le désir, qui exprime le mouvement même de l’appétit. |
[11108] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3
arg. 2 Praeterea,
propter quod unumquodque, illud magis. Sed amoris causa est delectatio; unde
et quaedam amicitia super delectabili fundatur. Ergo delectatio est principalior affectio
quam amor. |
2. Ce pour quoi chaque chose existe l’emporte. Or, la cause de l’amour est la délectation; aussi toute amitié est-elle fondée sur quelque chose de délectable. La délectation est donc une disposition affective plus importante que l’amour. |
[11109] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3
arg. 3 Praeterea,
Augustinus dicit in Lib. 83 Quaestion., quod nemo est qui non magis dolorem
fugiat quam appetat voluptatem. Sed fuga doloris facit odium, sicut appetitus delectationis facit amorem.
Ergo odium est vehementior passio quam amor. |
3. Augustin dit dans le Livre sur 83 questions, que « tous fuient la douleur plutôt qu’ils ne désirent la volupté ». Or, la fuite de la douleur engendre la haine, comme le désir de la délectation engendre l’amour. La haine est donc une passion plus impétueuse que l’amour. |
[11110] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3
arg. 4 Praeterea, illud
quod vincitur ab alio, est minus potens. Sed amor vincitur ab ira: quia ira
odium parit, ut dicit Augustinus. Ergo ira est vehementior passio quam amor. |
4. Ce qui est vaincu par un autre est moins puissant. Or, l’amour est vaincu par la colère, car « la colère engendre la haine », comme le dit Augustin. La colère est donc une passion plus impétueuse que l’amour. |
[11111] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3
arg. 5 Praeterea,
illud propter quod agunt quaecumque agunt, est efficacissimum. Sed sicut
Dionysius dicit in Lib. de Divin. Nom. propter pacem agunt quaecumque. Ergo
pax inter omnes affectiones est efficacissima, etiam respectu amoris. |
5. Ce pour quoi on fait tout ce qu’on
fait est ce qui est le plus efficace. Or, comme le dit Denys dans le Livre sur les noms divins, « tout
agit en vue de la paix ». La paix est donc, parmi toutes les
dispositions affectives, la plus efficace, même par rapport à l’amour. |
[11112] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3
s. c. 1 Sed contra est
quod dicit Augustinus, quod omnis affectio ex amore est. |
Cependant, [1] Augustin dit que « toute disposition affective vient de l’amour ». |
[11113] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3
s. c. 2 Praeterea, bonum
est objectum affectus. Sed illud quod primo respicit ad bonum, est amor. Ergo amor est principium totius
affectionis, et principalior passio. |
[2] Le bien est l’objet de l’affectivité. Or, c’est l’amour qui regarde d’abord le bien. L’amour est donc le principe de toute disposition affective et la passion principale. |
[11114] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3
s. c. 3 Praeterea, amor
igni comparatur, et etiam morti, ut patet Cant. 8. Sed his nihil est
vehementius. Ergo nulla
passio est vehementior amore. |
[3] L’amour est comparé au feu et même à la mort, comme cela ressort de Ct 8. Or, rien n’est plus impétueux qu’eux. Aucune passion n’est donc plus forte que l’amour. |
[11115] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3
s. c. 4 Praeterea,
Chrysostomus dicit: magnum amor, nec est aliquid quod ejus impetum
sustinere possit. |
[4] [Jean] Chrysostome dit : « L’amour est une grande chose, et il n’y a rien qui puisse résister à son élan. » |
[11116] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod inter alias affectiones animae amor est
prior. Amor enim dicit terminationem affectus per hoc quod informatur suo
objecto. In omnibus autem hoc invenitur quod motus procedit a primo immobili
quieto: quod quidem patet in naturalibus: quia primum movens in quolibet genere
est non motum illo genere motus, sicut primum alterans est non alteratum. Similiter patet de intellectualibus: quia
motus rationis discurrentis procedit a principiis et quidditatibus rerum,
quibus intellectus informatus terminatur. Cum ergo affectus informetur et
terminetur amore, sicut intellectus principiis et quidditatibus, ut prius
dictum est, oportet quod omnis motus affectivae procedat ex quietatione et
terminatione amoris. Et quia omne quod est primum in aliquo genere, est
perfectius, sicut intellectus principiorum in demonstrabilibus; et motus
caeli in naturalibus; ideo oportet quod amor inter ceteras affectiones etiam
sit vehementior, ut patebit per singula. |
Réponse. Parmi toutes les dispositions affectives de l’âme, l’amour est la première. En effet, l’amour exprime l’achèvement de la puissance affective du fait qu’elle reçoit la forme de son objet. Or, en tout, l’on trouve que le mouvement vient de ce qui est le premier immobile au repos. Cela ressort dans les réalités naturelles, car le premier moteur de tous les genres est quelque chose qui n’est pas mû par ce genre de mouvement : ainsi, le premier qui altère n’est pas altéré. De même, cela ressort dans les réalités intellectuelles, car le mouvement discursif de la raison vient des principes et des quiddités des choses dans lesquelles l’intellect qui a reçu une forme trouve son terme. Puisque la puissance affective reçoit sa forme par l’amour et se termine par lui, comme l’intellect, par les principes et les quiddités, comme on l’a dit plus haut, il est donc nécessaire que tout mouvement de la partie affective provienne de l’apaisement et de l’accomplissement de l’amour. Et parce que tout ce qui est premier dans un genre est plus parfait, comme l’intelligence des principes pour ce qui est démontrable et le mouvement du ciel pour les réalités naturelles, il faut donc que l’amour soit aussi la plus impétueuse parmi les autres dispositions affectives, comme cela ressortira pour chaque cas. |
[11117] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut in operatione intellectus
concluditur quidam circulus, ita et in operatione affectus. Intellectus enim
ex certitudine principiorum, quibus immobiliter assentit, procedit
ratiocinando ad conclusiones, in quarum cognitione certitudinaliter quiescit,
secundum quod resolvuntur in prima principia, quae in eis sunt virtute.
Similiter etiam affectus ex amore finis, qui est principium, procedit
desiderando in ea quae sunt ad finem, quae prout accipit ut finem in se
aliquo modo continentia, per amorem in eis quiescit; et ideo desiderium sequitur
amorem finis, quamvis praecedat amorem eorum quae sunt ad finem. Est etiam
amor vehementior affectio quam desiderium, inquantum dicit terminationem et
informationem affectus per appetibile ad quod movetur desiderium. |
1. De même que, dans l’opération de l’intellect, s’achève un cercle, de même dans l’opération de la puissance affective. En effet, l’intellect, à partir de la certitude des principes auxquels il donne un assentiment immuable, poursuit jusqu’aux conclusions en raisonnant; il se repose avec certitude dans la connaissance de celles-ci, selon qu’elles se ramènent aux premiers principes qui existent en puissance en elles. De la même manière aussi, la puissance affective, à partir de l’amour de la fin, qui est le principe, poursuit par le désir de ce qui est ordonné à la fin : elle s’y repose par l’amour, dans la mesure où elle le perçoit comme contenant en soi la fin d’une certaine manière. C’est pourquoi le désir découle de l’amour de la fin, bien qu’il précède l’amour de ce qui est ordonné à la fin. L’amour est aussi une disposition affective plus impétueuse que le désir dans la mesure où il exprime l’achèvement et la formation de la puissance affective par l’objet désirable vers lequel le désir est mû. |
[11118] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3
ad 2 Ad secundum dicendum, quod amor naturaliter praecedit delectationem:
delectatio enim contingit ex conjunctione rei convenientis realiter; amor
autem facit quod amatum sit amanti conveniens, et quasi connaturale, inquantum
unit affectum amantis amato, ut dictum est; et ideo ex amati reali praesentia
consurgit delectatio. Sed quia delectabile etiam potest amari ut quoddam
bonum, ideo contingit per accidens ut aliquis amor ex delectatione causetur,
sicut actus ab objecto vel fine. Qui enim aliquid propter delectationem amat,
delectationem ipsam praecipue amat. Quamvis ergo quaedam delectatio quodam
amore sit prior, tamen amor delectatione simpliciter est prior. Similiter
etiam vehementior: quia amor est per informationem appetitus ab appetibili;
delectatio autem per conjunctionem rei, ex re praesente sibi conveniente. Non
est autem tanta conjunctio rei ad rem, sicut appetitus ad appetibile: quia
res adveniens, quae delectationem causat, non conjungitur secundum naturam,
quia hoc non fit illud; unde est ibi conjunctio quasi contactus: sed
appetitus est ipsius appetibilis secundum suam naturam et substantiam. Unde quando appetitus informatur per
appetibile, est quasi conjunctio continuitatis et concretionis; unde amor
plus unit quam delectatio, quia facit quod amans sit secundum affectum ipsa
res amata; delectatio autem est per participationem alicujus ab illo,
secundum quod est realiter praesens. Sciendum autem, quod quando amatum est
praesens realiter, secundum quod possibile est, tunc est delectatio, sicut ex
conjunctione maxime convenientis. Quando autem est omnino absens secundum
rem, tunc maxime affligit; sicut ex divisione continui sequitur dolor, quia
amor est continuativa vis, ut dictum est; et inde dicitur, quod amor languere
facit. Quando autem est secundum aliquid praesens, et secundum aliquid
absens, tunc habet delectationem admixtam afflictioni. |
2. L’amour précède naturellement la délectation. En effet, la délectation vient de l’union effective de la réalité qui convient; mais l’amour fait en sorte que ce qui est aimé convienne à celui qui aime et lui devienne connaturel, dans la mesure où il unit la puissance affective de celui qui aime à ce qui est aimé, comme on l’a dit. C’est pourquoi la délectation est issue de la présence réelle de ce qui est aimé. Mais parce que ce qui est délectable peut aussi être aimé comme un bien, il arrive par accident qu’un amour soit causé par la délectation, comme l’acte par son objet ou par sa fin. En effet, celui qui aime quelque chose en raison de la délectation, aime principalement la délectation. Bien qu’une certaine délectation soit antérieure à un certain amour, l’amour est cependant simplement antérieur à la délectation. [L’amour] est aussi plus impétueux, car l’amour se réalise par la formation de l’appétit par ce qui est désirable, mais la délectation, par l’union avec la chose, par une réalité présente qui lui convient. Or, l’union d’une réalité à une autre n’est pas aussi grande que l’union de l’appétit et de ce qui est appétible, car la chose qui survient et qui cause la délectation n’est pas unie selon la nature, car cela ne devient pas ceci. Il y a donc là une union comme par contact. Mais [l’union] de l’appétit se réalise avec l’appétible lui-même selon sa nature et sa substance. Lorsque l’appétit est formé par l’appétible, il se réalise donc comme une union par continuité et par intégration. L’amour unit donc davantage que la délectation, car il fait en sorte que celui qui aime soit, par la puissance affective, la réalité aimée elle-même; mais la délectation se réalise par la participation à quelque chose de cette réalité, selon qu’elle est réellement présente. Mais il faut savoir que lorsque ce qui est aimé est réellement présent, lorsque cela est possible, alors se réalise la délectation par l’union de ce qui convient au plus haut point. Mais lorsque [ce qui est aimé] est en réalité complètement absent, alors [la puissance affective] s’afflige au plus haut point, comme la douleur découle de la division du continu, car l’amour est une puissance qui réalise un continu, ainsi qu’on l’a dit. Aussi dit-on que l’amour fait languir. Mais lorsque [ce qui est aimé] est présent sous un aspect et absent sous un autre, alors [la puissance affective] a une délectation mêlée d’affliction. |
[11119] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod bonum est vehementius in agendo quam malum: quia bonum non
habet de necessitate admixtionem boni; et iterum bonum agit in virtute
propria, sed malum agit in virtute boni, ut dicit Dionysius; unde magis
amatur bonum quam odiatur malum illi oppositum. Sed dolor corporalis est
magis malum quam delectatio quaedam sit bonum: quia delectatio de qua Augustinus
ibi loquitur, contingit ex superadditione perfectionum secundarum, sicut in
cibis vel in venereis; sed tristitia vel dolor, propter quae dimittitur
delectatio talis, contingit ex subtractione primarum perfectionum, quae
pertinent ad esse rei, sicut ex divisione continui. Unde si acciperetur
tristitia opposita delectationi illi, magis appeteretur delectatio quam
fugeretur tristitia; sicut qui appeteret delectationem in cibo, ut postea
pateretur tristitiam quae est de subtractione cibi, vel alicujus hujusmodi. |
3. Le bien est plus impétueux dans l’action que le mal, car le bien ne possède pas par nécessité un mélange de bien; aussi « le bien agit-il par sa propre puissance, mais le mal agit-il par la puissance du bien », comme le dit Denys. Aussi le bien est-il davantage aimé que n’est haï le mal qui lui est opposé. Or, la douleur corporelle est davantage un mal qu’une délectation n’est un bien, car la délectation dont parle là Augustin survient par l’ajout de perfections secondaires, comme c’est le cas de la nourriture et des plaisirs sexuels; mais la tristesse ou la douleur, par lesquelles une telle délectation est écartée, survient par la soustraction de perfections primaires, qui se rapportent à l’être d’une chose, comme par la division du continu. Si donc l’on prenait une tristesse opposée à cette délectation, la délectation serait davantage désirée que la tristesse ne serait fuie, comme ce serait le cas de celui qui désirerait la délectation de la nourriture afin de souffrir par la suite la tristesse qui vient de la soustraction de la nourriture ou de quelque chose de ce genre. |
[11120] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod amor est prior ira, et vehementior. Ira enim ex tristitia
causatur, ut prius dictum est, dist. 26, quaest. 1, art. 3, corp., sicut
omnes passiones irascibilis. Et ideo, cum amor sit prior et vehementior
passionibus concupiscibilis, erit prior et vehementior passionibus
irascibilis. Quamvis autem ira odium pariat, non tamen amorem destruit; sed
amoris destructionem sequitur, quia non posset appetitus moveri in nocumentum
alicujus, nisi antea affectus ab amore superatus esset. |
4. L’amour vient avant la colère et est plus impétueux. En effet, la colère est causée par la tristesse, comme on l’a dit auparavant, d. 26, q. 1, a. 3, c. comme toutes les passions de l’irascible. Puisque l’amour vient avant et est plus impétueux que les passions du concupiscible, il viendra donc avant et sera plus impétueux que les passions de l’irascible. Bien que la colère engendre la haine, elle ne détruit cependant pas l’amour; mais elle découle de la destruction de l’amour, car l’appétit ne pourrait être mû de manière à nuire à quelqu’un que si la puissance affective avait été auparavant vaincue par l’amour. |
[11121] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod pax non distinguitur ab amore, sed est aliquid amoris: dicit
enim quasi quietationem appetitus; sed amor dicit ulterius transformationem,
et quamdam conversionem ipsius in amatum; unde pax est medium inter
desiderium et amorem. |
5. La paix ne se distingue pas de l’amour, mais elle est quelque chose de l’amour. En effet, elle exprime un certain apaisement de l’appétit. Mais l’amour exprime en plus une transformation et une certaine conversion de lui-même en ce qui est aimé. La paix tient donc le milieu entre le désir et l’amour. |
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Articulus 4 [11122] Super Sent., lib. 3
d. 27 q. 1 a. 4 tit. Utrum cognitio sit altior amore |
Article 4 -‑ La
connaissance est-elle plus élevée que l’amour ?
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[11123] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod cognitio sit altior amore.
Quia altissimae potentiae est altissimus actus. Sed intellectus est altissima
potentia in nobis, ut dicit philosophus in 10 Ethic. Ergo cognitio est altissima
operatio eorum quae in nobis sunt, et ita dignior amore. |
1. Il semble que la connaissance soit plus élevée que l’amour, car l’acte le plus élevé est celui de la puissance la plus élevée. Or, l’intellect est la puissance la plus élevée en nous, comme le dit le Philosophe dans Éthique, X. La connaissance est donc l’opération la plus élevée parmi celles qui existent en nous, et ainsi elle est plus digne que l’amour. |
[11124] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, sicut Boetius dicit in Lib. 3, natura a perfectis sumpsit
originem. Sed cognitio praecedit amorem. Ergo cognitio est altior quam amor. |
2. Comme le dit Boèce dans le livre III, la nature a pris origine dans des réalités parfaites. Or, la connaissance précède l’amour. La connaissance est donc plus élevée que l’amour. |
[11125] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4
arg. 3 Praeterea, illud
quod est proprium homini, est nobilius quam illud in quo communicat cum
brutis. Sed
intelligere est proprium hominis, in amore autem convenit cum brutis. Ergo
scientia et intellectus sunt digniora quam amor. |
3. Ce qui est propre à l’homme est plus noble que ce qu’il a en commun avec les animaux sans raison. Or, intelliger est le propre de l’homme, mais il a l’amour en commun avec les animaux sans raison. La science et l’intellect sont donc des choses plus dignes que l’amour. |
[11126] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4
arg. 4 Praeterea, vita
contemplativa est nobilior quam vita activa, et altior. Sed scientia pertinet
ad vitam contemplativam: amor autem videtur ad praxim pertinere, quia
objectum ejus est bonum. Ergo scientia est altior quam amor. |
4. La vie contemplative est plus noble et plus élevée que la vie active. Or, la science se rapporte à la vie contemplative, mais l’amour semble relever de l’action, car son objet est le bien. La science est donc plus élevée que l’amour. |
[11127] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4
arg. 5 Praeterea,
objectum amoris est bonum simpliciter. Sed verum est melius quam bonum
simpliciter, quia verum est summum in genere bonorum; sicut et optimus homo
est melior quam homo simpliciter. Ergo scientia et cognitio est altior quam amor. |
5. L’objet de l’amour est simplement le bien. Or, le vrai est meilleur que le simple bien, car le vrai est ce qu’il y a de plus élevé dans le genre des biens, de même que l’homme le meilleur est meilleur que l’homme tout simplement. La science et la connaissance sont donc plus élevées que l’amour. |
[11128] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4
arg. 6 Praeterea, quanto aliquid est spiritualius, tanto est altius. Sed
cognitio est spiritualior quam amor: quia secundum motum a rebus ad animam
est cognitio, secundum autem motum ab anima ad res est amor. Ergo cognitio est
nobilior quam amor. |
6. Plus quelque chose est spirituel, plus cela est élevé. Or, la connaissance est plus spirituelle que l’amour, car la connaissance vient d’un mouvement des choses vers l’âme, mais l’amour va de l’âme vers les choses. La connaissance est donc plus noble que l’amour. |
[11129] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4
arg. 7 Praeterea,
praemium est praestantius merito. Sed cognitio est praemium amoris; Joan. 14,
21: qui diligit me, diligetur a patre meo; et ego manifestabo ei me ipsum;
et Augustinus dicit, quod visio est tota merces. Ergo cognitio praeeminet
amori. |
7. La récompense est supérieure au mérite. Or, la connaissance est la récompense de l’amour, Jn 14, 21 : Celui qui m’aime est aimé par mon Père, et je me manifesterai à lui; et Augustin dit que « la vision est la récompense entière ». La connaissance l’emporte donc sur l’amour. |
[11130] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4
arg. 8 Sed contra est
quod dicitur Ephes. 3, 19: supereminentem scientiae caritatem Christi. |
8. En sens contraire, il est dit dans Ep 3, 19 : L’amour du Christ qui dépasse toute connaissance. |
[11131] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4
arg. 9 Praeterea, 1 Cor.
13, dicitur, quod caritas est major fide. Ergo eadem ratione quilibet amor
est major et dignior cognitione sibi respondente. |
9. En
1 Co 13, il est dit que la charité est plus grande que la foi. Pour
la même raison, tout amour est plus grand et plus digne que la connaissance
qui lui correspond. |
[11132] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4
arg. 10 Praeterea,
Hugo de sancto Victore super illud Dionysii: mobile et acutum, dicit: dilectio
supereminet scientiae, et major est intelligentia; plus enim diligitur quam
intelligitur: quia intrat dilectio, ubi scientia foris est. Ergo amor
excedit scientiam. |
10. Hugues de Saint-Victor dit, à propos de ce que dit Denys : « mobile et acéré » : « L’amour est supérieur à la science et plus grand que l’intelligence. En effet, on aime davantage qu’on connaît, car l’amour pénètre là où la science reste à l’extérieur. » L’amour dépasse donc la science. |
[11133] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4
arg. 11 Praeterea,
finis in unaquaque re est potissimum. Sed objectum amoris est bonum, quod
habet rationem finis. Ergo cum operationes distinguantur penes objecta, amor
inter omnes operationes animae est potior. |
11. La fin est ce qu’il y a de plus important en toute chose. Or, l’objet de l’amour est le bien, qui a raison de fin. Puisque les opérations se distinguent par leurs objets, l’amour est donc la plus importante de toutes les opérations de l’âme. |
[11134] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 1 a. 4 arg. 12 Praeterea, sicut se habet potentia ad potentiam, ita se habet operatio
ad operationem. Sed voluntas
est altior omnibus aliis potentiis animae; quia movet omnes alias et non
cogitur. Ergo et amor, qui est operatio voluntatis, praeeminet omnibus aliis
animae operationibus. |
12. La proportion de puissance à puissance est la même que d’opération à opération. Or, la volonté est plus élevée que toutes les autres puissances de l’âme, car elle meut toutes les autres et elle n’est pas forcée. L’amour aussi, qui est l’opération de la volonté, l’emporte donc sur les autres opérations. |
[11135] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4
arg. 13 Praeterea, sicut dicit Dionysius, illud quod in pluribus invenitur,
simplicius et nobilius est; sicut esse nobilius est quam vivere, quamvis
viventia sint nobiliora quam existentia tantum, inquantum etiam viventia
nobilius esse participant. Sed amor in pluribus participatur quam cognitio;
quia in omnibus aliquo modo est amor, ut dictum est prius, in praec. art.,
non autem cognitio. Ergo amor est praestantior cognitione. Ridiculum enim est
dicere, quod in lapidibus sit cognitio naturalis, sicut amor vel appetitus
naturalis. |
13. Comme le dit Denys, « ce qui se trouve en plusieurs choses est plus simple et plus noble, comme être est plus noble que vivre, bien que les vivants soient plus nobles que ce qui existe seulement, dans la mesure où les vivants participent plus noblement à l’être ». Or, plus de choses participent à l’amour que la connaissance, car l’amour existe d’une certaine manière en toutes choses, comme on l’a dit plus haut, dans l’article précédent, mais non la connaissance. L’amour est donc plus élevé que la connaissance. En effet, il est ridicule de dire qu’il existe une connaissance naturelle dans les pierres, comme un amour ou un appétit naturel. |
[11136] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod in rebus omnibus duplex perfectio invenitur;
una qua in se subsistit; alia qua ad res alias ordinatur; et utraque
perfectio in rebus materialibus terminata et finita est; quia et formam unam
determinatam habet, per quam in una tantum specie est; et etiam per
determinatam virtutem ad res quasdam sibi proportionatas inclinationem habet
et ordinem, sicut grave ad centrum. Ex utraque autem parte res immateriales infinitatem habent quodammodo,
quia sunt quodammodo omnia, sive inquantum essentia rei immaterialis est
exemplar et similitudo omnium, sicut in Deo accidit, sive quia habet
similitudinem omnium vel actu vel potentia, sicut accidit in Angelis et
animabus; et ex hac parte accidit eis cognitio. Similiter etiam ad omnes res
inclinationem et ordinem habent, ex qua parte accidit eis voluntas, secundum
quam omnia placent vel displicent vel actu vel potentia. Et secundum quod
aliquam immaterialitatem participant, secundum hoc cognitionis et voluntatis
participativa sunt. Unde et animalia cognoscunt, inquantum species
sensibilium immaterialiter in organis sensuum recipiuntur, et secundum
intentiones spiritualiter ex rebus perceptas per appetitum sensibilem ad
diversa inclinantur. Patet ergo quod cognitio pertinet ad perfectionem cognoscentis, qua in
seipso perfectum est: voluntas autem pertinet ad perfectionem rei secundum
ordinem ad alias res; et ideo objectum cognoscitivae virtutis est verum, quod
est in anima, ut dicit philosophus, 6 Metaph.: objectum autem appetitivae
bonum, quod est in rebus, ut dicitur ibidem. Potest ergo comparari potentia
cognoscitiva ad appetitivam tripliciter. Primo secundum ordinem; et sic
cognitiva potentia naturaliter prior est, quia prius est perfectio rei in
seipsa quam secundum ordinem ad aliam. Secundo quantum ad capacitatem; et
secundum hoc sunt aequales: quia sicut cognoscitiva est respectu omnium, ita
et appetitiva; unde etiam mutuo se includunt, quia intellectus voluntatem
cognoscit, et voluntas ea quae ad intellectum pertinent, appetit et amat. Tertio possunt comparari secundum
eminentiam vel dignitatem; et sic se habent ut excedentia et excessa: quia si
consideretur intellectus et voluntas, et quae ad ipsa pertinent, ut quaedam
proprietates et accidentia ejus in quo sunt, sic intellectus est
praestantior, et quae ad ipsum pertinent. Si autem considerentur ut
potentiae, idest secundum ordinem ad actus et objecta; sic voluntas, et quae
ad ipsam pertinent, excedit. Si autem quaeratur quid horum simpliciter
dignius sit, dicendum quod res quaedam sunt anima superiores, et quaedam
inferiores; unde cum per voluntatem et amorem homo in ipsas res volitas et
amatas quodammodo trahatur, per cognitionem autem e converso res cognitae in
cognoscente efficiantur per suas similitudines; respectu earum rerum quae
sunt supra animam, nobilior et altior est amor quam cognitio; illarum vero
quae sunt infra animam, cognitio est potior; unde etiam malarum rerum quarum
est malus amor, est bona cognitio. |
Réponse. En toute chose, on trouve deux perfections : l’une par laquelle elle subsiste en elle-même; l’autre par laquelle elle est ordonnée à d’autres choses. Et les deux perfections sont limitées et finies dans les réalités matérielles, car elles ont une forme déterminée, par laquelle elles se trouvent dans une seule espèce, et elles ont aussi, par une puissance déterminée, une inclination et un ordre à certaines choses qui leur sont proportionnées, comme ce qui est lourd par rapport à un centre. Or, sous les deux aspects, les réalités immatérielles possèdent en quelque sorte une infinité, car elles sont d’une certaine manière toutes choses, soit que l’essence de la réalité immatérielle est le modèle et la ressemblance de toutes choses, comme cela se produit en Dieu, soit qu’elle possède la ressemblance de toutes choses en acte ou en puissance, comme cela se produit chez les anges et les âmes; c’est ainsi que la connaissance leur est donnée. Elles ont aussi une inclination et un ordre par rapport à toutes choses, sous l’aspect où la volonté leur est donnée, selon laquelle toutes choses plaisent ou déplaisent en acte ou en puissance. Et selon qu’elles participent à une certaine immatérialité, elles participent ainsi à la connaissance et à la volonté. C’est pourquoi les animaux connaissent dans la mesure où les espèces des réalités sensibles sont reçues dans les organes des sens et que, selon les intentions, ils sont inclinées spirituellement par l’appétit sensible à diverses choses à partir des réalités perçues. Il est donc clair que la connaissance concerne la perfection de ce qui connaît, par laquelle cela est parfait en soi; mais la volonté concerne la perfection d’une chose dans son rapport à d’autres choses. C’est pourquoi l’objet de la puissance cognitive est le vrai, qui existe dans l’âme, comme le dit le Philosophe, Métaphysique, VI, mais l’objet de la partie appétitive est le bien, qui existe dans les choses, comme on le dit au même endroit. La puissance cognitive peut donc se comparer de trois manières à la puissance appétitive. Premièrement, selon l’ordre : la puissance cognitive est ainsi naturellement première, car la perfection d’une chose en elle-même vient avant son ordre à une autre chose. Deuxièmement, du point de vue de la capacité : sous cet aspect, elles sont égales, car de même que la puissance cognitive porte sur toutes choses, de même aussi la puissance appétitive. Aussi s’incluent-elles réciproquement, car l’intellect connaît la volonté et la volonté désire et aime ce qui se rapporte à l’intellect. Troisièmement, elles peuvent être comparées selon leur éminence et leur dignité : elles se comparent ainsi comme ce qui dépasse et ce qui est dépassé. En effet, si l’intellect et la volonté et ce qui s’y rapporte sont considérés comme des propriétés et des accidents de ce dans quoi elles se trouvent, l’intelligence et ce qui s’y rapporte sont ainsi plus élevés. Mais si elles sont envisagées comme des puissances, c’est-à-dire selon leur rapport aux actes et aux objets, la volonté et ce qui s’y rapporte l’emportent. Si l’on se demande laquelle est simplement plus digne, il faut dire que certaines choses sont supérieures à l’âme et certaines sont inférieures. Aussi, puisque, par la volonté et l’amour, l’homme est entraîné vers les réalités voulues et aimées elles-mêmes, mais que, par la connaissance, les réalités deviennent connues par celui qui connaît par leurs ressemblances, l’amour est plus noble et plus élevé que la connaissance par rapport aux réalités qui sont supérieures à l’âme; mais, par rapport aux réalités qui sont inférieures à l’âme, la connaissance est meilleure. Aussi existe-t-il une connaissance bonne, même de choses mauvaises, dont il existe un amour mauvais. |
[11137] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod philosophus loquitur de potentiis secundum quod sunt
proprietates quaedam ejus in quo sunt. Vel dicendum, quod philosophus sub
intellectu comprehendit voluntatem intellectui respondentem, sicut et sub
ratione quandoque comprehenditur; et ideo non est ibi comparatio intellectus
ad voluntatem, sed intellectus ad vires inferiores. |
1. Le Philosophe parle des puissances selon qu’elles sont des propriétés de ce en quoi elles existent. Ou bien il faut dire que le Philosophe inclut sous l’intellect la volonté qui correspond à l’intellect, de même qu’elle est parfois inclus sous la raison. C’est pourquoi il n’y a pas là une comparaison entre l’intellect et la volonté, mais entre l’intellect et les puissances inférieures. |
[11138] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4
ad 2 Ad secundum dicendum,
quod quamvis primum principium in quolibet genere sit perfectissimum, non
tamen oportet quod omne quod est prius, sit perfectius, cum aliquid sit prius
in via generationis quod est imperfectius, sicut puer viro, et addiscens
sciente: et ita etiam cognitio quodammodo amorem praecedit. |
2. Bien que le premier principe soit en tout genre ce qu’il y a de plus parfait, il n’est cependant pas nécessaire que tout ce qui vient avant soit plus parfait, puisque quelque chose de plus imparfait est antérieur selon le processus de la génération, comme l’enfant par rapport à l’adulte et celui qui apprend par rapport à celui qui sait. C’est ainsi que la connaissance précède d’une certaine manière l’amour. |
[11139] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa ratio procedit de intellectu et
voluntate secundum respectum ad id in quo sunt. Vel dicendum, quod intellectu
aliquo modo alia animalia participant per quamdam obscuram resonantiam,
inquantum sentiunt; sicut et voluntate participant, inquantum habent
appetitum sensualem, unde et in brutis voluntarium invenitur, ut dicit
philosophus 3 Ethic., non quod simpliciter voluntatem habeant. |
3. Cet argument vient de l’intellect et de la volonté dans leur rapport à ce en quoi elles existent. Ou bien il faut dire que les animaux participent d’une certaine manière à l’intellect par une obscur écho, dans la mesure où ils sentent, de même qu’ils participent à la volonté, dans la mesure où ils possèdent un appétit sensible grâce auquel on trouve aussi du volontaire chez les animaux sans raison, ainsi que le dit le Philosophe, Éthique, III, sans qu’ils possèdent tout simplement la volonté. |
[11140] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod a vita contemplativa non excluditur voluntas et amor, sicut
nec intellectus a vita activa; et ideo non potest harum gradus distingui
secundum gradus duarum vitarum. |
4. La volonté et l’amour ne sont pas exclus de la vie contemplative, pas plus que l’intellect ne l’est de la vie active. C’est pourquoi les degrés entre les deux ne peuvent être distingués selon les degrés des deux vies. |
[11141] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod particulare non habet naturam et rationem sui universalis nisi
secundum quod natura universalis invenitur in ipso; unde impossibile est quod
ratio universalis magis sit in particulari quam in ipso universali, quamvis
ratio alicujus alterius possit inveniri magis in particulari quam in
universali: sicut homo non potest esse magis animal quam animal commune;
potest tamen esse magis bonum, vel aliquid hujusmodi; et ideo neque verum
neque aliquod bonum particulariter acceptum potest dici praestantius quam
ipsum bonum. |
5. Quelque chose de particulier ne possède la nature et la raison de son universel que selon que la nature universelle se trouve en cette chose. Il est ainsi impossible que la raison universelle existe davantage dans une chose particulière que dans la chose universelle elle-même, bien que la raison de quelque chose d’autre puisse plutôt se trouver dans une chose particulière que dans une chose universelle : ainsi l’homme ne peut être plus animal que l’animal au sens général; il peut cependant être meilleur ou quelque chose de ce genre. C’est pourquoi ni le vrai ni un bien considéré de manière particulière ne peuvent être appelés meilleurs que le bien même. |
[11142] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4
ad 6 Ad sextum
dicendum, quod ratio illa procedit quantum ad illas res quae sunt infra
animam; quae sunt minus spirituales quam anima. |
6. Cet argument porte sur les réalités qui sont inférieures à l’âme, qui sont moins spirituelles que l’âme. |
[11143] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4
ad 7 Ad septimum
dicendum, quod visio illa, non erit sine amore in praemio, sicut nec amor
fuit sine cognitione in merito: ideo tamen praemium magis attribuitur
cognitioni, meritum vero amori, quia praemium est secundum receptionem, qua
aliquis in seipso perficitur; meritum vero secundum operationem, qua aliquis
in remunerationem se extendit, et ei se conjungit. |
7. Cette vision ne sera pas sans amour dans de la récompense, pas plus que l’amour n’a existé sans connaissance dans le mérite. Cependant, la raison pour laquelle la récompense est davantage attribuée à la connaissance, mais le mérite, à l’amour, est que la récompense se réalise par mode d’une réception, par laquelle on est perfectionné en soi-même; mais le mérite est attribué selon l’opération, par laquelle on atteint la récompense et l’on s’y unit. |
[11144] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4
ad 8 Et quia oportet
etiam ad alia respondere, ideo dicendum ad octavum et nonum, quod illae
rationes procedunt de cognitione Dei quae est supra animam; unde amor ejus
cognitionem de ipso excedit. |
8-9. Parce qu’il est nécessaire de répondre aussi aux autres arguments, il faut donc dire, pour le huitième et le neuvième, que ces arguments portent sur la connaissance de Dieu qui dépasse l’âme. Son amour dépasse donc la connaissance qu’on en a. |
[11145] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4
ad 10 Ad decimum
dicendum, quod amor magis intrat ad rem quam cognitio: quia cognitio est de
re secundum id quod recipitur in cognoscente: amor autem de re, inquantum
ipse amans in rem ipsam transformatur, ut dictum est prius. In hac autem via,
qua perficitur anima in ordine ad res alias, dictum est, quod voluntas
cognitionem excedit, ad quam viam pertinet esse magis vel minus intimum rei. |
10. L’amour pénètre davantage une chose que la connaissance, car la connaissance porte sur une chose selon ce qui est reçu dans celui qui connaît; mais l’amour porte sur une chose pour autant que celui qui aime est transformé en la chose elle-même, comme on l’a dit précédemment. Selon la manière dont l’âme est perfectionnée par rapport à d’autres choses, on a dit que la volonté dépasse la connaissance; il revient à cette manière d’être plus ou moins intime avec la chose. |
[11146] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4
ad 11 Ad undecimum
dicendum, quod ratio finis proprie respicit motum et operationem, et ordinem
rei ad rem, et non esse rei absolute; unde in mathematicis, in quibus non est
operatio et motus, non invenitur finis, ut dicitur in 3 Metaph.; et ideo
etiam haec ratio procedit secundum illum modum quo voluntas dicitur
intellectui praeeminere. |
11. La raison de fin concerne au sens propre le mouvement et l’opération et l’ordre entre une chose et une [autre] chose, et non pas l’être d’une chose de manière absolue. Aussi, dans les réalités mathématiques, où il n’y a pas d’opération et nni mouvement, on ne trouve pas de fin, comme il est dit dans Métaphysique, III. C’est pourquoi même cet argument se déroule de la manière dont on dit que la volonté l’emporte sur l’intelligence. |
[11147] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4
ad 12 Ad duodecimum
dicendum, quod movere alias vires et non cogi ab objecto, pertinet ad
voluntatem secundum quod ipsa est primum determinans alias potentias humanas
in ordine ad res alias circa quas operantur, et ipsa non determinatur ab
alio: unde quantum ad hoc ad quod a Deo determinatur naturali inclinatione,
quodammodo libertatem non habet, sed quasi cogitur naturali inclinatione,
sicut respectu beatitudinis, quam nullus non potest non velle. Ex hac autem
parte qua homo ab alio ordinatur, dictum est, quod amor cognitionem excedit. |
12. Mouvoir les autres puissances et ne pas être forcée par un objet relèvent de la volonté, selon qu’elle détermine d’abord les autres puissances humaines par rapport aux choses sur lesquelles elles agissent, alors qu’elle-même n’est pas déterminée par autre chose. Aussi, dans la mesure où elle est déterminée par Dieu à une inclination naturelle, elle ne possède pas d’une certaine manière la liberté, mais elle est comme forcée par l’inclination naturelle, comme c’est le cas de la béatitude, que personne ne peut pas ne pas vouloir. Du point de vue où l’homme est ordonné par un autre, on a dit que l’amour dépasse la connaissance. |
[11148] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4
ad 13 Ad tertium
decimum dicendum, quod amor, proprie loquendo, non est nisi in illis in
quibus est cognitio; sed amoris nomen transumitur ad ea ad quae cognitionis
nomen extendi non potest: quia amor dicitur secundum quod amans ad rem aliam
ordinatur; aliquid autem ad alterum ordinari potest etiam ab exteriori
ordinante; et ideo illa quae ad aliquid ordinantur ab habentibus cognitionem
(quorum proprie est amor, inquantum ex seipsis ad amata ordinantur) nomen
amoris vel appetitus recipere possunt. Cognitio autem dicitur secundum quod res cognita fit in cognoscente
per modum cognoscentis, scilicet secundum esse spirituale et immateriale.
Dispositio autem talis non inest alicui nisi ex proprietate suae naturae;
unde nomen cognitionis ad animalia quae talem naturam non habent, extendi non
potest, ut dicantur insensibilia naturaliter cognoscere, sicut naturaliter
amant vel appetunt. |
13. À proprement parler, il faut dire que l’amour n’existe que dans les choses où se trouve la connaissance; mais le mot « amour » a été reporté sur ce à quoi ne peut s’étendre le mot « connaissance », car on parle d’amour lorsque celui qui aime est ordonné à une autre chose. Or, une chose peut être ordonnée à une autre même par une chose extérieure qui ordonne. C’est pourquoi ce qui est ordonné à quelque chose par ce qui possède la connaissance (à qui l’amour appartient en propre, pour autant que cela est ordonné par soi-même à ce qui est aimé), peut porter le nom d’amour ou d’appétit. Mais on parle de connaissance selon que la chose connue apparaît dans celui qui connaît selon le mode de celui qui connaît, à savoir, selon un être spirituel et immatériel. Or, une telle disposition n’est inhérente à quelqu’un que selon ce qui est propre à sa nature. Aussi le mot « connaissance » ne peut-il être étendu aux animaux qui n’ont pas une telle nature, de sorte qu’on dise que les réalités insensibles connaissent naturellement, comme elles aiment ou désirent naturellement. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [La charité]
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Prooemium |
Prologue |
[11149] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 pr. Deinde quaeritur de caritate; et circa hoc
quaeruntur quatuor: 1 quid sit caritas; 2 utrum sit virtus; 3 in quo sit
sicut in subjecto; 4 de comparatione ejus ad alias virtutes. |
On s’interroge ensuite sur la charité. À ce propos, quatre questions sont posées : 1 – Qu’est-ce que la charité ? 2 – Est-elle une vertu ? 3 – Quel est le sujet de la charité ? 4 ‑ Comment se compare-t-elle aux autres vertus ? |
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Articulus 1 [11150] Super Sent., lib. 3
d. 27 q. 2 a. 1 tit. Utrum caritas sit idem quod concupiscentia, vel quid
sit caritas |
Article 1 – La charité est-elle la même chose que la concupiscence ou qu’est-ce que la charité ? |
[11151] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod caritas sit idem quod concupiscentia. Augustinus enim
dicit, quod caritas est virtus qua Deum videre perfruique eo desideramus. Hoc
autem concupiscentiae est. Ergo caritas est concupiscentia. |
1. Il semble que la charité soit la même chose que la concupiscence. En effet, Augustin dit que « la charité est une vertu par laquelle nous désirons voir Dieu et en jouir ». Or, cela relève de la concupiscence. La charité est donc la concupiscence. |
[11152] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 1 arg. 2 Item, videtur quod sit idem quod amor. Quia, sicut dicit Dionysius, dilectio est idem quod amor. Sed in
littera dicitur, quod amor est dilectio qua diligitur Deus propter se, et
proximus propter Deum. Ergo caritas est idem quod amor. |
2. Il semble que [la charité] soit la même chose que l’amour, car, selon ce que dit Denys, « la dilection est la même chose que l’amour ». Or, il est dit dans le texte que « l’amour est la dilection par laquelle Dieu est aimé pour lui-même et le prochain pour Dieu ». La charité est donc la même chose que l’amour. |
[11153] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, videtur quod sit idem quod benevolentia. Benevolentia enim est
qua alicui aliquod bonum optamus. Sed hoc facit caritas, quia optat sibi et
aliis vitam aeternam, secundum quod dicitur habens caritatem diligere
proximum sicut seipsum. Ergo caritas est idem quod benevolentia. |
3. Il semble que [la charité] soit la même chose que la bienveillance. En effet, la bienveillance est ce en vertu de quoi nous souhaitons un bien à quelqu’un. Or, la charité fait cela, car elle souhaite à soi-même et aux autres la vie éternelle, étant donné qu’on dit de celui qui a la charité qu’il aime son prochain comme soi-même. La charité est donc la même chose que la bienveillance. |
[11154] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1
arg. 4 Praeterea,
videtur quod sit idem quod concordia. Quia caritas unitatem Ecclesiae facit,
quae in hoc consistit ut idem dicamus omnes, et non sint in nobis schismata,
ut dicitur 1 Corinth., 1. Hoc autem ad concordiam pertinet. Ergo caritas est idem quod
concordia. |
4. Il semble que [la charité] soit la même chose que la concorde, car la charité réalise l’unité de l’Église, qui consiste en que nous disions que tous sont la même chose et qu’il n’existe pas de schisme parmi nous, comme il est dit dans 1 Co 1. Or, cela relève de la concorde. La charité est donc la même chose que la concorde. |
[11155] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, videtur quod sit idem quod beneficentia. Quia modus caritatis est ut diligamus non
lingua tantum, sed opere et veritate; 1 Joan. 3. Sed diligere per effectum, ad beneficentiam
pertinet. Ergo caritas videtur esse idem quod beneficentia. |
5. Il semble que [la charité] soit la même chose que la bienfaisance, car le monde de la charité consiste en ce que nous n’aimions pas en paroles seulement, mais en acte et en vérité, 1 Jn 3. Or, aimer efficacement relève de la bienfaisance. La charité semble donc être la même chose que la bienfaisance. |
[11156] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 1 arg. 6 Praeterea, videtur quod sit idem quod pax. Caritas enim est vinculum
faciens spirituum unitatem. Hoc autem paci attribuitur; Ephes. 4, 3: soliciti
servare unitatem spiritus in vinculo pacis. Ergo caritas est idem quod
pax. |
6. Il semble qu’elle soit la même chose que la paix. En effet, la charité est le lien qui réalise l’unité entre les esprits. Or, cela est attribué à la paix, Ep 4, 3 : Prenez soin de maintenir l’unité de l’esprit dans le lien de la paix. La charité est donc la même chose que la paix. |
[11157] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 1 arg. 7 Praeterea, videtur quod sit idem quod amicitia. Quia, ut dicit
philosophus in 9 Ethic., amicitia superabundantiae amoris similatur. Sed
caritas habet superabundantissimum amorem; unde et caritas dicitur, eo quod
sub inaestimabili pretio, quasi carissimam rem, ponat amatum. Ergo caritas
est idem quod amicitia. |
7. Il semble que [la charité] soit la même chose que l’amitié, car, ainsi que le dit le Philosophe dans Éthique, IX, « l’amitié est assimilée à la surabondance de l’amour ». Or, la charité comporte un amour surabondant; aussi est-elle appelée « charité » du fait qu’elle confère à celui qui est aimé un prix inestimable, comme étant une réalité très chère. La charité est donc la même chose que l’amitié. |
[11158] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1
arg. 8 Sed contra,
amicitia, ut dicit philosophus, est redamantium. Sed caritas est etiam ad
inimicos. Ergo non est
idem quod amicitia. |
8. Comme le dit le Philosophe, « l’amitié est le fait de ceux qui sont aimés en retour ». Or, la charité s’adresse aussi aux ennemis. Elle n’est donc pas la même chose que l’amitié. |
[11159] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1
arg. 9 Praeterea,
amicitia est non latens. Sed caritas maxime latet. Ergo non est amicitia. |
9. L’amitié ne se cache pas. Or, la charité se cache au plus haut point. Elle n’est donc pas amitié. |
[11160] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1
arg. 10 Praeterea,
amicitia est eorum qui convivunt ad invicem, et communicant in eisdem
operibus. Sed caritas
est ad Deum et ad Angelos, quorum conversatio non est cum hominibus. Ergo
caritas non est amicitia. |
10. L’amitié est le fait de ceux qui vivent ensemble et participent aux mêmes actions. Or, la charité s’adresse à Dieu et aux anges, qui ne vivent pas au milieu des hommes. La charité n’est donc pas une amitié. |
[11161] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1
arg. 11 Praeterea,
amicitia quaerit maxime colloqui, et videre amicum, ut dicit philosophus. Sed
hoc non quaerit caritas, ut dicit Hieronymus in prologo Bibliae. Ergo non est idem quod amicitia. |
11. « L’amitié recherche surtout à parler avec l’ami et à le voir », comme le dit le Philosophe. Or, la charité ne recherche pas cela, comme le dit Jérôme dans le prologue de la Bible. Elle n’est donc pas la même chose que l’amitié. |
[11162] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1
arg. 12 Praeterea,
amicitia non est nisi ad paucos, et virtuosos. Sed caritas est ad omnes, etiam
malos. Ergo caritas non est idem quod amicitia. |
12. L’amitié ne s’adresse qu’à un petit nombre et à ceux qui sont vertueux. Or, la charité s’adresse à tous, même aux méchants. La charité n’est donc pas la même chose que l’amitié. |
[11163] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod amor est quaedam quietatio, ut supra dictum est, quaest.
praec., art. 1; unde sicut appetitus invenitur in parte sensitiva et
intellectiva, ita et amor. Ea autem quae ad sensitivum appetitum pertinent, ad intellectivum
transferuntur, sicut nomina passionum. Quod autem appetitus intellectivi est
proprium, sensitivo appetitui non convenit, ut nomen voluntatis. Et ideo amor
in utroque appetitu invenitur. Et secundum quod invenitur in appetitu
sensitivo, proprie dicitur amor, eo quod passionem importat; secundum autem
quod invenitur in intellectiva parte, dicitur dilectio, quae electionem
includit, quae ad appetitum intellectivum pertinet. Nihilominus nomen amoris
etiam ad superiorem partem transfertur; nomen autem dilectionis ad inferiorem
nunquam. Omnia autem alia nomina quae ad amorem pertinere videntur, vel
includuntur ab istis, vel includunt ea, quasi addentia aliquid supra
dilectionem et amorem. Quia enim amor unit quodammodo amantem amato, ideo
amans se habet ad amatum quasi ad seipsum, vel ad id quod est de perfectione
sui. Ad seipsum autem et ad ea quae sui sunt, hoc modo se habet ut primo
velit sibi praesens esse quidquid de perfectione sua est; et ideo amor
includit concupiscentiam amati, qua desideratur ejus praesentia. Secundo homo
alia in seipsum retorquet per affectum, et sibi appetit quaecumque sibi
expediunt; et secundum quod hoc ad amatum efficitur, amor benevolentiam
includit, secundum quam aliquis amato bona desiderat. Tertio homo ea quae
sibi appetit, operando sibi acquirit; et secundum quod hoc ad alium
exercetur, beneficentia in amore includitur. Quarto homo ea quae sibi bona
videntur, implere consentit: et secundum quod hoc ad amicum fit, amor concordiam
includit, secundum quam aliquis consentit in his quae amico videntur: non
quidem in speculativis: quia concordia in his, secundum philosophum, 9
Ethic., ad amicitiam non pertinet, et discordia in eisdem esse potest sine
amicitiae praejudicio, eo quod in his concordare vel discordare, voluntati
non subjacet, cum intellectus ratione cogatur. Amor tamen super quatuor
praedicta aliquid addit, scilicet quietationem appetitus in re amata, sine
qua quodlibet praedictorum quatuor esse potest. Sunt etiam quaedam quae super
dilectionem vel amorem aliquid addunt. Amatio enim addit super amorem
intensionem quamdam amoris, quasi fervorem quemdam. Amicitia vero addit duo:
quorum unum est societas quaedam amantis et amati in amore, ut scilicet mutuo
se diligere sciant; aliud est ut ex electione operentur, non tantum ex
passione. Unde dicit philosophus, quod amicitia similatur habitui, amatio
autem passioni. Sic ergo patet quod amicitia est perfectissimum inter ea quae
ad amorem pertinent, omnia praedicta includens; unde in genere hujusmodi
ponenda est caritas, quae est quaedam amicitia hominis ad Deum, per quam homo
Deum diligit, et Deus hominem; et sic efficitur quaedam associatio hominis ad
Deum, ut 1 Joan., 1, 7: si in luce ambulamus, sicut et ipse in luce est,
societatem habemus ad invicem. |
Réponse. L’amour est un apaisement, comme on l’a dit plus haut, à la
question précédente, a. 1; aussi, de même que l’appétit se trouve dans
la partie sensible et dans la partie intellectuelle, de même aussi l’amour.
Or, ce qui se rapporte à l’appétit sensible est reporté sur la partie
intellectuelle, tels les noms des passions; mais ce qui est relève de
l’appétit intellectuel ne convient pas à l’appétit sensible, tel le nom de
volonté. C’est pourquoi l’amour se trouve dans les deux appétits. Selon qu’il
se trouve dans l’appétit sensible, on parle au sens propre d’amour, du fait
qu’il implique une passion; mais, selon qu’il se trouve dans la partie
intellective, il s’appelle dilection, qui inclut un choix (dilectio/electio), lequel relève de
l’appétit intellectuel. Néanmoins, le mot « amour » est aussi
reporté sur la partie supérieure, mais le mot de « dilection »
n’est jamais reporté sur la partie inférieure. Or, tous les mots qui semblent
se rapporter à l’amour sont soit inclus dans ceux-ci, soit les incluent,
parce qu’ils ajoutent quelque chose à la dilection et à l’amour. En effet,
parce que l’amour unit d’une certaine manière celui qui aime à celui qui est
aimé, celui qui aime a avec l’aimé les mêmes rapports qu’avec lui-même ou
avec ce qui relève de sa perfection. Or, il se comporte par rapport à
lui-même et à ce qui est sien en voulant, en premier lieu, que lui soit
présent tout ce qui appartient à sa perfection; ainsi l’amour inclut-il la
concupiscence de ce qui est aimé, par laquelle est désirée sa présence.
Deuxièmement, l’homme ramène les autres choses à lui-même par l’amour et
désire pour lui-même tout ce qui lui convient; si cela est fait pour celui
qui est aimé, l’amour comporte donc la bienveillance, par laquelle quelqu’un
désire des biens pour l’aimé. Troisièmement, l’homme acquiert pour lui-même
en agissant ce qu’il désire pour lui-même; selon que cela est fait pour
quelqu’un d’autre, l’amour comporte la bienfaisance. Quatrièmement, l’homme
consent à accomplir ce qui semble bon pour lui-même; selon que cela est fait
pour un ami, l’amour comporte donc la concorde, par laquelle quelqu’un
consent à ce que pense son ami, mais non en matière spéculative, car la
concorde sur ces choses ne relève pas de l’amitié, selon le Philosophe, Éthique, IX, et la discorde sur ces mêmes
choses peut exister sans préjudice pour l’amitié, du fait qu’être en accord
ou en désaccord n’est pas soumis à la volonté, lorsque l’intellect est
contraint par la raison. Toutefois, l’amour ajoute quelque chose aux quatre
points mentionnés : l’apaisement de l’appétit dans la réalité aimée,
sans lequel peut exister n’importe laquelle des choses mentionnées. Il existe
aussi certaines choses qui ajoutent quelque chose à la dilection ou à
l’amour. En effet, la relation amoureuse (amatio) ajoute à l’amour une certaine
intensité de l’amour, comme une certaine ferveur. Mais l’amitié ajoute deux
choses : l’une est une certaine communion de celui qui aime et de celui
qui est aimé dans l’amour, de sorte qu’ils savent qu’ils s’aiment
mutuellement; l’autre est qu’ils agissent par choix, et pas seulement par
passion. Aussi le Philosophe dit-il que « l’amitié ressemble à un
habitus, mais la relation amoureuse à une passion ». Il est donc clair
que l’amitié est la chose la plus parfaite parmi les choses qui se rapportent
à l’amour, et qu’elle inclut tout ce qui a été dit plus haut. Aussi la
charité doit-elle être placée dans ce genre, elle qui est une certaine amitié
entre l’homme et Dieu, par laquelle l’homme aime Dieu et Dieu [aime] l’homme.
Ainsi se réalise une certaine communion entre l’homme et Dieu, comme le dit
1 Jn 1, 7 : Si nous
marchons dans la lumière, de même que lui est dans la lumière, nous sommes en
communion les uns avec les autres. |
[11164] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quaelibet amicitia concupiscentiam seu
desiderium includit, et aliquid super eam addit, ut dictum est. |
1. Toute amitié inclut la concupiscence ou le désir, et y ajoute quelque chose, comme on l’a dit. |
[11165] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod caritas addit aliquid supra dilectionem et
amorem. |
2. La charité ajoute quelque chose à la dilection et à l’amour. |
[11166] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1
ad 3 Et similiter
dicendum ad tertium de benevolentia, et ad quartum de concordia, et ad quintum
de beneficentia. |
3-5. Il faut dire la même chose pour le troisième argument sur la bienveillance, pour le quatrième sur la concorde et pour le cinquième sur la bienfaisance. |
[11167] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod pax ad concordiam reducitur: nisi quod magis
pax dicitur quantum ad remotionem discordiae, concordia autem quantum ad
ipsam unionem. |
6. La paix se ramène à la concorde, sauf qu’on parle de paix pour l’éloignement de la discorde, mais de concorde pour l’union elle-même. |
[11168] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1
ad 7 Ad septimum
dicendum, quod caritas est amicitia, sed aliquid addit supra ipsam, scilicet
determinationem amici: quia est amicitia ad Deum, quae omnibus pretiosior est
et carior. |
7. La charité est
une amitié, mais elle lui ajoute quelque chose: la détermination de l’ami,
car elle est une amitié envers Dieu, qui est plus précieuse et plus chère que
toutes les autres. |
[11169] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1
ad 8 Ad octavum
dicendum, quod amicus non tantum diligit amicum ad quem amicitiam habet, sed
omnia quae ad ipsum pertinent, quamvis ab illis non ametur, sicut filios
ejus, fratres et hujusmodi. Similiter et
caritas diligere facit principaliter Deum, qui amantes se amat, et in amando
praevenit et homines, inquantum illius sunt. Unde quod dicitur, quod amicitia
est redamantium, intelligitur quantum ad eos inter quos principaliter est
amicitia. |
8. L’ami n’aime pas seulement l’ami envers qui il a une amitié, mais tout ce qui le concerne, comme ses fils, ses frères et ceux de ce genre, bien qu’il ne soit pas aimé d’eux. De même, la charité fait principalement aimer Dieu, qui aime ceux qui l’aime et précède aussi les hommes dans l’amour, dans la mesure où ils sont à lui. Aussi que l’amitié soit le fait de ceux qui retournent l’amitié, cela s’entend de ceux entre qui existe principalement l’amitié. |
[11170] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1
ad 9 Ad nonum
dicendum, quod inquantum homines per caritatem deiformes efficiuntur, sic
sunt supra homines, et eorum conversatio in caelis est; et sic cum Deo et
Angelis ejus conveniunt, inquantum ad similia se extendunt, secundum quod
dominus docet: estote perfecti, sicut et pater vester perfectus est. |
9. Pour autant que les hommes deviennent déiformes
par la charité, ils sont ainsi au-dessus des hommes et leur séjour est dans
le ciel. Ils ont ainsi semblables à Dieu et aux anges, pour autant qu’ils se
portent sur les mêmes choses, comme le Seigneur l’enseigne : Soyez parfaits comme votre Père est
parfait. |
[11171] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1
ad 10 Ad decimum
dicendum, quod amicitia dicitur esse non latens, non quod per certitudinem
amor amici cognoscatur, sed quia per signa probabilia amor mutuus hinc inde
colligitur; et talis manifestatio potest esse de caritate inquantum per
aliqua signa potest aliquis probabiliter aestimare se habere caritatem. |
10. On dit que l’amitié n’est pas cachée, non pas parce que l’amour de l’ami est connu avec certitude, mais parce qu’on juge de l’amour mutuel par des signes probables. Une telle manifestation peut venir de la charité dans la mesure où quelqu’un peut estimer de manière probable qu’il possède la charité. |
[11172] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1
ad 11 Ad undecimum
dicendum, quod amicitia vera desiderat videre amicum, et colloquiis mutuis
gaudere facit, ad quem principaliter est amicitia; non autem ita quod
delectatio quae est ex mutua visione et perfruitione, finis amicitiae
ponatur, sicut est in amicitia delectabilis; et hoc intendit removere
Hieronymus, scilicet quod non est amicitia caritatis principaliter ad
homines, sed est Christi glutino copulata, et quod delectatio principaliter
de amicis non est quaerenda. |
11. La véritable amitié désire voir l’ami à qui s’adresse principalement l’amitié, et elle se réjouit de parler avec lui. Mais la délectation qui vient de la vision et du plaisir mutuels n’est cependant pas la fin de l’amitié, aussi délectable soit-elle dans l’amitié. C’est ce qu’entend écarter Jérôme : l’amitié de la charité ne s’adresse pas d’abord aux hommes, mais elle est unie au Christ par un lieu, et la délectation tirée des amis ne doit pas être principalement recherchée. |
[11173] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1
ad 12 Ad duodecimum
dicendum, quod objectio illa procedit quantum ad illum ad quem attenditur
principaliter amicitia, et non de illis qui diliguntur inquantum ad amicum
principaliter pertinent, quia sic multorum est. |
12. Cette objection vient de celui à qui s’adresse principalement l’amitié, et non de ce qui est aimé pour autant que cela concerne l’ami, car elle porte ainsi sur plusieurs choses. |
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Articulus 2 [11174] Super Sent., lib. 3
d. 27 q. 2 a. 2 tit. Utrum caritas sit virtus |
Article 2 – La charité est-elle une vertu ? |
[11175] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod caritas non sit virtus. Caritas enim, ut dictum est, est
quaedam amicitia hominis ad Deum. Sed amicitia a philosophis non ponitur
virtus, sed habet virtutem pro fundamento; quia est propter bonum honestum,
quod est virtus. Ergo caritas non est virtus. |
1. Il semble que la charité ne soit pas une vertu. En effet, la charité, comme on l’a dit, est une amitié de l’homme envers Dieu. Or, l’amitié n’est pas donnée comme une vertu par les philosophes, mais elle a une vertu comme fondement, car elle existe en vue d’un bien honnête, ce qu’est la vertu. La charité n’est donc pas une vertu. |
[11176] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2
arg. 2 Praeterea,
praecepta legis sunt de actibus virtutum. Sed finis praecepti est caritas, 1
Timoth. 1. Ergo
caritas est finis virtutum. Sed finis virtutum non est virtus, sed felicitas.
Ergo caritas non est virtus. |
2. Les commandements de la loi portent sur les actes des vertus. Or, la fin du commandement est la charité, 1 Tm 1. La charité est donc la fin des vertus. Or, la fin des vertus n’est pas une vertu, mais la félicité. La charité n’est donc pas une vertu. |
[11177] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2
arg. 3 Praeterea,
virtus est ultimum potentiae, ut dicitur in Lib. 1 de Cael. et Mun. Sed
delectatio est magis ultimum quam amor: quia ipsa est ex ipsa conjunctione
rei amatae, quam amor quaerit. Ergo delectatio magis debet esse virtus quam
amor. Cum ergo delectatio non ponatur virtus, neque caritas virtus dici debet. |
3. La vertu est le point ultime d’une puissance, comme on le dit dans le livre Sur le ciel et le monde. Or, la délectation est un point plus ultime que l’amour, car elle est ce que l’amour recherche par l’union elle-même à la chose aimée. La délectation doit donc être une vertu plutôt que l’amour. Puisque la délectation n’est pas donnée comme une vertu, la charité non plus ne doit donc pas être appelée une vertu. |
[11178] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, ad illud ad quod natura sufficit, non oportet quod elevetur
per virtutem. Sed diligere Deum super omnia, quod est actus caritatis, potest
homo per naturalia, inquantum naturali ratione potest cognoscere ipsum esse
summum bonum. Ergo non oportet superaddi aliquam virtutem caritati. |
4. Ce pour quoi la nature suffit n’a pas besoin d’être élevé par une vertu. Or, l’homme peut aimer Dieu par-dessus tout par ses capacités naturelles, ce qui est l’acte de la charité, dans la mesure où il peut le connaître comme étant le bien suprême. Il n’est donc pas nécessaire qu’une vertu soit ajoutée à la charité. |
[11179] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2
arg. 5 Praeterea, ad hoc quod tendamus in finem, sufficit ipsum cognoscere et
desiderare. Sed caritas plus facit; quia facit ipsum amare, et amicitiam ad
ipsum habere. Ergo non fuit necessarium quod caritas esset virtus theologica,
sed subjecisset desiderium. |
5. Pour que nous tendions vers la fin, il suffit de la connaître et de la désirer. Or, la charité fait davantage, car elle la fait aimer et avoir de l’amitié pour elle. Il n’était donc pas nécessaire que la charité soit une vertu théologale, mais qu’elle soumette le désir. |
[11180] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2
arg. 6 Praeterea,
virtus est circa difficile, ut dicitur 2 Ethic. Sed amare non est difficile,
immo amor omnia difficilia levigat. Ergo caritas non est virtus. |
6. La vertu porte sur ce qui est difficile, comme on le dit dans Éthique, II. Or, aimer n’est pas difficile, bien plus, l’amour rend léger tout ce qui est difficile. La charité n’est donc pas une vertu. |
[11181] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2
s. c. 1 Sed contra,
praecepta legis sunt de actibus virtutum. Sed caritas est quae implet omnia
praecepta legis: quia plenitudo legis est dilectio: Rom. 13, 10. Ergo caritas est virtus. |
Cependant, [1] les commandements de la loi portent sur les actes des vertus. Or, la charité est ce qui accomplit tous les commandements de la loi, car la plénitude de la loi est l’amour, Rm 13, 10. La charité est donc une vertu. |
[11182] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2
s. c. 2 Praeterea,
esse spirituale est a virtute. Sed non est sine caritate; unde apostolus
dicit 1 Corinth. 13, 2: si habuero omnem fidem (...) caritatem autem non
habeam, nihil sum. Ergo caritas est maxima virtutum. |
[2] L’être spirituel vient de la vertu. Or, il n’existe pas sans la charité; aussi l’Apôtre dit-il, 1 Co 13, 2 : Si j’avais la plénitude de la foi…, mais sans avoir la charité, je ne suis rien. La charité est donc la plus grande des vertus. |
[11183] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2
s. c. 3 Praeterea, nihil
expellit peccatum nisi virtus. Hoc autem maxime facit caritas, quae operit
universa delicta, ut dicitur Prov. 10; ergo caritas est virtus. |
[3] Rien ne chasse le péché que la vertu. Or, c’est ce que fait la charité au plus haut point, elle qui recouvre toutes les fautes, comme il est dit dans Pr 10. La charité est donc une vertu. |
[11184] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod finis humanae vitae est felicitas: unde
secundum diversas vitas etiam distinguuntur diversae felicitates. Qui enim
sunt extra vitam civilem, ad felicitatem civilem non possunt pervenire, quae
attingit summum illius vitae. Similiter ad hoc quod ad felicitatem
contemplativam quis perveniat, oportet quod illius vitae particeps fiat; unde
felicitas ad quam homo per naturalia sua potest devenire, est secundum vitam
humanam; et de hac philosophi locuti sunt; unde 1 Ethic. dicitur: beatos
autem ut homines. Sed quia nobis promittitur quaedam felicitas in qua
erimus Angelis aequales, ut patet Matth. 22, quae non solum vires hominis,
sed etiam Angelorum, excedit, qui per gratiam ad hanc perducuntur sicut nos;
soli autem Deo est naturalis; ideo oportet ad hoc quod ad felicitatem illam
divinam homo perveniat quod divinae vitae particeps fiat. Illud autem quod ad
alterum convivere facit, maxime amicitia est; quia, ut dicit philosophus 9
Ethic., unusquisque cum suo amico conversatur in illis quae maxime diligit,
et quae suam vitam reputat, quasi amico convivere volens; unde quidam simul venantur,
quidam simul potant, quidam philosophantur, et sic de aliis. Et ideo oportuit haberi quamdam amicitiam
ad Deum, qua sibi conviveremus; et haec est caritas, ut dictum est. Haec
autem communicatio divinae vitae facultatem naturae excedit, sicut et felicitas
ad quam ordinatur; et ideo oportet quod per aliquod bonum superadditum natura
in hoc perficiatur; et haec est ratio virtutis. Unde oportet dicere caritatem virtutem
theologicam, quae diffunditur in cordibus nostris per spiritum sanctum qui
datus est nobis: Rom. 5. |
Réponse. La fin de la vie humaine est la félicité. Aussi distingue-t-on diverses félicités selon diverses vies. En effet, ceux qui sont hors de la vie civile ne peuvent parvenir à la félicité civile, qui atteint ce qu’il y a de plus élevé en cette vie. De même, pour parvenir à la félicité contemplative, il faut participer à cette vie. Aussi la félicité à laquelle l’homme peut parvenir par ses capacités naturelles est-elle conforme à la vie humaine; c’est d’elle que les philosophes ont parlé. Ainsi est-il dit dans Éthique, I : « Heureux comme des hommes… » Mais parce qu’une félicité nous est promise par laquelle nous serons les égaux des anges, comme cela ressort de Mt 22, [félicité] qui dépasse non seulement les forces de l’homme, mais aussi celles des anges, qui y sont conduits comme nous par la grâce, mais qui est naturelle à Dieu seul, il est donc nécessaire, pour que l’homme parvienne à cette félicité, qu’il devienne participant à la vie divine. Or, ce qui fait vivre pour un autre est surtout l’amitié, car, ainsi que le dit le Philosophe, Éthique, IX, « chacun échange avec son ami sur les choses qu’il aime en premier lieu et qu’il considère comme sa vie, comme s’il voulait vivre avec son ami ». Aussi certains chassent-ils ensemble, certains boivent-ils ensemble, certains s’exercent-ils à la philosophie, et ainsi de suite. C’est pourquoi il était nécessaire que nous ayons avec Dieu une amitié par laquelle nous vivrions avec lui : telle est la charité, comme on l’a dit. Or, ce partage de la vie divine dépasse la capacité de la nature, de même que la félicité à laquelle elle est ordonnée. Aussi est-il nécessaire que la nature soit perfectionnée sur ce point par un bien ajouté : telle est la raison de vertu. Il est donc nécessaire de dire que la charité est une vertu théologale, qui est répandue dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné, Rm 5, 5. |
[11185] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod amicitia de qua philosophus tractat, causatur vel ex inclinatione
naturae quantum ad amicitiam delectabilis et utilis; vel ex inclinatione
habitus virtuosi praesupposita inclinatione naturae quantum ad amicitiam
honesti, inquantum omne quod facit similitudinem cum aliquo, inclinat ad
amorem illius; et ideo non ponitur aliqua virtus, sed quiddam consequens ad
virtutes. Sed amicitia
quam habemus ad Deum, non potest habere aliquod hujusmodi fundamentum, cum
naturae metas excedat; et ideo oportet quod per speciale donum in dictam
amicitiam elevemur; et hoc donum dicimus virtutem. |
1. L’amitié dont traite le Philosophe est causée soit par une inclination de la nature, pour ce qui est de l’amitié portant sur ce qui est délectable et utile, soit par l’inclination d’un habitus vertueux, l’inclination de la nature étant présupposée, pour ce qui est de l’amitié portant sur ce qui est honnête, dans la mesure où tout ce qui rend semblable à un autre incline à son amour. C’est pourquoi elle n’est pas donnée comme une vertu, mais comme quelque chose qui découle des vertus. Mais l’amitié que nous avons pour Dieu ne peut avoir un fondement de ce genre, puisqu’elle dépasse les limites de la nature. Aussi est-il nécessaire que nous soyons élevés à cette amitié par un don spécial. Nous appelons ce don une vertu. |
[11186] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod caritas non dicitur esse finis praecepti, quasi ultimus finis
virtutum, sed sicut id quo omnes aliae virtutes in finem ultimum ordinantur.
Et excludit ibi apostolus tria a caritate, quae verae amicitiae repugnant:
quorum primum est fictio, sicut est in simulantibus amicitiam, cum non sint
amici: quod removet per hoc quod dicit: fides non ficta; fidem pro
fidelitate accipiens. Secundum est
malum fundamentum, sicut eorum qui communicant in peccato, et ex hoc fiunt
amici; et ad hoc removendum dicit: conscientia bona. Tertium obliquata
intentio, sicut cum quis diligit amicum propter lucrum; et hoc excludit per
hoc quod dicit: de corde puro. |
2. On ne dit pas que la charité est la
fin du commandement en tant que fin ultime des vertus, mais comme ce par quoi
toutes les autres vertus sont ordonnées à la fin ultime. Et, à cet endroit,
l’Apôtre écarte de la charité trois choses qui s’opposent à une amitié
véritable. La première est la feinte, comme c’est le cas chez ceux qui
simulent l’amitié, alors qu’ils ne sont pas des amis; il écarte cela
lorsqu’il dit : Une foi sans
feinte, en prenant la foi pour la fidélité. La deuxième est un fondement
mauvais, comme c’est le cas de ceux qui communient dans le péché et, pour cette
raison, deviennent amis; il dit que cela doit être écarté : une bonne conscience. La troisième est
une intention déviée, comme lorsque quelqu’un aime son ami pour un gain; il
écarte cela lorsqu’il dit : Avec
un cœur pur. |
[11187] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod actus virtutum cum sint laudabiles, oportet
quod habeant principium in nobis. Delectatio autem cum sit ex conjunctione
rei convenientis, in quamdam receptionem sonat, et ita in passionem, cujus
principium est ab agente; et ideo magis se tenet ex parte praemii: sed
dilectio dicit extensionem appetitus in rem amatam, et hoc operationem
importat: et ita caritas ponitur virtus: sed fruitio, quae delectationem importat,
ponitur dos. |
3. Puisqu’ils sont louables, les actes des vertus doivent avoir leur principe en nous. Or, puisqu’elle vient de l’union avec une chose qui convient, la délectation signale une certaine réception et ainsi une passion, dont le principe vient d’un agent. Elle doit donc plutôt être considérée comme une récompense. Mais la dilection exprime la tension de l’appétit vers une chose aimée et elle comporte cette opération. Ainsi, la charité est-elle donnée comme une vertu; mais la jouissance, qui comporte une délectation, est-elle donnée comme une dot. |
[11188] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod caritas, ut ex praedictis, art. praeced., patet, amicitiam et
amorem et desiderium includit. Desiderium autem naturale non potest esse nisi
rei quae naturaliter haberi potest; unde desiderium naturale summi boni inest
nobis secundum naturam, inquantum summum bonum participabile est a nobis per
effectus naturales. Similiter amor ex similitudine causatur; unde naturaliter
diligitur summum bonum super omnia, inquantum habemus similitudinem ad ipsum
per bona naturalia. Sed quia natura non potest pervenire ad operationes ejus,
quae sunt vita sua, et beatitudo, scilicet visio divinae essentiae; ideo
etiam ad amicitiam non pertingit, quae facit amicos convivere, et in omnibus
communicare; et ideo oportet superaddi caritatem, per quam amicitiam ad Deum
habeamus, et ipsum amemus, et desideremus assimilari ei per participationem
spiritualium donorum, ut participabilem per gloriam ab amicis suis. |
4. Comme cela ressort de l’article précédent, la charité inclut l’amitié, l’amour et le désir. Or, le désir naturel ne peut porter que sur une chose qui peut être obtenue naturellement; aussi le désir naturel du bien suprême existe-t-il en nous par la nature pour autant que nous pouvons participer au bien suprême par des effets naturels. De même, l’amour est causé par une similitude; aussi le bien suprême est-il naturellement plus que tout, pour autant que nous avons une similitude avec lui par des biens naturels. Mais parce que la nature ne peut parvenir à ses opérations, qui sont sa vie et sa béatitude, à savoir, la vision de l’essence divine, elle ne peut parvenir à l’amitié, qui fait que les amis vivent ensemble et partagent tout. C’est pourquoi il est nécessaire que soit ajoutée la charité, par laquelle nous avons une amitié envers Dieu, nous l’aimons et désirons lui ressembler par la participation aux dons spirituels, pour autant que ses amis peuvent participer à lui par la gloire. |
[11189] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2
ad 5 Ad quintum dicendum,
quod non sufficit desiderium, sed oportet esse communicationem in vita, ut
dictum est, art. 1. |
5. Le désir ne suffit pas, mais il est nécessaire qu’il y ait partiage de vie, comme on l’a dit. |
[11190] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2
ad 6 Ad sextum
dicendum, quod difficultas quae est in operibus virtutum, non semper est laboris,
vel alicujus contristantis; sed proprie ea quorum est virtus dicuntur habere
difficultatem, inquantum supra vires elevantur eorum qui virtutem non habent. |
6. La difficulté qui existe dans les actes des vertus n’est pas toujours celle de l’effort ou de quelque chose qui attriste; mais ce sur quoi porte à proprement parler la vertu comporte une difficulté dans la mesure où cela dépasse les forces de ceux qui n’ont pas la vertu. |
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Articulus 3 [11191] Super Sent., lib. 3
d. 27 q. 2 a. 3 tit. Utrum subjectum caritatis sit ratio |
Article 3 – Le sujet de la charité est-il la raison ? |
[11192] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod subjectum caritatis sit ratio.
Omnis enim virtutis, ut in 1 Ethic. dicitur, subjectum est rationale per
participationem, vel rationale per essentiam. Sed caritas est virtus, ut
dictum est. Cum ergo subjectum ejus non sit rationale per participationem,
quia sic esset virtus moralis, videtur quod subjectum ejus sit rationale per
essentiam. |
1. Il semble que le sujet de la charité soit la raison. En effet, comme le dit Éthique, III, le sujet de toutes les vertus est ce qui est raisonnable par participation ou ce qui est raisonnable par essence. Or, la charité est une vertu, comme on l’a dit. Puisque son sujet n’est pas quelque chose de raisonnable par participation, car elle serait alors une vertu morale, il semble donc que son sujet soit ce qui est raisonnable par essence. |
[11193] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3
arg. 2 Praeterea, ea
quae mutuo se expellunt, oportet esse in eodem. Sed caritas et peccatum
mortale mutuo se expellunt. Cum ergo omne peccatum mortale, sit vel in ratione superiori vel
inferiori, ut in 2 Lib., dist. 30, dictum est; videtur quod etiam caritas sit
in ratione. |
2. Les choses qui se repoussent réciproquement doivent exister dans une même chose. Or, la charité et le péché mortel se repoussent. Puisque tout péché mortel se trouve soit dans la raison supérieure, soit dans la [raison] inférieure, comme on l’a dit dans le livre II, d. 30, il semble donc que la charité aussi se trouve dans la raison. |
[11194] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3
arg. 3 Praeterea, sicut caritas est principalis in gratuitis virtutibus, ita
prudentia in moralibus. Sed prudentiae subjectum est ratio. Ergo et caritatis. |
3. Comme la charité est la principale des vertus gratuites, de même en est-il de la prudence parmi les vertus morales. Or, le sujet de la prudence est la raison. Elle est donc aussi celui de la charité. |
[11195] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3
arg. 4 Praeterea, cum
caritas sit virtus theologica, non potest esse in parte sensitiva, cujus
objectum Deus esse non potest. Ergo oportet quod sit in parte intellectiva.
Sed non est in libero arbitrio: quia objectum ejus est contingens operabile a
nobis; caritas autem est ultimi finis, supra quem non cadit contingentia,
neque nostra operatio, neque electio. Similiter non potest esse in voluntate:
quia voluntas non habet determinatum actum, sed imperat omnes actus animae;
unde si caritas esset in voluntate, eadem ratione quaelibet alia virtus. Ergo
restat quod sit in ratione. |
4. Puisque la charité est une vertu théologale, elle ne peut se trouver dans la partie sensible, dont l’objet ne peut être Dieu. Il est donc nécessaire qu’elle existe dans la partie intellectuelle. Or, elle ne se trouve dans le libre arbitre, car son objet est quelque chose de contingent qui peut être fait par nous. Or, la charité porte sur la fin ultime qui n’est pas affectée par la contingence, par notre opération ni par notre choix. De même ne peut-elle pas se trouver dans la volonté, car la volonté n’a pas d’acte déterminé, mais elle commande tous les actes de l’âme. Si la charité était dans la volonté, toute autre vertu s’y trouverait donc pour la même raison. Il reste donc qu’elle se trouve dans la raison. |
[11196] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3
arg. 5 Praeterea,
philosophi de virtutibus tractantes nullam virtutem in voluntate posuerunt,
ponentes intellectuales in rationali per essentiam, morales vero in rationali
per participationem, cujusmodi est irascibilis et concupiscibilis, ut patet
ex 1 Ethic. Cum ergo
caritas sit virtus, videtur quod non sit in voluntate. |
5. Les philosophes qui traitent des vertus n’ont situé aucune vertu dans la volonté. Ils placent les [vertus] intellectuelles dans ce qui est raisonnable par essence, mais les vertus morales dans ce qui est raisonnable par participation, dont font partie l’irascible et le concupiscible, comme cela ressort d’Éthique, I. Puisque la charité est une vertu, il semble donc qu’elle ne se trouve pas dans la volonté. |
[11197] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3
s. c. 1 Sed contra,
objectum rationis est verum; caritatis autem non, sed magis bonum. Ergo caritas est in
voluntate, non in ratione. |
Cependant, [1] l’objet de la raison est le vrai. Or, il n’est pas celui de la charité, mais plutôt le bien. La charité se trouve donc dans la volonté, et non dans la raison. |
[11198] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, amor ad appetitum pertinet. Sed ratio pertinet ad
cognitionem. Ergo caritas non est in ratione. |
[2] L’amour se rapporte à l’appétit. Or, la raison se rapporte à la connaissance La charité ne se trouve donc pas dans la raison. |
[11199] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod ad sciendum in qua potentia est aliqua virtus, oportet
considerare cui potentiae actus ejus competat. Actus autem principalis
caritatis est diligere Deum: qui quidem rationis est quasi dirigentis, sed
appetitus quasi exequentis. Unde oportet quod ad appetitum reducatur. Non
potest autem hunc actum exequi appetitus sensitivus, quia ejus objectum Deus
esse non potest. Ergo oportet quod ad appetitum intellectivae partis pertineat,
non inquantum est electivus eorum quae sunt ad finem, sed inquantum se habet
ad ipsum ultimum finem; et hoc est voluntatis; unde proprium subjectum
caritatis est voluntas. Quidam autem dicunt, caritatem in concupiscibili
esse; quod esse non potest: quia concupiscibilis pars appetitus sensitivae
est partis. Et si dicatur concupiscibilis humana, hoc non habet nisi per
participationem rationis; nisi forte ipsam voluntatem aequivoce irascibilem
et concupiscibilem vocare vellent. |
Réponse. Pour savoir dans quelle puissance se trouve une vertu, il faut considérer de quelle puissance son acte relève. Or, l’acte principal de la charité est d’aimer Dieu, ce qui est [un acte] de la raison en tant qu’elle dirige, mais de l’appétit en tant qu’il exécute. Il est donc nécessaire qu’il se ramène à l’appétit. Or, l’appétit sensible ne peut exécuter cet acte, car son objet ne peut être Dieu. Il faut donc que cela relève de l’appétit de la partie intellectuelle, non pas en tant qu’il choisit ce qui est ordonné à la fin, mais en tant qu’il se rapporte à la fin ultime elle-même. Cela est le fait de la volonté. Le sujet propre de la charité est donc la volonté. Mais certains disent que la charité se trouve dans le concupiscible, ce qui est impossible, car le concupiscible est une partie de l’appétit de la partie sensible. Et si l’on parle du concupiscible humain, il ne possède qu’une participation à la raison, à moins qu’on veuille appeler de manière équivoque l’irascible et le concupiscible la volonté elle-même. |
[11200] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod pars rationalis per essentiam non dicitur solum ipsa ratio,
sed etiam appetitus rationi annexus, scilicet voluntas; unde philosophus
dicit in 3 de anima, quod voluntas in ratione est. Et ideo caritas non est virtus moralis,
quia non est circa passiones, quae sunt in appetitu sensitivo, qui est
rationalis per participationem: neque est virtus intellectualis; non enim est
in ratione per essentiam quantum ad vires apprehensivas; sed est virtus
theologica. |
1. On n’appelle pas seulement partie raisonnable par essence la raison elle-même, mais aussi l’appétit associé à la raison, à savoir, la volonté. Aussi le Philosophe dit-il, dans Sur l’âme, III, que la volonté se trouve dans la raison. C’est pourquoi la charité n’est pas une vertu morale, car elle ne porte pas sur les passions qui se trouvent dans l’appétit sensible et qui est raisonnable par participation. Elle n’est pas non plus une vertu intellectuelle : en effet, elle ne se trouve pas dans la raison par essence, pour ce qui est des puissances de perception. Mais elle est une vertu théologale. |
[11201] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod peccatum mortale non semper dicitur esse in ratione sicut in
subjecto, cum quandoque sit in irascibili, quandoque in concupiscibili; sed
est semper in ratione sicut in dirigente, et in voluntate, seu libero
arbitrio, sicut imperante et dirigente actum ejus: et sic etiam caritas habet
rationem quasi dirigentem in suo actu, vel magis intellectum. |
2. On ne dit pas toujours que le péché mortel se trouve dans la raison comme dans son sujet, puisque parfois il se trouve dans l’irascible et parfois dans le concupiscible. Mais il se trouve toujours dans la raison en tant qu’elle dirige, et dans la volonté, ou dans le libre arbitre, en tant qu’elle commande et dirige son acte. La charité comporte donc aussi la raison en tant qu’elle dirige dans son acte, ou plutôt l’intellect. |
[11202] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod prudentia principalis est in virtutibus moralibus, inquantum
est directiva omnium; et ideo ad rationem pertinet: sed caritas est
principalis per modum imperantis et conjungentis fini et informantis; quod
pertinet ad voluntatem. |
3. La prudence est la principale des vertus morales pour autant qu’elle les dirige toutes. C’est pourquoi elle relève de la raison. Mais la charité est principale en tant qu’elle commande, unit à la fin et donne forme, ce qui relève de la volonté. |
[11203] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod nec appetitus sensitivus, nec liberum arbitrium, proprie
loquendo, est subjectum caritatis; sed voluntas, quae quamvis habeat se
quodammodo ut causa ad omnes actus humanos, non tamen eodem modo se habet ad
omnes. Quosdam enim
actus ipsa elicit, inquantum est quaedam specialis potentia, sicut velle;
quosdam vero imperat, ut est universalis motor virium animae. Unde virtutes
perficientes ad actus quod voluntas tantum imperat, non sunt in voluntate sicut
in subjecto, sed in illis potentiis quae illos actus eliciunt; sed virtutes
perficientes ad actus quos voluntas elicit, sunt in voluntate quasi in
subjecto: et sic non est eadem ratio de omnibus. Diligere autem est actus a
voluntate elicitus, cum importet quietationem voluntatis, et transformationem
quamdam in rem amatam; et ideo caritas, quae ad hunc actum perficit, est in
voluntate sicut in subjecto. |
4. Ni l’appétit sensible ni le libre arbitre ne sont à proprement parler le sujet de la charité, mais la volonté qui, tout en étant d’une certaine manière la cause de tous les actes humains, n’a cependant pas le même rapport avec tous. En effet, elle-même suscite certains actes en tant qu’elle est une puissance particulière, tel l’acte de vouloir; mais elle en commande certains, en tant qu’elle est le moteur universel des puissances de l’âme. Les vertus qui perfectionnent en vue des actes que la volonté ne fait que commander ne se trouvent donc pas dans la volonté comme dans leur sujet, mais dans les puissances qui suscitent ces actes; mais les vertus qui perfectionnent en vue des actes que suscite la volonté se trouvent dans la volonté comme dans leur sujet. Il n’en va donc pas de même pour toutes. Or, aimer est un acte susciter suscité par la volonté, puisqu’il comporte l’apaisement de la volonté et une certaine transformation en la chose aimée. C’est pourquoi la charité, qui perfectionne en vue de cet acte, se trouve dans la volonté comme dans son sujet. |
[11204] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod virtutes, ut supra dictum est, dist. 23,
quaest. 1, art. 1, sunt nobis necessariae ad hoc quod potentiae naturales
determinentur ad bonum; unde in illis in quibus potentiae naturales sunt ex
sui natura ad bonum determinatae, non requiruntur aliae virtutes. Voluntas
autem habet bonum, quod est finis, pro objecto; unde quantum in se est,
naturaliter est determinata ad bonum; quod est finis humanae naturae
proportionatus: et ideo in voluntate respectu finis ultimi, philosophi nullam
virtutem posuerunt. Tamen oportet ponere aliquam virtutem acquisitam in
voluntate secundum quod est eorum quae sunt ad finem, scilicet justitiam, ut
infra dicetur, dist. 33, quaest. 2, art. 4, quaestiunc. 2, quae est circa
bona quae in usum vitae veniunt, et tamen inter morales computatur: quia
voluntas quamvis secundum suam essentiam sit in rationali per essentiam,
tamen quantum ad similitudinem actus convenit cum irascibili et
concupiscibili, quae dicuntur rationales per participationem: et ipsa etiam
voluntas aliqualiter rationem participat, inquantum a ratione apprehensiva
dirigitur. At secundum doctrinam fidei ponitur finis ultimus naturalem
inclinationem excedens; et ideo secundum theologos oportet ponere virtutem
aliquam in voluntate ad elevandum in praedictum finem: et hanc dicimus
caritatem. |
5. Comme on l’a dit plus haut, d. 23, q. 1, a. 1, les vertus nous sont nécessaires pour que les puissances naturelles soient déterminées au bien. Chez ceux dont les puissances naturelles sont déterminées au bien par leur nature, d’autres vertus ne sont pas nécessaires. Mais la volonté a comme objet le bien, qui est la fin; en elle-même, elle est donc naturellement déterminée au bien, qui est la fin proportionnée à la nature humaine. Aussi les philosophes n’ont-ils situé aucune vertu dans la volonté par rapport à la fin ultime. Cependant, il est nécessaire de placer une vertu acquise dans la volonté selon qu’elle porte sur ce qui se rapporte à la fin, à savoir la justice, comme on le dira plus loin, d. 33, q. 2, a. 4, qa 2, qui porte sur les biens qui sont utilisés pour la vie, mais qui est cependant comptée par les [vertus] morales, car la volonté, bien qu’elle se trouve selon son essence dans la [partie] raisonnable par essence, a, par la ressemblance de l’acte, quelque chose en commun avec l’irascible et le concupiscible, dont on dit qu’ils sont raisonnables par participation. La volonté elle-même participe aussi d’une certaine manière à la raison pour autant qu’elle est dirigée par la raison qui appréhende. Mais, selon l’enseignement de la foi, on affirme une fin ultime qui dépasse l’inclination naturelle. C’est pourquoi il est nécessaire, selon les théologiens, d’affirmer une vertu se trouvant dans la volonté afin de l’élever à la fin mentionnée. C’est celle que nous appelons charité. |
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Articulus 4 [11205] Super Sent., lib. 3
d. 27 q. 2 a. 4 tit. Utrum caritas sit una virtus vel plures |
Article 4 – La charité est-elle une seule vertu ou plusieurs ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La charité est-elle une seule vertu ?] |
[11206] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod caritas non sit una virtus. Habitus enim distinguuntur
per actus, et actus per objecta. Sed caritas habet duo objecta maxime
distantia, scilicet Deum et proximum. Ergo non est una virtus. |
1. Il semble que la charité ne soit pas une seule vertu. En effet, les habitus se distinguent par leurs actes, et les actes par les objets. Or, la charité a deux objets très éloignés : Dieu et le prochain. Elle n’est donc pas une seule vertu. |
[11207] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, virtutes theologicae a moralibus distinguuntur: quia
virtutes morales dirigunt in his quae sunt ad finem, theologicae autem sunt
de ipso fine. Sed caritas
est et de fine, inquantum per eam diligitur Deus; et de his quae sunt ad
finem, inquantum per eam diligitur proximus. Ergo caritas continet duas
virtutes, quarum una est moralis et alia theologica. |
2. Les vertus théologales se distinguent des vertus morales, car les vertus morales dirigent pour ce qui se rapporte à la fin, mais les vertus théologales portent sur la fin elle-même. Or, la charité porte sur la fin, pour autant que Dieu est aimé par elle, et sur ce qui se rapporte à la fin, pour autant que le prochain est aimé par elle. La charité contient donc deux vertus, dont l’une est morale et l’autre théologale. |
[11208] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 1 arg. 3 Praeterea,
virtutes ad actus aliquos ordinantur: quia virtus est optimorum operativa, ut
dicitur in 2 Eth., et modum aliquem in suis actibus ponunt: quia virtus est
in hoc quod non solum bona, sed bene fiant; et iterum actus virtutum per
praecepta legis imperantur. Sed caritas
habet duos actus et duos modos et duo praecepta. Ergo non est una virtus. |
3. Les vertus sont ordonnées à certains actes, car « la vertu accomplit ce qu’il y a de meilleur », comme il est dit dans Éthique, II, et elles établissent une certaine manière dans leurs actes, car la vertu ne consiste pas seulement à accomplir ce qui est bien, mais à bien l’accomplir; de plus, les actes des vertus sont commandés par les commandements de la loi. Or, la charité comporte deux actes, deux modes et deux commandements. Elle n’est donc pas une seule vertu. |
[11209] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, motor in quolibet genere est unus tantum. Sed caritas
movet omnes alias virtutes ad suum finem per actus proprios. Ergo caritas est una virtus. |
Cependant, [1] il n’y a qu’un seul moteur en chaque genre. Or, la charité meut toutes les autres vertus vers sa fin par leurs actes propres. La charité est donc une seule vertu. |
[11210] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 1 s. c. 2 Praeterea,
objectum caritatis est Deus, cum sit virtus theologica. Sed Deus est summe
unus. Ergo caritas
est una tantum virtus. |
[2] L’objet de la charité est Dieu, puisqu’elle est une vertu théologale. Or, Dieu est un au plus haut point. La charité est donc une seule vertu. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La charité
est-elle distincte des autres vertus ?]
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[11211] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod non sit distincta ab aliis virtutibus. Quidquid enim cadit in
distinctione virtutis, non distinguitur a virtutibus. Sed caritas est hujusmodi; unde Hieronymus
dicit: ut breviter omnem virtutis definitionem complectar, virtus est
caritas qua diligitur Deus et proximus: et Augustinus dicit, quod virtus
est ordo amoris. Ergo caritas non distinguitur ab aliis virtutibus. |
1. Il semble que la charité ne soit pas distinte des autres vertus. En effet, tout ce qui fait partie du caractère distinct d’une vertu ne se distingue pas des vertus. Or, la charité est de ce genre. Aussi Jérôme dit-il : « Pour résumer brièvement toute la définition de la vertu, la vertu est la charité par laquelle Dieu et le prochain sont aimés. » Et Augustin dit que « la vertu est l’ordre de l’amour ». La charité ne se distingue donc pas des autres vertus. |
[11212] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, virtutes distinguuntur per actus. Sed actus omnium aliarum
virtutum caritati attribuuntur, ut patet 1 Cor. 13. Ergo caritas non est
virtus distincta ab aliis virtutibus. |
2. Les vertus se distinguent par leurs actes. Or, les actes de toutes les autres vertus sont attribués à la charité, comme cela ressort de 1 Co 13. La charité n’est donc pas une vertu distincte des autres vertus. |
[11213] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 2 arg. 3 Praeterea,
quaelibet virtus specialis habet speciale objectum. Sed caritas non habet
speciale objectum, sed omnibus commune, scilicet bonum. Ergo caritas non est specialis virtus. |
3. Toute vertu particulière a un objet particulier. Or, la charité n’a pas d’objet particulier, mais [un objet] commun à toutes [les vertus] : le bien. La charité n’est donc pas une vertu particulière. |
[11214] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 2 arg. 4 Praeterea,
praecepta legis sunt de actibus virtutum. Sed praeceptum quod ad caritatem
pertinet, non distinguitur ab aliis praeceptis; sed omnia alia praecepta
complectitur. Ergo et
caritas non distinguitur ab aliis virtutibus. |
4. Les commandements de la loi portent sur les actes des vertus. Or, le commandement qui se rapporte à la charité ne se distingue pas des autres commandements, mais il embrasse tous les autres commandements. La charité ne se distingue donc pas des autres vertus. |
[11215] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 2 s. c. 1 Sed contra, omne
quod dividitur contra alia, est distinctum ab illis. Sed caritas distinguitur
contra alias virtutes theologicas, ut patet 1 Corinth. 13, et per Gregorium,
qui dicit, quod caritas signatur per unam de filiabus Job. Ergo est virtus
specialis. |
Cependant, [1] tout ce qui est séparé des autres choses est distinct de ces
choses. Or, la charité se distingue des autres vertus théologales, comme cela
ressort de 1 Co 13, et de Grégoire, qui dit que «la charité est
indiquée par une des filles de Jacob». Elle est donc une vertu particulière. |
[11216] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, philosophus probat justitiam esse specialem virtutem per
hoc quod habet aliquod vitium speciale sibi tantum oppositum. Sed caritas
habet aliquod vitium speciale sibi tantum oppositum, scilicet odium. Ergo
caritas est virtus specialis. |
[2] Le Philosophe prouve que la justice est une vertu particulière par le fait qu’elle a un vice particulier qui lui est opposé. Or, la charité a un vice particulier qui est opposé à elle seule : la haine. La charité est donc une vertu particulière. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La charité
est-elle la forme des autres vertus ?]
|
[11217] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur
quod caritas non sit forma aliarum virtutum. Omnis enim forma vel est
exemplaris vel intrinseca. Sed caritas non est forma exemplaris virtutum,
quia tunc in eamdem speciem traherentur aliae virtutes: nec iterum est forma
intrinseca: quia daret esse et speciem aliis virtutibus; et sic omnes
virtutes essent eaedem specie, et essent in eodem subjecto ubi est caritas,
nec ab ipsa distinguerentur. Ergo caritas nullo modo est forma virtutum. |
1. Il semble que la charité ne soit pas la forme des autres vertus. En effet, toute forme est soit exemplaire ou intrinsèque. Or, la charité n’est pas la forme exemplaire des vertus, car alors les autres vertus seraient attirées vers la même espèce; elle n’est pas non plus leur forme intrinsèque, car elle donnerait l’être et l’espèce aux autres vertus. Toutes les vertus seraient ainsi de la même espèce, elles se trouveraient dans le même sujet où se trouve la charité et elles ne s’en distingueraient pas. La charité n’est donc d’aucune manière la forme des vertus. |
[11218] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 3 arg. 2 Praeterea,
caritas differt a gratia. Sed gratia dicitur esse forma omnium virtutum, quia
facit actum meritorium. Ergo caritas non est forma. |
2. La charité diffère de la grâce. Or, on dit que la grâce est la forme de toutes les vertus, car elle rend un acte méritoire. La charité n’est donc pas la forme. |
[11219] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 3 arg. 3 Praeterea, sicut
se habet potentia ad potentiam, ita habitus ad habitum. Sed ratio imponit
modum omnibus aliis viribus. Ergo et habitus existens in ratione omnibus
aliis habitibus; et ita fides est magis forma virtutum quam caritas; vel etiam
prudentia, quae etiam ponitur a philosophis quasi forma omnium aliarum
virtutum. |
3. Le rapport de puissance à puissance est le même que celui d’habitus à habitus. Or, la raison impose un mode à toutes les puissances. L’habitus qui se trouve dans la raison [en impose donc] aussi un à tous les autres habitus. Ainsi, la foi est davantage que la charité la forme des vertus, ou même la prudence, qui est aussi donnée par les philosophes comme la forme de toutes les autres vertus. |
[11220] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 3 arg. 4 Praeterea, forma
efficiens et finis non incidunt in idem numero, ut dicitur in 2 Phys. Sed caritas est finis praecepti, et ita
virtutum: est etiam motor, inquantum imperat actus earum. Ergo ipsa non est
forma. |
4. La forme efficiente et la fin ne tombent pas sous le même nombre, comme il est dit dans Physique, II. Or, la charité est la fin du commandement, et ainsi, des vertus; elle en est aussi le moteur, pour autant qu’elle commande leurs actes. Elle n’en est donc pas la forme. |
[11221] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 3 arg. 5 Praeterea,
habitus indicantur per actus. Sed unaquaeque virtus ponit suum modum vel
formam in actu suo, secundum quem justus juste facit, et fortis fortiter. Ergo virtutes non
formantur per caritatem, sed per seipsas formatae sunt. |
5. Les habitus sont indiqués par leurs actes. Or, chaque vertu impose son mode ou sa forme à son acte; ainsi, le juste agit justement, et le fort, fortement. Les vertus ne sont donc pas formées par la charité, mais elles sont formées par elles-mêmes. |
[11222] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 3 s. c. 1 Sed contra,
Ambrosius dicit, quod caritas omnes alias virtutes informat et est mater
earum. |
Cependant, [1] Ambroise dit que la charité donne forme à toutes les autres vertus et en est la mère. |
[11223] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 3 s. c. 2 Praeterea,
illud quod est principale, etiam in corporalibus, est formale respectu
aliorum; sicut ignis est quodammodo forma aeris, aer aquae, et aqua terrae,
ut dicitur 4 Physic. Sed caritas est principalis inter alias virtutes. Ergo
ipsa est forma aliarum virtutum. |
[2] Ce qui est principal, même dans les choses corporelles, a le caractère de forme par rapport aux autres choses; ainsi, le feu est d’une certaine manière la forme de l’air, l’air de l’eau et l’eau de la terre, comme il est dit dans Physique, IV. Or, la charité est la principale parmi les autres vertus. Elle est donc la forme des autres vertus. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 – [La charité
peut-elle être informe ?]
|
[11224] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 4 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod caritas possit esse informis. Sicut enim fides est in eo qui non
operatur bene, ita et dilectio qua Deus diligitur: quia etiam peccatores et
infideles Deum diligunt. Sed fides quae est sine operibus, est informis. Ergo
similiter caritas. |
1. Il semble que la charité puisse être informe. En effet, de même que la foi existe chez celui qui n’agit pas bien, de même aussi l.amour par lequel Dieu est aimé, car même les pécheurs et les infidèles aiment Dieu. Or, la foi sans les œuvres est informe. Donc, de la même manière, la charité. |
[11225] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 4 arg. 2 Praeterea,
nullus scit se habere gratiam. Potest autem aliquis scire se habere dilectionem.
Ergo dilectio Dei potest esse sine gratia; et ita potest esse informis. |
2. Personne ne sait s’il a la grâce. Or, quelqu’un peut savoir s’il a l’amour. L’amour de Dieu peut donc exister sans la grâce, et ainsi [la charité] peut-elle être informe. |
[11226] Super
Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 4 arg. 3 Praeterea, ex fide oriuntur timor et amor.
Sed timor potest esse informis, ut patet de timore servili. Ergo et amor. |
3. La crainte et l’amour naissent de la foi. Or, la crainte peut être informe, comme cela ressort dans le cas de la crainte servile. Donc aussi, l’amour. |
[11227] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 4 s. c. 1 Sed contra,
spiritus sanctus non potest esse sine gratia. Sed caritas Dei diffunditur in cordibus
nostris per spiritum sanctum; Rom. 5. Ergo caritas non potest esse informis. |
Cependant, [1] l’Esprit Saint ne peut être sans la grâce. Or, l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint, Rm 5. La charité ne peut donc être informe. |
[11228] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 4 s. c. 2 Praeterea,
forma non potest esse informis. Sed caritas est forma omnium aliarum
virtutum. Ergo ipsa non potest esse informis. |
[2] La forme ne peut être informe. Or, la charité est la forme de toutes les autres vertus. Elle-même ne peut donc pas être informe. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question 1 |
[11229] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 4 qc. 1 co. Respondeo
dicendum ad primam quaestionem, quod virtus specificatur ex objecto suo
secundum illam rationem qua principaliter in ipsum tendit; unde cum caritas
diligat Deum principaliter, et omnia alia non diligat nisi inquantum sunt
Dei, constat quod ex unitate divinae bonitatis, quam caritas primo respicit,
unitatem recipit, et est una virtus. |
Une vertu est spécifiée par son objet selon la raison par laquelle elle tend principalement vers lui; aussi, puisque la charité aime principalement Dieu et n’aime toutes les autres choses que pour autant qu’elles sont à Dieu, il est clair qu’elle reçoit son unité de l’unité de la bonté divine, visée en premier par la charité, et qu’elle est une seule vertu. |
[11230] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod proximus non est objectum principale ipsius caritatis, ut
dictum est. |
1. Le prochain n’est pas l’objet principal de la charité elle-même, comme on l’a dit. |
[11231] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod virtutes etiam theologicae dirigunt in his quae sunt ad finem,
non quidem secundum proprias rationes rerum quae sunt ad finem, sed secundum
rationem finis; sicut fides facit etiam quaedam credere de creaturis propter
veritatem primam, a qua accipit: similiter et caritas facit diligere homines
inquantum sunt participabiles divinae bonitatis, quae est finis ultimus. |
2. Les vertus théologales aussi dirigent pour ce qui se rapporte à la fin, non pas selon les raisons propres des choses qui sont ordonnées à la fin, mais selon la raison de fin. Ainsi, la foi fait croire certaines choses à propos des créatures à cause de la Vérité première dont elle a reçu. De même aussi, la charité fait aimer les hommes pour autant qu’ils peuvent participer à la bonté divine, qui est la fin ultime. |
[11232] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod materialis diversitas objectorum sufficit ad diversificandum
actum secundum numerum; sed secundum speciem actus non diversificantur nisi
ex diversitate formali objecti. Formalis autem objecti diversitas est secundum illam rationem quam
principaliter attendit vel habitus vel potentia; et ideo diligere Deum et
proximum sunt quidem diversi actus, sed ad eumdem habitum pertinent; sicut
etiam videre album et nigrum, et propinquum et distans, sunt diversae
visiones secundum numerum, et diversos modos habent, et tamen ad unam visivam
potentiam pertinent: et sic etiam de actibus caritatis dantur diversa
praecepta secundum diversos modos quos habent. |
3. La diversité matérielle des objets suffit à diversifier l’acte selon le nombre; mais les actes ne se diversifient selon l’espèce que par la diversité formelle de l’objet. Or, la diversité formelle de l’objet vient de la raison selon laquelle l’habitus ou la puisance sont considérés. Aussi, aimer Dieu et [aimer] le prochain sont-ils des actes différents, mais ils relèvent du même habitus, comme voir le blanc et le noir, le proche et le lointain sont des visions diverses en nombre et elles comportent des modes différents; cependant, elles relèvent d’une seule puissance de vision. Aussi divers commandements sont-ils donnés à propos de actes de la charité selon les modes divers qui sont les leurs. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question 2 |
[11233] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam
quaestionem dicendum, quod, ut dictum est, habitus specificantur ex objectis
suis secundum rationem quam principaliter attendunt. Ratio autem objecti
sumitur secundum proportionem rei circa quam est operatio habitus vel
potentiae, ad actum animae, in qua sunt habitus vel potentiae. Quia autem per
operationem animae dividuntur quandoque quae secundum rem conjuncta, et summe
unum sunt; ideo contingit quod ubi res est eadem, sunt diversae rationes
objecti, sicut eadem res objectum est liberalitatis, ut est donabilis, et
justitiae, ut habet debiti rationem. Et similiter ubi res est communis, est
ratio objecti particularis et propria: sicut philosophia prima est specialis
scientia, quamvis consideret ens secundum quod est omnibus commune: quia
specialem rationem entis considerat secundum quod non dependet a materia et a
motu: et similiter est in proposito. Objectum enim caritatis proprium et
principale est bonitas divina. In omnibus autem aliis virtutibus est aliquod
bonum divinum; sed tamen hoc quod est commune secundum rem, habet specialem
rationem: et ideo caritas est specialis virtus ab omnibus aliis distincta. |
Comme on l’a dit, les habitus reçoivent leurs espèces de leurs objets selon la raison qu’ils envisagent principalement. Or, la raison de l’objet se prend de la proportion de la chose sur laquelle porte l’opération de l’habitus ou de la puissance par rapport à l’acte de l’âme, dans laquelle se trouvent les habitus et les puissances. Or, parce que, par une opération de l’âme, sont parfois divisées des choses qui sont en réalité unies et sont au plus haut point une seule chose, il arrive que, là où une chose est la même, il existe diverses raisons de l’objet : ainsi l’objet de la libéralité est-il la même chose, qui a raison de don possible, que celui de la justice, qui a raison de dette. De même, là où une chose est commune, la raison de l’objet peut être particulière et propre : ainsi, la philosophie première est une science particulière, bien qu’elle considère l’être selon qu’il est commun à toutes choses, car elle considère la raison particulière de l’être selon qu’il ne dépend pas de la matière ni du mouvement. De même en est-il dans le cas présent. En effet, l’objet propre et principal de la charité est la bonté divine. Or, dans toutes les autres vertus, il existe un bien divin. Cependant, ce qui est en réalité commun possède une raison particulière. C’est pourquoi la charité est une vertu particulière distincte de toutes les autres. |
[11234] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod sicut est in scientiis, quod una scientia specialis ab aliis
distincta, scilicet prima philosophia, omnibus aliis scientiis perfectionem
impartitur, inquantum objectum suum est commune secundum rem objectis omnium
aliarum scientiarum; ita etiam est in virtutibus, ubi illud quod ad aliquam
virtutem pertinet, potest poni in definitione virtutis communis; sicut patet
de prudentia, quae perficit rationem virtutis in omnibus virtutibus
moralibus: et ideo ratio recta, quae ad prudentiam pertinet, ponitur in
definitione virtutis, ut patet 2 Ethic.: virtus est habitus electivus in
mediocritate consistens determinata ratione, prout sapiens determinabit.
Nec ex hoc habetur quod prudentia non sit specialis virtus, sed quod est
generalis regula omnium virtutum; et ita etiam caritas, quae perficit omnes
alias virtutes, ponitur in definitione virtutis; nec ex hoc habetur quod sit
generalis virtus, sed generalis perfectio virtutum. Tamen hoc quod dicit
Augustinus, quod est virtus ordo amoris, potest dupliciter accipi: vel pro
ipso amore caritatis, et tunc praedicta responsio tenet; vel pro amore in
communi, et sic amor sumitur pro amore naturali, qui inest cuilibet potentiae
respectu sui objecti, quem virtus determinat: quia est ordinatio affectionum
animae. Quidam autem non attendentes differentiam naturalis amoris vel
appetitus, ad amorem et appetitum animalem, intantum erraverunt, quod
posuerunt concupiscibilem non esse specialem vim, sed diffusam in omnibus
aliis viribus; et similiter caritatem indistinctam ab aliis virtutibus. |
1. De même que dans les sciences, une science particulière distincte des autres, la philosophie première, communique sa perfection à toutes les autres sciences, pour autant que son objet est en réalité commun avec les objets de toutes les autres sciences, de même en est-il aussi pour les vertus où ce qui relève d’une vertu peut être mis dans la définition d’une vertu commune, comme cela ressort pour la prudence qui perfectionne la raison de vertu pour toutes les vertus morales. Aussi la raison droite, qui relève de la prudence, est-elle placée dans la définition de la vertu, comme cela ressort d’Éthique, II : « La vertu est un habitus électif consistant dans un milieu qui est déterminé par la raison, comme le sage en aura déterminé. » On n’en conclut pas que la prudence n’est pas une vertu particulière, mais qu’elle est la règle générale de toutes les vertus. Ainsi encore la charité, qui perfectionne toutes les autres vertus, est-elle placée dans la définition de la vertu; on n’en conclut pas qu’elle est une vertu générale, mais la perfection générale des vertus. Toutefois, ce que dit Augustin : « la vertu est l’ordre de l’amour », peut s’entendre de deux manières : soit de l’amour même de la charité, et alors la réponse précédente demeure, soit de l’amour en général, et ainsi l’amour est entendu de l’amour naturel, qui est inhérent à toute puissance par rapport à son objet et que la vertu détermine, car elle est la mise en ordre des dispositions affectives de l’âme. Mais certains, ne prenant pas en compte la différence de l’amour ou appétit naturel par rapport à l’amour et à l’appétit animal, se sont trompés en affirmant que le concupiscible n’est pas une puissance particulière, mais [une puissance] répandue dans toutes les autres puissances, et que la charité ne se distingue pas des autres vertus. |
[11235] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod actus aliarum virtutum non attribuuntur caritati quasi ipsa
eos eliciat, sed quia ipsa eos imperat. Habet autem specialem actum quem elicit, diligere Deum. |
2. Les actes des autres vertus ne sont pas attribués à la charité parce qu’elle les suscite, mais parce qu’elle les commande. Mais elle possède un acte qu’elle suscite : aimer Dieu. |
[11236] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod non quodlibet bonum est objectum caritatis, sed bonum divinum;
et hoc etiam quamvis sit in omnibus bonis aliqualiter, tamen habet specialem
rationem, ut dictum est. |
3. Ce n’est pas n’importe quel bien qui est l’objet de la charité, mais le bien divin; et celui-ci, même s’il existe dans tous les biens d’une certaine manière, possède une raison particulière, comme on l’a dit. |
[11237] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod praeceptum ad caritatem pertinens, non comprehendit omnia alia
praecepta sicut universale ad illa, sed per quamdam reductionem, quia omnia
praecepta ad illud ordinantur, sicut etiam actus omnium aliarum virtutum ad
actum caritatis, inquantum omnes imperat. Unde ex hoc non ostenditur quod caritas sit
generalis virtus, sed quod est generalis motor omnium virtutum. |
4. Le commandement se rapportant à la charité ne comprend pas tous les autres commandements comme étant quelque chose d’universel par rapport à ceux-ci, mais comme s’ils se ramenaient à lui, car tous les commandements lui sont ordonnés, de même que les actes de toutes les autres vertus le sont par rapport à la charité, pour autant qu’elle les commande tous. On ne montre donc pas ainsi que la charité est une vertu générale, mais qu’elle est le moteur général de toutes les vertus. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question 3
|
[11238] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod caritas ad omnes alias virtutes
comparatur et ut motor et ut finis et ut forma. Quod autem motor sit omnium
aliarum virtutum, ex hoc patet, quia ipsum bonum, quod est objectum caritatis
sub ratione finis, est finis virtutum. In omnibus autem potentiis vel artibus
ordinatis ita accidit, quod ars vel potentia quae est circa finem, ordinat
aliarum actus ad finem proprium; sicut militaris, quae est propter victoriam,
ad quam omne officium bellicum ordinatur, ordinat equestrem et navalem et
omnia hujusmodi in suum finem; et ideo dicitur caritas mater aliarum
virtutum, inquantum earum actus producit ex conceptione finis, inquantum ipse
finis habet se per modum seminis, cum sit principium in operabilibus, ut
dicit philosophus: et secundum hoc dicitur imperare actus inferiorum
virtutum, secundum quod facit eas operari propter finem suum; et secundum hoc
movet alias artes inferiores ad finem suum; unde caritas etiam omnes alias
virtutes ad suum finem movet, et secundum hoc dicitur actus earum imperare.
Hoc enim interest inter elicere actum et imperare, quod habitus vel potentia
elicit illum actum quem producit circa objectum nullo mediante: sed imperat
actum qui producitur mediante potentia vel habitu inferiori circa objectum
illius potentiae. Sic ergo caritas est motor aliarum virtutum: similiter
etiam finis: quia hoc commune est in omnibus virtutibus, quod actus ipsarum
sunt proximi fines earum cum actus sit perfectio prima; et minus completum
ordinatur ad magis completum sicut ad finem. Finis autem inferioris potentiae
vel habitus ordinatur ad finem superioris, sicut finis militaris ad finem
civilis; unde actus omnium aliarum virtutum ordinantur ad actum caritatis
sicut ad finem; et propter hoc dicitur caritas praecepti finis. Similiter etiam patet quod est forma
perficiens unamquamque virtutem in ratione virtutis. Inferior enim potentia
non habet perfectionem virtutis nisi secundum quod participat perfectionem potentiae
superioris; sicut habitus qui est in irascibili, non habet rationem virtutis,
ut dicitur in 4 Ethic., nisi inquantum intellectum et discretionem recipit a
ratione, quam perficit prudentia; et secundum hoc prudentia ponit modum et
formam in omnibus aliis virtutibus moralibus. Omnes autem aliae virtutes quae
sunt meritoriae vitae aeternae, secundum quod nunc loquimur de virtutibus,
sunt in potentiis voluntati subjectis: quia nullus actus alicujus potentiae
potest esse meritorius nisi inquantum habet aliquid de voluntario: quod
contingit ex hoc quod voluntas imperat et movet actus aliarum potentiarum.
Unde non potest esse quod aliquis habitus existens in aliqua potentia animae
habeat rationem virtutis loquendo de virtutibus meritoriis, de quibus hic
loquimur, nisi secundum hoc quod in illa potentia participatur aliquid de
perfectione voluntatis quam caritas perficit; et ideo caritas est forma
virtutum aliarum omnium, sicut prudentia moralium. Et hic est unus modus quo
caritas est forma aliarum virtutum. Alii autem duo modi possunt accipi ex hoc
quod ipsa est motor et finis, inquantum movens ponit motum suum in
instrumento, et ea quae sunt ad finem, diriguntur ex ratione finis; et ita
modus caritatis participatur in aliis virtutibus, inquantum moventur a
caritate, et inquantum ordinantur in ipsam sicut in finem. |
La charité se compare à toutes les autres vertus comme un moteur, une fin et une forme. Qu’elle soit le moteur de toutes les autres vertus, cela est clair, car le bien lui-même, qui est l’objet de la charité sous son aspect de fin, est la fin des vertus. Or, dans toutes les puissances ou les arts ordonnés, il se fait que l’art ou la puissance qui porte sur la fin ordonne les actes des autres à sa fin propre, comme [l’art] militaire, qui existe en vue de la victoire à laquelle toutes les fonctions guerrières sont ordonnées, ordonne l’art de la chevalerie, l’art naval et tous les arts de ce genre à sa fin. C’est pourquoi on appelle la charité la mère des autres vertus, pour autant qu’elle fait apparaître leurs actes à partir de la conception de la fin, dans la mesure où la fin elle-même agit par soi à la manière d’une semence, puisqu’elle est le principe pour les choses à faire, ainsi que le dit le Philosophe. De cette manière, on dit qu’elle commande les actes des vertus inférieures selon qu’elle les fait agir en vue de sa propre fin. Elle meut ainsi les autres arts inférieurs vers sa propre fin. Aussi la charité meut-elle toutes les autres vertus vers sa propre fin; on dit ainsi qu’elle commande leurs actes. En effet, la différence entre susciter un acte et le commander est qu’un habitus ou une puissance suscite sans intermédiaire l’acte qu’ils produisent par rapport à leur objet; mais ils commandent un acte, qui est produit par l’intermédiaire d’une puissance ou d’un habitus inférieurs, par rapport à l’objet de cette puissance. Ainsi donc, la charité est le moteur des autres vertus. De même en est-elle la fin, car cela est commun à toutes les vertus que leurs actes sont leurs fins prochaines, puisque l’acte est la perfection première; et ce qui est moins achevé est ordonné à ce qui est plus achevé comme à sa fin. Or, la fin d’une puissance ou d’un habitus inférieurs est ordonnée à la fin [d’une puissance ou d’un habitus supérieurs], comme la fin [de l’art] militaire à la fin de la cité. Aussi les actes de toutes les autres vertus sont-ils ordonnés à l’acte de la charité comme à leur fin. Pour cette raison, on dit que la charité est la fin du commandement. De même, il est clair qu’une puissance ne possède la perfection d’une vertu que selon qu’elle participe à la perfection d’une puissance supérieure, comme l’habitus qui se trouve dans l’irascible n’a raison de vertu, comme il est dit dans Éthique, IV, que dans la mesure où il reçoit l’intelligence et le jugement de la raison, que perfectionne la prudence. Ainsi la prudence donne-t-elle mode et forme à toutes les autres vertus morales. Or, toutes les autres vertus qui sont méritoires de la vie éternelle, selon que nous parlons maintenant des vertus, se trouvent dans les puissances soumises à la volonté, car aucun acte d’une puissance ne peut être méritoire que dans la mesure où il possède quelque chose de volontaire, ce qui se produit du fait que la volonté commande et meut les actes des autres puissances. Il ne peut donc pas arriver qu’un habitus qui se trouve dans une puissance de l’âme ait raison de vertu, si l’on parle des vertus méritoires dont nous parlons ici, que si cette puissance participe à quelque chose de la perfection de la volonté, que perfectionne la charité. C’est pourquoi la charité est la forme des autres vertus, comme la prudence celle des vertus morales. C’est là un mode selon lequel la charité est la forme des autres vertus. Mais les deux autres modes peuvent se concevoir du fait qu’elle est le moteur et la fin, pour autant que ce qui meut instaure son mouvement dans l’instrument et que ce qui est ordonné à la fin est dirigé par la raison de la fin. Ainsi les autres vertus participent au mode de la charité dans la mesure où elles sont mues par la charité et dans la mesure où elles sont ordonnées à elle comme à leur fin. |
[11239] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod caritas est forma exemplaris virtutum; sed forma exemplaris
est duplex. Una ad cujus repraesentationem aliquid fit: et ad hanc non
exigitur nisi similitudo tantum: sicut dicimus res veras esse formas
exemplares picturarum. Alio modo
dicitur forma exemplaris ad cujus similitudinem aliquid fit, et per cujus participationem
esse habet; sicut divina bonitas est forma exemplaris omnis bonitatis, et
divina sapientia omnis sapientiae; et talis forma exemplaris non oportet quod
sit unius speciei cum causatis: quia participantia non semper participant per
modum participati; et hoc modo prudentia est forma aliarum virtutum moralium,
inquantum sigillatio quedam prudentiae in inferioribus viribus dat habitibus
qui ibi sunt, rationem virtutis. Et similiter est de caritate respectu omnium
aliarum virtutum. |
1. La charité est la forme exemplaire des vertus, mais il existe une double forme exemplaire. L’une selon la représentation de laquelle quelque chose est fait : pour celle-là, seule une similitude est requise, comme nous disons que les vraies réalités sont les formes exemplaires des peintures. D’une autre manière, on parle de la forme exemplaire selon la représentation de laquelle quelque chose est fait et par participation à laquelle cela possède l’être; ainsi, la bonté divine est la forme exemplaire de toute bonté, et la sagesse divine [est la forme exemplaire] de toute sagesse. Et il n’est pas nécessaire qu’une telle cause exemplaire soit de la même espèce que les choses causées, car ce qui participe ne participe pas toujours selon le mode de ce à quoi cela. De cette manière, la prudence est la forme des autres vertus morales pour autant qu’un sceau de la prudence donne aux puissances inférieures et aux habitus qui s’y trouvent la raison de vertu. De même en est-il pour la charité par rapport à toutes les autres vertus. |
[11240] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod inferiores vires non perficiuntur perfectione virtutis, nisi
per participationem perfectionis a superioribus. Cum autem superiora sint
formalia respectu inferiorum, quasi perfectiora; quod participatur a
superioribus in inferioribus, formale est. Unde ad perfectionem virtutis in
aliqua potentia tot formae exiguntur, quot superiora sunt respectu illius
potentiae; sicut ratio superior est quam concupiscibilis, quasi ordinans ipsam;
et ideo prudentia, quae est perfectio rationis, est forma temperantiae, quae
est virtus concupiscibilis. Similiter voluntas est superior ratione, secundum
quod actus rationis consideratur ut voluntarius et meritorius; et ideo
caritas est forma prudentiae et temperantiae. Similiter essentia animae superior est voluntate, inquantum ab
essentia et voluntas et omnes vires animae fluunt. Et ideo gratia, quae est
perfectio essentiae animae, constituens ipsam in esse spirituali, est forma
et caritatis et prudentiae et temperantiae; nec caritas esset virtus si esset
sine gratia, sicut nec prudentia si esset sine caritate, loquendo de
virtutibus infusis ordinatis ad merendum: neque temperantia sine caritate et
prudentia. Quidam autem dicunt, quod caritas et gratia sunt idem per
essentiam. Sed de hoc
dictum est in 2 Lib., dist. 26, art. 4, corp. |
2. Les puissances inférieures ne sont perfectionnées par la perfection de la vertu que par participation à la perfection issue des puissances supérieures. Mais puisque les réalités supérieures ont le caractère de formes par rapport aux réalités inférieures dans la mesure où elles sont plus parfaites, ce à quoi les réalités inférieures participent aux réalités supérieures a le caractère de forme. Aussi, pour la perfection de la vertu dans une puissance, autant de formes sont requises qu’il y a de [puissances] supérieures par rapport à cette puissance, comme la raison est supérieure au concupiscible en tant qu’elle l’ordonne. C’est pourquoi la prudence, qui est la perfection de la raison, est la forme de la tempérance, qui est une vertu du concupiscible. De même, la volonté est supérieure à la raison selon que l’acte de la raison est considéré comme volontaire et méritoire; la charité est donc la forme de la prudence et de la tempérance. De même l’essence de l’âme est-elle supérieure à la volonté pour autant que la volonté et toutes les puissances de l’âme découlent de son essence. C’est pourquoi la grâce, qui est une perfection de l’essence de l’âme l’établissant dans l’être spirituel, est la forme de la charité, de la prudence et de la tempérance; et la charité ne serait pas une vertu si elle était sans la grâce, de même que la prudence si elle était sans la charité, en parlant des vertus infuses ordonnées au mérite; ni la tempérance sans la charité et la prudence. Mais certains disent que la charité et la grâce sont la même chose par essence. Mais on a parlé de cela dans le livre II, d. 26, a. 4, c. |
[11241] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod ratio imponit modum omnibus viribus quae sunt sub ipsa, et
similiter voluntas omnibus viribus inferioribus ea. Sed ideo non posuerunt philosophi
virtutem nisi a prudentia formari, quia in voluntate, prout est finis ultimi,
et in essentia animae non posuerunt aliquam perfectionem superadditam
naturae; naturalis autem perfectio constat quod in omnibus virtutibus
participatur. |
3. La raison impose son mode à toutes les puissances qui lui sont soumises, et de même la volonté à toutes les puissances inférieures à elle. Mais les philosophes ont affirmé seulement que la vertu est formée par la prudence parce qu’ils n’ont pas affirmé dans l’essence de l’âme une perfection ajoutée à la nature. Or, il est clair que toutes les vertus participent à la perfection naturelle. |
[11242] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod forma exemplaris incidit in idem numero cum agente et fine;
sicut patet in Deo; non autem forma intrinseca. |
4. La forme exemplaire est une en nombre avec l’agent et la fin, comme cela ressort en Dieu, mais non une forme intrinsèque. |
[11243] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 3 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod inferiora participant perfectiones superiorum secundum modum
suum: et ideo participationes determinantur in participantibus ex capacitate
et natura participantium. Et ideo
unaquaeque virtus quae est in inferiori potentia, habet quidem formam, qua
est virtus, ex participatione perfectionis superioris potentiae; sed forma
qua est haec virtus, habet ex natura propriae potentiae per determinationem
ad proprium objectum; et hanc formam et modum ponit unaquaeque virtus circa
suum actum; et iterum illam formam vel modum quem habet ex superiori; sic
temperantia in actu suo ponit modum proprium et prudentiae et caritatis et
gratiae. |
5. Les réalités inférieures participent aux perfections des réalités supérieures à leur manière. C’est pourquoi les participations sont déterminées chez les participants selon la capacité et la nature des participants. Aussi toute vertu qui se trouve dans une puissance inférieure possède une forme par laquelle elle est une vertu en raison de sa participation à la perfection d’une puissance supérieure; mais elle tient la forme par laquelle elle est cette vertu de la nature de sa propre puissance en vertu de la détermination à son objet propre, et toute vertu impose cette forme et ce mode à son acte; et en plus, [elle impose] la forme ou le mode qu’elle tient d’une puissance supérieure. Ainsi, la tempérance impose dans son acte le mode propre de la prudence, de la charité et de la grâce. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la sous-question 4
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[11244] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 2 a. 4 qc. 4 co. Ad quartum
quaestionem dicendum, quod caritas nunquam potest esse informis: et in hoc
omnes concordant. Hoc autem contingit secundum quosdam, ex hoc quod caritas
nihil est aliud quam spiritus sanctus. Sed hoc in 1 Lib., dist. 17, qu. 1,
art. 1 et 2, destructum est. Secundum alios vero caritas est idem quod
gratia; quod in Lib. 2, dist. 26, art. 4, reprobatum est. Et ideo oportet
alias rationes assignare. Potest autem hujusmodi ratio ex jam dictis haberi
duplex. Prima ratio accipitur ex effectu caritatis: quia cum caritas sit
amicitia quaedam, quae requirit convictum inter amatos, non potest esse
caritas, nisi sit participatio divinae vitae, quae est per gratiam; ideo
caritas sine gratia esse non potest. Secunda ratio potest assignari ex hoc
quod ipsa motor est omnium virtutum et forma; unde omne peccatum caritatem
tollit, inquantum opponitur actui alicujus virtutis. Et quia gratia non
potest tolli nisi per peccatum, ideo caritas tollitur ablata gratia. |
La charité ne peut jamais être informe : sur ce point, tous s’entendent. Mais, selon certains, cela vient du fait que la grâce n’est rien d’autre que l’Esprit saint. Mais cela a été démoli dans le livre I, d. 17, q. 1, a. 1 et 2. Mais, selon d’autres, la charité est la même chose que la grâce, ce qui a été rejeté dans le livre II, d. 26, a. 4. C’est pourquoi il faut fournir d’autres arguments. Or, on peut tirer une double justification à partir de ce qui a déjà été dit. La première se prend de l’effet de la charité : puisque la charité est une certaine amitié, qui exige une vie commune entre ceux qui sont aimés, il ne peut y avoir de charité s’il n’y a pas de participation à la vie divine, ce qui se réalise par la grâce. Aussi la charité ne peut-elle exister sans la grâce. La seconde jusification peut être tirée du fait qu’elle est le moteur et la forme de toutes les vertus. Aussi tout péché enlève-t-il la charité dans la mesure où il est opposé à l’acte d’une vertu. Et parce que la grâce ne peut être enlevée que par le péché, la charité est donc enlevée par la disparition de la grâce. |
[11245] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 4 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod fidei non opponitur omne peccatum, sed omnis infidelitas; et
ideo sicut per hoc quod homo errat in uno articulo, tollitur habitus fidei,
ut supra dictum est, dist. 23, quaest. 3, art. 3, quaestiunc. 1, ita per hoc
quod fit quodcumque peccatum, quod caritati opponitur, tollitur totaliter
habitus caritatis; unde in caritate nihil manet informe, sicut in aliis
virtutibus. |
1. Tout péché ne s’oppose pas à la foi, mais toute infidélité. C’est pourquoi, de même que du fait qu’un homme erre à propos d’un article, l’habitus de la foi est enlevé, comme on l’a dit plus haut, d. 23, q. 3, a. 3, qa 1, de même, du fait qu’est commis n’importe quel péché, qui s’oppose à la charité, l’habitus de la charité est entièrement enlevé. Aussi rien ne demeure-t-il d’informe dans la charité, comme dans les autres vertus. |
[11246] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 4 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod de dilectione quam aliquis scit se habere, nescit utrum sit
dilectio caritatis; unde sicut homo nescit habere gratiam, ita nescit se habere
caritatem. |
2. À partir de l’amour que quelqu’un sait avoir, il ne sait pas si cela est un amour de charité. Aussi, de même que l’homme ne sait pas s’il a la grâce, ne sait-il pas s’il a la charité. |
[11247] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4
qc. 4 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod timor non requirit participationem divinae vitae, sicut amor
caritatis; et ideo non est simile de timore et amore. |
3. La crainte ne requiert pas une participation à la vie divine. Il n’en va donc pas de même pour la crainte et pour l’amour. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [L’acte de la charité comme amour de Dieu]
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Prooemium |
Prologue |
[11248] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 pr. Deinde quaeritur de actu caritatis,
secundum quem diligitur Deus; quia de dilectione proximi infra erit locus
quaerendi. Quaeruntur autem quatuor: 1 utrum Deus immediate per suam
essentiam possit amari; 2 utrum possit totaliter amari; 3 utrum dilectio qua
Deum diligimus, habeat modum; 4 utrum ille modus qui in praecepto de caritate
implicatur, scilicet: ex toto corde etc. possit in via servari. |
On s’interroge
ensuite sur l’acte de la charité selon lequel Dieu est aimé, car il y aura
lieu de s’interroger plus loin sur l’amour du prochain. Or, quatre questions
sont posées. 1 – Dieu peut-il être aimé de manière immédiate par son
essence ? 2 – Dieu peut-il être aimé totalement ? 3 – L’amour par lequel nous
aimons Dieu comporte-t-il une mode ? 4 – Cette mode, qui est impliqué
dans le commandement : De tout ton
cœur, etc., peut-il être observé dans l’état de cheminement ? |
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Articulus 1 [11249] Super Sent., lib. 3
d. 27 q. 3 a. 1 tit. Utrum Deus per essentiam suam in statu viae possit a nobis amari |
Article 1 – Dieu peut-il être aimé par nous par son essence dans l’état de cheminement ? |
[11250] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus non possit a nobis in statu viae immediate amari.
Intellectus enim velocior est quam affectus: unde dicit Augustinus, quod
praecedit intellectus; sequitur tardus aut nullus affectus. Sed intellectus
noster in statu viae non potest Deum immediate videre. Ergo nec affectus
amare. |
1. Il semble
que Dieu ne puisse être aimé par nous de manière immédiate dans l’état de
cheminement. En effet, l’intellect est plus rapide que la puissance affective; aussi Augustin
dit-il que « l’intellect précède, mais la disposition affective est
lente ou il n’y en a aucune ». Or, notre intellect ne peut voir Dieu de
manière immédiate dans l’état de cheminement. La puissance affective ne peut
donc pas non plus l’aimer. |
[11251] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1
arg. 2 Praeterea,
amor non potest esse incogniti et non visi; unde philosophus in 9 Ethic.,
dicit, quod nullus amare incipit specie non praedelectatus. Sed in statu viae non
videmus essentiam divinam. Ergo nec ipsum immediate per essentiam amare
possumus. |
2. Il ne peut pas y avoir d’amour de ce qui est inconnu et non vu. Aussi le Philosophe dit-il, dans Éthique, IX, que « personne ne commence à aimer sans avoir d’abord été délecté par la vision ». Or, dans l’état de cheminement, nous ne voyons pas l’essence divine. Nous ne pouvons donc pas non plus l’aimer par son essence de manière immédiate. |
[11252] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, cognitio patriae excedit cognitionem viae, inquantum homo
in patria videt Deum per essentiam immediate. Si ergo in via homo Deum
immediate amaret, caritas patriae non excederet caritatem viae. |
3. La connaissance de la patrie dépasse la connaissance du cheminement, dans la mesure où, dans la patrie, l’homme voit Dieu par son essence de manière immédiate. Si donc l’homme aimait Dieu de manière immédiate, la charité de la patrie ne dépasserait pas la charité du cheminement. |
[11253] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1
arg. 4 Praeterea, ex hoc
contingit quod Deum in statu viae immediate videre non possumus, quia ex
visibilibus in invisibilium cognitionem devenimus. Sed similiter devenimus ex
amore visibilium in amorem invisibilium; unde Gregorius dicit in quadam
Homil.: regnum caelorum rebus terrenis simile dicitur, ut per hoc quod
animus novit diligere, discat et incognita amare; et in praefatione
dicitur: ut dum visibiliter Deum cognoscimus, per hunc in invisibilium
amorem rapiamur. Ergo similiter in statu viae non diligimus Deum immediate. |
4. Le fait que, dans l’état de cheminement, nous ne puissions voir Dieu de manière immédiate vient de ce que nous accédons à la connaissance des réalités invisibles à partir de la connaissance des réalités visibles. Or, nous parvenons de la même manière à l’amour des réalités invisibles à partir de l’amour des réalités visibles. Aussi Grégoire dit-il dans une homélie : « On dit que le royaume des cieux est semblable aux réalités terrestres afin que, par ce que l’esprit a appris à aimer, il apprenne à aimer les réalités inconnues. » Et on dit dans une préface : « Afin que, connaissant Dieu de manière visible, nous soyons entraînés par lui à l’amour des réalités invisibles. » De la même manière, n’aimons-nous pas Dieu de manière immédiate dans l’état de cheminement. |
[11254] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1
arg. 5 Praeterea,
voluntas, quae est prima radix peccati, magis debuit corrumpi per peccatum
quam aliqua alia potentiarum animae. Sed intellectus non potest actum suum, qui est videre, exercere circa
Deum immediate. Ergo neque voluntas actum delectationis. |
5. La volonté, qui est la racine première du péché, devait être davantage corrompue par le péché qu’une autre des puissances de l’âme. Or, l’intellect ne peut exercer de manière immédiate son acte, qui est de voir, à propos de Dieu. La volonté ne peut donc pas non plus exercer son acte de délectation. |
[11255] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Augustinus in Lib. Confess.: vae illis qui diligunt
nutus tuos pro te. Nutus autem divini dicuntur participatio bonitatis
divinae in creaturis. Ergo Deus amatur a sanctis in statu viae immediate, non
solum secundum quod ejus bonitas in creaturis participatur. |
Cependant, [1] Augustin dit, dans le livre des Confessions : « Malheur à ceux qui aiment tes gestes à ta place! » Or, on appelle gestes de Dieu la participation des créatures à la bonté divine. Dieu est donc aimé de manière immédiate par les saints dans l’état de cheminement, et non seulement selon que les créatures participent à sa bonté. |
[11256] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea cognitio viae, propter hoc quod Deum mediantibus creaturis
cognoscit, evacuatur, et est aenigmatica. Sed caritas nunquam excidit, 1 Corinth. 13. Ergo non diligit Deum
mediante creatura. |
[2] La connaissance du cheminement, parce qu’elle connaît Dieu par l’intermédiaire des créatures, est rejetée et elle est énigmatique. Or, la charité ne disparaît jamais, 1 Co 13. Elle n’aime donc pas Dieu par l’intermédiaire de la créature. |
[11257] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1
s. c. 3 Praeterea,
illud quod est medium cognoscendi, est ratio cognitionis; et similiter debet
esse de dilectione. Sed ratio diligendi Deum non sunt creaturae, immo potius
e converso, maxime loquendo de dilectione caritatis. Ergo Deus immediate per
essentiam amatur. |
[3] Ce qui est le moyen de connaissance est la raison de la connaissance; et de même doit-il en être pour l’amour. Or, les créatures ne sont pas la raison d’aimer Dieu, bien plutôt, c’est l’inverse, surtout si l’on parle de l’amour de charité. Dieu est donc aimé de manière immédiate par son essence. |
[11258] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in potentiis ordinatis ita est quod ubi
terminatur operatio prioris potentiae, ibi incipit operatio sequentis; sicut patet
quod sensus terminatur ad imaginationem, quae est motus factus a sensu secundum
actum; et intellectus in termino imaginationis incipit, quia phantasmata
accipit pro objecto, ut dicitur in 2 Lib. de anima; et ideo illarum rerum
quae non habent phantasmata, cognitionem non potest accipere, nisi ex rebus
quarum sibi repraesentantur phantasmata. Unde in statu viae, in qua accipit a
phantasmatibus, non potest Deum immediate videre; sed oportet ut ex
visibilibus, quorum phantasmata capit, in ejus cognitionem deveniat. Quamvis
autem ipsam essentiam non videat immediate, tamen cognitio intellectus ad
ipsum Deum terminatur, quia ipsum esse ex effectibus apprehendit; unde cum ad
intellectum affectus sequatur, ubi terminatur operatio intellectus, ibi
incipit operatio affectus, sive voluntatis. Dictum est autem, quod operatio
intellectus, scilicet ejus cognitio, ad ipsum Deum terminatur, quem esse ex
effectibus apprehendit; unde operatio voluntatis circa ipsum Deum potest esse
immediate nullo medio interveniente quod ad voluntatem pertineat; multis
tamen mediis praecedentibus ex parte intellectus, quibus in Deum cognoscendum
pervenit. |
Réponse. Dans les puissances ordonnées, la situation est telle que là où se termine l’opération de la première puissance, là commence l’opération de la puissance suivante, comme il est clair que le sens se termine à l’imagination, qui est un mouvement produit par le sens en fonction de son acte, et que l’intelligence commence là où se termine l’imagination, car elle reçoit les fantasmes comme objet, ainsi qu’il est dit dans le livre Sur l’âme, II. Aussi ne peut-elle recevoir de connaissance, pour les réalités qui n’ont pas de fantasmes, qu’à partir des réalités dont les fantasmes lui sont présentés. Aussi, dans l’état de cheminement, où [l’intelligence] reçoit des fantasmes, Dieu ne peut-il être vu de manière immédiate, mais il faut qu’elle parvienne à sa connaissance à partir des réalités visibles dont elle saisit les fantasmes. Bien qu’elle ne voie pas l’essence même [de Dieu] de manière immédiate, la connaissance de l’intellect a cependant Dieu lui-même comme terme parce qu’elle saisit qu’il existe à partir de ses effets. Puisque la puissance affective suit l’intellect, là où se termine l’opération de l’intellect, là commence donc l’opération de la puissance affective ou volonté. Or, on a dit que l’opération de l’intellect, à savoir, sa connaissance, a Dieu comme terme, dont elle saisit qu’il est à partir de ses effets. L’opération de la volonté portant sur Dieu peut donc exister de manière immédiate sans qu’intervienne aucun intermédiaire qui se rapporte à la volonté, mais cependant après plusieurs intermédiaires qui précèdent du côté de l’intelligence, par lesquels elle parvient à connaître Dieu. |
[11259] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod intellectus est velocior quantum ad hoc
quod praevenit affectum: sed affectus in amando magis pertingit ad intima, ut
supra dictum est. |
1. L’intellect est plus rapide en ce qu’il précède la puissance affective; mais la puissance affective atteint davantage par l’amour ce qui est plus intime, comme on l’a dit plus haut. |
[11260] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod amor oportet quod sit cogniti et visi aliqualiter, sed non
cogniti et visi in se; unde illud quod cognoscitur in alio, potest in seipso
amari. |
2. Il faut que l’amour porte sur quelque chose de connu et de vu d’une certaine manière, mais non pas de connu et de vu en soi. Aussi ce qui est connu dans autre chose peut-il être aimé en soi-même. |
[11261] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quanto bonum plenius cognoscitur, tanto magis est amabile; et
praecipue illud bonum quod est finis, et in quo non invenitur aliquod quo
offendatur affectus; et ideo, quia Deus plenius cognoscetur in patria, quam
nunc, etiam plenius amabitur. Sed ista diversitas ex parte cognitionis erit
per id quod est proprium cognitioni, scilicet cognoscere per se, non alio; et
ideo non erit unius rationis cognitio. In affectu autem erit per diversitatem, non
ejus quod per se ad ipsam pertineat, sed per diversitatem cognitionis; et
tamen erit eadem ratio amoris, sed differt amor per magis et minus. |
3. Mieux le bien est connu, plus il est aimable, surtout ce bien qui est la fin et dans lequel ne se trouve rien qui offense la puissance affective. Parce que Dieu est mieux connu dans la patrie que maintenant, il sera donc davantage aimé. Mais cette différence du point de vue de la connaissance viendra de ce qui est propre à la connaissance, à savoir, connaître par soi et non par un autre; aussi la connaissance ne sera-t-elle pas de même nature. Mais, dans la puissance affective, ce sera par une différence qui ne viendra pas de ce qui relève d’elle-même, mais par une différence de la connaissance; cependant, l’amour sera de même nature, mais il diffère en plus et en moins. |
[11262] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod hoc quod amor ex visibilibus ad invisibilia tendat, non est ex
parte sui, sed ex parte cognitionis praecedentis; unde in utraque auctoritate
inducta fit mentio de cognitione. |
4. Le fait que l’amour tende vers les réalités invisibles à partir des réalités visibles ne vient pas de lui, mais de la connaissance qui précède. Aussi est-il fait mention de la connaissance dans les deux autorités invoquées. |
[11263] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod per peccatum non est ablata potentiarum
animae natura, nec illud quod eas secundum naturam suam consequitur. |
5. La nature des puissances de l’âme n’a pas été enlevée par le péché, ni ce qui découle d’elles selon leur nature. |
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Articulus 2 [11264] Super Sent., lib. 3
d. 27 q. 3 a. 2 tit. Utrum Deus possit totaliter diligi |
Article 2 – Dieu peut-il être totalement aimé ? |
[11265] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus non possit totaliter diligi. Dilectio enim
cognitionem praesupponit. Sed Deus non totaliter cognoscitur etiam in patria
a sanctis. Ergo nec ab aliqua creatura potest totaliter diligi. |
1. Il semble que Dieu ne puisse être totalement aimé. En effet, l’amour présuppose la connaissance. Or, Dieu n’est pas totalement connu par les saints, même dans la patrie. Il ne peut donc pas non plus être totalement aimé par une créature. |
[11266] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 2
arg. 2 Praeterea,
sicut divina lux est infinita, ita et divina bonitas. Sed lux divina ratione
suae infinitatis comprehendi non potest intellectu, ut totaliter videatur.
Ergo nec divina bonitas potest comprehendi affectu, ut totaliter diligatur. |
2. De même que la lumière divine est infinie, de même aussi la bonté divine. Or, la lumière divine ne peut être saisie par l’intelligence en raison de son infinité, de sorte qu’elle soit totalement vue. Ni la divine bonté ne peut donc être saisie par la puissance affective, de sorte qu’elle soit totalement aimée. |
[11267] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 2
arg. 3 Praeterea,
Deus seipsum non diligit plusquam totaliter. Si ergo aliqua creatura
totaliter Deum diligere posset, dilectio alicujus creaturae adaequaretur
dilectioni divinae; quod falsum est. |
3. Dieu ne s’aime pas plus que totalement. Si donc une créature pouvait aimer Dieu totalement, l’amour d’une créature serait égal à l’amour divin, ce qui est faux. |
[11268] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 2
s. c. 1 Sed contra, Deut.
6, 5: diliges dominum Deum tuum ex toto corde tuo; ubi Glossa: hoc
servabitur ad minus in patria. Ergo Deus potest ab homine totaliter diligi. |
Cependant, Dt 6, 5 dit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur; la Glose dit à cet endroit : « Cela s’accomplira au moins dans la patrie. » Dieu peut donc être totalement aimé par l’homme. |
[11269] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 3 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod ad dilectionem tria concurrunt, scilicet diligens, dilectio,
et dilectum; et cuilibet horum respondet suus modus. Habet enim res dilecta
modum quo est diligibilis; et diligens modum quo est dilectivus, idest natus
diligere. Sed dilectionis modus attenditur in comparatione diligentis ad
dilectum, quia dilectio media est inter utrumque: et similiter etiam est de
visione. Si ergo totaliter dicat modum rei dilectae et visae, sic sancti qui
sunt in patria, Deum totaliter diligunt, et totaliter vident: quia sicut
nihil est de sua essentia quod non videant et diligant (propter quod dicuntur
totum videre et diligere), ita etiam nihil de modo quo Deus est, remanet ab
eis non visum aut non dilectum; unde totaliter vident et diligunt: quia
vident et diligunt totum quod Deus est. Similiter etiam si totaliter dicat
modum diligentis; quia secundum totum modum suum, scilicet secundum totum
suum posse diligent et videbunt, nihil suae potentiae subtrahentes divinae
visioni et dilectioni; et sic Deus intelligitur diligi ex toto corde. Si
autem totaliter dicat modum dilectionis, sic neque totaliter diligent, neque
totaliter videbunt: quia modus dilectionis et visionis, ut dictum est,
attenditur in comparatione diligibilis et visibilis ad diligentem et
videntem. Modus autem quo Deus diligibilis est et visibilis, excedit modum
quo homo diligere et videre potest: quia lux et bonitas ejus est infinita: et
ideo non totaliter videtur et diligitur ab aliis, quia non diligitur ita
intense et ferventer, nec videtur ita clare, sicut est diligibilis et
visibilis, nisi a seipso; et ita ipse solus se comprehendit amando et
videndo. |
Réponse. Trois choses concourent à l’amour : celui qui aime, l’amour et ce qui est aimé, et à chacune correspond son mode. En effet, la chose aimée possède un mode selon lequel elle est aimable, et celui qui aime, un mode selon lequel il aime, à savoir qu’il est fait pour aimer. Mais le mode de l’amour se prend de la comparaison entre celui qui aime et ce qui est aimé, car l’amour se situe entre les deux, et il en va de même de la vision. Si donc par « totalement », on entend le mode de la chose aimée et vue, ainsi les saints qui sont dans la patrie aiment Dieu totalement et le voient totalement, car de même qu’il n’y a rien de son essence qu’ils ne voient pas et n’aiment pas (raison pour laquelle on dit qu’ils le voient et l’aiment en entier), de même aussi il n’y a rien du mode selon lequel Dieu existe qui demeure non vu ou non aimé. Ils voient donc et aiment totalement parce qu’ils voient et aiment tout ce que Dieu est. De même aussi, si [« totalement »] exprime le mode de celui qui aime, parce qu’il aimeront et verront selon tout leur mode, à savoir, selon tout leur pouvoir, en ne soustrayant rien de leur puissance à la vision et à l’amour de Dieu. C’est ainsi que l’on entend que Dieu est aimé de tout son cœur. Mais si « totalement » exprime le mode de l’amour, de cette manière ils n’aimeront pas totalement ni ne verront totalement, car le mode de l’amour et de la vision, comme on l’a dit, se prend de la comparaison entre ce qui est aimable et visible et celui qui aime et voit. Or, le mode selon lequel Dieu est aimable et visible dépasse le mode selon lequel l’homme peut aimer et voir, car sa lumière et sa bonté sont infinies. C’est pourquoi il n’est pas vu ni aimé totalement par les autres, parce qu’il n’est pas aimé avec autant d’intensité et de ferveur, et il n’est vu aussi clairement qu’il est aimable et visible que par lui-même. Ainsi, lui seul se saisit (comprehendit) en s’aimant et en se voyant. |
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Articulus 3 [11270] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 3 a. 3 tit. Utrum dilectio qua Deum diligimus, habeat modum |
Article 3 – L’amour dont nous aimons Dieu a-t-il un mode ? |
[11271] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 3 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod dilectio qua Deum diligimus, modum habeat. Omne enim
finitum mensuram habet. Sed motus ex mensura causatur, ut dictum est, in 1
Lib., dist. 3. Cum ergo dilectio qua Deum diligimus, finita sit, oportet quod
modum habeat. |
1. Il semble que l’amour dont nous aimons Dieu ait un mode. En effet, tout ce qui est fini a un mode. Or, le mouvement est causé par la mesure, comme on l’a dit dans le livre I, d. 3. Puisque l’amour dont nous aimons Dieu est fini, il est donc nécessaire qu’il ait un mode. |
[11272] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3
arg. 2 Praeterea, sicut
dicit Bernardus, caritas in sapientiam proficit. Sed sapientia habet modum:
Rom. 12: non plus sapere quam oportet. Ergo dilectio habet modum. |
2. Comme le dit Bernard, « la charité progresse en sagesse ». Or, la sagesse a une mode, Rm 12 : Ne pas en savoir plus qu’il n’est nécessaire. L’amour a donc une mesure. |
[11273] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3
arg. 3 Praeterea,
omnis actus virtutis moderatus est: quia quod immoderatum est, vituperabile
est et vitiosum. Sed dilectio qua Deum diligimus, actus est praecipuae
virtutis. Ergo habet modum. |
3. Tout acte de vertu est modéré, car ce qui est immodéré est blâmable et vicieux. Or, l’amour par lequel nous aimons Dieu est un acte de la principale vertu. Il a donc une mesure. |
[11274] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3
arg. 4 Praeterea, omnes
actus aliarum virtutum ex caritate fiunt. Si ergo caritas in suo actu non
habet modum, nec aliae virtutes modum habent. |
4. Tous les actes des autres vertus sont faits par charité. Si donc la charité n’a pas de mesure dans son acte, ni les autres vertus n’ont de mesure. |
[11275] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3
s. c. 1 Sed contra,
Bernardus in Lib. de diligendo Deum: causa diligendi Deum, Deus est: modus,
sine modo diligere. |
Cependant, [1] dans le livre Sur l’amour de Dieu, Bernard dit : « La cause de l’amour de Dieu est Dieu; sa mesure, aimer sans mesure. » |
[11276] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3
s. c. 2 Praeterea,
dilectio mensuranda est ad diligibile. Sed divina bonitas est immensa. Ergo
dilectio ipsius non habet modum. |
[2] L’amour doit être mesuré par ce qui est aimable. Or, la bonté divine est sans mesure. Son amour n’a donc pas de mode. |
[11277] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 3 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod modus mensurationem quamdam importat. Actus autem ab eo
mensuratur quod est ratio agendi; sicut misericordia accipit mensuram in
subventione misero facienda ex quantitate miseriae quae misericordiam movet.
Causa autem diligendi Deum est divina bonitas, quae est infinita. Actus autem
creaturae est finitus, cum ex finita potentia procedat; et ideo non potest
esse commensuratus rationi dilectionis; et propter hoc in dilectione Dei non
ponitur aliquis modus, ultra quem non oporteat progredi; sed quantumcumque
diligat, semper ad ulteriora se extendit: et propter hoc dicitur, quod non
habet modum, scilicet praefixum, ultra quem non oportet progredi. |
Réponse. Le mode comporte une certaine mesure. Or, un acte est mesuré par ce qui est la raison d’agir; ainsi, la miséricorde reçoit la mesure de l’aide à apporter au miséreux de la quantité de la misère qui meut la misécorde. Or, la cause de l’amour de Dieu est la bonté divine, qui est infinie. Mais l’acte de la créature est fini, puisqu’il procède d’une puissance finie. C’est pourquoi il ne peut avoir la même mesure que la raison d’aimer. Pour cette raison, aucun mode n’est donné à l’amour de Dieu au-delà duquel il ne lui serait pas nécessaire de progresser; mais, autant qu’il aime, il s’étend toujours au-delà. C’est pourquoi on dit que [l’amour de Dieu] n’a pas de mode fixé d’avance au-delà duquel il ne lui est pas nécessaire de progresser. |
[11278] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quia dilectio qua Deum diligimus, est finita, ideo habet
quemdam modum ad quem pertingit; non autem habet modum in quo sistat vel
sistere debeat, sicut est in aliis virtutibus. |
1. Parce que l’amour dont nous aimons Dieu est fini, il a donc un certain mode auquel il parvient; mais il n’a pas de mode auquel il s’arrête ou devrait s’arrêter, comme c’est le cas pour les autres vertus. |
[11279] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 3 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut supra dictum est, qu. 1, art. 1, res
per cognitionem quodammodo trahitur ad cognoscentem; et ideo ea quae ad
cognitionem pertinent, ex potentia cognoscentis sunt mensurata, quamvis
veritas cognitionis ad rem mensuretur. Sed per amorem amans trahitur ad ipsum
amatum; et ideo amor mensurandus est ad ipsam rem amatam magis quam ad
amantem. |
2. Comme on l’a dit plus haut, q. 1, a. 1, par la connaissance, une chose est attirée vers celui qui connaît. C’est pourquoi ce qui concerne la connaissance est mesuré par la puissance de celui qui connaît, bien que la vérité de la connaissance soit mesurée par la chose. Mais, par l’amour, celui qui aime est attiré vers cela même qui est aimé. C’est pourquoi l’amour doit être mesuré selon la chose aimée elle-même, plutôt que selon celui qui aime. |
[11280] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quantumcumque Deus diligatur, actus non erit immoderatus, quia
non excedit proportionem sui objecti. |
3. Autant que Dieu est aimé, l’acte ne sera pas immodéré, car il ne dépasse pas la proportion avec son objet. |
[11281] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod hoc quod dicitur quod caritas non habet modum, intelligitur
quantum ad actum quem caritas elicit, non quantum ad actus quos imperat: quia
illi modos accipere debent ex ratione proprii objecti circa quod fiunt. |
4. Qu’on dise que la charité n’a pas de mode, cela s’entend par rapport à l’acte qui est issu de la charité, et non aux actes qu’elle commande, car ceux-ci doivent recevoir leurs modes de la raison de l’objet propre sur lequel ils portent. |
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Articulus 4 [11282] Super Sent., lib. 3
d. 27 q. 3 a. 4 tit. Utrum modus diligendi qui est in praecepto, possit
in via servari |
Article 4 – La manière d’aimer qui se trouve dans le commandement peut-elle être respectée en cours de cheminement ? |
[11283] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 3 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod modus ille qui in praecepto implicatur possit in via
servari: quia Hieronymus dicit: qui dicit Deum homini aliquid impossibile
praecepisse, anathema sit. Sed hoc Deus praecepit omnibus existentibus in
statu viae. Ergo haereticum est dicere, quod non possit in via observari. |
1. Il semble que la manière qui est impliquée par le commandement puisse être respectée en cours de cheminement, car Jérôme dit : « Celui qui dit que Dieu a ordonné à l’homme quelque chose d’impossible, qu’il soit anathème! » Or, Dieu l’a ordonné à tous ceux qui se trouvent dans l’état de cheminement. Il est donc hérétique de dire que [ce commandement] ne peut être observé en cours de cheminement. |
[11284] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4
arg. 2 Praeterea, caritas
est magis necessaria virtus quam aliae. Sed praecepta data de actibus aliarum
virtutum, in via possunt impleri. Ergo et praeceptum datum de actu caritatis. |
2. La charité est une vertu plus nécessaire que les autres. Or, les commandements donnés pour les actes des autres vertus peuvent être accomplis en cours du cheminement. Le commandement donné à propos de l’acte de la charité le peut donc aussi. |
[11285] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4
arg. 3 Praeterea, omne
praeceptum legis ligat, quia lex a ligando dicitur. Sed nullus potest
dimittere illud ad quod obligatus est, quin peccet. Si ergo lex aliquid praecipiat quod
observari non possit, non solum occasionaliter, ut dicit apostolus, sed etiam
directe occideret; et sic erit mala; quod est inconveniens. |
3. Tout commandement de la loi lie, car « loi » (lex) vient de « lier » (ligando). Or, personne ne peut sans pécher écarter ce à quoi il est obligé. Si donc la loi commande quelque chose qui ne peut être observé, elle tuerait, non seulement comme occasion, comme le dit l’Apôtre, mais aussi directement. Elle serait donc ainsi mauvaise, ce qui est inapproprié. |
[11286] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4
s. c. 1 Sed contra, non
possumus in hac vita sine peccato manere, sicut patet 1 Joan., 1. Sed cum quis peccat, non diligit Deum ex
toto corde. Ergo illud praeceptum non potest totaliter impleri in via. |
Cependant, [1] nous ne pouvons en cette vie demeurer sans péché, comme cela ressort de 1 Jn 1. Or, lorsque quelqu’un pèche, il n’aime pas Dieu de tout son cœur. Ce commandement ne peut donc être totalement observé en cours de cheminement. |
[11287] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 3 a. 4 s. c. 2 Praeterea, non potest homo simul cor ad multa habere. Sed oportet, dum
in hac vita sumus, quod cor rebus temporalibus aliquando apponamus. Ergo non
potest homo in hac vita Deum ex toto corde diligere. |
[2] L’homme ne peut en même temps avoir le cœur à plusieurs choses. Or, pendant que nous sommes en cette vie, il est nécessaire que nous ayons parfois notre cœur à des réalités temporelles. L’homme ne peut donc pas aimer Dieu de tout son cœur en cette vie. |
[11288] Super Sent., lib. 3 d.
27 q. 3 a. 4 co. Respondeo
dicendum, quod totum et perfectum idem est, ut dicit philosophus. Ratio autem
perfecti in hoc consistit ut nihil ei desit. Sed hoc contingit dupliciter:
aut ita quod nihil desit eorum quae natum est habere; aut ita quod nihil
desit eorum quae debet habere; sicut aliquis habet perfectam quantitatem,
quando habet tantam quantitatem quantam requirit humana natura, etsi non
habeat quantitatem gigantis quam possibile est esse in humana natura. Prima
ergo perfectio humanae naturae est in statu gloriae, quando homo habebit
totum hoc quod possibile est esse in humana natura; sed secunda perfectio est
naturae conditae, quando scilicet homo habuit totum hoc quod debebat habere
secundum tempus illud. Et secundum hoc etiam duplex totalitas in dilectione
Dei attenditur. Una, qua nihil deerit de his quae homo potest expendere in
amorem Dei, quin in dilectione ponat: et haec quidem perfectio, seu
totalitas, non praecipitur, ut facienda, sed magis ostenditur, ut sciatur quo
perveniendum est, ut dicit Augustinus; et per hanc perfectionem seu
totalitatem excluditur omne quod etiam ad tempus actum dilectionis
interrumpere posset. Alia secundum quam nihil homo subtrahit de his quae
debet ponere secundum tempus illud in amore Dei; et haec perfectio seu
totalitas ponitur in praecepto etiam ut nunc implenda, ut scilicet nihil
omittat eorum quae ponere debet in amore Dei; et haec totalitas excludit omne
illud quod est contrarium et repugnans dilectioni divinae, non autem illud
quod ad tempus actum dilectionis intercipit: quia semper agere secundum actum
virtutis, non est nisi eorum qui sunt in statu beatitudinis: quia perfectio
felicis est in operatione; perfectio autem virtutis est in habitu. |
Réponse. « Tout » et « parfait » sont la même chose, comme le dit le Philosophe. Or, la raison de « parfait » consiste en ce que rien ne lui manque. Or, cela se produit de deux manières : soit que rien ne manque de ce qu’il doit avoir par nature; soit que rien ne manque de ce qu’il doit avoir. Ainsi, quelqu’un possède une quantité parfaite lorsqu’il possède la quantité qu’exige la nature humaine, même s’il n’a pas la quantité d’un géant, qui peut se trouver dans la nature humaine. La première perfection de la nature humaine existe donc dans l’état de la gloire, alors que l’homme possédera tout ce qui peut exister dans la nature humaine. Mais la seconde perfection est celle de la nature créée, alors que l’homme a possédé tout ce qu’il devait avoir en ce temps-là. On relève ainsi une double totalité de l’amour de Dieu. L’une, par laquelle rien ne manquera de ce que l’homme peut dépenser pour l’amour de Dieu : cette perfection ou totalité n’est pas commandée comme si elle devait être accomplie, mais elle est plutôt montrée afin qu’on sache jusqu’où il faut parvenir, comme le dit Augustin. Par cette perfection ou totalité, est écarté tout ce qui pourrait interrompre pour un temps l’acte d’amour. L’autre, par laquelle l’homme ne soustrait rien de ce qui doit être placé dans l’amour de Dieu en ce temps : cette perfection ou totalité est donnée comme un commandement à accomplir maintenant, de sorte que l’homme n’omette rien de ce qu’il doit placer dans l’amour de Dieu. Une telle totalité exclut tout ce qui est contraire et s’oppose à l’amour de Dieu, mais non ce qui interrompt pour un temps l’acte d’amour, car toujours agir selon l’acte de la vertu ne revient qu’à ceux qui sont dans l’état de la béatitude, puisque la perfection du bienheureux se trouve dans l’acte, alors que la perfection de la vertu se trouve dans l’habitus. |
[11289] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4
ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod illud quod praecipit lex ut faciendum, impleri potest, et
impletur ab omnibus in statu salutis. |
1. Ce que le commandement ordonne de faire peut être accompli et est accompli par tous dans l’état du salut. |
[11290] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4
ad 2 Ad secundum
dicendum, quod actus aliarum virtutum non sunt finis praecepti, quemadmodum
actus caritatis; et ideo actus caritatis habet aliquem modum, qui competit
uno modo fini, et alio modo viae; non autem ita est in aliis virtutibus. |
2. Les actes des autres vertus ne sont pas la fin du commandement, comme c’est le cas pour l’acte de la charité. C’est pourquoi l’acte de la charité a un mode qui convient d’une manière à la fin et d’une autre, à la route. Mais il n’en va pas de même pour les autres vertus. |
[11291] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
secundum hoc quod ponitur ut legis praeceptum, secundum hoc ligat ad id quod
implendum est in via; quantum vero ad id quod de ipso impletur in patria,
magis ponitur ut documentum fidei, quam ut praeceptum legis. |
3.Il doit être accompli en route de la manière dont il est donné comme un commandement de la loi. Mais pour ce qui est de la manière dont il est accompli dans la patrie, il est plutôt donné comme un enseignement de la foi que comme un commandement de la loi. |
[11292] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 ad s. c. Ad alia etiam patet
solutio per ea quae dicta sunt. |
La réponse aux autres arguments ressort de ce qui a été dit. |
Expositio
textus |
Explication du texte de Pierre
Lombard, Dist. 27
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[11293] Super
Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 expos. Non ergo jam se diligit. Contra. Omne peccatum, secundum Augustinum, est ex amore
sui. Ergo videtur etiam quod immoderate se diligat. Dicendum, quod diligit in
se naturam exteriorem, quam se aestimat esse; non autem naturam
intellectivam, secundum quam vere est id quod est; et ita diligit id quod se
esse existimat, non autem id quod vere est: quia unaquaeque res proprie est
id quod est potissimum in ipsa; sicut civitas est rex, ut dicit philosophus. Sic
condita est mens humana ut nunquam sui non meminerit, nunquam se non
intelligat, nunquam se non diligat. De his quae in hac notula
dicuntur, dictum est in 1 Lib., dist. 3. Ex toto corde, idest ex toto intellectu; ex
tota anima, idest voluntate; ex tota mente, idest memoria. Sciendum quod
ad caritatem exigitur aliquid tripliciter: uno modo sicut subjectum caritatis
quod est ipsa voluntas; alio modo sicut praecedens ad caritatem, sicut
memoria et intelligentia; tertio sicut consequens ad caritatem, quemadmodum
irascibilis et concupiscibilis, et etiam membra corporalia quae imperium
caritatis exequuntur. Quia ergo actum caritatis oportet esse perfectum, sicut
cujuslibet virtutis; ideo praeceptum de actu caritatis, includit perfectionem
omnium praedictorum secundum diversas expositiones: ut scilicet neque in voluntate
neque in omnibus praecedentibus aut sequentibus aliquid sit quod caritati
obsistat quantum ad perfectionem viae, vel quod actum caritatis interrumpere
possit quantum ad perfectionem patriae. Et ideo secundum unam expositionem
dicitur: ex tota mente, idest ex tota memoria, ut absit oblivio: ex
toto corde, idest intellectu, ut desit error: ex tota anima, idest
voluntate, ut tollatur omnis contraria affectio. Alio modo exponitur: ex toto
corde, quantum ad concupiscibilem: ex tota anima, quantum ad irascibilem, ut
nulla passione sensitivi appetitus dilectio Dei impediatur: ex tota mente,
quantum ad rationalem, quae includit voluntatem et intellectum. Item
Gregorius Nyssenus exponit: ex toto corde, quantum ad animam
vegetabilem: ex tota anima, quantum ad sensibilem: ex tota mente,
quantum ad rationalem. Sed Deuter. 6, ponitur: ex tota fortitudine,
quod referendum est ad membra exteriora, quae imperium caritatis exequuntur;
vel etiam ad irascibilem, ut quidam dicunt: vel ponitur circumstantia dilectionis,
ut scilicet sit firma. |
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Distinctio 28 |
Distinction 28 – [L’objet de la
charité]
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Quaestio 1 |
Question unique – [L’objet de la charité]
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Prooemium |
Prologue |
[11294] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 pr. Hic determinat de caritate per comparationem ad ipsum diligibile; et
dividitur in duas partes: in prima inquirit quid sit per caritatem
diligendum; in secunda quo ordine, distinct. 29, ibi: post praedicta de
ordine caritatis agendum est. Prima in tres: in prima ostendit ad quos se
extendit praeceptum caritatis quantum ad homines; in secunda quantum ad
Angelos, ibi: oritur autem hic quaestio; in tertia elicit ex dictis
quamdam distinctionem, ibi: hic notandum est. Circa primum duo facit: primo determinat
veritatem; secundo removet dubitationem, ibi: hic videtur Augustinus
tradere, quod ex praecepto non teneamur diligere nosmetipsos. Hic
quaeruntur septem: 1 utrum virtutes sint ex caritate diligendae; 2 utrum
inanimata; 3 utrum Angeli; 4 utrum Daemones; 5 utrum mali homines; 6 utrum
homo ex caritate seipsum diligere possit; 7 utrum proprium corpus. |
Le Maître détermine ici de la charité par rapport à l’objet de l’amour. Il y a deux parties : dans la première, il se demande ce qui doit être aimé par charité ; dans la seconde, [il se demande] selon quel ordre, d. 29, à cet endroit : « Après ce qui a été dit, il faut traiter de l’ordre de la charité. » La première partie [se divise] en trois : dans la pemière, il montre à qui s’étend le précepte de la charité pour ce qui est des hommes ; dans la deuxième, pour ce qui est des anges, à cet endroit : « Une question est ici soulevée… » ; dans la troisième, il tire de ce qui a été dit une distinction, à cet endroit : « Ici, il faut remarquer… » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il détermine de la vérité ; deuxièmement, il écarte un doute, à cet endroit : « Ici, Augustin semble enseigner que nous ne sommes pas obligés par un commandement à nous aimer nous-mêmes. » Ici, sept questions sont posées : 1. Les vertus doivent-elles être aimées par charité ? 2. Les choses inanimées ? 3. Les anges ? 4. Les démons ? 5. Les hommes mauvais ? 6. L’homme peut-il s’aimer lui-même par charité ? 7. Son propre corps [peut-il l’être] ? |
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Articulus 1 [11295] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a.
1 tit. Utrum virtutes
sint diligendae ex caritate |
Article 1 – Les vertus doivent-elles être aimées par charité ? |
[11296] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod virtutes ex
caritate sint diligendae. Augustinus enim dicit: qui diligit fratrem,
dilectionem qua diligit magis diligit. Sed dilectio qua proximus
diligitur, est virtus caritatis. Ergo virtutes ex caritate sunt diligendae,
cum proximus diligatur ex caritate. |
1. Il semble que les
vertus doivent être aimées de charité. En effet, Augustin dit :
« Celui qui aime son frère aime plutôt l’amour par lequel il
aime. » Or, l’amour par lequel le prochain est aimé est la vertu de
charité. Les vertus doivent donc être aimées de charité, puisque le prochain
est aimé de charité. |
[11297]
Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, propter quod unumquodque, illud
magis. Sed amicitia vera diligit amicum propter honestum. Ergo diligit honestum etiam magis quam
amicum. Ergo et caritas, quae est amicitia quaedam, ut dictum est, dist. 27,
quaest. 2, art. 1, corp., magis est dilectiva virtutum quam etiam proximorum. |
2. Ce pour quoi tout est fait l’emporte en tout. Or, l’amitié véritable aime l’ami pour ce qui est honnête. Elle aime donc aussi ce qui est honnête plus que l’ami. La charité aussi, qui est une certaine amitié, ainsi qu’on l’a dit, d. 27, q. 2, a. 1, c., aime donc davantage les vertus que le prochain. |
[11298]
Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, actus primi et actus reflexi super
eos ad eamdem potentiam pertinent, quia sunt ejusdem rationis; sicut
intelligere aliquod intelligibile, et intelligere se intelligere. Sed ad actus ejusdem
rationis pertinet eadem virtus. Ergo cum per caritatem diligatur proximus,
per caritatem diligetur dilectio qua diligitur proximus: et eadem ratione
aliae virtutes. |
3. Les actes premiers et les actes réflexes portant sur eux relèvent de la même puissance, car elles relèvent de la même raison, comme intelliger quelque chose d’intelligible et intelliger qu’on intellige. Or, les actes de la même raison relèvent de la même vertu. Puisque le prochain est aimé de charité, l’amour sera donc davantage aimé par la charité selon laquelle le prochain est aimé et, pour la même raison, les autres vertus. |
[11299]
Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, ex caritate diligenda sunt illa
quae ad beatitudinem referuntur. Sed virtutibus in beatitudinem ducimur, et
nobiscum manent in beatitudine. Ergo virtutes ex caritate sunt diligendae. |
4. Doit être aimé de charité ce qui se
rapporte à la béatitude. Or, nous sommes conduits à la béatitude par les
vertus et elles demeurent en nous dans la béatitude. Les vertus doivent donc être aimées de charité. |
[11300] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, caritas est dilectio finis ultimi. Sed ultimus finis
nostrae vitae est beatitudo. Ergo beatitudinem ex caritate diligere debemus.
Sed virtutes et gratiae, cum consummantur, in beatitudinem transeunt. Ergo
virtutes diligendae sunt ex caritate. |
5. La charité est l’amour de la fin ultime. Or, la fin ultime de notre vie est la béatitude. Nous devons donc aimer de charité la béatitude. Or, les vertus et les grâces, lorsqu’elles sont consommées, passent dans la béatitude. Les vertus doivent donc être aimées de charité. |
[11301] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Augustinus sufficienter enumerat ea quae sunt
diligenda ex caritate, et nullam mentionem facit de virtutibus, ut patet in
littera. |
Cependant, [1] Augustin énumère de manière suffisante ce qui doit être aimé de charité et il ne fait aucune mention des vertus, comme cela ressort du texte. |
[11302] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, illud quod propter nos tantum diligimus, non diligitur ex
caritate: quia caritas non quaerit quae sua sunt; 1 Cor. 13, 5. Sed
virtutes propter nos tantum diligimus, quia in seipsis non subsistunt, cum
accidentia sint; unde neque bonitatem habent, nisi secundum quod in nobis
sunt. Ergo non sunt diligendae ex caritate. |
[2] Ce que nous aimons pour nous
seulement n’est pas aimé de charité, car la charité ne recherche pas son
bien propre,
1 Co 13, 5. Or, nous aimons les vertus pour nous-mêmes, car
elles ne subsistent pas par elles-mêmes, puisqu’elles sont des
accidents ; elles n’ont donc non plus de bonté que selon qu’elles existent
en nous. Elles ne doivent donc pas être aimées de charité. |
[11303] Super Sent.,
lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, illa sola
sunt ex caritate diligenda quae nobiscum participant beatitudinem. Sed virtutes, cum sint
accidentia, non sunt capabilia beatitudinis, nec etiam vitae. Ergo non sunt ex caritate diligendae. |
[3] Seul doit être aimé de charité ce qui participe avec nous à la béatitude. Or, les vertus, puisqu’elles sont des accidents, ne sont pas capables de béatitude ni même de vie. Elle ne doivent donc pas être aimées de charité. |
[11304] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod cum caritas amorem
includat, et aliquid addat, diligi aliquid ex caritate contingit dupliciter.
Uno modo sicut id ad quod amicitia caritatis terminatur; et hoc modo non
diligitur ex caritate nisi illud ad quod nata est amicitia esse. Amicitia
autem non potest esse ad virtutes, nec ad aliqua accidentia, propter duo.
Primo, quia amicitia facit ut homo velit amicum esse, et bona habere. Accidentia
autem non habent esse per se, nec bonitatem per se, sed eorum esse et bene
esse est eis in substantiis; unde quod volumus virtutes et accidentia esse,
hoc ad substantiam refertur, quam volumus sub illis accidentibus esse vel
bene esse habere. Secundo, quia amicitia consistit in quadam societate,
secundum quod amati seipsos redamant, et eadem operantur, et simul
conversantur; unde amicitia non potest esse nisi ad aliquid quod sit natum
agere. Et quia agere non est accidentium, sed substantiarum, ideo non potest
esse amicitia ad virtutes, neque ad alia accidentia; et ideo non possunt
virtutes diligi ex caritate, sicut ad quae caritas terminetur. Alio modo
potest aliquid diligi ex caritate sicut ad quod terminatur amor, seu
dilectio, qui in caritate includitur, quamvis ad illud amicitia non sit; et
hic amor ordinatur ad amorem alicujus quod principaliter amatur, et
concupiscentiae dilectio dicitur; sicut amicus dicitur amare sanitatem amici
sui; et hoc modo virtutes ex caritate diliguntur. |
Réponse. Puisque la charité inclut l’amour et y ajoute quelque chose, il arrive qu’on aime quelque chose de charité de deux manières. D’une manière, comme ce qui constitue le terme de l’amitié qu’est la charité ; de cette manière, n’est aimé de charité que ce qui à quoi l’amitié est ordonnée par nature. Or, l’amitié ne peut porter sur les vertus ni sur des accidents pour deux raisons. Premièrement, parce que l’amitié fait en sorte qu’un homme veuille que l’ami existe et ait des biens. Or, les accidents n’ont pas d’être par eux-mêmes ni de bonté par eux-mêmes, mais leur être et leur bien leur vient des substances [où ils existent] ; aussi le fait que nous voulions des vertus et des accidents se rapporte à la substance, dont nous voulons qu’elle existe et existe bien sous ces accidents. Deuxièmement, parce que l’amitié consiste en une certaine communion, aux termes de laquelle ceux qui sont aimés s’aiment en retour, font les mêmes choses et vivent ensemble. L’amitié ne peut donc porter que sur ce qui est destiné à agir par nature. Et parce que l’action n’est pas le fait des accidents mais des substances, l’amitié ne peut donc porter sur les vertus ni sur d’autres accidents. Les vertus ne peuvent donc être aimées de charité, comme ce que la charité a comme terme. D’une autre manière, quelque chose peut être aimé de charité comme ce qui a pour terme l’amour ou la dilection, qui est inclus dans la charité, bien que l’amitié ne s’adresse pas à cela. Et cet amour est ordonné à l’amour de quelque chose qui est aimé de manière principale, et il est appelé un amour de concupiscence. Ainsi dit-on qu’un ami aime la santé de son ami. De cette manière, les vertus sont aimées de charité. |
[11305] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus loquitur de dilectione quae
Deus est, qua diligitur proximus effective et exemplariter. |
1. Augustin parle de
l’amour qui est Dieu, par lequel le prochain est aimé comme effet et comme
image [de Dieu]. |
[11306]
Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virtus vel honestum
non est causa finalis quare amicus diligatur, sed formaliter facit eum
diligibilem; unde non sequitur quod virtus sit magis diligibilis, vel eadem
ratione diligibilis: sicut non sequitur quod albedo sit magis alba quam
corpus album. |
2. La vertu ou la justice n’est pas la cause finale pour laquelle un ami est aimé, mais elle le fait aimer comme cause formelle. Il n’en découle donc pas que la vertu soit plus aimable ou aimable pour la même raison, comme il ne découle pas que la blancheur soit plus blanche que le corps blanc. |
[11307] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
diligere dilectionem, ad caritatem pertinet, sed non sicut ad quod caritas
terminatur. |
3. Aimer l’amour relève de la charité, mais non comme ce que la charité a comme terme. |
[11308] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
caritas terminatur ad illa quae ad beatitudinem referuntur sicut possibilia
participare beatitudinem. Sic autem non refertur ad beatitudinem virtus, quia
virtus beata fieri non potest. |
4. La charité a comme terme ce qui est en rapport avec la béatitude, comme ce qui peut participer à la béatitude. Mais la vertu n’est pas ainsi en rapport avec la béatitude parce que la vertu ne peut pas devenir bienheureuse. |
[11309]
Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod finis ad quem
principaliter terminatur caritas, est ipsa beatitudo increata. Sed de beatitudine creata est eadem ratio
et de virtutibus. |
5. La fin que la charité a comme terme principal est la béatitude incréée elle-même. Mais la béatitude créée et les vertus sont du même ordre. |
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Articulus 2 [11310] Super Sent.,
lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 tit. Utrum creaturae irrationales ex caritate sint diligendae |
Article 2 – Les créatures sans raison doivent-elles être aimées par charité ? |
[11311] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod creaturae irrationales ex caritate diligendae sint.
Omnis enim dilectio meritoria ad caritatem pertinet. Sed aliquis potest
meritorie diligere aliqua irrationalia, sicut cum quis diligit ea referendo
in Deum, vel quia factae sunt a Deo, vel quia juvant tendentes in Deum. Ergo
creaturae irrationales sunt diligendae ex caritate. |
1. Il semble que les créatures sans raison doivent être aimées de charité. En effet, tout amour méritoire relève de la charité. Or, quelqu’un peut aimer de manière méritoire des êtres sans raison, comme lorsqu’il les aime en les mettant en rapport avec Dieu, soit qu’elles aient été créées par Dieu, soit qu’elles aident ceux qui tendent vers Dieu. Les créatures sans raison doivent donc être aimées de charité. |
[11312]
Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, caritas facit hominem conformem Deo
in diligendo. Sed Deus ex caritate diligit creaturas irrationales. Sapient. 11, 25: diligis omnia quae sunt.
Ergo et homo ex caritate creaturas irrationales diligere debet. |
2. La charité rend l’homme conforme à Dieu par l’amour. Or, Dieu aime de charité les créatures sans raison, Sg 11, 25 : Tu aimes tout ce qui existe. L’homme aussi doit donc aimer de charité les créatures sans raison. |
[11313]
Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, creaturae rationales sunt ex
caritate diligendae, quia in ipsis est similitudo Dei. Sed in creaturis
irrationalibus invenitur aliqua similitudo Dei, licet non tanta sicut in
rationalibus. Ergo irrationalia sunt ex caritate diligenda. |
3. Les créatures raisonnables doivent être aimées de charité parce qu’il y a en elles une similitude de Dieu. Or, il existe une certaine similitude de Dieu dans les créatires sans raison, bien qu’elle ne soit pas aussi grande que chez les créatures raisonnables. Les créatures sans raison doivent donc être aimées de charité. |
[11314]
Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, fides est virtus theologica, sicut
et caritas. Sed fides extendit se etiam ad irrationales creaturas, secundum
quod homo eas a Deo creatas credit, et divina providentia regi. Ergo et caritas. |
4. La foi est une vertu théologale, comme
l’est aussi la charité. Or, la foi s’étend aussi à des créatures sans raison,
pour autant que l’homme croit qu’elles sont créées par Dieu et qu’elles sont
gouvernées par la providence divine. Donc, la charité aussi. |
[11315]
Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Augustinus dicit, quod illa sola
sunt ex caritate diligenda quae nobiscum societate quadam referuntur in Deum.
Sed irrationalia non sunt
hujusmodi. Ergo non sunt ex caritate diligenda. |
Cependant, [1] Augustin dit que « seul doit être aimé de charité ce qui se rapporte à Dieu selon une certaine communion avec nous ». Or, les êtres sans raison ne sont pas de cette sorte. Ils ne doivent donc pas être aimés de charité. |
[11316] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, caritas includit
benevolentiam; ut supra dictum est, dist. 27, art. 1. Sed benevolentia non
potest esse ad irrationalia, ut dicit philosophus in 8 Ethic. Ergo nec
caritas. |
[2] La charité inclut la bienveillance, comme on l’a dit plus haut, d. 27, a. 1. Or, il ne peut y avoir de bienveillance envers les êtres sans raison, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VIII. Donc, ni charité. |
[11317] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod
ad res irrationales non potest esse amicitia eisdem rationibus quibus nec ad
accidentia. Quamvis enim esse habeant in quo subsistant, et operationes
aliquas habeant, non tamen nobiscum in vita communicant humana neque quantum
ad esse, neque quantum ad operationem vitae; et ideo non est ad ea
benevolentia, secundum quam volumus amicum esse, et habere bona; quod
irrationalibus non volumus, nisi secundum quod ad hominem referuntur: neque
concordia, secundum quod eadem volumus et agimus amicis: quod ad irrationalia
esse non potest, cum nobiscum in eisdem operibus non possint communicare; et
ideo non possunt diligi ex caritate, sicut ad quae caritas terminatur:
possunt tamen diligi ex caritate, sicut ea ad quae amor, quem caritas
includit, terminatur, qui est amor concupiscentiae; sicut amicus amat
possessiones, et alia sui amici, non tamen ad ea amicitiam habet. Nec ista
dilectio est tantum imperata ex caritate, sed etiam elicita: quia caritas
elicit actum dilectionis non tantum ad ea ad quae principaliter est caritas,
sed etiam ad alia quae in illa ordinantur: et sic diliguntur ex caritate
inanimata, inquantum ordinantur ad ea ad quae principaliter et directe est
caritas. |
Réponse. Il ne peut y avoir d’amitié pour les êtres sans raison pour les mêmes raisons qu’il n’y en a pas envers les accidents. En effet, bien qu’ils possèdent un être dans lequel ils subsistent et certaines opérations, ils n’ont cependant pas en commun avec nous ni la vie humaine, ni l’être, ni l’opération de la vie. Il n’y a donc pas de bienveillance envers eux, par laquelle nous voulons qu’un ami existe et ait des biens, ce que nous ne voulons pour les êtres sans raison que dans la mesure où ils sont en rapport avec l’homme. Il n’y a pas non plus de concorde par laquelle nous voulons et faisons la même chose que nos amis, ce qui ne peut exister envers les êtres sans raison, puisqu’ils ne peuvent avoir en commun avec nous les mêmes actions. C’est pourquoi ils ne peuvent être aimés de charité en tant que termes de la charité. Ils peuvent cependant être aimés de charité comme termes de l’amour qu’inclut la charité et qui est un amour de concupiscence, comme un ami aime les biens et les autres choses de son ami, mais n’a cependant pas d’amitié envers cela. Cet amour n’est pas non plus seulement commandé par la charité, mais il est issu d’elle, car la charité fait naître un acte d’amour non seulement pour ce à quoi la charité est principalement ordonnée, mais aussi pour les autres choses qui y sont ordonnées. Ainsi les êtres inanimés sont-ils aimés de charité, pour autant qu’ils sont ordonnés à ce qui est l’objet principal et direct de la charité. |
[11318] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod dilectio inanimatorum ad caritatem pertinet non sicut ad quae caritas
habeatur. |
1. L’amour des êtres inanimés relève de la charité, mais non comme ce sur quoi porte la charité. |
[11319]
Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Deus diligit ex
caritate creaturas, non tamen habet caritatem nisi ad creaturas rationales,
quas ad beatitudinem creavit per quam efficiuntur suae vitae participes. |
2. Dieu aime les créatures de charité, mais il n’a cependant de charité qu’envers les créatures raisonnables, qu’il a créées pour la béatitude par laquelle elles participeront à sa propre vie. |
[11320]
Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod similitudo imaginis
quae est in creaturis rationalibus, facit eas cum Deo et ad invicem capaces
unius et ejusdem vitae, scilicet gloriae, ad quod non sufficit similitudo
vestigii, quae est in aliis creaturis; unde non est simile. |
3. La similitude de l’image, qui se trouve dans les créatures raisonnables, les rend capables d’une seule et même vie avec Dieu et entre elles : la gloire. À cela ne suffit pas la similitude du vestige, qui se trouve dans les autres créatures. Ce n’est donc pas la même chose. |
[11321]
Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod fides non importat
aliquam associationem credentis ad creditum, sicut caritas amantis ad amatum;
et ideo non est similis ratio utrobique. |
4. La foi ne comporte pas d’association du croyant avec ce qui est cru, comme la charité de celui qui aime avec celui qui est aimé. C’est pourquoi le même raisonnement ne vaut pas pour les deux. |
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Articulus 3 [11322] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a.
3 tit. Utrum Angeli
ex caritate sint diligendi |
Article 3 – Les anges doivent-ils être aimés par charité ? |
[11323] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod
Angeli non sint diligendi ex caritate. Quia, ut dictum est, art. 1 et 2,
corp., caritas non est hominis ad ea quae vitam humanam non participant. Sed
Angeli non vivunt vita humana. Ergo caritas non facit Angelos ab hominibus
diligi. |
1. Il semble que les
anges ne doivent pas être aimés de charité, car, ainsi qu’on l’a dit dans les
aa. 1 et 2, l’homme n’a pas de charité pour ce qui ne participe pas à la
vie humaine. Or, les anges ne vivent pas de la vie humaine. La charité ne
fait donc pas en sorte que les anges soient aimés par les hommes. |
[11324]
Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, caritas, cum sit amicitia, est
inter eos qui ad invicem nati sunt conversari. Sed Angelorum qui dicuntur dii, conversatio non est cum hominibus, ut
dicitur Daniel. 11. Ergo Angeli ex caritate non sunt diligendi. |
2. La charité, puisqu’elle est une amitié, existe entre ceux qui sont destinés à vivre ensemble. Or, les anges, qui sont appelés des dieux, ne vivent pas avec les hommes, comme il est dit dans Dn 11. Les anges ne doivent donc pas être aimés de charité. |
[11325] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, caritas, cum sit amicitia, aequalitas quaedam est. Sed Angeli sunt nobis
multo superiores. Ergo ad eos caritas vel amicitia haberi non potest. |
3. La charité, puisqu’elle est une amitié, est une certaine égalité. Or, les anges nous sont de beaucoup supérieurs. On ne peut donc avoir de charité ou d’amitié envers eux. |
[11326]
Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, plus distant a nobis Angeli, cum
sint incorporei, et ita alterius generis, quam animalia irrationalia, quae
sunt unius generis nobiscum. Sed animalia irrationalia non possumus diligere ex caritate. Ergo
multo minus Angelos. |
4. Les anges sont plus éloignés de nous, puisqu’ils sont incorporels et ainsi d’une autre genre, que les animaux sans raison, qui font partie du même genre que nous. Or, nous ne pouvons aimer de charité les animaux sans raison. Donc, encore bien moins les anges. |
[11327] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, proximi sunt diligendi ex caritate. Sed Angeli sunt nobis
proximi, ut dicitur in littera. Ergo sunt ex caritate diligendi. |
Cependant, [1] le prochain doit être aimé de charité. Or, les anges sont notre prochain, comme le dit le texte. Ils doivent donc être aimés de charité. |
[11328] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, amicitia facit amicos idem velle, et ejusdem amicos esse.
Sed Deus ex caritate diligit Angelos, sicut et nos. Ergo et nos debemus ex
caritate Angelos diligere. |
[2] L’amitié fait en sorte que les amis veuillent la même chose et qu’ils soient amis de la même [personne]. Or, Dieu aime les anges de charité, comme nous. Nous devons donc aimer les anges de charité. |
[11329] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, sicut dictum est, quod
caritas non potest esse, sicut nec amicitia, nisi inter eos qui eamdem vitam
participant. Vita autem hominis et Angeli est duplex. Una quae competit eis
secundum naturam suam; et sic homines et Angeli non communicant in eadem
vita; sed homines ad invicem, et Angeli ad invicem, quia convenit eis circa
easdem operationes occupari. Alia vita utriusque est per gratiam, secundum
quam fiunt participes divinae vitae; et in hac vita communicant et ad
invicem, et cum Deo. Et ideo secundum hanc vitam potest esse amicitia eorum
ad invicem, et haec amicitia est caritas. |
Réponse. Comme on l’a dit, la charité ne peut exister, pas plus que l’amitié, qu’entre ceux qui participent à la même vie. Or, la vie de l’homme et de l’ange est double. L’une qui leur convient selon leur nature : ainsi, les hommes et les anges ne partagent pas la même vie, mais les hommes entre eux et les anges entre eux, car il leur convient de s’adonner aux mêmes opérations. L’autre vie pour les deux est celle qui vient de la grâce, selon laquelle ils participent à la vie divine, et ils ont cette vie en commun entre eux et avec Dieu. C’est pourquoi il peut exister une amitié entre eux selon cette vie, et cette amitié est la charité. |
[11330]
Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod vita humana
dicitur dupliciter: vel quae est secundum humanam naturam, et sic non
communicant Angeli in vita humana; vel quae est hominis secundum
participationem divinae vitae, et sic communicant in humana vita. |
1. On parle de vie humaine de deux manières : soit pour celle qui existe selon la nature humaine, et ainsi les anges n’ont pas en commun [avec nous] la vie humaine ; soit pour celle de l’homme selon qu’il participe à la vie divine, et ainsi les anges ont en commun [avec nous] la vie humaine. |
[11331]
Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nati sunt ad
invicem conversari homines et Angeli in patria, quando erimus aequales
Angelis, ut dicitur Matth. 22: et sic in hac vita aliquo modo cum Angelis
conversamur, inquantum angelicam vitam in terris ducimus. |
2. Les hommes et les anges sont destinés à vivre les uns avec les autres dans la patrie, alors que nous serons les égaux des anges, comme il est dit en Mt 22. Ainsi vivons-nous d’une certaine manière avec les anges en cette vie, dans la mesure où nous menons une vie angélique sur terre. |
[11332] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
amicitia non requirit aequalitatem aequiparantiae, sed aequalitatem
proportionis, ut scilicet unus amicorum operetur ad alterum secundum suam
proportionem, ut dicitur in 8 Ethic.: tamen magna inaequalitas amicitiam
solvit, quando scilicet non communicant in eadem vita. |
3. L’amitié n’exige pas une égalité parfaite, mais une égalité proportionnelle, à savoir que l’un des amis agisse envers l’autre selon sa proportion, comme il est dit dans Éthique, VIII. Cependant, une grande inégalité dissout l’amitié : c’est le cas lorsqu’ils ne partagent pas la même vie. |
[11333]
Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum Angelis magis
communicamus quam cum brutis quantum ad animam: sed cum brutis quantum ad
corpus, et ad virtutes corporeas. Homo autem, ut dicit philosophus in 9 Ethic., magis est id quod est ex
parte animae quam ex parte corporis: quia unumquodque est id quod est
potissimum in ipso; et ideo, simpliciter loquendo, magis distamus a brutis
quam ab Angelis. |
4. Nous avons plus en commun avec les anges qu’avec les animaux sans raison pour ce qui est de l’âme, mais avec les animaux sans raison, pour ce qui est du corps et des puissances corporelles, comme le dit le Philosophe dans Éthique, IX. Or, l’homme est davantage ce qui concerne l’âme que ce qui concerne le corps, car toute chose est ce qu’il y a de meilleur en elle. C’est pourquoi, à parler simplement, nous sommes plus éloignés des animaux sans raison que des anges. |
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Articulus 4 [11334] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a.
4 tit. Utrum ad malos
homines caritatem habere debeamus |
Article 4 – Devons-nous avoir de la charité envers les méchants ? |
[11335] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic
proceditur. Videtur quod ad malos homines caritatem habere non possimus.
Caritas enim exigit communicationem in divina vita, quae est per gratiam, ut
dictum est, 2, dist. 27, quaest. 2,
art. 2. Sed haec vita non est in peccatoribus. Ergo non sunt ex caritate
diligendi. |
1. Il semble que nous ne puissions pas avoir de charité envers les méchants. En effet, la charité exige de partager la vie divine, ce qui se réalise par la grâce, comme on l’a dit au livre II, d. 27, q. 2, a. 2. Or, une telle vie n’existe pas chez les pécheurs. Ils ne doivent donc pas être aimés de charité. |
[11336]
Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, sicut similitudo est causa
dilectionis, ita dissimilitudo est causa contrarii. Sed mali sunt dissimiles
bonis. Ergo non sunt
ab eis ex caritate diligendi. |
2. De même que la similitude est la cause de l’amour, de même la dissimilitude est-elle la cause du contraire. Or, les méchants ne ressemblent pas aux bons. Ils ne doivent donc pas être aimés de charité. |
[11337] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, sicut philosophus dicit, 9 Ethic., impossibile est
amicitiam esse inter eos qui non eisdem gaudent. Sed boni et mali non gaudent
eisdem, sed contrariis. Ergo non potest esse amicitia eorum ad invicem. |
3. Comme le dit le Philosophe dans Éthique, IX, il est impossible que l’amitié existe entre ceux qui ne se réjouissent pas des mêmes choses. Or, les bons et les méchants ne se réjouissent pas des mêmes choses, mais des choses contraires. Il ne peut donc exister d’amitié des uns envers les autres. |
[11338]
Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, amicitia redamantium est, ut
philosophus dicit. Sed mali non redamant nos, sed odiunt bonos. Ergo nec boni ex caritate debent diligere
malos. |
4. L’amitié est le fait de ceux qui aiment en retour. Or, les méchants ne nous aiment pas en retour, mais ils haïssent les bons. Les bons ne doivent donc pas non plus aimer de charité les méchants. |
[11339] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, amicorum est
ad eumdem amicitiam habere. Si ergo boni
ex caritate diligunt malos, et mali seipsos diligent. Hoc autem falsum est:
quia philosophus probat, quod nullus malus sui ipsius amicus est. Ergo mali
non sunt ex caritate diligendi. |
5. L’amitié consiste en ce que les amis aiment le même. Si donc les bons aiment d’amitié les méchants, les méchants s’aimeront aussi eux-mêmes. Or, cela est faux, car le Philosophe montre qu’aucun méchant n’est son propre ami. Les méchants ne doivent donc pas être aimés de charité. |
[11340] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, Matth. 5, 44: diligite inimicos vestros. Sed omnis qui inimicatur, malus est. Ergo mali ex caritate sunt
diligendi. |
Cependant, [1] il est dit en Mt 5, 44 : Aimez vos ennemis. Or, tous ceux qui sont des ennemis sont des méchants. Les méchants doivent donc être aimés de charité. |
[11341] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, quibuscumque est benefaciendum, illi sunt ex caritate
diligendi. Sed malis
debemus benefacere, convertendo eos, et in necessariis subveniendo eis. Ergo mali sunt ex caritate diligendi. |
[2] Tous ceux à qui on doit faire du bien doivent être aimés de charité. Or, nous devons faire du bien aux méchants en les convertissant et en venant à leur secours pour le nécessaire. Les méchants doivent donc être aimés de charité. |
[11342] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod in malis est duo
considerare: scilicet naturam qua homines sunt, et malitiam qua mali sunt.
Quia ergo secundum naturam suam sunt ad imaginem Dei, et vitae divinae
capaces sunt, ideo secundum naturam sunt ex caritate diligendi. Malitia autem
ipsorum est contraria divinae bonitati, et ideo ipsa in eis odienda est. Unde
Augustinus dicit: sic diligendi sunt homines, ut eorum non diligantur
errores. |
Réponse. Chez les méchants, il faut considérer deux choses : la nature par laquelle ils sont des hommes, et la malice par laquelle ils sont méchants. Parce qu’ils sont à l’image de Dieu et sont capables de la vie divine par leur nature, ils doivent donc être aimés de charité. Mais leur méchanceté est contraire à la bonté divine ; aussi faut-il la haïr en eux. C’est pourquoi Augustin dit : « Les hommes doivent être aimés de telle manière que ne soient pas aimées leurs erreurs. » |
[11343] Super Sent.,
lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod caritas non exigit communicationem in divina vita in actu, sed
sufficit ut sit in potentia: quia quod est in potentia, quodammodo est. |
1. La charité n’exige pas un partage de la vie divine en acte, mais il suffit qu’il existe en puissance, car ce qui est en puissance existe d’une certaine manière. |
[11344] Super Sent.,
lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod illud secundum quod nobis dissimiles sunt, odire debemus
naturam diligere, quia eorum malitia bonitati naturae repugnat. |
2. Ce par quoi il nous sont dissemblables, nous devons le haïr ; mais nous devons aimer leur nature, car leur malice n’est pas incompatible avec la bonté de leur nature. |
[11345] Super Sent.,
lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod quamvis quantum ad id quod nunc est, non gaudeant eisdem, tamen
possibile est ut eisdem gaudeant; et ideo dicit philosophus in 9 Ethic., quod
non confestim dissolvenda est amicitia ad eum qui ex bono factus est malus,
sed multo plus adjuvandi sunt ad recuperandam bonitatem virtutis quam ad
recuperandam possessionem bonorum temporalium. |
3. Bien que, par ce qui existe maintenant, ils ne se réjouissent pas des mêmes choses, il est cependant possible qu’ils se réjouissent des mêmes choses. C’est pourquoi le Philosophe dit, dans Éthique, IX, que l’amitié envers celui qui devient méchant après avoir été bon ne doit pas être immédiatement dissoute ; ils doivent bien plutôt être aidés à retrouver la bonté de la vertu qu’à retrouver la possession de biens temporels. |
[11346] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis actu non redament, tamen nati sunt
redamare, et praecipue in vita futura, cujus vitae communicationem praecipue
attendit caritas; unde bene potest esse etiam inter eos qui se in hac vita
non cognoscunt. |
4. Bien qu’ils n’aiment pas en retour en acte, ils sont cependant destinés à aimer en retour, surtout dans la vie future, vie dont la charité vise surtout le partage. [L’amitié] peut donc aussi exister entre ceux qui ne se connaissent pas en cette vie. |
[11347] Super Sent.,
lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod malus in seipso divisus est, quia per affectum malitiae impugnat bonitatem
naturae; et secundum hoc dicitur seipsum odire. Nos autem malos quantum ad naturam quam
habent, diligere debemus, non quantum ad malitiam. |
5. Le méchant est partagé en lui-même, car il combat la bonté de sa nature par sa méchanceté ; on dit ainsi qu’il se hait lui-même. Mais nous devons aimer les méchants pour la nature qu’ils possèdent, et non pour leur malice. |
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Articulus 5 [11348] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a.
5 tit. Utrum Daemones
ex caritate sint diligendi |
Article 5 – Les démons doivent-ils être aimés par charité ? |
[11349] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic
proceditur. Videtur quod
Daemones ex caritate sint diligendi. Lev. 19, 18: dilige proximum tuum.
Glossa: proximus non propinquitate sanguinis intelligendus est, sed societate
rationis. Sed Daemones et damnati nobiscum habent societatem in ratione.
Ergo sunt ex caritate diligendi. |
1. Il semble que les démons doivent être aimés de charité. Lv 19, 18 : Aime ton prochain. Glose : « Par prochain, il ne faut pas entendre une proximité du sang, mais une communauté de raison. » Or, les démons et les damnés partagent avec nous la raison. Ils doivent donc être aimés de charité. |
[11350] Super Sent.,
lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, dictum
est, art. praec., quod malos debemus diligere ratione naturae, quae in eis
bona est. Sed, sicut dicit Dionysius, in Daemonibus est etiam natura bona:
quia bona naturalia per peccatum non amiserunt. Ergo sunt diligendi ex
caritate. |
2. Nous avons dit, à l’article précédent, que nous devons aimer les méchants en raison de leur nature, qui est bonne en eux. Or, comme le dit Denys, il existe aussi chez les démons une nature bonne, car ils n’ont pas perdu leurs biens naturels par le péché. Ils doivent donc être aimés de charité. |
[11351] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, omnem creaturam rationalem quam Deus diligit, ex caritate
diligit. Sed Deus diligit Daemones, quia diligit omnia quae fecit. Ergo ex
caritate diligit eos, cum sint rationales creaturae. Ergo et nos ex caritate
debemus eos diligere. |
3. Dieu aime de charité toutes les créatures raisonnables. Or, Dieu aime les démons, car il aime tout ce qu’il a fait. Il les aime donc de charité, puisqu’ils sont des créatures raisonnables. Nous devons donc les aimer de charité. |
[11352] Super Sent.,
lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, quod
facit ad cumulum nostri meriti et ad Dei gloriam, debemus ex caritate diligere. Sed Daemones,
inquantum nos tentant, nobis proficiunt, sicut in 2 Lib., dist. 6, dictum
est; et iterum gloria Dei in eis manifestatur. Ergo sunt ex caritate
diligendi. |
4. Ce qui contribue à l’accroissement de notre mérite et à la gloire de Dieu, nous devons l’aimer de charité. Or, les démons, pour autant qu’ils nous tentent, nous sont utiles, comme on l’a dit dans le livre II, d. 6 ; de plus la gloire de Dieu est manifestée en eux. Ils doivent donc être aimés de charité. |
[11353] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, cum amicis communicandum est. Sed omnis communicatio ad
Daemones est nobis interdicta; unde Isaiae 38 reprehenduntur illi qui
dicuntur cum morte et Inferno pactum iniisse. Ergo Daemones non sunt ex
caritate diligendi. |
Cependant, [1] il faut partager avec ses amis. Or, tout partage avec les démons nous est interdit. Aussi, en Is 38, ceux dont on dit qu’ils ont fait un pacte avec la mort et avec l’enfer essuient-ils des reproches. Les démons ne doivent donc pas être aimés de charité. |
[11354] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit, quod proximus ex caritate diligitur, vel
quia justus est, vel ut justus sit. Sed Daemones neque justi sunt, neque
justi esse possunt. Ergo ex caritate diligendi non sunt. |
[2] Augustin dit que le prochain est aimé de charité soit parce qu’il est juste, soit pour qu’il devienne juste. Or, les démons ne sont pas des justes et ne peuvent pas non plus être des justes. Ils ne doivent donc pas être aimés de charité. |
[11355] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod,
sicut praedictum est, ex caritate diligitur aliquid dupliciter: uno modo
sicut id ad quod habetur caritas; alio modo sicut id ad quod terminatur
aliquo modo amor, quem includit caritas, inquantum ordinatur ad aliquod eorum
ad quae habetur caritas. Primo igitur
modo Daemones non sunt ex caritate diligendi: quia non communicant nobiscum
in vita divina neque actu neque potentia; et similiter est etiam de damnatis.
Unde philosophus dicit, quod amicitia est dissolvenda ad illos qui sunt
insanabiles propter malitiam abundantem. Haec autem insanabilitas quamvis in
hac vita contingat in quibusdam consideratis humanis viribus, non tamen
contingit nisi post hanc vitam considerato ordine divinae misericordiae.
Caritas autem attendit quod divinum est, sed amicitia quod humanum; et ideo
amicitia politica dissolvitur ad illos qui secundum humanas considerationes,
insanabiles sunt effecti; quod etiam in hac vita quandoque contingit; sed
caritas non dissolvitur ad aliquem in hac vita, quantumcumque sit malus: quia
adhuc secundum ordinem divinae misericordiae, manet possibilitas ad vitam
gloriae; sed post hanc vitam non manet; et ideo per modum praedictum neque
damnati, neque Daemones sunt ex caritate diligendi. Quantum autem ad secundum
modum, Daemonum natura ex caritate diligi potest, inquantum est creatura Dei;
non autem Daemones, quia hoc nomen vitium principaliter ipsorum designat. |
Réponse. Comme on l’a déjà dit, on aime quelque chose de charité de deux manières : d’une manière, comme ce pour quoi on a de la charité ; d’une autre manière, comme ce qui est en quelque sorte le terme de l’amour, que la charité inclut, pour autant que cela est ordonné à l’une des choses sur lesquelles porte la charité. Donc, de la première manière, les démons ne doivent pas être aimés, car ils ne partagent avec nous la vie divine ni en acte ni en puissance ; de même en est-il pour les damnés. C’est ainsi que le Philosophe dit que l’amitié envers ceux qui ne sont pas guérissables en raison de l’étendue de leur malice doit être rompue. Or, cette impossibilité de guérir, bien qu’elle se produise en cette vie, si l’on considère certaines puissances humaines, ne se produit cependant qu’après cette vie, si l’on considère l’ordre de la miséricorde divine. Or, la charité porte sur ce qui est divin, mais l’amitié, sur ce qui est humain. C’est pourquoi l’amitié politique est rompue envers ceux qui, selon des considérations humaines, sont devenus inguérissables, et cela se produit parfois en cette vie. Mais la charité envers quelqu’un n’est pas dissoute en cette vie, aussi méchant soit-il, car, toujours selon l’ordre de la miséricorde divine, demeure la possibilité de la vie de gloire. Toutefois, après cette vie, elle ne demeure pas. C’est pourquoi, conformément à ce qui a été dit, ni les damnés ni les démons ne doivent être aimés de charité. Pour ce qui est de la seconde manière, la nature des démons peut être aimée en tant qu’elle est une créature de Dieu, mais non les démons, car ce nom désigne principalement leur vice. |
[11356] Super Sent.,
lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod intelligendum est de societate rationis, in qua manet ordo ad
vitam gratiae, cujusmodi communicationem requirit caritas. |
1. Il faut l’entendre d’une communauté de la raison, dans laquelle demeure l’ordre à la vie de la grâce : la charité exige un tel partage. |
[11357] Super Sent.,
lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod in peccatoribus quamdiu in hac vita sunt, adhuc ratione
naturae manet potestas ad gratiam, non autem in damnatis et Daemonibus; et
ideo non est similis ratio. |
2. Aussi longtemps qu’ils sont dans la vie présente, demeure encore chez les pécheurs la capacité de la grâce, mais non chez les damnés et les démons. C’est pourquoi le raisonnement n’est pas le même. |
[11358] Super Sent.,
lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod Deus diligit naturam Daemonum, non quasi ad eam caritatem habeat, sed
inquantum est effectus ejus: et hoc modo etiam nos eam debemus diligere. |
3. Dieu aime la nature des démons, non pas qu’il ait de la charité à son endroit, mais pour autant qu’elle est son effet. Nous devons nous aussi l’aimer de cette manière. |
[11359] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc quod Daemones prosint nobis ad meritum,
et quod eorum actus et vita in gloriam Dei cedant, est per accidens, praeter
intentionem eorum: et ex eo quod est secundum accidens, non est sumendum
judicium de re aliqua. |
4. Le fait que les
démons contribuent à notre mérite et que leurs actes tournent aussi à la
gloire de Dieu est accidentel et par-delà leur intention. Du fait qu’une
chose est accidentelle, il ne faut pas en tirer un jugement. |
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Articulus 6 [11360] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a.
6 tit. Utrum homo
debeat seipsum ex caritate diligere |
Article 6 – L’homme doit-il s’aimer lui-même par charité ?
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[11361] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 arg. 1 Ad sextum sic proceditur.
Videtur quod homo non
debeat seipsum diligere ex caritate. Quia, sicut dicit Gregorius, caritas
minus quam inter duos haberi non potest. Ergo non potest esse alicujus ad
seipsum. |
1. Il semble que l’homme
ne doive pas s’aimer lui-même de charité, car, ainsi que le dit Grégoire,
« il ne peut exister de charité qu’entre au moins deux personnes ».
Quelqu’un ne peut donc avoir de charité envers lui-même. |
[11362] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea, amicitia redamationem exigit, et communicationem in vita,
et alia hujusmodi, quae non sunt hominis ad seipsum. Sed caritas amicitia
quaedam est. Ergo caritas non est hominis ad seipsum. |
2. L’amitié requiert
un amour en retour, un partage de vie et d’autres choses de ce genre, qu’un
homme n’a part à l’égard de lui-même. Or, la charité est une certaine amitié.
Un homme ne peut donc avoir de charité envers lui-même. |
[11363] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 arg. 3 Praeterea, caritas amor quidam est. Amor autem, ut dicit Dionysius,
est unitiva virtus. Cum ergo unio non sit nisi diversorum, videtur quod
caritas non possit esse ad seipsum. |
3. La charité est un amour. Or, comme le dit Denys, « l’amour est une puissance unitive ». Puisque l’union n’existe qu’entre des personnes différentes, il semble donc que la charité ne puisse exister envers soi-même. |
[11364] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, amicitia in
aequalitate consistit, sicut justitia, ut dicitur 8 Ethic., cap. 9. Sed justitia non est ad seipsum, proprie
loquendo, ut philosophus dicit. Ergo neque amicitia seu caritas. |
4. L’amitié consiste en une égalité, comme la justice, comme on le dit dans Éthique, VIII, 9. Or, à proprement parler, il n’existe pas de justice envers soi-même, comme le dit le Philosophe. Il n’existe donc pas d’amitié ou de charité [envers soi-même]. |
[11365] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 arg. 5 Praeterea, nihil vituperabile est diligendum ex caritate. Sed amare
seipsum est vituperabile, ut patet 2 Tim. 3, 2: erunt homines se ipsos
amantes. Ergo ex caritate homo seipsum non diligit. |
5. Rien de blâmable ne doit être aimé de charité. Or, s’aimer soi-même est blâmable, comme cela ressort de 2 Tm 3, 2 : Les hommes s’aimeront eux-mêmes. Un homme ne s’aime donc pas lui-même de charité. |
[11366] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed contra, homo debet diligere
proximum sicut seipsum. Sed proximum debet ex caritate diligere. Ergo et
seipsum. |
Cependant, [1] l’homme doit aimer son prochain comme soi-même. Or, il doit aimer son prochain de charité. Donc, lui-même aussi. |
[11367] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, misericordia ex caritate causatur. Sed homo sibi ipsi
potest misericors esse. Ergo et seipsum potest ex caritate diligere. |
[2] La miséricorde
est causée par la charité. Or, l’homme peut être miséricordieux envers
lui-même. Il peut donc aussi s’aimer lui-même de charité. |
[11368] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 co. Respondeo dicendum, quod
processus amoris se
habet ad similitudinem processus cognitionis. In cognoscitivis autem
invenitur aliquid ubi primo figitur intellectus cognoscentis, sicut in primis
principiis, et ex his ad alia derivatur; et ipsa quidem cognitio, secundum
quod stat in principiis, accipit nomen intellectus; secundum autem quod
derivatur ad conclusiones, quae ex principiis cognoscuntur, accipit nomen
scientiae. Sed quia cognitio principiorum est in conclusionibus sicut causa
in causato, et e converso cognitio conclusionis est in principiis sicut
causatum in causa; ideo etiam dicuntur intelligi conclusiones et sciri
principia. Similiter et affectus amantis primo figitur in ipso amante, et ex
eo derivatur ad alios; ut philosophus dicit in 9 Ethic., quod ex his quae
sunt hominis ad seipsum venerunt ea quae sunt hominis ad amicum, dum se habet
ad amicum sicut ad seipsum. Nec est mirum; quia unita ad similitudinem se
habent eorum quae sunt unum. Et quamvis nomen amicitiae imponatur proprie
secundum quod amor ad alios se diffundit, tamen etiam amor quem quis habet ad
seipsum amicitia et caritas potest dici, inquantum amor quem quis habet ad
alterum, procedit a similitudine amoris quem quis habet ad seipsum. |
Réponse. Le déroulement de l’amour ressemble au déroulement de la connaissance. Or, en matière de connaissance, on trouve d’abord quelque chose sur lequel se fixe l’intellect de celui qui connaît, comme les premiers principes ; à partir d’eux, elle passe à d’autres choses. La connaissance elle-même, en tant qu’elle s’arrête aux principes, reçoit le nom d’« intelligence » ; mais, selon qu’elle passe à des conclusions, qui sont connues à partir des principes, elle reçoit le nom de « science ». Mais parce que la connaissance des principes se trouve dans les conclucions comme la cause dans ce qui est causé, et que, en sens inverse, la connaissance de la conclusion se trouve dans les principes comme ce qui est causé dans sa cause, on dit donc aussi qu’on « intellige » les conclusions et que les principes sont « sus ». De la même manière, l’affection de celui qui aime se trouve-t-il d’abord chez celui qui aime, et il passe de celui-ci à d’autres. Ainsi le Philosophe dit, dans Éthique, IX, que « les sentiments de l’homme envers un ami viennent des sentiments de l’homme envers lui-même, puisqu’il a avec son ami la même relation qu’avec lui-même ». Et cela n’est pas étonnant, car ce qui est uni par la ressemblance se comporte comme ce qui est un. Et bien que, à proprement parler, le nom d’« amitié » soit donné à l’amour qui se diffuse vers les autres, on peut cependant aussi parler d’amitié et de charité envers soi-même, pour autant que l’amour que l’on a envers l’autre vient de la ressemblance avec l’amour que l’on a envers soi-même. |
[11369] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod Gregorius loquitur quantum ad primam impositionem nominis caritatis. |
1. Grégoire parle de la première imposition du nom de «charité». |
[11370] Super Sent.,
lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod ratio illa procedit de amicitia secundum quod importat amorem
diffusum ad alios. |
2. Ce raisonnement se fonde sur l’amitié en tant qu’elle comporte un amour qui se diffuse vers les autres. |
[11371] Super Sent.,
lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod illa quae sunt unum secundum numerum, possunt adhuc uniri per affectum;
et ideo potest esse amor, etiam proprie dictus, ad seipsum. |
3. Ce qui est un selon le nombre peut aussi être uni par l’affection. C’est pourquoi l’amour, même au sens propre, peut exister envers soi-même. |
[11372] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
amicitia consistit in adaequatione quantum ad affectum; sed justitia in adaequatione rerum. Sed
per operationem animae possunt accipi sicut diversa ut unum, ita idem ut
plura; quod contingit quando actus animae in ipsum agentem reflectitur: et
ideo amicitia magis potest esse ad se quam justitia: quamvis etiam justitia
possit esse hominis ad seipsum metaphorice dictum, inquantum in homine etiam
diversa secundum rem inveniuntur, scilicet diversae vires, quarum adaequatio
in eo quod unicuique competit, justitiam metaphoricam facit, ut in 5 Ethic.
dicitur. |
4. L’amitié consiste dans l’égalité de
sentiment ; mais la justice, dans l’égalité des choses. Or, par
l’opération de l’âme, des choses diverses peuvent être considérées comme une
seule chose ; de même, une seule chose peut-elle être considérée comme
plusieurs. Cela se produit lorsque l’acte de l’âme se retourne vers l’agent
lui-même. C’est pourquoi l’amitié peut davantage exister envers soi-même que
la justice, bien que la justice, si on l’entend métaphoriquement, puisse
aussi être le fait de l’homme envers lui-même, dans la mesure où, chez
l’homme, on trouve aussi des choses, en réalité différentes : les
diverses puissances, dont l’égalité par rapport à ce qui convient à chacune
réalise la justice au sens métaphorique, comme il est dit dans Éthique, V. |
[11373] Super Sent.,
lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod amare seipsum quantum ad hominem exteriorem nimis est vituperabile: sed
amare seipsum quantum ad hominem interiorem est valde laudabile; et hoc est
caritatis. |
5. S’aimer soi-même pour ce qui est de l’homme extérieur est tout à fait blâmable ; mais s’aimer soi-même pour ce qui est de l’homme intérieur est tout à fait louable. Et cela relève de la charité. |
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d [11374] Super Sent.,
lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 tit. Utrum diligere debeamus corpora nostra ex caritate |
Article 7 – Devons-nous aimer nos corps par charité ?
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[11375] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 arg. 1 Ad septimum sic
proceditur. Videtur quod
corpora nostra non sint ex caritate diligenda. Caritas enim non refugit
conversationem cum eo ad quem caritas est. Sed caritas facit refugere
communicationem ad corpus, ut patet Rom. 7, 24: quis me liberabit de
corpore mortis hujus? Ergo corpus non est ex caritate diligendum. |
1. Il semble que nos corps ne doivent pas être aimés par charité. En effet, la charité ne fuit pas le partage avec celui envers qui la charité existe. Or, la charité fait fuir le partage avec le corps, comme cela ressort de Rm 7, 24 : Qui me délivrera de ce corps de mort ? Le corps ne doit donc pas être aimé par charité. |
[11376] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 arg. 2 Praeterea, philosophus dicit, quod vituperabile est hominem seipsum
diligere quantum ad id quod est exterius in seipso. Sed corpus nostrum est
maxime exterius. Ergo vituperabile est corpus nostrum diligere. Ergo non
diligitur ex caritate. |
2. Le Philosophe dit qu’il est blâmable que l’homme s’aime lui-même pour ce qui est extérieur chez lui. Or, notre corps est extérieur au plus au point. Il est donc blâmable d’aimer notre corps. Il n’est donc pas aimé par charité. |
[11377] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 arg. 3 Praeterea, beatitudo
nostra erit in fruitione Dei. Sed illius
fruitionis corpus nostrum
particeps esse non potest. Ergo non est particeps nostrae beatitudinis: ergo
non est ex caritate diligendum. |
3. Notre béatitude
consistera dans la jouissance de Dieu. Or, notre corps ne peut participer à
cette jouissance. Il ne participe donc pas à notre béatitude. Il ne faut donc
pas l’aimer de charité. |
[11378] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 arg. 4 Praeterea, pars non ponitur in numerum contra totum. Sed corpus nostri
pars est. Ergo non debet poni aliud diligibile corpus nostrum quam nos ipsi. |
4. Une partie n’est
mise dans un nombre par par opposition au tout. Or, notre corps est une
partie. Notre corps ne doit donc pas être considéré comme un autre autre
objet d’amour que nous-mêmes. |
[11379] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 arg. 5 Praeterea, proximum debemus diligere sicut nos. Sed non ponitur aliud
diligibile proximus et corpus proximi. Ergo non debet poni aliud diligibile
nos ipsi et corpus nostrum. |
5. Nous devons aimer
le prochain comme nous-mêmes. Or, le corps du prochain n’est pas considéré
comme un autre objet d’amour que le prochain. Nous ne devons donc pas
considérer notre corps comme un autre objet d’amour que nous-mêmes. |
[11380] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 s. c. 1 Sed contra, Eph. 5, viri debent diligere uxores suas sicut corpora.
Sed uxores debent diligere ex caritate. Ergo et corpora. |
Cependant, [1] Ep 5 dit que les maris
doivent aimer leurs épouses comme leur propre corps. Or, ils doivent
aimer leurs épouses par charité. Donc, leur corps aussi. |
[11381] Super
Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 s. c. 2 Praeterea, omne beatificabile est ex caritate diligendum. Sed corpus
nostrum est beatificabile. Ergo est diligendum ex caritate. |
[2] Tout ce qui peut être bienheureux doit être aimé par charité. Or, notre corps peut devenir bienheureux. Il doit donc être aimé par charité. |
[11382] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 co. Respondeo dicendum, quod corpus nostrum est
unum de quatuor quae sunt ex caritate diligenda. Dilectio enim caritatis
habet pro fundamento communicationem beatae vitae principaliter ut ex dictis
patet, et vitae gratiae secundum quod ordinatur ad ipsam. Haec autem vita
tripliciter habet relationem ad habentem caritatem. Est enim uno modo in
aliquo sicut in principio diffundente vitam istam in aliis, et sic est in
Deo. Est etiam in ipso amante sicut in participante vitam istam: et hoc
dupliciter; quia secundum animam principaliter, et per quamdam redundantiam
secundum corpus. Est etiam in
aliis sicut comparticipantibus; et sic est in proximo. Et ideo quatuor sunt
ex caritate diligenda, scilicet Deus, proximus, nos, et corpus nostrum. |
Réponse. Notre corps est une des quatre choses qui doivent être aimées de charité. En effet, comme cela ressort de ce qui a été dit, l’amour de charité a comme fondement principal le partage de la vie bienheureuse et de la vie de la grâce, selon que celle-ci lui est ordonnée. Or, cette vie a un triple rapport avec celui qui a la charité. En effet, d’une manière, elle existe en lui comme dans le principe qui diffuse la vie chez les autres : elle existe ainsi chez Dieu. Elle existe aussi chez celui qui aime en tant qu’il participe à cette vie, et cela, de deux manières : selon l’âme principalement, et selon le corps par un certain rejaillissement. Elle existe aussi chez les autres comme chez ceux qui [la] partagent avec nous : elle existe ainsi chez le prochain. C’est pourquoi il existe quatre objets de la charité : Dieu, le prochain, nous et notre corps. |
[11383] Super Sent.,
lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod caritas non refugit communicationem corporis secundum quod est
capax gloriae, sed secundum quod est subjectum miseriae, quae impedit ad
gloriam. |
1. La charité ne fuit pas les rapports avec le corps en tant qu’il est capable de la gloire, mais en tant qu’il est sujet de la misère qui empêche la gloire. |
[11384] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod hominem diligere seipsum secundum exteriorem naturam in his quae
repugnant rationi, est vituperabile; sed in his in quibus natura exterior
interiori concordat, est laudabile. |
2. Il est blâmable que l’homme s’aime lui-même selon la nature extérieure pour ce qui est contraire à la raison; mais cela est louable pour ce en quoi la nature extérieure est en accord avec la nature intérieure. |
[11385] Super Sent.,
lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod quamvis corpus non fruatur Deo immediate, tamen ex anima fruente erit
quaedam redundantia gloriae in corpus. |
3. Bien que le corps ne jouisse pas de Dieu de manière immédiate, il existera cependant un certain rejaillissement de la gloire dans le corps à partie de l’âme qui jouira [de Dieu de manière immédiate]. |
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[11387] Super Sent.,
lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod corpus proximi et anima in eadem relatione se habent ad habentem
caritatem respectu beatae vitae, scilicet ut simul participans; et ideo non
distinguitur diversum diligibile penes animam et corpus proximi. |
5. Le corps et l’âme du prochain ont, par rapport à la vie bienheureuse, la même relation avec celui qui possède la charité, à savoir qu’ils y participent ensemble. C’est pourquoi on ne fait pas de distinction entre des objets d’amour différents selon l’âme et le corps du prochain. |
b |
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Expositio textus[11388]
Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 expos. De secundo et quarto nulla
praecepta danda erant. Contra. Lex debet universaliter hominem de omnibus
ordinare quae ad virtutes pertinent. Praeterea, dilectio Dei similiter erat
omnibus insita naturaliter. Et dicendum, quod sicut se habent scientiae
speculativae ad cognoscenda, ita se habet lex ad operanda. Unde sicut in
scientiis speculativis non traditur doctrina de principiis per se notis, quia
per naturam cognoscuntur, sed tantum de conclusionibus quae per ea
cognoscuntur; ita neque lex determinat explicite de dilectione sui ipsius ad
quam natura inclinat, sed de dilectione proximi quae ex illa oritur, sicut
conclusiones ex principiis. Dilectio autem Dei, quamvis nobis naturaliter
insit, non tamen hoc modo quo per caritatem diligitur, ut supra dictum est.
Ex hoc autem ipso quod praecipitur Deus diligi specialiter, docemur nos ipsos
specialiter diligere. Nemo unquam carnem suam odio habuit. Contra.
Multi seipsos interficiunt, ut dicit philosophus propter abundantem malitiam.
Et dicendum, quod vitam suam corporalem quilibet diligit naturaliter; sed
quod aliqui ad mortem suam corporalem anhelant, hoc contingit per accidens,
vel inquantum retardantur ab aliquo bono magis amato per vitam corporalem,
sicut in quaerentibus aliam vitam accidit; vel inquantum per corporalem vitam
ipsorum aliquo modo consequuntur aliqua mala, quibus carere melius aestimant
quam vitam corporalem habere. Oritur autem hic quaestio. Videtur quod
dilectio Angelorum et beatae virginis et Christi secundum quod homo, non
contineatur in dilectione proximi, sed magis debeat reduci ad dilectionem
Dei, quia supra nos sunt. Et dicendum, quod Deus est supra nos quasi influens
nobis aeternam vitam; sic autem neque Angeli neque homo virtuosus neque
Christus secundum quod homo, supra nos sunt: quia sicut sola Trinitas nos creavit
ad vitam naturae, ita ipsa sola nos sanctificat vita gratiae, et beatificabit
vita gloriae. Sed sunt diligendi sicut simul nobiscum participantes a Deo
vitam aeternam; et in hoc juxta nos sunt; quamvis sint supra nos in hoc quod
plenius participant. |
Explication du texte de Pierre
Lombard, Dist. 28
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Distinctio 29 |
Distinction 29 – [L’ordre de la
charité]
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Prooemium |
Prologue |
[11389] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister quid esset ex caritate diligendum, hic
determinat de ordine caritatis. Dividitur autem haec pars in duas: in prima
determinat ordinem caritatis respectu diligibilium quantum ad quantitatem
dilectionis; in secunda quantum ad quantitatem meriti, distinct. 30, ibi: hic
quaeri solet. Prima pars dividitur in duas: in prima determinat de ordine
caritatis quantum ad diversos gradus diligibilium; in secunda quantum ad
diversos respectu status ipsius diligentis, ibi: sciendum quoque est,
diversos esse gradus caritatis. Prima in duas: in prima determinat
ordinem caritatis respectu diligibilium; in secunda movet quasdam quaestiones
circa determinata, ibi: solet etiam quaeri, si parentes nostri mali sint,
vel filii, vel fratres, an magis vel minus diligendi sint aliis bonis hac
ratione nobis non copulatis. Circa primum duo facit: primo ostendit
caritatem habere ordinem; secundo ostendit secundum quid attendendus sit ordo
iste, ibi: unde super hoc saepe movetur quaestio. Et circa hoc duo facit:
primo ponit diversas circa hoc opiniones; in secunda determinat quid sibi
videatur, ibi: verum quia praemissa movetur quaestio. Circa primum duo
facit: primo ponit quaestiones diversas, et rationes earum; secundo ostendit
quomodo prima opinio rationibus alterius partis respondet, ibi: sed
inquiunt illi, quae de ordine dilectionis supra dicuntur, esse referenda ad
operis exhibitionem. Circa primum duo facit: primo ponit opinionem
illorum qui dicunt, ordinem caritatis attendendum esse solum secundum
effectum; secundo illorum qui dicunt etiam secundum affectum attendendum
esse, ibi: quibus obviat illud praeceptum legis de diligendis parentibus.
Sed inquiunt illi, quae de ordine dilectionis supra dicuntur, esse referenda
ad operis exhibitionem. Hic ostendit quomodo prima opinio respondet
rationibus alterius partis; et circa hoc duo facit: primo ostendit quomodo
prima opinio respondet rationibus secundae. In secunda ostendit quomodo prima
opinio addit aequalem dilectionem esse impendendam proximo quantum ad
affectum, sicut et sibi ipsi, ibi: quorum etiam nonnulli tradunt affectu
caritatis tantum proximos esse diligendos. Solet autem quaeri, si parentes nostri mali
sint vel filii, vel fratres, an magis vel minus diligendi sint aliis bonis. Hic movet quasdam quaestiones circa
veritatem determinatam; et dividitur in duas partes secundum duas quaestiones
quas movet; secunda incipit ibi: quaeri etiam solet, cur dominus
praeceperit diligere inimicos. Hic quaeruntur octo. 1 utrum caritatis sit
habere ordinem; 2 utrum ille ordo sit attendendus secundum affectum et
effectum simul, vel secundum affectum tantum; 3 utrum Deus super omnia
diligendus sit; 4 utrum ejus dilectio admittat intuitum alicujus mercedis; 5
utrum proximos quantum nosipsos diligere debeamus; 6 utrum inter proximos
propinqui extraneis praeferendi sint; 7 de ordine propinquorum ad invicem; 8
de perfectione caritatis, et gradibus enumeratis. |
Après avoir déterminé de l’objet de la charité, le Maître détermine ici de l’ordre de la charité. Cette partie se divise en deux : dans la première, il détermine de l’ordre de la charité entre les objets de l’amour pour ce qui est de la quantité de l’amour ; dans la seconde, pour ce qui est de la quantité du mérite, d. 30, à cet endroit : « Ici, on a coutume de demander… » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de l’ordre de la charité pour ce qui est des divers degrés entre les objets de l’amour ; dans la seconde, pour ce qui est des divers [degrés] par rapport à l’état de celui qui aime, à cet endroit : « Il faut savoir aussi qu’il existe divers degrés de la charité… » La première partie [se divise] en deux : dans la première, il détermine de l’ordre de la charité entre les divers objets d’amour ; dans la seconde il soulève des questions à propos de ce qui a été déterminé, à cet endroit : « On a aussi coutume de demander, si nos parents sont mauvais, ou nos fils ou nos frères, s’ils doivent être davantage aimés que les autres qui sont bons et qui ne nous sont pas unis de cette manière. » À propos du premier point, [le Maître] fait deux choses : premièrement, il montre qu’il existe un ordre de la charité ; deuxièmement, il montre d’après quoi cet ordre doit être envisagé, à cet endroit : « Aussi une question est-elle souvent soulevée à ce propos… » À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il présente diverses opinions à ce sujet ; dans la seconde, il détermine ce qu’il lui en semble, à cet endroit : « Puisqu’à vrai dire la question précédente est soulevée… » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il présente diverses questions et leurs raisons ; deuxièmement, il montre comment la première opinion répond aux arguments de l’autre partie, à cet endroit : « Mais ceux-là disent que ce qui a été dit plus haut à propos de l’ordre de l’amour doit être mis en rapport avec la manifestation de l’acte. » Ici, il montre comment la première opinion répond aux arguments de l’autre partie. À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il montre comment la première opinion répond aux arguments de la seconde ; dans la seconde, il montre comment la première opinion ajoute qu’un amour égal à celui qu’on a pour soi-même doit être manifesté au prochain pour ce qui est de la disposition affective, à cet endroit : « Certains d’entre eux affirment que les proches doivent être aimés selon la disposition affective de la charité seulement. » « On a aussi coutume de demander, si nos parents sont mauvais, ou nos fils ou nos frères, s’ils doivent être davantage aimés que les autres qui sont bons. » Ici, il soulève des questions à propos de la vérité déterminée. Cela se divise en deux parties selon les deux questions qu’il soulève ; la seconde commence à cet endroit : « On a aussi coutume de demander pourquoi le Seigneur a ordonné d’aimer ses ennemis. » Huit questions sont posées ici : 1. La charité doit-elle avoir un ordre ? 2. Cet ordre doit-il être envisagé selon la disposition affective et aussi l’effet, ou selon la disposition affective seulement ? 3. Dieu doit-il être aimé plus que tout ? 4. L’amour qu’on a pour lui admet-il qu’on ait à l’œil une récompense ? 5. Devons-nous aimer le prochain comme nous-mêmes ? 6. Parmi le prochain, les proches doivent-ils être préférés aux étrangers ? 7. À propos de l’ordre entre les proches. 8. À propos de la perfection de la charité et des degrés énumérés. |
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Articulus 1 [11390] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a.
1 tit. Utrum caritas
habeat ordinem |
Article 1 – Existe-t-il un ordre de la charité ? |
[11391] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1
arg. 1 Ad primum sic
proceditur. Videtur quod caritas ordinem non habeat, Bernardus enim dicit,
quod amor gradum nescit, dignitatem non considerat. Sed omnis ordo habet
aliquem gradum. Ergo in
caritate non est aliquis ordo. |
1. Il semble qu’il n’y ait pas d’ordre de la charité. En effet, Bernard dit que « l’amour ne connaît pas de degrés : il ne considère pas la dignité ». Or, tout ordre comporte un degré. Il n’y a donc pas d’ordre de la charité. |
[11392] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, philosophus dicit, quod amicitia aequalitas quaedam est.
Sed aequalitas est uniformis diversitatem non patiens, sicut nec unitas
divisionem. Ergo caritas non habet ordinem. |
2. Le Philosophe dit que l’amitié est une certaine égalité. Or, l’égalité est uniforme et ne souffre pas de diversité, pas plus que l’unité ne supporte la division. La charité ne comporte donc pas d’ordre. |
[11393] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, ordinare rationis est, cujus est conferre. Sed caritas non
est in ratione, sed in voluntate, quae non est vis collativa. Ergo in
caritate non est ordo. |
3. Ordonner relève de la raison, dont c’est le propre de comparer. Or, la charité ne se trouve pas dans la raison mais dans la volonté, qui n’est pas une puissance comparative. Il n’y a donc pas d’ordre dans la charité. |
[11394] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, ordo
distinctionem requirit. Sed caritas est magis unitiva inter alias virtutes. Cum ergo in aliis
virtutibus non assignetur ordo, neque in caritate assignari debet. |
4. L’ordre exige la distinction. Or, la charité est celle qui unit le plus parmi les autres vertus. Puisqu’un ordre n’est pas assigné dans les autres vertus, on ne doit donc pas en assigner à l’intérieur de la charité. |
[11395] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, omne illud
quod pertinet ad actum virtutis sicut circumstantia quaedam necessaria, cadit
sub praecepto. Sed ordo
dilectionis non cadit sub praecepto: quia ex quo impendo alicui quod debeo,
lex non prohibet quin illi cui non teneor plus impendam. Ergo ordo
dilectionis non est circumstantia debita in caritate. |
5. Tout ce qui relève de l’acte d’une vertu, comme certaines circonstances nécessaires, tombe sous le commandement. Or, l’ordre de l’amour ne tombe pas sous le commandement, car du fait que je rends à quelqu’un ce que je lui dois, la loi n’empêche pas que je donne davantage à celui envers qui je n’ai pas d’obligation. L’ordre de l’amour n’est donc pas une circonstance nécessaire à l’intérieur de la charité. |
[11396] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, sicut Dionysius dicit, malum hominis est contra bonum
rationis esse. Sed malum hominis est contra virtutem esse. Ergo in qualibet
virtute oportet bonum rationis esse. Sed bonum rationis est quod homo faciat
ordinate unumquodque quod facit. Cum ergo caritas sit virtus, oportet quod
ordinem habeat. |
Cependant, [1] comme le dit Denys, le mal chez l’homme consiste à aller contre le bien de la raison. Or, le mal chez l’homme consiste à aller contre la vertu. Donc, en chaque vertu, il faut que se trouve le bien de la raison. Or, le bien de la raison consiste en ce que l’homme fasse de manière ordonnée tout ce qu’il fait. Puisque la charité est une vertu, il faut donc qu’elle ait un ordre. |
[11397] Super Sent.,
lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, actus
virtutum variatur secundum exigentiam objectorum. Sed objectum caritatis,
quod est bonum, ordinem habet, cum quoddam sit melius altero. Ergo et caritas debet ordinem habere. |
[2] L’acte des vertus varie selon que l’exigent les objets. Or, l’objet de la charité, qui est le bien, possède un ordre, puisqu’une chose est meilleure qu’une autre. La charité aussi doit donc avoir un ordre. |
[11398] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, ubicumque unum est propter alterum, ibi est aliquis ordo.
Sed caritas diligit aliquid propter alterum, sicut omnia propter Deum. Ergo
caritas ordinem habet. |
[3] Partout où une chose existe pour une autre, il existe un ordre. Or, la charité aime une chose pour autre chose : ainsi, [elle aime] tout pour Dieu. La charité possède donc un ordre. |
[11399] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in quolibet actu
virtutis oportet esse modum: quia non est justus aliquis, nisi justa juste
faciat. Modus autem in actu virtutis est ex commensuratione potentiae ad
objectum, ut ab eodem a quo speciem habet, mensuram recipiat. Objectum autem
caritatis bonum est hoc modo quod bonum simpliciter, ut dicit philosophus,
est amabile simpliciter: unicuique autem proprium bonum. Unde cum in hoc
contingat esse magnam diversitatem, et gradus diversos, secundum quod unum
est altero melius vel magis propinquum, oportet quod etiam et actus
dilectionis ordinem habeat, ad hoc quod sit virtuosus. |
Réponse. En tout acte de vertu, il doit exister une mesure, car on n’est juste que si l’on accomplit des choses justes de manière juste. Or, la mesure dans l’acte de vertu vient de la comparaison entre la puissance et l’objet, de sorte qu’elle reçoive une mesure de la même chose qui lui confère son espèce. Or, l’objet de la charité est le bien selon que ce qui est tout simplement bon est tout simplement aimable, comme le dit le Philosophe ; mais à chacun son propre bien. Puisqu’une grande diversité et divers degrés surviennenet selon qu’une chose est meilleure qu’une autre ou plus rapprochée, il faut donc aussi que l’acte d’amour ait un ordre pour qu’il soit vertueux. |
[11400] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod in amore potest accipi duplex gradus. Unus diligibilis ad diligibile; et de hoc gradu loquimur: alius gradus
diligentis ad diligibile; et de hoc loquitur Bernardus. Hunc tamen gradum
quodammodo scit amor, quodammodo nescit. Scit quidem quantum ad exteriorem
effectum, quia non eadem superioribus et aequalibus impendit; sed nescit
quantum ad affectum, inquantum unit amantem amato; et interdum aliquid de
affectu in effectu relucet, ut scilicet ad superiores nos magis confidenter
habeamus, et ad inferiores magis socialiter. |
1. Dans l’amour, on peut saisir un double degré. L’un est celui qui existe entre les objets d’amour : c’est de cet ordre que nous parlons ; l’autre est celui existe entre celui qui aime et l’objet de l’amour : c’est de celui-là que parle Bernard. Cependant, il reconnaît d’une certaine manière ce degré et, d’une certaine manière, il ne le reconnaît pas. Il le reconnaît pour ce qui est de son effet extérieur, car il n’attribue les mêmes choses à ceux qui sont supérieurs et aux égaux. Mais il ne le reconnaît pas pour ce qui est de la disposition affective, dans la mesure où [l’amour] unit celui qui aime à celui qui est aimé. Et parfois, quelque chose de la disposition affective se réfléchit dans l’effet, comme lorsque nous nous comportons avec plus de confiance avec ceux qui sont supérieurs, et de manière plus liante avec les inférieurs. |
[11401] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod amicitia non consistit in aequalitate
aequiparantiae solum: quia potest esse ad superiores, inferiores, et
aequales: sed consistit in aequalitate proportionis; quae quidem aequalitas
diversitatem non refugit quantitatis; sicut eadem proportio, scilicet
sesquialtera, est trium ad duo, et sex ad quatuor, quamvis inaequalis sit
quantitatis excessus. |
2. L’amitié ne consiste pas dans une égalité d’équivalence seulement, car elle peut exister avec les supérieurs, les inférieurs et les égaux ; mais elle consiste dans une égalité de proportion. Une telle égalité ne fuit pas la diversité dans la quantité : ainsi, la même proportion, une fois et demie, entre trois et deux et entre six et quatre, bien que le dépassement en quantité soit inégal. |
[11402] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
actus rationis
dilectionem praecedit. Priora autem aliquid sui in posterioribus relinquunt,
et ordo quem facit ratio in dilectione invenitur, ut dilectio sit ordinata;
non quod ipsa ordinem faciat, sed quia in ordinata bona per rationem accepta
ordinate tendit. |
3. L’acte de la raison précède l’amour. Or, ce qui est antérieur laisse quelque chose dans ce qui suit, et on trouve un ordre que réalise la raison dans l’amour, de sorte que l’amour soit ordonné ; non pas qu’il réalise lui-même l’ordre, mais parce qu’il tend de manière ordonnée aux biens ordonnés saisis par la raison. |
[11403] Super Sent.,
lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod aliae virtutes ordinant hominem in seipso, sicut fides, temperantia et
hujusmodi: justitia vero ordinat ad alium, secundum quod aequatur ei quantum
ad res circa quas est justitia; sed caritas ordinat ad alium secundum quod
unit per affectum quantum ad ipsum; et ideo proprium objectum caritatis est
ipsa rationalis natura, ad quam caritas habenda est, in qua plurimi gradus
inveniuntur: et ideo magis assignatur ordo in caritate quam in aliqua alia
virtute. |
4. Les autres vertus ordonnent l’homme en lui-même, telles la foi, la tempérance et celles de ce genre ; mais la justice l’ordonne par rapport à un autre, pour autant qu’il lui est rendu égal pour les réalités sur lesquelles porte la justice. Toutefois, la charité ordonne par rapport à un autre selon qu’elle unit par une disposition affective à son endroit. C’est pourquoi l’objet propre de la charité est la nature raisonnable elle-même, à qui doit s’adresser la charité et à l’intérieur de laquelle se trouvent plusieurs degrés. Aussi un ordre est assigné à la charité plutôt qu’aux autres vertus. |
[11404] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in uno genere non potest esse nisi unum
summum; et ideo si diligo aliquid quasi ultimum finem, non possum Deum
diligere quasi ultimum finem. Ex hoc ergo ipso quod alterum quod est minus
diligendum, aequiparo in dilectione ei quod diligendum est magis, non totum
dilectionis quod debeo, impendo ei quod magis diligendum est; et similiter
etiam patet in aliis. Unde caritatis ordo est in praecepto; et peccat qui
praepostere agit, ut in littera dicitur. |
5. Dans un seul genre, il ne peut exister qu’un seul plus élevé. Si j’aime quelque chose comme la fin ultime, je ne peux donc pas aimer Dieu comme la fin ultime. Du fait donc que je donne par l’amour, à ce qui doit être moins aimé, la même valeur qu’à ce qui doit être plus aimé, je ne donne pas à ce qui doit être plus aimé tout l’amour que je lui dois. Et il en est de même pour les autres. L’ordre de la charité fait donc partie du commandement et celui qui agit en inversant l’ordre pèche, comme il est dit dans le texte. |
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Articulus 2 [11405] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a.
2 tit. Utrum ordo
caritatis sit attendendus secundum affectum, vel secundum effectum |
Article 2 – L’ordre de la charité doit-il être envisagé selon la disposition affective ou selon l’effet ? |
[11406] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod
ordo caritatis non sit attendendus secundum affectum, sed secundum effectum
tantum. Sicut enim prima veritas, cui innititur fides, est una in omnibus;
ita summa bonitas, cui innititur caritas, una est. Sed fides aequaliter certa
est de omnibus quae ex fide creduntur. Ergo et caritas aequaliter afficitur
ad omnia quae ex caritate diligit. |
1. Il semble que l’ordre de la charité doive être envisagé selon la disposition affective, et non pas selon l’effet seulement. En effet, de même que la Vérité première, sur laquelle s’appuie la foi, est unique pour tous, de même la Bonté suprême, sur laquelle s’appuie la charité, est-elle unique. Or, la foi est également certaine pour tout ce qui est cru par la foi. La charité a donc une même disposition affective à l’égard de tout ce qui est aimé par charité. |
[11407] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, actus mensuratur secundum rationem objecti. Sed quamvis
plura sint quae ex caritate diliguntur, tamen in omnibus est una ratio
dilectionis, scilicet divina bonitas, quae est objectum caritatis. Ergo ad
omnia quae ex caritate diliguntur est aequalis affectio. |
2. L’acte est mesuré selon la raison de son objet. Or, bien qu’il y ait plusieurs réalités qui sont aimées par charité, il n’existe cependant en toutes qu’une seule raison d’amour, à savoir, la bonté divine, qui est l’objet de la charité. La disposition affective envers tout ce qui est aimé par charité est donc égale. |
[11408] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, quanto aliquis ad alterum magis afficitur, tanto majus
bonum ei desiderat. Sed omnibus quae ex caritate diligimus, idem bonum
optamus, vel de habito complacet nobis, scilicet vita aeterna. Ergo aequali
affectione omnes diliguntur. |
3. Plus grande est la disposition affective envers un autre, plus grand est le bien désiré pour lui. Or, nous souhaitons le même bien à tous ceux que nous aimons de charité, ou nous nous en réjouissons, lorsqu’il est possédé : la vie éternelle. Tous sont donc aimés selon une égale disposition affective. |
[11409] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, ordo caritatis est in praecepto. Non autem est in praecepto
quantum ad affectum: quia dum exhibeam unicuique quod sibi debeo, etiam si
sine affectu faciam, non sum reus praecepti. Ergo ordo caritatis non
attenditur secundum affectum tantum. |
4. L’ordre de la chairté fait partie du commandement. Or, il ne fait pas partie du commandement selon la disposition affective, car lorsque je manifeste à chacun ce que je lui dois, même si je le fais sans disposition affective, je ne suis pas coupable aux termes du commandement. L’ordre de la charité n’est donc pas envisagé seulement selon la disposition affective. |
[11410] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, ubi est major affectus, est etiam majus meritum: quia
meritum secundum radicem caritatis mensuratur. Sed non magis meretur homo in dilectione
propinquorum quam aliorum, vel etiam sui ipsius quam aliorum. Ergo ordo
amoris non est accipiendus secundum affectum. |
5. Plus la disposition affective est grande, plus grand est le mérite, car le mérite se mesure selon la racine de la charité. Or, un homme ne mérite pas davantage en raison de l’amour de ses proches que des autres, ou encore, de lui-même que des autres. L’ordre de l’amour ne doit donc pas être pris de la disposition affective. |
[11411] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Gregorius
dicit, quod probatio dilectionis est exhibitio operis. Si ergo secundum effectum est ordo, oportet
quod etiam sit secundum affectum. |
Cependant, [1] Grégoire dit que l’amour se manifeste par l’action. Si donc l’ordre existe selon l’effet, il est nécessaire qu’il existe aussi selon la disposition affective. |
[11412] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, bonum est objectum caritatis quantum ad affectum. Sed ordo
caritatis, ut dictum est, art. praec. in corp., attenditur secundum
diversitatem bonorum. Ergo caritas habet ordinem non solum secundum effectum,
sed etiam secundum affectum. |
[2] Le bien est l’objet de la charité du point de vue de la disposition affective. Or, comme on l’a dit dans le corps de l’article précédent, l’ordre de la charité est envisagé selon la diversité des biens. La charité possède donc un ordre, non seulement selon l’effet, mais aussi selon la disposition affective. |
[11413] Super Sent.,
lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, sicut
caritas principaliter respicit affectum, ita beneficentia respicit effectum.
Si ergo ordo esset solum secundum effectum, non esset haec ordinatio
caritatis, sed solum beneficentiae; quod est contra auctoritatem canticorum
in littera inductam. |
[3] De même que la charité considère principalement la disposition affective, de même la bienfaisance considère-t-elle l’effet. Si donc elle existait seulement selon l’effet, il n’y aurait pas cette mise en ordre de la charité, mais seulement celui de la bienfaisance, ce qui va à l’encontre de l’autorité du Cantique des cantiques invoquée dans le texte. |
[11414] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod
effectus exterior non pertinet ad caritatem nisi inquantum ex affectu
procedit, in quo primo est caritatis actus. Unde si esset ordo in effectu
tantum attendendus, ordo ille nullo modo ad caritatem pertineret, sed ad
alias virtutes magis, sicut ad liberalitatem vel misericordiam. Unde cum caritas ordinata perhibeatur,
oportet quod ordo in affectu observetur, et ex affectu in effectum procedat:
non hoc modo quod ei qui plus ex affectu diligitur, magis in effectu
impendatur; sed quod homo sit paratus magis impendere, si necesse foret: quia
quandoque qui diliguntur, nostris auxiliis non indigent. Et hoc etiam patet
per simile in natura: quia unicuique rei naturali tantum inditum est a
creatore de amore naturali erga aliquid, quantum necessarium est ut effectum
circa id exhibeat; et similiter secundum gradum qui necesse est ut observetur
in effectu, ordo affectus lege divina imperatur. |
Réponse. L’effet extérieur ne relève de la charité que dans la mesure où il procède d’une disposition affective, dans laquelle existe en premier lieu l’acte de la charité. Si donc on devait envisager l’ordre dans l’effet seulement, cet ordre ne se rapporterait aucunement à la charité, mais plutôt à d’autres vertus, comme à la libéralité ou à la miséricorde. Lorsqu’on affirme que la charité est ordonnée, il faut donc que l’ordre soit respecté dans la disposition affective et qu’il passe de la disposition affective à l’effet, non pas selon qu’on donne plus par l’effet à celui qui est davantage aimé selon la disposition affective, mais selon que l’homme est disposé à donner davantage, si cela était nécessaire, car parfois ceux qui sont aimés n’ont pas besoin de notre aide. Cela ressort aussi de ce qui est semblable dans la nature, car chaque réalité naturelle a reçu du Créateur autant d’amour naturel envers quelque chose qu’il lui est nécessaire pour qu’elle manifeste un effet à son endroit. De même, l’ordre de la disposition affective est-il commandé par la loi divine selon le degré nécessaire pour qu’elle se manifeste dans l’effet. |
[11415] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod objectum fidei non est veritas prima
secundum quod est in re existens tantum, sed secundum quod est nobis
divinitus annuntiata; quia fides ex auditu est; et ideo quia omnia quae sunt
fidei, annuntiata sunt nobis eodem modo, ideo aequalis certitudo de eis
habetur. Sed caritatis objectum est bonum, secundum quod est in rebus; et
ideo cum in diversis rebus divina bonitas inveniatur, oportet quod
diversimode affectio nostra in illa transeat. |
1. L’objet de la foi n’est pas la Vérité première seulement selon qu’elle existe réellement, mais selon qu’elle nous est annoncée par Dieu, car la foi vient de l’écoute. Parce que tout ce qui relève de la foi nous a été annoncé de la même manière, on en a donc une certitude égale. Mais l’objet de la charité est le bien selon qu’il existe dans les choses. C’est pourquoi il est nécessaire que notre amour passe en elles de diverses manières, puisque la Bonté divine se trouve dans des réalités différentes. |
[11416] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis sit eadem ratio communis diligendi
in omnibus, tamen illa ratio non aequaliter participatur in singulis; et ideo
nec aequalis affectio eis debetur. |
2. Bien qu’il existe en toutes choses une raison commune d’aimer, chaque chose n’y participe cependant pas également. C’est pourquoi un amour égal ne leur est pas non plus dû. |
[11417] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod intensio actus, praecipue in actibus animae
(quae non necessario secundum totum suum posse agit sicut naturalia) non
mensuratur ad quantitatem objecti tantum, sed ad efficaciam agentis, et
conatum in agendo; unde non melius videt qui majorem rem intuetur, sed qui
clarius videt; ideo etiam non oportet quod aequaliter afficiar ad illud cui
aequale bonum desidero. |
3. L’intensité de l’acte, principalement dans les actes de l’âme (qui n’agit pas nécessairement selon toute sa capacité, comme les réalités naturelles), n’est pas mesurée par la quantité de l’objet seulement, mais aussi par l’efficacité de l’agent et par l’effort qu’il met à agir. Aussi celui qui regarde une chose plus grande ne voit-il pas mieux que celui qui voit plus clairement. Il n’est donc pas non plus nécessaire que je sois également disposé envers celui pour qui je désire un bien égal. |
[11418] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ille qui impendit quod debet alicui sine
affectu, quamvis non sit reus praecepti quod est de actu justitiae, est tamen
reus praecepti quod est de caritate; unde Rom. 1, sic vitium reputatur sine
affectione esse. |
4. Celui qui agit envers quelqu’un sans disposition affective, bien qu’il ne soit pas coupable aux termes du commandement qui porte sur un acte de justice, est cependant coupable aux termes du commandement qui porte sur la charité. Aussi Rm 1 considère-t-il que c’est un vice de ne pas avoir la disposition affective. |
[11419] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod de quantitate meriti diligibilium diversorum
quaestio erit in sequenti dist., et ideo ibi reservetur. |
5. Il sera question par la suite de la quantité du mérite selon les différentes choses qui doivent être aimées. Ce sera donc réservé pour cet endroit. |
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Articulus 3[11420] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 tit. Utrum Deus
sit super omnia diligendus ex caritate |
Article 3 – Dieu doit-il être aimé par charité plus que tout ? |
[11421] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod
Deus non sit supra omnia diligendus ex caritate. Quia, sicut dicit Dionysius,
amor est unitiva virtus. Sed magis est sibi unusquisque unitus quam Deo. Ergo
magis ex caritate debet se diligere quam Deum. |
1. Il semble que Dieu ne doive pas être aimé par charité plus que tout, car, ainsi que le dit Denys, l’amour est une puissance unitive. Or, chacun est davantage uni à soi-même qu’à Dieu. On doit donc s’aimer davantage soi-même par charité que Dieu. |
[11422] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, philosophus dicit, quod unicuique est amabile quod est sibi
bonum. Sed quidquid diligit propter hoc quod est sibi bonum, propter seipsum
diligit homo. Ergo quidquid diligit propter seipsum diligit. Ergo se magis
diligit omnibus quae diligit; et ita non diligit Deum supra omnia. |
2. Le Philosophe dit qu’est aimable pour chaque chose ce qui est bon pour elle. Or, l’homme aime pour lui-même ce qu’il aime parce que cela est bon pour lui. Tout ce qui aime aime donc pour soi-même. Il s’aime donc davantage que tout ce qu’il aime. Ainsi, il n’aime pas Dieu plus que tout. |
[11423] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, philosophus dicit, quod amicabilia quae sunt ad alterum,
veniunt ex amicabilibus quae sunt ad seipsum. Sed primum in quolibet genere
est potissimum. Ergo amor quem quisque habet ad seipsum, est potior amore
quem habet ad alterum; et ita quisque plus seipsum quam Deum diligit secundum
naturam: et ita etiam secundum caritatem, cum gratia naturam non destruat. |
3. Le Philosophe dit que les manifestations d’amitié qui s’adressent à un autre viennent des manifestations d’amitié envers soi-même. Or, ce qui est premier en tout genre est le plus puissant. L’amour que chacun a pour lui-même est donc plus puissant que l’amour qu’il a envers un autre. Ainsi, chacun s’aime davantage qu’il n’aime Dieu par nature, et, de la sorte, selon la charité aussi, puisque la grâce ne détruit pas la nature. |
[11424] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, sicut dicit
Gregorius, probatio dilectionis est exhibitio operis. Sed tantum quisque facit
pro gratia conservanda, sive beatitudine creata habenda, quantum pro Deo.
Ergo tantum diligit quis gratiam, vel beatitudinem creatam, quantum Deum. Sed
dilectio qua dicimur diligere virtutem, vel aliquod accidens, refertur ad
ipsum subjectum accidentis, cui desideratur illud accidens. Ergo tantum quisque diligit se habens
caritatem, quantum Deum. |
4. Comme le dit Grégoire, « l’amour se manifeste par l’action ». Or, chacun fait autant pour conserver la grâce ou pour avoir la béatitude créée, qu’il ne fait pour Dieu. On aime donc autant que Dieu la grâce ou la béatitude créée. Or, l’amour, en vertu duquel on dit que nous aimons la vertu ou un accident, se rapporte au sujet de l’accident pour lequel cet accident est désiré. Chacun s’aime donc autant, en tant que possédant la charité, que Dieu. |
[11425] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, tantum quisque diligit proximum quantum diligit Deum in
proximo vel in seipso: quia Deus non est melior in se quam ubicumque est.
Ergo tantum quisque diligit seipsum vel proximum quantum diligit Deum: et ita
non diligitur Deus ex caritate super omnia. |
5. Chacun aime son prochain autant qu’il aime Dieu dans le prochain ou en lui-même, car Dieu n’est pas meilleur en lui-même que partout où il existe. Chacun aime donc soi-même et son prochain autant qu’il aime Dieu. Et ainsi, Dieu n’est pas aimé par charité plus que tout. |
[11426] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, finis magis diligendus est his quae sunt ad finem. Sed
Deus est finis omnium diligibilium ex caritate. Ergo ipse est maxime
diligendus. |
Cependant, [1] la fin doit être aimée davantage que ce qui est ordonné à la fin. Or, Dieu est la fin de tout ce qui doit être aimé par charité. Il doit donc être aimé au plus haut point. |
[11427] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, unicuique est diligibile proprium bonum, secundum philosophum.
Sed Deus est majus bonum quam aliquid aliud, et est proprium magis alicui
quam aliquid aliud: quia est magis intimum animae quam etiam ipsa sibi, ut
dicitur in libro de spiritu et anima. Ergo Deus super omnia diligendus est. |
2. Son propre bien est aimable pour chacun, selon le Philosophe. Or, Dieu est un bien plus grand qu’autre chose, et il est davantage propre à quelqu’un qu’autre chose, car « il est plus intime à l’âme qu’elle ne l’est à elle-même », comme il est dit dans le livre Sur l’esprit et sur l’âme. Dieu doit donc être aimé plus que tout. |
[11428] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, quod est causa aliorum in unoquoque genere, maximum est in
genere illo, ut dicitur in 2 Metaph. Sed Deus est causa et ratio quare omnia
ex caritate diligantur, quia divina bonitas est per se objectum caritatis.
Ergo magis diligendus est Deus quam aliquid aliud. |
3. Ce qui est cause des autres choses en chaque genre est ce qu’il y a de plus grand dans ce genre, comme il est dit dans Métaphysique, II. Or, Dieu est la cause et la raison pour laquelle tout est aimé par charité, car la bonté divine est par soi objet de la charité. Dieu doit donc être aimé davantage qu’autre chose. |
[11429] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod cum objectum
amoris sit bonum, dupliciter aliquis tendere potest in bonum alicujus rei.
Uno modo ita quod bonum illius rei ad alterum referat, sicut quod bonum unius
rei optet alteri, si non habet; vel complaceat sibi, si habet: sicut amat
quis vinum, in quantum dulcedinem vini peroptat, et in hoc gaudet quod ea
fruitur, non quod vinum ipsam habet; et hic amor vocatur a quibusdam amor
concupiscentiae. Amor autem iste non terminatur ad rem quae dicitur amari,
sed reflectitur ad rem illam cui optatur bonum illius rei. Alio modo amor
fertur in bonum alicujus rei ita quod ad rem ipsam terminatur, inquantum
bonum quod habet, complacet quod habeat, et bonum quod non habet optatur ei;
et hic est amor benevolentiae, qui est principium amicitiae, ut dicit philosophus.
Unde gradus caritatis
secundum hunc modum amoris attendendi sunt, quia caritas amicitiam includit,
ut supra, dist. 27, quaest. 2, art. 1, corp., dictum est. Bonum autem illud
unusquisque maxime vult salvari quod est sibi magis placens: quia hoc est
appetitui informato per amorem magis conforme; hoc est autem suum bonum. Unde
secundum quod bonum alicujus rei est vel aestimatur magis bonum ipsius
amantis, hoc amans magis salvari vult in ipsa re amata. Bonum autem ipsius
amantis magis invenitur ubi perfectius est; et ideo, quia pars quaelibet
imperfecta est in seipsa, perfectionem autem habet in suo toto; ideo etiam
naturali amore pars plus tendit ad conservationem sui totius quam sui ipsius.
Unde etiam naturaliter animal opponit brachium ad defensionem capitis, ex quo
pendet salus totius. Et inde est etiam quod particulares homines seipsos
morti exponunt pro conservatione communitatis, cujus ipsi sunt pars. Quia
ergo bonum nostrum in Deo perfectum est, sicut in causa universali prima et
perfecta bonorum, ideo bonum in ipso esse magis naturaliter complacet quam in
nobis ipsis; et ideo etiam amore amicitiae naturaliter Deus ab homine plus
seipso diligitur. Et quia caritas naturam perficit, ideo etiam secundum
caritatem Deum supra seipsum homo diligit, et super omnia alia particularia
bona. Caritas autem supra naturalem dilectionem ipsius addit quamdam
associationem in vita gratiae, ut supra dictum est. Quidam autem dicunt, quod
aliquis naturaliter amore concupiscentiae Deum plus seipso diligit, inquantum
divinum bonum est sibi delectabilius; sed amore amicitiae plus seipsum
naturaliter quam Deum diligit, dum plus se vult esse et vivere et habere
aliqua bona quam Deum; sed caritas ad hoc naturam elevat ut etiam per
amicitiam aliquis plus Deum diligat quam seipsum. Sed prima opinio
probabilior est: quia inclinatio naturae hominis inquantum est homo, nunquam
contradicit inclinationi virtutis, sed est ei conformis |
Réponse. Puisque l’objet de l’amour est le bien, on peut tendre vers le bien d’une chose de deux manières. D’une manière, selon que le bien de cette chose renvoie à autre chose, comme lorsqu’on souhaite le bien d’une chose pour quelqu’un d’autre, s’il ne le possède pas, ou qu’on s’y complaît avec lui, s’il le possède. C’est le cas de celui qui aime le vin, pour autant qu’il souhaite la douceur du vin et se réjouit du fait qu’il en jouit, et non que le vin la possède. Cet amour est appelé par certains l’amour de concupiscence. Or, cet amour n’a pas comme terme la chose dont on dit qu’elle est aimée, mais il renvoie à ce à quoi on souhaite le bien de cette chose. D’une autre manière, l’amour tend vers le bien d’une chose de telle sorte qu’il ait cette chose même comme terme, pour autant qu’il se complaît dans le fait qu’elle possède ce bien et lui souhaite le bien qu’elle ne possède pas. Cet [amour] est l’amour de bienveillance, qui est le principe de l’amitié, comme le dit le Philosophe. C’est pourquoi les degrés de la charité doivent être envisagés selon ce mode d’amour, car la charité inclut une amitié, comme on l’a dit plus haut, d. 27, q. 2, a. 1, c. Or, chacun veut au plus haut point préserver le bien qui lui plaît davantage, car il est davantage conforme à l’appétit qui est formé par l’amour. Or, il s’agit de son propre bien. Selon que le bien d’une chose est ou est estimé meilleur pour celui qui aime, celui qui l’aime veut donc qu’il soit davantage sauvegardé dans la chose aimée elle-même. Or, le bien de celui qui aime se trouve dans ce qui est plus parfait. C’est pourquoi, parce que n’importe quelle partie est imparfaite en elle-même, elle obtient sa perfection dans son tout. Ainsi, par un amour naturel, la partie tend-elle davantage à la conservation de son tout qu’à la sienne propre. Ainsi, naturellement encore, l’animal oppose aussi son bras pour défendre sa tête, dont dépend le salut du tout. Et de là vient que les hommes individuels s’exposent à la mort pour conserver la communauté dont ils sont une partie. Puisque notre bien est parfait en Dieu, en tant qu’il est la cause universelle première et parfaite des biens, il nous plaît donc naturellement davantage que le bien soit en lui qu’en nous-mêmes. C’est pourquoi Dieu est naturellement aimé davantage que lui-même par l’homme, même d’amour d’amitié. Et parce que la charité perfectionne la nature, l’homme aime aussi par charité Dieu plus que lui-même et plus que tous les biens particuliers. Or, la charité ajoute à son amour naturel une certaine association dans la vie de la grâce, comme on l’a dit plus haut. Mais certains disent que quelqu’un aime Dieu plus que lui-même d’un amour de concupiscence, pour autant que le bien divin lui est plus délectable ; mais il s’aime naturellement lui-même plus que Dieu d’un amour d’amitié, lorsqu’il veut être, vivre et posséder certains biens plutôt que Dieu ; mais la charité élève la nature pour que l’on aime Dieu plus que soi-même. Mais la première opinion est plus probable, car l’inclination de la nature de l’homme en tant qu’homme ne contredit jamais l’inclination de la vertu, mais lui est conforme. |
.[11430] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum
igitur dicendum, quod amor non est unio ipsarum rerum essentialiter, sed
affectuum. Non autem est inconveniens, ut illud quod est minus conjunctum
secundum rem, sit magis conjunctum secundum affectum, dum plerumque ea quae
realiter nobis conjuncta sunt, nobis displiceant, et ab affectu maxime
discordent. Sed amor ad rerum unionem inducit, quantum possibile est; et ideo
amor divinus facit hominem, secundum quod possibile est, non sua vita, sed
Dei, vivere, sicut apostolus dicit Gal. 11, 20: vivo ego, jam non ego,
vivit vero in me Christus. |
1. L’amour n’est pas une union des choses
elles-mêmes selon leur essence, mais selon leurs dispositions affectives. Or,
il n’est pas inapproprié que ce qui est moins uni en réalité soit davantage
uni selon les dispositions affectives, puisque la plupart du temps ce qui
nous est réellement uni nous déplaît et est au plus haut point en désaccord
avec notre disposition affective. Mais l’amour incite à l’union entre les
choses autant qu’il est possible. C’est pourquoi l’amour de Dieu fait, autant
qu’il est possible, vivre l’homme, non pas de sa propre vie, mais de celle de
Dieu, comme le dit l’Apôtre en Ga 11, 20 : Je vis, non pas moi, mais à vrai dire le
Christ vit en moi. |
[11431] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis unicuique sit amabile quod sibi est
bonum, non tamen oportet quod propter hoc sicut propter finem ametur, quia
est sibi bonum; cum etiam amicitia non retorqueat ad seipsum bonum quod ad
alterum optat: diligimus enim amicos, etiam si nihil nobis debeat inde fieri. |
2. Bien que soit aimable pour chacun ce qui est bon pour lui, il n’est cependant pas nécessaire que, parce que cela est bon, cela soit aimé pour une fin, puisque l’amitié elle-même ne détourne pas pour soi le bien qu’elle souhaite pour un autre. En effet, nous aimons nos amis même si cela ne doit rien nous rapporter. |
[11432] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod amicabilia quae sunt ad alterum, venerunt ex
amicabilibus quae sunt ad seipsum, non sicut ex causa finali, sed sicut ex eo
quod est prius in via generationis. Quia sicut quilibet sibi prius est notus
quam alter, et quam Deus; ita etiam dilectio quam quisque habet ad seipsum,
est prior ea dilectione quam habet ad alterum, in via generationis. |
3. Les marques d’amitié destinées aux autres sont venues des marques d’amitié envers soi-même, non pas comme de la cause finale, mais comme de ce qui est premier sur le chemin de la génération. Parce que chacun est d’abord connu de lui-même plutôt qu’un autre et que Dieu, l’amour que quelqu’un a envers lui-même est donc premier par rapport à l’amour qu’il a envers un autre, sur le chemin de la génération. |
[11433] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod opera nostra, proprie loquendo, non
proportionantur affectioni qua Deum in seipso diligimus, quia ex nostris
operibus nihil ei accrescit vel accrescere potest. Sed si esset possibile
quod ex nostris operibus aliquid ei accresceret, habens caritatem multo plura
faceret propter beatitudinem ei conservandam quam propter eam sibi
adipiscendam. |
4. À proprement parler, nos actions ne sont pas proportionnées à la disposition affective par laquelle nous aimons Dieu en lui-même, car rien ne lui est ajouté ou ne peut lui êre ajouté par nos actes. Mais s’il était possible que quelque chose lui soit ajouté par nos actions, celui qui a la charité ferait bien plus pour lui conserver la béatitude que pour l’obtenir pour lui-même. |
[11434] Super Sent.,
lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Deus ubique aequaliter diligitur; tamen
divinum bonum in isto esse, non est tantum amabile sicut ipsum esse in Deo:
quia non aeque perfecte in omnibus est. |
5. Dieu est aimé partout également. Cependant, le fait que le bien divin existe chez un tel n’est pas aussi aimable que le fait qu’il existe en Dieu, car il n’existe pas en tous d’une manière également parfaite. |
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Articulus 4 [11435] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a.
4 tit. Utrum in
dilectione Dei possit haberi respectus ad aliquam mercedem |
Article 4 – Peut-on tenir compte d’une récompense en aimant Dieu ? |
[11436] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic
proceditur. Videtur quod non possit in dilectione Dei haberi respectus ad
aliquam mercedem. Quia Joan. 10, mercenarius vituperatur. Sed mercenarius
dicitur qui mercedem quaerit. Ergo dilectio Dei ex caritate non admittit respectum mercedis. |
1. Il semble qu’on ne puisse tenir compte d’une récompense en aimant Dieu, car, en Jn 10, le mercenaire est blâmé. Or, on appelle mercenaire celui qui cherche un salaire. L’amour de Dieu par charité ne permet donc pas de tenir compte d’une récompense. |
[11437] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit: Deo licet sine praemio serviri non
possit, tamen sine intuitu praemii serviendum est. Sed praemium nihil
aliud est quam merces laboris. Ergo sine respectu mercedis Deo serviendum
est. |
2. Augustin dit : « Bien que Dieu ne puisse être servi sans récompense, il doit cependant être servi sans égard à la récompense. » Or, une récompense n’est rien d’autre qu’un salaire pour un travail. Dieu doit donc être servi sans égard à la récompense. |
[11438] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, amicitia civilis quamvis habeat multas dilectiones et
utilitates, tamen ad eas non respicit, sed supra honestum fundatur. Sed
amicitia caritatis magis est honesta quam amicitia civilis. Ergo nec ipsa ad
aliquam utilitatem respicit. |
3. L’amitié civile, bien qu’elle comporte plusieurs amours et plusieurs choses utiles, ne les prend cependant pas en compte, mais elle se fonde sur ce qui est bon en soi. Or, l’amitié de la charité est meilleure que l’amitié civile. Elle ne prend donc pas en compte une certaine utilité. |
[11439] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, merces est finis eorum quae propter mercedem fiunt. Sed
finis diligitur magis quam ea quae sunt ad finem. Si ergo Deus propter
aliquam mercedem diligeretur, aliquid aliud magis diligeretur Deo; quod est
contra rationem caritatis. |
4. La récompense est
la fin de ce qui est accompli pour une récompense. Or, la fin est davantage
aimée que ce qui est ordonné à la fin. Si donc Dieu était aimé pour une
récompense, quelque chose d’autre serait davantage aimé que Dieu, ce qui est
contraire à la notion de la charité. |
[11440] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, sicut per
caritatem homo adipiscitur praemium, ita etiam fugit poenam. Sed caritas
expellit timorem poenae, maxime si sit perfecta. Ergo videtur quod etiam
excludit intuitum mercedis. |
5. De même que par la charité l’homme obtient sa récompense, de même fuit-il aussi la peine. Or, la charité rejette la crainte de la peine, surtout si elle est parfaite. Il semble donc qu’elle exclue aussi la considération de la récompense. |
[11441] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, sicut dicitur
in Glossa Matth. 1, spes generat caritatem. Sed spes est expectatio mercedis. Ergo
caritas potest esse cum intuitu mercedis. |
Cependant, [1] comme il est dit dans la Glose sur Mt 1, « l’espérance engendre la charité ». Or, l’espérance est l’attente d’une récompense. La charité peut donc comporter la considération d’une récompense. |
[11442] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, Hebr. 11, dicitur de sanctis patribus, quod aspiciebant in
remunerationem. Sed constat quod ipsi diligebant Deum ex caritate. Ergo
dilectio Dei ex caritate compatitur intuitum mercedis. |
[2] En He 11, il est dit des saints pères qu’ils regardaient vers la récompense. Or, il est clair que ceux-ci aimaient Dieu par charité. L’amour de Dieu par charité est donc compatible avec une considération de la récompense. |
[11443] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, amicorum est quod quaerant invicem perfrui. Sed nihil aliud
est merces nostra quam perfrui Deo, videndo ipsum. Ergo caritas non solum non excludit, sed
etiam facit habere oculum ad mercedem. |
[3] Il est propre aux amis de chercher à se réjouir les uns des autres. Or, notre récompense n’est rien d’autre que de jouir de Dieu en le voyant. Donc, non seulement la charité n’exclut pas, mais elle fait en sorte qu’on ait à l’œil la récompense. |
[11444] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod
merces proprie dicitur praemium quod quis ex labore vel aliquo opere meretur.
Praemium autem est quod alicui in bonum ejus redditur; unde merces, inquantum
hujusmodi, importat aliquid referibile per amorem ad id cui merces redditur:
mercedem enim aliquis propter seipsum amat. Non tamen est de ratione mercedis quod sit intentionis finis: quia
plerumque aliquis mercedem ex opere non quaerit, cui merces datur. Ea autem
quae propter se aliquis diligit, vel sunt perfectiones illius formaliter,
sicut sanitas, virtus, operatio, dilectio, et hujusmodi; vel sunt effectiva
vel conservativa horum, aut contrariorum prohibitiva. Unde si aliquis amat
aliquid extra se propter seipsum, illud potest dici merces, inquantum ex eo
aliquid in ipso relinquitur vel conservatur. Sed, sicut supra dictum est, de
ratione amicitiae est quod amicus sui gratia diligatur; unde amicus non habet
in amicitia rationem mercedis, proprie loquendo, quamvis ea quae ex amico in
nobis fiunt, rationem mercedis habere possint, sicut delectationes, et
utilitates quas ex ipso amans consequitur, ratione quarum ipse amicus merces
dicitur quasi causaliter, sicut dicitur Deus merces nostra ratione eorum quae
ex ipso in nobis sunt. Patet ergo quod ponere mercedem aliquam finem amoris
ex parte amati, est contra rationem amicitiae. Unde caritas per hunc modum
oculum ad mercedem habere non potest: hoc enim esset Deum non ponere ultimum
finem, sed bona quae ex ipso consequitur. Sed ponere mercedem esse finem
amoris ex parte amantis, non tamen ultimum, prout scilicet ipse amor est
quaedam operatio amantis, non est contra rationem amicitiae: quia ipsa amoris
operatio cum sit quoddam accidens, non dicitur amari nisi propter suum
subjectum, ut ex dictis patet: et inter ea quae propter se aliquis diligit,
potest esse ordo, salva amicitia; unde et ipsam operationem amoris possum
amare, non obstante amicitia, propter aliquid aliud. Erit tamen contra rationem virtutis, si
virtutis operatio propter aliquid aliud virtute inferius, cujusmodi sunt
temporalia bona, diligatur. Patet ergo quod habens caritatem non potest habere
oculum ad mercedem, ut ponat aliquid quodcumque finem amati, scilicet Dei
(hoc enim esset contra rationem caritatis, ut est amicitia quaedam), nec
iterum ut ponat aliquod bonum temporale finem ipsius amoris; quia hoc est
contra rationem caritatis, ut est virtus: potest tamen habere oculum ad
mercedem, ut ponat beatitudinem creatam finem amoris, non autem finem amati:
hoc enim neque est contra rationem amicitiae, neque contra rationem virtutis,
cum beatitudo virtutum sit finis. |
Réponse. Au sens propre, on appelle récompense la rétribution que quelqu’un mérite pour un travail ou pour une action. Or, la rétribution est ce qui est rendu à quelqu’un pour son bien. En tant que telle, la récompense comporte donc quelque chose qui peut être mis en rapport par l’amour avec celui à qui la récompense est donnée : en effet, on aime la récompense pour soi-même. Cependant, il n’est pas de la raison de récompense qu’elle fasse partie de l’intention de la fin, car, la plupart du temps, celui à qui la récompense est donnée ne cherche pas de récompense de l’action pour laquelle une récompense est donnée. Or, les choses que quelqu’un aime pour elles-mêmes sont soit des perfections de lui-même au sens formel, tels la santé, la vertu, l’opération, l’amour et les choses de ce genre, soit des réalités qui les perfectionnent ou les conservent, ou empêchent leurs contraires. Si quelqu’un aime pour lui-même quelque chose qui lui est extérieur, cela peut être appelé une récompense pour autant que quelque chose en est laissé ou conservé en lui. Mais, comme on l’a dit plus haut, il est de la raison de l’amitié qu’un ami soit aimé pour lui-même ; l’ami n’a donc pas dans l’amitié raison de récompense au sens propre, bien que ce qui est réalisé par l’ami en nous puisse avoir raison de récompense, comme les plaisirs et les services que celui qui aime reçoit de lui, et en raison desquels l’ami lui-même peut être appelé une récompense pour ainsi dire à la manière d’une cause ; Dieu est ainsi appelé notre récompense en raison de ce qui vient de lui en nous. Il est donc clair qu’affirmer qu’une récompense est la fin de l’amour du point de vue de celui qui est aimé est contraire à la notion d’amitié. La charité ne peut donc prendre en compte de cette manière la récompense : en effet, cela reviendrait à ne pas faire de Dieu la fin ultime, mais les biens qu’on reçoit de lui. Mais affirmer que la récompense est une fin de l’amour du point de vue de celui qui aime, mais non sa fin ultime, en tant que l’amour lui-même est une action de celui qui aime n’est pas contraire à la notion d’amitié : en effet, on ne dit pas que l’opération même de l’amour, étant un accident, n’est aimée qu’en raison de son sujet, comme cela ressort de ce qui a été dit ; et parmi ce que quelqu’un aime pour soi, il peut exister un ordre, tout en préservant l’amitié. Je peux donc aimer l’opération même de l’amour pour quelque chose d’autre, nonobstant l’amitié. Elle sera cependant contraire à la notion de vertu si l’opération de la vertu est aimée pour quelque chose d’autre qui est inférieur à la vertu, comme c’est le cas pour les biens temporels. Il est donc clair que celui qui a la charité ne peut prendre en considération la récompense de telle sorte qu’il fasse de n’importe quoi la fin de ce qui est aimé, à savoir, Dieu (en effet, cela serait contraire à la notion de charité pour autant qu’elle est une amitié), ni qu’il fasse d’un bien temporel la fin de l’amour lui-même, car cela est contraire à la notion de charité en tant qu’elle est une vertu. Il peut cependant prendre en considération la récompense en faisant de la béatitude créée la fin de l’amour, mais non la fin de ce qui est aimé : en effet, cela n’est pas contraire à la notion d’amitié, ni contraire à la notion de vertu, puisque la béatitude est la fin des vertus. |
[11445] Super Sent.,
lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod mercenarius ibi dicitur qui opus spirituale propter mercedem
temporalem exercet. |
1. On parle là du mercenaire qui exerce une action spirituelle pour une récompense temporelle. |
[11446] Super Sent.,
lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod sine intuitu praemii serviendum est, ita quod praemium non
ponatur finis ejus quod amatur et cui servitur, sed quod ponatur finis ipsius
servitii vel amoris. |
2. Il faut servir sans égard à la récompense, de telle sorte que la récompense ne soit pas établie comme fin de ce qui est aimé et qui est servi, mais qu’elle soit établie comme la fin du service lui-même ou de l’amour. |
[11447] Super Sent.,
lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod amicitia non respicit delectationes et utilitates amicorum quasi finem,
propter quem amicus amat. |
3. L’amitié ne porte pas sur les plaisirs et les services des amis comme sur la fin pour laquelle l’ami aime. |
[11448] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum patet solutio
per ea quae dicta sunt in corp. |
4. La réponse au quatrième argument ressort de ce qui a été dit dans le corps. |
[11449] Super Sent.,
lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod bonum de quo est spes, magis est consonum amori quam malum de quo est
timor; et ideo quamvis perfecta caritas foras mittat timorem poenae, non
tamen oportet quod foras mittat intuitum mercedis. |
5. Le bien sur lequel porte l’espérance est plus en accord avec l’amour que le mal sur lequel porte la crainte. C’est pourquoi, bien que la charité parfaite rejette la crainte de la peine, il n’est cependant pas nécessaire qu’elle rejette la considération de la récompense. |
Articulus 5 [11450] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a.
5 tit. Utrum homo magis
debeat seipsum ex caritate diligere quam proximum |
Article 5 – L’homme doit-il s’aimer lui-même par charité davantage que son prochain ? |
[11451] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic
proceditur. Videtur quod
homo ex caritate non debeat seipsum magis quam proximum diligere. Illud enim
propter quod aliud relinquitur, magis amatur. Sed caritas facit hominem
seipsum relinquere quodammodo, et amato inhaerere: quia Dionysius dicit, quod
amor ponit hominem extra se, et collocat eum in amato. Ergo plus amat amicum
quam se. |
1. Il semble que l’homme ne doive pas s’aimer lui-même par charité davantage que son prochain. En effet, ce pour quoi quelque chose est délaissé est davantage aimé. Or, la charité fait en sorte que l’homme se délaisse d’une certaine manière pour s’attacher à celui qui est aimé, car Denys dit que « l’amour fait sortir l’homme de lui-même et le situe dans l’être aimé ». Il aime donc davantage son ami que lui-même. |
[11452] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, Deum magis quam nos ipsos diligimus, inquantum bonum
nostrum perfectius in eo quam in nobis invenitur. Sed similiter perfectius invenitur in
aliquo proximorum quam in nobis: quia bona quae nos habemus, perfectius
habent. Ergo debemus
magis proximum quam nos ipsos diligere. |
2. Nous aimons Dieu plus que nous-mêmes pour autant que notre bien se trouve plus parfaitement en lui qu’en nous. Or, il se trouve de même plus parfaitement dans l’un de nos proches qu’en nous, car ils possèdent plus parfaitement les biens que nous avons. Nous devons donc aimer davantage le prochain que nous-mêmes. |
[11453] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, illud quod aliquis maxime in seipso diligit, est vivere, et
esse. Sed caritas facit ponere vitam corporalem pro fratribus: quidam enim
gentiles pro amore amicorum se morti exposuerunt sine aliqua spe vitae
aeternae. Ergo amicitia et caritas facit magis diligere proximum quam
seipsum. |
3. Ce que quelqu’un aime le plus en lui-même, c’est vivre et être. Or, la charité fait donner sa vie corporelle pour ses frères : en effet, certains païens se sont exposés à la mort par amour de leurs amis, sans espérance de la vie éternelle. L’amitié et la charité font donc aimer le prochain davantage que soi-même. |
[11454] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, illos magis diligimus quorum bona magis optamus, et mala
magis vitamus. Sed, sicut dicit philosophus in 9 Ethicor., in tristitia
amicos tarde vocandum, ad eorum autem tristitias prompte eundum; in laetitiis
autem e converso, quia eos prompte vocandum, difficulter ad eorum laetitiam
se ingerendum. Ergo caritas facit magis amare proximos quam seipsos. |
4. Nous aimons davantage ceux à qui nous souhaitons davantage de biens et à qui nous évitons davantage de maux. Or, comme le dit le Philosophe dans Éthique, IX, « dans la tristesse, il faut tarder à faire appel aux amis, mais il faut aller promptement vers leurs tristesses ; mais c’est le contraire pour la joie : il faut alors les appeler rapidement, mais s’immiscer difficilement dans leur joie ». La charité fait donc aimer le prochain davantage que soi-même. |
[11455] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, beneficentia est effectus caritatis. Sed magis laudantur
qui sunt benefici ad amicos quam qui sunt benefici ad seipsos. Ergo caritas
facit magis amare proximos quam seipsum. |
5. La bienfaisance est l’effet de la charité. Or, on loue davantage ceux qui sont bienfaisants envers leurs amis que ceux qui sont bienfaisants envers eux-mêmes. La charité fait donc aimer le prochain davantage que soi-même. |
[11456] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 6 Praeterea, amicitia facit hominem gaudere de conversatione cum amicis.
Sed homo magis delectatur de conversatione ad amicos quam de conversatione
sui ad seipsum. Ergo plus amicos et proximos quam seipsum diligit. |
6. L’amitié fait que l’homme se réjouit de la fréquentation de ses amis. Or, l’homme se réjouit davantage de la fréquentation de ses amis que de la fréquentation de soi-même. Il aime donc davantage ses amis et ses proches plus que lui-même. |
[11457] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, quanto quis amat salutem alicujus, tanto vitat peccatum
ejus. Sed homo magis debet vitare peccatum suum quam peccatum alterius. Ergo magis debet amare
vitam suam quam salutem alterius. |
Cependant, [1] plus on aime le salut de quelqu’un, plus on évite son péché. Or, on doit davantage éviter son propre péché que le péché d’un autre. On doit donc davantage aimer sa propre vie que le salut d’un autre. |
[11458] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, misericordia ex amore causatur. Sed homo debet incipere
misereri a seipso, secundum quod dicit Augustinus. Ergo et a seipso debet incipere amorem. |
[2] La miséricorde est causée par l’amour. Or, « l’homme doit commencer par avoir pitié de lui-même », selon ce que dit Augustin. Il doit donc commencer par s’aimer lui-même. |
[11459] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 s. c. 3 Praeterea, illud quod est naturale, vehementius est quam illud quod
est voluntarium tantum. Sed amor sui est ex inclinatione naturae; amor autem
aliorum est ex voluntate rationis tantum. Ergo ex caritate homo plus seipsum
quam alios diligit. |
[3] Ce qui est naturel est plus impétueux que ce qui est seulement volontaire. Or, l’amour de soi vient de l’inclination de la nature, mais l’amour des autres vient de la volonté de la raison seulement. L’homme s’aime donc davantage que les autres. |
[11460] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod sicut aliquid invenitur
perfectius in causa perfecta in universali quam in effectu particulari; ita
aliquid perfectius invenitur in re quam in sui similitudine; unde cum bonum
proprium alicujus inveniatur in Deo sicut in causa universali, in se autem
sicut in effectu, in proximo autem sicut in similitudine; sicut Deum plus
quam seipsum diligere debet benevolentiae dilectione, ita etiam plus se quam
proximum. Sed sciendum, quod cum in homine sit duplex natura, scilicet
interior, videlicet rationis, quae dicitur homo interior; et exterior, scilicet
natura sensualis, quae dicitur homo exterior: plus homo debet diligere se
quantum ad naturam interiorem quam quantum ad naturam exteriorem; et ideo ea
quae sunt bona naturae interioris, plus debet optare quam ea quae sunt bona
sibi secundum naturam exteriorem. Omnia autem opera virtutis sunt sibi bona
secundum interiorem naturam, inter quae etiam sunt illa quae quis ad amicum
operatur; et ideo plura bona exteriora sunt impendenda amicis quam nobis
ipsis, inquantum consistit in hoc bonum virtutis, quod est nostrum maximum
bonum; sed de bonis spiritualibus semper plus nobis quam amicis impendere
debemus et velle, et similiter etiam de malis vitandis. |
Réponse. De même qu’une se trouve plus parfaitement dans la cause parfaite d’un effet universel que d’un effet particulier, de même une chose se trouve-t-elle plus parfaitement dans une réalité que dans sa ressemblance. Puisque le bien propre de quelqu’un se trouve en Dieu comme dans la cause universelle, en lui comme dans son effet, mais dans le prochain comme dans une similitude : de même qu’il doit aimer Dieu plus que lui-même d’un amour de bienveillance, de même aussi [doit-il s’aimer plus] que le prochain. Mais il faut savoir que, l’homme existant dans une double nature : intérieure, celle de la raison, qu’on appelle l’homme intérieur, et extérieure, celle de la nature sensible, qu’on appelle l’homme extérieur, l’homme doit s’aimer davantage pour sa nature intérieure que pour sa nature extérieure. C’est pourquoi il doit souhaiter davantage les biens qui se rapportent à sa nature intérieure que ceux qui se rapportent à sa nature extérieure. Or, tous les actes de vertu sont pour lui des biens qui se rapportent à sa nature intérieure, et parmi eux, se trouvent ceux que l’homme pose envers un ami. C’est pourquoi davantage de biens extérieurs doivent être donnés aux amis qu’à nous-mêmes, pour autant que le bien de la vertu consiste en cela, ce qui est notre plus grand bien ; mais nous devons toujours nous donner et vouloir plus de biens spirituels qu’aux amis, et de même en est-il aussi pour les maux à éviter. |
[11461] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod in amore amatum, ut amatum, potius est quam amans ut amans. Sed quia, ut
amans est etiam amatum a seipso; ideo potius potest esse in amore, inquantum
est amatum, quam amatum extrinsecum, et magis collocatur in ipso affectus
amantis quam in exteriori amato. |
1. Dans l’amour, celui qui est aimé est, en tant qu’aimé, préfér à celui qui aime, en tant qu’il aime. Mais parce que celui qui aime est aussi aimé de lui-même, il peut donc être préféré dans l’amour, en tant qu’aimé, plutôt que quelque chose d’extérieur qui est aimé, et la disposition affective de celui qui aime se situe plutôt en lui que dans quelque chose d’extérieur qui est aimé. |
[11462] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod quamvis bonum quod ego habeo, possit in proximo perfectius inveniri quam
in meipso, tamen in me semper invenitur perfectius ut proprium: quia bonum
quod est in ipso, non est meum nisi per similitudinem. Bonum autem quod est
in Deo, est meum etiam secundum causam. |
2. Bien que le bien que je possède puisse se trouver chez le prochain de manière plus parfaite qu’en moi-même, il se trouve cependant toujours chez moi de manière plus parfaite en tant qu’il est propre, car le bien qui se trouve chez lui n’est mien que par ressemblance. Mais le bien qui se trouve en Dieu est mien. même selon sa cause. |
[11463] Super Sent.,
lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod tradere seipsum morti propter amicum, est perfectissimus actus virtutis; unde hunc actum
magis appetit virtuosus quam vitam propriam corporalem. Unde quod aliquis
vitam propriam corporalem propter amicum ponit, non contingit ex hoc quod
aliquis plus amicum quam seipsum diligat; sed quia in se plus diligit quis
bonum virtutis quam bonum corporale. |
3. Se livrer à la mort pour un ami est un acte vertueux très parfait. Celui qui est vertueux désire donc davantage cet acte que sa propre vie corporelle. Le fait que quelqu’un expose sa propre vie corporelle pour un ami ne vient donc pas de ce que quelqu’un aime davantage son ami que lui-même, mais du fait qu’il aime davantage en lui-même le bien de la vertu qu’un bien corporel. |
[11464] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in hoc ipso quod homo non vult esse onerosus
amico, tristitias suas communicando eidem, sed magis beneficus et
delectabilis, secundum virtutem operatur; et ita spirituale bonum plus sibi
quam amico tribuit. |
4. Par le fait même
que quelqu’un ne veut pas être à charge à son ami en lui communiquant ses
tristesses, mais lui être plutôt bienfaisant et agréable, il agit selon la
vertu. Et ainsi, il se donne davantage un bien spirituel qu’à son ami. |
[11465] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod de bonis spiritualibus magis nobis
impendimus quam amicis; de corporalibus autem magis amicis quam nobis,
ratione jam dicta in corp. |
5. Nous nous donnons plus de biens spirituels qu’à nos amis ; mais [nous donnons] plus de biens corporels à nos amis qu’à nous-mêmes pour la raison déjà donnée dans le corps [de l’article]. |
[11466] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod conversatio cum amicis est nobis
delectabilis, inquantum cognoscimus bonum ipsorum, quod nobis quasi nostrum
complacet. Et quia per visum melius cognoscuntur res quam per alium sensum;
ideo amici magis se videre desiderant; et quia magis potest homo cognoscere
quae sunt alterius quam quae propria, ideo magis delectatur in conversando ad
amicum quam etiam ad seipsum: quamvis virtuosus ad seipsum delectabiliter
conversetur, inquantum in seipso considerat memoriam, et propositum, et spem
bonorum, quae ei delectationem ingerunt, ut dicitur in 9 Ethic. |
6. La fréquentation de nos amis nous est agréable dans la mesure où nous connaissons leur bien, qui nous réjouit comme s’il était le nôtre. Et parce que les choses sont mieux connues par la vue que par un autre sens, les amis désirent davantage se voir. Et parce que quelqu’un peut mieux connaîttre ce qui concerne un autre que ce qui le concerne lui-même, il se réjouit davantage dans la fréquentation de l’ami que dans la sienne propre, bien que celui qui est vertueux se fréquente avec plaisir, dans la mesure où il considère en lui-même la mémoire, le propos et l’espérance de biens, ce qui contribue à son plaisir, comme on le dit dans Éthique, IX. |
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Articulus 6 [11467] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a.
6 tit. Utrum homo
debeat magis ex caritate diligere extraneos quam propinquos |
Article 6 – L’homme doit-il aimer davantage par charité les étrangers que ses proches ? |
[11468] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 arg. 1 Ad sextum sic proceditur.
Videtur quod homo ex
caritate magis debeat diligere extraneos quam propinquos. Caritas enim, sicut
et amicitia, fundamentum habet honestum. Sed major honestas vel virtus
invenitur quandoque in extraneis quam propinquis. Ergo magis sunt diligendi
ex caritate extranei quam propinqui. |
1. Il semble que l’homme doive aimer davantage par charité les étrangers que ses proches. En effet, la charité, comme l’amitié, a comme fondement ce qui est bon. Or, une plus grande bonté ou vertu se trouve parfois chez les étrangers que chez les proches. Les étrangers doivent donc être aimés davantage par charité que les proches. |
[11469] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea, caritas facit
conformitatem hominis ad Deum. Sed Deus plus diligit extraneos nostros quam propinquos, si sunt
meliores. Ergo et nos
magis eos diligere debemus. |
2. La charité rend l’homme conforme à Dieu. Or, Dieu aime davantage ceux qui nous sont étrangers que nos proches, s’ils sont meilleurs. Nous devons donc nous-mêmes les aimer davantage. |
[11470] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 arg. 3 Praeterea, effectus
respondet affectui. Sed in aliquibus debemus majorem affectum amoris ostendere ad extraneos
quam ad propinquos, sicut in collatione beneficiorum ecclesiasticorum, si
extranei meliores sint. Ergo magis
sunt diligendi etiam ex affectu quandoque extranei quam propinqui. |
3. L’effet correspond à la disposition affective. Or, pour certaines choses, nous devons manifester davantage aux étrangers une disposition d’amour qu’à nos proches, comme c’est le cas pour la collation des bénéfices ecclésiastiques, si les étrangers sont meilleurs. Par disposition affective, les étrangers doivent donc être aimés davantage que les proches. |
[11471] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, concordia in caritate importatur, et ex caritate efficitur.
Sed aliquando magis concordandum est extraneis quam propinquis, sicut in
bellis magis obediendum est duci exercitus quam patri. Ergo magis sunt
diligendi extranei quam propinqui. |
4. La concorde fait partie de la charité et est réalisée par la charité. Or, parfois, il faut être davantage d’accord avec des étrangers qu’avec nos proches ; ainsi, à la guerre, il faut plutôt obéir au chef de l’armée qu’à son père. Les étrangers doivent donc davantage être aimés que les proches. |
[11472] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 arg. 5 Praeterea, illud quod est debitum praeponendum est ei quod non est
debitum. Sed reddere retributionem beneficiorum est debitum; benefacere autem
propinquis non est debitum quandoque. Ergo magis benefaciendum est extraneis
quam propinquis; et ita, ad minus quantum ad effectum amicitiae, extranei
propinquis proponendi sunt. |
5. Ce qui est dû doit l’emporter sur ce qui n’est pas dû. Or, rendre la récompense de bienfaits est quelue chose de dû ; mais faire du bien au prochain parfois n’est pas dû. Il faut donc faire du bien plutôt aux étrangers qu’aux proches, de sorte que, au moins pour ce qui est de l’effet de l’amitié, les étrangers doivent l’emporter sur les proches. |
[11473] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed contra, Galat. 6, 10:
operemur bonum ad omnes, maxime autem ad domesticos fidei. Ergo
propinqui praeferendi sunt extraneis. |
Cependant, [1] Ga 6, 10 dit : Faisons du bien à tous, mais surtout à ceux qui sont proches par la foi. Les proches doivent donc l’emporter sur les étrangers. |
[11474] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, 1 Timoth. 5, 8, dicitur: qui suorum, et maxime
domesticorum, curam non habet, fidem negavit, et est infideli deterior.
Ergo magis habenda est cura propinquorum quam aliorum. |
[2] Il est dit en 1 Tm 5, 8 : Celui qui ne prend pas soin des siens, et surtout de ses proches, renie la foi et est pire que l’incroyant. Il faut donc prendre davantage soin des proches que des autres. |
[11475] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 s. c. 3 Praeterea, magis homo debet seipsum diligere quam alios. Ergo quanto
aliqui sunt sibi magis propinqui, magis debet eos diligere. |
[3] L’homme doit s’aimer lui-même davantage que les autres. Plus certains lui sont proches, plus donc doit-il les aimer. |
[11476] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 co. Respondeo dicendum, quod,
sicut dictum est, in corp. praeced. art., proximos diligimus, inquantum in
eis bonum nostrum per similitudinem invenitur, loquendo de amore
benevolentiae. Haec autem
similitudo attenditur secundum quod cum eis communicamus: unde et secundum
diversas communicationes, diversas amicitias philosophus distinguit. Est enim
communicatio alia quidem naturalis, secundum quod in naturali origine aliqui
communicant; et in ista communicatione fundatur amicitia patris et filii, et
aliorum consanguineorum. Alia vero communicatio est oeconomica, secundum quam
homines sibi in domesticis officiis communicant. Alia vero communicatio est
politica, secundum quam homines ad concives suos communicant. Quarta
communicatio est divina, secundum quam omnes homines communicant in uno
corpore Ecclesiae vel actu vel potentia; et haec est amicitia caritatis, quae
habetur ad omnes, etiam ad inimicos. Quia ergo caritas benevolentiam importat,
quae amicis bona optat, et operatur bonum ad ipsos; ideo secundum unamquamque
praedictarum amicitiarum amandi sunt amici quantum ad bona pertinentia ad
communicationem illam super quam amicitia fundatur; unde ad patrem et
consanguineos amicabiliter nos habere debemus in eis quae ad conservationem
naturae pertinent; et ad domesticos in his quae ad dispensationem domus
pertinent; ad concives in his quae ad civilem vitam spectant, sicut est simul
conversari, et morari in operibus civilibus; ad omnes autem homines in his
quae ad Deum spectant, ut omnibus optemus vitam aeternam, et operemur ad
salutem ipsorum secundum modum nostrum. Tamen, simpliciter loquendo, secundum illam amicitiam major debet esse
dilectio, quae magis accedit ad id quod magis diligendum est. Maxime autem
diligendus est Deus: et post hoc maxime debet homo seipsum diligere, ut
dictum est. Et quia ultima dictarum amicitiarum, scilicet caritas, magis
appropinquat ad dilectionem Dei; ideo si ab illa priores amicitiae
separentur, potior simpliciter esset ipsa sine aliis, quam aliae sine ipsa.
Non autem separantur quantum ad aliquem qui in hac vita vivat; sed post
mortem separantur ab amicitia caritatis damnati. Unde plus debeo diligere
hominem Christianum quam patrem meum infidelem defunctum, simpliciter
loquendo; quamvis liceat secundum affectum naturalem in illud magis ferri quod
magis secundum naturam nobis conjunctum est. Prima amicitia magis proxima est
ei qua aliquis seipsum diligit, quam secunda; et secunda quam tertia; et
tertia simpliciter quam quarta tantum. Et ideo Ambrosius (super illud Cantic.
cap. 2: ordinavit in me caritatem) hunc ordinem dilectionis ponit, ut
primo diligantur consanguinei, ad quos habetur prima amicitia: secundo
domestici, ad quos habetur secunda, quantum ad illos qui nobiscum in domo
conversantur; et tertia quantum ad illos qui nobis in civilibus et honestis
actibus familiares sunt: tertio inimici, ad quos solum quarta amicitia
habetur; et hoc intelligendum est simpliciter loquendo. Sed secundum quid
potest ordo iste mutari, ut scilicet magis amicabiliter me habeam ad
familiarem qui mihi convenit in operibus honestis quantum ad societatem in
istis, quam ad patrem qui in istis non communicat; et sic est intelligendum
de aliis. |
Réponse. Comme on l’a dit dans le corps de l’article précédent, nous aimons nos proches pour autant que nous trouvons en eux notre bien par une ressemblance, si l’on parle de l’amour de bienveillance. Or, cette ressemblance se prend de ce que nous avons en commun avec eux. Aussi, selon les diverses choses que nous avons en commun, le Philosophe distingue-t-il diverses amitiés. En effet, il existe assurément une nature commune, selon laquelle certains ont en commun une origine naturelle ; l’amitié entre le père et le fils et les autres consanguins se fonde donc sur ce partage. Mais un autre partage est économique : selon lui, les hommes ont en commun les fonctions domestiques. Un autre partage est politique, selon lequel les hommes partagent avec leurs concitoyens. Un quatrième partage est divin, selon lequel tous les hommes sont en communion dans un seul corps de l’Église, en acte ou en puissance : telle est l’amitié de la charité, qui s’adresse à tous, même aux ennemis. Donc, parce que la charité comporte une bienveillance qui souhaite des biens aux amis et leur fait du bien, les amis doivent être aimés selon chacune des amitiés mentionnées pour ce qui est des biens qui se rapportent au partage sur lequel l’amitié est fondée. Aussi devons-nous nous comporter de manière amicale envers notre père et nos consanguins pour ce qui se rapporte à la conservation de la nature ; envers les familiers, pour ce qui se rapporte à l’administration du ménage ; envers nos concitoyens, pour ce qui concerne la vie civile, comme vivre ensemble et accorder du temps aux actions civiles ; mais envers tous les hommes, pour ce qui concerne Dieu, afin de souhaiter à tous la vie éternelle et d’agir pour leur salut à notre mesure. Cependant, à parler simplement, selon cette amitié, l’amour qui s’approche davantage de ce qui doit être davantage aimé doit être plus grand. Or, Dieu doit être aimé au plus haut point et, après cela, l’homme doit s’aimer lui-même au plus haut point, comme on l’a dit. Et parce que la dernière de ces amitiés, la charité, se rapproche davantage de l’amour de Dieu, si les amitiés antérieures en sont séparées, elle serait tout simplement meilleure sans les autres que les autres sans elle. Or, elles n’en sont pas séparées dans le cas de quelqu’un qui est encore dans la vie présente ; mais les damnés sont séparés de l’amitié de la charité après la mort. À parler simplement, je dois donc aimer davantage un chrétien que mon père mort incroyant, bien que, selon une disposition affective naturelle, nous puissions être davantage portés vers ce qui nous est davantage uni selon la nature. La première amitié se rapproche plus de celle par laquelle on s’aime soi-même que la deuxième, la deuxième que la troisième, et la troisième que la quatrième, à parler simplement seulement. C’est pourquoi Ambroise (en commentant Ct 2 : Il a ordonné en moi la charité) donne cet ordre de l’amour : que d’abord soient aimés les consanguins, à qui s’adresse la première amitié ; deuxièmement, les familiers, à qui s’adressent la deuxième, pour ce qui est de ceux qui vivent avec nous, et la troisième, envers ceux qui sont pour nous des familiers quant aux actes civils et honnêtes ; troisièmement, les ennemis, à qui seulement s’adresse la quatrième amitié ; et cela doit s’entendre à parler simplement seulement. Mais cet ordre peut être changé sous un aspect : par exemple, je me comporterai plus amicalemeent avec un familier qui a commun avec moi des actes honnêtes, pour ce qui est de leur partage, qu’avec mon père qui n’a pas ces choses en commun [avec moi]. Et ainsi faut-il l’entendre pour les autres. |
[11477] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod amicitia politica fundamentum habet
communicationem in honestis operibus in quibus simul aliqui conversantur; sed
amicitia naturalis habet fundamentum communicationem naturalem; et haec
communicatio propinquior est illi qua homo sibi communicat. Unde sicut homo
simpliciter se ipsum debet magis diligere quo ad naturam, etiamsi malus sit,
quam alium bonum; ita etiam naturam patris sui magis diligere debet,
simpliciter loquendo quam alium bonum; non quidem inquantum malus, sed ad hoc
ut bonus sit. |
1. L’amitié politique a comme fondement le partage d’actions honnêtes dans lequel certains se retrouvent ; mais l’amitié naturelle a comme fondement l’échange naturel, et cet échange est plus rapproché de celui par lequel l’homme échange avec lui-même. Ainsi, de même que l’homme doit simplement s’aimer lui-même davantage qu’un autre bien, pour ce qui est de sa nature, même s’il est méchant, de même aussi doit-il, à parler simplement, aimer davantage la nature de son père qu’un autre bien, non pas assurément en tant qu’il est méchant, mais afin qu’il soit bon. |
[11478] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in hoc Deo conformamur quod diligimus eos
magis qui nobiscum magis communicant, sicut et ipse eos qui secum magis
communicant, magis diligit: quamvis non sint iidem qui nobiscum et cum eo
magis communicant. |
2. Nous nous conformons à Dieu par le fait que nous aimons davantage ceux qui ont des rapports avec nous, comme lui-même aime davantage ceux qui ont davantage de rapports avec lui, bien que ce ne soit pas les mêmes qui soient en rapport avec nous et avec lui. |
[11479] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in illis quae non pertinent ad
communicationem naturalem quam cum patre vel consanguineis habemus, non
oportet quod magis consanguineis benefaciamus, sed illis qui magis conjuncti
sunt nobis secundum illam communicationem ad quam illa bona pertinent; et
ideo beneficia ecclesiastica non sunt danda magis consanguineis, sed eis qui
magis sunt idonei ad regimen Ecclesiae: quia illi, quantum ad hoc quod
dispensatores divinorum sumus, magis nobiscum communicant. Sed de patrimonio
proprio, et de his quae homo proprio et licito lucro acquirit, potest
benefacere consanguineis potius quam aliis, et debet, nisi ex alia parte sit
aliquid quod praeponderet, ut indigentia, vel utilitas. |
3. Dans ce qui ne concerne pas les rapports naturels que nous avons avec notre père et nos consanguins, il n’est pas nécessaire que nous fassions plus de bien à nos consanguins, mais à ceux qui nous sont davantage unis selon les rapports que concernent ces biens. C’est pourquoi les bénéfices ecclésiastiques ne doivent pas être donnés plutôt aux consanguins, mais à ceux qui sont plus aptes au gouvernement de l’Église, car ceux-ci ont davantage de rapports avec nous pour autant que nous sommes les dispensateurs des réalités divines. Mais un homme peut et doit faire bénéficier ses consanguins plutôt que d’autres de son patrimoine propre et de ce qu’il acquiert par un gain légitime, à moins qu’il n’y ait par ailleurs quelque chose qui l’emporte, comme l’indigence ou l’utilité. |
[11480] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum patet solutio per jam dicta: quia ad unumquemque magis
amicabiliter nos debemus habere in eis quae ad communicationem illam
pertinent, secundum quod amicitia nobis junguntur. |
4. La solution ressort de ce qui a déjà été dit, car nous devons avoir pour chacun une attitude plus amicale en ce qui concerne ces rapports, selon qu’ils nous sont unis par l’amitié. |
[11481] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in his quae ad conservationem naturae
pertinent, magis sumus debitores parentibus, a quibus naturam accepimus, quam
aliquibus aliis; et consanguineis consequenter; et ideo magis liberare debemus
patrem a morte quam extraneum, etiam si ille nos in casu simili liberasset. Sed in aliis beneficiis
possumus nos quandoque magis amicabiliter habere ad extraneos quam ad
propinquos. |
5. Pour ce qui se rapporte à la conservation de la nature, nous sommes davantage redevables à nos parents, dont nous avons reçu notre nature, qu’à d’autres, et, en conséquence, à nos consanguins. C’est pourquoi nous devons libérer notre père de la mort plutôt qu’un étranger, même si celui-ci nous avait libérés dans une situation semblable. Mais, pour les autres bienfaits, nous pouvons parfois nous comporter de manière plus amicale envers des étrangers qu’envers nos proches. |
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Articulus 7 [11482] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a.
7 tit. Utrum pater
sit maxime diligendus, vel filii, vel benefactores; vel seipsum debeat
diligere, vel uxorem, vel fratres, vel matrem |
Article 7 – Le père doit-il être préféré aux fils ou aux bienfaiteurs ? Doit-on s’aimer davantage que son épouse, ses frères ou sa mère ? |
[11483] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 arg. 1 Ad septimum sic
proceditur. Videtur quod
pater non sit maxime diligendus. Effectus enim affectui respondet, et ipsum
demonstrat. Sed magis
ostendere debemus effectum amoris filiis quam patribus: non enim filii debent
parentibus thesaurizare, sed e converso, 2 Corinth., cap. 12. Ergo filii magis amandi sunt quam parentes. |
1. Il semble que le père ne doive pas être le plus aimé. En effet, l’effet répond à la disposition affective et la manifeste. Or, nous devons plutôt manifester l’effet de l’amour aux fils qu’aux pères. En effet, les fils ne doivent pas thésauriser pour leurs parents, mais c’est le contraire, 2 Co 12. Les fils doivent donc être davantage aimés que les parents. |
[11484] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 arg. 2 Praeterea, caritatis ordo naturae ordini non repugnat, cum caritas
naturam non destruat, sed perficiat. Sed naturaliter homo plus diligit filium
quam patrem; sicut etiam naturaliter plus diligit beneficiatum, quam e
converso, inquantum relucet in eo suum bonum magis, ut dicitur in 9 Ethic.
Ergo et secundum caritatem filii parentibus sunt magis amandi. |
2. L’ordre de la charité ne s’oppose pas à l’ordre de la nature, puisque la charité ne détruit pas la nature, mais la perfectionne. Or, l’homme aime naturellement davantage son fils que son père, de même aussi qu’il aime davantage celui à qui il a fait du bien que l’inverse, du fait que son propre bien brille davantage en lui, comme on le dit dans Éthique, IX. Selon la charité, les fils doivent donc être davantage aimés que les parents. |
[11485] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7
arg. 3 Praeterea,
unusquisque debet seipsum plus diligere quam aliquem alium post Deum. Sed uxorem debet homo
diligere sicut seipsum, cum sit unum corpus cum ea. Ergo debet uxorem magis quam alium aliquem
diligere. |
3. Chacun doit s’aimer davantage qu’un autre après Dieu. Or, l’homme doit aimer son épouse comme lui-même, puisqu’il n’est qu’un seul corps avec elle. Il doit donc aimer davantage son épouse que quelqu’un d’autre. |
[11486] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 arg. 4 Praeterea, magis debemus diligere eos qui nos magis diligunt. Sed
matres magis diligunt filios quam patres. Ergo et filii magis debent diligere
matres quam patres. |
4. Nous devons aimer davantage ceux qui nous aiment davantage. Or, les mères aiment davantage leurs fils que les pères. Les fils aussi doivent donc aimer davantage leurs mères que leurs pères. |
[11487] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 arg. 5 Praeterea, similitudo est causa amicitiae. Sed filiae magis similantur
matribus quam patribus. Ergo ad minus filiae debent plus amare matres quam
patres, et sorores quam fratres; et ita ordo qui in littera ponitur, non est
universalis. |
5. La ressemblance est la cause de l’amitié. Or, les filles ressemblent davantage à leurs mères qu’à leurs pères. Au moins les filles doivent donc aimer davantage leurs mères que leurs pères, et leurs sœurs que leurs frères. Ainsi l’ordre qui est indiqué dans le texte n’est-il pas universel. |
[11488] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 arg. 6 Praeterea, fratres Petri sunt propinquiores patri ejus quam filii sui.
Si ergo pater esset super omnes alios diligendus, fratres essent magis
diligendi quam filii: cujus contrarium in littera dicitur. |
6. Les frères de Pierre sont plus proches de son père que ses fils. Si donc le père devait être aimé plus que tous les autres, les frères devraient être davantage aimés que les fils. Or, on dit le contraire dans le texte. |
[11489] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 s. c. 1 Sed contra, super omnia debemus diligere Deum. Sed amor quem habemus
ad patrem, magis similatur amori quem habemus ad Deum, qui est pater noster.
Ergo patrem super omnes alios magis debemus amare. |
Cependant, [1] nous devons aimer Dieu plus que tout. Or, l’amour que nous avons pour notre père ressemble davantage à l’amour que nous avons pour Dieu, qui est notre père. Nous devons donc aimer notre père plus que tous les autres. |
[11490] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 s. c. 2 Praeterea, ille cui nunquam sufficienter potest retribui, maxime est
amandus. Sed, sicut dicit philosophus in 8 Ethic., nunquam sufficienter
possumus retribuere patribus, a quibus esse, nutrimentum et disciplinam
accepimus. Ergo maxime inter proximos debemus patrem amare. |
[2] Celui qui jamais ne peut être rétribué doit être le plus aimé. Or, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VIII, nous ne pouvons jamais rétribuer suffisamment nos pères, dont nous avons reçu l’être, la nourriture et l’éducation. Parmi les proches, nous devons donc le plus aimer notre père. |
[11491] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 s. c. 3 Praeterea, quanto major est amor, tanto firmior est. Sed amor filii ad
patrem est firmior quam e converso: quia filii non possunt abnegare parentes,
sicut possent patres filios abnegare, et eos propter aliquod crimen accusare
et expellere a se, ut dicitur 8 Ethic. Ergo magis diligendi sunt patres quam
filii. |
[3] Plus l’amour est grand, plus il est solide. Or, l’amour du fils pour son père est plus solide que l’inverse, car les fils ne peuvent pas renier leurs parents, comme les pères pourraient renier leurs fils, les accuser en raison d’un crime et les chasser, comme il est dit dans Éthique, VIII. Les pères doivent donc être davantage aimés que les fils. |
[11492] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 co. Respondeo dicendum, quod
amicitia propinquorum, ut
dictum est, in corp. praeced. art., fundatur super communicatione naturali.
Omnis autem communicatio naturalis fundatur super originem, secundum quam est
pater et filius. Fratres enim
dicuntur aliqui in hoc quod ab eodem patre nascuntur, et sic deinceps. Unde
tota amicitia propinquorum fundatur super amicitia patris ad filium; et ideo
haec amicitia est major quam aliqua alia propinquorum. In hac autem amicitia
quodammodo filii praeponuntur parentibus, quodammodo parentes filiis,
secundum duplicem modum amoris. Amatur enim aliquid ut res distincta, sicut
amo hominem; et aliquid ut alterius existens, sicut amo manum meam, vel aliud
membrum, uno amore quo amo me ipsum. Loquendo ergo de amore alicujus rei in
se, sic magis amantur parentes quam filii; loquendo autem de amore quo
aliquid amatur in altero, sic filii magis diliguntur quam parentes. Cujus
ratio est, quia unumquodque tanto magis diligitur, quanto nobis magis
propinquum est. Propinquius autem est aliquid alicui quod habet ordinem
essentialem ad illum, quam quod accidentaliter ad ipsum ordinatur. Causa
autem essentialis est effectui sicut genus speciei; sed effectus ad causam
accidentaliter se habet, quia sequitur esse ejus sicut species ad genus, nisi
effectus sit aliquid causae; quia sic effectus comparabitur ad causam per
modum partis integralis, quae est actu et essentialiter in toto; secundum
autem quod est aliquid causae, non est distinctum ab ea, sed est unum cum
ipsa. Considerando ergo patrem et filium ut sunt quaedam personae in se
distinctae, sic pater magis amatur, cum sit causa, quam filius, qui est
effectus. Sed quia filius est quaedam res patris, et non e converso; ideo
diligitur filius alia dilectione, inquantum res patris est, ut membrum
diligentis ipsius. Unde philosophus dicit, quod illud quod est ex aliquo
genitum, est propinquius, sicut membrum, puta pes vel dens. Et quia hoc modo
quasi una dilectione diligitur cum illa qua aliquid seipsum diligit; ideo
secundum hoc filius magis quam pater diligitur. Et secundum hanc viam
assignat philosophus tres rationes quare filii magis diliguntur parentibus.
Prima est quia filii sunt sicut membrum patris; unde aliquis diligit filium
sicut seipsum. Secundo, quia
patres sciunt magis aliquos esse suos filios quam e converso. Tertio, quia
bonum patris in filio refulget, sicut bonum causae in effectu; unde
naturaliter quilibet artifex diligit opera sua sicut filios. Sed quia amor
quo diligitur aliquid in seipso, magis habet de ratione benevolentiae, quae
est principium amicitiae et radix; ideo amicitia magis habetur ad patrem quam
ad filium, et caritas similiter, quamvis aliquo modo amor sit magis ad
filium. Quidam autem
dicunt, quod magis amantur filii affectu naturali, sed patres affectu
caritatis. Sed hoc non placet mihi: quia nihil naturalium inordinatum est:
esset autem inclinatio inordinata, si inclinaret in diligendum magis quod
minus diligendum est. Unde caritas ordinem naturae non mutat, sed perficit.
Praeterea in quibusdam homo magis inclinatur naturaliter ad amorem patris
quam ad amorem filii; sicut homo facilius expellit a se filium quam patrem,
quem non expellit nisi propter abundantem malitiam, ut philosophus dicit in 8
Ethic. Similiter etiam quaedam animalia inclinantur magis ad parentes quam ad
filios inclinatione naturali in quibusdam, sicut narrat Basilius in
Hexameron, Lib. 8, de ciconiis, quae parentes suos aetate confectos fovent
plumis, alimenta ministrant, et in volatu supportant. Unde constat quod etiam
secundum naturalem inclinationem et secundum caritatem distinctione opus est. |
Réponse. Comme on l’a dit dans le corps de l’article précédent, l’amitié pour les proches se fonde sur ce qui est naturellement commun. Or, tout ce qui est naturellement commun se fonde sur l’origine selon laquelle existent le père et le fils. En effet, on parle de frères pour ceux qui naissent d’un même père, et ainsi de suite. Toute l’amitié envers les proches se fonde donc sur l’amitié du père pour son fils. C’est pourquoi cette amitié est plus grande qu’une autre envers les proches. Or, dans cette amitié, les fils l’emportent d’une certaine manière sur les parents et les parents sur les fils, selon une double forme de l’amour. En effet, quelque chose est aimé comme une réalité distincte : ainsi, j’aime un homme ; et quelque chose comme faisant partie d’un autre : ainsi, j’aime ma main ou un autre membre de l’amour par lequel je m’aime. Si l’on parle de l’amour d’une chose en elle-même, les parents sont ainsi davantage aimés que les fils ; mais si l’on parle de l’amour par lequel quelque chose qui fait partie d’un autre est aimé, les fils sont ainsi davantage aimés que les parents. La raison en est qu’une chose est d’autant plus aimée qu’elle nous est plus proche. Or, une chose est plus proche d’une autre lorsqu’elle a un ordre essentiel à celle-ci, plutôt que celle qui lui est ordonnée de manière accidentelle. Or, la cause essentielle joue, en regard de l’effet, le rôle de genre pour l’espèce ; mais l’effet a un rapport accidentel avec la cause, car il en découle comme l’espèce [découle] du genre, à moins que l’effet ne fasse partie de la cause, car ainsi l’effet sera comparé à la cause comme une partie intégrale, qui existe en acte et de manière essentielle dans un tout. Or, selon que [l’effet] fait partie de la cause, il n’en est pas distinct, mais il est une seule chose avec elle. Considérant donc le père et le fils comme des personnes distinctes en elles-mêmes, le père est ainsi davantage aimé, puisqu’il est cause, que le fils, qui est effet. Mais parce que le fils est quelque chose du père, et non l’inverse, le fils est donc aimé d’un autre amour en tant qu’il est quelque chose du père, comme un membre de lui-même qu’il aime. Le Philosophe dit ainsi que ce qui est engendré par quelqu’un est plus proche, tel un membre, par exemple, le pied ou une dent. Et parce qu’il est aimé du même amour par lequel quelqu’un s’aime lui-même, le fils est donc ainsi plus aimé que le père. Le Philosophe donne ainsi trois raisons pour lesquelles les fils sont plus aimés que les parents. La première est que les fils sont comme un membre du père ; celui-ci aime donc son fils comme lui-même. Deuxièmement, les pères savent davantage que certains sont leurs fils que l’inverse. Troisièmement, le bien du père brille dans son fils comme le bien de la cause dans l’effet ; ainsi, n’importe quel artiste aime ses œuvres comme des fils. Mais parce que l’amour par lequel quelque chose est aimé en soi-même a davantage un caractère de bienveillance, qui est le principe et la racine de l’amitié, l’amitié envers le père est plus grande que celle envers le fils. De même en est-il de la charité, bien que l’amour envers le fils soit plus grande d’une certaine manière. Mais certains disent que les fils sont davantage aimés selon l’amour naturel, alors que les pères le sont davantage selon la disposition affective de la charité. Mais je ne suis pas d’accord avec cela, car rien de ce qui est naturel n’est désordonné. Or, ce serait une inclination désordonnée si elle inclinait à aimer davantage ce qui doit être moins aimé. La charité ne change donc pas l’ordre de la nature, mais elle le perfectionne. De plus, chez certains, l’homme est naturellement plus incliné à l’amour du père qu’à l’amour du fils ; ainsi, un homme chasse plus facilement son fils que son père, qu’il ne chasse qu’en raison d’une grande méchanceté, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VIII. De même, certains animaux dont plus inclinés par une inclination naturelle vers leurs parents que vers leurs fils, comme le raconte Basile dans son Hexaméron, livre VIII, à propos des cigognes, qui réchauffent leurs parents avancés en âge de leurs plumes, leur apportent de la nourriture et les aident à voler. Il est donc clair que, même selon l’inclination naturelle et selon la charité, il faut faire une distinction. |
[11493] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod pater causa est filii; causae autem est
influere in causatum, et non e converso. Unde amor naturalis ad filium
attenditur secundum inclinationem naturalem affectus ad benefaciendum sibi;
sed amor filii ad patrem attenditur secundum inclinationem naturalem ad
subjiciendum se ei; et haec inclinatio non est minor quam prima, immo major. Unde majorem malitiam
oportet advenire ad hoc quod homo avertatur ab ista inclinatione quam a
prima. Quamvis autem
aliquo in casu pater sit inferior filio, inquantum indiget auxilio ejus; hoc
tamen non convenit patri inquantum pater est: quia inquantum pater est,
semper est superior et causa. Et quia natura semper inclinat ad illud quod
semper est et per se, non ad illud quod accidit in casu; ideo non est tanta
inclinatio naturalis ad benefaciendum patri sicut ad benefaciendum filio. Sed
hanc inclinationem facit ratio, quae in hominibus supplet illud ad quod
natura non sufficiebat. In aliis autem animalibus, in quibus hoc frequenter
contingit, quod patres propter senectutem indigent filiorum auxilio, quia
rationem non habent, indidit natura inclinationem filiis ut patribus
providerent, sicut e converso, ut dictum est de ciconiis. |
1. Le père est cause du fils. Or, il revient à la cause d’exercer une influence sur ce qui est causé, mais non l’inverse. L’amour naturel pour le fils est donc envisagé selon l’inclination affective naturelle à se faire du bien ; mais l’amour du fils pour son père est envisagé selon l’inclination naturelle à se soumettre à lui, et cette inclination n’est pas moindre que la première, bien plus, elle est plus grande. Il faut donc une plus grande méchanceté pour qu’un homme se détourne de cette inclination plutôt que de la première. Bien que, dans un cas, le père soit inférieur au fils pour autant qu’il a besoin de son aide, cela ne convient pas au père en tant qu’il est père, car, en tant que père, il est toujours supérieur et cause. Et parce que la nature incline toujours à qui existe toujours et par soi, et non à ce qui survient dans un cas, l’inclination naturelle à faire du bien à son père n’est pas aussi grande qu’à faire du bien à son fils. Toutefois, la raison, qui compense chez les hommes ce pour quoi la nature ne suffisait pas, réalise cette inclination. Mais, chez les autres animaux, chez qui il arrive fréquemment qu’en raison de leur vieilllesse, les pères aient besoin de l’aide de leurs fils, parce qu’il n’ont pas de raison, la nature a mis à l’intérieur des fils une inclination à prendre soin des parents, comme l’inverse, ainsi qu’on l’a dit des cigognes. |
[11494] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio illa
procedit de amore filii, secundum quod diligitur ut bonum patris: sic enim beneficiatum
naturaliter plus diligitur quam beneficians, inquantum est factura
benefacientis, quia relucet in eo opus suum. |
2. Cet argument porte sur l’amour du fils en tant qu’il est aimé comme le bien du père. En effet, celui qui reçoit un bienfait est davantage aimé que celui qui le donne, pour autant qu’il est l’œuvre de celui qui donne le bienfait, car son action brille en lui. |
[11495] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
uxor in actum generationis assumitur; unde videtur in eodem gradu ponenda esse, quantum ad
amorem benevolentiae, cum filiis. |
3. L’épouse est prise en vue de l’acte de la génération. Il semble donc qu’elle doive être située au même degré que les fils, pour ce qui est de l’amour de bienveillance. |
[11496] Super Sent.,
lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod matres naturaliter plus diligunt filios quam patres propter tres
rationes. Primo, quia magis laborant in eorum generatione, unde ponunt magis
ibi de suo. Secundo, quia magis sciunt quod sunt sui filii quam patres.
Tertio, quia statim natos secum tenent et nutriunt; non autem patres: sicut
et consanguineos cum quibus conversati sumus, magis diligimus, quia amicitiae
naturali adjungitur amicitia socialis: et hoc totum redit ad hoc quod plus de
suo ponit mater in filio quam pater. Sed plus de eo quod est filii, ponitur a patre quam a matre, quia
pater dat formam, et mater dat materiam; et ideo naturaliter homo plus
diligit patrem, et consanguineos ex parte patris, quam ex parte matris. |
4. Les mères aiment plus leurs fils que les pères pour trois raisons. Premièrement, parce qu’elles peinent davantage à les engendrer ; elles y mettent donc davantage du leur. Deuxièmement, parce qu’elles savent davantage qu’ils sont leurs fils que ce n’est le cas de les pères. Troisièmement, parce que, dès qu’ils sont nés, elles les gardent avec elles et les nourrissent ; mais ce n’est pas le cas des pères. Nous aimons ainsi davantage les consanguins avec lesquels nous vivons parce qu’une amitié sociale s’ajoute à l’amitié naturelle. Tout cela revient à ce que la mère donne davantage d’elle-même au fils que le père. Mais le père contribue davantage que la mère à ce qui fait le fils parce que le père donne la forme et la mère donne la matière. C’est pourquoi un homme aime davantage son père et les consanguins paternels que les consanguins maternels. |
[11497] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum, quod filia in his quae ad perfectionem pertinent,
quae ipsa magis in se diligit, plus similatur patri quam matri; sed in his
quae pertinent ad defectus plus similatur matri quam patri, et hoc non est
dilectionis ratio; et ideo etiam homo plus diligit naturaliter fratres quam
sorores, inquantum perfectius imitantur patrem quam sorores. |
5. La fille, pour ce qui se rapporte à la perfection qu’elle aime le plus en elle-même, ressemble plus à son père qu’à sa mère ; mais, pour ce qui se rapporte davantage à son insuffisance, elle ressemble davantage à sa mère qu’à son père, et cela n’est pas une raison d’aimer. C’est pourquoi un homme aime naturellement davantage ses frères que ses sœurs, en tant qu’ils imitent davantage le père que ne le font ses sœurs. |
[11498] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis fratres sint propinquiores patri,
tamen filii sunt propinquiores nobis. Nos autem debemus nosipsos magis
diligere quam patres; et ideo magis filios quam fratres diligimus. |
6. Bien que les frères soient plus proches du père, les fils nous sont cependant plus proches. Or, nous devons nous aimer nous-mêmes davantage que nos pères. C’est pourquoi nous aimons davantage nos fils que nos frères. |
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Articulus 8 [11499] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a.
8 tit. Utrum gradus
caritatis convenienter distinguantur |
Article 8 – Les degrés de la charité sont-ils distingués de manière appropriée ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Les
degrés de la charité sont-ils distingués de manière inappropriée ?]
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[11500] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 arg. 1 Ad octavum sic
proceditur. Videtur quod inconvenienter
distinguantur isti gradus caritatis. Quia perfectio caritatis consistit in
hoc quod Deus ex toto corde diligatur. Sed hoc non est possibile in via, ut
supra dictum est, distinct. 27, quaest. 3, art. 2. Ergo caritas in via non
potest esse perfecta. |
1. Il semble que ces degrés de la charité soient distingués de manière inappropriée, car la perfection de la charité consiste en ce que nous aimions Dieu de tout notre cœur. Or, cela n’est pas possible sur la route, comme on l’a dit plus haut, d. 27, q. 3, a. 2. La charité ne peut donc être parfaite sur la route. |
[11501] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 arg. 2 Praeterea, illud quod est semper in augeri, non potest esse perfectum.
Sed caritas, quamdiu in hac vita sumus, semper potest augeri, ut in 1 Lib.,
dist. 17, quaest. 1, art. 1, corp., dictum est. Ergo non potest esse
perfecta. |
2. Ce qui est destiné à toujours s’accroître ne peut être parfait. Or, la charité, aussi longtemps que nous sommes dans cette vie, peut toujours s’accroître, comme on l’a dit dans le livre I, d. 17, q. 1, a. 1, c. Elle ne peut donc être parfaite. |
[11502] Super Sent.,
lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 arg. 3 Praeterea, in quolibet motu possunt accipi infinita media inter primum
et ultimum. Sed caritas
incipiens est quasi principium motus; terminus autem perfectio caritatis est.
Ergo possunt infiniti gradus assignari. |
3. En tout mouvement, on peut envisager des moyens termes infinis entre ce qui est premier et ce qui est dernier. Or, la charité qui commence est comme le principe du mouvement, mais la perfection de la charité est comme le terme. On peut donc lui assigner des degrés infinis. |
[11503] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 arg. 4 Praeterea, quando incipit, etiam est proficiens. Ergo non debet
distingui proficiens ab incipiente. |
4. Lorsquè [la charité] commence, elle est déjà en progrès. On ne doit donc pas faire de distinction entre celle qui progresse et celle qui commence. |
[11504] Super Sent.,
lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, vita spiritualis similatur vitae naturali. Sed in profectu
naturalis vitae assignantur determinati gradus aetatum. Ergo et in caritate, secundum quam est
spiritualis vita animae, debent determinati gradus assignari. |
Cependant,
[1] la vie spirituelle ressemble à la vie
naturelle. Or, dans le progrès de la vie naturelle, des degrés déterminés
sont assignés selon les âges. Selon qu’elle est la vie spirituelle de l’âme, on doit donc assigner des degrés déterminés à la charité. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 –
[Tous sont-ils tenus à une charité parfaite ?]
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[11505] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod omnes teneantur ad caritatem perfectam. Quia
stare in via Dei, ut dicit Bernardus, retrocedere est. Sed omnis qui procedit in
via Dei, ad perfectionem tendit. Ergo omnes tenentur ad perfectionem
caritatis tendere. |
1. Il semble que tous soient tenus à une charité parfaite, car « s’arrêter sur le chemin de Dieu, c’est reculer », comme le dit Bernard. Or, tous ceux qui avancent sur le chemin de Dieu tendent à la perfection. Tous sont donc tenus de tendre à la perfection de la charité. |
[11506] Super Sent.,
lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 arg. 2 Praeterea, quilibet tenetur magis diligere proximum quam corpus
proprium. Sed ponere vitam corporalem pro fratribus est perfectae caritatis. Ergo quilibet tenetur ad
perfectam caritatem. |
2. Tous sont tenus d’aimer davantage le prochain que leur propre corps. Or, donner sa vie corporelle pour ses frères relève d’une charité parfaite. Tous sont donc tenus à une charité parfaite. |
[11507] Super Sent.,
lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 arg. 3 Praeterea, illi qui negaverunt Deum propter timorem mortis, a peccato
non excusantur. Sed non
peccassent nisi tenerentur ad hoc. Ergo quilibet tenetur ad moriendum pro
Christo, quod est perfectae caritatis. |
3. Ceux qui ont renié Dieu par crainte de la mort ne sont pas exempts de péché. Or, ils n’auraient pas péché s’ils n’étaient tenus à cela. Tous sont donc tenus de mourir pour le Christ, ce qui relève d’une charité parfaite. |
[11508] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 arg. 4 Praeterea, philosophus dicit in 8 Ethic., quod in honoribus qui sunt
ad parentes et ad Deum, non possumus reddere aequivalens; sed justitia
attenditur in hoc quod reddit illis quod potest. Sed ad opus justitiae omnes
tenentur. Ergo quilibet debet pro Deo facere totum quod potest. Potest autem
ad opera perfectionis se extendere. Ergo tenetur ad illa. |
4. Le Philosophe dit, dans Éthique, VIII, que nous ne pouvons rendre l’équivalent des honneurs qui s’adressent à nos parents et à Dieu ; mais considère en cela comme justice de leur rendre ce qu’on peut. Or, tous sont tenus d’agir avec justice. Tous sont donc tenus de faire pour Dieu tout ce qu’ils peuvent. Or, ils peuvent s’adonner aux œuvres de la perfection. Ils y sont donc tenus. |
[11509] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, quilibet
peccat omittens id ad quod tenetur. Si ergo omnes
tenentur ad perfectam caritatem, omnes imperfecti damnarentur; quod falsum
est. |
Cependant, tous pèchent en omettant ce à quoi ils sont tenus. Si donc tous sont tenus à une charité parfaite, tous ceux qui sont imparfaits seront damnés, ce qui est faux. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 –
[Ceux qui ont une charité parfaite sont-ils tenus à tout ce qui relève de la
perfection ?]
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[11510] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod habentes caritatem perfectam teneantur ad omnia
quae sunt perfectionis. Quia, sicut dicit Gregorius, cum crescunt dona,
rationes etiam crescunt donorum; et Luc. 10, 1, dicitur: cui plus
committitur, plus ab eo exigitur. Sed ei qui habet perfectam caritatem, plus
committitur. Ergo et plus tenetur secundum exigentiam doni accepti; et ita
videtur quod teneatur ad ea quae perfectionis sunt. |
1. Il semble que ceux qui ont une charité parfaite soient tenus à tout ce qui relève de la perfection, car, ainsi que le dit Grégoire, « lorsque les dons augmentent, le compte des dons augmente aussi » ; et il est dit en Lc 10, 1 : On exige plus de celui à qui on a davantage confié. Or, davantage est confié a celui qui a une charité plus grande. L’obligation est donc plus grande pour lui selon que l’exige le don reçu, et ainsi il semble qu’il soit tenu à ce qui relève de la perfection. |
[11511] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut se habet
imperfectus ad communia, ita se habet perfectus ad ea quae perfectionis sunt.
Sed imperfectus tenetur ad communia. Ergo et perfectus ad ea quae
perfectionis sunt. |
2. Le rapport de l’imparfait à ce qui est commun est le même que celui du parfait à ce qui relève de la perfection. Or, l’imparfait est tenu à ce qui est commun. Le parfait est tenu à ce qui relève de la perfection. |
[11512] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 arg. 3 Praeterea, apostolus
tenebatur ad evangelizandum (quia dicit 1 Corinth. 9, 16: si non evangelizavero, vae mihi est; necessitas enim mihi
incumbit), quod est perfectionis; non nisi quia habebat perfectam
caritatem. Ergo illi qui
habent perfectam caritatem, tenentur ad ea quae perfectionis sunt. |
3. L’Apôtre était tenu d’évangéliser (car il dit en 1 Co 9, 16 : Malheur à moi si je n’évangélise pas ; c’est pour moi une obligation), ce qui relève de la perfection ; ce ne pouvait être que parce qu’il avait une charité parfaite. Ceux qui ont une charité parfaite sont donc tenus à ce qui relève de la perfection. |
[11513] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, quanto aliquis plus habet de
caritate, plus habet de libertate: quia ubi spiritus domini, ibi libertas;
2 Corinth. 3, 17. Sed perfectam caritatem habens, potissime habet libertatem.
Ergo minus habet de obligatione. Ergo obligatus est ad minora quam alii. |
Cependant, [1] plus grande est la charité de quelqu’un, plus grande est sa liberté, car là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté, 2 Co 3, 17. Or, celui qui a une charité parfaite a la plus grande liberté. Il est donc moins obligé. Il est donc obligé à moins que les autres. |
[11514] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, perfectionis est lingua non
offendere et peccata venialia vitare. Sed hoc nullus facit, nec etiam apostoli.
Ergo perfecti non obligantur ad ea quae perfectionis sunt. |
[2] Il relève de la perfection de ne pas offenser par la langue et d’éviter les péchés véniels. Or, personne n’accomplit cela, pas même les apôtres. Les parfaits ne sont donc pas obligés à ce qui relève de la perfection. |
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Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
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[11515] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem,
quod sicut in augmento corporali distinguuntur diversae aetates secundum
diversos effectus notabiles in quos natura proficit, quos prius exercere non
poterat; ita etiam in augmento spirituali assignantur gradus diversi
caritatis secundum aliquos notabiles effectus quos in habente caritatem
caritas relinquit. Primus ergo effectus caritatis est ut homo a peccato
discedat; et ideo mens caritatem habentis in primis circa hoc maxime
occupatur ut a peccatis praeteritis emundetur, et a futuris praecaveat; et quantum
ad hunc effectum dicitur caritas incipiens. Secundus effectus est ut jam fiduciam de liberatione peccatorum habens
ad bonum adipiscendum se extendat; et quantum ad hunc effectum dicitur
caritas proficiens: non quin in aliis statibus proficiat, sed quia in hoc
statu praecipua cura est de adipiscendis bonis, dum homo semper ad
perfectionem anhelat. Tertius effectus est ut homo jam ad ipsa bona quasi
connutritus, quodammodo sibi naturalia habeat ipsa, et in eis quiescat et
delectetur: et hoc ad perfectam caritatem pertinet. Status autem medius duo
habet: unum secundum quod comparatur ad primum statum, quia roboratur contra
mala, de quibus caritas incipiens sollicita est; aliud quod nutritur,
secundum quod tendit in statum tertium, semper magis ac magis bona quasi sibi
incorporando. Similiter etiam perfecta caritas duos habet gradus. Unus est
secundum quod in bonis communibus quasi jam secura conquiescit; et secundum
hoc dicitur perfecta: alius secundum quod ad quaelibet difficilia manum
mittit; et secundum hoc dicitur perfectissima; vel perfecta quantum ad statum
viae, perfectissima quantum ad statum patriae. |
De même que, dans la croissance corporelle, on distingue divers âges suivant divers effets observables selon lesquels la nature progresse, et qu’elle ne pouvait auparavant exercer, de même, pour la croissance spirituelle, assigne-t-on divers degrés de la charité selon certains effets observables qu’elle laisse chez celui qui possède la charité. Le premier effet de la charité consiste donc en ce que l’homme s’éloigne du péché. Ainsi, l’esprit de celui qui possède la charité s’occupe surtout d’être purifié des péchés passés et d’éviter les péchés futurs. Selon cet effet, on parle d’une charité débutante. Le deuxième effet consiste en ce que, confiante d’être libérée des péchés, elle s’applique à atteindre le bien. Selon cet effet, on parle de charité en progrès, non pas qu’elle progresse en d’autres états, mais parce que, dans cet état, la préoccupation principale est d’atteindre le bien, alors que l’homme aspire toujours à la perfection. Le troisième effet consiste en ce que l’homme, déjà nourri de biens, les possède comme s’ils lui étaient d’une certaine manière naturels, se repose en eux et s’en délecte. Et cela relève de la charité parfaite. Or, l’état intermédiaire comporte deux aspects : l’un, selon lequel il est comparé au premier état, car il est affermi contre les maux dont se préoccupait la charité débutante ; l’autre, qui nourrit, selon lequel il tend au troisième état, pour ainsi dire en s’incorporant toujours de plus en plus de biens. De même, la charité parfaite comporte-t-elle deux degrés. L’un consiste en ce qu’elle se repose dans les biens ordinaires comme s’ils étaient déjà assurés : [la charité] est ainsi appelée parfaite. L’autre [consiste] en ce qu’elle entreprend tout ce qui est difficile : la charité est ainsi appelée la plus parfaite. Ou bien, elle est appelée parfaite pour ce qui est de l’état de la route, et la plus parfaite pour ce qui est de l’état de la patrie. |
[11516] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod praeceptum illud quodammodo servatur in via quantum ad perfectionem viae,
quodammodo in patria quantum ad perfectionem patriae. |
1. Ce commandement est observé d’une certaine manière sur la route, pour ce qui est de la perfection sur la route, et d’une certaine manière dans la patrie, pour ce qui est de la perfection de la patrie. |
[11517] Super Sent.,
lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis caritas semper augeatur quantum ad
intensionem circa eosdem effectus; non tamen augetur ut addantur ei aliqui
notabiles effectus qui prius non fuerunt. |
2. Bien que la charité augmente toujours en intensité selon les mêmes effets, elle ne s’accroît cependant pas de manière à ce que lui soient ajoutés certains effets observables qui ne s’y trouvaient pas. |
[11518] Super Sent.,
lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis possint accipi infinita media, non
tamen habent notabilem diversitatem. |
3. Bien qu’on puisse concevoir des intermédiaires infinis, ils ne se distinguent cependant pas de manière notable. |
[11519] Super Sent.,
lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis incipiens proficiat, magis tamen
occupatur mens ejus circa remotionem malorum quam circa profectum in bona; et
ideo non dicitur proficiens quantum ad statum, quia moralia denominantur a
fine. |
4. Bien que le débutant progresse, son esprit est cependant davantage occupé à écarter le mal qu’à progresser dans le bien. C’est pourquoi on ne dit pas qu’il progresse selon l’état, car les réalités morales tirent leur nom de leur fin. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
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[11520] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod
quantitatis caritatis dupliciter potest attendi. Uno modo secundum
intensionem caritatis; alio modo secundum objecta: sicut est etiam de
quantitate cujuslibet virtutis vel moralis vel naturalis: et secundum hoc
etiam potest attendi duplex perfectio caritatis: una secundum intensionem,
scilicet ut perfecte diligat; alia secundum objecta vel effectus, ut perfecta
faciat. Unaquaeque autem harum perfectionum potest dupliciter attendi in
caritate. Habet enim perfectionem quantum ad esse suum, secundum quod est
perfecta in specie sua: et haec est perfectio sufficientiae, et ad hanc omnes
tenemur, sicut ad caritatem: quia caritas habet quantitatem determinatam
utroque modo, citra quam non porrigitur; et in hoc stat perfectio essentialis
ipsius. Habet etiam perfectionem quantum ad bene esse; et in hac perfectione
distinguendum est: quia ad perfectionem quae est per intensionem tenetur
tendere, quamvis non teneatur eam habere: sed ad perfectionem quae est
secundum objecta non tenetur simpliciter quis neque tendere, neque eam habere;
sed tenetur eam non contemnere, nec contra eam se obfirmare. Et ratio est,
quia praemium essentiale, ad quod tendere tenemur, mensuratur secundum
intensionem caritatis, non secundum magnitudinem factorum: quia Deus magis
pensat ex quanto quam quantum fiat. Sed tamen tenetur in casu ad aliqua opera perfectionis operibus
similia, ut dicetur. |
On peut considérer la charité de deux manières. D’une manière, selon l’intensité de la charité ; d’une autre manière, selon les objets, comme c’est aussi le cas pour la quantité de toutes les vertus morales ou naturelles. On peut ainsi penser aussi à une double perfection de la charité : l’une, selon l’intensité, à savoir qu’on aime parfaitement ; l’autre, selon les objets ou les effets, à savoir qu’on réalise des choses parfaites. Or, on peut considérer chacune de ces deux perfections de la charité de deux manières. En effet, elle possède une perfection pour ce qui est de son être, selon qu’elle est parfaite dans son espèce : il s’agit d’une perfection suffisante, à laquelle nous sommes tous tenus, comme à la charité, car la charité possède une quantité déterminée des deux manières, au-delà desquelles elle ne s’étend pas. C’est en cela que consiste sa perfection essentielle. Elle possède aussi une perfection selon son mieux-être. Pour cette perfection, il faut faire une distinction, car on est tenu de tendre à la perfection qui se réalise par l’intensité, bien qu’on ne soit pas tenu de la posséder. Mais on n’est tenu ni de tendre, ni de posséder la perfection selon les objets ; on est cependant tenu de ne pas la mépriser ni de s’y opposer. La raison en est que la récompense essentielle, vers laquelle nous sommes obligés de tendre, se mesure selon l’intensité de la charité, et non selon la grandeur des actes, car Dieu évalue plutôt la grandeur de la source des actes que leur quantité. Cependant, nous sommes tenus occasionnellement à certains actes qui ressemblent aux actes de la perfection, comme on le dira. |
[11521] Super Sent.,
lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod intelligitur de profectu qui est
secundum intensionem, in quem debet homo semper conari. |
1. Il s’agit du progrès selon l’intensité, auquel on doit toujours s’efforcer. |
[11522] Super Sent.,
lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum scimus fratrem posse liberari per
mortem corporis a morte animae sine periculo animae nostrae; tunc tradere
animam pro fratribus non est perfectionis, sed necessitatis: alias autem est
perfectionis. |
2. Lorsque nous savons qu’un frère peut être libéré de la mort de l’âme par la mort de [notre] corps sans danger pour notre âme, livrer notre âme pour nos frères ne relève pas de la perfection, mais de la nécessité. Mais il en va autrement de la perfection. |
[11523] Super Sent.,
lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 ad 3 Et similiter dicendum ad tertium quod perfectionis est quod homo
persecutionibus se offerat, quando incumbit periculum fidei; sed quod
comprehensus non neget, hoc necessitatis est. |
3. Il relève de la perfection qu’un homme s’expose à des persécutions, lorsque menace un danger pour la foi ; mais qu’il ne renie pas lorsqu’il a été capturé, cela relève de la nécessité. |
[11524] Super Sent.,
lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in illis quae non sunt determinata ad unum,
non potest tota potentia obligari ad aliquid unum; quia periret ratio
contingentiae, secundum quam aliquid deficere potest in minori parte. Cum
ergo homines in statu isto non habeant liberum arbitrium determinatum, non
exigitur quod totum posse expendatur in servitium Dei: hoc enim erit in
patria, quando jam defectus incidere non poterit: sed sufficit quod nihil de
posse nostro contra Deum expendamus, et illa quae nobis determinata sunt
faciamus; alias periret ratio nostri status. Unde sicut Deus non exigit a nobis quantum ipse dedit nobis, quia non
possumus; ita non exigit a nobis quantum possumus, quia hoc esset contra
rationem nostri status. |
4. Dans ce qui n’est pas déterminé à une seule chose, toute la puissance ne peut être liée à une seule chose, car la raison de contingence disparaîtrait, selon laquelle quelque chose peut faire défaut dans un petit nombre de cas. Puisque les hommes dans cet état n’ont pas un libre arbitre déterminé, il n’est donc pas requis que tout son pouvoir soit investi dans le service de Dieu. En effet, ce sera le cas dans la patrie, lorsque ne surviendra plus de carence. Mais il suffit que nous n’investissions contre Dieu rien de ce que nous pouvons et que nous accomplissions ce qui a été déterminé pour nous, autrement la raison de notre état disparaîtrait. De même donc que Dieu n’exige pas de nous autant qu’il nous a donné, car nous ne le pouvons pas, de même aussi n’exige-t-il pas de nous autant que nous pouvons, car cela serait contraire à la raison de notre état. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
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[11525] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem
dicendum, quod habens caritatem perfectam potest intelligi dupliciter. Uno
modo quantum ad perfectionem caritatis quae est penes objecta; sicut dicuntur
perfecti illi quibus competit opera perfectionis facere vel ex voto, sicut
religiosis, vel ex officio, sicut praelatis; et sic ex debito non tenentur
tales perfecti ad quae alii non teneantur, nisi ad illa quae voverunt, vel
quae officio suo sunt annexa; unde nec praelati nec religiosi tenentur ad
omnia consilia. Alio modo quantum ad perfectionem caritatis quae est secundum
intensionem, sicut aliquis saecularis laicus fervens in caritate; et talis
non obligatur ad opera perfectionis nisi sicut alii; sed obligatur ad
intensius Deum diligendum pro bonis acceptis; et ad hoc ex habitu caritatis
perfecto inclinatur. |
On peut entendre celui qui a la charité parfaite de deux manières. D’une manière, quant à la perfection de la charité en rapport avec ses objets ; ainsi, on appelle parfaits ceux à qui il convient de poser les actes parfaits soit en raison d’un vœu, comme les religieux, soit en raison de leur fonction, comme les prélats. De cette manière, ces parfaits ne sont tenus par obligation à ce à quoi les autres ne sont pas tenus que pour ce dont ils ont fait vœu ou pour ce qui est associé à leur fonction. Ainsi, ni les prélats ni les religieux ne sont tenus à tous les conseils. D’une autre manière, quant à la perfection de la charité selon son intensité : ainsi, un laïc séculier à la charité fervente. Celui-ci n’est obligé aux œuvres de perfection que comme les autres, mais il est obligé d’aimer Dieu plus intensément pour les biens reçus. Et il est incliné à cela par l’habitus parfait de la charité. |
[11526] Super Sent.,
lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod tenetur ad plus et perfectius agendum,
sed non ad opera alia facienda ex commisso; quamvis alius forte plus teneatur
ex dimisso. Sed commissum multo majus est quam dimissum: quia bonum est magis
bonum quam malum sit malum. Tamen ille qui est debitor ex dimisso, tenetur ad
aliqua ad quae iste non tenetur, sicut ad satisfaciendum. |
1. Il est tenu d’en faire plus et plus parfaitement, mais non de faire d’autres choses en vertu d’un engagement, bien qu’il soit tenu à plus en vertu de la rémission. Mais l’engagement est beaucoup plus grand que la rémission, car le bien est meilleur que le mal n’est mauvais. Cependant, celui qui est débiteur en vertu de la rémission est tenu à certaines choses auxquelles celui-là n’est pas tenu, par exemple, satisfaire. |
[11527] Super Sent.,
lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 ad 2 Ad secundam dicendum, quod illa ratio falsum supponit, nisi
intelligatur de perfectis qui voverunt aliqua perfectionis opera, ad quae
tenentur prae aliis. |
2. Cet argument suppose une fausseté, à moins qu’il ne soit entendu des parfaits qui ont fait vœu de certaines œuvres de perfection, auxquelles ils sont davantage tenus que les autres. |
[11528] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
Paulo competebat hoc propter officium praelationis. Sciendum tamen, quod
ratio facta ad oppositum, minus concludit: quia perfecti non minus tenentur,
sed minus ex debito moventur: quia amor magis eos quam debitum movet, etiam
in his quae debent; et quantum ad hoc dicitur major in eis esse libertas. |
3. Cela revenait à Paul en raison de sa fonction de supérieur. Il faut cependant savoir que l’argument avancé en sens contraire est moins concluant, car les parfaits ne sont pas moins tenus, mais ils sont moins mus en vertu d’une obligation, car l’amour les meut davantage que la dette, même pour ce qu’ils doivent. Ainsi dit-on qu’une plus grande liberté existe en eux. |
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Expositio textus |
Explication du texte de Pierre
Lombard, Dist. 29
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[11529] Super
Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 expos. Multorum caritas inordinata est. Caritatem hic large pro dilectione vel
amicitia ponit. Qui si boni sint, malis filiis praeponendi sunt: non
in illis quae ad naturalem communicationem pertinent, sicut est hereditatis
dimissio, educatio, et hujusmodi; nisi forte superabundans malitia filiorum
eos indignos paterno beneficio faciat. Perfecta caritas est, ut quis sit
paratus pro fratribus mori. Contra. Imperfectus non est paratus pro Deo
mori. Ergo perfectus magis diligit proximum quam imperfectus Deum. Et
dicendum, quod hoc contingit ex hoc quod perfectus minus amat vitam
corporalem quam imperfectus. Et iterum perfectus hoc facit ex superabundantia
divinae caritatis. Non enim potest esse ut aliqua caritas tantum diligat
proximum quantum aliqua Deum. Sed hae duae dilectiones non sunt nisi unius
generis; sed una est ut finis et causa diligendi; alia ut ejus quod est ad
finem, et ut ejus quod rationem diligendi ex alio sortitur; unde non sunt comparabiles.
Cum ad perfectionem pervenerit, dicit: cupio dissolvi. Instantiam
videtur habere in beato Petro, cui dominus dixit, Joan. 21, 18: extendes
manum tuam, et alius ducet te quo tu non vis; et in beato Martino, qui
vivere non recusavit. Ad primum ergo dicendum, quod illud intelligitur de
voluntate naturali; hoc autem de voluntate rationis. Ad secundum dicendum,
quod perfecta caritas, inquantum habet aliquid de amore concupiscentiae, sic
vult potissime frui Deo; sed secundum quod consistit principalius in
benevolentia, sic facit appetere id quod est Deo placitum; et secundum hoc
loquebatur beatus Martinus. De augmento autem caritatis dictum est in Lib. 1,
dist. 27, quaest. 2, art. 1, 2, 3, 4. |
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Distinctio 30 |
Distinction 30 – [L’ordre de la
charité du point de vue de l’efficacité du mérite]
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Prooemium |
Prologue |
[11530] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de ordine
caritatis respectu diversorum diligendorum quantum ad quantitatem
dilectionis, hic determinat ordinem quantum ad efficaciam merendi. Dividitur
autem haec pars in duas: in prima prosequitur suam intentionem; in secunda
movet quamdam dubitationem ex dictis, ibi: illud vero quod sequitur, magis
nos movet. Prima in duas: in prima ponit quaestionem; in secunda determinat
eam, ibi: sed haec comparatio implicita est. Et circa hoc tria facit:
primo determinat quaestionem; secundo objicit in contrarium, ibi: Augustinus
tamen sentire videtur majus esse diligere inimicum quam amicum; tertio
solvit, ibi: quod si quis simpliciter concedere noluerit (...) determinet
ista secundum praemissam intelligentiam. Illud vero quod sequitur, magis nos
movet. Hic tria facit: primo ponit dubitationem; secundo ponit quamdam
falsam solutionem, ibi: quidam quod hic dicitur, simpliciter tenere
volentes, illud praeceptum determinant; tertio ponit opinionem propriam,
ibi: sed melius est ut intelligatur omnibus illo mandato praecipi cunctos
diligere, etiam inimicos. Hic quaeruntur quinque: 1 utrum omnes diligere
teneantur inimicos; 2 utrum teneantur eis signa dilectionis exhibere; 3 quid
majoris meriti sit, diligere inimicum, vel diligere amicum; 4 quid sit
majoris meriti, diligere Deum, vel proximum; 5 utrum tota virtus merendi
penes caritatem consistat. |
Après avoir déterminé de l’ordre de la charité par rapport aux diverses personnes qui doivent être aimées et du point de vue de la quantité de l’amour, le Maître détermine ici de l’ordre du point de vue de l’efficacité du mérite. Cette partie est divisée en deux : dans la première, il poursuit son intention ; dans la seconde, il soulève un doute à propos de ce qui a été dit, à cet endroit : « Mais ce qui suit nous incite davantage… » La première partie [se divise] en deux : dans la première, il présente la question ; dans la seconde, il en détermine, à cet endroit : « Mais cette comparaison est implicite… » À ce propos, il fait trois choses : premièrement, il détermine de la question ; deuxièmement, il présente une objection en sens contraire, à cet endroit : « Mais Augustin semble penser qu’il est plus grand d’aimer un ennemi qu’un ami » ; troisièmement, il y répond, à cet endroit : « Si quelqu’un ne veut pas le concéder simplement…, qu’il en détermine selon l’interprétation qui précède. » Ici, il fait trois choses : premièrement, il présente le doute : deuxièmement, il présente une fausse réponse, à cet endroit : « Certains, en voulant simplement soutenir ce qui est dit ici,, déterminent de ce commandement… » ; troisièmement, il présente sa propre opinion, en cet endroit : « Mais il est mieux de comprendre que, par ce commandement, il est ordonné d’aimer tout le monde, même les ennemis. » Ici, cinq questions sont posées : 1. Tous sont-ils obligés d’aimer les ennemis ? 2. Sont-ils obligés de leur montrer des signes d’amour ? 3. Qu’est-ce qui est plus méritoire : aimer un ennemi ou aimer un ami ? 4. Qu’est-ce qui est plus méritoire : aimer Dieu ou aimer le prochain ? 5. Toute la capacité de mériter réside-t-elle dans la charité ? |
Articulus 1 [11531] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a.
1 tit. Utrum omnes teneantur
diligere inimicos |
Article 1 – Tous sont-ils obligés d’aimer les ennemis ? |
[11532] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod
non omnes teneantur ad diligendum inimicos. Matth. 5: diligite inimicos
vestros; dicit Glossa: hoc perfectorum est. Sed ad ea quae sunt
perfectionis non omnes tenentur, ut supra dictum est. Ergo non tenentur omnes
inimicos diligere. |
1. Il semble que tous ne soient pas obligés d’aimer les ennemis. À propos de Mt 5 : Aimez vos ennemis, la Glose dit : « Cela est pour les parfaits. » Or, tous ne sont pas obligés à ce qui relève de la perfection, comme on l’a dit plus haut. Tous ne sont donc pas obligés d’aimer les ennemis |
[11533] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, non tenentur
ad plura homines in nova lege quam in veteri, ut patet Matth. 14, ubi super illud: acceptis quinque panibus etc., dicit
Glossa: non alia quam quae scripta erant praedicat, sed legem et prophetas
gravia esse demonstrat. Sed in veteri lege non tenebantur homines ad diligendum inimicos;
Matth. 5, 43: dictum
est antiquis: diliges amicum tuum, et odio habebis inimicum tuum. Ergo non tenemur ad
dilectionem inimicorum. |
2. Les hommes ne sont pas obligés à plus de choses sous la loi nouvelle que sous l’ancienne, comme cela ressort de Mt 14, où, à propos de ceci : Ayant pris cinq pains, etc., la Glose dit : « Il ne prêche que ce qui avait été écrit, mais il montre que la loi et les prophètes sont des réalités lourdes. » Or, sous la loi ancienne, les hommes n’étaient pas obligés d’aimer les ennemis. Mt 5, 43 : Il a été dit aux anciens : « Tu aimeras ton ami et tu haïras ton ennemi. » Nous ne sommes donc pas obligés à l’amour de nos ennemis. |
[11534] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, natura non inclinat in aliquid contrarium caritati. Sed
omnis natura inclinat in detestationem contrarii. Cum ergo inimicus,
inquantum hujusmodi, sit contrarius nobis, videtur quod non teneamur ex
caritate inimicos diligere. |
3. La nature n’incline pas à quelque chose de contraire à la charité. Or, toute nature incline à la détestation de son contraire. Puisque l’ennemi en tant que tel nous est contraire, il semble donc que nous ne soyons pas tenus d’aimer nos ennemis en vertu de la charité. |
[11535] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, illos quibus optamus, et de quorum malis gaudemus, non
diligimus. Sed licet optare mala inimicis, et de eorum malis gaudere; unde in
Scriptura sacra frequenter ponuntur imprecationes contra inimicos; et in
consolationem fidelium inducitur hostium destructio. Ergo non tenemur
inimicos diligere. |
4. Nous n’aimons pas ceux à qui nous souhaitons des maux et nous nous en réjouissons. Or, il est permis de souhaiter des maux à nos ennemis et de nous réjouir de leurs maux ; c’est ainsi que, dans l’Écriture sainte, sont formulées des imprécations contre les ennemis et que, pour la consolation des croyants, on incite à leur destruction. Nous ne sommes donc pas tenus d’aimer nos ennemis. |
[11536] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, caritas facit voluntatem hominis voluntati divinae
conformari. Sed Deus odit aliquos, sicut dicitur Malach. 1, 2: Esau odio
habui. Ergo licet inimicos odio habere. |
5. La charité fait que la volonté de l’homme se conforme à la volonté divine. Or, Dieu hait certains, comme il est dit en Ml 1, 2 : J’ai haï Ésaü. Il est donc permis de haïr nos ennemis. |
[11537] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, hoc videtur
expresse in Psalm. 138, 22: perfecto odio oderam illos. Sed omnis perfectio ex
caritate est. Ergo caritas
facit inimicos odire, non solum quod non faciat eos diligere. |
6. Cela semble être expressément le cas dans Ps 138, 22 : Je les haïssais d’une haine totale. Or, toute perfection vient de la charité. La charité nous fait donc haïr nos ennemis ; elle ne fait pas seulement que nous ne les aimions pas. |
[11538] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Levit. 19, 18: non quaeras ultionem, nec memor eris
injuriae civium tuorum. |
Cependant,
[1] Lv 19,18 : Tu ne chercheras pas la vengeance et tu ne te souviendras pas du tort
de tes concitoyens. |
[11539] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Prov. 24, 17: si ceciderit inimicus tuus, ne gaudeas. |
[2] Pr 24, 17 : Si ton ennemi est tombé, ne te réjouis pas. |
[11540] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, caritas attendit in homine imaginem Dei, secundum quam
possibiles sunt ad communicandum nobiscum in vita gratiae, ut supra dictum
est. Sed hoc
invenitur in inimicis. Ergo tenemur diligere inimicos ex caritate. |
[3] La charité porte attention à l’image de Dieu chez les hommes, selon qu’ils peuvent avoir en commun avec nous la vie de la grâce, comme on l’a dit plus haut. Or, cela se rencontre chez les ennemis. Nous sommes donc obligés d’aimer nos ennemis par la charité. |
[11541] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod
secundum hoc tenemur aliquem diligere secundum quod nobiscum aliquam
communicationem habet. Inimicus autem noster habet quamdam nobiscum
communicationem in natura, secundum quam est possibilis ad communicandum
nobiscum in divina vita; et ideo in his quae pertinent ad naturam suam et ad
gratiam habendam, debemus eum diligere; sed inimicitiam suam quam adversus
nos habet, non debemus diligere: quia secundum eam nobiscum non communicat,
nec etiam sibi ipsi, sed magis contrariatur; sicut etiam de aliis peccatis
dictum est. |
Réponse. Nous sommes obligés d’aimer quelqu’un selon selon qu’il possède quelque chose en commun avec nous. Or, notre ennemi a quelque chose en commun avec nous par la nature, selon laquelle il peut avoir la vie divine en commun avec nous. C’est pourquoi nous devons l’aimer pour ce qui se rapporte à sa nature et à l’obtention de la grâce. Mais nous ne devons pas aimer l’inimitié qu’il a envers nous, car, selon elle, il n’a rien en commun avec nous ni avec lui-même, mais il s’y oppose plutôt, comme nous l’avons dit des autres péchés. |
[11542] Super Sent.,
lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod diligere inimicos quantum ad ostensionem signorum
benevolentiae, hoc perfectionis est, et ad hoc non omnes tenentur; sed quod
homo inimico suo optet gratiam Dei et vitam aeternam, quod specialiter
caritas respicit, hoc necessitatis est. |
1. Aimer les ennemis en leur montrant des signes de bienveillance relève de la perfection. Tous ne sont pas obligés à cela, mais il est nécessaire de souhaiter à son ennemi la grâce de Dieu et la vie éternelle, ce qui intéresse la charité d’une manière particulière. |
[11543] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod in veteri lege etiam homines tenebantur ad dilectionem inimicorum, sicut patet per auctoritatem
Levitici inductam. Unde quod dicitur: odio habebis inimicum tuum, non
est ex lege sumptum, quia nusquam hoc in littera invenitur; sed est additum
ex prava interpretatione Judaeorum, qui ex quo praecipiebatur dilectio
proximi, concludebant quod inimici essent odiendi. Additum autem est
consilium in nova lege de ostensione signorum benevolentiae ad inimicum. |
2. Même sous la loi ancienne, les hommes étaient tenus d’aimer leurs ennemis, comme cela ressort de l’autorité du Lévitique qui a été invoquée. Ce qui est dit : Tu haïras ton ennemi, n’est pas tiré de la loi, car on ne le trouve jamais dans le texte, mais cela a été ajouté par une mauvaise interprétation des Juifs, qui, du fait que l’amour du prochain était commandé, concluaient que les ennemis devaient être haïs. Mais, dans la loi nouvelle, le conseil de montrer des signes de bienveillance à l’ennemi a été ajouté. |
[11544] Super Sent.,
lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod natura inclinat ad odiendum inimicum, non inquantum est similis secundum
convenientiam in natura, aut in perceptibilitate gratiae, sed inquantum est
dissimilis. Hoc autem
contingit, inquantum est inimicitias exercens, quod summopere nobis
displicere debet. |
3. La nature incline à haïr l’ennemi, non pas en tant qu’il a la nature en commun avec nous ou qu’il peut recevoir la grâce, mais en tant qu’il est dissemblable. Or, cela se produit dans la mesure où il manifeste de l’inimitié, ce qui doit nous déplaire au plus haut point. |
[11545] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
caritas attendit ad quaedam bona per se, scilicet ad bona gratiae; ad quaedam autem per
accidens, inquantum ad ista ordinantur. Bona autem temporalia, quae per
accidens caritas attendit, et ex consequenti, possunt se invicem in diversis
impedire: quia prosperitas unius inducit adversitatem alterius. Unde quia caritas ordinem habet, et plus
debet diligere quisque se quam alium, et propinquos quam extraneos, et amicos
quam inimicos, et bonum commune multorum quam bonum privatum unius; potest
aliquis salva caritate optare malum temporale alicui, et gaudere si
contingit; non inquantum est malum illius, sed inquantum est impedimentum
malorum alterius quem plus tenetur diligere, vel communitatis, aut Ecclesiae.
Similiter de malo etiam ejus qui in malum temporale incidit, secundum quod
per malum poenae impeditur frequenter malum culpae ejus. Sed bona gratiae mutuo
se non impediunt: quia spiritualia bona a pluribus integre possideri possunt;
et ideo quantum ad hoc, nullus salva caritate potest malum alteri optare, vel
de malo gaudere; nisi inquantum in malo culpae vel damnationis alicujus
relucet bonum divinae justitiae, quod plus tenetur diligere quam aliquem
hominem. Sed hoc non est per se de malo gaudere, sed de bono quod adjunctum
est malo. |
4. La charité porte attention à certains biens en soi : les biens de la grâce, et à certains, par accident, selon qu’ils leur sont ordonnés. Or, les biens temporels, auxquels la charité porte attention par accident et par mode de conséquence, peuvent être des empêchements réciproques chez des sujets différents, car la prospérité de l’un entraîne l’adversité d’un autre. Parce que la charité comporte un ordre et doit davantage aimer soi-même qu’un autre, les proches plutôt que les étrangers, les amis plutôt que les ennemis et le bien commun plutôt le bien privé d’un seul, quelqu’un peut donc, la charité étant sauve, souhaiter un mal temporel à un autre et se réjouir s’il survient, non pas en tant qu’il est le mal de celui-ci, mais en tant qu’il empêche les maux d’un autre, de la communauté ou de l’Église, qu’il est davantage tenu d’aimer. Il en va de même pour celui qui tombe dans un mal temporel, selon que, par le mal de peine, le mal de faute est souvent empêché de sa part. Mais les biens de la grâce ne sont pas des empêchements les uns pour les autres, car les biens spirituels peuvent être entièrement possédés par plusieurs. C’est pourquoi, sur ce point, personne ne peut souhaiter de mal à autrui, la charité étant sauve, ni se réjouir du mal, si ce n’est dans la mesure où, dans le mal de faute ou de la damnation de quelqu’un, brille le bien de la justice divine, qu’on est davantage tenu d’aimer qu’un homme. Mais cela n’est pas par soi se réjouir du mal, mais d’un bien qui est associé à un mal. |
[11546] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Deus etiam non vult malum alicujus, loquendo
de malo culpae; sed permittit, et haec permissio bona est. Malum autem
poenae, cujus ipse est auctor, vult non inquantum malum, quia non delectatur
in poenis, sed inquantum justum. |
5. Même Dieu ne veut pas le mal de quelqu’un, si l’on parle du mal de faute ; mais il [le] permet, et cette permission est bonne. Mais il veut le mal de peine, dont il est lui-même l’auteur, non pas en tant qu’il est un mal, car il ne prend pas plaisir aux peines, mais en tant qu’il est juste. |
[11547] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non oderat eos perfecto odio, nisi inquantum
Deo inimici erant; hoc autem est inquantum peccabant; unde non odiebat in eis
quos perfecto odio oderat, nisi peccatum. |
6. Il ne les haïssait pas d’une haine totale, si ce n’est pas dans la mesure où ils étaient les ennemis de Dieu. Or, c’était le cas dans la memsure où ils péchaient. Aussi ne haïssait-il que le péché en ceux qu’il haïssait d’une haine totale. |
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Articulus 2 [11548] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 tit. Utrum omnes teneantur ostendere inimicis signa caritatis |
Article 2 – Tous sont-ils obligés de montrer à leurs ennemis des signes de la charité ? |
[11549] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod omnes teneantur ad ostendendum signa amicitiae
inimicis. Signa enim amicitiae sunt praecipue beneficia ad amicos. Sed homo
tenetur benefacere inimicis: Proverb. 25, 21: si esurierit inimicus tuus, ciba
illum. Ergo tenetur ostendere signa amicitiae ad inimicos. |
1. Il semble que tous soient obligés de montrer des signes d’amitié à leurs ennemis. En effet, les signes d’amitié sont principalement des biens accordés aux amis. Or, l’homme est tenu de faire du bien à ses ennemis, Pr 25, 21 : Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger. On est donc tenu de manifester des signes d’amitié à ses ennemis. |
[11550] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, Ecclesia orat
pro inimicis, ut patet per Glossam, Matth. 5, et in
collecta: pietate tua, ubi dicit: amicis et inimicis nostris veram
caritatem largire. Sed oratio est praecipuum beneficium quod alicui
impendi potest. Cum ergo actus Ecclesiae cuilibet membro Ecclesiae conveniat,
videtur quod quilibet qui est membrum Ecclesiae, teneatur inimicis beneficus
esse. |
2. L’Église prie pour ses ennemis, comme cela ressort de la Glose sur Mt 5, et dans la collecte : Dans ta tendresse…, où elle dit : « … montrer une vraie charité à nos amis et à nos ennemis ». Or, la prière est le principal bienfait qui puisse être accordé à quelqu’un. Puisque l’acte de l’Église convient à tous les membres de l’Église, il semble donc que tous ceux qui sont membres de l’Église soient obligés de se montrer bienveillants envers leurs ennemis. |
[11551] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, nullus debet habere simulatam dilectionem. Sed dilectio
quae non ostendit se in opere, non est vera dilectio: quia probatio
dilectionis est exhibitio operis, ut Gregorius dicit; et 1 Joan. 3, 18,
dicitur: non diligamus lingua et verbo, sed opere et veritate. Ergo
cum quilibet debeat inimicum diligere, quilibet tenetur opera dilectionis ad
illum extendere. |
3. Personne ne doit avoir un amour simulé. Or, l’amour qui ne se manifeste pas par l’action n’est pas un amour véritable, car « la preuve de l’amour se trouve dans la manifestation de l’action », comme Grégoire le dit. Et il est dit en 1 Jn 3, 18 : N’aimons pas de langue et en parole, mais en acte et en vérité. Puisque tous doivent aimer leur ennemi, tous sont donc obligés d’accomplir envers lui des actes d’amour. |
[11552] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, simul, Matth.
5, praecipitur diligere
inimicos, et benefacere eis. Ergo eadem ratione homines obligantur ad
utrumque. Sed ad primum omnes tenentur. Ergo et ad secundum. |
4. En Mt 5, il est commandé d’aimer les ennemis et de leur faire du bien. Pour la même raison, les hommes sont donc obligés aux deux choses. Or, tous sont obligés à la première. [Ils le sont] donc aussi à la seconde. |
[11553] Super Sent.,
lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, abnegare
homini signa familiaritatis, et sua beneficia, quaedam vindicta est. Sed homo
tenetur non se vindicare, sicut patet Rom. 12, 18: non vosmetipsos
vindicantes. Ergo tenetur
non subtrahere sua beneficia inimicos. |
5. Refuser à quelqu’un des signes de familiarité et ses bienfaits est une vengeance. Or, on est tenu de ne pas se venger, comme cela ressort de Rm 12, 18 : Sans vous venger… On est donc tenu de ne pas refuser ses bienfaits à ses ennemis. |
[11554] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 6 Sed contra, Matth. 5, dicit Glossa,
quod benefacere inimicis et orare pro eis, est cumulus perfectionis. Sed ad
illa quae sunt perfectionis, non omnes tenentur. Ergo neque ad praestandum
inimicis beneficia. |
6. À propos de Mt 5, la Glose dit que faire du bien à ses ennemis et prier pour eux est le sommet de la perfection. Or, tous ne sont pas tenus à ce qui relève de la perfection. Donc, non plus, à accorder des bienfaits aux ennemis. |
[11555] Super Sent.,
lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 7 Praeterea, in veteri
lege frequenter filiis Israel praeceptum fuit ut persequerentur hostes suos, et non inirent cum
eis foedus. Ergo non
tenebantur benefacere eis; ergo nec modo. |
7. Sous la loi ancienne, il a été souvent ordonné aux fils d’Israël de poursuivre leurs ennemis et de ne pas contracter d’alliance avec eux. On n’était donc pas tenu de leur accorder des bienfaits. Donc, maintenant non plus. |
[11556] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 8 Praeterea, videmus quod etiam modo Ecclesia indicit bella contra
tyrannos et infideles. Ergo licet inimicis mala facere: multo igitur minus
non oportet eis benefacere. |
8. Nous voyons que, même maintenant, l’Église ordonne des guerres contre les tyrans et les infidèles. Il est donc permis de faire du mal aux ennemis. Encore bien moins ne faut-il pas leur faire de bien. |
[11557] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod
effectus caritatis debet affectui respondere; unde secundum quod tenetur quis affectum
caritatis ad inimicum habere, ita et effectum ad eum extendere. Caritas autem, ut dictum est dist. 28, art.
4, respicit bona gratiae, quae sunt communia omnibus viventibus vel actu vel
potentia; et ideo est communior vel latior quam aliqua alia amicitia, quae ad
pauciores se extendit, inquantum fundatur super communicatione aliqua quae
non ad omnes est. In omnibus autem illud quod est commune vehementius est;
sed illud quod est proprium, plura complectitur actu; et perfectio communis
est in hoc quod se extendit ad illa quae complectitur proprium, ut genus
perficitur per additionem differentiae: sicut esse vehementius inhaeret quam
vivere, et tamen vivere aliquid complectitur actu quod esse non habet nisi in
potentia; unde perfectio esse est secundum quod se extendit ad vitam. Sic
ergo caritas vehementius optat alicui bona gratiae, circa quae est
principaliter, quam aliqua alia amicitia bona correspondentia illi amicitiae;
tamen non est de necessitate caritatis, sed de perfectione, quod ad illa bona
se extendat. Et ideo quilibet ex necessitate tenetur odienti se optare bona
aeterna, non autem bona temporalia; sed hoc est de perfectione caritatis ut
etiam ad ista se extendat. Sed quia remotio mali praecedit ordine
generationis adeptionem boni, ideo affectus nulli optat aliquod bonum cui
aliquod malum, inquantum est malum, optat. Unde quamvis sit de perfectione
caritatis ut bona temporalia optemus inimicis; tamen est de necessitate
salutis ut mala eis non optemus, vel optemus non inquantum mala, sed per
accidens, ut prius dictum est. Et similiter est de effectu: quia cooperari in
his quae sunt ad vitam aeternam pro loco, tempore, et modo suo, tenetur homo
etiam inimico, saltem orando in communi, ut eum a suis orationibus non
excludat, quamvis forte specialem mentionem de eo non faciat; sicut nec
oportet quod de omnibus ad quos caritatem habet, specialem orationem faciat,
sed communem. In aliis autem bonis non tenetur ei cooperari, nisi necessitas
incumbat; sed est de perfectione caritatis. Sed tenetur non facere ei malum,
nisi inquantum est impedimentum majoris mali, vel promotivum majoris boni, ut
justitiae, vel alicujus hujusmodi. |
Réponse. L’effet (effectus) de la charité doit correspondre à la disposition affective (affectui). Selon qu’on est tenu d’avoir une disposition affective de charité envers son ennemi, de même doit-on lui en manifester l’effet. Or, comme on l’a dit, d. 28, a. 4, la charité concerne les biens de la grâce, qui sont communs à tous les vivants en acte ou en puissance. C’est pourquoi elle est davantage partagée ou plus large qu’une autre amitié, qui s’étend à un plus petit nombre, dans la mesure où elle est fondée sur quelque chose qui n’est pas commun à tous. Or, en toutes choses, ce qui est commun est plus impétueux ; mais ce qui est propre embrasse plus de choses en acte ; et la perfection commune consiste dans ce qui s’étend aux réalités que comprend ce qui est propre, comme le genre est perfectionné par l’ajout de la différence. Ainsi, le fait d’être adhère plus impétueusemenet que le fait de vivre, et cependant le fait de vivre comprend en acte quelque chose que le fait d’être ne comprend qu’en puissance. En conséquence, la perfection de l’être consiste en ce qu’elle aille jusqu’à la vie. Ainsi donc, la charité souhaite à quelqu’un avec plus d’impétuosité les biens de la grâce, sur lesquels elle porte principalement, qu’une autre amitié les biens correspondant à cette amitié ; cependant, il ne relève pas de ce qui fait nécessairement partie de l’amitié, mais de sa perfection, qu’elle aille jusqu’à ces biens. C’est pourquoi tous sont nécessairement tenus de souhaiter les biens éternels à celui qui les hait, mais non les biens temporels ; mais il relève de la perfection [de la charité] qu’elle aille jusqu’à ces biens. Mais parce que, dans l’ordre de la génération, l’éloignement du mal précède l’obtention du bien, la disposition affective ne souhaite aucun bien à celui à qui elle souhaite un mal en tant que mal. Ainsi donc, bien qu’il relève de la perfection de la charité que nous souhaitions des biens temporels à nos ennemis, il n’est cependant pas nécessaire au salut que nous ne leur souhaitions pas de maux ou que nous [les] leur souhaitions, non en tant que maux, mais par accident, comme on l’a dit plus haut. Et de même en est-il pour l’effet, car l’homme est tenu de coopérer même avec son ennemi pour ce qui concourt à la vie éternelle, par le lieu, le temps et à sa manière, du moins en priant d’une manière générale sans l’exclure de ses prières, bien qu’il n’en fasse peut-être pas une mention spéciale, de même qu’il n’est pas nécessaire qu’il fasse une prière spéciale mais commune pour tous ceux envers qui il a la charité. Mais, pour les autres biens, il n’est pas obligé de coopérer avec lui, à moins que ne se présente une nécessité, mais cela relève de la perfection de la charité. Toutefois, il est obligé de ne pas lui faire de mal, sauf pour empêcher un mal plus grand ou pour promouvoir un bien plus grand, comme la justice ou quelque chose du genre. |
[11558] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod beneficia amicabilia procedunt ex liberatione, non ex debito. Necessitas autem facit omnia communia; et
ideo in necessitate subveniendum est etiam inimicis. Sed hic est magis
effectus justitiae quam amicitiae. |
1. Les bienfaits dus à l’amitié viennent de la liberté, et non d’une dette. Or, la nécessité rend tout commun. C’est pourquoi, en cas de nécessité, il faut venir au secours même des ennemis. Mais c’est là l’effet de la justice plutôt que de l’amitié. |
[11559] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod oratio est de his bonis quae pertinent ad
communicationem spiritualis vitae, quae caritas principaliter attendit; et
ideo non est simile de hoc et de aliis. |
2. La prière porte sur les biens qui relèvent d’une vie spirituelle commune, sur lesquels porte principalement la charité. Il n’en va donc pas de même de cela et des autres [biens]. |
[11560] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
non est simulata dilectio, quando tantum exhibetur in opere, quantum habetur
in affectu. |
3. L’amour n’est pas simulé lorsqu’on le manifeste en acte autant qu’il existe comme disposition affective. |
[11561] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illa duo aequali passu currunt, ut dictum
est. |
4. Ces deux choses vont d’un même pas, comme on l’a dit. |
[11562] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod negare homini
signa familiaritatis quando necessitas expeteret, esset vindicta; vel etiam
quando veniam peteret; vel quando se ille qui hostis habetur ad
familiaritatem ingereret, si habeatur praesumptio quod non simulate, vel
irrisorie facit: quia tunc diligit, et inter amicos deputandus est. Sed quod aliquis ultro se
ad familiaritatem inimico ingerat, hoc perfectionis est. |
5. Refuser à quelqu’un des signes de familiarité lorsque la nécessité l’exige serait une vengeance, ou encore s’il demandait pardon, ou si celui qui est considéré comme un ennemi s’introduisait parmi les familiers, alors qu’il n’y a pas présomption d’une simulation ou s’il ne le fait pas par dérision, car alors, il aime et doit être compté parmi les amis. Mais que quelqu’un, en se dépassant, s’introduise dans la familiarité d’un ennemi, cela relève de la perfection. |
[11563] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod
Glossa loquitur de illo beneficio quod sequitur caritatem perfectam, secundum quod procedit in
illa quae sunt aliarum specialium amicitiarum. |
6. La Glose parle d’un bienfait qui découle de la charité parfaite, selon que celle-ci progresse jusqu’à ce qui relève d’autres amitiés spéciales. |
[11564] Super Sent.,
lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 7 Ad septimum
dicendum, quod praeceptum fuit antiquis ut persequerentur hostes, et cum eis
foedus non inirent, inquantum per eorum amicitiam in idolatriam
pertrahebantur, et inquantum erant executores divinae justitiae ex praecepto
ejus qui auctoritatem habebat; non autem ita quod ex vindicta facerent. |
7. Le commandement de persécuter leurs ennemis a été donné aux anciens, alors qu’ils n’avaient pas contracté d’alliance, dans la mesure où, par leur amitié, ils étaient attirés vers l’idolâtrie et pour autant qu’ils étaient les instruments de la justice divine, en vertu d’un commandement de celui qui possédait l’autorité, et non de telle sorte qu’ils exercent des vengeances. |
[11565] Super Sent.,
lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 8 Et similiter
dicendum ad octavum, quod Ecclesia hoc modo movet bella adversus iniquos, vel
ut justitiam faciat, vel ut majus malum evitet, aut majus bonum inducat. |
8. Il faut dire la même chose à propos de l’Église qui suscite des guerres contre les injustes, soit pour faire justice, soit pour éviter un mal plus grand ou pour entraîner une plus grand bien. |
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Articulus 3 [11566] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a.
3 tit. Utrum majoris
meriti sit diligere amicum vel inimicum |
Article 3 – Y a-t-il plus de mérite à aimer un ami qu’un ennemi ? |
[11567] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod
majoris meriti sit diligere inimicum quam amicum. Matth. 5, 46, dominus
dicit: si dilexeritis eos qui vos diligunt, quam mercedem habebitis?
Sed meritum dicitur respectu mercedis. Ergo majoris meriti est diligere
inimicum quam amicum. |
1. Il semble qu’il y ait plus de mérite à aimer un ennemi qu’un ami. En Mt 5, 46, le Seigneur dit : Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? Or, on parle de mérite en rapport avec la récompense. Il y a donc plus de mérite à aimer un ennemi qu’un ami. |
[11568] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3
arg. 2 Praeterea,
illud quod est perfectionis, est majoris meriti: quia caritas perfecta plus
meretur quam imperfecta. Sed diligere inimicum est caritatis perfectae,
diligere autem amicum non. Ergo diligere inimicum est majoris meriti. |
2. Ce qui relève de la perfection est plus méritoire, car la charité parfaite mérite davantage que [la charité] imparfaite. Or, aimer un ennemi relève de la charité parfaite, mais non aimer un ami. Aimer un ennemi est donc plus méritoire. |
[11569] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, ubi major est difficultas, ibi majus meritum: quia magis
pertinet ad virtutem quae est circa difficile. Sed diligere inimicum est
difficilius quam diligere amicum. Ergo est majoris meriti. |
3. Là où la difficulté est plus grande, là existe un plus grand mérite, car cela relève davantage de la vertu, qui porte sur ce qui est difficile. Or, aimer un ennemi est plus difficile qu’aimer un ami. Cela est donc plus méritoire. |
[11570] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, secundum
Gregorium, servitia tanto sunt magis accepta, quanto minus debita. Sed minus est debitum diligere inimicum
quam diligere amicum. Ergo magis Deo acceptum et magis meritorium. |
4. Selon Grégoire, les services sont d’autant plus agréables qu’ils sont moins dus. Or, il est moins dû d’aimer un ennemi qu’aimer un ami. Cela est donc plus agréable à Dieu et plus méritoire. |
[11571] Super Sent.,
lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, virtus
merendi est ex gratia. Sed ad dilectionem inimicorum movet tantum gratia, ad dilectionem amicorum movet simul
natura cum gratia. Ergo magis est
meritorium diligere inimicum quam diligere amicum. |
5. La capacité de mériter vient de la grâce. Or, seule la grâce incite à l’amour des ennemis, mais la nature avec la grâce incite ensemble à l’amour des amis. Il est donc plus méritoire d’aimer un ennemi qu’aimer un ami. |
[11572] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 6 Sed contra, quanto aliquis actus est magis bonus, tanto est magis
meritorius. Sed melius est diligere amicum quam inimicum, quia est actus
magis cadens supra debitam materiam. Ergo melius est diligere amicum quam
inimicum. |
6. Meilleur est un acte, plus il est méritoire. Or, il est meilleur d’aimer un ami qu’un ennemi, car c’est un acte qui s’applique davantage à une matière obligatoire. Il est donc mieux d’aimer un ami qu’un ennemi. |
[11573] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, minus bonum dimittendum est pro magis bono, si necessitas
incumbit. Sed dilectio inimicorum dimittenda esset magis quam dilectio
amicorum; quod patet ex effectu qui affectui proportionatur: quia quando non
possumus amicis et inimicis in extrema necessitate existentibus subvenire,
tenemur magis subvenire amicis quam inimicis. Ergo diligere amicum est magis
bonum quam diligere inimicum. |
7. Un bien moins bon doit être écarté pour un bien meilleur, si la nécessité se présente. Or, l’amour des ennemis doit être davantage écarté que l’amour des amis : cela ressort de l’effet qui est proportionné à la disposition affective, car lorsque nous ne pouvons pas venir au secours des amis et des ennemis en cas d’extrême nécessité, nous sommes davantage tenus de venir au secours des amis que des ennemis. Aimer un ami est meilleur qu’aimer un ennemi. |
[11574] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 8 Praeterea, illud quod est commune et primum, melius est quam illud
quod superadditur; sicut esse melius est quam vivere, si sine esse
consideretur; ut dicit Dionysius. Sed diligere amicum est commune et primum
fundamentum caritatis, cui superadditur dilectio inimicorum. Ergo diligere
amicum est melius et magis meritorium quam diligere inimicum. |
8. Ce qui est commun et premier est meilleur que ce qui s’y ajoute, comme être est meilleur que vivre, si on l’envisage sans l’être, comme le dit Denys. Or, aimer un ami est le fondement commun et premier de la charité, à quoi s’ajoute l’amour des ennemis. Aimer un ami est donc meilleur et plus méritoire qu’aimer un ennemi. |
[11575] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod praedicta
comparatio dilectionum potest intelligi dupliciter, scilicet quantum ad
actus, et quantum ad habitus. Si quantum ad actus, sciendum est, quod quando
quaeritur de duobus actibus quis sit melior et magis meritorius, oportet quod
quaestio intelligatur de illis per se loquendo secundum genus suum. Contingit
enim quod illud quod secundum genus est minus bonum vel meritorium, aliquo
adveniente efficiatur magis bonum vel meritorium, sicut parvum opus ex magna
caritate factum magis est meritorium quam magnum ex parva. Bonitas autem
actus ad duo mensuratur, ex quibus bonitatem recipit; scilicet ex termino vel
objecto, et ex principio, quod est voluntas. Ex termino autem habet speciem
bonitatis, sed ex voluntate habet rationem merendi; quia secundum hoc est in
potestate facientis quod ex voluntate procedit. Si ergo comparemus dilectionem
amici et inimici quantum ad terminos sive objecta; cum objectum magis
competens dilectioni sit amicus quam inimicus; sic melius est diligere amicum
quam inimicum. Si vero comparemus duas dilectiones praedictas ad principium,
quod est voluntas; sic ubi est major conatus voluntatis, ibi oportet esse
majus meritum: quia quanto est major conatus voluntatis, tanto est ferventior
voluntas de fine, propter quem attentat illud, quod secundum se sibi est
magis repugnans; quamvis sit magis remissa quandoque circa id ad quod magis
conatur. Meritum autem consistit ex hoc quod voluntas ad finem afficitur. Et
ideo si comparemus actus talium dilectionum, dilectio inimici est magis
meritoria, inquantum hujusmodi: quia secundum quod hujusmodi, exigit majorem
conatum et majorem fervorem circa finem, quamvis dilectio amici sit magis
intensa circa objectum; sed dilectio amici est melior quantum ad bonitatem
essentialem quae consequitur speciem actus, quia actus specificatur ex
objecto. Si autem comparentur praedictae dilectiones quantum ad habitus, sic
oportet quod vel intelligatur de dilectione inimicorum quae est necessitatis;
et sic nulla est comparatio, quia idem habitus est aequalis respectu
utriusque; vel de dilectione inimicorum quae est perfectionis; et sic dilectio
inimicorum includit dilectionem amicorum, et non e converso; et sic dilectio
inimicorum melior est. |
Réponse. La comparaison faite entre les amours peut s’entendre de deux manières : pour ce qui est de l’acte, et pour pour ce qui est de l’habitus. S’il s’agit de l’acte, il faut savoir que lorsqu’on se demande lequel de deux actes est meilleur et plus méritoire, la question doit s’entendre de ce qui relève de son genre à parler de soi. En effet, il arrive que ce qui est moins bon ou moins méritoire selon son genre, devienne meilleur ou plus méritoire en raison d’une circonstance : ainsi, une petite action accomplie par une charité plus grande est plus méritoire qu’une grande action accomplie par une petite charité. Or, la bonté d’un acte se mesure selon les deux choses dont il reçoit sa bonté : son terme ou son objet, et son principe, qui est la volonté. Or, il a une espèce de bonté en raison de son terme, mais il a une raison de mériter par la volonté, car il est ainsi au pouvoir de celui qui l’accomplit qu’il vienne de la volonté. Si donc nous comparons l’amour d’un ami et d’un ennemi pour ce qui est des termes ou des objets, puisque l’objet qui convient davantage à l’amour est l’ami plutôt que l’ennemi, il est ainsi meilleur d’aimer un ami qu’un ennemi. Mais si nous comparons les deux amours en question à leur principe, qui est la volonté, là où est le plus grand effort de volonté, là doit être le plus grand mérite, car plus grand est l’effort de la volonté, plus la volonté recherche intensément la fin pour laquelle elle entreprend ce qui lui répugne davantage, bien qu’elle soit parfois plus relâchée par rapport à ce à quoi elle s’efforce. Or, le mérite vient du fait que la volonté est affectée par la fin. Si nous comparons les actes de ces amours, l’amour d’un ennemi est donc plus méritoire en tant que tel, car, en tant que tel, il exige un plus grand effort et une plus grande intensité par rapport à la fin, bien que l’amour soit plus intense par rapport à l’objet ; mais l’amour d’un ami est meilleur pour ce qui est de la bonté essentielle qui découle de l’espèce de l’acte, car l’acte reçoit son espèce de l’objet. Mais si l’on compare les actes en question pour ce qui est des habitus, il faut alors l’entendre de l’amour des ennemis qui est nécessaire, et ainsi, il n’y a pas de comparaison, car le même habitus est égal par rapport aux deux ; ou de l’amour des ennemis qui relève de la perfection, et ainsi l’amour des ennemis inclut l’amour des amis, mais non l’inverse, et ainsi l’amour des ennemis est meilleur. |
[11576] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dilectio qua tantum amici diliguntur,
non procedit ex gratia; et ideo non potest esse meritoria, nec mercedem
habere: sed tamen si actus dilectionis qua amicos diligimus, sit gratia
informatus, meritorius est, et mercedem habet. |
1. L’amour par lequel seuls les amis sont aimés ne vient pas de la grâce. C’est pourquoi il ne peut être méritoire ni avoir de récompense. Cependant, si l’acte d’amour par lequel nous aimons nos amis tire sa forme de la grâce, il est méritoire et il obtient une récompense. |
[11577] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod diligere inimicum non omnibus modis
perfectionis est; sed inquantum perfectionis est, efficitur magis meritorium,
secundum quod exigit majorem conatum. |
2. Aimer un ennemi n’est pas le fait de tous les modes de perfection ; mais, en tant que cela relève de la perfection, cela devient plus méritoire selon que cela exige un effort plus grand. |
[11578] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod difficultas non facit ad meritum nisi
inquantum facit majorem inclinationem et conatum voluntatis in aliquid. |
3. La difficulté ne contribue au mérite que pour autant qu’elle provoque une plus grande inclination et un plus effort de la volonté vers quelque chose. |
[11579] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod debitum non diminuit rationem meriti nisi
quatenus diminuit rationem voluntarii, secundum quod quamdam necessitatem
importat. Sed si voluntarie debitum reddatur, nihilominus ibi erit tantum
meriti quantum est ibi de ratione voluntarii. |
4. Ce qui est dû ne diminue la raison de mérite que dans la mesure où cela diminue la raison de volontaire, selon que cela comporte une certaine nécessité. Mais si ce qui dû est volontairement rendu, il y aura là autant de mérite qu’il y a de volontaire. |
[11580] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod natura non est contraria gratiae: unde
admixtio naturae ad gratiam non facit remissionem in effectibus gratiae, quae
causatur ex permixtione contrarii. |
5. La nature n’est pas contraire à la grâce. Le mélange de la nature à la grâce n’affaiblit pas les effets de la grâce, qui sont affaiblis par le mélange d’un contraire. |
[11581] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod actus habet bonitatem ex objecto et ex fine:
et bonitas quae est ex objecto, est materialis respectu illius quae est ex
fine, quam voluntas attendit: et penes istam potius consistit meritum. |
6. Un acte tire sa bonté de son objet et de sa fin. La bonté qui vient de l’objet joue le rôle de matière par rapport à celle qui vient de la fin, que vise la volonté. Or, le mérite vient plutôt de celle-ci. |
[11582] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in illis quae se habent secundum additionem
unius ad alterum, est consequentia in contrario, non consequentia in ipso;
sicut patet in homine et animali; sicut enim se habet homo ad animal, ita se
habet non animal ad non homo. Unde quia conatus qui est in dilectione
inimicorum, se habet ex additione ad illum qui est in dilectione amicorum;
ideo sicut diligere inimicum est meriti, secundum quod est major conatus, ita
dimittere dilectionem amicorum est magis malum. |
7. Pour ce qui relève de l’ajout d’une chose à une autre, la conséquence se trouve dans le contraire, et l’absence de conséquence, en elle. Par exemple, pour l’homme et l’animal : le rapport de l’homme à l’animal est le même que ce qui n’est pas un animal par rapport à ce qui n’est pas un homme. Parce que l’effort qui existe dans l’amour des ennemis vient d’un ajout à celui qui existe dans l’amour des amis, de même qu’aimer un ennemi est méritoire en raison d’un plus grand effort, de même écarter l’amour des amis est-il un plus grand mal. |
[11583] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ratio illa procedit de bonitate quam actus
habet ex propria ratione suae speciei, quae est ex objecto. |
8. Ce raisonnement
vient de la bonté que l’acte a en raison de son espèce, qui vient de l’objet. |
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Articulus 4 [11584] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 tit. Utrum diligere proximum sit magis meritorium quam diligere Deum |
Article 4 – Aimer son prochain est-il plus méritoire qu’aimer Dieu ? |
[11585] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic
proceditur. Videtur quod diligere proximum sit magis meritorium quam diligere
Deum. Naturalibus enim non meremur. Sed diligere Deum est naturale: quia amor
summi boni omnibus naturaliter inest, ut dicit Dionysius. Ergo diligere Deum est minus meritorium
quam diligere proximum, quod non est adeo naturale. |
1. Il semble qu’aimer le prochain soit plus méritoire qu’aimer Dieu. En effet, nous ne méritons par ce qui est naturel. Or, aimer Dieu est naturel, car l’amour du Bien suprême est naturellement intrinsèque à toutes choses, comme le dit Denys. Aimer Dieu est donc moins méritoire qu’aimer le prochain, qui n’est pas aussi naturel. |
[11586] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, illud quod est fructuosius, videtur esse magis meritorium.
Sed ea quae pertinent ad vitam activam, sunt magis laboriosa et fructuosa
quam ea quae pertinent ad contemplativam. Ergo sunt magis meritoria. Sed dilectio
proximi pertinet ad vitam activam, dilectio autem Dei ad contemplativam. Ergo est magis meritorium proximum diligere
quam diligere Deum. |
2. Ce qui porte plus de fruit semble être plus méritoire. Or, ce qui se rapporte à la vie active est plus pénible et fructueux que ce qui se rapporte à la vie contemplative. Cela est donc plus méritoire. Or, l’amour du prochain se rapporte à la vie active, mais l’amour de Dieu, à la vie contemplative. Il est donc plus méritoire d’aimer le prochain qu’aimer Dieu. |
[11587] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, sicut diligere inimicum ponitur in ultimo gradu, ita
diligere Deum ponitur in primo gradu caritatis. Sed diligere inimicum est
magis meritorium quam diligere amicum. Ergo eadem ratione diligere proximum
quam diligere Deum. |
3. De même qu’aimer un ennemi se situe au dernier degré, de même aimer Dieu se situe au premier degré de la charité. Or, aimer un ennemi est plus méritoire qu’aimer un ami. Pour la même raison, aimer le prochain [est-il donc plus méritoire] qu’aimer Dieu. |
[11588] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, illud quod praesupponit aliud et non convertitur, videtur
esse perfectius. Sed dilectio proximi praesupponit dilectionem Dei, quia est
ratio diligendi proximum. Ergo dilectio proximi est magis meritoria quam
dilectio Dei. |
4. Ce qui présuppose une autre chose sans être convertible semble être plus parfait. Or, l’amour du prochain présuppose l’amour de Dieu, car celui-ci est la raison d’aimer le prochain. L’amour du prochain est donc plus méritoire que l’amour de Dieu. |
[11589] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, actus in quo
exigitur major conatus, oportet quod sit magis meritorius. Sed major conatus exigitur ad diligendum
inimicum quam ad diligendum Deum. Ergo dilectio proximi, ad minus quantum ad
dilectionem inimicorum, est magis meritoria quam dilectio Dei. |
5. L’acte pour lequel un effort plus grand est exigé doit nécessairement être plus méritoire. Or, un plus grand effort est exigé pour aimer un ennemi que pour aimer Dieu. L’amour du prochain, au moins pour ce qui est de l’amour des ennemis, est donc plus méritoire que l’amour de Dieu. |
[11590] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, propter quod unumquodque tale, et illud magis. Sed
dilectio proximi non est meritoria nisi inquantum ordinatur ad Deum actu vel
habitu. Ergo dilectio Dei est magis meritoria. |
Cependant, [1] la raison pour laquelle existe une chose compte davantage. Or, l’amour du prochain n’est méritoire que pour autant qu’il ordonné à Dieu en acte ou en habitus. L’amour de Dieu est donc plus méritoire. |
[11591] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, quanto caritas est magis intensa, magis erit meritoria. Sed intensius diligit caritas
Deum quam proximum. Ergo in hoc magis meretur. |
[2] Plus la charité est intense, plus elle est méritoire. Or, la charité aime Dieu plus intensément que le prochain. Pour cette raison, elle mérite donc davantage. |
[11592] Super Sent.,
lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, quaelibet
virtus efficacius operatur circa objectum suum, quanto est sibi magis
proprium, et per se. Sed objectum
per se caritatis est Deus, proximus autem non nisi consequenter; sicut
magnitudo visus consequenter, color per se. Ergo cum mereri sit effectus
caritatis, videtur quod sicut visus melius cognoscit colorem quam
magnitudinem (quia circa colorem non decipitur, sicut circa magnitudinem);
ita caritas magis mereatur in dilectione Dei quam in dilectione proximi. |
[3] Toute vertu agit d’autant plus efficacement sur son objet, qu’il lui est davantage propre et par soi. Or, l’objet par soi de la charité est Dieu, mais le prochain ne l’est que par mode de conséquence, comme l’amplitude de la vue existe par mode de conséquence, mais la couleur, par soi. Puisque mériter est l’effet de la charité, il semble donc que, de même que la vue connaît mieux la couleur que l’amplitude (car elle ne se trompe pas à propos de la couleur, comme c’est le cas à propos de l’amplitude), de même la charité mérite-t-elle davantage par l’amour de Dieu que par l’amour du prochain. |
[11593] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 s. c. 4 Praeterea, quod est difficilius, videtur esse magis meritorium. Sed
diligere Deum videtur difficilius quam diligere proximum; dicitur enim 1
Joan. 4, 20: qui proximum quem videt, non diligit; Deum quem non videt,
quomodo potest diligere? Ergo dilectio Dei est magis meritoria quam
dilectio proximi. |
4. Ce qui est plus difficile semble être plus méritoire. Or, aimer Dieu semble être plus difficile qu’aimer le prochain. En effet, il est dit en 1 Jn 4, 20 : Celui qui n’aime pas le prochain qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? L’amour de Dieu est donc plus méritoire que l’amour du prochain. |
[11594] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod
dilectio Dei est causa et ratio dilectionis proximi; unde dilectio Dei includitur
virtute in dilectione proximi sicut causa in effectu, et dilectio proximi
includitur in dilectione Dei sicut effectus in causa potestate. Nihilominus tamen alius est motus
dilectionis qui terminatur in proximum et qui sistit in Deo, sicut alius
actus est quo considerantur principia et conclusiones, quamvis praedicto modo
mutuo se includant. Comparando ergo hos duos motus ex duabus partibus, ut
supra dictum est, invenimus dilectionem Dei potiorem quam dilectionem
proximi, scilicet et quantum ad objectum, quod est competentius dilectioni,
et quantum ad voluntatem, quae intensius et promptius afficitur in Deum quam
in proximum; et ideo motus dilectionis in Deum est melior et magis meritorius
quam motus dilectionis in proximum, nisi dilectio proximi procedat ex majore
dilectione Dei, quam sit dilectio quae fertur in Deum immediate in aliquo
actu: quod quidem aliquando contingit, sed non semper: quia minima dilectio
caritatis in Deum sufficit ut extendat affectum in proximum. |
Réponse. L’amour de Dieu est la cause et la raison de l’amour du prochain. L’amour de Dieu est donc inclus par sa puissance dans l’amour du prochain comme la cause dans son effet, et l’amour du prochain est inclus en puissance dans l’amour de Dieu comme effet dans sa cause. Toutefois, autre est le mouvement de l’amour qui a son terme dans le prochain et qui aboutit à Dieu, de même qu’autre est l’acte par lequel nous considérons les principes et les conclusions, bien qu’ils s’incluent mutuellement de la manière déjà exposée. En comparant donc les deux mouvements des deux côtés, comme on l’a dit, nous trouvons que l’amour de Dieu est plus puissant que l’amour du prochain quant à son objet, qui convient davantage à l’amour, et quant à la volonté, qui est plus intensément et plus promptement éprise de Deu que du prochain. C’est pourquoi le mouvement d’amour vers Dieu est meilleur et plus méritoire que le mouvement d’amour vers le prochain, à moins que l’amour du prochain ne vienne d’un plus grand amour de Dieu de manière immédiate dans un acte, ce qui se produit parfois, mais pas toujours, car le plus petit amour de Dieu suffit à ce que la disposition affective atteigne le prochain. |
[11595] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa quae sunt pure naturalia, non sunt
meritoria; sed illa quae procedunt ex natura perfecta caritate et gratia,
sunt meritoria, nec natura rationem meriti diminuit, ut dictum est. |
1. Ce qui est purement naturel n’est pas méritoire ; mais ce qui vient de la nature perfectionnée par la charité et la grâce est méritoire, et la nature ne diminue pas la raison de mérite, comme on l’a dit. |
[11596] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod supposito quod actus activae vitae sit magis
meritorius quam actus contemplativae, quod forte non est verum, ut infra,
dist. 35, quaest. 1, art. 4, quaestiunc. 2, dicetur, non oportet quod
dilectio proximi sit magis meritoria quam dilectio Dei: quia dilectio Dei est
principium eorum quae ad utramque vitam pertinent, ut dictum est. Vel aliter
dicendum, quod dilectio Dei et proximi, quantum ad actum interiorem, pertinet
ad vitam contemplativam; unde Gregorius dicit super Ezech. quod contemplativa
vita insistit dilectioni Dei et proximi; sed quantum ad actus exteriores
utraque ad vitam activam pertinet; quamvis hujusmodi actus in proximos
extendatur, quia Deus operum nostrorum non eget. |
2. En supposant que l’acte de la vie active soit plus méritoire que l’acte de la vie contemplative, ce qui n’est peut-être pas vrai, comme on le dira à la d. 35, q. 1, a. 4, qa 2, il n’est pas nécessaire que l’amour du prochain soit plus méritoire que l’amour de Dieu, car l’amour de Dieu est le principe de ce qui se rapporte aux deux vies, comme on l’a dit. Ou il faut dire autrement que l’amour de Dieu et du prochain, pour ce qui est de l’acte intérieur, relève de la vie contemplative ; aussi Grégoire dit-il, en commentant Ézéchiel, que la vie contemplative consiste dans l’amour de Dieu et du prochain ; mais, pour ce qui est des actes extérieurs, les deux [amours] se rapportent à la vie active, bien que ces actes atteignent le prochain, car Dieu n’a pas besoin de nos œuvres. |
[11597] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dilectio inimici
non erat magis meritoria nisi inquantum procedebat ex fortiori virtute; quae
fortitudo attendebatur secundum quod voluntas intensius Deo adhaerebat; unde
non sequitur quod dilectio proximi sit magis meritoria, nisi magis etiam Deus
diligeretur. |
3. L’amour de l’ennemi n’était pas plus méritoire, sinon dans la mesure où il provenait d’une vertu plus forte. Cette force provenait de ce que la volonté adhérait à Dieu plus intensément. Il n’en découle donc pas que l’amour du prochain soit plus méritoire, à moins que Dieu ne soit aussi davantage aimé. |
[11598] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod dilectio proximi praesupponit dilectionem
Dei, non sicut perfectius minus perfectum, sicut erat in aliis gradibus, sed
sicut effectus causam; et ideo ratio non sequitur. |
4. L’amour du prochain présuppose l’amour de Dieu, non pas comme quelque chose de plus parfait présuppose ce qui est moins parfait, comme c’était le cas dans les autres degrés, mais comme l’effet [présuppose] la cause. Le raisonnement n’est donc pas concluant. |
[11599] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ille conatus voluntatis non est nisi ex hoc
quod vehementius ad Deum afficitur, ut dictum est prius: quia nullus conatur
ad aliquid, nisi secundum desiderium finis. |
5. Cet effort de la volonté ne vient que de ce qu’elle est attirée vers Dieu de manière plus impétueuse, comme on l’a dit plus haut, car personne ne fait d’effort pour quelque chose que par le désir de la fin. |
[11600] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4
ad s. c. Hoc autem quod
in contrarium objicitur, quod diligere Deum est difficilius, intelligendum
est non de dilectione naturali, qua omnia ipsum amant, sed de dilectione
gratuita. Et haec etiam dicitur difficilior, non quasi laboriosior, cum sit
dulcior, sed quia magis vires naturae excedit, quia est in altius objectum. |
L’objection en sens
contraire, qu’aimer Dieu est plus difficile, doit s’entendre non pas de
l’amour naturel, par lequel toutes les choses l’aiment, mais de l’amour
gratuit. On dit que celui-ci est plus difficile, non pas parce qu’il
exigerait plus d’effort, puisqu’il est plus doux, mais parce qu’il dépasse
davantage les forces de la nature, puisqu’il porte sur un objet plus élevé. |
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Articulus 5 [11601] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a.
5 tit. Utrum meritum
consistat principaliter in caritate |
Article 5 – Le mérite consiste-t-il principalement dans la charité ? |
[11602] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic
proceditur. Videtur quod
meritum non consistat in caritate principaliter. Gratia enim dicitur esse
principium merendi. Sed caritas non est idem quod gratia. Ergo non consistit
meritum principaliter penes caritatem. |
1. Il semble que le mérite ne consiste pas principalement dans la charité. En effet, on dit que la grâce est le principe du mérite. Or, la charité n’est pas la même chose que la grâce. Le mérite ne se fonde donc pas principalement sur la charité. |
[11603] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, actus est
meritorius per ordinem ad finem, sicut et laudabilis. Sed cujuslibet virtutis
est facere actum laudabilem. Ergo et facere actum meritorium; et ita videtur
quod meritum non consistat penes caritatem. |
2. Un acte est méritoire par rapport à sa fin, de la même manière qu’il est louable. Or, toutes les vertus réalisent des actes louables. Donc aussi, un acte méritoire. Et ainsi, il semble que le mérite ne consiste pas dans la charité. |
[11604] Super Sent.,
lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, nullus
meretur nisi justificatus. Sed fidei est justificare, ut patet Rom. 5. Ergo
apud ipsam praecipue est virtus meritoria. |
3. Celui-là seulement mérite qui est justifié. Or, il revient à la foi de justifier, comme cela ressort de Rm 5. C’est donc elle qui est principalement une vertu méritoire. |
[11605] Super Sent.,
lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, illud
quod facit ad diminutionem meriti, non videtur esse radix merendi. Sed
caritas facit diminutionem meriti, quia facit omnia facilia non solum
inquantum est habitus, sed etiam inquantum est amor, ut ex praedictis patet. Cum ergo difficultas faciat ad meritum,
videtur quod caritas non sit radix merendi. |
4. Ce qui contribue à la diminution du mérite ne semble pas être la racine du mérite. Or, la charité provoque une diminution du mérite, car elle rend tout facile, non seulement en tant qu’habitus, mais aussi en tant qu’elle est amour, comme cela ressort de ce qui a été déjà été dit. Puisque la difficulté contribue au mérite, il semble donc que la charité ne soit pas la racine du mérite. |
[11606] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, si caritas esset radix merendi, ubicumque esset aequalis
caritas, esset aequale meritum. Sed aliquando aliquis habens parvam
caritatem, facit aliquem actum in quo magis meretur quam ille qui habet
magnam caritatem in aliquo parvo actu quem facit. Ergo caritas non est radix
merendi. |
5. Si la charité était la racine du mérite, partout où existerait une charité égale, le mérite serait égal. Or, parfois, quelqu’un qui a peu de charité pose un acte par lequel il mérite davantage que celui qui a une grande charité par le petit acte qu’il pose. La charité n’est donc pas la racine du mérite. |
[11607] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, illud videtur esse radix merendi sine quo nullum meritum valet. Sed caritas est hujusmodi, ut patet 1 Corinth. 13. Ergo caritas est
radix merendi. |
Cependant, [1] la racine du mérite est ce sans quoi aucun mérite n’a de valeur. Or, la charité est de ce genre, comme cela ressort de 1 Co 13. La charité est donc la racine du mérite. |
[11608] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, illud videtur esse radix merendi quod opponitur omni
demerito. Sed caritas est hujusmodi. Ergo ipsa est radix merendi. |
2. Ce qui s’oppose à tout démérite semble être la racine du mérite. Or, la charité est de cette sorte. Elle est donc la racine du mérite. |
[11609] Super Sent.,
lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 s. c. 3 Praeterea, ex hoc
meremur quod Deo conjungimur. Sed hoc facit caritas. Ergo ipsa est radix merendi. |
3. Nous méritons par le fait que nous sommes unis à Dieu. Or, la charité réalise cela. Elle est donc la racine du mérite. |
[11610] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod
sicut supra, dist. 18, art. 2, dictum est, meritum proprie dicitur quod aliquis exhibet ad hoc quod faciat aliquid
suum, quod est praemium meriti. Unde ad meritum requiruntur duo principaliter. Unum est quod sit
exhibitum, et non extortum. Et quia nihil potest exhiberi nisi quod in
potestate exhibentis est, ideo requiritur quod sit voluntarium, quia voluntas
facit nos esse dominos nostrorum actuum. Aliud requiritur ut hoc quod exhibetur, sit
sufficiens ad faciendum suum illud quod exhibetur. Et ex utraque parte principalitas merendi
est ex caritate. Ipsa enim est in voluntate, sicut in subjecto, ipsam
perficiens quantum ad primum actum ejus, et principalem: et iterum cum sit
amor Dei, facit amatum ipsum, quod est proemium, esse suum, inquantum unit
ei; et ideo principalitas meriti est in caritate, in aliis autem secundum
quod caritate informantur. |
Réponse. Comme on l’a dit plus haut, d. 18, a. 2, on appelle mérite, au sens propre, ce que produit quelqu’un afin de rendre sien quelque chose, qui est la récompense du mérite. Deux choses sont donc principalement requises pour le mérite. L’une est que ce soit produit, et non arraché. Et parce que rien ne peut être produit qui ne soit au pouvoir de celui qui le produit, il est donc nécessaire que cela soit volontaire, car la volonté nous rend maîtres de nos actes. L’autre chose est requise afin que ce qui est produit suffise à rendre sien ce qui est produit. Et la source du mérite vient de la charité sous les deux aspects. En effet, la charité réside dans la volonté comme dans son sujet, la perfectionnant pour son acte premier et principal ; et puisqu’elle est amour de Dieu, elle fait en sorte que cela même qui est aimé, qui est la récompense, soit sien dans la mesure où elle unit à lui. La source du mérite se trouve donc dans la charité, mais dans d’autres choses selon qu’elles reçoivent leur forme de la charité. |
[11611] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod gratia facit meritum sicut principium
remotum constituens nos in esse spirituali, sine quo non possumus mereri
aliquod spirituale; sed caritas est sicut principium proximum. |
1. La grâce réalise le mérite en tant que principe éloigné nous établissant dans l’existence spirituelle, sans laquelle nous ne pouvons mériter quelque chose de spirituel ; mais la charité [en] est comme le principe prochain. |
[11612] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fides non justificat nisi per caritatem sit
formata. Ideo autem specialiter fidei attribuitur justificatio, quia primum
in quo distinguitur justus ab injusto, est actus fidei, sicut primum in quo
distinguitur vivum a non vivo, est actus nutritivae potentiae; et ideo
dicitur vivere secundum illam potentiam, et sentire secundum tactum, qui est
primus sensuum, ut dicitur 2 de anima. |
2. La foi ne justifie que si elle a reçu sa forme de la charité. La justification est donc spécialement attribuée à la foi parce que la première chose par laquelle le juste se distingue de l’injuste est l’acte de la foi, comme la première chose par laquelle le vivant se distingue du non-vivant est l’acte de la puissance nutritive. On dit donc qu’il vit selon cette puissance, et qu’il sent selon le toucher, qui est le premier des sens, comme il est dit dans Sur l’âme, II. |
[11613] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
actus aliarum virtutum non sunt meritorii nisi inquantum sunt informati
caritate; sicut nec actus virtutum sunt laudabiles nisi inquantum sunt
voluntarii. |
3. Les actes des autres vertus ne sont méritoires que dans la mesure où ils tirent leur forme de la charité, de même que les actes des vertus ne sont louables que dans la mesure où ils sont volontaires. |
[11614] Super Sent.,
lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod difficultas non facit ad meritum, nisi forte dimissionis poenae per
modum cujusdam commutationis; sed ad meritum quod ordinatur ad consecutionem
boni, ad quod proprie ordinem habet, non facit, nisi secundum quod exigitur
major conatus, qui est secundum majorem inclinationem voluntatis in illud. Et quia habitus et amor ex hoc faciunt
facilitatem, quia faciunt majorem inclinationem voluntatis; ideo talis
facilitas non diminuit rationem meriti. |
4. La difficulté ne contribue au mérite, peut-être, que par une remise de peine par mode d’échange ; mais elle ne contribue pas au mérite qui est ordonné à l’obtention d’un bien, auquel il n’est à proprement parler ordonné que dans la mesure où un effort plus grand est exigé, lequel provient d’une plus grande inclination de la volonté vers lui. Et parce que l’habitus et l’amour donnent ainsi de la facilité, puisqu’ils causent une plus grande inclination de la volonté, une telle facilité ne diminue pas la raison de mérite. |
[11615] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod habitus virtutum
quamvis inclinent voluntatem, tamen non cogunt: et ideo potest esse quod
habitum majorem habens, quandoque minorem intensionem inducit in actu, sicut
etiam quandoque nullam: et tunc actus ex majori caritate procedens minus
intensus, est magis meritorius respectu praemii accidentalis, quod respicit
ipsum actum; sed minus respectu praemii essentialis, quod respicit
capacitatem, quae est ex habitu caritatis. |
5. Bien que les habitus inclinent la volonté, ils ne la forcent cependant pas. C’est pourquoi il peut arriver que celui qui possède un habitus plus grand montre une intensité moindre dans un acte, et même parfois, d’une [intensité] nulle. Et alors, un acte moins intense provenant d’une charité plus grande est plus méritoire au regard de la récompense accidentelle, qui concerne l’acte lui-même, mais il l’est moins au regard de la récompense essentielle, qui concerne la capacité, laquelle vient de l’habitus de la charité. |
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Expositio textus |
Explication du texte de Pierre
Lombard, Dist. 30
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[11616] Super
Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 expos. An unus et idem motus sit erga amicum et inimicum. Hoc est impossibile, nisi unus propter
alterum diligatur, et actuali consideratione referatur in illud. Erga
amicum ferventior. Hoc intelligendum respectu ipsius objecti; sed
respectu finis, ille qui habet majorem conatum, inquantum hujusmodi, est
ferventior. Cum dicitur in oratione: dimitte nobis debita nostra, sicut et
nos dimittimus debitoribus nostris. Videtur secundum hoc quod quicumque
servat rancorem, peccat dicendo hanc orationem. Et dicendum, quod non peccat:
quia non dicit eam in persona sua, sed in persona Ecclesiae: vel si in
persona sua, non quantum ad id quod agit, sed quantum ad id ad quod optat
pervenire. |
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Distinctio 31 |
Distinction 31 – [La durée de
la charité]
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Quaestio 1 |
Question
1 – [La charité peut-elle être perdue ?]
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Prooemium |
Prologue |
[11617] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de caritate, hic determinat de ejus
duratione. Dividitur autem in partes duas: in prima parte determinat de
duratione caritatis quantum ad suam essentiam; in secunda de duratione ejus
quantum ad ordinem ejus, ostendens qualis in Christo fuerit, et in beatis
futurus sit, ibi: nunc autem superest investigare si Christus, secundum
quod homo, ordinem diligendi praescriptum servaverit. Prima in duas: in
prima determinat de duratione caritatis; in secunda de duratione aliorum
habituum, ibi: advertendum etiam est et cetera. Circa primum tria
facit: primo ponit opinionem falsam quorumdam, qui dixerunt caritatem non
posse amitti, et rationes opinionis illius; secundo objicit in contrarium,
ibi: quos ratio vincit, et auctoritas; tertio solvit rationes in
contrarium inductas, ibi: quod vero apostolus ait, caritas nunquam
excidit, pro illis nullatenus facit. Hic est duplex quaestio. Prima de
evacuatione caritatis per peccatum. Secunda de evacuatione ejus per gloriam.
Circa primum quaeruntur quatuor: 1 utrum caritas semel habita possit amitti;
2 utrum aliquis possit de libro vitae deleri; 3 utrum minima caritas possit
cuilibet tentationi resistere; 4 de quantitate caritatis in resurgente. |
Après avoir déterminé de la charité, le Maître détermine ici de sa durée. Il y a deux parties : dans la première partie, il détermine de la durée de la charité quant à son essence ; dans la seconde, de sa durée quant à son ordre, en montrant comment elle a existé chez le Christ et comment elle existera chez les bienheureux, à cet endroit : « Il reste maintenant à rechercher si le Christ, en tant qu’homme, a observé l’ordre de la charité qui a été prescrit. » La première partie se divise en deux : dans la première, il détermine de la durée de la charité ; dans la seconde, de la durée des autres habitus, à cet endroit : « Il faut aussi relever, etc. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il présente la fausse opinion de certains qui ont dit que la charité ne pouvait être perdue, et les raisons de cette opinion. Deuxièmement, il soulève une objection en sens contraire, à cet endroit : « La raison et l’autorité l’emportent sur eux… » Troisièmement, il répond aux arguments invoqués en sens contraire, à cet endroit : « Ce que dit l’Apôtre, que la charité ne meurt pas, n’apporte rien en leur faveur. » Il y a ici une double question : la première, sur la perte de la charité par le péché ; la seconde, sur la perte de la charité par la gloire. À propos du premier point, quatre questions sont posées : 1. Une fois possédée, la charité peut-elle être perdue ? 2. Quelqu’un peut-il être effacé du livre de vie ? 3. La plus petite charité peut-elle résister à n’importe quelle tentation ? 4. À propos de la quantité de la charité chez celui qui ressuscite. |
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Articulus 1 [11618] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a.
1 tit. Utrum qui
habet caritatem, possit eam amittere |
Article 1 – Celui qui possède la charité peut-elle la perdre ? |
[11619] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1
arg. 1 Ad primum sic
proceditur. Videtur quod
habens caritatem non possit eam amittere. Omnis enim qui habet caritatem, est
natus ex Deo, quia caritas facit filios Dei. Sed omnis qui natus est ex Deo,
non peccat, ut dicitur 1 Joan. 3. Ergo omnis qui habet caritatem non peccat;
et ita caritas semel habita non potest amitti. |
1. Il semble que celui qui possède la charité ne puisse pas la perdre. En effet, tous ceux qui ont la charité sont nés de Dieu, car la charité nous rend fils de Dieu. Or, quiconque est né de Dieu ne pèche pas, comme il est dit en 1 Jn 3. Tous ceux qui ont la charité ne pèchent donc pas, et ainsi la charité, une fois possédée, ne peut pas être perdue. |
[11620] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, in quolibet habente caritatem est meritum vitae aeternae:
quia caritas est principium merendi, ut dictum est. Sed injuste agitur cum
aliquo, si non reddatur ei quod meruit, quia hoc est ei debitum. Ergo
cuilibet habenti aliquando caritatem dabitur vita aeterna. Sed nulli dabitur
vita aeterna nisi finaliter habeat caritatem. Ergo quicumque habet caritatem,
finaliter habebit eam; et ita non potest ad minus finaliter amitti, ut
videtur. |
2. Chez tous ceux qui ont la charité existe le mérite de la vie éternelle, car la charité est le principe du mérite, comme on l’a dit. Or, on agit injustement si on ne rend pas à quelqu’un ce qu’il mérite, car cela lui est dû. La vie éternelle sera donc donnée à tous ceux qui ont eu un jour la charité. Or, la vie éternelle ne sera donnée à personne qui n’aura pas à la fin la charité. Tous ceux qui ont la charité la posséderont donc. Ainsi, il semble que [la charité] ne puisse être perdue, du moins à la fin. |
[11621] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, illud quod est fortissimum, non potest vinci a debilissimo.
Sed caritas est fortissima, quia est fortis ut mors, ut dicitur Cant.
ult.: peccatum autem est debilissimum, quia malum est infirmum et pigrum, ut
dicit Dionysius. Ergo caritas
non potest per peccatum expelli. Sed nullo alio modo potest amitti. Ergo caritas semel habita amitti non
potest. |
3. Ce qui est le plus fort ne peut être vaincu par ce qui est le plus faible. Or, la charité est la plus forte, car elle est forte comme la mort, ainsi qu’il est dit dans le dernier chapitre du Cantique ; mais le péché est ce qu’il y a de plus faible, car le mal est faible et paresseux, comme le dit Denys. La charité ne peut donc pas être chassée par le péché. Or, elle ne peut être perdue d’aucune autre façon. La charité, une fois possédée, ne peut donc être perdue. |
[11622] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, radix omnis mali est cupiditas: 1 Tim. 6. Sed caritas non
compatitur secum cupiditatem, ad minus perfecta, ut dicit Augustinus in Lib.
83 quaestionum. Ergo qui habet caritatem, non potest incidere in aliquod
malum; et ita non potest eam amittere. |
4. La racine de tout mal est la cupidité, 1 Tm 6. Or, la charité ne supporte pas la cupidité, du moins, la [charité] parfaite, comme le dit Augustin dans le Livre sur 83 questions. Celui qui possède la charité ne peut donc tomber dans le mal, et ainsi, il ne peut la perdre. |
[11623] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, si peccatum expellit caritatem, aut peccatum quod est, aut
peccatum quod non est. Sed non peccatum quod est, quia illud caritatem non
superat; nec illud quod non est, quia illud quod non est, non potest agere.
Ergo peccatum nullo modo expellit caritatem. |
5. Si le péché chasse la charité, ou bien il s’agit d’un péché qui existe, ou bien d’un péché qui n’existe pas. S’il ne s’agit pas d’un péché qui existe, puisque celui-ci ne l’emporte pas sur la charité ; il ne s’agit pas non plus de celui qui n’existe pas, car ce qui n’existe pas ne peut agir. Le péché ne chasse donc la charité d’aucune manière. |
[11624] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, illud quod est in minori parte, magis distat ab eo quod est
in pluribus, quam ab eo quod est ad utrumlibet. Sed ex eo quod est ad
utrumlibet, non potest aliquid procedere, ut dicit Commentator in 2 Physic.
Ergo multo minus ab eo quod est in minori parte. Sed caritas quamvis non
faciat necessitatem ad bonum ut semper fiat, facit tamen inclinationem ut
pluries fiat. Ergo non potest ille qui habet caritatem, facere malum, ad quod
se habet sicut in minori parte; et ita non potest peccare, vel caritatem
amittere. |
6. Ce qui existe dans une minorité de cas s’éloigne davantage de ce qui existe dans une majorité, que ce qui s’éloigne des deux. Or, du fait que cela s’éloigne des deux, cela ne peut rien faire, comme le dit le Commentateur dans Physique, II. Encore bien moins donc, ce qui existe chez une minorité. Or, la charité, bien qu’elle ne fait pas en sorte que le bien soit toujours accompli, donne cependant une inclination à le faire la plupart du temps. Celui qui possède la charité ne peut donc faire le mal, avec lequel elle a un rapport dans une minorité de cas. Elle ne peut donc ainsi pécher ou perdre la charité. |
[11625] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1
arg. 7 Praeterea,
amor caritatis est fortior quam amor naturalis. Sed amor naturalis non
amittitur per peccatum. Ergo nec amor caritatis. |
7. L’amour de charité est plus fort que l’amour naturel. Or, l’amour naturel n’est pas perdu par la péché. Donc, ni l’amour de charité. |
[11626] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 8 Praeterea caritas est major fide; et utrumque est donum Dei. Cum ergo
fides non tollatur per peccatum mortale, videtur quod nec caritas. |
8. La charité est plus grande que la foi, et les deux sont un don de Dieu. Puisque la foi n’est pas enlevée par le péché mortel, il semble donc que la charité non plus. |
[11627] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Apoc. 2, 4: habeo adversum te pauca, quia caritatem
primam reliquisti. Ergo caritas potest amitti. |
Cependant, [1] Ap 2, 4 dit : Mais j’ai contre toi peu de chose, car tu as perdu ta charité première. La charité peut donc être perdue. |
[11628] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, in eo qui cadere non potest,
non est necessaria cautela. Sed stanti per caritatem necessaria est cautela;
1 Corinth. 10, 12: qui stat, videat ne cadat. Ergo caritas potest
amitti. |
[2] Celui qui ne peut tomber n’a pas besoin de prendre garde. Or, celui qui tient debout par la charité doit prendre garde. 1 Co 10, 12 : Celui qui est debout, qu’il prenne garde de tomber. La charité peut donc être perdue. |
[11629] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, David caritatem prius habuit; alias non sibi reddendam
laetitiam salutarem peteret; et tamen peccavit, et caritatem amisit, quam
sibi restitui petit. Ergo caritas semel habita potest amitti. |
[3] David a eu d’abord la charité, autrement, il ne demanderait pas que lui soit rendue la joie du salut. Cependant, il a péché et a perdu la charité, dont il demande qu’elle lui soit rendue. La charité une fois possédée peut donc être perdue. |
[11630] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 s. c. 4 Praeterea, quicumque non potest peccare, habet liberum arbitrium
confirmatum. Sed non omnis qui habet caritatem, habet liberum arbitrium
confirmatum. Ergo aliquis habens caritatem potest peccare, et ita caritatem
amittere. |
[4] Quiconque ne peut pécher possède un libre arbitre affermi. Or, tous ceux qui ont la charité n’ont pas un libre arbitre affermi. Certains qui possèdent la charité peuvent donc pécher, et ainsi, perdre la charité. |
[11631] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod opinio ponentium
caritatem non posse amitti propter suam firmitatem, est similis opinioni
Socratis, qui posuit, quod habens scientiam non potest peccare, propter
nobilitatem et certitudinem scientiae, ut dicit philosophus in 8 Ethicor.: et
ideo utriusque est similis et probatio et improbatio, et probationis solutio.
Utraque enim potissime per experientiam improbatur; probatur autem per
firmitatem scientiae et caritatis. Solvit autem philosophus praedictam
probationem de scientia per hoc quod scientia principaliter in universali
consistit, operationes autem circa singularia sunt. Et ideo concupiscentia, quae
in particulare bonum tendit, nisi reprimatur, deductionem scientiae
universalis ad particulare impedit, considerationem scientiae in particulari
operabili absorbens, et rationem, ita ut quamvis incontinens in fervore
concupiscentiae constitutus universale recte consideret, et non tantum habitu
teneat (ut quod omnis fornicatio fugienda est), tamen quando ad hoc
particulare descenditur per concupiscentiam, habitu rationis rectae ligato,
in actum rectae considerationis circa particulare homo prodire non potest.
Similiter etiam caritas principaliter est circa bonum aeternum; unde facit
universalem conceptionem haberi, quia nihil contra Deum faciendum est; sed
quando ad particulare descenditur, tentatio aliqua inclinationem praedictam
caritatis absorbet, ut dictum est de scientia. Sed quia caritas vehementius
diligit Deum quam aliqua concupiscentia diligat aliquod commutabile bonum; si
aliquis affectum quem habet ad Deum, ad opus particulare extenderet, ut ad
regulam operis, nunquam incideret in peccatum. Sed quia in potestate nostra
est uti caritatis actu, vel non uti, cum caritas voluntatem non cogat; ideo
affectio commutabilis boni praevalet, et inducit peccatum. Et propter hoc
patet quod omne peccatum est ex errore, et ex contemptu negligentiae. Unde Boetius dicit: talia
tibi contuleramus arma, quae nisi prior abjecisses, invicta te firmitate
tuerentur. Sic ergo homo in peccatum lapsus caritatem amittit: quia per
peccatum a Deo dividitur, cum sibi alium finem constituat, cum non possint
duo esse fines ultimi. Unde cum caritas habeat causam conjunctam ad Deum,
statim amittitur unico actu; et hoc invenitur in omnibus accidentibus quae
habent causam extra subjectum: quia nihil potest permanere separatum a sua
causa essentiali, sicut patet de lumine. Secus autem est de habitibus qui habent causam in subjecto: quia illi
totaliter non destruuntur per unum actum peccati. |
Réponse. L’opinion de ceux qui affirment que la charité ne peut être perdue en raison de sa faiblesse ressemble à l’opinion de Socrate, qui affirmait que celui possède la science ne peut pécher en raison de la noblesse et de la certitude de la science, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VIII. C’est pourquoi la preuve et la réfutation des deux est semblable, ainsi que la démonstration. En effet, les deux sont démentis par l’expérience, mais sont démontrés par la fermeté de la science et de la charité. Or, le Philosophe a démontré la preuve en question à propos de la science par le fait que la science porte principalement sur l’universel, mais les opérations sur les choses singulières. C’est pourquoi la concupiscence, qui tend vers un bien particulier, si elle n’est pas réprimée, empêche de conclure de la science universelle au particulier, en absorbant la considération de la science universelle dans une action particulière, ainsi que la raison. Ainsi, bien que l’incontinent, plongé dans l’ardeur de la concupiscence, considère correctement l’universel et ne le possède pas seulement par habitus (à savoir que toute fornication doit être fuie), il ne peut cependant passer à l’acte avec une considération correcte du particulier, lorsqu’il descend vers ce particulier par la concupiscence. De même aussi, la charité porte principalement sur un bien éternel ; elle fait donc en sorte qu’on ait une considération universelle, car rien ne doit être fait contre Dieu. Mais lorsqu’elle descend vers le particulier, une tentation absorbe une telle inclination de la charité, comme on l’a dit de la science. Mais parce que la charité aime Dieu plus intensément qu’une concupiscence n’aime un bien changeant, si quelqu’un faisait de la disposition affective qu’il a envers Dieu la règle de l’action particulière, jamais il ne tomberait dans le péché. Mais parce qu’il est en notre pouvoir de recourir ou non à un acte de charité, puisque la charité ne contraint pas, l’amour du bien changeant l’emporte, et il mène au péché. Pour cette raison, il est clair que tout péché vient d’une erreur et du mépris de la négligence. C’est pourquoi Boèce dit : « Nous t’avions donné des armes ; si tu ne les avais pas d’abord rejetées, elles te protégeraient avec une fermeté invincible. » Ainsi donc, l’homme tombé dans le péché perd la charité, car, par le péché, il est séparé de Dieu, puisqu’il s’est donné une autre fin et qu’il ne peut y avoir deux fins ultimes. Puisque la cause de la charité fait un avec Dieu, elle est aussitôt perdue par un seul acte. Et cela se rencontre dans tous les accidents qui ont leur cause en dehors du sujet, car rien ne peut demeurer séparé de sa cause essentielle, comme cela ressort pour la lumière. Mais il en va autrement des habitus qui ont leur cause dans leur sujet, car ceux-ci ne sont pas totalement détruits par un seul acte de péché. |
[11632] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc intelligendum est, si velit uti
gratia; per quod filius Dei est: per eam enim potest peccato resistere. |
1. Cela veut dire : s’il veut faire usage de la grâce, par quoi il est fils de Dieu. En effet, il peut par elle résister au péché. |
[11633] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quidam
dixerunt, quod caritas nunquam meretur, nisi finalis. Sed hoc falsum est;
quia caritas finalis non potest dici nisi quae est in ultimo termino vitae;
et tunc forte homo nihil meretur, sed dormit. Unde dicendum, quod quolibet
actu caritatis meretur vitam aeternam, et efficit eam sibi debitam. Sed
quando peccat, jam efficitur quodammodo alius, ut philosophus dicit 9 Ethic., quia transmutatur ab eo
quod erat sibi conveniens secundum naturam, in id quod est praeter naturam;
et ideo non oportet quod ei reddatur; sicut etiam id quod est debitum reddi
sano, non redditur furioso. |
2. Certains ont dit que la charité ne mérite jamais, sauf la charité finale. Mais cela est faux, car on ne peut parler de charité finale que pour celle qui existe au terme ultime de la vie ; et alors, l’homme ne peut rien mériter, car il dort. Il faut donc dire qu’on mérite la vie éternelle par n’importe quel acte de charité, et celui-ci fait en sorte que [la vie éternelle] soit due. Mais, lorsqu’on pèche, on devient en quelque sorte un autre, comme le dit le Philosophe dans Éthique, IX, car on est changé de ce qui convenait selon sa nature en ce qui est étranger à sa nature. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que [la vie éternelle] lui soit rendue, de même que ce qui est dû à celui qui est santé n’est pas rendu à celui qui est fou. |
[11634] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non est ex defectu caritatis quod a peccato
vincatur, sed ex defectu habentis caritatem, quia caritate non utitur, ut
dictum est. |
3. Ce n’est pas en raison d’une carence de la charité qu’il est vaincu par le péché, mais d’une carence de celui qui possède la charité, car il ne fait pas usage de la charité, comme on l’a dit. |
[11635] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cupiditas quamvis non sit in actu in eo qui
habet caritatem, tamen est in radice, et potest caritatem impedire ne in
actum prorumpat; et quando non impeditur, tunc germinat, et caritatem
expellit. |
4. Bien que la cupidité n’existe pas en acte chez celui qui a la charité, elle existe cependant dans sa racine, et elle peut empêcher la charité de s’élancer vers son acte ; lorsque [la cupidité] n’est pas empêchée, alors elle pousse et chasse la charité. |
[11636] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in eodem instanti in quo peccatum advenit,
caritas expellitur; et sicut illud est primum instans in quo peccatum esse
incipit, ita illud est primum in quo caritas non esse incipit, sicut patet in
naturalibus de duabus formis contrariis. |
5. Au moment même où le péché survient, la charité est chassée. Et de même que c’est le premier instant où le péché commence à exister, de même est-ce le premier où la charité commence à ne pas exister, comme cela ressort pour deux formes contraires dans les choses naturelles |
[11637] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod
illud quod est ad utrumlibet, inquantum ex alia causa intrinseca movetur, sic
determinatur ad alterum, et sic potest ab eo effectus procedere. Unde quando
non est determinatum totaliter ab aliquo uno, potest etiam determinari ad
oppositum; et sic ab eo quod est in paucioribus respectu ipsius jam
determinati per primum, potest contrarium accidere ut in paucioribus propter
aliud determinans quod est contrarium illi determinanti ut in pluribus; et
sic est in proposito: quia sicut caritas, quantum est in se, ut in pluribus
inclinat ad bonum, ita affectio sensibilis inclinat ad delectabile sensui, et
ab hoc sicut ex quodam habitu inclinatur voluntas ad peccatum. |
6. Ce qui est orienté vers deux choses, dans la mesure où cela est mû par une cause extrinsèque, cela est ainsi déterminé à l’une des deux, et ainsi un effet peut en provenir. C’est pourquoi, lorsque cela n’est pas totalement déterminé par une seule chose, cela peut être déterminé au contraire. Et ainsi, du fait que cela existe chez un petit nombre en regard de ce qui est déjà déterminé par la première chose, le contraire peut survenir chez un petit nombre en raison de quelque chose qui détermine à ce qui est contraire à ce qui est déterminé dans la majorité des cas. Ainsi en est-il dans le cas en question, car, de même que la charité en elle-même incline dans la plupart des cas vers le bien, de même l’amour sensible incline-t-il à ce qui est délectable pour le sens, et la volonté est-elle inclinée au péché comme par un habitus. |
[11638] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod amor naturalis est secundum voluntatem
totaliter determinatam ad unum; non autem sic est de amore caritatis, nisi in
illis qui jam confirmati sunt. |
7. L’amour naturel
existe selon que la volonté est totalement déterminée à une seule chose. Mais
il n’en va pas de même de l’amour de charité, sauf chez ceux qui [y] ont déjà
été confirmés. |
[11639] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod per peccatum non totaliter separatur homo a
Deo, quia sic esse desineret; sed quantum ad ultimam et perfectam
conjunctionem quam facit caritas. Et ideo non oportet quod fides per peccatum
tollatur, sicut caritas; sicut per interpositionem nubis aer radios solis
amittit, non tamen omnimodam claritatem, sicut quae est ex reverberatione,
qualis etiam apparet ubi non sunt radii solis. |
8. Par le péché, l’homme n’est pas totalement séparé de Dieu, car il cesserait alors d’exister, mais il l’est pour ce qui est de l’union ultime et parfaite que réalise la charité. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que la foi soit enlevée par le péché, comme la charité, comme, par l’interposition d’un nuage, l’air perd les rayons du soleil, mais non toute sa clarté, telle celle qui vient de la réverbération, qui apparaît encore là où il n’y a pas de rayons du soleil. |
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Articulus 2 [11640] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 tit. Utrum liber vitae sit quid creatum |
Article 2 – Le livre de vie est-il quelque chose de créé ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le
livre de vie est-il quelque chose de créé ?]
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[11641] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod liber vitae sit quid creatum. Eccli. 24, 32: haec
omnia liber vitae, Glossa: hoc liber est vetus et novum testamentum.
Hoc autem est quid
creatum. Ergo et liber vitae. |
1. Il semble que le livre de vie soit quelque chose de créé. À propos de Si 24, 32 : Tout cela est le livre de vie, la Glose dit : « Ce livre est l’Ancien et le Nouveau Testaments. » Or, cela est quelque chose de créé. Donc, le livre de vie aussi. |
[11642] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Apoc. 20, 12: alius liber est apertus, qui est vitae;
Glossa: Christus, qui tunc apparebit omnibus patens. Sed non apparebit
omnibus nisi secundum humanam naturam. Cum ergo humana natura in Christo
creata sit, videtur quod liber vitae sit quid creatum. |
2. À propos de Ap 20, 12 : Un autre livre fut ouvert : le livre de vie, la Glose dit : « Le Christ, qui alors apparaîtra à tous ouvertement. » Or, il n’apparaîtra à tous que selon sa nature humaine. Puisque la nature humaine chez le Christ est créée, il semble donc que le livre de vie soit quelque chose de créé. |
[11643] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, liber, inquantum in eo Scriptura fit, est receptivus
extraneae impressionis. Sed res increata non suscipit peregrinam
impressionem. Ergo non est
quid increatum, sed creatum. |
3. Le livre, en tant qu’on y écrit, reçoit une impression extérieure. Or, une réalité incréée ne reçoit pas une impression passagère. [Le livre de vie] n’est donc pas quelque chose d’incréé, mais de créé. |
[11644] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 4 Item, videtur quod sit
proprium filii. Quia Psal. 39, 9: in capite libri scriptum est de me: Glossa: in patre, qui est caput
nostrum. Sed illud in divinitate cujus caput est pater, est filius. Ergo
liber vitae est filius. |
4. Il semble qu’il soit propre au Fils, car, à propos de Ps 39, 9 : Au début du livre, il est écrit…, la Glose dit : « Dans le Père, qui est notre tête. » Or, c’est le Fils dont le Père est la tête dans la divinité. Le livre de vie est donc le Fils. |
[11645] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 5 Item, videtur quod spiritus sanctus. Quia spiritui sancto attribuitur
vivificatio et in symbolo et Joan. 6, 64: spiritus est qui vivificat. Ergo cum liber vitae
ordinetur ad vitam, conveniet spiritui sancto vel proprie, vel per
appropriationem. |
5. Il semble qu’il soit le Saint-Esprit, car le don de la vie est attribué au Saint-Esprit et, dans le symbole et en Jn 6, 64, il est dit : C’est l’Esprit qui donne la vie. Puisque le livre de vie est ordonné à la vie, il conviendra donc à l’Esprit-Saint soit en propre, soit par appropriation. |
[11646] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Augustinus, 20 de Civit. Dei: liber
vitae est praescientia Dei, quae falli non potest. Sed praescientia est
quid increatum essentiale et appropriabile filio. Ergo et liber vitae. |
Cependant, Augustin dit, dans La cité de Dieu, XX : « Le livre de vie est la prescience de Dieu, qui ne peut se tromper. » Or, la prescience est quelque chose d’incréé qui est essentiel et peut être approprié au Fils. Donc aussi, le livre de vie. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le
livre de vie concerne-t-il Dieu ?]
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[11647] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod liber vitae sit respectu Dei. Psal. 68: deleantur
de libro viventium; Glossa: liber viventium est Dei notitia. Sed
Deus de se habet maxime notitiam. Ergo liber vitae est respectu Dei. |
1. Il semble que le livre de vie concerne Dieu. À propos de Ps 68 : Qu’ils soient effacés du livre des vivants ! la Glose dit : « Le livre des vivants est la connaissance de Dieu. » Or, Dieu a de lui-même la plus haute connaissance. Le livre de vie concerne donc Dieu. |
[11648] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ipse est fons vitae cujuslibet. Si ergo est aliorum, quae
habent vitam participative, multo amplius est sui ipsius, qui habet vitam
originaliter. |
2. Il est la source de vie de toutes choses. Si donc il l’est pour les autres, qui ont la vie par participation, à bien plus forte raison, pour lui-même, qui a la vie d’une manière originelle. |
[11649] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Item, videtur quod sit omnium creaturarum. Quia
praescientia est omnium. Sed liber vitae est divina praescientia, ut supra
dictum est. Ergo erit omnium. |
3. Il semble qu’il concerne toutes les créatures, car la prescience porte sur toutes choses. Or, le livre de vie est la prescience divine, comme on l’a dit plus haut. Il portera donc sur toutes choses. |
[11650] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, Joan. 1, 3: quod
factum est, in ipso vita erat. Sed omnis
creatura est facta. Ergo omnis creatura in libro vitae scribitur. |
4. De plus, il est dit en Jn 1, 3 : Ce qui a été créé avait en soi la vie. Or, toute créature a été créée. Toute créature est donc inscrite dans le livre de vie. |
[11651] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 5 Item, videtur quod sit etiam de malis. Luc. 10, super illud: nomina
vestra scripta sunt in caelis, dicit Glossa: sive caelestia sive
terrestria opera gesserit quis, per hoc quasi litteris annotatus, apud Dei
memoriam aeternaliter est affixus. Sed gerere terrestria opera est malorum.
Ergo cum nihil aliud sit liber vitae quam reservatio divinae memoriae,
videtur quod liber vitae sit etiam malorum. |
5. Il semble qu’il porte aussi sur le mal. À propos de Lc 10 : Vos noms sont inscrits dans le ciel, la Glose dit : « Que quelqu’un ait accompli des choses célestes ou des choses terrestres, il est éternellement gravé dans la mémoire de Dieu, comme s’il était inscrit avec des lettres. » Or, accomplir le mal est le fait des méchants. Puisque le livre de vie n’est rien d’autre que ce que conserve la mémoire divine, il semble donc que le livre de vie concerne aussi les méchants. |
[11652] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 6 Item, liber vitae
ordinatur ad vitam. Sed vita
naturae est communis bonis et malis; vita autem gratiae communis praescitis
et praedestinatis. Ergo liber vitae est malorum et bonorum, et praedestinatorum
et praescitorum. |
6. Le livre de vie est ordonné à la vie. Or, la vie de la nature est commune aux bons et aux méchants, mais la vie de la grâce est commune à ceux qui sont objets de la prescience et aux prédestinés. Le livre de vie concerne donc les bons, les prédestinés et ceux qui sont objets de la prescience. |
[11653] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, illud dicitur esse scriptum in
Deo quod habet exemplar in ipso. Sed mala inquantum hujusmodi, non habent
exemplar in ipso. Ergo non sunt ibi scripta. |
Cependant, on dit qu’est écrit en Dieu ce qui a son modèle en lui. Or, les maux, en tant que tels, n’ont pas leur modèle en lui. Ils ne sont donc pas écrits en lui. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Ce
qui y est inscrit peut-il en être effacé ?]
|
[11654] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2
qc. 3 arg. 1 Ulterius.
Videtur quod nihil quod sit ibi scriptum, debeat dici inde deleri. Quia liber
vitae est divina praedestinatio, ut dicit Glossa Phil. 4. Sed a
praedestinatione non dicitur aliquis excidere. Ergo nec a libro vitae deleri. |
1. Il semble que de rien qui y est inscrit, on doive dire qu’il en est effacé, car le livre de vie est la prédestination divine, comme le dit la Glose sur Ph 4. Or, on ne dit de personne qu’il échappe à la prédestination. Il ne peut donc non plus être effacé du livre de vie. |
[11655] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, liber in quo potest aliquid describi et deleri, est
mutabilis. Sed liber vitae est immutabilis, quia est quid increatum. Ergo non
potest aliquis inde deleri. |
2. Un livre dans lequel quelque chose peut être inscrit et effacé est changeant. Or, le livre de vie est immuable, car il est quelque chose d’éternel. Personne ne peut donc en être effacé. |
[11656] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, quod est secundum opinionem tantum, cum sit secundum quid,
non debet enuntiari simpliciter. Sed Glossa super illud Psalm. 68: deleantur
de libro viventium, dicit, hoc accipiendum forte tantum secundum spem illorum
qui se esse scriptos putabant. Ergo videtur quod non debeat dici aliquem inde
deleri. |
3. Ce qui est objet d’opinion seulement, puisque cela est relatif, ne doit pas être affirmé simplement. Or, à propos de Ps 68 : Qu’ils soient effacés du livre des vivants ! la Glose dit que cela doit peut-être être entendu de l’espérance de ceux qui s’y croyaient inscrits. Il semble donc qu’on ne doive pas dire que quelqu’un peut en être effacé. |
[11657] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Exod. 32, 33: qui peccaverit
mihi, delebo eum de libro meo. Sed multi peccant. Ergo multi delentur. |
Cependant, [1] il est dit en Ex 32, 33 : Celui qui aura péché contre moi, je l’effacerai de mon livre. Or, beaucoup pèchent. Beaucoup seront donc effacés. |
[11658] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, nullus simul est scriptus in
libro vitae et damnatus. Sed multi qui prius fuerunt scripti in libro vitae,
postea damnantur, sicut patet de discipulis Christi, quibus dictum est Lucae
10, 20: gaudete, quia nomina vestra scripta sunt in libro vitae: ex
quibus tamen multi abierunt retrorsum, ut dicitur Joan. 6. Ergo aliqui qui
prius fuerunt ibi scripti, delentur. |
[2] Personne n’est
en même temps inscrit dans le livre de vie et damné. Or, beaucoup, qui ont
d’abord été inscrits dans le livre de vie, ont par la suite été damnés, comme
cela ressort des disciples du Christ, à qui il a été dit,
Lc 10, 20 : Réjouissez-vous,
car vos noms sont inscrits dans le livre de vie, et parmi lesquels
plusieurs sont retournés en arrière, comme il est dit en Jn 6. Certains
qui y ont d’abord été inscrits seront donc effacés. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
|
[11659] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2
qc. 1 co. Respondeo
dicendum ad primam quaestionem, quod liber vitae, de quo nunc loquimur,
metaphorice dicitur. Unde oportet quod ejus significatio accipiatur secundum
similitudinem libri materialis; de cujus ratione videtur esse quod contineat
figuras aliquas quasi similitudines aliquas illorum qui per librum illum
cognoscuntur; unde et liber vitae dicitur, quia continet similitudines quibus
potest cognosci vita. Non est autem
sufficienter liber vitae, quasi perfectam cognitionem de vita faciens, nisi
contineat similitudines de vita cujuslibet in particulari; quia cognitio in
universali est imperfecta et in potentia. Sed habere hoc modo similitudines
omnium habentium vitam determinate, non est nisi divinae mentis, in qua sunt
exemplaria rerum omnium propria; et ideo liber vitae non est quid creatum,
sed est divina notitia de vita non solum in universali, sed in particulari
quantum ad omnes in quibus invenitur vita. Et quia notitia est essentiale et
appropriatum filio, ideo liber vitae essentiale quiddam est in divinis, et
filio appropriatur. |
C’est par métaphore
que nous parlons ici du livre de vie. Aussi faut-il que sa signification soit
entendue selon la ressemblance avec un livre matériel, dont le propre est de
contenir certaines figures qui sont comme des ressemblances de ce qui est
connu par ce livre. On parle ainsi du livre de vie parce qu’il contient des
ressemblances par lesquellles la vie peut être connue. Or, il n’est
suffisamment le livre de vie, donnant une parfaite connaissance de la vie,
que s’il contient les ressemblances de la vie de toutes choses de manière
particulière, car la connaissance dans l’universel est imparfaite et en
puissance. Or, posséder ainsi les ressemblances de tous les vivants d’une
manière déterminée ne peut être le fait que de l’esprit divin, dans lequel
existent les modèles propres de toutes choses. C’est pourquoi le livre de vie
n’est pas quelque chose de créé, mais il est la connaissance divine de la
vie, non seulement dans l’universel, mais de manière particulière pour tous
ceux chez qui on trouve la vie. Et parce que la connaissance est quelque
chose d’essentiel et d’approprié au Fils, le livre de vie est donc quelque
chose d’essentiel en Dieu, et il est approprié au Fils. |
[11660] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod vetus et novum testamentum dicitur liber
vitae, quasi faciens cognitionem de vita universali, et docens praecepta
quibus pervenitur ad vitam; non tamen facit notitiam de vita uniuscujusque;
et ideo aliquo modo potest dici liber vitae, sed non secundum completam rationem. |
1. L’Ancien et le Nouveau Testament sont appelés le livre de vie en tant qu’ils donnent une connaissance de la vie dans l’universel et qu’ils enseignent les commandements par lesquels on parvient à la vie ; cependant, ilss ne donnent pas une connaissance de la vie de chacun. C’est pourquoi on peut les appeler d’une certaine manière le livre de vie, mais non selon la raison complète [de celui-ci]. |
[11661] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Christus secundum humanam naturam dicitur
liber vitae, quasi exemplar universale vitae, sed non quasi similitudo
particulariter faciens cognoscere vitam uniuscujusque. |
2. Le Christ est appelé le livre de vie selon sa nature humaine, en tant que modèle universel de la vie, mais non en tant que ressemblance faisant connaître d’une manière particulière la vie de chacun. |
[11662] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
similitudines vel figurae istius libri non sunt aliquid additum essentiae
ejus: quia rationes exemplares, ut in 1 libro dictum est, sunt ipsa divina
essentia; et ideo non oportet quod recipiat peregrinas impressiones. |
3. Les ressemblances ou les figures de ce livre ne sont pas quelque chose d’ajouté à son essence, car les raisons exemplaires, comme on l’a dit dans le livre I, sont l’essence divine elle-même. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il reçoive des impressions passagères. |
[11663] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod pater dicitur caput libri, idest filii,
secundum quod liber appropriatur filio. |
4. Le Père est appelé tête du livre, c’est-à-dire du Fils, selon que le livre est approprié au Fils. |
[11664] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis vita approprietur spiritui sancto,
tamen notitia de vita appropriatur filio. |
5. Bien que la vie soit appropriée au Saint-Esprit, la connaissance de la vie est cependant appropriée au Fils. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
|
[11665] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod liber
vitae dicitur notitia Dei. Quia autem liber proprie est illorum quorum
notitiam facit per figuras et similitudines existentes in libro; ideo illorum
solum notitia dici potest liber quae cognoscit Deus per similitudinem. Mala
autem non cognoscit Deus per similitudines existentes malorum in se, sed
cognoscuntur per modum privationis. Similiter etiam Deus seipsum non
cognoscit per similitudinem sui ipsius, sed per hoc quod sibi secundum essentiam
suam praesens est. Unde neque
notitia quam habet de seipso, neque notitia quam habet de malis, potest dici
liber vitae, nisi de malis poenae, inquantum sunt justa et bona, secundum
quod dicitur liber mortis. Vita autem inter bona computatur: unde oportet
quod liber vitae intelligatur respectu vitae quae in creaturis invenitur. Et
quamvis Deus habeat notitiam de vita naturae et gratiae et gloriae (unde
respectu cujuslibet dictarum vitarum posset dici Dei notitia liber vitae);
tamen perfecta ratio vitae non invenitur nisi in vita gloriae, quae
permixtionem mortis non patitur; et ideo liber vitae secundum propriam sui
acceptionem est notitia Dei quam habet de vita gloriae uniuscujusque. Sic
ergo differt liber vitae a scientia Dei, quae est de temporalibus et
aeternis; et a praescientia, quae est de bonis et malis; et etiam a
praedestinatione, quia praedestinatio proprie de futuris est, et providentia
directionem in finem importat, cum sit propositum miserendi. Sed liber vitae
simplicem notitiam de vita importat, et non determinat aliquod tempus; unde
scripti in libro vitae dicuntur et qui vitam habent, et qui habituri sunt. |
C’est la connaissance de Dieu qui est appelée le livre de vie, car le livre porte au sens propre sur ceux dont il donne la connaissance par des figures et des ressemblances se trouvant dans le livre. Seule la connaissance de ce que Dieu connaît par leur représentation peut donc être appelée un livre. Or, Dieu ne connaît pas le mal par des ressemblances existant en lui, mais il est connu par mode de privation. De même aussi, Dieu ne se connaît pas lui-même par une ressemblance de lui-même, mais par le fait qu’il est présent à lui-même selon sa propre essence. En conséquence, ni la connaissance qu’il a de lui-même, ni la connaissance qu’il a du mal ne peut être appelée le livre de vie, sauf pour le mal de peine, en tant qu’il est juste et bon ; on parle alors du livre de la mort. Or, la vie est comptée parmi les biens. Il faut donc que le livre de vie s’entendre par rapport à la vie qui se trouve dans les créatures. Et bien que Dieu ait une connaissance de la vie de la nature, de la grâce et de la gloire (on pourrait ainsi parler du livre de vie pour la connaissance que Dieu a de chacune de ces vies), la raison parfaite de vie ne se trouve cependant que dans la vie de la gloire, qui ne souffre pas de mélange avec la mort. C’est pourquoi le livre de vie, au sens propre, est la connaissance que Dieu a de la vie de la gloire pour chacun. Le livre de vie diffère donc de la science de Dieu, qui porte sur les réalités temporelles et éternelles ; de la prescience, qui porte sur les bons et les méchants ; de la prédestination, car la prédestination, au sens propre, porte sur les réalités à venir, et de la providence, qui comporte une direction vers une fin, puisqu’elle est l’intention de faire miséricorde. Or, le livre de vie comporte une simple connaissance de la vie et ne détermine aucun temps. Aussi dit-on que ceux qui ont la vie et ceux qui l’auront sont inscrits au livre de vie. |
[11666] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio ad omnia objecta. |
La réponse à toutes les objections est ainsi claire. |
Quaestiuncula
3 |
Réponse à la
sous-question 3
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[11667] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod liber
vitae, ut dictum est, est notitia Dei de vita gloriae alicujus hominis. Res
autem aliqua dupliciter habet esse, scilicet in se et in sua causa: in se
quidem est simpliciter; in causa autem sua habet esse secundum quid. Causa
autem gloriae est gratia, sufficiens quantum in se est: unde qui habet
gratiam, habet jam vitam gloriae secundum quid. Cognitio ergo de vita gloriae alicujus
habetur a Deo dupliciter. Uno modo, inquantum Deus scit ipsam vitam gloriae
in isto esse, vel futuram esse simpliciter; et tunc talis dicitur esse
scriptus in libro vitae simpliciter, vel adscriptus, ut quidam dicunt, ad
similitudinem illorum qui adscribuntur ad militiam, vel ad aliquod officium.
Alio modo, inquantum Deus scit vitam gloriae inesse isti, vel futuram esse in
eo in causa sua, quae est gratia; et talis dicitur secundum quid scriptus in
libro vitae, vel annotatus, ut quidam dicunt. Quia ergo non potest esse ut
scientia Dei fallatur, ideo quemcumque scit habiturum vitam aeternam, habebit
eam. Unde iste qui
simpliciter scriptus est vel adscriptus in libro vitae, non potest inde
deleri. Sed quia gratia, quae est causa gloriae in eo qui habet praesentem
justitiam, quando ipse a justitia per peccatum decidit, desinit esse gloriae
causa in eo; ideo notitia Dei de gratia istius non est ut de causa gloriae:
unde jam ista cognitio gratiae istius quam Deus habet, non pertinet ad librum
vitae gloriae: et secundum hoc dicitur deleri de libro vitae, non aliqua
mutatione in libro facta, sed in ipso ex parte cujus accidit quod gratia non
est jam causa gloriae; et dicitur Deus aliquem de libro vitae delere,
inquantum permittit eum a justitia excidere per peccatum. |
Comme on l’a dit, le livre de vie est la connaissance que Dieu a de la vie de la gloire pour un homme. Or, une chose possède l’être de deux manières : en soi et dans sa cause. En soi, elle est simplement ; dans sa cause, elle a l’être de manière relative. Or, la cause de la gloire est la grâce, qui est suffisante en elle-même ; celui qui a la grâce possède donc déjà la vie de la gloire de manière relative. Dieu a donc la connaissance de la vie de la gloire de quelqu’un de deux manières. D’une manière, pour autant que Dieu sait que la vie de la gloire elle-même existe ou existera simplement en celui-là : on dit alors qu’il est inscrit simplement dans le livre de vie ou qu’il [y] est inscrit, comme certains le disent, par ressemblance avec ceux qui sont inscrits dans l’armée ou pour une foncntion. D’une autre manière, en tant que Dieu sait que la vie de la gloire existe ou existera en celui-là en lui en sa cause, qui est la grâce : on dit que celui-ci est inscrit ou porté dans le livre de vie, comme le disent certains. Parce qu’il ne peut arriver que la science de Dieu se trompe, si elle sait que tel ou tel aura la vie éternelle, il l’aura donc. Aussi celui qui est inscrit simplement ou porté dans le livre de vie ne peut-il en être effacé. Mais parce que la grâce, qui est la cause de la gloire chez celui qui possède présentement la justice, lorsqu’il perd la justice par le péché, cesse d’être en lui cause de la gloire, la connaissance que Dieu a de la grâce de celui-ci n’existe pas comme cause de la gloire. Aussi cette connaissance que Dieu a de sa grâce ne relève-t-elle pas du livre de vie. Sous cet aspect, on dit qu’il est effacé du livre de vie, non pas par un changement apporté au livre, mais en lui-même, du fait que la grâce n’est pas plus cause de la gloire. Et on dit que Dieu efface quelqu’un du livre de vie pour autant qu’il permet qu’il perd la justice par le péché. |
[11668] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod praedestinatio importat directionem in
finem, quod non importat liber vitae, ut dictum est, et ideo non potest dici
praedestinatus ille qui habet praesentem justitiam tantum; potest autem
aliquo modo dici scriptus in libro vitae, ut dictum est. |
1. La prédestination comporte une direction vers la fin, ce que ne comporte pas le livre de vie, comme on l’a dit. Aussi ne peut-on appeler prédestiné celui qui n’a que la justice présente ; mais on peut dire qu’il est inscrit d’une certaine manière dans le livre de vie, comme on l’a dit. |
[11669] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum patet solutio
per id quod supra dictum est. |
2. La réponse ressort de ce qui a été dit plus haut. |
[11670] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Glossa illa loquitur de Scriptura qua
aliquis scriptus est in libro vitae simpliciter. |
3. Cette glose parle de l’écriture par laquelle quelqu’un a été simplement inscrit dans le livre de vie. |
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Articulus 3 [11671] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a.
3 tit. Utrum quaelibet caritas possit
resistere cuilibet tentationi |
Article 3 – N’importe quelle charité peut-elle résister à n’importe quelle tentation ? |
[11672] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod
non quaelibet caritas possit resistere cuilibet tentationi. Sicut enim
caritas obsistit peccato, ita et ratio, ut supra dictum est. Sed non
quaelibet ratio potest tentationi resistere, sicut patet in incontinentibus,
qui habent rationem rectam, et vincuntur, ut dicit philosophus. Ergo non
quaelibet caritas potest tentationi cuilibet resistere. |
1. Il semble que ce ne soit pas n’importe quelle charité qui puisse résister à n’importe quelle tentation. En effet, de même que la charité s’oppose au péché, de même aussi la raison le fait-elle, comme on l’a dit. Or, ce n’est pas n’importe quelle raison qui peut résister à la tentation, comme cela est clair pour les incontinents, qui ont une raison droite et sont vaincus, comme le dit le Philosophe. Ce n’est donc pas n’importe quelle charité qui peut résister à la tentation. |
[11673] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, major est
difficultas in resistendo malo quam in operando bonum simpliciter. Sed caritas minima non potest in quodlibet
bonum. Ergo nec potest cuilibet tentationi resistere. |
2. La difficulté de résister au mal est plus grande que de simplement faire le bien. Or, la plus petite charité ne suffit pas pour faire n’importe quel bien. Elle ne peut donc pas résister à n’importe quelle tentation. |
[11674] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, in resistendo
maximae tentationi est maximum meritum, cum sit ibi maxima pugna quae coronam
meretur. Sed minima
caritas non potest in maximum praemium. Ergo nec resistere maximae
tentationi. |
3. La résistance à la plus grande tentation obtient le plus grand mérite, puisqu’il y a là le plus grand combat qui mérite la couronne. Or, la plus petite charité ne peut obtenir le bien le plus grand. Elle ne peut donc pas non plus résister à la plus grande tentation. |
[11675] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, caritas imperfecta non resistit venialibus. Sed major est
impugnatio mortalium quam venialium. Ergo non resistit maximae tentationi. |
4. La charité imparfaite ne résiste pas aux fautes vénielles. Or, le combat est plus grand contre les fautes mortelles que contre les vénielles. Elle ne résiste donc pas à la plus grande tentation. |
[11676] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, 1 Corinth. 10, 13: fidelis Deus, qui non patietur
vos tentari supra id quod potestis. Sed illi quibus scribebatur, habebant
gratiam, sicut patet in principio epistolae. Ergo aliqua tentatio est supra posse habentis gratiam vel caritatem. |
5. Il est dit en 1 Co 10, 13 : Le Dieu fidèle ne supportera pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces. Or, ceux à qui on écrivait avaient la grâce, comme cela ressort du début de la lettre. Il existe donc une tentation qui dépasse le pouvoir de celui qui a la grâce ou la charité. |
[11677] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, non potest evitari omne peccatum, nisi omni tentationi
resistatur. Sed minima caritas potest vitare omne peccatum, cum etiam homo in
puris naturalibus existens hoc potuisset. Ergo caritas quaelibet potest omnem
tentationem vincere. |
Cependant, [1] tout péché ne peut être évité que si l’on résiste à toute tentation. Or, la plus petite charité peut éviter tout péché, puisque l’homme établi dans sa pure condition naturelle l’aurait pu. N’importe quelle charité peut donc vaincre toute tentation. |
[11678] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, plus diligit caritas legem Dei quam cupiditas millia auri
et argenti, ut dicit Glossa super Psalm. 118. Sed major dilectio minori
tentationi resistere potest. Ergo quaelibet caritas resistere potest cuilibet
tentationi. |
2. « La charité aime davantage la loi de Dieu que la cupidité n’aime des milliers d’or et d’argent », comme le dit la Glose sur Ps 118. Or, un plus grand amour peut résister à une plus petite tentation. Toute charité peut donc résister à toute tentation. |
[11679] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, nullus peccat in eo quod non potest vitare, ut Augustinus
dicit. Si ergo habens caritatem non posset cuilibet tentationi resistere,
videtur quod tentationi consentiens non peccaret. |
3. Personne ne pèche pour ce qu’il ne peut éviter, comme le dit Augustin. Si donc celui qui possède la charité ne pouvait résister à n’importe quelle tentation, il semble que celui qui consent à la tentation ne pécherait pas. |
[11680] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod resistere
tentationi dupliciter dicitur. Uno modo ut quis a tentatione non vincatur;
alio modo ut quis tentationem vincat. Dicitur enim aliquis a tentatione
vinci, quando a proposito bono trahitur per tentationem in consensum peccati;
sicut est in incontinente qui habet rationem rectam, sed deducitur. Qui enim
non habet propositum bonum, ut intemperatus, sive luxuriosus, non vincitur,
quia libenter id agit. Vincit autem qui non solum a tentatione superveniente
in actum peccati non deducitur, sed etiam ex magnitudine virtutis, quasi
nihil tentationem parvipendit. Qui vero difficultatem a tentatione patitur,
sed non deducitur; resistit quidem tentationi cum non consentit, sed non
vincit, proprie loquendo. Loquendo ergo primo modo de resistentia peccati,
sic quaelibet caritas potest resistere peccato propter liberum arbitrium
liberatum a servitute peccati, quamvis difficultatem patiatur propter
tentationis impulsum. Loquendo vero de tentatione secundo modo, sic caritas
quae est parva in principio tentationis, potest tentationibus resistere, quia
in fine tentationis fit magna, cum Deus pugnanti auxilium semper administret.
Si tamen ponatur quod semper parva maneret, non posset per modum dictum
tentationi resistere. |
Réponse. On parle de résister à la tentation de deux manières. D’une manière, de sorte qu’on ne soit pas vaincu par la tentation ; d’une autre manière, de sorte qu’on vainque sur la tentation. En effet, on dit que quelqu’un est vaincu par la tentation lorsqu’il est détourné par la tentation d’une bonne intention vers un consentement au péché, comme c’est le cas de l’incontinent qui a une raison droite, mais est entraîné. En effet, celui qui n’a pas une bonne intention, comme l’intempérant ou le débauché, n’est pas vaincu, puisqu’il fait cela librement. Mais l’emporte celui qui, non seulement n’est pas entraîné à l’acte d’un péché lorsque la tentation survient, mais aussi, en raison de la grandeur de sa vertu, dédaigne la tentation comme rien. Toutefois celui qui subit une difficulté en raison de la tentation, mais n’est pas entraîné, résiste à la tentation lorsqu’il ne consent pas, mais ne l’emporte pas, au sens propre. Si donc on parle de la première manière de résistance au péché, n’importe quelle charité peut résister au péché en raison du libre arbitre qui a été libéré de la servitude du péché, bien qu’il subisse une difficulté en raison de l’incitation de la tentation. Mais si on parle de la tentation de la seconde manière, la charité, qui est petite au début de la tentation, peut résister aux tentations, car, à la fin de la tentation, elle devient grande, puisque Dieu apporte toujours son aide à celui qui combat. Cependant, si on affirme qu’elle demeure toujours petite, elle ne pourrait résister à la tentation selon le mode mentionné. |
[11681] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est simile de incontinente et
habente caritatem: quia habens caritatem habet jam habitum virtutis, quam non
habet incontinens: et praeterea incontinens etiam non vincitur quando non
posset resistere, si vellet ratione recta quam habet uti, ut supra dictum
est. |
1. Il n’en va pas de même de celui qui est incontinent et de celui qui possède la charité, car celui qui possède la charité possède déjà l’habitus de la vertu, que ne possède pas l’incontinent. De plus, l’incontinent n’est pas non plus vaincu alors qu’il ne pourrait résister, s’il voulait faire usage de la raison droite qu’il possède, comme on l’a dit. |
[11682] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis sit major difficultas laboris, non
tamen est major difficultas quae attenditur secundum excessum operis ad
potentiam; qua attenditur in virtutibus, ut dictum est. |
2. Bien que la difficulté de l’effort soit plus grande, la difficulté considérée selon que l’action dépasse la puissance n’est pas plus grande : c’est d’elle que s’occupe la vertu, comme on l’a dit. |
[11683] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium potest dici, quod etiam minima caritas potest in magnum
meritum respectu praemii accidentalis, non autem respectu praemii
substantialis, ut supra dictum est. |
3. Même la plus petite charité est capable d’un grand mérite en regard de la récompense accidentelle, mais non en regard de la récompense substantielle, comme on l’a dit plus haut. |
[11684] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod venialibus etiam resistere posset, si
aliquis caritate contra venialium tentationem uteretur, non ut vitaret omnia,
sed quia potest singula vitare. |
4. Elle peut résister aussi aux fautes vénielles, si quelqu’un faisait usage de la charité contre la tentation de fautes vénielles, non pas qu’il éviterait toutes les [fautes], mais parce qu’il peut éviter chacune. |
[11685] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod apostolus loquitur quantum ad id quod homo
potest sustinere sine animi perturbatione; quod non potest nisi caritas
perfecta, ut in magnis tribulationibus aequanimitatem servet. |
5. L’Apôtre parle de ce que l’homme peut supporter sans trouble de l’âme. Il ne le peut sans une charité parfaite, par laquelle il conserve l’équanimité dans de grandes tribulations. |
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Articulus 4 [11686] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 tit. Utrum homo semper resurgat in minori
caritate |
Article 4 – L’homme se relève-t-il toujours avec une charité moindre ? |
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Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 –
[L’homme se relève-t-il toujours avec une charité moindre ?]
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[11687] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic
proceditur. Videtur quod homo semper in minori caritate resurgat. Amos 5, 2: virgo
Israel cecidit etc.; Glossa: non negat ut resurgat, sed ut resurgere
virgo possit: quia semel aberrans etsi reportetur humeris pastoris, non habet
tantam gloriam quantam qui nunquam aberravit. Sed gloria commensuratur caritati. Ergo
homo post peccatum non habet tantam caritatem resurgens, quantam primo. |
1. Il semble que l’homme se relève toujours avec une charité moindre. À propos de Am 5, 2 : La vierge d’Israël est tombée, etc., la Glose dit : « Il ne nie pas qu’elle se relève, mais qu’elle puisse relever, car celle qui s’est égarée, même si elle est ramenée sur les épaules du pasteur, n’a pas une gloire aussi grande que celle qui ne s’est jamais égarée. » Or, la gloire se mesure à la charité. Lorsqu’il se relève, l’homme n’a donc pas après le péché une charité aussi grande qu’auparavant. |
[11688] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Ezech. 44, 10: Levitae qui recesserunt a me
(...) nunquam appropinquabunt mihi, ut sacerdotio fungantur. Sed aliquis quantum ad
spirituale sacerdotium appropinquat Deo per caritatem. Ergo non habet tantam caritatem qui
aliquando recessit a Deo per peccatum, quantam ante. |
2. Ez 44, 10 : Les lévites qui se seront éloignés de moi… ne m’approcheront jamais afin d’exercer le sacerdoce. Or, on s’approche de Dieu par la charité, pour ce qui est du sacerdoce spirituel. Celui qui, à un moment, s’est éloigné de Dieu par le péché n’a donc pas une charité aussi grande qu’auparavant. |
[11689] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, caritas incipiens nunquam est tanta, quanta proficiens et
perfecta. Sed aliquis quando cecidit, habuit caritatem proficientem, vel
perfectam; quando autem resurgit, habet caritatem incipientem. Ergo non habet
tantam caritatem quantam prius. |
3. À ses débuts, la charité n’est jamais aussi grande que lorsqu’elle progresse et devient parfaite. Or, lorsque quelqu’un est tombé, il avait une charité en progrès ou parfaite ; mais lorsqu’il se relève, il a une charité débutante. Il n’a donc pas une charité aussi grande qu’auparavant. |
[11690] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4
qc. 1 arg. 4 Praeterea,
nunquam potest tantum disponere se ad recipiendum divini luminis influentiam
qui est sine caritate, quantum cum caritate. Sed secundum quod aliquis
disposuit se ad gratiam, Deus illi gratiam infundit. Ergo semper magis
recipit de influentia gratiae aliquis permanens in caritate, quam de novo
caritatem accipiens; et sic idem quod prius. |
4. Jamais celui qui n’a pas la charité ne peut se disposer à recevoir une aussi grande influence de la lumière divine que celui qui a la charité. Or, Dieu infuse la grâce à celui qui s’y est disposé. Celui qui demeure dans la charité reçoit donc toujours plus d’influence de la grâce que celui qui reçoit de nouveau la charité. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[11691] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, in Malach. 3, 4: placebit Deo sacrificium Juda et
Hierusalem, sicut dies saeculi et anni antiqui. Sed caritas facit omnia
nostra Deo esse accepta. Ergo aliquis post lapsum resurgens potest habere
tantum de caritate, quantum prius. |
Cependant, en Ml 3, 4, il est dit : Le sacrifice de Juda et de Jérusalem plaira à Dieu, comme les jours du siècle et de l’année écoulés. Or, la charité fait en sorte que tout ce que nous faisons est agréable à Dieu. Après la chute, celui qui se relève peut donc avoir autant de charité qu’auparavant. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 –
[Celui qui se relève a-t-il toujours une charité plus grande ?]
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[11692] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod semper resurgat in majori. Gen. 1: factum
est vespere et mane dies unus; Glossa: vespertina lux a qua quis
cecidit, matutina in qua resurgit. Sed lux matutina est major quam
vespertina. Ergo et gratia vel caritas in qua quis resurgit, illa quam prius
habebat. |
1. Il semble que celui qui se relève ait toujours une [charité] plus grande. À propos de Gn 1 : Il y eut un soir et il y eut un matin : un jour, la Glose dit : « La lumière du soir est celle où on tombe, celle du matin, celle où on se relève. » Or, la lumière du matin est plus grande que celle du soir. La grâce ou la charité dans laquelle quelqu’un se relève est donc plus grande que celle qu’il possédait auparavant. |
[11693] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Rom. 5, 20: ubi
abundavit delictum, superabundavit et gratia. Sed ubi superabundat gratia, est ibi major
caritas. Ergo et cetera. |
2. Il est dit en Rm 5, 20 : Là où la faute a abondé, la grâce a surabondé. Or, là où la grâce surabonde, il y a une charité plus grande. Donc, etc. |
[11694] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, peccatum vincit primam caritatem. Vincitur autem a secunda.
Ergo secunda caritas est fortior et major quam prima. |
3. Le péché l’emporte sur la première charité. Or, il est vaincu par la seconde. La seconde charité est donc plus forte et plus grande que la première. |
[11695] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, innocens non est minus aptus ad recipiendum gratiam quam
peccator. Sed primam
gratiam accipit innocens, secundam accipit peccator. Ergo non oportet quod
secunda sit major quam prima. |
Cependant, l’innocent n’est pas moins apte à recevoir la grâce que le pécheur. Or, l’innocent a reçu la première grâce, le pécheur, la seconde. Il n’est donc pas nécessaire que la seconde [grâce] soit plus grande que la première. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La
grâce après le péché est-il au moins aussi grande ?]
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[11696] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod ad minus
semper sit aequalis. Roman. 8, 28: diligentibus Deum omnia cooperantur in
bonum; Glossa: etiam casus in peccatum. Sed hoc non esset, si in
majori caritate resurgeret. Ergo nunquam in minori, sed semper in aequali
resurgit. |
1. Il semble qu’elle soit au moins égale. À propos de Rm 8, 28 : Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu, la Glose dit : « Même le fait de tomber dans le péché. » Or, ce ne serait pas le cas s’il se relevait avec une charité plus grande. Il ne se relève donc jamais avec une charité moindre, mais toujours avec une charité égale. |
[11697] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, Ambrosius
dicit quod poenitentia omnia ablata
restituit. Sed hoc non esset si non resurgeret ad
minus in aequali caritate. Ergo semper resurgit aliquis in aequali caritate. |
2. Ambroise dit que la pénitence restitue tout ce qui a été perdu. Or, ce ne serait pas le cas si l’on ne se relevait pas avec une charité au moins égale. On se relève donc toujours avec une charité égale. |
[11698] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, contritio debet proportionari praecedenti peccato. Sed
peccatum proportionatur quodammodo gratiae quam expellit. Ergo et gratia vel
caritas per quam homo conteritur, debet esse aequalis gratiae praecedenti. |
3. La contrition doit être proportionnée au péché précédent. Or, le péché est d’une certaine manière proportionné à la charité qu’il chasse. La grâce ou la charité, par laquelle un homme est contrit, doit donc être égale à la grâce précédente. |
[11699] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 4 Praeterea, poenitentia
vivificat merita per peccata mortificata. Ergo poenitens tantam habebit
gloriam quantum ante peccatum meruerat. Sed tantum meruerat quantum de
caritate habuerat. Gloria ergo quam poenitens habebit, proportionatur caritati
quam ante peccatum habuit. Proportionatur autem caritati in qua in morte
invenitur post poenitentiam: quia lignum ubi ceciderit, ibi erit: Eccles.
penult. Ergo caritas
in qua resurgit poenitens, est aequalis caritati a qua cecidit. |
4. La pénitence donne vie aux mérites morts par les péchés. Donc, le pénitent aura autant de gloire qu’il en a mérité avant le péché. Or, il en a mérité autant qu’il avait de charité. La gloire que le pénitent aura est donc proportionnée à la charité qu’il avait avant le péché. Or, elle est proportionnée à la charité où le trouve la mort après la pénitence, car l’arbre se trouvera là où il est tombé, Si 50. La charité avec laquelle le pénitent se relèvera est donc égale à la charité avec laquelle il est tombé. |
[11700] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, minima
contritio sufficit ad deletionem omnium peccatorum. Sed secundum quantitatem contritionis
attenditur quantitas caritatis in qua quis resurgit. Ergo cum potuerit,
quando prius habuit gratiam, ex magna praeparatione gratiam accepisse,
videtur quod possibile sit quod recipiat minorem gratiam et caritatem quam
prius habuit. |
Cependant, la plus petite contrition suffit à détruire tous les péchés. Or, la quantité de la charité avec laquelle on se relève se prend de la quantité de la contrition. Puisqu’il pouvait, alors qu’il avait d’abord la grâce, avoir reçu la grâce avec une grande préparation, il semble donc qu’il soit possible qu’il reçoive une grâce et une charité moindres qu’il n’avait antérieurement. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
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[11701] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad
primam quaestionem, quod mensura caritati praefigitur a Deo secundum suam
voluntatem, et aliquo modo commensuratur ad conatum illius qui gratiam
recipit. Unde cum
aliquis post peccatum possit multum et parum conari ad recipiendum caritatem,
et divinae liberalitati non ponatur terminus per peccatum, cum ipse quantum
in se est, sit paratus omnia peccata totaliter delere; oportet dicere sicut
et communiter dicitur, quod aliquis potest post peccatum in majori et in
minori et aequali caritate resurgere. |
La mesure de la charité est fixée à l’avance par Dieu selon sa volonté et, d’une certaine manière, elle est proportionnée à l’effort de celui qui reçoit la grâce. Ainsi, lorsque quelqu’un, après un péché, peut faire plus ou moins d’effort pour recevoir la charité et qu’il n’est pas mis de limite à la libéralité divine par le péché, puisqu’il est en lui-même disposé à détruite tous les péchés, il faut dire et on dit généralement que quelqu’un, après le péché, se relève avec une charité plus grande, moins grande et égale. |
[11702] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod loquitur de gloria praemii accidentalis,
quae non commensuratur caritati, sed actui vel statui: quia post peccatum
virgo aureolam non habebit; et similiter nec peccator resurgens gaudium de
innocentia continua. |
1. On parle de la gloire de la récompense accidentelle, qui n’est pas proportionelle à la charité, mais à l’acte ou à l’état, car, après le péché, une vierge ne recevra pas d’auréole. De même, le pécheur qui se relève n’aura-t-il pas non plus la joie d’une innocence continue. |
[11703] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ab officio dignitatis aliquis repellitur
propter peccatum commissum etiam si poenitentiam egerit, sicut propter
homicidium repellitur a sacerdotio; et hoc est propter hoc quod non reducitur
ad statum tantae dignitatis, quamvis reducatur ad aequalem caritatem. |
2. Quelqu’un est écarté de la fonction d’une dignité en raison d’un péché commis, même s’il a fait pénitence ; ainsi est-il écarté du sacerdoce en raison d’un homicide. Cela est dû au fait qu’il n’est pas ramené à l’état d’une si grande dignité, bien qu’il soit ramené à une charité égale. |
[11704] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod loquendo de una et eadem caritate, verum est
quod caritas incipiens minor est quam proficiens vel perfecta; sed una
incipiens potest esse major quam alterius qui est in statu proficientium,
sicut aliquod animal statim natum est majus quam aliud etiam perfectum. |
3. Si l’on parle d’une seule et même charité, il est vrai que la charité qui débute est moindre que celle qui progresse ou est parfaite. Mais une [charité] débutante peut être plus grande que celle d’un autre qui se trouve dans l’état de ceux qui progressent, de même qu’un animal naît d’un coup plus grand qu’un autre, même parfait. |
[11705] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ceteris paribus semper ille qui habet
caritatem, recipit plus de influentia divini luminis; sed ille qui non habet
caritatem, potest plus conari, et magis recipiet. |
4. Toutes choses étant égales, celui qui possède la charité reçoit toujours davantage l’influence de la lumière divine ; mais celui qui ne possède pas la charité peut faire plus d’efforts, et il en recevra davantage. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
|
[11706] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
dicendum, quod non est necessarium quod semper in majori caritate resurgat:
quia etiam minor praeparatio, vel aequalis, sufficit ad hoc quod gratia
infundatur. |
Il n’est pas nécessaire qu’il se relève toujours avec une charité plus grande, car même une préparation moindre ou égale suffit pour que la grâce soit infusée. |
[11707] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod similitudo illa attenditur non quantum
ad quantitatem lucis, sed quantum ad ordinem lucis ad tenebras. |
1. Cette compariason n’est pas envisagée selon la quantité de la lumière, mais selon le rapport entre la lumière et les ténèbres. |
[11708] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod apostolus loquitur de gratia redemptionis,
quae superabundavit ad delictum primi hominis; et non loquitur universaliter. |
2. L’Apôtre parle de la grâce de la rédemption, qui a surabondé par rapport à la faute du premier homme, et il ne parle pas de manière universelle. |
[11709] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod peccatum non vincit caritatem propter ejus
debilitatem; sed quia ille qui peccat, non utitur auxilio caritatis; et ideo
ratio non sequitur. |
3. Le péché ne l’emporte pas sur la charité en raison de la faiblesse de celle-ci, mais parce que celui qui pèche ne fait pas usage de l’aide de la grâce. Le raisonnement n’est donc pas concluant. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
|
[11710] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod etiam in
minori caritate potest homo resurgere: quia quantulumcumque de peccato
doleat, et ad gratiam se praeparet, dummodo ad terminum contritionis
perveniat, qua plus displicet ei a Deo recessisse quam aliquod temporale
placuit, gratiam habebit, etiam si non tantum praeparet se quantum prius, dum
fuit innocens, praeparavit. |
L’homme peut se relever même avec une charité moindre, car, aussi peu déplore-t-il son péché et se prépare-t-il à la grâce, pourvu qu’il atteigne la limite de la contrition, par laquelle il lui déplaît davantage de s’être éloigné de Dieu que quelque chose de temporel ne lui a plu, il aura la grâce, même s’il ne se prépare pas autant qu’il s’est préparé antérieurement, alors qu’il était innocent. |
[11711] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod hoc intelligitur non semper quantum ad
majorem quantitatem caritatis, sed quantum ad majorem diligentiam vel
humilitatem, in qua poenitens resurgit, ad minus actuali. Minus autem malum est ut caritas diminuatur
quam ut totaliter amittatur; et minus malum computatur pro magis bono, ut
dicitur 5 Ethic. Et ideo in bonum diligentis Deum cedit peccatum, etiam si in
minori caritate resurgat: quia per humilitatem et cautelam ab omnimoda
gratiae amissione curatur. |
1. Cela ne s’entend pas toujours d’une plus grande quantité de charité, mais de l’empressement plus grand ou de l’humilité [plus grande] avec laquelle le pénitent se relève, du moins pour ce qui est de l’acte. Or, c’est un mal moindre que la charité soit diminuée, qu’elle ne soit totalement enlevée, et un mal moindre est considéré comme un bien plus grand, comme on le dit dans Éthique, V. C’est pourquoi le péché tourne au bien de celui qui aime Dieu, même s’il se relève avec une charité moindre, car il est guéri de toute perte de la grâce par l’humilité et la prévoyance. |
[11712] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod poenitentia omnia restituit; sed non
oportet quod aequalia. |
2. La pénitence a tout rendu, mais pas nécessairement à égalité. |
[11713] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quantitas peccati non proportionatur gratiae
quam exclusit: quia parvum peccatum potest maximam caritatem expellere, sicut
e converso parva caritas dicitur maxima peccata delere, quia pendet ex conatu
hominis potius quam ex quantitate habitus. |
3. La quantité du péché n’est pas proportionnée à la grâce qu’elle écarte, car un petit péché peut chasser la plus grande charité, comme on dit en sens inverse qu’une petite charité détruit les plus grands péchés, car cela dépend davantage de l’effort de l’homme que de la quantité de l’habitus. |
[11714] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut ex praedictis patet, per priora merita
merebatur sibi tantam gloriam, quantam caritatem habebat. Sed ipse per
peccatum factus est alter, et non plenarie ad pristinum gradum restitutus: et
ideo non plenarie recipiet affectum priorum meritorum, nisi quantum ad
praemium accidentale, quod mensuratur actibus magis quam habitu caritatis. |
4. Comme cela ressort de ce qui a été dit auparavant, par les mérites antérieurs, il méritait une gloire aussi grande que la charité qu’il avait. Mais, par le péché, il est devenu un autre, et il n’est pas pleinement rétabli à son premier niveau. C’est pourquoi il ne recevra pas pleinement l’effet [corr. affectum/effectum] des mérites antérieurs, sauf pour la récompense accidentelle, qui se mesure plutôt selon les actes que selon l’habitus de la charité. |
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Quaestio 2 |
Question
2 – [La disparition de la charité en raison de la gloire]
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Prooemium |
Prologue |
[11715] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 pr. Deinde quaeritur de evacuatione caritatis per gloriam; et circa hoc
quaeruntur quatuor: 1 utrum fides et spes evacuentur gloria adveniente; 2
utrum caritas; 3 utrum ordo caritatis; 4 utrum scientia. |
On s’interroge ensuite sur la disparition de la charité en raison de la gloire. À ce propos, quatre questions sont posées : 1. La foi et l’espérance seront-elles éliminées lorsque surviendra la gloire ? 2. La charité aussi ? 3. L’ordre de la charité aussi ? 4. La science aussi ? |
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Articulus 1 [11716] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 tit. Utrum fides evacuetur in patria |
Article 1 – La foi sera-t-elle éliminée dans la patrie ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La
foi sera-t-elle éliminée dans la patrie ?]
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[11717] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod fides non evacuetur. Fides enim est fundamentum spiritualis aedificii. Sed
fundamentum immobile manet, quidquid superaedificetur. Ergo fides non
evacuatur adveniente gloria. |
1. Il semble que la foi ne sera pas éliminée. En effet, la foi est le fondement de l’édifice spirituel. Or, le fondement demeure immuable, quoi qu’on construise par-dessus. La foi n’est donc pas éliminée lorsque survient la gloire. |
[11718] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, nihil expellitur nisi a suo contrario. Sed gloria non est contraria
fidei. Ergo
adveniente gloria non evacuatur fides. |
2. Rien n’est chassé que de ce qui lui est contraire. Or, la gloire n’est pas le contraire de la foi. Lorsque survient la gloire, la foi n’est donc pas éliminée. |
[11719] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2
a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, perfectum et imperfectum circa ea quae sunt
diversa specie, bene se compatiuntur in eodem, sicut quod homo habeat
perfectam geometriam, et imperfectam grammaticam. Sed visio gloriae et fides sunt alterius
speciei. Ergo visio gloriae non expellit fidem. |
3. Le parfait et l’imparfait chez les choses qui diffèrent par l’espèce sont compatibles dans une même chose ; ainsi, un homme peut possèder parfaitement la géométrie et imparfaitement la grammaire. Or, la vision de la gloire et la foi sont d’espèce différente. La vision de la gloire ne chasse donc pas la foi. |
[11720] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, opinio et scientia habent se sicut cognitio perfecta et
imperfecta; et similiter cognitio matutina et vespertina in Angelis. Sed in
hominibus manent simul scientia et opinio; et in Angelis simul cognitio
matutina et vespertina. Ergo fides manet cum visione patriae. |
4. Le rapport entre l’opinion et la science est le même qu’entre la connaissance parfaite et [la connaissance] imparfaite ; de même en est-il de la connaissance du matin et de la connaissance du soir chez les anges. Or, chez les hommes, la science et l’opinion cohabitent, et chez les anges, la connaissance du matin et la connaissance du soir. La foi cohabite donc avec la vision de la patrie. |
[11721] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod apostolus dicit 1
Corinth. 13. |
Cependant, [1] l’Apôtre dit le contraire, 1 Co 13. |
[11722] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, fides est non apparentium. Sed
in patria nihil erit non apparens eorum quorum est fides. Ergo ibi fides non
erit. |
2. La foi porte sur ce qui n’est pas visible. Or, dans la patrie, rien ne sera invisible de ce sur quoi porte la foi. Il n’y aura donc pas là de foi. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 –
[L’espérance sera-t-elle éliminée ?]
|
[11723] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nec spes evacuetur. Quia sicut se habet spes ad
bona, ita se habet timor ad mala. Sed in damnatis semper manebit timor servilis. Ergo et similiter in
beatis manebit spes. |
1. Il semble que l’espérance non plus ne sera pas éliminée, car le rapport entre l’espérance et les biens est le même que le rapport entre la crainte et les maux. Or, la crainte servile demeurera toujours chez les damnés. Donc, de la même façon, l’espérance demeurera-t-elle chez les bienheureux. |
[11724] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Eccli. 24, 29: qui edunt me adhuc esurient;
et loquitur de fruitione divinae sapientiae quae erit in patria. Sed esuriens
expectat aliquid in futurum. Ergo sancti expectabunt aliquid in futurum etiam
de praemio substantiali. |
2. Il est dit dans Si 24, 29 : Ceux qui me mangent auront encore faim, et il parle de la jouissance [fruitione] de la sagesse divine qui existera dans la patrie. Or, celui qui a faim attend quelque chose dans l’avenir. Les saints attendront donc quelque chose dans l’avenir, même pour ce qui est de la récompense substantielle. |
[11725] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in fide quae evacuatur, invenitur aliquid commune fidei et
gloriae, scilicet visio. Sed non invenitur aliquid in spe quod possit in
patria esse: quia id quod est substantia spei, est expectatio, quae non
manebit in patria. Ergo videtur
quod non evacuetur spes. |
3. Dans la foi qui est éliminée, se trouve quelque chose de commun à la foi et à la gloire, à savoir, la vision. Or, on ne trouve pas dans l’espérance quelque chose qui puisse exister dans la patrie, car ce qui est la substance de l’espérance est l’attente, qui ne demeurera pas dans la patrie. Il semble donc que l’espérance ne sera pas éliminée |
[11726] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Rom. 8, 24: quod videt quis quid sperat? Sed sancti
videbunt in patria quidquid expectaverunt. Ergo spes in eis non erit. |
Cependant, [1] il est dit en Rm 8, 24 : Ce que quelqu’un voit, comment l’espère-t-il ? Or, les saints verront dans la patrie tout ce qu’ils ont attendu. Il n’y aura donc pas d’espérance chez eux. |
[11727] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, spes est expectatio beatitudinis futurae. Sed beatitudo in
patria jam non erit futura. Ergo neque
spes erit ibi. |
[2] L’espérance est l’attente de la béatitude à venir. Or, la béatitude ne sera plus à venir dans la patrie. Il n’y aura donc pas non plus d’espérance. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 –
[Quelque chose de la substance de l’habitus de la foi et de l’espérance
demeurera-t-il identique en nombre ?]
|
[11728] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod aliquid de substantia habitus fidei et spei
remanebit idem numero. Quia in omni mutatione oportet esse aliquid commune
utrique terminorum. Sed fides et spes mutantur in bona gloriae. Ergo oportet
quod aliquid de substantia habitus fidei et spei maneat idem numero. |
1. Il semble que quelque chose de l’habitus de la foi et l’espérance demeurera identique en nombre, car, en tout changement, il faut qu’il y ait quelque chose de commun aux deux termes. Or, la foi et l’espérance sont changées en biens de la gloire. Il faut donc que quelque chose de la substance de l’habitus de foi et d’espérance demeure identique en nombre. |
[11729] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sicut caritas adveniens opponitur fidei informi non
secundum substantiam fidei, sed secundum informitatem; ita gloria adveniens
opponitur fidei non secundum substantiam visionis, sed secundum
imperfectionem tantum. Sed caritas adveniens tollit informitatem et remanet
idem habitus numero fidei quantum ad substantiam, ut supra dictum est, dist.
23, quaest. 3, art. 4, quaestiunc. 1. Ergo et similiter gloria adveniens
tollit tantum imperfectionem, et dimittit eamdem substantiam habitus numero. |
2. De même que la charité qui survient s’oppose à la foi informe, non pas selon la substance de la foi, mais selon son caractère informe, de même, la gloire qui survient s’oppose à la foi, non pas selon la substance de la vision, mais selon son imperfection seulement. Or, la charité qui survient enlève le caractère informe et l’habitus de la foi demeure identique en nombre quant à sa substance, comme on l’a dit plus haut, d. 23, q. 3, a. 4, qa 1. De même, la gloire qui survient enlève-t-elle seulement l’imperfection et laisse-t-elle identique en nombre la substance de l’habitus. |
[11730] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, quando scientia imperfecta crescit in perfectam, non
tollitur substantia scientiae: similiter nec substantia corporis, quando ex
puero fit vir; sed manet idem homo. Sed apostolus evacuationem fidei comparat
perfectioni scientiae et aetatis. Ergo substantia fidei manet eadem numero. |
3. Lorsque la science imparfaite progresse vers [la science] parfaite, la substance de la science n’est pas enlevée ; de la même façon, la substance du corps [ne l’est-elle pas] lorsque, d’enfant, il devient homme, mais il demeure le même homme. Or, l’Apôtre compare la disparition de la foi à la perfection de la science et de l’âge. La substance de la foi demeure donc la même en nombre. |
[11731] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, formae quando destruuntur, sicut ex nihilo totaliter sunt,
ita totaliter in nihilum tendunt. Sed fides et spes cum sint habitus, formae
quaedam sunt. Ergo cum
adveniente gloria destruantur, ut dicit apostolus, videtur quod nihil ipsarum
maneat secundum numerum idem. |
Cependant, [1] lorsque les formes sont détruites, comme elles viennent entièrement du néant, de même tendent-elles totalement vers le néant. Or, la foi et l’espérance, puisqu’elles sont des habitus, sont des formes. Puisqu’elles sont détruites lorsque survient la gloire, ainsi que le dit l’Apôtre, il semble donc que rien d’elles ne demeure identique en nombre. |
[11732] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, impossibile est quod aliquid sit idem numero quod non sit
idem specie, sicut dicit philosophus de fide et opinione in 4 Topicor. Sed visio patriae et fides differunt specie
multo plus quam fides et opinio. Ergo visio fidei et patriae non est idem
numero. |
[2] Il est impossible que quelque chose
soit identique en nombre sans être identique selon l’espèce, ainsi que le dit
le Philosophe de la foi et de l’opinion dans les Topiques, IV. Or, la vision de la patrie et la foi diffèrent par
l’espèce bien plus que la foi et l’opinion. La vision de la foi et de la
patrie n’est donc pas identique en nombre. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
|
[11733] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem,
quod in fide est cognitio quaedam et modus cognoscendi, quia cognoscit in
speculo et in aenigmate; modus autem imperfectionis est, et obscuritatem
importat. Unde cum gloria adveniens omnem imperfectionem et obscuritatem
tollat, tollet quidem modum fidei quantum ad modum cognoscendi, sed remanebit
cognitio eorum quorum est fides, non quidem jam aenigmatica, sed clara. |
Dans la foi, il y a une certaine connaissance et une manière de connaître, car elle connaît dans un miroir et en énigme ; son mode est imparfait et comporte une obscurité. Puisque, lorsqu’elle survient, la gloire enlève toute imperfection et toute obscurité, elle enlèvera donc le mode de la foi pour ce qui est de la manière de connaître, mais la connaissance de ce sur quoi porte la foi demeurera, non plus énigmatique, mais claire. |
[11734] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quantum ad id quod habet de cognitione,
fides est fundamentum, non quantum ad id quod habet de aenigmate; unde
quantum ad id quod est fundamentum, manebit. |
1. Pour ce qu’elle comporte de connaissance, la foi est le fondement, mais non pour ce qu’elle comporte d’énigmatique. Pour ce qui est le fondement, elle demeurera donc. |
[11735] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis gloriae visio non sit contraria
fidei quantum ad id quod habet de cognitione, est tamen sibi contraria
quantum ad id quod habet de aenigmate; et ex hac parte eam expellit. |
2. Bien que la vision de la gloire ne soit pas contraire à la foi pour ce qu’elle comporte de connaissance, elle lui est cependant contraire pour ce qu’elle comporte d’énigmatique. Sous cet aspect, elle la chasse. |
[11736] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod perfectio et imperfectio cognitionis circa
diversa bene se compatiuntur, sed non circa idem; et ideo aliquis potest
habere simul imperfectam cognitionem de his quae pertinent ad unum, et
perfectam de his quae pertinent ad aliud. Sed non est simile in proposito; quia fides et visio gloriae est de
eodem. |
3. La perfection et l’imperfection de la connaissance par rapport à des choses différentes sont compatibles, mais non par rapport à une même chose. C’est pourquoi quelqu’un peut posséder en même temps une connaissance imparfaite de ce qui se rapporte à une chose, et parfaite, de ce qui est rapporte à une autre. Mais il n’en va pas de même ici, car la foi et la vision portent sur la même chose. |
[11737] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod opinio et scientia, quamvis sint de eodem,
non tamen secundum idem medium, sed secundum diversa; et ideo possunt esse
simul; sed fides et visio patriae sunt de eodem, et secundum idem medium:
quia fides assentit veritati primae propter se, et similiter visio gloriae;
et ideo perfectio unius non patitur imperfectionem alterius. Cognitio autem
matutina et vespertina quamvis sint de eodem secundum rem, non tamen sunt de
eodem secundum idem esse; quia cognitio matutina est de re secundum quod
habet esse in verbo; cognitio autem vespertina de re secundum quod habet esse
in propria natura; et ideo non est simile. |
4. L’opinion et la science, bien qu’elles portent sur la même chose, ne le font pas selon le même moyen, mais selon des moyens différents. Aussi peuvent-elles exister en même temps. Mais la foi et la vision de la patrie portent sur une même réalité et selon le même moyen, car la foi donne son assentiment à la Vérité première en raison d’elle-même, et de même en est-il de la vision de la gloire. C’est pourquoi la perfection de l’une ne supporte pas l’imperfection de l’autre. Mais la connaissance du matin et la connaissance du soir, bien qu’elles portent en réalité sur le même objet, ne portent cependant pas sur la même chose selon le même être, car la connaissance du matin porte sur une chose selon qu’elle existe dans le Verbe, mais la connaissance du soir, sur une chose selon qu’elle existe dans sa propre nature. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
|
[11738] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam
quaestionem dicendum, quod de habitibus oportet ex actibus judicium sumere.
Est autem duplex actus; scilicet actus qui est actus imperfecti inquantum
hujusmodi, sicut motus; et actus qui est actus perfecti inquantum hujusmodi,
sicut operatio consequens formam. Contingit autem quandoque quod actus
perfecti inveniantur in imperfecto secundum quod jam participat aliquid de
perfectione, sicut aliquid de actu albi est in pallido. Quando ergo
imperfectum ad perfectionem venit, actus qui est ejus inquantum habet aliquid
de perfectione in quam tendebat, manet quantum ad id quod est substantia
actus, sed tollitur quantum ad id quod erat de imperfectione actus; sicut
loquela balbutientis pueri tollitur, quando venit ad perfectam aetatem,
quantum ad id quod imperfectionis erat in ipso; manet autem quidquid erat de
perfectione et de substantia loquelae. Sed motus qui est actus imperfecti,
quando pervenitur ad terminum motus, non manet quantum ad aliquid substantiae
actus, sed quantum ad radicem, secundum quam motus inerat, quae erat
proportio quaedam et ordo imperfecti ad perfectionem. Cognitio autem,
inquantum hujusmodi, importat actum perfecti; et ideo cognitio quae habetur
in statu imperfectionis, manet quantum ad id quod cognitionis est,
imperfectione sublata. Spes autem inquantum tendit in arduum quod est nondum
habitum, et futurum expectatum, est sicut actus imperfecti, cum sit quasi
quidam motus; et ideo cum ad perfectum venerit, non manet id quod
expectationis aut spei est; sed hoc tantum in quo haec expectatio
radicabatur, scilicet ordo et proportio ipsius hominis ad illa jam habita,
quorum, dum non habebantur, erat spes; et ideo non ponitur aliquid speciale
succedens spei, sed tentio sive comprehensio beatitudinis, quae dicit ordinem
hominis ad Deum jam habitum, cujus non habiti erat spes; unde ordo iste
communis est utrobique; et quantum ad hunc ordinem spes manet, sed quantum ad
naturam actus sui transit. |
Il faut juger des habitus selon les actes. Or, il existe un double acte : l’acte qui est l’acte de quelque chose d’imparfait en tant que tel, tel le mouvement ; et l’acte qui est l’acte de quelque chose de parfait en tant que tel, comme l’opération découlant d’une forme. Or, il arrive parfois que les actes de ce qui est parfait se trouvent dans quelque chose d’imparfait selon que cela participe déjà à quelque chose de la perfection, comme quelque chose de l’acte de ce qui est blanc se trouve dans ce qui est pâle. Lorsque l’imparfait atteint la perfection, l’acte qui est le sien, en tant qu’il possède quelque chose de la perfection vers laquelle il tendait, demeure donc pour ce qui est la substance de l’acte, mais il est enlevé pour ce qui était de l’imperfection de l’acte. Ainsi, le langage de l’enfant qui balbutie est-il enlevé lorsqu’il parvient à l’âge adulte, pour ce qui était de l’imperfection qui se trouvait en lui ; mais il demeure quelque chose de la perfection et la substance du langage. Mais le mouvement qui est l’acte de quelque chose d’imparfait, lorsqu’il a atteint le terme du mouvement, ne demeure pas pour ce qui est de la substance de l’acte, mais pour ce qui est de sa racine, selon laquelle le mouvement était présent en lui : il était une certaine proportion et un certain ordre de l’imparfait à la perfection. Or, la connaissance en tant que telle comporte l’acte de ce qui est parfait. Aussi la connaissance qui existe dans l’état d’imperfection demeure-t-elle pour ce qui est de la connaissance, lorsque l’imperfection est enlevée. Mais l’espérance, en tant qu’elle tend vers quelque chose de difficile qui n’est pas encore possédé et qui est attendu dans l’avenir, est comme l’acte de quelque chose d’imparfait, puisqu’elle est comme un mouvement. C’est pourquoi, lorsqu’elle parvient à ce qui est parfait, ce qui est attente ou espérance ne demeure pas, mais seulement ce en quoi s’enracinait cette attente, c’est-à-dire l’ordre et la proportion entre l’homme et ce qui est déjà possédé, sur quoi portait l’espérance alors que cela n’était pas possédé. Ainsi, rien de spécial n’est mis pour succède à l’espérance, mais la possession ou la pleine saisie (comprehensio) de la béatitude, qui exprime l’ordre de l’homme à Dieu déjà possédé, qui était objet de l’espérance lorsqu’il n’était pas possédé. Cet ordre est donc commun aux deux et l’espérance demeure quant à cet ordre, mais elle passe quant à la nature de son acte. |
[11739] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod illi qui erunt in poenis, cum sint
remoti a participatione aeternitatis, erunt semper in motu et successione; et
propter hoc poterit esse timor futuri mali. Sed illi qui erunt in patria,
erunt maxime quantum ad praemium substantiale in participatione aeternitatis;
et ideo secundum hoc non erit in eis aliquid de praemio futuri, sed totum
simul habent; unde non remanet in eis spes. |
1. Ceux qui se trouveront dans les peines, puisqu’ils ont été éloignés de la participation à l’éternité, seront toujours en mouvement et en succesion ; pour cette raison, la crainte d’un mal à venir pourra demeurer. Mais ceux qui seront dans la patrie participeront à l’éternité, surtout pour ce qui est de la récompense substantielle. C’est pourquoi il n’y aura pas pour eux quelque chose d’une récompense à venir, mais ils la posséderont en entier simultanément. Ainsi l’espérance ne demeure-t-elle pas chez eux. |
[11740] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa fames non importat expectationem
futuri, sed aufert fastidium jam habiti. Unde respectu praemii substantialis
non erit ibi expectatio, sed fruitio plena: sed respectu aliquorum
accidentalium, vel etiam stolae corporis, poterit ibi esse expectatio, sed
non spes, ut supra, 26 dist., quaest. 2, art. 1, quaestiunc. 2, dictum est. |
2. Cette faim ne comporte pas d’attente d’un avenir, mais elle enlève le dégoût de ce qui est déjà possédé. Par rapport à la récompense substantielle, il n’y aura donc pas là d’attente, mais une pleine jouissance ; mais par rapport à certaines chose accidentelles ou même au vêtement du corps, il pourra exister une attente, mais non une espérance, comme on l’a dit plus haut, d. 26, q. 2, a. 1, q. 2. |
[11741] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
etiam in spe invenitur aliquid quod manet in patria, scilicet ordo et proportio ad expectatum bonum. Sed
iste ordo erit perfectus in patria, in via autem imperfectus propter
absentiam ejus ad quod est. |
3. Même dans l’espérance, on trouve quelque chose qui demeure dans la patrie : l’ordre et la proportion par rapport au bien attendu. Or, cet ordre sera parfait dans la patrie, alors qu’en route (in via), il est imparfait en raison de l’absence de ce à quoi il se réfère. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
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[11742] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum,
quod ablatio alicujus quod est de substantia rei, inducit corruptionem rei
illius; non autem sublatio alicujus quod se habet accidentaliter ad rem
illam. Imperfectio autem illa quam tollit gloria a fide, est substantia
fidei, et ad speciem ejus pertinens: quod patet ex hoc quod accipitur
secundum rationem objecti, a quo fides speciem recipit. Obscuritas enim, quam
aenigma importat, ad genus cognitionis pertinet. Et ideo oportet quod, remota
ista imperfectione, substantia et species fidei destruantur, sicut si ab
asino removeatur sua irrationabilitas. Quia autem fides forma quaedam est
accidentalis simplex, non composita ex materia et forma; ideo ipsa destructa
non remanet aliquid fidei idem numero, sed idem genere; sicut patet quod
quando ex albo fit nigrum, vel e converso, manet id quod coloris est, non
idem numero color, sed idem genere; sed manet eadem lux numero cum est
perfecta et imperfecta; quia illa imperfectio vel perfectio non pertinet ad
speciem lucis, sed accidentalis est. Et similiter est dicendum de spe, in qua etiam quod dictum est, magis
apparet. |
L’enlèvement de quelque chose qui fait partie de la substance d’une réalité entraîne la corruption de cette réalité, mais non l’enlèvement de quelque chose qui a un rapport accidentel avec cette réalité. Or, l’imperfection que la gloire enlève à la foi est la substance de la foi et se rapporte à son espèce, ce qui ressort du fait qu’elle s’entend de la raison de l’objet, dont la foi reçoit son espèce. En effet, l’obscurité que l’énigme comporte se rapporte au genre de connaissance. Il faut donc qu’une fois enlevée cette imperfection, la substance et l’espèce de la foi soient détruites, comme si on enlevait à l’âne le fait qu’il n’a pas de raison. Mais parce que la foi est une forme accidentelle simple, et non composée de matière et de forme, lorsqu’elle est détruite, il ne reste rien de la foi qui soit identique en nombre, mais quelque chose qui est identique selon le genre, comme cela ressort lorsque l’on passe du blanc au noir ou inversemenet : ce qui se rapporte à la couleur demeure, non pas identique en nombre, mais identique selon le genre ; mais la même lumière demeure en nombre, puisqu’elle est parfaite et imparfaite, car cette imperfection ou perfection ne se rapporte pas à l’espèce de la lumière, mais elle est accidentelle. Ainsi faut-il dire la même chose de l’espérance, dans laquelle ce qui a été dit apparaît encore davantage. |
[11743] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod commune quod
manet in mutatione, idem numero est subjectum, sed idem genere manet in
natura generis; et ita in hac transmutatione manet eadem numero anima; sed
visio vel cognitio idem genere. |
1. L’élément commun qui demeure dans le changement est un sujet identique en nombre, mais il demeure identique par le genre selon la nature du genre. Ainsi, dans ce changement, l’âme demeure-t-elle la même en nombre, mais la vision ou la connaissance, la même selon le genre. |
[11744] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod informitas illa non est de pertinentibus ad
speciem fidei, sicut imperfectio aenigmatica; et ideo non est simile. |
2. Cette absence de forme ne fait pas partie de ce qui se rapporte à l’espèce de la foi, comme l’imperfection de l’énigme. Ce n’est donc pas la même chose. |
[11745] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Et similiter dicendum ad tertium. |
3. Il faut dire la même chose pour le troisième argument. |
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Articulus 2 [11746] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 tit. Utrum caritas viae evacuetur in patria |
Article 2 – La charité de la route sera-t-elle éliminée dans la patrie ? |
[11747] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod
caritas viae evacuetur. 1 Corinth. 13, 10: cum venerit quod perfectum est,
evacuabitur quod ex parte est. Sed caritas est ex parte: quia illud
praeceptum: diliges dominum Deum tuum ex toto corde tuo, non totaliter
impletur in via, ut supra dictum est, dist. 23, quaest. 3, art. 4. Ergo
caritas evacuabitur. |
1. Il semble que la charité de la route sera éliminée. 1 Co 13, 10 : Lorsque surviendra ce qui est parfait, disparaîtra ce qui n’est que partiel. Or, la charité est partielle, car ce commandement : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, n’est pas entièrement accompli sur la route, comme on l’a dit plus haut, d. 23, q. 3, a. 4. La charité sera donc éliminée. |
[11748] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, destructa causa destruitur effectus. Sed fides generat
caritatem, sicut dicitur Matth. 1, in Glossa. Cum ergo fides evacuetur, et
caritas evacuabitur. |
2. Lorsque la cause est détruite, l’effet est détruit. Or, la foi engendre la charité, comme il est dit dans la Glose à propos de Mt 1. Lorsque la foi disparaîtra, la charité sera donc aussi éliminée. |
[11749] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, sicut fides est aenigmatica, ita et caritas; quia caritas
movet affectum in id quod non per speciem videtur. Sed fides quae est
aenigmatica, evacuabitur. Ergo et caritas. |
3. De même que la foi est énigmatique, de même aussi la charité, car la charité meut la puissance affective vers ce qui n’est pas vu selon l’espèce. Or, la foi qui est énigmatique disparaîtra. Donc, la charité aussi. |
[11750] Super Sent., lib.
3 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, motus cessat cum perventum fuerit ad terminum. Sed caritas est quidam motus mentis in Deum. Ergo cum ad terminum pervenietur,
caritas cessabit. |
4. Le mouvement cesse lorsqu’on est parvenu au terme. Or, la charité est un mouvement de l’esprit vers Dieu. Lorsqu’elle sera parvenue au terme, la charité cessera donc. |
[11751] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, ea quae
sunt unius rationis, unum in alterum potest proficere, si differant secundum
perfectum et imperfectum. Sed caritas viae quamvis possit crescere, nunquam
tamen potest pervenire ad modum caritatis patriae. Ergo caritas viae et
patriae non sunt unius speciei; et ita videtur quod caritas evacuetur. |
5. Les choses qui ont la même raison peuvent progresser l’une vers l’autre, si elles diffèrent selon le parfait et l’imparfait. Or, la charité de la route, bien qu’elle puisse croître, ne peut jamais parvenir au mode de la charité de la patrie. La charité de la route et celle de la patrie ne sont donc pas d’une seule espèce, et il semble ainsi que la charité seera éliminée. |
[11752] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, 1 Corinth. 13, 8: caritas nunquam excidit. |
Cependant,
[1] 1 Co 13, 8 dit : La charité ne disparaîtra jamais. |
[11753] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 s. c. 2
Praeterea,
praesentia amati non tollit amorem, sed auget. Caritas autem est amor Dei. Ergo quando Deum praesentem videbimus, non
tolletur caritas, sed magis augebitur. |
2. La présence de celui qui est aimé n’enlève pas l’amour, mais l’augmente. Or, la charité est l’amour de Dieu. Lorsque nous verrons Dieu comme présent, la charité ne sera donc pas enlevée, mais elle sera plutôt augmentée. |
[11754] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod
amor secundum rationem suae speciei non importat aliquid imperfectionis, sed magis
perfectionem, inquantum importat terminationem affectus, et quamdam
informationem in re amata; unde gloria adveniens nihil de his quae ad speciem
caritatis pertinent, tollet; et ideo caritas non destruetur. |
Réponse. L’amour, selon la raison de son espèce, ne comporte pas d’imperfection, mais plutôt la perfection, dans la mesure où elle constitue un terme pour la puissance affective et une conformation selon la réalité aimée. Ainsi, lorsque surviendra la gloire, rien de ce qui fait partie de l’espèce de la charité ne sera enlevée. C’est pourquoi la charité ne sera pas détruite. |
[11755] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod illa imperfectio est accidentalis caritati; et ideo ea remota,
nihilominus caritas eadem numero remanebit. |
1. Cette imperfection est accidentelle pour la charité. Lorsqu’elle sera enlevée, la charité demeurera néanmoins identique en nombre. |
[11756] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod fides est causa caritatis ratione cognitionis; cognitio autem
manebit, ut dictum est, art. praeced. quaestiunc. 2. |
2. La foi est la cause de la charité en raison de la connaissance. Or, la connaissance demeurera, comme on l’a dit dans l’article précédent, qa 2. |
[11757] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2
ad 3 Ad tertium dicendum, quod aenigma est
essentiale fidei, quia pertinet ad rationem proprii objecti; sed est
accidentale caritati; et ideo non est similis ratio. |
3. L’énigme est essentielle à la foi, car elle fait partie de la raison de son objet propre. Mais elle est accidentelle à la charité. C’est pourquoi le raisonnement n’est pas le même. |
[11758] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod amare non dicit motum qui sit actus
imperfecti, sed qui est actus perfecti, sicut sentire et intelligere, ut
dicit philosophus in 3 de anima; et ideo ratio non sequitur. |
4. Aimer n’exprime pas un mouvement qui serait l’acte de quelque chose d’imparfait, mais qui est l’acte de quelque chose de parfait, comme sentir et intelliger, ainsi que le dit le Philosophe dans Sur l’âme, III. Le raisonnement n’est donc pas concluant. |
[11759] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod hoc quod caritas viae manens in via, non
potest pervenire ad perfectionem caritatis patriae, est propter statum
viatoris, et non quantum ad id quod est de ratione caritatis, inquantum
viator non possidet perfecte quod amat. |
5. Le fait que la charité de la route, qui demeure en cours de route, ne puisse parvenir à la perfection de la charité de la patrie provient de l’état de celui qui est en route, et non de ce qui fait partie de la raison de la charité, pour autant que celui qui est en route ne possède pas parfaitement ce qu’il aime. |
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Articulus 3 [11760] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 tit. Utrum ordo dilectionis, qui modo est, fuerit in Christo, vel in
sanctis qui sunt in patria |
Article 3 – L’ordre de l’amour, qui existe maintenant, existe-t-il chez le Christ ou chez les saints qui sont dans la patrie ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [L’ordre
de l’amour, qui existe maintenant, existe-t-il chez le Christ ou chez les
saints qui sont dans la patrie ?]
|
[11761] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod ordo dilectionis qui modo est, non fuerit in
Christo, nec in sanctis qui sunt in patria, quantum ad dilectionem
inimicorum. Quia inimici
sanctorum, ad minus post diem judicii non erunt nisi Daemones et damnati. Sed
ad illos non est habenda caritas, ut supra, dist. 28, art. 5, dictum est.
Ergo non diligent inimicos. |
1. Il semble que l’ordre de l’amour, qui existe maintenant, n’existe pas chez le Christ, ni chez les saints qui sont dans la patrie, pour ce qui est de l’amour des ennemis, car les ennemis des saints, du moins après le jour du jugement, ne seront que les démons et les damnés. Or, il ne faut pas avoir de charité à leur égard, comme on l’a dit plus haut, d. 28, a. 5. Ils n’aimeront donc pas leurs ennemis. |
[11762] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in eis erit
summa conformitas voluntatum ad Deum. Sed Deus inimicos sanctorum non diligit, sed odit. Ergo nec Christus
et beati suos inimicos diligent. |
2. Il y aura chez [le Christ et chez les saints dans la patrie] la plus grande conformité de leurs volontés à Dieu. Or, Dieu n’aime pas les ennemis des saints, mais il les hait. Ni le Christ ni les bienheureux n’aimeront donc leurs ennemis. |
[11763] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, quicumque diligit aliquem ex caritate, vult ei bonum vitae
aeternae. Sed hoc Christus non voluit inimicis, nec beati: quia si vellent,
etiam fieret. Ergo non diligunt inimicos ex caritate. |
3. Quiconque aime quelqu’un de charité veut pour lui le bien de la vie éternelle. Or, le Christ n’a pas voulu cela pour ses ennemis, ni les bienheureux, car s’ils le voulaient, cela se réaliserait aussi. Ils n’aiment donc pas leurs ennemis par charité. |
[11764] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, diligere inimicum ad perfectionem caritatis pertinet. Sed
in Christo et in beatis est perfectissima et amplissima caritas. Ergo ipsi inimicos diligunt. |
Cependant, [1] aimer son ennemi relève de la perfection de la charité. Or, chez le Christ et les bienheureux, la charité est la plus parfaite et la plus étendue. Ils aiment donc leurs ennemis. |
[11765] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Christus ex caritate dilexit
illos pro quibus mortuus est; Joan. 15, 13: majorem hac dilectionem nemo
habet ut animam suam ponat quis pro amicis suis. Sed mortuus est pro
inimicis; Rom. 5. Ergo dilexit inimicos; et eadem ratione beati. |
[2] Le Christ aime par charité ceux pour qui il est mort. Jn 15, 13 : Personne n’a de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Or, il est mort pour ses ennemis, Rm 5. Il a donc aimé ses ennemis et, pour la même raison, les bienheureux aussi. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 –
[L’ordre de la charité existe-t-il chez eux entre soi et son prochain, et
entre les proches et les étrangers ?]
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[11766] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in eis non
sit ordo caritatis quantum ad se et proximum, et propinquos et extraneos.
Augustinus in libro de vera religione: perfecta justitia est, ut plus
potiora bona, et minus minora diligamus. Sed in patria erit perfecta
caritas. Ergo proximum meliorem se plus diliget aliquis quam seipsum, et
similiter extraneum quam propinquum secundum carnem. |
1. Il semble que l’ordre de la charité n’existe pas chez eux entre soi et son prochain, et entre les proches et les étrangers. Augustin dit dans le livre Sur la véritable religion : « La justice parfaite consiste à aimer davantage les biens plus importants, et moins les biens moindres. » Or, dans la patrie, une charité parfaite existera. On aimera donc davantage un proche meilleur que soi, et, de même, un étranger qu’un proche selon la chair. |
[11767] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in patria erit
perfecta conformitas humanae voluntatis ad Deum. Sed Deus plus diligit meliorem. Ergo et
quilibet plus diliget meliorem quam seipsum. |
2. Dans la patrie, existera une conformité parfaite de la volonté humaine à Dieu. Or, Dieu aime davantage celui qui est meilleur. Chacun aimera donc davantage celui qui est meilleur que lui-même. |
[11768] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, ille plus diligitur cui majus bonum optatur. Sed quilibet
homo vult majus bonum meliori se quam sibi in patria: quia unicuique vult
bonum quod habet, nec appetit alicui quod non habet: quia sic desiderium non
esset quietatum. Ergo plus diligit meliorem se quam seipsum. |
3. Est davantage aimé celui à qui on souhaite un plus grand bien. Or, tout homme veut un bien plus grand qu’à lui-même à celui qui est meilleur que lui dans la patrie : en effet, chacun veut pour un autre le bien qu’il possède et ne désire pas pour quelqu’un un bien qu’il ne possède pas, car ainsi le désir ne serait pas apaisé. Il aime donc davantage celui qui est meilleur que lui-même. |
[11769] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, gloria perficit naturam. Sed ordo iste est a natura
hominis progrediens, ut homo se plus altero diligat. Ergo et gloria hunc ordinem non aufert. |
Cependant, [1] la gloire perfectionne la nature. Or, l’ordre voulant qu’un homme s’aime davantage qu’un autre provient de la nature de l’homme. La gloire n’enlève donc pas cet ordre. |
[11770] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, si aliquis salutem suam
negligeret pro salute alterius, peccaret. Sed in patria non erit aliquid
inordinatum. Ergo homo ibi semper plus diliget salutem suam quam alterius; et
ita plus amabit se quam alterum. |
[2] Si quelqu’un négligeait son propre salut pour le salut d’un autre, il pécherait. Or, dans la patrie, il n’y aura rien de désordonné. L’homme y aimera donc toujours plus son propre salut que celui d’un autre. Et ainsi, il s’aimera davantage qu’un autre. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Le
Christ aimera-t-il davantage Pierre que Jean ?]
|
[11771] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Quaeritur quem Christus plus dilexerit, Petrum vel Joannem;
et videtur quod Joannem. Joan. ultim. 20: vidit illum discipulum quem
diligebat Jesus, sequentem. Hoc autem non dicitur quia illum tantum
diligeret. Ergo propter eminentiam dilectionis ad ipsum. |
1. On demande qui le Christ a le plus aimé : Pierre ou Jean, et il semble que ce soit Jean. Jn 21, 20 : Il voit le disciple que Jésus aimait qui le suivait. Or, on ne dit pas cela parce qu’il aimait seulement celui-là. C’est donc en raison de l’élévation de l’amour qu’il avait pour lui. |
[11772] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, dilectio in qua affectus effectui, vel signis dilectionis
non respondet, est dilectio simulationis. Cum ergo Christus majorem
familiaritatem Joanni exhibuerit quam Petro, et ejus dilectio nullo modo
fuerit simulata; videtur quod Joannem plus Petro dilexerit. |
2. L’amour dans lequel la disposition affective ne correspond pas à l’effet ou aux signes de l’amour est un amour simulé. Puisque le Christ a manifesté une plus grande familiarité à Jean qu’à Pierre et que son amour n’était d’aucune manière simulé, il semble donc qu’il ait aimé davantage Jean que Pierre. |
[11773] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Proverb. 8, 17: ego
diligentes me diligo. Sed plus dilexit Petrus, ut patet Joan. ultim. Ergo
et plus diligebatur. |
Cependant, Pr 8, 17 dit : Moi, j’aime ceux qui m’aiment. Or, Pierre l’a aimé davantage, comme cela ressort du dernier chapitre de Jean. Il était donc aussi davantage aimé. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
|
[11774] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad
primam quaestionem, quod inimici Christi possunt accipi dupliciter; vel
quantum ad finalem exitum, sicut damnati, vel in actu, vel in praevisione
divina; vel quantum ad praesentem statum tantum, sicut Paulus tunc erat.
Quantum ergo ad primos inimicos est eadem ratio dilectionis in Christo quae
in nobis ad illos quos scimus damnatos; quia naturam ipsorum diligimus, et
considerata natura tantum eis vitam aeternam vellemus; sed considerata
justitia divina et eorum meritis, eis hoc non volumus, quia justitiam divinam
plus diligimus quam eorum naturam. Et prima voluntas est voluntas antecedens, secunda est voluntas
consequens; et ita Christus diligebat inimicos qui erant damnati vel
damnandi, volens eis bonum voluntate antecedente, quae non semper impletur,
sed non consequente, sicut nec Deus. Et eadem ratio est de aliis beatis
quantum ad illos qui actu sunt damnati. Sed de damnandis forte nesciunt de
omnibus qui sunt. Sed quantum ad alios inimicos, secundum praesentem statum
tantum diligebat, et ad eos bona operabatur, quia pro eis mortem subiit. |
Les ennemis du Christ peuvent s’entendre de deux manières : quant à l’issue finale, tels les damnés, en acte ou dans la prévision divine, ou quant à leur état présent seulement, comme c’était alors le cas de Paul. Pour ce qui est des premiers ennemis, la même raison d’amour existe chez le Christ et chez nous pour ceux que nous savons damnés, car nous aimons leur nature et, à considérer leur nature seulement, nous leur voudrions la vie éternelle ; mais, à considérer la justice divine et leurs mérites, nous ne voulons pas cela pour eux, car nous aimons davantage la justice divine que leur nature. Et la première volonté est la volonté antécédente, la seconde, la volonté conséquente. Ainsi, le Christ aimait ses ennemis qui étaient damnés ou seraient damnés, en leur voulant du bien selon sa volonté antécédente, qui ne s’accomplit pas toujours, mais non selon sa volonté conséquente, comme c’est le cas pour Dieu. La même raison vaut pour les autres bienheureux, quant à ceux qui sont damnés en acte. Mais, pour ceux qui doivent être damnés, peut-être ne savent-ils pas qui ils sont tous. Mais, pour les autres ennemis, il les aimait et leur faisait du bien selon leur état présent seulement, car il a subi la mort pour eux. |
[11775] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 1 ad arg. Et per hoc patet responsio
ad objecta. |
La réponse aux objections est ainsi claire. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
|
[11776] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod
circa hoc est duplex opinio. Quidam dicunt, quod in patria erit Deus omnia
in omnibus, et mens tota in Deo quiescens, totam rationem dilectionis
habebit in Deum; et ideo Deum super omnia diliget, et alios tanto plus quanto
erunt Deo proximiores, etiam alios plus quam se, si sunt meliores. Sed illud
non videtur rationabiliter dictum: quia unusquisque tantum amabit Deo frui,
quantum diliget Deum; unde cum Deum super omnia diliget, super omnia volet
Deo frui; et ideo frui Deo plus optabit sibi quam alii. Unde videtur quod
magis se quam alium diliget. Praeterea, affectus dilectionis non quiescit in
aliquo, nisi in proprio objecto. Sicut autem proprium objectum amoris est
bonum, ita proprium subjectum amoris istius hominis est bonum istius; unde et
Deum summe diliget, inquantum est summum bonum suum. Unde non oportet quod
tanto aliquem plus diligat quanto est simpliciter Deo proximior, sed quanto
est Deo proximior, inquantum est bonum suum; et ideo videtur probabilius quod
alii dicunt, quod quilibet ibi plus diliget se quam proximum. Sed de
comparatione propinquorum ad extraneos credo quod simpliciter loquendo, plus
unusquisque diliget extraneum meliorem quam consanguineum minus bonum: quia
plus attenditur ordo dilectionis quantum ad proximitatem ad Deum quam quantum
ad proximitatem ad seipsum, quamvis utrumque oportet quod attendatur. Unde de
aequaliter bonis plus diligit proximiorem, sed de inaequalibus diligit
meliorem. |
À ce sujet, il y a deux opinions. Certains disent que, dans la patrie, Dieu sera tout en tous, et que l’esprit, se reposant tout entier en Dieu, trouvera en Dieu toute la raison d’aimer. C’est pourquoi il aimera Dieu par-dessus tout, et les autres, d’autant plus qu’ils seront plus proches de Dieu ; et [il aimera] même les autres plus que soi, s’ils sont meilleurs. Mais cela ne semble pas être affirmé de manière raisonnable, car chacun aimera d’autant plus jouir de Dieu qu’il aimera Dieu. Puisqu’il aimera Dieu par-dessus tout, il voudra donc jouir de Dieu par-dessus tout. Ainsi, il souhaitera jouir davantage de Dieu que les autres. Il semble donc qu’il s’aimera davantage qu’un autre. De plus, la disposition affective de l’amour ne se repose en rien d’autre que son propre objet. Or, de même que l’objet propre de l’amour est le bien, de même le sujet propre de l’amour d’un homme est le bien de cet homme ; aussi aimera-t-il Dieu au plus haut point, pour autant qu’il est son bien le plus grand. Il n’est donc pas nécessaire qu’il aime quelqu’un d’autant plus qu’il est simplement plus proche de Dieu, mais dans la mesure où il en est plus proche en tant que son propre bien. Ce que d’autres disent semble donc plus probable : chacun s’y aimera davantage que le prochain. Mais, pour ce qui est de la comparaison entre les proches et les étrangers, je pense qu’à parler simplement, chacun aime davantage un étranger meilleur qu’un consanguin moins bon, car on tient davantage compte de l’ordre de l’amour selon la proximité par rapport à Dieu que selon la proximité par rapport à soi, bien qu’il faille accorder aux deux choses leur importance. Entre deux qui sont également bons, il aime donc le plus proche, mais entre deux qui sont inégaux, il aime le meilleur. |
[11777] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod intelligendum est quod plus diligit
magis bona quae etiam sibi sunt magis bona, sicut bona spiritualia quam
corporalia. |
1. Il aime davantage les biens plus grands qui sont aussi pour lui des biens plus grands : ainsi, les biens spirituels plutôt que les biens corporels. |
[11778] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod in hoc ipso voluntas nostra voluntati divinae conformabitur quod
sequetur motum naturaliter sibi impositum a Deo. |
2. Notre volonté se conformera à la volonté divine par le fait même qu’elle découlera du mouvement naturel qui lui est imposé par Dieu. |
[11779] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
voluntate consequente vult majus bonum alteri quam sibi, sibi autem
intensius; sed voluntate antecedente vult sibi majus. Sed hoc non impedit quietem desiderii: quia
haec voluntas non est voluntas simpliciter, sed conditionata, vel velleitas
quaedam, ut quidam dicunt. |
3. Selon la volonté conséquente, il veut un plus grand bien pour un autre que pour lui-même, mais un bien plus intense pour lui-même ; toutefois, selon la volonté antécédente, il veut un plus grand [bien] pour lui-même. Mais cela n’empêche pas le repos du désir, car cette volonté n’est pas simplement la volonté, mais la volonté conditionnée, ou bien une certaine vellité, comme certains le disent. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
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[11780] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem
dicendum, quod, sicut dicitur, Petrus plus dilexit Christum dilectione quae
ab ipso in membra diffunditur; sed Joannes plus dilexit dilectione quae in
Christo sistit; et ideo Petro dominus commisit curam membrorum; Joanni autem
curam matris, quae ad personam ejus specialius spectabat. Unde et Petrus a
Christo plus diligebatur quantum ad affectum interiorem, quia donum majoris
caritatis erat ei tunc collatum. Sed Joannes magis diligebatur quantum ad
signa exterioris familiaritatis; et hoc propter quatuor causas. Primo, quia
per Joannem significatur vita contemplativa quae familiariorem habet Deum,
quamvis activa sit fructuosior, quae significatur in Petro. Secundo propter
aetatem, quia juvenis erat. Tertio propter castitatem. Quarto propter
ingenitam mansuetudinem. |
Comme on le dit, Pierre a davantage aimé le Christ selon l’amour qui se diffuse dans les membres à partir de lui ; mais Jean a davantage aimé selon l’amour qui se fixe sur le Christ. C’est pourquoi le Seigneur a confié à Pierre le soin de [ses] membres, mais à Jean le soin de sa mère, qui concernait sa personne d’une manière plus spéciale. Aussi Pierre était-il davantage aimé par le Christ selon une disposition affective intérieure, car le don d’une plus grande charité lui avait été fait. Mais Jean était aimé davantage quant aux signes de familiarité, et cela pour quatre raisons. Premièrement, parce que, par Jean, était signifiée la vie contemplative qui rend Dieu plus familier, bien que la vie active, signifiée par Pierre, soit plus fructueuse. Deuxièmement, en raison de l’âge, car il était jeune. Troisièmement, en raison de sa chasteté. Quatrièmement, en raison de sa douceur innée. |
[11781] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta: quia
uterque plus diligebat, et quodammodo plus diligebatur. |
Ainsi ressort la réponse aux objections, car [le Christ] aimait les deux davantage, et il en était aimé davantage. |
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Articulus 4 [11782] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a.
4 tit. Utrum scientia
quam modo habemus, totaliter tolletur |
Article 4 – La science que nous possédons maintenant disparaîtra-t-elle totalement ? |
[11783] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic
proceditur. Videtur quod scientia quam modo habemus, totaliter tolletur; 1
Corinth. 13, 8: scientia destruetur. Sed accidens quod destruitur,
totaliter tollitur. Ergo scientia totaliter tolletur. |
1. Il semble que la science que nous possédons maintenant disparaîtra totalement. 1 Co 13, 8 : La science sera détruite. Or, un accident qui est détruit disparaît totalement. La science disparaîtra donc totalement. |
[11784] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 arg. 2 Praeterea, fides est magis spiritualis
quam scientia. Sed fides tolletur. Ergo et scientia. |
2. La foi est plus spirituelle que la science. Or, la foi disparaîtra. Donc, la science aussi. |
[11785] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 arg. 3 Praeterea, consideratio scientiae est de delectabilibus maxime. Si
ergo scientia hic acquisita remanet, aliquis magnus clericus plus habebit de
gaudio quam aliqua vetula, quae erit majoris caritatis; quod esse videtur
impossibile. |
3. La considération de la science est ce qu’il y a de plus délectable. Si donc la science acquise ici demeure, un grand clerc aura plus de joie qu’une petite vieille, qui aura une charité plus grande, ce qui paraît impossible. |
[11786] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 arg. 4 Praeterea, illi qui
sunt in patria, cognoscunt omnia quorum scientiam habuerunt, et multo plura
et melius, in verbo. Si ergo
scientia non est nisi ad cognoscendum, frustra in eis praeterita scientia
remaneret. |
4. Ceux qui sont dans la patrie connaissent dans le Verbe tout ce dont ils ont eu la science, et encore bien davantage et bien mieux. Si donc la science n’existe que pour connaître, c’est en vain que demeurerait en eux la science passée. |
[11787] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 arg. 5 Praeterea, habitus
ordinatur ad actum. Ergo ubi actus non remanet, neque habitus remanere
potest, quia frustra remaneret. Sed actus scientiae qui modo est, non
remanebit in patria: quia consideratio scientiarum est in intelligendo cum
phantasmate, non solum in accipiendo scientiam, sed etiam in considerando ea
quae aliquis jam didicit; unde laeso organo imaginationis, impeditur operatio
intellectus etiam in aliis quae prius sciebat. Ergo nec scientia remanebit. |
5. L’habitus est ordonné à l’acte. Là où l’acte de demeure pas, l’habitus non plus ne peut donc pas demeurer, car il demeurerait en vain. Or, l’acte de la science qui existe maintenant ne demeurera pas dans la patrie, car la considération des sciences consiste à intelliger avec un phantasme, non seulement pour recevoir la science, mais aussi pour considérer ce qu’on a déjà appris. C’est pourquoi, s’il y a lésion de l’organe de l’imagination, l’opération de l’intellect est empêchée, même pour ce qu’il savait antérieurement. Donc, la science non plus de demeurera pas. |
[11788] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 arg. 6 Praeterea, scientiae
quam nunc habemus, consideratio est collativa. Sed iste modus conferendi non
erit in patria: quia tunc sequeretur quod esset ibi studium et disputatio,
quod est absurdum. Ergo scientia
hic acquisita non remanebit in patria. |
6. La considération de la science que nous possédons maintenant fonctionne par rapprochement. Or, cette manière de rapprocher n’existera pas dans la patrie, car il en découlerait alors qu’il y aurait là étude et dispute, ce qui est absurde. La science acquise ici ne demeurera donc pas dans la patrie. |
[11789] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4
s. c. 1 Sed contra,
Magister in prima distinctione secundi libri dixit, et philosophi etiam
plures dicunt, quod anima posita est in corpore, ut scientiis perficiatur. Sed frustra poneretur ad
hoc, nisi post corpus ei scientia remaneret. Ergo scientia remanebit. |
Cependant, [1] dans la première distinction du deuxième livre [des Sentences], le Maître a dit et plusieurs philosophes disent aussi que l’âme a été placée dans le corps pour qu’elle soit perfectionnée par les sciences. Or, c’est en vain qu’elle y aura été mise si la science ne demeurait pas en elle après le corps. La science demeurera donc. |
[11790] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 s. c. 2 Praeterea, constat quod illi qui sunt in Inferno, aliquid cognoscunt
esse de his quae prius cognoverunt, sicut patet de divite, qui suorum
memoriam habebat. Sed eis non addetur alia cognitio quam hic habuerunt. Ergo prior
scientia in eis remanebit. |
[2] Il est clair que ceux qui sont en enfer connaissent quelque chose de ce qu’ils connaissaient auparavant, comme cela ressort pour le riche qui gardait la mémoire des siens. Or, il ne leur sera pas ajouté une autre connaissance que celle qu’ils avaient ici. La science antérieure demeurera donc en eux. |
[11791] Super Sent.,
lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 s. c. 3 Praeterea, si
scientia destruatur cum corpore, erit bonum temporale; et ita studium
scientiae computabitur inter sollicitudines rerum temporalium; quod videtur
absurdum. |
[3] Si la science est détruite avec le corps, elle sera un bien temporel. Et ainsi, l’étude de la science sera comptée parmi les préoccupations des réalités temporelles, ce qui paraît absurde. |
[11792] Super Sent., lib.
3 d. 31 q. 2 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod in scientia quam modo habemus, est tria
considerare: scilicet habitum, actum, et modum agendi. Modus autem agendi est
ut intelligat cum phantasmate: quia in statu viae verum est quod dicit
philosophus in 3 de anima, quod nequaquam sine phantasmate intelligeret anima
non solum quantum ad acquirendam scientiam, sed etiam quo ad considerationem
eorum quae quis jam scit: quia phantasmata se habent ad intellectum sicut
sensibilia ad sensum. Actus autem scientiae proprius est ut cognoscat
conclusiones, resolvendo eas ad principia prima per se nota. Habitus autem
est quaedam qualitas hominem habilitans ad hunc actum. Modus autem
intelligendi praedictus accidit humanae animae ex duobus. Uno modo ex hoc
quod anima humana est ultima secundum naturae ordinem in gradibus
intellectus; unde se habet intellectus ejus possibilis ad omnia
intelligibilia, sicut se habet materia prima ad omnes formas sensibiles; et
propter hoc non potest in actum exire prius quam recipiat rerum species, quod
fit per sensum et imaginationem. Alio modo ex hoc quod est forma corporis;
unde oportet quod operatio ejus sit operatio totius hominis; et ideo
communicat ibi corpus non sicut instrumentum per quod operetur, sed sicut
repraesentans objectum, scilicet phantasma; et inde contingit quod anima non
potest intelligere sine phantasmate etiam ea quae prius novit. In anima ergo
separata a corpore remanebit natura animae, sed non remanebit unio ad corpus
in actu; et ideo ea considerata in natura sua tantum, non indigebit
phantasmatibus quantum ad considerationem eorum quae prius scivit, sed solum
quantum ad considerationem eorum quae de novo debet scire; et ideo ea quae
prius scivit, poterit considerare non quidem utendo phantasmate, sed ex
habitu scientiae prius habito. Ea vero quae ante nescivit, non poterit scire,
nisi quatenus ex his quae scit, elici possunt, vel inquantum aliae species ei
divinitus infunduntur. Dicere enim, quod secundum id quod modo anima habet in
natura sua, non possit intelligere sine corpore aliquo modo, est valde familiare
illis qui ponunt animam cum corpore deficere: quia, ut dicitur in 1 de anima,
si nulla operationum quas habet, potest esse sine corpore, nec ipsa sine
corpore esse posset, cum operatio naturalis consequatur naturam. In actu
autem scientiae praedicta duo considerantur; scilicet motus inquisitionis et
rationis discurrentis; et terminus, scilicet certitudo, quae habetur de
conclusionibus, secundum quod jam sunt reductae in prima principia. Motus
autem ille imperfectionis est quantum ad necessitatem discurrendi, ut
causetur certitudo; et ideo in beatis non remanebit actus scientiae quantum
ad necessitatem motus, sed quantum ad certitudinem tantum. Et ideo videtur
dicendum, secundum quod quidam dicunt, quod in patria, quantum ad animas
separatas, erit alius modus intelligendi, quia sine phantasmate
considerabunt; sed post resurrectionem poterit esse uterque modus, inquantum
anima non subjacebit corpori, sed ex toto ei dominabitur. Actus autem
mutabitur, quia remanebit quantum ad terminum, sed non quantum ad discursum
in sanctis. In damnatis autem non est remotum quin etiam collationis
necessitas remaneat; et ideo remanet habitus scientiae quantum ad
substantiam. Dicere enim, quod habitus remaneat, et actus nullo modo, videtur
absurdum: quia habitus nihil est aliud quam habilitas ad actum. |
Réponse. Dans la science que nous possédons maintenant, il faut considérer trois choses : l’habitus, l’acte et le mode de l’action. Or, le mode de l’action consiste en ce qu’elle intellige avec un phantasme, car, dans l’état de la route, ce que dit le Philosophe, Sur l’âme, III, est vrai : jamais l’âme n’intelligera sans phantasme, non seulement pour acquérir la science, mais aussi pour considérer les choses qu’elle connaît déjà, car les phantasmes ont avec l’intellect le même rapport que ce qui est sensible avec le sens. Or, l’acte propre de la science est qu’elle connaisse des conclusions en les ramenant aux principes premiers connus par soi. Mais l’habitus est une qualité préparant l’homme à cet acte. Or, la manière d’intelliger dont il est question vient à l’âme humaine de deux choses. Premièrement, du fait que l’âme humaine est la dernière dans l’ordre naturel des degrés de l’intellect. Aussi son intellect possible est-il en rapport avec tous les intelligibles, comme la matière première est en rapport avec toutes les formes sensibles. Pour cette raison, il ne peut passer à l’acte avant de recevoir les espèces des choses, ce qui se réalise par le sens et l’imagination. Deuxièmement, du fait que [l’âme] est la forme du corps. Aussi est-il nécessaire que son opération soit l’opération de tout l’homme. C’est pourquoi le corps a en commun [avec l’âme], non seulement le fait d’être l’instrument par lequel l’âme agit, mais celui de représenter l’objet, à savoir, le phantasme. De là vient que l’âme ne peut intelliger sans phantasme, même ce qu’elle a connu antérieurement. Dans l’âme séparée du corps, la nature de l’âme demeurera donc, mais l’union au corps ne demeurera pas en acte. C’est pourquoi, à la considérer selon sa nature seulement, elle n’aura pas besoin des phantasmes pour considérer ce qu’elle a connu antérieurement, mais seulement pour considérer ce dont elle doit acquérir la connaissance. Ainsi pourra-t-elle considérer ce qu’elle connaissait antérieurement, non pas en utilisant un phantasme, mais par l’habitus de la science possédé antérieurement. Mais ce qu’elle n’a pas connu antérieurement, elle ne pourra le savoir qu’en le tirant de ce qu’elle sait ou dans la mesure où d’autres espèces lui sont infusées par Dieu. En effet, dire que, selon ce que l’âme possède maintenant par sa nature, l’âme ne peut intelliger de quelque manière sans le corps se rapproche beaucoup de ceux qui affirment que l’âme unie au corps est affaiblie, car, ainsi qu’on le dit dans Sur l’âme, I, si aucune des opérations qu’elle possède ne pouvait exister sans le corps, elle-même ne pourrait exister sans le corps, puisque l’opération naturelle découle de la nature. Or, dans l’acte de la science, ces deux choses sont prises en considération : le mouvement de recherche et de raisonnement ; le terme, à savoir, la certitude qu’on a des conclusions, selon qu’elles sont déjà ramenées aux premiers principes. Or, ce mouvement relève d’une imperfection quant à la nécessité de raisonner afin que soit produite la certitude. C’est pourquoi, chez les bienheureux, l’acte de la science ne demeurera pas pour ce qui est de la nécessité du mouvement, mais pour ce qui est de la certitude seulement. Il semble donc qu’il faille dire, comme certains le disent, que, dans la patrie, existera un autre mode d’intelliger pour les âmes séparées, car elles considéreront sans phantasme. Mais, après la résurrection, les deux manières pourront exister, dans la mesure où l’âme ne sera pas soumise au corps, mais le maîtrisera complètement. Cependant, l’acte sera changé, car il demeurera chez les saints pour ce qui est du terme, mais non pour ce qui est du raisonnement. Mais, chez les damnés, même la nécessité de rapprocher n’est pas enlevée ; l’habitus de science demeure donc en sa substance. En effet, dire que l’habitus demeure, mais aucunement l’acte, semble absurde, car l’habitus n’est rien d’autre qu’une aptitude à l’acte. |
[11793] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod destruetur scientia quantum ad modum, et
quantum ad actum mutabitur; sed quantum ad habitum remanebit, ut dictum est. |
1. La science sera détruite quant à son mode et quant à l’acte, mais elle demeurera quant à l’habitus, comme on l’a dit. |
[11794] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod modus imperfectionis est essentialis fidei,
et de ratione ejus; sed modus cognoscendi per phantasmata non est de ratione
scientiae, sed accidit ei ex conditione subjecti. |
2. Le mode qui relève de l’imperfection est essentielle à la foi et fait partie de son essence ; mais le mode de la connaissance par des phantasmes ne fait pas partie de l’essence de la science, mais lui est associé en raison de la condition du sujet. |
[11795] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4
ad 3 Ad tertium
dicendum, quod non est inconveniens quod ille qui habet minorem caritatem,
habeat plus de gaudio quantum ad aliquem actum; cum tamen habeat minus
gaudium de Deo, quod est praemium essentiale. |
3. Il n’est pas inapproprié que celui qui a une charité moindre ait plus de joie en raison d’un acte, alors qu’il a moins de joie à propos de Dieu, qui est la récompense essentielle. |
[11796] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cognoscere aliquid pluribus modis non est
frustra; sicut etiam Christus habuit scientiam naturalem eorum quae in verbo
cognoscebat. |
4. Connaître quelque chose de plusieurs manières n’est pas inutile. Ainsi, le Christ a eu une science naturelle de ce qu’il connaissait dans le Verbe. |
[11797] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod ille modus cognoscendi accidit scientiae ex statu ejus in quo
est: non enim phantasma est objectum propinquum et proprium intellectus, cum
sit intelligibile in potentia, non in actu; sed species intellecta est per se
objectum ejus. |
5. Cette manière de connaître est associée à la science en raison de l’état de celui chez lequel elle existe. En effet, le phantasme est l’objet rapproché et propre de l’intellect, puisqu’il est intelligible en puissance, mais non en acte ; mais l’espèce intelligée est son objet en soi. |
[11798] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod
non erit actus scientiae
quantum ad discursum, sed quantum ad terminum certitudinis. Et praeterea non
oporteret ibi esse studium vel disputationem quantum ad bonos, quia omnium
illorum quae considerare vellent, in verbo cognitionem possent accipere, vel
per illuminationem superiorum habere. Damnatis autem non vacabit disputare poenarum pondere pressis. |
6. Il n’y aura pas d’acte de science pour ce qui est du raisonnement, mais pour ce qui est du terme qu’est la certitude. De plus, il ne serait pas nécessaire pour les bons de recourir à l’étude et à la dispute, car ils pourraient recevoir du Verbe ou d’une illumination des êtres supérieurs la connaissance de tout ce qu’ils voudraient considérer. Mais les damnés n’auront pas le loisir de disputer, écrasés qu’ils seront par le poids des peines. |
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Expositio textus |
Explication du texte de Pierre
Lombard, Dist. 31
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[11799] Super
Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 expos. Caritas autem, quae deseri potest. Verum est, si posset deseri propter debilitatem amoris, ut scilicet
aliquis minus diligeret Deum quam rem illam pro qua tunc peccat: tunc enim
non esset vera caritas. De perfecta intelligitur. Perfecta dicitur
quae est in confirmatis vel in via vel in patria; vel intelligitur non quod
non possit amitti, sed quia difficile est quod amittatur. |
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Distinctio 32 |
Distinction 32 – [L’amour de
Dieu]
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Quaestio 1 |
Question
unique – [L’amour de Dieu pour ses créatures]
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Prooemium |
Prologue |
[11800] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de dilectione caritatis qua diligimus
Deum, hic determinat de dilectione qua Deus diligit nos; et dividitur in
partes duas: in prima ostendit quomodo Deus omnem creaturam diligit; in
secunda movet quaestionem de reprobis, quos diligere non videtur, ibi: de
reprobis vero qui praeparati non sunt ad vitam, sed ad mortem, si quaeritur,
utrum debeat concedi quod Deus ab aeterno dilexit eos; dicimus de electis
solis simpliciter hoc esse concedendum. Prima in duas. In prima
determinat de dilectione Dei, secundum quod absolute dicitur creaturam
diligere. In secunda determinat de gradibus divinae dilectionis, secundum
quod unum plus et alium minus dicitur diligere, ibi: cum autem dilectio
Dei immutabilis sit et cetera. Et dividitur haec pars in duas: in prima
determinat de ordine dilectionis quantum ad diversos; in secunda quantum ad
eumdem, ibi: si vero quaeritur de aliquo uno, utrum magis diligatur a Deo
uno tempore quam alio; distinguenda est dilectionis intelligentia. Circa
primum tria facit: primo movet quaestionem; secundo determinat eam, ibi, potest
tamen sane intelligi etc.; tertio confirmat solutionem, ibi: consideratur
enim duobus modis dilectio Dei. Hic quaeruntur quatuor: 1 utrum Deus
creaturam diligat; 2 utrum omnem creaturam; 3 utrum aequaliter omnia; 4 quid
plus et quid minus sive aequaliter. |
Après avoir déterminé de l’amour de charité par lequel nous aimons Dieu, le Maître détermine ici de l’amour par lequel Dieu nous aime. Il y a deux parties : dans la première, il montre comment Dieu aime toute créature ; dans la seconde, il soulève une question à propos des réprouvés qu’il ne semble pas aimer, à cet endroit : « À propos des réprouvés qui n’ont pas été préparés pour la vie, mais pour la mort, à la question : doit-on concéder que Dieu les a éternellement aimés ? nous disons qu’il ne faut concéder cela simplement que pour les seuls élus. » La première partie se divise en deux. Dans la première, il détermine de l’amour de Dieu, selon qu’on dit de lui de manière absolue qu’il aime sa créature. Dans la seconde, il détermine des degrés de l’amour divin, selon qu’on dit de lui qu’il en aime un davantage et l’autre moins, à cet endroit : « Puisque l’amour de Dieu est immuable, etc. » Cette partie se divise en deux : dans la première, il détermine de l’ordre de l’amour pour les diverses [créatures] ; dans la seconde, pour la même, à cet endroit : « Mais si on s’interroge à propos d’un seul, à savoir s’il est aimé de Dieu davantage à un moment qu’à un autre, il faut faire une distinction dans la manière de comprendre l’amour. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il soulève une question. Deuxièmement, il en détermine, à cet endroit : « On peut cependant correctement comprendre, etc. » Troisièmement, il confirme la solution, à cet endroit : « En effet, l’amour de Dieu est envisagé de deux manières. » Ici, il y a quatre questions : 1. Dieu aime-t-il sa créature ? 2. Aime-t-il toute créature ? 3. Aime-t-il toutes choses également ? 4. Aime-t-il quelque chose plus, moins ou également ? |
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Articulus 1 [11801] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deo competat creaturam amare |
Article 1 – Convient-il à Dieu d’aimer sa créature ? |
[11802] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1
a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deo non competat creaturam
amare. Amor enim quamdam passionem animi importat. Sed aliae passiones animi,
ut ira, et hujusmodi, non sunt in Deo, nisi secundum effectum, et per
similitudinem. Ergo nec amor est in ipso. |
1. Il semble qu’il ne convienne pas à Dieu d’aimer sa créature. En effet, l’amour comporte une certaine passion de l’âme. Or, les autres passions de l’âme, comme la colère et celles de ce genre, n’existent en Dieu que selon leur effet et par ressemblance. L’amour non plus n’existe donc pas en lui. |
[11803] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, inter multum distantia non potest esse amor; unde amici non
optant amicis maxima bonorum, ne amicitia dissolvatur, ut philosophus dicit
in 9 Ethic. Sed nulla est
tanta distantia quanta creatoris a creatura. Ergo non potest esse amor Dei ad
creaturam. |
2. Il ne peut y avoir d’amour entre des réalités très éloignées. C’est pourquoi les amis ne souhaitent pas à leurs amis les plus grands parmi les biens de crainte que l’amitié ne soit dissoute, comme le dit le Philosophe dans Éthique, IX. Or, aucune distance n’est aussi grande que celle entre le Créateur et la créature. |
[11804] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, amor transfert amantem in
amatum, ut vivat jam vita amati, ut dicit Dionysius. Sed Deus non transfertur in aliquid aliud,
cum sit immobilis; sed omnia ad se trahit, ut dicitur Joan. 12. Ergo ipse non
amat creaturam. |
3. L’amour transporte celui qui aime en celui qui est aimé, de sorte qu’il vive de la vie de celui qui est aimé, comme le dit Denys. Or, Dieu n’est pas transporté en quelque chose d’autre puisqu’il est immobile, mais il attire tout à lui, comme il est dit en Jn 12. Il n’aime donc pas la créature. |
[11805] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, amans
quodammodo subjicitur amato, inquantum affectus amantis amato informatur, ut
supra dictum est. Sed Deus nullo modo creaturae subjicitur. Ergo nullo modo amat creaturam. |
4. Celui qui aime est, d’une certaine manière, soumis à celui qui est aimé dans la mesure où la disposition affective de celui qui aime prend la forme de celui qui est aimé, comme on l’a dit plus haut. Or, Dieu n’est soumis à aucune créature. Il n’aime donc la créature d’aucune manière. |
[11806] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, omnis
nostra perfectio a divina perfectione exemplatur. Sed omnis virtus perfectio
mentis est. Ergo cum quaedam aliae virtutes non sint in Deo, ut temperantia,
et hujusmodi, videtur quod nec caritas. |
5. Toute notre perfection a son modèle dans la perfection divine. Or, toute vertu est une perfection de l’esprit. Puisque certaines vertus n’existent pas en Dieu, telles la tempérance et celles de ce genre, il semble que la charité non plus. |
[11807] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, sicut
essentia sua est exemplar omnis creaturae, ita bonitas sua est causa omnis
bonitatis in creatura. Sed cognoscendo essentiam cognoscit omnia quae ab ipsa exemplantur.
Ergo amando bonitatem suam, amat omnia quae ab ipsa bonitatem participant. |
Cependant, [1] de même que l’essence [de Dieu] est le modèle de toute créature, de même sa bonté est-elle la cause de toute bonté dans la créature. Or, en connaissant son essence, il connaît tout ce qui a son modèle en elle. En aimant sa bonté, il aime donc tout ce qui participe à sa bonté. |
[11808] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Joan. 3, 16: sic
Deus dilexit mundum, ut filium suum unigenitum daret. |
[2] Jn 3, 16 : Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a
donné son Fils unique. |
[11809] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, Dionysius
dicit quod divinus amor non permisit ipsum sine germine esse. |
[3] Denys dit que l’amour divin n’a pas permis qu’il soit sans progéniture. |
[11810] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod
unicuique habenti cognitionem amabile est proprium bonum non solum amore
naturali, sed amore animali, sive intellectuali. Unde cum in Deo sit sui perfecta
cognitio, amat suam bonitatem. Bonum autem alicujus non solum dicitur
secundum hoc quod in ipso est, sed secundum quod in alio est per
similitudinem. Unde cum bonitas quae est in creatura, sit similitudo divinae
bonitatis, sequitur quod ipse creaturam diligat. |
Réponse. Tout ce qui a la connaissance aime son propre bien, non seulement d’un amour naturel, mais d’un amour de l’âme (amore animali), c’est-à-dire intellectuel. Puisqu’en Dieu existe une connaissance parfaite, il aime donc sa propre bonté. Or, on ne parle pas de la bonté d’une chose seulement pour ce qui existe en elle-même, mais pour ce qui se trouve dans un autre par ressemblance. Puisque la bonté qui existe dans la créature est une ressemblance de la bonté divine, il en découle donc que [Dieu] aime sa créature. |
[11811] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod passiones quaedam important in sui ratione aliquam materialem
transmutationem; et ideo non possunt transferri in Deum, nisi per
similitudinem, sicut ira; et similiter illae quae important defectum, ut
tristitia, et etiam ira secundum quod ex tristitia causatur. Quaedam vero
passiones sunt quae de ratione sui non important aliquid materiale, vel
aliquem defectum, sicut delectatio; unde etiam in operatione intellectuali
delectatio est, non solum in corporali operatione, ut philosophus probat in 7
Ethic.: et propter hoc delectatio in Deo potest poni, non quidem ut passio,
sed operationem suam simplicem et sine motu consequens per modum
intelligendi, ut philosophus dicit in 7 Ethic., quod Deus simplici gaudet
delectatione. Et similiter
etiam de amore dicendum est. |
1. Certaines passions comportent par essence une transformation matérielle ; c’est pourquoi elles ne peuvent être transposées en Dieu, si ce n’est par ressemblance, telle la colère. De même, celles qui comportent un manque, comme la tristesse et encore la colère, pour autant qu’elle est causée par la tristesse. Mais il y a certaines passions qui ne comportent rien de matériel ni manque par leur essence, comme la délectation. Aussi existe-t-il une délectation dans l’opération intellectuelle, et non seulement dans une opération corporelle, comme le montre le Philosophe dans Éthique, VII. Pour cette raison, on peut reconnaître en Dieu une délectation, non comme une passion, mais comme découlant de son opération simple et sans mouvement par mode d’intelligence ; ainsi le Philosophe dit, dans Éthique, VII, que Dieu se réjouit d’une délectation simple. Il faut parler de l’amour de la même façon. |
[11812] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod inter multum distantia bene potest esse amor, sed non
amicitia: quia non conversantur simul, quod est proprium amicitiae. Deus
autem quamvis in infinitum distet a creatura; tamen operatur in omnibus, et
in omnibus est: et ideo potest salvari etiam ratio amicitiae. |
2. Entre des réalités très éloignées, il peut fort bien exister de l’amour, mais non de l’amitié, car elles ne se fréquentent pas, ce qui est le propre de l’amitié. Or, Dieu, bien qu’il soit infiniment distant de la créature, agit cependant en toutes choses et existe en toutes choses. C’est pourquoi même la notion d’amitié peut être sauvegardée. |
[11813] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
amor omnis transfert quodammodo amantem in amatum, sed diversimode. Uno modo secundum
quod amans transfertur in participandum ea quae sunt amati; alio modo ut
communicet amato ea quae sunt sua. Primo ergo modo Deus non transfertur in
amatum, quod est creatura; sed secundo modo, inquantum bonitatem suam ei
communicat; et sic dicit Dionysius, quod ipse Deus est per amorem extasim
passus. |
3. Tout amour transporte d’une certaine manière celui qui aime en celui qui est aimé, mais de manières diverses. D’une manière, selon que celui qui aime est transporté en vue de participer à ce qui appartient à celui qui est aimé ; d’une autre manière, afin de communiquer ce qui lui appartient à celui qui est aimé. Dieu n’est donc pas transporté de la première façon en ce qui est aimé, qui est la créature, mais, de la seconde manière, pour autant qu’il lui communique sa propre bonté. C’est ainsi que Denys dit que Dieu lui-même connaît par l’amour une « extase » [sortie de soi]. |
[11814] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod potentia passiva informatur ex objecto suo; sed potentia activa ponit
formam suam circa objectum, sicut patet de intellectu agente et possibili.
Unde sicut intellectus divinus non informatur rebus quas cognoscit per
essentiam suam, ita nec voluntas ejus informatur rebus quas amat: quia eas
per bonitatem suam amat, et amando communicat eis suam bonitatem. |
4. La puissance passive prend la forme de son objet, mais la puissance active confère à l’objet sa forme, comme cela ressort pour l’intellect agent et [l’intellect] possible. De même que l’intellect divin ne prend pas la forme des choses qu’il connaît par son essence, de même sa volonté ne prend-elle donc pas la forme des choses qu’elle aime, car elle les aime par sa bonté et, en les aimant, leur communique sa propre bonté. |
[11815] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod virtutes quae habent materiam determinatam circa actus et passiones
corporales, vel quae important aliquem defectum, sicut fides, non possunt
habere exemplar in natura divina, ita scilicet quod illae virtutes in Deo
sint; sed habent exemplar in intellectu divino, sicut habent reliquae res
materiales; et ideo cum caritas nullum defectum nec aliquod materiale
importet, invenitur in Deo prae quibusdam aliis virtutibus. |
5. Les vertus qui ont une matière déterminée dans les actes et les passions corporels, ou qui comportent un certain manque, comme la foi, ne peuvent avoir leur modèle dans la nature divine, de telle sorte que ces vertus existent en Dieu. Mais elles ont leur modèle dans l’intellect divin, comme l’ont les autres réalités matérielles. Puisque la charité ne comporte aucun manque ni rien de matériel, c’est la raison pour laquelle elle se trouve en Dieu plus que les autres vertus. |
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Articulus 2 [11816] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a.
2 tit. Utrum Deus
diligat omnem creaturam |
Article 2 – Dieu aime-t-il toutes les créatures ? |
[11817] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod
Deus non diligat omnem creaturam. Quidquid enim Deus diligit, ex caritate
diligit. Sed creaturae irrationales non diliguntur ex caritate, ut supra,
dist. 21, quaest. 1, art. 2, dictum est. Ergo eas Deus non diligit. |
1. Il semble que Dieu n’aime pas toutes les créatures. En effet, tout ce que Dieu aime, il l’aime de charité. Or, les créatures sans raison ne sont pas aimées de charité, comme on l’a dit plus haut, d. 21, q. 1, a. 2. Dieu ne les aime donc pas. |
[11818] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, sicut
dicit philosophus in 8 Ethic., creaturae inanimatae non diliguntur nisi amore concupiscentiae,
sicut patet de vino. Sed Deus non diligit amore concupiscentiae, quia ipse
bonorum nostrorum non eget. Ergo creaturas inanimatas nullo modo diligit. |
2. Comme le dit le Philosophe dans Éthique, VIII, les créatures inanimées ne sont aimées que d’un amour de concupiscence, comme cela ressort pour le vin. Or, Dieu n’aime pas d’un amour de concupiscence, car il n’a pas besoin de nos biens. Il n’aime donc aucunement les créatures inanimées. |
[11819] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, dilectio est causa electionis. Sed Deus non omnes etiam
homines eligit. Ergo non omnes diligit. |
3. L’amour est la cause du choix. Or, Dieu ne choisit pas non plus tous les hommes. Il ne les aime donc pas tous. |
[11820] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, quicumque diligit aliquid, vult ei bonum. Sed Deus non vult
reprobis bonum, quod est perfectum bonum, scilicet vitam aeternam: quia si
vellet, haberent. Ergo Deus non diligit omnem creaturam. |
4. Quiconque aime quelque chose lui veut du bien. Or, Dieu ne veut pas pour les réprouvés le bien qui est le bien parfait : la vie éternelle, car, s’il la voulait, ils l’auraient. Dieu n’aime donc pas toutes les créatures. |
[11821] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, non potest esse ejusdem ad idem amor et odium. Sed Deus
aliquam creaturam odit; Malach. 1, 5: Esau odio habui. Ergo non omnem creaturam diligit. |
5. Le même ne peut pas avoir d’amour et de haine à l’endroit de la même chose. Or, Dieu a haï une créature. Ml 1, 5 : J’ai haï Ésaü ! Il n’aime donc pas toutes les créatures. |
[11822] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Sap. 2, 25: diligis omnia quae sunt, et nihil odisti
eorum quae fecisti. |
Cependant,
[1] Sg 2, 25 dit : Tu aimes tout ce qui existe, et tu n’as eu
de haine envers rien de ce que tu as créé. |
[11823] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Dionysius
dicit quod etiam amor divinus movet superiora in providentiam inferiorum. Sed Deus habet providentiam de omnibus.
Ergo ipse omnia diligit. |
[2] Denys dit que l’amour divin meut aussi les êtres supérieurs en vue de prendre soin des êtres inférieurs. Or, Dieu exerce sa providence envers toutes choses. Il aime donc toutes choses. |
[11824] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, Genes. 1, 31, dicitur: vidit Deus cuncta quae
fecerat, et erant valde bona; et Augustinus dicit, quod per hoc
significatur quod omnia approbavit sed nihil approbatur nisi quod amatur.
Ergo Deus omnia amat. |
[3] Il est dit en Gn 1, 31 : Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et cela était très bon. Et Augustin dit que, par là, il est signifié qu’il a approuvé toutes choses . Or, il n’approuve rien qu’il n’aime pas. Dieu aime donc toutes choses. |
[11825] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod amicitia, sicut
dictum est Sup. dist. 27, quaest. 2, art. 1, addit aliquid supra amorem, quia
ad rationem amoris sufficit quod homo velit bonum quodcumque alicui; ad
rationem autem amicitiae oportet quod aliquis velit ei bonum quod vult sibi,
ut scilicet velit conversari cum ipso, et convivere in illis quae maxime
amat. Sic ergo Deus, communiter loquendo de dilectione, diligit omnia,
inquantum vult eis bonum aliquod, scilicet bonum naturale ipsorum; sed bonum
quod ipse sibi vult, scilicet visionem sui, et fruitionem qua ipse beatus
est, vult quidem omni creaturae rationali voluntate antecedente, sed
voluntate consequente solum electis, quae est voluntas simpliciter; et ideo
solos electos diligit amore amicitiae, alia autem diligit amore communiter
dicto, inquantum sunt bona. |
Réponse. Comme on l’a dit plus haut, d. 27, q. 2, a. 1, l’amitié ajoute quelque chose à l’amour, car il suffit pour la notion d’amour que l’homme veuille n’importe quel bien à quelqu’un ; mais, pour la notion d’amitié, il est nécessaire que quelqu’un lui veuille un bien qu’il veut pour lui-même, à savoir, qu’il veuille le fréquenter et vivre avec lui au sein de ce qu’il aime le plus. Ainsi donc, Dieu, à parler de l’amour d’une manière générale, aime toutes choses pour autant qu’il leur veut un bien, à savoir, leur bien naturel ; mais le bien qu’il veut pour lui-même, à savoir, la vision de lui-même et la jouissance par laquelle il est bienheureux, il le veut pour toute créature raisonnable d’une volonté antécédente, mais, pour les élus, d’une volonté conséquente seulement, qui est simplement la volonté. C’est pourquoi il aime seulement les élus d’un amour d’amitié, mais il aime les autres choses d’un amour au sens général, pour autant qu’elles sont bonnes. |
[11826] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus omnia, idest creaturas
irrationales, ex caritate diligit, non sicut caritatem habens ad illa, sed
sicut ordinans ea ad illa ad quae ille caritatem habet. |
1. Dieu aime toutes les créatures, à savoir, les créatures non raisonnables, non pas en ayant de la charité à leur endroit, mais en les ordonnant à ce envers quoi il a de la charité. |
[11827] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis nos non
diligamus creaturas inanimatas amore benevolentiae, quia eorum bonum non est
a nobis; Deus tamen eas diligit amore benevolentiae: quia per hoc quod eis
bonum vult, sunt, et bonae sunt. Tamen Deus quamvis non amet aliquid in
concupiscendo sibi, amat tamen in concupiscendo alteri, ut non fiat vis in
verbo concupiscentiae, quae anxietatem, non proprietatem desiderii importat. |
2. Bien que nous n’aimions pas les créatures inanimées d’un amour de bienveillance, parce que leur bien ne vient pas de nous, Dieu les aime cependant d’un amour de bienveillance, car elles existent par le fait qu’il leur veut du bien et qu’elles sont bonnes. Cependant, bien que Dieu n’aime pas quelque chose en le désirant [concupiscendo] pour lui-même, il l’aime cependant en le désirant [concupiscendo] pour un autre, sans insister sur le mot « concupiscence », qui comporte une anxiété, et non le caractère propre du désir. |
[11828] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dilectio amicitiae est illa quae electionem
causat; et hanc non habet ad omnia. |
3. L’amour d’amitié est celui qui cause un choix, et celui-ci ne porte pas sur tout. |
[11829] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Deus omnibus creaturis irrationalibus vult
bonum eis proportionatum, et cujus sunt capaces; et ideo simpliciter loquendo
potest dici quod Deus eas diligat. Sed reprobis voluntate consequente,
secundum quam simpliciter dicitur aliquid velle, vult quidem bonum naturae,
non autem bonum cujus sunt capaces, scilicet gratiae et gloriae, nisi
voluntate antecedente: et ideo non est dicendum quod diligat Deus eos
simpliciter, sed secundum quid, scilicet inquantum sunt creaturae. |
4. Dieu veut pour toutes les créatures non raisonnables le bien qui leur est proportionné et dont elles sont capables. C’est pourquoi, à parler simplement, on peut dire que Dieu les aime. Mais, pour les réprouvés, il veut leur bien naturel d’une volonté conséquente, par laquelle on dit qu’il veut quelque chose simplement, mais non le bien dont ils sont capables, à savoir, celui de la grâce et de la gloire, si ce n’est d’une volonté antécédente. Aussi ne faut-il pas dire que Dieu les aime simplement, mais de manière relative, à savoir, pour autant qu’ils sont des créatures. |
[11830] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non odit reprobos inquantum creaturae sunt,
sed inquantum mali sunt, quod ab ipso non est. |
5. Il ne hait pas les réprouvés en tant qu’ils sont des créatures, mais en tant qu’ils sont mauvais, ce qui ne vient pas de lui. |
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Articulus 3 [11831] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a.
3 tit. Utrum Deus ab
aeterno dilexerit creaturas |
Article 3 – Dieu a-t-il aimé les créatures éternellement ? |
[11832] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod
Deus ab aeterno non dilexerit creaturas. Dilectio enim non est nisi boni. Sed creaturae non fuerunt
bonae ab aeterno. Ergo non diligit eas ab aeterno. |
1. Il semble que Dieu n’ait pas aimé les créatures éternellement. En effet, l’amour ne porte que sur le bien. Or, les créatures n’ont pas été éternellement bonnes. Il ne les aime donc pas éternellement. |
[11833] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, dilectio
significat divinam essentiam, et connotat effectum in creatura. Sed ea quae
important effectum in creatura, dicuntur de Deo ex tempore, sicut dominus, et
salvator, et hujusmodi. Ergo et
diligere creaturas non dicitur de Deo nisi ex tempore. |
2. L’amour signifie l’essence divine et connote un effet dans la créature. Or, ce qui comporte un effet dans la créature est dit de Dieu de manière temporelle ; ainsi, Seigneur, Sauveur et les choses de ce genre. Aimer les créatures n’est donc dit de Dieu que de manière temporelle. |
[11834] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, dilectio unit amantem amato. Sed res non potuerunt conjungi vel uniri
Deo antequam essent. Ergo non poterant amari ab eo ab aeterno. |
3. L’amour unit celui qui aime à ce qui est aimé. Or, les choses n’ont pu être reliées ou unies à Dieu avant d’exister. Elles ne pouvaient donc pas être aimées par lui éternellement. |
[11835] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, eorum quae similiter se habent, est una ratio amoris. Sed
creaturae antequam essent, in nullo distinguebantur. Ergo non erat in uno
quare diligeretur magis quam in alio; et ita ab aeterno non dilexit electos,
nisi forte sicut alia. |
4. Pour les choses qui sont semblables, il n’existe qu’une seule raison d’aimer. Or, avant qu’elles n’existent, les créatures ne se distinguaient en rien. Il n’y avait donc pas chez l’un une raison de l’aimer davantage qu’un autre. Ainsi, [Dieu] n’a pas aimé les élus éternellement, sauf peut-être comme les autres choses. |
[11836] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, amans vult esse amatum. Sed Deus non volebat esse creaturas
antequam essent: quia si voluisset eas esse, fuissent. Ergo non amabat eas
antequam essent. |
5. Celui qui aime veut être aimé. Or, Dieu ne voulait pas qu’il y ait des créatures avant qu’elles n’existent, car s’il avait voulu qu’elles existent, elles auraient existé. Il ne les aimait donc pas avant qu’elles n’aient existé. |
[11837] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, Ephes. 1: elegit nos ante
mundi constitutionem. Sed electio est ex dilectione. Ergo etiam ab
aeterno dilexit creaturas. |
Cependant, [1] Ep 1 dit : Il nous a choisis avant la création du monde. Or, le choix vient de l’amour. Il a donc aimé des créatures éternellement. |
[11838] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Dionysius
dicit, quod divinus amor fuit causa quare res fecit. Ergo amor rerum fuit in
Deo antequam res essent, et ita ab aeterno. |
2. Denys dit que l’amour divin a été la cause pour laquelle il a créé les choses. L’amour des choses a donc existé en Dieu avant que les choses ne soient, et ainsi, [il a existé] éternellement. |
[11839] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1
a. 3 s. c. 3 Praeterea, affectus boni sequitur cognitionem de bono. Sed Deus
ab aeterno cognovit quidquid boni est in creaturis. Ergo ab aeterno dilexit creaturas. |
3. L’amour du bien découle de la connaissance du bien. Or, Dieu a éternellement connu tout ce qu’il y a de bien dans les créatures. Il a donc aimé les créatures éternellement. |
[11840] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod illa sola nomina ex tempore
de Deo dici possunt quae in principali significato important aliquid quod in
Deo secundum rem non est: sicut ea quae important relationem Dei ad creaturam
in principali significato, ut dominus, et hujusmodi: quae quidem relatio
secundum rem est in creatura, sed in Deo est secundum rationem tantum:
similiter ea quae important in principali significato actionem divinam
terminatam ad aliquid extra se, sicut causare, et hujusmodi. Amor autem non
importat in principali significato relationem, sed operationem voluntatis;
cujus operationes, sicut et operationes intellectus proximae, et ab eis
elicitae, in operante manent, et non transeunt ad constituendum aliquid in
exteriori materia. Et ideo amor Deo ab aeterno convenit. |
Réponse. Seuls peuvent être dits de Dieu de manière temporelle les noms qui comportent dans leur signification principale quelque chose qui n’existe pas réellement en Dieu, comme ceux qui comportent une relation de Dieu à la créature dans leur signification principale ; ainsi, Seigneur et ceux de ce genre. Cette relation existe réellement dans la créature, mais elle existe en Dieu selon la raison seulement. De même, [les noms] qui comportent dans leur signification principale une action de Dieu qui a comme terme quelque chose qui lui est extérieur, comme causer et ceux de ce genre. Or, l’amour ne comporte pas dans sa signification principale une relation, mais une opération de la volonté, dont les opérations, comme les opérations rapprochées de l’intellect et issues d’elles, demeurent dans celui qui agit et ne sortent pas en vue d’établir quelque chose dans une matière extérieure. C’est pourquoi l’amour convient à Dieu éternellement. |
[11841] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum igitur
dicendum, quod quamvis creaturae ab aeterno non fuerint bonae in propria
natura, fuerunt tamen bonae in Dei praescientia. |
1. Bien que les créatures n’aient pas été éternellement bonnes dans leur nature propre, elles furent cependant bonnes dans la prescience de Dieu. |
[11842] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod non connotat effectum in actu, sed in habitu; et hoc est, quia
operationes animae non terminantur ad aliquid extra operantem; unde possunt
extendi etiam ad id quod non est in actu. |
2. [L’amour] ne connote pas l’effet en acte, mais selon l’habitus. Cela vient de ce que les opérations de l’âme n’ont pas comme terme quelque chose d’extérieur à celui qui agit ; elles peuvent donc aussi atteindre ce qui n’existe pas en acte. |
[11843] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod amor non unit secundum rem semper, sed est unio affectus: quae quidem
unio potest haberi etiam ad illud quod est absens, aut penitus non existens. |
3. L’amour n’unit pas toujours réellement, mais il est une union affective. Cette union peut se réaliser même avec ce qui est absent ou n’existe pas du tout. |
[11844] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod quamvis non differrent secundum id quod non erant in propria natura,
differentiam tamen habebant in Dei praescientia, secundum quod eorum
diversitates futuras praesciebat. |
4. Bien qu’elles n’aient pas été différentes pour autant qu’elles n’existaient pas dans leur nature propre, elles avaient cependant une différence dans la prescience de Dieu, par laquelle il connaissait à l’avance leurs diversités futures. |
[11845] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod
Deus volebat ab aeterno creaturas esse, sed non eas esse ab aeterno, sed
secundum ordinem suae sapientiae. |
5. Dieu voulait éternellement que les créatures soient, mais non pas qu’elles soient éternellement, mais selon l’ordre de sa sagesse. |
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Articulus 4 [11846] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a.
4 tit. Utrum Deus omnia
aequaliter diligat |
Article 4 – Dieu aime-t-il toutes choses également ? |
[11847] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic
proceditur. Videtur quod
Deus omnia aequaliter diligat. Quia providentia, ut dicit Dionysius, est
effectus amoris. Sed aequaliter est illi cura de omnibus. Sap. 6. Ergo
omnia aequaliter diligit. |
1. Il semble que Dieu aime toutes choses également, car la providence est l’effet de l’amour, comme le dit Denys. Or, il prend un soin égal de toutes choses, Sg 6. Il aime donc toutes choses également. |
[11848] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, dilectio Dei
ad creaturas significat habitudinem ipsius ad creaturas. Sed Deus aequaliter se habet
ad omnia, ut dicit philosophus, quamvis omnia inaequaliter se habeant ad
ipsum. Ergo ipse aequaliter omnia diligit. |
2. L’amour de Dieu pour les créatures signifie une relation de lui aux créatures. Or, Dieu a une relation égale avec toutes choses, comme le dit le Philosophe, bien que toutes aient un rapport inégal avec lui. Il aime donc toutes choses également. |
[11849] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, sicut
diligit omnia, ita cognoscit omnia. Sed aequaliter cognoscit omnia. Ergo
aequaliter omnia diligit. |
3. De même qu’il aime toutes choses, de même connaît-il toutes choses. Or, il connaît également toutes choses. Il aime donc également toutes choses. |
[11850] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, idem actus non potest esse intensior et remissior, nisi
secundum diversas sui partes. Sed eodem actu simplici diligit omnia. Ergo non
diligit unum plus altero. |
4. Le même acte ne peut être plus intense et plus relâché, sauf selon ses divers parties. Or, [Dieu] aime toutes choses par un acte simple. Il n’aime donc pas une chose plus qu’une autre. |
[11851] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, qua ratione diligit unum plus
altero, eadem ratione diligit aliquem quandoque plus quandoque minus: quia
sicut una res est melior altera, ita idem secundum diversa tempora est melius
seipso. Sed Deus non diligit aliquem quandoque plus quandoque minus: quia sic
amor suus esset mutabilis, quod est impossibile. Ergo non diligit unum plus
altero. |
5. C’est pour la même raison qu’il en aime un plus qu’un autre et qu’il aime parfois quelqu’un davantage et parfois moins, car de même qu’une chose est meilleure qu’une autre, ainsi une même chose peut-elle être meilleure qu’elle-même à divers moments. Or, Dieu n’aime pas quelqu’un parfois plus et parfois moins, car son amour serait ainsi changeant, ce qui est impossible. Il n’aime donc pas l’un plus que l’autre. |
[11852] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, Prov. 16, 4: universa propter seipsum operatus est
dominus; et similiter etiam dicitur quod omnia fecit propter hominem. Sed
illud propter quod aliquid fit, plus diligitur. Ergo Deus magis diligit se
quam alia, et inter alia magis amat unum quam aliud. |
Cependant, [1] il est dit en Pr 16, 4 : Le Seigneur a fait toutes choses pour lui-même. De même est-il dit qu’il a fait toutes choses pour l’homme. Or, ce pour quoi quelque chose est fait est davantage aimé. Dieu s’aime donc lui-même plus que les autres choses et, parmi les autres choses, il en aime une plus qu’une autre. |
[11853] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, caritas est boni inquantum bonum. Ergo magis bonum magis
amat. |
[2] La charité porte sur le bien en tant que bien. Elle aime donc davantage ce qui est meilleur. |
[11854] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, ordo caritatis est de perfectione ipsius. Sed caritas Dei
perfectissima est. Ergo secundum ordinem diligit unum plus alio. |
[3] L’ordre de la charité fait partie de sa perfection. Or, la charité de Dieu est la plus parfaite. Il aime donc l’un plus que l’autre de manière ordonnée. |
[11855] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod amor dupliciter
mensuratur. Uno modo ex suo principio; et sic dicitur magis amari illud ad
quod amandum efficacius voluntas inclinatur; et sic Deus aequaliter omnia
diligit: quia in dilectione sua respectu cujuslibet rei habet infinitam
efficaciam in diligendo. Alio modo ex parte objecti, secundum quod dicitur
aliquis magis diligere illud cui vult majus bonum; et sic Deus dicitur magis
diligere unum quam aliud inquantum vult ei majus bonum: et ex hoc etiam habet
majorem effectum in illo, quia voluntas ejus est causa rerum. |
Réponse. L’amour se mesure de deux façons. D’une façon, par son principe : on dit ainsi qu’est davantage aimée la chose que la volonté est plus efficacement inclinée à aimer. Dieu aime ainsi également toutes choses, car, dans son amour pour chaque chose, il a une efficacité infinie en aimant. D’une autre façon, du point de vue de l’objet : on dit ainsi que quelqu’un aime davantage ce à quoi il veut un bien plus grand. Ainsi dit-on que Dieu aime davantage une chose qu’une autre pour autant qu’il lui veut un plus grand bien. De ce fait, il produit aussi un plus grand effet en elle, car sa volonté est la cause des choses. |
[11856] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod aequaliter est ei cura de omnibus ex parte solicitudinis
ipsius, sed non ex parte eorum quae eis providentur. |
1. Il prend également soin de toutes choses du point de vue de sa sollicitude, mais non pas du point de vue de ce qui leur est assuré. |
[11857] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod dilectio non tantum importat id quod est ex parte Dei, sed
etiam id quod est ex parte creaturae; cujusmodi bonum, prout est a Deo
volitum, in dilectione Dei includitur. Et quia creaturae non se habent
aequaliter ad Deum, nec possunt aequaliter bonitatem ejus participare, ideo
non aequaliter omnia diligit. |
2. L’amour ne comporte pas seulement ce qui se trouve du côté de Dieu, mais aussi ce qui existe du côté de la créature, dont le bien, en tant qu’il est voulu par Dieu, est inclus dans l’amour de Dieu. Et parce que les créatures n’ont pas un égal rapport avec Dieu et ne peuvent pas participer également à sa bonté, [Dieu] n’aime donc pas toutes choses également. |
[11858] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod cognitio est secundum motum rei ad animam, amor autem secundum motum
animae ad res; et ideo cognitio mensuratur tantum ex parte cognoscentis, sed
amor est ex parte utriusque. Non enim dicitur magis cognoscere, quia majorem rem inesse alicui
cognoscit, sicut dicitur magis diligere cui majus bonum inesse vult. Unde non
est simile de dilectione et cognitione. |
3. La connaissance se réalise par le mouvement d’une chose vers l’âme, mais l’amour selon le mouvement de l’âme vers les choses. C’est pourquoi la connaissance se mesure seulement du point de vue de celui qui connaît, mais l’amour existe des deux côtés. En effet, on ne dit pas qu’on connaît davantage parce qu’on connaît qu’une chose plus grande se trouve dans quelque chose, comme on dit qu’on aime davantage celui dont on veut qu’il possède un bien plus grand. Il n’en va donc pas de même de l’amour et de la connaissance. |
[11859] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod non dicitur magis diligere quia intensius diligit, sed quia majus bonum
vult. |
4. On ne dit pas qu’il aime davantage parce qu’il aime plus intensément, mais parce qu’il veut un bien plus grand. |
[11860] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod quantum ad effectum dilectionis semper eumdem aequaliter diligit: quia
semper vult ei idem bonum finaliter, quamvis non velit quod semper habeat
aequale bonum vel idem; et ideo secundum effectum non est aequalis. |
5. Pour ce qui est de l’effet de l’amour, il aime toujours le même également, car il veut toujours comme fin pour lui le même bien, bien qu’il ne veuille pas toujours qu’il ait un bien égal ou le même bien. C’est pourquoi [l’amour] n’est pas égal selon son effet. |
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Articulus 5 [11861] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a.
5 tit. Utrum Deus
plus diligat justum praescitum, quam peccatorem praedestinatum |
Article 5 – Dieu aime-t-il davantage le juste connu d’avance [praescitum] que le pécheur prédestiné [praedestinatum] ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 –
[Dieu aime-t-il davantage le juste connu d’avance que le pécheur
prédestiné ?]
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[11862] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic
proceditur. Videtur quod
Deus diligat plus justum praescitum quam peccatorem praedestinatum. Proverb.
8, 17: ego diligentes me diligo. Sed iste peccator praedestinatus non
amat Deum, quem amat justus praescitus. Ergo plus diligit justum praescitum
quam peccatorem praedestinatum. |
1. Il semble que Dieu aime davantage le juste connu d’avance que le pécheur prédestiné. Pr 8, 17 : J’aime ceux qui m’aiment. Or, le pécheur prédestiné n’aime pas Dieu, que le juste connu d’avance aime. [Dieu] aime donc davantage le juste connu d’avance que le pécheur prédestiné. |
[11863] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, magis bonum Deus magis diligit. Sed iste justus est magis
bonum quam ille peccator. Ergo magis a Deo diligitur. |
2. Dieu aime plus ce qui est meilleur. Or, ce juste est meilleur que ce pécheur. Il est donc davantage aimé par Dieu. |
[11864] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 3 Praeterea, in littera dicitur, quod magis diligit membra unigeniti sui
quam alios. Sed peccator praedestinatus non est membrum Christi. Ergo minus a
Deo diligitur quam justus praescitus qui est membrum Christi. |
3. Dans le texte, il est dit qu’il aime davantage les membres de son Fils unique que les autres. Or, le pécheur prédestiné n’est pas membre du Christ. Il est donc moins aimé de Dieu que le juste connu d’avance, qui est membre du Christ. |
[11865] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, dilectio causa est electionis. Sed peccatorem
praedestinatum Deus elegit. Ergo magis
diligit eum quam justum praescitum, quem non elegit. |
Cependant, [1] l’amour est la cause du choix. Or, Dieu a choisi le pécheur prédestiné. Il l’aime donc davantage que le juste connu d’avance, qu’il n’a pas choisi. |
[11866] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, illud magis diligit cui majus
bonum vult. Sed peccatori
praedestinato vult majus bonum, quia vitam aeternam. Ergo magis eum diligit. |
[2] Il aime davantage ce à quoi il veut un plus grand bien. Or, il veut un plus grand bien au pécheur prédestiné : la vie éternelle. Il l’aime donc davantage. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Dieu
aime-t-il davantage celui qui se repent que l’innocent ?]
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[11867] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod magis diligat poenitentem quam innocentem: quia
gaudium ex amore consequitur. Sed plus gaudet de poenitente, ut patet Luc.
15. Ergo plus eum amat. |
1. Il semble que [Dieu] aime davantage celui qui se repent que l’innocent, car la joie découle de l’amour. Or, il se réjouit davantage de celui qui se repent, comme cela ressort de Lc 15. Il l’aime donc plus. |
[11868] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ubi homo magis operatur, magis diligit: propter quod, ut
philosophus dicit 9 Ethic., matres plus diligunt filios quam patres. Sed Deus
plus operatur ad salutem poenitentis quam innocentis. Ergo plus eum amat. |
2. Là où l’homme agit davantage, il aime davantage ; pour cette raison, comme le dit le Philosophe dans Éthique, IX, les mères aiment plus leurs fils que leurs pères. Or, Dieu agit davantage pour le salut de celui qui se repent que pour celui de l’innocent. Il l’aime donc davantage. |
[11869] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 3 Praeterea, affectus amoris ex effectu pensatur. Sed major amoris
effectus videtur revocare inimicum ad amicitiam, quam amicum in amicitia
conservare. Ergo plus diligit poenitentem quam innocentem. |
3. La disposition affective de l’amour se mesure à son effet, Or, ce semble être un plus grand effet de l’amour de ramener un ennemi à l’amitié, que de conserver l’amitié d’un ami. Il aime donc davantage celui qui se repent que l’innocent. |
[11870] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, quod est diuturnius, est magis
eligendum et diligendum. Sed bonum innocentis est diuturnius. Ergo magis
diligitur a Deo. |
Cependant, [1] il faut plutôt choisir et aimer ce qui dure plus longtemps. Or, le bien de l’innocent est plus durable. Il est donc davantage aimé par Dieu. |
[11871] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, supra dictum est, dist. 31, qu.
1, art. 10, quod resurgens nunquam redit ad tantam dignitatem, quamvis redire
possit ad tantam caritatem. Ergo Deus plus diligit innocentem quam poenitentem. |
[2] On a dit plus haut, d. 31, q. 1, a. 10, que celui qui se relève ne revient jamais à une dignité aussi grande, bien qu’il puisse revenir à une charité aussi grande. Dieu aime donc davantage l’innocent que celui qui se repent. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 –
[Dieu aime-t-il davantage l’homme que l’ange ?]
|
[11872] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod diligat plus hominem quam Angelum. Quia nusquam
Angelos apprehendit, sed semen Abrahae apprehendit; Hebr. 2, 16; et sic
plus fecit pro hominibus quam pro Angelis. Ergo magis diligit eos. |
1. Il semble qu’il aime plus l’homme que l’ange, car il n’a jamais pris possession des anges, mais il a pris possession de la descendance d’Abraham, He 2, 16. Ainsi a-t-il fait davantage pour les hommes que pour les anges. Il les aime donc davantage. |
[11873] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea, homines pluribus modis sunt membra Christi quam Angeli,
scilicet quantum ad conformitatem naturae. Sed membra Christi magis diligit, ut in littera dicitur. Ergo homines
plus diligit quam Angelos. |
2. Les hommes sont membres du Christ de plus de façons que les anges, à savoir, par la conformité de leur nature. Or, il aime davantage les membres du Christ, comme il est dit dans le texte. Il aime donc davantage les hommes que les anges. |
[11874] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 3 Praeterea, homines supra Angelos collocavit, scilicet Christum, et
beatam virginem. Ergo plus homines Angelis diligit. |
3. Il a placé des hommes au-dessus des anges : le Christ et la bienheureuse Vierge. Il aime donc davantage les hommes que les anges. |
[11875] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, dilectio causatur ex
convenientia amantis cum amato. Sed Angeli sunt similiores Deo, ut dicit
Gregorius Lib. 32 Moral. Ergo Angelos plus diligit. |
Cependant, [1] l’amour est causé par ce en quoi celui qui aime et celui qui est aimé se rejoignent. Or, les anges ressemblent davantage à Dieu, comme le dit Grégoire dans le livre des Morales, XXXII. Il aime donc davantage les anges. |
[11876] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Angelis in principio gratiam vel quasi gloriam contulit;
non autem hominibus. Ergo Angelos
magis hominibus diligit. |
[2] Au commencement, Dieu a conféré aux anges la grâce ou presque la gloire, mais non aux hommes. Il aime donc davantage les anges que les hommes. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 –
[Dieu aime-t-il davantage le genre humain que le Christ ?]
|
[11877] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod magis diligat humanum genus quam Christum: quia
ipsum pro redemptione humani generis dedit, ut patet Joan. 3. |
1. Il semble que [Dieu] aime davantage le genre humain que le Christ, car il l’a livré pour la rédemption du genre humain, comme cela ressort de Jn 3. |
[11878] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 arg. 2 Praeterea, bonum commune est divinius quam bonum unius. Sed bonum
humani generis est bonum commune, bonum autem Christi est bonum unius
singularis personae. Ergo plus diligit humanum genus quam Christum. |
2. Le bien commun est plus divin que le bien d’un seul. Or, le bien du genre humain est un bien commun, mais le bien du Christ est le bien d’une seule personne. [Dieu] aime donc davantage le genre humain que le Christ. |
[11879] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, per Christum
totum genus humanum fit Deo acceptum. Ergo Christum magis diligit. |
Cependant, [1] par le Christ, tout le genre humain est rendu agréable à Dieu. [Dieu] aime donc davantage le Christ. |
[11880] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, datus est ei spiritus non ad
mensuram; Joan. 3. Ergo plus eum diligit. |
[2] L’Esprit a été donné [au Christ] sans mesure, Jn 3. Il l’aime donc davantage. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
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[11881] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad
primam quaestionem, quod Deus, simpliciter loquendo, majus bonum vult
peccatori praedestinato quam justo praescito; sed ut nunc vult justo
praescito. Haec autem determinatio ut nunc non cadit ex parte dilectionis,
sed magis ex parte objecti: quia dilectio Dei non variatur per tempora: ab
aeterno enim isti praedestinato voluit majus bonum. Unde simpliciter concedendum est, quod
magis diligit praedestinatum quam praescitum. |
À parler simplement, Dieu veut un plus grand bien pour le pécheur prédestiné que pour le juste connu d’avance ; mais, maintenant, il le veut pour le juste connu d’avance. Cette détermination « maintenant » ne se prend pas du côté de l’amour, mais plutôt du côté de l’objet, car l’amour de Dieu ne varie pas dans le temps. En effet, il a éternellement voulu un plus grand bien pour ce prédestiné. Il faut donc concéder simplement qu’il aime davantage le prédestiné que celui qui est donnu d’avance. |
[11882] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 ad arg. Et per hoc patet
responsio ad objecta, quia procedunt ut nunc. |
La réponse aux objections est ainsi claire, car elles portent sur « maintenant ». |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
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[11883] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
dicendum, quod quantum ad bonum praemii essentialis aequaliter diligit
poenitentem et innocentem, si aequalem habeant caritatem, vel illum magis qui
majorem caritatem habet; sed quantum ad praemium accidentale plus diligit
innocentem propter dignitatem innocentiae, ad quam non potest pervenire
poenitens. |
Par rapport au bien de la récompense essentielle, [Dieu] aime également celui qui se repent et l’innocent, s’ils ont une charité égale, ou davantage celui qui a une charité plus grande. Mais par rapport à la récompense accidentelle, il aime davantage l’innocent en raison de la dignité de l’innocence, à laquelle celui qui se repent ne peut parvenir. |
[11884] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis poenitens resurgat in aequali
caritate, et ita bonum quod sibi vult Deus, sit aequale consideratum in se,
est tamen majus in comparatione ad ipsum cui datur: sicut quanto aliquis est
magis indigens, magis sibi impensum reputatur beneficium; et propter hoc
dicitur Deus et Angeli plus gaudere de conversione ejus; sicut homo plus
gaudet de modico signo sanitatis alicujus infirmantis quam de integra
sanitate, dum eam habebat. Vel dicendum,
quod hoc dicitur ex hoc quod poenitens frequenter magis humilis et fervens et
cautus resurgit. |
1. Bien que celui qui se repent se relève avec une égale charité et ainsi, que le bien que Dieu lui veut soit égal, à le considérer en lui-même, il est cependant plus grand comparé à celui à qui il est donné. Ainsi, lorsque quelqu’un est indigent, on considère que le bienfait accordé est plus grand. Pour cette raison, on dit que Dieu et les anges se réjouissent davantage de sa conversion, comme un homme se réjouit davantage d’un petit signe de santé chez celui qui est malade que de toute sa santé, alors qu’il la possédait. Ou bien il faut dire qu’on dit cela parce que souvent celui qui se repent se relève plus humble, plus fervent et plus vigilant. |
[11885] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Deus non magis operatur in eo cui de novo
infundit gratiam, quam in eo in quo eam continuat: sicut nec sol illuminans
aerem tenebrosum plus quam continuans lumen: nihil enim potest subsistere,
nisi Dei operatio continuetur in ipso. |
2. Dieu n’agit pas davantage en celui à qui il infuse de nouveau la grâce qu’en celui chez qui il la poursuit, de même que le soleil n’illumine pas davantage l’air obscur que lorsqu’il fait durer la lumière. En effet, rien ne peut subsister, à moins que l’opération de Dieu s’y poursuive |
[11886] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis sit majus respectu illius qui
liberatur, non tamen est majus simpliciter. |
3. Bien qu’il soit plus grand par rapport à celui qui est libéré, il n’est cependant pas plus grand tout simplement. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question
3
|
[11887] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quantum ad bonum naturae plus
diligit Deus Angelum quam hominem; sed quantum ad bonum gloriae se habent ut
excedentia et excessa: quia quosdam homines plus, et quosdam Angelos plus, et
quosdam aequaliter: quia homines erunt aequales Angelis, et quidam etiam
superiores Angelis; et unicuique providit secundum exigentiam naturae et
status sui. |
Pour ce qui est du bien de la nature, Dieu aime davantage l’ange que l’homme ; mais, pour ce qui est du bien de la gloire, ils se comparent comme ce qui dépasse et ce qui est dépassé, car [Dieu aime] davantage certains hommes, davantage certains anges, et certains également, car des hommes seront égaux aux anges, et certains seront même supérieurs aux anges. Et il exerce sur chacun sa providence selon que l’exigent sa nature et son état. |
[11888] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet
responsio ad objecta. Non enim plus
diligit pater filium infirmum quam sanum, quia ei impendit remedia quae non
impendit sano. |
Ainsi ressort la réponse aux objections. En effet, un père n’aime pas davantage son fils malade que son fils en santé parce qu’il lui procure des remèdes qu’il ne procure pas à son fils en santé. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la
sous-question 4
|
[11889] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem
dicendum, quod Christum diligit non solum plus quam homines, sed etiam plus
quam totam creaturam, non solum quantum ad divinam naturam, sed etiam quantum
ad humanam, inquantum eam praedestinavit ad majus bonum, scilicet ad unionem
divinae personae. |
[Dieu] aime le Christ non seulement plus que les hommes, mais aussi plus que l’ensemble de la création, non seulement pour sa nature divine, mais aussi pour [sa nature] humaine, pour autant qu’il l’a prédestinée à un bien plus grand : l’union à une personne divine. |
[11890] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in hoc etiam quod Christus pro hominibus
fuit datus, maximum bonum ipsi Christo fuit, secundum quod in hoc virtus sua
manifesta fuit, et causa fuit salutis humanae, quod est sibi valde
honorificum. |
1. Par le fait que le Christ a été livré pour les hommes, un bien très grand a été donné au Christ, car sa puissance a ainsi été rendue manifeste et a été la cause du salut des hommes, ce qui est pour lui source d’une grande gloire. |
[11891] Super Sent.,
lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis sit singularis persona Christi,
tamen est causa universalis salutis humani generis: et causa praestantior est
causato. |
2. Bien qu’il s’agisse de la personne singulière du Christ, elle est cependant la cause du salut universel du genre humain, et la cause est supérieure à ce qui est causé. |
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Expositio textus |
Explication du texte de Pierre
Lombard, Dist. 32
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[11892] Super
Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 expos. Praemissis adjiciendum est de dilectione
Dei qua ipse diligit nos. Videtur quod
hoc in primo libro determinare debuerit. Et dicendum, quod etiam in primo
libro poni convenienter potuit, inquantum divina dilectio est divina
essentia; et hic poni congruenter potest, inquantum est exemplar nostrae
dilectionis. Dilectio Dei usia est. Est enim essentia et dilectio in
Deo idem re, sed differt ratione tantum, ut in primo libro dictum est. |
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Distinctio 33 |
Distinction 33 – [Les vertus
cardinales]
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Quaestio 1 |
Question
1 – [Comment les vertus morales se distinguent-elles ?]
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Prooemium |
Prologue |
[11893] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1
pr. Postquam determinavit Magister de virtutibus theologicis, hic determinat
de virtutibus cardinalibus; et dividitur in partes duas: in prima determinat
de ipsis cardinalibus virtutibus secundum se; in secunda ostendit in quibus
esse habeant, ibi: quae in Christo plenissime fuerunt et sunt. Prima
dividitur in tres: in prima enumerat eas; in secunda ostendit actus earum,
ibi: de quibus Augustinus ait; in tertia ostendit qualiter cardinales
dicantur, ibi: hae virtutes cardinales vocantur. Quae in Christo
plenissime fuerunt et sunt. Hic ostendit in quibus sunt virtutes
cardinales; et dividitur in duas partes: primo ostendit quod sunt et fuerunt
in Christo; secundo inquirit, utrum futurae sint in patria, ibi: verumtamen
an hae virtutes, cum ipsae in animo esse incipiant (...) desinant esse cum ad
aeterna perduxerint, nonnulla quaestio est. Et circa hoc duo facit: primo
movet quaestionem; secundo determinat eam, ibi: Augustinus autem 14 Lib.
de Trin.. Hic est triplex quaestio. Prima de virtutibus moralibus in communi. Secunda de virtutibus
cardinalibus. Tertia de partibus earum. Circa primum quaeruntur quatuor: 1 de
distinctione moralium virtutum ab invicem: qualiter enim ab intellectualibus
et theologicis distinguantur, supra, 23 dist., quaest. 1, art. 7, dictum est;
2 quaeritur de causa efficiente earum, utrum sint scilicet a natura, vel per
infusionem, vel per acquisitionem; 3 de medio quod in eis requiritur; 4 utrum
in patria evacuentur. |
Après avoir déterminé des vertus théologales, le Maître détermine ici des vertus cardinales. Il y a deux parties : dans la première, il détermine des vertus cardinales en elles-mêmes ; dans la seconde, il montre chez qui elles se trouvent, à cet endroit : « …qui se sont trouvées et existent avec la plus grande plénitude chez le Christ. » La première partie se divise en trois. Dans la première, il les énumère. Dans la deuxième, il montre leurs actes, à cet endroit : « Augustin dit d’elles… » Dans la troisième, il montre comment les vertus cardinales sont appelées, à cet endroit : « Ces vertus sont appelées cardinales… » « …Qui se sont trouvées et existent avec la plus grande plénitude chez le Christ. » Il montre ici chez qui existent les vertus cardinales. Il y a deux parties : premièrement, il montre ce qu’elles sont et ce qu’elles ont été chez le Christ ; deuxièmement, il se demande si elles existent dans la patrie, à cet endroit : « À la vérité, on peut se demander si ces vertus, alors qu’elles commencent à exister dans l’âme…, cessent d’exister lorsqu’elles ont conduit à l’éternité. » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il soulève une question ; deuxièmement, il en détermine, à cet endroit : « Mais, dans le livre Sur la Trinité, XIV, Augustin… » Il y a ici une triple question. La premièrement [porte] sur les vertus morales en général ; la deuxième, sur les vertus cardinales ; la troisième, sur leurs parties. Sur le premier point, quatre questions sont posées : 1. À propos de la distinction des vertus morales entre elles : comment se distinguent-elles des vertus intellectuelles et théologales ? 2. On s’interroge sur leur cause efficiente : viennent-elles de la nature, d’une infusion ou d’une acquisition ? 3. À propos du milieu qui est exigé chez elles. 4. Sont-elles éliminées dans la patrie ? |
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Articulus 1 [11894] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 tit. Utrum omnes virtutes morales sint una virtus |
Article 1 – Toutes les vertus morales sont-elles une seule vertu ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 –
[Toutes les vertus sont-elles une seule vertu ?]
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[11895] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod omnes virtutes morales sint una virtus. Augustinus enim dicit in
Lib. de Morib. Ecclesiae: nihil virtutem esse assignaverim, nisi summum
amorem Dei. Sed amor Dei,
qui est caritas, est una virtus, ut ex dictis patet. Ergo omnes virtutes sunt
tantum una virtus. |
1. Il semble que toutes les vertus morales soient une seule vertu. En effet, Augustin dit, dans le livre Sur les mœurs de l’Église : « Je dirais que la vertu n’est rien d’autre que le plus grand amour de Dieu. » Or, l’amour de Dieu, qui est la charité, est une seule vertu, comme cela ressort de ce qui a été dit. Toutes les vertus ne sont donc qu’une seule vertu. |
[11896] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ubi est unum formale, non potest esse diversitas nisi
materialis. Sed omnes virtutes morales conveniunt in uno formali, quia
completivam rationem virtutis habent, secundum quod intellectum et rationem
accipiunt, ut in 6 Ethic. dicitur. Ergo non differunt nisi materialiter, et
non differunt secundum speciem. |
2. Là où existe une unité formelle, ne peut exister qu’une diversité matérielle. Or, toutes les vertus morales se rejoignent dans un seul élément formel, car elles ont la raison achevée de vertu du fait qu’elles accueillent l’intellect et la raison, comme on le dit dans Éthique, VI. Elles ne diffèrent donc que matériellement, et elles ne diffèrent pas selon l’espèce. |
[11897] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, potentiae apprehensivae magis diversificantur, vel non
minus, quam appetitivae. Ergo et habitus similiter, cum potentiis
proportionentur. Sed unus habitus cognoscitivus est omnium quae ad virtutes
morales pertinent, sicut patet de scientia morali, et de ipsa prudentia, quae
est recta ratio omnium agibilium, ut dicitur in 6 Ethic. Ergo et virtutes
morales non debent esse distinctae secundum speciem. |
3. Les puissances cognitives se diversifient davantage, ou pas moins, que les puissances appétitives. Il en va donc aussi de même pour les habitus, puisqu’ils sont proportionnés aux puissances. Or, il n’existe qu’un seul habitus cognitif pour tout ce qui se rapporte aux vertus morales, comme cela ressort de la science morale et de la prudence elle-même, qui est la raison droite de tout ce qui doit être accompli, ainsi qu’il est dit dans Éthique, VI. Les vertus morales ne doivent donc pas non plus être distinguées selon l’espèce. |
[11898] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, per se accidentia secundum
speciem distinguuntur ex sola differentia subjectorum, quae in eorum
definitionibus ponuntur. Sed virtutes morales sunt etiam in diversis
subjectis, cum quaedam sint in rationali, quaedam in concupiscibili, quaedam
in irascibili; et semper in eisdem, quia temperantia nunquam est in
irascibili et ceteris. Ergo videtur quod virtutes morales specie
distinguantur. |
Cependant, [1] les accidents se distinguent par soi selon l’espèce par la seule différence des sujets, qui sont mis dans leur définition. Or, les vertus morales existent aussi dans divers sujets, puisque certaines se trouvent dans la raison, certaines dans le concupiscible et certaines dans l’irascible, et toujours dans les mêmes [sujets], car la tempérance ne se trouve jamais dans l’irascible et dans les autres. Il semble donc que les vertus morales se distinguent par l’espèce. |
[11899] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, plures formae unius speciei non
possunt esse in eodem subjecto. Sed plures virtutes morales possunt esse in
eodem etiam secundum partem eamdem animae, sicut fortitudo et mansuetudo sunt
simul in irascibili. Ergo differunt specie. |
[2] Plusieurs formes d’une seule espèce ne peuvent se trouver dans un même sujet. Or, plusieurs vertus morales peuvent se trouver dans le même [sujet], même selon la même partie de l’âme, comme la force et la douceur existent en même temps dans l’irascible. Elles diffèrent donc par l’espèce. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Les
autres vertus morales se distinguent-elles de la prudence ?]
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[11900] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod aliae virtutes morales a prudentia non
distinguantur. Eorum enim quae ex opposito dividuntur, unum non ponitur in
definitione alterius. Sed prudentia est recta ratio, quae ponitur in definitione moralium
virtutum, ut patet in 2 Ethic. Ergo morales virtutes a prudentia non distinguuntur. |
1. Il semble que les autres vertus morales ne se distinguent pas de la prudence. En effet, une chose n’est pas mise dans la définition d’une autre dans le cas de choses qui se distinguent comme des contraires. Or, la prudence est la raison droite, qui est mise dans la définition des vertus morales, comme cela ressort d’Éthique, II. Les vertus morales ne se distinguent donc pas de la prudence. |
[11901] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ad virtutis actum non exigitur nisi cognitio et operatio.
Sed totum hoc prudentia facit; quia prudens non solum cognitivus sed etiam
activus est, ut in 6 Ethic. et 7 dicitur. Ergo idem quod prius. |
2. Pour l’acte vertueux, ne sont requises que la connaissance et l’opération. Or, la prudence fait tout cela, car le prudent non seulement connaît mais agit, comme on le dit dans Éthique, VI et VII. La conclusion est donc la même que précédemment. |
[11902] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut prudentia est recta ratio agibilium, ita ars est
recta ratio factibilium, ut dicitur in 6 Ethic. Sed in factibilibus non
distinguuntur aliqui habitus exequentes ab artibus quae sunt habitus
dirigentes. Ergo nec in agibilibus morales virtutes, quae sunt exequentes,
sunt distinguendae a prudentia dirigente. |
3. De même que la prudence est la raison droite des actions à poser, de même l’art est-elle la raison droite de ce qui doit être fait, comme il est dit dans Éthique, VI. Or, dans les choses à faire, on ne distingue pas des arts qui sont des habitus qui dirigent les habitus qui exécutent. De même, pour les vertus morales, ne faut-il pas distinguer de la prudence qui dirige celles qui exécutent,. |
[11903] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, virtutes morales ab intellectualibus distinguuntur, ut
supra dictum est. Sed prudentia
est intellectualis virtus, ut in 6 Ethic. patet. Ergo a virtutibus moralibus
distinguitur. |
Cependant, [1] les vertus morales sont distinctes des vertus intellectuelles, comme on l’a dit plus haut. Or, la prudence est une vertu intellectuelle, comme cela ressort d’Éthique, VI. Elle est donc distincte des vertus morales. |
[11904] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, habitus distinguuntur per actus. Sed Augustinus assignat
alium actum prudentiae et aliis virtutibus moralibus, ut patet in littera. Ergo distinguuntur ab invicem. |
[2] Les habitus se distinguent par leurs actes. Or, Augustin assigne un autre acte à la prudence et aux autres vertus morales, comme cela ressort du texte. Elles sont donc distinctes les unes des autres. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Les
autres vertus morales se distinguent-elles des trois vertus indiquées dans le
texte ?]
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[11905] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod nec ab aliis tribus virtutibus in littera
positis reliquae morales virtutes distinguantur. Pars enim non dividitur
contra totum. Sed harum aliae omnes partes esse dicuntur a Tullio. Ergo ab
eis non distinguuntur. |
1. Il semble que les autres vertus morales ne se distinguent pas des trois vertus indiquées dans le texte. En effet, la partie ne se distingue pas par opposition au tout. Or, Tullius [Cicéron] dit que toutes ces autres [vertus] sont des parties. Elles ne s’en distinguent donc pas. |
[11906] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, proprietates rerum spiritualium ex earum nominibus
investigantur, ut patet per Dionysium. Sed nomen temperantiae temperiem et
modum quemdam importat: similiter autem nomen fortitudinis indeficientiam
respectu difficilium: nomen autem justitiae aequalitatem vel rectitudinem;
unde justum aequale dicimus, et quasi regulatum, ut ex 5 Eth. patet. Cum ergo
haec requirantur in qualibet virtute morali, videtur quod aliae virtutes
morales ab istis non distinguantur, nec ipsae ab invicem. |
2. Les propriétés des réalités spirituelles sont recherchées à partir de leurs noms, comme cela ressort de Denys. Or, le nom de la tempérance comporte une certaine retenue et une certaine mesure ; de même, le nom de la force, une endurance sans faiblesse devant ce qui est difficile ; mais le nom de la justice, une égalité ou une rectitude : c’est pourquoi nous appelons juste ce qui est égal et pour ainsi dire mesuré par une règle, comme cela ressort d’Éthique, V. Puisque cela est exigé en toute vertu morale, il semble donc que les autres vertus morales ne se distinguent pas de celles-ci, ni elles-mêmes les unes des autres. |
[11907] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, omne peccatum non expellitur nisi per omnem virtutem. Sed
per justitiam expellitur omne peccatum, ut patet in justificatione impii.
Ergo ad minus ab ipsa aliae virtutes morales non distinguuntur. |
3. Tout péché n’est chassé que par toute vertu. Or, tout péché est chassé par la justice, comme cela apparaît dans la justification de l’impie. Les autres vertus morales, du moins, ne sont donc pas distinctes de celle-ci. |
[11908] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, nihil est principale respectu
sui ipsius. Sed hae
virtutes dicuntur cardinales vel principales respectu aliarum. Ergo ab eis
distinguuntur. |
Cependant, [1] rien n’a de caractère principal par rapport à soi-même. Or, ces vertus sont appelées cardinales ou principales par rapport aux autres. Elles s’en distinguent donc. |
[11909] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, habitus distinguuntur per actus
et objecta. Sed istis virtutibus assignantur diversae materiae speciales, ut
infra patebit. Ergo sunt speciales virtutes, ab aliis et a se invicem
distinctae. |
[2] Les habitus se distinguent par leurs actes et leurs objets. Or, diverses matières particulières sont assignées à ces vertus, comme cela ressortira plus loin. Elles sont donc des vertus particulières, distinctes des autres et entre elles. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
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[11910] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad
primam quaestionem, quod cum unumquodque quod est ad finem, determinetur
secundum exigentiam finis; potentiae et habitus, qui ordinantur ad actus
sicut ad ultimam perfectionem, oportet quod secundum actus diversos
distinguantur: sicut etiam potentiae materiae distinguuntur per relationem ad
diversas formas. Non autem
quaelibet diversitas actuum facit differentiam potentiarum et habituum; sed
illa tantum quae est ex diversitate objectorum, a quibus actus specificantur,
sicut motus a terminis. Solum autem illa differentia terminorum facit
diversam speciem motus quae attenditur secundum illam rationem secundum quam
terminat motum. Unde quod descensus terminetur ad aquam vel ad terram, non
facit diversam speciem motus localis; quia motus localis non erat ad terram
vel aquam inquantum hujusmodi, sed inquantum deorsum sunt. Generationes autem
differunt secundum speciem quae terminantur ad formas aquae et terrae: et
similiter objecta diversa non diversificant actus secundum speciem, nisi sit
diversitas secundum illam rationem secundum quam est objectum. Videre enim
album et nigrum non sunt diversi actus secundum speciem: quia utrumque est
objectum visus secundum unam rationem, inquantum scilicet sunt colorata
visibilia actu per lucem. Et inde contingit quod quanto aliqui habitus vel
potentiae sunt immaterialiores, tanto sunt universaliores, et minus
distinguuntur, quia attendunt universaliorem rationem objecti; sicut quinque
sensibus propriis correspondet unus sensus communis, et una imaginatio.
Sciendum tamen, quod cum plures habitus quandoque sint in una potentia,
aliqua diversitas sufficit ad distinguendum habitus quae non sufficit ad
distinguendum potentiam: quia potentia alio modo comparatur ad actum quam
habitus; unde et secundum alteram rationem objectum utrique respondet.
Potentia enim est principium agendi absolute; sed habitus est principium
agendi prompte et faciliter; et ideo objectum secundum illam rationem qua se
habet ad actum simpliciter, respondet potentiae; sed secundum quod se habet
ad facilitatem actus respondet habitui. Et ideo diversitas materiae vel
objecti in ordine ad ea quae faciunt facilitatem in actu, facit diversitatem
habitus, et non potentiae. Et inde est quod in speculativis diversitas
materiae, secundum quod est determinabilis per diversa media et principia, ex
quibus est facilitas considerationis, facit diversas scientias; sicut
naturalis, quae ex effectibus et his quae apparent in sensu demonstrat, a
mathematica differt, quae circa suam materiam ex eisdem principiis et mediis
procedere non potest. Sicut autem in speculativis est principium
demonstrationis et medium; ita fines sunt in operativis, ut dicitur in 7
Ethic. Ex eorum enim intentione procedimus in ea quae sunt ad finem, sicut ex
dignitatibus in conclusiones; et ideo secundum relationem ad finem omnes morales
habitus distinguuntur, ex quo prima sumpta est differentia boni et mali: quia
bonum importat finem, ut dicitur in 10 Metaph., malum autem deordinationem a
fine: et secundum hoc virtutes a vitiis distinguuntur: et in virtutibus ubi
invenitur diversa ratio boni, sunt diversae virtutes secundum speciem. Bonum
autem ad quod humanae virtutes proxime ordinantur, est bonum rationis, contra
quam esse est malum hominis, ut dicit Dionysius in Lib. de Divin. Nom. Et
quia non in omnibus materiis moralibus eodem modo invenitur rationis bonum,
ut patet; ideo oportet diversas virtutes morales esse specie differentes. |
Puisque tout ce qui est ordonné à une fin est déterminé selon l’exigence de la fin, il est nécessaire que les puissances et les habitus qui sont ordonnés à leurs actes comme à leur ultime perfection soient distingués selon leurs différents actes, de même que les puissances de la matière se distinguent par leurs relations à diverses formes. Or, ce n’est pas n’importe quelle diversité des actes qui fait une différence entre les puissances et les habitus, mais seulement celle qui vient de la diversité des objets par lesquels les actes sont spécifiés, comme les mouvements par leurs termes. Or, seule la différence des termes, envisagée selon la raison qui termine le mouvement, confère une espèce différente au mouvement. Aussi le fait qu’une descente se terme à l’eau ou à la terre ne donne-t-il pas une espèce différente au mouvement local, car le mouvement local ne visait pas la terre ou l’eau en tant que telles, mais en tant qu’elles sont en bas. Mais les générations qui se terminent aux formes de l’eau et de la terre diffèrent selon l’espèce. De même, des objets différents ne diversifient-ils pas les actes spécifiquement, à moins qu’il n’existe une diversité par la raison selon laquelle elle est un objet. En effet, voir le blanc et le noir ne sont pas des actes d’espèce différente, car les deux sont l’objet de la vue selon une seule raison : en tant qu’ils sont colorés et visibles en acte par la lumière. De là vient que plus certains habitus ou puissances sont immatériels, plus ils sont universels et moins ils se distinguent, car ils portent sur une raison plus universelle de l’objet : ainsi, un seul sens commun et une seule imagination correspondent aux cinq sens propres. Cependant, il faut savoir que, puisqu’il existe parfois plusieurs habitus dans une seule puissance, une certaine diversité suffit pour distinguer les habitus, qui ne suffit pas pour distinguer la puissance, car la puissance a un autre rapport avec l’acte que l’habitus. L’objet correspond donc aux deux selon une autre raison. En effet, la puissance est le principe absolu de l’action ; mais l’habitus est le principe d’une action prompte et facile. C’est pourquoi l’objet correspond à la puissance par la raison selon laquelle elle a un simple rapport avec l’acte, mais l’acte correspond à l’habitus selon son rapport à la facilité de l’acte. Aussi la diversité de matière ou d’objet par rapport à ce qui rend l’acte facile réalise-t-elle une diversité de l’habitus, et non de la puissance. De là vient qu’en matière spéculative, la diversité de la matière, selon qu’elle peut être déterminée par divers moyens et principes qui rendent l’examen facile, réalise des sciences diverses. Ainsi, [la science] naturelle, qui démontre à partir des effets et de ce qui tombe sous le sens, diffère-t-elle de la [science] mathématique, qui, à propos de sa matière, ne peut procéder des mêmes principes et moyens. Or, de même qu’en matière spéculative, il y a un principe de démonstration et un moyen, de même les fins jouent-elles ce rôle en matière d’actions, comme il est dit dans Éthique, VII. En effet, à partir de leur intention, nous progressons vers ce qui se rapporte à la fin, comme des premiers principes [dignitatibus] vers les conclusions. C’est pourquoi tous les habitus moraux se distinguent selon leur rapport à la fin, dont est tirée la première différence du bien et du mal, car le bien a caractère de fin, comme il est dit dans Métaphysique, X, mais le mal, d’écart par rapport à la fin. C’est ainsi que les vertus se distinguent des vices, et que, dans les vertus où l’on trouve une raison différente de bien, existent des vertus différentes selon l’espèce. Or, le bien auquel les vertus humaines sont ordonnées de manière prochaine est le bien de la raison : agir à l’encontre de celle-ci est un mal pour l’homme, comme le dit Denys dans le livre Sur les noms divins. Et parce que le bien de la raison ne se trouve pas de la même manière dans toutes les matières morales, il est donc nécessaire qu’il y ait des vertus morales différentes selon l’espèce. |
[11911] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod, sicut supra dictum est, duplex est
amor. Unus naturalis, et hoc invenitur in omnibus virtutibus: unde talis amor
non appropriatur caritati, sed est communis omnibus virtutibus: et si de hoc
amore loquitur Augustinus, patet quod non probatur quod sit tantum una
virtus. Alius autem est amor animalis, qui secundum quod est in superiori
appetitu, et gratuitus, ad virtutem caritatis pertinet: et hic quidem amor
invenitur in omnibus virtutibus, non quasi idem per essentiam eis, sed
inquantum participatur ab ipsis prout sunt a caritate imperatae. |
1. Comme on l’a dit plus haut, il existe un double amour. L’un naturel : cela se rencontre dans toutes les vertus. Un tel amour n’est donc pas propre à la charité, mais est commun à toutes les vertus. Si Augustin parle de cet amour, il est clair qu’on ne démontre pas qu’il n’existe qu’une seule vertu. L’autre amour est celui de l’âme (amor animalis), qui, selon qu’il existe dans l’appétit supérieur et est gratuit, est en rapport avec la charité. Cet amour se trouve dans toutes les vertus, non pas comme s’il était essentiellement le même en elles, mais pour autant qu’il y participe en tant qu’elles sont commandées par la charité. |
[11912] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod id quod est rationis et intellectus, non
eodem modo participatur in materiis omnium moralium virtutum, cum in diversis
materiis diversimode medium rationis recte inveniatur: et ideo talis materiae
diversitas diversitatem formae et speciei causat; sicut etiam accidit in
naturalibus, quando diversae materiae non sunt proportionatae ad recipiendum
formam unius rationis. |
2. Les matières de toutes les vertus morales ne participent pas de la même façon à ce qui relève de la raison et de l’intellect, puisque le milieu de la raison se trouve correctement de diverses manières dans des matières diverses. C’est pourquoi une telle diversité de matière cause une diversité de forme et d’espèce, comme cela se produit pour les réalités naturelles, lorsque diverses matières ne sont pas proportionnées à recevoir la forme d’une seule nature. |
[11913] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in omnibus moralibus invenitur una ratio
veri, quod est verum contingens, in hominis actione consistens; et ideo ad
unum actum cognoscitivum pertinent. Invenitur autem in eis ratio boni
diversa, secundum quod in diversis diversimode ordo rationis constituitur: et
ideo ex parte appetitivae oportet quod sint diversi habitus, qui dicuntur
virtutes morales. |
3. Dans toutes les
réalités morales, on trouve une seule raison de vrai, qui est un vrai
contingent, consistant dans l’action de l’homme. C’est pourquoi elles
relèvent d’un seul acte cognitif. Mais on trouve en elles une raison
différente de bien, selon que l’ordre de la raison est établi diversement
dans des réalités diverses. C’est pourquoi, du point de vue de la puissance
affective, il est nécessaire qu’existent divers habitus, qu’on appelle vertus
morales. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
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[11914] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod
sicut speculativa ratio dicitur esse recta secundum quod se conformiter ad
prima principia habet; ita etiam ratio practica dicitur recta ratio secundum
quod se habet conformiter ad rectos fines. Inclinatio autem ad finem ad
appetitum pertinet; et ideo in 6 Ethic. dicitur, quod veritas et rectitudo
rationis practicae est secundum quod se habet conformiter ad appetitum
rectum. Appetitus
autem respectu alicujus est rectus naturaliter, sicut respectu finis ultimi,
prout quilibet naturaliter vult esse felix: sed respectu aliorum rectitudo appetitus
ex ratione causatur, secundum quod appetitus aliqualiter ratione participat,
ut in 2 Ethic. dicitur. Et quia prudentia facit rationem rectam, ideo praeter
prudentiam requiruntur aliae virtutes morales, quae faciunt appetitum rectum
in his in quibus naturaliter rectus non est. Et quia bonum rationis non eodem
modo invenitur in ipsa ratione et in his quae rectitudinem rationis
participative habent; ideo secundum ea quae prius dicta sunt, morales
virtutes sunt alii habitus secundum speciem quam prudentia. |
De même qu’on dit de
la raison spéculative qu’elle est droite lorsqu’elle se conforme aux premiers
principes, de même dit-on de la raison pratique qu’elle est droite
lorsqu’elle se conforme à des fins droites. Or, l’incliantion à la fin relève
de l’appétit. C’est pourquoi, dans Éthique,
VI, on dit que la vérité et la droitue de la raison pratique se prennent de
sa conformité à un appétit droit. Or, l’appétit est naturellement droit par
rapport à quelque chose : la fin ultime, pour autant que tous veulent
naturellement être heureux. Mais, par rapport aux autres [fins], la droiture
de l’appétit est causée par la raison, selon que l’appétit participe d’une
certaine manière à la raison, comme il est
dit dans Éthique, II. Et
parce que la prudence rend la raison droite, d’autres vertus morales sont
nécessaires en plus de la prudence pour rendre l’appétit droit là où il n’est
pas naturellement droit. Et parce que le bien de la raison ne se trouve pas
de la même manière dans la raison elle-même et dans ce qui participe à la
droiture de la raison, conformémenet à ce qui a été dit plus haut, les vertus
morales sont d’autres habitus que la prudence par leur espèce. |
[11915] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quando aliqua condividuntur aequaliter
recipientia communis praedicationem, tunc unum non ponitur in definitione
alterius: sed quando commune praedicatur de eis per prius et posterius, tunc
primum ponitur in definitione aliorum, sicut substantia in definitione accidentium:
et propter hoc prudentia ponitur in definitione aliarum virtutum, in qua per
prius bonum rationis, et per consequens ratio virtutis invenitur: quia prius
est quod est per essentiam quam quod est per participationem. |
1. Lorsque certaines choses, qui reçoivent également comme prédicat quelque chose de commun, se divisent également, une chose n’est pas alors mise dans la définition de l’autre. Mais lorsque quelque chose de commun leur est attribué selon un ordre de priorité, la première chose est alors mise dans la définition des autres, comme la substance dans la définition des accidents. Pour cette raison, la prudence, dans laquelle se trouve en priorité le bien de la raison, est mise dans la définition des autres vertus, et, en conséquence, la raison de vertu, car ce qui existe par essence précède ce qui existe par participation. |
[11916] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod prudens est activus adinveniendo ea quae ad finem rectum perducunt. Sed
praeter hoc oportet esse virtutes morales quae faciant rectam intentionem, et
inclinationem in finem, quae etiam exigitur ad hoc quod homo sit activus. |
2. Le prudent est actif pour trouver ce qui mène à la fin droite. Mais, en plus de cela, il est nécessaire qu’existent des vertus morales qui réalisent une intention droite et une inclination vers la fin, qui sont aussi requises pour que l’homme soit actif. |
[11917] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
bonum artis consistit in re exteriori quae per actum artis ad perfectum
perducitur; sed bonum moris consistit in ipso operante: et ideo in
artificialibus, dummodo aliquis bonum perficiat, non differt quantum ad
rationem artis qualitercumque operans se secundum voluntatem ad operandum
habeat, sive sit firmus in proposito, vel delectabiliter operetur, aut non;
refert autem quantum ad perfectionem virtutis moralis. Et ideo oportet esse
in moralibus habitus facientes appetitum rectum, non autem in artificialibus. |
3. Le bien de l’art consiste dans une chose extérieure, qui est amenée à sa perfection par l’acte de l’art ; mais le bien moral réside dans celui-là même qui agit. C’est pourquoi, dans les réalisations de l’art, pourvu que quelqu’un réalise quelque chose de bon du point de vue de la raison de l’art, le rapport de la volonté à l’action, quel que soit la manière dont elle agit, qu’elle ait une intention ferme ou agisse avec plaisir ou non, ne fait pas de différence du point de vue de la raison de l’art ; mais cela a de l’importance pour la perfection de la vertu morale. Il faut donc qu’il existe en matière morale des habitus qui rendent l’appétit droit, mais non en matière d’art. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
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[11918] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, sicut
dictum est, habitus virtutum moralium ex bono rationis diversificantur: quod
quidem in ipso rationis judicio essentialiter consistit, quod ad prudentiam
pertinet; in his vero quae per rationem disponuntur, participative, quod ad morales
virtutes spectat. Moralem autem materiam, idest actus et passiones humanas,
ratio quantum ad tria ordinat sive disponit. Primo ordinando ipsas passiones
per actiones secundum se, prout eas ad medium reducit secundum quamdam
commensurationem; et sic dicitur modum in eis ponere, quia modus
mensurationem importat. Secundo ordinando subjectum ad ipsas actiones et
passiones primo modo ordinatas, ut scilicet homo firmiter inhaereat his quae
ratio ordinavit. Tertio in ordine ad aliquid extra, ad quod oportet actus
nostros proportionari, sive sit finis, sive alius homo, sive quidquid
extrinsecum: et secundum hoc causatur rectitudo vel aequalitas in virtute. Haec igitur tria, scilicet modus et
firmitas et rectitudo, in omnibus virtutibus moralibus inveniuntur. Sed in quibusdam materiis
virtutum, bonum rationis attenditur praecipue secundum unum istorum; in
quibusdam vero secundum aliud, secundum quod naturalis potentia, quam
perficit habitus virtutis, magis deficit in hoc vel in illo. Unde tota
intensio rationis et virtutis ad hoc fertur ubi natura deficit; sicut patet
quod delectationes corporales sunt nobis connaturales, et ideo in his
difficillimum est modum tenere; et propter hoc virtus quae est circa eas,
scilicet temperantia, praecipue modum sibi adscribit, unde et nomen accepit:
et similiter naturaliter homo mortem fugit, unde et difficillimum est in
periculis mortis firmiter persistere; et ideo fortitudo quae circa hujusmodi
est, firmitatem sibi adscribit, et inde nominatur: et similiter rectitudo
praecipue in communicationibus ad alterum quaeritur; et ideo justitia, quae
circa has est, a rectitudine nomen habet: et sic est etiam in aliis
virtutibus moralibus, quia secundum speciem distinguuntur, prout bonum
rationis quantum ad aliquid praedictorum diversimode in eis invenitur
secundum conditionem materiae. |
Comme on l’a dit, les habitus des vertus morales se diversifient selon le bien de la raison, qui consiste essentiellement dans le jugement de la raison, ce qui relève de la prudence ; mais pour ce qui est disposé par la raison, [le bien de la raison consiste dans le jugement de la raison] par mode de participation, ce qui concerne les vertus morales. Or, la raison ordonne ou dispose de trois manières la matière morale, à savoir les passions et les actes humains. Premièrement, en ordonnant les passions elles-mêmes par les actions mêmes, pour autant qu’elle les ramène à un milieu selon une certaine mesure : ainsi dit-on qu’elle leur impose une certaine mesure, car le mode comporte une mesure. Deuxièmement, en ordonnant le sujet aux actions et aux passions ordonnées de la première manière, afin que l’homme adhère fermement à celles qu’ordonne la raison. Troisièmement, par rapport à quelque chose de plus à quoi il est nécessaire que nos actes soient proportionnés, qu’il s’agisse de la fin, d’un autre homme ou de n’importe quoi d’extrinsèque : sous cet aspect, la droiture ou l’équité est causée par la vertu. Ces trois choses : le mode, la fermeté et la droiture, se trouvent dans toutes les vertus morales. Mais, dans certaines matières des vertus, le bien de la raison est envisagé principalement selon l’une de ces trois choses, mais, dans certaines, selon une autre, selon que la puissance naturelle que perfectionne l’habitus de la vertu est plus faible sur un point ou sur l’autre. Aussi tout l’effort de la raison et de la vertu se porte-t-il là où la nature est déficiente. Ainsi, il est clair que les plaisirs corporels nous sont connaturels : aussi est-il très difficile d’y garder la mesure ; pour cette raison, la vertu qui porte sur eux, la tempérance, leur impose-t-elle surtout la mesure, dont elle tire son nom. De même, l’homme fuit naturellement la mort ; il est donc très difficile de tenir fermement au milieu des dangers de mort. Aussi la force, qui porte sur ceux-ci, leur impose-t-elle la fermeté et en tire son nom. De même, la droiture est-elle surtout recherchée dans les rapports avec l’autre ; c’est pourquoi la justice, qui porte sur eux, tire son nom de la droiture. Et il en est de même pour les autres vertus morales, car elles se distinguent selon l’espèce pour autant que le bien de la raison pour l’une des choses mentionnées se trouve de manière diverse selon la condition de la matière. |
[11919] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod
aliae virtutes non dicuntur partes subjectivae harum, vel integrales: quod
non impedit earum distinctionem ab istis: quod infra melius patebit, quaest.
3 hujus dist. per totam. |
1. Les autres vertus ne sont pas appelées leurs parties subjectives ou intégrales, ce qui n’empêche pas leur distinction par rapport à celles-ci, ce qui apparaîtra mieux plus loin, à la q. 3 de la présente distinction. |
[11920] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod istae virtutes denominantur ab hoc quod est
principale in eis. Aliquid autem
est principale in uno quod non est principale in altero, ut ex dictis patet;
et ideo nihil prohibet eas esse distinctas. Tamen advertendum, quod sancti et
philosophi inveniuntur dupliciter loqui de istis virtutibus. Quandoque
secundum quod sunt speciales virtutes habentes determinatam materiam, sicut
quod temperantiae attribuunt delectationes venereas cohibere; quandoque autem
secundum quod habent quamdam generalitatem, prout illud a quo nomen accipiunt,
et in quo perfectio earum principaliter consistit, ad alias materias et
virtutes transfertur; sicut cum fortitudini attribuunt fortiter persistere
non solum in periculis mortis, sed etiam in quibuscumque periculis. Sed primum dicitur
proprie, secundum autem appropriate, vel per reductionem. |
2. Ces vertus portent le nom de ce qui est principal en elles. Or, quelque chose est principal dans une chose, qui n’est pas principal dans une autre, comme cela ressort de ce qui a été dit. Aussi rien n’empêche-t-il qu’elles soient distinctes. Il faut cependant noter que les saints et les philosophes parlent de ces vertus de deux manières. Parfois, selon qu’elles sont des vertus spéciales ayant une matière particulière : ainsi, ils attribuent à la tempérance la maîtrise des plaisirs sexuels. Mais parfois, selon qu’elles ont un certain caractère général, pour autant que ce dont elles tirent leur nom et en quoi consiste principalement leur perfection est reporté sur d’autres matières et vertus. Ainsi, ils attribuent à la force, non seulement de tenir au milieu des dangers de mort, mais aussi de tous les dangers. Mais la première manière de parler est propre, alors que la seconde est une manière de les approprier ou de les ramener [à la première manière de parler]. |
[11921] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
justitia quaedam est generalis, quaedam autem specialis. Specialis quidem est secundum quod
habet materiam determinatam in communicationibus quae ad alterum sunt
secundum rationem debiti: et sic ponitur hic una de quatuor cardinalibus
virtutibus. Alio modo
dicitur generalis; et hoc dupliciter. Uno modo secundum quod est quaedam
habitudo recta ipsius animae, prout homo debito modo ordinatur et in seipso
et ad alia: et sic dicitur justificari impius. Alio modo, prout est idem quod
omnis virtus, ratione differens, prout actum virtutis quis ordinat ad bonum
commune, secundum imperium legis; quod contingit in actibus omnium virtutum,
ut philosophus dicit, 5 Ethic.; et hoc infra melius patebit quaest. 2 et 3. |
3. Il existe une justice générale et une justice spéciale. Elles est spéciale selon qu’elle a une matière déterminée dans les rapports avec les autres sous la raison de dette : elle est ainsi donnée comme une des quatre vertus cardinales. Elle est appelée générale d’une autre manière, et cela pour deux raisons. Premièrement, selon qu’elle est une manière droite d’être pour l’âme elle-même, en tant que l’homme est ordonné en lui-même et par rapport aux autres choses : ainsi dit-on que l’impie est justifié. Deuxièmement, en tant qu’elle est la même chose que toutes les vertus, mais différente par la raison, pour autant que quelqu’un ordonne un acte de vertu au bien commun comme l’ordonne la loi, ce qui se produit dans les actes de toutes les vertus, comme le dit le Philosophe dans Éthique, V. Cela ressortira plus clairement plus loin, qq. 2 et 3. |
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Articulus 2 [11922] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a.
2 tit. Utrum virtutes
morales insint a natura |
Article 2 – Les vertus morales existent-elles en nous naturellement ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Les
vertus morales existent-elles en nous naturellement ?]
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[11923] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod
virtutes morales insint nobis a natura. Damascenus enim dicit in 3 Lib.: naturales
sunt virtutes, et naturaliter et aequaliter insunt omnibus. Hoc idem
etiam dicit Antonius in exhortatione ad monachos. |
1. Il semble que les vertus morales existent en nous naturellement. En effet, [Jean] Damascène dit dans le livre III : « Les vertus sont naturelles, et elles sont naturellement et également présentes chez tous. » Antoine dit aussi la même chose dans son exhortation à des moines. |
[11924] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum in 2 Physic., quae ex principiis
naturalibus causantur, natura sunt. Sed ratio est de principiis naturalibus hominis. Cum ergo virtutes ex
ratione procedant, videtur quod sint naturales. |
2. Selon le Philosophe dans Physique II, les choses qui sont causées par des principes naturels viennent de la nature. Or, la raison vient des principes naturels de l’homme. Puisque les vertus procèdent de la raison, il semble donc qu’elles soient naturelles. |
[11925] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, homo est
perfectior inter alia animalia. Sed aliis animalibus a natura inest
dispositio ad agendum ea quae eis competunt, sicut hirundini ad faciendum
nidum. Cum ergo virtutes nihil aliud sint quam inclinationes ad opera convenientia
homini, videtur quod virtutes naturales sint homini inditae. |
3. L’homme est plus parfait que les autres animaux. Or, chez les autres animaux, la disposition à faire ce qui leur convient est présente naturellement, comme faire son nid pour l’hirondelle. Puisque les vertus ne sont rien d’autre que des inclinations aux actions qui conviennent à l’homme, il semble donc que les vertus soient naturelles et innées chez l’homme. |
[11926] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, secundum Dionysium bona naturalia non amittuntur per
peccatum. Sed virtutes amittuntur. Ergo non sunt naturales. |
Cependant, [1] selon Denys, les biens naturels ne sont pas enlevés par le péché. Or, les vertus sont enlevées. Elles ne sont donc pas naturelles. |
[11927] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, ea quae sunt a natura, non
assuefacimus. Sed in operibus virtutum valet assuefactio. Ergo virtutes non
sunt a natura. |
[2] Nous n’acquérons pas par habitude ce qui vient de la nature. Or, l’habitude intervient dans les actes des vertus. Les vertus ne viennent donc pas de la nature. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Les
vertus peuvent-elles être acquises par nos actes ?]
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[11928] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non possint acquiri ex actibus. Continentia
enim, secundum philosophum in 7 Ethic., est aliquid minus virtute. Sed
continentiam non possumus ex actibus nostris acquirere; Sap. 8, 21: scio
quod non possum esse continens, nisi Deus det. Ergo multo minus aliae
virtutes ex actibus acquiri possunt. |
1. Il semble que [les vertus] ne puissent s’acquérir par nos actes. En effet, selon le Philosophe dans Éthique, VII, la continence est quelque chose de moins que la vertu. Or, nous ne pouvons pas acquérir la continence par nos actes. Sg 8, 21 : Je sais que je ne puis être continent, à moins que Dieu ne me l’accorde. Encore bien moins les autres vertus peuvent-elles donc être acquises par des actes. |
[11929] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in nulla re per aliquam actionem aliquid acquiritur, nisi
per actiones aliquid res illa accipiat. Sed operans, inquantum operatur, nihil
recipit, immo magis operationem a se emittit. Ergo ex hoc quod operatur, non
acquiritur in ipso aliqua virtus. |
2. En aucune chose quelque chose est-il acquis par une action, à moins que cette chose ne reçoive quelque chose par les actions. Or, celui qui agit, en tant qu’il agit, ne reçoit rien, bien plutôt, il fait sortir de lui-même une action. Par le fait qu’il agit, aucune vertu n’est donc acquise en lui. |
[11930] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, nihil agit ultra suam speciem: quia effectus non potest
esse nobilior causa. Sed operationes quae fiunt ante virtutem, non sunt virtutum, sed
potentiarum naturalium tantum. Cum ergo virtus sit nobilior quam operatio,
quae est ex potentia naturali tantum, videtur quod per hujusmodi operationes
virtutes acquiri non possint. |
3. Rien n’agit au-delà de son espèce, car l’effet ne peut être plus noble que la cause. Or, les opérations qui sont posées avant la vertu ne viennent pas des vertus, mais seulement des puissances naturelles. Puisque la vertu est plus noble que l’opération, qui vient seulement d’une puissance naturelle, il semble donc que les vertus ne puissent pas être acquises par les opérations de ce genre. |
[11931] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, una operatio non potest habitum virtutis causare, sicut
philosophus dicit in 1 Ethic.: similiter nec plures, ut videtur, quia plures
operationes non sunt simul; et quod non est, non agit. Ergo nullo modo ex
actibus virtutes acquiruntur. |
4. Une seule opération ne peut causer l’habitus d’une vertu, comme le Philosophe le dit dans Éthique, I. De même, plusieurs [ne le peuvent] pas non plus, semble-t-il, car plusieurs opérations ne sont pas simultanées, et ce qui n’existe pas n’agit pas. Les vertus ne sont donc d’aucune manière acquises à partir des actes. |
[11932] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, philosophus dicit, in libro de
memoria et reminiscentia, quod consuetudo est quasi natura. Ergo consuetudine
efficitur aliquid homini connaturale et facile. Sed nihil aliud virtus est
quam quaedam facilitas et inclinatio per modum naturae ad bonum rationis, ut
dicit Tullius. Ergo ex consuetudine acquiritur aliqua virtus. |
Cependant, [1] le Philosophe dit, dans le livre sur La mémoire et la réminiscence, que l’habitude est comme une nature. Par l’habitude, quelque chose devient donc connaturel et facile pour l’homme. Or, la vertu n’est rien d’autre qu’une certaine facilité et inclination par mode de nature au bien de la raison, comme le dit Tullius [Cicéron]. Une vertu s’acquiert donc par l’habitude. |
[11933] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, malum non est fortius in agendo
quam bonum. Sed malis operibus acquiritur aliquis habitus vitiosus. Ergo ex
bonis operibus acquiritur aliquis habitus virtuosus. |
[2] Le mal n’agit pas plus fortement que le bien. Or, par des actes mauvais, un habitus vicieux s’acquiert. Par des actes bons, un habitus vertueux s’acquiert donc. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 –
[Est-il nécessaire d’affirmer qu’il existe des vertus morales infuses ?]
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[11934] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non
oporteat ponere aliquas virtutes morales infusas. Ea enim quae per principia
naturalia possunt causari, non oportet quod divinitus praeter naturalia
principia causentur, nisi aliquando miraculose fiat; sicut quod sanitas
restituitur, quam etiam natura posset restituere, licet non statim. Sed ad
virtutes morales possumus pervenire per naturalia principia, ut probatum est.
Ergo non indigemus quod virtutes nobis infundantur. |
1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire d’affirmer l’existence de vertus morales infuses. En effet, il n’est pas nécessaire que ce qui peut être causé par des principes naturels soit causé par Dieu par-delà les principes naturels, à moins que ce ne soit parfois de manière miraculeuse, comme le fait que la santé est redonnée, qui pourrait être redonnée par la nature, bien que ce ne soit pas immédiatement. Or, nous pouvons parvenir aux vertus morales par des principes naturels, comme cela a été démontré. Nous n’avons donc pas besoin que des vertus nous soient infusées. |
[11935] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, ad actum quantumcumque perfectum non requiritur nisi quod
sit actus rectus, et meritorius. Sed ad faciendum actum rectum sufficit virtus acquisita, ad faciendum
autem meritorium sufficit caritas. Ergo non indigemus virtutibus moralibus
infusis. |
2. Pour qu’un acte soit pleinement parfait , il est seulement exigé que cet acte soit droit et méritoire. Or, pour poser un acte droit, la vertu acquise suffit, et pour poser un acte méritoire, la charité suffit. Nous n’avons donc pas besoin de vertus morales infuses. |
[11936] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, virtutes quas Deus in nobis sine nobis operatur, sunt mentis qualitates, ut dicit Augustinus, et
non in viribus organis affixis. Sed aliquae moralium virtutum, ut dictum est,
sunt in irascibili et concupiscibili, quae non sunt partes mentis, cum sint
vires organis affixae. Ergo virtutes istae ad minus non possunt esse infusae. |
3. « Les vertus que Dieu réalisent en nous sans nous sont des qualités de l’esprit, comme le dit Augustin, et elles ne se trouvent pas dans des puissances liées à des organes. » Or, certaines des vertus morales, comme on l’a dit, se trouvent dans l’irascible et dans le concupiscible, qui ne sont pas des parties de l’esprit, puisqu’ils sont des puissances liées à des organes. Au moins ces vertus ne peuvent donc pas être infuses. |
[11937] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, virtutes morales a consuetudine dicuntur, ut patet 2 Ethic.
Sed quod est ex consuetudine, non est infusum. Ergo virtutes morales non
possunt esse infusae. |
4. Les vertus morales viennent de l’habitude, comme cela ressort d’Éthique, II. Or, ce qui vient de l’habitude n’est pas infus. Les vertus morales ne peuvent donc être infuses. |
[11938] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Sap. 8, 8: sobrietatem et
prudentiam docet, et justitiam et virtutem; et tanguntur ibi istae
quatuor cardinales virtutes, ut in littera Magister dicit, quae sunt virtutes
morales. Sed sapientia
Dei non solum docet intellectum instruendo, sed etiam affectum movendo. Ergo
istae virtutes etiam sunt infusae. |
Cependant, [1] Sg 8, 7 dit : Elle enseigne la tempérance et la prudence, la justice et la force ; comme le Maître le dit dans le texte, sont ainsi indiquées les quatre vertus cardinales, qui sont des vertus morales. Or, la sagesse de Dieu n’enseigne pas seulement en instruisant l’intelligence, mais aussi en mobilisant la puissance affective. Ces vertus sont donc aussi infuses. |
[11939] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, in pueris baptizatis et in contritis de peccatis, sunt
omnes virtutes. Sed non
possunt esse acquisitae; quia proprium actum virtutis non participant, ut
dicitur 1 Ethicor., neque etiam unus actus contritionis sufficere potest ad
acquirendum omnes virtutes. Ergo omnes virtutes morales etiam sunt infusae. |
[2] Chez les enfants baptisés et ceux qui se repentent de leurs péchés, toutes les vertus existent. Or, elles ne peuvent être acquises, car ils ne participent pas à l’acte propre de la vertu, comme il est dit dans Éthique, I. Un seul acte de contrition ne peut pas non plus suffire à acquérir toutes les vertus. Toutes les vertus morales sont donc aussi infuses. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 – [Les
vertus infuses diffèrent-elles des vertus acquises selon l’espèce ?]
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[11940] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam non differant specie infusae ab
acquisitis. Agens enim, cum sit extra rem, non diversificat speciem: unde
ejusdem speciei est oculus quem Deus caeco nato restituit, et quem in aliqua
creatura causat. Sed virtutes infusae differunt ab acquisitis penes agens
primum. Ergo non differunt specie. |
1. Il semble que les vertus infuses ne diffèrent pas non plus des vertus acquises selon l’espèce. En effet, lorsqu’un agent est extérieur à une chose, il n’en diversifie pas l’espèce ; ainsi l’œil que Dieu rend à l’aveugle-né est-il de la même espèce que celui qu’il cause dans une autre créature. Or, les vertus infuses diffèrent des vertus acquises selon le premier agent. Elles ne diffèrent donc pas selon l’espèce. |
[11941] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 2 Praeterea habitus specificantur ex actibus et objectis. Sed idem est
objectum et idem actus temperantiae infusae et acquisitae. Ergo non differunt
specie. |
2. Les habitus reçoivent leur espèce des actes et des objets. Or, l’objet et l’acte de la tempérance infuse et de la tempérance acquise sont les mêmes. Elles ne diffèrent donc pas selon l’espèce. |
[11942] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 3 Si dicatur, quod actus differunt, inquantum sunt meritorii actus
infusarum, non autem actus acquisitarum; contra. Actus virtutis cujuslibet
non est meritorius nisi inquantum est formatus a caritate. Sed formatum et informe
in virtutibus non facit differentiam speciei, sicut patet in fide, cum sit
differentia penes extrinsecum. Ergo virtutes infusae ab acquisitis non differunt specie. |
3. Les actes diffèrent dans la mesure où ceux des vertus infuses sont méritoires, mais non ceux des vertus acquises. Contre : l’acte de n’importe quelle vertu n’est méritoire que dans la mesure où il reçoit sa forme de la charité. Or, ce qui est formé et ce qui est sans forme ne cause pas une différence spécifique entre les vertus, comme cela ressort pour la foi, puisque la différence vient de quelque chose d’extrinsèque. Les vertus infuses ne diffèrent donc pas des vertus acquises selon l’espèce. |
[11943] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 4 Si dicatur, quod infusae propter Deum operantur, non autem acquisitae;
contra. Deus non est objectum cardinalium virtutum, sed theologicarum. Cum
igitur virtutes non recipiant speciem a fine ultimo, sed ab objecto et actu,
videtur quod adhuc per hoc non differant specie virtutes acquisitae et
infusae. |
4. Les [vertus] infuses agissent pour Dieu, mais non les [vertus] acquises. Contre : Dieu n’est pas l’objet des vertus cardinales, mais des vertus théologales. Puisqu’elles ne reçoivent pas leur espèce de la fin ultime, mais de leur objet et de leur acte, il semble donc que les vertus infuses et les vertus acquises ne diffèrent pas davantage selon l’espèce. |
[11944] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, quaelibet pars posita in
definitione, facit differre secundum speciem. Sed infusio ponitur in definitione virtutis
ab Augustino, secundum quam Deus in nobis operatur sine nobis. Ergo infusa differt specie ab acquisita. |
Cependant, [1] toute partie mise dans une définition cause une différence selon l’espèce. Or, l’infusion est mise dans la définition de la vertu par Augustin, selon laquelle « Dieu agit en nous sans nous ». [La vertu] infuse diffère donc [de la vertu] acquise selon son espèce. |
[11945] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, duae formae ejusdem speciei non
possunt esse in uno subjecto. Sed virtus infusa est simul cum virtute
acquisita, ut patet in adulto qui habens virtutem acquisitam ad Baptismum
accedit, qui non minus recipit de infusis quam puer. Ergo virtus acquisita et
infusa differunt specie. |
[2] Deux formes de la même espèce ne peuvent se trouver dans le même sujet. Or, la vertu infuse se trouve avec la vertu acquise, comme cela ressort pour l’adulte qui accède au baptême avec la vertu acquise, et qui ne reçoit pas moins de vertus infuses que l’enfant. La vertu acquise et la vertu infuse diffèrent donc selon l’espèce. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
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[11946] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem,
quod sicut in naturalibus posuerunt quidam formas omnes existere in materia,
et quod agens naturale extrahit eas de occulto ad manifestum, inquantum
removet ea quae prohibebant formam illam apparere; ita etiam dixerunt quidam
de habitibus animae; unde Plato dixit, quod omnes scientiae sunt in anima a
natura, et addiscere non est aliud quam recordari: et similiter videtur
dicere Damascenus, de virtutibus, quod insunt nobis a natura, et per
exercitium tolluntur impedimenta virtutum; sicut ferri aeruginem auferentes,
videmur claritatem, quae naturaliter ei inest, inducere. Omnes autem istae
opiniones secundum aliquid verae sunt, et secundum aliquid falsae. Verae
quidem sunt, inquantum praedictorum aliqua inchoatio est a natura, sicut
forma existit in potentia materiae, et scientia conclusionum in principiis
universalibus: quia quod in particulari discitur, prius in universali
sciebatur; et virtutes praeexistunt in naturali ordinatione ad bonum
virtutis, quae est in ratione cognoscente hujusmodi bonum, et etiam in
voluntate naturaliter appetente illud, et etiam quandoque in inferioribus
viribus, inquantum sunt naturaliter subjectae rationi: et in quibusdam ex
ipsa complexione est minus de resistentia ad bonum rationis, secundum quod
philosophus dicit in 6 Ethic., quod quidam confestim a nativitate sunt fortes
et temperati: et ideo a Tullio dicitur, quod seminaria virtutum, sive initia,
sunt naturalia. Falsae autem sunt praedictae opiniones, inquantum
complementum formarum, secundum quod sunt in actu, est ab agente extrinseco:
scientiae vero complementum est ex doctrina vel inventione; virtutum autem ex
assuefactione vel infusione; et hoc est quod philosophus 2 Ethic. dicit
innatis nobis eas suscipere, perfectis vero per assuefactionem. |
De même que certains ont affirmé que, pour les réalités naturelles, toutes les formes existent dans la matière et que l’agent naturel les extrait de leur condition occulte vers une condition manifeste, pour autant qu’il enlève ce qui empêchait cette forme d’apparaître, de même aussi certains ont-ils parlé à propos des habitus de l’âme. Ainsi, Platon disait que toutes les sciences existent naturellement dans l’âme et qu’apprendre n’est rien d’autre que se souvenir. [Jean] Damascène semble dire la même chose à propos des vertus : elles sont en nous naturellement et, par l’exercice, les empêchements aux vertus sont enlevés, comme en enlevant la rouille du fer, nous paraissons lui apporter l’éclat qui est naturellement en lui. Or, toutes ces opinions sont partiellement vraies et partiellement fausses. Elles sont vraies pour autant qu’une certaine amorce des choses mentionnées vient de la nature, comme la forme existe dans la puissance de la matière et la science des conclusions, dans les principes universels, car ce qui est appris d’une réalité particulière était d’abord connu dans l’universel, et les vertus préexistent dans l’orientation naturelle au bien de la vertu, qui existe dans la raison qui connaît le bien de ce genre, et aussi dans la volonté qui le désire naturellement, et même parfois dans les puissances inférieures, pour autant qu’elles sont naturellement soumises à la raison. Et chez certains, en raison de leur complexion même, il existe moins de résistance au bien de la raison, selon ce que dit le Philosophe dans Éthique, VI, que « certains sont dès leur naissance forts et tempérés ». C’est pourquoi Tullius [Cicéron] dit que les semences des vertus ou leurs amorces sont naturelles. Mais les opinions qui précèdent sont fausses dans la mesure où l’achèvement des formes, selon qu’elles existent en acte, vient d’un agent extérieur. L’achèvement de la science vient de l’enseignement ou de l’invention ; celui des vertus, de l’habitude ou de l’infusion. Et c’est ce que dit le Philosophe dans Éthique, II, qu’elles sont chez nous innées, mais, chez les parfaits, par grâce à l’habitude. |
[11947] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Et per hoc patet
responsio ad auctoritatem Damasceni. |
1. La réponse à l’autorité de [Jean] Damascène ressort ainsi clairement. |
[11948] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio et est natura hominis, et est ratio;
unde ex hoc quod est ratio, addit aliquem modum causandi supra modum quo
aliquid ex altero causatur naturaliter; et secundum hunc modum ratio est
principium virtutum. |
2. La raison est à la fois nature de l’homme et raison. Du fait qu’elle est raison, elle ajoute une manière de causer à la manière dont quelque chose est naturellement causé par autre chose. De cette manière, la raison est principe des vertus. |
[11949] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod homo propter hoc quod habet rationem, quae
collativa est, se habet ad multas operationes, quarum ratio principium est;
et ideo non providentur homini a natura necessaria ad tegumentum et
defensionem, sicut aliis animalibus, ut pili et ungues: quia non posset
instrumentum aliquod determinatum competere ad tam varias et diversas
operationes; et ideo dantur sibi manus, per quas possit sibi facere
necessaria secundum quod ei competit ex ratione. Et similiter non potuit esse in homine
complementum ex natura, quia non est idem conveniens omnibus. Oportet enim
medium virtutis in diversis diversimode accipi. |
3. Parce que l’homme possède la raison qui a la capacité de rapprocher, il est apte à plusieurs opérations dont la raison est le principe. C’est pourquoi l’homme n’est pas pourvu par la nature de ce qui est nécessaire au vêtement et à la défense, tels les poils et les ongles, comme les autres animaux, car un instrument déterminé ne pourrait convenir à des opérations aussi variées et diverses. C’est pourquoi lui sont données des mains, par lesquelles il peut se procurer ce qui est nécessaire, selon ce qui lui convient en vertu de la raison. De même, il ne pouvait exister d’achèvement naturel chez l’homme en vertu de la nature, car la même chose ne convient pas à tous. En effet, il faut comprendre diversement le milieu de la vertu selon les divers individus. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
|
[11950] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum est, quod
quidam philosophi, quos sequitur Avicenna, posuerunt omnes formas esse a
datore, et quod agens naturale non facit nisi dispositionem ad formas illas;
et similiter etiam dicit Avicenna, quod scientia et virtus sunt a datore, et
per studium et exercitium disponitur anima ad recipiendum influxum dictorum
habituum. Haec autem positio tollit naturalem virtutem, quae inest cuilibet
principio naturali ad faciendum sibi simile, secundum quod materia in quam
agit, est receptiva suae similitudinis. Quod quidem necessarium est ex hoc
quod omne quod agit, agit ex hoc quod est in actu: unde oportet quod omne
quod est in actu aliquid, aliquo modo possit esse activum illius: et ideo
omne naturale principium natum est inducere suam similitudinem per actum
suum. Cum igitur principia scientiarum et virtutum sint naturaliter nobis
indita, ut dictum est, oportet quod per actiones ex illis principiis
prodeuntes, virtutum et scientiarum habitus compleantur: et huic quidem
attestatur experientia: quia ex consuetudine efficitur aliquid facile et
delectabile, quod prius erat difficile; et hoc est signum habitus generati,
scilicet delectatio operis. |
Certains philosophes, que suit Avicenne, ont affirmé que toutes les formes viennent de celui qui [les] donne, et que l’agent naturel ne fait que disposer à ces formes. Et Avicenne dit la même chose : la science et la vertu viennent de celui qui [les] donne et, par l’étude et l’exercice, l’âme est disposée à recevoir l’influence des habitus en question. Or, cette position écarte la capacité naturelle, présente en tout principe naturel, de faire quelque chose de semblable à soi, selon que la matière sur laquelle il agit est apte à recevoir sa ressemblance. Or, cela est nécessaire du fait que tout ce qui agit agit du fait qu’il est en acte. Il est donc nécessaire que tout ce qui est quelque chose en acte puisse le produire de quelque façon. C’est pourquoi tout principe naturel est naturellement apte à amener sa ressemblance par son acte. Puisque les principes des sciences et des vertus sont naturellement présents en nous, comme on l’a dit, il est donc nécessaire que, par les actions provenant de ces principes, les habitus des vertus et des sciences soient conduits à leur achèvement. Et l’expérience témoigne de cela, car, par l’habitude, quelque chose devient facile et délectable, alors que cela était auparavant difficile. C’est là le signe d’un habitus engendré : la délectation que donne l’acte. |
[11951] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod nullum bonum potest homo habere, nisi
Deus det; sed quaedam habentur a Deo non cooperantibus nobis, sicut ea quae
sunt infusa; et quaedam nobis cooperantibus, sicut acquisita; et quaedam
cooperante natura, sicut naturalia. |
1. L’homme ne peut avoir aucun bien, à moins que Dieu ne le lui donne. Mais certains [biens] nous viennent de Dieu sans que nous y coopérions, tels ceux qui sont infus ; certains, avec notre coopération, tels les biens acquis ; et certains, avec la coopération de la nature, tels les biens naturels. |
[11952] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in operibus animae est quidam gradus,
secundum quod una potentia alteri subjacet: et in eadem potentia est inveniri
superius et inferius, secundum quod ad diversa objecta comparatur. Inferius
autem natum est recipere a superiori; et ideo per operationes egredientes a
ratione naturali et voluntate, in quibus praeexistunt seminaria virtutum,
acquiritur habitus in irascibili et concupiscibili; et per operationem
voluntatis et rationis, inquantum sunt finis et principiorum primorum,
acquiritur in eis, quantum ad ea quae sunt ad finem, et quantum ad
conclusiones, habitus scientiae et virtutis; et sic habitus acquiritur per
operationem quae ab operante egreditur, secundum quam inferior pars a
superiori recipit. In superiori autem parte non est habitus, nisi vel
naturalis vel infusus. |
2. Dans les actes de l’âme, il existe certains degrés, selon qu’une puissance est soumise à une autre ; et, dans la même puissance, on peut trouver supérieur et inférieur, selon qu’elle est en rapport avec divers objets. Or, ce qui est inférieur est destiné par nature à recevoir de ce qui est supérieur. C’est pourquoi, par les opérations issues de la raison naturelle et de la volonté, dans lesquelles préexistent des semences de vertus, un habitus est acquis dans l’irascible et dans le concupiscible. Et par l’opération de la volonté et de la raison, en tant qu’elles portent sur la fin et sur les principes premiers, sont acquis par elles, par rapport à ce qui est en rapport avec la fin et les conclusions, les habitus de la science et de la vertu. Ainsi l’habitus est-il acquis par l’opération, issue de celui qui agit, selon que la partie inférieure reçoit de la [partie] supérieure. Mais, dans la partie supérieure, il n’existe d’habitus que naturel ou infus. |
[11953] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut principia sunt potiora conclusionibus, et virtute eas continentia, ita seminaria
virtutum, quae sunt in suprema parte animae, sunt digniora virtutibus, quae
sunt in partibus inferioribus, et continent eas virtute: et ideo operationes
procedentes ex illis principiis, sunt similes operibus virtutum, et possunt habitum
virtutis perficere; sicut ex consideratione principiorum generatur scientia
conclusionum. |
3. De même que les principes ont plus de valeur que les conclusions et les contiennent en puissance, de même, les semences de vertus, qui existent dans la partie supérieure de l’âme, sont-elles plus dignes que les vertus, qui existent dans les parties inférieures, et les contiennent-elles en puissance. C’est pourquoi les opérations issues de ces principes ressemblent aux actes des vertus et peuvent parfaire l’habitus de la vertu : ainsi, par l’examen des principes, la science des conclusions est-elle engendrée. |
[11954] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut multae guttae cavant lapidem,
inquantum ultima agit in virtute omnium praecedentium, quae tantum
habilitabant materiam ad cavationem, nihil cavantes; ita ultima operatio
agens in virtute omnium praecedentium, habitum virtutis causat. |
4. De même que plusieurs gouttes creuvent la pierre, dans la mesure où la dernière agit avec la puissance de toutes les précédentes, qui ne faisaient que préparer la matière à être creusée sans rien creuser, de même la dernière opération, agissant avec la puissance de toutes les précédentes, cause-t-elle l’habitus de la vertu. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
|
[11955] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem
dicendum, quod, sicut dictum est, seminaria virtutum quae sunt in nobis, sunt
ordinatio voluntatis et rationis ad bonum nobis connaturale. Cum autem sit
homo ex divina liberalitate ordinatus ad quoddam bonum supernaturale,
scilicet aeternam gloriam; ex praedictis virtutum seminariis non possunt
virtutes causari fini praedicto proportionatae. Unde oportet virtutes quae
vitam nostram ordinant ad finem illum, ex eo causari, ex quo est nobis
inclinatio in finem illum. Hoc autem est
per Dei gratiam; unde oportet nos aliquas virtutes morales infusas habere. |
Comme on l’a dit, les semences de vertus qui existent en nous sont l’orientation de la volonté et de la raison vers un bien qui nous est connaturel. Mais comme l’homme est ordonné par la libéralité divine à un bien surnaturel, la gloire éternelle, des vertus proportionnées à la fin mentionnée ne peuvent pas être causées par les semences de vertus dont il est question. Il est donc nécessaire que les vertus qui orientent notre vie vers cette fin soient causées par ce dont nous vient l’inclination vers cette fin. Or, cela vient de la grâce de Dieu. Il est donc nécessaire que nous ayons des vertus morales infuses. |
[11956] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod sanitas per miraculum restituta, non
est ad aliud ordinata quam sanitas quae fit ex natura; et ideo illis qui
habent sanitatem ex naturalibus principiis, non est necessaria sanitas quae
est per miracula. Et ideo non est simile de sanitate et virtutibus infusis,
quae ad aliud ordinant quam acquisitae, ut dictum est. |
1. La santé retrouvée par miracle n’est pas ordonnée à autre chose que la santé qui vient de la nature. C’est pourquoi la santé qui vient des miracles n’est pas nécessaire pour ceux qui ont la santé par des principes naturels. Il n’en va donc pas de même de la santé et des vertus infuses, qui ordonnent à autre chose que les [vertus] acquises, comme on l’a dit. |
[11957] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod rectitudo
actus est ex proportione ad finem; ad diversos autem fines diversimode
accipitur actus proportio: unde aliquis actus est rectus proportionatus bono
civili, qui non est rectus proportionatus gloriae aeternae: unde oportet quod
sint aliae virtutes infusae, quae faciant actus rectos ex proportione ad
finem. |
2. La droiture d’un acte vient de la proportion par rapport à sa fin. Or, la proportion d’un acte se prend diversement par rapport à diverses fins. Aussi un acte droit est-il proportionné au bien civil, qui n’est pas droit et proportionné à la gloire éternelle. Il est donc nécessaire qu’il existe d’autres vertus infuses, qui rendent les actes droits en vertu d’une proportion par rapport à la fin. |
[11958] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virtutes infusae et acquisitae non sunt in
irascibili et concupiscibili nisi secundum quod participant aliqualiter
rationem: et ex hac parte non habent dependentiam ab organo corporali, sed
continentur sub mente, sicut et sub ratione, inquantum ipsam participant. |
3. Les vertus infuses et les [vertus] acquises ne se trouvent dans l’irascible et dans le concupiscible que dans la mesure où ceux-ci participent en acte à la raison. De ce point de vue, elles ne dépendent pas d’un organe corporel, mais elles sont maintenues sous l’esprit et sous la raison, dans la mesure où elles y participent. |
[11959] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod mos secundum quem dicitur moralis virtus,
importat inclinationem quamdam appetitus ad bonum vel malum faciendum. Et
quia haec inclinatio frequenter est ab assuefactione, ideo mos sic dictus, a
more prout consuetudinem importat, descendit. Sed dicta inclinatio non semper
est ab assuefactione, sed quandoque a natura, sicut dicuntur mores brutorum
in 8 de animalibus, vel etiam ex Dei dono; et sic virtutes infusae morales
dici possunt. |
4. Le comportement (mos), pour autant qu’on désigne par là la vertu morale, comporte une inclination de l’appétit à faire le bien ou le mal. Et parce que cette inclination vient souvent de l’habitude, le comportement (mos) ainsi désigné vient de (mœurs), pour autant qu’elles comportent une habitude. Or, l’inclination en question ne vient pas toujours de l’habitude, mais parfois de la nature : ainsi parle-t-on du comportement (mores) des animaux sans raison, dans Sur les animaux, VIII. [Cette inclination vient] aussi d’un don de Dieu. Et ainsi peuvent être désignées les vertus morales infuses. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la
sous-question 4
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[11960] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem
dicendum, quod virtutes acquisitae et infusae differunt specie, scilicet
fortitudo a fortitudine, et temperantia a temperantia, et sic de aliis: quia,
ut dictum est, fines sunt sicut principia in operativis. Si autem esset aliqua scientia quae non
posset reduci ad principia naturaliter cognita, non esset ejusdem speciei cum
aliis scientiis, nec univoce scientia diceretur. Unde cum fines virtutum
infusarum non praeexistant in seminariis naturalibus virtutum, sed naturam
humanam excedant; oportet quod virtutes infusae a virtutibus acquisitis, quae
ab illis seminariis procedunt, differant specie. Unde et in alia vita hominem
perficiunt, acquisitae quidem in vita civili, infusae in vita spirituali,
quae est ex gratia, secundum quam homo virtuosus est membrum Ecclesiae. |
Les vertus acquises et les [vertus] infuses diffèrent selon l’espèce : la force de la force, la tempérance de la tempérance, et ainsi des autres. En effet, comme on l’a dit, les fins jouent le rôle de principes en matière d’actions à poser. Or, s’il existait une science qui ne pouvait être ramenée aux principes naturellement connus, elle ne serait pas de la même espèce que les autres sciences et elle ne serait pas appelée une science de manière univoque. Puisque les fins des vertus infuses ne préexistent pas dans les semences naturelles des vertus, mais dépassent la nature humaine, il est donc nécessaire que les vertus infuses diffèrent selon l’espèce des vertus acquises, qui proviennent de ces semences. Aussi perfectionnent-elles l’homme pour une autre vie : les vertus acquises pour la vie civile, les vertus infuses pour la vie spirituelle, qui vient de la grâce, selon que l’homme vertueux est membre de l’Église. |
[11961] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod effectus proportionatus agenti differt
specie secundum diversitatem agentis: unde animalia generata ex semine et ex
putrefactione non sunt ejusdem speciei. Virtus autem divina, quamvis possit
super omnes effectus, et in infinitum eos excedat, tamen aliqui effectus sunt
qui non possunt esse nisi ex virtute divina; et tales effectus non sunt
proportionati aliis. Unde tales effectus differunt specie ab illis effectibus
qui etiam ab aliis causis produci possunt, quamvis et divina virtus illos
possit producere. |
1. L’effet proportionné à l’agent diffère selon l’espèce selon la diversité de l’agent. Aussi les animaux engendrés d’une semence et de la putréfaction ne sont-ils pas de la même espèce. Or, bien que la puissance divine s’exerce sur tous les effets et les dépasse infiniment, il existe cependant certains effets qui ne peuvent exister que par la puissance divine ; de tels effets ne sont pas proportionnés à d’autres [causes]. Ces effets diffèrent donc selon l’espèce des effets qui peuvent aussi être produits par d’autres causes, bien que la puissance divine puisse les produire. |
[11962] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis sit idem actus virtutis acquisitae
et infusae materialiter, non tamen est idem actus formaliter: quia per
virtutem acquisitam collimitantur circumstantiae secundum proportionem ad
bonum civile, sed per virtutem infusam secundum proportionem ad bonum
aeternae gloriae: unde etiam aliquid superfluum secundum virtutem civilem est
moderatum secundum virtutem infusam, sicut quod homo jejunet, et se
voluntarie morti offerat propter defensionem fidei. |
2. Bien que l’acte de la vertu acquise et celui de la [vertu] infuse soient le même matériellement, ce n’est cependant pas le même acte formellement, car, par la vertu acquise, les circonstances sont confinées à une proportion au bien civil ; mais, par la vertu infuse, à une proportion au bien de la gloire éternelle. Aussi quelque chose de superflu selon la vertu civile est-il modéré selon la vertu infuse, comme le fait pour l’homme de jeûner et de s’offrir volontairement à la mort pour la défense de la foi. |
[11963] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod penes hoc quod est esse meritorium, non
differunt specie, nisi inquantum virtutes acquisitae sunt magis propinquae ad
meritum propter finem ad quem ordinantur. |
3. Sauf le fait d’être méritoires, elles ne diffèrent selon l’espèce que dans la mesure où les vertus infuses sont plus rapprochées du mérite en raison de la fin à laquelle elles sont ordonnées. |
[11964] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis finis ultimus non faciat identitatem
in specie, facit tamen diversitatem, sicut generis diversitas facit
diversitatem in specie. Tamen sciendum, quod relatio actualis ad remotum
finem non facit praedictam differentiam, sed originalis relatio ad ipsum,
secundum scilicet quod ex diversitate finis fit diversa proportio in actu et
habitu. |
4. Bien que la fin ultime n’apporte pas l’identité selon l’espèce, elle apporte cependant une diversité, comme la diversité de genre apporte la diversité de l’espèce. Il faut cependant savoir que la relation actuelle à une fin éloignée ne cause pas ladite différence, mais la relation qui existait à l’origine par rapport à elle, à savoir, selon qu’une proportion différente est apportée à l’acte et à l’habitus. |
|
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Articulus 3 [11965] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a.
3 tit. Utrum virtutes morales consistant in
medio |
Article 3 – Les vertus morales
consistent-elles dans un milieu ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Les
vertus morales consistent-elles dans un milieu ?]
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[11966] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod virtutes morales non consistant in medio. In nullo
enim indivisibili est accipere medium et extrema. Sed passiones et
operationes, circa quas sunt virtutes morales, sunt indivisibiles. Ergo non
sunt in medio. |
1. Il semble que les vertus morales ne consistent pas dans un milieu. En effet, dans rien de ce qui est indivisible, on ne conçoit un milieu et des extrêmes. Or, les passions et les opérations, sur lesquelles portent les vertus morales, sont indivisibles. Elle ne se situent donc pas dans un milieu. |
[11967] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, medium aequaliter
distat ab extremis. Sed quaedam virtutes plus appropinquant uni extremo quam
alteri, sicut fortis plus assimilatur audaci quam timido, ut dicit
philosophus in 3 Ethic. Ergo virtutes morales non sunt in medio. |
2. Le milieu est équidistant des extrêmes. Or, certaines vertus s’approchent davantage d’un extrême que de l’autre, comme le fort ressemble davantage à l’audacieux qu’au timide, comme le dit le Philosophe dans Éthique, III. Les vertus morales ne se situent donc pas dans un milieu. |
[11968] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, non est idem medium et extremum. Sed virtus est extremum,
quia est ultimum potentiae, ut dicitur in 1 caeli et mundi. Ergo non est in
medio. |
3. Le milieu et l’extrême ne sont pas la même chose. Or, la vertu est un extrême, car elle est le point ultime d’une puissance, comme il est dit dans Sur le ciel et le monde, I. Elle ne se situe donc pas dans un milieu. |
[11969] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, quandocumque bonum consistit in medio, malum consistit in
extremo, ad minus uno; sicut in castitate quantumcumque homo abstineat a
venereis, non peccat: similiter et in magnanimitate, quae est extremum in
magnitudine, inquantum ad maxima tendit: similiter etiam in veritate, quia
non potest homo nimis verum dicere. Ergo videtur quod bonum virtutis non consistat in medio. |
4. Chaque fois que le bien consiste dans un milieu, le mal consiste dans quelque chose d’extrême, au moins dans un [extrême] ; ainsi, pour la chasteté, chaque fois que l’homme s’abstient des plaisirs sexuels, il ne pèche pas ; de même pour la magnanimité, qui est le point extrême de la grandeur, dans la mesure où elle tend à ce qu’il y a de plus grand ; de même aussi pour la vérité, car l’homme ne peut pas dire trop la vérité. Il semble donc que le bien de la vertu ne consiste pas dans un milieu. |
[11970] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 5 Praeterea, si virtus sit medium, non est medium nisi inter duo vitia.
Sed aliqua virtus est quae non est inter vitia, sicut justitia; quia si plura
accipiat, peccat; si minus autem ei detur, non peccat. Ergo non omnis virtus
moralis consistit in medio. |
5. Si la vertu est
un milieu, elle n’est que le milieu entre deux vices. Or, il existe une vertu
qui ne se situe pas entre deux vices : la justice, car si elle prend
trop, elle pèche, mais s’il lui est moins donné, elle ne pèche pas. Toute
vertu morale ne consiste donc pas dans un milieu. |
[11971] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, est quod dicit philosophus in 2
Eth. |
Cependant, [1] ce que dit le Philosophe dans Éthique, II, va en sens contraire. |
[11972] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut se habet ars ad
factibilia, ita se habet virtus ad agibilia. Sed ars corrumpitur ex superfluo
et diminuto. Ergo et virtus: ergo est in medio. |
[2] Le rapport de l’art avec l’objet à réaliser est le même que celui de la vertu avec ce qui doit être accompli. Or, l’art est corrompu par quelque chose de superflu et d’amoindri. Donc, la vertu aussi. Elle se situe donc dans un milieu. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 –
[Existe-t-il un milieu objectif (medium rei)
dans la justice ?]
|
[11973] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in justitia non sit
medium rei. Definitio enim generis debet salvari in qualibet specierum. Sed
in definitione virtutis ponitur quod est medium secundum rationem. Ergo in
justitia est medium rationis, et non medium rei. |
1. Il semble qu’il n’existe pas de milieu objectif dans la justice. En effet, la définition du genre doit être préservée dans chacune des espèces. Or, dans la définition de la vertu, on met qu’il existe un milieu selon la raison. Dans la justice, il existe donc un milieu de la raison, et non un milieu objectif. |
[11974] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, propter hoc in aliis virtutibus dicitur esse medium rationis et non medium rei, quia diversimode
determinatur medium secundum diversas conditiones; sicut aliquid est multum
ad comedendum uni, quod non est multum ad comedendum alteri. Sed diversa
conditio etiam observatur in justitia: quia justitia distributiva non
aequaliter tribuit omnibus, sed unicuique secundum quod dignus est: similiter
etiam in commutativa non tantum punitur qui percutit privatum hominem quantum
qui percutit principem. Ergo in justitia non est medium rei, sicut nec in aliis virtutibus. |
2. On dit que, pour les autres vertus, il existe un milieu de la raison parce que le milieu est diversement déterminé selon les conditions diverses ; ainsi, ce qui est trop manger pour l’un n’est pas trop manger pour un autre. Or, une condition diverse est respectée dans la justice, car la justice distributive n’attribue pas également à tous, mais à chacun selon qu’il en est digne. De même aussi, dans la justice commutative, celui qui frappe une personne privée n’est pas puni autant que celui qui frappe un dirigeant. Il n’existe donc pas de milieu objectif dans la justice, pas davantage que pour les autres vertus. |
[11975] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in illo accipiendum est medium virtutis quod per virtutem
rectificatur et perficitur. Sed finis virtutum non est rectificatio rei
exterioris, sed operantis secundum rationem: quia eupraxia, idest bona
operatio, est finis in omnibus virtutibus, ut dicit philosophus in 6 Eth. Ergo non est ibi rei
medium, sed rationis tantum. |
3. Il faut concevoir le milieu de la vertu comme ce qui est rectifié et perfectionné par la vertu. Or, la fin des vertus n’est pas la rectification d’une chose extérieure, mais celle de celui qui agit selon la raison, car l’eupraxia, c’est-à-dire le bien agir, est la fin de toutes les vertus, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VI. Il n’y a donc pas là de milieu objectif, mais [un milieu] selon la raison seulement. |
[11976] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3
qc. 2 s. c. 1 Sed contra, medium quod accipitur secundum proportionem rei ad rem,
est medium rei. Sed medium justitiae accipitur secundum proportionem rei ad
rem, ut geometricam in justitia distributiva, vel arithmeticam in
commutativa, ut dicit philosophus in 5 Ethic. Ergo est ibi medium rei. |
Cependant, [1] le moyen qui se prend de la proportion entre deux choses est un
milieu objectif . Or, le milieu de la justice se prend de la proportion entre
deux choses : géométrique, pour la justice distributive, ou arithmétique,
pour la justice commutative, comme le dit le Philosophe dans Éthique, V. Il y a donc là un milieu
objectif. |
[11977] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, justitia est aequalitas quaedam.
Sed aequalitas est etiam secundum rem medium inter plus et minus. Ergo etiam in justitia
est medium rei. |
[2] La justice est une certaine égalité. Or, l’égalité est un milieu objectif entre le plus et le moins. Il existe donc un milieu objectif dans la justice. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Existe-t-il
un milieu dans les vertus intellectuelles ?]
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[11978] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in
virtutibus intellectualibus non sit medium. Medium enim accipitur in
passionibus, secundum quod mensuratur ad rationem. Sed in virtutibus
intellectualibus non est accipere aliquid superius ad quod mensurentur. Ergo
in eis non est accipere medium. |
1. Il semble qu’il n’y ait pas de milieu pour les vertus intellectuelles. En effet, pour les passions, le milieu se prend selon sa mesure par rapport à la raison. Or, pour les vertus intellectuelles, on ne conçoit pas quelque chose de plus élevé par rapport à quoi elles seraient mesurées. On ne conçoit donc pas de milieu pour elles. |
[11979] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1
a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, medium virtutis est inter contrarias passiones.
Sed in intellectualibus non sunt contrariae passiones: quia rationes
contrariorum in intellectu non sunt contrariae. Ergo in intellectualibus virtutibus non est
accipere medium. |
2. Le milieu de la vertu se situe entre des passions contraires. Or, pour les [vertus] intellectuelles, il n’exise pas de passions contraires, car les notions des contraires qui se trouvent dans l’intellect ne sont pas contraires. On ne peut donc concevoir de milieu pour les vertus intellectuelles. |
[11980] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, ubicumque est accipere medium, est accipere extrema, quae
corrumpunt medium. Sed in intellectu non est accipere extrema corrumpentia
medium: quia intellectus non corrumpitur neque ex magno intelligibili neque
ex parvo, ut dicitur in 3 de anima. Ergo in virtutibus intellectualibus non est medium. |
3. Partout où l’on conçoit un milieu, il faut concevoir des extrêmes, qui corrompent le milieu. Or, pour l’intellect, on ne peut concevoir d’extrêmes qui corrompent le milieu, car l’intellect n’est corrompu ni par un grand intelligible ni par un petit, comme on le dit dans Sur l’âme, III. Il n’y a donc pas de milieu pour les vertus intellectuelles. |
[11981] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, in virtutibus moralibus non invenitur medium nisi secundum
quod participant rationem rectam. Sed ratio recta per prius invenitur in intellectualibus quam in
moralibus. Ergo verius est medium in intellectualibus quam in moralibus. |
Cependant, [1] dans les vertus morales, on ne trouve de milieu que selon leur participation à la raison droite. Or, la raison droite se trouve davantage dans les [vertus] intellectuelles que dans les vertus morales. Le milieu est donc plus vrai dans les vertus intellectuelles que dans les [vertus] morales. |
[11982] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ars est
intellectualis virtus, ut patet in 6 Ethic. Sed philosophus in 2 Ethic., per medium artis probat
medium virtutis. Ergo virtus intellectualis habet medium. |
[2] L’art est une vertu intellectuelle, comme cela ressort d’Éthique, VI. Or, dans Éthique, II, le Philosophe prouve le milieu de la vertu par le milieu de l’art. La vertu intellectuelle comporte donc un milieu. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 – [Les
vertus théologales ont-elles un milieu ?]
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[11983] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam theologicae virtutes
medium habeant. In moralibus enim virtutibus est medium, secundum quod earum
actus ex ratione recta procedunt. Sed virtutum theologicarum actus non sunt
contra rationem. Ergo sunt in medio. |
1. Il semble que même les vertus théologales aient un milieu. En effet, pour les vertus morales, il existe un milieu selon que leur actes viennent de la raison droite. Or, les actes des vertus théologales ne vont pas contre la raison. Ils se situent donc dans un milieu. |
[11984] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea, spes est
medium inter
praesumptionem et desperationem. Sed spes est virtus theologica. Ergo
virtutes sunt medium inter vitia. |
2. L’espérance est le milieu entre la présomption et le désespoir. Or, l’espérance est une vertu théologale. Les vertus [théologales] sont donc un milieu entre des vices. |
[11985] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 3 Praeterea, fides vadit media inter duas haereses, scilicet Nestorii et
Eutychis. Sed fides est virtus theologica. Ergo virtutes theologicae in medio
consistunt. |
3. La foi suit un milieu entre deux hérésies, à savoir, celles de Nestorius et d’Eutychès. Or, la foi est une vertu théologale. Les vertus théologales se situent donc dans un milieu. |
[11986] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 1 Sed contra, Bernardus dicit, quod modus caritatis
est non habere modum. Sed virtutes dicuntur in medio esse, inquantum sunt
modificatae. Ergo caritas non est in medio, et eadem ratione nec aliae duae. |
Cependant, [1] Bernard dit que « la mesure de la charité est qu’elle n’a pas de mesure ». Or, on dit que les vertus se situent au milieu pour autant qu’elles sont mesurées. La charité ne se situe donc pas dans un milieu et, pour la même raison, les deux autres non plus. |
[11987] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, ubi nunquam contingit aequale
reddere, ibi non potest esse superfluum. Sed in illis quae sunt ad Deum, non
contingit aequale reddere, ut etiam philosophus in 8 Ethic. dicit. Ergo non
contingit superfluum in virtutibus theologicis, quae Deum habent pro objecto,
accipere, et ita non sunt in medio. |
[2] Là où il n’arrive jamais qu’on rende ce qui est égal, là ne peut exister de superflu. Or, en ce qui concerne Dieu, il n’arrive jamais qu’on rende ce qui est égal, comme même le Philosophe le dit dans Éthique, VIII. Il n’y a donc pas de superflu dans les vertus théologales, qui ont Dieu pour objet, et ainsi elles ne se situent pas dans un milieu. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
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[11988] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo ad primam quaestionem dicendum, quod omnes virtutes morales
in medio constitutae sunt. Virtutes enim morales sunt circa passiones et
operationes, quas oportet dirigere secundum regulam rationis. In omnibus
autem regulatis consistit rectum, secundum quod regulae aequantur; aequalitas
autem media est inter majus et minus; et ideo oportet quod rectum virtutis
consistat in medio ejus quod superabundat, et ejus quod deficit a mensura
rationis recta. |
Toutes les vertus morales se situent dans un milieu. En effet, les vertus morales portent sur les passions et les opérations, qu’il faut diriger selon la règle de la raison. Or, dans tout ce qui est soumis à une règle, la droiture consiste en ce que cela soit égal à la règle. Or, l’égalité est un milieu entre le plus et le moins. C’est pourquoi il est nécessaire que la droiture de la vertu se situe au milieu de ce qui dépasse la droite mesure de la raison et de ce qui lui manque |
[11989] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod actiones et passiones quamvis sint
indivisibiles per essentiam, sunt tamen per accidens divisibiles, vel
secundum intensionem, vel secundum tempus, vel secundum locum, vel secundum
objecta, vel secundum aliquid hujusmodi; et ideo etiam secundum hoc est in
eis medium accipere. |
1. Les actions et les passions, bien qu’elles soient indivisibles par essence, sont cependant divisibles par accident, soit selon l’intensité, selon le temps, selon le lieu, selon les objets ou selon quelque chose de ce genre. C’est pourquoi il faut aussi concevoir un milieu pour elles. |
[11990] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3
qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod medium accipitur in aliquo dupliciter. Uno
modo ex comparatione ad extrema ejusdem rei, sicut medium in circulo; et tale
medium oportet quod aeque distet ab extremis. Alio modo ex comparatione ad
aliquam regulam extra; et tunc non oportet quod medium aeque distet ab
extremis, sed quod aequetur regulae: sicut patet quod quando secatur lignum
ad aliquam regulam, non semper tantum aufertur quantum dimittitur: et tale
medium est medium virtutis moralis, quae habet rectam rationem pro regula:
unde quandoque appropinquat plus uni extremo quam alteri, secundum quod
competit rationi rectae. |
2. On conçoit un milieu pour quelque chose de deux manières. Premièrement, par comparaison avec les extrêmes de la même chose, comme le milieu par rapport au cercle : il faut qu’un tel milieu soit à égale distance des extrêmes. Deuxièmement, par comparaison avec une règle extérieure : il n’est pas alors nécessaire que le milieu soit à égale distance des extrêmes, mais qu’il soit égal à la règle, comme il est clair que lorsqu’on coupe du bois selon une certaine règle, on n’en enlève pas toujours autant qu’on en rejette. C’est un tel milieu qu’est le milieu de la vertu morale : il a comme règle la raison droite. Aussi est-il parfois plus proche d’un extrême que de l’autre, selon que cela convient à la raison droite. |
[11991] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
virtus est extremum quo ad contrarietatem boni et mali: quia bonum hominis in
ratione consistit, et ita in extremo aequalitatis ad rationem; sed quantum ad
contrarietates circa quas est, virtus est in medio, sicut dicit philosophus
in 2 Ethic. |
3. La vertu est un point extrême pour ce qui est contraire entre le bien et le mal, car le bien de l’homme consiste dans la raison, et ainsi dans un point extrême d’égalité par rapport à la raison. Mais, pour ce qui est des aspects contraires sur lesquels elle porte, la vertu se situe au milieu, comme le dit le Philosophe dans Éthique, II. |
[11992] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
medium virtutis salvatur secundum adaequationem omnium circumstantiarum simul
ad rationem. Contingit autem in aliquibus virtutibus, quod adaequatis omnibus
aliis circumstantiis, non potest accipi extremum in altero: quia superfluum
non potest accipi in illo nisi ex comparatione aliarum circumstantiarum,
sicut in veritatis virtute patet: quia non potest homo nimis verum dicere, salvato
quod dicat verum quod debet, et quando et ubi et cui et ceteris. Sed
superfluum in hac circumstantia accipitur secundum excessum in aliis: qui
enim dicit verum quod non oportet, etiam nimis verum dicit. Et similiter etiam in magnanimitate est
ratione quanti, et similiter etiam in castitate: quia non potest homo nimis
abstinere, dummodo salventur aliae circumstantiae. |
4. Le milieu de la vertu est préservé selon un égal rapport à la raison de toutes les circonstances prises simultanément. Or, il arrive pour certaines vertus que, l’égalité existant pour toutes les autres circonstances, un extrême ne puisse être saisi pour une autre chose, car le superflu ne peut être saisi dans cette-chose que par comparaison avec les autres circonstances, comme cela ressort pour la vertu de vérité, car l’homme ne peut dire quelque chose de trop vrai, étant sauf qu’il dise la vérité qu’il doit [dire], et au moment, à l’endroit, à un tel, etc. Mais le superflu se prend dans cette circonstance selon l’excès dans les autres. En effet, celui qui dit une vérité qu’il ne doit pas [dire] dit quelque chose de trop vrai. De même en est-il pour la magnanimité en raison de la quantité, et de même encore pour la chasteté, car l’homme ne peut trop s’abstenir, pourvu que les autres circonstances soient sauvegardées. |
[11993] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod virtus dicitur medium dupliciter. Uno modo
ratione materiae circa quam est, inquantum adaequat eam rationi rectae; et
hoc per se convenit omni virtuti morali; et sic est medium per
participationem extremorum. Alio modo dicitur medium ratione habitus,
inquantum scilicet habitus virtutis est medium inter habitus duarum
malitiarum; et hoc est medium per abnegationem extremorum; et hoc accidit
virtuti, nec oportet quod sit in omnibus virtutibus; et propter hoc non
oportet quod justitiae habitus sit medius inter duas malitias, ut in 5 Ethic.
dicitur, sed quod medium attingat in materia sua. |
5. La vertu est appelée un milieu de deux manières. Premièrement, en raison de la matière sur laquelle elle porte, pour autant qu’elle la rend égale à la raison droite. Cela convient à toute vertu morale, et ainsi elle est un milieu par partitipation aux extrêmes. Deuxièmement, elle est appelée un milieu en raison de l’habitus, pour autant que l’habitus de la vertu est un milieu entre les habitus de deux méchancetés. Cela est un milieu par négation des extrêmes, et cela se produit pour la vertu. Mais il n’est pas nécessaire que ce soit le cas pour toutes les vertus. Pour cette raison, il n’est pas nécessaire que l’habitus de la justice soit le milieu entre deux méchancetés, comme il est dit dans Éthique, V, mais qu’elle atteigne le milieu dans sa matière. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
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[11994] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in
justitia oportet esse non solum medium rationis, sed etiam rei: cujus ratio
est, quia justitia est circa operationes, et secundum ordinem ad alterum;
unde illum ad quem sunt operationes justitiae, accipiunt quasi regulam. Et ideo sicut passiones circa quas sunt
aliae virtutes oportet quod aequentur rationi; ita oportet quod operationes
circa quas est justitia, adaequentur illi ad quem est justitia; quod non
potest esse, nisi secundum rem tantum reddatur quantum ei debetur; et ideo
ibi est medium rei. Sed inter aliquos duos potest constitui aequalitas
dupliciter. Uno modo secundum quod utrisque aliquid reddendum est; et in hoc
constituit ei aequalitatem justitia distributiva, quae non dat aequale
utrique secundum quantitatem, sed secundum proportionem, quia utrique dat
quantum sibi debetur; et ideo medium in justitia distributiva dicitur esse
secundum proportionabilitatem geometricam, in qua salvatur eadem proportio,
sed non eadem quantitas; sicut sex est medium inter quatuor et novem: quia in
qua proportione se habet ad quatuor, scilicet in sesquialtera, in ipsa se
habet novem ad ipsum; quamvis novem excedant sex in tribus, et sex quatuor in
duobus. Alio modo constituitur aequalitas justitiae inter aliquos, inquantum
unus debet recipere ab alio propter hoc quod ille prius recipit ab isto: et
ad hoc est justitia commutativa. Et quia tantum debet secundum quantitatem
aliquis ab altero recipere quantum ei tribuit, ideo in hac specie justitiae
salvatur medium secundum proportionem arithmeticam, in qua salvatur eadem
quantitas; sicut tria est medium inter quatuor et duo, quia utrinque est
excessus in unitate. |
Pour la justice, il est nécessaire qu’existe non seulement un milieu selon la raison (medium rationis), mais un milieu objectif (medium rei). La raison en est que la justice porte sur des opérations dans leur rapport à quelqu’un d’autre. Aussi prennent-elles comme règle celui envers qui sont faites les opérations de la justice. C’est pourquoi, de même qu’il est nécessaire que les passions sur lesquelles portent les autres vertus soient égales à la raison, de même est-il nécessaire que les opérations sur lesquelles porte la justice soient égales à celui envers qui existe la justice, ce qui ne peut exister à moins qu’il ne lui soit objectivement (secundum rem) rendu autant qu’il lui est dû. C’est pourquoi il y a là un milieu objectif. Or, entre deux personnes, l’égalité peut être réalisée de deux manières. Premièrement, selon que quelque chose doit être rendu aux deux : c’est en cela que la justice distributive réalise pour eux l’égalité de la justice, qui ne donne pas également aux deux en quantité, mais selon une proportion, car elle donne aux deux autant qu’il leur est dû. Aussi dit-on que le milieu, dans la justice distributive, existe selon une proportionnalité géométrique, par laquelle est sauvegardée la même proportion, mais non la même quantité. Ainsi, six est le milieu entre quatre et neuf, car son rapport de proportion avec quatre, une fois et demie, est le même que celui que neuf a par rapport à lui, bien que l’écart entre neuf et six soit de trois unités, et, entre six [et quatre], de deux unités. Deuxièmement, l’égalité de la justice est établie entre certains pour autant que l’un doit recevoir d’un autre ce que celui-ci a d’abord reçu de celui-là : c’est ce sur quoi porte la justice distributive. Et parce que quelqu’un doit recevoir d’un autre en quantité autant qu’il lui a donné, dans cette espèce de justice, le milieu est sauvegardé selon une proportion arithmétique, par laquelle est préservée la même quantité. Ainsi, trois est le milieu entre quatre et deux, car il existe un écart d’une unité par rapport aux deux. |
[11995] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod in justitia est medium rationis, quod
et idem est medium rei. |
1. Dans la justice, il existe un milieu de la raison, qui est aussi le même que le milieu objectif. |
[11996] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in justitia non consideratur conditio
personae, nisi inquantum ex conditionibus personae variatur quantitas rei.
Qui enim percutit principem, majorem offensam facit; et ideo plus debet
puniri. Et similiter
etiam patet in justitia distributiva, quod diversitas personarum in
diversitatem rei redundat. |
2. Pour la justice, on ne prend pas en compte la condition de la personne, sauf dans la mesure où la quantité objective varie selon les conditions de la personne. En effet, celui qui frappe un dirigeant perpètre une offense plus grande ; il doit donc être puni davantage. De même, il est clair que, dans la justice distributive, la diversité des personnes rejaillit sur la diversité objective. |
[11997] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
in justitia incidit in idem rectificatio operationis et rectificatio rerum, ut dictum est. |
3. Pour la justice, la rectification de l’opération et la rectification objective sont la même chose. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
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[11998] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod bonum
virtutum intellectualium consistit in hoc quod verum dicatur. Veritas autem
consistit in quadam adaequatione intellectus et vocis ad rem. Et quia
aequalitas est medium inter majus et minus, ideo oportet quod bonum virtutis
intellectualis in medio consistat, ut scilicet dicatur de re hoc quod est. Si
autem excedat vel in plus vel in minus, erit falsum; quod se habet ad
virtutes intellectuales, sicut vitium ad morales; et hoc inquantum
intellectus absolute considerat; inquantum vero de uno in aliud discurrit,
accipitur medium non solum secundum commensurationem ad rem, sed secundum
commensurationem conclusionum ad principia, vel eorum quae sunt ad finem in
operativis. |
Le bien des vertus intellectuelles consiste en ce que le vrai soit exprimé. Or, la vérité consiste dans un certain ajustement de l’intellect et de la parole à la réalité. Et parce que l’égalité est le milieu entre ce qui est plus grand et ce qui est moins grand, il est donc nécessaire que le bien de la vertu intellectuelle consiste dans un milieu, à savoir qu’on dise d’une chose ce qu’elle est. Mais si on s’en écarte en plus ou en moins, ce sera faux, ce qui est pour les vertus intellectuelles comme le vice pour les vertus morales. Cela est le cas lorsque l’intellect examine de manière absolue. Mais lorsqu’il passe (discurrit) d’une chose à une autre, le milieu se prend non seulement selon la proportion par rapport à une chose, mais selon la proportion des conclusions par rapport aux principes ou, pour les actions, par rapport à ce qui se rapporte à la fin. |
[11999] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod, sicut dicit philosophus in 10
Metaph., mensura intellectus nostri est res; et ideo secundum quod adaequatur
rei, est rectum ipsius. Nihilominus et
principia sunt regula conclusionum, et intelligens est quodammodo regula
principiorum. |
1. Comme le dit le Philosophe dans Métaphysique, X, « la mesure de notre intellect est la réalité ». Sa droiture vient donc de son ajustement à la réalité. Néanmoins, les principes sont aussi la règle des conclusions, et celui qui intellige est, d’une certaine manière, la règle des principes. |
[12000] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod contrarietas passionum accedit ad medium
virtutis moralis; unde circa iram, quae non habet passionem oppositam, est
medium virtutis moralis secundum plus et minus in ipsa eadem passione. |
2. Le caractère contraire des passions s’approche du milieu de la vertu morale. Ainsi, dans le cas de la colère, qui n’a pas de passion opposée, le milieu de la vertu morale se prend-il selon le plus et le moins de la passion elle-même. |
[12001] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod extrema in virtutibus intellectualibus non
accipiuntur secundum magnum et parvum intelligibile: sed extremum in plus
est, quando attribuitur aliquid alicui quod non inest ei; extremum autem in
minus, quando removetur ab eo quod ei inest. Utroque autem modo falsum
contingit; verum autem, quando dicitur inesse quod inest, aut non inesse quod
non inest; et haec extrema corrumpunt non substantiam, sed veritatem
intellectus. |
3. Les extrêmes pour les vertus intellectuelles ne se conçoivent pas selon un objet intelligible grand et petit, mais l’extrême en plus existe lorsqu’on attribue à une chose ce qui ne s’y trouve pas, et l’extrême en moins, lorsqu’on lui enlève ce qui s’y trouve. Or, la fausseté survient des deux manières. Mais [il y a] vérité lorsqu’on dit que se trouve dans une chose ce qui y existe, ou que ne s’y trouve pas ce qui n’y existe pas. Et ces extrêmes ne corrompent pas la substance, mais la vérité de l’intelligence. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la
sous-question 4
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[12002] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod medium in omnibus
virtutibus quae habent medium, accipitur ex hoc quod virtus attingit in
materia propria illud quod est aequale, et competens mensura. Unde si esset
aliqua virtus quae haberet mensuram ipsam pro materia, non essent ibi extrema
nec medium; sed bonum illius virtutis esset simpliciter attingere mensuram
illam, sicut si alicujus virtutis materia esset veritas. Omnium autem prima
mensura est ipse Deus, sicut etiam ipse philosophus, in 10 Metaph., dicit.
Unde virtutes theologicae, quae habent Deum pro objecto, qui est ultimus
finis, a quo omnia mensurantur, non possunt habere rationem medii, cum in
materia illa non sit accipere extrema: sicut etiam in his quae conjuncta sunt
malo fini, non potest accipi medium. |
Le milieu pour toutes les vertus qui ont un milieu vient de ce que la vertu atteint dans sa matière propre ce qui est égal et une mesure adéquate. Donc, s’il existait une vertu qui avait sa propre mesure comme matière propre, il n’y aurait pas là d’extrêmes ni de milieu, mais le bien de cette vertu consisterait simplement à atteindre cette mesure, comme si la matière d’une vertu était la vérité. Or, la première mesure de toutes choses est Dieu lui-même, comme même le Philosophe le dit dans Métaphysique, X. Aussi les vertus théologales, qui ont Dieu pour objet, lui qui est la fin ultime à partir de qui toutes choses sont mesurées, ne peuvent-elles donc posséder la raison de milieu, puisqu’on ne peut concevoir d’extrêmes en cette matière. Dans le cas aussi de ce qui est uni à une fin mauvaise, on ne peut concevoir de milieu. |
[12003] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio recta non est ad hoc quod in
materia illa vitentur extrema, in qua superfluum esse non potest. |
1. La raison droite ne consiste pas en ce que, dans cette matière, soient evités les extrêmes, alors qu’un superflu ne peut exister en elle. |
[12004] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fides est virtus theologica, inquantum
adhaeret primae veritati; et ex hac parte non potest in ipsa medium esse (non
enim potest nimis Deo adhaerere): sed ex parte illa qua aliquid affirmat vel
negat veritati primae adhaerens, ibi est medium, quia secundum hoc habet
similitudinem cum virtutibus intellectualibus. |
2. La foi est une vertu théologale pour autant qu’elle adhère à la Vérité première. De ce point de vue, il ne peut exister de milieu en elle (en effet, elle ne peut trop adhérer à Dieu). Mais, du point de vue où elle affirme ou nie quelque chose en adhérant à la Vérité première, il existe un milieu, car, sous cet aspect, elle a une ressemblance avec les vertus intellectuelles. |
[12005] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 3 Et similiter dicendum ad tertium, quod spes non habet medium, secundum
quod Deo adhaeret, sed ex parte subjecti. |
3. L’espérance ne comporte pas de milieu selon qu’elle adhère à Dieu, mais [elle en comporte] du point de vue de son sujet. |
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Articulus 4 [12006] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a.
4 tit. Utrum virtutes
morales maneant in patria |
Article 4 – Les vertus morales demeurent-elles dans la patrie ? |
[12007] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic
proceditur. Videtur quod
virtutes morales non maneant in patria. Fides enim et spes sunt nobiliores
quam virtutes morales. Sed fides et spes evacuantur. Ergo et morales
virtutes. |
1. Il semble que les vertus morales ne demeurent pas dans la patrie. En effet, la foi et l’espérance sont plus nobles que les vertus morales. Or, la foi et l’espérance sont éliminées. Donc aussi, les vertus morales. |
[12008] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, virtutes
morales perficiunt in vita activa. Sed haec vita
cessabit in patria, in qua erit tantum contemplatio. Ergo et virtutes morales non erunt in
patria. |
2. Les vertus morales perfectionnent pour la vie active. Or, cette vie cessera dans la patrie, où n’existera que la contemplation. Les vertus morales aussi n’existeront donc pas dans la patrie. |
[12009] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, virtutes morales quaedam sunt circa passiones. Sed hae non
erunt in patria. Ergo nec
virtutes morales. |
3. Certaines vertus morales portent sur les passions. Or, celles-ci n’existeront pas dans la patrie. Donc, ni les vertus morales. |
[12010] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, fortitudo et temperantia sunt in irascibili et
concupiscibili. Sed, secundum quosdam, vires sensibiles non remanebunt in
anima separata. Ergo nec
temperantia et fortitudo. |
4. La force et la tempérance se trouvent dans l’irascible et le concupiscible. Or, selon certains, les puissances sensibles ne demeureront pas dans l’âme séparée. Donc, ni la tempérance et la force. |
[12011] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, in patria
erimus sicut Angeli Dei; Matth. 22. Sed derisibiles videntur qui ponunt castitatem et
sobrietatem in Angelis, quos deos nominat philosophus in 10 Metaph. Ergo nec
in nobis erunt. |
5. Dans la patrie, nous serons comme les anges de Dieu, Mt 22. Or, ceux qui attribuent la chasteté et la sobriété chez les anges, que le Philosophe appelle des dieux, Métaphysique, X, paraissent risibles. Elles n’existeront donc pas non plus chez nous. |
[12012] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 arg. 6 Praeterea, patientia
est valde nobilis virtus, quia ipsa opus perfectum habet. Sed non remanebit
in patria nisi quantum ad fructum, ut Augustinus dicit in Lib. de patientia. Ergo nec aliae morales
virtutes. |
6. La patience est une vertu très noble, car elle mène une œuvre à son terme (Jc 1, 4). Or, elle ne demeurera dans la patrie que pour son fruit, comme le dit Augustin dans le livre Sur la patience. Donc, ni les autres vertus morales. |
[12013] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, istae
virtutes plenissime fuerunt in Christo. Sed illae virtutes quae evacuantur in patria, non fuerunt in
Christo, ut fides et spes. Ergo virtutes istae non evacuantur. |
Cependant, [1] ces vertus ont existé chez le Christ dans la plus grande plénitude. Or, les vertus qui sont éliminées dans la patrie n’ont pas existé chez le Christ, telles la foi et l’espérance. Ces vertus ne sont donc pas éliminées [dans la patrie]. |
[12014] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, Sap. 1, 15: justitia est perpetua et immortalis. Sed non minus est
necessaria ordinatio hominis ad seipsum quam ordinatio ad alterum quae est
per justitiam. Ergo et aliae virtutes morales manent in patria. |
[2] Sg 1, 15 : La justice est perpétuelle et immortelle. Or, le juste rapport de l’homme à lui-même n’est pas moins nécessaire que le juste rapport à l’autre, qui est le fait de la justice. Les autres vertus morales demeurent donc dans la patrie. |
[12015] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, in patria erunt
homines Deo conformes. Sed hae virtutes in Deo sunt exemplares, ut dicit
Macrobius. Ergo et in sanctis erunt aliquo modo. |
[3] Dans la patrie, les hommes seront semblables à Dieu. Or, ces vertus existent en Dieu comme des modèles, ainsi que le dit Macrobe. Elles existeront donc aussi de quelque manière chez les saints. |
[12016] Super Sent., lib.
3 d. 33 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod quaelibet virtutum praedictarum habet duos actus: unum quem exercet
circa propriam materiam; alium quem habet quando pervenit ad finem: sicut
fortis dum est in periculo pugnae, exercet actum qui est circa materiam
propriam, scilicet timores et audacias: sed quando jam domum victor
revertitur, habet hunc actum qui est gaudere de victoria per pugnam
praecedentem adepta. Dictum est
autem art. 2, quaest. 3, quod virtutes morales quaedam sunt infusae, et
quaedam acquisitae, et quod acquisitae dirigunt in vita civili; unde habent
bonum civile pro fine. Et quia haec civilitas non remanebit in patria, ideo
non remanebit eis aliquis actus, nec circa finem, nec circa materiam
propriam, secundum quam tendunt ad finem; et ideo habitus tollentur. Virtutes
autem infusae morales perficiunt in vita spirituali, secundum quam homo est
civis civitatis Dei, et membrum corporis Christi, quod est Ecclesia; et haec
quidem civilitas in futuro non evacuabitur, sed perficietur. Unde remanebunt
istis virtutibus actus qui sunt circa finem proximum uniuscujusque virtutis,
et ideo remanebunt habitus virtutum moralium infusarum. |
Réponse. Chacune des vertus mentionnées comporte deux actes : l’un qu’elle
exerce sur sa matière propre ; l’autre qu’elle possède lorsqu’elle est
parvenue à la fin. Ainsi, le fort, lorsqu’il est au milieu des dangers du
combat, exerce l’acte qui porte sur la matière propre : les craintes et
les audaces ; mais, lorsqu’il
revient chez lui comme vainqueur, il possède l’acte qui consiste à se réjouir
de la victoire obtenue par le combat précédent. Or, on a dit à la
q. 3, a. 2, que certaines vertus morales sont infuses et
certaines sont acquises, et que les vertus acquises dirigent pour la vie
civile ; elles ont donc le bien civil comme fin. Et parce que la vie
civile ne demeurera pas dans la patrie, elles ne garderont pas d’acte portant
sur la fin ou sur leur matière propre, par lequel elles tendent vers la fin.
C’est pourquoi les habitus seront enlevés. Mais les vertus morales infuses
perfectionnent pour la vie spirituelle, selon laquelle l’homme est citoyen de
la cité de Dieu et membre du corps du Christ, qui est l’Église. Or, cette
citoyenneté ne sera pas éliminée à l’avenir, mais elle sera perfectionnée.
Les actes qui portent sur la fin prochaine de toutes les vertus demeureront
donc pour ces vertus ; c’est pourquoi les habitus des vertus morales
infuses demeureront. |
[12017] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod fides et spes sunt nobiliores
moralibus virtutibus ratione objecti. Sed quia habent essentialiter annexam
imperfectionem respectu sui objecti, quae non est annexa virtutibus
moralibus; ideo non oportet quod morales evacuentur, sicut spes et fides. |
1. La foi et l’espérance sont plus nobles que les vertus morales en raison de leur objet. Mais parce qu’elles comportent une imperfection par rapport à leur objet qui leur est associée de manière essentielle, [imperfection] qui n’est pas associée aux vertus morales, il n’est donc pas nécessaire que les vertus morales soient éliminées, comme la foi et l’espérance. |
[12018] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod virtutes quae perficiunt in vita activa, etiam acquisitae, non
oportet quod tollantur, cum aliquis se transfert ad vitam contemplativam; sed
habent alios actus, inquantum pertingunt ad finem proximum, quia
contemplativa vita est finis activae. Et ideo distinguit Macrobius harum
virtutum tres gradus, secundum quod sunt in hominibus. Sunt enim politicae,
secundum quod homo per eas in civilibus operibus rectificatur; purgatoriae
autem, secundum quod civilibus utens ad quietem contemplationis aliquis
anhelat; sed dicuntur purgati animi, inquantum aliquis abjecto omni exercitio
civilis vitae, quieti contemplationis totum se tribuit. Et in hoc statu dicit quod actus
temperantiae est cupiditatem non jam refrenare, sed penitus oblivisci;
fortitudinis autem passiones ignorare, non vincere; et sic de aliis. |
2. Il n’est pas nécessaire que les vertus qui perfectionnent pour la vie active, même les [vertus] acquises, soient enlevées lorsque quelqu’un passe à la vie contemplative ; mais elles ont d’autres actes, dans la mesure où elles atteignent leur fin prochaine, car la vie contemplative est la fin de la vie active. C’est pourquoi Macrobe à distingué trois degrés dans ces vertus, selon qu’elles existent chez les hommes. En effet, elles sont politiques selon que la droiture de l’homme est assurée par elles en matière civile ; purificatrices, selon que, par l’usage des réalités civiles, quelqu’un aspire au repos de la contemplation ; mais on dit qu’elles sont le fait de l’esprit purifié, pour autant que, après avoir rejeté tout exercice de la vie civile, quelqu’un se livre entièrement au repos de la contemplation. Et il dit que, dans cet état, l’acte de la tempérance consiste, non pas à réfréner la cupidité, mais à l’oublier tout simplement ; l’acte de la force, non pas à vaincre, mais à ignorer complètement les passions. Et ainsi de suite pour les autres. |
[12019] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quantum ad actus quos habent circa materias
proprias, non remanebunt, sed secundum actus quos habent in fine adepto, qui
est a passionum tumultibus quietari. |
3. Elles ne demeureront pas [dans la patrie] selon les actes qu’elles ont par rapport à leurs matières propres, mais selon les actes qu’elles auront lorsque la fin sera atteinte, qui consiste à se reposer du tumulte des passions. |
[12020] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quidam dicunt, quod vires sensibiles non
manent actu in anima separata, dicunt tamen, quod manent in essentia animae
sicut in radice: et similiter etiam manent habitus virtutum inferioris
partis, sicut in radice, in virtutibus quae sunt in ratione, et in ipsa
gratia. |
4. Certains disent que les puissances sensibles ne demeurent pas en acte dans l’âme séparée ; cependant, certains disent qu’elles demeurent dans l’essence de l’âme comme dans leur racine. De même aussi, les habitus des vertus de la partie inférieure demeurent-elles comme dans leur racine dans les vertus qui se trouvent dans la raison et dans la grâce elle-même. |
[12021] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod istae virtutes sunt in Angelis alio modo
quam in hominibus, etiam in patria: quia homines perpessi sunt hujusmodi
passiones, quae per dictas virtutes refrenantur, vel naturam habent ut
perpeti possint; quod non est de Angelis. Unde in Angelis et in Deo sunt sicut
exemplares; in hominibus autem sicut virtutes purgati animi in patria. Tamen sciendum, quod philosophus loquitur
de virtutibus acquisitis, quae perficiunt hominem in vita civitatis terrenae,
in qua vita non habemus cum Angelis aliquam communicationem: unde non est
simile de illis virtutibus quae perficiunt in vita civitatis Dei, quae
constituitur ex Angelis et hominibus. |
5. Ces vertus existent chez les anges d’une autre manière que chez les hommes, même dans la patrie, car les hommes ont souffert de ces passions qui sont réfrénées par les vertus mentionnées ou ont une nature telle qu’ils peuvent en souffrir, ce qui n’est pas le cas des anges. Elles existent donc chez les anges et en Dieu comme des modèles, mais, chez les hommes, comme des vertus de l’âme purifiée dans la patrie. Il faut cependant savoir que le Philosophe parle des vertus acquises qui perfectionnent l’homme pour la vie de la cité terrestre, vie dans laquelle nous n’avons rien en commun avec les anges. Aussi n’est-ce pas la même chose pour les vertus qui perfectionnent pour la vie de la cité de Dieu, qui est constituée des anges et des hommes. |
[12022] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod patientia dicitur non manere quantum ad actum
quem habet circa mala tolerabilia; manet tamen habitus, et actus quem habet
in quiete finis proprii. |
6. On dit que la patience ne demeure pas quant à son acte pour les maux qui doivent être supportés ; cependant, l’habitus demeure, ainsi que l’acte qu’il a dans le repos en sa fin propre. |
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Quaestio 2 |
Question
2 – [Les vertus cardinales]
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Prooemium |
Prologue |
[12023] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 pr. Deinde quaeritur specialiter de virtutibus cardinalibus: 1 quae et
quot debent dici cardinales; 2 de materiis et objectis earum, 3 de actibus; 4
de subjectis; 5 quae ipsarum sit principalior. |
Ensuite, on s’interroge sur les vertus cardinales : 1. Quelles vertus doivent être appelées cardinales et quel en est le nombre ? 2. Leurs matières et leurs objets. 3. Leurs actes. 4. Leurs sujets. 5. Quelle est la principale ? |
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Articulus 1 [12024] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a.
1 tit. Utrum aliquae
virtutes debeant dici cardinales |
Article 1 – Doit-on appeler cardinales certaines vertus ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 –
[Doit-on appeler cardinales certaines vertus ?]
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[12025] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod nullae
virtutes debeant dici cardinales. Quia eaedem virtutes quae cardinales dicuntur,
dicuntur etiam generales: unde et Tullius eis partes assignat. Sed virtutes
sunt distinctae ab invicem; ut dictum est. Ergo videtur quod non debeant dici
cardinales. |
1. Il semble qu’aucune vertu ne doive être appelée cardinale, car les mêmes vertus qui sont appelées cardinales sont aussi appelées générales ; aussi Tullius [Cicéron] leur attribue-t-il des parties. Or, les vertus sont distinctes les unes des autres, comme on l’a dit. Il semble donc qu’on ne doive pas les appeler cardinales. |
[12026] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ea quae dividuntur ab invicem, sunt simul, secundum philosophum; et ita unum non est principalius
altero. Sed virtutes condividunt ab invicem genus virtutis. Ergo una non est
principalior altera; et ita nec una debet dici cardinalis respectu alterius. |
2. Une chose divisée par rapport à une autre existe en même temps, selon le Philosophe ; et ainsi, l’une ne joue pas le rôle de principe par rapport à l’autre. Or, les vertus se répartissent entre elles le genre de la vertu. L’une ne joue donc pas le rôle de principe par rapport à une autre. Ainsi ne doit-on pas en appeler une cardinale par rapport à une autre. |
[12027] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, virtutes dividuntur contra vitia. Sed vitia principalia non
dicuntur cardinalia, sed capitalia. Ergo virtutes principales debent dici
capitales, et non cardinales. |
3. Les vertus sont opposées aux vices. Or, les vices principaux ne sont pas appelés cardinaux, mais capitaux. Les vertus principales doivent donc être appelées capitales, et non cardinales. |
[12028] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, si dicuntur cardinales, quia eis pervenitur ad vitam
aeternam, ut dicitur in littera; eadem ratione omnes virtutes sunt dicendae
cardinales, quia omnibus vitam meremur. |
4. Si on les appelle cardinales parce que, par elles, on parvient à la vie éternelle, comme on le dit dans le texte, pour la même raison, toutes les vertus doivent être appelées cardinales, car nous méritons la vie par elles. |
[12029] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in littera. |
Cependant, ce que le texte dit s’oppose à cela. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 –
[D’autres vertus devraient-elles être plutôt appelées cardinales ?]
|
[12030] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod morales virtutes non debeant dici cardinales,
sed aliae. Quia theologicae virtutes propinquiores sunt fini, quia habent
finem ultimum pro objecto. Cum ergo finis sit principium in operativis
secundum philosophum 7 Ethic., virtutes theologicae erunt principaliores: et
ita ipsae magis debent dici cardinales. |
1. Il semble que des vertus morales ne doivent pas être appelées cardinales, mais d’autres [vertus], car les vertus théologales sont plus rapprochées de la fin, puisqu’elles ont la fin ultime comme objet. Puisque la fin est le principe en matière d’action, selon le Philosophe, Éthique, VII, les vertus théologales seront donc plus importantes, et ainsi ce sont elles qui doivent plutôt être appelées cardinales. |
[12031] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, caritas dicitur radix virtutum, fides autem fundamentum,
spes vero anchora. Sed quae est proportio radicis ad arborem, et fundamenti
ad domum, et anchorae ad navem, eadem est proportio cardinis ad ostium. Ergo virtutes theologicae possunt dici
cardinales, sicut et morales. |
2. La charité est appelée la racine des vertus, mais la foi, le fondement, et l’espérance, l’ancre. Or, la proportion entre la racine et l’arbre, le fondement et la maison, et l’ancre et le bateau est la même que la proportion du gond (cardinis) par rapport à la porte. Les vertus théologales peuvent donc être appelées cardinales, comme certaines vertus morales. |
[12032] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, virtutes intellectuales sunt nobiliores virtutibus
moralibus: quia perficiunt in vita contemplativa, quae est nobilior activa.
Ergo virtutes intellectuales magis debent dici cardinales quam morales. |
3. Les vertus intellectuelles sont plus nobles que les vertus morales, car elles perfectionnent pour la vie contemplative, qui est plus noble que la vie active. Plutôt que des vertus morales, les vertus intellectuelles doivent donc être appelées cardinales. |
[12033] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, una sola de cardinalibus hic
enumeratis intellectualis est, scilicet prudentia, quae moralis est aliquo
modo. Ergo virtutes
cardinales magis sunt in genere moralium quam intellectualium virtutum. |
Cependant, une seule des vertus cardinales énumérées ici est une vertu intellectuelle : la prudence, qui est d’une certaine manière une vertu morale. Les vertus cardinales se trouvent donc plutôt dans le genre des vertus morales que des vertus intellectuelles. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 –
[Quel est le nombre des vertus cardinales ?]
|
[12034] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debeant dici tot virtutes cardinales in hoc
numero. Quia virtutes istae sunt in tribus viribus animae. Sed inter eas est
una tantum principalis, scilicet rationalis. Ergo et inter virtutes est
tantum una cardinalis. |
1. Il semble qu’on ne doive pas dire qu’il existe autant de vertus cardinales que le nombre [indiqué dans le texte], car ces vertus se trouvent dans trois puissances de l’âme. Or, une seule d’entre elles est principale : la [puissance] raisonnable. Il n’y a donc qu’une seule vertu cardinale parmi les vertus. |
[12035] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, si virtutes dicuntur eaedem generales et cardinales;
generales autem sunt tantum duae, scilicet justitia et prudentia, ut dictum
est prius videtur etiam quod tantum sint duae cardinales. |
2. Si les mêmes vertus sont appelées générales et cardinales, et qu’il n’y a que deux vertus générales : la justice et la prudence, comme on l’a dit plus haut, il semble aussi qu’il n’y ait que deux vertus cardinales. |
[12036] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, in qualibet vi est aliquid principalissimum invenire eorum
quae ad illam vim pertinent. Si ergo vires sunt tres, in quibus sunt virtutes, videtur quod etiam
tantum tres debeant esse virtutes cardinales. |
3. En toute puissance, on trouve quelque chose qui est le plus important de ce qui relève de cette puissance. Si donc il existe trois puissances dans lesquelles se trouvent des vertus, il semble aussi qu’il ne doive y avoir que trois vertus cardinales. |
[12037] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 4 Sed contra, videtur quod debeant esse plures quam quatuor. Quia
virtutes vitiis opponuntur. Sed vitia capitalia sunt septem. Ergo et virtutes
cardinales debent esse septem. |
Cependant, [4] il semble qu’il doive y en avoir plus que quatre, car les vertus s’opposent aux vices. Or, il y a sept vices capitaux. Il doit y avoir aussi sept vertus cardinales. |
[12038] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 5 Praeterea, in rationali ponuntur duae virtutes cardinales, prudentia
scilicet, et justitia. Ergo similiter in qualibet aliarum virium debent poni
duae virtutes cardinales; et ita, cum vires sint tres, erunt sex cardinales
virtutes. |
[5] Dans la partie rationnelle, on situe deux vertus cardinales : la prudence et la justice. De la même manière, doit-on placer deux vertus cardinales dans toutes les autres puissances, et ainsi, puisqu’il existe trois puissances, il y aura six vertus cardinales. |
[12039] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 6 Praeterea, sicut prudentia est perfectio rationis practicae, ita et
ars. Sed rationis practicae rectitudo et veritas consistit, ut dicitur in 6
Ethic., in conformitate ad appetitum rectum; quod fit per virtutes morales,
ut dictum est. Ergo sicut prudentia inter virtutes morales ponitur cardinalis
virtus, ita et ars mechanica poni debet. |
[6] De même que la prudence est une perfection de la raison pratique, de même aussi l’art. Or, ainsi qu’il est dit dans Éthique, VI, la droiture et la vérité de la raison pratique consistent dans la conformité à l’appétit droit, ce qui se réalise par les vertus morales, comme on l’a dit. De même que la prudence est mise comme une vertu cardinale parmi les vertus morales, de même aussi l’art mécanique doit-il donc y être mis. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 –
[D’autres vertus morales que celles mentionnées dans le texte devraient-elles
plutôt être cardinales ?]
|
[12040] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod aliae virtutes magis debeant esse cardinales
quam istae. Quia unumquodque denominatur a principaliori quod est in ipso, ut
dicit philosophus in 2 de anima. Sed vis irascibilis denominatur ab ira. Ergo
cum mansuetudo sit contra iram, fortitudo autem contra timores et audacias,
quae sunt etiam passiones irascibilis; videtur quod mansuetudo sit magis
virtus cardinalis quam fortitudo. |
1. Il semble que d’autres vertus que [celles mentionnées dans le texte] devraient être cardinales, car chaque chose tire son nom de ce qui est le plus important en elle, comme le dit le Philosophe dans Sur l’âme, II. Or, la puissance irascible tire son nom de la colère. Puisque la douceur s’oppose à la colère et la force aux craintes et aux audaces, qui sont aussi des passions de l’irascible, il semble donc que la douceur soit davantage une vertu cardinale que la force. |
[12041] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, illud quod est magnum in quolibet genere, est principalius
in illo genere. Sed magnanimitas operatur magna in omnibus virtutibus, ut
dicit philosophus in 4. Ergo
videtur quod magnanimitas sit magis cardinalis quam fortitudo, quia utraque
est in irascibili. |
2. Ce qui est grand en chaque genre est ce qui est le plus important dans ce genre. Or, la magnanimité réalise de grandes choses dans toutes les vertus, comme le dit le Philosophe au livre IV [de l’Éthique]. Il semble donc que la magnanimité plutôt que la force soit une vertu cardinale, car les deux sont dans l’irascible. |
[12042] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, virtus cardinalis dicitur in qua aliae virtutes firmantur.
Sed humilitas est firmamentum omnium virtutum: quia, sicut dicit Gregorius,
qui ceteras virtutes sine humilitate congregat, quasi pulverem in ventum
portat. Ergo videtur
quod humilitas praecipue esse debeat cardinalis. |
3. On appelle vertu cardinale celle sur laquelle les autres vertus sont appuyées. Or, l’humilité est l’appui de toutes les vertus, car, ainsi que le dit Grégoire, « celui qui rassemble les autres vertus sans l’humilité expose pour ainsi dire de la poussière au vent ». Il semble donc que surtout l’humilité doive être cardinale. |
[12043] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 4 Praeterea, poenitentia
omnes defectus ad perfectum revocat. Sed aliae virtutes defectus singulares
removent. Ergo, cum poenitentia sit quaedam virtus, ut dicit Ambrosius,
videtur quod ipsa potissime debeat dici cardinalis. |
4. La pénitence ramène toutes les carences à la perfection. Or, les autres vertus enlèvent des carences particulières. Puisque la pénitence est une vertu, comme le dit Ambroise, il semble donc que ce soit elle qui doive plutôt être appelée cardinale. |
[12044] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 arg. 5 Praeterea, magis est laudabile dare aliquid de proprio quam reddere
alienum. Sed liberalitas propria largitur, justitia autem unicuique quod suum
est reddit. Ergo liberalitas magis debet esse cardinalis virtus quam
justitia. |
5. Il est plus louable de donner quelque chose qui nous appartient que de rendre ce qui appartient à un autre. Or, la libéralité distribue ce qui nous est propre, mais la justice rend à chacun ce qui lui appartient. La libéralité doit donc être appelée une vertu cardinale plutôt que la justice. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
|
[12045] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam
quaestionem, quod virtutes quatuor quae hic enumerantur, dicuntur generales,
et principales, et cardinales. Quia enim principium cujuslibet rei est
potissima pars ejus, etiam plus quam dimidium, ut dicitur in 1 Ethic., ideo
illud quod est potissimum in quolibet genere, dicitur principale in genere
illo. Et quia
habitus pensatur ex actibus, et actus ex objectis sive materia; ideo virtutes
principales dicuntur quae sunt circa illud quod est potissimum in materia vel
materiis virtutum; sicut potissimum in illis quae ad concupiscibilem
pertinent, sunt delectationes secundum tactum; unde temperantia, quae est
circa illas delectationes, est virtus principalis; et eutrapelia, quae est
circa delectationes quae sunt in ludis, est virtus secundaria: sicut ars ad
quam pertinet finis navis, qui est navigatio, scilicet gubernatoria, est
principalis respectu illius artis quae facit navem, quia finis est potissimum
in unoquoque; et in arte quae facit navem, est principalior illa quae inducit
formam quam quae praestat materiam. Et quia ad illud quod est potissimum in
qualibet re, ordinantur omnia quae sunt illius rei; ideo virtutes et artes
principales movent secundum suum imperium virtutes et artes secundarias ad
actus proprios, sicut ars gubernatoria imperat ei quae facit navem; et ex hoc
dicitur architectonica respectu ejus, quasi princeps ipsius. Et quia actus
moti fundantur super actione moventis, ideo actus secundariae virtutis
fundantur super actione principali, sicut fundatur super cardinem motus
ostii; et ideo virtus principalis dicitur esse cardinalis, et virtus
secundaria dicitur adjuncta illi. Omne autem quod movetur ab aliquo, agit in
virtute moventis sicut instrumentum ejus: et ideo etiam motus virtutis
cardinalis participatur quodammodo in virtutibus adjunctis: et secundum hoc
virtus cardinalis dicitur generalis, inquantum pluribus virtutibus adjuncta;
dicitur pars ejus, inquantum modum suum participat. |
Les quatre vertus énumérées ici sont appelées générales, principales et cardinales. En effet, parce que le principe de chaque chose est sa partie la plus importante, plus même que la partie médiane, ainsi qu’il est dit dans Éthique, I, ce qui est plus important dans chaque genre est appelé principal dans ce genre. Et parce que les habitus sont évalués à partir des actes, et les actes à partir des objects ou de la matière, on appelle donc vertus principales celles qui portent sur ce qui est le plus important dans la matière ou les matières des vertus. Ainsi, ce sont les plaisirs du toucher qui sont les plus importants dans ce qui se rapporte au concupiscible ; la tempérance, qui porte sur ces plaisirs, est donc la vertu principale, et l’eutrapélie, qui porte sur les plaisirs des jeux, est une vertu secondaire, comme l’art de gouverner, dont relève la fin d’un navire, qui est la navigation, est principal par rapport à l’art qui réalise le navire, puisque la fin est ce qu’il y a de plus important en tout. Et, dans l’art qui réalise le navire, l’art principal est celui qui donne la forme plutôt que celui qui fournit la matière. Et parce que tout ce qui relève d’une chose est ordonné à ce qui est le plus important en chaque chose, les vertus et les arts principaux meuvent par leur commandement les vertus et les arts secondaires vers leurs actes propres, comme l’art de gouverner commande à celui qui réalise le navire. Pour cette raison, on l’appelle architectonique par rapport à celui-ci, comme s’il en était le dirigeant. Et parce que les actes mus se fondent sur l’action de ce qui meut, les actes d’une vertu secondaire se fondent donc sur l’action principale, comme le mouvement d’une porte s’appuie sur le gond. C’est pourquoi la vertu principale est appelée cardinale et on dit que la vertu secondaire lui est associée. Or, tout ce qui est mû par quelque chose agit par la puissance de ce qui meut en tant que son instrument. Aussi, même les vertus associées participent-elles d’une certaine manière au mouvement d’une vertu cardinale. Sous cet aspect, la vertu cardinale est appelée générale, pour autant qu’elle est associée à plusieurs vertus ; celles-ci sont appelées ses parties pour autant qu’elles participent à son mode. |
[12046] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod non dicuntur generales per
praedicationem, sed per quamdam participationem, ut dictum est; unde eis non
assignantur species, sed partes. |
1. Elles ne sont pas appelées générales par prédication, mais selon une certaine participation, comme on l’a dit. Aussi ne leur assigne-t-on pas des espèces, mais des parties. |
[12047] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ea quae dividunt aliquod commune univocum,
sunt simul quantum ad intentionem generis, quamvis unum possit esse causa
alterius quantum ad esse, sicut motus localis est causa aliorum motuum contra
quos dividitur. Sed ea quae dividunt aliquod commune analogum se habent
secundum prius et posterius etiam quantum ad intentionem communis quod
dividitur, sicut patet de substantia et accidente. Unde ex hoc quod una
virtus condividitur alteri, non oportet quod una non sit altera principalior. |
2. Ce en quoi se répartit quelque chose de commun univoque existe simultanément pour ce qui est du genre, bien que l’un puisse être la cause de l’autre du point de vue de l’être, comme le mouvement local est la cause des autres mouvements dont il se distingue. Mais ce en quoi se répartit quelque chose de commun analogue comporte quelque chose d’antérieur et de postérieur, même pour ce qui est de l’intention de la réalité commune qui est divisée, comme cela ressort pour la substance et l’accident. Aussi, du fait qu’une vertu se distingue d’une autre, il n’est pas nécessaire que l’une ne soit pas principale par rapport à une autre. |
[12048] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod perfectio peccatorum non est per ordinem ad
finem, sed magis per aversionem a fine debito: unde motus peccatorum non
assimilantur ostio, per quod intratur in domum: et ideo peccata principalia
non assimilantur cardini; unde non dicuntur cardinalia, sed capitalia tantum,
ex hoc quod important quosdam actus aliorum. |
3. La perfection des péchés ne se prend pas de leur ordre à la fin, mais plutôt de leur détournement (aversionem) par rapport à la fin due. Aussi les mouvements des péchés ne ressemblent-ils pas à une porte par laquelle on entre dans une maison. C’est pourquoi les péchés principaux ne sont pas assimilés à un gond. Ils ne sont donc pas appelés cardinaux, mais seulement capitaux du fait qu’ils comportent les actes d’autres [péchés]. |
[12049] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis omnes virtutes gratuitae introducant
ad regnum caelorum, ex hoc tamen non nanciscuntur nomen cardinis, sed ostii. Illae autem virtutes quibus ad aeternam
vitam pervenitur et super eas aliarum virtutum motus fundantur, dicuntur
proprie cardinales. |
4. Bien que toutes les vertus gratuites introduisent dans le royaume des cieux, elles ne tirent cependanr pas de là le nom de gond, mais de porte. Mais les vertus par lesquelles on parvient à la vie éternelle et sur lesquelles se fondent les mouvements des autres vertus sont appelées cardinales au sens propre. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
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[12050] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod
virtutes cardinales dicuntur, ut dictum est, ad similitudinem cardinis, in
quo motus ostii firmatur. De ratione autem ostii est ut per ipsum interiora
domus adeantur; et ideo illud per quod non est motus in aliquid ulterius, non
habet rationem ostii. Virtutes autem theologicae, cum sint circa finem
ultimum, non est aliquid aliud ulterius ex parte objecti in quod tendant;
unde in virtutibus theologicis non invenitur ratio ostii, et propter hoc non
possunt dici cardinales; similiter nec in virtutibus intellectualibus; quia
perficiunt in vita contemplativa, quae non ordinatur ulterius ad alteram
vitam, sed activa ad ipsam ordinatur. Unde cum virtutes morales perficiant in
vita activa, et habeant actus suos non circa finem ultimum, sed circa
objectum, ex utraque parte manet in eis ratio ostii; et propter hoc
cardinales virtutes inveniuntur solum in genere moralium. |
Comme on l’a dit, on parle de vertus cardinales par ressemblance avec le gond sur lequel s’appuie le mouvement d’une porte. Or, il fait partie de la notion de porte qu’on accède par elle à l’intérieur de la maison. C’est pourquoi ce par quoi il n’y a pas de mouvement vers quelque chose d’autre ne comporte pas la notion de porte. Or, les vertus théologales, puisqu’elles portent sur la fin ultime, ne tendent pas vers quelque chose d’autre du point de vue de leur objet. Aussi ne trouve-t-on pas la notion de porte pour les vertus théologales. Pour cette raison, elles ne peuvent pas être appelées cardinales. Il en va de même pour les vertus intellectuelles, car elles perfectionnent pour la vie contemplative, qui n’est pas ordonnée à une autre vie ; mais la [vie] active lui est ordonnée. Puisque les vertus morales perfectionnent pour la vie active et que leur actes ne portent pas sur la fin ultime, mais sur leur objet, la notion de porte leur revient donc des deux manières. Pour cette raison, les vertus cardinales se trouvent seulement dans le genre des [vertus] morales. |
[12051] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis possint dici principales, non
tamen dicuntur cardinales ratione jam dicta. |
1. Bien qu’on puisse les appeler principales, elles ne sont cependant pas appelées cardinales pour la raison déjà donnée. |
[12052] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fundamentum, anchora et radix nominant id,
in quo aliquid firmatur quantum ad suam quietem: et ideo competunt illa
nomina virtutibus quae habent finem pro objecto, in quo est quies. Sed cardo dicit aliquid
in quo alterum firmatur quantum ad motum, ut dictum est; et ideo convenit hoc
nomen virtutibus quae sunt circa ea quae sunt ad finem, per quae est
transitus in finem. |
2. Le fondement, l’ancre et la racine désignent ce sur quoi s’appuie quelque chose du point de vue de son repos. C’est pourquoi ces noms conviennent aux vertus qui ont pour objet la fin dans laquelle se trouve le repos. Mais le gond désigne ce sur quoi une autre chose s’appuie pour son mouvement, comme on l’a dit. Aussi ce nom convient-il aux vertus qui portent sur ce qui se rapporte à la fin, par quoi l’on s’achemine vers la fin. |
[12053] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium sicut ad primum dicendum est. |
3. La réponse au troisième argument est la même que celle donnée au premier [argument]. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
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[12054] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem
dicendum, quod non sunt nisi quatuor virtutes cardinales; cujus ratio est,
quia cum moralium virtutum materia sint ea quae ad appetitum pertinent, in
quibus etiam ratio dirigit, praedicta materia potest dupliciter considerari. Uno modo prout habet rationem consiliabilis
et eligibilis, secundum quod ratio circa eam operatur: et sic est prudentia,
quae est media inter morales et intellectuales, ut supra dictum est, dist.
23, quaest. 1, art. 3. Alio modo secundum quod habet rationem boni
appetibilis. Ad appetitum autem duo pertinent, scilicet actio et passio.
Passio autem est in irascibili et concupiscibili. Circa actiones ergo est
justitia; circa passiones irascibilis fortitudo; circa passiones
concupiscibilis temperantia; et sic sunt quatuor virtutes cardinales. |
Il n’existe que quatre vertus cardinales. La raison en est que, puisque la matière des vertus morales porte sur ce qui relève de l’appétit, que dirige aussi la raison, la matière mentionnée ne peut être envisagée que de deux manières. Premièrement, en tant qu’elle est objet de conseil et de choix, selon que la raison agit sur elle : il s’agit ainsi de la prudence, qui est à mi-chemin entre les vertus morales et les vertus intellectuelles, comme on l’a dit plus haut, d. 23, q. 1, a. 3. Deuxièmement, selon qu’elle a le caractère de bien désirable. Or, deux choses relèvent de l’appétit : l’action et la passion. Mais la passion se trouve dans l’irascible et dans le concupiscible. La justice porte donc sur les actions ; la force sur les passions du l’irascible ; la tempérance sur les passions du concupiscible. Il y a ainsi quatre vertus cardinales. |
[12055] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod cardo est illud in quo proxime firmatur
motus ostii; unde virtutem cardinalem oportet esse circa id quod est
principale in singulis materiis, et non solum circa id quod est principale
principium, quod ad rationem pertinet. |
1. Le gond est ce sur quoi s’appuie de manière rapprochée le mouvement d’une porte. Aussi une vertu cardinale doit-elle porter sur ce qui est principal dans chaque matière, et non seulement sur ce qui est une principe principal, qui relève de la raison. |
[12056] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod justitia et prudentia dicuntur generales
respectu omnium virtutum; temperantia autem et fortitudo non respectu omnium;
sed respectu virtutum tantum quae eis adjunguntur: et haec generalitas
sufficit ad cardinalem virtutem, praecedens autem non requiritur. Quamvis justitia, secundum quod est idem
quod omnis virtus, non sit virtus cardinalis, ut dictum est. Prudentia autem
non est generalis quantum ad essentiam, cum contra alias dividatur, sed
quantum ad materiam, quia in omnibus moralibus dirigit. |
2. La justice et la prudence sont appelées générales par rapport à toutes les vertus ; mais la tempérance et la force ne le sont pas par rapport à toutes les vertus, mais seulement par rapport à celles qui leur sont associées. Ce caractère général suffit pour une vertu cardinale, mais celui qui précède n’est pas nécessaire. Bien que la justice, selon qu’elle est la même chose que toute vertu, ne soit pas une vertu cardinale, comme on l’a dit. Mais la prudence n’est pas générale par essence, puisqu’elle se distingue des autres, mais par sa matière, car elle dirige dans toutes les vertus morales. |
[12057] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio quandoque comprehendit duas potentias,
scilicet vim cognitivam, in qua est prudentia, et vim affectivam, quae
voluntas dicitur, in qua est justitia, ut infra dicetur. Concupiscibilis
autem et irascibilis sunt tantum appetitivae; et ideo non est ratio similis. |
3. La raison comprend parfois deux puissances : la puissance cognitive, où se trouve la prudence ; et la puissance affective, qu’on appelle la volonté, dans laquelle se trouve la justice, comme on le dira plus loin. Mais le concupiscible et l’irascible font partie de la [partie] appétitive. Le raisonnement n’est donc pas le même. |
[12058] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis virtutes opponantur, non tamen
oportet quod virtus principalis opponatur vitio principali, quia principalitas
virtutis attenditur penes id quod est principale simpliciter, cum idem sit
judicium de re absolute, et secundum quod comparatur ad virtuosum, ut
philosophus dicit. Sed principalitas vitii est secundum id quod magis est
natum movere a rectitudine rationis; et hoc quidem in aliquibus consonat, in
aliquibus autem non: unde aliquod vitium capitale opponitur cardinali
virtuti, sicut luxuria et gula temperantiae: aliquod autem non opponitur
principali, sicut ira mansuetudini. |
4. Bien que les vertus soient opposées, il n’est cependant pas nécessaire que la vertu principale s’oppose au vice principal, car le caractère principal de la vertu se prend de ce qui est simplement principal, puisque le jugement portant sur une chose de manière absolue est le même que celui [qui porte sur elle] selon qu’elle se compare à ce qui est vertueux, comme le dit le Philosophe. Mais le caractère principal du vice vient de ce qu’il éloigne par nature de la droiture de la raison, et cela s’accorde pour certaines [vertus], mais non pour d’autres. Un vice capital s’oppose donc à une vertu cardinale, ainsi la luxure et la gourmandise à la tempérance ; mais un autre ne s’oppose pas à une [vertu] principale, comme la colère à la douceur. |
[12059] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod irascibilis et concupiscibilis non sunt
cognitivae sed appetitivae tantum; et ideo in eis non potest esse duplex
virtus cardinalis, sicut in ratione dictum est. |
5. L’irascible et le concupiscible ne relèvent pas de la [partie] cognitive, mais de la [partie] appétitive seulement. C’est pourquoi il ne peut y avoir en eux une double vertu cardinale, comme on l’a dit pour la raison. |
[12060] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod appetitus dicitur rectus dupliciter. Uno modo
in se, secundum quod ea quae in appetitu sunt, ordinata sunt: et hanc
rectitudinem facit virtus moralis: et quia prudentia conformat rationem
practicam appetitui sic directo; ideo cum moralibus virtutibus in materia
communicat, et in eamdem operationem concurrit, propter quod inter morales
computatur. Alio modo dicitur appetitus rectus a rectitudine quae est extra
ipsum; et hoc est materialiter, inquantum scilicet tendit in aliquid rectum
extra se faciendum, cujusmodi est rectitudo quae est in artificiatis; et sic
conformat rationem appetitui recto ars mechanica; ideo non computatur inter
morales virtutes. |
6. On dit que l’appétit est droit de deux manières. Premièrement, en lui-même, selon que ce qui se trouve dans l’appétit est ordonné. La vertu morale réalise cette droiture, et parce que la prudence rend la raison pratique conforme à l’appétit ainsi redressé, puisqu’elle a une matière commune avec les vertus morales et concourt à la même opération, elle est ainsi comptée parmi les vertus morales. Deuxièmement, on parle d’appétit droit pour une droiture qui lui est extrinsèque : c’est là parler matériellement, pour autant qu’il tend vers quelque chose de droit à réaliser hors de lui-même. Ce genre de droiture se rencontre dans les œuvres de l’art. L’art mécanique rend ainsi la raison conforme à l’appétit droit. C’est pourquoi il n’est pas compté parmi les vertus morales. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la
sous-question 4
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[12061] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem dicendum, quod, sicut ex
dictis patet, omnis materia moralis ad quatuor reducitur, quae vel re vel
ratione differunt (hoc enim sufficit ad differentiam habituum, ut prius
dictum est): scilicet passio concupiscibilis, passio irascibilis, actio: et
haec omnia secundum quod subjiciuntur rationi, sic omnia induunt rationem
unius objecti vel materiae. Inter
passiones autem concupiscibilis praecipuae sunt delectationes secundum
tactum, ut ex supra dictis in 26 dist., quaest. 1, art. 4, patet, circa quas
est temperantia: et ideo in hac materia ipsa est cardinalis virtus. In
passionibus autem irascibilis praecipuae sunt illae quae sunt ex difficili,
quod natum est mortem incutere: et ideo fortitudo, quae est circa hujusmodi
passiones, est in hac materia cardinalis virtus. In actionibus autem quae
sunt circa res quae in usum vitae veniunt, quibus ad invicem communicamus,
praecipue sunt illae actiones quibus hujusmodi res distinguuntur, quia
praedicta distinctio est communicationis principium; et ideo justitia, quae
tribuit unicuique quod suum est, est cardinalis virtus in hac materia. Inter
ea autem quae ratio circa moralia operatur, praecipuum est electio ad quam
consilium et omnia hujusmodi ordinantur: et ideo prudentia quae electionem
rectam, facit, est cardinalis in ista materia. |
Comme cela ressort de ce qui a été dit, toute la matière morale se ramène à quatre choses, qui diffèrent soit réellement, soit selon la raison (en effet, cela suffit pour la différenciation des habitus, comme on l’a dit plus haut) : la passion du concupiscible, la passion de l’irascible, l’action. Tout cela, en tant que soumis à la raison, revêt le caractère d’un seul objet ou matière. Or, parmi les passions du concupiscible, les principales sont celles du toucher, comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut, d. 26, q. 1, a. 4 : sur elles porte la tempérance. C’est pourquoi, en cette matière, elle est la vertu cardinale. Parmi les passions de l’irascible, les principales sont celles qui portent sur ce qui est difficile et qui est susceptible d’entraîner la mort. C’est pourquoi la force, qui porte sur ces passions, est la vertu cardinale en cette matière. Parmi les actions, qui portent sur les choses qui sont utilisées pur vivre et que nous avons en commun, les principales sont celles par lesquelles ces choses sont distinguées, car la distinction mentionnée est le principe du partage. C’est pourquoi la justice, qui attribue à chacun ce qui lui revient, est la vertu cardinale en cette matière. Mais parmi les choses que la raison fait en matière morale, c’est le choix qui est principal, auquel le conseil et toutes les choses de ce genre sont ordonnés. C’est pourquoi la prudence, qui rend le choix droit, est la vertu cardinale en cette matière. |
[12062] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc.
4 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod non idem requiritur ad hoc quod aliqua passio sit principalis
et ad hoc quod sit materia principalis virtutis, et ad hoc quod denominet
potentiam. Quia enim
denominatio fit ex completo et ultimo et manifestiori: ideo potentia
irascibilis denominatur a passione irae, quae est ultima aliarum passionum
quae sunt in irascibili, et composita passio, sicut supra dictum est. Sed ad
hoc quod sit principalis passio, requiritur quod afficiatur appetitus
secundum conditionem appetibilis moventis, ut scilicet bonum prosequatur, et
malum fugiat; et ita in irascibili timor et spes sunt principales passiones.
Sed ad hoc quod sit materia principalis virtutis, requiritur quod sit passio
excedens per modum intensionis alias passiones existentes in illa vi, sicut
circa maximas delectationes concupiscibilis est temperantia. Magis autem
intensam passionem facere natum est malum corruptivum imminens, sicut sunt
mortis pericula, quam bonum expectatum, vel quam vindicta desiderata de malo
illato: et ideo circa audacias et timores, quae sunt circa hujusmodi
pericula, est principalis virtus, non autem circa spem vel circa iram. |
1. La même chose n’est pas nécessaire pour qu’une passion soit principale, pour qu’elle soit la matière d’une vertu principale et pour qu’elle donne son nom à une puissance. En effet, le nom vient de ce qui est achevé, ultime et plus manifeste. C’est pourquoi la puissance de l’irascible tire son nom de la passion de la colère, qui est l’ultime passion parmi toutes celles qui se trouvent dans l’irascible, et une passion composée, comme on l’a dit plus haut. Mais pour qu’elle soit une passion principale, il est nécessaire que l’appétit soit affecté selon la condition de l’objet désiré qui meut, à savoir qu’il recherche le bien et fuit le mal. La crainte et l’espoir sont ainsi les passions principales de l’irascible. Mais pour qu’existe la matière d’une vertu principale, il est nécessaire qu’existe une passion qui dépasse en intensité les autres passions qui se trouvent dans cette puissance ; ainsi, pour les plus grands plaisirs du concupiscible, existe la tempérance. Mais un mal capable de corrompre de manière imminente est susceptible de rendre plus intense une passion plutôt qu’un bien attendu, comme c’est le cas des dangers de mort ou du désir de vengeance pour un mal causé. C’est pourquoi, pour les audaces et les craintes qui portent sur ce genre de dangers, il existe une vertu principale, mais non pour l’espoir ou pour la colère. |
[12063] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud circa quod est principalis virtus,
non solum debet esse principalius secundum intensionem, sed etiam secundum
dependentiam, ut scilicet illud principale non dependeat ab aliis, sed alia
quodammodo ordinentur ad ipsum; sicut delectationes tactus non dependent ab
aliis delectationibus, sed magis aliae ordinantur ad ipsas: alias enim non
salvaretur ratio cardinalis virtutis. Magnum autem quod attendit
magnanimitas, dependet ex aliis virtutibus, quia operatur magnum in actibus
aliarum virtutum, et ideo praesupponit alias virtutes, ut philosophus dicit
in 4 Ethic.: et propter hoc magnanimitas non potest esse cardinalis virtus. |
2. Ce sur quoi porte une vertu principale doit non seulement être ce qu’il y a de principal selon l’intensité, mais aussi selon la dépendance, à savoir que ce principal ne dépende pas d’autres choses, mais que, d’une certaine manière, ces autres choses soient ordonnées lui, comme les plaisirs du toucher ne dépendent pas des autres plaisirs, mais les autres y sont plutôt ordonnés ; autrement, le caractère de vertu cardinale ne serait pas sauvegardé. Or, la grandeur sur laquelle porte la magnanimité dépend d’autres vertus, car ce qu’il y a de grand est fait par les actes d’autres vertus. C’est pourquoi elle présuppose les autres vertus, comme le Philosophe le dit dans Éthique, IV. Pour cette raison, la magnanimité ne peut être une vertu cardinale. |
[12064] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
humilitas dicitur conservatio et fundamentum aliarum virtutum in esse suo,
inquantum removet prohibens, scilicet superbiam, quae bonis operibus
insidiatur ut pareant, sicut dicit Augustinus, non autem propter
principalitatem materiae, ad quam aliarum virtutum materiae reducuntur, ut
sic aliarum virtutum motus in humilitate firmentur, quod facit cardinalem
virtutem. Humilitas
autem habet idem pro materia quod magnanimitas, quamvis sub diversis
rationibus: quia humilitas rationem parvi ex consideratione propriae
fragilitatis; sed magnanimitas rationem magni ex consideratione divini
auxilii, vel divini doni, vel gratuiti vel naturalis, sicut est rationis
bonum. |
3. On dit que l’humilité est la sauvegarde et le fondement des autres vertus pour leur existence, dans la mesure où elle écarte un obstacle : l’orgueil, qui s’insinue dans les actions bonnes pour les mettre en évidence, comme le dit Augustin, non pas en raison du caractère principal de la matière, à laquelle les matières des autres vertus sont ramenées, de sorte que les mouvement des autres vertus soient affermis par l’humilité, ce que fait une vertu cardinale. Or, l’humilité a la même chose comme matière que la magnanimité, bien que sous des raisons différentes, car l’humilité a le caractère de ce qui est petit en considération de sa propre fragilité, mais la magnanimité a la raison de ce qui est grand en considération de l’aide divine ou d’un don divin, gratuit ou naturel, comme l’est le bien de la raison. |
[12065] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod dato quod poenitentia sit virtus, non erit
cardinalis virtus, eo quod praesupponit aliarum virtutum materias, sicut et
magnanimitas. Poenitentia enim est dolor de peccatis. Peccatorum autem et
virtutum eadem est materia. |
4. En supposant que la pénitence soit une vertu, elle ne sera pas une vertu cardinale du fait qu’elle présuppose les matières d’autres vertus, comme c’est aussi le cas de la magnanimité. En effet, la pénitence est une douleur à propos des péchés. Or, la matière des péchés et des vertus est la même. |
[12066] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod liberalitas etiam praesupponit justitiam:
quia nullus posset aliquid de proprio dare, nisi aliquid suum haberet; et hoc
facit justitia; unde actus liberalitatis actum justitiae praesupponit; et
ideo non est cardinalis virtus, sed justitiae annexa. |
5. La libéralité présuppose aussi la justice, car personne ne pourrait donner de ce qui lui appartient s’il ne possédait pas quelque chose qui est sien : c’est ce que fait la justice. Aussi l’acte de la libéralité présuppose-t-il l’acte de la justice. C’est pourquoi elle n’est pas une vertu cardinale, mais une [vertu] associée à justice. |
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Articulus 2 [12067] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a.
2 tit. Utrum prudentia
habeat aliquam materiam specialem |
Article 2 – La prudence a-t-elle une matière spéciale ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La
prudence a-t-elle une matière spéciale ?]
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[12068] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur.
Videtur quod prudentia non habeat aliquam materiam specialem. Quia quidam
philosophus dicit, quod sub prudentia comprehenduntur physica, dialectica,
rhetorica. Sed nihil est in mundo quod ad aliquid istorum quatuor non
reducatur: quia physica est de his quae sunt a natura, dialectica autem est
de operibus rationis, politica de civilibus operibus. Ergo prudentia non
habet aliquam materiam determinatam. |
1. Il semble que la prudence n’ait pas de matière spéciale, car un philosophe dit que « la physique, la dialectique et la rhétorique font partie de la prudence ». Or, rien n’existe dans le monde, qui ne se ramène à ces quatre choses, car la physique porte sur ce qui est naturel, la dialectique sur les opérations de la raison et la politique sur les opérations civiles. La prudence n’a donc pas de matière déterminée. |
[12069] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, secundum
philosophum in 6 Ethic., prudens est totaliter consiliativus. Sed consilium est etiam in
his quae ab artibus mechanicis fiunt. Ergo circa omnia illa est prudentia. |
2. Selon le Philosophe, dans Éthique, VI, le prudent prend pleinement conseil. Or, le conseil fait aussi partie de ce qui se fait dans les arts mécaniques. La prudence porte donc sur tout cela. |
[12070] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, dicit
philosophus in 6 Ethic.,
quod prudentia est recta ratio agibilium. Sed agibilia sunt omnia quae ad
alias virtutes pertinent. Ergo non habet materiam distinctam ab aliis
virtutibus. |
3. Le Philosophe dit dans Éthique, VI, que la prudence est la droite raison dans les actions à poser. Or, les actions à poser sont tout ce qui se rapporte aux autres vertus. [La prudence] n’a donc pas de matière distincte des autres vertus. |
[12071] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, omnis virtus
in cujus definitione ponitur materia, habet specialem et determinatam
materiam. Sed materia aliqua ponitur in definitione prudentiae: quia est
recta ratio agibilium. Ergo habet materiam determinatam. |
Cependant, [1] toute vertu dont la définition comporte une matière a une matière spéciale et déterminée. Or, une certaine matière est mise dans la définition de la prudence, car elle est la raison droite des actions à poser. Elle possède donc une matière déterminée. |
[12072] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, est virtus specialis. Ergo habet objectum speciale. |
[2] [La prudence] est une vertu spéciale. Elle a donc un objet spécial. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Les
passions sont-elles la matière de la tempérance et de la force ?]
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[12073] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod passiones non sint materia temperantiae et
fortitudinis. Materia enim
salvatur in omnibus quae ex materia vel circa materiam fiunt. Sed praedictae virtutes
sunt quietantes a passionibus. Ergo passiones non sunt materia earum. |
1. Il semble que les passions ne soient pas la matière de la tempérance et de la force. En effet, la matière est sauvegardée dans tout ce qui est fait à partir ou à propos de la matière. Or, les vertus mentionnées apaisent les passions. Les passions ne sont donc pas leur matière. |
[12074] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, illud penes quod distinguuntur virtutes, debet assignari
materia virtutum: quia habitus per objecta distinguuntur. Sed virtutes praedictae
et eis annexae distinguuntur penes res exteriores: quia quaedam sunt circa
pericula mortis, quaedam circa delectabilia venerea, quaedam circa honores,
et sic de aliis. Ergo res
exteriores, et non passiones, sunt earum materia. |
2. Ce par quoi les vertus se distinguent doit être assigné comme la matière des vertus, car les habitus se distinguent par les objets. Or, les vertus mentionnées et celles qui leur sont associées se distinguent selon des réalités extérieures, car certaines portent sur les dangers de mort, certaines sur les plaisirs sexuels, certaines sur les honneurs, et ainsi de suite pour les autres. Des réalités extérieures, et non les passions, sont donc leur matière. |
[12075] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, illud quod est commune omni virtuti, non debet assignari
materia alicui speciali virtuti. Sed delectatio invenitur in omnibus specialibus virtutibus: quia oportet
accipere signum generati habitus fientem in opere delectationem. Ergo delectatio et aliae passiones non sunt
materia alicujus determinatae virtutis. |
3. Ce qui est commun à toute vertu ne doit pas être assigné comme matière à une vertu spéciale. Or, le plaisir se trouve dans toutes les vertus spéciales, car « on doit retenir comme signe d’un habitus engendré le plaisir à poser une action ». Donc, le plaisir et les autres passions ne sont pas la matière d’une vertu déterminée. |
[12076] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, philosophus dicit in 3 Ethic.,
quod fortitudo est circa timores et audacias, temperantia autem circa
concupiscentias. Hae autem
passiones nominant. Ergo videtur quod materia harum virtutum sint passiones. |
Cependant, [1] le Philosophe dit, dans Éthique, III, que la force porte sur les craintes et les audaces, mais la tempérance sur les convoitises. Or, ce sont là des noms de passions. Il semble donc que la matière de ces vertus soit les passions. |
[12077] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, illud est materia rei circa quod ponitur forma ipsius. Sed
forma praedictarum virtutum est medium. Ergo cum medium ponatur in passionibus,
videtur quod passiones sint materia praedictarum virtutum. |
[2] La matière d’une chose est ce sur quoi sa forme est placée. Or, la forme des vertus mentionnées est le milieu. Puisque le milieu est placé sur les passions, il semble donc que les passions soient la matière des vertus mentionnées. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La
justice porte-t-elle sur des opérations ?]
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[12078] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod justitia non sit circa operationes. Non enim
potest esse idem materia, et actus circa materiam. Sed actus justitiae est
quaedam operatio. Ergo operationes non possunt esse materia justitiae. |
1. Il semble que la justice ne porte pas sur des opérations. En effet, la matière et les actes portant sur la matière ne peuvent pas être la même chose. Or, l’acte de la justice est une certaine opération. Les opérations ne peuvent donc pas être la matière de la justice. |
[12079] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2
a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, operationes etiam exteriores ex interioribus
passionibus oriuntur. Sed justitia non dicitur esse circa passiones, sed
magis aliae virtutes. Ergo non est circa operationes. |
2. Même les opérations extérieures naissent des passions intérieures. Or, on ne dit pas que la justice porte sur les passions, mais c’est plutôt le cas des autres vertus. [La justice] ne porte donc pas sur les opérations. |
[12080] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, virtus quae circuit omnes virtutes, non habet aliquam
specialem materiam. Sed justitia est hujusmodi, ut dicitur in Glossa Genes.
1, etiam specialis: quia inter commutationes, circa quas est commutativa
justitia, quae est species specialis justitiae, ponit philosophus in 5
Ethic., moechiam, quae est circa materiam temperantiae, et occisionem dolo,
quae est circa materiam mansuetudinis. Ergo videtur quod justitiae non sit attribuenda aliqua specialis
materia. |
3. La vertu qui entoure toutes les vertus n’a pas de matière spéciale. Or, la justice est de ce genre, comme il est dit dans la Glose à propos de Gn 1, même la justice spéciale, car, parmi les échanges sur lesquels porte la justice commutative, qui est une espèce de la justice spéciale, dans Éthique, V, le Philosophe met l’adultère, qui porte sur la matière de la tempérance, et le fait de tuer par ruse, qui porte sur la matière de la douceur. Il semble donc qu’il ne faille pas attribuer une matière spéciale à la justice. |
[12081] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, est quod dicit philosophus in
principio 5 Ethic. quod justitia est circa operationes. |
Cependant, [1] le Philosophe dit, au début d’Éthique, V, que la justice porte sur les opérations. |
[12082] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, ipsa est circa aliquid circa
quod non est aliqua alia virtus, scilicet circa lucrum pecuniarum. Ergo habet aliquam
specialem materiam. |
[2] [La justice] porte sur quelque
chose qui n’est l’objet d’aucune autre vertu : le gain d’argent. Elle a
donc une matière spéciale.
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Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
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[12083] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad
primam quaestionem, quod prudentia circa illa est de quibus est consilium, eo
quod ad prudentem pertinet bene se habere circa consilia, consiliando,
judicando, et praecipiendo. Consilium autem est de contingentibus
operabilibus a nobis; unde etiam circa hoc oportet prudentiam esse. Et quia
prudens dicitur bene consiliativus simpliciter, oportet quod consilietur de
his quae sunt ordinata ad bonum hominis simpliciter. Hoc autem consistit in
animae perfectione, cujus ultima perfectio est debita operatio potentiarum
animae; et ideo de his in quibus bonum operantis consistit, est prudentia; et
haec agibilia dicuntur. Ea enim quae transeunt in exteriorem materiam ad
perficiendum eam, dicuntur factiones magis quam actiones, et circa eas est
ars mechanica praedicta. Ergo agibilia, secundum quod sunt consiliabilia,
sunt propria materia prudentiae. |
La prudence porte sur ce qui est objet de conseil, du fait qu’il revient à celui qui est prudent d’avoir un bon comportement vis-à-vis des conseils, en exerçant lorsqu’il conseille, juge et commande. Or, le conseil porte sur les actions contingentes à poser par nous ; aussi est-il nécessaire que la prudence porte là-dessus. Et parce qu’on appelle prudent celui qui exerce simplement un bon conseil, il est nécessaire qu’il exerce son conseil sur ce qui est simplement ordonné au bien de l’homme. Or, cela consiste dans la perfection de l’âme, dont la perfection ultime est l’opération appropriée des puissances de l’âme. C’est pourquoi la prudence porte sur ce en quoi consiste le bien de celui qui agit : cela s’appelle les actions à accomplir. En effet, ce qui passe dans une matière extérieure pour la perfectionner est appelé un ouvrage (factiones) plutôt qu’une action (actiones) : l’art mécanique dont il a été question porte sur celles-là. Les actions à poser, selon qu’elles sont objets de conseil, sont donc la matière propre de la prudence. |
[12084] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod physica et dialectica non continentur
sub prudentia quantum ad ea de quibus sunt, sed quantum ad usum et exercitium
earum. |
1. La physique et la dialectique ne font pas partie de la prudence pour ce qui est de leur objet, mais pour ce qui est de leur usage et de leur exercice. |
[12085] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod operationes artis mechanicae ordinantur ad
perfectionem exterioris materiae, et non ad perfectionem operantis, nisi per
accidens, inquantum scilicet utitur eis quae facit: sed hoc accidit arti; et
ideo bene consiliari de his, non est bene consiliari simpliciter, sed ad
finem aliquem; et propter hoc secundum hoc non dicitur aliquis prudens
simpliciter, sed prudens in hoc. |
2. Les opérations de l’art mécanique sont ordonnées à la perfection d’une matière extérieure, et non à la perfection de celui qui agit, si ce n’est par accident, dans la mesure où il fait usage de ce qu’il réalise ; mais cela relève de l’art. C’est pourquoi avoir un bon conseil à ce sujet n’est pas avoir un bon conseil tout simplement, mais en vue d’une certaine fin. Pour cette raison, on ne dit pas à ce propos que quelqu’un est simplement prudent, mais prudent pour telle chose. |
[12086] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut idem secundum rem est objectum intellectus
inquantum est verum, et voluntatis inquantum est bonum; ita etiam idem
secundum rem diversa ratione potest esse materia prudentiae, et aliarum
moralium virtutum; prudentiae quidem inquantum est consiliabile, aliarum
autem virtutum inquantum est agibile. |
3. De même que l’objet de l’intellect : le vrai, et l’objet de la volonté : le bien, sont en réalité la même chose, de même aussi la matière de la prudence et celle des autres vertus, qui est en réalité la même, peut-elle être différente selon la raison : elle est celle de la prudence en tant qu’objet de conseil, et celle des autres vertus en tant qu’action à poser. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
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[12087] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
dicendum, quod sicut dictum est, materia prudentiae est bonum operabile a
nobis, pertinens ad perfectionem animae. Operatio autem animae recta, in qua
perfectio ejus consistit quantum ad vitam activam pertinet, in duobus
consistit, scilicet in moderatione passionum animae, et in usu debito
exteriorum rerum. Quia ergo oportet virtutes morales haberi ad exequendum
illud quod prudentia decrevit, oportet quod sint aliquae virtutes circa
utrumque praedictorum. Circa passiones ergo moderandas est temperantia et
fortitudo, et alia hujusmodi; unde propria materia temperantiae sunt
passiones circa delectabilia tactus; fortitudinis autem timores et audaciae
in maximis terribilibus. |
Comme on l’a dit, la matière de la prudence est le bien que nous devons faire et qui se rapporte à la perfection de l’âme. Or, la droite opération de l’âme, en laquelle sa perfection consiste pour ce qui se rapporte à la vie active, consiste en deux choses : la modération des passions de l’âme et l’usage approprié des choses extérieures. Parce qu’il faut avoir les vertus morales pour mettre en œuvre ce que la prudence a décidé, il est donc nécessaire qu’il existe des vertus pour les deux choses mentionnées. Pour modérer les passions, il y a donc la tempérance et la force, et les autres de ce genre. Aussi les passions portant sur les plaisirs du toucher sont-elles la matière propre de la tempérance ; mais les craintes et les audaces dans les situations les plus terribles sont celle de la force. |
[12088] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtutes non omnino extinguunt
passiones, sed moderant eas; unde philosophus dicit in 2 Ethic., quod quidam
determinant virtutes impassibilitates et quietes; non bene autem. |
1. Les vertus n’éteignent pas complètement les passions, mais les modèrent. Aussi le Philosophe dit-il dans Éthique, II, que « certains disent que les vertus sont impassibilité et repos, mais ils ne parlent pas correctement ». |
[12089] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virtutes istae non distinguuntur ex rebus
exterioribus, nisi quatenus circa eas contingit animam diversimode
passionibus affici; unde passiones sunt proxima materia, res autem exteriores
sunt materia remota, inquantum sunt objecta ipsarum passionum. |
2. Ces vertus ne se distinguent pas à partir de choses extérieures, sauf dans la mesure où il arrive que l’âme soit affectée de diverses manières à leur endroit. Aussi les passions sont-elles la matière prochaine, mais les choses extérieures la matière éloignée, dans la mesure où elles sont objets des passions elles-mêmes. |
[12090] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
aliae virtutes non sunt circa delectationes sicut circa materiam; sed magis
delectatio est consequens actum virtutis. |
3. Les autres vertus ne portent pas sur les plaisirs comme sur leur matière, mais le plaisir découle plutôt de l’acte de la vertu. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
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[12091] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem
dicendum, quod non solum oportet hominem moderari circa passiones interiores,
sed etiam circa actiones exteriores. Sed moderatio in eis potest esse duplex.
Uno modo per ordinem ad agentem; et sic eadem est ratio moderandi actiones
exteriores, et interiores passiones; unde hoc pertinet ad alias virtutes quae
sunt circa passiones. Alio modo per ordinem ad alium cum quo est convivendum; et sic habet
specialem rationem moderationis, et ideo requiritur specialis virtus; unde ad
hoc est justitia, et illa quae ad justitiam reducuntur. Propria ergo materia
justitiae sunt operationes exteriores secundum quod ordinantur ad alterum;
res autem exteriores, ut pecunia, vel aliquid hujusmodi, sunt materia
justitiae inquantum in usum veniunt; et ideo sunt materia remota. |
Il ne faut pas seulement que l’homme soit modéré pour les passions intérieures, mais aussi pour les actions extérieures. Or, la modération en celles-ci peut être double. Premièrement, par rapport à l’agent : ainsi, la raison de modérer les actions extérieures est la même que celle [de modérer] les passions intérieures. Aussi cela relève-t-il d’autres vertus qui portent sur les passions. Deuxièmement, par rapport à un autre avec qui on doit vivre : il existe ainsi une raison spéciale d’exercer la modération. C’est pourquoi une vertu spéciale est nécessaire. Aussi la justice porte-t-elle là-dessus et sur ce qui se ramène à la justice. Les opérations extérieures, selon qu’elles sont ordonnées à un autre, sont donc la matière propre de la justice ; mais les choses extérieures, comme l’argent ou quelque chose de ce genre, sont la matière de la justice pour autant qu’on en use. C’est pourquoi elles sont la matière éloignée. |
[12092] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod actus virtutum primi et principales
sunt actus interiores. Unde si ponimus exteriores operationes materiam justitiae, non erit
idem actus et materia. |
1. Les actes premiers et principaux des vertus sont les actes intérieurs. Si nous faisons des opérations extérieures la matière de la justice, l’acte et la matière ne seront donc pas la même chose. |
[12093] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum patet solutio per id quod dictum
est. |
2. La solution ressort clairement de ce qui a été dit. |
[12094] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut ex dictis patet, duplex est materia
virtutum; scilicet remota, ut res exteriores, quae veniunt in usum vitae; et
proxima, ut passiones, et operationes. Justitia igitur, secundum quod specialis
est virtus, ordinat materiam omnium aliarum virtutum remotam: quia illae
eaedem res quae sunt natae inferre passiones violentas, possunt assumi ut
materia operationis ad alterum; tamen quaedam assumuntur ut materia
operationis ad alterum, quae non multum nata sunt inferre passionem, sicut
pecuniae, et hujusmodi. Et ideo quidquid est materia exterior aliarum
virtutum, potest esse materia exterior justitiae, sed non convertitur.
Quantum autem ad materiam proximam justitia specialis non circuit materiam
aliarum virtutum, quia ad ipsam non spectat qualiter homo irascatur, dummodo
non percutiat. |
3. Comme cela ressort de ce qui a été dit, il existe une double matière des vertus : la matière éloignée, comme les choses extérieures dont on fait usage pour vivre ; et la [matière] prochaine, comme les passions et les opérations. Selon qu’elle est une vertu spéciale, la justice ordonne donc la matière éloignée de toutes les autres vertus, car ces mêmes choses, qui sont naturellement susceptibles de provoquer des passions violentes, peuvent être considérées comme matière d’une opération envers quelqu’un d’autre. Cependant, certaines choses sont considérées comme matière d’une opération envers quelqu’un d’autre, qui ne sont pas naturellement très susceptibles de provoquer une passion, tels l’argent et les choses de ce genre. C’est pourquoi tout ce qui est la matière extérieure des autres vertus peut être la matière extérieure de la justice, mais non l’inverse. Mais pour ce qui est de la matière rapprochée, la justice spéciale n’englobe pas la matière des autres vertus, car la manière dont un homme se met en colère ne la regarde pas, pourvu qu’il ne frappe pas. |
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Articulus 3 [12095] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a.
3 tit. Utrum
prudentia habeat actum virtutis distinctum ab aliis |
Article 3 – La prudence comporte-t-elle un acte de vertu distinct des autres ? |
[12096] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod prudentia non habeat actum distinctum ab aliis
virtutibus. Quia, ut philosophus dicit 6 Ethic., prudentia praeceptiva est.
Sed praecipere de operandis idem videtur quod electio, quae est actus
virtutis moralis, ut dicit philosophus in 6 Ethic. Ergo prudentia non habet
distinctum actum ab aliis virtutibus. |
1. Il semble que la prudence n’ait pas un acte distinct des autres vertus, car, ainsi que le dit le Philosophe dans Éthique, VI, la prudence commande. Or, commander à propos de ce qui doit être accompli semble être la même chose que le choix, qui est un acte de vertu morale, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VI. La prudence n’a donc pas un acte distinct des autres vertus morales. |
[12097] Super Sent., lib. 3 d. 33
q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, medium invenitur secundum rationem
rectam, quae pertinet ad prudentiam. Sed attingere medium in qualibet materia
est actus virtutis quae est circa materiam illam. Ergo actus prudentiae non
distinguitur ab actu aliarum virtutum. |
2. Le milieu se trouve selon la raison droite, qui relève de la prudence. Or, atteindre le milieu en toute matière est un acte de la vertu qui porte sur cette matière. L’acte de la prudence n’est donc pas distinct de l’acte des autres vertus. |
[12098] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, ejusdem
est operari circa finem et circa ea quae sunt ad finem. Sed aliae virtutes
faciunt rectam electionem de propriis finibus. Ergo etiam dirigunt in
hujusmodi quae sunt ad finem. Sed hoc pertinet ad prudentiam, ut dicitur in 6
Ethic. Ergo prudentia non habet actum distinctum ab aliis virtutibus. |
3. Il revient au même d’agir sur une fin et sur ce qui se rapporte à cette fin. Or, les autres vertus rendent le choix droit pour leurs propres fins. Elles dirigent donc aussi pour ce qui se rapporte à la fin. Or, cela relève de la prudence, comme il est dit dans Éthique, VI. La prudence n’a donc pas un acte distinct des autres vertus. |
[12099] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, secundum
philosophum in 6 Ethic., finis proximus virtutis est bona operatio. Sed prudentia
dirigit ad bonam operationem. Ergo dirigit ad finem virtutis. Sed hoc
pertinet ad alias virtutes, ut dicit philosophus. Ergo actus prudentiae non
distinguitur ab actibus aliarum virtutum. |
4. Selon le Philosophe dans Éthique, VI, la fin prochaine d’une vertu est l’action bonne. Or, la prudence dirige en vue de l’action bonne. Elle dirige donc pour la fin de la vertu. Or, cela relève des autres vertus, comme le dit le Philosophe. L’acte de la prudence ne se distingue donc pas des actes des autres vertus. |
[12100] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 arg. 5 Item, videtur quod inconvenienter ponantur in littera actus virtutum.
Quia subvenire miseris est actus misericordiae; praecavere autem insidias
pertinet ad cautionem, quam quidam ponunt prudentiae partem. |
5. Il semble que les actes des vertus soient présentés de manière inappropriée dans le texte, car aider les miséreux est un acte de miséricorde, mais éviter les embûches relève de la prévoyance, dont certains font une partie de la prudence. |
[12101] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 arg. 6 Item, perferre molestias non videtur actus fortitudinis esse: tum quia
aggredi difficilia videtur esse virtuosius, et ita magis ad fortitudinem
pertinere: tum quia perferre non videtur dicere actum, sed magis
immobilitationem: tum quia perferre molestias videtur esse etiam aliarum
virtutum actus, ut patientiae et caritatis, quae omnia sustinet, et
mansuetudinis: tum etiam quia non circa quaslibet molestias est fortitudo, ut
philosophus probat in 3 Ethic. |
6. Supporter des désagréments ne semble pas être un acte de la force, tant parce qu’entreprendre des choses difficiles semble être plus vertueux, et ainsi relever plutôt de la force, que parce supporter ne semble pas exprimer un acte, mais plutôt une immobilisation, et que parce que supporter des désagréments semble être l’acte d’autres vertus, comme la patience et la charité, qui supporte tout [1 Co 13, 7], et de la douceur ; et aussi parce que la force ne porte pas sur n’importe quels désagréments, comme le montre le Philosophe dans Éthique, III. |
[12102] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod
ad perfectionem virtutis moralis tria sunt necessaria. Primum est
praestitutio finis; secundum autem est inclinatio ad finem praestitutum;
tertium est electio eorum quae sunt ad finem. Finis autem proximus humanae
vitae est bonum rationis in communi; unde dicit Dionysius, quod malum hominis
est contra rationem esse: et ideo est intentum in omnibus virtutibus
moralibus, ut passiones et operationes ad rectitudinem rationis reducantur.
Rectitudo autem rationis naturalis est; unde hoc modo praestitutio finis ad
naturalem rationem pertinet, et praecedit prudentiam, sicut intellectus
principiorum scientiam; et ideo dicit philosophus, 6 Ethic., quod prudentia
habet principia fines virtutum. Sed hoc bonum rationis determinatur secundum
quod constituitur medium in actionibus et passionibus per debitam
commensurationem circumstantiarum, quod facit prudentia. Unde medium virtutis
moralis, ut in 2 Ethic. dicitur, est secundum rationem rectam, quae est
prudentia; et sic quodammodo prudentia praestituit finem virtutibus
moralibus, et ejus actus in earum actibus immiscetur; sed inclinatio in finem
illum pertinet ad virtutem moralem quae consentit in bonum rationis per modum
naturae: et haec inclinatio in finem dicitur electio, inquantum finis
proximus ad finem ultimum ordinatur. Et ideo dicit philosophus, 2 Ethic.,
quod virtus moralis facit electionem rectam. Sed discretio eorum quibus hoc
bonum rationis consequi possumus et in operationibus et in passionibus, est
actus prudentiae: unde praestitutio finis praecedit actum prudentiae et
virtutis moralis; sed inclinatio in finem, sive recta electio finis proximi,
est actus moralis virtutis principaliter, sed prudentiae originaliter. Unde
philosophus dicit, quod rectitudo electionis est in aliis virtutibus a
prudentia, sicut rectitudo in intentione naturae est ex sapientia divina
ordinante naturam: et secundum hoc actus etiam prudentiae immixtus est
actibus aliarum virtutum. Sicut enim inclinatio naturalis est a ratione
naturali, ita inclinatio virtutis moralis a prudentia; electio autem eorum
quae sunt ad finem, secundum quod electio importat praeceptum rationis de his
prosequendis. Sed actus prudentiae sibi proprius
est, et distinctus ab actibus aliarum virtutum. |
Réponse. Trois choses sont nécessaires pour la perfection de la vertu morale : premièrement, la détermination de la fin ; deuxièmement, l’inclination vers la fin déterminée ; troisièmement, le choix de ce qui se rapporte à cette fin. Or, la fin prochaine de la vie humaine est le bien de la raison d’une manière générale. Aussi Denys dit-il que le mal pour l’homme consiste à être contre la raison. C’est pourquoi l’intention de toutes les vertus morales est de ramener les passions et les opérations à la droiture de la raison. Or, la droiture relève de la raison naturelle. C’est donc ainsi que la détermination de la fin relève de la raison naturelle et précède la prudence, comme l’intelligence des principes [précède] la science. C’est pourquoi le Philosophe dit dans Éthique,VI, que la prudence a comme principes les fins des vertus. Mais ce bien de la raison est déterminé par le milieu établi dans la actions et les passions selon l’évaluation appropriée des circonstances, ce que fait la prudence. Le milieu de la vertu morale, comme on le dit dans Éthique, II, est donc conforme à la raison droite, qui est la prudence. Et ainsi, la prudence a-t-elle d’une certaine manière déterminé la fin pour les vertus morales, et son acte est-il mêlé à leurs actes, mais l’inclination vers cette fin relève de la vertu morale qui consent au bien de la raison par mode de nature. Cette inclination vers la fin s’appelle le choix, pour autant qu’une fin prochaine est ordonnée à la fin ultime. C’est pourquoi le Philosophe dit dans Éthiques, II, que la vertu morale rend le choix droit. Mais le discernement de ce par quoi nous pouvons obtenir ce bien de la raison dans les opérations comme dans les passions est un acte de la prudence. Aussi la détermination de la fin précède-t-elle l’acte de la prudence et de la vertu morale ; mais l’inclination vers la fin, ou le choix correct de la fin prochaine, est-il principalement un acte de la vertu morale, mais un acte de la prudence par son origine. Aussi le Philosophe dit-il que, dans les autres vertus, la droiture du choix vient de la prudence, comme la droiture de l’intention de la nature vient de la sagesse divine qui ordonne la nature. L’acte de la prudence est donc ainsi mêlé aux actes des autres vertus. En effet, de même que l’inclination de la vertu morale vient de la raison naturelle, de même l’inclination de la vertu morale vient-elle de la prudence ; mais le choix de ce qui est ordonné à la fin [vient] de ce que le choix comporte un commandement de la raison de le poursuivre. Mais l’acte de la prudence lui est propre et il est distinct des actes des autres vertus. |
[12103] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum igitur
dicendum, quod electio finis proximi pertinet ad virtutem moralem quantum ad hoc
quod electio ad appetitum pertinet; sed electio eorum quae ad illum finem
ordinantur, pertinet ad prudentiam quantum ad id quod cognitionis est:
electio enim aliquid habet de cognitione, et aliquid de appetitu. |
1. Le choix de la fin prochaine relève de la vertu morale dans la mesure où le choix relève de l’appétit ; mais le choix de ce qui est ordonné à cette fin relève de la prudence pour ce qui relève de la connaissance. En effet, le choix comporte une part de connaissance et une part d’appétit. |
[12104] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod eligere medium, est actus uniuscujusque virtutis in propria
materia; sed praefigere medium hoc, est actus prudentiae. |
2. Choisir le milieu est l’acte de chaque vertu en sa propre matière ; mais établir par avance ce milieu est un acte de la prudence. |
[12105] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod virtutis moralis inclinatio convenit quodammodo cum inclinatione
naturae, et quodammodo differt. Convenit quidem in hoc, quia utraque inclinatio
est in finem determinatum; differt autem in hoc quod in naturalibus sicut est
finis determinatus, ita et ea quae sunt ad finem; sed in virtutibus moralibus
est finis determinatus, non autem viae ad finem, quia potest medium inveniri
in diversis diversimode. Et quia naturalis inclinatio est semper uno modo, ideo inclinatio
virtutis moralis non sufficit in ea quae sunt ad finem, sed oportet quod
determinetur per virtutem cognitivam, scilicet prudentiam. |
3. L’inclination de la vertu morale a quelque chose en commun avec l’inclination de la nature et en diffère d’une certaine manière. Elle a quelque chose en commun parce que, dans les deux, l’inclination vise une fin déterminée. Mais elle en diffère en ce que, dans les choses naturelles, de même que la fin est déterminée, de même ce qui se rapporte à la fin l’est-il aussi ; mais, dans les vertus morales, la fin est déterminée, mais non les chemins vers la fin, car le milieu peut se trouver de diverses manières en diverses choses. Et parce que l’inclination va toujours dans le même sens, l’inclination de la vertu morale ne suffit pas pour ce qui se rapporte à la fin, mais il est nécessaire qu’elle soit déterminée par une vertu cognitive : la prudence. |
[12106] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod non quaelibet operatio est finis moralis virtutis, sed illa qua
attingitur medium, in quo est bonum rationis. Sed operationes illae in quibus quaeruntur
debitae circumstantiae ut inveniatur medium, sunt operationes quae sunt
fines. |
4. N’importe quelle opération n’est pas la fin de la vertu morale, mais celle par laquelle le milieu est atteint, dans lequel se trouve le bien de la raison. Or, ces opérations, par lesquelles sont recherchées les circonstances appropriées pour y trouver le milieu, sont des opérations qui se rapportent aux fins. |
[12107] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod Augustinus intendit ponere actus virtutum secundum quod habentur hic
differenter quam in patria: et ideo ponit actus virtutum respectu mali, quod
non erit in patria. Nec curat utrum sint actus principales virtutis cui assignantur,
dummodo ad ipsam, vel ad aliquam virtutem ei annexam, pertineant. |
5. Augustin entend présenter les actes des vertus selon qu’elles sont possédées ici différemment de ce qu’elles le seront dans la patrie. C’est pourquoi il présente les actes des vertus en regard du mal, qui n’existera pas dans la patrie. Et il ne se soucie pas qu’il s’agisse des actes principaux de la vertu à laquelle ils sont assignés, pourvu qu’ils relèvent d’elle ou d’une vertu connexe. |
[12108] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum,
quod perferre, secundum quod dicitur actus fortitudinis, non dicit
immobilitatem, sed electionem immorandi in molestiis propter bonum virtutis
sine perturbatione immoderati timoris; in quo differt ab aliis virtutibus:
quia caritas facit imperturbatum contra odium, mansuetudo contra iram,
patientia contra tristitiam: et hic quidem, ut philosophus dicit in 3 Ethic.,
est magis actus fortitudinis quam aggredi difficilia, quanto est difficilius
praesentia mala non fugere, quam insurgere in mala quae nondum afficiunt.
Quamvis autem fortitudo sit contra molestias mortis principaliter, tamen
etiam secundario est contra omnes alias molestias: quia in omnibus fortis
bene se habet, ut dicit philosophus in 3 Ethic. |
6. Supporter, pour autant que cela désigne un acte de la force, n’indique pas une immobilité, mais le choix de demeurer dans des désagréments en vue du bien de la vertu, sans être troublés par une crainte immodérée. En cela, elle diffère des autres vertus, car la charité rend impertubable contre la haine, la douceur contre la colère, la patience contre la tristesse. Comme le dit le Philosophe dans Éthique, III, cet acte est davantage un acte de la force que d’entreprendre des choses difficiles, pour autant qu’il est plus difficile de ne pas fuir des maux présents que de se dresser contre des maux qui ne nous affectent pas encore. Bien que la force porte principalement sur les désagréments de la mort, elle s’oppose cependant de manière secondaire à tous les désagréments, car celui qui est fort se comporte bien dans tous [les désagréments], ainsi que le dit le Philosophe dans Éthique, III. |
|
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Articulus 4 [12109] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a.
4 tit. Utrum aliqua
potentia animae sit subjectum alicujus virtutis |
Article 4 – Une puissance de l’âme est-elle le sujet d’une vertu ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Une
puissance de l’âme est-elle le sujet d’une vertu ?]
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[12110] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic
proceditur. Videtur quod
nulla potentia animae sit subjectum alicujus virtutis. Forma enim simplex, ut
dicit Boetius, subjectum esse non potest. Sed potentiae animae sunt formae
simplices. Ergo non possunt esse subjectum virtutis. |
1. Il semble qu’aucune puissance de l’âme ne soit le sujet d’une vertu. En effet, une forme simple ne peut être un sujet, comme le dit Boèce. Or, les puissances de l’âme sont des formes simples. Elles ne peuvent donc pas être des sujets d’une vertu. |
[12111] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, cujus est operatio, ejus est habitus. Sed potentiae non est
operatio, sed suppositorum. Ergo potentiae
animae non sunt subjecta habituum virtutum. |
2. L’habitus se trouve là où est l’opération. Or, l’opération ne relève pas d’une puissance, mais des suppôts. Les puissances de l’âme ne sont donc pas des sujets des vertus. |
[12112] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, virtute recte vivitur, secundum Augustinum. Sed vita non
est per potentiam animae, sed magis per essentiam. Ergo virtutes non sunt in potentiis sicut
in subjecto. |
3. Selon Augustin, « par la vertu, on vit correctement ». Or, la vie ne relève pas d’une puissance de l’âme, mais plutôt de son essence. Les vertus ne se trouvent donc pas dans les puissances comme dans un sujet. |
[12113] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, virtus est ultimum potentiae, secundum philosophum in 1
Cael. et Mund. Sed ultimum
est in eo cujus est ultimum. Ergo virtus est in potentia animae sicut in
subjecto. |
Cependant, « la vertu est le point ultime d’une puissance », selon le Philosophe, Sur le ciel et le monde, I. Or, le point ultime se trouve là où se trouve ce qui est ultime. La vertu est donc dans une puissance de l’âme comme dans son sujet. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La
tempérance et la force se trouvent-elles dans l’irascible et dans
leconcupiscible ?]
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[12114] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod temperantia et fortitudo non sint in irascibili
et concupiscibili. Quia, secundum philosophum, 2 Ethic., virtus moralis facit
electionem rectam. Sed electio non est actus irascibilis et concupiscibilis,
sed liberi arbitrii. Ergo non sunt in irascibili et concupiscibili sicut in
subjecto, sed in libero arbitrio. |
1. Il semble que la tempérance et la force ne se trouvent pas dans l’irascible et dans le concupiscible, car, selon le Philosophe, Éthique, II, la vertu morale rend le choix droit. Or, le choix n’est pas un acte de l’irascible et du concupiscible, mais du libre arbitre. Elles ne se trouvent donc pas dans l’irascible et dans le concupiscible comme dans un sujet, mais dans le libre arbitre. |
[12115] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, illud quod est perpetuae corruptionis, non potest esse
subjectum virtutis. Sed sensualitas, cujus partes sunt irascibilis et
concupiscibilis, perpetuae corruptionis est: unde signatur per serpentem.
Ergo irascibilis et concupiscibilis non sunt subjectum alicujus virtutis. |
2. Ce qui est perpétuellement corrompu ne peut être le sujet de la vertu. Or, la sensualité, dont les parties sont l’irascible et le concupiscible, est perpétuellement corrompue ; aussi est-elle signifiée par le serpent. L’irascible et le concupiscible ne sont donc pas les sujets d’une vertu. |
[12116] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, irascibilis et concupiscibilis sunt imperata a ratione. Sed
inconveniens est ponere quod actus virtutum imperentur a naturali ratione. Ergo non sunt aliquae virtutes in
irascibili. |
3. L’irascible et le concupiscible sont commandés par la volonté. Or, il est inapproprié d’affirmer que les actes des vertus sont commandés par la raison naturelle. Il n’y a donc pas de vertus dans l’irascible. |
[12117] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 4 Praeterea, virtutes humanae debent
esse in eo per quod homo ab aliis distinguitur. Sed hoc est ratio. Ergo omnes sunt in
ratione, non in irascibili et concupiscibili. |
4. Les vertus humaines doivent se trouver dans ce par quoi l’homme se distingue des autres choses. Or, cela est la raison. Toutes [les vertus] se trouvent donc dans la raison, et non dans l’irascible et dans le concupiscible. |
[12118] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 5 Praeterea, contraria nata sunt fieri circa idem. Sed peccatum mortale
opponitur virtuti. Cum ergo ejus subjectum non possit esse nisi ratio vel
voluntas, quia omne peccatum in voluntate est; nec virtus poterit esse in
irascibili et concupiscibili. |
5. Les contraires sont par nature susceptibles d’être accomplis à propos de la même chose. Or, le péché mortel s’oppose à la vertu. Puisque son sujet ne peut être que la raison ou la volonté, car tout péché se trouve dans la volonté, la vertu ne pourra donc pas non plus se trouver dans l’irascible et dans le concupiscible. |
[12119] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 6 Praeterea, sicut appetitiva sensibilis deservit voluntati et rationi;
ita apprehensiva sensibilis intellectui. Sed in apprehensivis sensitivae partis non ponitur aliqua virtus. Ergo
nec in appetitiva sensibili. |
6. De même que la partie sensible appétitive est au service de la volonté et de la raison, de même la partie sensible cognitive est-elle de [au service de] l’intellect. Or, on ne situe aucune vertu dans les [puissances] cognitives de la partie sensible. Donc, ni dans la [puissance] appétitive sensible. |
[12120] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, philosophus, in 1 Ethic.,
distinguit virtutes morales et intellectuales; et morales distinguit secundum
rationale per essentiam et per participationem. Sed rationale per
participationem est in irascibili et concupiscibili. Ergo et cetera. |
Cependant, [1] dans Éthique, I, le Philosophe distingue les vertus morales des vertus intellectuelles ; et il distingue les vertus morales selon ce qui est raisonnable par essence et par participation. Or, ce qui est raisonnable par participation se trouve dans l’irascible et dans le concupiscible. Donc, etc. |
[12121] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, philosophus assignat
differentiam inter continentem et temperatum; quia continens patitur et non
deducitur; temperatus autem non patitur. Sed hoc non potest esse nisi in
temperato sit aliquid in illa vi in qua sunt natae esse passiones. Cum ergo
passiones in irascibili et concupiscibili sint, videtur quod in irascibili et
concupiscibili sit aliqua virtus. |
[2] Le Philosophe donne comme différence entre le continent et le tempéré, que le continent éprouve [une passion] mais n’est pas entraîné [par elle], mais que le tempéré ne [l]’éprouve pas. Or, cela ne peut exister chez le tempéré que s’il y a quelque chose dans la puissance où se trouvent par nature les passions. Puisque les passions se trouvent dans l’irascible et dans le concupiscible, il semble donc que la vertu se trouve dans l’irascible et dans le concupiscible. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La
justice se trouve-t-elle aussi dans l’irascible et dans le
concupiscible ?]
|
[12122] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod justitia sit etiam in irascibili et
concupiscibili. Quia justitia est moralis virtus, cujus subjectum est
rationale per participationem, quod est irascibilis et concupiscibilis. Ergo
justitia est in irascibili et concupiscibili. |
1. Il semble que la justice se trouve aussi dans l’irascible et dans le concupiscible, car la justice est une vertu morale dont le sujet est quelque chose de raisonnable par participation, ce qui est le propre de l’irascible et du concupiscible. La justice se trouve donc dans l’irascible et dans le concupiscible. |
[12123] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, tres sunt vires motivae: rationalis, irascibilis, et
concupiscibilis. Sed justitia non est in rationali, quia non est virtus
cognitiva. Ergo est in irascibili vel concupiscibili. |
2. Il existe trois puissances qui meuvent : la [puissance] raisonnable, l’irascible et le concupiscible. Or, la justice ne se trouve pas dans la puissance raisonnable, car elle n’est pas une vertu cognitive. Elle se trouve donc dans l’irascible et le concupiscible. |
[12124] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, voluntas se
habet aequaliter ad omnia opera virtutum: quia omnes virtutes sunt habitus
voluntarii. Ergo eadem ratione vel omnes virtutes sunt in voluntate, vel
nulla. Non autem omnes virtutes sunt in voluntate: quia fortitudo est in
irascibili, temperantia in concupiscibili. Ergo justitia non est in voluntate
nec in ratione, ut dictum est; ergo est in irascibili vel concupiscibili. |
3. La volonté a un rapport égal à tous les actes des vertus, car toutes les vertus sont des habitus volontaires. Donc, pour la même raison, soit toutes les vertus se trouvent dans la volonté, soit aucune. Or, toutes les vertus ne se trouvent pas dans la volonté, car la force se trouve dans l’irascible et la tempérance, dans le concupiscible. La justice ne se trouve donc ni dans la volonté ni dans la raison, comme on l’a dit. Elle se trouve donc dans l’irascible ou le concupiscible. |
[12125] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 4 Praeterea, in illa vi est
virtus aliqua sicut in subjecto ad quam pertinet materia virtutis. Sed
materia justitiae pertinet ad irascibilem et concupiscibilem: quia quantum ad
materiam exteriorem circuit actus aliarum virtutum, ut dictum est. Ergo est in irascibili et concupiscibili. |
4. Une vertu se trouve comme dans son sujet dans la puissance dont relève la matière de la vertu. Or, la matière de la justice relève de l’irascible et du concupiscible, car, pour ce qui est de sa matière extérieure, elle englober les actes des autres vertus, comme on l’a dit. Elle se trouve donc dans l’irascible et dans le concupiscible. |
[12126] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Anselmus dicit, quod justitia est rectitudo voluntatis
propter se servata. Sed rectitudo voluntatis est in voluntate sicut in
subjecto. Ergo justitia est in voluntate, et non in irascibili et
concupiscibili. |
Cependant, [1] Anselme dit que « la justice est la droiture de la volonté maintenue pour elle-même ». Or, la droiture de la volonté se trouve dans la volonté comme dans son sujet. La justice se trouve donc dans la volonté, et non dans l’irascible et dans le concupiscible. |
[12127] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, justitia
consistit in ordine ad alium. Sed ordinare non est nisi rationis. Ergo justitia non est in
irascibili et concupiscibili, sed in ratione. |
[2] La justice consiste dans un rapport à l’autre. Or, établir un rapport ne relève que de la raison. La justice ne se trouve donc pas dans l’irascible et dans le concupiscible, mais dans la raison. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 – [La
prudence se trouve-t-elle dans la raison ?]
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[12128] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod prudentia non sit in ratione. Quia, sicut dicit
philosophus, in 6 Ethic., prudentia praeceptiva est. Sed praecipere pertinet ad voluntatem, quae
est motor omnium virium, ut dicit Anselmus. Ergo prudentia est in voluntate
sicut in subjecto. |
1. Il semble que la prudence ne se trouve pas dans la raison, car, ainsi que le dit le Philosophe, Éthique, VI, la prudence commande. Or, commander relève de la volonté, qui est le moteur de toutes les puissances, comme le dit Anselme. La prudence se trouve donc dans la volonté comme dans son sujet. |
[12129] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 arg. 2 Praeterea, eligere videtur esse actus prudentiae. Sed electio non est
actus rationis, sed liberi arbitrii, quod est idem quod voluntas. Ergo prudentia non est in
ratione sicut in subjecto, sed in voluntate. |
2. Choisir semble être un acte de la prudence. Or, le choix n’est pas un acte de la raison, mais du libre arbitre, qui est la même chose que la volonté. La prudence ne se trouve donc pas dans la raison comme dans son sujet, mais dans la volonté. |
[12130] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 arg. 3 Praeterea, habitui qui est in ratione sicut in subjecto, magis
opponitur error involuntarius quam error voluntarius, sicut magis est
vituperabilis grammaticus si involuntarius soloecizet quam si voluntarius.
Sed magis opponitur prudentiae peccatum quod quis voluntarie committit, quam
illud quod quis involuntarius facit. Ergo prudentia non est in ratione sicut
in subjecto, sed magis in voluntate. |
3. L’erreur involontaire s’oppose davantage à un habitus qui se trouve dans la raison comme dans son sujet, que l’erreur volontaire : ainsi, le grammairien est plus à blâmer s’il commet un solécisme involontairement plutôt que volontairement. Or, le péché que quelqu’un commet volontairement s’oppose davantage à la prudence, que celui que quelqu’un commet involontairement. La prudence ne se trouve donc pas dans la raison comme dans son sujet, mais plutôt dans la volonté. |
[12131] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 s. c. 1 Sed contra est quod philosophus dicit in 6 Ethic., quod prudentia est
recta ratio operabilium. |
Cependant, [1] en Éthique, VI, le Philosophe dit que la prudence est la raison droite de ce qui doit être accompli. |
[12132] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, partes
prudentiae, secundum Tullium, assignantur memoria, intelligentia,
providentia. Sed haec non pertinent ad voluntatem, sed ad rationem. Ergo
prudentia non est in voluntate, sed in ratione. |
[2] Selon Tullius [Cicéron], les parties de la prudence sont la mémoire, l’intelligence et la prévoyance. Or, celles-ci ne relèvent pas de la volonté mais de la raison. La prudence ne se trouve donc pas dans la volonté mais dans la raison. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question
1
|
[12133] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod substantia, quae est
subjectum omnium, recipit quaedam accidentia mediantibus aliis; et quaedam
causantur ex principiis substantiae, mediantibus aliis accidentibus; sicut
colorem recipit mediante superficie, et ex principiis corporis mixti causatur
sapor mediante calido et frigido. Unde subjectum alicujus accidentis potest
dupliciter assignari. Uno modo substantia, quae est primum fundamentum accidentium;
et sic habitus virtutum non sunt in potentiis sicut in subjecto, sed magis in
ipsa anima, vel etiam conjuncto. Alio modo dicitur accidens quo mediante
inest alterum accidens substantiae, esse subjectum illius, sicut superficies
coloris: et hoc modo habitus virtutum dicuntur esse in potentiis sicut in
subjecto: quia habitus ordinantur ad actus; actus autem egrediuntur ab
essentia animae mediante potentia. |
La substance, qui est le sujet de tous les accidents, en reçoit certains par l’intermédiaire d’autres, et certains sont causés à partir des principes de la substance par l’intermédiaire d’autres accidents. Ainsi, [une substance reçoit] la couleur par l’intermédiaire de la surface, et la saveur est causée par l’intermédiaire du chaud et du froid à partir des principes d’un corps mixte. Le sujet d’un accident peut donc être présenté de deux manières. Premièrement, [ce peut être] la substance, qui est le fondement premier des accidents. Ainsi les habitus des vertus ne se trouvent pas dans les puissances comme dans leur sujet, mais plutôt dans l’âme elle-même ou encore dans le composé [d’âme et de corps]. Deuxièmement, on dit que l’accident, par l’intermédiaire duquel existe un autre accident de la substance, est son sujet, comme c’est le cas de la surface pour la couleur. On dit ainsi que les habitus des vertus se trouvent dans les puissances comme dans leur sujet parce que les habitus sont ordonnés aux actes ; or, les actes proviennent de l’essence de l’âme par l’intermédiaire d’une puissance. |
[12134] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod forma quae neque habet materiam ex qua
neque in qua, nullo modo potest esse subjectum; forma autem quae habet
materiam in qua, quamvis non habeat materiam ex qua, potest esse subjectum
non sicut primum sustinens accidens, sed sicut id quo mediante accidens
substantiae inest. |
1. La forme qui n’a pas de matière comme principe (ex qua) ni comme sujet (in qua) ne peut d’aucune manière être le sujet. Mais la forme qui a une matière comme sujet, bien qu’elle n’ait pas de matière comme principe, peut être sujet, non pas en tant que premier sujet supportant l’accident, mais comme ce par l’intermédiaire de quoi un accident se trouve dans la substance. |
[12135] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod quamvis operatio non sit potentiae sicut operantis, est tamen potentiae
sicut principii operationis, quo quis operatur. |
2. Bien que l’opération ne soit pas le fait de la puissance comme sujet agissant, elle est cependant le fait de la puissance en tant que principe de l’opération par laquelle quelqu’un agit. |
[12136] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod vivere uno modo dicitur esse viventis; et
hoc modo vivere non est per potentias, sed per essentiam animae. Alio modo dicitur vivere
operatio viventis; et sic vivere est per potentias, quae sunt operationum
vitae principia. |
3. D’une première manière, on dit que vivre, c’est être pour le vivant : de cette manière, vivre ne se réalise pas par les puissances, mais par l’essence de l’âme. D’une autre manière, on dit que vivre est l’opération du vivant : ainsi, vivre se réalise par l’intermédiaire des puissances, qui sont les principes des opérations de la vie. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
|
[12137] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod virtutes
humanae sunt quibus opus hominis bonum redditur; unde in omni potentia quae
est principium humani operis, oportet esse habitum virtutis, quo opus ejus
bonum redditur: alias non esset sufficienter homo per virtutem perfectus. Principium autem humani operis est omnis
potentia in qua aliquid rationis invenitur, a qua homo habet quod homo sit.
Unde cum in irascibili et concupiscibili, quae sunt partes sensibilis
appetitus, sit aliquid rationis participative, inquantum rationi obedire
possunt, quod non est de potentiis nutritivae partis; oportet quod in
irascibili et concupiscibili sint aliquae virtutes sicut in subjecto, quibus
efficitur ut facile rationi obediant illae potentiae in quibus sunt; quod
quidem contingit inquantum passiones reprimuntur, ut non rationem perturbent.
Unde in illo qui passiones vehementiores patitur, sed non deducitur, est
quidem habitus in ratione, qui tenet eam ne deducatur, non autem in viribus
illis in quibus sunt passiones; sicut patet in continente; et ideo continens,
seu abstinens, non est perfecte virtuosus, sed temperatus vel mitis, in quo
non solum superior pars est perfecta ut deduci non possit, sed etiam inferior
moderata ut passiones vehementes non insurgant; et ideo in quacumque potentia
est passio circa quam est virtus aliqua, illa potentia est subjectum illius
virtutis; sicut concupiscibilis, temperantiae; fortitudinis autem et
mansuetudinis, irascibilis. |
Les vertus humaines sont ce par quoi l’action de l’homme est rendue bonne ; aussi, dans toute puissance qui est principe de l’action humaine, il est nécessaire qu’existe l’habitus d’une vertu par lequel son action est rendue bonne ; autrement, l’homme ne serait pas suffisamment perfectionné par la vertu. Or, le principe d’un acte humain est toute puissance dans laquelle on trouve quelque chose de la raison, par laquelle l’homme obtient d’être homme. Puisque, dans l’irascible et dans le concupiscible, qui sont des parties de l’appétit sensible, existe quelque chose de la raison par mode de participation, pour autant qu’elles peuvent obéir à la raison, ce qui n’est pas le cas des puissances de la partie nutritive, il est donc nécessaire que, dans l’irascible et dans le concupiscible, existent certaines vertus comme dans leur sujet, par lesquelles les puissances dans lesquelles elles se trouvent obéissent facilement à la raison, ce qui se produit dans la mesure où les passions sont réprimées pour qu’elles ne troublent pas la raison. Aussi, chez celui qui subit des passions plus impétueuses, mais n’est pas entraîné [par elles], existe dans la raison un habitus qui la retient pour qu’elle ne soit pas entraînée, mais non dans les puissances mêmes où se trouvent les passions, comme cela ressort pour le continent. C’est pourquoi le continent ou celui qui s’abstient n’est pas parfaitement vertueux, mais le tempéré ou le doux [l’est], chez qui, non seulement la partie supérieure est parfaite, de sorte qu’il n’est pas entraîné, mais aussi la [partie] inférieure, de sorte que ne s’élèvent pas des passions véhémentes. C’est pourquoi, en chaque puissance où existe une passion sur laquelle porte une vertu, cette puissance est le sujet de cette vertu, comme le concupiscible, pour la tempérance, et l’irascible, pour la force et la douceur. |
[12138] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod electio, secundum philosophum in 6
Ethic., est appetitus, et intellectus sive rationis: completur enim in
appetitu praecedente inquisitione rationis. Unde omnis appetitus ad quem potest pervenire rationis imperium,
particeps electionis esse potest, inquantum hujusmodi: et praecipue illius
electionis quae est de fine; quamvis non sit electio de qua loquitur
philosophus. |
1. Selon le Philosophe, Éthique, VI, le choix relève de l’appétit et de l’intellect ou de la raison. En effet, il s’achève dans l’appétit après une recherche par la raison. Aussi tout appétit auquel peut parvenir un commandement de la raison peut-il participer au choix en tant que tel, principalement au choix qui porte sur la fin, bien que ce ne soit pas le choix dont parle le Philosophe. |
[12139] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sensibilis appetitus, secundum quod in
natura sua consideratur, dicitur sensualitas, et sic est perpetuae
corruptionis; et secundum ipsum non differt homo a brutis, nec potest esse
subjectum virtutis, non autem secundum quod est participans aliqualiter
ratione; et ideo nihil prohibet sic in eo esse virtutem sicut in proximo
subjecto. |
2. L’appétit sensible, considéré dans sa nature propre, est appelé sensualité, et ainsi il est corrompu de manière perpétuelle. Selon lui, l’homme ne diffère pas des animaux sans raison et ne peut pas non plus être le sujet de la vertu, mais non pas selon qu’il participe d’une certaine manière à la raison. C’est pourquoi rien n’empêche qu’existe en lui une vertu comme dans son sujet rapproché. |
[12140] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virtutes quaedam sunt acquisitae, et quaedam
gratuitae. Virtutibus autem acquisitis nobilior est naturalis ordinatio in
ratione et voluntate ad bonum. Unde non est inconveniens, si a naturali
potentia earum actus imperentur, cum ex hoc sint virtutes in inferioribus
partibus quod superioribus in eo quod naturale est eis, obediunt. Sed
virtutes infusae sunt nobiliores potentiis naturalibus; eis tamen omnibus
nobilior est caritas, quae est in voluntate, qua mediante ratio inferioribus
viribus praecipit; et ideo non est inconveniens quod a caritate motus aliarum
virtutum etiam imperentur. |
3. Certaines vertus sont acquises et certaines sont gratuites. Pour les vertus acquises, l’orientation naturelle de la raison et de la volonté au bien est plus noble. Il n’est donc pas inapproprié que leurs actes soient commandés par une puissance naturelle, puisque les vertus des parties inférieures existent du fait qu’elles obéissent aux parties supérieures pour ce qui leur est naturel. Mais les vertus infuses sont plus nobles que les puissances naturelles. Cependant, la plus noble d’entre elles est la charité, qui se trouve dans la volonté, par l’intermédiaire de laquelle la raison commande aux puissances inférieures. C’est pourquoi il n’est pas inapproprié que les mouvements des autres vertus soient aussi commandés par la charité. |
[12141] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod homo distinguitur a brutis non solum in eo
quod est rationale essentialiter, sed etiam in eo quod est rationale per
participationem. |
4. L’homme se distingue des animaux sans raison, non seulement par ce qu’il y a d’essentiellement rationnel en lui, mais aussi par ce qu’il y a en lui de rationnel par participation. |
[12142] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non dicitur peccatum mortale semper esse in
ratione quasi omnis actus peccati mortalis sit actus rationis elicitive, cum
etiam in actibus exteriorum membrorum possit esse mortale peccatum; sed quia
nullus actus peccati mortalis rationem accipit, nisi consensus adveniat; et
similiter nullus actus potest esse virtutis, nisi a ratione ordinetur; et hoc
est esse virtutem in inferioribus potentiis, inquantum participant ratione. |
5. On ne dit pas que le péché mortel se situe toujours dans la raison, comme si tout acte de péché mortel était un acte choisi par la raison, puisqu’il peut y avoir un péché mortel même dans les actes des membres extérieurs, mais parce qu’aucun acte de péché ne reçoit le caractère de péché mortel que si un consentement survient. De la même façon, il ne peut exister aucun acte de vertu, à moins qu’il ne soit ordonné par la raison. C’est ainsi qu’existe la vertu dans les puissances inférieures, pour autant qu’elles participent à la raison. |
[12143] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod apprehensivae sensitivae aliter serviunt
intellectui quam appetitivae sensitivae rationi et voluntati. Apprehensiva enim sensitiva servit
intellectui ministrando ei suum objectum; et ideo magis intellectus
participat aliquid a sensu quam e converso; sed appetitiva sensibilis servit
voluntati et rationi quasi moventi, et sic participat aliquid ab ea: et ideo
est aliqualiter rationalis, scilicet participative, non autem vis apprehensiva
sensibilis; et propter hoc apprehensiva sensibilis non potest esse subjectum
virtutis, sicut appetitiva sensibilis. |
6. Les puissances sensibles cognitives servent l’intellect autrement que les puissances sensibles appétitives ne servent la raison et la volonté. En effet, la puissance sensible cognitive est au service de l’intellect en lui présentant son objet. C’est pourquoi l’intellect reçoit davantage du sens par participation que l’inverse. Mais la puissance sensible appétitive est au service de la volonté et de la raison comme quelque chose qui meut, et ainsi elle reçoit d’elles quelque chose par participation. Elle est donc d’une certaine manière raisonnable, à savoir, par participation, mais non la puissance sensible cognitive. Pour cette raison, la puissance sensible cognitive ne peut être sujet de vertu, comme la puissance sensible appétitive. |
Quaestiuncula
3 |
Réponse à la
sous-question 3
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[12144] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem
dicendum, quod justitia non potest esse in irascibili et concupiscibili sicut
in subjecto, cum non sit circa passiones: ad ipsam enim non pertinet moderari
passiones, sed exteriores actiones quae sunt ad alterum. Unde oportet quod
sit in illa potentia sicut in subjecto ad quam pertinet usus rerum exteriorum
in ordine ad alterum. Uti autem actus voluntatis est secundum Augustinum; sed
non absolute secundum quod voluntas est finis, sed secundum quod praesupponit
collationem rationis ordinantis ad alterum; et ideo in voluntate hoc modo accepta,
est justitia sicut in subjecto. In voluntate enim, secundum quod est finis,
non potest esse aliqua virtus moralis, quia ad bonum civile et naturale
hominis, voluntas naturalem inclinationem habet sicut in proprium subjectum;
sed secundum quod voluntas est eorum quae sunt ordinata ad finem, sic in
voluntate potest esse moralis virtus, scilicet justitia, sicut et prudentia
in ratione cognitiva. Hoc autem quod
dictum est de subjecto justitiae, consonat omnibus quae dicuntur ab aliis de
subjecto justitiae. Quidam enim dicunt eam esse in ratione: quod non potest
esse secundum quod ratio est cognitiva potentia, sed secundum quod ratio
comprehendit et cognitionem et affectionem: secundum quod dicitur quod
voluntas in ratione est. Alii vero dicunt quod est in tota anima: quod quidem
verificatur inquantum voluntas est universalis motor omnium virium animae;
unde etiam Commentator in 5 Ethic. dicit quod est in rationali et
concupiscibili. Et similis ratio est de omnibus virtutibus quae non sunt
circa passiones, sed circa operationes, sicut liberalitas, magnificentia, et
hujusmodi. |
La justice ne peut se trouver dans l’irascible et dans le concupiscible comme dans un sujet, puisqu’elle ne porte pas sur les passions : en effet, il ne lui appartient pas de modérer les passions, mais les actions extérieures qui se rapportent à quelqu’un d’autre. Il est donc nécessaire qu’elle se trouve comme dans son sujet dans la puissance dont relève l’usage des choses extérieures en rapport avec quelqu’un d’autre. Or, l’usage est un acte de la volonté selon Augustin, non pas de manière absolue selon que la volonté porte sur la fin, mais selon qu’elle présuppose un rapprochement de la raison qui ordonne à quelqu’un d’autre. C’est pourquoi la justice se trouve dans la volonté ainsi entendue comme dans son sujet. En effet, dans la volonté, selon qu’elle porte sur la fin, il ne peut y avoir de vertu morale, car la volonté a une inclination naturelle au bien civil et naturel de l’homme comme à son objet propre. Mais selon que la volonté porte sur ce qui est ordonné à la fin, une vertu morale peut exister dans la volonté, à savoir, la justice, comme aussi la prudence dans la raison cognitive. Or, ce qui a été dit du sujet de la justice est en accord avec tout ce qui est dit par d’autres à propos du sujet de la justice. En effet, certaines disent qu’elle se trouve dans la raison, ce qui ne peut être le cas selon que la raison est une puissance cognitive, mais selon que la raison comprend la connaissance et l’affectivité, pour autant qu’on dit de la volonté qu’elle se trouve dans la raison. Mais d’autres disent qu’elle se trouve dans toute l’âme, ce qui s’avère vrai pour autant que la volonté est le moteur universel de toutes les puissances de l’âme. Aussi, en Éthique, V, même le Commentateur dit-il qu’elle se trouve dans la [puissance] rationnelle et concupiscible. Et le raisonnement est le même pour toutes les vertus qui ne portent pas sur les passions, mais sur les opérations, comme la libéralité, la magnificence et celles de ce genre. |
[12145] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod rationale per participationem non
solum dicitur irascibilis et concupiscibilis, sed universaliter appetitus, ut
ibidem dicit; et ideo voluntas quamvis per essentiam sit in parte
intellectiva, tamen quantum ad actum aliqualiter ratione participat, et
praecipue secundum quod est eorum quae sunt ad finem, in quae intendit
secundum quod a ratione praeordinata sunt; et ideo potest esse subjectum
virtutis moralis. |
1. Non seulement l’irascible et le concupiscible sont-ils appelés raisonnables par participation, mais aussi l’appétit d’une manière universelle, comme il le dit au même endroit. C’est pourquoi la volonté, bien qu’elle se trouve par essence dans la partie intellective, participe-t-elle d’une certaine manière à la raison pour ce qui est de son acte, principalement selon qu’elle porte sur ce qui se rapporte à la fin, vers quoi elle tend selon que cela a d’abord été ordonné par la raison. Aussi peut-elle être sujet de la vertu morale. |
[12146] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod rationale comprehendit non solum rationem
cognitivam, sed etiam voluntatem; et sic justitia est in rationali sicut in
subjecto. |
2. Ce qui est raisonnable comprend non seulement la raison cognitive, mais aussi la volonté. Ainsi, la justice se trouve dans ce qui est raisonnable comme dans son sujet. |
[12147] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis voluntas aequaliter habeat imperium
super omnes materias et actus virtutum; tamen materiae quarumdam virtutum,
sicut passiones, pertinent etiam ad alias potentias immediatius; et ideo
virtutes quae sunt principaliter circa passiones, sunt in illis potentiis
sicut in subjecto. Sed materiae quarumdam virtutum non pertinent ad aliam
potentiam nisi ad voluntatem; et ideo virtutes quae sunt circa illas
materias, sunt in voluntate sicut in subjecto. |
3. Bien que la volonté commande à toutes les matières et à tous les actes des vertus, les matières de certaines vertus, telles les passions, relèvent cependant aussi d’autres puissances de manière plus immédiate. C’est pourquoi les vertus qui portent principalement sur les passions se trouvent dans ces puissances comme dans leurs sujets. Mais les matières de certaines vertus ne se rapportent à aucune autre puissance qu’à la volonté. C’est pourquoi les vertus qui portent sur ces matières se trouvent dans la volonté comme dans leur sujet. |
[12148] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
materiae aliarum virtutum possunt esse materia justitiae non secundum quod
passionem inferunt, sed secundum quod veniunt in usum operationis ad alterum. |
4. Les matières d’autres vertus peuvent être la matière de la justice, non pas selon qu’elles suscitent une passion, mais selon qu’elles sont utilisées dans une opération se rapportant à quelqu’un d’autre. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la
sous-question 4
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[12149] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem
dicendum, quod prudentia est in ratione cognitiva practica sicut in subjecto.
Sed sciendum, quod sicut
in voluntate non potest esse virtus moralis ex parte illa qua est finis,
propter naturalem inclinationem, ita etiam nec in ratione ex parte illa qua
est de fine, quia finis est principium in operativis. Unde sicut in ratione
speculativa sunt innata principia demonstrationum, ita in ratione practica
sunt innati fines connaturales homini; unde circa illa non est habitus
acquisitus aut infusus, sed naturalis, sicut synderesis, loco cujus
philosophus in 6 Ethic. ponit intellectum in operativis. Relinquitur igitur quod
prudentia sit in ratione practica secundum quod negotiatur de illis quae sunt
ad finem. Sed quia
naturalis inclinatio ad finem aliquem est ex praestituente naturam, qui talem
ordinem naturae tribuit; ideo naturalis inclinatio voluntatis ad finem non
est ex ratione, nisi forte secundum naturalem communicantiam, qua fit ut
appetitus rationi conjunctus naturaliter tendat ad conformandum se rationi
sicut regulae; et ex hoc est quod voluntas est naturaliter inclinata ad
finem, qui naturaliter rationi est inditus. Unde cum negotiatio de his quae
sunt ad finem, praesupponat naturalem cognitionem finis, quae sequitur
naturalem inclinationem voluntatis in finem; oportet quod habitus perficiens
rationem negotiantem de his quae sunt ad finem, praesupponat inclinationem
appetitus ad finem: quae quidem inclinatio in appetitu superiori, scilicet
voluntate, est naturalis; in appetitu autem inferiori est ex assuetudine, vel
ex Dei dono, quantum ad sui complementum; sed aliqua ejus inchoatio etiam est
a natura, inquantum est naturaliter obaudibilis rationi. In hoc igitur
differt prudens a continente; quia continens habet perfectam rationem de his
quae sunt ad finem, praesupposita tamen naturali inclinatione voluntatis ad
finem; prudens autem praesupposita inclinatione quae est ex virtute acquisita
vel infusa in potentiis inferioribus; et ideo prudentia, ut dicit
philosophus, habet sua principia in aliis virtutibus moralibus. |
La prudence se trouve dans la raison cognitive pratique comme dans son sujet. Mais il faut savoir que, de même qu’il ne peut y avoir de vertu morale dans la volonté sous l’aspect où elle porte sur la fin, en raison de l’inclination naturelle, de même aussi [ne peut-il y en avoir] dans la raison sous l’aspect où elle porte sur la fin, car la fin est le principe en matière d’actions. De même que, dans la raison spéculative, existent les principes innés des démonstrations, de même donc, dans la raison pratique, existent des fins innées connaturelles à l’homme. Il n’existe donc pas d’habitus acquis ou infus à leur propos, mais [un habitus] naturel, comme la syndérèse ; en Éthique, VI, le Philosophe, la remplace par l’intellect en matière d’opérations. Il reste donc que la prudence se trouve dans la raison pratique selon qu’elle traite de ce qui se rapporte à la fin. Mais parce que l’inclination naturelle à une fin vient de la nature qui l’a établie à l’avance et lui a conféré un tel ordre de la nature, l’inclination naturelle de la volonté à la fin ne vient donc de la raison que selon un échange naturel, par lequel l’appétit naturellement uni à la raison tend à se conformer à la raison comme à sa règle. De là vient que la volonté est naturellement inclinée à la fin qui est naturellement placée dans la raison. Comme le traitement de ce qui se rapporte à la fin présuppose une connaissance naturelle de la fin, qui découle de l’inclination naturelle de la volonté vers la fin, il est donc nécessaire que l’habitus qui perfectionne la raison qui traite de ce qui se rapporte à la fin, présuppose l’inclination de l’appétit vers la fin : cette inclination de l’appétit supérieur, la volonté, est naturelle. Mais, dans l’appétit inférieur, elle vient de l’habitude (assuetudine) ou d’un don de Dieu pour ce qui est de son accomplissement. Cependant, une amorce (inchoatio) vient de la nature pour autant qu’elle est naturellement susceptible d’obéir à la raison. En cela, donc, le prudent diffère du continent, que le continent possède une raison parfaite à propos de ce qui se rapporte à la fin, en présupposant cependant l’inclination naturelle de la volonté vers la fin, mais le prudent, en présupposant l’inclination qui vient de la vertu acquise ou infuse dans les puissances inférieures. C’est pourquoi la prudence, comme le dit le Philosophe, trouve ses principes dans les autres vertus morales. |
[12150] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod ratio etiam praecipit mediante
voluntate, inquantum sententiat aliquid esse faciendum. |
1. La raison commande par l’intermédiaire de la volonté dans la mesure où elle détermine que quelque chose doit être fait. |
[12151] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod eligere est actus prudentiae quantum ad id
quod est de cognitione in electione. |
2. Choisir est un acte de la prudence pour ce qui relève de la connaissance dans le choix. |
[12152] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc convenit prudentiae, inquantum
praesupponit inclinationem voluntatis et inferiorum virium. |
3. Cela convient à la prudence dans la mesure où elle présuppose une inclination de la volonté et des puissances inférieures. |
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Articulus 5 [12153] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a.
5 tit. Utrum aliae
virtutes cardinales reducantur ad prudentiam sicut ad principaliorem, vel
causam |
Article 5 – Les autres vertus cardinales se ramènent-elles à la prudence comme à une vertu principale ou à leur cause ? |
[12154] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic
proceditur. Videtur quod aliae virtutes cardinales non reducantur ad
prudentiam sicut ad principaliorem et causam. Scire enim, ut dicit
philosophus in 2 Ethic., parum aut nihil facit ad virtutem. Sed prudentia quaedam scientia est, ut in 4
Topic. dicitur. Ergo ipsa minimum habet de ratione virtutis. |
1. Il semble que les autres vertus ne se ramènent pas à la prudence comme à une vertu principale et à leur cause. En effet, ainsi que le dit le Philosophe, Éthique, II, savoir contribue peu ou rien à la vertu. Or, la prudence est une science, comme il est dit dans les Topiques, IV. Elle possède donc très peu le caractère de vertu. |
[12155] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 arg. 2 Praeterea, per
virtutes morales sanantur animae passiones. Sed ad hoc quod aliquis
corporaliter sanetur, non est necesse quod ipse scientiam medicinae habeat,
sed sufficit quod aliquis alius habeat; et ipsa sanatio melius valet quam
scientia medicinae, quia finis ejus est. Ergo non est necessarium ad virtutem quod aliquis prudentiam habeat;
et etiam ipsa est minus principalis inter alias virtutes. |
2. Les passions de l’âme sont guéries par les vertus morales. Or, pour que quelqu’un soit guéri en son corps, il n’est pas nécessaire qu’il possède la science de la médéecine, mais il suffit que quelqu’un d’autre la possède, et la guérison elle-même vaut mieux que la science de la médecine, car elle en est la fin. Il n’est donc pas nécessaire pour la vertu de posséder la prudence ; elle est même moins principale que les autres vertus. |
[12156] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 arg. 3 Praeterea, secundum
philosophum in 2 Metaph., eorum quae communicant in nomine et definitione,
illud cui per prius convenit nomen, est maximum in illo genere, et causa
aliorum. Sed nomen
virtutis secundum Boetium ad alias virtutes a fortitudine derivatur; unde et
Sap. 8, per virtutem fortitudo intelligitur. Ergo fortitudo est principalior inter omnes alias virtutes, et non
prudentia. |
3. Selon le Philosophe, Métaphysique, II, parmi ce dont le nom et la définition sont communs, ce à quoi convient en premier le nom est ce qu’il y a de plus grand dans ce genre et la cause des autres choses. Or, selon Boèce, le nom de vertu est passé de la force aux autres vertus ; aussi, dans Sg 8, entend-on la force au sens de vertu. La force est donc principale par rapport à toutes les autres vertus, et non pas la prudence. |
[12157] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 arg. 4 Praeterea, illud
propter quod intermittitur aliud, est principalius eo. Sed propter justitiam
intermittuntur omnes aliae virtutes, ut probat Tullius in 1 de officiis. Ergo ipsa est principalior, et non
prudentia. |
4. Ce pour quoi quelque chose est suspendu est principal par rapport à cela. Or, toutes les autres vertus sont suspendues en raison de la justice, comme le montre Tullius [Cicéron] dans Sur les fonctions, I. Elle est donc [la vertu] principale, et non la prudence. |
[12158] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 arg. 5 Praeterea, sicut
oppositum in opposito, et propositum in proposito, ut docet philosophus in 2 Topic. Sed
oppositum temperantiae est maxime vituperabile et turpe, ut dicit philosophus
in 3 Ethic. Ergo temperantia est maxime laudabilis, et non prudentia. |
5. Ce qui est visé par l’intention est comme le contraire par rapport au contraire, ainsi que l’enseigne le Philosophe dans Topiques, II. Or, le contraire de la tempérance est blâmable et honteux au plus haut point, comme le dit le Philosophe, Éthique, III. La tempérance est donc louable au plus haut point, et non la prudence. |
[12159] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 arg. 6 Praeterea, philosophus dicit in 6
Ethic., quod principia prudentiae sunt in virtutibus moralibus. Sed principia sunt
potiora his quae sunt ex principiis. Ergo aliae virtutes morales sunt
prudentia digniores. |
6. En Éthique, VI, le Philosophe dit que les principes de la prudence se trouvent dans les vertus morales. Or, les principes sont plus importants que ce qui découle des principes. Les autres vertus morales sont donc plus dignes que la prudence. |
[12160] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 s.
c. 1 Sed contra, in
quolibet genere illud quod dirigit, nobilius est. Sed ad prudentiam pertinet
dirigere in omnibus virtutibus moralibus, ut patet per definitionem virtutis
in 2 Ethic. positam. Ergo ipsa est nobilior aliis virtutibus. |
Cependant, [1] dans chaque genre, ce qui dirige est plus noble. Or, il revient à la prudence de diriger dans toutes les vertus morales, comme cela ressort de la définition donnée pour la vertu, Éthique, II. Elle est donc plus noble que les autres vertus. |
[12161] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 s. c. 2 Praeterea, habitus proportionantur potentiis in quibus sunt. Sed
ratio, in qua est prudentia, est superior aliis viribus, in quibus sunt aliae
virtutes. Ergo prudentia
est nobilior aliis virtutibus. |
[2] Les habitus sont proportionnés aux puissances dans lesquelles ils se trouvent. Or, la raison, où se trouve la prudence, est supérieure aux autres puissances, où se trouvent les autres vertus. |
[12162] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 s. c. 3 Praeterea, Gregorius
dicit: virtus quo plus se posse conspicit, eo sine moderamine rationis
deterius in praeceps ruit. Sed moderatio rationis ad prudentiam pertinet.
Ergo sine prudentia aliae virtutes quanto majores sunt, tanto magis nocent; et
ita videtur quod prudentia sit potissima inter alias virtutes. |
[3] Grégoire dit : « La vertu [vertu] par laquelle on se voit capable de plus est plus dommageable sans la modération de la raison. » Or, la modération de la raison relève de la prudence. Donc, sans la prudence, plus les autres vertus sont grandes, plus elles nuisent. Il semble ainsi que la prudence soit plus importantes que les autres vertus. |
[12163] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod
prudentia inter alias virtutes cardinales principalior est, et ad ipsam reducuntur omnes
aliae quasi ad causam. Unde Antonius dicit, quod discretio quae ad prudentiam
pertinet, est genitrix et custos et moderatrix virtutum. Et hoc sic patet.
Virtus enim, ut dicit Tullius, movet in modum naturae, scilicet per quamdam
inclinationem affectus. Omnis autem naturae inclinatio praeexigit aliquam
cognitionem quae et finem praestituat, et in finem inclinet, et ea quibus ad
finem pervenitur provideat: haec enim sine cognitione fieri non possunt.
Propter quod etiam a philosophis dicitur, opus naturae esse opus
intelligentiae: alias ea quae natura fiunt, a casu acciderent. Et per hunc
modum oportet quod per rationem, quam perficit prudentia, et rectam facit,
praestituatur finis aliis virtutibus, non solum communis, sed etiam proximus,
qui est attingere medium in propria natura. Medium autem secundum rationem
rectam determinatur, ut in 2 Ethic. dicitur. Secundo per rationem rectam est
inclinatio earum in finem proprium, quae est intentio finis in virtutibus
acquisitis, inquantum ex operibus ratione regulatis habitus virtutis
praedictam inclinationem causans inducitur; et quantum ad hoc dicitur
genitrix virtutum. Tertio per prudentiam rectificatur via unicuique virtuti,
quae tendit in finem, inquantum per consilium et electionem segregantur
utilia a nocivis respectu finis virtutis; et quantum ad hoc moderatrix et
custos dicitur virtutum. Unde Gregorius, 2 Moralium, dicit: nisi virtutes
reliquae ea quae appetunt, prudenter agant, virtutes esse nequaquam possunt. |
Réponse. La prudence est la principale des vertus cardinales et toutes les autres se ramènent à elle comme à leur cause. Aussi Antoine dit-il que « le discernement, qui relève de la prudence, engendre, garde et modère les vertus ». Cela se démontre de la manière suivante. Comme le dit Tullius [Cicéron], la vertu meut à la manière de la nature, c’est-à-dire par une certaine inclination de l’affectivité. Or, toute inclination de la nature exige à l’avance une certaine connaissance qui établit la fin, incline vers la fin et assure ce qui est nécessaire à la fin : en effet, ces choses ne peuvent se faire sans la connaissance. C’est pourquoi aussi les philosophes disent que l’œuvre de la nature est œuvre d’intelligence, autrement ce qui est fait par la nature se produirait par hasard. De cette manière, il est nécessaire qu’une fin soit établie pour les autres vertus par la raison que perfectionne la prudence et qui la rend droite, [une fin] non seulement commune, mais aussi rapprochée, qui consiste à atteindre le milieu selon leur nature propre. Or, le milieu est déterminé par la raison droite, comme il est dit dans Éthique, II. Deuxièmement, leur inclination vers leur fin propre, qui est l’intention de la fin dans les vertus acquises, se réalise par la raison droite pour autant que l’habitus de la vertu causant l’inclination mentionnée est entraîné par les opérations de la raison soumises à la règle. Sous cet aspect, on dit que [la prudence] engendre les vertus. Troisièmement, le chemin de chaque vertu qui tend vers la fin est redressé par la prudence, pour autant que, par le conseil et le choix, ce qui est utile est séparé de ce qui est nuisible en regard de la fin de la vertu. Sous cet aspect, on dit que [la prudence] modère et garde les vertus. Aussi Grégoire dit-il, Morales, II : « À moins que les autres vertus ne fassent prudemment ce qu’elles désirent, elles ne peuvent jamais être des vertus. » |
[12164] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 ad 1 Ad primum igitur
dicendum, quod est duplex scientia. Una in universali: et haec quidem facit
ad virtutem vel parum, si sit de operibus virtutis; vel nihil, si sit de
aliis quae ad virtutem non pertinent. Alia scientia est directiva in
particulari operatione, quam corrumpit delectatio faciens ignorantiam electionis;
et haec scientia multum facit ad virtutem; immo sine hac non est virtus, nec
haec sine virtute; et haec pertinet ad prudentiam: quia, ut philosophus dicit
in 5 Ethic., existimationem prudentiae corrumpit delectatio. |
1. Il y a une double science. L’une, dans l’universel : celle-ci contribue peu, si elle porte susr les actes de la vertu, ou pas du tout, si elle porte sur d’autres choses qui ne se rapportent pas à la vertu. L’autre science dirige l’action particulière : le plaisir qui provoque l’ignorance dans le choix la corrompt. Cette science contribue beaucoup à la vertu, bien plus, sans elle il n’existe pas de vertu et elle n’existe pas sans la vertu. Celle-ci relève de la prudence, car, ainsi que le dit le Philosophe, Éthique, V, « le plaisir corrompt l’estimation de la prudence ». |
[12165] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod sanitas corporalis non indiget arte medicinae ad perficiendum opera sani
hominis; et ideo sic ad sanitatem habendam non indiget homo ut ipse medicinam
habeat. Sed actum virtuosi non potest homo facere nisi per prudentiam: quia
quanto virtus est intensior, tanto est magis nociva, nisi adsit discretio
prudentiae, ut dicit philosophus, et patet ex auctoritate Gregorii inducta. |
2. La santé corporelle n’a pas besoin de l’art de la médecine pour accomplir les actes d’un homme en santé ; sous cet aspect, l’homme n’a pas besoin d’avoir de remède pour avoir la santé. Mais l’homme ne peut accomplir l’acte de celui qui est vertueux que par la prudence, car plus une puissance est intense, plus elle est nuisible, à moins que ne soit présent le discernement de la prudence, comme le dit le Philosophe et comme cela ressort de l’autorité de Grégoire invoquée. |
[12166] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
virtus est nomen generis; sed virtus humana vel virtus moralis, est nomen
speciei. Quamvis ergo illud quod est virtus, inquantum est virtus, sit
principalius in fortitudine propter difficultatem, tamen quod sit virtus
moralis vel humana, hoc habet a ratione, per quam homo est homo, et
electionem habens suorum operum, ut dicitur in 6 Ethic. |
3. La vertu est un nom générique, mais la vertu humaine ou la vertu morale est un nom spécifique. Bien que ce qui est vertu, en tant que vertu, soit plus important dans la force, cependant il tient à la raison que cela soit une vertu morale ou humaine par laquelle l’homme est homme, et possède le choix de ses actes, comme il est dit dans Éthique, VI. |
[12167] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2
a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc quod dicit Tullius, intelligendum est
de justitia legali, quae attendit bonum commune: de qua etiam dicit
philosophus, in 5 Ethic., quod est lucidior aliis virtutibus, sicut Lucifer
aliis stellis. Hoc autem non
dicitur per comparationem virtutis ad virtutem, sed per comparationem privati
boni, quod attendit virtus simpliciter, ad commune bonum. |
4. Ce que dit Tullius [Cicéron] doit s’entendre de la justice légale qui porte sur le bien commun. En Éthique, V, le Philosophe dit aussi d’elle qu’elle a plus d’éclat que les autres vertus, comme Lucifer par rapport aux autres étoiles. Mais on ne dit pas cela en comparant une vertu à une autre, mais en comparant au bien commun le bien privé, sur lequel porte simplement la vertu. |
[12168] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod in contrariis non semper est consequentia in ipso, sed quandoque
consequentia e contrario: quod contingit praecipue in illis quae sunt
ordinata ad invicem secundum perfectum et magis perfectum; et ideo illud quod
de perfectione majoris boni diminuit, est minus malum quam hoc quod etiam
ipsum parvum bonum quod restat, tollit. |
5. Chez les contraires, la conséquence ne se trouve pas toujours en soi, mais elle vient parfois du contraire, ce qui se produit principalement pour les choses qui sont réciproquement ordonnées l’une à l’autre selon ce qui est parfait et ce qui est plus parfait. C’est pourquoi ce qui diminue la perfection d’un bien plus grand est moins moins mauvais que ce qui enlève même un peu du bien qui demeure. |
[12169] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum,
quod sicut ratio speculativa procedit ad conclusionem ex principiis per se
notis, ita ratio prudentiae procedit ad electionem et consilium de his quae
sunt ad finem, ex fine; et ideo dicuntur fines aliarum virtutum esse
principia prudentiae. Hi tamen fines praeexistunt in ratione essentialiter:
quia ad hoc tendit virtus moralis ut appetitus rationi concordet; unde his
finibus maxime prudentia quae rationem perficit, est affinis. |
6. De même que la raison spéculative progresse vers une conclusion à partir de principes connus par soi, de même, à propos de ce qui se rapporte à la fin, la raison de la prudence progresse-t-elle vers le choix et le conseil à partir de la fin. C’est pourquoi on dit que les fins des autres vertus sont les principes de la prudence. Cependant, ces fins préexistent dans la raison de manière essentielle, car la vertu morale tend à ce que l’appétit s’accorde avec la raison. Aussi la prudence qui perfectionne la raison a-t-elle la plus grande affinité avec ces fins. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [Les parties des vertus cardinales]
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Prooemium |
Prologue |
[126170] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 pr. Deinde quaeritur de partibus virtutum cardinalium; et circa hoc
quaeruntur quatuor: 1 de partibus prudentiae; 2 de partibus temperantiae; 3
de partibus fortitudinis; 4 de partibus justitiae. |
Ensuite, on s’interroge sur les parties des vertus cardinales. À ce propos, quatre questions sont posées : 1. À propos des parties de la prudence. 2. À propos des parties de la tempérance. 3. À propos des parties de la force. 4. À propos des parties de la justice. |
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Articulus 1 [12171] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a.
1 tit. An memoria
praeteritorum, intelligentia praesentium, et providentia futurorum sint
partes prudentiae, sicut dicit Tullius |
Article 1 – La mémoire du passé, l’intelligence du présent et la prévision de l’avenir sont-elles les parties de la prudence, comme le dit Tullius [Cicéron] ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Les
parties de la prudence sont-elles correctement attribuées par Tullius
[Cicéron] ?]
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[12172] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod partes prudentiae a Tullio male assignentur. Dividit enim
prudentiam in memoriam praeteritorum, et intelligentiam praesentium et
providentiam futurorum. Providentia enim,
secundum philosophum in 6 Ethic., non se extendit ultra humana bona. Sed
intelligentia est etiam divinorum. Ergo non potest esse pars prudentiae. |
1. Il semble que les parties de la prudence aient été mal attribuées par Tullius [Cicéron]. En effet, il divise la prudence en mémoire du passé, intelligence du présent et prévision de l’avenir, car la prévision ne va pas au-delà des biens humains, Éthique, VI. Or, l’intelligence porte aussi sur des réalités divines. Elle ne peut donc être une partie de la prudence. |
[12173] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ad prudentem,
ut dicitur in 6
Ethic., praecipue pertinet bene consiliari. Sed consilium non est de
praeteritis. Cum igitur memoria sit praeteritorum, videtur quod memoria non
sit pars prudentiae. |
2. Il revient principalemenet au prudent de bien conseiller, comme il est dit dans Éthique, VI. Or, le conseil ne porte pas sur le passé. Puisque la mémoire porte sur le passé, il semble donc que la mémoire ne soit pas une partie de la prudence. |
[12174] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, providentia
idem videtur quod prudentia. Ergo non debet ei assignari ut pars. |
3. La prévision (providentia) semble être la même chose que la prudence (prudentia). Elle ne doit donc pas lui être attribuée comme une partie. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 –
[Faut-il attribuer comme parties de la prudence la prévision, la précaution,
la circonspection et l’aptitude à apprendre ?]
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[12175] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3
a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. A quibusdam assignantur partes prudentiae
providentia, cautio, circumspectio, docilitas; et videtur quod male. Quia ad quemlibet actum
prudentiae omnia oportet praedicta concurrere. Sed habitus distinguuntur per
actus. Ergo non sunt virtutes distinctae ab invicem. |
1. Certains donnent, à tort, semble-t-il, comme parties de la prudence la prévision, la discrétion, la circonspection et l’aptitude à apprendre, car tout ce qui a été mentionné concourt à tous les actes de la prudence. Or, les habitus se différencient par leurs actes. Il ne s’agit donc pas de vertus distinctes les unes des autres. |
[12176] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, docilitas est ex natura. Sed prudentia est virtus
acquisita, vel infusa. Ergo non debet poni pars ejus. |
2. L’aptitude à apprendre vient de la nature. Or, la prudence est une vertu acquise ou infuse. Elle ne doit donc pas être mise comme une de ses parties. |
[12177] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, cavere
oppositum pertinet ad quamlibet virtutem. Ergo cautio non debet poni magis pars prudentiae quam
aliarum virtutum. |
3. Éviter son contraire relève de toute vertu. La précaution ne doit donc pas être davantage donnée comme une partie de la prudence que des autres vertus. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [L’eubulia, la synesis et le gnomen sont-ils des parties de la prudence ?
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[12178] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Philosophus, in 6 Ethic., adjungit prudentiae tres, scilicet
eubuliam, synesim, et gnomen; et videtur quod male. Quia ipse dicit in eodem
Lib. quod prudens est totaliter consiliativus. Sed eubulia, ut ipse dicit,
est bona consiliatio. Ergo eubulia idem est quod prudentia, et non pars ejus. |
1. En Éthique, VI, le Philosophe ajoute, à tort, semble-t-il, trois choses à la prudence : l’eubulia, la synesis et le gnomen, car lui-même dit dans le même livre que le prudent est pénétré de conseil. Or, l’eubulia, comme il le dit, est le bon conseil. L’eubulia est donc la même chose que la prudence, et non une de ses parties. |
[12179] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, synesis est bona dijudicatio. Sed judicium in operabilibus
est ipsa electio. Cum igitur eligere recte sit prudentiae proprium, videtur
quod synesis sit idem quod prudentia. |
2. La synesis est le bon jugement. Or, le jugement dans les actions à poser est le choix lui-même. Puisque choisir correctement est le propre de la prudence, il semble donc que la synesis soit la même chose que la prudence. |
[12180] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, Damascenus, in 3 Lib. de fide, dicit, quod gnome idem est
quod sententia. Sed sententia ad judicium pertinet. Ergo videtur quod synesis
et gnome non differant. |
3. Dans Sur la foi, III, [Jean] Damascène dit que la gnomè est la même chose que la décision. Or, la décision relève du jugement. Il semble donc que la synesis et la gnomè ne soient pas différentes. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 – [Les
dix parties de la prudence données par un philosophe grec sont-elles
correctes ?]
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[12181] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius. A quodam philosopho Graeco attribuuntur prudentiae partes
decem, scilicet eubulia, solertia, providentia, regnativa, militaris,
politica, oeconomica, dialectica, rhetorica, physica; et videtur quod male. Quia physica scientia quaedam est de
necessariis, et de his non est prudentia, ut dicit philosophus in 6 Ethic.
Ergo physica non est pars prudentiae. |
1. Un philosophe grec attribue, à tort, semble-t-il, dix parties à la prudence : l’eubulia, l’ingéniosité, la prévision, la prudence du dirigeant, la prudence militaire, politique, économique, dialectique, rhétorique, physique ; et il semble que ce soit à tort, car la physique est une science qui porte sur ce qui est nécessaire, et la prudence ne porte pas sur cela, comme le dit le Philosophe, Éthique, VI. La physique n’est donc pas une partie de la prudence. |
[12182] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, dialectica et rhetorica artes quaedam sunt et scientiae. Sed prudentia dividitur
contra scientiam et artem in 6 Ethic. Ergo non sunt partes ejus. |
2. La dialectique et la rhétorique sont des arts et des sciences. Or, la prudence se distingue de la science et de l’art, Éthique, VI. Elles n’en sont donc pas des parties. |
[12183] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 arg. 3 Praeterea, philosophus dicit
in 6 Ethic., quod politica est idem quod prudentia. Ergo non debet poni pars ejus. |
3. En Éthique, VI, le Philosophe dit que la politique est la même chose que la prudence. Elle ne doit donc pas être mise comme une de ses parties. |
[12184] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 arg. 4 Praeterea, multa alia exercitia sunt in civitatibus quam militaris.
Ergo non debet magis ipsa poni pars prudentiae quam alia civitatis officia,
sicut est gubernatoria, negotiativa, et hujusmodi. |
4. Beaucoup d’autres activités que la prudence militaire existent dans les villes. Elle ne doit donc pas être davantage donnée comme une partie de la prudence que les autres fonctions de la ville, comme celles de gouverner, de pratiquer le commerce et celles de ce genre. |
[12185] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 arg. 5 Praeterea, urbanitates, ut dicit philosophus in 8 Ethic., sunt tres,
scilicet regnum quando unus praesidet ad utilitatem populi, leges condens;
aristocratia, quando plures principantur in diversis officiis propter
virtutem; timocratia quando divites aequaliter praesunt. In omnibus autem
istis est aliquid prudentiae. Ergo non magis debuit ponere regnativam quam
alias duas. |
5. Comme le dit le Philosophe, Éthique, VIII, il existe trois formes de gouvernement : le gouvernement royal, lorsqu’un seul préside au bien du peuple faisant les lois ; l’aristocratie, lorsque plusieurs dirigent selon diverses fonctions en raison de leur vertu ; la timocratie, lorsque les riches gouvernent également. Or, dans toutes ces formes de gouvernement, il existe quelque chose de la prudence. Il ne devait donc pas mettre la prudence royale davantage que les deux autres. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
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[12186] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod
omne totum ad tria genera reducitur, scilicet universale, integrale et
potentiale; et similiter pars triplex invenitur dictis tribus respondens.
Integralis enim pars intrat in constitutionem totius, sicut paries domus;
universalis vero totius pars suscipit totius praedicationem, sicut homo
animalis; potentialis vero pars neque praedicationem totius recipit, neque in
constitutionem ipsius oportet quod veniat, sed aliquid de potentia totius
participat, sicut patet in anima. Rationalis enim anima tota anima dicitur, eo quod in ipsa omnes animae
potentiae congregantur. Sensibilis vero in brutis, et in plantis vegetabilis,
dicuntur partes animae, quia aliquid de potentia animae habent, sed non
totum. Unde dicitur in Lib. de plantis, quod non habent animam, sed partes
animae. Et secundum hunc modum tripliciter assignantur partes prudentiae et
aliis virtutibus. Uno enim modo assignantur ei partes quasi integrales, cum
scilicet partes virtutis alicujus ponuntur aliqua quae exiguntur ad virtutem,
in quibus perfectio virtutis consistit; et hae partes, proprie loquendo, non
nominant per se virtutes, sed conditiones unius virtutis integrantes ipsam.
Alio modo per modum partium subjectivarum; et sic partes illae nominant
quidem virtutes, et ad invicem distinctas, sed non quidem a toto, cujus
partes assignantur, quia illud de eis praedicatur. Tertio modo per modum
totius potentialis, inquantum scilicet aliquae virtutes participant aliquid
de modo qui principaliter et perfecte invenitur in aliqua virtute; et hoc
patebit per singula. Sic igitur dico, quod partes quas assignat Tullius
prudentiae, sunt partes integrales. Quia enim prudentia circa particularia
operabilia est, in quibus universalia principia dirigunt propter eorum
contingentiam et varietatem; oportet, sicut dicitur de scientiis in libro
posteriorum, ex eodem genere principia accipere, ut ex similitudine aliorum
factorum de his quae facere oportet, recte ratiocinetur prudens; et ideo
indiget experientia et tempore, ut ex his quae fuerunt, quae memoria tenet,
et ex his quae intelligentia respicit, de futuris provideat. Memoria enim
est, secundum ipsum, per quam animus repetit illa quae fuerunt; intelligentia
per quam prospicit ea quae sunt; providentia per quam aliquid futurum videtur
antequam factum sit. Unde providentia est completiva et formalis pars
prudentiae; aliae vero quasi materiales ad ipsam reducuntur. |
Les touts se ramènent à trois genres : universel, intégral et potentiel. De même, on trouve trois parties correspondant aux trois choses mentionnées. En effet, la partie intégrale entre dans la constitution d’un tout : ainsi, le mur d’une maison. Mais la partie d’un tout universel reçoit ce qui est attribué au tout : ainsi, le fait pour l’homme d’être un animal. Toutefois, la partie d’un tout potentiel n’est jamais prédiquée du tout et il n’est pas nécessaire qu’elle entre dans sa constitution ; mais elle participe à quelque chose de la puissance du tout, comme cela ressort pour l’âme. En effet, l’âme raisonnable est tout entière appelée âme, du fait qu’en elle toutes les puissances de l’âme sont rassemblées. Mais l’âme sensible chez les animaux sans raison et chez les végétaux sont appelées des parties de l’âme parce qu’elles possèdent quelque chose de la puissance de l’âme, mais non sa totalité. Aussi dit-on dans le livre Sur les plantes, qu’elles n’ont pas l’âme, mais des parties de l’âme. Ainsi, trois parties sont attribuées à la prudence et aussi aux autres vertus. En effet, on lui attribue premièrement des parties pour ainsi dire intégrales, lorsqu’on donne comme parties d’un vertu quelque chose qui est nécessaire pour la vertu et en quoi consiste la perfection de la vertu. À proprement parler, ces parties ne désignent pas par soi des vertus, mais les conditions qui concourent à l’intégrité d’une vertu. Deuxièmement, par mode de parties subjectives. Ces parties désignent ainsi des vertus distinctes les unes des autres, mais non pas du tout dont elles sont données comme des parties, car ce [tout] est prédiqué d’elles. Troisièmement, par mode de tout potentiel, pour autant que certaines vertus participent à quelque chose du mode qui se trouve principalement et parfaitement dans une vertu ; cela ressortira pour chaque cas. Je dis donc que les parties que Tullius [Cicéron] attribue à la prudence sont des parties intégrales. En effet, parce que la prudence porte sur des choses particulières susceptibles d’être accomplies, où des principes universels exercent une direction en raison de leur contingence et de leur diversité, il est nécessaire, comme on le dit dans le livre des Postérieurs analytiques, que le prudent tire des principes d’un même genre, afin que raisonner correctement sur ce qu’il doit faire à partir de la ressemblance avec d’autres actions posées. C’est pourquoi il a besoin de l’expérience et du temps afin que, à partir de ce qui a été, ce que retient la mémoire, et de ce que l’intelligence considère, il prévoie l’avenir. En effet, selon lui, la mémoire est ce par quoi l’esprit rappelle ce qui a été, l’intelligence, ce par quoi on considère ce qui est, la prévision, ce par quoi on envisage quelque chose à venir avant que cela ne soit accompli. La prévision est donc une partie formelle de la prudence, qui la complète, mais les autres se ramènent à elle comme des parties pour ainsi dire matérielles. |
[12187] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod intelligentia hic
dicitur cognitio eorum quae ad opus eligibile accommodata sunt. Et quia intelligentia est proprie
universalium, quae sub tempore non cadunt, et ita quodammodo praesentis formam
retinent; ideo intelligentia dicitur praesentium non solum universalium,
quibus indiget prudens ad recte ratiocinandum de agendis, sed etiam
singularium quae nunc sunt. |
1. L’intelligence s’entend ici de la connaissance de ce qui est approprié à l’action qui doit être choisie. Et parce que l’intelligence porte à proprement parler sur ce qui est universel, qui n’est pas affecté par le temps et retient ainsi, d’une certaine manière, la forme du présent, on parle d’intelligence du présent, non seulement de ce qui est universel, dont le prudent a besoin pour raisonner correctement sur les actions à poser, mais aussi du singulier qui existe maintenant. |
[12188] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod memoria praeteritorum indiget prudens non propter se, sed in ordine ad
praesentia eligibilia, ut dictum est. |
2. Le prudent a besoin de la mémoire du passé non pas pour lui-même, mais en rapport avec le présent qui doit être choisi, comme on l’a dit. |
[12189] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod prudentia est formalis pars et completiva
providentiae; et ideo etiam quodammodo prudentia illa complectitur ex quibus
ratio procedit in provisionem futurorum. |
3. La prudence est la partie formelle et achevée de la prévision. C’est pourquoi cette prudence est aussi formée d’une certaine manière de ce à partir de quoi la raison progresse en prévision du futur. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
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[12190] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
de partibus aliis assignatis a quibusdam, dicendum, quod etiam illae sunt
sicut partes integrales: requiruntur enim ad prudentiam, secundum quod de
futuris conjectat ex parte praeteritorum et praesentium, ex quibus procedit.
Oportet enim prudentem viam accommodam ad finem intentum invenire; quod per
providentiam facit, quae est praesens notio futurum pertractans eventum; et
iterum prohibentia removere. Contingit autem providentiam tripliciter impediri. Uno modo ex parte
ipsius viae inveniendae, quae quandoque videtur bona, et non est; et hoc
impedimentum cautio aufert, cujus est ex virtutibus vitia virtutum speciem
praeferentia discernere. Alio modo ex ordine ipsius in finem, ne scilicet via
quae de se apta est ad finem, aliquo extrinseco impediatur ne in finem ducere
possit; et hoc ad circumspectionem pertinet, quae est cautela vitiorum
contrariorum, quibus praecipue prudentia impeditur. Tertio modo ex parte
ipsius hominis tendentis in finem, qui vias accommodas ad finem intentum invenire
non potest: unde oportet quod per doctrinam ab aliis accipiat. Quia oportet principia
operabilia vel a se habere prudentem, vel ab alio faciliter accipere. Qui autem neutrum habet, hic inutilis est
vir, ut dicitur in 1 Ethic. Et sic est docilitas passive dicta. Si autem
docilitas accipiatur active, tunc pertinebit ad prudentiam secundum suum
perfectissimum esse, prout scilicet non solum sibi, sed etiam aliis quae sunt
utilia ad finem invenit; et sic dicitur prudentia erudiendi imperitos. |
À propos des autres parties indiquées par certains, il faut dire que ces parties sont aussi des parties intégrales. En effet, elles sont nécessaires à la prudence, selon qu’elle conjecture l’avenir à partir du passé et du présent d’où elle prend son point de départ. En effet, il faut que le prudent trouve un chemin approprié vers la fin visée, ce qu’il réalise par la prévision, qui est une connaissance présente portant sur un événement futur ; il doit aussi écarter les empêchements. Or, il arrive que la prévision soit empêchée de trois manières. Premièrement, du côté du chemin même qu’il faut trouver, qui parfois paraît bon et ne l’est pas. C’est cet empêchement que la précaution écarte : il lui revient de discerner, à partir des vertus, les vices qui mettent en évidence l’espèce des vertus. Deuxièmement, en raison de son ordre à la fin, de crainte que le chemin qui, par soi, est apte à la fin, ne soit empêché de pouvoir conduire à la fin par quelque chose d’extérieur. Cela relève de la circonspection, qui est l’attention portée aux vices contraires, par lesquels la prudence est principalement empêchée. Troisièmement, du côté de l’homme qui tend vers la fin, qui ne peut trouver de chemins appropriés à la fin visée : il faut donc qu’il l’apprenne par l’enseignement des autres, car il faut que le prudent possède par lui-même les principes de l’action ou les reçoive facilement d’un autre. Celui qui n’a ni l’un ni l’autre est ici un homme inutile, comme le dit Éthique, I. On a ainsi la capacité d’apprendre au sens passif. Mais si la capacité d’apprendre est entendue au sens actif, elle relèvera alors du prudent selon son être le plus parfait, par lequel il trouve non seulement pour lui-même, mais aussi pour les autres ce qui est utile en regard de la fin. Ainsi entend-on la prudence qui enseigne à ceux qui sont inexpérimentés. |
[12191] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1
qc. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod non est contra rationem partium quasi integralium virtutis
quod omnes concurrant ad actum unum. |
1. Il n’est pas contraire au caractère des parties pour ainsi dire intégrales de la vertu qu’elles concourent toutes à un seul acte. |
[12192] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis docilitas habeat principium in
naturali dispositione, tamen complementum habet per gratiam, vel per
consuetudinem, ut dicit philosophus 1 Ethic., quod oportet consuetudinibus
duci de civilibus: quia talis principia operabilium habet, vel suscipere
potest faciliter. |
2. Bien que la capacité d’apprendre ait son principe dans une disposition naturelle, elle trouve cependant son achèvement par la grâce ou par la coutume ; ainsi, en Éthique, I, le Philosophe dit qu’« il faut se laisseer guider par les coutumes en matière civile, car on peut ainsi posséder ou facilement recevoir les principes pour agir ». |
[12193] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quia prudentia regulat omnes alias virtutes,
ideo omnes participant
aliquid prudentiae; sicut irascibilis et concupiscibilis participant
aliqualiter rationem. Unde illud quod ad alias virtutes pertinet participative, cautio
scilicet, ad prudentiam pertinet essentialiter. |
3. Parce que la prudence est la règle de toutes les autres vertus, toutes participent donc à quelque chose de la prudence, comme l’irascible et le concupiscible participent d’une certaine manière à la raison. Ainsi ce qui appartient aux autres vertus par participation, à savoir, la circonspection, appartient à la prudence de manière essentielle. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
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[12194] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem de partibus quas ponit philosophus sciendum
est, quod sunt partes quasi potentiales, eo quod sunt virtutes et ab invicem
et a prudentia distinctae, sicut ipse vult. Ad rationem enim pertinet
praecipere quod faciendum est, quia aliae vires obediunt aliqualiter rationi.
Ratio autem non praecipit nisi prius in se perfecta sit quantum ad id quod
est sui ipsius, sicut nec aliqua res movet ante sui perfectionem. Perfectio
autem rationis practicae, sicut et speculativae, consistit in duobus,
scilicet in inveniendo et judicando de inventis. Inventio autem in agendis
consilium est; et ideo oportet haberi virtutem per quam ratio consilietur; et
haec est eubulia, quae, secundum philosophum, est rectitudo consilii, qua
bonum inquiritur convenientibus mediis secundum debitum tempus, et alias
circumstantias; et oportet haberi virtutem qua bene judicet de consiliatis;
et haec est synesis, et gnome, quae qualiter differant, dicetur; et oportet
haberi virtutem quae bene praecipiat; et haec est prudentia, quae, ut
philosophus ibidem dicit, praeceptiva est. Sed quia in operabilibus cognitio
ordinatur ad opus; ideo et consilium et judicium de consiliatis ad praeceptum
de opere reducitur sicut ad finem; et propter hoc prudentia est usualis et
principalis respectu aliarum, et aliae participant modum ipsius, sicut supra
dictum est. |
À propos des parties que le Philosophe indique, il faut savoir qu’elles sont des parties pour ainsi dire potentielles, du fait qu’elles sont des vertus distinctes l’une de l’autre et de la prudence, comme il le dit lui-même. En effet, il appartient à la raison de commander ce qui doit être fait, car les autres puissances obéissent d’une certaine manière à la raison. Or, la raison ne commande que si elle a d’abord été perfectionnée pour ce qui relève d’elle-même, de même qu’aucune chose ne meut rien avant d’être parfaite. Or, la perfection de la raison pratique, comme de la [raison] spéculative, consiste en deux choses : trouver et juger de ce qui a été trouvé. Or, trouver en matière d’actions à poser relève du conseil. C’est pourquoi il est nécessaire qu’il y ait une vertu par laquelle la raison est conseillée : c’est l’eubulia, qui, selon le Philosophe, est la droiture du conseil par laquelle le bien est recherché par les moyens qui conviennent, compte tenu du temps approprié et des autres circonstances. Et il est nécessaire qu’il y ait une vertu par laquelle elle porte un bon jugement sur ce qui est conseillé. Telles sont la synesis et la gnomè, dont nous dirons comment elles se différencient. Et il faut qu’il y ait une vertu qui commande bien : telle est la prudence, qui, comme le dit là le Philosophe, « est [la vertu] qui commande ». Mais parce que, dans les actions à poser, la connaissance est ordonnée à l’action, le conseil et le jugement à propos de ce qui est conseillé s’y ramènent comme à la fin. Pour cette raison, la prudence est commune et principale par rapport aux autres [vertus], et les autres participent à son mode, comme on l’a dit plus haut. |
[12195] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod et consilium et judicium pertinent ad
prudentem, non sicut principales actus ejus, sed sicut ea quibus utitur ad
suum actum. |
1. Le conseil et le jugement relèvent du prudent, non pas comme ses actes principaux, mais comme ce qui utilisé pour son acte. |
[12196] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod judicium consistit adhuc in cognitivis terminis; sed electio est applicatio
cognitionis ad opus; unde judicium praecedit electionem. |
2. Le jugement porte aussi sur des termes cognitifs ; mais le choix est l’application de la connaissance à l’action. Aussi le jugement précède-t-il le choix. |
[12197] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ad synesim pertinet
recte judicare in illis ad quae se extendunt legis praecepta communiter: unde
synesis est habitus judicativus agibilium; sed ad gnomen pertinet rectum
judicium de illis in quibus lex deficit quae specialem habent difficultatem,
in quibus epiceia dirigit, ut dicitur 6 Ethic.; unde gnome secundum
philosophum est rectum judicium epiceios. |
3. Il appartient à la synesis de juger correctement de ce sur quoi portent les commandements de la loi d’une manière générale. Aussi la synesis est-elle un habitus qui juge des actions qui doivent être accomplies. Mais il appartient à la gnomè de juger correctement de ce sur quoi la loi fait défaut et qui comporte une difficulté particulière ; en une telle matière, l’epikeia dirige, comme il est dit dans Éthique, VI. Selon le Philosophe, la gnomè est donc le jugement droit portant sur ce qui est objet d’epikeia. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la
sous-question 4
|
[12198] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1
qc. 4 co. Ad quartam
quaestionem de partibus decem quas assignat philosophus Graecus, dicendum
est, quod non sunt partes unius rationis; unde divisio est minus
artificialis. Sciendum enim
est, quod prudentia potest dupliciter considerari. Uno modo secundum esse
absolutum; alio modo secundum perfectum esse ipsius. Salvatur autem ratio prudentiae in his quae
ad ipsum prudentem pertinent, sed completum esse ejus secundum quod etiam ad
alios se extendit. Primo ergo modo considerando prudentiam, sic providentia
est pars ejus quasi integralis formalis, ut dictum est, quae secundum ipsum
est habitus viam facere potens ad majus, idest melius, ut fiat sicut oportet;
unde ipsa ponitur loco omnium aliarum partium ejusdem rationis. Eubulia autem est pars ejus quasi
potentialis; quae secundum ipsum est scientia conferentium, idest utilium ad
finem de quibus est consilium: et quia ipsa est prima, ideo ponitur loco
aliarum quae consequuntur, et sunt unius rationis. Solertia autem eodem modo
reducitur ad prudentiam, sicut eubulia: sed in hoc differunt, quia eubulia
invenit medium conveniens ad opus ratiocinando et inquirendo, quia consilium
quaestio est, ut dicitur in 3 Ethic.: sed solertia invenit quasi subito: est
enim habitus ex repentino inveniens quod convenit, vel ut in 1 posteriorum
dicitur, subtilitas quaedam in non prospecto tempore medii; non tamen
ponitur virtus, in 6 Ethic., sicut eubulia: tum quia eubulia se habet ad
bonum tantum, solertia autem ad bonum et ad malum: tum quia solertia magis
dependet ex naturali ingenio quam ex assuetudine. Sciendum etiam, quod solertia est inventio
medii sine perspecto tempore tam in operativis quam in speculativis, tam in
necessariis quam in contingentibus; sed Eustochia est tantum in operativis,
quae est bona conjectatio de contingentibus. Si autem consideretur prudentia
secundum quod ad alios se extendit, sic non assignantur ei integrales aliae
quam etiam prudentiae absolute consideratae; subjectivae autem et potentiales
aliae. Potest enim aliquis coordinari alii dupliciter. Uno modo ad aliquem
actum specialem, sicut scholares in his quae ad studium spectant, milites in
his quae ad pugnandum; unde talis adunatio non remanet sed quamdiu actus
talis exercetur respectu talis coordinationis ad alterum; et sic ordinat militaris,
quae est habitus speculativus et practicus exercitui conferentium. Alio modo coordinatur aliquis alicui in
vita simpliciter; unde talis coordinatio nata est semper manere, nisi per
accidens dissolvatur. Haec autem vel est respectu eorum qui sunt in domo una;
et sic est oeconomica, quae est habitus speculativus, idest considerativus,
et practicus, idest activus, domui conferentium: vel est respectu eorum qui
sunt in eadem civitate, et sic est politica, quae est habitus et speculativus
et practicus civitati conferentium. Unde hae sunt partes subjectivae
prudentiae. Sed quia in qualibet multitudine est duplex ordo, ut in 12
Metaph. dicitur: unus quo ordinatur tota multitudo ad finem communem; alius
quo singulariter partes multitudinis ordinantur ad invicem secundum fines
proprios; ideo politica habet duas partes: unam quae regi civitatis competit,
cujus est bonum commune totius multitudinis conjectare, et haec dicitur
regnativa, quae est experientia ejus quod est gubernare multitudinem innocue,
vel legis positiva, ut in 6 Ethic. dicitur. Alia est quae competit cuilibet
de civitate, secundum quod ad bonum commune ordinatur; et haec politica
dicitur, nomen commune retinens. Et ideo dicit philosophus, quod legis
positiva est architectonica, quia fines proximi ordinantur ad finem
communem. Et similiter potest dividi militaris in ductivam; quae competit
duci exercitus, et militarem simpliciter; et similiter oeconomica in
paternam, quae competit patrifamilias; et oeconomicam simpliciter. Partes
autem prudentiae sic acceptae potentiales, sunt omnes artes et disciplinae,
quia politica de omnibus ordinat a quibus et quantum sunt addiscendae vel
exercendae, ut dicitur in 1 Ethic. Et ideo physica quae est de operibus quae
non sunt a nobis, quia est scientia eorum quae circa naturam sunt; et
dialectica, quae est ex operibus quae sunt a nobis ordinatis ad sciendum, cum
sit scientia bene disputandi; et rhetorica, quae est de his quae sunt a nobis
ordinatis ad orandum, cum sit scientia bene dicendi ad persuadendum, dicuntur
partes prudentiae, ut dictum est. |
À propos des dix parties que donne un philosophe grec, il faut dire qu’elles ne sont pas des parties ayant une seule raison ; aussi la division est-elle faite avec un art moindre. En effet, il faut savoir que la prudence peut être envisagée de deux manières. Premièrement, selon son être absolu ; deuxièmement, selon son être parfait. Or, la raison de prudence est sauvegardée dans ce qui se rapporte au prudent lui-même, mais son être complet, selon qu’elle s’étend aussi à d’autres. En envisageant la prudence de la première manière, la prévison en est pour ainsi dire une partie intégrale formelle, comme on l’a dit, qui est en soi un habitus qui peut ouvrir la route vers quelque chose de plus grand, c’est-à-dire de meilleur, pour que cela soit accompli comme il le faut. Aussi [la prévision] est-elle mise à la place de toutes les autres parties qui ont le même caractère. Mais l’eubulia est pour ainsi dire une partie potentielle [de la prudence], qui, selon lui, est la science de ce qui se rapporte, c’est-à-dire, de ce qui est utile à la fin sur laquelle porte le conseil. Parce qu’elle vient en premier, elle est donc mise à la place des autres qui suivent et ont le même caractère. Mais l’ingéniosité (solertia) se ramène à la prudence de la même manière que l’eubulia ; elles diffèrent cependant en cela que l’eubulia trouve un moyen approprié pour l’action en raisonnant et en recherchant, car le conseil est une enquête (quaestio), comme il est dit dans Éthique, III ; mais l’ingéniosité trouve pour ainsi dire d’un coup. En effet, elle est l’habitus qui trouve d’un coup ce qui est approprié ou, comme il est dit dans les Postérieurs analytiques, I, « une subtilité concernant le moyen sans y consacrer de temps ». Cependant, dans Éthique, VI, on ne la présente pas comme une vertu semblable à l’eubulia, tant parce que l’eubulia porte seulement sur le bien, alors que l’ingéniosité porte sur le bien et le mal, que parce l’ingénioisité dépend davantage d’une capacité naturelle que d’une habitude. Il faut aussi savoir que l’ingéniosité consiste à trouver un moyen sans y consacrer de temps aussi bien dans le domaine pratique que dans le domaine spéculatif, aussi bien pour les choses nécessaires que pour les choses contingentes ; mais l’eustochia porte seulement sur ce qui est à faire : elle est une bonne estimation des réalités contingentes. Mais si l’on envisage la prudence selon qu’elle se rapporte à d’autres, on ne lui assigne pas alors d’autres parties intégrales que celles de la prudence considérée de manière absolue ; cependant, [on lui assignera] d’autres parties subjectives et potentielles. En effet, quelqu’un peut être en rapport avec un autre de deux manières. Premièrement, pour un acte particulier, comme les gens d’école, pour ce qui concerne l’étude, et les soldats, pour ce qui concerne le combat. Une telle réunion ne dure donc qu’aussi longtemps que cet acte sera exercé en rapport avec une telle mise en relation avec l’autre. C’est ainsi que la [prudence] militaire ordonne : elle est un habitus spéculatif et pratique portant sur ce qui se rapporte à l’armée. Deuxièmement, quelqu’un est mis en rapport avec un autre simplement pour vivre. Une telle réunion est donc destinée à durer toujours, à moins qu’elle ne soit dissoute par accident. Elle concerne soit ceux qui font partie d’une même maisonnée ; [la prudence] est ainsi économique : elle est un habitus spéculatif, à savoir, qui examine, et pratique, à savoir, qui agit, portant sur ce qui se rapporte à la maisonnée. Ou bien elle concerne ceux qui font partie de la même ville ; [la prudence] est ainsi politique : elle est un habitus spéculatif et pratique portant sur ce qui rapporte à la cité. Telles sont donc les parties subjectives de la prudence. Mais parce que, en chaque multitude, existe un double ordre, comme il est dit dans Métaphysique, XII : l’un par lequel toute la multitude est ordonnée à une fin commune, l’autre par lequel les parties de la multitude sont chacune ordonnées les unes par rapport aux autres selon leurs fins propres, la [prudence] politique comporte donc deux parties. L’une convient au dirigeant de la cité, à laquelle il revient de bien estimer le bien commun de toute la multitude : on l’appelle la [prudence] du gouvernement, qui est l’habileté à gouverner vertueusement la multitude, ou à établir la loi, comme il est dit dans Éthique, VI. L’autre est celle qui convient à chaque membre de la cité, selon qu’elle est ordonnée au bien commun : celle-ci s’appelle la [prudence] politique et elle conserve le nom commun. C’est pourquoi le Philosophe dit que « la [prudence] législative est architectonique », car les fins prochaines sont ordonnées à la fin commune. De même, on peut diviser la [prudence] militaire en [prudence] du chef, qui convient au chef de l’armée, et en [prudence] militaire simplement. De la même manière, [on peut diviser la prudence] économique en [prudence ] paternelle, qui convient au père de famille, et [prudence] économique simplement. Or, tous les arts et toutes les disciplines peuvent être ainsi compris comme des parties potentielles de la prudence, car la [prudence] politique ordonne par qui et dans quelle mesure ils doivent être appris et exercés, comme il est dit dans Éthique, I. C’est pourquoi, ainsi qu’on l’a dit, la physique, qui porte sur les actions qui ne viennent pas de nous, puisqu’elle est la science de ce qui concerne la nature ; la dialectique, qui porte sur des actes qui sont ordonnés par nous en vue du savoir, puisqu’elle est la science de bien disputer ; et la rhétorique, qui porte qui ce qui est ordonné par nous en vue de discourir, puisqu’elle est la science de bien parler en vue de persuader, sont appelées des parties de la prudence. |
[12199] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod physica ponitur pars prudentiae,
inquantum de ipsa ordinat et praecipit prudentia, ut dictum est, non autem
ita quod sit pars ejus subjectiva vel integralis. |
1. On donne la physique comme une partie de la prudence pour autant que la prudence ordonne et commande à son sujet, comme on l’a dit, mais non de telle sorte qu’elle en soit une partie subjective ou intégrale. |
[12200] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 ad 2 Similiter autem est dicendum ad secundum de dialectica et rhetorica. |
2. On doit répondre de la même manière à propos de la dialectique et de la rhétorique. |
[12201] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1
qc. 4 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod politica est prudentia quaedam, qua homo dirigitur in his quae
ad alium spectant; unde nominat prudentiam completam. Et quia non omnis prudentia habet istam
completionem; ideo ponitur pars ejus. Tamen in eo in quo completum habet
esse, prudentia non differt secundum substantiam habitus prudentiae et
politicae, sed ratione tantum. |
3. La [prudence] politique est une prudence par laquelle l’homme est dirigé dans ce qui se rapporte à un ‘autre ; elle désigne donc une prudence achevée. Et parce que toute prudence ne comporte pas un tel achèvement, elle en est ainsi présentée comme une partie. Cependant, pour ce par quoi elle a un être achevé, l’habitus de la prudence et de la [prudence] politique ne diffèrent pas selon leur substance, mais selon la raison seulement. |
[12202] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod militare exercitium maxime pertinet ad
conservationem communitatis; et ideo militaris potius ponitur quam aliae, ut
negotialis et hujusmodi: per eam enim intelliguntur; sicut etiam per artes
liberales quas tangit, dicuntur intelligi mechanicae, quae simili modo sunt
partes prudentiae. |
4. L’exercice militaire concerne au plus haut point la conservation de la communauté ; c’est pourquoi on mentionne plutôt la [prudence] militaire que les autres, telles la [prudence] commerciale et celles de ce genre. En effet, c’est par elle qu’elles se comprennent, de même aussi qu’on dit des [arts] mécaniques, qui sont semblablement des parties de la prudence, qu’ils se comprennent par les arts libéraux qu’elle aborde. |
[12203] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod regnum inter alia regimina dignius est, ut
philosophus in 8 Ethic. dicit, et ideo potius regnum quam alia posuit. |
5. Le gouvernement royal est plus digne que les autres gouvernements, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VIII. C’est pourquoi il est mentionné plutôt que les autres. |
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Articulus 2 [12204] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a.
2 tit. Utrum
continentia, clementia et modestia sint partes temperantiae, sicut dicit
Tullius |
Article 2 – La continence, la clémence et la modestie sont-elles des parties de la tempérance, comme le dit Tullis [Cicéron] ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Les
parties de la prudence sont-elles bien présentées dans la Première Rhétorique de Tullius
[Cicéron] ?]
|
[12205] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod partes temperantiae male assignentur a Tullio in prima
rhetorica. Dicit enim, quod partes temperantiae sunt continentia, clementia
et modestia; et videtur quod male. Quia continentia, ut dicit philosophus in
7 Ethic., dividitur contra virtutem universalem. Ergo non debet poni pars
alicujus virtutis. |
1. Il semble que les parties de la prudence soient mal présentées dans la Première Rhétorique de Tullius [Cicéron]. En effet, il dit que les parties de la tempérance sont la continence, la clémence et la modestie, et il semble que ce soit à tort, car la continence, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VII, se distingue de la vertu universelle. Elle ne doit donc pas être présentée comme une partie d’une vertu. |
[12206] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, clementia, ut dicit Tullius, est virtus per quam
animus concitatus in odium alicujus, benignitate retinetur. Hoc autem videtur ad
mansuetudinem pertinere: mansuetudo autem non est pars temperantiae, cum sit
in irascibili, temperantia autem in concupiscibili. Ergo videtur quod nec
clementia debeat poni pars temperantiae. |
2. Comme le dit Tullius [Cicéron],
« la clémence est la vertu par laquelle l’esprit, poussé à la haine de
quelqu’un, est retenu par l’indulgence ». Or, cela semble se rapporter à
la douceur ; mais la douceur n’est pas une partie de la tempérance,
puisqu’elle se trouve dans l’irascible, alors que la tempérance [se trouve]
dans le concupiscible. Il semble donc que la clémence non plus ne doive pas être
présentée comme une partie de la tempérance. |
[12207] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, modestia a
modo observando dicitur. Sed hoc est necessarium in qualibet virtute. Ergo modestia non est pars alicujus virtutis;
sed consequitur omnem virtutem. |
3. Modestie (modestia) vient de « mesure (modo) à observer ». Or, cela n’est pas nécessaire dans toutes les vertus. La modestie n’est donc pas une partie d’une vertu, mais elle découle de toutes les vertus. |
[12208] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, Tullius dicit, quod modestia est pudor honestatis, puram et stabilem comparans auctoritatem. Pudor
autem videtur esse idem quod verecundia. Cum ergo verecundia non sit virtus,
sed passio, ut dicit philosophus in 4 Ethic., videtur quod modestia non
debeat poni pars virtutis. |
4. Tullius [Cicéron] dit que « la modestie est la pudeur de l’honnêteté, procurant une autorité pure et solide ». Or, la pudeur semble être la même chose que la gêne. Puisque la gêne n’est pas une vertu, mais une passion, comme le dit le Philosophe dans Éthique, IV, il semble donc que la modestie ne doive être présentée comme une partie d’une vertu. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La
sobriété et la chasteté sont-elles des parties de la tempérance ?]
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[12209] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. A quibusdam ponuntur
partes temperantiae sobrietas et castitas; et potest haberi ex 3 Ethic.; et
videtur quod insufficienter. Quia sobrietas est circa delectationes gustus, castitas autem circa
delectationes tactus. Cum igitur etiam alii sensus habeant suas
delectationes, videtur etiam quod circa eas debeant assignari aliquae
virtutes. |
1. La sobriété et la chasteté sont présentées par certains comme des parties de la tempérance ; on trouve cela dans Éthique, III. Et il semble que ce soit insuffisant, car la sobriété porte sur les plaisirs du goût, mais la chasteté sur les plaisirs du toucher. Puisque les autres sens ont aussi leurs plaisirs, il semble donc qu’on doive aussi leur assigner des vertus. |
[12210] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, contingit peccare non solum in delectationibus sensuum
exteriorum, sed etiam in delectationibus sensuum interiorum, et etiam
intellectus, sicut patet de curiositate. Similiter etiam in delectationibus
et concupiscentia exteriorum rerum, ut honoris, pecuniae, et hujusmodi, quae
secundum se videntur eligibilia, contingit esse peccatum per
superabundantiam, ut dicitur in 7 Ethic. Sed virtus et vitium sunt circa idem. Ergo et circa illas
delectationes debet aliqua virtus poni. |
2. Il arrive qu’on pèche non seulement dans les plaisirs des sens extérieurs, mais aussi dans les plaisirs des sens intérieurs, et même de l’intelligence, comme cela ressort pour la curiosité. De même, le péché survient par excès dans les plaisirs et la convoitise des choses extérieures, comme l’honneur, l’argent et les choses de ce genre, qui semblent être par elles-mêmes objets de choix, comme il est dit dans Éthique, VII. Or, la vertu et le vice portent sur la même chose. Il faut donc proposer une vertu pour ces plaisirs. |
[12211] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2
qc. 2 arg. 3 Praeterea,
virtus est circa difficile et bonum. Sed magis sunt difficilia ad quae non
omnes tenentur, sicut virginitas, et abstinentia etiam ciborum necessariorum,
quam sobrietas et castitas. Ergo magis debent poni partes virtutis. |
3. La vertu porte sur ce qui est difficile et bon. Or, ce à quoi tous ne sont pas tenus est plus difficile que la sobriété et la chasteté : ainsi, la virginité et aussi l’abstinence de nourritures nécessaires. Elles doivent donc être plutôt proposées comme des parties de la vertu. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Les
sept parties de la tempérance présentées par un philosophe grec sont-elles
correctes ?]
|
[12212] Super Sent., lib. 3 d.
33 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Quidam philosophus Graecus ponit
septem partes temperantiae, scilicet austeritatem, continentiam, humilitatem,
simplicitatem, ornatum, bonam ordinationem, per se sufficientiam; et videtur
quod male. Austeritas enim, ut ipse dicit, est habitus secundum quem aliqui
neque afferunt aliis delectationes collocutionum, neque ab aliis recipiunt.
Hoc autem videtur esse vitiosum, et contrarium amicitiae, quae maxime
collocutionibus amicorum gaudet. Ergo austeritas non debet poni pars
virtutis. |
1. Un philosophe
grec donne sept parties de la tempérance : l’austérité, la continence,
l’humilité, la simplicité, le costume, le bon maintien, l’autosuffisance, et
il semble que ce soit à tort. En effet, comme il le dit, l’austérité est un
habitus selon lequel certains ne donnent pas aux autres le plaisir des
échanges, ni n’en reçoivent des autres. Or, cela semble être le fait d’un
vice et contraire à l’amitié, qui se réjouit surtout des échanges entre amis.
L’austérité ne doit donc pas être présentée comme une partie de vertu. |
[12213] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, humilitas superbiae opponitur. Sed superbiam philosophus
ponit inter vitia quae opponuntur fortitudini, ut patet in 3 Ethic. Ergo
humilitas non est adjuncta temperantiae, sed fortitudini. |
2. L’humilité s’oppose à l’orgueil. Or, le Philosophe place l’orgueil parmi les vices qui s’opposent à la force, comme cela ressort d’Éthique, III. L’humilité n’est donc pas associée à la tempérance, mais à la force. |
[12214] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, ipse dicit, quod humilitas est habitus non superabundans in
sumptibus et praeparationibus. Sed quicumque non superabundat, est contentus
illis quibus oportet. Ergo cum ipse dicat quod hoc pertinet ad per se
sufficientiam, videtur quod idem sit humilitas quod per se sufficientia. |
3. Le Philosophe dit que l’humilité est l’habitus qui ne fait pas d’excès dans les dépenses et les préparatifs. Or, quiconque ne fait pas d’excès se contente de ce qui lui est nécessaire. Puisque [le Philosophe] dit que cela relève de l’autosuffisance, il semble donc que l’humilité soit la même chose que l’autosuffisance. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
|
[12215] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod illae partes quas
Tullius ponit, partes potentiales sunt, inquantum participant modum
temperantiae. Sicut enim in scientiis modum oportet secundum materiam
inquirere, ut dicitur in 1 Ethic., ita et in virtutibus. Materia autem
virtutum moralium actiones et passiones humanae sunt. In passionibus autem
quaedam sunt in quibus passionem inferens de sui ratione natum est in
prosecutionem movere, sicut delectabile quod concupiscibili passiones infert;
et in his difficile est retrahi a prosecutione, et facile est prosequi. Unde
temperantia, quae circa principalia delectabilia est, modum habet in
retrahendo; et propter hoc temperatus plus assimilatur insensibili, qui
superabundat in fuga, quam intemperato qui superabundat in prosecutione
talium delectabilium. In passionibus autem in quibus passionem inferentia
nata sunt ad fugam movere, sicut sunt timores et audaciae, difficile est
prosequi vel sustinere, facile autem fugere; unde modus fortitudinis, quae
circa timores et audacias maximorum terribilium est, modus est in
aggrediendo; et ideo fortis magis similatur audaci qui superabundat in
aggrediendo, quam timido qui superabundat in fugiendo. In actionibus autem
non consideratur inclinatio affectus magis ad unum quam ad aliud nisi per
accidens, inquantum convincitur passionibus. Et ideo justitiae, quae circa
actiones est, modus est aequalitas, sicut fortitudinis superextensio, et
temperantiae refrenatio et diminutio. Omnes igitur virtutes in quibus
difficultas consistit in refrenando prosecutionem, conveniunt in modo cum
temperantia: hoc autem contingit in omnibus in quibus est inclinatio ad
prosequendum. Haec autem inclinatio duplex est. Una qua affectus inclinatur
per passionem; alia qua ex passionibus ipsius est inclinatio ad exteriores
gestus, quae sunt signa interioris passionis. Affectus autem inclinat ad
prosequendum vel bonum proprium; et hanc inclinationem refrenat continentia,
quae, ut dicit Tullius est per quam cupiditas consilii gubernatione regitur;
vel malum alienum, inquantum est contrarium bono proprio; et hanc
inclinationem refrenat clementia, quae, ut dicit Tullius ibid. est virtus per
quam animus in odium alicujus concitatus, benignitate retinetur.
Inclinationem autem quae ad exteriores gestus est, quibus interior affectus
ostenditur, refrenat modestia, ut nihil in eis immoderatum sit; quae est
virtus per quam pudor honestatis puram et stabilem comparat auctoritatem. Sed
quia difficillimum est refrenare a delectationibus tactus, ideo iste modus in
temperantia quae est circa hujusmodi delectationes consistit principaliter,
et quasi integraliter, in aliis autem participative. |
Ces parties que propose Tullius [Cicéron] sont des parties potentielles dans la mesure où elles participent au mode de la tempérance. En effet, de même que, pour les sciences, il faut chercher le mode selon la matière, comme il est dit dans Éthique, I, de même aussi pour les vertus. Or, ce sont les actions et les passions humaines qui sont la matière des vertus morales. Mais, parmi les passions, il y en a certaines où ce qui provoque la passion pousse par nature à les rechercher, comme ce qui est délectable provoque des passions dans le concupiscible. Dans ces cas-là, il est difficile d’être empêché de rechercher et il est facile de rechercher. La tempérance, qui porte sur les principaux plaisirs, a donc comme mode la retenue. Pour cette raison, celui qui est tempéré ressemble davantage à celui qui est insensible, qui commet un excès en fuyant, qu’à celui qui est intempérant, qui commet un excès en poursuivant de tels plaisirs. Mais pour les passions où ce qui provoque une passion pousse par nature à la fuite, comme les craintes et les audaces, il est difficile de poursuivre ou de supporter, mais facile de fuir. Le mode de la force, qui porte sur les craintes et les audaces concernant les choses les plus terribles, consiste à attaquer. Aussi le fort ressemble-t-il davantage à l’audacieux qui commet un excès dans l’attaque, qu’au timide qui commet une excès dans la fuite. Or, dans les actions, on ne considère que par accident l’inclination de la puissance affective à une chose plutôt qu’à une autre, sauf lorsqu’elle est vaincue par les passions. C’est pourquoi le mode de la justice, qui porte sur les actions, est l’égalité, comme un effort supplémentaire l’est pour la force, et la retenue et la réduction pour la tempérance. Toutes les vertus pour lesquelles la difficulté consiste à réfréner la poursuite ont donc dans leur mode quelque chose en commun avec la tempérance : cela se produit dans toutes celles où existe une inclination à la poursuite. Or, cette inclination est double. L’une, par laquelle la puisance affective est inclinée par la passion ; l’autre, par laquelle, en raison de ses passions, existe une inclination vers des gestes extérieurs, qui sont les signes d’une passion intérieure. Or, la puissance affective incline à rechercher soit son bien propre : la continence réfrène cette inclination, qui, comme le dit Tullius [Cicéron], est celle par laquelle la cupidité est dirigée par le gouvernement du conseil ; soit le mal d’un autre, pour autant qu’il est contraire à son bien propre : la clémence réfrène cette inclination, qui, comme le dit Tullius [Cicéron] au même endroit, est la vertu par laquelle l’esprit, poussé à la haine de quelqu’un, est retenu par la bienveillance. Mais la modestie réfrène l’inclination vers les gestes extérieurs, par lesquels un sentiment intérieur est manifesté, afin que rien ne soit démesuré en eux. C’est la vertu par laquelle la retenue de l’honnêteté procure une autorité pure et solide. Mais parce qu’il est très difficile de réfréner les plaisirs du toucher, le mode de la tempérance qui porte sur ces plaisirs se retrouve principalement et presque intégralement dans les autres par manière de participation. |
[12216] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod continentia tripliciter dicitur. Uno modo secundum quod aliquis habet rationem
rectam, quae a passionibus excellentibus nondum edomitis refrenat; et est
circa eadem ac temperantia, ut in 7 Ethic. dicitur: sic enim philosophus
continentiam accipit; et differt a temperantia in hoc quod temperatus
hujusmodi passiones non patitur; et secundum hoc continentia non est virtus,
quia operatur quod bonum est, non delectabiliter et faciliter, quod
requiritur ad virtutem; et ita reducitur ad temperantiam sicut imperfectum ad
perfectum, et ut pars potentialis. Alio modo dicitur continentia secundum
quam homo se refrenat non solum ab illicitis delectationibus, sed etiam a
licitis; et sic dicit quemdam perfectum statum temperantiae, sicut et
virginitas; unde reducitur ad temperantiam per modum partis subjectivae.
Tertio modo dicitur continentia per quam retinetur animus a quibuslibet
concupiscentiis; et hanc acceptionem ponit etiam philosophus in 7 Ethicor.,
et sic videtur eam accipere Tullius, ut patet per definitionem positam. Unde
sic ponitur pars temperantiae, inquantum participat modum temperantiae, etiam
circa alienum. |
1. On parle de continence de trois manières. Premièrement, selon que quelqu’un possède une raison droite qui [le] retient de passions excessives qui ne sont pas encore domptées. Elle porte sur les mêmes réalités que la tempérance, comme on le dit dans Éthique, VII : en effet, c’est ainsi que le Philosophe la conçoit ; et elle diffère de la tempérance en ce que celui qui a la tempérance ne subit pas de telles passions. De ce point de vue, la continence n’est pas une vertu, car elle ne fait pas ce qui est bien de manière délectable et facile, ce qui est requis pour la vertu. Elle se ramène ainsi à la tempérance comme l’imparfait au parfait, et comme une partie potentielle. Deuxièmement, on parle de continence par laquelle l’homme se retient non seulement de plaisirs défendus, mais aussi de [plaisirs] permis. Elle exprime ainsi un état parfait de la tempérance, comme la virginité. Elle se ramène donc à la tempérance par mode de partie subjective. Troisièmement, on parle de continence par laquelle l’esprit est retenu de toutes les convoitises. Le Philosophe propose aussi ce sens dans Éthique, VII, et c’est ainsi que Tullius [Cicéron] l’entend, comme cela ressort de la définition mentionnée. Elle est donc ainsi présentée comme une partie de la tempérance, dans la mesure où elle participe au mode de la tempérance, même par rapport à ce qui appartient à un autre. |
[12217] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod clementia non est omnino idem quod
mansuetudo: quia mansuetudo refrenat a concitatione, ut scilicet quis per
iram non incitetur: est enim secundum philosophum Graecum virtus irascibilis,
secundum quam ad iras sumus difficile mobiles; clementia autem refrenat ab
executione vindictae etiam post comminationem; et sic clementia magis est
circa actiones; et sic est pars justitiae epiceia, quia epiceius est
diminutivus poenarum, ut dicit philosophus in 5 Ethic. Tamen possunt ratione
praedicta clementia et mansuetudo sicut partes potentiales ad temperantiam
reduci: quia partes potentiales virtutum non oportet quod communicent cum eis
in materia et subjecto, sed in modo. |
2. La clémence n’est pas du tout la même chose que la douceur, car la douceur réfrène l’emportement, de sorte qu’on ne soit pas poussé par la colère. En effet, selon un philosophe grec, elle est une vertu de l’irascible par laquelle nous sommes difficilement ébranlés par la colère. Mais la clémence met un frein à l’exécution de la vengeance, même après une menace. La clémence porte donc plutôt sur des actions. Elle est ainsi une partie de l’épikeia de la justice, car celui qui possède l’épikeia tend à diminuer les peines, comme le dit le Philosophe dans Éthique, V. Toutefois, la clémence et la douceur peuvent pour la raison mentionnée être ramenées à la tempérance comme ses parties potentielles, car il n’est pas nécessaire que les parties potentielles des vertus aient en commun la matière et le sujet, mais le mode. |
[12218] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod modestia non dicitur ex hoc quod imponat
modum in qualibet materia secundum quod hic accipitur, sed tantum in
exterioribus gestibus, ut scilicet in eis maturitas debita observetur; et
hujus virtutis pars potissima est eutrapelia, quam philosophus ponit 5
Ethic., quia etiam in ludicris, in quibus est difficilius, modum debitum non
excedit. |
3. On ne parle pas de modestie du fait qu’elle impose une mesure en n’importe quelle matière, au sens où on l’entend ici, mais seulement pour les gestes extérieurs, de sorte que la maturité appropriée y soit respectée. La partie la plus importante de cette vertu est l’eutrapélie, que présente le Philosophe dans Éthique, V, car même dans les jeux, où cela est plus difficile, elle ne dépasse pas la mesure. |
[12219] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod pudor non ponitur hic pro passione
verecundiae, sed pro quadam exteriori compositione, cujus pudor causa esse
potest; sicut etiam castitas pudor interdum dicitur, quia contrarium ejus
maxime est turpe, quod verecundia timet. Similiter contrarium modestiae est maxime
apparens; et sic est natum confusionem inducere, quam pudor timet. |
4. La pudeur n’est pas présentée ici comme la passion de la gêne, mais comme un comportement extérieur dont la pudeur peut être la cause, comme on parle aussi parfois de pudeur pour la chasteté parce que son contraire est très honteux, ce que craint la pudeur. De même, le contraire de la modestie est très apparent ; il peut ainsi entraîner naturellement la confusion, que craint la pudeur. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
|
[12220] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum de aliis
partibus, scilicet sobrietate et castitate, quod sunt partes subjectivae
temperantiae; quia castitas est circa delectabilia tactus absolute, quae sunt
in venereis: sobrietas autem circa delectabilia gustus, prout est tactus
quidam, quae sunt in cibis et potibus. |
Il faut dire à propos des autres parties: la sobriété et la chasteté, qu’elles sont des parties subjectives de la tempérance, car la chasteté porte sur les plaisirs du toucher de manière absolue, qui concernent les [plaisirs] sexuels ; mais la sobriété porte sur les plaisirs du goût en tant qu’il est une forme de toucher, et qui concerne la nourriture et les boissons. |
[12221] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod delectationes aliorum sensuum non sunt vehementes sicut delectationes
tactus, eo quod non sunt per conjunctionem rei, sed speciei. Unde difficultas
refrenandi istas delectationes non est ex impetu earum; et ideo non oportet
quod sit aliqua virtus in parte affectiva circa eas; sed sufficit ad hoc
prudentia, quae est in ratione. |
1. Les plaisirs des autres sens ne sont pas aussi intenses que les plaisirs du toucher du fait qu’ils ne viennent pas de l’union avec une chose, mais avec une espèce. La difficulté de réfréner ces plaisirs ne vient donc pas de leur ardeur. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il y ait une vertu de la partie affective portant sur eux, mais la prudence y suffit, qui se trouve dans la raison. |
[12222] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum
similiter de aliis delectationibus. |
2. Il faut dire la même chose des autres plaisirs. |
[12223] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virginitas et hujusmodi non sunt virtutes,
sed nominant statum virtutis; et ideo de eis non fit mentio. |
3. La virginité et [les vertus] de ce genre ne sont pas des vertus, mais elles désignent un état vertueux. C’est pourquoi il n’en est pas fait mention. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
|
[12224] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem de
aliis partibus quas philosophus Graecus ponit dicendum est, quod accipiuntur
eodem modo sicut partes Tullii, nisi quod clementiam omittit. Continentiam
enim ponit, et videtur eam accipere sicut philosophus; unde dicit, quod
continentia est habitus invictus a delectatione. Sed modestiam in multa
dividit secundum diversa exteriora in quibus oportet hominem modum imponere.
Exteriora enim in quibus modestia modum imponit, sunt tria. Primum est
collocutiones ad eos quibus convivimus; et in his ponit modum austeritas
cujus definitio in objiciendo supra posita est. Secundum est bona exteriora, ut vestes,
equi, et hujusmodi, et in his ponit modum humilitas quantum ad quantitatem in
usu; unde secundum ipsum, humilitas est habitus non superabundans in
sumptibus et praeparationibus; sed simplicitas quantum ad modum
quaerendi, quae secundum ipsum est habitus contentus his quae contingunt,
non enim multum solicitus est de talibus. Tertium est actiones propriae
quae ad corpus pertinent; et in his ponit modum quantum ad agentem ornatus,
qui secundum ipsum est scientia circa decens in motu et habitudine:
quantum autem ad exteriora, quae consideranda sunt ut debito tempore, et
loco, et hujusmodi, ordinatio, quae secundum ipsum est experientia
separationis et discretionis actuum, ut sciat loqui verum in tempore suo;
quantum vero ad instrumenta, vel auxilia quibus indigemus ad actionem, est
per se sufficientia, quae secundum ipsum est habitus contentus quibus
oportet. |
Il faut dire des autres parties que le philosophe grec donne qu’elles s’entendent de la même manière que les parties de Tullius [Cicéron], sauf qu’il omet la clémence. En effet, il donne la continence, et il semble qu’il l’entende comme le Philosophe ; aussi dit-il que la continence est un habitus qui reste invaincu par le plaisir. Mais il divise la modestie en plusieurs choses selon les diverses réalités auxquelles l’homme doit imposer une mesure. En effet, les choses extérieures, pour lesquelles la modestie impose une mesure, sont au nombre de trois. Premièrement, il y a les échanges verbaux avec ceux qui vivent avec nous. Pour ceux-là, l’austérité, dont la définition est donnée dans une objection précédente, impose une mesure. Deuxièmement, il y a les biens extérieurs, comme les vêtements, les chevaux et les choses de ce genre. Pour eux, l’humilité impose une mesure pour ce qui est de la quantité dont on fait usage. Selon lui, l’humilité est donc « un habitus qui ne fait pas d’excès dans les dépenses et les préparatifs » ; mais la simplicité impose une mesure dans la recherche : selon lui, elle est « un habitus qui se contente de ce qui arrive ; en effet, il ne se préoccupe pas beaucoup de telles choses ». Troisièmement, il y a les actions propres qui se rapportent au corps. Pour eux, la tenue impose une mesure du point de vue de celui qui agit. Selon lui, c’est « la science de ce qui est approprié dans le mouvement et l’attitude ». Pour les choses extérieures, il faut tenir compte du bon ordre selon le temps approprié, le lieu et les choses de ce genre. Selon lui, il s’agit de la pratique de la distinction et du discernement dans les actes, de sorte qu’on sache dire la vérité en son temps. Pour les instruments ou les aides dont nous avons besoin pour l’action, il s’agit de l’autosuffisance, qui, selon lui, « se satisfait de ce qui est nécessaire ». |
[12225] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod austeritas, secundum quod ponitur
virtus, non omnino aufert delectationem quae est in colloquiis, sed aufert
superabundantiam in illa. Et quia major difficultas accidit in abstinendo ab his, ideo a defectu
haec virtus nomen accepit. |
1. L’austérité, si elle est proposée comme une vertu, n’enlève pas complètement le plaisir des conversations, mais elle enlève l’excès qui s’y rencontre. Et parce qu’il y a une difficulté plus grande de s’abstenir en de telles choses, c’est pourquoi cette vertu reçoit son nom à partir de l’absence. |
[12226] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod superbus, inquantum se superextendit ad ea
quae sunt supra ipsum, sic habet aliquid de modo audacis; et ideo reducitur
aliquo modo ad vitia opposita fortitudini; quamvis proprie loquendo, secundum
quod communiter de superbia loquimur, magis sit excessus magnanimitatis. Humilitas autem, inquantum diminutio est,
habet aliquid de modo temperantiae; et ideo ad ipsam reducitur sicut pars
potentialis. |
2. L’orgueil, dans la mesure où il s’étend indûment à ce qui le dépasse, a quelque chose du comportement de l’audacieux. C’est pourquoi [l’orgueil] se ramène d’une certaine manière aux vices opposés à la force, bien que, à proprement parler, si nous parlons de l’orgueil d’une manière générale, il soit davantage un excès de magnanimité. Mais l’humilité, pour autant qu’elle est une diminution, a quelque chose de la tempérance. C’est pourquoi elle se ramène à elle comme une partie potentielle. |
[12227] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 2
qc. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod differentia humilitatis et per se sufficientiae patet ex his
quae dicta sunt. |
3. La différence entre l’humilité et l’autosuffisance ressort de ce qui a été dit. |
Articulus 3 [12228] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a.
3 tit. Utrum
magnificentia, fidentia, patientia, perseverantia bene assignentur a Tullio
esse partes fortitudinis |
Article 3 – La magnificence, l’assurance, la patience et la persévérance sont-elles incorrectement assignées par Tullius [Cicéron] comme parties de la force ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 –
[Tullius [Cicéron] assigne-t-il incorrectement les parties de la
force ?]
|
[12229] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod partes fortitudinis male assignentur a Tullio.
Assignat enim has partes, magnificentiam, fidentiam, patientiam,
perseverantiam. Magnificentia enim, ut dicit philosophus, est idem
liberalitati. Sed liberalitas ad justitiam reducitur. Ergo et magnificentia. |
1. Il semble que Tullius [Cicéron] assigne mal les parties de la force. En effet, il propose ces parties : la magnificence, la confiance, la patience, la persévérance. En effet, la magnificence, comme le dit le Philosophe, est la même chose que la libéralité. Or, la libéralité se ramène à la justice. Donc, la magnificence aussi. |
[12230] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, fiducia ad
spem pertinet. Sed materia fortitudinis non est spei passio, sed timor et audacia, ut
dicit philosophus. Ergo pars fortitudinis non est fiducia. |
2. La confiance relève de l’espérance. Or, la matière de la force n’est pas la passion de l’espoir, mais la crainte et l’audace, comme le dit le Philosophe. La confiance n’est donc pas une partie de la force. |
[12231] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, philosophus reducit in idem mitem et abstinentem, qui
videtur idem quod patiens: quia abstinens est qui patitur et non deducitur:
mitis qui non patitur. Sed mansuetudo sive clementia ponitur pars temperantiae. Ergo et
patientia. |
3. Le Philosophe ramène au même le doux et l’abstinent, qui semble se ramener à celui qui est patient, puisque l’abstinent est celui qui éprouve sans être entraîné, mais le doux, celui qui n’éprouve pas. Or, la douceur ou la clémence ne sont pas présentées comme des parties de la tempérance. Donc, la patience non plus. |
[12232] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 1 arg. 4 Praeterea, ad
perseverantiam pertinere videtur immobiliter operari. Sed hoc in omni virtute
requiritur, ut dicit philosophus in 2 Ethic. Ergo perseverantia non debet
poni pars fortitudinis. |
4. Agir de manière immuable semble relever de la persévérance. Or, cela est requis pour toute vertu, comme le dit le Philosophe dans Éthique, II. La persévérance ne doit donc pas ête présentée comme une partie de la force. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Les
sept parties de la force indiquées par Macrobe sont-elles correctes ?]
|
[12233] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. A Macrobio ponuntur septem partes fortitudinis, scilicet
magnanimitas, fiducia, securitas, magnificentia, constantia, tolerantia,
firmitas; et videtur quod male. Magnanimitas enim est circa magnos honores
qui inter bona computantur, ut dicitur in 4 Ethicor.: fortitudo autem est
circa audacias et timores quae sunt magnorum malorum. Ergo magnanimitas non
est fortitudinis pars, cum sit circa oppositam materiam. |
1. Macrobe donne sept parties de la force : la magnanimité, la confiance, l’assurance, la magnificence, la constance, la tolérance, la fermeté, et il semble que ce soit à tort. En effet, la magnanimité porte sur les grands honneurs qui sont comptés parmi les biens, comme il est dit dans Éthique, IV ; mais la force porte sur les audaces et les craintes qui ont pour objets de grands maux. La magnanimité n’est donc pas une partie de la force, puisqu’elle porte sur une matière opposée. |
[12234] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, unum vitium non opponitur duabus virtutibus. Sed timiditas
opponitur securitati et fiduciae. Ergo non sunt duae virtutes, sed una. |
2. Un seul vice n’est pas l’opposé de deux vertus. Or, la timidité s’oppose à l’assurance et la confiance. Elles ne sont donc pas deux vertus, mais une seule. |
[12235] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, constantia mutabilitati opponitur: similiter etiam et
firmitas. Ergo non debent poni duae partes fortitudinis. |
3. La constance s’oppose à la possibilité de changer ; de même aussi, la fermeté. Elles ne doivent donc pas être proposées comme deux parties de la force. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Les
cinq modes que le Philosophe associe à la force sont-ils corrects ?]
|
[12236] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Philosophus ponit quinque modos adjunctos fortitudini verae,
scilicet civilem, militarem, illam quae ex furore vel tristitia, illam quae
procedit ex experientia, quae facit spem vincendi propter frequenter vicisse,
et illam quae procedit ex ignorantia; et videtur quod male. Quia istae virtutes
cardinales sunt virtutes politicae. Sed genus additum speciei non contrahit
in partem speciei. Ergo civilis fortitudo non est pars fortitudinis. |
1. Le Philosophe propose cinq modes associés à la vraie force : la force civile, la force militaire, celle qui vient de la fureur ou de la tristesse, celle qui vient de l’expérience et qui donne l’espoir de l’emporter parce qu’on l’a souvent emporté, et celle qui vient de l’ignorance ; et il semble que ce soit à tort, car ces vertus cardinales sont des vertus politiques. Or, le genre ajouté à l’espèce ne restreint pas une partie de l’espèce. La force civile n’est donc pas une partie de la force. |
[12237] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, militaris sub politica ordinatur, ut dicit philosophus.
Ergo non debet dividi militaris fortitudo contra civilem. |
2. La [force] militaire se range sous la [force] politique, comme le dit le Philosophe. La [force] militaire ne doit donc pas être séparée de la [force] civile. |
[12238] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, ignorantia excusat a peccato propter hoc quod tollit
voluntarium. Sed voluntarium requiritur ad virtutem, sicut ad peccatum. Ergo
non debet poni aliqua pars virtutis per ignorantiam. |
3. L’ignorance exempte du péché parce qu’elle enlève le volontaire. Or, le volontaire est exigé pour la vertu, comme pour le péché. On ne doit donc pas proposer comme partie d’une vertu ce qui est fait par ignorance. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 – [Les
sept choses associées à la force par un philosophe grec sont-elles
correctes ?]
|
[12239] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Quidam philosophus
Graecus ponit septem annexa fortitudini, scilicet eupsychiam, leniam,
magnanimitatem, virilitatem, perseverantiam, magnificentiam, andragathiam; et
videtur quod male. Quia, ut ipse dicit, eupsychia dicitur robur animae ad perficiendum
opera ipsius. Hoc autem in omnibus virtutibus requiritur. Ergo non est pars alicujus virtutis. |
1. Un philosophe grec donne sept choses associées à la force : l’eupsychia, la promptitude, la magnanimité, la virilité, la persévérance, la magnificence, l’andragathia ; et cela semble à tort, car, ainsi qu’il le dit lui-même, on appelle eupsychia la force d’âme pour accomplir ses propres actions. Or, cela est nécessaire pour toutes les vertus. Elle n’est donc pas une partie d’une vertu. |
[12240] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea, lenia secundum ipsum est habitus promptos tribuens ad
conari qualiter oportet, et sustinere quae ratio dicit. Sed promptitudo idem
videtur esse quod facilitas, quae relinquitur ex quolibet habitu. Ergo lenia
est magis genus virtutis quam species alicujus virtutis. |
2. La promptitude est l’habitus qui donne à ceux qui sont prompts d’essayer comme il le faut et de supporter ce que dicte la raison. Or, la promptitude semble être la même chose que la facilité, qui vient de chaque habitus. La promptitude est donc plutôt un genre de la vertu qu’une espèce de vertu. |
[12241] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 4 arg. 3 Praeterea, ipse dicit, quod andragathia est viri virtus adinventiva
communicabilium operationum. Sed opera communicabilia sunt materia justitiae.
Ergo haec virtus non debet poni pars fortitudinis, sed magis justitiae. |
3. Ce philosophe dit que l’andragathia est la capacité de trouver les actes qu’on peut avoir en commun. Or, les actes qu’on peut avoir en commun sont la matière de la justice. Cette vertu ne doit donc pas être donnée comme une partie de la force, mais plutôt de la justice. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question
1
|
[12242] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem,
quod partes quas Tullius assignat, sunt partes potentiales, inquantum
participant aliquid de materia fortitudinis. Fortitudo enim, ut dicit philosophus,
proprie loquendo est circa pericula mortis, et maxime quae in bellicis est,
quia in illis est maxime difficultas. Unde fortitudo, secundum Graecum
praedictum, virtus est irascibilis non facile obstupefactibilis a timoribus
qui sunt circa mortem, circa quae habet duos actus, scilicet aggredi, et
sustinere sine stupore; et hoc est ejus magis proprium, ut ipse dicit. Et
quamvis principaliter fortis sit circa ista, tamen in omnibus aliis periculis
et arduis etiam bene se habet et in aggrediendo et in sustinendo. Et ideo
omnes virtutes in quibus consistit difficultas ex aggressione alicujus ardui,
vel ex sustinentia difficilis, aliquid de fortitudinis modo participant, et
ad ipsam reducuntur sicut partes potentiales, eo quod non est tanta
difficultas in aliis sicut in illis periculis circa quae est fortitudo.
Arduum autem in cujus aggressione consistit difficultas, est ad aliquod
magnum opus faciendum; et sic est magnificentia, quae secundum ipsum, est rerum
magnarum et excelsarum cum animi ampla quaedam et splendidissima proportione
cognitio, vel cogitatio atque ministratio. Aut est ad aliquod bonum
magnum consequendum, et sic est fidentia, quae est certa spes perducendi ad
finem rem inchoatam, vel magis consequendi rem speratam; et secundum hanc
acceptionem credo quod magnanimitas est idem quod fidentia. Id vero quod
facit difficultatem in sustinendo, vel est bonum laboriosum, et circa hoc est
perseverantia, quae est in ratione bene considerata stabilis et perpetua
permansio, et praecipue ut quis a ratione recta propter tristitiam, quae
in laboribus accidit, non recedat: quia sicut continentia facit invictum a
delectationibus, ita perseverantia a tristitiis, ut dicitur 7 Ethic. Vel est
malum nocivum, et sic est patientia, quae secundum Tullium est honestatis
aut utilitatis causa rerum arduarum et terribilium voluntaria ac diuturna
perpessio. |
Les parties que Tullius [Cicéron] indique sont des parties potentielles dans la mesure où elles participent à quelque chose de la matière de la force. En effet, comme le dit le Philosophe, la force porte à proprement parler sur les dangers de mort, surtout chez ceux qui combattent, car là est la plus grande difficulté. Selon le [philosophe] grec mentionné, la force est donc une vertu de l’irascible qui n’est pas facilement paralysée par les craintes associées à la mort. À leur sujet, elle a deux actes : attaquer et supporter sans stupeur ; c’est plutôt ce qui lui est propre, comme il le dit lui-même. Et bien que celui qui est fort agisse surtout dans ces cas, il se comporte cependant bien dans tous les autres dangers et difficultés, tant pour l’attaque que pour l’endurance. C’est pourquoi toutes les vertus qui consistent à s’attaquer à quelque chose de difficile ou à supporter quelque chose de difficile participent d’une certaine manière au mode de la force et se ramènent à elle comme des parties potentielles, du fait qu’il n’existe pas une aussi grande difficulté dans les autres dangers que dans ceux sur lesquels porte la force. Or, l’attaque de quelque chose d’ardu en quoi consiste la difficulté est en vue de réaliser quelque chose de grand : elle est ainsi la magnificence, qui, selon lui, est « la connaissance ou la pensée et le service de choses grandes et élevées selon une proportion de l’esprit large et très noble ». Soit elle cherche à obtenir un grand bien : elle est ainsi la confiance, qui est l’espoir certain de mener à sa fin la chose entreprise ou plutôt d’obtenir la chose espérée. En ce sens, je pense que la magnanimité est la même chose que la confiance. Mais ce qui fait difficulté pour l’endurance est soit un bien qui est le fruit d’un travail : sur lui porte la persévérance, qui « consiste à demeurer perpétuellement stable pour une raison bien considérée », et surtout à ce que quelqu’un ne s’éloigne pas de la droite raison en raison de la tristesse, qui survient dans les efforts, car, de même que la continence rend invaincu par les plaisirs, de même la persévérance [rend-elle invaincu] par les tristesses, comme il est dit dans Éthique, VII. Ou bien il s’agit d’un mal nuisible : on a alors la patience, qui, selon Tullius [Cicéron], est « la fermeté volontaire et durable dans les choses difficiles et effrayantes pour cause d’honnêteté et d’utilité ». |
[12243] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod quamvis magnificentia communicet cum liberalitate in materia, quia magna facta magnis sumptibus
fiunt, tamen communicat cum fortitudine in modo. |
1. Bien que la magnificence ait une matière commune avec la libéralité, puisque les grandes entreprises sont réalisées à grands frais, elle a cependant avec la force un mode commun. |
[12244] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis fortitudo non sit circa spem sicut
circa materiam, sed magis magnanimitas; tamen habet spem concomitantem: quia
fortis optimae spei est circa materiam suam. Unde fidentia et aliae supradictae partes in fortitudine etiam
secundum quod est specialis virtus, inveniuntur quantum ad id quod est
difficillimum in eis, ut quaedam conditiones fortis; et sic etiam possent
dici aliquo modo partes quasi integrales fortitudinis. |
2. Bien que la force n’ait pas l’espoir comme matière, mais que ce soit plutôt le cas de la magnanimité, cependant l’espoir est concomitant, car le fort a le plus grand espoir au sujet de sa matière. Aussi la confiance et les autres parties ajoutées à la force, même selon qu’elle est une vertu particulière, se retrouvent-elles en elles pour ce qui est le plus difficile, comme des conditions pour celui qui est fort. D’une certaine manière, elles pourraient être ainsi appelées des parties pour ainsi dire intégrales de la force. |
[12245] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3
a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod malum nocivum tres passiones natum
est generare: scilicet
timorem, tristitiam, et iram. Unde tres virtutes faciunt sustinere hujusmodi
nociva. Fortitudo, ut homo non perturbetur per timorem; patientia, ut non
perturbetur per tristitiam immoderatam; et similiter perseverantia, quae
facit ut propter tristitiam homo a rationis operibus non discedat, sicut
patientia non permittit propter tristitiam discedere ab ab aequanimitate
mentis. Unde secundum Gregorium: vera patientia est mala aliena, idest
ab aliis illata, aequanimiter perpeti. Mansuetudo autem facit ut homo
non perturbetur per iram; unde abstinens, de quo loquitur philosophus in 4
Topic., non est idem quod patiens, sed se habet ad fortem et mitem, similiter
et ad patientem, sicut continens ad temperatum. Unde non oportet, si
mansuetudo reducitur ad temperantiam, quod et patientia: quia passio
tristitiae est ex victoria nociva sicut et timor; et ideo difficultas in
patientia et fortitudine est etiam in non vinci a nocivis. Unde patientia
participat modum fortitudinis; sed ira est ad victoriam contra nocivum; unde difficilius
est in refrenando: propter quod mansuetudo participat modum temperantiae. |
3. Un mal nuisible est susceptible d’engendrer trois passions : la crainte, la tristesse et la colère. Aussi trois vertus font-elles supporter ces nuisances : la force, pour que l’homme ne soit pas troublé par la crainte ; la patience, pour qu’il ne soit pas troublé par une tristesse démesurée ; et aussi la persévérance, qui fait en sorte qu’en raison de la tristesse, l’homme ne s’écarte pas des actions raisonnables, comme la patience ne permet pas qu’en raison de la tristesse, il s’écarte de l’équanimité de l’esprit. Aussi, selon Grégoire, « la véritable patience consiste-t-elle à supporter avec équanimité des maux étrangers », c’est-à-dire infligés par d’autres. Mais la douceur fait en sorte que l’homme ne soit pas troublé par la colère. Ainsi l’homme abstinent, dont le Philosophe parle dans les Topiques, IV, n’est pas la même chose que l’homme patient, mais son rapport à l’homme fort et doux, ainsi qu’à l’homme patient, est le même que cellui de l’homme continent avec l’homme tempéré. Il n’est donc pas nécessaire que la patience soit ramenée à la tempérance, si la douceur l’est, car la passion de la tristesse vient d’une victoire nuisible, comme la crainte. C’est pourquoi la difficulté de la patience et de la force consiste aussi à ne pas être vaincu par ce qui est nuisible. La patience participe donc au mode de la force ; mais la colère existe en vue de la victoire sur ce qui est nuisible. Aussi est-elle plus difficile à réfréner ; c’est la raison pour laquelle la douceur participe au mode de la tempérance. |
[12246] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod perseverantia uno modo dicit continuationem
virtutis, et sic est actus omnium virtutum; alio modo dicit propositum
persistendi, et sic est specialis virtus: quia habet specialem rationem
objecti, scilicet laboriosum opus, prout natum est tristitiam inferre. |
4. D’une manière, la persévérance exprime la continuité de la vertu : elle est ainsi un acte de toutes les vertus. D’une autre manière, elle exprime le propos de persister : elle est ainsi une vertu particulière, car elle a un objet d’un caractère spécial, à savoir, une action pénible, pour autant qu’elle est susceptible de provoquer la tristesse. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
|
[12247] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
de partibus quas Macrobius ponit, dicendum, quod sunt ejusdem rationis cum
partibus quas ponit Tullius, nisi quod duas harum dividit in duas species,
scilicet fidentiam, quam ponit Tullius, dividit in magnanimitatem, quae est
in sperando magna consequenda, ut magnos honores, et fiduciam, quae est in
consequendis honoribus mediocribus, ac hujusmodi; quam philosophus innominatam
dicit. Item perseverantiam dividit in firmitatem, quae facit permanentiam in
opere, et constantiam, quae facit permanentiam in proposito animi. Et addit
etiam unam, scilicet securitatem, quae timori opponitur; unde propinquius se
habet ad veram fortitudinem; sed tamen differt a fortitudine, quia reprimit
timorem non solum circa maxima terribilia quemadmodum fortitudo, sed etiam
circa quaecumque. Tolerantia vero est idem quod patientia: magnificentiam
autem proprio nomine ponit. |
À propos des parties
que propose Macrobe, il faut dire qu’elles ont le même caractère que les
parties proposées par Tullius [Cicéron], sauf que, pour deux d’entre elles,
il les divise en deux espèces : il divise la confiance proposée par
Tullius [Cicéron] en magnanimité, qui porte sur l’espoir d’obtenir de grandes
choses, comme de grands honneurs, et la confiance, qui porte sur l’obtention
d’honneurs ordinaires et de choses de ce genre, à laquelle le Philosophe ne
donne pas de nom. De même, il divise la persévérance en fermeté, qui donne la
persistance dans l’action, et la constance, qui donne la persistance dans le
propos de l’âme. Et il en ajoute aussi une troisième : l’assurance, qui
s’oppose à la crainte. Aussi s’approche-t-elle davantage de la véritable
force, mais elle diffère cependant de la force parce qu’elle réprime la
crainte, non seulement contre les plus grands dangers, comme c’est le cas de
la force, mais aussi contre n’importe quel [danger]. Cependant, la tolérance
est la même chose que la patience. Il propose cependant la magnificence sous
un nom propre. |
[12248] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod magnanimitas, quamvis non conveniat in
materia cum fortitudine, convenit tamen in modo, ut dictum est. |
1. La magnanimité, bien qu’elle n’ait pas la même matière que la force, a cependant le même mode, comme on l’a dit. |
[12249] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod timiditas opponitur securitati, non autem
fiduciae, sed magis desperatio. |
2. La timidité s’oppose à l’assurance, et non à la confiance : c’est plutôt le désespoir [qui s’y oppose]. |
[12250] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
constantia opponitur mutabilitati in facto aliquo. |
3. La constance s’oppose à la tendance à changer au sein d’une action. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
|
[12251] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem de
partibus quas philosophus ponit in 3 Ethic., sciendum, quod sunt etiam partes
potentiales, aliter tamen quam praedictae: praedictae enim partes a
fortitudine deficiunt quantum ad difficultatem materiae: sed illae quas
philosophus ponit, quantum ad rectitudinem motivi; et ideo non sunt virtutes,
sed participant aliquid de virtute fortitudinis. Motivum autem ad actum fortitudinis potest esse triplex. Uno modo intentio boni vel honesti; et sic
fortitudinis virtus est vel alicujus temporalis boni vel honoris, vel
alicujus hujusmodi; et sic deficit a ratione virtutis, et est fortitudo quam
nominat politicam. Alio modo ex hoc quod removetur faciens difficultatem in
actu fortitudinis, scilicet magnitudo periculi; et hoc quidem removetur per
ignorantiam, et sic est ultimus modus; et per spem vincendi, quae potest ex
duobus consurgere; vel ex arte sive exercitio; et sic est militaris
fortitudo; vel experientia victoriae, sicut illi qui alias talia pericula
evaserunt, et sic est penultimus modus. Tertio modo ex passione furoris, vel
tristitiae illatae, vel etiam timoris, vel desperationis; et sic est tertius
modus. |
À propos des parties que donne le Philosophe dans Éthique, III, il faut savoir qu’elles sont aussi des parties potentielles, mais différemment de celles qui ont été mentionnées. En effet, la carence de celles-ci par rapport à la force vient de la difficulté de la matière, mais [la carence] de celles que propose le Philosophe vient de la droiture du motif. Elles ne sont donc pas des vertus, mais elles participent à quelque chose de la vertu de force. Or, le motif d’un acte de force peut être triple. Premièrement, l’intention de ce qui est bon ou digne ; ainsi, la vertu de force porte soit sur un bien ou un honneur temporel, soit sur quelque chose de ce genre. Il lui manque donc le caractère de vertu : c’est la force qu’il appelle politique. Deuxièmement, le fait d’écarter ce qui fait difficulté dans l’acte de force : la grandeur du danger. Cela est écarté par l’ignorance : c’est ainsi le dernier mode ; et par l’espoir de vaincre, qui peut venir de deux choses : de l’art ou de l’exercice, et c’est ainsi la force militaire ; ou de l’expérience de la victoire, comme ceux qui ont autrement échappé à de tels dangers, et c’est ainsi l’avant-dernier mode. Troisièmement, de la passion de la fureur, de la tristesse provoquée ou même de la crainte ou du désespoir : c’est ainsi le troisième mode. |
[12252] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod fortitudo politica dicitur ex motivo,
quia scilicet aliquod bonum quod a civitatibus praestari fortibus solet, ad
actum fortitudinis movet. Sic autem non dicuntur politicae virtutes
cardinales, sed inquantum in vita civili perficiunt. |
1. On parle de la force politique en raison du motif, parce que le bien que les cités ont coutume d’accorder à ceux qui sont forts meut à un acte de force. Mais les vertus cardinales ne sont pas appelées politiques pour cette raison, mais pour autant qu’elles s’exercent dans la vie civile. |
[12253] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod militaris fortitudo dicitur, quia eam consueverunt
habere milites, qui habent exercitium et artem bellandi; unde aequivocatur in
militari et politica. |
2. Une force est appelée militaire parce que les soldats, qui ont la pratique et l’art de faire la guerre, ont coutume de l’avoir. Aussi y a-t-il équivoque entre la [force] militaire et la [force] politique. |
[12254] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non est ignorantia de periculo omnino, sed
de quantitate periculi; et ideo non tollit totaliter rationem fortitudinis,
sed diminuit aliquid de laude ejus. |
3. Il ne s’agit pas d’une complète ignorance du danger, mais de la grandeur du danger. C’est pourquoi elle n’enlève pas totalement la raison de la force, mais elle enlève quelque chose à la raison de la louer. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la
sous-question 4
|
[12255] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem de partibus quas alius philosophus Graecus
ponit, sciendum, quod sunt fere eaedem cum illis quas ponit Macrobius:
magnanimitatem enim et magnificentiam et perseverantiam proprio nomine ponit,
et eas sic definit: magnanimitas est habitus plus faciens communiter
accidente pravis et studiosis. Magnanimus enim non est contentus vitare
prava et facere bona secundum quod communiter sufficit, nisi excellentius
faciat hoc; et ideo dicitur in 4 Ethic., quod operatur magnum in omnibus
virtutibus. Magnificentia vero est habitus superferens habentes ipsum, et
elatione adimplens, inquantum scilicet effert propositum ejus ad aliqua
sumptuosa et magna facienda. Perseverantia vero est scientia vel habitus
eorum quibus immanendum, idest bonorum, et non immanendum, idest
malorum, vel neutrorum, idest indifferentium. Eupsychia autem, quae
secundum ipsum est robur animae ad perficiendum opera ipsius, videtur
idem esse quod constantia, et praecipue in spiritualibus, quae sunt opera
animae. Lenia autem, quae secundum philosophum est habitus promptos
tribuens ad tolerare et sustinere quae ratio dicit, videtur idem quod
patientia. Virilitas autem videtur idem quod fiducia, quam diximus
differre a magnanimitate in hoc quod est communium bonorum, vel hujusmodi,
cum magnanimitas sit magnorum, et quae sunt ultra necessitatem virtutis. Virilitas
autem secundum ipsum est habitus per se sufficiens in his quae sunt secundum
virtutem, et de necessitate virtutis; et sic differt virilitas a
magnanimitate. Item ponit andragathiam, quae est virtus adinventiva
communicabilium operum communiter, scilicet juxta magnificentiam, quae
tendit ad magna in communitatibus facienda; et in hoc differt a Macrobio, qui
hanc definitionem non ponit propter hoc quod videtur esse idem liberalitati,
nisi quod intantum differat quod liberalitas respicit bonum singulare, sed
andragathia bonum commune. Unde magis accedit ad magnificentiam: quia ea quae indigent magnis
sumptibus, maxime sunt ea quae ad communitatem pertinent. Sed dictus philosophus omittit securitatem,
quam Macrobius ponit: quia securitas videtur intrinseca fortitudini, ut
dictum est. |
À propos des parties qu’un autre philosophe grec propose, il faut savoir qu’elles sont presque les mêmes que celles que propose Macrobe. En effet, il propose sous leurs propres noms la magnanimité, la magnificence et la persévérance, et il les définit ainsi : « La magnanimité est un habitus qui, d’une manière générale, fait davantage que ce n’est le cas pour les méchants et pour ceux qui s’appliquent. » En effet, le magnanime ne se contente pas d’éviter ce qui est mauvais et de faire ce qui est bon selon ce qui suffit d’une manière générale, mais il le fait d’une meilleure façon. Aussi est-il dit dans Éthique, IV, qu’il fait ce qui est grand dans toutes les vertus. « Mais la magnificence est un habitus qui fait se dépasser ceux qui le possèdent et les remplit d’un sentiment de grandeur », pour autant qu’elle les amène à faire des choses coûteuses et grandes. « La persévérance est la science ou l’habitus de ce dans quoi il faut demeurer, c’est-à-dire le bien, et ne pas demeurer, c’est-à-dire le mal, ou ni l’un ni l’autre, c’est-à-dire ce qui est indifférent. » « L’eupsychia », qui est, selon lui, « une force d’âme dans l’accomplissement de ses actions », semble être la même chose que la constance, principalement pour les réalités spirituelles, qui sont des œuvres de l’âme. « La lenia, qui est, selon le philosophe, un habitus qui rend pompt à tolérer et à supporter ce que dit la raison », semble être la même chose que la patience. « La virilité » semble être la même chose que l’assurance, dont nous disons qu’elle diffère de la magnanimité en ceci qu’elle porte sur les biens ordinaires ou ceux de ce genre, alors que la magninimité porte sur de grands [biens], qui dépassent même ce qui est nécessaire à la vertu. « La virilité est, selon lui, un habitus qui se suffit à lui-même pour ce qui est conforme à la vertu et nécessaire à la vertu » ; la virilité diffère ainsi de la magnanimité. Il présente aussi « l’andragathia, qui la vertu qui trouve les actions susceptibles d’être transmises d’une manière générale », selon la magnificence, qui est portée vers les grandes réalisations dans les communautés. Sur ce point, [ce philosophe] s’écarte de Macrobe, qui ne présente pas cette définition parce qu’elle semble être la même que celle de la libéralité, sauf qu’elle diffère de la libéralité pour autant que celle-ci concerne un bien individuel, mais l’andragathia, le bien commun. Elle se rapproche donc de la magnificence, car ce qui exige de grandes dépenses est surtout ce qui se rapporte à la communauté. Mais le philosophe en question omet la tranquillité de l’âme (securitas), que propose Macrobe, parce que la tranquillité de l’âme semble faire intrinsèquement partie de la force, comme on l’a dit. |
[12256] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut dictum est supra de
perseverantia, quod potest esse specialis virtus, inquantum respicit
specialem rationem objecti, quamvis forte illa ratio possit inveniri in
actibus diversarum aut omnium virtutum, sicut esse de magno quod respicit
magnanimitas; ita etiam est dicendum de constantia et eupsychia, quod idem
est. |
1. Comme on a dit plus haut de la persévérance qu’elle peut être une vertu spéciale dans la mesure où elle vise une raison spéciale de l’objet, bien que cette raison puisse se trouver dans les actes de diverses vertus ou de toutes les vertus, comme de faire partie d’une grande chose que considère la magnanimité, de même aussi faut-il parler de la constance et de l’eupsychia, qui sont la même chose. |
[12257] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod promptitudo illa intelligitur, ut homo
propter difficultatem terribilium non turbetur, quod ad patientiam pertinet;
unde sicut patientia specialis virtus est, ita et lenia, quae idem est. |
2. Cette promptitude s’entend de l’homme qui n’est pas troublé par une difficulté, ce qui relève de la patience. De même que la patience est une vertu spéciale, de même l’est la lenia, qui est la même chose. |
[12258] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 3 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis communicet cum justitia quantum ad
materiam, convenit tamen cum fortitudine quantum ad modum, sicut et
magnificentia. |
3. Bien qu’elle ait quelque chose en commun avec la justice du point de vue de la matière, elle rejoint cependant la force, de même que la magnificence, pour ce qui est du mode,. |
Articulus 4 [12259] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a.
4 tit. Utrum religio,
pietas, gratia, vindicatio, observantia, veritas sint partes justitiae, sicut
dicit Tullius |
Article 4 – La
religion, la piété, la gratitude, la vengeance, l’observance et la vérité
sont-elles des parties de la justice, comme le dit Tullius [Cicéron] ?
|
Quaestiuncula
1 |
Sous-question 1 – [Ces
parties sont-elles attribuées de manière appropriée par Tullius [Cicéron] ?
|
[12260] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic
proceditur. Videtur quod partes justitiae male assignentur a Tullio. Assignat
enim justitiae sex species, quae sunt religio, pietas, gratia, vindicatio,
observantia, veritas; et videtur quod male. Quia philosophus dicit in 8
Ethic., quod servi ad dominum non potest esse justitia. Sed Deus maxime
dominus est. Ergo cum religio sit hominis ad Deum, videtur quod non sit pars
justitiae. |
1. Il semble que ces parties soient attribuées de manière inappropriée par Tullius [Cicéron]. En effet, il attribue à la justice six parties : la religion, la piété, la gratitude, la vengeance, l’observance et la vérité, et il semble que ce soit à tort, car le Philosophe dit, dans Éthique, VIII, qu’il ne peut y avoir de justice entre l’esclave et le seigneur. Or, Dieu est Seigneur au plus haut point. Puisque que la religion concerne les rapports de l’homme avec Dieu, il semble donc qu’elle ne soit pas une partie de la justice. |
[12261] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut latria
debetur Deo, ita etiam dulia debetur homini. Ergo sicut religio, quae est idem quod latria, ponitur pars justitiae,
ita debet poni et dulia. |
2. De même que la latrie est due à Dieu, de même la dulie est-elle due à l’homme. De même que la religion, qui est la même chose que la latrie, est mise comme une partie de la justice, de même donc doit-il en être pour la dulie. |
[12262] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, supra, distinct. 11, dictum est, quod pietas est idem quod
latria; latria autem idem quod religio. Ergo pietas non debet dividi contra religionem. |
3. On a dit plus haut, d. 11, que la piété est la même chose que la latrie, et la latrie, la même chose que la religion. La piété ne doit donc pas être distinguée à la religion. |
[12263] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 1 arg. 4 Praeterea, vindicatio videtur pertinere ad vitium irae, quae est appetitus vindictae. Ergo non debet poni pars
virtutis. |
4. La vengeance semble relever du vice de la colère, qui est un désir de vengeance. Elle ne doit donc pas être présentée comme une partie d’une vertu. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 –
[Macrobe a-t-il bien indiqué les parties de la justice ?]
|
[12264] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. A Macrobio, ponuntur hae partes: innocentia, amicitia,
concordia, religio, pietas, humanitas, affectus; et videtur quod male. Quia innocentia omni peccato opponitur. Sed
omni peccato non opponitur nisi virtus communis. Ergo et innocentia vel est
virtus communis, vel sequens omnem virtutem; ergo non debet poni pars
justitiae. |
1. Macrobe donne ces parties [de la justice] : l’innocence, l’amitié, la concorde, la religion, la piété, l’humanité, la volonté, et il semble que ce soit à tort, car l’innocence s’oppose à tout péché. Or, seule une vertu commune s’oppose à tout péché. Donc, soit l’innocence est une vertu commune, soit elle découle de toutes les vertus. Elle ne doit pas être donnée comme une partie de la justice. |
[12265] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, illud quod consequitur ad omnes virtutes, non debet poni
alicujus virtutis pars. Sed amicitia est hujusmodi: quia verae amicitiae
fundamentum est honestum. Ergo non debet poni pars justitiae. |
2. Ce qui découle de toutes les vertus ne doit pas être donnée comme une partie d’une vertu. Or, l’amitié est de ce genre, car le fondement de l’amitié véritable est la probité. Elle ne doit donc pas être donnée comme une partie de la justice. |
[12266] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, philosophus, in
9 Ethic., ponit circa amicitiam tria, scilicet beneficentiam, benevolentiam, et concordiam; a quibus
omnibus dicit amicitiam differre. Ergo sicut posuit concordiam, ita debuit
ponere alia duo. |
3. Dans Éthique, IX, le Philosophe propose trois choses à propos de l’amitié : la bienfaisance, la bienveillance et la concorde. Et il dit que l’amitié diffère de toutes ces choses. De même qu’il a proposé la concorde, de même devait-il donc proposer les deux autres. |
[12267] Super Sent., lib.
3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 2 arg. 4 Praeterea, affectus in omnibus moralibus
requiritur. Ergo non debet
poni pars alicujus virtutis. |
4. La volonté est nécessaire dans tout ce qui est moral. Elle ne doit donc pas être donnée comme une partie d’une vertu. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Les
cinq parties indiquées par certains sont-elles appropriées ?]
|
[12268] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Quidam ponunt quinque partes, quae sunt obedientia respectu
superioris, disciplina respectu inferioris, aequitas respectu parium, fides
et veritas respectu omnium: et videtur quod male. Quia justitia generalis, ut dicitur in 5
Ethic., attendit praecepta legis. Sed obedire est attendere praeceptum. Ergo
est idem quod justitia generalis: ergo non est pars justitiae quae est
specialis virtus, sed magis e converso. |
1. Certains proposent cinq parties [de la justice] : l’obéissance envers un supérieur, la correction envers un inférieur, l’équité envers les égaux, la foi et la vérité envers tous, et il semble que ce soit à tort, car la justice générale, comme on le dit dans Éthique, V, concerne les commandements de la loi. Or, obéir, c’est tenir compte d’un commandement. C’est donc la même chose que la justice générale. Ce n’est donc pas une partie de la justice qui est une vertu spéciale, mais plutôt l’inverse. |
[12269] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea rigor ad
justitiam pertinet, sicut aequitas; ergo sicut ponunt aequitatem, ita ponere debent rigorem. |
2. La rigueur appartient à la justice, comme l’équité. De même qu’ils proposent l’équité, de même doivent-ils donc proposer la rigueur. |
[12270] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, fides est virtus theologica. Ergo non debet poni pars
justitiae, quae est virtus cardinalis. |
3. La foi est une vertu théologale. Elle ne doit donc pas être présentée comme une partie de la justice, qui est une vertu cardinale. |
[12271] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 3 arg. 4 Praeterea, veritas ad intellectum pertinet: justitia autem magis ad voluntatem:
quia, ut dicit Anselmus, est rectitudo voluntatis propter se servata. Ergo videtur quod veritas
non sit pars justitiae. |
4. La vérité relève de l’intelligence, mais la justice relève plutôt de la volonté, car, ainsi que le dit Anselme, « elle est la droiture de la volonté observée pour elle-même ». Il semble donc que la vérité ne soit pas une partie de la justice. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 – [La
division de la justice en libéralité et sévérité est-elle appropriée ?]
|
[12272] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Quidam dividunt
justitiam in
liberalitatem et severitatem: quam dividunt in benignitatem et beneficentiam:
benignitatem vero in septem partes, scilicet religionem, pietatem,
innocentiam, amicitiam, reverentiam, concordiam, misericordiam. Et videtur quod non bene. Quia, ut dicit
philosophus 5 Ethicor., virtuosus est diminutivus poenarum. Sed severitas
dicit hujusmodi oppositum. Ergo non est pars virtutis. |
1. Certains divisent la justice en libéralité et sévérité. Or, ils divisent celle-ci en bienveillance et bienfaisance, mais la bienveillance en sept parties : la religion, la piété, l’innocence, l’amitié, la révérence, la concorde, la miséricorde. Et il semble que ce ne soit pas correct, car, ainsi que le dit le Philosophe dans Éthique, V, l’homme vertueux réduit les peines. Or, la sévérité exprime le contraire de ceci. Elle n’est donc pas une partie d’une vertu. |
[12273] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 4 arg. 2 Praeterea, liberalitas dat alicui quod est proprium dantis. Sed
justitia dat alteri quod suum est et ei debitum. Ergo liberalitas non est
pars justitiae. |
2. La libéralité donne à quelqu’un ce qui appartient en propre à celui qui donne. Or, la justice donne à autrui ce qui lui appartient et lui est dû. La libéralité n’est donc pas une partie de la justice. |
[12274] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 4 arg. 3 Praeterea, misericordia est passio, ut dicit philosophus in 2 Eth. Sed
nulla passio est virtus, nec pars virtutis. Ergo misericordia non est virtus,
nec pars ejus. |
3. La miséricorde est une passion, comme le dit le Philosophe dans Éthique, II. Or, aucune passion n’est une vertu, ni une partie de vertu. La miséricorde n’est donc pas une vertu ni une partie de celle-ci. |
Quaestiuncula 5 |
Sous-question 5 – [La
division de la justice en justice légale et justice spéciale est-elle
appropriée ?]
|
[12275] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 5 arg. 1 Ulterius. Philosophus in 5 Ethic., dividit justitiam in legalem et
specialem, quae est aequalitas quaedam in bonis et malis exterioribus: quam
dividit in distributivam et commutativam. Dividit etiam justum in politicum,
paternum, et uxorium; politicum autem in legalem et naturalem. Ponit etiam
circa justitiam, epiceiam et justitiam metaphoricam. Et videtur quod male.
Species enim non debet dividi contra genus. Sed justitia particularis est species justitiae legalis. Ergo non
debet dividi contra eam. |
1. Dans Éthique, V, le Philosophe divise la justice en [justice] légale et [justice] spéciale, qui est une certaine égalité dans les biens et les maux extérieurs ; il divise celle-ci en distributive et commutative. Il divise aussi ce qui est juste en politique, paternel et matrimonial ; et le juste politique en légal et naturel. Il présente aussi, à propos de la justice, l’épikeia et la justice métaphorique. Et il semble que ce soit à tort. En effet, l’espèce ne doit pas être opposée au genre. Or, la justice particulière est une espèce de la justice légale. Elle ne doit donc pas lui être opposée. |
[12276] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 5 arg. 2 Praeterea, justitia
dirigimur in his quae ad alterum sunt. Sed omnis operatio unius ad alterum commutatio quaedam est.
Ergo justitia commutativa non debet poni pars justitiae specialis, sed idem
ei. |
2. Nous sommes dirigés par la justice dans ce qui concerne un autre. Or, toute opération de l’un envers un autre est un échange (commutatio). La justice commutative ne doit donc pas être proposée comme une partie de la justice spéciale, mais la même chose qu’elle. |
[12277] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 5 arg. 3 Praeterea, justum politicum videtur ad
justitiam legalem pertinere. Ergo non debet poni pars justitiae specialis. |
3. Le justice politique semble se rapporter à la justice légale. Elle ne doit donc pas être présentée comme une partie de la justice spéciale. |
[12278] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 5 arg. 4 Praeterea, paternum et dominativum et uxorium non videntur differre
nisi secundum materiam. Ergo non debet distingui justum per praedicta. |
4. La [justice] paternelle, seigneuriale et matrimoniale ne semblent différer que selon la matière. La justice ne doit pas être distinguée selon ce qui précède. |
[12279] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4
qc. 5 arg. 5 Praeterea,
epieicia, ut ipse dicit, est aliquid melius justitia. Ergo magis debet
justitia poni pars ejus quam e converso. |
5. L’épieikia, comme lui-même le dit, est quelque chose de meilleur que la justice. La justice doit donc être présentée comme sa partie plutôt que l’inverse. |
Quaestiuncula 6 |
Sous-question 6 – [Ce
que dit un philosophe à propos des composantes habituelles de la justice
est-il approprié ?]
|
[12280] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 6 arg. 1 Ulterius. Quidam philosophus Graecus dicit, quod familiares justitiae
sunt liberalitas, benignitas, vindicativa, eugnomosine, eusebia, Eucharistia,
sanctitas, bona commutatio, legis positiva: et videtur quod male. Ipse enim
et dicit, quod eugnomosine est voluntaria justificatio. Sed hoc necessarium
est in omni justitia, ut volens quis operetur, ut dicitur in 5 Ethic. Ergo
non est pars justitiae, sed idem sibi. |
1. Un philosophe grec dit que les composantes habituelles de la justice sont la libéralité, la bienveillance, la vengeance, l’eugnomosinè, l’eusébeia, l’eucharistia, la sainteté, les bons échanges, la [justice] législative ; et il semble que ce soit à tort. En effet, lui-même dit aussi que l’eugnomosinè est une justification volontaire. Or, il est nécessaire qu’on agisse volontairement en toute justice, ainsi qu’on le dit dans Éthique, V. Elle n’est donc pas une partie de la justice, mais la même chose qu’elle. |
[12281] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 6 arg. 2 Praeterea, ad Eucharistiam, secundum ipsum, pertinet quibus sit facienda gratia, et a quibus accipienda. Sed hoc videtur ad
liberalitatem pertinere, cujus est gratis tribuere. Ergo non debet dividi
contra liberalitatem. |
2. Selon lui, l’eucharistia porte sur ceux envers qui la gratitude doit être manifestée et ceux par qui elle est reçue. Or, cela semble relever de la libéralité, à qui il appartient d’accorder gratuitement. Elle ne doit donc pas être opposée à la libéralité. |
[12282] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 6 arg. 3 Praeterea, secundum ipsum, sanctitas est scientia faciens fideles et
servantes quae ad Deum sunt justa. Sed hoc ad eusebiam pertinet, sive ad religionem. Ergo non debet
dividi contra eusebiam. |
3. Selon lui, la sainteté est la science par laquelle ses fidèles et ses serviteurs rendent à Dieu ce qui est juste. Or, cela relève de l’eusébeia ou de la religion. Elle ne doit donc pas être opposée à l’eusébeia. |
[12283] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 6 arg. 4 Praeterea, philosophus
ponit in 6 Ethicor., legis positivam speciem politicae, quam ponit idem prudentiae. Ergo legis
positiva magis pertinet ad prudentiam quam ad justitiam. |
4. En Éthique, VI, le Philosophe présente la [justice] législative comme une espèce de la [justice] politique, qu’il identifie à la prudence. La [justice] législative relève donc plutôt de la prudence que de la justice. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
|
[12284] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod
justitia in hoc differt a temperantia et fortitudine, quod illae moderant
passiones intrinsecas, sed justitia moderat extrinsecas operationes: unde
philosophus dicit, circa operationes justitiam esse. In adulterio enim,
secundum quod est contra justitiam, attenditur usus inordinatus, scilicet rei
alienae; secundum autem quod opponitur temperantiae, attenditur concupiscentia
non refrenata sub debito rationis. Moderatio autem actionum exteriorum ex
duobus regulatur. Primo per comparationem operationis ad ipsum operantem; et
sic ejusdem rationis est et regulatio exteriorum operationum et interiorum
passionum, quae ad exteriores inclinant operationes. Alio modo per
comparationem ad alium; et in hoc est jam alius modus regulandi: et ideo
exigitur alia virtus; et hoc proprie ad justitiam pertinet; unde ab eodem
actu, scilicet percussione alicujus, retrahit mansuetudo, scilicet secundum
quod procedit ex passione interiori, et justitia in ordine ad alium. In omni
autem moderationem; oportet quod illud quod moderatur, mensurae sive regulae
alicui adaequetur. Unde sicut moderatio passionum est adaequatio ipsarum ad
ratione: ita moderatio exteriorum actuum, secundum quod sunt ad alterum, est
quod adaequentur illi ex comparatione ad quem moderantur. Et haec quidem adaequatio est quando ei
redditur quod et quantum ei debetur; et haec adaequatio proprius modus
justitiae est. Unde ubicumque invenitur ista adaequatio complete, est
justitia quae est virtus specialis; et omnes virtutes in quibus salvatur,
sunt partes subjectivae justitiae. Ubi autem ista adaequatio non secundum
totum salvatur, sed secundum aliquid, reducitur ad justitiam ut pars
potentialis, aliquid de modo ejus participans. Ista autem adaequatio tria
complectitur, ut ex dictis patet, scilicet ut sit ordinatum ad alterum; ut
sit ei debitum, alias superexcederet actio eum ad quem fit; et ut tantum
reddatur quantum debetur; alias deficeret in minus. Sunt autem quaedam
virtutes quibus redditur alteri quod debetur ex necessitate legis, non tamen
tantum, quia impossibile est; sicut in honore qui est ad Deum, quod facit
religio; et qui ad parentes et ad patriam, quod facit pietas. Unde istae
virtutes deficiunt quidem a justitia, et sunt partes ejus potentiales, et
propinquissime se habent ad ipsam. Quaedam vero sunt quibus redditur alteri
quod debetur non ex necessitate legis, sed quadam honestate, sicut
philosophus dicit in 8 Ethic.: sicut gratia quae est retributio beneficiorum,
secundum Tullium, misericordia, et hujusmodi: et hae virtutes aliquantulum
magis distant a vera justitia. Quaedam autem virtutes sunt quibus hoc circa
quod principaliter est virtus, ordinatur ad alterum, non tamen secundum
rationem debiti, sicut liberalitas; et hae adhuc magis distant a vera
justitia. Quaedam vero hoc circa quod est virtus, non principaliter, sed
secundario, ordinant ad alterum; sicut quando fortitudo actum exteriorem,
circa quem secundario est, ordinat ad alterum ut ad bonum gratiae, et sic
induit quodammodo formam justitiae; et sic omnis virtus potest reduci ad
justitiam; unde justitia legalis est idem quod omnis virtus in 5 Ethic.
Quantum ad passiones autem, circa quas principaliter sunt illae virtutes,
nihil possunt habere de modo justitiae, eo quod per passiones immediate homo
non ordinatur nisi ad seipsum; tamen per quamdam similitudinem est ibi
quaedam forma justitiae, secundum quod diversae vires computantur ut diversae
personae; unde sic est justitia metaphorica, de qua philosophus loquitur in 5
Ethic. Ex dictis igitur potest patere de facili, qualiter omnes partes a
philosophis assignatae, sunt partes justitiae: quia inter partes quas Tullius
ponit vindicatio et observantia sunt partes subjectivae verae justitiae: quia
vindicatio reddit malum debitum, observantia autem bonum ad quod se
obligavit. Vindicatio enim, secundum eum, est virtus, qua vis aut injuria,
et omne quod obfuturum est, defendendo et ulciscendo propulsatur. Religio
autem quae est ad Deum, et pietas quae est ad parentes et conjunctos sanguine
vel patria, sunt partes potentiales, sed propinquae: quia reddunt quod
debent, et ex obligatione legis, sed non quantum; quia impossibile est. Has
autem sic definit: religio est quae superiori cuidam naturae, quam divinam
vocant, curam caeremoniamque affert; et dicitur a religando secundum
Isidorum, vel secundum Augustinum, a reeligendo Deum quem amiseramus. Pietas
vero est per quam sanguine conjunctis patriaeque benevolis officium et
diligens tribuitur cultus. Gratia autem et veritas reddunt quod debent ex
quadam honestate, qua fit ut homo gratiam beneficio impendat (quamvis non
possit ad id in judicio cogi), et quod talem se in dictis et factis exhibeat
qualis est, quod ad veritatem pertinet: de qua philosophus etiam determinat
in 4 Ethic. Est enim gratia in qua amicitiarum et obsequiorum alterius
memoria, et remunerandi voluntas continentur. |
La justice diffère de la tempérance et de la force par le fait que celles-ci modèrent les passions intérieures, mais que la justice modère les opérations extérieures. Aussi le Philosophe dit-il que la justice porte sur les opérations. En effet, dans l’adultère, pour autant qu’il s’oppose à la justice, on envisage l’usage désordonné du bien d’un autre ; mais, pour autant qu’il s’oppose à la tempérance, on est attentif à la convoitise qui n’est pas réfrénée comme le doit la raison. Or, la modération des actions extérieures est réglée par deux choses. Premièrement, par la comparaison de l’opération avec celui qui agit : la régulation des opérations extérieures et celle des passions intérieures, qui inclinent à des opérations extérieures, ont ainsi le même raison. Deuxièmement, par la comparaison avec un autre, et il y a en cela un autre mode de régulation. C’est pourquoi une autre vertu est nécessaire, et cela relève au sens propre de la justice. Ainsi, la douceur retient du même coup, selon qu’il procède d’une passion intérieure, que la justice, selon le rapport avec un autre. Or, en toute modération, il est nécessaire que ce qui est modéré s’ajuste à une mesure ou à une règle. De même que la modération des passions est ajustée par rapport à la raison, de même la modération des actes extérieurs, selon qu’il s’adressent à un autre, consiste-t-elle en ce qu’ils s’ajustent par rapport à qui ils sont modérés. Et cet ajustement se réalise lorsque lui est rendu ce qui lui est dû : cet ajustement est le mode propre de la justice. Donc, partout où se trouve cet ajustement de manière complète, il s’agit de la justice qui est une vertu spéciale, et toutes les vertus où il est sauvegardé sont des parties subjectives de la justice. Mais là où cet ajustement n’est pas respecté en totalité mais partiellement, il se ramène à la justice comme une partie potentielle en participant à quelque chose de son mode. Or, cet ajustement comprend trois choses, comme cela ressort de ce qui a été dit : il faut qu’il soit ordonné à quelqu’un d’autre ; qu’il lui soit dû, autrement l’action dépasserait celui pour qui elle est faite ; qu’il lui soit rendu autant qu’il lui est dû, autrement il y manquerait en moins. Or, il existe certaines vertus par lesquelles on rend à un autre ce qui lui est dû par obligation de la loi, mais non pas cependant autant [qu’il lui est dû], car cela est impossible : c’est le cas de l’honneur rendu à Dieu, ce que réalise la religion, et de celui qui est rendu aux parents et à la patrie, ce que réalise la piété. Il manque donc à ces vertus quelque chose de la justice : elles en sont les parties potentielles et elles ont un rapport très étroit avec elle. Mais il existe [d’autres vertus] par lesquelles on rend à un autre ce qui [lui] est dû, non pas par obligation de la loi, mais en vertu d’une certaine considération, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VIII : ainsi, la gratitude, qui est une compensation pour les bienfaits, selon Tullius [Cicéron], la miséricorde et celles de ce genre. Ces vertus sont un peu plus éloignées de la véritable justice. Il existe encore certaines vertus par lesquelles ce qui est principalement vertu est ordonné à quelqu’un d’autre, mais non en tant que dette, comme c’est le cas de la libéralité. Ces vertus s’éloignent encore davantage de la véritable justice. Mais certaines ordonnent ce qui est principalement vertu à quelqu’un d’autre, non pas principalement, mais de manière secondaire, comme lorsque la force ordonne à quelque chose d’autre comme un bien gratuit un acte extérieur, sur lequel elle porte de manière secondaire, et revêt ainsi d’une certaine manière la forme de la justice. Ainsi toute vertu peut-elle être ramenée à la justice. La justice légale est ansi la même chose que toute vertu, Éthique, V. Pour ce qui est des passions sur lesquelles portent principalement ces vertus, elles ne peuvent rien avoir du mode de la justice du fait que, l’homme n’est immédiatement ordonné qu’à lui-même par les passions. Toutefois, selon une certaine ressemblance, il existe là une certaine forme de justice, selon que diverses puissances sont considérées comme des personnes différentes. Ainsi existe la justice métaphorique, dont parle le Philosophe dans Éthique, V. Il ressort donc facilement de ce qui a été dit que toutes les parties attribuées par les philosophes sont des parties de la justice, car, parmi les parties que Tullius [Cicéron] présente, la vengeance et l’observance sont des parties subjectives de la véritable justice, car la vengeance rend le mal dû, mais le respect, le bien auquel on s’est obligé. En effet, selon lui, la vengeance est « la vertu par laquelle une puissance est poussée à se défendre et à compenser un outrage ou tout ce qui fait obstacle ». Mais la religion, qui se rapporte à Dieu, et la piété, qui se rapporte aux parents et à ceux qui sont unis par le sang ou la patrie, sont des parties potentielles, mais rapprochées, car elles rendent ce qui est dû et en vertu de la loi, mais non pas autant [qu’il est dû], car cela est impossible. Il définit donc celles-ci : « la religion est [la vertu] qui porte à une nature supérieure, appelée divine, attention et culte ». Selon Isidore, le mot vient de « relier » (religando) ou, selon Augustin, de « choisir de nouveau » (reeligendo) Dieu que nous avions perdu. Mais la piété est [la vertu] « par laquelle soin et culte sont rendus à ceux qui nous sont unis par le sang et qui recherchent le bien de la patrie ». La gratitude et la vérité rendent ce qui est dû selon une certaine considération en vertu de laquelle un homme rend grâce pour un bienfait (bien qu’il ne puisse y être forcé par jugement), et se montre tel qu’il est dans ses paroles et dans ses actes, ce qui relève de la vérité. Le Philosophe en traite aussi dans Éthique, IV. En effet, la gratitude est « celle dans laquelle sont contenus le souvenir des amitiés et des services d’un autre, et la volonté de les lui rendre ». |
[12285] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod objectio illa probat quod religio non
sit pars subjectiva justitiae; non autem quod non sit pars potentialis
propinqua. |
1. Cette objection prouve que la religion n’est pas une partie subjective de la justice, mais non qu’elle n’est pas une partie potentielle rapprochée. |
[12286] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut pietas quae principaliter debetur
parentibus, se extendit ad omnes sanguine conjunctos, inquantum ex eisdem
parentibus descenderunt, et ulterius ad compatriotas, inquantum communicant
in natali solo; ita religio, quae Deo debetur, se extendit quodammodo ad eos
qui Dei imagine sunt insigniti; unde religio et dulia sunt in proximo genere;
et ideo sub una comprehenditur a Tullio altera. |
2. De même que la piété, qui est principalement due aux parents, s’étend à tous ceux qui sont unis par le sang, pour autant qu’ils descendent des mêmes parents, et, plus loin, aux compatriotes, pour autant qu’ils ont en commun le sol natal, de même la religion, qui est due à Dieu, s,étend-elle d’une certaine manière à ceux qui sont marqués de l’image de Dieu. Aussi la religion et la dulie font-elles partie d’un genre rapproché. C’est pourquoi l’une est comprise dans l’autre selon Tullius [Cicéron]. |
[12287] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
pietas alio modo sumitur hic quam ibi. |
3. La piété est entendue ici dans un autre sens que là. |
[12288] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod vindicare ex poenae desiderio, vitiosum est;
sed ex sola justitia, et secundum ordinem juris, justitiae est. |
4. Venger par désir de la peine est vicieux ; mais [venger] par la seule justice et selon l’ordre du droit relève de la justice. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
|
[12289] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem de partibus quas
ponit Macrobius, sciendum, quod una est pars subjectiva justitiae proprie dictae,
scilicet innocentia, ut nullus alteri quod suum est auferat; et condividitur
contra illam partem quae unicuique reddit quod debet. Aliae vero sunt partes
potentiales, quarum duae sunt respectu superioris, scilicet religio et
pietas, ut reddant debitum, sed non tantum. Aliae vero quatuor reddunt
debitum ex honestate; et hoc vel aequali, et sic est amicitia, de qua
philosophus in 4 Ethic., qua nostris operibus congruenter ad alios utimur; et
concordia, qua operibus aliorum auxilia praestamus: vel respectu inferiorum,
quibus quantum ad affectum interiorem impendimus ex debito honestatis
humanitatem, et quantum ad exterius affectum subventionis. |
À propos des parties que présente Macrobe, il faut savoir que l’une est une partie subjective de la justice proprement dite : l’innocence, qui consiste en ce que personne n’enlève à un autre ce qui lui appartient. Et elle s’oppose à la partie qui rend à chacun ce qu’elle doit. Mais les autres sont des parties potentielles, dont deux se rapportent à un supérieur : la religion et la piété, afin qu’elles rendent ce qui est dû, mais pas autant [qu’il est dû]. Les quatre autres rendent ce qui est dû par considération, soit à un égal : on a ainsi l’amitié, dont parle le Philosophe dans Éthique, IV, par laquelle nous faisons convenablement usage des actions envers les autres ; et la concorde, par laquelle nous apportons de l’aide aux actions des autres, soit à des inférieurs, auxquels nous montrons de l’humanité quant à [notre] attitude affective intérieure selon une dette de considération, et une volonté de leur venir en aide quant à l’extérieur. |
[12290] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod innocentia hic sumitur stricte secundum quod privat nocumentum alteri
illatum. |
1. L’innocence est entendue ici au sens strict de ne pas nuire à un autre. |
[12291] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod amicitia hic sumitur non sicut in 8 Ethic.,
quae consistit principaliter in affectu, sed ut in 4, cap. 13, quae consistit
principaliter in affabilitate exteriori, quae habetur etiam ad extraneos. |
2. L’amitié est entendue ici, non pas comme dans Éthique, VIII, où elle consiste principalement dans une disposition affective, mais comme dans Éthique, IV, c. 13, où elle consiste principalement dans une affabilité extérieure manifestée même aux étrangers. |
[12292] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
beneficentia includitur in humanitate, benevolentia autem in affectu. |
3. La bienfaisance est incluse dans l’humanité, mais la bienveillance dans l’affection. |
[12293] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod affectus hic sumitur stricte pro affectu
subventionis et compassionis ad alterum. |
4. L’affection s’entend ici au sens strict d’une volonté de venir en aide à l’autre et de compatir avec lui. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
|
[12294] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem de partibus
aliis sciendum est quod videntur esse subjectivae justitiae proprie dictae:
quia ex obligatione legis tenetur homo ut superiori obediat, ut inferiori
suae curae commisso disciplinam exhibeat, et ad aequales etiam, et ad omnes
servet aequalitatem in rebus, fidem in factis, quae est idem quod
observantia, et veritatem in dictis, si tamen veritas sumatur ea quae est in
confessionibus judicii; alias si sumeretur sicut supra, esset pars
potentialis justitiae. |
À propos des autres parties, il faut savoir qu’elles semblent être des [parties] subjectives de la justice proprement dite, car, par une obligation de la loi, l’homme est tenu d’obéir à son supérieur, afin qu’il corrige l’inférieur confié à ses soins, et aussi envers ses égaux et envers tous, afin de préserver l’égalité dans les choses, la foi dans les actes, qui est la même chose que l’observance, et la vérité dans les paroles, si l’on parle toutefois de la vérité qu’on rencontre dans les confessions d’un procès ; autrement, si elle était entendue comme elle l’a été plus haut, elle serait une partie potentielle de la justice. |
[12295] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod obedientia, secundum quod attendit
principaliter rationem praecepti, est specialis virtus; unde etiam obedit in
illis quae ad alias virtutes non pertinent; sed secundum quod ex consequente
respicit praeceptum et bonum virtutis principaliter in eo quod facit, sic est
consequens ad omnes virtutes. |
1. L’obéissance, selon qu’elle concerne principalement la raison de commandement, est une vertu spéciale. Elle obéit donc aussi pour ce qui ne relève pas d’autres vertus. Mais selon qu’elle concerne par mode de conséquence le commandement et le bien de la vertu principalement dans ce qu’on fait, elle découle ainsi de toutes les vertus. |
[12296] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod hic sumitur aequitas secundum aequalitatem simpliciter, quae est in rebus commutabilibus; unde
includit severitatem sive rigorem, inquantum servat formam legis in his ad
quae legis intentio se extendit, et aequitatem, quae, dimissa forma legis
intentionem ipsam sequitur. |
2. L’équité s’entend ici simplement de l’égalité qui existe dans les choses qui peuvent être objets d’échanges. Aussi comprend-elle la sévérité ou la rigueur, dans la mesure où elle préserve la forme de la loi pour ce sur quoi porte l’intention de la loi ; et l’équité, qui poursuit son intention, en laissant de côté la forme de la loi. |
[12297] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
fides hic sumitur pro fidelitate, non secundum quod est virtus theologica. |
3. La foi s’entend ici de la fidélité, et non au sens de la vertu théologale. |
[12298] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod veritas hic sumitur secundum quod est in
signo exteriori, vel verbo, vel quocumque alio. |
4. La vérité est entendue ici selon qu’elle existe dans un signe extérieur, une parole ou quelque autre chose. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la
sous-question 3
|
[12299] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem de
aliis partibus a quibusdam aliis assignatis, sciendum est, quod in idem
incidunt cum partibus prius tactis: quia severitas, secundum quod hic
accipitur, idem est quod vindicatio; et dividitur contra omnes alias partes
justitiae, quia ipsa sola malum reddit: liberalitas autem valde large sumitur
pro qualibet boni exhibitione, vel debiti vel non debiti, vel in affectu vel
in effectu; unde dividitur in beneficentiam et benevolentiam, et hic etiam
largissime accipiuntur hujusmodi. Unde dividitur beneficentia in septem
partes quae omnes comprehensae sunt in superioribus partibus: quia
misericordia comprehenditur in affectu, reverentia vero, quae videtur idem
quod dulia, comprehenditur sub religione, ut prius dictum est, et etiam sub
pietate. |
À propos des autres parties indiquées par d’autres, il faut savoir qu’elles reviennent à la même chose que les parties abordées antérieuremenet, car la sévérité, au sens où elle est entendue ici, est la même chose que la vengeance ; elle se distingue des autres parties de la justice, car seule elle rend le mal ; mais la libéralité est entendue au sens très large de toute manifestation de bien, dû ou non dû, selon une attitude affective ou par un acte extérieur. Aussi se divise-t-elle en bienfaisance et en bienveillance, et ici aussi elles sont entendues au sens très large. Ainsi la bienfaisance se divise-t-elle en sept parties qui sont toutes comprises dans les parties indiquées antérieuremenet, car la miséricorde est comprise dans l’affection, mais la révérence, qui semble être la même chose que la dulie, est comprise dans la religion, comme on l’a dit plus haut, et même dans la piété. |
[12300] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod virtuosus diminuit poenam quam debet servata intentione legis, non tamen
contra legem. |
1. L’homme vertueux diminue la peine qu’il doit en respectant l’intention de la loi, mais non pas en allant contre la loi. |
[12301] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod liberalitas large hic accipitur, ut dictum est. |
2. La libéralité est entendue ici au sens large, comme on l’a dit. |
[12302] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliquae passiones, quamvis proprie loquendo
non sint virtutes, tamen inquantum sunt laudabiles, habent aliquid de ratione
virtutis; sicut misericordia et verecundia; et praecipue secundum quod est
ibi electio. |
3. Certaines passions, bien qu’elles ne soient pas à proprement parler des vertus, dans la mesure où elles sont cependant louables, possèdent quelque chose du caractère de la vertu. C’est le cas de la miséricorde et de la modestie. Surtout lorsqu’il y a un choix. |
Quaestiuncula 5 |
Réponse à la
sous-question 5
|
[12303] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 5 co. Ad quintam quaestionem de
aliis partibus quas philosophus ponit in 5 Ethic. dicendum, quod divisio
philosophi complectitur omnia ad quae vera justitia habet se extendere; et
ideo ponit justitiam metaphoricam, in qua salvatur similitudo tantum
justitiae, et legalem, quae ordinat ad alterum etiam circa id quod non
principaliter est virtus, si illud sit ordinatum a lege: et in idem reducitur
epiceia quae differt a justitia legali in hoc quod servat intentionem legis
in his ad quae forma legis se non extendit; et similiter dominativum, et
paternum justum, in quibus redditur debitum, sed non tantum; et iterum
distributiva, et commutativa, quae sunt partes subjectivae justitiae
specialis. Legale autem
et principale justum non dividunt justitiam; sed illud ex quo est obligatio
debiti et justitiae: quia vel est jus naturale, vel positivum. |
À propos des parties que le Philosophe présente dans Éthique, V, il faut dire que la division du Philosophe comprend tout ce à quoi doit s’étendre la justice véritable. C’est pourquoi il présente la justice métaphorique, dans laquelle seule est sauvegardée une ressemblance avec la justice, et la justice légale, qui ordonne à l’autre, même pour ce qui n’est pas principalement une vertu, si cela est ordonné par la loi. Et l’épikeia, qui diffère de la justice légale en ce qu’elle sauvegarde l’intention de la loi dans ce à quoi la forme de la loi ne s’étend pas ; de même, la justice du seigneur et la justice paternelle, dans lesquelles ce qui est dû est rendu, mais non autant [qu’il ne devrait être rendu]. De plus, [la justice] distributive et la [justice] commutative, qui sont des parties subjectives de la justice spéciale. Ce qui est légal et principalement juste n’établit pas de distinction à l’intérieur de la justice, mais ce dont provient l’obligation d’une dette et de la justice, car cela est soit le droit naturel, soit le droit positif. |
[12304] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod species potest dividi contra genus
divisione quae est nominis aequivoci in suo significato. |
1. Une espèce peut être distinguée du genre par la division d’un nom à la signification équivoque. |
[12305] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod commutatio proprie est, quando ex mutuis
operibus sit aliquid alicui debitum; sicut ex hoc quod unus laboravit in
vinea alterius, alter constituitur sibi debitor in tanto, quantum valet labor
ejus; et in his dirigit commutativa justitia. Est enim aequalitas in ea, commutationis:
quia quantum unus dedit alteri, debet tantum ab eo recipere: et propter hoc
etiam commutativa dicitur. Sed in distributiva non attenditur aequalitas
recipientis ad eum qui dat, sed ad alium qui etiam recipit; unde non est ibi
aequalitas commutationis, sed distributionis; et propter hoc dicitur
distributiva, non commutativa. |
2. L’échange au sens propre survient lorsque quelque chose est dû à quelqu’un en vertu d’actes réciproques : ainsi, du fait que quelqu’un a travaillé dans la vigne d’un autre, l’autre devient son débiteur pour la valeur de son travail. C’est en cela que la justice commutative dirige. En effet, il existe par elle une égalité dans l’échange, car l’un doit recevoir de l’autre autant qu’il lui a donné ; c’est la raison pour laquelle elle est appelée commutative. Mais dans la [justice] distributive, on ne s’arrête pas à l’égalité entre celui qui reçoit et celui qui donne, mais à un autre qui reçoit lui aussi. Aussi n’y a-t-il pas là une égalité dans l’échange, mais dans la distribution. Pour cette raison, elle est appelée distributive, et non commutative. |
[12306] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
politicum tribus modis
dicitur. Uno modo
secundum quod respicit civilem vitam; et sic omnes virtutes morales quandoque
dicuntur politicae. Alio modo secundum quod in vita civili ex civili
ordinatione dirigitur quis; et hoc modo dicitur etiam justitia particularis
politica, inquantum dirigit in commutationibus secundum civilia statuta: et
tunc dividitur politicum justum contra dominativum et uxorium et hujusmodi:
quia lex se extendit ad dirigendum in his, cum servus sit res domini, et
filius patris, et uxor viri. Unde directio in his magis est secundum
oeconomicam prudentiam, quam secundum civilia statuta. Tertio modo dicitur
politicum a vita civili et civilibus statutis, et ulterius ex intentione
communis boni; et sic politicum pertinet ad justitiam legalem. |
3. On parle de politique de trois manières. Premièrement, en rapport avec ce qui concerne la vie civile ; ainsi toutes les vertus morales sont parfois appelées politiques. Deuxièmement, selon que quelqu’un est dirigé dans la vie civile par une ordonnance civile. De cette manière, la justice particulière est aussi appelée politique pour autant qu’elle dirige en matière d’échanges selon des statuts civils. Alors la justice politique se distingue de la justice seigneuriale et de la [justice] matrimoniale, et de celles de ce genre, car la loi va jusqu’à diriger en ces matières, puisque le serf est la chose du seigneur, le fils celle du père et l’épouse celle du mari. La direction en ces matières se fait plutôt selon la prudence économique que selon les statuts civils. Troisièmement, on parle de justice politique pour la vie civile et les statuts civils et, au-delà, pour l’intention du bien commun. Ainsi [la justice] politique relève-t-elle de la justice légale. |
[12307] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in his tribus est diversa ratio regendi,
secundum quod ille ad quem est justitia, minus vel magis est in potestate
alterius; et ideo uxorium justum magis convenit cum justo politico quam
paternum, et paternum quam dominativum: quia magis appropinquat ad
aequalitatem uxor viri quam filius patris, et quam servus domini. Unde non est differentia
tantum secundum materiam, sed etiam aliquo modo formalis. |
4. Pour ces trois choses, la raison de diriger est différente, selon que celui qui est visé par la justice est plus ou moins au pouvoir d’un autre. C’est pourquoi ce qui est juste pour l’épouse a davantage en commun avec ce qui est juste politiquement que ce qui est juste pour le père, et [ce qui est juste] pour le père [a davantage en commun avec ce qui est juste politiquement] que ce qui est juste pour le seigneur, car l’épouse du mari se rapproche davantage de l’égalité que le fils du père et que le serf du seigneur. La différence ne porte donc pas seulement sur la matière, mais elle est aussi formelle d’une certaine manière. |
[12308] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod epieicia adjungitur legali justitiae, et
circa eadem est, quamvis non ex eodem dirigit: quia legalis dirigit in
scripto legis, sed epieicia ex intentione legislatoris; et quamvis sit
excellentior quam justitia legalis, non tamen potest dici cardinalis: tum
quia est in supplementum legalis justitiae, et etiam quodammodo praesupponit
illam; tum quia est idem omni virtuti aliqualiter, sicut et legalis justitia. |
5. L’épieikia est associée à la justice légale et porte sur les mêmes choses, bien qu’elle ne dirige pas à partir de la même chose, car [la justice] légale dirige selon ce qui est écrit dans la loi, mais l’épieikia, selon l’intention du législateur. Et bien qu’elle soit meilleure que la justice légale, elle ne peut cependant être appelée cardinale, tant parce qu’elle s’ajoute à la justice légale et la présuppose aussi d’une certaine manière, que parce que c’est en quelque sorte la même chose que la justice légale pour toutes les vertus. |
Quaestiuncula 6 |
Réponse à la
sous-question 6
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[12309] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 6 co. Ad sextam quaestionem de aliis partibus
sciendum est, quod assignatio illius philosophi non differt a praedictis
assignationibus nisi in duobus. Primo, quia dividit religionem in eusebiam,
quae ordinat ad Deum in cultu qui exhibetur in protestatione servitutis,
sicut sacrificia, et hujusmodi; unde dicit quod est scientia Dei famulatus;
et sanctitatem, quae ordinat ad Deum in omnibus aliis operibus vitae; unde
dicit, quod sanctitas est scientia faciens fideles et servantes quae ad Deum
justa sunt. Secundo, quia assignat partes subjectivas justitiae alio modo:
quia justitia et est in judice sicut in regulante, et est in aliis sicut in
regulatis. Ad judicem autem duo pertinent: unum est quod aequalitates in
aliis faciat, et ad hoc est legis positiva; aliud est ut inaequalitatem
facientes puniat, et ad hoc est vindicativa. Ex parte autem aliorum similiter
duo requiruntur ad justitiam. Unum est quod aequalitatem in commutando
servent, quia aequalitatem justitiae distributivae servare non est subditorum
qui recipiunt, sed superioris qui distribuit; et ad hoc est bona commutatio.
Aliud est quod si quando aequalitatem praetereunt, ad eam voluntarie
revertantur; et ad hoc est eugnomosyne, id est, voluntaria justificatio.
Aliae autem partes supra positae sunt: liberalitas quidem et benignitas etiam
per nomina; Eucharistia autem idem est quod gratia, quae etiam supra posita
est: est enim secundum ipsum Eucharistia scientia ejus quod est quibus et
quando impendendum gratiam, et qualiter et a quibus sumendum. Ponitur
autem in definitione dictarum virtutum scientia, secundum quod omnes virtutes
morales participant aliquid rationis et prudentiae; unde Socrates omnes
virtutes dicebat esse scientias, ut dicitur 6 Ethic. |
À propos des autres parties, il faut dire que la présentation de ce philosophe ne diffère des présentations déjà rappelées que sur deux points. Premièrement, parce qu’elle divise la religion en eusebeia, qui ordonne à Dieu par un culte rendu comme témoignage de service, tels les sacrifices et les choses de ce genre – aussi dit-il qu’elle est la science du service de Dieu ; et en sainteté, qui ordonne à Dieu dans toutes les actions de la vie – aussi dit-il que la sainteté est la science qui rend fidèles et serviteurs pour tout ce qui est juste envers Dieu. Deuxièmement, parce qu’il présente les parties subjectives de la justice d’une autre manière, car la justice existe chez le juge comme chez celui qui applique la règle, et elle existe chez les autres comme chez ceux à qui la règle est appliquée. Or, deux choses relèvent du juge : l’une est d’établir les égalités chez les autres : c’est là le but de la [justice] qui établit la loi ; l’autre est de punir ceux qui causent des inégalités : c’est là le but de la [justice] vengeresse. Du point de vue des autres, deux choses sont aussi nécessaires pour la justice. L’une est qu’ils observent l’égalité dans les échanges, car il ne relève pas des sujets qui reçoivent d’observer l’égalité de la justice distributive, mais du supérieur qui distribue, et c’est là un bon échange. L’autre est que s’ils outrepassent l’égalité, ils y reviennent volontairement ; c’est à cela que sert l’eugnomosynè, c’est-à-dire la justification volontaire. Mais les autres parties indiquées plus haut sont la bénignité et les noms qui servent à la désigner ; l’eucharistia est la même chose que la gratitude, qui a aussi été indiquée plus haut. En effet, selon lui, l’eucharistia est « la science de ceux à qui et du moment où il faut rendre grâce, et de la manière et par qui elle doit être prise en charge ». Mais, dans la définition de ces vertus, on parle de « science » selon que toutes les vertus morales participent de quelque manière à la raison et à la prudence. Aussi Socrate disait-il que toutes les vertus sont des sciences, ainsi qu’il est dit dans Éthique, VI. |
[12310] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod voluntaria justificatio accipienda est hic non quaelibet, sed in
determinato modo, ut dictum est. |
1. La justification volontaire doit s’entendre ici non pas de n’importe quelle [justification], mais selon un mode déterminé, comme on l’a dit. |
[12311] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 6 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod impendere gratiam accipitur hic pro rependere ratione beneficii accepti;
et sic patet quod non est idem quod liberalitas. |
2. Rendre grâce veut dire ici compenser en raison d’un bienfait reçu. Il ressort ainsi clairement que ce n’est pas la même chose que la libéralité. |
[12312] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod jam patet distinctio sanctitatis et eusebiae
ex his quae dicta sunt; unde sanctitas eodem modo comparatur ad omnes
virtutes, sicut et justitia legalis: quia sicut justitia legalis operatur
actus omnium virtutum propter bonum commune, ita sanctitas propter Deum. |
3. La distinction entre la sainteté et l’eusébeia ressort clairement de ce qui a été dit. Aussi la sainteté se compare-t-elle à toutes les vertus de la même manière que la justice légale, car de même que la justice légale exerce les actes de toutes les vertus en vue du bien commun, de même la sainteté le fait-elle pour Dieu. |
[12313] Super Sent.,
lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod politica aequivocatur et ad cognitionem
prudentiae et ad executionem justitiae; et similiter legis positiva quae est
pars politicae, ut ipse ibidem dicit. |
4. La [justice] politique désigne de manière équivoque la connaissance de la prudence et l’exécution de la justice. De même aussi la [justice] qui établit la loi, qui est une partie de la politique, comme il le dit lui-même en cet endroit. |
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Expositio textus |
Explication du texte de Pierre
Lombard, Dist. 33
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[12314] Super
Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 4 qc. 6 expos. In quo habuerunt usus eosdem. Virtutes enim quae
consistunt circa passiones illatas, habuerunt eumdem usum in Christo quem in
nobis propter passibilitatem corporis. Habuerunt etiam usum quem habent in
patria propter perfectionem animae. Sed de virtutibus quae sunt circa
passiones innatas secus est: quia istae passiones in Christo non fuerunt, ut
necessarium esset eas per virtutem cohibere; unde etiam tentari potuit ab
hoste; sed non a carne. Sed alios usus habebunt. Ergo sunt aliae virtutes: quia habitus distinguuntur per actus. Et dicendum, quod sicut
motus ad terminum et quies in termino pertinent ad eamdem virtutem naturalem,
ita quies in fine non requirit alium habitum quam motus tendens in finem
ipsum. Et hoc modo
diversificantur actus virtutum in via et in patria. |
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Distinctio 34 |
Distinction 34 – [Les dons]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Les dons en général]
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Prooemium |
Prologue |
[12315] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de virtutibus, hic incipit determinare
de donis. Dividitur autem haec pars in partes tres: in prima determinat de
donis in communi; in secunda de quodam donorum, scilicet de timore, quod
specialem difficultatem habet propter sui multiplicitatem, ibi: et quia de
timore tractandi nobis occurrit locus, sciendum est, quatuor esse timores;
in tertia ostendit differentiam aliquorum donorum ad invicem propter maximam
eorum convenientiam, 35 distinct., ibi: post praemissa diligenter
considerandum est in quo differat sapientia a scientia. Prima dividitur
in duas: primo determinat de donis secundum veritatem; in secunda movet
quamdam dubitationem contra veritatem praedeterminatam, ibi: his autem
videtur obviare quod Beda de timore domini dicit. Circa primum duo facit:
primo ostendit dona virtutes esse, et in patria permanere; secundo ostendit
quod in Christo plenissime fuerunt, ibi: in Christo etiam haec eadem
fuisse Isaias ostendit. His autem videtur obviare quod Beda de timore domini
dicit. Hic movet dubitationem contra determinata: et primo objicit;
secundo solvit, ibi: ad quod dicimus et cetera. Hic quaeruntur sex: 1
utrum dona sint virtutes; 2 de numero donorum; 3 utrum maneant in patria; 4
quomodo se habeant ad beatitudinem; 5 quomodo se habeant ad fructus; 6
quomodo se habeant ad petitiones. |
Après avoir déterminé des vertus, le Maître commence à déterminer des dons. Cette partie se divise en trois : premièrement, il détermine des dons en généréal ; deuxìèmement, d’un parmi les dons : la crainte, qui comporte une difficulté particulière en raison de sa multiplicité, à cet endroit : « Et parce que c’est l’endroit pour nous de traiter de la crainte, il faut savoir qu’il peut exister quatre craintes » ; troisièmement, il montre la différence entre certains dons en raison de leur caractère hautement commun, d. 35, à cet endroit : « Après ce qui a été dit, il faut examiner avec soin en quoi la sagesse diffère de la science. » La première partie se divise en deux : premièrement, il détermine des dons selon la vérité ; deuxièmement, il soulève un doute contraire à la vérité déterminée auparavant, à cet endroit : « Mais à cela semble s’opposer ce que Bède dit de la crainte du Seigneur. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il montre que les dons sont des vertus et qu’ils demeureront dans la patrie ; deuxièmement, il montre qu’ils ont existé dans leur plus grande plénitude chez le Christ, à cet endroit : « Isaïe montre que ces mêmes [dons] ont aussi existé chez le Christ. » « Mais à cela semble s’opposer ce que Bède dit de la crainte du Seigneur. » Ici, il soulève un doute contre ce qui a été déterminé. Premièrement, il présente l’objection ; deuxièmement, il la résout, à cet endroit : « À cela nous disons, etc. » Ici, six questions sont posées : 1. Les dons sont-ils des vertus ? 2. Sur le nombre des dons. 3. Demeurent-ils dans la patrie ? 4. Quel est leur rapport avec la béatitude ? 5. Quel est leur rapport avec les fruits ? 6. Quel est leur rapport avec les demandes ? |
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Articulus 1 [12316] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a.
1 tit. Utrum dona
sint virtutes |
Article 1 – Les dons sont-ils des vertus ? |
[12317] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1
arg. 1 Ad primum sic
proceditur. Videtur quod dona sint virtutes. Gregorius enim dicit in
moralibus, quod per septem filios Job, septem virtutes intelliguntur,
scilicet sapientia, intellectus, scientia, consilium et cetera. Haec autem
dicuntur septem dona spiritus sancti. Ergo dona sunt virtutes. |
1. Il semble que les dons soient des vertus. En effet, Grégoire dit, dans les Morales, que par les sept fils de Job, on entend sept vertus : la sagesse, l’intelligence, la science, le conseil, etc. Or, ces sept choses sont appelées dons du Saint-Esprit. Les dons sont donc des vertus. |
[12318] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, Jacob. 1 dicit Glossa, quod per donum perfectum, quod
dicitur esse desursum
descendens a patre luminum, intelliguntur dona gratuita. Sed virtutes inter bona
gratuita continentur, cum Deus sine meritis praecedentibus eas nobis
infundat, ut Augustinus dicit. Ergo virtutes sunt dona. |
2. La Glose dit, à propos de Jc, que, par le don parfait, dont on dit qu’il descend du ciel depuis le Père des lumières, on entend les dons gratuits. Or, les vertus sont comprises dans les biens gratuits, puisque « Dieu nous les infuse sans mérites qui les précèdent », comme le dit Augustin. Les vertus sont donc des dons. |
[12319] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, per nomina in
proprietates rerum spiritualium oportet devenire. Sed fere omnia nomina donorum ad aliquas
virtutes pertinent: quia pietas ad justitiam pertinet; fortitudo autem una de
quatuor cardinalibus est; consilium autem pertinet ad prudentiam, ut dicit
philosophus, in 6 Ethic.; scientia autem et intellectus et sapientia ponuntur
a philosopho virtutes intellectuales. Ergo dona a virtutibus non distinguuntur. |
3. Nous devons parvenir aux propriétés des réalités spirituelles à partir de leurs noms. Or, presque tous les noms des dons se rapportent à des vertus, car la piété se rapporte à la justice, la force est une des quatre [vertus] cardinales, le conseil se rapporte à la prudence, comme le dit le Philosophe, la science, l’intelligence et la sagesse sont présentées par le Philosophe comme des vertus intellectuelles. Les dons ne se distinguent donc pas des vertus. |
[12320] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, cuicumque convenit definitio, et definitum. Sed definitio
virtutis, quam ponit Augustinus: virtus est bona qualitas mentis, qua
recte vivitur, qua nullus male utitur, quam Deus in nobis operatur sine nobis,
convenit donis; et similiter etiam quaecumque aliae definitiones quae de
virtutibus communiter assignantur. Ergo dona sunt virtutes. |
4. Ce qui est défini convient à tout ce à quoi convient une définition. Or, la définition de la vertu donnée par Augustin : « La vertu est une qualité bonne de l’esprit, par laquelle on vit bien, dont personne ne fait un mauvais usage, que Dieu réalise en nous sans nous », convient aux dons. De même en est-il pour toutes les autres définitions des vertus qui sont communément proposées. Les dons sont donc des vertus. |
[12321] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 5 Si dicatur quod dona
differunt a virtutibus quia donum est aliquid perfectius virtute; contra. Secundum apostolum, et Augustinum, inter
omnia alia dona Dei excellentius donum est caritas. Sed caritas ponitur
virtus. Ergo donum non est perfectius virtute. |
5. Si l’on dit que les dons diffèrent des vertus parce que le don est quelque chose de plus parfait que la vertu, on opposera, selon l’Apôtre et Augustin, que, parmi tous les autres dons de Dieu, le don le plus grand est la charité. Or, la charité est présentée comme une vertu. Le don n’est donc pas plus parfait que la vertu. |
[12322] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, Macrobius distinguit quatuor gradus virtutum, scilicet
politicas, purgatorias, purgati animi, et exemplares, et unus gradus est
super alium. In omnibus
tamen gradibus nomen virtutis servatur. Ergo dona non possunt differre a
virtutibus pro eo quod sunt supra virtutes. |
6. Macrobe distingue quatre degrés de vertus : les [vertus] politiques, les [vertus] purificatrices, celles de l’esprit purifié et les [vertus] exemplaires ; et un degré est supérieur à l’autre. Cependant, on maintient le nom de vertu pour tous les degrés. Les dons ne peuvent donc pas différer des vertus parce qu’ils sont plus élevées que les vertus. |
[12323] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, ea quae ex opposito dividuntur, non sunt idem. Sed
Gregorius, in principio Moral., dividit dona contra virtutes, dicens per
septem filios Job significari septem dona, per tres filias significari
virtutes. Ergo dona non
sunt virtutes. |
Cependant, [1] les choses qui sont distinguées selon une opposition ne sont pas identiques. Or, au début des Morales, Grégoire distingue les dons par opposition aux vertus, en disant que les sept dons sont signifiés par les sept fils de Job, et les vertus par ses trois filles. Les dons ne sont donc pas des vertus. |
[12324] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, ea quae non
sunt unius divisionis, non sunt eadem. Sed virtus alio modo dividitur in suas
species quam donum. Ergo virtus non est idem quod donum. |
[2] Les choses qui ne font pas partie d’une seule division ne sont pas identiques. Or, la vertu se divise en ses espèces d’une autre manière que le don. La vertu n’est donc pas la même chose que le don. |
[12325] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, timor ponitur
inter septem dona. Non tamen potest
dici quod sit virtus:
quia nec theologica, nec cardinalis. Ergo dona non sunt virtutes. |
[3] La crainte est mise parmi les sept dons. Cependant, on ne peut pas dire qu’elle est une vertu, car elle n’est ni une [vertu] théologale, ni une [vertu] cardinale. Les dons ne sont donc pas des vertus. |
[12326] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod
circa hanc quaestionem
diversimode determinatum est a diversis. Quidam enim moti ex diversitate
nominum, hanc differentiam assignaverunt inter virtutes et dona, quod dona
dicuntur per comparationem ad Deum dantem, virtutes autem per comparationem
ad opera specialia et speciales materias; et ideo ponunt dona in superiori
parte animae, virtutes autem in inferiori. Sed hoc non potest stare: quia
comparatio donorum ad Deum dantem non potest esse nisi vel sicut ad
efficientem, vel sicut ad objectum, vel finem. Comparatio autem ad Deum sicut
ad objectum, non potest diversificare dona a virtutibus: quia non omnia dona
habent Deum pro objecto, cum scientia de temporalibus sit, fortitudo etiam
circa difficilia; virtutes autem theologicae magis habent Deum pro objecto
quam dona. Similiter etiam nec comparatio ad Deum sicut ad causam efficientem
vel finem: quia hoc commune est omnibus habitibus infusis; et secundum
commune non attenditur differentia. Non enim potest dici quod immediatius a
Deo procedant dona quam virtutes: quia caritas, quae est virtus, est donum,
in quo omnia dona alia nobis donantur. Et ideo alii dicunt, quod dona sunt
magis in ratione, sed virtutes sunt magis in voluntate: quia de virtutibus
tantum duae inveniuntur in ratione sive intellectu, scilicet fides et
prudentia; de donis autem quatuor. Sed hoc iterum non potest stare: quia eadem est differentia quae est
divisiva generis et constitutiva speciei; unde si habitus infusus dividitur
in virtutem et donum per hoc quod est in ratione vel voluntate esse, oportet
quod esse in ratione sit differentia constitutiva vel quasi constitutiva
doni, et esse in voluntate virtutis; et ita oportet dicere quod salvetur in
omnibus quae continentur sub eis, et non in pluribus: quod patet esse falsum.
Et ideo alii
dicunt, quod virtutes sunt ad bene operandum, sed dona ad resistendum
tentationibus. Sed hoc iterum
nihil est: quia sicut eadem qualitas naturalis est qua ignis calefacit et qua
resistit omni infrigidanti, ita idem habitus est quo quis bona operatur et
contrariis operibus repugnat: quia unicuique, secundum philosophum,
delectabilis est operatio secundum proprium habitum, et contrarium est quod
illi operationi repugnat. Et ideo alii dicunt, quod virtutes sunt ad
expurgandum animam a peccatis, sed dona ad sanandum animam a sequelis
peccati, innitentes verbo Gregorii, qui dicit, quod sapientia datur contra
stultitiam, intellectus contra hebetudinem, et sic de ceteris quae non
nominant peccata, sed sequelas peccati. Sed hoc iterum, ut videtur, non
sufficit: quia ad actum peccati consequitur macula, et reatus, quae per
gratiam removentur; et iterum dispositio vel habitus, qui per habitus
contrarios tolluntur; et sic videtur quod dona non possunt esse ad hoc
specialiter quod sequelas peccati removeant. Et praeterea omnia illa quae
Gregorius dicit, tolluntur per virtutes: quia praecipitationem tollit
prudentia vel providentia, superbiam tollit humilitas; et sic non potest
secundum hoc esse differentia propria inter virtutes et dona. Et ideo alii dicunt, quod
virtutes sunt ad conformandum nos Christo in his quae bene operatus est, sed
dona sunt ad conformandum ipsi in his quae fortiter passus est. Sed hoc iterum nihil videtur esse dictu:
quia in passione Christi praecipue a sanctis proponuntur nobis imitanda
caritas, humilitas, patientia, quae sunt virtutes, et magis quam sapientia et
scientia, quae sunt dona. Unde videtur adinventio quaedam esse, et rationi
non concordat. Et ideo alii dicunt, quod dona dantur ad altiores actus quam
sint actus virtutum; et haec opinio inter omnes vera videtur. Unde ad hujus
intellectum sciendum, quod cum virtus in omnibus rebus inveniri possit,
secundum quod habent aliquas proprias operationes, in quibus ad bene
operandum ex propria virtute perficiuntur; loquentes tamen in morali materia
de virtute, intelligimus de virtute humana, quae quidem ad operationem
humanam bene exequendam perficit. Operatio autem hominis potest dici
tripliciter. Primo ex potentia eliciente vel imperante operationem; sicut
operatio rationis vel alicujus potentiae quae obedit rationi, quia a ratione
habet homo quod sit homo; nutriri autem et videre non sunt operationes
hominis inquantum est homo, sed inquantum est vivum vel animal; et secundum
hoc omnes habitus perficientes ad operationes aliquas in quibus non
communicat homo cum brutis, possunt dici virtutes humanae. Secundo dicitur operatio
humana ex materia, sive objecto, sicut illae quae habent pro materia
passiones, sive operationes humanas: sic enim virtutes morales proprie
virtutes humanae dicuntur. Unde dicit philosophus 10 Ethicor., quod opus
speculativae virtutis est magis divinum quam humanum: quia habet necessaria
et aeterna pro materia, non autem humana. Tertio dicitur humana ex modo, quia
scilicet in operationibus humanis vel primo vel secundo modo, etiam modus
humanus servatur. Si autem ea quae hominis sunt, supra humanum modum quis
exequatur, erit operatio non humana simpliciter, sed quodammodo divina. Unde
philosophus, in 7 Ethic., contra virtutem simpliciter dividit virtutem
heroicam, quam divinam dicit, eo quod per excellentiam virtutis homo fit
quasi Deus. Et secundum hoc dico, quod dona a virtutibus distinguuntur in hoc
quod virtutes perficiunt ad actus modo humano, sed dona ultra humanum modum:
quod patet in fide et intellectu. Connaturalis enim modus humanae naturae est ut divina non nisi per
speculum creaturarum et aenigmata similitudinum percipiat; et ad sic
percipienda divina perficit fides, quae virtus dicitur. Sed intellectus
donum, ut Gregorius dicit, de auditis mentem illustrat, ut homo etiam in hac
vita praelibationem futurae manifestationis accipiat; et ad hoc etiam
consonat nomen doni. Illud enim proprie donum dici debet quod ex sola
liberalitate donantis competit ei in quo est, et non ex debito suae
conditionis. |
Réponse. À propos de cette question, diverses déterminations ont été données par différents [maîtres]. En effet, certains, poussés par la diversité des noms, ont proposé comme différence entre les vertus et les dons qu’on parle de dons par rapport à Dieu qui [les] donne, mais de vertus par rapport aux actes particuliers et aux matières particulières. Ils placent donc les dons dans la partie supérieure de l’âme, mais les vertus dans la partie inférieure. Mais ceci ne tient pas, car le rapport des dons avec Dieu qui [les] donne ne peut être qu’avec celui qui en est [la cause] efficiente, qu’avec leur objet ou avec leur fin. Or, le rapport avec Dieu comme objet ne peut réaliser une différence entre les dons et les vertus, car tous les dons n’ont pas Dieu pour objet, puisque la science porte sur des réalités temporelles, et aussi la force sur des réalités difficiles. Or, les vertus théologales ont davantage Dieu comme objet que le dons. De même en est-il du rapport avec Dieu comme cause efficiente ou à la fin, car cela est commun à tous les habitus infus, et on ne tient pas compte d’une différence pour ce qui est commun. En effet, on ne peut pas dire que les dons procèdent de manière plus immédiate que les vertus, car la charité, qui est une vertu, est un don par lequel tous les autres dons nous sont donnés. C’est pourquoi d’autres disent que les dons se trouvent plutôt dans la raison, mais les vertus plutôt dans la volonté, car, parmi les vertus, deux seulement se trouvent dans la raison ou l’intelligence : la foi et la prudence ; mais, parmi les dons, il y en a quatre. Mais, à nouveau, cela ne peut pas se tenir, car c’est la même différence qui divise le genre et qui constitue de l’espèce. Si donc l’habitus infus se divise en vertu et en don par le fait qu’il se trouve dans la raison ou dans la volonté, il est nécessaire que le fait d’être dans la raison soit une différence constitutive ou pour ainsi dire constitutive du don, et que le fait d’être dans la volonté [soit une différence constitutive] de la vertu. Il est ainsi nécessaire de dire que cela est sauvegardé dans tout ce qui est compris sous eux, et non dans un plus grand nombre, ce qui est manifestement faux. C’est pourquoi d’autres disent que les vertus existent en vue de bien agir, mais les bons en vue de résister aux tentations. Mais, à nouveau, cela est futile, car de même que la même qualité naturelle réchauffe et résiste à tout ce qui refroidit, de même est-ce le même habitus par lequel quelqu’un agit bien et combat les actes contraires, car, selon le Philosophe, l’acte conforme à son propre habitus est délectable pour tous et combat l’habitus contraire à cet acte. C’est pourquoi d’autres disent que les vertus existent en vue de purifier l’âme des péchés, mais les dons en vue de guérir l’âme des suites du péché. Mais il semble que cela encore ne soit pas suffisant, car les suites du péché sont la tache et la culpabilité, qui sont enlevées par la grâce ; et aussi une disposition ou habitus, qui sont enlevés par des habitus contraires. Il semble ainsi que les dons ne peuvent exister pour cette raison particulière qu’ils enlèvent les suites du péché. De plus, tout ce que Grégoire dit est enlevé par les vertus, car la prudence ou la prévoyance enlèvent l’orgueuil ; aussi, pour cette raison, ne peut-il y avoir de différence propre entre les vertus et les dons. C’est pourquoi d’autres disent que les vertus existent pour nous rendre conformes au Christ en ce qu’il a bien agi, mais les dons pour nous conformer à lui en ce qu’il a supporté avec force. Mais, à nouveau, cela semble ne rien dire, car, dans la passion du Christ, les saints nous proposent surtout d’imiter sa charité, son humilité et sa patience, qui sont des vertus, plutôt que sa sagesse et sa science, qui sont des dons. Il semble donc que c’est une invention et que cela n’est pas d’accord avec la raison. C’est pourquoi d’autres disent que les dons sont donnés en vue d’actes plus élevés que ne le sont les actes des vertus. Parmi toutes les opinions, cette opinion semble la vraie. Pour comprendre cela, il faut donc savoir que, la vertu pouvant se trouver en toutes choses, selon qu’elles possèdent certaines opérations propres, par lesquelles elles sont perfectionnées en vue de bien agir par leur propre vertu ; lorsqu’on parle de vertu en matière morale, nous l’entendons de la vertu humaine, qui perfectionne en vue de bien accomplir une opération humaine. Or, on peut parler d’une opération de l’homme de trois manières. Premièrement, en vertu de la puissance qui fait suscite ou commande l’opération : ainsi, l’opération de la raison ou d’une puissance qui obéit à la raison, car l’homme tient de la raison d’être homme ; mais se nourrir et voir ne sont pas des opérations de l’homme en tant qu’homme, mais en tant qu’il est un vivant et un animal. De cette manière, tous les habitus qui perfectionnent en vue de certaines opérations que l’homme n’a pas en commun avec les animaux sans raison peuvent être appelés vertus humaines. Deuxièmement, on parle d’une opération humaine en raison de sa matière ou de son objet, comme c’est le cas pour celles qui ont pour matière des passions ou des opérations humaines. En effet, les vertus morales sont ainsi appelées au sens propre des vertus humaines. Aussi, dans Éthique, X, le Philosophe dit-il que l’acte d’une vertu spéculative est plus divin qu’humain, car il a comme matière des réalités nécessaires et éternelles, mais non des réalités humaines. Troisièmement, [une opération] est dite humaine en raison de son mode, à savoir que le mode humain est sauvegardé dans les opérations humaines du premier ou du second mode. Mais si quelqu’un accomplit ce qui relève de l’homme d’une manière qui dépasse le mode humain, son opération ne sera pas simplement humaine, mais en quelque sorte divine. Aussi, dans Éthique, VII, le Philosophe fait-il une distinction entre ce qui est simplement vertu et une vertu héroïque, qu’il appelle divine, du fait que, par l’excellence de [cette] vertu, l’homme devient pour ainsi dire Dieu. Je dis ainsi que les dons se distinguent des vertus du fait que les vertus perfectionnent en vue des actes selon un mode humain, mais les dons, au-delà d’un mode humain, ce qui ressort pour la foi et l’intelligence. En effet, le mode connaturel à la nature humaine est qu’elle ne perçoive les réalités divines que dans le miroir des créatures et dans les énigmes des ressemblances. La foi, qui est appelée une vertu, perfectionne pour percevoir ainsi les réalités divines. Mais, comme le dit Grégoire, le don d’intelligence éclaire l’esprit sur ce qui a été entendu, afin que, même en cette vie, l’homme déguste à l’avance la manifestation à venir. Et le nom même de « don » s’accorde avec cela. En effet, on doit parler de don au sens propre pour ce qui ne relève que de la seule libéralité de celui qui donne en faveur de celui où [le don] se trouve, et non de ce qui est dû à sa condition. |
[12327] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dona possunt dici virtutes, inquantum
perficiunt ad bene operandum, et humanae, secundum quod operationes quae ex
donis eliciuntur, non sunt communes hominibus et brutis; sed sunt supra
virtutes, inquantum ultra humanum modum perficiunt. |
1. Les dons peuvent être appelés des vertus pour autant qu’ils perfectionnent en vue de bien agir, et [des vertus] humaines, selon que les opérations qui proviennent des dons ne sont pas communes aux hommes et aux animaux sans raison. Mais ils dépassent les vertus dans la mesure où ils perfectionnent au-delà du mode humain. |
[12328] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratio doni non salvatur in virtutibus etiam
infusis, quantum ad omnia, secundum quod salvatur in donis praedictis: quia
modus operandi qui est in virtutibus, est secundum conditionem humanam,
quamvis substantia habitus sit ex divino munere; et ita aliquo modo potest
dici virtus donum. |
2. La notion de don n’est pas en tout sauvegardée dans les vertus qui ne sont pas infuses, alors qu’elle est sauvegardée dans les dons mentionnés, car le mode d’agir qui se trouve dans les vertus est conforme à la condition humaine, bien que la substance de l’habitus vienne d’un don divin. Et ainsi, le don peut être appelé vertu d’une certaine manière. |
[12329] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quia ea quae sunt supra nos, non possumus
cognoscere nisi ex his quae secundum nos sunt; ideo nomina donorum sumuntur
ex his quae virtutibus conveniunt, quamvis in donis illa quae sunt virtutum,
sint modo eminentiori quam in virtutibus: unde aequivoce praedicta nomina de
virtutibus et donis dicuntur. |
3. Nous ne pouvons connaître ce qui nous dépasse qu’à partir de ce qui nous est conforme. C’est pourquoi les noms des dons viennent de ce qui convient aux vertus, bien que, dans les dons, ce qui fait partie des vertus existe selon un mode plus éminent que dans les vertus. Aussi les noms rappelés sont-ils employés de manière équivoque pour les vertus et pour les dons. |
[12330] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in omnibus definitionibus datis de
virtutibus humanis vel exprimitur aliquid quod ad modum humanum pertinet, vel
in ipso actu, ex quo sumitur definitio virtutis, intelligitur modus agendi
homini proportionatus: unde definitiones illae non conveniunt donis secundum
quod de virtutibus dantur. |
4. Dans toutes les définitions qui ont été données des vertus humaines, soit on exprime quelque chose qui relève du mode humain, soit on entend un mode d’agir proportionné à l’homme dans l’acte même dont provient la définition de la vertu. Ces définitions ne conviennent donc pas aux dons selon qu’elles sont données des vertus. |
[12331] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod voluntas non habet aliquam imperfectionem de
ratione sua in nobis quantum ad modum suae operationis, sicut intellectus,
qui cognoscit accipiendo a phantasmatibus; unde in statu viae Deum per
essentiam amamus, non autem videmus. Et ideo non potest accipi supra illam
virtutem quae est in voluntate, aliquod donum perficiens ad agendum nobiliori
modo quam sit modus virtutis; et ideo cum donum non sit supra virtutem nisi
ratione modi, non erit inconveniens quod virtus perficiens voluntatem quantum
ad sui supremum, dignior sit quolibet dono. |
5. La volonté, par sa raison même, ne comporte pas en nous d’imperfection pour ce qui est du mode de son opération, comme c’est le cas de l’intelligence, qui connaît en recevant à partir des phantasmes. Aussi, en cours de route, aimons-nous Dieu selon son essence, mais nous ne le voyons pas [selon son essence]. C’est pourquoi on ne peut concevoir, au-delà de la vertu qui existe dans la volonté, un don qui perfectionne en vue d’agir selon un mode plus noble que ne l’est le mode de la vertu. Puisque le don ne dépasse la vertu qu’en raison de son mode, il ne sera donc pas inapproprié que la vertu qui perfectionne la volonté pour ce qui est suprême en elle soit plus digne que n’importe quel don. |
[12332] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod dona de quibus nunc loquimur, sunt virtutes
divinae; unde reducuntur ad virtutes exemplares quas ponit in Deo, quae non
sunt idem specie cum virtutibus politicis, sed sunt supra eas, ut dicit
philosophus in 7 Ethic. |
6. Les dons dont nous parlons ici sont des vertus divines. Ils se ramènent donc aux vertus exemplaires qu’il met en Dieu, qui ne sont pas la même chose selon l’espèce que les vertus politiques, mais les dépassent, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VII. |
Articulus 2 [12333] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a.
2 tit. Utrum dona
debeant esse plura quam septem |
Article 2 – Doit-il y avoir plus que sept dons ? |
[12334] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod plura debeant esse dona quam septem assignata. Dona
enim perficiunt ad modum altiorem quam virtus. Ergo singulis virtutibus
debent respondere singula dona. Sed inter theologicas virtutes soli fidei videntur dona aliqua
respondere, sicut intellectus, et sapientia. Ergo videtur quod debeant esse
alia dona quae respondeant spei et caritati. |
1. Il semble qu’il doive y avoir plus que les sept dons indiqués. En effet, les dons perfectionnent en vue d’un mode plus élevé que la vertu. Chaque don doit donc correspondre à chaque vertu. Or, parmi les vertus théologales, des dons semblent correspondre à la seule foi, telles l’intelligence et la sagesse. Il semble donc qu’il doive exister d’autres dons qui correspondent à l’espérance et à la charité. |
[12335] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, circa ea quae
sunt temperantiae magis homo infirmatur quam circa materiam alicujus
alterius. Sed dona dantur ad tollendam imperfectionem quae est in virtutum
actibus ex conditione humanae naturae. Ergo temperantiae debet respondere
aliquod donum. |
2. L’homme est davantage affaibli pour ce qui relève de la tempérance que pour la matière d’une autre [vertu]. Or, les dons sont donnés en vue d’enlever l’imperfection qui existe dans les actes des vertus en raison de la condition de la nature humaine. Un don doit donc correspondre à la tempérance. |
[12336] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, inter ista
dona ponuntur tria quae pertinent ad executionem, ut pietas, fortitudo et timor. Sed fortitudini adjungitur suum motivum,
scilicet consilium; pietati vero scientia. Ergo timori debet aliquod
directivum alterum assignari. |
3. Parmi ces dons, il y en a trois qui se rapportent à l’exécution : la piété, la force et la crainte. Or, à la force est associé ce qui la meut : le conseil ; et à la piété, la science. Quelque chose qui dirige doit donc être assigné à la crainte. |
[12337] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, ad
justitiam reducuntur, sicut partes, pietas, latria, amicitia, et multa alia,
ut supra dictum est. Ergo qua
ratione pietas ponitur donum, eadem ratione omnes aliae partes justitiae. |
4. La piété, la latrie, l’amitié et beaucoup d’autres choses, comme on l’a dit plus haut, se ramènent à la justice. C’est donc pour la même raison que la piété est présentée comme un don, que toutes les autres parties de la justice le sont. |
[12338] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, ad prudentiam pertinet non
solum consilium, sed etiam judicium, sicut supra dictum est. Ergo sicut consilium ponitur donum, ita et judicium. |
5. Comme on l’a dit plus haut, non seulement le conseil, mais aussi le jugement relève de la prudence. De même que le conseil est présenté comme un don, de même aussi le jugement [doit-il l’être]. |
[12339] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 6 Sed contra, videtur quod debeant esse pauciora. Quia quanto aliqua
cognitio est altior, tanto magis universalis, et minus multiplex. Sed dona sunt supra
virtutes. Cum igitur virtutes ad cognitionem pertinentes sint fides et
prudentia, non debent eis quatuor dona ad cognitionem pertinentia respondere. |
[6] Cependant, il semble qu’il doive y en avoir moins, car plus une connaissance est élevée, plus elle est universelle et moins multiple. Or, les dons dépassent les vertus. Puisque les vertus qui se rapportent à la connaissance sont la foi et la prudence, il ne faut donc pas que leur correspondent quatre dons se rapportant à la connaissance. |
[12340] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 7 Praeterea, donum, ut dictum est, videtur aliquid altius quam bonum
virtutis esse. Sed timor non videtur sonare in aliquam eminentiam. Ergo non videtur quod
debeat inter dona computari. |
[7] Comme on l’a dit, il semble que le don soit quelque chose de plus élevé que le bien de la vertu. Or, la crainte ne semble pas évoquer quelque chose d’élevé. Il ne semble donc pas qu’elle doive être comptée parmi les dons. |
[12341] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 8 Praeterea, non potest esse species altior suo genere, neque aliquid
altius seipso. Sed donum est aliquid altius virtute. Cum ergo pietas sit pars justitiae, et fortitudo sit quaedam virtus
cardinalis, videtur quod neutra debeat dici donum. |
[8] Une espèce ne peut pas être plus élevée que son genre, ni une chose plus élevée qu’elle-même. Or, le don est quelque chose de plus élevé que la vertu. Puisque la piété est une partie de la justice et la force une vertu cardinale, il semble donc qu’aucune des deux ne doive être appelée un don. |
[12342] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod,
sicut ex praedictis patet, tria sunt genera virtutum. Sunt enim virtutes
intellectuales, theologicae et morales, in quibus omnibus hoc commune
invenitur quod perficiunt ad actus suos secundum humanum modum. Unde cum
donum elevet ad operationem quae est supra humanum modum, oportet quod circa
materias omnium virtutum sit aliquod donum quod habeat aliquem modum
excellentem in materia illa; nec tamen oportet quod tot sint dona quot sunt
virtutes: quia in unoquoque genere in quo multa continentur, convenit esse
unum summum; et ita respectu multarum virtutum quae sunt unius
coordinationis, potest unum donum excellentiam importare. Sicut etiam supra
dictum est, multae virtutes, etiam quae sunt circa diversas materias,
assignantur partes unius virtutis, secundum quod in materia ejus communicant.
Operatio autem humana, ad quam humano modo virtus perficit, vel pertinet ad
contemplationem, secundum quam conspiciuntur necessaria et aeterna; vel
pertinet ad actionem, secundum quam disponuntur contingentia, quae libero
arbitrio sunt subjecta. In contemplatione autem humana duplex est via. Una secundum quam
proceditur ad agnitionem necessariorum et aeternorum, quae pertinet ad
inventionem. Alia secundum
quam ex principiis primis alia ordinantur, quae pertinet ad judicium. In
prima autem via proceditur humano modo ex sensu in memoriam, ex memoria in
experimentum, et ex experimento in prima principia, quae statim notis
terminis cognoscuntur; et hunc processum perficit intellectus, qui est
habitus principiorum. Ulterius in eadem via proceditur inquirendo ex istis
principiis in conclusiones; et ad hoc perficit alia virtus intellectualis,
quae dicitur scientia quantum ad ea quae rationi subjacent; in his autem quae
super rationem sunt, perficit fides, quae est inspectio divinorum in speculo
et in aenigmate. Quod autem spiritualia quasi nuda veritate capiantur, supra
humanum modum est; et hoc facit donum intellectus, qui de auditis per fidem
mentem illustrat, ut dicit Gregorius. In alia autem via contemplationis modus
humanus est ut ex simplici inspectione primorum principiorum et altissimarum
causarum homo de inferioribus judicet et ordinet; et hoc fit per sapientiam,
quam ponit philosophus intellectualem virtutem in 6 Ethic., quia sapientis
est ordinare, ut in principio Metaphysic. dicitur. Sed quod homo illis causis
altissimis uniatur transformatus in earum similitudinem, per modum quo qui
adhaeret Deo, unus spiritus est, 1 Corinth. 6, ut sic quasi ex intimo sui de aliis
judicet et ordinet non solum cognoscibilia, sed etiam actiones humanas et
passiones; hoc supra humanum modum est, et hoc per sapientiae donum
efficitur. Ex parte autem actionis duo inveniuntur; scilicet dirigere, quod
pertinet ad cognitionem; et exequi, quod est affectionis. In cognitione autem
practica, quae dirigit in operibus moralibus, invenitur duplex via, sicut et
in contemplationis cognitione, scilicet inventio, et judicium. In inventione
autem modus humanus est quod procedatur inquirendo et conjecturando ex his
quae solent accidere: quia ex talibus et circa talia est moralis
consideratio, ut philosophus dicit: et haec inventio secundum hunc modum
perficitur per eubuliam, quae est bona consiliatio. Sed quod homo accipiat
hoc quod agendum est, quasi per certitudinem a spiritu sancto edoctus, supra
humanum modum est; et ad hoc perficit donum consilii. In via autem altera
modus humanus est quod ex his quae frequenter solent accidere, homo de inventis
per consilium judicet probabiliter, quod fit per gnomen, et synesim; et
ulterius ordinem hujus judicii imponat inferioribus, quod fit per prudentiam,
quae praeceptiva est. Sed quod homo certitudinaliter sentiat de his quae
agenda occurrunt, supra hominem est, et hoc fit per donum scientiae, quae
docet conversari in medio pravae et perversae nationis; unde et ipsum nomen
certitudinem importat. Executio autem activae vitae in duobus consistit:
scilicet in operationibus, quibus fit communicatio ad alterum, et in
passionibus, quibus homo ad seipsum disponitur. Operationes autem quibus fit
communicatio ad alterum, secundum humanum modum regulantur, vel ex eo ad quem
est communicatio, sicut cum ei aliquid exhibetur, quod facit justitia; vel ex
ipso qui ad alterum sua communicat, inquantum bonum ejus relucet in tali
communicatione, ut mensura harum communicationum: quae quidem communicatio
vel est in hoc quod homo sua tribuit, quod facit liberalitas in mediocribus,
et magnificentia in maximis donis vel sumptibus: vel in eo quod seipsum
alteri exhibet sive per cognitionem, ut scilicet cognoscatur talis qualis est
per dicta et facta, quod facit virtus quaedam quae a philosopho dicitur
veritas; sive per affectionem, inquantum se delectabilem exhibet sociis, ut
in ludis, quod facit eutrapelia; vel in communi vita, quod facit amicitia,
quae a philosopho virtus ponitur per quam homo ad unumquemque decenter se
habet in dictis et factis. Sed quod ratio communicationis quantum ad omnia
praedicta non attendatur ex bono communicantis, vel ejus ad quem est
communicatio, ut in his terminis includatur, ut homo alteri tantum tribuat
quantum debet, vel quantum ei expedit qui tribuit, sed quantum est Deo
acceptum divinum bonum quod in se vel in proximo relucet, hoc supra humanum
modum est; et hoc fit per donum pietatis. Passiones autem vel pertinent ad
concupiscibilem vel ad irascibilem. In passionibus ergo irascibilis
dirigendis secundum humanum modum accipitur pro mensura vel regula, rationis
bonum. Passiones enim irascibilis ad tria reducuntur. Primum est spes, quae
est respectu ardui boni consequendi: quae quidem dirigitur per hoc quod homo
pensatis viribus propriis secundum eorum mensuram ad ardua virtutis opera se
extendat; et hoc facit magnanimitas quae est circa magnos honores, et quaedam
virtus innominata, quae est circa mediocres. Honor enim virtuti debetur.
Secundum autem est timor et audacia, quae sunt respectu mali difficilis
imminentis; et in his passionibus dirigimur, ut secundum quantitatem suarum
virium quis hujusmodi aggrediatur vel fugiat, quod ad fortitudinis virtutem
pertinet. Tertium ira, quae consurgit ex laesione praecedente, in qua
dirigimur ut homo non insurgat in vindictam ultra quantitatem offensae; et
ordinem juris, quod facit mansuetudo. Sed quod homo in omnibus his pro
mensura accipiat divinam virtutem, ut scilicet ad ardua virtutis opera se
extendat, ad quae scit se suis viribus non sufficere, et pericula quae vires
suas excedant, non formidet divino auxilio innixus, et de illatis injuriis
non solum vindictam non requirat, sed etiam gloriam habeat in remuneratione
intendens, supra humanum modum est: et hoc totum efficitur per donum
fortitudinis. In passionibus autem concupiscibilis, quae sunt amor,
concupiscentia et delectatio, secundum humanum modum dirigimur ad bonum
rationis, ut scilicet tantum homo ad temporalia bona afficiatur quantum
indiget; quod fit per temperantiam, quae est circa maximas delectationes et
concupiscentias, et secundum alias ei annexas. Sed quod homo ex reverentia
divinae majestatis omnia haec ut stercora arbitretur, supra humanum modum
est; et hoc per donum timoris perficitur; unde in Psalm. 118, 120, dicitur: confige
timore tuo carnes meas. Quidam vero accipiunt numerum donorum secundum
pronitates ad peccatum, eo quod donum est ad auferendum defectum potentiae in
qua est virtus; unde dicunt quod contra pronitatem ad superbiam est timor ad
humilitatem inclinans; contra pronitatem ad invidiam, quae proximo compati
nescit, est pietas; contra avaritiam scientia, cujus est bene conversari cum
hominibus, unicuique reddendo quod suum est, quod avaritiae opponitur; contra
accidiam, fortitudo; contra iram, quae agit omnia in praecipiti, consilium;
contra gulam quae sensus hebetat, intellectus; contra luxuriam sapientia,
quia gustato spiritu desipit omnis caro. Alii vero accipiunt numerum donorum
secundum ea quae in Christo exigebantur ad patiendum: quae quidem fuerunt
quatuor: scilicet reverentia ad patrem mittentem, et sic est timor; compassio
vel misericordia ad eos pro quibus patiebatur, et sic est pietas; virilitas
ad passiones sustinendas, et sic est fortitudo; et fructus passionis
consideratio, et sic est intellectus. Consilium autem fortitudinem dirigit,
scientia pietatem, sapientia intellectum. Alii vero accipiunt secundum ea
quae ex peccato consequuntur. Consequuntur enim in concupiscibili duritia, ut
non subveniatur proximo, et contra hanc est pietas; in irascibili timiditas,
contra quam est fortitudo; et praesumptio, sive audacia, contra quam est
timor. In rationali vero respectu finis, hebetudo ut non cognoscatur, contra
quam est intellectus; et stultitia, ut non afficiatur aliquis debite ad
finem, et contra hanc est sapientia. Sed respectu eorum quae sunt ad finem,
ignorantia, qua scilicet homo nescit quid expediat ad prosecutionem finis, et
contra hanc est scientia; et praecipitatio, per quam homo ex impetu passionis
magis ducitur in his quae sunt agenda, quam ex electione, et contra hanc est
consilium. Alii vero aliter accipiunt, dicentes, quod dona perficiunt in
duplici vita. In contemplativa quidem sapientia per modum gustus experientis;
intellectus per modum visus inspicientis. In activa autem quantum ad recessum
a malo, timor; quantum ad operationem boni, ad quod omnes tenentur, pietas ut
exequens, et scientia ut dirigens; quantum vero ad operationem boni, ad quod
non omnes tenentur, fortitudo ut exequens, et consilium ut dirigens. Sed
prima assignatio magis videtur accepta secundum proprias rationes donorum. |
Réponse. Comme cela ressort de ce qui a déjà été dit, il existe trois genres de vertus. En effet, il existe des vertus intellectuelles, théologales et morales, qui ont en commun de perfectionner en vue de leurs actes selon un mode humain. Puisque le don élève à une opération qui dépasse le mode humain, il est donc nécessaire que, pour les matières de toutes les vertus, existe un don qui ait un mode excellent en cette matière. Cependant, il n’est pas nécessaire qu’il y ait autant de dons que de vertus, car, en chaque genre où sont contenues plusieurs choses, il convient qu’il y en ait une qui soit la plus élevée. Ainsi, par rapport à plusieurs vertus qui sont coordonnées, un seul don peut apporter une excellence. Comme on l’a dit plus haut, plusieurs vertus, même si elles portent sur des matières différentes, sont aussi assignées comme des parties d’une seule vertu, dans la mesure où elles ont une matière commune avec la sienne. Or, l’opération humaine, en vue de laquelle la vertu perfectionne selon un mode humain, se rapporte soit à la contemplation, par laquelle les réalitées nécessaires et éternelles sont regardées, soit elle se rapporte à l’action, par laquelle on dispose des réalités contingentes, qui sont soumises au libre arbitre. Or, il existe deux voies pour la contemplation humaine. L’une, dans laquelle on progresse vers la connaissance des réalités nécessaires et éternelles : elle relève de l’invention. L’autre, selon laquelle d’autres choses sont ordonnées à partir des principes premiers : elle relève du jugement. Or, par la première voie, on progresse selon un mode humain du sens vers la mémoire, de la mémoire vers l’expérience, et de l’expérience vers les premiers principes, qui sont connus dès que les termes en sont connus. C’est cette démarche que perfectionne l’intelligence, qui est un habitus portant sur les principes. De plus, sur la même voie, on progresse par la recherche à partir de ces principes en direction de conclusions. Une autre vertu intellectuelle perfectionne pour cela : elle est appelée science, pour ce qui est soumis à la raison ; mais pour ce qui dépasse la raison, la foi perfectionne, qui est une considération des réalités divines dans un miroir et en énigme. Mais que les réalités spirituelles soient pour ainsi dire saisies dans leur vérité nue, cela dépasse le mode humain. C’est ce que fait le don d’intelligence, qui éclaire l’esprit par la foi à partir de ce qui a été entendu, comme le dit Grégoire. Sur l’autre voie de la contemplation, le mode humain consiste en ce que, d’un simple examen des principes premiers et des causes les plus élevées, l’homme juge des réalités inférieures et les ordonne. Cela est réalisé par la sagesse, que le Philosophe présente comme une vertu intellectuelle, dans Éthique, VI, car c’est le propre du sage de mettre de l’ordre, comme il est dit au début de Métaphysique. Mais que l’homme soit uni à ces causes les plus élevées et transformé en leur ressemblance, de la manière dont celui qui s’attache à Dieu est un seul esprit [avec lui], 1 Co 6, 17, de sorte qu’il juge et ordonne les autres choses comme du plus intime de lui-même, non seulement ce qui peut être connu, mais aussi les actions et les passions humaines, cela dépasse le mode humain, et cela est réalisé par le don de sagesse. Mais, du côté de l’action, on trouve deux choses : diriger, ce qui relève de la connaissance ; et exécuter, ce qui relève de l’affectivité. Or, dans la connaissance pratique, qui dirige dans les actions morales, on trouve deux voies, comme dans la connaissance contemplative : l’invention et le jugement. Pour l’invention, le mode humain consiste à avancer en recherchant et en conjecturant à partir de ce qui a coutume de se produire, car le regard moral vient de cela et porte sur cela, comme le dit le Philosophe. Cette invention, selon ce mode, est perfectionnée par l’eubulia, qui est le bon conseil. Mais, que l’homme perçoive ce qui doit être accompli avec une certitude provenant de l’enseignement du Saint-Esprit, cela dépasse le mode humain. C’est en vue de cela que perfectionne le don de conseil. Sur l’autre voie, le mode humain consiste en ce que, à partir de ce qui a coutume de se produire fréquemment, l’homme, par le conseil, juge d’une manière probable de ce qui a été trouvé, ce qui se réalise par la gnomè et la synésis ; de plus, il impose l’ordre de ce jugement aux inférieurs, ce qui se réalise par la prudence qui commande. Mais que l’homme perçoive de manière certaine ce qui doit être accompli, cela se réalise par le don de science, qui enseigne à se comporter au milieu d’une nation mauvaise et perverse. C’est la raison pour laquelle le nom lui-même comporte une certitude. Mais l’exécution de la vie active consiste en deux choses : dans des opérations, par lesquelles se réalise la communication avec l’autre ; et dans des passions, par lesquelles l’homme est disposé envers lui-même. Or, les opérations par lesquelles se réalise la communication avec l’autre sont mesurées selon un mode humain soit à partir de celui avec qui la communication est établie, comme lorsque quelque chose lui est présenté, ce que réalise la justice, soit à partir de celui qui transmet à un autre ce qui lui appartient, pour autant que son bien est réflété dans une telle communication, en tant qu’il est la mesure de telles communications. Une telle communication consiste soit en ce qu’un homme partage ce qui lui appartient, ce que réalisent la libéralité pour les choses de moindre valeur, et la magnificence pour les plus grands dons ou [les plus grandes] dépenses ; soit en ce qu’il se montre lui-même à un autre par la connaissance, de sorte qu’il soit connu tel qu’il est par ses paroles et ses actes, ce que réalise une vertu qui est appelée « vérité » par le Philosophe ; ou par l’affection, pour autant qu’il se montre agréable à ses compagnons, par exemple, dans les jeux, ce que réalise l’eutrapélie, ou dans une vie commune, ce que réalise l’amitié, qui est présentée par le Philosophe comme la vertu par laquelle un homme se comporte de manière convenable dans ses paroles et ses actes. Mais que la raison de communication pour tout ce qui a été dit ne soit pas envisagée à partir du bien de celui qui communique ou de celui à qui s’adresse la communication, de sorte qu’elle soit comprise dans les limites où un homme n’accorde à un autre qu’autant qu’il lui doit, ou autant qu’il convient à celui qui accorde, mais autant que le bien divin est reflété en lui-même ou dans le prochain, cela dépasse le mode humain, et cela est réalisé par le don de piété. Toutefois, les passions se rapportent soit au concupiscible, soit à l’irascible. Pour diriger les passions de l’irascible selon un mode humain, le bien de la raison est pris comme mesure ou comme règle. En effet, les passions de l’irascible se ramènent à trois choses. Premièrement, il y a l’espoir, qui porte sur un bien difficile à obtenir : elle est dirigée par le fait que l’homme, après avoir évalué ses propres forces, se porte selon leur mesure vers les actes difficiles de la vertu. C’est ce que fait la magnanimité, qui porte sur les grands honneurs, et une vertu qui ne porte pas de nom, qui porte sur les [honneurs] ordinaires. En effet, l’honneur est dû à la vertu. En deuxième lieu, il y a la crainte et l’audace, qui portent sur un mal difficile imminent. Nous sommes dirigés pour ces passions de manière à attaquer ou à fuir [un mal] de ce genre dans la mesure de nos forces, ce qui relève de la vertu de force. Troisièmement, il y a la colère qui vient d’une blessure précédente : nous y sommes dirigés de manière à ne pas passer à une vengeance qui dépasse la grandeur de l’offense et l’ordre du droit, ce que fait la douceur. Mais cela dépasse le mode humain, qu’un homme prenne comme mesure pour tout cela la vertu divine, de sorte qu’il se porte vers les actes difficiles de la vertu pour lesquels il sait que ses forces ne sont pas suffisantes, qu’il ne soit pas effrayé en raison de son appui sur le secours divin, et que, non seulement il ne cherche pas à se venger des torts qui lui ont été faits, mais qu’il [y] prenne gloire en songeant à la récompense. Tout cela est accompli par le don de force. Pour les passions du concupiscible : l’amour, le désir et le plaisir, nous sommes dirigés vers le bien de la raison selon un mode humain, de sorte que nous ne soyons affectés par les biens temporels que dans la mesure de nos besoins, ce qui est réalisé par la tempérance, qui porte sur les plus grands plaisirs et [les plus grandes] désirs, et sur les autres qui leur sont associés. Mais que, par révérence pour la divine majesté, on juge que tout cela n’est qu’ordures, cela dépasse le mode humain. Cela se réalise par le don de crainte. Aussi est-il dit dans Ps 118, 120 : Crucifie ma chair par ta crainte. Mais certains envisagent le nombre des dons selon les inclinations au péché, du fait que le don vise à enlever la carence de la puissance où se trouve la vertu. Aussi disent-ils que, contre la tendance à l’orgueuil, il y a la crainte qui incline à l’humilité ; contre la tendance à l’envie, qui ne sait pas compatir avec le prochain, il y a la piété ; contre l’avarice, la science, à qui il revient de bien se comporter avec les hommes, en rendant à chacun ce qui lui appartient, ce qui s’oppose à l’avarice ; contre l’acédie, la force ; contre la colère, qui agit toujours avec précipitation, le conseil ; contre la gourmandise, qui émousse les sens, l’intelligence ; contre la luxure, la sagesse, car, après qu’on a goûté à l’esprit, toute chair perd son goût. Mais d’autres considèrent le nombre des dons selon ce que le Christ devait souffrir. Il y avait quatre choses. La révérence envers son Père qui l’envoie : on a ainsi la crainte. La compassion ou la miséricorde envers ceux pour lesquels il souffrait : on a ainsi la piété. La virilité pour supporter les souffrances : on a ainsi la force. Et la considération du fruit de la passion : et on a ainsi l’intelligence. Mais le conseil dirige la force, la science, la piété, et la sagesse, l’intelligence. D’autres envisagent [le nombre des dons] selon ce qui découle du péché. En effet, l’endurcissement est la conséquence [du péché] dans le concupiscible, de sorte qu’on ne vient pas au secours du prochain ; contre elle, il y a la piété ; [de la conséquence du péché] dans l’irascible, [découle] la timidité : contre elle, il y a la force ; [aussi conséquence du péché dans l’irascible], la présomption ou l’audace : contre elle, il y a l’intelligence ; [conséquence encore du péché dans l’rascible, la folie, de telle sorte que l’on ne soit pas correctement attiré par la fin : contre elle, il y a la sagesse. Mais, par rapport à ce qui se rapporte à la fin, [la conséquence est] l’ignorance, par laquelle l’homme ne sait pas ce qui convient à la recherche de la fin : contre elle, il y a la science. [Conséquence aussi] aussi, la précipitation par laquelle l’homme est davantage mû à ce qu’il faut faire sous l’impulsion de la passion que par choix : contre elle, il y a le conseil. Mais d’autres l’entendent autrement, en disant que les dons perfectionnent pour les deux vies. Pour la vie contemplative, la sagesse, à la façon du goût de celui qui fait l’expérience ; l’intelligence, à la manière de la vision de celui qui regarde. Mais pour la vie active : afin de s’éloigner du mal, la crainte ; afin de faire le bien, auquel tous sont tenus, la piété comme exécutante, et la science comme dirigeante ; afin de faire le bien auquel tous ne sont pas tenus, la force comme exécutante, et le conseil comme dirigeante. Mais la première explication semble se conformer davantage aux raisons propres des dons. |
[12343] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur
dicendum, quod fides est in intellectu, spes autem et caritas in voluntate,
ut prius dictum est. Intellectus
autem humanus ex sua natura habet imperfectionem in modo intelligendi, quia
spiritualia non potest percipere nisi deveniens in ea ex sensibilibus; sed
voluntas non habet ex sui natura aliquem modum imperfectionis, ut dictum est;
et ideo caritati et spei non respondet aliquod donum quod perfectiori modo
operetur: imperfectio enim quae est in actu spei, non est ex modo operandi,
sed magis ex distantia objecti. |
1. La foi se trouve dans l’intelligence, mais l’espérance et la charité dans la volonté, comme on l’a dit antérieurement. Or, l’intellect humain est par sa nature imparfait dans son mode d’intelliger, car il ne peut percevoir les réalités spirituelles qu’en les atteignant à partir des réalités sensibles. Mais la volonté n’a pas d’imperfection en raison de sa nature, comme on l’a dit. C’est pourquoi un don qui agit selon un mode plus parfait ne correspond pas à la charité et à l’espérance. En effet, l’imperfection qu’il y a dans l’acte d’espérance ne vient pas du mode d’agir, mais plutôt de la distance de l’objet. |
[12344] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod perfectio temperantiae consistit in retrahendo a delectationibus circa
quae est, unde et nomen accepit; perfectio autem fortitudinis in sustinendo,
vel aggrediendo; justitiae autem in operando quae ad alterum sunt. Et ideo
justitiae respondet donum quod est ad operandum, scilicet pietas; et
fortitudini donum quod est ad sustinendum et aggrediendum, quod eodem nomine
nominatur: temperantiae autem donum quod sonat in recessum ab aliquo,
scilicet timor, ut prius dictum est. |
2. La perfection de la tempérance consiste à s’éloigner des plaisirs sur lesquels elle porte : c’est de là que vient son nom. Mais la perfection de la force [consiste] à supporter ou à entreprendre ; celle de la justice, à faire ce qui se rapporte à un autre. C’est pourquoi correspond à la justice un don qui est tourné vers l’action : la piété ; et à la force, un don qui vise à supporter et à entreprendre, qui porte le même nom ; mais à la tempérance, un don qui évoque un éloignement de quelque chose : la crainte, comme on l’a dit plus haut. |
[12345] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
idem est directivum in recessu a termino et in accessu ad alium terminum; et ideo
timor, qui sonat in recessum, non habet aliquod speciale directivum praeter
ea quae dirigunt in aliis exequentibus, quae pertinent ad accessum ad
terminum. |
3. C’est la même chose qui dirige pour l’éloignement par rapport à un terme et pour l’approche d’un autre terme. C’est pourquoi la crainte, qui évoque un éloignement, n’a rien de particulier qui la dirige, à part ce qui dirige dans les autres choses qui exécutent, qui se rapportent à l’approche du terme. |
[12346] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod quia donum elevat hominem ad id quod est supra se, ideo convenienter
donum respondens justitiae ex illa parte justitiae sumitur quae ei quod
maxime supremum est, debetur. Hujusmodi autem est pietas, quae debetur Deo, et patri carnali, vel
etiam patriae. |
4. Parce que le don élève l’homme à ce qui le dépasse, c’est de manière appropriée qu’un don correspondant à la justice est tiré de cette partie de la justice qui est due à ce qui est le plus élevé. Or, celle-ci est la piété qui est due à Dieu, à son père charnel ou encore à la patrie. |
[12347] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod judicium prudentiae per donum scientiae
perficitur, sicut et consilium per donum consilii. |
5. Le jugement de la prudence est perfectionné par le don de science, comme le conseil par le don de conseil. |
[12348] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod multae aliae virtutes pertinent ad
cognitionem quam fides et prudentia, sicut patet de omnibus intellectualibus;
et ideo ratio procedit ex falsis. |
6. Beaucoup d’autres vertus que la foi et la prudence se rapportent à la connaissance, comme cela ressort pour toutes les [vertus] intellectuelles. Le raisonnement s’appuie donc sur des faussetés. |
[12349] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 ad 7 Ad septimum
dicendum, quod timor sonat in quamdam subjectionem hominis per quamdam
reverentiam. Quanto autem creatura magis creatori subjicitur, tanto altior
est; sicut materia quanto magis subjicitur formae, tanto perfectior est; et
ideo timor in excellentiam sonat, secundum quod importat reverentiam ad Deum:
sic enim maxime donum est. |
7. La crainte évoque une certaine soumission de l’homme en raison d’une certaine révérence. Or, plus la créature est soumise au Créateur, plus elle est élevée, comme plus la matière est soumise à la forme, plus elle est parfaite. La crainte évoque donc une élévation pour autant qu’elle comporte une révérence envers Dieu. En effet, c’est ainsi qu’elle est surtout un don. |
[12350] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod pietas quae est donum, est supra justitiam,
et supra omnes partes ejus, ut ex praedictis patet, et ideo non est idem cum
pietate, quae est pars justitiae. |
8. La piété qui est un don dépasse la justice et toutes ses parties, comme cela ressort de ce qui a été dit. C’est pourquoi elle n’est pas la même chose que la piété qui est une partie de la justice. |
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Articulus 3 [12351] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a.
3 tit. Utrum dona
maneant in patria |
Article 3 – Les dons demeurent-ils dans la patrie ? |
[12352] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod
dona non remaneant in patria. Donum enim fortitudinis videtur esse contra
difficultates ordinatum. Sed in patria non erit aliqua difficultas. Ergo ibi
non erit fortitudinis donum. |
1. Il semble que les dons ne demeurent pas dans la patrie. En effet, le don de force semble être exister contre les difficultés. Or, dans la patrie, il n’y aura pas de difficulté. Il n’y aura donc pas de don de force. |
[12353] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, pietas est ad compatiendum proximo. Sed in patria non erit
compassio. Ergo nec pietas donum. |
2. La piété est orientée vers la compassion envers le prochain. Or, dans la patrie, il n’y aura pas de compassion. Donc, ni de piété comme don. |
[12354] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, timor est ad retrahendum a malo, et ex fide consequitur.
Sed in patria evacuabitur fides, et omne malum cessabit. Ergo non erit ibi
timor. |
3. La crainte vise à éloigner du mal, et elle découle de la foi. Or, dans la patrie, la foi sera évacuée et tout mal cessera. Il n’y aura donc pas de crainte. |
[12355] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, secundum Damascenum, consilium est de dubiis. Sed in patria
non erit dubitatio. Ergo nec consilium. |
4. Selon [Jean] Damascène, le conseil porte sur ce qui est douteux. Or, dans la patrie, il n’y aura pas de doute. Il n’y aura donc pas non plus de conseil. |
[12356] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, 1 Corinth. 13,
8: scientia
destruetur; ipsa enim
docet conversari in medio pravae et perversae nationis; quod in patria
penitus non erit. Ergo neque donum scientiae erit in patria. |
5. Selon 1 Co 13, 8, la science sera détruite. En effet, celle-ci enseigne à se comporter au milieu d’une nation mauvaise et perverse, ce qui n’existera pas du tout dans la patrie. Il n’y aura donc pas non plus de don de science dans la patrie. |
[12357] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, dona omnia, ut
dictum est, tollunt imperfectionem quae est in virtutibus quantum ad modum
operandi. Sed in patria non erit imperfectio. Ergo donis non indigebimus; sed
ipsae virtutes perfectae sufficient. |
6. Comme on l’a dit, tous les dons enlèvent l’imperfection qui existe dans les vertus pour ce qui est du mode d’agir. Or, dans la patrie, il n’y aura pas d’imperfection. Nous n’aurons donc pas besoin des dons, mais les vertus parfaites suffiront. |
[12358] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, Christus fuit simul verus viator et comprehensor. Sed in Christo fuerunt dona
excellentissima, ut patet per id quod dicitur Isai. 2. Ergo per
comprehensionem gloriae non excluduntur, et ita remanebunt in patria. |
Cependant, [1] le Christ a été en même temps viator et comprehensor. Or, chez les Christ, les dons les plus parfaits ont existé, comme cela ressort de ce qui est dit en Is 2. Ils ne sont donc pas exclus par la compréhension de la gloire, et ainsi ils demeureront dans la patrie. |
[12359] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, dona sunt
perfectiora virtutibus cardinalibus. Sed illae manent in patria. Ergo multo fortius dona. |
[2] Les dons sont plus parfaits que les vertus cardinales. Or, celles-ci demeureront dans la patrie. Donc, à bien plus forte raison, les dons. |
[12360] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, per donum elevatur homo supra humanum modum, sicut patet ex
dictis. Sed hoc
praecipue erit in patria, quando erimus aequales Angelis Dei, ut dicitur
Matth. 22. Ergo dona permanebunt in patria. |
[3] Par le don, l’homme est élevé au-dessus du mode humain, comme cela ressort de ce qui a été dit. Or, ce sera principalement le cas dans la patrie, alors que nous serons égaux aux anges de Dieu, comme il est dit en Mt 22. Les dons demeureront donc dans la patrie. |
[12361] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod modus unicuique rei ex propria mensura praefigitur; unde modus
actionis sumitur ex eo quod est mensura et regula actionis; et ideo cum dona
sint ad operandum supra humanum modum, oportet quod donorum operationes
mensurentur ex altera regula quam sit regula humanae virtutis, quae est ipsa
divinitas ab homine participata suo modo, ut jam non humanitus, sed quasi
Deus factus participatione, operetur, ut ex praedictis patet; et ita omnia
dona communicant in mensura operationis; differunt autem in materia circa
quam operantur. Illa enim quae in vita activa perficiunt, habent materiam
communem cum moralibus virtutibus; illa vero quae perficiunt in vita
contemplativa, habent materiam communem cum theologicis et intellectualibus
virtutibus, eo quod praecipuum objectum contemplationis Deus est, qui est
objectum theologicarum virtutum. Dona igitur illa quae perficiunt in vita activa,
non manent quantum ad actus quos habent circa propriam materiam, sicut nec
virtutes cardinales: quia nec timor a noxiis retrahit, nec fortitudo
difficilia sustinere facit: sed remanebunt quantum ad actus quos habent circa
Deum, qui est mensura operationis in illis, sicut timor hominem per
reverentiam Deo subjiciet. Dona autem illa quae perficiunt in vita
contemplativa, remanebunt quantum ad actus quos habent circa propriam
materiam, et quantum ad actus quos habent circa propriam mensuram; sed
perficientur quantum ad modum: quia quantumcumque dona ad altiorem modum
elevent quam sit communis homini modus, nunquam tamen in via ad modum patriae
pertingere possunt. |
Réponse. Le mode de chaque chose est déterminé selon sa propre mesure. Aussi le mode de l’action vient-il de ce qui est la mesure et la règle de l’action. Puisque les dons existent en vue d’agir selon un mode surhumain, il est donc nécessaire que les opérations des dons soient mesurées selon une autre règle que la règle de la vertu humaine, laquelle est la divinité elle-même à laquelle l’homme participe selon son mode, de sorte qu’il agisse non pas humainement, mais comme s’il était devenu Dieu par participation, comme cela ressort de ce qui a été dit. Et ainsi tous les dons ont en commun une mesure de l’action, mais ils diffèrent par la matière sur laquelle ils agissent. En effet, [les dons] qui perfectionnent pour la vie active ont une matière commune avec les vertus morales ; mais ceux qui perfectionnent pour la vie contemplative ont une matière commune avec les vertus théologales et intellectuelles, du fait que Dieu, qui est l’objet des vertus théologales, est l’objet principal de la contemplation. Les dons qui perfectionnent pour la vie active ne demeurent donc pas pour les actes portant sur leur matière propre, comme non plus les vertus cardinales, car ni la crainte n’éloigne de ce qui est nuisible, ni la force ne fait supporter ce qui est difficile ; mais ils demeureront pour les actes qui portent sur Dieu, qui est la mesure de leur opération, comme la crainte soumettra l’homme par révérence pour Dieu. Mais les dons qui perfectionnent pour la vie contemplative demeureront pour leurs actes portant sur leur matière propre et pour leurs actes portant sur leur propre mesure ; ils seront cependant perfectionnés dans leur mode, car autant que les dons élèvent à un mode plus élevé que le mode commun pour l’homme, jamais ils ne peuvent cependant atteindre en chemin le mode de la patrie. |
[12362] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 ad 1 Et per hoc patet responsio ad prima quinque,
quae procedunt de donis perficientibus in vita activa secundum actus quos
habent circa propriam materiam. |
1-5. Les réponses aux cinq premiers arguments sont claires : ils portent sur les dons qui perfectionnent pour la vie active, selon les actes qu’ils exercent sur leur propre matière. |
[12363] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum,
quod dona illa quae communicant cum virtutibus in objecto quod in patria
remanebit, non remanebunt in patria a virtutibus illis distincta, a quibus
non distinguuntur nisi ex imperfectione et perfectione in modo operationis;
quod patet de intellectu et fide: quia visio, quae fidei succedit, ad
intellectus donum perfectum pertinet, ut patet in Glossa, Matth. 5. Et
similiter est de sapientia, per quam filii Dei vocabimur in comparatione ad
spem, quae ad hanc celsitudinem aspirat. Sed dona illa quae communicant cum
virtutibus moralibus in materia quae in patria non remanebit, non remanebunt
quo ad actus quos habent circa materiam illam in qua cum virtutibus
communicabant, sed quantum ad actus quos habent circa mensuram, in qua non
communicant cum virtutibus. Et ideo actus illorum donorum remanebunt
distincti ab actibus virtutum qui erunt in patria; et erunt actus horum
donorum medii inter actus virtutum theologicarum et actus moralium virtutum,
sicut qui in patria remanebunt: quia actus virtutum theologicarum erunt circa
Deum secundum se, sicut caritatis in diligendo ipsum; actus vero doni erunt
circa Deum, inquantum est regula dirigens ad operandum in omnibus aliis;
sicut timor reverentiam ad Deum habebit, ex qua in hac vita omnia mundi
prospera contempsit. Actus vero virtutis cardinalis erit circa finem
proprium, quem quis consecutus est ex meritoriis actibus virtutum; sicut
actus temperantiae nullo defectu noxio delectari, ut in praecedenti
distinctione dictum est. |
6. Les dons qui ont en commun avec les vertus un objet qui demeurera dans la patrie ne demeureront pas dans la patrie comme distincts de ces vertus, dont ils ne se distinguent que par l’imperfection et la perfection dans le mode d’agir. Cela ressort pour l’intelligence et la foi, car la vision, qui succéde à la foi, relève du don parfait d’intelligence, comme cela est clair d’après la Glose sur Mt 5. De même en est-il de la sagesse, par laquelle nous serons appelés fils de Dieu, par rapport à l’espérance, qui aspire à cette éminence. Mais les dons qui ont en commun avec les vertus morales une matière qui ne demeurera pas dans la patrie ne demeureront pas pour ce qui est de leurs actes qui portent sur la matière qu’ils ont en commun avec les vertus, mais pour ce qui est des actes qui portent sur la mesure, qu’ils n’ont pas en commun avec les vertus. C’est pourquoi les actes de ces dons demeureront comme distincts des actes des vertus qui existeront dans la patrie. Et ces actes seront à mi-chemin entre les actes des vertus théologales et les actes des vertus morales, comme ceux qui demeureront dans la patrie, car les actes des vertus théologales porteront sur Dieu en lui-même, telle la charité qui l’aimera ; mais les actes du don porteront sur Dieu en tant qu’il est la règle qui dirige dans toutes les autres choses. Ainsi, la crainte donnera la révérence envers Dieu, par laquelle elle a méprisé en cette vie toutes les faveurs du monde. Mais l’acte de la vertu cardinale portera sur la fin propre que l’on obtient par les mérites des actes des vertus, comme le fait de prendre plaisir à l’acte de la tempérance sans carence nuisible, comme on l’a dit dans la distinction précédente. |
Articulus 4 [12364] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a.
4 tit. Utrum
beatitudines respondeant singulis donis |
Article 4 – Les béatitudes correspondent-elles à chacun des dons ? |
[12365] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic
proceditur. Videtur quod
beatitudines non respondeant singulis donis. Sicut enim supra dictum est,
singulis virtutibus non respondent singula dona. Sed beatitudines sunt
virtutes, ut dicit Glossa: in sermone, inquit, domini septem
praemittuntur virtutes, quae et beatitudines dicuntur, quia perfectos et
bonos faciunt. Ergo beatitudines et dona non respondent sibi invicem. |
1. Il semble que les béatitudes ne correspondent pas à chacun des dons. En effet, comme on l’a dit plus haut, chaque don ne correspond pas à chaque vertu. Or, les béatitudes sont des vertus, comme le dit la Glose : « Dans le discours du Seigneur, sept vertus sont mises de l’avant, qu’on appelle béatitudes, parce qu’elles rendent parfaits et bons. » Les béatitudes et les dons ne correspondent donc pas les uns aux autres. |
[12366] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, in via non potest esse beatitudo rei, sed spei tantum. Sed
quilibet actus meritorius facit sperare beatitudinem, quia spes est ex
meritis proveniens, ut supra, dist. 26, dictum est. Ergo non oportet quod
beatitudines respondeant donis, quae sunt supra modum humanum perficientia,
sed virtutibus, quantumcumque imperfectis. |
2. En chemin, il ne peut y avoir de béatitude réelle, mais en espérance seulement. Or, tout acte méritoire de vertu fait espérer la béatitude, car l’espérance vient des mérites, comme on l’a dit plus haut, d. 26. Il n’est donc pas nécessaire que les béatitudes correspondent aux dons, qui perfectionnent d’une manière qui dépasse le mode humain, mais aux vertus, quelle que soit leur imperfection. |
[12367] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, beatitudines
ponuntur geminatae, sicut patet Matth. 5, 3: beati pauperes spiritu,
quoniam ipsorum est regnum caelorum; hoc totum ad unam beatitudinem
pertinet. Dona autem
ponuntur singillatim. Ergo dona et beatitudines non correspondent sibi
invicem. |
3. Les béatitudes se présentent jumelées, comme cela ressort de Mt 5, 3 : Bienheureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux : cet ensemble relève d’une seule béatitude. Or, les dons se présentent séparément. Les dons et les béatitudes ne se correspondent donc pas mutuellement. |
[12368] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, inter dona
primo computatur sapientia. Sed sapientiae non
correspondet paupertas spiritus quae prima inter beatitudines ponitur. Ergo
beatitudines non recte respondent donis. |
4. Parmi les dons, on compte d’abord la sagesse. Or, à la sagesse ne correspond pas à la pauvreté en esprit, qui est donnée comme première des béatitudes. Les béatitudes ne correspondent pas correctement aux dons. |
[12369] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, dona sunt tantum septem;
beatitudines autem octo. Ergo non respondent sibi invicem. |
5. Il n’y a que sept dons, alors qu’il y a huit béatitudes. Elles se se correspondent donc pas mutuellement. |
[12370] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 arg. 6 Praeterea, inter dona
ponuntur quatuor ad cognitionem pertinentia. Sed inter beatitudines una tantum pertinet ad cognitionem,
illa scilicet qua dicitur: beati mundo corde, quoniam Deum videbunt.
Ergo non respondent beatitudines donis. |
6. Parmi les dons, quatre choses sont indiquées qui se rapportent à la connaissance. Or, parmi les béatitudes, une seule se rapporte à la connaissance, celle qui dit : Bienheureux ceux qui ont un cœur pur, car ils verront Dieu. Elles ne correspondent donc pas aux dons. |
[12371] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 arg. 7 Praeterea, scientia in omnibus actibus qui ad vitam activam pertinent,
videtur dirigere. Ergo scientiae non magis correspondet illa beatitudo: beati
qui lugent, ut Glossa dicit, quam aliqua aliarum. |
7. La science semble diriger dans tous les actes qui se rapportent à la vie active. Cette béatitude : Bienheureux ceux qui pleurent, ne correspond donc pas plus qu’une des autres à la science, comme le dit la Glose. |
[12372] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in Glossa Matth. 5: ibi enim singulae
beatitudines singulis donis adaptantur. |
Cependant, [1] La Glose sur Mt 5 dit : « Là, chaque béatitude est adaptée à chaque don. » |
[12373] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, beatitudo,
sive felicitas, secundum philosophum, est operatio secundum perfectam
virtutem. Sed dona sunt
perfectissimae virtutes, ut ex dictis patet. Ergo et beatitudines
correspondent donis. |
[2] La béatitude ou la félicité, selon le Philosophe, consiste à agir selon une vertu parfaite. Or, les dons sont les vertus les plus parfaites, comme cela ressort de ce qui a été dit. Les béatitudes aussi correspondent donc aux dons. |
[12374] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, dona a magistris ponuntur media inter virtutes et
beatitudines. Sed dona respondent virtutibus, ut ex dictis patet. Ergo et
beatitudines respondent donis. |
[3] Les maîtres situent les dons entre les vertus et les béatitudes. Or, les dons correspondent aux vertus, comme cela ressort de ce qui a été dit. Les béatitudes aussi correspondent donc aux dons. |
[12375] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod quidam dicunt, quod
beatitudines sunt quidam habitus perfectiores donis, sicut dona sunt
perfectiora virtutibus. Unde dicunt, quod virtutes perficiunt ad actus
primos, dona autem ad actus secundos, sed beatitudines ad actus tertios. Sed non de facili potest assignari
differentia inter actus beatitudinum et donorum, quae sufficiat ad
differentiam habituum: quod patet ex differentia quam assignant, quae non est
nisi secundum intensionem et remissionem, quod non sufficit ad
diversificandum habitum. Et ideo aliter dicendum, quod beatitudines non sunt
habitus distincti a virtutibus et donis; sed sunt operationes virtutum
perfectarum ex adjunctione donorum, sive potius operationes ipsorum donorum.
Et hoc consonat dictis sanctorum, qui beatitudines virtutes nominant eo modo
loquendi quo virtus dicitur actus virtutis. Consonat etiam ipsi Evangelio, quod inter
beatitudines multa enumerat quae manifeste ad dona vel virtutes pertinent. Consonare etiam videtur ad hoc Magister,
qui de beatitudinibus specialem tractatum non facit sicut de virtutibus et
donis. Consonat etiam philosophorum dictis, qui felicitatem dicunt etiam esse
operationem secundum perfectam virtutem. Perfectio autem virtutis potest
tripliciter accipi. Primo quantum ad speciem virtutis, sicut prudentia quae
dirigit alias virtutes morales, et sapientia quae dirigit alias
intellectuales. Unde a
philosopho felicitas civilis ponitur operatio prudentiae; felicitas autem
contemplativa, sapientiae. Secundo
quantum ad statum perfectionis, ad quam perfectionem virtus pervenit per
augmentum: et haec etiam perfectio requiritur ad felicitatem secundum
philosophum: quia sicut una dies non facit ver, ita nec beatum. Tertio
quantum ad modum; et sic dona possunt dici perfectae virtutes, ut ex dictis
patet: vel etiam virtutes quibus dona adjunguntur, secundum quod unus habitus
ex additione alterius adjuvatur; et sic beatitudines, de quibus loquitur
dominus, Matth. 5, dicuntur operationes perfectae virtutis. Et quia dona, ut
dictum est, habent duplices actus, quosdam qui pertinent ad viam, et quosdam
qui pertinent ad patriam; ideo in singulis beatitudinibus duo ponuntur: unum
pertinens ad statum viae, aliud autem ad statum patriae. Differt tamen in his quae
pertinent ad vitam contemplativam et activam. Vita enim contemplativa et hic
incipit, et in futuro consummatur; unde actus qui erunt perfecti in patria,
quodammodo in hac vita inchoantur, sed imperfecti sunt. Donum autem
intellectus cujus est spiritualia apprehendere, in patria ad ipsam divinam
essentiam pertinget, eam intuendo; unde in sexta beatitudine quae ad donum
intellectus pertinet, ponitur quantum ad statum patriae: quoniam ipsi Deum
videbunt. Sed in statu viae spiritualia, et praecipue Deum, magis videmus
cognoscendo quid non est, quam apprehendendo quid est; et ideo quantum ad
statum viae ponitur cordis munditia non solum a passionum illecebris (quam
munditiam donum intellectus non facit, sed praesupponitur per vitam activam
perfectam), sed etiam ab erroribus, et phantasmatibus, et spiritualibus formis
a quibus omnibus docet abscedere Dionysius in Lib. de mystica theologia
tendentes in divinam contemplationem. Similiter etiam donum sapientiae, cujus est spiritualia quae
intellectus apprehendit, judicare sive ordinare sive approbare,
infallibiliter et recte judicabit et ordinabit de omnibus quae ei subduntur,
sive sint apprehensiones sive operationes; et in hoc quaedam similitudo
deitatis in homine apparebit, cum Deus a providendo et judicando nomen
acceperit, secundum quam homo filius Dei
manifeste ostendetur. Unde in septima beatitudine, quae ad sapientiam, reducitur dicitur: quoniam
filii Dei vocabuntur. In statu autem viae magis operatur in removendo
impedimenta, quae praedictam ordinationem perturbare possunt, quam eam
assequatur; et ideo pacificatio ponitur in septima beatitudine quantum ad
statum viae, per quam perturbantia pacem, quae est ordinationis praedictae
terminus, quietare conatur et in seipso et etiam quantum ad alios qui
quocumque modo ei obediunt. Activae autem vitae finis est non cognitio, sed
operatio; et ideo actus consilii et scientiae, quae in vita activa dirigunt,
non computantur inter beatitudines; sed tamen beatitudines, quae sunt actus
donorum exequentium, in Glossa, Matth. 5, ei attribuuntur inquantum actus habitus exequentis est etiam
quodammodo habitus dirigentis. Ad donum autem timoris, ut dictum est,
pertinet omnia temporalia bona ex reverentia divinae majestatis despicere:
quorum quaedam sunt extrinseca, sicut divitiae et honores, et horum
contemptus ad primam beatitudinem pertinet, qua dicitur: beati pauperes
spiritu. Paupertas enim spiritus, ut dicit Glossa, duas habet partes:
scilicet rerum abdicationem, et spiritus, idest superbiae, contritionem. In patria enim non erit
actus timoris circa temporalia bona, sed circa id quod erat ratio contemnendi
ista temporalia. Et ideo in hac beatitudine ponitur quantum ad statum
patriae, dominium regni caelorum, in quo divitiae et honores caelestes
comprehenduntur, ex quorum consideratione temporalia contemnebantur. Alia
vero temporalium bonorum intrinseca sunt homini, scilicet deliciae; et horum
contemptus pertinet ad tertiam beatitudinem, qua dicitur: beati qui lugent;
et ponitur quantum ad statum patriae consolatio futura, ex cujus respectu
consolatio temporalis despiciebatur. Et quia circa difficiliora magis
rationis directione indigemus; ideo tertia beatitudo attribuitur dono
dirigenti, scilicet scientiae; prima autem dono exequenti, scilicet timori:
difficilius enim abnegantur intrinseca quam extrinseca bona. Ad donum autem
fortitudinis pertinet omnia difficilia sustinere cum gaudio. Est autem duplex
difficultas. Una in labore operationum, et talis sustinentia ad quartam
beatitudinem pertinet, qua dicitur: beati qui esuriunt et sitiunt
justitiam; idest, qui quaelibet laboriosa et difficilia in prosecutione
operationum justitiae sustinent. Sed quantum ad statum patriae ponitur
saturitas, in qua comprehenditur omne illud quod laborantes recreare solet.
Alia difficultas est in passionibus illatis tolerandis, cujus sustinentia ad
octavam beatitudinem pertinet, qua dicitur: beati qui persecutionem
patiuntur propter justitiam. Sed quia ista justitia est manifestativa
omnium praecedentium, ideo nec speciale sibi praemium redditur, sed redditur
ad caput, idest ad praemium positum in prima beatitudine, ut per hoc
ostendatur quod omnium beatitudinum praemia ei debentur; et propter hoc etiam
non attribuitur alicui speciali dono. Sed quarta attribuitur dono fortitudinis.
Ad donum autem pietatis pertinet perficere in his quae ad alterum sunt. Ad
alterum autem aliquis bene se habet dupliciter. Uno modo, ut molestiae ei non
inferantur, etiam si ipse prius intulerit; et hoc pertinet ad secundam
beatitudinem, qua dicitur: beati mites; Glossa: qui cedunt
improbis, et vincunt in bono malum. Et quia impugnatio proximi plerumque
contingit propter pacificam possessionem temporalium bonorum, ideo in hac
beatitudine ponitur, quantum ad statum patriae, possessio terrae, scilicet
viventium. Alio modo aliquis se habet bene ad alterum, ut beneficia ei
exhibeat: et hoc pertinet ad quintam beatitudinem, qua dicitur: beati
misericordes, et ponitur pro praemio liberatio ab omni miseria, cujus
intuitu aliquis miserias aliorum relevat. Sed quia difficilius est benefacere quam non nocere; ideo secunda
beatitudo attribuitur dono exequenti, scilicet pietati; quinta autem dono
dirigenti, scilicet consilio, quod ad alterum est, sicut et pietas. Scientia enim non dicit
ordinem ad alterum, sicut nec timor. Ordo autem harum beatitudinum accipitur
secundum quod ab exterioribus homo magis ad interiora progreditur: quia
maxime extrinseca sunt bona temporalia exteriora; post hoc autem passiones
innatae; post hoc operationes propriae exteriores: tum quia in his est labor:
post hoc compassio interior; post hoc apprehensio; post hoc ordinatio. Passio
vero illata ponitur ultima, quasi aliorum manifestativa. |
Réponse. Certains disent que les béatitudes sont des habitus plus parfaits que les dons, comme les dons sont plus parfaits que les vertus. Aussi disent-ils que les vertus perfectionnent en vue des premiers actes, les dons en vue des deuxièmes actes, mais les béatitudes en vue des troisièmes actes. Mais on ne peut pas facilement établir une différence, qui suffirait à différencier les habitus, entre les actes des béatitudes et des dons. Cela ressort clairement de la différence qu’ils établissent, qui vient seulement de l’intensité ou de la retenue, ce qui ne suffit pas à différencier un habitus. Il faut donc parler autrement : les béatitudes ne sont pas des habitus distincts des vertus et des dons, mais elles sont les opérations des vertus rendues parfaites par l’ajout des dons, ou plutôt les opérations des dons eux-mêmes. Et cela est en harmonie avec ce que disent les saints, qui appellent les béatitudes des vertus, conformément à la manière de parler selon laquelle l’acte d’une vertu est appelé vertu. Cela est aussi en harmonie avec l’évangile, qui énumère parmi les béatitudes plusieurs choses qui relèvent manifestement des dons et des vertus. Le Maître semble aussi être d’accord avec cela, lui qui ne donne pas de traité particulier sur les béatitudes, comme il le fait pour les vertus et pour les dons. Cela est aussi en harmonie avec ce que disent les philosophes, qui disent que la félicité consiste en l’opération d’une vertu parfaite. Or, la perfection de la vertu peut s’entendre de trois manières. Premièrement, selon l’espèce de la vertu, comme la prudence qui dirige les autres vertus, et la sagesse qui dirige les autres vertus intellectuelles. Aussi le Philosophe affirme-t-il que la félicité civile consiste dans l’opération de la prudence, mais la félicité contemplative, dans celle de la sagesse. Deuxièmement, selon un état de perfection, perfection à laquelle la vertu parvient par sa croissance. Cette perfection est aussi nécessaire à la félicité selon le Philosophe, car de même qu’une seule journée ne fait pas le printemps, de même [un seul acte de vertu] ne fait-il pas non plus le bienheureux. Troisièmement, selon le mode ; ainsi les vertus parfaites euvent-elles vertus parfaites peuvent-elles être appelées des dons, comme cela ressort de ce qui a été dit ; ou même, les vertus auxquelles des dons sont associés, selon qu’un habitus est aidé par l’ajout d’un autre. Ainsi, les béatitudes dont parle le Seigneur, Mt 5, sont-elles appelées des opérations d’une vertu parfaite. Et parce que, comme on l’a dit, les dons possèdent un double acte : l’un qui relève du cheminement, l’autre qui relève de la patrie, deux choses sont affirmées pour chaque béatitude : l’une qui se rapporte à l’état du cheminement, mais l’autre, à l’état de la patrie. Cependant, ils diffèrent pour ce qui se rapporte à la vie contemplative et à la vie active. En effet, la vie contemplative commence ici et est consommée dans l’avenir ; aussi les actes qui seront parfaits dans la patrie sont-ils amorcés en cette vie, mais ils sont imparfaits. Le don d’intelligence, à qui il revient de saisir les réalités spirituelles, atteindra dans la patrie l’essence divine elle-même en la regardant ; aussi, dans la sixième béatitude qui concerne le don d’intelligence, est-elle indiquée selon l’état de la patrie : car ils verront Dieu. Mais, dans l’état du cheminement, nous voyons les réalités spirituelles, et surtout Dieu, en connaissant ce qu’il n’est pas plutôt qu’en saisissant ce qu’il est ; aussi, pour ce qui est de l’état du cheminement, indique-t-on la pureté du cœur non seulement par rapport aux séductions des passions (le don d’intelligence ne réalise pas cette pureté, mais elle est présupposée par une vie active parfaite), mais aussi par rapport aux erreurs, aux phantasmes et aux formes spirituelles, tout ce dont Denys, dans le livre sur La théologie mystique, enseigne à se séparer à ceux qui tendent à la contemplation divine. De même aussi, le don de sagesse, à qui il revient de juger, d’ordonner ou d’approuver les réalités spirituelles que l’intelligence a saisies, jugera et ordonnera de manière infaillible et droite tout ce qui lui est soumis, que ce soient des perceptions ou des opérations ; par cela, une certaine ressemblance de la divinité apparaîtra dans l’homme, selon laquelle l’homme sera ouvertement manifesté comme fils de Dieu, puisque Dieu a reçu son nom du fait qu’il exerce sa providence et juge. Aussi, dans la septième béatitude, qui se ramène à la sagesse, est-il dit : car ils seront appelés fils de Dieu. Mais, dans l’état du cheminement, elle agit surtout en enlèvant les obstacles qui peuvent troubler la mise en ordre mentionnée, plutôt qu’elle ne l’atteint. C’est pourquoi la pacification est indiquée dans la septième béatitude, pour ce qui est de l’état du cheminement, par laquelle elle s’efforce d’apaiser, en soi-même et par rapport aux autres qui lui obéissent de quelque manière, ce qui trouble la paix. Or, la fin de la vie active n’est pas la connaissance, mais l’action. C’est pourquoi les actes du conseil et de la science, qui dirigent dans la vie active, ne sont pas comptés parmi les béatitudes ; cependant, les béatitudes, qui sont des actes des dons qui exécutent, lui sont attribuées dans la Glose sur Mt 5, dans la mesure où les actes de l’habitus qui exécute relèvent aussi d’une certaine manière de l’habitus qui dirige. Comme on l’a dit, il relève du don de crainte de mépriser tous les biens temporels par révérence pour la majesté divine. Certains sont extérieurs, comme les richesses et les honneurs : leur mépris relève de la première béatitude dans laquelle il est dit : Bienheureux les pauvres en esprit. En effet, la pauvreté en esprit, comme le dit la Glose, comporte deux parties : l’abandon des choses et la contrition de l’esprit, c’est-à-dire de l’orgueil. En effet, dans la patrie, il n’y aura pas d’acte de crainte par rapport aux biens temporels, mais par rapport à ce qui était la raison de mépriser ces biens temporels. C’est pourquoi, dans cette béatitude, on indique, pour ce qui est de l’état de la patrie, la possession du royaume des cieux, dans laquelle sont inclus les richesses et les honneurs célestes et pour laquelle les réalités temporelles étaient méprisées. Mais d’autres parmi les biens temporels sont intérieurs à l’homme : les plaisirs ; le mépris de ceux-ci relève de la troisième béatitude où il est dit : Bienheureux ceux qui pleurent. Pour ce qui est de l’état de la patrie, on indique la consolation à venir, en regard de laquelle une consolation temporelle était méprisée. Et parce que nous avons davantage besoin de la direction de la raison pour les choses plus difficiles, c’est la raison pour laquelle la troisième béatitude est attribuée à un don qui dirige : la science, mais la première, à un don qui exécute : la crainte. En effet, il est plus difficile de renoncer aux biens intérieurs qu’aux biens extérieurs. Mais il appartient au don de force de supporter tout ce qui est difficile avec joie. Or, il existe une double difficulté. L’une, dans l’effort des opérations : supporter celui-ci relève de la quatrième béatitude où il est dit : Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice, c’est-à-dire ceux qui supportent tout ce qui demande des efforts et est difficile dans la poursuite des opérations de la justice. Mais, pour l’état de la patrie, est présentée la satiété, dans laquelle est compris tout ce qui a coutume de reposer ceux qui peinent. L’autre difficulté consiste à tolérer les passions qui se présentent : le fait de les supporter relève de la huitième béatitude, où il est dit ; Bienheureux ceux qui souffre persécution pour la justice. Mais parce que cette justice manifeste tout ce qui précède, aucune récompense particulière ne lui est accordée, mais elle est accordée à ce qui vient en tête : la récompensée indiquée dans la première béatitude, afin que soit montré par là que les récompenses de toutes les béatitudes lui sont dues ; pour cette raison, on ne lui attribue pas non plus de don particulier. Mais la quatrième est attribuée au don de force. Il relève toutefois du don de piété de perfectionner pour ce qui se rapporte à un autre. Or, on a un bon rapport avec un autre de deux manières. D’une manière, lorsqu’on ne lui cause pas de désagréments, même s’il en a d’abord causé. Cela relève de la deuxième béatitude, où il est dit : Bienheureux les doux. La Glose dit : « … qui plient devant les méchants et vainquent le mal par le bien ». Et parce qu’on s’en prend la plupart du temps au prochain pour la possession pacifique de biens temporels, c’est la raison pour laquelle on indique dans cette béatitude, pour ce qui est de l’état de la patrie, la possession de la terre, à savoir, [celle] des vivants. D’une autre manière, on se comporte bien envers un autre en lui accordant des bienfaits : cela relève de la cinquième béatitude, où il est dit : Bienheureux les miséricordieux, et l’on indique comme récompense la libération de toute misère, dont la constatation fait venir au secours des misères des autres. Mais parce qu’il est plus difficile de faire du bien que de ne pas nuire, la deuxième béatitude est donc attribuée à un don qui exécute : la piété, mais la cinquième, à un don qui dirige : le conseil, qui est tourné vers l’autre, comme la piété. En effet, la science n’indique pas de rapport avec un autre, pas davantage que la crainte. Mais l’ordre de ces béatitudes se prend du fait que l’homme progresse plutôt vers les réalités intérieures à partir des réalités extérieures, car les biens temporels sont ce qu’il y a de plus extérieur, ensuite, les passions innées, ensuite, les opérations propres extérieures, car on y peine. Ensuite vient la compassion intérieure, puis la perception, enfin, la mise en ordre. Mais la passion causée est placée en dernier, comme si elle manifestait les autres choses. |
[12376] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod beatitudines dicuntur virtutes,
inquantum sunt actus perfectarum virtutum, scilicet donorum; et ideo
beatitudines respondent donis sicut operationes habitibus. |
1. Les béatitudes sont appelées des vertus pour autant qu’elles sont des actes de vertus parfaites, à savoir, des dons. C’est pourquoi les béatitudes correspondent aux dons comme les opérations aux habitus. |
[12377] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod virtus imperfecta facit sperare beatitudinem futuram solum merendo
ipsam; sed virtus perfecta per meritum et assimilationem ad ipsam; sicut
etiam pueros bonae indolis dicimus felices, secundum philosophum in 1 Ethic.,
inquantum in eis quoddam indicium futurae felicitatis apparet. |
2. La vertu imparfaite fait espérer la béatitude à venir seulement en la méritant ; mais la vertu parfaite, par le mérite et en rendant semblable à elle. Ainsi, disons-nous que les enfants qui ont bon caractère sont bienheureux, selon le Philosophe, Éthique, I, pour autant que se manifeste en eux un indice de la félicité à venir. |
[12378] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod habitus donorum sunt idem in via et in
patria; actus autem non; et ideo beatitudines geminantur, non autem dona. |
3. Les habitus des dons sont les mêmes en route et dans la patrie, mais non les actes. C’est pourquoi les béatitudes sont jumelées, mais non les dons. |
[12379] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
dona sunt tantum a Deo, et ideo praeordinantur secundum quod sunt
perfectiora: sic enim sunt Deo propinquiora. Sed operationes donorum, quae
sunt etiam beatitudines, sunt etiam a nobis; et ideo ordinantur secundum quod
sunt priora quo ad nos, quibus est ascensus ab inferioribus ad superiora, et
de imperfectis ad perfecta. |
4. Les dons ne viennent que de Dieu ; c’est pourquoi ils sont ordonnés d’avance à être plus parfaits : en effet, ils sont ainsi plus proches de Dieu. Mais les opérations des dons, que sont aussi les béatitudes, viennent aussi de nous. C’est pourquoi elles sont ordonnées selon ce qui vient en premier pour nous, qui nous élevons des réalités inférieures vers les réalités supérieures, et des réalités imparfaites vers les réalités parfaites. |
[12380] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non oportet quod singulis donis singulae
beatitudines respondeant; quia alicui dono respondent duae beatitudines, et
alicui beatitudini duo dona, unum sicut dirigens, alterum sicut exequens, ut
ex dictis patet. Sed secundum hoc dicuntur beatitudines donis respondere,
quia non est aliqua beatitudo quae directe non respondeat alicui dono, neque
aliquod donum cui non respondeat aliqua beatitudo. |
5. Il n’est pas nécessaire qu’une béatitude corresponde à chaque don, car à un don correspondent deux béatitudes, à une béatitude deux dons : l’un qui dirige, l’autre qui exécute, comme cela ressort de ce qui a été dit. Mais on dit que les béatitudes correspondent aux dons parce qu’il n’y a pas de béatitude qui ne corresponde directement à un don, ni de don auquel ne corresponde une béatitude. |
[12381] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod vitae activae finis non est cognitio; et ideo
cum beatitudo finem quemdam nominet, non potest poni in vita activa aliqua
beatitudo pertinens ad cognitionem, sed solum in vita contemplativa, cujus
perfectio in cognitione consistit. Sed dona nominant habitus, qui non sunt
fines; et ideo non est similis ratio de donis et beatitudinibus. |
6. La fin de la vie active n’est pas la connaissance. C’est pourquoi, puisque la béatitude indique une fin, on ne peut mettre dans la vie active une béatitude qui se rapporte à la connaissance, mais seulement dans la vie contemplative, dont la perfection consiste dans la connaissance. Mais les dons indiquent des habitus, qui ne sont pas des fins. C’est pourquoi le raisonnement n’est pas le même pour les dons et pour les béatitudes. |
[12382] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod quamvis scientia et consilium dirigant in
omnibus actibus activae, tamen quidam eorum magis per quamdam appropriationem
reducuntur ad scientiam vel consilium quam alii, ut ex dictis patet. |
7. Bien que la science et le conseil dirigent dans tous les actes de la [vie] active, toutefois certains parmi eux se ramènent davantage que d’autres à la science ou au conseil selon une certaine appropriation, comme cela ressort de ce qui a été dit. |
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Articulus 5 [12383] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a.
5 tit. Utrum fructus
correspondeant donis |
Article 5 – Les fruits correspondent-ils aux dons ? |
[12384] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic
proceditur. Videtur quod
fructus non correspondeant donis. Quia, ut dicit Ambrosius, virtutes fructus
dicuntur, quia suos possessores sancta et sincera delectatione reficiunt. Sed virtutes non
respondent donis, sed praecedunt ea. Ergo nec fructus. |
1. Il semble que les fruits ne correspondent pas aux dons, car, comme le dit Ambroise, « les vertus sont appelées des fruits par qu’elles restaurent ceux qui les possèdent avec un plaisir saint et sincère ». Or, les vertus ne correspondent pas aux dons, mais elles les précèdent. Donc, les fruits non plus [ne correspondent pas aux dons]. |
[12385] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, fructus
videtur in praemium sonare. Sed dona non tantum ad praemium, sed ad statum meriti
pertinent. Ergo donis fructus non respondent. |
2. Le fruit semble évoquer une récompense. Or, les dons ne se rapportent pas seulement à une récompense, mais à l’état de mérite. Les fruits ne correspondent donc pas aux dons. |
[12386] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, fructus a
fruendo dicitur. Sed Deo solum fruendum est, ut
Augustinus dicit. Ergo videtur
esse tantum unus fructus, sicut una fruitio; et ita non possunt fructus
correspondere donis, quae sunt septem. |
3. Le mot « fruit » vient de frui (jouir). Or, « on ne doit jouir (fruendum) que de Dieu seul », comme le dit Augustin. Il ne semble donc exister qu’un seul fruit, comme il n’existe qu’une seule jouissance. Les fruits ne peuvent donc pas correspondre aux dons, qui sont au nombre de sept. |
[12387] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, fructus distinguuntur secundum diversos status virtutum, ut
patet Matth. 13, in Glossa: quia fructus tricesimus debetur conjugatis,
sexagesimus autem viduis, sed centesimus virginibus. Dona autem non
distinguuntur secundum diversos status, quia in omnibus statibus possunt
aliquo modo dona haberi. Ergo fructus non respondent donis. |
4. Les fruits se distinguent selon les divers états des vertus, comme cela ressort de Mt 13, sur lequel la Glose dit : « Un fruit au nombre de trente est dû aux gens mariés, au nombre de soixante aux veufs, mais au nombre de cent aux vierges. » Or, les dons ne se distinguent pas selon les divers états, car, dans tous les états, les dons peuvent exister d’une certaine manière. Les fruits ne correspondent donc pas aux dons. |
[12388] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, Gal. 5, ponuntur multo plures fructus quam septem. Cum ergo
dona sint tantum septem, fructus autem duodecim; videtur quod fructus non
respondeant donis. |
5. En Ga 5, beaucoup plus que sept fruits sont présentés. Puisque les dons sont au nombre de sept seulement, mais les fruits au nombre de douze, il semble donc que les fruits ne correspondent pas aux dons. |
[12389] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, beatitudines respondent donis. Sed beatitudo continet
fructum, cum non sit sine delectatione, ut dicitur 1 Ethic. Ergo fructus
donis respondent. |
Cependant, [1] les béatitudes correspondent aux dons. Or, une béatitude contient un fruit, puisqu’elle ne peut exister sans délectation, comme il est dit dans Éthique, 1. Les fruits correspondent donc aux dons. |
[12390] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 s. c.
2 Praeterea, Sap. 4, 15, dicitur: bonorum
laborum gloriosus est fructus. Sed non sunt aliqui labores digniores quam
in operibus donorum. Ergo fructus
donis respondent. |
[2] Il est dit dans Sg 4, 15 : Le fruit de bons efforts est glorieux. Or, il n’existe pas de d’efforts plus dignes que celui des actes des dons. Les fruits correspondent donc aux dons. |
[12391] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 s. c. 3 Praeterea,
delectationes virtutum dicuntur fructus, ut patet ex auctoritate Ambrosii
inducta. Sed non minor est delectatio in donorum actibus quam in actibus
virtutum. Ergo fructus
respondent donis. |
[3] Les délectations des vertus sont appelées des fruits, comme cela ressort de l’autorité d’Ambroise qui est invoquée. Or, la délectation dans les actes des dons n’est pas moindre que dans les actes des vertus. Les fruits correspondent donc aux dons. |
[12392] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod
nomen fructus a corporalibus ad spiritualia transfertur. Dicitur enim in corporalibus fructus quod de terrae nascentibus
expectatur; et ideo omne illud quod de re aliqua quis consequitur, quasi
mercedem laboris circa illam impensi, dicitur fructus. Hoc autem est et illud
quod de re aliqua principaliter expectatur; et sic fructus omnis nostri
operis Deus est; et iterum illud quod quis consequitur ex operatione, non
principaliter propter hoc operans, dicitur fructus; et sic delectationes quae
in bonis operibus sunt, sunt quidam fructus bonorum operum; et hoc modo in
auctoritate praedicta accipit Ambrosius fructum, dicens ipsas virtutes
fructus esse, inquantum delectant. Secundum philosophum autem, omnis operatio
procedens ex habitu perficiente naturam, habet delectationem annexam; unde
cum felicitas vel beatitudo sit operatio secundum virtutem perfectam, quoddam
formale completivum beatitudinis est ipsa delectatio; et ideo fructus qui
delectationem nominant, beatitudinibus respondent, sicut beatitudines donis.
Inter fructus autem computantur quidam qui sunt essentialiter delectatio, ut
gaudium quantum ad unionem et praesentiam bonorum; et pax quantum ad
remotionem impedimentorum perturbantium delectationem; et ideo hi duo fructus
respondent omnibus donis et beatitudinibus. Quidam vero ponuntur quasi ratio
delectationis et causa. Est autem delectatio in operibus activae et
contemplativae vitae. In operibus autem activae vitae ratio delectationis est
duplex. Uno modo ex
remotione impedientium veram delectationem spiritus: delectatio enim ex
operatione non impedita causatur, secundum philosophum. Alio modo ex
praesentia bonorum spiritui convenientium. Impeditur autem spiritualis
delectatio vitae activae dupliciter. Uno modo per delectationes contrarias,
scilicet bonorum temporalium: sicut enim operationes contrariae sunt, ita et
delectationes, ut dicit philosophus in 10 Ethic. Temporalis autem delectatio vel est in
bonis exterioribus, scilicet divitiis et honoribus; et hanc delectationem
cohibet modestia, quae fructus ponitur, et respondet paupertati spiritus: vel
etiam in delectationibus carnis; et sic reprimuntur vel abstinendo ab
illicitis, quod facit castitas, vel etiam a licitis, quod facit continentia,
secundum Glossam: et hi duo fructus respondent beatitudini luctus; et per
consequens hi tres fructus respondent dono timoris quasi exequenti. Vel
aliter secundum philosophum in 7 Ethic., potest distingui castitas a
continentia, ut per continentiam sic reprimantur concupiscentiae ut non
dominentur, per castitatem autem ut etiam subjiciantur. Alio modo impeditur
delectatio spiritualis per exteriores difficultates: quae quidem consistunt
vel in labore actionum, quem vincit longanimitas; unde hic fructus respondet
quartae beatitudini, et dono fortitudinis: vel etiam in dolore passionum; et
hic dupliciter vincitur. Uno modo ut per eas constantia animi non frangatur
quantum ad seipsum; et hoc facit patientia; et hic fructus respondet octavae
beatitudini: beati qui persecutionem patiuntur, et dono fortitudinis.
Alio modo ut homo ab inferente non turbetur ad nocendum ei; et hoc facit
mansuetudo; et hic fructus respondet mititati, quae est secunda beatitudo, et
dono pietatis. Bonum autem conveniens secundum activam vitam, quod
delectationem facit, est etiam in affectu, secundum quod homini omne bonum
complacet et sui et alterius: hoc enim est hominem dulcem habere animum, et
sic est bonitas; Glossa, dulcedo animi; et in ordine ad effectum, secundum
quod homo est bene communicativus suorum ad alios; et sic est benignitas; et
hi duo fructus respondent beatitudini quintae, quae est de misericordia, et
dono pietatis. Omnes autem praedicti fructus respondent donis consilii et
scientiae quasi dirigentibus. In vita autem contemplativa non potest esse
aliquid delectationem impediens, nisi ex parte activae vitae: quia secundum philosophum
delectationi quae est in considerando, non est contrarium. Unde non est ibi
ratio delectationis nisi ex praesentia boni in quo mens quiescit; et hoc
dupliciter. Uno modo per cognitionem spiritualium sine dubitatione, et sic
est fides, Glossa, de invisibilibus certitudo, et respondet sextae
beatitudini, et dono intellectus. Alio modo per intimam unionem ad spiritualia, ex quo potest judicare
de omnibus aliis, quia spiritualis omnia judicat, 1 Corinth. 11, 15, et sic est caritas, et respondet
septimae beatitudini, scilicet, beati pacifici, et dono sapientiae. |
Réponse. Le nom de « fruit » est transposé des réalités corporelles aux réalités spirituelles. En effet, dans les réalités corporelles, on parle de fruit pour ce qui naît de la terre. C’est pourquoi tout ce que l’on obtient d’une chose, comme récompense pour le labeur déployé à son propos, est appelé fruit. C’est aussi le cas de ce qui principalement attendu d’une chose ; ainsi Dieu est-il le fruit de notre action. De plus, ce que l’on obtient d’une opération, qui n’est pas accomplie principalement pour cela, est appelé fruit. Ainsi, les délectations qui existent dans les actions bonnes sont les fruits des bonnes actions. C’est de cette manière qu’Ambroise entend fruit dans l’autorité mentionnée, lorsqu’il dit que « les vertus elles-mêmes sont des fruits pour autant qu’elles donnent une délectation ». Or, selon le Philosophe, toute opération qui vient d’un habitus qui perfectionne la nature comporte une délectation. Puisque la félicité ou la béatitude est une opération conforme à une vertu parfaite, la délectation elle-même est donc un complément formel de la béatitude. C’est pourquoi les fruits qui désignent une délectation correspondent aux béatitudes, comme les béatitudes aux dons. Or, parmi les fruits, on en compte certains qui sont essentiellement une délectation, telles la joie, pour l’union et la présence des biens, et la paix, pour l’enlèvement des empêchements qui troublent la délectation. C’est pourquoi ces deux fruits correspondent à tous les dons et béatitudes. Mais certains sont donnés comme la raison de la délectation et sa cause. Or, il existe une délectation dans les actes de la vie active et de la vie contemplative. Dans les actes de la vie active, la raison de la délectation est double. L’une vient de l’enlèvement de ce qui empêche une véritable délectation de l’esprit : en effet, la délectation est causée par une opération qui n’est pas empêchée, selon le Philosophe. L’autre vient de la présence de biens qui conviennent à l’esprit. Or, la délectation spirituelle de la vie active est empêchée de deux manières. D’une manière, par les délectations contraires, celles des biens temporels : en effet, de même que les opérations sont contraires, de même aussi le sont les délectations, comme le dit le Philosophe dans Éthique, X. Or, la délectation temporelle porte soit sur les biens extérieurs : les richesses et les honneurs. La modestie réprime cette délectation : elle est donnée comme un fruit et correspond à la pauvreté en esprit ; soit sur les délectations de la chair : elles sont réprimées soit par l’abstention de ce qui est défendu, ce que réalise la chasteté, soit même de ce qui est permis, ce que réalise la continence, selon la Glose. Ces deux fruits correspondent à la béatitude des pleurs. Par voie de conséquence, ces trois fruits correspondent au don de crainte comme à celui qui exécute. Ou bien on peut, selon le Philosophe, Éthique, VII, faire une autre distinction entre la chasteté et la continence : par la continence, les convoitises sont réprimées de telle manière qu’elles ne l’emportent pas, mais par la charité, de telle sorte qu’elles sont soumises. D’une autre manière, la délectation spirituelle est empêchée par les difficultés extérieures, qui consistent dans les efforts des actions, sur lesquels l’emporte la longanimité. Aussi ce fruit correspond-il à quatrième béatitude et au don de force. Elle est aussi [empêchée] par la douleur des souffrances, et celle-ci est vaincue de deux manières. D’abord, pour que la constance de l’esprit ne soit pas brisée en lui par elles : cela est réalisé par la patience. Ce fruit correspond à la huitième béatitude : Bienheureux ceux qui sont persécutés, et au don de force. Ensuite, pour que l’homme ne soit pas perturbé par celui qui lui donne [des douleurs ] en cherchant à lui nuire. C’est cela que réalise la douceur, et ce fruit correspond à la douceur, qui est la deuxième béatitude, et au don de piété. Mais le bien qui convient selon la vie active et qui cause une délectation se trouve encore dans la puissance affective, selon que tout bien propre et tout bien d’un autre plaît à l’homme. En effet, c’est en cela que consiste le fait d’avoir un esprit doux, et l’on a ainsi la bonté. La Glose [dit] : « La douceur de l’esprit. » Il se trouve aussi dans l’acte, selon que l’homme partage bien ce qui lui appartient avec d’autres : on a ainsi la bénignité. Ces deux fruits correspondent à la cinquième béatitude, qui porte sur la miséricorde, et au don de piété. Or, tous les dons qui précèdent correspondent aux dons de conseil et de science en tant qu’ils dirigent. Mais, dans la vie contemplative, il ne peut y avoir quelque chose qui fait obstacle que du côté de la vie active, car, selon le Philosophe, il n’y a rien de contraire à la délectation qui se réalise dans le fait de considérer. Il n’existe donc là de raison de se délecter que par la présence du bien dans lequel l’esprit se repose, et cela de deux manières. Premièrement, par la connaissance indubitable des réalités spirituelles : on a ainsi la foi. La Glose [dit] : « La certitude à propos des réalités invisibles. » Elle correspond ainsi à la sixième béatitude et au don d’intelligence. Deuxièmement, par l’union intime avec les réalités spirituelles, à partir de quoi on peut juger de tout le reste, car l’homme spirituel juge de tout, 1 Co 11, 15. On a ainsi la charité, qui correspond à la septième béatitude : Bienheureux les pacifiques, et au don de sagesse. |
[12393] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod virtutes dicuntur fructus non ratione
habituum, sed quia in operibus delectationem annexam habent; unde et virtutes
quae inter fructus nominantur, sicut castitas, mansuetudo, et hujusmodi, non
ponuntur inquantum sunt virtutes, sed inquantum habent aliquam rationem
delectandi. |
1. Les vertus sont appelées des fruits, non pas en raison des habitus, mais parce qu’elles comportent une délectation qui est associée à leurs actes. Aussi les vertus qui sont nommées parmi les fruits, comme la chasteté, la douceur et celles de ce genre, n’y sont-elles pas placées en tant qu’elles sont des vertus, mais en tant qu’elles possèdent la raison de délecter. |
[12394] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut peccatum habet suam poenam annexam
aliquam quia omnis inordinatus animus sibi est poena, ut dicit Augustinus in
Lib. Confess., ita et meritum habet suum fructum adjunctum; qui tamen fructus
in futuro complebitur, sicut et malorum poena; et ideo donis respondent
fructus etiam quantum ad actus quos in via habent. |
2. De même que le péché comporte une peine qui lui est associée, car « tout esprit désordonné est une peine pour lui-même », comme le dit Augustin dans le livre des Confessions, de même aussi le mérite a-t-il un fruit qui lui est associé. Toutefois, ce fruit sera réalisé dans l’avenir, comme la peine pour les maux. C’est pourquoi des fruits correspondent aux dons selon les actes qu’ils ont en cours de route. |
[12395] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod frui aliquo, proprie est ipsum ut fructum
habere. Hoc autem habet aliquis ut fructum quem expectat principaliter ex suo
opere. Unde illo quod consequitur ex opere non principaliter expectato, non
proprie dicitur aliquis frui, sed solum illo quod principaliter expectatur,
quod est solum Deus. Et ideo quamvis sit una tantum fruitio, sunt tamen multi
fructus: quia quidquid consequitur, etiam si non principaliter expectatur,
potest dici fructus. |
3. Jouir (frui) de quelque chose, c’est à proprement parler l’avoir comme fruit (fructum). Or, on a comme fruit ce que l’on attend principalement de son acte. Aussi ne dit-on pas qu’on jouit de ce que l’on obtient pour son acte sans que ce soit principalement attendu, mais seulement de ce qui est principalement attendu, qui est Dieu seulement. C’est pourquoi bien qu’il n’existe qu’une seule jouissance, il existe cependant de nombreux fruits, car tout ce que l’on obtient peut être appelé fruit, même si ce n’est principalement attendu. |
[12396] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod distinctio fructuum fit dupliciter. Uno modo
secundum intensionem et remissionem; et sic fructus distinguuntur in
Evangelio, quia de quibusdam operibus majus erit gaudium quam de aliis. Alio
modo quantum ad diversas rationes gaudendi; et sic dividitur quasi
essentialiter et per se: et hoc modo distinguitur Galat. 5: et sic donis
respondent fructus, ut dictum est. |
4. La distinction entre les fruits se fait de deux manières. Premièrement, selon l’intensité et le relâchement : ainsi les fruits sont-ils distingués dans l’évangile, car il y a plus de joie pour certains actes que pour d’autres. Deuxièmement, selon les diverses raisons de se réjouir. La division se réalise alors de manière pour ainsi dire essentielle et par soi. C’est ainsi qu’est faite la distinction en Ga 5, et ainsi les fruits correspondent-ils aux dons, comme on l’a dit. |
[12397] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod eidem dono possunt respondere multi fructus,
secundum quod habet multos actus, ut dictum est; et ideo non oportet quod
sint tot fructus quot dona. |
5. Plusieurs fruits peuvent correspondre au même don selon que celui-ci comporte plusieurs actes, comme on l’a dit. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il y ait autant de fruits que de dons. |
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Articulus 6 [12398] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a.
6 tit. Utrum
petitiones respondeant donis |
Article 6 – Les demandes correspondent-elles aux dons ? |
[12399] Super Sent., lib. 3 d. 34 q.
1 a. 6 arg. 1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod petitiones donis non respondeant. Augustinus enim dicit
in Ench., quod tribus primis petitionibus aeterna poscuntur, reliquis vero
quatuor temporalia. Sed unumquodque donorum pertinet ad praesentem vitam, in qua
temporaliter vivitur, et ad futuram, in qua ad aeternitatem pervenimus, ut ex
dictis patet. Ergo donis petitiones non respondent. |
1. Il semble que les demandes ne correspondent pas aux dons. En effet, Augustin dit, dans l’Enchiridion, que des réalités éternelles sont demandées par les trois premières demandes, et des réalités temporelles par les quatre autres. Or, chacun des dons concerne la vie présente où l’on vit temporellement, et la vie future, dans laquelle nous atteignons l’éternité, comme cela ressort de ce qui a été dit. Les demandes ne correspondent donc pas aux demandes. |
[12400] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea, Augustinus in epistola ad Probam dicit: quisquis dicit,
petendo scilicet, quod ad istam evangelicam precem pertinere non possit,
etiam si non illicite orat, carnaliter orat. Sed multa alia possunt peti
a Deo non carnaliter quam septem dona, sicut septem virtutes, et gratiam, et
necessaria vitae. Ergo petitiones dominicae orationis septem donis non respondent. |
2. Dans sa lettre à Proba, Augustin dit : « Quiconque exprime par une demande ce qui ne pourrait relever de cette prière évangélique, même s’il ne prie pas d’une manière défendue, prie de manière charnelle. » Or, beaucoup d’autres choses que les sept dons peuvent être demandées à Dieu de manière non charnelle : ainsi, les sept vertus, la grâce et ce qui est nécessaire à la vie. Les demandes de la prière du Seigneur ne correspondent donc pas aux sept dons. |
[12401] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 arg. 3 Praeterea, omnia dona
sunt quaedam bona a Deo donata. Sed petitiones orationis dominicae non tantum
sunt ad consecutionem boni, sed etiam ad remotionem mali. Ergo dona
petitionibus non respondent. |
3. Tous les dons sont des biens donnés par Dieu. Or, les demandes de la prière du Seigneur ne visent pas seulement à obtenir le bien, mais aussi à écarter le mal. Les dons ne correspondent donc pas aux demandes. |
[12402] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, in donis sunt
quatuor quae ad
cognitionem pertinent. Sed in petitionibus nulla videtur ad cognitionem pertinere.
Ergo petitiones donis non respondent. |
4. Parmi les dons, il y en a quatre qui se rapportent à la connaissance. Or, dans les demandes [de la prière du Seigneur], aucune ne semble se rapporter à la connaissance. Les demandes ne correspondent donc pas aux dons. |
[12403] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 arg. 5 Praeterea, petitiones ad
impetrandum ordinatae sunt. Sed impetrare aliquid a Deo non est nisi habentis
virtutem. Cum igitur dona simul cum virtutibus infundantur, videtur quod
petitiones non ordinentur ad dona. |
5. Les demandes sont ordonnées à l’obtention. Or, obtenir quelque chose de Dieu n’est le fait que de celui qui a la vertu. Puisque les dons sont infusés en même temps que les vertus, il semble donc que les demandes ne sont pas ordonnées aux dons. |
[12404] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 arg. 6 Praeterea,
Augustinus in Ench. dicit, quod hoc totum est una petitio: et ne nos
inducas in tentationem; sed libera nos a malo; quod patet ex hoc quod non
ponitur ibi: et libera nos a malo, sed ponitur ibi: sed. Similiter dicit, quod tertia petitio,
scilicet, fiat voluntas tua, concluditur in duabus primis: et ita
videtur quod non sint nisi quinque petitiones, sicut etiam Lucas ponit. Sed dona sunt septem.
Ergo petitiones non respondent donis. |
6. Dans l’Enchiridion, Augustin dit que cet ensemble est une seule demande : Et ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre-nous du mal. Cela ressort de ce qu’on dit là : … mais [délivre-nous…], et non pas : et délivre-nous du mal. De même, il dit que la troisième demande : Que ta volonté soit faite, se conclue dans les deux premières. Il semble ainsi qu’il n’y ait que cinq demandes, comme Luc d’ailleurs les présente. Or, les dons sont au nombre de sept. Les demandes ne correspondent donc pas aux dons. |
[12405] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 arg. 7 Praeterea, secunda
petitio, secundum Augustinum ibidem, pertinet ad resurrectionem corporis. Sed
nullum donum ad resurrectionem pertinet. Ergo petitiones donis non
respondent. |
7. Selon Augustin, au même endroit, la deuxième demande se rapporte à la résurrection du corps. Or, aucun don ne se rapporte à la résurrection. Les demandes ne correspondent donc pas aux dons. |
[12406] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed contra, idem est quod a Deo petitur, et ab ipso accipitur; unde
dicitur Joan. 16, 24: petite, et accipietis. Sed dona sunt quae per
petitiones petuntur; et ita petitiones et dona mutuo sibi correspondent. |
Cependant, [1] c’est la même chose qui est demandée à Dieu et qui est reçue de lui. Aussi est-il dit en Jn 16, 24 : Demandez et vous recevrez. Or, les dons sont ce qui est demandé par les demandes. Ainsi, les demandes et les dons se correspondent-ils mutuellement. |
[12407] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, in Glossa, Matth.
6, dicitur: in precibus est ut impetremus dona, in donis ut operemur: de
operatione beatitudines consequentur. Ergo sicut beatitudines respondent donis,
ita dona respondent petitionibus. |
[2] Dans la Glose, il est dit à propos de Mt 6 : « Par les prières, nous obtenons les dons, et par les dons, [nous obtenons] d’agir. Les béatitudes découleront de l’action. » De même que les béatitudes correspondent aux dons, de même les dons correspondent-ils donc aux demandes. |
[12408] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 s. c. 3 Praeterea, sicut
eadem Glossa dicit, septem petitionibus omnia dona praesentis vitae vel
futurae continentur. Sed in his omnibus etiam dona perficiunt, ut ex dictis patet. Ergo dona et petitiones correspondent sibi. |
[3] Comme le dit la même Glose, « tous les dons de la vie présente ou de la vie future sont contenus dans les sept demandes ». Or, par tout cela, elles perfectionnent même les dons, comme cela ressort de ce qui a été dit. Les dons et les demandes se correspondent donc. |
[12409] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 co. Respondeo dicendum, quod
reductio petitionum ad dona non intelligitur hoc modo quod in petitionibus solum habitus
donorum petantur, sed quia petitur per quamlibet petitionem aliquid eorum
quae ad aliquod donorum pertinent. Haec autem reductio potest attendi
dupliciter. Uno modo in generali, ut scilicet quidquid ad dona pertinet,
etiam ad petitiones pertineat, et e converso; et sic fit reductio eorum ad
invicem non solum per appropriationem sed etiam per proprietatem: quia sicut
dona sufficienter perficiunt in omnibus quae sunt activae et contemplativae
vitae, sive in praesenti sive in futuro, ita et in omnibus per petitiones
divinum auxilium imploratur. Alio modo in speciali: et sic per proprietatem
non potest fieri reductio singulorum donorum ad singulas petitiones: quia ea
quae in diversis petitionibus postulantur, possunt pertinere ad unum donum,
et e converso; sed per appropriationem quamdam, inquantum singulae petitiones
habent aliquam similitudinem cum singulis donis, sicut et de beatitudinibus
dictum est. Est enim alia ratio distinguendi dona et petitiones. Cum enim
dona sint habitus ordinati ad operandum, oportet quod distinguantur secundum
objecta, in quibus diversificari oportet actus secundum speciem. Sed petere oportet
omnia quibus indigemus ad operandum, quae non possumus nisi a Deo habere.
Unum autem donum ad sui operationem indiget pluribus auxiliis, et idem
auxilium valet ad actus multorum donorum. Indigemus autem auxilio divino tam
in operibus contemplativae quam in operibus activae. In operibus autem contemplativae indigemus
duplici auxilio. Unum est ut ipsorum contemplabilium, scilicet divinorum,
majestas et dignitas appareat; alias contemplatione et admiratione quae
contemplationem allicit, digna non essent: et hoc auxilium petitur per primam
petitionem: sanctificetur nomen tuum, in qua petitur ut nomen ejus,
quod semper sanctum est, etiam apud homines sanctum habeatur; hoc est, non
contemnatur, ut Augustinus dicit ad Probam. Unde idem est petere hoc quod illud Eccli.
36, 4: sicut in conspectu eorum sanctificatus es in nobis, ita et in
conspectu nostro magnificare in eis. Et quia ex hoc quod homo hujus
excellentiae particeps fit, ordinare et judicare habet, quod est sapientiae;
ideo haec petitio ad sapientiam reducitur, et ad septimam beatitudinem. Aliud
autem auxilium est ut in contemplatione horum magnalium nostram beatitudinem
cognoscamus, ut sic magis his contemplandis homo inhaerescat: et hoc auxilium
petitur per secundam petitionem: adveniat regnum tuum; Glossa: idest,
manifestetur hominibus, ut scilicet in nobis veniat, et in Christo
regnare mereamur secundum Augustinum ad Probam. Unde idem est hoc petere, ut
idem dicit, quod dicere: ostende faciem tuam, et salvi erimus, Psal.
79, 8; et ideo haec petitio reducitur ad sextam beatitudinem, et donum
intellectus. In operibus autem activae indigemus duplici auxilio. Primum est
ut bona nobis conferantur, quibus ad bene operandum adjuvemur. Secundum est
ut mala impedientia removeantur. Bonum autem duplex est nobis necessarium ad
vitam activam. Unum quod est directe ad opus virtutis ordinans, sicut ipsum
honestum bonum; et hoc petitur in tertia petitione: fiat voluntas tua
sicut in caelo et in terra: in qua secundum Augustinum petimus
obedientiam ad Deum, ut sic fiat a nobis voluntas ejus in terris, sicut fit
ab Angelis in caelis. Unde secundum ipsum, idem est hoc petere, quod dicere: gressus
meos dirige secundum eloquium tuum, Psal. 118, 133; et hoc reducitur ad
quintam beatitudinem, quae est de misericordia: quia misericordiam praecipue
nobis Deus praecepit: et per consequens ad donum consilii. Aliud est organice
ad virtutem serviens, sicut temporalia subsidia, quibus homo ad bene
operandum juvatur; et hoc pertinet ad quartam petitionem, qua dicitur: panem
nostrum quotidianum da nobis hodie; quia, secundum Augustinum ibidem, per
hoc quod dicitur hodie significatur hoc tempus: ubi vel sufficientiam illam
petimus a patre quae superexcellit, in nomine panis totum significantes: vel
sacramentum fidelium; et hoc est idem quod petitur Prov. 30, 8: divitias
et paupertatem ne dederis mihi; sed tantum victui meo tribue necessaria;
et haec petitio reducitur ad quartam beatitudinem: quia hujusmodi subsidia
vitae sunt quae nos in laboribus hujus vitae sustentant: et per consequens ad
donum fortitudinis. Impediens
autem operationem activae vitae est triplex. Primo malum culpae, praeteritum
quidem in actu, sed manens in reatu, macula et inquinatione; et contra hoc
malum petitur auxilium per quintam petitionem, qua dicitur: dimitte nobis
debita nostra, sicut et nos dimittimus debitoribus nostris; ubi, ut dicit
Augustinus ibidem, nos admonemur et quid petamus, et quid faciamus, ut
accipere mereamur; et hoc idem petiit qui dixit, Psal. 7, 5: si reddidi
retribuentibus mihi mala, decidam merito ab inimicis meis inanis; et hoc
reducitur ad tertiam beatitudinem, quae est de luctu: quia ea remittuntur
peccata, et per consequens ad donum scientiae. Secundum est malum futurum,
quia timemus inclinans ad peccatum; et circa hoc petitur auxilium in sexta
petitione, cum dicitur: et ne nos inducas in tentationem; in qua,
secundum Augustinum, petimus, ne deserti divino auxilio alicui tentationi vel
consentiamus decepti, vel cedamus afflicti. Et hoc idem petitur Eccli. 23, 6:
aufer a me ventris concupiscentias; et hoc reducitur ad secundam
beatitudinem, quae est de mititate: quia praecipue tentationes ad malum, sunt
molestiae quae a proximis inferuntur, quibus provocamur ut eis noceamus, quas
tentationes per illam beatitudinem vincimus, et per consequens ad donum
pietatis. Tertium est malum praesens, quodcumque sit illud; et contra hoc
petitur auxilium per septimam petitionem, qua dicitur: sed libera nos a
malo. Unde Augustinus dicit quod homo Christianus in qualibet
tribulatione constitutus in hac petitione gemitus edit; et hoc idem petivit
qui dixit Psalm. 58, 1: eripe me ab inimicis meis, Deus meus; et hoc
reducitur ad beatitudinem quae est paupertas spiritus; quia ejus est in
tribulatione auxilium petere: et per consequens ad donum timoris. Possunt autem tres
ultimae petitiones aliter distingui secundum Augustinum: ut prima earum
petatur auxilium contra malum culpae; secunda autem contra inclinantia in
culpam; tertia vero contra poenae malum. |
Réponse. Ramener les demandes aux dons ne veut pas dire que seuls les habitus des dons sont demandés par les demandes, mais que, dans toutes les demandes, on demande quelque chose qui se rapporte à l’un des dons. Or, cette manière de ramener peut être considérée de deux façons. Premièrement, en général, à savoir que tout ce qui se rapporte aux dons se rapporte aussi aux demandes, et inversement. Ainsi se ramènent-ils les uns aux autres mutuellement, non seulement par appropriation, mais aussi d’une manière propre, car de même que les dons perfectionnent suffisamment pour tout ce qui relève de la vie active et de la vie contemplative, dans le présent comme à l’avenir, de même aussi le secours de Dieu est-il imploré en tout par les demandes. Deuxièmement, d’une manière particulière. De cette manière, on ne peut ramener en propre chacun des dons à chacune des demandes, car ce qui est demandé par les diverses demandes peut se rapporter à un seul don, et inversement [à plusieurs] ; mais, [on peut les ramener] selon une certaine appropriation, du fait que chacune des demandes a une certaine ressemblance avec chacun des dons, comme on l’a dit aussi à propos des béatitudes. En effet, il y a une autre manière de faire une distinction entre les dons et les demandes. Puisque les dons sont des habitus ordonnés à l’action, il est nécessaire qu’ils se distinguent selon leurs objets, par lesquels leurs actes doivent se diversifier selon l’espèce. Or, il nous faut demander tout ce dont nous avons besoin pour agir et que nous ne pouvons recevoir que de Dieu. Or, un seul don a besoin pour son opération de plusieurs aides, et la même aide vaut pour les actes de plusieurs dons. Or, nous avons besoin de l’aide de Dieu tant pour les actes de la vie contemplative que pour ceux de la vie active. Pour les actes de la vie contemplative, nous avons besoin d’une double aide. L’une est que se manifestent la majesté et la dignité de ce qui peut être contemplé, à savoir, les réalités divines, autrement cela ne serait pas digne de la contemplation et de l’admiration qui incitent à la contemplation. Cette aide est demandée par la première demande : Que ton nom soit sanctifié, dans laquelle on demande que son nom, qui est toujours saint, soit aussi tenu pour saint par les hommes, à savoir qu’il ne soit pas méprisé, comme le dit Augustin à Proba. Demander cela est donc la même chose que ce qui est dit dans Si 36, 4 : De même que tu as été sanctifié à leur regard, de même sois-tu magnifié en eux à notre regard. Et parce que l’homme devient participant d’une telle élévation, il peut ordonner et juger, ce qui relève de la sagesse. C’est pourquoi cette demande se ramène à la sagesse et à la septième béatitude. L’autre aide consiste en ce que, dans la contemplation de ces grandes choses, nous connaissions notre béatitude, afin qu’ainsi l’homme s’attache davantage à les contempler. Cette aide est demandée par la deuxième demande : Que ton règne vienne. La Glose dit : « C’est-à-dire, qu’ils soit manifesté aux hommes », de sorte qu’il vienne en nous et que nous méritions de régner dans le Christ, comme le dit Augustin à Proba. Aussi est-ce la même chose de demander cela et de dire : Montre ton visage, et nous serons sauvés, Ps 79, 8. C’est pourquoi cette demande se ramène à la sixième béatitude et au don d’intelligence. Mais, pour les actes de la vie, nous avons besoin d’une double aide. L’une est que nous soient donnés les biens par lesquels nous sommes aidés à bien agir. La deuxième est que soient enlevés les maux qui font obstacle. Or, un double bien nous est nécessaire pour la vie active. L’un qui ordonne directement à l’acte vertueux, comme le bien honnête lui-même. Cela est demandé par la troisième demande : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel, par laquelle, selon Augustin, nous demandons l’obéissance à Dieu afin que sa volonté soit accomplie par nous sur la terre, comme elle l’est par les anges dans le ciel. Selon lui, c’est donc la même chose de demander cela que de dire : Dirige mes pas selon ta parole, Ps 118, 133. Et cela se ramène à la cinquième béatitude, qui porte sur la miséricorde, car Dieu nous a surtout commandé la miséricorde, et, par conséquent, au don de conseil. L’autre [bien] sert d’instrument à la vertu, comme les secours temporels, par lesquels l’homme est aidé à bien agir. Cela relève de la quatrième demande, dans laquelle on dit : Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour, car Augustin dit au même endroit qu’en disant : aujourd’hui, on indique soit le temps pour lequel nous demandons ce qui suffit au Père qui déborde [de générosité] en signifiant le tout par le mot « pain », soit le sacrement des fidèles. C’est la même chose qui est demandée en Pr 30, 8 : Ne me donne ni la richesse ni la pauvreté, mais accorde-moi seulement ce qui m’est nécessaire pour vivre. Et cette demande se ramène à la quatrième béatitude, car ces aides à la vie sont ce qui nous soutient dans les labeurs de cette vie et, par conséquent, au don de force. Mais l’empêchement à la vie active est triple. Premièrement, le mal de la faute, passé pour ce qui est de l’acte, mais qui demeure, pour ce qui est de la culpabilité, par la tache et par la souillure. Contre un tel mal, l’aide est demandée par la cinquième demande dans laquelle on dit : Remets-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs. Là, comme le dit Augustin au même endroit, nous sommes avertis de ce que nous devons demander et de ce que nous devons faire afin de mériter. C’est ce qu’a demandé celui qui a dit, Ps 7, 5 : Si j’ai rendu le mal à ceux qui me font du bien, à juste titre je m’éloignerai de mes ennemis les mains vides. Et cela se ramène à troisième béatitude, qui porte sur les larmes, car, par elle, les péchés sont remis, et, par conséquent, au don de science. Deuxièmement, le mal à venir, car nous craignons ce qui incline au péché. À ce sujet, une aide est demandée dans la sixième demande lorsqu’on dit : Et ne nous soumets pas à la tentation, par laquelle, selon Augustin, nous demandons de ne pas consentir par tromperie à la tentation, abandonnés par l’aide divine, ou de ne pas céder alors que nous sommes affligés. C’est la même chose qui est demandée en Si 23, 6 : Enlève-moi les désirs du ventre. Et cela se ramène à la deuxième béatitude, qui porte sur la douceur, car les principales tentations pour le mal sont les désagréments causés par les proches, par lesquels nous sommes incités à leur nuire ; nous vainquons ces tentations par cette béatitude et, par conséquent, par le don de piété. Troisièmement, il y a le mal présent, quel qu’il soit. Contre lui, on demande une aide par la septième demande, par laquelle on dit : Mais délivre-nous du mal. Aussi Augustin dit-il que le chrétien, en quelque tribulation qu’il se trouve, profère sa plainte par cette demande. C’est la même chose qu’a demandée celui qui a dit dans Ps 58, 1 : Arrache-moi à mes ennemis, mon Dieu. Et cela se ramène à la béatitude qui porte sur la pauvreté en esprit, car il lui revient de demander de l’aide dans l’épreuve ; par conséquent, cela relève du don de crainte. Mais les trois dernières demandes peuvent se distinguer autrement, selon Augustin : la première d’entre elles demanderait une aide contre le mal de faute ; la deuxième, contre ce qui incline à la faute ; mais la troisième, contre le mal de peine. |
[12410] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum igitur
dicendum, quod in obedientia ad Deum, quae omne honestum actionis
complectitur, et contemplationis bona in hac vita incipiunt, et in futura
consummantur; et quantum ad hanc consummationem Augustinus dicit, quod per
tres primas petitiones petimus bona aeterna; in aliis autem petitionibus
petimus ea quae tantum in hac vita sunt. |
1. Par l’obéissance à Dieu, qui embrasse tout ce qui honnête dans l’action, les biens de la contemplation commencent en cette vie et sont consommés dans la vie future. Par rapport à cette consommation, Augustin dit que nous demandons des biens éternels par les trois premières demandes ; mais, dans les autres demandes, nous demandons ce qui n’existe qu’en cette vie. |
[12411] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod in hac oratione non solum petuntur habitus donorum: quia
petitiones horum habituum, quantum ad intellectum et sapientiam,
comprehenduntur in primis duabus petitionibus: sed quantum ad omnes habitus
donorum vel virtutum, qui dirigunt in vita activa, petuntur in tertia
petitione, quia omnes habitus operativi non sunt nisi ad obediendum Deo: sed
per singulas petitiones petuntur ea quae aliquo modo pertinent ad omnia dona. |
2. Dans cette prière, nous ne demandons pas seulement les habitus des dons, car les demandes de tels habitus, pour ce qui est de l’intelligence et de la sagesse, sont incluses dans les deux premières demandes ; mais, pour ce qui est de tous les habitus des dons ou des vertus, qui dirigent dans la vie active, ils sont demandés dans la troisième demande, car tous les habitus concernant l’action ne visent qu’à obéir à Dieu ; mais, par chacune des demandes, est demandé ce qui se rapporte de quelque manière à tous les dons. |
[12412] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
quamvis dona sint quaedam bona a Deo data, tamen ad hoc quod possint habere
debitas operationes, oportet quod a malis homo liberetur. |
3. Bien que les dons soient des biens donnés par Dieu, il faut cependant que l’homme soit libéré du mal pour qu’ils puissent avoir les opérations appropriées. |
[12413] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
duae petitiones pertinent ad cognitionem contemplativam; sed ad cognitionem
practicam non ponuntur aliquae petitiones pertinentes, eadem ratione qua nec
aliquae beatitudines, ut dictum est. |
4. Deux demandes se rapportent à la connaissance contemplative ; mais on ne présente pas de demandes se rapportant à la connaissance pratique pour la même raison qu’on ne présente pas des béatitudes, coomme on l’a dit. |
[12414] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod quamvis homo non habens virtutes, non possit dona impetrare ea merendo;
potest tamen impetrare per modum dispositionis ad illa; et iterum aliquis
habens virtutes et dona potest impetrare perseverantiam in eis. |
5. Bien qu’un homme qui ne possède pas les vertus ne puisse obtenir les dons en les méritant, il peut cependant les obtenir en s’y disposant. De plus, celui qui possède les vertus et les dons peut obtenir de persévérer en eux. |
[12415] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum,
quod, simpliciter loquendo, sunt septem petitiones, ut dictum est; non tamen
est inconveniens ut earum una aliquo modo includatur in alia, sicut aliquid
est in alio in potentia. |
6. À parler simplement, il existe sept demandes, comme on l’a dit. Il n’est cependant pas inapproprié que l’une d’elles soit d’une certaine manière incluse dans une autre, comme une chose existe dans une autre en puissance. |
[12416] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 ad 7 Ad septimum
dicendum, quod quia in resurrectione corporis praecipue et totaliter
participes erimus regni divini; ideo dicit Augustinus, quod secunda petitio
pertinet ad resurrectionem corporum, non quia directe corporis resurrectio
petatur. |
7. Parce que nous participerons principalement et entièrement au règne de Dieu par la résurrection du corps, c’est pourquoi Augustin dit que la deuxième demande se rapporte à la résurrection des corps, non qu’y soit directement demandée la résurrection du corps. |
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Expositio textus |
Explication du texte de Pierre
Lombard, Dist. 34
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[12417] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 1 a. 6 expos. Spiritus sapientiae et intellectus et cetera. Ratio ordinis ex praedictis patet. Combinationis autem
ratio haec est, quia simul combinantur dona duo, quorum unum dirigit alterum
sicut sapientia dirigit intellectum, proprie loquendo; consilium autem
fortitudinem per quamdam appropriationem: quia sicut praecipue consilio
indigemus in operationibus supererogationis, ita et in fortitudine: scientia
pietatem, quia neutrum sonat nisi id ad quod omnes tenentur. Timor autem,
quia est recessus a malo, ideo non indiget proprio directivo, ut ex dictis
patet; tamen, proprie loquendo, consilium et scientia dirigunt in omnibus
tribus donis exequentibus. Spiritus timoris. Hic specialiter dicitur Christum replevisse, quia propter suam
imperfectionem minus in ipso esse videbatur; ideo quia principaliter ad
patiendum venerat, quod per humilitatem est completum, quae pertinet ad donum
timoris domini. Quidam tamen
secundum effectum timorem in Christo et in Angelis tantum esse contendunt. Hoc est verum de timore secundum actum
affectus qui est timere separationem, et non quantum ad quemlibet actum
affectus, ut postea dicetur. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [Le don de crainte]
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Prooemium |
Prologue |
[12418] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 pr. Postquam determinavit de donis in generali, hic determinat de dono
timoris, qui propter sui multiplicem acceptionem, specialem difficultatem
habet. Dividitur autem haec pars in duas: primo determinat de timore in
generali; secundo autem de timore Christi specialiter, ibi: cum autem
fuerit in Christo timor poenae, quaeritur, an iste timor fuerit mundanus, vel
servilis, vel initialis. Prima in duas: in prima ponit distinctionem
timoris; in secunda solvit quamdam contrarietatem, ibi: et attende quod
quatuor hic distinguuntur timores. De his eisdem timoribus latius disputat
Augustinus. Hic ponit comparationem timorum ad invicem, et circa hoc duo
facit: primo comparat timores ad invicem; secundo ex dictis quamdam conclusionem
infert, ibi: illud quoque diligenter est notandum. Circa primum duo facit:
primo comparat timorem filialem ad servilem; secundo initialem ad utrumque,
ibi: in quibus etiam timorem initialem significavit. Circa primum
autem tria facit: primo ponit proprietatem timoris servilis; secundo ostendit
differentias timoris casti, vel filialis ad ipsum, ibi: est autem alia
sententia; tertio per similitudinem differentiam manifestat, ibi: non
potest melius explanare quid intersit inter hos duos timores, quam si ponas
duas mulieres maritatas et cetera. In quibus etiam initialem timorem
significavit. Hic comparat timorem initialem ad alios duos, et circa hoc
duo facit: primo ostendit distinctionem ejus ab utroque dictorum; secundo
ponit quamdam convenientiam ipsius ad timorem servilem, ibi: sciendum
autem est, quod uterque timor (...) in Scripturae diversis locis dicitur
initium sapientiae. Hic est duplex
quaestio. Prima de timore, de quo agitur hic. Secunda autem de aliis donis
exequentibus, scilicet pietate et fortitudine. Circa primum quaeruntur tria:
primo de timore in generali; 2 de timore servili; 3 de timore filiali. |
Après avoir déterminé des dons en général, [le Maître] détermine ici du don de crainte qui, en raison de sa multiple compréhension, comporte une difficulté particulière. Cette partie se divise en deux : premièrement, il détermine de la crainte en général ; deuxièmement, de la crainte du Christ en particulier, à cet endroit : « Mais puisqu’a existé chez le Christ la crainte de la peine, on se demande si cette crainte était mondaine, servile ou initiale. » La première partie se divise en deux : dans la première, il présente une distinction de la crainte ; dans la seconde, il résout une certaine contradiction, à cet endroit : « Et fais attention que quatre craintes sont ici distinguées. Augustin dispute plus longuement des mêmes craintes. » Ici, il présente une comparaison des craintes entre elles et, à ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il compare les craintes entre elles ; deuxièmement, il tire une conclusion de ce qui a été dit, à cet endroit : « Il faut aussi noter avec soin… » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il compare la crainte filiale et la crainte servile ; deuxièmement, la [crainte] initiale aux deux, à cet endroit : « Il a aussi indiqué par là crainte initiale. » À propos du premier point, il fait trois choses : premièrement, il présente une propriété de la crainte servivle ; deuxièmement, il montre les différences entre la crainte chaste ou filiale et elle, à cet endroit ; « On ne peut mieux expliquer la différence entre ces deux craintes qu’en présentant deux femmes mariées, etc. Il a aussi indiqué par là la crainte initiale. » Ici, il compare la crainte initiale aux deux autres et, à ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il montre qu’elle se distingue des deux qui ont été mentionnées ; deuxièmement, il présente un aspect qu’elle a en commun avec la crainte servile, à cet endroit : « Il faut cependant savoir que les deux craintes… En divers endroits de l’Écriture, on dit qu’elle est le commencement de la sagesse. » Ici, il y a deux questions. La première, sur la crainte dont il est question ici. La seconde, sur les autres dons qui exécutent : la piété et la force. À propos du premier point, trois questions sont posées : 1. Sur la crainte en général. 2 Sur la crainte servile. 3. Sur la crainte filiale. |
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Articulus 1 [12419] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a.
1 tit. Utrum
definitio Damasceni de timore sit bona |
Article 1 – La définition de la crainte donnée par [Jean] Damascène est-elle bonne ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 –
[[Jean] Damascène définit-il la crainte de manière appropriée ?]
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[12420] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod Damascenus inconvenienter timorem definiat, dicens: timor est
desiderium secundum systolem movens. Desiderium enim ad concupiscibilem
pertinet; timor autem est in irascibili. Ergo timor non est desiderium. |
1. Il semble que [Jean] Damascène définisse la crainte de manière inappropriée : « La crainte est un désir qui meut par contraction. » En effet, le désir relève du concupiscible, mais la crainte se trouve dans l’irascible. La crainte n’est donc pas un désir. |
[12421] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, desiderium est respectu boni. Sed objectum timoris est
malum; unde philosophus dicit in 3 Ethic., quod timor est expectatio mali. Ergo timor non est
desiderium. |
2. Le désir se rapporte au bien. Or, l’objet de la crainte est le mal ; ainsi le Philosophe dit-il, dans Éthique, III, que la crainte est l’attente du mal. La crainte n’est donc pas un désir. |
[12422] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, desiderium ad
persecutionem pertinet. Sed
timor est fuga mali, ut dicit Glossa, Joan. 10. Ergo timor non est
desiderium. |
3. Le désir est en rapport avec la poursuite. Or, la crainte est une fuite du mal, comme le dit la Glose, Jn 10. La crainte n’est donc pas un désir. |
[12423] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, secundum
systolem movere, est
movere secundum contractionem. Sed tractio cum sit motus corporalis cordis,
non est in omnibus in quibus est timor scilicet in Angelis. Ergo male definit
timorem. |
4. Mouvoir selon le systole, c’est mouvoir par contraction. Or, puisque la contraction est un mouvement du cœur, elle n’existe pas chez tous ceux où la crainte existe, à savoir, les anges. [Jean Damascène] définit donc mal la crainte. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 –[Le Maître distingue-t-il mal les parties de la crainte ?]
|
[12424] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod Magister
hic male distinguat timoris partes. Quia secundum philosophum, si unum
oppositorum dicitur multipliciter, et reliquum. Sed timor et spes sunt opposita.
Cum igitur spes non dicatur multipliciter, nec timor distingui debet. |
1. Il semble que le Maître distingue mal ici les parties de la crainte, car, selon le Philosophe, si l’un des contraires est dit de manière multiple, l’autre aussi l’est. Or, la crainte et l’espoir sont des contraires. Puisqu’on ne parle pas d’espoir de manière multiple, il ne faut donc pas non plus faire de distinction dans la crainte. |
[12425] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, passiones et actus et habitus diversificantur secundum
objecta. Sed idem est objectum timoris mundani, servilis, et initialis,
scilicet poena. Ergo videtur quod non debeant ad invicem distingui. |
2. Les passions, les actes et les habitus se distinguent selon leurs objets. Or, l’objet de la crainte mondaine, servile et initiale est le même, à savoir, la peine. Il semble donc qu’on ne doive pas les distinguer. |
[12426] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, perfectum et imperfectum circa amorem non diversificant
caritatem. Sed timor initialis et castus non differunt nisi secundum
perfectum et imperfectum. Ergo non debent distingui ad invicem. |
3. Ce qui est parfait et ce qui est imparfait dans l’amour ne diversifient pas la charité. Or, la crainte initiale et la crainte chaste ne se distinguent que selon le parfait et l’imparfait. Il ne faut donc pas les distinguer l’une de l’autre. |
[12427] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 4 Sed contra, videtur quod debuerit
plures partes timoris assignare. Timor enim ex concupiscentiis causatur. Sed
concupiscentia carnis contra concupiscentiam oculorum, quae est
concupiscentia mundi, dividitur 1 Joan. 22. Ergo mundanus timor, quo timemus
mundi bona perdere, debet distingui contra timorem carnis quo timemus carnis
pericula pati. |
4. Il semble que [le Maître] aurait dû attribuer davantage de parties à la crainte. En effet, la crainte est causée par les convoitises. Or, la convoitise de la chair est distinguée en 1 Jn 22 de la convoitise des yeux, qui est la convoitise du monde. La crainte mondaine, par laquelle nous craignons de perdre les biens du monde, doit donc être distinguée de la crainte de la chair, par laquelle nous craignons de subir des dangers de la chair. |
[12428] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 5 Praeterea, Magister ponit in fine lectionis timorem quemdam naturalem,
qui differt, secundum ipsum, ab omnibus aliis. Ergo videtur quod
insufficienter assignet tantum quatuor timores. |
5. En fin de leçon, le Maître présente la crainte naturelle, qui diffère, selon lui, de toutes les autres. Il semble donc qu’il indique de manière insuffisante quatre craintes seulement. |
[12429] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 6 Praeterea, Damascenus 2 Lib., assignat plures differentias, scilicet
segnitiem, erubescentiam, verecundiam, admirationem, stuporem, agoniam. Ergo
videtur quod haec divisio quae hic ponitur, sit insufficiens. |
6. Dans le livre II, [Jean] Damascène indique plusieurs différences : l’inertie, le rougissement, la honte, l’étonnement, la stupeur et l’agonie. Il semble donc que la division est donnée ici soit insuffisante. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La
crainte doit-elle être comptée parmi les dons ?]
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[12430] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod timor non debeat inter dona computari. Timor
enim ponitur una de quatuor principalibus passionibus. Sed nulla aliarum
ponitur donum, immo spes ponitur virtus, gaudium ponitur fructus, dolor
ponitur pars poenitentiae, scilicet contritio. Ergo nec timor similiter debet
poni donum. |
1. Il semble que la crainte ne doive pas être comptée parmi les dons. En effet, la crainte est présentée comme une des quatre passions principales. Or, aucune des autres n’est présentée comme un don ; bien plus, l’espérance est donnée comme une vertu, la joie comme un fruit, la douleur, à savoir, la contrition, comme une partie de la pénitence. La crainte ne doit donc pas non plus être donnée comme un don. |
[12431] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, dona dantur
nobis in adjutorium humanae infirmitatis. Sed ipse timor infirmitatem importat. Ergo non
debet dici donum. |
2. Les dons nous sont donnés comme une aide pour la faiblesse humaine. Or, la crainte elle-même comporte une faiblesse. Elle ne doit donc pas être appelée un don. |
[12432] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit: timor est amor fugiens quod ei
adversatur. Sed amor non est donum, immo virtus. Ergo nec timor donum debet poni. |
3. De plus, Augustin dit : « La crainte est l’amour qui fuit ce qui s’oppose à lui. » Or, l’amour n’est pas un don : il est plutôt une vertu. La crainte ne doit donc pas non plus être présentée comme un don. |
[12433] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Isai. 11, ubi
timor inter alia dona sancti spiritus nominatur. |
Cependant, [1] s’oppose à cela ce qui est dit en Is 11, où la crainte est nommée parmi les autres dons du Saint-Esprit. |
[12434] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, illud quod est principium
salutis, non est a nobis, sed donum Dei est, ut dicit Augustinus. Sed timor
est principium salutis; Isai. 26, 17: a timore tuo, domine, concepimus
spiritum salutis. Ergo timor est donum spiritus sancti. |
[2] Ce qui est le principe du salut ne vient pas de nous, mais est un don de Dieu, comme le dit Augustin. Or, la crainte est le principe du salut. Is 26, 7 : C’est par ta crainte, Seigneur, que nous avons conçu l’esprit du salut. La crainte est donc un don du Saint-Esprit. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
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[12435] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod
definitio data, secundum Damascenum, convenit omni timori. Sed quia nomina
passionum a passionibus sensitivae partis ad operationes superioris partis transferuntur,
ut supra dictum est, ideo videamus primo qualiter dicta definitio competat
timori qui est passio sensitivae partis. Quaelibet autem illarum passionum
pertinet ad appetitivam partem, sed inter eas est differentia, secundum
Avicennam in 6 de naturalibus, quia dispositiones cordis in quibusdam
passionibus sunt quasi activae, in quibusdam quasi passivae. Dispositio autem cordis activa est vel
secundum perfectionem cordis in seipso, sicut est amplitudo et dilatatio
cordis, quae est in gaudio; vel secundum etiam perfectionem cordis ad aliquid
agendum vel patiendum vel obtinendum, sicut est fortitudo cordis, quae
requiritur in audacia et spe. Dispositio autem passiva cordis per oppositum
est, vel secundum defectum ipsius in seipso, quae dicitur coangustatio, quae
requiritur in tristitia; vel secundum defectum ipsius per comparationem ad
aliquid agendum, quae dicitur debilitas cordis, quae requiritur in timore et
desperatione. Contractio autem significat motum alicujus ab alio, a quo
retrahitur in seipsum, ubi quodammodo congregatur; et ideo importat
dispositionem cordis quae est debilitas, per quam aliquas ab alio deficit, in
seipso consistens. Sic igitur patet intellectus definitionis Damasceni: quia
dixit desiderium ad significandum genus timoris, qui est actio, vel
motus appetitus. Quod autem dixit, secundum systolem movens,
differentiam propriam assignavit, quae a causa materiali ejus sumitur. Et per
hanc similitudinem dicitur etiam timor in spiritualibus, dum motus voluntatis
ab aliquo resilit, et in seipso consistit. |
Selon [Jean] Damascène, la définition donnée convient à toute crainte. Or, parce que les noms des passions sont reportés des passions de la partie sensible aux opérations de la partie supérieure, comme on l’a dit plus haut, voyons donc premièrement comment cette définition convient à la crainte qui est une passion de la partie sensible. Chacune de ces passions relève de la partie appétitive, mais il y a une différence entre elles, selon Avicenne, Sur les choses naturelles, VI, car les dispositions du cœur sont, dans certains passions, pour ainsi dire actives, mais, dans d’autres, pour ainsi dire passives. Or, une disposition active du cœur vient soit de la perfection du cœur en lui-même, comme le sont l’amplification et la dilatation du cœur qui existent dans la joie, soit aussi de la perfection du cœur en vue de supporter ou d’obtenir quelque chose, comme l’est la force du cœur, qui est exigée dans l’audace et l’espérance. Mais, en sens contraire, la disposition passive du cœur vient soit de sa propre carence, appelée rétrécissement, qui se rencontre nécessairement dans la tristesse, soit selon sa carence par comparaison à une action à poser, qui est appelée faiblesse du cœur, et qui se trouve nécessairement dans la crainte et dans le désespoir. Or, la contraction signifie un mouvement provoqué par quelque chose d’autre, par lequel on se retire en soi-même et, d’une certaine manière, on se recueille. Elle comporte donc une disposition du cœur qui est une faiblesse, par laquelle il est en carence de certaines [dispositions] venues d’un autre, en s’immobilisant en lui-même. Le sens de la définition de [Jean] Damascène ressort donc ainsi clairement, car il a parlé de « désir » pour signifier le genre de la crainte, qui est une action ou un mouvement de l’appétit. Mais en disant : « …qui meut selon le systole », il a donné la différence propre, qui se prend de sa cause matérielle. Selon cette ressemblance, on parle aussi de crainte pour les réalités spirituelles, lorsque le mouvement de la volonté recule devant quelque chose et s’immobilise en lui-même. |
[12436] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod
desiderium ponitur ibi large pro appetitu, qui communis est irascibili et
concupiscibili. |
1. « Désir » est pris ici au sens large pour appétit, qui est commun à l’irascible et au concupiscible. |
[12437] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Et per hoc patet solutio
ad secundum. |
2. La réponse au deuxième argument est ainsi claire. |
[12438] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod etiam in fuga est appetitus fugiendi, qui
hic desiderium dicitur. |
3. Même dans la fuite, il y a appétit de fuir, qui est appelé ici « désir ». |
[12439] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
in spiritualibus est contractio per similitudinem, ut dictum est in corp.
art. |
4. Pour les réalités spirituelles, il existe une contraction par ressemblance, comme on l’a dit dans le corps de l’article. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
|
[12440] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod timor hic
distinguitur secundum ordinem timentis ad Deum, cui per unum timorem magis
appropinquat vel distat, quam per alium. Cum enim timor in fuga mali
consistat; malum autem est poenae et culpae; erit timor quidam qui consistit
in fuga mali culpae tantum, per quam homo a Deo separatur, scilicet timor
castus vel filialis; alius autem qui consistit in fuga mali poenae. Poena
autem est duplex. Una pro cujus vitatione peccatum quandoque committitur,
sicut sunt temporales poenae; et hanc poenam refugit timor mundanus vel
humanus. Alia est pro cujus vitatione nunquam fit peccatum, sed magis
vitatur, sicut poena quae erit post hanc vitam; et hanc poenam fugit timor
servilis. Alius autem
timor est qui fugit utrumque malum, poenae scilicet et culpae, scilicet
initialis, qui habet oculum ad utrumque; et ideo est medius inter servilem et
castum. |
La crainte se distingue ici selon l’ordre de celui qui craint à Dieu, de qui il se rapproche ou s’éloigne par une crainte plutôt que par une autre. En effet, puisque la crainte consiste dans la fuite du mal et que le mal est soit [le mal] de peine, soit [le mal] de faute, il y aura une crainte qui consiste dans la fuite du mal de faute seulement, par laquelle l’homme est séparé de Dieu : c’est la crainte chaste ou filiale ; mais [il y aura] une autre [crainte] qui consiste dans la fuite du mal de peine. Or, la peine est double. L’une, à cause de laquelle le péché est parfois commis pour l’éviter, comme c’est le cas des peines temporelles : c’est cette peine que la crainte mondaine ou humaine fuit. L’autre, à cause de laquelle le péché n’est jamais commis pour l’éviter, mais est plutôt évité, comme c’est le cas de la peine qui existera après cette vie : c’est cette peine que fuit la crainte servile. Mais il existe une autre crainte qui fuit les deux maux, celui de peine et celui de faute : c’est la crainte initiale, qui regarde les deux. Elle est donc intermédiaire entre la crainte servile et la crainte chaste. |
[12441] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1
qc. 2 ad 1 Ad primum
igitur dicendum, quod malum contingit multifariam; bonum autem uno modo,
secundum Dionysium, et philosophum; et ideo spes quae respicit bonum, non ita
dividitur sicut timor qui respicit malum. |
1. Le mal se produit de multiples façons, mais le bien d’une seule façon, selon Denys et le Philosophe. C’est pourquoi l’espérance, qui concerne le bien, ne se divise pas comme la crainte, qui concerne le mal. |
[12442] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non eadem poena est quam respicit timor
mundanus et servilis, ut ex dictis patet. Servilis vero et initialis eamdem
poenam respiciunt; sed servilis tamquam principale objectum, initialis autem
non, sed magis malum culpae; unde magis se tenet cum casto timore quam cum
servili. |
2. Ce n’est pas la même peine que considère la crainte mondaine et la crainte servile, comme cela ressort de ce qui a été dit. La crainte servile et la crainte initiale considèrent cependant la même peine, mais la crainte servile, comme objet principal, alors que la crainte initiale considère plutôt le mal de faute. Elle se rapproche donc davantage de la crainte chaste que de la crainte servile. |
[12443] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod timor initialis distinguitur a casto, non
secundum quod imperfecte se habet ad id quod perfecte se habet castus timor;
sed quia se habet etiam ad aliud objectum, quamvis ex consequenti, ut dictum
est. |
3. La crainte initiale se distingue de la crainte chaste, non pas par un rapport imparfait à ce avec quoi la crainte chaste a un rapport parfait, mais parce qu’elle se rapporte aussi à un autre objet, bien que par mode de conséquence, comme on l’a dit. |
[12444] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
timor mundanus secundum speciem naturae ab humano distinguitur; sed in eodem
gradu ponuntur secundum propinquitatem ad meritum et demeritum, secundum quod
hic timores distinguuntur. |
4. La crainte mondaine se distingue de la crainte humaine selon l’espèce ; mais elles sont placées au même degré par leur proximité avec le mérite et le démérite, selon que les craintes sont ici distinguées. |
[12445] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod natura salvatur etiam in merito et demerito;
et ideo timor naturalis non ponit aliquem gradum distantiae vel
propinquitatis ad meritum vel demeritum; et propter hoc de ipso non facit
mentionem in divisione prima. |
5. La nature est aussi sauvegardée dans le mérite et le démérite. C’est pourquoi la crainte naturelle ne présente pas de degré dans la distance ou la proximité par rapport au mérite ou au démérite. Pour cette raison, [le Maître] ne la mentionne pas dans la première division. |
[12446] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod
illae partes timoris assignantur secundum objecta. Sic autem non intendit hic
dividere timorem, sed sicut dictum est in corp. |
6. Ces parties de la crainte sont attribuées selon les objets. Mais il n’entend pas ici diviser ainsi la crainte, comme on l’a dit dans le corps. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
|
[12447] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem
dicendum, quod timor mundanus et humanus, cum sint inordinati, non possunt
esse donum spiritus sancti; sed sunt vel passiones vel electiones similes
passionibus, aut etiam habitus, secundum quod habitus nomine operationis vel
passionis nominantur. Similiter etiam timor servilis non pertingit ad
perfectionem doni, sicut nec fides informis ad perfectam rationem virtutis.
In omni enim virtute hoc est commune, secundum philosophum, quod virtuosus
operatur boni gratia, vel propter turpis vitationem. Timor autem servilis
operatur bonum non propter fugam turpis, sed propter fugam tristis; unde
deficit a perfectione virtutis, et multo amplius a perfectione doni, quod est
virtute perfectius. Timor autem castus, et initialis secundum quod participat
timorem castum, habet rationem doni: cujus ratio est, quod altiori mensura
suos actus modificat quam fit mensura humana. Mensura enim humanorum operum est rationis bonum; unde virtuosus
abstinet a malis, fugiens et timens inconveniens rationis, quod est turpe; et
iste timor est annexus cuilibet virtuti. Sed timor qui est donum, facit
abstinere a malis propter fugam inconvenientis, quod est in separatione a
Deo; et ideo ipsum Deum habet pro mensura suae operationis. Et quia modus a
mensura causatur, ideo operatur supra humanum modum, et propter hoc est
donum. |
La crainte mondaine et humaine, puisqu’elles sont désordonnées, ne peuvent pas être un don du Saint-Esprit, mais elles sont soit des passions, soit des choix semblables à des passions, ou même des habitus, selon que les habitus sont désignés par le nom de l’opération ou de la passion. De même, la crainte servile n’atteint pas la perfection d’un don, pas davantage que la foi informe ne parvient à la raison parfaite de vertu. En effet, en toute vertu il y a ceci de commun, selon le Philosophe, que le vertueux agit en raison du bien ou pour éviter ce qui est honteux. Or, la crainte servile fait le bien, non pas pour fuir ce qui est honteux, mais pour fuir ce qui est triste. Elle a donc une carence par rapport à la perfection de la vertu, et encore bien davantage par rapport à la perfection d’un don, qui est plus parfait que la vertu. Mais la crainte chaste et la crainte initiale, pour autant qu’elle participe à la crainte chaste, ont le caractère de don : la raison en est qu’elle modifie ses actes selon une mesure plus élevée que ne le fait une mesure humaine. En effet, la mesure des actes humains est le bien de la raison ; aussi le vertueux s’abstient-il de ce qui est mal, en fuyant et en craignant ce qui ne convient pas à la raison, ce qui est honteux. Cette crainte est associée à toutes les vertus. Mais la crainte qui est un don fait qu’on s’abstient de ce qui est mal pour fuir ce qui ne convient pas, ce qui consiste dans la séparation d’avec Dieu. C’est pourquoi elle a Dieu comme mesure de sa propre opération. Et parce que le mode est causé par la mesure, elle agit donc selon un mode surhumain. Pour cette raison, elle est un don. |
[12448] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod timor secundum quod est passio, non
est donum, sed secundum quod est habitus quidam a Deo infusus. Similiter
etiam neque spes secundum quod est passio, est virtus, sed secundum quod est
habitus quidam perficiens ad actum similem passioni, quae est spes. Dolor autem
qui est passio sensitivae partis, non est pars poenitentiae, quamvis etiam
talis possit esse poenitentiae adjuncta; sed dolor in rationali parte
consistens, qui est operatio magis quam passio. Gaudium etiam quod est in
parte sensitiva animae non est fructus; sed quod est in ratione, non potest
dici passio, proprie loquendo, quamvis aliquid habeat de similitudine
passionis. |
1. La crainte, selon qu’elle est une passion, n’est pas un don, mais selon qu’elle est un habitus infusé par Dieu. De même aussi l’espoir, selon qu’il est une passion, n’est-il pas une vertu, mais selon qu’il est un habitus perfectionnant en vue d’un acte qui ressemble à une passion, et qui est l’espérance. Cependant, la douleur qui est une passion de la partie sensible n’est pas une partie de la pénitence, bien qu’elle puisse être associée à la pénitence. Mais la douleur qui réside dans la partie raisonnable [l’est] : elle est une opération plutôt qu’une passion. La joie qui est aussi dans la partie sensible de l’âme n’est pas un fruit ; mais celle qui existe dans la raison ne peut être appelée une passion, au sens propre, bien qu’elle ait quelque chose qui ressemble à une passion. |
[12449] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod timor eorum quae sunt sub homine, ad
infirmitatem hominis pertinet; sed timor Dei, qui est supra hominem, non est
infirmitatis, sed maximae perfectionis in ipso: quia in hoc ipso inferius
perfectissimum est quod suo superiori maxime subditur. |
2. La crainte de ce qui est inférieur à l’homme relève de la faiblesse de l’homme ; mais la crainte de Dieu, qui est supérieur à l’homme, ne relève pas de la faiblesse, mais de la plus grande perfection qui soit en lui, car ce qui est inférieur est d’autant plus parfait qu’il se soumet davantage à ce qui lui est supérieur. |
[12450] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod timor Dei est amor, non essentialiter
loquendo, sed per causam: quia amor est causa timoris. |
3. La crainte de Dieu est un amour, non pas à parler essentiellement, mais selon sa cause, car l’amour est cause de la crainte. |
|
|
Articulus 2 [12451] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a.
2 tit. Utrum timor
servilis sit a spiritu sancto |
Article 4 – La crainte servile vient-elle du Saint-Esprit ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La
crainte servile vient-elle du Saint-Esprit ?]
|
[12452] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod
timor servilis non sit a spiritu sancto. Quidquid enim est a spiritu sancto,
potest esse simul cum ipso. Sed timor servilis non habetur simul cum spiritu
sancto, qui sine caritate non habetur, cum qua non est timor servilis. Ergo
timor servilis non est a spiritu sancto. |
1. Il semble que la crainte servile ne vienne pas du Saint-Esprit. En effet, tout ce qui vient de l’Esprit saint peut exister en même temps que lui. Or, la crainte servile n’existe pas en même temps que l’Esprit saint : elle n’existe pas sans la charité, avec laquelle il n’existe pas de crainte servile. La crainte servile ne vient donc pas de l’Esprit saint. |
[12453] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut Deus propter seipsum amandus est, ita propter seipsum
timendus est. Sed amor mercenarius quo quis amat Deum propter bona
temporalia, non est a spiritu sancto, cum sit illicitus: quia plus amantur
illa bona temporalia quam Deus. Ergo et timor servilis, quo Deus propter
poenas timetur, non est a spiritu sancto. |
2. De même que Dieu doit être aimé pour lui-même, de même doit-il être craint pour lui-même. Or, l’amour mercenaire, par lequel quelqu’un aime Dieu pour des biens temporels, ne vient pas de l’Esprit saint, puisqu’il est défendu, puisque ces biens temporels sont davantage aimés que Dieu. La crainte servile, par laquelle Dieu est craint en raison des peines, ne vient donc pas non plus de l’Esprit saint. |
[12454] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, illud quod nascitur ex radice peccati, non est a spiritu
sancto. Sed timor servilis ex timore nascitur, qui est radix peccati; unde
super illud Job 3, 2: quare non in vulva mortuus sum? etc., dicit
Gregorius: cum ex peccato praesens poena metuitur, et amissa Dei facies
non amatur, timor ex tumore est, non autem ex humilitate. Ergo videtur
quod timor servilis non sit a spiritu sancto. |
3. Ce qui provient de la racine du péché ne vient pas de l’Esprit saint. Or, la crainte servile naît de la crainte qui est la racine du péché. Aussi, à propos de Jb 3, 2 : Pourquoi ne suis-je pas mort dans le sein ? Grégoire dit-il : « Puisque la peine présente est redoutée en raison du péché et que le visage de Dieu n’est pas aimé, la crainte vient d’une enflure (timor ex tumore), mais non de l’humilité. » Il semble donc que la crainte servile ne vienne pas de l’Esprit saint. |
[12455] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Rom. 8: non accepistis
spiritum servitutis etc., Glossa: unus spiritus est, qui facit duos
timores, scilicet servilem, et castum. Sed castus timor constat quod est
a spiritu sancto. Ergo et servilis. |
Cependant, [1] à propos de Rm 8 : Vous n’avez pas reçu un Esprit de servitude, etc., la Glose dit : « Il n’y a qu’un seul Esprit, qui suscite deux craintes : la crainte servile et la crainte chaste. » Or, la crainte chaste vient manifestement de l’Esprit saint. Donc, la crainte servile aussi. |
[12456] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, non est minus timere Deum quam
credere. Sed fides, etiam informis, est a spiritu sancto. Ergo et timor
servilis est a spiritu sancto. |
[2] Craindre Dieu n’est pas moindre que croire [en lui]. Or, la foi, même informe, vient de l’Esprit saint. La crainte servile aussi vient donc de l’Esprit saint. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 –
[L’usage de la crainte servile est-il bon ?]
|
[12457] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod usus
timoris servilis non sit bonus. Usus enim bonus est quo fit bonum, et bene.
Sed secundum Augustinum super illud Rom. 8, non accepistis spiritum
servitutis etc., in timore servili etiam si aliquid fiat bonum, non tamen
bene. Ergo usus ejus est malus. |
1. Il semble que l’usage de la crainte servile ne soit pas bon. En effet, l’usage bon est ce par quoi on fait le bien et on le fait bien. Or, selon Augustin, à propos de Rm 8 : Vous n’avez pas reçu un Esprit de servitude, etc., par la crainte servile, même si on fait quelque chose de bon, on ne le fait cependant pas bien. Son usage est donc mauvais. |
[12458] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, omnis actus timoris ex aliquo amore procedit. Sed actus
timoris servilis non procedit ex amore caritatis. Ergo procedit ex amore
libidinoso: ergo est malus. |
2. Tout acte de crainte procède d’un certain amour. Or, l’acte de la crainte servile ne procède pas de l’amour de charité. Il procède donc d’un amour dissolu. Il est donc mauvais. |
[12459] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, una
circumstantia indebita facit totum actum malum. Sed actus timoris servilis videtur esse
serviliter timere, quae est circumstantia turpis. Ergo usus timoris servilis
est malus. |
3. Une seule circonstance indue rend tout l’acte mauvais. Or, l’acte de crainte servile semble être de craindre de manière servile, ce qui est une circonstance mauvaise. L’usage de la crainte servile est donc mauvais. |
[12460] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, cujus usus malus est, ipsum
etiam malum est: quia non potest arbor bona fructus malos facere;
Matth. 7, 7. Sed timor servilis est bonum, cum sit a Deo. Ergo usus ejus
bonus est. |
Cependant, [1] ce dont l’usage est mauvais est soi-même mauvais, car un arbre bon ne peut pas porter des fruits mauvais, Mt 7, 7. Or, la crainte servile est quelque chose de bon, puisqu’elle vient de Dieu. Son usage est donc bon. |
[12461] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, usus timoris
servilis est abstinere a peccato, et ad sapientiam introducere. Hoc autem est bonum. Ergo usus servilis
timoris est bonus. |
[2] L’usage de la crainte servile consiste à s’abstenir du péché et introduire dans la sagesse. Or, cela est bon. L’usage de la crainte servile est donc bon. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La
crainte servile disparaît-elle lorsque survient la charité ?]
|
[12462] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod timor servilis non tollatur adveniente
caritate. Timor enim servilis a fide informi consurgit. Sed fides informis
manet secundum substantiam habitus, et formatur caritate quae advenit. Ergo
et timor non expellitur caritate adveniente. |
1. Il semble que la crainte servile n’est pas enlevée lorsque survient la charité. En effet, la crainte servile provient de la foi informe. Or, la foi informe demeure selon la substance de l’habitus et elle est formée lorsque survient la charité. La crainte n’est donc pas non plus chassée lorsque la charité survient. |
[12463] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, per caritatem advenientem non tollitur nisi peccatum, et
quod est ex peccato introductum. Hoc autem non est timor servilis, cum sit a
Deo. Ergo non expellitur caritate adveniente. |
2. Lorsque survient la charité, seul le péché est chassé et ce qui est introduit par le péché. Or, tel n’est pas le cas de la crainte servile, puisqu’elle vient de Dieu. Elle n’est donc pas chassée lorsque survient la charité. |
[12464] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, quod se habet ex additione ad aliud, includit illud, et non
tollit. Sed timor
initialis se habet ex additione ad servilem: quia timet poenam sicut
servilis, et ulterius separationem. Ergo timore initiali adveniente, non expellitur timor servilis. Ergo
nec adveniente caritate, sine qua non est timor initialis. |
3. Ce qui vient de l’ajout à une autre chose l’inclut et ne l’enlève pas. Or, la crainte initiale vient d’un ajout à la crainte servile, car elle craint la peine comme la [crainte] servile, et en plus, la séparation. La crainte servile n’est donc pas chassée lorsque survient la crainte initiale. Elle ne l’est donc pas lorsque survient la charité, sans laquelle il n’existe pas de crainte initiale. |
[12465] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Augustinus in
littera, quod adveniente caritate pellitur timor servilis. |
Cependant, [1]Augustin dit dans le texte que, lorsque survient la charité, la crainte servile est chassée. |
[12466] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, libertas non compatitur secum
servitutem. Sed caritas adveniens libertatem facit: quia ubi spiritus
domini, qui sine caritate non est, ibi libertas; 2 Corinth., 3,
17. Ergo timor servilis expellitur adveniente caritate. |
[2] La liberté ne supporte pas la servitude. Or, lorsque survient la charité, elle donne la liberté, car là où est l’Esprit du Seigneur, qui n’existe pas sans la charité, là est la liberté, 2 Co 3, 17. La crainte servile est donc chassée lorsque survient la charité. |
[12467] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 3 Praeterea, nullus principaliter timens
poenam, habet caritatem. Sed quicumque habet timorem servilem, est hujusmodi.
Ergo et cetera. |
[3] Personne craignant principalement la peine n’a la charité. Or, quiconque a une crainte servile est de cette sorte. Donc, etc. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
|
[12468] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem,
quod secundum philosophum in 1 Metaph., liber est qui sui causa est; servus
autem per contrarium intelligendus est qui alterius causa est, et non sui.
Sumus autem causa eorum quae ad nos pertinent per voluntatem: unde illud
dicitur aliquis facere libere quod spontanea voluntate facit; illud autem
serviliter ad quod faciendum sibi voluntas deest: facit autem illud coactus
ab alio violentia vel metu; et ideo cum tristitia, quia omne coactum est
contra voluntatem et triste, ut dicitur in 5 Metaph.: et secundum hoc dicitur
aliquis ex libertate spiritus aliquid facere, quia beneplacito suae
voluntatis delectabiliter facit; timore autem servili, quod facit coactus
metu poenae, et per consequens cum tristitia: mallet enim non facere, nisi
poena timeretur. Patet igitur quod servilitas ex illa parte consequitur
timorem qua ad aliquid faciendum vel dimittendum inclinat. Haec autem
inclinatio non intrat essentiam timoris, sed est effectus ejus; essentiam
vero suam habet ex comparatione ad proprium objectum, quod est poena aeterna,
quam fides indicat. Unde servilitas est accidens timoris, et non intrat
essentiam ejus: et ideo essentia ejus bona est, quia refugere poenas aeternas
non est nisi bonum. Unde servilis timor secundum essentiam suam est a spiritu
sancto non tamen donum spiritus sancti, nisi communiter loquendo, ut dicimus,
omne quod a spiritu sancto datur, donum ejus esse. Sic autem non loquimur de
donis. Sed illa servilitatis conditio quae includit privationem voluntatis
justitiae, non est a spiritu sancto. |
Selon le Philosophe, dans Métaphysique, I, est libre celui qui est cause de soi-même ; mais il faut comprendre par le contraire qu’est esclave celui qui est cause d’un autre, mais non de soi-même. Or, nous sommes cause de ce qui relève de nous par la volonté. C’est pourquoi on dit que quelqu’un fait librement quelque chose lorsqu’il le fait avec une volonté spontanée, mais qu’il l’accomplit de manière servile lorsque la volonté de le faire lui fait défaut. Mais il accomplit cela de force lorsqu’il subit une violence ou une crainte de la part d’un autre. C’est pourquoi il le fait avec tristesse, car tout ce qui est forcé est contraire à la volonté et triste, comme on le dit dans Métaphysique, V. On dit ainsi que quelqu’un accomplit quelque chose selon la liberté de son esprit parce qu’il le fait avec plaisir selon le bon plaisir de sa volonté ; mais [il accomplit] par la crainte servile ce qu’il accomplit poussé par la crainte de la peine et, par conséquent, avec tristesse. En effet, il préférerait ne pas l’accomplir s’il ne craignait pas la peine. Il est donc clair que la servilité découle de la crainte par laquelle elle incline à accomplir ou à laisser quelque chose de côté. Or, cette inclination ne fait pas partie de l’essence de la crainte, mais elle en est l’effet ; elle tient cependant son essence de son rapport à son objet propre, qui est la peine éternelle, que la foi indique. La servilité est donc un accident de la crainte et ne fait pas partie de son essence. C’est pourquoi son essence est bonne, car fuir les peines éternelles ne peut être qu’un bien. Selon son essence, la crainte servile vient donc du Saint-Esprit ; elle n’est cependant pas un don du Saint-Esprit, à moins de parler d’une manière générale en disant que tout ce qui est donné par le Saint-Esprit est un don de sa part. Mais nous ne parlons ainsi des dons. Toutefois, la condition de servilité qui comporte une privation de la volonté de justice, ne vient pas du Saint-Esprit. |
[12469] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quaedam sunt a spiritu sancto quae non
sunt cum spiritu sancto, sicut fides informis, et timor servilis: quod quidem
non est nisi propter defectum comitantem: quaedam vero sunt a spiritu sancto
et cum ipso sunt, sicut caritas; quaedam vero cum ipso, sed non ab ipso,
sicut peccatum veniale; quaedam vero nec ab ipso nec cum ipso, sicut mortale. |
1. Certaines choses viennent du Saint-Esprit sans être accompagnées du Saint-Esprit, comme la foi informe et la crainte servile. Cela n’est dû qu’à la carence qui les accompagne. Mais certaines viennent du Saint-Esprit et l’accompagnent, comme la charité. Certaines choses l’accompagnent, mais elles ne sont pas de lui, comme le péché véniel. Enfin, certaines ne viennent pas de lui et ne l’accompagnent pas, comme le péché mortel. |
[12470] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod objectum amoris est bonum; sed objectum
timoris, prout nunc loquimur, est malum quod fugitur. In Deo autem est
bonitatem invenire; et ideo est propter seipsum et non propter aliud
diligendus. Sed nullum malum in ipso est; est autem ab ipso aliquod malum,
scilicet malum poenae: et ideo propter poenam quam infligit, Deum timere, non
est malum secundum se. Quomodo autem timore reverentiae bonum excellens timeatur, infra, art.
3, quaestiunc. 4, dicetur. |
2. L’objet de l’amour est le bien; mais l’objet de la crainte, comme nous en parlons maintenant, est un mal qui est fui. Or, c’est en Dieu qu’on trouve la bonté. C’est pourquoi il doit être aimé pour lui-même et ne doit pas être aimé pour autre chose. Or, il n’y a en lui aucun mal. Toutefois, un mal vient de lui : le mal de peine. C’est pourquoi craindre Dieu en raison de la peine qu’il inflige n’est pas un mal en soi. Comment un bien excellent est craint d’une crainte révérentielle, on le dira plus loin, a. 3, q. 4. |
[12471] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Gregorius loquitur de timore ratione servilitatis, inquantum scilicet peccatum
voluntatem retinet: quod patet ex hoc quod praemissis verbis subjungit: superbit
quippe qui peccatum, si liceat non puniri, non deserit. Vel dicendum,
quod timor ille ex quo nascitur timor servilis poenae, quantum ad actum suum
non est timor inordinatus, qui est radix peccati; sed est timor naturalis,
quo quis omne nocivum naturaliter refugit. |
3. Grégoire parle de la crainte en raison de la servilité, pour autant que le péché retient la volonté. Cela ressort de ce qu’il ajoute aux paroles déjà dites : « Il s’enorgueillit, celui qui n’abandonne pas le péché s’il peut ne pas être puni. » Ou bien il faut dire que cette crainte dont provient la crainte servile de la peine n’est pas une crainte désordonnée, racine du péché, pour ce qui est de son acte, mais qu’elle est une crainte naturelle par laquelle quelqu’un fuit naturellement tout ce qui est nuisible. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
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[12472] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a.
2 qc. 2 co. Ad secundam
quaestionem dicendum, quod quidquid est de substantia habitus, oportet quod
in actu ejus elucescat, eo quod quales sunt habitus, tales actus reddunt, ut
dicitur in 2 Ethic.: non autem oportet quod omne quod accidit alicui habitui,
semper in actu ejus manifestetur; sicut fidei informi accidit habere aliquid
repugnans caritati; non tamen oportet quod semper in actu ejus caritati
repugnans aliquid inveniatur. Cum igitur servilitas timoris habitui accidat
ex imperfectione subjecti, ut ex dictis patet, non oportet quod actus ejus
semper conditiones servilitatis in se habeat; sed poterit habere bonitatem
proportionatam substantiae sui habitus, non scilicet meritoriam, sicut nec
habitus habet bonitatem gratuitam. Et quia habitus perfectam rationem
bonitatis non habet, ideo defectus alicujus debitae bonitatis in actu, sive
deordinatio aliqua, non repugnat substantiae habitus, sicut repugnat omnis
actus inordinatus habitui virtutis, qui habet bonitatem perfectam. Et propter
hoc virtutis usus semper est bonus, peccati autem semper est malus; sed
timoris servilis actus potest esse et bonus et malus. |
Tout ce qui fait partie de la substance d’un habitus doit se manifester dans son acte, du fait que tels sont les habitus, tels ils rendent les actes, comme il est dit dans Éthique, II. Mais il n’est pas nécessaire que tout ce qui s’ajoute à un habitus se manifeste toujours dans son acte. Ainsi, il arrive à la foi informe d’avoir quelque chose qui s’oppose à la charité ; cependant, il n’est pas nécessaire de toujours trouver dans son acte quelque chose qui s’oppose à la charité. Puisque la servilité de la crainte s’ajoute à l’habitus en raison de l’imperfection de son sujet, comme cela ressort de ce qui a été dit, il n’est donc pas nécessaire que son acte ait toujours en lui-même les conditions de la servilité, mais il pourra avoir une bonté proportionnée à la substance de son habitus, à savoir, non méritoire, de même que l’habitus ne possède pas une bonté gratuite. Et parce que l’habitus ne possède la raison parfaite de bonté, sa carence d’une bonté nécessaire dans son acte ou un certain désordre ne s’oppose pas à la substance de l’habitus, comme tout acte désordonné s’oppose à l’habitus d’une vertu qui possède une bonté parfaite. Pour cette raison, l’usage de la vertu est toujours bon, mais celui du péché est toujours mauvais ; mais l’acte de la crainte servile peut être bon et mauvais. |
[12473] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus loquitur quando aliquid fit
timore servili ratione suae servilitatis. |
1. Augustin parle du cas où quelque chose est accompli par crainte servile en raison de sa servilité. |
[12474] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod actus timoris servilis quando bonus est,
non est ex amore gratuito, neque ex amore libidinoso, sed ex amore naturali, quo
quis vult consistentiam et bene esse sui subjecti; et ideo horret omnem
poenam, sive quam experientia docet, sicut in naturali timore, sive quam
fides demonstrat, sicut in servili. |
2. Lorsqu’il est bon, l’acte de la crainte servile ne vient pas de l’amour gratuit, ni de l’amour dissolu, mais de l’amour naturel, par lequel on veut la solidité et le bien-être de son sujet. Aussi a-t-il en horreur toute peine, soit celle que l’expérience enseigne, comme dans le cas de la crainte naturelle, soit celle que la foi montre, comme dans la crainte servile. |
[12475] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non semper timere serviliter est actus
timoris servilis, ut ex dictis patet. |
3. Craindre de manière servile n’est pas toujours un acte de la crainte servile, comme cela ressort de ce qui a été dit. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
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[12476] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem
dicendum, quod timor servilis manet adveniente caritate quantum ad
substantiam, sed non quantum ad servilitatem. Constat enim quod homo
caritatem habens timet poenas aeternas, quod erat proprium objectum ejus
quantum ad substantiam habitus: quod enim haec plus quam alia timeat, non est
de ratione habitus, sed de ratione servilitatis. |
La crainte servile demeure quant à sa substance, lorsque survient la charité, mais non quant à la servilité. En effet, il est clair que l’homme qui a la charité craint les peines éternelles, ce qui était l’objet propre [de la crainte servile] quant à la substance de l’habitus. Qu’il craigne cela plus que d’autres choses, cela ne relève pas de la raison de l’habitus, mais de la raison de la servilité. |
[12477] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 2 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio ad utramque partem
rationum. |
La solution aux deux parties des arguments ressort ainsi clairement. |
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Articulus 3 [12478] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a.
3 tit. Utrum timor
castus sit idem in substantia cum timore servili |
Article 3 – La crainte chaste est-elle la même chose que la crainte servile ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La
crainte chaste est-elle la même chose que la crainte servile ?]
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[12479] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod timor castus sit idem in substantia cum timore
servili. Sicut enim se habet timor servilis ad fidem informem, ita timor
castus se habet ad fidem formatam. Ergo commutatim, sicut se habet fides
informis ad fidem formatam, ita se habet timor servilis ad castum. Sed fides formata
est idem in substantia cum fide informi. Ergo et timor castus cum servili. |
1. Il semble que la crainte chaste soit la même chose en substance que la crainte servile. En effet, le rapport de la crainte servile à la foi informe est le même que celui de la crainte chaste à la foi formée. En d’autres termes, le rapport de la foi informe à la foi formée est le même que celui de la crainte servile à la crainte chaste. Or, la foi formée est par sa substance la même chose que la foi informe. La crainte chaste est donc aussi [en substance la même chose que] la [crainte] servile. |
[12480] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, separatio a
Deo, quam timet timor castus,
includitur in poena aeterna, quam timet timor servilis. Sed sicut se habent
objecta, ita se habent habitus. Ergo timor castus includitur in timore
servili, et ita non differunt secundum substantiam. |
2. La séparation de Dieu, que craint la crainte chaste, fait partie de la peine éternelle, que craint la crainte servile. Or, le rapport entre les objets est le même que le rapport entre les habitus. La crainte chaste fait donc partie de la crainte servile, et ainsi elles ne diffèrent pas en substance. |
[12481] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ea quorum unum est ratio alterius, ad eumdem habitum
pertinent, sicut dilectio Dei et proximi. Sed separatio a Deo est ratio omnis
poenae aeternae. Ergo ad eumdem habitum pertinent; ergo timor castus et
servilis non differunt secundum substantiam habitus. |
3. Ce dont une chose est la raison d’une autre relève du même habitus, comme l’amour de Dieu et du prochain. Or, la séparation de Dieu est la raison de toute peine éternelle. Elles relèvent donc du même habitus. La crainte chaste et la crainte servile ne diffèrent donc pas selon la substance de l’habitus. |
[12482] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, plus distat a perfectione doni timor servilis quam virtus,
quae est timore servili perfectior, ut dictum est. Sed donum timoris differt secundum substantiam
habitus a virtute. Ergo multo fortius a timore servili. |
Cependant, [1] la crainte servile est plus éloignée de la perfection du don que la vertu, qui est plus parfaite que la crainte servile, comme on l’a dit. Or, le don de crainte diffère de la vertu selon la substance de l’habitus. À bien plus forte raison [diffère-t-il] donc de la crainte servile. |
[12483] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, habitus diversificantur per
actus et objecta. Sed inhonestum vel turpe, quod timet timor castus, et
triste, sive poenale, quod timet servilis timor, non dicuntur malum una
ratione, neque univoce. Ergo timor servilis et castus non sunt idem habitus. |
[2] Les habitus se diversifient selon leurs actes et leurs objets. Or, ce qui est malhonnête ou honteux, que craint la crainte chaste, et ce qui est triste ou a le caractère de peine, que craint la crainte servile, ne sont pas appelés des maux pour une seule raison, ni de manière univoque. La crainte servile et la crainte chaste ne sont donc pas les mêmes habitus. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La
crainte initiale diffère-t-elle de la crainte chaste par sa substance ?]
|
[12484] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3
qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod initialis differat secundum substantiam a
casto. Initialis enim includit servilem, quia timet poenam. Sed servilis
secundum substantiam habitus differt a casto. Ergo et initialis. |
1. Il semble que la crainte initiale diffère de la crainte chaste par sa substance. En effet, la crainte initiale comprend la crainte servile, car elle craint la peine. Or, la crainte servile diffère de la crainte chaste par la substance de l’habitus. Donc, la crainte initiale aussi. |
[12485] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, idem non dividitur contra seipsum. Sed timor castus in
littera dividitur contra initialem. Ergo non est idem secundum substantiam cum ipso. |
2. Une même chose n’est pas distincte d’elle-même. Or, la crainte chaste est distinguée de la crainte initiale dans le texte. Elle n’est donc pas la même chose qu’elle par sa substance. |
[12486] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut initialis est perfectior servili, ita castus est
perfectior initiali. Sed initialis non est idem cum servili: si enim sit
idem, non erit idem cum casto, qui differt secundum substantiam a servili, ut
probatum est. Ergo et castus
non est idem cum initiali. |
3. De même que la crainte initiale est plus parfaite que la crainte servile, de même la crainte chaste est-elle plus parfaite que la crainte initiale. Or, la crainte initiale n’est pas la même chose que la crainte servile. En effet, si elle est la même chose, elle ne sera pas la même chose que la crainte chaste par sa substance, comme on l’a démontré. La [crainte] chaste aussi n’est donc pas la même chose que la [crainte] initiale. |
[12487] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, perfectum et imperfectum non
variat substantiam habitus. Sed timor castus et initialis differunt secundum
perfectum et imperfectum. Ergo non differunt secundum substantiam habitus. |
Cependant, [1] le parfait et l’imparfait ne diversifient pas la substance d’un habitus. Or, la crainte chaste et la crainte intiale diffèrent selon le parfait et l’imparfait. Elles ne diffèrent donc pas par la substance de l’habitus. |
[12488] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, habitus distinguuntur per actus
et objecta. Sed idem est objectum quod principaliter respicit timor initialis
et castus, ut probatum est. Ergo sunt idem secundum substantiam habitus. |
[2] Les habitus se distinguent par leurs actes et par leurs objets. Or, c’est le même objet qui concerne principalement la crainte servile et la crainte chaste, comme on l’a démontré. Elles sont donc la même chose par la substance. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La
crainte chaste diminue-t-elle lorsque la charité augmente ?]
|
[12489] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod timor castus diminuatur caritate crescente.
Timor enim initialis et castus, ut probatum est, sunt idem secundum
substantiam. Sed timor
initialis decrescit caritate crescente, ut in littera dicitur. Ergo et timor
castus. |
1. Il semble que la crainte chaste diminue lorsque la charité augmente. En effet, la crainte initiale et la crainte chaste, comme on l’a démontré, sont la même chose par la substance. Or, la crainte initiale diminue lorsque la charité augmente, comme on le dit dans le texte. Donc, la crainte chaste aussi. |
[12490] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, omnis timor habet poenam, ut
dicitur 1 Joan. 4. Sed caritas perfecta non habet poenam. Ergo quanto crescit caritas,
tanto quilibet timor decrescit. |
2. Toute crainte comporte une peine, comme il est dit en 1 Jn 4. Or, la charité parfaite ne comporte pas de peine. Donc, dans la mesure où la charité augmente, dans la même mesure toute crainte diminue. |
[12491] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, ubi est impossibilitas separationis, ibi non est timor
separationis. Ergo quanto
aliquis difficilius separatur a Deo, tanto minuitur separationis timor. Sed
quanto caritas magis crescit, tanto aliquis difficilius a Deo separatur, quia
strictius ei colligatur. Ergo quanto magis crescit caritas, tanto magis
decrescit separationis timor, qui dicitur castus. |
3. Là où la séparation est impossible, là n’existe pas la crainte de la séparation. Donc, plus difficilement quelqu’un est séparé de Dieu, plus la crainte de la séparation diminue. Or, plus la charité augmente, plus difficilement est-on séparé de Dieu, car on lui est plus étroitement attaché. Donc, plus la charité augmente, plus diminue la crainte de la séparation, qu’on appelle chaste. |
[12492] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3
qc. 3 s. c. 1 Sed contra, timor
castus est donum spiritus sancti. Sed omnes virtutes et dona simul crescunt,
sicut et simul infunduntur. Ergo crescente caritate, crescit timor castus. |
Cependant, [1] la crainte chaste est un don du Saint-Esprit. Or, toutes les vertus et les dons croissent en même temps, de même qu’ils sont infusés en même temps. Donc, lorsque la charité augmente, la crainte chaste diminue. |
[12493] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, amor est timoris causa. Sed
crescente causa crescit effectus. Ergo caritate crescente crescit timor. |
[2] L’amour est la cause de la crainte. Or, lorsque la cause augmente, l’effet augmente. Donc, lorsque la charité augmente, la crainte diminue. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question 4 –
[Lorsque surviendra la gloire, la crainte disparaîtra-t-elle ?]
|
[12494] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 4 arg. 1 Ulterius. Videtur quod
timor evacuetur gloria adveniente. Ratio enim timoris est possibilitas ad
malum. Sed in illis qui sunt in gloria, non est possibilitas ad aliquod
malum, quod est timoris objectum. Ergo non erit ibi
timor aliquis. |
1. Il semble que la crainte disparaîtra lorsque la gloire surviendra. En effet, la raison de la crainte est la possibilité de mal agir. Or, chez ceux qui sont dans la gloire, il n’y a pas de possibilité de faire le mal, ce qui est l’objet de la crainte. Il n’y aura donc [alors] aucune crainte. |
[12495] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 4 arg. 2 Praeterea, spes videtur esse majoris perfectionis quam timor: quia
spes perficitur per fortitudinem cordis, timor autem per debilitatem, ut
dictum est. Sed spes non
manet in patria. Ergo multo minus timor. |
2. L’espérance semble être plus parfaite que la crainte, car l’espérance se réalise par la force du cœur, mais la crainte, par sa faiblesse, comme on l’a dit. Or, l’espérance ne demeure pas dans la patrie. Donc, encore bien moins la crainte. |
[12496] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 4 arg. 3 Praeterea, omne quod est perfectionis, est in Deo. Sed timor non est
in Deo. Ergo non est
perfectionis: ergo excluditur adveniente gloria. |
3. Tout ce qui relève de la perfection existe en Dieu. Or, la crainte n’existe pas en Dieu. Elle ne relève donc pas de la perfection. Elle est donc écartée lorsque survient la gloire. |
[12497] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 4 s. c. 1 Sed contra Psalm. 18, 10: timor domini sanctus permanet in saeculum saeculi. |
Cependant,
[1] le Ps 18, 10 dit : La crainte du Seigeur demeure pour les
siècles des siècles. |
[12498] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 4 s. c. 2 Praeterea, timor debetur
summae majestati. Malachiae, 1, 6: si ego dominus, ubi est timor meus? Sed in
futuro exsolvemus Deo quidquid ei debemus. Ergo timebimus ipsum. |
[2] La crainte est due à la majesté suprême. Ml 1, 6 : Si je suis le Seigneur, où est la crainte que j’inspire ? Or, dans l’avenir, nous rendrons à Dieu tout ce que nous lui devons. Nous le craindrons donc. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
|
[12499] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad
primam quaestionem, quod duplex est malum: quoddam quod consistit in
voluntate ejus cui inest, quod dicitur malum culpae; quoddam vero est malum
contra voluntatem ejus cui inest, quod dicitur malum poenae. Malum autem
culpae abhorret quis vel ex hoc quod declinat a rectitudine rationis, et sic
est timor inhonesti contrarii, inditus cuilibet virtuti; vel, ex hoc quod
declinare facit ab ipso Deo, et sic pertinet ad donum timoris. Horror autem
declinationis a regula aliqua, est propter amorem regulae. Unde timor qui est donum, causatur ex amore
Dei; et ideo dicitur timor amicabilis vel filialis, inquantum Deus dicitur
pater noster; vel etiam castus, inquantum Deus dicitur metaphorice sponsus
animarum nostrarum. Timor autem servilis, ut supra dictum est, inclinat ad
aliquid faciendum contra voluntatem. Unde oportet quod illud malum habeat
quasi objectum proprium quod est contra voluntatem, ex hoc rationem mali
habens quod est malum poenae; et ita servilis et castus non habent idem
objectum, sed diversa; et propter hoc differunt secundum substantiam habitus. |
Il existe deux maux : l’un qui se trouve dans la volonté de celui où il existe, que l’on appelle le mal de faute ; mais il existe un mal qui est contraire à la volonté de celui où il existe, que l’on appelle le mal de peine. Or, on déteste le mal de faute soit parce qu’il s’écarte de la droiture de la raison : c’est là la crainte de ce qui est contraire et mauvais, inhérente à toute vertu ; soit parce que cela fait s’écarter de Dieu lui-même : cela relève ainsi du don de crainte. Or, la crainte de s’écarter d’une règle vient de l’amour de la règle. La crainte qui est un don est donc causée par l’amour de Dieu. C’est pourquoi on l’appelle crainte amicale ou filiale, du fait que Dieu est appelé notre père ; ou encore [on l’appelle crainte] chaste, du fait que Dieu est appelé métaphoriquement l’époux de nos âmes. Mais la crainte servile, comme on l’a dit plus haut, incline à faire quelque chose contre sa volonté. Il faut donc qu’elle ait comme objet propre un mal qui est contraire à sa volonté ; il a ainsi raison de mal du fait qu’il est un mal de peine. Ainsi, la crainte servile et la crainte chaste n’ont pas le même objet, mais des objets différents. Pour cette raison, elles diffèrent selon la substance de l’habitus. |
[12500] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2
a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod idem est fidei formatae et
informis objectum; non autem timoris servilis et casti. Proportio autem
commutata non tenet in omnibus, sed in numeris et magnitudinibus, ut dicitur
in 1 posteriorum. |
1. L’objet de la foi informe et de la foi formée est le même, mais non celui de la crainte servile et de la crainte chaste. Mais la proportion interchangeable ne vaut pas en toutes choses, mais pour les nombres et les grandeurs, comme il est dit dans les Posdtérieurs analytiques, I. |
[12501] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut amicus, quamvis delectationem habeat ex praesentia amici, non tamen propter hoc
quaerit amici praesentiam ut in ipso delectetur, sed propter amicum ipsum,
cui vult conjungi quantumcumque potest; ita et timor castus non timet
separationem inquantum est poena, sed inquantum est elongatio ab amato. |
2. De même qu’un ami, bien qu’il trouve plaisir à la présence de son ami, ne recherche cependant pas pour cette raison la présence de son ami pour s’en délecter, mais pour l’ami lui-même, à qui il veut être uni autant qu’il le peut, de même la crainte chaste ne craint pas la séparation en tant qu’elle est une peine, mais en tant qu’elle est un éloignement de ce qui est aimé. |
[12502] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illud quod est ratio alterius sicut
formaliter complens objectum, non pertinet ad alium habitum vel potentiam,
sicut lux et color: et hoc modo Deus est ratio diligendi proximum per
caritatem. Sed illud quod est ratio alterius sicut causa, non oportet quod ad
eumdem habitum pertineat, nec etiam ad eamdem potentiam; sicut calor qui est
ratio odoris, cognoscitur tactu, odor autem olfactu. Et similiter separatio a
Deo dicitur esse ratio poenae aeternae sicut causa; unde non oportet quod ad
eumdem habitum pertineat. |
3. Ce qui est la raison de quelque chose d’autre qui réalise formellement l’objet ne relève pas d’un autre habitus ou d’une autre puissance, comme la lumière et la couleur. De cette manière, Dieu est la raison d’aimer le prochain par charité. Or, il n’est pas nécessaire que ce qui est la raison de quelque chose d’autre pour autant qu’il en est la cause relève du même habitus, ni même de la même puissance ; ainsi la chaleur, qui est la raison de l’odeur, est connue par le toucher, mais l’odeur par l’odorat. De même, on dit que la séparation de Dieu est la raison de la peine éternelle en tant que sa cause. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle relève du même habitus. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
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[12503] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod in quolibet
dictorum est considerare duos actus. Unum principalem, quem timor elicit,
scilicet refugere hoc malum vel illud. Alius est secundarius, quem timor
imperat, scilicet facere aut dimittere hoc vel illud propter fugam illius
mali cujus est timor. Timor ergo initialis quantum ad primum actum non
differt a timore casto: quia timere poenas aeternas non est actus timoris
initialis, sed compatitur secum istum actum, sicut et timor castus: sed actus
timoris initialis est timere separationem, sicut et casti; quamvis non ita
perfecte. Sed in secundo actu differt castus timor et initialis: quia
initialis non solum imperat actum aliquem vel dimissionem propter
separationem, sed etiam propter poenam: quod non contingit in timore casto,
qui ad solam separationem oculum habet. Actus autem imperati per accidens
comparantur ad habitus imperantes; et ideo timor initialis et castus sunt
idem in substantia habitus, differunt tamen accidentaliter, ut ex dictis
patet. |
En tout ce qui a été dit, il faut considérer deux actes. L’un principal, que la crainte provoque, à savoir, fuir tel ou tel mal. L’autre secondaire, que commande la crainte, à savoir faire ou rejeter ceci ou cela en raison de la fuite du mal qu’on craint. Pour ce qui est du premier acte, la crainte initiale ne diffère pas de la crainte chaste, car craindre les peines éternelles n’est pas un acte de la crainte initiale, mais elle comporte cet aacte en elle-même, comme l’amour chaste ; mais l’acte de la crainte initiale consiste à craindre la séparation, comme c’est le cas de l’acte de la crainte chaste, bien que d’une manière moins parfaite. Mais, la crainte chaste et la crainte initiale diffèrent pour le second acte, car la crainte initiale non seulement commande un acte ou un rejet en raison de la séparation, mais aussi en raison de la peine, ce qui ne se produit pas pour la crainte chaste, qui ne porte le regard que sur la séparation. Or, les actes commandés sont comparés par accident aux habitus qui commandent. C’est pourquoi la crainte initiale et la crainte chaste sont la même chose quant à la substance de l’habitus ; elles diffèrent cependant de manière accidentelle, comme cela ressort de ce qui a été dit. |
[12504] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur
dicendum, quod initialis non includit servilem secundum essentiam, sed inquantum
concurrunt ad unum actum imperandum. |
1. La crainte initiale ne comprend pas la crainte servile selon son essence, mais en tant qu’elles concourent à commander un seul acte. |
[12505] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dividuntur ex opposito ratione illius
accidentis in quo differunt, scilicet perfectionis et imperfectionis in actu
elicito, et quantum ad motivum in actu imperato, ut dictum est. |
2. Elles se distinguent par mode de contraire en raison de l’accident par lequel elles diffèrent : la perfection et l’imperfection de l’acte issu d’elles, et pour ce qui meut dans l’acte commandé, comme on l’a dit. |
[12506] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod timor servilis differt in objecto, et per
consequens in principali actu, a timore initiali, non autem initialis a
casto; unde non est similis ratio. |
3. La crainte servile diffère de la crainte initiale par son objet et, par conséquent, par son acte principal, mais non la crainte initiale de la crainte chaste. Le raisonnement n’est donc pas le même. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
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[12507] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem
dicendum, quod in istis timoribus est duplex actus, ut dictum est. Si ergo
loquamur de actu elicito, sic aliter dicendum est in timore servili, et
aliter in initiali et casto. Actus enim elicitus a timore initiali et casto est timere
separationem, ad quod duo requiruntur: unum ex parte subjecti, quod
imperfectionis est; scilicet possibilitas ad separationem, quia de
impossibili non est timor; aliud ex parte objecti, scilicet amor ejus a quo
quis timet separari, quia ab eo quod quis non amat, separari non curat; et
hoc perfectionis est. Augmentum ergo caritatis facit crescere actum timoris separationis
quantum ad hoc quod perfectionis est, sed facit decrescere quantum ad hoc
quod imperfectionis est. Et quia habitus ad hoc sunt ut imperfectionem a
subjecto abjiciant, ideo crescente caritate crescit habitus timoris casti et
initialis. Actum autem quem elicit habitus timoris, qui prius erat servilis,
caritas similiter facit decrescere quantum ad possibilitatem poenae; quia
quanto caritas est major, tanto est major remotio a poena. Sed non facit
ipsum crescere quantum ad comparationem ad objectum: quia caritas non est
amor directe illius boni cui contrariatur illa poena. Nec iterum quantum ad
hoc facit decrescere nisi secundum comparationem, secundum quod caritate
crescente semper exceditur magis et magis a timoris casti actu. Si autem
loquamur de actu imperato istis duobus timoribus, sic nullo modo actum
timoris casti diminuit: et perfecta caritas quantum ad hoc eum foras mittit,
ut nunquam jam oculus habeatur ad poenam in agendis vel dimittendis. Actum
vero timoris initialis diminuit quantum ad hoc quod habet oculum ad
separationem. |
Dans ces craintes, il y a deux actes, comme on l’a dit. Si donc nous parlons de l’acte provoqué par elle, il faut parler autrement de la crainte servile et de la crainte initiale et chaste. En effet, l’acte issu de la crainte initiale et de la crainte chaste consiste à craindre la séparation, ce pour quoi deux choses sont nécessaires : l’une, du côté du sujet, qui est le fait d’une imperfection, à savoir, la possibilité d’une séparation, car on ne craint pas ce qui est impossible ; l’autre, du côté de l’objet, à savoir l’amour de ce dont l’on craint d’être séparé, car on ne se préoccupe pas d’être séparé de ce que l’on n’aime pas, et cela est le fait d’une perfection. L’augmentation de la charité fait donc augmenter l’acte de crainte de la séparation pour ce qui est de la perfection, mais elle le fait diminuer pour ce qui est de l’imperfection. Et parce que les habitus existent pour enlever l’imperfection du sujet, l’habitus de la crainte chaste et initiale augmente donc lorsque la charité augmente. Mais la charité fait de même diminuer l’acte provoqué par l’habitus de la crainte, qui était d’abord servile, pour ce qui est de la possibilité de la peine, car plus la charité est grande, plus l’on s’éloigne de la peine. Mais elle ne le fait pas augmenter pour ce qui est de son rapport à l’objet, car la charité n’est pas directement l’amour du bien auquel s’oppose cette peine. Elle ne le fait pas non plus diminuer sous cet aspect, si ce n’est par comparaison, selon que, la charité augmentant, elle dépasse toujours de plus en plus l’acte de la crainte chaste. Mais si nous parlons de l’acte commandé par ces deux craintes, il ne diminue d’aucune manière l’acte de la crainte chaste ; sous cet aspect, la charité parfaite l’expulse, de sorte qu’on n’aie jamais l’œil sur la peine dans ce qu’il faut faire ou rejeter. Mais il diminue l’acte de la crainte initiale en ce qu’elle a à l’œil la séparation. |
[12508] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod initialis in littera non dicitur
diminui quantum ad hoc quod habet commune cum casto amore, sed quantum ad hoc
quod habet commune cum servili. |
1. Dans le texte, on ne dit pas que la crainte initiale est diminuée pour ce qu’elle a en commun avec l’amour chaste, mais pour ce qu’elle a en commun avec la crainte servile. |
[12509] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod timor non habet poenam, nisi inquantum
respicit aliquid quod contrariatur voluntati, scilicet poenam: et hoc est
servilis et initialis timoris. |
2. La crainte ne comporte de peine que dans la mesure où elle se rapporte à quelque chose qui contrarie la volonté : la peine. Et cela relève de la crainte servile et de la crainte initiale. |
[12510] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium et ad alia
sequentia patet solutio per id quod dictum est in corp. |
3. Pour le troisième argument et pour ceux qui suivent, la solution ressort clairement de ce qui a été dit dans le corps [de la question]. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la
sous-question 4
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[12511] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 4 co. Ad quartam quaestionem
dicendum, quod timor, proprie loquendo, habet malum pro objecto: non autem
quodlibet malum, sed malum in arduo constitutum: alias non esset in
irascibili. Malum autem
quod facile vinci aut vitari potest, non timemus; sed odimus tantum. Malum
autem separationis a Deo est in arduissimo constitutum: unde quando
possibilitas ad hoc malum tolletur, remanebit adhuc operatio hominis ad Deum
ut ad arduum; et ideo tolletur timor quantum ad hunc actum qui est timere
separationem, sed manebit quantum ad actum qui est admirari vel revereri
illud arduum, quod fit quando ex consideratione tantae altitudinis homo in
propriam resilit parvitatem. |
À proprement parler, la crainte a comme objet un mal : non pas n’importe quel mal, mais un mal qui a le caractère de difficile, autrement elle ne se trouverait pas dans l’irascible. Le mal qui peut être facilement vaincu ou évité, nous ne le craignons pas, mais nous le haïssons seulement. Or, le mal de la séparation de Dieu a le caractère de ce qui est le plus difficile. Aussi, lorsque la possibilité de ce mal sera enlevée, demeurera encore l’opération de l’homme qui tend à Dieu comme à quelque chose de difficile. C’est pourquoi la crainte sera écartée pour ce qui est de l’acte qui consiste à craindre la séparation ; mais elle demeurera pour ce qui est d’admirer ou de révérer ce qui est ainsi difficile, ce qui se produit lorsque, considérant une telle élévation, l’homme se replie sur sa petitesse. |
[12512] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 4 ad 1 Et per hoc patet solutio
ad primum. |
1. La réponse au premier argument ressort ainsi clairement. |
[12513] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod spes ponit distantiam ad illud arduum, non
autem timor; et ideo spes non manet sicut timor. |
2. L’espérance met une distance par rapport à ce qui est ainsi difficile, mais non la crainte. C’est pourquoi l’espérance ne demeure pas comme la crainte. |
[12514] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 2 a. 3 qc. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod subdi superiori est de perfectione
creaturae, non autem de perfectione creatoris. Non enim quod est perfectionis
in uno, est perfectionis in altero, et praecipue in Deo. Differt enim
perfectio naturae conditae et glorificatae et increatae, ut in 2, dist. 4, dixit Magister. |
3. Être soumis à ce qui est supérieur fait partie de la perfection de la créature, mais non de la perfection du Créateur. En effet, ce qui fait partie de la perfection chez l’un ne fait pas partie de la perfection chez un autre, et surtout en Dieu, car la perfection de la nature créée, glorifiée et incréée diffère, comme l’a dit le Maître dans le livre II, d. 4. |
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Quaestio 3 |
Question 3 – [Le don de force]
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Prooemium |
Prologue |
[12515] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 pr. Deinde quaeritur de aliis duobus donis
subsequentibus: et 1 quaeritur de fortitudine; 2 de pietate. |
On s’interroge ensuite sur les deux autres dons suivants : 1. On s’interroge sur la force. 2. Sur la piété. |
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Articulus 1 [12516] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a.
1 tit. Utrum
fortitudo quae est donum, differat a fortitudine quae est virtus |
Article 1 – La force qui est un don diffère-t-elle de la force qui est une vertu ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La
force qui est un don diffère-t-elle de la force qui est une vertu ?]
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[12517] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod fortitudo
quae est donum, non differat a fortitudine quae est virtus. Quia secundum
Dionysium in Cael. Hierar., spiritualium proprietates ex nominibus nos
oportet accipere. Sed habitus virtutis et doni communicant in nomine
fortitudinis. Ergo communicant in proprietate; et ita videntur esse idem
secundum rem. |
1. Il semble que la force qui est un don ne diffère pas de la force qui est une vertu, car, selon Denys, La hiérarchie céleste, nous devons tirer de leurs noms les propriétés des réalités spirituelles. Or, les habitus de la vertu et du don ont en commun le nom de « force ». Ils ont donc en commun ce qui leur est propre, et ainsi ils semblent être en réalité la même chose. |
[12518] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Gregorius dicit in 1 Moralium, quod fortitudo est quae dat
confidentiam trepidanti; et loquitur de dono fortitudinis. Sed hoc idem
pertinet ad fortitudinem quae est virtus, quia est circa timores
imperturbatus virtuosus fortis, ut dicitur in 3 Ethic. Ergo sunt idem. |
2. Dans les Morales, I, Grégoire dit que la force est ce qui donne confiance à celui craint, et il parle du don de force. Or, c’est la même chose qui relève de la force qui est une vertu, car l’homme vertueux fort n’est pas troublé par les craintes, comme on le dit dans Éthique, III. Ils sont donc la même chose. |
[12519] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, donum, ut dictum est,
differt a virtute, inquantum excedit ipsam. Sed fortitudinis virtus, cum sit
circa difficillimum, quod est mors, non potest excedi ab aliquo. Ergo donum fortitudinis
non differt a fortitudine virtute. |
3. Comme on l’a dit, le don diffère de la vertu par le fait qu’il la dépasse. Or, la vertu de force, puisqu’elle porte sur ce qui est le plus difficile : la mort, ne peut être dépassée par quelque chose. Le don de force ne diffère donc pas de la force qui est une vertu. |
[12520] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, diversorum generum et non
subalternatim positorum, diversae sunt species et differentiae, secundum
philosophum in antepraedicamentis. Sed donum et virtus sunt hujusmodi genera.
Ergo fortitudo quae est in genere doni differt a fortitudine quae est in
genere virtutis. |
Cependant, [1] selon le Philosophe, dans les Antéprédicaments, les espèces et les différences des genres différents et subalternés sont différentes. Or, le don et la vertu sont des genres de cette sorte. La force qui fait partie du genre du don diffère donc de la force qui fait partie du genre de la vertu. |
[12521] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, in Lib. de spiritu et anima
dicitur, quod fortitudinis est non tantum terrenas cupiditates reprimere, sed
penitus oblivisci. Sed cupiditates non sunt materia fortitudinis quae est
virtus. Ergo oportet quod intelligatur de dono fortitudinis; et ita videtur
quod non sit una fortitudo quae est donum, et quae est virtus. |
[2] Dans le livre Sur l’esprit et l’âme, on dit qu’il relève de la force, non seulement de réprimer les convoitises terrestres, mais de les oublier complètement. Or, les convoitises ne sont pas la matière de la force qui est une vertu. Il faut donc qu’on l’entende du don de force. Ainsi, il semble que la force qui est un don et celle qui est une vertu ne soient pas une seule chose. |
Sous-question 2 –
[Quel est l’acte de la force en cours de route ?]
|
|
[12522] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Quaeritur, quis sit actus ejus in via. Et videtur quod non
habeat unum actum. Quia, sicut communiter dicitur, fortitudo exequitur in
illis ad quae non omnes tenentur, in quibus etiam consilium dirigit, sicut
sunt opera supererogationis. Sed haec non possunt reduci ad unum actum secundum speciem, cum
hujusmodi opera fere secundum omnes virtutes inveniantur. Ergo fortitudo non habet unum actum
secundum speciem. |
1. On se demande quel est l’acte de la force en cours de route. Il semble qu’elle n’ait pas un seul acte, car, ainsi qu’on le dit communément, la force agit dans les choses auxquelles tous ne sont pas tenus, dans lesquelles aussi le conseil dirige, comme c’est le cas des actes surérogatoires. Or, cela ne peut se ramener à un seul acte selon l’espèce, puisque ces actes se trouvent dans presque toutes les vertus. La force n’a donc pas un seul acte selon l’espèce. |
[12523] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Gregorius dicit, quod spiritus fortitudinis est miraculis
et doctrina fulgere. Sed haec duo sunt diversa genera et ad invicem, et ad
alios actus, qui dono fortitudinis assignantur. Ergo idem quod prius. |
2. Grégoire dit que briller par les miracles et l’enseignement relève de l’Esprit de force. Or, ces deux choses sont de genres différents l’un par rapport à l’autre et tournés vers d’autres actes qui sont attribués au don de force. La conclusion est donc la même que précédemment. |
[12524] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit in Lib. de doctrina Christiana, ubi
loquitur de donis, quod fortitudinis est ab omnium transeuntium mortifera
jucunditate seipsum sequestrare. Gregorius autem dicit, quod fortitudo circa adversa fiduciam dat
trepidanti. Sed haec duo non reducuntur ad unum genus, cum unum videatur
pertinere ad materiam temperantiae, aliud autem ad materiam fortitudinis, vel
patientiae. Ergo videtur quod non habeant unum actum. |
3. Dans le livre Sur l’enseignement chrétien, là où il parle des dons, Augustin dit qu’« il relève de la force de se tenir éloigné du plaisir mortel de toutes les réalités transitoires ». Mais Grégoire dit que la force donne de la confiance à celui qui tremble devant l’adversité. Or, ces deux choses ne se ramènent pas à un seul genre, puisque l’une semble se rapporter à la matière de la tempérance, mais l’autre à la matière de la force ou de la patience. Il semble donc qu’elles n’ont pas un seul acte. |
[12525] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, habitus distinguuntur per
actus. Sed fortitudo donum est unus habitus. Ergo habet unum actum. |
Cependant, [1] les habitus se distinguent par leurs actes. Or, la force comme don est un habitus unique. Il possède donc un acte unique. |
[12526] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, donum est simplicius quam
virtus, cum sit sublimius. Sed fortitudo virtus habet unum actum principalem,
scilicet sustinere pericula propter bonum. Ergo multo fortius donum
fortitudinis habet unum actum. |
[2] Le don est plus simple que la vertu, puisqu’il est plus élevé. Or, la vertu de force possède un seul acte principal : supporter des dangers en vue d’un bien. À bien plus forte raison, le don de force possède-t-il donc un seul acte. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 –
[Quel est l’acte de la force dans la patrie ?]
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[12527] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Quaeritur de actu fortitudinis in patria. Et videtur quod
ibi nullum actum habeat. Quia in quarta beatitudine ponitur ad statum gloriae
pertinens saturari. Sed hoc non significat aliquem actum. Cum ergo quarta
beatitudo dono fortitudinis adaptetur, videtur quod non habeat aliquem actum
in patria. |
1. Il semble qu’elle n’ait là aucun acte, car, dans la quatrième béatitude, on affirme qu’il relève de l’état de la gloire qu’on soit rassasié. Or, cela ne signifie pas un acte. Puisque la quatrième béatitude est associée au don de force, il semble donc que [celui-ci] n’ait pas d’acte dans la patrie. |
[12528] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea, proprium fortitudinis videtur esse difficilia sustinere.
Sed in patria omnis difficultas tolletur: alias non esset ibi summa
delectatio. Ergo non erit
ibi actus fortitudinis. |
2. Le propre de la force semble être de supporter ce qui est difficile. Or, dans la patrie, toute difficulté sera écartée, autrement il n’y aurait pas là la délectation la plus élevée. Il n’y aura donc pas là d’acte de la force. |
[12529] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, fortitudinis
actus ad vitam
activam pertinet. Sed vita activa, ut
sancti dicunt, non remanebit in patria, sed contemplativa tantum. Ergo non
erit ibi actus fortitudinis. |
3. L’acte de la force relève de la vie active. Or, comme le disent les saints, la vie active ne demeurera pas dans la patrie, mais seulement la [vie] contemplative. Il n’y aura donc pas là d’acte de la force. |
[12530] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, habitus nihil aliud videtur
esse quam habilitatio ad actum; unde Commentator dicit in 3 de anima, quod
habitus est quo quis agit quando vult. Sed habitus fortitudinis manebit in
patria, ut Magister supra per auctoritates probavit. Ergo et actus
fortitudinis ibi erit. |
Cependant, [1] un habitus ne semble consister en rien d’autre que rendre apte à un acte. Aussi le Commentateur dit-il, dans Sur l’âme, III, que l’habitus est ce par quoi quelqu’un agit quand il le veut. Or, l’habitus de force demeurera dans la patrie, comme le Maître l’a démontré plus haut par des autorités. Il y aura donc là un acte de la force. |
[12531] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, habitus sine actu est similis
somno, secundum philosophum in 1 Ethic. Sed felix et beatus, ut ibi dicitur,
non est similis dormienti, sed vigilanti, cum sit in ultima sua perfectione.
Ergo, cum sit ibi habitus fortitudinis, erit actus. |
[2] L’habitus sans acte ressemble au sommeil, selon le Philosophe, dans Éthique, I. Or, celui qui est heureux et bienheureux n’est pas semblable à quelqu’un qui dort, mais à celui qui est en état de veille, puisqu’il atteint le point le plus élevé de sa perfection. Puisqu’il y a là un habitus de force, il y aura donc un acte [de la force]. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
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[12532] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod
dona a virtutibus, ut dictum est, differunt, inquantum dona altiori modo
operantur; et secundum hoc oportet accipere differentiam doni fortitudinis a
fortitudinis virtute. Modus autem
unicuique ex propria mensura praefigitur, ut dictum est prius. Unde sciendum
est, quod fortitudinis virtus mensuram sui actus habet humanas vires; unde ea
quae supergrediuntur vires hominis, neque aggreditur, neque sustinet. Unde
philosophus in 3 Ethic. dicit, quod fortis est instupefactibilis ut homo, in
his scilicet terribilibus quae sunt secundum hominem. Sed donum fortitudinis
habet pro mensura sui actus divinam potentiam, de cujus auxilio confidit,
sicut dicitur in Psal. 17, 30: in Deo meo transgrediar murum, idest
omne quod posset humanae infirmitati obviare. |
Comme on l’a dit, les dons diffèrent des en ce que les dons opèrent selon un mode plus élevé ; il faut donc comprendre de cette manière la différence entre le don de force et la vertu de force. Or, le mode est déterminé pour chaque chose par sa propre mesure, comme on l’a dit antérieurement. Il faut donc savoir que la vertu de force a les forces humaines comme mesure de son acte; en conséquence, elle n’entreprend ni ne supporte ce qui dépasse les forces humaines. Aussi le Philosophe dit-il, dans Éthique, III, que le fort ne peut être étonné comme homme par les réalités terribles qui existent du point de vue de l’homme. Mais le don de force a comme mesure de son acte la puissance divine, à l’aide de laquelle il fait confiance, comme il est dit dans Ps 17, 30 : Grâce à mon Dieu, je traverserai le mur, c’est-à-dire tout ce qui peut faire obstacle à la faiblesse humaine. |
[12533] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod fortitudo donum et virtus conveniunt
in aliqua proprietate, quia utrumque est ad aliquid difficile sustinendum;
sed non oportet quod sint omnino idem in re. |
1. Le don de force et la vertu de force ont une propriété commune, car les deux visent à supporter quelque chose de difficile ; mais il n’est pas nécessaire qu’ils soient en réalité tout à fait la même chose. |
[12534] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod trepidatio ex duobus potest consurgere. Uno
modo tantum ex difficultate adversantium; et hanc trepidationem reprimit
fortitudinis virtus. Alio modo ex difficultate adversantis simul et
infirmitate hominis ad resistendum, vel etiam impotentia; et hanc
trepidationem reprimit donum fortitudinis ex fiducia divini auxilii. |
2. Le tremblement peut venir de deux choses. Premièrement, de la difficulté de ce qui fait obstacle seulement ; c’est ce tremblement que réprime la vertu de force. Deuxièmement, de la difficulté de ce qui fait obstacle en même temps que de la faiblesse ou même de l’impuissance de l’homme à y résister ; c’est ce tremblement que réprime le don de force par la confiance dans l’aide de Dieu. |
[12535] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virtus fortitudinis est circa difficillima
secundum genus, non tamen secundum comparationem ad operantem, quia non
excedunt vires ejus: sed fortitudinis donum etiam est circa illa quae
excedunt humanam facultatem; nec tamen stulte, quia non excedunt facultatem
divinae potentiae cui donum illud innititur. |
3. La vertu de force porte sur ce qui est le plus difficile par son genre, mais non cependant si on le compare à celui qui agit, car cela ne dépasse pas ses forces. Mais le don de force porte aussi sur ce qui dépasse les capacités humaines, non pas sottemenet toutefois, car cela ne dépasse pas la capacité de la puissance divine sur laquelle s’appuie ce don. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
|
[12536] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 2
co. Ad secundam
quaestionem dicendum, quod quanto aliqua potentia altior est, tanto ad plura
se extendit. Et quia humana facultas est infirma respectu divinae facultatis,
ideo ad diversas difficultates sunt ordinatae diversae humanae facultates, et
quandoque separantur ab invicem; aliquis enim habet facultatem ut facile
superare possit difficultates quae sunt in delectationibus, qui tamen non
facile superare potest difficultates quae sunt in passionibus illatis; et sic
de aliis. Sed divina facultas est una et eadem respectu omnium praedictarum
difficultatum. Et ideo, quia fortitudinis virtus facultati humanae innititur,
non est respectu omnium difficultatum, sed respectu aliquarum, quae sunt
maximae in genere humanarum; unde excellenter fortitudinis nomen habet: ad
alias autem difficultates sunt ordinatae aliae virtutes, quae sunt facultates
quaedam. Sed fortitudinis donum utitur divina voluntate quasi sua, secundum
quod in Psal. 17, 1, dicitur: diligam te domine virtus mea; et ideo
unum donum fortitudinis se extendit ad omnes difficultates quae in humanis
rebus possunt accidere etiam supra facultatem humanam, sicut apostolus
dicebat Philipp. ult., 13: omnia possum in eo qui me confortat. Et
ideo oportet actum doni fortitudinis accipere circa omnia difficilia
proportionabiliter actui fortitudinis circa quaedam difficilia. Cum autem
fortitudo virtus sit circa timores et audacias, habet duos actus: unum qui
est aggredi, inquantum moderatur audacias; alium qui est sustinere, inquantum
moderatur timores. Sed hic actus est principalior, inquantum difficilius est
sustinere difficultates praesentes quam tendere in absentes. Et similiter
actus doni fortitudinis principalis est sustinere omnes difficultates sive in
passionibus sive in operationibus; et ad hunc ordinatur alius actus qui est
difficilia et ardua aggredi spe divini auxilii. Hi autem duo actus non differunt
secundum speciem, quia unus ad alium ordinatur, et eadem est ratio dirigendi
in ipsis; et ideo donum fortitudinis habet unum actum secundum speciem. |
Plus une puissance est élevée, plus le nombre de choses auxquelles elle s’étend est grand. Parce que la puissance humaine est faible en regard de la puissance divine, les différentes capacités humaines sont donc ordonnées à des difficultés différentes, et elles sont parfois séparées l’une de l’autre. En effet, quelqu’un a la capacité de l’emporter en matière de plaisirs, qui ne peut facilement l’emporter sur les souffrances qui lui sont imposées. Et il est en de même pour les autres. Or, la puissance divine est unique et identique en regard de toutes les difficultés mentionnées. Parce que la vertu de force s’appuie sur la puissance humaine, elle ne porte donc pas sur toutes les difficultés, mais sur certaines qui sont les plus grandes dans le genre des [difficultés] humaines. Aussi porte-t-elle par excellence le nom de force ; mais les autres vertus, qui sont des aptitudes, sont ordonnées à d’autres difficultés. Mais le don de force fait usage de la volonté divine comme de la sienne, selon ce qui est dit en Ps 17, 1 : Je t’aimerai, Seigneur, ma force. C’est pourquoi l’unique don de force s’étend à toutes les difficultés qui peuvent survenir dans les affaires humaines, même au-delà de la puissance humaine, comme l’Apôtre le disait dans Ph 4, 13 : Je puis tout en Celui qui me rend fort. C’est pourquoi il faut concevoir le don de force par rapport à toutes les difficultés d’une manière proportionnelle en regard de [la vertu] de force par rapport à certaines difficultés. Mais puisque la vertu de force porte sur les craintes et les audaces, elle a deux actes : l’un qui consiste à attaquer, dans la mesure où elle modère les audaces ; l’autre qui consiste à supporter, dans la mesure où elle modère les craintes. Mais ce dernier acte est le principal pour autant qu’il est plus difficile de supporter les difficultés présentes que de tendre vers [des difficultés] absentes. De même, l’acte principal du don de force consiste-t-il à suppporter toutes les difficultés, soit pour les passions, soit pour les opérations ; c’est à lui qu’est ordonné un autre acte qui consiste à s’attaquer à des choses difficiles et pénibles avec l’espérance de l’aide divine. Or, ces deux actes ne diffèrent pas selon l’espèce, car l’un est ordonné à l’autre et la raison de diriger est la même même chez eux. C’est pourquoi le don de force a un seul acte selon l’espèce. |
[12537] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quia supererogationis opera maxime
videntur habere difficultatem humanas vires excedentem, ideo praecipue circa
illa dicitur esse donum fortitudinis: nihilominus est et circa alias
difficultates, circa quas est etiam virtus communiter, sed non eodem modo, ut
dictum est. |
1. Parce que les actes surérogatoires semblent comporter une difficulté qui dépasse les forces humaines, on dit du don de force qu’il porte principalement sur ces choses ; il porte néanmoins sur les autres difficultés sur lesquelles porte la vertu de manière générale, mais non de la même manière, comme on l’a dit. |
[12538] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod ad virtutem fortitudinis pertinet aliquid dupliciter. Uno modo sicut
principale objectum vel actus, sicut mortis pericula quae propter bonum
sustinentur. Alio modo sicut instrumenta, vel auxilia, quibus indiget fortis
ad suum actum, ut arma et societates bellantium. Ita etiam donum respicit ipsas
difficultates quae sunt in passionibus et in operationibus humanis
principaliter, sed miracula et doctrinam quasi auxilia ad suum actum; sicut
patet in apostolis, qui miraculis et doctrina totum mundum sub fide captivum
duxerunt in obsequium Christi; et secundum hoc dicit Gregorius, quod ad donum
fortitudinis pertinet miraculis et doctrina fulgere. |
2. Quelque chose relève de la vertu de force de deux manières. Premièrement, comme son objet propre ou son acte : ainsi, les dangers de mort qui sont supportés en vue d’un bien. Deuxièmement, comme des instruments ou des aides dont le fort a besoin pour son acte : ainsi, les armes et les regroupements de combattants. De même aussi, le don concerne les diffficultés qui existent dans les passions et les opérations humaines d’une manière principale, mais [il concerne] les miracles et l’enseignement comme des aides en vue de son acte. Cela ressort clairement chez les apôtres, qui, par des miracles et par l’enseignement, ont rendu captif par la foi le monde entier au service du Christ. C’est ainsi que Grégoire dit qu’il appartient au don de force de briller par les miracles et l’enseignement. |
[12539] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa
quamvis pertineant ad diversas virtutes, possunt tamen pertinere ad unum donum, ut dictum est; et sic
sunt idem objectum specie, secundum quod specificantur inde unde specificatur
donum. |
3. Même si cela peut relever de diverses vertus, cela peut cependant relever d’un seul don, comme on l’a dit. Il s’agit donc du même objet selon l’espèce, selon que qu’elles tirent leur spécificité interne de ce qui spécifie le don. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
|
[12540] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod
quicumque operatur secundum aliquam mensuram, oportet quod habeat aliquem
actum secundum quem respicit ad mensuram illam, et aliquem secundum quem
respicit ad mensuratum. Unde cum fortitudo mensuret actum suum circa
difficultates ex divina potestate, habet aliquem actum in comparatione ad
difficultates quas sustinet vel aggreditur, et aliquem in comparatione ad
divinam potestatem, cui innititur; et primus actus non erit in patria, ubi
difficultas nulla erit; sed secundus erit ibi, quia perfectissime divinae
potentiae innitetur. |
Quiconque agit selon une mesure doit posséder un acte selon lequel il considère cette mesure et un acte selon lequel il considère ce qui est mesuré. Puisque la force mesure les difficultés de son acte à partir de la puissance divine, elle a donc un acte par rapport aux difficultés qu’elle supporte ou attaque, et un acte par rapport à la puissance divine sur laquelle elle s’appuie. Le premier acte n’existera pas dans la patrie, où il n’y aura aucune difficulté. Mais le second s’y trouvera, car elle s’appuiera sur la puissance divine de la manière la plus parfaite. |
[12541] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod etiam in corporalibus quamvis saturitas
non nominet aliquem actum, tamen aliquid praesupponit, scilicet sumptionem
cibi; ita et saturitas quae ibi ponitur, quae est repletio omnium ex quorum
defectu difficultas contingebat, praesupponit quemdam spiritualem esum,
secundum quem homo ab ipsa divina potentia bona praedicta sumit, ei innixus. |
1. Même dans les réalités corporelles, bien que la satiété ne désigne pas un acte, elle suppose cependant quelque chose : la prise de nourriture. De même, la satiété qui est indiquée là, qui consiste à être comblé de tout ce dont le manque constituait une difficulté, présuppose une certaine alimentation spirituelle, par laquelle l’homme reçoit des biens de la puissance divine elle-même, en s’appuyant sur elle. |
[12542] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod quamvis vita activa non maneat quantum ad sui essentiam, manet tamen quantum ad sui
mensuram in finem: quia in his quae activae vitae sunt, ex ipsa divina
veritate regulamur. |
2. Bien que la vie active ne demeure pas quant à son essence, elle demeure cependant quant à sa mesure par rapport à la fin, car nous sommes soumis à la règle de la vérité divine elle-même pour ce qui relève de la vie active. |
[12543] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium patet solutio
ex praedictis. |
3. La réponse au troisième argument ressort clairement de ce qui a déjà été dit. |
Articulus 2 [12544] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a.
2 tit. Utrum pietas
sit donum |
Article 2 – La piété est-elle un don ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La
piété est-elle un don ?]
|
[12545] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod
pietas non sit donum. Donum enim immediatius ordinat ad Deum quam virtus. Sed
pietas quae est virtus, immediate in Deum ordinat: quia secundum Augustinum
in 10 de Civit. Dei, proprie
pietas Dei cultus solet intelligi, quam Graeci theosebiam vocant. Ergo pietas
non est donum, cum non conjungat Deo immediatius quam pietatis virtus. |
1. Il semble que la piété ne soit pas un don. En effet, le don ordonne à Dieu de manière plus immédiate que la vertu. Or, la piété qui est une vertu ordonne à Dieu de manière immédiate, car, selon Augustin, dans La cité de Dieu, X, au sens propre, on a coutume de comprendre que la piété est le culte de Dieu, que le Grecs appellent théosébeia. La piété n’est donc pas un don, puisqu’elle n’unit pas à Dieu de manière plus immédiate que la vertu de piété. |
[12546] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, pietas secundum Gregorium in 1
Moralium, est quae docet opera misericordiae frequentare. Haec autem pietas videtur esse idem cum
misericordia, quae est virtus. Ergo cum Gregorius ibi loquatur de pietate
quae ponitur donum, videtur quod pietas quae ponitur donum, sit virtus. Nulla
autem virtus est donum. Ergo pietas nullo modo potest esse donum. |
2. Selon Grégoire, dans Morales, I, c’est la piété qui enseigne à pratiquer les œuvres de miséricorde. Or, cette piété être la même chose que la miséricorde, qui est une vertu. Puisque Grégoire parle là de la piété qui est mise comme un don, il semble donc que la piété qui est mise comme un don soit une vertu. Or, aucune vertu n’est un don. La piété ne peut donc d’aucune manière être un don. |
[12547] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, pietas, secundum Tullium, est benevolentia in parentes; et ponit eam partem justitiae. Sed justitia
est virtus. Ergo et pietas: ergo non est donum. |
3. Selon Tullius [Cicéron], la piété est la bienveillance à l’égard des parents : il en fait une partie de la justice. Or, la justice est une vertu. Donc, la piété aussi. Elle n’est donc pas un don. |
[12548] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Isai. 11: ibi
enim inter dona computatur. |
Cependant, [1] ce qui est dit en Is 11 va à l’encontre de cela : en effet, elle est comptée là parmi les dons. |
[12549] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2
qc. 1 s. c. 2 Praeterea,
pietas videtur esse excellentissimum in tota Christiana vita: quia ad omnia
valet, ut dicitur 1 Tim. Et hoc etiam dicit ibi Glossa Ambrosii. Ergo pietas maxime debet poni
donum. |
[2] La piété semble être ce qu’il y a de plus élevé dans toute la vie chrétienne, car elle sert à tout, comme il est dit en 1 Tm. La glose d’Ambroise dit aussi la même chose au même endroit. La piété surtout doit donc être présentée comme un don. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La
piété qui existe sur la route a-t-elle un seul acte selon l’espèce ?]
|
[12550] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Quaeritur de actu pietatis quam habet in via. Et videtur
quod non habeat unum actum secundum speciem. Augustinus enim in Lib. de Doct.
Christiana dicit, quod pietatis est honorare sanctos, non contradicere
Scripturae, sive intellectae, sive non intellectae: et loquitur ibi de dono
pietatis: quod patet ex his quae dicit in quodam sermone de Trinitate, ubi
eumdem actum attribuit pietati, ad quem secundo loco inter dona ascenditur. Gregorius autem assignat
ei pro actu misericordiae operibus insistere. Ergo cum ista duo non
reducantur in idem genus, videtur quod actus pietatis non sit in idem
secundum speciem. |
1. Il semble que la piété qui existe sur la route n’ait pas un seul acte selon l’espèce. En effet, Augustin dit, dans le livre Sur l’enseignement chrétien, qu’il relève de la piété d’honorer les saints, de ne pas contredire l’Écriture, qu’on la comprenne ou non ; et il parle là du don de piété, ce qui ressort de ce qu’il dit dans un sermon sur la Trinité, où il attribue le même acte à la piété, qui est comptée parmi les dons au deuxième endroit. Or, Grégoire attribue comme acte [à la piété] de s’adonner aux œuvres de miséricorde. Puisque ces deux choses ne se ramènent pas au même genre, il semble donc que l’acte de la piété ne soit pas le même selon l’espèce. |
[12551] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, pietas, ut communiter dicitur, in eisdem exequitur in
quibus scientia dirigit. Sed scientia
dirigit in omnibus actibus humanis, quia docet conversari sine offensione in
medio pravae et perversae nationis. Ergo et pietas est circa omnes humanos actus;
et ita non habet solum unum actum in specie. |
2. Comme on le dit communément, la piété exécute les mêmes choses que la science dirige. Or, la science dirige tous les actes humains, car elle enseigne à se comporter sans offense au sein d’une nation mauvaise et perverse. La piété aussi porte donc sur tous les actes humains. Elle n’a donc pas un seul acte selon l’espèce. |
[12552] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, secunda
beatitudo qua dicitur beati mites, ad pietatem reducitur. Sed mititas,
sive mansuetudo, est circa passiones irae, ut philosophus dicit in 4 Ethic.
Ergo et circa eadem est pietas. Sed ipsa est etiam in communicationibus quae
sunt ad alterum, ut patet per auctoritatem Gregorii inductam. Cum ergo haec
duo non reducantur ad idem genus, videtur quod pietas non habeat unum actum
secundum speciem. |
3. La deuxième béatitude, dans laquelle il est dit : Bienheureux les doux, se ramène à la piété. Or, la douceur ou la tendresse porte sur les passions de la colère, comme le dit le Philosophe dans Éthique, IV. La piété porte donc sur les mêmes choses. Or, celle-ci s’exerce aussi dans les rapports avec les autres, comme cela ressort clairement de l’autorité de Grégoire qui a été invoquée. Puisque ces deux choses ne se ramènent pas au même genre, il semble donc que la piété n’ait pas un seul acte selon l’espèce. |
[12553] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, est unus habitus. Ergo habet unum actum principalem. |
Cependant, il y a un seul habitus. Elle a donc un seul acte principal. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 –
[Quel est l’acte du don de piété dans la patrie ?]
|
[12554] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Quaeritur de actu ejus
in patria. Et videtur quod non habeat ibi aliquem actum. Quia pietas in
communicationibus consistit quae ad alterum sunt. Sed hujusmodi
communicationes non erunt in patria, quia omnes sufficientiam ibi a Deo
accipient: propter insufficientiam enim uniuscujusque in se introductae sunt
communicationes, ut patet per philosophum in 5 Ethic. Ergo non erit ibi
pietatis actus. |
1. Il semble qu’il n’ait pas d’acte en cet endroit, car la piété porte sur les échanges avec un autre. Or, ces échanges n’auront pas lieu dans la patrie, car tous trouveront là en Dieu ce qui leur suffit. En effet, c’est en raison de l’insuffisance de chacun que les échanges ont été établis, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Éthique, V. Il n’y aura donc pas là d’acte de piété. |
[12555] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, ad pietatem pertinet misericordiae opera frequentare, ut
dictum est per auctoritatem Gregorii. Sed ibi non erunt opera misericordiae,
ubi nulla erit miseria. Ergo actus pietatis non erit in patria. |
2. Il relève de la piété de s’adonner aux œuvres de miséricorde, comme on l’a dit en suivant l’autorité de Grégoire. Or, il n’y aura pas là d’œuvres de miséricorde, alors qu’il n’y aura aucune misère. Il n’y aura donc pas d’acte de piété dans la patrie. |
[12556] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, in secunda
beatitudine, quae pertinet ad pietatem, ponitur quantum ad statum patriae, possessio
terrae. Sed hoc non videtur aliquem actum importare. Ergo pietas in patria
nullum actum habebit. |
3. Dans la deuxième béatitude, qui se rapporte à la piété, la possession de la terre est indiquée pour ce qui est de l’état de la patrie. Or, cela ne semble pas comporter d’acte. La piété dans la patrie n’aura donc pas d’acte. |
[12557] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, justitiae virtus magis videtur
in patria permanere quam fortitudo, ut prius dictum est. Cum ergo donum
fortitudinis, quod respondet virtuti fortitudinis, habeat aliquem actum in
patria: multo fortius pietas, quae respondet justitiae, ut videtur. |
Cependant, [1] la vertu de justice semble davantage demeurer dans la patrie que la force, comme on l’a dit antérieurement. Puisque le don de force, qui est en rapport avec la vertu de force, possède un acte dans la patrie, à bien plus forte raison donc la piété, qui est en rapport avec la justice, [en possédera-t-elle un], semble-t-il. |
[12558] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, in patria nihil erit otiosum et
frustra. Sed habitus frustra esset, si non in actum exiret, quia operatio est
finis habitus. Cum ergo habitus doni pietatis in patria maneat, et actus ejus
ibidem manebit. |
[2] Dans la patrie, rien ne sera inactif et inutile. Or, un habitus serait inutile s’il ne passait pas l’acte, car l’opération est la fin de l’habitus. Puisque l’habitus du don de piété demeure dans la patrie, son acte aussi y demeurera donc. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
|
[12559] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad
primam quaestionem, quod tota moralis materia in tres partes dividitur:
scilicet in delectabilia, quae carnalis affectus prosequitur; in difficilia,
quae refugit; et in communicabilia, quae ad alterum sunt, quae potius in
actione quam passione consistunt. In singulis ergo eorum dirigit et donum et virtus, sed differenter. Virtus enim dirigit in
his accipiens regulam aliquid humanum, sed donum accipiens pro regula aliquid
divinum. In delectationibus ergo virtute dirigimur quasi dignitate humanae
naturae, cujus deturpationem per temporales delectationes refugimus; sed dono
dirigimur quasi regula ipsa dignitate divina, a qua separari per
inquinationem hujusmodi bonorum refugimus; quod ad timorem pertinet.
Similiter patet ex dictis, art. 1, quaestiunc. 1, quod differenter dirigit
donum fortitudinis a virtutibus, quae ad difficultates sustinendas vel
aggrediendas ordinantur. Et similiter contingit in communicationibus quae ad
alterum sunt: quia in his dirigunt virtutes, accipientes pro mensura aliquid
humanum, puta observantes decentiam, vel debitum ejus qui communicationes
facit; sed donum accipit in his regulam ipsum Deum, ut sicut dictum est, quod
in fortitudine homo aggreditur difficilia utens divina potentia per
confidentiam quasi sua; ita communicat se ad alterum utens Deo quasi seipso,
ut scilicet ea quae ipsum decent in hujusmodi communicationibus, quasi Deo
unitus exequatur. Unde dominus, Matth. 5, ad beneficentiam caelestis patris
hortatur, qui solem suum facit oriri super bonos et malos. Et quia
communicatio quae ad divina est, nomen pietatis habet; ideo et donum quod in
communicationibus divinam mensuram habet, pietas nominatur. |
Toute la matière morale se divise en trois parties : ce qui peut être objet de délectation, que recherch l’affectivité charnelle ; ce qui est difficile, que [celle-ci] fuit ; ce qui peut être objet d’échanges, qui concerne les autres et qui consiste plutôt dans l’action que dans la passion. Dans chacune d’elles, un don et une vertu dirigent, mais de manière différente. En effet, la vertu dirige en acceptant comme règle dans ces [matières] quelque chose d’humain, mais le don, en acceptant comme règle quelque chose de divin. Dans les délectations, nous sommes donc dirigés par la vertu pour ainsi dire par la dignité de la nature humaine, dont nous fuyons la souillure par les plaisirs temporels ; mais nous sommes dirigés par le don comme par une règle pour ainsi dire par la dignité divine, dont nous fuyons la séparation par la souillure de ces biens, ce qui relève de la crainte. De même ressort-il de ce qui a été dit, a. 1, qa 1, que le don de force dirige de manière différente que les vertus, qui sont ordonnées à supporter ou à attaquer les difficultés. Il en est de même dans les échanges qui concernent un autre, car les vertus dirigent dans ceux-ci en prenant pour mesure quelque chose d’humain, par exemple, la décence ou ce qui est dû par celui qui accomplit les échanges ; mais le don prend en cela comme règle Dieu lui-même, de sorte que, ainsi qu’on l’a dit, l’homme s’attaque aux choses difficiles par la force en faisant usage, par la confiance, de la puissance divine comme si elle était la sienne ; ainsi, il se donne en échange à un autre en faisant usage de Dieu comme s’il était lui-même, de sorte que ce qui lui convient dans de tels échanges, il l’accomplit en tant qu’uni à Dieu. De là vient que le Seigneur, en Mt 5, exhorte à se montrer bon comme le Père céleste, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants. Et parce que l’échange qui concerne les réalités divines porte le nom de piété, le don qui comporte une mesure divine dans les échanges s’appelle donc la piété. |
[12560] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur
dicendum, quod donum
immediatius ordinat ad Deum quantum ad modum operandi, sive mensuram operis,
quam virtus; non autem quantum ad objectum vel finem. Quamvis ergo pietas
virtus, quae latria dicitur, ipsi Deo exhibeatur; in hoc tamen accipit
aliquid humanum pro mensura, scilicet beneficium a Deo acceptum, ratione
cujus est debitor ei: sed pietas quae est donum, accipit in hoc aliquid divinum
pro mensura, ut scilicet Deo honorem impendat, non quia sit ei debitus, sed
quia Deus honore dignus est, per quem modum etiam ipse Deus sibi honori est. |
1. Le don ordonne à Dieu de manière plus immédiate que la vertu du point de vue de la manière d’agir ou de la mesure de l’action, mais non du point de vue de l’objet ou de la fin. Bien que la vertu de piété, appelée latrie, soit manifestée à Dieu lui-même, elle prend cependant pour mesure quelque chose d’humain : un bienfait reçu de Dieu, en raison duquel elle est débitrice envers lui. Mais la piété qui est un don prend comme mesure en cela quelque chose de divin : rendre honneur à Dieu, non pas parce qu’il lui est dû, mais parce que Dieu est digne d’honneur. De cette manière, Dieu est honoré pour lui-même. |
[12561] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod pietas donum in hoc differt a misericordia,
quia misericordia studet ad relevandas miserias proximorum ex hoc quod sunt
conjuncti vel sanguine, vel familiaritate, vel saltem naturae similitudine,
in omnibus aliquid humanum pro mensura accipiens, sicut aliae virtutes; sed
pietas donum movetur ad relevandas eorum miserias ex aliquo divino; scilicet
inquantum sunt filii Dei, vel divina similitudine insigniti; unde et magis proprie
nomen pietatis habet, quae divinum quid sonat: quamvis et ipsa misericordia,
secundum Augustinum 10 de Civit. Dei, more vulgi pietas dicatur: quod ideo
accidit, quia eam sibi Deus quasi sacrificium placere testatur. Unde et
philosophus dicit in 4 Ethic., quod dona habent aliquid simile Deo sacratis. |
2. Le don de piété diffère de la miséricorde en ce que la miséricorde s’efforce de soulager la misère du prochain parce qu’ils sont unis par le sang, par la participation à la famille ou au moins par une ressemblance naturelle ; elle prend en tout cela comme mesure quelque chose d’humain, comme les autres vertus. Mais le don de piété est mû à soulager la misère par quelque chose de divin, à savoir, que ce sont des fils de Dieu ou qu’ils sont marqués de la ressemblance divine. Aussi porte-t-il d’une manière plus propre le nom de piété, qui évoque quelque chose de divin, bien que la miséricorde, selon Augustin, La cité de Dieu, X, soit communément appelée piété : cela vient de ce qu’il attesté qu’elle plaît à Dieu comme sacrifice. Aussi le Philosophe dit-il, dans Éthique, IV, que les dons ont quelque chose de semblable aux sacrifices faits à Dieu. |
[12562] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod etiam in parentibus est aliquid divinum
respectu filiorum, inquantum ipsi filiis causa sunt essendi; et ideo virtus
beneficentiae ad ipsos, pietas vocatur: accipit tamen mensuram aliquid
humanum, ut dictum est, in quo differt a dono. |
3. Chez les parents aussi, il y a quelque chose de divin par rapport à leurs enfants, dans la mesure où ils sont eux-mêmes la cause de l’être pour leurs enfants. C’est pourquoi la vertu de bienfaisance à leur égard est appelée piété. Cependant, elle prend comme mesure quelque chose d’humain, ainsi qu’on l’a dit, en quoi elle diffère du don. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
|
[12563] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod pietas donum uno et eodem modo
dirigit in communicationibus omnibus quae ad alterum sunt, aliam tamen
mensuram accipiens quam virtutes: quae mensura, quia simplex est et una, ideo
pietas unus habitus est specialis: et ex comparatione ad hanc mensuram omnis
ejus actus specificatur. |
Le don de piété dirige d’une seule et même manière dans tous les échanges avec un autre, en prenant cependant une autre mesure que les vertus. Cette mesure, parce qu’elle est simple et unique, fait donc que la piété est un seul habitus particulier. C’est par comparaison avec cette mesure que tous ses actes sont spécifiés. |
[12564] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod donum pietatis operatur et in materia
latriae et in materia misericordiae, quamvis alio modo ab eis; et ideo non
est inconveniens, si illa duo ad pietatem pertinent: exhibere enim
reverentiam sacrae Scripturae et aliis divinis, ad latriam pertinere videtur. |
1. Le don de piété agit en matière de latrie et en matière de miséricorde, bien que d’une autre manière qu’elles. C’est pourquoi il n’est pas inapproprié que ces deux choses relèvent de la piété : en effet, manifester de la révérence envers la Sainte Écriture et les autres réalités divines semble relever de la latrie. |
[12565] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod scientia dirigit in omnibus humanis, in
quibus exequuntur et timor et pietas et fortitudo; sed per quamdam
adaptationem scientia et pietas combinantur: quia in his quae ad alterum
sunt, homo operans quasi judicium quoddam exercet: judicium autem et imperium
de agendis ad scientiam pertinet, sicut ad prudentiam: et similiter per
quamdam adaptationem fortitudini consilium combinatur: quia in rebus
difficilibus, in quibus habet fortitudo executionem, praecipue consilia
inquirimus, quamvis consilium in omnibus humanis dirigat. |
2. La science dirige dans toutes les choses humaines pour lesquelles crainte, piété et force sont mises en œuvre. Mais la science et la piété sont combinées par une certaine adaptation, car, pour ce qui se rapporte à un autre, l’homme qui agit exerce pour ainsi dire un jugement. Or, le jugement et le commandement sur ce qu’il faut faire relève de la science comme de la prudence. De même, le conseil est-il combiné à la force par une certaine adaptation, car c’est dans les choses difficiles, où l’exécution relève de la force, que nous cherchons surtout conseil, bien que le conseil dirige dans toutes les choses humaines. |
[12566] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ira et perturbat hominem in seipso, et
commovet eum ad alium, inquantum est appetitus vindictae; et per consequens
mansuetudo hominem et in seipso perficit et ad alterum; et ex hac parte
mititas ad pietatem reducitur. |
3. La colère trouble l’homme en lui-même et le meut envers un autre, dans la mesure où elle est un désir de vengeance. Par conséquent, la douceur perfectionne l’homme en lui-même et envers un autre. De ce point de vue, la douceur se ramène donc à la piété. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
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[12567] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem
dicendum, quod de actu pietatis plus potest in patria remanere quam de actu
fortitudinis: potest enim non tantum remanere actus qui est per comparationem
ad mensuram quam pietas donum attendit, scilicet adhaerere ipsi Deo; sed
etiam actus qui est per comparationem ad eos quibus beneficia praestare
paratus erat secundum affectum, ut scilicet benevolentiam ad eos servet, et
de eorum bonis congaudeat, et de suis etiam largiatur secundum modum istius
vitae, secundum quem superiores aliquid influunt inferioribus, secundum
doctrinam Dionysii. |
Dans la patrie, quelque chose de l’acte de la piété peut davantage demeurer que de l’acte de la force. En effet, peut demeurer non seulement l’acte posé par comparaison à la mesure que le don de piété considère, à savoir, adhérer à Dieu lui-même, mais aussi l’acte posé par comparaison à ceux à qui il était disposé à accorder des bienfaits selon une disposition affective, à savoir, leur garder sa bienveillance, se réjouir avec eux de leurs biens et leur dispenser des siens selon le mode de cette vie, d’après lequel les êtres supérieurs exercent une influence sur les êtres inférieurs, selon l’enseignement de Denys. |
[12568] Super Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
non erit communicatio ad supplendam indigentiam, sed ad augendam laetitiam. |
1. Il n’y aura pas d’échange pour combler une indigence, mais pour augmenter la joie. |
[12569] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod loquitur de pietate secundum actum quem
habet in via. |
2. Il parle de la piété selon l’acte qu’elle a en cours de route. |
[12570] Super Sent.,
lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod possessio terrae praesupponit haustum
sufficientiae a Deo, per quem possint in alios influere vel secundum affectum
vel secundum effectum. |
3. La possession de la terre présuppose qu’on ait suffisamment puisé en Dieu, par qui on pourra exercer une influence sur d’autres, soit par une disposition affective, soit par l’effet. |
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Expositio textus |
Explication du texte de Pierre
Lombard, Dist. 34
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[12571] Super
Sent., lib. 3 d. 34 q. 3 a. 2 qc. 3 expos. Hic timor malus est. Non
enim quandocumque timetur periculum carnis, dicitur timor humanus; neque
quando timetur amissio boni temporalis, dicitur timor mundanus; sed tantum
quando talis timor est inordinatus; et ideo semper sonat in malum. Cum
supra Beda duos dixerit esse timores. Beda distinxit timores secundum
quod retrahunt a malo culpae, et distinxit secundum retrahentia, quae sunt
duo, poena futura, et separatio a Deo. Sed Magister distinxit timores
secundum inclinationes ad malum et secundum retractionem, non solum quantum
ad motiva, sed etiam quantum ad status. Sed eo quod mala times, corrigis
te. Contra. Augustinus dicit, quod in timore servili manet voluntas
peccandi. Ergo non corrigit se. Et dicendum, quod manet voluntas non
absoluta, sed conditionata, quae velleitas dicitur, ut scilicet peccaret, si
impune liceret. Sciendum tamen, quod uterque timor, scilicet servilis et
initialis, in Scripturae diversis locis dicitur initium sapientiae.
Videtur hoc esse falsum: quia sapientia est perfectius donum quam timor, et
ita timor non est principium ejus. Et dicendum, quod non est principium sicut
creans essentiam ejus, sed sicut dispositio ad ipsam, a quo incipit motus in
sapientiam perveniens. |
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Distinctio 35 |
Distinction 35 – [La vie active
et la vie contemplative]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [La vie active et la vie contemplative]
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Prooemium |
Prologue |
[12572] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de donis, hic ostendit differentiam
quorumdam donorum ad invicem, quae maxime convenire videntur, idest
sapientiae, scientiae, et intellectus; et dividitur in partes duas: in prima
assignat differentiam; in secunda removet quaedam dubia, ibi: et notandum
quod intellectus et scientia quae dicuntur dona spiritus sancti alia sunt ab
intellectu et scientia quae naturaliter sunt in hominis anima. Circa
primum duo facit: primo assignat differentiam inter scientiam et sapientiam;
secundo inter sapientiam et intellectum, ibi: ostensa differentia inter
sapientiam et scientiam. Et notandum et cetera. Hic removet quaedam
dubia; et primo circa scientiam et intellectum; secundo circa sapientiam,
ibi: illud etiam sciendum, quod sapientia de qua nunc disserimus, non est
illa Dei sapientia quae Deus est. Hic est duplex quaestio. Primo de vita
activa et contemplativa. Secundo de donis perficientibus in utraque vita.
Circa primum quaeruntur quatuor: 1 de divisione vitae in activam et
contemplativam; 2 de vita contemplativa; 3 de activa; 4 de comparatione unius
ad aliam. |
Après avoir déterminé des dons, le Maître montre ici la différence entre certains dons, qui semblent le plus se rejoindre : la sagesse, la science et l’intelligence. Cela se divise en deux parties : dans la première, il indique la différence ; dans la seconde, il écarte certains doutes, à cet endroit : « Et il faut noter que l’intelligence et la science, qu’on appelle dons du Saint-Esprit, sont différentes de l’intelligence et de la science qui existent naturellement dans l’âme de l’homme. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il indique la différence entre la science et la sagesse ; deuxièmement, entre la sagesse et l’intelligence, à cet endroit : « Après avoir montré la différence entre la sagesse et la science… » « Et il faut noter, etc… » Il écarte ici certains doutes : premièrement, à propos de la science et de l’intelligence ; deuxièmement, à propos de la sagesse, en cet endroit : « Il faut aussi savoir que la sagesse dont nous parlons n’est pas la sagesse qui est Dieu. » Il y a ici deux questions : la première, sur la vie active et la vie contemplative ; la deuxième, sur les dons qui sont à l’œuvre dans les deux vies. À propos du premier point, quatre questions sont posées : 1. À propos de la division de la vie en active et contemplative. 2. À propos de la vie contemplative. 3. À propos de la vie active. 4. À propos de la comparaison de l’une avec l’autre. |
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Articulus 1 [12573] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a.
1 tit. Utrum vita
convenienter dividatur per activam et contemplativam |
Article 1 – La vie est-elle divisée de manière appropriée en active et contemplative ? |
[12574] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod vita
inconvenienter dividatur per activam et contemplativam. Vivere enim, ut dicit
philosophus in 2 de anima, viventibus est esse. Sed contemplativum et activum non ostendunt
differentiam in essendo, sed magis in operando. Ergo non sunt differentiae
vitae. |
1. Il semble qu’il soit inapproprié de diviser la vie en active et contemplative. En effet, comme le dit le Philosophe dans Sur l’âme, II, vivre, c’est être pour les vivants. Or, « contemplatif » et « actif » ne mettent pas en évidence une différence dans l’être, mais plutôt dans l’agir. Ce ne sont donc pas des différences de la vie. |
[12575] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, philosophus, in 2 de anima, dicit: vivere secundum hoc
principium, scilicet animam vegetabilem, inest viventibus. Sed
anima vegetabilis nullo modo participat contemplationem, neque etiam agere
ipsius est, sicut dicitur in 6 Ethic. Ergo vita inconvenienter dividitur per
activam et contemplativam. |
2. Dans Sur l’âme, II, le Philosophe dit : « Vivre selon ce principe, à savoir, selon l’âme végétative, est intrinsèque aux vivants ». Or, l’âme végétative ne participe aucunement à la contemplation, elle n’est pas non plus son acte propre, comme on le dit dans Éthique, VI. La vie est donc divisée de manière inappropriée en active et contemplative. |
[12576] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, in Lib. de causis dicitur, quod vita est continuus motus ab
ente sempiterno. Sed motus operationem importat. Cum ergo omnis operatio sit actio
quaedam, videtur quod omnis vita sit activa; et ita non erit differentia
vitae activum. |
3. Dans le livre Sur les causes, on dit que la vie est un mouvement continu issu de l’être éternel. Or, le mouvement comporte une opération. Puisque toute opération est une action, il semble donc que tout vie soit active. Ainsi, ce qui est actif dans la vie ne sera pas une différence. |
[12577] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, philosophus, in 2 de anima, dividit vivere in quatuor,
scilicet nutriri, sentire, et moveri secundum locum, et intelligere. Ergo
insufficienter dividitur per has duas differentias, activum et
contemplativum. |
4. Dans Sur l’âme, II, le Philosophe divise l’action de vivre en quatre : se nourrir, sentir, se mouvoir localemenet et intelliger. [La vie] est donc insuffisamment divisée par ces deux différences : ce qui est actif et ce qui est contemplatif. |
[12578] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, Augustinus, in Lib. de Civ. Dei, apponit tertium membrum,
scilicet compositum ex utroque. Ergo videtur quod insufficienter dividatur
per activum et contemplativum. |
5. Dans le livre La cité de Dieu, Augustin ajoute un troisième membre : un composé des deux. Il semble donc que [la vie humaine] soit divisée de manière insuffisante en active et contemplative. |
[12579] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed in contrarium
sunt multae auctoritates sanctorum, quae dicunt per Martham et Mariam, Luc. 10, signari duas
vitas, activam et contemplativam. |
Cependant, [1] beaucoup d’autorités des saints vont en sens contnraire : elles disent que, par Marthe et Marie, Lc 10, les deux vies sont indiquées : l’active et la contemplative. |
[12580] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1
s. c. 2 Praeterea,
vita hominis est secundum id a quo homo est homo. Hoc autem est intellectus.
Cum ergo intellectus dividatur in activum et contemplativum, idest
speculativum et practicum, videtur quod humana vita in haec duo dividi
debeat. |
[2] La vie de l’homme est conforme à ce par quoi l’homme est homme. Or, cela est l’intelligence. Puisque l’intelligence se divise en active et contemplative, c’est-à-dire spéculative et pratique, il semble donc que la vie humaine doive être divisée entre ces deux choses. |
[12581] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, secundum philosophum in 9 Ethic. illud dicitur esse
uniuscujusque vita in quo maxime studet, sicut militis in pugnando, et
ebriosi in potando; unde et in talibus ad amicos convivere volunt. Sed hoc in
quo maxime studet quis, est illud quod finem suae vitae ponit. Cum igitur
finis humanae vitae felicitas ponatur, quae secundum philosophos in civilem
et contemplativam dividitur, ut patet in 10 Ethic., videtur etiam quod humana
vita in activam et contemplativam dividi debeat. |
[3] Selon le Philosophe, Éthique, IX, on dit qu’est la vie de quelqu’un ce à quoi il s’applique le plus : ainsi, pour le soldat, combattre, et pour les ivrognes, boire. Aussi veulent-ils partager cela avec leurs amis. Or, ce à quoi quelqu’un s’applique est ce qu’il donne comme fin à sa vie. Puisque la félicité est donnée comme la fin de la vie humaine, qui, selon les philosophes, se divise en civile et contemplative, comme cela ressort d’Éthique, X, il semble donc que la vie humaine doive être divisée en active et contemplative. |
[12582] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod nomen vitae ex hoc
sumptum videtur
quod aliquid a seipso potest moveri; et ideo ex hoc dicta sunt primo aliqua
vivere, quia visa sunt a seipsis moveri, sicut plantae per motum augmenti, et
animalia per motum insuper localem; ea vero quae visa sunt non moveri nisi ab
aliis mota, dicta sunt mortua, vel vita carentia, sicut lapides et ligna.
Unde etiam per quamdam transumptionem ea quorum principium motus in ipsis est
dicuntur viventia, quamvis non seipsa moveant, sicut aquae scaturientes
impetu sui motus a terra dicuntur vivae: aquae autem immobiles congregatae in
lacunis dicuntur aquae mortuae. Ulterius, nomen vitae attributum est omnibus
operationibus quas aliquis a seipso exercet non ab alio motus, etiam si motus
non sint; sicut nomen motus ad operationem quamlibet solet transferri, sicut
dicitur sentire et intelligere motus; et secundum hoc non solum quae moventur
a seipsis vel per augmentum vel localiter, dicuntur vivere, sed omnia quae ex
seipsis appetunt, sentiunt, intelligunt: haec enim dicuntur operationes
vitae. Quamvis autem plures dictarum operationum in aliquo sint, ex illa
tamen dicitur vita ejus quae principalis in ipso est; sicut animalium vita
dicitur in sentiendo, quamvis etiam nutriantur; et hominum in intelligendo,
quamvis etiam sentiant; et hoc non solum est accipiendum secundum naturales
potentias, sed etiam secundum habitus superadditos. Unde vita uniuscujusque
hominis dicitur in hoc consistere in quo summum studium impendit et curam, ut
dicit philosophus in 9 Ethic.: et sic accipiendo vitam, dividitur in activam
et contemplativam. Cum enim vita humana ordinata (quia de inordinata non
intendimus, sicut est voluptuosa, quae nec humana est, sed bestialis)
consistat in operatione intellectus et rationis; habeat autem intellectiva
pars duas operationes, unam quae est ipsius secundum se, aliam quae ipsius
est secundum quod regit inferiores vires; erit duplex vita humana: una quae
consistit in operatione quae est intellectus secundum seipsum, et haec
dicitur contemplativa; alia quae consistit in operatione intellectus et
rationis secundum quod ordinat et regit et imperat inferioribus partibus, et
haec dicitur activa vita. Unde secundum philosophum agere proprie dicitur operatio
quae est a voluntate imperata, in ipso operante consistens, non in materiam
exteriorem transmutandam transiens: quia hoc esset facere, quod est operatio
mechanicae artis. Morales enim virtutes quae in vita activa perficiunt, circa agibilia
dicuntur. |
Réponse. Le nom de « vie » semble venir de ce que quelque chose peut se mouvoir par soi-même. C’est pourquoi on dit d’abord que certaines choses vivent parce qu’elles semblent se mouvoir elles-mêmes, comme les plantes par un mouvement de croissance, et les animaux par un mouvement local qui s’y ajoute. Mais celles qui ne semblent n’être mues que par d’autres sont dites mortes ou manquant de vie, comme les pierres et le bois. Ainsi, par une certaine transposition, les choses dont le principe du mouvement est en elles sont-elles appelées vivantes, bien qu’elles ne se meuvent pas elles-mêmes, comme les eaux qui jaillissent de la terre sous l’impulsion de leur mouvement sont-elles appelées [eaux] vives, mais les eaux immobiles rassemblées dans une mare sont-elles dites mortes. Au-delà, le nom de « vie » a été attribué à toutes les opérations que quelqu’un exerce sans être mû par un autre, même s’il ne s’agit pas de mouvements ; ainsi, on a coutume de reporter le nom de «mouvement » sur toute opération, comme on dit que sentir et intelliger sont des mouvements. Sous cet aspect, non seulement dit-on que vivent les choses qui sont mues par elles-mêmes, soit par la croissance, soit localement, mais tout ce qui désire, sent, intellige par soi. On appelle cela des opérations de la vie. Or, même si plusieurs de ces opérations existent dans une chose, on dit qu’est sa vie l’opération qui y est principale. Ainsi, on parle de la vie des animaux pour la sensation, bien qu’ils se nourrissent aussi ; de la vie des hommes pour l’intellection, bien qu’ils aient aussi des sensations. Et cela ne doit pas être entendu seulement des puissances naturelles, mais aussi des habitus ajoutés. On dit donc que la vie de chaque homme consiste en ce à quoi il accorde le plus d’application et de soin, comme le dit le Philosophe, Éthique, IX. Ainsi entendue, la vie se divise en active et contemplative. En effet, puisque la vie humaine ordonnée (nous ne parlons pas de la vie désordonnée, comme l’est la vie voluptueuse, qui n’est pas humaine, mais bestiale) consiste dans l’opération de l’intellect et de la raison, et que la partie intellective comporte deux opérations : l’une qui lui revient par elle-même ; l’autre, qui lui revient selon qu’elle dirige les puissances inférieures, il y aura une double vie humaine : l’une qui consiste dans l’opération de l’intellect en lui-même, et celle-ci s’appelle [la vie] contemplative ; l’autre qui consiste dans l’opération de l’intellect et de la raison selon qu’elle ordonne, dirige et commande les parties inférieures, et celle-ci est appelée la vie active. Selon le Philosophe, on parle donc d’« accomplir » (agere) au sens propre pour l’opération qui est commandée par la volonté, qui demeure à l’intérieur de celui-là même qui agit, et qui ne passe pas dans une matière extérieure pour la transformer, car il s’agirait alors de « faire » (facere), ce qui est l’opération de l’art mécanique. En effet, on dit que les vertus morales, qui perfectionnent pour la vie active, portent sur ce qui doit être accompli (agibilia/agere). |
[12583] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod essentia rei ex operatione ipsius cognoscitur; et ideo ex
operationibus quibus per prius convenit nomen vitae translatum est nomen ad
ipsum esse, secundum quod alius est effectus talium operationum. |
1. L’essence d’une chose est connue à partir de son opération. C’est pourquoi le nom de « vie » a d’abord été reporté sur l’être lui-même à partir des opérations auxquelles il convient, selon que l’effet de telles opérations est différent. |
[12584] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod secundum animam vegetabilem dicitur esse vivere, non quasi in
operationibus ejus tantum vita consistat; sed quia operationes ejus sunt
primae operationes vitae in nobis; per quem modum dicitur secundum tactum
inesse sensus animalibus. |
2. On dit qu’être selon l’âme végétative, c’est vivre, non pas que la vie consiste seulement dans ses opérations, mais parce que ses opérations sont les premières opérations de la vie en nous. De cette manière, on dit que la sensation existe chez les animaux par le toucher. |
[12585] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod illa auctoritas intelligenda est de vita qua corpora caelestia
ponebantur a quibusdam vivere velut ex se mota: quam opinionem videtur sequi
ille qui librum illum condidit. |
3. Cette autorité doit s’entendre de la vie par laquelle certains affirmaient que les corps célestes vivent, comme s’ils étaient mus par eux-mêmes. Celui qui a écrit ce livre semble suivre cette opinion. |
[12586] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod philosophus distinxit vitam secundum quod
est communis omnibus viventibus; sed nunc loquimur de divisione vitae
humanae. |
4. Le Philosophe a fait une distinction pour la vie qui est commune à tous les vivants. Mais nous parlons maintenant de la division de la vie humaine. |
[12587] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod illud tertium membrum apponitur ab Augustino
non quantum ad diversitatem vitae, sed magis quantum ad diversitatem
viventium. Quidam enim sunt qui exercitiis activae insistunt principaliter,
quamvis etiam quandoque contemplationis actus exequantur: quidam vero sunt
qui postpositis curis activae, principaliter contemplationi student; alii
vero qui circa utrumque insistunt. Sunt nihilominus et quaedam operationes
quae utrumque requirunt, sicut praedicatio et doctrina, quae a contemplatione
inchoatae in actionem terminant, sicut a causa in effectum procedentes; et
hoc medium in extremis includitur. |
5. Ce troisième membre est donné par Augustin, non pas pour faire une distinction dans la vie, mais plutôt pour distinguer les vivants. En effet, certains s’adonnent principalement aux exercices de la vie active, bien qu’ils accomplissent aussi parfois des actes de contemplation. Mais certains, après avoir écarté les préoccupations de la vie active, s’appliquent principalement à la contemplation. Mais certains s’adonnent aux deux. Il existe néanmoins certaines opérations qui exigent les deux, comme la prédication et l’enseignement, qui, commencées par la contemplation, s’achèvent dans l’action, comme passant de la cause à l’effet. Cet état intermédiaire est compris dans les extrêmes. |
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Articulus 2 [12588] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a.
2 tit. Utrum vita
contemplativa consistat tantum in actu cognitivae |
Article 2 – La vie contemplative consiste-t-elle seulement dans l’acte de la [puissance] cognitive ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La
vie contemplative consiste-t-elle seulement dans l’acte de la puissance
cognitive ?]
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[12589] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod
vita contemplativa consistat tantum in actu cognitivae. Quia contemplationis
finis est veritas. Sed veritas tantum ad cognitionem pertinet. Ergo vita contemplativa
tantum in operatione cognitivae consistit. |
1. Il semble que la vie contemplative consiste seulement dans l’acte de la puissance cognitive, car la fin de la contemplation est la vérité. Or, la vérité ne relève que de la connaissance. La vie contemplative consiste donc uniquement dans l’opération de la puissance cognitive. |
[12590] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, vita contemplativa a sanctis otium dicitur; et philosophus
etiam in 10 Ethic. dicit ipsam vacationem. Sed voluntas est vis motiva. Cum
ergo motus otio et vacationi repugnet, videtur quod vita contemplativa non
consistat in actu affectivae, sed solum in actu cognitivae. |
2. La vie contemplative est appelée par les saints un « loisir » (otium) ; dans Éthique, X, le Philosophe l’appelle aussi une retraite (vacatio). Or, la volonté est une puissance motrice. Puisque le mouvement s’oppose au loisir et à la retraite, il semble donc que la vie contemplative ne consiste pas dans l’acte de la [puissance] affective, mais seulement dans l’acte de la [puissance] cognitive. |
[12591] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, proportionantur operationes habitibus. Sed dona quae
perficiunt in vita contemplativa tantum, ad cognitionem pertinent, scilicet
sapientia et intellectus. Ergo vita contemplativa consistit tantum in cognitione. |
3. Les opérations sont proportionnées aux habitus. Or, les dons, qui ne perfectionnent que pour la vie contemplative, ne relèvent que de la connaissance : la sagesse et l’intelligence. La vie contemplative consiste donc seulement dans la connaissance. |
[12592] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Isidorus
dicit in Lib. differentiarum, quod contemplativa vita est quae vacans ab omni
negotio, in sola Dei dilectione defigitur. Sed dilectio ad affectivam
pertinet. Ergo vita contemplativa non consistit tantum in cognitione. |
Cependant, [1] Isidore dit dans le Livre sur les différences, que « la vie contemplative est celle qui, soustraite à tout travail, se consacre au seul amour de Dieu ». Or, l’amour relève de la partie affective. La vie contemplative ne consiste donc pas seulement dans la connaissance. |
[12593] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, gustare ad
affectum pertinet, sicut videre ad intellectum. Sed Gregorius dicit, quod contemplativa vita
sapore intimo venturam jam requiem degustat. Ergo contemplativa vita non
consistit tantum in cognitione. |
[2] Goûter relève de la puissance affective, comme voir relève de l’intellect. Or, Grégoire dit que « la vie contemplative goûte déjà par une dégustation intime le repos à venir ». La vie contemplative ne consiste donc pas seulement dans la connaissance. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La
vie contemplative consiste-t-elle dans l’opération de la raison ?]
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[12594] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod consistat in operatione
rationis. Vita enim
contemplativa est vita humana. Sed humana vita est secundum operationem humanam.
Cum ergo operatio humana sit secundum rationem, a qua dicitur homo, videtur
quod vita contemplativa consistat in operatione rationis principaliter. |
1. Il semble qu’elle consiste dans l’opération de la raison. En effet, la vie contemplative est une vie humaine. Or, la vie humaine consiste dans une opération humaine. Puisque l’opération humaine est conforme à la raison, en vertu de quoi on parle de l’homme, il semble donc que la vie contemplative consiste principalement dans l’opération de la raison. |
[12595] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, vita contemplativa praecipue consistit in cognitione
divinorum. Sed invisibilia Dei per ea quae facta sunt cognoscuntur, Roman. 1; cognoscere autem ex
aliquibus alia, rationis est. Ergo vita contemplativa praecipue consistit in
operatione rationis. |
2. La vie contemplative consiste principalement dans la connaissance des réalités divines. Or, ce qui est invisible en Dieu est connu par ce qui a été créé, Rm 1. Or, connaître à partir d’autres choses relève de la raison. La vie contemplative consiste donc principalement dans l’opération de la raison. |
[12596] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Richardus de sancto Victore dicit in libro de
contemplatione: contemplationis nostrae volatus multiformiter variatur;
nunc de inferioribus ad summa ascendit, nunc de superioribus ad ima
descendit; et nunc de parte ad totum, nunc de toto ad partem discurrit; nunc
a majori, nunc a minori argumentum trahit. Sed iste discursus videtur ad rationem
pertinere. Ergo vita contemplativa principaliter in actu rationis consistit. |
3. Richard de Saint-Victor dit, dans le livre Sur la contemplation : « L’envol de notre contemplation change de plusieurs façons. Parfois, il monte depuis les réalités inférieures vers les réalités les plus élevées ; parfois, il descend des réalités supérieures vers les réalités les plus infimes ; parfois, il passe (discurrit) de la partie au tout, parfois, du tout à la partie ; parfois, il tire argument de ce qui est plus grand, parfois, de ce qui est plus petit. » Or, cette démarche (discursus) semble relever de la raison. La vie contemplative consiste donc principalement dans l’acte de la raison. |
[12597] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, Bernardus in libro 2 de
consideratione dicit, quod contemplatio in hoc distat a consideratione,
quia consideratio ad inquisitionem magis se habet, contemplatio autem est
verus certusque animi intuitus. Sed intueri est intellectus, inquirere
autem rationis. Ergo contemplativa vita non consistit in actu rationis, sed
intellectus. |
Cependant, [1] dans le livre Sur la considération, Bernard dit que « la contemplation diffère de la considération en cela que la considération s’adonne davantage à la recherche, mais que la contemplation est un regard vrai et certain de l’esprit ». Or, regarder relève de l’intellect, mais rechercher, de la raison. La vie contemplative ne consiste donc pas dans l’acte de la raison, mais de l’intellect. |
[12598] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, secundum philosophum in 10
Ethic., secundum vitam contemplativam communicamus cum Deo. Non autem
communicamus cum eo secundum inquisitionem rationis, sed magis secundum
intellectus intuitum. Ergo contemplativa vita non consistit in actu rationis,
sed intellectus tantum. |
[2] Selon le Philosophe, Éthique, X, nous avons en commun avec Dieu la vie contemplative. Or, nous n’avons pas en commun avec lui la recherche de la raison, mais plutôt le regard de l’intellect. La vie contemplative ne consiste donc pas dans l’acte de la raison, mais dans l’acte de l’intellect seulement. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 –
[Tout acte de l’intellect relève-t-il de la vie contemplative ?]
|
[12599] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod omnis actus intellectus ad vitam contemplativam
pertineat. Sicut enim se habet vita activa ad agibilia, ita se habet
contemplativa ad contemplabilia. Sed omnes actus circa agibilia ad vitam
activam pertinent. Ergo omnes actus intellectus circa intelligibilia ad
contemplativam vitam pertinent. |
1. Il semble que tout acte de l’intellect relève de la vie contemplative. En effet, le rapport de la vie active aux actes à poser est le même que celui de la vie contemplative à ce qui doit être contemplé. Or, tous les actes portant sur ce qui doit être accompli relèvent de la vie active. Tous les actes de l’intellect portant sur les intelligibles relèvent donc de la vie contemplative. |
[12600] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, vita contemplativa, secundum philosophum in 10 Ethic., in
philosophiae consideratione consistit. Sed philosophia est de omnibus
entibus. Ergo omnis operatio intellectus pertinet ad vitam contemplativam,
cum intellectus non sit non entium. |
2. La vie contemplative, selon le Philosophe, Éthique, X, consiste dans la considération de la philosophie. Or, la philosophie porte sur tous les êtres. Toute opération de l’intellect relève donc de la vie contemplative, puisque l’intellect ne porte pas sur ce qui n’est pas. |
[12601] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, Richardus de sancto
Victore ponit sex species contemplationis. Prima est, quando sensibilia per
imaginationem considerantes, in eis divinam sapientiam admiramur. Secunda est, quando earum
rationes inquirimus. Tertia, quando ex visibilibus in invisibilia ascendimus.
Quarta, quando, remota imaginatione, in solis intelligibilibus versamur.
Quinta, quando ea consideramus quae ex divina revelatione cognoscimus, non
humana ratione. Sexta, quando ea consideramus quibus etiam humana ratio
contradicere videtur. Sed in his speciebus comprehenditur omnis operatio intellectus. Ergo
omnis operatio intellectus ad vitam contemplativam pertinet. |
3. Richard de Saint-Victor indique six espèces de contemplation. La première consiste en ce que, en considérant les réalités sensibles par l’imagination, nous admirions en elles la sagesse divine. La seconde consiste à en rechercher les raisons. La troisième, à monter depuis les réalités visibles vers les réalités invisibles. La quatrième, à nous tourner vers les seules réalités intelligibles, après avoir écarté l’imagination. La cinquième, à considérer ce que nous connaissons par la révélation divine, et non par la raison humaine. La sixième, à considérer celles avec lesquelles la raison humaine semble être encore en contradiction. Or, toute les opérations de l’intellect sont comprises dans ces espèces. Toute opération de l’intellect relève donc de la vie contemplative. |
[12602] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Isidorus in
Lib. de Sum. bono: contemplativa vita mundo renuntians, soli Deo vivere
delectatur. Sed non vivit
soli Deo nisi quando Deum solum cogitat. Ergo non omnis operatio intellectus
ad contemplativam vitam pertinet. |
Cependant, [1] dans le livre Sur le bien suprême, Isidore dit : « En renonçant au monde, la vie contemplative se délecte de vivre seulement pour Dieu. » Or, on ne vit pour Dieu seul que lorsqu’on pense à Dieu seul. Toute opération de l’intellect ne relève donc pas de la vie contemplative. |
[12603] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, circa idem videtur esse vita
contemplativa et felicitas contemplativa. Sed felicitas contemplativa est
tantum in consideratione nobilissimi intelligibilis, quod constat Deum esse,
secundum philosophum in 10 Ethic. Ergo vita contemplativa in sola Dei
consideratione consistit. |
[2] La vie contemplative et la félicité contemplative semblent porter sur la même chose. Or, la félicité contemplative porte seulement sur la considération de l’intelligible le plus noble, qui s’avère être Dieu, selon le Philosophe, Éthique, X. La vie contemplative consiste donc seulement dans la considération de Dieu. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
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[12604] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem,
quod vita, secundum quod nunc loquimur, consistit in operatione cui aliquis
principaliter mancipatur: cujus ratione omnia quae impedire possunt,
dimittit; quae autem adjuvant, quaerit et prosequitur. Hoc autem non potest
esse nisi per voluntatem, cujus est inter opera humana unum prae aliis
acceptare, quidquid sit illud. Voluntas autem cum sit motor omnium
potentiarum animae, oportet quod ad objecta et actus omnium potentiarum se habeat,
prout habent rationem boni: quia unusquisque actus debitus cujuscumque
potentiae est bonum ejus. Et ideo vita contemplativa consistit in actu
cognitivae virtutis praeacceptatae per affectivam. Sed cum operatio sit
quodammodo media inter operantem et objectum, velut perfectio ipsius
operantis, et perfecta per objectum, a quo speciem recipit; ex duplici parte
potest operatio cognitivae affectari. Uno modo inquantum est perfectio
cognoscentis; et talis affectatio operationis cognitivae procedit ex amore sui:
et sic erat affectio in vita contemplativa philosophorum. Alio modo inquantum
terminatur ad objectum; et sic contemplationis desiderium procedit ex amore
objecti: quia ubi amor, ibi oculus; et Matth. 6, 21: ubi est thesaurus tuus, ibi est et cor tuum; et sic
habet affectionem vita contemplativa sanctorum, de qua loquimur. Sed tamen
contemplatio essentialiter in actu cognitivae consistit, praeexigens
caritatem ratione praedicta; unde Gregorius dicit super Ezech.: contemplativae
vitae est caritatem Dei et proximi tota mente retinere, ab exteriori actione
quiescere; ita ut nil jam agere libeat, sed calcatis curis omnibus, ad
videndam faciem sui creatoris animus inardescat. |
Comme nous en parlons ici, la vie consiste dans l’opération à laquelle quelqu’un s’adonne principalement ; pour cette raison, on écarte tout ce qui peut l’empêcher et on poursuit et recherche ce qui peut l’aider. Or, cela ne peut exister que par la volonté, dont il relève d’accepter une action humaine, quelle qu’elle soit, plutôt que les autres. Puisque la volonté est le moteur de toutes les puissances de l’âme, il est donc nécessaire qu’elle porte sur tous les objets et tous les actes de toutes les puissances, dans la mesure où elles ont le caractère de bien, car chaque acte qui revient à n’importe quelle puissance est son bien. C’est pourquoi la vie contemplative consiste dans l’acte de la puissance cognitive préalablement accepté par la puissance affective. Toutefois, puisque l’opération est d’une certaine manière intermédiaire entre celui qui agit et l’objet, comme une perfection de celui même qui agit et comme perfectionnée par l’objet, dont elle reçoit l’espèce, l’opération de la puissance cognitive peut être affectée de deux manières. Premièrement, en tant qu’elle est une perfection de celui qui connaît. Une telle affection de l’opération de la puissance cognitive vient ainsi de l’amour de soi. Telle était l’affection de la vie contemplative des philosophes. Deuxièmement, en tant que [l’opération] se termine à l’objet. Le désir de la contemplation vient ainsi de l’amour de l’objet, car là où est l’amour, là porte le regard. Et Mt 6, 21 dit : Là où est ton trésor, là est ton cœur. La vie contemplative des saints possède ainsi l’affection dont nous parlons. Cependant, la contemplation consiste essentiellement dans l’acte de la puissance cognitive, en exigeant au préalable la charité pour la raison évoquée. Aussi Grégoire dit-il en commentant Ézéchiel : « La vie contemplative consiste à conserver la charité pour Dieu et le prochain de tout son esprit, à se reposer de l’action extérieure, de telle sorte qu’il ne soit permis de rien faire, mais que, foulant aux pieds tous les soucis, l’âme brûle de voir le visage de son Créateur. » |
[12605] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod finis contemplationis, inquantum
contemplatio, est veritas tantum; sed secundum quod contemplatio accipit
rationem vitae, sic induit rationem affectati et boni, ut dictum est. |
1. La fin de la contemplation, en tant que contemplation, est la seule vérité. Mais, selon que la contemplation reçoit le caractère de la vie, elle revêt ainsi le caractère de ce qui est aimé et bon, comme on l’a dit. |
[12606] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod voluntas non solum est motiva quantum ad
exteriores motus qui vacationi repugnant, sed etiam motuum interiorum, etiam
ipsius intellectus: qui quidem motus aequivoce dicuntur, ut patet in 3 de
anima; sunt enim actus perfecti; et ideo magis assimilantur quieti quam motui:
et propter hoc qui operatur secundum intellectum, vacare dicitur ab
exteriorum actione, ut patet in praedicta auctoritate. |
2. La volonté n’est pas le moteur des seuls mouvements extérieurs qui s’opposent au repos, mais aussi des mouvements intérieurs, même de l’intellect. Ces mouvements sont désignés de manière équivoque, comme cela ressort de Sur l’âme, III. En effet, ce sont des actes achevés. Ils ressemblent donc davantage au repos qu’au mouvement. Pour cette raison, on dit que celui qui agit selon l’intellect se repose de l’action extérieure, comme cela ressort de l’autorité déjà mentionnée. |
[12607] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod habitus contemplativae, quamvis sint in
parte cognitiva, tamen possunt eorum actus a voluntate imperari vel
acceptari; et sic in eis vita contemplativa consistit. |
3. Les habitus de la vie contemplative, bien qu’ils se trouvent dans la partie cognitive, peuvent cependant voir leur actes commandés ou acceptés par la volonté. La vie contemplative consiste ainsi en eux. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
|
[12608] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum,
quod vita contemplativa consistit in illa operatione quam homo prae aliis
acceptat; unde habet rationem finis respectu aliarum humanarum operationum,
quia aliae propter ipsam exercentur. Inquisitio autem rationis sicut a
simplici intuitu intellectus progreditur (quia ex principiis quae quis
intellectu tenet, ad inquisitionem procedit), ita etiam ad intellectus
certitudinem terminatur, dum conclusiones inventae in principia resolvuntur,
in quibus certitudinem habent. Et ideo vita contemplativa principaliter in
operatione intellectus consistit; et hoc ipsum nomen contemplationis
importat, quod visionem significat. Utitur tamen inquisitione rationis
contemplativus, ut deveniat ad visionem contemplationis, quam principaliter
intendit; et haec inquisitio, secundum Bernardum, dicitur consideratio. |
La vie contemplative consiste dans l’opération que l’homme accepte avant toutes les autres. Elle a donc raison de fin en regard des autres opérations humaines, car les autres sont exercées en vue d’elle. Or, la recherche de la raison, de même qu’elle progresse à partir d’un simple regard de l’intellect (car l’on progresse vers la recherche à partir des principes que l’on possède par l’intellect), de même elle se termine à la certitude lorsque les conclusions trouvées se ramènent aux principes par lesquels elle a la certitude. C’est pourquoi la vie contemplative consiste principalement dans l’opération de l’intellect : c’est cela même que suggère le mot contemplation, qui signifie « vision ». Le contemplatif fait cependant usage de la recherche de la raison afin de parvenir à la vision de la contemplation, qu’il a principalement comme fin. Selon Bernard, cette recherche s’appelle la « considération ». |
[12609] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod homo, inquantum est contemplativus,
est aliquid supra hominem: quia in intellectus simplici visione continuatur
homo superioribus substantiis, quae intelligentiae vel Angeli dicuntur, sicut
animalia continuantur hominibus in vi aestimativa, quae est supremum in eis,
secundum quam aliquid simile operibus rationis operantur. |
1. En tant que contemplatif, l’homme est quelque chose de supérieur à l’homme, car, par la vision simple de l’intellect, l’homme est aux confins des substances supérieures, qui sont appelées intelligences ou anges, comme les animaux sont aux confins des hommes par la puissance estimative, qui est ce qu’il y a de plus élevé chez eux, et selon laquelle ils accomplissent quelque chose de semblable aux actes de la raison. |
[12610] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis creaturae visibiles sint via
deveniendi in contemplationem divinorum, tamen in hac via non consistit
principaliter contemplatio, sed in termino viae, ut dictum est. |
2. Bien que les créatures visibles soient le chemin pour parvenir à la contemplation des réalités divines, la contemplation ne consiste cependant pas principalement en ce chemin, mais dans le terme du chemin, comme on l’a dit. |
[12611] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Richardus non intendit quod in illis discursibus
principaliter consistat vita contemplativa, sed quia utitur eis ad suum
finem, sicut dictum est. |
3. Richard ne veut pas dire que la vie contemplative consiste principalement dans ces opérations discursives, mais qu’elle en fait usage en vue de sa fin, comme on l’a dit. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
|
[12612] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem
dicendum, quod vita contemplativa sanctorum praesupponit amorem ipsius
contemplati, ex quo procedit. Unde cum vita contemplativa consistat in
operatione quam quis maxime intendit, oportet quod sit circa contemplationem
maxime amati: hoc autem Deus est: unde principaliter consistit in operatione
intellectus circa Deum; unde Gregorius, super Ezech., dicit, quod contemplativa
vita ad solum videndum principium anhelat, scilicet Deum. Nihilominus tamen
et contemplativus considerat alia, inquantum ad Dei contemplationem
ordinantur sicut ad finem, puta creaturas, in quibus admiratur divinam
majestatem et sapientiam et beneficia Dei, ex quibus inardescit in ejus
amorem; et peccata propria, ex quorum ablutione mundatur cor, ut Deum videre
possit. Unde et nomen contemplationis significat illum actum principalem, quo
quis Deum in seipso contemplatur; sed speculatio magis nominat illum actum
quo quis divina in rebus creatis quasi in speculo inspicit. Et similiter etiam felicitas contemplativa,
de qua philosophi tractaverunt, in contemplatione Dei consistit: quia,
secundum philosophum, consistit in actu altissimae potentiae quae in nobis
est, scilicet intellectus, et in habitu nobilissimo, scilicet sapientia, et
etiam objecto dignissimo, quod Deus est. Unde enim philosophi ultimum tempus
vitae suae reservabant, ut dicitur, ad contemplandum divina, praecedens
tempus in aliis scientiis expendentes, ut ex illis habiliores fierent ad
considerandum divina. |
La vie contemplative des saints présuppose l’amour de celui qui est contemplé, dont elle procède. Puisque la vie contemplative consiste dans l’opération que quelqu’un a surtout en vue, il est donc nécessaire qu’elle porte sur la contemplation de ce qui est le plus aimé. Or, cela est Dieu. Elle consiste donc principalement dans l’opération de l’intellect portant sur Dieu. Aussi, en commentant Ézéchiel, Grégoire dit-il que « la vie contemplative aspire à ne voir que le principe, à savoir, Dieu ». Cependant, le contemplatif considère aussi d’autres choses, dans la mesure où elles sont ordonnées à la contemplation de Dieu comme à leur fin, par exemple, les créatures, dans lesquelles sont admirées la majesté, la sagesse et les bienfaits de Dieu, à partir desquels il s’enflamme en vue de son amour. [Il considère aussi] ses propres péchés, dont le cœur est purifié par leur effacement, afin qu’il puisse voir Dieu. Le mot « contemplation » signifie donc l’acte principal par lequel quelqu’un contemple Dieu en lui-même ; mais le mot « spéculation » (speculatio) désigne plutôt l’acte par lequel quelqu’un regarde les réalités divines dans les réalités créées comme dans un miroir (in speculo). De même aussi, la félicité contemplative dont les philosophes ont parlé consiste-t-elle dans la contemplation de Dieu, car, selon le Philosophe, elle consiste dans l’acte de la puissance la plus élevée qui soit en nous, l’intellect, et dans l’habitus le plus noble, la sagesse, et aussi dans l’objet le plus digne, qui est Dieu. Aussi, comme on l’a dit, les philosophes réservaient-ils la dernière partie de leur vie à contempler les réalités divines, en consacrant le temps qui précédait aux autres sciences, afin de devenir par celles-ci plus aptes à considérer les réalités divines. |
[12613] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod actus vitae activae non habent ex
seipsis ordinem sicut actus vitae contemplativae; unde non potest dici,
simpliciter loquendo, quod consistat in aliquo illorum principaliter; sed quo
ad aliquem consistit principaliter in hoc in quo ille magis exercitatur;
sicut quidam magis insistunt operibus justitiae, quidam vero operibus
temperantiae, et sic de aliis. |
1. Les actes de la vie active ne possèdent pas d’ordre par eux-mêmes, comme c’est le cas des actes de la vie contemplative. À parler simplement, on ne peut donc pas dire qu’elle consiste principalement dans l’un eux, mais elle consiste principalement dans ce à quoi quelqu’un s’applique avec soin. Ainsi, certains s’adonnent surtout aux actes de justice, mais d’autres aux actes de tempérance, et ainsi de suite pour les autres. |
[12614] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod philosophus ibi accipit philosophiam
stricte pro sapientia de divinis, quae speciali nomine philosophia prima
dicitur. |
2. Le Philosophe entend ici « philosophie » de la sagesse portant sur les réalités divines, qui est appelée du nom particulier de « philosophie première ». |
[12615] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis illa consideret interdum
contemplativus, non tamen in his principaliter consistit contemplativa vita. |
3. Bien que le contemplatif considère parfois ces choses, la vie contemplative ne consiste cependant pas principalement en elles. |
|
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Articulus 3 [12616] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a.
3 tit. Utrum vita
activa consistat tantum in his quae sunt ad alterum |
Article 3 – La vie active consiste-t-elle seulement dans ce qui se rapporte à autrui ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La
vie active consiste-t-elle principalement dans ce qui se rapporte à
autrui ?]
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[12617] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod activa vita non consistat principaliter in his quae
ad alterum sunt. Vita enim activa ordinatur ad contemplativam, inquantum
disponit hominem ad contemplationis actum. Sed per virtutes quae ordinant
hominem in seipso, maxime disponitur homo ad contemplationem, sicut per
castitatem, ut dicit Commentator in 7 Physic. Ergo vita activa praecipue
consistit in his quae sunt hominis ad seipsum. |
1. Il semble que la vie ne consiste pas principalement dans ce qui se rapporte à autrui. En effet, la vie active est ordonnée à la vie contemplative dans la mesure où elle dispose l’homme à l’acte de contemplation. Or, l’homme est surtout disposé à la contemplation par les vertus qui ordonnent l’homme en lui-même, comme par la chasteté, ainsi que le dit le Commentateur dans Physique, VII. La vie active consiste donc principalement dans ce qui se rapporte à l’homme en lui-même. |
[12618] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, vita contemplativa principaliter consistit in
contemplatione ejus quod maxime diligitur. Ergo et vita activa similiter. Sed homo magis debet
seipsum diligere quam alios in his quae virtutis sunt, ut supra, dist. 29,
qu. 1, art. 5, dictum est. Ergo et vita activa magis consistit in hoc quod
homo seipsum ordinet quam aliis intendat. |
2. La vie contemplative consiste principalement dans ce qui est le plus aimé. De même donc en est-il de la vie active. Or, l’homme doit s’aimer lui-même davantage que les autres pour ce qui relève de la vertu, comme on l’a dit plus haut, d. 29, q. 1, a. 5. La vie active consiste donc surtout en ce que l’homme s’ordonne lui-même plutôt que les autres. |
[12619] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, in his praecipue videtur consistere activa vita in quibus a
contemplativa dividitur. Sed in his quae ad alium sunt etiam contemplativa
communicat: quia ad eamdem vitam pertinere videtur contemplari et contemplata
docere. In passionibus
autem propriis moderandis non communicat activa vita cum contemplativa. Ergo activa vita
praecipue consistit in his quae sunt ad seipsum. |
3. La vie active semble principalement consister dans ce qui la distingue de la vie contemplative. Or, la vie contemplative a aussi en commun [avec la vie active] ce qui se rapporte à autrui, car il semble relever de la même vie de contempler et d’enseigner ce qui a été contemplé. Or, [la vie contemplative] n’a pas en commun avec la vie active de modérer ses propres passions. La vie active consiste donc principalement dans ce qui se rapporte à autrui. |
[12620] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Isidorus in Lib. differentiarum: activa vita est quae
in operibus justitiae et proximi utilitate versatur. Sed utrumque istorum ad
alterum pertinere videtur. Ergo in his quae ad alterum sunt, praecipue vita
activa consistit. |
Cependant, [1] dans le livre sur Les différences, Isidore dit : « La vie active est celle qui s’adonne aux œuvres de justice et au service du prochain. » Or, ces deux choses semblent se rapporter à autrui. La vie active consiste donc principalement dans ce qui se rapporte à autrui. |
[12621] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, vita activa fecunda dicitur; unde per Liam significatur.
Sed fecunditas ista non consistit nisi in operationibus quae fiunt ad alios. Ergo vita activa in his
praecipue consistit. |
[2] On dit que la vie active est féconde ; elle est donc signifiée par Liam. Or, cette fécondité ne consiste que dans les opérations qui concernent les autres. La vie active consiste donc principalemet en elles. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La
connaissance a-t-elle un rapport avec la vie active ?]
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[12622] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod
cognitio nullo modo ad activam pertineat. Sicut enim se habet vita
contemplativa ad cognitionem, ita se habet vita activa ad actionem. Ergo proportionalitate
transversa, sicut se habet vita contemplativa ad actionem, ita se habet vita
activa ad cognitionem. Sed nihil actionis ad contemplativam vitam pertinet. Ergo nihil
cognitionis pertinet ad activam. |
1. Il semble que la connaissance n’ait aucun rapport avec la vie active. En effet, le rapport entre la vie contemplative et la connaissance est le même que celui de la vie active et de l’action. Selon une proportionnalité inverse, le rapport entre la vie contemplative et l’action est donc le même que celui entre la vie active et la connaissance. Or, rien de l’action ne se rapporte à la vie contemplative. Rien de la connaissance ne se rapporte donc à la vie active. |
[12623] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, vita activa consistit totaliter in operationibus virtutum
moralium, ad quas scire parum vel nihil confert, ut philosophus dicit in 2
Ethic. Ergo videtur
quod ad activam nihil cognitionis pertineat. |
2. La vie active consiste entièrement dans les opérations des vertus morales, avec lesquelles la connaissance a peu ou pas de rapport, comme le dit le Philosophe dans Éthique, II. Il semble donc que rien de la connaissance ne se rapporte à la vie active. |
[12624] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, si aliqua
cognitio ad activam vitam pertineret, praecipue videretur ad ipsam pertinere
consideratio propriorum actuum. Sed considerare peccata quae quis fecit, pertinet ad vitam
contemplativam, ut dicit Bernardus, qui secundam speciem contemplationis
ponit, qua quisque judicia Dei et peccata sua recogitat. Ergo nulla cognitio
ad activam vitam pertinet. |
3. Si une connaissance avait un rapport avec la vie active, il semble que ce serait principalement la considération de ses actes propres. Or, la considération des péchés que quelqu’un a commis relève de la vie contemplative, comme le dit Bernard, qui présente une seconde espèce de contemplation par laquelle chacun se remémore les jugements de Dieu et ses péchés. Aucune connaissance n’a donc de rapport avec la vie active. |
[12625] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, ad activam vitam pertinent
consilii et scientiae dona, quae quidem cognitionem important. Ergo aliqua
cognitio est in vita activa. |
Cependant, [1] les dons de conseil et de science, qui comportent une connaissance, se rapportent à la vie active. Il y a donc une certaine connaissance dans la vie active. |
[12626] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, philosophus dicit quod prudentia
est cognata morali virtuti. Sed prudentia cognitionem importat. Ergo cum in moralibus
virtutibus activa vita constet, videtur quod in activa vita sit aliquid
cognitionis. |
[2] Le Philosophe dit que la prudence comporte une connaissance. Puisque la vie active consiste dans les vertus morales, il semble donc qu’il y a une certaine connaissance dans la vie active. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La
vie active peut-elle exister en même temps que la vie contemplative ?]
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[12627] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod vita activa non possit esse simul cum
contemplativa. Quia vita de qua hic loquimur, consistit in hoc in quo homo
maxime studet. Sed impossibile est quod homo duobus summum studium apponat.
Ergo impossibile est quod in homine sit simul vita activa et contemplativa. |
1. Il semble que la vie active ne puisse pas exister en même temps que la vie contemplative, car la vie dont nous parlons ici consiste dans ce à quoi un homme s’applique principalement. Or, il est impossible qu’un homme s’applique au plus haut point à deux choses. Il est donc impossible qu’existent simultanément chez l’homme la vie active et la vie contemplative. |
[12628] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, vita activa significatur per Martham, quae turbatur circa
plurima, Luc. 10. Sed turbatio vacationi repugnat quam contemplatio requirit.
Ergo vita activa non est simul cum contemplativa. |
2. La vie active est signifiée par Marthe, qui est troublée par beaucoup de choses, Lc 10. Or, le trouble s’oppose à la liberté d’esprit qu’exige la contemplation. La vie active n’existe donc pas en même temps que la vie contemplative. |
[12629] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, vita activa introducit ad contemplativam; unde Gregorius: qui
ad arcem contemplationis ascendere desiderat, prius necesse est ut in campo
actionis se exerceat. Sed quod introducit ad aliquid non est necessarium
illo adveniente: quia secundum Bernardum, quid necesse est scalis tenenti
jam solium? Ergo activa vita non est simul cum contemplativa. |
3. De plus, la vie active introduit à la vie contemplative. Aussi Grégoire dit-il : « Celui qui désire accéder au sommet de la contemplation doit d’abord s’entraîner dans le domaine de l’action. » Or, ce qui introduit à quelque chose n’est pas nécessaire lorsque cela survient, car, selon Bernard, « à quoi sert une échelle à celui qui a déjà atteint le sommet ? ». La vie active n’existe donc pas en même temps que la vie contemplative. |
[12630] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod Augustinus dicit in
Lib. de Civ. Dei, quod quoddam genus hominum est compositum ex otioso et
actuoso; et loquitur de otio contemplationis. Gregorius etiam dicit super
Ezech., quod plerumque a contemplativa vita ad activam utiliter animus
reflectitur. Ergo contemplativa vita et activa possunt esse simul. |
Cependant, [1] dans le livre Sur la cité de Dieu, Augustin dit qu’un certain genre d’homme est composé de celui qui se repose et de celui qui travaille, et il parle du repos de la contemplation. Grégoire aussi dit, en commentant Ézéchiel, que souvent l’esprit se tourne de la vie contemplative vers la vie active. La vie contemplative et la vie active peuvent donc exister en même temps. |
[12631] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, beata virgo fuit in utraque
vita; et ideo secundum Anselmum in assumptione ejus legitur Evangelium de
Martha et Maria, quae significant vitam activam et contemplativam. Sed beata
virgo fuit tantum viatrix. Ergo in aliquo viatore potest esse simul activa et
contemplativa vita. |
[2] La bienheureuse Vierge se trouvait dans les deux vies. C’est pourquoi, selon Anselme, lors de son assomption, on lit l’évangile de Marthe et de Marie, qui signifient la vie active et la vie contemplative. Or, la bienheureuse Vierge était seulement en route. Chez celui qui est en route, la vie active peut donc exister en même temps que la vie contemplative. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
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[12632] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod activa vita consistit
in omnibus agibilibus, sive sint ad seipsum, sive ad alium; sed principaliter
consistit in his quae ad alium sunt; quia bonum multorum, secundum philosophum
in principio Ethic., est divinius quam bonum unius; unde et justitia quae ad
alterum est, a philosopho in 5 Ethic., dicitur esse pulcherrima virtutum.
Sicut autem vita contemplativa consistit principaliter in optimo
contemplabili, ita vita activa in optimo agibili. |
La vie active consiste dans tout ce qui peut être accompli, en soi-même ou par rapport à autrui ; mais elle consiste principalement dans ce qui se rapporte à autrui, car, selon le Philosophe, au début de l’Éthique, le bien d’un grand nombre est plus divin que le bien d’un seul. Aussi la justice, qui a rapport à autrui, est-elle appelée par le Philosophe, dans Éthique, V, « la plus belle des vertus ». Or, de même que la vie contemplative consiste principalement dans le meilleur objet de contemplation, de même la vie active consiste-t-elle dans le meilleur qui puisse être accompli. |
[12633] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod per ea quae ad seipsum sunt homo
disponit se tantum ad contemplativam; licet per ea quae ad alium comparantur,
homo et se et alios disponat, ubi divinius est. |
1. Par ce qui se rapporte à lui-même, l’homme ne dispose que lui-même à la vie contemplative, bien que, par ce qui se rapporte à autrui, il dispose lui-même et les autres, ce qui est plus divin. |
[12634] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in hoc ipso quod
homo aliorum saluti et regimini studet, se plus diligit, et sibi meliorem
partem reservat: quia divinius est et sibi et aliis causam bonae operationis
esse, quam sibi tantum, sicut dicit philosophus in 10 Ethic. |
2. Du fait qu’un homme s’applique au salut et au gouvernement d’autrui, il s’aime davantage et il se réserve la meilleure part, car il est plus divin d’être pour soi et pour d’autres cause de l’action bonne, que pour soi-même seulement, comme le dit le Philosophe dans Éthique, X. |
[12635] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
doctrina est duplex. Quaedam quae ad cognitionem veritatis tantum ordinatur;
et haec quamvis ad alterum sit, limites tamen vitae contemplativae non exit.
Est autem quaedam doctrina quae ordinatur ad persuadendum bonos mores, quae
praedicatio dicitur; et haec ad vitam activam pertinet. Unde Gregorius: qui ad laborem
praedicationis se dirigit, minus videt, et amplius parit: et sic
significatur per Liam, quae erat fecunda, et lippis oculis. Vel dicendum,
quod doctrina potest dupliciter considerari. Uno modo secundum quod est ad
exercitium cognitionis, et profectum ipsius docentis; et sic ad vitam
contemplativam pertinet. Alio modo secundum quod intenditur bonum alterius.
Sic autem ea quae cognitionis sunt etiam speculativae, exercentur per modum
dispositionis rerum temporalium (inter quae proximus computatur), quod
activae vitae est; et ideo Gregorius dicit super Ezech., quod activa vita
est panem esurienti tribuere, verbum sapientiae nescientem docere et
cetera. |
3. Il existe un double enseignement. L’un, qui est ordonné seulement à la connaissance de la vérité : bien qu’il se rapporte à autrui, il ne sort cependant pas des limites de la vie contemplative. Mais il existe un enseignement qui est ordonné à persuader de bien agir, qu’on appelle la prédication. Celui-ci relève de la vie active. Aussi Grégoire dit-il : « Celui qui s’oriente vers la tâche de la prédication voit moins et produit davantage. » Ainsi [la vie active] est-elle signifiée par Liam, qui était féconde et avait les yeux chassieux. Ou bien il faut dire que l’enseignement peut être envisagé de deux manières. Premièrement, selon qu’il existe pour l’usage de la connaissance et le progrès de celui qui enseigne : il relève ainsi de la vie contemplative. Deuxièmement, selon qu’il a pour fin le bien d’autrui. Ainsi, ce qui relève de la connaissance, même spéculative, est pratiqué comme une disposition à des réalités temporelles (dont le prochain fait partie), ce qui relève de la vie active. C’est pourquoi Grégoire dit, en commentant Ézéchiel, que « la vie active consiste à donner du pain à celui qui a faim et à enseigner la parole de sagesse à l’ignorant, etc. » |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
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[12636] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod duplex est
cognitio. Una speculativa, cujus finis est veritas, secundum philosophum in 2
Metaph. Alia cujus finis est operatio, quae est causa et regula eorum quae
per hominem fiunt. Quae autem ab homine fiunt, quaedam dicuntur factibilia,
quae fiunt per transmutationem aliquam exterioris materiae, sicut contingit
in operationibus artis mechanicae; quaedam vero non transeunt in
transmutationem exterioris materiae, sed in moderationem propriarum passionum
et operationum. Ad utrumque autem istorum practica cognitio dirigit. Unde non
omnis practica cognitio in vita activa essentialiter invenitur, sed illa
tantum quae in agibilibus dirigit opera quae sunt virtutis moralis. Haec enim
cognitio ad electionem requiritur, in qua principaliter consistit moralis
virtus. Contemplativa autem cognitio essentialiter non ingreditur activam
vitam, quia in operabilibus humanis, cum non habeant veritatem nisi
contingentem, propter seipsam veritas nunquam quaereretur: unde etiam in
scientiis moralibus finis non est cognitio, sed opus, secundum philosophum in
2 Ethic. Sed tamen cognitio contemplativa aeternorum aliquando pertinet ad
activam vitam, non quod sit de essentia ejus, sed quia praeexigitur ad ipsam
sicut causa, dum rationes vivendi ex contemplatione aeternorum sumuntur. Sicut enim intellectus est rationis et
principium et terminus, ita et vita contemplativa respectu activae; et ideo
Gregorius dicit super Ezech., quod per hoc quod contemplativa mentem
accendit, perfectius activa tenetur. |
Il existe une double connaissance. L’une, spéculative, dont la fin est la vérité, selon le Philosophe, Métaphysique, II. L’autre, dont la fin est l’action : elle est cause et règle de ce qui est accompli par l’homme. Or, dans ce qui est accompli par l’homme, on dit que certaines choses sont de l’ordre du faire : elles sont réalisées par la transformation d’une matière extérieure, comme cela se produit pour les opérations de l’art mécanique. Mais d’autres ne consistent pas en la transformation d’une matière extérieure, mais dans la modération de ses propres passions et opérations. Or, la connaissance pratique dirige dans les deux cas. Ce n’est donc pas n’importe quelle connaissance pratique qu’on trouve essentiellement dans la vie active, mais seulement celle qui dirige les actions pour ce qui doit être accompli et qui relève de la vertu morale. En effet, c’est cette connaissance qui est requise pour le choix dans lequel consiste principalement la vertu morale. Or, la connaissance contemplative ne s’engage pas essentiellement dans la vie active, car, dans ce que l’homme doit accomplir, la vérité ne serait jamais recherchée pour elle-même, puisqu’elle ne comporte qu’une vérité contingente. Même dans les sciences morales, donc, la fin n’est pas la connaissance, mais l’action, selon le Philosophe, Éthique, II. Cependant, la connaissance contemplative des réalités éternelles concerne parfois la vie active, non pas qu’elle fasse partie de son essence, mais parce qu’elle est un préalable nécessaire en tant que cause, les raisons de vivre étant tirées de la contemplation des réalités éternelles. En effet, puisque l’intellect est le principe et le terme de la raison, de même en est-il aussi de la vie contemplative par rapport à la vie active. C’est pourquoi Grégoire dit, en commentant Ézéchiel, que, « du fait que la vie contemplative enflamme l’esprit, la vie active est plus parfaitement embrassée ». |
[12637] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod actio non dirigit contemplationem,
sicut cognitio activa dirigit actionem; et ideo non est similis ratio. |
1. L’action ne dirige pas la contemplation comme la connaissance active dirige l’action. Le raisonnement n’est donc pas le même. |
[12638] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod ad virtutem moralem scire speculative de his quae ab homine non fiunt, nihil
prodest; de his autem quae ab homine fiunt, parum confert; sed scientia
practica multum confert, cum sit regula actionis. |
2. La connaissance spéculative de ce qui n’est pas accompli par l’homme ne sert en rien à la vertu morale ; elle apporte peu à ce qui est accompli par l’homme. Mais la science pratique y contribue beaucoup puisqu’elle est la règle de l’action. |
[12639] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
praeteritum jam transit in necessarium; unde consideratio praeteritorum peccatorum magis ad
contemplationem quam ad practicam pertinet. |
3. Le passé a déjà pris le caractère de nécessaire. Aussi la considération des péchés passés relève-t-elle davantage de la contemplation que de la [connaissance] pratique. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
|
[12640] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum,
quod in omnibus dispositionibus naturalibus contingit quod dispositio in suo
perfecto esse attingit id ad quod disponit, quod etiam erat per quamdam
inchoationem, dum dispositio ad perfectionem tendebat, sicut patet de calore
et forma ignis; quia quando calor completus est in termino alterationis,
forma ignis inducitur, et calor simul cum forma ignis manet; dum vero erat
alteratio, non erat forma ignis, nisi secundum quamdam inchoationem. Vita
autem activa est dispositio ad contemplativam; unde Isidorus in Lib. de Sum.
bono: qui prius in vita activa proficit, bene ad contemplationem
conscendit. Et ideo quamdiu homo non pervenit ad perfectionem in vita
activa, non potest in eo esse contemplativa vita, nisi secundum quamdam
inchoationem imperfecte: tunc enim difficultatem homo patitur in actibus
virtutum moralium, et oportet quod tota solicitudine ad ipsos intendat, unde
retrahitur a studio contemplationis. Sed quando jam vita activa perfecta est,
tunc operationes virtutum moralium in promptu habet, ut eis non impeditus
libere contemplationi vacet. Tamen secundum quod homo est magis vel minus perfectus in vita activa,
circa plura vel pauciora occupari potest activae vitae simul cum
contemplativa. Et quia praelatorum est in utraque vita perfectos esse, utpote
qui medii sunt inter Deum et plebem, a Deo recipientes per contemplationem,
et populo tradentes per actionem; ideo oportet eos in moralibus virtutibus
perfectos esse; et similiter praedicatores; alias indigne quis praelationis
vel praedicationis officium assumit. |
Dans toutes les dispositions naturelles, il arrive que la disposition atteint dans son être achevé ce à quoi elle dispose, qui existait aussi selon une certaine amorce alors que la disposition tendait à l’achèvement, comme cela ressort pour la chaleur et la forme du feu, car lorsque la chaleur est complète au terme de l’altération, la forme du feu est introduite, et la chaleur demeure en même temps que la forme du feu ; mais, alors que l’altération se produisait, la forme du feu n’existait pas, si ce n’est selon une certaine amorce. Or, la vie active est une disposition à la vie contemplative. Aussi Isidore dit-il, dans le livre Sur le bien suprême : « Celui qui a d’abord progressé dans la vie active s’élève aisément à la vie contemplative. » Aussi longtemps que l’homme n’est pas parvenu à la perfection dans la vie active, il ne peut donc exister en lui de vie contemplative, si ce n’est imparfaitement selon une certaine amorce. En effet, l’homme éprouve alors de la difficulté dans les actes des vertus morales, et il lui faut s’y appliquer avec toute son attention : à cause de cela, il est donc empêché de s’appliquer à la contemplation. Mais lorsque la vie active est déjà parfaite, alors [l’homme] accomplit aisément les opérations des vertus morales, de sorte qu’il s’adonne librement à la contemplation sans être empêché par elles. Toutefois, selon qu’un homme est plus ou moins parfait dans la vie active, il peut s’occuper de plus ou moins de choses de la vie active en même temps que de la vie contemplative. Et parce qu’il revient aux prélats d’être parfaits dans les deux vies, en tant qu’ils sont des médiateurs entre Dieu et le peuple, recevant de Dieu par la contemplation et transmettant au peuple par l’action, il faut donc qu’ils soient parfaits dans les vertus morales. De même en est-il pour les prédicateurs, autrement quelqu’un assume indignement la fonction de prélat ou de prédicateur. |
[12641] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod ad diversa potest homo principaliter
intendere diversis temporibus, quamvis non simul. |
1. L’homme peut porter principalement son attention sur des choses diverses à des moments différents, mais non en même temps. |
[12642] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod turbatio in vita activa non contingit
postquam ad perfectionem venit: quia tunc jam delectabiliter et faciliter
operatur non perturbatus. |
2. Le trouble dans la vie active ne survient pas après qu’elle a atteint sa perfection, car alors on agit avec plaisir et facilement sans être troublé. |
[12643] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dispositiones quae essentialiter habent
imperfectionem annexam, non manent cum eo ad quod disponunt, sicut fides non
manet cum visione; sed aliae dispositiones possunt simul manere, sicut dictum
est, et sic est de vita activa. |
3. Les dispositions auxquelles est associée par essence une imperfection ne demeurent pas en même temps que ce à quoi elles disposent, comme la foi ne demeure pas avec la vision ; mais d’autres dispositions peuvent demeurer en même temps, comme on l’a dit. Il en est ainsi pour la vie active. |
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Articulus 4 [12644] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a.
4 tit. Utrum activa
vita sit nobilior quam contemplativa |
Article 4 – La vie active est-elle plus noble que la vie contemplative ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La
vie active est-elle plus noble que la vie contemplative ?]
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[12645] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic
proceditur. Videtur quod activa vita sit nobilior quam contemplativa. Tullius
enim, in Lib. de Offic., probat praeeminentiam justitiae ad alias virtutes;
quia propter exercitium actus ejus, actus aliarum interimuntur. Sed similiter
aliquis revocatur ab otio contemplationis, ut fructum faciat per laborem
actionis. Ergo activa vita est dignior quam contemplativa. |
1. Il semble que la vie active soit plus noble que la vie contemplative. En effet, Tullius [Cicéron], dans le livre Sur les fonctions, démontre la prééminence de la justice sur les autres vertus, car, pour l’exercice de son acte, les actes des autres [vertus] sont abolis. Or, quelqu’un peut de même être rappelé du loisir de la contemplation afin de porter du fruit par le travail de l’action. La vie active est donc plus digne que la vie contemplative. |
[12646] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, bonum gentis divinius est quam bonum unius. Sed vita
contemplativa consistit in bono unius hominis, vita activa in bono multorum. Ergo vita activa est
nobilior quam contemplativa. |
2. Le bien du peuple est plus divin que le bien d’un seul. Or, la vie contemplative consiste dans le bien d’un seul homme, mais la vie active dans le bien d’un grand nombre. La vie active est donc plus noble que la vie contemplative. |
[12647] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, in omnibus artibus et
potentiis imperans est nobilius imperato. Sed politica quae ad vitam activam
pertinet, imperat omnibus disciplinis, et disponit de his quae ad
contemplativam vitam pertinent, secundum philosophum in 1 Ethic. Ergo vita activa est
dignior quam contemplativa. |
3. Dans tous les arts et dans toutes les puissances, ce qui commande est plus noble que ce à quoi il est commandé. Or, la politique, qui relève de la vie active, commande à toutes les disciplines et elle dispose de ce qui se rapporte à la vie contemplative, selon le Philosophe, Éthique, I. La vie active est donc plus digne que la vie contemplative. |
[12648] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 4 Praeterea, secundum
Dionysium, nihil est divinius quam Dei cooperatorem fieri. Hoc autem fit per
exercitium activae, qua homo aliorum reductioni in Deo studet. Ergo videtur esse nobilissimum. |
4. Selon Denys, rien n’est plus divin que de devenir le collaborateur de Dieu. Or, on le devient par la pratique de la vie active, par laquelle l’homme s’efforce d’en ramener d’autres à Dieu. Il semble donc qu’elle soit plus noble. |
[12649] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicit dominus, Luc. 10,
43: Maria optimam partem elegit. Per Mariam autem vita contemplativa
significatur. Ergo vita contemplativa nobilior est quam activa. |
Cependant, [1] le Seigneur dit en sens contraire, Lc 10, 43 : Marie a choisi la meilleure part. Or, par Marie, la vie contemplative est signifiée. La vie contemplative est donc plus noble que la vie active. |
[12650] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, quanto vita alicujus est
caelesti vitae similior, tanto est nobilior. Sed vita contemplativa est
similior caelesti quam activa: quia in caelesti vita, ut dicit Augustinus,
vacabimus et videbimus; videbimus et amabimus; amabimus et laudabimus: quod
ad vitam contemplativam pertinet. Ergo vita contemplativa est nobilior quam
activa. |
[2] Plus la vie de quelqu’un ressemble à la vie du ciel, plus elle est noble. Or, la vie contemplative ressemble davantage à la vie du ciel que la vie active, car, « dans la vie du ciel, comme le dit Augustin, nous serons libres et nous verrons ; nous verrons et nous aimerons ; nous aimerons et nous louerons », ce qui relève de la vie contemplative. La vie contemplative est donc plus noble que la vie active. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La
vie contemplative est-elle plus méritoire que la vie active ?]
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[12651] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam vita contemplativa sit majoris meriti
quam activa. Gregorius enim
dicit in moralibus: contemplativa major est merito quam activa: quia
activa in usu praesentis operis laborat; contemplativa vero in sapore intimo
venturam jam requiem degustat. |
1. Il semble que la vie contemplative soit aussi plus méritoire que la vie active. En effet, Grégoire dit, dans les Morales : « La vie contemplative est plus méritoire que la vie active, car la vie active déploie ses efforts dans l’usage de l’action présente, mais la vie contemplative goûte déjà le repos à venir par une dégustation intime. » |
[12652] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, supra dictum est, distinct. 30, quaest. unica, art. 4, quod
magis consistit meritum in dilectione Dei quam proximi. Sed in contemplativa
vita homo magis insistit dilectioni Dei, in activa autem magis proximi. Ergo
contemplativa est majoris meriti quam activa. |
2. On a dit plus haut, d. 30, q. 1, a. 4, qu’il y a plus de mérite à aimer Dieu qu’à aimer le prochain. Or, dans la vie contemplative, l’homme s’applique davantage à l’amour de Dieu, mais, dans la vie active, davantage à [l’amour] du prochain. La vie contemplative est donc plus méritoire que la vie active. |
[12653] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, quanto magis
aliquid beneficiatur a Deo, tanto est majoris meriti. Sed secundum philosophum in 10 Ethic., Deus
maxime beneficiat eos qui contemplationi student, quasi sibi simillimos. Ergo
videtur quod vita contemplativa plus habeat de merito quam activa. |
3. Plus grand est le bien reçu de Dieu, plus cela est méritoire. Or, selon le Philosophe, Éthique, X, Dieu accorde davantage de bienfaits à ceux qui s’appliquent à la contemplation, car ils lui sont plus semblables. Il semble donc que la vie contemplative soit plus méritoire que la vie active. |
[12654] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, totum meritum
hominis consistit in acceptatione divina. Sed Gregorius dicit super Ezech.: nullum
sacrificium est Deo magis acceptum quam regimen animarum. Ergo cum hoc
pertineat ad laborem activae, videtur quod in activa sit majus meritum. |
Cependant, [1] tout le mérite de l’homme consiste a être agréable à Dieu. Or, Grégoire dit, en commentant Ézéchiel : « Aucun sacrifice n’est plus agréable à Dieu que le gouvernement des âmes. » Puisque cela relève du travail de la vie active, il semble donc qu’il y ait plus de mérite dans la vie active. |
[12655] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, meritum contra praemium dividitur. Sed contemplativa vita
plus habet de ratione praemii quam activa: quia pascitur a domino
contemplativa, sed activa pascit, ut dicit Gregorius. Ergo activa plus habet de merito. |
[2] Le mérite se distingue de la récompense. Or, la vie contemplative a davantage le caractère de récompense que la vie active, car « la vie contemplative est dirigée par le Seigneur, mais la vie active dirige », comme le dit Grégoire. La vie active est donc plus méritoire. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La
vie contemplative est-elle plus durable que la vie active ?]
|
[12656] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod contemplativa vita non sit diuturnior quam
activa. Vita enim activa fuit in Christo perfecta. Sed ipse fuit perfectus
comprehensor. Ergo vita activa manebit in patria; et ita non est minus
diuturna quam contemplativa. |
1. Il semble que la vie contemplative ne soit pas plus durable que la vie active. En effet, la vie active était parfaite chez le Christ. Or, il était un parfait bienheureux (comprehensor). La vie active demeurera donc dans la patrie, et ainsi elle n’est pas moins durable que la vie contemplative. |
[12657] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, homines erunt in patria aequales Angelis. Sed in Angelis est utraque vita: quia quidam sunt
assistentes, quod ad contemplationem pertinet; quidam ministrantes, quod
pertinet ad actionem. Ergo utraque vita etiam in hominibus in patria erit; et sic idem quod
prius. |
2. Les hommes seront égaux aux anges dans la patrie. Or, chez les anges, les deux vies existent, car certains seront présents, ce qui relève de la contemplation, et certains assureront le service, ce qui relève de l’action. Les deux vies seront donc aussi présentes chez les hommes dans la patrie. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[12658] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, in patria manebunt virtutes cardinales, et habebunt aliquos
actus: similiter etiam et dona omnia. Sed virtutes cardinales perficiunt in
activa vita, et similiter quaedam dona. Ergo in patria manebit vita activa;
et sic idem quod prius. |
3. Les vertus cardinales demeureront dans la patrie et elles auront d’autres actes ; il en sera aussi de même pour tous les dons. Or, les vertus cardinales perfectionnent pour la vie active et, de même, certains dons. La vie active demeurera donc dans la patrie. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[12659] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Luc. 10, 43: Maria
optimam partem elegit. Glossa: contemplativa
hic incipit, et in caelesti patria perficitur; activa autem cum corpore
deficit. |
Cependant, [1] Lc 10, 43 dit en sens contraire : Marie a choisi la meilleure part. Glose : « La vie contemplative commence ici et s’achève dans la patrie céleste ; mais la vie active cesse avec le corps. » |
[12660] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, philosophus in 10 Ethic. dicit,
quod contemplativa vita diuturnior est quam activa. |
[2] Dans Éthique, X, le Philosophe dit que la vie contemplative est plus durable que la vie active. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
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[12661] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem,
quod duplex est ratio boni. Aliquid enim dicitur bonum, quod propter seipsum
est desiderandum: et sic vita contemplativa simpliciter melior est quam
activa, inquantum magis assimilatur illi vitae ad quam per activam et
contemplativam nitimur pervenire; unde et contemplativa est finis activae, et
fini ultimo vicinior. Aliquid vero dicitur bonum quasi propter aliud
eligendum; et in hac via vita activa praeeminet contemplativae. Vita enim
contemplativa non ordinatur ad aliquid aliud in ipso in quo est: quia vita
aeterna non est nisi quaedam consummatio contemplativae vitae, quae per vitam
contemplativam in praesenti quodammodo praelibatur: unde non restat quod
ordinetur ad aliud, nisi secundum quod bonum unius hominis ordinatur ad bonum
multorum, ad quod propinquius se habet vita activa quam contemplativa. Unde
activa quantum ad hanc partem quae saluti proximorum studet, est utilior quam
contemplativa; sed contemplativa est dignior: quia dignitas significat
bonitatem alicujus propter seipsum, utilitas vero propter aliud. Sed vita activa quae non
ad alium, sed ad seipsum tantum ordinatur, neque dignior neque utilior est
quam contemplativa, immo comparatur ad contemplativam sicut utile ad id ad
quod est utile. |
La notion de bien est double. En effet, quelque chose est appelé bon parce que cela doit être désiré pour soi. Ainsi, la vie contemplative est simplement meilleure que la vie active, dans la mesure où elle ressemble davantage à la vie à laquelle nous nous efforçons de parvenir par la vie active et la vie contemplative. La vie contemplative est donc la fin de la vie active et elle est plus proche de la fin ultime. Cependant, quelque chose est appelé bon parce que cela doit être choisi en vue d’autre chose. Sous cet aspect, la vie active l’emporte sur la vie contemplative. En effet, la vie contemplative n’est pas ordonnée à quelque chose d’autre que ce en quoi elle existe, car la vie éternelle n’est que la consommation de la vie contemplative, qui est d’une certaine manière goûtée dans la vie présente. Aussi ne reste-t-il qu’elle est ordonnée à autre chose que selon que le bien d’un seul homme est ordonné au bien du grand nombre, ce dont la vie active se rapproche davantage que la vie contemplative. Sous l’aspect où elle s’applique au salut du prochain, la vie active est donc plus utile que la vie contemplative ; la vie contemplative est cependant plus digne, car la dignité signifie la bonté d’une chose en elle-même, mais l’utilité, [sa bonté] en vue d’autre chose. Toutefois, la vie active qui n’est pas ordonnée à autrui mais à soi-même seulement n’est ni plus digne ni plus utile que la vie contemplative, bien plus, elle se compare à la vie contemplative comme quelque chose d’utile par rapport à ce à quoi cela est utile. |
[12662] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod vita contemplativa propter activam
intermittitur ad tempus, non simpliciter; seu ratione utilitatis, non ratione
dignitatis. |
1. La vie contemplative est interrompue pour un temps en raison de la vie active, mais non pas simplement ; ou bien [elle est interrompue] en raison de l’utilité, mais non en raison de la dignité. |
[12663] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut bonum unius consistit in actione et
contemplatione; ita et bonum multitudinis, secundum quod contingit
multitudinem contemplationi vacare. Sed ad bonum multitudinis pervenitur per regimen activae vitae: unde
ex hoc non probatur quod activa sit dignior, sed utilior. |
2. De même que le bien d’un seul consiste dans l’action et la contemplation, de même en est-il du bien de la multitude, selon qu’il arrive à une multitude de s’adonner à la contemplation. Mais l’on parvient au bien de la multitude par le gouvernement de la vie active. Aussi cela ne démontre-t-il pas que la vie active est plus digne, mais qu’elle est plus utile. |
[12664] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod politica, ut dicit philosophus in 6 Ethic.,
non praecipit sapientiae, et aliis quae ad vitam contemplativam pertinent,
sed imperat quaedam propter ipsa; sicut etiam imperat quaedam propter Deum,
cui praecipit sic vel sic cultum exhiberi. |
3. Comme le dit le Philosophe, Éthique, VI, la politique ne commande pas à la sagesse et aux autres [vertus] qui relèvent de la vie contemplative, mais elle commande certaines choses en vue d’elles, comme elle commande aussi certaines choses en vue de Dieu, pour qui elle commande qu’un culte soit rendu de telle ou telle manière. |
[12665] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
intelligendum est ratione utilitatis in alterum provenientis. |
4. Il faut l’entendre de la raison d’utilité pour autrui. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
|
[12666] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod meritum
pendet ex radice caritatis; unde contingit quandoque quod in activa quis plus
mereatur quam in contemplativa, vel e converso, secundum quod majorem habet
caritatem vel minorem. Nihilominus tamen cum quaeritur de duobus in genere
quid sit majoris meriti, intelligendum est quantum pertinet ad rationem
ipsorum actuum, non quantum ad ipsos operantes. Est ergo duplex meritum; scilicet
dimissionis culpae, et consecutionis gloriae: quantum ad primum, majoris
meriti dicitur activa quam contemplativa, inquantum laboriosior; unde habet
plus de ratione satisfactionis. Quantum autem ad meritum consecutionis gloriae,
sic contemplativa vita est majoris meriti quam activa quantum ad puritatem:
quia non admiscetur ei tantum de pulvere terrenorum, sicut fit in activa
vita. Sed quantum ad intensionem meriti videtur contemplativa iterum majoris
meriti illa parte activae quae circa sui moderationem studet; minoris autem
quantum ad illam partem quae profectui aliorum invigilat: quia hoc ipsum
videtur esse fortioris caritatis secundum genus, quod homo, praetermissa
consolatione qua in Dei contemplatione reficitur, gloriam Dei in aliorum
conversione quaerat: quia etiam in humana amicitia verus amicus quaerit magis
bonum amici quam de ejus praesentia delectari. |
Le mérite découle de la racine de la charité. Aussi arrive-t-il parfois que, dans la vie active, quelqu’un mérite plus que dans la vie contemplative, ou le contraire, parce qu’il a une plus grande ou une moins grande charité. Toutefois, lorsqu’on se demande, à propos des deux, laquelle est la plus méritoire par son genre, il faut l’entendre de ce qui concerne la nature des actes eux-mêmes, et non de ceux qui agissent. Il existe donc un double mérite : celui de la rémission de la faute et celui de l’obtention de la gloire. Pour ce qui est du premier, on dit que la vie active est plus méritoire que la vie contemplative parce qu’elle est plus pénible ; elle a donc davantage le caractère de satisfaction. Pour ce qui est du mérite de l’obtention de la gloire, la vie contemplative est ainsi plus méritoire que la vie active en raison de sa pureté, car la poussière des réalités terrestres ne s’y mêle pas autant qu’à la vie active. Mais du point de vue de l’intensité du mérite, il semble que la vie contemplative soit aussi plus méritoire que cet aspect par lequel la vie active s’applique à la maîtrise de soi-même, mais qu’elle soit moins méritoire sous l’aspect qui veille au progrès des autres. En effet, il semble relever d’une charité plus grande par son genre que l’homme, mettant de côté la consolation qui le réconforte dans la contemplation de Dieu, cherche la gloire de Dieu par la conversion des autres, car, même dans l’amitié humaine, le véritable ami cherche davantage le bien de son ami que le plaisir de sa présence. |
[12667] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod contemplativa dicitur esse a Gregorio
major merito, quia minus habet de impuritate demeriti admixtum. |
1. Grégoire dit que la vie contemplative est plus méritoire parce que moins d’impureté du démérite lui est mêlé. |
[12668] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex dilectione Dei videtur procedere quod
homo praetermissa propria consolatione voluntatem Dei implere studeat in
aliorum salute; unde Gregorius super Ezech.: est amanti animae non parva
consolatio, si cum ipsa differtur, per eam multae colligantur. |
2. Le fait qu’un homme s’applique à accomplir la volonté de Dieu par le salut des autres, en mettant de côté sa propre consolation, semble provenir de l’amour de Dieu. Aussi Grégoire dit-il, en commentant Ézéchiel : « Ce n’est pas une petite consolation de l’âme pour celui qui aime que beaucoup soient rassemblés par elle, alors qu’elle est tourmentée. » |
[12669] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod philosophus loquitur de contemplativa vita
per comparationem ad activam, quae in rebus humanis negotiatur, non autem
respectu illius quae proximorum saluti insistit. |
3. Le Philosophe parle de la vie contemplative en la comparant à la vie active qui s’occupe des réalités humaines, mais non à celle qui s’applique au salut du prochain. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
|
[12670] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod,
sicut dictum est de donis et virtutibus perficientibus in vita activa, quod
manent in patria, sed non quantum ad eosdem actus; similiter etiam dicendum
est de vita activa: unde vita activa quantum ad illos actus quos modo habet,
quibus turbatur de proximorum necessitatibus et de propriis passionibus, non
remanebit: quia tunc panem esurienti non porriget, ut in Glossa inducta
subjungitur. Manebit autem quantum ad alios actus qui erunt virtutum et
donorum in patria. Vita autem contemplativa nihilominus est diuturnior quam
activa: quia manet etiam quo ad illos actus quos in via habet: qui quidem in
statu viae sunt imperfecti, sed in patria perficientur. Unde Gregorius dicit
super Ezech. de contemplativa vita: etiam cum contendimus, vix aliquid aut
parum attingere valemus. |
De même qu’on a dit des dons et des vertus, qui perfectionnent dans la vie active, qu’ils demeurent dans la patrie, mais non pour les mêmes actes, de même faut-il parler de la vie active. Aussi la vie active, pour ce qui est des actes qu’elle a maintenant, par lesquels elle est troublée par les besoins du prochain et ses propres passions, ne demeurera-t-elle pas, car alors « elle ne donnera pas de pain à celui qui a faim », comme il est ajouté dans la Glose invoquée. Mais elle demeurera pour ce qui est des autres actes qui proviendront des vertus et des dons dans la patrie. Néanmoins, la vie contemplative durera plus longtemps que la vie active, car elle demeure même pour les actes qu’elle a en cours de route : en cours de route, ils sont imparfaits, mais ils deviendront parfaits dans la patrie. Aussi, en commentant Ézéchiel, Grégoire dit-il, à propos de la vie contemplative : « Même en nous y efforçant, nous pouvons à peine ou peu y parvenir. » |
[12671] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum tamen dicendum, quod non est simile de Christo et de aliis:
quia ipse erat verus viator et comprehensor; unde simul erat in actu perfecto
quantum ad utramque vitam etiam secundum actus viae. |
1. Il n’en est pas de même du Christ et des autres, car il était vraiment viator et comprehensor. Aussi était-il parfait en acte pour les deux vies, même selon les actes de la route. |
[12672] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Angeli ex ordine naturae sunt medii inter
Deum et homines: et ideo eis competit ministerium custodiae, et hujusmodi;
non autem animabus sanctorum. |
2. Selon un ordre de nature, les anges sont des intermédiaires entre Dieu et les hommes. C’est pourquoi le ministère de la garde leur convient, et celui-là, mais non aux âmes des saints. |
[12673] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium patet solutio per id quod dictum est in corp. |
3. La réponse ressort clairement de ce qui a été dit dans le corps. |
[12674] Super Sent., lib.
3 d. 35 q. 1 a. 4 qc. 3 ad s. c. Ad alia etiam patet solutio ex praedictis. |
La réponse aux autres arguments ressort de ce qui a déjà été dit. |
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Quaestio 2 |
Question 2 – [Les dons qui perfectionnent dans les
deux vies]
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Prooemium |
Prologue |
[12675] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 pr. Deinde quaeritur de donis perficientibus in utraque vita: et 1 de dono
sapientiae; 2 de dono intellectus; 3 de dono scientiae; 4 de dono consilii. |
En s’interroge ensuite sur les dons qui perfectionnent dans les deux vies : 1. Le don de sagesse. 2. Le don d’intelligence. 3. Le don de science. 4. Le don de conseil. |
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Articulus 1 [12676] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a.
1 tit. Utrum sapientia sit donum |
Article 1 – La sagesse est-elle un don ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La
sagesse est-elle un don ?]
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[12677] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod sapientia non sit donum. Sapientia enim in littera dicitur
cognitio divinorum. Hoc autem videtur esse fidei, cujus objectum est veritas
prima. Cum ergo fides non sit donum, sed virtus, videtur quod nec sapientia. |
1. Il semble que la sagesse ne soit pas un don. En effet, dans le texte, on dit de la sagesse qu’elle est une connaissance des réalités divines. Or, cela semble relever de la foi, dont l’objet est la Vérité première. Puisque la foi n’est pas un don mais une vertu, il semble donc que la sagesse non plus [ne soit pas un don]. |
[12678] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in littera dicitur, quod sapientia est cultus Dei: et
sumitur de Job 28, secundum aliam translationem. Sed latria, quae cultus
dicitur, est virtus, et non donum. Ergo sapientia non est donum. |
2. Dans le texte, on dit que la sagesse est un culte rendu à Dieu. On tire cela de Jb 28, selon une autre traduction. Or, la latrie, dont on dit qu’elle est un culte, est une vertu, et non un don. La sagesse n’est donc pas un don. |
[12679] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Praeterea, nullum donum
habetur per acquisitionem. Sed sapientia habetur per acquisitionem: quia
philosophus philosophiam primam sapientiam nominat, quae per doctrinam
habetur. Ergo sapientia non est donum. |
3. Aucun don n’est obtenu par acquisition. Or, la sagesse s’obtient par acquisition, car le Philosophe appelle la philosophe la sagesse première, qui s’obtient par l’enseignement. La sagesse n’est donc pas un don. |
[12680] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Isai. 11 computatur inter alia dona. |
Cependant, [1] en Is 11, [la sagesse] est comptée parmi les autres dons. |
[12681] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, dona ponuntur
virtutibus altiora. Sed inter omnes habitus videtur sapientia nobilissimum,
maxime eorum quae ad cognitionem pertinent, ut philosophus dicit in 10 Ethic.
Ergo sapientia maxime debet dici donum. |
[2] Les dons sont placés plus haut que les vertus. Or, parmi tous les habitus, la sagesse semble être ce qu’il y a de plus noble, surtout pour ce qui se rapporte à la connaissance, comme le dit le Philosophe, Éthique, X. La sagesse surtout doit donc être appelée un don. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La
sagesse porte-t-elle seulement sur les réalités divines ?]
|
[12682] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sapientia non sit tantum de divinis. Quia,
sicut dicit philosophus in 1 Metaph., oportet sapientem certissimum esse de
omnibus. Ergo non est
de divinis tantum. |
1. Il semble que la sagesse ne porte pas
seulement sur les réalités divines, car, ainsi que le dit le Philosophe, Métaphysique,
I, il faut que le sage ait la plus grande certitude sur toutes choses. [La
sagesse] ne porte donc pas seulement sur les réalités divines. |
[12683] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ad sapientem pertinet
determinare medium in virtutibus moralibus, ut patet per definitionem
philosophi in 2 Eth. de virtute. Sed divina non sunt operabilia a nobis. Ergo cum medium virtutis
moralis sit de operabilibus a nobis, videtur quod non sit sapientia tantum de
divinis. |
2. Il revient au sage de déterminer le milieu pour les vertus morales, comme cela ressort de la définition que le Philosophe donne de la vertu, Éthique, II. Or, les réalités divines ne sont pas objets d’actions de notre part. Puisque le milieu de la vertu morale porte sur ce qui peut être accompli par nous, il semble donc que la sagesse ne porte pas seulement sur les réalités divines. |
[12684] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sapientia videtur esse
circa illa quorum est ars mechanica; 1 Corinth. 3, 10: ut sapiens
architectus fundamentum posui. Ergo non est tantum de divinis. |
3. La sagesse semble porter sur les objets de l’art mécanique. 1 Co 3 : Comme un sage architecte, j’ai posé les fondations. Elle ne porte donc pas seulement sur les réalités divines. |
[12685] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod sapientia est de causis
altissimis, secundum philosophum in principio Metaph. Sed causae altissimae
sunt divina. Ergo est tantum de divinis. |
Cependant, [1] la sagesse porte sur les causes les plus élevées, selon le Philosophe, au début de la Métaphysique. Or, les causes les plus élevées sont les réalités divines. Elle porte donc seulement sur les réalités divines. |
[12686] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, philosophus in 6 Ethicor. dicit,
quod sapientia est quasi caput scientiarum. Sed omnis cognitionis caput est
cognitio quae est de divinis. Ergo sapientia est circa divina. |
[2] En Éthique, VI, le Philosophe dit que la sagesse est comme la source des sciences. Or, la source de toutes les sciences est la connaissance qui porte sur les réalités divines. La sagesse porte donc sur les réalités divines. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La
sagesse se trouve-t-elle seulement dans l’intelligence ou plutôt dans
l’affectivité ?]
|
[12687] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod sapientia non sit in intellectu, sed in affectu
magis. Quia sapientia
secundum nomen suum est, ut dicitur Eccli. 6. Sed dicitur a sapore. Cum ergo
sapor ad gustum pertineat, qui ad affectum transfertur, sicut visus ad
intellectum; videtur quod sapientia sit in affectu. |
1. Il semble que la sagesse ne se trouve pas seulement dans l’intelligence, mais plutôt dans l’affectivité, car la sagesse existe selon son nom, Si 6. Or, celui-ci vient de « saveur » (sapor). Puisque la saveur relève du goût, qui est reporté sur l’affectivité, comme la vue sur l’intelligence, il semble donc que la sagesse se trouve dans l’affectivité. |
[12688] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2 Praeterea in littera dicitur, quod sapientia est in cognitione et
dilectione ejus quod semper incommutabiliter manet, quod est Deus. Sed dilectio ad
affectionem pertinet. Ergo sapientia est in affectione. |
2. Il est dit dans le texte que « la sagesse consiste dans la connaissance et dans l’amour de celui qui demeure toujours sans changement, qui est Dieu ». Or, l’amour relève de l’affectivité. La sagesse se trouve donc dans l’affectivité. |
[12689] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3 Praeterea, septima
beatitudo, qua dicitur: beati pacifici, ad sapientiam reducitur. Sed pax ad affectum
pertinet. Ergo et sapientia. |
3. La septième béatitude, par laquelle on dit: Bienheureux les pacifiques ! se ramène à la sagesse. Or, la paix relève de l’affectivité. Donc, la sagesse aussi. |
[12690] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod in
littera definitur per cognitionem. |
Cependant, [1] ce qui est défini par la connaissance dans le texte va en sens contraire. |
[12691] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, omnis virtus intellectualis est in parte cognitiva. Sed
sapientia ponitur a philosopho virtus intellectualis. Ergo tam ipsa quam
sapientiae donum quod ei respondet, in parte cognitiva est. |
[2] Toute vertu intellectuelle se trouve dans la partie cognitive. Or, la sagesse est présentée par le Philosophe comme une vertu intellectuelle. Aussi bien la sagesse elle-même que le don de sagesse qui lui correspond se trouvent donc dans la partie cognitive. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
|
[12692] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem,
quod sapientia secundum nominis sui usum videtur importare eminentem quamdam
sufficientiam in cognoscendo, ut etiam in seipso certitudinem habeat de
magnis et mirabilibus quae aliis ignota sunt, et possit de omnibus judicare,
quia unusquisque bene judicat quae cognoscit, possit etiam et alios ordinare
per dictam eminentiam. Haec autem sufficientia in quibusdam quidem est per
studium et doctrinam, adjuncta vivacitati intellectus: et talis sapientia a
philosopho ponitur virtus intellectualis in 6 Ethic. Sed in quibusdam talis
sufficientia accidit per quamdam affinitatem ad divina, sicut dicit Dionysius
de Hierotheo, quod patiendo divina, didicit divina: et de talibus dicit
apostolus, 1 Cor., 2, 15: spiritualis judicat omnia; et 1 Joan. 2, 27:
unctio docebit vos de omnibus. |
Selon la manière usuelle de parler de la
sagesse, elle semble comporter une suffisance éminente dans la connaissance,
de sorte qu’elle ait en elle-même une certitude sur des réalités grandes et
étonnantes, qui sont ignorées des autres, qu’elle puisse juger de tout, car
chacun juge bien ce qu’il connaît, et qu’elle puisse aussi en ordonner
d’autres par l’élévation mentionnée. Or, chez certains, cette suffisance
existe par l’étude et l’enseignement, joints à la vivacité de l’intelligence.
Une telle sagesse est présentée par le Philosophe comme une vertu
intellectuelle, Éthique, VI. Mais,
chez certains, une telle suffisance se produit par une affinité avec les
réalités divines, comme Denys dit de Hiérothée qu’elle apprit les réalités
divines en les éprouvant. C’est de cela que parle l’Apôtre en
1 Co 2, 15 : L’homme
spirituel juge de tout ; et aussi 1 Jn 2, 27 : L’onction vous enseignera à propos de
toutes choses. |
[12693] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2
a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut se habet sapientia quae
est virtus intellectualis, ad intellectum principiorum, quia quodammodo
comprehendit ipsum, ut dicitur in 7 Ethic., secundum quod ex principiis
negotiatur circa altissima et difficillima, et de his etiam quodammodo
ordinat, inquantum reducit omnia ad unum principium, et ejus est disputare
contra negantes ipsa: ita se habet sapientia quae est donum, ad fidem, quae
est cognitio simplex articulorum, quae sunt principia totius Christianae sapientiae.
Procedit enim sapientiae donum ad quamdam deiformem contemplationem, et
quodammodo explicitam, articulorum quos fides sub quodam modo involuto tenet
secundum humanum modum. Et ideo sapientia est donum, fides autem virtus. |
1. La sagesse qui est une vertu intellectuelle se rapporte à l’intelligence des principes, car elle l’englobe d’une certaine manière, comme on le dit dans Éthique, VI, selon qu’à partir des principes, elle s’occupe des réalités les plus élevées et les plus difficiles, et les ordonne aussi, pour autant qu’elle ramène tout à un seul principe, et qu’il lui revient de disputer contre ceux qui les nient. De même, la sagesse qui est un don se rapporte-t-elle à la foi, qui est une connaissance simple des articles [de foi], qui sont les principes de toute la sagesse chrétienne. En effet, le don de sagesse accède à une contemplation déiforme et, d’une certaine manière, explicite des articles que la foi garde sous un mode enveloppé selon un mode humain. Ainsi donc, la sagesse est un don, mais la foi est une vertu. |
[12694] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sapientia non dicitur pietas, quae est
latria, per essentiam, sed quasi per causam, quia proxime ad latriam
inclinat. |
2. La sagesse n’est pas appelée la piété selon son essence, ce qui est la latrie, mais selon sa cause, car elle incline à la latrie d’une manière prochaine. |
[12695] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
aequivocatio est in sapientia, ut dictum est. |
3. Il y a équivoque à propos de la sagesse, comme on l’a dit. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
|
[12696] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
dicendum, quod, sicut dictum est, ad sapientem pertinet judicare, et ordinare.
Judicium autem de aliquibus fieri non potest nisi per ea quae sunt lex et
regula eorum. Semper autem oportet quod superiora sint inferiorum regula; et
ideo oportet de infimis per superiora judicare: unde quamvis intentio
quandoque ab infimis incipiat, et ad suprema tendat, tamen judicium nunquam
perficitur nisi per superiora, in quibus inferiora resolvuntur: et ideo
oportet sapientem de altissimis cognitorem esse. Altissimum autem dicitur dupliciter. Uno
modo simpliciter, quod praeeminet omnibus; et hoc modo divina altissima sunt:
unde eum qui simpliciter sapiens dicitur, oportet circa divina instructum
esse. Alio modo dicitur altissimum in genere aliquo; et qui circa hoc
instructus est, non simpliciter, sed in genere illo sapiens dicitur: sicut in
artificialibus altissimum est usus illorum propter quod fiunt: unde qui habet
artem usualem, quae architectonica dicitur, in singulis artificiis sapiens
illius artificii dicitur: et per modum istum prudens in rebus humanis quibus
praecipit, sapiens dicitur. Et quia per delectationes et alias passiones
corrumpitur aestimatio prudentiae, ut dicitur in 6 Ethic.; ideo apud Senecam
et alios morales philosophos translatum est nomen sapientiae ad temperantiam
et alias morales virtutes, inquantum passiones refrenant, et sic prudentiam
conservant: unde dicunt, quod sapiens non perturbatur, et hujusmodi. Patet
ergo quod sapientia quae simpliciter sapientia dicitur, sive sit virtus
intellectualis, sive donum, de divinis est principaliter: et inquantum per ea
de omnibus aliis judicare potest, sapiens omnium certissimus esse dicitur. |
Comme on l’a dit, il relève de la sagesse de juger et d’ordonner. Or, un jugement ne peut être porté sur certaines choses qu’à partir de ce qui est une loi et une règle pour elles. Or, il est nécessaire que des réalités supérieures soient une règle pour les réalités inférieures. C’est pourquoi il est nécessaire de juger des plus petites choses par des réalités supérieures. Bien que l’attention se porte parfois pour commencer sur les plus petites choses et tende vers les réalités suprêmes, le jugement n’est cependant jamais réalisé que selon les réalités supérieures auxquelles les réalités inférieures se ramènent. Aussi faut-il que le sage connaisse les réalités les plus élevées. Or, on parle de ce qui est le plus élevé de deux manières. D’une manière, simplement, ce qui dépasse toutes choses. De cette manière, les réalités divines sont les plus élevées. Aussi faut-il que celui qui est appelé sage simplement ait été instruit des réalités divines. D’une autre manière, on parle de plus élevé dans un genre. Celui qui en a été instruit n’est donc pas appelé sage simplement, mais dans ce genre. Ainsi, pour les réalités qui relèvent de l’art, ce qui est le plus élevé est l’usage pour lequel elles sont réalisées. Aussi, dans chacun des arts, celui qui possède l’art d’en user, qu’on appelle architectonique, est-il appelé sage en cet art. De cette manière, celui qui est prudent pour les affaires humaines qu’il commande est-il appelé sage. Et parce que l’estimation de la prudence est corrompue par les plaisirs et les autres passions, comme on le dit dans Éthique, VI, chez Sénèque et chez les autres philosophes moralistes, le nom de sagesse a été reporté sur la tempérance et sur les autres vertus morales dans la mesure où elles réfrènent les passions et sauvegardent ainsi la prudence. Ils disent donc que le sage n’est pas troublé, et d’autres choses de ce genre. Il est donc clair que la sagesse, appelée simplement sagesse, qu’elle soit une vertu intellectuelle ou qu’elle soit un don, porte principalement sur les réalités divines, et, pour autant qu’elle peut juger de toutes les autres réalités selon elle, on dit que le sage est celui qui possède la plus grande certitude sur toutes choses. |
[12697] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio
ad objecta. |
Ainsi ressort clairement la réponse aux objections. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
|
[12698] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum,
quod, sicut dictum est, sapientiae donum eminentiam cognitionis habet, per
quamdam unionem ad divina, quibus non unimur nisi per amorem, ut qui adhaeret
Deo, sit unus spiritus cum eo: 1 Corinth., 6. Unde et dominus, Joan. 15, secreta patris se revelasse discipulis
dicit, inquantum amici erant. Et ideo sapientiae donum dilectionem quasi
principium praesupponit, et sic in affectione est. Sed quantum ad essentiam
in cognitione est; unde ipsius actus videtur esse et hic et in futuro divina
amata contemplari, et per ea de aliis judicare non solum in speculativis, sed
etiam in agendis, in quibus ex fine judicium sumitur; et ideo Gregorius
sapientiam contra stultitiam ponit; quae importat errorem circa finem
intentum. |
Comme on l’a dit, le don de sagesse comporte une élévation de la connaissance par une certaine union aux réalités divines, auxquelles nous ne sommes unis que par l’amour, de sorte que celui qui s’attache à Dieu est un seul esprit avec lui, 1 Co 6. Ainsi le Seigneur dit-il qu’il a révélé à ses disciples les secrets du Père, Jn 15, parce qu’ils étaient ses amis. C’est pourquoi le don de sagesse présuppose l’amour comme principe et se trouve ainsi dans l’affectivité. Mais, pour ce qui est de son essence, il se trouve dans la connaissance. Aussi son acte semble-t-il être de contempler les réalités divines aimées ici et dans l’avenir, et de juger par elles des autres choses, non seulement spéculatives, mais aussi à accomplir, pour lesquelles il tire son jugement de la fin. C’est pourquoi Grégoire oppose la sagesse à la sottise, qui comporte une erreur sur la fin visée. |
[12699] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
saporem sapientia importat quantum ad dilectionem praecedentem, non quantum
ad cognitionem sequentem, nisi ratione delectationis, quae ipsam cognitionem
in actu exequitur. Vel dicendum,
quod dictum Ecclesiastici non intelligitur quantum ad similitudinem nominis
cum sapore: quia illa similitudo, etsi sit in lingua Latina, non tamen est in
aliis linguis: sed loquitur quantum ad significatum quod omnes concipiunt de
nomine sapientiae, in quacumque lingua dicatur. |
1. La sagesse comporte un goût pour ce qui est de l’amour qui la précède, mais non pour ce qui de la connaissance qui la suit, si ce n’est en raison de la délectation qui suit la connaissance en acte. Ou bien il faut dire que ce que dit l’Ecclésiastique ne s’entend pas de la ressemblance du nom avec le goût, car cette ressemblance, même si elle existe en latin, n’existe cependant pas dans les autres langues. Mais il parle d’un sens que tous conçoivent à propos du nom de la sagesse, quelle que soit la langue dans laquelle il est exprimé. |
[12700] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum patet solutio
per id quod dictum est in corp. |
2. La réponse ressort clairement de ce qui a été dit dans le corps. |
[12701] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod pacificatio illa pertinet ad effectum
ordinationis sapientiae, quia omnis ordinans pacem intendit; non autem quantum
ad essentialem ipsum actum. |
3. Cet apaisement relève de l’effet de la mise en ordre par la sagesse, car tout ce qui met en ordre vise la paix ; mais il ne relève pas de son acte essentiel même. |
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Articulus 2 [12702] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a.
2 tit. Utrum
intellectus sit donum |
Article 2 – L’intelligence est-elle un don ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 –
[L’intelligence est-elle un don ?]
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[12703] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod
intellectus non sit donum. Nullum enim donum, secundum quod nunc de dono
loquimur, est nobis a natura. Sed intellectus est nobis naturaliter insitus.
Ergo intellectus non est donum. |
1. Il semble que l’intelligence ne soit pas un don. En effet, aucun don, tel que nous en parlons ici, ne nous vient de la nature. Or, l’intelligence nous est donnée naturellement. L’intelligence n’est donc pas un don. |
[12704] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, ea quae sunt unius divisionis, videntur esse unius rationis.
Sed intellectus quandoque dividitur contra voluntatem, quandoque autem contra
rationem. Sed voluntas non est donum neque ratio. Ergo neque intellectus. |
2. Ce qui ne fait pas partie de la même division ne relève pas d’une même raison. Or, l’intelligence est parfois divisée par opposition à la volonté, mais parfois par rapport à la raison. Or, ni volonté ni la raison ne sont un don. Donc, ni l’intelligence. |
[12705] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, Gregorius dicit in principio Moral., quod intellectus in die suo pascit, dum de auditis mentem
illustrat. Ergo intellectus est ex auditu, sicut et fides. Sed fides non est
donum, sed virtus. Ergo intellectus non est donum. |
3. Au début des Morales, Grégoire dit que « l’intelligence paît lorsqu’il fait jour, alors qu’elle éclaire l’esprit sur ce qui a été entendu ». L’intelligence vient donc de l’ouïe comme la foi. Or, la foi n’est pas un don, mais une vertu. L’intelligence n’est donc pas un don. |
[12706] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Isai. 11, ubi
spiritus intellectus computatur inter septem dona spiritus sancti. |
Cependant, [1] Is 11 parle en sens contraire : il y est dit que l’intelligence est comptée parmi les sept dons de l’Esprit saint. |
[12707] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, donorum propria est ratio, ut
prius dictum est, ut per ea quis super humanum modum operetur. Sed operatio
intellectus praecipue est supra hominem, ut dicitur in Ethic. Ergo intellectus
maxime debet dici donum. |
[2] La raison propre des dons, comme on l’a dit auparavant, est que, par eux, quelqu’un agisse au-delà d’un mode humain. Or, l’opération de l’intelligence porte surtout sur ce qui dépasse l’homme, comme il est dit dans Éthique. L’intelligence surtout doit donc être appelée un don. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le
don d’intelligence possède-t-il un acte en cours de route ?]
|
[12708] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod donum intellectus non habeat aliquem actum in
via. Intellectus enim importat quamdam cognitionem sine obumbratione: unde
Isaac dicit, quod ubi obumbratur intellectus, oritur ratio. Sed impossibile
est quod in statu viae cognoscamus sine obumbratione phantasmatum, ut philosophus
ostendit in 3 de anima. Ergo intellectus non habet aliquem actum in via. |
1. Il semble que le don d’intelligence ne possède pas d’acte en cours de route. En effet, l’intelligence implique une connaissance sans ombre. Aussi Isaac dit-il que « là où l’intelligence est voilée, là se lève la raison ». Or, il est impossible qu’en cours de route, nous connaissions sans l’ombre des phantasmes, comme le Philosophe le montre dans Sur l’âme, III. L’intelligence ne possède donc pas d’acte en cours de route. |
[12709] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Dionysius dicit, 1 cap. Cael. Hier., quod impossibile est
nobis aliter lucere divinum radium, nisi varietate sacrorum velaminum
circumvelatum. Sed ubicumque
est cognoscere per aliqua velamina, oportet esse collationem, quae non ad
intellectum sed ad rationem pertinet. Ergo non est possibile quod in statu viae sit nobis intellectus actus. |
2. Dans La hiérarchie céleste, I, Denys dit qu’un rayon divin ne peut nous éclairer autrement que voilé par une diversité de voiles sacrés. Or, partout où l’on connaît sous des voiles, il faut un rapprochement qui ne relève pas de l’intelligence, mais de la raison. Il n’est donc pas possible qu’il y ait pour nous un acte d’intelligence pendant que nous sommes en route. |
[12710] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, actus intellectus est videre Deum: hoc enim ponitur in
sexta beatitudine, quae ad intellectum refertur. Sed Deum nullus potest videre in hac
mortali carne existens. Ergo in statu viae non habemus usum intellectus. |
3. L’acte de l’intelligence consiste à voir Dieu. En effet, ce qui est dit dans la sixième béatitude se rapporte à l’intelligence. Or, personne ne peut voir Dieu alors qu’il se trouve dans cette chair mortelle. Nous n’avons donc pas l’usage de l’intelligence pendant que nous sommes en route. |
[12711] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 4 Praeterea, Augustinus dicit in quodam sermone de timore, quod
intellectus vocatur quo ab omni infirmitate corda mundantur, ut pura intentio
dirigatur in finem. Sed impossibile est in statu viae ab omni infirmitate
corda mundari. Ergo impossibile est in statu viae actum intellectus esse. |
4. Dans un sermon sur la crainte, Augustin dit qu’on parle d’intelligence pour les cœurs qui sont purifiés de toute faiblesse, de sorte que leur intention pure est dirigée vers la fin. Or, il est impossible que les cœurs soient purifiés de toute faiblesse dans l’état du cheminement. Il est donc impossible qu’existe un acte d’intelligence dans l’état du cheminement. |
[12712] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, habitus ordinatur ad actum. Si
ergo actus intellectus a nobis in via haberi non posset, frustra nobis donum
intellectus daretur. |
Cependant, [1] l’habitus est ordonné à l’acte. Si donc nous ne pouvions pas avoir un acte d’intelligence en cours de route, le don d’intelligence nous serait donné en vain. |
[12713] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sexta
beatitudo ad intellectus donum refertur. Sed in illa ponitur aliquid pertinens ad statum
viae, et aliquid ad statum patriae. Ergo intellectus habet actum in nobis et
quantum ad statum viae, et quantum ad statum patriae. |
[2] La sixième béatitude se rapporte au don d’intelligence. Or, dans celle-ci, on met quelque chose qui se rapporte à l’état du cheminement et quelque chose qui se rapporte à la patrie. L’intelligence a donc en nous un acte tant pour l’état du cheminement que pour l’état de la patrie. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 –
[L’intelligence se différencie-t-elle de la sagesse ?]
|
[12714] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod intellectus
a sapientia non differat. Totum enim a parte essentialiter non distinguitur.
Sed intellectus videtur esse totum respectu sapientiae, quae est tantum de
Deo, cum intellectus sit de Deo et spiritualibus creaturis. Ergo intellectus
essentialiter a sapientia non differt. |
1. Il semble que l’intelligence ne se différencie pas de la sagesse. En effet, le tout ne se différencie pas de la partie par essence. Or, l’intelligence semble être un tout par rapport à la sagesse, qui porte seulement sur Dieu, alors que l’intelligence porte sur Dieu et les créatures spirituelles. L’intelligence ne se différencie donc pas de la sagesse par essence. |
[12715] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, sapientia, ut in littera Magister
dicit, delectationem circa divina experitur. Sed hoc idem videtur ad
intellectum pertinere: in consideratione enim intellectus est maxima
delectatio, sicut dicit philosophus in 10 Ethic. Ergo intellectus a sapientia
non differt. |
2. Comme le dit le Maître dans le texte, la sagesse fait l’expérience d’une délectation à propos des réalités divines. Or, la même chose semble relever de l’intelligence. En effet, « la plus grande délectation se trouve dans la considération », comme le dit le Philosophe, Éthique, X. L’intelligence ne se différencie donc pas de la sagesse. |
[12716] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, ad eumdem actum non oportet ordinari diversos habitus, cum
habitus distinguantur per actus. Sed tam sapientia quam intellectus
ordinantur ad contemplationem. Cum ergo contemplatio sit unus actus, videtur
quod sapientia et intellectus sit unus habitus. |
3. Des habitus différents ne doivent pas être ordonnés à un même acte, puisque les habitus se distinguent par les actes. Or, aussi bien la sagesse que l’intelligence sont ordonnées à la contemplation. Puisque la contemplation est un seul acte, il semble donc que la sagesse et l’intelligence soient un seul habitus. |
[12717] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dividuntur ex opposito,
Isai. 11. |
Cependant, [1] elles sont distinguées par mode d’opposition, Is 11. |
[12718] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, dona correspondent virtutibus.
Sed alia virtus est intellectus, et alia sapientia, ut patet in 6 Ethic. Ergo
et aliud est unum donum ab alio. |
[2] Les dons correspondent aux vertus. Or, autre est la vertu d’intelligence, autre la vertu de sagesse, comme cela ressort clairement d’Éthique, VI. Un don est donc différent de l’autre. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
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[12719] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod intellectus secundum
suum nomen importat cognitionem pertingentem ad intima rei. Unde cum sensus et imaginatio circa
accidentia occupentur quae quasi circumstant essentiam rei, intellectus ad
essentiam ejus pertingit. Unde secundum philosophum, objectum intellectus est
quid. Sed in apprehensione hujus essentiae est differentia. Aliquando enim
apprehenditur ipsa essentia per seipsam, non quod ad eam ingrediatur
intellectus ex ipsis quae quasi circumvolvuntur ipsi essentiae; et hic est
modus apprehendendi substantiis separatis; unde intelligentiae dicuntur.
Aliquando vero ad intima non pervenitur nisi per circumposita quasi per
quaedam ostia; et hic est modus apprehendendi in hominibus, qui ex effectibus
et proprietatibus procedunt ad cognitionem essentiae rei. Et quia in hoc
oportet esse quemdam discursum; ideo hominis apprehensio ratio dicitur,
quamvis ad intellectum terminetur in hoc quod inquisitio ad essentiam rei
perducit. Unde si aliqua sunt quae statim sine discursu rationis
apprehendantur, horum non dicitur esse ratio, sed intellectus; sicut
principia prima, quae quisque statim probat audita. Primo ergo modo intellectus potentia est;
sed secundo modo accipiendo, habitus principiorum dicitur. Sicut autem mens
humana in essentiam rei non ingreditur nisi per accidentia, ita etiam in
spiritualia non ingreditur nisi per corporalia, et sensibilium similitudines,
ut Dionysius dicit. Unde fides quae spiritualia in speculo et aenigmate quasi
involuta tenere facit, humano modo mentem perficit; et ideo virtus est. Sed si
supernaturali lumine mens intantum elevetur ut ad ipsa spiritualia aspicienda
introducatur, hoc supra humanum modum est; et hoc facit intellectus donum,
quod de auditis mentem illustrat, ut ad modum primorum principiorum statim
audita probentur; et ideo intellectus donum est. |
L’intelligence, d’après son nom, comporte une connaissance qui atteint jusqu’au cœur d’une chose. Puisque le sens et l’imagination sont occupés par les accidents, qui entourent pour ainsi dire l’essence d’une chose, l’intelligence en atteint donc l’essence. Selon le Philosophe, l’objet de l’intelligence est donc est l’essence. Or, dans la saisie de cette essence, il existe une différence. En effet, l’essence est parfois saisie par elle-même, sans que l’intelligence la pénètre à partir de ce qui entoure pour ainsi dire l’essence elle-même. Tel est le mode de la saisie chez les substances séparées ; aussi sont-elles appelées des intelligences. Mais parfois on n’atteint le cœur que par ce qui l’entoure, comme par des portes. Tel est le mode de la saisie pour les hommes, qui passent des effets et des propriétés à la connaissance de l’essence d’une chose. Et parce qu’il est nécessaire qu’il y ait là une certaine démarche, la saisie de l’homme est donc appelée raison, bien qu’elle se termine à l’intelligence du fait que la recherche mène à l’essence de la chose. Si donc il existe certaines choses qui sont saisies immédiatement sans démarche, on ne dit pas qu’il existe un raisonnement à leur sujet, mais l’intelligence, comme c’est le cas des principes premiers, que chacun reconnaît dès qu’il les a entendus. Selon la première manière de saisir, l’intelligence est une puissance ; mais, selon la seconde, elle est appelée l’habitus des principes. Or, de même que l’esprit humain n’accède à l’essence d’une chose que par les accidents, de même aussi il n’accède-t-il aux réalités spirituelles que par les réalités corporelles et par les ressemblances des réalités sensibles, comme le dit Denys. Aussi la foi qui fait saisir les réalités spirituelles dans un miroir et en énigme perfectionne-t-elle l’esprit selon un mode humain ; c’est pourquoi elle est une vertu. Mais si l’esprit est élevé par une lumière surnaturelle au point d’accéder à regarder les réalités spirituelles, cela dépasse le mode humain. C’est ce que fait le don d’intelligence, qui éclaire l’esprit à propos de ce qui a été entendu, afin que cela soit immédiatement reconnu à la manière des premiers principes. C’est pourquoi l’intelligence est un don. |
[12720] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 1 ad arg. Et per hoc patet solutio
ad objecta. |
La réponse aux objections ressort ainsi clairement. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
|
[12721] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
dicendum, quod intellectus ad spiritualia ingreditur dupliciter. Uno modo per
viam remotionis, dum a spiritualibus viam quae in corporalibus invenitur,
removet. Alio modo
secundum quod ulterius in ipsa spiritualia defigit intuitum. In statu ergo
viae intellectus ingreditur ad spiritualia primo modo, maxime ad divina: quia
in hoc perficitur cognitio humana secundum statum viae, ut intelligamus Deum
ab omnibus separatum, super omnia esse, ut dicit Dionysius in Lib. de mystica
theologia. Et ad hoc
pervenit Moyses, qui dicitur intrasse ad caliginem, in qua Deus erat, Exod.
19. Et propter hoc etiam quantum ad statum viae munditia ponitur in sexta
beatitudine, quae pertinet ad depurationem intellectus ab omnibus
corporalibus. Sed ad
secundum modum pertingere non possumus in statu viae, maxime quantum ad Deum;
sed hoc erit in patria. Unde Gregorius super Ezech.: quamdiu in hac carne
mortali vivitur, nullus ita in contemplationis virtute proficit, ut in ipso
jam incircumscripto luminis radio mentis oculos infigat; sed quidquid de illo
modo conspicitur, non est ipse, sed sub ipso est. Hoc tamen infirmae
mentis desiderio satisfacit: quia secundum quod philosophus dicit in 11 de
animalibus, amans in parva comprehensione amati magis delectatur quam in
magna aliorum comprehensione. Et ideo, ut ipse dicit, illud parum quod de substantiis separatis
cognoscere possumus, plus desideratur et delectat quam quidquid de aliis
rebus cognoscimus. |
L’intellect accède aux réalités spirituelles de deux manières. D’une manière, par mode de soustraction, lorsqu’il enlève des réalités spirituelles le chemin qui se trouve dans les réalités corporelles. D’une autre manière, selon qu’il fixe en plus le regard sur les réalités spirituelles. Dans l’état du cheminement, l’intelligence accède aux réalités spirituelles, et surtout aux réalités divines, de la première manière, car la connaissance humaine dans l’état du cheminement se réalise par le fait que nous comprenons que Dieu est séparé de toutes choses et au-dessus de toutes, comme le dit Denys dans le livre sur La théologie mystique. C’est à ce point qu’est parvenu Moïse, qui dit avoir pénétré dans une nuée dans laquelle se trouvait Dieu, Ex 19. Aussi, pour ce qui est de l’état du cheminement, il est question de pureté dans la sixième béatitude, qui se rapporte à la purification de l’intelligence de toutes les réalités corporelles. Mais nous ne pouvons pas parvenir au second mode dans l’état du cheminement, surtout en ce qui concerne Dieu, mais ce sera le cas dans la patrie. Aussi Grégoire dit-il en commentant Ézéchiel : « Aussi longtemps qu’il vit en cette chair mortelle, personne ne progresse dans la puissance de la contemplation au point de fixer les yeux de l’esprit sur le rayon lumineux infini ; mais tout ce qui est vu de cette manière n’est pas lui, mais lui est inférieur. » Toutefois, cela satisfait le désir d’un esprit faible, car, ainsi que le dit le Philosophe dans Sur les animaux, XI, « celui qui aime prend davantage plaisir dans une faible saisie de celui qui est aimé que dans une grande saisie des autres. » C’est pourquoi, ainsi que lui-même le dit, le peu que nous pouvons connaître des substances séparées est davantage désiré et donne plus de plaisir que tout ce que nous connaissons des autres choses. |
[12722] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod umbra quae in statu viae in intellectu
nostro est, nos impedit ne in divinam essentiam mentis oculos defigere
valeamus. |
1. L’ombre qui existe dans notre intelligence dans l’état du cheminement n’empêche pas que nous puissions fixer les yeux de l’esprit sur l’essence divine. |
[12723] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Dionysius loquitur quantum ad principium
revelationis divinorum, in qua quasi per sermonem quemdam nobis in signis et
figuris proponuntur; sed ulterius de auditis, sicut per donum intellectus,
mens illustratur. |
2. Denys parle du commencement de la révélation des réalités divines, par laquelle elles nous sont proposées dans des signes et des figures comme par un discours ; mais, par la suite, l’esprit est éclairé à propos de ce qui a été entendu, comme par le don d’intelligence. |
[12724] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
videre Deum defigendo intuitum in essentiam ejus non possumus in statu viae,
sed alio modo, ut dictum est in corp. |
3. Dans l’état du cheminement, nous ne pouvons pas voir Dieu dans son essence, mais d’une autre manière, comme on l’a dit dans le corps. |
[12725] Super Sent., lib.
3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Augustinus nominat infirmitatem humanam
corporalia phantasmata, quae oportet removere per intellectum tendentes in
Deum. |
4. Augustin appelle faiblesse humaine les phantasmes corporels, que ceux qui tendent vers Dieu doivent écarter par l’intellect. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
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[12726] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod
intellectus videtur nominare simplicem apprehensionem; sed sapientia nominat
quamdam plenitudinem certitudinis ad judicandum de apprehensis: et ideo
intellectus videtur pertinere ad viam inventionis, sed sapientia ad viam
judicii. Sed quia
judicium non potest esse de apprehensis nisi per suprema, quibus sapiens
mente unitur, ut quasi in superiori collocatus de omnibus judicet, quae
quidem unio ad divina per dilectionem est; ideo sapientia circa divina
principaliter est, et habet circa ea delectationem ex dilectione causatam;
intellectus autem est indifferenter circa omnia apprehensa spiritualia, et
delectationem ex amore ad apprehensa causatam, quantum est in se, non
importat. |
L’intelligence semble désigner une simple saisie ; mais la sagesse désigne une plénitude de certitude pour juger de ce qui a été saisi. C’est pourquoi l’intelligence semble être en rapport avec l’invention, mais la sagesse, avec le jugement. Mais parce que le jugement ne peut porter sur ce qui a été saisi qu’à partir des réalités les plus élevées, auxquelles le sage est uni par l’esprit, comme s’il jugeait de tout à partir d’un point élevé qui est l’union aux réalités divines par l’amour, la sagesse porte donc principalement sur les réalités divines et possède à leur propos un plaisir causé par l’amour. Mais l’intelligence porte indifféremment sur toutes les réalités spirituelles saisies et ne comporte pas en elle-même un plaisir causé par l’amour de ce qui est saisi. |
[12727] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non eodem modo considerat de Deo
intellectus et sapientia; et ideo sapientia non includitur in intellectu; sed
alio modo, ut dictum est in corp. |
1. L’intelligence et la sagesse ne considèrent pas Dieu de la même manière. C’est pourquoi la sagesse n’est pas incluse dans l’intelligence. Mais [ils le considèrent] d’une autre manière, comme on l’a dit dans le corps. |
[12728] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod delectatio quae est in actu intellectus, causatur ex congruentia
operationis ad operantem; non autem ex dilectione ad ea circa quae est
operatio, sicut est in sapientia. |
2. Le plaisir qui se trouve dans l’acte d’intelligence est causé par ce en quoi l’action et celui agit se conviennent, et non par l’amour de ce sur quoi porte l’opération, comme c’est le cas pour la sagesse. |
[12729] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in contemplatione est necessaria apprehensio
quae est per intellectum et judicium, quod est per sapientiam: et ideo
necessaria sunt dona. |
3. Dans la contemplation, il existe une saisie nécessaire qui se réalise par l’intelligence et le jugement, qui vient de la sagesse. C’est pourquoi ils sont des dons nécessaires. |
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Articulus 3 [12730] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a.
3 tit. Utrum donum
scientiae sit tantum de humanis |
Article 2 – Le don de science porte-t-il seulement sur les réalités humaines ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le
don de science porte-t-il seulement sur des réalités humaines ?]
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[12731] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod
donum scientiae non sit tantum de humanis, sed etiam de divinis. Dicit enim
Augustinus in littera, quod scientia donum est, qua fides defenditur et
roboratur. Sed fides est de divinis. Ergo scientia est de divinis. |
1. Il semble que le don de science ne porte pas seulement sur des réalités humaines, mais aussi sur les réalités divines. En effet, Augustin dit dans le texte que « le don de science est ce par quoi la foi est défendue et renforcée ». Or, la foi porte sur des réalités divines. La science porte donc sur des réalités divines. |
[12732] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, scientia donum est altior quam scientia virtus. Sed
scientia virtus de divinis est, sicut metaphysica, vel etiam theologia. Ergo
et scientia donum de divinis est. |
2. Le don de science est plus élevé que la vertu de science. Or, la vertu de science porte sur les réalités divines, telle la métaphysique ou encore la théologie. Le don de science aussi porte donc sur les réalités divines. |
[12733] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, caput est conforme membris. Sed sapientia quae est de
divinis, in metaphysicis dicitur caput scientiarum. Ergo scientia de divinis
est. |
3. La tête est conforme aux membres. Or, la sagesse qui porte sur les réalités divines est appelée, en métaphysique, la tête des sciences. La science porte donc sur les réalités divines. |
[12734] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, per scientiam scimus conversari
in medio pravae et perversae nationis, ut in littera dicitur. Sed hoc non pertinet ad
divina, sed ad humana. Ergo scientia non est divinorum, sed humanorum. |
Cependant, [1] par la science, nous savons nous comporter au sein d’une nation dépravée et perverse, comme il est dit dans le texte. Or, cela ne se rapporte pas aux réalités divines, mais aux réalités humaines. La science ne porte donc pas sur les réalités divines, mais sur les réalités humaines. |
[12735] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, ad idem non
sunt necessarii duo habitus. Sed ad divina ordinatur sapientia. Ergo scientia
non est divinorum. |
[2] Deux habitus ne sont pas nécessaires pour la même chose. Or, la sagesse est ordonnée aux réalités divines. La science ne porte donc pas sur les réalités divines. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le
don de science est-il seulement pratique ou aussi spéculatif ?]
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[12736] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit tantum practica, sed etiam speculativa.
Quia quanto aliqua cognitio est altior, tanto ad plura se extendit. Sed
scientia donum est altior quam scientia quae ponitur virtus intellectualis.
Ergo cum scientia quae est virtus intellectualis, se extendat ad operabilia
et speculabilia, videtur quod multo fortius scientia quae est donum. |
1. Il semble que [le don de science] ne soit pas seulement pratique, mais aussi spéculatif, car plus une connaissance est élevée, plus nombreuses sont les réalités sur lesquelles elle porte. Or, le don de science est plus élevé que la science qui est présentée comme une vertu intellectuelle. Puisque la science qui est une vertu intellectuelle couvre ce qui peut être accompli et ce qui est objet de spéculation, il semble donc qu’à bien plus forte raison, ce soit le cas du don de science. |
[12737] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, philosophus in principio Metaph. probat quod scientia
speculativa est nobilior quam practica, inquantum per se speculativae
expetuntur, non autem practicae. Sed scientia quae
est donum, debet esse altissima scientia. Ergo est magis speculativa quam
practica. |
2. Au début de la Métaphysique, le Philosophe montre que la science spéculative est plus noble que la science pratique dans la mesure où ce qui relève de la [science spéculative] est recherché pour lui-même, mais non ce qui relève de la [la science] pratique. Or, la science qui est un don doit être la science la plus élevée. Elle est donc plus spéculative que pratique. |
[12738] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, scientia
perficit inferiorem rationem, ut Augustinus dicit: inferior autem ratio
contra superiorem dividitur. Superior autem est tam speculativa quam
practica: quia, secundum Augustinum, inhaeret aeternis conspiciendis,
quod speculationis est; et consulendis, quod actionis est. Ergo
similiter ratio inferior. Ergo sapientia et scientia sunt speculativae et
practicae. |
3. La science perfectionne la raison inférieure, comme le dit Augustin ; mais la raison inférieure se distingue de la raison supérieure. Or, la raison supérieure est aussi bien spéculative que pratique, car, selon Augustin, « elle s’attache à regarder les réalités éternelles – ce qui relève de la spéculation ‑, et à conseiller – ce qui relève de l’action ». Donc, la raison inférieure aussi [est aussi bien spéculative que pratique]. La science et la sagesse appartiennenet donc aussi à la [raison] spéculative et à la [raison] pratique. |
[12739] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Augustinus dicit, quod
actio qua bene utimur rebus temporalibus, scientiae deputatur. Sed usus rerum
temporalium ad practicam pertinet. Ergo scientia, de qua hic loquimur, est
practica. |
Cependant, [1] Augustin dit que « l’action par laquelle nous faisons un bon usage des réalités temporelles est attribuée à la science ». Or, l’usage des réalités temporelles relève de la [raison] pratique. La science dont nous parlons ici est donc pratique. |
[12740] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, ab omnibus
dicitur, quod scientia donum dirigit pietatem. Sed pietas ad activam vitam pertinet.
Ergo et scientia: ergo est practica. |
[2] Tous disent que le don de science dirige la piété. Or, la piété relève de la vie active. Donc, la science aussi. Elle est donc pratique. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La
science des réalités humaines peut-elle comporter une curiosité
nuisible ?]
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[12741] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod in scientia humanorum non sit aliquid noxiae
curiositatis. Maxime enim cognoscere mala, malum esse videtur. Sed scientia malorum
bona est; alias in Deo non esset. Ergo in scientia non potest esse aliquid
noxiae curiositatis. |
1. Il semble qu’il n’y ait pas de curiosité nuisible dans la science de réalités humaines. En effet, connaître surtout les réalités mauvaises semble être un mal. Or, la science de réalités mauvaises est bonne, autrement elle n’existerait pas en Dieu. Il ne peut donc pas y avoir de curiosité nuisible dans la science. |
[12742] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, quanto aliquis magis accedit ad suam perfectionem, tanto
magis laudabilis est. Sed homo per scientiam cujuslibet rei perficitur, quia
trahitur de potentia ad actum, cum intellectus noster sit potentia omnia
intelligibilia, ut dicitur in 3 de anima. Ergo in scientia non potest accidere
peccatum. |
2. Plus quelqu’un s’approche de sa perfection, plus il est louable. Or, l’homme est perfectionné par la science de n’importe quoi, car il est amené de la puissance à l’acte, puisque « notre intelligence est en puissance tous les intelligibles », comme on le dit dans Sur l’âme, III. Le péché ne peut donc pas survenir dans la science. |
[12743] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, in medio non est accipere superfluum, sicut nullus potest
esse nimis castus. Sed scientia in medio consistit, cum sit virtus intellectualis, ut in
33 distinct., quaest. 1, art. 3,
dictum est. Ergo non potest esse superfluitas in sciendo; et ita non potest
esse aliqua noxietas curiositatis. |
3. Au milieu, on ne conçoit rien de superflu ; ainsi personne ne peut être trop chaste. Or, la science consiste dans un milieu, puisqu’elle est une vertu intellectuelle, ainsi qu’on l’a dit, d. 33, q. 1, a. 3. Il ne peut donc y avoir de superflu dans la science, et ainsi la faute de la curiosité ne peut exister. |
[12744] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, nullus punitur nisi pro
peccato. Sed Hieronymus, se punitum astruit pro eo quod in libris Ciceronis
studebat. Ergo potest esse in scientia humanorum peccatum. |
Cependant, [1] personne n’est puni que pour un péché. Or, Jérôme estime être puni pour s’être appliqué aux livres de Cicéron. Il peut donc exister un péché dans la science de réalités humaines. |
[12745] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, expendere tempus in inutilibus,
videtur non esse sine peccato. Sed quaedam scientiae videntur esse vel parum
vel nihil utiles ad bene vivendum, cui homo debet totus insistere; sicut
scientiae mathematicae. Ergo videtur quod in eis studere sit peccatum. |
[2] Consacrer du temps à des choses inutiles ne semble pas être sans péché. Or, certaines sciences semblent être peu ou pas utiles pour bien vivre, ce à quoi l’homme doit se consacrer entièremenet ; c’est le cas des sciences mathématiques, par exemple. Il semble donc que s’y appliquer soit un péché. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
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[12746] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam
quaestionem, quod duorum dividentium aliquod commune, illud quod aliquam
excellentiam super rationem communis addit, proprium nomen ex illa
differentia addita accipit. Quod autem nullam differentiam dignitatis addit,
nomen commune retinet; sicut patet in proprio et definitione: quia proprium
essentiale dicitur definitio, proprium autem non essentiale vocatur nomine
communi proprium. Similiter
etiam est in proposito. Omnis enim certitudinalis cognitio alicujus, et
praecipue si sit complexi, per rationis collationem habita, scientia dicitur.
Sed illa quae est de altissimis, quasi aliarum ordinatrix et judex, proprium
nomen superaddit, et sapientia dicitur; aliae vero scientiae quae ei
subduntur, simpliciter scientiae nomen retinent. Et hoc modo accipiendo
scientiam, est tantum de rebus creatis, sapientia vero de divinis; sive
loquamur in virtutibus intellectualibus, sive in donis. |
Ce qui ajoute une
supériorité à la raison du facteur commun à deux choses qui divisent tire son
nom propre de la différence ajoutée. Mais ce qui n’ajoute aucune différence
en dignité garde le nom commun. Cela ressort clairement pour ce qui est
propre et pour la définition, car ce qui est propre et essentiel est appelé
définition, mais ce qui propre et non essentiel est désigné en propre par le
nom commun. Il en est de même dans ce qui est en cause. En effet, toute
connaissance certaine d’une chose, surtout si elle porte sur quelque chose de
complexe, et obtenue par un rapprochement de la raison est appelée science.
Or, à la connaissance qui porte sur ce qui est le plus élevé et qui, comme
telle, ordonne et juge les autres choses, s’ajoute un nom propre : elle
est appelée sagesse ; mais les autres sciences qui lui sont
soumises gardent simplement le nom de science. Si l’on entend science de
cette manière, elle porte seulement sur les réalités créées, mais la sagesse,
sur les réalités divines, que l’on parle des vertus intellectuelles ou que
l’on parle des dons. |
[12747] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod etiam ex humanis cognitio divinorum et
nutritur et defenditur, quia invisibilia Dei per ea quae facta sunt,
intellecta conspiciuntur; Rom. 1, 20. |
1. Même la connaissance des réalités divines est nourrie et défendue à partir des réalités humaines, car ce qui est invisible en Dieu est connu par l’intelligence à partir de ce qui a été créé, Rm 1, 20. |
[12748] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum et tertium patet solutio ex dictis. |
La réponse au deuxième et au troisième argument ressort clairement de ce qui a été dit. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
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[12749] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
dicendum, quod sicut est in sensibus corporis, quod sensus qui est ad esse,
scilicet tactus, est in omnibus membris; qui autem sunt ad bene esse, sunt in
corde tantum, per quod alia membra reguntur; ita etiam est de donis gratuitis
quae in Ecclesia dantur. Quaedam enim
sunt de necessitate salutis; et haec oportet quod omnibus membris Christi
dentur: et hujusmodi sunt quae pertinent ad gratiam gratum facientem, ut
virtutes et dona. Quaedam autem sunt, quae sunt ad bene esse, sicut gratiae
gratis datae, ut operatio miraculorum, et hujusmodi; et haec non omnibus
Christi membris dantur, sed illis tantum quibus expedit ad aedificationem
fidei. Cum ergo scientia sit donum, et sit circa res creatas, oportet quod de
ratione scientiae sit tantum illa cognitio quae est ad necessitatem salutis.
Non est autem de necessitate salutis cognitio rerum quantum ad naturas et
quidditates suas, sed solum cognitio eorum quae quis debet facere vel vitare:
et ipsa scientia contemplativa non pertinet ad rationem doni scientiae, sed
solum scientia practica, qua homo quamdam certitudinem concipit de agendis ex
praesentia spiritus: et in hoc differt a prudentia, quae non
certitudinaliter, sed magis aestimative de agendis judicium habet; unde et
hoc donum a certitudine judicii nomen habet: scientia vero quae ad
defensionem fidei ordinatur, pertinet ad gratiam gratis datam, de qua dicitur
1 Corinth. 12, 8: alii datur sermo scientiae secundum eumdem spiritum,
et non est de necessitate doni, sed de perfectione fidei. Unde dicit
Augustinus in littera, quod tali scientia multi qui fidem habent, non
pollent. |
De même que, pour les sens du corps, le sens qui se rapporte à l’être, à savoir, le toucher, se trouve dans tous les membres, mais ceux qui se rapportent au bon état se trouvent seulement dans le cœur, par lequel les autres membres sont dirigés ; de même en va-t-il pour les dons gratuits qui sont donnés dans l’Église. En effet, certains sont nécessaires au salut, et il est nécessaire qu’ils soient donnés à tous les membres du Christ : ce sont ceux qui sont en rapport avec la grâce qui rend agréable [à Dieu][3], comme les vertus et les dons. Mais il y en a certains qui existent pour le bon état, tels les charismes, comme le fait d’accomplir des miracles et les choses de ce genre. Ceux-ci ne sont pas donnés à tous les membres du Christ, mais seulement à ceux à qui revient l’édification de la foi. Puisque la science est un don et qu’elle porte sur les réalités créées, il est donc nécessaire à la raison de la science qu’elle soit seulement une connaissance qui est nécessaire au salut. Or, la connaissance des natures et des essences des choses n’est pas nécessaire au salut, mais seulement la connaissance de ce que l’on doit accomplir ou éviter ; et la science contemplative elle-même ne relève pas du don de science, mais seulement de la science pratique, par laquelle l’homme conçoit une certitude de ce qu’il faut faire par la présence de l’Esprit. Elle diffère en cela de la prudence, qui juge de ce qu’il faut faire non pas de manière certaine, mais plutôt par mode d’estimation. Aussi ce don tire-t-il son nom de la certitude du jugement. Mais la science qui est ordonnée à la défense de la foi relève de la grâce qui rend agréable [à Dieu][4], dont il est dit en 1 Co 12, 8 : À un autre est donné le discours de la science selon le même Esprit, et elle ne fait pas nécessairement partie du don, mais de la perfection de la foi. Aussi Augustin dit-il dans le texte qu’« un grand nombre de ceux qui ont la foi ne possèdent pas une telle science ». |
[12750] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod scientia altior non oportet quod
extendat se ad plura nisi in illis ad quae ordinatur; et ita scientia donum
ad plura se extendit quam acquisita scientia de operibus humanis: quia in
multis illa deficit in quibus ista dirigit. |
1. Il n’est pas nécessaire qu’une science plus élevée s’étende à plus de choses que celles auxquelles elle est ordonnée. Ainsi, le don de science s’étend à un plus grand nombre de choses que la science acquise à propos des actions humaines, parce que celle-ci est déficiente en beaucoup de choses que dirige celle-là. |
[12751] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non oportet dona quantum ad omnes
conditiones esse perfectiora virtutibus, sed quantum ad modum operandi qui
est supra hominem, ut dictum est. |
2. Il n’est pas nécessaire que les dons soient plus parfaits que les vertus selon toutes les conditions, mais quant au mode d’agir qui dépasse l’homme, comme on l’a dit. |
[12752] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non est inconveniens unam potentiam diversis
habitibus perfici; unde et inferior ratio, quae et speculativa et practica
potest esse, perficitur dono scientiae quantum ad operabilia, scientiis vero
speculativis inquantum est speculativa. Sapientia autem rationem superiorem quantum
ad utrumque perficit: quia superiores rationes quibus contemplandis sapientia
inhaeret, etiam operationum nostrarum regulae sunt. Unde secundum quod
assumit eas ut regulas operabilium, sic in praxim extenditur. |
3. Il n’est pas inapproprié qu’une seule puissance soit perfectionnée par des habitus différents. C’est pourquoi la raison inférieure, qui peut être aussi bien spéculative que pratique, est-elle perfectionnée par le don de science pour ce qui doit être accompli, mais par les sciences spéculatives en tant qu’elle est spéculative. Mais la sagesse perfectionne la raison supérieure pour les deux choses, car les raisons supérieures auxquelles la sagesse s’attache pour les contempler sont aussi les règles de nos actions. Aussi s’étend-elle à la pratique [praxis] selon qu’elle les prend comme règles de ce qui doit être accompli. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
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[12753] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2
a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam
quaestionem dicendum, quod scire, quantum in se est, nunquam malum est, et
per consequens nec addiscere: quia cujus generatio est mala, ipsum est malum.
Sed per
accidens contingit esse peccatum in sciendo vel addiscendo, sive
considerando. Hoc autem accidens potest accidere vel ex parte cognoscibilis,
vel ex parte cognoscentis. Ex parte cognoscentis est duplex accidens. Unum
est quando propter occupationem in studio alicujus scientiae impeditur ab
executione officii ad quod tenetur; sicut si judex propter studium geometriae
desisteret a causis expediendis, vel sacerdos a confessionibus audiendis
quando eas audire tenetur. Aliud est quando propter delectationem in aliqua
scientia veniret in contemptum alicujus quod revereri oportet; sicut de
Hieronymo accidit: quia tantum delectabatur in ornatu verborum Tullii, quod
desipiebat ei incultus sermo prophetarum, ut ipse dicit. Sicut etiam accidit illis qui tantum
adhaerent rationibus humanis quod a fide discedunt et eam impugnant. Ex parte
vero cognoscibilis est triplex accidens. Unum est quando cognoscibile de
facili ad malum inclinat, et praeterea in se parvae utilitatis est; et
propter hoc prohibitae sunt scientiae magicae, ne homo in exercitium earum
labatur. Aliud est quando cognoscibile est supra potentiam cognoscentis,
sicut dicitur Eccli. 3, 22: altiora te ne quaesieris. Tertium est
quando in se nullius utilitatis est, sicut facta contingentia hominum; unde
et curiosi dicuntur qui sunt scrutatores conscientiarum proximi. In omnibus
autem istis tribus contingit quod illud quod est uni curiosum non est
curiosum alteri: quia aliquid est supra unius intellectum quod non est supra
intellectum alterius: aliquid etiam est utile uni quod non est utile alteri:
aliquid etiam facile in peccatum praecipitat unum quod non praecipitat alium. |
Savoir n’est jamais mal en soi et, par conséquent, apprendre, car est mal ce même dont la génération même est mauvaise. Or, il arrive par accident qu’il existe un péché à connaître et à apprendre ou à considérer. Toutefois, un tel accident peut se produire soit du côté de ce qui est l’objet de la connaissance, soit du côté de celui qui connaît. Du côté de celui qui connaît, il existe un double accident. L’un survient lorsque, en raison de l’occupation à l’étude d’une science, on est empêché d’accomplir une fonction à laquelle on est tenu ; ainsi, si un juge, en raison de l’étude de la géométrie, ferait défaut d’expédier les causes ou un prêtre, d’entendre les confessions, lorsqu’il est tenu de les entendre. L’autre survient lorsque, en raison du plaisir pris à une science, on en viendrait à mépriser ce qui doit être révéré, comme cela est arrivé à Jérôme : «… parce qu’il prenait tellement de plaisir à la beauté des paroles de Tullius [Cicéron] qu’elle lui faisait perdre le goût de la parole inculte des prophètes », comme il le dit lui-même. Comme il arrive aussi à ceux qui s’attachent tellement aux raisonnements humains qu’ils s’écartent de la foi et la combattent. Mais, du côté de ce qui objet de connaissance, il existe un triple accident. L’un, lorsque ce qui est objet de connaissance incline facilement au mal et est au surplus peu utile. Pour cette raison, les sciences magiques ont été interdites de crainte que l’homme ne s’égare en les pratiquant. Un autre, lorsque ce qui est objet de connaissance dépasse la puissance de celui qui connaît, comme le dit Si 3, 22 : Ne recherche pas ce qui te dépasse. Le troisième, lorsqu’il n’est d’aucune utilité, tels les actes contingents des hommes. Aussi ceux qui scrutent les consciences du prochain sont-ils appelés des curieux. Dans l’ensemble de ces trois accidents, il arrive que ce qui est curiosité pour l’un n’est pas curiosité pour un autre, car quelque chose dépasse l’intelligence de l’un qui ne dépasse pas l’intelligence d’un autre ; quelque chose aussi est utile à l’un qui n’est pas utile à un autre ; et quelque chose précipite facilement l’un dans le péché, qui n’y précipite pas un autre. |
[12754] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 3 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio
ad objecta. |
La réponse aux objections ressort ainsi clairement. |
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Articulus 4 [12755] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 tit. Utrum consilium sit donum |
Article 4 – Le conseil est-il un don ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le
conseil est-il un don ?]
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[12756] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic
proceditur. Videtur quod
consilium non sit donum. Donum enim a seipso quis habere non potest. Sed
consilium cuilibet est a seipso: quia consilium quaestio est, ut dicitur in 3
Ethic. Quilibet autem quaerere potest. Ergo consilium non est donum. |
1. Il semble que le conseil ne doit pas un don. En effet, quelqu’un ne peut recevoir de lui-même un don. Or, chacun se donne conseil, car le conseil est une recherche, comme il est dit dans Éthique, III. Or, tous peuvent chercher. Le conseil n’est donc pas un don. |
[12757] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sicut in
cognitione practica humana est inquisitio, ita et in cognitione speculativa.
Sed in donis pertinentibus ad vitam contemplativam non ponitur aliquid quod
inquisitionem importet. Cum ergo consilium inquisitionem importet, videtur
quod consilium non debeat poni donum dirigens in vita activa. |
2. De même qu’il y a une recherche dans la connaissance humaine pratique, de même y en a-t-il une dans la connaissance spéculative. Or, pour les dons qui sont en rapport avec la vie contemplative, on n’indique rien qui comporte une recherche. Puisque le conseil comporte une recherche, il semble donc que le conseil ne doive pas être présenté comme un don qui dirige dans la vie active. |
[12758] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, dona se extendunt ad illa quae sunt de necessitate salutis,
sicut dictum est. Sed consilium, secundum quod communiter dicitur, dirigit in his ad
quae non omnes tenentur. Ergo consilium
non est donum. |
3. Les dons s’étendent à ce qui est nécessaire au salut, comme on l’a dit. Or, le conseil, tel qu’on l’entend communément, dirige pour ce à quoi tous ne sont pas tenus. Le conseil n’est donc pas un don. |
[12759] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra est quod Isai. 11 inter dona
computatur. |
Cependant, [1] en sens contraire, Is 11 le compte parmi les dons. |
[12760] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, virtutibus respondent dona. Sed
quaedam virtus est ordinata ad bene consiliandum, scilicet eubulia, de qua
philosophus in 6 Ethic. determinat. Ergo videtur quod debeat esse aliquod
donum quod perficiat nos ad recte consiliandum. |
[2] Les dons correspondent aux vertus. Or, une vertu est ordonnée à bien conseiller, l’eubulia, dont traite le Philosophe dans Éthique, VI. Il semble donc qu’il doive exister un don qui nous perfectionne pour bien conseiller. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le
don de conseil diffère-t-il du don de science ?]
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[12761] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod consilium
donum non differat a dono scientiae. Scientia enim est qua bene conversamur
in medio pravae et perversae nationis. Sed hoc non potest fieri sine
consilio. Ergo consilium non distinguitur a scientia. |
1. Il semble que le don de conseil ne diffère pas du don de science. En effet, la science est ce par quoi nous nous comportons bien au sein d’une nation dépravée et perverse. Or, cela ne peut se faire sans le conseil. Le conseil ne se distingue donc pas de la science. |
[12762] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, in donis quae
ad executionem pertinent, idem donum respondet omnibus virtutibus quae sunt
circa materiam unam, sicut pietas omnibus virtutibus quae sunt circa
communicationes. Sed prudentia et eubulia sunt circa unam materiam, quia
circa actum rationis in agibilibus. Cum ergo prudentiae respondeat scientia, eubuliae autem consilium,
videtur quod consilium et scientia sint unum donum. |
2. Dans les dons qui se rapportent à l’exécution, le même don correspond à toutes les vertus qui portent sur une seule matière, comme [le don] de piété à toutes les vertus qui portent sur les échanges. Or, la prudence et l’eubulia portent sur une seule matière, car elles portent sur l’acte de la raison en matière d’action. Puisque la science correspond à la prudence, mais l’eubulia au conseil, il semble donc que le conseil et la science soient un seul don. |
[12763] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, sicut prudentiae subservit eubulia, ita et synesis. Sed
praeter donum scientiae, quod respondet prudentiae, non invenitur aliud donum
quod respondeat synesi ad judicium pertinens. Ergo nec oportet esse aliud donum a
scientia quod respondeat eubuliae. |
3. De même que l’eubulia est au service de la prudence, de même aussi la synésis. Or, en plus du don de science qui correspond à la prudence, on ne trouve pas un autre don qui corresponde à la synésis et se rapporte au jugement. Un autre don n’est donc pas non plus nécessaire, qui corresponde à l’eubulia. |
[12764] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod Isai. 11 unum alteri connumeratur;
quod non esset, si unum donum forent. |
Cependant, l’un est énuméré avec l’autre dans Is 11, ce qui ne serait pas le cas s’ils étaient un seul don. |
[12765] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut in speculativis est via
inventionis et judicii, ita et in practicis. Sed in donis pertinentibus ad
vitam contemplativam est aliud donum quod respondet inventioni, scilicet
intellectus, et aliud quod respondet judicio, scilicet sapientia. Ergo et in
donis dirigentibus in vita activa, praeter scientiam quae respondet judicio,
erit aliud donum quod pertinet ad inventionem, et hoc est consilium. |
[2] De même qu’il y a une démarche d’invention et de jugement dans les choses spéculatives, de même y en a-t-il dans les choses pratiques. Or, parmi les dons qui se rapportent à la vie contemplative, il existe un don qui correspond à l’invention : l’intelligence, et un autre qui correspond au jugement : la sagesse. Parmi les dons qui dirigent dans la vie active, il y aura donc, en plus de la science qui correspond au jugement, un autre don qui se rapporte à l’invention. C’est le conseil. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Le
don de conseil aura-t-il un acte dans la patrie ?]
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[12766] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod actus consilii non erit in patria. Consilium
enim, secundum Gregorium, contra praecipitationem mentem munit; et Damascenus
dicit 2 Lib., quod consilium dubitantis est. Sed in patria non erit praecipitatio neque
dubitatio. Ergo neque consilium. |
1. Il semble que l’acte du [don de] conseil n’existera pas dans la patrie. En effet, selon Grégoire, le conseil protège l’esprit contre la précipitation. Et [Jean] Damascène dit, dans le livre II, que le conseil est le propre de celui qui doute. Or, dans la patrie, il n’y aura ni précipitation ni doute. Il n’y aura donc pas non plus de conseil. |
[12767] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, consilium inquisitionem et discursum importat, ut patet per
philosophum in 3 Ethic. Sed in patria, secundum Augustinum, non erunt
volubiles cogitationes, sed utemur deiformi intellectu ad similitudinem
Angelorum. Ergo in patria non erit consilii actus. |
2. Le conseil comporte une recherche et un raisonnement, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe dans Éthique, III. Or, selon Augustin, dans la patrie, il n’y aura pas de pensées changeantes, mais nous ferons usage d’une intelligence déiforme à la ressemblance des anges. Dans la patrie, il n’y aura donc pas d’acte du [don de] conseil. |
[12768] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, eadem ratione esset ibi actus scientiae; nec est dare in
quo unus actus ab alio ibi differat, quia ibi inventio non erit. Ergo non erit ibi actus consilii. |
3. C’est pour la même raison qu’il y aurait là un acte du [don de] science, et il n’y a rien par quoi un acte diffère là de l’autre, car il n’y aura pas d’invention. Il n’y aura donc pas là d’acte du [du don] de conseil. |
[12769] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, directivum nobilius est executivo. Sed in patria erit aliquis actus timoris, fortitudinis et
pietatis, quae sunt exequentia in vita activa. Ergo multo fortius erit ibi
actus scientiae et consilii quae sunt dirigentia. |
Cependant, [1] ce qui dirige est plus noble que ce qui exécute. Or, dans la patrie, existera l’acte de la crainte, de la force et de la piété, qui exécutent dans la vie active. Donc, à bien plus forte raison, existeront là les actes de la science et du conseil, qui dirigent. |
[12770] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, sancti in patria erunt Deo
similes. Sed in Deo est consilium, Isai. 25, 1: consilium tuum verum fiat,
secundum aliam litteram. Ergo et in sanctis erit consilii actus. |
[2] Dans la patrie, les saints seront semblables à Dieu. Or, le conseil existe en Dieu, Is 25, 1 : Que ton conseil se réalise ! selon un autre texte. L’acte du conseil existera donc aussi chez les saints. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
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[12771] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem,
quod secundum philosophum in 3 Ethic., consilium est quaestio de operabilibus
a nobis, non tamen de omnibus. Quae enim determinata sunt qualiter fieri debeant, sicut litterarum
figurae, in dubitationem non veniunt, neque in quaestionem; et ita de eis non
est consilium. Similiter etiam cum finis sit principium movens agentem in
omnibus operabilibus, non est consilium de fine, sicut nec in aliis scientiis
est quaestio de principiis illius scientiae; sed de his quae sunt ad finem,
consilium est. In his autem recte consiliatur quis, si debitum finem
praestituat; si media accommoda ad finem inveniat, ut non faciat mala propter
bona; si tempus sit conveniens rebus agendis, ne per diuturnitatem consilii
tempus transeat; et ad hanc rectitudinem consilii perducit eubulia, ut dicit
philosophus in 6 Ethicor. Sed quia operabilia humana contingentia sunt, et possunt deficere ne
ad finem intentum perducantur; ideo certitudinem consilii attingere non est
humanum, sed divinum, cujus est per certitudinem eventus contingentium
praevidere. Et ideo oportet quod ad hanc certitudinem mens elevetur supra
humanum modum instinctu spiritus sancti: qui enim spiritu Dei aguntur, hi
filii Dei sunt, Rom. 8, 14, et ideo consilium est donum. |
Selon le Philosophe, dans Éthique, III, le conseil est une recherche sur ce que nous pouvons accomplir, mais non pas cependant sur tout. En effet, ce dont la manière de l’accomplir a été déterminée, comme les formes des lettres, n’est pas soumis au doute ni à la recherche ; aussi le conseil ne porte-t-il pas sur cela. De même, puisque la fin est le principe qui meut l’agent dans tout ce qui doit être accompli, le conseil ne porte pas sur la fin, de même que, dans les autres sciences, il n’y a pas de recherche sur les principes de cette science ; mais le conseil porte sur ce qui se rapporte à la fin. Or, en cette matière, quelqu’un conseille bien s’il propose la fin appropriée, s’il trouve les moyens adaptés à la fin, de sorte qu’il n’accomplisse pas le mal en vue du bien ; si le temps pour agir est convenable, de telle sorte que le temps du conseil ne soit pas dépassé par un long retard. L’eubulia conduit à cette rectitude du conseil, comme le dit le Philosophe dans Éthique, VI. Mais parce que les actes humains sont contingents et peuvent échouer à conduire à la fin visée, atteindre la certitude du conseil ne relève pas de l’homme mais de Dieu, à qui il appartient de prévoir avec certitude ce qui arrive en matière contingente. C’est pourquoi il est nécessaire que l’esprit soit élevé à cette certitude supérieure au mode humain par l’inspiration de l’Esprit saint. En effet, ceux qui sont mus par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu, Rm 8, 14. Le conseil est donc un don. |
[12772] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod donum consilii non est ad quaerendum consilium, sed ad inveniendum. |
1. Le but du don de conseil n’est pas de chercher conseil, mais de trouver. |
[12773] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dona dirigentia in vita activa sunt circa
contingentia; et ideo oportet quod sit ibi magis inquisitio quam in
contemplativa vita, quae circa aeterna est. |
2. Les dons qui dirigent dans la vie active portent sur des réalités contingentes. C’est pourquoi il est nécessaire qu’il y ait là plus de recherche que dans la vie contemplative, qui porte sur des réalités éternelles. |
[12774] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum philosophum in 3 Ethic. consilium
adhibetur in difficilibus, in quibus nobis non credimus; et propter hoc in
arduis, ad quae omnes non tenentur, praecipue est donum consilii, sed non
tantum in illis. |
3. Selon le Philosophe, Éthique, III, on a recours au conseil pour les choses difficiles, pour lesquelles nous n’avons pas foi en nous. Pour cette raison, le conseil existe surtout pour les choses difficiles auxquelles tous ne sont pas tenus, mais pas seulement pour celles-là. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
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[12775] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
dicendum, quod habitus dirigentes in vita activa distinguuntur quantum ad
tria. Primo quantum ad modum operandi: et sic a virtutibus prudentia et
eubulia, quae operantur humano modo, distinguuntur scientia et consilium,
quae operantur supra humanum modum, ut ex dictis patet. Alio modo quantum ad
actus sive vias quae exiguntur ad directionem, quae sunt invenire et
judicare; et sic consilium, quod consistit in inveniendo, distinguitur a
scientia, quae consistit in judicando de inventis per consilium. Tertio modo
quantum ad medium; et sic sapientia distinguitur a scientia, inquantum
sapientia quandoque dirigit in agendis per rationes aeternas, scientia autem
per rationes inferiores. |
Les habitus qui dirigent dans la vie active se distinguent sur trois points. Premièrement, quant au mode d’agir. La science et le conseil, qui agissent au-delà du mode humain, comme cela ressort de ce qui a été dit, se distinguent ainsi des vertus de prudence et d’eubulia. Deuxièmement, quant aux actes ou moyens qui sont requis pour diriger, qui consistent à chercher et à juger. Le conseil, qui consiste à rechercher, se distingue ainsi de la science, qui consiste à juger de ce qui a été trouvé par le conseil. Troisièmement, quant au moyen. Et ainsi, la sagesse se distingue de la science dans la mesure où la sagesse dirige parfois l’action selon les raisons éternelles, mais la science, par les raisons inférieures. |
[12776] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ad bene conversandum, ut dictum est, duo
requiruntur; et ideo oportet esse duo dona. |
1. Comme on l’a dit, pour bien se comporter, deux choses sont nécessaires. C’est pourquoi il faut qu’il y ait deux dons. |
[12777] Super Sent.,
lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod diversae virtutes exequentes circa unum
genus materiae distinguuntur penes diversas partes materiae, non penes actus
agentis. Et ideo ab
unitate actus poterit inveniri unus modus altior, qui competit uni dono. Sed
virtutes dirigentes pertinent ad diversos actus ex parte agentis; et ideo
requiruntur diversi modi et diversa dona elevantia ad modos digniores. |
2. Les diverses vertus qui exécutent pour un seul genre de matière se distinguent selon les actes de l’agent. C’est pourquoi, à partir de l’unité de l’acte, on pourra trouver un seul mode plus élevé qui convient à un seul don. Or, les vertus qui dirigent se rapportent à divers actes du côté de l’agent. C’est pourquoi sont nécessaires des manières différentes et des dons différents élevant à des modes plus dignes. |
[12778] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod judicium, quod est synesis, et praecipere
applicanda ad opus, quod est prudentiae, totum pertinet ad unam viam,
scilicet judicativam; et ideo eis non respondet nisi unum donum. Sed eubuliae quae
pertinet ad aliam viam, respondet aliud donum. |
3. Le jugement, qui est la synésis, et le commandement portant sur ce qui doit être appliqué à l’action, qui relève de la prudence, relèvent entièrement d’un seul moyen : la capacité de juger. Aussi un seul don leur correspond-il. Mais un autre don correspond à l’eubulia, qui se rapporte à un autre moyen. |
Réponse à la
sous-question 3
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[12779] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem
dicendum, quod, sicut dictum est de donis exequentibus in vita activa, quod
remanebunt eorum actus circa mensuram ex qua erat modus supra hominem in
eorum actibus, non autem circa propriam materiam, quia fortitudo nullam
difficultatem sustinebit, ut dictum est; ita in scientia et consilio: quia in
patria non remanebunt eorum actus, nec contingentia operabilia dubia, in
quibus nunc judicant et inveniunt; unde non oportet quod sit ibi dubitatio
neque etiam discursus. Sed remanebunt in hoc quod convertent se ad illum a
quo erat certitudo in eorum judicio et inventione supra humanum modum, et
erit actus scientiae circa ipsum secundum quod est regula ad judicandum;
actus vero consilii erit circa ipsum, secundum quod est illuminans ad
inveniendum. |
Comme on a dit que les actes des dons qui exécutent dans la vie active demeureront dans la mesure où le mode de leurs actes dépasse l’homme, mais non quant à leur matière propre, puisque la force ne supportera aucune difficulté, ainsi qu’on l’a dit, de même en sera-t-il pour la science et le conseil, car, dans la patrie, leurs actes ne demeureront pas, ni les réalités contingentes à accomplir qui sont douteuses, qu’elles jugent et recherchent maintenant. Il n’est donc pas nécessaire qu’il y ait là doute ni raisonnement. Mais ils demeureront en ce qu’ils se tourneront vers celui dont ils tenaient leur certitude supérieure au mode humain dans leur jugement et leur recherche, et l’acte de la science portera sur lui selon qu’il est la règle pour juger. Mais l’acte du conseil portera sur lui selon qu’il éclaire dans la recherche. |
[12780] Super Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 3 ad arg. Et secundum hoc patet solutio ab objecta. |
La réponse aux objections ressort ainsi clairement. |
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Expositio textus |
Explication du texte de Pierre
Lombard, Dist. 35
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[12781] Super
Sent., lib. 3 d. 35 q. 2 a. 4 qc. 3 expos. Quo fides saluberrima gignitur. Hoc intelligendum est quantum ad
distinctionem articulorum, sive quantum ad exhortationem ad fidem, secundum
quod fides ex auditu est, non quantum ad habitum fidei qui est ex infusione. Abstinere
vero a malis est in medio pravae nationis prudenter versari. Hoc est
timoris sicut exequentis, scientiae sicut dirigentis. Quae naturaliter
sunt in natura hominis, quantum ad seminaria scientiae, non autem quantum
ad habitum completum. Intellectus autem similiter a natura est. |
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Distinctio 36 |
Distinction 36 – [Les vertus
sont-elles connexes ?]
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Quaestio 1 |
Question 1 – [Les vertus politiques sont-elles
connexes ?]
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Prooemium |
Prologue |
[12782] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de virtutibus et donis, hic determinat
de connexione eorum. Dividitur autem haec pars in duas: in prima determinat
de connexione virtutum; in secunda de connexione praeceptorum, quibus actus
virtutum imperantur, ibi: cum autem duo sint praecepta caritatis, in
quibus (...) tota lex pendet et prophetae, advertendum est quomodo hoc fit.
Prima dividitur in duas: in prima probat virtutes esse connexas; in secunda
probat eas esse aequales, ibi: utrum vero pariter quis omnes possideat
virtutes, an aliae magis, aliae minus in aliquo fuerint, quaestio est. Et
circa hoc tria facit: primo movet quaestionem; secundo ponit unam opinionem
cum sua probatione, ibi: quibusdam enim videtur quod aliae magis aliae
minus habeantur ab aliquo; tertio ponit aliam opinionem, quae vera est,
ibi: alii verius dicunt virtutes omnes et simul et pares esse in quocumque
sunt. Et circa hoc tria facit: primo ponit opinionem cum sua probatione;
secundo solvit probationem primae opinionis, ibi: cum ergo dicitur aliquis
aliqua praeeminere virtute (...) secundum usus exteriores accipiendum est;
tertio confirmat per auctoritatem, ibi: secundum hunc modum, scilicet
secundum rationem actuum exteriorum (excellere dicitur) ut alibi Augustinus
dicit. Hic quaeruntur sex: 1 utrum virtutes politicae sint connexae; 2
utrum virtutes gratuitae; 3 utrum dona; 4 utrum virtutes sint aequales; 5
utrum vitia sint connexa et paria; 6 utrum praecepta connectantur in
caritate, ita quod modus sit in praecepto. |
Après avoir déterminé des vertus et des dons, le Maître détermine ici de leur connexion. Cette partie se divise en deux : dans la première, il détermine de la connexion des vertus ; dans la seconde, de la connexion des commandements, pour lesquels les actes des vertus sont ordonnés, à cet endroit : « Mais puisqu’il y a deux commandements sur la charité, dans lesquels… sont contenus toute la loi et les prophètes, il faut observer comment cela se réalise. » La première partie se divise en deux : dans la première, il montre que les vertus sont connexes ; dans la seconde, il montre qu’elles sont égales, à cet endroit : « Mais la question est : quelqu’un possède-t-il également toutes les vertus, certaines existent-elles chez lui davantage, et d’autres moins ? » À ce sujet, il fait trois choses. Premièrement, il soulève la question. Deuxièmement, il présente une opinion avec sa démonstration, à cet endroit : « En effet, il leur semble que quelqu’un possède davantage certaines [vertus], et d’autres moins. » Troisièmement, il présente une autre opinion, qui est la vraie, à cet endroit : « Mais d’autres disent avec une plus grande vérité que toutes les vertus existent simultanément et de manière égale chez tous. » À ce sujet, il fait trois choses. Premièrement, il présente l’opinion avec sa démonstration. Deuxièmement, il résout la démonstration de la première opinion, à cet endroit : « Lorsqu’on dit que quelqu’un est prééminent par une vertu…, il faut l’entendre des usages extérieurs. » Troisièmement, il confirme par une autorité, à cet endroit : « De cette manière, c’est-à-dire selon la raison des actes extérieurs, on dit qu’il excelle, comme le dit ailleurs Augustin. » Ici, six questions sont posées : 1. Les vertus politiques sont-elles connexes ? 2. Les vertus gratuites le sont-ils ? 3. Les dons le sont-ils ? 4. Les vertus sont-elles égales ? 5. Les vices sont-ils connexes et égaux ? 6. Les commandements sont-ils connexes dans la charité, de telle sorte que leur mode soit présent dans le commandement ? |
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Articulus 1 [12783] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a.
1 tit. Utrum virtutes
politicae sint connexae |
Article 1 – Les vertus politiques sont-elles connexes ? |
[12784] Super Sent., lib. 3 d. 36
q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod virtutes politicae non sit
connexae. Virtutes enim istae ex actibus acquiruntur, ut probat philosophus.
Sed actus non sunt connexi. Ergo neque praedictae virtutes. |
1. Il semble que les vertus politiques ne soient pas connexes. En effet, ces vertus sont acquises par des actes, comme le montre le Philosophe. Or, les actes ne sont pas connexes. Donc, ni les vertus mentionnées plus haut. |
[12785] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, quaecumque connectuntur, oportet
quod in aliquo uno connectantur. Sed non est dare aliquod unum in quo
connectantur virtutes, nisi prudentiam, in qua connecti non possunt: quia cum
prudentia sit quasi ars quaedam operabilium, non est inconveniens quod habeat
quis prudentiam quantum ad unam materiam, et non quantum ad aliam. Ergo non
est necessarium quod virtutes sint connexae. |
2. Tout ce qui est connexe doit être connexe dans quelque chose d’unique. Or, on ne peut indiquer quelque chose d’unique en quoi les vertus sont connexes, si ce n’est la prudence, dans laquelle elles ne peuvent pas être connexes. En effet, puisque la prudence est pour ainsi dire l’art de ce qui doit être accompli, il n’est pas approprié que quelqu’un ait la prudence pour une matière, et non pour une autre. Il n’est donc pas nécessaire que les vertus soient connexes. |
[12786] Super Sent.,
lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut
prudentia omnes virtutes morales ordinat, ita sapientia ordinat omnes
scientias, quasi caput scientiarum, ut dicitur 6 Ethic. Sed propter hoc
scientiae non sunt connexae quia communiter ordinantur a sapientia. Ergo nec
propter hoc virtutes morales sunt connexae, quia communiter ordinantur a
prudentia. |
3. De même que la prudence ordonne toutes les vertus morales, de même la sagesse ordonne-t-elle toutes les sciences en tant que tête des sciences, comme on le dit dans Éthique, VI. Or, les sciences ne sont pas connexes parce qu’elles sont communément ordonnées par la sagesse. Les vertus morales ne sont donc pas connexes parce qu’elles sont communément ordonnées par la prudence. |
[12787] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, secundum philosophum, qui circa mediocres honores moderate
se habet, non est magnanimus. Constat autem quod virtuosus est secundum aliam
virtutem, quam ipse innominatam dicit. Ergo una virtus haberi potest alia non
habita. |
4. Selon le Philosophe, celui qui cherche modérément les honneurs ordinaires n’est pas magnanime. Or, il est clair que l’on est vertueux par une autre vertu, dont il dit qu’elle n’a pas de nom. Une vertu peut donc être possédée sans qu’une autre le soit. |
[12788] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, ad unamquamque virtutem
politicam pertinet medium in propria materia tenere. Sed videmus ad sensum
quod quidam se habent moderate circa materiam unius virtutis qui non habent
se moderate circa materiam alterius. Ergo una politica habetur sine alia. |
5. Il relève de chaque vertu politique de garder le milieu en sa matière propre. Or, nous constatons que certains se comportent avec modération pour la matière d’une vertu, qui ne se comportent pas avec modération pour la matière d’une autre. Une vertu politique est donc possédée sans une autre. |
[12789] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, Augustinus dicit ad Hieronymum, quod non est divina
sententia qua dicitur: qui habet unam habet omnes. Ergo cum omnis vera
sententia sit divina, quia secundum Ambrosium, omne verum, a quocumque
dicatur, est a spiritu sancto, videtur quod non sit vera sententia. |
6. En s’adressant à Jérôme, Augustin dit que ce n’est pas une manière de penser divine qui dit : « Celui qui a l’une les a toutes. » Puisque toute manière de penser vraie est divine, car, selon Ambroise, « tout ce qui est vrai, quel que soit celui qui l’exprime, vient du Saint-Esprit », il semble donc que ce ne soit pas une manière de penser vraie. |
[12790] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, philosophus probat, quod nullus potest habere prudentiam
nisi habeat virtutes morales, neque potest quis habere virtutes morales nisi
prudentiam habeat. Ergo oportet ad hoc quod una virtus habeatur, omnes simul haberi. |
Cependant, [1] le Philosophe montre que personne ne peut posséder la prudence s’il n’a pas les vertus morales, et que personne ne peut posséder les vertus morales s’il n’a pas la prudence. Il est donc nécessaire que toutes les vertus soient possédées pour que l’une soit possédée. |
[12791] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Tullius dicit: si unam de virtutibus tuis amiseris,
nullam te habiturum necesse est confitearis; et loquitur de virtutibus
politicis, quia de gratuitis nihil ponit. Ergo virtutes politicae sunt
connexae. |
[2] Tullius [Cicéron] dit : « Si tu écartes l’une de tes vertus, il te faut reconnaître que tu n’en posséderas aucune », et il parle des vertus politiques, car il ne dit rien des vertus gratuites. Les vertus politiques sont donc connexes. |
[12792] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, qui habet castitatem, castus est. Sed qui est castus,
virtuosus est: quia autem virtuosus est, nullum vitium ei inest. Ergo qui
habet castitatem, caret omni vitio, et ita videtur habere omnem virtutem; et
eadem ratio est de aliis virtutibus. Ergo qui habet unam, habet omnes. |
[3] Celui qui possède la chasteté est chaste ; mais celui qui est chaste est vertueux. Or, parce qu’il est vertueux, il n’y a aucun vice en lui. Tout vice fait donc défaut à celui qui possède la chasteté, et ainsi il semble posséder toutes les vertus. Et le raisonnement est le même pour les autres vertus. Celui qui possède [une vertu] les possède donc toutes. |
[12793] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum quod
virtus dupliciter potest considerari. Uno modo secundum esse ipsius
imperfectum, secundum quod seminaria virtutum insunt nobis a natura; et sic
virtus dicitur quaedam naturalis inclinatio ad virtutis actum; et hoc modo
una virtus potest haberi sine alia. Quidam enim sunt naturaliter apti ad
liberalitatem, quidam sunt proni ad luxuriam ex natura suae complexionis, et
sic etiam contingit in aliis. Alio modo consideratur virtus secundum esse
perfectum quod ex assuefactione recipit; et sic accipit nomen politicae
virtutis; et hoc modo oportet virtutes omnes esse simul. Et potest triplex
ratio ex dictis philosophorum accipi. Assignatur autem prima a philosopho in
6 Ethic. quae sumitur ab eo quo perficitur quaelibet virtus politica. Inest enim homini inclinatio quaedam
naturalis ad actum prudentiae, quae virtus naturalis dicitur, et vocatur a
philosopho dinotica, quam nos industriam dicere possumus: quae quidem et ad
bona et ad mala se habere potest, unde non est virtus: quia virtus est quae
opus habentis semper bonum reddit. Unde si debeat ad hoc perduci quod semper
ejus judicium sit rectum, oportet quod addatur aliquid per quod omnis error
prohibeatur. Est autem duplex error in judicio. Unus qui est circa finem,
sicut habens habitum vitii, qui quidem inclinat ad suum actum sicut ad per se
bonum; et talis error in agendis assimilatur errori qui est circa principia
in speculandis. Alius error est in prosecutione finis, qui contingit cum quis
a recta conceptione quam de fine habet, abducitur per passiones; sicut
dicitur, quod delectatio corrumpit aestimationem prudentiae; et hic error
assimilatur in agendis errori qui est in speculativis circa discursum
principiorum ad conclusionem. Utrumque autem errorem prohibet moralis virtus,
quae in finem rectum inclinationem facit, et passionem comprimit; et ideo non
potest esse prudentia sine morali virtute, dico temperantia, fortitudine et
hujusmodi. Similiter etiam inclinatio naturalis ad ea quae virtutis sunt,
quanto major est, tanto est magis noxia, nisi rationis discretio adhibeatur;
sicut caecus quanto fortius currit, tanto magis offenditur. Et ideo ad hoc
quod virtus moralis perficiatur, oportet quod a prudentia dirigatur; unde
prudentia in definitione moralis virtutis ponitur, ut patet in 2 Ethic. Et
ideo oportet virtutes politicas connexas esse. Alia ratio connexionis sumitur
ex his quae communiter in omni virtute esse oportet; quorum tamen unumquodque
aliqua virtus principaliter sibi vindicat; sicut difficile vindicat sibi
fortitudo; medium inter superfluum et diminutum, quod est moderatum, vindicat
sibi temperantia; rectum vindicat sibi justitia; scientiam autem sibi habet
prudentia. Et ideo ab his conditionibus unaquaeque dictarum virtutum nomen
accipit. Quia autem illud quod est maximum in quolibet genere, est causa
aliorum; ideo aliae virtutes participant quodammodo aliquam praedictarum
conditionum ex virtute quae illud principaliter sibi vindicat. Quia enim
fortis est circa maxime difficilia perseverans, facile etiam in aliis
difficultatibus minoribus perseverabit. Et hanc causam assignare videtur
Seneca, qui dicit, omne quod bene fit, juste prudenter, fortiter, temperate
fieri. Tertia ratio potest sumi ex fine quem intendit quaelibet virtus.
Quaelibet enim virtus operatur propter bonum virtutis; unde si bonum
virtutis, quemadmodum virtuosum decet, intendit, nullo modo ab ipso
intentionem deflectit. Unde philosophus dicit quod prodigus qui expendit non
curans bonum, facile in quantumcumque malum declinat. |
Réponse. La vertu peut être envisagée de deux manières. Premièrement, selon qu’elle existe imparfaitement, pour autant que des semences des vertus nous sont données par la nature. On parle ainsi de vertu pour une certaine inclination naturelle à l’acte d’une vertu. En effet, certains sont naturellement aptes à la libéralité, certains sont portés à la luxure par la nature de leur constitution ; et il en va de même pour les autres vertus. Deuxièmement, la vertu est envisagée selon l’être parfait qu’elle reçoit de l’habitude. Elle reçoit ainsi le nom de vertu politique, et il est nécessaire que toutes les vertus existent simultanément de cette manière. Trois raisons en sont données à partir de ce que disent les philosophes. La première est donnée par le Philosophe dans Éthique, VI : elle est tirée de ce par quoi toute vertu politique se réalise. En effet, il existe dans l’homme une inclination naturelle à l’acte de la prudence, appelée vertu naturelle : le Philosophe la nomme dinotica, que nous pouvons nommer « propos délibéré ». Celui-ci peut concerner le bien et le mal : il n’est donc pas une vertu, car la vertu est ce qui rend toujours bon l’acte de celui qui la possède. S’il doit être amené à ce que son jugement soit toujours droit, il faut donc que quelque chose soit ajouté, par quoi toute erreur est empêchée. Or, il existe une double erreur dans le jugement. L’une qui porte sur la fin, comme dans le cas de celui qui possède l’habitude du vice, qui incline à son acte comme à ce qui est bon par soi. Une telle erreur en matière d’action ressemble à l’erreur qui porte sur les principes en matière spéculative. L’autre erreur porte sur la poursuite de la fin : elle survient lorsque quelqu’un est détourné de la droite conception qu’il a de la fin. Ainsi, on dit que le plaisir corrompt l’estimation de la prudence. En matière d’action, cette erreur ressemble à l’erreur qui porte en matière spéculative sur le raisonnement qui va des principes à la conclusion. Or, la vertu morale, qui réalise une inclination à la fin droite et réprime la passion, empêche cette double erreur. C’est pourquoi il ne peut pas y avoir de vertu morale sans prudence – je parle de la tempérance, de la force et de celles de ce genre. De même, plus est grande l’inclination naturelle à ce qui relève de la vertu, plus elle est nuisible, à moins que le discernement (discretio) de la raison n’intervienne. Ainsi, plus l’aveugle court fort, plus il bute. Aussi, pour que la vertu morale se réalise, est-il nécessaire qu’elle soit dirigée par la prudence. C’est pourquooi la prudence entre dans la définition de la vertu morale, comme cela ressort d’Éthique, II. Il est donc nécessaire que les vertus politiques soient connexes. L’autre raison de la connexion est tirée de ce qui doit se trouver en toute vertu de manière générale, mais dont chaque élément est revendiqué pour elle-même par une vertu. Ainsi, la force revendique pour elle-même ce qui est difficile ; la tempérance revendique pour elle-même le milieu entre le superflu et l’insuffisant, qui est ce qui est modéré ; la justice revendique pour elle-même ce qui est droit ; mais la prudence a pour elle-même la science. C’est pourquoi chacune des vertus mentionnées tire son nom de cela, car ce qui est le plus grand dans un genre est la cause des autres choses [dans ce genre]. Aussi les autres vertus participent-elles d’une certaine façon à l’une des conditions mentionnées à partir de la vertu qui la revendique principalement pour elle-même. En effet, parce que celui qui est fort persévère dans les difficultés les plus grandes, il persévérera aussi dans les autres difficultés moins grandes. C’est cette cause que semble donner Sénèque : il dit que « tout ce qui est bien accompli est accompli avec justice, prudence, force et tempérance ». La troisième raison peut être tirée de la fin visée par toute vertu. En effet, toute vertu agit pour le bien de la vertu. Si elle vise le bien de la vertu, quelle que soit la façon dont cela convient à qui est vertueux, elle n’en écarte aucunement la visée. Aussi le Philosophe dit-il que le prodigue qui dépense son bien sans prendre garde tombe facilement dans n’importe quel mal. |
[12794] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quando aliquis exercetur in actu
alicujus virtutis, si simul exercetur in actu alicujus vitii, nunquam
acquiret aliquam virtutem, quia non acquirit prudentiam. Unde oportet ad hoc
quod una virtus habeatur, quod bene se habeat quis circa omnia quae in usum
vitae veniunt; et sic istis virtutibus simul cum prudentia acquisitis, ex hoc
causabuntur aliae virtutes quae sunt circa ea quae non ita frequenter in usum
vitae veniunt, ex hoc ipso quod ratio assuefacta est inferioribus viribus
praeesse, et inferiores ejus nutum sequi, in quo consistit tota ratio moralis
virtutis. |
1. Lorsque quelqu’un s’entraîne à l’acte d’une vertu, s’il s’adonne en même temps à l’acte d’un vice, il n’acquerra jamais une vertu, car il n’acquiert pas la prudence. Pour qu’une vertu soit possédée, il faut donc que quelqu’un se comporte bien par rapport à tout ce qui entre dans l’usage la vie. Ces vertus étant acquises en même temps que la prudence, les autres vertus qui n’entrent pas aussi fréquemment dans l’usage de la vie seront causées par le fait même que la raison a été habituée à commander aux forces inférieures et les forces inférieures, à suivre son commandement, ce en quoi consiste toute l’essence de la vertu morale. |
[12795] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex eodem principio procedit prudens circa
omnes materias virtutum, scilicet ex intentione boni rationis. Unde non
potest esse quod prudentia acquiratur secundum unam partem materiae moralis
virtutis et non secundum aliam, sicut contingit in artibus quantum ad illas
materias circa quas eodem modo operantur; sicut carpentarius de nuce et de
quercu similiter facit arcam. |
2. L’homme prudent part du même principe pour toutes les matières des vertus : l’intention du bien de la raison. Il ne peut donc arriver que la prudence soit acquise pour une partie de la matière de la vertu morale et non pour une autre, comme cela arrive dans les arts pour les matières sur lesquelles ils agissent de la même manière : ainsi, le charpentier construit de la même manière un coffre de noyer et de chêne. |
[12796] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 ad 3 Et per hoc etiam patet
solutio ad tertium: quia scientiae aliae addunt principia specialia ad
principia communia sapientiae; et ideo una illarum potest sciri altera
ignorata. Sed morales virtutes non addunt alia principia super principia
prudentiae; immo principia prudentiae sunt secundum virtutes morales: quae
quidem principia sunt fines moralium virtutum secundum philosophum. |
3. Ainsi ressort clairement la réponse au troisième argument, car les autres sciences ajoutent des principes particuliers aux principes de la sagesse ; c’est pourquoi l’une d’entre elles peut être connue alors qu’une autre est ignorée. Mais les vertus morales n’ajoutent pas d’autres principes aux principes de la prudence, bien plus, les principes de la prudence se conforment aux vertus morales : ces principes sont les fins des vertus morales, selon le Philosophe. |
[12797] Super Sent.,
lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod qui moderate se habet circa mediocres honores, non habet semper actum
magnanimitatis; quia ejus materia non sibi competit; habet tamen habitum, quo
etiam circa illas optime se haberet, si materia illa sibi competeret. Et similiter est de liberali et magnifico:
non enim est inconveniens quod alicui habenti unam virtutem desit exercitium
alterius virtutis quia non habet materiam. |
4. Celui qui se comporte de manière modérée pour les honneurs ordinaires ne possède pas toujours l’acte de la magnanimité, car sa matière ne relève pas de lui. Cependant, il possède l’habitus par lequel il se comporterait très bien pour ceux-ci, si cette matière relevait de lui. De même en est-il de celui qui est libéral et qui fait de grandes choses. En effet, il est inapproprié que celui qui possède une vertu soit dépourvu de la pratique d’une autre vertu parce qu’il n’en a pas la matière. |
[12798] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ratio illa procedit de virtutibus
naturalibus, ut ex dictis patet. |
5. Ce raisonnement se réfère aux vertus naturelles, comme cela ressort de ce qui a été dit. |
[12799] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 1
ad 6 Ad sextum
dicendum, quod negatur esse divina sententia, quia non est ex sacra Scriptura
prolata, ut ei necesse sit consentire. |
6. On nie qu’il s’agisse d’une manière de penser divine, car elle n’est pas exprimée par la Sainte Écriture, de sorte qu’il soit nécessaire d’y consentir. |
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Articulus 2 [12800] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a.
2 tit. Utrum virtutes
gratuitae sint connexae |
Article 2 – Les vertus gratuites sont-elles connexes ? |
[12801] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod
virtutes gratuitae non sint connexae. Beda enim dicit, quod sancti magis
humiliantur de virtutibus quas non habent, quam de virtutibus quas habent,
glorientur. Ergo habent aliquas virtutes et aliquas non habent. |
1. Il semble que les vertus gratuites ne soient pas connexes. En effet, Bède dit que « les saints s’humilient davantage pour les vertus qu’ils ne possèdent pas, qu’ils ne se glorifient des vertus qu’ils possèdent ». Ils possèdent donc certaines vertus et n’en possèdent pas d’autres. |
[12802] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, constat quod multi habent fidem qui non habent caritatem.
Utraque autem est virtus gratuita. Ergo et cetera. |
2. Il est clair que beaucoup ont la foi sans avoir la charité. Or, les deux sont des vertus gratuites. Donc, etc. |
[12803] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, Christus habuit omnes virtutes alias, cui tamen defuit
fides et spes. Ergo una virtus potest haberi sine alia. |
3. Le Christ a possédé toutes les autres vertus, alors que la foi et l’espérance lui faisaient défaut. Une vertu peut donc être possédée sans une autre. |
[12804] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, perseverantia est quaedam virtus. Sed multi habent virtutes
aliquas, in quibus non perseverant. Ergo una virtus potest haberi sine alia. |
4. La persévérance est une vertu. Or, beaucoup possèdent certaines vertus sans y persévérer. Une vertu peut donc être possédée sans une autre. |
[12805] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, conjugati et innocentes possunt habere castitatem. Sed
conjugati non habent virginitatem, innocentes autem non habent poenitentiam.
Ergo non est necessarium quod qui habet unam, habeat omnes. |
5. Les gens mariés et les gens innocents peuvent posséder la chasteté. Or, les gens mariés ne possèdent pas la virginité, alors que les innocents n’ont pas la pénitence. Il n’est donc pas nécessaire que celui qui possède une vertu les possède toutes. |
[12806] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, nihil est laudabile nisi actus virtutis, neque vituperabile
nisi vitium. Sed in sacra
Scriptura quidam laudantur de uno, et vituperantur de alio, ut patet Apocal.
2. Ergo potest haberi una virtus sine alia cujus oppositum vitium habetur. |
6. Rien n’est louable que l’acte de la vertu, et rien n’est blâmable que le vice. Or, dans l’Écriture Sainte, certains sont loués pour l’un et sont blâmés pour l’autre, comme cela ressort de Ap 2. Une vertu peut donc être possédée sans une autre, dont le vice opposé est possédé. |
[12807] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, super illud: feci judicium et justitiam, Glossa: a
parte totum, ut qui habet unam omnes habeat virtutes; et qui una caret,
omnibus careat. |
Cependant,
[1] à propos de : J’ai accompli le jugement et la justice, la Glose dit :
« La partie pour le tout, de sorte que celui qui possède une vertu les
possède toutes, et celui à qui l’une fait défaut, toutes font défaut. » |
[12808] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 s. c. 2 Idem potest haberi ex Glossa Hieronymi super illud Isai. 16: venter
meus ad Moab quasi cithara sonabit; ubi dicit Glossa: cithara sonum
compositum non emittit, si una chorda rupta fuerit: sic spiritualis venter
prophetae, si una virtus defuerit. |
[2] On peut le tirer d’une glose de Jérôme sur
Is 6 : Mon ventre résonnera
comme une cithare pour Moab, à propos de quoi la Glose dit :
« La cithare n’émet pas de son composé si une corde a été rompue ;
de même, le ventre spirituel du prophète si une seule vertu fait
défaut. » |
[12809] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, qui habet caritatem, oportet
quod habeat alias virtutes: similiter qui habet alias virtutes, oportet quod
caritatem habeat, quae est forma virtutum. Ergo qui habet unam virtutem omnes
habet. |
[3] Celui qui possède la charité, qui est la
forme des vertus, doit posséder les autres vertus. Celui qui possède une
seule vertu les posséde donc toutes. |
[12810] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod virtutes
gratuitae, quantum ad id quod essentialiter se habet ad virtutem, connexionem
habent; quantum autem ad id quod accidit virtuti inquantum est virtus,
quamvis forte non accidat ei inquantum est talis virtus, non oportet
connexionem esse. Ratio autem connexionis ex tribus sumi potest. Primo ex
caritate, quae est forma virtutum, cum qua omnes virtutes simul infunduntur.
Secundo ex gratia, quae est quasi totum potentiale ad virtutes, ex qua
quodammodo fluunt virtutes, sicut ex essentia animae potentiae. Unde sicut
omnes potentiae sunt simul, inquantum connectuntur in essentia; ita omnes
virtutes gratuitae sunt simul, inquantum connectuntur in gratia. Tertio ex
ipsa justitia generali, qua justificatur impius, quae nihil imperfectum
relinquit: quia impium est a Deo dimidiam sperare salutem, ut sancti dicunt.
Unde cum quis justificatur, omnes virtutes ei simul infunduntur. |
Réponse.
Pour ce qui concerne essentiellement la vertu,
les vertus gratuites sont connexes ; pour ce qui est accidentel dans la
vertu en tant que vertu, bien que cela ne lui soit pas accidentel en tant
qu’elle est telle vertu, il n’est pas nécessaire qu’il y ait connexion. Or,
la raison de la connexion peut venir de trois choses. Premièrement, de la
charité, qui est la forme des vertus, avec laquelle toutes les vertus sont
simultanément infusées. Deuxièmement, de la grâce, qui est comme un tout
potentiel par rapport aux vertus, et dont découlent d’une certaine manière les
vertus, comme les puissances de l’âme [découlent] de son essence. De même que
toutes les puissances existent en même temps, dans la mesure où elles sont
connexes dans l’essence, de même donc toutes les vertus gratuites
existent-elles simultanément, dans la mesure où elles sont connexes dans la
grâce. Troisièmement, de la justice générale elle-même, par laquelle l’impie
est justifié et qui ne laisse rien d’imparfait, car « il est impie
d’espérer de Dieu une moitié de salut », comme le disent les saints. Lorsque
quelqu’un est justifié, toutes les vertus lui sont donc infusées en même
temps. |
[12811] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum Bedae intelligendum est de
virtutibus quantum ad usus, et non quantum ad habitus. Diversi enim sancti
diversimode excedunt se invicem in usibus diversarum virtutum, secundum quod
de quolibet confessore dictum est: non est inventus similis illi qui
conservaret legem excelsi. |
1. La parole de Bède doit des vertus du point de
vue de leur usage, et non des habitus. En effet, les divers saints se
dépassent les uns les autres de diverses manières dans l’usage des diverses
vertus, comme il est dit d’un confesseur : « On n’en a pas trouvé
de semblable à lui qui garderait avec soin la loi du Très-Haut. » |
[12812] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut virtutes morales non habent perfectam
rationem virtutis, nisi sint directae per prudentiam; ita nec virtutes
gratuitae, nisi sint formatae per caritatem. Unde supra, distinct. 23, qu. 3,
art. 1, quaestiunc. 1 in corp., dictum est quod fides informis non est
virtus. |
2. De même que les vertus morales ne possèdent pas la raison parfaite de vertu si elles ne sont pas dirigées par la prudence, de même non plus les vertus gratuites si elles ne tirent pas leur forme de la charité. Aussi a-t-on dit plus haut, d. 23, q. 3, a. 1, qa 1, c., que la foi informe n’est pas une vertu. |
[12813] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in Christo fuit de fide quidquid
perfectionis est, scilicet visio: hoc enim per se ad virtutem pertinet: non
autem fuit in Christo imperfectio, quae quidem accidit virtuti, quamvis per
se conveniat fidei. |
3. Il y avait chez le Christ tout ce qu’il y a de
perfection dans la foi, à savoir, la vision : en effet, cela relève par
soi de la vertu. Mais une imperfection qui survient dans une vertu n’existait
pas chez le Christ, bien qu’elle appartienne par soi à la foi. |
[12814] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod perseverantia uno modo est specialis virtus,
secundum quod dicit propositum persistendi, ut non recedat quis a ratione
recta propter tristitias, ut dicitur 7 Ethic.: et sic est simul de
necessitate cum aliis virtutibus. Alio modo est quoddam accidens virtutibus,
secundum quod dicit continuationem virtutum usque in finem; et sic non est
necessario simul cum aliis virtutibus. |
4. D’une manière, la persévérance est une vertu
particulière, pour autant qu’elle exprime la volonté de persister, de sorte
qu’on ne s’écarte pas de la raison droite à cause de tristesses, comme il est
dit dans Éthique, VII. Elle existe ainsi de manière nécessaire en même temps
que les autres vertus. D’une autre manière, est elle quelque chose
d’accidentel dans les vertus, pour autant qu’elle exprime la poursuite des
vertus jusqu’à la fin. Ainsi, elle n’existe pas nécessairement en même temps
que les autres vertus. |
[12815] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod virginitas non dicit virtutem, sed quoddam accidens
virtuti; unde potest sine peccato amitti. Poenitentia autem si sit specialis
virtus, potest esse in innocentibus sub conditione, ut scilicet si peccarent,
poeniterent sicut philosophus dicit de verecundia in 4 Ethic. |
5. La virginité n’exprime pas la vertu, mais un
accident par rapport à la vertu. Aussi peut-elle être perdue sans péché. Mais
la pénitence, si elle est une vertu particulière, peut exister chez ceux qui
sont innocents à une condition : s’ils péchaient, ils se repentiraient,
comme le dit le Philosophe à propos de la honte, Éthique, IV. |
[12816] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non solum laudatur actus qui est a virtute,
sed actus qui est ad virtutem, quo fiunt bona, sed non bene. Similiter non
solum semper vituperatur peccatum mortale, quod expellit virtutem, sed etiam
veniale, quod est simul cum virtute. |
6. Non seulement l’acte qui vient de la vertu
est-il loué, mais l’acte qui est tourné vers la vertu, par lequel ce qui est
bien est accompli, mais d’une manière qui n’est pas bonne. De même, non
seulement le péché mortel, qui enlève la vertu, est-il toujours blâmé, mais
aussi le péché véniel, qui existe en même temps que la vertu. |
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Articulus 3 [12817] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a.
3 tit. Utrum dona sint
connexa |
Article 3 – Les dons sont-ils connexes ? |
[12818] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 arg.
1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod dona non sint connexa. 1 Cor., 12, 8: alii datur
sermo sapientiae per spiritum; alii sermo scientiae secundum eumdem spiritum.
Sed sapientia et scientia sunt dona. Ergo alii datur unum donum, et alii aliud; et ita non sunt connexa. |
1. Il semble que les dons ne soient pas connexes.
1 Co 12, 8 : À l’un
est donné une parole de sagesse par l’Esprit ; à un autre, une parole de
science selon le même Esprit. Or, la sagesse et la science sont des dons.
Donc, à l’un est donné un [don], à un autre, un autre [don], et ainsi, ils ne
sont pas connexes. |
[12819] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, Gregorius dicit in Moral., quod minor est sapientia, si
intellectu careat. Ergo sapientia sine intellectu haberi potest. |
2. Dans les Morales, Grégoire dit que la sagesse est
moindre, si l’intelligence lui fait défaut. On peut donc posséder la sagesse
sans l’intelligence. |
[12820] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit de sermone domini in monte secundum
Matth., quod ab uno dono paulatim fit processus ad aliud. Hoc autem non
esset, si necesse foret ea simul esse. Ergo dona non sunt connexa. |
3.
Augustin dit, à propos du sermon sur la montagne selon Matthieu, que l’on
passe peu à peu d’un don à un autre. Or, tel ne serait pas le cas si ceux-ci
devaient nécessairement exister en même temps. Les dons sont donc connexes. |
[12821] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, plus distat a communi statu virtutum perfectio transcendens
genus virtutis quam perfectio manens in genere virtutum. Sed qui habet
virtutes, non oportet quod habeat eas in perfecto statu virtutum: quae quidem
perfectio in genere virtutis manet. Ergo multo minus oportet quod habeat
perfectionem donorum, quae genus virtutis transcendit; et ita dona non
connectuntur sibi in gratia, caritate, vel justificatione: nec est aliud dare
in quo sibi connectantur; ergo non sunt connexa. |
4. La perfection des vertus dépassant le genre de
la vertu est plus éloignée de l’état commun des vertus que la perfection qui
demeure à l’intérieur du genre des vertus. Or, il n’est pas nécessaire que
celui qui possède les vertus les possède dans l’état parfait des
vertus : une telle perfection demeure à l’intérieur du genre de la
vertu. Il est donc encore bien moins nécessaire qu’il possède la perfection
des dons, qui dépasse le genre de la vertu. Et ainsi, les dons ne sont pas
connexes dans la grâce, la charité ou la justification, et on ne peut
indiquer rien d’autre en quoi ils seraient connexes. Ils ne sont donc pas
connexes. |
[12822] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea,
donorum quaedam perficiunt in vita activa, quaedam in contemplativa. Sed multi sunt perfecti in vita activa qui
gradum vitae contemplativae nondum attingunt. Ergo dona non habentur omnia
simul. |
5. Certains parmi les dons agissent dans la vie
active, d’autres, dans la [vie] contemplative. Or, beaucoup sont parfaits
dans la vie active qui n’atteignent pas encore le degré de la vie
contemplative. Les dons ne sont donc pas tous possédés simultanément. |
[12823] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, quidquid est de necessitate salutis, oportet esse simul
cum gratia. Sed dona sunt
de necessitate salutis; quod patet per Glossam, Matth. 6, quae dicit, quod in
donis est ut operemur mandata, in quibus est ut ad beatitudinem veniamus.
Ergo videtur quod dona sint connexa in gratia, sicut et virtutes. |
Cependant,
[1] tout ce qui est nécessaire au salut doit
exister en même temps que la grâce. Or, les dons sont nécessaires au salut,
ce qui ressort de la Glose sur Mt 6, qui dit que « le rôle des dons
est que nous accomplissions les commandements, par lesquels nous parvenons à
la béatitude ». Il semble donc que les dons soient connexes dans la
grâce, comme les vertus. |
[12824] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, sapientiae donum ex caritate causatur, ut ex dictis, dist.
praec., patet. Ergo quicumque
habet caritatem, habet sapientiam. Sed sapientia ponitur in ultimo gradu. Ergo quicumque habet eam, habet omnia alia
dona; et sic omnia dona sunt connexa in caritate. |
2. Le don de sagesse est causé par la charité,
comme cela ressort de ce qui a été dit à la distinction précédente. Quiconque
possède la charité possède donc la sagesse. Or, la sagesse se situe au degré
le plus élevé. Quiconque la possède possède donc tous les autres dons, et
ainsi tous les dons sont connexes dans la charité. |
[12825] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, justitia generalis, defectus qui peccatum implicant,
tollit. Sed contra tales defectus dona dantur, sicut consilium contra
praecipitationem, ut dicit Gregorius, et timor contra superbiae timorem. Ergo simul cum
justificatur anima, omnia dona infunduntur. |
3. La justice générale enlève les carences qui
impliquent le péché. Or, les dons sont donnés contre de telles carences,
comme le [don de] conseil, contre la précipitation, ainsi que le dit
Grégoire, et le [don de] crainte, contre la crainte de l’orgueil. En même
temps que l’âme est justifiée, tous les dons sont donc infusés. |
[12826] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est,
dist. 34, quaest. 3, art. 1, donum in hoc transcendit virtutem quod supra
modum humanum operatur: qui quidem modus ex mensura altiori quam sit humana
mensura, causatur. Huic autem mensurae, quae Deus est, mens humana per
caritatem innititur. Et ideo modum istum habent ex ipsa caritate quantum ad
esse absolutum, quod esse dicimus secundum quod perficiunt in his quae sunt
necessaria ad salutem. Sed quantum ad perfectum esse secundum quod dona ad
altiora se extendunt, quod quidem est per gratiam gratis datam, non oportet
quod sint connexa. |
Réponse. Comme on l’a dit, livre III, d. 36, q. 1, a. 3, c., le don dépasse la vertu en ce qu’il agit au-delà du mode humain : ce mode est causé par une mesure plus élevée que ne l’est la mesure humaine. Or, l’esprit humain adhère à cette mesure par la charité, qui est Dieu. C’est pourquoi on possède ce mode par la charité quant à son être absolu : nous parlons d’être selon qu’ils perfectionnent pour ce qui est nécessaire au salut. Mais, pour ce qui est de leur être parfait, selon que les dons atteignent ce qui est plus élevé, ce qui est le fait d’un charisme (gratiam gratis datam) il n’est pas nécessaire que [les dons] soient connexes. |
[12827] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ibi non ponitur simpliciter donum
sapientiae et scientiae, sed sermo sapientiae et scientiae; et hoc quidem ad
perfectionem donorum pertinet, ut scilicet homo ita sapientia et scientia
abundet ut non solum sibi sufficiat, sed per sermonem in alios redundet; unde
ponitur inter gratias gratis datas. |
1. On
ne parle pas là simplement du don de sagesse et du don de science, mais d’une
parole de sagesse et d’une parole de science. Cela relève de la perfection
des dons que l’homme possède la sagesse et la science en telle abondance
qu’elles ne soient pas suffisantes pour lui seulement, mais qu’elles
rejaillissent sur les autres par la parole. Elles se situent donc parmi les
charismes. |
[12828] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 ad
2 Ad secundum
dicendum, quod dictum Gregorii facit ad ostendendum connexionem donorum. Vult enim ostendere quod perfectio unius
doni non est sine alio; unde sapientia quae sine intellectu est, et hebes
est, et rationem doni non habet. |
2. La parole de Grégoire contribue à montrer la connexion des dons. En effet, il veut montrer que la perfection d’un don n’existe pas sans un autre. Aussi la sagesse qui est sans intelligence est-elle émoussée et n’a-t-elle pas raison de don. |
[12829] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod gradus ille, sive processus, attenditur
quantum ad usus donorum; sicut etiam dicitur quod fides praecedit et gignit
alias virtutes, cum quibus tamen simul quandoque infunditur. |
3. Ce
degré ou cette avancée ne se prend pas de l’usage des dons ; ainsi
dit-on que la foi précède et engendre les autres vertus, alors qu’elle est
toujours infusée en même temps qu’elles. |
[12830] Super Sent.,
lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod perfectio virtutum secundum intensionem non est de necessitate salutis,
sicut perfectio quae est ex donis, ut in omnibus scilicet Deum pro regula
habeat. |
4. La
perfection des vertus en intensité n’est pas nécessaire au salut, comme la
perfection qui vient des dons qui doit avoir en tout Dieu comme règle. |
[12831] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 3
ad 5 Ad quintum
dicendum, quod quamvis ad perfectum statum contemplationis non perveniat
omnis qui in vita activa est; tamen omnis Christianus qui in statu salutis
est, oportet quod aliquid de contemplatione participet, cum praeceptum sit
omnibus: vacate, et videte quoniam ego sum Deus, Psal. 45, 2; ad quod
etiam est tertium praeceptum legis. |
5. Bien que tous ceux qui sont dans la vie active ne parviennent pas un état parfait de contemplation, tout chrétien qui est en état de salut doit participer d’une certaine manière à la contemplation, puisque le commandement est donné à tous : Faites relâche, et voyez que je suis Dieu ! Ps 45, 2. Le troisième commandement de la loi porte aussi sur cela. |
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Articulus 4 [12832] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a.
4 tit. Utrum virtutes
sint aequales |
Article 4 – Les vertus sont-elles égales ? |
[12833] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic
proceditur. Videtur quod
virtutes non sint aequales. 1 Corinth. 13, dicitur, quod caritas est major
fide et spe. Sed quaelibet harum est virtus. Ergo una virtus est minor quam
alia. |
1. Il semble que les vertus ne soient pas égales. Il est dit, en 1 Co 13, que la charité est plus grande que la foi et l’espérance. Or, chacune d’elles est une vertu. Une vertu est donc inférieure à une autre. |
[12834] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, quantitas virtutis objecto mensuratur. Sed una virtus ad plura
se extendit objecta quam alia. Ergo una virtus est major quam alia. |
2. La quantité d’une vertu se mesure à son objet. Or, une vertu s’étend à plus d’objets qu’une autre. Une vertu est donc plus grande qu’une autre. |
[12835] Super Sent.,
lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, habitus
est ad actum habilitare. Sed homo quandoque est magis habilis ad actum unius
virtutis quam ad actum alterius. Ergo habet unam virtutem magis intensam quam aliam. |
3. Un habitus est destiné à rendre apte à un acte. Or, l’homme est parfois plus apte à l’acte d’une vertu qu’à l’acte d’une autre. Il possède donc une vertu plus intense qu’une autre. |
[12836] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, supra, dist. 25, dictum est, quod fides, spes et caritas et
operatio adaequantur. Sed non omnes operationem virtutum sunt aequales. Ergo nec omnes
virtutes. |
4. On a dit plus haut, d. 25, que la foi, l’espérance et la charité et leurs actes sont égaux. Or, tous les actes [corr. operationem/operationes] des vertus ne sont pas égaux. Donc, ni toutes les vertus non plus. |
[12837] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, de quolibet sancto legitur: non est inventus similis
illi, qui conservaret legem excelsi. Hoc autem non potest esse nisi quia
unus excedit alium secundum unam, et alius secundum aliam. Ergo in uno homine
virtutes non sunt aequales: alias qui excederet in una, excederet in omnibus. |
5. On lit de n’importe quel saint : « On n’en a pas trouvé de semblable à lui pour observer la loi du Très Haut. » Or, cela ne peut être le cas que parce que l’un en dépasse un autre selon une [vertu], et un autre selon une autre. Chez un seul homme, les vertus ne sont donc pas égales, autrement celui qui l’emporterait pour l’une l’emporterait pour toutes. |
[12838] Super Sent.,
lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra est quod
dicitur Apocal. 21, 16: latera
civitatis sunt aequalia; in quo significatur secundum Glossam quod
virtutes gratuitae sunt aequales. |
Cependant, [1] il est dit en sens contraire dans Ap 21, 16 : Les côtés de la ville sont égaux ; selon la Glose, on signifie par là que les vertus gratuites sont égales. |
[12839] Super Sent.,
lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, per idem
per quod habitus causantur, augentur, secundum philosophum in 2 Ethic. Sed
omnes habitus virtutum simul infunduntur cum gratia. Ergo simul augentur cum
augmento gratiae. Sed quaecumque simul intenduntur et remittuntur, sunt aequalia.
Ergo omnes virtutes sunt
aequales. |
[2] Selon le Philosophe, Éthique, II, les habitus sont augmentés par la même chose qui les cause. Or, tous les habitus des vertus sont infusés en même temps que la grâce. Ils sont donc augmentés en même temps que l’augmentation de la grâce. Or, tout ce qui est intensifié ou diminué en même temps est égal.Toutes les vertus sont donc égales. |
[12840] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, secundum quantitatem virtutis est quantitas meriti, et per
consequens quantitas praemii. Si ergo una virtus esset altera major, eidem
deberetur majus et minus praemium quam alteri in quo esset, et e converso:
quod est impossibile, cum non sit nisi unum praemium. |
4. La quantité du mérite dépend de la quantité de la vertu et, par conséquent, la quantité de la récompense. Si donc une vertu était plus grande qu’une autre, une plus ou moins grande récompense lui serait due qu’à un autre où elle se trouverait, et inversement ; ce qui est impossible, puisqu’il n’y a qu’une seule récompense. |
[12841] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4
co. Respondeo
dicendum, quod est aequalitas secundum quantitatem absolutam, et aequalitas
secundum quantitatem comparatam, quae dicitur proportionis aequalitas; sicut
patet in digitis manus, qui non sunt aequales secundum quantitatem absolutam,
cum unus alteri superpositus excedat ipsum; sunt tamen aequales secundum
proportionem: quia sicut quantitas unius digiti sufficit ad suum officium,
ita et quantitas alterius digiti: unde et digiti proportionaliter augentur.
Quantitas ergo absoluta virtutis potest attendi quantum ad tria: primo
quantum ad dignitatem; secundo quantum ad objecta ad quae se extendit; tertio
quantum ad intensionem, quae cognoscitur in efficacia et modo agendi. Et his
tribus modis contingit quod una virtus excedatur ab alia absolute loquendo:
quia una est dignior alia, sicut caritas fide, et prudentia temperantia. Item una est plurium
objectorum quam alia, sicut prudentia quam temperantia. Item una secundum
speciem suam requirit majorem intensionem quam alia: quia quanto est
difficilius objectum, tanto oportet magis contra tendere, et intensius in
ipsum moveri. Sed secundum quantitatem comparatam sunt aequales, quia
proportionaliter in his tribus se habent respectu suorum objectorum: et ideo
proportionaliter crescunt. |
Réponse. Il existe une égalité selon la quantité absolue, et une égalité selon la quantité comparée, qu’on appelle une égalité proportionnelle, comme cela ressort pour les doigts de la main, qui ne sont pas égaux selon la quantité absolue, puisque l’un placé sur l’autre le dépasse ; mais ils sont cependant égaux proportionnellement, car de même que la quantité d’un doigt suffit à sa fonction, de même la quantité d’un autre doigt. Aussi les doigts croissent-ils proportionnellement. La quantité absolue de la vertu peut donc être considérée selon trois choses : premièrement, selon sa dignité ; deuxièmement, selon les objets auxquels elle s’étend ; troisièmement, selon son intensité, qu’on connaît par son efficacité et sa manière d’agir. Et il arrive que, à parler absolument, une vertu en dépasse une autre de ces trois manières, car l’une est plus digne qu’une autre, comme la charité par rapport à la foi et la prudence par rapport à la tempérance. De même, l’une porte sur plus d’objets qu’une autre, comme la prudence par rapport à la tempérance. De même, l’une exige une plus grande intensité qu’une autre autre par son espèce, car plus l’objet est difficile, plus elle doit déployer d’effort à son encontre et plus intensément doit-elle être mue vers lui. Mais, selon la quantité comparée, elles sont égales, car elles ont un rapport proportionnel en regard de leurs objets selon ces trois choses. C’est pourquoi elles croissent de manière proportionnelle. |
[12842] Super Sent.,
lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo et
secundum patet solutio ex dictis. |
1-2. La réponse au premier et au deuxième argument ressort clairement de ce qui a été dit. |
[12843] Super Sent.,
lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod hoc quod homo est magis habilis ad actum unius virtutis quam ad actum
alterius, non est ex diversitate habituum semper, sed ex diversa dispositione
naturali, aut etiam ex exercitio. |
3. Le fait qu’un homme soit plus apte à l’acte d’une vertu qu’à l’acte d’une autre ne vient pas toujours de la diversité des habitus, mais d’une disposition naturelle différente ou même de la pratique. |
[12844] Super Sent.,
lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod per operationem accipitur ibi exterior actus, qui per morales virtutes
completur, quas oportet theologicis proportionabiliter aequari, ut dictum
est. Vel aliter dicendum, quod intelligitur de operationibus quae
essentialiter consequuntur ad virtutes, sicut sunt actus interiores, quos
etiam oportet aequales secundum proportionem esse; non autem secundum actus
exteriores, qui possunt esse vel expeditiores vel impeditiores propter aliqua
accidentia. |
4. Par opération, on entend ici l’acte extérieur qui est accompli par les vertus morales, qui doivent être proportionnellement égales aux [vertus] théologales, comme on l’a dit. Ou bien il faut dire qu’on entend cela des opérations qui découlent essentiellement des vertus, comme le font les actes intérieurs, qui doivent aussi être proportionnellement égaux, mais non des actes extérieurs, qui peuvent être soit plus empressés ou plus retenus en raison de certains accidents. |
[12845] Super Sent.,
lib. 3 d. 36 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod hoc dicitur quantum ad exercitium virtutum, et usum, et non quantum ad
habitum. |
5. On dit cela de la pratique des vertus et de leur usage, et non de l’habitus. |
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Articulus 5 [12846] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a.
5 tit. Utrum vitia
sint connexa |
Article 5 – Les vices sont-ils connexes ? |
[12847] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic
proceditur. Videtur quod
vitia sint connexa. Jacob. 2, 10: qui offendit in uno, factus est omnium
reus. Sed non efficitur omnium reus mandatorum, nisi per peccata. Ergo
qui facit unum peccatum, habet omnia peccata. |
1. Il semble que les vices soient connexes. Jc 2, 10 : Celui qui pèche pour une chose devient coupable de tous [les péchés]. Or, on ne devient coupable pour tous les commandements que par des péchés. Celui qui commet un seul péché commet donc tous les péchés. |
[12848] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, peccatum nihil videtur esse in anima nisi privatio
virtutis. Sed per unum peccatum mortale privantur omnes virtutes. Qui ergo
habet unum peccatum, habet omnia. |
2. Le péché ne semble être rien d’autre dans l’âme que la privation de la vertu. Or, par un seul péché mortel, on est privé de toutes les vertus. Celui qui a un seul péché les a donc tous. |
[12849] Super Sent.,
lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, sicut
virtutes procedunt ex bono amore Dei, ita peccata omnia procedunt ex
inordinato amore sui, secundum Augustinum. Sed virtutes habent connexionem propter hoc
quod conveniunt in caritate. Ergo etiam peccata habebunt connexionem propter
inordinatum amorem, ex quo procedunt. |
3. Selon Augustin, de même que les vertus viennent de l’amour bon de Dieu, de même les péchés viennent-ils d’un amour désordonné de soi. Or, les vertus ont une connexion parce qu’elles se rejoignent dans la charité. Donc, les péchés aussi auront une connexion en raison de l’amour désordonné dont ils proviennent. |
[12850] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, virtus et
vitium sunt opposita immediate, ad minus secundum theologos. Sed nulla virtus inest habenti
aliquod peccatum. Ergo insunt omnia vitia opposita singulis virtutibus; et
sic idem quod prius. |
4. La vertu et le vice sont immédiatement contraires, du moins selon les théologiens. Or, aucune vertu n’existe chez celui qui a un péché. Tous les vices contraires à toutes les vertus sont donc présents en lui, et ainsi la conclusion est la même que précédemment. |
[12851] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, pronior est homo ad peccatum, ad minus in statu naturae
corruptae, quam ad virtutem: virtus enim est circa difficile. Sed qui habet
unam virtutem, habet omnes. Ergo multo fortius qui habet unum vitium, habet
omnia. |
5. L’homme est davantage enclin au péché, du moins dans l’état de la nature corrompue, qu’à la vertu : en effet, la vertu porte sur ce qui est difficile. Or, celui qui possède une seule vertu les possède toutes. À bien plus forte raison, celui qui a un vice les possède donc tous. |
[12852] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, peccatum contingit infinitis modis, secundum Dionysium, et
philosophum. Sed impossibile est infinita inesse eidem. Ergo non possunt
omnia peccata connexa esse. |
Cependant, [1] le péché arrive selon des modes infinis, selon Denys et le Philosophe. Or, il est impossible que des réalités infinies soient présentes dans une même chose. Tous les péchés ne peuvent donc pas être connexes. |
[12853] Super Sent.,
lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea,
philosophus dicit in 4 Eth., quod malum si sit integrum, importabile fieret,
et seipsum corrumperet. Sed si
inessent omnia peccata uni, esset malitia moralis integra. Ergo hoc non
potest stare. |
[2] Le Philosophe dit dans Éthique, IV, que si le mal était total, il deviendrait insupportable et se corromprait lui-même. Or, si tous les péchés étaient présents chez le même, la malice morale serait totale. Cela ne peut donc se produire. |
[12854] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 s. c. 3 Praeterea, contraria impossibile est inesse eidem. Sed contrarium est
unum vitium alii, sicut prodigalitas liberalitati. Ergo impossibile est esse
peccata connexa. |
[3] Il est impossible que des contraires soient présents dans une même chose. Or, un vice est contraire à un autre, comme la prodigalité à la libéralité. Il est donc impossible que les péchés soient connexes. |
[12855] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod
in peccato duo sunt, scilicet aversio et conversio. Ex parte aversionis
peccata connexionem habent, inquantum avertuntur a bono incommutabili: sed ex
parte conversionis nullo modo connexionem habere possunt, sicut habent
virtutes. Virtutes enim habent esse ordinatum, quia in ipsa potentiarum
ordinatione consistit ratio virtutis; sed peccata praeter intentionem et per
accidens fiunt; et ideo non reducuntur ad rectum ordinem, nec in aliquo uno
connecti possunt. Et praeterea,
peccata ex operibus sunt, et contingunt omnifariam, nec sunt ab aliquo
principio infundente, sicut virtutes. |
Réponse. Dans le péché, il y a deux choses : l’aversion (aversio) et la conversion (conversio). Du point de vue de l’aversion, les péchés ont une connexion pour autant qu’ils se détournent du bien immuable ; mais, du point de vue de la conversion, ils ne peuvent avoir aucune connexion, comme c’est le cas des vertus. En effet, les vertus possèdent un être ordonné, car la raison de vertu consiste dans la mise en ordre même des puissances. Mais les péchés sont accomplis en dépassant l’intention et par accident. C’est pourquoi ils ne sont pas ramenés à l’ordre correct et ils ne peuvent pas être connectés dans une seule chose. De plus, les péchés viennent des actions et se produisent de multiples façons, et ils ne proviennent pas d’un seul principe qui les infuse, comme les vertus. |
[12856] Super Sent.,
lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod hoc intelligitur quantum ad amissionem summi boni, a quo omne
peccatum avertit: quo amisso, quidquid virtutis habebatur deperit, et omnia
virtutum merita mortificantur. |
1. Cela s’entend de la perte du bien suprême, dont tout péché détourne. Une fois celui-ci perdu, tout ce qui existait de vertu est perdu et tous les mérites des vertus meurent. |
[12857] Super Sent.,
lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod peccatum quandoque nominat actum; quandoque autem nominat
maculam, quae est privatio gratiae et virtutis per comparationem ad actum
praecedentem; quandoque etiam nominat reatum, qui est obligatio ad poenam
propter actus inordinate commissos; et ideo secundum diversos actus diversae
maculae sunt, et diversi reatus, quamvis sit eadem virtus, vel gratia, qua
privantur. |
2. Parfois le péché désigne l’acte ; mais parfois il désigne la souillure, qui est la privation de la grâce et de la vertu en rapport avec l’acte précédent ; parfois aussi, il désigne la culpabilité, qui est l’obligation à une peine en raison des actes commis de manière désordonnée. C’est pourquoi il existe diverses souillures et diverses culpabilités selon les différents actes, bien qu’elles soient privées de la même vertu et de la même grâce. |
[12858] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
a caritate procedunt virtutes secundum ordinem rectum; et ideo consonantiam
et connexionem habent: sed ex amore inordinato sequuntur vitia extra ordinem;
et ideo contrarietatem ad invicem habent, et multifariam dividuntur. |
3. Les vertus proviennent de la charité selon un ordre correct : c’est pourquoi elles sont en harmonie et elles sont connexes. Mais les vices découlenet d’un amour désordonné en dehors de l’ordre ; c’est pourquoi ils sont contraires les uns aux autres et se divisent de plusieurs manières. |
[12859] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod immediata
oppositio, secundum theologos, virtutis et vitii, intelligitur quantum ad
actus, et non quantum ad habitus. Aliquis enim per unum actum peccati
mortalis perdit omnes habitus virtutum, non tamen per illum actum aggeneratur
in ipso aliquis habitus; unde tunc caret utroque habitu. Non est autem
inconveniens ut in illo qui habet actum luxuriae, et caret per hoc habitu
mansuetudinis, inveniatur actus ejus, non quidem ab ipsa procedens, sed ei
similis, sicut actus virtutum dicuntur qui sunt ad virtutem. |
4. Selon les théologiens, l’opposition immédiate entre la vertu et le vice se prend de l’acte, et non de l’habitus. En effet, quelqu’un perd par un seul acte de péché mortel tous les habitus des vertus, mais, par cet acte, un habitus n’est pas engendré en lui ; les deux habitus lui font donc défaut. Mais il n’est pas inapproprié que, chez celui qui commet un acte de luxure et à qui fait ainsi défaut l’habitus de la douceur, on trouve leur acte, non pas qu’il procède d’elles, mais parce qu’il leur est semblable, comme on appelle actes de vertus ceux qui sont orientés vers la vertu. |
[12860] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ex hoc ipso quod homo pronior est ad
peccandum, non requiruntur tot ad unum peccatum, sicut ad unam virtutem; et
ideo non est necessarium ut qui habet unum peccatum, habeat omnia, sicut qui
habet unam virtutem, habeat omnes. Utrum autem omnia peccata sint paria, quaere in 2 Lib., distinct. 42,
quaest. 1, art. 5. |
5. Par le fait même qu’un homme est plus enclin à pécher, autant de choses ne sont pas requises pour un seul péché que pour une seule vertu. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que celui qui a un péché les ait tous, comme celui qui a une seule vertu les a toutes. Que tous les péchés soient égaux, on verra à ce sujet le livre II, d. 42, q. 1, a. 5. |
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Articulus 6 [12861] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a.
6 tit. Utrum modus
caritatis sit in praecepto |
Article 6 – Le mode de la charité fait-il partie du commandement ? |
[12862] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 arg. 1 Ad sextum sic proceditur.
Videtur quod modus caritatis sit in praecepto. Sicut enim virtutes
connectuntur sibi invicem in caritate, ita et omnia mandata ad caritatem
reducuntur. Sed virtutes ideo connectuntur sibi in caritate, quia per
caritatem formantur. Ergo et
praecepta ad caritatem reducuntur, quia modus caritatis sub praecepto cadit. |
1. Il semble que le mode de la charité fasse partie du commandement. En effet, de même que les vertus sont connectées les unes aux autres dans la charité, de même tous les commandement se ramènent-ils à la charité. Or, les vertus sont ainsi connexes dans la charité parce qu’elles reçoivent leur forme de la charité. Les commandements aussi se ramènent donc à la charité parce que le mode de la charité fait partie du commandement. |
[12863] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea, Deut. 6, 6, dicitur: diliges dominum Deum tuum ex toto
corde tuo, et ex tota anima tua, et ex tota fortitudine tua. Et constat
quod ibi praecipitur actus caritatis. Sed ex actu caritatis modificantur
opera quae sunt in praecepto. Ergo praedictus modus est in praecepto. |
2. Il est dit en Dt 6, 6 : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et toutes tes forces, et il est clair que l’acte de la charité y est commandé. Or, les actes qui relèvent d’un commandement sont modifiés par la charité. Le mode mentionné fait donc partie du commandement. |
[12864] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 arg. 3 Praeterea, Matth., 19, 17, dicitur: si vis ad vitam ingredi, serva
mandata. Sed nullus potest ad vitam ingredi sine caritate. Ergo modus
caritatis est in praecepto. |
3. Il est dit en Mt 19, 17 : Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements. Or, personne ne peut entrer dans la vie sans la charité. Le mode de la charité fait donc partie du commandement. |
[12865] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, sicut deformationi opponitur
formatio, ita prohibitioni opponitur praeceptum. Sed deformatio operum cadit
sub prohibitione. Ergo formatio, quae fit per modum caritatis, cadit sub
praecepto. |
4. De même que la déformation s’oppose à la formation, de même le commandement s’oppose-t-il à l’interdiction. Or, la déformation des actes tombe sous une interdiction. La formation, qui se réalise par le mode de la charité, tombe donc sous le commandement. |
[12866] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 arg. 5 Praeterea, per caritatem
actus praeceptorum ordinantur in finem debitum. Sed hoc cadit sub praecepto, ut
patet per apostolum, 1 Corinth. 10, 31: omnia in gloriam Dei facite. Ergo et modus caritatis. |
5. Par la charité, les actes des commandements sont ordonnés à la fin appropriée. Or, cela tombe sous le commandement, comme cela ressort de ce que dit l’Apôtre, 1 Co 10, 31 : Faites tout pour la gloire de Dieu. Donc, le mode de la charité aussi. |
[12867] Super Sent.,
lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed contra, nihil
cadit sub praecepto nisi quod est in potestate nostra; unde Hieronymus,
anathematizat eos qui dicunt Deum aliquid impossibile homini praecepisse. Sed habere caritatem non est in potestate
nostra. Ergo modus caritatis non cadit sub praecepto. |
Cependant, [1] rien ne tombe sous le commandement que ce qui est en notre pouvoir ; aussi Jérôme anathématise-t-il ceux qui disent que Dieu a commandé à l’homme quelque chose d’impossible. Or, avoir la charité n’est pas en notre pouvoir. Le mode de la charité ne tombe donc pas sous le commandement. |
[12868] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, quicumque omittit hoc quod est de substantia praecepti,
peccat. Sed aliquis diligens Deum dilectione naturali, vel opera pietatis
faciens caritate carens, hoc ipso non peccat. Ergo modus non cadit sub
praecepto. |
[2] Quiconque omet ce qui fait partie de la substance d’un commandement pèche. Or, celui qui aime Dieu d’un amour naturel ou accomplit des actes de piété, alors que la charité lui fait défaut, ne pèche pas par le fait même. Le mode ne tombe donc pas sous le commandement. |
[12869] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 s. c. 3 Praeterea, homo in statu innocentiae, etiam si gratiam non habuit,
habebat unde poterat stare: quod non esset, si modus esset sub praecepto:
quia caderet, si sine modo praecepta servaret. Ergo modus non est in
praecepto. |
[3] Dans l’état d’innocence, l’homme, même s’il n’avait pas la grâce, avait le moyen de se tenir debout, ce qui ne serait pas le cas si le mode tombait sous le commandement, car il chuterait s’il observait les commandements sans le mode. Le mode ne fait donc pas partie du commandement. |
[12870] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 co. Respondeo dicendum, quod
circa hoc sunt quatuor opiniones. Prima opinio est, quod modus cadit sub
praecepto: quia tamen illud praeceptum est affirmativum, non obligat ad
semper, quamvis obliget semper: et sic homo non tenetur ex caritate implere
mandata, nisi pro tempore illo quo caritatem habet; et sic non obligatur ad
impossibile. Sed hoc dictum
non videtur sufficiens: quia si modus est de substantia praecepti, simul
curret obligatio ad actum et ad modum. Contingit autem quod erit tempus
honorandi parentes quando etiam caritatem non habet: unde videtur quod tunc
teneatur ex caritate implere. Et ideo alii dicunt, quod aequaliter currit
obligatio praecepti et modi, ut scilicet quandocumque tenetur homo implere
praeceptum, tenetur implere illud ex caritate. Nec propter hoc Deus aliquod
impossibile praecipit: quia quamvis homo per se caritatem habere non possit,
tamen potest facere aliquid unde ipsam a Deo accipiat: quia secundum
philosophum in 3 Ethic., quae per amicos facimus, aliquo modo possibilia
sunt. Sed hoc non potest stare: quia aliquis in peccato mortali existens, in
quolibet actu de genere bonorum, quo praeceptum impleret quo ad substantiam
operis, peccaret peccato omissionis, inquantum omitteret modum; quod falsum
est. Et ideo alii dicunt, quod modus nullo modo cadit sub praecepto, et quod
homo sine caritate praeceptum legis implet. Sed hoc videtur vicinum
Pelagianae haeresi, quae ponebat omnia praecepta sine gratia posse impleri.
Ideo alii mediam viam tenent, et dicunt, quod modus quodammodo in praecepto
cadit, et quodammodo non. Dicimur enim ad mandata teneri dupliciter. Uno modo ita quod nisi
impleamus hoc ad quod tenemur, sumus omissionis vel transgressionis rei, et
secundum hoc tenemur solum ad substantiam mandati, non ad modum. Alio modo
ita quod si non impleamus id ad quod tenemur, non percipimus mandati fructum;
et sic tenemur ad substantiam operis, et ad modum, sine quo quantumcumque
homo substantiam operis exequatur, ad vitam non perveniet. Et haec opinio
videtur rationabilior. Constat enim quod praeceptum potest dupliciter
considerari. Uno modo inquantum imponitur secundum necessitatem quamdam
implendi: et sic nihil debet imponi alicui nisi quod statim est in ipso ut
impleat; quod si non implet, punitur: quia sic lex habet vim coactivam,
secundum philosophum in 10 Ethic. Alio modo quantum ad intentionem
legislatoris, qui per legis praecepta intendit ad virtutem perducere, ut
dicitur in 2 Ethic.: et sic quantum ad intentionem legislatoris modus virtutis
cadit sub praecepto, non quantum ad obligationem legis. |
Réponse. À ce sujet, il y a quatre opinions. La première opinion est que le mode tombe sous le précepte ; cependant, parce que ce commandement est affirmatif, il n’oblige pas dans chaque cas, bien qu’il oblige toujours. Ainsi, l’homme n’est pas tenu d’accomplir les commandements par charité, sauf au moment où il a la charité. Ainsi, il n’est pas obligé à l’impossible. Mais ce qui est dit là ne semble pas suffisant, car si le mode fait partie de la substance du commandement, l’obligation à l’acte et au mode courrait en même temps. Or, le temps arrive d’honorer ses parents, même si l’on n’a pas la charité. Il semble donc qu’on soit alors tenu de l’accomplir par charité. C’est pourquoi d’autres disent que l’obligation et le mode du commandement courent également, de sorte que chaque fois que l’homme est tenu d’accomplir le commandement, il est tenu de l’accomplir par charité. Et Dieu ne commande pas ainsi quelque chose d’impossible, car, bien que l’homme ne puisse avoir la charité par lui-même, il peut cependant faire quelque chose pour la recevoir de Dieu, car, selon le Philosophe, ce que nous faisons par nos amis nous est possible d’une certaine manière. Mais cela ne peut tenir, car celui qui se trouve dans le péché mortel pécherait par un péché d’omission, en omettant le mode, par chaque acte faisant partie du genre de ce qui est bon, par lequel il accomplirait le commandement pour ce qui fait partie de la substance de l’acte : ce qui est faux. C’est pourquoi d’autres disent que le mode ne tombe aucunement sous le commandement et que l’homme accomplit le commandement de la loi sans la charité. Mais cela semble proche de l’hérésie pélagienne, qui affirmait que tous les commandements pouvaient être accomplis sans la grâce. C’est pourquoi d’autres tiennent une voie moyenne, et disent que le mode tombe d’une certaine manière sous le commandement, et, d’une certaine manière, non. En effet, on dit que nous sommes tenus aux commandements de deux manières. Premièrement, de sorte qu’à moins d’accomplir ce à quoi nous sommes tenus, nous sommes coupables d’omission ou de transgression ; de cette manière, nous sommes tenus seulement à la substance du commandement, mais non à son mode. Deuxièmement, de sorte que, si nous n’accomplissons pas ce à quoi nous sommes tenus, nous ne percevons pas le fruit du commandement ; nous sommes ainsi tenus à la substance de l’acte et à son mode, sans lequel, autant que l’homme accomplisse la substance de l’acte, il ne parviendra pas à la vie éternelle. Et cette opinion semble être plus raisonnable. En effet, il apparaît que le commandement peut être envisagé de deux manières. D’une manière, pour autant qu’il est imposé en vertu d’une certaine nécessité de l’accomplir : rien ne doit ainsi être imposé à quelqu’un que ce qu’il est immédiatement en son pouvoir d’accomplir ; s’il ne l’accomplit pas, il est puni, car la loi a ainsi une force coercitive, selon le Philosophe, Éthique, X. D’une autre manière, selon l’intention du législateur, qui veut conduire à la vertu par les commandements de la loi, comme on le dit dans Éthique, II ; le mode de la vertu tombe ainsi sous le commandement pour ce qui est de l’intention du législateur, mais non pour ce qui est de l’obligation de la loi. |
[12871] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod praecepta quodammodo connectuntur in caritate sicut in fine: quia per ipsam fructum
mandati observati quis percipit. |
1. Les commandements sont connexes d’une certaine manière dans la charité comme dans leur fin, parce que l’on reçoit par elle le fruit du commandement observé. |
[12872] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illo praecepto praecipitur actus caritatis
non qui sit a caritate, sed qui est similis actui caritatis, sicut est actus
naturalis dilectionis. Vel si praecipitur actus caritatis, praeceptum illud
magis est ad ostendendum quo tendere debeamus, quam ad obligandum, sicut
supra, distinct. 27, dictum
est. |
2. Par ce commandement, est ordonné un acte de charité, qui ne vient pas de la charité, mais qui est semblable à l’acte de la charité, comme l’est l’acte de l’amour naturel. Ou bien, si l’acte de charité est commandé, ce commandement vise plutôt à montrer vers quoi nous devons tendre qu’à obliger, comme on l’a dit plus haut, d. 27. |
[12873] Super Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
ratio illa procedit quantum ad intentionem legislatoris, magis quam quantum ad
obligationem legis. |
3. Ce raisonnement est tiré davantage de l’intention du législateur que de l’obligation de la loi. |
[12874] Super Sent.,
lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod facere actum deformem, et abstinere ab ipso, est in potestate nostra,
non autem facere actum formatum; et ideo non est similis ratio. |
4. Accomplir un acte sans forme et nous en abstenir est en notre pouvoir, mais non pas accomplir un acte formé. Ce n’est donc pas le même raisonnement. |
[12875] Super Sent.,
lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod modus caritatis plus importat quam relationem operis in finem debitum;
importat enim quod actus ex habitu caritatis procedat, qua multi carentes,
actus suos in Deum referunt. |
5. Le mode de la charité importe plus que le rapport de l’acte à la fin appropriée. En effet, il importe que l’acte vienne de l’habitus de la charité ; alors qu’il fait défaut à beaucoup, ils réfèrent leur actes à Dieu. |
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Expositio textus |
Explication du texte de Pierre
Lombard, Dist. 36
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[12876] Super
Sent., lib. 3 d. 36 q. 1 a. 6 expos. Ubi caritas est, quid est quod possit deesse? Ergo omnes aliae virtutes superfluunt. Et
dicendum, quod hoc dicitur propter necessariam connexionem aliarum virtutum,
quarum ipsa quodammodo est causa. Sequitur ut ejus fortitudo minus sit
prudens. Hoc dicitur
secundum quod ab una virtute aliquid in aliam redundat, ut dictum est. Quia
vero non justificationis gratia, quam facit caritas, instituta sunt, sed in
figura futuri, et in onus imposita, ideo clarescente veritate, cessaverunt
velut umbra. De hoc dicendum in 1 dist. 4 libri. Sicut in sermone
domini octo virtutes praemittuntur, ad quas cetera referuntur. Loquitur
de beatitudinibus, quae virtutes dicuntur, inquantum sunt actus virtutum. Quia per caritatem implentur. Videtur quod dicat duo contraria,
scilicet quod caritas sit principium et finis mandatorum. Et dicendum, quod
hoc non est inconveniens: quia sicut in naturalibus forma et finis incidunt
in idem, ita et in moralibus. Habitus enim, qui est principium actus, ut
imperans actum, est etiam quodammodo finis, inquantum ad finem proprium
utitur actu imperato. Totam magnitudinem et amplitudinem divinorum
eloquiorum possidet caritas. Secundum hoc videtur quod prolixitas sacrae
Scripturae sit superflua. Et dicendum, quod continentur omnia divina eloquia
in praecepto caritatis sicut in radice; sed oportuit per ramos distingui. |
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Distinctio 37 |
Distinction 37 – [Les
commandements de la loi]
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Prooemium |
Prologue |
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[12877] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de virtutibus et donis, quae nos ad bene
operandum inclinant, in parte ista determinat de praeceptis legis, quibus ad
opera virtutum et donorum dirigimur. Dividitur autem in duas partes: in prima
determinat de octo primis mandatis, quae aliquo modo opus respiciunt; in
secunda determinat de duobus mandatis ultimis, quae respiciunt tantum
concupiscentiam cordis, 40 dist., ibi: sextum praeceptum est: non
desiderabis uxorem proximi tui. Prima in duas: in prima determinat de
primis octo mandatis; in secunda determinat de quibusdam quae uno illorum mandatorum
intelliguntur prohiberi; quae specialem difficultatem habent, 38 dist., ibi: sciendum
tamen, tria esse genera mandatorum. Prima in duas: in prima determinat de
praeceptis primae tabulae; in secunda de praeceptis secundae tabulae, ibi: in
secunda vero tabula septem erant mandata. Prima in tres secundum tria
mandata de quibus determinat; secunda incipit ibi: secundum praeceptum
est: non assumes nomen Dei tui in vanum; tertia, ibi: memento ut diem
sabbati sanctifices. Circa primum tria facit: primo distinguit praecepta;
secundo exponit primum ipsorum, ibi: primum in prima tabula est: non
habebis deos alienos etc.; tertio solvit quaestionem ex praedictis ortam,
ibi: sed quaeritur quomodo hic dicatur forma idoli non esse facta per
verbum. In secunda vero tabula septem erant mandata. Hic determinat de
praeceptis secundae tabulae; et dividitur in quinque partes secundum quinque
mandata, quae satis patent in littera: quarum quarta pars dividitur in duas:
in prima exponit quartum mandatum; in secunda movet quaestionem, ibi: si
vero quaeritur de filiis Israel (...) utrum furtum commiserint; dicimus eos
non fecisse furtum; secunda incipit ibi: hic opponitur quod etiam boni
in illo opere peccaverunt. Et similiter quinta pars dividitur in expositionem praecepti, et
quaestionem, quae incipit ibi: solet autem quaeri utrum prohibitum sit
omne mendacium. Hic quaeruntur sex: 1 de necessitate legis scriptae; 2 de
distinctione, ordine et assignatione mandatorum; 3 utrum omnia mandata legis
ad haec decem referantur; 4 utrum dispensationem in aliquo casu recipiant; 5
de observatione sabbati; 6 de usura. |
Après avoir déterminé des vertus et des dons, qui nous inclinent à bien agir, le Maître détermine dans cette partie des commandements de la loi, par lesquels nous sommes orientés vers les actes des vertus et des dons. Elle se divise en deux parties : dans la première, il détermine des huit premiers commandements, qui concernent d’une certaine manière l’action ; dans la seconde, il détermine des deux derniers commandements, qui concernent seulement la concupiscence du cœur, d. 40, à cet endroit : « Le sixième commandement est : Tu ne désireras pas l’épouse de ton prochain. » La première [partie] se divise en deux : dans la première, il détermine des huit premiers commandements ; dans la seconde, il détermine de certaines choses dont on comprend qu’elles sont défendues par un de ces commandements, et qui comportent une difficulté particulière, d. 38, à cet endroit : « Il faut cependant savoir qu’il y a trois genres de commandements. » La première [partie] se divise en deux : dans la première, il détermine des commandements de la première table ; dans la seconde, des commandements de la seconde table, à cet endroit : « Mais, dans la seconde table, il y avait sept commandements. ». La première [partie] se divise en trois selon les trois commandements dont elle détermine ; la seconde commence en cet endroit : « Le deuxième commandement est : Tu ne feras pas en vain usage du nom de ton Dieu» ; la troisième, à cet endroit : « Souviens-toi de sanctifier le jour du sabbat. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il fait une distinction entre les commandements ; deuxièmement, il explique le premier d’entre eux, à cet endroit : « Premièrement, la première table porte : Tu n’auras pas de dieux étrangers, etc. » ; troisièmement, il répond à une question issue de ce qui a été dit auparavant, à cet endroit : « Mais on se demande comment on dit que la forme de l’idole n’a pas été réalisée par une parole. » « Mais, dans la seconde table, il y avait seept commandements. » Ici, il détermine des commandements de la seconde table, et cela se divise en cinq parties selon cinq commandements, qui ressortent assez clairement d’eux-mêmes dans le texte. La quatrième de ces [parties] se divise en deux : dans la première, il explique le quatrième commandement ; dans la seconde, il soulève une question, à cet endroit : « Si on demande, à propos des fils d’Israël…, s’ils ont commis un vol, nous disons qu’ils n’ont pas commis de vol ». La deuxième [partie] commence à cet endroit : « Ici, on oppose que même les bons ont péché par cet acte. » De même, la cinquième partie se divise en explication du commandement et en question, qui commence à cet endroit : « On a coutume de se demander si tout mensonge est défendu. » Ici, six questions sont posées : 1. À propos de la nécessité de la loi écrite. 2. À propos de la distinction, de l’ordre et de la distribution des commandements. 3. Tous les commandements de la loi se ramènent-ils à ces dix [commandements] ? 4. En est-on dispensé dans certains cas ? 5. À propos de l’observance du sabbat. 6. À propos de l’usure. |
Articulus 1 [12878] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a.
1 tit. Utrum fuerit
necessarium tradi legem scriptam |
Article 1 – Était-il nécessaire de donner une loi écrite ? |
[12879] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 arg.
1 Ad primum sic
proceditur. Videtur quod non fuit necessarium legem scriptam tradi, maxime de
his decem praeceptis. Ea enim quae sunt naturaliter scripta in intellectu
speculativo, nulla scientia in Scripturam colligit, sed utitur eis quantum
indiget unaquaeque. Sed haec decem praecepta sunt naturaliter scripta in
intellectu practico uniuscujusque. Ergo non fuit necesse ea in Scripturam
redigere. |
1. Il
semble qu’il n’était pas nécessaire de donner une loi écrite, surtout à
propos de ces dix commandements. En effet, aucune science n’a recueilli sous
forme écrite ce qui est naturellement écrit dans l’intellect spéculatif, mais
elle en utilise chaque élément comme elle en a besoin. Or, ces dix
commandements sont naturellement écrits dans l’intellect pratique de chacun.
Il n’était donc pas nécessaire de leur donner une forme écrite. |
[12880] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, Scriptura
videtur esse inventa ad succurrendum labilitati memoriae. Sed alia praecepta
legis quae non sunt ita scripta in corde hominis, sicut judicialia et
caeremonialia, facilius poterant tradi oblivioni. Ergo ea magis debuerunt in tabulis lapideis
scribi. |
2. L’écriture
semble avoir été inventée pour venir en aide aux défallances de la mémoire. Or,
les autres commandements de la loi qui n’ont pas été ainsi écrits dans le
cœur de l’homme, tels les [commandements] judiciaires et les cérémoniels,
pouvaient plus facilement être oubliés. Ils devaient donc d’autant plus être
écrits sur des tables de pierre. |
[12881] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, ea quae
scripto traduntur, ad plebem per sapientes perveniunt. Sed haec decem mandata ipsa plebs
immediate audivit a Deo, ut patet Exod. 20. Ergo non debuerunt in scriptum
redigi. |
3. Ce
qui est mis par écrit parvient au peuple par l’intermédiaire des sages. Or,
le peuple a entendu immédiatement de Dieu ces dix commandements, comme cela
ressort de Ex 20. Ils ne devaient donc pas être mis par écrit. |
[12882] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea,
legislator qui intendit sibi subjectos bonos facere, non debet aliquid pro
lege ferre ex quo vitia augeantur, eo praevidente. Sed ex hoc quod ista mandata obligatoria
populo sunt tradita, praevaricatio crevit; 1 Corinth. 15, 56: virtus
peccati lex; Glossa: lex prohibendo auget peccati cupiditatem.
Ergo non debuerunt hujusmodi praecepta legis a Deo dari, qui omnia praevidet. |
4. Le
législateur qui a en vue de rendre ses sujets bons ne doit pas faire de loi
par laquelle les vices seraient accrus, alors qu’il le prévoit. Or, par le
fait que ces commandements ont été transmis au peuple comme obligatoires, la
prévarication a augmenté, 1 Co 15, 56 : La force du péché, c’est la loi. La
Glose dit : « En interdisant, la loi augmente le désir de
pécher. » Ces commandements ne devaient donc pas être donnés par Dieu
qui prévoit tout. |
[12883] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, servitia
coacta sunt minus Deo accepta. Sed per legem fit coactio quaedam, inquantum obligat.
Ergo videtur quod hujusmodi obligatoriam legem edere non debuit. |
5. Les
services forcés sont moins agréables à Dieu. Or, par la loi, une certaine
coercition est créée dans la mesure où elle oblige. Il semble donc que [Dieu]
ne devait pas formuler une telle loi obligatoire. |
[12884] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, non minor cura est Deo de rebus humanis quam de rebus
naturalibus, quas propter hominem fecit. Sed rebus naturalibus certas leges
posuit. Ergo etiam rebus humanis aliquas leges ponere debuit. |
Cependant, [1] Dieu ne prend pas moins soin des
réalités humaines que des réalités naturelles, qu’il a faites pour l’homme.
Or, il a établi des lois déterminées pour les choses naturelles. Il devait donc
aussi établir des lois pour les réalités humaines. |
[12885] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, in
quolibet regimine oportet quod voluntas rectoris innotescat. Sed Dei voluntas
nobis per legis praecepta innotescit, inquantum est signum divinae
voluntatis. Ergo oportuit
quod ab ipso qui orbem regit, praecepta mundo ederentur. |
[2] En
tout gouvernement, il faut que la volonté de celui qui dirige soit connue.
Or, la volonté de Dieu nous est connue par les commandements de la loi, dans
la mesure où elle est le signe de la volonté divine. Il fallait donc que des
commandements soient donnés au monde par celui qui dirige le monde. |
[12886] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, dicit philosophus, quod rex per imperium suum movet eos qui
in regno suo sunt. Sed Deus omnia movet. Ergo oportuit quod ad homines ejus
imperium deveniret, quo in Deum moverentur. |
[3] Le
Philosophe dit que le roi meut ceux qui sont dans son royaume par son
commandement. Or, Dieu meut toutes choses. Il fallait donc que parvienne aux
hommes son commandement, par lequel ils sont mus vers Dieu. |
[12887] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod
necessarium fuit ea quae naturalis ratio dictat, quae dicuntur ad legem
naturae pertinere, populo in praeceptum dari, et in scriptum redigi, propter
quatuor rationes. Primo, quia per contrariam consuetudinem, qua multi in peccato
praecipitabantur, jam apud multos ratio naturalis, in qua scripta erant,
obtenebrata erat. Secundo, quia etsi in aliquibus vigebat ratio, tamen amor
boni in eis deficiebat; unde per quamdam coactionem legis obligatoriae ad
bonum inducendi erant. Tertio ut ad opera virtutis non solum natura
inclinaret, sed etiam reverentia divini imperii. Quarto ut magis memoria
tenerentur, et frequentius in cogitatione versarentur. |
Réponse. Il était nécessaire que ce que dicte la
raison naturelle, dont on dit que cela relève de la loi de la nature, soit
donné au peuple sous forme de commandement et mis par écrit pour quatre
raisons. Premièrement, parce que, en raison d’une coutume contraire, par
laquelle beaucoup étaient précipités dans le péché, la raison naturelle avait
déjà été obscurcie chez beaucoup à propos de ce qui avait été écrit.
Deuxièmement, parce que, même si la raison était ferme chez certains, l’amour
du bien faisait cependant défaut chez eux ; aussi devaient-ils être
incités au bien par une certaine coercition de la loi obligatoire.
Troisièmement, afin que non seulement la nature incline aux actes de vertu,
mais aussi la révérence envers le commandement divin. Quatrièmement, afin
qu’ils soient davantage gardés en mémoire et viennent plus fréquemment à la
pensée. |
[12888] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur
dicendum, quod passiones animae non corrumpunt existimationem speculativam,
sicut corrumpunt existimationem practicam; et ideo magis oportuit praecepta
legis naturae in scriptis redigi, quam principia speculativa. |
1. Les
passions de l’âme ne corrompent pas le jugement spéculatif, comme elles
corrompent le jugement pratique. C’est pourquoi il fallait plutôt mettre par
écrit les commandements de la loi de la nature que les principes spéculatifs. |
[12889] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod praecepta judicialia et caeremonialia erant mutabilia secundum
diversos status et conditiones hominum; sed praecepta ista legis naturae
immobiliter permansura erant, in cujus signum in tabulis lapideis Deus ea
scribi voluit. |
2. Les commandements judiciaires et cérémoniels
pouvaient être changés selon les divers états et conditions des hommes ;
mais ces commandements de la loi naturelle devaient immuablement demeurer, en
signe de quoi Dieu a voulu qu’ils soient mis par écrit sur des tables de
pierre. |
[12890] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod ista praecepta omnibus indita erant in naturali cognitione; et ideo in
hujus signum Deus toti populo per se ea edidit; sed propter multos qui
secundum passiones vivunt, in quibus judicium rationis obtenebratur, voluit
ut per sapientiores, in quibus judicium rationis viget, in aliis cognitio
horum praeceptorum conservaretur; et ideo scribi ea voluit. |
3. Ces
commandements avaient été donnés à tous par la connaissance naturelle ;
en signe de cela, Dieu les a formulés par lui-même pour tout le peuple. Mais,
à cause du grand nombre qui vit selon les passions, chez qui le jugement de
la raison était obscurci, il a voulu que la connaissance de ces commandements
soit conservée pour les autres par l’intermédiaire des sages, chez qui le jugement
de la raison est ferme. C’est pourquoi il a voulu qu’ils soient écrits. |
[12891] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod lex, quantum erat in se, nullo modo nec occasio nec causa erat augendae
cupiditatis, sed propter corruptionem fomitis hoc contingebat, occasione
accepta ex lege ab ipsis peccantibus, non data ipsis a lege. |
4. En
elle-même, la loi n’était aucunement une occasion ou une cause d’augmentation
de la cupidité, mais cela se produisait en raison de la corruption de la
convoitise, les pécheurs eux-mêmes prenant occasion de la loi, alors qu’elle
ne leur était pas donnée par la loi. |
[12892] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod boni qui habent voluntatem bene faciendi non operantur quasi coacti a
lege, sed ipsi sibi sunt lex; unde non propter eos lex est posita, sed
propter transgressores, ut dicitur Gal. 3, in quibus melius est ut coacti a
malo desistant quam ut mala libere exequantur. |
5. Les bons, qui ont la volonté de bien agir,
n’agissent pas comme s’ils était forcés par la loi, mais ils sont la loi pour
eux-mêmes. Aussi la loi n’a-t-elle pas été mise par écrit pour eux, mais pour
ceux qui la transgressent, comme il est dit dans Ga 3, pour qui il est
mieux de renoncer au mal par la force que d’accomplir le mal librement. |
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Articulus 2 [12893] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a.
2 tit. Utrum
praecepta Decalogi convenienter assignentur |
Article 3 – Les commandements du décalogue sont-ils présentés de manière appropriée ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Les
commandements du décalogue sont-ils présentés de manière appropriée ?]
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[12894] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod praecepta Decalogi non convenienter assignentur.
Praecepta enim legis ad merendum ordinantur. Sed meritum in aliquo actu
consistit. Cum ergo in praeceptis negativis non ponatur aliquis actus, sed
solum negetur, videtur quod praecepta Decalogi non debuerunt per negationem
assignari. |
1. Il semble que les commandements du décalogue ne soient pas présentés de manière appropriée. En effet, les commandements de la loi sont ordonnés au mérite. Or, le mérite consiste dans un acte. Puisque, dans les commandements négatifs, aucun acte n’est proposé mais seulement nié, il semble donc que les commandements du décalogue ne devaient pas être présentés sous une forme négative. |
[12895] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, illud ex quo datur aliud intelligi, debet aliquo modo
continere illud. Sed prohibitio majoris mali non continet prohibitionem
minoris mali, nec praeceptum magis debiti continet praeceptum minus debiti.
Cum ergo per prohibitionem moechiae detur intelligi omnis illicitus usus
membrorum, ut in littera dicitur, cum moechia sit gravius quam simplex fornicatio,
videtur quod non fuerit rectus modus assignandi praeceptum, per prohibitionem
moechiae alia minora prohibere. Et similiter potest objici de honoratione
parentum quod est magis debitum quam beneficia quae aliis hominibus sunt
exhibenda, quae ad hoc praeceptum reducuntur. |
2. Ce par quoi quelque chose est donné à entendre doit le contenir d’une certaine manière. Or, l’interdiction d’un plus grand mal ne contient pas l’interdiction d’un mal moindre, ni le commandement d’une plus grande dette ne contient-elle le commandement d’une dette moindre. Puisque, par l’interdiction de l’adultère, on donne à entendre tout usage interdit des membres, comme on le dit dans le texte, l’adultère étant plus grave que la simple fornication, il semble donc que ce n’était pas une manière correcte de présenter le commandement que d’interdire les [fautes] moindres par l’interdiction de l’adultère. De même, peut-on objecter, à propos de l’honneur dû aux parents, qu’il est davantage dû que les bienfaits qui doivent être faits aux autres hommes, qui se ramènent à ce commandement. |
[12896] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, omnia
praecepta legis debent aequaliter in memoria contineri. Ergo cum in tertio
praecepto fiat mentio de memoria, videtur quod eadem ratione debuerit in
aliis praeceptis poni. |
3. Tous les commandements de la loi doivent être également gardés en mémoire. Puisque, dans le troisième commandement, on mentionne la mémoire, il semble donc que, pour la même raison, elle devait être mentionnée dans les autres commandements. |
[12897] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, praecepta
Decalogi ad legem naturalem
pertinent. Sed legis naturalis dictamen per rationem naturalem est. Ergo non
oportet in alio praecepto legis aliam rationem assignari, nisi quod naturalis
ratio dictat. |
4. Les commandements du décalogue relèvent de la loi naturelle. Or, l’expression de la loi naturelle se réalise par la raison naturelle. Il n’est donc pas nécessaire que, dans un autre commandement de la loi, soit donnée une raison autre que le fait que la raison naturelle le dicte. |
[12898] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1
a. 2 qc. 1 arg. 5 Praeterea, omnibus praeceptis observatis praemium debetur.
Sed in quarto praecepto praemium ponitur, ut scilicet longaevus sit super
terram. Ergo eadem
ratione in aliis praeceptis poni deberet. |
5. Une récompense est due pour tous les commandements observés. Or, dans le quatrième commandement, une récompense est présentée : la longévité sur la terre. Pour la même raison, [une récompense] devait donc être présentée dans les autres commandements. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 –
[Doit-il y avoir dix commandements de la loi ?]
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[12899] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debeant esse decem legis praecepta. Sicut
enim dicitur in Glossa, Matth. 6, in precibus est ut impetrentur dona; in donis ut impleantur
mandata; in mandatis ut beatitudines consequamur. Sed preces, et etiam dona, similiter et
beatitudines quodammodo sunt septem. Ergo et mandata legis debebant esse
tantum septem. |
1. Il semble qu’il ne doive pas y avoir dix commandements de la loi. En effet, comme le dit la Glose à propos de Mt 6 : « Par les prières, on demande des dons ; par les dons, on accomplit les commandements ; par les commandements, on obtient les béatitudes. » Or, les prières, les dons et, d’une certaine manière, les béatitudes sont au nombre de sept. Les commandements de la loi devaient donc aussi n’être qu’au nombre de sept. |
[12900] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, Rom. 13, 8: dilectio
proximi legem implevit. Sed intentio legislatoris in omnibus praeceptis
est ut lex impleatur. Ergo sufficiens fuit unum praeceptum tantum, scilicet
de dilectione proximi, ponere. |
2. Rm 13, 8 dit : L’amour du prochain a accompli la loi. Or, l’intention du législateur pour tous les commandements est que la loi soit accomplie. Il était donc suffisant de proposer un seul commandement : l’amour du prochain. |
[12901] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1
a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Rom. 7, dicit Glossa: bona est lex, quae dum
concupiscentiam prohibet, malum prohibet. Sed praecepta ordinantur contra peccata, ut
patet per Augustinum in Lib. de decem Chord. Ergo suffecisset unum praeceptum
ponere, in quo concupiscentia prohiberetur. |
3. À propos de Rm 7, la Glose dit : « La loi est bonne : en interdisant la concupiscence, elle interdit le mal. » Or, les commandements sont ordonnés contre les péchés, comme cela ressort de ce que dit Augustin dans le livre Sur les dix cordes. Il aurait donc suffi de proposer un seul commandement dans lequel la concupiscence serait interdite. |
[12902] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 4 Sed contra, videtur quod debeant esse plus quam decem. Ubicumque enim
contingit esse peccatum in opere, contingit esse peccatum et in interiori
concupiscentia: quia consensus in peccatum, peccatum est. Sed furtum et
moechia prohibentur diversis praeceptis quantum ad actum et quantum ad
concupiscentiam. Ergo eadem ratione et alia peccata debuerunt duplicibus
praeceptis prohiberi. |
Cependant, [4] il semble qu’il aurait dû y en avoir plus de dix. En effet, partout où il arrive qu’il y a péché en acte, il arrive qu’il y a aussi péché dans la concupiscence intérieure, car le consentement au péché est un péché. Or, le vol et l’adultère sont défendus par divers commandements quant à l’acte et quant à la concupiscence. Pour la même raison, les autres péchés devaient donc aussi être défendus par deux commandements. |
[12903] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 5 Praeterea, ut in 2 Lib.,
distinct. 42, dicit Magister, tribus modis aliquis peccat: scilicet in Deum,
in proximum, in seipsum. Cum ergo quaedam praecepta ordinentur contra
peccatum in Deum, quaedam vero contra peccatum in proximum; videtur etiam
quod quaedam debuerunt ordinari contra peccatum in seipsum. |
[5] Le Maître dit que l’on pèche de trois manières : contre Dieu, contre le prochain et contre soi-même. Puisque certains commandements sont ordonnés au péché contre Dieu et certains, au péché contre le prochain, il semble que certains devaient aussi être ordonnés au péché contre soi-même. |
[12904] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 6 Praeterea, secundum
philosophum in 2 Ethic., intentio legislatoris est ad virtutem cives
inducere; unde et de singulis virtutibus aliquid lex praecipit, sicut patet
in 5 Ethic. Sed multo plures virtutes sunt quam decem. Ergo debent esse plura
praecepta. |
[6] Selon le Philosophe, Éthique, VI, l’intention du législateur est d’inciter les citoyens à la vertu ; aussi la loi commande-t-elle quelque chose pour chacune des vertus, comme cela ressort d’Éthique, V. Or, il existe beaucoup plus que dix vertus. Il doit donc y avoir un plus grand nombre de commandements. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Les
commandements sont-ils mal ordonnés ?]
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[12905] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod praecepta male ordinentur. Quia, sicut
Gregorius dicit, ex visibilibus in amorem invisibilium rapimur. Sed praecepta
secundae tabulae ordinant ad dilectionem proximi, quem videmus; praecepta
vero primae tabulae ad dilectionem Dei, qui invisibilis est. Ergo praecepta secundae
tabulae prius poni debuerunt. |
1. Il semble que les commandements soient mal ordonnés, car, ainsi que le dit Grégoire, « nous sommes emportés vers l’amour des réalités invisibles à partir des réalités visibles ». Or, les commandements de la seconde table sont tournés vers l’amour du prochain, que nous voyons ; mais les commandements de la première table, vers l’amour de Dieu, qui est invisible. Les commandements de la seconde table devaient donc être présentés en premier. |
[12906] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, prius est
aliquid in corde quam sit in executione operis. Sed praeceptum tertium primae tabulae
videtur ad cor pertinere, praeceptum vero secundum ad opus interius, primum
autem ad opus exterius, quia ad actus latriae pertinet. Ergo inconvenienter
ordinantur. |
2. Quelque chose se trouve d’abord dans le cœur avant de se trouver dans l’accomplissement d’un acte. Or, le troisième commandement de la première table semble se rapporter au cœur, mais le deuxième commandement, à un acte intérieur et le premier, à un acte extérieur, puisqu’il se rapporte aux actes de latrie. Ils sont donc ordonnés de manière inappropriée. |
[12907] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, secundum
Boetium, prius extirpanda sunt vitia quam inserantur virtutes. Sed praecepta
negativa ordinantur ad extirpationem vitiorum, affirmativa autem ad habendas
virtutes. Ergo in secunda tabula praeceptum affirmativum non debuit esse
primum, sed ultimum. |
3. Selon Boèce, « les vices doivent d’abord être extirpés avant que les vertus ne soient semées ». Or, les commandements négatifs sont ordonnés à extirper les vices, mais les [commandements] affirmatifs, à posséder les vertus. Le premier et le dernier de la seconde table ne devaient donc pas être affirmatifs. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
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[12908] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod
cum intentio legislatoris sit ad virtutes homines inducere, quibus legem
tradit, oportet quod illo modo in assignandis praeceptis legis utatur, qui
competat viae ad virtutem; quae quidem est ut ex his quae magis in promptu sunt,
in difficiliora tendatur; sicut etiam in disciplinis ex magis notis in minus
nota proceditur. Et ideo
legislator in istis decem praeceptis, quae sunt quasi prima legis initia,
illa prohibuit vel praecepit, quae primo occurrunt facienda vel dimittenda
eunti ad virtutem; et ex his alia intelligi voluit, quae in eis quasi in suis
principiis includuntur; et propter hoc plura negativa posuit quam
affirmativa, quia magis in promptu est et facile ut mala dimittantur, quam ut
bona perficiantur. In malis etiam illa prohibuit quae statim in primo aspectu
detestanda videntur, et similiter in bonis illa praecepit quae cuilibet esse
debita manifestum est. |
Puisque l’intention du législateur est d’inciter les hommes auxquels il les donne aux vertus, il faut qu’il emploie, en présentant les commandements de la loi, un mode qui convient au chemin vers la vertu, lequel consiste en ce qu’on tende vers ce qui est plus difficile à partir de ce qui est plus facile ; ainsi, dans l’enseignement, on passe de ce qui est plus connu à ce qui est moins connu. C’est pourquoi, dans ces dix commandements, qui sont comme les premières amorces de la loi, le législateur a ordonné ou défendu ce qui s’offre en premier à être accompli ou évité pour celui qui se dirige vers la vertu. À partir de cela, il a voulu que d’autres choses soient comprises, qui y sont incluses comme dans leurs principes. Pour cette raison, il a proposé un plus grand nombre de [commandements] négatifs que positifs parce qu’il est plus facile et qu’il s’offre en premier d’éviter le mal que d’accomplir le bien. Pour le mal, il a aussi défendu ce qui, au premier regard, semble devoir être détesté ; de même, pour le bien, il a ordonné ce qui est manifestement dû à chacun. |
[12909] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis in praeceptis negativis privetur
actus exterior potius quam ponatur; includitur tamen actus rationis eligentis
repressionem cupiditatis vel concupiscentiae, quae ad actus prohibitos
inclinabat; et in hoc meritum consistit. |
1. Bien que, par les commandements négatifs, un acte extérieur soit plutôt écarté que proposé, l’acte de la raison qui choisit de réprimer la cupidité ou la concupiscence, qui inclinait aux actes défendus, est cependant inclus. C’est en lui que consiste le mérite. |
[12910] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis prohibitio minoris mali in magis
malo non includatur via syllogistica, ut argui possit, si magis malum
dimittendum est, quod et minus malum; includitur tamen eo modo quo ea quae ex
seminibus naturae progrediuntur, in rationibus seminalibus continentur. Sicut
enim natura ex parvis seminibus in maximas arbores proficit, ita etiam et lex
ex his quae in principio et in promptu sunt, in alia procedit, quae sunt
quandoque difficiliora et perfectiora; et ideo legislator per prohibitionem
moechiae prohibuit fornicationem simplicem, et per falsum testimonium
prohibuit omne mendacium, et per furtum prohibuit omnem turpem quaestum, et
sic de aliis. |
2. Bien que l’interdiction d’un moindre mal ne soit pas incluse dans celle d’un mal plus grand au moyen d’un syllogisme, de sorte qu’on pourrait dire que si un plus grand mal doit être écarté, un mal moindre aussi, elle est cependant incluse à la manière dont ce qui sort des semences de la nature est contenu dans les raisons séminales. En effet, de même que la nature se développe en de très grands arbres à partir de petites semences, de même aussi la loi passe-t-elle à d’autres choses à partir de ce qui se trouve dans le principe et est facilement accessible : parfois, ces choses sont plus difficiles et plus parfaites. C’est pourquoi le législateur, en défendant l’adultère, a défendu la simple fornication ; par [l’interdiction] du faux témoignage, il a défendu tout mensonge ; et par [l’interdiction] du vol, il a défendu toute sollicitation honteuse, et ainsi de suite pour les autres. |
[12911] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod tertium praeceptum primae tabulae non erat
simpliciter inditum rationi: quia determinatio diei qua vacandum est divinis
obsequiis, est caeremonialis, non moralis, quamvis substantia praecepti
moralis sit; unde magis natum erat a mente excidere quam ea quae totaliter
naturalis ratio dictat; et ideo potius in hoc praecepto induxit memoriam et
rationem praecepti assignavit quam in aliis praeceptis. |
3. Le troisième commandement de la première table n’avait pas été simplement implanté dans la raison, car la détermination du dieu auquel on doit se vouer par le service divin est d’ordre cérémoniel, et non moral, bien que la substance du commandement soit morale. Aussi était-il plutôt destiné à sortir [quelque chose] de l’esprit qu’à [imposer] ce que la raison naturelle impose en totalité. C’est pourquoi, dans ce commandement, il a fait appel à la mémoire et a indiqué la raison du commandement plutôt que dans les autres commandements. |
[12912] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Et ex hoc patet solutio ad quartum. |
4. La réponse au quatrième argument ressort clairement de cela. |
[12913] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quartum praeceptum maxime videtur habere de
debito et de naturali inclinatione et privato amore; et ideo minus videbatur
esse meritorium quam alia; et ideo propter hoc oportuit ut ei adderetur
praemium. Vel dicendum, quod quartum praeceptum est primum secundae tabulae,
unde ipsi praemium additur; sicut et in primo praecepto primae tabulae
praemium innuitur ex hoc quod Dei misericordia commemoratur; ut ex his duobus
mandatis ostendantur omnia sequentia praemiabilia esse. |
5. Le quatrième commandement semble surtout porter sur ce qui est dû, sur l’inclination naturelle et l’amour privé. C’est pourquoi il paraissait moins méritoire que les autres. Pour cette raison, il fallait que lui soit ajoutée une récompense. Ou bien il faut dire que le quatrième commandement est le premier de la seconde table ; aussi une récompense lui est-elle ajoutée, comme, dans le premier commandement de la première table, une récompense est suggérée du fait que la miséricorde de Dieu est rappelée. Par ces deux commandements, tout ce qui en découle comme objet de récompense devait être montré. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
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[12914] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod
lex civilis suis praeceptis dirigit hominem in communicationibus quae sunt ad
alterum secundum vitam politicam; quae quidem non potest esse nisi hominis ad
hominem. Derisibiles enim videntur laudes politicae vitae in deos
transferentes, ut dicitur in 10 Ethic. Sed lex divina dirigit nos suis
praeceptis in spirituali vita, secundum quam, societatem habemus non solum ad
hominem, sed ad Deum, 1 Joan. 1; et ideo oportuit praecepta legis divinae hoc
modo distingui quod quaedam dirigerent hominem in his quae ad Deum spectant,
quae dicuntur praecepta primae tabulae; quaedam vero in his quae spectant ad
proximum, quae dicuntur praecepta secundae tabulae. Ordinatur autem homo ad
Deum tripliciter. Uno modo per meditationem cordis, ut dicitur in Psalm. 45,
11: vacate, et videte quia ego sum Deus, et ad hoc dirigit tertium
praeceptum, scilicet sanctificatio sabbati, quo aliquod tempus deputatur ad
vacandum divinis, cessando ab omnibus quae hoc otium perturbare possent. Alio
modo per reverentiam oris, quod fit dum laudatur, et nomen ejus cum
reverentia enuntiatur. Et quia primo occurrit in reverentiam divini nominis
jurare quam laudes debitas Deo reddere, ideo in secundo praecepto ponitur: non
assumes nomen Dei tui in vanum. Tertio, ut in opere servitium debitum
exhibeatur, quod latria dicitur, ad cujus actum primum praeceptum ordinatur
similiter per prohibitionem contrarii: non habebis deos alienos. Ad
proximum autem homo dupliciter ordinatur. Uno modo ut ei beneficium
impendatur, quod maxime parentibus faciendum est; unde in primo praecepto
secundae tabulae honoratio parentum praecipitur, in quo intelligitur esse
beneficium proximo exhibendum. Alio modo ut proximo nocumentum non inferatur; quod quidem contingit
tripliciter. Primo quantum ad cor; et sic sunt duo praecepta ultima: non
desiderabis uxorem proximi tui; et non concupisces domum proximi tui.
Secundo potest inferri nocumentum proximo ore; et hoc prohibetur quinto
praecepto: non loqueris contra proximum tuum falsum testimonium; in
quo secundum regulam prius datam detractio et objurgatio et omnia hujusmodi
prohibentur. Tertio infertur proximo nocumentum opere: quod quidem contingit
dupliciter. Uno modo inquantum subtrahuntur ea quae sunt necessaria vitae; et
sic est quartum praeceptum: non furtum facies. Alio modo inquantum
ipsi vitae impedimentum paratur; quod dupliciter contingit. Uno modo circa
vitam qua ipse in seipso idem numero vivit; et contra hoc est secundum
praeceptum: non occides; in quo etiam omne nocumentum in personam
prohibetur. Alio modo circa vitam qua aliquis vivit in prole idem specie; et
contra hoc nocumentum est tertium praeceptum: non moechaberis, quia
adulterium contra certitudinem prolis est. |
Par ses commandements, la loi civile dirige l’homme dans les échanges qu’il a avec l’autre dans la vie politique, ce qui ne peut être le cas que d’un homme par rapport à un autre. En effet, les louanges politiques reportées sur des dieux sont risibles, comme il est dit dans Éthique, X. Mais, par ses commandements, la loi divine nous dirige dans la vie spirituelle, selon laquelle nous sommes en rapport non seulement avec l’homme, mais avec Dieu, 1 Jn 1. C’est pourquoi il fallait que les commandements de la loi divine se distinguent de telle manière que certains dirigent l’homme pour ce qui concerne Dieu, qu’on appelle les commandements de la première table ; mais que certains [le fassent] pour ce qui concerne le prochain, qu’on appelle les commandements de la seconde table. Or, l’homme est ordonné à Dieu de trois manières. Premièrement, par la méditation du cœur, comme le dit le Ps 45, 11 : Faites relâche, et voyez que je suis Dieu. Le troisième commandement oriente vers cela : la sanctification du sabbat, par quoi un temps est consacré à s’adonner aux réalités divines, en cessant tout ce qui pourrait troubler le repos. Deuxièmement, par le respect de la bouche, ce qui est accompli lorsque [Dieu] est loué et que son nom est prononcé avec respect. Et parce que se présente en premier le fait de jurer en faisant appel au respect du nom divin, plutôt que de rendre à Dieu les louanges qui lui sont dues, il est donc proposé dans le deuxième commandement : Tu ne prendras pas le nom de ton Dieu en vain. Troisièmement, pour que le service dû soit manifesté par un acte, appelé latrie, acte auquel le premier commandement ordonne en interdisant aussi le contraire : Tu n’auras pas d’autres dieux. Mais l’homme est ordonné au prochain de deux manières. Premièrement, en agissant bien à son égard, ce qui doit être surtout accompli envers les parents. Aussi l’honneur envers les parents est-il ordonné dans le premier commandement de la seconde table, par quoi il faut entendre qu’il faut bien agir envers le prochain. Deuxièmement, en ne nuisant pas au prochain, ce qui se réalise de trois manières. Premièrement, en son cœur ; il y a ainsi les deux derniers commandements : Tu ne désireras pas l’épouse du prochain, et : Tu ne désireras pas la maison de ton prochain. Deuxièmement, on peut nuire au prochain par la bouche ; cela est défendu par le cinquième commandement : Tu ne feras pas de faux témoignage contre ton prochain, par quoi sont interdits, selon la règle déjà donnée, la médisance, les récriminations et toutes les choses de ce genre. Troisièmement, on nuit au prochain en acte, ce qui se produit de deux manières. Premièrement, en lui enlevant ce qui est nécessaire à la vie, et l’on a ainsi le quatrième commandement : Tu ne voleras pas. Deuxièmement, en préparant un obstacle à sa vie même, ce qui se produit de deux manières. D’une manière, à la vie par laquelle il vit lui-même comme individu ; s’oppose à cela le deuxième commandement : Tu ne tueras pas, par quoi tout dommage à la personne est défendu. D’une autre manière, à la vie par laquelle quelqu’un vit dans sa descendance, identique par l’espèce ; s’oppose à cela le troisième commandement : Tu ne commettras pas d’adultère, car l’adultère est contraire à la certitude de la descendance. |
[12915] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtutes, dona, beatitudines,
petitiones, et praecepta legis, sicut dictum est supra, correspondent sibi in
generali: quia quaelibet istorum se extendunt ad totam humanam vitam. Non tamen oportet quod particulariter
singula singulis respondeant, nisi per adaptationem aliquam, eo quod non est
eadem ratio distinguendi in omnibus praedictis. |
1. Les vertus, les dons, les béatitudes, les demandes et les commandements de la loi, comme on l’a dit plus haut, se correspondent d’une manière générale, car chacune de ces choses s’étend à toute la vie humaine. Cependant, il n’est pas nécessaire qu’elles correspondent l’une à l’autre d’une manière particulière, si ce n’est par une certaine adaptation, du fait que la raison de la distinction n’est pas la même pour tout ce qui a été dit. |
[12916] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dilectio proximi est sicut prima radix
observandi praecepta, prout in dilectione proximi etiam dilectio Dei
includitur: est enim finis praecepti, ut dicitur 1 Tim. 1; unde tenet locum
primi principii in disciplinis. Unde sicut ibi post primum principium, ad quod omnia reducuntur, ut
dicitur in 4 Metaph. (scilicet quod affirmatio et negatio non verificatur de
eodem), ponuntur alia principia magis propinqua particularibus conditionibus;
ita etiam in lege praeter dilectionem proximi oportuit poni aliqua specialia
praecepta quae dirigerent in particularibus actibus. |
2. L’amour du prochain est comme la racine première de l’observance des commandements, pour autant que l’amour de Dieu est aussi inclus dans l’amour du prochain ; c’est en effet la fin du commandement, comme le dit 1 Tm 1. Elle joue donc le rôle de premier principe pour apprendre. De même donc que, après le premier principe, auquel tout se ramène, ainsi qu’il est dit dans Métaphysique, IV (à savoir que l’affirmation et la négation ne peuvent être vraies pour une même chose), d’autres principes sont posés, plus rapprochés des conditions particulières, de même aussi était-il nécessaire de présenter dans la loi, en plus de l’amour du prochain, d’autres commandements particuliers qui dirigeraient dans les actes particuliers. |
[12917] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Et similiter dicendum ad tertium de concupiscentia, quae est sicut
radix omnium malorum. |
3. Il faut dire la même chose pour le troisième argument à propos de la concupiscence, qui est pour ainsi dire la racine de tous les maux. |
[12918] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
nocumentum quod alicui in persona infertur, naturalem horrorem habet, nec
terminatur ad aliquod reale bonum facientis, sed solum ad bonum aestimatum,
quod est vindicta. Sed nocumentum quod infertur in subtractione rerum, vel in
abusu uxoris, natum est habere quamdam delectationem, inquantum terminatur ad
aliquod bonum reale, ad minus sensibile, ipsius operantis. Et ideo ista duo
nocumenta distinguuntur praeceptis pertinentibus ad cor et ad actum; non
autem praeceptum quod est de nocumento personae proximi, talem distinctionem
recipit. |
4. Le tort qui est fait à quelqu’un dans sa personne comporte une horreur naturelle et n’a pas comme terme un bien réel de celui qui l’accomplit, mais seulement un bien estimé : la vengeance. Mais le tort qui est fait par la soustraction de biens ou par l’abus de l’épouse comporte naturellement une certaine délectation, dans la mesure où il a comme terme un bien, tout au moins sensible, pour celui qui l’accomplit. C’est pourquoi ces deux torts sont isolés par des commandements qui se rapportent au cœur et à l’acte ; mais le commandement qui porte sur le tort causé à la personne d’autrui n’est pas isolé de cette manière. |
[12919] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod secundum philosophum in 5 Ethic., legislator
intendit commune bonum per lationem legis; et ideo actus particulares unius
hominis non praecipit nisi secundum quod ad alium ordinatur. Et propter hoc etiam
quantum ad modum tradendi ista praecepta, hoc modo fuerunt assignanda, ut per
ea ordinaretur homo tantum ad alterum quamvis in ordinatione ad alterum
includatur etiam ordinatio ad seipsum, sicut in dilectione proximi includitur
dilectio sui. |
5. Selon le Philosophe, Éthique, V, le législateur a en vue le bien commun en établissant la loi ; c’est pourquoi il ne commande les actes particuliers d’un seul homme que dans la mesure où celui-ci est ordonné à un autre. C’est aussi pour cette raison qu’ils ont été proposés de cette manière, pour ce qui est de la manière de communiquer ces commandements, afin que par eux l’homme soit ordonné seulement à un autre, bien que, dans l’ordre à l’autre, soit aussi inclus l’ordre à soi-même, comme l’amour de soi est inclus dans l’amour du prochain. |
[12920] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod
non oportuit in praeceptis Decalogi omnium virtutum actus praecipi, quia hoc
ad perfectionem vitae virtuosae pertinet; sed oportuit tantum in illis
hominem dirigi per praecepta Decalogi quae primo facienda occurrunt
tendentibus in virtutem, ut dictum est. |
6. Il n’était pas nécessaire que, dans les commandements du décalogue, les actes de toutes les vertus soient commandés, parce que cela relève de la perfection de la vie vertueuse ; mais il était seulement nécessaire que l’homme soit dirigé par les commandements du décalogue dans ce qui se présente en premier à ceux qui tendent à la vertu, comme on l’a dit. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
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[12921] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem
dicendum, quod
praecepta Decalogi ordinantur secundum quod primo et principaliter facienda
vel vitanda occurrunt. Et quia in spirituali vita, ad cujus directionem
Decalogus datur, ratio agendi Deus est quasi finis; ideo praecepta quae ad
Deum ordinant, primo ponuntur, inter quae talis ordo consideratur ut prius illud
praeceptum ponatur cujus contrarium a Deo magis elongat: quia gradatim Deo
approximamus a remotioribus discedentes. Et ideo praeceptum quo prohibetur
contrarius cultus, per quem homo quasi totaliter a Deo recedit, prius ponitur
quam praeceptum quo prohibetur irreverentia in vane assumendo divinum nomen;
et ultimo ponitur praeceptum de quiete cordis in Deum, in quo homo Deo maxime
appropinquat. In praeceptis autem secundae tabulae etiam similis ordo
observatur, ut scilicet prius ponatur illud praeceptum quod primo in bona
conversatione occurrit. Et quia prius est ordinatio hominis ad domesticos
quam ad extraneos, ideo praeceptum de honoratione parentum praemittitur aliis
quae ad omnes communiter pertinent, in quibus etiam praemittuntur
prohibitiones illorum quae principaliter occurrunt cavenda. Tendentibus autem
ad virtutem prius occurrit vitandum nocumentum operis quam oris, et oris quam
cordis; et inter nocumenta operis gravius nocumentum prius vitandum occurrit;
et ideo prohibitio homicidii praecedit prohibitionem moechiae, quae praecedit
prohibitionem furti: et hae tres prohibitiones praecedunt prohibitionem falsi
testimonii; et ultimo ponitur prohibitio concupiscentiae, in quo jam
perfectio virtutis consistit. |
Les commandements du décalogue sont ordonnés selon ce qui doit être fait ou évité en premier lieu et de manière principale. Et parce que, dans la vie spirituelle, pour la direction de laquelle le décalogue est donné, la raison d’agir est Dieu en tant que fin, les commandements qui ordonnent à Dieu sont proposés en premier ; parmi eux, on envisage l’ordre selon lequel est d’abord donné le commandement dont le contraire éloigne le plus de Dieu, car nous approchons de Dieu en nous éloignant de ce qui en est plus éloigné. C’est pourquoi le commandement par lequel est défendu un culte contraire, par lequel l’homme s’éloigne pour ainsi dire totalement de Dieu, est proposé avant le commandement par lequel l’irrespect de prendre le nom de Dieu en vain est défendu. En dernier lieu, est proposé le commandement portant sur le repos du cœur en Dieu, par lequel l’homme s’approche le plus de Dieu. Pour les commandements de la seconde table, un ordre similaire est respecté, de sorte que soit proposé en premier le commandement qui se présente en premier dans le bon comportement. Et parce que les rapports de l’homme avec les membres de sa maison viennent avant ceux avec les étrangers, le commandement portant sur l’honneur dû aux parents vient avant les autres qui se rapportent à tous de manière générale, dans lesquels sont aussi mises en premier lieu les interdictions de ce qu’il faut principalement éviter. Or, pour ceux qui tendent à la vertu, vient d’abord la nécessité d’éviter un tort en actes plutôt qu’en paroles, et en paroles plutôt que dans le cœur. Parmi les torts en actes, le tort le plus grave doit d’abord être évité ; c’est pourquoi la défense de l’homicide précède la défense de l’adultère, qui précède la défense du vol. Et ces trois défenses précèdent la défense du faux témoignage. En dernier lieu, est présentée la défense de la concupiscence, en quoi consiste déjà la perfection de la vertu. |
[12922] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 2 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio
ad objecta. |
Les réponses aux objections ressortent ainsi clairement. |
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Articulus 3 [12923] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a.
3 tit. Utrum omnia
legis praecepta ad haec decem ordinentur |
Article 3 – Tous les commandements de la loi sont-ils ordonnés à ces dix [commandements] ? |
[12924] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod non omnia legis praecepta ad haec decem reducantur.
Cum enim haec praecepta jus naturale contineant, non poterunt ad ea reduci
nisi quae ex jure naturali proficiscuntur. Sed quaedam prohibentur in lege
quae non videntur modo aliquo ex lege naturali proficisci, quae nihil
differunt utrum sic vel sic fiant, antequam lege posita sint, ut quod
sacrificetur hircus vel taurus, sicut etiam philosophus, in 5 Ethicor.,
dicit. Ergo non omnia praecepta legis ad haec decem reducuntur. |
1. Il semble que tous les commandements de la loi ne se ramènent pas à ces dix [commandements]. En effet, puisque ces commandements contiennent la loi naturelle, ne pourra être ramené à eux que ce qui provient de la loi naturelle. Or, certaines choses sont interdites par la loi qui ne semblent par provenir en quelque manière de la loi naturelle, dont le fait de les accomplir de telle ou telle manière ne semble pas avoir d’importance avant qu’elles aient été établies par la loi : par exemple, le fait de sacrifier un bouc ou un taureau, comme le dit le Philosophe, Éthique, V. Tous les commandements de la loi ne se ramènent donc pas à ces dix [commandements]. |
[12925] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, ea quae sunt diversorum
generum, invicem non reducuntur in principia naturalia, sed in principium
quod est voluntas, ut in 7 Metaph. dicitur. Sed haec praecepta naturalia
sunt, cum sint de lege naturali. Ergo praecepta caeremonialia, quae sunt
alterius generis, ad ipsa non reducuntur. |
2. Ce qui relève de genres différents ne se ramène pas à des principes naturels, mais à un principe qui est la volonté, comme on le dit dans Métaphysique, VII. Or, ces commandements sont naturels puisqu’ils font partie de la loi naturelle. Les commandements cérémoniels, qui sont d’un autre genre, ne se ramènent donc pas à ceux-là. |
[12926] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, manente
causa, manet effectus. Sed quaedam praecepta legis mutata sunt illis praeceptis manentibus.
Ergo non reducuntur ad ista sicut ad causam. |
3. L’effet demeure lorsque la cause demeure. Or, certains commandements de la loi ont été changés, alors que ces commandements sont demeuré. Ils ne se ramènent donc pas à eux comme à leur cause. |
[12927] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, omnia
ista praecepta naturalis ratio dictat. Sed non omnium quae in lege posita
sunt, quaerenda est ratio, ut Ff. de Leg. et Se. Ergo non omnia praecepta legis ad haec
reducuntur. |
4. La raison naturelle dicte tous ces commandements. Or, il ne faut pas chercher la raison de tout ce qui a été mis dans la loi, comme le disent… Tous les commandements de la loi ne se ramènenet donc pas à ceux-là. |
[12928] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, ubi est
eadem causa, et idem effectus. Haec autem praecepta eadem
sunt apud omnes. Cum ergo multa praecepta legis divinae et legis civilis apud
diversos diversa sint, videtur quod non omnia praecepta legalia ad haec
reducantur. |
5. Là où il y a une même cause, l’effet est le même. Or, ces commandements sont les mêmes pour tous. Puisque plusieurs commandements de la loi divine et de la loi civile sont différents chez des hommes différents, il semble donc que tous les commandements légaux ne se ramènent pas à eux. |
[12929] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, omnia praecepta legis ad
dilectionem Dei et proximi aliqualiter reducuntur, ut in praecedenti
distinct. 36 dixit
Magister. Sed dilectio Dei et proximi sufficienter continetur in istis
praeceptis. Ergo omnia alia praecepta legis ad haec reducuntur. |
Cependant, [1] tous les commandements de la loi se ramènent d’une certaine manière à l’amour de Dieu et du prochain, comme on l’a dit dans la distinction précédente, d. 36. Or, l’amour de Dieu et du prochain est contenu de manière suffisante dans ces commandements. Tous les autres commandements de la loi se ramènent donc à ceux-là. |
[12930] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, sicut celsus dixit, jus est ars aequi et boni. Sed quidquid continetur in aliqua
arte, reducitur ad prima principia illius artis, sicut in scientiis
demonstrativis ad dignitates. Cum ergo praecepta legis naturalis sint in
agibilibus, sicut principia naturaliter cognita in demonstrativis, videtur
quod omnia praecepta legalia ad haec praecepta legis naturaliter reducantur. |
[2] Comme le dit Celse, « le droit est l’art de ce qui est juste et bon ». Or, tout ce qui est contenu dans un art se ramène aux premiers principes de cet art, comme aux premiers principes dans les sciences démonstratives. Puisque les commandements de la loi naturelle portent sur ce qui doit être accompli, comme les principes connus naturellement pour ce qui est objet de déémonstration, il semble donc que tous les commandements légaux se ramènent naturellement à ces commandements de la loi. |
[12931] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, nullum
praeceptum legis justum est, nisi rationabiliter positum sit. Sed omnis recta
ratiocinatio oportet quod a naturali cognitione deducatur: quia principium
rationis intellectus principiorum est. Ergo oportet quod omnia legis praecepta, si
justa sunt, a praeceptis legis naturae deducantur; et sic omnia alia in haec
praecepta reducuntur. |
[3] Aucun commandement de la loi n’est juste que s’il a été établi de manière raisonnable. Or, tout raisonnement correct est déduit par la connaissance naturelle, car le principe de la raison est l’intelligence des principes. Il faut donc que tous les commandements de la loi, pour être justes, soient déduits des commandements de la loi naturelle. Et ainsi, tous les autres se ramènent à ces commandements. |
[12932] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod
in rebus naturalibus invenitur triplex cursus rerum. Quaedam enim sunt
semper, quae nunquam deficiunt, ex natura hoc habentia ut sint, et impediri
non possint: quaedam vero sunt frequenter, quae in paucioribus impediuntur:
quaedam vero sunt raro, vel in minori parte. Ea autem quae sunt semper, sunt
causa et origo eorum quae sunt frequenter et raro; unde etiam in ea quae sunt
semper, reducuntur, ut in 6 Metaph. probatur; sicut motus caelestes, qui
semper sunt, sunt causa et regula motus pluviarum et imbrium, qui ut
frequenter currunt eodem modo; et utrique sunt regula et causa causalium
motuum, ut inventionis thesauri, vel alicujus hujusmodi, secundum quod homo
vel ex pluvia vel ex aliquo hujusmodi, quod ad motum caeli reducitur, habet
occasionem fodiendi in agrum, ubi thesaurum invenit. Ita etiam est de
legibus, quibus humani motus diriguntur. Quaedam enim sunt leges quae ipsi rationi
sunt inditae, quae sunt prima mensura et regula omnium humanorum actuum; et
haec nullo modo deficiunt, sicut nec regimen rationis deficere potest, ut
aliquando esse non debeat; et hae leges jus naturale dicuntur. Quaedam vero
leges sunt quae secundum id quod sunt, habent rationem ut observari debeant,
quamvis aliquibus concurrentibus earum observatio impediatur; sicut quod
depositum reddatur deponenti, impeditur quando gladius furioso deponenti
reddendus esset; et hae leges similantur his quae frequenter in natura
accidunt; et ideo directe et immediate ad jus naturale reducuntur. Et ideo
Tullius, in 1 rhetoricae, nominat hujusmodi jus a naturali jure profectum.
Quaedam vero leges sunt quae secundum se consideratae nullam rationem habere
videntur suae observationis; sed rationem hujusmodi nanciscuntur ex aliquibus
concurrentibus quae faciunt decentiam observandi; et hujusmodi similantur his
quae raro accidunt in natura. Unde sicut illa non reducuntur in causas
naturales nisi observato concursu omnium, quibus aliquis rarus eventus
accidebat; ita etiam hujusmodi legalia, quae dicuntur positiva jura,
reducuntur ad legem naturae non secundum se absolute, sed consideratis
omnibus circumstantiis particularibus, quae faciebant decentiam suae
observationis. Unde patet
quod omnia praecepta legis divinae vel civilis, ad haec praecepta reducuntur
aliquo modo. |
Réponse. Parmi les réalités, on trouve un triple cours des choses. En effet, certaines choses existent toujours, qui jamais ne font défaut et qui, par nature, ne peuvent être empêchées ; mais certaines existent fréquemment, qui sont empêchées dans un petit nombre de cas ; certaines enfin existent rarement ou pour une moindre part. Or, les choses qui existent toujours sont la cause et l’origine de ce qui existe fréquemment et rarement ; aussi se ramènent-elles à ce qui existe toujours, comme il est démontré dans Métaphysique, VI. Ainsi, les mouvements célestes, qui existent toujours, sont-ils la cause et la règle des mouvements des pluies et des orages, qui ont fréquemment cours de la même manière ; et ils sont pour les deux la règle et la cause des mouvements relatifs aux causes, comme celui de la trouvaille d’un trésor ou de quelque chose du genre, selon que l’homme, soit en raison de la pluie, soit en raison de quelque chose de ce genre, a l’occasion de creuser dans un champ, où il trouve un trésor. Il en est de même des lois par lesquelles les mouvements humains sont dirigés. En effet, il y a certaines lois qui sont implantées dans la raison, qui sont la mesure et la règle première de tous les actes humains. Cela ne fait jamais défaut, de même que le gouvernement de la raison ne peut non plus faire défaut, de sorte qu’il ne doive exister à un certain moment. Ces lois sont appelées le droit naturel. Mais il existe certaines lois qui, en elles-mêmes, comportent une raison d’être observées, bien que, en raison de circonstances, leur observance soit empêchée ; ainsi, qu’un dépôt soit rendu à celui qui l’a déposé, cela est empêché lorsqu’un glaive devrait être rendu au fou qui l’a déposé. Ces lois ressemblent à ce qui se produit fréquemment dans la nature ; c’est pourquoi elles se ramènent directement et immédiatement au droit naturel. Aussi, dans la Rhétorique, I, Tullius [Cicéron] appelle-t-il cela un droit dérivé du droit naturel. Mais il existe certaines lois qui, considérées en elles-mêmes, ne semblent avoir aucune raison d’être observées, mais qui en obtiennent une en raison de circonstances qui créent une convenance de les observer. Ces [lois] ressemblent à ce qui se produit rarement dans la nature. De même donc que celles-ci ne se ramènent à des causes naturelles qu’en prenant en compte toutes les circonstances selon lesquelles un événement rare se produisait, de même aussi ces réalités légales, qu’on appelle des droits positifs, se ramènent-elles à la loi de la nature, non pas en elles-mêmes de manière absolue, mais en prenant en compte toutes les circonstances particulières qui en rendaient l’observance convenable. Il ressort donc clairement que tous les commandements de la loi divine ou civile se ramènent d’une certaine manière aux [dix] commandements. |
[12933] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod illa lege posita, de quibus philosophus loquitur, secundum se
considerata differentiam non habent utrum sic vel sic fieri debeant, sed
hujusmodi differentiam sortiuntur ex diversis concurrentibus, ut dictum est. |
1. Une fois cette loi établie, dont parle le Philosophe, cela ne fait pas de différence, si on le considère en soi, qu’on doive l’accomplir de telle ou telle manière, mais la différence vient des diverses circonstances, comme on l’a dit. |
[12934] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod artificialia non reducuntur in naturalia ita quod natura sit
eorum primum et principale principium, sed inquantum ars utitur naturalibus
organis ad complementum artificii. Similiter etiam praecepta caeremonialia
vel juris positivi non reducuntur ad naturalia quasi ex ipsa natura vim
obligandi habeant; sed hoc habent ex voluntate instituentis, quae in
institutione naturali ratione utitur, si recte instituit. |
2. Les réalités de l’art ne se ramènent pas aux réalités naturelles de telle sorte que la nature soit leur principe premier et principal, mais pour autant que l’art emploie des instruments naturels pour réaliser une œuvre d’art. De même, les commandements cérémoniels ou du droit positif ne se ramènent-ils pas aux commandements naturels comme s’ils recevaient de la nature leur capacité d’obliger, mais ils tiennent cela de la volonté de celui qui les a établis, qui fait usage de la raison naturelle pour les établir, s’il les établit correctement. |
[12935] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod illa praecepta legis quae mutata sunt, observantiae suae rationem
habebant non ex ipsa substantia facti, sed ex aliquibus circumstantibus
causis, sicut quod oportebat nostrae redemptionis mysterium aliquibus signis
praefigurare, vel aliquid hujusmodi; unde cessantibus his causis, non manet
reductio istorum praeceptorum ad praecepta naturalia. |
3. Les commandements de la loi qui ont été changés ne tenaient pas la raison de leur observance de la substance même du fait, mais de certaines causes circonstantielles, comme de la nécessité de préfigurer le mystère de notre rédemption par certains signes, ou de quelque chose du genre. Aussi, ces causes cessant, la réduction de ces commandements à ces commandements naturels ne demeure pas. |
[12936] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod hoc intelligendum est quantum ad substantiam facti, quod lege
praecipitur, quod aliquando non habet rationem quare sic vel aliter fiat, ut
dictum est. |
4. Cela doit s’entendre de la substance du fait, qui est commandé par la loi, et qui parfois n’a pas de raison d’être accompli de telle ou telle manière, comme on l’a dit. |
[12937] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod praecepta legis quae apud diversos diversa sunt, dependent a praeceptis
naturalibus quae sunt eadem apud omnes, mediantibus aliquibus circumstantiis,
ut dictum est, et horum varietas varietatem in jure positivo causat. |
5. Les commandements de la loi qui sont différents selon les différents [peuples] dépendent des commandements naturels, qui sont les mêmes chez tous, par l’intermédiaire de certaines circonstances, comme on l’a dit ; leur diversité cause la diversité du droit positif. |
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Articulus 4 [12938] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a.
4 tit. Utrum
praecepta Decalogi sint dispensabilia |
Article 4 – Peut-il y avoir dispense des commandements du décalogue ? |
[12939] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic
proceditur. Videtur quod praecepta Decalogi sint dispensabilia. Quia secundum
philosophum in humanis actibus propter eorum varietatem non potest una
communis regula inveniri, quam non oporteat in aliquibus casibus deficere ad
similitudinem Lesbiae aedificationis. Sed praecepta legis sunt mensura
humanorum actuum. Cum igitur omne praeceptum quod in aliquo casu
intermittendum est dispensabile sit, videtur quod omnia praecepta legis
dispensabilia sint. |
1. Il semble qu’il puisse y avoir dispense des commandements du décalogue, car, selon le Philosophe, on ne peut trouver dans les actes humains, en raison de leur diversité, une seule règle commune, dont il ne faille pas s’écarter dans certains cas, comme ce fut le cas de la construction de Lesbos. Or, les commandements de la loi sont la mesure des actes humains, Puisque tout commandement dont on doit s’écarter dans un cas est objet de dispense, il semble donc que tous les commandements de la loi peuvent faire l’objet d’une dispense. |
[12940] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea,
philosophus dicit, quod justum naturale non est idem apud omnes, sicut nec
alia quae naturam hominis consequuntur, eadem in omnibus inveniuntur, ut quod
dextera sit fortior sinistra, cum contingat aliquos ambidextros esse. Sed
omnia praecepta quae non ab omnibus sunt observanda, sunt dispensabilia. Ergo
praecepta Decalogi, quae sunt de jure naturali, sunt dispensabilia. |
2. Le Philosophe dit que ce qui est naturellement juste n’est pas la même chose pour tous, comme on ne trouve pas non plus [également] chez tous les autres choses qui découlent de la nature de l’homme, par exemple, que la droite soit plus forte que la gauche, puisqu’il arrive que certains sont ambidextres. Or, tous les commandements qui ne doivent pas être observés par tous peuvent faire l’objet d’une dispense. |
[12941] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea,
praeceptum divinum non potest esse injustum. Sed Deus aliquando praecepit
fieri aliquod contrarium praeceptis Decalogi, sicut patet Exod. 12, de
spoliatione Aegyptiorum; et Osee 1, de accessu ad fornicariam. Ergo aliquando justum est
fieri contra praecepta Decalogi. Ergo praecepta Decalogi sunt dispensabilia. |
3. Un commandement divin ne peut pas être injuste. Or, Dieu ordonne parfois que soit accompli quelque chose de contraire aux commandements du décalogue, comme cela ressort de Ex 12, à propos du pillage des Égyptiens, et de Os 1, à propos de l’approche d’une fornicatrice. Il est donc parfois juste que quelque chose de contraire aux commandements du décalogue soit accompli. Les commandements du décalogue peuvent donc faire l’objet d’une dispense. |
[12942] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, inter Decalogi praecepta continetur homicidii prohibitio.
Sed aliquibus casibus contingentibus judex praecipit hominem occidi, et
juste. Ergo et similiter alia praecepta aliquibus casibus emergentibus
possunt non observanda esse. |
4. Parmi les commandements du décalogue, se trouve l’interdiction de l’homicide. Or, dans certains cas, le juge ordonne qu’un homme soit tué, et de manière juste. De même, les autres commandements peuvent-ils ne pas devoir être observés dans certains cas. |
[12943] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, sicut prius
dictum est, in corp. praec. art., omnia praecepta legis aliquo modo ad praecepta
Decalogi reducuntur. Sed praelatis Ecclesiae licet in aliquibus legis
praeceptis dispensare. Ergo et similiter in praeceptis Decalogi. |
5. Comme on l’a dit dans le corps de l’article précédent, tous les commandements de la loi se ramènent d’une certaine manière aux commandements du décalogue. Or, il est permis aux prélats de l’Église de dispenser de certains commandements de la loi. |
[12944] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, secundum
Bernardum in Lib. de praecepto et regula, nulli licet dispensare in praecepto
quod a suo superiore est impositum. Sed praecepta Decalogi sunt imposita a Deo, qui est superior omnibus. Ergo nulli licet in praeceptis hujusmodi
dispensare. |
Cependant, [1], selon Bernard dans le livre Sur le commandement et la règle, il n’est permis à personne de dispenser de ce qui a été imposé par son supérieur. Or, les commandements du décalogue ont été imposés par Dieu, qui est supérieur à tous. Il n’est donc permis à personne de dispenser de ce genre de commandements. |
[12945] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, in quolibet genere est una prima mensura, quam oportet esse
certissimam et infallibilem, ut patet in 10 Metaph., et 5 Metaph. Sed prima
mensura omnium humanorum actuum est lex Decalogi. Ergo in nullo casu ab ea
discedere licet, et ita indispensabilis est. |
[2] En tout genre, il existe une première mesure, qui doit être très certaine et infaillible, comme cela ressort de Métaphysique , X et de Métaphysique, V. Or, la première mesure de tous les actes humains est la loi du décalogue. En aucun cas il n’est donc permis de s’en écarter, et ainsi elle ne peut faire l’objet d’une dispense. |
[12946] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, illud quod est per se verum, semper et ubique est verum.
Ergo illud quod est per se justum, semper et ubique observandum est. Sed
praecepta Decalogi sunt hujusmodi. Ergo et cetera. |
[3] Ce qui est vrai par soi est vrai toujours et partout. Donc, ce qui est juste par soi doit être observé toujours et partout. Or, les commandements du décalogue sont de ce genre. Donc, etc. |
[12947] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod in qualibet legislatione
oportet duo considerare; scilicet substantiam legis quae ponitur, et id ad
quod legislator respicit. Et sicut lex
lata est mensura subditorum in suis actibus, ita hoc ad quod respicit
legislator, quod est legis intentio et finis, est mensura legis positivae.
Sicut ergo actus subditorum sunt distorti si a lege positiva discordant; ita
lex rectitudinem non habet si ab intentione legislatoris deficeret; quae est
rectitudinem constituere et conservare. Si ergo sint aliqua praecepta quae
continent ipsam intentionem legislatoris, impossibile est quod in aliquo casu
salva justitia possit aliquis ab eis deflectere; sicut si esset hoc
praeceptum, nulli faciendam esse injuriam; et ideo cum omnia praecepta
Decalogi sint hujusmodi, impossibile est quod dispensationem recipiant. Praecepta autem quae
legislator edidit, ad mensuram praedictorum metienda sunt. Unde quamdiu illa
praecepta posita non possunt praeteriri sine praejudicio primae mensurae ad
quam instituta sunt, nulli licet in eis dispensare. Si quando vero possunt salva intentione
legis praeteriri, tunc est licitum dispensare in illis praeceptis ei qui
auctoritatem habet. Si vero in aliquibus casibus lex posita ab intentione
legislatoris discedat, quia non potuit legislator ad omnes casus intendere,
legem statuens, sed ad ea quae pluries accidunt; tunc etiam licitum est legem
positam praeterire, et intentionem legislatoris sequi, sicut patet in eo qui
non reddit depositum impugnanti fidem vel patriam; et ad hoc perficit quaedam
virtus quae vocatur a philosopho, in 5 Ethic., epiceia, per quam homo,
praetermissa lege, legislatoris intentionem sequitur. |
Réponse. En toute législation, il faut prendre en compte deux choses : la substance de la loi qui est établie, et ce que le législateur a en vue. De même que la loi a été établie comme une mesure des actes des sujets, de même ce que le législateur a en vue, qui est l’intention et la fin de la loi, est la mesure de la loi positive. De même donc que les actes des sujets sont difformes s’ils sont en désaccord avec la loi positive, de même la loi n’est-elle pas droite si elle s’écarte de l’intention du législateur, qui vise à établir et à conserver la droiture. S’il existe donc certains commandements qui contiennent l’intention même du législateur, il est impossible que quelqu’un s’en écarte dans un cas, en sauvegardant la justice, par exemple, on ne devrait faire de tort à personne, si le commandement de ne faire de tort à personne existait. Puisque tous les commandements du décalogue sont de genre, il est donc impossible qu’ils fassent l’objet d’une dispense. Or, les commandements que le législateur a formulés doivent être mesurés selon la mesure des [commandements] déjà mentionnés. Aussi longtemps que ces commandements ne peuvent pas être négligés sans faire tort à la première mesure en vue de laquelle ils ont été établis, il n’est donc permis à personne d’en dispenser. S’ils peuvent parfois être négligés tout en sauvergardant l’intention de la loi, alors il est est permis à celui qui a l’autorité de dispenser de ces commandements. Mais si, dans certains cas, la loi établie s’écarte de l’intention du législateur parce que le législateur n’a pas pu viser tous les cas en établissant la loi, mais ceux qui surviennent le plus souvent, il est alors aussi permis de négliger la loi établie et de suivre l’intention du législateur, comme c’est le cas de celui qui ne rend pas son dépôt à celui qui combat la foi ou la patrie. En cette matière, une vertu perfectionne, appelée épikeia par le Philosophe, Éthique, V, par laquelle l’homme, mettant la loi de côté, suit l’intention du législateur. |
[12948] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod philosophus loquitur de praeceptis legis
positivae, et non de illis quae intentionem legislatoris includunt. |
1. Le Philosophe parle des commandements de la loi positive, et non de ceux qui incluent l’intention du législateur. |
[12949] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod justum naturale
est duplex, ut supra dictum est, in corp. praec. art. Quoddam quod semper et
ubique est justum, sicut hoc in quo consistit forma justitiae et virtutis in
generali, sicut medium tenere, rectitudinem servare, et alia hujusmodi.
Quoddam vero est ex hoc profectum, secundum Tullium; et hoc in pluribus ita
contingit, sed potest in paucioribus deficere, ut dictum est: quod contingit
ex hoc quod justum hujusmodi est applicatio quaedam universali et primae
mensurae ad materiam difformem et mutabilem; et de hujusmodi justo loquitur
philosophus. |
2. Ce qui est naturellement juste est double, comme on l’a dit plus haut, dans le corps de l’article précédent. D’une part, ce qui est juste toujours et partout, comme ce en quoi consiste la forme de la justice et de la vertu en général : ainsi, tenir le milieu, respecter la droiture et les autres choses de ce genre. Mais il existe ce qui est dérivé de cela, selon Cicéron ; et cela se rencontre en beaucoup de choses, mais peut s’avérer déficient dans un petit nombre de cas, comme on l’a dit. Cela vient du fait que ce qui est juste de cette manière est l’application d’ume mesure universelle et première à une matière difforme et changeante. Le Philosophe parle de ce qui est juste de cette manière. |
[12950] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
circa praecepta Decalogi, secundum quod ad Decalogum pertinent, nunquam Deus
contrarium fieri praecepit. Prohibitio
enim furti ad Decalogum pertinet inquantum res furata aliena est ab
accipiente. Retenta ergo hac conditione, si res illa fiat ipsius accipientis,
jam non erit contra Decalogum. Hoc autem non solum Deus, qui est omnium
dominus, facere poterat, sed etiam quandoque homines auctoritatem habentes,
rem quae unius fuerat alteri conferunt, ex aliqua causa. Potest tamen Deus in
aliquibus factis conditiones contrarias Decalogo auferre, qui et naturam
mutare potest, quod homo facere non potest; sicut ab ea quae non est
matrimonio juncta, potest auferre hanc conditionem non suam, sine hoc quod
uxor plenaria fiat, ut sic accedere ad eam non sit contra Decalogum. |
3. À propos des commandements du décalogue en tant qu’ils relèvent du décalogue, Dieu n’a jamais ordonné de faire le contraire. En effet, l’interdiction du vol relève du décalogue pour autant que la chose volée passe aux mains d’un autre du fait de celui qui la reçoit. En maintenant cette condition, si cette chose devient la propriété de celui qui reçoit, elle ne sera donc pas contraire au décalogue. Or, non seulement Dieu, qui est le Seigneur de toutes choses, pouvait-il faire cela, mais aussi parfois des hommes qui ont l’autorité attribuent-ils à quelqu’un une chose qui appartenait à un autre. Cependant, Dieu peut dans certains cas enlever les conditions contraires au décalogue, qui peuvent aussi changer la nature, ce que l’homme ne peut faire. Ainsi, à celle qui n’est pas unie par le mariage, il peut enlever la condition : « qui n’est pas sienne », sans qu’elle devienne pleinement épouse, de sorte que l’approcher ne soit pas contraire au décalogue. |
[12951] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non prohibetur in Decalogo occisio
simpliciter, sed occisio ejus qui mortem pati non debuit. |
4. Tuer n’est pas interdit simplement dans le décalogue, mais tuer celui qui ne devait pas subir la mort. |
[12952] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non est eadem ratio de praeceptis Decalogi,
et de aliis praeceptis legis, ut ex praedictis patet. |
5. Il n’en va pas de même des commandements du décalogue et des autres commandements de la loi, comme cela ressort clairement de ce qui a été dit plus haut. |
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Articulus 5 [12953] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a.
5 tit. Utrum fuerit
conveniens observationem sabbati praecipere |
Article 5 – Était-il approprié d’ordonner l’observance du sabbat ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 –
[Était-il approprié d’ordonner l’observance du sabbat ?]
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[12954] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic
proceditur. Videtur quod inconveniens fuerit sabbati observationem
praecipere. Sabbatum enim est septima pars temporis totius vitae hominis. Sed
valde irrationabile videtur quod homo septimam partem vitae suae in otio
amittat, sicut Seneca dicit deridens caeremonias Judaeorum, sicut Augustinus
narrat in Lib. de Civ. Dei. Ergo irrationabile fuit sabbati observantiam
praecipere. |
1. Il semble qu’il était inapproprié d’ordonner l’observance du sabbat. En effet, le sabbat est la septième partie du temps de toute la vie humaine. Or, il semble tout à fait déraisonnable que l’homme réserve la septième partie de sa vie au loisir, comme le dit Sénèque en raillant les cérémonies des Juifs, ainsi que le raconte Augustin dans le livre sur La cité de Dieu. Il était donc déraisonnable d’ordonner l’observance du sabbat. |
[12955] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, quanto exercitatio alicujus rei magis discontinuatur, tanto
homo in illa re minus proficit. Sed sabbati observantia instituta fuit ad
vacandum divinis. Multo autem continuatius esset exercitium divinorum, si ei
cujuslibet diei una hora saltem deputaretur. Ergo videtur quod ad majorem profectum hoc
fuisset quam diem septimam observare. |
2. Plus la pratique d’une chose est discontinuée, moins l’homme progresse dans cette chose. Or, l’observance du sabbat a été instituée pour s’adonner aux réalités divines. Or, la pratique des réalités divines serait beaucoup plus continue si au moins une heure de chaque jour lui était consacrée. Il semble donc qu’on aurait ainsi progressé davantage qu’en observant le septième jour. |
[12956] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ab operibus
virtutis nullo tempore vacandum est. Sed opera servilia sunt materia
virtutis. Ergo non debuit praecipi ut die sabbati a servilibus operibus
abstineretur. |
3. Il ne faut à aucun moment s’abstenir de s’adonner aux actes vertueux. Or, les œuvres serviles sont matière à vertu. On ne devait donc pas ordonner de s’abstenir des œuvres serviles le jour du sabbat. |
[12957] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, ad
legislatorem pertinet omnes humanos actus moderare. Sed cum impossibile sit
semper agere, ut philosophus in Lib. de Somn. et Vigil. dicit; ad
moderationem humanorum actuum pertinet ut aliquod tempus quieti deputetur. Ergo conveniens fuit ut legislator hoc
institueret. |
Cependant, [1] il revient au législateur de gouverner tous les actes humains. Or, puisqu’il est impossible de toujours agir, comme le dit le Philosophe dans le livre sur Les songes et la veille, la consécration d’un certain temps au repos relève donc du gouvernement des actes humains. Il était donc approprié que le législateur l’institue. |
[12958] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, hominibus spirituali vita
viventibus maxima cura adhibenda est ut Dei omnipotentiam et providentiam cognoscant.
Sed lex Moysi
data est ad instruendam vitam spiritualem. Ergo praecipue hoc lege illa
debuit praecipi, quod ad Dei omnipotentiam et providentiam credendam homines
assuefaceret. Hoc autem est
observatio sabbati, quae in memoriam reducit, ut Rabbi Moyses dicit,
principium mundi, cujus factura septima die consummata est: qua supposita,
cunctis etiam simplicibus evidens est Deum omnipotentem esse, et ex
providentia, non ex necessitate agere. Ergo conveniens fuit ut observatio
sabbati lege statueretur. |
[2] Il faut mettre le plus grand soin à ce que ceux qui vivent d’une vie spirituelle connaissent la toute-puissance et la providence de Dieu. Or, la loi de Moïse a été donnée pour former à la vie spirituelle. Cette loi devait donc surtout commander ce qui accoutumerait les hommes à croire à la toute-puissance et à la providence de Dieu. Or, telle est l’observance du sabbat, « qui remet en mémoire, comme le dit le rabbin Moïse, le commencement du monde, dont la réalisation a été achevée le septième jour » ; si l’on suppose celle-ci, il est évident, même pour les gens simples, que Dieu est tout-puissant et qu’il agit par sa providence, et non par nécessité. Il était donc approprié que l’observance du sabbat soit établie par la loi. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le
commandement de l’observance du sabbat était-il simplement moral ?]
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[12959] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod praeceptum de sabbato observando fuerit morale
simpliciter. Ea enim quae in unam divisionem veniunt, unius rationis esse
videntur. Sed praeceptum
de sabbato observando condividitur aliis praeceptis Decalogi; quae sunt
praecepta moralia legis naturae. Ergo praeceptum de sabbato est morale. |
1. Il semble que le commandement de l’observance du sabbat était simplement moral. En effet, ce qui se trouve dans une seule division semble être d’une seule nature. Or, le commandement d’observer le sabbat est opposé aux autres commandements du décalogue, qui sont des commandements moraux de la loi naturelle. Le commandement sur le sabbat est donc moral. |
[12960] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, super illud Luc. 13, sex dies sunt in quibus operari
licet, dicit Glossa: lex in sabbato non hominem curare, sed servilia
opera facere, idest peccatis gravari, prohibet. Sed vacare a peccato est morale praeceptum.
Ergo et praeceptum de sabbato observando. |
2. À propos de Lc 13 : Il y a six jours pendant lesquels il est permis de travailler, la Glose dit : « Le jour du sabbat, la loi n’interdit pas de guérir un homme, mais d’accomplir des œuvres serviles, c’est-à-dire de se charger de péchés. » Or, s’abstenir du péché est un commandement moral. Donc aussi, le commandement d’observer le sabbat. |
[12961] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 3 Praeterea, illud quod habet rationem moralem, videtur esse morale
praeceptum. Sed observatio sabbati est hujusmodi, quod patet ex causa quam
assignat Damascenus Lib. 4: vacationis, inquit, gratia quae est ad
Deum, et ut particulam vitae Deo tribuant et requiescant servus et subjugale,
sabbati observantia excogitata est. Ergo praeceptum de sabbato observando est
morale. |
3. Ce qui a une justification morale semble être un commandement moral. Or, l’observance du sabbat est de ce genre, ce qui ressort de la raison qu’en assigne [Jean] Damascène, IV : « L’observance du sabbat a été inventée afin de s’adonner à Dieu et de réserver une petite partie de la vie à Dieu, et pour que l’esclave et l’animal sous le joug se reposent. » Le commandement de l’observance du sabbat est donc moral. |
[12962] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 1 Sed contra, praecepta
quae sunt data in signum, non sunt moralia, sed caeremonialia. Sed praeceptum de sabbato est hujusmodi, ut
patet Exod. 31, 13: videte ut sabbatum meum custodiatis, quia signum est
inter me et vos. Ergo praeceptum de sabbato est caeremoniale. |
Cependant, [1] les commandements qui sont donnés comme un signe ne sont pas moraux, mais cérémoniels. Or, le commandement sur le sabbat est de ce genre, comme cela ressort de Ex 31, 13 : Voyez à observer mon sabbat, car il est un signe entre moi et vous. Le commandement sur le sabbat est donc cérémoniel. |
[12963] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Levit. 26 dicit Glossa: mandatum sabbati quamvis in
decem mandatis numeratum sit, non tamen ex eis est. Videtur ergo quod sit caeremoniale, et non
morale. |
[2] À propos de Lv 26, la Glose dit : « Bien que le commandement sur le sabbat soit compté parmi les dix commandements, il n’en fait cependant pas partie. » Il semble donc qu’il soit cérémoniel, et non moral. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Le
commandement sur le sabbat devait-il cesser au temps de la grâce ?]
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[12964] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debuerit cessare tempore gratiae.
Thurificatio enim, ut dicunt sancti et magistri, non cessavit: quia
significat illud quod semper faciendum est, scilicet devotionem orationis.
Sed observatio sabbati significat requiem in Deo, ut Augustinus dicit, super
Exod. cap. 31, quae quidem semper facienda est. Ergo non debuit tempore
gratiae cessare. |
1. Il semble qu’il ne devait pas cesser au temps de la grâce. En effet, l’offrande d’encens, comme le disent les saints et les maîtres, n’a pas cessé, car il signifie ce qui doit toujours être accompli : la dévotion de la prière. Or, l’observance du sabbat signifie le repos en Dieu, comme le dit Augustin, à propos de Ex 31, lequel doit toujours être accompli. [Ce commandement] ne devait donc pas cesser au temps de la grâce. |
[12965] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 2 Praeterea, observatio
sabbati ad maximam perfectionem ordinabat, scilicet ad vacandum divinae
contemplationi. Sed status gratiae est perfectior statu legis. Ergo etiam
magis debet observari in hoc statu quam in illo. |
2. L’observance du sabbat ordonnait à une plus grande perfection : s’adonner à la contemplation de Dieu. Or, l’état de la grâce est plus parfait que l’état de la loi. [Le sabbat] doit donc être encore davantage observé dans cet état que dans l’autre. |
[12966] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 3 Si dicas, quod observatur, sed mutata die, scilicet dominica; contra. Magis est in reverentia
habendum quod ad divinitatem pertinet quam quod ad humanitatem. Sed ratio
observandi sabbatum fuit mysterium divinae quietis. Ergo non fuit observatio
sabbati commutanda in observationem dominicae propter mysterium
resurrectionis, quod Christo secundum humanam naturam competit. |
3. Si on dit qu’il est observé, mais un autre jour, à savoir, le dimanche, on objectera que doit être davantage respecté ce qui relève de la divinité que ce qui relève de l’humanité. Or, la raison d’observer le sabbat était le mystère du repos de Dieu. L’observance du sabbat n’a donc pas été changée en observance du dimanche en raison du mystère de la résurrection, qui convient au Christ selon sa nature humaine. |
[12967] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 4 Praeterea, tempore
gratiae tenemur perfectius Deo vacare quam tempore legis. Sed tempore legis a
multis abstinebatur quae nunc in die dominico licite fiunt: non enim erat
licitum cibos coquere, nec itinerare. Ergo observatio sabbati non est mutata
in dominicam: ergo adhuc debet observatio sabbati remanere. |
4. Au temps de la grâce, nous sommes tenus de nous adonner à Dieu plus parfaitement qu’au temps de la loi. Or, au temps de la loi, on s’abstenait de beaucoup de choses qui sont maintenant permises le jour du Seigneur : en effet, il n’était pas permis de faire cuire de la nourriture ni de voyager. L’observance de la loi n’a donc pas été changée pour [l’observance] du dimanche. L’observance du sabbat doit donc encore demeurer. |
[12968] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, Exod. 31, 15:
septima dies erit sabbatum, idest requies: Glossa: alia
praecepta servanda in novo testamento ad litteram non dubitamus; illud autem
de sabbato, velatum et in mysterio praeceptum fuit, ut hodie a nobis non
servetur, sed solum signatum intueamur. |
Cependant, [1] à propos de Ex 31, 15 : Le septième jour, ce sera le sabbat, c’est-à-dire, le repos, la Glose dit : « Nous n’avons aucune doute que les autres commandements doivent être observés à la lettre sous la Nouvelle Alliance ; mais celui sur le sabbat est recouvert d’un voile et a été ordonné en mystère, de sorte qu’il ne soit pas observé aujourd’hui, mais que nous le regardions seulement comme un signe. » |
[12969] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Damascenus dicit quod sabbati
observatio excogitata fuit parvulis, et sub elementis mundi servientibus. Sed
a tali servitio liberati sumus per adventum Christi. Ergo et sabbati
observatio cessavit. |
[2] [Jean] Damascène dit que l’observance du sabbat a été inventée pour les petits et pour ceux qui sont assujettis aux éléments du monde. Or, nous avons été libérés d’une telle servitude par la venue du Christ. L’observance du sabbat a donc aussi cessé. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
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[12970] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad
primam quaestionem, quod sicut praeceptum de sacrificiis habuit aliquam
causam moralem non simpliciter, sed secundum congruentiam illorum quibus lex
dabatur, qui ad idolatriam proni erant, ut Deo offerrent quod alias idolis
obtulissent; et aliam causam mysticam, scilicet ad significandum sacrificium
passionis Christi: ita et praeceptum de observatione sabbati habuit aliquam
causam moralem ex conditione eorum quibus lex dabatur, qui propter avaritiam
eis inditam intantum se et sibi subditos operibus servilibus occupassent quod
omnino mens eorum a divinis subtraheretur: et hanc causam tangit Damascenus.
Similiter etiam quia ad errores gentium proni erant, indicta est eis
observatio sabbati, ut creationem mundi semper prae oculis haberent, et sic
Deum recognoscerent et timerent: quam causam tangit Rabbi Moyses. Habuit
nihilominus et causam mysticam triplicem. Unam allegoricam, ad significandum
quietem Christi in sepulcro. Aliam moralem, ad significandum requiem humanae
mentis a peccatis, et ab omnibus aliis rebus, in quibus requiem non invenit,
nisi in Deo, in quo solo est quies. Tertiam anagogicam, ad significandum
aeternam requiem qua sancti in gloria quiescent. Et ideo conveniens fuit
institutio sabbati pro tempore illo. |
De même que le commandement sur les sacrifices avait une justification morale non pas simplement, mais selon la convenance de ceux à qui la loi était donnée, qui étaient enclins à l’idolâtrie, afin qu’ils offrent à Dieu ce qu’ils auraient autrement offert à des idoles, et selon une autre justification mystique, à savoir, pour signifier le sacrifice de la passion du Christ ; de même, le commandement sur l’observance du sabbat avait-il une justification morale en raison de la condition de ceux à qui il était donné, qui, à cause de l’avarice qui était à ce point implantée en eux qu’eux-mêmes et leurs sujets se seraient adonnés aux œuvres serviles au point où leur esprit aurait été entièrement éloigné des réalités divines. C’est cette raison qu’aborde [Jean] Damascène. De même encore, parce qu’ils étaient enclins aux erreurs des païens, l’observance du sabbat leur a-t-elle été imposée pour qu’ils aient toujours sous les yeux la création du monde, et ainsi reconnaissent et craignent Dieu. C’est cette cause qu’aborde le rabbin Moïse. Néanmoins, [le commandement] avait aussi une triple justification mystique. L’une allégorique, pour signifier le repos du Christ au sépulcre. Une autre, morale, pour signifier le repos de l’esprit humain par rapport aux péchés et à toutes les autres choses dans lesquelles il ne trouve pas le repos, si ce n’est en Dieu, en qui seul se trouve le repos. Une troisième, anagogique, pour signifier le repos éternel par lequel les saints se reposent dans la gloire. C’est pourquoi l’institution du sabbat était appropriée pour cette époque. |
[12971] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sabbati tempus non amittitur, si hoc in
sabbato fiat ad quod deputatum est, scilicet divinorum contemplatio. Sed quia Judaei omissis
divinis in sabbatis magis inutilibus rebus vacabant, ideo eos Seneca derisit,
ut dicitur Thren. 1, 7: viderunt
eam hostes, et deriserunt sabbata ejus. |
1. Le temps du sabbat n’est pas écarté,
si l’on accomplit pendant le sabbat ce à quoi il a été destiné : la
contemplation des réalités divines. Mais parce que les Juifs, en omettant les
réalités divines, s’adonnaient plutôt à des choses inutiles les jours de
sabbat, Sénèque les a donc raillés, ainsi qu’il est dit dans
Lm 1, 7 : Les ennemis
l’ont regardé, et ils ont raillé ses sabbats. |
[12972] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod labor non solum impedit contemplationis
actus dum exercetur, sed etiam postquam transiit, dum remanent ex labore
membra fessa, et mens distracta. Unde convenientius fuit ut unus dies integer
divinis deputaretur quam in singulis diebus aliquae horae. |
2. Le travail non seulement empêche les actes de contemplation pendant qu’il est accompli, mais aussi après qu’il est terminé, alors que demeurent des membres fatigués par le travail et un esprit distrait. Il était donc plus approprié qu’un jour entier soit consacré aux réalités divines que certaines heures à chaque jour. |
[12973] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quandoque actus unius virtutis
intermittendus est propter actum excellentioris virtutis; sicut opera aliarum
virtutum aliquando propter opus justitiae intermittuntur, ut dicit Tullius in
1 de Offic. Virtutes autem omnes contemplativae sunt digniores virtutibus
activis, quarum materia esse possunt servilia opera. Unde non est
inconveniens quod opus servile intermittatur ad tempus, ut contemplationi
vacetur. |
3. Parfois, l’acte d’une vertu doit être interrompu pour l’acte d’une vertu plus excellente, comme les actes des autres vertus sont parfois interrompus en vue de l’acte de la justice, ainsi que le dit Tullius [Cicéron] dans Sur les fonctions. Or, toutes les vertus contemplatives sont plus dignes que les vertus actives, dont les œuvres serviles peuvent être la matière. Il n’est donc pas inapproprié qu’une œuvre servile soit interrompue pour un temps afin de s’adonner à la contemplation. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
|
[12974] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod
praeceptum de sabbato observando, quantum ad aliquid morale est, et quantum
ad aliquid caeremoniale, et quantum ad aliquid potest etiam dici judiciale.
Secundum enim illud ejus quod naturalis ratio dictat, praeceptum morale est,
ut scilicet aliquo tempore homo contemplationi vacet. Sed taxatio temporis in
qua vacandum sit, non est de dictamine naturalis legis, et ideo est morale
praeceptum. Sed secundum quod habet pro causa significationem, sic est
caeremoniale. Secundum autem quod habet pro causa conditionem illius populi,
cui subveniendum erat per hoc praeceptum, judiciale est. |
Le commandement sur
l’observance du sabbat est moral sous un aspect et cérémoniel sous un autre,
et on peut dire aussi qu’il est judiciaire sous un autre. En effet, selon ce
que dicte la raison naturelle, il est un commandement moral, à savoir, que
l’homme s’adonne pendant un certain temps à la contemplation. Mais
l’établissement du temps où il faut s’y adonner ne vient pas d’une
prescription de la loi naturelle. Il est donc un commandement moral. Mais
sous l’aspect où il a pour raison de signifier, il est ainsi cérémoniel. Mais
selon qu’il a pour raison la condition du peuple que ce commandement devait
aider, il est judiciaire. |
[12975] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod connumeratur aliis praeceptis Decalogi
quantum ad id quod habet de ratione moralis praecepti. |
1. Il est compté parmi les autres commandements du décalogue pour ce qu’il comporte de précepte moral. |
[12976] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod opera servilia mystice intelliguntur
peccata; sed ad litteram opera servilia dicuntur ad quorum exercitium servos
deputatos habemus, in quibus debent artes mechanicae dirigere, quae contra
liberales dividuntur. |
2. Par œuvres serviles, on entend les péchés. Mais, au sens littéral, on appelle œuvres serviles celles à l’exercice desquelles nous assignons des esclaves, et dans lesquelles doivent diriger les arts mécaniques, qui s’opposent aux [arts] libéraux. |
[12977] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod causae illae non sunt morales nisi
considerata conditione illius populi cui lex dabatur. Unde ex hoc magis
potest concludi quod sit judiciale praeceptum quam morale. |
3. Ces justifications ne sont pas morales, sauf si l’on considère la condition du peuple auquel la loi était donnée. Aussi peut-on davantage conclure de cela que ce commandement est judiciaire plutôt moral. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
|
[12978] Super Sent., lib. 3 d. 37 q.
1 a. 5 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod sabbati observatio
quantum ad illud quod de lege naturali habebat, prout morale praeceptum est,
tempore gratiae non cessavit, immo perfectius implendum est, sicut et alia
moralia praecepta; et ideo apostolus, 1 Corinth. 7, dat consilium de virginibus, ut extra
solicitudinem existentes, semper quae Dei sunt, cogitent. Sed taxatio diei
vel temporis, quae ad legem moralem non pertinebat, veniente statu gratiae
cessavit, sicut et alia legalia. |
L’observance du sabbat, pour ce qu’il comprenait de la loi naturelle, pour autant qu’elle est un commandement moral, n’a pas cessé au temps de la grâce, bien plus, il doit être accompli plus parfaitement, comme les autres commandements moraux. C’est pourquoi, dans 1 Co 7, l’Apôtre donne un conseil à propos des vierges, afin que, libérées des soucis, elles pensent toujours à ce qui concerne Dieu. Mais l’établissement du jour ou du temps, qui ne relevait pas de la loi morale, a cessé lorsqu’est venu l’état de la grâce, comme les autres [éléments] de la loi. |
[12979] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod observatio sabbati, inquantum
caeremonialis est, signat principaliter requiem Christi in sepulcro, et per
consequens quietem quam habemus per ipsum, consepulti cum eo per Baptismum in
mortem; Rom. 6. Unde veniente
veritate, figura cessavit. Et non est simile de thurificatione, quae
principaliter non est signum futuri, sed ejus quod semper esse debet. |
1. L’observance du sabbat, pour autant qu’elle est cérémonielle, signifie principalement le repos du Christ au sépulcre et, par conséquent, le repos que nous avons par lui, ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, Rm 6. Aussi, une fois la vérité venue, la figure a-t-elle cessé. Et il n’en va pas de même de l’offrande de l’encens, qui n’est pas principalement un signe du futr, mais de ce qui doit toujours exister. |
[12980] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quia perfectius in nova lege debemus Deo
vacare, ideo non fuit taxandum tempus illis quibus injungitur, ut sine
intermissione orent. |
2. Parce que nous devons nous adonner à Dieu plus parfaitement sous la loi nouvelle, un temps n’a donc pas été établi à ceux à qui il a été enjoint de prier sans cesse. |
[12981] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod observatio dominicae non obligat ex
praecepto Decalogi nisi quantum ad hoc quod est de dictamine legis naturae:
taxatio enim illius diei est ex institutione Ecclesiae volentis resurrectionem
Christi, cui nostram vitam conformare debemus, in jugi memoria esse. Quamvis
autem resurrectio Christi ei secundum humanitatem conveniat, tamen opus
divinitatis est, quae eum a mortuis suscitavit. Unde non in minori reverentia
est habenda quam requies artificis, et consummatio conditoris facta in die
sabbati; immo amplius, secundum quod opus conditionis opere reparationis
perficitur. |
3. L’observance du jour du Seigneur n’oblige en vertu du commandement du décalogue que dans la mesure où il relève d’une prescription de la loi naturelle : en effet, l’établissement de ce jour vient de l’institution de l’Église, qui voulait que la résurrection du Christ, à laquelle nous devons conformer notre vie, soit toujours rappelée. Bien que la résurrection du Christ lui convienne selon son humanité, elle est cependant une œuvre de la divinité, qui l’a ressuscité des morts. Aussi ne doit-elle pas être moins respectée que le repos de l’artisan et l’achèvement [de l’œuvre] du Créateur, qui a eu lieu le jour du sabbat ; bien plus, elle doit être l’objet d’un plus grand respect, dans la mesure où l’œuvre du Créateur est perfectionnée par l’œuvre de la réparation. |
[12982] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in die dominica tenemur vacare ex
constitutione Ecclesiae ab operibus quae nos impedire possent a cultu divino,
qui indicitur in tali die exercendus, nisi ex causa per eum qui habet
auctoritatem, in aliquo dispensetur. Neque oportet quod ab omnibus in die dominica cessemus a quibus in die
sabbati cessabant: quia antiquorum cessatio ab omnibus operibus servilibus in
significationem erat, non autem nostra cessatio. |
4. Le jour du Seigneur, nous sommes tenus par une décision de l’Église de nous abstenir des œuvres qui pourraient être un obstacle au culte divin, dont la pratique a été établie pour ce jour, à moins que, pour une raison, on en soit en quelque manière dispensé par celui qui a l’autorité. Il n’est pas non plus nécessaire que nous cessions tout ce qu’ils cessaient de faire le jour du sabbat, car la cessation par les anciens de pratiquer toutes les œuvres serviles comportait une signification, mais non notre cessation. |
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Articulus 6 [12983] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a.
6 tit. Utrum usuras
accipere sit peccatum |
Article 6 – Recevoir des intérêts est-il un péché ? |
[12984] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6
arg. 1 Ad sextum sic
proceditur. Videtur quod
usuras accipere non sit peccatum. Nihil enim est peccatum nisi quod est
contra praeceptum aliquod morale: caeremonialia autem, et judicialia legis
Mosaicae nos non obligant. Sed praeceptum de non accipiendo usuram, non est
morale: quia praecepta moralia obligant respectu omnium, et ad omnes; sed
Deut. 23, Judaeis conceditur quod fenerentur non proximis, sed extraneis.
Ergo usuras accipere non est peccatum. |
Sous-question 1 – Il semble que recevoir des intérêts soit un péché. En effet, rien n’est un péché que ce qui est contraire à un commandement moral ; les [commandements] cérémoniels et judiciaires de la loi mosaïque ne nous obligent pas. Or, le commandement de ne pas recevoir d’intérêts n’est pas un [commandement] moral, car les commandements moraux nous obligent en tout et envers tous, mais, en Dt 23, il est permis aux Juifs de prêter à intérêt aux étrangers, mais non aux proches. Recevoir des intérêts n’est donc pas un péché. |
[12985] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea, constat quod ille qui alicui pecuniam mutuat, aliquod
commodum ei facit. Sed secundum philosophum in 5 Ethic., in retributione
commanet civitas, ut scilicet quantum quis fecit, tantum ei fiat. Ergo
non est peccatum, sed licitum et justum, ut pro commodo quod mutuando fecit,
aliquod lucrum reportet. |
2. Il est clair que celui qui prête de l’argent à quelqu’un lui rend un service. Or, selon le Philosophe, Éthique, V, « une cité dure par le dédommagement », à savoir que l’on reçoive autant qu’on a donné. Ce n’est donc pas un péché, mais permis et juste qu’on tire un gain du service rendu en prêtant. |
[12986] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 arg. 3 Si dicas, quod tenebatur ei gratis mutuare; unde in hoc peccat quod
vendit alicui quod ei debebat: contra. Secundum hoc ergo non peccabit lucrum de
mutuo quaerens, nisi quando mutuare tenetur. Sed non semper tenetur mutuare.
Ergo aliquando licet ei usuras accipere. |
3. Si tu dis qu’on était obligé de prêter gratuitement et que, par conséquent, on péchait en vendant à quelqu’un ce qu’on lui devait, on dira en sens contraire qu’on ne péchera, en recherchant un gain pour son prêt, que lorsqu’on est tenu de prêter. Or, on n’est pas toujours tenu de prêter. Il est donc parfois permis de recevoir des intérêts. |
[12987] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, non minus
possum accipere ab eo cui beneficus extiti, quam ab eo cui nullum beneficium
contuli. Sed si aliquis
cui non mutuassem, aliquid mihi daret de suo, etiam si sperassem accipere,
licite detinere possem. Ergo et ab eo cui beneficus extiti, mutuum
concedendo, licet mihi aliquid expectare, recipere, et detinere. |
4. Je ne peux recevoir moins de celui envers qui je me suis montré bienfaisant, que de celui à qui je n’ai accordé aucun bienfait. Or, si quelqu’un à qui ne j’aurais pas prêté me donnait quelque chose qui lui appartient, même si j’avais espéré le recevoir, il me serait permis de le garder. Donc, en faisant un prêt, il m’est permis d’attendre, de recevoir et de garder quelque chose de celui envers qui je me suis montré bienfaisant. |
[12988] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 arg. 5 Praeterea, plus
efficitur mihi debitor ille in quem transtuli dominium rei meae, quam ille
cui solum usum rei meae concessi. Sed in rebus in quibus non transfertur
dominium, si concedantur ad aliquem usum, licet inde aliquid accipere, sicut
patet in locationibus domorum, equorum, et hujusmodi. Ergo multo amplius licet
mihi accipere ab eo in quem per mutuum pecuniae meae dominium transtuli. |
5. Celui à qui j’ai transféré la propriété de ce qui m’appartenait me doit davantage que celui à qui j’ai accordé uniquement l’usage de mon bien. Or, pour les choses où la propriété n’est pas transférée, si elles sont accordées en vue de l’usage, il est permis de recevoir quelque chose, comme cela ressort pour les locations de maisons, de chevaux et des choses de ce genre. À bien plus forte raison m’est-il donc permis de recevoir de celui à qui j’ai transféré par un prêt la propriété de mon argent. |
[12989] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 arg. 6 Praeterea, quicumque communicat alicui in peccato mortali, peccat
mortaliter. Sed ille qui dat usuras accipiens mutuum, communicat ei qui
accipit usuras dans mutuum. Si ergo accipiens usuras semper peccat, videtur
quod et dans; quod falsum est. |
6. Quiconque en rejoint un autre dans un péché mortel pèche mortellement. Or, celui qui paye des intérêts en recevant un prêt rejoint celui qui reçoit des intérêts en accordant un prêt. Si on pèche toujours en recevant des intérêts, il semble donc que ce soit aussi le cas en en payant, ce qui est faux. |
[12990] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed contra, Luc. 6: date
mutuum, nihil inde sperantes. Sed contra hoc veniunt feneratores. Ergo peccant. |
Cependant, [1] Lc 6 dit en sens contraire : Prêtez sans espérer de compensation. Or, les usuriers font le contraire. Ils pèchent donc. |
[12991] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea, ea quae
veniunt in eamdem divisionem, sunt unius rationis. Sed dare pecuniam ad usuram connumeratur
aliis quae sunt peccata mortalia, ut patet in Psalm. 14: domine, quis habitabit in
tabernaculo tuo? Ergo est peccatum mortale. |
[2] Les choses qui appartiennent à la même division ont la même raison. Or, donner de l’argent en vue de l’usure est compté parmi les autres choses qui sont des péchés mortels, comme cela ressort de Ps 14 : Seigneur, qui habitera sous ta tente ? C’est donc un péché mortel. |
[12992] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 s. c. 3 Praeterea, ubicumque est turpe lucrum, est peccatum. Sed philosophus
ponit in 4 Ethic. feneratores inter turpes lucratores. Ergo et cetera. |
[3] Partout où il y a un gain honteux, il y a péché. Or, en Éthique, IV, le Philosophe place les usuriers parmi ceux qui font des gains honteux. Donc, etc. |
[12993] Super Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 co. Respondeo dicendum, quod
ab omnibus dicitur
communiter quod dare ad usuram peccatum mortale est. Sed diversi diversas
rationes assignant. Quidam enim dicunt, quod ideo pecuniam pro certo lucro
concedere non licet, sicut donum vel equum, vel alia hujusmodi, quia pecunia
non deterioratur ex usu, sed aliis rebus aliquid deperit ex usu. Sed ista
ratio non est generalis: quia in aliquibus rebus, pro quarum concessione
aliquid accipi potest licite, nihil ex usu deperit, sicut in concessione
domus ad usum ad unum diem; et praeterea pretium quod accipitur, non
commensuratur damno quod accidit ex usu rei; non enim tantum deperit in mutuo
quantum datur. Et ideo alii assignant aliam rationem, quia videlicet quando
pecunia mutuatur, transfertur dominium, quod non fit in domo et in aliis
rebus. Justum autem videtur ut pro usu rei quae mea remanet, scilicet domus,
aliquid accipere possim; sed pro usu pecuniae, quae fit alterius ex hoc ipso
quod mutuatur, aliquid accipere, nihil aliud est quam accipere aliquid ab
aliquo pro usu rei propriae; et ideo videtur quod est quaedam exactio, et
peccatum. Et haec ratio satis probabilis videtur; et ideo simile accidit in
omnibus rebus in quibus transfertur dominium per mutuum, sicut granum, vinum,
et hujusmodi, pro quorum usu nihil accipere licet ultra valorem ejus quod
mutuatum est. Potest tamen
et alia ratio assignari; quia omnes aliae res ex seipsis habent aliquam
utilitatem, pecunia autem non, sed est mensura utilitatis aliarum rerum, ut
patet per philosophum in 5 Ethic. Et ideo pecuniae usus non habet mensuram
utilitatis ex ipsa pecunia, sed ex rebus quae per pecuniam mensurantur
secundum differentiam ejus qui pecuniam ad res transmutat. Unde accipere
majorem pecuniam pro minori, nihil aliud esse videtur quam diversificare
mensuram in accipiendo, et dando; quod manifeste iniquitatem continet. |
Réponse. Tous disent d’une manière générale que donner en vue de l’usure est un péché mortel. Mais on en donne des raisons différentes. En effet, certains disent qu’il n’est pas permis de donner de l’argent pour un gain déterminé, tel un don, un cheval ou d’autres choses du genre, parce que l’argent ne se détériore pas par l’usage, mais que les autres choses se détériorent par l’usage. Mais cette raison n’est pas générale, car, pour certaines choses, dont il est permis de recevoir quelque chose pour les avoir accordées, rien n’est détérioré par l’usage, comme pour la maison cédée pour qu’on l’utilise pendant une journée. De plus, le prix qui est reçu n’est pas comparable au dommage qui vient de l’usage de la chose : en effet, dans le prêt, il n’y a pas détérioration équivalente au montant. C’est pourquoi d’autres donnent une autre raison : lorsque de l’argent est prêté, la propriété est transférée, ce qui n’est pas le cas pour une maison et pour d’autres choses. Or, il semble juste que, pour l’usage d’une chose qui demeure ma propriété, à savoir, la maison, je puisse recevoir quelque chose ; mais, recevoir quelque chose pour l’usage de l’argent, qui devient propriété d’un autre par le fait même qu’il est prêté, n’est rien d’autre que de recevoir quelque chose de quelqu’un pour l’usage de sa propriété. Il semble donc que ce soit une exaction et un péché. Et cette raison parait assez convaincante. C’est pourquoi la même chose se produit pour tout ce dont la propriété est transférée par le prêt, comme le grain, le vin et les choses de ce genre, pour l’usage desquels il n’est permis de rien recevoir au-delà de la valeur de ce qui a été prêté. On peut cependant en donner aussi une autre raison, car toutes les autres choses ont par elles-mêmes une certaine utilité, mais non l’argent, qui est plutôt une mesure de l’utilité des autres choses, comme cela ressort de ce que dit le Philosophe, Éthique, V. Ainsi l’usage de l’argent n’est pas une mesure de l’utilité par l’argent lui-même, mais par les choses qui sont mesurées par l’argent, selon la différence de ce qui transforme l’argent en choses. Aussi recevoir plus d’argent pour un bien moindre ne semble être rien d’autre que modifier la mesure en recevant et en donnant, ce qui comporte manifestement une iniquité. |
[12994] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod lex Deuteronomii loquitur de Judaeis respectu aliarum nationum
quae terram promissionis Judaeis divinitus concessam detinebant; et ideo
permissum fuit eis, usuris, et quibuscumque exactionibus extorquere ab
injuste possidentibus quod eis juste debebatur, sicut etiam dicitur de
spoliatione Aegyptiorum, qui Judaeis mercedem laboris quo eis servierant,
subtraxerunt. Vel dicendum, quod sicut libellus repudii permissus est eis ad
duritiam cordis eorum, ne uxores interficerent, ad quod proni erant; ita
etiam permissum fuit eis fenerare extraneis, ne fratribus suis fenerarent, ad
quod eos innata avaritia incitabat. |
1. La loi du Deutéronome parle des Juifs par rapport aux autres nations qui détenaient la terre qui avait été accordée aux Juifs par Dieu comme terre promise. C’est pourquoi il leur fut permis d’arracher par des intérêts et par n’importe quelle exaction à ceux qui le possédaient injustement ce qui leur était dû en justice, comme on le dit aussi de la spoliation des Égyptiens, qui enlevaient aux Juifs le salaire du travail qu’ils leur avaient fourni. Ou bien il faut dire que de même que le livret de répudiation a été permis [aux Juifs] en raison de la dureté de leur cœur, de sorte qu’ils ne tuent pas leur épouses, ce à quoi ils étaient enclins, de même il leur fut permis de prêter à intérêt aux étrangers de crainte qu’ils ne prêtent à intérêt à leurs frères, ce à quoi leur avarice innée les incitait. |
[12995] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod beneficium mutui non est amplius quam
pecunia mutuata; unde si plus exigitur, exigitur plus quam debitum est; et
ideo est injusta exactio. |
2. Le bienfait du prêt n’est pas plus grand que l’argent du prêt. Si on exige davantage, on exige plus qu’il n’est dû. C’est donc une exaction injuste. |
[12996] Super Sent.,
lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod quamvis homo non teneatur semper mutuum concedere, tenetur tamen ad hoc
ut quandocumque mutuum exigit, non plus exigat quam dederat. |
3. Bien que l’homme ne soit pas toujours obligé de prêter, il est cependant tenu à ce que, lorsqu’il exige un prêt, il n’exige pas plus qu’il n’avait donné. |
[12997] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ab eo cui beneficium contuli, licet mihi
tantum sperare et accipere quantum feci, et non plus. Quidquid autem de
utilitate contingit ei cui mutuum dedi, ultra mensuram mutui ex pecunia
mutuata, hoc est ex industria ejus qui sagaciter pecunia usus est: industriam
autem ejus sibi vendere non debeo, sicut nec pro stultitia ejus minus habere
debeo. |
4. De celui à qui j’ai accordé un bienfait, il m’est permis d’espérer et de recevoir autant que ce que j’ai accordé, et non plus. Tout ce qui survient d’utile à celui à qui j’ai accordé un prêt au-delà de la mesure du prêt selon l’argent prêté, vient des efforts de celui qui a sagement utilisé l’argent. Or, je ne dois pas lui vendre ses efforts, pas davantage que je dois recevoir moins en raison de sa stupidité. |
[12998] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod hoc ipso quod dominium pecuniae transfertur,
est ratio quare pro usu ejus nihil accipere debeam vel sperare quasi mihi
debitum. |
5. Le fait même que la propriété de l’argent est transférée est la raison pour laquelle je ne dois rien recevoir ni espérer pour son usage comme si cela m’était dû. |
[12999] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ille qui usuras dat et mutuum accipit in
necessitate, non peccat, nec usurario communicat inquantum hujusmodi: quia
non voluntarius usuram dat, sed quasi coactus necessitate. |
6. Celui qui paye des intérêts et reçoit un prêt en cas de nécessité ne pèche pas, et il ne partage pas non plus le sort de l’usurier en tant que tel, car il ne donne pas volontairement un intérêt, mais comme forcé par la nécessité. |
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Expositio textus |
Explication du texte de Pierre
Lombard, Dist. 37
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[13000] Super
Sent., lib. 3 d. 37 q. 1 a. 6 expos. Haec Origenes dicit esse duo mandata. Sicut Origenes primum mandatum dividit in duo, ita duo ultima mandata,
quae sunt de prohibitione concupiscentiae, conjungit in unum; et sic
praecepta denarium non transcendunt. Idolum nihil est in mundo. Hoc
autem multipliciter intelligi potest. Uno modo inquantum idolum est
similitudo; et sic exponit Origenes, ut dicatur idolum nihil esse, quia nulla
res est in mundo cujus sit similitudo. Alio modo potest intelligi de idolo
secundum quod est res quaedam; et hoc dupliciter. Uno modo quantum ad formam
quae aestimatur esse in idolo, et non est in eo, scilicet forma deitatis. Alio modo quantum ad
effectum, quia scilicet ad peccatum inducit, quod nihil est. Non assumes
nomen Dei tui in vanum. Assumere est ad aliquid sumere. Sumitur autem
nomen Dei ad alicujus veritatis confirmationem per modum juramenti. Si ergo
sumatur ad confirmandum aliquod falsum, quod in se nullo modo confirmabile
est, tunc in vanum assumitur, et pro nihilo juratur: quia vanum est quod est
ad finem aliquem quem non inducit, ut dicitur in 2 Physic. Nomine igitur moechiae, omnis illicitus
concubitus, illorumque membrorum non legitimus usus prohibitus debet
intelligi. Cum peccatum
contra naturam sit gravius quam moechia, videtur quod illud potius prohiberi
debuerit, quasi primo tramite relinquendum. Et dicendum, quod quia legislator
hominibus legem dabat, ideo in primis legis mandatis non debebat nisi peccata
humana prohibere; peccatum autem contra naturam non est humanum, sed
bestiale, secundum philosophum in 7 Ethic. Ut si in hieme credimus decem modios, in
messe quindecim recipiamus. Hoc est
intelligendum, si plus valeant in messe quindecim modii secundum commune
forum quam in hieme decem; alias si fiat commensuratio dati et accepti ad
valorem pecuniae, non erit usura, sed aequalis commutatio. |
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Distinctio 38 |
Distinction 38 – [Les
commandements de la seconde table]
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Prooemium |
Prologue |
[13001] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 pr. Distinctis quinque praeceptis secundae
tabulae et expositis, hic Magister determinat de quibusdam quae praecepto
quinto contrariantur, scilicet de mendacio, et perjurio. Dividitur autem haec pars
in duas: in prima determinat de mendacio; in secunda de perjurio, 39 dist.: nunc
de perjurio videamus. Prima pars in duas: primo distinguit diversos modos
mendacii; in secunda definit mendacium, ibi: hic videndum est quid sit
mendacium. Prima in duas: in prima parte ponit quamdam divisionem
mendacii, per quam scitur quod mendacium sit mortale, et quod veniale
peccatum; in secunda ponit quamdam aliam, per quam scitur quod mendacium sit
alio gravius, ibi: sciendum est, octo esse genera mendacii. Circa
primum duo facit: primo distinguit tres mendacii modos; secundo ex dictis
manifestat quoddam quod dubium esse poterat, ibi: de mendacio autem
obstetricum et Raab quod fuit veniale Augustinus tradit. Hic videndum est
quid sit mendacium. Hic definit mendacium; et circa hoc tria facit: primo
ostendit quid sit mendacium; secundo ostendit quod omne mendacium est
peccatum, ibi: quod vero mendacium omne sit peccatum, Augustinus insinuat.
Tertio solvit quoddam quod videbatur contrarium, ibi: solet quaeri de
Jacob. Circa primum tria facit: primo ostendit quid sit mendacium;
secundo quid sit mentiri, ibi: mentiri vero est loqui contra hoc quod
animo sentit quis. Tertio solvit quamdam quaestionem, ibi: hic solet
quaeri, si Judaeus dicat Christum esse Deum, cum non ita sentiat animo, utrum
loquatur mendacium. Quod vero mendacium sit peccatum, Augustinus insinuat.
Circa hoc duo facit: primo ostendit in omni mendacio esse peccati periculum;
secundo ostendit de errore, qui est mendacii effectus, quod quandoque potest
esse cum peccato; quandoque sine peccato, ibi: illud etiam sciendum est
(...) quod in quibusdam rebus magno malo, in quibusdam parvo, in quibusdam
nullo fallimur. Hic quaeruntur quinque: 1 quid sit mendacium; 2 de
divisione quam ponit; 3 utrum omne mendacium sit peccatum; 4 utrum omne
mendacium sit peccatum mortale; 5 de ordine mendaciorum in gravitate peccati. |
Après avoir distingué les cinq commandements de la seconde table, le Maître détermine ici de certaines choses qui sont contraires au cinquième commandement, à savoir, le mensonge et le parjure. Cette partie se divise en deux : dans la première, il détermine du mensonge ; dans la seconde, du parjure, d. 39 : « Voyons maintenant le parjure. » La première partie [se divise] en deux : dans la première, il distingue les diverses manières de mentir ; dans la seconde, il définit le mensonge, à cet endroit : « Il faut voir ici ce qu’est le mensonge. » La première partie [se divise] en deux : dans la première partie, il présente une division du mensonge, selon laquelle on sait qu’un mensonge est un péché mortel ou un péché véniel ; dans la seconde, il en présente une autre, selon laquelle on sait qu’un mensonge est plus grave qu’un autre, à cet endroit : « Il faut savoir qu’il existe huit genres de mensonge. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il distingue trois manières de mentir ; deuxièmement, par ce qui a été dit, il en montre un qui est douteux, à cet endroit : « À propos du mensonge des sages-femmes et de Raab, Augustin enseigne qu’il était véniel.» « Il faut voir ici ce qu’est le mensonge. » Ici, il définit le mensonge. À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il montre ce qu’est le mensonge. Deuxièmement, il montre que tout mensonge est un péché, à cet endroit : « Mais que tout mensonge est un péché, Augustin le suggère. » Troisièmement, il répond à quelque chose qui paraissait contraire, à cet endroit : « On a coutume de se demander à propos de Jacob… » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il montre ce qu’est le mensonge. Deuxièmement, ce qu’est mentir, à cet endroit : « Mentir, c’est dire le contraire de ce qu’on pense intérieurement. » Troisièmement, il répond à une question, à cet endroit : « Ici, on a coutume de se demander, si un Juif dit que le Christ est Dieu, alors qu’il ne le pense pas intérieurement, s’il dit un mensonge. » « Mais que tout mensonge est un péché, Augustin le suggère. » À ce propos, il fait deux choses. Premièrement, il montre qu’en tout mensonge il y a danger de péché. Deuxièmement, il montre, à propos de l’erreur qui est l’effet du mensonge, qu’elle peut être parfois accompagnée de péché et parfois sans péché, à cet endroit : « Nous devons aussi savoir… que, pour certaines choses, nous sommes abusés pour un grand mal, pour certaines, pour un mal petit, pour certaines, sans aucun mal. » Cinq questions sont ici posées : 1. Qu’est-ce que le mensonge ? 2. À propos de la division qu’il propose. 3. Tout mensonge est-il un péché ? 4. Tout mensonge est-il un péché mortel ? 5. À propos de l’ordre des mensonges selon la gravité du péché. |
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Articulus 1[13002] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1
tit. Utrum
definitio mendacii in littera sit conveniens |
Article 1 – La définition du mensonge donnée dans le texte est-elle appropriée ? |
[13003] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod inconvenienter definiatur mendacium in littera. Qui enim verum
loquitur quod falsum esse credit, mentitur, sicut dicit Augustinus in Lib. de
mendacio. Sed ibi non est
falsa vocis significatio. Ergo male mendacium definitur esse falsa vocis
significatio. |
1. Il semble que le mensonge soit défini de manière inappropriée dans le texte. En effet, « celui-là ment qui affirme être vrai ce qu’il croit faux », comme le dit Augustin dans le livre Sur le mensonge. Or, il n’y a pas là de fausse signification d’une parole. On définit donc mal le mensonge en disant qu’il est une fausse signification d’une parole. |
[13004] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, mendacium
opponitur veritati. Virtus autem veritatis non solum in dictis, sed etiam in
factis consistit, secundum philosophum in 4 Ethic. Ergo non omne mendacium est falsa vocis
significatio. |
2. Le mensonge s’oppose à la véracité. Or, la vertu de véracité ne consiste pas seulement dans des paroles, mais aussi dans des actes, selon le Philosophe, Éthique, IV. Tout mensonge n’est donc pas une signification fausse d’une parole. |
[13005] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut in 2
Lib., distinct. 38, qu. 1, art. 3, dictum est, intentio respicit finem ultimum. Sed a
fine ultimo non recipit aliquid speciem, sed a proximo, quod est objectum
cujus est voluntas. Cum ergo in
definitione non debeant poni nisi specificantia definitum, videtur quod
inconvenienter ponatur in definitione mendacii intentio fallendi. |
3. Comme on l’a dit dans le livre II, d. 38, q. 1, a. 3, l’intention porte sur la fin ultime. Or, elle ne reçoit pas une espèce de la fin ultime, mais de la fin rapprochée, qui est l’objet sur lequel porte la volonté. Puisque dans une définition on ne doit mettre que ce qui spécifie ce qui est défini, il semble donc que l’intention de tromper soit mise de manière inappropriée dans la définition du mensonge. |
[13006] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, id quod
est commune bene et male factis, non debet poni in definitione alicujus mali,
maxime quasi completivum definitionis. Sed intentio mala potest communiter inveniri et in his quae sunt bona
ex genere, et in his quae sunt mala ex genere; sicut etiam in proposito patet
de illo qui verum dicit, ne ei credatur, si aestimet quidquid dixerit, sibi
non credi. Ergo intentio fallendi non debet poni in definitione mendacii. |
4. Ce qui est commun à ce qui est bien ou mal accompli ne doit pas être mis dans la définition d’un mal, surtout comme ce qui complète la définition. Or, l’intention mauvaise peut se trouver de manière commune dans ce qui est bien selon son genre et dans ce qui est mal selon son genre, comme c’est le cas de celui qui dit la vérité et qu’on ne croit pas, s’il estime que, quoi qu’il dise, on ne le croit pas. L’intention de tromper ne doit donc pas être mise dans la définition du mensonge. |
[13007] Super
Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, ille qui joco mentitur, fallere
non intendit, quia scit sibi non credi. Sed tamen jocosum mendacium inter mendacia
reputatur. Ergo intentio fallendi non debet poni in definitione mendacii. |
5. Celui qui ment par jeu n’a pas l’intention de tromper, car il sait qu’on ne le croit pas. Or, le mensonge par jeu est compté parmi les mensonges. L’intention de tromper ne doit donc pas être mise dans la définition du mensonge. |
[13008] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod duobus modis in
actibus humanis contingit esse peccatum. Uno modo ex ipsa natura facti, quod
in se malum est, sicut in illis quae sunt mala ex genere. Alio modo ex abusu
scientis, sicut cum quis ea quae sunt bona ex genere, ex intentione prava
facit. Mendacium ergo utrumque istorum complectitur: quia quantum est de se,
inordinatum est. Et quia inordinatio in significando non potest esse nisi ex
falsitate significationis, ideo in mendacio falsa significatio includitur.
Falsa autem significatio ad rationem peccati in moralibus non sufficit, cum
non sit in potestate hominis verum significare, sicut nec verum scire. Unde
oportet quod sit talis falsa significatio in mendacio, qua quis volens a
recto deviet. Hoc autem non est, nisi quando sciens falsum loquitur, quia
ignorans non voluntarius est. Ex hoc autem ipso quod aliquis scienter falsum
loquitur, falsitatem intendit significare; et ideo completivum in definitione
mendacii ponitur intentio fallendi, sed quasi materiale falsa vocis
significatio. |
Réponse. Le péché se présente de deux manières dans les actes humains. D’une manière, en raison de la nature même de l’acte, qui est mauvais en lui-même, comme c’est le cas de ce qui est mal par son genre. D’une autre manière, en raison d’un abus conscient, comme lorsque quelqu’un fait avec une intention mauvaise ce qui est bon par son genre. Le mensonge comporte donc ces deux choses, car il est en lui-même désordonné. Et parce que le désordre dans la signification ne peut exister que par la fausseté de la signification, c’est la raison pour laquelle la fausse signification est incluse dans le mensonge. Or, la fausse signification ne suffit pas pour qu’il y ait péché en matière morale, lorsqu’il n’est pas au pouvoir de l’homme de signifier ce qui est vrai, pas plus que de connaître ce qui est vrai. Il faut donc qu’existe dans le mensonge une fausse signification telle qu’on s’écarte volontairement de ce qui est droit. Or, cela n’est le cas que lorsque quelqu’un dit sciemment quelque chose faux, car celui qui l’ignore n’agit pas volontairement. Par le fait même que quelqu’un dit sciemment quelque chose de faux, il a donc l’intention de signifier une fausseté. C’est pourquoi l’intention de tromper est mise dans la définition du mensonge comme ce qui le l’achève, mais la fausse signification comme son élément matériel. |
[13009] Super
Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod mentiri et mendacium in hoc differunt,
quia mendacium nominat aliquid quod secundum se est de genere malorum per
abstractionem suam; mentiri autem ratione suae concretionis importat
obliquitatem, sive peccatum ex parte dicentis. Unde aliquis dicendo illud
quod secundum se a vero non deviat, si secundum suam opinionem deviet,
mentitur; non autem quod dicit, est mendacium. |
1. Mentir et le mensonge diffèrent par le fait que le mensonge désigne quelque chose qui fait de soi partie du genre de ce qui est mal en raison par son abstraction ; mais, en raison de son caractère concret, mentir comporte une obscurité, ou un péché du côté de celui qui parle. Aussi celui qui, en disant ce qui, selon lui, ne s’écarte pas [de la vérité] ment s’il s’écarte de son opinion ; mais ce qu’il dit n’est pas un mensonge. |
[13010] Super
Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod vox homini principaliter data est ad
significandum. Unde omne signum quo quis aliquid significat, nomine vocis
intelligitur, et eo mendacium perfici potest, sicut patet in signis et
nutibus monachorum; sicut et omnes alii sensus sortiuntur nomen visus, qui
est principalior inter eos. |
2. La parole a été donnée à l’homme principalement en vue de signifier. Aussi entend-on par le mot « parole » tout signe par lequel quelqu’un signifie quelque chose, et le mensonge peut être fait par cela, comme cela ressort des signes et des gestes des moines. De la même manière, tous les autres sens portent le nom de la vue, qui est le principal d’entre eux. |
[13011] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
finis est duplex. Unus qui est proprius alicui virtuti vel
vitio, et commensuratur objecto ejus; et hujusmodi finis intentio ad speciem
virtutis vel vitii pertinet sicut et voluntas objecti: aequaliter enim est
essentiale fortitudini velle sustinere difficilia, et intendere bonum, quod
est secundum habitum. Alius est finis communis, sicut felicitas respectu
omnium virtutum; et intentio hujusmodi finis non specificat virtutem.
Intentio autem quae in definitione mendacii ponitur, est finis proprii, et
objecto proportionati. Sicut enim verax vera loquitur amore veri, ita mendax
falsum loquitur falsitatem intendens. |
3. Il existe une double fin. L’une qui est propre à une vertu ou à un vice, et qui est mesuré par son objet. L’intention de cette fin se rapporte à l’espèce de la vertu ou du vice, de même que la volonté de l’objet. En effet, il est également essentiel à la force de supporter ce qui est difficile et d’avoir l’intention du bien, ce qui est conforme à l’habitus. L’autre fin est commune, comme la félicité pour toutes les vertus. L’intention d’une telle fin ne confère pas son espèce à la vertu. Or, l’intention qui est mise dans la définition du mensonge est la fin de ce qui propre et proportionné à son objet. En effet, de même que celui qui dit vrai le dit par amour de ce qui est vrai, de même le menteur dit ce qui est faux en ayant l’intention de la fausseté. |
[13012] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod ex hoc ipso quod factum quod est de genere bonorum, fit perversa
intentione alicui vitio appropriata, ad speciem illius vitii trahitur, sicut
qui vadit ad Ecclesiam ut furetur: unde et vera vocis significatio, quando
intentione fallendi fit, ad speciem mendacii trahitur. |
4. Par le fait même que ce qui est fait, et qui appartient au genre de ce qui est bon, est accompli avec une intention perverse propre à un vice, il est attiré vers l’espèce de ce vice, comme celui qui se rend à l’église pour voler. Aussi la signification vraie d’une parole, lorsqu’elle est réalisée avec l’intention de tromper, est-elle attirée vers l’espèce du mensonge. |
[13013] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 1 ad 5 Ad ultimum dicendum,
quod intentio fallendi potest intelligi dupliciter. Uno modo respectu
fallaciae prout est in ipso fallente tantum; alio modo prout est in fallente
et in eo qui fallitur. Quicumque enim
falsum loquitur, quantum est in se, fallit, quamvis non semper aliquis per
ejus verbum fallatur. Quicumque ergo sciens, falsum loquitur, fallaciam
intendit secundum quod est in fallente. Unde ista intentio fallendi communis
est omni mendacio. Sed intentio qua aliquis intendit fallaciam non solum ut
ipse fallat, sed ut alii fallantur, non est in mendacio jocoso: unde minimum
habet de ratione mendacii. |
5. Enfin, l’intention de tromper peut s’entendre de deux manières : d’une manière, par rapport à la tromperie en tant qu’elle se trouve seulement chez celui qui trompe ; d’une autre manière, en tant qu’elle se trouve chez celui qui trompe et chez celui qui est trompé. En effet, quiconque dit ce qui est faux se trompe lui-même, bien que quelqu’un ne soit pas toujours trompé par sa parole. Quiconque le sachant dit ce qui est faux a donc comme intention de tromper, pour ce qui se trouve chez celui qui trompe. Cette intention de tromper est donc commune à tout mensonge. Mais l’intention par laquelle quelqu’un entend tromper, non seulement pour se tromper lui-même, mais pour que d’autres soient trompés, ne se rencontre pas dans le mensonge par jeu. Il comporte donc très peu la raison de mensonge. |
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Articulus 2 [13014] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a.
2 tit. Utrum divisio
mendacii in littera sit conveniens |
Article 2 – La division du mensonge donnée dans le texte est-elle appropriée ? |
[13015] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod inconvenienter mendacium dividatur in littera. Ea
enim quae secundum accidens sunt, cum infinita sint, dimittenda sunt. Sed
mendacio, inquantum hujusmodi, accidit quod fiat loco, vel commodo, vel damno
alicujus. Ergo secundum ista inconvenienter dividitur mendacium. |
1. Il semble que le mensonge soit divisé de manière inappropriée dans le texte. En effet, ce qui a le caractère d’accident, puisque cela est infini, doit être écarté. Or, il arrive par accident que le mensonge, en tant que tel, ait eu lieu dans un endroit pour l’avantage ou pour le tort de quelqu’un. Le mensonge est donc divisé de manière inappropriée selon ces choses. |
[13016] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, secundum
philosophum in 4 Ethic., ludus, cum sit quaedam requies, utilis est ad vitam etiam virtuosam.
Sed mendacium officiosum dicitur quod fit ad utilitatem alicujus, jocosum
autem quod fit causa joci. Ergo mendacium jocosum in officioso includitur,
nec deberet contra ipsum dividi. |
2. Selon le Philosophe, Éthique, IV, le jeu, puisqu’il est un repos, est utile aussi pour la vie vertueuse. Or, on appelle mensonge de complaisance ce qui est fait pour l’utilité de quelqu’un, mais le mensonge par jeu, celui qui est fait pour s’amuser. Le mensonge par jeu est donc compris dans le mensonge de complaisance et ne devrait pas lui être opposé. |
[13017] Super
Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, philosophus in 4 Ethic., dicit, quod aliquis fallax est qui
nullius gratia majora existentibus fingit. Sed mendacium jocosum, officiosum,
et perniciosum alicujus causa fit. Ergo est aliquod mendacium praeter ista
tria. |
3. En Éthique, IV, le Philosophe dit qu’est trompeur celui qui, sans aucune raison, invente des choses plus grandes que ce qui existe. Or, les mensonges de complaisance, par jeu et pernicieux sont faits en vue de quelque chose. Il en existe donc un en plus de ces trois. |
[13018] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, Augustinus
ponit octo mendacii genera. Ergo
insufficienter per tria tantum dividitur. |
4. Augustin propose huit genres de mensonges. Celui-ci est donc insuffisamment divisé en trois. |
[13019] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, videtur
quod in illis octo sit etiam aliqua superfluitas. Mendacium enim quod fit in
doctrina religionis, non distinguitur ab aliis nisi secundum materiam. Sed materialis multiplicatio
relinquenda est. Ergo non debuit hoc mendacium contra alia distingui. |
5. Il semble qu’il y ait quelque chose de superflu dans ces huit [mensonges]. En effet, le mensonge qui est fait dans l’enseignement de la religion ne se distingue des autres que selon la matière. Or, une multiplication matérielle doit être laissée de côté. Il ne devait donc pas opposer ce mensonge aux autres. |
[13020] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, philosophus, in 4 Eth.,
dividit mendacium in jactantiam et ironiam. Cum ergo haec membra hic
praetermittantur, videtur divisio insufficiens. |
6. En Éthique, IV, le Philosophe divise le mensonge en vantardise et ironie. Puisque ces éléments sont omis ici, la division semble donc insuffisante. |
[13021] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod
mendacium hic dividitur, ut cognoscatur quomodo diversimode contingit mendacio peccare; et ideo non
assignantur hic modi mendacii facientes diversitatem in ipso secundum quod
est hujusmodi, sed magis secundum quod est peccatum. Et propter hoc assignantur tres modi
mendacii, secundum quod fallacia, quae est mendacii complementum, in tribus
gradibus consistere potest. Primus gradus est ut sit tantum in fallente qui
fallit, quamvis nullus ab ipso fallatur; et hoc contingit in mendacio jocoso.
Secundus gradus est ut fallacia tantum ad opinionem audientis perveniat, ut
scilicet verum aestimet quod falsum est sibi a dicente prolatum; et in hoc
gradu consistit mendacium officiosum, in quo non pervenitur ad plus mali, nisi
quod audiens falsam intentionem concipiat quantum ad intentionem dicentis.
Tertius gradus est ut secundum ejusdem intentionem fallacia perducatur
ulterius usque ad damnum in rebus vel persona alicujus; et hoc est
perniciosum mendacium. |
Réponse. Le mensonge est divisé ici de afin de savoir comment on arrive à pécher de diverses manières par le mensonge. C’est pourquoi on n’indique pas ici les manières de mentir qui le diversifient en tant que tel, mais plutôt selon qu’il est un péché. Pour cette raison, trois manières de mentir sont indiquées selon que la tromperie, qui complète le mensonge, peut avoir trois degrés. Le premier degré est qu’il se trouve seulement chez celui qui trompe, bien que personne ne soit trompé par lui : cela se produit dans le mensonge par jeu. Le deuxième degré est que la tromperie atteigne seulement l’opinion ce celui qui l’entend, de sorte qu’il estime vraie la fausseté proférée par celui qui parle : se trouve sur ce degré le mensonge de complaisance, par lequel on ne fait pas plus de mal que le fait pour l’auditeur de concevoir une fausse opinion quant à l’intention de celui qui parle. Le troisième degré consiste en ce que, selon l’intention de celui [qui parle], la tromperie aille plus loin, jusqu’à un tort causé aux biens ou à la personne de quelqu’un : tel est le mensonge pernicieux. |
[13022] Super
Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum: quia quamvis hujusmodi accidant
mendacio inquantum hujusmodi, non tamen accidunt ei inquantum peccatum. |
1. La réponse au premier argument ressort ainsi clairement, car, bien que cela se produise en raison d’un mensonge en tant que tel, cela n’y arrive cependant pas en tant que péché. |
[13023] Super
Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis ludus aliquis sit utilis, non tamen
ludus ille talis qualis est ludus mentientis. |
2. Bien qu’un certain jeu soit utile, ce jeu n’est cependant pas tel que le jeu de celui qui ment. |
[13024] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod ille qui nullius gratia mentitur, ad mendacium jocosum reducitur, maxime
si mentiatur de indifferentibus, et quae ad nullius damnum pertinere possunt:
operationes enim ludicrae nullius gratia fiunt, ut dicitur in 10 Eth. |
3. Celui qui ment pour rien se ramène au mensonge d’amusement, surtout s’il ment à propos de choses indifférentes et qui ne peuvent aucunement avoir de rapport avec un tort causé à quelqu’un. En effet, les actes de jeu sont faits en vue de quelque chose, comme il est dit dans Éthique, X. |
[13025] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod illa octo genera mendacii sub tribus primis continentur; sed ideo magis
particulatim dividuntur quia in diversis materiis contingit esse majus vel
minus peccatum; unde tria membra secundae divisionis reducuntur ad mendacium
perniciosum. Potest enim alicui inferri nocumentum vel in spirituali vita (et
sic est primum quod fit in doctrina religionis), vel in aliis; sive
nocumentum alicui illatum in nullius profectum cedat, quod est secundus
modus; sive cedat in profectum alicujus, quod est tertius modus. Duo vero alii modi reducuntur ad mendacium
jocosum. Quia aliquando aliquis mentitur propter suam delectationem quam
habet in mentiendo, et sic est quartus modus; aliquando autem propter
delectationem alterius, cui ex mendacio placet, et sic est quintus modus.
Tres vero ultimi modi reducuntur ad officiosum mendacium. Aliquando enim
aliquis mentitur ad vitandum damnum alterius in pecunia, et sic est sextus
modus; aliquando in persona quantum ad vitam corporalem, et sic est septimus
modus; aliquando vero quantum ad ea quae virtutis sunt, et sic est octavus. |
4. Ces huit genres de mensonges sont contenus sous les trois premiers, mais il sont divisés de manière plus précise parce que, en raison des diverses matières, il arrive qu’il y ait un péché plus ou moins grand ; aussi les trois membres de la seconde division se ramènent-ils au mensonge pernicieux. En effet, on peut nuire à quelqu’un dans sa vie spirituelle (tel est le cas du premier [mensonge] qui est fait dans l’enseignement de la religion) ou dans d’autres choses, soit que le tort causé à quelqu’un aboutisse à l’absence de progrès de personne, ce qui est la deuxième manière [de mentir], soit qu’il aboutisse au progrès de quelqu’un, ce qui est la troisième manière. Mais les deux autres manières se ramènent au mensonge d’amusement, car on ment parfois pour le plaisir qu’on a de mentir : c’est ainsi la quatrième manière ; mais parfois pour le plaisir d’un autre, qui prend plaisir au mensonge : c’est ainsi la cinquième manière. Les trois dernières manières se ramènent au mensonge de complaisance. En effet, on ment parfois pour éviter un dommage à quelqu’un en matière d’argent : c’est la sixième manière ; parfois, [pour éviter un dommage] à la personne pour sa vie corporelle : c’est la septième manière ; mais parfois, pour ce qui relève de la vertu : c’est ainsi la huitième manière. |
[13026] Super
Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod materialis multiplicatio debuit hic tangi,
inquantum diversa quantitas culpae per eam insinuatur. |
5. La multiplication matérielle devait être ici abordée pour autant qu’une quantité différente de la faute est suggérée par elle. |
[13027] Super
Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 2 ad 6 Ad ultimum dicendum, quod philosophus assignat duas species mendacii
secundum quod opponitur virtuti; et ideo divisit mendacium in superfluum,
quod est jactantia, et diminutum, quod est ironia. Jactator enim est qui
majora de se fingit quam sint; ironia autem quae minora. Hic autem dividitur
mendacium ad cognoscendum quantitatem in ipso; et ideo oportuit aliter
dividere. |
6. Enfin, le Philosophe signale deux espèces de mensonge selon qu’il s’oppose à la vertu. Il divise ainsi le mensonge en superflu, ce qui est la vantardise, et en diminué, ce qui est l’ironie. En effet, le vantard est celui qui invente à son sujet des choses plus grandes qu’elles ne le sont, mais l’ironie, des choses moindres. Le mensonge est divisé ici afin d’en connaître la quantité ; il fallait donc le diviser autrement. |
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Articulus 3 [13028] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a.
3 tit. Utrum omne
mendacium sit peccatum |
Article 3 – Tout mensonge est-il un péché ? |
[13029] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3
arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod non
omne mendacium sit peccatum. Nullum enim peccatum fit instinctu spiritus
sancti. Sed Jacob, ut in littera dicitur, propter familiare consilium
spiritus sancti, quod a matre acceperat, dixit se esse primogenitum, cum non
esset, Genes. 27: et ita mentitus est. Ergo aliquod mendacium non est
peccatum. |
1. Il semble que tout mensonge ne soit pas un péché. En effet, aucun péché n’est commis sous l’inspiration du Saint-Esprit. Or, Jacob, comme le dit le texte, en raison d’un conseil intime du Saint-Esprit qu’il avait reçu de sa mère, a dit qu’il était le premier-né, alors qu’il ne l’était pas, Gn 27. Il a donc ainsi menti. Un certain mensonge n’est donc pas un péché. |
[13030] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, nullum peccatum remuneratur a Deo.
Sed obstetrices Aegypti sunt remuneratae a Deo pro mendacio quod Pharaoni
dixerunt, ut dicitur Exod. 1. Ergo aliquod mendacium non est peccatum. |
2. Aucun péché n’est récompensé par Dieu Or, les sages-femmes de l’Égypte ont été récompensées par Dieu pour le mensonge qu’elles ont dit au pharaon, comme on le dit dans Ex 1. Un certain mensonge n’est donc pas un péché. |
[13031] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, nullus
virtuosus, inquantum hujusmodi, peccat. Sed secundum philosophum in 4 Ethic.,
ad virtutem veritatis pertinet declinare ad minus, in quo aliquod mendacium
est. Ergo non omne
mendacium est peccatum. |
3. Aucun homme vertueux en tant que tel ne pèche. Or, selon le Philosophe, Éthique, IV, il relève de la vertu de véracité de pencher vers le moins, ce en quoi il y a un certain mensonge. Tout mensonge n’est donc pas un péché. |
[13032] Super
Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, ut dicitur 2 Petr. 1, 21: spiritu sancto inspirati
locuti sunt sancti Dei homines, qui Scripturas divinas ediderunt. Sed
inveniuntur in Scripturis aliquae locutiones quae non sunt verae secundum
quod verba sonant, sicut quod ligna silvae iverunt ad rhamnum, ut eis
imperaret, Judic. 9. Cum ergo per inspirationem spiritus sancti non fiat
aliquod peccatum, videtur quod non omne mendacium sit peccatum. |
4. Ainsi qu’il est dit en 2 P 1, 21 : Les saints de Dieu ont parlé sous l’inspiration de l’Esprit saint, eux qui ont produit les Écritures divines. Or, on trouve dans les Écritures certaines formules qui ne sont pas vraies au sens propre des mots, comme le fait que les arbres de la forêt se mirent en marche vers un arbrisseau épineux pour qu’il leur commande, Jg 9, 8. Puisque que, sous l’inspiration de l’Esprit saint, aucun péché n’est commis, il semble donc que tout mensonge ne soit pas un péché. |
[13033] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, vitium
mendacii, quod virtuti veritatis opponitur, non solum est in dictis, sed
etiam in factis. Sed sine
peccato potest aliquis aliquando significare facto quod non est, sicut de
Christo legitur Luc. ultimi, quod finxit se longius ire: similiter etiam
Josue, qui simulavit se fugere ante habitatores hai, et David qui simulavit
se stultum ante regem Achis. Ergo et verbo potest aliquis sine peccato
mentiri. |
5. Le vice du mensonge, qui s’oppose à la vertu de véracité, n’est pas accompli en paroles seulement, mais aussi en actes. Or, quelqu’un peut-il parfois signifier sans péché ce qui n’existe pas, comme on lit du Christ, Lc 24, qu’il fit semblant de s’éloigner. De même aussi, à propos de Josué, qui fit semblant de fuir devant les habitants de Hai, et David, qui fit semblant d’être fou devant le roi Achis. Quelqu’un peut donc sans péché mentir aussi en paroles. |
[13034] Super
Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, mendacium non videtur esse peccatum nisi ex eo quod fallit.
Sed aliquando expedit homini ut in aliquo fallatur et erret, ut in littera
dicitur, et in multis casibus patet. Ergo aliquando potest aliquis sine
peccato mentiri. |
6. Le mensonge ne semble exister que du fait qu’il trompe. Or, il convient parfois à l’homme qu’il soit trompé ou qu’il erre sur quelque point, comme on le dit dans le texte, et comme cela ressort clairement dans bien des cas. Quelqu’un peut donc parfois mentir sans péché. |
[13035] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, nullus
actus congruus est peccatum. Sed mendacium officiosum est hujusmodi: quia
officium est congruus actus personae secundum statuta patriae. Igitur et cetera. |
7. Aucun acte convenable n’est un péché. Or, le mensonge de complaisance est de ce genre, car la fonction est l’acte qui convient à une personne selon les décisions de la patrie. Donc, etc. |
[13036] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra,
Augustinus in Lib. de Mend., dicit: quisquis aliquod genus mendacii quod
peccatum non sit, esse putaverit, seipsum turpiter decipit. Ergo omne mendacium peccatum est. |
Cependant, [1] Augustin dit dans le livre Sur le mensonge : « Quiconque pense qu’il existe un genre de mensonge qui n’est pas péché se trompe honteusement. » Tout mensonge est donc un péché. |
[13037] Super
Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, omnis inordinatio in actibus humanis, si voluntaria sit,
peccatum est. Sed ubicumque est mendacium, est aliqua inordinatio, quia
adhibetur vox ad significandum aliquid quod significabile non est. Ergo omne
mendacium est peccatum. |
[2] Tout désordre dans les actes humains, s’il est volontaire, est un péché. Or, partout où il y a mensonge, existe un désordre, car la parole est prise pour signifier quelque chose qui ne doit pas être signifié. Tout mensonge est donc un péché. |
[13038] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, nihil
opponitur virtuti nisi peccatum. Sed omne mendacium opponitur virtuti, quae
est veritas, ut in 4 Ethic. patet. Ergo omne mendacium est peccatum. |
[3] Rien ne s’oppose à la vertu que le péché. Or, tout mensonge s’oppose à la vertu qu’est la véracité, comme cela ressort d’Éthique, IV. Tout mensonge est donc un péché. |
[13039] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod
cum malum omnifariam contingat, cujuslibet circumstantiae perversitas, etiam aliis circumstantiis
debitis existentibus, peccatum in moribus facit; ut si aliquis accipiat unde
non debet, quantumcumque bonum intendat, vel aliae circumstantiae ordinatae
videantur, peccatum non evitabit. Cum autem locutio inventa sit ad exprimendam conceptionem cordis,
quandocumque aliquis loquitur quod in corde non habet, loquitur quod non
debet. Hoc autem contingit in omni mendacio; unde omne mendacium est
peccatum, quantumcumque aliquis propter bonum mentiatur. |
Réponse. Puisque le mal arrive de multiples façons, le caractère déraisonnable de n’importe quelle circonstance, même si les autres circonstances nécessaires existent, cause un péché dans le comportement, de sorte que si quelqu’un saisit ce qu’il ne doit pas [saisir], aussi grand soit le bien qu’on ait en vue ou même si les autres circonstances paraissent ordonnées, on n’évitera pas le péché. Puisque le langage a été inventé pour exprimer ce que le cœur conçoit, chaque fois donc que quelqu’un exprime par la parole ce qu’il n’a pas dans le cœur, il dit ce qu’il ne doit pas [dire]. Or, cela se produit dans tout mensonge. Tout mensonge est donc un péché, quel que soit le bien pour lequel quelqu’un ment. |
[13040] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod verba quae Jacob protulit, secundum aliquem intellectum
necessitatem vel veritatem habuerunt: sibi enim primogenitura Dei electione
debebatur, et ad illum intellectum spiritus sanctus verba ordinabat, cujus
instinctu et intellectu loquebatur, sive ipse illum intellectum ex verbis
acciperet explicite, sive implicite hoc significare intenderet ad quod
spiritus sanctus ordinabat; unde a mendacio excusatur. Et eadem ratio est de
omnibus verbis quae mendacium sapere videntur ab illis viris prolata in
quibus mendacium concedere nefarium videtur. |
1. Les paroles proférées par Jacob avaient une certaine nécessité ou vérité, selon une certaine interprétation. En effet, la primogéniture lui était due selon l’élection par Dieu, et le Saint-Esprit, sous l’inspiration et l’intelligence de qui il parlait, ordonnait ces paroles vers cette interprétation, soit que [Jacob] lui-même tire explicitement l’interprétation de ces paroles, soit qu’il ait eu implicitement l’intention de signifier ce à quoi le Saint-Esprit les ordonnait. Il est donc exempt de mensonge. Le même raisonnement vaut pour toutes les paroles qui paraissent avoir une saveur de mensonge, proférées qu’elles sont par des hommes chez qui il paraît abominable de reconnaître un mensonge. |
[13041] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod obstetrices mentitae sunt ad litteram: nec pro mendacio remuneratae
sunt, sed pro pietate, quia pueros Hebraeorum liberaverunt. |
2. Les sages-femmes ont menti au sens littéral, et elles n’ont pas été récompensées pour leur mensonge, mais pour leur piété, car elles ont libéré les enfants des Hébreux. |
[13042] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod in majori includitur minus, et non e converso. Et quando virtuosus
eligit minus dicere de se quam possit, secundum rei veritatem non mentitur,
sed aliquod verum tacet. |
3. Le moins est compris dans le plus, mais non l’inverse. Et lorsqu’un homme vertueux choisit d’en dire moins à son sujet qu’il ne le peut, il ne ment pas vraiment, mais il tait quelque chose de vrai. |
[13043] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod verba quae in sacra Scriptura sunt scripta, aut sunt verba
ejus qui Scripturam edidit, aut sunt verba alicujus qui in Scriptura
recitatur loquens. Si primo modo, sic non contingit in eis mendacium, quia in
figurativis locutionibus non est sensus verborum quem primo aspectu faciunt,
sed quem proferens sub tali modo loquendi facere intendit, sicut qui dicit,
quod pratum ridet, sub quadam rei similitudine intendit significare prati
floritionem. Si autem sunt verba alicujus qui recitatur loquens, aut sunt
alicujus cujus malitia in Scriptura arguitur, et sic non est inconveniens
quod sint ibi etiam mendacia, sicut verba Judaeorum Christum blasphemantium:
aut alicujus qui commendatur non de perfectione virtutis, sed de profectu,
sicut obstetrices commendantur quod in hoc profecerunt quod non in damnum
alicujus, sed in obsequium divinum mentitae sunt: aut sunt verba alicujus qui
commendatur de perfectione virtutis, et in exemplum proponitur; et tunc est
eadem ratio sicut de verbis Scripturae. |
4. Les mots qui ont été écrits dans la Sainte Écriture sont soit les mots de celui qui a produit l’Écriture, soit les mots de quelqu’un qui rapporte [quelque chose] dans l’Écriture en parlant. S’il s’agit du premier cas, le mensonge n’existe pas ainsi en elles, car, dans les expressions figurées, ce n’est pas le le sens que les mots ont à première vue, mais celui que celui qui parle entend exprimer par une telle manière de parler ; ainsi celui qui dit que le pré est riant entend signifier par la ressemblance d’une chose la floraison du pré. Mais s’il s’agit des paroles de quelqu’un qui rapporte en parlant, ce sont soit celles de quelqu’un dont la malice est blâmée dans l’Écriture, et ainsi il n’est pas inapproprié qu’il y ait là aussi des mensonges, comme les paroles des Juifs blasphémant le Christ ; soit celles de quelqu’un qui est loué, non pas pour la perfection de sa vertu, mais pour son succès, comme les sages-femmes sont louangées parce qu’elles ont fait ce qui n’était pas nuisible à quelqu’un, mais elles ont menti au service de Dieu ; soit les paroles de quelqu’un qui est loué pour la perfection de sa vertu et est proposé en exemple ; le raisonnement est alors le même que pour les paroles de l’Écriture. |
[13044] Super
Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod facta non sunt ordinata de se ad
significandum sicut voces: et ideo non oportet quod si aliquid fiat per quod
aliquid falsum detur intelligi, hoc ipso fiat quod non debet fieri, sicut
dicitur quod non debet dici quando falsum voce significatur. Unde non oportet
quod omne tale factum sit peccatum, et praecipue quando factum in
significationem alicujus exhibetur: tunc enim eadem ratio est de illis
factis, et de locutionibus figurativis. Sicut enim locutio figurativa
veritatem habet non a sensu quem verba habent in primo aspectu, sed ab eo
quem loquens facere intendit; ita etiam quod dominus ostendit se velle
longius ire, quasi per similitudinem elongationis in itinere, significabat
elongationem sui a cognitione discipulorum; et in hoc veritatem habebat. |
5. Les actes ne sont pas ordonnés en eux-mêmes à signifier comme les paroles. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que, si quelque chose est fait qui prête à une fausse interprétation, ce soit par le fait même quelque chose qui ne doit pas être fait, comme on dit qu’il ne faut pas parler lorsque quelque chose de faux est signifié par une parole. Il n’est donc pas nécessaire que tout acte de ce genre soit un péché, surtout lorsque l’acte sert à signifier quelque chose. En effet, le raisonnement est alors le même pour ces actes et pour les expressons figuratives. En effet, de même qu’une expression figurative tient sa vérité, non pas du sens qu’ont les paroles à première vue, mais du [sens] que celui qui parle entend exprimer en parlant, de même aussi le fait que le Seigneur montre qu’il veut aller plus loin, par une ressemblance avec l’éloignement sur la route, signifiait son éloignement par rapport à la connaissance de ses disciples. En cela, il était vrai. |
[13045] Super
Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis alicui prosit in aliquo casu falli,
non tamen propter hoc bonum, aliquod malum faciendum est, sicut nec est
furandum, ut eleemosynae dentur: et ita cum mendacium de se inordinationem
habeat, non est mentiendum pro quocumque alterius commodo. |
6. Bien qu’il soit utile à quelqu’un d’être trompé dans un cas, un mal ne doit cependant pas être fait en vue de ce bien, de même qu’on ne doit pas voler pour faire l’aumône. Ainsi, puisque le mensonge comporte en soi un désordre, on ne doit pas mentir pour n’importe quel bien d’un autre. |
[13046] Super
Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 3 ad 7 Ad ultimum dicendum, quod mendacium dicitur officiosum non ratione
sui, sed ratione causae quae ad mentiendum inclinat. |
7. Enfin, on parle de mensonge de complaisance non pas pour lui-même, mais en raison de la cause qui incline à mentir. |
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Articulus 4 [13047] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a.
4 tit. Utrum omne
mendacium sit peccatum mortale |
Article 4 – Tout mensonge est-il un péché mortel ? |
[13048] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4
arg. 1 Ad quartum sic
proceditur. Videtur quod omne mendacium sit peccatum mortale. Omne enim
peccatum quod in perditionem adducit, est peccatum mortale. Sed in Psalm. 5, 7, dicitur: perdes omnes qui
loquuntur mendacium. Ergo omne mendacium est peccatum mortale. |
1. Il semble que tout mensonge soit un péché mortel. En effet, tout péché qui mène à la perdition est un péché mortel. Or, dans Ps 5, 7, il est dit : Tu perdras tous ceux qui mentent. Tout mensonge est donc un péché mortel. |
[13049] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, omne id
quod in subversionem fidei vergit, est peccatum mortale. Sed mendacium est
hujusmodi, ut Augustinus probat in Lib. de Mendac. Ergo omne mendacium est peccatum mortale.
Minor patet ex hoc quod si in aliquo casu mentiri licet, tunc non semper
oportet fidem bono homini adhibere; et si in aliquo non sibi creditur, non
erit necessitas ut in aliis sibi credatur. |
2. Tout ce qui tourne au renversement de la foi est un péché mortel. Or, le mensonge est de ce genre, comme le montre Augustin dans le livre Sur le mensonge. Tout mensonge est donc un péché mortel. La mineure ressort du fait que, s’il est permis de mentir dans un cas, il ne faut donc pas toujours croire un homme bon, et si on ne le croit pas sur un point, il ne sera pas nécessaire de le croire pour les autres choses. |
[13050] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, si aliquod
mendacium excusetur a peccato mortali, praecipue mendacium officiosum tale
esse videtur. Sed mendacium officiosum est peccatum mortale, cum per ipsum
aeterna merces in temporalem commutetur. Gregorius enim dicit in Glossa Exod.
1 de obstetricibus: benignitatis earum merces, quae in aeterna vita
remunerari poterat, per culpam mendacii in terrenam recompensationem
commutata est. Ergo omne mendacium est peccatum mortale. |
3. Si un mensonge est exempt de péché mortel, il semble que ce soit surtout le cas du mensonge de complaisance. Or, le mensonge de complaisance est un péché mortel, puisqu’une récompense éternelle est changée par lui en récompense temporelle. En effet, Grégoire dit dans la Glose sur Ex 1, à propos des sages-femmes : « La récompense de leur bonté, qui pouvait être récompensée dans la vie éternelle, a été changée en récompense terrestre par la faute du mensonge. » Tout mensonge est donc un péché mortel. |
[13051] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, in
littera dicitur, quod perfectis viris damnabile est pro commodo alterius
mentiri. Sed nullum peccatum dicitur esse damnabile, nisi mortale. Ergo
mendacium officiosum perfectis est mortale; et eadem ratione omne aliud
mendacium, cum mendacium officiosum minus videatur esse damnosum; et per
consequens etiam in aliis omne mendacium peccatum mortale est, quia perfecti
non sunt pejoris conditionis quam alii. |
4. Il est dit dans le texte qu’il est répréhensible pour des hommes parfaits de mentir à l’avantage d’un autre. Or, aucun péché n’est dit répréhensible, sauf le péché mortel. Le mensonge de complaisance est donc mortel pour les parfaits et, pour la même raison, tout autre mensonge, puisque le mensonge de complaisance semble être le moins dommageable. Par conséquent, tout mensonge en d’autres matières est un péché mortel, parce que les parfaits n’ont pas une condition pire que les autres. |
[13052] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, nihil
prohibetur divino praecepto nisi peccatum mortale. Sed in prohibitione falsi
testimonii prohibetur omne mendacium, sicut Augustinus dicit in Lib. de
mendacio. Ergo omne
mendacium est peccatum mortale. |
5. Rien n’est interdit par un commandement divin que le péché mortel. Or, tout mensonge est interdit par l’interdiction du faux témoignage, comme le dit Augustin dans le livre Sur le mensonge. Tout mensonge est donc un péché mortel. |
[13053] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, propter
peccatum mortale non aedificantur spirituales domus. Sed obstetricibus
aedificavit Deus spirituales domos, secundum Hieronymum. Ergo obstetrices mentiendo mortaliter non
peccaverunt; et ita non omne mendacium est mortale peccatum. |
Cependant, [1] des demeures spirituelles ne sont pas édifiées en raison du péché mortel, Or, Dieu a édifié pour les sages-femmes des demeures spirituelles, selon Jérôme. En mentant, les sages-femmes n’ont donc pas péché mortellement, et ainsi tout mensonge n’est pas un péché mortel. |
[13054] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, nullum
peccatum mortale alicui conceditur. Sed in Glossa super 1 Exod. dicitur quod
infirmis conceditur mentiri. Ergo non omne mendacium est peccatum mortale. |
[2] Aucun péché mortel n’est autorisé pour un autre. Or, dans la Glose, à propos de Ex 1, il est dit qu’il est permis de mentir aux malades. Tout mensonge n’est donc pas un péché mortel. |
[13055] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, Gregorius dicit,
quod mendacium officiosum facile credimus relaxari. Sed peccatum ex hoc dicitur veniale quod facile remittitur. Ergo mendacium officiosum est peccatum
veniale. |
[3] Grégoire dit que nous croyons que le mensonge de complaisance est facilement pardonné. Or, un péché est appelé véniel parce qu’il facilement remis. Le mensonge de complaisance est donc un péché véniel. |
[13056] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod
peccatum mortale dicitur quod hominem vita spirituali privat. Spiritualis autem vita per
caritatem est; unde illa peccata ex sui genere mortalia sunt quae contra
dilectionem Dei vel proximi vergunt. Et ideo duplex genus mendacii peccatum mortale ponendum est. Primum
quod contra Deum est, sicut cum quis in doctrina religionis mentitur.
Secundum est quod in detrimentum justitiae ad proximum vergit: sive sit tale
mendacium quod ad perversionem judicii ordinatur, sicut cum quis in loco
judicii falsum dicit; sive sit in nocumentum alicujus, quod sine mortali
peccato esse non potest. Alia vero mendacia, quia inordinationem quamdam
habent, non tamen a dilectione Dei et proximi avertunt; peccata sunt, sed
sunt venialia. |
Réponse. On appelle péché mortel celui qui prive l’homme de la vie spirituelle. Or, la vie spirituelle vient de la charité ; aussi les péchés qui vont contre l’amour de Dieu ou du prochain sont-ils mortels par leur genre. C’est pourquoi il faut affirmer qu’un double genre de mensonge est péché mortel. Le premier, celui qui va à l’encontre de Dieu, comme lorsque quelqu’un ment dans l’enseignement de la religion. Le second est celui qui va à l’encontre de la justice envers le prochain, qu’un tel mensonge soit celui qui est ordonné à la subversion d’un jugement, comme lorsque quelqu’un dit une fausseté en procès, ou qu’il soit nuisible à quelqu’un, ce qui ne peut exister sans péché mortel. Mais les autres mensonges sont des péchés parce qu’ils comportent un certain désordre, mais ils ne détournent cependant pas de l’amour de Dieu et du prochain. Ce sont des péchés, mais ils sont véniels. |
[13057] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod auctoritas illa non loquitur de omni mendacio, sed de pernicioso tantum. |
1. Cette autorité ne parle pas de tout mensonge, mais du mensonge pernicieux seulement. |
[13058] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod mendacium prolatum, si aestimetur esse licitum, ipsa
aestimatio in subversionem fidei verget; non tamen oportet quod omne
mendacium ad subversionem fidei ordinetur, praecipue cum non sit de his quae
ad fidem spectant. |
2. Si l’on juge qu’un mensonge proféré est permis, le jugement lui-même tourne à la subversion de la foi ; il n’est cependant pas nécessaire que tout mensonge soit ordonné à la subversion de la foi, surtout lorsqu’il ne porte pas sur ce qui concerne la foi. |
[13059] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod de mendacio obstetricum diversa est opinio. Quidam enim dicunt quod
mendacium fuit ad conservandum vitam puerorum; et sic fuit officiosum, et
veniale peccatum. Fuit etiam ad
conservandum vitam propriam; et sic fuit libidinosum, et mortale peccatum.
Sed hoc non videtur rationabile: quia non minus debet homo suam vitam tueri
quam alterius. Et ideo alii dicunt, quod in actibus obstetricum tria est
considerare. Primo ipsam pietatem qua pueris parcere voluerunt; et quantum ad
hoc vel meruerunt, vel ad meritum disponebantur; et secundum hoc
intelligendum est verbum Hieronymi, quod aedificavit eis Deus domos
spirituales. Fuit etiam ibi mendacium, quod sive pro liberatione puerorum
sive pro liberatione vitae propriae (quod magis videtur subtiliter
discutienti secundum Gregorii dictum) peccatum veniale fuit; et sic habent
laudem secundum Augustinum in Lib. de mendacio, non perfectae justitiae, sed
profectus ad justitiam. Fuit etiam ibi omissio confessionis divinae veritatis
et justitiae, si tamen coram Pharaone tunc confiteri tenebantur; et quantum
ad hoc potuit ibi esse peccatum mortale. Et secundum hoc potest intelligi
quod merces aeterna eis in temporalem commutata est. Vel si ex hoc mortaliter
non peccaverunt, dicitur merces aeterna in temporalem commutata, quia earum
benignitas gratia non informata remunerationem temporalem habuit, quae
gratiae adjuncta habuisset aeternam. |
3. À propos du mensonge des sages-femmes, les opinions varient. En effet, certains disent que le mensonge visait à préserver la vie des enfants ; c’était ainsi un mensonge de complaisance et un péché véniel. Il visait aussi à préserver leur propre vie ; il suivait ainsi la passion et était mortel. Mais cela ne semble pas raisonnable, car on ne doit pas moins protéger sa vie que celle d’un autre. C’est pourquoi d’autres disent que, parmi les actes des sages-femmes, trois choses doivent être envisagées. Premièrement, la piété par laquelle elles ont voulu protéger les enfants : sur ce point, elles ont mérité ou elles étaient disposées à mériter. C’est de cette manière que doit être comprise la parole de Jérôme, que « Dieu leur a édifié des demeures spirituelles ». Il y avait aussi là un mensonge en vue de la libération des enfants ou de la libération de leur propre vie (ce qui apparaît à celui qui examine la chose avec une plus grande finesse, selon ce que dit Grégoire) ; c’est là un péché véniel, et elles méritent ainsi d’être louangées, selon Augustin, dans le livre Sur le mensonge, non pas pour leur parfaite justice, mais pour leur progrès vers la justice. Il y avait aussi là une omission de la confession de la vérité et de la justice divines, à supposer qu’elles étaient obligées de faire une telle confession devant le pharaon : sur ce point, il pouvait y avoir péché mortel. On peut ainsi penser que leur récompense éternelle a été changée en [récompense] temporelle. Ou bien, si elles n’ont pas péché mortellement, on dit que leur récompense éternelle a été changée en [récompense] temporelle parce que leur bonté, sans la forme de la grâce, a obtenu une récompense temporelle ; associée à la grâce, elle aurait été une [récompense] éternelle. |
[13060] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4
ad 4 Ad quartum
dicendum, quod secundum quosdam omne mendacium viris perfectis peccatum
mortale est; cujus rationem dupliciter aliqui assignant. Quidam enim sumunt
rationem ex perfectione caritatis, per quam mens hominis summae veritati
adhaeret; adeo quod omne mendacium eorum cum deliberatione et ex contemptu
est; unde non potest esse veniale, sicut nec homo in primo statu venialiter
peccare potuit. Sed hoc nihil est dictu: quia eadem ratione nullum aliud
peccatum veniale committere possent, quod falsissimum est in quantumcumque
perfectissimis viris, cum etiam in apostolis peccatum veniale fuerit. 1 Joan. 1, 8: si
dixerimus, quod peccatum non habemus, ipsi nos seducimus. Alii vero
sumunt rationem ex perfectione status secundum quod aliqui perfectionem in
publico praetendunt, ut religiosi et praelati; et istis adhibetur fides
tamquam conservatoribus veritatis; unde si in aliquo a veritate deviarent,
nec eis nec aliis fides adhiberetur, et sic fieret magnum praejudicium
veritati. Sed hoc iterum nihil est: quia non creditur eis tamquam
conservatoribus veritatis in omnibus eorum factis vel dictis, sed in illis
tantum quae ad officium conservandae veritatis spectant, sicut doctrina et
judicium, in quibus si a veritate deviarent, non est dubium quin peccarent
mortaliter. Et ideo dicendum, quod nec mendacium nec aliquod peccatum quod ex
genere suo peccatum mortale non est, perfectis viris mortale peccatum fit,
nisi sit contra eorum votum. Sed per accidens potest eis mortale fieri sicut et aliis, ut si fiat
contra conscientiam, quamvis errantem, vel ratione scandali, vel alicujus
hujusmodi. Quod vero dicitur in littera, quod mendacium officiosum perfectis
viris est damnabile, intelligendum est comparative: quia in eodem genere
peccati magis peccat perfectus quam imperfectus, quamvis uterque venialiter
vel mortaliter. Non tamen haec circumstantia aggravans aggravat in infinitum,
ut quod uni est veniale, alteri mortale fiat. |
4. Selon certains, tout mensonge est un péché mortel pour les parfaits. Ils en donnent deux raisons. En effet, certains tirent argument de la perfection de la charité, par laquelle l’esprit de l’homme adhère à la Vérité suprême, au point que chacun de leurs mensonges est fait délibérément et par mépris. Il ne peut donc être véniel, de même que l’homme ne pouvait pécher véniellement dans son premier état. Mais c’est là ne rien dire, car, pour la même raison, ils ne pourraient commettre aucun péché véniel, ce qui est tout à fait faux dans tous les cas pour les hommes parfaits, puisque le péché véniel a existé même chez les apôtres, 1 Jn 1, 8 : Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes. Mais d’autres tirent argument de la perfection de l’état par lequel certains prétendent publiquement à la perfection, comme les religieux et les prélats. Nous leur faisons confiance comme à ceux qui préservent la vérité. Si donc ils s’écartent en quelque manière de la vérité, on ne pourrait accorder foi ni à eux ni aux autres, et ainsi serait causée un grand préjudice à la vérité. Mais cela non plus ne vaut rien, car on ne croit pas à eux comme à ceux qui préservent la vérité dans tous leurs actes paroles et toutes leurs paroles, mais seulement seulement dans ceux qui se rapportent à leur fonction de préservation de la vérité, comme l’enseignement et le jugement ; s’ils devaient s’écarter de la vérité dans ces choses, il ne fait aucun doute qu’ils pécheraient mortellement. C’est pourquoi il faut dire que ni un mensonge ni un péché, qui n’est pas un péché mortel par son genre, ne devient un péché mortel pour les parfaits, que s’il est accompli contre leur vœu. Mais il peut être mortel par accident, comme pour les autres, de sorte que, s’il est accompli à l’encontre de leur conscience, tout errante qu’elle soit, ou en raison d’un scandale ou de quelque chose de cette sorte. Ce qu’on dit dans le texte, que le mensonge de complaisance est dommageable pour les parfaits, doit s’entendre de manière comparative, car, à l’intérieur d’un même genre de péché, le parfait pèche davantage que l’imparfait, bien que les deux [pèchent] véniellement ou mortellement. Cependant, cette circonstance aggravante n’aggrave pas à l’infini, de sorte qu’il devienne véniel pour l’un et mortel pour un autre. |
[13061] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod
divino praecepto prohibetur aliquid dupliciter. Uno modo
directe, quod contra praeceptum dicitur; et sic prohibetur mendacium
perniciosum, quod ex ipsa forma praecepti patet: non loqueris contra
proximum tuum falsum testimonium. Alio modo indirecte, quod praeter
praeceptum dicitur; et sic mendacium jocosum et officiosum, sicut et alia
peccata venialia, praecepto divino prohibentur. |
5. Quelque chose est interdit par un commandement divin de deux manières. D’une manière, directement : on dit que cela va à l’encontre du commandement. Ainsi est interdit le mensonge pernicieux, ce qui ressort de la forme même du commandement : Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain. D’une autre manière, indirectement : on dit que cela va au-delà du commandement. Ainsi le mensonge par jeu et le mensonge de complaisance, comme tous les autres péchés véniels, sont-ils interdits par le commandement divin. |
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Articulus 5 [13062] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a.
5 tit. Utrum gradus
mendaciorum convenienter assignentur in littera |
Article 5 – Les degrés de mensonges sont-ils attribués de manière appropriée dans le texte ? |
[13063] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic
proceditur. Videtur quod
inconvenienter gradus mendaciorum in littera assignentur. Quandocumque enim
aliquis falsum scienter loquitur, mentitur. Sed aliquis disputando falsum scienter
loquitur etiam in his quae ad fidem pertinent. Ergo dicit mendacium in doctrina
religionis. Sed hoc non est gravius mendacio pernicioso. Ergo mendacium quod fit
in doctrina, non est primum et gravissimum mendacium. |
1. Il semble que les degrés de mensonges soient attribués de manière inappropriée dans le texte. En effet, chaque fois que quelqu’un dit sciemment une fausseté, il ment. Or, en disputant, on dit une fausseté, même pour ce qui relève de la foi. On dit donc un mensonge dans l’enseignement de la religion. Or, cela n’est pas plus grave qu’un mensonge pernicieux. Le mensonge qui est fait en enseignant n’est donc pas le premier et le plus grave des mensonges. |
[13064] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, contingit
quod de his quae ad fidei religionem pertinent, aliquis joco mentiatur; nec
tamen hoc gravius reputaretur quam mendacium vergens in grave damnum proximi.
Ergo idem quod prius. |
2. Il arrive que l’on mente par jeu à propos de ce qui relève de la religion de la foi; cependant, cela ne serait pas considéré comme plus grave qu’un mensonge tendant à un tort grave fait au prochain. La conclusion est ainsi la même que précédemment. |
[13065] Super
Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, officiosum mendacium plus habet de ratione mendacii quam
jocosum, ut ex dictis patet. Cum ergo jocosum mendacium praeponatur officioso, videtur quod
inconvenienter ordinetur. |
3. Le mensonge de complaisance comporte une plus grande part de la raison du mensonge, comme cela ressort de ce qui a été dit. Puisque que le mensonge par jeu est placé avant le mensonge de complaisance, il semble donc qu’il soit ordonné de manière inappropriée. |
[13066] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, cuicumque
malitia propter seipsam placet, videtur in spiritum sanctum peccare. Sed
peccatum in spiritum sanctum est gravissimum, ut in 2 Lib., dist. 43, qu. 1,
art. 2, dictum est. Cum ergo ille qui mentitur sola mentiendi libidine, in
ipsa malitia delectari videatur, videtur quod hoc mendacium ceteris sit
gravius, quod tamen quarto loco ponitur. |
4. Tous ceux à qui plaît la méchanceté pour elle-même semblent pécher contre l’Esprit saint. Or, le péché contre l’Esprit saint est le plus grave, comme on l’a dit dans le livre II, d. 43, q, 1, a. 2. Puisque celui qui ment par le seul désir de mentir semble se délecter de la malice elle-même, il semble donc que ce mensonge soit plus grave que les autres, alors qu’on lui donne la quatrième place. |
[13067] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, quanto
majus nocumentum per mendacium evitatur, tanto est minus peccatum. Sed majus
damnum est corporis mors quam corporis immunditia. Ergo septimum mendacium quod fit ad tuendum
vitam, deberet postponi octavo, quod fit ad tuendum aliquem ab immunditia
corporali. |
5. Plus grande est le tort évité par le mensonge, plus petit est le péché. Or, la mort corporelle est un plus grand tort que l’impureté du corps. Le septième mensonge, qui est fait pour préserver sa vie, devrait donc être le huitième, qui est fait pour préserver quelqu’un d’une impureté corporelle. |
[13068] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 s. c. 1 In contrarium est auctoritas Augustini in libro de mendacio. |
Cependant, [1] l’autorité d’Augustin, dans le livre Sur le mensonge, va en sens contraire. |
[13069] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod quodlibet peccatum
secundum suum genus habet aliquam quantitatem, cui addi vel subtrahi potest
ratione alicujus adjuncti; unde et quantitas mendacii secundum tres gradus
potest considerari. Primus gradus est, quando quantitas mendacii ex aliquo
adjuncto augmentatur. Hoc autem adjunctum, mendacium aggravans, est vel
profanatio divinorum, quae est conditio maxime aggravans; et ideo mendacium
quod fit in doctrina religionis, ponitur primum; vel est nocumentum
proximorum, quod quidem mitigatur, si nocumento aliqua utilitas adjungatur;
et ideo in secundo ordine ponitur mendacium quod alicui obest, et nulli
prodest; in tertio vero mendacium quod alicui prodest, et nulli obest.
Secundus vero gradus mendacii consideratur sine additione vel diminutione.
Sed quia in quolibet genere peccati gravius est peccatum quod ex habitu
procedit inquantum ex libidine majori fit; ideo in quarto loco ponitur
mendacium quod fit ex libidine mentiendi; quia unicuique habenti habitum
delectabilis est operatio secundum proprium habitum. Quinto vero loco ponitur
mendacium quod non videtur ex habitu procedere, sed ex intentione alicujus
finis extranei, quae tamen mendacium non aggravat nec alleviat, sicut quod
fit ex intentione placendi vel delectandi. Tertius gradus est in quo
consideratur quantitas mendacii diminuta ex aliquo adjuncto, quod est
intentio utilitatis, quae tanto magis alleviat, quanto damnum est gravius
quod vitatur; et ideo in sexto loco ponitur mendacium quod fit ad vitandum
sublevationem pecuniae: septimum mendacium quod fit ad vitandum occisionem:
octavum ad vitandum deturpationem libidinis, quod propter propinquitatem
consensus vix sine peccato esse potest. |
Réponse. Tout péché possède une certaine quantité selon son genre ; on peut y ajouter ou en soustraire en raison de quelque chose qui y est associé. La quantité du mensonge peut ainsi être envisagée selon trois degrés. Le premier degré vient de l’augmentation de la quantité du mensonge par quelque chose d’ajouté. Or, cet ajout aggravant le mensonge est soit la profanation des réalités divines, qui est la condition la plus aggravante : aussi le mensonge qui est fait dans l’enseignement de la religion est-il mis en premier. Ou [cette condition] est un tort fait au prochain, qui est adouci si une certaine utilité est associée au tort : c’est pourquoi le mensonge qui en affecte un autre et qui n’est utile à personne est mis en deuxième. En troisième lieu, [est mis] le mensonge qui est utile à quelqu’un et ne nuit à personne. Mais le deuxième degré de mensonge est envisagé sans ajout ni diminution. Or, parce qu’en chaque genre de péché, le péché qui procède d’un habitus est plus grave, dans la mesure où il est accompli avec un désir plus désordonné, est mis en quatrième lieu le mensonge qui est fait par désir désordonné de mentir, car une opération dépendant de son propre habitus est délectable pour tous ceux qui possèdent l’habitus. En cinquième lieu, est mis le mensonge qui ne semble pas venir d’un habitus, mais de l’intention d’une fin extrinsèque, qui n’aggrave cependant pas ni n’allège le mensonge, comme celui qui est fait dans l’intention de plaire ou de faire plaisir. Le troisième degré est celui dans lequel est considérée la quantité du mensonge, diminuée par quelque chose qui lui est associé : l’intention de rendre service, qui allège d’autant plus que le tort évité est plus grand. Aussi met-on en sixième place le mensonge qui est fait pour éviter un vol d’argent ; le septième mensonge est celui qui est fait pour éviter un meurtre ; le huitième, pour éviter la laideur du désir désordonné, qui peut rarement exister sans péché en raison de sa proximité du consentement. |
[13070] Super
Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ille qui disputando falsum loquitur,
quamvis scienter, non mentitur, nisi asserendo dicat: quia non ex sua persona
falsum illud enuntiat, sed gerens personam veritatem negantis. |
1. Celui qui, en disputant, dit sciemment quelque chose de faux ne ment pas, à moins qu’il ne le dise en l’affirmant, car il ne formule pas cette fausseté en son propre nom, mais au nom de celui qui nie la vérité. |
[13071] Super
Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod distinctio istorum graduum et ordo
accipiuntur ceteris paribus; unde in aliquo casu illud quod est secundum,
potest esse primum; et sic de aliis est. |
2. La distinction et l’ordre de ces degrés s’entendent selon toutes choses égales. Aussi, dans un cas, ce qui est deuxième peut-il être premier. Et il en est de même des autres. |
[13072] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod quamvis mendacium officiosum habeat plus de ratione mendacii quam
jocosum, inquantum habet plus de assertione; tamen officiosum habet minus de
malo ratione utilitatis adjunctae; et ideo est minus peccatum. |
3. Bien que le mensonge de complaisance comporte plus de mensonge que le mensonge par jeu, dans la mesure où il comporte une plus grande affirmation, il comporte cependant moins de mal en raison de l’utilité qui lui est associée. Il est donc un péché moindre. |
[13073] Super Sent.,
lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod, sicut in Lib. 2, dist. penult., qu. 1, art. 2, in corp., dictum est,
non omne peccatum quod fit ex electione habitus, est peccatum in spiritum
sanctum; alias non esset speciale genus peccati; et ideo hoc mendacium quod
fit ex mentiendi libidine, cum procedat ex inclinatione habitus, et non ex
rebellione voluntatis ad aliquod eorum quibus a peccato liberamur, quod est
proprium peccati in spiritum sanctum, non erit peccatum in spiritum sanctum. |
4. Comme on l’a dit dans livre II, d. 43, q. 1, a. 2, c., tout péché qui est commis selon le choix d’un habitus n’est pas un péché contre l’Esprit saint, autrement ce ne serait pas un genre particulier de péché. Aussi le mensonge qui est fait par désir désordonné de mentir, puisqu’il vient de l’inclination d’un habitus, et non de la résistance de la volonté à l’une des choses par lesquelles nous sommes libérés du péché, qui est propre au péché contre l’Esprit saint, ne sera-t-il pas un péché contre l’Esprit saint. |
[13074] Super Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod
immunditia corporalis hic intelligitur quae habet vicinitatem ad peccatum, ratione cujus
majus damnum reputatur quam corporis mors. |
5. L’impureté corporelle s’entend ici de celle qui se rapproche du péché, raison pour laquelle on la considère comme un tort plus grand que la mort corporelle. |
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Expositio textus |
Explication du texte de Pierre
Lombard, Dist. 38
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[13075] Super
Sent., lib. 3 d. 38 q. 1 a. 5 expos. Ne pro corpore alterius animam suam occidat. Quod sic vitari potest
secundum Augustinum in Lib. de mendacio. Si enim aliquis ad mortem quaeratur,
simpliciter nobis interrogatis de eo sine loci determinatione, respondendum
est, quod eum non prodemus, etiam si oporteat nos tormenta sustinere: pro quo
facto quemdam episcopum laudat. Si autem interrogamur, utrum sit in illo loco determinato,
respondendum est: scio ubi est, sed non dicam. Praecipue si iteretur.
Hoc dicitur inquantum multiplicatio venialium disponit ad mortale. Ut ab
immunditia corporali aliquem tueatur. Sed quid faciendum est ipsi
mulieri, si propter libidinem vel immunditiam quaeratur? Quidam dicunt, quod
si sentit se perfectam, non debet mentiri: quia in ipsius violationem non
consentiet, et sic immunis a peccato erit. Si autem sentit se imperfectam,
debet veniale peccatum committere potius quam incurrat peccati mortalis
periculum. Sed melius dicendum, quod si propositum non consentiendi habet,
spem suam in Deo ponere debet, qui non patitur tentari supra posse; et non
debet venialiter peccare. Ex hoc enim ipso quod ponitur aliquid debitum vel
dignum fieri, aufertur omnis ratio peccati. Et ita omne mendacium non esset
peccatum, quod est contra Augustinum. Nec omne mendacium isto praecepto
prohiberi videtur. Intelligendum est directe sicut contrarium praecepto. Nec
praemissa descriptione mendacium jocosum includi. Verum est, si
intelligitur intentio fallendi, secundum quod fallacia est, non tantum in
dicente, sed etiam in audiente, quia fallitur, ut dictum est. |
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Distinctio 39 |
Distinction 39 – [Le parjure]
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Prooemium |
Prologue |
[13076] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de mendacio; hic determinat de
perjurio; et dividitur in duas partes: in prima determinat de perjurio; in
secunda de juramento, ibi: si autem quaeritur, utrum jurare sit malum;
dicimus aliquando malum esse, aliquando non. Circa primum duo facit:
primo definit perjurium; secundo circa definitionem movet quamdam
quaestionem, ibi: hic quaeritur, utrum sit perjurium ubi non est mendacium.
Circa quod
tria facit: primo movet quaestionem, et ponit opinionem ad alteram partem
quaestionis; secundo ponit opinionem ad contrariam partem, ibi: quibusdam
placet, quibusdam non placet; tertio veritatem determinat, ibi: sed
melius creditur. Circa quod duo facit: primo determinat veritatem;
secundo circa determinationem movet duas quaestiones: quarum prima incipit
ibi: cum vero quis jurat quod verum est, aestimans esse falsum, quaeritur
quid sit ibi perjurium; secunda ibi: hic opponitur et cetera. Si autem quaeratur, utrum jurare sit malum;
dicimus aliquando malum esse, aliquando non. Hic determinat
de juramento; et primo determinat de ipso ex parte jurantis; secundo ex parte
juramentum exigentis, ibi: quaeritur etiam, si peccat qui hominem jurare
cogit. Circa primum tria facit: primo inquirit, an juramentum sit
licitum; secundo determinat de forma juramenti: ibi: quaeritur etiam si
liceat jurare per creaturam; tertio determinat de obligatione ipsius,
ibi: nunc superest videre, utrum omne juramentum implendum sit. Circa
secundum duo facit: primo determinat formam debitam juramenti; secundo
inquirit, utrum liceat uti juramento quod habet indebitam formam, ibi: post
hoc quaeritur, utrum fide ejus utendum sit qui per Daemonia vel idola
juraverit. Circa primum duo facit: primo tangit formam juramenti quod fit
per execrationem, ibi: est etiam quoddam genus juramenti gravissimum, quod
fit per execrationem. Circa primum duo facit: primo ponit formam
juramenti; secundo exponit eam, ibi: hic quaeritur quid sit dicere: per
Deum juro. Circa primum duo facit: primo ponit formam juramenti secundum
diversa; secundo comparat juramenta secundum diversa facta, ibi: si
quaeritur quis magis teneatur; an qui per Deum, an qui per Evangelium, vel
per creaturas jurat; dicimus qui per Deum. Nunc superest videre, utrum omne
juramentum implendum sit. Hic determinat de obligatione juramenti; et
circa hoc tria facit: primo ostendit in quo casu juramentum obliget; secundo
utrum incurratur perjurium ex juramento non obligatorio, ibi: qui vero
immutat, utrum perjurus debeat dici, solet quaeri. Quaeritur etiam si peccat
qui hominem jurare cogit. Hic duo facit: primo inquirit, utrum liceat
juramentum exigere; secundo quo tempore ad juramenta convenire debeant, ibi: sancta
synodus decrevit et cetera. Hic quaeruntur quinque: 1 quid sit
juramentum; 2 an juramentum sit licitum; 3 de obligatione juramenti; 4 quid
sit perjurium; 5 utrum omne perjurium, sive juramenti abusio, sit peccatum
mortale. |
Après avoir déterminé du mensonge, le Maître détermine ici du parjure. Il y a deux parties : dans la première, il détermine du parjure ; dans la seconde, du serment, à cet endroit : « Mais si on se demande si faire serment est mal, nous disons que parfois cela est mal, et parfois non. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il définit le parjure ; deuxièmement, il soulève une question à propos de la définition, à cet endroit : « On se demande ici s’il y a parjure là où il n’y a pas mensonge. » À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il soulève la question et présente une opinion en faveur de l’une des positions. Deuxièmement, il présente une opinion favorable à son contraire, à cet endroit : « Cela est accepté par certains, mais cela n’est pas accepté par d’autres. » Troisièmement, il détermine de la vérité, à cet endroit : « Mais on croit qu’il est mieux… » À ce propos, il fait deux choses : premièrement, il détermine de la vérité ; deuxièmement, il soulève deux questions à propos de la détermination. La première commence à cet endroit : « Lorsque quelqu’un jure que quelque chose est vrai, alors qu’il estime que cela est faux, on se demande s’il y a là parjure. » La seconde [commence] là : « Ici, on oppose que, etc.… » « Mais si on se demande si jurer est mal, nous disons que parfois cela est mal, et parfois non. » Ici, il détermine du serment. Premièrement, il en détermine du point de vue de celui qui fait serment ; deuxièmement, du point de vue de celui qui exige un serment, à cet endroit : « On se demande aussi si celui qui force quelqu’un à faire serment pèche. » À propos du premier point, il fait trois choses. Premièrement, il demande si le serment est permis. Deuxièmement, il détermine de la forme du serment, à cet endroit : « On se demande aussi s’il est permis de faire serment par une créature. » Troisièmement, il détermine du caractère obligatoire de celui-ci, à cet endroit : « Il reste maintenant à voir si tout serment doit être accompli. » À propos du deuxième point, il fait deux choses : premièrement, il détermine de la forme appropriée du serment ; deuxièmement, il demande s’il est permis de recourir à un serment qui a une forme inappropriée, à cet endroit : « Après cela, on se demande si l’on doit accorder foi à celui qui a juré par les démons ou par des idoles. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il aborde la forme du serment fait sous forme de malédiction ; deuxièmement, il l’explique, à cet endroit : « On se demande ici ce que veut dire : « ’Je jure par Dieu’. » À propos du premier point, il fait deux choses : premièrement, il présente la forme du serment fait par le nom de diverses choses ; deuxièmement, il compare les serments selon les diverses choses, à cet endroit : « Si l’on se demande lequel à le plus grand caractère obligatoire : celui qui jure par Dieu, par l’évangile ou par des créatures ? Nous disons que [c’est celui qui jure par Dieu]. » « Il reste maintenant à voir si tout serment doit être accompli. » Il détermine ici de l’obligation du serment. À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il montre dans quel cas le serment oblige. Deuxièmement, commet-on un parjure en vertu d’un serment qui n’oblige pas, à cet endroit : « On a coutume de se demander si celui qui modifie [le serment] doit être appelé parjure.» « On se demande aussi si celui qui force quelqu’un à faire serment pèche. » Ici, il fait deux choses. Premièrement, il demande s’il est permis d’exiger un serment ; deuxièmement, à quel moment doit-on convenir par des serments, à cet endroit : « Le saint synode a décrété, etc. » Ici, cinq questions sont posées : 1. Qu’est-ce qu’un serment ? 2. Le serment est-il permis ? 3. À propos de l’obligation du serment. 4. Qu’est-ce que le parjure ? 5. Tout parjure ou abus du serment est-il péché mortel ? |
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Articulus 1 [13077] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a.
1 tit. Utrum jurare
sit idem quod Deum in testem invocare |
Article 1 – Le serment consiste-t-il à prendre Dieu à témoin ? |
[13078] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod jurare non sit idem quod Deum in testem invocare. Aliquando
enim, ut in littera dicitur, licitum est per creaturas jurare. Sed tunc non
videtur invocari divinum testimonium, sed magis testimonium creaturae. Ergo
jurare non est Deum in testem invocare. |
1. Il semble que faire serment ne soit pas la même chose que prendre Dieu à témoin. En effet, comme le texte le dit, il est parfois permis de faire serment par des créatures. Or, il ne semble pas qu’on fasse alors appel au témoignage de Dieu, mais plutôt au témoignage d’une créature. Faire serment n’est donc pas prendre Dieu à témoin. |
[13079] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, apostolus
ad Hebr., dicit quod homines per majorem se jurant: nec hoc solum de Deo
intelligitur, sed etiam de hominibus, qui supra nos sunt: quia Joseph per
salutem Pharaonis juravit. Ergo jurare non est idem quod Deum in testem invocare. |
2. Dans He, l’Apôtre dit que les hommes jurent par quelqu’un de plus grand, et cela ne s’entend pas de Dieu seulement, mais aussi d’hommes qui sont au-dessus de nous, car Joseph a juré par le salut du pharaon. Jurer n’est donc pas la même chose que prendre Dieu à témoin. |
[13080] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, non est idem esse judicem et testem. Sed in juramento quod
fit per execrationem, Deus videtur invocari ut judex, ut cum dicimus: si hoc feci,
ita mihi accidat; qui modus ponitur Job 31. Ergo non omne juramentum fit per
invocationem divini testimonii. |
3. Être juge et être témoin n’est pas la même chose. Or, dans le serment qui est fait sous forme de malédiction, il semble qu’on fasse appel à Dieu comme juge, comme lorsque nous disons : « Si j’ai fait cela, que telle chose m’arrive ! » Cette manière est présentée dans Jb 31. Tout serment n’est donc pas fait en prenant Dieu à témoin. |
[13081] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, accipere
testimonium a Deo et ab homine non differt nisi materialiter. Sed ille qui
invocat hominem in testem, non dicitur per hominem jurare. Ergo et ille qui invocat Deum in testem,
non dicitur per Deum jurare. |
4. Accepter le témoignage de Dieu et d’un homme ne diffère que matériellement. Or, on ne dit pas que celui qui prend un homme à témoin jure par un homme. On ne dit donc pas que celui qui prend Dieu à témoin jure par Dieu. |
[13082] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, in
littera dicitur ex verbis Augustini: jurare est jus veritatis Deo reddere.
Sed quicumque verum dicit, etiam si nullum invocet testimonium, jus veritatis
Deo reddit. Ergo ad juramentum non exigitur invocatio divini testimonii. |
5. Il est dit dans le texte, à partir de paroles d’Augustin : « Jurer, c’est rendre à Dieu le droit qu’Il a à la vérité. » Or, quiconque dit la vérité, même s’il ne prend personne à témoin, rend à Dieu le droit qu’Il a à la vérité. Faire appel au témoignage de Dieu n’est donc pas requis pour le serment. |
[13083] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicit Augustinus, et habetur in littera: quid
est jurare per Deum, nisi, testis est Deus? Sed ista est communissima
forma jurandi. Ergo juramentum est invocatio divini testimonii. |
Cependant, [1] Augustin dit en sens contraire, et on trouve cela dans le texte : « Qu’est-ce que jurer par Dieu, si ce n’est prendre Dieu à témoin ? » Or, c’est là la manière la plus commune de faire serment. Le serment consiste donc à faire appel au témoignage de Dieu. |
[13084] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, omne illud
quod ad confirmandum aliquid assumitur, quodammodo dat ei testimonium. Sed in
juramento divina veritas ad confirmationem nostri dicti inducitur. Ergo
jurare est Deum testem invocare. |
[2] Tout ce qui est pris pour confirmer quelque chose lui rend d’une certane manière témoignage. Or, dans le serment, la vérité divine est invoquée pour confirmer ce que nous disons. Jurer, c’est donc prendre Dieu à témoin. |
[13085] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea,
controversiae non solent nisi testibus terminari. Sed finis omnis
controversiae est juramentum, ut dicit apostolus ad Heb. Ergo juramentum videtur
esse aliqua invocatio divini testimonii. |
[3] Les controverses ne se terminent d’habitude qu’en faisant appel à des témoins. Or, « la fin de toute controverse est le serment », comme le dit l’Apôtre dans He. Le serment semble donc consister à invoquer le témoignage de Dieu. |
[13086] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod juramentum proprie fit ad confirmationem
eorum quae in dubium veniunt audienti, de quibus loquens vel certitudinem
habet, vel dicit se habere; et de illis dubiis quae ex sui natura
dubitationem habent, sicut sunt facta contingentia, quae per rationem
confirmari non possunt. In aliis enim ridiculum videtur juramentum exhibere.
Horum ergo dubiorum certitudo fieri non potest nisi per aliquem cujus
scientiae nihil desit, et cujus veritas infallibilis sit. Hoc autem in solo Deo
invenitur; et ideo ejus testimonium solum ad hujusmodi confirmationem efficax
est. Sed testimonium ejus aut assumitur ad hujus confirmationem quod jam
exhibitum est; et hoc non vocatur juramentum, sed magis probatio per
auctoritatem; vel invocatur ad exhibendum; et hoc proprie juramentum est. Et
ideo aliquod juramentum fit in quo simpliciter divinum testimonium invocatur,
ut cum dicitur: testis est mihi Deus: aliquod vero in quo ipsius testis
invocati reverentia, qui testimonium credibile facit, proponitur vel in
seipso, ut cum dicitur, per Deum, vel vivit dominus; vel in aliquo ejus
effectu praecipuo, ut cum juratur per caelum, vel per Evangelium, vel per
sanctos. Aliquando vero
ipse modus testificationis specificatur, ut cum dicitur: si non est ita, hoc
mihi accidat. |
Réponse. Au sens propre, le serment est fait pour confirmer ce qui est douteux pour celui qui écoute, à propos de quoi celui qui parle est certain ou dit qu’il l’est ; [il est fait] à propos de ce qui est douteux par sa nature même, comme le sont les faits contingents, qui ne peuvent être confirmés par la raison. En effet, pour les autres choses, il paraît ridicule de recourir au serment. Une certitude à propos de ces choses douteuses ne peut donc être établie que par quelqu’un à qui ne manque rien de la science et dont la vérité est infaillible. Or, cela ne se trouve qu’en Dieu seul. C’est pourquoi seul son témoignage est efficace pour confirmer ces choses. Or, l’on reçoit son témoignage soit pour confirmer ce qui a déjà eu lieu : cela n’est pas appelé un serment, mais plutôt une preuve par voie d’autorité ; soit [son témoignage] est invoqué pour le faire voir : et cela est à proprement parler un serment. Ainsi, il existe un serment par lequel on fait simplement appel au témoignage de Dieu, comme lorsqu’on dit : « Dieu m’est témoin » ; mais un autre, par lequel le respect envers le témoin auquel on fait appel et qui le rend crédible est proposé en lui-même, comme lorsqu’on dit : « Par Dieu ! » ou : « Le Seigneur est vivant ! », ou par un de ses effets principaux, comme lorsqu’on jure par le ciel, par l’évangile ou par les saints. Mais la manière de témoigner est parfois précisée, comme lorsqu’on dit : « S’il n’en est pas ainsi, que ceci m’arrive ! » |
[13087] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod cum quis per creaturam
jurat, ejus Deum invocat. Hoc autem potest dupliciter fieri. Uno modo per
aliquam creaturam, in qua divina magnificentia ostenditur, quae in
testimonium inducitur. Alio modo dicitur in illa creatura effectus divinae
testificationis exquiri, ut cum dicitur: per caput meum; vel per salutem
meam. |
1. Lorsque quelqu’un jure par une créature, il fait appel au Dieu de celle-ci. Or, cela peut se faire de deux manières. D’une manière, par une créature, dans laquelle la magnificence divine est manifestée et qui est invoquée comme témoin. D’une autre manière, on dit que l’effet du témoignage de Dieu est recherché dans cette créature, comme lorsqu’on dit : « Sur ma tête ! » ou : « Sur mon salut !» |
[13088] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod Joseph jurans per salutem Pharaonis, utroque dictorum modorum
jurare potuit, vel quasi oppignorans Deo salutem Pharaonis, cui astrictus
erat; vel in potestate Pharaonis divinam magnificentiam venerans, et in
testimonium inducens. |
2. En jurant par le salut du pharaon, Joseph pouvait faire serment des deux manières dites : en confiant [oppignorans ?] à Dieu le salut du pharaon, auquel il avait été lié, ou en vénérant la magnificence divine dans la puissance du pharaon et en l’invoquant comme témoin. |
[13089] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
hoc ipso quod Deus judex efficitur, mendacium vindicans, testificatur
veritatem vel falsitatem dicentis. |
3. Par le fait même que Dieu est fait juge en vengeant le mensonge, il témoigne de la vérité ou de la fausseté de celui qui parle. |
[13090] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod sicut veneratio quae fit summae majestati, habet specialem modum et nomen
prae aliis venerationibus exhibitis quibuscumque, dicitur enim latria; ita
etiam invocatio testimonii infallibilis veritatis habet specialem rationem et
nomen testificandi prae aliis testimoniis; et ideo invocare hominem in
testem, et similiter servire homini, non est ei latriam exhibere, sicut
servire Deo. Ideo tamen
licet per creaturam jurare, non autem creaturae latriam exhibere, quia
testificatio divina in manifestatione consistit: divina autem nobis per
creaturas manifestantur. Sed latria
exhibetur ipsi inquantum in se summus est, et ideo non exhibetur sibi in
aliqua creatura. |
4. De même que la vénération qui est rendue à la majesté suprême comporte une forme spéciale et un nom qui dépassent toutes les autres manifestations de vénération – en effet, elle est appelée latrie ‑, de même l’invocation du témoignage de la vérité infaillible comporte-t-elle un sens particulier et un nom qui dépassent les autres témoignages. Aussi appeler un homme comme témoin et servir un homme, ce n’est pas lui manifester de la latrie, comme servir Dieu. C’est pourquoi il est permis de faire serment par une créature, mais non de rendre un culte de latrie à une créature, parce que le témoignage de Dieu consiste dans une manifestation, mais les réalités divines nous sont manifestées à travers les créatures. Mais le culte de latrie est rendu [à Dieu] en tant qu’il est le plus grand ; il ne lui est donc pas rendu dans une créature. |
[13091] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 1 ad 5 Ad ultimum dicendum,
quod tunc proprie dicitur aliquis jus veritatis dictae a se Deo reddere,
quando in ipsum sicut in primam originem omnis veritatis suum dictum reducit;
quod non fit in simplici assertione. Et ideo sciendum, quod juramentum quod fit per creaturas, quodammodo
est licitum, et quodammodo illicitum. Si enim aliquis per creaturam juret
quasi per primam originem veritatis, illicitum est juramentum, et ad
idolatriam pertinet. Si autem juret quis per creaturam ut in qua prima
veritas relucet, sic licitum est juramentum. |
5. Enfin, on dit que quelqu’un a rendu à Dieu le droit à la vérité de ce qu’il a dit lorsqu’il ramène à lui ce qu’il dit comme à la première origine de toute vérité, ce qui ne se fait pas par une simple affirmation. Aussi faut-il savoir que le serment qui est fait par des créatures est parfois licite et parfois illicite. En effet, si quelqu’un fait serment par une créature comme par la première origine de la vérité, le serment est défendu et relève de l’idolâtrie. Mais si quelqu’un fait serment par une créature dans laquelle brille la Vérité première, le serment est ainsi permis. |
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Articulus 2 [13092] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a.
2 tit. Utrum
juramentum sit de per se appetendis |
Article 2 – Le serment porte-t-il sur ce qui doit être désiré par soi ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Le
serment porte-t-il sur ce qui doit être désiré par soi ?]
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[13093] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod juramentum sit de per se appetendis. Sicut enim in
littera dicitur, jurare est jus veritatis Deo reddere. Hoc autem est
honestissimum, et appetendum. Ergo et juramentum. |
1. Il semble que le serment ne porte pas sur ce qui doit être désiré par soi. En effet, comme il est dit dans le texte, « faire serment, c’est rendre à Dieu le droit à la vérité ». Or, cela est très bon et doit être désiré. Donc, le serment aussi. |
[13094] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, in littera dicitur ex verbis Augustini: quicumque jurat
per aliquid, veneratur illud. Sed venerationem Deo exhibere est appetendum, et frequentandum. Ergo
juramentum est hujusmodi. |
2. Il est dit dans le texte, à partir d’une parole d’Augustin : « Quiconque jure par quelque chose le vénère. » Or, il est désirable de montrer de manière assidue du respect envers Dieu. Le serment est donc de cette sorte. |
[13095] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, omnis actus in quo Deo conformamur, est per se bonus. Sed
jurare est hujusmodi: quia in Psal. 109, 4, dicitur: juravit dominus, et
non poenitebit eum. Ergo juramentum est per se bonum. |
3. Tout acte par lequel nous sommes rendus conformes à Dieu est bon par soi. Or, faire serment est de cette sorte, car, dans le Ps 109, 4, il est dit : Le Seigneur a juré, et il ne se repentira pas. Le serment est donc bon par soi. |
[13096] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, nullius per
se boni cupiditas vel delectatio
prohibetur. Sed, sicut dicit Augustinus, prohibemur jurare cupiditate vel
delectatione jurandi. Ergo jurare
non est per se bonum. |
Cependant, [1] ni la convoitise ni la délectation de rien de ce qui est bon par soi n’est défendu. Or, comme le dit Augustin, il nous est défendu de faire serment par convoitise ou par plaisir de jurer. Faire serment n’est donc pas bon par soi. |
[13097] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, cujuslibet per
se boni frequentatio est utilis. Sed frequens juratio prohibetur in Eccli. 23, 9: jurationi non assuescat os tuum.
Ergo jurare non est bonum. |
[2] L’usage assidu de ce qui est bon par soi est utile. Or, le serment fréquent est défendu par Si 23, 9 : N’habitue pas ta bouche au serment. Faire serment n’est donc pas bon. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 –
[Est-il permis de faire serment ?]
|
[13098] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam non sit licitum. Omne enim quod
prohibetur, est illicitum. Sed juramentum est prohibitum, Matth. 5, 34: ego
autem dico, non jurare omnino; et Jac. ult. 12: ante omnia fratres
mei, nolite jurare. Ergo juramentum est illicitum. |
1. Il semble qu’il ne soit même pas permis de faire serment. En effet, tout ce qui est interdit est défendu. Or, le serment est interdit. Mt 5, 34 : Mais moi, je dis de ne pas du tout jurer. Et Jc 5, 12 : Avant tout, frères, ne jurez pas. Le serment est donc défendu. |
[13099] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, nullius rei voluntas prohibetur, nisi peccati. Sed voluntas
jurandi prohibetur, cum dicitur, nolite jurare, ut sancti et magistri dicunt.
Ergo jurare est illicitum. |
2. La volonté d’aucune chose n’est interdite, sauf du péché. Or, la volonté de jurer est défendue, lorsqu’il est dit : Ne jurez pas, ainsi que le disent les saints et les maîtres. Jurer est donc licite. |
[13100] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in sortibus, et judiciis quae fiunt per ignem et aquam vel
per duellum, expectatur divinum testimonium; et propter hoc sunt prohibita,
quia in his videtur esse quaedam Dei tentatio. Sed juramentum est invocatio divini testimonii, ut dictum est. Ergo
juramentum est illicitum. |
3. Dans les tirages au sort et les jugements par le feu, l’eau et le duel, on attend un jugement divin ; pour cette raison, ils sont défendus, car il semble y avoir là une tentation de Dieu. Or, le serment est l’appel au témoignage divin, ainsi qu’on l’a dit. Le serment est donc défendu. |
[13101] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod apostolus in multis
locis juravit, ut patet Rom. 1, 9: testis est mihi Deus et cetera. |
Cependant,
[1], en sens contraire, l’Apôtre a juré en
beaucoup d’endroits, comme cela ressort de Rm 1, 9 : Dieu m’est témoin, etc. |
[13102] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, nullus actus cadens supra
debitam materiam est illicitus, si non fiat ibi alterius circumstantiae
corruptio. Sed jurare per Deum est actus cadens super debitam materiam. Ergo
cum non importetur in hoc alicujus circumstantiae corruptio, videtur quod sit
licitum. |
[2] Aucun acte qui s’applique à la matière appropriée n’est illicite, s’il n’y a pas là de corruption d’une autre circonstance. Or, jurer par Dieu est un acte qui s’applique à une matière appropriée. Puisque cela n’entraîne pas de corruption d’une circonstance, il semble donc ce soit permis. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La
véracité, la justice et le jugement doivent-ils accompagner le
serment ?]
|
[13103] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non
requirantur isti tres comites qui in littera ponuntur, ad hoc quod juramentum
sit licitum, scilicet veritas, justitia, et judicium. Ubi enim non est
veritas, non est justitia, quia veritas justitiae pars est. Sed pars non
debet dividi contra totum. Ergo veritas non debet connumerari justitiae. |
1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire qu’existent les trois circonstances présentées dans le texte : la véracité, la justice et le jugement, pour que le serment soit licite. En effet, là où la véracité n’existe pas, il n’y a pas de justice, parce que la véracité est une partie de la justice. Or, une partie ne doit pas être opposée au tout. La véracité ne doit donc pas être énumérée avec la justice. |
[13104] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1
a. 2 qc. 3 arg. 2 Praeterea, judicium non videtur aliud esse quam executio
justitiae. Ergo posita justitia superfluum est ponere judicium. |
2. Le jugement ne semble pas être autre chose que l’exécution de la justice. Si l’on met la justice, il est donc superflu de mettre le jugement. |
[13105] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1
a. 2 qc. 3 arg. 3 Praeterea, juramentum quod fit sine istis comitibus, est
perjurium, ut in littera dicitur. Si ergo judicium est comes juramenti, nunquam licebit jurare extra
judicium: quod falsum est. |
3. Le serment qui est fait sans être ainsi accompagné est un parjure, comme on le dit dans le texte. Si donc le jugement est le compagnon du serment, il ne sera jamais permis de jurer en dehors d’un procès, ce qui est faux. |
[13106] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1
a. 2 qc. 3 arg. 4 Praeterea, multa alia requiruntur ad juramentum quam ista
tria, sicut debita forma jurandi, debitum tempus statutum, ut scilicet jejuni
ad juramentum accedant, et multa hujusmodi. Ergo videtur quod non sint tantum tres comites juramenti. |
4. Beaucoup d’autres choses sont nécessaires au serment à part ces trois, tels la forme appropriée du serment, le temps approprié, à savoir, qu’on se présente à jeun pour jurer, et plusieurs autres choses de ce genre. Il semble donc qu’il n’y ait pas seulement trois compagnons du serment. |
[13107] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1
a. 2 qc. 3 arg. 5 Praeterea, in omnibus factis nostris requiruntur ista tria.
Ergo non magis debent poni comites juramenti quam aliorum nostrorum operum. |
5. Ces trois choses sont nécessaires dans tout ce que nous faisons. Elles ne doivent donc pas être davantage présentées comme accompagnant le serment que nos autres actes. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
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[13108] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1
a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod sicut in
confirmatione, quae fit per rationes, duo sunt, scilicet medium probans et id
quod probatur; ita etiam in confirmatione juramenti est dictum humanum quasi
probandum, et divinum testimonium quasi medium probans. Medium autem secundum
artem syllogisticam debet esse ex eodem genere; unde in necessariis sumuntur
necessaria, et in contingentibus contingentia. Veritas autem humanorum
verborum est minimae firmitatis, tum ex hoc quod error facile rationi
accidit, tum ex hoc quod lingua prona est ad defectum; et ideo divinam
veritatem, quae est omnino infallibilis, ad dicta nostra confirmanda assumere
non multum convenit, nisi necessitas incumbat. Et ideo juramentum non est
computandum inter ea quae sunt per se appetenda, sed inter ea quae propter
necessitatem fiunt, sicut sunt bona utilia, ut sectio vulneris, vel aliquid
hujusmodi. |
De mème que, dans la confirmation qui est réalisée par des arguments, il existe deux choses : le moyen par lequel on prouve et ce qui est prouvé, de même, dans la confirmation par le serment, une parole humaine est pour ainsi dire prouvée, et le témoignage divin est pour ainsi dire le moyen qui prouve. Or, selon l’art du syllogisme, le moyen doit appartenir au même genre. Ainsi, pour les choses nécessaires, on prend des choses nécessaires, et pour les choses contingentes, [on prend] des choses contingentes. Or, la véracité des paroles humaines est ce qui possède le moins de fermeté parce qu’il arrive souvent à la raison de se tromper et aussi parce que la langue est encline au manquement. C’est pourquoi il ne convient pas beaucoup de recourir à la Vérité divine, qui est entièrement infaillible, pour confirmer ce que nous disons, à moins que la nécessité ne l’impose. Aussi le serment ne doit-il pas être compté parmi les choses qui doivent être désirées, mais parmi les choses qui sont accomplies par nécessité, comme le sont les biens utiles : ainsi, l’amputation d’une blessure ou quelque chose de ce genre. |
[13109] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod supposito quod jurandum sit, justum est
quod per Deum juretur, quia in hoc vis originalis omnis veritatis verbi
recognoscitur; non tamen oportet quod jurare simpliciter sit per se justum et
bonum. |
1. À supposer qu’il faille jurer, il est juste qu’on jure par Dieu, car la puissance originelle de toute la vérité de la parole est ainsi reconnue. Il n’est cependant pas nécessaire que jurer soit juste et bon par soi. |
[13110] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod veneratio divina consistit in ipso
juramento quasi medio assumpto: sed applicatio ejus ad materiam in qua de
facili est defectus, non est omnino conveniens. |
2. La vénération de Dieu consiste dans le serment lui-même comme moyen choisi ; mais son application à une matière où il y a facilement un manquement n’est pas en tout approprié. |
[13111] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in juramento divino medium assumitur ex
eodem genere: quia sicut Deus est immutabilis, ita etiam in dicto suo
falsitas esse non potest; et propter hoc juramentum ejus est per se bonum:
nec est simile de nostro juramento. |
3. Dans le serment divin, le moyen [de démonstration] est tiré du même genre, car de même que Dieu est immuable, de même aussi ne peut-il pas y avoir de fausseté dans sa parole. Pour cette raison, son serment est bon par soi. Mais il n’en va pas de même de notre serment. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
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[13112] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
dicendum, quod aliquid potest habere indecentiam dupliciter; vel per se, vel
ex eo quod sequitur. Quod autem ex se indecentiam habet, nullo modo potest
licitum esse, quantumcumque necessitas incumbat; sicut patet in stupro, et in
aliis quae sunt mala ex genere. Quod autem habet indecentiam propter periculum
sequens, duo requirit ad hoc quod convenienter fiat. Unum est cautela sufficienter cavens illud
periculum: aliud est utilitas consequens: sicut patet in sectione vulneris.
Si enim per eam sanitas reddatur, et talis cautela adhibeatur quod membra
cetera non laedantur, convenienter fit. Juramentum autem inconvenientiam
quamdam videtur habere, ut dictum est, propter defectibilitatem humanorum
verborum, ad quae assumitur veritas immutabilis. Si autem humana verba essent
hoc modo defectibilia quod semper necesse esset ea deficere, omnino
juramentum de se indecentiam haberet, et nulla necessitate liceret jurare.
Sed quia verba humana non semper deficiunt, sed aliquando veritatem habent;
ideo diligenti cautela adhibita, ut defectus evitetur, licet jurare propter aliquam
necessitatem. |
Quelque chose peut
être inapproprié de deux manières : par soi ou par ce qui en découle. Ce
qui est inapproprié par soi ne peut d’aucune manière être permis, quelle
qu’en soit la nécessité, comme cela ressort pour l’attentat à la pudeur et
pour les autres choses qui sont mauvaises par leur genre. Mais ce qui est
inapproprié à cause d’un danger qui en découle exige deux choses pour être
accompli de manière convenable : l’une est le soin suffisant mis à
éviter ce danger ; l’autre est l’utilité qui en découle, comme cela ressort clairement
pour l’amputation : en effet, si la santé est rendue par elle et qu’on a
pris soin que les autres membres ne soient pas endommagés, elle est faite de
manière convenable. Or, comme on l’a dit, le serment semble comporter une
inconvenance en raison de la défaillanace possible des paroles humaines pour
lesquelles on fait appel à la Vérité immuable. Mais si les paroles humaines
étaient à ce point déficientes qu’il serait toujours nécessaire qu’elles
soient déficientes, le serment comporterait toujours et totalement une
inconvenance et il ne serait permis de faire serment pour aucune nécessité.
Mais parce que les paroles humaines ne sont pas toujours déficientes, mais
comportent parfois de la vérité, à supposer qu’on ait pris un soin
consciencieux pour que la défaillance soit évitée, il est permis de faire
serment en raison d’une nécessité. |
[13113] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod juramentum omnino non est prohibitum neque
per Christum, neque per apostolum ejus: sed est prohibita facilitas jurandi
propter periculum, ut scilicet quis non ex quacumque causa juret, nec
juramentum affectet tamquam per se bonum. |
1. Le serment n’a été complètement défendu ni par le Christ, ni par son apôtre ; mais la facilité avec laquelle on ferait serment a été défendue en raison du danger que l’on fasse serment pour n’importe quelle raison et que l’on aime le serment comme quelque chose de bon par soi. |
[13114] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod voluntas absoluta est per se boni; sed ejus
quod est bonum tantum propter imminentem necessitatem, non est voluntas
absoluta, sed ex suppositione. In his ergo quae sunt per se mala, utraque voluntas prohibetur; in his
vero quae sunt per se bona, neutra: in his vero quae sunt bona propter
necessitatem aliquam, prohibetur prima voluntas, et non secunda; et hoc modo
prohibetur voluntas jurandi. |
2. La volonté absolue porte sur un bien par soi ; mais [la volonté] qui porte sur ce qui est bon seulement en raison d’une nécessité urgente n’est pas une volonté absolue, mais [une volonté] qui suppose quelque chose. Pour ce qui est mal par soi, les deux volontés sont interdites ; mais pour ce qui est bien par soi, aucune [n’est interdite] ; pour ce qui est bien en raison d’une nécessité, la première volonté est interdite, mais non la seconde. C’est de cette façon que la volonté de faire serment est interdite. |
[13115] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in
praedictis factis ubi expectamus divinum judicium vel testimonium, praefigit
homo quasi terminum et modum Deo testimonium reddendi; et ideo est quaedam
Dei tentatio: sed in juramento non fit ita, et ideo non est simile. |
3. Pour les faits mentionnés, où nous attendons un jugement ou un témoignage de Dieu, l’homme détermine à l’avance un terme et une manière pour Dieu de rendre témoignage. C’est pourquoi il s’agit d’une tentation de Dieu. Mais, pour le serment, on n’agit pas ainsi. Ce n’est donc pas la même chose. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
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[13116] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ad hoc quod
juramentum sit rectum, tria requiruntur. Unum ex parte ipsius rei de qua juratur; et sic requiritur veritas per
quam dictum rei adaequatur, alias dictum non esset confirmatione dignum.
Aliud requiritur ex parte causae pro qua juratur; et sic requiritur justitia,
alias non esset debita necessitas. Tertium requiritur ex parte jurantis; et
sic requiritur ut cum discretione juret, alias non adhiberetur debita
cautela; et sic est judicium. |
Pour que le serment soit correct, trois choses sont nécessaires. L’une, du côté de la chose elle-même à propos de laquelle on jure. La vérité est ainsi requise, par laquelle la parole est adéquate par rapport à la chose, autrement la parole ne serait pas digne d’être confirmée. La deuxième chose est requise du côté de la cause pour laquelle on fait serment. La justice est ainsi requise, autrement, il n’y aurait pas de nécessité appropriée. La troisième est requise du côté de celui qui fait serment. Il est ainsi requis qu’il jure avec discernement, autrement il ne prendrait pas le soin approprié. On a ainsi le jugement. |
[13117] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod veritas non accipitur hic secundum quod
est pars justitiae, sed secundum quod est adaequatio vocis ad rem. |
1. La vérité n’est pas prise ici au sens où elle est une partie de la justice, mais selon qu’elle est l’adéquation de la parole à la réalité. |
[13118] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod judicium non accipitur hic quod est unius
in ordine ad alterum, quod est executio justitiae; sed quod est alicujus ad
seipsum in hoc quod discutit quid facere debeat, et quid accidere possit. |
2. Il ne s’agit pas ici du jugement que l’un exerce sur un autre, ce qui est l’exécution de la justice, mais du un rapport à soi-même où l’on évalue ce qu’on doit faire et ce qui peut arriver. |
[13119] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 Et per hoc patet solutio
ad tertium. |
3. La réponse au troisième argument ressort ainsi clairement. |
[13120] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in judicio, quod est discretio jurantis,
includitur debita forma et eventus et tempus et omnia quae ex parte jurantis
consideranda occurrunt. |
4. Dans le jugement, qui est le discernemenet de celui qui jure, sont inclus la forme appropriée, l’événement, le temps et tout ce qui doit être envisagé de la part de celui qui jure. |
[13121] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod propter periculum quod in juramento imminet,
prae aliis nostris actibus, praecipue juramento isti comites adhibentur. |
5. En raison du danger qui menace dans le serment, plus que dans nos autres actions, ces compagnons sont surtout donnés pour le serment. |
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Articulus 3 [13122] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a.
3 tit. Utrum
juramentum incautum sit obligatorium |
Article 4 – Un serment imprudent est-il obligatoire ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [Un
serment imprudent est-il obligatoire ?]
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[13123] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod juramentum incautum sit obligatorium. Juramentum
enim incautum dicitur quod vergit in exitum malum vel minus bonum. Sed tale
fuit juramentum quod Josue Gabaonitis exhibuit, quod contra praeceptum Dei
fuit, quo praeceperat ne cum gentibus foedus inirent; et tamen observavit
illud juramentum, reputans se obligatum. Ergo juramentum incautum est
obligatorium. |
1. Il semble qu’un serment imprudent soit obligatoire. En effet, on dit qu’un serment est imprudent lorsqu’il penche vers une issue mauvaise ou moins bonne. Or, tel fut le serment que Josué fit aux Gabaonites : il allait à l’encontre d’un commandement de Dieu, par lequel celui-ci avait ordonné de ne pas contracter d’alliance avec des païens ; cependant, il observa ce serment en estimant qu’il y était obligé. Le serment imprudent est donc obligatoire. |
[13124] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, esto quod aliquis juret nunquam se intraturum religionem:
illud juramentum incautum reputatur; et tamen videtur quod sit obligatorium,
quia sine peccato potest religionem non ingredi: si autem intret, perjurium
incurrit. Quilibet autem obligatur ad hoc ut bonum illud dimittat quod sine
peccato fieri non potest. Ergo juramentum incautum videtur obligatorium. |
2. À supposer que quelqu’un fait serment de ne pas entrer en religion, ce serment est considéré comme imprudent. Cependant, il semble qu’il soit obligatoire, car il peut ne pas entrer en religion sans péché ; mais s’il y entre, il commet un parjure. Or, tous sont obligés d’écarter le bien qui ne peut être fait sans péché. Le serment imprudent semble donc obligatoire. |
[13125] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, si aliquis juret se nunquam praelationem recipere, hoc
juramentum similiter reputatur incautum, eo quod impeditur utilitas communis;
et tamen, ut videtur, obligat ad sui observationem: quia si etiam non
jurasset, laudabile est ut praelationem quis fugiat. Ergo juramentum incautum est obligatorium. |
3. Si quelqu’un fait serment de ne jamais recevoir de fonction élevée, ce serment est également jugé imprudent, du fait que l’utilité commune est empêchée. Cependant, il semble que son observance soit obligatoire, car, s’il n’avait pas juré, il serait louable que quelqu’un fuie une fonction élevée. Le serment imprudent est donc obligatoire. |
[13126] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, sicut Bernardus dicit, quod pro caritate institutum est,
contra caritatem non militat. Sed
juramentum pro caritate institutum est. Cum ergo per juramentum incautum
caritas impugnetur, quia est de aliquo malo faciendo, vel de aliquo bono
omittendo, videtur quod tale juramentum non sit obligatorium. |
Cependant, [1] comme le dit Bernard, « ce qui a été établi en vue de la charité ne combat pas la charité ». Or, le serment a été institué en vue de la charité. Comme la charité est combattue par un serment imprudent, puisqu’il porte sur l’accomplissement de ce qui est mal ou sur l’omission de ce qui est bien, il semble donc qu’un tel serment ne soit pas obligatoire. |
[13127] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, nihil attingit propriam virtutem nisi quando perfectum est,
ut dicitur 7 Phys. Sed virtus juramenti est obligare. Cum ergo juramentum
perficiatur tribus comitibus, videtur quod juramentum, ubi tres comites non
occurrunt, non sit obligatorium. Sed in omni juramento incauto deest justitia, si illicitum sit quod
juratur, vel judicium, si per hoc aliquod bonum impediatur. Ergo juramentum
incautum non est obligatorium. |
[2] Rien ne parvient à sa puissance propre que lorsqu’il est parfait, comme on le dit dans Physique, VII. Or, la puissance du serment consiste à obliger. Puisque le serment atteint sa perfection par ses trois compagnons, il semble donc que le serment, lorsqu’il ne comporte pas les trois compagnons, n’est pas obligatoire. Or, en tout serment imprudent, la justice fait défaut, si ce qui est juré est défendu, ou le jugement, si un bien est empêché par lui. Le serment imprudent n’est donc pas obligatoire. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [Le
serment forcé est-il obligatoire ?]
|
[13128] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod juramentum coactum non sit obligatorium. Nullus
enim potest ad aliquod speciale obligari, nisi seipsum obliget. Sed nullus
dicitur aliquid facere nisi quod volens facit. Cum ergo juramentum coactum
voluntatem jurantis excludat, videtur quod tale juramentum non sit
obligatorium. |
1. Il semble que le serment forcé ne soit pas obligatoire. En effet, personne ne peut être obligé à quelque chose en particulier à moins de s’obliger soi-même. Or, on ne dit de personne qu’il fait quelque chose s’il ne le fait pas volontairement. Puisque le serment forcé exclut la volonté de celui qui fait serment, il semble donc qu’un tel serment ne soit pas obligatoire. |
[13129] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, major est obligatio matrimonii quam juramenti: quia si
aliquis juravit se nunquam matrimonium initurum, et postea matrimonium
consummaverit, tenetur in matrimonio perseverare. Sed coactio contractum impedit matrimonium.
Ergo etiam impedit obligationem juramenti. |
2. L’obligation du mariage est plus grande que celle du serment, car, si quelqu’un a fait serment de ne jamais contracter mariage et consomme par la suite un mariage, il est tenu de persévérer dans le mariage. Or, le caractère forcé est un empêchement du mariage. Il empêche donc aussi l’obligation du serment. |
[13130] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, juramentum non
obligat nisi in hac necessitate ut peccatum evitetur. Sed coactio excludit
reatum peccati; unde Lucia dixit: si invitam me violare feceris, castitas
mihi duplicabitur ad coronam. Ergo etiam obligationem juramenti tollit. |
3. Le serment n’oblige qu’en vertu de la nécessité d’éviter le péché. Or, le caractère forcé exclut la culpabilité du péché ; ainsi Lucie a-t-elle dit : « Si tu me fais violer malgré moi, la chasteté comptera pour moi deux fois pour la couronne. » Il enlève donc aussi l’obligation du serment. |
[13131] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est auctoritas Augustini, qui
respondit ex consilio b. Ambrosii cuidam, qui coactus juraverat quamdam
ducere uxorem, quod matrimonium teneret. Ergo videtur quod coactum juramentum
sit obligatorium. |
Cependant, [1] une autorité d’Augustin s’oppose à cela : sur le conseil du bienheureux Ambroise, il répond à quelqu’un qui avait juré sous la contrainte de prendre une épouse, que le mariage tenait. Il semble donc que le serment forcé soit obligatoire. |
[13132] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, juramentum cui non deest aliquis
suorum comitum, est obligatorium. Sed coactio non tollit aliquem comitem
juramenti. Ergo non aufert obligationem a juramento. |
[2] Le serment auquel aucun de ses compagnons ne fait défaut est obligatoire. Or, la contrainte n’enlève aucun des compagnons du serment. Elle n’enlève donc pas l’obligation du serment. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [Le
serment oblige-t-il selon l’intention de celui qui le reçoit ?]
|
[13133] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod juramentum non obliget secundum intentionem
recipientis. Nullus enim debet ad ignotum obligari. Sed intentio juramentum recipientis est
mihi ignota. Ergo juramentum meum non obligat me secundum intentionem illius. |
1. Il semble que le serment n’oblige pas selon l’intention de celui qui le reçoit. En effet, personne ne doit être obligé à ce qui est ignoré. Or, l’intention de celui qui reçoit le serment m’est inconnue. Mon serment ne m’oblige donc pas selon l’intention de celui-ci. |
[13134] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2 Praeterea, juramentum
exhibetur ad confirmationem sermonis jurantis. Sed intentio jurantis propinquior est sermoni suo quam intentio
alterius. Ergo magis
obligat secundum intentionem jurantis quam recipientis. |
2. Le serment est fait pour confirmer la parole de celui qui fait serment. Or, l’intention de celui qui jure est plus rapprochée de sa parole que l’intention d’un autre. Il oblige donc davantage selon l’intention de celui qui fait serment que de celui qui le reçoit. |
[13135] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3 Praeterea, ad obligationem juramenti voluntas jurantis requiritur, qui
seipsum obligat. Sed si desit ei intentio obligandi se secundum intentionem
recipientis, non est ibi voluntas obligationis. Ergo juramentum illud non erit obligatorium
secundum intentionem recipientis. |
3. Pour le caractère obligatoire du serment, est nécessaire la volonté de celui qui fait serment, qui s’oblige lui-même. Or, s’il lui manque l’intention de s’obliger selon l’intention de celui qui le reçoit, il n’y a pas là de volonté de s’obliger. Ce serment ne sera donc pas obligatoire selon l’intention de celui qui le reçoit. |
[13136] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Sed contra, juramentum institutum est ut per ipsum fiat fides de sermonibus jurantis recipienti. Sed hoc non
esset nisi secundum suum intellectum juramentum accipiendum esset. Ergo
juramentum obligat secundum intentionem recipientis. |
Cependant, [1] le serment a été établi afin que, par lui, celui qui le reçoit prête foi aux paroles de celui qui fait serment. Or, ce ne serait pas le cas, si le serment ne devait être interprété dans le sens où il l’entendait. Le serment oblige donc selon l’intention de celui qui le reçoit. |
[13137] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, fraus et dolus nemini debet
patrocinari. Hoc autem accideret, si aliquis dolose jurans secundum suam
intentionem tantum obligaretur. Ergo obligatur secundum intentionem
recipientis. |
[2] La fraude et la tromperie ne doivent excuser personne. Or, tel serait le cas si quelqu’un, en faisant serment par tromperie, était obligé seulement selon son intention. Il est donc obligé selon l’intention de celui qui reçoit [le serment]. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question
1
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[13138] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam
quaestionem, quod duplex est juramentum: unum assertorium, et aliud
promissorium. Promissorium juramentum est de eo quod in futurum a jurante
faciendum expectatur vel per se vel per alium. Assertorium vero est quod fit ad confirmationem veritatis et
praesentis et praeteritae, si etiam causa non simus. In juramento ergo assertorio est una tantum
obligatio, scilicet qua quis obligatur ad peccatum, si veritas suo juramento
desit. In juramento autem promissorio est duplex obligatio. Una qua quis
obligatur ad faciendum hoc quod juramento promisit; alia qua obligatur ad
peccatum, si non fecerit. His ergo visis, sciendum, quod sicut non omnis
assertio est digna ut juramento firmetur, ita nec omnis promissio, sed illa
tantum quae utilitatem aliquam continet: unde si promissio quae est de aliquo
quod salutem impediat, sive sit contrarium saluti, sive viae perfectae in
salutem, juramento firmetur, ex hoc ipso juramentum efficitur indebitum,
quasi actus cadens super indebitam materiam: unde obligat secunda obligatione
quae est ad peccatum, nec remanet ei virtus obligandi prima obligatione ad
faciendum. Prima enim obligatio est ad vitandum secundam obligationem: unde
juramentum quod de necessitate ad peccatum obligat, ipso facto ab alia
obligatione vacuatur. |
Il existe un double serment : affirmatif et promissoire. Le serment promissoire porte sur ce qu’on s’attend à ce que celui qui jure accomplisse dans l’avenir par lui-même ou par un autre. Mais le serment affirmatif est celui qui est fait pour confirmer la vérité tant présente que passée, si nous n’en sommes pas la cause. Dans le serment affirmatif, il existe donc une seule obligation : celle par laquelle quelqu’un est obligé au péché, si la vérité fait défaut à son serment. Mais, dans le serment promissoire, il y a une double obligation. L’une, par laquelle quelqu’un est obligé de faire ce qu’il a promis par serment ; l’autre, par laquelle il est obligé au péché, s’il ne le fait pas. Après avoir vu cela, il faut savoir que, de même que toute affirmation n’est pas digne d’être confirmée par un serment, de même non plus toute promesse ne l’est pas, mais celle-là seulement qui comporte une certaine utilité. Si la promesse qui porte sur quelque chose qui empêche le salut, que ce soit contraire au salut ou à la voie parfaite vers le salut, est confirmée par un serment, le serment est par le fait même rendu non obligatoire, en tant qu’acte qui s’applique à une matière non obligatoire. Aussi oblige-t-il selon la seconde obligation, qui est celle du péché, et il ne lui reste aucune capacité d’obliger à le faire selon la première obligation. En effet, la première obligation a comme but d’éviter la seconde obligation ; aussi le serment qui oblige nécessairement au péché est-il par le fait même vidé de l’autre obligation. |
[13139] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod juramentum Josue non erat de eo quod
secundum se esset illicitum, sed de eo quod factum erat illicitum, quia
prohibitum: unde in hoc sufficiebat intentionem servare prohibentis. Et ideo,
ut dicit Ambrosius in Lib. de Offic., mulctavit eos meliori morte, scilicet
obsequio mysterii divini, ut esset clementior sententia: et sic quodammodo
occisi sunt servilitate, quae est mors interpretativa secundum leges. |
1. Le serment de Josué ne portait pas sur quelque chose qui était en soi illicite, mais sur ce qui avait été accompli de manière illicite parce que cela était défendu. Aussi suffisait-il qu’y soit respectée l’intention de celui qui interdisait. C’est pourquoi, comme le dit Ambroise dans le livre Sur les fonctions, il les punit d’une mort meilleure, au service du mystère divin, afin que la sentence soit plus clémente. Ainsi ont-ils été tués d’une certaine manière par l’esclavage, qui signifie la mort selon les lois. |
[13140] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ipso facto quo quis jurat se religionem non
intraturum, perjurus est. Quamvis enim
liceat sibi religionem non intrare, non tamen licet obicem spiritui sancto
ponere; et ideo non oportet ut ad cavendum crimen perjurii, quod jam vitari
non potest, religionis ingressum omittat. |
2. Par le fait même que quelqu’un jure qu’il n’entrera pas en religion, il est parjure. En effet, bien qu’il lui soit permis de ne pas entrer en religion, il n’est cependant pas permis de mettre un obstacle à l’Esprit saint. Il n’est donc pas nécessaire que, pour éviter le crime du parjure qu’il ne peut déjà pas éviter, il omette d’entrer en religion. |
[13141] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis praelationem fugere possit quandoque
ex bono procedere, tamen pertinaciter resistere, semper malum est, sicut
patet in Glossa Gregorii Hierem. 1 qui hoc probat exemplo Hieremiae et Moysi, qui cum primo recusassent
praelationis officium, ad ultimum humiliter obedierunt. Unde hujusmodi
juramentum incautum reputatur: quia, quantum in se est, providentiae divinae
praejudicat, et obedientiam ad superiores excludit, quibus in hoc obedire
tenetur. |
3. Bien que fuir une fonction élevée puisse parfois procéder de quelque chose de bien, résister de manière entêtée est toujours mauvais, comme cela ressort de la glose de Grégoire sur Jr 1, qui démontre cela par l’exemple de Jérémie et de Moïse, qui, après avoir d’abord refusé une fonction élevée, ont finalement obéi avec humilité. Aussi ce serment est-il estimé imprudent, car, en lui-même, il préjuge de la providence divine et exclut l’obéissance aux supérieurs, auxquels on est tenu d’obéir en cette matière. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
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[13142] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
dicendum, quod coactio in juramento assertorio non potest esse sufficiens,
quia nihil potest sufficienter cogere ad hoc quod homo mortaliter peccet;
quod contingit, si falsum cum juramento asserat; unde tale juramentum
quantumcumque coactum, est obligatorium ad peccatum. In juramento autem
promissorio sciendum, quod coactio potest esse sufficienter cogens ad
promittendum: quia ut majus periculum evitetur, potest aliquis aliquid
promittere sibi damnosum; quod sine peccato contingere potest: et tunc talis
coactio, si sit sufficiens quae in constantem virum cadere possit, tollit
obligationem juramenti in foro contentioso: quia ei qui vim intulit, non
competit actio ex obligatione illius juramenti. Sed in foro conscientiae est
obligatorium: quia magis debet homo subire temporale damnum quam fidem
frangere. Habet tamen remedium ut in judicio ab eo repetat. Quod si juraverit se non repetiturum,
potest judici denuntiare, qui ex officio suo debet raptorem ad restituendum
cogere. Si autem juraverit se non denuntiaturum, contra correptionem
fraternam juravit, et non tenetur observare. |
La contrainte ne peut être suffisante dans le serment affirmatif, parce que rien ne peut forcer suffisamment un homme à pécher mortellement, ce qui est le cas s’il affirme une fausseté par serment. Un tel serment, aussi contraint soit-il, oblige donc au péché. Mais, pour le serment promissoire, il faut savoir que la contrainte peut être suffisamment contraignante pour promettre, car, pour éviter un plus grand mal, quelqu’un peut promettre quelque chose qui lui est dommageable, ce qui peut se produire sans péché. Si la contrainte est suffisante pour faire tomber un homme constant, elle enlève donc l’obligation du serment devant un tribunal, car l’action ne relève pas de l’obligation de ce serment pour celui qui a exercé la force. Mais, au for de la conscience, il est obligatoire, car un homme doit plutôt subir un tort temporel que rompre la foi [donnée]. Il possède cependant le remède de poursuivre en justice. S’il a juré de ne pas poursuivre, il peut [le] dénoncer au juge, qui, en vertu de sa fonction, doit forcer le ravisseur à restituer. Mais s’il a juré de ne pas dénoncer, il a juré à l’encontre de la correction fraternelle, et il n’est pas tenu de l’observer. |
[13143] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod coactio non potest facere in tali casu
violentum absolute, sed violentum mixtum: quia oportet ut qui jurat, membra
moveat ad loquendum, et sua voluntate: tale autem violentum, ut dicit
philosophus in 3 Ethic., quamvis simpliciter sit involuntarium, tamen hic et
nunc est voluntarium: quia ad vitandum majus malum vult minus damnum subire. |
1. Dans un tel cas, une violence absolue ne peut contraindre, mais une violence mixte, car il faut que celui qui jure bouge des membres pour parler, et par sa volonté. Comme le dit le Philosophe dans Éthique, III, une telle violence, bien qu’elle soit tout simplement involontaire, est cependant volontaire ici et maintenant, car, pour éviter un plus grand mal, on veut subir un moindre tort. |
[13144] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod coactio tollit obligationem matrimonii,
quia non solum requirit consensum, sed etiam consensum liberum: quod non est
in obligatione juramenti. |
2. La contrainte enlève l’obligation du mariage, car celui-ci ne requiert pas seulement le consentement, mais aussi le libre consentement, ce qui n’est pas le cas de l’obligation du serment. |
[13145] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Lucia loquitur de violento simpliciter, in
quo patiens nihil confert agenti. Tale autem violentum non potest esse in tali casu. |
3. Lucie parle de la pure violence, dans laquelle celui qui subit n’apporte rien à celui qui agit. Mais une telle violence ne peut exister dans un tel cas. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la
sous-question 3
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[13146] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem dicendum, quod juramentum
promissorium, ut dictum est, obligat hac necessitate ut culpa evitetur: unde
obligat ad omne illud faciendum quo non facto culpa incurritur. Distinguendum est ergo in eo qui jurat; aut
enim simpliciter, aut dolose jurat. Si jurat dolose, ex duabus partibus
potest culpa sequi: scilicet ex fractione juramenti, et ex dolo. Quamvis ergo
ex ipsa ratione juramenti, inquantum juramentum, non obligetur ad servandum
ipsum nisi secundum suam intentionem; tamen ex necessitate juramenti,
inquantum fuit dolosum, obligatur ad observandum taliter quod ex dolo alius
non laedatur: et hoc est quando secundum intentionem recipientis implet
juramentum. Si autem simpliciter juret absque dolo, tunc in foro conscientiae
non obligatur nisi secundum suam intentionem; sed in foro contentioso, ubi
intentio ignoratur, obligatur secundum quod verba communiter accipi solent. |
Comme on l’a dit, le serment promissoire oblige par la nécessité qu’une faute soit évitée. Aussi oblige-t-il à faire tout ce sans quoi une faute est encourue. Il faut donc faire une distinction chez celui qui jure : soit il jure tout simplement, soit il jure par tromperie. S’il jure par tromperie, une faute peut en découler sous deuxaspects : par la rupture du serment et par la tromperie. Bien que, selon la raison même du serment, il ne soit obligé de le respecter que selon son intention, il est cependant obligé, selon la nécessité du serment qui était trompeur, de l’observer de manière que l’autre ne soit pas lésé par la tromperie. Cela se produit lorsqu’il accomplit le serment selon l’intention de celui qui le reçoit. Mais s’il jure simplement sans tromperie, il n’est alors obligé au for de la conscience que selon son intention ; mais au for de la justice, où l’intention est ignorée, il est obligé au sens où les paroles sont généralement comprises. |
[13147] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 3 qc. 3 ad arg. Et per hoc patet solutio
ad objecta. |
La réponse aux objections ressort ainsi clairement. |
Articulus 4 [13148] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a.
4 tit. Utrum
perjurium sit mendacium juramento firmatum. |
Article 4 –
Le parjure est-il un mensonge confirmé par un serment ? |
[13149] Super Sent., lib.
3 d. 39 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod perjurium non sit mendacium
juramento firmatum. Omne enim mendacium est falsa vocis significatio, ut in
praecedenti dist. dictum est. Sed perjurium potest esse sine falsa vocis significatione: quia, sicut
in littera dicitur, qui jurat verum quod putat esse falsum, perjurus est.
Ergo non omne perjurium est mendacium juramento confirmatum. |
1. Il semble que le parjure ne soit pas un mensonge confirmé par un serment. En effet, tout mensonge est une fausse signification d’une parole, comme on l’a dit dans la distinction précédente. Or, le parjure peut exister sans une fausse signification d’une parole, car, ainsi qu’on le dit dans le texte, celui qui jure une vérité qu’il croit être fausse est parjure. Tout parjure n’est donc pas un mensonge confirmé par un serment. |
[13150] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, perjurium quandoque incurritur in juramentis quae de
futuris contingentibus fiunt. Sed in futuris contingentibus non est veritas
vel falsitas determinata, ut probat philosophus; et sic perjurium potest esse
sine falsa vocis significatione, et sine mendacio. |
2. Le parjure est parfois encouru par les serments qui portent sur des futurs contingents. Or, pour les futurs contingents, il n’existe pas de vérité ou de fausseté déterminée, comme le montre le Philosophe. Ainsi, le parjure peut exister sans la fausse signification d’une parole et sans mensonge. |
[13151] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, in littera dicitur, quod qui falsum jurat, quod credit esse
verum, perjurus est. Sed talis non mentitur. Ergo perjurium potest esse sine
mendacio. |
3. Il est dit dans le texte que celui qui jure une fausseté qu’il croit être vraie est parjure. Or, celui-là ne ment pas. Le parjure peut donc exister sans le mensonge. |
[13152] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, Hieronymus dicit, quod juramentum quod tres comites non
habet, est perjurium. Sed defectus justitiae vel judicii non facit mendacium, sed solum
defectus veritatis. Ergo non omne
perjurium est mendacium. |
4. Jérôme dit que le serment qui n’a pas ses trois compagnons est un parjure. Or, le manque de justice ou de jugement ne fait pas un mensonge, mais seulement un manque de vérité. Tout parjure n’est donc pas un mensonge. |
[13153] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1
a. 4 arg. 5 Praeterea, perjurium nihil aliud est, ut videtur, quam perversum
juramentum. Sed juramentum pervertitur non mendacio tantum, sed etiam per
falsam formam jurandi, sicut qui jurat per idola. Ergo perjurium potest esse sine mendacio. |
5. Le parjure n’est rien d’autre, semble-t-il, qu’un mauvais serment. Or, le serment est rendu mauvais non seulement par le mensonge, mais aussi par la fausse forme du serment, comme celui qui jure par des idoles. Le parjure peut donc exister sans mensonge. |
[13154] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 s. c. 1 In contrarium est
definitio quae in littera ponitur. |
Cependant, [1] la définition qui est donnée dans le texte va en sens contraire. |
[13155] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, juramentum est
ad confirmationem veritatis. Sed mendacium veritati opponitur. Ergo perjurium, quod est perversitas juramenti,
est mendacium. |
[2] Le serment est destiné à la confirmation de la vérité. Or, le mensonge s’oppose à la vérité. Le parjure, qui est un vice du serment, est donc un mensonge. |
[13156] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea, jurare
est jus veritatis Deo reddere. Sed quicumque sine mendacio jurat, jus
veritatis Deo reddit. Ergo sine
mendacio est juramentum, et non perjurium. |
[3] Faire serment, c’est rendre à Dieu le droit à la vérité. Or, quiconque jure sans mensonge rend à Dieu le droit à la vérité. Le serment existe donc sans mensonge, mais non le parjure. |
[13157] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod
quaelibet res denominatur a suo complemento: et nomen quod sumitur a defectu
alicujus rei, proprie denominat defectum qui accidit circa complementum
alicujus rei. Juramentum autem in confirmatione veritatis completur, sicut
syllogismus in confirmatione conclusionis. Unde sicut dicitur insyllogizatum
esse, quando conclusio non sequitur ex praemissis, non autem quando aliqua
praemissarum est falsa manente forma debita; ita etiam perjurium, quod
defectum juramenti nominat, significat defectum qui accidit in re quae
juramento confirmanda erat. Defectus autem confirmationi veritatis
contrarius, est mendacium; et ideo perjurium, proprie loquendo, nominat
defectum mendacii in juramento. |
Réponse. Toute chose est désignée selon son état achevé, et le nom qui est tiré de la carence d’une chose désigne à proprement parler la carence qui affecte l’achèvement d’une chose. Or, le serment est achevé par la confirmation de la vérité, comme le syllogisme, par la confirmation de la conclusion. De même donc qu’on dit qu’il n’y a pas de syllogisme lorsque la conclusion ne découle pas des prémisses, mais non lorsque l’une des prémisses est fausse, alors que la forme appropriée demeure, de même aussi le parjure, qui désigne une carence du serment, signifie-t-il une carence qui survient dans la chose qui avait été confirmée par serment. Or, la carence contraire à la confirmation de la vérité est le mensonge. C’est pourquoi le parjure, à proprement parler, désigne la carence du mensonge dans un serment. |
[13158] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quamvis assertio illius qui dicit verum, putans esse falsum,
non sit mendacium absolute, est tamen mendacium in comparatione ad dicentem,
unde et ipse mentiri dicitur; unde et in hoc perjurio est aliquo modo
mendacium. |
1. Bien que l’affirmation de celui qui dit vrai, en pensant que cela est faux, ne soit pas un mensonge au sens absolu, elle est cependant un mensonge par rapport à celui qui l’exprime. Aussi dit-on qu’il ment. Dans ce parjure, il y a donc un mensonge d’une certaine manière. |
[13159] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod futurum non potest habere veritatem determinatam nisi in sua causa quae
determinatur ad effectum illum. Causa autem contingentium quae per nos fiunt, est nostra voluntas;
quae quidem determinatur ad effectum per propositum fixum de aliquo faciendo;
et tale propositum significat se habere qui jurat se aliquid facturum; unde
ex hoc ipso quod jurat illud ad quod fixum propositum non habet, mendacium
incurrit, et perjurium. |
2. Le futur ne peut avoir de vérité déterminée que dans sa cause qui est déterminée par cet effet. Or, la cause des contingents qui sont réalisés par nous est notre volonté, laquelle est déterminée à un effet par l’intention arrêtée de faire quelque chose, et celui qui jure de faire quelque chose signifie qu’il a une telle intention. Par le fait même qu’il jure quelque chose dont il n’a pas l’intention arrêtée, il encourt donc un mensonge, et aussi un parjure. |
[13160] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod juramentum non est exhibendum nisi de eo de
quo quis certitudinem habet; unde quicumque jurat aliquid, significat se de
hoc certum esse. De falso autem certitudo esse non potest; unde qui jurat
falsum quod putat esse verum, ex ipso modo assertionis quodammodo mendacium
incurrit, quamvis assertum ipsum secundum se non sit mendacium. |
3. Le serment ne doit être fait que de ce dont quelqu’un a la certitude. Aussi quiconque jure quelque chose signifie qu’il est certain de cela. Or, il ne peut y avoir de certitude de ce qui est faux. Aussi celui qui jure une fausseté qu’il croit être vraie encourt-il d’une certaine manière un mensonge par le fait même de son affirmation, bien que ce qui est affirmé ne soit pas un mensonge par soi. |
[13161] Super Sent., lib. 3 d.
39 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod juramentum promissorium, in
quo deest justitia vel judicium, aliquo modo continet mendacium quantum ad id
quod fieri debet: quia unusquisque tenetur abstinere ab eo quod est
illicitum, et bonis et perfectionibus non contra niti; unde ex hoc quod jurat
aliquid illicitum, obligatus remanet quodammodo ad mentiendum. |
4. Le serment promissoire, dans lequel la justice ou le jugement fait défaut, contient d’une certaine manière un mensonge quant à ce qui doit être fait, car chacun est tenu de s’abstenir de ce qui est défendu et de ne pas déployer d’efforts contre des biens ou des perfections. Du fait donc qu’il jure quelque chose de défendu, il reste obligé de mentir d’une certaine manière. |
[13162] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod non omnis perversitas juramenti facit perjurium, sed illa tantum quae
est in ejus complemento, ut dictum est. |
5. Ce n’est pas toute méchanceté du serment qui fait le parjure, mais seulement celle qui se situe dans son achèvement, comme on l’a dit. |
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Articulus 5 [13163] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 tit. Utrum omne perjurium sit peccatum mortale |
Article ‑ Tout parjure est-il un péché mortel ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 –
[Tout parjure est-il un péché mortel ?]
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[13164] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 1 Ad quintum sic
proceditur. Videtur quod
non omne perjurium sit peccatum mortale. Sicut enim contingit mentiri jocose,
ita et perjurare. Sed mendacium jocosum non est peccatum mortale. Ergo nec
perjurium. |
1. Il semble que ce ne soit pas tout parjure qui soit un péché mortel. En effet, de même qu’il arrive de mentir par jeu, de même aussi de faire serment. Or, le mensonge par jeu n’est pas un péché mortel. Donc, ni le parjure. |
[13165] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 2 Praeterea, contingit quod propter consuetudinem jurandi aliquis ex
lapsu linguae falsum jurat; et esset grave dicere, quod talis mortaliter
peccaret. Ergo non omne perjurium est mortale peccatum. |
2. Il arrive qu’en raison de l’habitude de jurer, quelqu’un jure quelque chose de faux par un lapsus, et il serait grave de dire qu’il aurait péché mortellement. Tout parjure n’est donc pas un péché mortel. |
[13166] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 3 Praeterea, sicut jurare falsum, ita etiam jurare sine causa prohibetur
praecepto secundo Decalogi: non assumes nomen Dei tui in vanum. Sed jurare sine causa non
semper est peccatum mortale. Ergo nec jurare falsum: ergo ut prius. |
3. De même que jurer une fausseté, de même jurer sans raison est-il défendu par le deuxième commandement du décalogue : Tu ne prendras pas le nom de Dieu en vain. Or, jurer sans raison n’est pas toujours un péché mortel. Donc, ni jurer une fausseté. La conclusion est donc la même que précédemment. |
[13167] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, Augustinus in quodam sermone dicit, quod falsa juratio
perniciosa est. Sed nihil
dicitur esse perniciosum nisi peccatum mortale. Ergo perjurium est peccatum
mortale. |
Cependant, [1] Augustin dit dans un sermon que le faux serment est pernicieux. Or, rien n’est appelé pernicieux que le péché mortel. Le parjure est donc un péché mortel. |
[13168] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, omne quod est contrarium praecepto legis, est peccatum
mortale. Sed perjurium directe contrariatur huic praecepto: non assumes
nomen Dei tui in vanum. Ergo et
cetera. |
[2] Tout ce qui est contraire à un commandement de la loi est un péché mortel. Or, le parjure contrarie directement ce commandement : Tu ne prendras pas le nom de Dieu en vain. Donc, etc. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 –
[Est-il permis de recevoir ou d’exiger un serment ?]
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[13169] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod non liceat juramentum recipere vel exigere. Nam
super illud Roman. 1, 9: testis est mihi Deus, dicit Glossa: tu non
facis malum qui bene uteris juratione, ut alteri suadeas quod utile est; sed
a malo est, supple illius qui recipit juramentum. Ergo recipiens
juramentum peccat. |
1. Il semble qu’il ne soit pas permis de recevoir ou d’exiger un serment, car, à propos de Rm 1, 9 : Dieu m’est témoin, la Glose dit : « Tu n’agis pas mal en utilisant bien le serment afin de persuader un autre de ce qui est utile ; mais cela est mal – en ajoutant : pour celui qui reçoit le serment. » Celui qui reçoit un serment pèche donc. |
[13170] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 2 Praeterea, ille qui exigit ab aliquo juramentum, vel scit eum jurare
verum, vel scit eum jurare falsum, vel nescit an falsum an verum juret. Si
scit eum jurare verum, videtur peccare, quia pro nihilo facit eum jurare. Si
scit eum juraturum falsum, homicida illius est, ut in littera dicitur. Si autem nesciat alterutrum, de hoc dicit
Augustinus super illud Rom. 1: testis est mihi Deus: non audeo dicere hoc
non esse peccatum, sed humana tentatio est. Ergo exigere juramentum
quolibet modo peccatum est. |
2. Celui qui exige un serment de quelqu’un ou bien sait qu’il jure quelque chose de vrai, ou bien sait qu’il jure quelque chose de faux, ou ne sait pas s’il jure quelque chose de faux ou de vrai. S’il sait qu’il jure quelque chose de vrai, il semble pécher, car il le fait jurer pour rien. S’il sait qu’il va jurer quelque chose de faux, il le tue, comme dit le texte. Mais s’il ne sait ni l’un ni l’autre, Augustin dit à ce sujet, en commentant Rm 1 : Dieu m’est témoin : « Je n’ose dire que cela n’est pas un péché, mais une tentation humaine. » Exiger un serment est donc de toutes les façons un péché. |
[13171] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 3 Praeterea, Rom. 1, dicitur, quod qui consentiunt male facientibus,
digni sunt morte. Sed qui jurat per idola, peccat mortaliter: qui autem ab eo
juramentum recipit, videtur ei consentire. Ergo ad minus recipiens tale
juramentum, peccat. |
3. En Rm 1, il est dit que ceux qui donnent leur accord à ceux qui agissent mal sont dignes de mort. Or, celui qui jure par des idoles pèche mortellement ; mais celui qui reçoit de lui un serment semble lui donner son accord. Celui qui reçoit un tel serment semble donc tout au moins pécher. |
[13172] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 1 Sed contra est quod legitur Gen. 31, de
Jacob, qui recepit juramentum Laban, qui scilicet per deos suos juravit: nec
est dicendum quod peccaverit. |
Cependant, [1] en Gn 31, on lit, à propos de Jacob, qu’il a reçu le serment de Laban, qui avait juré par ses propres dieux. Et on ne doit pas dire qu’il a péché. |
[13173] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, sine quo non potest ordo
judiciarius observari, non videtur esse peccatum. Sed ordo judiciarius in
multis casibus sine receptione juramenti observari non posset. Ergo recipere
juramentum non est peccatum. |
[2] Ce sans quoi la procédure judiciaire ne peut être observée ne semble pas être un péché. Or, dans beaucoup de cas, la procédure judiciaire ne pourrait pas être observée sans la réception d’un serment. Recevoir un serment n’est donc pas un péché. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
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[13174] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad primam quaestionem,
quod juramentum est duplex. Quoddam in quo aliquis percipit se jurare; et
tunc si falsum jurat, credo quod semper peccet mortaliter, sive sit
juramentum solemne, sive non solemne; et praecipue quando percipit esse
falsum quod jurat. Quoddam vero juramentum est in quo homo non attendit ad
juramentum, et quasi non percipit se jurare, sed ex lapsu linguae in
juramentum prolabitur; et quia tunc quasi nesciens jurat, et nesciens non
reputatur voluntarius, ideo in tali casu videtur quis non voluntarie jurare.
Unde si sit falsum hoc de quo jurat, sive percipiat esse falsum, sive non,
dummodo non sit mendacium perniciosum, non dico quod sit peccatum mortale,
sed veniale; valde tamen cavendum propter vicinitatem ad mortale. |
Il existe un double serment. L’un, par lequel quelqu’un perçoit qu’il jure. S’il jure alors faussement, je crois qu’il pèche toujours mortellement, qu’il s’agisse d’un serment solennel ou d’un serment non solennel, et surtout lorsqu’il perçoit que ce qu’il jure est faux. Mais il existe un serment par lequel l’homme n’a pas l’intention de jurer et pour ainsi dire ne perçoit pas qu’il jure, mais par lequel il fait un lapsus. Et parce qu’il jure alors sans pour ainsi dire le savoir, et que celui qui ne sait pas n’est pas estimé volontaire, il semble que, dans un tel cas, il ne jure pas volontairement. Si ce qu’il jure est faux, qu’il le perçoive comme faux ou non, pourvu que ce ne soit pas un mensonge pernicieux, je ne dis pas qu’il s’agit d’un péché mortel, mais véniel. Toutefois, il faut l’éviter avec soin en raison de sa proximité par rapport au péché mortel. |
[13175] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est simile de mendacio et perjurio:
quia juramentum non est nisi cum magna cautela adhibendum, ut dictum est, et
propter utilitatem aliquam; unde si jocose aliquis perjurat, non excusabitur. |
1. Il n’en va pas de même du mensonge et du parjure, car le serment ne doit être prêté qu’avec un grand soin, comme on l’a dit, et en vue d’une certaine utilité. Aussi si quelqu’un jure par jeu, il ne sera pas excusé [de péché]. |
[13176] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 2 Ad secundum patet solutio ex dictis. |
2. La réponse ressort clairement de ce qui a été dit. |
[13177] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod jurare sine causa non directe opponitur illi
praecepto, sed indirecte. Directe autem
opponitur ei jurare falsum; quia hoc est quod confirmari non potest, unde
vana est juratio. Unde non oportet quod jurare sine causa semper sit mortale
peccatum, sicut jurare falsum. |
3. Jurer sans raison ne s’oppose pas directement à ce commandement, mais indirectement. Mais jurer faussement s’y oppose, car c’est cela qui ne peut être confirmé ; aussi le serment est-il vain. Il n’est donc pas nécessaire que jurer sans raison soit toujours un péché mortel, comme jurer faussement. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
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[13178] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem dicendum, quod
sicut jurare non semper malum est, sed quandoque est licitum, quando pro
necessitate aliqua et cum cautela juratur; ita etiam juramentum recipere vel
exigere ex causa necessaria, et aliis debitis circumstantiis observatis,
potest esse sine peccato. |
De même que jurer n’est pas toujours un mal mais est parfois permis, lorsqu’on jure par nécessité et avec soin, de même aussi recevoir ou exiger un serment pour une raison nécessaire et en observant les autres circonstances appropriées peut être accompli sans péché. |
[13179] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non intelligitur ibi malum culpae, sed
malum poenae, quod est ex ignorantia illius qui juramentum recipit: si enim
sciret an esset verum hoc pro quo juratur, juramento opus non esset. |
1. On n’entend pas là le mal de faute, mais le mal de peine, qui vient de l’ignorance de celui qui reçoit le serment. En effet, s’il savait qu’était vrai ce pour quoi on fait serment, un serment ne serait pas nécessaire. |
[13180] Super Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5
qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quando
aliquis scit vel probabiliter credit quod aliquis pejerabit, non licet ei
juramentum exigere, nisi forte sit in loco judicii: quia juramentum in
judiciis non tantum exhibetur propter judicem, sed propter alios; unde non
est in potestate ejus juramentum remittere, quod secundum ordinem juris
exhibendum esset. Similiter si sciat
eum juraturum verum, potest licite juramentum exigere non pro se, sed pro
aliis qui hoc nesciunt. Si autem dubitet, dubitatio ex tanta suspicione procedere potest, quod
cum peccato erit. Et ideo
Augustinus non audet dicere quod sit sine peccato; non tamen dicit quod
semper sit peccatum. |
2. Lorsque quelqu’un sait ou croit de manière probable que quelqu’un se parjurera, il n’est pas permis d’en exiger un serment, sauf peut-être lors d’un jugement, car le serment lors des jugements n’est pas prêté seulement pour le juge, mais pour les autres. Aussi n’est-il au pouvoir [du juge] de dispenser du serment qui devrait être prêté selon l’ordre du droit. De même, si [le juge] sait qu’il jurera ce qui est vrai, il peut légitimement exiger un serment, non pas pour lui-même, mais pour les autres qui ne le savent pas. Mais s’il doute, le doute peut aller de l’avant en soupçonnant fortement que ce sera un péché. C’est pourquoi Augustin n’ose pas dire que cela est sans péché ; il ne dit cependant pas que cela est toujours un péché. |
[13181] Super Sent.,
lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ille qui jurat per idola, peccat quidem
quantum ad formam juramenti, sed non quantum ad assertionem veri, vel
promissionem alicujus quod redundat in bonum commune; et quantum ad hoc
potest ei consentiri sine peccato, sed non quantum ad primum; et ideo
juramento ejus uti possumus quandoque sine peccato. |
3. Celui qui jure par des idoles pèche quant à la forme du serment, mais non quant à l’affirmation de ce qui est vrai ou à la promesse de quelque chose qui rejaillira sur le bien commun. De ce point de vue, on peut lui donner son consentement sans péché, mais non sur le premier point. C’est pourquoi nous pouvons parfois utiliser son serment sans péché. |
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Expositio textus |
Explication du texte de Pierre
Lombard, Dist. 39
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[13182] Super
Sent., lib. 3 d. 39 q. 1 a. 5 qc. 2 expos. Nunc de perjurio videamus. Videtur quod tractatum istum ponere
debuerit in expositione secundi praecepti. Sed dicendum, quod perjurium ad sui
cognitionem praesupponit e perjurio tractavit. Infirmis ergo illud prohibuit. Propter duo pericula.
Primo ne aliquod numen creaturis inesse crederent. Secundo ne tali juramento
se obligari non credentes, fidem frangerent. Qui vero per Evangelium,
majus quiddam fecisse videtur. Hoc ideo contingit, quia in solemni
juratione, ubi major deliberatio adhibetur, tali forma in jurando utimur. Sancta
synodus decrevit et cetera. Ratio institutionis fuit, quia ad juramentum
requiritur summa cautela, quae exigit sobrietatem. Excipiuntur tamen casus
illi in quibus mora protraheret periculum, sicut est pro pace facienda. |
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Distinctio 40 |
Distinction 40 – [Les
commandemenets se rapportant à la convoitise du cœur]
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Prooemium |
Prologue |
[13183] Super
Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 pr. Postquam determinavit Magister de praeceptis Decalogi quae respiciunt
opus exterius et locutionem, hic ponit duo ultima praecepta quae respiciunt
concupiscentiam cordis; et circa hoc tria facit: primo enumerat ipsa
praecepta; secundo movet quaestiones circa ea, ibi: sed videtur praeceptum
de non concupiscendis rebus proximi unum cum eo esse quo dicitur: non
furaberis; tertio recapitulat quod dixerat, et continuat se ad sequentia,
ibi: audistis decem chordas Psalterii. Circa secundam partem movet duas
quaestiones: prima est de differentia horum praeceptorum ad alia praecepta
Decalogi; secunda est de differentia totius veteris legis ad novam, quae ex
solutione primae quaestionis ortum habet; et hoc ponit ibi: sed cum hic
prohibeatur concupiscentia alienae uxoris, et alienae rei; quare dicitur lex
comprimere manum, et non animum? Et circa hoc tria facit: primo movet
quaestionem, et eam solvit; secundo movet quaestionem de effectu litterae
veteris legis, ibi: si vero quaeritur quam vocat apostolus litteram
occidentem, ea certe est Decalogus; tertio breviter colligit differentiam
inter litteram Evangelii et litteram legis, ibi: distat autem Evangelii
littera a legis littera, quia diversa sunt promissa. Hic quaeruntur
quatuor: 1 de assignatione istorum praeceptorum; 2 utrum verum sit quod lex
Moysi tantum manum cohibuerit; 3 utrum eadem lex justificaret vel occideret;
4 utrum aeterna promitteret vel terrena. |
Après avoir déterminé des commandements qui portent sur l’action extérieure et la parole, le maître présente ici les deux derniers commandements qui portent sur la convoitise du cœur. À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il énumère ces commandements. Deuxièmement, il soulève des questions à leur sujet, à cet endroit : « Mais il semble que le commandement de ne pas convoiter les biens du prochain ne fasse qu’un avec celui qui dit : ‘Tu ne voleras pas’. » Troisièmement, il résume ce qu’il avait dit et il poursuit, à cet endroit : « Vous avez entendu les dix cordes du psaltérion. » À propos de la deuxième partie, il soulève deux questions : la première porte sur la différence entre ces commandements et les autres commandements du décalogue ; la seconde porte sur la différence de toute la loi ancienne par rapport à la loi nouvelle, qui tire son origine de la réponse à la première question ; il présente cela à cet endroit : « Mais puisque la convoitise de l’épouse et du bien d’un autre est défendue ici, pourquoi dit-on que la loi contraint la main, mais non l’âme ? » À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il soulève une question et la résout. Deuxièmement, il soulève une question sur l’effet de la loi ancienne, à cet endroit : « Mais si l’on demande de quelle lettre l’Apôtre dit qu’elle tue, il s’agit à coup sûr du décalogue. » Troisièmement, il résume brièvement la différence entre la lettre de l’évangile et la lettre de la loi, à cet endroit : « La lettre de l’évangile est éloignée de la lettre de la loi, car ce qui est promis est différent. », Ici, quatre questions sont posées : 1. Sur la distribution de ces commandements. 2. Est-il vrai que la loi de Moïse ne contraint que la main ? 3. La même loi justifierait-elle ou tuerait-elle ? 4. Promettrait-elle des réalités éternelles ou terrestres ? |
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Articulus 1 [13184] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a.
1 tit. Utrum duo
praecepta de concupiscentia convenienter assignentur |
Article 1 – Est-ce que les deux commandements sur la convoitise sont distribués de manière appropriée ? |
[13197] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur.
Videtur quod lex Mosaica non solum manum, sed etiam animum cohibere debeat.
Ejusdem enim est animum ordinare ad virtutem, et cohibere a peccato. Sed lex
Mosaica ordinat animum ad virtutem, ut patet Deut. 6, 5: diliges dominum
Deum tuum ex toto corde tuo. Ergo et ipsa etiam cohibet animum a peccato. |
1. Il semble que la loi mosaïque ne doive pas contraindre seulement la main, mais aussi l’âme. En effet, il revient au même d’ordonner l’âme à la vertu et de réprimer le péché. Or, la loi mosaïque ordonne l’âme à la vertu, comme cela ressort de Dt 6, 5 : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur. Elle empêche donc aussi l’âme de pécher. |
[13198] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, concupiscentia
in anima est. Sed lex vetus
cohibet a concupiscentia, ut patet in his duobus praeceptis. Ergo cohibet
animum a peccato. |
2. La convoitise se situe dans l’âme. Or, la loi ancienne réprime la convoitise, comme cela ressort de ces deux commandements. Elle empêche donc l’âme de pécher. |
[13199] Super
Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 3 Si dicatur, quod non cohibeat ab omni concupiscentia; contra. Sub his duobus
praeceptis, ut dictum est, omnis concupiscentia prohibetur. Sed haec duo
praecepta in veteri lege edita sunt. Ergo totaliter animum a peccato cohibebat. |
3. Si l’on dit qu’elle réprime toute convoitise, on objectera que, par ces deux commandements, ainsi qu’on l’a dit, toute convoitise est interdite. Or, ces deux commandements ont été formulés dans la loi ancienne. Elle empêchait donc entièrement l’âme de pécher. |
[13200] Super
Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 4 Si dicas, quod hoc intelligitur quo ad caeremonialia; contra.
Caeremonialia enim legis non praecipiebant ab aliquo peccato abstinere, sed
potius quid in figuram esset faciendum. Ergo non magis manum quam animum
cohibebant. |
4. Si l’on dit qu’il faut l’entendre seulement des aspects cérémoniels, on objectera que les aspects cérémoniels de la loi ne commandaient pas de s’abstenir de pécher, mais plutôt d’accomplir quelque chose qui avait valeur de figure. Ils ne contraignaient donc pas davantage la main que l’âme. |
[13201] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, lex Moysi perfectior erat quam lex
civilis. Sed lex civilis non tantum cohibet manum, sed etiam animum; alias ad
virtutem non induceret, quae principaliter in animo consistit. Ergo lex
Mosaica non tantum cohibet manum, sed animum. |
5. La loi de Moïse était plus parfaite que la loi civile. Or, la loi civile ne contraint pas seulement la main, mais aussi l’âme, autrement, elle n’inciterait pas à la vertu, qui se trouve principalement dans l’âme. La loi mosaïque ne contraint donc pas seulement la main, mais aussi l’âme. |
[13202] Super Sent.,
lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, lex nova
est perfectior quam lex vetus. Sed nihil potest esse perfectius quam
cohibitio animi et manus. Ergo in lege veteri non cohibebatur utrumque. |
Cependant, [1] la loi nouvelle est plus parfaite que la loi ancienne. Or, rien ne peut être plus parfait que contraindre l’âme et la main. Les deux n’étaient donc pas contraintes dans la loi ancienne. |
[13203] Super
Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Matth. 5, dominus supra praecepta legis, quae ad
factum exterius pertinent, sicut de homicidio, facit additionem de interiori
actu peccati, sicut de ira: quod non esset, si lex vetus animum cohiberet.
Ergo lex vetus animum non cohibebat. |
[2] En Mt 5, le Seigneur ajoute aux commandements de la loi, qui concernent l’action extérieure, comme l’homicide, l’acte intérieur du péché, comme la colère ; ce qui ne serait pas le cas si la loi ancienne contraignait l’âme. La loi ancienne ne contraignait donc pas l’âme. |
[13204] Super Sent., lib. 3 d.
40 q. 1 a. 2 s. c. 3 Praeterea, nihil cohibet animum nisi gratia. Sed
vetus lex gratiam non conferebat. Ergo animum non cohibebat. |
[3] Rien ne contraint l’âme sinon la grâce. Or, la loi ancienne ne conférait pas la grâce. Elle ne contraignait donc pas l’âme. |
[13205] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod
coactio legis, secundum philosophum in fine Ethic., ad hoc necessaria est, ut
illi qui persuasionibus ad bonum non inclinantur, per poenas cogantur: unde
cohibitio legis se extendit quantum poena inflicta per legem. Sicut autem lex
vetus infirmis animis non nisi terrena promittebat, ita etiam pro peccatis
temporalem poenam infligebat, oculum pro oculo, dentem pro dente. Poenae autem temporales pro peccatis animi
infligi non possunt nisi quatenus in actum exteriorem prorumpunt; alias enim
ab homine de eis judicari non potest; et ideo lex vetus manum et non animum
cohibere dicebatur. Lex autem nova aeterna promittit et comminatur in
praemium et poenam; aeterna autem poena ab illo judice infligitur qui est
cordis scrutator; et ideo non solum manum, sed etiam animum cohibet: quod patet
in hoc praecepto: non occides, pro cujus transgressione lex vetus
hominem occidebat: sed pro ira interiori lex nova poenam aeternam comminatur:
qui enim irascitur fratri suo, reus erit Concilio; Matth. 5, 22. |
Réponse. Selon le Philosophe, à la fin de l’Éthique, la force de la loi était nécessaire afin que ceux qui n’étaient pas inclinés au bien par la persuasion, y soient forcés par des peines. Aussi la force de la loi s’étend-elle autant que la peine infligée par la loi. Or, de même que la loi ancienne ne promettait aux âmes malades que des biens terrestres, de même aussi infligeait-elle une peine temporelle pour les péchés : œil pour œil, dent pour dent. Mais les peines temporelles ne peuvent être infligées pour les péchés de l’âme que dans la mesure où ils passent à un acte extérieur, autrement, l’homme ne pourrait en juger. C’est pourquoi on dit que la loi ancienne contraignait la main, et non l’âme. Mais la loi nouvelle promet et menace de réalités éternelles comme récompense et comme peine. Or, la peine éternelle est infligée par le juge qui scrute les cœurs. C’est pourquoi elle ne contraint pas seulement la main, mais aussi l’âme, ce qui ressort dans ce commandement : Tu ne tueras pas. Pour sa transgression, la loi ancienne tuait l’homme ; mais, pour la colère intérieure, la loi nouvelle menace d’une peine éternelle : Celui qui se met en colère contre son frère sera coupable devant l’assemblée, Mt 5, 22. |
[13206] Super Sent.,
lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod lex praeceptis affirmativis et negativis animum ordinabat ad
virtutem, et a vitio retrahebat: non tamen contra transgressores hujusmodi
praeceptorum poenam aliquam ordinare poterat, secundum quam cohibere vel
cogere dicitur; et ideo non sequitur quod animum cohiberet. |
1. La loi ordonnait l’âme à la vertu et l’éloignait du vice par des commandements affirmatifs et négatifs ; mais elle ne pouvait cependant pas ordonner une peine, par laquelle on dit qu’elle contraint ou force, contre ceux qui transgressaient de tels commandements. C’est pourquoi il n’en découle pas qu’elle contraignait l’âme. |
[13207] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 ad 2 Et per hoc patet solutio
ad secundum. |
2. La réponse au deuxième argument ressort ainsi clairement. |
[13208] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
omnem concupiscentiam quantum ad genus suum lex prohibebat; non tamen ab omni
cohibebat per poenas, sed solum ab ea quae prorumpebat in actum. |
3. La loi interdisait toute convoitise quant à son genre ; elle n’empêchait cependant pas toute [convoitise] par des peines, mais seulement celle qui passait à l’acte. |
[13209] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
caeremonialia praecepta indicebant sacrificia pro certis peccatis, non autem
ita pro peccatis cordis sicut pro peccatis operis; et ita caeremonialia magis
manum quam animum cohibebant. |
4. Les commandements cérémoniels imposaient des sacrifices pour certains péchés, mais non pour les péchés du cœur, comme pour les péchés par action. Ainsi contraignaient-ils plutôt la main que l’âme. |
[13210] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod
lex civilis quamvis intendat
per cohibitionem poenarum ad virtutes inducere, non tamen cogit per poenas
animum, sed solum manum. |
5. Bien que la loi civile vise à inciter aux vertus par la contrainte de peines, elle ne force cependant l’âme par des peines, mais seulement la main. |
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Articulus 3 [13211] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a.
3 tit. Utrum lex
vetus justificabat |
Article 3 – La loi ancienne justifiait-elle ? |
[13212] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod
lex vetus justificabat et non occidebat. Matth. 19, 17: si vis ad vitam
ingredi, serva mandata; et loquitur de mandatis Decalogi, sicut ibidem
patet. Sed nullus ad
vitam ingreditur nisi justificatus. Ergo lex vetus justificabat. |
1. Il semble que la loi ancienne justifiait et ne tuait pas. Mt 19, 17 : Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements ; [Jésus] parle des commandements du décalogue. Or, personne n’entre dans la vie à moins d’être justifié. La loi ancienne justifiait donc. |
[13213] Super
Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, lex est justitiae quaedam doctrina: quia est ars aequi et
boni. Ergo non potest justificare nisi docendo justitiam. Sed lex vetus
justitiam docebat: nam, concupiscentiam nesciebam esse peccatum, nisi lex
diceret, non concupisces; Roman. 7, 7. Ergo lex vetus justificabat. |
2. La loi est un enseignement de la justice, car elle est l’art de ce qui est juste et bon. Elle ne peut donc justifier qu’en enseignant la justice. Or, la loi ancienne enseignait la justice, car je ne savais que la convoitise est un péché que si la loi disait : « Tu ne convoiteras pas », Rm 7, 7. La loi ancienne justifiait donc. |
[13214] Super
Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, omne quod removet
dispositiones et causas mortis, non occidit, sed justificat. Lex vetus hoc
faciebat, peccatum prohibendo. Ergo et cetera. |
3. Tout ce qui enlève les dispositions et les causes de la mort ne tue pas mais justifie. La loi ancienne faisait cela en interdisant le péché. Donc, etc. |
[13215] Super Sent.,
lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, in
naturis ita contingit, quod unumquodque ut fit frequenter, ita natum est
fieri, ut dicitur in 2 Phys. Si ergo lex vetus occidebat ut frequenter, tunc
ad hoc nata erat. Sed omne quod naturam habet ordinatam ad occisionem, est
malum. Ergo lex vetus
fuisset mala; quod falsum est. |
4. Dans les natures, il arrive que ce que chaque chose devient fréquemment, elle est naturellement disposée à le devenir, ainsi qu’il est dit dans Physique, II. Si donc la loi ancienne tuait fréquemment, elle y serait donc naturellement disposée. Or, tout ce qui a une nature disposée à tuer est mauvais. La loi ancienne aurait donc été mauvaise, ce qui est faux. |
[13216] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, mors non
sequebatur ex veteri lege, nisi per occasionem. Sed etiam ex lege nova sequitur mors per
occasionem; 2 Cor. 2, 16: aliis sumus odor mortis in mortem. Sed
propter hoc lex nova non dicitur occidens. Ergo nec lex vetus occidens, sed
justificans, debet dici. |
5. La mort ne découlait de la loi ancienne que par mode d’occasion. Or, la mort découle aussi de la loi nouvelle par mode d’occasion, 2 Co 2, 16 : Nous sommes pour eux odeur de mort pour la mort. Or, on ne dit pas que la loi nouvelle tue à cause de cela. On ne doit donc pas dire que la loi ancienne tue, mais justifie. |
[13217] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, 2 Corinth. 3, 6: littera occidit, spiritus autem
vivificat; et loquitur de littera veteris legis. Ergo lex vetus non
justificabat. |
Cependant, [1] en sens contraire, 2 Co 3, 6 dit : La lettre tue, mais l’Esprit vivifie, et il parle de la lettre de la loi ancienne. La loi ancienne ne justifiait donc pas. |
[13218] Super Sent.,
lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Rom. 10,
5, justitiam quae ex lege est, qui fecerit homo, vivit in ea. Glossa: qui
operibus legis justificatur, temporalem habet mercedem, non apud Deum. Sed
vera justitia est quae habet mercedem apud Deum. Ergo lex vetus non justificabat. |
[2] Rm 10, 5 : L’homme qui aura accompli la justice qui vient de la loi vit par elle. Glose : « Celui qui est justifié par les œuvres de la loi obtient une récompense temporelle, mais non auprès de Dieu. » Or, la véritable justice est celle qui obtient une récompense auprès de Dieu. La loi ancienne ne justifiait donc pas. |
[13219] Super
Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, qui justificatur ex operibus, non justificatur gratis. Sed
justificatio legis non potest esse nisi per opera. Cum ergo vera justificatio
sit gratis, ut patet Rom. 3, videtur quod lex non justificaret. |
[3] Celui qui est justifié par les œuvres n’est pas justifié gratuitement. Or, la justification de la loi ne peut se réaliser que par les œuvres. Puisque la véritable justification est gratuite, comme cela ressort de Rm 3, il semble donc que la loi ne justifierait pas. |
[13220] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod lex quodammodo
justificabat, et quodammodo occidebat. Ad cujus intellectum sciendum est,
quod justificare dupliciter hic potest accipi. Uno modo justitiam facere;
alio modo justitiam docere. Justitia autem est duplex: quaedam acquisita;
quaedam infusa. Justitia acquisita ex operibus causatur; et per hunc modum
lex civilis homines justos facit, inquantum per exercitium operum, habitum
justitiae in observatoribus causat; et per hunc modum etiam lex Mosaica
justificare poterat, justitiam acquisitam causando. Sed de hac justitia nihil
ad praesens. Justitia autem infusa a solo Deo effective est; unde lex per
opera eam inducere non potest: sed per legem novam talis inducitur justitia,
quia per sacramenta ejus gratia confertur, quae justificat formaliter.
Sacramenta vero veteris legis gratiam non conferebant, ut in 4 Lib. dicetur;
et ideo lex vetus nullo modo justificabat quasi justitiam causans, sed quasi
justitiam docens: quia in observatione mandatorum ejus, forma justitiae
consistit. Occidere autem legis littera dicitur et quantum ad moralia, et
quantum ad caeremonialia; sed differenter. Quia quantum ad caeremonialia, per
se loquendo; tempore enim gratiae revelatae coeperunt esse mortifera. Sed
quantum ad moralia non, nisi accidentaliter, inquantum ex ipsa lege peccatum
prohibente, et auxilium gratiae contra ipsum non ferente, infirmus periculum
mortis sumebat tripliciter. Primo, quia ex hoc ipso quod peccati
commemorationem faciebat ei in quo concupiscentia peccati extincta non erat,
magis in ipsum exardescebat, sicut cum aqua ostenditur sitienti. Secundo,
quia ex hoc ipso quod prohibebatur, ponebatur quasi in quodam alto et
difficili ad habendum; et ideo mens humana peccato subjecta, vehementius in
illud tendebat, sicut scriptum est Prov. 9, 17: aquae furtivae dulciores
sunt. Tertio, quia
lex prohibens, peccati specialem reatum addebat, inquantum non solum
naturalem legem transgrediebatur, sed etiam legis scriptae praevaricator
erat. |
Réponse. La loi justifiait d’une certaine manière et elle tuait d’une certaine manière. Pour le comprendre, il faut savoir que « justifier » peut s’entendre ici de deux manières : d’une manière, accomplir la justice ; d’une autre manière, enseigner la justice. Or, la justice est double : l’une acquise ; l’autre, infuse. La justice acquise est causée par les oeuvres ; de cette manière, la loi civile rend les hommes justes, dans la mesure où, par la pratique des œuvres, elle cause chez ceux qui l’observent l’habitus de la justice. De cette manière aussi, la loi mosaïque pouvait justifier, en causant une justice acquise. On ne parle toutefois pas de cette justice pour le moment. Mais la justice infuse est effectivement donnée par Dieu seul. La loi ne peut donc l’amener par les œuvres, mais une telle justice est introduite par la loi nouvelle, car elle est conférée dans les sacrements par la grâce de Celui qui justifie formellement. Or, les sacrements de la loi ancienne ne conféraient par la grâce, comme on le dira dans le livre IV. C’est pourquoi la loi ancienne ne justifiait d’aucune manière en tant causant la justice, mais en tant qu’enseignant la justice, car la forme de la justice consiste dans l’observation de ses commandements. Mais on dit que la lettre de la loi tue tant pour les [commandements] moraux que pour les [commandements] cérémoniels, mais de manière différente. Pour les [commandements] cérémoniels, en parlant par soi. En effet, au temps de la grâce révélée, ils ont commencé à causer la mort. Mais ce n’est pas le cas des [commandements] moraux, sauf par accident, dans la mesure où, en raison de la loi elle-même qui interdisait le péché et n’apportait pas l’aide de la grâce contre lui, le malade encourait un danger de mort de trois manières. Premièrement, parce que du fait même qu’elle rappelait le péché à celui en qui la convoitise du péché n’était pas éteinte, elle l’attisait en lui, comme lorsque l’eau est montrée à celui qui a soif. Deuxièmement, parce que, du fait que cela était interdit, cela était mis placé quelque chose d’élevé et de difficile à posséder. Ainsi l’esprit humain soumis au péché y tendait-il de manière plus impétueuse, comme il est écrit en Pr 9, 17 : Les eaux fuyantes sont plus douces. Troisièmement, parce que la loi, en interdisant, ajoutait une culpabilité particulière au péché dans la mesure où, non seulement il transgressait la loi naturelle, mais il outrepassait aussi la loi écrite. |
[13221] Super
Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod observatio mandatorum legis necessaria
est ad vitam aeternam consequendam, quia sine ea ad vitam aeternam intrare
non potest qui tempus habet operandi; non tamen observatio mandatorum legis
ad vitam consequendam sufficiebat, nisi modus caritatis adjungeretur; quam
lex nullo modo causare poterat; et ideo non perfecte justificabat. |
1. L’observance des commandements de la loi est nécessaire pour l’obtention de la vie éternelle parce que, sans eux, celui qui a le temps d’agir ne peut entrer dans la vie éternelle. Cependant, l’observance des commandements de la loi ne suffisait pas pour obtenir la vie éternelle, à moins que le mode de la charité n’y soit associé. La loi ne pouvait aucunement causer celle-ci. C’est pourquoi elle ne justifiait pas parfaitement. |
[13222] Super
Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod docere justitiam, non est justitiam facere
perfecte, sed solum dispositive. Invenitur autem aliqua lex, scilicet lex
nova, quae justitiam facit effective per sacramenta, quae gratiam conferunt. |
2. Enseigner la justice n’est pas causer parfaitement la justice, mais seulement par mode de disposition. Or, il y a une loi, la loi nouvelle, qui réalise effectivement la justice par les sacrements qui confèrent la grâce. |
[13223] Super Sent.,
lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod per hoc probatur quod lex non occidebat per se loquendo, sed dispositive
justificabat. |
3. Il est montré par là que la loi ne tuait pas à parler par soi, mais justifiait par mode de disposition. |
[13224] Super Sent.,
lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod ratio sequeretur, si causa mortis esset ex lege; non autem erat ex ea,
immo potius ad contrarium ordinata erat; sed causa mortis erat ex peccato
eorum quibus lex dabatur; sicut causa mortis non est ex sole, si
febricitantes ad solem stantes moriuntur. |
4. Le raisonnement serait concluant si la cause de la mort venait de la loi. Or, mais elle ne venait pas d’elle, bien plus, elle avait été ordonnée à son contraire. Mais la cause de la mort venait du péché de ceux à qui la loi était donnée, comme la cause de la mort ne vient pas du soleil, si ceux qui ont la fièvre meurent en se tenant au soleil. |
[13225] Super Sent.,
lib. 3 d. 40 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod in lege nova non est aliquis defectus quin justificare possit, sicut
erat in veteri lege; et ideo magis poterat accipi occasio mortis ex veteri
lege quam nova. Ex nova enim lege non sequitur occasio mortis nisi
contemnentibus ipsam, quia volentibus observare, auxilium praebet: sed lex
vetus etiam volentibus observare, et deficientibus propter infirmitatem,
occasio mortis erat. |
5. Dans la loi nouvelle, il n’y a pas de carence qui l’empêcherait de justifier, comme c’était le cas pour la loi ancienne ; c’est pourquoi une occasion de mort venait de la loi ancienne plutôt que de la nouvelle. En effet, une occasion de mort ne découle de la loi nouvelle que pour ceux qui la méprisent, car, pour ceux qui veulent l’observer, elle apporte une aide ; mais la loi ancienne était une occasion de mort, même pour ceux qui voulaient l’observer et pour ceux qui y manquaient par faiblesse. |
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Articulus 4 [13226] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a.
4 tit. Utrum lex
vetus promittebat tantum temporalia, vel etiam aeterna |
Article 4 – La loi ancienne promettait-elle seulement des biens temporels ou aussi des biens éternels ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 – [La
loi ancienne promettait-elle seulement des biens temporels ou aussi des biens
éternels ?]
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[13227] Super
Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur
quod lex vetus non solum temporalia, sed aeterna promittebat. Illud enim in
lege promittitur quod merces legis ponitur. Sed Deus seipsum mercedem Abrahae
promisit, qui est bonum aeternum, ut patet Genes. 15. Ergo non solum
temporalia, sed aeterna promittebat. |
1. Il semble que la loi ancienne ne promettait pas seulement des biens temporels, mais des biens éternels. En effet, la loi promet ce qui y est donné comme récompense. Or, Dieu, qui est le bien éternel, s’est lui-même promis comme récompense à Abraham, comme cela ressort de Gn 15. Elle ne promettait donc pas seulement des biens temporels, mais des biens éternels. |
[13228] Super
Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2 Praeterea, quod promittitur in
lege, est praemium virtutis. Sed praemium virtutis debet esse melius virtute.
Cum igitur virtus sit melior omni mercede temporali, videtur quod lex terrena
promittere non debuerit. |
2. Ce qui est promis dans la loi est la récompense de la vertu. Or, la récompense de la vertu doit être meilleure que la vertu. Puisque la vertu est meilleure que toute récompense temporelle, il semble donc que la loi ne devait pas promettre des biens terrestres. |
[13229] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1
a. 4 qc. 1 arg. 3 Praeterea, illud quod est contra rationem virtutis, in lege
fieri non debet. Sed virtuti contrarium est, et ejus corruptivum, ut actus
ejus propter bonum terrenum fiat. Ergo promissio terrenorum in lege fieri non
debuit. |
3. Ce qui est contraire à la notion de vertu ne doit pas être fait sous la loi. Or, il est contraire à la vertu et cela la corrompt, que son acte soit accompli pour un bien terrestre. La promesse de biens terrestres ne devait donc pas être être faite sous la loi. |
[13230] Super
Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 1 Sed contra, illis solis potest
homo ad bene faciendum invitari, quae in pretio habet. Sed carnalis populus,
cui lex vetus data fuit, sola bona temporalia in pretio habebat. Ergo eorum
sibi promissio fieri debuit. |
Cependant, [1] l’homme ne peut être invité à bien agir que pour ce à quoi il accorde un prix. Or, le peuple charnel, à qui la loi ancienne a été donnée, n’accordait de prix qu’aux biens temporels. La promesse devait donc lui en être faite. |
[13231] Super
Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, 1 Corinth. 15, 46: non
prius quod spirituale, sed quod animale. Sed lex vetus primo danda erat.
Ergo non spiritualis promissio, sed temporalis in ea fieri debuit. |
[2] 1 Co 15, 46 : Non pas d’abord ce qui est spirituel, mais ce qui est animal. Or, la loi ancienne devait être donnée en premier. Une promesse spirituelle ne devait donc pas être faite en elle, mais une promesse temporelle. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 – [La
loi ancienne diffère-t-elle de la loi nouvelle par le principe de la crainte
et de l’amour ?]
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[13232] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1
a. 4 qc. 2 arg. 1 Ulterius. Videtur quod lex vetus non differat a nova per
radicem timoris et amoris. Differentia enim legis non attenditur ex
diversitate observantium legem, sed potius e converso; cum lex sit regula et
mensura observantium ipsam. Sed facere aliquid ex timore vel amore contingit
ex diversa dispositione observantium legem. Ergo penes hoc duae leges non
distinguuntur. |
1. Il semble que la loi ancienne ne diffère pas de la loi nouvelle par le principe de la crainte et de l’amour. En effet, la différence d’une loi ne se prend pas de la diversité de ceux qui observent la loi, mais c’est plutôt le contraire, puisque la loi est la règle et la mesure de ceux qui l’observent. Or, accomplir quelque chose par crainte ou par amour vient d’une disposition différente chez ceux qui observent la loi. Les deux lois ne se distinguent pas par cela. |
[13233] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1
a. 4 qc. 2 arg. 2 Praeterea, nullus fructuose legem custodit, nisi qui ex
amore eam observat. Sed in statu veteris legis multi fuerunt qui eam
fructuose observabant, vitam aeternam ex hoc promerentes. Ergo lex vetus et nova non distinguuntur
per timorem et amorem. |
2. Personne ne garde la loi avec fruit que s’il l’observe par amour. Or, dans l’état de la loi ancienne, il y en avait beaucoup qui l’observaient avec fruit, en méritant ainsi la vie éternelle. La loi ancienne et la loi nouvelle ne se distinguent donc pas par la crainte et par l’amour. |
[13234] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1
a. 4 qc. 2 arg. 3 Praeterea, timor servilis, qui contra amorem dividitur,
respicit poenam. Sed majoris poenae comminatio fit in nova lege quam in
veteri, ut patet Hebr. 10, 29: quanto, inquit, putatis deteriora
mereri supplicia qui filium Dei conculcaverit? Ergo lex nova magis in timore consistit
quam vetus. |
3. La crainte servile, qui s’oppose à l’amour, concerne la peine. Or, la menace d’une plus grande peine est faite dans la loi nouvelle que dans la loi ancienne, comme cela ressort de He 10, 29 : Quels plus grands supplices, pensez-vous, mérite celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu ? La loi nouvelle consiste donc davantage dans la crainte que la loi ancienne. |
[13235] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1
a. 4 qc. 2 s. c. 1 In contrarium est quod Augustinus dicit, quod brevis
differentia legis et Evangelii est timor et amor. |
Cependant, [1] en sens contraire, Augustin dit qu’une brève distinction entre la loi et l’évangile est la crainte et l’amour. |
[13236] Super
Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. 2 Praeterea, Rom. 8, 15: non
accepistis spiritum servitutis iterum in timore; dicit Glossa: praecepta
in veteri lege timore servabantur. |
[2] À propos de Rm 8, 15 : Vous n’avez pas reçu un Esprit d’esclavage être de nouveau dans la crainte, la Glose dit : « Les commandements de la loi ancienne étaient observés dans la crainte. » |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3 – [La
loi ancienne était-elle plus lourde que la loi nouvelle ?]
|
[13237] Super Sent.,
lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1 Ulterius. Videtur quod lex vetus non sit magis onerosa quam nova. Quod
enim se habet ex additione ad aliud, plura continet. Sed nova addit supra veterem, Matth. 5.
Ergo plura continet; et ita videtur difficilior. |
1. Il semble que la loi ancienne était plus lourde que la loi nouvelle. En effet, ce qui s’ajoute à une chose contient plus de choses. Or, la loi nouvelle s’ajoute à la loi ancienne, Mt 5. Elle contient donc plus de choses, et ainsi elle semble plus difficile. |
[13238] Super Sent.,
lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2 Praeterea, quanto est perfectior status virtutis, tanto majorem
difficultatem habet: quia ars et virtus circa difficile et bonum sunt, ut
dicitur in 1 Ethic. Sed status novae legis est perfectior quam status veteris. Ergo lex
nova est difficilior. |
2. Plus l’état de la vertu est parfait, plus il est difficile, car l’art et la vertu ne portent que sur ce qui est difficile et bon, comme on le dit dans Éthique, I. Or, l’état de la loi nouvelle est plus parfait que l’état de la loi ancienne. La loi nouvelle est donc plus difficile. |
[13239] Super Sent.,
lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 3 Praeterea, infirmis et parvulis levia onera sunt imponenda. Sed illi
qui erant in veteri lege, parvulis comparantur; qui autem sunt in nova, viris
perfectis, ut patet Gal. 4. Ergo lex nova est gravior quam vetus. |
3. Des charges plus lègères doivent être imposées aux malades et aux enfants. Or, ceux qui étaient sous la loi ancienne se comparent à des enfants ; mais ceux qui sont sous la loi nouvelle [se comparent] à des adultes, comme cela ressort de Ga 4. La loi nouvelle est donc plus lourde que la loi ancienne. |
[13240] Super
Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Matth. 11, 30: jugum
meum suave est, et onus leve. |
Cependant,
[1] il est dit en Mt 11, 30 : Mon joug est doux et mon fardeau léger. |
[13241] Super Sent.,
lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. 2 Praeterea, Act. 15, 10, dicit Petrus de veteri lege: hoc est onus
quod nec nos nec patres nostri potuerunt portare. Ergo et cetera. |
[2] En Ac 15, 10, Pierre dit de la loi ancienne : C’était une charge que ni nous ni nos pères n’ont pu porter. Donc, etc. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la
sous-question 1
|
[13242] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Respondeo dicendum ad
primam quaestionem, quod secundum Dionysium in 5 cap. Ecclesiast. Hierarch.,
lex nova media est inter Ecclesiam caelestem et statum veteris legis; et ideo
aeterna bona, quae in caelesti Ecclesia palam et copiose exhibentur, in nova
lege manifeste promittuntur; in veteri autem lege non promittebantur, nisi
sub quibusdam figuris. Unde Hebr. 10, 1, dicitur: umbram habens lex
futurorum bonorum. Et hoc propter tres causas praecipue. Primo ut ex his
quae cognoscebant, assuefierent etiam a Deo majora sperare. Secundo ut non
solum cognitio, sed affectus, a temporalibus ad aeterna manuduceretur.
Tertio, quia bona aeterna nondum statim eis poterant exhiberi, nondum soluto
pretio; unde dilatio promissorum inefficacem faceret apud infirmos
promissionem. |
Selon Denys, La hiérarchie ecclésiastique, V, la loi nouvelle est à mi-chemin entre l’Église céleste et l’état de la loi ancienne. C’est pourquoi les biens éternels, qui sont clairement et abondamment manifestés dans l’Église céleste, sont clairement promis dans la loi nouvelle ; mais, dans la loi ancienne, ils n’étaient promis que sous des figures. Aussi est-il dit en He 10, 1 : La loi n’ayant que l’ombre des biens à venir. Et cela, principalement pour trois raisons. Premièrement, à partir de ce qu’ils connaissaient, ils seraient aussi habitués à espérer de Dieu de plus grands biens. Deuxièmement, pour que non seulement la connaissance, mais aussi la puissance affective soit menée aux biens éternels à partir des biens temporels. Troisièmement, parce que les biens éternels ne pouvaient pas leur être immédiatement manifestés, puisque le prix n’en avait pas été payé. Aussi le report des biens promis rendrait-il la promesse inefficace pour les faibles. |
[13243] Super Sent.,
lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ubicumque promittuntur aeterna in veteri
lege, hoc est sub quadam figura et similitudine temporalium; et secundum hoc
etiam Deus se mercedem Abrahae constituit ad litteram, quasi remuneratorem in
multiplicatione seminis et in terrae promissae collatione. Vel dicendum, quod
hoc intelligitur de promissione communiter omnibus facta in veteri lege, non
autem de illa quae fiebat specialiter ad aliquos perfectos viros, qui ad
legem novam pertinebant. |
1. Partout où sont promis des biens éternels dans la loi ancienne, c’est sous une figure et une ressemblance avec les biens temporels. De cette manière, selon le texte, Dieu s’est aussi donné en récompense à Abraham, en tant que rémunérateur par la multiplication de sa semence et par le rassemblement dans la terre promise. Ou bien il faut dire que cela s’entend de la promesse faite d’une manière générale dans la loi ancienne, mais non de celle qui était faite d’une manière particulière à certains hommes parfaits, qui appartenaient à la loi nouvelle. |
[13244] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod promissiones temporales non ponuntur in lege quasi praemia virtutum, sed
quasi incitamenta quaedam ad virtutem. |
2. Les promesses temporelles ne sont pas présentées dans la loi comme des récompenses pour les vertus, mais comme des incitations à la vertu. |
[13245] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
sicut facere aliquid timore poenae est contra rationem perfectae virtutis,
tamen ducit ad virtutem; ita etiam facere aliquid propter retributionem
temporalem; et ideo sicut in lege fit comminatio poenae, ita etiam potest
fieri promissio temporalis mercedis. |
3. De même qu’accomplir quelque chose par crainte d’une peine est contraire à la notion de vertu parfaite, mais conduit cependant à la vertu, de même accomplir quelque chose pour une récompense temporelle. C’est pourquoi, de même que, dans la loi, est faite la menace d’une peine, de même aussi peut être faite la promesse d’une récompense temporelle. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la
sous-question 2
|
[13246] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem
dicendum, quod ex ipso modo legislationis apparet quod lex vetus est lex
timoris, lex autem nova lex amoris. Lex enim nova ex ostensione divinae caritatis initium sumpsit: quia in
effusione sanguinis Jesu Christi, qui fuit perfectissimae caritatis signum,
novum testamentum consummatum est. Lex autem vetus in ostensione divinae
potestatis, quae timorem incutit, initium sumpsit; unde et in ipsa
legislatione propter fulgura, voces, et tonitrua terror audientes invasit, ut
dicerent: non loquatur nobis dominus, ne forte moriamur, Exod. 20, 19;
et ideo vetus lex homines praecipue inducebat per comminationem poenarum;
nova vero lex per beneficia exhibita, et speranda; et hoc satis competebat
statui humani generis, ut prius quasi rudis populus per timorem poenae
cogeretur, postmodum vero per amorem in bono perficeretur; sicut enim timor
est via ad amorem, ita lex vetus ad novam. |
Par le mode même de l’établissement de la loi, il apparaît que la loi ancienne est une loi de crainte, mais la loi nouvelle, une loi d’amour. En effet, la loi nouvelle a pris son origine dans la manifestation de la charité divine, car l’alliance nouvelle a été consommée dans l’effusion du sang de Jésus, le Christ, ce qui était le signe de la plus parfaite charité. Mais la loi ancienne [a été consommée] dans la manifestation de la puissance divine, qui frappe de crainte. Aussi, lors de l’établissemenet même de la loi, la terreur a-t-elle envahi ceux qui l’entendaient en raison des éclairs, des voix et du tonnerre, de sorte qu’ils disaient : Ne nous parle pas, Seigneur, pour que nous ne mourions pas, Ex 20, 19. C’est pourquoi la loi ancienne incitait les hommes par la menace de peines, mais la loi nouvelle, par les bienfaits montrés et à espérer. Et cela convenait assez bien à l’état du genre humain, qu’un peuple inculte soit contraint par la crainte d’une peine, mais que, par la suite, il soit perfectionné dans le bien par l’amour. En effet, de même que la crainte est le chemin vers l’amour, de même la loi ancienne [est-elle le chemin] vers la loi nouvelle. |
[13247] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod ista differentia non tantum sumitur ex parte observantium legem, sed ex
modo editionis legis, ut dictum est. |
1. Cette différence ne se prend pas seulement du côté de ceux qui observent la loi, mais du mode d’établissemenet de la loi, comme on l’a dit. |
[13248] Super
Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illi qui in veteri lege ex amore legem
observabant, perfecti erant; unde ad legem novam pertinebant, in qua est
status perfectionis. |
2. Ceux qui, sous la loi ancienne, observaient la loi par amour étaient parfaits. Ils appartenaient donc à la loi nouvelle, dans laquelle se trouve l’état de perfection. |
[13249] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
quamvis lex nova majora supplicia comminetur, tamen comminatio suppliciorum
non est principalis inductio in legem novam, sicut erat in lege veteri; sed
magis promissio praemiorum, et commemoratio beneficiorum quae ad amorem
incitant; et ideo lex nova non timorem, sed amorem, principalem radicem
habet. |
3. Bien que la loi nouvelle menace de supplices plus grands, la menace des supplices n’est cependant pas la principale incitation à la loi nouvelle, comme elle l’était pour la loi ancienne, mais plutôt la promesse de récompenses et le souvenir de bienfaits qui incitent à l’amour. C’est pourquoi la loi nouvelle a comme principe premier non pas la crainte, mais l’amour. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question
3
|
[13250] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Ad tertiam quaestionem
dicendum, quod difficile et onerosum mensuratur secundum virtutem
sustinentis: aliquid enim onerosum est debili quod forti est leve. Et ideo de
onere legis et Evangelii possumus loqui dupliciter: aut quantum ad gravitatem
praeceptorum secundum se, aut per comparationem ad virtutem observantium. Si
primo modo; sic quantum ad numerum praecepta veteris legis erant magis
onerosa: quia lex vetus arctabat ad caeremonialia multa, et judicialia: lex
autem nova ad moralia tantum, quae etiam lex naturae imperat, et in uno verbo
abbreviato dilectionis Dei et proximi concluduntur. Sed quantum ad
explicationem istorum praeceptorum, sic praecepta novae legis quodammodo sunt
difficiliora: quia magis explicatur virtus praeceptorum moralium in nova lege
quam veteri; et superaddit lex nova consilia, quamvis ad ea non cogat; et
quaedam etiam prohibet quae lex vetus permittebat, infirmitati deferens,
sicut libellum repudii, et hujusmodi. Si autem secundo modo, sic absolute lex
vetus onerosior erat: tum quia auxilium gratiae non conferebat ad mandata
implenda, sicut nova facit; tum quia vetus lex per modum timoris cogebat ad
hoc, ad quod nova lex ex amore inducit, qui omnia levia facit. |
Ce qui est difficile et lourd se mesure selon la puissance de celui qui le porte. En effet, quelque chose est lourd pour celui qui est faible, mais léger pour celui qui est fort. C’est pourquoi nous pouvons parler de la charge de la loi et de l’évangile de deux manières : soit quant au poids des commandements en eux-mêmes ; soit [de leur poids] par comparaison avec ceux qui observent la vertu. Si [on parle] de la première manière, les commandements de la loi ancienne étaient plus lourds en raison de leur nombre, car la loi ancienne insistait sur un grand nombre de commandements cérémoniels et judiciaires ; mais la loi nouvelle [insiste] sur les [commandements] moraux seulement, que la loi naturelle commande aussi, et ils se résument dans une simple parole : l’amour de Dieu et du prochain. Mais, du point de vue de l’explicitation de ces commandements, les commandements de la loi nouvelle sont d’une certaine manière plus difficiles, car la puissance des commandements moraux est davantage explicitée dans la loi nouvelle que dans l’ancienne, et la loi nouvelle y ajoute les conseils, bien qu’elle n’y contraigne pas ; elle interdit aussi certaines choses que la loi ancienne permettait, en tenant compte de la faiblesse, tel le livret de répudiation et les choses de ce genre. Mais si l’on parle de la seconde manière, la loi ancienne est ainsi plus lourde de manière absolue, tant parce que l’aide de la grâce de contribuait pas à l’accomplissement des commandements, comme le fait la loi nouvelle, que parce que la loi ancienne contraignait par mode de crainte à ce à quoi la loi nouvelle entraîne par l’amour qui rend tout léger. |
[13251] Super Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod additio novae legis ad veterem vel est quantum ad consilia ad quae nova
lex non obligat, vel etiam quantum ad explicationem eorum quae in veteri lege
implicite habebantur; unde ex hoc non potest concludi quod lex nova sit
gravior. |
1. L’ajout de la loi nouvelle à la loi ancienne porte soit sur les conseils, auxquels la loi nouvelle n’oblige pas, soit encore sur l’explicitation de ce qui se trouvait implicitement dans la loi ancienne. On ne peut donc en conclure que la loi nouvelle est plus lourde. |
[13252] Super Sent.,
lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virtuosus ea quae ad virtutem pertinent,
delectabiliter exequitur, ut dicitur in 1 Ethic.; et ideo virtus perfecta
levius quantumcumque difficilia exequetur, quam carens virtute facilia: cui
hoc ipsum triste est, quod a delectationibus illicitis abstineat. |
2. Le vertueux accomplit avec plaisir ce qui relève de la vertu, comme il est dit dans Éthique, I. C’est pourquoi la vertu parfaite accomplira plus légèrement même ce qui est le plus difficile, que celui à qui la vertu fait défaut, les choses faciles : pour celui-ci, il est triste de s’abstenir des plaisirs défendus. |
[13253] Super Sent.,
lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut qui tortuosa ligna dirigunt, ad partem
contrariam magis deflectunt, ut sic ad rectitudinem etiam, ut dicitur in 2
Ethic. veniant; ita tendentibus ad virtutem faciendum est, ut qui a
rectitudine virtutis distorti fuerunt, magis a contrariis vitiis
abstrahantur. Et propter hoc etiam poenitentibus graviora onera imponuntur
quam innocentibus. Et ita etiam carnali populo et cervicoso majora onera
imponenda fuerunt ad ejus duritiam edomandam, cum tamen modum ejus non
excederent, sicut etiam infirmis diaeta arctior, et pueris disciplina
strictior imponitur. |
3. De même que ceux qui redressent des lignes sinueuses les infléchissent en sens contraire pour qu’elles en viennent ainsi à être droites, ainsi qu’il est dit dans Éthique, II, de même ceux qui tendent vers la vertu doivent-ils agir de manière à ce que ce qui s’était écarté de la rectitude de la vertu soit plutôt éloigné des vices contraires. Pour cette raison, des charges plus lourdes sont imposées aux pénitents plutôt qu’aux innocents. De la même manière, de plus grandes charges ont été imposées à un peuple charnel et entêté afin de dompter don endurcissemenet, alors qu’ils n’en dépassaient cependant pas la mesure, de la même manière qu’un régime plus sévère est imposée aux malades et une discipline plus rigoureuse, aux enfants. |
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Expositio textus |
Explication du texte de Pierre
Lombard, Dist. 40
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[13254] Super
Sent., lib. 3 d. 40 q. 1 a. 4 qc. 3 expos. Non ancillam et cetera. Sciendum, quod ancilla
dupliciter concupisci potest. Uno modo ad concubitum, et sic pertinet ad sextum praeceptum; alio
modo ad dominium, et sic pertinet ad septimum. Audistis decem chordas
Psalterii. Per decem chordas Psalterii decem praecepta legis
intelliguntur. Sicut enim David egregius psaltes sono citharae et Psalterii
spiritum malum a Saul expellebat, ut dicitur 1 Reg. 16, et ursum et leonem
interfecit, ut dicitur in eodem, 17, ita Christus qui per David significatur,
corda nostra quasi Psalterium his decem praeceptis percutiens, omnium
mortalium peccatorum feras in nobis occidit, et virtutes perficit, quibus ad
vitam pervenitur aeternam, in qua cum Christo vivamus per omnia saecula
saeculorum. Amen. |
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Fin du livre 3 |
[1]Comprehensor(es), qui n’a pas d’équivalent en français,
pourrait être traduit par «bienheureux». En effet, comprehensor(es) est
un terme technique désignant ceux qui voient déjà Dieu selon son essence, l’«embrassent»,
l’« enserrent » ou le «comprennent» dans la béatitude éternelle. Par
contre, on parlera de viator(es) pour désigner la condition de ceux qui
sont en route (in via) vers la béatitude dans la vie présente.
Voir III, q. 15, a. 10, c : Aliquis dicitur viator ex
eo quod tendit in beatitudinem, comprehensor autem dicitur ex hoc quod jam
beatitudinem obtinet.
[2] Je traduis fomes par
« convoitise » pour bien montrer qu’elle est comme une distorsion de
l’appétit sensible et de la concupiscence, comme une « concupiscence
désordonnée ». Fomes :
« Une inclination de l’appétit sensible à ce qui est contre la raison fait
partie de la nature de la convoitise (fomes). »
Ad rationem autem fomitis pertinet
inclinatio sensualis appetitus in id quod est contra rationem (Somme de théologie, III, q. 15,
a. 2, c.). « La convoitise (fomes) n’est rien d’autre qu’une concupiscence
désordonnée de l’appétit sensible à l’état habituel… Il est de la nature même
de la convoitise qu’elle incline au mal ou rende le bien difficile ». Ad rationem ipsam fomitis pertinet quod inclinet ad malum vel
difficultatem facit in bono (Somme de théologie, III,
q. 27, a. 3, c.). Voir aussi Sent.
III, d. 17, q. 1, a. 2, qa 2, ad 2.
[3] C’est la grâce qu’on appellera « sanctifiante ».
[4] Voir la note précédente.